La crise consiste justement dans le fait que le vieux meure et que le neuf ne peut apparaitre. Gramsci
La souveraineté appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. Constitution française (article 3)
Le Président de la République (…) assure et est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités. Constitution française (article 5)
Un peuple connait, aime et défend toujours plus ses moeurs que ses lois. Montesquieu
L’essentiel est d’être bon aux gens avec qui l’on vit. (…) Défiez-vous de ces cosmopolites qui vont chercher au loin dans leurs livres des devoirs qu’ils dédaignent de remplir autour d’eux. Tel philosophe aime les Tartares, pour être dispensé d’aimer ses voisins. Rousseau
Aux États-Unis, les plus opulents citoyens ont bien soin de ne point s’isoler du peuple ; au contraire, ils s’en rapprochent sans cesse, ils l’écoutent volontiers et lui parlent tous les jours. Ils savent que les riches des démocraties ont toujours besoin des pauvres et que, dans les temps démocratiques, on s’attache le pauvre par les manières plus que par les bienfaits. La grandeur même des bienfaits, qui met en lumière la différence des conditions, cause une irritation secrète à ceux qui en profitent; mais la simplicité des manières a des charmes presque irrésistibles : leur familiarité entraîne et leur grossièreté même ne déplaît pas toujours. Ce n’est pas du premier coup que cette vérité pénètre dans l’esprit des riches. Ils y résistent d’ordinaire tant que dure la révolution démocratique, et ils ne l’abandonnent même point aussitôt après que cette révolution est accomplie. Ils consentent volontiers à faire du bien au peuple ; mais ils veulent continuer à le tenir à distance. Ils croient que cela suffit ; ils se trompent. Ils se ruineraient ainsi sans réchauffer le coeur de la population qui les environne. Ce n’est pas le sacrifice de leur argent qu’elle leur demande; c’est celui de leur orgueil. Tocqueville
A celui qui n’a plus rien, la patrie est son seul bien. Jaurès
Les patries sont toujours défendues par les gueux, livrées par les riches. Péguy
Pour pouvoir continuer à diner en ville, la bourgeoisie accepterait n’importe quel abaissement de la nation. de Gaulle
Je m’insurge contre l’abus de langage par lequel, de plus en plus, on en vient à confondre le racisme défini au sens strict et des attitudes normales, légitimes même, et en tout cas inévitables. Le racisme est une doctrine qui prétend voir dans les caractères intellectuels et moraux attribués à un ensemble d’individus, de quelque façon qu’on le définisse, l’effet nécessaire d’un commun patrimoine génétique. On ne saurait ranger sous la même rubrique, ou imputer automatiquement au même préjugé l’attitude d’individus ou de groupes que leur fidélité à certaines valeurs rend partiellement ou totalement insensibles à d’autres valeurs. Il n’est nullement coupable de placer une manière de vivre et de penser au-dessus de toutes les autres, et d’éprouver peu d’attirance envers tels ou tels dont le genre de vie, respectable en lui-même, s’éloigne par trop de celui auquel on est traditionnellement attaché. Cette incommunicabilité relative n’autorise certes pas à opprimer ou détruire les valeurs qu’on rejette ou leurs représentants, mais, maintenue dans ces limites, elle n’a rien de révoltant. Elle peut même représenter le prix à payer pour que les systèmes de valeurs de chaque famille spirituelle ou de chaque communauté se conservent, et trouvent dans leur propre fonds les ressources nécessaires à leur renouvellement. Si comme je l’ai écrit ailleurs, il existe entre les sociétés humaines un certain optimum de diversité au-delà duquel elles ne sauraient aller, mais en dessous duquel elles ne peuvent non plus descendre sans danger, on doit reconnaître que cette diversité résulte pour une grande part du désir de chaque culture de s’opposer à celles qui l’environnent, de se distinguer d’elles, en un mot d’être soi; elle ne s’ignorent pas, s’empruntent à l’occasion, mais, pour ne pas périr, il faut que, sous d’autres rapports, persiste entre elles une certaine imperméabilité.[…] Rien ne compromet davantage, n’affaiblit de l’intérieur, et n’affadit la lutte contre le racisme que cette façon de mettre le terme, si j’ose dire, à toutes les sauces, en confondant une théorie fausse, mais explicite, avec des inclinations et des attitudes communes dont il serait illusoire d’imaginer que l’humanité puisse un jour s’affranchir ni même qu’il faille le lui souhaiter […] parce que ces inclinations et ces attitudes sont, en quelque sorte, consubstantielles à notre espèce, nous n’avons pas le droit de nous dissimuler qu’elles jouent un rôle dans l’histoire: toujours inévitables, souvent fécondes, et en même temps grosses de dangers quand elles s’exacerbent. J’invitais donc les lecteurs à douter avec sagesse, avec mélancolie s’ils voulaient, de l’avènement d’un monde où les cultures, saisies d’une passion réciproque, n’aspiraient plus qu’à se célébrer mutuellement, dans une confusion où chacune perdrait l’attrait qu’elle pouvait avoir pour les autres et ses propres raisons d’exister. […] il ne suffit pas de se gargariser année après année de bonnes paroles pour réussir à changer les hommes, […] en s’imaginant qu’on peut surmonter par des mots bien intentionnés des propositions antinomiques comme celles visant à “concilier la fidélité à soi et l’ouverture aux autres” ou à favoriser simultanément “l’affirmation créatrice de chaque identité et le rapprochement entre toutes les cultures. Lévi-Strauss
Tout racisme est un essentialisme et le racisme de l’intelligence est la forme de sociodicée caractéristique d’une classe dominante dont le pouvoir repose en partie sur la possession de titres qui, comme les titres scolaires, sont censés être des garanties d’intelligence et qui ont pris la place, dans beaucoup de sociétés, et pour l’accès même aux positions de pouvoir économique, des titres anciens comme les titres de propriété et les titres de noblesse. Bourdieu
Tout le monde s’est mis à s’intéresser aux débats! (…) Les gens ne sont pas contre les migrants, mais nous voulons un processus légal. On n’a pas le droit d’avoir une opinion. On est tout de suite des nazis, des déplorables non éduqués… C’est franchement la raison pour laquelle Donald Trump a été élu. Les gens en ont marre d’être méprisés. Ils ne cessent de l’attaquer, quoiqu’il fasse. Nous appelons ça le syndrome de dérangement trumpien. Il ne fait «que se défendre» et j’adore ses tweets« parce qu’ils lui permettent de contourner le mur médiatique. Nous, les partisans de Trump, ne prenons pas ses paroles de manière littérale. Il faut regarder ses actes. Mais la presse, elle, s’attache à chaque mot. Elle ne comprend pas son humour! Les enfants ne peuvent même plus porter un costume de Halloween en se peignant le visage en noir sans être soupçonnés de racisme… C’est comme ce mouvement #MeToo. Ça va trop loin. On a tous des maris, des fils, voudrions-nous les voir accusés sans preuves? (…) C’est la première fois que je peux imaginer comment la guerre civile a commencé en Amérique. Les passions sont tellement fortes. Lynette Vilano (activiste républicaine de Pennsylvanie)
Les gens attendaient Trump et son discours franc, qui dit les choses comme elles sont et qui promet de défendre les intérêts du peuple. Il ne tourne pas autour du pot et c’est ça qu’on aime. (…) et même si Trump ne le sait pas, je suis persuadé qu’il a été envoyé par Dieu pour réparer ce pays et lui rendre sa grandeur ! Le système est corrompu, nous devons revenir aux fondamentaux : les valeurs américaines, le travail, le respect. Obama est allé s’excuser autour du monde, et résultat, personne ne nous respecte. Cela va changer. Kelly Lee
Vous allez dans certaines petites villes de Pennsylvanie où, comme ans beaucoup de petites villes du Middle West, les emplois ont disparu depuis maintenant 25 ans et n’ont été remplacés par rien d’autre (…) Et il n’est pas surprenant qu’ils deviennent pleins d’amertume, qu’ils s’accrochent aux armes à feu ou à la religion, ou à leur antipathie pour ceux qui ne sont pas comme eux, ou encore à un sentiment d’hostilité envers les immigrants. Barack Obama (2008)
Pour généraliser, en gros, vous pouvez placer la moitié des partisans de Trump dans ce que j’appelle le panier des pitoyables. Les racistes, sexistes, homophobes, xénophobes, islamophobes. A vous de choisir. Hillary Clinton
Pendant toutes les années du mitterrandisme, nous n’avons jamais été face à une menace fasciste, donc tout antifascisme n’était que du théâtre. Nous avons été face à un parti, le Front National, qui était un parti d’extrême droite, un parti populiste aussi, à sa façon, mais nous n’avons jamais été dans une situation de menace fasciste, et même pas face à un parti fasciste. D’abord le procès en fascisme à l’égard de Nicolas Sarkozy est à la fois absurde et scandaleux. Je suis profondément attaché à l’identité nationale et je crois même ressentir et savoir ce qu’elle est, en tout cas pour moi. L’identité nationale, c’est notre bien commun, c’est une langue, c’est une histoire, c’est une mémoire, ce qui n’est pas exactement la même chose, c’est une culture, c’est-à-dire une littérature, des arts, la philo, les philosophies. Et puis, c’est une organisation politique avec ses principes et ses lois. Quand on vit en France, j’ajouterai : l’identité nationale, c’est aussi un art de vivre, peut-être, que cette identité nationale. Je crois profondément que les nations existent, existent encore, et en France, ce qui est frappant, c’est que nous sommes à la fois attachés à la multiplicité des expressions qui font notre nation, et à la singularité de notre propre nation. Et donc ce que je me dis, c’est que s’il y a aujourd’hui une crise de l’identité, crise de l’identité à travers notamment des institutions qui l’exprimaient, la représentaient, c’est peut-être parce qu’il y a une crise de la tradition, une crise de la transmission. Il faut que nous rappelions les éléments essentiels de notre identité nationale parce que si nous doutons de notre identité nationale, nous aurons évidemment beaucoup plus de mal à intégrer. Lionel Jospin (France Culture, 29.09.07)
Bien sûr, nous sommes résolument cosmopolites. Bien sûr, tout ce qui est terroir, béret, bourrées, binious, bref franchouillard ou cocardier, nous est étranger, voire odieux. Bernard-Henri Lévy (profession de foi du premier numéro du journal Globe, 1985)
Je n’oublie pas d’où je viens. Je ne suis pas l’enfant naturel de temps calme de la vie politique. Je suis le fruit d’une forme de brutalité de l’histoire, d’une effraction parce que la France était malheureuse et inquiète, si j’oublie tout cela, ce sera le début de l’épreuve. Emmanuel Macron
La jeune génération n’est pas encouragée à aimer notre héritage. On leur lave le cerveau en leur faisant honte de leur pays. (…) Nous, Français, devons nous battre pour notre indépendance. Nous ne pouvons plus choisir notre politique économique ou notre politique d’immigration et même notre diplomatie. Notre liberté est entre les mains de l’Union européenne. (…) Notre liberté est maintenant entre les mains de cette institution qui est en train de tuer des nations millénaires. Je vis dans un pays où 80%, vous m’avez bien entendu, 80% des lois sont imposées par l’Union européenne. Après 40 ans d’immigration massive, de lobbyisme islamique et de politiquement correct, la France est en train de passer de fille aînée de l’Eglise à petite nièce de l’islam. On entend maintenant dans le débat public qu’on a le droit de commander un enfant sur catalogue, qu’on a le droit de louer le ventre d’une femme, qu’on a le droit de priver un enfant d’une mère ou d’un père. (…) Aujourd’hui, même les enfants sont devenus des marchandises (…) Un enfant n’est pas un droit (…) Nous ne voulons pas de ce monde atomisé, individualiste, sans sexe, sans père, sans mère et sans nation. (…) Nous devons faire connaitre nos idées aux médias et notre culture, pour stopper la domination des libéraux et des socialistes. C’est la raison pour laquelle j’ai lancé une école de sciences politiques. (…) Nous devons faire connaitre nos idées aux médias et notre culture, pour stopper la domination des libéraux et des socialistes. C’est la raison pour laquelle j’ai lancé une école de sciences politiques. (…) La Tradition n’est pas la vénération des cendres, elle est la passation du feu. (…)Je ne suis pas offensée lorsque j’entends le président Donald Trump dire ‘l’Amérique d’abord’. En fait, je veux l’Amérique d’abord pour le peuple américain, je veux la Grande-Bretagne d’abord pour le peuple britannique et je veux la France d’abord pour le peuple français. Comme vous, nous voulons reprendre le contrôle de notre pays. Vous avez été l’étincelle, il nous appartient désormais de nourrir la flamme conservatrice. Marion Maréchal
Il est vrai qu’on annonçait jusqu’à environ 50 sièges pour le Rassemblement national, et ça va être nettement au-dessus. Cela s’explique notamment par le fait que les reports de voix pour les candidats opposés aux candidats RN ont été très mauvais. Les candidats d’extrême droite n’ont pas suscité de crainte des électeurs qui leur étaient opposés. Quand un candidat RN avait un duel avec la Nupes, les électeurs d’Ensemble ! ne sont pas allés voter pour le candidat de la gauche. Et quand un candidat RN faisait face à un candidat d’Ensemble !, les électeurs de la Nupes ne se sont pas non plus déplacés. Il n’y a plus de front républicain, sauf à la marge pour les candidats LR qui étaient face aux candidats RN. (…) Le fait que les membres du gouvernement et les candidats LREM s’en soient pris de manière très violente à Jean-Luc Mélenchon et à la Nupes a développé des relations très antagonistes entre ces deux électorats. C’est une tendance qu’on avait vue, mais dont on avait sous-estimé l’ampleur. Pour un électeur de gauche, Ensemble ! est aussi détesté que le RN. Et un électeur d’Ensemble ! ne se sent rien de commun avec un électeur de la Nupes. C’est la preuve de la tripartition de la vie politique, qu’on avait déjà notée lors de l’élection présidentielle, avec trois grands blocs qui sont totalement étanches : RN, Ensemble ! et Nupes. (…) l’abstention est quand même plus élevée qu’au premier tour. Et le RN avait obtenu un bon score dimanche dernier malgré une abstention forte, ce qu’on avait bien anticipé. (…) On ne peut pas encore dire de manière définitive pourquoi on s’est trompés. Il y a peut-être d’autres raisons que le mauvais report de voix dont ont bénéficié les candidats non RN, il faudra qu’on y travaille et ça prendra un peu de temps. Mais je ne pense pas que ça remettra fondamentalement en cause notre méthodologie. Les résultats de ce soir montrent ce qu’on sait déjà : les projections en nombre de sièges sont fragiles car une variation de quelques points dans les reports de vote de certains électorats a de grandes conséquences sur les résultats, puisque énormément de sièges se jouent à un point ou deux. Et en même temps, si on donne des fourchettes en nombre de sièges qui sont trop larges, ça n’intéresse pas grande monde… Mathieu Gaillard (IPSOS)
Les « élites » françaises, sous l’inspiration et la domination intellectuelle de François Mitterrand, on voulu faire jouer au Front National depuis 30 ans, le rôle, non simplement du diable en politique, mais de l’Apocalypse. Le Front National représentait l’imminence et le danger de la fin des Temps. L’épée de Damoclès que se devait de neutraliser toute politique « républicaine ». Cet imaginaire de la fin, incarné dans l’anti-frontisme, arrive lui-même à sa fin. Pourquoi? Parce qu’il est devenu impossible de masquer aux Français que la fin est désormais derrière nous. La fin est consommée, la France en pleine décomposition, et la république agonisante, d’avoir voulu devenir trop bonne fille de l’Empire multiculturel européen. Or tout le monde comprend bien qu’il n’a nullement été besoin du Front national pour cela. Plus rien ou presque n’est à sauver, et c’est pourquoi le Front national fait de moins en moins peur, même si, pour cette fois encore, la manœuvre du « front républicain », orchestrée par Manuel Valls, a été efficace sur les électeurs socialistes. Les Français ont compris que la fin qu’on faisait incarner au Front national ayant déjà eu lieu, il avait joué, comme rôle dans le dispositif du mensonge généralisé, celui du bouc émissaire, vers lequel on détourne la violence sociale, afin qu’elle ne détruise pas tout sur son passage. Remarquons que le Front national s’était volontiers prêté à ce dispositif aussi longtemps que cela lui profitait, c’est-à-dire jusqu’à aujourd’hui. Le parti anti-système a besoin du système dans un premier temps pour se légitimer. Nous approchons du point où la fonction de bouc émissaire, théorisée par René Girard va être entièrement dévoilée et où la violence ne pourra plus se déchaîner vers une victime extérieure. Il faut bien mesurer le danger social d’une telle situation, et la haute probabilité de renversement qu’elle secrète: le moment approche pour ceux qui ont désigné la victime émissaire à la vindicte du peuple, de voir refluer sur eux, avec la vitesse et la violence d’un tsunami politique, la frustration sociale qu’ils avaient cherché à détourner Les élections régionales sont sans doute un des derniers avertissements en ce sens. (…) leur seule possibilité de survivre serait d’anticiper la violence refluant sur elles en faisant le sacrifice de leur innocence. Elles devraient anticiper la colère d’un peuple qui se découvre de plus en plus floué, et admettre qu’elles ont produit le système de la victime émissaire, afin de détourner la violence et la critique à l’égard de leur propre action. Pour cela, elles devraient cesser d’ostraciser le Front national, et accepter pleinement le débat avec lui, en le réintégrant sans réserve dans la vie politique républicaine française. Pour cela, elles devraient admettre de déconstruire la gigantesque hallucination collective produite autour du Front national, hallucination revenant aujourd’hui sous la forme inversée du Sauveur. (…) Il faut bien avouer que nos élites du PS comme des Républicains ne prennent pas ce chemin, démontrant soit qu’elles n’ont strictement rien compris à ce qui se passe dans ce pays depuis 30 ans, soit qu’elles l’ont au contraire trop bien compris, et ne peuvent plus en assumer le dévoilement, soit qu’elles espèrent encore prospérer ainsi. (…) Il semble au contraire après ces régionales que tout changera pour que rien ne change. Deux solutions qui ne modifient en rien le dispositif mais le durcissent au contraire se réaffirment. La première solution, empruntée par le PS et désirée par une partie des Républicains, consiste à maintenir coûte que coûte le discours du front républicain en recherchant un dépassement du clivage gauche/droite. Une telle solution consiste à aller plus loin encore dans la désignation de la victime émissaire, et à s’exposer à un retournement encore plus dévastateur. Car le Front national aura un boulevard pour dévoiler qu’il a été la victime émissaire d’une situation catastrophique dont tout montre de manière de plus en plus éclatante qu’il n’y est strictement pour rien. En ce sens, si à court terme, la déclaration de Valls sur le Front national, fauteur de guerre civile, a semblé efficace, elle s’avérera sans doute à plus ou moins long terme, comme le stade ultime de l’utilisation du dispositif de la victime émissaire, avant que celui-ci ne s’écroule sur ses promoteurs mêmes. Car sans même parler des effets dévastateurs que pourrait avoir, a posteriori, un nouvel attentat, sur une telle déclaration, comment ne pas remarquer que les dernières décisions du gouvernement sur la lutte anti-terroriste ont donné rétrospectivement raison à certaines propositions du Front national? On voit mal alors comment on pourrait désormais lui faire porter le chapeau de ce dont il n’est pas responsable, tout en lui ôtant le mérite des solutions qu’il avait proposées, et qu’on n’a pas hésité à lui emprunter! La deuxième solution, défendue par une partie des Républicains suivant en cela Nicolas Sarkozy, consiste à assumer des préoccupations communes avec le Front national, tout en cherchant à se démarquer un peu par les solutions proposées. Mais comment faire comprendre aux électeurs un tel changement de cap et éviter que ceux-ci ne préfèrent l’original à la copie? Comment les électeurs ne remarqueraient-ils pas que le Front national, lui, n’a pas changé de discours, et surtout, qu’il a précédé tout le monde, et a eu le mérite d’avoir raison avant les autres, puisque ceux-ci viennent maintenant sur son propre terrain? Comment d’autre part concilier une telle proximité avec un discours diabolisant le Front national et cherchant l’alliance au centre? Curieuses élites, qui ne comprennent pas que la posture « républicaine », initiée par Mitterrand, menace désormais de revenir comme un boomerang les détruire. Christopher Lasch avait écrit La révolte des élites, pour pointer leur sécession d’avec le peuple, c’est aujourd’hui le suicide de celles-ci qu’il faudrait expliquer, dernière conséquence peut-être de cette sécession. Vincent Coussedière
Pour un certain nombre d’analystes, le relatif échec de l’assimilation des populations d’origine maghrébine en France par rapport aux vagues migratoires précédentes, se traduisant, entre autres, par le maintien de prénoms spécifiques au sein des deuxième et troisième générations, est relié à un facteur culturel essentiellement considéré sous sa forme religieuse, la pratique de l’islam, qui rendrait impossible à ses membres de devenir complètement des Français comme les autres. Or, si le rôle de ce facteur ne peut être totalement nié, il en existe cependant un autre, d’ordre démographique, renforçant considérablement le phénomène, qui est le non-tarissement des flux. En effet, les immigrés à l’assimilation réussie, que sont les Italiens, les Polonais, les Espagnols ou les Vietnamiens se sont totalement fondus dans la population française parce que, suite aux vagues migratoires très importantes, les flux d’arrivée se sont taris, coupant définitivement les nouveaux arrivants des évolutions récentes de leur culture d’origine. (…) En conséquence, il s’est produit une adaptation rapide à la culture du pays d’accueil puisque ces nouveaux arrivants n’avaient aucun intérêt à maintenir leur culture d’origine. Leurs enfants scolarisés avec les autres petits français, à une époque où l’école était inclusive et le niveau d’enseignement satisfaisant, s’intégraient pleinement conduisant dès la première génération à de nombreux mariages avec la population locale, puisqu’ils n’allaient pas chercher leur conjoint dans le pays de naissance de leurs parents, et à l’adoption de comportements de fécondité semblables aux « autochtones », conduisant à une stabilisation des effectifs. Pour montrer l’influence primordiale de ce facteur, il convient de citer le cas des immigrés vietnamiens et cambodgiens arrivés en une seule vague à la fin des années 1970, sans espoir de retour à l’époque, dont l’intégration dans la société française est particulièrement exemplaire, bien qu’ils ne soient pas de culture européenne, qu’ils pratiquent, en règle générale, une religion différente (le bouddhisme) et que leur apparence physique en fasse une minorité visible! Or, pour les Maghrébins, la situation apparaît différente car les flux migratoires ne se sont jamais arrêtés depuis le début des Trente Glorieuses, soit depuis 70 ans. Il n’y a jamais réellement eu de pause permettant à la population de s’assimiler, la fin de l’immigration de travail sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing laissant place à la politique de regroupement familial, qui va à la fois maintenir un niveau non négligeable du flux d’entrées chaque année et stimuler la natalité de ces populations du fait de la féminisation de l’immigration. En conséquence, pour une large part des Maghrébins, le cordon ombilical n’a pas été coupé avec le pays d’origine, ce qui sous-entend le maintien et la transmission des traditions culturelles d’une génération à l’autre, en particulier sur le plan religieux, et une politique matrimoniale non assimilationniste, privilégiant une certaine endogamie, que ce soit à travers des mariages au sein de la communauté en France ou avec des congénères du pays d’origine, un des principaux moteurs du regroupement familial à l’heure actuelle. Il convient donc de s’interroger sur ce sujet, quitte à poser une question taboue, qui risque de faire débat: l’immigration perpétuelle empêche-t-elle l’assimilation? En effet, il est légitime de se poser la question. Les Français d’origine maghrébine se seraient peut-être plus facilement assimilés et auraient probablement une situation économique meilleure, si les flux d’arrivées s’étaient taris au milieu des années 1990, leur permettant de se tourner complètement vers leur nouveau pays. Dans ce contexte, le fondamentalisme religieux aurait probablement plus difficilement pénétré notre société, puisqu’il est d’abord arrivé en France par l’Algérie. Parallèlement, la natalité serait plus basse, permettant une meilleure réussite scolaire des enfants et les quartiers d’accueil seraient moins homogènes ethniquement, favorisant l’assimilation, car les flux migratoires auraient été moins nombreux. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les jeunes Maghrébins nés en France sont peut-être les premières victimes de l’immigration continue, d’autant plus que les nouveaux arrivants viennent les concurrencer sur le marché du travail. Laurent Chalard
Présentée comme illusoire ou anachronique, la demande de régulation des flux migratoires est, sur tous les continents, une demande banale des classes populaires quelles que soient leurs origines. (…) Décrite comme l’illustration d’une dérive xénophobe des « petits blancs », on constate qu’elle concerne en réalité tous les “petits”, quelles que soient leurs origines ethniques ou religieuses. (…) comme les gens ordinaires ne peuvent ériger des frontières invisibles avec l’Autre (comme le font les classes supérieures), ils craignent évidemment plus de devenir minoritaires dans leur immeuble, leur village ou leur quartier. Car être ou devenir minoritaire, c’est dépendre de la bienveillance de la majorité. (…) C’est en cassant le rythme d’une immigration perpétuelle que les pouvoirs publics pourraient agir sur le contexte social (la réduction des arrivées de ménages précaires stopperait la spirale de la paupérisation) mais aussi sécuritaire (la stabilisation puis la baisse du nombre de jeunes assécherait le vivier dans lequel recrutent les milieux délinquants). En reprenant la main sur cet « exercice de souveraineté qui a en partie été délégué à l’échelon européen », les politiques pourraient ainsi jouer sur les flux permanents qui, comme l’explique Laurent Chalard, empêche l’assimilation. Cette politique répondrait enfin aux attentes de la population de ces quartiers qui demandent depuis des décennies une plus grande fermeté de l’Etat à l’égard de l’immigration clandestine mais aussi des dealers qui pourrissent la vie de ces territoires. Christophe Guilluy
La société ouverte (…), c’est la grande fake news de la mondialisation. Quand on regarde les choses de près, les gens qui vendent le plus la société ouverte sont ceux qui vivent dans le plus grand grégarisme social, ceux qui contournent le plus la carte scolaire, ceux qui vivent dans l’entre-soi et qui font des choix résidentiels qui leur permettent à la fin de tenir le discours de la société ouverte puisque de toute façon, ils ont, eux, les moyens de la frontière invisible. Et précisément, ce qui est à l’inverse la situation des catégories modestes, c’est qu’elles n’ont pas les moyens de la frontière invisible. Ca n’en fait pas des xénophobes ou des gens qui sont absolument contre l’autre. Ca fait simplement des gens qui veulent qu’un Etat régule. Christophe Guilluy
Ce qui est nouveau, c’est d’abord que la bourgeoisie a le visage de l’ouverture et de la bienveillance. Elle a trouvé un truc génial : plutôt que de parler de « loi du marché », elle dit « société ouverte », « ouverture à l’Autre » et liberté de choisir… Les Rougon-Macquart sont déguisés en hipsters. Ils sont tous très cools, ils aiment l’Autre. Mieux : ils ne cessent de critiquer le système, « la finance », les « paradis fiscaux ». On appelle cela la rebellocratie. C’est un discours imparable : on ne peut pas s’opposer à des gens bienveillants et ouverts aux autres ! Mais derrière cette posture, il y a le brouillage de classes, et la fin de la classe moyenne. La classe moyenne telle qu’on l’a connue, celle des Trente Glorieuses, qui a profité de l’intégration économique, d’une ascension sociale conjuguée à une intégration politique et culturelle, n’existe plus même si, pour des raisons politiques, culturelles et anthropologiques, on continue de la faire vivre par le discours et les représentations. (…) C’est aussi une conséquence de la non-intégration économique. Aujourd’hui, quand on regarde les chiffres – notamment le dernier rapport sur les inégalités territoriales publié en juillet dernier –, on constate une hyper-concentration de l’emploi dans les grands centres urbains et une désertification de ce même emploi partout ailleurs. Et cette tendance ne cesse de s’accélérer ! Or, face à cette situation, ce même rapport préconise seulement de continuer vers encore plus de métropolisation et de mondialisation pour permettre un peu de redistribution. Aujourd’hui, et c’est une grande nouveauté, il y a une majorité qui, sans être « pauvre » ni faire les poubelles, n’est plus intégrée à la machine économique et ne vit plus là où se crée la richesse. Notre système économique nécessite essentiellement des cadres et n’a donc plus besoin de ces millions d’ouvriers, d’employés et de paysans. La mondialisation aboutit à une division internationale du travail : cadres, ingénieurs et bac+5 dans les pays du Nord, ouvriers, contremaîtres et employés là où le coût du travail est moindre. La mondialisation s’est donc faite sur le dos des anciennes classes moyennes, sans qu’on le leur dise ! Ces catégories sociales sont éjectées du marché du travail et éloignées des poumons économiques. Cependant, cette« France périphérique » représente quand même 60 % de la population. (…) Ce phénomène présent en France, en Europe et aux États-Unis a des répercussions politiques : les scores du FN se gonflent à mesure que la classe moyenne décroît car il est aujourd’hui le parti de ces « superflus invisibles » déclassés de l’ancienne classe moyenne. (…) Toucher 100 % d’un groupe ou d’un territoire est impossible. Mais j’insiste sur le fait que les classes populaires (jeunes, actifs, retraités) restent majoritaires en France. La France périphérique, c’est 60 % de la population. Elle ne se résume pas aux zones rurales identifiées par l’Insee, qui représentent 20 %. Je décris un continuum entre les habitants des petites villes et des zones rurales qui vivent avec en moyenne au maximum le revenu médian et n’arrivent pas à boucler leurs fins de mois. Face à eux, et sans eux, dans les quinze plus grandes aires urbaines, le système marche parfaitement. Le marché de l’emploi y est désormais polarisé. Dans les grandes métropoles il faut d’une part beaucoup de cadres, de travailleurs très qualifiés, et de l’autre des immigrés pour les emplois subalternes dans le BTP, la restauration ou le ménage. Ainsi les immigrés permettent-ils à la nouvelle bourgeoisie de maintenir son niveau de vie en ayant une nounou et des restaurants pas trop chers. (…) Il n’y a aucun complot mais le fait, logique, que la classe supérieure soutient un système dont elle bénéficie – c’est ça, la « main invisible du marché» ! Et aujourd’hui, elle a un nom plus sympathique : la « société ouverte ». Mais je ne pense pas qu’aux bobos. Globalement, on trouve dans les métropoles tous ceux qui profitent de la mondialisation, qu’ils votent Mélenchon ou Juppé ! D’ailleurs, la gauche votera Juppé. C’est pour cela que je ne parle ni de gauche, ni de droite, ni d’élites, mais de « la France d’en haut », de tous ceux qui bénéficient peu ou prou du système et y sont intégrés, ainsi que des gens aux statuts protégés : les cadres de la fonction publique ou les retraités aisés. Tout ce monde fait un bloc d’environ 30 ou 35 %, qui vit là où la richesse se crée. Et c’est la raison pour laquelle le système tient si bien. (…) La France périphérique connaît une phase de sédentarisation. Aujourd’hui, la majorité des Français vivent dans le département où ils sont nés, dans les territoires de la France périphérique il s’agit de plus de 60 % de la population. C’est pourquoi quand une usine ferme – comme Alstom à Belfort –, une espèce de rage désespérée s’empare des habitants. Les gens deviennent dingues parce qu’ils savent que pour eux « il n’y a pas d’alternative » ! Le discours libéral répond : « Il n’y a qu’à bouger ! » Mais pour aller où ? Vous allez vendre votre baraque et déménager à Paris ou à Bordeaux quand vous êtes licencié par ArcelorMittal ou par les abattoirs Gad ? Avec quel argent ? Des logiques foncières, sociales, culturelles et économiques se superposent pour rendre cette mobilité quasi impossible. Et on le voit : autrefois, les vieux restaient ou revenaient au village pour leur retraite. Aujourd’hui, la pyramide des âges de la France périphérique se normalise. Jeunes, actifs, retraités, tous sont logés à la même enseigne. La mobilité pour tous est un mythe. Les jeunes qui bougent, vont dans les métropoles et à l’étranger sont en majorité issus des couches supérieures. Pour les autres ce sera la sédentarisation. Autrefois, les emplois publics permettaient de maintenir un semblant d’équilibre économique et proposaient quelques débouchés aux populations. Seulement, en plus de la mondialisation et donc de la désindustrialisation, ces territoires ont subi la retraite de l’État. (…) Même si l’on installe 20 % de logements sociaux partout dans les grandes métropoles, cela reste une goutte d’eau par rapport au parc privé « social de fait » qui existait à une époque. Les ouvriers, autrefois, n’habitaient pas dans des bâtiments sociaux, mais dans de petits logements, ils étaient locataires, voire propriétaires, dans le parc privé à Paris ou à Lyon. C’est le marché qui crée les conditions de la présence des gens et non pas le logement social. Aujourd’hui, ce parc privé « social de fait » s’est gentrifié et accueille des catégories supérieures. Quant au parc social, il est devenu la piste d’atterrissage des flux migratoires. Si l’on regarde la carte de l’immigration, la dynamique principale se situe dans le Grand Ouest, et ce n’est pas dans les villages que les immigrés s’installent, mais dans les quartiers de logements sociaux de Rennes, de Brest ou de Nantes. (…) In fine, il y a aussi un rejet du multiculturalisme. Les gens n’ont pas envie d’aller vivre dans les derniers territoires des grandes villes ouverts aux catégories populaires : les banlieues et les quartiers à logements sociaux qui accueillent et concentrent les flux migratoires. Christophe Guilluy
La focalisation sur le « problème des banlieues » fait oublier un fait majeur : 61 % de la population française vit aujourd’hui hors des grandes agglomérations. Les classes populaires se concentrent dorénavant dans les espaces périphériques : villes petites et moyennes, certains espaces périurbains et la France rurale. En outre, les banlieues sensibles ne sont nullement « abandonnées » par l’État. Comme l’a établi le sociologue Dominique Lorrain, les investissements publics dans le quartier des Hautes Noues à Villiers-sur-Marne (Val-de-Marne) sont mille fois supérieurs à ceux consentis en faveur d’un quartier modeste de la périphérie de Verdun (Meuse), qui n’a jamais attiré l’attention des médias. Pourtant, le revenu moyen par habitant de ce quartier de Villiers-sur-Marne est de 20 % supérieur à celui de Verdun. Bien sûr, c’est un exemple extrême. Il reste que, à l’échelle de la France, 85 % des ménages pauvres (qui gagnent moins de 993 € par mois, soit moins de 60 % du salaire médian, NDLR) ne vivent pas dans les quartiers « sensibles ». Si l’on retient le critère du PIB, la Seine-Saint-Denis est plus aisée que la Meuse ou l’Ariège. Le 93 n’est pas un espace de relégation, mais le cœur de l’aire parisienne. (…) En se désindustrialisant, les grandes villes ont besoin de beaucoup moins d’employés et d’ouvriers mais de davantage de cadres. C’est ce qu’on appelle la gentrification des grandes villes, symbolisée par la figure du fameux « bobo », partisan de l’ouverture dans tous les domaines. Confrontées à la flambée des prix dans le parc privé, les catégories populaires, pour leur part, cherchent des logements en dehors des grandes agglomérations. En outre, l’immobilier social, dernier parc accessible aux catégories populaires de ces métropoles, s’est spécialisé dans l’accueil des populations immigrées. Les catégories populaires d’origine européenne et qui sont éligibles au parc social s’efforcent d’éviter les quartiers où les HLM sont nombreux. Elles préfèrent déménager en grande banlieue, dans les petites villes ou les zones rurales pour accéder à la propriété et acquérir un pavillon. On assiste ainsi à l’émergence de « villes monde » très inégalitaires où se concentrent à la fois cadres et catégories populaires issues de l’immigration récente. Ce phénomène n’est pas limité à Paris. Il se constate dans toutes les agglomérations de France (Lyon, Bordeaux, Nantes, Lille, Grenoble), hormis Marseille. (…) On a du mal à formuler certains faits en France. Dans le vocabulaire de la politique de la ville, « classes moyennes » signifie en réalité « population d’origine européenne ». Or les HLM ne font plus coexister ces deux populations. L’immigration récente, pour l’essentiel familiale, s’est concentrée dans les quartiers de logements sociaux des grandes agglomérations, notamment les moins valorisés. Les derniers rapports de l’observatoire national des zones urbaines sensibles (ZUS) montrent qu’aujourd’hui 52 % des habitants des ZUS sont immigrés, chiffre qui atteint 64 % en Île-de-France. Cette spécialisation tend à se renforcer. La fin de la mixité dans les HLM n’est pas imputable aux bailleurs sociaux, qui font souvent beaucoup d’efforts. Mais on ne peut pas forcer des personnes qui ne le souhaitent pas à vivre ensemble. L’étalement urbain se poursuit parce que les habitants veulent se séparer, même si ça les fragilise économiquement. Par ailleurs, dans les territoires où se côtoient populations d’origine européenne et populations d’immigration extra-européenne, la fin du modèle assimilationniste suscite beaucoup d’inquiétudes. L’autre ne devient plus soi. Une société multiculturelle émerge. Minorités et majorités sont désormais relatives. (…) ces personnes habitent là où on produit les deux tiers du PIB du pays et où se crée l’essentiel des emplois, c’est-à-dire dans les métropoles. Une petite bourgeoisie issue de l’immigration maghrébine et africaine est ainsi apparue. Dans les ZUS, il existe une vraie mobilité géographique et sociale : les gens arrivent et partent. Ces quartiers servent de sas entre le Nord et le Sud. Ce constat ruine l’image misérabiliste d’une banlieue ghetto où seraient parqués des habitants condamnés à la pauvreté. À bien des égards, la politique de la ville est donc un grand succès. Les seuls phénomènes actuels d’ascension sociale dans les milieux populaires se constatent dans les catégories immigrées des métropoles. Cadres ou immigrés, tous les habitants des grandes agglomérations tirent bénéfice d’y vivre – chacun à leur échelle. En Grande-Bretagne, en 2013, le secrétaire d’État chargé des Universités et de la Science de l’époque, David Willetts, s’est même déclaré favorable à une politique de discrimination positive en faveur des jeunes hommes blancs de la « working class » car leur taux d’accès à l’université s’est effondré et est inférieur à celui des enfants d’immigrés. (…) Le problème social et politique majeur de la France, c’est que, pour la première fois depuis la révolution industrielle, la majeure partie des catégories populaires ne vit plus là où se crée la richesse. Au XIXe siècle, lors de la révolution industrielle, on a fait venir les paysans dans les grandes villes pour travailler en usine. Aujourd’hui, on les fait repartir à la « campagne ». C’est un retour en arrière de deux siècles. Le projet économique du pays, tourné vers la mondialisation, n’a plus besoin des catégories populaires, en quelque sorte. (…) L’absence d’intégration économique des catégories modestes explique le paradoxe français : un pays qui redistribue beaucoup de ses richesses mais dont une majorité d’habitants considèrent à juste titre qu’ils sont de plus en plus fragiles et déclassés. (…) Les catégories populaires qui vivent dans ces territoires sont d’autant plus attachées à leur environnement local qu’elles sont, en quelque sorte, assignées à résidence. Elles réagissent en portant une grande attention à ce que j’appelle le «village» : sa maison, son quartier, son territoire, son identité culturelle, qui représentent un capital social. La contre-société s’affirme aussi dans le domaine des valeurs. La France périphérique est attachée à l’ordre républicain, réservée envers les réformes de société et critique sur l’assistanat. L’accusation de «populisme» ne l’émeut guère. Elle ne supporte plus aucune forme de tutorat – ni politique, ni intellectuel – de la part de ceux qui se croient «éclairés». (…) Il devient très difficile de fédérer et de satisfaire tous les électorats à la fois. Dans un monde parfait, il faudrait pouvoir combiner le libéralisme économique et culturel dans les agglomérations et le protectionnisme, le refus du multiculturalisme et l’attachement aux valeurs traditionnelles dans la France périphérique. Mais c’est utopique. C’est pourquoi ces deux France décrivent les nouvelles fractures politiques, présentes et à venir. Christophe Guilluy
En 2016, Hillary Clinton traitait les électeurs de son opposant républicain, c’est-à-dire l’ancienne classe moyenne américaine déclassée, de « déplorables ». Au-delà du mépris de classe que sous-tend une expression qui rappelle celle de l’ancien président français François Hollande qui traitait de « sans-dents » les ouvriers ou employés précarisés, ces insultes (d’autant plus symboliques qu’elles étaient de la gauche) illustrent un long processus d’ostracisation d’une classe moyenne devenue inutile. (…) Depuis des décennies, la représentation d’une classe moyenne triomphante laisse peu à peu la place à des représentations toujours plus négatives des catégories populaires et l’ensemble du monde d’en haut participe à cette entreprise. Le monde du cinéma, de la télévision, de la presse et de l’université se charge efficacement de ce travail de déconstruction pour produire en seulement quelques décennies la figure répulsive de catégories populaires inadaptées, racistes et souvent proches de la débilité. (…) Des rednecks dégénérés du film « Deliverance » au beauf raciste de Dupont Lajoie, la figure du « déplorable » s’est imposée dès les années 1970 dans le cinéma. La télévision n’est pas en reste. En France, les années 1980 seront marquées par l’émergence de Canal +, quintessence de l’idéologie libérale-libertaire dominante. (…) De la série « Les Deschiens », à la marionnette débilitante de Johnny Hallyday des Guignols de l’info, c’est en réalité toute la production audiovisuelle qui donne libre cours à son mépris de classe. Christophe Guilluy
Les territoires populistes sont toujours les mêmes, l’Amérique périphérique, l’Europe périphérique. Ce sont toujours ces territoires où l’on créé le moins d’emplois qui produisent ces résultats : les petites villes, les villes moyennes désindustrialisées et les zones rurales. La difficulté est intellectuelle pour ce monde d’en haut ; les politiques, les journalistes, les universitaires etc… Il faut penser deux choses à la fois. Objectivement, nous avons une économie qui créée de la richesse, mais ce modèle fonctionne sur un marché de l’emploi très polarisé, et qui intègre de moins en moins et créé toujours plus d’inégalités sociales et territoriales C’est ce qui a fait exploser ce clivage droite gauche qui était parfait, aussi longtemps que 2 Français sur 3 faisaient partie de la classe moyenne. Si on n’intègre pas les gens économiquement, ils se désaffilient politiquement. (…) C’est là où il y a le plus de chômage, de pauvreté, d’ouvriers, et le plus de gens qui votent FN. (…) Aujourd’hui les classes populaires ne vivent plus aux endroits où se créent les emplois et la richesse. Le marché de l’immobilier s’est chargé, non pas dans une logique de complot, évidemment, mais dans une simple logique de marché, de chasser les catégories dont le marché de l’emploi n’avait pas besoin. Ces gens se trouvent déportés vers les territoires où il ne se passe rien. Or, les élites n’ont de cesse de parier sur la métropolisation, il est donc nécessaire que s’opère une révolution intellectuelle. Il serait peut-être temps de penser aux gens qui ne bénéficient pas de ces dynamiques, si on ne veut pas finir avec un parti populiste en 2022. (…) Tout le bas ne peut pas être représenté que par le Front national. Il faut que les partis aillent sur ces thématiques. Il y a toujours eu un haut et un bas, et des inégalités, la question est qu’il faut que le haut soit exemplaire pour le bas, et qu’il puisse se connecter avec le bas. Il faut que le « haut » intègre les problématiques du « bas » de façon sincère. C’est exactement ce qui s’était passé avec le parti communiste, qui était composé d’une base ouvrière, mais aussi avec des intellectuels, des gens qui parlaient « au nom de ». Aujourd’hui c’est la grande différence, il n’y a pas de haut qui est exemplaire pour le bas. La conséquence se lit dans le processus de désaffiliation et de défiance des milieux populaires dans la France périphérique mais aussi en banlieue. Plus personne n’y croit et c’est cela l’immense problème de la classe politique, des journalistes etc. et plus généralement de la France d’en haut. Ces gens-là considèrent que le diagnostic des gens d’en bas n’est pas légitime. Ce qui est appelé « populisme ». Et cela est hyper fort dans les milieux académiques, et cela pèse énormément. On ne prend pas au sérieux ce que disent les gens. Et là, toute la machinerie se met en place. Parce que l’aveuglement face aux revendications des classes populaires se double d’une volonté de se protéger en ostracisant ces mêmes classes populaires. La posture de supériorité morale de la France d’en haut permet en réalité de disqualifier tout diagnostic social. La nouvelle bourgeoisie protège ainsi efficacement son modèle grâce à la posture antifasciste et antiraciste. L’antifascisme est devenu une arme de classe, car elle permet de dire que ce racontent les gens n’est de toute façon pas légitime puisque fasciste, puisque raciste. La bien-pensance est vraiment devenue une arme de classe. Notons à ce titre que dans les milieux populaires, dans la vie réelle les gens, quels que soient leurs origines ne se parlent pas de fascisme ou d’antifascistes, ça, ce n’est qu’un truc de la bourgeoisie. Dans la vie, les gens savent que tout est compliqué, et les gens sont en réalité d’une hyper subtilité et cherchent depuis des décennies à préserver leur capital social et culturel sans recourir à la violence. Le niveau de violence raciste en France reste très bas par rapport à la situation aux États Unis ou au Royaume Uni. Cette posture antifasciste, à la fin, c’est un assèchement complet de la pensée. Plus personne ne pense la question sociale, la question des flux migratoires, la question de l’insécurité culturelle, celle du modèle économique et territorial. Mais le haut ne pourra se régénérer et survivre que s’il parvient à parler et à se connecter avec le bas. (…) Cela implique que les partis intègrent toutes ces questions ; mondialisation, protectionnisme, identité, migrations etc… On ne peut pas traiter ces questions derrière le masque du fascisme ou de l’antifascisme. Christophe Guilluy
La question qui obsède les Corses aujourd’hui est la question qui hante toute la France périphérique et toutes les classes moyennes et populaires occidentales au XXIe siècle : « Vais-je devenir minoritaire dans mon île, mon village, mon quartier ? » C’est à la lumière de cette angoisse existentielle qu’il faut comprendre l’affaire du burkini sur la plage de Sisco, en juillet 2016, ou encore les tensions dans le quartier des Jardins de l’Empereur, à Ajaccio, en décembre 2015. C’est aussi à l’aune de cette interrogation qu’il faut évaluer le vote « populiste » lors de la présidentielle ou nationaliste aujourd’hui. En Corse, il y a encore une culture très forte et des solidarités profondes. À travers ce vote, les Corses disent : « Nous allons préserver ce que nous sommes. » Il faut ajouter à cela l’achat par les continentaux de résidences secondaires qui participe de l’insécurité économique en faisant augmenter les prix de l’immobilier. Cette question se pose dans de nombreuses zones touristiques en France : littoral atlantique ou méditerranéen, Bretagne, beaux villages du Sud-Est et même dans les DOM-TOM. En Martinique aussi, les jeunes locaux ont de plus en plus de difficultés à se loger à cause de l’arrivée des métropolitains. La question du « jeune prolo » qui ne peut plus vivre là où il est né est fondamentale. Tous les jeunes prolos qui sont nés hier dans les grandes métropoles ont dû se délocaliser. Ils sont les pots cassés du rouleau compresseur de la mondialisation. La violence du marché de l’immobilier est toujours traitée par le petit bout de la lorgnette comme une question comptable. C’est aussi une question existentielle ! En Corse, elle est exacerbée par le contexte insulaire. Cela explique que, lorsqu’ils proposent la corsisation des emplois, les nationalistes font carton plein chez les jeunes. C’est leur préférence nationale à eux. (…) La condition de ce vote, comme de tous les votes populistes, est la réunion de l’insécurité sociale et culturelle. (…) Le ressort du vote populiste est double et mêlé. Il est à la fois social et identitaire. De ce point de vue, la Corse est un laboratoire. L’offre politique des nationalistes est pertinente car elle n’est pas seulement identitaire. Elle prend en compte la condition des plus modestes et leur propose des solutions pour rester au pays et y vivre. Au-delà de l’effacement du clivage droite/gauche et d’un rejet du clanisme historique, leur force vient du fait qu’ils représentent une élite et qu’ils prennent en charge cette double insécurité. Cette offre politique n’a jamais existé sur le continent car le FN n’a pas intégré une fraction de l’élite. C’est même tout le contraire. Ce parti n’est jamais parvenu à faire le lien entre l’électorat populaire et le monde intellectuel, médiatique ou économique. Une société, c’est une élite et un peuple, un monde d’en bas et un monde d’en haut, qui prend en charge le bien commun. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le vote nationaliste et/ou populiste arrive à un moment où la classe politique traditionnelle a déserté, aussi bien en Corse que sur le continent. L’erreur de la plupart des observateurs est de présenter Trump comme un outsider. Ce n’est pas vrai. S’il a pu gagner, c’est justement parce qu’il vient de l’élite. C’est un membre de la haute bourgeoisie new-yorkaise. Il fait partie du monde économique, médiatique et culturel depuis toujours, et il avait un pied dans le monde politique depuis des années. Il a gagné car il faisait le lien entre l’Amérique d’en haut et l’Amérique périphérique. Pour sortir de la crise, les sociétés occidentales auront besoin d’élites économiques et politiques qui voudront prendre en charge la double insécurité de ce qu’était hier la classe moyenne. C’est ce qui s’est passé en Angleterre après le Brexit, ce qui s’est passé aux Etats-Unis avec Trump, ce qui se passe en Corse avec les nationalistes. Il y a aujourd’hui, partout dans le monde occidental, un problème de représentation politique. Les électeurs se servent des indépendantismes, comme de Trump ou du Brexit, pour dire autre chose. Christophe Guilluy
Il faut arrêter le discours du magistère des prétentieux. Cette idée de rééducation du peuple, en lui montrant la voie, n’est pas possible. Une société, c’est une majorité de catégories modestes et l’objectif d’une démocratie, c’est de servir prioritairement ces catégories. C’est dans ce sens là qu’il faut aller. Il faut prendre ces gens au sérieux, il faut prendre en compte les diagnostics des classes populaires sur leurs souhaits d’être protégés, ce qui ne veut pas dire être assistés. Ces catégories veulent du travail, elles veulent qu’on les respecte culturellement, et ne pas se faire traiter de « déplorables » ou de sans dents » – ce qui fait partie intégrante du problème identitaire que nous avons aujourd’hui qui est le produit de ces attaques là -. (…) Les gens veulent de la protection, du travail, de la régulation économique mais aussi une régulation des flux migratoires. Je parle ici de tout le monde d’en bas, parce que la demande de régulation des flux migratoires vient de toutes les catégories modestes quelles que soient les origines. Tout le monde veut la même chose alors que lorsque les gens parlent de la question migratoire, on les place sur la question raciale, non. C’est anthropologiquement vrai pour toutes les catégories modestes, et cela est vrai partout. Dans tous les pays, les catégories modestes veulent vivre tranquillement, ce qui ne veut pas dire vivre derrière des murs, mais vivre dans un environnement que l’on connaît avec des valeurs communes. (…) Ce qui est amusant aujourd’hui, c’est qu’il y a une ethnicisation des classes moyennes – on pense blanc – cela montre bien la fin du concept qui était censé être intégrateur pour le plus grand nombre. (…) Les autoritaires ne sont pas ceux que l’on croit. Sauver les démocraties occidentales, c’est faire entendre le plus grand nombre. Christophe Guilluy
Les gens aux Etats-Unis ou ailleurs ne se sont pas réveillés un beau matin pour se tourner vers le populisme. Non, ils ont fait un diagnostic, une analyse rationnelle : est-ce que ça marche pour eux ou pas. Et, rationnellement, ils n’ont pas trouvé leur compte. Et pas que du point de vue économique. S’il y a une exception française, c’est la victoire d’Emmanuel Macron, quand partout ailleurs les populistes semblent devoir l’emporter. (…) Si Emmanuel Macron l’a emporté, c’est qu’il a reçu le soutien de la frange encore protégée de la société française que sont les retraités et les fonctionnaires. Deux populations qui ont lourdement souffert au Royaume-Uni par exemple, comme l’a traduit leur vote pro-Brexit. Et c’est bien là le drame qui se noue en France. Car, parmi les derniers recours dont dispose la technocratie au pouvoir pour aller toujours plus avant vers cette fameuse adaptation, c’est bien de faire les poches des retraités et des fonctionnaires. Emmanuel Macron applique donc méticuleusement ce programme. (…) Un autre levier, déjà mis en branle par Margaret Thatcher puis par les gouvernements du New Labour de Tony Blair, est la fin de l’universalité de la redistribution et la concentration de la redistribution. Sous couvert de faire plus juste, et surtout de réduire les transferts sociaux, on réduit encore le nombre de professeurs, mais on divise les classes de ZEP en deux, on limite l’accès des classes populaires aux HLM pour concentrer ce patrimoine vers les franges les plus pauvres, et parfois non solvables. De quoi fragiliser le modèle de financement du logement social en France, déjà mis à mal par les dernières réformes, et ouvrir la porte à sa privatisation, comme ce fut le cas dans l’Angleterre thatchérienne. (…) Partout en Europe, dans un contexte de flux migratoire intensifié, ce ciblage des politiques publiques vers les plus pauvres – mais qui est le plus pauvre justement, si ce n’est celui qui vient d’arriver d’un territoire 10 fois moins riche ? – provoque inexorablement un rejet de ce qui reste encore du modèle social redistributif par ceux qui en ont le plus besoin et pour le plus grand intérêt de la classe dominante. C’est là que se noue la double insécurité économique et culturelle. Face au démantèlement de l’Etat-providence, à la volonté de privatiser, les classes populaires mettent en avant leur demande de préserver le bien commun comme les services publics. Face à la dérégulation, la dénationalisation, elles réclament un cadre national, plus sûr moyen de défendre le bien commun. Face à l’injonction de l’hypermobilité, à laquelle elles n’ont de toute façon pas accès, elles ont inventé un monde populaire sédentaire, ce qui se traduit également par une économie plus durable. Face à la constitution d’un monde où s’impose l’indistinction culturelle, elles aspirent à la préservation d’un capital culturel protecteur. Souverainisme, protectionnisme, préservation des services publics, sensibilité aux inégalités, régulation des flux migratoires, sont autant de thématiques qui, de Tel-Aviv à Alger, de Detroit à Milan, dessinent un commun des classes populaires dans le monde. Ce soft power des classes populaires fait parfois sortir de leurs gonds les parangons de la mondialisation heureuse. Hillary Clinton en sait quelque chose. Elle n’a non seulement pas compris la demande de protection des classes populaires de la Rust Belt, mais, en plus, elle les a traités de « déplorables ». Qui veut être traité de déplorable ou, de ce côté-ci de l’Atlantique, de Dupont Lajoie ? L’appartenance à la classe moyenne n’est pas seulement définie par un seuil de revenus ou un travail d’entomologiste des populations de l’Insee. C’est aussi et avant tout un sentiment de porter les valeurs majoritaires et d’être dans la roue des classes dominantes du point de vue culturel et économique. Placées au centre de l’échiquier, ces catégories étaient des références culturelles pour les classes dominantes, comme pour les nouveaux arrivants, les classes populaires immigrées. En trente ans, les classes moyennes sont passées du modèle à suivre, l’American ou l’European way of life, au statut de losers. Il y a mieux comme référents pour servir de modèle d’assimilation. Qui veut ressembler à un plouc, un déplorable… ? Personne. Pas même les nouveaux arrivants. L’ostracisation des classes populaires par la classe dominante occidentale, pensée pour discréditer toute contestation du modèle économique mondialisé – être contre, c’est ne pas être sérieux – a, en outre, largement participé à l’effondrement des modèles d’intégration et in fine à la paranoïa identitaire. L’asociété s’est ainsi imposée partout : crise de la représentation politique, citadéllisation de la bourgeoisie, communautarisation. Qui peut dès lors s’étonner que nos systèmes d’organisation politique, la démocratie, soient en danger ? Christophe Guilluy
Qui pourrait avoir envie d’intégrer une catégorie sociale condamnée par l’histoire économique et présentée par les médias comme une sous-classe faible, raciste, aigrie et inculte ? (…) On peut débattre sans fin de la pertinence des modèles, de la crise identitaire, de la nécessité de réaffirmer les valeurs républicaines, de définir un commun: tous ces débats sont vains si les modèles ne sont plus incarnés. On ne s’assimile pas, on ne se marie pas, on ne tombe pas amoureux d’un système de valeurs, mais d’individus et d’un mode de vie que l’on souhaite adopter. Christophe Guilluy
Étant donné l’état de fragilisation sociale de la classe moyenne majoritaire française, tout est possible. Sur les plans géographique, culturel et social, il existe bien des points communs entre les situations françaises et américaines, à commencer par le déclassement de la classe moyenne. C’est « l’Amérique périphérique » qui a voté Trump, celle des territoires désindustrialisés et ruraux qui est aussi celle des ouvriers, employés, travailleurs indépendants ou paysans. Ceux qui étaient hier au cœur de la machine économique en sont aujourd’hui bannis. Le parallèle avec la situation américaine existe aussi sur le plan culturel, nous avons adopté un modèle économique mondialisé. Fort logiquement, nous devons affronter les conséquences de ce modèle économique mondialisé : l’ouvrier – hier à gauche –, le paysan – hier à droite –, l’employé – à gauche et à droite – ont aujourd’hui une perception commune des effets de la mondialisation et rompent avec ceux qui n’ont pas su les protéger. La France est en train de devenir une société américaine, il n’y a aucune raison pour que l’on échappe aux effets indésirables du modèle. (…) Dans l’ensemble des pays développés, le modèle mondialisé produit la même contestation. Elle émane des mêmes territoires (Amérique périphérique, France périphérique, Angleterre périphérique… ) et de catégories qui constituaient hier la classe moyenne, largement perdue de vue par le monde d’en haut. (…) la perception que des catégories dominantes – journalistes en tête – ont des classes populaires se réduit à leur champ de vision immédiat. Je m’explique : ce qui reste aujourd’hui de classes populaires dans les grandes métropoles sont les classes populaires immigrées qui vivent dans les banlieues c’est-à-dire les minorités : en France elles sont issues de l’immigration maghrébine et africaine, aux États-Unis plutôt blacks et latinos. Les classes supérieures, qui sont les seules à pouvoir vivre au cœur des grandes métropoles, là où se concentrent aussi les minorités, n’ont comme perception du pauvre que ces quartiers ethnicisés, les ghettos et banlieues… Tout le reste a disparu des représentations. Aujourd’hui, 59 % des ménages pauvres, 60 % des chômeurs et 66 % des classes populaires vivent dans la « France périphérique », celle des petites villes, des villes moyennes et des espaces ruraux. (…) Faire passer les classes moyennes et populaires pour « réactionnaires », « fascisées », « pétinisées » est très pratique. Cela permet d’éviter de se poser des questions cruciales. Lorsque l’on diagnostique quelqu’un comme fasciste, la priorité devient de le rééduquer, pas de s’interroger sur l’organisation économique du territoire où il vit. L’antifascisme est une arme de classe. Pasolini expliquait déjà dans ses Écrits corsaires que depuis que la gauche a adopté l’économie de marché, il ne lui reste qu’une chose à faire pour garder sa posture de gauche : lutter contre un fascisme qui n’existe pas. C’est exactement ce qui est en train de se passer. (…) Il y a un mépris de classe presque inconscient véhiculé par les médias, le cinéma, les politiques, c’est énorme. On l’a vu pour l’élection de Trump comme pour le Brexit, seule une opinion est présentée comme bonne ou souhaitable. On disait que gagner une élection sans relais politique ou médiatique était impossible, Trump nous a prouvé qu’au contraire, c’était faux. Ce qui compte, c’est la réalité des gens depuis leur point de vue à eux. Nous sommes à un moment très particulier de désaffiliation politique et culturel des classes populaires, c’est vrai dans la France périphérique, mais aussi dans les banlieues où les milieux populaires cherchent à préserver ce qui leur reste : un capital social et culturel protecteur qui permet l’entraide et le lien social. Cette volonté explique les logiques séparatistes au sein même des milieux modestes. Une dynamique, qui n’interdit pas la cohabitation, et qui répond à la volonté de ne pas devenir minoritaire. (…) La bourgeoisie d’aujourd’hui a bien compris qu’il était inutile de s’opposer frontalement au peuple. C’est là qu’intervient le « brouillage de classe », un phénomène, qui permet de ne pas avoir à assumer sa position. Entretenue du bobo à Steve Jobs, l’idéologie du cool encourage l’ouverture et la diversité, en apparence. Le discours de l’ouverture à l’autre permet de maintenir la bourgeoisie dans une posture de supériorité morale sans remettre en cause sa position de classe (ce qui permet au bobo qui contourne la carte scolaire, et qui a donc la même demande de mise à distance de l’autre que le prolétaire qui vote FN, de condamner le rejet de l’autre). Le discours de bienveillance avec les minorités offre ainsi une caution sociale à la nouvelle bourgeoisie qui n’est en réalité ni diverse ni ouverte : les milieux sociaux qui prônent le plus d’ouverture à l’autre font parallèlement preuve d’un grégarisme social et d’un entre-soi inégalé. (…) Nous, terre des lumières et patrie des droits de l’homme, avons choisi le modèle libéral mondialisé sans ses effets sociétaux : multiculturalisme et renforcement des communautarismes. Or, en la matière, nous n’avons pas fait mieux que les autres pays. (…) Le FN n’est pas le bon indicateur, les gens n’attendent pas les discours politiques ou les analyses d’en haut pour se déterminer. Les classes populaires font un diagnostic des effets de plusieurs décennies d’adaptation aux normes de l’économie mondiale et utilisent des candidats ou des référendums, ce fut le cas en 2005, pour l’exprimer. Christophe Guilluy
A chaque fois, la grogne vient de territoires qui sont moins productifs économiquement, où le chômage est très implanté. Ce sont des territoires ruraux, des petites et moyennes villes souvent éloignées des grandes métropoles : ce que j’appelle la « France périphérique ». Ce sont des lieux où vivent les classes moyennes, les ouvriers, les petits salariés, les indépendants, les retraités. Cette majorité de la population subit depuis 20 à 30 ans une recomposition économique qui les a desservis. (…) La colère de ces populations vient de beaucoup plus loin. Cela fait des années que ces catégories de Français ne sont plus intégrées politiquement et économiquement. Il y a eu la fermeture progressive des usines puis la crise du monde rural. Pour eux, le retour à l’emploi est très compliqué. En plus, ils ont subi la désertification médicale et le départ des services publics. Idem pour les commerces qui quittent les petites villes. Tout cela s’est cristallisé autour de la question centrale du pouvoir d’achat. Mais le mouvement des Gilets jaunes est une conséquence de tout cela mis bout à bout. (…) le ressentiment est gigantesque. Ce qui est certain c’est que les problèmes sont désormais sur la table. Et si la contestation des Gilets jaunes ne perdure pas dans le temps, un autre mouvement émergera de ces territoires un peu plus tard, car rien n’aura été réglé. (…) Le monde d’en haut ne parle plus au monde d’en bas. Et le monde d’en bas n’écoute plus le monde d’en haut. Les élites sont rassemblées géographiquement dans des métropoles où il y a du travail et de l’argent. Elles continuent de s’adresser à une classe moyenne et à une réalité sociale qui n’existent plus. C’est un boulevard pour les extrêmes… (…) Ils s’adaptent à la demande, comme toujours ! (…) Les réponses apportées par le gouvernement sont à côté de la plaque. Les gens ne demandent pas des solutions techniques pour financer un nouveau véhicule. Ils attendent des réponses de fond où on leur explique quelle place ils ont dans ce pays. De nombreux élus locaux ont des projets pour relancer leur territoire, mais ils n’ont pas d’argent pour les mettre en place. Il faut se retrousser les manches pour développer ces régions, partir du peuple plutôt que de booster en permanence les premiers de cordée. Christophe Guilluy
La diabolisation vise moins les partis populistes ou leur électorat (considéré comme définitivement « perdu » aux yeux de la classe dominante) que la fraction des classes supérieures et intellectuelles qui pourrait être tentée par cette solidarité de classe et ainsi créer les conditions du changement. (…) Si l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis a provoqué autant de réactions violentes dans l’élite mondialisée, ce n’est pas parce qu’il parle comme un « white trash » mais parce que au contraire il est issu de l’hyper-classe. En évoquant le protectionnisme ou la régulation des flux migratoires, Donald Trump brise le consensus idéologique à l’intérieur même de la classe dominante. Il contribue ainsi à un basculement d’une fraction des classes supérieures qui assurent la survie du système. Le 45e président n’a pas gagné parce qu’il a fait le plein de voix dans la « white working class » mais parce qu’il a réalisé l’alliance improbable entre une fraction du monde d’en haut et celui de l’Amérique périphérique. La prise de conscience des réalités populaires par une fraction de l’élite est un vrai risque, elle peut se réaliser à tout moment, dans n’importe quel pays ou région. Christophe Guilluy
Il n’y a aucun complot. Les métropoles ne sont pas un bras armé, mais simplement l’application aux territoires du modèle économique mondialisé et de la loi du marché. Et la loi du marché bénéficie, comme cela a toujours été le cas, à la bourgeoisie. La seule courbe des prix de l’immobilier suffit à le démontrer. Un ouvrier qui économiserait chaque mois 100 euros pour acheter un logement mettrait une vie entière pour acquérir 10 m2 à Paris. [« La société ouverte »] C’est l’autre nom de loi du marché. Les métropoles sont des citadelles imprenables. Elles érigent, grâce à l’argent, des murs d’enceintes bien plus solides que ceux du moyen âge. Un discret entre soi et un grégarisme social fonctionnent aussi à plein. Cette tendance est renforcée par un mode de vie respectueux de l’environnement qui, in fine, renforce la gentrification. La fermeture des grands axes et la piétonnisation renchérissent le foncier. Déguisés en hipsters, les nouveaux Rougon-Macquart se fondent dans le décorum ouvrier des bars et restaurants des anciens quartiers populaires et se constituent des patrimoines immobiliers considérables. Mais les masques finissent par tomber… (…) Après le Brexit, dont la géographie recouvre celle de « l’Angleterre et la Grande-Bretagne périphérique » et populaire, les classes dominantes ont expliqué que ce vote devait être invalidé car porté par des gens « peu éduqués » selon Alain Minc ou des « crétins » d’après Bernard-Henri Lévy. Anne Hidalgo et son collègue de Londres Sadiq Khan ont fait par la suite l’apologie des villes-mondes qui doivent damer le pion aux Etats-Nations, en prônant en filigrane une forme d’abandon des périphéries populaires. Leur projet de « cités-Etats » rappelle paradoxalement les discours séparatistes de partis populistes comme celui de la Ligue du Nord italienne. (…) Les métropoles ont besoin de catégories populaires pour occuper les emplois peu qualifiés (dans les services, le BTP, la restauration). Il leur faut aussi des catégories intermédiaires, des « key workers » qui assurent la continuité du service public. Le logement social permet de maintenir ces travailleurs dans les métropoles gentrifiées. Bertrand Delanoë, tout comme Anne Hidalgo, ont construit beaucoup de logements sociaux pour répondre à ce besoin. Tout cela est rationnel. Mais si le taux de logements sociaux est passé de 13,4 % en 2001 à 17,6 % aujourd’hui, il ne compense en rien la disparition d’un parc privé, « social de fait », qui accueillait hier les classes populaires. Or, sur le marché de l’emploi métropolitain, on a essentiellement besoin de catégories très qualifiées et, à la marge, de catégories populaires. La majorité des catégories modestes, c’est à dire de la population, n’a donc plus sa place dans ces espaces. (…) S’il reste encore des classes populaires, des ménages pauvres et des chômeurs dans les quartiers de logements sociaux des grandes métropoles, la majorité de ces catégories vit désormais à l’écart des métropoles dans une « France périphérique », celle des petites villes, des villes moyennes et des zones rurales. Ces territoires sont, en moyenne, marqués par une plus faible création d’emplois et de richesses et sont fragiles socialement. Ce modèle n’est pas spécifique à la France, il constitue l’une des conséquences de l’application d’un modèle économique mondialisé qui repose notamment sur la division internationale du travail. Ce système marche très bien, il crée de la richesse et de l’emploi. Mais il ne fait pas société. (…) En réalité, la « boutique » tourne aujourd’hui sans les catégories populaires. Les territoires de la France périphérique, en particulier ceux de la désindustrialisation du Nord et de l’Est, sont marqués par une grande fragilité économique et sociale. Ils ont bénéficié à ce titre d’une forte redistribution. La péréquation, la création d’emplois publics ont joué le rôle d’amortisseur. La commune et l’hôpital étaient les premiers et les seuls véritables employeurs de ces communes. Mais dans un contexte de raréfaction de l’argent public et des dotations de l’Etat et de désertification de l’emploi, les champs du possible se restreignent. (…) Le géographe Gérard-François Dumont parle d’une « idéologie de la métropolisation », une idéologie portée par l’ensemble de la classe dominante qui in fine renforce le poids des métropoles et celui des classes supérieures. Cette idéologie interdit l’évocation d’une France populaire majoritaire comme s’il fallait laisser dans l’invisibilité les perdants de la mondialisation. Dans cette lutte des classes, on assimile sciemment cette France populaire à celle du repli, des ignares. Derrière cette fausse polémique et cette vraie guerre des représentations, il y a tout simplement une lutte des classes non dites qui révèle la « prolophobie » selon l’expression du politologue Gaël Brustier. Christophe Guilluy
Je dis depuis quinze ans qu’il y a un éléphant malade (la classe moyenne) dans le magasin de porcelaine (l’Occident) et qu’on m’explique qu’il n’y a pas d’éléphant. Les « gilets jaunes » correspondent effectivement à la sociologie et à la géographie de la France périphérique que j’observe depuis des années. Ouvriers, employés ou petits indépendants, ils ont du mal à boucler leurs fins de mois. Socialement précarisées, ces catégories modestes vivent dans les territoires (villes, moyennes ou petites, campagnes) qui créent le moins d’emplois. Ces déclassés illustrent un mouvement enraciné sur le temps long : la fin de la classe moyenne dont ils formaient hier encore le socle. (…) Du paysan historiquement de droite à l’ouvrier historiquement de gauche, les « gilets jaunes » constatent que le modèle mondialisé ne les intègre plus. Ils roulent en diesel parce qu’on leur a dit de le faire, mais se font traiter de pollueurs par les élites des grandes métropoles. Alors que le monde d’en haut réaffirme sans cesse son identité culturelle (la ville mondialisée, le bio, le vivre-ensemble…), les « gilets jaunes » n’entendent pas se plier au modèle économique et culturel qui les exclut. (…) Plus que l’exclusion des plus modestes, c’est d’abord la sécession du monde d’en haut qui a joué. La rupture entre le haut et le bas de la société se creuse à mesure que les élites ostracisent le peuple. Macron a beau avoir fait le bon diagnostic quand il a déclaré : « Je n’ai pas réussi à réconcilier le peuple français avec ses dirigeants », son camp s’est empressé de traiter les « gilets jaunes » de racistes, d’antisémites et d’homophobes. Ça ne favorise pas la réconciliation ! Pourtant majoritaire, puisqu’elle constitue 60 % de la population, la France périphérique est rejetée par le monde d’en haut qui ne se reconnaît plus dans son propre peuple. L’importance du mouvement et surtout du soutien de l’opinion (huit Français sur dix) révèle l’isolement du monde d’en haut et des représentations sociales et territoriales totalement erronées. Ce divorce soulève un véritable problème démocratique, car les classes moyennes ont toujours été le référent culturel de la classe dirigeante. (…) Certes, il y a des manifestants de droite, de gauche, d’extrême droite et d’extrême gauche qui structurent assez mal leurs discours. Mais tous souhaitent la même chose : du travail et la préservation de ce qu’ils sont. La question du respect est fondamentale, mais le pouvoir y répond par l’insulte ! (…) Tout est possible. Il y a un tel déficit d’offre politique qu’un leader populiste pourrait surgir aussi vite que Macron a émergé. La demande existe. Dans le reste du monde, les populistes réussissent en adaptant leur idéologie à la demande. Il y a quelques années, Salvini défendait des positions sécessionnistes, libérales et racistes en s’attaquant aux Italiens du Sud. Aujourd’hui ministre, il se fait acclamer à Naples, devient étatiste, prône l’unité italienne et vote un budget quasiment de gauche. Quant à Trump, c’est un membre de l’hyperélite new-yorkaise qui a écouté les demandes de l’Amérique périphérique. Ces leaders ne se disent pas qu’il faut rééduquer le peuple. Au contraire, ce sont les demandes de la base qui leur indiquent la voie à suivre. Ainsi, un Mouvement 5 étoiles pourra émerger en France s’il répond aux demandes populaires de régulation (économique, migratoire). (…) Dans tous les pays occidentaux, la classe moyenne est en train d’exploser par le bas. Cette évolution a démarré dans les années 1970-1980 par la crise du monde ouvrier, avec les restructurations industrielles, puis a touché les paysans, les employés du secteur tertiaire, et enfin des territoires ruraux et des villes moyennes. Si on met bout à bout toutes ces catégories, cela touche le cœur de la société. Sur les décombres des classes moyennes telles qu’elles existaient pendant les Trente Glorieuses, les nouvelles classes populaires – ouvriers, employés, paysans, petits commerçants – forment partout l’immense majorité de la population. (…) Maintenant que la classe moyenne a explosé, deux grandes catégories sociales s’affrontent avec comme arrière-plan un nouveau modèle économique de polarisation de l’emploi. D’un côté, les catégories supérieures – 20 à 25 % de la population –, qui occupent des emplois extrêmement qualifiés et hyper intégrés, se concentrent dans les métropoles. De l’autre, une grosse masse de précaires dont les salaires ne suivent pas, vit dans des zones périphériques. Même dans une région riche comme la Bavière, l’électorat AfD recoupe une sociologie et une géographie plutôt populaires réparties dans des petites villes, des villes moyennes et des zones rurales. (…) La classe moyenne n’est absolument pas une catégorie ethnique. Dans mon dernier livre, je critique l’ethnicisation du concept qui, contrairement à ce qu’on croit, est venue de l’intelligentsia de gauche. Depuis quelques années, il y a un glissement sémantique : quand certains parlent des banlieues ou de la politique de la ville, ils désignent les populations issues de l’immigration récente, et quand ils évoquent la « classe moyenne », ils veulent dire « Blancs ». C’est une bêtise. La classe moyenne est le produit d’une intégration économique et culturelle qui a fonctionné pour les Antillais ainsi que pour les premières vagues d’immigration maghrébine qui en épousaient les valeurs, quelle que fût leur origine ou leur religion. Faut-il le rappeler, les DOM-TOM font partie de la France périphérique. Dans ces territoires, les demandes de régulation (économique et migratoire) émanent des mêmes catégories. Cette dynamique est aujourd’hui cassée car le modèle occidental n’intègre plus ces catégories, ni économiquement, ni socialement, ni culturellement. Même dans des régions du monde prospères comme la Scandinavie, les petites gens sont fragilisées culturellement. Cette explosion des classes moyennes entraîne la crise des valeurs culturelles qu’elles portaient, donc des systèmes d’assimilation. (…) Si les classes moyennes, socle populaire du monde d’en haut, ne sont plus les référents culturels de celui-ci, qui ne cesse de les décrire comme des déplorables, elles ne peuvent plus mécaniquement être celles à qui ont envie de ressembler les immigrés. Hier, un immigré qui débarquait s’assimilait mécaniquement en voulant ressembler au Français moyen. De même, l’American way of life était porté par l’ouvrier américain à qui l’immigré avait envie de ressembler. Dès lors que les milieux modestes sont fragilisés et perçus comme des perdants, ils perdent leur capacité d’attractivité. C’est un choc psychologique gigantesque. Cerise sur le gâteau, l’intelligentsia vomit ces gens, à l’image d’Hillary Clinton qui traitait les électeurs de Trump de « déplorables ». Personne n’a envie de ressembler à un déplorable ! (…) La dynamique populiste joue sur deux ressorts à la fois : l’insécurité sociale et l’insécurité culturelle. L’insécurité culturelle sans l’insécurité économique et sociale, cela donne l’électorat Fillon, qui a logiquement voté Macron au second tour : il n’a aucun intérêt à renverser le modèle dont il bénéficie. On l’a vu avec l’élection de Trump, aucun vote populiste n’émerge sans la conjonction de fragilités identitaire et sociale. Il est donc vain de se demander si c’est l’une ou l’autre de ces composantes qui joue. Raison pour laquelle les débats sur la prétendue influence d’Éric Zemmour sont idiots. Zemmour exprime un mouvement réel de la société, qui explique qu’avec 11 millions d’électeurs pour Marine Le Pen, le Front national ait battu son record absolu de voix au second tour en 2017. Malgré tout, la redistribution reste très forte et les protégés sont nombreux. Emmanuel Macron n’a pas seulement été élu par le monde d’en haut. Il a aussi été largement soutenu par les protégés, c’est-à-dire les retraités – notamment de la classe moyenne – et les fonctionnaires. Là est le paradoxe français : ce qui reste de l’État providence protège le monde d’en haut… (…) Cela explique son effondrement dans les sondages. Ceci dit, le niveau de pension reste relativement correct et ne pousse pas les retraités français à renverser la table, même ceux qui estiment qu’il y a des problèmes avec l’immigration. Mais cela pourrait changer aux États-Unis et en Grande-Bretagne, l’État providence étant fragilisé depuis les années 1980, les retraités ne craignent pas de bousculer le système. Ils ont voté pour le Brexit parce qu’ils n’ont rien à perdre. Si demain le gouvernement fragilise les retraités français, ils ne cautionneront pas éternellement le système. En détricotant tous les filets sociaux, comme la redistribution en faveur des retraités, on prend de très gros risques pour la suite des opérations. (…) Et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le gouvernement a fait marche arrière sur la CSG. La pension de retraite médiane en France tourne autour de 1 000, 1 100 euros par mois ! En dessous de 1 000 euros par mois, cela commence à être très compliqué. La majorité des retraités sont issus des catégories populaires. Et ils sont les seuls, au sein de celles-ci, à n’avoir pas majoritairement basculé dans l’abstention ou dans le vote populiste. Le jour où eux aussi basculeront, le choc sera comparable au Brexit. Regardez aussi la rapidité avec laquelle les populistes ont gagné en Italie. (…) Qu’on le veuille ou non, le mouvement est là et il suffit d’attendre. Partout en Occident, il y a une très forte demande de régulation : économique, sociale, migratoire. Pour toute réponse à cette demande populaire, on la traite de fasciste – je suis bien placé pour le savoir. Le résultat de cette stratégie de diversion, c’est que la fracture entre l’élite et les classes supérieures, d’une part, et le peuple d’autre part, ne cesse de se creuser. Jamais dans l’histoire ces deux mondes n’avaient été aussi étrangers l’un à l’autre. (…) Ce monde d’en haut ne tient pas seulement avec le 1 % ou les hyper riches, mais avec des catégories supérieures et une technostructure – les énarques, mais aussi les technocrates territoriaux issus de l’INET. Ses membres viennent tous des mêmes milieux et partagent exactement la même vision de la société. À l’inverse, quand je me balade en France, je rencontre des élus de gauche ou de droite qui partagent mon diagnostic. Et qui se désolent de voir qu’au sommet de leur parti, domine le modèle mondialisé structuré autour des métropoles. (…) Quand la pensée est vraiment en décalage avec le réel, les tentatives de déni et de diabolisation ne marchent plus. Cependant, avec toute la volonté politique du monde, sans l’appui de la technostructure, aucun changement n’est possible. La même question se pose dans les territoires : comment initier des politiques différentes avec la même technostructure ? Peu importe qui est maire de Paris ou Bordeaux, ces villes créent de la richesse grâce au libre jeu du marché. En revanche, il faut être sacrément doué pour sortir Guéret ou Vierzon de l’impasse. (…) Actuellement, on traite la France périphérique à coups de subventions. On redistribue un peu, beaucoup, passionnément, de façon à ce que les gens puissent remplir leur caddie au supermarché. On est arrivé au bout de ce modèle, notamment parce que l’État et les ménages sont surendettés. Mais lorsque des élus locaux et des entreprises privées se réunissent autour d’une table pour impulser un projet économique, cela réussit. Je pense par exemple à la relance des couteaux de Laguiole, dans l’Aveyron. (…) Comme le démontre l’exemple de Laguiole, on ne peut plus penser l’organisation territoriale uniquement à travers une volonté imposée d’en haut par les pouvoirs publics. C’est du bas vers le haut qu’il faut penser ces territoires. Dans des départements ruraux comme la Nièvre, les élus réclament la compétence économique pour initier des projets. Les présidents de conseils départementaux connaissent parfaitement leur territoire, les entreprises qui marchent et la raison de leur succès, la ville où il y a des pauvres et des chômeurs. Ils sont souples, inventifs, pragmatiques et ont à leur disposition des fonctionnaires départementaux issus du cru. Mais les hauts fonctionnaires qui forment l’administration régionale ou étatique cherchent à leur retirer de plus en plus de compétences économiques. Quoique majoritaire, la France des territoires n’existe pas politiquement. Les élus locaux sont marginalisés au sein de leurs partis, contrairement aux élus des grandes villes. Tout doit donc commencer par un rééquilibrage démocratique. Christophe Guilluy
Les professions les moins qualifiées sont ainsi celles qui se sont le moins déplacées, dimanche. L’abstention atteint 67% chez les ouvriers et 64% chez les employés, contre 59% chez les professions intermédiaires et 54% chez les cadres. L’abstention entre les deux tours du scrutin s’est en particulier accrue chez les ouvriers, enregistrant au second tour un taux supérieur de cinq points à celui du premier tour. Les différents courants politiques ne sont pas exposés de la même manière à l’abstention. Les électeurs de l’extrême droite et de la gauche radicale ont davantage boudé les urnes, selon cette même étude. L’abstention a ainsi dépassé les 50% parmi ceux qui ont accordé leur voix à Eric Zemmour, Marine Le Pen ou à Jean-Luc Mélenchon au premier tour de l’élection présidentielle. Le sursaut de participation que Jean-Luc Mélenchon a appelé de ses vœux pour le second tour ne s’est là encore pas produit, puisque l’abstention a augmenté chez ses partisans. A l’inverse, moins de 40% des électeurs d’Emmanuel Macron et de Valérie Pécresse ont boudé les urnes, soit une légère baisse par rapport au premier tour. Franceinfo
Je ne sais pas combien de temps Éric Zemmour restera en politique. Mais ce dont je suis convaincue, c’est que le mouvement d’espoir et d’enthousiasme bien réel qu’il a réveillé est la manifestation d’une révolte populaire profonde, qui n’a rien d’une bulle. Cette révolte cherche désespérément un leader, et a vu en lui un possible véhicule de ses revendications de renforcement du cadre national, comme protection contre les grands vents de la globalisation. Éric Zemmour a réveillé un patriotisme français à la fois raisonné et émotionnel qui n’osait plus s’exprimer de manière ouverte de peur d’être qualifié de nationalisme raciste et dangereux. L’épisode du vieux militaire qui lui a offert ses décorations de guerre en pleurant, pendant un meeting, n’a rien d’anecdotique. Une partie croissante de la société considère, même si elle est divisée sur les solutions, que le pays est dans une impasse stratégique dangereuse, qui mènera à la disparition de la France en tant que civilisation, si rien n’est fait pour arrêter l’immigration massive et pour favoriser l’intégration des nouveaux arrivants, et notamment celle de communautés musulmanes qui sont soumises à la pression de l’islamisme, et aux particularités politiques de l’islam qui ne fait pas de distinction entre le politique et le religieux. La réalité est que Zemmour a donné voix à une angoisse existentielle sur la transformation démographique et culturelle de notre pays. Le phénomène est transoccidental. Les peuples d’Occident réclament des frontières et sonnent partout l’alarme contre le piège globaliste et multiculturaliste que les élites ont refermé sur eux, avec un mélange d’irénisme et d’aveuglement. Ils ont peur d’une désagrégation du tissu économique et politique national au profit d’intérêts chinois ou autres susceptible d’accélérer notre perte de souveraineté, et d’une communautarisation accélérée qui rendra la vie en commun de plus en plus difficile. En France, il y a aussi une énorme préoccupation due à l’apparition d’une insécurité chronique, d’une grande violence. Le phénomène Zemmour ou ses variantes ne sont pas près selon moi de disparaître, parce que les élites répondent à l’inquiétude en érigeant une grande muraille du déni et de l’excommunication, peignant leurs revendications comme la marque d’un nouveau fascisme au lieu d’y répondre. (…) La révolte zemmouriste et la révolte trumpiste portaient maintes similitudes, dans leurs ressorts antimondialisation et anti-immigration, leur credo conservateur, leur défense de l’Occident chrétien et leur méfiance de l’islam, leur volonté de réalisme en politique étrangère. Toutes ces ressemblances n’empêchent pas les différences de personnalités et de culture abyssales entre les deux. Donald Trump est un fils de famille, héritier d’un promoteur immobilier de Brooklyn, qui a forgé sa personnalité sur les chantiers de construction paternels dans la banlieue de Big Apple, puis fait son chemin dans un monde capitaliste new-yorkais brutal et sans pitié. Éric Zemmour, issu d’un milieu très simple, a fait sa vie dans les livres, le journalisme, l’exploration passionnée de l’histoire et l’observation d’un monde politique dont il connaissait les tours et détours. C’est un intellectuel, qui tend à tout théoriser, quand Trump est un pur intuitif. Mais on trouve aussi des points communs entre les deux hommes: le caractère indomptable, le sens de la formule et la capacité à exprimer, de manière cathartique, ce que pense le peuple. Ce sont de ce point de vue deux hommes de la petite lucarne qu’ils ont utilisée avec maestria pour faire leur célébrité et nouer une relation intime avec le peuple. Tous deux partagent aussi une allergie à l’idéologie du genre et une vision assez macho des relations hommes-femmes, ainsi qu’une conception hobbésienne du monde, basée sur les rapports de force. Leur fascination pour les hommes forts, qui s’est d’ailleurs exprimée dans leur admiration troublante pour Vladimir Poutine, est un autre point commun très frappant. (…) Éric Zemmour n’a pu asseoir sa popularité sur un parti de l’establishment déjà installé contrairement à Trump qui a pris d’assaut le parti républicain. Il n’a pas réussi non plus à séduire les classes populaires, peut-être parce qu’il n’a pas su complètement leur parler, contrairement à Trump et à Marine Le Pen, qui ont su parler de l’insécurité économique et du pouvoir d’achat du «pays périphérique» alors que Zemmour mettait l’accent sur la question de l’immigration et de la survie de la nation. Sans doute a-t-il sous-estimé l’angoisse de «la guerre civile» des Français, qui partagent son inquiétude sur l’avenir de la France, mais craignent sans doute encore plus la menace d’un clash entre communautés. Ils partagent son diagnostic, mais sont terrifiés par ses solutions, ou pas assez convaincus de sa capacité à gérer l’immensité du défi. Au-delà de tous ces points clés, je suis pour ma part persuadée que c’est la guerre de Poutine qui a percuté et détruit la candidature d’Éric Zemmour. Quand celle-ci éclate, le 24 février, il est en ascension, atteignant quelque 16% des intentions de vote, à égalité avec Le Pen, qui semble, elle, sur une pente descendante. Mais la guerre chamboule tout. Ayant répété depuis des années que Poutine est un grand patriote, voire un modèle dont la France devrait s’inspirer pour remettre son pays en ordre, Éric Zemmour est frappé de plein fouet. Sa condamnation trop faible de la guerre, son incapacité à qualifier Poutine de dictateur et sa persistance à dénoncer les responsabilités de l’Occident, au lieu de prendre la mesure de l’impérialisme brutal de Poutine et de la dangerosité d’un pouvoir russe basé sur la violence et le mensonge, ont, je pense, créé un doute béant dans la bourgeoisie qui l’avait soutenu jusque-là, doute dans lequel se sont engouffrés ses adversaires. Les classes populaires, qui soutenaient Le Pen, elles, ont moins réagi à la guerre. Son absence d’empathie vis-à-vis des réfugiés ukrainiens, dont il a jugé la présence peu opportune en France, a également beaucoup choqué. Marine Le Pen, qui avait pourtant un lourd passif sur le sujet, vu sa proximité ancienne et totale avec Poutine, a mieux géré cette situation embarrassante, détournant le tir en parlant «pouvoir d’achat» et révélant une habileté politique que n’a pas su montrer Zemmour, resté très idéologique. Lui qui avait voulu se placer dans le sillage de De Gaulle s’est retrouvé pris à contre-pied, compromis avec un dictateur impérial impitoyable, alors que l’Ukraine incarnait l’esprit de résistance gaullien et churchillien. Cette fascination pour Poutine de la droite national-populiste et de l’extrême droite s’explique par l’habileté avec laquelle l’homme fort de la Russie a instrumentalisé les révoltes national-populistes. Voyant là une opportunité de se constituer une «armée» de partis amis, il les a courtisés, se posant en souverainiste, en rempart de la chrétienté contre l’islamisme et la décadence des mœurs de l’Occident. Il s’agissait d’un trompe-l’œil bien sûr, d’un village Potemkine cachant la déliquescence et l’anomie d’une société russe où domine la loi du plus fort la plus brutale, pas le conservatisme. Mais les voix des experts qui avertissaient contre l’entourloupe ont été ignorées, et les nationalistes de tout poil sont tombés en plein dans le piège. Zemmour comme les autres. (…) Le réveil des nations d’Occident s’exprime de multiples façons, souvent brouillonnes et éphémères, avec un succès très relatif en effet. Ces phénomènes témoignent de la volonté instinctive des peuples d’empêcher des processus de désintégration des nations extrêmement puissants et peut-être irréversibles, liés à l’affaiblissement des États au profit de forces transnationales très puissantes, à la révolution technologique en cours, à l’affaiblissement des classes moyennes, qui, comme le rappelle le politologue Andrew Michta, forment le «demos», l’âme des nations démocratiques. S’agit-il d’un baroud d’honneur? Je ne l’espère pas. L’idéal serait que les revendications des partis populistes entrent peu à peu dans les réflexions des élites gouvernantes, que ces partis contribuent à la solution des problèmes qu’ils pointent. Mais si les élites s’avèrent incapables de faire face, il faut s’attendre à ce que Yascha Mounk appelle un scénario de «guerre civile complexe». Je crains une montée en puissance de tensions communautaires inextricables, d’un scénario de radicalisation des revendications, d’un glissement vers une forme de racialisation et exacerbation des conflits subnationaux si le niveau national devient défaillant ; bref, d’un affaiblissement simultané de la démocratie et de la nation si les élites gouvernantes échouent à intégrer les révoltes actuelles dans le paysage. Un despote pourrait-il alors surgir pour ramasser la mise? Dans mon livre, j’invite à méditer l’évolution américaine. Car l’éviction politique de Trump et l’arrivée de Biden n’ont nullement débouché sur une normalisation de la scène politique. On a vu émerger une véritable sécession mentale et politique d’une partie du camp Trump, sur fond de radicalisation de la gauche identitaire woke. Deux Amérique qui ne se parlent plus et ne se font plus confiance, se sont solidifiées, dans un état de guerre civile tiède. Il faut tout faire pour éviter un tel scénario en France. (….) Car la crise de l’Occident appelle les tempêtes. Nous avons été tellement occupés à nous diviser et à repousser la solution des problèmes posés, tellement obsédés par notre culpabilité historique, tellement absorbés par nos interrogations sur la fluidité du genre et autres débats postmodernes sur le sexe des anges, que nous avons fermé les yeux face aux défis qui fondaient sur nous. Mais nous venons d’être ramenés à la brutalité du réel par la guerre de Poutine en Ukraine. Depuis des années, Vladimir Poutine a constaté nos lâchetés, nos renoncements face à ses agressions, et notre incapacité à nous rassembler. Il a vu dans la faiblesse occidentale, dans sa déliquescence spirituelle et sa sortie de l’Histoire nihiliste et infantile, une occasion rêvée d’avancer ses pions en Ukraine, pour réaliser son grand projet néoimpérial de rassemblement des terres russes et de révolution mondiale anti-occidentale. Il a décidé que nous étions si décadents, si divisés, si vénaux que nous ne bougerions pas. Il s’est en partie trompé puisque nous avons réagi collectivement et entrepris d’aider l’Ukraine. Mais cette crise doit être l’occasion d’une introspection bien plus sérieuse sur la manière dont nous devons viser à reconstruire nos démocraties et l’Europe. Nous devons travailler d’urgence à réconcilier les élites et le peuple, car la guerre civile à petit feu qui gronde est le terreau sur lequel tous nos ennemis s’engouffreront. Nous devons également réarmer nos nations, revenir à la notion de puissance. Nous devons aussi méditer la leçon de la résistance patriotique ukrainienne, qui montre que nous avons besoin de la force et de l’esprit des nations, pour construire une Europe forte et solidaire. Nous avons besoin aussi d’apprendre à garder les yeux ouverts, au lieu de nous concentrer sur «le réel» qui arrange nos postulats idéologiques. En France notamment, la droite nationale doit reconnaître son aveuglement dans l’appréciation du danger russe, et s’interroger sur les raisons pour lesquelles elle s’est laissée abuser. La gauche doit, de son côté, absolument prendre acte du danger stratégique que constitue l’islamisation croissante de notre pays, sujet sur lequel elle reste plongée dans un déni suicidaire. Sinon, dans vingt ans, nous aurons à l’intérieur de nos murs une catastrophe tout aussi grave que celle qui a surgi à l’est de l’Europe. Laure Mandeville
La coexistence de deux axes, gauche-droite et bloc élitaire-bloc populaire, a brisé la majorité parlementaire. Il ne s’agit pas d’une dispersion du vote que des formules programmatiques pourraient aisément résoudre, mais d’électorats qui se consolident sur des bases séparées et largement irréconciliables. D’où une crise politique larvée depuis 2017 qui éclate au grand jour en ce second tour des législatives. La toile de fond est tout de même la réticence à l’égard d’Emmanuel Macron. Il a maintenu son pouvoir sans davantage convaincre les Français. L’écho donné depuis des semaines à Jean-Luc Mélenchon a produit un énorme déséquilibre: si les attentes en matière sociale, cristallisées autour du thème du pouvoir d’achat, sont indéniables, les inquiétudes civilisationnelles demeurent. Au moment où les candidats de la Nupes faisaient de la surenchère, l’opinion entendait avec consternation les échos du Stade de France. La fameuse droitisation du pays était largement une chimère, mais l’est tout autant l’idée d’une conversion subite des Français au gauchisme culturel. (…) Le Rassemblement national abordait les élections législatives avec différents handicaps dont la surabstention des catégories populaires, mais avec l’atout trop vite oublié des 41% et quelques obtenus le 24 avril. À ce niveau, la diabolisation fonctionne mal. L’ambiguïté d’Ensemble! à l’égard de la Nupes semble avoir convaincu de nombreux électeurs de bloquer ce qui leur semblait être une dérive périlleuse pour le pays, quel que soit leur jugement sur le programme lepéniste. Le projet populaire et nationaliste du RN semble donc une formule suffisamment pertinente pour bousculer une droite classique décidément encombrée par sa prudence. On évoque souvent la radicalisation des opinions, voici celle de la représentation politique. (…) Heureusement pour elle, la droite conserve un enracinement politique qui a fait son succès aux élections locales du quinquennat écoulé. Aux élections législatives, cela lui permet de limiter les dégâts, mais tout de même, on ne se remet pas si facilement d’une division par trois du score du candidat soutenu par LR à la présidentielle. La droite continue à subir une concurrence vive de la part de Macron et un rétrécissement subséquent de son influence vers les strates les plus âgées de l’électorat. Si les députés élus sous étiquette LR devaient avoir une position charnière dans la prochaine législature, est-ce que cela serait pour la droite une bonne nouvelle? En apparence certainement, mais cela pourrait aussi bloquer son nécessaire aggiornamento idéologique. Reste pour elle à trancher une question pendante depuis 2017: est-elle une force d’opposition résolue au macronisme, ou bien une solution de remplacement? Ce sera sans doute du cas par cas, ce qui est déjà une forme de réponse. (…) Quand l’abstention progresse à la présidentielle et est majoritaire dès le premier tour des législatives, il y a péril dans la demeure démocratique. L’expression politique des classes populaires est rongée par le non-vote, qui est souvent une forme de désespérance. Le 12 juin, seuls 35 % des employés et 38 % des ouvriers sont allés voter, au lieu de 47 % des cadres et 67 % des retraités. Les moins satisfaits de la situation politique et sociale sont aussi ceux les plus tentés par une forme de refus de principe, ou plus prosaïquement par le «laisser-tomber». Je n’exclue pas que se développe dans le pays une forme de survivalisme politique, fait d’abandon des rituels républicains, de repli sur soi et de participation erratique à des mouvements venus de la base. Le phénomène des «gilets jaunes» et son échec final, sanctionné par la réélection massive de Macron, en donne un avant-goût. (…) Un bon niveau de participation des citoyens aux élections constitue un vœu pieux républicain qui ne se pose pas avec la même acuité selon son positionnement idéologique et sa base électorale. Ainsi, une certaine auto-éviction des catégories populaires profite au pouvoir confirmé dans les urnes en avril dernier. Si cependant existe la volonté de proposer des solutions politiques réunificatrices, la séquence électorale 2022 apporte des pistes évidentes. Les propositions civilisationnelles doivent s’accompagner d’une prise en charge des attentes matérielles, la critique des politiques suivies peut être radicale, mais à condition d’être portée par une équipe crédible. Rien que de très simple à écrire, et de très malaisé à faire. (…) Tout ici est question de méthode. Face à des résultats électoraux, rien n’est plus facile ni plus fragile que de dessiner des formes, que l’on peut appeler pôles, blocs ou quoi que ce soit d’autre selon l’inspiration, en agrégeant des scores. Ainsi, à partir du premier tour de l’élection présidentielle, certains ont parlé d’un «bloc de gauche» autour de la Nupes, d’un «bloc centriste» représenté par le vote Emmanuel Macron et enfin d’un «bloc d’extrême droite» en additionnant les suffrages s’étant portés sur Marine Le Pen et Éric Zemmour. D’autres ont agrégé le vote pour Valérie Pécresse au vote Macron, ou bien au vote Le Pen. Ce genre de considérations relèvent de la pure taxinomie et n’ont aucun pouvoir explicatif. Car de deux choses l’une: soit il s’agit par le terme de «bloc» ou de «pôle» d’évoquer des relations concrètes entre différents votes, et alors on désigne une alliance électorale dûment formée, ce qui correspond bien à la Nupes mais pas aux autres formations en lice ; soit on postule une unité sous-jacente aux discours des acteurs politiques, et alors il faut la trouver dans une analyse serrée des propositions ou des électorats. Ces deux blocs sont toujours visibles dans les urnes. Les cadres ont voté pour le président sortant à 35 % au premier tour et 77 % au second, les retraités à 38 % puis 68 %. En sens inverse, 36 % des ouvriers et des employés ont choisi Marine Le Pen le 10 avril, et respectivement 67 % et 57 % deux semaines plus tard. À nouveau, les deux candidats porteurs de la sociologie électorale la plus contrastée entre eux se sont affrontés lors de ces élections. C’est aussi bien vrai en termes de niveau de revenu que de diplôme. Comme en 2017, il faut ajouter aussitôt deux choses. Tout d’abord, ce qui est criant à la présidentielle est beaucoup moins évident aux élections législatives, tout simplement parce que manque alors non plus le quart mais la moitié des inscrits, et que les catégories populaires sont largement absentes. Ensuite, qu’il y ait une polarisation évidente entre deux pôles ne signifie pas que l’ensemble du corps électoral s’y range dès le premier tour, loin de là. Au premier tour de 2022, 49 % des suffrages exprimés se sont portés sur des candidats autres que les deux finalistes. Jérôme Sainte-Marie
Quelle démocratie confisquée ?
Presque
Marius François
Marianne
20/06/2022
Jérôme Sainte-Marie: « Une crise politique larvée éclate au grand jour »
Alexandre Devecchio
19 juin 2022
ENTRETIEN – Pour le politologue, le faible score de la majorité présidentielle, le succès de la Nupes et la poussée du RN marquent un tournant de notre vie politique.
LE FIGARO. – Que vous inspirent les résultats de ce deuxième tour des élections législatives?
Jérôme SAINTE-MARIE. – La coexistence de deux axes, gauche-droite et bloc élitaire-bloc populaire, a brisé la majorité parlementaire. Il ne s’agit pas d’une dispersion du vote que des formules programmatiques pourraient aisément résoudre, mais d’électorats qui se consolident sur des bases séparées et largement irréconciliables. D’où une crise politique larvée depuis 2017 qui éclate au grand jour en ce second tour des législatives.
La toile de fond est tout de même la réticence à l’égard d’Emmanuel Macron. Il a maintenu son pouvoir sans davantage convaincre les Français. L’écho donné depuis des semaines à Jean-Luc Mélenchon a produit un énorme déséquilibre: si les attentes en matière sociale, cristallisées autour du thème du pouvoir d’achat, sont indéniables, les inquiétudes civilisationnelles demeurent. Au moment où les candidats de la Nupes faisaient de la surenchère, l’opinion entendait avec consternation les échos du Stade de France. La fameuse droitisation du pays était largement une chimère, mais l’est tout autant l’idée d’une conversion subite des Français au gauchisme culturel.
La poussée du RN est-elle historique?
Le Rassemblement national abordait les élections législatives avec différents handicaps dont la surabstention des catégories populaires, mais avec l’atout trop vite oublié des 41% et quelques obtenus le 24 avril. À ce niveau, la diabolisation fonctionne mal. L’ambiguïté d’Ensemble! à l’égard de la Nupes semble avoir convaincu de nombreux électeurs de bloquer ce qui leur semblait être une dérive périlleuse pour le pays, quel que soit leur jugement sur le programme lepéniste. Le projet populaire et nationaliste du RN semble donc une formule suffisamment pertinente pour bousculer une droite classique décidément encombrée par sa prudence. On évoque souvent la radicalisation des opinions, voici celle de la représentation politique.
Malgré son faible score, la droite pourrait paradoxalement se retrouver en position d’arbitre?
Heureusement pour elle, la droite conserve un enracinement politique qui a fait son succès aux élections locales du quinquennat écoulé. Aux élections législatives, cela lui permet de limiter les dégâts, mais tout de même, on ne se remet pas si facilement d’une division par trois du score du candidat soutenu par LR à la présidentielle. La droite continue à subir une concurrence vive de la part de Macron et un rétrécissement subséquent de son influence vers les strates les plus âgées de l’électorat. Si les députés élus sous étiquette LR devaient avoir une position charnière dans la prochaine législature, est-ce que cela serait pour la droite une bonne nouvelle? En apparence certainement, mais cela pourrait aussi bloquer son nécessaire aggiornamento idéologique. Reste pour elle à trancher une question pendante depuis 2017: est-elle une force d’opposition résolue au macronisme, ou bien une solution de remplacement? Ce sera sans doute du cas par cas, ce qui est déjà une forme de réponse.
L’autre fait marquant de ces législatives est l’abstention massive. S’il y a deux blocs, n’est-ce pas entre ceux qui croient encore à la politique et ceux qui n’y croient plus?
Quand l’abstention progresse à la présidentielle et est majoritaire dès le premier tour des législatives, il y a péril dans la demeure démocratique. L’expression politique des classes populaires est rongée par le non-vote, qui est souvent une forme de désespérance. Le 12 juin, seuls 35 % des employés et 38 % des ouvriers sont allés voter, au lieu de 47 % des cadres et 67 % des retraités. Les moins satisfaits de la situation politique et sociale sont aussi ceux les plus tentés par une forme de refus de principe, ou plus prosaïquement par le «laisser-tomber». Je n’exclue pas que se développe dans le pays une forme de survivalisme politique, fait d’abandon des rituels républicains, de repli sur soi et de participation erratique à des mouvements venus de la base. Le phénomène des «gilets jaunes» et son échec final, sanctionné par la réélection massive de Macron, en donne un avant-goût.
Comment sortir de cette crise démocratique et notamment réintégrer les classes populaires dans le jeu politique?
Un bon niveau de participation des citoyens aux élections constitue un vœu pieux républicain qui ne se pose pas avec la même acuité selon son positionnement idéologique et sa base électorale. Ainsi, une certaine auto-éviction des catégories populaires profite au pouvoir confirmé dans les urnes en avril dernier. Si cependant existe la volonté de proposer des solutions politiques réunificatrices, la séquence électorale 2022 apporte des pistes évidentes. Les propositions civilisationnelles doivent s’accompagner d’une prise en charge des attentes matérielles, la critique des politiques suivies peut être radicale, mais à condition d’être portée par une équipe crédible. Rien que de très simple à écrire, et de très malaisé à faire.
Ces résultats ne viennent-ils pas démentir votre théorie de l’affrontement entre un bloc élitaire, incarné par Emmanuel Macron, et un bloc populaire incarné par Marine Le Pen? Peut-on parler de tripartition?
Tout ici est question de méthode. Face à des résultats électoraux, rien n’est plus facile ni plus fragile que de dessiner des formes, que l’on peut appeler pôles, blocs ou quoi que ce soit d’autre selon l’inspiration, en agrégeant des scores. Ainsi, à partir du premier tour de l’élection présidentielle, certains ont parlé d’un «bloc de gauche» autour de la Nupes, d’un «bloc centriste» représenté par le vote Emmanuel Macron et enfin d’un «bloc d’extrême droite» en additionnant les suffrages s’étant portés sur Marine Le Pen et Éric Zemmour. D’autres ont agrégé le vote pour Valérie Pécresse au vote Macron, ou bien au vote Le Pen. Ce genre de considérations relèvent de la pure taxinomie et n’ont aucun pouvoir explicatif. Car de deux choses l’une: soit il s’agit par le terme de «bloc» ou de «pôle» d’évoquer des relations concrètes entre différents votes, et alors on désigne une alliance électorale dûment formée, ce qui correspond bien à la Nupes mais pas aux autres formations en lice ; soit on postule une unité sous-jacente aux discours des acteurs politiques, et alors il faut la trouver dans une analyse serrée des propositions ou des électorats.
Ces deux blocs sont toujours visibles dans les urnes. Les cadres ont voté pour le président sortant à 35 % au premier tour et 77 % au second, les retraités à 38 % puis 68 %. En sens inverse, 36 % des ouvriers et des employés ont choisi Marine Le Pen le 10 avril, et respectivement 67 % et 57 % deux semaines plus tard.
À nouveau, les deux candidats porteurs de la sociologie électorale la plus contrastée entre eux se sont affrontés lors de ces élections. C’est aussi bien vrai en termes de niveau de revenu que de diplôme. Comme en 2017, il faut ajouter aussitôt deux choses. Tout d’abord, ce qui est criant à la présidentielle est beaucoup moins évident aux élections législatives, tout simplement parce que manque alors non plus le quart mais la moitié des inscrits, et que les catégories populaires sont largement absentes. Ensuite, qu’il y ait une polarisation évidente entre deux pôles ne signifie pas que l’ensemble du corps électoral s’y range dès le premier tour, loin de là. Au premier tour de 2022, 49 % des suffrages exprimés se sont portés sur des candidats autres que les deux finalistes.
Voir encore:
Si l’abstention au second tour des élections législatives, dimanche, a atteint un niveau élevé, elle n’a toutefois pas concerné toutes les couches de la population de la même manière. Découvrez en trois graphiques le profil sociologique des abstentionnistes.
Elle n’a pas dépassé son record de 2017, mais l’abstention a atteint un niveau élevé au second tour des élections législatives, dimanche 19 juin. Plus de la moitié des électeurs (53,77%) ne se sont pas rendus aux urnes. Mais qui sont les abstentionnistes ? Age, revenus, appartenance politique… Franceinfo dresse en trois graphiques le profil sociologique de cet électorat qui ne s’est pas déplacé pour le scrutin.
Chez les 18-24 ans, sept électeurs sur 10 ont boudé les urnes
Comme au premier tour, l’abstention a d’abord concerné de manière disproportionnée les jeunes, selon l’estimation Ipsos-Sopra Steria pour France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et les chaînes parlementaires.
Au lendemain du premier tour, le chef de file de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, avait lancé sur France 2 un appel à la mobilisation des jeunes, les exhortant à « se mêl[er] un peu de leurs affaires ». Force est de constater qu’il n’y a pas eu de sursaut massif de la participation de la part de cette tranche d’âge.
Dimanche, 71% des 18-24 ans et 66% des 25-34 ans n’ont pas voté, contre 69% sept jours plus tôt. « La jeune génération est un peu blasée à l’égard des élections et de la démocratie », expliquait sur franceinfo Olivier Galland, sociologue et directeur de recherche émérite au CNRS, qui notait une préférence de la jeunesse « pour des formes d’actions protestataires », comme des manifestations ou « l’affichage d’opinions sur les réseaux sociaux ».
Entre le premier et le second tour, l’abstention a progressé dans toutes les tranches d’âge, à l’exception de celle des 25-34 ans qui a enregistré une diminution de l’abstention : 66% des électeurs de cette classe d’âge se sont abstenus au second tour, contre 71% au premier tour.
Plus les électeurs sont jeunes, plus ils s’abstiennent. Seuls les plus de 60 ans affichent une abstention inférieure à 50%. « C’est la génération des ‘baby boomers’ qui vote le plus, notamment parce qu’ils croient encore en la politique », décryptait sur franceinfo Vincent Tiberj, chercheur en sociologie électorale à Sciences Po Bordeaux.
Les deux tiers des ouvriers se sont abstenus
L’abstention est une question d’âge, mais aussi de diplômes et de revenus. Les électeurs les moins diplômés sont ceux qui se sont le plus abstenus au second tour : 58% des titulaires du baccalauréat ne sont pas allés voter, contre 54% des diplômés d’un bac+2 et 51% des détenteurs d’un bac+3 ou plus.
Ces différences se retrouvent également si l’on compare la participation en fonction des revenus. Plus le niveau de vie de l’électeur augmente, moins l’abstention est importante.
Les professions les moins qualifiées sont ainsi celles qui se sont le moins déplacées, dimanche. L’abstention atteint 67% chez les ouvriers et 64% chez les employés, contre 59% chez les professions intermédiaires et 54% chez les cadres. L’abstention entre les deux tours du scrutin s’est en particulier accrue chez les ouvriers, enregistrant au second tour un taux supérieur de cinq points à celui du premier tour.
Plus de la moitié des électeurs de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon ne se sont pas déplacés
Les différents courants politiques ne sont pas exposés de la même manière à l’abstention. Les électeurs de l’extrême droite et de la gauche radicale ont davantage boudé les urnes, selon cette même étude. L’abstention a ainsi dépassé les 50% parmi ceux qui ont accordé leur voix à Eric Zemmour, Marine Le Pen ou à Jean-Luc Mélenchon au premier tour de l’élection présidentielle.
Le sursaut de participation que Jean-Luc Mélenchon a appelé de ses vœux pour le second tour ne s’est là encore pas produit, puisque l’abstention a augmenté chez ses partisans. A l’inverse, moins de 40% des électeurs d’Emmanuel Macron et de Valérie Pécresse ont boudé les urnes, soit une légère baisse par rapport au premier tour.
Voir enfin:
Le FN, René Girard et la théorie du bouc émissaire
FIGAROVOX/TRIBUNE – Vincent Coussedière estime que le Front national est en passe de fracturer un système qui l’a érigé en bouc-émissaire.
Vincent Coussedière est agrégé de philosophie et auteur d’Éloge du populisme (Elya éditions).
Cet imaginaire de la fin, incarné dans l’anti-frontisme, arrive lui-même à sa fin. Pourquoi? Parce qu’il est devenu impossible de masquer aux français que la fin est désormais derrière nous. La fin est consommée, la France en pleine décomposition, et la république agonisante, d’avoir voulu devenir trop bonne fille de l’Empire multiculturel européen. Or tout le monde comprend bien qu’il n’a nullement été besoin du Front national pour cela. Plus rien ou presque n’est à sauver, et c’est pourquoi le Front national fait de moins en moins peur, même si, pour cette fois encore, la manœuvre du «front républicain», orchestrée par Manuel Valls, a été efficace sur les électeurs socialistes. Les Français ont compris que la fin qu’on faisait incarner au Front national ayant déjà eu lieu, il avait joué, comme rôle dans le dispositif du mensonge généralisé, celui du bouc émissaire, vers lequel on détourne la violence sociale, afin qu’elle ne détruise pas tout sur son passage. Remarquons que le Front national s’était volontiers prêté à ce dispositif aussi longtemps que cela lui profitait, c’est-à-dire jusqu’à aujourd’hui. Le parti anti-système a besoin du système dans un premier temps pour se légitimer.
Nous approchons du point où la fonction de bouc émissaire, théorisée par René Girard (1) va être entièrement dévoilée et où la violence ne pourra plus se déchaîner vers une victime extérieure. Il faut bien mesurer le danger social d’une telle situation, et la haute probabilité de renversement qu’elle secrète: le moment approche pour ceux qui ont désigné la victime émissaire à la vindicte du peuple, de voir refluer sur eux, avec la vitesse et la violence d’un tsunami politique, la frustration sociale qu’ils avaient cherché à détourner.
Les élections régionales sont sans doute un des derniers avertissements en ce sens.
Y-a-t-il une solution pour échapper à une telle issue? Avouons que cette responsabilité est celle des élites en place, ayant entonné depuis 30 ans le même refrain. A supposer cependant que nous voulions les sauver, nous pourrions leur donner le conseil suivant: leur seule possibilité de survivre serait d’anticiper la violence refluant sur elles en faisant le sacrifice de leur innocence. Elles devraient anticiper la colère d’un peuple qui se découvre de plus en plus floué, et admettre qu’elles ont produit le système de la victime émissaire, afin de détourner la violence et la critique à l’égard de leur propre action. Pour cela, elles devraient cesser d’ostraciser le Front national, et accepter pleinement le débat avec lui, en le réintégrant sans réserve dans la vie politique républicaine française. Pour cela, elles devraient admettre de déconstruire la gigantesque hallucination collective produite autour du Front national, hallucination revenant aujourd’hui sous la forme inversée du Sauveur. Ce faisant, elles auraient tort de se priver au passage de souligner la participation du Front national au dispositif, ce dernier s’étant prêté de bonne grâce, sous la houlette du Père, à l’incarnation de la victime émissaire.
Il faut bien avouer que nos élites du PS comme de Les Républicains ne prennent pas ce chemin, démontrant soit qu’elles n’ont strictement rien compris à ce qui se passe dans ce pays depuis 30 ans, soit qu’elles l’ont au contraire trop bien compris, et ne peuvent plus en assumer le dévoilement, soit qu’elles espèrent encore prospérer ainsi. Il n’est pas sûr non plus que le Front national soit prêt à reconnaître sa participation au dispositif. Il y aurait intérêt pourtant pour pouvoir accéder un jour à la magistrature suprême. Car si un tel aveu pourrait lui faire perdre d’un côté son «aura» anti-système, elle pourrait lui permettre de l’autre, une alliance indispensable pour dépasser au deuxième tour des présidentielles le fameux «plafond de verre». Il semble au contraire après ces régionales que tout changera pour que rien ne change. Deux solutions qui ne modifient en rien le dispositif mais le durcissent au contraire se réaffirment.
La première solution, empruntée par le PS et désirée par une partie des Républicains, consiste à maintenir coûte que coûte le discours du front républicain en recherchant un dépassement du clivage gauche/droite. Une telle solution consiste à aller plus loin encore dans la désignation de la victime émissaire, et à s’exposer à un retournement encore plus dévastateur. Car le Front national aura un boulevard pour dévoiler qu’il a été la victime émissaire d’une situation catastrophique dont tout montre de manière de plus en plus éclatante qu’il n’y est strictement pour rien. En ce sens, si à court terme, la déclaration de Valls sur le Front national, fauteur de guerre civile, a semblé efficace, elle s’avérera sans doute à plus ou moins long terme, comme le stade ultime de l’utilisation du dispositif de la victime émissaire, avant que celui-ci ne s’écroule sur ses promoteurs mêmes. Car sans même parler des effets dévastateurs que pourrait avoir, a posteriori, un nouvel attentat, sur une telle déclaration, comment ne pas remarquer que les dernières décisions du gouvernement sur la lutte anti-terroriste ont donné rétrospectivement raison à certaines propositions du Front national? On voit mal alors comment on pourrait désormais lui faire porter le chapeau de ce dont il n’est pas responsable, tout en lui ôtant le mérite des solutions qu’il avait proposées, et qu’on n’a pas hésité à lui emprunter!
La deuxième solution, défendue par une partie de Les Républicains suivant en cela Nicolas Sarkozy, consiste à assumer des préoccupations communes avec le Front national, tout en cherchant à se démarquer un peu par les solutions proposées. Mais comment faire comprendre aux électeurs un tel changement de cap et éviter que ceux-ci ne préfèrent l’original à la copie? Comment les électeurs ne remarqueraient-ils pas que le Front national, lui, n’a pas changé de discours, et surtout, qu’il a précédé tout le monde, et a eu le mérite d’avoir raison avant les autres, puisque ceux-ci viennent maintenant sur son propre terrain? Comment d’autre part concilier une telle proximité avec un discours diabolisant le Front national et cherchant l’alliance au centre?
Curieuses élites, qui ne comprennent pas que la posture «républicaine», initiée par Mitterrand, menace désormais de revenir comme un boomerang les détruire. Christopher Lasch avait écrit La révolte des élites, pour pointer leur sécession d’avec le peuple, c’est aujourd’hui le suicide de celles-ci qu’il faudrait expliquer, dernière conséquence peut-être de cette sécession.
(1) René Girard: La violence et le sacré