Nobel de littérature: Yvetot valait donc bien Constantinople (Retour sur la première femme écrivain française nobélisée qui au nom de la justesse et de la justice n’a pas hésité à se faire la Madone du RER et l’écrivaine cégétiste qui écrit des livres de dactylo dans les supermarchés)

8 octobre, 2022

 (Image: News18)French author Annie Ernaux awarded Nobel Prize in Literature 2022; a look at her life and career (Image: News18) (Image: News18)

Soyez fils de votre Père qui est dans les cieux (qui) fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons et (…) pleuvoir sur les justes et sur les injustes. Jésus (Matthieu 5: 45)
Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. Car je suis venu mettre la division entre l’homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère; et l’homme aura pour ennemis les gens de sa maison. Jésus (Matthieu 10 : 34-36)
Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre,  il n’y a plus ni homme ni femme; car tous vous êtes un en Jésus-Christ. Paul (Galates 3: 28)
Il n’y a pas en littérature de beaux sujets d’art, et qu’Yvetot donc vaut Constantinople ; et qu’en conséquence l’on peut écrire n’importe quoi aussi bien que quoi que ce soit. L’artiste doit tout élever ; il est comme une pompe, il a en lui un grand tuyau qui descend aux entrailles des choses, dans les couches profondes. Il aspire et fait jaillir au soleil en gerbes géantes ce qui était plat sous terre et qu’on ne voyait pas. Gustave Flaubert (lettre à Louise Colet, 25 juin 1853
C’est peut-être dans la Bible qu’on trouverait des procédés littéraires nouveaux et l’art de laisser les choses à leur place. Marcel Schwob (lettre à Jules Renard, 1891)
Il va de soi que ce mélange des styles ne dénote aucune intention esthétique. Au contraire, il caractérise dès l’origine les écrits judéo-chrétiens ; il fut encore souligné par l’incarnation de Dieu dans un homme du dernier rang, par son existence terrestre parmi les humbles, par sa Passion ignominieuse au jugement du monde, et, par suite de la vaste diffusion et du puissant effet de ces écrits à une époque postérieure, agit naturellement de façon décisive sur la représentation du tragique et du sublime. (…) tout se joue entre des gens communs issus du peuple; une telle action, pour les Anciens, aurait fait la matière d’une farce ou d’une comédie. Et pourquoi n’avons-nous rien de tel ici? Pourquoi ce texte éveille-t-il en nous une profonde et grave sympathie? Parce qu’il représente quelque chose que ni la poésie antique ni l’historiographie antique n’ont jamais représenté: la naissance d’un mouvement spirituel dans les profondeurs du peuple, au sein des circonstances quotidiennes de l’existence du temps. Un nouveau cœur et un nouvel esprit naissent sous nos yeux. Ce que nous disons ici ne s’applique pas seulement au reniement de Pierre, mais à tous les faits que nous rapportent les livres du Nouveau Testament; dans chacun d’entre eux il s’agit toujours de la même question, toujours du même conflit, auquel tout homme se trouve forcément confronté et qui par là est un conflit toujours inachevé et infini. Il met en mouvement le monde entier des hommes, tandis que les enchevêtrements de destin et de passion que connaît l’antiquité gréco-romaine ne concernent directement qu’un seul individu, celui qui s’y trouve impliqué; c’est seulement en vertu d’une relation très générale, parce que nous sommes aussi des hommes, c’est-à-dire soumis au destin et aux passions, que nous ressentons de la terreur et de la pitié. Pierre, en revanche, ainsi que les autres personnages du Nouveau Testament sont plongés dans un mouvement général qui surgit des profondeurs, qui ne concerne d’abord qu’eux-mêmes et qui ne passe que très progressivement (les Actes des Apôtres illustrent le commencement de ce processus) au premier plan de l’histoire, mais qui dès le début est un mouvement sans limite qui aspire à toucher directement chaque homme et absorbe en lui tous les conflits purement personnels. Ainsi apparaît un monde d’une part tout à fait réel, quotidien, reconnaissable sous le rapport du temps, du lieu et des circonstances, et d’autre part ébranlé dans ses fondations, qui se transforme et se renouvelle sous nos yeux. Erich Auerbach (1946)
La naissance dans l’étable de Bethléem, la vie parmi les pêcheurs, des publicains et d’autres personnes du commun, la Passion avec touts ses épisodes réalistes et indignes ne convenaient ni au style de l’éloquence sublime ni à celui de la tragédie ou de la grande épopée; un tel arrière-plan, un tel environnement ne convenait guère, d’après les conceptions de l’esthétique augustéenne, qu’à l’un des genres littéraires les plus bas; mais le style bas de l’Ecriture sainte inclut le sublime. Erich Auerbach
Dans la littérature moderne, toute personne, quels que soient son caractère et sa position sociale, tout événement, qu’il appartienne à la légende, à la haute politique ou à la vie domestique, peut être représenté comme une réalité sérieuse, problématique et tragique, et le plus souvent se trouve effectivement représenté sous cette forme. Mais ceci est complètement impossible dans l’Antiquité. Il existe certes, dans la poésie pastorale ou amoureuse, quelques formes intermédiaires, mais dans l’ensemble la règle de la séparation des styles maintient son empire et demeure inviolée : tout ce qui est vulgairement réaliste, le quotidien tout entier, ne supporte qu’une représentation comique ; on n’en doit pas approfondir les problèmes virtuels. Un tel principe fixe d’étroites limites au réalisme, et on peut dire, en prenant le mot réalisme en un sens plutôt strict, qu’il ôtait à la littérature toute possibilité de prendre au sérieux les métiers et les états de la vie quotidienne – commerçants, artisans, paysans, esclaves –, le décor de la vie quotidienne – maison, atelier, boutique, champ –, les circonstances de la vie quotidienne – mariage, naissance d’un enfant, travail, nourriture –, bref de prendre au sérieux le peuple et la vie du peuple. (…) Au contraire, [le mélange des styles] caractérise dès l’origine les écrits judéo-chrétiens (…) Une figure tragique d’une telle origine, un héros si faible mais qui puise sa force dans sa faiblesse même, un tel va et vient du pendule, est incompatible avec le style élevé de la littérature classique gréco-romaine. (…) Du même coup, les conventions stylistiques de l’Antiquité disparaissent car il est impossible de représenter autrement qu’avec le plus grand sérieux l’attitude de chacun des individus qui se voient impliqués dans le mouvement ; tel pêcheur parmi les autres, ou tel publicain, ou tel jeune homme riche, telle Samaritaine ou telle femme adultère, chacun et chacune pris dans sa vie de tous les jours, se trouvent confrontés directement à la personne de Jésus, et l’attitude de chacune de ces personnes à ce moment précis est nécessairement une chose tragique. La règle stylistique de l’Antiquité, pour laquelle la représentation réaliste, la description de la vie quotidienne ne pouvaient relever que de la comédie (ou au mieux de l’idylle) est par conséquent incompatible avec la représentation de forces historiques dès que celle-ci s’efforce de rendre les choses concrètement. Car alors, elle est contrainte de descendre dans les profondeurs de la vie quotidienne du peuple, elle est dans l’obligation de prendre au sérieux ce qu’elle y rencontre, tandis qu’à l’inverse, la règle stylistique ne peut subsister que là où on renonce à rendre concrètement les forces historiques, où on n’éprouve même pas le besoin d’en tenir compte. Il va de soi que dans les écrits évangéliques cette prise de conscience de forces historiques revêt un caractère parfaitement « non scientifique » ; elle se réduit à des faits concrets et ne les dépasse pas à l’aide de concepts qui systématiseraient des expériences. (…) Néanmoins, quelle que soit la nature du mouvement que les récits évangéliques ont introduit dans l’historiographie, l’essentiel réside en ceci : que les couches profondes qui restaient immobiles aux yeux des observateurs antiques commencent à entrer en mouvement. Erich Auerbach
Il n’y a que l’Occident chrétien qui ait jamais trouvé la perspective et ce réalisme photographique dont on dit tant de mal: c’est également lui qui a inventé les caméras. Jamais les autres univers n’ont découvert ça. Un chercheur qui travaille dans ce domaine me faisait remarquer que, dans le trompe l’oeil occidental, tous les objets sont déformés d’après les mêmes principes par rapport à la lumière et à l’espace: c’est l’équivalent pictural du Dieu qui fait briller son soleil et tomber sa pluie sur les justes comme sur les injustes. On cesse de représenter en grand les gens importants socialement et en petit les autres. C’est l’égalité absolue dans la perception. René Girard 
D’une manière générale, mon souhait est d’écrire littérairement dans la langue de tous. C’est un choix qu’on pourrait qualifier de politique, puisque c’est une façon de détruire les hiérarchies, d’accorder la même importance de signification aux paroles, aux gestes des gens, quelle que soit leur place dans la société. Annie Ernaux (conférence à Yvetot, 2012)
Il y a beaucoup de livres qui ont pour moi valeur de littérature, bien qu’ils ne soient pas classés dans la littérature, des textes de Michel Foucault, de Bourdieu, par exemple. C’est le bouleversement, la sensation d’ouverture, d’élargissement, qui fait pour moi la littérature. Annie Ernaux
J’aimerais m’attarder sur cette notion d’intime qui, en un peu plus d’une décennie, est venue au premier plan, a fourni une classification littéraire  – « écrits intimes » – , a fait l’objet de débats dits de société à la télé et dans les magazines, se confond plus ou moins avec le sexuel (auquel il a été longtemps associé, faire sa toilette intime). On peut imaginer que l’émergence de cette notion a quelque chose à voir avec une modification de la perception de soi et du monde, qu’elle en est le signe. Toujours est-il que l’intime est, pour le moment, une catégorie de pensée à travers laquelle on voit, aborde et regroupe des textes. Cette façon de penser, de classer, m’est étrangère. L’intime est encore toujours du social, parce qu’un moi pur, où les autres, les lois, l’histoire, ne seraient pas présents est inconcevable. Quand j’écris, tout est chose, matière devant moi, extériorité, que ce soit mes sentiments, mon corps, mes pensées ou le comportement des gens dans le RER. Dans L’Événement, le sexe traversé par la sonde, les eaux et le sang, tout ce qu’on range dans l’intime, est là, de façon nue, mais qui renvoie à la loi d’alors, aux discours, au monde social en général. Existe-t-il un intime à partir du moment où le lecteur, la lectrice, ont le sentiment qu’ils se lisent eux-mêmes dans un texte ? (…) Je me considère très peu comme un être singulier, au sens d’absolument singulier, mais comme une somme d’expérience, de déterminations aussi, sociales, historiques, sexuelles, de langages, et continuellement en dialogue avec le monde (passé et présent), le tout formant, oui, forcément, une subjectivité unique. Mais je me sers de ma subjectivité pour retrouver, dévoiler les mécanismes ou des phénomènes plus généraux, collectifs. Annie Ernaux
Lire dans les années 1970 Les Héritiers, La Reproduction, plus tard La Distinction, c’était – c’est toujours – ressentir un choc ontologique violent. J’emploie à dessein ce terme d’ontologique : l’être qu’on croyait être n’est plus le même, la vision qu’on avait de soi et des autres dans la société se déchire, notre place, nos goûts, rien n’est plus naturel, allant de soi dans le fonctionnement des choses apparemment les plus ordinaires de la vie. Et, pour peu qu’on soit issu soi-même des couches sociales dominées, l’accord intellectuel qu’on donne aux analyses rigoureuses de Bourdieu se double du sentiment de l’évidence vécue, de la véracité de la théorie en quelque sorte garantie par l’expérience : on ne peut, par exemple, refuser la réalité de la violence symbolique lorsque, soi et ses proches, on l’a subie. Il m’est arrivé de comparer l’effet de ma première lecture de Bourdieu à celle du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, quinze ans auparavant : l’irruption d’une prise de conscience sans retour, ici sur la condition des femmes, là sur la structure du monde social. Irruption douloureuse mais suivie d’une joie, d’une force particulières, d’un sentiment de délivrance, de solitude brisée. Cela me reste un mystère et une tristesse que l’œuvre de Bourdieu, synonyme pour moi de libération et de « raisons d’agir » dans le monde, ait pu être perçue comme une soumission aux déterminismes sociaux. Il m’a toujours semblé au contraire que, mettant au jour les mécanismes cachés de la reproduction sociale, en objectivant les croyances et processus de domination intériorisés par les individus à leur insu, la sociologie critique de Bourdieu défatalise l’existence. En analysant les conditions de production des œuvres littéraires et artistiques, les champs de luttes dans lesquelles elles surgissent, Bourdieu ne détruit pas l’art, ne le réduit pas, il le désacralise simplement, il en fait ce qui est beaucoup mieux qu’une religion, une activité humaine complexe. Et les textes de Bourdieu ont été pour moi un encouragement à persévérer dans mon entreprise d’écriture, à dire, entre autres, ce qu’il nommait le refoulé social. Le refus opposé, avec une extrême violence parfois, à la sociologie de Pierre Bourdieu vient, me semble-t-il, de sa méthode et du langage qui lui est lié. Venu de la philosophie, Bourdieu a rompu avec le maniement abstrait des concepts qui la fonde, le beau, le bien, la liberté, la société, et donné à ceux-ci des contenus étudiés concrètement, scientifiquement. Il a dévoilé ce que signifiaient dans la réalité le beau quand on est agriculteur ou professeur, la liberté si l’on habite la cité des 3 000, expliqué pourquoi les individus s’excluent eux-mêmes de ce qui, de façon occulte, les exclut de toute façon. Comme dans la philosophie et, le meilleur des cas, la littérature, c’est encore et toujours de la condition humaine qu’il s’agit, mais non d’un homme en général, des individus tels qu’ils sont inscrits dans le monde social. Et si un discours abstrait, au-dessus des choses, ou prophétique, ne dérange personne, il n’en est pas de même dès lors qu’on donne le pourcentage écrasant d’enfants issus de milieux dominants intellectuellement ou économiquement dans les grandes écoles, qu’on révèle de manière rigoureuse les stratégies du pouvoir, ici et maintenant aussi bien chez les universitaires (Homo academicus) que dans les médias. Question de langage ; substituer, par exemple, à « milieux, gens, modestes » et « couches supérieures » les termes de « dominés » et « dominants », c’est changer tout : à la place d’une expression euphémisée et quasi naturelle des hiérarchies, c’est faire apparaître la réalité objective des rapports sociaux. Le travail de Bourdieu, acharné comme Pascal à détruire les apparences, à rendre manifeste le jeu, l’illusion, l’imaginaire social, ne pouvait que rencontrer des résistances dans la mesure où il contient des ferments de subversion, où il débouche sur une transformation du monde, dont l’ouvrage qu’il a dirigé avec son équipe de chercheurs, le plus connu, montre la misère. Si, avec la mort de Sartre, j’ai pu avoir le sentiment que quelque chose était achevé, intégré, que ses idées ne seraient plus actives, qu’il basculait, en somme, dans l’histoire, il n’en va pas de même avec Pierre Bourdieu. Si nous sommes tant à éprouver le chagrin de sa perte – j’ose, ce que je fais rarement, dire « nous », en raison de l’onde fraternelle qui s’est propagée spontanément à l’annonce de sa mort – nous sommes aussi nombreux à penser que l’influence de ses découvertes et de ses concepts, de ses ouvrages, ne va cesser de s’étendre. Comme ce fut le cas pour Jean-Jacques Rousseau, à propos de qui je ne sais lequel de ses contemporains s’insurgeait de ce que son écriture rendît le pauvre fier. Annie Ernaux
Il y a cette différence d’âge et de statut social, cette « pauvreté » du jeune homme qui est attirante : je veux être celle qui peut donner plein de choses. Chacun sait que donner, c’est prendre. Le côté économique compte beaucoup et je voulais même l’accentuer en listant tout ce que j’ai fait pour, non pas l’attacher, mais rétablir un ordre. (…) C’est un aspect de la domination qui est dû à mon âge, car je n’avais pas d’argent non plus. Cette domination-là lui facilite la vie mais je considère aussi les avantages. Lorsqu’il ne travaille pas, il me donne son temps : je le rétribue pour ça.  (…) Ce qui était le plus marquant était cette sensation de revivre, de me replonger dans une jeunesse, de retrouver une forme de spontanéité, de jeu. Le fait que cela se passe dans une ville où j’avais été jeune était d’autant plus troublant. Par exemple, revenir au restaurant universitaire que j’avais fréquenté tant d’années et dont la disposition intérieure n’avait pas changé fut particulièrement déroutant. Il y a là une sensation fantastique. (…) Ce qu’il m’a apporté, sans lui, je ne l’aurais pas. Ce qui était très difficile était ce sentiment de répétition tel qu’il ressemble à la mort. Être condamnée à répéter quelque chose qui, à mon sens, ne conduisait nulle part. Je me suis aperçue, en écrivant L’Événement, où je racontais comment j’avais expulsé cette grossesse non voulue, que, de la même façon, j’étais en train de le supprimer de mon existence. (…) Au même âge, je ne l’aurais même pas regardé. Il faisait un peu plouc. Il représentait ma propre plouquerie. C’est un aveu qui va sans doute me valoir des volées de bois vert. Cette image de moi qui est en lui satisfait quelque chose. D’autant que je ne peux pas dire que je suis restée comme ça. Là, on est en pleine domination économique et culturelle. (…) [La différence d’âge dans le couple] C’est toujours pareil. Il y a eu des livres de femmes sur ce sujet, comme celui de Camille Laurens. On a donné à ces femmes, qu’on appelle les cougars, le nom d’un fauve, d’un prédateur. Peut-être qu’il y a de ça mais pourquoi ne dit-on pas que les hommes sont des prédateurs ? Quand j’ai commencé ce texte, il y a plus de vingt ans, je ne voyais pas le scandale d’écrire cela. [Les Cahiers de L’Herne] Je ne me le représente pas comme quelque chose qui ferait de moi un classique. Ce qui me plaît dans la conception de ces Cahiers, c’est qu’ils ouvrent beaucoup de portes sur mon travail. Il y a des recherches très pointues, mais aussi des témoignages d’écrivains et d’écrivaines et d’autres personnes qui me connaissent d’un peu plus près. Souvent, on prend les Cahiers de L’Herne comme quelque chose d’académique mais là, cela échappe à l’académique. C’est très divers. J’en suis l’objet mais, pour un lecteur, il y a dans ce qu’il lit quelque chose qui dépasse l’objet. Cela peut, presque, se lire comme une fiction. (…) le réel n’est pas accessible en vivant seulement, contrairement à la parole. Je mets dans le travail d’écriture quelque chose qui va au-delà de la vie ordinaire. C’est ça l’écriture. C’est devenu ça. Sans preuves écrites, je n’avance qu’à tâtons. (…) Plus jeune, je pratiquais deux écritures : celle pour obtenir mes examens et celle des lettres adressées à mes parents, que je simplifiais pour ne pas montrer une supériorité – alors que j’étais une sale gamine qui faisait exprès d’employer des mots compliqués pour embêter mon père. Par contre, je savais que ma mère les enregistrait. Je jouais le rôle de l’institutrice. Ensuite, quand j’écris d’Angleterre, j’ai 19 ans et je suis consciente de ce que font mes parents pour moi et donc je ne leur inflige pas une sorte de supériorité que je ressens d’ailleurs beaucoup moins à cette époque qu’à l’adolescence. (…) Au départ, c’est une écriture très violente. Mes premiers textes Venger sa race, Les Armoires vides, etc. sont violents… C’est écrivant sur quelqu’un de proche, comme mon père, que j’ai adopté une écriture qui n’est pas une écriture dominante, qui surplombe. À l’époque, je ne formulais pas les choses comme cela mais on aurait pu dire que c’était une voie étroite entre le populisme et le misérabilisme. C’était justement cette écriture du réel, factuelle – que j’ai malencontreusement qualifiée d’écriture plate –, qui ne donne pas prise aux jugements du lecteur que je présumais toujours comme bourgeois. J’étais très arc-boutée sur cette position et j’ai donc écrit La Place dans cette optique. Cette écriture-là, je l’ai faite mienne, avec quand même des changements importants. Si vous prenez Le Jeune Homme et que vous le comparez à La Place, ou même Passion simple vous voyez bien qu’il y a une évolution. (…) C’est une écriture objective. Objectiver non seulement le matériel mais aussi ce qui est plus difficile : les choses mentales, abstraites comme les sentiments. (…) C’est presque devenu naturel chez moi. Pour moi, la fiction a lieu dans la construction du livre, c’est-à-dire que l’organisation d’un livre donne un sens en soi. Je n’ai pas besoin de la fiction. Écrire ne se confond pas avec imaginer, ni avec un laisser-aller : pour moi, écrire, c’est retrouver. (…) Il y avait cette idée que je faisais de l’autobiographie toute simple, et donc que c’était facile. C’est ce côté-là qui m’était reproché. (…) Passion simple, ça a été un grand moment de réception contrastée. On m’a aussi reproché mon écriture plate, ou, souvent, la crudité de mes propos, notamment dans le journal que j’ai publié sur ma mère, Je ne suis pas sortie de ma nuit. On se demandait comment on pouvait oser parler de sa mère ainsi, mais je ne parlais pas de ma mère, je parlais d’une maladie. (…) Je me souviens d’un écrivain avec lequel j’entretenais des rapports très amicaux. Il m’a demandé comment je pouvais parler d’hypermarchés dans un livre. Je lui ai répondu que c’était la réalité. Même si nous avons évolué sur ce que l’on peut montrer ou pas, l’argent reste sale. Quant à l’hypermarché, il ne devance jamais la société. Il crée tout, même des désirs, et il ne va voir que son intérêt. Faire des rayons garçon/fille, cela s’appelle de la segmentation, et cela fait gagner plus d’argent. Si, au moment du ramadan, ils proposent des produits adaptés, ce n’est pas parce qu’ils veulent une mixité sociale : c’est parce qu’ils gagnent de l’argent avec ça. (…) En général, rien ne me fait peur en écriture. (…) Je me souviens m’être dit, au moment où j’envisageais Les Années, « il manque du danger là-dedans ». Alors, ce qui était dangereux, c’était la forme. [Pour L’Usage de la photo] je n’y ai même pas pensé. J’avais oublié comment ce bouquin avait été stigmatisé. Pour plein de raisons : parce que je ne l’ai pas écrit toute seule, parce qu’allier le cancer et l’érotisme, cela paraît difficile… (…) [Parler de la boulimie] C’est rare, mais pour moi, en effet, c’est très important. La boulimie est une horreur et les filles qui en sont affligées en ont honte. Cela fait davantage honte que l’anorexie car la boulimie, c’est la matérialité : on mange beaucoup, on exècre beaucoup… C’est horrible ! L’évoquer, à cette distance-là, n’était pas très courageux, mais je voulais montrer cette addiction animale à la nourriture : on se jette sur du chocolat jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus – pour moi, avec le commerce de mes parents, c’était inépuisable. Dans L’Événement, j’ai écrit « Il n’y a pas de vérités inférieures. » Effectivement, là, je ne cache rien, et il fallait que j’aille au bout. Les gens qui ont vu le film – où la réalisatrice ne cache rien non plus – ont été surpris de voir comment cela se passait autrefois. (…) Toutes ces réflexions à propos de Proust, c’est parce que je faisais un cours sur lui. Et je voulais, au fond, ne pas avoir un regard universitaire sur lui. Je relisais ses écrits et je me suis arrêtée sur ce fameux geste de Gilberte dont Proust ne dit rien. J’ai parlé à des spécialistes et ils en sont à se demander quel était ce fameux geste. Je suis une fan de Proust mais en même temps, il y a une dimension sociale qui m’est insupportable. La façon dont il parle de Françoise… Il y a des phrases terribles où il compare tout de même sa façon de regarder le monde à celle d’un chien. Une sorte de vie inférieure. Il y a là quelque chose de profondément douloureux pour moi car, si beaucoup de lecteurs considèrent que Françoise n’a rien à voir avec leur vie, pour moi, profondément, Françoise, c’est tous mes ascendants. (…) Au début des années 1980, il y a eu un retour de la littérature au réel. Les textes de Pierre Bergounioux, Pierre Michon, Leslie Kaplan ou François Bon incarnaient ce mouvement. Mon premier livre, Les Armoires vides, date de 1974. Là, effectivement, j’étais un peu précurseur. On a considéré ce livre comme un ovni. Dans les années 1970, la littérature des femmes était pourtant très florissante. J’ai poursuivi dans cette voie et La Place a eu le prix Renaudot. Ce livre a tout de suite été remarqué par l’Éducation nationale. Il y a même eu un sujet de Capes qui portait sur La Place ! J’étais devenue un classique, dès la sortie du livre. (…) Je pense qu’écrire relève de la politique, mais il ne contient pas une politique. Les livres ne sont jamais des manifestes. Dans Les Années, certains ont tiqué et ont pointé du doigt le regard de gauche. Je ne voyais pas comment j’aurais pu tenir une sorte de balance… De toute façon, Les Années, c’est une mémoire collective, mais depuis une mémoire individuelle. Je ne suis pas allé puiser dans Internet ou dans les mémoires écrits. C’est à travers tout ce que ma mémoire retient, notamment ce que mes parents m’ont dit sur la guerre de 14, les corps de ferme. Mais je n’ai jamais cherché l’objectivité dans ce genre de livre. (…) J’ai été fortement marquée par l’éducation reçue dans un pensionnat et par ma mère qui était une vraie catholique. Je fais mon salut en écrivant. Il s’agit de sauver dans tous les sens : sauver son âme mais aussi garder, protéger de la disparition. Pourquoi suis-je venue au monde ? Il y avait quelque chose à faire et ce que je pouvais faire de mieux, c’était écrire. Assez tôt, j’ai eu cette conviction. À 20 ans. Avant, je n’avais pas le sens de vouloir sauver le monde. (…) [Etre régulièrement citée pour le prix Nobel] Ce n’est pas un cadeau. Je n’aime pas du tout ce système de prix. C’est malsain. Chaque année, je vois bien à quel point cela obsède les écrivains qui attendent. Il y a toujours une hiérarchisation en France. Il faut toujours un gagnant. Le prix Goncourt est souvent très difficile à gérer avec cette peur du livre d’après… Même moi, après La Place, j’ai souvent été perturbée. Le prix Marguerite-Yourcenar, c’est autre chose, c’était un prix pour l’ensemble. Quant au Nobel, c’est faire partie d’une brochette… Ça n’a pas beaucoup de sens au regard du temps. Je me souviens d’une Suédoise, Sigrid Undset, qui a eu le Nobel dans les années 1920. Quand je l’ai découverte, c’était ses livres qui comptaient. C’est cela qui fait que l’on reste, ce n’est pas le titre, mais la valeur des textes. Annie Ernaux
[Se réconcilier ?] Eh bien non, c’est pas possible. Je me dis que voilà, la coupure est à l’intérieur de moi. Ce sont deux mondes irréductibles. La lutte des classes est en moi. J’ai un mode de vie, une façon physique d’apparaître qui est celle de la classe dominante, je vais pas me le cacher. Mais je sais quelle était ma vision de petite fille, d’adolescente, et ce n’est pas réconciliable. Ma mémoire est dans un monde et ma vie est dans un autre et ça, c’est insupportable. Voyez, ce matin je sors de chez moi pour prendre le RER, et je vois qu’une grosse maison se construit. Il faisait très froid. Je vois un garçon avec une brouette. Immédiatement, je n’ai pas besoin de penser, me revient que travailler de ses mains c’est dur, c’est très, très dur. J’ai vu mon père travailler de ses mains, et pourtant je viens là, à Gallimard. Il n’y a pas de réconciliation, sinon sur un plan politique. Mais intérieurement, ce n’est pas possible. (…) Je vais pas dire que je me sens traître, mais j’ai tout de suite conscience qu’il y a des mondes ennemis, des classes sociales, qu’il y a de la liberté d’un côté et de l’aliénation de l’autre. Oui, j’ose employer ce terme marxiste, et on va pas me la faire « Mais non, il est très heureux cet homme qui fait des choses de ses mains. » Et en continuant sur le chemin du RER, je me disais : mais pourquoi je pense toujours comme ça ? Ça sert à quoi d’avoir vu ce garçon, d’avoir pensé à ça ? Ça ne m’empêche pas de vous rencontrer, de parler, d’avoir l’usage de la parole, de proférer des choses révoltées. Mais il faut que ça aille au delà. (…) Le dimanche ça dépasse le lieu, l’ennui, l’attente. C’est un trou, le dimanche, c’est métaphysique, le dimanche, c’est un leitmotiv de ce que j’écris. J’aimais beaucoup le mot dimanche quand j’étais petite fille et en même temps, ça a été très lié à des jours sombres, d’avoir l’impression de saisir le cœur du temps de la vie. J’ai commencé d’écrire un dimanche plusieurs fois. C’est là où on devrait se poser toutes les questions possibles, car le travail s’arrête. Tout peut arriver le dimanche. Pendant longtemps il n’y a pas eu de loisirs. Aujourd’hui, les gens fuient. Noël approche et ils vont se précipiter dans les magasins pour éviter cet ennui du dimanche. Quand on fait la révolution, c’est pour qu’il y ait un dimanche, le grand dimanche, non ? (…) [L’argent qui anime les combats ?] Pas seulement. J’ai bien aimé le film de Guédiguian, « Les Neiges du Kilimandjaro ». Il a posé en des termes qui ne sont pas forcément les miens, avec une bonté qui est peut-être excessive (moi j’aurais préféré plus de dureté), cette question de la coupure entre ces jeunes dont les parents sont des petites gens, qui vraiment ont du mal à s’en sortir, et ceux qui sont des héritiers, qui possèdent la culture et les réseaux sociaux. [Qui porte politiquement les attentes, les désirs de ces petites gens ?] Personne, ou alors il faudrait dire, hélas, Marine Le Pen, mais on va pas dire ça… Le Front de Gauche, si, bien sûr, c’est lui seul. Je vais voter Front de Gauche, Mélenchon, car il reprend une parole, communiste mais pas seulement, qu’on n’entendait plus. (…) Quelle conscience avais-je de m’élever en étant bonne élève, en étant la meilleure à l’école ? D’où me venait cette certitude ? Il y avait des injonctions plutôt que des certitudes : « Si tu travailles bien en classe, tu seras mieux que tes parents, tu ne serviras pas au bistrot. » Comme j’étais dans une école privée, il y avait aussi un autre discours : c’est le bon dieu qui m’avait donné l’intelligence, il fallait que j’en fasse quelque chose. C’était un discours valorisant dans le fond. Quand j’ai commencé à enseigner, on avait un discours de l’inné, des dons. Certains sont faits pour réussir et d’autres, non. J’ai participé de cette croyance. Aujourd’hui, je pense que l’école est un instrument de promotion personnelle pour les classes intellectuelles supérieures, pas pour les autres. (…) [dans mes classes les filles ou garçons qui me ressemblaient ?] Je ne faisais rien de particulier, seulement leur donner le plus de confiance possible en eux. Ça se marquait à l’oral, la maîtrise de l’oral, c’est un marqueur d’origine sociale, la facilité de langage. J’ai eu la chance de commencer par des classes qu’on n’appelait pas encore « de relégation », des classes d’aide comptable, de secrétariat. C’était un lycée classique-moderne-technique, dans une petite ville de 7 000 habitants, en Haute-Savoie, avec des élèves très difficiles, des classes de quarante. Et ça a vraiment été un grand choc. Le français pour eux n’était pas aussi important que la compta ou apprendre à taper. Et là, j’ai compris que la culture que je leur transmettais ne s’imposait pas à tous. Et puis et puis il y avait ces sixièmes, où certains parlaient en patois savoyard. Il y avait beaucoup d’enfants d’ouvriers. J’ai vu le décalage immense avec les lycées de centre-ville de Lyon où j’avais fait mes stages. Il y a eu un retournement, moi aussi j’avais été une élève qui ne savait pas s’exprimer, ne comprenait pas les mots que les maîtresses utilisaient. J’ai écrit « Les Armoires vides » en étant professeur. Enseigner m’a vraiment donné envie d’écrire.(…) [Pas eu d’amies quand j’étais étiez jeune ?] . Non… [Pour l’avortement] Il faut se remettre dans les années d’avant Simone Veil, d’avant 68. C’était quelque chose de terriblement honteux, criminel. Ce n’est pas seulement mon cas personnel : la plupart du temps, les filles qui avaient recours, elles ne pouvaient pas l’ébruiter. (…) mais tout de même (…) cette amie du collège qui est en photo dans le livre, nous nous nous sommes revues presque cinquante ans après, et c’est seulement à ce moment que nous avons tout dit de la honte. Et elle, elle avait encore plus honte, c’est seulement là qu’on parle, cinquante ans après. On aurait pu, mais on ne pouvait pas, c’est ça la question. Les dominants ils ont une complicité, ils ont les mêmes intérêts. Tandis que quand on est dominé, comme nous l’étions, sans sentiment de classe politique, on le cachait et on le taisait. Elle était fille de paysan, moi d’épicier. On n’avait pas cette conscience de classe plus active que possédaient mes cousines filles d’ouvriers. Elles étaient plus agressives, plus revendicatives. (…) [A mes parents qui m’ont mise dans une institution privée où je me suis retrouvée totalement isolée et différente des autres] Je leur en ai voulu après être sortie de ce pensionnat. Je voulais en sortir, je ne voulais surtout pas faire ma classe de philo dans cet établissement religieux. Quand je suis arrivée au lycée de Rouen, la souffrance sociale que je vivais à Saint-Michel a continué, et s’est même aggravée, c’est ça qui était terrible. Rouen, c’était un lycée bourgeois dans une ville bourgeoise. Les professeurs étaient infiniment supérieurs à ceux de mon établissement précédent, en français, en histoire-géo n’en parlons pas, en physique. Vraiment, il régnait un état d’esprit tellement plus ouvert. De l’autre côté, il y avait dans cette classe de philo une majorité de filles de la grande bourgeoisie de Rouen, trois filles de médecins, la fille du préfet. C’était impalpable, mais ça contredisait l’idéal égalitaire de l’école laïque publique. Elles ne disaient pas bonjour, elles formaient des petits groupes, je n’en étais pas. A Rouen, j’ai eu une amie durant deux, trois ans, fille de représentant. Et là vous touchez quelque chose d’assez intime : elle ne m’a jamais invitée chez elle. Après, j’y ai pensé. Elle devait avoir une forme de honte, comme moi, mais moi, je l’ai invitée chez moi. Vous savez, c’est un sentiment de honte le sentiment de classe, de mon temps c’était très diffus, on éprouvait ça de façon solitaire, personnelle. (…) A l’âge où j’ai envie d’aller avec les garçons, il est évident que je ne veux pas aller avec un ouvrier. Je fais mon petit barème intérieur, je dois dire c’est assez stupide, je me fonde sur des critères nuls : la façon de s’habiller, de parler, pour m’apercevoir que ce sont des cruches. C’est vrai, je capte leurs codes, j’essaye de savoir si ça vaut le coup. [Ce qui n’était pas possible avec les amies, ce rapprochement, devient possible avec la sexualité] Jusqu’à un certain point. A une époque où on se marie, venant d’où je viens, il ne peut pas être question que j’épouse quelqu’un de bourgeois. Et pourtant, je le ferai quand même. (…) Ma mère, la perdre, c’est vraiment perdre quelque chose d’immense, son corps. C’est perdre une forme de double de soi, celle qui était en tant que femme avant moi, et ça se joue sur tous les plans, un plan charnel, le plan de la loi – ma mère était la loi : ce qu’il faut faire et pas faire, elle était comme Dieu. Elle est morte, Dieu est mort aussi. Mon père, lui, représente ma classe sociale, la classe dont je suis issue. C’est quelqu’un qui portait le monde paysan, le monde auquel ma mère voulait échapper, et elle a tout fait pour y échapper. Mon père non, et il avait aussi une culture ouvrière. Très certainement il était animé par une haine de classe à l’égard de la bourgeoisie. La honte qui le nourrissait, je la raconte. Un voyage-pèlerinage à Lourdes, une scène dans un restaurant où les gens riches du groupe sont bien servis car ils prennent le menu à la carte, et nous, personne ne prête attention à nous car nous sommes au menu. Il ressortait ça souvent, avec des mots d’une extrême violence sur les « bonnes femmes couvertes de bijoux ». Etre orpheline de son père, c’est être dépositaire de cette haine de classe, encore plus. (…) Je revis souvent des situations où je me sens exclue, alors que je ne le suis pas. C’est parce que je ne suis pas à ma place, je ne me sens pas à ma place, d’une façon ou d’une autre. Et maintenant, ça ne m’intéresse pas, je n’en souffre plus car ça ne m’intéresse pas d’appartenir à ce monde. Je n’ai jamais voulu en faire partie, sauf au moment où j’ai voulu y accéder. Mais à peine entrée, je n’ai eu de cesse de vouloir en sortir. [« Le luxe c’est de pouvoir vivre une passion. »] J’écris ça à la fin de « Passion simple ». Au moment où je vis cette passion et où je l’écris, je suis également très engagée contre la guerre du Golfe. Mais oui, à un moment la vie amoureuse prend le dessus, dans l’écriture, mais pas dans la vie réelle. La passion amoureuse et la révolte politique, cela va de pair. (…) La sexualité, l’usage de la sexualité, l’acte sexuel a une sorte de vertu pour moi de dégrisement, de vision froide, comme si on atteignait le cœur des choses, que ni le bien ni le mal n’existent. C’est cette expérience-là, et pour moi presque toujours, c’était le désir d’écrire après, de façon violente. L’acte sexuel permet d’accéder à la connaissance, que ça soit du bien ou du mal, peu importe. (…) Il n’y a pas que l’écriture qui sauve… J’ai fait partie de cette génération en 68 qui pensait : il faut faire table rase. Justement non, je crois qu’il faut transmettre. Par un mode de vie qui serait différent, qui ne soit pas dans l’urgence ni l’effacement permanent de ce qui vient de se passer, dans la consommation. Où les gens trouvent-ils le temps de réfléchir, de faire des liens ? On ne peut pas échapper à la politique et il faut y réfléchir. Cette période que nous vivons, avant la présidentielle, ça me paraît nul comme période, et je crois que la majorité des gens le savent. Ça ne va rien changer, on s’étourdit avec ça, c’est une imposture. Entre Nicolas Sarkozy et François Hollande, je ne vois pas assez de différences. (…) Très souvent, vous voyez, on se demande pourquoi est-ce qu’on vit comme ça. Pourquoi est-ce qu’on se laisse complétement avoir par les dimanches où on va tous se précipiter dans les magasins, on va profiter des bons de réduction, des promotions. Comment casser ça, comment trouver plus de plaisir à faire la révolution qu’à aller acheter dans les magasins le dimanche ? Annie Ernaux (2016)
Les tours jumelles de Manhattan s’effondrant l’une après l’autre. On ne parvenait pas à sortir de la sidération, on en jouissait via les portables avec le maximum de gens. D’un seul coup, la représentation du monde basculait cul par dessus tête, quelques individus juste armés de cutters, avaient rasé en moins de deux heures les symboles de la puissance américaine. Le prodige de l’exploit émerveillait. Annie Ernaux (2011)
Je considère que c’est un très grand honneur qu’on me fait et, pour moi, en même temps, une grande responsabilité, une responsabilité qu’on me donne en me donnant le prix Nobel (…) c’est-à-dire de témoigner (…) d’une forme de justesse, de justice, par rapport au monde. Annie Ernaux
Quand je rentre à Paris, une fois par an, je vois trop de blancs. Annie Ernaux (2021)
Une fois de plus, on a frôlé l’affaire d’Etat, l’embrasement de la France comme naguère avec le burkini au motif qu’une entreprise française, Decathlon, a envisagé de commercialiser le hijab de course destiné aux filles et femmes musulmanes. Des bords de la droite et de l’extrême droite, du Modem, du Parti socialiste et de membres du gouvernement – des femmes notamment – ce fut à qui dénoncerait le plus fort ce funeste dessein. Le responsable de la communication de l’entreprise eut beau arguer que cette pièce de vêtement était destinée «à rendre le sport accessible pour toutes les femmes dans le monde», il y a eu consensus pour signifier tacitement que, en France, il en allait tout autrement, le port du voile contrevenant aux valeurs de la République. Des mails haineux et des menaces physiques à l’égard des vendeurs ont entraîné le retrait du projet par Decathlon et la réaction soulagée de Muriel Pénicaud, comme si la France venait d’échapper à un grand péril : «Heureusement qu’ils ont reculé.» A noter que personne ne s’est élevé contre la violence déployée à l’égard des employés de Decathlon, faute de pouvoir s’en prendre à celles qui portent le hijab. Si quelques voix ont souligné la liberté d’une entreprise privée de vendre ce qu’elle veut, d’autres rappelé que c’est l’Etat qui est laïque et non pas les individus, lesquels ont le droit d’arborer les signes d’une pratique religieuse (la loi de 1905 n’a pas obligé les prêtres à enlever leur soutane ni les religieuses leur voile), il n’a pas été fait mention de cette violence infligée, une nouvelle fois, à une partie des femmes qui vivent, travaillent, étudient sur le sol français, qui sont une composante de notre société. Violence, parce que sous couvert de défendre la liberté et l’égalité, dans les faits on tente de limiter le droit des femmes qui portent le hijab, ici, à faire du sport, là à chanter dans un télé-crochet (Mennel), à militer (Maryam Pougetoux), à accompagner des enfants en sortie scolaire (et se souvient-on de ce projet d’une sénatrice socialiste d’interdire le voile, dans leur domicile, aux assistantes maternelles ?), naguère à fréquenter les plages et se baigner. Bref, c’est de la vie collective qu’on cherche à les écarter. Violence, parce que dans cet épisode qui les concerne, elles, au premier chef, nul, dans les médias, à ma connaissance, ne s’est avisé de leur donner la parole (1). Qu’avaient-elles à dire sur cette possibilité de pratiquer le sport conformément à leur croyance ? Qu’éprouvaient-elles à entendre les propos stigmatisants proférés tous azimuts ? Tout se passe comme s’il n’y avait personne sous le «voile», pas d’être humain capable de réfléchir, de sentir, et de s’exprimer. La femme comme individu disparaît. On la réduit purement et simplement à un objet chargé, outre de sa signification musulmane – mais n’en doutons pas, à cause d’elle – d’un tombereau de symboles, soumission, archaïsme, étendard politique de l’islamisme, voire du jihad. En se référant à Simone de Beauvoir, on peut dire que sous le voile la femme n’est plus son corps, qu’il a disparu entièrement sous autre chose qu’elle (2). Plus que d’autres épisodes, celui du Decathlon me laisse une impression boueuse, parce que j’ai entendu trop de femmes politiques s’insurger contre le hijab et pas assez défendre la liberté de le porter. Parce que, de plus en plus, lorsque je croise une femme en hijab dans le bus ou à l’hypermarché, je peux, me mettant à sa place, penser que j’ai, dans la France d’aujourd’hui, le visage de son exclusion. Je pose la question, celle-là même que l’on met en avant pour faire valoir la liberté d’un choix existentiel : pourquoi refuser d’accorder aux individus un droit qui ne retire rien aux autres ? Comment nous, femmes féministes, qui avons réclamé le droit à disposer de notre corps, qui avons lutté et qui luttons toujours pour décider librement de notre vie pouvons-nous dénier le droit à d’autres femmes de choisir la leur ? Où est la sororité qui a permis, par exemple, la fulgurante expansion du mouvement #MeToo ? L’empathie, la solidarité cessent dès qu’il s’agit des musulmanes en hijab : elles sont le continent noir du féminisme. Ou plutôt d’un certain féminisme qui fait la guerre à d’autres femmes au nom d’une laïcité devenue le mantra d’un dogme qui dispense de toute autre considération. Si l’idée de me couvrir d’un voile – et plus encore celle que mes petites-filles le fassent – m’est profondément et intimement inimaginable, il me faut accepter que l’inverse, ne pas vouloir sortir sans hijab, puisse être vécu de la même manière absolue, intransigeante, quoi qu’il m’en coûte au regard de ce qu’est pour moi la liberté et une vie libre de femme. Qui suis-je pour obliger d’autres femmes à se libérer sans délai de la domination masculine ? Examiner loyalement son trajet personnel sous l’angle de la soumission et de la révolte à l’égard de celle-ci rabat l’orgueil et entame les certitudes. Je ne suis pas née féministe, je le suis devenue. N’y a-t-il pas de quoi échanger entre nous sur les images de notre identité sexuelle, sur le contrôle du corps féminin, l’injonction de le dévoiler ou le cacher, l’impératif impossible de rester toujours jeune ? Briser l’ignorance réciproque. Se parler comme le font ces adolescentes, l’une voilée et l’autre pas, que l’on voit marchant et riant ensemble dans les rues et les centres commerciaux. J’entends déjà les rires condescendants sur ma naïveté, les arguments définitifs qu’on m’assènera. Ni rire, ni pleurer, ni haïr mais comprendre, je reste fidèle au principe de Spinoza. Vouloir comprendre le sens de la pratique du hijab, ici et maintenant, c’est ne pas le séparer de la situation dominée des immigrés en France, ni par ailleurs des bouleversements, des mutations, de l’anomie même, des sociétés occidentales actuelles. C’est reconnaître dans celle qui choisit de le porter la revendication visible d’une identité, la fierté des humiliés. Annie Ernaux
Cette phrase, je n’ai pas besoin de la chercher loin. Elle surgit. Dans toute sa netteté, sa violence. Lapidaire. Irréfragable. Elle a été écrite il y a soixante ans dans mon journal intime. « J’écrirai pour venger ma race. » Elle faisait écho au cri de Rimbaud : « Je suis de race inférieure de toute éternité. » J’avais 22 ans. J’étais étudiante en lettres dans une faculté de province, parmi des filles et des garçons pour beaucoup issus de la bourgeoisie locale. Je pensais orgueilleusement et naïvement qu’écrire des livres, devenir écrivain, au bout d’une lignée de paysans sans terre, d’ouvriers et de petits commerçants, de gens méprisés pour leurs manières, leur accent, leur inculture, suffirait à réparer l’injustice sociale de la naissance. Qu’une victoire individuelle effaçait des siècles de domination et de pauvreté, dans une illusion que l’Ecole avait déjà entretenue en moi avec ma réussite scolaire. (…) La cherté des livres, la suspicion dont ils faisaient l’objet dans mon école religieuse me les rendaient encore plus désirables. Don Quichotte, Voyages de Gulliver, Jane Eyre, contes de Grimm et d’Andersen, David Copperfield, Autant en emporte le vent, plus tard Les Misérables, Les Raisins de la colère, La Nausée, L’Etranger : c’est le hasard, plus que des prescriptions venues de l’Ecole, qui déterminait mes lectures. (…) Ce sont des situations de la vie où être une femme pesait de tout son poids de différence avec être un homme dans une société où les rôles étaient définis selon les sexes, la contraception interdite et l’interruption de grossesse un crime. En couple avec deux enfants, un métier d’enseignante, et la charge de l’intendance familiale, je m’éloignais de plus en plus chaque jour de l’écriture et de ma promesse de venger ma race. Je ne pouvais lire « la parabole de la loi » dans Le Procès, de Kafka, sans y voir la figuration de mon destin : mourir sans avoir franchi la porte qui n’était faite que pour moi, le livre que seule je pourrais écrire. Mais c’était sans compter sur le hasard privé et historique. La mort d’un père qui décède trois jours après mon arrivée chez lui en vacances, un poste de professeur dans des classes dont les élèves sont issus de milieux populaires semblables au mien, des mouvements mondiaux de contestation : autant d’éléments qui me ramenaient par des voies imprévues et sensibles au monde de mes origines, à ma « race », et qui donnaient à mon désir d’écrire un caractère d’urgence secrète et absolue. Il ne s’agissait pas, cette fois, de me livrer à cet illusoire « écrire sur rien » de mes 20 ans, mais de plonger dans l’indicible d’une mémoire refoulée et de mettre au jour la façon d’exister des miens. Ecrire afin de comprendre les raisons en moi et hors de moi qui m’avaient éloignée de mes origines. Aucun choix d’écriture ne va de soi. Mais ceux qui, immigrés, ne parlent plus la langue de leurs parents, et ceux qui, transfuges de classe sociale, n’ont plus tout à fait la même, se pensent et s’expriment avec d’autres mots, tous sont mis devant des obstacles supplémentaires. Un dilemme. Ils ressentent, en effet, la difficulté, voire l’impossibilité d’écrire dans la langue acquise, dominante, qu’ils ont appris à maîtriser et qu’ils admirent dans ses œuvres littéraires, tout ce qui a trait à leur monde d’origine, ce monde premier fait de sensations, de mots qui disent la vie quotidienne, le travail, la place occupée dans la société. Il y a d’un côté la langue dans laquelle ils ont appris à nommer les choses, avec sa brutalité, avec ses silences, celui, par exemple, du face-à-face entre une mère et un fils, dans le très beau texte d’Albert Camus Entre oui et non. De l’autre, les modèles des œuvres admirées, intériorisées, celles qui ont ouvert l’univers premier et auxquelles ils se sentent redevables de leur élévation, qu’ils considèrent même souvent comme leur vraie patrie. Dans la mienne figuraient Flaubert, Proust, Virginia Woolf : au moment de reprendre l’écriture, ils ne m’étaient d’aucun secours. Il me fallait rompre avec le « bien-écrire », la belle phrase, celle-là même que j’enseignais à mes élèves, pour extirper, exhiber et comprendre la déchirure qui me traversait. Spontanément, c’est le fracas d’une langue charriant colère et dérision, voire grossièreté, qui m’est venu, une langue de l’excès, insurgée, souvent utilisée par les humiliés et les offensés, comme la seule façon de répondre à la mémoire des mépris, de la honte et de la honte de la honte. (…) Venger ma race et venger mon sexe ne feraient qu’un désormais.  (…) j’ai adopté, à partir de mon quatrième livre, une écriture neutre, objective, « plate » en ce sens qu’elle ne comportait ni métaphores ni signes d’émotion. La violence n’était plus exhibée, elle venait des faits eux-mêmes et non de l’écriture. Trouver les mots qui contiennent à la fois la réalité et la sensation procurée par la réalité allait devenir, jusqu’à aujourd’hui, mon souci constant en écrivant, quel que soit l’objet. Continuer à dire « je » m’était nécessaire. (…) Il est bon de rappeler que le « je », jusque-là privilège des nobles racontant des hauts faits d’armes dans des Mémoires, est en France une conquête démocratique du XVIIIe siècle, l’affirmation de l’égalité des individus et du droit à être sujet de leur histoire, ainsi que le revendique Jean-Jacques Rousseau dans ce premier préambule des Confessions : « Et qu’on n’objecte pas que n’étant qu’un homme du peuple je n’ai rien à dire qui mérite l’attention des lecteurs. (…) Dans quelque obscurité que j’aie pu vivre, si j’ai pensé plus et mieux que les rois, l’histoire de mon âme est plus intéressante que celle des leurs. » (…) Ecrivant dans un pays démocratique, je continue de m’interroger, cependant, sur la place occupée par les femmes, y compris dans le champ littéraire. Leur légitimité à produire des œuvres n’est pas encore acquise. Il y a en France et partout dans le monde des intellectuels masculins, pour qui les livres écrits par les femmes n’existent tout simplement pas, ils ne les citent jamais. La reconnaissance de mon travail par l’Académie suédoise constitue un signal de justice et d’espérance pour toutes les écrivaines. Dans la mise au jour de l’indicible social, cette intériorisation des rapports de domination de classe et/ou de race, de sexe également, qui est ressentie seulement par ceux qui en sont l’objet, il y a la possibilité d’une émancipation individuelle mais également collective. Déchiffrer le monde réel en le dépouillant des visions et des valeurs dont la langue, toute langue, est porteuse, c’est en déranger l’ordre institué, en bouleverser les hiérarchies. (…) Dans le monde actuel, où la multiplicité des sources d’information, la rapidité du remplacement des images par d’autres accoutument à une forme d’indifférence, se concentrer sur son art est une tentation. Mais, dans le même temps, il y a en Europe – masquée encore par la violence d’une guerre impérialiste menée par le dictateur à la tête de la Russie – la montée d’une idéologie de repli et de fermeture, qui se répand et gagne continûment du terrain dans des pays jusqu’ici démocratiques. Fondée sur l’exclusion des étrangers et des immigrés, l’abandon des économiquement faibles, sur la surveillance du corps des femmes, elle m’impose, à moi, comme à tous ceux pour qui la valeur d’un être humain est la même, toujours et partout, un devoir de vigilance. Quant au poids du sauvetage de la planète, détruite en grande partie par l’appétit des puissances économiques, il ne saurait peser, comme il est à craindre, sur ceux qui sont déjà démunis. Le silence, dans certains moments de l’Histoire, n’est pas de mise. (..) Si je me retourne sur la promesse faite à 20 ans de venger ma race, je ne saurais dire si je l’ai réalisée. C’est d’elle, de mes ascendants, hommes et femmes durs à des tâches qui les ont fait mourir tôt, que j’ai reçu assez de force et de colère pour avoir le désir et l’ambition de lui faire une place dans la littérature, dans cet ensemble de voix multiples qui, très tôt, m’a accompagnée en me donnant accès à d’autres mondes et d’autres pensées, y compris celle de m’insurger contre elle et de vouloir la modifier. Pour inscrire ma voix de femme et de transfuge social dans ce qui se présente toujours comme un lieu d’émancipation, la littérature. Annie Ernaux
Et qu’on n’objecte pas que n’étant qu’un homme du peuple je n’ai rien à dire qui mérite l’attention des lecteurs. (…) Dans quelque obscurité que j’aie pu vivre, si j’ai pensé plus et mieux que les rois, l’histoire de mon âme est plus intéressante que celle des leurs. Rousseau (Confessions)
J’ai résumé L’Étranger, il y a longtemps, par une phrase dont je reconnais qu’elle est très paradoxale : “Dans notre société tout homme qui ne pleure pas à l’enterrement de sa mère risque d’être condamné à mort.” Je voulais dire seulement que le héros du livre est condamné parce qu’il ne joue pas le jeu. En ce sens, il est étranger à la société où il vit, où il erre, en marge, dans les faubourgs de la vie privée, solitaire, sensuelle. Et c’est pourquoi des lecteurs ont été tentés de le considérer comme une épave. On aura cependant une idée plus exacte du personnage, plus conforme en tout cas aux intentions de son auteur, si l’on se demande en quoi Meursault ne joue pas le jeu. La réponse est simple : il refuse de mentir. (…) Meursault, pour moi, n’est donc pas une épave, mais un homme pauvre et nu, amoureux du soleil qui ne laisse pas d’ombres. Loin qu’il soit privé de toute sensibilité, une passion profonde parce que tenace, l’anime : la passion de l’absolu et de la vérité. Il s’agit d’une vérité encore négative, la vérité d’être et de sentir, mais sans laquelle nulle conquête sur soi et sur le monde ne sera jamais possible. On ne se tromperait donc pas beaucoup en lisant, dans L’Étranger, l’histoire d’un homme qui, sans aucune attitude héroïque, accepte de mourir pour la vérité. Il m’est arrivé de dire aussi, et toujours paradoxalement, que j’avais essayé de figurer, dans mon personnage, le seul Christ que nous méritions. On comprendra, après mes explications, que je l’aie dit sans aucune intention de blasphème et seulement avec l’affection un peu ironique qu’un artiste a le droit d’éprouver à l’égard des personnages de sa création. Albert Camus (préface américaine à L’Etranger, 1955)
Le thème du poète maudit né dans une société marchande (…) s’est durci dans un préjugé qui finit par vouloir qu’on ne puisse être un grand artiste que contre la société de son temps, quelle qu’elle soit. Légitime à l’origine quand il affirmait qu’un artiste véritable ne pouvait composer avec le monde de l’argent, le principe est devenu faux lorsqu’on en a tiré qu’un artiste ne pouvait s’affirmer qu’en étant contre toute chose en général. Albert Camus (discours de Suède, 1957)
Personne ne nous fera croire que l’appareil judiciaire d’un Etat moderne prend réellement pour objet l’extermination des petits bureaucrates qui s’adonnent au café au lait, aux films de Fernandel et aux passades amoureuses avec la secrétaire du patron. (…) Le besoin de se justifier hante toute la littérature moderne du «procès». Mais il y a plusieurs niveaux de conscience. Ce qu’on appelle le «mythe» du procès peut être abordé sous des angles radicalement différents. Dans L’Etranger, la seule question est de savoir si les personnages sont innocents ou coupables. Le criminel est innocent et les juges coupables. Dans la littérature traditionnelle, le criminel est généralement coupable et les juges innocents. La différence n’est pas aussi importante qu’il le semble. Dans les deux cas, le Bien et le Mal sont des concepts figés, immuables : on conteste le verdict des juges, mais pas les valeurs sur lesquelles il repose. La Chute va plus loin. Clamence s’efforce de démontrer qu’il est du côté du bien et les autres du côté du mal, mais les échelles de valeurs auxquelles il se réfère s’effondrent une à une. Le vrai problème n’est plus de savoir «qui est innocent et qui est coupable?», mais « pourquoi faut-il continuer à juger et à être jugé? ». C’est là une question plus intéressante, celle-là même qui préoccupait Dostoïevski. Avec La Chute, Camus élève la littérature du procès au niveau de son génial prédécesseur. Le Camus des premières oeuvres ne savait pas à quel point le jugement est un mal insidieux et difficile à éviter. Il se croyait en-dehors du jugement parce qu’il condamnait ceux qui condamnent. En utilisant la terminologie de Gabriel Marcel, on pourrait dire que Camus considérait le Mal comme quelque chose d’extérieur à lui, comme un «problème» qui ne concernait que les juges, alors que Clamence sait bien qu’il est lui aussi concerné. Le Mal, c’est le «mystère» d’une passion qui en condamnant les autres se condamne elle-même sans le savoir. C’est la passion d’Oedipe, autre héros de la littérature du procès, qui profère les malédictions qui le mènent à sa propre perte. (…) L’étranger n’est pas en dehors de la société mais en dedans, bien qu’il l’ignore. C’est cette ignorance qui limite la portée de L’Etranger tant au point de vue esthétique qu’au point de vue de la pensée. L’homme qui ressent le besoin d’écrire un roman-procès n’ appartient pas à la Méditerranée, mais aux brumes d’Amsterdam. Le monde dans lequel nous vivons est un monde de jugement perpétuel. C’est sans doute le vestige de notre tradition judéo-chrétienne. Nous ne sommes pas de robustes païens, ni des juifs, puisque nous n’avons pas de Loi. Mais nous ne sommes pas non plus de vrais chrétiens puisque nous continuons à juger. Qui sommes-nous? Un chrétien ne peut s’empêcher de penser que la réponse est là, à portée de la main : «Aussi es-tu sans excuse, qui que tu sois, toi qui juges. Car en jugeant autrui, tu juges contre toi-même : puisque tu agis de même, toi qui juges». Camus s’était-il aperçu que tous les thèmes de La Chute sont contenus dans les Epîtres de saint Paul ? (…) Meursault était coupable d’avoir jugé, mais il ne le sut jamais. Seul Clamence s’en rendit compte. On peut voir dans ces deux héros deux aspects d’un même personnage dont le destin décrit une ligne qui n’est pas sans rappeler celle des grands personnages de Dostoïevski. (…) Pour faire de Meursault un martyr, il faut lui faire commettre un acte vraiment répréhensible, mais pour lui conserver la sympathie du lecteur, il faut préserver son innocence (…) On nous conduit insensiblement à l’incroyable conclusion que le héros est condamné à mort non pour le crime dont il est accusé et dont il est réellement coupable, mais à cause de son innocence que ce crime n’a pas entachée, et qui doit rester visible aux yeux de tous comme si elle était l’attribut d’une divinité. René Girard (Critiques dans un souterrain, 1968/1976)
Il semble que la célébration de Mme Ernaux soit devenue obligatoire en France. Son dernier livre, Mémoire de fille, est unanimement salué par une critique béate. Le public suit. Les éditions Gallimard ont rassemblé son œuvre en un gros volume sous le titre: Ecrire la vie. La Pléiade est pour bientôt, le Nobel imminent, l’Académie s’impatiente, et ma fille l’étudie au lycée. Une suggestion à François Hollande: ouvrir le Panthéon aux vivants, spécialement pour Mme Ernaux. Seul Maxime Gorki a connu une gloire comparable, dans l’URSS des années 30. Il est permis de se méfier d’une telle sanctification collective. Récapitulons: en un demi-siècle, Annie Ernaux a successivement écrit sur son père, sa mère, son amant, son avortement, la maladie de sa mère, son deuil, son hypermarché. Cette fois c’est sur son dépucelage raté durant l’été 1958, en colonie de vacances, quand elle s’appelait Annie Duchesne. L’événement est raconté à cinquante ans de distance avec un sérieux inouï. Ce qui est étonnant avec Mme Ernaux, c’est à quel point ses livres, qui ne cessent de revenir sur ses origines modestes, ne le sont pas. C’est l’histoire d’un écrivain qui s’est installé au sommet de la société en passant sa vie à ressasser son injustice sociale. Ce dolorisme des origines révèle en réalité une misère de l’embourgeoisement. C’est comme si elle refusait d’admettre qu’elle s’en est très bien sortie ; 2016 n’effacera jamais 1958. Statufiée, Annie Ernaux prend son lecteur pour un abruti Mme Ernaux invente la plainte qui frime, la lamentation sûre d’elle. C’est regrettable, car il y a des bribes à sauver dans ce galimatias autosatisfait: «C’était un été sans particularité météorologique» sonne très modianesque ; et cet autoportrait «au total une jolie fille mal coiffée» évoque Sagan. Mais Sagan n’aurait jamais ajouté: «Je la sais dans la solitude intrépide de son intelligence.» A chaque fois que Mme Ernaux trouve quelque chose de beau, elle le gâte par une explication de texte laborieuse. Autre exemple: «Elle attend de vivre une histoire d’amour» est une phrase charmante, qui contient tout, y compris la déception à venir. Pourquoi ajouter: «il faut continuer, définir le terrain – social, familial et sexuel» comme si l’on devait se farcir un commentaire composé du bac français? A force d’être statufiée, Annie Ernaux prend son lecteur pour un abruti. Elle annihile son talent en le noyant sous sa propre exégèse fascinée. On regrette l’écrivain qu’elle a failli être, le livre qu’elle a failli écrire, la légèreté qu’elle se refuse depuis cet été 1958. Frédéric Beigbeder (2016)
Dans une tribune parue la semaine dernière dans Libération, la romancière Annie Ernaux revient sur la polémique autour du hijab de running et sur « l’embrasement de la France » qui s’ensuivit, selon ses propres mots. Pour Annie Ernaux, la violence, ce n’est pas de forcer certaines femmes à porter le hijab, ce n’est pas non plus de vouloir en affubler certaines fillettes, mais c’est de refuser la commercialisation d’un vêtement qui les enferme dans une identité. « Il n’a pas été fait mention de cette violence infligée, une nouvelle fois, à une partie des femmes qui vivent, travaillent, étudient sur le sol français, qui sont une composante de notre société », écrit-elle, affirmant ensuite que « c’est de la vie collective qu’on cherche à les écarter », et ne voyant pas combien l’emploi même des expressions « étudient sur le sol français » et « composante de notre société » met d’emblée ces femmes à part et fait d’elles des citoyennes de seconde zone. Comme lors de la polémique sur le burkini, il ne viendrait jamais à l’esprit de ces défenseurs du voile de se demander comment faisaient ces mêmes femmes avant que ces articles soient commercialisés, voire qu’ils existent. Si on les écoutait, on finirait par croire que jusqu’ici aucune Française de confession musulmane n’a jamais pu ni aller courir ni se baigner sur notre sol. « La loi de 1905 n’a pas obligé les prêtres à enlever leur soutane ni les religieuses leur voile », justifie Annie Ernaux, confondant allègrement citoyen lambda et représentant religieux. La romancière déplore ensuite « que dans cet épisode qui les concerne, elles, au premier chef, nul, dans les médias, à [sa] connaissance, ne s’est avisé de leur donner la parole », comme si les citoyennes de confession musulmane étaient toutes les mêmes et avaient nécessairement le même avis sur le hijab de running, le voile et la religion en général. C’est fou comme à chaque argument d’Annie Ernaux on sent à la fois une profonde connaissance du sujet mais également la volonté d’éviter tout cliché, comme lorsqu’elle fait le vœu que les adultes puissent « échanger » sur le sujet, « se parler, écrit-elle, comme le font ces adolescentes, l’une voilée et l’autre pas, que l’on voit marchant et riant ensemble dans les rues et les centres commerciaux » : c’est beau comme une pub des Inconnus pour Benetton. Mais Annie Ernaux ne pouvait pas s’arrêter là. Il fallait, comme tout bon article sur le sujet, rappeler à quel point la France est méchante et à quel point c’est elle qui cherche à instaurer un séparatisme et non pas ceux qui l’appellent de leurs vœux : « Parce que, de plus en plus, lorsque je croise une femme en hijab dans le bus ou à l’hypermarché, je peux, me mettant à sa place, penser que j’ai, dans la France d’aujourd’hui, le visage de son exclusion. » Par un de ces prodigieux renversements dont les défenseurs invétérés du voile ont le secret, ce seraient les contempteurs de ce fameux « bout de tissu » qui seraient responsables de la disparition de la femme sous son voile et de sa perte d’identité : « Tout se passe comme s’il n’y avait personne sous le « voile », pas d’être humain capable de réfléchir, de sentir, et de s’exprimer. La femme comme individu disparaît. On la réduit purement et simplement à un objet chargé, outre de sa signification musulmane – mais n’en doutons pas, à cause d’elle – d’un tombereau de symboles, soumission, archaïsme, étendard politique de l’islamisme, voire du jihad. »« Pourquoi refuser d’accorder aux individus un droit qui ne retire rien aux autres ? », s’interroge ensuite la romancière. C’est vrai qu’il n’y a, sur la planète, aucune femme qui se bat pour avoir le droit d’enlever son voile. « Qui suis-je pour obliger d’autres femmes à se libérer sans délai de la domination masculine ? », demande-t-elle pour finir. Peut-être une citoyenne française héritière de la laïcité à la française, d’une laïcité qui a toujours refusé, contrairement aux pays anglo-saxons, de se soumettre au marché et qui a préféré défendre son modèle républicain, notamment l’égalité entre les hommes et les femmes. Samuel Piquet
La liaison amoureuse qu’elle nous rapporte l’unit pendant deux ans en toute fin du XXe siècle à un étudiant qui était son cadet de trente ans et qui s’est épris d’elle de façon fervente ; de plus, ladite aventure va nous être narrée en juste 40 pages (dans la collection Blanche de Gallimard) avec force détails qui sont d’ailleurs de lecture plaisante. Pour rappel, Ernaux est issue de la classe populaire. Or, l’âge adulte étant largement venu et s’accompagnant d’une aisance acquise via d’importants droits d’auteur, l’autrice se retrouve parfaitement bourgeoise, jusqu’à faire visiter à son jeune amant désargenté belles villes et belles plages aux quatre coins de l’Europe ; reste qu’entre les deux amants subsiste ce gap de trente ans parfois lourd à porter. On serait tenté de dire que la présente fiction telle qu’elle fut vécue offre un caractère expérimental : qu’arrive-t-il lorsqu’une femme mûre se lie avec un « jeune » et se donne à voir à son bras en maints endroits — restaurants, plages ou autres — imitant les agissements de quantité de mâles adultes s’accompagnant de très jeunes femmes, parfois même de gamines ? Or, le bref roman que nous lisons est celui de la relation inverse, celui de la femme mûre au bras d’un jeune homme, qui ne peut guère que déclencher des « ça ne se fait pas » ou des « ça n’est pas permis ». Et la narratrice de noter : « Devant le couple que nous formions visiblement, les regards se faisaient impudents, frôlaient la sidération, comme devant un assemblage contre nature. Ou un mystère. Ce n’était pas nous qu’ils voyaient, c’était, confusément, l’inceste.» (p. 30). De fait, L’Œdipe façon Sophocle n’est pas loin, comme on peut voir. Le deal dont aime à parler la romancière entre A et elle-même tient du retournement de situation. Elle fut une jeune fille issue de la classe populaire avec des manières et un parler propres à cette classe. Par les études et par son talent d’artiste, elle s’en est sortie. Elle peut s’afficher désormais avec un jeunot mais il est clair que ce n’est guère accepté d’une femme adulte et dominante, sauf à susciter des regards envieux chez des femmes de même âge et de condition semblable. Nous pouvons dire qu’Ernaux est allée à l’école de Pierre Bourdieu, ce qu’elle a d’ailleurs fait, le lisant bien et beaucoup. À quelques endroits, elle relève des gestes et usages de son compagnon, gestes et conduites qu’elle connut elle-même en son jeune temps, chez elle ou chez ses pareilles. Ce que la romancière note avec une grande finesse qui confine par moments à la cruauté, faisant de son amant un « passé incorporé » : « Il était le porteur de la mémoire de mon premier monde. Agiter le sucre dans sa tasse de café pour qu’il fonde plus vite, couper ses spaghettis, détailler une pomme en petits morceaux piqués ensuite au bout du couteau, autant de gestes que je retrouvais en lui, de façon troublante. » (p. 21) Que nombre de fictions puissent ainsi proposer d’excellentes leçons de sociologie, la littérature le sait mieux aujourd’hui et le donne à voir. Annie Ernaux excelle dans cette veine, pour notre plus grand plaisir. Son Jeune homme, qui est un roman-essai très réussi dans sa brièveté même, nous le dit à chaque page et l’on s’en réjouit. Jacques Dubois
Annie Ernaux. 16ème écrivain français à être recomposé et 17ème femme à obtenir la plus haute distinction littéraire au monde. Annie Ernaux succède à l’écrivain tanzanien Abdelrazak Gurnah (2021) et à la poétesse américaine Louise Glück (2020). Elle est récompensée pour « le courage et l’acuité clinique avec laquelle elle découvre les racines, les éloignements et les contraintes collectives de la mémoire personnelle ».  Julie Viers
La tribune signée par des intellectuels et des artistes est un exercice classique dans la vie intellectuelle (et politique). On ne les compte plus. Moi-même, j’en signe. Ça me rassure : je vérifie ainsi que je suis bien un intellectuel (et un artiste). Et que je continue à m’intéresser au monde. Certaines sont plus pertinentes que d’autres, certes. Vous vous souvenez certainement de cette tribune qui, à l’initiative d’Annie Ernaux, a permis de débusquer de son trou le nazi Richard Millet (alias M le maudit). Ce fut un lynchage organisé. L’abject individu en a d’ailleurs perdu son emploi. Bien fait pour lui. Pour une fois qu’une tribune est efficace, il y a de quoi se réjouir ! Et puis j’aime bien les comités d’épuration, ils aident à rendre la justice. La même Ernaux a d’ailleurs appelé depuis au boycott d’Israël. Pierre Jourde
J’en étais à peu près à un livre par jour. Je venais de découvrir Modiano quand j’ai lu La place d’Annie Ernaux. Je pense que c’est la première à m’avoir parlé des femmes comme si elle me parlait de moi. Elle avait une sincérité, une précision dans l’écriture, sans fioritures ni rien, qui m’allait droit au cœur. Je l’ai reçue comme une alter ego. J’avais déjà lu des femmes, Beauvoir, Woolf, Sylvia Plath qui m’attirait, Sarah Bernhardt aussi, Marceline Desbordes-Valmore que j’adorais, et même des récits de prostitution ou de drogue, mais jamais je n’avais accédé à la sensibilité féminine avec cette fluidité, cette véracité, cette intimité contemporaine. À cette époque, je commençais à avoir des amitiés féminines profondes. Je pense qu’Ernaux a contribué à ce que je connaisse mieux les femmes. Je n’ai pas cessé de la lire depuis, parce que j’ai toujours retrouvé en elle quelqu’un de mon temps, qui me parle avec ma langue, des sentiments d’une pudeur et d’une sensibilité que je partage. PS : Après m’être relu, j’ajouterais qu’elle m’a certainement aidé à me comprendre en tant qu’homme. Daniel
J’aime bien la génération de ces filles qui avaient 20 ans en 2000 et qui en ont 40 aujourd’hui – tout le long de ces années, j’ai ressenti un changement dans leurs réflexions, dans leur attitude vis-à-vis des garçons. Leur demande d’égalité est claire. Elles ont remis en question les coutumes des hommes. Je vous parle de choses simples, comme ne jamais se laisser inviter au restaurant mais payer sa part, par exemple, ou revendiquer le fait de voyager n’importe où sans avoir des comptes à rendre ni être importunées – comme diraient ces dames de la pétition, vous vous souvenez ? (Tribune du journal Le Monde du 9 janvier 2018, où un collectif de cent femmes affirmait le rejet d’un certain féminisme sous le titre : « Nous défendons une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle », ndlr) » (…) Je n’aime pas le terme de liberté de parole, car s’il n’y avait que la parole de libérée, ça n’irait pas très loin, or la parole a souvent été libérée, notamment en littérature, et ça n’a rien changé pour les femmes. (…) Ma vie depuis le début a été ombrée par le fait que les filles n’avaient pas les mêmes droits que les garçons. Elles étaient soumises à des lois patriarcales qui envahissaient la société ; lors de mes 20 ans – pour faire bref –, c’était soit le mariage, soit l’avortement. En 1974 j’ai publié Les armoires vides, mon premier roman, et depuis, j’ai avancé sur les deux dimensions, sociales et féministes, la lutte pour la justice sociale et celle contre l’injustice faite aux femmes. Ce sont les deux lignes de mon écriture. Avec beaucoup plus de difficulté, ce sont aussi mes deux lignes de vie – mais enfin, je peux vous dire qu’en ce qui concerne ma vie, c’est nettement plus compliqué ! Parce que quand je relis mon journal intime, qui sera publié après ma mort, j’y vois une succession d’hommes, une succession de problèmes avec les hommes, plutôt. (…)Je suis une femme, et d’une manière générale, les femmes sont beaucoup moins reconnues, c’est indéniable. C’est partout pareil. Dans le domaine littéraire, c’est la même domination masculine qu’ailleurs. Il y a plus d’hommes critiques littéraires, plus de membres de jurys, plus d’éditeurs, plus de patrons ; des hommes avec des grandes gueules. Ils se permettent – ils se permettent… vous savez, j’ai eu ma part d’injures. Colette, Beauvoir ont eu leur lot d’insultes sexistes aussi. Dans les années 90, j’en ai eu même un sacré paquet, notamment pour Passion simple, La honte et Journal du dehors. (…) C’est complexe. Je n’ai jamais donné de gages à ce monde qui me regardait de haut. Je n’ai fait aucune concession. Il y a même des prix que j’ai refusés. Un texte comme La place a eu un grand retentissement, malgré certaines critiques qui trouvaient que c’était populo, une littérature 1930. Avec ce livre, j’ai eu le Renaudot, ça en a embêté plus d’un. Alors, lorsque j’ai sorti Passion simple, ils ont réglé leurs comptes. Un déchaînement. On m’a appelée Madame Ovarie. Il m’est tombé dessus un déluge de commentaires sarcastiques, j’étais l’écrivaine cégétiste qui écrit des livres de dactylo. J’ai eu droit au mépris social – et au mépris sexiste. Le retournement s’est fait avec Les années, mais c’était factice, le mépris est vite revenu, Regarde les lumières mon amour l’a rallumé : qu’essaie-t-elle de faire ? De la littérature dans les supermarchés, ces non-lieux où l’on croise n’importe qui ? On m’a appelée la Madone du RER, aussi. (…) Je ne suis pas en colère (…) Je tâche d’analyser ce qui m’arrive. Une analyse froide, enfin, froide, non, pas trop quand même. Je suis toujours dans la vie, et je suis toujours révoltée, le racisme, le sexisme, l’injustice, voilà, révoltée, c’est le mot. Je ne peux pas me taire. Dans un de mes carnets, il y a cette phrase : « J’écrirai pour venger ma race. » (…) Ça vient de Rimbaud. Il dit : « Je suis de race inférieure de toute éternité. » (3) Je me suis approprié ce mot, race, mais c’est évidemment d’origine sociale que je parle. Je parle de ceux dont je suis issue. (…) Il y a des films tirés de mes textes, mes livres sont étudiés à l’université. Quand on donne à lire La femme gelée, l’histoire d’un couple animé de théories idéales sur l’égalité des sexes rattrapé par les conventions sociales – même si ce livre a quarante ans, ça fait bouger les regards. Oui, je crois que ça sert. La parole a un énorme pouvoir. La parole tue. L’époque où j’étais une jeune fille reste dans ma mémoire comme l’époque des choses sans nom. Elles sont terribles, ces choses sans nom. [Le consentement et La familia grande] Non, je ne les ai pas lus, mais ces récits sont indispensables. Seulement, je n’écris pas… comment dire ? Pas comme ça. Peut-être que si j’avais eu ces mêmes choses à écrire… bien que, dans Mémoire de fille, j’écris, je décris. Je suis très heureuse de l’avoir fait avant #MeToo, pour moi la question était très exactement l’instant du consentement. J’interroge cet instant-là. Pour ma part, je consens à ce qui se passe cette nuit-là. Je consens à tout ce que cet homme me fait. Mais pourquoi ? Et qui était cette fille ? J’avais 70 ans quand j’ai écrit ce texte, et cette fille en avait 18. Je ne suis plus la même, je ne suis plus elle. L’époque n’est plus du tout la même non plus. Jamais à cette époque, ce qui s’est passé cette nuit-là n’aurait été appelé un viol. C’était la règle. Lui, il ne m’a posé aucune question, ça allait de soi. C’était brutal. « Déshabille-toi. » J’obéis. Pourquoi ? Il est plus âgé, c’est le responsable de la colonie de vacances. C’est la loi sauvage. Je suis nue. Son sexe est trop gros pour moi. Il force, ça ne rentre pas. Je crie. Alors, il le met dans ma bouche. Il a cette phrase terrible : « J’aimerais mieux que tu jouisses plutôt que tu gueules. » Dans Le deuxième sexe, Beauvoir dit que toute première nuit de noces est un viol. Pendant des années, mon corps en a subi les conséquences. Une aménorrhée. Ce manque de sang, pour ma mère, ce n’était pas normal. Je n’étais plus normale. Voilà. [Ce que j’aurais à dire aux hommes ?] Qu’ils ont tout à gagner à ce que les femmes soient leurs égales. [Et aux femmes] Ne laissez jamais rien passer. (…) Entre les hommes et les femmes, la lutte, c’est la vie. (…) Une famille, c’est un lieu de non-droit. (..) Les rêves n’existent pas au passé. [L’espoir dans tout cela] Cela s’appelle l’aurore. [Pour moi, la liberté] Ça ne va pas vous faire plaisir. (.) Ne plus faire qu’écrire. Ne pas avoir à répondre à toutes ces questions. Annie Ernaux

Yvetot valait donc bien Constantinople !

Retour …

Au lendemain d’un énième prix Nobel controversé

Avec cet entretien de Marie-Claire d’il y a un an …
Sur la première femme écrivain française nobélisée …
Qui reprenant après Flaubert et tant d’autres sans toujours le reconnaitre …
Comme l’avait si bien repéré Auerbach  » le style bas de l’Ecriture sainte qui inclut le sublime » …
N’a pas hésité pour aider les hommes à ce que les femmes soient leurs égales en apprenant aux femmes à ne plus rien laisser passer …
Mais au risque naturellement, comme nous en avait avertis le Christ, d’ajouter hors de l’amour évangélique de la division jusqu’au coeur de la famille …
 A se faire la « Madone du RER » et l’écrivaine cégétiste qui écrit des livres de dactylo » et de la « littérature dans les supermarchés » …
D’où au-delà de sa bien-pensance mélenchoniste
Un prix Nobel largement mérité …
Simonetta Greggio
Marie-Claire
06/10/2022
Depuis 1974, la prix Nobel de littérature 2022 construit une œuvre puissante où s’entrelacent les questions de l’intime, de la justice sociale et des droits des femmes. Et qui résonne aujourd’hui par-delà les frontières et le fossé des générations. Annie Ernaux faisait la « Une » de « Marie Claire », à l’occasion de la journée mondiale pour le droit des femmes en mars 2021. (Re)découvrez notre interview.
Pour nous, Annie Ernaux a accepté de rencontrer [à l’occasion de notre numéro spécial du 8 mars 2021, dont elle faisait l’une des 8 couvertures, ndlr] la romancière italienne Simonetta Greggio (1), qui a souhaité lui remettre la lettre d’un ami. Un billet dont les mots lui permettent de revenir sur son parcours et d’aborder, avec une précision et une acuité lumineuses, les problématiques auxquelles les femmes sont aujourd’hui confrontées.
La lettre à Annie Ernaux
« Chère amie, Tu m’as dit que tu allais rencontrer Annie Ernaux, et j’ai repensé à elle et à ce qu’elle a représenté pour moi. J’avais entre 15 et 17 ans, je dévorais le XVIIIe et le XIXe français, les Russes, les Espagnols, la littérature sud-américaine, les classiques anglais, les polars de Manchette, le théâtre américain et européen, la poésie, le nouveau roman qui m’avait souvent fait chier, sauf Duras, bref pas mal de choses, et ce XXe français que je connaissais mieux que scolairement.
J’en étais à peu près à un livre par jour. Je venais de découvrir Modiano quand j’ai lu La place d’Annie Ernaux. Je pense que c’est la première à m’avoir parlé des femmes comme si elle me parlait de moi. Elle avait une sincérité, une précision dans l’écriture, sans fioritures ni rien, qui m’allait droit au cœur. Je l’ai reçue comme une alter ego. J’avais déjà lu des femmes, Beauvoir, Woolf, Sylvia Plath qui m’attirait, Sarah Bernhardt aussi, Marceline Desbordes-Valmore que j’adorais, et même des récits de prostitution ou de drogue, mais jamais je n’avais accédé à la sensibilité féminine avec cette fluidité, cette véracité, cette intimité contemporaine.
À cette époque, je commençais à avoir des amitiés féminines profondes. Je pense qu’Ernaux a contribué à ce que je connaisse mieux les femmes. Je n’ai pas cessé de la lire depuis, parce que j’ai toujours retrouvé en elle quelqu’un de mon temps, qui me parle avec ma langue, des sentiments d’une pudeur et d’une sensibilité que je partage. J’y ai pensé cette nuit. Je voulais te dire ça avant de partir travailler ce matin. Je t’embrasse, Daniel.
PS : Après m’être relu, j’ajouterais qu’elle m’a certainement aidé à me comprendre en tant qu’homme. »
Les mots
Annie Ernaux : Ces mots me touchent ; qu’ils viennent d’un homme, aussi, me touche. Vous savez, c’est mon livre Passion simple (2), écrit à la première personne, qui m’a valu tous ces lecteurs. Presque autant de lecteurs que de lectrices, alors que d’autres livres, comme L’événement, par exemple, qui fait appel à cette expérience du corps féminin qu’est l’avortement clandestin, sont plus problématiques à lire pour les hommes.
Ceux qui s’y sont risqués en sont sortis ébranlés. Je me souviens d’un lecteur canadien me disant – je vous livre la réflexion parce qu’elle est dure –: « Je vous ai lue et je me suis dit, je suis né l’année de votre avortement, c’est terrible pour moi parce que j’ai pensé que j’aurais pu ne pas naître. » Je lui ai répondu qu’il y a des tas d’embryons qui ne naissent pas, et ce, le plus naturellement du monde.
Il était effaré par le texte car, au fond, les hommes ne savent pas, encore maintenant, comment se passe l’interruption de grossesse, ils l’ignorent totalement. Même si les femmes aujourd’hui parlent plus d’elles-mêmes, des règles, de la ménopause, il y a encore des silences, des tabous, et l’IVG en est clairement un. Les choses sont en train de changer très progressivement, depuis 2000 je dirais.
J’aime bien la génération de ces filles qui avaient 20 ans en 2000 et qui en ont 40 aujourd’hui – tout le long de ces années, j’ai ressenti un changement dans leurs réflexions, dans leur attitude vis-à-vis des garçons. Leur demande d’égalité est claire. Elles ont remis en question les coutumes des hommes. Je vous parle de choses simples, comme ne jamais se laisser inviter au restaurant mais payer sa part, par exemple, ou revendiquer le fait de voyager n’importe où sans avoir des comptes à rendre ni être importunées – comme diraient ces dames de la pétition, vous vous souvenez ? (Tribune du journal Le Monde du 9 janvier 2018, où un collectif de cent femmes affirmait le rejet d’un certain féminisme sous le titre : « Nous défendons une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle », ndlr) »
Simonneta Greggio : Vous avez contribué à cette liberté, et pas seulement par la parole.
Annie Ernaux : Je n’aime pas le terme de liberté de parole, car s’il n’y avait que la parole de libérée, ça n’irait pas très loin, or la parole a souvent été libérée, notamment en littérature, et ça n’a rien changé pour les femmes.
Mais vous prenez part au débat, votre parole est engagée, votre écriture est un engagement. Lorsque vous écrivez, le faites-vous avec une pensée militante, active ?
Ma vie depuis le début a été ombrée par le fait que les filles n’avaient pas les mêmes droits que les garçons. Elles étaient soumises à des lois patriarcales qui envahissaient la société ; lors de mes 20 ans – pour faire bref –, c’était soit le mariage, soit l’avortement.
En 1974 j’ai publié Les armoires vides, mon premier roman, et depuis, j’ai avancé sur les deux dimensions, sociales et féministes, la lutte pour la justice sociale et celle contre l’injustice faite aux femmes. Ce sont les deux lignes de mon écriture. Avec beaucoup plus de difficulté, ce sont aussi mes deux lignes de vie – mais enfin, je peux vous dire qu’en ce qui concerne ma vie, c’est nettement plus compliqué !
[Annie rit. Il y a des rires qui sont une manière de s’excuser. Le sien, non. Son rire vivant, libre et malicieux, lui ressemble. Il augure, soutient d’une certaine manière ce qu’elle va dire. Il provoque, invite l’interlocuteur à participer à une ironie privée…, ndr] Parce que quand je relis mon journal intime, qui sera publié après ma mort, j’y vois une succession d’hommes [lorsqu’elle rit de nouveau, elle soupire], une succession de problèmes avec les hommes, plutôt.
Les hommes
Depuis votre roman Les années, vous êtes enfin connue.
Reconnue, vous voulez dire…
Reconnue, oui. En 2020, vous avez été finaliste du Booker Prize. Mais à part le Renaudot en 1984 pour La place, vous n’avez pas eu de grands prix. Au contraire, je me souviens d’articles ou d’émissions radio qui vous étaient hostiles. J’ai souvent pensé qu’un Modiano, un Le Clézio, n’ont jamais eu de soucis avec la reconnaissance.
Je suis une femme, et d’une manière générale, les femmes sont beaucoup moins reconnues, c’est indéniable. C’est partout pareil. Dans le domaine littéraire, c’est la même domination masculine qu’ailleurs.
Il y a plus d’hommes critiques littéraires, plus de membres de jurys, plus d’éditeurs, plus de patrons ; des hommes avec des grandes gueules. Ils se permettent – ils se permettent… vous savez, j’ai eu ma part d’injures. Colette, Beauvoir ont eu leur lot d’insultes sexistes aussi. Dans les années 90, j’en ai eu même un sacré paquet, notamment pour Passion simple, La honte et Journal du dehors.
Que vous a-t-on reproché ?
C’est complexe. Je n’ai jamais donné de gages à ce monde qui me regardait de haut. Je n’ai fait aucune concession. Il y a même des prix que j’ai refusés. Un texte comme La place a eu un grand retentissement, malgré certaines critiques qui trouvaient que c’était populo, une littérature 1930. Avec ce livre, j’ai eu le Renaudot, ça en a embêté plus d’un.
J’ai eu droit au mépris social et au mépris sexiste.
Alors, lorsque j’ai sorti Passion simple, ils ont réglé leurs comptes. Un déchaînement. On m’a appelée Madame Ovarie. Il m’est tombé dessus un déluge de commentaires sarcastiques, j’étais l’écrivaine cégétiste qui écrit des livres de dactylo.
J’ai eu droit au mépris social – et au mépris sexiste. Le retournement s’est fait avec Les années, mais c’était factice, le mépris est vite revenu, Regarde les lumières mon amour l’a rallumé : qu’essaie-t-elle de faire ? De la littérature dans les supermarchés, ces non-lieux où l’on croise n’importe qui ? On m’a appelée la Madone du RER, aussi.
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Les femmes
Au lieu de vous mettre en colère, on dirait que ça vous a donné encore plus d’énergie.
Je ne suis pas en colère, c’est vrai. Je tâche d’analyser ce qui m’arrive. Une analyse froide, enfin, froide, non, pas trop quand même. Je suis toujours dans la vie, et je suis toujours révoltée, le racisme, le sexisme, l’injustice, voilà, révoltée, c’est le mot.
Je ne peux pas me taire. Dans un de mes carnets, il y a cette phrase : « J’écrirai pour venger ma race. »
C’est quoi, votre race ?
Ça vient de Rimbaud. Il dit : « Je suis de race inférieure de toute éternité. » (3) Je me suis approprié ce mot, race, mais c’est évidemment d’origine sociale que je parle. Je parle de ceux dont je suis issue.
Vous croyez qu’écrire sert à quelque chose ? Que ça fait bouger quoi que ce soit ?
Il y a des films tirés de mes textes, mes livres sont étudiés à l’université. Quand on donne à lire La femme gelée, l’histoire d’un couple animé de théories idéales sur l’égalité des sexes rattrapé par les conventions sociales – même si ce livre a quarante ans, ça fait bouger les regards.
Oui, je crois que ça sert. La parole a un énorme pouvoir. La parole tue.
Vous avez contribué à mettre des mots sur les choses.
L’époque où j’étais une jeune fille reste dans ma mémoire comme l’époque des choses sans nom. Elles sont terribles, ces choses sans nom.
Vous avez lu Le consentement (4) ? Et La familia grande (5) ?
Non, je ne les ai pas lus, mais ces récits sont indispensables. Seulement, je n’écris pas… comment dire ? Pas comme ça. Peut-être que si j’avais eu ces mêmes choses à écrire… bien que, dans Mémoire de fille, j’écris, je décris.
Jamais à cette époque, ce qui s’est passé cette nuit-là n’aurait été appelé un viol.
Je suis très heureuse de l’avoir fait avant #MeToo, pour moi la question était très exactement l’instant du consentement. J’interroge cet instant-là. Pour ma part, je consens à ce qui se passe cette nuit-là. Je consens à tout ce que cet homme me fait. Mais pourquoi ? Et qui était cette fille ?
J’avais 70 ans quand j’ai écrit ce texte, et cette fille en avait 18. Je ne suis plus la même, je ne suis plus elle. L’époque n’est plus du tout la même non plus. Jamais à cette époque, ce qui s’est passé cette nuit-là n’aurait été appelé un viol. C’était la règle. Lui, il ne m’a posé aucune question, ça allait de soi.
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C’était brutal. « Déshabille-toi. » J’obéis. Pourquoi ? Il est plus âgé, c’est le responsable de la colonie de vacances. C’est la loi sauvage. Je suis nue. Son sexe est trop gros pour moi. Il force, ça ne rentre pas. Je crie. Alors, il le met dans ma bouche. Il a cette phrase terrible : « J’aimerais mieux que tu jouisses plutôt que tu gueules. »
Il a cette phrase terrible : « J’aimerais mieux que tu jouisses plutôt que tu gueules ».
Dans Le deuxième sexe (6), Beauvoir dit que toute première nuit de noces est un viol. Pendant des années, mon corps en a subi les conséquences. Une aménorrhée. Ce manque de sang, pour ma mère, ce n’était pas normal. Je n’étais plus normale. Voilà.
Les choses
Auriez-vous aujourd’hui quelque chose à dire aux hommes ?
Qu’ils ont tout à gagner à ce que les femmes soient leurs égales.
Et aux femmes ?
Ne laissez jamais rien passer.
Que va-t-il arriver entre les hommes et les femmes ?
Entre les hommes et les femmes, la lutte, c’est la vie.
Qu’est-ce qu’une famille ?
Une famille, c’est un lieu de non-droit.
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Lesquels de vos rêves ont été exaucés ?
Les rêves n’existent pas au passé.
Est-ce qu’il y a un espoir dans tout cela, et comment s’appelle-t-il ?
Cela s’appelle l’aurore.
Quelle est aujourd’hui pour vous, Annie, la liberté ?
Ça ne va pas vous faire plaisir.
Nous ne sommes pas là pour ça.
Ne plus faire qu’écrire. Ne pas avoir à répondre à toutes ces questions.
Avant que je m’en aille, Annie Ernaux a écrit une lettre de réponse à mon ami Daniel. J’ai vu que ça se terminait par force, et tendresse. Le reste, c’est privé.
(1) auteure, notamment, de Elsa, mon amour, éd. Flammarion
(2) tous les ouvrages d’Annie Ernaux cités ici, éd. Gallimard
(3) Extrait du poème Mauvais sang.
(4) De Vanessa Springora, éd. Grasset.
(5) De Camille Kouchner, éd. du Seuil.
(6) Éd. Gallimard.
Cet entretien est initialement paru dans le n°823 de Marie Claire, daté d’avril 2021. Un numéro collector, avec huit interviews de femmes engagées (Leïla Bekhti, Juliette Binoche, Annie Ernaux, Odile Gautreau, Grace Ly, Aïssa Maïga, Elisa Rojas, et Lous and the Yakuza) et huit Unes, photographiées par Charlotte Abramow.
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Annie Ernaux et la bête immonde
Daniel Horowitz
Juin 13, 2022

Annie Ernaux est une écrivaine française de grand talent, dont l’œuvre est essentiellement autobiographique. Elle vient d’un milieu modeste, où ses parents étaient exploitants d’un café-épicerie après avoir été ouvriers. A force de persévérance elle arrive à s’extraire de son milieu et devient agrégée de lettres. Elle gardera toute sa vie un sentiment de culpabilité par rapport à sa classe sociale, dont elle s’est éloignée par la force des choses.

Ernaux est lauréate de nombreux prix littéraires, dont le Renaudot en 1984 pour son ouvrage « La Place ». Elle figure parmi les grands écrivains français de notre temps.

Ernaux est récemment passée à la télévison sur France 5, où elle était le principal centre d’intérêt. Indépendamment de sa belle plume, on a pu découvrir la dérive morale et intellectuelle de cette femme de lettres par ailleurs si brillante. Ernaux est néoféministe, raciste, indigéniste, communiste, antisémite, décoloniale, neoécologique, propalestinienne, ennemie d’Israël et militante de la France Insoumise depuis 10 ans. Elle est d’ailleurs une inconditionnelle du leader de ce parti islamogauchiste, Jean-Luc Mélenchon, qui adore lui aussi fréquenter les antisémites de son parti ou d’ailleurs.

Ernaux a cosigné dans le quotidien « Le Monde » une tribune de soutien à Houria Bouteldja, antisémite notoire, et appelé au boycott d’une manifestation culturelle franco-Israélienne. Son amie Bouteldja juge que Miss Provence était indigne de participer à Miss France, parce qu’elle avait un père israélo-italien. Elle trouve d’ailleurs d’une manière générale qu’on « ne peut pas être Israélien innocemment » et suggère d’envoyer tous les sionistes au Goulag.

C’est cette scélérate proche des pires ennemis de Juifs que soutient Annie Ernaux, qui n’a même pas l’excuse de l’ignorance.

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Annie Ernaux reçoit le prix Nobel de littérature 
Julie Viers
Toute la culture
06 octobre 2022

Après un succès critique et public, Annie Ernaux est la première écrivaine française à recevoir le prix Nobel de littérature.

Un Nobel pour Ernaux

Ce jeudi 6 octobre l’Académie royale des sciences suédoise a attribué le prix Nobel de littérature à Annie Ernaux. 16ème écrivain français à être recomposé et 17ème femme à obtenir la plus haute distinction littéraire au monde. Annie Ernaux succède à l’écrivain tanzanien Abdelrazak Gurnah (2021) et à la poétesse américaine Louise Glück (2020). Elle est récompensée pour « le courage et l’acuité clinique avec laquelle elle découvre les racines, les éloignements et les contraintes collectives de la mémoire personnelle », a expliqué le jury Nobel. L’intéressée a réagi à la télévision suédoise en disant :

« Je considère que c’est un très grand honneur qu’on me fait et, pour moi, en même temps, une grande responsabilité, une responsabilité qu’on me donne en me donnant le prix Nobel […] c’est-à-dire de témoigner (…) d’une forme de justesse, de justice, par rapport au monde »

Né en 1940, Annie Ernaux connait aussi bien un succès critique que public. Elle a reçu le prix Renaudot en 1984 pour son roman La Place. Certains de ses ouvrages ont été adapté au cinéma comme L’Événement par Audrey Diwan en 2021. Les Années reste son plus grand succès, traduit en 2018 en anglais. Dans cette autobiographie à la troisième personne elle mêle,comme elle sait si bien le faire, l’individuel et le collectif.

Une oeuvre « entre la littérature, la sociologue et l’histoire »

C’est de cette manière que l’écrivaine caractérise son travail. À travers ses ouvrages à la fois autobiographiques et universels, Annie Ernaux tente l’élucider le réel, de mettre en avant une vérité sur l’existence dans une démarche presque sociologique. Cela se fait également à travers un style d’une grande netteté mais très plat, presque sec, clinique. Cette absence d’ornement est une forme d’exigence de sa part. C’est de cette manière qu’elle dépeint le monde contemporain sous toutes ses coutures. Dans sa biographie intitulée Annie Ernaux : le temps et la mémoire il est écrit qu’ « elle est attentive aussi bien aux grandes problématiques sociales – différence de classes, distinction socioculturelle, revendications féminines… – qu’aux catégories que l’art ou la pensée ont récemment portées à l’avant-scène – questions de la mémoire et du quotidien, de l’héritage et de la filiation. »

« Yvetot vaut Constantinople »

Dans une lettre à Louise Colet datant du 25 juin 1853, Gustave Flaubert écrit : « il n’y a pas en littérature de beaux sujets d’art, et […] Yvetot donc vaut Constantinople ». Tout se vaut, il n’y a pas de hiérarchisation possible à propos de ce qui fait art. Annie Ernaux a repris cette idée. À travers ses ouvrages elle place le non noble à côté du noble. L’avortement, le RER, les supermarchés sont placés sur le même pied d’égalité que les grands sujets comme le temps, la mémoire et l’oubli.

Native de Lillebonne en Seine-Maritime, elle a grandidans le café que tenaient ses parents à Yvetot. Très vite elle a pris conscience des hiérarchies sociales, des différents langages, des formes de domination mêmes les plus infimes. Grâce à ses études elle est devenue professeure agrégée de français. Mais le fait d’être une transfuge de classe a provoqué en elle de la honte, de la culpabilité, du regret que l’on retrouve dans ses romans. Ainsi dans Les armoires vides son héroïne autobiographique vit entre deux mondes antinomiques. D’une part son adolescence marquée par l’ignorance, la vulgarité des clients ivrognes. D’autre part les jeunes filles belles, libres et légères issues de la petite bourgeoisie qui fréquentent son école. L’académicien Anders Olsson a d’ailleurs souligné que « dans son œuvre, elle explore constamment l’expérience d’une vie marquée par de grandes disparités en matière de genre, de langue et de classe ».

Voir de même:

Annie Ernaux à l’école de Pierre Bourdieu : Le Jeune homme

Jacques Dubois

Annie Ernaux est décidément l’une des grandes romancières de notre temps, surtout lorsqu’elle prend des risques autobiographiques, ce qu’elle fit en plus d’une circonstance. C’est bien le cas avec Le Jeune homme que vient de publier Gallimard et qui suscitera sans doute plus d’une réaction de rejet chez certains lecteurs ou lectrices. C’est que la mise en scène d’elle-même au bras d’un très jeune homme, alors qu’elle est pleinement adulte, pourrait choquer.

Que l’on en juge : la liaison amoureuse qu’elle nous rapporte l’unit pendant deux ans en toute fin du XXe siècle à un étudiant qui était son cadet de trente ans et qui s’est épris d’elle de façon fervente ; de plus, ladite aventure va nous être narrée en juste 40 pages (dans la collection Blanche de Gallimard) avec force détails qui sont d’ailleurs de lecture plaisante.

Pour rappel, Ernaux est issue de la classe populaire. Or, l’âge adulte étant largement venu et s’accompagnant d’une aisance acquise via d’importants droits d’auteur, l’autrice se retrouve parfaitement bourgeoise, jusqu’à faire visiter à son jeune amant désargenté belles villes et belles plages aux quatre coins de l’Europe ; reste qu’entre les deux amants subsiste ce gap de trente ans parfois lourd à porter.

On serait tenté de dire que la présente fiction telle qu’elle fut vécue offre un caractère expérimental : qu’arrive-t-il lorsqu’une femme mûre se lie avec un « jeune » et se donne à voir à son bras en maints endroits — restaurants, plages ou autres — imitant les agissements de quantité de mâles adultes s’accompagnant de très jeunes femmes, parfois même de gamines ? Or, le bref roman que nous lisons est celui de la relation inverse, celui de la femme mûre au bras d’un jeune homme, qui ne peut guère que déclencher des « ça ne se fait pas » ou des « ça n’est pas permis ». Et la narratrice de noter : « Devant le couple que nous formions visiblement, les regards se faisaient impudents, frôlaient la sidération, comme devant un assemblage contre nature. Ou un mystère. Ce n’était pas nous qu’ils voyaient, c’était, confusément, l’inceste. » (p. 30). De fait, L’Œdipe façon Sophocle n’est pas loin, comme on peut voir.

Le deal dont aime à parler la romancière entre A et elle-même tient du retournement de situation. Elle fut une jeune fille issue de la classe populaire avec des manières et un parler propres à cette classe. Par les études et par son talent d’artiste, elle s’en est sortie. Elle peut s’afficher désormais avec un jeunot mais il est clair que ce n’est guère accepté d’une femme adulte et dominante, sauf à susciter des regards envieux chez des femmes de même âge et de condition semblable.

Nous pouvons dire qu’Ernaux est allée à l’école de Pierre Bourdieu, ce qu’elle a d’ailleurs fait, le lisant bien et beaucoup. À quelques endroits, elle relève des gestes et usages de son compagnon, gestes et conduites qu’elle connut elle-même en son jeune temps, chez elle ou chez ses pareilles. Ce que la romancière note avec une grande finesse qui confine par moments à la cruauté, faisant de son amant un « passé incorporé » : « Il était le porteur de la mémoire de mon premier monde. Agiter le sucre dans sa tasse de café pour qu’il fonde plus vite, couper ses spaghettis, détailler un pomme en petits morceaux piqués ensuite au bout du couteau, autant de gestes que je retrouvais en lui, de façon troublante. » (p. 21)

Que nombre de fictions puissent ainsi proposer d’excellentes leçons de sociologie, la littérature le sait mieux aujourd’hui et le donne à voir. Annie Ernaux excelle dans cette veine, pour notre plus grand plaisir. Son Jeune homme, qui est un roman-essai très réussi dans sa brièveté même, nous le dit à chaque page et l’on s’en réjouit.

Annie Ernaux, Le jeune homme, éditions Gallimard, mai 2022, 48 p., 8 € — Lire un extrait

Voir de plus:

Annie Ernaux s’interroge sur la polémique sur le hijab de course : les opposantes à cet accessoire n’ont-elles pas oublié la femme qui était derrière le voile ? N’ont-elles pas oublié la sororité ?

Annie Ernaux, Ecrivaine

Libération
13 mars 2019

Une fois de plus, on a frôlé l’affaire d’Etat, l’embrasement de la France comme naguère avec le burkini au motif qu’une entreprise française, Decathlon, a envisagé de commercialiser le hijab de course destiné aux filles et femmes musulmanes. Des bords de la droite et de l’extrême droite, du Modem, du Parti socialiste et de membres du gouvernement – des femmes notamment – ce fut à qui dénoncerait le plus fort ce funeste dessein. Le responsable de la communication de l’entreprise eut beau arguer que cette pièce de vêtement était destinée «à rendre le sport accessible pour toutes les femmes dans le monde», il y a eu consensus pour signifier tacitement que, en France, il en allait tout autrement, le port du voile contrevenant aux valeurs de la République. Des mails haineux et des menaces physiques à l’égard des vendeurs ont entraîné le retrait du projet par Decathlon et la réaction soulagée de Muriel Pénicaud, comme si la France venait d’échapper à un grand péril : «Heureusement qu’ils ont reculé.» A noter que personne ne s’est élevé contre la violence déployée à l’égard des employés de Decathlon, faute de pouvoir s’en prendre à celles qui portent le hijab.

Si quelques voix ont souligné la liberté d’une entreprise privée de vendre ce qu’elle veut, d’autres rappelé que c’est l’Etat qui est laïque et non pas les individus, lesquels ont le droit d’arborer les signes d’une pratique religieuse (la loi de 1905 n’a pas obligé les prêtres à enlever leur soutane ni les religieuses leur voile), il n’a pas été fait mention de cette violence infligée, une nouvelle fois, à une partie des femmes qui vivent, travaillent, étudient sur le sol français, qui sont une composante de notre société.

Violence, parce que sous couvert de défendre la liberté et l’égalité, dans les faits on tente de limiter le droit des femmes qui portent le hijab, ici, à faire du sport, là à chanter dans un télé-crochet (Mennel), à militer (Maryam Pougetoux), à accompagner des enfants en sortie scolaire (et se souvient-on de ce projet d’une sénatrice socialiste d’interdire le voile, dans leur domicile, aux assistantes maternelles ?), naguère à fréquenter les plages et se baigner. Bref, c’est de la vie collective qu’on cherche à les écarter.

Violence, parce que dans cet épisode qui les concerne, elles, au premier chef, nul, dans les médias, à ma connaissance, ne s’est avisé de leur donner la parole (1). Qu’avaient-elles à dire sur cette possibilité de pratiquer le sport conformément à leur croyance ? Qu’éprouvaient-elles à entendre les propos stigmatisants proférés tous azimuts ?

Tout se passe comme s’il n’y avait personne sous le «voile», pas d’être humain capable de réfléchir, de sentir, et de s’exprimer. La femme comme individu disparaît. On la réduit purement et simplement à un objet chargé, outre de sa signification musulmane – mais n’en doutons pas, à cause d’elle – d’un tombereau de symboles, soumission, archaïsme, étendard politique de l’islamisme, voire du jihad. En se référant à Simone de Beauvoir, on peut dire que sous le voile la femme n’est plus son corps, qu’il a disparu entièrement sous autre chose qu’elle (2).

Plus que d’autres épisodes, celui du Decathlon me laisse une impression boueuse, parce que j’ai entendu trop de femmes politiques s’insurger contre le hijab et pas assez défendre la liberté de le porter. Parce que, de plus en plus, lorsque je croise une femme en hijab dans le bus ou à l’hypermarché, je peux, me mettant à sa place, penser que j’ai, dans la France d’aujourd’hui, le visage de son exclusion. Je pose la question, celle-là même que l’on met en avant pour faire valoir la liberté d’un choix existentiel : pourquoi refuser d’accorder aux individus un droit qui ne retire rien aux autres ? Comment nous, femmes féministes, qui avons réclamé le droit à disposer de notre corps, qui avons lutté et qui luttons toujours pour décider librement de notre vie pouvons-nous dénier le droit à d’autres femmes de choisir la leur ? Où est la sororité qui a permis, par exemple, la fulgurante expansion du mouvement #MeToo ? L’empathie, la solidarité cessent dès qu’il s’agit des musulmanes en hijab : elles sont le continent noir du féminisme. Ou plutôt d’un certain féminisme qui fait la guerre à d’autres femmes au nom d’une laïcité devenue le mantra d’un dogme qui dispense de toute autre considération.

Si l’idée de me couvrir d’un voile – et plus encore celle que mes petites-filles le fassent – m’est profondément et intimement inimaginable, il me faut accepter que l’inverse, ne pas vouloir sortir sans hijab, puisse être vécu de la même manière absolue, intransigeante, quoi qu’il m’en coûte au regard de ce qu’est pour moi la liberté et une vie libre de femme. Qui suis-je pour obliger d’autres femmes à se libérer sans délai de la domination masculine ? Examiner loyalement son trajet personnel sous l’angle de la soumission et de la révolte à l’égard de celle-ci rabat l’orgueil et entame les certitudes. Je ne suis pas née féministe, je le suis devenue.

N’y a-t-il pas de quoi échanger entre nous sur les images de notre identité sexuelle, sur le contrôle du corps féminin, l’injonction de le dévoiler ou le cacher, l’impératif impossible de rester toujours jeune ? Briser l’ignorance réciproque. Se parler comme le font ces adolescentes, l’une voilée et l’autre pas, que l’on voit marchant et riant ensemble dans les rues et les centres commerciaux. J’entends déjà les rires condescendants sur ma naïveté, les arguments définitifs qu’on m’assènera. Ni rire, ni pleurer, ni haïr mais comprendre, je reste fidèle au principe de Spinoza. Vouloir comprendre le sens de la pratique du hijab, ici et maintenant, c’est ne pas le séparer de la situation dominée des immigrés en France, ni par ailleurs des bouleversements, des mutations, de l’anomie même, des sociétés occidentales actuelles. C’est reconnaître dans celle qui choisit de le porter la revendication visible d’une identité, la fierté des humiliés.

(1) Des femmes voilées ont écrit une tribune pour Libération.fr : Hijab de running : «Nous demandons à Decathlon de ne pas céder aux intimidations». (2) «La femme comme l’homme est son corps mais son corps est autre chose qu’elle», le Deuxième Sexe.

Voir encore:

Annie Ernaux : le néoféminisme, le voile et le renversement systématique

Samuel Piquet

Dans une tribune parue la semaine dernière dans Libération, la romancière Annie Ernaux revient sur la polémique autour du hijab de running et sur « l’embrasement de la France » qui s’ensuivit, selon ses propres mots. Pour Annie Ernaux, la violence, ce n’est pas de forcer certaines femmes à porter le hijab, ce n’est pas non plus de vouloir en affubler certaines fillettes, mais c’est de refuser la commercialisation d’un vêtement qui les enferme dans une identité. « Il n’a pas été fait mention de cette violence infligée, une nouvelle fois, à une partie des femmes qui vivent, travaillent, étudient sur le sol français, qui sont une composante de notre société », écrit-elle, affirmant ensuite que « c’est de la vie collective qu’on cherche à les écarter », et ne voyant pas combien l’emploi même des expressions « étudient sur le sol français » et « composante de notre société » met d’emblée ces femmes à part et fait d’elles des citoyennes de seconde zone.

Confondre citoyen lambda et représentant religieux

Comme lors de la polémique sur le burkini, il ne viendrait jamais à l’esprit de ces défenseurs du voile de se demander comment faisaient ces mêmes femmes avant que ces articles soient commercialisés, voire qu’ils existent. Si on les écoutait, on finirait par croire que jusqu’ici aucune Française de confession musulmane n’a jamais pu ni aller courir ni se baigner sur notre sol. « La loi de 1905 n’a pas obligé les prêtres à enlever leur soutane ni les religieuses leur voile », justifie Annie Ernaux, confondant allègrement citoyen lambda et représentant religieux.

La romancière déplore ensuite « que dans cet épisode qui les concerne, elles, au premier chef, nul, dans les médias, à [sa] connaissance, ne s’est avisé de leur donner la parole », comme si les citoyennes de confession musulmane étaient toutes les mêmes et avaient nécessairement le même avis sur le hijab de running, le voile et la religion en général. C’est fou comme à chaque argument d’Annie Ernaux on sent à la fois une profonde connaissance du sujet mais également la volonté d’éviter tout cliché, comme lorsqu’elle fait le vœu que les adultes puissent « échanger » sur le sujet, « se parler, écrit-elle, comme le font ces adolescentes, l’une voilée et l’autre pas, que l’on voit marchant et riant ensemble dans les rues et les centres commerciaux » : c’est beau comme une pub des Inconnus pour Benetton.

Mais Annie Ernaux ne pouvait pas s’arrêter là. Il fallait, comme tout bon article sur le sujet, rappeler à quel point la France est méchante et à quel point c’est elle qui cherche à instaurer un séparatisme et non pas ceux qui l’appellent de leurs vœux : « Parce que, de plus en plus, lorsque je croise une femme en hijab dans le bus ou à l’hypermarché, je peux, me mettant à sa place, penser que j’ai, dans la France d’aujourd’hui, le visage de son exclusion. » Par un de ces prodigieux renversements dont les défenseurs invétérés du voile ont le secret, ce seraient les contempteurs de ce fameux « bout de tissu » qui seraient responsables de la disparition de la femme sous son voile et de sa perte d’identité : « Tout se passe comme s’il n’y avait personne sous le « voile », pas d’être humain capable de réfléchir, de sentir, et de s’exprimer. La femme comme individu disparaît. On la réduit purement et simplement à un objet chargé, outre de sa signification musulmane – mais n’en doutons pas, à cause d’elle – d’un tombereau de symboles, soumission, archaïsme, étendard politique de l’islamisme, voire du jihad. »

« Pourquoi refuser d’accorder aux individus un droit qui ne retire rien aux autres ? », s’interroge ensuite la romancière. C’est vrai qu’il n’y a, sur la planète, aucune femme qui se bat pour avoir le droit d’enlever son voile. « Qui suis-je pour obliger d’autres femmes à se libérer sans délai de la domination masculine ? », demande-t-elle pour finir. Peut-être une citoyenne française héritière de la laïcité à la française, d’une laïcité qui a toujours refusé, contrairement aux pays anglo-saxons, de se soumettre au marché et qui a préféré défendre son modèle républicain, notamment l’égalité entre les hommes et les femmes.

Voir aussi:

Annie Ernaux : « Passion amoureuse et révolte politique, cela va de pair »

Honte sociale, lutte des classes, Mélenchon, sexe, écriture : à l’occasion de la parution de l’anthologie « Ecrire la vie », Rue89 a rencontré l’écrivain Annie Ernaux.

Blandine Grosjean

Elle est assise dans la pénombre d’un orage hivernal, au bureau de Gaston Gallimard, et de sa vie dont nous parlons, de sa colère immense d’être née de ces parents-là, de l’amour qui font tous ses livres depuis « Les Armoires vides », il semble que c’est la honte qui prend le dessus.

La honte sociale, elle s’en est vengée en écrivant : écrire ce n’était pas un désir, mais une volonté. Mais la honte d’avoir renié ses parents, de les avoir détestés d’être si vulgaires, sales, incultes et gauches avec leur amour, d’avoir quitté très tôt leur monde sans jamais appartenir à celui des autres (ceux qui avaient des salle de bains, des mères parfumées et un peu artificielles qui disaient « sensas »), elle ne s’en est pas défaite. Elle l’a fouillée avec une impudeur et une liberté totales.

Annie Ernaux est une écrivain engagée, une écrivain marxiste et féministe. Mais cela n’a aucun sens de la présenter ainsi, tant sa langue est sienne et intérieure. Les textes très intimes – sur l’avortement, l’aliénation amoureuse – qui ont suivi « Les Armoires vides » ou « La Place » ne l’ont jamais empêchée de cuver la révolte politique.

« Ecrire la vie » d’Annie Ernaux

« Ecrire la vie », que Gallimard publie dans la collection Quatro, regroupe l’œuvre littéraire d’Annie Ernaux, dans l’ordre de sa biographie, non de la publication de ses livres.

Il y a, pour ouvrir cette anthologie, une cinquantaine de pages où se superposent des extraits inédits de son journal et des photographies.

Avant de rentrer dans sa maison de banlieue qui ressemble aux villas de ces filles du Havre qu’elle haïssait, elle se plie docilement à la séance photo. Et remercie Audrey Cerdan (photographe de Rue89) de la traiter gentiment.

Rue89 : Vous vous voyez dans le métro avec le regard de l’enfant que vous étiez. Et vous n’aimez pas la femme élégante, cultivée que la fille d’épiciers d’Yvetot est devenue. Est-il donc impossible de se réconcilier ?

Annie Ernaux : Eh bien non, c’est pas possible. Je me dis que voilà, la coupure est à l’intérieur de moi. Ce sont deux mondes irréductibles. La lutte des classes est en moi. J’ai un mode de vie, une façon physique d’apparaître qui est celle de la classe dominante, je vais pas me le cacher. Mais je sais quelle était ma vision de petite fille, d’adolescente, et ce n’est pas réconciliable. Ma mémoire est dans un monde et ma vie est dans un autre et ça, c’est insupportable.

Voyez, ce matin je sors de chez moi pour prendre le RER, et je vois qu’une grosse maison se construit. Il faisait très froid. Je vois un garçon avec une brouette. Immédiatement, je n’ai pas besoin de penser, me revient que travailler de ses mains c’est dur, c’est très, très dur. J’ai vu mon père travailler de ses mains, et pourtant je viens là, à Gallimard. Il n’y a pas de réconciliation, sinon sur un plan politique. Mais intérieurement, ce n’est pas possible.

Vous sentez-vous « traître » à votre classe ?

Je vais pas dire que je me sens traître, mais j’ai tout de suite conscience qu’il y a des mondes ennemis, des classes sociales, qu’il y a de la liberté d’un côté et de l’aliénation de l’autre. Oui, j’ose employer ce terme marxiste, et on va pas me la faire « Mais non, il est très heureux cet homme qui fait des choses de ses mains. »

Et en continuant sur le chemin du RER, je me disais : mais pourquoi je pense toujours comme ça ? Ça sert à quoi d’avoir vu ce garçon, d’avoir pensé à ça ? Ça ne m’empêche pas de vous rencontrer, de parler, d’avoir l’usage de la parole, de proférer des choses révoltées. Mais il faut que ça aille au delà.

Est-ce qu’on s’échappe un jour du dimanche d’Yvetot, des dimanches d’une enfance ?

Le dimanche, c’est sans doute… Le dimanche ça dépasse le lieu, l’ennui, l’attente. C’est un trou le dimanche, c’est métaphysique le dimanche, c’est un leitmotiv de ce que j’écris. J’aimais beaucoup le mot dimanche quand j’étais petite fille et en même temps, ça a été très lié à des jours sombres, d’avoir l’impression de saisir le cœur du temps de la vie. J’ai commencé d’écrire un dimanche plusieurs fois.

C’est là où on devrait se poser toutes les questions possibles, car le travail s’arrête. Tout peut arriver le dimanche. Pendant longtemps il n’y a pas eu de loisirs. Aujourd’hui, les gens fuient. Noël approche et ils vont se précipiter dans les magasins pour éviter cet ennui du dimanche. Quand on fait la révolution, c’est pour qu’il y ait un dimanche, le grand dimanche, non ?

L’instruction, sortir de son milieu, acquérir les codes sociaux et physiques : la grande affaire de votre vie. Mais aujourd’hui, n’est-ce pas tout simplement l’argent qui anime les combats ?

Pas seulement. J’ai bien aimé le film de Guédiguian, « Les Neiges du Kilimandjaro ». Il a posé en des termes qui ne sont pas forcément les miens, avec une bonté qui est peut-être excessive (moi j’aurais préféré plus de dureté), cette question de la coupure entre ces jeunes dont les parents sont des petites gens, qui vraiment ont du mal à s’en sortir, et ceux qui sont des héritiers, qui possèdent la culture et les réseaux sociaux.

Qui, selon vous, porte politiquement les attentes, les désirs de ces petites gens ?

Personne, ou alors il faudrait dire, hélas, Marine Le Pen, mais on va pas dire ça… Le Front de Gauche, si, bien sûr, c’est lui seul. Je vais voter Front de Gauche, Mélenchon, car il reprend une parole, communiste mais pas seulement, qu’on n’entendait plus.

Vous dites que vous avez été une mauvaise enseignante. Qu’avez-vous transmis, si ce ne sont les lettres, socialement ? Le désir de s’élever, de s’en sortir ?

Dans votre question, je me pose moi une question. Quelle conscience avais-je de m’élever en étant bonne élève, en étant la meilleure à l’école ? D’où me venait cette certitude ? Il y avait des injonctions plutôt que des certitudes : « Si tu travailles bien en classe, tu seras mieux que tes parents, tu ne serviras pas au bistrot. »

Comme j’étais dans une école privée, il y avait aussi un autre discours : c’est le bon dieu qui m’avait donné l’intelligence, il fallait que j’en fasse quelque chose. C’était un discours valorisant dans le fond.

Quand j’ai commencé à enseigner, on avait un discours de l’inné, des dons. Certains sont faits pour réussir et d’autres, non. J’ai participé de cette croyance. Aujourd’hui, je pense que l’école est un instrument de promotion personnelle pour les classes intellectuelles supérieures, pas pour les autres.

Vous avez reconnu dans vos classes des filles ou des garçons qui vous ressemblaient ?

Absolument. Je ne faisais rien de particulier, seulement leur donner le plus de confiance possible en eux. Ça se marquait à l’oral, la maîtrise de l’oral c’est un marqueur d’origine sociale, la facilité de langage. J’ai eu la chance de commencer par des classes qu’on n’appelait pas encore « de relégation », des classes d’aide comptable, de secrétariat.

C’était un lycée classique-moderne-technique, dans une petite ville de 7 000 habitants, en Haute-Savoie, avec des élèves très difficiles, des classes de quarante. Et ça a vraiment été un grand choc. Le français pour eux n’était pas aussi important que la compta ou apprendre à taper. Et là, j’ai compris que la culture que je leur transmettais ne s’imposait pas à tous.

Et puis et puis il y avait ces sixièmes, où certains parlaient en patois savoyard. Il y avait beaucoup d’enfants d’ouvriers. J’ai vu le décalage immense avec les lycées de centre-ville de Lyon où j’avais fait mes stages. Il y a eu un retournement, moi aussi j’avais été une élève qui ne savait pas s’exprimer, ne comprenait pas les mots que les maîtresses utilisaient. J’ai écrit « Les Armoires vides » en étant professeur. Enseigner m’a vraiment donné envie d’écrire.

Dans votre vie, il y a quelque chose d’assez frappant pour moi, vous n’avez pas eu d’amies quand vous étiez jeunes.

Non…

Dans « L’Evénement », le récit de l’avortement, pas une amie, copine à qui vous confier. Vous passez trois mois de solitude totale.

Il faut se remettre dans les années d’avant Simone Veil, d’avant 68. C’était quelque chose de terriblement honteux, criminel. Ce n’est pas seulement mon cas personnel : la plupart du temps, les filles qui avaient recours, elles ne pouvaient pas l’ébruiter.

Dans tous vos textes et les parties de votre journal que vous publiez, il y a une première vraie copine du quartier dont vous vous éloignez dès l’adolescence, et ensuite, une ou deux filles qui partagent avec vous l’isolement, l’humiliation sociale.

Effectivement, mais tout de même, voyez, cette amie du collège qui est en photo dans le livre, nous nous nous sommes revues presque cinquante ans après, et c’est seulement à ce moment que nous avons tout dit de la honte. Et elle, elle avait encore plus honte, c’est seulement là qu’on parle, cinquante ans après. On aurait pu, mais on ne pouvait pas, c’est ça la question. Les dominants ils ont une complicité, ils ont les mêmes intérêts. Tandis que quand on est dominé, comme nous l’étions, sans sentiment de classe politique, on le cachait et on le taisait.

Elle était fille de paysan, moi d’épicier. On n’avait pas cette conscience de classe plus active que possédaient mes cousines filles d’ouvriers. Elles étaient plus agressives, plus revendicatives.

Vous en voulez à vos parents de vous avoir mise dans une institution privée où vous vous êtes retrouvée totalement isolée et différente des autres ?

Je leur en ai voulu après être sortie de ce pensionnat. Je voulais en sortir, je ne voulais surtout pas faire ma classe de philo dans cet établissement religieux.

Quand je suis arrivée au lycée de Rouen, la souffrance sociale que je vivais à Saint-Michel a continué, et s’est même aggravée, c’est ça qui était terrible. Rouen, c’était un lycée bourgeois dans une ville bourgeoise. Les professeurs étaient infiniment supérieurs à ceux de mon établissement précédent, en français, en histoire-géo n’en parlons pas, en physique. Vraiment, il régnait un état d’esprit tellement plus ouvert.

De l’autre côté, il y avait dans cette classe de philo une majorité de filles de la grande bourgeoisie de Rouen, trois filles de médecins, la fille du préfet. C’était impalpable, mais ça contredisait l’idéal égalitaire de l’école laïque publique. Elles ne disaient pas bonjour, elles formaient des petits groupes, je n’en étais pas.

A Rouen, j’ai eu une amie durant deux, trois ans, fille de représentant. Et là vous touchez quelque chose d’assez intime : elle ne m’a jamais invitée chez elle. Après, j’y ai pensé. Elle devait avoir une forme de honte, comme moi, mais moi je l’ai invitée chez moi.

Vous savez, c’est un sentiment de honte le sentiment de classe, de mon temps c’était très diffus, on éprouvait ça de façon solitaire, personnelle.

Très jeune, les garçons représentent une façon de conquérir cet autre monde, en tout cas de l’approcher et de s’emparer de ses codes.

Je ne pense pas que ça se soit passé comme ça. A l’âge où j’ai envie d’aller avec les garçons, il est évident que je ne veux pas aller avec un ouvrier. Je fais mon petit barème intérieur, je dois dire c’est assez stupide, je me fonde sur des critères nuls : la façon de s’habiller, de parler, pour m’apercevoir que ce sont de cruches. C’est vrai, je capte leurs codes, j’essaye de savoir si ça vaut le coup.

Ce qui n’était pas possible avec les amies, ce rapprochement, devient possible avec la sexualité ?

Jusqu’à un certain point. A une époque où on se marie, venant d’où je viens, il ne peut pas être question que j’épouse quelqu’un de bourgeois. Et pourtant, je le ferai quand même.

Devient-on orphelin de son père et de sa mère différemment ?

Ma mère, la perdre, c’est vraiment perdre quelque chose d’immense, son corps. C’est perdre une forme de double de soi, celle qui était en tant que femme avant moi, et ça se joue sur tous les plans, un plan charnel, le plan de la loi – ma mère était la loi : ce qu’il faut faire et pas faire, elle était comme Dieu. Elle est morte, Dieu est mort aussi.

Mon père, lui, représente ma classe sociale, la classe dont je suis issue. C’est quelqu’un qui portait le monde paysan, le monde auquel ma mère voulait échapper, et elle a tout fait pour y échapper. Mon père non, et il avait aussi une culture ouvrière. Très certainement il était animé par une haine de classe à l’égard de la bourgeoisie.

La honte qui le nourrissait, je la raconte. Un voyage-pèlerinage à Lourdes, une scène dans un restaurant où les gens riches du groupe sont bien servis car ils prennent le menu à la carte, et nous, personne ne prête attention à nous car nous sommes au menu. Il ressortait ça souvent, avec des mots d’une extrême violence sur les « bonnes femmes couvertes de bijoux ».

Etre orpheline de son père, c’est être dépositaire de cette haine de classe, encore plus.

Cela vous arrive de vous retrouver « au menu » dans un restaurant de Limoges ?

Je revis souvent des situations où je me sens exclue, alors que je ne le suis pas. C’est parce que je ne suis pas à ma place, je ne me sens pas à ma place, d’une façon ou d’une autre. Et maintenant, ça ne m’intéresse pas, je n’en souffre plus car ça ne m’intéresse pas d’appartenir à ce monde. Je n’ai jamais voulu en faire partie, sauf au moment où j’ai voulu y accéder. Mais à peine entrée, je n’ai eu de cesse de vouloir en sortir.

Vous dites : « Le luxe c’est de pouvoir vivre une passion. » Elle vous a éloignée d’une écriture politique, diriez-vous ?

J’écris ça à la fin de « Passion simple ». Au moment où je vis cette passion et où je l’écris, je suis également très engagée contre la guerre du Golfe. Mais oui, à un moment la vie amoureuse prend le dessus, dans l’écriture, mais pas dans la vie réelle. La passion amoureuse et la révolte politique, cela va de pair.

Et le sexe ?

La sexualité, l’usage de la sexualité, l’acte sexuel a une sorte de vertu pour moi de dégrisement, de vision froide, comme si on atteignait le cœur des choses, que ni le bien ni le mal n’existent. C’est cette expérience-là, et pour moi presque toujours c’était le désir d’écrire après, de façon violente.

L’acte sexuel permet d’accéder à la connaissance, que ça soit du bien ou du mal, peu importe.

Le dernier mot du livre est « sauver ». Sauver par l’écriture ?

Il n’y a pas que l’écriture qui sauve… J’ai fait partie de cette génération en 68 qui pensait : il faut faire table rase. Justement non, je crois qu’il faut transmettre. Par un mode de vie qui serait différent, qui ne soit pas dans l’urgence ni l’effacement permanent de ce qui vient de se passer, dans la consommation. Où les gens trouvent-ils le temps de réfléchir, de faire des liens ? On ne peut pas échapper à la politique et il faut y réfléchir.

Cette période que nous vivons, avant la présidentielle, ça me paraît nul comme période, et je crois que la majorité des gens le savent. Ça ne va rien changer, on s’étourdit avec ça, c’est une imposture. Entre Nicolas Sarkozy et François Hollande, je ne vois pas assez de différences.

Vous voterez Hollande au second tour ?

Je ne sais pas encore.

Très souvent, vous voyez, on se demande pourquoi est-ce qu’on vit comme ça. Pourquoi est-ce qu’on se laisse complétement avoir par les dimanches où on va tous se précipiter dans les magasins, on va profiter des bons de réduction, des promotions. Comment casser ça, comment trouver plus de plaisir à faire la révolution qu’à aller acheter dans les magasins le dimanche ?

Voir également:

Bourdieu : le chagrin

Annie Ernaux
Le Monde

05.02.02.

La manière dont la mort de Pierre Bourdieu a été annoncée et commentée dans les médias, le 24 janvier, à la mi-journée, était instructive. Quelques minutes en fin de journal, insistance – comme s’il s’agissait de l’alliance incongrue, désormais impensable, de ces deux mots – sur « l’intellectuel engagé ». Par-dessus tout, le ton des journalistes révélait beaucoup : celui du respect éloigné, de l’hommage distant et convenu. A l’évidence, par-delà le ressentiment qu’ils avaient pu concevoir vis-à-vis de celui qui avait dénoncé les règles du jeu médiatique, Pierre Bourdieu n’était pas des leurs. Et le décalage apparaissait immense entre le discours entendu et la tristesse, qui, au même moment, envahissait des milliers de gens, des chercheurs et des étudiants, des enseignants, mais aussi des hommes et des femmes de tous horizons, pour qui la découverte des travaux de Pierre Bourdieu a constitué un tournant dans leur perception du monde et dans leur vie.

Lire dans les années 1970 Les Héritiers, La Reproduction, plus tard La Distinction, c’était – c’est toujours – ressentir un choc ontologique violent. J’emploie à dessein ce terme d’ontologique : l’être qu’on croyait être n’est plus le même, la vision qu’on avait de soi et des autres dans la société se déchire, notre place, nos goûts, rien n’est plus naturel, allant de soi dans le fonctionnement des choses apparemment les plus ordinaires de la vie.

Et, pour peu qu’on soit issu soi-même des couches sociales dominées, l’accord intellectuel qu’on donne aux analyses rigoureuses de Bourdieu se double du sentiment de l’évidence vécue, de la véracité de la théorie en quelque sorte garantie par l’expérience : on ne peut, par exemple, refuser la réalité de la violence symbolique lorsque, soi et ses proches, on l’a subie.

Il m’est arrivé de comparer l’effet de ma première lecture de Bourdieu à celle du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, quinze ans auparavant : l’irruption d’une prise de conscience sans retour, ici sur la condition des femmes, là sur la structure du monde social. Irruption douloureuse mais suivie d’une joie, d’une force particulières, d’un sentiment de délivrance, de solitude brisée.

Cela me reste un mystère et une tristesse que l’œuvre de Bourdieu, synonyme pour moi de libération et de « raisons d’agir » dans le monde, ait pu être perçue comme une soumission aux déterminismes sociaux. Il m’a toujours semblé au contraire que, mettant au jour les mécanismes cachés de la reproduction sociale, en objectivant les croyances et processus de domination intériorisés par les individus à leur insu, la sociologie critique de Bourdieu défatalise l’existence. En analysant les conditions de production des œuvres littéraires et artistiques, les champs de luttes dans lesquelles elles surgissent, Bourdieu ne détruit pas l’art, ne le réduit pas, il le désacralise simplement, il en fait ce qui est beaucoup mieux qu’une religion, une activité humaine complexe. Et les textes de Bourdieu ont été pour moi un encouragement à persévérer dans mon entreprise d’écriture, à dire, entre autres, ce qu’il nommait le refoulé social.

Le refus opposé, avec une extrême violence parfois, à la sociologie de Pierre Bourdieu vient, me semble-t-il, de sa méthode et du langage qui lui est lié. Venu de la philosophie, Bourdieu a rompu avec le maniement abstrait des concepts qui la fonde, le beau, le bien, la liberté, la société, et donné à ceux-ci des contenus étudiés concrètement, scientifiquement. Il a dévoilé ce que signifiaient dans la réalité le beau quand on est agriculteur ou professeur, la liberté si l’on habite la cité des 3 000, expliqué pourquoi les individus s’excluent eux-mêmes de ce qui, de façon occulte, les exclut de toute façon.

Comme dans la philosophie et, le meilleur des cas, la littérature, c’est encore et toujours de la con- dition humaine qu’il s’agit, mais non d’un homme en général, des individus tels qu’ils sont inscrits dans le monde social. Et si un discours abstrait, au-dessus des choses, ou prophétique, ne dérange personne, il n’en est pas de même dès lors qu’on donne le pourcentage écrasant d’enfants issus de milieux dominants intellectuellement ou économiquement dans les grandes écoles, qu’on révèle de manière rigoureuse les stratégies du pouvoir, ici et maintenant aussi bien chez les universitaires (Homo academicus) que dans les médias.

Question de langage ; substituer, par exemple, à « milieux, gens, modestes » et « couches supérieures » les termes de « dominés » et « dominants », c’est changer tout : à la place d’une expression euphémisée et quasi naturelle des hiérarchies, c’est faire apparaître la réalité objective des rapports sociaux.

Le travail de Bourdieu, acharné comme Pascal à détruire les apparences, à rendre manifeste le jeu, l’illusion, l’imaginaire social, ne pouvait que rencontrer des résistances dans la mesure où il contient des ferments de subversion, où il débouche sur une transformation du monde, dont l’ouvrage qu’il a dirigé avec son équipe de chercheurs, le plus connu, montre la misère.

Si, avec la mort de Sartre, j’ai pu avoir le sentiment que quelque chose était achevé, intégré, que ses idées ne seraient plus actives, qu’il basculait, en somme, dans l’histoire, il n’en va pas de même avec Pierre Bourdieu. Si nous sommes tant à éprouver le chagrin de sa perte – j’ose, ce que je fais rarement, dire « nous », en raison de l’onde fraternelle qui s’est propagée spontanément à l’annonce de sa mort – nous sommes aussi nombreux à penser que l’influence de ses découvertes et de ses concepts, de ses ouvrages, ne va cesser de s’étendre. Comme ce fut le cas pour Jean-Jacques Rousseau, à propos de qui je ne sais lequel de ses contemporains s’insurgeait de ce que son écriture rendît le pauvre fier.

Voir encore:

Annie Ernaux, l’écrivain officiel

Il semble que la célébration de Mme Ernaux soit devenue obligatoire en France. Son dernier livre, Mémoire de fille, est unanimement salué par une critique béate. Le public suit. Les éditions Gallimard ont rassemblé son œuvre en un gros volume sous le titre: Ecrire la vie. La Pléiade est pour bientôt, le Nobel imminent, l’Académie s’impatiente, et ma fille l’étudie au lycée. Une suggestion à François Hollande: ouvrir le Panthéon aux vivants, spécialement pour Mme Ernaux. Seul Maxime Gorki a connu une gloire comparable, dans l’URSS des années 30. Il est permis de se méfier d’une telle sanctification collective.

Récapitulons: en un demi-siècle, Annie Ernaux a successivement écrit sur son père, sa mère, son amant, son avortement, la maladie de sa mère, son deuil, son hypermarché. Cette fois c’est sur son dépucelage raté durant l’été 1958, en colonie de vacances, quand elle s’appelait Annie Duchesne. L’événement est raconté à cinquante ans de distance avec un sérieux inouï. Ce qui est étonnant avec Mme Ernaux, c’est à quel point ses livres, qui ne cessent de revenir sur ses origines modestes, ne le sont pas. C’est l’histoire d’un écrivain qui s’est installé au sommet de la société en passant sa vie à ressasser son injustice sociale. Ce dolorisme des origines révèle en réalité une misère de l’embourgeoisement. C’est comme si elle refusait d’admettre qu’elle s’en est très bien sortie ; 2016 n’effacera jamais 1958.

Statufiée, Annie Ernaux prend son lecteur pour un abruti

Mme Ernaux invente la plainte qui frime, la lamentation sûre d’elle. C’est regrettable, car il y a des bribes à sauver dans ce galimatias autosatisfait: «C’était un été sans particularité météorologique» sonne très modianesque ; et cet autoportrait «au total une jolie fille mal coiffée» évoque Sagan. Mais Sagan n’aurait jamais ajouté: «Je la sais dans la solitude intrépide de son intelligence.» A chaque fois que Mme Ernaux trouve quelque chose de beau, elle le gâte par une explication de texte laborieuse. Autre exemple: «Elle attend de vivre une histoire d’amour» est une phrase charmante, qui contient tout, y compris la déception à venir. Pourquoi ajouter: «il faut continuer, définir le terrain – social, familial et sexuel» comme si l’on devait se farcir un commentaire composé du bac français? A force d’être statufiée, Annie Ernaux prend son lecteur pour un abruti. Elle annihile son talent en le noyant sous sa propre exégèse fascinée. On regrette l’écrivain qu’elle a failli être, le livre qu’elle a failli écrire, la légèreté qu’elle se refuse depuis cet été 1958.

Mémoire de fille, d’Annie Ernaux, Gallimard, 151 p., 15 €.

 

 

 

 

 

 

 

Voir par ailleurs:

Petit florilège de citations d’Annie Ernaux

Le temps commercial violait de plus belle le temps calendaire. C’est déjà Noël, soupiraient les gens devant l’apparition en rafale au lendemain de la Toussaint des jouets et des chocolats dans les grandes surfaces, débilités par l’impossibilité d’échapper durant des semaines à l’enterrement de la fête majeur qui oblige de penser son être, sa solitude et son pouvoir d’achat par rapport à la société – comme si la vie entière aboutissait un soir de Noël.

La recherche du temps perdu passait par le Web. […] La mémoire était devenue inépuisable, mais la profondeur du temps […] avait disparu. On était dans un présent infini.

L’anomie gagnait. La déréalisation du langage grandissait, comme un signe de distinction intellectuelle. Compétitivité, précarité, employabilité, flexibilité faisaient rage.

L’enregistrement hétéroclite, continu, du monde, au fur et à mesure des jours, passait par la télévision. Une nouvelle mémoire naissait.

L’entreprise était la loi naturelle, la modernité, l’intelligence, elle sauverait le monde.

Le discours du plaisir gagnait tout. Il fallait jouir en lisant, écrivant, prenant son bain, déféquant. C’était la finalité des activités humaines.

On avait le temps de désirer les choses, la trousse en plastique, les chaussures à semelles de crêpe, la montre en or. Leur possession ne décevait pas.

La honte ne cessait pas de menacer les filles. Leur façon de s’habiller et de se maquiller, toujours guettée par le trop : court, long, décolleté, étroit, voyant, etc., la hauteur des talons, leurs fréquentations, leurs sorties et leurs rentrées à la maison, le fond de leur culotte chaque mois, tout d’elles était l’objet d’une surveillance généralisée de la société.

Le silence était le fond des choses et le vélo mesurait la vitesse de la vie.

Les garçons et les filles étaient partout séparés. Les garçons, êtres bruyants, sans larmes, toujours prêts à lancer quelque chose, cailloux, marrons, pétards, boules de neige dure, disaient des gros mots, lisaient Tarzan et Bibi Fricotin. Les filles, qui en avaient peur, étaient enjointes de ne pas les imiter, de préférer les jeux calmes, la ronde, la marelle, la bague d’or.

La profusion des choses cachait la rareté des idées et l’usure des croyances.

Les jeunesses du monde donnaient de leurs nouvelles avec violence. Elles trouvaient dans la guerre du Vietnam des raisons de se révolter et dans les Cent Fleurs de Mao celles de rêver. Il y avait un éveil de joie pure, qu’exprimaient les Beatles. Rien qu’à les entendre, on avait envie d’être heureux. Avec Antoine, Nino Ferrer et Dutronc, la loufoquerie gagnait. Les adultes installés faisaient mine de ne rien voir.

Nous étions débordés par le temps des choses. Un équilibre tenu longtemps entre leur attente et leur apparition, entre la privation et l’obtention, était rompu.

Le progrès était dans l’horizon des existences. Il signifiait le bien-être, la santé des enfants, le savoir, tout ce qui tournait le dos aux choses noires de la campagne et à la guerre. Il était dans le plastique et le Formica, les antibiotiques et les indemnités de la sécurité sociale, l’eau courante sur l’évier et le tout- à-l’égout, les colonies de vacances, la continuation des études et l’atome. Il faut être de son temps, disait-on à l’envi, comme une preuve d’intelligence et d’ouverture d’esprit.

Parce que les étés finissaient pas se ressembler et qu’il était de plus en plus lourd de n’avoir souci que de soi, que l’injonction de “se réaliser” tournait à vide à force de solitude et de discussions dans les mêmes cafés, que le sentiment d’être jeune se muait en celui d’une durée indéfinie et morne, qu’on constatait la supériorité sociale du couple sur le célibataire, on tombait amoureux avec plus de détermination que les autres fois et, un moment d’inattention au calendrier Ogino aidant, on se retrouvait mariés et bientôt parents.

Un petit homme glacé, à l’ambition impénétrable, au nom pour une fois facile à prononcer, Poutine, avait remplacé l’ivrogne Eltsine et promettait de « buter les Tchétchènes jusque dans les chiottes ». La Russie n’apportait plus d’espoir ni de peur, rien d’autre qu’une désolation perpétuelle. Elle s’était retirée de notre imaginaire — que les Américains occupaient malgré nous, comme un arbre gigantesque étalant ses branches à la surface de la terre. Ils nous énervaient de plus en plus avec leur discours moral, leurs actionnaires et leurs fonds de pension, leur pollution de la planète et leur dégoût de nos fromages. Pour signifier la pauvreté foncière de leur supériorité, fondée sur les armes et l’économie, un mot les définissait usuellement : « arrogance ». Des conquérants sans idéal sinon le pétrole et les dollars. Leurs valeurs et leurs principes — ne compter que sur soi — ne donnaient d’espérance à personne d’autre qu’eux et nous rêvions d’« un autre monde ».

De prime abord c’était quelque chose qui ne pouvait être cru — comme le montrerait ultérieurement un film où l’on voit George W. Bush sans réaction, tel un enfant perdu, quand on lui annonce la nouvelle à l’oreille —, ni pensé, ni ressenti, juste regardé sur l’écran de télévision, encore et encore, les tours jumelles de Manhattan s’effondrant l’une après l’autre, en cet après-midi de septembre — qui était le matin à New York mais resterait toujours pour nous l’après-midi — comme si à force de voir les images cela allait devenir réel. On ne parvenait pas à sortir de la sidération, on en jouissait via les portables avec le maximum de gens.
Les discours et les analyses affluaient. La pureté de l’événement se dissipait. On se rebiffait contre la proclamation du Monde, « Nous sommes tous Américains ». D’un seul coup, la représentation du monde basculait cul par-dessus tête, quelques individus fanatisés venus de pays obscurantistes, juste armés de cutters, avaient rasé en moins de deux heures les symboles de la puissance américaine. Le prodige de l’exploit émerveillait. On s’en voulait d’avoir cru les États-Unis invincibles, on se vengeait d’une illusion. On se souvenait d’un autre 11 septembre et de l’assassinat d’Allende. Quelque chose se payait. Il serait temps ensuite d’avoir de la compassion et de penser aux conséquences. Ce qui comptait, c’était de dire où, comment, par qui ou quoi on avait appris l’attaque des Twin Towers. Les très rares à ne pas en avoir été informés le jour même conserveraient l’impression d’un rendez-vous manqué avec le reste du monde.
Et chacun cherchait ce qu’il était en train de faire juste à ce moment où le premier avion avait touché la tour du World Trade Center, que des couples s’étaient jetés dans le vide en se tenant par la main. Il n’y avait aucun rapport entre les deux, sinon d’avoir été vivant en même temps que les trois mille êtres humains qui allaient mourir mais l’ignoraient le quart d’heure d’avant. En nous souvenant, j’étais chez le dentiste, sur la route, chez moi à lire, dans cet ahurissement de la contemporanéité on saisissait la séparation des gens sur la terre et notre lien dans une identique précarité. Et l’ignorance où l’on était en regardant un tableau de Van Gogh au musée d’Orsay de ce qui se passait à cette seconde à Manhattan était celle du moment de notre propre mort. Cependant, au milieu de l’écoulement insignifiant des jours, cette heure qui contenait à la fois les tours explosées du World Trade Center et un rendez-vous chez le dentiste ou le contrôle technique d’une voiture était sauvée.
Le 11 septembre refoulait toutes les dates qui nous avaient accompagnés jusqu’ici. De la même façon qu’on avait dit « après Auschwitz », on disait « après le 11 septembre », un jour unique. Ici commençait on ne savait pas quoi. Le temps aussi se mondialisait.
Plus tard, quand nous penserons à des faits que, après hésitation, on situera en 2001 — un orage à Paris le week-end du 15 août, une tuerie à la Caisse d’épargne de Cergy-Pontoise, le Loft, la parution de La Vie sexuelle de Catherine M. —, on sera surpris de devoir les placer avant le 11 septembre, frappés de constater que rien ne les distinguait de ceux qui avaient eu lieu après, en octobre ou novembre. Ils avaient repris leur flottement dans le passé et leur liberté par rapport à un événement dont il fallait bien admettre maintenant qu’on ne l’avait pas réellement vécu.
Sans avoir le temps de réfléchir on entrait dans la peur, une force obscure s’était infiltrée dans le monde, prête aux actes les plus atroces sur tous les points du globe, des enveloppes remplies d’une poudre blanche tuaient leurs destinataires, Le Monde titrait « La guerre qui vient ». Le président des États-Unis, George W. Bush, falot fils du précédent, élu de façon ridicule après d’interminables recomptages de voix, proclamait la guerre des civilisations, du Bien contre le Mal. Le terrorisme avait un nom, Al Qaida, une religion, l’islam, un pays, l’Afghanistan. Il ne fallait plus dormir, être en alerte jusqu’à la fin des temps. L’obligation d’endosser la peur des Américains refroidissait la solidarité et la compassion. On se gaussait de leur incapacité à attraper Ben Laden et le mollah Omar, évaporé à motocyclette.
La représentation du monde musulman se retournait. Cette nébuleuse d’hommes en robe et de femmes voilées comme des saintes vierges, de chameliers, danses du ventre, minarets et muezzin, passait de l’état d’objet lointain, pittoresque et arriéré, à celui de force moderne. Les gens peinaient à unir modernité et pèlerinage à La Mecque, fille en tchador et préparation d’une thèse à l’université de Téhéran. On ne pouvait plus oublier les musulmans. Un milliard deux cents millions.
(Le milliard trois cents millions de Chinois sans croyance autre qu’en l’économie qui turbinaient à la fabrication des choses bon marché à destination de l’Occident n’étaient que silence lointain.)
La religion revenait mais ce n’était pas la nôtre, celle à laquelle on ne croyait plus, qu’on n’avait pas voulu transmettre, qui restait au fond la seule légitime, la meilleure s’il fallait classer. Celle dont la dizaine de chapelet, les cantiques et le poisson le vendredi faisaient partie du musée de l’enfance, Je suis chrétien, voilà ma gloire.
La distinction entre les « Français de souche » — c’était tout dire, l’arbre, la terre — et ceux « issus de l’immigration » ne bougeait pas. Quand le président de la République dans une allocution évoquait « le peuple français » il allait de soi que c’était une entité — généreuse, au-dessus de tout soupçon xénophobe — charriant Victor Hugo, la prise de la Bastille, les paysans, les instituteurs et les curés, l’abbé Pierre et de Gaulle, Bernard Pivot, Astérix, la mère Denis et Coluche, les Marie et les Patrick. Il n’incluait pas Fatima, Ali et Boubacar, ceux qui se servaient dans le rayon halal des grandes surfaces et faisaient le ramadan. Encore moins les « jeunes des quartiers » dont la capuche rabattue sur la tête, la démarche nonchalante paraissaient les signes assurés de leur sournoiserie et de leur paresse, les prolégomènes sûrs d’un mauvais coup. De façon obscure, ils étaient les indigènes d’une colonie intérieure sur laquelle on n’avait plus de pouvoir.
« Le langage construisait avec constance la partition entre nous et eux, les circonscrivait en « communautés » dans les « quartiers », sur des « territoires de non-droit » livrés au trafic de drogue et aux « tournantes », les ensauvageait. Les Français sont inquiets, affirmaient les journalistes. D’après les sondages — qui dictaient les émotions — l’insécurité était le premier souci des gens. Elle avait la figure inavouée d’une population basanée de l’ombre et de hordes rapides à délester les honnêtes gens de leur portable. »

Annie Ernaux (Les Années, 2008)

Les parents d’un enfant mort ne savent pas ce que leur douleur fait à celui qui est vivant. Annie Ernaux (L’Autre fille, 2011)

Quelquefois, je me disais qu’il passait peut-être toute une journée sans penser une seconde à moi. Je le voyais se lever, prendre son café, parler, rire, comme si je n’existais pas. Ce décalage avec ma propre obsession me remplissait d’étonnement. Comment était-ce possible. Mais lui-même aurait été stupéfait d’apprendre qu’il ne quittait pas ma tête du matin au soir. Il n’y avait pas de raison de trouver plus juste mon attitude ou la sienne. En un sens, j’avais plus de chance que lui. Annie Ernaux (Passion simple, 1991)

J’allais vers eux avec mon petit bagage, les conversations des filles, des romans, des conseils de l’écho de la mode, des chansons, quelques poèmes de Musset et une overdose de rêves, Bovary ma grande soeur. » Annie Ernaux (La femme gelée, 1981)

Ecrire, c’est d’abord ne pas être vu. Annie Ernaux (L’Occupation, 2002)

COMPLEMENT:

JE SUIS UN NEGRE, DE RACE INFERIEURE DE TOUTE ETERNITE (Retour sur la sorte de discours de Stockholm anticipé de notre poète maudit préféré où rejouant dans un autoportrait au vitriol la carte de l’étrangeté et de l’extériorité absolue à l’égard de la civilisation occidentale, il crache allègrement dans la soupe – annonçant après lui nos Albert Camus et nos Annie Ernaux comme leurs émules du wokisme aujourd’hui)
J’ai de mes ancêtres gaulois l’œil bleu blanc, la cervelle étroite, et la maladresse dans la lutte. Je trouve mon habillement aussi barbare que le leur. Mais je ne beurre pas ma chevelure.
Les Gaulois étaient les écorcheurs de bêtes, les brûleurs d’herbes les plus ineptes de leur temps.
D’eux, j’ai : l’idolâtrie et l’amour du sacrilège ; — oh ! tous les vices, colère, luxure, — magnifique, la luxure ; — surtout mensonge et paresse.
J’ai horreur de tous les métiers. Maîtres et ouvriers, tous paysans, ignobles. La main à plume vaut la main à charrue. — Quel siècle à mains ! — Je n’aurai jamais ma main. Après, la domesticité mène trop loin. L’honnêteté de la mendicité me navre. Les criminels dégoûtent comme des châtrés : moi, je suis intact, et ça m’est égal.
Mais ! qui a fait ma langue perfide tellement qu’elle ait guidé et sauvegardé jusqu’ici ma paresse ? Sans me servir pour vivre même de mon corps, et plus oisif que le crapaud, j’ai vécu partout. Pas une famille d’Europe que je ne connaisse. — J’entends des familles comme la mienne, qui tiennent tout de la déclaration des Droits de l’Homme. — J’ai connu chaque fils de famille !
Si j’avais des antécédents à un point quelconque de l’histoire de France !
Mais non, rien.
Il m’est bien évident que j’ai toujours été de race inférieure. Je ne puis comprendre la révolte. Ma race ne se souleva jamais que pour piller : tels les loups à la bête qu’ils n’ont pas tuée.
Je me rappelle l’histoire de la France fille aînée de l’Église. J’aurais fait, manant, le voyage de terre sainte, j’ai dans la tête des routes dans les plaines souabes, des vues de Byzance, des remparts de Solyme ; le culte de Marie, l’attendrissement sur le crucifié s’éveillent en moi parmi les mille féeries profanes. — Je suis assis, lépreux, sur les pots cassés et les orties, au pied d’un mur rongé par le soleil. — Plus tard, reître, j’aurais bivaqué sous les nuits d’Allemagne.
Ah ! encore : je danse le sabbat dans une rouge clairière, avec des vieilles et des enfants.
Je ne me souviens pas plus loin que cette terre-ci et le christianisme. Je n’en finirais pas de me revoir dans ce passé. Mais toujours seul ; sans famille ; même, quelle langue parlais-je ? Je ne me vois jamais dans les conseils du Christ ; ni dans les conseils des Seigneurs, — représentants du Christ.
Qu’étais-je au siècle dernier : je ne me retrouve qu’aujourd’hui. Plus de vagabonds, plus de guerres vagues. La race inférieure a tout couvert — le peuple, comme on dit, la raison ; la nation et la science.
Oh ! la science ! On a tout repris. Pour le corps et pour l’âme, — le viatique, — on a la médecine et la philosophie, — les remèdes de bonnes femmes et les chansons populaires arrangées. Et les divertissements des princes et les jeux qu’ils interdisaient ! Géographie, cosmographie, mécanique, chimie !…
La science, la nouvelle noblesse ! Le progrès. Le monde marche ! Pourquoi ne tournerait-il pas ?
C’est la vision des nombres. Nous allons à l’Esprit. C’est très certain, c’est oracle, ce que je dis. Je comprends, et ne sachant m’expliquer sans paroles païennes, je voudrais me taire.
 
Le sang païen revient ! L’Esprit est proche, pourquoi Christ ne m’aide-t-il pas, en donnant à mon âme noblesse et liberté. Hélas ! l’Évangile a passé ! l’Évangile ! l’Évangile.
J’attends Dieu avec gourmandise. Je suis de race inférieure de toute éternité.
Me voici sur la plage armoricaine. Que les villes s’allument dans le soir. Ma journée est faite ; je quitte l’Europe. L’air marin brûlera mes poumons ; les climats perdus me tanneront. Nager, broyer l’herbe, chasser, fumer surtout ; boire des liqueurs fortes comme du métal bouillant, — comme faisaient ces chers ancêtres autour des feux.
Je reviendrai, avec des membres de fer, la peau sombre, l’œil furieux : sur mon masque, on me jugera d’une race forte. J’aurai de l’or : je serai oisif et brutal. Les femmes soignent ces féroces infirmes retour des pays chauds. Je serai mêlé aux affaires politiques. Sauvé.
Maintenant je suis maudit, j’ai horreur de la patrie. Le meilleur, c’est un sommeil bien ivre, sur la grève.

 

On ne part pas. — Reprenons les chemins d’ici, chargé de mon vice, le vice qui a poussé ses racines de souffrance à mon côté, dès l’âge de raison — qui monte au ciel, me bat, me renverse, me traîne.
La dernière innocence et la dernière timidité. C’est dit. Ne pas porter au monde mes dégoûts et mes trahisons.
Allons ! La marche, le fardeau, le désert, l’ennui et la colère.
À qui me louer ? Quelle bête faut-il adorer ? Quelle sainte image attaque-t-on ? Quels cœurs briserai-je ? Quel mensonge dois-je tenir ? — Dans quel sang marcher ?
Plutôt, se garder de la justice. — La vie dure, l’abrutissement simple, — soulever, le poing desséché, le couvercle du cercueil, s’asseoir, s’étouffer. Ainsi point de vieillesse, ni de dangers : la terreur n’est pas française.
— Ah ! je suis tellement délaissé que j’offre à n’importe quelle divine image des élans vers la perfection.
Ô mon abnégation, ô ma charité merveilleuse ! ici-bas, pourtant !
De profundis Domine, suis-je bête !
Encore tout enfant, j’admirais le forçat intraitable sur qui se referme toujours le bagne ; je visitais les auberges et les garnis qu’il aurait sacrés par son séjour ; je voyais avec son idée le ciel bleu et le travail fleuri de la campagne ; je flairais sa fatalité dans les villes. Il avait plus de force qu’un saint, plus de bon sens qu’un voyageur — et lui, lui seul ! pour témoin de sa gloire et de sa raison.
Sur les routes, par des nuits d’hiver, sans gîte, sans habits, sans pain, une voix étreignait mon cœur gelé : « Faiblesse ou force : te voilà, c’est la force. Tu ne sais ni où tu vas ni pourquoi tu vas, entre partout, réponds à tout. On ne te tuera pas plus que si tu étais cadavre. » Au matin j’avais le regard si perdu et la contenance si morte, que ceux que j’ai rencontrés ne m’ont peut-être pas vu.
Dans les villes la boue m’apparaissait soudainement rouge et noire, comme une glace quand la lampe circule dans la chambre voisine, comme un trésor dans la forêt ! Bonne chance, criais-je, et je voyais une mer de flammes et de fumées au ciel ; et, à gauche, à droite, toutes les richesses flambant comme un milliard de tonnerres.
Mais l’orgie et la camaraderie des femmes m’étaient interdites. Pas même un compagnon. Je me voyais devant une foule exaspérée, en face du peloton d’exécution, pleurant du malheur qu’ils n’aient pu comprendre, et pardonnant ! — Comme Jeanne d’Arc ! — « Prêtres, professeurs, maîtres, vous vous trompez en me livrant à la justice. Je n’ai jamais été de ce peuple-ci ; je n’ai jamais été chrétien ; je suis de la race qui chantait dans le supplice ; je ne comprends pas les lois ; je n’ai pas le sens moral, je suis une brute : vous vous trompez… »
Oui, j’ai les yeux fermés à votre lumière. Je suis une bête, un nègre. Mais je puis être sauvé. Vous êtes de faux nègres, vous maniaques, féroces, avares. Marchand, tu es nègre ; magistrat, tu es nègre ; général, tu es nègre ; empereur, vieille démangeaison, tu es nègre : tu as bu d’une liqueur non taxée, de la fabrique de Satan. — Ce peuple est inspiré par la fièvre et le cancer. Infirmes et vieillards sont tellement respectables qu’ils demandent à être bouillis. — Le plus malin est de quitter ce continent, où la folie rôde pour pourvoir d’otages ces misérables. J’entre au vrai royaume des enfants de Cham.
Connais-je encore la nature ? me connais-je ? — Plus de mots. J’ensevelis les morts dans mon ventre. Cris, tambour, danse, danse, danse, danse ! Je ne vois même pas l’heure où, les blancs débarquant, je tomberai au néant.
Faim, soif, cris, danse, danse, danse, danse !
Les blancs débarquent. Le canon ! Il faut se soumettre au baptême, s’habiller, travailler.
J’ai reçu au cœur le coup de la grâce. Ah ! je ne l’avais pas prévu !
Je n’ai point fait le mal. Les jours vont m’être légers, le repentir me sera épargné. Je n’aurai pas eu les tourments de l’âme presque morte au bien, où remonte la lumière sévère comme les cierges funéraires. Le sort du fils de famille, cercueil prématuré couvert de limpides larmes. Sans doute la débauche est bête, le vice est bête ; il faut jeter la pourriture à l’écart. Mais l’horloge ne sera pas arrivée à ne plus sonner que l’heure de la pure douleur ! Vais-je être enlevé comme un enfant, pour jouer au paradis dans l’oubli de tout le malheur !
Vite ! est-il d’autres vies ? — Le sommeil dans la richesse est impossible. La richesse a toujours été bien public. L’amour divin seul octroie les clefs de la science.
Je vois que la nature n’est qu’un spectacle de bonté. Adieu chimères, idéals, erreurs.
Le chant raisonnable des anges s’élève du navire sauveur : c’est l’amour divin. — Deux amours ! je puis mourir de l’amour terrestre, mourir de dévouement. J’ai laissé des âmes dont la peine s’accroîtra de mon départ ! Vous me choisissez parmi les naufragés, ceux qui restent sont-ils pas mes amis ?
Sauvez-les !
La raison est née. Le monde est bon. Je bénirai la vie. J’aimerai mes frères. Ce ne sont plus des promesses d’enfance. Ni l’espoir d’échapper à la vieillesse et à la mort. Dieu fait ma force, et je loue Dieu.
L’ennui n’est plus mon amour. Les rages, les débauches, la folie, dont je sais tous les élans et les désastres, — tout mon fardeau est déposé. Apprécions sans vertige l’étendu de mon innocence.
Je ne serais plus capable de demander le réconfort d’une bastonnade. Je ne me crois pas embarqué pour une noce avec Jésus-Christ pour beau-père.
Je ne suis pas prisonnier de ma raison. J’ai dit : Dieu. Je veux la liberté dans le salut : comment la poursuivre ? Les goûts frivoles m’ont quitté. Plus besoin de dévouement ni d’amour divin. Je ne regrette pas le siècle des cœurs sensibles. Chacun a sa raison, mépris et charité : je retiens ma place au sommet de cette angélique échelle de bon sens.
Quant au bonheur établi, domestique ou non… non, je ne peux pas. Je suis trop dissipé, trop faible. La vie fleurit par le travail, vieille vérité : moi, ma vie n’est pas assez pesante, elle s’envole et flotte loin au-dessus de l’action, ce cher point du monde.
Comme je deviens vieille fille, à manquer du courage d’aimer la mort !
Si Dieu m’accordait le calme céleste, aérien, la prière, — comme les anciens saints. — Les saints ! des forts ! les anachorètes, des artistes comme il n’en faut plus !
Farce continuelle ! Mon innocence me ferait pleurer. La vie est la farce à mener par tous.
Assez ! voici la punition. — En marche !
Ah ! les poumons brûlent, les tempes grondent ! la nuit roule dans mes yeux, par ce soleil ! le cœur… les membres…
Où va-t-on ? au combat ? je suis faible ! les autres avancent. Les outils, les armes… le temps !…
Feu ! feu sur moi ! Là ! ou je me rends. — Lâches ! — Je me tue ! Je me jette aux pieds des chevaux !
Ah !…
— Je m’y habituerai.
Ce serait la vie française, le sentier de l’honneur !
 
Mauvais sang, Une saison en enfer, avril-août 1873.
 
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Dans son réquisitoire contre lui-même, Rimbaud se voit comme le produit d’un double déterminisme, racial (les gaulois) et social (la classe qui est la sienne, celle des roturiers : maîtres et valets, tous […] ignobles — « ignobles » au sens étymologique de non-nobles ? — ).
Ce discours auto-accusateur est-il sincère ? Rimbaud, dans ce moment de crise où il rédige Une saison en enfer, se laisse-t-il envahir par la honte et la fatigue de soi ? Ou bien faut-il deviner là quelque ironie, le « damné » se complaisant à mimer la parole de l’Autre, du juge, du bourreau, par provocation, par bravade ?
Rimbaud se sent pris dans un engrenage lié à son origine sociale, à sa race et, plus généralement, à l’Histoire. Il semble concevoir celle-ci comme un processus fatal, mathématiquement agencé (C’est la vision des nombres), et progressant vers un but supérieur que, conformément à diverses traditions philosophiques ou théosophiques, Rimbaud nomme l’Esprit (Nous allons à l’Esprit. C’est très certain, c’est oracle, ce que je dis).
Le poète tente d’imaginer les vies qui auraient pu être les siennes à d’autres moments de l’Histoire. Il s’y retrouve toujours comme un membre de la race inférieure, parmi ceux que l’on a enrôlés dans les croisades mais qui n’ont été que superficiellement christianisés, ceux qui ont servi de mercenaires dans les guerres, ceux qui dansaient avec les sorcières (souvenirs de l’histoire de France, telle que la racontent Guizot, Augustin Thierry ou Michelet).
Il est frappant de constater que les notions de race et de classe sociale se confondent ici totalement, conformément à l’historiographie libérale de la première moitié du XIXe siècle qui décrivait la Révolution comme le dénouement d’une légitime lutte pluriséculaire des Gaulois (le peuple conquis, les serfs, les ancêtres du Tiers-état) contre les Francs (les conquérants, les nobles). Les élites contemporaines utilisaient volontiers ces catégories, en inversant les pôles, pour dévaloriser les « classes dangereuses » : les révoltés de Juillet (1830), de juin 48, de la Commune étaient les nouveaux gaulois, les barbares, des sauvages animés par un instinct de destruction, des ivrognes à la brutalité héréditaire (voir les prolétaires de Zola), sans projet politique qui soit compatible avec la civilisation. De même, Rimbaud se dit issu d’une race qui ne se souleva jamais que pour piller : tels les loups à la bête qu’ils n’ont pas tuée. Il déclare : Je ne puis comprendre la révolte. Dans cette nuit médiévale où il tente de se représenter, il s’imagine voué à une agressivité toute instinctive, à la rapine, à la jacquerie, en deçà de toute révolte rationnelle. On le sent : le procès qui est instruit dans ces lignes n’est pas seulement celui de l’individu Arthur Rimbaud, c’est celui du Peuple en général : La race inférieure a tout couvert — le peuple, comme on dit, la raison ; la nation et la science.
Est-ce Rimbaud qui parle dans ce « monologue du fils de famille » par quoi commence « Mauvais sang » ? Est-ce vraiment l’auteur des lettres « du Voyant », le sympathisant enthousiaste de la Commune, qui s’exprime ici ? Dans ce cas, il le fait dans des termes si péjoratifs pour lui-même que le lecteur hésite : provocation orgueilleuse ou sincère mortification ? Rimbaud assume-t-il par pure bravade et sans y adhérer aucunement l’image négative qu’on lui renvoie de lui ? Ou bien, au contraire, dans un moment de dépression, retourne-t-il contre lui-même le discours plein de mépris qu’il a vu tenir aux dominants contre ceux d’en bas ?
Rimbaud se représente, dirait-on, le moment actuel comme celui d’un achèvement de l’Histoire. Cette fin des temps est marquée par un retour du paganisme, ce qui n’est pas étonnant puisque la race inférieure a tout couvert et que cette race inférieure, nous l’avons vu dans la section 2, s’identifie pour lui avec les barbares gaulois mal christianisés. Le retour du sang païen est lui-même annonciateur de l’avènement de l’Esprit (à travers quelque apocalypse sociale ou métaphysique ?). En somme, le poète convoque les grands mythes pour exprimer de façon hyperbolique son impression de vivre, sur un plan personnel, une situation de crise profonde et irréversible.
Quel recours, dans ce péril extrême ?
Dieu, la religion ? Mais « l’Évangile a passé ». Le temps de l’Évangile est révolu, dans la vie personnelle de l’auteur comme dans l’histoire des hommes. Sans doute aimerait-il y croire : comme tout païen, il est encore en attente de la révélation (J’attends Dieu avec gourmandise) ; mais il n’y croit plus, ou il craint qu’il ne soit plus temps, pour lui, de s’amender.
Reste une autre voie de repentir, dans laquelle on croit reconnaître le destin classique des « fils de famille », des « fils du Peuple » : se mettre aveuglément au service des dominants. Hier, c’étaient les croisades, les guerres de mercenaires. Aujourd’hui, ce sont les expéditions coloniales de la République : quitter l’Europe, aller aux climats perdus, se mêler aux affaires politiques …
Mais comment prendre un tel parti lorsqu’on s’appelle Arthur Rimbaud et qu’on a horreur de la patrie ? Car dans ces dernières lignes, plus de doute pour le lecteur, c’est bien Rimbaud qui parle en son nom.
Faisant transition avec la section 3, le premier paragraphe commence par poser l’inutilité du départ et, de façon plus générale, l’impossibilité d’échapper à son destin, à son « vice ». De quel « vice » s’agit-il ? Le lecteur doit-il voir dans la phrase initiale du second paragraphe (La dernière innocence et la dernière timidité) une réponse à cette légitime question ? Sans doute, bien que la chose ne soit pas aussi clairement « dite » que le poète le déclare (C’est dit). Rimbaud semble s’avouer trop naïf (la dernière innocence), trop sensible (timidité), il avoue de la lâcheté (cf. le mot trahisons), des dégoûts, ce qui n’infirme pas nécessairement les gloses sexuelles plus précises (l’homosexualité, l’onanisme) que certains critiques ont avancées. Ce sentiment d’insuffisance et de faiblesse est confirmé a contrario dans la section 5 par l’obsession de la « force » qui s’y fait jour (Faiblesse ou force ? Te voilà, c’est la force !).
Le poète se résout donc à mener une vie obscure (Ne pas porter au monde mes dégoûts et mes trahisons), à accepter le type de vie que la société « française » réserve à ses esclaves : la marche, le fardeau, le désert, l’ennui et la colère. Il se « louera » à qui aura besoin de mercenaires, mettra sa charge intérieure de violence au service de n’importe quel mensonge — sans toutefois s’exposer à tomber sous les coups de la Justice, se laissera « abrutir » dans la vie dure que la société réserve aux « fils de famille », ce qui n’est rien d’autre au fond qu’une forme de mort précoce (point de vieillesse), d’où le thème du cercueil dans lequel le narrateur « s’étouffe » lui-même, suicide en douceur, car la terreur n’est pas française (voir la même métaphore dans la section 6 de « Mauvais sang » et dans « Enfance V »).
Enfin, dans un soupir, la tentation de la conversion et de la réhabilitation vient hanter à nouveau le narrateur, tentation absurde, aussitôt repoussée d’une pichenette : Suis-je bête !
De la section 4 à la section 5, il y a comme une rupture après laquelle le texte reprend un rythme de narration plus lent et rappelle les évocations d’enfance par quoi commencent généralement les autobiographies. La section 1 présentait une attaque de même style, avec son autoportrait et sa référence aux lointains ancêtres du narrateur.
Rimbaud avoue d’abord une fascination ancienne pour le brigand (souvenir de Jean Valjean et autres hors-la-loi romantiques ?), que la ville, c’est à dire la société moderne, avec ses injustices, engendre fatalement (je flairais sa fatalité dans les villes).
C’est la « force » du hors-la-loi que le jeune homme invoque lorsqu’il est aux prises avec la peur pendant ses vagabondages, sur les routes (§2) ou dans les villes (§3). C’est cette même « force » qui semble lui manquer pour nouer relation avec les femmes : Mais l’orgie et la camaraderie des femmes m’étaient interdites (§3).
Pour toutes ces raisons se sentant différent, exclu, coupable, le narrateur se voit en imagination traîné devant les tribunaux, insulté par la foule, et injustement condamné à mort, comme la pucelle d’Orléans.
Pour mieux démontrer son innocence, il allègue (comme dans la section 1) ses origines païennes : il est étranger à la morale et à la religion chrétiennes, il ne saurait être condamné au nom de valeurs qui ne sont pas les siennes. Cette étrangeté absolue, cette extériorité à l’égard de la civilisation occidentale, Rimbaud la résume par le mot « nègre » : Je suis une bête, un nègre.
Le « nègre », dans la vision du monde qui est celle de l’occident chrétien, étant l’immoralité, l’irréligion, le Mal incarnés, le damné retourne l’insulte contre ses accusateurs en les traitant à leur tour de « nègres », car ils sont aussi cruels et aussi barbares qu’eux. Mais ce sont des « nègres » qui s’ignorent et, surtout, ils n’ont pas l’excuse, qu’ont ces derniers, de ne pas avoir été christianisés. Pour cette raison, ils ne sont pas de vrais « nègres » et c’est ainsi, sans doute, qu’il faut comprendre l’insulte : Vous êtes de faux nègres.
Alors revient, comme un leitmotiv, la tentation de quitter l’Europe, ce continent inspiré par la fièvre et le cancer : Le plus malin est de quitter ce continent, où la folie rôde pour pourvoir d’otages ces misérables. J’entre au vrai royaume des enfants de Cham (Cham est, dans la Bible, l’ancêtre des noirs). Le narrateur ne se contente pas de se transporter en Afrique, il se fait « nègre » lui-même pour de bon : Plus de mots. J’ensevelis les morts dans mon ventre. Cris, tambour, danse, danse, danse, danse ! Et la hantise de la punition prend dès lors, pour Rimbaud, la forme de la prémonition anxieuse du débarquement des colonisateurs.
La section 6 est tout entière consacrée à ce qu’on pourrait appeler : le monologue du converti. La chose commence très ironiquement sous le déguisement du « nègre » qui voit débarquer les blancs et qui reçoit le coup de la grâce (détournement facétieux de la locution « le coup de grâce »). Physiquement anéanti, l’innocent indigène est dès lors spirituellement sauvé. En effet, il est vierge de tout péché, n’ayant eu jusqu’ici aucune idée du bien et du mal. Il va donc aller droit au paradis, comme les enfants morts sans baptême, ainsi que l’enseigne la religion. Vite !, il va savoir s’il existe d’autres vies après la mort. Et Rimbaud continue à réciter son catéchisme … catholique et socialiste : l’argent n’est rien (les premiers seront les derniers) ; la richesse appartient à tous ; seul compte l’amour divin ; il n’y a d’autre connaissance que celle qui nous vient de Dieu ; l’homme est bon naturellement … Puis, vient la métaphore du navire sauveur, dont le Hugo de Plein ciel a fait l’allégorie d’une double mystique, celle du Progrès social et celle du Salut chrétien (on retrouvera cette image presque identique dans « Adieu », à la fin de la Saison). Dans une surenchère de bonté, le dévot personnage s’étonne d’être seul élu, il voudrait que ses amis l’accompagnent sur l’arche. C’est le triomphe de la raison et de la fraternité. Rien à voir, nous assure le locuteur, avec la religion naïve de l’enfance ni avec ces conversions douteuses à l’article de la mort.
La naïveté de cette profession de foi rend l’ironie manifeste aux yeux du lecteur. Il va de soi que ce n’est pas Rimbaud qui parle ici, mais un masque, un personnage ridicule qu’il s’amuse à jouer pour en discréditer la philosophie.
La section 7 développe la critique de la précédente, parfois terme à terme, et l’on peut estimer qu’on y entend la vraie voix de l’auteur. Elle annonce d’abord une volonté de tourner la page : de rejeter l’ennui, les rages, les débauches, la folie qui sont les attributs habituels du poète maudit. Il y a donc bien, dans ce désir de table rase, une sorte d’innocence retrouvée, semble avouer Rimbaud. Mais une innocence qu’il faut débarrasser du vertige mystique de la section précédente. Refus, aussi, de tout sentiment de culpabilité (pas de bastonnade consentie de gaîté de cœur pour ses fautes passées), et de toute religiosité (Rimbaud n’aura pas Jésus-Christ pour beau-père, ce qui se produirait, explique ingénieusement Jean-Luc Steinmetz dans son édition — GF n°106, p.197 — si Rimbaud épousait la vie française, puisque la France est « fille aînée de l’Église »). Refus, encore, des vertus chrétiennes (dévouement, amour divin) et de l’humanisme rousseauiste (raison, cœurs sensibles). Tout cela au nom de la liberté, du droit d’avoir sa raison à soi et son propre bon sens. Refus, enfin, du bonheur établi et du travail, parce que c’est au-dessus de ses forces.
Mais, avec ce nouvel aveu de faiblesse (le « vice » natif évoqué section 4), la blessure ancienne semble se rouvrir : Comme je deviens vieille fille, à manquer du courage d’aimer la mort ! Et, conséquence de ce désarroi, voici à nouveau la tentation mystique : pourquoi Dieu ne me donne-t-il pas la force des héros, ceux qui aiment la mort, les saints, les artistes ? Enfin, une fois de plus, le passage s’achève sur une chute épigrammatique congédiant la pensée illusoire que le narrateur vient de laisser échapper.
Le dénouement de « Mauvais sang » prend la forme d’une brève scène dramatique que l’on pourrait intituler : le monologue du conscrit. Ne sachant comment trancher le dilemme qui le hante, Rimbaud semble laisser la vie décider pour lui. Et la vie, pour bien des jeunes français de son âge et de son temps, c’est le service militaire. Une nouvelle fois dans le chapitre, voici le thème du mercenaire, du « fils de famille » enrôlé pour quelque croisade dont il ne comprend pas les buts, et le fantasme d’une mort sans courage sur le champ de bataille.
Au moment de conclure, il faut répondre à cette question qui s’est, à plusieurs reprises, posée à nous depuis le début de notre lecture : qui est « Je » ? est-ce Rimbaud qui parle ici ? Il est courant de lire chez les critiques contemporains que « le locuteur de Mauvais sang ne saurait se confondre avec l’auteur » (Pierre Brunel, Une saison en enfer, édition critique, Corti, 1987, p.214). « Se confondre » ? Non certes ! Encore faut-il préciser quel sens on pense pouvoir donner à cette ambiguïté énonciative. Pour moi, à l’évidence, c’est Rimbaud qui parle dans « Mauvais sang », et qui se confie, et qui réfléchit. À un moment critique de sa vie, il envisage les solutions qui pourraient le tirer de l’impasse où il s’est fourvoyé. Elles sont deux, essentiellement : se ranger, se convertir. Se ranger, ce serait se réconcilier avec la vie française ; se convertir, revenir vers la religion de son enfance. Un autre que lui choisirait peut-être l’une de ces issues. Lui ne peut pas. Il essaie pourtant : son imagination lui permet de devenir par moments cet Autre. Tantôt, c’est la pantomime du fils du peuple docile et résigné se louant à ses maîtres, tantôt celle du doux chrétien louant son Dieu. Dans ce sens, en effet, des pans entiers de « Mauvais sang » ne représentent pas la pensée de Rimbaud mais plutôt le discours dominant de la société, celui que l’auteur cherche à éprouver en se demandant s’il pourrait, éventuellement, le faire sien. À d’autres moments, c’est au contraire la voix de Rimbaud que nous entendons, celle, du moins, qui nous est familière et que nous identifions, peut-être indûment, comme son vrai Moi : la voix de la critique et du refus. Le dialogue dramatisé entre les voix multiples de ce Moi divisé s’achève sur une résignation que l’on sent fragile : Je m’y habituerai, et un conditionnel qui sous-entend bien des hésitations : Ce serait la vie française, le sentier de l’honneur !
J’ECRIRAI POUR VENGER MA RACE ET MON SEXE (JE SUIS UN NEGRE, DE RACE INFERIEURE DE TOUTE ETERNITE (Retour sur le discours de Stockholm de notre dernière poètesse maudite en date, femme et « immigrée de l’intérieur » comme il se doit désormais, rejouant elle aussi après son préfigurateur « nègre de classe inférieure de toute éternité » Rimbaud et le Camus de l’Etranger – mais non celui de La Chute et de son propre discours de Stockholm – la carte de l’extériorité absolue à l’égard de la civilisation occidentale et crachant comme il se doit depuis, entre Black Lives Matter et wokisme, de cracher allègrement dans la soupe)
« Le thème du poète maudit né dans une société marchande (…) s’est durci dans un préjugé qui finit par vouloir qu’on ne puisse être un grand artiste que contre la société de son temps, quelle qu’elle soit. Légitime à l’origine quand il affirmait qu’un artiste véritable ne pouvait composer avec le monde de l’argent, le principe est devenu faux lorsqu’on en a tiré qu’un artiste ne pouvait s’affirmer qu’en étant contre toute chose en général. »
Albert Camus (discours de Suède, 1957)
« Et qu’on n’objecte pas que n’étant qu’un homme du peuple je n’ai rien à dire qui mérite l’attention des lecteurs. (…) Dans quelque obscurité que j’aie pu vivre, si j’ai pensé plus et mieux que les rois, l’histoire de mon âme est plus intéressante que celle des leurs. »
Rousseau (Confessions)
Annie Ernaux : « J’écrirai pour venger ma race », le discours de la Prix Nobel de littérature
L’écrivaine française recevra officiellement son prix Nobel de littérature à Stockholm le 10 décembre. « Le Monde » publie l’intégralité de son discours devant l’Académie suédoise.
Annie Ernaux
Le Monde
07 décembre 2022
Document. Par où commencer ? Cette question, je me la suis posée des dizaines de fois devant la page blanche. Comme s’il me fallait trouver la phrase, la seule, qui me permettra d’entrer dans l’écriture du livre et lèvera d’un seul coup tous les doutes. Une sorte de clé. Aujourd’hui, pour affronter une situation que, passé la stupeur de l’événement – « est-ce bien à moi que ça arrive ? » –, mon imagination me présente avec un effroi grandissant, c’est la même nécessité qui m’envahit. Trouver la phrase qui me donnera la liberté et la fermeté de parler sans trembler, à cette place où vous m’invitez ce soir.
Cette phrase, je n’ai pas besoin de la chercher loin. Elle surgit. Dans toute sa netteté, sa violence. Lapidaire. Irréfragable. Elle a été écrite il y a soixante ans dans mon journal intime. « J’écrirai pour venger ma race. » Elle faisait écho au cri de Rimbaud : « Je suis de race inférieure de toute éternité. » J’avais 22 ans. J’étais étudiante en lettres dans une faculté de province, parmi des filles et des garçons pour beaucoup issus de la bourgeoisie locale. Je pensais orgueilleusement et naïvement qu’écrire des livres, devenir écrivain, au bout d’une lignée de paysans sans terre, d’ouvriers et de petits commerçants, de gens méprisés pour leurs manières, leur accent, leur inculture, suffirait à réparer l’injustice sociale de la naissance. Qu’une victoire individuelle effaçait des siècles de domination et de pauvreté, dans une illusion que l’Ecole avait déjà entretenue en moi avec ma réussite scolaire. En quoi ma réalisation personnelle aurait-elle pu racheter quoi que ce soit des humiliations et des offenses subies ? Je ne me posais pas la question. J’avais quelques excuses.
Depuis que je savais lire, les livres étaient mes compagnons, la lecture mon occupation naturelle en dehors de l’école. Ce goût était entretenu par une mère, elle-même grande lectrice de romans entre deux clients de sa boutique, qui me préférait lisant plutôt que cousant et tricotant. La cherté des livres, la suspicion dont ils faisaient l’objet dans mon école religieuse me les rendaient encore plus désirables. Don Quichotte, Voyages de Gulliver, Jane Eyre, contes de Grimm et d’Andersen, David Copperfield, Autant en emporte le vent, plus tard Les Misérables, Les Raisins de la colère, La Nausée, L’Etranger : c’est le hasard, plus que des prescriptions venues de l’Ecole, qui déterminait mes lectures.
Je m’éloignais de plus en plus chaque jour de l’écriture
Le choix de faire des études de lettres avait été celui de rester dans la littérature, devenue la valeur supérieure à toutes les autres, un mode de vie même qui me faisait me projeter dans un roman de Flaubert ou de Virginia Woolf et de les vivre littéralement. Une sorte de continent que j’opposais inconsciemment à mon milieu social. Et je ne concevais l’écriture que comme la possibilité de transfigurer le réel.
Ce n’est pas le refus d’un premier roman par deux ou trois éditeurs – roman dont le seul mérite était la recherche d’une forme nouvelle – qui a rabattu mon désir et mon orgueil. Ce sont des situations de la vie où être une femme pesait de tout son poids de différence avec être un homme dans une société où les rôles étaient définis selon les sexes, la contraception interdite et l’interruption de grossesse un crime. En couple avec deux enfants, un métier d’enseignante, et la charge de l’intendance familiale, je m’éloignais de plus en plus chaque jour de l’écriture et de ma promesse de venger ma race. Je ne pouvais lire « la parabole de la loi » dans Le Procès, de Kafka, sans y voir la figuration de mon destin : mourir sans avoir franchi la porte qui n’était faite que pour moi, le livre que seule je pourrais écrire.
Mais c’était sans compter sur le hasard privé et historique. La mort d’un père qui décède trois jours après mon arrivée chez lui en vacances, un poste de professeur dans des classes dont les élèves sont issus de milieux populaires semblables au mien, des mouvements mondiaux de contestation : autant d’éléments qui me ramenaient par des voies imprévues et sensibles au monde de mes origines, à ma « race », et qui donnaient à mon désir d’écrire un caractère d’urgence secrète et absolue. Il ne s’agissait pas, cette fois, de me livrer à cet illusoire « écrire sur rien » de mes 20 ans, mais de plonger dans l’indicible d’une mémoire refoulée et de mettre au jour la façon d’exister des miens. Ecrire afin de comprendre les raisons en moi et hors de moi qui m’avaient éloignée de mes origines.
Il me fallait rompre avec le « bien-écrire »
Aucun choix d’écriture ne va de soi. Mais ceux qui, immigrés, ne parlent plus la langue de leurs parents, et ceux qui, transfuges de classe sociale, n’ont plus tout à fait la même, se pensent et s’expriment avec d’autres mots, tous sont mis devant des obstacles supplémentaires. Un dilemme. Ils ressentent, en effet, la difficulté, voire l’impossibilité d’écrire dans la langue acquise, dominante, qu’ils ont appris à maîtriser et qu’ils admirent dans ses œuvres littéraires, tout ce qui a trait à leur monde d’origine, ce monde premier fait de sensations, de mots qui disent la vie quotidienne, le travail, la place occupée dans la société. Il y a d’un côté la langue dans laquelle ils ont appris à nommer les choses, avec sa brutalité, avec ses silences, celui, par exemple, du face-à-face entre une mère et un fils, dans le très beau texte d’Albert Camus Entre oui et non. De l’autre, les modèles des œuvres admirées, intériorisées, celles qui ont ouvert l’univers premier et auxquelles ils se sentent redevables de leur élévation, qu’ils considèrent même souvent comme leur vraie patrie. Dans la mienne figuraient Flaubert, Proust, Virginia Woolf : au moment de reprendre l’écriture, ils ne m’étaient d’aucun secours. Il me fallait rompre avec le « bien-écrire », la belle phrase, celle-là même que j’enseignais à mes élèves, pour extirper, exhiber et comprendre la déchirure qui me traversait. Spontanément, c’est le fracas d’une langue charriant colère et dérision, voire grossièreté, qui m’est venu, une langue de l’excès, insurgée, souvent utilisée par les humiliés et les offensés, comme la seule façon de répondre à la mémoire des mépris, de la honte et de la honte de la honte.
Très vite aussi, il m’a paru évident – au point de ne pouvoir envisager d’autre point de départ – d’ancrer le récit de ma déchirure sociale dans la situation qui avait été la mienne lorsque j’étais étudiante, celle, révoltante, à laquelle l’Etat français condamnait toujours les femmes, le recours à l’avortement clandestin entre les mains d’une faiseuse d’anges. Et je voulais décrire tout ce qui est arrivé à mon corps de fille, la découverte du plaisir, les règles. Ainsi, dans ce premier livre, publié en 1974, sans que j’en sois alors consciente, se trouvait définie l’aire dans laquelle je placerais mon travail d’écriture, une aire à la fois sociale et féministe. Venger ma race et venger mon sexe ne feraient qu’un désormais.
Comment ne pas s’interroger sur la vie sans le faire aussi sur l’écriture ? Sans se demander si celle-ci conforte ou dérange les représentations admises, intériorisées sur les êtres et les choses ? Est-ce que l’écriture insurgée, par sa violence et sa dérision, ne reflétait pas une attitude de dominée ? Quand le lecteur était un privilégié culturel, il conservait la même position de surplomb et de condescendance par rapport au personnage du livre que dans la vie réelle. C’est donc, à l’origine, pour déjouer ce regard qui, porté sur mon père dont je voulais raconter la vie, aurait été insoutenable et, je le sentais, une trahison, que j’ai adopté, à partir de mon quatrième livre, une écriture neutre, objective, « plate » en ce sens qu’elle ne comportait ni métaphores ni signes d’émotion. La violence n’était plus exhibée, elle venait des faits eux-mêmes et non de l’écriture. Trouver les mots qui contiennent à la fois la réalité et la sensation procurée par la réalité allait devenir, jusqu’à aujourd’hui, mon souci constant en écrivant, quel que soit l’objet.
Le désir de me servir du « je »
Continuer à dire « je » m’était nécessaire. La première personne – celle par laquelle, dans la plupart des langues, nous existons, dès que nous savons parler, jusqu’à la mort – est souvent considérée, dans son usage littéraire, comme narcissique dès lors qu’elle réfère à l’auteur, qu’il ne s’agit pas d’un « je » présenté comme fictif. Il est bon de rappeler que le « je », jusque-là privilège des nobles racontant des hauts faits d’armes dans des Mémoires, est en France une conquête démocratique du XVIIIe siècle, l’affirmation de l’égalité des individus et du droit à être sujet de leur histoire, ainsi que le revendique Jean-Jacques Rousseau dans ce premier préambule des Confessions : « Et qu’on n’objecte pas que n’étant qu’un homme du peuple je n’ai rien à dire qui mérite l’attention des lecteurs. (…) Dans quelque obscurité que j’aie pu vivre, si j’ai pensé plus et mieux que les rois, l’histoire de mon âme est plus intéressante que celle des leurs. »
Ce n’est pas cet orgueil plébéien qui me motivait (encore que…), mais le désir de me servir du « je » – forme à la fois masculine et féminine – comme un outil exploratoire qui capte les sensations, celles que la mémoire a enfouies, celles que le monde autour ne cesse de nous donner, partout et tout le temps. Ce préalable de la sensation est devenu pour moi à la fois le guide et la garantie de l’authenticité de ma recherche. Mais à quelles fins ? Il ne s’agit pas pour moi de raconter l’histoire de ma vie ni de me délivrer de ses secrets, mais de déchiffrer une situation vécue, un événement, une relation amoureuse, et dévoiler ainsi quelque chose que seule l’écriture peut faire exister et passer, peut-être, dans d’autres consciences, d’autres mémoires. Qui pourrait dire que l’amour, la douleur et le deuil, la honte ne sont pas universels ? Victor Hugo a écrit : « Nul de nous n’a l’honneur d’avoir une vie qui soit à lui. » Mais toutes choses étant vécues inexorablement sur le mode individuel – « c’est à moi que ça arrive » –, elles ne peuvent être lues de la même façon que si le « je » du livre devient, d’une certaine façon, transparent et que celui du lecteur ou de la lectrice vienne l’occuper. Que ce « je » soit, en somme, transpersonnel, que le singulier atteigne l’universel.
C’est ainsi que j’ai conçu mon engagement dans l’écriture, lequel ne consiste pas à écrire « pour » une catégorie de lecteurs, mais « depuis » mon expérience de femme et d’immigrée de l’intérieur, depuis ma mémoire désormais de plus en plus longue des années traversées, depuis le présent, sans cesse pourvoyeur d’images et de paroles des autres. Cet engagement comme mise en gage de moi-même dans l’écriture est soutenu par la croyance, devenue certitude, qu’un livre peut contribuer à changer la vie personnelle, à briser la solitude des choses subies et enfouies, à se penser différemment. Quand l’indicible vient au jour, c’est politique.
Forme la plus violente et la plus archaïque
On le voit aujourd’hui avec la révolte de ces femmes qui ont trouvé les mots pour bouleverser le pouvoir masculin et se sont élevées, comme en Iran, contre sa forme la plus violente et la plus archaïque. Ecrivant dans un pays démocratique, je continue de m’interroger, cependant, sur la place occupée par les femmes, y compris dans le champ littéraire. Leur légitimité à produire des œuvres n’est pas encore acquise. Il y a en France et partout dans le monde des intellectuels masculins, pour qui les livres écrits par les femmes n’existent tout simplement pas, ils ne les citent jamais. La reconnaissance de mon travail par l’Académie suédoise constitue un signal de justice et d’espérance pour toutes les écrivaines.
Dans la mise au jour de l’indicible social, cette intériorisation des rapports de domination de classe et/ou de race, de sexe également, qui est ressentie seulement par ceux qui en sont l’objet, il y a la possibilité d’une émancipation individuelle mais également collective. Déchiffrer le monde réel en le dépouillant des visions et des valeurs dont la langue, toute langue, est porteuse, c’est en déranger l’ordre institué, en bouleverser les hiérarchies.
Lire le portrait : Article réservé à nos abonnés Annie Ernaux, une Nobel dont le « je » dit l’expérience commune
Mais je ne confonds pas cette action politique de l’écriture littéraire, soumise à sa réception par le lecteur ou la lectrice avec les prises de position que je me sens tenue de prendre par rapport aux événements, aux conflits et aux idées. J’ai grandi dans la génération de l’après-guerre mondiale, où il allait de soi que des écrivains et des intellectuels se positionnent par rapport à la politique de la France et s’impliquent dans les luttes sociales. Personne ne peut dire aujourd’hui si les choses auraient tourné autrement sans leur parole et leur engagement. Dans le monde actuel, où la multiplicité des sources d’information, la rapidité du remplacement des images par d’autres accoutument à une forme d’indifférence, se concentrer sur son art est une tentation. Mais, dans le même temps, il y a en Europe – masquée encore par la violence d’une guerre impérialiste menée par le dictateur à la tête de la Russie – la montée d’une idéologie de repli et de fermeture, qui se répand et gagne continûment du terrain dans des pays jusqu’ici démocratiques. Fondée sur l’exclusion des étrangers et des immigrés, l’abandon des économiquement faibles, sur la surveillance du corps des femmes, elle m’impose, à moi, comme à tous ceux pour qui la valeur d’un être humain est la même, toujours et partout, un devoir de vigilance. Quant au poids du sauvetage de la planète, détruite en grande partie par l’appétit des puissances économiques, il ne saurait peser, comme il est à craindre, sur ceux qui sont déjà démunis. Le silence, dans certains moments de l’Histoire, n’est pas de mise.
Une victoire collective
En m’accordant la plus haute distinction littéraire qui soit, c’est un travail d’écriture et une recherche personnelle menés dans la solitude et le doute qui se trouvent placés dans une grande lumière. Elle ne m’éblouit pas. Je ne regarde pas l’attribution qui m’a été faite du prix Nobel comme une victoire individuelle. Ce n’est ni orgueil ni modestie de penser qu’elle est, d’une certaine façon, une victoire collective. J’en partage la fierté avec ceux et celles qui, d’une façon ou d’une autre, souhaitent plus de liberté, d’égalité et de dignité pour tous les humains, quels que soient leur sexe et leur genre, leur peau et leur culture. Ceux et celles qui pensent aux générations à venir, à la sauvegarde d’une Terre que l’appétit de profit d’un petit nombre continue de rendre de moins en moins vivable pour l’ensemble des populations.
Si je me retourne sur la promesse faite à 20 ans de venger ma race, je ne saurais dire si je l’ai réalisée. C’est d’elle, de mes ascendants, hommes et femmes durs à des tâches qui les ont fait mourir tôt, que j’ai reçu assez de force et de colère pour avoir le désir et l’ambition de lui faire une place dans la littérature, dans cet ensemble de voix multiples qui, très tôt, m’a accompagnée en me donnant accès à d’autres mondes et d’autres pensées, y compris celle de m’insurger contre elle et de vouloir la modifier. Pour inscrire ma voix de femme et de transfuge social dans ce qui se présente toujours comme un lieu d’émancipation, la littérature.
Annie Ernaux

Environnement: Comme les Aztèques qui tuaient toujours plus de victimes (While climate change turns into cargo cult science, what of our quasi-religious addiction to growth as the rest of the world demands its own American dream and our finite planet eventually runs out of resources ?)

2 mai, 2021

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Socialter N°34 Fin du monde, fin du mois, même combat ? - avril/mai 2019 - POLLEN DIFPOP
Students at the International School of Beijing playing in one of two domes with air-filtration systems for when smog is severeChinese millionaire and philanthropist Chen Guangbiao hands out cans of air during a publicity stunt on a day of heavy air pollution last week at a financial district in Beijing.DIEU EST AMERICAIN
 
Une nation s’élèvera contre une nation, et un royaume contre un royaume; il y aura de grands tremblements de terre, et, en divers lieux, des pestes et des famines; il y aura des phénomènes terribles, et de grands signes dans le ciel. (…) Il y aura des signes dans le soleil, dans la lune et dans les étoiles. Et sur la terre, il y aura de l’angoisse chez les nations qui ne sauront que faire, au bruit de la mer et des flots. Jésus (Luc 21: 10-25)
Où est Dieu? cria-t-il, je vais vous le dire! Nous l’avons tué – vous et moi! Nous tous sommes ses meurtriers! Mais comment avons-nous fait cela? Comment avons-nous pu vider la mer? Qui nous a donné l’éponge pour effacer l’horizon tout entier? Dieu est mort! (…) Et c’est nous qui l’avons tué ! (…) Ce que le monde avait possédé jusqu’alors de plus sacré et de plus puissant a perdu son sang sous nos couteaux (…) Quelles solennités expiatoires, quels jeux sacrés nous faudra-t-il inventer? Nietzsche
Quand vous avez éliminé l’impossible, ce qui reste, aussi improbable cela soit-il, doit être la vérité. Sherlock Holmes
Ce sont les enjeux ! Pour faire un monde où chaque enfant de Dieu puisse vivre, ou entrer dans l’obscurité, nous devons soit nous aimer l’un l’autre, soit mourir. Lyndon Johnson (1964)
Interdire le DDT a tué plus de personnes qu’Hitler. Personnage d’un roman de  Michael Crichton (State of Fear, 2004)
Dans la mythologie grecque, Prométhée est le titan qui donne le feu aux hommes. Il incarne désormais la civilisation industrielle si décriée par l’écologie politique. Je tente de restituer son bilan en lui offrant un procès équitable. Il ne s’agit pas seulement de rappeler que la société industrielle nous a délivrés de la famine, de l’ignorance, de la maladie, des effets ravageurs des aléas naturels et de la pénibilité. Il convient aussi de liquider le mythe du paradis perdu qui prétend que notre environnement n’a jamais été aussi toxique qu’aujourd’hui. On doit cette fable aux penchants rousseauistes de l’idéologie écologiste : ils reprochent au progrès industriel de souiller notre monde. (…) Ce récit décliniste suggère que les sociétés prémodernes entretenaient avec leur environnement une relation plus harmonieuse. Mais cette nostalgie n’a aucun fondement. Les hommes des cavernes et les villes préindustrielles étaient exposés à des nuisances environnementales bien plus ravageuses que les citadins des métropoles modernes. La pollution et les catastrophes naturelles font plus de victimes dans les pays faiblement industrialisés que dans les nations développées. Enfin, les secondes sont mieux armées que les premières pour affronter le changement climatique. Il serait immoral et contreproductif de renoncer à l’expansion de l’industrialisme. On trahirait les peuples enfermés dans les fléaux écologiques prémodernes en éloignant l’humanité des solutions aux nouveaux défis. (…) La technologie provient toujours de ce que le philosophe Jacques Ellul appelait avec dédain la «passion de l’efficacité». Elle a pour objet d’augmenter notre puissance. La question est de savoir si cette quête de puissance est bienveillante ou non. L’écologie politique l’envisage avec pessimisme. Hans Jonas écrivait que la véritable menace que porte la technologie «ne réside pas tant dans ses moyens de destruction que dans son paisible usage quotidien». On accuse la technique d’augmenter les penchants destructeurs de l’homme. Les tragédies du XXe siècle et l’attention accordée aux nouveaux risques ont renforcé le prestige de cette lecture, quitte encore à sombrer dans la fable du bon sauvage. Pourtant, les travaux de Lawrence Keeley montrent que les guerres préhistoriques étaient plus fréquentes et meurtrières que les conflits modernes. Les Hutus n’ont guère eu besoin de la haute technologie pour décimer les Tutsis. Si l’on revient à l’environnement, les outils rudimentaires des chasseurs-cueilleurs ont suffi à conduire une partie de la mégafaune du Pléistocène à l’extinction tandis que leur mode de vie exigeait des infanticides et des géronticides réguliers. Bien sûr, il ne faut pas tomber dans l’excès inverse, qui voit dans le progrès technique la condition suffisante du progrès moral, en oubliant la variable culturelle. Mais en l’occurrence, et en dépit des nouveaux risques, le bilan sécuritaire de la modernité est positif, comme en témoigne notre succès évolutif. Il n’appartient qu’à nous de faire en sorte qu’il le demeure en usant de notre puissance pour servir notre espèce et non l’asservir. (…) Déjà au XVIIe siècle, l’humaniste Hugo Grotius constatait que le fondement du commerce mondial résidait dans l’inégale répartition géographique des ressources et des terres fertiles ainsi que l’incapacité des nations à subvenir seules à leurs besoins. En s’inscrivant à contre-courant de la mondialisation, localisme et décroissance constituent un profond désintérêt pour le sort de l’humanité. Des études suggèrent que seul un tiers de l’humanité pourrait se nourrir dans un monde localiste. Faut-il tuer les autres ? Lorsque les écologistes pourfendent le productivisme, veulent diminuer les rendements agricoles, préfèrent les sources d’énergie intermittentes aux énergies abondantes, on peut se demander si l’hécatombe humanitaire n’est pas délibérément recherchée. D’autant que les vertus écologiques de ces propositions sont surestimées. Toutes choses égales par ailleurs, une agriculture aux rendements faibles, c’est plus de déforestation. Le localisme néglige le fait que le transport contribue, en proportion, peu aux pollutions, contrairement à la phase de production. C’est pourquoi il est parfois moins polluant de se procurer une marchandise produite par un industriel étranger qui, pour des raisons géographiques, climatiques, techniques, logistiques ou par le jeu des économies d’échelle, parvient à utiliser moins de ressources pour produire une unité de richesses qu’un producteur local aux méthodes inefficientes. Si chaque ville française produisait sa nourriture localement, le gaspillage exploserait. Enfin, un effondrement du commerce mondial appauvrirait l’humanité, ainsi qu’on l’a vu avec la Covid, ce qui amputerait ses capacités à investir dans des technologies propres, mais coûteuses. Pour verdir notre monde sans renoncer à améliorer le sort de l’humanité, il serait plus vertueux que les pays riches investissent dans la modernisation de leur appareil productif ainsi que dans celui des pays du Sud. (…) L’écologie profonde personnifie la nature sauvage en la plaçant au-dessus de l’homme tandis que l’écologie intégrale, selon les termes du Manifeste de la nouvelle droite publié en 2000, «en appelle au dépassement de l’anthropocentrisme moderne». Certes, elle «ne gomme pas la spécificité de l’homme», mais elle lui dénie tout de même «la place exclusive que lui avaient donnée le christianisme et l’humanisme classique». Ces deux écoles ont en commun de se méfier de la souveraineté que l’homme exerce sur la nature. Cette méfiance est désormais partagée par le Pape. Preuve en est qu’il préfère dénoncer la «démesure anthropocentrique» qui définirait notre époque que souligner les atteintes aux droits de l’homme qui ralentissent le développement des pays du Sud. Le souverain pontife propose d’ailleurs de ralentir le développement, voire d’y renoncer. Ce qui montre que l’humanisme n’est plus sa grille de lecture. Comment ne pas déceler des bribes de paganisme dans un discours qui compte parmi les pauvres notre «Terre opprimée», accuse les hommes de «piller» la nature comme si seule Gaïa était propriétaire des ressources et que nous ne serions plus légitimes à en disposer (comme le font tous les autres êtres vivants à leur humble échelle) ? Je ne parle même pas de l’image figée de la biosphère héritée de l’ère pré-darwinienne qui assimile toute transformation des écosystèmes à une destruction. François taxe enfin d’extrémisme ceux qui, dans le sillage des Lumières, placent leur confiance dans le progrès pour résoudre nos problèmes actuels ! Je vois dans cette inflexion du discours catholique le signe de l’hégémonie d’une écologie misanthrope à qui il faut donner des gages : elle ne définit plus la protection de la nature comme la sauvegarde d’un milieu hospitalier pour l’homme, mais comme la «sanctuarisation» d’un milieu dont il faut l’exclure. Pourtant, les écologistes insistent – à raison – sur le fait que l’homme appartient à la nature ! Sapiens doit visiblement se chercher d’autres alliés. (…) Depuis Platon, la philosophie politique occidentale admet que le but des sociétés réside dans l’allégement de la peine que l’homme s’inflige pour assouvir ses besoins. C’est pourquoi on préfère la Cité à l’ermitage. La réduction du labeur est une aspiration naturelle et universelle. Elle n’a pas attendu l’émergence de la question ouvrière au XIXe siècle pour se manifester. En 1516, le penseur humaniste Thomas More imaginait un monde utopique où 6 heures de travail par jour suffisent pour bien vivre. Et tandis que l’ouvrier occidental moyen devait besogner plus de 3000 heures par an pour s’acheter le niveau de vie du XIXe siècle, il peut désormais travailler 1500 heures par an, soit 4 heures par jour, pour obtenir le confort du XXIe siècle. Le progrès de l’industrie et l’ouverture du commerce permettent de faire mieux que l’utopie de More. Le libéral que je suis ne considère pas le travail comme une fin en soi. Ce n’est que le vulgaire prix à payer pour vivre, assouvir ses besoins et servir ses semblables. Le but du progrès est de réduire ce prix pour tendre vers la perfection (même si nous ne l’atteindrons jamais) que décrivait l’économiste Frédéric Bastiat en son temps : un effort nul pour un gain infini. Ces idéaux ont longtemps été consensuels. Mais le comble est de voir désormais la gauche radicale, naguère favorable au «droit à la paresse», plaider pour assigner l’humanité à la malédiction de Sisyphe : un effort infini pour un gain nul. C’est ainsi qu’il faut interpréter les propositions d’un Nicolas Hulot ou d’un Dominique Bourg. Ce dernier veut reconduire un tiers de la population dans les champs, avec pour seule aide «l’énergie musculaire et animale». Ces délires réactionnaires seraient amusants s’ils n’influençaient pas les responsables «modérés» : nous avons déjà entendu un ministre français plaider pour le retour aux pratiques agricoles de nos grands-parents. (…) Malthus craignait le scénario d’une production de richesses incapable de suivre une croissance démographique exponentielle. En dépit de ses erreurs, l’épouvantail de la surpopulation continue d’être agité par les écologistes, comme en témoignent les cas de Paul Ehrlich, qui envisageait la stérilisation forcée, ou de Pablo Servigne, qui suggère dans son best-seller que nous devons dès maintenant choisir qui doit naître pour ne pas avoir à choisir qui devra mourir demain. Rappelons qu’au temps de Malthus, nous étions un milliard et la misère était la norme. Aujourd’hui, nous sommes 8 milliards et la misère devient l’exception, ce qui infirme les scénarios apocalyptiques que l’on pouvait lire dans les années 70 à travers le rapport au Club de Rome. Ces progrès humanitaires s’expliquent par le fait que les hommes, loin de n’être que des ventres sur pattes, sont d’abord des ouvriers, des ingénieurs et des innovateurs. Ils créent plus qu’ils ne détruisent. Jean Bodin avait raison de souligner dès le XVIe siècle qu’il ne faut jamais craindre qu’il y ait trop de citoyens dans la mesure où il n’y a de richesse que d’hommes. Désormais, le néo-malthusianisme prétend qu’une «surpopulation» d’êtres opulents menace de rendre notre planète toxique. Le raisonnement semble a priori logique. On peut en effet se dire que, toutes choses égales par ailleurs, plus on est, plus on consomme, plus on pollue. Sauf que la variable technologique fait que les choses ne sont jamais égales par ailleurs ! Par exemple, Paris comptait 200 000 âmes en 1328, soit 10 fois moins qu’aujourd’hui. Pourtant, la pollution tuait une proportion de Parisiens plus forte au Moyen Âge qu’au XXIe siècle : une métropole équipée de l’électricité et du traitement des eaux usées bénéficie d’un environnement de meilleure qualité qu’une petite bourgade dépourvue de ces technologies. (…) Le raisonnement vaut pour le changement climatique. Entre 1979 et 2019, grâce au nucléaire et à l’efficacité énergétique, les émissions territoriales françaises de CO2 ont baissé tandis que la population française a gagné 11 millions d’habitants sur la même période et que notre production industrielle est plus élevée en 2019 qu’en 1979 en valeur absolue. Les émissions importées suivront la même trajectoire à mesure que nos partenaires commerciaux obtiendront nos technologies. Or, ainsi que le rappelait l’économiste Julian Simon, une large démographie favorise l’innovation, car elle permet une abondance de bras et de cerveaux brillants. Enfin, le jeu des économies d’échelle fait que les grandes communautés obtiennent plus aisément les technologies propres qui, parce que coûteuses, seraient inaccessibles aux petites communautés. C’est la raison pour laquelle les villes sont mieux équipées que les campagnes en infrastructures essentielles à un environnement sain, comme les réseaux d’égout ou les stations d’épuration. Pour sauver notre habitat, mieux vaut des familles nombreuses composées d’ingénieurs que des zadistes célibataires. D’ailleurs, si l’on regarde les trajectoires démographiques actuelles, la menace qui plane sur nous est plutôt le vieillissement et le déclin démographique de notre espèce. (…) Je dénonce une récurrence étrange chez les écologistes. Les mesures qu’ils proposent contreviennent toujours à la résolution des problèmes qu’ils soulignent, voire les aggravent. On ne peut pas comprendre cette dissonance si on ne la met pas en lien avec les arrière-pensées anticapitalistes de ce mouvement. Je cite dans mon ouvrage d’éminents auteurs écologistes qui redoutent le scénario d’une humanité qui parvient à se doter d’une énergie abondante, fut-elle propre, et qui présentent la pauvreté comme l’horizon souhaitable de notre espèce. Ce qui suffit à prouver leur insincérité. Si le but est de lutter contre le changement climatique en assurant à l’humanité le niveau de vie le plus élevé possible, alors, outre l’efficacité énergétique, il faut que celle-ci cesse de fermer des centrales nucléaires et se convertisse massivement à l’énergie atomique, soit la source d’énergie la plus décarbonée, fiable et efficace à grande échelle. Les centaines de milliards que les pouvoirs publics et le secteur privé des pays développés dilapident dans l’éolien et le solaire doivent être immédiatement réaffectés vers l’atome. Sans cela, toute tentative de décarboner l’électricité mondiale, d’électrifier nos usages, de synthétiser des carburants ou des engrais propres ou d’investir dans la capture du CO₂ sera inefficiente. Plutôt que de culpabiliser les pays émergents, nous devrions porter l’idéal d’une filière nucléaire ambitieuse, capable de frapper à la porte de tous les pays soucieux de se délivrer de la misère et des énergies fossiles. Il ne faut pas non plus oublier l’impératif de l’adaptation, qui montre là encore l’inanité de la post-croissance : la résistance des sociétés face aux aléas naturels augmente avec la richesse. Un Israélien ou un Néerlandais qui peut se procurer des stations pour dessaler l’eau de mer ou un système de protection côtière ultra-sophistiqué contre la montée des eaux est moins vulnérable à la sécheresse et aux inondations qu’un Malgache ou qu’un Bangladais. Une des réponses au changement climatique consiste à nous assurer que ces gains en résilience devancent l’émergence des nouveaux risques. Ce ne sont là que des premières pistes qui méritent d’être approfondies par des entrepreneurs, ingénieurs et scientifiques assez humanistes pour refuser le discours qui feint de s’inquiéter des maux du changement climatique pour assigner les hommes aux fléaux de la misère. Ferghane Azihari
Combien de dirigeants mondiaux, depuis combien de décennies ont vu et su ce qui vient, mais ont décidé qu’il était politiquement plus opportun de le garder à huis clos ? Ma génération et les générations après moi n’ont pas ce luxe. En 2050, j’aurai 56 ans. Pourtant, aujourd’hui, l’âge moyen de ce 52e Parlement est de 49 ans. OK, boomer ! Les institutions politiques actuelles se sont avérées incompétentes pour penser en dehors du court terme politique. Chloe Swarbruck
Parents have scrambled to buy air purifiers. IQAir, a Swiss company, makes purifiers that cost up to $3,000 here and are displayed in shiny showrooms. Mike Murphy, the chief executive of IQAir China, said sales had tripled in the first three months of 2013 over the same period last year. Face masks are now part of the urban dress code. Ms. Zhang laid out half a dozen masks on her dining room table and held up one with a picture of a teddy bear that fits Xiaotian. Schools are adopting emergency measures. Xiaotian’s private kindergarten used to take the children on a field trip once a week, but it has canceled most of those this year. At the prestigious Beijing No. 4 High School, which has long trained Chinese leaders and their children, outdoor physical education classes are now canceled when the pollution index is high. (…) Elite schools are investing in infrastructure to keep children active. Among them are Dulwich College Beijing and the International School of Beijing, which in January completed two large white sports domes of synthetic fabric that cover athletic fields and tennis courts. The construction of the domes and an accompanying building began a year ago, to give the 1,900 students a place to exercise in both bad weather and high pollution, said Jeff Johanson, director of student activities. The project cost $5.7 million and includes hospital-grade air-filtration systems. Teachers check the hourly air ratings from the United States Embassy to determine whether children should play outside or beneath the domes. NYT
From gigantic domes that keep out pollution to face masks with fancy fiber filters, purifiers and even canned air, Chinese businesses are trying to find a way to market that most elusive commodity: clean air. An unprecedented wave of pollution throughout China (dubbed the “airpocalypse” or “airmageddon” by headline writers) has spawned an almost entirely new industry. The biggest ticket item is a huge dome that looks like a cross between the Biosphere and an overgrown wedding tent. Two of them recently went up at the International School of Beijing, one with six tennis courts, another large enough to harbor kids playing soccer and badminton and shooting hoops simultaneously Friday afternoon. The contraptions are held up with pressure from the system pumping in fresh air. Your ears pop when you go in through one of three revolving doors that maintain a tight air lock. The anti-pollution dome is the joint creation of a Shenzhen-based manufacturer of outdoor enclosures and a California company, Valencia-based UVDI, that makes air filtration and disinfection systems for hospitals, schools, museums and airports, including the new international terminal at Los Angeles International Airport. Although the technologies aren’t new, this is the first time they’ve been put together specifically to keep out pollution, the manufacturers say. (…) Since air pollution skyrocketed in mid-January, Xiao said, orders for domes were pouring in from schools, government sports facilities and wealthy individuals who want them in their backyards. He said domes measuring more than 54,000 square feet each cost more than $1 million. (…) Because it’s not possible to put a dome over all of Beijing, where air quality is the worst, people are taking matters into their own hands. Not since the 2003 epidemic of SARS have face masks been such hot sellers. Many manufacturers are reporting record sales of devices varying from high-tech neoprene masks with exhalation valves, designed for urban bicyclists, that cost up to $50 each, to cheap cloth masks (some in stripes, polka dots, paisley and some emulating animal faces). (…) In mid-January, measurements of particulate matter reached more than 1,000 micrograms per cubic meter in some parts of northeast China. Anything above 300 is considered “hazardous” and the index stops at 500. By comparison, the U.S. has seen readings of 1,000 only in areas downwind of forest fires. The U.S. Centers for Disease Control and Prevention reported last year that the average particulate matter reading from 16 airport smokers’ lounges was 166.6. The Chinese government has been experimenting with various emergency measures, curtailing the use of official cars and ordering factories and construction sites to shut down. Some cities are even considering curbs on fireworks during the upcoming Chinese New Year holiday, interfering with an almost sacred tradition. In the meantime, home air filters have joined the new must-have appliances for middle class Chinese. (…) Many distributors report panic buying of air purifiers. In China, home air purifiers range from $15 gizmos that look like night lights to handsome $6,000 wood-finished models that are supplied to Zhongnanhai, the headquarters of the Chinese Communist Party and to other leadership facilities. One model is advertised as emitting vitamin C to build immunity and to prevent skin aging. In a more tongue in cheek approach to the problem, a self-promoting Chinese millionaire has been selling soda-sized cans of, you guessed it, air. (…) “I want to tell mayors, county chiefs and heads of big companies,” Chen told reporters Wednesday, while giving out free cans of air on a Beijing sidewalk as a publicity stunt. “Don’t just chase GDP growth, don’t chase the biggest profits at the expense of our children and grandchildren. » LA Times
Plus la guerre froide s’éloigne, plus le nombre de conflits diminue. (…) il n’y a eu ainsi en 2010 que 15 conflits d’ampleur significative, tous internes. (…)  Grosso modo, le nombre de conflits d’importance a diminué de 60% depuis la fin de la guerre froide (…) outre le fait que les guerres sont plutôt moins meurtrières, en moyenne, qu’elles ne l’étaient jusque dans les années 1960, cette réduction trouve sa source essentiellement dans la diminution spectaculaire du nombre de guerres civiles. La fin des conflits indirects entre l’Est et l’Ouest, l’intervention croissante des organisations internationales et des médiateurs externes, et dans une certaine mesure le développement économique et social des États, sont les causes principales de cette tendance. S’y ajoutent sans doute (…) des évolutions démographiques favorables. Bruno Tertrais
Imaginez que [Fukushima] se soit produit dans un pays non-développé: le nombre de morts aurait été de 200 000. Le développement et la croissance nous protègent des catastrophes naturelles. Bruno Tertrais
Longtemps, les divinités représentèrent le lieu de cette extériorité. Les sociétés modernes ont voulu s’en affranchir: mais cette désacralisation peut nous laisser sans protection aucune face à notre violence et nous mener à la catastrophe finale. Jean-Pierre Dupuy
Nous étions installés dans le temps des catastrophes. Le monde a vécu l’événement du 11 septembre moins comme l’inscription dans le réel de quelque chose d’insensé, donc d’impossible, que comme l’irruption du possible dans l’impossible. La pire horreur devient désormais possible. Si elle est devenue possible, c’est qu’elle ne l’était pas. Et pourtant, objecte le bon sens, si elle s’est produite, c’est bien qu’elle était possible. […] C’est bien là la source de notre problème. Car s’il faut prévenir la catastrophe, on a besoin de croire en sa possibilité avant qu’elle ne se produise. Si, inversement, on réussit à la prévenir, sa non-réalisation la maintient dans le domaine de l’impossible, et les efforts de prévention en apparaissent rétrospectivement inutiles. J.-P. Dupuy (Pour un catastrophisme éclairé – Quand l’impossible est certain, 2002)
Le catastrophisme éclairé, c’est être pessimiste pour se donner les moyens d’être optimiste. Il faut regarder la catastrophe en face pour se donner une chance de l’éviter. Jean-Pierre Dupuy
On peut dire de ce type de prophétie qu’elle est auto-invalidante de la même manière que l’on parle de prophétie auto-réalisatrice. (…) S’il veut être un vrai prophète, le prophète, en annonçant l’avenir, doit donc tenir compte de l’effet de sa parole sur le comportement des gens. Il doit annoncer un avenir tel que les réactions de ses auditeurs co-produisent l’avenir en question, ou, en tout cas, ne l’empêchent pas de se réaliser. (…) En d’autres termes, le prophète prétend annoncer un futur fixe c’est-à-dire indépendant des actions des agents, un avenir destinal en somme, alors qu’il a en réalité tenu compte des réactions de son auditoire pour se caler en un avenir tel que, celui-ci une fois annoncé, les réactions des agents l’engendreront. Ce procédé fonctionne d’autant mieux que les agents ignorent qu’ils participent à un tel schème. Ils tiennent que la parole du prophète dit ce que sera l’avenir. Si le prophète s’est calé sur un point fixe, l’avenir devenu présent ne les démentira pas. Si, de plus, cet avenir est celui que le prophète voulait faire arriver, soit parce qu’il est bon soit parce qu’il évite un désastre, qui songera à soupçonner le prophète ? Il aura eu recours à un détour métaphysique pour aller dans le bon sens. Autrement dit, le prophète fait fond sur la logique de la prophétie auto-réalisatrice. Le défi que doit relever le prophète de malheur apparaît dès lors dans sa singularité : il doit résoudre en termes de prophétie auto-réalisatrice un problème dont la nature est celui d’une prophétie auto-invalidante. C’est l’objectif que je me suis fixé dès mon livre de 2002 sur le « catastrophisme éclairé » et c’est en ce point que je me suis écarté tant de Jonas que d’Anders, lesquels en sont restés au stade de la prophétie auto-invalidante, celle qui rend le prophète ridicule mais fier d’avoir sauvegardé la vie. (…) Existe-t-il une manière de prophétiser la catastrophe par l’annonce d’un avenir nécessaire qui l’évite et qui soit tel que cette annonce induise des comportements qui favorisent cet évitement ? Peut-on vraiment rabattre la prophétie auto-invalidante sur la prophétie auto-réalisatrice ? Comme nous l’avons déjà vu, deux types opposés de rapport prophétique à l’avenir conduisent à renforcer la probabilité d’une catastrophe majeure. Celui des optimistes béats qui voient les choses s’arranger de toute façon, quoi que fassent les agents, par la grâce du principe qui veut que l’humanité se soit toujours sortie des pires situations. Et celui des catastrophistes mortifères que sont les collapsologues, qui annoncent comme certain ce qu’ils appellent l’effondrement. Dans l’un et l’autre cas, on contribue à en renforcer le caractère probable en démobilisant les agents, mais dans le second cas, cela va dans le sens de la prophétie, et dans le premier en sens opposé. (…) Prophétiser que la catastrophe est sur le point de se produire, c’est contribuer à la faire advenir. La passer sous silence ou en minimiser l’importance, à la façon des optimistes béats, conduit au même résultat. Ce qu’il faudrait, c’est combiner les deux démarches : annoncer un avenir nécessaire qui superposerait l’occurrence de la catastrophe, pour qu’elle puisse faire office de dissuasion, et sa non-occurrence, pour préserver l’espoir. (…) Il existe diverses manières de concevoir la superposition des états qui réalise l’indétermination. Je me contenterai ici de deux sortes d’exemples, tirés de mes travaux passés. D’abord le concept de near miss (ou near hit), familier aux stratèges nucléaires. Plusieurs dizaines de fois au cours de la Guerre froide, mais aussi plus tard, on est passé « à un cheveu » du déclenchement d’une guerre nucléaire. Est-ce à mettre au crédit ou au passif de la dissuasion ? Les deux réponses sont simultanément bonnes. McNamara conclut à l’inefficacité de la dissuasion. «We lucked out » (Nous avons eu du bol) dit-il à ce sujet en recourant à une expression argotique bien trempée. Cette conclusion n’est-elle pas trop hâtive ? Ne pourrait-on pas dire au contraire que c’est ce flirt répété avec le tigre nucléaire, cette série d’apocalypses qui n’ont pas eu lieu, qui nous a protégés du danger que représentent l’accoutumance, le contentement de soi, l’indifférence, le cynisme, la bêtise, la croyance béate que le pire nous sera épargné ? Ni trop près, ni trop loin du trou noir, ou bien être à la fois proche et distant de l’abîme, telle semble être la leçon à tirer de la Guerre froide. Le point fixe endogène est ici une apocalypse qui n’a pas eu lieu mais il s’en est fallu de peu. Je suis encore tout secoué que ma fille brésilienne se soit trouvée à bord du vol Air France AF 447 qui relie quotidiennement Rio de Janeiro à Paris le 31 mai 2009, soit la veille du jour où le même vol a disparu en mer. Mais si elle avait été sur ce vol une semaine, un mois, une année avant le crash, mon sentiment de peur rétroactive aurait-il été le même ? La catastrophe n’a pas eu lieu, cela arrive tous les jours, sinon c’en serait fini de l’industrie aéronautique. Le near miss, c’est autre chose. Il y a, sous-jacente à l’absence de la catastrophe, l’image de la catastrophe elle-même, l’ensemble constituant ce qu’on peut appeler une présence-absence. La nouvelle de Philippe K. Dick, « Minority Report », développe une idée contenue dans le Zadig de Voltaire et illustre d’une autre façon les paradoxes examinés ici. La police du futur y est représentée comme ce qu’on appelle aujourd’hui, alors qu’elle est mise en place dans diverses villes du monde, une police prédictive qui prévoit tous les crimes qui vont être commis dans une zone donnée. Elle intervient parfois au tout dernier moment pour empêcher le criminel d’accomplir son forfait, ce qui fait dire à ce dernier : « Mais je n’ai rien fait ! », à quoi la police répond : « Mais vous alliez le faire. » L’un des policiers, plus tourné vers la métaphysique que les autres, a ce mot : « Ce n’est pas l’avenir si on l’empêche de se produire ! ». Mais c’est sur le titre de la nouvelle que je veux insister ici. L’« avis minoritaire » se réfère à cette pratique à laquelle ont recours nombre d’institutions importantes de par le monde, par exemple la Cour Suprême des États-Unis ou le Conseil d’État français, qui consiste, lorsqu’elles rendent un avis qui ne fait pas l’unanimité, à inclure, à côté de l’avis majoritaire qui devient de ce fait l’avis de la Cour ou du Conseil, l’avis de la minorité. Dans la nouvelle de Dick, la prophétie est faite par un trio de Parques nommées Precogs (pour Pre-cognition). Trois est un nombre très intéressant car, ou bien les trois Parques sont d’accord, ou bien c’est deux contre une. La minorité, s’il y en a une, ne contient qu’un élément. L’avis de celui-ci apparaît en supplément de l’avis rendu, qu’il contredit tout en en faisant partie. Voilà à quoi devrait ressembler la prophétie face à une catastrophe anticipée mais dont la date est inconnue : le malheur ne devrait y figurer qu’en filigrane d’une annonce de bonheur, ce bonheur consistant en l’évitement du malheur. On pourrait dire que le bonheur contient le malheur tout en étant son contraire, en prenant le verbe « contenir » dans son double sens d’avoir en soi et de faire barrage à. Jean-Pierre Dupuy
Nous vivons à la fois dans lehttp://www.lekairn.fr/article-231120-jean-pierre-dupuy/ meilleur et le pire des mondes. Les progrès de l’humanité sont réels. Nos lois sont meilleures et nous nous tuons moins les uns les autres. En même temps, nous ne voulons pas voir notre responsabilité dans les menaces et les possibilités de destruction qui pèsent sur nous. René Girard
Les événements qui se déroulent sous nos yeux sont à la fois naturels et culturels, c’est-à-dire qu’ils sont apocalyptiques. Jusqu’à présent, les textes de l’Apocalypse faisaient rire. Tout l’effort de la pensée moderne a été de séparer le culturel du naturel. La science consiste à montrer que les phénomènes culturels ne sont pas naturels et qu’on se trompe forcément si on mélange les tremblements de terre et les rumeurs de guerre, comme le fait le texte de l’Apocalypse. Mais, tout à coup, la science prend conscience que les activités de l’homme sont en train de détruire la nature. C’est la science qui revient à l’Apocalypse. René Girard
L’interprétation que Dupuy et Dumouchel donnent de notre société me paraît juste, seulement un peu trop optimiste. D’après eux, la société de consommation constitue une façon de désamorcer la rivalité mimétique, de réduire sa puissance conflictuelle. C’est vrai. S’arranger pour que les mêmes objets, les mêmes marchandises soient accessibles à tout le monde, c’est réduire les occasions de conflit et de rivalité entre les individus. Lorsque ce système devient permanent, toutefois, les individus finissent par se désintéresser de ces objets trop accessibles et identiques. Il faut du temps pour que cette « usure » se produise, mais elle se produit toujours. Parce qu’elle rend les objets trop faciles à acquérir, la société de consommation travaille à sa propre destruction. Comme tout mécanisme sacrificiel, cette société a besoin de se réinventer de temps à autre. Pour survivre, elle doit inventer des gadgets toujours nouveaux. Et la société de marché engloutit les ressources de la terre, un peu comme les Aztèques qui tuaient toujours plus de victimes. Tout remède sacrificiel perd son efficacité avec le temps. René Girard
Certains spécialistes avancent le chiffre de vingt mille victimes par an au moment de la conquête de Cortès. Même s’il y avait beaucoup d’exagération, le sacrifice humain n’en jouerait pas moins chez les Aztèques un rôle proprement monstrueux. Ce peuple était constamment occupé à guerroyer, non pour étendre son territoire, mais pour se procurer les victimes nécessaires aux innombrables sacrifices recensés par Bernardino de Sahagun. Les ethnologues possèdent toutes ces données depuis des siècles, depuis l’époque, en vérité, qui effectua les premiers déchiffrements de la représentation persécutrice dans le monde occidental. Mais ils ne tirent pas les mêmes conclusions dans les deux cas. Aujourd’hui moins que jamais. Ils passent le plus clair de leur temps à minimiser, sinon à justifier entièrement, chez les Aztèques, ce qu’ils condamnent à juste titre dans leur propre univers. Une fois de plus nous retrouvons les deux poids et les deux mesures qui caractérisent les sciences de l’homme dans leur traitement des sociétés historiques et des sociétés ethnologiques. Notre impuissance à repérer dans les mythes une représentation persécutrice plus mystifiée encore que la nôtre ne tient pas seulement à la difficulté plus grande de l’entreprise, à la transfiguration plus extrême des données, elle relève “modernes sont surtout obsédés par le mépris et ils s’efforcent de présenter ces univers disparus sous les couleurs les plus favorables. (…) Les ethnologues décrivent avec gourmandise le sort enviable de ces victimes. Pendant la période qui précède leur sacrifice, elles jouissent de privilèges extraordinaires et c’est sereinement, peut-être même joyeusement, qu’elles s’avancent vers la mort. Jacques Soustelle, entre autres, recommande à ses lecteurs de ne pas interpréter ces boucheries religieuses à la lumière de nos concepts. L’affreux péché d’ethnocentrisme nous guette et, quoi que fassent les sociétés exotiques, il faut se garder du moindre jugement négatif. Si louable que soit le souci de « réhabiliter » des mondes méconnus, il faut y mettre du discernement. Les excès actuels rivalisent de ridicule avec l’enflure orgueilleuse de naguère, mais en sens contraire. Au fond, c’est toujours la même condescendance : nous n’appliquons pas à ces sociétés les critères que nous appliquons à nous-mêmes, mais à la suite, cette fois, d’une inversion démagogique bien caractéristique de notre fin de siècle. Ou bien nos sources ne valent rien et nous n’avons plus qu’à nous taire : nous ne saurons jamais rien de certain sur les Aztèques, ou bien nos sources valent quelque chose, et l’honnêteté oblige à conclure que la religion de ce peuple n’a pas usurpé sa place au musée planétaire de l’horreur humaine. Le zèle antiethnocentrique s’égare quand il justifie les orgies sanglantes de l’image visiblement trompeuse qu’elles donnent d’elles-mêmes. Bien que pénétré d’idéologie sacrificielle, le mythe atroce et magnifique de Teotihuacan porte sourdement témoignage contre cette vision mystificatrice. Si quelque chose humanise ce texte, ce n’est pas la fausse idylle des victimes et des bourreaux qu’épousent fâcheusement le néo-rousseauisme et le néo-nietzschéisme de nos deux après-guerres, c’est ce qui s’oppose à cette hypocrite vision, sans aller jusqu’à la contredire ouvertement, ce sont les hésitations que j’ai notées face aux fausses évidences qui les entourent. René Girard
Cargo cult: any of the religious movements chiefly, but not solely, in Melanesia that exhibit belief in the imminence of a new age of blessing, to be initiated by the arrival of a special “cargo” of goods from supernatural sources—based on the observation by local residents of the delivery of supplies to colonial officials. Tribal divinities, culture heroes, or ancestors may be expected to return with the cargo, or the goods may be expected to come through foreigners, who are sometimes accused of having intercepted material goods intended for the native peoples. If the cargo is expected by ship or plane, symbolic wharves or landing strips and warehouses are sometimes built in preparation, and traditional material resources are abandoned—gardening ceases, and pigs and foodstocks are destroyed. Former customs may be revived or current practices drastically changed, and new social organizations, sometimes imitative of the colonial police or armed forces, initiated. Encyclopaedia Britannica
Pur produit des sociétés dans lesquelles les élites ignorent que les processus culturels précèdent le succès, le Culte du Cargo, qui consiste à investir dans une infrastructure dont est dotée une société prospère en espérant que cette acquisition produise les mêmes effets pour soi, fut l’un des moteurs des emprunts toxiques des collectivités locales. L’expression a été popularisée lors de la seconde guerre mondiale, quand elle s’est exprimée par de fausses infrastructures créées par les insulaires et destinées à attirer les cargos.(…) Les collectivités ont développé une addiction à la dépense et, comme les ménages victimes plus ou moins conscientes des subprimes, elles ont facilement trouvé un dealer pour leur répondre. Les causes en sont assez évidentes : multiplication des élus locaux n’ayant pas toujours de compétences techniques et encore moins financières, peu ou pas formés, tenus parfois par leur administration devenue maîtresse des lieux, et engagés dans une concurrence à la visibilité entre la ville, l’agglomération, le département à qui voudra montrer qu’il construit ou qu’il anime plus et mieux que l’autre, dans une relation finalement assez féodale. (…) Il serait sans doute erroné de porter l’opprobre sur les élus locaux ou même sur les banques, car il s’agit là de la manifestation d’une tendance de fond très profonde et très simple qui a à faire avec le désir mimétique et le Culte du Cargo. Ce dernier fut particulièrement évident en Océanie pendant la seconde guerre mondiale, où des habitants des îles observant une corrélation entre l’appel du radio et l’arrivée d’un cargo de vivres, ou bien entre l’existence d’une piste et l’arrivée d’avions, se mirent à construire un culte fait de simulacre de radio et de fausses pistes d’atterrissage, espérant ainsi que l’existence de moyens ferait venir l’objet désiré. Il s’agit d’un phénomène général, comme par exemple en informatique lorsque l’on recopie une procédure que l’on ne comprend pas dans son propre programme, en espérant qu’elle y produise le même effet que dans son programme d’origine. (…) Bien que paradoxale, l’addiction à la dette est synchrone avec les difficultés financières et correspond peut-être inconsciemment à l’instinct du joueur à se “refaire”. Ce qui est toutefois plus grave est, d’une part, l’hallucination collective qui permet le phénomène de Culte du Cargo, mais aussi l’absence totale de contre-pouvoir à cette pensée devenue unique, voire magique. Le Culte du Cargo aggrave toujours la situation. La raison est aussi simple que diabolique : les prêtres du Culte du Cargo dépensent pour acheter des infrastructures similaires à ce qu’ils ont vu ailleurs dans l’espoir d’attirer la fortune sur leur tribu. Malheureusement, dans le même temps, les “esprits” qui restaient dans la tribu se sont enfuis ou se taisent devant la pression de la foule en attente de miracle. Alors, les élites, qui ignorent totalement que derrière l’apparent résultat se cachent des processus culturels complexes qu’ils ne comprennent pas, se dotent d’un faux aéroport ou d’une fausse radio et dilapident ainsi, en pure perte, leurs dernières ressources. Il serait injuste de penser que ce phénomène ne concerne que des populations peu avancées. En 1974, Richard Feynman dénonça la “Cargo Cult Science” lors d’un discours à Caltech. Les collectivités confrontées à une concurrence pour la population organisent agendas et ateliers (en fait des brainstormings) pour évoquer les raisons de leurs handicaps par rapport à d’autres. Il suit généralement une liste de solutions précédées de “Il faut” : de la Recherche, des Jeunes, des Cadres, une communauté homosexuelle, une patinoire, une piscine, le TGV, un festival, une équipe sportive onéreuse, son gymnase…Tout cela est peut-être vrai, mais cela revient à confondre les effets avec les processus requis pour les obtenir. Comme nul ne comprend les processus culturels qui ont conduit à ce qu’une collectivité réussisse, il est plus facile de croire que boire le café de George Clooney vous apportera le même succès. Rien de nouveau ici : la publicité et ses 700 milliards de dollars de budget mondial annuel manipule cela depuis le début de la société de consommation. Routes menant à des plateformes logistiques ou des zones industrielles jamais construites, bureaux vides, duplication des infrastructures (piscines, technopoles, pépinières…) à quelques mètres les unes des autres, le Culte du Cargo nous coûte cher : il faut que cela se voit, même si cela ne sert à rien. Malheureusement, les vraies actions de création des processus culturels et sociaux ne se voient généralement pas aussi bien qu’un beau bâtiment tout neuf. (…) Ainsi, les pôles de compétitivité marchent d’autant mieux qu’ils viennent seulement labelliser un système culturel déjà préexistant. Lorsqu’ils sont des créations dans l’urgence, en hydroponique, par la volonté rituelle de reproduire, leurs effets relèvent de l’espoir, non d’une stratégie. (…) Ainsi, la tentation française de copier les mesures allemandes qui ont conduit au succès, sans que les dirigeants français aient vraiment compris pourquoi, mais en espérant les mêmes bénéfices, peut être considérée comme une expression du Culte du Cargo. C’est en effet faire fi des processus culturels engagés depuis des décennies en Allemagne et qui ont conduit à une culture de la négociation sociale et à des syndicats représentatifs. (…) Contrairement à ce que veulent faire croire les prêtres du Culte du Cargo, les danses de la pluie ne marchent pas, il faut réfléchir. Luc Brunet
Je crois qu’il y a  quelque chose qui se passe. Il y a quelque chose qui est en train de changer et cela va changer à nouveau. Je ne pense pas que ce soit un canular, je pense qu’il y a probablement une différence. Mais je ne sais pas si c’est à cause de l’homme. (…) Je ne veux pas donner des trillions et des trillions de dollars. Je ne veux pas perdre des millions et des millions d’emplois. Je ne veux pas qu’on y perde au change. (…) Et on ne sait pas si ça se serait passé avec ou sans l’homme. On ne sait pas. (…) Il y a des scientifiques qui ne sont pas d’accord avec ça. (…) Je ne nie pas le changement climatique. Mais cela pourrait très bien repartir dans l’autre sens. Vous savez, on parle de plus de millions d’années. Il y en a qui disent que nous avons eu des ouragans qui étaient bien pires que ce que nous venons d’avoir avec Michael. (…) Vous savez, les scientifiques aussi ont leurs visées politiques. Président Trump (15.10.2018)
La « fin du monde » contre la « fin du mois ». L’expression, supposée avoir été employée initialement par un gilet jaune, a fait florès : comment concilier les impératifs de pouvoir d’achat à court terme, et les exigences écologiques vitales pour la survie de la planète ? La formule a même été reprise ce mardi par Emmanuel Macron, dans son discours sur la transition énergétique. « On l’entend, le président, le gouvernement, a-t-il expliqué, en paraphrasant les requêtes supposées des contestataires. Ils évoquent la fin du monde, nous on parle de la fin du mois. Nous allons traiter les deux, et nous devons traiter les deux. » (…) C’est dire que l’expression – si elle a pu être reprise ponctuellement par tel ou tel manifestant – émane en fait de nos élites boboïsantes. Elle correspond bien à la vision méprisante qu’elles ont d’une France périphérique aux idées étriquées, obsédée par le « pognon » indifférente au bien commun, là où nos dirigeants auraient la capacité à embrasser plus large, et à voir plus loin. Or, la réalité est toute autre : quand on prend le temps de parler à ces gilets jaunes, on constate qu’ils sont parfaitement conscients de la problématique écologique. Parmi leurs revendications, dévoilées ces derniers jours, il y a ainsi l’interdiction immédiate du glyphosate, cancérogène probable que le gouvernement a en revanche autorisé pour encore au moins trois ans. Mais, s’ils se sentent concernés par l’avenir de la planète, les représentants de cette France rurale et périurbaine refusent de payer pour les turpitudes d’un système économique qui détruit l’environnement. D’autant que c’est ce même système qui est à l’origine de la désindustrialisation et de la dévitalisation des territoires, dont ils subissent depuis trente ans les conséquences en première ligne. A l’inverse, nos grandes consciences donneuses de leçon sont bien souvent les principaux bénéficiaires de cette économie mondialisée. Qui est égoïste, et qui est altruiste ? Parmi les doléances des gilets jaunes, on trouve d’ailleurs aussi nombre de revendications politiques : comptabilisation du vote blanc, présence obligatoire des députés à l’Assemblée nationale, promulgation des lois par les citoyens eux-mêmes. Des revendications qu’on peut bien moquer, ou balayer d’un revers de manche en estimant qu’elles ne sont pas de leur ressort. Elles n’en témoignent pas moins d’un souci du politique, au sens le plus noble du terme, celui du devenir de la Cité. A l’inverse, en se repaissant d’une figure rhétorique caricaturale, reprise comme un « gimmick » de communication, nos élites démontrent leur goût pour le paraître et la superficialité, ainsi que la facilité avec laquelle elles s’entichent de clichés qui ne font que conforter leurs préjugés. Alors, qui est ouvert, et qui est étriqué ? Qui voit loin, et qui est replié sur lui-même ? Qui pense à ses fins de mois, et qui, à la fin du monde ? Benjamin Masse-Stamberger
In the South Seas there is a Cargo Cult of people. During the war they saw airplanes land with lots of good materials, and they want the same thing to happen now. So they’ve arranged to make things like runways, to put fires along the sides of the runways, to make a wooden hut for a man to sit in, with two wooden pieces on his head like headphones and bars of bamboo sticking out like antennas—he’s the controller—and they wait for the airplanes to land. They’re doing everything right. The form is perfect. It looks exactly the way it looked before. But it doesn’t work. No airplanes land. So I call these things Cargo Cult Science, because they follow all the apparent precepts and forms of scientific investigation, but they’re missing something essential, because the planes don’t land. Now it behooves me, of course, to tell you what they’re missing. But it would he just about as difficult to explain to the South Sea Islanders how they have to arrange things so that they get some wealth in their system. It is not something simple like telling them how to improve the shapes of the earphones. But there is one feature I notice that is generally missing in Cargo Cult Science. That is the idea that we all hope you have learned in studying science in school (…) It’s a kind of scientific integrity, a principle of scientific thought that corresponds to a kind of utter honesty—a kind of leaning over backwards. For example, if you’re doing an experiment, you should report everything that you think might make it invalid—not only what you think is right about it: other causes that could possibly explain your results; and things you thought of that you’ve eliminated by some other experiment, and how they worked—to make sure the other fellow can tell they have been eliminated. Details that could throw doubt on your interpretation must be given, if you know them. You must do the best you can—if you know anything at all wrong, or possibly wrong—to explain it. If you make a theory, for example, and advertise it, or put it out, then you must also put down all the facts that disagree with it, as well as those that agree with it. There is also a more subtle problem. When you have put a lot of ideas together to make an elaborate theory, you want to make sure, when explaining what it fits, that those things it fits are not just the things that gave you the idea for the theory; but that the finished theory makes something else come out right, in addition. In summary, the idea is to try to give all of the information to help others to judge the value of your contribution; not just the information that leads to judgment in one particular direction or another. The first principle is that you must not fool yourself—and you are the easiest person to fool. So you have to be very careful about that. After you’ve not fooled yourself, it’s easy not to fool other scientists… You just have to be honest in a conventional way after that. Richard Feynman (1974)
If it’s consensus, it isn’t science. If it’s science, it isn’t consensus. Period. Michael Crichton (2013)
Humans exert a growing, but physically small, warming influence on the climate. The results from many different climate models disagree with, or even contradict, each other and many kinds of observations. In short, the science is insufficient to make useful predictions about how the climate will change over the coming decades, much less what effect our actions will have on it. Dr. Steven E. Koonin
‘The Science,” we’re told, is settled. How many times have you heard it? Humans have broken the earth’s climate. Temperatures are rising, sea level is surging, ice is disappearing, and heat waves, storms, droughts, floods, and wildfires are an ever-worsening scourge on the world. Greenhouse gas emissions are causing all of this. And unless they’re eliminated promptly by radical changes to society and its energy systems, “The Science” says Earth is doomed.  Yes, it’s true that the globe is warming, and that humans are exerting a warming influence upon it. But beyond that — to paraphrase the classic movie “The Princess Bride” — “I do not think ‘The Science’ says what you think it says.”  For example, both research literature and government reports state clearly that heat waves in the US are now no more common than they were in 1900, and that the warmest temperatures in the US have not risen in the past fifty years. When I tell people this, most are incredulous. Some gasp. And some get downright hostile.  These are almost certainly not the only climate facts you haven’t heard. Here are three more that might surprise you, drawn from recent published research or assessments of climate science published by the US government and the UN:   Humans have had no detectable impact on hurricanes over the past century. Greenland’s ice sheet isn’t shrinking any more rapidly today than it was 80 years ago. The global area burned by wildfires has declined more than 25 percent since 2003 and 2020 was one of the lowest years on record.  Why haven’t you heard these facts before?  Most of the disconnect comes from the long game of telephone that starts with the research literature and runs through the assessment reports to the summaries of the assessment reports and on to the media coverage. There are abundant opportunities to get things wrong — both accidentally and on purpose — as the information goes through filter after filter to be packaged for various audiences. The public gets their climate information almost exclusively from the media; very few people actually read the assessment summaries, let alone the reports and research papers themselves. That’s perfectly understandable — the data and analyses are nearly impenetrable for non-experts, and the writing is not exactly gripping. As a result, most people don’t get the whole story. Policymakers, too, have to rely on information that’s been put through several different wringers by the time it gets to them. Because most government officials are not themselves scientists, it’s up to scientists to make sure that those who make key policy decisions get an accurate, complete and transparent picture of what’s known (and unknown) about the changing climate, one undistorted by “agenda” or “narrative.” Unfortunately, getting that story straight isn’t as easy as it sounds. (…) the public discussions of climate and energy [have become] increasingly distant from the science. Phrases like “climate emergency,” “climate crisis” and “climate disaster” are now routinely bandied about to support sweeping policy proposals to “fight climate change” with government interventions and subsidies. Not surprisingly, the Biden administration has made climate and energy a major priority infused throughout the government, with the appointment of John Kerry as climate envoy and proposed spending of almost $2 trillion dollars to fight this “existential threat to humanity.” Trillion-dollar decisions about reducing human influences on the climate should be informed by an accurate understanding of scientific certainties and uncertainties. My late Nobel-prizewinning Caltech colleague Richard Feynman was one of the greatest physicists of the 20th century. At the 1974 Caltech commencement, he gave a now famous address titled “Cargo Cult Science” about the rigor scientists must adopt to avoid fooling not only themselves. “Give all of the information to help others to judge the value of your contribution; not just the information that leads to judgment in one particular direction or another,” he implored.  Much of the public portrayal of climate science ignores the great late physicist’s advice. It is an effort to persuade rather than inform, and the information presented withholds either essential context or what doesn’t “fit.” Scientists write and too-casually review the reports, reporters uncritically repeat them, editors allow that to happen, activists and their organizations fan the fires of alarm, and experts endorse the deception by keeping silent.  As a result, the constant repetition of these and many other climate fallacies are turned into accepted truths known as “The Science.” Dr. Steven E. Koonin
Physicist Steven Koonin kicks the hornet’s nest right out of the gate in “Unsettled.” In the book’s first sentences he asserts that “the Science” about our planet’s climate is anything but “settled.” Mr. Koonin knows well that it is nonetheless a settled subject in the minds of most pundits and politicians and most of the population. Further proof of the public’s sentiment: Earlier this year the United Nations Development Programme published the mother of all climate surveys, titled “The Peoples’ Climate Vote.” With more than a million respondents from 50 countries, the survey, unsurprisingly, found “64% of people said that climate change was an emergency.” But science itself is not conducted by polls, regardless of how often we are urged to heed a “scientific consensus” on climate. As the science-trained novelist Michael Crichton summarized in a famous 2003 lecture at Caltech: “If it’s consensus, it isn’t science. If it’s science, it isn’t consensus. Period.” Mr. Koonin says much the same in “Unsettled.” The book is no polemic. It’s a plea for understanding how scientists extract clarity from complexity. And, as Mr. Koonin makes clear, few areas of science are as complex and multidisciplinary as the planet’s climate. (…) But Mr. Koonin is no “climate denier,” to use the concocted phrase used to shut down debate. The word “denier” is of course meant to associate skeptics of climate alarmism with Holocaust deniers. (…) Mr. Koonin makes it clear, on the book’s first page, that “it’s true that the globe is warming, and that humans are exerting a warming influence upon it.” The heart of the science debate, however, isn’t about whether the globe is warmer or whether humanity contributed. The important questions are about the magnitude of civilization’s contribution and the speed of changes; and, derivatively, about the urgency and scale of governmental response. (…) As Mr Koonin illustrates, tornado frequency and severity are also not trending up; nor are the number and severity of droughts. The extent of global fires has been trending significantly downward. The rate of sea-level rise has not accelerated. Global crop yields are rising, not falling. And while global atmospheric CO2 levels are obviously higher now than two centuries ago, they’re not at any record planetary high—they’re at a low that has only been seen once before in the past 500 million years. Mr. Koonin laments the sloppiness of those using local weather “events” to make claims about long-cycle planetary phenomena. He chastises not so much local news media as journalists with prestigious national media who should know better. (…) When it comes to the vaunted computer models, Mr. Koonin is persuasively skeptical. It’s a big problem, he says, when models can’t retroactively “predict” events that have already happened. And he notes that some of the “tuning” done to models so that they work better amounts to “cooking the books.” (…) Since all the data that Mr. Koonin uses are available to others, he poses the obvious question: “Why haven’t you heard these facts before?” (…) He points to such things as incentives to invoke alarm for fundraising purposes and official reports that “mislead by omission.” Many of the primary scientific reports, he observes repeatedly, are factual. Still, “the public gets their climate information almost exclusively from the media; very few people actually read the assessment summaries.” (…) But even if one remains unconvinced by his arguments, the right response is to debate the science. We’ll see if that happens in a world in which politicians assert the science is settled and plan astronomical levels of spending to replace the nation’s massive infrastructures with “green” alternatives. Never have so many spent so much public money on the basis of claims that are so unsettled. The prospects for a reasoned debate are not good. Mark P. Mills
La prophétie de malheur est faite pour éviter qu’elle ne se réalise; et se gausser ultérieurement d’éventuels sonneurs d’alarme en leur rappelant que le pire ne s’est pas réalisé serait le comble de l’injustice: il se peut que leur impair soit leur mérite. Hans Jonas
(Noah was tired of playing the prophet of doom and of always foretelling a catastrophe that would not occur and that no one would take seriously. One day,) he clothed himself in sackcloth and put ashes on his head. This act was only permitted to someone lamenting the loss of his dear child or his wife. Clothed in the habit of truth, acting sorrowful, he went back to the city, intent on using to his advantage the curiosity, malignity and superstition of its people. Within a short time, he had gathered around him a small crowd, and the questions began to surface. He was asked if someone was dead and who the dead person was. Noah answered them that many were dead and, much to the amusement of those who were listening, that they themselves were dead. Asked when this catastrophe had taken place, he answered: tomorrow. Seizing this moment of attention and disarray, Noah stood up to his full height and began to speak: the day after tomorrow, the flood will be something that will have been. And when the flood will have been, all that is will never have existed. When the flood will have carried away all that is, all that will have been, it will be too late to remember, for there will be no one left. So there will no longer be any difference between the dead and those who weep for them. If I have come before you, it is to reverse time, it is to weep today for tomorrow’s dead. The day after tomorrow, it will be too late. Upon this, he went back home, took his clothes off, removed the ashes covering his face, and went to his workshop. In the evening, a carpenter knocked on his door and said to him: let me help you build an ark, so that this may become false. Later, a roofer joined with them and said: it is raining over the mountains, let me help you, so that this may become false. Günther Anders
Si nous nous distinguons des apocalypticiens judéo-chrétiens classiques, ce n’est pas seulement parce que nous craignons la fin (qu’ils ont, eux, espérée), mais surtout parce que notre passion apocalyptique n’a pas d’autre objectif que celui d’empêcher l’apocalypse. Nous ne sommes apocalypticiens que pour avoir tort. Que pour jouir chaque jour à nouveau de la chance d’être là, ridicules mais toujours debout. Günther Anders
Quiconque tient une guerre imminente pour certaine contribue à son déclenchement, précisément par la certitude qu’il en a. Quiconque tient la paix pour certaine se conduit avec insouciance et nous mène sans le vouloir à la guerre. Seul celui qui voit le péril et ne l’oublie pas un seul instant se montre capable de se comporter rationnellement et de faire tout le possible pour l’exorciser. Karl Jaspers
To make the prospect of a catastrophe credible, one must increase the ontological force of its inscription in the future. But to do this with too much success would be to lose sight of the goal, which is precisely to raise awareness and spur action so that the catastrophe does not take place. Jean-Pierre Dupuy (The Paradox of Enlightened Doomsaying/The Jonah Paradox]
Annoncer que la catastrophe est certaine, c’est contribuer à la rendre telle. La passer sous silence ou en minimiser l’importance, à la façon des optimistes béats, conduit au même résultat. Ce qu’il faudrait, c’est combiner les deux démarches : annoncer un avenir destinal qui superposerait l’occurrence de la catastrophe, pour qu’elle puisse faire office de dissuasion, et sa non-occurrence, pour préserver l’espoir. C’est parce que la catastrophe constitue un destin détestable dont nous devons dire que nous n’en voulons pas qu’il faut garder les yeux fixés sur elle, sans jamais la perdre de vue. Jean-Pierre Dupuy
La modernité (…) repose sur la conviction que la croissance économique n’est pas seulement possible mais absolument essentielle. Prières, bonnes actions et méditation pourraient bien être une source de consolation et d’inspiration, mais des problèmes tels que la famine, les épidémies et la guerre ne sauraient être résolus que par la croissance. Ce dogme fondamental se laisse résumer par une idée simple : « Si tu as un problème, tu as probablement besoin de plus, et pour avoir plus, il faut produire plus ! » Les responsables politiques et les économistes modernes insistent : la croissance est vitale pour trois grandes raisons. Premièrement, quand nous produisons plus, nous pouvons consommer plus, accroître notre niveau de vie et, prétendument, jouir d’une vie plus heureuse. Deuxièmement, tant que l’espèce humaine se multiplie, la croissance économique est nécessaire à seule fin de rester où nous en sommes. (…) La modernité a fait du « toujours plus » une panacée applicable à la quasi-totalité des problèmes publics et privés – du fondamentalisme religieux au mariage raté, en passant par l’autoritarisme dans le tiers-monde. (…) La croissance économique est ainsi devenue le carrefour où se rejoignent la quasi-totalité des religions, idéologies et mouvements modernes. L’Union soviétique, avec ses plans quinquennaux mégalomaniaques, n’était pas moins obsédée par la croissance que l’impitoyable requin de la finance américain. De même que chrétiens et musulmans croient tous au ciel et ne divergent que sur le moyen d’y parvenir, au cours de la guerre froide, capitalistes et communistes imaginaient créer le paradis sur terre par la croissance économique et ne se disputaient que sur la méthode exacte. (…) De fait, on n’a sans doute pas tort de parler de religion lorsqu’il s’agit de la croyance dans la croissance économique : elle prétend aujourd’hui résoudre nombre de nos problèmes éthiques, sinon la plupart. La croissance économique étant prétendument la source de toutes les bonnes choses, elle encourage les gens à enterrer leurs désaccords éthiques pour adopter la ligne d’action qui maximise la croissance à long terme. Le credo du « toujours plus » presse en conséquence les individus, les entreprises et les gouvernements de mépriser tout ce qui pourrait entraver la croissance économique : par exemple, préserver l’égalité sociale, assurer l’harmonie écologique ou honorer ses parents. En Union soviétique, les dirigeants pensaient que le communisme étatique était la voie de la croissance la plus rapide : tout ce qui se mettait en travers de la collectivisation fut donc passé au bulldozer, y compris des millions de koulaks, la liberté d’expression et la mer d’Aral. De nos jours, il est généralement admis qu’une forme de capitalisme de marché est une manière beaucoup plus efficace d’assurer la croissance à long terme : on protège donc les magnats cupides, les paysans riches et la liberté d’expression, tout en démantelant et détruisant les habitats écologiques, les structures sociales et les valeurs traditionnelles qui gênent le capitalisme de marché. (….) Le capitalisme de marché a une réponse sans appel. Si la croissance économique exige que nous relâchions les liens familiaux, encouragions les gens à vivre loin de leurs parents, et importions des aides de l’autre bout du monde, ainsi soit-il. Cette réponse implique cependant un jugement éthique, plutôt qu’un énoncé factuel. Lorsque certains se spécialisent dans les logiciels quand d’autres consacrent leur temps à soigner les aînés, on peut sans nul doute produire plus de logiciels et assurer aux personnes âgées des soins plus professionnels. Mais la croissance économique est-elle plus importante que les liens familiaux ? En se permettant de porter des jugements éthiques de ce type, le capitalisme de marché a franchi la frontière qui séparait le champ de la science de celui de la religion. L’étiquette de « religion » déplairait probablement à la plupart des capitalistes, mais, pour ce qui est des religions, le capitalisme peut au moins tenir la tête haute. À la différence des autres religions qui nous promettent un gâteau au ciel, le capitalisme promet des miracles ici, sur terre… et parfois même en accomplit. Le capitalisme mérite même des lauriers pour avoir réduit la violence humaine et accru la tolérance et la coopération. (…) La croissance économique peut-elle cependant se poursuivre éternellement ? L’économie ne finira-t-elle pas par être à court de ressources et par s’arrêter ? Pour assurer une croissance perpétuelle, il nous faut découvrir un stock de ressources inépuisable. Une solution consiste à explorer et à conquérir de nouvelles terres. Des siècles durant, la croissance de l’économie européenne et l’expansion du système capitaliste se sont largement nourries de conquêtes impériales outre-mer. Or le nombre d’îles et de continents est limité. Certains entrepreneurs espèrent finalement explorer et conquérir de nouvelles planètes, voire de nouvelles galaxies, mais, en attendant, l’économie moderne doit trouver une meilleure méthode pour poursuivre son expansion. (…) La véritable némésis de l’économie moderne est l’effondrement écologique. Le progrès scientifique et la croissance économique prennent place dans une biosphère fragile et, à mesure qu’ils prennent de l’ampleur, les ondes de choc déstabilisent l’écologie. Pour assurer à chaque personne dans le monde le même niveau de vie que dans la société d’abondance américaine, il faudrait quelques planètes de plus ; or nous n’avons que celle-ci. (…) Une débâcle écologique provoquera une ruine économique, des troubles politiques et une chute du niveau de vie. Elle pourrait bien menacer l’existence même de la civilisation humaine. (…) Nous pourrions amoindrir le danger en ralentissant le rythme du progrès et de la croissance. Si cette année les investisseurs attendent un retour de 6 % sur leurs portefeuilles, dans dix ans ils pourraient apprendre à se satisfaire de 3 %, puis de 1 % dans vingt ans ; dans trente ans, l’économie cessera de croître et nous nous contenterons de ce que nous avons déjà. Le credo de la croissance s’oppose pourtant fermement à cette idée hérétique et il suggère plutôt d’aller encore plus vite. Si nos découvertes déstabilisent l’écosystème et menacent l’humanité, il nous faut découvrir quelque chose qui nous protège. Si la couche d’ozone s’amenuise et nous expose au cancer de la peau, à nous d’inventer un meilleur écran solaire et de meilleurs traitements contre le cancer, favorisant ainsi l’essor de nouvelles usines de crèmes solaires et de centres anticancéreux. Si les nouvelles industries polluent l’atmosphère et les océans, provoquant un réchauffement général et des extinctions massives, il nous appartient de construire des mondes virtuels et des sanctuaires high-tech qui nous offriront toutes les bonnes choses de la vie, même si la planète devient aussi chaude, morne et polluée que l’enfer. (…) L’humanité se trouve coincée dans une course double. D’un côté, nous nous sentons obligés d’accélérer le rythme du progrès scientifique et de la croissance économique. Un milliard de Chinois et un milliard d’Indiens aspirent au niveau de vie de la classe moyenne américaine, et ils ne voient aucune raison de brider leurs rêves quand les Américains ne sont pas disposés à renoncer à leurs 4×4 et à leurs centres commerciaux. D’un autre côté, nous devons garder au moins une longueur d’avance sur l’Armageddon écologique. Mener de front cette double course devient chaque année plus difficile, parce que chaque pas qui rapproche l’habitant des bidonvilles de Delhi du rêve américain rapproche aussi la planète du gouffre. (…) Qui sait si la science sera toujours capable de sauver simultanément l’économie du gel et l’écologie du point d’ébullition. Et puisque le rythme continue de s’accélérer, les marges d’erreur ne cessent de se rétrécir. Si, précédemment, il suffisait d’une invention stupéfiante une fois par siècle, nous avons aujourd’hui besoin d’un miracle tous les deux ans. (…) Paradoxalement, le pouvoir même de la science peut accroître ledanger, en rendant les plus riches complaisants. (…) Trop de politiciens et d’électeurs pensent que, tant que l’économie poursuit sa croissance, les ingénieurs et les hommes de science pourront toujours la sauver du jugement dernier. S’agissant du changement climatique, beaucoup de défenseurs de la croissance ne se contentent pas d’espérer des miracles : ils tiennent pour acquis que les miracles se produiront. (…) Même si les choses tournent au pire, et que la science ne peut empêcher le déluge, les ingénieurs pourraient encore construire une arche de Noé high-tech pour la caste supérieure, et laisser les milliards d’autres hommes se noyer. La croyance en cette arche high-tech est actuellement une des plus grosses menaces sur l’avenir de l’humanité et de tout l’écosystème. (…) Et les plus pauvres ? Pourquoi ne protestent-ils pas ? Si le déluge survient un jour, ils en supporteront le coût, mais ils seront aussi les premiers à faire les frais de la stagnation économique. Dans un monde capitaliste, leur vie s’améliore uniquement quand l’économie croît. Aussi est-il peu probable qu’ils soutiennent des mesures pour réduire les menaces écologiques futures fondées sur le ralentissement de la croissance économique actuelle. Protéger l’environnement est une très belle idée, mais ceux qui n’arrivent pas à payer leur loyer s’inquiètent bien davantage de leur découvert bancaire que de la fonte de la calotte glaciaire. (…) Même si nous continuons de courir assez vite et parvenons à parer à la foi l’effondrement économique et la débâcle écologique, la course elle-même crée d’immenses problèmes. (…) Sur un plan collectif, les gouvernements, les entreprises et les organismes sont encouragés à mesurer leur succès en termes de croissance et à craindre l’équilibre comme le diable. Sur le plan individuel, nous sommes constamment poussés à accroître nos revenus et notre niveau de vie. Même si vous êtes satisfait de votre situation actuelle, vous devez rechercher toujours plus. Le luxe d’hier devient nécessité d’aujourd’hui. (…) Le deal moderne nous promettait un pouvoir sans précédent. La promesse a été tenue. Mais à quel prix ? Yuval Harari
Les outils dont l’homme dispose aujourd’hui sont infiniment plus puissants que tous ceux qu’il a connus auparavant. Ces outils, l’homme est parfaitement capable de les utiliser de façon égoïste et rivalitaire. Ce qui m’intéresse, c’est cet accroissement de la puissance de l’homme sur le réel. Les statistiques de production et de consommation d’énergie sont en progrès constant, et la rapidité d’augmentation de ce progrès augmente elle aussi constamment, dessinant une courbe parfaite, presque verticale. C’est pour moi une immense source d’effroi tant les hommes, essentiellement, restent des rivaux, rivalisant pour le même objet ou la même gloire – ce qui est la même chose. Nous sommes arrivés à un stade où le milieu humain est menacé par la puissance même de l’homme. Il s’agit avant tout de la menace écologique, des armes et des manipulations biologiques. (…) Loin d’être absurdes ou impensables, les grands textes eschatologiques – ceux des Évangiles synoptiques, en particulier Matthieu, chapitre 24, et Marc, chapitre 13 –, sont d’une actualité saisissante. La science moderne a séparé la nature et la culture, alors qu’on avait défini la religion comme le tonnerre de Zeus, etc. Dans les textes apocalyptiques, ce qui frappe, c’est ce mélange de nature et de culture ; les guerres et rumeurs de guerre, le fracas de la mer et des flots ne forment qu’un. Or si nous regardons ce qui se passe autour de nous, si nous nous interrogeons sur l’action des hommes sur le réel, le réchauffement global, la montée du niveau la mer, nous nous retrouvons face à un univers où les choses naturelles et culturelles sont confondues. La science elle-même le reconnaît. J’ai voulu radicaliser cet aspect apocalyptique. Je pense que les gens sont trop rassurés. Ils se rassurent eux-mêmes. L’homme est comme un insecte qui fait son nid ; il fait confiance à l’environnement. La créature fait toujours confiance à l’environnement… Le rationalisme issu des Lumières continue aussi à rassurer. (…) La Chine a favorisé le développement de l’automobile. Cette priorité dénote une rivalité avec les Américains sur un terrain très redoutable ; la pollution dans la région de Shanghai est effrayante. Mais avoir autant d’automobiles que l’Amérique est un but dont il est, semble-t-il, impossible de priver les hommes. L’Occident conseille aux pays en voie de développement et aux pays les plus peuplés du globe, comme la Chine et l’Inde, de ne pas faire la même chose que lui ! Il y a là quelque chose de paradoxal et de scandaleux pour ceux auxquels ces conseils s’adressent. Aux États-Unis, les politiciens vous diront tous qu’ils sont d’accord pour prendre des mesures écologiques si elles ne touchent pas les accroissements de production. Or, s’il y a une partie du monde qui n’a pas besoin d’accroissement de production, c’est bien les États-Unis ; le profit individuel et les rivalités, qui ne sont pas immédiatement guerrières et destructrices mais qui le seront peut-être indirectement, et de façon plus massive encore, sont sacrées ; pas question de les toucher. Que faut-il pour qu’elles cessent d’être sacrées ? Il n’est pas certain que la situation actuelle, notamment la disparition croissante des espèces, soit menaçante pour la vie sur la planète, mais il y a une possibilité très forte qu’elle le soit. Ne pas prendre de précaution, alors qu’on est dans le doute, est dément. Des mesures écologiques sérieuses impliqueraient des diminutions de production. Mais ce raisonnement ne joue pas dans l’écologie, l’humanité étant follement attachée à ce type de concurrence qui structure en particulier la réalité occidentale, les habitudes de vie, de goût de l’humanité dite « développée ». René Girard

Attention: un culte du cargo peut en cacher un autre !

A l’heure où au nom d’une prétendue science hautement selective et de plus en plus douteuse

Et où après avoir ruiné, à coup de délocalisations et d’immigration sauvages, leurs emplois et leurs vies …

Entre deux petites virées à l’autre bout du monde et des annonces de centaines de milliards de dépenses pour reverdir nos économies …

Nos ayatollahs du climat et intermittents du jetset « de la fin du monde » font feu de tout bois contre la France ou l’Amérique « de la fin du mois » qui « fume des clopes et roule en diesel » …

Pendant que pour rattraper tant d’injustices face à l’inextricable dilemme entre environnement et emplois, nos populistes tentent de relancer encore plus fort la folle machine de la croissance à tout prix …

Ou nos nouveaux prêtres du transhumanisme multiplient littéralement les promesses en l’air sur l’éventuelle colonisation de l’une ou l’autre des autres planètes de notre système solaire …

Comment ne pas repenser …

Après le feu prix Nobel de physique américain Richard Feynman

Qui dès les années 70 nous en avait averti …

A la pseudoscience ou nouvelle pensée magique qu’est en train de devenir la science dont nos sociétés ont fait rien de moins qu’une nouvelle religion

Qu’il avait en son temps qualifiée de « science du culte cargo » (improprement dit « culte du cargo » en français, en référence aux bateaux du même nom, alors que le mot anglais, proche du français « cargaison », fait en réalité référence aux marchandises ou aux biens matériels) …

Car ayant quitté, dans une approche non réfléchie et ritualiste, son enracinement dans l’expérience et de plus en plus tentée, sous la pression politique et médiatique, de ne garder que le nom et l’apparence de la méthode scientifique …

A la manière de ces sortes de versions modernisées des antiques danses de la pluie des habitants de certaines petites iles mélanésiennes de la seconde guerre mondiale…

Où observant une corrélation entre l’appel du radio et l’arrivée d’une cargaison de vivres et d’objets manufacturés ou entre l’existence d’une piste et l’arrivée d’avions …

Ces derniers s’étaient mis, on le sait, à construire un culte fait de simulacre de radio et de fausses pistes d’atterrissage, espérant ainsi que l’existence de moyens ferait venir les biens matériels occidentaux désirés tout en dilapidant, en pure perte, leurs propres maigres ressources ?

Mais comment ne pas voir aussi …

Avec de Jonas, Anders, Jaspers à Dupuy, nos penseurs du dilemme du prophète de malheur dont « l’impair pourrait être le mérite » …

Et notre regretté anthropologue français René Girard

Ou plus récemment l’historien israélien Yuval Harari

A la fois fascinés par la formidable capacité de notre monde moderne à désamorcer la puissance conflictuelle de la rivalité mimétique en rendant les mêmes marchandises accessibles à tous …

Et effrayés par la tout aussi formidable puissance des outils dont nous disposons …

Qui entre menace écologique, armes et manipulations biologiques proprement apocalyptiques

Menacent notre propre milieu naturel avec l’entrée dans la danse, mimétisme planétaire oblige, des milliards de Chinois, Indiens ou autres jusque là laissés pour compte  …

Dans une fuite en avant que suppose notre système même puisqu’il ne vit que par l’innovation et la croissance perpétuelles …

Et qui à terme, au nom de la désormais sacro-sainte croissance mais aussi du fait de la simple accoutumance poussant comme pour les drogues à toujours plus de consommation pour conserver les mêmes effets, ne peut qu’engloutir les ressources de la terre …

A la manière de ces Aztèques qui à la veille de leur inévitable défaite devant Cortès…

Multipliaient, jusqu’à des dizaines de milliers par an, le nombre des victimes de leurs sacrifices humains ?

Obama administration scientist says climate ‘emergency’ is based on fallacy

‘The Science,” we’re told, is settled. How many times have you heard it?

Humans have broken the earth’s climate. Temperatures are rising, sea level is surging, ice is disappearing, and heat waves, storms, droughts, floods, and wildfires are an ever-worsening scourge on the world. Greenhouse gas emissions are causing all of this. And unless they’re eliminated promptly by radical changes to society and its energy systems, “The Science” says Earth is doomed. 

Yes, it’s true that the globe is warming, and that humans are exerting a warming influence upon it. But beyond that — to paraphrase the classic movie “The Princess Bride” — “I do not think ‘The Science’ says what you think it says.”

For example, both research literature and government reports state clearly that heat waves in the US are now no more common than they were in 1900, and that the warmest temperatures in the US have not risen in the past fifty years. When I tell people this, most are incredulous. Some gasp. And some get downright hostile.

These are almost certainly not the only climate facts you haven’t heard. Here are three more that might surprise you, drawn from recent published research or assessments of climate science published by the US government and the UN:

  •  Humans have had no detectable impact on hurricanes over the past century.
  • Greenland’s ice sheet isn’t shrinking any more rapidly today than it was 80 years ago.
  • The global area burned by wildfires has declined more than 25 percent since 2003 and 2020 was one of the lowest years on record.

Why haven’t you heard these facts before?

Most of the disconnect comes from the long game of telephone that starts with the research literature and runs through the assessment reports to the summaries of the assessment reports and on to the media coverage. There are abundant opportunities to get things wrong — both accidentally and on purpose — as the information goes through filter after filter to be packaged for various audiences. The public gets their climate information almost exclusively from the media; very few people actually read the assessment summaries, let alone the reports and research papers themselves. That’s perfectly understandable — the data and analyses are nearly impenetrable for non-experts, and the writing is not exactly gripping. As a result, most people don’t get the whole story.

Policymakers, too, have to rely on information that’s been put through several different wringers by the time it gets to them. Because most government officials are not themselves scientists, it’s up to scientists to make sure that those who make key policy decisions get an accurate, complete and transparent picture of what’s known (and unknown) about the changing climate, one undistorted by “agenda” or “narrative.” Unfortunately, getting that story straight isn’t as easy as it sounds.

I should know. That used to be my job.

I’m a scientist — I work to understand the world through measurements and observations, and then to communicate clearly both the excitement and the implications of that understanding. Early in my career, I had great fun doing this for esoteric phenomena in the realm of atoms and nuclei using high-performance computer modeling (which is also an important tool for much of climate science). But beginning in 2004, I spent about a decade turning those same methods to the subject of climate and its implications for energy technologies. I did this first as chief scientist for the oil company BP, where I focused on advancing renewable energy, and then as undersecretary for science in the Obama administration’s Department of Energy, where I helped guide the government’s investments in energy technologies and climate science. I found great satisfaction in these roles, helping to define and catalyze actions that would reduce carbon dioxide emissions, the agreed-upon imperative that would “save the planet.”

But doubts began in late 2013 when I was asked by the American Physical Society to lead an update of its public statement on climate. As part of that effort, in January 2014 I convened a workshop with a specific objective: to “stress test” the state of climate science.

I came away from the APS workshop not only surprised, but shaken by the realization that climate science was far less mature than I had supposed. Here’s what I discovered:

Humans exert a growing, but physically small, warming influence on the climate. The results from many different climate models disagree with, or even contradict, each other and many kinds of observations. In short, the science is insufficient to make useful predictions about how the climate will change over the coming decades, much less what effect our actions will have on it. 

In the seven years since that workshop, I watched with dismay as the public discussions of climate and energy became increasingly distant from the science. Phrases like “climate emergency,” “climate crisis” and “climate disaster” are now routinely bandied about to support sweeping policy proposals to “fight climate change” with government interventions and subsidies. Not surprisingly, the Biden administration has made climate and energy a major priority infused throughout the government, with the appointment of John Kerry as climate envoy and proposed spending of almost $2 trillion dollars to fight this “existential threat to humanity.”

Trillion-dollar decisions about reducing human influences on the climate should be informed by an accurate understanding of scientific certainties and uncertainties. My late Nobel-prizewinning Caltech colleague Richard Feynman was one of the greatest physicists of the 20th century. At the 1974 Caltech commencement, he gave a now famous address titled “Cargo Cult Science” about the rigor scientists must adopt to avoid fooling not only themselves. “Give all of the information to help others to judge the value of your contribution; not just the information that leads to judgment in one particular direction or another,” he implored.

Much of the public portrayal of climate science ignores the great late physicist’s advice. It is an effort to persuade rather than inform, and the information presented withholds either essential context or what doesn’t “fit.” Scientists write and too-casually review the reports, reporters uncritically repeat them, editors allow that to happen, activists and their organizations fan the fires of alarm, and experts endorse the deception by keeping silent.

As a result, the constant repetition of these and many other climate fallacies are turned into accepted truths known as “The Science.”

This article is an adapted excerpt from Dr. Koonin’s book, “Unsettled: What Climate Science Tells Us, What It Doesn’t, and Why It Matters” (BenBella Books), out May 4.

Voir aussi:

‘Unsettled’ Review: The ‘Consensus’ On Climate
A top Obama scientist looks at the evidence on warming and CO2 emissions and rebuts much of the dominant political narrative.
Mark P. Mills
The Wall Street Journal
April 25, 2021

Physicist Steven Koonin kicks the hornet’s nest right out of the gate in “Unsettled.” In the book’s first sentences he asserts that “the Science” about our planet’s climate is anything but “settled.” Mr. Koonin knows well that it is nonetheless a settled subject in the minds of most pundits and politicians and most of the population.

Further proof of the public’s sentiment: Earlier this year the United Nations Development Programme published the mother of all climate surveys, titled “The Peoples’ Climate Vote.” With more than a million respondents from 50 countries, the survey, unsurprisingly, found “64% of people said that climate change was an emergency.”

But science itself is not conducted by polls, regardless of how often we are urged to heed a “scientific consensus” on climate. As the science-trained novelist Michael Crichton summarized in a famous 2003 lecture at Caltech: “If it’s consensus, it isn’t science. If it’s science, it isn’t consensus. Period.” Mr. Koonin says much the same in “Unsettled.”

The book is no polemic. It’s a plea for understanding how scientists extract clarity from complexity. And, as Mr. Koonin makes clear, few areas of science are as complex and multidisciplinary as the planet’s climate.

But Mr. Koonin is no “climate denier,” to use the concocted phrase used to shut down debate. The word “denier” is of course meant to associate skeptics of climate alarmism with Holocaust deniers. Mr. Koonin finds this label particularly abhorrent, since “the Nazis killed more than two hundred of my relatives in Eastern Europe.” As for “denying,” Mr. Koonin makes it clear, on the book’s first page, that “it’s true that the globe is warming, and that humans are exerting a warming influence upon it.”

The heart of the science debate, however, isn’t about whether the globe is warmer or whether humanity contributed. The important questions are about the magnitude of civilization’s contribution and the speed of changes; and, derivatively, about the urgency and scale of governmental response. Mr. Koonin thinks most readers will be surprised at what the data show. I dare say they will.

As Mr Koonin illustrates, tornado frequency and severity are also not trending up; nor are the number and severity of droughts. The extent of global fires has been trending significantly downward. The rate of sea-level rise has not accelerated. Global crop yields are rising, not falling. And while global atmospheric CO2 levels are obviously higher now than two centuries ago, they’re not at any record planetary high—they’re at a low that has only been seen once before in the past 500 million years.

Mr. Koonin laments the sloppiness of those using local weather “events” to make claims about long-cycle planetary phenomena. He chastises not so much local news media as journalists with prestigious national media who should know better. This attribution error evokes one of Mr. Koonin’s rare rebukes: “Pointing to hurricanes as an example of the ravages of human-caused climate change is at best unconvincing, and at worst plainly dishonest.”

When it comes to the vaunted computer models, Mr. Koonin is persuasively skeptical. It’s a big problem, he says, when models can’t retroactively “predict” events that have already happened. And he notes that some of the “tuning” done to models so that they work better amounts to “cooking the books.” He should know, having written one of the first textbooks on using computers to model physics phenomena.

Mr. Koonin’s science credentials are impeccable—unlike, say, those of one well-known Swedish teenager to whom the media affords great attention on climate matters. He has been a professor of physics at Caltech and served as the top scientist in Barack Obama’s Energy Department. The book is copiously referenced and relies on widely accepted government documents.

Since all the data that Mr. Koonin uses are available to others, he poses the obvious question: “Why haven’t you heard these facts before?” He is cautious, perhaps overly so, in proposing the causes for so much misinformation. He points to such things as incentives to invoke alarm for fundraising purposes and official reports that “mislead by omission.” Many of the primary scientific reports, he observes repeatedly, are factual. Still, “the public gets their climate information almost exclusively from the media; very few people actually read the assessment summaries.”

Mr. Koonin says that he knows he’ll be criticized, even “attacked.” You can’t blame him for taking a few pages to shadow box with his critics. But even if one remains unconvinced by his arguments, the right response is to debate the science. We’ll see if that happens in a world in which politicians assert the science is settled and plan astronomical levels of spending to replace the nation’s massive infrastructures with “green” alternatives. Never have so many spent so much public money on the basis of claims that are so unsettled. The prospects for a reasoned debate are not good. Good luck, Mr. Koonin.

Mr. Mills, a senior fellow at the Manhattan Institute, is the author of “Digital Cathedrals” and a forthcoming book on how the cloud and new technologies will create an economic boom.

Voir également:

ANTICIPATION

Culte du Cargo : contagion des collectivités aux Etats

Luc Brunet

MAP

Mars 2012

Pur produit des sociétés dans lesquelles les élites ignorent que les processus culturels précèdent le succès, le Culte du Cargo, qui consiste à investir dans une infrastructure dont est dotée une société prospère en espérant que cette acquisition produise les mêmes effets pour soi, fut l’un des moteurs des emprunts toxiques des collectivités locales. L’expression a été popularisée lors de la seconde guerre mondiale, quand elle s’est exprimée par de fausses infrastructures créées par les insulaires et destinées à attirer les cargos. En 2012, le Culte du Cargo tendra à se généraliser au niveau des Etats.

En septembre 2011, dans l’orbite des difficultés de DEXIA, les personnes qui ne lisent pas le GEAB découvraient avec stupéfaction que des milliers de collectivités locales étaient exposées à des emprunts toxiques1. En décembre, un rapport parlementaire français2 évalue le désastre à 19 Milliards d’euros, près du double de ce qu’estimait la Cours des Comptes six mois plus tôt. Les collectivités représentent, en France par exemple, 70% de l’investissement public3, soit 51,7 milliards d’euros en 2010 (-2,1% par rapport à 2009).

Les collectivités ont développé une addiction à la dépense4 et, comme les ménages victimes plus ou moins conscientes des subprimes, elles ont facilement trouvé un dealer pour leur répondre5. Les causes en sont assez évidentes : multiplication des élus locaux n’ayant pas toujours de compétences techniques et encore moins financières, peu ou pas formés, tenus parfois par leur administration devenue maîtresse des lieux, et engagés dans une concurrence à la visibilité entre la ville, l’agglomération, le département à qui voudra montrer qu’il construit ou qu’il anime plus et mieux que l’autre, dans une relation finalement assez féodale. L’Italie a prévu une baisse de 3 milliards d’euros des subventions aux collectivités, la Suède et le Royaume-Uni6(dont les collectivités avaient par ailleurs été exposées aux faillites des institutions financières islandaises7) s’engagent aussi dans un douloureux sevrage, dans l’optique de gagner en stabilité financière ce qui risque fort d’être perdu en autonomie.

Il serait sans doute erroné de porter l’opprobre sur les élus locaux ou même sur les banques, car il s’agit là de la manifestation d’une tendance de fond très profonde et très simple qui a à faire avec le désir mimétique et le Culte du Cargo. Ce dernier fut particulièrement évident en Océanie pendant la seconde guerre mondiale, où des habitants des îles observant une corrélation entre l’appel du radio et l’arrivée d’un cargo de vivres, ou bien entre l’existence d’une piste et l’arrivée d’avions, se mirent à construire un culte fait de simulacre de radio et de fausses pistes d’atterrissage, espérant ainsi que l’existence de moyens ferait venir l’objet désiré.

Il s’agit d’un phénomène général, comme par exemple en informatique lorsque l’on recopie une procédure que l’on ne comprend pas dans son propre programme, en espérant qu’elle y produise le même effet que dans son programme d’origine.

Un exemple emblématique est celui de Flint, Michigan. La fermeture brutale des usines General Motors a vu la patrie de Michael Moore perdre 25.000 habitants et se paupériser, la population étant pratiquement divisée par deux entre 1960 et 2010. Il s’agit évidemment là d’une distillation : la crise provoque l’évaporation de l’esprit (c’est-à-dire des talents) qui s’envole vers d’autres lieux plus prospères tandis que se concentrent les problèmes et la pauvreté dans la cité autrefois bénie par son parrain industriel. C’est alors que la bénédiction devient un baiser de la mort puisque, dans leur prospérité, ses élus n’ont pas réfléchi ni vu les tendances de fond pourtant évidentes de la mondialisation. C’est alors qu’arrive l’idée de Six Flags Autoworld. Ce parc d’attraction automobile, supposé être “La renaissance de la Grande Cité de Flint” selon le gouverneur du Michigan J. Blanchard, ouvre en 1984. Un an et 80 millions de dollars plus loin, le parc ferme et il sera finalement détruit en 1997.8

Bien que paradoxale, l’addiction à la dette est synchrone avec les difficultés financières et correspond peut-être inconsciemment à l’instinct du joueur à se “refaire”9. Ce qui est toutefois plus grave est, d’une part, l’hallucination collective qui permet le phénomène de Culte du Cargo, mais aussi l’absence totale de contre-pouvoir à cette pensée devenue unique, voire magique. Le Culte du Cargo aggrave toujours la situation.
La raison est aussi simple que diabolique : les prêtres du Culte du Cargo dépensent pour acheter des infrastructures similaires à ce qu’ils ont vu ailleurs dans l’espoir d’attirer la fortune sur leur tribu. Malheureusement, dans le même temps, les “esprits” qui restaient dans la tribu se sont enfuis ou se taisent devant la pression de la foule en attente de miracle. Alors, les élites, qui ignorent totalement que derrière l’apparent résultat se cachent des processus culturels complexes qu’ils ne comprennent pas, se dotent d’un faux aéroport ou d’une fausse radio et dilapident ainsi, en pure perte, leurs dernières ressources.
Il serait injuste de penser que ce phénomène ne concerne que des populations peu avancées. En 1974, Richard Feynman dénonça la “Cargo Cult Science” lors d’un discours à Caltech10.
Les collectivités confrontées à une concurrence pour la population organisent agendas et ateliers (en fait des brainstormings) pour évoquer les raisons de leurs handicaps par rapport à d’autres. Il suit généralement une liste de solutions précédées de “Il faut” : de la Recherche, des Jeunes, des Cadres, une communauté homosexuelle, une patinoire, une piscine, le TGV, un festival, une équipe sportive onéreuse, son gymnase…Tout cela est peut-être vrai, mais cela revient à confondre les effets avec les processus requis pour les obtenir.
Comme nul ne comprend les processus culturels qui ont conduit à ce qu’une collectivité réussisse, il est plus facile de croire que boire le café de Georges Clooney vous apportera le même succès. Rien de nouveau ici : la publicité et ses 700 milliards de dollars de budget mondial annuel manipule cela depuis le début de la société de consommation.
Routes menant à des plateformes logistiques ou des zones industrielles jamais construites, bureaux vides, duplication des infrastructures (piscines, technopoles, pépinières…) à quelques mètres les unes des autres, le Culte du Cargo nous coûte cher : il faut que cela se voit, même si cela ne sert à rien. Malheureusement, les vraies actions de création des processus culturels et sociaux ne se voient généralement pas aussi bien qu’un beau bâtiment tout neuf.
Le processus suit trois étapes et retour : crise, fuite ou éviction des rationnels, rituel de brainstorming puis Culte du Cargo et investissement, qui conduisent enfin à une aggravation de la crise.
Ainsi, les pôles de compétitivité marchent d’autant mieux qu’ils viennent seulement labelliser un système culturel déjà préexistant. Lorsqu’ils sont des créations dans l’urgence, en hydroponique, par la volonté rituelle de reproduire, leurs effets relèvent de l’espoir, non d’une stratégie. Le culte du Cargo est une façon pour les collectivités prises au sens large de ne pas se poser la question véritable : Est-ce que chacune d’entre elles peut de manière identique accéder au même destin dans la société de la connaissance ?
2012 : les Indiens fuient-ils les Amériques ?
Le monde occidental est, contrairement à l’idée reçue, une société dont le moteur est l’inégalité. La compétition pour l’attractivité de la “meilleure” population fait rage et elle a été, tout le XXème siècle, à l’avantage des Etats-Unis. Une des raisons profondes à l’étrange résilience du dollar et à la curieuse faiblesse de l’Euro est l’irrationnel pari de la plus grande attractivité des Etats-Unis pour les compétences.
Depuis la création du G20, il y a au moins quatre “New kids in Town”, les BRICs. Si l’un des révélateurs d’un engrenage de type cargo est la fuite des cerveaux, alors, même si elle ne bat pas encore son plein, l’Occident, et particulièrement les Etats-Unis, risque fort de perdre une part de ses élites asiatiques. La multiplication des études, notamment de la part des institutions académiques indiennes, est révélatrice quant à elle d’une actualité
Si beaucoup des informaticiens des Etats-Unis sont Indiens, parfois mal dans leur peau aux USA11, et qu’une part croissante est maintenant attirée par un retour121314 dans une Inde démocratique et en train de gérer son problème de corruption, les deux premières phases du processus sont déjà bien engagées.
Il reste l’étape du rituel de brainstorming visant à étudier les conditions du succès Suisse, Chinois ou autre, pour que les idées de dépenses les plus incohérentes soient lancées
2012 : Contagion du Culte du Cargo aux Etats
Les campagnes électorales de 2012 seront un révélateur. S’il reste encore quelques esprits pour dire que la mise en place, coûteuse et dérangeante, des actions visant à rétablir les processus culturels conduisant à la création de richesse concrète, c’est-à-dire vendables à d’autres, alors l’Occident aura vécu un de ses énièmes rebonds civilisationnels. Si nous observons des investissements déraisonnables d’un point de vue thermodynamique, dans des infrastructures énergétiques décoratives mais inefficaces, ou bien dans de faux projets d’apparat visant à renforcer l’attractivité perdue, il faudra boire jusqu’à la lie le jus amer de la crise.
Ainsi, la tentation française de copier les mesures allemandes qui ont conduit au succès, sans que les dirigeants français aient vraiment compris pourquoi, mais en espérant les mêmes bénéfices, peut être considérée comme une expression du Culte du Cargo. C’est en effet faire fi des processus culturels engagés depuis des décennies en Allemagne et qui ont conduit à une culture de la négociation sociale et à des syndicats représentatifs.
En période de crise, il faudrait toujours prouver l’utilité des actions, pas le caractère publicitaire qu’elles pourraient avoir. En 2012, il faudra sans doute, dans les pays où des élections vont avoir lieu, poser la question du pourquoi des investissements. Les candidats proposant de séduisants mais coûteux gadgets devront être questionnés par les journalistes sur leur analyse.15
Dernières nouvelles de Flint, en novembre 2011, le gouverneur confirme l’état d’urgence financière de la ville15. Contrairement à ce que veulent faire croire les prêtres du Culte du Cargo, les danses de la pluie ne marchent pas, il faut réfléchir.13
Voir de même:

Cargo Cult Science

Richard P. Feynman

Caltech

1974

Some remarks on science, pseudoscience, and learning how to not fool yourself. Caltech’s 1974 commencement address.

During the Middle Ages there were all kinds of crazy ideas, such as that a piece of rhinoceros horn would increase potency. (Another crazy idea of the Middle Ages is these hats we have on today—which is too loose in my case.) Then a method was discovered for separating the ideas—which was to try one to see if it worked, and if it didn’t work, to eliminate it. This method became organized, of course, into science. And it developed very well, so that we are now in the scientific age. It is such a scientific age, in fact, that we have difficulty in understanding how­ witch doctors could ever have existed, when nothing that they proposed ever really worked—or very little of it did.

But even today I meet lots of people who sooner or later get me into a conversation about UFO’s, or astrology, or some form of mysticism, expanded consciousness, new types of awareness, ESP, and so forth. And I’ve concluded that it’s not a scientific world.

Most people believe so many wonderful things that I decided to investigate why they did. And what has been referred to as my curiosity for investigation has landed me in a difficulty where I found so much junk to talk about that I can’t do it in this talk. I’m overwhelmed. First I started out by investigating various ideas of mysticism, and mystic experiences. I went into isolation tanks (they’re dark and quiet and you float in Epsom salts) and got many hours of hallucinations, so I know something about that. Then I went to Esalen, which is a hotbed of this kind of thought (it’s a wonderful place; you should go visit there). Then I became overwhelmed. I didn’t realize how much there was.

I was sitting, for example, in a hot bath and there’s another guy and a girl in the bath. He says to the girl, “I’m learning massage and I wonder if I could practice on you?” She says OK, so she gets up on a table and he starts off on her foot—working on her big toe and pushing it around. Then he turns to what is apparently his instructor, and says, “I feel a kind of dent. Is that the pituitary?” And she says, “No, that’s not the way it feels.” I say, “You’re a hell of a long way from the pituitary, man.” And they both looked at me—I had blown my cover, you see—and she said, “It’s reflexology.” So I closed my eyes and appeared to be meditating.

That’s just an example of the kind of things that overwhelm me. I also looked into extrasensory perception and PSI phenomena, and the latest craze there was Uri Geller, a man who is supposed to be able to bend keys by rubbing them with his finger. So I went to his hotel room, on his invitation, to see a demonstration of both mind reading and bending keys. He didn’t do any mind reading that succeeded; nobody can read my mind, I guess. And my boy held a key and Geller rubbed it, and nothing happened. Then he told us it works better under water, and so you can picture all of us standing in the bathroom with the water turned on and the key under it, and him rubbing the key with his finger. Nothing happened. So I was unable to investigate that phenomenon.

But then I began to think, what else is there that we believe? (And I thought then about the witch doctors, and how easy it would have been to check on them by noticing that nothing really worked.) So I found things that even more people believe, such as that we have some knowledge of how to educate. There are big schools of reading methods and mathematics methods, and so forth, but if you notice, you’ll see the reading scores keep going down—or hardly going up—in spite of the fact that we continually use these same people to improve the methods. There’s a witch doctor remedy that doesn’t work. It ought to be looked into: how do they know that their method should work? Another example is how to treat criminals. We obviously have made no progress—lots of theory, but no progress—in decreasing the amount of crime by the method that we use to handle criminals.

Yet these things are said to be scientific. We study them. And I think ordinary people with commonsense ideas are intimidated by this pseudoscience. A teacher who has some good idea of how to teach her children to read is forced by the school system to do it some other way—or is even fooled by the school system into thinking that her method is not necessarily a good one. Or a parent of bad boys, after disciplining them in one way or another, feels guilty for the rest of her life because she didn’t do “the right thing,” according to the experts.

So we really ought to look into theories that don’t work, and science that isn’t science.

I tried to find a principle for discovering more of these kinds of things, and came up with the following system. Any time you find yourself in a conversation at a cocktail party—in which you do not feel uncomfortable that the hostess might come around and say, “Why are you fellows talking shop?’’ or that your wife will come around and say, “Why are you flirting again?”—then you can be sure you are talking about something about which nobody knows anything.

Using this method, I discovered a few more topics that I had forgotten—among them the efficacy of various forms of psychotherapy. So I began to investigate through the library, and so on, and I have so much to tell you that I can’t do it at all. I will have to limit myself to just a few little things. I’ll concentrate on the things more people believe in. Maybe I will give a series of speeches next year on all these subjects. It will take a long time.

I think the educational and psychological studies I mentioned are examples of what I would like to call Cargo Cult Science. In the South Seas there is a Cargo Cult of people. During the war they saw airplanes land with lots of good materials, and they want the same thing to happen now. So they’ve arranged to make things like runways, to put fires along the sides of the runways, to make a wooden hut for a man to sit in, with two wooden pieces on his head like headphones and bars of bamboo sticking out like antennas—he’s the controller—and they wait for the airplanes to land. They’re doing everything right. The form is perfect. It looks exactly the way it looked before. But it doesn’t work. No airplanes land. So I call these things Cargo Cult Science, because they follow all the apparent precepts and forms of scientific investigation, but they’re missing something essential, because the planes don’t land.

Now it behooves me, of course, to tell you what they’re missing. But it would he just about as difficult to explain to the South Sea Islanders how they have to arrange things so that they get some wealth in their system. It is not something simple like telling them how to improve the shapes of the earphones. But there is one feature I notice that is generally missing in Cargo Cult Science. That is the idea that we all hope you have learned in studying science in school—we never explicitly say what this is, but just hope that you catch on by all the examples of scientific investigation. It is interesting, therefore, to bring it out now and speak of it explicitly. It’s a kind of scientific integrity, a principle of scientific thought that corresponds to a kind of utter honesty—a kind of leaning over backwards. For example, if you’re doing an experiment, you should report everything that you think might make it invalid—not only what you think is right about it: other causes that could possibly explain your results; and things you thought of that you’ve eliminated by some other experiment, and how they worked—to make sure the other fellow can tell they have been eliminated.

Details that could throw doubt on your interpretation must be given, if you know them. You must do the best you can—if you know anything at all wrong, or possibly wrong—to explain it. If you make a theory, for example, and advertise it, or put it out, then you must also put down all the facts that disagree with it, as well as those that agree with it. There is also a more subtle problem. When you have put a lot of ideas together to make an elaborate theory, you want to make sure, when explaining what it fits, that those things it fits are not just the things that gave you the idea for the theory; but that the finished theory makes something else come out right, in addition.

In summary, the idea is to try to give all of the information to help others to judge the value of your contribution; not just the information that leads to judgment in one particular direction or another.

The easiest way to explain this idea is to contrast it, for example, with advertising. Last night I heard that Wesson Oil doesn’t soak through food. Well, that’s true. It’s not dishonest; but the thing I’m talking about is not just a matter of not being dishonest, it’s a matter of scientific integrity, which is another level. The fact that should be added to that advertising statement is that no oils soak through food, if operated at a certain temperature. If operated at another temperature, they all will—including Wesson Oil. So it’s the implication which has been conveyed, not the fact, which is true, and the difference is what we have to deal with.

We’ve learned from experience that the truth will out. Other experimenters will repeat your experiment and find out whether you were wrong or right. Nature’s phenomena will agree or they’ll disagree with your theory. And, although you may gain some temporary fame and excitement, you will not gain a good reputation as a scientist if you haven’t tried to be very careful in this kind of work. And it’s this type of integrity, this kind of care not to fool yourself, that is missing to a large extent in much of the research in Cargo Cult Science.

A great deal of their difficulty is, of course, the difficulty of the subject and the inapplicability of the scientific method to the subject. Nevertheless, it should be remarked that this is not the only difficulty. That’s why the planes don’t land—but they don’t land.

We have learned a lot from experience about how to handle some of the ways we fool ourselves. One example: Millikan measured the charge on an electron by an experiment with falling oil drops and got an answer which we now know not to be quite right. It’s a little bit off, because he had the incorrect value for the viscosity of air. It’s interesting to look at the history of measurements of the charge of the electron, after Millikan. If you plot them as a function of time, you find that one is a little bigger than Millikan’s, and the next one’s a little bit bigger than that, and the next one’s a little bit bigger than that, until finally they settle down to a number which is higher.

Why didn’t they discover that the new number was higher right away? It’s a thing that scientists are ashamed of—this history—because it’s apparent that people did things like this: When they got a number that was too high above Millikan’s, they thought something must be wrong—and they would look for and find a reason why something might be wrong. When they got a number closer to Millikan’s value they didn’t look so hard. And so they eliminated the numbers that were too far off, and did other things like that. We’ve learned those tricks nowadays, and now we don’t have that kind of a disease.

But this long history of learning how to not fool ourselves—of having utter scientific integrity—is, I’m sorry to say, something that we haven’t specifically included in any particular course that I know of. We just hope you’ve caught on by osmosis.

The first principle is that you must not fool yourself—and you are the easiest person to fool. So you have to be very careful about that. After you’ve not fooled yourself, it’s easy not to fool other scientists. You just have to be honest in a conventional way after that.

I would like to add something that’s not essential to the science, but something I kind of believe, which is that you should not fool the layman when you’re talking as a scientist. I’m not trying to tell you what to do about cheating on your wife, or fooling your girlfriend, or something like that, when you’re not trying to be a scientist, but just trying to be an ordinary human being. We’ll leave those problems up to you and your rabbi. I’m talking about a specific, extra type of integrity that is not lying, but bending over backwards to show how you’re maybe wrong, that you ought to do when acting as a scientist. And this is our responsibility as scientists, certainly to other scientists, and I think to laymen.

For example, I was a little surprised when I was talking to a friend who was going to go on the radio. He does work on cosmology and astronomy, and he wondered how he would explain what the applications of this work were. “Well,” I said, “there aren’t any.” He said, “Yes, but then we won’t get support for more research of this kind.” I think that’s kind of dishonest. If you’re representing yourself as a scientist, then you should explain to the layman what you’re doing—and if they don’t want to support you under those circumstances, then that’s their decision.

One example of the principle is this: If you’ve made up your mind to test a theory, or you want to explain some idea, you should always decide to publish it whichever way it comes out. If we only publish results of a certain kind, we can make the argument look good. We must publish both kinds of result. For example—let’s take advertising again—suppose some particular cigarette has some particular property, like low nicotine. It’s published widely by the company that this means it is good for you—they don’t say, for instance, that the tars are a different proportion, or that something else is the matter with the cigarette. In other words, publication probability depends upon the answer. That should not be done.

I say that’s also important in giving certain types of government advice. Supposing a senator asked you for advice about whether drilling a hole should be done in his state; and you decide it would he better in some other state. If you don’t publish such a result, it seems to me you’re not giving scientific advice. You’re being used. If your answer happens to come out in the direction the government or the politicians like, they can use it as an argument in their favor; if it comes out the other way, they don’t publish it at all. That’s not giving scientific advice.

Other kinds of errors are more characteristic of poor science. When I was at Cornell. I often talked to the people in the psychology department. One of the students told me she wanted to do an experiment that went something like this—I don’t remember it in detail, but it had been found by others that under certain circumstances, X, rats did something, A. She was curious as to whether, if she changed the circumstances to Y, they would still do, A. So her proposal was to do the experiment under circumstances Y and see if they still did A.

I explained to her that it was necessary first to repeat in her laboratory the experiment of the other person—to do it under condition X to see if she could also get result A—and then change to Y and see if A changed. Then she would know that the real difference was the thing she thought she had under control.

She was very delighted with this new idea, and went to her professor. And his reply was, no, you cannot do that, because the experiment has already been done and you would be wasting time. This was in about 1935 or so, and it seems to have been the general policy then to not try to repeat psychological experiments, but only to change the conditions and see what happens.

Nowadays there’s a certain danger of the same thing happening, even in the famous field of physics. I was shocked to hear of an experiment done at the big accelerator at the National Accelerator Laboratory, where a person used deuterium. In order to compare his heavy hydrogen results to what might happen to light hydrogen he had to use data from someone else’s experiment on light hydrogen, which was done on different apparatus. When asked he said it was because he couldn’t get time on the program (because there’s so little time and it’s such expensive apparatus) to do the experiment with light hydrogen on this apparatus because there wouldn’t be any new result. And so the men in charge of programs at NAL are so anxious for new results, in order to get more money to keep the thing going for public relations purposes, they are destroying—possibly—the value of the experiments themselves, which is the whole purpose of the thing. It is often hard for the experimenters there to complete their work as their scientific integrity demands.

All experiments in psychology are not of this type, however. For example, there have been many experiments running rats through all kinds of mazes, and so on—with little clear result. But in 1937 a man named Young did a very interesting one. He had a long corridor with doors all along one side where the rats came in, and doors along the other side where the food was. He wanted to see if he could train the rats to go in at the third door down from wherever he started them off. No. The rats went immediately to the door where the food had been the time before.

The question was, how did the rats know, because the corridor was so beautifully built and so uniform, that this was the same door as before? Obviously there was something about the door that was different from the other doors. So he painted the doors very carefully, arranging the textures on the faces of the doors exactly the same. Still the rats could tell. Then he thought maybe the rats were smelling the food, so he used chemicals to change the smell after each run. Still the rats could tell. Then he realized the rats might be able to tell by seeing the lights and the arrangement in the laboratory like any commonsense person. So he covered the corridor, and, still the rats could tell.

He finally found that they could tell by the way the floor sounded when they ran over it. And he could only fix that by putting his corridor in sand. So he covered one after another of all possible clues and finally was able to fool the rats so that they had to learn to go in the third door. If he relaxed any of his conditions, the rats could tell.

Now, from a scientific standpoint, that is an A‑Number‑l experiment. That is the experiment that makes rat‑running experiments sensible, because it uncovers the clues that the rat is really using—not what you think it’s using. And that is the experiment that tells exactly what conditions you have to use in order to be careful and control everything in an experiment with rat‑running.

I looked into the subsequent history of this research. The subsequent experiment, and the one after that, never referred to Mr. Young. They never used any of his criteria of putting the corridor on sand, or being very careful. They just went right on running rats in the same old way, and paid no attention to the great discoveries of Mr. Young, and his papers are not referred to, because he didn’t discover anything about the rats. In fact, he discovered all the things you have to do to discover something about rats. But not paying attention to experiments like that is a characteristic of Cargo Cult Science.

Another example is the ESP experiments of Mr. Rhine, and other people. As various people have made criticisms—and they themselves have made criticisms of their own experiments—they improve the techniques so that the effects are smaller, and smaller, and smaller until they gradually disappear. All the parapsychologists are looking for some experiment that can be repeated—that you can do again and get the same effect—statistically, even. They run a million rats—no, it’s people this time—they do a lot of things and get a certain statistical effect. Next time they try it they don’t get it any more. And now you find a man saying that it is an irrelevant demand to expect a repeatable experiment. This is science?

This man also speaks about a new institution, in a talk in which he was resigning as Director of the Institute of Parapsychology. And, in telling people what to do next, he says that one of the things they have to do is be sure they only train students who have shown their ability to get PSI results to an acceptable extent—not to waste their time on those ambitious and interested students who get only chance results. It is very dangerous to have such a policy in teaching—to teach students only how to get certain results, rather than how to do an experiment with scientific integrity.

So I wish to you—I have no more time, so I have just one wish for you—the good luck to be somewhere where you are free to maintain the kind of integrity I have described, and where you do not feel forced by a need to maintain your position in the organization, or financial support, or so on, to lose your integrity. May you have that freedom. May I also give you one last bit of advice: Never say that you’ll give a talk unless you know clearly what you’re going to talk about and more or less what you’re going to say.

Voir de plus:

René Girard. « L’accroissement de la puissance de l’homme sur le réel m’effraie »

René Girard, propos recueillis par Juliette Cerf publié le 11 min

[Actualisation: René Girard est mort mercredi 4 novembre 2015, à l’âge de 91 ans] Auteur d’une théorie fertile et discutée, René Girard est un penseur inclassable qui vit aux Etats-Unis depuis 1947. Entre critique littéraire, théologie et anthropologie, il révèle les liens unissant la violence et le religieux, et construit une « science des rapports humains ».

Transdisciplinaire, la théorie du désir mimétique de René Girard repose sur l’idée que l’homme ne désire jamais par lui-même sinon en imitant les désirs d’un tiers pris pour modèle, le médiateur. Aux concepts abstraits et à la fixité, il a toujours préféré la matière des œuvres et le dynamisme des mécanismes, comme celui du bouc émissaire et du sacrifice. Né le 25 décembre 1923 à Avignon, ancien élève de l’École des chartes, venu « de nulle part » comme il aime à le dire, René Girard s’est d’abord intéressé au désir mimétique à travers la littérature (Mensonge romantique et vérité romanesque) avant de prendre pour objet les religions archaïques (La Violence et le Sacré) puis la Bible et le christianisme (Des choses cachées depuis la fondation du monde). Anthropologue autodidacte élu à l’Académie française en 2005, penseur chrétien converti par sa théorie – « Ce n’est pas parce je suis chrétien que je pense comme je le fais ; c’est parce que mes recherches m’ont amené à penser ce que je pense, que je suis devenu chrétien », a-t-il écrit –, René Girard a bâti une anthropologie du phénomène religieux. En insistant sur le passage des religions mythiques au christianisme, il invente une genèse de la culture.

Philosophie magazine : Votre parcours est atypique. Votre position  extérieure à l’université vous a-t-elle permis d’élaborer votre théorie transversale ?

René Girard : Oui, sans conteste, et cela remonte très tôt dans mon enfance. Je n’ai jamais rien appris dans les établissements d’enseignement. J’ai des souvenirs de mon entrée en classe de dixième à Avignon. Je vois encore la maîtresse, aussi peu terrifiante que possible. Elle m’a pourtant causé une véritable panique… Ma mère m’a retiré du lycée et j’ai passé mes premières années d’enseignement dans ce que mon père appelait une école de gâtés. Je suis retourné au lycée en sixième et je suis devenu terriblement chahuteur, si bien que je me suis fait renvoyer de l’année de philo. J’avais passé mon premier bac très médiocrement et j’ai fait ma classe de philo seul. J’ai obtenu une mention bien. À partir de là, mon père a considéré que j’étais le meilleur professeur de moi-même… En 1941, je suis parti pour la khâgne de Lyon. La situation était difficile, il y avait déjà des restrictions alimentaires, et je suis rentré chez mes parents. Mon père, qui était conservateur de la bibliothèque et du musée d’Avignon, m’a suggéré de préparer seul l’École des chartes. J’ai été reçu en 1943. Mais j’ai trouvé cela ennuyeux et suis parti pour les États-Unis en 1947, répondant à une offre d’assistant de français.

C’est la littérature qui est à la source de votre théorie.

«Le christianisme est, selon moi, à la source du scepticisme moderne, il est démystification»

Aux États-Unis, j’ai commencé à enseigner la littérature française. Mon idée première a été de me demander comment enseigner ces romans que, pour beaucoup, je n’avais pas lus. La critique littéraire était déjà très différentialiste ; il fallait découvrir dans les œuvres ce qui les rendait exceptionnelles, différentes les unes des autres. En lisant ces romans, ce qui m’a frappé au contraire, c’est la substance très analogue qui en émanait, de Stendhal à Proust par exemple. La même problématique sociale reparaissait sous un jour différent, mais avec des différences liées à la période plutôt qu’à la personnalité du romancier. Je suis arrivé à l’idée que s’il y a des modes et de l’Histoire, c’est parce que les hommes ont tendance à désirer la même chose. Ils imitent le désir les uns des autres. L’imitation, pour cette raison, est source de conflits. Désirer la même chose, c’est s’opposer à son modèle, c’est essayer de lui enlever l’objet qu’il désire. Le modèle se change en rival. Ces allers-retours accélèrent les échanges hostiles et la puissance du désir ; il y a donc chez l’homme une espèce de spirale ascendante de rivalité, de concurrence et de violence. Si la littérature a été un point de départ pour moi, c’est que le roman ne parle que des rapports concrets, des vraies relations humaines ; il ne monologue pas. C’est à partir de trois personnages que l’on peut parler correctement des rapports humains et jamais à partir d’un sujet seul. C’est la rivalité mimétique qui est première pour moi, non l’individu.

Vous reprochez à la philosophie de ne pas penser assez la relation. Que faire de l’intersubjectivité ?

L’intersubjectivité est la bonne direction mais elle est récente. Lévinas a bien compris le mimétisme ; il cite toujours cette parole talmudique formidable : si tout le monde est d’accord pour condamner un individu, libérez-le, il doit être innocent. L’accord contre lui est un accord mimétique. Dans le Talmud, il y a une conscience du mimétisme, de l’influence réciproque des hommes les uns sur les autres qui tranche complètement sur les religions antiques et en particulier sur la religion grecque. Cette dernière voit les individus comme des boules de billard, isolées les unes des autres. Nous avons vécu une longue période où la philosophie ne voyait que des différences ; la déconstruction et le structuralisme ont alors joué un rôle important. Pour moi, au fond, il n’y a que des identités méconnues. La méconnaissance que l’Amérique a de l’Europe est à cet égard frappante ; les Américains imaginent qu’il y a quelque chose de spécifiquement européen qu’ils n’ont pas et ne comprennent pas. En réalité, ils ne comprennent pas l’identité des réactions de part et d’autre ; les différences ne sont que des différences de situation, de pouvoir relatif. L’Europe fait la même chose vis-à-vis de l’Amérique : elle ne voit pas à quel point l’Amérique est la même chose que l’Europe. Chez les Américains, il y a quand même cette idée qu’on a immigré parce qu’on est des Européens ratés ; par conséquent, l’Amérique est en rivalité permanente, toujours en train de prouver à l’Europe qu’elle peut faire mieux qu’elle.

La violence est au cœur de votre anthropologie mimétique. Cet aspect conflictuel de l’imitation, la philosophie ne l’avait-elle pas déjà mis en lumière ?

Platon est le premier à avoir parlé de l’imitation. Il lui a accordé un rôle prodigieux : l’imitation, pour lui, est essentielle et dangereuse. Il la redoute. L’imitation, c’est le passage de l’essence à l’existence. Dans La République, il y a des textes extraordinaires sur les dangers des gardiens de la cité idéale s’imitant les uns les autres. L’hostilité de Platon envers la foule, qui est dans une imitation déréglée, déchaînée, est impressionnante. Platon est l’un des précurseurs de cette vision conflictuelle de l’imitation, mais il n’en révèle pas vraiment le mécanisme. Tout ceci disparaît avec Aristote qui rend l’imitation anodine et docile ; pour lui, l’imitation, c’est le peintre du dimanche voulant être aussi réaliste que possible ! Depuis Aristote, l’imitation est considérée comme une faculté, une technique assez stupide et dérisoire, qui joue un rôle dans l’éducation élémentaire.

Selon vous, la philosophie est idéaliste, essentialiste. Est-ce votre réalisme qui vous en éloigne ?

Oui, je pense que l’accent mis sur l’observation du réel dans le monde moderne a été quelque chose de très efficace, autant dans le danger que dans le bénéfice. Les outils dont l’homme dispose aujourd’hui sont infiniment plus puissants que tous ceux qu’il a connus auparavant. Ces outils, l’homme est parfaitement capable de les utiliser de façon égoïste et rivalitaire. Ce qui m’intéresse, c’est cet accroissement de la puissance de l’homme sur le réel. Les statistiques de production et de consommation d’énergie sont en progrès constant, et la rapidité d’augmentation de ce progrès augmente elle aussi constamment, dessinant une courbe parfaite, presque verticale. C’est pour moi une immense source d’effroi tant les hommes, essentiellement, restent des rivaux, rivalisant pour le même objet ou la même gloire – ce qui est la même chose. Nous sommes arrivés à un stade où le milieu humain est menacé par la puissance même de l’homme. Il s’agit avant tout de la menace écologique, des armes et des manipulations biologiques.

Dans Achever Clausewitz, vous ne cachez pas votre inquiétude face à ce climat « apocalyptique ».

«L’humanisme occidental ne voit pas que la violence se développe spontanément quand les hommes rivalisent pour un objet»

Loin d’être absurdes ou impensables, les grands textes eschatologiques – ceux des Évangiles synoptiques, en particulier Matthieu, chapitre 24, et Marc, chapitre 13 –, sont d’une actualité saisissante. La science moderne a séparé la nature et la culture, alors qu’on avait défini la religion comme le tonnerre de Zeus, etc. Dans les textes apocalyptiques, ce qui frappe, c’est ce mélange de nature et de culture ; les guerres et rumeurs de guerre, le fracas de la mer et des flots ne forment qu’un. Or si nous regardons ce qui se passe autour de nous, si nous nous interrogeons sur l’action des hommes sur le réel, le réchauffement global, la montée du niveau la mer, nous nous retrouvons face à un univers où les choses naturelles et culturelles sont confondues. La science elle-même le reconnaît. J’ai voulu radicaliser cet aspect apocalyptique. Je pense que les gens sont trop rassurés. Ils se rassurent eux-mêmes. L’homme est comme un insecte qui fait son nid ; il fait confiance à l’environnement. La créature fait toujours confiance à l’environnement… Le rationalisme issu des Lumières continue aussi à rassurer. Les rapports humains, l’humanisme des Lumières les juge stables ; il considère que les rapports hostiles entre individus sont exactement comme ces boules de billard qui s’entrechoquent : c’est la plus grosse ou la plus rapide qui l’emporte sur les autres. L’humanisme occidental ne voit pas que la violence est ce qui se développe spontanément entre les hommes lorsqu’ils rivalisent pour un objet. Clausewitz était un homme des Lumières, et ce n’est, à mon avis, que parce qu’il parle de la guerre qu’il saisit les rapports humains véritables ; libéré, il peut parler de la violence. Quand Clausewitz définit la guerre comme une montée aux extrêmes, il décrit un mécanisme très simple : lorsque nous nous bagarrons avec quelqu’un, nous allons toujours vers le pire, nos injures seront toujours plus violentes. Il se produit ce que nous appelons aujourd’hui une « escalade », escalation en anglais, une montée par échelle d’intensité.

Certains phénomènes contemporains relèvent-ils, pour vous, du mécanisme mimétique ?

La Chine a favorisé le développement de l’automobile. Cette priorité dénote une rivalité avec les Américains sur un terrain très redoutable ; la pollution dans la région de Shanghai est effrayante. Mais avoir autant d’automobiles que l’Amérique est un but dont il est, semble-t-il, impossible de priver les hommes. L’Occident conseille aux pays en voie de développement et aux pays les plus peuplés du globe, comme la Chine et l’Inde, de ne pas faire la même chose que lui ! Il y a là quelque chose de paradoxal et de scandaleux pour ceux auxquels ces conseils s’adressent. Aux États-Unis, les politiciens vous diront tous qu’ils sont d’accord pour prendre des mesures écologiques si elles ne touchent pas les accroissements de production. Or, s’il y a une partie du monde qui n’a pas besoin d’accroissement de production, c’est bien les États-Unis ; le profit individuel et les rivalités, qui ne sont pas immédiatement guerrières et destructrices mais qui le seront peut-être indirectement, et de façon plus massive encore, sont sacrées ; pas question de les toucher. Que faut-il pour qu’elles cessent d’être sacrées ? Il n’est pas certain que la situation actuelle, notamment la disparition croissante des espèces, soit menaçante pour la vie sur la planète, mais il y a une possibilité très forte qu’elle le soit. Ne pas prendre de précaution, alors qu’on est dans le doute, est dément. Des mesures écologiques sérieuses impliqueraient des diminutions de production. Mais ce raisonnement ne joue pas dans l’écologie, l’humanité étant follement attachée à ce type de concurrence qui structure en particulier la réalité occidentale, les habitudes de vie, de goût de l’humanité dite « développée ».

Vivons-nous dans une société de victimes ? Ce processus actuel de victimisation ressemble-t-il à celui que vous avez analysé dans Le Bouc émissaire ?

Notre société s’intéresse aux victimes et dénonce la victimisation collective d’individus innocents. Le besoin de bouc émissaire est si puissant que nous accusons toujours les gens de faire des boucs émissaires. Aujourd’hui, nous victimisons les victimisateurs ou ceux que nous jugeons comme tels. Dès que nous sommes hostiles à quelqu’un, nous l’accusons de faire des victimes, ce qui est très différent de l’hostilité qui structure les sociétés archaïques. Dans mon système, il y a deux types de religions. D’abord, les religions archaïques, qui sont fondées sur des crises de violence se résolvant par des phénomènes de bouc émissaire, c’est-à-dire par le choix d’une victime insignifiante mais dont on comprend, au regard des mythes, qu’elle n’est pas choisie au hasard : Œdipe est boiteux, il a attiré l’attention pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le parricide et l’inceste. Le fait religieux, c’est un bouc émissaire qui rassemble contre lui une communauté troublée et qui fait cesser ce trouble. Ce bouc émissaire apparaît très méchant, dangereux, mais aussi très bon et secourable puisqu’il ressoude la communauté et purge la violence. Il faut l’apaiser. Pour cela, on recommence prudemment sur des victimes désignées à l’avance qui n’appartiennent pas à la communauté, qui lui sont un peu extérieures ; c’est-à-dire qu’on fait des sacrifices, des moments de violence contrôlés, ritualisés. La religion protège ainsi les sociétés de la violence mimétique. Ensuite, le judaïque et le chrétien révèlent la vérité du système. Dans les sociétés archaïques, le système fonctionne parce qu’on ne le comprend pas. C’est ce que j’appelle la méconnaissance : avoir un bouc émissaire, c’est ne pas savoir qu’on l’a ; apprendre qu’on en a un, c’est le perdre. L’anthropologie moderne a compris que, d’une certaine manière, le drame dans le judaïque et le chrétien, et en particulier la crucifixion du Christ, a la même structure que les mythes. Mais ce que les antropologues n’ont pas vu, c’est que dans les mythes, la victime apparaît comme coupable, tandis que les Évangiles reconnaissent l’innocence de la victime sacrificielle. On peut les considérer comme une explication de la religion archaïque : mieux on comprend les Évangiles, plus on comprend qu’ils suppriment les religions. J’exalte le christianisme d’une façon paradoxale. Selon moi, il est à la source du scepticisme moderne. Il est révélation des boucs émissaires. Il est démystification.

Voir encore:

« Fin du monde » contre « fin du mois », la rhétorique méprisante de nos élites

En reprenant à son compte cette expression, Emmanuel Macron a illustré la vision caricaturale qu’ont nos dirigeants de la France périphérique.

Benjamin Masse-Stamberger

Marianne

La « fin du monde » contre la « fin du mois ». L’expression, supposée avoir été employée initialement par un gilet jaune, a fait florès : comment concilier les impératifs de pouvoir d’achat à court terme, et les exigences écologiques vitales pour la survie de la planète ? La formule a même été reprise ce mardi par Emmanuel Macron, dans son discours sur la transition énergétique. « On l’entend, le président, le gouvernement, a-t-il expliqué, en paraphrasant les requêtes supposées des contestataires. Ils évoquent la fin du monde, nous on parle de la fin du mois. Nous allons traiter les deux, et nous devons traiter les deux. »

L’expression a-t-elle effectivement été employée par des gilets jaunes ? Peut-être. Mais le moins qu’on puisse dire, c’est que nos élites se sont saisies avec gourmandise de cette dialectique rassurante, reprise comme une antienne sur tous les plateaux de télévision pour résumer la problématique soulevée par ce mouvement sans précédent. Les politiques eux-mêmes en ont fait leurs choux gras : l’expression avait déjà été employée par Nicolas Hulot le 22 novembre, lors de l’Emission politique sur France 2, puis par Emmanuelle Wargon, la secrétaire d’Etat à l’Ecologie, le 24 novembre sur LCI enfin par Ségolène Royal le 25 novembre dernier, sur France 3. A vrai dire, elle avait même été utilisée par David Cormand, le secrétaire national d’Europe-Ecologie-Les Verts, sur France Info… dès le 4 septembre !

Quand on prend le temps de parler à ces gilets jaunes, on constate qu’ils sont parfaitement conscients de la problématique écologique

C’est dire que l’expression – si elle a pu être reprise ponctuellement par tel ou tel manifestant – émane en fait de nos élites boboïsantes. Elle correspond bien à la vision méprisante qu’elles ont d’une France périphérique aux idées étriquées, obsédée par le « pognon » indifférente au bien commun, là où nos dirigeants auraient la capacité à embrasser plus large, et à voir plus loin.

Or, la réalité est toute autre : quand on prend le temps de parler à ces gilets jaunes, on constate qu’ils sont parfaitement conscients de la problématique écologique. Parmi leurs revendications, dévoilées ces derniers jours, il y a ainsi l’interdiction immédiate du glyphosate, cancérogène probable que le gouvernement a en revanche autorisé pour encore au moins trois ans. Mais, s’ils se sentent concernés par l’avenir de la planète, les représentants de cette France rurale et périurbaine refusent de payer pour les turpitudes d’un système économique qui détruit l’environnement. D’autant que c’est ce même système qui est à l’origine de la désindustrialisation et de la dévitalisation des territoires, dont ils subissent depuis trente ans les conséquences en première ligne. A l’inverse, nos grandes consciences donneuses de leçon sont bien souvent les principaux bénéficiaires de cette économie mondialisée. Qui est égoïste, et qui est altruiste ?

Parmi les doléances des gilets jaunes, on trouve d’ailleurs aussi nombre de revendications politiques : comptabilisation du vote blanc, présence obligatoire des députés à l’Assemblée nationale, promulgation des lois par les citoyens eux-mêmes. Des revendications qu’on peut bien moquer, ou balayer d’un revers de manche en estimant qu’elles ne sont pas de leur ressort. Elles n’en témoignent pas moins d’un souci du politique, au sens le plus noble du terme, celui du devenir de la Cité. A l’inverse, en se repaissant d’une figure rhétorique caricaturale, reprise comme un « gimmick » de communication, nos élites démontrent leur goût pour le paraître et la superficialité, ainsi que la facilité avec laquelle elles s’entichent de clichés qui ne font que conforter leurs préjugés. Alors, qui est ouvert, et qui est étriqué ? Qui voit loin, et qui est replié sur lui-même ? Qui pense à ses fins de mois, et qui, à la fin du monde ?

Voir enfin:

LE GATEAU MIRACLE

Homo deus

Yuval Noah Harari

2015

/…/ La modernité (…) repose sur la conviction que la croissance économique n’est pas seulement possible mais absolument essentielle. Prières, bonnes actions et méditation pourraient bien être une source de consolation et d’inspiration, mais des problèmes tels que la famine, les épidémies et la guerre ne sauraient être résolus que par la croissance. Ce dogme fondamental se laisse résumer par une idée simple : « Si tu as un problème, tu as probablement besoin de plus, et pour avoir plus, il faut produire plus ! »

Les responsables politiques et les économistes modernes insistent : la croissance est vitale pour trois grandes raisons. Premièrement, quand nous produisons plus, nous pouvons consommer plus, accroître notre niveau de vie et, prétendument, jouir d’une vie plus heureuse. Deuxièmement, tant que l’espèce humaine se multiplie, la croissance économique est nécessaire à seule fin de rester où nous en sommes. En Inde, par exemple, la croissance démographique est de 1,2 % par an. Cela signifie que, si l’économie indienne n’enregistre pas une croissance annuelle d’au moins 1,2 %, le chômage augmentera, les salaires diminueront et le niveau de vie moyen déclinera. Troisièmement, même si les Indiens cessent de se multiplier, et si la classe moyenne indienne peut secontenter de son niveau de vie actuel, que devrait faire l’Inde de ses centaines demillions de citoyens frappés par la pauvreté ? Sans croissance, le gâteau reste dela même taille ; on ne saurait par conséquent donner plus aux pauvres qu’en prenant aux riches. Cela obligera à des choix très difficiles, et causera probablement beaucoup de rancœur, voire de violence. Si vous souhaitez éviter des choix douloureux, le ressentiment et les violences, il vous faut un gâteau plus gros.

La modernité a fait du « toujours plus » une panacée applicable à la quasi-totalité des problèmes publics et privés – du fondamentalisme religieux au mariage raté, en passant par l’autoritarisme dans le tiers-monde. Si seulement des pays comme le Pakistan et l’Égypte pouvaient soutenir une croissance régulière, leurs citoyens profiteraient des avantages que constituent voitures individuelles et réfrigérateurs pleins à craquer ; dès lors, ils suivraient la voie dela prospérité ici-bas au lieu d’emboîter le pas au joueur de pipeau fondamentaliste. De même, dans des pays comme le Congo et la Birmanie, lacroissance économique produirait une classe moyenne prospère, qui est le socle de la démocratie libérale. Quant au couple qui traverse une mauvaise passe, il serait sauvé si seulement il pouvait acquérir une maison plus grande (que mari et femme n’aient pas à partager un bureau encombré), acheter un lave-vaisselle (qu’ils cessent de se disputer pour savoir à qui le tour de faire la vaisselle) et suivre de coûteuses séances de thérapie deux fois par semaine.

La croissance économique est ainsi devenue le carrefour où se rejoignent la quasi-totalité des religions, idéologies et mouvements modernes. L’Union soviétique, avec ses plans quinquennaux mégalomaniaques, n’était pas moins obsédée par la croissance que l’impitoyable requin de la finance américain. De même que chrétiens et musulmans croient tous au ciel et ne divergent que sur le moyen d’y parvenir, au cours de la guerre froide, capitalistes et communistes imaginaient créer le paradis sur terre par la croissance économique et ne sedisputaient que sur la méthode exacte.

Aujourd’hui, les revivalistes hindous, les musulmans pieux, les nationalistes japonais et les communistes chinois peuvent bien proclamer leur adhésion à de valeurs et objectifs très différents : tous ont cependant fini par croire que la croissance économique est la clé pour atteindre leurs buts disparates. En 2014, Narendra Modi, hindou fervent, a ainsi été élu Premier ministre de l’Inde ; sonélection a largement été due au fait qu’il a su stimuler la croissance économiquedans son État du Gujarât et à l’idée largement partagée que lui seul pourrait ranimer une économie nationale léthargique. En Turquie, des vues analogues ontpermis à l’islamiste Recep Tayyip Erdoğan de conserver le pouvoir depuis 2003. Le nom de son parti – Parti de la justice et du développement – souligne sonattachement au développement économique ; de fait, le gouvernement Erdoğan aréussi à obtenir des taux de croissance impressionnants depuis plus de dix ans.

En 2012, le Premier ministre japonais, le nationaliste Shinzō Abe, est arrivé au pouvoir en promettant d’arracher l’économie japonaise à deux décennies de stagnation. À cette fin, il a recouru à des mesures si agressives et inhabituellesqu’on a parlé d’ « abenomie ». Dans le même temps, en Chine, le particommuniste a rendu hommage du bout des lèvres aux idéaux marxistes-léninistes traditionnels ; dans les faits, cependant, il s’en tient aux célèbresmaximes de Deng Xiaoping : « le développement est la seule vérité tangible » et « qu’importe que le chat soit noir ou blanc, pourvu qu’il attrape les souris ». Ce qui veut dire en clair : faites tout ce qui sert la croissance économique, même sicela aurait déplu à Marx et à Lénine.

À Singapour, comme il sied à cet État-cité qui va droit au but, cet axe de réflexion est poussé encore plus loin, au point que les salaires des ministres sontindexés sur le PIB. Quand l’économie croît, le salaire des ministres estaugmenté, comme si leur mission se réduisait à cela. Cette obsession de la croissance pourrait sembler aller de soi, mais c’est uniquement parce que nous vivons dans le monde moderne. Les maharajas indiens, les sultans ottomans, les shoguns de Kamakura et les empereurs Han fondaient rarement leur destin politique sur la croissance économique. Que Modi, Erdoğan, Abe et le président chinois Xi Jinping aient tous misé leur carrière sur la croissance atteste le statut quasi religieux que la croissance a fini par acquérir à travers le monde. De fait, on n’a sans doute pas tort de parler de religion lorsqu’il s’agit de la croyance dans la croissance économique : elle prétend aujourd’hui résoudre nombre de nos problèmes éthiques, sinon la plupart. La croissance économique étant prétendument la source de toutes les bonnes choses, elle encourage les gens à enterrer leurs désaccords éthiques pour adopter la ligne d’action qui maximise la croissance à long terme. L’Inde de Modi abrite des milliers de sectes, de partis, de mouvements et de gourous : bien que leurs objectifs ultimes puissent diverger, tous doivent passer par le même goulet d’étranglement de la croissance économique. Alors, en attendant, pourquoi ne pas tous se serrer les coudes ?

Le credo du « toujours plus » presse en conséquence les individus, les entreprises et les gouvernements de mépriser tout ce qui pourrait entraver la croissance économique : par exemple, préserver l’égalité sociale, assurer l’harmonie écologique ou honorer ses parents. En Union soviétique, lesdirigeants pensaient que le communisme étatique était la voie de la croissance laplus rapide : tout ce qui se mettait en travers de la collectivisation fut donc passé au bulldozer, y compris des millions de koulaks, la liberté d’expression et la mer d’Aral. De nos jours, il est généralement admis qu’une forme de capitalisme de marché est une manière beaucoup plus efficace d’assurer la croissance à long terme : on protège donc les magnats cupides, les paysans riches et la liberté d’expression, tout en démantelant et détruisant les habitats écologiques, les structures sociales et les valeurs traditionnelles qui gênent le capitalisme de marché.

Prenez, par exemple, une ingénieure logiciel qui touche 100 dollars par heure de travail dans une start-up de high-tech. Un jour, son vieux père fait un AVC. Il a besoin d’aide pour faire ses courses, la cuisine et même sa toilette. Elle pourrait installer son père chez elle, partir plus tard au travail le matin, rentrer plus tôt le soir et prendre soin personnellement de son père. Ses revenus et la productivité de la start-up en souffriraient, mais son père profiterait des soins d’une fille dévouée et aimante. Inversement, elle pourrait faire appel à une aide mexicaine qui, pour 12 dollars de l’heure, vivrait avec son père et pourvoirait à tous ses besoins. Cela ne changerait rien à sa vie d’ingénieure et à la start-up, et cela profiterait à l’aide et l’économie mexicaines. Que doit faire notre ingénieure ?

Le capitalisme de marché a une réponse sans appel. Si la croissance économique exige que nous relâchions les liens familiaux, encouragions les gens à vivre loin de leurs parents, et importions des aides de l’autre bout du monde, ainsi soit-il. Cette réponse implique cependant un jugement éthique, plutôt qu’unénoncé factuel. Lorsque certains se spécialisent dans les logiciels quand d’autresconsacrent leur temps à soigner les aînés, on peut sans nul doute produire plus de logiciels et assurer aux personnes âgées des soins plus professionnels. Mais la croissance économique est-elle plus importante que les liens familiaux ? En sepermettant de porter des jugements éthiques de ce type, le capitalisme de marchéa franchi la frontière qui séparait le champ de la science de celui de la religion.

L’étiquette de « religion » déplairait probablement à la plupart des capitalistes, mais, pour ce qui est des religions, le capitalisme peut au moins tenir la tête haute. À la différence des autres religions qui nous promettent un gâteau au ciel, le capitalisme promet des miracles ici, sur terre… et parfois même en accomplit. Le capitalisme mérite même des lauriers pour avoir réduit la violence humaine etaccru la tolérance et la coopération. Ainsi que l’explique le chapitre suivant, d’autres facteurs entrent ici en jeu, mais le capitalisme a amplement contribué à l’harmonie mondiale en encourageant les hommes à cesser de voir l’économie comme un jeu à somme nulle, où votre profit est ma perte, pour y voir plutôt une situation gagnant-gagnant, où votre profit est aussi le mien. Cette approche dubénéfice mutuel a probablement bien plus contribué à l’harmonie générale quedes siècles de prédication chrétienne sur le thème du « aime ton prochain » et « tends l’autre joue ».

De sa croyance en la valeur suprême de la croissance, le capitalisme déduit son commandement numéro un : tu investiras tes profits pour augmenter la croissance. Pendant le plus clair de l’histoire, les princes et les prêtres ont dilapidé leurs profits en carnavals flamboyants, somptueux palais et guerres inutiles. Inversement, ils ont placé leurs pièces d’or dans des coffres de fer, scellés et enfermés dans un donjon. Aujourd’hui, les fervents capitalistes se servent de leurs profits pour embaucher, développer leur usine ou mettre au point un nouveau produit.

S’ils ne savent comment faire, ils confient leur argent à quelqu’un qui saura : un banquier ou un spécialiste du capital-risque. Ce dernier prête de l’argent à divers entrepreneurs. Des paysans empruntent pour planter de nouveaux champs de blé ; des sous-traitants, pour construire de nouvelles maisons, des compagniesénergétiques, pour explorer de nouveaux champs de pétrole et les usinesd’armement, pour mettre au point de nouvelles armes. Les profits de toutes cesactivités permettent aux entrepreneurs de rembourser avec intérêts. Non seulement nous avons maintenant plus de blé, de maisons, de pétrole et d’armes, mais nous avons aussi plus d’argent, que les banques et les fonds peuvent denouveau prêter. Cette roue ne cessera jamais de tourner, du moins pas selon le capitalisme. Jamais n’arrivera un moment où le capitalisme dira : « Ça suffit. Il y a assez de croissance ! On peut se la couler douce. » Si vous voulez savoir pourquoi la roue capitaliste a peu de chance de s’arrêter un jour de tourner, discutez donc une heure avec un ami qui a accumulé 100 000 dollars et se demande qu’en faire.

« Les banques offrent des taux d’intérêt si bas, déplore-t-il. Je ne veux pasmettre mon argent sur un compte d’épargne qui rapporte à peine 0,5 % par an. Peut-être puis-je obtenir 2 % en bons du Trésor. L’an dernier, mon cousin Richie a acheté un appartement à Seattle, et son investissement lui a déjà rapporté 20 % ! Peut-être devrais-je me lancer dans l’immobilier, mais tout le monde parle d’une nouvelle bulle spéculative. Alors que penses-tu de la Bourse ? Un ami m’a dit que le bon plan, ces derniers temps, c’est d’acheter un fonds négocié en Bourse qui suit les économies émergentes comme le Brésil ou la Chine. » Il s’arrête un moment pour reprendre son souffle, et vous lui posez la questionsuivante : « Eh bien, pourquoi ne pas te contenter de tes 100 000 dollars ? » Il vous expliquera mieux que je ne saurais le faire pourquoi le capitalisme nes’arrêtera jamais.

On apprend même cette leçon aux enfants et aux adolescents à travers des jeux capitalistes omniprésents. Les jeux prémodernes, comme les échecs, supposaient une économie stagnante. Vous commencez une partie d’échecs avec seize pièces et, à la fin, vous n’en avez plus. Dans de rares cas, un pion peut être transformé en reine, mais vous ne pouvez produire de nouveaux pions ni métamorphoser vos cavaliers en chars. Les joueurs d’échecs n’ont donc jamais à  penser investissement. À l’opposé, beaucoup de jeux de société modernes et de jeux vidéo se focalisent sur l’investissement et la croissance.

Particulièrement révélateurs sont les jeux de stratégie du genre de Minecraft,Les Colons de Catane ou Civilizationde Sid Meier. Le jeu peut avoir pour cadre le Moyen Âge, l’âge de pierre ou quelque pays imaginaire, mais les principes restent les mêmes – et sont toujours capitalistes. Votre but est d’établir une ville,un royaume, voire toute une civilisation. Vous partez d’une base très modeste : juste un village, peut-être, avec les champs voisins. Vos actifs vous assurent un revenu initial sous forme de blé, de bois, de fer ou d’or. À vous d’investir ce revenu à bon escient. Il vous faut choisir entre des outils improductifs mais encore nécessaires, comme les soldats, et des actifs productifs, tels que des villages, des mines et des champs supplémentaires. La stratégie gagnante consiste habituellement à investir le strict minimum dans des produits de première nécessité improductifs, tout en maximisant vos actifs productifs. Aménager des villages supplémentaires signifie qu’au prochain tour vous disposerez d’un revenu plus important qui pourrait vous permettre non seulement d’acheter d’autres soldats, si besoin, mais aussi d’augmenter vos investissements productifs. Bientôt vous pourrez ainsi transformer vos villages en villes, bâtir des universités, des ports et des usines, explorer les mers et les océans, créer votre civilisation et gagner la partie.

LE SYNDROME DE L’ARCHE

La croissance économique peut-elle cependant se poursuivre éternellement ? L’économie ne finira-t-elle pas par être à court de ressources et par s’arrêter ? Pour assurer une croissance perpétuelle, il nous faut découvrir un stock de ressources inépuisable. Une solution consiste à explorer et à conquérir de nouvelles terres. Des siècles durant, la croissance de l’économie européenne et l’expansion du système capitaliste se sont largement nourries de conquêtes impériales outre-mer. Or le nombre d’îles et de continents est limité. Certains entrepreneurs espèrent finalement explorer et conquérir de nouvelles planètes, voire de nouvelles galaxies, mais, en attendant, l’économie moderne doit trouver une meilleure méthode pour poursuivre son expansion.

C’est la science qui a fourni la solution à la modernité. L’économie des renards ne saurait croître, parce qu’ils ne savent pas produire plus de lapins. L’économie des lapins stagne, parce qu’ils ne peuvent faire pousser l’herbe plus vite. Mais l’économie humaine peut croître, parce que les hommes peuvent découvrir des sources d’énergie et des matériaux nouveaux.

La vision traditionnelle du monde comme un gâteau de taille fixe présuppose qu’il n’y a que deux types de ressources : les matières premières et l’énergie. En vérité, cependant, il y en a trois : les matières premières, l’énergie et la connaissance. Les matières premières et l’énergie sont épuisables : plus vous les utilisez, moins vous en avez. Le savoir, en revanche, est une ressource en perpétuelle croissance : plus vous l’utilisez, plus vous en possédez. En fait,quand vous augmentez votre stock de connaissances, il peut vous faire accéder aussi à plus de matières premières et d’énergie. Si j’investis 100 millions de dollars dans la recherche de pétrole en Alaska et si j’en trouve, j’ai plus de pétrole, mais mes petits-enfants en auront moins. En revanche, si j’investis la même somme dans la recherche sur l’énergie solaire et que je découvre une nouvelle façon plus efficace de la domestiquer, mes petits-enfants et moi aurons davantage d’énergie.

Pendant des millénaires, la route scientifique de la croissance est restée bloquée parce que les gens croyaient que les Saintes Écritures et les anciennes traditions contenaient tout ce que le monde avait à offrir en connaissances importantes. Une société convaincue que tous les gisements de pétrole ont déjà été découverts ne perdrait pas de temps ni d’argent à chercher du pétrole. De même, une culture humaine persuadée de savoir déjà tout ce qui vaut la peine d’être su ne ferait pas l’effort de se mettre en quête de nouvelles connaissances. Telle était la position de la plupart des civilisations humaines prémodernes. La révolution scientifique a cependant libéré l’humanité de cette conviction naïve. La plus grande découverte scientifique a été la découverte de l’ignorance. Du jour où les hommes ont compris à quel point ils en savaient peu sur le monde, ils ont eu soudain une excellente raison de rechercher des connaissances nouvelles, ce qui a ouvert la voie scientifique du progrès.

À chaque génération, la science a contribué à découvrir de nouvelles sources d’énergie, de nouvelles matières premières, des machines plus performantes et des méthodes de production inédites. En 2017, l’humanité dispose donc de bien plus d’énergie et de matières premières que jamais, et la production s’envole. Des inventions comme la machine à vapeur, le moteur à combustion interne et l’ordinateur ont créé de toutes pièces des industries nouvelles. Si nous nous projetons dans vingt ans, en 2037, nous produirons et consommerons beaucoup plus qu’en 2017. Nous faisons confiance aux nanotechnologies, au géniegénétique et à l’intelligence artificielle pour révolutionner encore la production et ouvrir de nouveaux rayons dans nos supermarchés en perpétuelle expansion.

Nous avons donc de bonnes chances de triompher du problème de la rareté des ressources. La véritable némésis de l’économie moderne est l’effondrement écologique. Le progrès scientifique et la croissance économique prennent place dans une biosphère fragile et, à mesure qu’ils prennent de l’ampleur, les ondes de choc déstabilisent l’écologie. Pour assurer à chaque personne dans le mondele même niveau de vie que dans la société d’abondance américaine, il faudrait quelques planètes de plus ; or nous n’avons que celle-ci. Si le progrès et la croissance finissent par détruire l’écosystème, cela n’en coûtera pas seulement aux chauves-souris vampires, aux renards et aux lapins. Mais aussi à Sapiens. Une débâcle écologique provoquera une ruine économique, des troubles politiques et une chute du niveau de vie. Elle pourrait bien menacer l’existence même de la civilisation humaine.

Nous pourrions amoindrir le danger en ralentissant le rythme du progrès et de la croissance. Si cette année les investisseurs attendent un retour de 6 % sur leursportefeuilles, dans dix ans ils pourraient apprendre à se satisfaire de 3 %, puis de 1 % dans vingt ans ; dans trente ans, l’économie cessera de croître et nous nous contenterons de ce que nous avons déjà. Le credo de la croissance s’oppose pourtant fermement à cette idée hérétique et il suggère plutôt d’aller encore plus vite. Si nos découvertes déstabilisent l’écosystème et menacent l’humanité, il nous faut découvrir quelque chose qui nous protège. Si la couche d’ozone s’amenuise et nous expose au cancer de la peau, à nous d’inventer un meilleur écran solaire et de meilleurs traitements contre le cancer, favorisant ainsi l’essor de nouvelles usines de crèmes solaires et de centres anticancéreux. Si les nouvelles industries polluent l’atmosphère et les océans, provoquant un réchauffement général et des extinctions massives, il nous appartient de construire des mondes virtuels et des sanctuaires high-tech qui nous offriront toutes les bonnes choses de la vie, même si la planète devient aussi chaude, morne et polluée que l’enfer.

Pékin est déjà tellement polluée que la population évite de sortir, et que les riches Chinois dépensent des milliers de dollars en purificateurs d’air intérieur. Les super-riches construisent même des protections au-dessus de leur cour. En 2013, l’École internationale de Pékin, destinée aux enfants de diplomatesétrangers et de la haute société chinoise, est allée encore plus loin et a construitune immense coupole de 5 millions de dollars au-dessus de ses six courts detennis et de ses terrains de jeux. D’autres écoles suivent le mouvement, et le marché chinois des purificateurs d’air explose. Bien entendu, la plupart des Pékinois ne peuvent s’offrir pareil luxe, ni envoyer leurs enfants à l’École internationale.

L’humanité se trouve coincée dans une course double. D’un côté, nous nous sentons obligés d’accélérer le rythme du progrès scientifique et de la croissance économique. Un milliard de Chinois et un milliard d’Indiens aspirent au niveau de vie de la classe moyenne américaine, et ils ne voient aucune raison de brider leurs rêves quand les Américains ne sont pas disposés à renoncer à leurs 4×4 et à leurs centres commerciaux. D’un autre côté, nous devons garder au moins une longueur d’avance sur l’Armageddon écologique. Mener de front cette double course devient chaque année plus difficile, parce que chaque pas qui rapproche l’habitant des bidonvilles de Delhi du rêve américain rapproche aussi la planète du gouffre.

La bonne nouvelle, c’est que l’humanité jouit depuis des siècles de la croissance économique sans pour autant être victime de la débâcle écologique. Bien d’autres espèces ont péri en cours de route, et les hommes se sont aussi retrouvés face à un certain nombre de crises économiques et de désastres écologiques, mais jusqu’ici nous avons toujours réussi à nous en tirer. Reste qu’aucune loi de la nature ne garantit le succès futur. Qui sait si la science sera toujours capable de sauver simultanément l’économie du gel et l’écologie du point d’ébullition. Et puisque le rythme continue de s’accélérer, les marges d’erreur ne cessent de se rétrécir. Si, précédemment, il suffisait d’une invention stupéfiante une fois par siècle, nous avons aujourd’hui besoin d’un miracle tous les deux ans.

Nous devrions aussi nous inquiéter qu’une apocalypse écologique puisse avoirdes conséquences différentes en fonction des différentes castes humaines. Il n’ya pas de justice dans l’histoire. Quand une catastrophe s’abat, les pauvressouffrent toujours bien plus que les riches, même si ce sont ces derniers qui sontresponsables de la tragédie. Le réchauffement climatique affecte déjà la vie desplus pauvres dans les pays arides d’Afrique bien plus que la vie des Occidentauxplus aisés. Paradoxalement, le pouvoir même de la science peut accroître ledanger, en rendant les plus riches complaisants.

Prenez les émissions de gaz à effet de serre. La plupart des savants et un nombre croissant de responsables politiques reconnaissent la réalité du réchauffement climatique et l’ampleur du danger. Jusqu’ici, pourtant, cette reconnaissance n’a pas suffi à changer sensiblement notre comportement. Nous parlons beaucoup du réchauffement, mais, en pratique, l’humanité n’est pas prête aux sérieux sacrifices économiques, sociaux ou politiques nécessaires pour arrêter la catastrophe. Les émissions n’ont pas du tout diminué entre 2000 et 2010. Elles ont au contraire augmenté de 2,2 % par an, contre un taux annuel de 1,3 % entre 1970 et 2000(4). Signé en 1997, le protocole de Kyoto sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre visait à ralentir le réchauffement plutôt qu’à l’arrêter, mais le pollueur numéro un du monde, les États-Unis, a refusé de le ratifier et n’a fait aucun effort pour essayer de réduire de manière notable ses émissions, de peur de gêner sa croissance économique.

En décembre 2015, l’accord de Paris a fixé des objectifs plus ambitieux, appelant à limiter l’augmentation de la température moyenne à 1,5 degré au-dessus des niveaux préindustriels. Toutefois, nombre des douloureuses mesures nécessaires pour atteindre ce but ont été comme par hasard différées après 2030, ce qui revient de fait à passer la patate chaude à la génération suivante. Les administrations actuelles peuvent ainsi récolter les avantages politiques immédiats de leur apparent engagement vert, tandis que le lourd prix politique de la réduction des émissions (et du ralentissement de la croissance) est légué aux administrations futures. Malgré tout, au moment où j’écris (janvier 2016), il est loin d’être certain que les États-Unis et d’autres grands pollueurs ratifieront et mettront en œuvre l’accord de Paris. Trop de politiciens et d’électeurs pensent que, tant que l’économie poursuit sa croissance, les ingénieurs et les hommes de science pourront toujours la sauver du jugement dernier. S’agissant du changement climatique, beaucoup de défenseurs de la croissance ne se contentent pas d’espérer des miracles : ils tiennent pour acquis que les miracles se produiront.

À quel point est-il rationnel de risquer l’avenir de l’humanité en supposant que les futurs chercheurs feront des découvertes insoupçonnées qui sauveront la planète ? La plupart des présidents, ministres et PDG qui dirigent le monde sont des gens très rationnels. Pourquoi sont-ils disposés à faire un tel pari ? Peut-être parce qu’ils ne pensent pas parier sur leur avenir personnel. Même si les choses tournent au pire, et que la science ne peut empêcher le déluge, les ingénieurs pourraient encore construire une arche de Noé high-tech pour la caste supérieure, et laisser les milliards d’autres hommes se noyer. La croyance en cette arche high-tech est actuellement une des plus grosses menaces sur l’avenir de l’humanité et de tout l’écosystème. Les gens qui croient à l’arche high-tech ne devraient pas être en charge de l’écologie mondiale, pour la même raison qu’ilne faut pas confier les armes nucléaires à ceux qui croient à un au-delà céleste.

Et les plus pauvres ? Pourquoi ne protestent-ils pas ? Si le déluge survient un jour, ils en supporteront le coût, mais ils seront aussi les premiers à faire les frais de la stagnation économique. Dans un monde capitaliste, leur vie s’améliore uniquement quand l’économie croît. Aussi est-il peu probable qu’ils soutiennent des mesures pour réduire les menaces écologiques futures fondées sur le ralentissement de la croissance économique actuelle. Protéger l’environnement est une très belle idée, mais ceux qui n’arrivent pas à payer leur loyer s’inquiètent bien davantage de leur découvert bancaire que de la fonte de la calotte glaciaire.

FOIRE D’EMPOIGNE

Même si nous continuons de courir assez vite et parvenons à parer à la foi ’effondrement économique et la débâcle écologique, la course elle-même créed’immenses problèmes. Pour l’individu, elle se traduit par de hauts niveaux destress et de tension. Après des siècles de croissance économique et de progrèsscientifique, la vie aurait dû devenir calme et paisible, tout au moins dans lespays les plus avancés. Si nos ancêtres avaient eu un aperçu des outils et desressources dont nous disposons, ils auraient conjecturé que nous jouissons d’unetranquillité céleste, débarrassés de tout tracas et de tout souci. La vérité est trèsdifférente. Malgré toutes nos réalisations, nous sommes constamment pressés defaire et produire toujours plus.

Nous nous en prenons à nous-mêmes, au patron, à l’hypothèque, au gouvernement, au système scolaire. Mais ce n’est pas vraiment leur faute. C’est le deal moderne, que nous avons tous souscrit le jour de notre naissance. Dans le monde prémoderne, les gens étaient proches des modestes employés d’une bureaucratie socialiste. Ils pointaient et attendaient qu’un autre fasse quelque chose. Dans le monde moderne, c’est nous, les hommes, qui avons les choses en main, et nous sommes soumis jour et nuit à une pression constante.

Sur le plan collectif, la course se manifeste par des chambardements incessants. Alors que les systèmes politiques et sociaux duraient autrefois des siècles, aujourd’hui chaque génération détruit le vieux monde pour en construire un nouveau à la place. Comme le Manifeste communiste le montre brillamment,le monde moderne a absolument besoin d’incertitude et de perturbation. Toutes les relations fixes, tous les vieux préjugés sont balayés, les nouvelles structures deviennent archaïques avant même de pouvoir faire de vieux os. Tout ce qui est solide se dissipe dans l’air. Il n’est pas facile de vivre dans un monde aussi chaotique, et encore moins de le gouverner.

La modernité doit donc travailler dur pour s’assurer que ni les individus ni le collectif n’essaient de se retirer de la course, malgré la tension et le chaos qu’elle crée. À cette fin, elle brandit la croissance comme la valeur suprême au nom de laquelle on devrait tout sacrifier et braver tous les dangers. Sur un plan collectif, les gouvernements, les entreprises et les organismes sont encouragés à mesurer leur succès en termes de croissance et à craindre l’équilibre comme le diable. Sur le plan individuel, nous sommes constamment poussés à accroître nos revenus et notre niveau de vie. Même si vous êtes satisfait de votre situation actuelle, vous devez rechercher toujours plus. Le luxe d’hier devient nécessité d’aujourd’hui. Si autrefois vous viviez bien dans un appartement avec trois chambres, une voiture et un ordinateur fixe, aujourd’hui il vous faut une maison de cinq chambres, avec deux voitures et une nuée d’iPods, de tablettes et de smartphones.

Il n’était pas très difficile de convaincre les individus de vouloir plus. La cupidité vient facilement aux êtres humains. Le gros problème a été de convaincre les institutions collectives comme les États et les Églises d’accompagner le nouvel idéal. Des millénaires durant, les sociétés se sont efforcées de freiner les désirs individuels et de promouvoir une sorte d’équilibre. Il était notoire que les gens voulaient toujours plus pour eux-mêmes, mais le gâteau étant d’une taille fixe, l’harmonie sociale dépendait de la retenue. L’avarice était mauvaise. La modernité a mis le monde sens dessus dessous. Elle a convaincu les instances collectives que l’équilibre est bien plus effrayant que le chaos, et que comme l’avarice nourrit la croissance, c’est une force du bien. Dès lors, la modernité a incité les gens à vouloir plus, et a démantelé les disciplines séculaires qui tempéraient la cupidité.

Les angoisses qui en résultèrent furent largement apaisées par le capitalisme de marché : c’est une des raisons de la popularité de cette idéologie. Les penseurs capitalistes ne cessent de nous calmer : « Ne vous inquiétez pas, tout ira bien. Du moment que l’économie croît, la main invisible du marché pourvoira à tout. » Le capitalisme a donc sanctifié un système vorace et chaotique qui croît à pas de géant, sans que personne comprenne ce qui se passe et où nous courons. (Le communisme, qui croyait aussi à la croissance, pensait pouvoir empêcher le chaos et orchestrer la croissance par la planification. Après ses premiers succès, cependant, il s’est laissé largement distancer par la cavalcade désordonnée du marché.)

Il est de bon ton aujourd’hui, chez les intellectuels, de dénigrer le capitalisme. Puisqu’il domine le monde, nous ne devons rien négliger pour en saisir les insuffisances avant qu’elles ne produisent des catastrophes apocalyptiques. La critique du capitalisme ne doit pourtant pas nous aveugler sur ses avantages et ses réalisations. Il a été jusqu’ici un succès stupéfiant, du moins si nous ignorons les risques de débâcle écologique future, et si nous mesurons la réussite à l’aune de la production et de la croissance. Sans doute vivons-nous en 2017 dans un monde de stress et de chaos, mais les sombres prophéties d’effondrement et de violence ne se sont pas matérialisées, tandis que les scandaleuses promesses de croissance perpétuelle et de coopération mondiale s’accomplissent. Nous connaissons certes des crises économiques épisodiques et des guerres internationales, mais, à long terme, le capitalisme ne s’est pas seulement imposé, il a aussi réussi à surmonter la famine, les épidémies et la guerre. Des millénaires durant, prêtres, rabbins et muftis nous avaient expliqué que les hommes n’y parviendraient pas par leurs propres efforts. Puis sont venus les banquiers, les investisseurs et les industriels : en deux siècles, ils y sont arrivés !

Le deal moderne nous promettait un pouvoir sans précédent. La promesse a été tenue. Mais à quel prix ? En échange du pouvoir, le deal moderne attend de nous que nous renoncions au sens. Comment les hommes ont-ils accueilli cette exigence glaçante ? Obtempérer aurait pu aisément se traduire par un monde sinistre, dénué d’éthique, d’esthétique et de compassion. Il n’en reste pas moins vrai que l’humanité est aujourd’hui non seulement bien plus puissante que jamais, mais aussi beaucoup plus paisible et coopérative. Comment y sommes-nous parvenus ? Comment la morale, la beauté et même la compassion ont-elles survécu et fleuri dans un monde sans dieux, ni ciel, ni enfer ?

Une fois encore, les capitalistes sont prompts à en créditer la main invisible du marché. Pourtant, celle-ci n’est pas seulement invisible, elle est aussi aveugle : toute seule, jamais elle n’aurait pu sauver la société humaine. En vérité, même une foire d’empoigne générale ne saurait se passer de la main secourable d’un dieu, d’un roi ou d’une Église. Si tout est à vendre, y compris les tribunaux et la police, la confiance s’évapore, le crédit se dissipe et les affaires périclitent. Qu’est-ce qui a sauvé la société moderne de l’effondrement ? L’espèce humaine n’a pas été sauvée par la loi de l’offre et de la demande, mais par l’essor d’une nouvelle religion révolutionnaire : l’humanisme.

Voir par ailleurs:

In China, Breathing Becomes a Childhood Risk
Edward Wong
The New York Times
April 22, 2013

BEIJING — The boy’s chronic cough and stuffy nose began last year at the age of 3. His symptoms worsened this winter, when smog across northern China surged to record levels. Now he needs his sinuses cleared every night with saltwater piped through a machine’s tubes.

The boy’s mother, Zhang Zixuan, said she almost never lets him go outside, and when she does she usually makes him wear a face mask. The difference between Britain, where she once studied, and China is “heaven and hell,” she said.

Levels of deadly pollutants up to 40 times the recommended exposure limit in Beijing and other cities have struck fear into parents and led them to take steps that are radically altering the nature of urban life for their children.

Parents are confining sons and daughters to their homes, even if it means keeping them away from friends. Schools are canceling outdoor activities and field trips. Parents with means are choosing schools based on air-filtration systems, and some international schools have built gigantic, futuristic-looking domes over sports fields to ensure healthy breathing.

“I hope in the future we’ll move to a foreign country,” Ms. Zhang, a lawyer, said as her ailing son, Wu Xiaotian, played on a mat in their apartment, near a new air purifier. “Otherwise we’ll choke to death.”

She is not alone in looking to leave. Some middle- and upper-class Chinese parents and expatriates have already begun leaving China, a trend that executives say could result in a huge loss of talent and experience. Foreign parents are also turning down prestigious jobs or negotiating for hardship pay from their employers, citing the pollution.

There are no statistics for the flight, and many people are still eager to come work in Beijing, but talk of leaving is gaining urgency around the capital and on Chinese microblogs and parenting forums. Chinese are also discussing holidays to what they call the “clean-air destinations” of Tibet, Hainan and Fujian.

“I’ve been here for six years and I’ve never seen anxiety levels the way they are now,” said Dr. Richard Saint Cyr, a new father and a family health doctor at Beijing United Family Hospital, whose patients are half Chinese and half foreigners. “Even for me, I’ve never been as anxious as I am now. It has been extraordinarily bad.”

He added: “Many mothers, especially, have been second-guessing their living in Beijing. I think many mothers are fed up with keeping their children inside.”

Few developments have eroded trust in the Communist Party as quickly as the realization that the leaders have failed to rein in threats to children’s health and safety. There was national outrage in 2008 after more than 5,000 children were killed when their schools collapsed in an earthquake, and hundreds of thousands were sickened and six infants died in a tainted-formula scandal. Officials tried to suppress angry parents, sometimes by force or with payoffs.

But the fury over air pollution is much more widespread and is just beginning to gain momentum.

“I don’t trust the pollution measurements of the Beijing government,” said Ms. Zhang’s father, Zhang Xiaochuan, a retired newspaper administrator.

Scientific studies justify fears of long-term damage to children and fetuses. A study published by The New England Journal of Medicine showed that children exposed to high levels of air pollution can suffer permanent lung damage. The research was done in the 1990s in Los Angeles, where levels of pollution were much lower than those in Chinese cities today.

A study by California researchers published last month suggested a link between autism in children and the exposure of pregnant women to traffic-related air pollution. Columbia University researchers, in a study done in New York, found that prenatal exposure to air pollutants could result in children with anxiety, depression and attention-span problems. Some of the same researchers found in an earlier study that children in Chongqing, China, who had prenatal exposure to high levels of air pollutants from a coal-fired plant were born with smaller head circumferences, showed slower growth and performed less well on cognitive development tests at age 2. The shutdown of the plant resulted in children born with fewer difficulties.

Analyses show little relief ahead if China does not change growth policies and strengthen environmental regulation. A Deutsche Bank report released in February said the current trends of coal use and automobile emissions meant air pollution was expected to worsen by an additional 70 percent by 2025.

Some children’s hospitals in northern China reported a large number of patients with respiratory illnesses this winter, when the air pollution soared. During one bad week in January, Beijing Children’s Hospital admitted up to 9,000 patients a day for emergency visits, half of them for respiratory problems, according to a report by Xinhua, the state news agency.

Parents have scrambled to buy air purifiers. IQAir, a Swiss company, makes purifiers that cost up to $3,000 here and are displayed in shiny showrooms. Mike Murphy, the chief executive of IQAir China, said sales had tripled in the first three months of 2013 over the same period last year.

Face masks are now part of the urban dress code. Ms. Zhang laid out half a dozen masks on her dining room table and held up one with a picture of a teddy bear that fits Xiaotian. Schools are adopting emergency measures. Xiaotian’s private kindergarten used to take the children on a field trip once a week, but it has canceled most of those this year.

At the prestigious Beijing No. 4 High School, which has long trained Chinese leaders and their children, outdoor physical education classes are now canceled when the pollution index is high.

“The days with blue sky and seemingly clean air are treasured, and I usually go out and do exercise,” said Dong Yifu, a senior there who was just accepted to Yale University.

Elite schools are investing in infrastructure to keep children active. Among them are Dulwich College Beijing and the International School of Beijing, which in January completed two large white sports domes of synthetic fabric that cover athletic fields and tennis courts.

The construction of the domes and an accompanying building began a year ago, to give the 1,900 students a place to exercise in both bad weather and high pollution, said Jeff Johanson, director of student activities. The project cost $5.7 million and includes hospital-grade air-filtration systems.

Teachers check the hourly air ratings from the United States Embassy to determine whether children should play outside or beneath the domes. “The elementary schoolchildren don’t miss recess anymore,” Mr. Johanson said.

One American mother, Tara Duffy, said she had chosen a prekindergarten school for her daughter in part because the school had air filters in the classrooms. The school, called the 3e International School, also brings in doctors to talk about pollution and bars the children from playing outdoors during increases in smog levels. “In the past six months, there have been a lot more ‘red flag’ days, and they keep the kids inside,” said Ms. Duffy, a writer and former foundation consultant.

Ms. Duffy said she also checked the daily air quality index to decide whether to take her daughter to an outdoor picnic or an indoor play space.

Now, after nine years here, Ms. Duffy is leaving China, and she cites the pollution and traffic as major factors.

That calculus is playing out with expatriates across Beijing, and even with foreigners outside China. One American couple with a young child discussed the pollution when considering a prestigious foundation job in Beijing, and it was among the reasons they turned down the offer.

James McGregor, a senior counselor in the Beijing office of APCO Worldwide, a consulting company, said he had heard of an American diplomat with young children who had turned down a posting here. That was despite the fact that the State Department provides a 15 percent salary bonus for Beijing that exists partly because of the pollution. The hardship bonus for other Chinese cities, which also suffer from awful air, ranges from 20 percent to 30 percent, except for Shanghai, where it is 10 percent.

“I’ve lived in Beijing 23 years, and my children were brought up here, but if I had young children I’d have to leave,” Mr. McGregor said. “A lot of people have started exit plans.”

Voir aussi:

China entrepreneurs cash in on air pollution

BEIJING — Bad air is good news for many Chinese entrepreneurs.

From gigantic domes that keep out pollution to face masks with fancy fiber filters, purifiers and even canned air, Chinese businesses are trying to find a way to market that most elusive commodity: clean air.

An unprecedented wave of pollution throughout China (dubbed the “airpocalypse” or “airmageddon” by headline writers) has spawned an almost entirely new industry.

The biggest ticket item is a huge dome that looks like a cross between the Biosphere and an overgrown wedding tent. Two of them recently went up at the International School of Beijing, one with six tennis courts, another large enough to harbor kids playing soccer and badminton and shooting hoops simultaneously Friday afternoon.

The contraptions are held up with pressure from the system pumping in fresh air. Your ears pop when you go in through one of three revolving doors that maintain a tight air lock.

The anti-pollution dome is the joint creation of a Shenzhen-based manufacturer of outdoor enclosures and a California company, Valencia-based UVDI, that makes air filtration and disinfection systems for hospitals, schools, museums and airports, including the new international terminal at Los Angeles International Airport.

Although the technologies aren’t new, this is the first time they’ve been put together specifically to keep out pollution, the manufacturers say.

“So far there is no better way to solve the pollution problem,” said Xiao Long, the head of the Shenzhen company, Broadwell Technologies.

On a recent day when the fine particulate matter in the air reached 650 micrograms per cubic meter, well into the hazardous range, the measurement inside was 25. Before the dome, the international school, like many others, had to suspend outdoor activities on high pollution days. By U.S. standards, readings below 50 are considered “good” and those below 100 are considered “moderate.”

Since air pollution skyrocketed in mid-January, Xiao said, orders for domes were pouring in from schools, government sports facilities and wealthy individuals who want them in their backyards. He said domes measuring more than 54,000 square feet each cost more than $1 million.

“This is a product only for China. You don’t have pollution this bad in California,” Xiao said.

Because it’s not possible to put a dome over all of Beijing, where air quality is the worst, people are taking matters into their own hands.

Not since the 2003 epidemic of SARS have face masks been such hot sellers. Many manufacturers are reporting record sales of devices varying from high-tech neoprene masks with exhalation valves, designed for urban bicyclists, that cost up to $50 each, to cheap cloth masks (some in stripes, polka dots, paisley and some emulating animal faces).

“Practically speaking, people have no other options,” said Zhao Danqing, head of a Shanghai-based mask manufacturer that registered its name as PM 2.5, referring to particulate matter smaller than 2.5 micrograms.

The term, virtually unknown in China a few years ago, is now as much a feature of daily weather chitchat as temperature and humidity, and Zhao’s company has sold 1 million masks at $5 each since the summer.

Having China clean up the air would be preferable to making a profit from the crisis, Zhao said.

“When people ask me what is the future of our product, I tell them I hope it will be retired soon,” Zhao said.

A combination of windless weather, rising temperatures and emissions from coal heating has created some of the worst air pollution on record in the country.

In mid-January, measurements of particulate matter reached more than 1,000 micrograms per cubic meter in some parts of northeast China. Anything above 300 is considered “hazardous” and the index stops at 500. By comparison, the U.S. has seen readings of 1,000 only in areas downwind of forest fires. The U.S. Centers for Disease Control and Prevention reported last year that the average particulate matter reading from 16 airport smokers’ lounges was 166.6.

The Chinese government has been experimenting with various emergency measures, curtailing the use of official cars and ordering factories and construction sites to shut down. Some cities are even considering curbs on fireworks during the upcoming Chinese New Year holiday, interfering with an almost sacred tradition.

In the meantime, home air filters have joined the new must-have appliances for middle class Chinese.

“Our customers used to be all foreigners. Now they are mostly Chinese,” said Cathy Liu, a sales manager at a branch of Villa Lifestyles, a distributor of Swiss IQAir purifiers, which start at $1,600 here for a machine large enough for a bedroom. The weekend of Jan. 12, when the poor air quality hit unprecedented levels, the stock sold out, she said.

Many distributors report panic buying of air purifiers. In China, home air purifiers range from $15 gizmos that look like night lights to handsome $6,000 wood-finished models that are supplied to Zhongnanhai, the headquarters of the Chinese Communist Party and to other leadership facilities. One model is advertised as emitting vitamin C to build immunity and to prevent skin aging.

In a more tongue in cheek approach to the problem, a self-promoting Chinese millionaire has been selling soda-sized cans of, you guessed it, air.

Chen Guangbiao, a relentless self-promoter who made his fortune in the recycling business, claims to have collected the air from remote parts of western China and Taiwan. The cans, which are emblazoned with Chen’s name and labeled “fresh air,” sell for 80 cents each, with proceeds going to charity, he said.

“I want to tell mayors, county chiefs and heads of big companies,” Chen told reporters Wednesday, while giving out free cans of air on a Beijing sidewalk as a publicity stunt. “Don’t just chase GDP growth, don’t chase the biggest profits at the expense of our children and grandchild. »

Voir enfin:

Contre les collapsologues et les optimistes béats, réaffirmer le catastrophisme éclairé

Jean-Pierre Dupuy

Le Kairn

23/11/20

Le « catastrophisme éclairé » théorisé il y a près de vingt ans par Jean-Pierre Dupuy est aujourd’hui l’objet de beaucoup de malentendus. Pour lui redonner son sens, il faut mener de front la critique des collapsologues et des «optimistes béats », dont les positions miroirs sont en réalité le plus sûr moyen de faire advenir la catastrophe. Ce qu’il faudrait, c’est combiner les deux démarches : annoncer un avenir nécessaire qui superposerait l’occurrence de la catastrophe, pour qu’elle puisse faire office de dissuasion, et sa non-occurrence, pour préserver l’espoir.

La critique assez radicale que j’ai faite des collapsologues dans AOC a semble-t-il surpris voire choqué. On me tenait pour au moins aussi « catastrophiste » qu’eux. Ne me citaient-ils pas positivement ? Et voilà que je m’écarte d’eux en leur faisant la leçon, les accusant de discréditer la cause qu’ils entendent servir. En vérité, j’avais prévu en accord avec les éditeurs d’AOC d’équilibrer mon propos par un second article qui serait une critique non moins ace rbe de ceux que j’appelle les aveugles bienheureux, les optimistes béats, tous ceux dont l’anti-catastrophisme militant mène à nier l’évidence, à savoir que nous sommes engagés dans une course suicidaire.

Critique des « optimistes béats »

J’ai donc lu leurs ouvrages et en suis sorti consterné. La plupart sont si honteusement mauvais que ce serait leur faire trop d’honneur que de citer même leur titre[1] et le nom de leurs auteurs. Faut-il donc être ignorant, malhonnête et bête pour critiquer le catastrophisme ? La haine de l’écologie est-elle si pernicieuse qu’elle fait perdre tout sens critique et toute éthique professionnelle à des auteurs qui peuvent par ailleurs avoir des œuvres reconnues ?

Je m’empresse d’ajouter que toutes les critiques du catastrophisme ne sont pas de la même farine. Les plus solides représentent un défi sérieux pour tous ceux qui comme moi insistent pour regarder la terrible réalité en face tout en s’en tenant aux normes de la rationalité la plus exigeante[2].

Entre les collapsologues et les anti-catastrophistes, un jeu de miroirs s’est formé. Tout se passe comme si les collapsologues donnaient raison aux critiques les plus radicales du catastrophisme. S’ils n’existaient pas, les anti-catastrophistes les auraient inventés. L’homme de paille que ces derniers ont construit pour mieux l’incendier est devenu réel. Mais, comme toujours avec les extrêmes, des points de contact apparaissent. J’en vois au moins trois.

En premier lieu, toutes les parties en présence ont tendance à considérer qu’il n’y a qu’une forme de catastrophisme, à savoir une quelconque variante de la collapsologie. De la part des collapsologues, cela n’est pas pour étonner. Mais il en va de même de leurs critiques. Comme s’il ne pouvait pas exister un catastrophisme rationnel ou « éclairé ».

Le deuxième point de contact est l’incapacité des uns et des autres à penser le rôle paradoxal du prophète de malheur aujourd’hui. Tous ont repéré chez les fondateurs allemands du catastrophisme, Hans Jonas et Günther Anders, des citations comme celles-ci :
Hans Jonas : « La prophétie de malheur est faite pour éviter qu’elle ne se réalise ; et se gausser ultérieurement d’éventuels sonneurs d’alarme en leur rappelant que le pire ne s’est pas réalisé serait le comble de l’injustice : il se peut que leur impair soit leur mérite. [3] »
Günther Anders : « Si nous nous distinguons des apocalypticiens judéo-chrétiens classiques, ce n’est pas seulement parce que nous craignons la fin (qu’ils ont, eux, espérée), mais surtout parce que notre passion apocalyptique n’a pas d’autre objectif que celui d’empêcher l’apocalypse. Nous ne sommes apocalypticiens que pour avoir tort. Que pour jouir chaque jour à nouveau de la chance d’être là, ridicules mais toujours debout. [4]»

Au regard de cette philosophie, qu’ils citent mais ne respectent pas, on peut dire que les collapsologues ont renoncé à se battre pour éviter que « l’effondrement » ne se produise, jugeant que l’apocalypse est certaine et ne faisant rien pour l’empêcher.

Quant aux critiques du catastrophisme, trop souvent ils ne prennent pas la mesure de la tragédie qui est celle de l’éveilleur de conscience face à la catastrophe annoncée : s’il veut être efficace, et faire par sa parole que le malheur ne se produise pas, il doit être un faux prophète[5], au sens qu’il doit annoncer publiquement un avenir dont il sait qu’il ne se réalisera pas, et cela du fait même de cette parole[6].

Enfin, tant les catastrophistes mortifères que les aveugles satisfaits d’eux-mêmes accélèrent la marche vers l’abîme, les premiers en excluant que nous puissions l’arrêter, les seconds en tournant la tête ailleurs.

Comment donc analyser les implications du type de prophétie que préconisent Jonas et Anders ?

Notons qu’en soi, annoncer un avenir possible et désastreux de façon à modifier les comportements des gens et faire que cet avenir ne se réalise pas ne soulève aucun problème logique ou métaphysique particulier, comme le montre l’exemple massif de la prévention, à quoi on peut ajouter aujourd’hui la précaution, forte de son fameux principe. La prévention, lorsqu’elle s’exprime dans un discours public, annonce non ce que sera l’avenir, mais ce qu’il serait si les sujets ne changeaient pas leurs comportements. Elle n’a aucune vocation à jouer les prophètes.

Qu’est-ce donc qui fait qu’un prophète est un prophète ? C’est qu’il se présente comme annonçant le seul avenir qui sera, avenir qu’on peut appeler « actuel » aux sens latin et anglais du terme : « notre » avenir. La prophétie à la Hans Jonas pose alors un problème apparemment insurmontable, comme l’histoire de Jonas[7], le prophète biblique du VIIIe siècle avant JC, le montre magnifiquement.

« La parole de Yahvé advint à Jonas, fils d’Amittaï, en ces termes : “Debout ! Va à Ninive, la grande ville, et crie contre elle que leur méchanceté est montée devant moi.” Jonas partit pour fuir à Tarsis, loin de la Face de Yahvé. »

Dieu demande à Jonas de prophétiser la chute de Ninive qui a péché devant la Face de l’Éternel. Au lieu de faire son travail de prophète, Jonas s’enfuit. Pourquoi ? À ce stade, la question est sans réponse. Tout le monde sait la suite de l’histoire, l’embarquement sur le vaisseau étranger qui se rend à Tarsis (détroit de Gibraltar), la grande tempête punitive, le tirage au sort qui révèle la culpabilité de Jonas, celui-ci jeté par-dessus bord par les marins afin de calmer le courroux de Yahvé, le grand poisson miséricordieux qui l’avale et, finalement, après que trois jours et trois nuits se sont écoulés, le vomit sur la terre sèche.

Mais se rappelle-t-on la fin de l’histoire ? C’est là seulement que l’on comprend pourquoi Jonas a désobéi à Dieu. C’est que Jonas avait prévu, en tant que prophète efficace, ce qui allait se passer s’il faisait sa prophétie ! Ce qui se serait passé, c’est ce qui se passe maintenant, alors que Yahvé, pour la seconde fois, lui donne l’ordre de prophétiser la chute de Ninive et que cette fois, ayant compris ce qu’il lui en coûtait de désobéir, il obtempère. Les Ninivites se repentent, se convertissent, et Dieu leur pardonne. Leur cité sera épargnée. Mais pour Jonas, c’est un échec cuisant, qui le laisse tout « contrarié », nous dit le texte.

On peut dire de ce type de prophétie qu’elle est auto-invalidante de la même manière que l’on parle de prophétie auto-réalisatrice. Le prophète traditionnel, par exemple le prophète biblique, quelle que soit la nature de sa prophétie, est un homme public, en vue, doté d’un grand prestige, et tous prêtent grande attention à sa parole, qu’ils tiennent pour vraie. C’est tout le contraire du Troyen Laocoon ou de sa sœur Cassandre que le dieu avait condamnés à ne pas être entendus.

S’il veut être un vrai prophète, le prophète, en annonçant l’avenir, doit donc tenir compte de l’effet de sa parole sur le comportement des gens. Il doit annoncer un avenir tel que les réactions de ses auditeurs co-produisent l’avenir en question, ou, en tout cas, ne l’empêchent pas de se réaliser. C’est, ce qu’en mathématiques, logique et métaphysique, on appelle la recherche d’un point fixe. Ce type de point fixe n’est pas donné de l’extérieur (comme Dieu chez Leibniz, voir les travaux éminents du premier Michel Serres), il est une émergence produite par le système des relations entre le prophète et le peuple auquel il s’adresse. J’ai proposé l’expression « point fixe endogène » pour désigner ce type de point fixe[8].

En d’autres termes, le prophète prétend annoncer un futur fixe c’est-à-dire indépendant des actions des agents, un avenir destinal en somme, alors qu’il a en réalité tenu compte des réactions de son auditoire pour se caler en un avenir tel que, celui-ci une fois annoncé, les réactions des agents l’engendreront. Ce procédé fonctionne d’autant mieux que les agents ignorent qu’ils participent à un tel schème. Ils tiennent que la parole du prophète dit ce que sera l’avenir. Si le prophète s’est calé sur un point fixe, l’avenir devenu présent ne les démentira pas. Si, de plus, cet avenir est celui que le prophète voulait faire arriver, soit parce qu’il est bon soit parce qu’il évite un désastre, qui songera à soupçonner le prophète ? Il aura eu recours à un détour métaphysique pour aller dans le bon sens.

Autrement dit, le prophète fait fond sur la logique de la prophétie auto-réalisatrice. Le défi que doit relever le prophète de malheur apparaît dès lors dans sa singularité : il doit résoudre en termes de prophétie auto-réalisatrice un problème dont la nature est celui d’une prophétie auto-invalidante. C’est l’objectif que je me suis fixé dès mon livre de 2002 sur le « catastrophisme éclairé » et c’est en ce point que je me suis écarté tant de Jonas que d’Anders, lesquels en sont restés au stade de la prophétie auto-invalidante, celle qui rend le prophète ridicule mais fier d’avoir sauvegardé la vie. C’est un point essentiel que j’ai échoué à faire comprendre, puisqu’on m’associe toujours à Jonas, et je le regrette. Je profite de l’hospitalité d’AOC pour tenter de faire mieux.

Peut-on rabattre la prophétie auto-invalidante sur la prophétie auto-réalisatrice ?

Jusqu’ici, nous avons considéré le cas du prophète isolé, extérieur au groupe dont il dit le destin, tout en étant suffisamment proche de lui pour tout savoir à son sujet y compris son avenir, un peu à la manière du Législateur selon Rousseau. Il existe une version beaucoup plus démocratique de cette configuration dans laquelle c’est le groupe lui-même, ou en tout cas ses représentants, qui prend par rapport à lui-même la position de prophète. Dans ce cas, prédire l’avenir (comme s’il était inscrit dans les astres : fatalisme) ou se le fixer comme objectif (volontarisme) coïncident tout en restant contradictoires.

Puisque, une fois décidé, tous prennent cet avenir pour point de repère fixe, intangible, c’est-à-dire indépendant des actions présentes, alors même que tous savent que l’avenir en dépend causalement[9], on peut dire que tous tiennent l’avenir pour nécessaire[10], sans pour autant faire de cet avenir un destin : c’est une convention[11] que tous acceptent parce qu’ils se la donnent à eux-mêmes[12].

Il devrait être évident que, comme dans le cas de la prophétie d’un individu isolé, cette convention ne peut pas être n’importe quoi. Elle ne peut « tenir », c’est-à-dire résister à l’observation, que si « ça boucle » : les réactions à l’avenir annoncé ne doivent pas empêcher la réalisation causale de cet avenir. En d’autres termes, elle doit être un point fixe endogène. Dans le cas positif, j’ai pris l’exemple du Plan quinquennal français, dont le mot d’ordre était : obtenir par la concertation et l’étude une image de l’avenir suffisamment attirante pour qu’on désire la voir se réaliser et suffisamment crédible pour qu’on ait des raisons de penser qu’on peut y arriver. La condition de bouclage est indispensable, sinon n’importe quelle utopie ferait l’affaire.

C’est sur cette configuration que je repose la question de la logique paradoxale de la prophétie de malheur. Existe-t-il une manière de prophétiser la catastrophe par l’annonce d’un avenir nécessaire qui l’évite et qui soit tel que cette annonce induise des comportements qui favorisent cet évitement ? Peut-on vraiment rabattre la prophétie auto-invalidante sur la prophétie auto-réalisatrice ?

Comme nous l’avons déjà vu, deux types opposés de rapport prophétique à l’avenir conduisent à renforcer la probabilité d’une catastrophe majeure. Celui des optimistes béats qui voient les choses s’arranger de toute façon, quoi que fassent les agents, par la grâce du principe qui veut que l’humanité se soit toujours sortie des pires situations. Et celui des catastrophistes mortifères que sont les collapsologues, qui annoncent comme certain ce qu’ils appellent l’effondrement. Dans l’un et l’autre cas, on contribue à en renforcer le caractère probable en démobilisant les agents, mais dans le second cas, cela va dans le sens de la prophétie, et dans le premier en sens opposé.

Nul mieux que le philosophe allemand Karl Jaspers, au sortir de la seconde guerre mondiale, n’a dit cette double impasse : « Quiconque tient une guerre imminente pour certaine contribue à son déclenchement, précisément par la certitude qu’il en a. Quiconque tient la paix pour certaine se conduit avec insouciance et nous mène sans le vouloir à la guerre. Seul celui qui voit le péril et ne l’oublie pas un seul instant se montre capable de se comporter rationnellement et de faire tout le possible pour l’exorciser.[13] »

Prophétiser que la catastrophe est sur le point de se produire, c’est contribuer à la faire advenir. La passer sous silence ou en minimiser l’importance, à la façon des optimistes béats, conduit au même résultat. Ce qu’il faudrait, c’est combiner les deux démarches : annoncer un avenir nécessaire qui superposerait l’occurrence de la catastrophe, pour qu’elle puisse faire office de dissuasion, et sa non-occurrence, pour préserver l’espoir. En mécanique quantique, une superposition de ce type est la marque d’une indétermination (Unbestimmtheit en allemand). Sans vouloir chercher ici une analogie qui poserait trop de problèmes, j’ai proposé de retenir ce terme pour désigner le type d’incertitude radicale qui caractérise un tel avenir. Elle n’est pas probabilisable car les probabilités présupposent des disjonctions, alors qu’un avenir nécessaire ne connaît que des conjonctions. Le « poids » accordé à la catastrophe doit par ailleurs être aussi petit que possible, évanescent ou infinitésimal dans le cas d’une catastrophe majeure telle qu’une guerre nucléaire mondiale. La prophétie de malheur aura alors accompli son programme, à cet infinitésimal près[14].

Comment penser un avenir à la fois nécessaire et indéterminé ?

Cette question par laquelle je conclus cette mise au point est la plus problématique[15]. Elle fait l’objet de recherches que je suis heureux de ne pas conduire seul, tant elles posent de défis. Il existe diverses manières de concevoir la superposition des états qui réalise l’indétermination. Je me contenterai ici de deux sortes d’exemples, tirés de mes travaux passés.

D’abord le concept de near miss (ou near hit), familier aux stratèges nucléaires. Plusieurs dizaines de fois au cours de la Guerre froide, mais aussi plus tard, on est passé « à un cheveu » du déclenchement d’une guerre nucléaire. Est-ce à mettre au crédit ou au passif de la dissuasion ? Les deux réponses sont simultanément bonnes. McNamara conclut à l’inefficacité de la dissuasion. «We lucked out » (Nous avons eu du bol) dit-il à ce sujet en recourant à une expression argotique bien trempée.

Cette conclusion n’est-elle pas trop hâtive ? Ne pourrait-on pas dire au contraire que c’est ce flirt répété avec le tigre nucléaire, cette série d’apocalypses qui n’ont pas eu lieu, qui nous a protégés du danger que représentent l’accoutumance, le contentement de soi, l’indifférence, le cynisme, la bêtise, la croyance béate que le pire nous sera épargné ? Ni trop près, ni trop loin du trou noir, ou bien être à la fois proche et distant de l’abîme, telle semble être la leçon à tirer de la Guerre froide.

Le point fixe endogène est ici une apocalypse qui n’a pas eu lieu mais il s’en est fallu de peu. Je suis encore tout secoué que ma fille brésilienne se soit trouvée à bord du vol Air France AF 447 qui relie quotidiennement Rio de Janeiro à Paris le 31 mai 2009, soit la veille du jour où le même vol a disparu en mer. Mais si elle avait été sur ce vol une semaine, un mois, une année avant le crash, mon sentiment de peur rétroactive aurait-il été le même ? La catastrophe n’a pas eu lieu, cela arrive tous les jours, sinon c’en serait fini de l’industrie aéronautique. Le near miss, c’est autre chose. Il y a, sous-jacente à l’absence de la catastrophe, l’image de la catastrophe elle-même, l’ensemble constituant ce qu’on peut appeler une présence-absence.

La nouvelle de Philippe K. Dick, « Minority Report », développe une idée contenue dans le Zadig de Voltaire et illustre d’une autre façon les paradoxes examinés ici. La police du futur y est représentée comme ce qu’on appelle aujourd’hui, alors qu’elle est mise en place dans diverses villes du monde, une police prédictive qui prévoit tous les crimes qui vont être commis dans une zone donnée. Elle intervient parfois au tout dernier moment pour empêcher le criminel d’accomplir son forfait, ce qui fait dire à ce dernier : « Mais je n’ai rien fait ! », à quoi la police répond : « Mais vous alliez le faire. » L’un des policiers, plus tourné vers la métaphysique que les autres, a ce mot : « Ce n’est pas l’avenir si on l’empêche de se produire ! ».

Mais c’est sur le titre de la nouvelle que je veux insister ici. L’« avis minoritaire » se réfère à cette pratique à laquelle ont recours nombre d’institutions importantes de par le monde, par exemple la Cour Suprême des États-Unis ou le Conseil d’État français, qui consiste, lorsqu’elles rendent un avis qui ne fait pas l’unanimité, à inclure, à côté de l’avis majoritaire qui devient de ce fait l’avis de la Cour ou du Conseil, l’avis de la minorité. Dans la nouvelle de Dick, la prophétie est faite par un trio de Parques nommées Precogs (pour Pre-cognition). Trois est un nombre très intéressant car, ou bien les trois Parques sont d’accord, ou bien c’est deux contre une. La minorité, s’il y en a une, ne contient qu’un élément. L’avis de celui-ci apparaît en supplément de l’avis rendu, qu’il contredit tout en en faisant partie[16].

Voilà à quoi devrait ressembler la prophétie face à une catastrophe anticipée mais dont la date est inconnue : le malheur ne devrait y figurer qu’en filigrane d’une annonce de bonheur, ce bonheur consistant en l’évitement du malheur. On pourrait dire que le bonheur contient le malheur tout en étant son contraire, en prenant le verbe « contenir » dans son double sens d’avoir en soi et de faire barrage à.

 


[1] Ces titres ou sous-titres ont tous plus ou moins la même forme, du genre « Pour en finir avec l’apocalypse », « Halte à la déraison catastrophiste », « La fin du monde n’est pas pour tout de suite » (titres que j’invente sans préjuger de leur existence possible).

[2] Parmi les chercheurs dont les critiques m’ont aidé même si je reste en désaccord sur des points essentiels avec la plupart d’entre eux : Catherine Larrère, Michael Foessel, Luc Ferry, Gérald Bronner, Hicham-Stéphane Afeissa et quelques autres.

[3] Hans Jonas, Le Principe Responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, Paris, Flammarion, Coll. Champs, 1995, p. 233. Je souligne.

[4] Günther Anders, Le temps de la fin, L’Herne, 2007, p. 88. Je souligne.

[5] Pour ce qui est de la Bible, le Deutéronome nous apprend que le seul et véritable critère de reconnaissance du vrai prophète était que sa parole s’accomplissait, que sa prophétie s’avérait exacte : « Peut-être diras-tu en ton cœur : “Comment reconnaîtrons-nous la parole que Yahvé n’a pas dite ?” Quand le prophète aura parlé au nom de Yahvé, si ce qu’il dit n’a pas lieu et n’arrive pas, voilà la parole que Yahvé n’a pas dite ; c’est par présomption qu’a parlé le prophète : tu ne le redouteras pas ! » [Deut. 18: 21-22]. C’est la non-réalisation de la prophétie qui prouve qu’elle n’est pas d’origine divine. Dans un monde laïc, ce même critère peut servir à distinguer les charlatans des autres prédicteurs.

[6] Deux livres fort différents illustrent cette incompréhension. L’essayiste Pascal Bruckner, dans son pamphlet Le fanatisme de l’apocalypse (Grasset, 2011), use jusqu’à la corde une technique qui atteint bien vite le point de rupture : alors qu’il devrait se faire tout petit devant l’importance des enjeux, il se moque de ce qu’il ne comprend pas. Se référant à la citation d’Anders que j’ai faite plus haut, il y voit une manifestation de fausse humilité, sans saisir que l’humilité n’a rien à voir à l’affaire et que le prophète efficace se condamne vraiment à avoir tort. Citant Jonas comme je l’ai également fait, il ironise : « Gagner, ce serait perdre mais perdre c’est gagner », incapable de comprendre la logique perverse de la prophétie de malheur. Le livre de Michaël Foessel, Après la fin du monde. Critique de la raison apocalyptique, (Seuil, coll. Points Essais, 2012/2019) est d’une autre facture, un livre de vrai philosophe cette fois. Cependant, Foessel fait dire aux catastrophistes que « l’apocalypticien contemporain est animé par la passion d’avoir tort. » (p. 30).  Non, le catastrophiste rationnel d’aujourd’hui n’a aucunement la passion d’être ridicule : il veut éviter la catastrophe même s’il lui faut pour cela payer le prix de paraître un mauvais, c’est-à-dire un faux prophète. Ce n’est pas du tout la même chose !

[7] Le fait que Hans Jonas porte le nom de ce prophète est l’un de ces clins d’œil de l’histoire qui laisse confondu.

[8] Voir Jean-Pierre Dupuy, Introduction aux sciences sociales. Logique des phénomènes collectifs, Ellipses, coll. Cours de l’École Polytechnique, 1982.

[9] En philosophie, on dirait que l’avenir est contrefactuellement indépendant des actions présentes alors même qu’il en dépend causalement. Le non-parallélisme entre de telles dépendances ne bute pas sur une impossibilité logique.

[10] Dire que l’avenir est nécessaire c’est dire que tous les événements futurs s’y produisent nécessairement : il est impossible qu’ils ne s’y produisent pas. Il est équivalent de dire – mais cela requiert une démonstration – que l’avenir est nécessaire et de dire que tout événement qui ne se produira jamais est impossible.

[11] Au sens technique donné à ce terme par David K. Lewis, à la suite de David Hume, dans son livre Convention, Wiley-Blackwell, 2008.

[12] Dans mon livre L’Avenir de l’économie (Flammarion, 2012), j’ai nommé « coordination par l’avenir » cette modalité de la régulation sociale.

[13] Karl Jaspers, Von Ursprung und Ziel der Geschichte (De l’origine et du but de l’histoire), Munich/Zürich: R. Piper & Co. Verlag, 1949. (Je traduis et souligne).

[14] Trois livres marquent les étapes de ma réflexion : Pour un catastrophisme éclairé, 2002, op. cit.; L’Avenir de l’économie, 2012, op. cit.; La Guerre qui ne peut pas avoir lieu, Desclée de Brouwer, 2019.

[15] La nécessité, à l’instar de la possibilité chez Bergson, ne peut être que rétrospective. Un événement qui se produit devient nécessaire, non seulement parce qu’il entre dans le passé, mais parce qu’il devient vrai qu’il aura toujours été nécessaire.

[16] Cette figure paradoxale est exactement celle que le regretté anthropologue et sociologue Louis Dumont nommait la « hiérarchie comme englobement du contraire ». Voir Louis Dumont, Homo Hierarchicus, Gallimard, 1967 ; repris in Coll. Tel, 1979.

Jean-Pierre Dupuy

PHILOSOPHE, PROFESSEUR À STANFORD UNIVERSITY

COMPLEMENT:

Ferghane Azihari: «Doit-on nécessairement être anti-moderne pour être écologiste ?»

FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN – Le jeune auteur libéral publie Les écologistes contre la modernité, un essai argumenté qui dresse les contradictions des écologistes, et déconstruit le mythe d’un paradis perdu que la civilisation industrielle aurait saccagé.

Ferghane Azihari est délégué général de l’Académie libre des sciences humaines (ALSH) et membre de la Société d’économie politique (SEP). Il publie Les Écologistes contre la modernité aux Presses de la Cité.


FIGAROVOX. – Votre livre Les écologistes contre la modernité est sous-titré «Le procès de Prométhée». Dans le Principe responsabilité (1979), le philosophe Hans Jonas fait référence au mythe de Prométhée pour dénoncer les risques inconsidérés de certains comportements humains et de certains choix techniques, par rapport à l’équilibre écologique, social, et économique de la planète. Cherchez-vous dans ce livre à prendre le parti de l’accusé ?

Ferghane AZIHARI. – Dans la mythologie grecque, Prométhée est le titan qui donne le feu aux hommes. Il incarne désormais la civilisation industrielle si décriée par l’écologie politique. Je tente de restituer son bilan en lui offrant un procès équitable.

Il ne s’agit pas seulement de rappeler que la société industrielle nous a délivrés de la famine, de l’ignorance, de la maladie, des effets ravageurs des aléas naturels et de la pénibilité. Il convient aussi de liquider le mythe du paradis perdu qui prétend que notre environnement n’a jamais été aussi toxique qu’aujourd’hui. On doit cette fable aux penchants rousseauistes de l’idéologie écologiste : ils reprochent au progrès industriel de souiller notre monde.

Ce récit décliniste suggère que les sociétés prémodernes entretenaient avec leur environnement une relation plus harmonieuse. Mais cette nostalgie n’a aucun fondement. Les hommes des cavernes et les villes préindustrielles étaient exposés à des nuisances environnementales bien plus ravageuses que les citadins des métropoles modernes. La pollution et les catastrophes naturelles font plus de victimes dans les pays faiblement industrialisés que dans les nations développées. Enfin, les secondes sont mieux armées que les premières pour affronter le changement climatique. Il serait immoral et contreproductif de renoncer à l’expansion de l’industrialisme. On trahirait les peuples enfermés dans les fléaux écologiques prémodernes en éloignant l’humanité des solutions aux nouveaux défis.

Vous dénoncez une lecture technocritique du mythe de Prométhée. Ne pensez-vous pas qu’il faille toutefois distinguer la technique ancienne (outils) et la technique moderne – en tant que manifestation ultime de volonté de puissance (capable de se retourner contre l’humain) ?

La technologie provient toujours de ce que le philosophe Jacques Ellul appelait avec dédain la «passion de l’efficacité». Elle a pour objet d’augmenter notre puissance. La question est de savoir si cette quête de puissance est bienveillante ou non.

L’écologie politique l’envisage avec pessimisme. Hans Jonas écrivait que la véritable menace que porte la technologie «ne réside pas tant dans ses moyens de destruction que dans son paisible usage quotidien». On accuse la technique d’augmenter les penchants destructeurs de l’homme.

Les tragédies du XXe siècle et l’attention accordée aux nouveaux risques ont renforcé le prestige de cette lecture, quitte encore à sombrer dans la fable du bon sauvage. Pourtant, les travaux de Lawrence Keeley montrent que les guerres préhistoriques étaient plus fréquentes et meurtrières que les conflits modernes. Les Hutus n’ont guère eu besoin de la haute technologie pour décimer les Tutsis. Si l’on revient à l’environnement, les outils rudimentaires des chasseurs-cueilleurs ont suffi à conduire une partie de la mégafaune du Pléistocène à l’extinction tandis que leur mode de vie exigeait des infanticides et des géronticides réguliers.

Bien sûr, il ne faut pas tomber dans l’excès inverse, qui voit dans le progrès technique la condition suffisante du progrès moral, en oubliant la variable culturelle. Mais en l’occurrence, et en dépit des nouveaux risques, le bilan sécuritaire de la modernité est positif, comme en témoigne notre succès évolutif. Il n’appartient qu’à nous de faire en sorte qu’il le demeure en usant de notre puissance pour servir notre espèce et non l’asservir.

Pourquoi, ni le programme des Verts, ni le localisme d’un Hervé Juvin ne peuvent constituer des alternatives viables, selon vous ?

Déjà au XVIIe siècle, l’humaniste Hugo Grotius constatait que le fondement du commerce mondial résidait dans l’inégale répartition géographique des ressources et des terres fertiles ainsi que l’incapacité des nations à subvenir seules à leurs besoins. En s’inscrivant à contre-courant de la mondialisation, localisme et décroissance constituent un profond désintérêt pour le sort de l’humanité. Des études suggèrent que seul un tiers de l’humanité pourrait se nourrir dans un monde localiste. Faut-il tuer les autres ?

Lorsque les écologistes pourfendent le productivisme, veulent diminuer les rendements agricoles, préfèrent les sources d’énergie intermittentes aux énergies abondantes, on peut se demander si l’hécatombe humanitaire n’est pas délibérément recherchée. D’autant que les vertus écologiques de ces propositions sont surestimées. Toutes choses égales par ailleurs, une agriculture aux rendements faibles, c’est plus de déforestation.

Le localisme néglige le fait que le transport contribue, en proportion, peu aux pollutions, contrairement à la phase de production. C’est pourquoi il est parfois moins polluant de se procurer une marchandise produite par un industriel étranger qui, pour des raisons géographiques, climatiques, techniques, logistiques ou par le jeu des économies d’échelle, parvient à utiliser moins de ressources pour produire une unité de richesses qu’un producteur local aux méthodes inefficientes. Si chaque ville française produisait sa nourriture localement, le gaspillage exploserait.

Enfin, un effondrement du commerce mondial appauvrirait l’humanité, ainsi qu’on l’a vu avec la Covid, ce qui amputerait ses capacités à investir dans des technologies propres, mais coûteuses. Pour verdir notre monde sans renoncer à améliorer le sort de l’humanité, il serait plus vertueux que les pays riches investissent dans la modernisation de leur appareil productif ainsi que dans celui des pays du Sud.

Vous assimilez l’«écologie intégrale» au panthéisme et affirmez que cette écologie «qui séduit tant de conservateurs est à l’origine le pur produit d’une droite néopaïenne et anti-chrétienne ». Ne faites-vous pas ici la confusion entre l’«écologie profonde» de la Nouvelle Droite et l’«écologie intégrale» proposée par le pape François dans son encyclique Laudato Si ? En effet, l’Eglise prône une écologie anthropocentrée, qui rend responsables les hommes en leur demandant de respecter la «maison commune »

L’écologie profonde personnifie la nature sauvage en la plaçant au-dessus de l’homme tandis que l’écologie intégrale, selon les termes du Manifeste de la nouvelle droite publié en 2000, «en appelle au dépassement de l’anthropocentrisme moderne». Certes, elle «ne gomme pas la spécificité de l’homme», mais elle lui dénie tout de même «la place exclusive que lui avaient donnée le christianisme et l’humanisme classique».

Ces deux écoles ont en commun de se méfier de la souveraineté que l’homme exerce sur la nature. Cette méfiance est désormais partagée par le Pape. Preuve en est qu’il préfère dénoncer la «démesure anthropocentrique» qui définirait notre époque que souligner les atteintes aux droits de l’homme qui ralentissent le développement des pays du Sud. Le souverain pontife propose d’ailleurs de ralentir le développement, voire d’y renoncer. Ce qui montre que l’humanisme n’est plus sa grille de lecture.

Comment ne pas déceler des bribes de paganisme dans un discours qui compte parmi les pauvres notre «Terre opprimée», accuse les hommes de «piller» la nature comme si seule Gaïa était propriétaire des ressources et que nous ne serions plus légitimes à en disposer (comme le font tous les autres êtres vivants à leur humble échelle) ?

Je ne parle même pas de l’image figée de la biosphère héritée de l’ère pré-darwinienne qui assimile toute transformation des écosystèmes à une destruction. François taxe enfin d’extrémisme ceux qui, dans le sillage des Lumières, placent leur confiance dans le progrès pour résoudre nos problèmes actuels ! Je vois dans cette inflexion du discours catholique le signe de l’hégémonie d’une écologie misanthrope à qui il faut donner des gages : elle ne définit plus la protection de la nature comme la sauvegarde d’un milieu hospitalier pour l’homme, mais comme la «sanctuarisation» d’un milieu dont il faut l’exclure. Pourtant, les écologistes insistent – à raison – sur le fait que l’homme appartient à la nature ! Sapiens doit visiblement se chercher d’autres alliés.

Vous démontrez que le temps de travail s’est considérablement réduit depuis la révolution industrielle. Si nous devons nous réjouir de la non-pénibilité du travail, est-il souhaitable de le voir disparaître ?

Depuis Platon, la philosophie politique occidentale admet que le but des sociétés réside dans l’allégement de la peine que l’homme s’inflige pour assouvir ses besoins. C’est pourquoi on préfère la Cité à l’ermitage. La réduction du labeur est une aspiration naturelle et universelle.

Elle n’a pas attendu l’émergence de la question ouvrière au XIXe siècle pour se manifester. En 1516, le penseur humaniste Thomas More imaginait un monde utopique où 6 heures de travail par jour suffisent pour bien vivre. Et tandis que l’ouvrier occidental moyen devait besogner plus de 3000 heures par an pour s’acheter le niveau de vie du XIXe siècle, il peut désormais travailler 1500 heures par an, soit 4 heures par jour, pour obtenir le confort du XXIe siècle. Le progrès de l’industrie et l’ouverture du commerce permettent de faire mieux que l’utopie de More.

Le libéral que je suis ne considère pas le travail comme une fin en soi. Ce n’est que le vulgaire prix à payer pour vivre, assouvir ses besoins et servir ses semblables. Le but du progrès est de réduire ce prix pour tendre vers la perfection (même si nous ne l’atteindrons jamais) que décrivait l’économiste Frédéric Bastiat en son temps : un effort nul pour un gain infini.

Ces idéaux ont longtemps été consensuels. Mais le comble est de voir désormais la gauche radicale, naguère favorable au «droit à la paresse», plaider pour assigner l’humanité à la malédiction de Sisyphe : un effort infini pour un gain nul. C’est ainsi qu’il faut interpréter les propositions d’un Nicolas Hulot ou d’un Dominique Bourg. Ce dernier veut reconduire un tiers de la population dans les champs, avec pour seule aide «l’énergie musculaire et animale». Ces délires réactionnaires seraient amusants s’ils n’influençaient pas les responsables «modérés» : nous avons déjà entendu un ministre français plaider pour le retour aux pratiques agricoles de nos grands-parents.

Vous considérez que Thomas Malthus, qui proposait une politique de contrôle des naissances pour préserver les ressources, s’est trompé. Pourquoi ?

Malthus craignait le scénario d’une production de richesses incapable de suivre une croissance démographique exponentielle. En dépit de ses erreurs, l’épouvantail de la surpopulation continue d’être agité par les écologistes, comme en témoignent les cas de Paul Ehrlich, qui envisageait la stérilisation forcée, ou de Pablo Servigne, qui suggère dans son best-seller que nous devons dès maintenant choisir qui doit naître pour ne pas avoir à choisir qui devra mourir demain.

Rappelons qu’au temps de Malthus, nous étions un milliard et la misère était la norme. Aujourd’hui, nous sommes 8 milliards et la misère devient l’exception, ce qui infirme les scénarios apocalyptiques que l’on pouvait lire dans les années 70 à travers le rapport au Club de Rome. Ces progrès humanitaires s’expliquent par le fait que les hommes, loin de n’être que des ventres sur pattes, sont d’abord des ouvriers, des ingénieurs et des innovateurs. Ils créent plus qu’ils ne détruisent.

Jean Bodin avait raison de souligner dès le XVIe siècle qu’il ne faut jamais craindre qu’il y ait trop de citoyens dans la mesure où il n’y a de richesse que d’hommes. Désormais, le néo-malthusianisme prétend qu’une «surpopulation» d’êtres opulents menace de rendre notre planète toxique. Le raisonnement semble a priori logique. On peut en effet se dire que, toutes choses égales par ailleurs, plus on est, plus on consomme, plus on pollue. Sauf que la variable technologique fait que les choses ne sont jamais égales par ailleurs !

Par exemple, Paris comptait 200 000 âmes en 1328, soit 10 fois moins qu’aujourd’hui. Pourtant, la pollution tuait une proportion de Parisiens plus forte au Moyen Âge qu’au XXIe siècle : une métropole équipée de l’électricité et du traitement des eaux usées bénéficie d’un environnement de meilleure qualité qu’une petite bourgade dépourvue de ces technologies.

Le raisonnement vaut pour le changement climatique. Entre 1979 et 2019, grâce au nucléaire et à l’efficacité énergétique, les émissions territoriales françaises de CO2 ont baissé tandis que la population française a gagné 11 millions d’habitants sur la même période et que notre production industrielle est plus élevée en 2019 qu’en 1979 en valeur absolue. Les émissions importées suivront la même trajectoire à mesure que nos partenaires commerciaux obtiendront nos technologies.

Or, ainsi que le rappelait l’économiste Julian Simon, une large démographie favorise l’innovation, car elle permet une abondance de bras et de cerveaux brillants. Enfin, le jeu des économies d’échelle fait que les grandes communautés obtiennent plus aisément les technologies propres qui, parce que coûteuses, seraient inaccessibles aux petites communautés. C’est la raison pour laquelle les villes sont mieux équipées que les campagnes en infrastructures essentielles à un environnement sain, comme les réseaux d’égout ou les stations d’épuration. Pour sauver notre habitat, mieux vaut des familles nombreuses composées d’ingénieurs que des zadistes célibataires. D’ailleurs, si l’on regarde les trajectoires démographiques actuelles, la menace qui plane sur nous est plutôt le vieillissement et le déclin démographique de notre espèce.

Si aucune solution écologiste ne trouve grâce à vos yeux, que proposez-vous pour répondre à l’urgence climatique, au sujet de laquelle les scientifiques nous alertent ?

Je dénonce une récurrence étrange chez les écologistes. Les mesures qu’ils proposent contreviennent toujours à la résolution des problèmes qu’ils soulignent, voire les aggravent. On ne peut pas comprendre cette dissonance si on ne la met pas en lien avec les arrière-pensées anticapitalistes de ce mouvement. Je cite dans mon ouvrage d’éminents auteurs écologistes qui redoutent le scénario d’une humanité qui parvient à se doter d’une énergie abondante, fut-elle propre, et qui présentent la pauvreté comme l’horizon souhaitable de notre espèce. Ce qui suffit à prouver leur insincérité.

Si le but est de lutter contre le changement climatique en assurant à l’humanité le niveau de vie le plus élevé possible, alors, outre l’efficacité énergétique, il faut que celle-ci cesse de fermer des centrales nucléaires et se convertisse massivement à l’énergie atomique, soit la source d’énergie la plus décarbonée, fiable et efficace à grande échelle. Les centaines de milliards que les pouvoirs publics et le secteur privé des pays développés dilapident dans l’éolien et le solaire doivent être immédiatement réaffectés vers l’atome. Sans cela, toute tentative de décarboner l’électricité mondiale, d’électrifier nos usages, de synthétiser des carburants ou des engrais propres ou d’investir dans la capture du CO₂ sera inefficiente.

Plutôt que de culpabiliser les pays émergents, nous devrions porter l’idéal d’une filière nucléaire ambitieuse, capable de frapper à la porte de tous les pays soucieux de se délivrer de la misère et des énergies fossiles. Il ne faut pas non plus oublier l’impératif de l’adaptation, qui montre là encore l’inanité de la post-croissance : la résistance des sociétés face aux aléas naturels augmente avec la richesse. Un Israélien ou un Néerlandais qui peut se procurer des stations pour dessaler l’eau mer ou un système de protection côtière ultra-sophistiqué contre la montée des eaux est moins vulnérable à la sécheresse et aux inondations qu’un Malgache ou qu’un Bangladais.

Une des réponses au changement climatique consiste à nous assurer que ces gains en résilience devancent l’émergence des nouveaux risques. Ce ne sont là que des premières pistes qui méritent d’être approfondies par des entrepreneurs, ingénieurs et scientifiques assez humanistes pour refuser le discours qui feint de s’inquiéter des maux du changement climatique pour assigner les hommes aux fléaux de la misère.


Verdict Chauvin: Merci, George Floyd, d’avoir sacrifié ta vie pour la justice (Homo sapiens is the only species capable of co-operating flexibly in large numbers, but revolutions are rare and can be easily hijacked because it’s not only numbers but flexible organization that counts)

23 avril, 2021

Screen Shot 2020-08-10 at 10.01.24 AMGeorge Floyd trials: Derek Chauvin in March, 3 others in summerHold The Front Page: Romania's Ceausescu and Wife Executed (1989)

Il est dans votre intérêt qu’un seul homme meure pour le peuple, et que la nation entière ne périsse pas. Caïphe (Jean 11: 50)
Lorsqu’un Sanhédrin s’est déclaré unanime pour condamner, l’accusé sera acquitté. Le Talmud
Il arrive que les victimes d’une foule soient tout à fait aléatoires; il arrive aussi qu’elles ne le soient pas. Il arrive même que les crimes dont on les accuse soient réels, mais ce ne sont pas eux, même dans ce cas-là, qui joue le premier rôle dans le choix des persécuteurs, c’est l’appartenance des victimes à certaines catégories particulièrement exposées à la persécution. (…) il existe donc des traits universels de sélection victimaire (…) à côté des critères culturels et religieux, il y en a de purement physiques. La maladie, la folie, les difformités génétiques, les mutilations accidentelles et même les infirmités en général tendent à polariser les persécuteurs. (…) l’infirmité s’inscrit dans un ensemble indissociable du signe victimaire et dans certains groupes — à l’internat scolaire par exemple — tout individu qui éprouve des difficultés d’adaptation, l’étranger, le provincial, l’orphelin, le fils de famille, le fauché, ou, tout simplement, le dernier arrivé, est plus ou moins interchangeables avec l’infirme.(…) lorsqu’un groupe humain l’habitude de choisir ses victimes dans une certaine catégorie sociale, ethnique, religieuse, il tend à lui attribuer les infirmités ou les difformités qui renforceraient la polarisation victimaire si elles étaient réelles. (…) à la marginalité des miséreux, ou marginalité  du dehors, il faut en ajouter une seconde, la marginalité du dedans, celle des riches et du dedans. Le monarque et sa cour font parfois songer à l’oeil d’un ouragan. Cette double marginalité suggère une organisation tourbillonnante. En temps normal, certes, les riches et les puissants jouissent de toutes sortes de protections et de privilèges qui font défaut aux déshérités. Mais ce ne sont pas les circonstances normales qui nous concernent ici, ce sont les périodes de crise. Le moindre regard sur l’histoire universelle révèle que les risques de mort violente aux mains d’une foule déchaînée sont statistiquement plus élevés pour les que pour toute autre catégorie. A la limite ce sont toutes les qualités extrêmes qui attirent, de temps en temps, les foudres collectives, pas seulement les extrêmes de la richesse et de la pauvreté, mais également ceux du succès et de l’échec, de la beauté et de la laideur, du vice de la vertu, du pouvoir de séduire et du pouvoir de déplaire ; c’est la faiblesse des femmes, des enfants et des vieillards, mais c’est aussi la force des plus forts qui devient faiblesse devant le nombre. (…) On retrouve dans la révolution tous les traits caractéristiques des grandes crises qui favorisent les persécutions collectives.René Girard
Louis doit mourir, parce qu’il faut que la patrie vive. Robespierre (3 décembre 1792)
Une nation ne se régénère que sur un monceau de cadavres. Saint-Just
L’arbre de la liberté doit être revivifié de temps en temps par le sang des patriotes et des tyrans. Jefferson
Qu’un sang impur abreuve nos sillons! Rouget de Lisle
Presque aucun des fidèles ne se retenait de s’esclaffer, et ils avaient l’air d’une bande d’anthropophages chez qui une blessure faite à un blanc a réveillé le goût du sang. Car l’instinct d’imitation et l’absence de courage gouvernent les sociétés comme les foules. Et tout le monde rit de quelqu’un dont on voit se moquer, quitte à le vénérer dix ans plus tard dans un cercle où il est admiré. C’est de la même façon que le peuple chasse ou acclame les rois. Marcel Proust
Prévoyante, la ville d’Athènes entretenait à ses frais un certain nombre de malheureux […]. En cas de besoin, c’est-à-dire quand une calamité s’abattait ou menaçait de s’abattre sur la ville, épidémie, famine, invasion étrangère, dissensions intérieures, il y avait toujours un pharmakos à la disposition de la collectivité. […] On promenait le pharmakos un peu partout, afin de drainer les impuretés et de les rassembler sur sa tête ; après quoi on chassait ou on tuait le pharmakos dans une cérémonie à laquelle toute la populace prenait part. […] D’une part, on […] [voyait] en lui un personnage lamentable, méprisable et même coupable ; il […] [était] en butte à toutes sortes de moqueries, d’insultes et bien sûr de violences ; on […] [l’entourait], d’autre part, d’une vénération quasi-religieuse ; il […] [jouait] le rôle principal dans une espèce de culte.  René Girard
Pour qu’il y ait cette unanimité dans les deux sens, un mimétisme de foule doit chaque fois jouer. Les membres de la communauté s’influencent réciproquement, ils s’imitent les uns les autres dans l’adulation fanatique puis dans l’hostilité plus fanatique encore. René Girard
Slightly little more than 350,000 Jews lived in Romania at the close of World War II — the second-largest surviving Jewish population in Europe after the 3 million Jews inhabiting the Soviet Union. In the immediate postwar period, a few thousand escaped to Palestine on illegal boats arranged by Dan. But by the end of the 1940s, the Romanian Communists started seeing dollar signs when they thought about their Jews. These were valuable hostages now that a Jewish state might be willing to pay a price for their emigration. And, indeed, by the end of the 1940s, Israel was supplying the ailing Romanian oil industry with American drills and pipes in exchange for 100,000 exit visas. This type of bartering was also the preferred method of Henry Jacober, a Jewish businessman based in London who, in the 1950s and early 1960s, acted as a middleman between Romanian Jews’ relatives — who had the money to pay for exit visas — and Marcu, who would take down their names and make sure they got out. Instead of using cash, the Romanians and Jacober preferred a proxy and settled on livestock. Cows and pigs. Soon Shaike Dan learned of these dealings and took over the operation (after getting a thumbs-up from Ben-Gurion). By 1965, the Jewish state, working through Jacober (who took his own cut), was funding many projects inside of Romania — chicken farms, turkey farms and pig farms, turning out tens of thousands of animals every year, and even a factory making Kellogg’s Corn Flakes — all in exchange for Jewish families. The export of these products — including, I should add, bacon and pork — produced $8 to $10 million annually for Romania, much needed money for its cash-starved economy. In the years after Nicolae Ceausescu came to power in 1965, he stopped the trade in deference to his defeated Arab allies and the post-Six Day War anti-Israel backlash (though, unlike the leaders of every other Warsaw pact country, he did not cut diplomatic ties with Israel or sign on to the United Nations resolution equaling Zionism with racism). By 1969, though, Ceausescu decided to restart the trade in Jews. He desired economic independence from a Moscow determined to turn Romania into a simple backwater supplier of raw material. For this he needed a steady flow of outside cash and a good relationship with the West, as an alternative trading partner. Israel was key on both these fronts. But he ordered the Romanian intelligence agency to, as Ioanid writes, “shift gears from the ‘ancient age of barter’ to ‘modern foreign trade.’ He wanted ‘cold dollars.’” Dan and Marcu then drew up what amounted to an unsigned gentleman’s agreement that detailed the terms of the trade (which was renewed in 1972 and then every five years thereafter until Ceausescu and his wife, Elena, were executed by a firing squad on Christmas Day 1989). Bucharest would receive a certain amount of cash per head depending on the age, education, profession, employment and family status of each prospective émigré. Ceausescu didn’t want a mass exodus; the Jews were too valuable a commodity. So he would let them out at a trickle, about 1,500 every year. Between 1968 and 1989, according to Ioanid’s rough calculation, “Ceausescu sold 40,577 Jews to Israel for $112,498,800, at a price of $2,500 and later at $3,300 per head.” And the money wasn’t the only way the Jewish state helped Romania. Israel secured loans for Ceausescu and paid off the interest itself. Military equipment was procured for the Romanian army, including a Centurion tank. Ariel Sharon, while defense minister in 1982, made a secret visit to Romania with experts from the Israeli military and aircraft industries in order to offer technological cooperation. (…) There were deep moral consequences to this relationship. Not only was Israel shaking hands with this devil, but it also was giving him coal to keep his fires burning. Was the price of propping up a totalitarian regime really worth it? (…) For Americans, and especially the cold warriors among them, moral divisions during those years were fairly clear. Communist regimes banished poets to frozen wastelands, censored books and viewed their citizens as little more than raw material. One didn’t negotiate with these dictators or seriously engage their ideologies. A defender of human rights pointed out their hypocrisies, shamed them into change and championed their dissidents. But Israel couldn’t afford to have such principled thoughts. Many Jews still lived beyond the Iron Curtain. And Israel was constantly vacillating between the best tactics for getting them out. What was more effective, quiet diplomacy or encouraging a loud, vociferous public outcry? In 1972, when the Soviet Union tried to implement a diploma tax that, like the Romanian one, would demand an exorbitant price for the head of every departing Jew, Israel worked behind the scenes to get a legislative ball rolling in the American Congress that led to the Jackson-Vanik amendment — a powerful piece of moral legislation that demanded communist countries improve emigration conditions in order to attain Most Favored Nation trading status with the United States. This was a slap in the face to the Soviets, and quite a contrary strategy to the one the Israelis were engaged in clandestinely with the Romanians. (…) The smaller size of Romania’s Jewish population, perhaps, made it easier to envision emigration. But more likely it had to do with the nature of the two regimes. (…) Romania was a unique case of a country within the orbit of the Soviet Union, run by a cruel Communist dictator, but not completely closed. (…) Ceausescu needed Israel much more than Israel needed him (the Romanian dictator, apparently, even had a role in leading the way to the Israel-Egypt peace talks). The money he was receiving was too precious. And the points he earned in the West by allowing Jews to leave were too important to him. He also seems to have been a less ideologically committed Communist than the Russians. The Soviets couldn’t bear the thought of Jews leaving, because it undermined the fiction of the Soviet Union as a workers’ paradise that no one in their right mind would abandon. Ceausescu was more concerned with achieving a racially pure Romania, and the slow disappearance of its Jewish population only helped him reach that goal. Can quiet diplomacy be justified, even if it helped prolong this evil? Dan and Marcu’s relations, although morally dubious, did open up opportunities, allowing many Jews to leave a stultifying environment. Gal Beckerman
It was not the idea of the arresting officers to place Floyd in a prone position on the street. Rather, after propelling his way out of the squad-car rear seat that four cops unsuccessfully struggled to place him in, Floyd insisted that he preferred to lie down on the street. The police restrained him in the position in which he put himself, which was not the position they wanted him in (they wanted him in the car). Reasonably convinced that Floyd was high on drugs (a conclusion supported by his erratic behavior, the accounts of witnesses, and later toxicology tests), the police called for paramedics to take him to a hospital, rather than continuing to try to thrust him in the squad car and take him into police custody. That is, the police accused of murdering Floyd actually summoned medical help out of concern over his condition. (…) In this recording, while it was difficult to see the individual players, it was obvious that Floyd was struggling wildly with the police, and that the squad car was rocking violently. (…) This is the state’s approach to the jury: Decide the case based on the nine minutes and 29 seconds we have emphasized; as for everything else, go with how you feel, and don’t worry so much about what you see. (…) the police-controlled recordings (from surveillance and body-worn cameras) (…) more clearly showed Floyd forcibly resisting arrest. The recordings also undermined the claim by off-duty firefighter Genevieve Hansen (an eyewitness who testified Monday) that she believed the cops were pressing their full body weights on Floyd. (On cross-examination, Hansen ultimately admitted that she had exaggerated the number of police; that from her vantage point, she couldn’t see two of them at all from the shoulders down; and that she only saw Chauvin for about four minutes from a partially obstructed view). Police surveillance video showed that the cops were not pressing body weight heavily on Floyd; were communicating with each other about his well-being as they waited for the ambulance they’d called; and were concerned about his drug use, fearing he could suddenly revive and start resisting again. (…)19-year-old Christopher Martin, the Cup Foods cashier (…)’s testimony made it abundantly clear that the bill was fake, (Martin himself recognized it immediately, and Floyd and his companions had at least one other fake bill in the car). More to the point, an arrest is either lawful or it is not. If it is a lawful arrest, the police have the discretion to take the suspect into custody — even if it later turns out that the case is dismissed without charges. (…) Moreover, in the course of arresting Floyd, the police would have found illegal drugs in his possession. That would have been another basis for arresting him — and could have been a serious issue in light of Floyd’s extensive criminal history and the likelihood that he was the driver of the car in which he was seated in the driver’s seat when arrested. No one is saying these are the crimes of the century. But the police clearly had a lawful basis to arrest Floyd and take him into custody. Once police exercised that lawful prerogative, Floyd’s duty was to submit peacefully; resisting arrest was an additional crime. (…) To be sure, none of this would excuse Chauvin’s placing Floyd in a continuous neck hold for several minutes after he was subdued, unresponsive, and appeared to have no pulse. Even if they were worried in good faith that Floyd could revive and become aggressive, the police could have held him in a more comfortable breathing position. (…) That said, Wednesday’s evidence puts a different light on Floyd’s complaints about not being able to breathe, about how he came to be restrained in a prone position on the street, and about whether the police exhibited depraved indifference to his life. Andrew C. McCarthy
Il n’y a rien de plus douloureux pour moi à ce stade de ma vie que de marcher dans la rue, d’entendre des pas derrière moi, de penser que quelqu’un veut me voler, et en regardant autour de moi, de me sentir soulagé quand c’est un Blanc. Après tout ce que nous avons traversé. Juste penser que nous ne pouvons pas marcher dans nos propres rues, c’est humiliant. Jesse Jackson (1993)
Merci, George Floyd, d’avoir sacrifié votre vie pour la justice. Nancy Pelosi (présidente de la Chambre des Représentants)
Nous devons rester dans la rue et nous devons être plus actifs, nous devons devenir plus conflictuels. Nous devons nous assurer qu’ils savent que nous sommes sérieux. Maxine Waters représentante démocrate de Californie)
Je prie pour que le verdict soit le bon. À mon avis, c’est accablant. Je ne dirais pas cela si le jury ne s’était pas retiré pour délibérer. J’ai appris à connaître la famille de George (…). C’est une famille bien. Joe Biden
Le président Biden a parlé hier (lundi) avec la famille de George Floyd pour prendre de ses nouvelles et lui assurer qu’il priait pour elle. Jen Psaki (porte-parole de l’exécutif américain)
L’heure est venue pour ce pays de se rassembler.  Le verdict de culpabilité ne fera pas revenir George» mais cette décision peut être le moment d’un changement significatif. Joe Biden
Nous sommes tous tellement soulagés – pas seulement pour le verdict, mais parce qu’il a été reconnu coupable des trois chefs d’accusation, pas d’un seul. C’est très important. Nous allons faire beaucoup plus. Nous allons faire beaucoup de choses.C’est peut-être une première étape dans la lutte contre ce qui relève véritablement du racisme systémique. Joe Biden
Nous sommes tous tellement soulagés. J’aurais aimé être là pour vous prendre dans mes bras. Joe Biden
Aujourd’hui, nous poussons un soupir de soulagement. Cela n’enlève toutefois pas la douleur. Une mesure de justice n’est pas la même chose qu’une justice équitable. Ce verdict est un pas dans la bonne direction. Et, le fait est que nous avons encore du travail à faire. Nous devons encore réformer le système. Kamala Harris
Justice est faite. Adam Silver (patron de la NBA)
Je vais vous dire que la membre du Congrès Waters vous a peut-être donné quelque chose en appel qui pourrait entraîner l’annulation de tout ce procès. Juge Peter Cahill
L’avocat de Derek Chauvin a pour sa part demandé l’acquittement de son client. L’accusation «a échoué à apporter la preuve au-delà du doute raisonnable et Derek Chauvin doit par conséquent être déclaré non-coupable», a affirmé l’avocat du policier, Eric Nelson, après près de trois heures de plaidoirie. Le procès se tient dans un climat de fortes tensions, après la mort récente d’un jeune homme noir lors d’un contrôle routier près de Minneapolis. (…) Selon Eric Nelson, George Floyd est mort d’une crise cardiaque due à des problèmes de cœur, aggravés par la consommation de fentanyl, un opiacé, et de méthamphétamine, un stimulant, et par l’inhalation de gaz d’échappement pendant qu’il était allongé au sol. D’après la défense, le policier a utilisé une procédure autorisée pour maîtriser un individu qui se débattait et le maintenir au sol. Elle évoque aussi une «foule hostile» qui représentait une «menace» et aurait détourné l’attention du policier du sort de George Floyd. Le jury, qui s’est retiré lundi pour délibérer, doit rendre un verdict unanime sur chacune des trois charges. «Vous devez être absolument impartiaux», leur a dit le juge Peter Cahill, qui les a invités à «examiner les preuves, de les soupeser et d’appliquer la loi». Cela pourrait prendre des heures, des jours, voire des semaines. Les condamnations de policiers pour meurtre sont très rares, les jurés ayant tendance à leur octroyer le bénéfice du doute. Si le jury ne parvient pas à se mettre d’accord sur l’ensemble des charges, le procès sera déclaré «nul». Tout autre scénario qu’une condamnation inquiète les autorités locales. La tension est très forte à Minneapolis, qui s’était déjà embrasée après la mort de George Floyd. Plus de 400 personnes ont défilé lundi dans les rues de la ville pour demander la condamnation de Derek Chauvin, chantant «le monde observe, nous observons, faites ce qui est juste». Marchant derrière une banderole réclamant «justice pour George Floyd», ils ont croisé sur leur chemin des soldats de la Garde nationale, les observant près de véhicules blindés. Tenue de camouflage, et fusil mitrailleur en bandoulière, ces militaires patrouillent depuis plusieurs semaines dans les rues de la ville. La mort récente de Daunte Wright, un jeune Afro-Américain d’une vingtaine d’années tué par une policière blanche lors d’un banal contrôle routier dans la banlieue de Minneapolis, n’a fait qu’ajouter à la tension qui règne depuis le début du procès. Le Figaro
Cops are forming a conga line down at the pension section and I don’t blame them. NYPD cops are looking for better jobs with other departments or even embarking on new careers. Joseph Giacalone (retired NYPD sergeant and adjunct professor at John Jay College of Criminal Justice)
More than 5,300 NYPD uniformed officers retired or put in their papers to leave in 2020 — a 75 percent spike from the year before, department data show. The exodus — amid the pandemic, anti-cop hostility, riots and a skyrocketing number of NYC shootings — saw 2,600 officers say goodbye to the job and another 2,746 file for retirement, a combined 5,346. In 2019, the NYPD had 1,509 uniformed officers leave and 1,544 file for retirement, for a total of 3,053. The departures and planned departures of 5,300 officers represents about 15 percent of the force. Already, as of April 5, the NYPD headcount of uniformed officers has dropped to 34,974 from 36,900 in 2019. Through April 21 of this year, 831 cops have retired or filed to leave — and many more are expected to follow suit in the current anti-cop climate, according to Joseph Giacalone, a retired NYPD sergeant and adjunct professor at John Jay College of Criminal Justice. NYPost
Nous ne tolérons pas l’usage d’un langage raciste, qu’il soit intentionnel ou non. Le NYT
Qui d’entre nous veut vivre dans un monde, ou travailler dans un domaine, où l’intention est catégoriquement exclue comme circonstance atténuante ? Bret Stephens
I have never taken a salary from the Black Lives Matter Global Network Foundation and that’s important because what the right-wing media is trying to say is the donations that people have made to Black Lives Matter went toward my spending and that is categorically untrue and incredibly dangerous. I’m a college professor first of all, I’m a TV producer and I have had two book deals…. and also have had a YouTube deal. So all of my income comes directly from the work that I do. Organizers should get paid for the work that they do. They should get paid a living wage. And the fact that the right-wing media is trying to create hysteria around my spending is, frankly, racist and sexist and I also want to say that many of us that end up investing in homes in the black community often invest in homes to take care of their family. You can talk to so many black people and black women particularly that take care of their families, take care of their loved ones especially when they’re in a position to. The homes I have bought ‘directly support the people that I love and care about and I’m not ‘renting them out in some Airbnb operation. The way that I live my life is a direct support to black people, including my black family members, first and foremost. For so many black folks who are able to invest in themselves and their communities they choose to invest in their family and that is what I have chosen to do. I have a child, I have a brother who has a severe mental illness that I take care of, I support my mother, I support many other family members of mine and so I see my money as not my own. I see it as my family’s money, as well. The whole point of these articles and these attacks against me are to discredit me, but also to discredit the movement.We have to stay focused on white supremacy and see through the right-wing lies. I have not just been a target of white supremacists and the right in this moment but obviously since the beginning of when I started Black Lives Matter I have been a target and these folks have created a much more dangerous situation for me and my family. It is very serious. The minute we started to receive funding I looked at my team and said we have to get these dollars out the door now. Now that Black Lives Matter has money, we have to be a grantmaking body as well as a think tank, act tank. And so much of the work that BLM specifically has done has been reinvesting into the black community. (…) a quarter of our budget [is] going back into the community and also we have to build an organization,’. It’s the first time we’ve ever had real dollars and we have to build a black institution that can challenge policing, that can take care of the black community. [But] the organization is not a ‘charity'(….) I do understand why people expect that from us. But I think it’s important that people recognize there are other places they can also get grants. There are other places they can also get resources. And, most importantly, our target should be the United States government. Our target should be calling on Congress to pass reparations.’ Patrisse Cullors (BLM cofounder)
Les dirigeants noirs actuels en sont réduits à vivre des dernières bribes d’autorité morale qui leur restent de leurs jours de gloire des années 50 et 60. (…) Ce ne serait pas la première fois qu’un mouvement initié dans une profonde clarté morale, et qui avait atteint la grandeur, finirait par se perdre en une parodie de lui-même – terrassé non par l’échec mais par son succès même. Les dirigeants des droits civiques d’aujourd’hui refusent de voir l’évidence: la réussite de leurs ancêtres dans la réalisation de la transformation de la société américaine leur interdit aujourd’hui l’héroïsme alors inévitable d’un Martin Luther King, d’un James Farmer ou d’un Nelson Mandela. Jesse Jackson et Al Sharpton ne peuvent nous réécrire la lettre mémorable de la prison de Birmingham ou traverser à nouveau, comme John Lewis en 1965, le pont Edmund Pettus à Selma, en Alabama, dans un maelström de chiens policiers et de matraques. Cette Amérique n’est plus (ce qui ne veut pas dire que toute trace d’elle a disparu). Les Revs. Jackson et Sharpton sont voués à un destin difficile: ils ne peuvent plus jamais être que d’inutiles redondances, des échos des grands hommes qu’ils imitent parce que l’Amérique a changé. Difficile d’être un King ou un Mandela aujourd’hui alors que votre monstrueux ennemi n’a plus que le visage poupin d’un George Zimmerman. Le but de l’establishment des droits civiques d’aujourd’hui n’est pas de rechercher la justice, mais de rechercher le pouvoir des Noirs dans la vie américaine sur la base de la présomption qu’ils sont toujours, de mille manières subtiles, victimes du racisme blanc. Shelby Steele
Avant les années 1960, l’identité des noirs-américains (bien que personne n’ait jamais utilisé le mot) était basée sur notre humanité commune, sur l’idée que la race était toujours une division artificielle et abusive entre les gens. Après les années 60, dans une société coupable d’avoir abusé de nous depuis longtemps, nous avons pris notre victimisation historique comme le thème central de notre identité de groupe. Nous n’aurions pu faire de pire erreur. Cela nous a donné une génération de chasseurs d’ambulances et l’illusion que notre plus grand pouvoir réside dans la manipulation de la culpabilité blanche. Shelby Steele
Il faut se rappeler que les chefs militaires allemands jouaient un jeu désespéré. Néanmoins, ce fut avec un sentiment d’effroi qu’ils tournèrent contre la Russie la plus affreuse de toutes les armes. Ils firent transporter Lénine, de Suisse en Russie, comme un bacille de la peste, dans un wagon plombé. Winston Churchill
Quand Freud est arrivé aux États-Unis, en voyant New York il a dit: « Je leur apporte la peste. » Il avait tort. Les Américains n’ont eu aucun mal à digérer une psychanalyse vite américanisée. Mais en 1966, nous avons vraiment apporté la peste avec Lacan et la déconstruction… du moins dans les universités! Au point que je me suis senti soudain aussi étranger à Johns Hopkins qu’à Avignon au milieu de mes amis post-surréalistes. Un an plus tard, la déconstruction était déjà à la mode. Cela me mettait mal à l’aise. C’est la raison pour laquelle je suis parti pour Buffalo en 1968. René Girard
Ce racisme  antiraciste est le  seul chemin qui puisse  mener à l’abolition  des  différences de race. Jean-Paul Sartre (Orphée noir, 1948)
Le monde moderne n’est pas mauvais : à certains égards, il est bien trop bon. Il est rempli de vertus féroces et gâchées. Lorsqu’un dispositif religieux est brisé (comme le fut le christianisme pendant la Réforme), ce ne sont pas seulement les vices qui sont libérés. Les vices sont en effet libérés, et ils errent de par le monde en faisant des ravages ; mais les vertus le sont aussi, et elles errent plus férocement encore en faisant des ravages plus terribles. Le monde moderne est saturé des vieilles vertus chrétiennes virant à la folie.  G.K. Chesterton
L’inauguration majestueuse de l’ère « post-chrétienne » est une plaisanterie. Nous sommes dans un ultra-christianisme caricatural qui essaie d’échapper à l’orbite judéo-chrétienne en « radicalisant » le souci des victimes dans un sens antichrétien. (…) Jusqu’au nazisme, le judaïsme était la victime préférentielle de ce système de bouc émissaire. Le christianisme ne venait qu’en second lieu. Depuis l’Holocauste, en revanche, on n’ose plus s’en prendre au judaïsme, et le christianisme est promu au rang de bouc émissaire numéro un. René Girard
Nous sommes entrés dans un mouvement qui est de l’ordre du religieux. Entrés dans la mécanique du sacrilège: la victime, dans nos sociétés, est entourée de l’aura du sacré. Du coup, l’écriture de l’histoire, la recherche universitaire, se retrouvent soumises à l’appréciation du législateur et du juge comme, autrefois, à celle de la Sorbonne ecclésiastique. Françoise Chandernagor
La Wokeité est la nouvelle religion, qui grandit plus vite et plus fort que le christianisme lui-même. Son sacerdoce dépasse le clergé et exerce beaucoup plus de pouvoir. La Silicon Valley est le nouveau Vatican et Amazon, Apple, Facebook, Google et Twitter les nouveaux évangiles. Victor Davis Hanson
Quand j’ai écrit mon livre, je suis retourné à Max Weber et à Alexis de Tocqueville, car tous deux avaient identifié l’importance fondamentale de l’anxiété spirituelle que nous éprouvons tous. Il me semble qu’à la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle, nous avons oublié la centralité de cette anxiété, de ces démons ou anges spirituels qui nous habitent. Ils nous gouvernent de manière profondément dangereuse. (…) Tocqueville avait saisi l’importance du fait religieux et de la panoplie des Églises protestantes qui ont défini la nation américaine. Il a montré que malgré leur nombre innombrable et leurs querelles, elles étaient parvenues à s’unir pour être ce qu’il appelait joliment «le courant central des manières et de la morale». Quelles que soient les empoignades entre anglicans épiscopaliens et congrégationalistes, entre congrégationalistes et presbytériens, entre presbytériens et baptistes, les protestants se sont combinés pour donner une forme à nos vies: celle des mariages, des baptêmes et des funérailles ; des familles, et même de la politique, en cela même que le protestantisme ne cesse d’affirmer qu’il y a quelque chose de plus important que la politique. Ce modèle a perduré jusqu’au milieu des années 1960. (…) Pour moi, c’est avant tout le mouvement de l’Évangile social qui a gagné les Églises protestantes, qui est à la racine de l’effondrement. (…) Mais ils n’ont pas été remplacés. Le résultat de tout cela, c’est que l’Église protestante américaine a connu un déclin catastrophique. En 1965, 50 % des Américains appartenaient à l’une des 8 Églises protestantes dominantes. Aujourd’hui, ce chiffre s’établit à 4 %!  (…) Une partie de ces protestants ont migré vers les Églises chrétiennes évangéliques, qui dans les années 1970, sous Jimmy Carter, ont émergé comme force politique. On a vu également un nombre surprenant de conversions au catholicisme, surtout chez les intellectuels. Mais la majorité sont devenus ce que j’appelle dans mon livre des «post-protestants», ce qui nous amène au décryptage des événements d’aujourd’hui. Ces post-protestants se sont approprié une série de thèmes empruntés à l’Évangile social de Walter Rauschenbusch. Quand vous reprenez les péchés sociaux qu’il faut selon lui rejeter pour accéder à une forme de rédemption – l’intolérance, le pouvoir, le militarisme, l’oppression de classe… vous retrouvez exactement les thèmes que brandissent les gens qui mettent aujourd’hui le feu à Portland et d’autres villes. Ce sont les post-protestants. Ils se sont juste débarrassés de Dieu! Quand je dis à mes étudiants qu’ils sont les héritiers de leurs grands-parents protestants, ils sont offensés. Mais ils ont exactement la même approche moralisatrice et le même sens exacerbé de leur importance, la même condescendance et le même sentiment de supériorité exaspérante et ridicule, que les protestants exprimaient notamment vis-à-vis des catholiques. (…) Mais ils ne le savent pas. En fait, l’état de l’Amérique a été toujours lié à l’état de la religion protestante. Les catholiques se sont fait une place mais le protestantisme a été le Mississippi qui a arrosé le pays. Et c’est toujours le cas! C’est juste que nous avons maintenant une Église du Christ sans le Christ. Cela veut dire qu’il n’y a pas de pardon possible. Dans la religion chrétienne, le péché originel est l’idée que vous êtes né coupable, que l’humanité hérite d’une tache qui corrompt nos désirs et nos actions. Mais le Christ paie les dettes du péché originel, nous en libérant. Si vous enlevez le Christ du tableau en revanche, vous obtenez… la culpabilité blanche et le racisme systémique. Bien sûr, les jeunes radicaux n’utilisent pas le mot «péché originel». Mais ils utilisent exactement les termes qui s’y appliquent. (…) Ils parlent d’«une tache reçue en héritage» qui «infecte votre esprit». C’est une idée très dangereuse, que les Églises canalisaient autrefois. Mais aujourd’hui que cette idée s’est échappée de l’Église, elle a gagné la rue et vous avez des meutes de post-protestants qui parcourent Washington DC, en s’en prenant à des gens dans des restaurants pour exiger d’eux qu’ils lèvent le poing. Leur conviction que l’Amérique est intrinsèquement corrompue par l’esclavage et n’a réalisé que le Mal, n’est pas enracinée dans des faits que l’on pourrait discuter, elle relève de la croyance religieuse. On exclut ceux qui ne se soumettent pas. On dérive vers une vision apocalyptique du monde qui n’est plus équilibrée par rien d’autre. Cela peut donner la pire forme d’environnementalisme, par exemple, parce que toutes les autres dimensions sont disqualifiées au nom de «la fin du monde». C’est l’idée chrétienne de l’apocalypse, mais dégagée du christianisme. Il y a des douzaines d’exemples de religiosité visibles dans le comportement des protestataires: ils s’allongent par terre face au sol et gémissent, comme des prêtres que l’on consacre dans l’Église catholique. Ils ont organisé une cérémonie à Portland durant laquelle ils ont lavé les pieds de personnes noires pour montrer leur repentir pour la culpabilité blanche. Ils s’agenouillent. Tout cela sans savoir que c’est religieux! C’est religieux parce que l’humanité est religieuse. Il y a une faim spirituelle à l’intérieur de nous, qui se manifeste de différentes manières, y compris la violence! Ces gens veulent un monde qui ait un sens, et ils ne l’ont pas. (…) Le marxisme est une religion par analogie. Certes, il porte cette idée d’une nouvelle naissance. Certaines personnes voulaient des certitudes et ne les trouvant plus dans leurs Églises, ils sont allés vers le marxisme. Mais en Amérique, c’est différent, car tout est centré sur le protestantisme. Dans L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Max Weber, avec génie et insolence, prend Marx et le met cul par-dessus tête. Marx avait dit que le protestantisme avait émergé à la faveur de changements économiques. Weber dit l’inverse. Ce n’est pas l’économie qui a transformé la religion, c’est la religion qui a transformé l’économie. Le protestantisme nous a donné le capitalisme, pas l’inverse! Parce que les puritains devaient épargner de l’argent pour assurer leur salut. Le ressort principal n’était pas l’économie mais la faim spirituelle, ce sentiment beaucoup plus profond, selon Weber. Une faim spirituelle a mené les gens vers le marxisme, et c’est la même faim spirituelle qui fait qu’ils sont dans les rues d’Amérique aujourd’hui. (…) Ces gens-là veulent être sûrs d’être de «bonnes personnes». Ils savent qu’ils sont de bonnes personnes s’ils sont opposés au racisme. Ils pensent être de bonnes personnes parce qu’ils sont opposés à la destruction de l’environnement. Ils veulent avoir la bonne «attitude», c’est la raison pour laquelle ceux qui n’ont pas la bonne attitude sont expulsés de leurs universités ou de leur travail pour des raisons dérisoires. Avant, on était exclu de l’Église, aujourd’hui, on est exclu de la vie publique… C’est pour cela que les gens qui soutiennent Trump, sont vus comme des «déplorables», comme disait Hillary Clinton, c’est-à-dire des gens qui ne peuvent être rachetés. Ils ont leur bible et leur fusil et ne suivent pas les commandements de la justice sociale. (…) Il faut comprendre que l’idéologie «woke» de la justice sociale a pénétré les institutions américaines à un point incroyable. Je n’imagine pas qu’un professeur ayant une chaire à la Sorbonne soit forcé d’assister à des classes obligatoires organisées pour le corps professoral sur leur «culpabilité blanche», et enseignées par des gens qui viennent à peine de finir le collège. Mais c’est la réalité des universités américaines. Un sondage récent a montré que la majorité des professeurs d’université ne disent rien. Ils abandonnent plutôt toute mention de tout sujet controversé. Pourtant, des études ont montré que la foule des vigies de Twitter qui obtient la tête des professeurs excommuniés, remplirait à peine la moitié d’un terrain de football universitaire! Il y a un manque de courage. (…)  mes étudiants, et tous ces post-protestants dont je vous parle, sont absolument convaincus que tous les gens qui ont précédé, étaient stupides et sans doute maléfiques. Ils ne croient plus au projet historique américain. Ils sont contre les «affinités électives» qui, selon Weber, nous ont donné la modernité: la science, le capitalisme, l’État-nation. Si la théorie de la physique de Newton, Principia, est un manuel de viol, comme l’a dit une universitaire féministe, si sa physique est l’invention d’un moyen de violer le monde, cela veut dire que la science est mauvaise. Si vous êtes soupçonneux de la science, du capitalisme, du protestantisme, si vous rejetez tous les moteurs de la modernité la seule chose qui reste, ce sont les péchés qui nous ont menés là où nous sommes. Pour sûr, nous en avons commis. Mais si on ne voit pas que ça, il n’y a plus d’échappatoire, plus de projet. Ce qui passe aujourd’hui est différent de 1968 en France, quand la remise en cause a finalement été absorbée dans quelque chose de plus large. Le mouvement actuel ne peut être absorbé car il vise à défaire les États-Unis dans ses fondements: l’État-nation, le capitalisme et la religion protestante. Mais comme les États-Unis n’ont pas d’histoire prémoderne, nous ne pouvons absorber un mouvement vraiment antimoderne. (…) Il y a une phrase de Heidegger qui dit que «seulement un Dieu pourrait nous sauver»! On a le sentiment qu’on est aux prémices d’une apocalypse, d’une guerre civile, d’une grande destruction de la modernité. Est-ce à cause de la trahison des clercs? Pour moi, l’incapacité des vieux libéraux à faire rempart contre les jeunes radicaux, est aujourd’hui le grand danger. Quand j’ai vu que de jeunes journalistes du New York Times avaient menacé de partir, parce qu’un responsable éditorial avait publié une tribune d’un sénateur américain qui leur déplaisait, j’ai été stupéfait. Je suis assez vieux pour savoir que dans le passé, la direction aurait immédiatement dit à ces jeunes journalistes de prendre la porte s’ils n’étaient pas contents. Mais ce qui s’est passé, c’est que le rédacteur en chef a été limogé. Joseph Bottum
Le procès controversé de Minneapolis porte moins sur les faits que sur l’exorcisation des démons racistes de l’Amérique (…) L’homicide involontaire (…) était la seule accusation initiale portée contre lui, et cela aurait été une affaire facile pour l’accusation. Mais comme une peine d’homicide involontaire ne serait passible que d’un maximum de 57 mois de prison, les procureurs ont ajouté des accusations de meurtre au troisième degré – portant la peine à 25 ans s’il est reconnu coupable. Il sera beaucoup plus difficile pour l’accusation de prouver au-delà d’un doute raisonnable que Chauvin est coupable de meurtre au troisième degré. Selon les directives du Minnesota, le meurtre au troisième degré se produit quand « le meurtre non intentionnel d’un autre [être humain] par le biais d’un acte éminemment dangereux est commis avec un esprit dépravé et sans égard pour la vie humaine ». Il est difficile de voir comment l’action de Chauvin s’inscrit dans cette définition. Il y a de sérieux doutes quant à savoir si l’action de Chauvin était en fait la seule cause de la mort de Floyd (il était intoxiqué au phénéthyle et à la méthamphétamine à l’époque), et il y a encore plus de doutes que cela était le résultat d’un acte dangereux commis avec un esprit dépravé; après tout, il semble que la police du Minnesota enseigne la technique consistant à restreindre les sujets en mettant un genou sur leur tête – même si, certes, Chauvin n’a pas suivi les directives jusqu’au bout. Pourtant, même si Chauvin était coupable des accusations portées contre lui, il serait toujours un bouc émissaire. Le célèbre critique culturel français René Girard a bâti toute sa réputation universitaire sur l’étude des processus de bouc émissaire. Il a réalisé que chaque fois que les sociétés sont menacées par des crises et des violences internes, certaines personnes sont choisies comme boucs émissaires. Elles sont accusées d’un fait, dûment punies (fréquemment exécutées), et ce faisant, la collectivité canalise ses propres violences constructives sur le bouc émissaire, et la paix revient. Pour Girard, dans la plupart des cas, les boucs émissaires sont innocents des charges retenues contre eux. Mais parfois, le bouc émissaire peut aussi cibler des coupables. Dans son livre intitulé Le bouc émissaire, Girard considère le cas d’un homme noir qui viole en fait une femme blanche et se fait lyncher pour cela. Ce noir serait-il un bouc émissaire, même s’il est coupable de viol ? Pour Girard, oui. En effet, à l’époque terrible du lynchage aux États-Unis, certains hommes noirs auraient pu violer des femmes blanches. Mais cela ne rendait nullement le lynchage moins criminel. Ces victimes de lynchage étaient ciblées en raison de leur couleur de peau. Les violeurs blancs, eux, n’étaient jamais lynchés, ce qui prouve que c’était à cause de la race, et non d’un crime particulier, qu’ils étaient brutalement pendus par des foules en colère. Chauvin peut être coupable ou non du meurtre au troisième degré. Mais il reste un bouc émissaire. La façon dont les médias attisent les flammes montre clairement qu’il sera probablement condamné, non pas en raison du poids des preuves, mais simplement parce que la foule a besoin d’être apaisée. Chauvin est jugé, non pas comme l’officier qui a mis le genou sur un homme en état d’arrestation, mais comme le représentant du mal le plus redouté dans le manuel de l’idéologie éveillée : le racisme. Après une histoire embarrassante d’esclavage et de ségrégation raciale, une grande partie du peuple américain veut se laver de sa culpabilité collective. Tout comme les anciens Israélites se débarrassaient de leur culpabilité en transférant leurs péchés sur Azazel – le bouc de Lévitique 6 – de nombreux Américains veulent à présent se débarrasser de leur culpabilité historique en la transférant sur Chauvin. Gabriel Andrade
Le facteur crucial de notre conquête du monde a plutôt été notre capacité de relier de nombreux humains les uns aux autres. Si, de nos jours, les humains dominent sans concurrence la planète, ce n’est pas que l’individu humain soit plus malin et agile de ses dix doigts que le chimpanzé ou le loup, mais parce qu’Homo sapiens est la seule espèce sur terre capable de coopérer en masse et en souplesse. L’intelligence et la fabrication d’outils ont été aussi manifestement très importants. (…) Si la coopération est la clé, pourquoi les fourmis et les abeilles n’ont-elles pas inventé la bombe atomique avant nous, alors même qu’elles ont appris à coopérer toutes ensemble des millions d’années plus tôt ? Parce que leur coopération manque de souplesse. Les abeilles coopèrent avec une grande sophistication, mais sont incapables de réinventer leur système social du jour au lendemain. Si une ruche faisait face à une nouvelle menace ou à une nouvelle opportunité, les abeilles seraient par exemple incapables de guillotiner la reine ou d’instaurer une République. Des mammifères sociaux comme les éléphants et les chimpanzés coopèrent bien plus souplement que les abeilles, mais ils ne le font qu’avec un petit nombre de camarades et de membres de leur famille. Leur coopération repose sur ce lien personnel. (…) Pour autant qu’on le sache, seul Sapiens est en mesure de coopérer très souplement avec d’innombrables inconnus. Yuval Noah Harari
La Roumanie communiste s’effondra quand 80 000 personnes, sur la place centrale de Bucarest, comprirent qu’elles étaient beaucoup plus fortes que le vieil homme à la toque de fourrure sur le balcon. Ce qui est vraiment stupéfiant, cependant, ce n’est pas cet instant où le système s’est effondré, mais qu’il ait réussi à survivre des décennies durant. Pourquoi les révolutions sont-elles si rares ? Pourquoi les masses passent-elles des siècles à applaudir et acclamer, à faire tout ce que leur ordonne l’homme au balcon, alors même qu’elles pourraient en théorie charger à tout moment et le tailler en pièces ? Ceauşescu et les siens dominèrent trois décennies durant vingt millions de Roumains en remplissant trois conditions incontournables. Premièrement, ils placèrent de fidèles apparatchiks communistes à la tête de tous les réseaux de coopération, comme l’armée, les syndicats et même les associations sportives. Deuxièmement, ils empêchèrent la création d’organisations rivales – politiques, économiques et sociales – susceptibles de servir de base à une coopération anticommuniste. Troisièmement, ils comptèrent sur le soutien des partis frères d’Union soviétique et d’Europe de l’Est. (…) Ceauşescu ne perdit le pouvoir que le jour où ces trois conditions cessèrent d’être réunies. À la fin des années 1980, l’Union soviétique retira sa protection, et les régimes communistes commencèrent à tomber comme des dominos. En décembre 1989, Ceauşescu ne pouvait espérer aucune aide extérieure. Bien au contraire, les révolutions des paysans voisins donnèrent du cœur à l’opposition locale. Deuxièmement, le parti communiste lui-même commença à se scinder en camps rivaux, les modérés souhaitant se débarrasser de Ceauşescu et initier des réformes avant qu’il ne fût trop tard. Troisièmement, en organisant la réunion de soutien de Bucarest et en la diffusant à la télévision, Ceauşescu fournit aux révolutionnaires l’occasion idéale de découvrir leur pouvoir et de manifester contre lui. Quel moyen plus rapide de propager la révolution que de la montrer à la télévision ? Pourtant, quand le pouvoir échappa aux mains de l’organisateur maladroit sur son balcon, ce ne sont pas les masses populaires de la place qui le récupérèrent. (…) de même que dans la Russie de 1917, le pouvoir échut à un petit groupe d’acteurs politiques qui avaient pour seul atout d’être organisés. La révolution roumaine fut piratée par le Front de salut national (FSN) autoproclamé, qui n’était en réalité qu’un écran de fumée dissimulant l’aile modérée du parti communiste. (…) formé de cadres moyens du parti et dirigé par Ion Iliescu, ancien membre du Comité central du PC et un temps responsable de la propagande. Iliescu et ses camarades du FSN se métamorphosèrent en démocrates, proclamèrent devant tous les micros qu’ils étaient les chefs de la révolution, puis usèrent de leur longue expérience et de leurs réseaux de copains pour prendre le contrôle du pays et se mettre ses ressources dans la poche. (…) Ion Iliescu fut élu président ; ses collègues devinrent ministres, parlementaires, directeurs de banque et multimillionnaires. La nouvelle élite roumaine qui contrôle aujourd’hui encore le pays se compose essentiellement des anciens communistes et de leurs familles. Yuval Harari

Attention: un bouc émissaire peut en cacher bien d’autres !

Au lendemain d’un verdict qui par son unanimité, sa rapidité, sa prédictiblité, son effet cathartique

Comme, sur fond de crise sanitaire en ces temps où la blancheur de peau et la profession de policier sont devenues les pires tares, les traits distinctifs de sa victime …

Au terme de mois d’émeutes et de pillage et d’une campagne médiatico-politique proprement orchestrée jusqu’au plus haut niveau de l’appareil d’Etat

Pour comme souvent, couleur de l’impétrant comprise, un banal refus d’optempérer tournant à la tragédie, suite à la malheureuse combinaison de certaines fragilités latentes et de la suringestion de drogues de celui-ci …

Avec les conséquences, que l’on sait, sur les forces de police et les résidents des quartiers les plus vulnérables

Aura jusqu’au dernier jour, au point même d’en inquiéter le juge et selon les mots mêmes de la présidente de la Chambre des représentants

Pris toutes les caractéristiques d’une expulsion de bouc émissaire réussie …

Comment ne pas voir …

Quelques mois après son accession aux pleins pouvoirs politiques …

Via l’instrumentalisation du virus chinois et de la mort accidentelle de George Floyd …

Et, entre deux mascarades de procédures de destitution, l’élection volée de Joe Biden

L’apothéose de cette  idéologie « woke » du racisme antiraciste et de la censure politiquement correcte …

Qui fonds de commerce d’une véritable « génération de chasseurs d’ambulances » condamnée à rejouer éternellement les luttes du passé

Sur le dos toujours plus large des véritables victimes qu’elle encourage ainsi dans le refus souvent tragique d’obtempérer lors de leurs affrontements avec la police …

Avait patiemment pendant des décennies conquis l’université et les grands médias, puis ces dernières années les réseaux sociaux …?

Et comment ne pas repenser …

Avec le dernier best-seller de l’historien israélien Yuval Harari (« Homo deus »)…

Même si en bon postmoderne il en évacue totalement la dimension pourtant évidemment sacrificielle et quasi-religieuse …

A cette singulière capacité humaine de coopérer en masse et en souplesse …

Qui permet en certes de rares occasions et via une simple poignée d’hommes …

De produire le meilleur comme avec le processus civilisateur introduit par la révélation judéo-chrétienne …

Mais aussi pour peu que l’organisation soit suffisamment efficace et flexible ….

Comme avec leurs lots d’exécutions et de purges l’a tant de fois montré l’histoire …

Ou, entre les deux, de véritables trafics d’êtres humains

De la France de 1789 et la Russie de 1917 …

A la Roumanie de 1989 ou l’Egypte de 2011 …

Etre si facilement détournée ?

VIVE LA REVOLUTION !

Yuval Noah Harari

Homo deus

2015

Pour monter une révolution, le nombre ne suffit jamais. Les révolutions sont généralement l’œuvre de petits réseaux d’agitateurs, non des masses. Si vous voulez lancer une révolution, ne vous demandez pas : « Combien de gens soutiennent mes idées ? », mais plutôt : « Parmi mes partisans, combien sont capables de coopérer efficacement ? » La révolution russe a fini par éclater non pas le jour où 180 millions de paysans se sont soulevés contre le tsar, mais quand une poignée de communistes se sont trouvés au bon endroit au bon moment. Début 1917, alors que l’aristocratie et la bourgeoisie russes comptaient au moins trois millions de personnes, la fraction bolchévique de Lénine (qui deviendrait le parti communiste) ne dépassait pas les 23 000 militants. Les communistes n’en prirent pas moins le contrôle de l’immense Empire russe, parce qu’ils surent s’organiser. Quand l’autorité échappa aux mains décrépites du tsar et à celles tout aussi tremblantes du gouvernement provisoire de Kerenski, les communistes s’en saisirent sans attendre, s’emparant des rênes du pouvoir tel un bulldog qui referme ses crocs sur un os.

Les communistes ne devaient relâcher leur emprise qu’à la fin des années 1980. L’efficacité de leur organisation leur permit de conserver le pouvoir plus de sept longues décennies, et s’ils finirent par tomber, ce fut en raison de leur organisation défaillante. Le 21 décembre 1989, Nicolae Ceauşescu, le dictateur roumain, organisa une grande manifestation de soutien au centre de Bucarest. Au cours des mois précédents, l’Union soviétique avait retiré son soutien aux régimes communistes d’Europe de l’Est, le mur de Berlin était tombé, et des révolutions avaient balayé la Pologne, l’Allemagne de l’Est, la Hongrie, la Bulgarie et la Tchécoslovaquie. Ceauşescu, qui dirigeait son pays depuis 1965, pensait pouvoir résister au tsunami, alors même que des émeutes contre son régime avaient éclaté dans la ville de Timişoara le 17 décembre. Voulant contre-attaquer, Ceauşescu organisa un vaste rassemblement à Bucarest afin de prouver aux Roumains et au reste du monde que la majorité de la population continuait de l’aimer, ou tout au moins de le craindre. L’appareil du parti qui se fissurait mobilisa 80 000 personnes sur la place centrale de la ville ; les citoyens roumains reçurent pour consigne de cesser toute activité et d’allumer leur poste de radio ou de télévision.

Sous les vivats d’une foule apparemment enthousiaste, Ceauşescu se présenta au balcon dominant la place, comme il l’avait fait à maintes reprises au cours des précédentes décennies. Flanqué de son épouse Elena, de dirigeants du parti et d’une bande de gardes du corps, il se mit à prononcer un de ces discours monotones qui étaient sa marque de fabrique, regardant d’un air très satisfait la foule qui applaudissait mécaniquement. Puis quelque chose dérapa. Vous pouvez le voir sur YouTube. Il vous suffit de taper « Ceauşescu, dernier discours », et de regarder l’histoire en action.

La vidéo YouTube montre Ceauşescu qui commence une énième longue phrase : « Je tiens à remercier les initiateurs et organisateurs de ce grand événement à Bucarest, y voyant un… » Puis il se tait, les yeux grands ouverts, et se fige, incrédule. Dans cette fraction de seconde, on assiste à l’effondrement de tout un monde. Dans le public, quelqu’un a hué. On débat encore aujourd’hui de l’identité de celui qui, le premier, a osé huer. Puis une autre personne a fait de même, puis une autre, et encore une autre ; quelques secondes plus tard, la masse se mit à siffler, crier des injures et scander « Ti-mi-şoa-ra ! Ti-mi-şoa-ra ! »

Tout cela se produisit en direct à la télévision roumaine sous les yeux des trois quarts de la population, scotchée au petit écran, le cœur battant la chamade. La Securitate, la sinistre police secrète, ordonna aussitôt l’arrêt de la retransmission, mais les équipes de télévision refusèrent d’obtempérer et l’interruption fut très brève. Le cameraman pointa la caméra vers le ciel, en sorte que les téléspectateurs ne puissent pas voir la panique gagnant les dirigeants du parti sur le balcon, mais le preneur de son continua d’enregistrer, et les techniciens de retransmettre la scène après un arrêt d’à peine plus d’une minute. La foule continuait à huer et Ceauşescu à crier « Hello ! Hello ! Hello ! », comme si le problème venait du micro. Sa femme Elena se mit à réprimander le public :« Taisez-vous ! Taisez-vous ! », jusqu’à ce que Ceauşescu se tourne vers elle et lui crie au vu et au su de tous : « Tais-toi ! » Après quoi il en appela à la foule déchaînée de la place en l’implorant : « Camarades ! Camarades ! Du calme, camarades ! »

Mais les camarades ne voulaient pas se calmer. La Roumanie communiste s’effondra quand 80 000 personnes, sur la place centrale de Bucarest, comprirent qu’elles étaient beaucoup plus fortes que le vieil homme à la toque de fourrure sur le balcon. Ce qui est vraiment stupéfiant, cependant, ce n’est pas cet instant où le système s’est effondré, mais qu’il ait réussi à survivre des décennies durant. Pourquoi les révolutions sont-elles si rares ? Pourquoi les masses passent-elles des siècles à applaudir et acclamer, à faire tout ce que leur ordonne l’homme au balcon, alors même qu’elles pourraient en théorie charger à tout moment et le tailler en pièces ?

Ceauşescu et les siens dominèrent trois décennies durant vingt millions de Roumains en remplissant trois conditions incontournables. Premièrement, ils placèrent de fidèles apparatchiks communistes à la tête de tous les réseaux de coopération, comme l’armée, les syndicats et même les associations sportives. Deuxièmement, ils empêchèrent la création d’organisations rivales – politiques, économiques et sociales – susceptibles de servir de base à une coopération anticommuniste. Troisièmement, ils comptèrent sur le soutien des partis frères d’Union soviétique et d’Europe de l’Est. Malgré des tensions occasionnelles, ces partis s’entraidèrent en cas de besoin ou, tout au moins, veillèrent à ce qu’aucun intrus ne vienne perturber le paradis socialiste. Dans ces conditions, malgré les épreuves et les souffrances que leur infligea l’élite dirigeante, les vingt millions de Roumains ne réussirent à organiser aucune opposition efficace.

Ceauşescu ne perdit le pouvoir que le jour où ces trois conditions cessèrent d’être réunies. À la fin des années 1980, l’Union soviétique retira sa protection, et les régimes communistes commencèrent à tomber comme des dominos. En décembre 1989, Ceauşescu ne pouvait espérer aucune aide extérieure. Bien au contraire, les révolutions des paysans voisins donnèrent du cœur à l’opposition locale. Deuxièmement, le parti communiste lui-même commença à se scinder en camps rivaux, les modérés souhaitant se débarrasser de Ceauşescu et initier des réformes avant qu’il ne fût trop tard. Troisièmement, en organisant la réunion de soutien de Bucarest et en la diffusant à la télévision, Ceauşescu fournit aux révolutionnaires l’occasion idéale de découvrir leur pouvoir et de manifester contre lui. Quel moyen plus rapide de propager la révolution que de la montrer à la télévision ?

Pourtant, quand le pouvoir échappa aux mains de l’organisateur maladroit sur son balcon, ce ne sont pas les masses populaires de la place qui le récupérèrent. Bien que nombreuse et enthousiaste, la foule ne savait pas s’organiser. Dès lors, de même que dans la Russie de 1917, le pouvoir échut à un petit groupe d’acteurs politiques qui avaient pour seul atout d’être organisés. La révolution roumaine fut piratée par le Front de salut national (FSN) autoproclamé, qui n’était en réalité qu’un écran de fumée dissimulant l’aile modérée du parti communiste. Le Front n’avait pas de lien véritable avec la foule des manifestants. Il était formé de cadres moyens du parti et dirigé par Ion Iliescu, ancien membre du Comité central du PC et un temps responsable de la propagande. Iliescu et ses camarades du FSN se métamorphosèrent en démocrates, proclamèrent devant tous les micros qu’ils étaient les chefs de la révolution, puis usèrent de leur longue expérience et de leurs réseaux de copains pour prendre le contrôle du pays et se mettre ses ressources dans la poche.

Dans la Roumanie communiste, l’État possédait presque tout. La Roumanie démocratique s’empressa de privatiser tous ses actifs, les vendant à des prix sacrifiés aux anciens communistes qui furent les seuls à comprendre ce qui se passait et s’aidèrent mutuellement à constituer leur magot. Les entreprises d’État qui contrôlaient l’infrastructure et les ressources naturelles furent bradées à d’anciens cadres communistes, tandis que les fantassins du parti achetaient maisons et appartements pour quelques sous.

Ion Iliescu fut élu président ; ses collègues devinrent ministres, parlementaires, directeurs de banque et multimillionnaires. La nouvelle élite roumaine qui contrôle aujourd’hui encore le pays se compose essentiellement des anciens communistes et de leurs familles. Les masses qui ont risqué leur peau à Timişoara et Bucarest ont dû se contenter des restes parce qu’elles n’ont pas su coopérer ni créer une organisation efficace pour prendre en main leurs intérêts.

La révolution égyptienne de 2011 a connu le même destin. Ce que la télévision avait fait en 1989, Facebook et Twitter l’ont fait en 2011. Les nouveaux médias ont aidé les masses à coordonner leurs activités : des milliers de gens ont inondé les rues et les places au bon moment et renversé le régime de Moubarak. Toutefois, faire descendre 100 000 personnes sur la place Tahrir est une chose ; c’en est une autre de s’emparer de la machine politique, de serrer les bonnes mains dans les bonnes arrière-salles et de diriger efficacement un pays. Dès lors, quand Moubarak est tombé, les manifestants n’ont pas pu combler le vide. L’Égypte n’avait que deux institutions assez organisées pour diriger le pays : l’armée et les Frères musulmans. La révolution a donc été récupérée d’abord par les Frères musulmans, puis par l’armée.

Les ex-communistes roumains et les généraux égyptiens n’étaient pas plus intelligents ou habiles que les anciens dictateurs ou les manifestants de Bucarest ou du Caire. Leur avantage résidait dans une coopération tout en souplesse. Ils coopéraient mieux que les foules et étaient disposés à se montrer bien plus souples que des hommes rigides comme Ceauşescu et Moubarak.

Voir aussi:

Mort de George Floyd : l’avocat de Derek Chauvin demande l’acquittement

Après l’ultime journée du procès, les jurés se sont retirés pour délibérer. Ils devront rendre un verdict unanime pour chacun des trois chefs d’inculpation. Tout autre scénario qu’une condamnation inquiète les autorités locales.

George Floyd «a appelé à l’aide dans son dernier souffle» avant de mourir sous le genou de Derek Chauvin, a affirmé lundi 19 avril le procureur dans son réquisitoire contre le policier accusé d’avoir tué le quadragénaire afro-américain le 25 mai 2020 à Minneapolis. «George Floyd a supplié jusqu’à ce qu’il ne puisse plus parler», a dit Steve Schleicher au jury. «Il fallait juste un peu de compassion, et personne n’en a montré ce jour-là», a ajouté le procureur.

Le policier blanc de 45 ans est jugé pour meurtre, homicide involontaire et violences volontaires ayant entraîné la mort de George Floyd, qui avait été interpellé pour une infraction mineure. Pendant plus de neuf minutes, il avait maintenu un genou sur le cou du quadragénaire qui était allongé sur le ventre, les mains menottées dans le dos. Sa mort a suscité des manifestations antiracistes d’une ampleur historique et une vague d’indignation mondiale contre les brutalités policières.

«Il a appelé à l’aide dans son dernier souffle mais l’agent n’a pas aidé, l’accusé est resté sur lui», a rappelé le procureur, affirmant que le policier avait enfreint le code de la police de Minneapolis en matière d’usage de la force. «George Floyd n’était une menace pour personne, il ne tentait de faire de mal à personne», a-t-il dit. Il a aussi fustigé l’inaction du policier, qui n’a rien fait pour ranimer George Floyd. «En tant que premier secours, vous devez faire un massage cardiaque, il ne l’a pas fait alors qu’il était formé à cela», a lancé le procureur. «L’accusé n’est pas jugé parce qu’il est policier» mais «il est jugé pour ce qu’il a fait», a souligné Steve Schleicher, estimant que Derek Chauvin avait «trahi son insigne».

L’avocat de Derek Chauvin a pour sa part demandé l’acquittement de son client. L’accusation «a échoué à apporter la preuve au-delà du doute raisonnable et Derek Chauvin doit par conséquent être déclaré non-coupable», a affirmé l’avocat du policier, Eric Nelson, après près de trois heures de plaidoirie. Le procès se tient dans un climat de fortes tensions, après la mort récente d’un jeune homme noir lors d’un contrôle routier près de Minneapolis. «C’était un meurtre, l’accusé est coupable des trois chefs d’accusation et il n’y a aucune excuse», a asséné le procureur en conclusion de son réquisitoire, qui a duré plus d’une heure et demie.

Le risque d’un verdict «nul»

Pour l’accusation, qui a appelé à la barre près de 40 témoins, c’est bien le policier qui a tué George Floyd, qui ne «pouvait pas respirer». Il est mort d’un «manque d’oxygène» provoqué par la pression de Derek Chauvin sur son cou et son dos, ont expliqué plusieurs médecins. L’Afro-Américain avait des problèmes cardiaques mais même une personne en bonne santé «serait morte de ce que George Floyd a subi», a affirmé le pneumologue Martin Tobin. Pour David Schultz, professeur de droit à l’université du Minnesota, les procureurs «ont fait du très bon travail» pour démontrer que le policier n’avait pas agi «de manière raisonnable».

Selon Eric Nelson, George Floyd est mort d’une crise cardiaque due à des problèmes de cœur, aggravés par la consommation de fentanyl, un opiacé, et de méthamphétamine, un stimulant, et par l’inhalation de gaz d’échappement pendant qu’il était allongé au sol. D’après la défense, le policier a utilisé une procédure autorisée pour maîtriser un individu qui se débattait et le maintenir au sol. Elle évoque aussi une «foule hostile» qui représentait une «menace» et aurait détourné l’attention du policier du sort de George Floyd. Derek Chauvin, lui, a refusé de s’expliquer, usant du droit de tout accusé aux États-Unis à ne pas apporter de témoignage susceptible de l’incriminer.

Le jury, qui s’est retiré lundi pour délibérer, doit rendre un verdict unanime sur chacune des trois charges. «Vous devez être absolument impartiaux», leur a dit le juge Peter Cahill, qui les a invités à «examiner les preuves, de les soupeser et d’appliquer la loi». Cela pourrait prendre des heures, des jours, voire des semaines. Les condamnations de policiers pour meurtre sont très rares, les jurés ayant tendance à leur octroyer le bénéfice du doute. Si le jury ne parvient pas à se mettre d’accord sur l’ensemble des charges, le procès sera déclaré «nul». Tout autre scénario qu’une condamnation inquiète les autorités locales.

La tension est très forte à Minneapolis, qui s’était déjà embrasée après la mort de George Floyd. Plus de 400 personnes ont défilé lundi dans les rues de la ville pour demander la condamnation de Derek Chauvin, chantant «le monde observe, nous observons, faites ce qui est juste». Marchant derrière une banderole réclamant «justice pour George Floyd», ils ont croisé sur leur chemin des soldats de la Garde nationale, les observant près de véhicules blindés. Tenue de camouflage, et fusil mitrailleur en bandoulière, ces militaires patrouillent depuis plusieurs semaines dans les rues de la ville. La mort récente de Daunte Wright, un jeune Afro-Américain d’une vingtaine d’années tué par une policière blanche lors d’un banal contrôle routier dans la banlieue de Minneapolis, n’a fait qu’ajouter à la tension qui règne depuis le début du procès.

Rodney Floyd, l’un des frères de George, a fait part plus tôt dans la journée, de sa gratitude pour les messages de soutien «venus du monde entier» à sa famille, dont plusieurs membres ont suivi les débats depuis le 29 mars. «J’espère que les jurés vont rendre le bon verdict», déclare Courtenay Carver, un travailleur social afro-américain de 56 ans. «Nous nous préparons au pire», confiait Janay Clanton, une habitante de Minneapolis. «Tout va exploser», a même prédit la sexagénaire, si Derek Chauvin n’est pas reconnu coupable. L’issue du procès aura aussi un impact sur celui de trois autres agents qui doivent être jugés en août pour «complicité de meurtre».

Voir encore:

Powerful Evidence That George Floyd Resisted Arrest 

The case is more complicated than prosecutors would have it.

Andrew C. McCarthy

National Review

April 1, 2021

 

George Floyd forcibly resisted arrest. He did not verbally threaten the arresting officers, but he used significant force against them to try to prevent being taken into custody. He did not merely refuse to comply with their directives.

That was the upshot of Wednesday, the third day of the Derek Chauvin trial, in which the fired officer is charged with two counts of murdering Floyd, as well as with a count of negligently causing his death (manslaughter).

Though prosecutors tried some misdirection, the video and audio recordings are clear: Floyd, at six-foot, four-inches and 223 pounds (according to the autopsy report), was so determined not to be placed in the back of the squad car that, even though he was handcuffed, four grown men — police officers trained in the use of force, and pushing and pulling for all they were worth — could not get him to take a seated position.

This does not mean the officers’ prolonged restraint of Floyd later on, as his life faded, was justified. That is the central issue the jury will have to resolve. But the latest evidence helps better explain what preceded the infamous and grim video footage of Floyd under Chauvin’s knee.

Notably, Floyd’s now-famous statements that he could not breathe and that police were killing him, as well as his cries for his mother, were not just reactions — as prosecutors and political activists have framed it — to his being placed in a neck hold by Chauvin after police put him in a dangerous prone position on the street. In reality, Floyd began calling for his mother, and crying out that he could not breathe and was going to die, while police were trying to get him to sit in the back of the squad car. Those claims may have been sincere, but if so, they were spurred by what Floyd maintained were his “claustrophobia” and anxiety over being taken into custody, not by the neck hold in which Chauvin subsequently placed him.

What’s more, it was not the idea of the arresting officers to place Floyd in a prone position on the street. Rather, after propelling his way out of the squad-car rear seat that four cops unsuccessfully struggled to place him in, Floyd insisted that he preferred to lie down on the street. The police restrained him in the position in which he put himself, which was not the position they wanted him in (they wanted him in the car). Reasonably convinced that Floyd was high on drugs (a conclusion supported by his erratic behavior, the accounts of witnesses, and later toxicology tests), the police called for paramedics to take him to a hospital, rather than continuing to try to thrust him in the squad car and take him into police custody.

That is, the police accused of murdering Floyd actually summoned medical help out of concern over his condition.

Furthermore, unlike the state’s preferred evidence, which is peppered with the barbs of bystanders who were not participants in the officers’ initial interactions with Floyd, the recorded evidence introduced Wednesday showed that police were worried about both Floyd’s medical condition and the possibility that, under the influence of drugs, he could suddenly come to and again become aggressively resistant — under circumstances where they’d already been unable to control him.

That was the bottom line of Wednesday’s presentation of evidence. Unlike the first two days of trial, which focused on recordings of the last nine minutes and 29 seconds of Floyd’s encounter with the police (i.e., the part when he was lying on the street), prosecutors introduced the proof of what happened before that encounter because they had to, not because they wanted to. Had they withheld it, Chauvin’s lawyer Eric Nelson would have anxiously presented it during the defense case.

Mindful that Wednesday’s evidence would hurt their case, prosecutors tried to dilute its impact by presenting it through witnesses highly sympathetic to Floyd.

The best example of this was Charles McMillian, a 61-year-old who described himself as a “nosy” neighborhood elder. He wandered over to watch as police were trying to put Floyd in the squad car. Though McMillian was not acquainted with Floyd, he intervened and tried to help the situation. Without going into personal detail, he said he has had encounters with police and believes, once a person is in handcuffs, he is under arrest and there is no point doing anything other than cooperating because “you can’t win.” So, as police were trying to get Floyd to sit in the back of the squad car, and Floyd was refusing to cooperate, McMillian pleaded with him, from about ten feet away, to submit because “you can’t win.” Floyd, who was already complaining that he could not breathe, responded, “I’m not trying to win.”

At that point in the testimony, while the video was playing for the jury, McMillian got deeply upset and began to weep. Prosecutor Erin Eldridge repeatedly asked him if he was all right, reassured him that she knew it was difficult to testify, and brought him water, while McMillian grabbed liberally from a box of handkerchiefs, blew his nose, dabbed his eyes, and had great difficulty composing himself.

It was riveting . . . except that it riveted one’s attention away from was what was going on in the video. In this recording, while it was difficult to see the individual players, it was obvious that Floyd was struggling wildly with the police, and that the squad car was rocking violently.

As the video played and McMillian broke down, Eldridge asked the witness, “Can you explain what you’re feeling at this moment?” The question was irrelevant and absurdly prejudicial, but Chauvin’s counsel did not object, plainly not wanting to appear heartless in front of the jury. This is the state’s approach to the jury: Decide the case based on the nine minutes and 29 seconds we have emphasized; as for everything else, go with how you feel, and don’t worry so much about what you see.

Nevertheless, there were no Floyd sympathizers to put on the stand for the police-controlled recordings (from surveillance and body-worn cameras). They had to be admitted through a police administrative officer who had no direct involvement in the investigation. The jury watched these recordings without interruption or witness narration. They more clearly showed Floyd forcibly resisting arrest. The recordings also undermined the claim by off-duty firefighter Genevieve Hansen (an eyewitness who testified Monday) that she believed the cops were pressing their full body weights on Floyd. (On cross-examination, Hansen ultimately admitted that she had exaggerated the number of police; that from her vantage point, she couldn’t see two of them at all from the shoulders down; and that she only saw Chauvin for about four minutes from a partially obstructed view). Police surveillance video showed that the cops were not pressing body weight heavily on Floyd; were communicating with each other about his well-being as they waited for the ambulance they’d called; and were concerned about his drug use, fearing he could suddenly revive and start resisting again.

The other significant testimony on Wednesday centered on Floyd’s passing of a counterfeit $20 to purchase cigarettes while he was patently high on drugs at Cup Foods. Again, the prosecutors presented this evidence that casts Floyd in a bad light through a sympathetic witness — indeed, a remorseful one: 19-year-old Christopher Martin, the Cup Foods cashier who, given the tragedy that ensued, now deeply regrets that he reported the phony money to his manager. (He says, under store policy, the loss would have come out of his pocket.)

The prosecutors’ position on the counterfeiting arrest has been not only disingenuous but unfairly prejudicial. They have suggested that it is not certain Floyd passed a counterfeit bill, and that even if he did, it was not a serious offense. To the contrary, Martin’s testimony made it abundantly clear that the bill was fake, (Martin himself recognized it immediately, and Floyd and his companions had at least one other fake bill in the car). More to the point, an arrest is either lawful or it is not. If it is a lawful arrest, the police have the discretion to take the suspect into custody — even if it later turns out that the case is dismissed without charges.

The state has not dared to claim that the police had no legal basis to arrest Floyd for passing counterfeit U.S. currency — which is a crime under both state and federal law. Moreover, in the course of arresting Floyd, the police would have found illegal drugs in his possession. That would have been another basis for arresting him — and could have been a serious issue in light of Floyd’s extensive criminal history and the likelihood that he was the driver of the car in which he was seated in the driver’s seat when arrested.

No one is saying these are the crimes of the century. But the police clearly had a lawful basis to arrest Floyd and take him into custody. Once police exercised that lawful prerogative, Floyd’s duty was to submit peacefully; resisting arrest was an additional crime.

Yet, prosecutors have indicated to the jury that the arrest of Floyd and effort to take him into custody was a gross overreaction that should be considered in assessing whether the police use of force was excessive. That is wrong, the prosecutors well know it is wrong, and Judge Peter Cahill should not let them do it. Excessive force is a matter of whether police used materially more force than was necessary to effect a lawful arrest. The question for the jury is not whether the arrest itself was excessive.

To be sure, none of this would excuse Chauvin’s placing Floyd in a continuous neck hold for several minutes after he was subdued, unresponsive, and appeared to have no pulse. Even if they were worried in good faith that Floyd could revive and become aggressive, the police could have held him in a more comfortable breathing position. Prosecutors have been adamant that their use-of-force experts will testify that Chauvin’s neck hold was against police training under the circumstances.

That said, Wednesday’s evidence puts a different light on Floyd’s complaints about not being able to breathe, about how he came to be restrained in a prone position on the street, and about whether the police exhibited depraved indifference to his life. The case is more complicated than prosecutors would have it.

Voir enfin:

Even if he’s guilty, Derek Chauvin is a scapegoat

The controversial trial in Minneapolis is less about about the facts and more about exorcising America’s racist demons

 

In the Gospel of John, which was read in many churches last week, the High Priest Caiaphas pronounces the infamous words, “You do not realize that it is better for you that one man die for the people than that the whole nation perish.” Caiaphas seems to imply that even if Jesus were innocent, he still ought to be killed in order to save the nation.

In other words, Caiaphas is happy to turn Jesus into a scapegoat.

In the Derek Chauvin trial— the police officer who is accused of killing George Floyd— the jury will likely face a similar dilemma. If Chauvin is found not guilty, a new wave of riots will most likely follow. If a juror in good conscience believes that the prosecution has not proven its case beyond a reasonable doubt, he or she will still have to consider Caiaphas’ dilemma: even if Chauvin is not guilty, must he be acquitted?

There is immense pressure for the jury to reason as Caiaphas did. The media has sent subtle— and not so subtle— messages, warning audiences that anything short of a full conviction will lead to fatalities and  massive destruction of property. So, basically, it is the jury’s duty to prevent riots from happening, and to do that, they must convict Chauvin. In so doing, Chauvin will become the sacrificial lamb whose imprisonment will save the nation.

Now, it might be easily objected that whereas Jesus preached love, Chauvin killed a man with his knee. Unlike Jesus, Chauvin is not a scapegoat, because whereas the former was innocent, the latter is really guilty.

This would be true, were Chauvin charged only with manslaughter. Indeed, that was the sole initial charge brought against him, and that would have been an easy case for the prosecution. But since a manslaughter sentence would only carry a maximum of 57 months in prison, prosecutors added charges of third-degree murder — if found guilty, the sentence would be 25 years.

It will be much harder for the prosecution to prove beyond a reasonable doubt that Chauvin is guilty of third-degree murder. According to Minnesota guidelines, third-degree murder happens as “the unintentional killing of another [human being] through an eminently dangerous act committed with a depraved mind and without regard for human life.” It is hard to see how Chauvin’s action fits into this definition.

There are serious doubts about whether Chauvin’s action was actually the sole cause of Floyd’s death (he was intoxicated with phenethyl and methamphetamine at the time), and there are even greater doubts that this was a result of a dangerous act committed with a depraved mind; after all, it appears that the Minnesota Police does teach the technique of restraining subjects by putting a knee on the head­— even if, admittedly, Chauvin did not follow the guidelines thoroughly.

Yet, even if Chauvin were guilty of the charges brought against him, he would still be a scapegoat.

Renowned French cultural critic René Girard made an academic living by studying scapegoating processes. He came to realize that whenever societies are threatened by crises and inner violence, certain people are selected as scapegoats. They are accused of some deed, duly punished (frequently executed), and in so doing, the collectivity channels its own destructive violence towards the scapegoat, and peace returns.

According to Girard, in most cases, scapegoats are innocent of the charges brought against them. But sometimes, scapegoating can also target guilty parties. In this book The Scapegoat, Girard considers the case of a black male who actually rapes a white female, and is lynched for it. Would that black male be a scapegoat, even if he is guilty of rape? According to Girard, yes, he would. Indeed, during the terrible era of lynching in the United States, some black men might have raped some white women. But that in no way made lynching less of a crime. These victims of lynching were targeted because of their skin colour. White rapists were never lynched, and that proves that it was because of race, and not a particular crime, that they were brutally hanged by mobs.

Chauvin may or may not be guilty of third-degree murder. But he is still a scapegoat.

The way media is fuming the flames makes it clear that he will likely be convicted, not because of the weight of the evidence, but simply, because the mob needs to be appeased. Chauvin is being judged, not as the officer who put the knee on a man under arrest, but as the representative of the most feared evil in the handbook of woke ideology: racism.

After an embarrassing history of slavery and racial segregation, a large section of the American people wants to cleanse its collective guilt. Just as the ancient Israelites cleansed their guilt by transferring their sins to Azazel— the goat of Leviticus 6— many Americans now want to cleanse their historical guilt by transferring it to Chauvin.

One can only hope that the jury refuses to play this scapegoating game, and decides Chauvin’s fate solely on the basis of evidence.

Voir par ailleurs:

The Cold War’s Strangest Bedfellows How Romania Sold Its Jews to Israel, and What It Got in Return

Gal Beckerman

Forward

February 11, 2005

The Ransom of the Jews: The Story of The Extraordinary Secret Bargain Between Romania and Israel

Radu Ioanid

Ivan R. Dee, 254 pages, $26.

* * *|

Surely the Cold War never produced stranger bedfellows than Shaike Dan and General Gheorghe Marcu. Dan, a Jew from Bessarabia, parachuted into Romania at the close of World War II to help smuggle Jews into Palestine, eventually becoming an adviser to Israeli prime ministers and a critical Secret Service operative in Eastern Europe. Marcu was a life-long Romanian Communist and a high-ranking member in the Securitate, Romania’s much-feared secret service. Throughout the 1970s, these two men met monthly at Romanian embassies in Austria and Switzerland — not dressed in trench coats on foggy evenings, but situated in offices, chatting with the familiar banter of old business partners. Dan always carried a suitcase (Samsonite was the preferred brand) filled with tens of thousands of dollars. Marcu came with a list of names.

Romania was selling its Jews, and Israel was buying.

As Radu Ioanid describes it in his new book, “The Ransom of the Jews,” Dan and Marcu were at the fulcrum of a bizarre arrangement that lasted through most of the Cold War, wherein Israel propped up Romania’s loopy totalitarian regime with a steady stream of needed cash in exchange for exit visas (about $3,000 a head) to secure the emigration of its Jewish population. A highly secretive operation run entirely between the countries’ two intelligence agencies, it existed on a subterranean track beneath the normal diplomatic niceties of state visits and economic cooperation.

Slightly little more than 350,000 Jews lived in Romania at the close of World War II — the second-largest surviving Jewish population in Europe after the 3 million Jews inhabiting the Soviet Union. In the immediate postwar period, a few thousand escaped to Palestine on illegal boats arranged by Dan. But by the end of the 1940s, the Romanian Communists started seeing dollar signs when they thought about their Jews. These were valuable hostages now that a Jewish state might be willing to pay a price for their emigration. And, indeed, by the end of the 1940s, Israel was supplying the ailing Romanian oil industry with American drills and pipes in exchange for 100,000 exit visas.

This type of bartering was also the preferred method of Henry Jacober, a Jewish businessman based in London who, in the 1950s and early 1960s, acted as a middleman between Romanian Jews’ relatives — who had the money to pay for exit visas — and Marcu, who would take down their names and make sure they got out. Instead of using cash, the Romanians and Jacober preferred a proxy and settled on livestock. Cows and pigs. Soon Shaike Dan learned of these dealings and took over the operation (after getting a thumbs-up from Ben-Gurion). By 1965, the Jewish state, working through Jacober (who took his own cut), was funding many projects inside of Romania — chicken farms, turkey farms and pig farms, turning out tens of thousands of animals every year, and even a factory making Kellogg’s Corn Flakes — all in exchange for Jewish families. The export of these products — including, I should add, bacon and pork — produced $8 to $10 million annually for Romania, much needed money for its cash-starved economy.

In the years after Nicolae Ceausescu came to power in 1965, he stopped the trade in deference to his defeated Arab allies and the post-Six Day War anti-Israel backlash (though, unlike the leaders of every other Warsaw pact country, he did not cut diplomatic ties with Israel or sign on to the United Nations resolution equaling Zionism with racism). By 1969, though, Ceausescu decided to restart the trade in Jews. He desired economic independence from a Moscow determined to turn Romania into a simple backwater supplier of raw material. For this he needed a steady flow of outside cash and a good relationship with the West, as an alternative trading partner. Israel was key on both these fronts. But he ordered the Romanian intelligence agency to, as Ioanid writes, “shift gears from the ‘ancient age of barter’ to ‘modern foreign trade.’ He wanted ‘cold dollars.’”

Dan and Marcu then drew up what amounted to an unsigned gentleman’s agreement that detailed the terms of the trade (which was renewed in 1972 and then every five years thereafter until Ceausescu and his wife, Elena, were executed by a firing squad on Christmas Day 1989). Bucharest would receive a certain amount of cash per head depending on the age, education, profession, employment and family status of each prospective émigré. Ceausescu didn’t want a mass exodus; the Jews were too valuable a commodity. So he would let them out at a trickle, about 1,500 every year. Between 1968 and 1989, according to Ioanid’s rough calculation, “Ceausescu sold 40,577 Jews to Israel for $112,498,800, at a price of $2,500 and later at $3,300 per head.” And the money wasn’t the only way the Jewish state helped Romania. Israel secured loans for Ceausescu and paid off the interest itself. Military equipment was procured for the Romanian army, including a Centurion tank. Ariel Sharon, while defense minister in 1982, made a secret visit to Romania with experts from the Israeli military and aircraft industries in order to offer technological cooperation.

Ioanid doesn’t shy away from telling us who Ceausescu really was — a ruthless dictator, in fact a “comrade,” by his own estimation, with the likes of Qaddafi and Arafat, a crusher of his own people, who maintained a strange neo-Stalinist cult-of-personality ideology he tried to implement under the nearly unpronounceable name Ceausism. There were deep moral consequences to this relationship. Not only was Israel shaking hands with this devil, but it also was giving him coal to keep his fires burning. Was the price of propping up a totalitarian regime really worth it? Ioanid doesn’t really tackle this question, but it is one that cuts to the heart of Israel’s awkward position during the Cold War.

For Americans, and especially the cold warriors among them, moral divisions during those years were fairly clear. Communist regimes banished poets to frozen wastelands, censored books and viewed their citizens as little more than raw material. One didn’t negotiate with these dictators or seriously engage their ideologies. A defender of human rights pointed out their hypocrisies, shamed them into change and championed their dissidents.

But Israel couldn’t afford to have such principled thoughts. Many Jews still lived beyond the Iron Curtain. And Israel was constantly vacillating between the best tactics for getting them out. What was more effective, quiet diplomacy or encouraging a loud, vociferous public outcry? In 1972, when the Soviet Union tried to implement a diploma tax that, like the Romanian one, would demand an exorbitant price for the head of every departing Jew, Israel worked behind the scenes to get a legislative ball rolling in the American Congress that led to the Jackson-Vanik amendment — a powerful piece of moral legislation that demanded communist countries improve emigration conditions in order to attain Most Favored Nation trading status with the United States. This was a slap in the face to the Soviets, and quite a contrary strategy to the one the Israelis were engaged in clandestinely with the Romanians.

So what made Romania a country worth dealing with at this lower frequency, with suitcases bulging with dollars, and the Soviet Union approachable only with a hammer or a bat? The smaller size of Romania’s Jewish population, perhaps, made it easier to envision emigration. But more likely it had to do with the nature of the two regimes. Borderlands were few in the landscape of the Cold War (most were peopled with guerilla armies shooting guns at each other). But Romania was a unique case of a country within the orbit of the Soviet Union, run by a cruel Communist dictator, but not completely closed. Ioanid does a good job explaining this context. Ceausescu needed Israel much more than Israel needed him (the Romanian dictator, apparently, even had a role in leading the way to the Israel-Egypt peace talks). The money he was receiving was too precious. And the points he earned in the West by allowing Jews to leave were too important to him. He also seems to have been a less ideologically committed Communist than the Russians. The Soviets couldn’t bear the thought of Jews leaving, because it undermined the fiction of the Soviet Union as a workers’ paradise that no one in their right mind would abandon. Ceausescu was more concerned with achieving a racially pure Romania, and the slow disappearance of its Jewish population only helped him reach that goal.

Can quiet diplomacy be justified, even if it helped prolong this evil? Dan and Marcu’s relations, although morally dubious, did open up opportunities, allowing many Jews to leave a stultifying environment. Ioanid doesn’t want to make an objective judgment about whether or not the sum total of this arrangement was an ultimate good, but one senses from his narrative that, in this case, redemption was worth the price.

Gal Beckerman is a freelance writer currently composing a history of the movement to free Jews from the Soviet Union, to be published by Houghton Mifflin.

Voir aussi:

‘You have to hang on’ 

Eugen Weber

The London Review of books

Vol. 23 No. 22

15 November 2001

Journal 1935-44

by Mihail Sebastian, translated by Patrick Camiller.

Heinemann, 641 pp., £20, September 2001, 0 434 88577 0

In June 1934, a young Romanian Jew published a book about being a Jew in Romania. Mihail Sebastian’s De Doua mii de ani (‘For 2000 Years’) was not an autobiography or a novel or a diary, although a bit of each. The hero, who is never named, lives the tragicomedy of assimilation in a land and a culture that both invite and repel. A rich country full of ragged people, Romania uneasily combined a 19th-century rural and suburban servitude with the sophistication of 20th-century Paris fashions and very mod mod cons. Politics was about patronage: Parliament was a den of time-servers and leeches, democracy a word but not an option, the monarchy a plaster on a wobbly leg. Home-bred troubles are better blamed on others, and the blame for arrogance and intellectual brilliance amid the wretchedness was assigned to Jews.

Even the well-intentioned saw Jews as a problem, and even the Jews, hardened to animosity, found the animadversions hard to bear. Sebastian himself shared the sentiments of a Magyar friend who by most criteria would have been better off away from Hungarian anti-semitism and the numerus clausus: ‘I feel that I would stifle if I didn’t live there, in that atmosphere, with those people. You have to understand: they are my memories, my language, my culture … It is not pleasant, sometimes it’s humiliating. But when you really love something, you love what is good and what is bad in a place. This too shall pass one day.’ It doesn’t pass, however. Like the maimed king Amfortas waiting to be touched by the Holy Spear, Sebastian’s hero lives with his open wound: ‘the consciousness of the sin of being a Jew’.

The error of the Jews, he reflects, is that they observe too much and think that they, too, are being observed, whereas the world is indifferent to them. So ‘try not to suffer. Do not give in to the relish of suffering. There’s great voluptuousness in persecution, and feeling wronged is probably the vainest of intimate pleasures. Be careful not to indulge in it.’

Other ‘Jewish’ novels had been published in Romania, but they had all met with public indifference. Sebastian’s novel might have shared their fate had it not been for its introduction, written by a well-known contemporary anti-semite, Nae Ionescu. Ionescu’s venomous preface, made more sensational by its context, wasn’t commissioned by the book’s publisher, as a footnote declares, but by its author, a longtime protégé of Ionescu’s. In 1931, returning from a spell of study in Paris determined to write a Jewish novel, Sebastian had asked his ‘director of conscience’ to write a preface to it. Cuvântul, the daily newspaper which Ionescu edited, was no more hostile to Jews than other publications. It mostly attacked the banks, the venal oligarchy and the no less venal police force that ruled the country. Ionescu himself had written appreciatively of Jews who ‘enriched the spiritual patrimony of mankind’, and had denied any nation’s right to oppress its minorities. But that was in the 1920s, and circumstances alter cases.

Ionescu was a professor of philosophy whose writings were crammed with references to Western literature and philosophy, who bought his clothes in London, his toiletries in Paris, his linen in Vienna and his Mercedes in Germany. He had started out as a Maurrasian monarchist and nationalist. Anti-rationalist, anti-capitalist, anti-Communist, he had long rejected anti-semitism as too negative, and adopted it only as an adjunct to a new-found românism and its Orthodox Christian spirit. He laid the country’s corruption and decay at the door of alien Western models ill-suited to Moldo-Wallachians, and fulminated against those persistent vectors of alienation: Jews. Jews could be good citizens, obey the law, pay taxes, serve in the Army, fight in wars. That made them ‘good Romanians’: it did not make them Romanians – organically connected to the soil and spirit of the race.

By 1933, Ionescu was dismissing assimilation as a sinister farce, a view he repeated in the rather convoluted introduction he handed Sebastian just in time for the book’s publication. Its gist was what Ionescu had been arguing for the past three years: a Jew could be, could feel, as Romanian as he liked; he would always be fundamentally a Jew. However sincere his supposed assimilation, however troubling anti-semitism might be to people who believed themselves to be truly Romanian, the ancient acrimony was a reminder that Jews had a different history, which included their rejection of Christ. From this predicament there could be no way out: ‘A problem implies a solution. Is there a solution to the Jewish problem?’ No there wasn’t. ‘The Jews suffer because they are Jews; they would stop being Jews when their suffering stops; they can’t escape suffering except by ceasing to be Jewish.’ But they can’t cease, said Ionescu, and Sebastian won’t: only the cold and the darkness awaited him.

In the introduction Ionescu addressed Sebastian by his real name: Joseph Hechter. Born in 1907 in Braila, on the Danube, Hechter had been a reader from the first: Maeterlinck at seven, Daudet, Dostoevsky, Maupassant, Sienkiewicz at nine, Munchhausen at ten, Barbusse, Conan Doyle. He was in love with literature, with the theatre and with poetry. Once he started writing, he collected rejection slips but got his first article into print before graduating from high school, and signed it Mihail Sebastian. Impressed by the boy’s style and cultivation, Ionescu, also a native of Braila, invited him to join the newspaper he edited in Bucharest.

Cuvântul (‘Word’) was one of a slew of political and literary dailies published in the years when paper and printing costs were low; its stable was full of bright young men, including Mircea Eliade (also born in 1907). Hechter jumped at the chance to leave his provincial backwater. He studied law, wrote frenetically, made friends, gossiped, travelled a lot on a free rail pass, learned to ski, slalomed through flirtations as he did through books (‘always a new Odette, a new Rachel’), and became a regular editor on the paper. Then, with Ionescu’s help, he got a Government grant to pursue his law studies in Paris.

By the time he returned, in 1931, Romanian politics had become more contentious. Previously, it had mostly been about gaining access to the public trough, but now a postwar generation, puerile, violent, romantic, shifted the skirmishing into the streets. Founded by the charismatic Corneliu Codreanu in the 1920s, the Legion of the Archangel Michael (also known as the Iron Guard) was a fellowship of poor students, patriots, brutes and dreamers close to the peasant roots that most Romanians shared, and heavily invested in the symbolism of Orthodox Christianity. The misery and discontent of the Depression turned the Legion into a mass movement. Codreanu and his followers had no platform (‘the country dies for lack of men, not programmes’) apart from demanding fraternity, dedication and sacrifice. And anti-semitism.

Romania’s problem was not just a lack of men who were sufficiently virile and self-sacrificing: the country was being suffocated by a surfeit of Jews, with their predatory activities compounding their parasitic presence. Accounting for 800,000 out of a total population of around 19 million, Jews were particularly visible in the regions of Moldavia, Bukovina and Bessarabia, and in towns where the large numbers working in universities, the professions and white-collar jobs aroused resentment. Native, endemic and matter-of-fact, anti-Jewish prejudice now became frenzied, and the student outbursts were brutal. In the spring of 1932, rioting closed down the university in Bucharest, and precipitated the dissolution of the Iron Guard, which now had Ionescu’s sympathy. In December 1933, an electoral campaign marked by Codreanu’s growing popularity and the murder or imprisonment of his followers provoked not so veiled calls for retaliation from Ionescu. When, on 29 December, an Iron Guard hit squad gunned down the new Prime Minister, Ion Duca, Ionescu, considered to be morally responsible, was thrown in jail, and Cuvântul suppressed. The promised preface to Sebastian’s book was written after his release in May 1934, and by now he was more vehement than ever. For Sebastian the preface was ‘a tragedy … a death sentence’. Yet he felt bound to print it, and the book appeared in June to a barrage of criticism from all sides.

Master and erstwhile disciple remained friends, however, just as Sebastian remained friends with other bigots who moderated their anti-semitism in his presence, or indulged it only in a kidding, casual way. He was now a barrister but seems to have lost most of his cases. He wrote freelance pieces for a theatrical weekly, Rampa (‘Footlights’), but also passionate articles against Fascism and its coloured shirts (how can you let your laundry do your thinking for you?). He experienced anti-semitic uproar in courtrooms and witnessed assaults on Jews. He talked with friends whose writings he admired, and heard them blaming the Jews for the country’s troubles: what was Communism but a Jewish imperialism? A friend denounced foreign films and said they should be banned. ‘We’re in Romania, they should speak Romanian.’ He heard Eliade, ‘passionate about the Iron Guard’, demand that the Foreign Minister, Titulescu, be machine-gunned, and strung up by the tongue, for colluding with the Russians. ‘Is friendship possible,’ he wondered, ‘with people who have in common a whole series of alien ideas and feelings?’ He blamed himself for being too supple and accommodating. He wrote his first play, The Holiday Game, and was given an editorial job at the Royal Foundations Review, which paid a decent wage – until he was fired following the anti-Jewish legislation of 1940.

In 1938, King Carol II, worried about the growing popularity of the Iron Guard, disbanded all political parties, arrested Codreanu and, in his wake, Ionescu and Eliade, and proclaimed a dictatorship. A tinpot despotism succeeded a tinpot monarchy as the international situation kept going downhill.

In May 1939, Sebastian was called up for military service outside Bucharest, and sought the hospitality of new friends: the Bibescus. A Frenchified descendant of an old princely family, Antoine Bibescu had married Herbert Asquith’s daughter, Elisabeth. Asquith, it seems, had taken the alliance badly. ‘For him,’ Bibescu remarked, ‘it was as if she had married a Chinaman.’ The prince, Sebastian adds, felt the same about Romanian society. Eccentric, a bit batty, raising hospitality to the level of an art, the Bibescus looked on Romania as a kind of barbarian province, a ‘weird and wonderful colony’ peopled by natives living curious lives.

Stationed near the castle belonging to the prince’s mother, Martha, Sebastian asked for a room where he could take refuge when the military day was over. Princess Martha was sorry but never having received an officer in her castle, she couldn’t invite a private soldier. Soothed by a cordial explanatory letter, Sebastian found other ways to complete his fifth novel, The Accident, while still in uniform. It was to be published at the beginning of 1940, but much happened in the intervening months.

On 2 September 1939, the day after the Germans invaded Poland, Sebastian has a ‘lugubrious’ lunch at Capsa, a fashionable café-restaurant, with a bunch of friends who joke and worry. He then spends the evening alone at home, reading Gide’s Journal. Dazed and disoriented, he tries to write but can’t. On 21 September, awaiting his turn to plead in court, he hears a woman whisper: ‘They’ve shot Armand Calinescu’ (the Prime Minister). The murderers were summarily executed at the scene of the ambush, a bridge across the Dâmbovita River, and their corpses displayed for the edification of the gaping crowds. Thousands came, pushing, shoving and joking, even paying to get a better view from one of the stepladders lugged up by people who lived nearby. ‘Don’t do it,’ a disgruntled voyeur warns Sebastian: ‘All you can see are their feet.’ The problem now was how to hibernate through the cold and darkness to come.

1 January 1940: ‘Mozart from Zürich. Let’s take it as a good sign for the coming year.’ Called up once more, Sebastian dreads the lice lurking in the seams of Army uniforms. He cajoles the colonel with gifts of books from the Royal Foundation, sleeps at home, reports to barracks at 9 (no roll call), goes off for lunch and doesn’t return until the following morning, or takes days off to go skiing. In February he is demobbed, the colonel threatening: ‘I won’t let you go until you’ve built a library for me.’ A few days later, he runs into Ionescu at a Walter Gieseking concert. Glad to see each other, the two men agree to visit soon. 15 March: Nae has died, aged 49 – ‘Nervous, uncontrollable sobbing.’ 1 April: Eliade is appointed cultural attaché in London. 10 April: Eliade leaves; the Germans occupy Denmark, land in Norway. 17 June: ‘France is laying down arms! … It’s as if someone close has died. You don’t understand, you don’t believe it’s happened … I should like to be able to cry.’

In September 1940, the disastrous Carol II abdicated, to be replaced by the new leader of a National Legionary state, General Ion Antonescu. The romanisation decrees that followed deprived Sebastian of his Foundation job and of his free rail pass and excluded him from the Bar, assigning him to forced agricultural labour. The entries for the next years are a litany of borrowing, scrounging and sponging.

Antonescu’s romanisation destroyed the country’s economy, but distributed prizes to the deserving. 2 January, 1941: ‘This morning I met Cioran in the street. He was glowing. “They’ve appointed me [cultural attaché in Paris]”.’ Corrupt but gentlemanly old-style politicians stole with whatever style they could muster; the Iron Guard robbed the country blind. The General blamed the Bolsheviks who had wormed their way into the Legion and, when the radical populist Legionnaires finally clashed with the Army in the rising of January 1941, he attributed it to ‘marginal and irresponsible elements’.

21 January, 1941: ‘Revolution? Coup d’état?’ Iron Guards march in the streets and young desperados, their hair sticking up, riot, loot and burn the Jewish quarters. ‘This evening I finished La Fontaine’s fables.’ The weather is incredibly fine. Far away, Tobruk had fallen. Nearer to home there is shooting, the telephone is cut off, the radio station keeps changing hands. The Jewish quarters look as if they have endured a major earthquake (Bucharest had suffered a bad one only two months before). Hundreds, or thousands, of Jews are dead (a footnote puts the number at 121); soldiers and Legionnaires have also died. ‘The Legion,’ Cioran tells a mutual friend, ‘wipes its arse with this country.’

The regime’s priorities were less sanitary; and Jews, as so often happens, were the first to pay the bill. 26 March 1941: Eugen Ionescu (the playwright Ionesco), ‘desperate, hunted, obsessed’, can’t bear the thought that he may be barred from teaching: ‘not even the name Ionescu, nor an indisputably Romanian father, nor the fact that he was born a Christian … can hide the curse of Jewish blood in his veins.’ That same month, Jewish houses and other possessions are expropriated, then in April radio sets are confiscated: no more music, no more news. 24 April: ‘The familiar voices from London were like friends’ voices, and it’s hard now that I have lost them.’

Teaching for a pittance in a Jewish college, Sebastian moves in with his parents. He had learned English so as to read Shakespeare in the original, and now he teaches a course on Shakespeare. Life is terrible, but he speculates about his next play, ‘a light comedy of politics and love’. Friends invite him out, but he finds the experience depressing. 15 June: ‘I feel my poverty, failure and disgrace as a physical humiliation.’ Jews, ‘even well-dressed Jews’, are being arrested in the streets. 1 June: ‘So long as Britain doesn’t surrender, there is room for hope.’ 2 June: ‘War, war, war; people talk of nothing else.’ Ionesco, ‘eaten up with panic’, can’t believe that Sebastian doubts it. Ionesco was right.

When Romania joins in the German invasion of Russia, the police put up posters depicting Jews holding a hammer and sickle, concealing Soviet soldiers: ‘Who are the masters of Bolshevism?’ 22 June: ‘The General announces holy war to liberate Bessarabia and Bukovina, and eradicate Bolshevism.’ A friend assures him that the Russians will be crushed in a couple of weeks. Bucharest is blacked out, the phones no longer work, buses no longer run, nor are there any taxis or private cars, except with a special permit. It’s ‘Yids to the labour camps!’ but ‘I go on reading Thucydides.’ There are rumours of a pogrom in Iasi, where half the 100,000 population is Jewish. A communiqué speaks of 500 Judeo-Freemasons being executed for aiding Soviet parachutists. Radu Ioanid, the author of a study of Jews in Antonescu’s Romania, estimates that 13,000 were killed. Sebastian lives a ‘dark, sombre, insane nightmare’, while reading War and Peace.

And it gets worse. 22 July: ‘They are going into Jewish homes – more or less at random – and carrying off sheets, pillows, shirts, pyjamas, blankets. Without explanation, without warning.’ By the autumn, Jews are required to contribute beds, bedding and items of personal clothing by the hundredweight. ‘No one is surprised any more at anything’; but ‘each day you wonder what they will think up next.’ Police round-ups are a constant threat. 3 September: ‘I jumped off the tram just in the nick of time.’ Orders can be followed by counter-orders: report to police headquarters, registration postponed; Jews to wear yellow star, countermanded. Deliberate or simply à la roumaine, the muddle is complete. ‘Exasperated, impotent, weary’, Sebastian escapes into Shakespeare’s Sonnets.

7 September: ‘You have to hang on.’ Jews may only shop between 10 and 12; they’re ordered to dismiss all their servants. The maid cries like a child. The family will have to sweep the floors, wash dishes, shop for themselves. 7 October: ‘Who will do the laundry?’ Jews are mobilised to clear the snow. Skis are confiscated, then bicycles. Jews draw smaller rations than Romanians and pay twice as much for what they get. All books by Jewish authors are removed from bookshops.

Even nightmares turn monotonous and even the darkness admits rays of light: a friend allows Mihail to come and listen to her records; a friendly theatre director suggests he should write a play to be staged under a false name; with some cash won playing poker he buys a Mozart quartet and Bach’s Third Brandenburg Concerto. Antoine Bibescu invites him to his estate at Corcova: ‘Bring your fountain pen.’ July 1942: The Germans advance on Rostov. ‘I opened Montaigne, couldn’t put it down. What delights!’

Even when the course of the war turns for the better, there are still good reasons to worry. February 1943: ‘The Russian offensive becomes catastrophic … Jews are once more threatened with extermination.’ 8 May: Bizerta and Tunis fall to the British, but a new antisemitic campaign looms. Sebastian’s mood swings from one day to another. He works flat out, translating, writing, rewriting, to rake in a bit of cash. Some days, ‘I don’t live, I drag along.’ Others, with the Bibescus, are blissful. When the time comes to rejoice over the fall of Fascism in Italy, there is cause to worry about the safety of an elder brother in France.

In December 1943 the anonymous play is accepted with enthusiasm, put into rehearsal and premiered in March 1944. Bucharest is bombed, and all who can flee the city. 8 April 1944: ‘no one is left but us.’ On the same day, ‘Mary, the young manicurist who used to come every Friday, was killed.’ The raids continued. 7 May: ‘the city smells of lilies and smoke’; he thinks of writing a book on Balzac. In August the Americans are at Rambouillet, the Russians at Iasi, his play hangs on, his brother is all right. Then, 29 August: ‘How shall I begin? Where shall I begin? The Russians are in Bucharest. Paris is free. Our house … has been destroyed by [German] bombs.’ 1 September: Russians rape, loot, rob (‘watches are the toys they like most’), but it isn’t tragic. ‘It’s not right that Romania should get off too lightly … In the end, the Russians are within their rights. The locals are disgusting – Jews and Romanians alike. The press is nauseating.’

Sebastian became a journalist again and the Royal Foundations Review invited him to resume his job; but he refused. In February 1945, he was appointed press secretary to the Foreign Office; in May he was appointed to teach a university course on Balzac. On 29 May, on the way to his first lecture, he was hit by a speeding truck [driven by a drunk Russian soldier] and killed. He was 38.

Jules Renard was one of Sebastian’s favourite writers. Reading Renard’s diary, the then 28-year-old Sebastian had reflected on the talent and the absurd death of the author of Poil de Carotte. The lines he wrote at the time could serve as his own epitaph: ‘That is the only kind of eternity that matters: to be more alive than a living person, and for the memory of you to be just as real as a physical presence.’

Voir également:

The Remarkable Ben Hecht

Mark Horowitz

NYT

April 17, 2019

BEN HECHT

Fighting Words, Moving Pictures

By Adina Hoffman

THE NOTORIOUS BEN HECHT

Iconoclastic Writer and Militant Zionist

By Julien Gorbach

For understandable reasons, biographies about Ben Hecht have focused almost exclusively on his screenwriting career in Hollywood. And why wouldn’t they? Consider a few of his credits: “Underworld,” directed by Josef von Sternberg, for which Hecht won the first Academy Award. (Not his first Academy Award, the first Academy Award ever given for best story. The year was 1927.) “Scarface,” “The Front Page,” “Twentieth Century,” “Design for Living,” “Wuthering Heights,” “His Girl Friday,” “Spellbound,” “Notorious.” And that’s just films with his name on them. Uncredited, he script-doctored countless others, including “Stagecoach,” “Gone With the Wind,” “A Star Is Born” (1937) and “Roman Holiday.”

Across four decades, Hecht worked on about 200 movies. He helped establish the ground rules for entire genres, including the gangster film, the newspaper picture, the screwball comedy and postwar film noir. Jean-Luc Godard said “he invented 80 percent of what is used in Hollywood movies today.”

However, what gets repeatedly overlooked, when historians and film buffs consider Hecht’s life, are his politics. That’s understandable too, given that he hated politics. Thanks to his early days as a Chicago newspaperman, he came to believe that all politicians were hopelessly corrupt. He was deeply cynical about the human condition, and didn’t take do-gooders seriously. He dismissed the fashionable leftism among Hollywood’s screenwriting elite as group therapy for intellectuals.

But unexpectedly, in middle age, Hecht dropped everything to become a propagandist and political organizer, in a nationwide campaign to pressure the Roosevelt administration to rescue the endangered Jews of Europe. His dramatic transformation surprised his friends and colleagues, and may reveal more about the man than any of his Hollywood successes.

Two new books finally give this chapter of his life the emphasis it deserves. “Ben Hecht: Fighting Words, Moving Pictures,” by Adina Hoffman, an accomplished literary biographer, and “The Notorious Ben Hecht: Iconoclastic Writer and Militant Zionist,” by the first-time author Julien Gorbach, a crime reporter turned journalism professor, both play down Hecht’s screenwriting in order to dig more deeply into his relatively unexplored Jewish side.

But as these biographies clearly show, Hecht’s Jewish American identity runs like a soundtrack through his entire life. He once joked that he became a Jew only in 1939, yet in fact he was pickled in Yiddishkeit from the beginning. Born on the Lower East Side, raised in the Midwest, he wrote novels, short stories and newspaper columns about Jews throughout his life; Sholom Aleichem was an enduring inspiration.

Hoffman’s book is part of the Yale Jewish Lives series of brief — in this case too brief — biographies. She condenses his film and theater career into a mere 50 pages or so, eager to get to the metamorphosis Hecht underwent on the eve of World War II. And that’s where she starts to draw closer to the man than any previous attempt.

What follows is a brisk, readable tour through Hecht’s wartime alliance with the right wing of the Zionist movement — the Revisionists led by Ze’ev Jabotinsky — and his support for the Irgun, their clandestine paramilitary affiliate, led by Jabotinsky’s young lieutenant Menachem Begin. She describes Hecht’s awkward lunch at the “21” Club in New York with a young Irgunist, a Palestinian Jew named Peter Bergson, who persuaded Hecht to help him create a Jewish army to fight against Hitler. Later, galvanized by news of the mass exterminations taking place in Europe, the team mounted a bold campaign to pressure the United States government to make the rescue of European Jewry a wartime priority. Their efforts were fought not only by Roosevelt and the State Department, but also by establishment Jewish groups, fearful that Judaizing the war would trigger more anti-Semitism. Jewish-owned newspapers like The New York Times and The Washington Post agreed, burying news of Hitler’s Final Solution.

Hecht wrote furious columns for the short-lived liberal newspaper PM, excoriating the passivity of American Jews. (His friend Groucho Marx congratulated him after one particularly angry screed. “That’s what we need,” Groucho wrote, “a little more belligerency, professor, and not quite so much cringing.”) Hecht also wrote a long exposé in The American Mercury called “The Extermination of the Jews,” later excerpted in Reader’s Digest. These were, Gorbach says, “the only substantive coverage” of the Holocaust “to appear in mass-circulation magazines.”

In order to make an end-run around the political and media establishment and bring the story directly to the American people, the Bergson group bought full-page ads in major newspapers, usually written by Hecht himself. “Action — Not Pity Can Save Millions Now!” was a typical headline.

Hecht also coaxed his famous actor, producer and musician friends to join him in mounting “We Will Never Die,” a large-scale pageant — essentially a supersize Broadway musical, written by Hecht, with a cast of hundreds. The production sold out Madison Square Garden, the Hollywood Bowl and venues across the country. Tens of thousands saw it. Hecht also wrote a pro-Irgun Broadway play, “A Flag Is Born,” with an unknown Marlon Brando playing a Jewish refugee. The box office receipts helped pay for a ship, rechristened the S.S. Ben Hecht, meant to smuggle displaced Jews into Palestine.

Every step of the way, the brashness of Hecht and Bergson was met with spectacular resistance from the more timid leaders of established Jewish organizations: Rabbi Stephen Wise even compared Bergson to Hitler. It didn’t matter. Public opinion was on their side and the campaign attracted the support of senators, congressmen and Supreme Court justices.

Hoffman ably synthesizes an unwieldy amount of material. But she is hamstrung by her dislike of Bergson and Hecht’s affiliation with the Revisionist movement, which evolved, after Israel’s founding, into the right-wing Likud party of Begin and Netanyahu. She unfairly treats Hecht as a bit of a crank in this regard, ignoring the fact that at the crucial moment, Bergson and the Revisionists were the only ones persistently raising the alarm and demanding a more aggressive American response to the tragedy.

Gorbach may be the weaker stylist, at times insightful while at other times too reliant on academic jargon and theory, but his is the deeper dive, and he comes up with a surprising amount of fresh material on Hecht’s activism.

By focusing on his politics, both biographies create a richer portrait, yet still struggle to fully explain Hecht. Gorbach comes closest, sensing that the cynicism that saturated his screenplays also somehow fueled his wartime politics. It wasn’t idealism. “Morality was a farce,” Hecht wrote. The criminal underworld he encountered as a city reporter struck him as the truest representation of humanity. The Holocaust didn’t surprise him. He had already predicted it in a prewar novella.

Hecht didn’t become a Jew in 1939; he became a Zionist. The genocide in Europe, Gorbach points out, along with the world’s failure to prevent it, “made the logic of Zionism real to him.” The world couldn’t be counted on. Jews had to defend themselves. “Today there are only two Jewish parties left in the field,” Hecht said after the war, during the Irgun’s campaign to drive the British out of Palestine, “the Terrorists — and the Terrified.”

He was always spoiling for a fight. Gorbach calls him a romantic. Hoffman calls him a defiant Jewish American. I’d call him a lifelong rebel who finally found his cause. Menachem Begin said it best: “Ben Hecht wielded his pen like a drawn sword.”


Société: Attention, un grand remplacement peut en cacher un autre ! (But what will we do with all the superfluous people when Big Tech’s mindless algorithms are able to teach, diagnose, design and vote better than us ?)

12 avril, 2021
Dans chaque crise, il y a une opportunité

Breaking Borders: "Lady Obama"

Editorial Cartoon by Pat Oliphant, Universal Press Syndicate on New Immigration Policy Imminent

C’est le combat de notre époque. Les forces de la liberté, de l’ouverture d’esprit et de la collaboration internationale contre les forces de l’autoritarisme, de l’isolationnisme et du nationalisme. Les forces du flux d’information, de l’échange et de l’immigration contre ceux qui leur font obstacle. Mark Zuckerberg
La Silicon Valley avait beaucoup d’intérêts en jeu dans cette présidentielle, notamment du fait de sa très forte dépendance vis-à-vis des travailleurs immigrants et par rapport au travail déporté dans des pays à faibles salaires. Cette seule situation est intolérable pour la « middle class » américaine, très touchée par le chômage, surtout les seniors, qui sont marginalisés et débarqués dans cette économie numérique basée sur un jeunisme brutal, qui exclut les plus âgés et qui se répand rapidement. Avec près de cinquante ans de stagnation de leurs revenus et de difficultés économiques, les prolétaires ruminaient en silence leur colère en espérant qu’Obama allait faire des miracles. Au final, ils se sentent les victimes du progrès numérique. Ils voulaient leur revanche de façon vraiment tranchée et à n’importe quel prix… Leur raisonnement : ces entreprises de la high-tech éliminent des emplois, en créent en dehors, génèrent d’énormes richesses, dont une très grosse partie hors des Etats-Unis, ne paient pas d’impôts sur ces richesses, qui ne profitent donc pas à la « middle class ». On estime à 58 % la part du chiffre d’affaires de la Silicon Valley en dehors des Etats-Unis, l’an dernier. La « Valley » ne se gêne pas pour faire un lobbying substantiel auprès des politiciens de Washington afin de servir ses intérêts. Et elle est donneuse de leçons. « Changer le monde » pour en faire un monde meilleur, mais pour qui ? Pour les centres de la high-tech et du showbiz de Californie, et c’est une bonne partie du 1 % de la population américaine le plus riche qui profite des progrès. Les thèmes qui ont occupé la Silicon Valley n’ont pas résonné avec le prolétariat. (…) la précarisation des emplois par les nouvelles plates-formes numériques, comme Uber, a provoqué des débats amers. L’avènement de l’intelligence artificielle a davantage crispé les esprits du fait de sa capacité à supprimer beaucoup d’emplois sans perspective d’en créer au moins autant de nouveaux. La high-tech de l’ère Obama n’a fait qu’inquiéter ou marginaliser le prolétariat américain. On voit qu’elle ne peut et ne pourra pas être « la » voie unique de salut pour les économies et les sociétés en difficulté. Georges Nahon
Dans chaque crise, il y a une opportunité. Proverbe chinois (?)
En chinois, le mot ‘crise’ est formé de deux caractères – l’un représente le danger, l’autre l’opportunité. (…) Avec le danger, la crise présente aussi une opportunité. John F. Kennedy (United Negro College, Indianapolis, 12.04. 1959)
Il y a une perception erronée répandue du public, en particulier dans le secteur New Age, selon laquelle le mot chinois pour ‘crise’ est composé d’éléments qui signifient ‘danger’ et ‘opportunité’. (…) Toute une industrie d’experts et de thérapeutes s’est développée autour de cette déclaration grossièrement inexacte. Une simple recherche sur le Web révèle plus d’un million de références à ce faux proverbe. Il apparaît, souvent accompagné de caractères chinois, sur les couvertures de livres, les publicités pour les séminaires, les cours onéreux pour ‘sortir des sentiers battus’, et pratiquement partout où l’on se tourne dans le monde des affaires rapides, de la psychologie pop et de la fumisterie orientaliste. Cette expression accrocheuse (Crise = Danger + Opportunité) est rapidement devenu presque aussi omniprésent que Le Tao de Pooh et L’Art de la guerre de Sun Zi pour ce que vous voulez. L’explication selon laquelle le mot chinois pour « crise » est composé de deux éléments signifiant danger et opportunité est due en partie à des vœux pieux, mais principalement à un malentendu fondamental sur la façon dont les termes sont formés en mandarin et dans d’autres langues sinitiques. (…) S’il est vrai que wēijī signifie en effet «crise» et que le wē La syllabe i de wēijī transmet la notion de «danger», la syllabe jī de wēijī ne signifie certainement pas «opportunité». (…) Le jī de wēijī, en fait, signifie quelque chose comme ‘moment naissant; point crucial (quand quelque chose commence ou change)’. Ainsi, un wēijī est bien une véritable crise, un moment dangereux, un moment où les choses commencent à mal tourner. Un wēijī indique une situation périlleuse où il faut surtout se méfier. Ce n’est pas un moment où l’on cherche des avantages et des bénéfices. En cas de crise, on veut avant tout sauver sa peau et sa tête ! Tout gourou en herbe qui prône l’opportunisme face à la crise doit être chassé de la ville sur un rail, car ses conseils ne feront qu’aggraver le danger de la crise. Victor H. Mair
Dans le cours des siècles, la science a infligé à l’égoïsme naïf de l’humanité deux graves démentis. La première fois, ce fut lorsqu’elle a montré que la terre, loin d’être le centre de l’univers, ne forme qu’une parcelle insignifiante du système cosmique dont nous pouvons à peine nous représenter la grandeur. Cette première démonstration se rattache pour nous au nom de Copernic, bien que la science alexandrine ait déjà annoncé quelque chose de semblable. Le second démenti fut infligé à l’humanité par la recherche biologique, lorsqu’elle a réduit à rien les prétentions de l’homme à une place privilégiée dans l’ordre de la création, en établissant sa descendance du règne animal et en montrant l’indestructibilité de sa nature animale. Cette dernière révolution s’est accomplie de nos jours, à la suite des travaux de Ch. Darwin, de Wallace et de leurs prédécesseurs, travaux qui ont provoqué la résistance la plus acharnée des contemporains. Un troisième démenti sera infligé à la mégalomanie humaine par la recherche psychologique de nos jours qui se propose de montrer au moi qu’il n’est seulement pas maître dans sa propre maison, qu’il en est réduit à se contenter de renseignements rares et fragmentaires sur ce qui se passe, en dehors de sa conscience, dans sa vie psychique. Les psychanalystes ne sont ni les premiers ni les seuls qui aient lancé cet appel à la modestie et au recueillement, mais c’est à eux que semble échoir la mission d’étendre cette manière de voir avec le plus d’ardeur et de produire à son appui des matériaux empruntés à l’expérience et accessibles à tous. D’où la levée générale de boucliers contre notre science, l’oubli de toutes les règles de politesse académique, le déchaînement d’une opposition qui secoue toutes les entraves d’une logique impartiale. Sigmund Freud (Introduction à la psychanalyse, 1916)
Freud a décrit trois grandes blessures historiques au narcissisme primaire du sujet humain égocentrique, qui essaie de tenir la panique à distance par le fantasme de l’exceptionnalisme humain. La première est la blessure copernicienne qui a enlevé la Terre elle-même, le monde natal de l’homme, du centre du cosmos et a en effet ouvert la voie à ce cosmos pour s’ouvrir dans un univers de temps et d’espaces inhumains et non-mélodiques. La science a fait cette coupe décentrée. La deuxième blessure est la darwinienne, qui a mis l’Homo sapiens fermement dans le monde des autres bestioles, essayant tous de gagner leur vie terrestre et évoluant ainsi les uns par rapport aux autres sans les garanties de panneaux directionnels qui culminent dans l’Homme. La science a également influé sur cette coupure cruelle. La troisième blessure est la freudienne, qui posait un inconscient qui annulait la primauté des processus conscients, y compris la raison qui réconfortait l’homme avec son excellence unique, avec de terribles conséquences pour la téléologie une fois de plus. La science semble aussi tenir cette lame. Je veux ajouter une quatrième blessure, l’informatique ou cyborgienne, qui imprègne la chair organique et technologique et fusionne également ce Grand Partage. Donna J. Haraway
Cela fait des siècles que vous volez et mentez. Vous seriez venus, dites-vous, pour nous civiliser. Vous avez méprisé nos langues, nos cultures, nos religions, humilié nos mémoires, souillé nos traditions. Du coeur de l’Afrique, de l’Asie et du Sud éveillé, les voix s’élèvent, vents d’humanité. Elles n’attendent ni repentance, ni pitié. Elles exigent vérité, justice et dignité. Attendez ! Attendez ! Mais qu’est-ce que vous croyez ? Que l’on va rester là assis à vous regarder ? Piller nos terres, nos richesses, nos minerais, vous laisser tranquillement écrire l’histoire et la coloniser ? Comme vous avez colonisé nos cultures, nos pays, nos continents, nos paysages, autant que nos esprits ? La mondialisation, c’est le nom donné à vous spoliations. Vous aimeriez habiller l’horreur de votre domination. En appelant vos citoyens à l’amour du pauvre et à la charité, vous parlez d’humanitaire, mais c’est la justice que vous trahissez. Vous avez fait de ces femmes et de ces hommes déshumanisés, niés, sans nom, sans âge, ni personne ds pauvres, des exilés, des êtres déracinés. Ici, ils se noient, là-bas, vous les enfermez. Ils sont combien à mourir tous les jours, tous les soirs sur les bateaux de la honte et du désespoir ? N’avez-vous donc pas honte, vous, d’en faire des criminels, des migrants coupables, sans cervelles ? Vous interdisez aux femmes et aux hommes de courage, de les secourir, de leur tendre la main, d’éviter les naufrages ! Fiers de vos richesses, de vos sociétés, si libres et si ouvertes. Vous dites le droit des riches qui détruit la nature et signe notre perte. Vous interdisez aux femmes et aux homes de courage, de les secourir, de leur tendre la main, d’éviter les naufrages ! Fiers de vos richesses, de vos sociétés, si libres et si ouvertes. Vous dites le droit des riches qui détruit a nature et signe notre perte. Vous êtes venus chez nous imposer des frontières de misère. Voilà qu’entre vous et nous, vous avez inventé ces murs sur la mer. Vous parlez de valeurs universelles, de démocratie et d’honneur. Dites, il ne reste donc plus une seule conscience dans l’élite des voleurs ? Vous avez le choix, nous ne l’avons pas. Soit vous partagez, soit on se servira. C’est écrit, n’est-ce pas, dans vos plus beaux traités, le pauvre, il n’est pas voleur, le pauvre et l’affamé. Le monde nous appartient autant qu’à vous, compagnons. La vérité, c’est que c’est plutôt nous qui lui appartenons. Souvenez-vous des Indiens d’Amérique quand, arrogants et avides, vous voliez la terre. Ils étaient à elle et non elle à eux. A cette sagesse, vous avez préféré l’argent et la guerre. Du fond de l’Afrique et de la l’Asie, au coeur des contrées les plus démunies, entendez le souffle des révoltes qui grondent, porteuses d’espoir, d’amour et de vie. Des peuples traversent la misère, restent fiers et dignes, et même ils se multiplient. Votre ordre et vos frontières n’auront raison ni de notre jeunesse, encore moins de la vie. Demain, dans vos rues, nous marcherons. libres et sereins, nous serons des vôtres, noirs, jaunes, blancs, arabes ou amérindiens, Demain, vos frontières seront le mauvais souvenir de vos mensonges passés. Demain, entendez, la fraternité et la diversité seront seuls garants de votre sécurité. Vous avez peur de perdre vos privilèges et votre identité. La mixité serait donc votre perte et bientôt vous serez sauvagement remplacés ? Dormez en paix, amis de l’égalité, nous ne sommes venus ni pour voler, ni pour remplacer. Au-delà des couleurs, des religions, nous sommes une bonne nouvelle, un vent d’humanité. Tariq Ramadan
Il ne faut jamais gaspiller une crise grave. Cette crise fournit l’occasion de réaliser des choses qu’on n’aurait pas pu faire avant. Rahm Emmanuel (directeur de cabinet de Barack Obama)
We can replace them. In Georgia, a chance to rebuke white nationalism. (…) Right now America is tearing itself apart as an embittered white conservative minority clings to power, terrified at being swamped by a new multiracial polyglot majority. The divide feels especially stark in Georgia, where the midterm election is a battle between Trumpist reaction and the multicultural America whose emergence the right is trying, at all costs, to forestall. (…) Abrams’s goal is to put together a coalition of African-American and other minority voters and white liberals. The potential is there; Georgia is less than 53 percent non-Hispanic white. “Georgia is a blue state if everybody votes,” DuBose Porter, chairman of the Democratic Party of Georgia, told me. Abrams’s opponent, the Georgia secretary of state Brian Kemp, ahead by a couple of percentage points in the polls, doesn’t want to see that happen. Last week, Rolling Stone obtained audio of Kemp telling donors of his “concern” about what might happen in Georgia “if everybody uses and exercises their right to vote.” As the secretary of state overseeing his own election, he’s taken steps to make that harder. His office has frozen new voter registrations for minor discrepancies with official records, and, starting in 2012, purged around 1.5 million people from the voter rolls — some simply because they didn’t vote in previous elections. He’s fighting a court order to stop rejecting absentee ballots over questions about the authenticity of their signatures. Kemp is the candidate of aggrieved whiteness. (…) Racists in Georgia, like racists all over America, are emboldened. (…) But the forces of democracy are rising, too. In Georgia’s highly diverse Seventh District, Carolyn Bourdeaux, part of the wave of women inspired to run for office by revulsion at Trump, is challenging Representative Rob Woodall, a Republican. Bourdeaux said that the Seventh, a majority-minority district with immigrants from all over the world, has been on the front lines of voter suppression. Nevertheless, her campaign said that early-voting turnout has reached presidential levels. On Saturday morning, Abrams closed by reminding the crowd of Kemp’s views on democracy. “He said he is concerned that if everyone eligible to vote in Georgia does so, he will lose this election,” she said. “Let’s prove him right.” In a week, American voters can do to white nationalists what they fear most. Show them they’re being replaced. Michelle Goldberg
D’ici deux ou trois cycles présidentiels, vous verrez – le soir des élections, on aura les 38 votes électoraux du Texas pour le candidat démocrate à la présidence. Les choses changent. Ca va devenir un état violet, puis un état bleu en raison de la démographie, en raison de la croissance démographique des gens venant de l’extérieur du Texas. Julian Castro (futur ministre d’Obama, 2013)
Appelons les choses par leur nom. C’est une tentative de toucher à la démographie de notre pays en sévissant contre les immigrants. Que cette menace vienne du président des États-Unis est profondément répréhensible et un affront à nos valeurs. Nous ne laisserons pas passer ça. Kamala Harris (2019)
Avec des taux de natalité historiquement élevés parmi les Palestiniens et un afflux possible de réfugiés palestiniens et de leurs descendants vivant maintenant dans le monde, les Juifs seraient rapidement une minorité au sein d’un État binational, mettant probablement fin à tout semblant d’égalité de représentation et de protection. En cette situation, la population juive serait de plus en plus vulnérable politiquement – et potentiellement physiquement. Il est irréaliste et inacceptable de s’attendre à ce que l’État d’Israël subvertisse volontairement sa propre souveraineté et son identité nationale et devienne une minorité vulnérable au sein de ce qui était autrefois son propre territoire. Ligue anti-diffamation
Le changement démographique est la clé des ambitions politiques du Parti démocrate. (…) C’est le secret de tout le débat sur l’immigration (…) Pour gagner et se maintenir au pouvoir, les Démocrates envisagent de changer la population du pays. Ils n’essaient plus de vous convaincre avec leur programme. Ils n’essaient évidemment pas d’améliorer votre vie. Ils ne se soucient même plus de votre vote. Leur objectif est de vous rendre inutile. (…) Quand vous changez qui vote, vous changez qui gagne. Ca n’a rien à voir intrinsèquement avec la race ou la nationalité. C’est la nature de la démocratie. C’est toujours vrai. Vous pouvez le voir se produire par vous-même et vous l’avez probablement vu. Partout dans le pays, nous avons vu d’énormes changements des résultats électoraux causés par le changement démographique. De nouvelles personnes entrent et votent différemment. En pratique, peu importe à quoi elles ressemblent ou d’où elles viennent. Tout ce qui compte, c’est qu’elles ont des opinions politiques différentes. Cela est tout aussi vrai que les migrants viennent de Brooklyn ou d’Oaxaca. Dans le Vermont, les progressistes blancs fuyant le désordre qu’ils ont créé à New York ont ​​rendu l’état bleu. Pas plus tard qu’en 1992, le Vermont était de manière fiable républicain, aussi difficile à croire que cela puisse paraitre. Le Vermont est maintenant une parodie du libéralisme de style de vie. C’est le changement démographique au travail. Vous voyez la même chose se produire dans l’État du New Hampshire lorsque les réfugiés du Massachusetts affluent vers le nord et apportent leurs mauvaises habitudes avec eux. Le Montana, l’Idaho et le Nevada sont tous confrontés à des problèmes similaires. Les bobos qui ont détruit la Californie ne restent pas là pour voir comment cela se termine. Ils courent vers les ternes refuges de Boise et Bozeman, déformant au fur et à mesure la culture locale et les marchés immobiliers. Bientôt, les gens qui sont nés dans les montagnes de l’Ouest ne pourront plus y vivre. Ils seront, oui, remplacés par des grosses fortunes, des professeurs de yoga et des vice-présidents de Google. Les beaux endroits risquent toujours d’être envahis par les pires personnes. Demandez à quiconque a grandi à Aspen. Mais dans la plupart des pays, c’est l’immigration en provenance d’autres nations plus que toute autre chose qui a conduit à la transformation politique. C’est différent de ce que nous avons vu dans des endroits comme le Vermont. Les Américains ont parfaitement le droit de déménager dans de nouveaux États s’ils le souhaitent, même s’ils ont d’ineptes opinions politiques. Mais nos dirigeants n’ont pas le droit d’encourager les étrangers à s’installer dans ce pays pour changer les résultats des élections. Faire cela est une attaque contre notre démocratie. Pourtant, pendant des décennies, nos dirigeants ont fait exactement cela, et ils continuent de le faire parce que ça marche. Prenons la Virginie. Les comtés de l’autre côté de la rivière Potomac de Washington constituent maintenant l’une des plus grandes communautés d’immigrants des États-Unis. La plupart de ces immigrants sont des gens travailleurs et décents. Nombre d’entre eux ont eu beaucoup de succès en affaires. Et tant mieux pour eux. Mais ils ont aussi une position politique très différente de celle des gens qui y vivaient. Leurs votes ont permis aux Démocrates de prendre le contrôle de l’État tout entier et de le transformer en quelque chose de méconnaissable. Le gouverneur, Blackface Klanrobes de Richmond doit sa place aux immigrants d’Arlington et de Falls Church. Des tendances similaires sont actuellement en cours en Géorgie, en Caroline du Nord et dans de nombreux autres États. L’immigration de masse augmente le pouvoir du Parti démocrate, point final. C’est la raison pour laquelle les Démocrates la soutiennent. C’est la seule raison. Si 200 000 immigrants de Pologne se présentaient demain à notre frontière sud, Kamala Harris ne leur promettrait pas de soins de santé. Pourquoi? Simple: les Polonais ont tendance à voter républicain. Voilà la différence. Les Démocrates expulseraient ces migrants immédiatement. Pas de lamentations sur l’Amérique nation d’immigrants. Des centaines de milliers d’électeurs républicains susceptibles de se masser à Tijuana seraient qualifiés de crise nationale. Nous aurions un mur frontalier d’ici mercredi. Pour les Démocrates, le but de l’immigration n’est pas de faire preuve de compassion envers les réfugiés, encore moins d’améliorer notre pays. Ce n’est certainement pas une question de justice raciale. L’immigration de masse fait du mal aux Afro-Américains, peut-être plus que tous. L’immigration est un moyen d’avantage électoral. C’est une question de pouvoir. Plus d’électeurs démocrates signifient plus de pouvoir pour les politiciens démocrates. C’est la leçon caractéristique de l’État de Californie. Entre 1948 et 1992, l’État de Californie a voté une seule fois pour un candidat démocrate à la présidentielle. Parmi les grands centres de population américains, contrairement à Chicago et à New York, la Californie était fidèlement et fièrement républicaine. Pendant huit ans, rien de moins qu’un Ronald Reagan a dirigé l’État. La Californie avait les meilleures écoles du pays, la meilleure infrastructure, la meilleure économie, sans parler du plus bel environnement national de la planète. La Californie était un modèle pour le monde. En 1980, Ronald Reagan, ancien gouverneur de Californie, est devenu président des États-Unis. Rétrospectivement, les choses après ça n’ont fait qu’empirer pour la Californie. Au milieu de son deuxième mandat, Reagan a signé quelque chose qui s’appelle la loi sur la réforme et le contrôle de l’immigration de 1986. Bien qu’il ne s’en soit probablement pas rendu compte à l’époque, cette loi a rendu les futurs Ronald Reagan impossibles. La loi sur la réforme et le contrôle de l’immigration a instauré une amnistie et une voie vers la citoyenneté pour près de trois millions de ressortissants étrangers vivant illégalement aux États-Unis. L’année suivante, par décret, Reagan a encore ajouté à ce nombre. Il a mis fin à la déportation de 100 000 autres mineurs illégaux, les “Rêveurs” de son temps. Le reste du monde a observé attentivement ce qui se passait. Les migrants potentiels du monde entier ont conclu qu’il n’y avait pas de vraie sanction contre les infractions aux lois américaines. En fait, il y avait une récompense. Reagan a également signé une loi qui obligeait les hôpitaux à fournir des soins médicaux gratuits quel que soit le statut d’immigration. La Cour suprême avait déjà garanti une éducation gratuite à toute personne qui se présentait sans visa. Donc: hôpitaux gratuits, écoles gratuites et amnistie si vous vous faites prendre. Pourquoi le reste du monde ne viendrait-il pas? Ils se sont empressés de le faire. Si jamais vous vous ennuyez, revenez en arrière et relisez la couverture du projet de loi d’amnistie de 1986 le jour où il a été adopté. Tout le monde à l’époque, dans les deux partis et dans les médias, a assuré aux Américains que la nouvelle loi contrôlerait notre frontière. Cela s’appelait la Loi sur la réforme et le contrôle de l’immigration après tout. Eh bien, c’est le contraire qui s’est passé: d’énormes nouvelles vagues de migrants sont arrivées immédiatement, dont beaucoup étaient illégales. La Californie a été transformée pratiquement du jour au lendemain en un État démocrate. En 1988, George H.W. Bush a remporté de justesse la Californie à l’élection présidentielle, mais aucun républicain n’a depuis gagné cet État. Aucun républicain ne gagnera jamais en Californie, pas de notre vivant. Il y a maintenant environ deux fois plus de Démocrates enregistrés en Californie que de Républicains. Il n’y a pas beaucoup de débat sur la façon dont cela s’est produit. Les comtés de Californie avec le pourcentage le plus élevé de Républicains sont, non par coïncidence, ceux avec qui ont le plus faible pourcentage d’immigrants et vice versa. La Californie a changé parce que la population a changé. L’analyse de l’élection présidentielle de 2012, par exemple, a montré que si vous viviez dans l’État de Californie en 1980, vous votiez probablement encore républicain. Votre point de vue n’avait pas vraiment changé. Mais au fur et à mesure que votre État se remplissait d’électeurs étrangers, vos opinions devenaient inutiles. Votre pouvoir politique, le pouvoir de contrôler votre propre vie, avait disparu avec l’arrivée de nouvelles personnes qui ont dilué votre vote. C’était tout le problème. Ce n’est pas de la démocratie, c’est de la triche. Imaginez un match de football où une équipe décide de commencer la troisième manche avec 40 joueurs supplémentaires sur le terrain. Considériez-vous cela juste ? Le Parti démocrate a fait quelque chose de très semblable dans l’État de Californie. Ils ont truqué le jeu avec plus de gens. Ils ont bourré non les urnes mais le nombre d’électeurs. En conséquence, les Américains qui ont grandi en Californie ont perdu leur droit le plus fondamental dans une démocratie, à savoir le droit de faire que leurs voix comptent. Cela est d’ailleurs vrai pour tous les Américains nés dans le pays, pas seulement pour les Républicains. Los Angeles a maintenant la plus grande population de Latinos en dehors de Mexico. Les blancs représentent moins de 30% de la population, contre plus de 90% en 1960. Mais un déclin moins remarqué s’est produit chez les Afro-Américains. Selon le démographe Joel Kotkin, au cours des 30 dernières années, la proportion de résidents noirs à Los Angeles a diminué de moitié. San Francisco n’est plus qu’à 5% noire; contre 13% en 1980. Vous avez beaucoup entendu parler ces derniers temps de la nécessité du pouvoir politique noir. En Californie, ce pouvoir s’évapore en raison de l’immigration massive. Les dirigeants démocrates ne mentionnent jamais cette tendance, mais c’est évident pour les gens qui y vivent. Un sondage a révélé que près de 60% des Noirs de Californie aimeraient beaucoup partir. Beaucoup l’ont déjà fait. L’exode des Californiens nés aux États-Unis de toutes les couleurs a commencé peu de temps après l’amnistie de 1986. Il est devenu une ruée panique. (…) Peu d’Américains s’installent aujourd’hui à Los Angeles. Pourtant, pour chaque Californien qui abandonne l’État, plusieurs autres personnes arrivent de pays étrangers. C’est pourquoi depuis 1990, la population totale de la Californie a augmenté de 10 millions de personnes. C’est l’équivalent d’un Michigan et d’une Caroline du Nord entiers en seulement 30 ans. C’est énormément de monde en très peu de temps. La plupart de ces nouveaux arrivants viennent de milieux pauvres. Leur niveau de vie augmente une fois qu’ils arrivent en Californie. L’État, cependant, est devenu beaucoup plus pauvre. En 1986, la Californie était la masse continentale la plus riche de sa taille au monde. La Californie compte désormais plus de pauvres que tout autre État du pays depuis cette année, selon les meilleures mesures disponibles du gouvernement fédéral. La Californie a un taux de pauvreté plus élevé que le Mississippi, en fait le plus élevé du pays. Comment en est-on arrivé là ? Dans un pays sain, un pays qui prône l’honnêteté, la libre enquête et la science sociale légitime, nous ne poserions pas cette question de toute urgence. Comment un endroit aussi idyllique que la Californie est-il devenu si misérable qu’un grand nombre de personnes qui y sont nées décident d’abandonner leurs maisons et de s’enfuir? Si vous vous souciez des États-Unis, vous voudriez connaître la réponse et vous assurer que cela ne se reproduise pas ailleurs. Pourtant, le Parti démocrate s’emploie à faire en sorte que cela se produise partout. Ce n’est pas une insulte. Ce n’est pas une supposition. Nous le savons parce qu’ils s’en vantent constamment. La gauche pète les plombs si vous faites remarquer que les électeurs américains sont remplacés par des loyalistes du Parti démocrate d’autres pays. Vous n’êtes absolument pas autorisés à dire cela, mais eux, ils ont le droit de le dire. Et ils le disent. Ils le disent tout le temps. Ils sortent des études là-dessus, écrivent de longs livres à ce sujet, en parlent à l’infini à la télévision, souvent dans les termes raciaux les plus crus. Ils n’ont pas du tout honte, ils ne pensent pas devoir avoir honte. À l’automne 2018, une chroniqueuse du New York Times a écrit un article qui s’intitulait littéralement « Nous pouvons les remplacer ». Au cas où vous vous demanderiez qui était le « eux », la tribune vous le disait explicitement. Grâce au changement démographique, l’auteure notait avec une approbation chaleureuse, l’état de Géorgie sera bientôt contrôlé par les Démocrates: « Le potentiel est là. La Géorgie est moins de 53 [%} non hispaniques blanche ». Encore une fois, c’est une éditorialiste du New York Times, pas un blogueur de QAnon. Ils vous disent que le remplacement démographique est une obsession de droite. Non, ce n’est pas vrai. Ils disent que c’est une horrible théorie du complot de droite, que la droite en est obsédée. Non, c’est la gauche qui en est obsédée. En fait, c’est l’idée centrale du Parti démocrate moderne. Le remplacement démographique est leur obsession car c’est leur chemin vers le pouvoir. En 2013, le futur secrétaire du Cabinet d’Obama, Julian Castro, est allé sur CBS pour expliquer pourquoi le Texas serait bientôt un État démocrate. (…) Personne n’a attaqué Julian Castro pour avoir dit cela. Personne n’a demandé qui pouvaient être ces ‘gens de l’extérieur du Texas’ ni pourquoi ils avaient le droit de contrôler l’avenir des personnes qui vivaient déjà au Texas. Personne n’en a dit un mot. Cela semblait normal, c’était normal, c’est toujours normal. À Washington, ce qui est choquant, c’est toute tentative réelle de protéger la démocratie. À l’été 2019, le président de l’époque, Donald Trump, a promis – à tort, comme cela s’est avéré – qu’il allait expulser un grand nombre de ressortissants étrangers vivant ici illégalement. La réponse de Kamala Harris à cela a été révélatrice. Elle aurait pu argumenter, comme le font souvent les Démocrates, que l’expulsion est cruelle et non américaine. Mais elle n’a pas dit ça. Au lieu de cela, elle a dit la vérité à ce sujet, « Appelons cela ce que c’est », a écrit Harris sur Twitter. « C’est une tentative de toucher à la démographie de notre pays en réprimant les immigrants. Que cette menace vienne du président des États-Unis est profondément répréhensible et un affront à nos valeurs. Nous ne laisserons pas passer ça. » Mais attendez une seconde, Trump avait annoncé qu’il expulsait des étrangers illégaux, qui ne sont pas autorisés à voter à nos élections. Ils ne sont même pas autorisés à vivre ici. En quoi les renvoyer dans leur propre pays était-il ‘une tentative de toucher à la démographie de notre pays’ ? Les étrangers illégaux ne devraient même pas compter dans la démographie de notre pays. Ce ne sont pas des Américains. La réponse de Kamala Harris n’a de sens que si vous pensez que les millions d’étrangers qui enfreignent nos lois pour vivre ici sont de futurs électeurs démocrates, et c’est exactement ce qu’elle croit. C’est choquant si vous y réfléchissez, et c’est pourquoi vous n’êtes pas autorisé à le penser. En pensant à ce que Kamala Harris envisage, Kamala Harris elle-même voudrait que vous sachiez, est profondément répréhensible et un affront à nos valeurs. En d’autres termes, soumettez-vous à notre projet sinon vous êtes immoral. Si vous entendiez des personnes éminentes parler ainsi dans n’importe quel autre pays, vous seriez confus. La classe dirigeante d’une nation admettant qu’elle espère remplacer ses propres citoyens semble grotesque. Si vous croyez en la démocratie, vous devez tout faire pour protéger le pouvoir du vote de chaque citoyen, évidemment. Vous vous demandez si les gens débattent même de questions comme celle-ci dans des pays qui ne se détestent pas, comme le Japon, la Corée du Sud ou Israël. Rendez-vous sur le site Web de l’Anti-Defamation League (ADL) si vous souhaitez avoir un aperçu de ce à quoi pourrait ressembler une conversation normale sur l’intérêt national d’un pays. Dans un court essai posté sur le site, l’ADL explique pourquoi l’État d’Israël ne devrait pas permettre à plus d’Arabes de devenir citoyens avec le droit de vote (…) Maintenant, du point de vue d’Israël, cela est parfaitement logique. Pourquoi une nation démocratique rendrait-elle ses propres citoyens moins puissants? N’est-ce pas la trahison la plus profonde de toutes? Pour reprendre les termes de l’ADL, pourquoi un gouvernement subvertirait-il sa propre souveraineté? (…) La plupart des Américains le croient. Malheureusement, la plupart des Américains n’ont pas leur mot à dire en la matière. La plupart des Américains ne sont même pas autorisés à avoir ce genre de conversation. Ils restent donc sur la touche à regarder leur démocratie assassinée par des gens qui prétendent en être les défenseurs. « Démocratie! Démocratie! Démocratie! » hurle la foule de Twitter, alors même que les votes des personnes qui sont nées ici perdent régulièrement de leur valeur – dilués et de plus en plus sans valeur, comme le dollar américain. C’est ce à quoi cela ressemble quand une population autochtone entière – noirs comme blancs, mais ils sont tous américains – est systématiquement privée de ses droits. Les Américains de la classe moyenne perdent de leur pouvoir chaque année. Ils ont moins de pouvoir économique et, grâce à l’immigration de masse, ils ont désormais moins de pouvoir politique. Les dirigeants qui apportent ces changements n’ont aucune sympathie pour leurs victimes. Ils blâment le pays pour ses propres souffrances. Tucker Carlson
We’ve been touting the socialist agenda now for more than two years, and everything we warned voters about is coming to fruition . We warned voters that Biden would destroy energy jobs, and Biden did that on day one. We warned voters that Biden would destroy the border, and we’re seeing a border crisis unfold before our very eyes. That all makes taking back the House within our reach, and we’re going to be reminding voters of Biden’s socialist agenda day in and day out. Michael McAdams (National Republican Congressional Committee)
While Democrats are still on a “sugar high” from the coronavirus relief bill, when that wears off and as the Biden administration tries to push through additional legislation, Republicans are hopeful they can exact a political price. At some point in time, the tide will turn against them. What’s really going to hurt Democrats is wild spending and policies that are just out of step with most Americans. It’s classic Democratic overreach. Doug Andres (press secretary for Senate Minority Leader Mitch McConnell)
The biggest issue right now where I think Democrats are way over their skis is immigration. Democrats saw the 2020 election as a repudiation of all of Trump’s policies and all of the Republicans’ policies, when, in fact, the things we’ve proposed on immigration are very popular, in a way that not just unifies our base, but also helps us bring back a lot of the moderates and independents and Hispanic voters. Chris Hartline (National Republican Senatorial Committee)
Like Roosevelt understood during the Great Depression, Joe Biden understands this country today faces a series of unprecedented crises. What Joe Biden concluded is that if his administration is going to mean anything, it has got to think big, not small, and it has got to address these unprecedented crises in an unprecedented way. In that regard, he is off to a very, very good start. Sen. Bernie Sanders (I-Vt.)
If President Biden gets his way, the national minimum wage will be $15 an hour, immigrants without legal status will receive an eight-year path to citizenship, firearms will be harder to purchase, votes will be easier to cast and Americans will head back to work in 10 million new clean-energy jobs. And that’s just the beginning. Since taking office, Biden has outlined a sweeping agenda that has delighted members of the party’s liberal wing, who were skeptical that a former Senate institutionalist known for moderation would push through policies aimed at transforming the nation. The first big victory came this past week, when Democrats approved an expansive $1.9 trillion coronavirus relief bill containing numerous long-sought liberal initiatives. (…) But Biden’s broad ambitions — especially on issues such as climate change and immigration — could also backfire, putting moderate Democrats at risk in the 2022 midterms and giving Republicans ammunition to portray the president as a left-leaning radical. Some Democrats are already raising alarms about the scale of some of Biden’s proposals on immigration and infrastructure, casting doubt on their prospects. (…) The coronavirus package, for instance, not only provides $1,400 checks to many struggling Americans and money to help ensure that the nation can be fully vaccinated by the end of the year, but it also extends unemployment insurance, helps bail out roughly 185 union pension plans on the verge of collapse, provides aid and debt relief to disadvantaged black farmers and seeks to cut U.S. childhood poverty in half through expanded tax credits. But there are concerns about the prospects of preserving party unity — and winning over Republicans — as Biden’s agenda moves toward issues that historically have been more divisive. (…) There is some amount of irony that Biden, who was among the most moderate Democrats in a sprawling field of some two dozen presidential contenders, has emerged as a liberal champion. And the next phase of Biden’s presidency will also test his ability to use a more understated demeanor to sell policies that restructure broad swaths of the U.S. economy and social policy. (…) Biden has moved more aggressively on climate change than almost any other front, using his executive authority to curb fossil fuel development starting on his first day in office. These policies have thrilled liberals, but could put centrist Democrats in a difficult position if the administration cannot deliver on its promise to generate new jobs for Americans dependent on oil, gas and coal, along with other industries, such as logging. Within hours of his inauguration, Biden vetoed the Keystone XL pipeline project and recommitted the United States to the global climate accord forged in Paris in 2015. Days later, he halted all new oil and gas leasing on federal land. Those measures, along with a raft of other policies that will place a priority on curbing greenhouse gas emissions linked to climate change, have already prompted pushback from business groups and many Republicans, as well as some Democrats in oil- and gas-producing states. On immigration, Biden immediately reversed some of Trump’s policies. He ended the ban on travel from Muslim-majority countries, and he rescinded the emergency order that was used to fund the wall along the Mexican border. But he also wants to provide a pathway to citizenship for nearly 11 million undocumented immigrants, expand the number of visas and green cards, and make it easier for asylum seekers to enter the United States. The Washington Post
Au moment où nous écrivons ces lignes (juin 2020), la pandémie continue de s’aggraver à l’échelle mondiale. Beaucoup d’entre nous se demandent quand les choses reviendront à la normale. Pour faire court, la réponse est : jamais. La normalité d’avant la crise est ‘brisée’ et rien ne nous y ramènera, car la pandémie de coronavirus marque un point d’inflexion fondamental dans notre trajectoire mondiale. Certains analystes parlent d’une bifurcation majeure, d’autres évoquent une crise profonde aux proportions ‘bibliques’, mais la substance reste la même : le monde tel que nous le connaissions pendant les premiers mois de 2020 n’est plus, dissous dans le contexte de la pandémie. Nous allons faire face à des changements radicaux d’une telle importance que certains experts parlent d’ères ‘avant coronavirus’ et ‘après coronavirus’. Nous continuerons à être surpris par la rapidité et la nature inattendue de ces changements – car, en se rajoutant les uns aux autres, ils provoqueront des conséquences de deuxième, troisième, quatrième ordre et plus, des effets en cascade et des répercussions imprévues. Ce faisant, ils formeront une ‘nouvelle normalité’ radicalement différente de celle que nous allons progressivement laisser derrière nous. Beaucoup de nos croyances et de nos hypothèses sur ce à quoi le monde pourrait ou devrait ressembler seront ébranlées au passage. Klaus Schwab et Thierry Malleret
Nous avons besoin d’une ‘Grande remise à zéro’ du capitalisme. (..) De nombreuses raisons justifient de lancer cette Grande remise à zéro, mais la plus urgente est la COVID-19. (…) Elle aura de graves conséquences à long terme sur la croissance économique, la dette publique, l’emploi et le bien-être humain. (…)Tout cela va aggraver les crises climatiques et sociales déjà en cours. (…) Des mesures incrémentielles et des solutions ad hoc ne suffiront pas à empêcher ce scénario. Nous devons construire des fondations entièrement nouvelles pour nos systèmes économiques et sociaux. Le niveau de coopération et d’ambition que cela implique est sans précédent. Mais il ne s’agit pas d’un rêve impossible. En effet, un des points positifs de la pandémie est qu’elle a montré à quelle vitesse nous pouvions apporter des changements radicaux à nos modes de vie. Presque instantanément, la crise a contraint les entreprises et les particuliers à abandonner des pratiques longtemps considérées comme essentielles, des voyages aériens fréquents au travail dans un bureau. De même, les populations ont massivement montré leur volonté de faire des sacrifices au nom des travailleurs de la santé et autres professions essentielles, ainsi que des populations vulnérables, telles que les personnes âgées. (…) De toute évidence, la volonté de construire une société meilleure existe. Nous devons l’utiliser pour mettre en application la Grande remise à zéro dont nous avons tant besoin. Cela nécessitera des gouvernements plus forts et plus efficaces. (…) Imaginez ce qui serait possible si de tels efforts étaient déployés dans tous les secteurs. (…) Aux quatre coins du monde, chaque facette de la vie des gens est affectée par la crise de COVID-19. Mais elle ne peut pas uniquement être synonyme de tragédie. Au contraire, la pandémie représente une fenêtre d’opportunité rare mais étroite pour repenser, réinventer et réinitialiser notre monde afin de créer un avenir plus sain, plus équitable et plus prospère. Klaus Schwab
Ce pays est trop vieux pour lui. Pas assez digital, pas assez mobile, trop classique, trop provincial. Il veut le refaire, le réformer, il y tient, ce sera au forceps. C’est son reset à lui et son cancel intime. Il est d’un autre monde, le monde à venir, le monde numérique.  Philippe de Villiers
C’est un effondrement de civilisation qui a été accéléré par le Covid. Nos gouvernants ressemblent à un chirurgien qui convoquerait son patient pour lui ouvrir le ventre une troisième fois. Nous subissons un ‘juin 1940 sanitaire’. Nous sommes le seul pays du Conseil de sécurité de l’ONU qui n’a pas trouvé son vaccin. La start-up nation est en Ehpad, sous perfusion. Nous avons déchiré les tissus de la France industrieuse et Emmanuel Macron a laissé s’installer un mur invisible entre la société française et une contre-société vindicative. Je lui avais dit : ‘Le prochain président sera jugé non pas sur ce qu’il aura changé mais sur ce qu’il aura sauvé, c’est-à-dire les murs porteurs.’ Or, aujourd’hui, les murs porteurs – l’autorité, la liberté, l’identité, la souveraineté – se sont écroulés. Le décolonialisme, la cancel culture, le racialisme, l’indigénisme désignent un phénomène qu’il faut oser qualifier : c’est la colonisation de la France. Une colonisation de peuplement avec un différentiel démographique défavorable. Une colonisation de conquête : déjà 200 à 300 territoires sur notre sol ne sont plus français. Et une colonisation des esprits : les assaillants veulent obtenir la récusation de l’héritage par les héritiers. Et les assaillis – nos élites – ne croient plus que la France vaut encore la peine d’être défendue comme figure de l’Histoire et communauté de destin. Ils parlent de la laïcité, de la république, jamais de la France. (…) Rien n’est irréversible. Mais je constate un véritable renversement de civilisation. Nous entrons dans un monde où l’on sacrifie la jeunesse, la transmission au nom du tout-sanitaire, où l’on sacrifie la société de voisinage au nom du tout-numérique et où l’on dénature l’espèce humaine au nom du posthumanisme. Avec la pandémie, la classe dirigeante a goûté au contrôle total et les géants du numérique veulent en finir avec tout ce qui entrave la digitalisation, en priorité l’économie traditionnelle de proximité, c’est-à-dire les métiers de la main et du cœur. Le programme est annoncé noir sur blanc dans le manifeste de Davos, intitulé Covid-19 : la grande réinitialisation, où il est écrit : « Beaucoup d’entre nous se demandent quand les choses reviendront à la normale. La réponse est : jamais ! » Ce livre, paru le 2 juin 2020, perçoit la pandémie comme ‘une fenêtre d’opportunité pour réinitialiser notre monde’, c’est-à-dire livrer notre for intime aux algorithmes. C’est l’équivalent du Manifeste du Parti communiste de 1848. (…) Je ne crois pas au complot. Il y a juste la feuille de route des grands rentiers du Web. Je ne dis pas que le virus a été inventé, mais qu’il a été accueilli par la Big Tech comme une ‘fenêtre d’opportunité’, selon le mot du patron de Davos. Ils imposent aux États une suzeraineté à partir de leurs cyber-fiefs. Avec une théophanie numérique, une religion, une conception du monde, qui entend imposer aux entreprises une ‘charte éthique’ mettant en pratique la ‘cancel culture’, au nom des minorités et du climat. Ils installent ce qu’ils appellent eux-mêmes un ‘capitalisme de surveillance’, avec de nouveaux maîtres, de nouveaux sujets, les serfs de la glèbe numérique, et une nouvelle manière de vivre : la société distanciée.  Philippe de Villiers
Le nouveau système de suivi de la santé reproductive d’Apple, disponible sur un iPhone près de chez vous à partir de cet automne, fera exactement cela: enregistrer la fréquence sexuelle et si une protection a été utilisée. Une telle technologie profitera vraisemblablement à certaines personnes, telles que celles qui essaient de concevoir, mais je ne suis pas sûr de l’utilité de cette application pour l’utilisateur moyen, au-delà du remplacement de l’encoche traditionnelle sur le pied de lit. (…) Nos téléphones commencent à jouer le rôle de substituts de conscience, de pères-confesseurs, de porte-parole de nos cortex préfrontaux. Nous voulons leur approbation: «Douze rencontres sexuelles cette semaine, toutes avec préservatifs – bravo! Vous faites partie du 20e centile supérieur des personnes ayant des relations sexuelles sûres et fréquentes! » J’ai complètement inventé cette dernière phrase, bien sûr, mais si la surveillance électronique de nos habitudes sexuelles s’avère populaire, ce n’est qu’un petit pas pour élargir l’échelle: «Bravo, bête de sexe. Vous avez essayé la privation sensorielle érotique et le jeu de fétichisme de vinyle cette semaine … vous êtes bien parti.  » Et si la surveillance visuelle devient une fonctionnalité supplémentaire, pensez à la prochaine courbe d’apprentissage que nous allons rencontrer; je ne sais pas pour vous, mais je suis loin de gérer la fellation en brandissant une perche à selfie. La surveillance électronique de toute activité peut modifier subtilement le comportement et les processus cognitifs d’une personne. Cela peut être une chose positive – comme, par exemple, aider à réduire l’obésité en mesurant l’équilibre entre l’exercice et l’apport alimentaire. Mais dans le cas de la surveillance sexuelle, le système d’échelle et de récompense refléterait les goûts, les préjugés et les croyances des programmeurs sur ce qui constitue une «sexualité saine». Et ces opinions pourraient ne pas être psychosexuellement, culturellement ou même médicalement sain pour les personnes qui utilisent les programmes. (…) Il serait très malheureux que nos téléphones nous encouragent à nous livrer à une activité sexuelle simplement pour mettre un autre Smiley dans la case «Je l’ai fait aujourd’hui», ou pour battre un ami compétitif qui a cartonné ce week-end. The Guardian
A Une nouvelle application iOS appelée « Date limite » prédit la date et l’heure de votre décès en fonction des données d’Apple HealthKit. Fournissez à l’application des informations de base sur vos antécédents médicaux et votre mode de vie, et elle vous crache la date qui pourrait apparaître sur votre pierre tombale, ainsi qu’un compte à rebours qui vous permet de regarder les secondes s’évaporer dans le regret. Malgré son logo, un oiseau mort en silhouette les pattes en l’air, les objectifs de l’application sont tout sauf morbides. «Considérez cela comme un moyen de vous motiver à être en meilleure santé», lit-on dans la description, même si elle ajoute tout de suite pour se protéger que sa prédiction n’est qu’une estimation statistique et que les visites régulières chez le médecin sont toujours une bonne idée. (…) La bonne nouvelle est que l’application prolongera votre durée de vie prévue si vous adoptez des habitudes plus saines. Son approche de la motivation convient donc à la fois aux utilisateurs qui réagissent au renforcement négatif et à ceux qui ont besoin d’un peu de motivation pour se rendre à la salle de sport. Time
While computerisation has been historically confined to routine tasks in-volving explicit rulebased activities, algorithms for big data are now rapidly entering domains reliant upon pattern recognition and can readily substitute for labour in a wide range of non-routine cognitive tasks. Inaddition, advanced robots are gaining en-hanced senses and dexterity, allowing them to perform a broader scope of manual tasks. This is likely to change the nature of work across industries and occupations. In this paper, we ask the question: how susceptible are current jobs to the set echnological developments? To assesst his, we implement a novel methodology to estimate the probability of computerisation for 702 detailed occupations. Based on these estimates, we examine expected impacts of future computerisation on labour market outcomes, with the pri-mary objective of analysing the number of jobs at risk and the relationship between an occupation’s probability of computerisation, wages and educational attainment. (…) According to our estimates around 47 percent of total us employment is in the high risk category. We refer to these as jobs at risk –i.e.jobs we expect could be automated relatively soon, perhaps over the next decade or two. Our model predicts that most workers in transportation and logistics occupations, together with the bulk of office and administrative support workers, and labour in production occupations, are at risk. These findings are consistent with recent technological developments documented in the literature. More surprisingly, we find that a substantial share of employment in service occupations, where most us job growth has occurred over the past decades, are highly susceptible to computerisation. Additional support for this finding is provided by the recent growth in the market for service robots and the gradually diminishment of the comparative advantage of human labour in tasks involving mobility and dexterity. Finally, we provide evidence that wages and educational attainment exhibit a strong negative relationship with the probability of computerisation. We note that this finding implies a discontinuity between the nineteenth, twentieth and the twenty-first century, in the impact of capital deepening on the relative demand for skilled labour. While nineteenth century manufacturing technologies largely substituted for skilled labour through the simplification of tasks, the Computer Revolution of the twentieth century caused a hollowing-out of middle-income jobs. Our model predicts a truncation in the current trend towards labour market polarisation, with computerisation being principally confined to low-skill and low-wage occupations. Our findings thus imply that as technology races ahead, low-skill workers will reallocate to tasks that are non-susceptible to computerisation – i.e., tasks requiring creative and social intelligence. For workers to win the race, however, they will have to acquire creative and social skills. Carl Benedikt Frey and Michael A. Osborne (2013)
Les gens ordinaires ont certes gagné la bataille culturelle, mais économiquement et socialement on est encore loin du compte. Ce qui se prépare, et qui est déjà à l’œuvre, ce sont partout des plans sociaux. Bravo, les technocrates français, d’avoir tout misé sur l’aéronautique, le tourisme, etc. ! (…) À un moment où tout le monde pensait que seule la classe ouvrière allait souffrir. Une classe ouvrière que la gauche avait déjà abandonnée. C’est pourquoi je commence mon livre avec la phrase de Pierre Mauroy qui constate que le mot « ouvrier » a disparu du discours des socialistes. Sauf que, après que les ouvriers ont été touchés, il y a eu les employés, puis les paysans, ensuite les indépendants, les petits retraités… C’était une fusée à plusieurs étages. (…) Politiquement, il y a donc un décalage entre la prise de conscience de la population et le seul choix qui leur est proposé aujourd’hui, à savoir départager Macron et l’extrême droite… (…) [Mais] D’abord, il s’agit de ne pas sombrer dans le pessimisme. Tout est fait pour dire aux gens qu’ils ne sont rien. Par ailleurs, nous ne sommes pas dans une période de révolution, mais dans une sorte de guérilla culturelle. C’est long, la guérilla, mais les choses progressent. Même chez ceux qui dénonçaient le concept de France périphérique et qui maintenant utilisent l’expression. Même chez un Macron : il nomme un Premier ministre dont on nous vante l’accent ! Et puis, le totalitarisme, même « adouci », n’est pas durable. Quand la masse n’y croit plus, ça ne tient pas. Et là, déjà, ça craque. Le modèle économique n’est plus durable. Il ne peut perdurer longtemps grâce à ses derniers bastions que sont les métropoles et quelques secteurs d’activité. Prenons le revenu universel : donner aux gens de l’argent pour remplir leur Caddie chez Lidl, ce n’est pas répondre à leurs aspirations. Réindustrialiser, c’est évidemment faire du protectionnisme – un gros mot. Ça prendra du temps, mais ça se fera. La question de l’Europe, c’est pareil. Les choses sont en train de s’écrouler. Plus personne n’y croit. On fait porter aux catégories populaires la défiance de l’Europe. Mais c’est faux. Ils ont joué le jeu. Comme ils ont joué le jeu de la mondialisation. On pourrait même dire qu’ils ont joué le jeu du néolibéralisme, inconsciemment. Et puis, ils font le bilan : le compte n’y est pas, ça ne marche pas. Toutes les croyances anciennes ne fonctionnent plus. On peut aller plus loin : l’instrumentalisation de l’écologie, le diversity washing, les gens voient bien que ça ne repose sur rien. On est donc à la veille d’un renversement culturel. (…) Je connais les techniques de délégitimation. J’en ai été la victime avec le concept de France périphérique. Ça non plus, ça ne fonctionne plus. Les catégories populaires ont fait confiance à leurs élites, elles ont cru aux médias. Les gens sont d’ailleurs prêts à aller vers leurs élites. Il n’y a pas intrinsèquement d’anti-intellectualisme ou d’anti-élitisme, pas de rejet a priori. Il y a juste des gens qui font le constat que les élites d’aujourd’hui n’ont plus le bien commun chevillé au corps. Christophe Guilluy
Il est peu probable que les nouvelles religions émergeront des grottes d’Afghanistan ou des madrasas du Moyen-Orient. Elles sortiront plutôt des laboratoires de recherche. De même que le socialisme s’est emparé du monde en lui promettant le salut par la vapeur et l’électricité, dans les prochaines décennies les nouvelles techno-religions conquerront peut-être le monde en promettant le salut par les algorithmes et les gènes. Yuval Harari
Que feront les humains conscients le jour où nous aurons des algorithmes non conscients, capables de presque tout faire mieux que nous ? (…) Ces dernières décennies, les pays ont connu une autre révolution, le déclin des emplois industriels, accompagné d’un essor des services. En 2010, 2 % seulement des Américains travaillaient dans l’agriculture, 20 % dans l’industrie, et 78 % comme enseignants, médecins, web designers, etc. Que ferons-nous quand des algorithmes stupides seront capables d’enseigner, de diagnostiquer et de dessiner mieux que des êtres humains ? (…) Tandis que les algorithmes chassent les hommes du marché du travail, la richesse et le pouvoir pourraient bien se concentrer entre les mains de la minuscule élite qui possède les algorithmes tout-puissants, ce qui créerait une inégalité sociale et politique sans précédent. (…) L’aubaine technologique à venir permettra probablement de nourrir et d’entretenir ces masses inutiles sans qu’elles aient même à lever le petit doigt. Mais qu’est-ce qui pourra les tenir occupées et les satisfaire ? Les gens ont besoin de faire quelque chose, sous peine de devenir fous. Que feront-ils de leurs journées ? La drogue ou les jeux vidéo pourraient être une des réponses. Les inutiles pourraient passer toujours plus de temps dans les mondes de la réalité virtuelle en 3D, qui leur procurerait bien plus d’excitation et d’intensité émotionnelle que la glauque réalité extérieure. Une telle évolution porterait cependant un coup mortel à la croyance libérale au caractère sacré de la vie et des expériences humaines. Qu’y a-t-il de sacré dans des clochards qui passent leurs journées à se gaver d’expériences artificielles dans La La Land ? (…) Google nous conseillera quel film voir, où aller en vacances, quelle matière étudier à la fac, quelle offre d’emploi accepter, voire avec qui sortir et qui épouser. (…) En échange de conseils aussi précieux, il nous faudra simplement renoncer à l’idée que les êtres humains sont des individus, que chaque humain a son libre arbitre pour déterminer ce qui est bien, ce qui est beau, et le sens de la vie. (…) Des coutumes libérales comme les élections démocratiques vont devenir obsolètes : Google saura même représenter mes opinions politiques mieux que moi. (…) Comment Facebook pourrait-il obtenir ces données politiques d’une valeur inestimable ? C’est nous qui les lui donnons gratuitement. À l’apogée de l’impérialisme européen, conquistadors et marchands achetaient des îles et des contrées entières contre des perles de couleur. Au XXIe siècle, nos données personnelles sont probablement la ressource la plus précieuse que la plupart des humains puissent encore offrir, et nous les donnons aux géants de la technologie en échange de services de messagerie et de vidéos de chats. Yuval Hariri

Attention, un grand remplacement peut en cacher un autre !

A l’heure où se mettant au slam décolonial, l’islamiste Tariq Ramadan

Moque la peur de perte d’identité et du grand remplacement …

De ceux qu’il somme de « partager » sinon « il se servira » …

Et où à défaut de bourrage des urnes de l’autre côté de l’Atlantique, le nouveau pouvoir Démocrate a repris de plus belle, avec l’ouverture des vannes de l’immigration légale et illégale, le bourrage d’électeurs comme de main d’oeuvre bon marché …

Tandis qu’avec la nouvelle « fenêtre d’opportunité » de la crise du covid …

Comme le rappelle Philippe de Villiers dans son nouveau livre …

Nos nouveaux maitres des GAFAM s’apprêtent …

Entre conférences de Davos, censure politique et élections volées, à faire basculer notre monde dans le tout-numérique …

Comment ne pas voir …

Comme le rappelait il y a quelques années l’apôtre israélien de la « nouvelle religion du salut par les algorithmes et les gènes » Yuval Harari

Cette fameuse quatrième blessure narcissique qui vient …

Qualifiée par la zoologue féministe américaine Donna Haraway d’informatique ou cyborgienne …

Et visant après les révolutions copernicienne, darwinienne et freudienne …

Qui nous ont fait successivement renoncer à notre place centrale dans l’Univers, dans les espèces vivantes et dans notre propre conscience …

A finir de déposséder, via la moulinette de l’ubérisation, à coup d’intelligence artificielle et d’algorithmes …

Au profit d’une poignée d’experts et d’une minuscule élite concentrant toujours plus de pouvoir et de richesse …

Et après nombre des paysans et employés des services que nous avons été …

Jusqu’aux juristes, médecins, pharmaciens, enseignants, gestionnaires ou électeurs que nous sommes encore …

Non seulement, via notre force de travail, de notre propre corps …

Mais aussi prenant à notre place nos moindres décisions, de notre propre libre-arbitre…

Via tant les données personnelles que nous offrons gratuitement et en continu aux géants de la technologie « en échange de services de messagerie et de vidéos de chats » …

Qu’à travers une flopée, que nous sommes d’ores et déjà et à nos propres frais prêts à installer sur nos propres corps, de bracelets ou brassards connectés …

Jusqu’à une application mesurant nos performances sexuelles

Voire nous prédisant littéralement notre propre date d’expiration  ?

Philippe de Villiers : « Macron n’est pas à la hauteur de sa fonction »

ENTRETIEN. Dans son nouvel essai, « Le Jour d’après » (Albin Michel), Philippe de Villiers part en guerre contre les Gafa… et Emmanuel Macron.

Propos recueillis par Jérôme Cordelier

Au XXIe siècle, toutefois, la majorité des hommes et des femmes pourraient bien perdre toute valeur militaire et économique. Finie, la conscription en masse des deux guerres mondiales. Les armées les plus avancées du XXIe siècle s’en remettent bien davantage à la technologie de pointe. Plutôt que de chair à canon illimitée, les pays n’ont désormais besoin que de petits nombres de soldats bien entraînés, de nombres encore plus réduits de super-guerriers des forces spéciales, et d’une poignée d’experts sachant produire et utiliser une technologie sophistiquée. Les forces high-tech avec leurs drones sans pilote et leurs cybervers remplacent les armées de masse du XXe siècle, tandis que les généraux délèguent de plus en plus les décisions critiques à des algorithmes.

Voir aussi:

  • Un meilleur monde peut survenir de cette crise si nous agissons rapidement et conjointement, écrit le professeur Klaus Schwab.
  • Les changements que nous avons déjà observés face au COVID-19 prouvent qu’il est possible de repenser nos fondements économiques et sociaux.
  • Ceci est notre meilleure chance d’instaurer le capitalisme des parties prenantes – voici comment nous pouvons y parvenir.

Les confinements dus à la COVID-19 seront peut-être assouplis progressivement, mais l’inquiétude face aux perspectives sociales et économiques du monde ne fait que s’intensifier. Il y a de bonnes raisons de s’inquiéter : une forte récession économique a déjà commencé et nous pourrions être confrontés à la pire dépression depuis les années 1930. Mais, bien que cette conclusion soit probable, elle n’est pas inévitable.

Pour obtenir de meilleurs résultats, le monde doit agir conjointement et rapidement pour repenser tous les aspects de nos sociétés et économies, de l’éducation aux contrats sociaux en passant par les conditions de travail. Chaque pays, des États-Unis à la Chine, doit participer, et chaque industrie, du pétrole et du gaz à la technologie, doit être transformée. Pour faire simple, nous avons besoin d’une « Grande remise à zéro » du capitalisme.

Une nouvelle souche de coronavirus, le COVID 19, se répand dans le monde, provoquant des décès et des perturbations majeures de l’économie mondiale.

Répondre à cette crise nécessite une coopération mondiale entre les gouvernements, les organisations internationales et le monde des affaires. C’est justement la mission du Forum Économique Mondial en tant qu’organisation internationale de coopération public-privé.

Le Forum Économique Mondial, en tant que partenaire de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a lancé la plate-forme d’action COVID. Cette plate-forme vise à favoriser la contribution du secteur privé à la stratégie mondiale de santé publique relative au COVID-19, et à le faire à l’échelle et à la vitesse requises pour protéger des vies et des moyens de subsistance ; ceci afin de trouver des moyens d’aider à mettre fin à l’urgence mondiale le plus tôt possible.

En tant qu’organisation, le Forum a déjà prouvé qu’il pouvait aider à faire face à une épidémie. En 2017, la Coalition for Epidemic Preparedness Innovations (CEPI) a été lancée à l’occasion de notre réunion annuelle. Elle a rassemblé des experts du gouvernement, des entreprises, de la santé, du monde universitaire et de la société civile pour accélérer le développement de vaccins. La CEPI soutient actuellement la course au développement d’un vaccin contre cette souche de coronavirus.

De nombreuses raisons justifient de lancer cette Grande remise à zéro, mais la plus urgente est la COVID-19. À l’origine de centaines de milliers de morts à ce jour, la pandémie représente l’une des pires crises de santé publique qu’a récemment connue l’histoire. Et, les victimes continuant d’augmenter dans de nombreuses parties du monde, nous sommes loin d’en avoir fini avec cette crise.

Elle aura de graves conséquences à long terme sur la croissance économique, la dette publique, l’emploi et le bien-être humain. Selon le Financial Times, la dette publique mondiale a déjà atteint son plus haut niveau en temps de paix. De plus, le chômage monte en flèche dans de nombreux pays : aux États-Unis, par exemple, un travailleur sur quatre a déposé une demande de chômage depuis la mi-mars, avec de nouvelles demandes hebdomadaires dépassant largement les records historiques. Le Fonds monétaire international s’attend à ce que l’économie mondiale diminue de 3 % cette année – une baisse de 6,3 points de pourcentage en seulement quatre mois.

Tout cela va aggraver les crises climatiques et sociales déjà en cours. Certains pays ont déjà utilisé la crise de la COVID-19 comme prétexte pour alléger les mesures de protections environnementales et leur application. Et les frustrations liées aux fléaux sociaux comme l’augmentation des inégalités (la richesse combinée des milliardaires américains a augmenté pendant la crise) s’intensifient.

Si elles ne sont pas traitées, ces crises, ainsi que la COVID-19, vont s’intensifier et le monde sera encore moins durable, moins équitable et plus fragile. Des mesures incrémentielles et des solutions ad hoc ne suffiront pas à empêcher ce scénario. Nous devons construire des fondations entièrement nouvelles pour nos systèmes économiques et sociaux.

Le niveau de coopération et d’ambition que cela implique est sans précédent. Mais il ne s’agit pas d’un rêve impossible. En effet, un des points positifs de la pandémie est qu’elle a montré à quelle vitesse nous pouvions apporter des changements radicaux à nos modes de vie. Presque instantanément, la crise a contraint les entreprises et les particuliers à abandonner des pratiques longtemps considérées comme essentielles, des voyages aériens fréquents au travail dans un bureau.

De même, les populations ont massivement montré leur volonté de faire des sacrifices au nom des travailleurs de la santé et autres professions essentielles, ainsi que des populations vulnérables, telles que les personnes âgées. Et de nombreuses entreprises se sont mobilisées pour soutenir leurs employés, leurs clients et les communautés locales, en évoluant vers le type de capitalisme des parties prenantes auquel elles n’avaient auparavant accordé qu’un intérêt de pure forme.

De toute évidence, la volonté de construire une société meilleure existe. Nous devons l’utiliser pour mettre en application la Grande remise à zéro dont nous avons tant besoin. Cela nécessitera des gouvernements plus forts et plus efficaces, sans impliquer une volonté idéologique en faveur de gouvernements plus grands. Et cela exigera l’engagement du secteur privé à chaque étape du processus.

Le programme de Grande remise à zéro se composerait de trois éléments principaux. Le premier orienterait le marché vers des résultats plus justes. À cette fin, les gouvernements devraient améliorer la coordination (par exemple en matière de politique budgétaire, réglementaire et fiscale), moderniser les accords commerciaux et créer les conditions nécessaires à une « économie des parties prenantes ». À l’heure où l’assiette fiscale se dégrade tandis que la dette publique monte en flèche, les gouvernements ont de bonnes raisons de poursuivre une telle action.

De plus, les gouvernements devraient mettre en œuvre des réformes, attendues depuis longtemps, favorisant des résultats plus équitables. En fonction du pays, cela pourrait inclure des modifications de l’impôt sur la fortune, le retrait des subventions aux combustibles fossiles et de nouvelles règles régissant la propriété intellectuelle, le commerce et la concurrence.

Le deuxième élément d’un programme de Grande remise à zéro garantirait que les investissements permettent de réaliser des objectifs communs, tels que l’égalité et la durabilité. Ici, les programmes de dépenses à grande échelle mis en place par de nombreux gouvernements représentent une opportunité majeure de progrès. La Commission européenne, pour sa part, a dévoilé les plans d’un fonds de relance de 750 milliards d’euros (826 milliards de dollars). Les États-Unis, la Chine et le Japon ont également leurs propres plans de relance économique ambitieux.

Plutôt que d’utiliser ces fonds, ainsi que des investissements d’entités privées et de fonds de pension, pour combler les lacunes de l’ancien système, nous devrions les destiner à la création d’un nouveau plus résilient, équitable et durable à long terme. Cela signifie, par exemple, la construction d’infrastructures « vertes » en ville et la création d’incitations pour que les industries améliorent leur bilan en matière de mesures environnementales, sociales et de gouvernance (ESG).

La troisième et dernière priorité d’un programme de Grande remise à zéro est d’exploiter les innovations de la Quatrième révolution industrielle pour soutenir le bien public, notamment en relevant les défis sanitaires et sociaux. Pendant la crise de COVID-19, des entreprises, des universités et d’autres intervenants ont uni leurs forces pour développer des diagnostics, des thérapies et d’éventuels vaccins ; établir des centres de test ; créer des mécanismes de traçage des infections ; et proposer des services de télémédecine. Imaginez ce qui serait possible si de tels efforts étaient déployés dans tous les secteurs.

Aux quatre coins du monde, chaque facette de la vie des gens est affectée par la crise de COVID-19. Mais elle ne peut pas uniquement être synonyme de tragédie. Au contraire, la pandémie représente une fenêtre d’opportunité rare mais étroite pour repenser, réinventer et réinitialiser notre monde afin de créer un avenir plus sain, plus équitable et plus prospère.

Voir également:

The Washington Post
March 13, 2021

If President Biden gets his way, the national minimum wage will be $15 an hour, immigrants without legal status will receive an eight-year path to citizenship, firearms will be harder to purchase, votes will be easier to cast and Americans will head back to work in 10 million new clean-energy jobs.

And that’s just the beginning.

Since taking office, Biden has outlined a sweeping agenda that has delighted members of the party’s liberal wing, who were skeptical that a former Senate institutionalist known for moderation would push through policies aimed at transforming the nation. The first big victory came this past week, when Democrats approved an expansive $1.9 trillion coronavirus relief bill containing numerous long-sought liberal initiatives.

“It is absolutely a bold and transformative and progressive agenda,” said Rep. Pramila Jayapal (D-Wash.), chair of the Congressional Progressive Caucus. “Where candidate Joe Biden started is different from where President Joe Biden started.”

But Biden’s broad ambitions — especially on issues such as climate change and immigration — could also backfire, putting moderate Democrats at risk in the 2022 midterms and giving Republicans ammunition to portray the president as a left-leaning radical. Some Democrats are already raising alarms about the scale of some of Biden’s proposals on immigration and infrastructure, casting doubt on their prospects.

“We’ve been touting the socialist agenda now for more than two years, and everything we warned voters about is coming to fruition,” said Michael McAdams, the communications director for the National Republican Congressional Committee, which works to elect Republicans to the House. “We warned voters that Biden would destroy energy jobs, and Biden did that on day one. We warned voters that Biden would destroy the border, and we’re seeing a border crisis unfold before our very eyes.”

McAdams added: “That all makes taking back the House within our reach, and we’re going to be reminding voters of Biden’s socialist agenda day in and day out.”

Doug Andres, press secretary for Senate Minority Leader Mitch McConnell (R-Ky.), said that while Democrats are still on a “sugar high” from the coronavirus relief bill, when that wears off and as the Biden administration tries to push through additional legislation, Republicans are hopeful they can exact a political price.

“At some point in time, the tide will turn against them,” Andres said. “What’s really going to hurt Democrats is wild spending and policies that are just out of step with most Americans. It’s classic Democratic overreach.”

The Democratic Party, not known for marching in lock-step, has been extraordinarily united around the relief package, which Democrats cast as a response to a national emergency requiring immediate action. The legislation is broadly popular with the majority of the country, and especially with Democrats, peppered through with many of the party’s top priorities.

The coronavirus package, for instance, not only provides $1,400 checks to many struggling Americans and money to help ensure that the nation can be fully vaccinated by the end of the year, but it also extends unemployment insurance, helps bail out roughly 185 union pension plans on the verge of collapse, provides aid and debt relief to disadvantaged Black farmers and seeks to cut U.S. childhood poverty in half through expanded tax credits.

But there are concerns about the prospects of preserving party unity — and winning over Republicans — as Biden’s agenda moves toward issues that historically have been more divisive.

“We have to have bipartisan cooperation if we’re going to tackle these items,” said Rep. G.K. Butterfield (D-N.C.). “Immigration has been lingering since I first came to Congress, and that was 16 years ago. . . . We don’t want to pass these with Democratic votes alone. And I’m not talking about one or two Republicans; I’m talking about a significant number of votes from the opposing party.”

While a major infusion of funds for infrastructure projects sits on the horizon, Butterfield and others are calling for potential tax hikes to help pay for new spending. House Democrats this coming week are planning to vote on legislation that would offer a pathway to citizenship for children brought to the United States illegally by their parents. That legislation is politically popular, but it could make a broader immigration overhaul more difficult.

The president and his top advisers are still assessing what legislation to take up next and what the scope of their next project will be. Any infrastructure package, for instance, will almost certainly help rebuild the nation’s crumbling roads and bridges, but it could also include expanding broadband access to rural parts of the country and a significant climate change and green infrastructure component.

Senior administration officials are working on recommendations to deliver to Biden on various options for sequencing what to take up next, one official said. There have also been preliminary discussions with top congressional leadership, according to a second official. The officials spoke on the condition of anonymity to discuss internal deliberations.

“He didn’t run for president to set aside issues and not advance them,” said Anita Dunn, a senior Biden adviser. “These are all things he said on the campaign trail. Nobody should be surprised by what he is doing now that he’s been elected president.”

The Congressional Progressive Caucus has requested a meeting with White House Chief of Staff Ron Klain and Biden to talk about the strategy for passing a federal minimum wage increase to $15 an hour. Biden had proposed the increase as part of his coronavirus relief legislation, but he also quickly conceded that he thought the Senate parliamentarian would rule that it couldn’t be included — which was exactly what happened.

There is some amount of irony that Biden, who was among the most moderate Democrats in a sprawling field of some two dozen presidential contenders, has emerged as a liberal champion. And the next phase of Biden’s presidency will also test his ability to use a more understated demeanor to sell policies that restructure broad swaths of the U.S. economy and social policy. One of his former opponents, Andrew Yang, said last year that “the magic of Joe Biden is that everything he does becomes the new reasonable.”

Louisville Mayor Greg Fischer (D), president of the U.S. Conference of Mayors, ticked off a list of Democratic priorities that were largely in line with Biden’s agenda: infrastructure, immigration, reducing gun violence and increasing the minimum wage.

“I don’t think it’s radical,” Fischer said. “I just think we’ve become so paralyzed over the last decade.”

Michigan Gov. Gretchen Whitmer (D) said she believed that Biden’s more populist agenda had appeal in her state — which was key to Biden winning the presidency — as long as it focused on the needs of average Americans.

“I think it’s important to be bold but stay focused on fundamentals,” she said. “The infrastructure package that should be teed up next is so crucial.”

Biden has broadly focused the opening of his presidency first on the relief package meant to stem the immediate challenges from the coronavirus and next on a yet-to-be-unveiled recovery proposal that would fix what he views as more structural problems that have previously existed but that have been exacerbated by the pandemic.

He is also under pressure to keep pledges he made earlier in his campaign, before the pandemic upended the country and its politics. He said he would pursue an assault weapons ban and enhanced background checks — as called for under legislation passed by the House on Thursday — to make it harder to buy guns.

Biden has moved more aggressively on climate change than almost any other front, using his executive authority to curb fossil fuel development starting on his first day in office. These policies have thrilled liberals, but could put centrist Democrats in a difficult position if the administration cannot deliver on its promise to generate new jobs for Americans dependent on oil, gas and coal, along with other industries, such as logging.

Within hours of his inauguration, Biden vetoed the Keystone XL pipeline project and recommitted the United States to the global climate accord forged in Paris in 2015. Days later, he halted all new oil and gas leasing on federal land. Those measures, along with a raft of other policies that will place a priority on curbing greenhouse gas emissions linked to climate change, have already prompted pushback from business groups and many Republicans, as well as some Democrats in oil- and gas-producing states.

On immigration, Biden immediately reversed some of Trump’s policies. He ended the ban on travel from Muslim-majority countries, and he rescinded the emergency order that was used to fund the wall along the Mexican border. But he also wants to provide a pathway to citizenship for nearly 11 million undocumented immigrants, expand the number of visas and green cards, and make it easier for asylum seekers to enter the United States.

“The biggest issue right now where I think Democrats are way over their skis is immigration,” said Chris Hartline, spokesman for the National Republican Senatorial Committee. “Democrats saw the 2020 election as a repudiation of all of Trump’s policies and all of the Republicans’ policies, when, in fact, the things we’ve proposed on immigration are very popular, in a way that not just unifies our base, but also helps us bring back a lot of the moderates and independents and Hispanic voters.”

Democrats say they have learned lessons from the years of deep partisanship and vitriol that have cleaved apart the nation, and now feel increasingly emboldened to pursue what they believe is the best policy.

“I’ve long come to terms with the fact that Republicans will attack Democrats on what they consider controversial issues no matter what steps we take, and that our job is not to fear what the attacks are, but to lean in to what we believe and explain it to the American people,” said Guy Cecil, chairman of Priorities USA, a Democratic super PAC. “Even if Joe Biden funded the [Trump border] wall, Republicans would be complaining about the color of the wall, the material used.”

“Part of this is the Republican Party has moved to a crazy place,” Hammill said. “If they’re now the party of conspiracy theories and right-wing ideology, are we just supposed to give up because they won’t vote for anything?”

Biden advisers — many of whom also worked in the Obama administration — say their experience with former president Barack Obama’s 2009 stimulus package has informed their current road map. No one remembers, they say, the three moderate Republican senators who voted for the bill, and for voters, all that matters will be the final results. Klain, for instance, has repeatedly reassured colleagues that the country will be unified when every American gets their vaccine doses and their coronavirus relief checks, these people said.

Last month, Sen. Bernie Sanders (I-Vt.) was in the Oval Office for a meeting with Biden. He glanced up and considered the large portrait of Franklin D. Roosevelt hanging over the fireplace.

“Like Roosevelt understood during the Great Depression, Joe Biden understands this country today faces a series of unprecedented crises,” Sanders, who ran against Biden in the 2020 primary, said in an interview.

“What Joe Biden concluded is that if his administration is going to mean anything, it has got to think big, not small, and it has got to address these unprecedented crises in an unprecedented way. In that regard, he is off to a very, very good start.

Juliet Eilperin contributed to this report.

Voir de même:

LE DECOUPLAGE

Yuval Noah Harari(2015)

/…/

Sur les vastes champs de bataille des guerres industrielles modernes et sur les chaînes de production en série des économies industrielles modernes, chaque homme comptait. Chaque main capable de tenir un fusil ou d’actionner une manette était précieuse. (…) Jusque vers 1800, l’immense majorité des gens travaillaient dans l’agriculture, et une minorité seulement dans l’industrie et les services. La plupart se mirent à travailler dans l’industrie, mais un nombre croissant trouva aussi du travail dans les services. Ces dernières décennies, les pays ont connu une autre révolution, le déclin des emplois industriels, accompagné d’un essor des services. Tant que les machines ne rivalisaient avec les hommes que par leurs capacités physiques, il restait d’innombrables tâches cognitives dont les hommes s’acquittaient mieux.

/…/ Au XXIe siècle, toutefois, la majorité des hommes et des femmes pourraient bien perdre toute valeur militaire et économique. Finie, la conscription en masse des deux guerres mondiales. Les armées les plus avancées du XXIe siècle s’en remettent bien davantage à la technologie de pointe. Plutôt que de chair à canon illimitée, les pays n’ont désormais besoin que de petits nombres de soldats bien entraînés, de nombres encore plus réduits de super-guerriers des forces spéciales, et d’une poignée d’experts sachant produire et utiliser une technologie sophistiquée. Les forces high-tech avec leurs drones sans pilote et leurs cyber-vers remplacent les armées de masse du XXe siècle, tandis que les généraux délèguent de plus en plus les décisions critiques à des algorithmes.

En dehors de leur imprévisibilité et de leur vulnérabilité à la peur, la faim et lafatigue, les soldats de chair et de sang pensent et évoluent sur une échelle demoins en moins pertinente. Du temps de Nabuchodonosor à celui de SaddamHussein, et malgré une myriade de progrès techniques, la guerre en est restée au calendrier organique. Les discussions duraient des heures, les batailles prenaientdes jours, et les guerres s’étalaient sur des années. Les cyber-guerres, elles, peuvent ne durer que quelques minutes. (…) Il est significatif que, dès aujourd’hui, dans maints conflits asymétriques, la majorité des citoyens en soient réduits à servir de boucliers humains à des armements avancés. Même si vous vous préoccupez plus de justice que de victoire, vous choisiriez probablement de remplacer vos soldats et pilotes par des robots et drones autonomes. Les soldats massacrent, violent, pillent, et même quand ils essaient de bien se conduire, ils tuent trop souvent des civils par erreur. Des ordinateurs programmés selon des algorithmes éthiques se conformeraient bien plusaisément aux derniers arrêts de la Cour pénale internationale.

Dans la sphère économique également, la capacité de tenir un marteau ou d’appuyer sur un bouton devient moins précieuse qu’auparavant, ce qui met en danger l’alliance critique entre libéralisme et capitalisme. (…) Dans le passé, il y avait quantité de choses que seuls les humains pouvaient faire. Désormais, robots et ordinateurs rattrapent leur retard et pourraient bientôt surpasser les hommes dans la plupart des tâches. (…)Tôt ou tard, prédisent certains économistes, les humains non augmentés deviendront totalement inutiles. D’ores et déjà, robots et imprimantes 3D remplacent les ouvriers dans diverses tâches manuelles comme la production de chemises, et des algorithmes très intelligents feront de même pour les activités des cols-blancs. Employés de banque et agents de voyages, qui, il y a peu, paraissaient totalement à l’abri de l’automation, sont devenus une espèce menacée. Quel besoin avons-nous d’agents de voyages quand nous pouvons nous servir de nos smartphones pour acheter des billets d’avion à partir d’un algorithme ? Les négociateurs en Bourse sont aussi en danger. Aujourd’hui, l’essentiel des transactions financières est déjà géré par des algorithmes informatiques qui, en une seconde, peuvent traiter plus de données qu’un être humain en une année, et réagir bien plus vite aux données qu’il n’en faut à un être humain pour cligner des yeux.

/… / Les films et séries télé donnent l’impression que les avocats passent leurs journées au tribunal à crier« Objection ! » et à prononcer des discours véhéments. La plupart des avocatsordinaires passent pourtant leur temps à éplucher des dossiers interminables, àrechercher des précédents, des failles et de minuscules éléments de preuvepotentiellement pertinents. Les uns sont occupés à essayer d’imaginer ce qui estarrivé la nuit où monsieur X a été assassiné ou à élaborer un contrat commercialqui protégera leur client contre toute éventualité. Quel sera le sort de tous ces avocats le jour où des algorithmes sophistiqués pourront repérer davantage deprécédents en un jour qu’un homme ne peut le faire de toute sa vie, et qu’il suffira d’appuyer sur un bouton pour qu’un scan du cerveau révèle mensonges et tromperies ? Même des avocats et des détectives chevronnés ne sauraient repérer la duplicité à l’intonation ou aux expressions du visage. Le mensonge implique cependant d’autres zones du cerveau que celles utilisées pour dire la vérité. Nous n’en sommes pas encore là, mais il est concevable que, dans un avenir pas si lointain, les scanners d’IRMf puissent être des détecteurs de la vérité presque infaillibles. Que deviendront les millions d’avocats, de juges, de policiers et dedétectives ? Peut-être leur faudrait-il songer à reprendre les études pour apprendre une nouvelle profession.

En entrant dans la salle de cours, cependant, ils pourraient bien découvrir que les algorithmes les y ont précédés. Des sociétés comme Mindojo sont en train de mettre au point des algorithmes interactifs qui ne se contenteront pas dem’enseigner les maths, la physique et l’histoire ; dans le même temps ilsm’étudieront et apprendront à savoir exactement qui je suis. Les enseignantsnumériques surveilleront de près chacune de mes réponses, et le temps qu’il mefaut pour les donner. Avec le temps, ils sauront discerner mes faiblesses aussibien que mes forces, et identifieront ce qui me plaît ou ce qui m’ennuie. Ils pourraient adapter l’enseignement de la thermodynamique ou de la géométrie à ma personnalité selon une méthode qui ne convient pas à 99 % des autres élèves. Et ces enseignants numériques ne perdront jamais patience, ne me crieront jamais dessus et ne se mettront jamais en grève. Le problème, c’est qu’on ne voit pas très bien pourquoi diable j’aurais besoin de connaître la thermodynamique ou la géométrie dans un monde contenant des programmes informatiques aussi intelligents.

Même les médecins sont une proie idéale pour les algorithmes. La toutepremière tâche d’un médecin est de diagnostiquer correctement les maladies,puis de suggérer le meilleur traitement disponible. (…) Une intelligence artificielle (…) a d’immenses avantages potentiels sur les médecins humains. Premièrement, elle peut stocker dans ses banques de données des informations sur toutes les maladies connues et tous les médicaments. Elle peut les mettre à jour quotidiennement, pas seulement en actualisant les résultatsdes nouvelles recherches, mais aussi avec les statistiques médicales de tous les hôpitaux et cliniques du monde. Deuxièmement, Watson aura une connaissance intime non seulement de mon génome et de mes antécédents médicaux au jour le jour, mais aussi du génome et des antécédents de mes parents, frères et sœurs, cousins, voisins et amis. Il saura instantanément si j’ai visité dernièrement un pays tropical, si j’ai des infections gastriques récurrentes, s’il y a eu des cas de cancers intestinaux dans ma famille ou si, ce matin même, d’autres habitants de ma ville se plaignent de diarrhée. Troisièmement, Watson ne sera jamais fatigué, affamé ni malade. (…) Cette menace plane au-dessus de la tête des généralistes, mais aussi des experts. Il pourrait se révéler plus facile de remplacer les médecins spécialisés dans des domaines aussi pointus que le diagnostic du cancer. Lors d’une expérience récente, un algorithme informatique a diagnostiqué correctement 90 % des cancers du poumon qui lui étaient présentés, alors que les médecinshumains n’en diagnostiquaient que 50 %.

Comme les machines se chargeaient des travaux purement manuels, les hommes se sont concentrés sur ceux qui nécessitaient au moins certaines compétences cognitives. Penser que les êtres humains auront toujours des aptitudes uniques hors de portée des algorithmes non conscients, c’est prendre ses désirs pour des réalités. Pour l’heure, certes, il est de nombreuses choses que les algorithmes organiques font mieux que les non organiques, et les experts ont dit et répété que quelque chose demeurera « à jamais » hors de portée des algorithmes non organiques. Aujourd’hui, les programmes de reconnaissance faciale sont capables d’identifier les gens bien plus efficacement et rapidement que les êtres humains.

/…/ La formation d’un médecin humain est un processus cher et compliqué qui demande des années. À son terme, après une dizaine d’années d’études et d’internat, vous n’avez jamais qu’un médecin. Si vous en voulez deux, il faut recommencer le processus à zéro. En revanche, si vous parvenez à résoudre les problèmes techniques (…), vous n’aurez pas un seul, mais un nombre infini de médecins, disponibles sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, dans tous les coins du monde. Donc, même si son entrée en service coûte 100 milliards de dollars, à la longue cela reviendrait bien moins cher que la formation de médecins humains.

Bien entendu, tous les médecins humains ne disparaîtront pas. On peut s’attendre à ce que les tâches qui exigent davantage de créativité qu’un banal diagnostic restent entre les mains des hommes. De la même façon que les armées du XXIe siècle accroissent les effectifs de leurs forces d’élite spéciales, les futurs services de soins pourraient accueillir en force les équivalents médicaux des rangers de l’armée de terre ou les groupes de guerre navale spéciale (SEAL). Toutefois, de même que les armées n’ont plus besoin de millions de GI, les futurs services de santé n’auront plus besoin de millions de généralistes. /…/

Que faire des surnuméraires ? Ce pourrait bien être la question économique la plus importante du XXIe siècle. Que feront les humains conscients le jour où nous aurons des algorithmes non conscients, capables de presque tout faire mieux que nous ?

/…/ Ces dernières décennies, les pays ont connu une autre révolution, le déclin des emplois industriels, accompagné d’un essor des services. En 2010, 2 % seulement des Américains travaillaient dans l’agriculture, 20 % dansl’industrie, et 78 % comme enseignants, médecins, web designers, etc. Que ferons-nous quand des algorithmes stupides seront capables d’enseigner, de diagnostiquer et de dessiner mieux que des êtres humains ?

/…/ Même les managers en charge de toutes ces activités sont remplaçables. Grâce à ses puissants algorithmes, Uber peut gérer des millions de chauffeurs de taxi avec une poignée d’humains seulement. La plupart des ordres sont donnés parles algorithmes qui ne nécessitent pas la moindre supervision humaine.

/…/ Tandis que les algorithmes chassent les hommes du marché du travail, la richesse et le pouvoir pourraient bien se concentrer entre les mains de la minuscule élite qui possède les algorithmes tout-puissants, ce qui créerait une inégalité sociale et politique sans précédent.

/… / En septembre 2013, deux chercheurs d’Oxford, Carl Benedikt Frey et MichaelA. Osborne, publièrent une étude sur « l’avenir de l’emploi », où ils examinaient la probabilité que différentes professions soient reprises par des algorithmes informatiques au cours des vingt prochaines années. L’algorithme mis au point par Frey et Osborne pour faire leurs calculs estimait à 47 % la part des emplois américains très exposés. Par exemple, il est probable à 99 % qu’en 2033 les télémarketeurs et les courtiers d’assurance perdront leur emploi au profit d’algorithmes ; la probabilité que les arbitres sportifs connaissent le même sort est de 98 %, elle est de 97 % pour les caissières, 96 % pour les chefs cuisiniers, 94 % pour les serveurs et les assistants juridiques, 91 % pour les guides touristiques, 89 % pour les boulangers et les chauffeurs de bus, 88 % pour les ouvriers du bâtiment, 86 % pour les aides vétérinaires, 84 % pour les agents de sécurité, 83 % pour les marins, 77 % pour les barmen, 76 % pour les archivistes, 72 % pour les menuisiers, 67 % pour les maîtres nageurs, et ainsi de suite.

/…/ L’aubaine technologique à venir permettra probablement de nourrir et d’entretenir ces masses inutiles sans qu’elles aient même à lever le petit doigt. Mais qu’est-ce qui pourra les tenir occupées et les satisfaire ? Les gens ont besoin de faire quelque chose, sous peine de devenir fous. Que feront-ils de leurs journées ? La drogue ou les jeux vidéo pourraient être une des réponses. Les inutiles pourraient passer toujours plus de temps dans les mondes de la réalité virtuelle en 3D, qui leur procurerait bien plus d’excitation et d’intensité émotionnelle que la glauque réalité extérieure. Une telle évolution porterait cependant un coup mortel à la croyance libérale au caractère sacré de la vie et des expériences humaines. Qu’y a-t-il de sacré dans des clochards qui passent leurs journées à se gaver d’expériences artificielles dans La La Land ?

/…/  la croyance en l’individualisme s’effondrera et l’autorité sera transférée des individus aux algorithmes en réseau. Les êtres humains cesseront de se voir comme des êtres autonomes qui mènent leur vie à leur guise pour s’habituer à se voir comme un assemblage de mécanismes biochimiques constamment surveillé et guidé par des algorithmes électroniques. (…) Pour ce qui est de la médecine, la ligne a déjà été franchie. Dans les hôpitaux, nous ne sommes plus des individus. Il est très probable que, de votre vivant, nombre des décisions les plus importantes prises pour votre corps et votre santé seront le fait d’algorithmes informatiques tels que Watson d’IBM. Et ce n’est pas nécessairement une mauvaise nouvelle. Les diabétiques portent déjà des capteurs qui contrôlent automatiquement leur niveau de sucre plusieurs fois par jour, et qui les alerte chaque fois qu’il franchit un seuil dangereux. (…) Beaucoup d’autres personnes qui ne souffrent d’aucune maladie grave ont commencé à utiliser des capteurs portables pour surveiller leur santé et leurs activités. Ces appareils – intégrés à toutes sortes d’objets, des smartphones et des montres bracelets aux brassards ou aux sous-vêtements – enregistrent diverses données biométriques telles que la tension et le rythme cardiaque. Les données sont ensuite entrées dans des programmes informatiques sophistiqués qui indiquent alors au porteur comment modifier son régime et ses habitudes quotidiennes pour jouir d’une meilleure santé et d’une vie plus longue et plus productive (…) L’application Deadline va encore plus loin, puisqu’elle vous informe du nombre d’années qu’il vous reste à vivre compte tenu de vos habitudes actuelles (…) la société Bedpost commercialise des brassards biométriques à porter lors des relations sexuelles. Le brassard recueille diverses données : rythme cardiaque, niveau de transpiration, durée des rapports et de l’orgasme, nombre de calories brûlées. Les données sont alors entrées dans un ordinateur qui analyse l’information et note précisément votre performance. Finis, les orgasmes simulés et les « pour toi, c’était comment (26) ? (…) Imaginez un système qui, pour reprendre les mots de la célèbre chanson du groupe Police, surveille chacune de vos respirations, chacun de vos mouvements et les liens que vous brisez ; un système qui surveille votre compte en banque et votre rythme cardiaque, votre niveau de glucose et vos escapades sexuelles. (…) Google nous conseillera quel film voir, où aller en vacances, quelle matière étudier à la fac, quelle offre d’emploi accepter, voire avec qui sortir et qui épouser.  (…) En échange de conseils aussi précieux, il nous faudra simplement renoncer à l’idée que les êtres humains sont des individus, que chaque humain a son libre arbitre pour déterminer ce qui est bien, ce qui est beau, et le sens de la vie. (…) Des coutumes libérales comme les élections démocratiques vont devenir obsolètes : Google saura même représenter mes opinions politiques mieux que moi.  (…) Comment Facebook pourrait-il obtenir ces données politiques d’une valeur inestimable ? C’est nous qui les lui donnons gratuitement. À l’apogée de l’impérialisme européen, conquistadors et marchands achetaient des îles et des contrées entières contre des perles de couleur. Au XXIe siècle, nos données personnelles sont probablement la ressource la plus précieuse que la plupart des humains puissent encore offrir, et nous les donnons aux géants de la technologie en échange de services de messagerie et de vidéos de chats.

Voir de plus:

Yuval Noah Harari on big data, Google and the end of free will

Forget about listening to ourselves. In the age of data, algorithms have the answer, writes the historian Yuval Noah Harari

Yuval Noah Harari

August 26 2016

For thousands of years humans believed that authority came from the gods. Then, during the modern era, humanism gradually shifted authority from deities to people. Jean-Jacques Rousseau summed up this revolution in Emile, his 1762 treatise on education. When looking for the rules of conduct in life, Rousseau found them “in the depths of my heart, traced by nature in characters which nothing can efface. I need only consult myself with regard to what I wish to do; what I feel to be good is good, what I feel to be bad is bad.” Humanist thinkers such as Rousseau convinced us that our own feelings and desires were the ultimate source of meaning, and that our free will was, therefore, the highest authority of all.

Now, a fresh shift is taking place. Just as divine authority was legitimised by religious mythologies, and human authority was legitimised by humanist ideologies, so high-tech gurus and Silicon Valley prophets are creating a new universal narrative that legitimises the authority of algorithms and Big Data. This novel creed may be called “Dataism”. In its extreme form, proponents of the Dataist worldview perceive the entire universe as a flow of data, see organisms as little more than biochemical algorithms and believe that humanity’s cosmic vocation is to create an all-encompassing data-processing system — and then merge into it.

We are already becoming tiny chips inside a giant system that nobody really understands. Every day I absorb countless data bits through emails, phone calls and articles; process the data; and transmit back new bits through more emails, phone calls and articles. I don’t really know where I fit into the great scheme of things, and how my bits of data connect with the bits produced by billions of other humans and computers. I don’t have time to find out, because I am too busy answering emails. This relentless dataflow sparks new inventions and disruptions that nobody plans, controls or comprehends. Related article Books Planet of the apps — have we paved the way for our own extinction?

But no one needs to understand. All you need to do is answer your emails faster. Just as free-market capitalists believe in the invisible hand of the market, so Dataists believe in the invisible hand of the dataflow. As the global data-processing system becomes all-knowing and all-powerful, so connecting to the system becomes the source of all meaning. The new motto says: “If you experience something — record it. If you record something — upload it. If you upload something — share it.”

Dataists further believe that given enough biometric data and computing power, this all-encompassing system could understand humans much better than we understand ourselves. Once that happens, humans will lose their authority, and humanist practices such as democratic elections will become as obsolete as rain dances and flint knives.

When Michael Gove announced his shortlived candidacy to become Britain’s prime minister in the wake of June’s Brexit vote, he explained: “In every step in my political life I have asked myself one question, ‘What is the right thing to do? What does your heart tell you?’” That’s why, according to Gove, he had fought so hard for Brexit, and that’s why he felt compelled to backstab his erstwhile ally Boris Johnson and bid for the alpha-dog position himself — because his heart told him to do it.

Gove is not alone in listening to his heart in critical moments. For the past few centuries humanism has seen the human heart as the supreme source of authority not merely in politics but in every other field of activity. From infancy we are bombarded with a barrage of humanist slogans counselling us: “Listen to yourself, be true to yourself, trust yourself, follow your heart, do what feels good.”

In politics, we believe that authority depends on the free choices of ordinary voters. In market economics, we maintain that the customer is always right. Humanist art thinks that beauty is in the eye of the beholder; humanist education teaches us to think for ourselves; and humanist ethics advise us that if it feels good, we should go ahead and do it.

Of course, humanist ethics often run into difficulties in situations when something that makes me feel good makes you feel bad. For example, every year for the past decade the Israeli LGBT community has held a gay parade in the streets of Jerusalem. It is a unique day of harmony in this conflict-riven city, because it is the one occasion when religious Jews, Muslims and Christians suddenly find a common cause — they all fume in accord against the gay parade. What’s really interesting, though, is the argument the religious fanatics use. They don’t say: “You shouldn’t hold a gay parade because God forbids homosexuality.” Rather, they explain to every available microphone and TV camera that “seeing a gay parade passing through the holy city of Jerusalem hurts our feelings. Just as gay people want us to respect their feelings, they should respect ours.” It doesn’t matter what you think about this particular conundrum; it is far more important to understand that in a humanist society, ethical and political debates are conducted in the name of conflicting human feelings, rather than in the name of divine commandments.

Yet humanism is now facing an existential challenge and the idea of “free will” is under threat. Scientific insights into the way our brains and bodies work suggest that our feelings are not some uniquely human spiritual quality. Rather, they are biochemical mechanisms that all mammals and birds use in order to make decisions by quickly calculating probabilities of survival and reproduction.

Contrary to popular opinion, feelings aren’t the opposite of rationality; they are evolutionary rationality made flesh. When a baboon, giraffe or human sees a lion, fear arises because a biochemical algorithm calculates the relevant data and concludes that the probability of death is high. Similarly, feelings of sexual attraction arise when other biochemical algorithms calculate that a nearby individual offers a high probability for successful mating. These biochemical algorithms have evolved and improved through millions of years of evolution. If the feelings of some ancient ancestor made a mistake, the genes shaping these feelings did not pass on to the next generation.

Even though humanists were wrong to think that our feelings reflected some mysterious “free will”, up until now humanism still made very good practical sense. For although there was nothing magical about our feelings, they were nevertheless the best method in the universe for making decisions — and no outside system could hope to understand my feelings better than me. Even if the Catholic Church or the Soviet KGB spied on me every minute of every day, they lacked the biological knowledge and the computing power necessary to calculate the biochemical processes shaping my desires and choices. Hence, humanism was correct in telling people to follow their own heart. If you had to choose between listening to the Bible and listening to your feelings, it was much better to listen to your feelings. The Bible represented the opinions and biases of a few priests in ancient Jerusalem. Your feelings, in contrast, represented the accumulated wisdom of millions of years of evolution that have passed the most rigorous quality-control tests of natural selection.

However, as the Church and the KGB give way to Google and Facebook, humanism loses its practical advantages. For we are now at the confluence of two scientific tidal waves. On the one hand, biologists are deciphering the mysteries of the human body and, in particular, of the brain and of human feelings. At the same time, computer scientists are giving us unprecedented data-processing power. When you put the two together, you get external systems that can monitor and understand my feelings much better than I can. Once Big Data systems know me better than I know myself, authority will shift from humans to algorithms. Big Data could then empower Big Brother.

This has already happened in the field of medicine. The most important medical decisions in your life are increasingly based not on your feelings of illness or wellness, or even on the informed predictions of your doctor — but on the calculations of computers who know you better than you know yourself. A recent example of this process is the case of the actress Angelina Jolie. In 2013, Jolie took a genetic test that proved she was carrying a dangerous mutation of the BRCA1 gene. According to statistical databases, women carrying this mutation have an 87 per cent probability of developing breast cancer. Although at the time Jolie did not have cancer, she decided to pre-empt the disease and undergo a double mastectomy. She didn’t feel ill but she wisely decided to listen to the computer algorithms. “You may not feel anything is wrong,” said the algorithms, “but there is a time bomb ticking in your DNA. Do something about it — now!” Authority will shift from humans to computer algorithms.

What is already happening in medicine is likely to take place in more and more fields. It starts with simple things, like which book to buy and read. How do humanists choose a book? They go to a bookstore, wander between the aisles, flip through one book and read the first few sentences of another, until some gut feeling connects them to a particular tome. Dataists use Amazon. As I enter the Amazon virtual store, a message pops up and tells me: “I know which books you liked in the past. People with similar tastes also tend to love this or that new book.”

This is just the beginning. Devices such as Amazon’s Kindle are able constantly to collect data on their users while they are reading books. Your Kindle can monitor which parts of a book you read quickly, and which slowly; on which page you took a break, and on which sentence you abandoned the book, never to pick it up again. If Kindle was to be upgraded with face recognition software and biometric sensors, it would know how each sentence influenced your heart rate and blood pressure. It would know what made you laugh, what made you sad, what made you angry. Soon, books will read you while you are reading them. And whereas you quickly forget most of what you read, computer programs need never forget. Such data should eventually enable Amazon to choose books for you with uncanny precision. It will also allow Amazon to know exactly who you are, and how to press your emotional buttons.

Take this to its logical conclusion, and eventually people may give algorithms the authority to make the most important decisions in their lives, such as who to marry. In medieval Europe, priests and parents had the authority to choose your mate for you. In humanist societies we give this authority to our feelings. In a Dataist society I will ask Google to choose. “Listen, Google,” I will say, “both John and Paul are courting me. I like both of them, but in a different way, and it’s so hard to make up my mind. Given everything you know, what do you advise me to do?”

And Google will answer: “Well, I know you from the day you were born. I have read all your emails, recorded all your phone calls, and know your favourite films, your DNA and the entire biometric history of your heart. I have exact data about each date you went on, and I can show you second-by-second graphs of your heart rate, blood pressure and sugar levels whenever you went on a date with John or Paul. And, naturally enough, I know them as well as I know you. Based on all this information, on my superb algorithms and on decades’ worth of statistics about millions of relationships — I advise you to go with John, with an 87 per cent probability of being more satisfied with him in the long run.

“Indeed, I know you so well that I even know you don’t like this answer. Paul is much more handsome than John and, because you give external appearances too much weight, you secretly wanted me to say ‘Paul’. Looks matter, of course, but not as much as you think. Your biochemical algorithms — which evolved tens of thousands of years ago in the African savannah — give external beauty a weight of 35 per cent in their overall rating of potential mates. My algorithms — which are based on the most up-to-date studies and statistics — say that looks have only a 14 per cent impact on the long-term success of romantic relationships. So, even though I took Paul’s beauty into account, I still tell you that you would be better off with John.”

Google won’t have to be perfect. It won’t have to be correct all the time. It will just have to be better on average than me. And that is not so difficult, because most people don’t know themselves very well, and most people often make terrible mistakes in the most important decisions of their lives. The Dataist worldview is very attractive to politicians, business people and ordinary consumers because it offers groundbreaking technologies and immense new powers. For all the fear of missing our privacy and our free choice, when consumers have to choose between keeping their privacy and having access to far superior healthcare — most will choose health.

For scholars and intellectuals, Dataism promises to provide the scientific Holy Grail that has eluded us for centuries: a single overarching theory that unifies all the scientific disciplines from musicology through economics, all the way to biology. According to Dataism, Beethoven’s Fifth Symphony, a stock-exchange bubble and the flu virus are just three patterns of dataflow that can be analysed using the same basic concepts and tools. This idea is extremely attractive. It gives all scientists a common language, builds bridges over academic rifts and easily exports insights across disciplinary borders.

Of course, like previous all-encompassing dogmas, Dataism, too, may be founded on a misunderstanding of life. In particular, Dataism has no answer to the notorious “hard problem of consciousness”. At present we are very far from explaining consciousness in terms of data-processing. Why is it that when billions of neurons in the brain fire particular signals to one another, a subjective feeling of love or fear or anger appears? We don’t have a clue.

But even if Dataism is wrong about life, it may still conquer the world. Many previous creeds gained enormous popularity and power despite their factual mistakes. If Christianity and communism could do it, why not Dataism? Dataism has especially good prospects, because it is currently spreading across all scientific disciplines. A unified scientific paradigm may easily become an unassailable dogma.

If you don’t like this, and you want to stay beyond the reach of the algorithms, there is probably just one piece of advice to give you, the oldest in the book: know thyself. In the end, it’s a simple empirical question. As long as you have greater insight and self-knowledge than the algorithms, your choices will still be superior and you will keep at least some authority in your hands. If the algorithms nevertheless seem poised to take over, it is mainly because most human beings hardly know themselves at all.

Yuval Noah Harari is the author of ‘Homo Deus: A Brief History of Tomorrow’, published by Harvill Secker on September 8. He will be speaking in London, Cambridge, Manchester and Bristol.

Voir encore:

iLawyer: What Happens When Computers Replace Attorneys?

In the end, after you’ve stripped away their six-figure degrees, their state bar memberships, and their proclivity for capitalizing Odd Words, lawyers are just another breed of knowledge worker. They’re paid to research, analyze, write, and argue — not unlike an academic, a journalist, or an accountant. So when software comes along that’s smarter or more efficient at those tasks than a human with a JD, it spells trouble.

That’s one of the issues the Wall Street Journal raised yesterday in an article on the ways computer algorithms are slowly replacing human eyes when it comes to handling certain pieces of large, high-stakes litigation. It focuses on a topic that is near and dear to the legal industry (and pretty much nobody else) known as discovery, which is the process where attorneys sort through troves of documents to find pieces of evidence that might be related to a lawsuit. While it might seem like a niche topic, what’s going on in the field has big implications for anybody who earns their living dealing with information.The discovery process is all about cognition, the ability of people to look at endless bails of info and separate the wheat from the chaff. For many years, it was also extremely profitable for law firms, which billed hundreds of dollars an hour for associates to glance at thousands upon thousands (if not millions) of documents, and note whether they might have some passing relevance to the case at hand. Those days are pretty much dead, gone thanks to cost-conscious clients and legal temp agencies which rent out attorneys for as little as $25-an-hour to do the grunt work. Some firms are still struggling to replace the profits they’ve lost as a result.
And now comes the rise of the machines — or, more precisely, the search engines. For a while now, attorneys have employed manual keyword searches to sort through the gigabytes of information involved in these cases. But as the WSJ reports, more firms are beginning to use a technology known as « predictive coding, » which essentially automates the process at one-tenth the cost. Recently, a magistrate judge in a major Virginia employment discrimination suit ruled that the defense could use predictive coding to sort through their own data, despite objections by the plaintiffs who worried it might not pick up all the relevant documents (Probably left unspoken here: plaintiffs in lawsuits also like to drive up the costs for defendants, in the hopes that it will encourage them to settle).In truth, researchers have found predictive coding to be as accurate, if not more so, than the attorneys its replacing. As the WSJ noted:

Several studies have shown that predictive coding outperforms human reviewers, though by how much is unclear. A widely cited 2011 article in the Richmond Journal of Law and Technology analyzed research on document review and found that humans unearthed an average of about 60% of relevant documents, while predictive coding identified an average of 77%.

The research also showed that predictive coding was more precise, flagging fewer irrelevant documents than humans did.

« Human readers get tired and make mistakes. They get fatigued, » says David Breau, an associate at law firm Sidley Austin LLP who has written about predictive coding.

Shorter version: There is now software that’s smarter and more efficient at these tasks than a human with a JD. Not only that, but it’s finally being given sanction by the courts, which would have the power to stop such a new technology in its tracks if they chose.

For the legal industry, this is a mixed blessing. The same way that robotics have created factories that need fewer workers, these programs will create firms that need fewer lawyers (even if it just means they’re renting fewer temps). Firms that have already figured out how to prosper without the enormous margins they achieved by charging egregious fees for associates to perform menial labor will benefit. The partners will keep on doing the most valuable work, even as the bottom rungs of their firms shrink.

But what about the rest of us? We’re now living in the age of Watson, everyone’s favorite Jeopardy-playing computer, where intelligent software has become more skilled at recognizing and fetching relevant information than most people. It’s precise enough to do our taxes. It’s precise enough to satisfy a judge. And the people who benefit most from it are those at the top of an industry, the people like law firm partners who are paid to take information and shape it into a narrative.

This is how countries get more productive and more prosperous. As we learn to make goods and perform services more efficiently, their prices come down. The question is what new jobs replace the old ones that are lost in the churn. As of now, who knows what they’ll be? Maybe in a few years there will be program I can ask.

Jordan Weissmann is a former senior associate editor at The Atlantic.
Eliza Berman
Time
November 3, 2014

Need a little extra motivation to book that vacation, write that novel, or even just get out of bed? An incessant reminder of your mortality might just do the trick. A new iOS app called Deadline predicts the date and time of your death based on data from Apple’s HealthKit. Feed the app basic information about your medical history and lifestyle, and it spits out the date that might just appear on your tombstone, along with a countdown clock that lets you watch as the seconds evaporate into regret.

Despite its logo, a silhouetted dead bird with its legs in the air, the app’s objectives are anything but morbid. “Consider this a way to motivate yourself to be healthier,” the description reads, although it goes on to hedge that its prediction is nothing more than a statistical estimation, and regular doctor visits are still a good idea. Though similar apps exist, Deadline claims to be the only one with a home screen widget that offers quick access to your countdown, lest you need a quick reality check after two hours looking at photos of dogs in Halloween costumes.

The good news is that the app will extend your predicted lifespan if you adopt healthier habits. Its approach to motivation, then, suits both users who respond to negative reinforcement and those who need a little bit of cheerleading to get to the gym.

It’s a bit ironic, though, that an app that aims to motivate users to be healthier comes from the same company that gives us Flabby Bird. Will you live out your remaining days eating chia pudding and training for marathons, or guiding a “horizontally challenged fowl through treacherous obstacles?” The choice is yours.

Voir par ailleurs:

Les impacts de l’automatisation du travail
Michel Héry
Études
Septembre 2018

On a d’abord cru que l’introduction des nouvelles technologies dans le monde du travail se traduirait essentiellement par une robotisation accrue dans l’industrie qui pousserait doucement les travailleurs vers des emplois de service. On se rend compte aujourd’hui que le développement de l’intelligence artificielle (IA) et son passage des formes faibles aux formes fortes [1] pourraient remettre en cause toute l’allocation du travail et transformer lourdement toute l’organisation de la production intellectuelle, en touchant les métiers du juridique, de la santé, du marketing, etc. Ce ne sont pas seulement, comme on l’avait cru d’abord, les tâches basiques de la documentation ou du calcul qui vont être concernées, mais toutes les tâches intellectuelles qui vont être radicalement transformées. Au-delà de son étendue, c’est aussi le rythme toujours accéléré de ce changement qui interroge.

Ces évolutions sont déjà en cours, elles modifient déjà notre vie quotidienne au travail, mais pas seulement dans ce domaine. À travers quelques exemples, nous montrerons ici les formes que ces évolutions prennent aujourd’hui sous l’influence de l’utilisation de l’intelligence artificielle. Ces exemples pourraient préfigurer le monde du travail de demain, sans que le débat social nécessaire ait eu lieu.

L’automatisation du travail et son impact

La controverse, entre les deux économistes oxfordiens Carl Frey et Michael Osborne [2], d’une part, et l’OCDE [3], d’autre part, sur le pourcentage d’emplois détruits ou fortement touchés d’ici dix à vingt ans par l’automatisation du travail montre bien à quel point le sujet est sensible. À travers la différence entre près de 50 % d’emplois détruits pour les premiers ou d’environ 10 % pour les seconds, on voit bien toute la relativité d’une méthodologie (supposée identique dans les deux études). Les résultats dépendent fortement de la façon dont elle est utilisée et des hypothèses que les chercheurs sont amenés à formuler, en fonction des réponses des acteurs de terrain.

On préférera s’intéresser ici à deux études basées sur des données d’emploi réelles, recueillies au cours des dernières décennies. Un article de mai 2017 de Daron Acemoglu et Pascual Restrepo [4], basé sur des statistiques d’emplois du Bureau du travail des États-Unis recueillies entre 1990 et 2007, aboutit aux conclusions suivantes :

– L’arrivée d’un nouveau robot industriel dans un groupe de mille travailleurs de l’industrie fait perdre, en moyenne, six emplois et diminue le salaire horaire d’environ 0,7 % ;

– Ramenée au niveau national, dans un contexte où l’appareil productif a évidemment évolué, en particulier dans les services, cette perte d’emploi est également avérée mais elle est limitée à environ trois emplois pour mille travailleurs et la baisse des salaires est de 0,3 %.

Une étude [5] de septembre 2017, consacrée aux conséquences de la robotisation de l’industrie allemande au cours des années 1994 à 2014, montre que l’installation d’un robot industriel se traduit en moyenne par la suppression de deux emplois (soit un quart des emplois dans l’industrie manufacturière au cours de la période), compensée par la création dans les services d’un nombre d’emplois équivalent. Le nombre de recrutements a significativement baissé pour les plus jeunes générations qui, à qualification égale voire supérieure, sont en outre embauchées à des salaires plus faibles que ceux dont bénéficiaient leurs homologues, il y a dix ou vingt ans. Au niveau salarial, l’écart se creuse avec les catégories les mieux rémunérées.

Les emplois de qualification moyenne et les emplois les moins qualifiés (menacés par une délocalisation dans des pays à faible coût de main-d’œuvre) sont donc touchés. Certes, à la faveur de l’automatisation, des productions peuvent être relocalisées mais pour un nombre très limité de créations d’emplois, comme dans la nouvelle usine Adidas en Allemagne [6] L’industrie y gagne en réactivité et peut satisfaire le consommateur plus rapidement en limitant les délais de livraison des produits, en particulier pour les produits de haute ou moyenne gamme.

L’intelligence artificielle, une rupture à venir ?

Pourtant, cette mutation de l’appareil productif n’en serait qu’à ses débuts. Pour l’instant, il faut bien constater que l’utilisation croissante des technologies de l’information et de la communication (TIC) ne s’est pas traduite par une augmentation majeure de la productivité. L’augmentation de cette productivité connaît même une décélération depuis quelques années, tendant vers une stagnation. Ce phénomène peut apparaître paradoxal à une époque où beaucoup font le constat d’une accélération de la capacité d’innovation vers plus d’efficacité et plus d’agilité, caractéristiques de nature à améliorer la productivité.

Ceci serait dû à la relative nouveauté des TIC et à leur dilution dans un contexte de production encore trop traditionnel, dans lequel le potentiel de l’intelligence artificielle (IA) s’atténue. Seules une véritable accumulation d’IA et l’évolution de ses formes sont susceptibles de produire leur plein effet. C’est en tout cas la théorie [7] de l’économiste américain Erik Brynjolfsson qui plaide notamment pour une adaptation du système de production à cette nouvelle entrante afin de lui permettre de déployer toutes ses capacités. Ce serait également une façon de relancer la redistribution des richesses, en panne depuis plusieurs décennies dans les pays développés. Cette question du partage de la plus-value constitue même l’élément structurant du livre de Ryan Avent, The Wealth of Humans[8] Dans un monde où l’emploi va se faire de plus en plus rare, comment procéder à un partage minimal des richesses qui, à défaut d’assurer la cohésion sociale, empêchera au moins la marmite bouillante des inégalités d’exploser ?

Au-delà du débat sur la suppression d’emplois, des effets qualitatifs majeurs sur le travail sont à venir, que nous croyons discerner dans les premiers usages de l’intelligence artificielle. Nous en présenterons ici trois exemples : le premier concernant plutôt les travailleurs manuels de l’industrie et des services, le deuxième les travailleurs intellectuels et le troisième les acteurs de la santé.

L’exosquelette, aide ou aliénation ?

Les exosquelettes d’assistance à l’effort sont des structures mécaniques qui doublent celle du squelette humain et lui confèrent des capacités physiques qu’il n’a pas ou plus [9]. Ils ont d’abord été développés dans le domaine militaire, mais des versions spécifiques au monde du travail apparaissent. C’est, par exemple, le cas d’équipements qui aident au port de charge ou accompagnent la réalisation de gestes répétitifs : l’être humain apporte la dextérité et la précision du geste, l’exosquelette apporte la force et accompagne le mouvement pour éviter qu’il ne soit forcé. Aujourd’hui, les exosquelettes sont encore souvent passifs et il faut reconnaître que les contraintes évitées sur une partie du corps sont souvent transférées sur une autre. La miniaturisation des composants et l’utilisation de l’intelligence artificielle devraient bientôt leur conférer un caractère actif qui les rendra plus performants.

À l’heure où l’équilibre financier des régimes de protection sociale semble nécessiter l’allongement des carrières professionnelles, ces équipements pourraient représenter une piste pour permettre à un travailleur vieillissant d’effectuer ses tâches sans trop solliciter ses articulations, souvent mises à mal dans les métiers manuels. De même, on peut imaginer qu’il soit également mis à la disposition d’un opérateur plus jeune afin d’éviter l’apparition des trop fréquents troubles musculo-squelettiques (TMS) ou des lombalgies dont sont victimes tant de travailleurs manuels. Ce serait un complément intéressant aux diverses mesures de prévention qui peuvent être prises en termes d’organisation du travail. Bien que les mouvements répétitifs ou forcés ne soient pas la seule cause de ces pathologies, ils y jouent un rôle déterminant.

Le prix de ces équipements n’est pas négligeable. Même s’ils génèrent des économies en matière de santé, on ne peut pas exclure la tentation de récupérer tout ou partie de l’investissement en augmentant le rythme de la production. Le risque d’un emballement du phénomène n’est pas exclu : la pression de la concurrence est telle (en particulier dans les pays à faible coût de main-d’œuvre) que, pour survivre, certaines entreprises ne seront plus en mesure de donner au facteur humain toute la part qu’il doit avoir dans l’organisation de la production. Cette révision à la hausse de la cadence de travail deviendra telle que le bénéfice de l’équipement du travailleur avec un exosquelette sera perdu. La situation peut même s’aggraver : n’étant plus pleinement libre de ses mouvements et contraint par le rythme excessif du travail, l’opérateur peut avoir le sentiment de perdre tout contrôle de son travail. Ce qui nous amène à cet autre fléau du travail d’aujourd’hui : les risques psychosociaux (RPS), dont l’influence sur le déclenchement des TMS a été largement démontrée.

On peut également considérer une autre variante : celle dans laquelle les progrès de la technologie, permis en particulier par l’intelligence artificielle, se seront traduits par un développement de la dextérité des robots leur permettant de remplacer l’humain, y compris pour les tâches nécessitant le plus d’habileté manuelle…

C’est un premier exemple de l’importance du débat social à propos du travail et des conditions dans lesquelles il s’effectue. Il concerne bien évidemment en premier lieu les employeurs et les travailleurs, mais aussi l’État qui est responsable de la régulation, à travers notamment la réglementation. Au-delà, il implique l’ensemble des citoyens, non seulement parce que la plupart d’entre eux ont été, sont ou seront actifs dans le monde du travail, mais aussi parce que leurs pratiques de consommation influent de plus en plus sur l’organisation professionnelle. L’intégration de ceux qui sont désignés sous le nom de « consomm’acteurs » dans les processus de création des informations, des activités et des biens va croissante.

L’exemple suivant va montrer que ce débat, si difficile à organiser et à faire vivre, y compris dans ses formes les plus classiques, peut se révéler parfaitement désuet et surtout inopérant face à certaines évolutions de la production déjà permises par des formes d’intelligence artificielle pourtant considérées comme faibles par rapport aux développements potentiels dans les années à venir.

Foundry, le retour du travail à la tâche

L’algorithme Foundry[10] a été conçu par un laboratoire de l’université Stanford. Il vise à faciliter le travail en mode projet en rassemblant de façon quasi instantanée les meilleures compétences disponibles dans toutes les disciplines nécessaires. Le recours aux TIC et en particulier à l’intelligence artificielle permet de faire travailler en équipe plusieurs dizaines voire plusieurs centaines de personnes qui, sauf effet du hasard, ne se connaissent pas, ne se sont jamais rencontrées et ne se rencontreront jamais. Ces personnes sont recrutées dans le monde entier. Nous allons décrire le principe de cette organisation, de façon très simplifiée.

La première tâche du chef de projet consiste en une analyse systémique du produit dont la réalisation lui a été confiée, avec pour objectif de déterminer les principales tâches qui seront à effectuer. Cette analyse transmise en texte brut à l’algorithme génère un envoi électronique de demandes de collaboration vers des spécialistes des disciplines correspondantes. Les destinataires ont préalablement enregistré leur profil détaillé dans des bases de ressources humaines (comme Upwork, par exemple). Pour chaque domaine de compétences identifié, le premier destinataire dispose de dix minutes maximum pour accepter ou refuser le travail proposé. En cas de refus, la proposition est transmise au suivant sur la liste des personnes compétentes. En cas d’acceptation, un contrat de prestation est expédié et le spécialiste dispose d’un temps limité (généralement compris entre une et cinq heures) pour effectuer immédiatement le travail qui vient de lui être confié. Il prend d’abord connaissance des données nécessaires à l’exécution de sa tâche, la réalise et, à la fin de cette courte mission, transmet le produit au chef de projet au moyen de l’algorithme. Il lui sera aussi demandé d’évaluer grâce à un questionnaire la qualité des données et des explications fournies, l’adéquation du temps accordé, etc. Il a également la possibilité de formuler des propositions d’amendement ou de réorientation du travail qui lui a été demandé : il est d’ailleurs encouragé à le faire et la notation de sa prestation intégrera cette implication.

Quand cette première boucle aura été effectuée, ses résultats permettront de générer de nouvelles tâches nécessaires pour l’avancement du projet qui seront traitées selon le même processus. Compte tenu du mode de sélection des spécialistes, il est peu probable que l’un d’entre eux soit sollicité à plusieurs reprises. Cependant, le chef de projet a la possibilité de stabiliser quelque peu son équipe en ayant recours à un même travailleur spécialisé, parmi ceux qui ont collaboré à l’analyse initiale du sujet et qui sont réputés avoir une très bonne connaissance de la discipline concernée et dont la prestation a donné satisfaction…

Sans entrer dans les détails techniques (le fonctionnement est plus complexe que celui décrit ici), il est intéressant de fournir quelques données plus précises sur les travaux qui ont été réalisés grâce à cet algorithme et les conditions de leur exécution.

Trois produits sont présentés dans la publication dont nous avons extrait les données suivantes : une application pour smartphone destinée à l’équivalent du Samu américain qui permet la transmission de données au cours du transfert de la personne avant son arrivée dans la structure médicale qui va la prendre en charge, un site internet pour une filiale d’un grand groupe de l’audit et du conseil, un jeu vidéo basé sur la transmission de récits. Chacun de ces produits a été jugé d’une qualité au moins équivalente à la qualité moyenne des produits analogues disponibles sur le marché. Leur conception a été réalisée en six semaines, y compris pour l’un des projets significativement réorienté en cours de réalisation à la suite de nombreuses propositions d’amélioration formulées par les différents acteurs.

La durée moyenne d’« embauche » a été d’environ quinze minutes, ce qui signifie que de nombreuses tâches ont été acceptées d’emblée et que peu de sollicitations successives ont été nécessaires avant acceptation. Seule une tâche n’a pas été pourvue par l’algorithme et a fait l’objet d’une « embauche de ressources humaines » plus classique.

Dans l’exemple précédent, on voit facilement l’ambivalence de cette forme d’organisation du travail. Elle peut être parfaitement adaptée à quelqu’un qui recherche délibérément un statut d’indépendant, en particulier s’il dispose de compétences rares et qu’il a acquis un certain degré de reconnaissance dans sa spécialité. De même, un travailleur disposant d’un salaire fixe peut y trouver une source de revenus complémentaires sur une base régulière ou quand il en ressent l’intérêt ou le besoin.

La situation apparaît moins favorable si l’on imagine que ce genre d’organisation du travail peut se répandre largement, voire devenir la norme et représenter la source de revenu principale. Le travailleur risque de s’engager dans une course incessante aux contrats avec l’obligation de rendre un produit de qualité optimale sous peine de voir diminuer sa e-reputation et donc son employabilité potentielle. Il doit aussi être disponible à toute heure du jour et de la nuit, compte tenu du caractère mondial de la passation de la commande et du mode de recrutement. La séparation entre la vie privée et la vie professionnelle devient de plus en plus ténue. Il s’avère également difficile d’avoir une vraie implication dans le travail, dans la mesure où les tâches sont très parcellaires, sans possibilité de vision globale de l’ensemble des étapes et sans réelle interactivité. Enfin, cette pratique signe aussi la fin du collectif de travail, une source d’enrichissement clairement identifiée en termes de vie professionnelle. Concernant les risques professionnels, ce collectif prévient aussi l’isolement du travailleur qui peut se traduire par un accroissement des RPS, en particulier dans un contexte de travail à la tâche, dont le risque a déjà été souligné plus haut.

Une santé connectée ?

Les problèmes de démographie médicale, en particulier dans certaines spécialités, la disparition des services publics dans certaines régions en raison de la désertification des régions rurales, la volonté de maîtriser les coûts, autant de facteurs qui plaident pour le développement de la télémédecine que le gouvernement actuel a décidé de promouvoir. Avec le développement des objets connectés [11], on peut imaginer que, demain, l’entrée dans le parcours de soins, à savoir souvent une consultation chez un généraliste, puisse se faire à travers un séjour de quelques minutes dans une cabine de diagnostic connectée. Installé par un personnel paramédical, le patient pourrait bénéficier d’un bilan plus complet que celui que peut effectuer le médecin au cours d’un quart d’heure de visite : prise de la tension, rythme cardiaque, prise de sang (à peine invasive), tests des réflexes, mais aussi vérification de l’acuité visuelle ou électrocardiogramme, beaucoup de choses sont déjà possibles. Beaucoup d’autres le seront demain. Cette cabine pourrait être installée dans une entreprise, dans un centre commercial, dans une pharmacie, dans un centre multiservices en milieu rural. Son financement (investissement et fonctionnement) pourrait être assuré par la Sécurité sociale (dans sa forme actuelle ou dans une version plus libérale), les mutuelles, l’État, les collectivités territoriales, etc.

Le dossier des examens effectués peut alors être transmis immédiatement à un médecin qui peut être à dix kilomètres… ou à mille. Ce médecin peut d’ailleurs s’entretenir en direct avec le patient, s’il a besoin de renseignements complémentaires. Mais la consultation en ligne du dossier complet de ce patient et, au besoin, le résumé élaboré par une intelligence artificielle bien conçue devraient constituer des éléments très utiles auxquels le praticien pourra avantageusement se référer avant de prescrire un traitement ou d’orienter le patient vers un confrère spécialiste. La consultation avec ce nouveau médecin pourra d’ailleurs souvent s’effectuer également en ligne mais, dans certains cas, il faudra recourir à une forme plus classique du colloque singulier : la consultation en face à face. Quoi qu’il en soit, beaucoup de temps et d’argent auront été épargnés.

Cette pratique de la médecine donnera-t-elle satisfaction au patient ? Ces dossiers médicaux si complets, si bien mis à jour suffiront-ils à traduire toute la complexité de la personnalité humaine ? Le médecin, pour qui l’écoute du patient est souvent si importante, ne risque-t-il pas de perdre cette capacité, celle qui aide à comprendre les petits (et parfois les grands) malaises du jour ? Pire, comment vivra-t-il l’injonction paradoxale quand son diagnostic issu des données qui lui sont communiquées et provenant de sa pratique entrera en contradiction avec le diagnostic posé avec une sûreté de 99 % par l’algorithme qui aura transmis et analysé les données sur la base des quelques millions de cas auxquels il peut accéder en quelques secondes dans toutes les bases de données connectées ? Quelle sera sa latitude décisionnelle quand cet algorithme lui rappellera que le degré de sûreté n’est pas de 99 % mais de 99,9 % et que son manque de confiance dans la technologie obère le financement (public, privé, mixte) des soins ? Quand il aura des présomptions raisonnables qu’un autre traitement que celui qui est conseillé est le bon ? Qu’en sera-t-il de sa responsabilité légale ? Combien de patients décideront de se tenir en dehors du système de soin officiel ? Combien opteront pour un second avis chez un praticien non conventionné… ou sur une autre plateforme de diagnostic à distance ?

Le développement de l’automatisation est un des nombreux facteurs qui ont concouru ces dernières années à la montée en puissance de la prescription du travail : toujours plus de normes, toujours plus de procédures pour garantir la traçabilité des opérations effectuées, un travail de plus en plus formaté, moins de capacité d’innovation. Des voix s’élèvent aujourd’hui pour s’interroger sur les conséquences de cette prescription en matière de créativité, alors que, paradoxalement, les entreprises n’ont jamais autant qu’aujourd’hui proclamé la nécessité de l’innovation continue et de l’agilité des entreprises et des travailleurs. L’intelligence artificielle ne risque-t-elle pas d’aggraver la situation ? Des études montrent que des personnes équipées de logiciels élaborés deviennent à terme moins performantes que d’autres dont les outils informatiques moins élaborés n’ont pas obéré la capacité de synthèse et d’innovation. Le renfermement de chacun dans une bulle assistée par ordinateur fait également courir le risque d’une perte de capital culturel et de capital social. Pour être inventif, il faut pouvoir se tromper, recommencer, transgresser les règles, avoir le temps de la réflexion et de l’échange, bénéficier d’une autonomie suffisante. La créativité présentée comme la condition de la compétitivité ne peut donc s’épanouir pleinement dans une organisation trop strictement réglée, sans marges de manœuvre pour les individus.

Notes

  • [1]
    L’intelligence artificielle faible est dévolue à une tâche précise et limitée. L’intelligence artificielle forte s’applique au contraire à la résolution de problèmes complexes, remplaçant l’homme dans certaines mises en œuvre de ses fonctions cognitives.
  • [2]
    Carl Benedikt Frey et Michael A. Osborne, The future of Employment: How susceptible are jobs to computerisation?, 17 septembre 2013, consultable sur http://www.oxfordmartin.ox.ac.uk
  • [3]
    France Stratégie, L’effet de l’automatisation sur l’emploi: ce qu’on sait et ce qu’on ignore, consultable sur http://www.strategie.gouv.fr
  • [4]
    Daron Acemoglu et Pascual Restrepo, « Robots and Jobs in the U.S. Labor Market », The NBER digest, mai 2017, consultable sur http://www.nber.org/digest/may17/may17.pdf
  • [5]
    Wolfgang Dauth (et al.), German robots : The impact of industrial robots on workers, disponible (avec un abonnement électronique payant) auprès du Centre for Economic Policy Research (Londres).
  • [6]
    Grégory Rozières, « Finie l’Asie, une partie des chaussures Adidas sera produite en Allemagne, mais par des robots », Le HuffPost, 25 mai 2016, consultable sur http://www.huffingtonpost.fr/2016/05/25/adidas-robots-allemagne_n_10130678.html
  • [7]
    Erik Brynjolfsson, Daniel Rock et Chad Syverson, Artificial Intelligence and the Modern Productivity Paradox: A Clash of Expectations and Statistics, consultable sur http://www.nber.org/papers/w24001
  • [8]
    Ryan Avent, The Wealth of Humans. Work and its absence in the Twenty-first Century, Penguin Books, 2017.
  • [9]
  • [10]
    Michael S. Bernstein, Tulsee Doshi, Negar Rahmati, Daniela Retelny, Alexandra To et Melissa A. Valentine, Flash Organizations: Crowdsourcing Complex Work By Structuring Crowds As Organizations, consultable sur http://dx.doi.org/10.1145/3025453.3025811
  • [11]
    Marie Defrance, Michel Héry, Jacques Leïchlé et Marc Malenfer, « Les plateformes d’intermédiation : quelles conséquences en santé et sécurité au travail en 2027 ? », Hygiène et sécurité du travail, mars 2018, n° 250, pp. 106-112.

Voir enfin:

How a misunderstanding about Chinese characters has led many astray

There is a widespread public misperception, particularly among the New Age sector, that the Chinese word for “crisis” is composed of elements that signify “danger” and “opportunity.” I first encountered this curious specimen of alleged oriental wisdom about ten years ago at an altitude of 35,000 feet sitting next to an American executive. He was intently studying a bound volume that had adopted this notorious formulation as the basic premise of its method for making increased profits even when the market is falling. At that moment, I didn’t have the heart to disappoint my gullible neighbor who was blissfully imbibing what he assumed were the gems of Far Eastern sagacity enshrined within the pages of his workbook. Now, however, the damage from this kind of pseudo-profundity has reached such gross proportions that I feel obliged, as a responsible Sinologist, to take counteraction.

A whole industry of pundits and therapists has grown up around this one grossly inaccurate statement. A casual search of the Web turns up more than a million references to this spurious proverb. It appears, often complete with Chinese characters, on the covers of books, on advertisements for seminars, on expensive courses for “thinking outside of the box,” and practically everywhere one turns in the world of quick-buck business, pop psychology, and orientalist hocus-pocus. This catchy expression (Crisis = Danger + Opportunity) has rapidly become nearly as ubiquitous as The Tao of Pooh and Sun Zi’s Art of War for the Board / Bed / Bath / Whichever Room.

The explication of the Chinese word for crisis as made up of two components signifying danger and opportunity is due partly to wishful thinking, but mainly to a fundamental misunderstanding about how terms are formed in Mandarin and other Sinitic languages. For example, one of the most popular websites centered on this mistaken notion about the Chinese word for crisis explains: “The top part of the Chinese Ideogram for ‘Crisis’ is the symbol for ‘Danger’: The bottom symbol represents ‘Opportunity’.” Among the most egregious of the radical errors in this statement is the use of the exotic term “Ideogram” to refer to Chinese characters. Linguists and writing theorists avoid “ideogram” as a descriptive referent for hanzi (Mandarin) / kanji (Japanese) / hanja (Korean) because only an exceedingly small proportion of them actually convey ideas directly through their shapes. (For similar reasons, the same caveat holds for another frequently encountered label, pictogram.) It is far better to refer to the hanzi / kanji / hanja as logographs, sinographs, hanograms, tetragraphs (from their square shapes [i.e., as fangkuaizi]), morphosyllabographs, etc., or — since most of those renditions may strike the average reader as unduly arcane or clunky — simply as characters.

The second misconception in this formulation is that the author seems to take the Chinese word for crisis as a single graph, referring to it as “the Chinese Ideogram for ‘crisis’.” Like most Mandarin words, that for “crisis” (wēijī) consists of two syllables that are written with two separate characters, wēi (危) and (機/机).

Chinese character wei 危Chinese character wēi

Chinese character ji1 -- in traditional form 機Chinese character (in traditional form)

Chinese character wei 危Chinese character wēi

Chinese character ji1 in simplified form 机Chinese character (in simplified form)

The third, and fatal, misapprehension is the author’s definition of as “opportunity.” While it is true that wēijī does indeed mean “crisis” and that the wēi syllable of wēijī does convey the notion of “danger,” the syllable of wēijī most definitely does not signify “opportunity.” Webster’s Ninth New Collegiate Dictionary defines “opportunity” as:

  1. a favorable juncture of circumstances;
  2. a good chance for advancement or progress.

While that may be what our Pollyanaish advocates of “crisis” as “danger” plus “opportunity” desire to signify, it means something altogether different.

The of wēijī, in fact, means something like “incipient moment; crucial point (when something begins or changes).” Thus, a wēijī is indeed a genuine crisis, a dangerous moment, a time when things start to go awry. A wēijī indicates a perilous situation when one should be especially wary. It is not a juncture when one goes looking for advantages and benefits. In a crisis, one wants above all to save one’s skin and neck! Any would-be guru who advocates opportunism in the face of crisis should be run out of town on a rail, for his / her advice will only compound the danger of the crisis.

For those who have staked their hopes and careers on the CRISIS = DANGER + OPPORTUNITY formula and are loath to abandon their fervent belief in as signifying “opportunity,” it is essential to list some of the primary meanings of the graph in question. Aside from the notion of “incipient moment” or “crucial point” discussed above, the graph for by itself indicates “quick-witted(ness); resourceful(ness)” and “machine; device.” In combination with other graphs, however, can acquire hundreds of secondary meanings. It is absolutely crucial to observe that possesses these secondary meanings only in the multisyllabic terms into which it enters. To be specific in the matter under investigation, added to huì (“occasion”) creates the Mandarin word for “opportunity” (jīhuì), but by itself does not mean “opportunity.”

A wēijī in Chinese is every bit as fearsome as a crisis in English. A jīhuì in Chinese is just as welcome as an opportunity to most folks in America. To confuse a wēijī with a jīhuì is as foolish as to insist that a crisis is the best time to go looking for benefits.

If one wishes to wax philosophical about the of wēijī, one might elaborate upon it as the dynamic of a situation’s unfolding, when many elements are at play. In this sense, is neutral. This can either turn out for better or for worse, but — when coupled with wēi — the possibility of a highly undesirable outcome (whether in life, disease, finance, or war) is uppermost in the mind of the person who invokes this potent term.

For those who are still mystified by the morphological (i.e., word-building) procedures of Sinitic languages, it might be helpful to provide a parallel case from English. An airplane is a machine that has the capability of flying through the air, but that does not imply that “air” by itself means airplane or that “plane” alone originally signified airplane. (The word “plane” has only come to mean “airplane” when it functions as a shortened form of the latter word.) The first element of the word airplane, like the first element of wēijī, presents no real problems: it is the stuff that makes up our earth’s atmosphere. The second element, however, like the second element of wēijī, is much trickier. There are at least half a dozen different monosyllabic words in English spelled “plane.” While most of these words are derived from a Latin root meaning “flat” or “level,” they each convey quite different meanings. The “plane” of “airplane” is said to be cognate with the word “planet,” which derives from a Greek word that means “wandering.” A planet is a heavenly body that wanders through space, and an airplane is a machine that wanders through the air. As Gertrude Stein might have said, “An airplane is an airplane is an airplane.” Neither “air” nor “plane” means “airplane”; only “airplane” means “airplane” – except when “plane” is being used as an abbreviation for “airplane”! Likewise, neither wēi nor means wēijī; only wēijī means wēijī. These are illustrations of the basic principles of word formation that are common to all languages. When etymological components enter into words, they take on the semantic coloring of their new environment and must be considered in that context.

As a matter of fact, the word “airplane” has a contested etymology (I follow Webster’s Third International), with some authorities believing that it derives from “air” + the apparent feminine of French plan (“flat, level”). Even with this latter etymon, however, we must recognize that “airplane” does not mean “a flat surface in the air,” but rather it signifies a heavier than air flying machine. That is to say, when entering into a word consisting of two or more morphemes, the constituent elements take on special meanings depending upon their new, overall environment. In “airplane,” the second element no longer means merely “wander” or “flat” — depending upon which etymology you favor.

Perhaps it would be worthwhile to offer another example from English that is closer to our Chinese word wēijī (“crisis”). Let’s take the –ity component of “opportunity,” “calamity” (“calamity” has a complicated etymology; see the Oxford English Dictionary, Barnhart, etc.), “felicity,” “cordiality,” “hostility,” and so forth. This –ity is a suffix that is used to form abstract nouns expressing state, quality, or condition. The words that it helps to form have a vast range of meanings, some of which are completely contradictory. Similarly the –jī of wēijī by itself does not mean the same thing as wēijī (“crisis”), jīhuì (“opportunity”), and so forth. The signification of jī changes according to the environment in which it occurs.

The construction of wēijī merits further investigation. The nature of this troublesome word will be much better understood if it is pointed out that, in Mandarin morphology, morphemes are divided into “bound” and “free” types. “Bound” morphemes can only occur in combination with other morphemes, whereas “free” morphemes can occur individually.

It just so happens that, in the real world of Mandarin word formation, wei and ji are both bound morphemes. They cannot occur independently. Just as the syllable/morphemes cri- and -sis that go together to make up the English word “crisis” cannot exist independently in an English sentence, so too wēi and cannot exist by themselves in a Mandarin sentence. They can only occur when combined with other word-forming elements, hence fēijī (“airplane”), jīhuì (“chance, opportunity”), wēixiǎn (“danger”), wēijī (“crisis”), and so forth.

Now let us look at the morphology of the word “crisis” itself, bearing in mind that it derives from Greek κρίσις (krisis) < κρίνω (krinō) (see the last section of this essay). The English suffix -sis may be analyzed as consisting of -si- + -s, where -si- is a Greek suffix and -s is the nominative singular ending in Greek. The suffix is used to form action or result nouns from verb roots: kri-si-s (“judgement, decision” > “crisis”); the-si-s (“act of putting [down]” > “thesis”); ap-he-si-s (“act of letting go” > “aphesis” – apo [“off, away”]). Greek -si- is cognate with Sanskrit -ti-. Greek -sis endings are nominal and productive (i.e., they can be added to roots to produce new nouns quite readily), and are often used to make abstractions, usually from verbs.

If one wants to find a word containing the element that means “opportunity” (i.e., a favorable juncture of circumstances, or a good chance for advancement), one needs to look elsewhere than wēijī, which means precisely “crisis” (viz., a dangerous, critical moment). One might choose, for instance, zhuǎnjī (“turn” + “incipient moment” = “favorable turn; turn for the better”), liángjī (“excellent” + “incipient moment” = “opportunity” [!!]), or hǎo shíjī (“good” + “time” + “incipient moment” = “favorable opportunity”).

Those who purvey the doctrine that the Chinese word for “crisis” is composed of elements meaning “danger” and “opportunity” are engaging in a type of muddled thinking that is a danger to society, for it lulls people into welcoming crises as unstable situations from which they can benefit. Adopting a feel-good attitude toward adversity may not be the most rational, realistic approach to its solution.

Finally, to those who would persist in disseminating the potentially perilous, fundamentally fallacious theory that “crisis” = “danger” + “opportunity,” please don’t blame it on Chinese!

Pertinent observations for those who are more advanced in Chinese language studies.

The word “crisis” enters the English language around 1425 with the meaning of “turning point in a disease,” in a translation of Chauliac’s Grande Chirurgie (Major Surgery). It was borrowed from Latin crisis, which in turn comes from Greek krisis (“a separating, distinguishing, discrimination, decision, judgement”), from krinein (“separate, decide, judge”). Chauliac’s first translation gives it as Old French crise, while the second translation has Latin crisis. The sense of “decisive moment” is first recorded in English in 1627 as a figurative extension of the original medical meaning. In Latin, crisis signified: 1. a (literary) judgement, 2. a critical stage in one’s life; climacteric. Since, in the Hippocratic-Galenic medical literature, “crisis” signified “a turning point in a disease; sudden change for better or worse,” this old Greek usage would be somewhat better positioned to serve as a justification for the “danger + opportunity” meme than does Chinese wēijī, which is, from the very beginning, always something worrisome and unwanted.

The earliest occurrences of the Chinese expression wēijī occur in the 3rd century A.D., at which time, and for centuries thereafter, they convey the notion of “latent danger.” It was not until the late 19th and early 20th centuries that wēijī came to mean “crisis,” as in “financial crisis,” “economic crisis,” and so on. How did this happen? It was almost certainly the result of matching up the old Chinese word wēijī (“latent danger”) with the Western concept of “crisis,” and carried out through the intermediary of Japanese, where it is pronounced kiki. This would make it another of the hundreds of modern Chinese terms that I refer to as “round-trip words” (see Sino-Platonic Papers, 34 [October, 1992]).

Many coinages that made it into twentieth-century báihuà (vernacular Mandarin) are based on traditional uses of words. That is to say, new compounds using draw on traditional uses of .

There is no traditional use of that means “opportunity” per se. Jīhuì is a neologism coined to translate the English word “opportunity.”

To say that means “opportunity” is like saying that the zōng of zōngjiào means “religion” (N.B.: jiào here means “doctrine, teaching”). Zōng traditionally means a line of orthodox transmission, or a clan lineage. It is anachronistic to say that zōng by itself means “religion.” For numerous examples of such calques and neologisms, many (such as those for “economics” and “society”) involving an initial borrowing into Japanese, and then a reborrowing into Chinese with a completely new, Westernized meaning, see Victor H. Mair, “East Asian Round-Trip Words,” Sino-Platonic Papers, 34 (October 1992).

Traditional senses of include: mechanism, inner workings (and by extension secrecy), germinal principle, pivotal juncture, crux, or a witty turn of thought.

This is the same that was used in the coinage yǒujī (organic), but we can hardly say that in and of itself means “organic.”

As examples of recent coinages using in innovative ways, we may cite jīzhì, which means “mechanism” or “machine-processed / produced.” There’s also another jīzhì meaning “quick-witted” where the zhì syllable is written with a different character than the zhì syllable of the jīzhì meaning “mechanism.” The latter jīzhì is based on the same sense of which is used in the expression dǎ Chánjī — to employ the gnomic, witty language of Chan (Zen) Buddhist teaching stories. If anyone is truly interested in sharpening his or her mind to meet the crises of the future, engagement with this kind of challenging wisdom might be a good place to begin.

Victor H. Mair
Professor of Chinese Language and Literature
Department of East Asian Languages and Civilizations
University of Pennsylvania
Philadelphia, PA 19104-6305
USA
Voir encore:

Tucker Carlson: The truth about demographic change and why Democrats want it

Native-born Americans of every race and class are being systematically disenfranchised. We need to start talking about it

Last week, we said something on television that the usual chorus of hyperaggressive liars is now pretending was somehow highly controversial. Ordinarily, we’d ignore all of this. Once you’ve been denounced as a White supremacist for quoting Martin Luther King Jr., you realize such criticism is all just all another form of social control. Honestly, who cares what they think?

But in this one case, we thought it might be worth pausing to restate the original point, both because it was true and worth saying, and also because America badly needs a national conversation about it.

On Thursday, our friend Mark Steyn guest-hosted the 7 p.m. hour on Fox. He did a segment on how federal authorities are allowing illegal aliens to fly without ID — something that, in case you haven’t noticed, you are not permitted to do. The following exchange took place in response to that story:

TUCKER CARLSON, ‘FOX NEWS PRIMETIME’, APRIL 8: I’m laughing because this is one of about 10 stories that I know you’ve covered where the government shows preference to people who have shown absolute contempt for our customs, our laws, our system itself, and they’re being treated better than American citizens.

Now, I know that the left and all the little gatekeepers on Twitter become literally hysterical if you use the term « replacement, » if you suggest that the Democratic Party is trying to replace the current electorate, the voters now casting ballots, with new people, more obedient voters from the Third World. But they become hysterical because that’s what’s happening, actually.

Let’s just say if that’s true, if look, if this was happening in your house, if you were in sixth grade, for example, and without telling you, your parents adopted a bunch of new siblings and gave them brand new bikes and let them stay up later and helped them with their homework and give them twice the allowance that they gave you. You would say to your siblings, « You know, I think we’re being replaced by kids that our parents love more. » And it would be kind of hard to argue against you because look at the evidence.

So this matters on a bunch of different levels. But on the most basic level, it’s a voting rights question. In a democracy, one person equals one vote. If you change the population, you dilute the political power of the people who live there. So every time they import a new voter, I’d become disenfranchized as a current voter. So I don’t understand. I mean, every wants to make a racial issue out of it. « Oh, the White replacement. » No, no, no. This is a voting rights question. I have less political power because they’re importing a brand new electorate. Why should I sit back and take that? The power that I have as an American, guaranteed at birth, is one man, one vote, and they’re diluting it. No, they’re not allowed to do that. Why are we putting up with this?

At least one prediction came true right away, all those little gatekeepers on Twitter did become hysterical. They’ve spent the last four days jumping up and down furiously, trying once again to pull the show off the air. Once again, they will fail, though it is amusing to see them keep at it. (They get so enraged. It’s a riot.)

TUCKER: EVERY TIME DEMOCRATS ‘IMPORT A NEW VOTER,’ THEY DILUTE AMERICANS’ POLITICAL POWER

But why all the anger? If someone says something you think is wrong, is your first instinct to hurt them? Probably not. Normal people don’t respond that way. If you hear something you think is incorrect, you try to correct it. But getting the facts right is hardly the point of this exercise. The point is to prevent unauthorized conversations from starting in the first place. « Shut up, racist! No more questions! » You’ve heard that before.

You wonder how much longer they imagine Americans are going to go along with this; an entire country forced to lie about everything all the time. It can’t go on forever, but you can see why they’re trying it.

Demographic change is the key to the Democratic Party’s political ambitions. Let’s say that again for emphasis, because it is the secret to the entire immigration debate: Demographic change is the key to the Democratic Party’s political ambitions. In order to win and maintain power. Democrats plan to change the population of the country. They’re no longer trying to win you over with their program. They’re obviously not trying to improve your life. They don’t even really care about your vote anymore. Their goal is to make you irrelevant.

That is provably true. And because it’s true, it drives them absolutely crazy when you say it out loud. A hurt dog barks. They scream about how noting the obvious is immoral, that you’re a racist if you dare to repeat things that they themselves proudly say. Most people go along with this absurd standard and dutifully shut up; they don’t think they have a choice. But no matter what they’re allowed to say in public, everyone understands the truth: When you change who votes, you change who wins. That fact has nothing inherently to do with race or nationality. It’s the nature of democracy. It is always true. You can watch it happen for yourself and you probably have.

ARIZONA AG SUES BIDEN ADMINISTRATION OVER IMMIGRATION POLICIES THAT HARM ENVIRONMENT

All across the country, we have seen huge changes in election outcomes caused by demographic change. New people move in and they vote differently. As a practical matter, it doesn’t matter what they look like or where they’re from, even. All that matters is that they have different political views. This is every bit as true when the migrants come from Brooklyn as when they come from Oaxaca.

In Vermont, White liberals fleeing the mess they made in New York turned the state blue. As recently as 1992, Vermont was reliably Republican, as hard to believe as that is. Vermont is now a parody of lifestyle liberalism. That’s demographic change at work. You see the same thing happening in the state of New Hampshire as refugees from Massachusetts flood north and bring their bad habits with them.

Montana, Idaho, and Nevada all face similar problems. The affluent liberals who wrecked California aren’t sticking around to see how that ends. They’re running to the pallid hideaways of Boise and Bozeman, distorting local culture and real estate markets as they do it. Pretty soon, people who are born in the Mountain West won’t be able to live there. They’ll be, yes, replaced by private equity barons, yoga instructors and senior vice presidents from Google. Beautiful places are always in danger of being overrun by the worst people. Ask anyone who grew up in Aspen.

But in most of this country, it is immigration from other nations more than anything else that has driven political transformation. This is different from what we’ve seen in places like Vermont. Americans have every right to move to new states if they want, even if they have silly political opinions. But our leaders have no right to encourage foreigners to move to this country in order to change election results. Doing that is an attack on our democracy. Yet for decades, our leaders have done just that, and they keep doing it because it works.

WARNOCK ADMITS SIGNING EMAIL WITH FALSE INFORMATION ABOUT GEORGIA VOTING LAW

Consider Virginia. The counties across the Potomac River from Washington, D.C. now contain one of the largest immigrant communities in the United States. Most of these immigrants are hardworking and decent people. Many have been very successful in business. Good for them. But they also have very different politics from the people who used to live there. Their votes have allowed Democrats to seize control of the entire state and change it into something unrecognizable. Governor, Blackface Klanrobes in Richmond owes his job to immigrants in Arlington and Falls Church.

Similar trends are now underway in Georgia, North Carolina and many other states. Mass immigration increases the power of the Democratic Party, period. That’s the reason Democrats support it. It’s the only reason. If two hundred thousand immigrants from Poland showed up at our southern border tomorrow, Kamala Harris wouldn’t promise them health care. Why? Simple: Poles tend to vote Republican. That’s the difference. Democrats would deport those migrants immediately. N hand-wringing about how we’re a nation of immigrants. Hundreds of thousands of likely Republican voters massing in Tijuana would qualify as a national crisis. We’d have a border wall by Wednesday.

For Democrats, the point of immigration is not to show compassion to refugees, much less improve our country. It’s definitely not about racial justice. Mass immigration hurts African-Americans, perhaps more than anyone else. Immigration is a means to electoral advantage. It is about power. More Democratic voters mean more power for Democratic politicians. That’s the signature lesson of the state of California.

Between 1948 and 1992, the state of California voted for exactly one Democratic presidential candidate. Among America’s big population centers, in vivid contrast to Chicago and New York, California was reliably, proudly Republican. For eight years, no less a figure than Ronald Reagan ran the state. California had the country’s best schools, the best infrastructure, the best economy, not to mention the prettiest national environment on the planet. California was a model for the world.

TUCKER: THE SLOW PAINFUL DEATH OF CALIFORNIA

In 1980, Ronald Reagan, California’s former governor, became president of the United States. In retrospect, it never got any better for California. Midway through his second term, Reagan signed something called the Immigration Reform and Control Act of 1986. Though he likely didn’t realize it at the time, that law made future Ronald Reagans impossible. The Immigration Reform and Control Act brought about an amnesty, and a path to citizenship, for nearly three million foreign nationals living in the U.S. illegally. The next year, by executive order, Reagan added to that number. He halted the deportation of another 100,000 illegal minors, the Dreamers of his day.

The rest of the world watched carefully as this happened. Would-be migrants everywhere concluded that there was no real penalty for breaking America’s laws. In fact, there was a reward. Reagan also signed a law that required hospitals to provide free medical care regardless of immigration status. The Supreme Court had already guaranteed free education to anyone who showed up without a visa. So: Free hospitals, free schools, and amnesty if you get caught. Why wouldn’t the rest of the world come? They soon did.

If you’re ever bored, go back and read the coverage of the 1986 amnesty bill the day it passed. Everyone at the time, in both parties and the media, assured Americans that the new law would control our border. It was called the Immigration Reform and Control Act, after all. Well, the opposite happened: Huge new waves of migrants arrived immediately, many of them illegal. California was transformed virtually overnight into a Democratic state. In 1988, George H.W. Bush narrowly won California in the presidential election, but no Republican has won that state since. No Republican ever will win in California, not in our lifetimes. There are now about twice as many registered Democrats in California as there are Republicans.

There’s not much debate about how this happened. The counties in California with the highest percentage of Republicans are, not coincidentally, those with the lowest percentage of immigrants and vice versa. California changed because the population changed. Analysis of the 2012 presidential election, for example, showed that if you lived in the state of California in 1980, you probably still voted Republican. Your views hadn’t really changed. But as your state swelled with foreign voters, your views became irrelevant. Your political power, the power to control your own life, disappeared with the arrival of new people who diluted your vote. That was the whole point.

That’s not democracy, it’s cheating. Imagine watching a football game where one team decides to start the third quarter with an extra 40 players on the field. Would you consider that fair play? The Democratic Party did something very much like that in the state of California. They rigged the game with more people. They packed the electorate. As a result, Americans who grew up in California lost their most basic right in a democracy, the right to have their votes count.

This was true for all native-born Americans, by the way, not just Republicans. Los Angeles now has the largest Latin American population outside of Mexico City. Whites make up fewer than 30% of the population, down from more than 90% in 1960. But a less noticed decline has occurred among African Americans. According to demographer Joel Kotkin, over the last 30 years, the proportion of Black residents in Los Angeles has dropped by half. San Francisco is now just 5% Black; in 1980, it was 13%. You’ve heard a lot lately about the necessity of Black political power. In California, that power is evaporating due to mass immigration.

Democratic leaders never mention this trend, but it’s obvious to the people who live there. One poll found that almost 60% of black people in California would very much like to leave. Many already have. The exodus of American-born Californians of every color began shortly after the 1986 amnesty. It has grown to a panicked rush. It can now cost you five times as much to drive a U-Haul out of California than to drive a U-Haul in. That’s supply and demand at work. Not many Americans are moving to Los Angeles.

Yet for every Californian who abandons the state, several other people arrive from foreign countries. That’s why since 1990, the total population of California has grown by 10 million people. That’s the equivalent of an entirely new Michigan and North Carolina in just 30 years. It’s an awful lot of people in a very short period of time. Most of these new arrivals come from poor places. Their standard of living rises once they get to California. The state, however, has become much poorer. In 1986, California was the richest landmass of its size in the world. California now has more poor people than any state in the country as of this year, according to the best measurements available from the federal government. California has a higher poverty rate than Mississippi, indeed the highest in the nation.

CALIFORNIA COUNTY HELPS FUND UNIVERSAL BASIC INCOME PROGRAM RESTRICTED TO WOMEN OF COLOR

How did this happen? In a healthy country, one that prized honesty and free inquiry and legitimate social science, we wouldn’t be asking that question urgently. How did a place as idyllic as California become so miserable that huge numbers of people who were born there decided to abandon their homes and flee? If you cared about the United States, you would want to know the answer and you’d want to make absolutely certain it didn’t happen anywhere else. Yet the Democratic Party is working to make certain it happens everywhere else. That’s not a slur. It’s not a guess. We know it because they brag about it constantly.

The left becomes unhinged if you point out that American voters are being replaced by Democratic Party loyalists from other countries. You’re absolutely not allowed to say that, but they’re allowed to say that. And they do. They say it all the time. They’ve done studies on it, written long books about it, talked about it endlessly on television, often in the ugliest racial terms. They’re not ashamed at all, they don’t think they have to be ashamed. In the fall of 2018, a columnist for The New York Times wrote a piece that was literally entitled « We Can Replace Them« .

In case you wondered who the « them » was, the column told you explicitly. Thanks to demographic change, the author noted with hearty approval, the state of Georgia will soon be controlled by Democrats: « The potential is there. Georgia is less than 53 [%} non-Hispanic [W]hite ». Again, that’s a New York Times columnist, not some QAnon blogger.

They tell you that demographic replacement is an obsession on the right. No, it’s not. They say it’s some horrifying right-wing conspiracy theory, that the right is obsessed with it. No, the left is obsessed with it. In fact, it’s the central idea of the modern Democratic Party. Demographic replacement is their obsession because it’s their path to power. In 2013, future Obama Cabinet secretary Julian Castro went on CBS to explain why Texas will soon be a Democratic state.

TEXAS GOV. ABBOTT SENDS LETTER TO VP HARRIS DEMANDING MIGRANT FACILITY SHUTDOWN

CASTRO: In a couple of presidential cycles, you’ll be — on Election Night, you’ll be announcing that we’re calling the 38 electoral votes of Texas for the Democratic nominee for president. It’s changing. It’s going to become a purple state and then a blue state because of the demographics, because of the population growth of folks from outside of Texas. 

No one attacked Julian Castro for saying that. No one asked who these « folks from outside of Texas » might be or why they had a right to control the future of people who already lived in Texas. Nobody said a word about it. It seemed normal, it was normal, it still is normal. In Washington, what qualifies as shocking is any real attempt to protect democracy.

In the summer of 2019, then-President Donald Trump promised — falsely, as it turned out — that he was going to deport huge numbers of foreign nationals living here illegally. Kamala Harris’s response to this was revealing. She could have argued, as Democrats often do, that deportation is cruel and it’s un-American. But she didn’t say that. Instead, she told the truth about it,

« Let’s call this what it is, » Harris wrote on Twitter. « It’s an attempt to remake the demographics of our country by cracking down on immigrants. That this threat is coming from the president of the United States is deeply reprehensible and an affront to our values. We will fight this. »

MIRANDA DEVINE: HARRIS MUST SEE FIRSTHAND THAT ‘OPEN BORDER’ POLICIES DON’T WORK

But wait a second, Trump had announced had announced he was deporting illegal aliens, who aren’t allowed to vote in our elections. They’re not even allowed to live here. How was sending them home to their own country « an attempt to remake the demographics of our country »? Illegal aliens shouldn’t even count in the demographics of our country. They’re not Americans.

Kamala Harris’s response only makes sense if you believe that the millions of foreigners breaking our laws to live here are future Democratic voters, and that’s exactly what she does believe. It’s shocking if you think about it, and that’s why you’re not allowed to think about it. Thinking about what Kamala Harris is planning, Kamala Harris herself would like you to know, is deeply reprehensible and an affront to our values. In other words, submit to our scheme or you’re immoral.

If you heard prominent people talk like this in any other country, you’d be confused. A nation’s leadership class admitting they hope to replace their own citizens seems grotesque. If you believed in democracy, you would work to protect the potency of every citizen’s vote, obviously. You wonder if people even debate questions like this in countries that don’t hate themselves, like Japan or South Korea or Israel.

Go to the Anti-Defamation League’s (ADL) website sometime if you’d like a glimpse of what an unvarnished conversation about a country’s national interest might look like. In a short essay posted to the site, the ADL explains why the state of Israel should not allow more Arabs to become citizens with voting rights:

« With historically high birth rates among the Palestinians and a possible influx of Palestinian refugees and their descendants now living around the world, » the ADL explains, « Jews would quickly be a minority within a bi-national state, thus likely ending any semblance of equal representation and protections. In this situation, the Jewish population would be increasingly politically — and potentially physically — vulnerable.

« It is unrealistic and unacceptable, » the ADL continues, « to expect the State of Israel to voluntarily subvert its own sovereign existence and nationalist identity and become a vulnerable minority within what was once its own territory. »

Now, from Israel’s perspective, this makes perfect sense. Why would any democratic nation make its own citizens less powerful? Isn’t that the deepest betrayal of all? In the words of the ADL, why would a government subvert its own sovereign existence? Good question. Maybe ADL President Jonathan Greenblatt will join « Tucker Carlson Tonight » some time to explain and tell us whether that same principle applies to the United States. Most Americans believe it does. Unfortunately, most Americans don’t have a say in the matter.

Most Americans aren’t even allowed to have the conversation. So they watch from the sidelines as their democracy is murdered by people who claim to be its defenders. « Democracy! Democracy! Democracy! » screams the Twitter mob, even as the votes of the people who were born here declined steadily in value — diluted and increasingly worthless, like the U.S. dollar. This is what it looks like when an entire native population — Black and White, but every one of them an American — is systematically disenfranchized. Middle class Americans become less powerful every year. They have less economic power, and thanks to mass immigration, they now have less political power. The leaders making these changes have no sympathy for their victims. They blame the country for its own suffering. You always hate the people you hurt.

That’s all true. Every honest person knows that it’s true. As long as we’re here, we’re going to keep saying it out loud.

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In Georgia, a chance to rebuke white nationalism.

The New York Times

For a few hours on Saturday morning, I felt good about America. I was at a smallish rally in the Atlanta suburb of Riverdale, listening to Democratic politicians including Senator Kamala Harris and Georgia’s Stacey Abrams, who could become the first African-American female governor in American history. Abrams told a story she often repeats on the campaign trail, about being 17 and arriving at the governor’s mansion for a reception for Georgia’s high school valedictorians.

Her family didn’t have a car, and she described getting off the bus and walking with her parents along a driveway to a set of black gates. A guard approached, and she remembered him saying, “This is a private event — you don’t belong here.”

Though they were eventually let in, Abrams recalled little of the event itself. “The only clear memory I have of that day is a man standing in front of the most powerful place in Georgia, looking at me and telling me I don’t belong,” she said. “But with your help in 10 days we will open those gates wide!” The crowd stood, applauding and cheering, as Abrams said, “Because this is our Georgia!”

When the rally was over I checked the news. Reports of the killings at the Tree of Life synagogue in Pittsburgh were coming in. The social media posts of the man arrested in the shootings echoed a lie being peddled by Donald Trump, Fox News and some Republican politicians, which paints a group of bedraggled migrants about a thousand miles away as a dangerous invading horde subsidized by a shadowy puppet master. The gunman’s rampage, believed to be the deadliest anti-Semitic massacre in American history, came on the heels of a bomb campaign against leading Democrats that the police say was carried out by a fanatical Trump supporter, and by what the authorities describe as the racist murder of two African-Americans in their 60s at a Kentucky supermarket.

Right now America is tearing itself apart as an embittered white conservative minority clings to power, terrified at being swamped by a new multiracial polyglot majority. The divide feels especially stark in Georgia, where the midterm election is a battle between Trumpist reaction and the multicultural America whose emergence the right is trying, at all costs, to forestall.

“Any time there is progress made there will always be moments of retrenchment,” Abrams said to me later on Saturday. But, she added, “what I am more excited about is the counterforce that we’re seeing in the number of people running for office who represent a much more forward-looking, progressive vision.”

Abrams’s goal is to put together a coalition of African-American and other minority voters and white liberals. The potential is there; Georgia is less than 53 percent non-Hispanic white. “Georgia is a blue state if everybody votes,” DuBose Porter, chairman of the Democratic Party of Georgia, told me.

Abrams’s opponent, the Georgia secretary of state Brian Kemp, ahead by a couple of percentage points in the polls, doesn’t want to see that happen. Last week, Rolling Stone obtained audio of Kemp telling donors of his “concern” about what might happen in Georgia “if everybody uses and exercises their right to vote.” As the secretary of state overseeing his own election, he’s taken steps to make that harder. His office has frozen new voter registrations for minor discrepancies with official records, and, starting in 2012, purged around 1.5 million people from the voter rolls — some simply because they didn’t vote in previous elections. He’s fighting a court order to stop rejecting absentee ballots over questions about the authenticity of their signatures.

Kemp is the candidate of aggrieved whiteness. During the primary, he ran an ad boasting that he drives a big truck “just in case I need to round up criminal illegals and take ’em home myself.” (That would be kidnapping.) A person who claimed to be a Kemp canvasser recently wrote on the racist website VDare, “I know everything I need to know about what happens when blacks are in charge from Detroit, Haiti, South Africa, etc.” Kemp cannot be blamed for the words of his volunteers, but he’s made little discernible effort to distance himself from bigots.

This month he posed for a photograph with a white nationalist fan in a T-shirt saying, “Allah is not God, and Mohammad is not his prophet.”

Racists in Georgia, like racists all over America, are emboldened. A schoolteacher in Atlanta told me that over the weekend K.K.K. fliers were strewn around his suburb.

But the forces of democracy are rising, too. In Georgia’s highly diverse Seventh District, Carolyn Bourdeaux, part of the wave of women inspired to run for office by revulsion at Trump, is challenging Representative Rob Woodall, a Republican. Bourdeaux said that the Seventh, a majority-minority district with immigrants from all over the world, has been on the front lines of voter suppression. Nevertheless, her campaign said that early-voting turnout has reached presidential levels.

On Saturday morning, Abrams closed by reminding the crowd of Kemp’s views on democracy. “He said he is concerned that if everyone eligible to vote in Georgia does so, he will lose this election,” she said. “Let’s prove him right.” In a week, American voters can do to white nationalists what they fear most. Show them they’re being replaced.

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Greg Sargent

November 7, 2012

Peter Beinart, reflecting on the spectacular electoral success of Obama’s bet on America’s changing demographics, makes a bold prediction:

Four years ago, it looked possible that Barack Obama’s election heralded a new era of Democratic dominance. Now it looks almost certain….the face of America changed, and only one party changed with it….From the beginning, Obama has said he wants to be a transformational figure, a president who reshapes American politics for decades, another Reagan or FDR. He may just have achieved that Tuesday night.

Along these lines, Pew Research has released its analysis of the the exit poll numbers. It is striking:

Nationally, nonwhite voters made up 28% of all voters, up from 26% in 2008. Obama won 80% of these voters, the same as four years ago.

Obama’s support from nonwhites was a critical factor in battleground states, especially Ohio and Florida. In Ohio, blacks were 15% of the electorate, up from 11% in 2008. In Florida, Hispanics were 17% of the electorate, a slight increase from 14% in 2008. While minority compositional gains were not huge, they offset a strong tilt against Obama among white voters. Nationally, Romney won the white vote, 59% to 39%.

Romney won nearly six out of every 10 white voters, and still lost. The key point here is that the GOP explicitly bet on a reversal of demographic trends. The case for a Romney victory always rested on the hope that the electorate would be whiter and older than it was in 2008. The opposite happened — the election seemed to confirm that these trends will continue marching inexorably forward.

Before yesterday, gay marriage had never been ratified by popular vote. Now that has happened in three states, and gay marriage is legal in nine of them. The Defense of Marriage Act very well may be struck down by the Supreme Court next year, meaning all the gay couples in all these states will enjoy full recognition as married couples from the federal government. Health care reform is here to stay. Andrew Sullivan:

America crossed the Rubicon of every citizen’s access to healthcare, and re-elected a black president in a truly tough economic climate. The shift toward gay equality is now irreversible. The end of prohibition of marijuana is in sight. Women, in particular, moved this nation forward — pragmatically, provisionally, sensibly. They did so alongside the young whose dedication to voting was actually greater this time than in 2008, the Latino voters who have made the current GOP irrelevant, and African-Americans, who turned up in vast numbers, as in 2008.

Enormous challenges remain, and it’s always easy for people to overinterpret election results amid the euphoria of victory. But it’s hard to square all of this with the notion that this was a “small” election or a victory that was only ground out on the margins. And it will certainly be interesting to see where the GOP goes from here.

Voir enfin:

Le prédicateur Tariq Ramadan chante le « grand remplacement »

Mis en examen pour viols, il s’essaie au slam. «Soit vous partagez, soit on se servira!», prévient-il dans une lancinante diatribe anticolonialiste de 8 minutes, dédiée à tous ceux « qui ont subi la colonisation ».

On connaissait l’«islamologue», le «philosophe», l’auteur d’essais, l’organisateur de séminaires, voici que Tariq Ramadan s’improvise chanteur. Slameur, plus exactement, puisque son premier titre, «Qu’est-ce que vous croyez ?», dont il vient d’annoncer la sortie, se veut de la «poésie mise en musique». Alors que le prédicateur, mis en examen pour viols sur cinq femmes en France et en Suisse, comparaissait il y a quinze jours encore devant le tribunal correctionnel de Rouen pour diffamation, il se lance dans une diatribe indigéniste dédiée à tous ceux «qui ont subi la colonisation à travers le monde».

Il commence fort, sur fond de musique lancinante: «Cela fait des siècles que vous volez et mentez. Vous seriez venus, dites-vous, pour nous civiliser. Vous avez méprisé nos langues, nos cultures, nos religions, humilié nos mémoires, souillé nos traditions». Avant de reprendre en refrain: «Attendez ! Mais qu’est-ce que vous croyez ? Que l’on va rester là assis à vous regarder ? Piller nos terres, nos richesses, nos minerais ? Vous laisser tranquillement écrire l’histoire et la coloniser?»

«Soit vous partagez, soit on se servira»

Suivent les menaces à peine voilées: «Soit vous partagez, soit on se servira!». «Des peuples traversent la misère, restent fiers et dignes, et, même, ils se multiplient. Votre ordre et vos frontières n’auront raison ni de notre jeunesse, encore moins de la vie, pontifie-t-il. Demain, dans vos rues, nous marcherons, libres et sereins. Demain, entendez, la fraternité et la diversité seront seules garantes de votre sécurité».
Ironique, voire cynique, Tariq Ramadan joue avec les antiphrases… et la théorie du «grand remplacement» : «Vous avez peur ? Vous allez perdre vos privilèges et votre identité ? La mixité serait donc votre perte et bientôt vous serez sauvagement remplacés ? Dormez en paix, amis de l’égalité, nous ne sommes venus ni pour remplacer, ni pour voler. Au-delà des couleurs, des religions, nous sommes une bonne nouvelle, un vent de liberté».

Une petite musique qu’il avait déjà entonnée dans son livre Devoir de vérité*: «La France est encore prisonnière de ses aspirations impériales et de ses penchants dominateurs: elle n’a réglé ni la question du colonialisme, ni celle de la xénophobie et du racisme», assénait Ramadan dans un chapitre intitulé «Prisonnier politique?». Énumérant des personnalités blanches accusées de viol, il s’interrogeait encore: «Comment se fait-il que je sois le seul en prison, un  »Arabe », bien sûr, un  »musulman », dont la plus grande faute est sans doute de gêner la classe politique et les intellectuels français?».

Pour Henda Ayari, première femme à l’avoir accusé de viol, «la stratégie de Tariq Ramadan est de récupérer sa popularité et le soutien des personnes issues de l’immigration, en particulier des musulmans, en s’érigeant en protecteur des musulmans contre les  »méchants Français racistes et islamophobes »». Avocat de cette première plaignante, Me Jonas Haddad renchérit: «Cela participe d’une nouvelle offensive médiatique destinée à couvrir les évolutions de la procédure. Avec un slam, des cours, des petites vidéos pour s’autojustifier, il sort complètement de ce cadre judiciaire».

L’écrivain Mohamed Sifaoui, directeur de publication de la plateforme islamoscope.tv, n’y voit aussi que «du marketing»: «Ramadan a une détestation profonde pour la société française et occidentale, propre d’ailleurs aux Frères musulmans, analyse-t-il. Ce ressentiment s’est accentué avec son passage en prison. Malgré ces paroles qui cherchent à séduire les islamo-gauchistes, il sera très difficile pour lui de rebondir: il est désormais vomi par tous ceux qui étaient ses adeptes hier».

La sortie de l’album, Traversées, est prévue le 29 mai.

* Presses du Châtelet, 2019.

Voir enfin:

How Texas Turned Purple

No one knows what is going to happen in Texas on Election Day.And it’s been decades since anyone could say that.“The raw numbers in Texas, and the year-to-year or the election-to-election increase [in voter turnout] is really, you know, fairly stunning,” James Henson, the director of the Texas Politics Project, told me. “Texas is competitive this year, and it’s much more competitive than we’ve seen for 20 years.”

“For the longest time, when you think about parties in Texas—for instance, under the Obama era, it was the Tea Party versus the more mainstream conservatives—Democrats just simply didn’t have the numbers to really make much of an impact,” Emily Farris, a professor at Texas Christian University, told me. “It’s just such a huge shift.”

More than 9 million Texans voted early this year, more than the total number who voted in 2016, and the Election Day numbers are yet to come. According to data collected by The Texas Tribune, the state will likely reach a turnout rate of more than 60 percent, a level unseen since the 1990s.For a state that has long had one of the lowest turnout rates in the country, the change is remarkable, and it makes the outcome of this year’s elections impossible to foresee with any confidence. Turnout is up in metropolitan areas where Democrats hope to draw most of their votes from, but turnout is up in Republican areas too. Even if Biden doesn’t flip the state at the presidential level, Democrats might take the state House, giving them much more of a say in the upcoming redistricting process, which helped lock them out of power the last time it took place.“I think it’s much harder to predict, because there are so many people who haven’t participated in a primary before,” Sylvia Manzano, a principal at Latino Decisions, a polling firm that specializes in Hispanic-public-opinion surveys, told me. (Voters need not sign up with a party, but analysts often determine party affiliation by looking to see in which primary voters last participated.) “The suburbs have grown, and so it’s harder to say, ‘Oh, well, you know, it’s up in Collin County, or it’s up in Fort Bend County; that must mean more Trump votes. Not necessarily, because those counties are diversifying. There’s also more young people participating. So that does make it tricky.”What happened to Texas? Democrats’ victories in 2018 shifted control of a number of local offices, which allowed them to make voting in those jurisdictions easier. Years of work from the Democratic Party and local activists, aiming to turn out left-leaning voters, have started to pay off. Texas Governor Greg Abbott also expanded the early-voting period from one week to two weeks (much to the frustration of his own party, which sued him over it), although he later tried to suppress votes in populous counties by allowing them to have only one ballot dropbox each. As Texas Monthly’s Christopher Hooks writes, Abbott is facing criticism from the left for being ineffective in suppressing the coronavirus pandemic, and from the right for undertaking any restrictive public-health measures at all.The national trends at work during the Trump era are also changing Texas. The coronavirus pandemic has ravaged the state, killing almost 20,000 people and slowing the economy. Black and Latino voters in Texas, as elsewhere in the country, have suffered disproportionately from the effects of the pandemic. College-educated white voters, meanwhile, have shifted away from the Republican Party. And looming over it all is Donald Trump, who inspires tremendous intensity of feeling among both his supporters and his detractors.
“Donald Trump is a turnout and motivation machine for both Republicans and Democrats,” Henson said. “I think we saw that in 2018, and we’re seeing that now.”Democrats have been hoping for Texas to become purple for decades—the state’s demographics are similar to California’s, but its white population is much more conservative, and its voting population less diverse than the state at large. Statewide, Latinos make up nearly 40 percent of the population but accounted for only about 30 percent of the electorate in 2018, while non-Hispanic