Dans ces pays là, un génocide, ce n’est pas trop important. François Mitterrand
Un dramatique cortège de négligences, d’insouciances, d’incompétences, d’hésitations et d’erreurs, a créé les conditions d’une tragédie sans nom. Et donc j’assume ici devant vous la responsabilité de mon pays, des autorités politiques et militaires belges, et au nom de mon pays, au nom de mon peuple, je vous demande pardon pour ça. Guy Verhofstadt (premier ministre belge, 7 janvier 2000)
Ce qu’il s’est passé ici est une défaite pour l’humanité. Ce qu’il s’est passé ici a laissé une trace indélébile. (…) Ce qu’il s’est passé ici oblige la communauté internationale, dont la France, à réfléchir à ses erreurs qui l’ont empêchée de prévenir et d’arrêter ce crime épouvantable. Nicolas Sarkozy (25 février 2010)
Il faut ouvrir les ventres de ces Tutsis que vous tuez pour qu’ils coulent et que les satellites ne les voient pas. Soldats français au Rwanda lors du génocide (cité par Andrew Wallis)
Nous livrons des munitions aux FAR en passant par Goma. Mais bien sûr nous le démentirons si vous me citez dans la presse. Philippe Jehanne (correspondant de la DGSE, à l’historien Gérard Prunier, en plein génocide rwandais, le 19 mai 1994)
On avait ordre de ne pas bouger, de ne rien faire, surtout pas bouger, rien faire. (…) Les gens nous parlaient d’une vallée, Bisesero, où il y aurait des Tutsis armés jusqu’aux dents. Un jour, on a désobéi (…) aux ordres de notre propre chef (…) le commandant Marin Gillier. Il nous avait interdit d’aller là-bas.» En allant à Bisesero, «on a découvert le pot aux roses : c’est une vallée où 10 000 victimes avaient été tuées. Il en restait 800 dans un état lamentable. Là on s’est rendu compte que c’était pas du tout les Tutsis qui tuaient les Hutus, c’étaient les Hutus qui tuaient les Tutsis, qui les massacraient carrément, tous les jours. Adjudant Thierry Prungnaud (ancien gendarme du GIGN, France Culture, le 22 avril 2005)
Monsieur,… la situation dans mon pays devient de plus en plus critique… Vu l’évolution actuelle du conflit, je vous confirme mon accord pour recruter, pour le gouvernement rwandais, 1000 hommes devant combattre aux côtés des Forces Armées Rwandaises. Augustin Bizimana (ministre de la Défense rwandais, lettre « au Capitaine Paul Barril », 27 avril 1994)
L’ordre initial, que j’ai reçu autour du 24 juin, était très clair : préparer un raid sur la capitale rwandaise, Kigali, alors passée en quasi-totalité sous le contrôle du FPR. La spécialité de mon unité était le guidage des frappes aériennes [Tactical Air Control Party – TACP, NDLR]. Infiltrés à proximité de la cible pour guider les avions de chasse, notre rôle était de dégager un couloir pour permettre aux troupes de s’emparer de leur objectif avant que quiconque ait eu le temps de réagir. Pas besoin d’avoir fait Saint-Cyr pour comprendre que lorsqu’on cherche à reprendre la capitale d’un pays en guerre passée aux mains d’une rébellion, c’est pour remettre en place les autorités officielles. (…) La confirmation de l’ordre de mission n’est jamais arrivé. Peut-être était-ce lié aux problèmes logistiques que nous rencontrions, nos équipements ayant été acheminés avec retard jusqu’à Goma [en RDC, NDLR]. D’autre part je sentais un certain flottement au niveau de la hiérarchie. Puis, entre le 29 juin et le 1er juillet, nous avons reçu un ordre qui s’est substitué au premier. Nous devions stopper par la force l’avancée du FPR à l’est de la forêt de Nyungwe, dans le sud-ouest du Rwanda. Le lendemain matin à l’aube, nous avons décollé dans des hélicoptères Super-Puma afin d’aller déclencher les frappes aériennes sur les colonnes du FPR. L’essentiel de l’unité était déjà partie la veille par la route. Mais au moment où les hélicoptères décollaient de l’aéroport Bukavu, nous avons reçu un contre-ordre. L’officier en charge des opérations nous a expliqué qu’un accord avait été passé avec le FPR. Désormais nous devions protéger une « zone humanitaire sûre » (ZHS) dont la rébellion de Paul Kagamé avait accepté qu’elle échappe provisoirement à son contrôle. C’est à ce moment-là que la nature de notre mission a changé pour devenir humanitaire. Jusque-là, il était clair qu’il s’agissait de combattre le FPR. Nous nous sommes déployés autour de Cyangugu, au sud du lac Kivu. Le commandant de compagnie a décidé d’installer notre camp au-dessus du camp de Nyarushishi, où s’étaient réfugiés des milliers de Tutsis et de Hutus modérés. Il avait été alerté par le médecin-chef du camp, un Suisse travaillant pour le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), sur le risque d’une attaque massive des miliciens Interahamwe. Cette dimension de Turquoise ne doit pas être oubliée : même si les ordres que nous recevions étaient ambigus, les soldats français ont sauvé plusieurs milliers de vie. Pour moi, chacune d’entre elle était une victoire. (…) Dès que nous avons traversé la frontière entre l’ex-Zaïre [actuelle RDC] et le Rwanda, nous avons constaté que les militaires rwandais étaient consternés en réalisant que les soldats français n’allaient pas remettre en selle le gouvernement intérimaire à l’origine du génocide. Ils nous regardaient avec une réticence et une inquiétude évidentes. À l’inverse, quand les réfugiés de Nyarushishi ont réalisé que nous venions réellement pour les protéger, ils nous ont accueilli avec des cris et des chants de joie. Étant un spécialiste des frappes aériennes et des missions spéciales, quand la compagnie s’est installée pour protéger le camp de Nyarushishi, on m’a détaché auprès du colonel Hoggard, de la Légion étrangère, et je suis devenu responsable des extractions. Pendant un mois, avec des légionnaires, à chaque fois que nous recevions une information sur des personnes menacées dans la zone humanitaire sûre, j’étais chargé de conduire les opérations se sauvetage. (…) Pendant cette période, nous avons confisqué des dizaines de milliers d’armes légères aux Hutus qui traversaient la frontières, essentiellement des pistolets, des fusils d’assaut et des grenades. Toutes ces armes étaient stockées dans des conteneurs maritimes sur la base de la Légion étrangère à l’aéroport de Cyangugu. Vers la mi-juillet, nous avons vu arriver une colonne de camions civils. Instruction a été donnée de charger les conteneurs d’armes sur ces camions, qui les ont emmenées ensuite au Zaïre pour les remettre aux forces gouvernementales rwandaises. On m’a même suggéré d’occuper les journalistes pendant ce temps pour éviter qu’ils s’en rendent compte. Quand je lui ai fait part de ma désapprobation, le commandant de la Légion m’a répondu que l’état-major avait estimé qu’il fallait montrer à l’armée rwandaise que nous n’étions pas devenus ses ennemis, afin qu’elle ne se retourne pas contre nous. La France a même payé leur solde aux soldats rwandais. (…) En leur livrant des dizaines de milliers d’armes, nous avons transformé les camps de réfugiés du Zaïre en base militaire. Il était évident que Paul Kagamé n’allait pas tolérer, après avoir pris le pouvoir, qu’une position armée du régime génocidaire s’installe de l’autre côté du lac Kivu. Cette décision a joué un rôle important dans ce qui allait se passer deux ans plus tard dans l’est du Congo. (…) Personnellement, je ne fais que relater ce que j’ai vécu à l’époque. Si cela ne colle pas avec leur version, cela pose un problème. Ils ont construit une histoire mythique de l’opération Turquoise qui ne correspond pas à la réalité. Or si l’on veut éviter qu’une telle chose se reproduise, il faut mettre les cartes sur la table, pas les dissimuler sous le tapis. Guillaume Ancel (officier français de l’Opératon turquoise)
On nous dit qu’au Rwanda, la France aurait commis une “faute politique”. C’est trop ou trop peu. De quelle faute s’agit-il? Il faut l’expliquer! Aurions-nous, par exemple, pris systématiquement le parti d’un camp contre l’autre, des Hutus contre les Tutsis? C’est une contre-vérité. Pendant la période où j’ai conduit la diplomatie française (d’avril 1993 à mai 1995), nous avons fait tous les efforts possibles pour aider à la réconciliation des Rwandais. (…) l’opération Turquoise (…) a parfaitement accompli la mission qui lui avait été assignée, dans les conditions de temps et de lieu prévues. La présence de l’armée française a permis de sauver des dizaines de milliers de vie et d’arrêter le flux de plusieurs millions de personnes qui fuyaient vers le Zaïre voisin (devenu République Démocratique du Congo). Son intervention est à l’honneur de la France. Dès lors, de quelle faute nous parle-t-on? (…) La diplomatie française ne devrait pas s’écarter de la voie de la vérité et de la dignité. Alain Juppé (27.04.08)
Ce que je sais, c’est qu’à l’époque, loin de prendre parti pour un camp contre l’autre, le gouvernement français a tout fait pour réconcilier le gouvernement du Président Habyarimana, légalement élu, et le leader du Front Patriotique Rwandais (FPR) , le colonel Kagamé qui, de l’Ouganda où il se trouvait en exil, se lançait dans la reconquête du territoire de son pays. C’est ce qu’on a appelé le processus d’Arusha, du nom de la ville de Tanzanie où se déroulaient les négociations. Ce processus, lancé dès 1992 , a abouti en août 1993 à une série d’accords qui actaient la réconciliation nationale, le départ des troupes françaises présentes au Rwanda, la mise en place d’une force des Nations Unies, la MINUAR, pour surveiller la bonne application de l’accord, et la création d’un gouvernement de transition consacrant la réintégration des exilés tutsis. Nous avons presque réussi à convaincre les parties de respecter cet accord. Nous avons retiré les forces françaises de l’opération Noroît qui étaient présentes sur le sol rwandais depuis octobre 1990 pour protéger les 600 ressortissants français du Rwanda (à l’exception de 24 coopérants militaires dans le cadre d’un détachement d’assistance technique). Une Assemblée nationale de transition s’est installée en mars 1994. Bref le processus de paix semblait bien engagé… jusqu’à l’attentat du 6 avril 1994 qui a évidemment ruiné les efforts de la diplomatie française. Ce que je sais aussi, c’est que loin de se taire sur ce qui s’est alors passé au Rwanda, le gouvernement français a, par ma voix, solennellement dénoncé le génocide dont des centaines de milliers de Tutsis étaient les victimes. Je l’ai dit le 15 mai 1994 à l’issue de la réunion du Conseil des Ministres de l’Union Européenne à Bruxelles, et de nouveau le 18 mai à l’Assemblée Nationale au cours de la séance des questions d’actualité. Ce que je sais, c’est que la communauté internationale a fait preuve d’une passivité, voire d’un « aveuglement » scandaleux. Malgré ce qui se passait sur le terrain et que l’on savait, malgré les appels de son Secrétaire général en exercice, Boutros Boutros-Ghali, qui réclamait l’envoi rapide de 5 000 Casques bleus, le Conseil de Sécurité a été incapable de prendre la moindre décision… sauf celle de ramener les effectifs de la MINUAR de 2548 à 270 hommes (21 avril 1994). Devant la carence de la communauté internationale et les obstacles mis par certaines grandes puissances aux demandes du Secrétaire général de l’ONU, la France a été la seule à avoir un sursaut de courage. J’ai longuement expliqué, à l’époque, l’initiative qui a abouti à l’opération Turquoise, c’est-à-dire à l’envoi d’une force internationale, principalement constituée de militaires français. Le gouvernement français a obtenu le feu vert du Conseil de Sécurité par la résolution n°929 en date du 22 juin 1994. Le Secrétaire d’Etat américain, Warren Christopher, m’a fait personnellement part de son admiration pour cette initiative de la France. Ce que je sais enfin, c’est que l’opération Turquoise s’est exactement déroulée dans les conditions fixées par la résolution des Nations Unies. Elle a permis de sauver des centaines de milliers de vies. Je me souviens de l’accueil que réservaient à nos soldats les réfugiés qui fuyaient les combats opposant le FPR (Front Patriotique Rwandais du colonel Kagamé) et les FAR (Forces Armées Rwandaises). Turquoise a également protégé des dizaines de sites de regroupement de civils tutsis et permis aux ONG d’accéder en toute sécurité à ces populations. Son mandat n’était en aucune manière de faire la guerre, mais de mener une opération humanitaire, nettement définie dans le temps et dans l’espace. Elle l’a remplie dans des conditions qui font honneur à l’armée française et à notre pays. Jusqu’à ce qu’enfin arrivent sur place les Casques bleus de la MINUAR II, fin août 1994. Tout cela, je l’ai déclaré en détail devant la mission parlementaire sur le génocide du Rwanda qu’a présidée en 1998 M. Paul Quilès. On peut se référer à ses conclusions, ou , si l’on cherche un texte plus synthétique, à l’article que Paul Quilès a publié le 28 mars 2009 dans le Figaro, sous le titre « Rwanda: cessons de diaboliser la France ». Aujourd’hui, il est utile que la France et le Rwanda dissipent les malentendus et se réconcilient. Il reste nécessaire que les coupables de cet abominable génocide soient poursuivis, traduits en justice et châtiés, où qu’ils se trouvent. Mais il ne serait pas acceptable de ré-écrire une autre Histoire. Alain Juppé (2010)
Procéder à des opérations d’instruction, réaliser une assistance technique militaire en temps de paix ne pose pas de problèmes particuliers en termes de principes. Intervenir sur la base d’un accord de défense ou en vertu d’un engagement politique aux côtés d’un Etat auquel un autre Etat souhaite apporter son soutien dans le cas d’une agression extérieure, ne soulève pas non plus de questions d’ordre éthique. Il s’agit là d’un jeu classique d’alliances exprimant tel ou tel équilibre politique. Que l’agression ne puisse être véritablement caractérisée comme une agression extérieure, que le pays qui la subit soit lui-même auteur ou complice d’exactions graves sur ses propres populations en représailles aux offensives qui le menacent et la situation devient dès lors beaucoup plus complexe. Comment peut-on alors concevoir une aide et un engagement extérieurs qui ne soient pas perçus comme un engagement direct ? Autrement dit, la seule présence militaire française sur le terrain, prolongée après les dernières évacuations des ressortissants français à Ruhengeri fin janvier 1991, ne signifie-t-elle pas, lorsqu’elle devient aussi déterminante sur l’issue des combats, que la France s’est trouvée à la limite de l’engagement direct, même si elle n’a pas participé aux combats aux côtés des FAR, comme le firent pendant quelques jours, en octobre 1990, les forces armées zaïroises ? Paul Quilès (Rapport d’information, 1998)
Dès lors, deux questions se posent : quels sont les moyens de poursuivre le travail de vérité historique, qui ne saurait être la préoccupation de la seule France? Pourquoi la recherche de la vérité est-elle si difficile face à la manipulation? 1)- Depuis 1994, de nombreux travaux ont analysé par le détail le génocide du Rwanda : enquêtes, commissions parlementaires, rapports d’institutions internationales, travaux menés par des ONG et des chercheurs. Il devrait être possible –pourquoi pas sous l’égide de l’ONU- de soumettre l’ensemble de ces documents à l’examen d’une commission constituée de personnalités indépendantes à l’expertise reconnue. Ainsi pourrait être établie, à l’intention des gouvernements et des opinions, une analyse impartiale et incontestable, qui apporterait une contribution essentielle à la réconciliation et à la reconstruction dans la région des Grands Lacs. 2)- Tant qu’un tel travail n’aura pas été réalisé, la manipulation risque de se poursuivre, dans la mesure où elle prend sa source dans la convergence des intérêts : intérêts de ceux qui veulent écrire une histoire du génocide légitimant leur pouvoir ; intérêts de ceux qui aimeraient que leurs responsabilités soient oubliées ou édulcorées. – Parmi les premiers, se trouve le gouvernement rwandais, qui souhaite que soit minorée sa responsabilité dans la déstabilisation de la Région des Grands Lacs depuis son avènement au pouvoir, que ne soit jamais établie son éventuelle implication dans l’attentat contre l’avion d’Habyarimana -élément déclenchant du génocide-, que soit occultée la part de cynisme qui conduisit le FPR à privilégier parfois la logique de l’affrontement à celle de la paix. De ce point de vue, la diabolisation d’une puissance comme la France, dont la présence en Afrique est suffisamment entachée d’erreurs pour que sa condamnation apparaisse vraisemblable, constitue une aubaine dont le gouvernement rwandais use et abuse, sans aucune retenue. – Parmi les seconds, figurent ceux qui n’ont pas pris la mesure des évènements qui se produisaient au Rwanda en 1994 et qui par indifférence, par cynisme ou par intérêt, ont accepté que les Nations Unies retirent une grande partie de leurs forces présentes sur place (la MINUAR) au moment où se déclenchait le génocide, en prenant bien soin de ne jamais qualifier les massacres. Les Etats-Unis sont ici en première ligne, ce qui ne les empêche pas de bénéficier de l’amitié et de la compréhension du gouvernement rwandais. Il est vrai que l’un comme l’autre ne voient que des avantages à ce que la culpabilité de la communauté internationale soit incarnée par la seule France. Paul Quilès
Il est rigoureusement faux que la France ait aidé en quelque manière les auteurs du génocide à préparer leur forfait. Bien au contraire avant mars 1993 (date de prise de fonction du gouvernement Balladur) comme après cette date, notre pays a tout fait pour pousser à la réconciliation des deux camps. Il a efficacement oeuvré à la conclusion des accords d’Arusha qui posaient les bases de cette réconciliation et qui ont été salués positivement par M. Kagamé lui-même. Il est rigoureusement faux que la France n’ait pas dénoncé le déclenchement du génocide en le qualifiant en ces termes même. Mes déclarations publiques en font foi, en mai 1994, au conseil des ministres des affaires étrangères de l’Union Européenne comme à l’Assemblée Nationale. Quand aux accusations portées contre notre Armée, elles sont tout simplement honteuses. Nos soldats ont exécuté strictement la mission qui leur avait été assignée par le gouvernement, en application d’une résolution très précise du Conseil de sécurité des Nations Unies. Ils l’ont fait avec le courage et la discipline qui les caractérisent. Je me souviens de l’accueil enthousiaste que leur ont réservé les centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qu’ils ont protégés. Sans doute subsiste-t-il encore des zones d’ombre sur cette période tragique. Malgré les investigations de l’ONU, de la justice française, de la justice espagnole, on ne sait toujours pas qui sont les auteurs de l’attentat contre l’avion qui transportait le Président Habyarimana et le Président du Burundi le 6 avril 1994 . C ‘est le lendemain de cet attentat qu’ont commencé les massacres de 800 000 Tutsi (et Hutu modérés). En connaître les auteurs serait de première importance pour comprendre l’enchaînement des faits. On peut espérer, comme la mission Quilès, que « la vérité fera peu à peu son chemin. C’est ainsi que le souvenir des victimes du génocide ne se confondra pas avec les intérêts de ceux qui prétendent parler en leur nom ». En attendant que vienne la vérité, on ne peut tolérer la véritable entreprise de falsification historique qui veut faire porter à la France la culpabilité du génocide. La communauté internationale a failli, c’est un fait. Elle a été incapable de prévenir et d’arrêter le génocide. Mais la communauté internationale, ce n’est pas la France seule. C’est le Conseil de sécurité des Nations Unies dont Kofi Annan qui dirigeait alors le Département des Opérations de Maintien de la Paix a décrit plus tard la paralysie. Il écrit: « Les Français ont poussé dès le début des négociations d’Arusha pour qu’une force de l’ONU soit déployée au Rwanda en soutien de l’accord de paix. Hormis côté français, il y avait au début peu d’appétence chez les membres permanents du Conseil de sécurité pour mandater une nouvelle force de maintien de la paix… » Plus loin, il ajoute: « Nous devons reconnaître que le monde a échoué face au mal. La communauté internationale et les Nations Unies n’ont pu mobiliser la volonté politique de l’affronter. » La « communauté internationale » , ce sont aussi les Etats-Unis, très influents dans la région et dont le Président Clinton lui-même a reconnu l’inaction. Ce sont aussi les pays européens dont certains avaient des responsabilités historiques dans la région. La France a été la seule puissance à agir. Il serait aujourd’hui intolérable que nous soyons désignés comme les principaux coupables. J’appelle le Président de la République et le gouvernement français à défendre sans ambiguïté l’honneur de la France, l’honneur de son Armée, l’honneur de ses diplomates. Alain Juppé (2013)
L’implication française est beaucoup plus terrible encore puisqu’elle a été un soutien logistique à l’armée d’Habyarimana. Il semble que même après le début du génocide, l’armée française – ou au moins une partie parce que ce n’est pas sûr que cela ait été décidé en haut lieu – ait continué à fournir des armes aux tueurs. (…) L’armée française a également installé la « zone turquoise ». C’était une décision politique prise dans les bureaux de François Mitterrand. Cette zone a été instaurée dans la région ouest du pays pour permettre pendant deux mois, mi-juin jusqu’à mi-août, à la communauté hutue de s’échapper et donc de protéger en son sein – toute la communauté n’était pas meurtrière – des génocidaires qui s’y cachaient. Jean Hatzfeld
Les puissances occidentales aimeraient que le Rwanda soit un pays ordinaire, comme si rien ne s’était passé, ce qui présenterait l’avantage de faire oublier leurs propres responsabilités, mais c’est impossible. Prenez le cas de la France. Vingt ans après, le seul reproche admissible à ses yeux est celui de ne pas en avoir fait assez pour sauver des vies pendant le génocide. C’est un fait, mais cela masque l’essentiel : le rôle direct de la Belgique et de la France dans la préparation politique du génocide et la participation de cette dernière à son exécution même. Interrogez les rescapés du massacre de Bisesero en juin 1994 et ils vous diront ce que les soldats français de l’opération Turquoise y ont fait. Complices certes, à Bisesero comme dans toute la zone dite “humanitaire sûre”, mais aussi acteurs. (…) Nous verrons ce qu’il adviendra de cette condamnation en appel. Pour le reste, je ne pense pas qu’il s’agisse là d?une évolution particulièrement positive. Pour un criminel condamné après vingt ans, combien la justice française en a-t-elle escamoté ? Nous ne sommes pas dupes de ce petit jeu. On nous présente cette sentence comme un geste, presque comme une faveur de la France à l?égard du Rwanda, alors que c?est le rôle de la France dans le génocide qu?il conviendrait d’examiner. Paul Kagamé
Si l’opération Turquoise a permis par endroits de sauver des vies, elle a ailleurs, comme à Bisesero, du 27 au 30 juin, laissé les tueurs finir librement leur besogne. Elle a créé un véritable sanctuaire, défendu militairement, dans lequel les responsables du génocide ne pouvaient être inquiétés, puis elle a organisé leur fuite vers le Zaïre. Continuez-vous à prétendre, M. Juppé, contre l’évidence des faits, que l’État français s’est opposé à la passivité de l’ONU devant le génocide des Tutsi ? Et que l’opération Turquoise n’était qu’une opération humanitaire, dont le but était de lutter contre ce génocide ? (…) Vingt ans après, alors que notre justice vient pour la première fois de juger, et de déclarer coupable de génocide, un Rwandais séjournant en France, n’est-il pas grandement temps d’oser regarder le passé en face ? Nous souhaitons que l’État qui nous représente ait la dignité de reconnaître ses erreurs. C’est la seule attitude qui puisse nous paraître respectable, aujourd’hui, devant la souffrance immense générée par le génocide des Tutsi. Le mandat que vous aviez à l’époque, les décisions que vous avez prises, la manière dont vous les avez défendues jusqu’à présent, font de vous un acteur majeur de la politique française au Rwanda. Les mensonges de ceux qui nous gouvernaient en 1994, concernant l’aide fournie à la réalisation du génocide des Tutsi, nous concernent au plus haut point. Votre discours, qui entre en contradiction avec les faits avérés, pourrait être qualifié de révisionniste. Il nous paraît inacceptable qu’un homme tenant des propos sur un génocide visant à tromper ses concitoyens puisse représenter la population bordelaise. C’est également notre dignité qui est en jeu ! Nous vous invitons donc, encore une fois, à répondre avec clarté et honnêteté aux questions que nous vous posons. Lettre ouverte à M. Juppé
La classe politique française n’est pas particulièrement connue pour sa capacité à admettre ses erreurs. Nos politiciens se sentent au dessus de toute repentance. La particularité réside aussi dans le fait que le génocide s’est produit en période de cohabitation entre le gouvernement d’Edouard Balladur et le président François Mitterrand. C’est donc un cas spécial où il n’existe pas de clivage gauche-droite. Pourtant sans le soutien de Paris au régime du président Juvénal Habyarimana, le génocide n’aurait jamais pu avoir lieu. La France a fourni un parapluie militaire en repoussant les offensives du Front Patriotique Rwandais. Sans cet appui, le régime de l’époque n’aurait jamais eu le temps de préparer la tentative d’extermination de la population Tutsi. D’un autre coté, les militaires français présents au Rwanda étaient hautement qualifiés, je ne vois pas comment ils n’auraient pas été au courant de ce qui se tramait. Pour moi la connivence est évidente, les Français savaient qu’il y avait un génocide en préparation. Jean-François Dupaquier (journaliste, écrivain et témoin expert au Tribunal Pénal International pour le Rwanda)
Je crois que l’aide militaire de la France est progressivement devenue plus active sous forme de conseils, d’assistance, d’instructions aux Forces armées rwandaises (FAR). Il y a eu, en effet, une sorte de cobelligérance. Quand l’armée française a participé à l’élaboration de plans de bataille. Elle a même envoyé des conseillers pour instruire les FAR au maniement de matériels sophistiqués. Est-ce qu’il y a eu même des engagements directs ? Un journaliste, correspondant de guerre d’un journal de l’est-africain, m’a dit avoir vu aux jumelles des blancs avec les FAR aux combats. Les militaires du FPR lui ont dit que c’étaient des Français, mais il n’a pas pu les approcher. L’imbrication de l’armée française avec l’armée rwandaise est incontestable. (…) Selon moi, un pays se grandit quand il reconnait ses erreurs et ses fautes. Je n’ai pas changé. Le rapport fait état de « fautes d’appréciations ». Il y a des erreurs telles qu’il n’est pas impensable de les qualifier de fautes. C’était la première fois dans l’Histoire de la Ve république que le législatif contrôlait l’exécutif dans le domaine réservé de la défense ! Pierre Brana (co-rapporteur de la Mission d’information parlementaire sur le Rwanda)
Depuis 20 ans, les travaux de nombreux chercheurs, journalistes, juristes, organisations de la société civile et des rescapés et de leurs familles, ont démontré l’implication française dans le dernier génocide du XXe siècle. Des procédures judiciaires sont en cours, mettant potentiellement en cause des Français (enquête sur l’attentat contre l’avion du président rwandais, plaintes de rescapé-e-s tutsi contre des militaires français, plainte contre Paul Barril ex-gendarme de l’Elysée). Mais l’Etat français continue de nier son rôle et met un frein à la justice, en dissimulant un grand nombre de documents officiels, tels que les archives sur les opérations militaires françaises au Rwanda, ou les archives de l’Elysée non expurgées. Si les autorités politiques et militaires françaises n’avaient rien à se reprocher, comme elles ne cessent de l’affirmer, pourquoi refuseraient-elles de rendre publics ces documents ? Survie
En ce triste 20e anniversaire du début du dernier génocide du XXe siècle …
Dont, par l’indélicatesse du président rwandais, la France va se voir priver …
Comment ne pas s’étonner du refus continué dudit gouvernement français …
D’ouvrir les archives qui pourraient enfin démontrer à la face du monde …
Qu’aucun de ses dirigeants politiques et militaires de l’époque n’ont aidé en quelque manière les génocidaires ?
Génocide des Tutsi au Rwanda : levons le secret défense sur le rôle de la France
2,739 signatures. Atteignons 3,000
Pourquoi c’est important
C’est maintenant ou jamais : avec le triste anniversaire approchant, François Hollande et Jean-Yves le Drian doivent briser la loi du silence et nous devons nous mobiliser pour obtenir la vérité.
En 1994, le génocide des Tutsi au Rwanda a fait entre 800 000 et 1 million de victimes, massacrées pour la seule raison qu’elles étaient tutsi ou opposées au génocide. Des dirigeants politiques et militaires français ont apporté leur soutien aux génocidaires avant, pendant et après le génocide.
20 ans après, toute la lumière doit être faite sur la politique de la France au Rwanda.
Depuis 20 ans, les travaux de nombreux chercheurs, journalistes, juristes, organisations de la société civile et des rescapés et de leurs familles, ont démontré l’implication française dans le dernier génocide du XXe siècle. Des procédures judiciaires sont en cours, mettant potentiellement en cause des Français (enquête sur l’attentat contre l’avion du président rwandais, plaintes de rescapé-e-s tutsi contre des militaires français, plainte contre Paul Barril ex-gendarme de l’Elysée).
Mais l’Etat français continue de nier son rôle et met un frein à la justice, en dissimulant un grand nombre de documents officiels, tels que les archives sur les opérations militaires françaises au Rwanda, ou les archives de l’Elysée non expurgées. Si les autorités politiques et militaires françaises n’avaient rien à se reprocher, comme elles ne cessent de l’affirmer, pourquoi refuseraient-elles de rendre publics ces documents ?
Considérant qu’il est urgent et indispensable de faire avancer la justice, et que les citoyen-ne-s français-e-s, les rescapé-e-s et les familles des victimes ont le droit de connaître toute la vérité, nous demandons pour le 20e anniversaire du génocide la déclassification et la publication de tous les documents se rapportant à l’action de la France au Rwanda de 1990 à 1994 dans ses volets diplomatiques, militaires, politiques, et financiers.
En savoir plus :
Le Monde
Le Nouvel Observateur
Survie
Voir aussi:
Rwanda : respect de la mémoire] Lettre ouverte à Alain Juppé
Communiqué de presse
avril 2014
Monsieur Alain Juppé,
Nous, habitants de Bordeaux, et citoyens attentifs au respect de la mémoire des victimes du génocide des Tutsi au Rwanda, constatons que depuis 20 ans vous tenez, concernant ce crime, un discours qui entre en contradiction avec la réalité des faits. Il suscite de graves interrogations sur votre rôle à l’époque, ainsi que sur celui de notre État, auxquelles nous vous invitons à répondre.
Vous étiez ministre des affaires étrangères d’avril 1993 à avril 1995. Au cours de cette période, au Rwanda, se mettait en place et se réalisait un génocide : en 1994, il y a 20 ans, plus de 800 000 personnes furent assassinées pour la seule raison que la mention Tutsi figurait sur leurs cartes d’identité. Les forces armées rwandaises (FAR) et les milices civiles réalisèrent les massacres. Ce crime, organisé et rapide, dura 3 mois !
L’État français, jusqu’en 1994, était particulièrement proche des autorités rwandaises. La présence militaire sur place est un des aspects les plus visibles de cette proximité : de 1990 à la fin du génocide, 3 opérations françaises se déployèrent au Rwanda, et il n’y eut que quelques mois au cours desquels notre armée ne fut pas présente en nombre sur le territoire de ce petit pays. Depuis 20 ans, des historiens, des écrivains, des journalistes, des associations, ainsi que des organisations internationales (1), accusent les autorités françaises d’avoir une responsabilité coupable dans la réalisation du génocide, ou d’avoir été complices de celui-ci.
Environ 10 ans après les faits, des responsables politiques français commencèrent à parler « d’erreur criminelle » (B. Kouchner), puis « d’aveuglement » (N. Sarkozy), pour qualifier les décisions prises par notre État à cette époque (2). Mais votre position est toute autre. Selon vous, la France n’a rien à se reprocher, bien au contraire. Vos arguments sont clairs, vous les développez par exemple sur votre blog, dans un article mis en ligne le 1er mars 2010.
Concernant les accusations dirigées contre vous, vous vous contentez de les balayer d’un revers de la main, au seul motif qu’elles ne seraient « évidemment qu’un tissu d’allégations mensongères ». Mais lorsque vous exposez votre vision des événements, force est de constater que vous omettez et contredisez des faits avérés, afin de produire un discours dédouanant les dirigeants français de toute responsabilité.
Selon vous, M. Juppé, « le gouvernement français a tout fait pour réconcilier le gouvernement du président Habyarimana, légalement élu, et le leader du front patriotique rwandais (FPR) », « bref le processus de paix semblait bien engagé… jusqu’à l’attentat du 6 avril 1994 qui a évidemment ruiné les efforts de la diplomatie française. ».
Vous offrez, en quelques phrases, un vernis démocratique au régime de Juvénal Habyarimana, arrivé en pouvoir en 1973 par un coup d’état, et vous légitimez ainsi l’aide que lui offraient les autorités françaises. Mais vous fermez les yeux sur tous les éléments qui montraient la préparation du génocide : le massacre des Bagogwe en 1991 ; celui des Tutsi dans le Bugesera, dans la région de Kibuye et dans le nord-ouest en 1992 et 1993 ; ainsi que les nombreux rapports, français (3) et internationaux, qui en attestent. Les plus notables, publiés en 1993, sont celui de 4 ONG (4), dont la FIDH, et celui de la commission des droits de l’Homme de l’ONU (5). Ils interrogent déjà sur la possibilité de qualifier ces massacres de génocide. Ils démontrent également qu’ils sont encadrés par les autorités administratives et l’armée rwandaise, à une époque où les forces militaires françaises collaborent étroitement avec celles-ci.
Devant la multitude de ces voyants rouges (6), n’aurait-il pas été de votre devoir de dénoncer les crimes du régime et d’appeler à suspendre notre coopération, plutôt que de les camoufler derrière le paravent des accords d’Arusha ?
Ce processus de paix, bien engagé selon vous, était pourtant qualifié par le président Habyarimana de « chiffon de papier » (7). Pouviez-vous réellement ignorer que l’État français enfreignait ses clauses, notamment en poursuivant les fournitures d’armes au régime raciste de Kigali bien après sa signature définitive (le 04 août 1993) : la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR) intercepta, sur l’aéroport de la capitale, une livraison en janvier 1994 (8) ; selon Edouard Balladur, la dernière autorisation d’exportation de matériel de guerre date du 6 avril (9) ? Enfin, et c’est beaucoup plus grave, Human Rights Watch révèle, après une enquête menée en 1995, qu’au moins 5 livraisons d’armes en provenance de la France et à destination des forces génocidaires ont eu lieu via l’aéroport de Goma, à la frontière zaïroise (10). Elles s’effectuèrent après le 17 mai, alors que plus personne ne pouvait ignorer qu’un génocide était en cours, et que l’ONU venait de décréter un embargo sur les armes.
Les témoignages qui étayent ces conclusions sont-ils tous, eux aussi, mensongers ? Vous admettiez pourtant, durant le génocide, ne pas connaître les décisions de l’Élysée concernant les ventes d’armes (11). N’est-ce pas plutôt ces dernières qui ruinèrent les efforts de la diplomatie française, si ces efforts ont existé ? Et l’État français ne doit-il pas se reprocher cette aide aux génocidaires ? Par ailleurs, vous écrivez : « loin de se taire sur tout ce qui s’est alors passé au Rwanda, le gouvernement français a, par ma voix, solennellement dénoncé le génocide dont des centaines de milliers de Tutsis étaient les victimes. ». C’est vrai, vous avez dénoncé le génocide, et vous étiez le premier responsable politique français à le faire, à un moment où il devenait impossible de nier son existence, et où l’État devait corriger sa position. C’était le 16 mai 1994, cinq semaines après le début des massacres, alors que certains médias français employèrent le mot de génocide dès le 11 avril (12), et que l’ordre d’opération d’Amaryllis (13), daté du 8 avril, mentionnait que « les membres de la garde présidentielle ont mené […] l’arrestation et l’élimination des opposants et des Tutsis ». Les autorités françaises savaient. Elles étaient les mieux placées pour connaître exactement ce qui se passait au Rwanda, bien avant le 16 mai.
Mais quand, devant l’évidence des faits, vous dénoncez les responsables des massacres, c’est pour mieux mentir sur leur chronologie en prétendant, le 18 mai à l’assemblée nationale, qu’ils sont la conséquence d’une nouvelle attaque du FPR (14). Or le FPR, en 1994, n’est intervenu qu’après le début du génocide (15), et il était la seule force sur place à mettre fin à celui-ci. Présenter les choses comme vous le faisiez, n’était-ce pas une manière de détourner les accusations qui visaient ses véritables auteurs ?
De plus, le 16 juin, dans une tribune accordée au journal Libération (16), vous parlez des « responsables de ces génocides » au Rwanda, au pluriel, laissant entendre qu’il y aurait eu un second génocide, commis par une autre partie que vous ne nommez pas. Cette thèse, que plus personne n’ose sérieusement soutenir aujourd’hui, permettait de dédouaner les responsables des tueries, en prétendant qu’ils ne faisaient que se défendre… Vous repreniez ainsi l’argument qu’employaient les génocidaires pour exterminer la population civile Tutsi. Quels éléments pouvaient être suffisants pour vous permettre d’évoquer un second génocide, alors que le rapport de l’ONU d’août 1993 (17) ne vous avait, lui, pas alerté ? Oseriez-vous encore, M. Juppé, laisser entendre qu’en 1994 plusieurs génocides étaient commis au Rwanda ?
Nous l’avons vu, les autorités françaises connaissaient la nature et l’ampleur des massacres, dès le commencement de ceux-ci (18). Pouviez-vous ignorer qu’un génocide était en cours lorsque vous receviez à Paris, le 27 avril, le ministre des affaires étrangères du gouvernement intérimaire rwandais, ainsi que l’idéologue extrémiste Jean-Bosco Barayagwiza ? Ce dernier est l’un des fondateurs de la RTLM, la radio appelant aux tueries, qui fut un outil fondamental du génocide (19). Il a été condamné à 32 ans de prison par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda. La réception de ces personnes au Quai d’Orsay, mais aussi à l’Élysée et à Matignon, « rendait le génocide respectable », pour employer les mots de l’historienne Alison Des Forges (20). La Belgique et les USA leur avaient fermé leurs portes, la France fut le seul pays occidental à traiter avec eux.
Cette réception, M. Juppé, vous la taisez. Vous ne pouvez pas même la justifier par une condamnation verbale des responsabilités portées par vos hôtes. Celle-ci n’a pas existé… Vous écrivez enfin « Ce que je sais, c’est que la communauté internationale a fait preuve d’une passivité, voire d’un « aveuglement » scandaleux. […] le conseil de sécurité a été incapable de prendre la moindre décision… sauf celle de ramener les effectifs de la MINUAR de 2548 à 270 hommes (21 avril 1994) » ; « Devant la carence de la communauté internationale […], la France a été la seule à avoir un sursaut de courage. J’ai longuement expliqué, à l’époque, l’initiative qui a abouti à l’opération Turquoise ».
Là encore, vous contredisez les faits. La France ne s’est nullement opposée à la passivité de la communauté internationale que vous dénoncez. Elle y a participé, en votant la résolution 912 du conseil de sécurité de l’ONU, réduisant l’effectif de la MINUAR à 270 hommes, le 21 avril 1994, 14 jours après le début du génocide. Vous avez vous même déclaré, lors du conseil des ministres restreint du 13 avril 1994, être favorable à la suspension de la MINUAR (21), à un moment où le pire pouvait encore être évité. Ce n’est que dans un second temps, au mois de juin, alors que le génocide touche à sa fin, que l’État français prend la décision d’intervenir. Ce n’est pas un moment anodin : Kigali menace de tomber aux mains du FPR, qui s’oppose militairement aux forces armées rwandaises et stoppe l’extermination des Tutsi.
Faut-il rappeler que l’opération Turquoise, qualifiée d' »humanitaire », était lourdement armée (22) et composée en grande partie de l’élite des forces spéciales (23) ? Et que la France a imposé unilatéralement, sans l’accord du conseil de sécurité, une « zone humanitaire sûre » dans laquelle les tueurs ne seront pas désarmés, les responsables ne seront pas arrêtés, et depuis laquelle la RTLM, qui appelait aux massacres, pourra continuer à émettre sans souffrir de tentative de brouillage ni de neutralisation (24) ?
Les forces françaises avaient pourtant le devoir d’interrompre le génocide et d’arrêter les coupables, notamment à partir du 28 juin, date de sa reconnaissance par l’ONU : la France est signataire de la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, et l’opération « humanitaire », placée dans le cadre du chapitre VII (25) de la charte de l’ONU, pouvait recourir à « tous les moyens nécessaires pour atteindre les objectifs humanitaires énoncés » (26). Mais les objectifs militaires sur place étaient tout autre, comme en témoignent des propos d’officiers (27), ainsi que l’ordre d’opération de Turquoise appelant à inciter les autorités locales à rétablir leur autorité (28). Il s’agit bien ici des autorités qui ordonnaient et organisaient le génocide !
Si l’opération Turquoise a permis par endroits de sauver des vies, elle a ailleurs, comme à Bisesero, du 27 au 30 juin, laissé les tueurs finir librement leur besogne (29). Elle a créé un véritable sanctuaire, défendu militairement, dans lequel les responsables du génocide ne pouvaient être inquiétés, puis elle a organisé leur fuite vers le Zaïre (30).
Continuez-vous à prétendre, M. Juppé, contre l’évidence des faits, que l’État français s’est opposé à la passivité de l’ONU devant le génocide des Tutsi ? Et que l’opération Turquoise n’était qu’une opération humanitaire, dont le but était de lutter contre ce génocide ?
Aux premiers jours du génocide, les extrémistes hutu se retrouvaient à l’ambassade de France. Les discussions devant aboutir à la formation du gouvernement génocidaire s’y tinrent en partie, avec la participation de l’ambassadeur J.-M. Marlaud, donc sous votre responsabilité directe (31). Durant la même période, tout près de l’ambassade, Madame Agathe Uwilingiyimana, première ministre dite hutu modérée, favorable aux accords de paix, se faisait assassiner, comme beaucoup des responsables politiques partageant ses opinions. Vous n’avez jamais eu un mot pour dénoncer ces assassinats ! Mais vous avez traité, comme nous l’avons vu, avec le gouvernement génocidaire, le reconnaissant de fait et lui offrant la caution de la France.
En 1998, lors de votre audition par la mission d’information parlementaire, vous avez évoqué ces faits par un euphémisme particulièrement surprenant, parlant du « départ des hutus modérés » (32). Plus qu’une maladresse, n’était-ce pas là, encore une fois, une manière de dédouaner les criminels avec qui vous traitiez, et de refaire le passé ?
Vingt ans après, alors que notre justice vient pour la première fois de juger, et de déclarer coupable de génocide, un Rwandais séjournant en France, n’est-il pas grandement temps d’oser regarder le passé en face ? Nous souhaitons que l’État qui nous représente ait la dignité de reconnaître ses erreurs. C’est la seule attitude qui puisse nous paraître respectable, aujourd’hui, devant la souffrance immense générée par le génocide des Tutsi.
Le mandat que vous aviez à l’époque, les décisions que vous avez prises, la manière dont vous les avez défendues jusqu’à présent, font de vous un acteur majeur de la politique française au Rwanda. Les mensonges de ceux qui nous gouvernaient en 1994, concernant l’aide fournie à la réalisation du génocide des Tutsi, nous concernent au plus haut point. Votre discours, qui entre en contradiction avec les faits avérés, pourrait être qualifié de révisionniste. Il nous paraît inacceptable qu’un homme tenant des propos sur un génocide visant à tromper ses concitoyens puisse représenter la population bordelaise. C’est également notre dignité qui est en jeu ! Nous vous invitons donc, encore une fois, à répondre avec clarté et honnêteté aux questions que nous vous posons.
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Signataires :
AUBRY Patrick, réalisateur, Pessac
BOURREAU Pierre, chercheur en informatique, Bordeaux
CATTIER Emmanuel, Commission d’Enquête Citoyenne pour la vérité sur l’implication française dans le génocide des Tutsi
CLARKE Bruce, plasticien
COURTOUX Sharon, membre fondateur de l’association Survie
DELTOMBE Thomas, éditeur et journaliste
DIA Thierno I., analyste de l’image, Bordeaux
DIOP Boubacar Boris, écrivain
FANON MENDES FRANCE Mireille, membre de la Fondation Frantz Fanon
GALABERT Jean-Luc, psychologue
GAUTHIER Alain, président du CPCR
GODARD Marie Odile, maître de conférences en psychologie à Amiens
GOUTEUX Bruno, journaliste et webmaster
GRANDCHAMP Simon, ingénieur, Bordeaux
GRENIER Etienne, avocat, Bordeaux
HANNA Gilbert, syndicaliste et journaliste à la clé des ondes, Bordeaux
KAYIMAHE Vénuste (rwandais et rescapé, écrivain, employé au Centre d’échanges culturels franco-rwandais à Kigali de 1975 à 2000)
LAINÉ Anne, cinéaste, présidente d’Appui Rwanda
DE LA PRADELLE Géraud, professeur émérite
LE COUR GRANDMAISON Olivier, universitaire
LEMOINE Benoît, président de Survie Gironde, Bordeaux
MABON Armelle, historienne
MESTRE Claire, médecin et anthropologue, Bordeaux
MOREL Jacques, auteur de La France au cœur du génocide des Tutsi
MUGICA Romain, psychologue, Gradignan
MUKANTABANA Adélaïde, Rwandaise et rescapée, Bègles
NDIAYE Abdourahmane, économiste, Bordeaux
NONORGUES Marie-Paule, avocate, Bordeaux
LES OGRES DE BARBACK, artistes
OUEDRAOGO Dragoss, anthropologue, cinéaste, réalisateur, Bordeaux
PETITDEMANGE Cécile, étudiante à Sciences Po Bordeaux
ROBERT Nicolas, infirmier, Bordeaux
DE SAINT-EXUPÉRY Patrick, auteur de L’inavouable, la France au Rwanda (Ed. des Arènes, 2004), Complices de l’inavouable, la France au Rwanda (Ed. des Arènes, 2009), La fantaisie des Dieux, Rwanda 94 (Récit graphique en bd, avec Hippolyte, Ed. des Arenes, 2014)
SITBON Michel, éditeur et journaliste
SOW Cheikh, militant d’éducation populaire et artiste, Bègles
TARRIT Fabrice, président de Survie
TOBNER Odile, ancienne présidente de Survie
TOULABOR Comi, directeur de recherche à Sciences Po Bordeaux
TRYO, artistes
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Notes :
1. Parmis lesquels : Marcel Kabanda, Jean-Pierre Chrétien, Alison Des Forges, Gérard Prunier, Catherine Coquery-Vidrovitch (historiens), Colette Braeckman, Patrick de Saint-Exupéry, Jean-François Dupaquier, Laure de Vulpian (journalistes), Boubacar Boris Diop, Jacques Morel (écrivains), FIDH, Human Rights Watch, Survie, etc.
2. Auparavant les USA, par les voix de B. Clinton et M. Albright, ont reconnu leurs erreurs et présenté des excuses, le secrétaire général de l’ONU Kofi Annan a exprimé ses regrets, le Premier ministre belge G. Verhofstadt a déclaré « au nom de mon pays et de mon peuple, je demande pardon ».
3. Par exemple l’ambassadeur français à Kigali Georges Martres adresse, le 15 octobre 1990, au Quai d’Orsay un télégramme où il utilise les termes de « génocide » et d' »élimination totale des Tutsi » : » [la population rwandaise d’origine tutsi] compte encore sur une victoire militaire, grâce à l’appui en hommes et en moyens venus de la diaspora. Cette victoire militaire, même partielle, lui permettrait, d’échapper au génocide. » En 1998, G. Martres déclare à la Mission d’Information Parlementaire : « Le génocide était prévisible dès cette époque [fin 1990] ». L’attaché de défense à Kigali, le colonel R. Galinié, écrit dans un message envoyé à Paris le 24 octobre 1990 l’éventualité de « l’élimination physique à l’intérieur du pays des Tutsis, 500 000 à 700 000 personnes, par les Hutus, 7 millions d’individus… »
4. Rapport de la Commission internationale d’enquête sur les violations des Droits de l’homme au Rwanda depuis le 1er octobre 1990 ; (7-21 janvier 1993) réalisé par la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (Paris), Africa Watch (une division de Human Rights Watch, New York), l’Union Inter-Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, (Ouagadougou), le Centre International des Droits de la Personne et du Développement Démocratique (Montréal). Mars 1993. Dans ses conclusions, la Commission aborde directement la question du génocide : « Les témoignages prouvent que l’on a tué un grand nombre de personnes pour la seule raison qu’elles étaient Tutsi. La question reste de savoir si la désignation du groupe ethnique « Tutsi » comme cible à détruire relève d’une véritable intention, au sens de la Convention, de détruire ce groupe ou une part de celui-ci « comme tel. […] La Commission estime que, quoi qu’il en soit des qualifications juridiques, la réalité est tragiquement identique : de nombreux Tutsis, pour la seule raison qu’ils appartiennent à ce groupe, sont morts, disparus ou gravement blessés et mutilés ; ont été privés de leurs biens ; ont dû fuir leur lieu de vie et sont contraints de se cacher ; les survivants vivent dans la terreur. » http://cec.rwanda.free.fr/documents/doc/RapportMars93/ComIntMars93.pdf J. Carbonare, l’un des membres de cette commission déclare le 28 janvier 1993 au journal de 20h de France 2 : « Ce qui nous a beaucoup frappé au Rwanda, c’est à la fois l’ampleur, la systématisation, l’organisation même, de ces massacres. […] Il y a un mécanisme qui se met en route […] On a parlé de purification ethnique, de génocide, de crimes contre l’humanité […] nous insistons beaucoup sur ces mots ». Vidéo visible ici :
http://survie.org/genocide/il-y-a-vingt-ans/article/il-y-a-20-ans-le-genocide-des
5. Rapport présenté par M. Waly Bacre Ndiaye, rapporteur spécial, sur la mission qu’il a effectué au Rwanda du 8 au 17 avril 1993. Août 1993. Le Rapporteur Spécial de l’ONU soulève explicitement la question de savoir si les massacres peuvent être qualifiés de génocide : « Il ressort très clairement des cas de violences intercommunautaires portés à l’attention du Rapporteur spécial que les victimes des attaques, des Tutsi dans l’écrasante majorité des cas, ont été désignés comme cible uniquement à cause de leur appartenance ethnique, et pour aucune autre raison objective. On pourrait donc considérer que les alinéas a) et b) de l’article II [qui porte définition du génocide dans la convention de 1948] sont susceptibles de s’appliquer […] » http://survie.org/IMG/pdf/rapport-Bacre-Ndiaye-Rwanda-1993.pdf
6. Auxquels s’ajoutent : l’article de l’historien J.-P. Chrétien dénonçant en mars 1993 dans la revue Esprit « un dévoiement tragique vers un génocide », le fax du général R. Dallaire (MINUAR) du 11 janvier 1994, transmis le lendemain à l’ambassade de France, et démontrant la préparation des massacres.
7. Alison Des Forges, Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda. Karthala, Human Rights Watch, Fédération internationale des Droits de l’homme, avril 1999.
8. La France a livré des armes dans la nuit du 21 au 22 janvier 1994 : « Un DC-8 français transportant un chargement d’armes comprenant 90 caisses de mortiers de 60 mm, fabriqués en Belgique mais provenant de France, atterrit en secret dans la nuit. La MINUAR découvrit ce chargement qui violait les termes des accords d’Arusha, et plaça les armes sous la garde conjointe de la MINUAR et de l’armée rwandaise. » (Alison Des Forges, cf. note 7). La mission d’information parlementaire relève que « le dernier agrément délivré par la CIEEMG [Commission interministérielle d’étude des exportations de matériel de guerre, à laquelle participe le ministère des affaires étrangères] concernant des ventes de matériels de guerre au Rwanda remonte au 20 janvier 1994 ». Elle relève également 6 Autorisations d’Exportation de Matériels de Guerre en 1994, dont une de 50 mitrailleuses en date du 22 avril ! Ce sont 6 livraisons d’armes officielles en violation des accords de paix.
9. Edouard Balladur, L’opération Turquoise : courage et dignité, Le Figaro, 23 août 2004.
10. Rapport HRW, Rwanda/Zaire, Réarmement dans l’impunité. Le soutien international aux perpétrateurs du génocide rwandais, mai 1995 : « Certaines livraisons d’armes à Goma parmi les premières après le 17 mai étaient des envois du gouvernement français pour les FAR. » et plus loin : » le consul français [en réalité officiellement pro-consul] a signalé d’autres livraisons d’armes à l’aéroport de Goma pour les FAR de mai à juillet, provenant d’autres sources que le gouvernement français. ([…] Il a ajouté […] qu’elles pourraient provenir de marchands d’armes français opérant à titre privé. Les ventes d’armes, même par des sociétés privées, doivent être autorisées par le gouvernement français.) »
11. Le 12 juin 1994, le président et la directrice des opérations de MSF, P. Biberson et B. Vasset, rencontrent A. Juppé et lui demandent : « On dit qu’il y a des livraisons d’armes au gouvernement rwandais ou au gouvernement intérimaire ou au gouvernement en fuite, est-ce qu’il est exact que la France continue des livraisons d’armes à Goma ? » A. Juppé répond : « Écoutez, tout ça c’est très confus, il y avait effectivement des accords de coopération ou de défense avec le gouvernement, il y a peut-être eu des reliquats, mais en ce qui concerne mes services, je peux vous dire que depuis fin mai il n’y a certainement plus aucune livraison d’armes au régime Habyarimana » » Mais en même temps, il dit en regardant de l’autre côté de la Seine, donc vers l’Élysée : « Mais ce qui peut se passer là-bas, moi je n’en sais rien. » L. Binet, Génocide des Rwandais Tutsis, Médecins sans Frontières, 2003
12. Le 11 avril 1994 J.-P. Ceppi parle dans Libération du « génocide des Tutsis de Kigali » et M. Mukabamano, journaliste à RFI, déclare au Parisien : « C’est un véritable génocide » ; le 19 avril Human Rights Watch informe le président du Conseil de sécurité que les massacres en cours au Rwanda constituent « un génocide » ; le 24 avril L’ONG Oxfam parle de « génocide », etc.
13. Lors de l’opération Amaryllis du 9 au 14 avril, 1 464 militaires français du 1er, 3e, 8e RPIMa et du COS, évacuent exclusivement les ressortissants européens et des extrémistes Hutus. Les militaires ont reçu l’ordre de ne pas réagir aux massacres. L’historien Gérard Prunier écrit : « quelques Tutsi réussissent à embarquer à bord de camions en route pour l’aéroport : ils doivent descendre des véhicules au premier barrage de la milice et ils sont massacrés sous les yeux de soldats français ou belges qui, conformément aux ordres, ne réagissent pas. ». Le rapport de la Mission d’information parlementaire française de 1998 conclus : « Il semble donc […] que le traitement accordé à l’entourage de la famille Habyarimana ait été beaucoup plus favorable que celui réservé aux employés tutsis dans les postes de la représentation française – ambassade, centre culturel, Mission de coopération »
14. « Face à l’offensive du front patriotique rwandais, les troupes gouvernementales rwandaises se sont livrées à l’élimination systématique de la population tutsie, ce qui a entraîné la généralisation des massacres. ». SECONDE SESSION ORDINAIRE DE 1993-1994 (4e SÉANCE) COMPTE RENDU INTÉGRAL, 2° séance du mercredi 18 mai 1994. JO de la République Française, débats parlementaires, assemblée nationale, 19 mai 1994.
15. Audition du Colonel Balis (MINUAR) : « Le 7 avril, vers 9 h 30 m et 11 h 30 m, j’ai pu convaincre le FPR de rester dans son cantonnement, mais une colonne du FPR est malgré tout sortie vers 16 h 30 m. Ils ont alors créé une zone de sécurité. » Sénat de Belgique – commission des affaires étrangères : Commission d’enquête parlementaire concernant les événements du Rwanda 1-611/(7-15) 1997/1998. Sénat belge, 6 décembre 1997.
16. A. Juppé, « Point de vue » Intervenir au Rwanda, Libération, 16 juin 1994 : « La France n’aura aucune complaisance à l’égard des assassins ou de leurs commanditaires. La France, seul pays occidental représenté au niveau ministériel à la session extraordinaire de la Commission des droits de l’homme à Genève, exige que les responsables de ces génocides soient jugés ».
17. Voir note 5.
18. Voir notes 6 et 13.
19. On pouvait y entendre, entre autres appels aux massacres : « bonjour, je suis un petit garçon de huit ans. Est-ce que je suis assez grand pour tuer un tutsi ? Réponse de l’animateur : comme c’est mignon ! Tout le monde peut le faire, tu sais. » J.-P. Chrétien, Rwanda, les médias du génocide. Ed. Karthala, 2002.
20. Voir note 7.
21. A. Juppé : « Aux Nations-Unies, le Secrétaire général doit rendre demain son rapport. Trois solutions sont envisageables : le maintien de la MINUAR, sa suspension avec le maintien éventuel d’un contingent symbolique ou un retrait total. Les Belges sont favorables à une suspension et c’est aussi mon avis. » Conseil restreint du 13 avril 1994. Document disponible ici :
http://www.francerwandagenocide.org/documents/ConseilRestreint13avril1994.pdf
22. Figurent sur la liste officielle déclarée à l’ONU : 8 avions Mirage, 12 automitrailleuses, 6 mortiers lourds. Auxquels s’ajoutent des avions Mirage IV-P, des hélicoptères de combat Gazelle, etc. G. Prunier, conseiller au ministère de la Défense en 1994, écrit : « la puissance de feu prévue par les forces françaises semble disproportionnée pour une mission humanitaire », Rwanda : le génocide. Dagorno, 1997.
23. Turquoise est composée notamment d’officiers et soldats : du Commandement des Opérations Spéciales (qui réunit des spécialistes de l’action et du renseignement sous l’autorité directe du chef d’état-major des armées), du 1er régiment de parachutistes d’infanterie de marine (forces spéciales), du GIGN et de L’EPIGN (Escadron parachutiste de la gendarmerie nationale), du 3e Régiment d’infanterie et de chars de marine (RICM), du 11e Régiment d’artillerie de marine), de la Légion étrangère, du 2e Régiment étranger d’infanterie, du commando de marine, de spécialistes des opérations en « zone hostile » du 13e Régiment de Dragons Parachutistes.
24. La résolution 925 du 8 juin du Conseil de sécurité exige : « que toutes les parties mettent fin immédiatement à toute incitation à la violence ou à la haine ethnique, en particulier par le biais des moyens d’information ». On peut lire le 28 juin dans le rapport de la Commission des Droits de l’homme de l’ONU que « l’intention claire et non équivoque » de commettre le génocide « se trouve bien contenue dans les appels incessants au meurtre lancés par les médias, en particulier la RTLM ». Le 1er Juillet, le représentant de la France à l’ONU parle de faire cesser ces émissions : « Je voudrais insister avant de conclure sur la responsabilité particulière des médias qui incitent à la haine ethnique et à la violence. La France demande instamment aux responsables des radios concernées, et en premier lieu à la Radio Mille Collines, de mettre fin à cette propagande criminelle. La France fera tout son possible pour obtenir la cessation de ces émissions. » Mais selon le général R. Dallaire, la RTLM émet encore le 1er août en direction des camps.
25. Il est important de noter que le 20 juin le représentant de la France à l’ONU fait la demande explicite d’une intervention sous chapitre VII autorisant, contrairement à la MINUAR, l’usage de la force : « nos gouvernements souhaitent disposer, comme cadre juridique de leur intervention, d’une résolution placée sous le Chapitre VII de la Charte des Nations Unies ». Lettre datée du 20 juin 1994, adressée au secrétaire général par le représentant permanent de la France auprès de l’organisation des nations unies. http://www.francerwandagenocide.org/documents/S1994-734.pdf
26. ONU, S/RES/929 (1994). http://www.francerwandagenocide.org/documents/94s929.pdf On peut lire également dans l’ordre d’opérations de Turquoise (voir note 28) « mettre fin aux massacres partout où cela sera possible, éventuellement en utilisant la force » ; « tout en étant en mesure d’intervenir à tout moment, éventuellement par la force, au profit de la population menacée » ; « marquer si nécessaire par l’usage de la force la volonté française de faire cesser les massacres et de protéger les populations » ; « la légitime défense élargie comporte l’emploi de la force dans les situations suivantes : – menaces sur nos forces, – menaces dans la mission de protection des personnes, soit contre nos forces, soit contre les populations protégées, – obstruction dans l’exécution de la mission de nos forces »
27. L’adjudant-chef du GIGN T. Prungnaud explique que « la mission, au départ, c’était d’intervenir sur des massacres soi-disant de Hutu qui seraient massacrés par des Tutsi » (voir note 29) ; le colonel D. Tauzin déclare dans The Guardian du 01 juillet 1994 : « Nous ne sommes pas en guerre avec le gouvernement du Rwanda ou ses forces armées. Ce sont des organisations légitimes. » ; Le général R. Dallaire (MINUAR) déjeune le 30 juin avec des officiers français et rapporte ce qu’il a entendu : « Ils refusaient d’accepter l’existence d’un génocide et le fait que les dirigeants extrémistes, les responsables et certains de leurs anciens collègues fassent partie d’une même clique. Ils ne cachaient pas leur désir de combattre le FPR » R. Dallaire, J’ai serré la main du diable – La faillite de l’humanité au Rwanda. Libre expression, 2003.
28. « Affirmer auprès des autorités locales rwandaises, civiles et militaires, notre neutralité et notre détermination à faire cesser les massacres sur l’ensemble de la zone contrôlée par les forces armées rwandaises en les incitant à rétablir leur autorité ». On peut y lire également que « plusieurs centaines de milliers de personnes d’ethnies hutue et tutsie ont été exterminées ». Ordre d’opérations de Turquoise, 22 juin 1994. Document consultable à l’adresse :
http://jacques.morel67.pagesperso-orange.fr/a/turquoise-ordreop.pdf
29. P. de Saint-Exupéry, L’inavouable – La France au Rwanda. Les Arènes, 2004. L. de Vulpian et T. Prungnaud, Silence Turquoise. Don Quichotte, 2012.
30. Le mensuel de la Légion étrangère, Képi Blanc, d’octobre 1994 confirme que : « Battue sur le terrain, l’armée ruandaise se replie, en désordre, vers la « zone humanitaire sûre ». L’E.M.T. [l’état-major tactique de l’opération Turquoise] provoque et organise l’évacuation du gouvernement de transition ruandais vers le
Zaïre. Le 17 juillet, le gouvernement ruandais passe au Zaïre. ».
31. Auditions de l’ambassadeur Jean-Michel Marlaud par la Mission d’Information Parlementaire, Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [140, Tome III, Auditions, Vol. 1, pp. 296-297].
32. Auditions d’Alain Juppé par la Mission d’Information Parlementaire, 21 avril 1998, Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [140, Tome III, Auditions, vol. 1, p.91].
Voir également:
Génocide au Rwanda: Kagame accuse une nouvelle fois la France
AFP/Jeune Afrique
05/04/2014
Le président rwandais Paul Kagame accuse une nouvelle fois la France de « participation » à l' »exécution » du génocide de 1994, dans une interview à paraître dimanche dans l’hebdomadaire Jeune Afrique, à la veille des cérémonies marquant le 20e anniversaire des massacres.
Evoquant la question des responsabilités, le président rwandais dénonce le « rôle direct de la Belgique et de la France dans la préparation politique du génocide et la participation de cette dernière à son exécution même ». Il accuse les soldats français de l’opération militaro-humanitaire Turquoise, déployée en juin 1994 sous mandat de l’ONU dans le sud du pays, d’avoir été « complices certes » mais aussi « acteurs » des massacres.
Ces accusations, maintes fois démenties par Paris, reprennent celles déjà formulées par Kigali à plusieurs reprises et notamment en août 2008 à l’occasion de la publication du rapport de la commission d’enquête rwandaise sur le rôle supposé de la France dans le génocide qui a fait, selon l’ONU, quelque 800. 000 morts, essentiellement tutsi, entre avril et juillet 1994.
Revenant dans Jeune Afrique sur « le cas de la France », Paul Kagame constate que « vingt ans après, le seul reproche admissible (aux) yeux (de la France) est celui de ne pas en avoir fait assez pour sauver des vies pendant le génocide ». « C?est un fait, mais cela masque l?essentiel: le rôle direct de la Belgique (ancienne puissance coloniale) et de la France dans la préparation politique du génocide et la participation de cette dernière à son exécution même ».
« Interrogez les rescapés du massacre de Bisesero en juin 1994 et ils vous diront ce que les soldats français de l?opération Turquoise y ont fait. Complices certes, à Bisesero comme dans toute la zone dite +humanitaire sûre+, mais aussi acteurs », accuse Paul Kagame.
En 2008, la commission d’enquête avait déjà évoqué l’affaire du village de Bisesero (ouest), où jusqu’à 50. 000 Tutsis avaient trouvé refuge, accusant l’armée française « d’avoir retardé sciemment de trois jours le sauvetage de près de 2. 000 survivants afin de laisser le temps aux tueurs de les achever ».
Les déclarations de Paul Kagame, ancien chef de la rébellion tutsi à la tête du Rwanda depuis 1994, surviennent alors que les relations franco-rwandaises, rompues entre 2006 et 2009, semblaient s’être apaisées, surtout depuis la condamnation en mars dernier à 25 ans de prison du premier Rwandais jugé en France pour le génocide des Tutsi.
Condamné pour génocide et complicité de crimes contre l’humanité, Pascal Simbikangwa, ex-officier de la garde présidentielle, a nié toutes les charges pesant contre lui et a fait appel.
« Nous verrons ce qu?il adviendra de cette condamnation en appel », commente Paul Kagame dans Jeune Afrique. « Pour le reste, je ne pense pas qu?il s?agisse là d?une évolution particulièrement positive », déclare-t-il, alors que le Rwanda a pendant des années fustigé la France pour sa lenteur à poursuivre les génocidaires présumés.
« Pour un criminel condamné après vingt ans, combien la justice française en a-t-elle escamoté ? », s’interroge M. Kagamé. « Nous ne sommes pas dupes de ce petit jeu. On nous présente cette sentence comme un geste, presque comme une faveur de la France à l?égard du Rwanda, alors que c?est le rôle de la France dans le génocide qu?il conviendrait d?examiner », insiste-t-il.
La France doit être représentée lundi à Kigali aux commémorations marquant le 20ème anniversaire du génocide au Rwanda par la ministre de la Justice Christiane Taubira.
Voir encore:
RWANDA. « Un pays se grandit quand il reconnaît ses erreurs »
Christophe Boltanski
Le Nouvel Observateur
04-04-2014
Le rôle de la France dans le génocide rwandais reste à éclaircir. Interview de Pierre Brana, co-rapporteur de la Mission d’information parlementaire qui a travaillé sur le sujet
En 1998, le député socialiste Pierre Brana était co-rapporteur, avec Bernard Cazeneuve, de la Mission d’information parlementaire chargée d’examiner le rôle de la France au Rwanda. 20 ans après le génocide, il revient sur les zones d’ombres des relations entre les deux pays
Une commission d’enquête parlementaire aurait-elle permis d’aller plus loin dans la recherche de la vérité ?
– J’aurais préféré une commission d’enquête, car les auditions ayant lieu sous serment, elles sont plus solennelles, à la hauteur de la gravité d’un événement pareil. Des députés firent valoir que des personnes étrangères risquaient de refuser de venir s’exprimer si c’était le cas. D’autres soulignèrent qu’une commission d’enquête est limitée à six mois alors que nos travaux ont duré neuf mois. Je ne suis pas sûr qu’une commission d’enquête, même si elle avait ma préférence, aurait permis d’aller plus loin.
Avez-vous pu interroger toutes les personnes souhaitées ?
– Oui, à une exception que je regrette : Paul Barril. Parce qu’au début, plusieurs membres de la mission estimaient que son audition n’apporterait pas grand-chose. Quand il a été finalement décidé de l’interroger, c’était trop tard.
En octobre 1990, la France intervient militairement au Rwanda. Cette opération baptisée Noroît a-t-elle une base légale ?
– Non. L’opération Noroît, du moins lors de son lancement, n’a pas de base juridique. Il existait bien le 1er octobre 1990, un accord d’assistance militaire qui datait de 1975, mais il recouvrait que l’organisation et l’instruction de la gendarmerie. Ce n’est que vingt-trois mois après que, se rendant compte de l’illégalité de la situation, les autorités françaises signent le 26 août 1992 un avenant remplaçant les termes de « gendarmerie rwandaise » par « Forces armées rwandaises ». Parler d’opération « secrète » n’est pas excessif. Michel Rocard (alors premier ministre Ndlr) dit qu’elle n’a été discutée qu’en deux, trois minutes en conseil des ministres.
En allant combattre les rebelles tutsi du FPR (Front patriotique rwandais), les militaires français viennent défendre un régime contre une agression extérieure ou participer à une guerre civile ?
– Lors de la Mission, on nous avait présenté l’attaque du FPR comme une offensive « ougando-tutsi ». Pour en savoir plus, je suis allé sur le terrain. En Ouganda, en septembre1998. J’ai rencontré différentes personnalités en activité lors de Noroît. Toutes m’ont dit que les descendants des réfugiés tutsis qui avaient fui le Rwanda, lors de la Révolution de 1959, voulaient revenir dans leur pays. D’autant qu’à partir de 1986, l’opposition ougandaise faisait campagne contre cette présence rwandaise et trouvait un incontestable écho auprès de la population locale. Des demandes ont été faites par les autorités ougandaises auprès du président rwandais, Juvénal Habyarimana, pour qu’il accepte leur retour. Il a répondu qu’il n’y avait « pas de place dans (son) pays pour les accueillir ». C’est alors que les militaires tutsis quittent l’armée ougandaise, en emportant armes et matériel, et passent à l’attaque pour obtenir par la force ce qu’ils n’avaient pas pu obtenir par la négociation. C’est donc bien davantage d’une guerre civile qu’il s’agit que d’une agression extérieure.
Dans sa lutte contre le FPR, l’armée française a-t-elle, à certain moment, basculé dans la cobelligérance aux côtés des Forces armées rwandaises ? Sommes-nous certains qu’il n’y a pas eu, de sa part, d’engagement direct ?
– Je crois que l’aide militaire de la France est progressivement devenue plus active sous forme de conseils, d’assistance, d’instructions aux Forces armées rwandaises (FAR). Il y a eu, en effet, une sorte de cobelligérance. Quand l’armée française a participé à l’élaboration de plans de bataille. Elle a même envoyé des conseillers pour instruire les FAR au maniement de matériels sophistiqués. Est-ce qu’il y a eu même des engagements directs ? Un journaliste, correspondant de guerre d’un journal de l’est-africain, m’a dit avoir vu aux jumelles des blancs avec les FAR aux combats. Les militaires du FPR lui ont dit que c’étaient des Français, mais il n’a pas pu les approcher. L’imbrication de l’armée française avec l’armée rwandaise est incontestable.
Que savait la Mission d’information parlementaire sur l’opération Chimère de février-mars 1993 ? Son chef, le général Didier Tauzin, a expliqué dans un livre (« Je demande justice pour la France et ses soldats ») qu’il a pris, de facto, la tête de l’état-major rwandais.
– Nous lui répondons indirectement dans notre rapport lorsque nous écrivons : « Comment la France a-t-elle pu en février-mars 93 en arriver à ce point d’engagement qui conduit certains militaires français à considérer qu’à travers la mission d’assistance opérationnelle qu’ils mènent, ils dirigent et commandent indirectement une armée, en l’occurrence celle d’un Etat étranger ». C’est très clair !
Quelle part a joué dans l’engagement militaire français au Rwanda le complexe dit « de Fachoda », cette peur de perdre du terrain face à l’Afrique anglophone ?
– Le complexe de Fachoda a joué une part non négligeable si j’en crois la réaction des députés membres de la mission et celle de l’exécutif de l’époque. Il est vrai que le FPR parlait l’anglais suite à son long séjour en Ouganda anglophone. Et les Forces armées rwandaises parlaient le français. Ça a joué incontestablement. Les députés mettaient en avant la volonté des Américains d’étendre leur influence en Afrique. Mes entretiens au Pentagone m’ont fait relativiser cette théorie. Le Rwanda était un petit pays, dénué de toutes richesses, sans importance stratégique. Je ne crois pas que les Etats-Unis s’intéressaient au Rwanda. Mais ce complexe a joué sur le Président et sur beaucoup de militaires, de politiques aussi, tous imprégnés de l’Histoire de la France et de la Grande Bretagne en Afrique. Ce fil rouge était très fort.
Officiellement, la France s’engage militairement pour faciliter un accord de paix. En pratique, a-t-elle pesé de tout son poids pour permettre la conclusion puis l’application des accords dits d’Arusha ?
– Il y a eu plusieurs accords d’Arusha qui étaient des chiffons de papier pour Habyarimana. L’établissement de la paix nécessitait une acceptation en retour des réfugiés, la fin de la discrimination ethnique et la démocratisation. Le multipartisme n’a été instauré qu’en juin 1991, sous la pression. Les quotas ethniques (pas plus de 9% de Tutsi) existaient pour l’institution scolaire et l’accès aux emplois publics. Et le pouvoir réagissait peu aux massacres ethniques quand il ne les encourageait pas. Conformément aux principes énoncés par François Mitterrand dans son discours de La Baule, la France demandait la démocratisation du régime mais sans jamais y subordonner son aide militaire. Faute d’une telle mise en demeure, le pouvoir rwandais a louvoyé en laissant traîner les choses. Un exemple : la carte d’identité qui mentionnait l’appartenance ethnique de son possesseur. Un outil très dangereux dans un pays où des massacres ethniques ont été nombreux. On sait bien le rôle joué pendant le génocide par ces mentions, qui équivalaient à des sentences de mort. La France avait demandé la suppression de toute mention ethnique. Elle a même envisagé de financer l’opération. Habyarimana a d’abord semblé d’accord mais il n’a rien fait. Il n’y a eu aucun commencement d’application. Et la France n’a pas lancé d’ultimatum alors qu’on assistait à une dérive raciste et à la multiplication des appels aux meurtres. La France n’a pas pesé de tout son poids pour faciliter l’établissement de la paix. Pourquoi ? Cela fait partie des interrogations qui continuent de se poser.
Un génocide ou du moins des massacres de très grande ampleur étaient-ils prévisibles ?
– En 1992-93, il apparaissait nettement que le génocide était prévisible. Lors de son audition, Georges Martres, qui était ambassadeur de France à Kigali de 1989 à 1993, a déclaré que le génocide était « prévisible dès octobre 1993, sans pour autant qu’on puisse en imaginer l’ampleur ». Il a, du reste, ajouté que le génocide constituait une hantise quotidienne pour les Tutsis. Ça nous a amené à écrire qu’avec « une telle clairvoyance qui n’apparait pas tout le temps dans les dépêches diplomatiques, on peut s’étonner de l’inaction des autorités françaises ». Les médias qui prônaient des positions extrêmement racistes n’étaient pas empêchés par le pouvoir en place. Au contraire, ils étaient encouragés. Radio des Mille Collines appelait à l’extermination des Tutsis, des « cancrelats », comme elle disait, à une solution radicale, finale. Il y avait un climat extrêmement lourd, signe d’un orage que l’on voyait monter.
Comment expliquez-vous la différence d’appréciation de la situation entre la Direction des renseignements militaires (DRM) et la DGSE ?
– Je me souviens surtout du peu d’informations apportées par les services de renseignement. Tous les documents que nous leur avons demandés ont été déclassifiés. Nous n’avons pas essuyé de refus. Mais nous ont-ils tout donné ? Je l’ignore. La DRM s’est occupée du Rwanda de juin 1992 à décembre 1993, surtout. La DRM et la DGSE ont même indiqué que le 6 avril 1994, ils ne disposaient de personne sur place. Ce qui est curieux. Elles ont reconnu que si la coopération entre leurs services était bonne, la coordination faisait défaut. Et j’ai retrouvé dans le rapport le passage suivant que je cite : « S’agissant du renseignement qui n’a pas permis d’alerter à temps les responsables politiques des risques de dérive du régime rwandais, une politique adaptée aux nouvelles données du monde de l’après-guerre froide notamment en Afrique doit être défini. L’enjeu ne peut plus être d’appuyer des régimes favorables à nos intérêts quelques soient leurs pratiques intérieures. La pratique du renseignement doit évoluer en conséquence ».
Après le début du génocide, 394 Rwandais ont été évacués de Kigali par les soldats français dans le cadre de l’opération Amaryllis. Qui étaient-ils ? Qui a pris la décision de les évacuer ?
– En pareil cas, la règle veut que l’ambassadeur de France établisse les listes et l’ordre de priorité des personnalités françaises et étrangères à évacuer. Bien entendu, en pratique, les choses sont beaucoup plus compliquées. Des décisions ponctuelles peuvent être prises sur le terrain. On en a cité certaines. Globalement, 1238 personnes ont été évacuées par la France dont 454 Français et 784 étrangers parmi lesquels 612 Africains dont 394 Rwandais. Pour ces Rwandais, il semble bien qu’il y ait eu deux poids deux mesures. Le traitement accordé à l’entourage de la famille Habyarimana est bien plus favorable qu’aux employés tutsis de la représentation française. Au fond, qu’on le veuille ou non, la France était alliée au pouvoir rwandais. Or les Tutsis de la représentation française, par le fait même de leur carte d’identité, étaient plus menacés que les autres. Ça fait partie des interrogations lourdes. Le général Christian Quesnot qui était le chef d’Etat-major du Président Mitterrand, d’avril 1991 à septembre 1995, a estimé lors de son audition que l’union des forces d’évacuation avec celles de la Mission des Nations unies, la Minuar, aurait permis d’arrêter le génocide dès son commencement. Pourquoi la France n’a-t-elle pas pesé immédiatement auprès de l’ONU pour réagir dans les plus brefs délais ? Pourquoi a-t-elle voté, le 21 avril 1994, en plein génocide, la résolution 912 qui décide de réduire drastiquement les effectifs de la Minuar ? On a fait comme les autres. Mais ce n’est pas une excuse. L’Onu va attendre deux mois avant d’admettre qu’un génocide est en train de se produire alors qu’il est connu dès ses débuts. Reconnaître des actes de génocide, comme le fait le conseil de sécurité dans sa résolution, le 8 juin 1994, entraîne l’obligation d’intervenir, d’après la chartre de l’ONU. Or on n’avait pas très envie d’intervenir.
La France a-t-elle livré des armes aux forces rwandaises durant le génocide en dépit de l’embargo onusien ?
– Cette question fait partie incontestablement des zones d’ombres. Sur ces accusations, on a eu des informations contradictoires sans pouvoir démêler le vrai du faux.
L’opération Turquoise lancée le 22 juin 1994 par la France répond-elle à une logique purement humanitaire ?
– Cette opération a eu des aspects incontestablement humanitaires : des civils ont été soignés, des secours ont été apportés, des vies sauvées. Mais pourquoi envoie-t-on des Français qui ont été précédemment en poste au Rwanda ? Certes, il peut être répondu qu’ils connaissent le terrain. Mais on mettait ces militaires dans une situation impossible : de compagnons d’arme des FAR, ils passent à un statut d’impartialité. Cela les amenait à traiter de la même manière leurs amis et leurs ennemis d’hier. On peut regretter que l’armée française dans cette zone ne procède pas au désarmement systématique des milices et des FAR alors que la résolution du conseil de sécurité avait autorisé la France à recourir « à tous les moyens ». Pourquoi n’a-t-on pas, également, procédé à l’arrestation des membres du gouvernement génocidaire pour les garder et les remettre à la justice internationale en cours de création ? C’est plus que regrettable. Je sais bien que ces arrestations ne figuraient pas dans le mandat, mais on aurait pu le faire de façon conservatoire.
Le Premier ministre Edouard Balladur et le Président Mitterrand divergeaient-ils sur les objectifs de Turquoise ?
– Effectivement, il y avait deux options envisagées, comme l’a reconnu le Premier ministre : celle d’une interposition entre le FPR et les FAR. Ce qui impliquait une action de guerre. Et celle d’une intervention strictement humanitaire. On sait que c’est cette deuxième option qui a été choisie. En annexe du rapport, nous publions une lettre d’Edouard Balladur dans laquelle il précise : « Il n’était pas question (aux) yeux (du président Mitterrand) d’arrêter les auteurs du génocide et il n’était pas question aux miens de permettre à ceux-ci de se réfugier au Zaïre ».
En 2010, Nicolas Sarkozy a admis que la France avait commis des « erreurs » au Rwanda. Faut-il aller plus loin à l’occasion de ce vingtième anniversaire ?
– J’ai une position bien connue qui m’a valu d’âpres accrochages avec mes collègues. Selon moi, un pays se grandit quand il reconnait ses erreurs et ses fautes. Je n’ai pas changé. Le rapport fait état de « fautes d’appréciations ». Il y a des erreurs telles qu’il n’est pas impensable de les qualifier de fautes. C’était la première fois dans l’Histoire de la Ve république que le législatif contrôlait l’exécutif dans le domaine réservé de la défense ! Aller plus loin ? Bien sûr, les moyens parlementaires sont bien moindres que ceux d’un simple juge d’instruction. Je considère notre rapport comme une plateforme de données à partir desquelles les chercheurs et les journalistes d’investigation, et pourquoi pas les juges, pourront s’appuyer pour aller plus loin. Pour moi, c’est une base de départ, pas une base d’arrivée.
Propos recueillis par Christophe Boltanski – Le Nouvel Observateur
Voir également:
Rwanda: « Sans le soutien de Paris au Régime Habyarimana, le génocide n’aurait pas eu lieu »
Karim Ben Said
L’Express
05/04/2014
A l’occasion du 20ème anniversaire du génocide rwandais, Jean-François Dupaquier, journaliste, écrivain et témoin expert au Tribunal Pénal International pour le Rwanda revient sur l’éventuelle responsabilité de la France dans le drame. Un jugement sévère.
Pourquoi l’éventuelle responsabilité de la France avant le génocide reste-t-elle un sujet tabou dans la classe politique?
La classe politique française n’est pas particulièrement connue pour sa capacité à admettre ses erreurs. Nos politiciens se sentent au dessus de toute repentance. La particularité réside aussi dans le fait que le génocide s’est produit en période de cohabitation entre le gouvernement d’Edouard Balladur et le président François Mitterrand. C’est donc un cas spécial où il n’existe pas de clivage gauche-droite.
Pourtant sans le soutien de Paris au régime du président Juvénal Habyarimana, le génocide n’aurait jamais pu avoir lieu. La France a fourni un parapluie militaire en repoussant les offensives du Front Patriotique Rwandais. Sans cet appui, le régime de l’époque n’aurait jamais eu le temps de préparer la tentative d’extermination de la population Tutsi.
D’un autre coté, les militaires français présents au Rwanda étaient hautement qualifiés, je ne vois pas comment ils n’auraient pas été au courant de ce qui se tramait. Pour moi la connivence est évidente, les Français savaient qu’il y avait un génocide en préparation.
En accablant la France, Kigali ne cherche-t-il pas à se dédouaner d’une tragédie qui fut avant tout Rwandaise?
Aujourd’hui, Kigali ne cherche plus à accabler la France. Du coté rwandais, on cherche au contraire à tendre la main à la France. L’an dernier l’état-major de l’armée rwandaise a proposé à l’état-major de l’armée française de se rencontrer pour tourner définitivement la page au nom la fraternité d’armes, mais les Français ont refusé.
A Paris, les militaires considèrent toujours qu’ils ont subi une défaite au Rwanda et gardent une volonté de revanche, dommageable pour les relations franco-rwandaises.
La France refuse toujours de déclassifier les documents relatifs au Rwanda. Faut-il y voir un aveu de culpabilité?
Absolument. D’autant plus que les archives que la France refuse de dévoiler, portent sur la période charnière de l’histoire de la présence française au Rwanda.
Pour le peu qu’on en sache, ces documents sont absolument accablants. Les protagonistes cherchent à ce que ces archives ne soient pas dévoilées de leur vivant.
Que peuvent contenir ces documents?
Ce ne sont bien évidemment que des supputations, mais ces documents pourraient contenir la preuve que la France connaissait parfaitement la réalité de la guerre civile et a choisi d’y participer sérieusement, en comprenant que cela pouvait passer par l’extermination. Il faut comprendre qu’il n’y a pas de prescription lorsqu’il s’agit de génocide. De fait, plusieurs hauts responsables pourraient être condamnés.
L’association Survie accuse des dirigeants politiques et militaires français d’avoir apporté un soutien actif aux génocidaires. Ce jugement est-il excessif?
Je ne peux pas parler au nom de cette association à laquelle je n’appartiens pas, mais il existe des indices graves et concordants laissant supposer que des haut gradés, des politiciens et des mercenaires français, sont impliqués à un degré qu’il faudra déterminer, dans l’attentat du 6 avril 1994 contre le président Juvénal Habyarimana.
Le verdict du récent procès Pascal Simbikangwa est-il de nature à pacifier les relations franco-rwandaises?
C’est certainement un pas important, Pascal Simbikangwa faisait partie du cercle intermédiaire responsable du génocide. Cette condamnation intervient après 19 ans et rompt avec les anciens dysfonctionnements de la justice. La création du pôle génocide permet aux Rwandais d’entrevoir une lueur d’espoir. Toujours est-il que les principaux coupables du génocide sont toujours dans la nature.
Peut-on parler, s’agissant du pouvoir de Paul Kagamé, de dérive autocratique?
Qu’aurait-il pu faire en prenant en charge le pays en 1994 ? Un pays traumatisé, détruit ? C’est vrai qu’il tient le pays d’une main de fer, mais s’il ne l’avait pas fait, il y aurait eu une vengeance massive de la part des Tutsis vainqueurs. C’est un homme d’Etat exceptionnel mais certainement autoritaire.
Les Rwandais pourront-ils un jour tourner la page de la décennie 1990? Si oui, à quel prix?
L’idéologie de haine, qualifiée injustement d’ethnique, qui a conduit au génocide remonte aux années 1950. Depuis les années 1930 déjà, les cartes d’identités ethniques ont été imposées. Le génocide a profondément bouleversé les Rwandais. Aujourd’hui encore, les survivants vivent aux côtés de leurs voisins génocidaires, et cela rend les choses difficiles. Même si le régime actuel a pris plusieurs dispositions « anti-divisionnisme », il faudra probablement plusieurs générations pour passer d’une mémoire vive à une mémoire apaisée. Les Gacacas, tribunaux communautaires mis en place dans les provinces, ont été insuffisants. Les peines qui y ont été prononcées sont modestes et symboliques. Les Rwandais sont obligés de cohabiter mais la réconciliation véritable ne peut se faire que s’il y a des excuses sincères.
Voir encore:
Les documents sur le génocide au Rwanda toujours classés « Secret défense »
Karim Ben Said
L’Express
28/03/2014
A quelques jours du vingtième anniversaire du déclenchement génocide rwandais dans lequel plus de 800000 Tutsi et Hutus modérés ont péri entre avril et juillet 1991, l’association Survie demande la levée du » secret défense » sur le rôle la France.
L’association Survie demande à Jean Yves le Drian tous les documents se rapportant à l’action de la France au Rwanda de 1990 à 1994.
L’association Survie demande à François Hollande et à Jean Yves le Drian, ministre de la Défense, de « déclassifier et de publier tous les documents se rapportant à l’action de la France au Rwanda de 1990 à 1994 dans ses volets diplomatiques, militaires, politiques et financiers ».
Mathieu Lopes, vice-président de l’association, estime que ces documents sont cruciaux pour déterminer les responsabilités et faire avancer les dossiers juridiques en cours: « A titre d’exemple, les militaires français ont été les premiers à s’être rendus sur les lieux de l’attentat contre le président Juvénal Habyarimana et disposent d’un rapport, qui, jusqu’à ce jour n’a jamais été dévoilé », explique-t-il.
« Complicité de génocide »
L’association, qui affirme militer en particulier contre la « Françafrique » est partie civile dans une plainte contre X déposée pour « complicité de génocide et complicité de crime contre l’humanité ». Elle est également à l’origine de l’ouverture, en juin 2013, d’une instruction à l’encontre du capitaine Paul Barril, ex-super gendarme de l’Elysée, soupçonné d’avoir joué un rôle trouble au Rwanda.
La Commission consultative du secret de la défense, saisie en juillet 2010 par le ministre de la Défense d’alors, Hervé Morin, suite à la demande de la juge d’instruction Florence Michon, a déjà donné un avis défavorable à une demande similaire.
Le 6 avril 1994, le président rwandais Juvénal Habyarimana est assassiné. S’en suit alors un massacre visant à exterminer la population Tutsi et perpétré par les fanatiques du « Hutu Power » par les Hutus. Depuis vingt ans, la France est accusée d’avoir soutenu le régime rwandais « avant, pendant et après » le génocide.
Voir de même:
Juppé à nouveau questionné sur son rôle pendant le génocide rwandais
L’Express
04/04/2014
Un collectif de citoyens a demandé à l’ancien ministre des Affaires étrangères d’expliquer sa position sur le massacre de 1994 et l’opération Turquoise lancée à l’époque.
Quel était le « rôle politique » d’Alain Juppé pendant le génocide au Rwanda? Dans une lettre ouverte, un collectif de citoyens a interpellé le maire de Bordeaux sur cette question, à l’approche du 20e anniversaire du massacre.
Alain Juppé était ministre des Affaires étrangères à l’époque du génocide de 1994, stoppé par le Front patriotique rwandais (FPR aujourd’hui au pouvoir) de Paul Kagame. Les massacres avaient fait en 100 jours quelque 800 000 victimes selon l’ONU, principalement dans la minorité tutsi.
En reprenant le portefeuille en 2011, Alain Juppé avait dit n’avoir aucune intention « ni de serrer la main » de Paul Kagame ni de se rendre au Rwanda, tant qu’y circulerait un rapport accusant la France de complicité avec les génocidaires.
L’opération Turquoise mise en cause
« Oseriez-vous encore, M. Juppé, laisser entendre qu’en 1994 plusieurs génocides étaient commis au Rwanda? (…) Continuez-vous à prétendre contre l’évidence des faits, que l’État français s’est opposé à la passivité de l’ONU devant le génocide des Tutsi? Et que l’opération Turquoise n’était qu’une opération humanitaire, dont le but était de lutter contre ce génocide? », interrogent les signataires.
« J’ai été le premier responsable politique français à (dénoncer le génocide, ndlr) devant le Conseil des ministres de l’Union européenne d’abord puis à l’Assemblée nationale le 18 mai 1994 », a déclaré ce vendredi Alain Juppé dans une réponse à cette lettre. Il a également souligné que la France avait de son côté lancé l’opération Turquoise « face à l’inaction internationale » et dénoncé « l’opération de falsification historique dont la France est régulièrement la cible depuis 20 ans ».
Voir aussi:
Rwanda, boulet moral pour Juppé
6 octobre 2011
Billets d’Afrique et d’ailleurs…
ThèmesRwandaComplicité de la France dans le génocide des Tutsi au RwandaAlain Juppé
Alain Juppé reprochant à Bernard-Henri Lévy, dans l’avion pré sidentiel de retour du voyage officiel en Libye : « Vous avez dit que j’étais complice des génocidaires du Rwanda. Alors, que sortant d’une réunion des ministres européens en 1994, j’avais déclaré que c’était un génocide » L’argument est court, très court pour sa défense.
Un argument déjà utilisé lors de son audition devant la mission d’information parlementaire de 1998, devant laquelle il avait expliqué avoir utilisé le mot de « génocide », le 15 mai 1994, à l’issue de la réunion à Bruxelles du Conseil des ministres de l’Union européenne.
Une déclaration qui intervenait dix jours après celle du Secrétaire général de l’Onu, Boutros Boutros Ghali et alors, qu’à cette date, la majeure partie du génocide avait déjà eu lieu. Prise de conscience tardive ? Bien que sûr que non puisque le gouvernement français avait été alerté de longue date sur le génocide qui se préparait et qu’il n’ignorait rien des massacres en cours depuis le 7 avril.
Pis, en plein génocide, le 27 avril 1994, Jérôme Bicamumpaka, ministre des Affaires étrangères du gouvernement intérimaire qui est en train de commettre le génocide, et Jean-Bosco Barayagwiza, extrémiste de la Coalition pour la défense de la République (CDR), étaient reçus à Paris, et par l’Élysée et par Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères du gouvernement Balladur.
Le gouvernement français, par la voix de Juppé, attend donc le 15 mai pour qualifier l’extermination des Tutsi rwandais de génocide. Jusque-là, Paris feignait de ne voir au Rwanda, qu’une banale guerre civile. Mais il faut sûrement comprendre ce réveil tardif par les succès militaires de l’offensive du FPR de Paul Kagamé. Car parler enfin de « génocide » sur le plan diplomatique ouvrait la voie légale d’une intervention militaire de l’Onu.
Devant les difficultés à mettre sur pied une Minuar 2, c’est l’opération Turquoise menée par l’armée française qui la remplaça et débarqua au Rwanda, le 22 juin. Officiellement neutre, Turquoise a permis officieusement de couvrir la fuite de centaines de génocidaires vers le Zaïre dont le président Théodore Sindikubwabo et… Jérôme Bicamumpaka, reçu deux mois plus tôt par Juppé.
Et, alors que Kagamé était en visite officielle à Paris, Juppé, depuis Pékin, déclarait qu’il ne changerait pas ses « convictions » au sujet du génodice. « Je suis très décontracté (…) » ajoutait-il. Au regard de l’Histoire, il n’y pourtant pas de quoi.
Voir de même:
Rwanda: Paris boycotte les 20 ans du génocide
Le Figaro
05/04/2014
La France a décidé samedi d’annuler sa participation aux commémorations du 20e anniversaire du génocide rwandais, après une nouvelle charge du président Paul Kagame l’accusant d’avoir « participé » aux massacres qui ont fait 800.000 morts en 1994.
Cette décision marque un nouveau coup d’arrêt à la normalisation des relations entre les deux pays, empoisonnées par le soupçon malgré une réconciliation officielle en 2010. Au coeur du contentieux, la question du soutien de la France et de son armée au régime hutu rwandais, coupable du génocide contre la minorité tutsi.
Dans une interview à paraître dans l’hebdomadaire Jeune Afrique dimanche, veille des commémorations du 20e anniversaire, le président Kagame a dénoncé le « rôle direct » de la Belgique, ancienne puissance coloniale, et de la France « dans la préparation politique du génocide » et « la participation de cette dernière à son exécution même ».
Il a également accusé les soldats français de l’opération militaro-humanitaire Turquoise, déployée en juin 1994 sous mandat de l’ONU dans le sud du pays, d’avoir été « complices certes » mais aussi « acteurs » des massacres qui se sont déroulés entre avril et juin 1994.
Pour Paris, qui a annulé le déplacement prévu lundi à Kigali de la ministre de la Justice Christiane Taubira, les déclarations du président Kagame « sont en contradiction avec le processus de dialogue et de réconciliation engagé depuis plusieurs années ».
« La France regrette de ne pouvoir prendre part aux commémorations du 20e anniversaire du génocide car elle tient à s’incliner devant la mémoire des victimes et à s’associer au deuil des familles et du peuple rwandais », a souligné le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, Romain Nadal.
Maintes fois démenties par Paris, les accusations du président Kagame, ancien chef de la rébellion tutsi à la tête du Rwanda depuis 1994, reprennent celles déjà formulées par Kigali à plusieurs reprises et notamment en août 2008 à l’occasion de la publication du rapport de la commission d’enquête rwandaise sur le rôle supposé de la France dans le génocide.
En janvier dernier, les militaires français nommément cités par Kigali, et notamment le général Jean-Claude Lafourcade, patron de l’opération Turquoise, avaient jugé que « leur honneur était sauf », considérant que le gouvernement rwandais avait été « incapable d’apporter la moindre preuve » de ses accusations « infondées, indignes et inacceptables ».
Paris et Bruxelles comme « exutoires »
Les nouvelles déclarations de Paul Kagame surviennent alors que les relations franco-rwandaises, rompues entre 2006 et 2009, semblaient s’être apaisées, surtout depuis la condamnation en mars à 25 ans de prison de Pascal Simbikangwa, premier Rwandais jugé en France pour génocide.
Un procès dont Paul Kagame a également minimisé l’enjeu: « On nous présente cette sentence comme un geste, presque comme une faveur de la France à l’égard du Rwanda, alors que c’est le rôle de la France dans le génocide qu’il conviendrait d’examiner », a-t-il insisté.
Pour le sociologue André Guichaoua, spécialiste du Rwanda et témoin-expert auprès du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), le président Kagame, par ses propos, « se moque des avancées comme des usages diplomatiques ».
M. Guichaoua relève par ailleurs que « les derniers mois ont été marqués par d’importants revers diplomatiques et politiques rwandais ». « On peut se demander si la France et la Belgique, étonnamment associée à ces graves accusations en tant qu’ex-puissance tutélaire, ne servent pas d’exutoires à l’expression d’une animosité plus profonde du chef de l’État rwandais vis-à-vis de bien d’autres pays et institutions internationales qui n’hésitent plus à mettre en cause sa gouvernance autoritaire personnelle et ses interventions à l’extérieur du pays ».
Cette nouvelle « sortie » de Paul Kagame survient en effet alors qu' »il est actuellement en position délicate vis-à-vis de ses alliés traditionnels (Etats-Unis, Afrique du sud…) en raison du +traitement+ de ses opposants », abonde Antoine Glaser, expert des relations franco-africaines et auteur de « AfricaFrance – Quand les dirigeants africains deviennent maîtres du jeu » (Fayard).
Après avoir bénéficié depuis le génocide d’une forme de « diplomatie dérogatoire en matière de démocratie et de droits de l’homme », selon les termes de M. Guichaoua, le président Kagame a été sévèrement critiqué ces derniers mois pour son rôle jugé déstabilisateur dans l’est de la République démocratique du Congo, et plus récemment pour son implication supposée dans l’élimination d’opposants en exil.
Par ailleurs, estime M. Glaser, Paul Kagame, qui avait adressé une invitation personnelle à son homologue français François Hollande, n’était « sans doute pas très heureux que le chef de l’Etat français se fasse représenter par sa ministre de la Justice ».
Voir enfin:
L’honneur de la France
Alain Juppé
5 avril 2014
Je connais trop les exigences de la « realpolitik » pour ne pas comprendre la prudence de la ligne diplomatique que suit la France depuis plusieurs années dans sa relation avec le Rwanda. Ce pays joue un rôle économique et politique important dans la région des Grands Lacs et en Afrique en général. Nous avons eu raison de choisir la voie de la réconciliation avec ses dirigeants.
Mais pas à n’importe quel prix! Pas au prix de la falsification de l’histoire qui ne cesse de se propager à l’encontre de la France, de ses dirigeants politiques, de ses diplomates et de son Armée.
En écrivant cela je ne pense pas au récent libelle publié à Bordeaux et dont je suis la cible unique, comme si, à la date des faits, il n’y avait pas eu un Président de la République, et , successivement, deux Premiers Ministres, deux Ministres des Affaires Etrangères et deux Ministres de la Défense. Je m’attendais à ce que la « Juppémania » ambiante déclenche les coups bas.
Mais ce n’est plus de cela qu’il s’agit désormais. C’est d’une inacceptable mise en cause de la France par le Président du Rwanda, qui dans un article à paraître dimanche dans Jeune Afrique accuse notre pays d’avoir organisé et encouragé le génocide, d’en avoir été complice et même acteur.
Ces accusations, on le sait, sont totalement infondées. La mission parlementaire présidée en 1998 par Paul Quilès et dont le rapporteur était Bernard Cazeneuve, actuel ministre de l’Intérieur, a apporté un éclairage rigoureux sur les événements. M.Quilès en résumait ainsi le contenu dans un article publié le 11 septembre 2009 dans « International et défense »: « Cessons de diaboliser la France ».
Il est rigoureusement faux que la France ait aidé en quelque manière les auteurs du génocide à préparer leur forfait. Bien au contraire avant mars 1993 (date de prise de fonction du gouvernement Balladur) comme après cette date, notre pays a tout fait pour pousser à la réconciliation des deux camps. Il a efficacement oeuvré à la conclusion des accords d’Arusha qui posaient les bases de cette réconciliation et qui ont été salués positivement par M. Kagamé lui-même.
Il est rigoureusement faux que la France n’ait pas dénoncé le déclenchement du génocide en le qualifiant en ces termes même. Mes déclarations publiques en font foi, en mai 1994, au conseil des ministres des affaires étrangères de l’Union Européenne comme à l’Assemblée Nationale.
Quand aux accusations portées contre notre Armée, elles sont tout simplement honteuses. Nos soldats ont exécuté strictement la mission qui leur avait été assignée par le gouvernement, en application d’une résolution très précise du Conseil de sécurité des Nations Unies. Ils l’ont fait avec le courage et la discipline qui les caractérisent. Je me souviens de l’accueil enthousiaste que leur ont réservé les centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qu’ils ont protégés.
Sans doute subsiste-t-il encore des zones d’ombre sur cette période tragique. Malgré les investigations de l’ONU, de la justice française, de la justice espagnole, on ne sait toujours pas qui sont les auteurs de l’attentat contre l’avion qui transportait le Président Habyarimana et le Président du Burundi le 6 avril 1994 . C ‘est le lendemain de cet attentat qu’ont commencé les massacres de 800 000 Tutsi (et Hutu modérés). En connaître les auteurs serait de première importance pour comprendre l’enchaînement des faits. On peut espérer, comme la mission Quilès, que « la vérité fera peu à peu son chemin. C’est ainsi que le souvenir des victimes du génocide ne se confondra pas avec les intérêts de ceux qui prétendent parler en leur nom ».
En attendant que vienne la vérité, on ne peut tolérer la véritable entreprise de falsification historique qui veut faire porter à la France la culpabilité du génocide.
La communauté internationale a failli, c’est un fait. Elle a été incapable de prévenir et d’arrêter le génocide. Mais la communauté internationale, ce n’est pas la France seule. C’est le Conseil de sécurité des Nations Unies dont Kofi Annan qui dirigeait alors le Département des Opérations de Maintien de la Paix a décrit plus tard la paralysie. Il écrit: « Les Français ont poussé dès le début des négociations d’Arusha pour qu’une force de l’ONU soit déployée au Rwanda en soutien de l’accord de paix. Hormis côté français, il y avait au début peu d’appétence chez les membres permanents du Conseil de sécurité pour mandater une nouvelle force de maintien de la paix… » Plus loin, il ajoute: « Nous devons reconnaître que le monde a échoué face au mal. La communauté internationale et les Nations Unies n’ont pu mobiliser la volonté politique de l’affronter. » La « communauté internationale » , ce sont aussi les Etats-Unis, très influents dans la région et dont le Président Clinton lui-même a reconnu l’inaction. Ce sont aussi les pays européens dont certains avaient des responsabilités historiques dans la région. La France a été la seule puissance à agir.
Il serait aujourd’hui intolérable que nous soyons désignés comme les principaux coupables. J’appelle le Président de la République et le gouvernement français à défendre sans ambiguïté l’honneur de la France, l’honneur de son Armée, l’honneur de ses diplomates.
Voir enfin:
1. La présence française à la limite de l’engagement direct
RAPPORT D’INFORMATION
MISSION D’INFORMATION(1) DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES ET DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, sur les opérations militaires menées par la France, d’autres pays et l’ONU au Rwanda entre 1990 et 1994.
Président
M. Paul QUILÈS,
Rapporteurs
MM. Pierre BRANA et Bernard CAZENEUVE
Députés
a) L’engagement sur le terrain
Procéder à des opérations d’instruction, réaliser une assistance technique militaire en temps de paix ne pose pas de problèmes particuliers en termes de principes. Intervenir sur la base d’un accord de défense ou en vertu d’un engagement politique aux côtés d’un Etat auquel un autre Etat souhaite apporter son soutien dans le cas d’une agression extérieure, ne soulève pas non plus de questions d’ordre éthique. Il s’agit là d’un jeu classique d’alliances exprimant tel ou tel équilibre politique.
Que l’agression ne puisse être véritablement caractérisée comme une agression extérieure, que le pays qui la subit soit lui-même auteur ou complice d’exactions graves sur ses propres populations en représailles aux offensives qui le menacent et la situation devient dès lors beaucoup plus complexe. Comment peut-on alors concevoir une aide et un engagement extérieurs qui ne soient pas perçus comme un engagement direct ? Autrement dit, la seule présence militaire française sur le terrain, prolongée après les dernières évacuations des ressortissants français à Ruhengeri fin janvier 1991, ne signifie-t-elle pas, lorsqu’elle devient aussi déterminante sur l’issue des combats, que la France s’est trouvée à la limite de l’engagement direct, même si elle n’a pas participé aux combats aux côtés des FAR, comme le firent pendant quelques jours, en octobre 1990, les forces armées zaïroises ?
L’activité des instructeurs et formateurs du DAMI Panda a constitué une source de polémique portant principalement sur le degré d’engagement personnel des instructeurs aux côtés des personnels rwandais en formation. Le Général Jean Varret, ancien chef de la MMC, a fait état devant la Mission des possibles divergences d’interprétation des consignes par les personnels du DAMI Panda.
Il a précisé à la Mission qu’il s’était déplacé en mai 1992 au Rwanda et que des rumeurs existaient en France sur le comportement du DAMI Panda. Il a fait remarquer que “ sur place, il se trouvera toujours des hommes pour se vanter d’actions qu’ils auraient aimé réaliser mais qu’ils n’ont en réalité pas faites ”. La Mission a par ailleurs reçu des informations selon lesquelles les militaires français étaient très fortement impliqués sur le terrain, qu’ils se disaient que l’ennemi, venu d’Ouganda, menaçait les ressortissants français et que, dans un tel contexte, étant donné la faible compétence de l’armée rwandaise, il n’est pas absurde de penser que certains aient pu aider à régler les tirs de certaines armes d’artillerie comme les mortiers.
Le Général Jean Varret a confirmé à la Mission que “ des instructeurs-pilotes se trouvaient à bord d’hélicoptères Gazelle envoyés sur place aux côtés des Rwandais et qu’ils n’avaient pas été engagés. Ils n’étaient présents que pour faire de l’instruction de pilotage et de tir. ” Il a également affirmé que “ les troupes françaises n’avaient pas arrêté l’offensive du FPR en octobre 1990 ”.
En réponse aux nombreuses questions des membres de la Mission portant sur un éventuel engagement des personnels du DAMI Panda auprès des FAR dans la guerre que celles-ci menaient contre le FPR, les responsables du DAMI, interrogés par la Mission, ont précisé qu’il n’entrait pas dans les missions du DAMI Panda de participer à des actions armées.
Le Lieutenant-Colonel Jean-Jacques Maurin a fait remarquer qu’en près de trois ans et demi de présence française au Rwanda, entre 3 500 et 4 000 soldats français s’y sont succédé et que pas une seule perte n’a été enregistrée à l’exception des personnels français de l’avion présidentiel, des deux coopérants assassinés le 8 avril et d’un adjudant-chef du 8ème RPIMA qui, à l’issue d’un cross de cohésion de sa compagnie autour de l’hôtel Méridien à Kigali, a été victime d’une crise cardiaque.
Les propos du Colonel Didier Tauzin, qui a lui aussi commandé le DAMI Panda, permettent de mieux comprendre la confusion possible sur le rôle des hommes du détachement. Il a précisé que, dans la mesure où l’armée rwandaise était, au départ, dans une position défensive, la situation sur le théâtre imposait une proximité des instructeurs. Il a ainsi indiqué que, très souvent, en offensive, les troupes se répartissent dans la profondeur, c’est-à-dire qu’un bataillon motorisé de 800 hommes se répartit éventuellement sur une quinzaine de kilomètres, mais qu’en défensive, l’armée se doit d’être soudée et la profondeur du dispositif est forcément réduite. Il a analysé que, si la logistique est assez loin derrière, à un ou deux kilomètres maximum selon le terrain, les troupes elles-mêmes opèrent sur cinq cents mètres. En conséquence, selon lui, même si l’instruction se déroule à l’arrière, elle se situe inévitablement à proximité du front.
Il a souligné que sur le terrain, il n’y avait jamais plus de cinquante hommes, éparpillés dans les montagnes, avec une forte végétation sur 250 kilomètres de front et que, quand les artilleurs faisaient de l’instruction, ils n’étaient pas au pied de la pièce en train de tirer, mais se trouvaient à l’arrière. Il a également indiqué qu’éventuellement, si l’artilleur local était “ perdu dans ses comptes ”, ceux-ci l’aidaient, mais pour se retirer ensuite à l’arrière, et fait valoir qu’il était hors de question de procéder autrement, compte tenu des consignes données par le chef d’état-major des armées.
Enfin, s’agissant d’une éventuelle acquisition du renseignement par des commandos de recherche et d’action en profondeur français (CRAP), le Général Jean Rannou, ancien Chef du Cabinet militaire du ministère de la Défense, a regretté que l’on assimile en permanence ce que font les gens à l’idée que l’on a de ce qu’ils font et a précisé que si les DAMI se trouvaient effectivement près de la frontière nord, aucun ordre d’intervention n’y a jamais été donné, car cela ne correspondait pas au rôle des troupes françaises.
Si les missions du DAMI Panda sont clairement délimitées par les directives de l’état-major, force est de constater qu’un doute peut peser sur leurs modalités d’exécution. Certes, l’absence de victime dans les rangs du DAMI conforte le principe du non-engagement des militaires français aux côtés des FAR. En effet, alors que le conflit entre les FAR et le FPR a fait de très nombreuses victimes dans l’armée rwandaise, un engagement physique des éléments français aux côtés du FAR se serait inévitablement traduit par quelques pertes ou blessures dans les rangs du personnel du DAMI.
Par ailleurs, l’une des missions du DAMI était l’acquisition du renseignement et l’on constate que parmi l’ensemble des messages militaires envoyés par l’attaché de Défense à l’état-major des armées dressant un panorama de la situation militaire sur le terrain, aucun ne porte trace de renseignements ayant une qualification d’origine et de degré de certitude permettant de l’attribuer à une observation directe de militaires français dans la zone de combat.
Toutefois, la Mission ne peut totalement écarter l’idée qu’un instructeur français aurait pu, pour des raisons diverses, apporter ponctuellement un concours plus effectif lors de l’aide au maniement d’une pièce de mortier ou dans une autre situation, malgré les consignes diffusées par l’état-major des armées, tant il paraît difficile, en situation critique, de déterminer la limite exacte au delà de laquelle l’instruction et la formation pourraient être assimilées à un engagement réel. Cette ambiguïté apparaît consubstantielle à la notion d’assistance opérationnelle en temps de crise ou de guerre.
Si la France n’est pas allée aux combats, elle est toutefois intervenue sur le terrain de façon extrêmement proche des FAR. Elle a, de façon continue, participé à l’élaboration des plans de bataille, dispensé des conseils à l’état-major et aux commandements de secteurs, proposant des restructurations et des nouvelles tactiques. Elle a envoyé sur place des conseillers pour instruire les FAR aux maniement d’armes perfectionnées. Elle a enseigné les techniques de piégeage et de minage, suggérant pour cela les emplacements les plus appropriés.
Cette présence auprès des FAR s’est-elle doublée d’une participation des militaires français à des opérations de police et de maintien de l’ordre ? Les militaires français ont-il procédé à des vérifications d’identité ?
b) Les contrôles d’identité
La présence de militaires français du détachement Noroît devait satisfaire au double objectif contradictoire d’être à la fois discrète et visible. D’après les ordres d’opération, il convient d’adopter une attitude discrète, de limiter les déplacements au strict nécessaire, de n’accorder aucun entretien à la presse sans autorisation du Chef d’état-major des Armées.
Mais, en même temps, la simple présence des soldats de Noroît s’est révélée dissuasive et sécurisante. De la vient que les autorités rwandaises aient souhaité leur maintien, parce que les militaires français, en tenue française à la différence des personnels coopérants de la MAM, étaient visibles à Kigali et dans un rayon d’une dizaine de kilomètres autour de la capitale. Les entrées et les sorties de la ville étaient soumises à des contrôles effectués à des “ barrières ” par la Gendarmerie rwandaise. Les militaires français ont-ils procédé à de telles opérations ? De nombreuses critiques ont été faites à ce sujet. Devant la Mission, M. Jean-Hervé Bradol s’est déclaré “ particulièrement choqué par la part que prenaient les militaires français à certaines fonctions de police dans le pays, notamment le contrôle routier à la sortie nord de Kigali ” précisant que, soit les militaires français restaient postés dans leur guérite en observant les militaires rwandais, soit ils examinaient eux-mêmes les papiers, comme il en fut témoin en juin-juillet 1993.
Sur le contrôle direct opéré par les militaires français, le Général Dominique Delort s’est exprimé devant la Mission. Il a indiqué que les deux axes principaux Byumba-Kigali au nord et Ruhengeri-Kigali à l’ouest étaient particulièrement fréquentés et qu’il était difficile de positionner des unités au nord de la ville sans avoir des renseignements sur ces grands axes menant à la capitale.
Il a précisé qu’il avait alors décidé d’installer sur chacun de ces axes, à quelques kilomètres de l’entrée de la ville, deux points de contrôle, tenus par des soldats français les trente-six premières heures, avant que soient obtenus du Chef d’état-major des FAR les gendarmes rwandais pour assurer eux-mêmes le contrôle.
Sur la réalité du contrôle, les dires de M. Jean-Hervé Bradol sont bien confirmés ; en revanche, il semble qu’il ait commis une erreur de date, puisque le Général Dominique Delort, alors Colonel, a été désigné commandant des opérations en février-mars 1993, soit quelques mois plus tôt. Sous son commandement, plusieurs ordres d’opérations ont été établis. L’ordre de conduite n° 5, daté du 12 février 1993 prévoit, en cas de rupture du cessez-le-feu, de “ jeter un dispositif d’observation sur les axes nord… et de reconnaître les positions d’arrêt dans cette zone, dans un rayon de 5 km, en vue d’une éventuelle action d’arrêt ultérieure ”. La 4ème compagnie Noroît doit notamment à cet effet surveiller les débouchés des axes : Ruhengeri/Kigali et Gitarama/Kigali à l’ouest ; Byumba/Kigali au nord ; les points de passage obligé sur l’axe Muhazi/Kigali, et se trouver en mesure d’interdire ces débouchés sur préavis d’une heure.
La mise en place du dispositif de surveillance prévu par l’ordre de conduite est extrêmement précise :
— position d’observation du volume du groupe :
— point OSCAR – secteur ouest : à hauteur virage piste Murehe ;
— point CHARLIE – secteur centre : mouvement de terrain ;
— point ECHO – secteur est : carrefour pistes :
— de nuit, resserrement du dispositif au plus près des axes (volume : 1 binôme en sonnette) ;
— relève des postes toutes les 72 heures.
· Quant à l’ordre de conduite n° 7 du 20 février 1993, il prévoit, pour parer à toute tentative d’infiltration du FPR ou tout risque d’arrivée en masse de populations sur la capitale, qui menacent de compromettre la sécurité dans Kigali, donc la sécurité des ressortissants français, la mise en place, le 20 février à 16 heures, d’un dispositif de contrôle, destiné à :
“ — empêcher tout élément FPR de franchir :
– à l’ouest, le débouché des axes Ruhengeri/Kigali et Gitarama/Kigali,
– au nord, le débouché de l’axe Byumba/Kigali à hauteur de la sucrerie ;
— Pour cela, renseigner en avant et à l’est du dispositif par le DAMI, en liaison avec FAR,
– premier temps : mettre en place immédiatement un dispositif d’arrêt de compagnie sur les débouchés cités,
– deuxième temps : renforcer la défense de l’aéroport et du dispositif de protection des ressortissants ”.
· L’ordre d’opération n° 3 du 2 mars 1993 indique que le renseignement s’étend jusqu’à 10 km de la capitale et qu’il convient de surveiller les accès nord et ouest en faisant un effort du nord-ouest au nord-est, et d’être en mesure de les interdire temporairement.
Puis il est précisé : “ pour conserver toute liberté d’action dans la ville :
— en permanence maintenir un dispositif de contrôle dans la zone d’intérêt, sous forme de patrouille et de check-points en liaison avec la Gendarmerie rwandaise ;
— sur ordre, être en mesure de basculer sur un dispositif d’arrêt temporaire, tout en déclenchant le plan d’évacuation ”.
Ces instructions sont ensuite explicitées à l’attention de chacune des compagnies présentes sur le terrain, qui doit être en mesure :
pour le 2/8 RPIMA – de surveiller dans un rayon de 10 km entre Gihogwe et pont de la briqueterie inclus ;
– d’interdire les axes Ruhengeri/Kigali et axe Gitarama/Kigali.
pour le CEA/21 RIMA – de surveiller dans un rayon de 10 km entre Gihogwe exclu et la ligne Kabubu et Nouba inclus ;
– d’interdire l’axe Byumba à la hauteur de la sucrerie.
pour la SML 2/68e RA
(section de mortiers lourds)
– de surveiller sous forme de patrouilles la zone d’intérêt entre Nouba exclus et Rusoro inclus – effort à l’est ;
– sur ordre, d’appuyer l’action d’arrêt des unités à l’extérieur.
· Les règles de comportement sur les “ check-points ” prévoient :
— un dispositif limité au volume d’une équipe ;
— une action limitée au soutien de la Gendarmerie rwandaise chargée des opérations de contrôle ;
— la remise de tout suspect, armement ou document saisis à la disposition de la Gendarmerie rwandaise.
Vis-à-vis de la presse et du GOMN, il est précisé :
— aucune interview – accès des positions interdit ;
— laisser effectuer des prises de vues sans les faciliter ;
— orienter tout journaliste vers l’ambassade de France.
Il ressort de l’ensemble de ces éléments que les forces françaises ont, entre février et mars 1993, mis en place, sur ordre de l’état-major des armées, un dispositif de surveillance des accès de Kigali très développé, prêt à se transformer éventuellement en interdiction d’accès dans de très brefs délais, afin d’assurer l’évacuation des ressortissants français, mais aussi de prévenir les infiltration du FPR.
Cette surveillance active, sous forme de patrouille et de “ check-points ”, même si elle s’effectue en liaison avec la Gendarmerie rwandaise, conduit incontestablement à pratiquer des contrôles sur les personnes. Si les règles de comportement aux “ check-points ” font référence à la “ remise de tout suspect, armement ou documents saisis à la disposition de la Gendarmerie rwandaise ”, on voit mal comment une telle procédure peut avoir lieu si préalablement il n’y a pas eu une opération de contrôle d’identité ou de fouille.
Comment, dans ces conditions, définir “ l’action limitée au soutien de la Gendarmerie rwandaise chargée des opérations de contrôle ” si ce n’est sous la forme d’une coopération ? Comment expliquer enfin les consignes interdisant l’accès des positions à la presse et au GOMN, sinon par l’existence d’un engagement des forces françaises dans des opérations de police qui sont, par principe, du ressort des autorités nationales et qu’il était préférable de ne pas mettre en évidence ?
c) L’interrogation des prisonniers
De nombreuses affirmations et rumeurs ont circulé à ce sujet, notamment dans la presse.
Au cours de son audition, le Colonel Bernard Cussac a souhaité faire le point sur cette question et a déclaré qu’il avait été le seul et unique militaire français à avoir rencontré des prisonniers militaires. Il a indiqué qu’il avait voulu ainsi, en les rencontrant, non seulement montrer aux militaires rwandais que les prisonniers militaires étaient susceptibles de fournir des renseignements intéressants pour mieux conduire les opérations militaires futures, mais surtout faire œuvre humanitaire en offrant à ces derniers un sauf-conduit pour la vie.
Dans un message qu’il adresse le 31 juillet 1991 (n° 202) à ses supérieurs hiérarchiques ainsi qu’au cabinet du Ministre de la Défense et au ministère de la Coopération, le Colonel Bernard Cussac précise qu’il était accompagné du Lieutenant-Colonel Gilles Chollet, commandant le DAMI, ce qui contredit légèrement sa déclaration devant la Mission. Il fait ensuite état, dans ce message, du déroulement de l’entretien par les officiers rwandais et indique qu’il demande au commandant rwandais de faire soigner le prisonnier, le Lieutenant Aroni Bagambana.
La Mission a par ailleurs eu communication d’une liste d’une vingtaine de prisonniers entendus par les FAR établie à la date du 12 août 1991.
Ce document montre à la fois la jeunesse des soldats du FPR, certains d’entre eux ayant seulement 14 ou 16 ans, la plupart autour d’une vingtaine d’années, mais aussi le manque d’expérience de ces combattants qui, pour la moitié d’entre eux, à peine engagés au FPR se retrouvent quelques jours plus tard capturés par les FAR, alors que l’autre moitié faisait partie de la NRA.
A propos d’interrogatoires musclés de prisonniers du FPR, auxquels les militaires français auraient assisté, Mme Alison Des Forges a, lors de son audition, indiqué que M. James Gasana avait fait état de la présence d’agents français au centre de documentation, endroit bien connu pour être le lieu de torture de la Gendarmerie et de la police rwandaise. Surpris par une telle affirmation, le Président de la Mission a demandé des vérifications à la suite desquelles Mme Alison Des Forges a reconnu dans un courrier adressé à la Mission qu’elle s’était trompée.
2. Les livraisons d’armes
Cette question a fait l’objet de nombreuses affirmations, souvent imprécises, parfois inexactes. La Mission n’entend pas sur ce problème épuiser la réalité du sujet et notamment elle ne prétend pas, s’agissant du trafic d’armes, élucider tous les cas évoqués à travers différents articles ou ouvrages, de marchés parallèles ou de livraisons effectuées au moment des massacres, en avril 1994, ou après la déclaration d’embargo des Nations Unies le 17 mai 1994.
Sur la base des informations qu’elle a pu obtenir, la Mission a cherché d’abord à faire précisément le point sur les livraisons d’armes de la France au Rwanda réalisées dans un cadre légal entre 1990 et le 8 avril 1994, date à laquelle toute exportation a été suspendue. Ce travail qui n’avait pu être entrepris jusqu’à présent, faute d’éléments disponibles, lui a paru nécessaire, car il permet, en complément des différents développements qui viennent d’être présentés, de mieux comprendre la dimension de l’engagement de la France au Rwanda.
a) Les procédures applicables à l’exportation de matériels de guerre
L’exportation des matériels de guerre s’effectue en deux étapes. Il est tout d’abord nécessaire d’obtenir de la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériel de guerre (CIEEMG) un agrément préalable qui peut être délivré, soit pour les prospections de marchés, soit pour les négociations de contrats, soit pour les ventes d’armement. L’obtention de l’agrément “ vente ” de la CIEEMG ne vaut pas pour autant autorisation d’exportation. L’industriel qui a signé un contrat de vente d’équipements, d’armes ou de munitions doit ensuite obtenir, pour les exporter, une autorisation d’exportation des matériels de guerre (AEMG) auprès de la délégation générale pour l’armement du ministère de la Défense.
Après avis favorable du ministère de la Défense et du ministère des Affaires étrangères, l’AEMG est accordée par le SGDN, service directement rattaché au Premier Ministre. L’autorisation est valable un an ; elle est revêtue d’un numéro de douane. L’AEMG est exigée à l’appui de la déclaration d’exportation, lors du passage en douane ; elle est ensuite imputée en quantité et en valeur lors de chaque opération, car un contrat bénéficiaire d’une AEMG peut être exécuté en plusieurs livraisons.
Une attestation de passage en douane (APD), transmise par les services des douanes à la direction de la protection et de la sécurité du ministère de la Défense, permet de contrôler l’utilisation des AEMG et de s’assurer des livraisons effectives.
Cette procédure à deux niveaux s’applique aussi bien pour les contrats de vente commerciaux que pour les cessions directes de matériels de guerre.
Les cessions directes peuvent être réalisées à titre onéreux ou à titre gratuit. Elles consistent, à partir d’une demande d’un Etat étranger, à prélever sur les stocks des armées les matériels souhaités. A la différence des contrats commerciaux, il ne s’agit pas d’armes neuves. Les cessions à titre gratuit doivent être autorisées expressément par le Ministre de la Défense, les cessions à titre onéreux ne nécessitent pas une telle autorisation. En cas de cession directe, la procédure est plus rapide, puisque les deux étapes de l’obtention de l’agrément de la CIEEMG et de la délivrance de l’AEMG se confondent. Dans les faits, bien souvent les cessions directes s’effectuent sans qu’il y ait une AEMG ni même délivrance d’une régularisation postérieure de la procédure. Le Rwanda n’a pas échappé à cette pratique.
b) La livraison d’armes au Rwanda par la France
de 1990 à 1994
LES AGRÉMENTS DÉLIVRÉS PAR LA CIEEMG
Valeur en millions de francs
50 19 116 191 48 122 44 1
Source : ministère de la Défense
L’année 1994 n’est pas significative, puisque le dernier agrément délivré par la CIEEMG concernant des ventes de matériels de guerre au Rwanda remonte au 20 janvier 1994.
(1) Les autorisations d’exportation de matériels de guerre (AEMG)
· Les AEMG au Rwanda, de 1990 à 1994, ont porté principalement sur les matériels suivants :
Armes
· Exprimées en valeur, les AEMG représentent sur la période du 1er janvier 1990 au 6 avril 1994, date de la dernière AEMG, un total d’environ 137 millions de francs ainsi répartis :
(2) Les cessions directes
· Les cessions directes de matériels de guerre au Rwanda, de 1990 à 1994, ont concerné principalement les matériels suivants :
Les cessions directes onéreuses ont porté essentiellement sur l’achat de munitions -cartouches de 90mm à obus explosif, obus explosifs de mortiers de 120mm- de matériels et vêtements -tentes, parkas, parachutes…- et de pièces de rechange pour hélicoptères Alouette II. Les cessions directes à titre gratuit ont concerné, outre des matériels similaires à ceux décrits ci-dessus, des radars Rasura, des mitrailleuses, des canons de 105mm, c’est-à-dire des matériels plus importants et plus coûteux.
Dans l’ensemble, ces cessions directes, à titre gratuit comme à titre onéreux, n’ont que très rarement fait l’objet d’une AEMG et ont été réalisées directement.
Parmi les opérations de cessions directes bénéficiant d’une AEMG, on trouve l’exportation de 6 radars Rasura, de 50 mitrailleuses de 12,7 mm, de pièces de rechange pour Alouette II, de cartouches à obus explosifs de 90 mm. Soit 5 opérations sur 36 au total.
31 cessions directes d’armes et munitions au Rwanda ont donc été réalisées sans respect des procédures, mais cette situation, qui n’est pas propre au Rwanda, ne peut donc être retenue comme illustrative d’une quelconque spécificité. Il y a cependant là une question de principe, qui méritait d’être soulignée.
· En valeur, les cessions directes représentent un total d’environ 42 millions de francs ainsi répartis.
Les pics que constituent les années 1992 et 1993 montrent que les cessions directes d’armements prélevés sur les stocks de l’armée se sont réalisées à une période où se déroulaient sur le terrain des affrontements violents (offensives de Byumba en 1992 et de Ruhengeri en 1993) et où se tenaient en parallèle les négociations d’Arusha.
c) La politique de la France de 1990 à 1994
La France a livré des armes au Rwanda mais elle n’a pas répondu systématiquement à ses demandes. Quelques heures après l’offensive du 1er octobre 1990, le Président Juvénal Habyarimana demande assistance à la France et souhaite notamment que lui soit fourni un appui aérien. Le Général Jean Varret, entendu par la Mission, a déclaré que cette demande du Président rwandais d’un appui-feu Jaguar “ lui était apparue hors de propos ” et a indiqué lui avoir répondu que “ ce n’était pas là le but de l’action de la France ”, mais que “ cette demande avait néanmoins été transmise à Paris ”.
Cet appui-feu ne sera pas accordé au Rwanda, au grand regret du Président Juvénal Habyarimana, qui a insisté à plusieurs reprises, n’hésitant pas à forcer le trait en allant jusqu’à dire, le 6 octobre, que son armée devait faire face à “ des masses d’assaillants … dont beaucoup sont drogués ”, puis le 7 octobre “ que la phase diplomatique est dépassée et que si les avions français n’interviennent pas sous 24 ou 36 heures, Kigali ne pourra pas tenir ”.
La transformation des graves incidents survenus dans Kigali dans la nuit du 4 au 5 octobre à l’instigation de Tutsis ou de sympathisants de la cause FPR, en attaque de la capitale par des éléments du FPR venus de l’extérieur, participe incontestablement du même désir d’obtenir de la France cet appui-feu aérien “ aussi rapide que discret et efficace ”.
Il apparaît également que la France, tout en procédant à des livraisons d’armes ou de munitions, en aurait conditionné l’utilisation à des moments stratégiques dans l’évolution du conflit. Telle est notamment l’analyse faite par M. James Gasana, ancien Ministre rwandais de la Défense, devant la Mission. Selon lui, la France considérait que le Gouvernement rwandais ne pourrait concevoir la nécessité d’une négociation politique avec le FPR que si ce dernier prenait possession d’une partie du territoire.
M. James Gasana a déclaré que la France avait pour cela permis au FPR en mai 1992 de conquérir une partie de la commune de Muyumba, les commandes passées à la France n’ayant pas été livrées à temps. Sur cette affaire, un télégramme diplomatique, daté du 12 mars 1992, de l’ambassade de France à Kigali indique que le Général Jean Varret, lors de son audience avec le Président Juvénal Habyarimana, a rappelé les efforts faits par la France pour répondre à des demandes de munitions dont la fourniture avait été retardée pour des raisons strictement administratives et techniques. M. James Gasana a également précisé “ qu’en juin 1992, alors que les forces rwandaises venaient d’acquérir des obusiers français de 105 mm, la France leur en a refusé l’utilisation alors que les FAR étaient en mesure de reprendre le contrôle des hauteurs des communes du Kiyombe et Kivuye. La perte de ces hauteurs dont le FPR conservera le contrôle sera un des facteurs déterminants de la suite de la guerre. L’autorisation d’agir ne sera donnée que lorsque, après avoir décidé d’acheter des obusiers 125 mm à l’Egypte, les instructeurs égyptiens arriveront à Kigali ”.
M. James Gasana a par ailleurs souligné que les prix des armes légères françaises étaient supérieurs à ceux pratiqués par la concurrence. La législation rwandaise sur les marchés publics adoptée en 1992 exigeant au moins trois offres par lot de commande, la France ne figurait pas parmi les plus gros fournisseurs.
Compte tenu des informations dont la Mission a disposé, il est certain que l’Afrique du Sud figure en bonne place parmi les fournisseurs du Rwanda en armement et met par la même occasion le Rwanda en situation de violation de la convention 558 du 13 décembre 1984 qui déclare l’embargo à l’encontre de l’Afrique du Sud, avec laquelle théoriquement il est interdit de commercer.
En revanche, il paraît plus difficile de souscrire à l’analyse de M. James Gasana, estimant qu’en 1992, la France aurait volontairement et indirectement laissé le FPR progresser territorialement dans la mesure où la France a apporté régulièrement au Rwanda de 1990 à 1994 un soutien en matériel, armements et munitions. Le fait que certaines demandes comme l’appui-feu aérien aient été refusées ne contredit pas cet état de fait mais signifie simplement que, compte tenu du dimensionnement de l’armée rwandaise, une telle demande a semblé inappropriée.
L’étude des AEMG de 1990 à 1994, confrontée aux informations fournies par la Direction générale des douanes sur la même période, permet de dire que l’ensemble des matériels de guerre dont l’exportation a été autorisée ont été effectivement livrés au Rwanda.
Ainsi, deux postes de tir pour missile Milan fournis par Euromissile ont bénéficié d’une AEMG le 29 mai 1990 et sont passés en douane le 4 juillet 1990.
En 1991, l’Office général de l’air reçoit pour des rechanges d’hélicoptères Gazelle, Alouette et Ecureuil une autorisation d’exportation le 18 décembre 1991 qui seront exportés le 8 avril 1992, d’après les statistiques douanières.
En 1992, Eurocopter reçoit une autorisation d’exportation datée du 27 janvier portant sur trois hélicoptères Gazelle SA 342 avec des capabilités d’armement (parties fixes et mobiles pour canon-lance roquettes et canon axial) et des pièces de rechanges. Le marché représentant environ 42 millions de francs s’effectuera en plusieurs fois entre le 22 avril et le 6 novembre 1992. Les trois hélicoptères Gazelle ont été exportés aux dates suivantes : 22 avril 1992, 1er juillet 1992, 9 octobre 1992.
Ce marché correspond à une commande passée par le Gouvernement rwandais le 20 avril 1991 qui à l’époque souhaitait donner la priorité en matière d’armement aux hélicoptères de combat. Il faut rappeler à ce sujet qu’un hélicoptère Gazelle avait été abattu en octobre 1990 par le FPR.
La France a d’autre part assuré le suivi de cette livraison puisque plusieurs AEMG ultérieures concernent des pièces de rechange de ces hélicoptères Gazelle qui seront notamment exportées en 1993 par l’Office général de l’air ou la société Eurocopter.
Outre les matériels conventionnels classiques, la France a également livré au Rwanda via la société Thomson-CSF de nombreux équipements de cryptophonie avec accessoire et maintenance, plusieurs centaines d’émetteurs-récepteurs, dont certains portatifs, ainsi que quatre postes téléphoniques numériques de haute sécurité TRC 7700 exportés le 4 mai 1992 d’après les statistiques douanières.
Les livraisons d’armes et de matériel vont se poursuivre après l’offensive sur Byumba menée en juin 1992 et la conclusion d’un accord de cessez-le -feu signé en juillet 1992 à Arusha, constituant le point de départ des négociations du même nom. L’ouverture des négociations d’Arusha que la France soutient activement sur un plan diplomatique, ne constitue pas aux yeux du ministère des Affaires étrangères un élément nouveau susceptible de modifier l’environnement contractuel des commandes d’armes et de munitions passées par le Rwanda.
Ainsi le 12 août 1992, le Quai d’Orsay considère-t-il que les termes de l’accord d’Arusha ne sont pas de nature à remettre en cause la cession de 2 000 obus de 105 mm, de 20 mitrailleuses de 12,7 mm et de 32 400 cartouches.
Les autorités françaises ont par ailleurs tenu à ce que les forces armées rwandaises soient toujours régulièrement approvisionnées en munitions lors des différentes offensives sérieuses menées par le FPR.
Ainsi en février 1993, alors que le détachement Noroît vient d’être renforcé d’une compagnie des EFAO en raison de l’aggravation de la situation sur le terrain, l’état-major des armées rappelle à l’attaché de défense qu’il lui revient de “ faire en sorte que l’armée rwandaise ne se trouve pas en rupture de stocks de munitions sensibles… et que les livraisons aux FAR de matériels militaires s’effectuent dans la plus grande discrétion ”.
De fait, dans la chronologie qu’il établit dans son rapport de fin de mission, le Colonel Philippe Tracqui, commandant le détachement Noroît pour la période allant du 8 février 1993 au 21 mars 1993, note “ vendredi 12 février 1993 : poser d’un DC8 avec 50 mitrailleuses 12,7 mm plus 100 000 cartouches pour les FAR. Mercredi 17 février 1993 : poser d’un Boeing 747 avec déchargement discret par les FAR d’obus de 105 mm et de roquettes de 68 mm (Alat) ”.
Les livraisons d’armes et de munitions, jointes à l’opération d’assistance opérationnelle menée quelques jours plus tard à partir du 23 février par le Lieutenant-Colonel Didier Tauzin, permettront aux FAR de redresser spectaculairement la situation en une quinzaine de jours face au FPR.
La France n’est pas la seule à fournir des armes aux FAR. L’Afrique du Sud, l’Egypte, la Russie ou Israël comptent aussi parmi les fournisseurs du Rwanda. D’après les relevés établis par les militaires français présents au Rwanda -commandant des opérations ou attaché de défense- des livraisons de matériels de guerre ont été régulièrement effectuées par ces pays dès l’offensive d’octobre 1990.
Le 4 décembre 1990, le Ministre de la Défense rwandais commande à l’Egypte trois Gazelle roquettes ainsi que des munitions et à l’URSS du matériel d’artillerie sol-sol et sol-air.
Le 15 juillet 1991, le chargé d’affaires russe indique à l’attaché de défense français que le Rwanda a passé commande à titre onéreux à son pays de 50 mortiers, 6 obusiers, 30 mitrailleuses et de missiles SA 16 dont le nombre n’est pas précisé, ainsi que des munitions correspondant à ces armements. Le chargé d’affaires russe indique que la commande est prête à livrer sous réserve de la confirmation du Rwanda qui devra alors verser une provision.
En avril et mai 1992, plusieurs rotations d’appareils en provenance d’Afrique du Sud ou d’Egypte livrent aux FAR des munitions, essentiellement des cartouches et des obus.
Début novembre 1992, l’attaché de défense recense l’arrivée de 7 avions cargo sud-africains qui livrent à nouveau des mortiers, des mitrailleurs, des fusils, grenades… et indique que c’est dans un cadre défensif que ces achats ont été réalisés, car dans l’hypothèse d’une reprise du conflit sur l’ensemble du front, les stocks permettent aux FAR de tenir au mieux quinze jours. Il relève également des livraisons de munitions par Israël à cette même période.
La presse a par ailleurs fait état d’une violation par la France de l’embargo posé par elle le 8 avril et par l’ONU le 17 mai. Il est ainsi reproché à la SOFREMAS, société française d’exploitation de matériels et systèmes d’armement contrôlé par l’Etat d’avoir rompu l’embargo en procédant à des livraisons via Goma au Zaïre. De même, la société Luchaire, dépendant à 100 % de Giat Industries, aurait également procédé par ce biais à des livraisons.
Dans son rapport de mai 1995, Human Rights Watch indique avoir appris du personnel de l’aéroport et d’un homme d’affaires local que cinq convois étaient arrivés à Goma en mai et juin 1994 contenant de l’armement et des munitions venant de France et destinés aux FAR.
Sur ces différents points, la Mission n’a pas pu recueillir à ce jour d’éléments probants, en dépit des demandes qu’elle a formulées pour obtenir, notamment de l’association Human Rights Watch, copie des documents ou bordereaux relatifs à la SOFREMAS et trouvés au Zaïre dans un bus abandonné près de Goma.
En revanche, sur la livraison d’armes effectuée par l’Egypte en 1992 et qui aurait reçu la caution bancaire du Crédit Lyonnais, son Président Jean Peyrelevade a adressé au Président de la Mission les précisions suivantes “ les recherches auxquelles nous nous sommes livrés font apparaître que l’ambassade d’Egypte auprès du Royaume-Uni disposait d’un compte à notre agence de Londres, de même que les forces armées égyptiennes auprès de notre agence du Caire. Mais ni dans une agence, ni dans l’autre, il n’a été identifié aucune implication par voie de garantie ou de crédit documentaire dans l’exécution du contrat sur lequel vous m’interrogez ”.
L’élément de preuve sur lequel s’appuie l’association Human Rights Watch pour déceler la présence de la France derrière l’Egypte n’est que la reproduction d’un contrat sans en-tête et non signé qui vise effectivement trois parties, le Gouvernement rwandais dit “ l’acheteur ”, le Gouvernement égyptien dit “ le fournisseur ” et la caution bancaire dite “ la banque ” qui reste non identifiée, puisque la version anglaise laisse même apparaître un blanc à côté du nom de la banque. Dans ces conditions, il est apparu difficile à la Mission de tirer de ces quelques éléments des conclusions définitives.
De façon générale, qu’il y ait eu du trafic d’armes incontrôlé, cela est plus que probable si l’on se réfère par exemple aux transactions menées par la société Dyl-Invest. Comme l’a fait remarquer M. Ahmedou Ould-Abdallah à la Mission, l’Afrique est aujourd’hui remplie d’armes venues du trafic et, selon lui, il est illusoire de prétendre pouvoir un jour arriver à contrôler et sanctionner ces flux illicites.
En revanche, la violation de l’embargo et les exportations illégales d’armements, qui auraient été connues des autorités françaises et qu’elles auraient laissé se produire n’ont pas été démontrées.
On sait au contraire que les fournisseurs ayant “ pignon sur rue ” se sont, pour certains, posé des questions quant à la nécessité, avant même le prononcé de l’embargo par la France, de poursuivre certaines livraisons. Ainsi la Mission a-t-elle eu connaissance du fait que la société Thomson-Brandt s’est interrogée sur le bien fondé de la livraison de 2 000 obus supplémentaires au Rwanda en février 1994.
La question a enfin été soulevée de la livraison éventuelle, après la décision d’embargo, de pièces de rechange pour des hélicoptères Alouette II.
D’après les documents actuellement en sa possession, la Mission juge que cette exportation s’est faite avant l’embargo, même si cette cession onéreuse a connu une procédure compliquée.
COMPLEMENT:
Guillaume Ancel : « L’histoire mythique de l’opération Turquoise ne correspond pas à la réalité »
07 avril 2014
Pour la première fois depuis 1994, l’opération Turquoise au Rwanda s’éclaire d’un jour nouveau grâce au témoignage d’un officier français de l’armée de terre. Selon lui, l’objectif « humanitaire » officiellement affiché par Paris se confond avec un autre, beaucoup moins avouable : celui de freiner ou de stopper l’avancée militaire du Front patriotique rwandais (FPR), tout en ménageant les forces gouvernementales génocidaires.
Lancée le 22 juin 1994, l’opération française Turquoise aurait eu pour objectif initial de faire le coup de feu contre le Front patriotique rwandais (FPR), la rébellion – essentiellement tutsie – qui se battait contre les forces gouvernementales hutues à l’origine du génocide. Ce n’est pas le président Paul Kagamé qui le dit, mais un ancien officier français, chevalier de la Légion d’honneur et décoré à titre militaire en opérations. Dans un long entretien accordé à “Jeune Afrique”, Guillaume Ancel, 48 ans, à l’époque capitaine au 68e régiment de l’artillerie d’Afrique, évoque sans détour le décalage entre la version officielle française et ce qu’il a vécu il y a vingt ans sur les collines du Rwanda. Si lui et ses compagnons d’arme ont effectivement mené, à partir du début juillet 1994, des missions de protection et d’extraction au bénéfice de rescapés tutsis, ils avaient auparavant, selon lui, reçu l’ordre de stopper l’avancée du FPR au moment où la victoire militaire de celui-ci devenait inexorable. Interview.
JEUNE AFRIQUE : Quelle était votre mission au moment de rejoindre l’opération Turquoise ?
Guillaume Ancel : L’ordre initial, que j’ai reçu autour du 24 juin, était très clair : préparer un raid sur la capitale rwandaise, Kigali, alors passée en quasi-totalité sous le contrôle du FPR. La spécialité de mon unité était le guidage des frappes aériennes [Tactical Air Control Party – TACP, NDLR]. Infiltrés à proximité de la cible pour guider les avions de chasse, notre rôle était de dégager un couloir pour permettre aux troupes de s’emparer de leur objectif avant que quiconque ait eu le temps de réagir. Pas besoin d’avoir fait Saint-Cyr pour comprendre que lorsqu’on cherche à reprendre la capitale d’un pays en guerre passée aux mains d’une rébellion, c’est pour remettre en place les autorités officielles.
Aucun raid de l’armée française sur Kigali n’a pourtant eu lieu à l’époque…
La confirmation de l’ordre de mission n’est jamais arrivé. Peut-être était-ce lié aux problèmes logistiques que nous rencontrions, nos équipements ayant été acheminés avec retard jusqu’à Goma [en RDC, NDLR]. D’autre part je sentais un certain flottement au niveau de la hiérarchie. Puis, entre le 29 juin et le 1er juillet, nous avons reçu un ordre qui s’est substitué au premier. Nous devions stopper par la force l’avancée du FPR à l’est de la forêt de Nyungwe, dans le sud-ouest du Rwanda. Le lendemain matin à l’aube, nous avons décollé dans des hélicoptères Super-Puma afin d’aller déclencher les frappes aériennes sur les colonnes du FPR. L’essentiel de l’unité était déjà partie la veille par la route. Mais au moment où les hélicoptères décollaient de l’aéroport Bukavu, nous avons reçu un contre-ordre. L’officier en charge des opérations nous a expliqué qu’un accord avait été passé avec le FPR. Désormais nous devions protéger une « zone humanitaire sûre » (ZHS) dont la rébellion de Paul Kagamé avait accepté qu’elle échappe provisoirement à son contrôle. C’est à ce moment-là que la nature de notre mission a changé pour devenir humanitaire. Jusque-là, il était clair qu’il s’agissait de combattre le FPR.
Les soldats français ont sauvé plusieurs milliers de vie.
En quoi a consisté cette mission humanitaire ?
Nous nous sommes déployés autour de Cyangugu, au sud du lac Kivu. Le commandant de compagnie a décidé d’installer notre camp au-dessus du camp de Nyarushishi, où s’étaient réfugiés des milliers de Tutsis et de Hutus modérés. Il avait été alerté par le médecin-chef du camp, un Suisse travaillant pour le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), sur le risque d’une attaque massive des miliciens Interahamwe. Cette dimension de Turquoise ne doit pas être oubliée : même si les ordres que nous recevions étaient ambigus, les soldats français ont sauvé plusieurs milliers de vie. Pour moi, chacune d’entre elle était une victoire.
Quels étaient vos relations avec les forces armées gouvernementales qui avaient orchestré le génocide ?
Dès que nous avons traversé la frontière entre l’ex-Zaïre [actuelle RDC] et le Rwanda, nous avons constaté que les militaires rwandais étaient consternés en réalisant que les soldats français n’allaient pas remettre en selle le gouvernement intérimaire à l’origine du génocide. Ils nous regardaient avec une réticence et une inquiétude évidentes. À l’inverse, quand les réfugiés de Nyarushishi ont réalisé que nous venions réellement pour les protéger, ils nous ont accueilli avec des cris et des chants de joie.
Étant un spécialiste des frappes aériennes et des missions spéciales, quand la compagnie s’est installée pour protéger le camp de Nyarushishi, on m’a détaché auprès du colonel Hoggard, de la Légion étrangère, et je suis devenu responsable des extractions. Pendant un mois, avec des légionnaires, à chaque fois que nous recevions une information sur des personnes menacées dans la zone humanitaire sûre, j’étais chargé de conduire les opérations se sauvetage.
Les conteneurs d’armes ont été chargés sur ces camions, qui les ont emmenés ensuite au Zaïre pour les remettre aux forces gouvernementales rwandaises.
On sait que l’armée française a, par ailleurs, montré une certaine complaisance face aux forces génocidaires fuyant vers l’ex-Zaïre…
Pendant cette période, nous avons confisqué des dizaines de milliers d’armes légères aux Hutus qui traversaient la frontières, essentiellement des pistolets, des fusils d’assaut et des grenades. Toutes ces armes étaient stockées dans des conteneurs maritimes sur la base de la Légion étrangère à l’aéroport de Cyangugu. Vers la mi-juillet, nous avons vu arriver une colonne de camions civils. Instruction a été donnée de charger les conteneurs d’armes sur ces camions, qui les ont emmenées ensuite au Zaïre pour les remettre aux forces gouvernementales rwandaises. On m’a même suggéré d’occuper les journalistes pendant ce temps pour éviter qu’ils s’en rendent compte. Quand je lui ai fait part de ma désapprobation, le commandant de la Légion m’a répondu que l’état-major avait estimé qu’il fallait montrer à l’armée rwandaise que nous n’étions pas devenus ses ennemis, afin qu’elle ne se retourne pas contre nous. La France a même payé leur solde aux soldats rwandais.
Vous confirmez donc que la France a réarmé les ex-Forces armée rwandaises en exil alors que celles-ci venaient d’encadrer le génocide des Tutsis ?
En leur livrant des dizaines de milliers d’armes, nous avons transformé les camps de réfugiés du Zaïre en base militaire. Il était évident que Paul Kagamé n’allait pas tolérer, après avoir pris le pouvoir, qu’une position armée du régime génocidaire s’installe de l’autre côté du lac Kivu. Cette décision a joué un rôle important dans ce qui allait se passer deux ans plus tard dans l’est du Congo.
Que vous inspire la version officielle française sur l’opération Turquoise ?
Personnellement, je ne fais que relater ce que j’ai vécu à l’époque. Si cela ne colle pas avec leur version, cela pose un problème. Ils ont construit une histoire mythique de l’opération Turquoise qui ne correspond pas à la réalité. Or si l’on veut éviter qu’une telle chose se reproduise, il faut mettre les cartes sur la table, pas les dissimuler sous le tapis.
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Propos recueillis par Mehdi Ba