Ballets roses: Féministes radicales et extrême-droite, même combat ! (From the infamous Ballets roses to today’s online child pornography while our most fundamental institutions are being systematically undermined through same-sex marriage or child sex change, guess why so many people fall for the conspirationists’ global pedophile ring rumor ?)

7 mars, 2023

Pavillon Butard à la Celle saint CloudFichier:The Liberation of Paris, 25 - 26 August 1944 HU66477.jpg — Wikipédia

pinajeff pinajeff2La vérité sur la comtesse Berdaiev - Poche - Jean-Marie Rouart, Livre tous  les livres à la FnacLes Ballets écarlates de Jean-Pierre Mocky (2005) - Unifrance

Herodote.net - 10 janvier 1959 : Les « ballets roses » de la République La  Ve République débute en 1959 sur un scandale sexuel qui met en cause l'un  des plus hauts
Laissez les petits enfants, et ne les empêchez pas de venir à moi; car le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent. Jésus (Matthieu 19: 14)
Quiconque reçoit en mon nom un petit enfant comme celui-ci, me reçoit moi-même. Mais, si quelqu’un scandalisait un de ces petits qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui qu’on suspendît à son cou une meule de moulin, et qu’on le jetât au fond de la mer. Jésus (Matthieu 18: 5-6)
Une civilisation est testée sur la manière dont elle traite ses membres les plus faibles. Pearl Buck
Nous vivons dans un monde, je l’ai dit, qui se reproche sa propre violence constamment, systématiquement, rituellement. Nous nous arrangeons pour transposer tous nos conflits, même ceux qui se prêtent le moins à cette transposition, dans le langage des victimes innocentes. Le débat sur l’avortement par exemple : qu’on soit pour ou contre, c’est toujours dans l’intérêt des « vraies victimes », à nous en croire, que nous choisissons notre camp. Qui mérite le plus nos lamentations, les mères qui se sacrifient pour leurs enfants ou les enfants sacrifiés à l’hédonisme contemporain. Voilà la question. (…) Contrairement au totalitarisme d’extrême droite – celui qui est ouvertement païen, comme le nazisme, dont on parle plus que jamais, et qui est, je pense, complètement fini -, le totalitarisme d’extrême gauche a de l’avenir. Des deux totalitarismes, c’est le plus malin, parce qu’il est le rival du christianisme, comme l’était déjà le marxisme. Au lieu de s’opposer franchement au christianisme, il le déborde sur sa gauche. Le mouvement antichrétien le plus puissant est celui qui prend en compte et radicalise le souci des victimes, pour le paganiser. Ainsi, les puissances et les principautés reprochent au christianisme de ne pas défendre les victimes avec assez d’ardeur. Dans le passé chrétien elles ne voient que persécutions, oppressions, inquisitions. L’Antéchrist, lui, se flatte d’apporter aux hommes la paix et la tolérance que le christianisme leur promet et ne leur apporte pas. En réalité, c’est un retour très effectif à toutes sortes d’habitudes païennes : l’avortement, l’euthanasie, l’indifférenciation sexuelle, les jeux du cirque à gogo, mais sans victimes réelles, grâce aux simulations électroniques, etc. Le néo-paganisme veut faire du Décalogue et de toute la morale judéo-chrétienne une violence intolérable, et leur abolition complète est le premier de ses objectifs. Ce néo-paganisme situe le bonheur dans l’assouvissement illimité des désirs et, par conséquent, dans la suppression de tous les interdits. René Girard

Il faut peut-être entendre par démocratie les vices de quelques-uns à la portée du plus grand nombre. Henry Becque
Le problème, c’est que tout était permis. Jean-Pierre Mocky
On ne peut pas les qualifier de faits divers, ce sont des faits systémiques, c’est-à-dire des faits que notre société engendre. Je rappellerai d’ailleurs que c’est notre culture judéo-chrétienne qui l’engendre. (…) Malgré ce que tente parfois de faire croire l’extrême droite, ce n’est pas dû à l’immigration, c’est bien notre culture, nos valeurs, notre éducation, celle qu’on donne à nos enfants, qui, dans un continuum de violences, créent ces drames. Violaine De Filippis

Invitée à réagir sur BFMTV au meurtre de deux femmes, la porte-parole d’Osez le féminisme, Violaine De Filippis, a mis en accusation la culture occidentale (…) Passons sur le fait que l’essentialisation d’une culture, fustigée quand il s’agit de mœurs étrangères, est ici acceptée sous le vernis jargonnant des « faits systémiques ». À l’inverse, parler de la délinquance et de l’insécurité liées à l’immigration comme des « faits systémiques », c’est courir le risque d’être accusé d’amalgames, autorisé uniquement quand il s’agit de viser notre propre culture. Ce que démontre la saillie grotesque de cette représentante du néoféminisme, c’est que la culture judéo-chrétienne imprègne tellement peu notre société qu’on peut proférer à son sujet des énormités sans fondement. Ce qu’elle prouve également, c’est que ce qui distingue la culture occidentale, même appauvrie dans ses avatars télévisuels, c’est la culpabilité quant à sa propre histoire. Nous sommes la seule civilisation qui se flagelle en permanence. Et pourtant nous sommes la civilisation qui a produit l’égalité entre les hommes et les femmes, et ce progrès n’est pas étranger à la proposition chrétienne. Bien sûr, on nous citera les propos misogynes de saint Paul, la vision patriarcale des Pères de l’Église et les bûchers des sorcières (largement surévalués et mythifiés par la vulgate néoféministe). Reste que c’est un événement décisif qui se produit dans le destin des femmes avec la prédication de l’Évangile. Les paroles du Christ, prêchées par les apôtres à Rome et dans les différentes parties de l’Église, ne comportaient pour la femme aucune mesure de «protection», mais énonçaient de la façon la plus simple et la plus bouleversante l’égalité foncière entre l’homme et la femme. N’a-t-il pas en personne proscrit la lapidation de la femme adultère (Jean 8, 1-11)? Cette scène, qui représente l’interdiction fondatrice du «féminicide», a été représentée par les plus grands peintres occidentaux. Et ce serait cette culture qui «engendre» les meurtres de femmes? Le rôle de la Vierge Marie a-t-il un équivalent dans l’histoire religieuse? Y a-t-il une autre civilisation que la civilisation judéo-chrétienne qui ait accouché d’une telle vénération de la figure féminine et maternelle? C’est l’universalisme chrétien, qui a permis d’ériger la femme au rang d’égale de l’homme. Quant à la parité, n’a-t-elle pas été imposée dans l’Église avec les saintes, avant même que cela soit obligatoire? C’est même mieux que cela. Le professeur Georges Naïdenoff relève dans le Petit Larousse les noms cités pour les IIe et IIIe siècles. Quelle ne fut pas sa surprise de découvrir que, pour 3 hommes seulement (Plotin, Origène, saint Sébastien), on compte 21 femmes: Zénobie, reine de Palmyre, et Faustine, femme de l’empereur Antonin… les 19 autres sont des saintes, reconnues par l’Église comme martyres. «Agathe, Agnès, Cécile, Lucie, Catherine (…), Marguerite, Eulalie, et tant d’autres auront donc – et nous chercherions vainement leur équivalent dans le monde antique – survécu dans la mémoire des hommes», écrit Régine Pernoud, dans La Femme au temps des cathédrales, livre magnifique décrivant la place prépondérante de la femme au Moyen Âge, loin des clichés que nous avons aujourd’hui de cette période. N’en déplaisent aux relativistes, toutes les civilisations ne se valent pas du point de vue de l’égalité des sexes, et la civilisation occidentale n’est pas la dernière. Et ce depuis longtemps. L’islamologue Bernard Lewis cite Evliya Celebi, écrivain turc qui en 1665 se rendait à Vienne pour un voyage diplomatique, et, ahuri par la liberté des femmes en Occident, écrivait: «J’ai vu dans ce pays une chose très extraordinaire. Si l’empereur rencontre une femme dans la rue et se trouve être à cheval, il arrête sa monture et laisse passer la dame (…). Dans ce pays, comme partout en terre infidèle, les femmes ont les premières la parole et sont honorées et respectées pour l’amour de Marie mère.». «Les visiteurs musulmans en Europe étaient frappés par l’impudeur et l’indocilité des femmes occidentales, leur incroyable liberté, l’absurde déférence qui leur était prodiguée et ne manquaient pas de s’indigner de la totale absence de jalousie virile chez des hommes confrontés à l’immoralité et aux mœurs dépravées de leurs épouses», écrit Lewis. Cette mixité des sexes est un produit du monde chrétien, le christianisme ayant été la première civilisation interdisant la polygamie et le concubinage. Ces subtilités historiques échappent à des militantes pour qui la cause des femmes n’est que le paravent d’une haine de l’Occident. Eugénie Bastié
Nous sommes une société qui, tous les cinquante ans ou presque, est prise d’une sorte de paroxysme de vertu – une orgie d’auto-purification à travers laquelle le mal d’une forme ou d’une autre doit être chassé. De la chasse aux sorcières de Salem aux chasses aux communistes de l’ère McCarthy à la violente fixation actuelle sur la maltraitance des enfants, on retrouve le même fil conducteur d’hystérie morale. Après la période du maccarthisme, les gens demandaient : mais comment cela a-t-il pu arriver ? Comment la présomption d’innocence a-t-elle pu être abandonnée aussi systématiquement ? Comment de grandes et puissantes institutions ont-elles pu accepté que des enquêteurs du Congrès aient fait si peu de cas des libertés civiles – tout cela au nom d’une guerre contre les communistes ? Comment était-il possible de croire que des subversifs se cachaient derrière chaque porte de bibliothèque, dans chaque station de radio, que chaque acteur de troisième zone qui avait appartenu à la mauvaise organisation politique constituait une menace pour la sécurité de la nation ? Dans quelques décennies peut-être les gens ne manqueront pas de se poser les mêmes questions sur notre époque actuelle; une époque où les accusations de sévices les plus improbables trouvent des oreilles bienveillantes; une époque où il suffit d’être accusé par des sources anonymes pour être jeté en pâture à la justice; une époque où la chasse à ceux qui maltraitent les enfants est devenu une pathologie nationale. Dorothy Rabinowitz
Les abus sexuel des enfants sont un problème de santé publique important et une expérience négative de l’enfance. Les abus sexuels d’enfants font référence à l’implication d’un enfant (personne de moins de 18 ans) dans une activité sexuelle qui viole les lois ou les tabous sociaux de la société et qu’il/elle ne comprend pas pleinement, ne consent pas ou est incapable de donner un consentement éclairé, ou n’est pas préparé sur le plan du développement et ne peut pas donner son consentement. (…)  De nombreux enfants attendent pour signaler ou ne signalent jamais les abus sexuels contre eux. Par conséquent, les chiffres ci-dessous sous-estiment probablement l’impact réel du problème. Bien que les estimations varient d’une étude à l’autre, la recherche montre qu’environ 1 fille sur 4 et 1 garçon sur 13 aux États-Unis subissent des abus sexuels. Une personne connue et de confiance de l’enfant ou des membres de sa famille, commet 91 % des abus sexuels sur des enfants. CDC
Les plus puissants entendent défendre leurs prérogatives […] Et c’est exactement à cela que ça sert, la puissance de vos grosses fortunes : avoir le contrôle des corps déclarés subalternes […]. Le temps est venu pour les plus riches de faire passer ce beau message : le respect qu’on leur doit s’étendra désormais jusqu’à leurs bites tachées du sang et de la merde des enfants qu’ils violent. (…)  Il n’y a rien de surprenant à ce que vous ayez couronné Polanski : c’est toujours l’argent qu’on célèbre […]. C’est votre propre puissance de frappe monétaire que vous venez aduler. Virginie Despentes 
Une section de l’exposition attire l’attention par l’avertissement suivant : Certaines œuvres pourraient heurter la sensibilité de certains visiteurs et notamment des plus jeunes. Même si elles proviennent de médias qui publient de manière sensationnelle les situations que Miriam Cahn évoque ici à travers ses images, les œuvres de Cahn sont sincères, empathiques et solidaires. L’accrochage des tableaux est inhabituel. Sans cadre et sans verre de sécurité. S’ils sont sans protection, les êtres humains, en particulier les femmes et les enfants, le sont aussi dans la réalité de la vie face aux agressions, généralement masculines, soutenues par les milieux dominants, les agences du capital et l’infiltration religieuse. Mensch Maus
Si j’étais législateur, je proposerais tout simplement la disparition du mot et du concept de “mariage” dans un code civil et laïque. Le “mariage”, valeur religieuse, sacrale, hétérosexuelle – avec voeu de procréation, de fidélité éternelle, etc. -, c’est une concession de l’Etat laïque à l’Eglise chrétienne – en particulier dans son monogamisme qui n’est ni juif (il ne fut imposé aux juifs par les Européens qu’au siècle dernier et ne constituait pas une obligation il y a quelques générations au Maghreb juif) ni, cela on le sait bien, musulman. En supprimant le mot et le concept de “mariage”, cette équivoque ou cette hypocrisie religieuse et sacrale, qui n’a aucune place dans une constitution laïque, on les remplacerait par une “union civile” contractuelle, une sorte de pacs généralisé, amélioré, raffiné, souple et ajusté entre des partenaires de sexe ou de nombre non imposé. (…) C’est une utopie mais je prends date. Jacques Derrida
C’est le sens de l’histoire (…) Pour la première fois en Occident, des hommes et des femmes homosexuels prétendent se passer de l’acte sexuel pour fonder une famille. Ils transgressent un ordre procréatif qui a reposé, depuis 2000 ans, sur le principe de la différence sexuelle. Evelyne Roudinesco
Je me souviens du scandale des « Ballets roses » dans lequel fut compromis le Président de la Chambre, André Le Troquer. Georges Pérec
On n’est que trois dans ce métier. Nabokov pour la littérature. Balthus pour la peinture et moi pour la photo. David Hamilton
L’enseignante exaltée redécouvre les méandres et la géographie de la carte de Tendre. Après l’affection, l’estime, l’inclination pour finir au bout de deux ans par les appels du désir et tous les désordres de la passion. Yasmine se laisse aimer et désirer. Elle apprend l’algèbre des sentiments, les exigences et les égarements du corps. Ce qui devait arriver arrive: un saphisme sans violence, mais aussi un amour condamné, une relation que les deux amantes savent maudite. L’Obs (Yasmine, 12 ans, et sa prof, 30 ans : récit d’une passion interdite, 25.05. 2013)
C’est une histoire de passion interdite. A Lille, une femme, une prof, est tombée amoureuse, à en perdre toute raison, de Leïla, son élève, une collégienne de 14 ans. Elle a dix-neuf ans de plus que son amante. Elle risque dix ans de prison. Causette l’a rencontrée“ (…) Et, comme une mauvaise raison de plus, Abdellatif Kechiche a obtenu la Palme d’or au Festival de Cannes pour La Vie d’Adèle, l’histoire d’une jeune fille tombant sous le charme d’une lesbienne aux cheveux bleus. Un film tourné à Lille (…) à deux pas du tribunal. Causette
Nous nous sommes plantés. Et pas qu’un peu. Avoir pu laisser penser, ne serait-ce qu’un quart de seconde, que Causette pouvait cautionner, accepter ou, pire, justifier une «  atteinte sexuelle sur mineur  » (qui n’a pas encore été jugée, mais c’est l’incrimination pénale qui a pour l’instant été retenue dans cette affaire), est évidemment grave. Nous sommes navrés d’avoir pu laisser croire cela. L’article a manqué de précautions, d’un appareillage éditorial qui aurait rendu le doute impossible. Nous avons voulu rendre compte d’une histoire qui, si elle est complexe, n’en relève pas moins d’une situation qui ne doit pas voir le jour  : une professeure de collège ayant des relations sexuelles avec l’une de ses élèves, mineure de moins de quinze ans. Voir émerger, sur les réseaux sociaux, des accusations affirmant que Causette trouvait des circonstances atténuantes à un acte «  pédophile  » nous catastrophe, bien sûr, au plus haut point. L’article a donné la parole à tous les protagonistes, et le refus de s’exprimer des avocats de la famille de la victime a probablement renforcé l’impression d’un déséquilibre, voire d’un parti pris. (…) Notre intention consistait à interroger les mécanismes qui ont conduit au passage à l’acte. Cette approche, que nous pensions dénuée d’ambiguïté, et bien que journalistiquement défendable, a au contraire semé le trouble au point d’être traduite comme un permis de violer la loi, d’abuser d’une enfant. Maladresse sans nom pour laquelle nous vous présentons, ainsi qu’à la victime, nos excuses les plus sincères. Causette
Deux femmes qui s’aiment, c’est tellement beau, n’est-ce pas ? Il est bien connu que les femmes ne s’aiment pas comme les hommes. Une femme, c’est doux, c’est tendre, c’est sexy, et peu importe alors de mettre le lecteur en état de salivation malsaine, lui faisant oublier qu’on parle ici d’une infraction pénale, constituée par l’atteinte sexuelle sur mineur et figurant au Code pénal, et que ce qu’il nous décrit se résume tout simplement, eu égard à l’âge de la victime, à une relation sexuelle entre une adulte et une enfant. Gaëlle-Marie Zimmermann
À ma connaissance, Tony Duvert n’a jamais été poursuivi ni condamné pour des actes de pédophilie. Il s’est contenté d’en écrire, d’en représenter. Et c’est déjà bien trop pour notre époque aux opinions criminalisées à l’envi. Ces derniers jours, j’ai encore pensé à Tony Duvert. À cause de l’information, tombée hier dans mes oreilles, que l’écrivain avait été officiellement privé de tombe et aussi de cette flambée de poudre autour d’un article de « Causette », reprenant des faits précédemment (et maladroitement) exposés dans « Le Nouvel Observateur ». L’histoire de cette prof qui – selon les pôles – aurait eu une relation amoureuse avec une élève ou se serait rendue coupable d’actes abjects et punis comme de juste par la loi. Deux choses m’attristent profondément dans cette énième « pédopolémique ». La première, c’est que je ressens encore un peu plus durement combien l’écoulement de nos pensées, de nos opinions, d’autant plus quand elles s’orientent vers des questions liées de près ou de loin à la sexualité, est désormais endigué par tous un tas de petits barrages. Des obstacles au flux qui sont non seulement moralisateurs (après tout, pourquoi pas), mais parfaitement hermétiques. Aucun contournement n’est possible : il y a les choses qui se pensent, qui se disent, et celles que le commun (dans son sens le plus neutre du « Qui appartient à un grand nombre ou à une majorité de personnes ou de choses ») jugent répugnantes, abjectes, intolérables et qui ne méritent que le silence. La non-existence. Ces espèces de limbes intellectuelles, où, au mieux, vos idées circuleront sous le manteau. Ici, on demandera à des journaux et des magazines de supprimer des articles, de s’excuser – ce qu’ils feront parfois, partiellement ou totalement –, même si, à la base, les articles en question n’étaient là que pour porter des faits à la connaissance d’un public. Les reports de faits présumés immondes, on en fait des idées et des opinions immondes. Le contenant devient le contenu et vice et versa. On a la gerbe, c’est impossible, intenable d’en débattre et si besoin on sortira la batte de base-ball. Le débat est fermé, verrouillé, on plante des petits sens interdits un peu partout et on le fait avec d’autant plus de vigueur, de conviction, de rage, qu’on est persuadé d’avoir le bon sens (le sens commun) avec soi. Et comment ne pas l’avoir quand un pédophile d’écriture subit le même sort post-mortem qu’un dictateur génocidaire ou qu’un chef terroriste responsable d’une des pires atrocités du XXIe siècle ? Une amie ayant vécu le passage entre les années « post-soixante-huitardes » et l’époque contemporaine me disait récemment combien le fonctionnement actuel de la censure la navrait. Que dans les années 1960, les choses étaient claires et les camps tracés : il y avait la censure d’État et les intellectuels (journalistes, artistes, etc.) qui faisaient tout pour la contourner, voire la combattre. Aujourd’hui, l’État ne censure quasiment plus rien, mais tout le monde est devenu le petit gardien de tout le monde. Il y a la peur des procès, la peur des vindictes et résultat: les têtes un tant soit peu remplies différemment évitent de déverser ce qu’elles ont à l’intérieur. Ou prennent d’énormes précautions, comme celles que je tente de prendre en écrivant ces lignes et qui me font, prosaïquement, énormément transpirer. (…) Je ne crois pas connaître de sentiment plus désagréable que celui-là, le catalogue de toutes les idées avortées pour cause de prohibition socialement majoritaire. Pour cause de confusion entre idées et faits, entre faits rapportés et faits recommandés. La seconde cause de mon abattement : pourquoi faudrait-il que la sexualité soit une activité jugée comme immédiatement et absolument nocive quand elle se déroule entre un adulte et un enfant ? que cette vision-là soit tellement généralisable et généralisée qu’elle ne souffre aucune exception, à part celles qui vous valent des volées d’insultes et autres bannissements dans le champ (si rassurant) du pathologique ? La pédophilie est illégale, je ne le remets pas en question. Le fondement de mon argument est assez simple. Il vient de mon passé de petite fille ayant connu bien avant la puberté cette sexualité-là. (…) Contrairement à d’autres, il n’y a aucune volonté de généralisation dans mes propos. Je ne dis pas : « Youpi, que tout le monde couche avec des gosses, ça leur fera le plus grand bien ! » Je dis juste ce que je m’évertue à dire, peu ou prou, depuis que je m’exprime sur ces sujets : la sexualité n’est pas un domaine du général, du commun, de l’obligatoire et de l’absolu. Elle est un terrain de diversité, de complexité et d’individualités. Et que des magazines, des journaux, et a fortiori des écrivains veuillent en rendre compte, c’est tout le mal que je leur souhaite. Peggy Sastre
Le témoignage de Flavie Flament entend lever un voile. L’animatrice de RTL indique « ne pas avoir été la seule victime » d’un photographe de mode « à l’aura mondiale ». Si elle refuse de citer son nom, elle livre dans son récit des indices qui sembleraient le désigner : celui-ci travaillerait au Cap d’Agde, offrirait aux gamines ou aux parents un Polaroid en récompense de leurs pauses. Dès dimanche soir, le nom de David Hamilton, âgé aujourd’hui de 83 ans, circulait sur les réseaux sociaux comme Twitter, puisqu’il a souvent confié lui-même avoir offert des Polaroid à ses modèles et les avoir recrutés sur la plage de cette station balnéaire de l’Hérault, à l’époque où ses albums se vendaient par dizaines, voire centaines de milliers. Comme « l’Age de l’innocence », dans lequel Flavie Flament, 13 ans à l’époque, apparaît en effet, au détour d’une page et d’un cliché, parmi de nombreuses jeunes ados, parfois très dénudées. Aujourd’hui, ce genre d’images ne passerait plus. « On ne peut plus prendre en photo une jeune fille. Il y a toujours la peur d’un scandale », nous confiait David Hamilton lui-même l’an dernier à l’occasion d’une exposition… sur des fleurs. (…) Pour autant, rien ne permet pour l’heure d’accuser un photographe plutôt qu’un autre. A l’époque, certains étaient peu regardants sur l’âge des modèles, voire sur certaines dérives. Les faits dénoncés par l’ancienne star de TF 1 remontent à 1987, mais ils rappellent l’affaire Polanski, le cinéaste et photographe accusé d’avoir violé une jeune fille de 13 ans, elle aussi lors d’une séance de prise de vue, en 1973. Ce dernier, poursuivi aux Etats-Unis d’où il s’est enfui, a fini par s’excuser auprès de sa victime, en 2011. Rattacher ces affaires à une période très permissive, où la nudité s’étalait bien davantage qu’aujourd’hui, tiendrait pourtant du raccourci. Au tout début des années 1980, la joueuse de tennis Isabelle Demongeot, alors âgé de 14 ans, a été victime de viols de la part de son entraîneur Régis de Camaret. Celui-ci a été condamné à dix ans de prison en 2014. A chaque fois, un point commun : un homme beaucoup plus âgé, puissant, connu, face à une très jeune femme. Le Parisien
Le travail de David Hamilton est controversé en Amérique du Nord et au Royaume-Uni, beaucoup moins en Europe continentale. À la fin des années 1990, les conservateurs chrétiens aux États-Unis s’en prirent aux librairies qui avaient en stock des albums de David Hamilton, Sally Mann, et Jock Sturges, dont ils considèrent le travail comme de la “pornographie enfantine”. Hamilton vit dans le sud de la France, à Saint-Tropez où il affirme que son travail n’a jamais suscité une telle réprobation. Wikipedia
Si les enfants savaient que la loi interdit les privautés sensuelles entre adultes et enfants, et bien, à partir du moment où un adulte le lui demande, s’il accepte, c’est qu’il est complice, il n’a pas à se plaindre.  (…) Ça dépend de chaque enfant, et je crois que ça dépendra de la relation maturante qu’il va rencontrer avec la famille dans laquelle il sera placé, ou avec l’éducateur avec qui il pourra parler et qui pourra justement lui faire comprendre que l’excitation dans laquelle était son père, peut-être sans l’avoir cherché, l’enfant en était complice.Parce que je crois que ces enfants sont plus ou moins complices de ce qui se passe…Il faudra leur dire très tôt…qu’ils ont un devoir de se dérober à ça pour que leurs parents restent des parents pour eux… (…) Les enfants fabulent beaucoup, oui, c’est vrai. (…) les enfants ne pourraient plus le faire s’ils avaient été informés avant. « Et là pourquoi as-tu laissé faire puisque tu savais que tu ne devais pas, pourquoi l’as-tu laissé faire ? Ton rôle d’enfant, c’était de l’empêcher. » François Dolto
Il m’était arrivé plusieurs fois que certains gosses ouvrent ma braguette et commencent à me chatouiller. Je réagissais de manière différente selon les circonstances, mais leur désir me posait un problème. Je leur demandais : « Pourquoi ne jouez-vous pas ensemble, pourquoi m’avez-vous choisi, moi, et pas d’autres gosses? » Mais s’ils insistaient, je les caressais quand même ». Daniel Cohn-Bendit (Grand Bazar, 1975)
La profusion de jeunes garçons très attrayants et immédiatement disponibles me met dans un état de désir que je n’ai plus besoin de réfréner ou d’occulter. (…) Je n’ai pas d’autre compte à régler que d’aligner mes bahts, et je suis libre, absolument libre de jouer avec mon désir et de choisir. La morale occidentale, la culpabilité de toujours, la honte que je traîne volent en éclats ; et que le monde aille à sa perte, comme dirait l’autre. Frédéric Mitterrand (”La mauvaise vie”, 2005)
J’aurai raconté des histoires avec des filles, personne n’aurait rien remarqué. Frédéric Mitterrand
C’est une affaire très française, ou en tout cas sud-européenne, parce que dans les cultures politiques protestantes du nord, Mitterrand, âgé de 62 ans, n’aurait jamais décroché son travail. Son autobiographie sulfureuse, publiée en 2005, l’aurait rendu impensable. (…) Si un ministre confessait avoir fréquenté des prostituées par le passé, peu de gens en France s’en offusquerait. C’est la suspicion de pédophilie qui fait toute la différence. (…) Sarkozy, qui a lu livre en juin [et] l’avait trouvé  » courageux et talentueux » (…) s’est conformé à une tradition bien française selon laquelle la vie privée des personnes publiques n’est généralement pas matière à discussion. Il aurait dû se douter, compte tenu de la médiatisation de sa vie sentimentale, que cette vieille règle qui protège les élites avait volé en éclats. Charles Bremmer (The Times)
La sexualité puérile est encore un continent interdit, aux découvreurs du XXIe siècle d’en aborder les rivages. Francis Lacombe (pseudonyme de Frank Arnal, Gay Pied, 31 janvier 1991 – reprise par Jack Lang ?)
En 1996, un «blanc» – document non signé – des Renseignements généraux fait allusion à une vraie affaire de pédophilie survenue en 1988 dans le sud-est de la France et évoque, avec force détails scabreux, le couple Lang, citant des écoutes téléphoniques que personne n’a jamais entendues et qui ont été, selon la note… détruites depuis. La hiérarchie policière n’accorde aucune crédibilité à l’assertion. Enfin, à l’approche de la présidentielle de 2002, quelques chiraquiens racontent une arrestation de Jack Lang au Maroc, dans une affaire de mœurs, suivie d’une exfiltration discrète organisée par l’Elysée. Pas la moindre preuve … L’Express (2005)
La loi du silence peut aussi couvrir des crimes à l’étranger. Il y a quelques années, des policiers de Marrakech effectuent une descente nocturne dans une villa de la palmeraie où une fête bien spéciale bat son plein. Les participants, des Français, sont surpris alors qu’ils «s’amusent» avec de jeunes garçons. (…) Parmi eux, (…) un ancien ministre français. Le consul de France local est aussitôt avisé, qui informe à son tour l’ambassade à Rabat. L’affaire est rapidement arrangée et «l’excellence», libérée sur-le-champ, peut embarquer dans un avion pour la France. Aucune procédure ne sera engagée contre quiconque au Maroc. Et, bien que le tourisme sexuel soit, en principe, poursuivi par la justice française, cet homme n’aura aucun ennui à son retour. Notre source marocaine craint pour sa carrière, l’affaire a été étouffée. Faute d’éléments de procédure ou de témoignage, la loi nous interdit légitimement de nommer le personnage. Le Figaro magazine (28.05.11)
 Les journalistes ne peuvent pas dire les choses qu’il savent (je pourrais vous en donner beaucoup d’exemples, que vous connaissez comme moi) parce qu’ils tombent sous le coup de la diffamation (…) Le problème c’est : est-ce que l’on veut une presse qui fait fi du principe de la diffamation et du respect de la vie privée, ou pas ? Est-ce qu’on veut une presse à l’américaine ou pas ? Regardez, le dernier exemple en date est frappant. Dans les pages du Figaro Magazine de cette semaine, vous avez un épisode qui est raconté d’un ancien ministre, qui s’est fait poisser à Marrakech, au Maroc, dans une partouze avec des petits garçons (…). L’affaire m’a été racontée par les plus hautes autorités de l’Etat, en particulier par le Premier ministre (…) j’ai des témoignages des membres de cabinet au plus haut niveau, et des autorités de l’Etat au plus haut niveau. Si je sors le nom maintenant, que je lâche le nom dans la nature, premièrement c’est moi qui serais mis en examen et je serais à coup sûr condamné même si je sais que l’histoire est vraie. Là, il y a un principe de transgression du respect à la vie privée et de la diffamation, qui, là quand même, pèse sur les journalistes, à juste titre…Luc Ferry (Canal +)
Nous considérons qu’il y a une disproportion manifeste entre la qualification de ‘crime’ qui justifie une telle sévérité, et la nature des faits reprochés; d’autre part, entre le caractère désuet de la loi et la réalité quotidienne d’une société qui tend à reconnaître chez les enfants et les adolescents l’existence d’une vie sexuelle (si une fille de 13 ans a droit à la pilule, c’est pour quoi faire ?), TROIS ANS DE PRISON POUR DES CARESSES ET DES BAISERS, CELA SUFFIT !” Nous ne comprendrions pas que, le 29 janvier, Dejager, Gallien et Bruckardt ne retrouvent pas la liberté. Aragon, Ponge, Barthes, Beauvoir, Deleuze, Glucksmann,  Hocquenghem, Kouchner, Lang, Gabriel Matzneff, Catherine Millet,  Sartre, Schérer et Sollers. (Pétition de soutien à trois accusés de pédophilie, Le Monde, 1977)
S’il avait fallu pousser l’enquête plus en amont, la salle de la Cour d’Assise n’aurait pas été asses vaste pour accueillir tout ce joli monde. Journaliste
Cette affaire se rapporte à une époque où le délit de pédophilie n’existe pas encore en tant que tel, il montre comment la justice a minimisé le détournement de mineur. Le tribunal va jusqu’à morigéner des jeunes filles qui ne sont plus des enfants, accusant une société décadente et « l’esprit Saint-Germain-des-Prés. » Benoît Duteurtre
À soixante-treize ans, Le Troquer avait participé à des bacchanales avec sa maîtresse artiste peintre, mais surtout avec des adolescentes âgées de quatorze à vingt ans. Au programme des réjouissances collectives, façon soupers libertins de la Régence : séances de strip-tease, poses dénudées, plaisirs des sens agrémentés de coups de martinet, chorégraphies sensuelles. Des festivités se déroulaient dans l’atelier de la maîtresse, mais aussi au Palais-Bourbon, à l’Opéra ou encore au pavillon du Butard, la résidence secondaire du président de l’Assemblée. Dans ces soirées libertines, Le Troquer enjolivait ses vieux jours en présence d’une cohorte de jeunes femmes, dont cinq mineures. Sur ces cinq, quatre avaient été amenées par un jeune homme [Pierre Sorlut]. Le Troquer disait de ce jeune homme qu’il était un garçon qui avait une bonne tenue, qui semblait être de bonne famille, qui était sympathique. Christophe Deloire et Christophe Dubois (Sexus Politicus, 2006)
En 1959 éclate l’affaire dite des « Ballets roses ». André Le Troquer, mis en cause — en compagnie notamment de sa maîtresse Elisabeth Pinajeff, artiste peintre et fausse comtesse roumaine —, adresse à l’hebdomadaire Aux écoutes du monde une lettre où il oppose aux « allégations publiées un démenti sans réserve, catégorique, absolu ». Poursuivi pour « attentat aux mœurs en excitant, favorisant ou facilitant habituellement la débauche ou la corruption de la jeunesse », il est condamné le 9 juin 1960 à un an d’emprisonnement avec sursis et à une amende (3 000 francs) en relation avec l’affaire, alors que ses comparses sont punis bien plus lourdement (jusqu’à cinq ans de prison ferme). Le tribunal a tenu compte du « long passé de services rendus » par André Le Troquer et n’a pas voulu « accabler un vieil homme». La condamnation est confirmée en appel le 3 mars 1961.  (…) De nombreuses rumeurs entourèrent cette affaire, qui allèrent d’une participation plus active des notables aux chorégraphies jusqu’à des orgies sado-masochistes organisées dans le palais Bourbon. Aujourd’hui encore, l’expression « ballets roses » et son équivalent « ballets bleus » quand il s’agit de garçons, renvoie communément à des pratiques encore plus criminelles pouvant mettre en scène des viols (dans le sens commun du terme). D’autre part, le fait que Pierre Sorlut ait été, durant l’année où il travailla officiellement pour la DST, le chauffeur de son directeur, le gaulliste Roger Wybot, a alimenté la thèse d’une machination destinée à perdre le socialiste Le Troquer. Son retentissement fut atténué par une actualité chargée, qu’il s’agisse, sur le plan politique, de la guerre d’Algérie, ou, sur le plan judiciaire, de l’affaire Lacaze. Wikipedia
Il n’y a qu’une seule chose qui puisse nous motiver à mettre notre intelligence au service de la vérité objective, c’est la curiosité. C’est la curiosité qui s’est avérée être, selon les recherches de Kahan, la plus forte contre-mesure contre les préjugés. (…) Fondamentalement, la curiosité est le désir de combler les lacunes dans les connaissances. En tant que telle, la curiosité ne se manifeste pas lorsque vous ne savez rien de quelque chose, mais lorsque vous en savez un peu. Apprenez donc un peu sur tout ce que vous pouvez, et cela créera des « démangeaisons » qui vous inciteront à en apprendre encore plus. La curiosité est essentielle pour diriger votre intellect vers la vérité objective, mais ce n’est pas tout ce dont vous avez besoin. Vous devez également faire preuve d’humilité. En effet, la source de nos préjugés les plus forts est notre ego ; nous fondons souvent notre valeur personnelle sur le fait d’être intelligent et d’avoir raison, ce qui nous empêche d’admettre que nous nous trompons ou de changer d’avis. Ainsi, afin de protéger l’identité que nous avons choisie, nous restons dans l’erreur. Si vous définissez votre valeur personnelle par votre capacité à raisonner – si vous vous accrochez à l’identité d’un maître du débat -, admettre que vous avez tort vous blessera, et vous ferez tout pour l’éviter, ce qui vous empêchera d’apprendre. Ainsi, au lieu de vous définir par votre capacité à raisonner, définissez-vous par votre volonté d’apprendre. Alors, admettre que vous avez tort, au lieu d’être ressenti comme une attaque, deviendra une opportunité de croissance. (…) L’humilité et la curiosité sont donc ce dont nous avons le plus besoin pour trouver la vérité. En recherchant l’une, nous recherchons également l’autre : la curiosité nous rend humbles, car elle nous montre le peu que nous savons, et à son tour, l’humilité nous rend curieux, car elle nous aide à reconnaître que nous devons en apprendre davantage. En fin de compte, la rationalité n’est pas une question d’intelligence mais de caractère. Sans les bonnes qualités personnelles, l’éducation et le QI ne vous rendront pas maître de vos préjugés, ils ne feront que vous en faire un meilleur serviteur. Soyez donc ouvert à la possibilité de vous tromper, et soyez toujours prêt à changer d’avis, surtout si vous êtes intelligent. En faisant preuve d’humilité et de curiosité, vous ne gagnerez peut-être pas beaucoup d’arguments, mais cela n’aura pas d’importance, car même le fait de perdre des arguments deviendra une victoire qui vous fera avancer vers le prix bien plus grand de la vérité. Gurwinder Bhogal
En janvier, l’université de Stanford suscitait de nombreuses moqueries et critiques après l’apparition d’un guide sur le site de son « Elimination of Harmful Language Initiative » (EHLI – Initiative pour l’élimination des mots nuisibles). Comme on pouvait le lire dans ce guide, depuis retiré, mais à l’origine destiné au service informatique de l’université, «  l’objectif de l’initiative pour l’élimination des mots nuisibles est d’éliminer* de nombreuses formes de langage préjudiciable, notamment raciste, violent et stéréotypé (par exemple, les préjugés liés au handicap, les préjugés ethniques, les insultes ethniques, les préjugés liés au sexe et au genre, les biais implicites, les préjugés sexuels) dans les sites Web et le code de Stanford ». (…) Dans ses treize pages, le guide énumérait plus de 150 mots et expressions prétendument malfaisants et proposait, à chaque fois, des remplacements. On y apprenait que des termes comme « gourou », « livre blanc » et « séminal » devaient désormais être évités. « Gourou » parce que son utilisation courante semble « nier sa valeur originale » en tant que « signe de respect » dans « les traditions bouddhistes et hindoues ». Un « livre blanc » pourrait « attribuer des connotations de valeur basées sur la couleur (blanc = bon), un acte dès lors inconsciemment racialisé ». Quant au « séminal », il a de quoi « renforcer un langage androcentré ». Toutes les explications proposées pour ces changements relèvent d’une théorie du langage parfaitement absurde. L’idée qu’il suffirait à quelqu’un d’entendre « livre blanc » pour l’inciter à « racialiser » quelque chose a dû sembler plausible aux rédacteurs du guide EHLI de Stanford, mais on ne sait absolument pas ce que « racialiser » quelque chose veut dire, ni comment ce processus peut bien s’effectuer. Une absurdité quelque peu atténuée (je suppose) par l’adverbe qualificatif « inconsciemment », mais qui accentuer par la même occasion la bizarrerie de toute la théorie sous-jacente. Qui impliquerait que les mots agissent d’une manière aussi mystérieuse qu’invisible, et que nous serions parfaitement impuissants face à l’emprise qu’ils exercent en colonisant nos esprits. En d’autres termes, l’essence même de la pensée conspirationniste. (…) Quelques jours après le fiasco de Stanford, le compte Twitter de l’Associated Press Stylebook postait un tweet dans la même veine : «  Nous recommandons d’éviter les articles généraux et souvent déshumanisants du type “les”, comme les pauvres, les malades mentaux, les Français, les handicapés, les personnes ayant fait des études supérieures. Utilisez plutôt des formulations comme “personnes atteintes de maladies mentales”. Et ne vous en servez que lorsqu’elles sont clairement pertinentes. » Ce tweet – lui aussi supprimé dans sa forme originale après une vague de moqueries et de critiques – a tout du parangon de cette appréhension du langage. L’AP Stylebook semble croire que l’article défini – l’un des mots les plus courants du langage écrit et parlé – a le pouvoir de « déshumaniser » des individus, alors qu’une autre formulation totalement synonyme mais dénuée d’article en serait exemptée. Outre l’absurdité évidente d’un tel propos, le recours à l’article défini était – il y a encore cinq minutes – généralement considéré comme politiquement correct, du moins lorsque le mot « communauté » y était accolé – « la communauté LGBT », « la communauté afro-américaine », « la communauté handicapée », etc. Le wokisme est un phénomène aux contours flous. Il se peut, comme l’affirment les détracteurs de son utilisation péjorative, qu’il soit trop difficile à définir pour posséder une quelconque utilité analytique. Mais il est certain que cette façon de faire marcher le langage sur la tête – sans parler de l’agressivité et de l’arbitraire manifeste avec lesquels on cherche à le contrôler – est au cœur de ce qui exaspère le plus dans l’activisme progressiste contemporain. L’idée que nos esprits seraient en quelque sorte vulnérables aux attaques psychiques subliminales de vilaines forces politiques semble faire violence au bon sens autant qu’à l’expérience. À l’encontre d’une telle façon de voir les choses, il y a la conviction que le monde vient en premier, puis ce que nous ressentons à son égard, et que notre langage n’arrive qu’en troisième position. Le conflit sur le langage est donc un conflit sur la direction de la causalité. À la base de la nouvelle censure, il y a l’idée que nos problèmes commencent avec le langage, qui détermine la façon dont on ressent les choses, laquelle détermine à son tour les comportements et ce qui survient dans le monde. Un exemple caractéristique de cette tendance est l’emploi d’euphémismes en remplacement de formules à connotation négative. Mais cela peut aboutir à ce que le linguiste et psychologue canado-américain Steven Pinker désigne comme des « euphémismes en roue libre », car des termes autrefois neutres acquièrent des connotations négatives et doivent être remplacés jusqu’à ce qu’ils soient à leur tour souillés et doivent être eux aussi remplacés, et ainsi de suite. (…) La théorie qu’illustrent les recommandations du service informatique de Stanford et de l’AP Stylebook relève de la pensée magique en son sens le plus fondamental. Une théorie affirmant qu’il est possible de changer le monde par la simple prononciation d’incantations. Si la chose était vraie, la vie serait bien plus facile. Comme il est beaucoup plus simple d’imposer des codes langagiers que de s’attaquer aux problèmes insolubles et aux arbitrages qu’exige la plus basique des actions politiques. (…) ce qu’il nous fait aujourd’hui voir, ce sont des pans entiers de l’intelligentsia – désespérés par la politique ou qui s’en tiennent éloignés par complexe de supériorité – ayant placé leur foi dans la sorcellerie. Oliver Traldi
Cette fois-ci je ne suis pas content. Les ballets écarlates est le premier film qui ne sort pas dans les salles et pourquoi ? Parce que jadis il y a eu une histoire qui s’appelait les ballets roses. L’aide de camp du général de Gaulle convoquait des adolescentes dans un pavillon de chasse et organisait des partouzes. Ca a défrayé la chronique, mais curieusement la presse à l’époque n’en a pas beaucoup parlé. On a mis tout sur le dos du recruteur, qui était une espèce de mac, et finalement les hommes politiques s’en sont sortis, personne n’a été condamné. Et quand j’ai regardé les journaux de l’époque, je me suis aperçu que personne n’en parlait. Aujourd’hui, nous sommes devant une recrudescence de la pédophilie sur les enfants. Les ballets roses, c’était des petites jeunes filles. C’était déjà pas bien, mais là il s’agit d’enfants quelquefois de 6 ans, de trois ans que l’on viole pendant des espèces de réunion. Et non pas par un sadique, un malheureux malades, forcené qui a perdu la raison. Non, ce sont des gens tout à fait normaux qui occupent généralement des postes très importants. Parce qu’ils sont obligés d’acheter ces enfants pour une soirée part conséquente de l’ordre de donner de l’argent ou aux parents ou aux recruteurs et c’est souvent des enfants de pays étrangers qui sont en France quelquefois en clandestins, d’autres fois ce sont carrément des fils d’ouvriers. Même quelquefois des gens beaucoup plus importants et ça, c’est dégueulasse. Et je n’avais jamais vaguement traité ce sujet dans Témoins que vous avez eu dans ma collection. C’était Philippe Noiret qui était amoureux d’une fille de 12 ans qu’il a assassinée, mais c’était un cas très particulier. Ensuite, je m’en suis occupé dans Noir comme le souvenir, une petite fille qui avait été enlevée comme celles qui viennent d’être libérés qui s’est évadée après huit ans où elle était séquestrée par un type qui s’est suicidé. Ca s’est passé en Autriche; elle est à la une des journaux aujourd’hui. J’avais traité ça un petit peu comme ça, des petits cas. Mais là  devant ces réseaux, qui comprennent des notables, des gens que nous côtoyons tous les jours des gens, qui logiquement ne sont pas fous. Alors là, ça m’a vraiment dégoûté. Alors j’ai fait le film et je ne vous dis pas la fin, vous verrez, la fin, elle est terrible, la fin est terrible je crois que c’est une des fins les plus dramatiques que j’ai pu faire dans ma vie. Et j’ai voulu stigmatiser ces réseaux pour les faire disparaître. Et alors évidemment quand le film a été fini, je me suis dit, je vais le montrer aux associations, aux associations caritatives. Il y en a plusieurs qui s’occupent justement de récupérer ces enfants. Car si on découvre deux ou trois enfants assassinés par an ou disparus, on ne parle pas des 100 000 enfants qui sont enlevés et trois jours après on les retrouve, soit dans un parc, soit devant leur porte, soit dans un bois. Et à ce moment-là,  ceux-là sont traumatisés mais retrouvés. Alors ça, on n’en parle pas, de ces gens là. Alors c’est pour ces enfants là que j’ai fait le film, pour que ces réseaux soient détruits. Car c’est comme des nids de vipères, des nids de scorpions. Il faut détruire ça. Alors je fais le film, je le montre à des associations caritatives qui me disent: « Mais monsieur Mocky,  nous, on lutte depuis des années pour ça, pour ce que vous venez de montrer. Les photos dans les fermes où on met des enfants nus et on leur fait faire l’amour dans des fermes, on fait des photos qu’on vend dans le monde entier ». Alors je révèle tout ça et quand le film est fini,  je le montre dans une salle. Alors les mères pleurent. C’est un mélo, c’est un grand mélo flamboyant, comme on en faisait. On peut pas ne pas faire un mélo avec une mère qui cherche son enfant, car le film, c’est une mère dont l’enfant a disparu et qui le cherche. Hein, il n’y a pas plus mélo que ça. Mais c’est un mélo avec un fond, un fond social et il faut absolument arrêter ça. Alors le film terminé, je le présente. Bon, ces associations trouvent ça très bien. Mais par contre, je commence à voir que des gens se détournent du film au lieu de m’aider à le sortir. Et en plus, j’avais décidé, une fois mes techniciens, mes artistes payés, de donner tout l’argent à ces associations pour qu’elles s’occupent de ces enfants violés. Car il y a maintenant des maisons avec des psychologues qui s’en occupent après, parce qu’il faut s’en occuper une fois qu’ils ont été violés à cet âge là, évidemment ils sont pas bien. Et voilà, le film est terminé depuis 2004 –  on est en 2006 – et voilà que je n’arrive pas à le sortir dans des salles, à part la mienne, et je n’arrive pas à en faire parler dans la presse. J’ai récemment présenté le film dans une ville de province que je ne citerai pas. Des journalistes étaient présents, il y avait du monde, le film a été applaudi, on m’a dit: « Mais monsieur Mocky, mais ce film est tout à fait normal ». Parce que moi j’ai pensé à un moment qu’il était mauvais, le film, puisque tout le monde le refusait, j’ai dit, tiens, peut-être que j’ai fait une connerie, le film est pas bon. Or je l’ai présenté à un public qui, lui, a considéré ce film comme un film normal, comme un autre film qui voit tous les jours, etc. Alors aujourd’hui je suis en colère contre tout le monde car si on empêche ce film de sortir, on rejoint le film de Stanley Kubrick, Les sentiers de la gloire, qui est resté 30 ans interdit parce qu’il racontait l’histoire des soldats français que d’autres soldats français fusillés parce qu’ils voulaient pas aller tuer des gens. Il est resté 30 ans interdit. Je ne vous parle pas de tous les films qui n’ont jamais pu se faire puisque déjà au départ ils étaient censurés même avant d’être faits donc ils n’ont pas trouvé l’argent pour le faire. Alors mon film est un exemple et ici aujourd’hui grâce, il faut le dire, à Jérôme Seydoux qui dirige cette collection qui m’est consacré, il a eu le courage de sortir le film que vous allez voir là. Jean-Pierre Mocky

Attention: un complotisme peut en cacher un autre !

A l’heure où avec l’Affaire Palmade et après l’arrestation du millionnaire américain Jeffrey Epstein, ressort la question de la pédophilie dans les classes privilégiées…

Et où, universités en tête dénonçant de la manière la plus judéo-chrétienne possible notre propre culture judéo-chrétienne, nos champions du politiquement correct sont en train de rebasculer dans la véritable pensée magique

Comment ne pas être frappé …

Par l’étrange alliance objective, autour d’un supposé complot pédophile mondial, des féministes les plus radicales et des complotistes d’extrême-droite

Mais aussi depuis les nombreuses polémiques dans les cercles intellectuels des années 1970, avec l’écrivain Gabriel Matzneff, le leader de gauche Daniel Cohn-Bendit ou la psychiatre Françoise Dolto …

Ou les rumeurs sur l’ancien ministre socialiste Jack Lang ou le neveu de l’ancien président socialiste Frédéric Mitterrand …

Ou plus récemment l’affaire du photographe anglais David Hamilton …

Y compris, depuis les fausses rumeurs des crèches américaines des années 80 aux dérives de l’Affaire d’Outreau ou de l’affaire Baudis aux débuts des années 200 en France, les fausses affaires de pédophilie …

Comme, dans les milieux immigrés britanniques non priviliégiés, les affaires de réseaux pédophiles étouffées par la police elle-même du nord de l’Angleterre de la fin des années 2000 … 

Ou hélas bien sûr quand on sait à quel point les abus sexuels sur les enfants sont généralisés dans tous les milieux (1 fille sur 4 et 1 garçon sur 13 aux États-Unis de la part à 91% d’une personne connue et de confiance de l’enfant ou des membres de sa famille) …

Dans nombre d’établissements pour enfants et d’abord dans l’Eglise catholique ou dans la tradition islamique

Par la permanence sur fond de destruction systématique des structures familiales entre les aberrations du mariage « pour tous » ou du changement de sexe pour nos enfants

Non seulement des rumeurs mais de certains comportements réellement pédophiles dans les classes privilégiées…

Comme il y a 62 ans sur fond d’arrivée au pouvoir controversée du général de Gaulle

La tristement célèbre affaire de moeurs française dite des « ballets roses »

Dans laquelle des personnalités de la politique, de l’art et de la haute société parisienne  dont le président de l’Assemblée nationale André Le Troquer (ancien résistant d’origine juive proche de de Gaulle, mutilé de guerre, député SFIO et ancien avocat de Léon Blum)…

Organisent des parties fines avec des jeunes filles de 14 à 20 ans (Josette, Hélène, Brigitte, Francine, Michelle, Janine, Colette, Monique, Rose – l’âge de la majorité étant alors de 21 ans, mais l’âge de la maturité sexuelle à 15 ans) … 

Recrutées par un ex-chauffeur de la DST et homme a tout faire du député André le Troquer se faisant passer pour un policier (Pierre Sorlut) dans des familles pauvres, voire même dans des maisons de correction …

Sur la promesse, avec parfois l’accord des parents, de leur faire rencontrer des hommes d’influence qui pourraient favoriser leur carrière comme danseuses ou mannequins…

Les amène ensuite dans un  ancien pavillon de chasse de Louis XV mis à la disposition des présidents de l’Assemblée nationale, le pavillon du Butard à La Celle-Saint-Cloud, dans les Yvelines … 

Mais aussi d’autres lieux prestigieux comme la loge présidentielle à l’Opéra de Paris et l’Opéra comique, ou le cabinet d’André le Troquer lui-même, les bureaux d’une brigade de police, rue St Honoré à Paris, les cabines d’essayage d’un grand magasin parisien, …

Voire des appartements parisiens ou des résidences secondaires en proche banlieue …

Où, fournies en alcool et en marijuana, elles sont obligées de danser nues (sur notamment des chorégraphies d’Elisabeth Pinajeff, fausse comtesse roumaine et maîtresse de Le Troquer), d’avoir des relations sexuelles et même d’avoir été flagellées par ces messieurs …

Et qui suite à une révélation du Monde, reprise par la presse de l’époque dont Le Canard enchainé (le Tout-paris devenant le « tout-pourri ») et France Soir (dont le journaliste Georges Gherra forgea le terme de « ballets roses »qui restera à la postérité) …

Et se terminant entre avril et juin 1960 par un  procès à huis clos, devant le tribunal correctionnel de Paris plutôt que les assises (aucune image ou déclaration, secret des débats total) …

Avec des actes d’accusation accablants (actes caractérisés d’excitation à la débauche, relations sexuelles, échangisme, détournement de mineures, exhibitionnisme, coups à enfants de moins de 15 ans) …

Et une douzaine d’inculpations dont le faux policier rabatteur de 33 ans Pierre Sorlut (5 ans de prison ferme) …

L’ancien président de l’assemblée nationale de 74 ans André le Troquer (un an de prison avec sursis et 3 000 francs d’amende) 

Le maître coiffeur de l’avenue Matignon  Arturo Gugliemi, dit  » Guillaume  » (peine de prison avec sursis et une amende de 6 000 francs)…

Le directeur commercial du magasin  » A la Grande Maison  » de la rue Auber Jean Jessier (18 mois de prison avec sursis et 3 000 francs d’amende)

L’ancien directeur de deux grands restaurants parisiens de 39 ans : le Pavillon d’Armenonville, au bois de Boulogne, et le Queenie, place de la Madeleine Georges Biancheri (18 mois de prison avec sursis et 6 000 francs d’amende) …

Mais aussi un officier de police principal de 46 ans et un modéliste de mode de 72 ans (non lieu) …

Et un certain nombre d’autres personnalités non inculpées, dont Mimi la Cannoise, plusieurs policiers de haut rang, un célèbre chef d’orchestre, des patrons de bars parisiens, une chanteuse lyrique, un médecin célèbre, une véritable marquise italienne prénommée Andréa, un peintre, un statuaire, un pianiste, un chanteuse de l’Opéra comique dite « Madame Offenbach, un colonel et un major américain …

Les jeunes filles (Colette moins de 15 ans entre 1957 et 1958; Danièle moins de 15 ans entre 1957 et 1958; Gisèle moins de 18 ans entre 1957 et 1958; Nicole moins de 15 ans entre 1957 et 1958; Martine moins de 18 ans entre 1957 et 1958) …

Dont certaines « trop atteintes » pour témoigner (Edwige, Marie-José ou Claudine) …

Et l’une qui tentera de se suicider, se voyant qualifier d’ « épaves » et « rebuts de la société » …

Dans une société qualifiée elle-même, sur fond de rigolade générale à l’instigation de la presse, de décadente et sous l’effet de « l’esprit Saint-Germain-des-Prés …

Mais qui outre la reprise romancée par l’académicien Jean-Marie Rouard et le film de 2007, interdit en salle mais disponible en DVD, du metteur en scène Jean-Pierre Mocky qui le dénoncera vivement … ?

10 janvier 1959

Les « ballets roses » de la République

La Ve République débutait en 1959 sur un scandale sexuel qui mettait en cause l’un des plus hauts personnages de la République précédente, rien moins que le président de l’Assemblée nationale André Le Troquer. Il était démontré qu’il avait profité d’un réseau de prostitution de mineures de 12 à 15 ans ! Il s’en tirera avec une peine de prison avec sursis vite amnistiée…

60 ans plus tard, l’arrestation du millionnaire américain Jeffrey Epstein pour des faits similaires montre la permanence de certains comportements pédophiles dans les classes privilégiées.

Considérée il y a soixante ans comme un délit simplement passible de la correctionnelle, la pédophilie était encore prônée comme une forme de désinihibition souhaitable dans les cercles intellectuels des années 1970, jusque sur le plateau de l’émission Apostrophes par l’écrivain Gabriel Matzneff (Les moins de seize ans, 1974) ou le leader de gauche Daniel Cohn-Bendit (note).

Il a fallu attendre les années 1990 pour que la loi et les cercles progressistes se rallient à une plus sévère prohibition. Aujourd’hui, la pédophilie est rangée parmi les crimes les plus odieux. Qui s’en plaindra ?

Alban Dignat

Hérodote

Socialiste, héros de guerre, républicain farouche : intouchable !

Né en 1884, André Le Troquer a laissé un bras dans la Grande Guerre puis est devenu député socialiste de Paris…

En 1940, il fait partie de la poignée de parlementaires qui s’embarque sur le Massalia à destination du Maroc, en vue de poursuivre la lutte contre l’occupant allemand.

De retour en métropole, André Le Troquer est l’avocat de Léon Blum au procès de Riom et réussit le tour de force de ridiculiser le gouvernement pétainiste. Ses états de service lui valent de descendre les Champs-Élysées aux côtés du général de Gaulle.

Socialiste et républicain scrupuleux, il est plusieurs fois ministre sous la IVe République. Lors du Congrès qui élit en 1953 le successeur du président Vincent Auriol, il contribue à l’élection de René Coty en éliminant plusieurs bulletins au nom de son rival Joseph Laniel, sous prétexte qu’y manque le prénom !

André Le Troquer est président de l’Assemblée nationale à l’avènement de la Ve République. Avec amertume, il assiste à l’installation au pouvoir du général de Gaulle, auquel il n’a eu de cesse de s’opposer sous la précédente République.

Quand la prostitution de mineures faisait les choux gras de la presse…

En 1958, une adolescente issue d’une maison de correction est arrêtée pour chantage. Elle est accusée ainsi que quelques autres adolescentes, de vendre ses charmes à de vieux messieurs.

L’enquête montre qu’elles ont été recrutées par Pierre Sorlut, un jeune homme au demeurant très séduisant qui se présente comme un ancien policier de la DST (Direction de la surveillance du territoire). Charmeur, il convainc les mères de lui confier leurs filles pour les emmener à l’Opéra, leur faire rencontrer des messieurs et ainsi promouvoir leur avenir !

Le 10 janvier 1959, au lendemain de l’entrée du général de Gaulle à l’Élysée, un entrefilet du Monde évoque la mise sous mandat de dépôt de ce soi-disant policier accusé de détournement de mineures.

L’hebdomadaire à scandales Aux écoutes du monde précise qu’il organisait des parties fines dans différents endroits dont un pavillon de chasse à la disposition du président de l’Assemblée nationale, le pavillon du Butard, dans la forêt de Fausses-Reposes (ce bijou de l’architecte Gabriel est aujourd’hui en attente de nouvelles affectations).

Le démenti d’André Le Troquer excite la curiosité de la presse. Elle met à jour un réseau de prostitution qui implique une fausse comtesse roumaine, Elisabeth Pinajeff, maîtresse d’André Le Troquer, et des adolescentes auxquelles on promet une carrière à l’opéra ou au cinéma en échange de leur docilité envers de vieux notables fortunés.

Un journaliste de France-Soir évoque à cette occasion les « ballets roses » de la République. La presse dans son ensemble prend l’affaire à la légère et se rit de ces vieux messieurs qui cherchent le réconfort auprès de quelques fillettes confiées à leurs bons soins par des mères bienveillantes.

Pas moins de 23 personnalités se trouvent compromises parmi lesquelles André Le Troquer, qui se pavane sans comprendre l’indignité de son attitude et se prétend victime d’un complot gaulliste. Il est vrai que l’affaire, en disqualifiant le personnel de la IVe République, n’est pas pour déplaire au Général !

Le président de l’Assemblée nationale demande en définitive à être lui-même inculpé. Il est déféré devant le tribunal correctionnel (sic)  sous les chefs d’inculpation d’attentat à la pudeur sur mineures de 15 ans, actes impudiques sur mineures… 

Bénéficiant de l’indulgence du tribunal et de l’opinion, André Le Troquer s’en tire avec une amende de 3 000 francs et un an de prison avec sursis. Pierre Sorlut s’en tire quant à lui avec cinq ans ferme, ramenés à quatre.

Voir aussi:

« Ballets roses », de Benoît Duteurtre : c’était au temps des « ballets roses »

Benoît Duteurtre a enquêté sur un scandale des années 1950.

Le Monde des Livres

04 juin 2009 
 

Benoît Duteurtre a la nostalgie chevillée au corps. Après s’être plongé Les Pieds dans l’eau (Gallimard, 2008) dans la France des années 1960, le romancier remonte le temps pour nous immerger dans les années 1950. Une époque charnière qui vit le retour de De Gaulle, en 1958, et fut marquée par le scandale des « ballets roses ».

Si l’expression est passée dans le langage courant, rares sont ceux qui se souviennent des faits et surtout des protagonistes (23 inculpés). A commencer par celui sans qui cette affaire de moeurs n’aurait pas pris toute son ampleur : André Le Troquer. Enfant de l’école laïque (il est né en 1884), militant socialiste, combattant de 1914 plusieurs fois médaillé et blessé (il en gardera une main invalide), député de la Seine, avocat de Blum lors du procès de Riom en 1942, représentant de la Résistance socialiste à Alger, cet homme ambitieux, complexe et autoritaire avait entretenu des relations difficiles avec de Gaulle. Dans le privé, il connut une vie passablement chaotique. Bien que marié, cet amateur d’opéra ne se départit jamais de son goût pour les maisons closes, les parties fines, les femmes légères. Après le suicide de son épouse, il eut pour compagnes deux aventurières demi-mondaines, dont la singulière comtesse Pinajeff, qui comparaîtra à son côté. On doit notamment à cette ex-actrice de cinéma reconvertie dans la peinture un portrait de Mme Coty que possède son arrière-petit-fils, Benoît Duteurtre.

« En m’intéressant à cet épisode des « ballets roses« , écrit d’ailleurs celui-ci, j’ai eu l’impression de suivre un itinéraire à la fois historique, anecdotique et personnel, jusqu’à ce moment du XXe siècle où se croisent trois figures : le héros légendaire (de Gaulle), le bourgeois modéré (René Coty), l’ambitieux humilié (André Le Troquer).

Un ambitieux dont il retrace avec force détails le parcours jusqu’à sa chute, en 1959. Arrêté pour détournement de mineures à la suite de Jean Merlu, l’entremetteur avec lequel il est lié, André Le Troquer ne cessera de clamer son innocence et de crier au complot gaulliste, thèse que rejette Duteurtre. Il sera condamné à un an de prison avec sursis avant de mourir dans la déchéance, en 1963.

Si l’écrivain ne s’appesantit guère sur les détails de l’affaire, c’est pour mieux concentrer son talent sur la reconstitution d’une époque qu’il dépeint dans toutes ses dimensions, sociale, politique et médiatique. Ainsi l’expression « ballet rose », née sous la plume d’un journaliste de France Soir, dit assez le ton « mi-réprobateur, mi-goguenard » qui entoura le scandale. Ce faisant, Duteurtre opère des parallèles intéressants avec quelques affaires contemporaines, notamment celles de Toulouse ou d’Outreau.

C’est là, sans doute, que réside la force de cette enquête en miroir, aussi passionnante que dérangeante : dans ce qu’elle dit de notre époque, où les moeurs se sont émancipées mais où le joug de la psychologie et les terreurs de l’opinion publique, notamment son obsession de la pédophilie, conduisent aujourd’hui à d’autres égarements…


BALLETS ROSES de Benoît Duteurtre. Grasset, « Ceci n’est pas un fait divers », 244 p., 17 €.

Voir également:

« Sexe et pouvoir » : les ballets glauques de la République

« Sexe et Pouvoir » (13/35). En 1959, l’ancien président de l’Assemblée nationale André le Troquer est mis en cause dans une affaire de détournement de mineures. La société de l’époque porte un regard « mi-réprobateur mi-goguenard » sur ce scandale, qui léguera l’expression de « ballets roses ».
Jean-Michel Normand
Le Monde
03 août 2020

Les protestations de bonne foi les plus énergiques sont parfois sujettes à caution. Publié début 1959 par André Le Troquer, le « démenti sans réserve, catégorique, absolu » est un modèle du genre. L’ancien président de l’Assemblée nationale doit faire face aux accusations d’un ancien policier en disponibilité, dont la mise sous mandat de dépôt pour détournement de mineures a été révélée dans l’édition du Monde datée du 10 janvier 1959.

L’homme recrutait des jeunes filles âgées de 14 à 20 ans (à l’époque, l’âge de la majorité est de 21 ans), qu’il proposait à la convoitise de notables et d’hommes politiques, dont Le Troquer, 74 ans. Des gamines de milieux modestes, parfois issues de maisons de correction, auxquelles on suggère – ainsi qu’à leurs parents – que ces messieurs pourraient faciliter une carrière de danseuse ou de mannequin.

Pilier du Parti socialiste (SFIO), héros de la Grande Guerre, où il perdit un bras, puis de la Résistance, André Le Troquer est inculpé. Il s’indigne que l’on accorde le moindre crédit à « des filles perverses et débauchées ». Surtout, le dernier président de l’Assemblée nationale de la IVe République crie à un complot politique orchestré par la droite gaulliste désormais installée au pouvoir.

Regard ambigu

Les soirées se tenaient généralement au Pavillon du Butard, à La Celle-Saint-Cloud (Yvelines). Un ancien rendez-vous de chasse mis à la disposition des présidents de l’Assemblée nationale. L’acte d’accusation évoque « des actes caractérisés d’excitation à la débauche (…), des relations sexuelles généralement complètes (…), perpétrés sans le moindre souci de discrétion », qui pouvaient « se pimenter du spectacle, fort apprécié, d’exhibitions de nudité (…), de flagellations à l’aide d’un martinet ». Plusieurs gamines diront aux juges leur sentiment d’avilissement, d’autres seront dans l’incapacité de témoigner, l’une fera une tentative de suicide.

Sur cette affaire passablement glauque, la France jette un regard ambigu. France Soir forge une expression qui va faire florès : les « ballets roses ». Allusion aux chorégraphies que les filles exécutaient sous la férule d’Elisabeth Pinajeff, fausse comtesse roumaine et maîtresse de Le Troquer. Comme le résume Benoît Duteurtre dans Ballets roses (Grasset, 2009), le terme désigne parfaitement le regard « mi-réprobateur mi-goguenard » porté sur un scandale dont les victimes sont des « nymphettes » venues égayer les soirées de vieux barbons.

Le procès, qui s’ouvre devant le tribunal correctionnel de Paris plutôt que les assises, se tient à huis clos. Se succèdent à la barre vingt-trois prévenus, parmi lesquels un coiffeur réputé, un officier de police, deux militaires, le gérant d’un magasin célèbre, le propriétaire d’un restaurant chic… Prononcées en juin 1960, les peines iront jusqu’à cinq ans d’emprisonnement ferme. Pour André Le Troquer, les juges s’en tiendront à un an de prison avec sursis et une amende d’un montant de 9 000 nouveaux francs. Un verdict pondéré par la reconnaissance d’un « long passé de services rendus » et le souci de ne pas « accabler un vieil homme ».

Voir de même:

Podcast / C’est arrivé le 10 janvier 1959 : le scandale pédophile des « ballets roses » de la République

La France apprend dans la presse que des notables et des responsables politiques, dont le président de l’Assemblée nationale, organisent des parties fines avec des jeunes filles mineures. Elles sont « ramassées » par un ancien policier dans des familles pauvres qui les amène ensuite dans un bâtiment de la République. L’opinion publique est divisée. Certains crient au scandale tandis que d’autres s’amusent de la situation et vont même jusqu’à reprocher aux jeunes filles d’être des débauchées. La justice elle-même ne condamnera que très légèrement les personnes impliquées dans l’affaire. Leur chef de file sera quasiment innocenté par souci de ne pas « accabler un vieil homme ».
Le Dauphiné libéré
10 janv. 2021 
 
André le Troquer, alors président de l’Assemblée nationale et principal suspect de l’affaire. Photo D.R.

Le 10 janvier 1959 est dévoilé le scandale pédophile des « ballets roses » de la République.

Ce jour-là, un article du journal Le Monde révèle la mise sous mandat de dépôt d’un policier accusé de détournement de mineures.

L’homme recrutait des jeunes filles de 14 à 20 ans qu’il offrait aux appétits sexuels de notables et d’hommes politiques.

A l’époque, l’âge de la majorité est de 21 ans.

Le policier se rendait dans des familles modestes, voire même dans des maisons de correction. Il promettait aux jeunes filles, qui rêvaient de devenir danseuses ou mannequins, de leur faire rencontrer des hommes d’influence qui pourraient leur faciliter leur carrière. Il avait parfois l’accord des parents.

Il les emmenait ensuite au Pavillon du Butard, à La Celle-Saint-Cloud, dans les Yvelines. Le bâtiment était mis à la disposition des présidents de l’Assemblée nationale.

Des suspects influents.

Quelques noms sortent dans la presse, dont celui d’André le Troquer, président de l’Assemblée nationale en fonction.

L’homme dispose d’une véritable aura. C’est un ancien résistant proche de de Gaulle, mutilé de la guerre de 1914, député SFIO et ancien avocat de Léon Blum.

Il crie au scandale. Clame son innocence. Selon lui, c’est un complot orchestré par la droite gaulliste, alors au pouvoir.

Mais les témoignages s’accumulent, glaçants.

L’horreur commise au sein même des institutions.

Les jeunes filles racontent avoir été obligées de danser nues, d’avoir des relations sexuelles et même d’avoir été flagellées par ces messieurs de la République.

Elles devaient parfois apprendre une chorégraphie mise au point par Elisabeth Pinajeff, une fausse comtesse roumaine et maîtresse de Le Troquer.

Le journal France Soir invente alors l’expression de « Ballets roses » de la République.

L’opinion publique est divisée.

La France est alors divisée. Certains sont scandalisés tandis que d’autres s’enquièrent de l’affaire avec un regard amusé. Après tout, selon eux, ce ne sont que quelques messieurs qui se sont divertis avec des nymphettes débauchées.

Le procès, qui s’ouvre devant le tribunal correctionnel de Paris plutôt que les assises, se tient à huis clos.

Vingt-trois prévenus se succèdent à la barre. Les peines iront jusqu’à cinq ans d’emprisonnement ferme.

André Le Troquer s’en sort, lui, avec un an de prison avec sursis et une amende de 9 000 nouveaux francs.

Selon le juge, ce verdict modéré est justifié par la reconnaissance d’un « long passé de services rendus » et le souci de ne pas « accabler un vieil homme ».

Voir de plus:

FRANCE: The Little Cats

 

An enterprising Parisian pimp named Pierre Sorlut set out two years ago to corner the nymphlet market. Pierre recruited his pubescent charmers among girls aged 12 to 18, first by seducing them and then by arranging dates with wealthy clients with infantile tastes. Pierre’s particular prey were the pouting little imitators of Brigitte Bardot, with puffball hairdos and ambitions to become starlets or models. « How could I live without my little cats? » Pierre would say as he collected the earnings of Janine, Colette and Monique. If a girl proved difficult, Pierre would speak musingly of vitriol and its effects on a pretty face. Flashing his out-of-date police card (Pierre was once a police chauffeur), he would add: « You see, I am protected, but you are not. »

Rare Encounter

Personable Pierre drove a blue Oldsmobile, dressed nattily, talked of his glamorous past as an Air Force pilot and a Resistance fighter. At least one mother was dazzled to learn that her 13-year-old daughter, appropriately named Rose, whom Pierre was looking after « like a little sister, » had been introduced to Andre Le Troquer, 75, then president of the National Assembly. « She’s ravishing! » cried Le Troquer, a longtime widower and an authentic war hero who lost an arm in World War I. To Rose he said: « I know that you would like to be a dancer. I have plenty of friends at the Opera. » Telephoning Rose’s mama, Le Troquer said: « I must congratulate you on having raised your daughter so well. Rose is so sweet, so reserved. This is a young girl such as, unhappily, one rarely encounters today. »

Pierre was arrested last year in a complicated affair involving the shakedown of a businessman by a brace of phony policemen. In jail, Sorlut soon began singing, gave the police a score of names of prominent Parisians to whom he had supplied young girls—politicians, manufacturers, department-store directors, a hairdresser, a fashionable tailor, an art curator, a restaurateur, a countess.

Minor Matter

At the trial, mothers came—or were pushed—forward with self-righteous complaints about the corruption of their daughters. Newsmen learned that there had been striptease parties, involving young girls and boys, at the Villa Butard, a onetime royal hunting lodge that was Le Troquer’s official out-of-town residence as president of the National Assembly. Some mothers admitted escorting their daughters to Villa Butard and to other addresses in Paris in the belief that it was « in the interest of their careers. »

Le Troquer denied everything except that he was acquainted with Pierre Sorlut. He insisted: « To all this I offer a categorical denial without reserve. Besides, I have no taste for minors. » It was all a plot, he cried, to embarrass De Gaulle’s Fifth Republic and the Socialist Party, in which Le Troquer has been prominent for 40 years. Abruptly the entire affair went off the record, and the hearings were closed to the press and public.

Last week, after more than a year of hearings in chamber, the court made known its verdict. Pimp Pierre got five years in prison, and terms ranging from 18 months to two years were handed to a hairdresser, a restaurateur and a department-store director for « infringing morality by stimulating, favoring and habitually facilitating the debauchery or corruption of youth of either sex. » As for Andre Le Troquer, he was fined $600 and given a one-year suspended sentence.
Voir de plus:

L’obsession à contrôler la langue et à traquer des mots « offensants » au nom du progrès n’est rien d’autre que de la pensée magique.

Oliver Traldi* pour Quillette** (traduction par Peggy Sastre)

 

Changement de sexe: à la clinique Tavistock, des centaines d’enfants sacrifiés
Vincent Jolly

Le Figaro

23/02/2023 

En dix ans, le nombre de patients pris en charge par Tavistock n’a fait qu’augmenter. Alamy Stock Photo
POLÉMIQUE – L’enquête très étayée d’une journaliste révèle comment des cliniciens à Londres ont prescrit à la hâte et sans aucune prudence à de jeunes adolescents des traitements hormonaux lourds de conséquences.

C’est l’histoire d’une mère dont le fils, atteint de trouble obsessionnel compulsif, ne sortait de sa chambre que pour prendre une douche, ce qu’il répétait cinq fois par jour. Après une consultation à la clinique Tavistock de Londres, l’adolescent fut immédiatement considéré par les praticiens comme une femme avant de se voir prescrire un rendez-vous avec un endocrinologue (spécialiste des hormones) pour amorcer un processus de changement de sexe. Le fils a refusé le traitement pour finalement découvrir, plus tard, qu’il était gay.Ce récit est l’un des nombreux témoignages qui nourrit l’enquête exceptionnelle de la journaliste Hannah Barnes – exceptionnelle, car la minutie chirurgicale avec laquelle est documenté son livre de 557 pages Time to Think (Il est temps de réfléchir) permet enfin de révéler au grand jour l’un des plus grands scandales médicaux de ces dernières décennies.

Ouverte en 1989, cette clinique publique a d’abord été imaginée comme un centre de thérapie pour les jeunes qui, au moment de l’adolescence, se posent des questions sur leur identité sexuelle – ou leur identité de genre.

Ce que Barnes démontre, entre autres choses, c’est comment, dès 2005, des employés s’inquiétaient déjà de voir beaucoup de leurs patients envoyés chez des endocrinologues (comme l’exemple cité plus haut) qui, in fine, prescrivaient des bloqueurs d’hormones visant à retarder la puberté. Ces médicaments étaient, au début, recommandés chez des individus âgés de plus de 16 ans. En 2011, Barnes nous apprend qu’un patient de 12 ans de la clinique Tavistock était sous ce traitement ; et en 2016, un autre de 10.

Plus de 1000 enfants se sont vu prescrire ces bloqueurs d’hormones avec ensuite, pour beaucoup, un traitement hormonal ­visant à accompagner une transition complète de changement de sexe Des cas isolés? Loin de là. En dix ans, le nombre de patients pris en charge par Tavistock n’a fait qu’augmenter: 97 en 2010 contre plus de 2500 en 2020. Résultat: plus de 1000 enfants se sont vu prescrire ces bloqueurs d’hormones avec ensuite, pour beaucoup, un traitement hormonal visant à accompagner une transition complète de changement de sexe (via des opérations chirurgicales). Ce qui a commencé comme une exception est devenu la politique principale de cette clinique qui, après seulement deux consultations, prescrivait ce traitement. Les cliniciens étaient formels avec les parents: les effets étaient parfaitement réversibles. Ce n’est pas le cas. Dépression, dysfonctionnement sexuel, ostéoporoses (détérioration du tissu osseux), croissance interrompue ou perturbée…, la lecture de la liste des troubles causés par ces traitements administrés à des enfants fait froid dans le dos. Pire encore, des jeunes particulièrement vulnérables: plus d’un tiers des patients à la clinique Tavistock présentent des troubles du spectre autistique – les statistiques de l’ONU estiment que, pour la population mondiale, une personne sur 160 en est atteinte.

Des abus parfois alimentés par une idéologie
Derrière ces enfants abusés rôdent plusieurs spectres sinistres. Il y a, d’abord, celui d’une clinique dirigée pardes praticiens sans expérience et négligents. Il y a ensuite celui d’ONG qui, sous le prétexte d’aider des enfants troublés par leur identité ou les changements que subit leur corps à l’adolescence, ont mené à travers cette clinique une guerre idéologique alimentée par des théories fumeuses et délirantes sur le genre.

Précisons-le sans détour: l’enquête d’Hannah Barnes est avant tout la révélation d’un scandale médical. Son livre n’est en rien un manifeste contre les personnes transgenres ou transsexuelles – comme certains détracteurs s’empresseront de le dépeindre – mais il recentre de manière irrévocable un débat qui anime nos sociétés depuis quelques mois. Celui de savoir si critiquer, ou même questionner, ces traitements et leur démocratisation relève de la «transphobie». Car, dans son ouvrage, la journaliste donne la parole à des individus que ces transitions ont profondément aidés. Mais ces témoignages ne sauraient occulter le fond de l’affaire. Celui de la récupération politique d’un mal-être psychiatrique affligeant une frange de la population pour l’appliquer au plus grand nombre, servant ainsi des politiques identitaires extrémistes ou des appétits financiers sordides. 

Voir encore:

Le mythe d’une vaste conspiration pédocriminelle, largement mobilisée outre-Atlantique par les partisans de Donald Trump, est plus qu’une simple « théorie du complot ». Pour François Rastier, cette croyance prospère sur un choix délibéré en faveur de l’ignorance.
François Rastier
Conspiracy watch
06 novembre 2020

La théologie politique prend pour principe de ne pas distinguer le sacré et le profane, pour que la loi divine commande directement les lois de la cité, voire s’y substitue, et que le politique se fonde sur le religieux, explicitement ou non.

Quand Carl Schmitt, penseur nazi de la théologie politique, définit le politique comme la ligne de démarcation entre l’ennemi et nous, il suppose un fondement tout à la fois identitaire et guerrier à l’ordre civil. Or, d’une part l’identité se base sur la transcendance à laquelle conduit toute essentialisation ; et d’autre part, la guerre éternelle reconduit le thème gnostique du combat du Bien et du Mal, qui ne se dénoue qu’avec l’Apocalypse. Bien entendu, la prévalence du théologique cache des intérêts politiques : le religieux n’est invoqué par le politique que pour justifier et perpétuer la tyrannie.

La théologie politique contemporaine prolonge des mouvements gnostiques issus d’antiques hérésies chrétiennes. L’histoire du Salut se divise en trois temps : une période de l’origine radieuse, puis son occultation par le Prince de ce monde, un Satan – souvent considéré comme le Dieu judaïque. Enfin, un dévoilement de ses manigances permet un combat final, sous la direction d’une figure messianique, pour défaire l’empire du Malin.

Précisons le schéma narratif de cette dernière phase. Le Malin a ourdi le complot qui lui permet de faire des victimes sans défense, souvent des femmes et des enfants ; de rares initiés dessillés reconnaissent le Juste caché qui va dévoiler le crime, et deviendra le Grand Leader ou Messie qui va les conduire vers la victoire. Devant ces révélations, chacun, dûment bouleversé par les crimes jusqu’alors cachés, est appelé à devenir un adepte et à venger les victimes, quitte à verser le sang des criminels. Les cinq personnages ou « acteurs » sont ainsi le Malin, ses suppôts, le Messie-Leader, les victimes, les initiés militants, enfin les adeptes en puissance. Comme les formes narratives sont éminemment transposables, ce schème mythique simpliste a pu connaître jusqu’à nos jours des réécritures dans divers domaines de la vie politique et sociale.

Au Moyen-Âge, les accusations de meurtre rituel, lors de sabbats sataniques, ont été récurrentes. Le sang des enfants chrétiens aurait servi à confectionner des pains azymes, pour d’immondes communions parodiant l’eucharistie. À cela s’est ajouté, au XIXe siècle, le thème du complot mondial, avec notamment Les Protocoles des Sages de Sion, ce faux de la police tsariste dont le succès ne s’est jamais démenti.

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Depuis un siècle, la propagande nazie et néonazie a décliné ad nauseam ce schème en mêlant adroitement l’imagerie fleur-bleue et la fascination pour la violence. Par exemple, une jeune femme blonde en robe à fleurs porte dans ses bras une enfant, mais derrière elles se profile l’ombre gigantesque aux oreilles pointues et au nez crochu portant un poignard dégoulinant de sang [1]. Tout est dès lors en place : le kitsch attendrissant légitimera les assassinats préventifs.

Bien entendu, le parti nazi et le Führer sont là pour en finir avec cette menace, et le messianisme que déploie Heidegger dans les Cahiers noirs en atteste, comme sa hantise de Satan – depuis Mein Kampf, le mot Teufel désigne les Juifs.

Les néonazis aujourd’hui développent l’idée d’un complot mondial et d’une guerre planétaire imminente – comme en témoignent les manifestes de Anders Breivik et de Brenton Tarrant, même si leur antisémitisme est devenu secondaire par rapport à la haine xénophobe qui a conduit le premier à massacrer 77 personnes, dont 69 jeunes socialistes pour la plupart issus de l’immigration et le second à attaquer une mosquée, faisant 51 victimes [2].

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La théorie QAnon, florissante aux États-Unis avec trois millions de fidèles, reprend ce schème global. Parti d’une simple rumeur diffamatoire avant l’élection de Trump, connue sous le nom de Pizzagate (une banale pizzeria de Washington aurait abrité un réseau pédophile), le complotisme QAnon s’est depuis deux ans diffusé à l’échelon international.

Reprenant les codes des films gore de série Z, des puissants souvent décrits comme des démons reptiliens ou des zombies ont ourdi un complot pédophile mondial : ils torturent des enfants et usent de leur sang pour s’assurer une jeunesse éternelle. Des « mèmes » pro-républicains montrent Hillary Clinton mordant à pleines dents dans la chair d’un nouveau-né. Une nouvelle élue au Congrès, Marjorie Taylor Greene, a déclaré que QAnon était « une opportunité unique d’anéantir cette cabale mondiale de pédophiles qui vénèrent Satan ». Un clip de campagne de Trump, How to Spot a Zombie, qualifie Joe Biden de zombie aimant la chair fraîche et détourne en scène vampirique une photo où il embrassait sa petite-fille pour la rassurer dans une cérémonie funèbre. Les noms et images des puissants démoniaques sont ainsi publiés ; parmi eux, beaucoup de Démocrates, mais aussi des juifs présumés, comme George Soros, milliardaire honni, ou Marina Abramovic, médiatique performeuse serbe. Trump apparaît comme celui qui va délivrer l’Amérique du Malin, et des adeptes du QAnon transforment ses meetings en émeutes de l’adoration. Un cadre évangéliste compare même sa coiffure iconique à la fauve chevelure du Roi David, Messie des derniers jours.

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Une nouvelle variante du mythe a été reformulée en France, début 2020, lors de la remise d’un prix à Roman Polanski. Le 1er mars, Virginie Despentes écrivait : « Les plus puissants entendent défendre leurs prérogatives […] Et c’est exactement à cela que ça sert, la puissance de vos grosses fortunes : avoir le contrôle des corps déclarés subalternes […]. Le temps est venu pour les plus riches de faire passer ce beau message : le respect qu’on leur doit s’étendra désormais jusqu’à leurs bites tachées du sang et de la merde des enfants qu’ils violent. » Ces puissants pédophiles, souillés par le sang des enfants, sont aussi les ploutocrates : « Il n’y a rien de surprenant à ce que vous ayez couronné Polanski : c’est toujours l’argent qu’on célèbre […]. C’est votre propre puissance de frappe monétaire que vous venez aduler. »

Le thème antisémite, déjà présent dans les propos de la maîtresse de cérémonie ironisant sur son nom et l’assimilant à un gnome, s’illustrait aussi aux portes de la salle, où des manifestantes criaient : « C’est Polanski qu’il faut gazer ! » Il s’est encore souligné en Pologne, à la remise de la médaille des Justes décernée par le mémorial Yad Vashem au couple de fermiers qui avaient caché Roman Polanski, lui évitant d’être gazé comme ses parents. Cette cérémonie fut tenue secrète, en raison de menaces de « féministes » radicales.

Le thème du Juif buveur de sang a aussi refleuri dans les rues de Paris, avec des affiches de la même mouvance : « Polanski, bois mes règles ! » — fine allusion aux interdits du Lévitique.

Le Sauveur est par chance une femme, Adèle Haenel, et Despentes ajoute cette invocation dévotionnelle : « Adèle je sais pas si je te male gaze ou si je te female gaze mais je te love gaze en boucle sur mon téléphone ». Idolâtrant ce mantra visuel, elle annonce le Salut par cette image : « C’est probablement une image annonciatrice des jours à venir ». Car c’est le monde créé par le Malin masculin et pédophile qu’il faut détruire. « Votre monde est dégueulasse. […] Votre puissance est une puissance sinistre. […] Le monde que vous avez créé pour régner dessus comme des minables est irrespirable ». Le monde est en danger par la faute des hommes, écrit encore une dénonciatrice publique du « Pédoland », l’élue Alice Coffin : « Quand on voit qui est à la tête des entreprises qui polluent, qui bousillent la planète, ce sont des hommes. » Qui est donc le Malin ? L’« Homme laisse ses sales pattes partout », répond la militante inclusiviste Éliane Viennot.

Le schème gnostique reste récurrent dans le (post)féminisme radical, depuis le SCUM Manifesto de Valerie Solanas qui appelait dès 1967 à l’éradication eugénique de l’Homme, Prince de ce monde.

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Comme un pédophile conséquent fréquente les écoles, Jair Bolsonaro, étroitement inspiré des méthodes de Trump et de ses soutiens complotistes, n’a pas manqué de faire campagne pour défendre l’enfance menacée par l’école de la perversion : le ministère de l’éducation aurait diffusé un « kit gay » pour corrompre les innocents bambins. En 2016, dans une vidéo vue par plus de neuf millions d’internautes, Bolsonaro avait montré une BD de Titeuf, considérant sa supposée distribution comme une « porte ouverte à la pédophilie ».  Tout au long de la campagne électorale, comme un montage photo montrant son challenger Fernando Haddad, ministre de l’éducation du gouvernement de gauche, distribuant des biberons avec des tétines en forme de pénis.  Après son élection, Bolsonaro confiait au journal Estado de Sao Paulo : « Le kit gay a été un tremplin pour ma carrière politique. »

L’antisémitisme n’est pas écarté pour autant quand il déclare en avril 2019, devant un parterre de pasteurs évangéliques, que « l’on pouvait pardonner, mais pas oublier » la Shoah. Mais Bolsonaro reste un Messie et de longue date ses apparitions sont scandées par le slogan Mito ! Mito !, qui en fait l’incarnation du Mythe.

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Avant l’assassinat de Samuel Paty, Brahim Chnina, père d’une élève (d’ailleurs absente) avait porté plainte le 8 octobre pour « diffusion d’images pornographiques ». Puis le 11 octobre, il appelait à ne « pas laisser seule » sa « chérie de 13 ans qui a été harcelée plusieurs fois par son professeur d’histoire » et concluait par un mot d’ordre « Ensemble STOP TOUCHE PAS À MES ENFANTS », tout en appelant au CCIF, association liée aux Frères musulmans.

Accompagnant la plainte auprès de l’administration, un militant frériste, Abdelhakim Sefrioui, membre du Conseil des imams de France, diffusait une vidéo « Nos enfants sont agressés, humiliés », et concluait : « Si on accepte ça, on arrivera peut-être à ce qu’il s’est passé à Srebrenica » (ville où 8000 musulmans ont été massacrés, en 1995). La cible désignée était décapitée le 16 octobre, comme pour protéger la jeune enfant harcelée (mais qui avait déjà communiqué avec le tueur), et pour éviter un massacre ultérieur.

L’antisémitisme reste certes en arrière-plan, mais Sefrioui, préfaçait en 2006 le théoricien majeur des frères musulmans, le cheikh Youssef Al-Qaradawi, partisan de l’excision [3], et il s’activait l’année suivante dans le comité de campagne de Dieudonné pour la présidentielle. La rencontre au sommet aura lieu au congrès de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), quand Dieudonné et Alain Soral présentèrent à Tariq Ramadan leur parti antisioniste fraîchement créé.

Si le schème gnostique initial semble rester incomplet, car le sang enfantin n’a pas été versé, la menace a été cependant évoquée avec Srebenica, et les enfants musulmans ont été momentanément épargnés, grâce au « sacrifice » meurtrier et lustral du djihadiste.

Ainsi va le complot mondial, ainsi va le déni du projet islamiste. Une enseignante réagit ainsi à l’assassinat sur Paris-Luttes.info en accusant les dirigeants occidentaux : « Nous leur devons les injustices de classe, les pillages planétaires, les guerres coloniales qui continuent – meurtres, tortures, viols, pillages, massacres légalisés. Pour que les riches se gavent […]. Nous ne tairons pas les crimes coloniaux, les violences policières, la relégation des quartiers populaires, les réfugié.e.s mort.e.s dans la Méditerranée, les camps de rétention, la prostitution des enfants, les tortures en prison, les vies de labeur sous le joug capitaliste. »

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Les récurrences en divers lieux de similarités thématiques et d’une même structure narrative peuvent paraître surprenantes, mais elles restent caractéristiques des corpus de variantes mythiques — variantes d’autant plus vivaces que leurs formes textuelles peuvent se transposer sans perdre leur force pathétique.

Les radicalismes qui rivalisent à présent, de l’extrême-droite à l’islamisme, voire à l’extrême « gauche » schmittienne chez des auteurs comme Agamben, s’appuient sur des théologies politiques diverses, mais qui toutes conviennent que les lois anciennes sont abolies, que l’État de droit n’est que mensonge, que ce monde est un règne gouverné par des forces malignes, que l’Apocalypse approche, et qu’il faut commencer à combattre sous la direction d’un Sauveur.

Dès lors, la fascination pour la violence permet des rencontres imprévues, voire des alliances. Ainsi, rien ne rapproche a priori l’islamisme et le féminisme radical, mais cependant Virginie Despentes s’identifiait aux tueurs de Charlie : « J’ai été aussi les gars qui entrent avec leurs armes. Ceux qui venaient de s’acheter une kalachnikov au marché noir et avaient décidé, à leur façon, la seule qui leur soit accessible, de mourir debout plutôt que de vivre à genoux. J’ai aimé aussi ceux-là qui ont fait lever leurs victimes en leur demandant de décliner leur identité avant de viser au visage » [4].

Bizarrement, des ennemis déclarés s’accordent ainsi sur le même schème mystique qu’ils instancient chacun à leur façon. Par exemple, les évangélistes pro-Trump veulent qu’Israël reconstruise le Temple pour hâter la venue du Messie des derniers temps. Pour sa part, Daesh a multiplié les références apocalyptiques, notamment dans sa revue qui s’intitule Dabiq, du nom de la plaine syrienne où se dénouera la bataille finale contre les forces sataniques.

*

Père spirituel de l’islamisme contemporain, théoricien de l’État islamique et inspirateur des Frères musulmans comme d’Al Qaïda, Sayyid Qutb (1906-1966) décrit un monde contemporain revenu à l’âge de l’ignorance d’avant la Révélation coranique, l’âge de la jāhilīya. Invariant gnostique, ce monde est livré aux kouffar, aux apostats, aux Juifs [5], bref dominé par le Grand Satan. De longue date combattu par la théocratie iranienne, il revêt la figure des Américains, et plus généralement des Occidentaux : ainsi de Macron représenté dans un journal iranien officieux avec les inévitables oreilles pointues et le nez crochu. Et le mardi 27 octobre, à l’appel d’un parti islamique, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté à Dacca en accusant Macron d’« adorer Satan ».

La prophétie de Qutb sur le retour de l’âge de l’ignorance fut autoréalisatrice, mais elle ne s’appliqua pas qu’à l’islam : ce n’est pas seulement la laïcité qui est attaquée, c’est l’école et l’éducation. L’ignorance devient ainsi un programme émancipateur. Par exemple, le nom du groupe islamiste Boko Haram signifie « Le livre (Boko, de book) est impur (haram) » et ce groupe s’est fait connaître par des destructions d’écoles et des enlèvements massifs de lycéennes. Au nord Mali, les deux tiers des écoles sont déjà fermées. En Afghanistan, les attaques se multiplient. Après l’assassinat en 2012 du professeur Jonathan Sandler, la décapitation de Samuel Paty est le signal programmatique d’une avancée en cours.

Puisqu’il était professeur d’histoire et géographie, prenons l’exemple de la terre plate. Cette croyance naïve a été réfutée depuis Anaximandre et Ératosthène a calculé correctement la circonférence du globe. Or Cheikh ‘Abdul-‘Aziz Ibn Baaz, autorité religieuse suprême d’Arabie Saoudite, a formulé en 1993 cette fatwa : « La terre est plate. Quiconque clame qu’elle est sphérique est un athée méritant un châtiment » [6]. Cette affirmation a été maintes fois reprise par des imams ignorantins.

Ils ne sont pas isolés, car la plupart des platistes de la Flat Earth Society soutiennent Trump, tout comme comme les terraplanistas brésiliens soutiennent passionnément Bolsonaro [7].  Ils sont suivis par des dizaines de millions de convaincus. Et comme un complot n’arrive jamais seul, beaucoup nient le réchauffement climatique, la théorie de l’évolution et le bien fondé des vaccinations.

Dans le complotisme contemporain, l’ignorance n’est aucunement une lacune, elle devient un choix militant du fanatisme — qui lui doit tant. La post-vérité n’a rien de commun avec l’erreur, elle obéit au déni stratégique que mettent en œuvre, comme autant de variantes d’un mythe partagé, les radicalismes qui se disputent l’espace politique et idéologique pour endeuiller le présent comme l’avenir.

Salman Rushdie avait vu juste : « Tout cela fait partie de la même histoire, du même récit fondamental. »

Notes :
[1] Voir au besoin l’auteur, « Sémiotique des sites racistes, » Mots, n° 80, 2006, pp. 73-85.
[2] L’extrême droite reste divisée : déjà, pendant la guerre des Balkans, certains militants se sont engagés du côté serbe, d’autres du côté des musulmans bosniaques.
[3] Le préfacier n’a évidemment pas vu là une violence sexuelle contre des fillettes.
[4] Elle insulte ainsi la mémoire de Charb, qui après l’incendie islamiste de Charlie avait dit : « Je préfère mourir debout que de vivre à genoux » (Le Monde, 19 septembre 2012,), et le « J’ai été » [les frères Kouachi] de Despentes reprend et complète le « Je suis Charlie Coulibaly » de Dieudonné. Cela, trois ans après le « Mohamed Merah c’est moi, et moi je suis lui » de l’indigéniste Houria Bouteldja.
[5] Voir Qutb : « Depuis les premiers jours de l’islam, le monde musulman a toujours dû affronter des problèmes issus de complots juifs » (dans Paul Berman, Les Habits neufs de la terreur, 2004, tr. fr. Richard Robert, Paris, Hachette Littératures, 2004, p.114).
[6] « Les édits musulmans prennent une nouvelle force« , New York Times, 12 février 1995. Voir aussi, du même cheikh, « Evidence that the Earth is Standing Still », Islamic University of Medine, première édition, 1974, p. 23.
[7] Voir l’auteur, « Se réconcilier avec la vérité : enjeux scientifiques et politiques », in Sciences citoyennes, lundi 30 mars 2020.

Voir par ailleurs:

Le scandale des  » ballets licencieux  » PLUSIEURS INCULPATIONS SONT ATTENDUES

Le Monde

29 janvier 1959 
 

M. Sacotte, juge d’instruction près le tribunal de la Seine, a longuement interrogé mardi l’ancien policier Pierre Sorlut, âgé de trente-quatre ans, qui fut écroué le mois dernier sous l’inculpation d’incitation de mineures à la débauche.

Me Martin-Sané, avocat à la cour de Paris, et Me Jean Robert, du barreau de Reims, assistaient l’inculpé.

Celui-ci est accusé, on le sait, d’avoir recruté de très jeunes danseuses, une dizaine, croit-on, pour les faire participer à des réunions plus ou moins scabreuses auxquelles assistaient diverses personnalités. L’une de ces réunions aurait notamment eu pour cadre un pavillon historique situé dans la banlieue ouest de Paris, et mis à la disposition d’un haut personnage de l’État. Plusieurs nouvelles inculpations sont probables. Les parents de trois jeunes filles, âgées respectivement de dix-sept, quinze et quatorze ans, ont décidé de se constituer partie civile, et ont chargé Mes Traxeller et Baudelot de soutenir leurs intérêts.

Plusieurs nouvelles inculpations sont attendues

Le Monde

 03 février 1959
 

M. Sacotte, juge d’instruction, chargé de l’affaire dite des  » ballets licencieux « , qui avait inculpé samedi matin, pour attentat aux mœurs, M. André Le Troquer, ancien président de l’Assemblée nationale, a pris dans la soirée la même décision contre M. Arturo Gugliemi, dit  » Guillaume « , coiffeur, avenue Matignon, et M. Jean Jessier, directeur commercial du magasin  » A la Grande Maison « , rue Auber.

D’autres inculpations pourraient avoir lieu prochainement.

Accident suspect ou affabulation ?

Divers journaux ont annoncé qu’un jeune homme de dix-huit ans, barman dans un cabaret des Champs-Élysées, frère d’une des mineures qui sont mêlées à l’affaire des  » ballets roses « , avait été l’objet d’une tentative de meurtre : il aurait affirmé que dimanche matin, vers 7 heures, il avait été renversé par une 4 CV bleue, avenue de Wagram, au moment où il rentrait chez lui à scooter. Il aurait déclaré également qu’il avait été menacé par Pierre Sorlut au cours de l’automne dernier.

La police déclare n’avoir enregistré aucun accident de ce genre dimanche matin avenue de Wagram. D’autre part la brigade criminelle n’a pas été alertée et aucune plainte n’a été encore déposée.

Inculpation d’un restaurateur

Le Monde

05 février 1959

Sixième inculpation, mardi, dans l’affaire des  » ballets licencieux  » qu’instruit M. Sacotte : celle de M. Georges Biancheri, ancien directeur de deux grands restaurants parisiens : le Pavillon d’Armenonville, au bois de Boulogne, et le Queenie, place de la Madeleine. Laissé en liberté provisoire, M. Biancheri a choisi pour défenseur Me André Lénard.

Aujourd’hui mercredi, le magistrat doit interroger, en présence de Mes Martin-Sané et Robert, l’ancien policier Pierre Sorlut, inculpé non seulement d’attentat aux mœurs, mais aussi de menaces de mort envers les familles de certaines des jeunes plaignantes.

Il pourra s’expliquer, notamment sur certains détails donnés par Mme Élisabeth Pinajeff, qui est assistée de son côté du bâtonnier Marcel Héraud, de Mes Mauranges et Maire. Sorlut, d’après elle, lui aurait présenté, ainsi qu’à M. Le Troquer, à l’Opéra, une jeune fille de quinze ans. La mère de cette dernière lui aurait téléphoné quelques jours après pour lui demander si elle ne pourrait pas procurer un emploi à l’adolescente. Mme Pinajeff aurait alors fait venir cette dernière chez elle pour faire son portait, car elle est artiste peintre.

Un peu plus tard la mère de la jeune fille se manifesta de nouveau, mais cette fois pour protester, trouvant suspect le prolongement des séances de pose jusqu’à une heure avancée de la nuit… Mme Pinajeff comprit alors, dit-elle, que sa jeune protégée mentait à ses parents en prenant prétexte des visites à son atelier pour passer ses nuits hors de chez elle.

Une déclaration du bâtonnier Marcel Héraud

Le bâtonnier Marcel Héraud, avocat de M. André Le Troquer et de Mme de Pinajeff, nous a fait mercredi, au début de l’après-midi, la déclaration suivante :

 » Je sais combien la presse est soucieuse de ne diffuser que des informations exactes. C’est pourquoi je crois pouvoir sortir de la réserve que je dois m’imposer comme avocat de M. André Le Troquer et de Mme de Pinajeff et faire la mise au point suivante :

 » M. Le Troquer ne conteste pas avoir connu Sorlut. Mme de Pinajeff déclare avoir commencé le portrait d’une des  » protégées  » de ce dernier. L’un et l’autre protestent formellement contre les accusations portées contre eux et se réservent d’en démontrer la fausseté.

 » Mais dès à présent je tiens à déclarer de la façon la plus nette que :

 » 1) Ni l’un ni l’autre de mes clients n’est mis en cause dans l’affaire dite des  » ballets roses  » ;

 » 2) Ils n’ont été en rapport, direct ou indirect, avec aucun des inculpés ou participants de cette affaire des  » ballets roses  » ;

 » 3) Ni ces personnes ni leurs  » amies  » ne sont jamais allées au Butard, pas plus que chez M. Le Troquer ou chez Mme de Pinajeff.

 » Seule la présence de Sorlut dans les deux affaires a eu pour conséquence de les faire instruire en même temps et par le même juge, ce qui n’empêche pas qu’elles soient distinctes l’une de l’autre. « 

[Il s’agit là, bien entendu, du communiqué d’un avocat exposant une thèse de son client.

On peut toutefois préciser que si M. Sacotte a ouvert une information générale pour attentat aux mœurs, le dossier concerne une série de faits distincts où le lien est constitué par l’ancien policier Pierre Sorlut, qui apparaît à l’occasion de chacun d’eux.

M. Le Troquer et Mme Pinajeff ne sont impliqués que pour certains d’entre eux. Lesquels de ces faits peuvent être classés sous la rubrique  » ballets roses  » ? C’est là une question d’interprétation où nous ne nous risquerons pas.]

NOUVELLE INCULPATION DANS L’AFFAIRE DES  » BALLETS LICENCIEUX « 

Le Monde

24 juin 1959

M. Sacotte, juge d’instruction, a inculpé d’attentats aux mœurs un officier de police principal de la sûreté nationale accusé d’avoir participé aux soirées licencieuses organisées par Pierre Sorlut. Laissé en liberté provisoire, l’inculpé a choisi Me Martin-Sané pour défenseur.


Gentrification: Attention, un grand remplacement peut en cacher un autre ! (When will we have a social responsibility label to measure the social impact of the economic, societal and residential choices of our elites on the employment, housing and education of our middle classes ?)

24 janvier, 2023
https://images.bfmtv.com/aRhW-8G0iABru41H2k-fRyjsGYQ=/0x0:1280x720/images/Paris-Scan-la-gentrification-de-Paris-en-images-311650.jpgLe Parisien on Twitter: "3/ La gentrification de Paris est bien réelle : sans surprise, les prix élevés de l'immobilier ont chassé les employés et ouvriers de la capitale https://t.co/afSoT9PGVl https://t.co/nAd9Y8vGGa" /Géo. Thème 2 - Aménager et développer le territoire français - (page 2) - MDeforge

Montorgueil

Toi qui as fixé les frontières, dressé les bornes de la terre, tu as créé l’été, l’hiver !  Psaumes 74: 17

Un peuple connait, aime et défend toujours plus ses moeurs que ses lois. Montesquieu
Aux États-Unis, les plus opulents citoyens ont bien soin de ne point s’isoler du peuple ; au contraire, ils s’en rapprochent sans cesse, ils l’écoutent volontiers et lui parlent tous les jours. Ils savent que les riches des démocraties ont toujours besoin des pauvres et que, dans les temps démocratiques, on s’attache le pauvre par les manières plus que par les bienfaits. La grandeur même des bienfaits, qui met en lumière la différence des conditions, cause une irritation secrète à ceux qui en profitent; mais la simplicité des manières a des charmes presque irrésistibles : leur familiarité entraîne et leur grossièreté même ne déplaît pas toujours. Ce n’est pas du premier coup que cette vérité pénètre dans l’esprit des riches. Ils y résistent d’ordinaire tant que dure la révolution démocratique, et ils ne l’abandonnent même point aussitôt après que cette révolution est accomplie. Ils consentent volontiers à faire du bien au peuple ; mais ils veulent continuer à le tenir à distance. Ils croient que cela suffit ; ils se trompent. Ils se ruineraient ainsi sans réchauffer le coeur de la population qui les environne. Ce n’est pas le sacrifice de leur argent qu’elle leur demande; c’est celui de leur orgueil. Tocqueville
L’enracinement est peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l’âme humaine. C’est un des plus difficiles à définir. Un être humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle à l’existence d’une collectivité qui conserve vivants certains trésors du passé et certains pressentiments d’avenir. Participation naturelle, c’est-à-dire amenée automatiquement par le lieu, la naissance, la profession, l’entourage. Chaque être humain a besoin d’avoir de multiples racines. Il a besoin de recevoir la presque totalité de sa vie morale, intellectuelle, spirituelle, par l’intermédiaire des milieux dont il fait naturellement partie. Simone Weil (1943)
Le déracinement déracine tout, sauf le besoin de racines. Christopher Lasch
Nous apprenons à nous sentir responsable d’autrui parce que nous partageons avec eux une histoire commune, un destin commun. Robert Reich
Les « élites » françaises, sous l’inspiration et la domination intellectuelle de François Mitterrand, on voulu faire jouer au Front National depuis 30 ans, le rôle, non simplement du diable en politique, mais de l’Apocalypse. Le Front National représentait l’imminence et le danger de la fin des Temps. L’épée de Damoclès que se devait de neutraliser toute politique «républicaine». Cet imaginaire de la fin, incarné dans l’anti-frontisme, arrive lui-même à sa fin. Pourquoi? Parce qu’il est devenu impossible de masquer aux Français que la fin est désormais derrière nous. La fin est consommée, la France en pleine décomposition, et la république agonisante, d’avoir voulu devenir trop bonne fille de l’Empire multiculturel européen. Or tout le monde comprend bien qu’il n’a nullement été besoin du Front national pour cela. Plus rien ou presque n’est à sauver, et c’est pourquoi le Front national fait de moins en moins peur, même si, pour cette fois encore, la manœuvre du «front républicain», orchestrée par Manuel Valls, a été efficace sur les électeurs socialistes. Les Français ont compris que la fin qu’on faisait incarner au Front national ayant déjà eu lieu, il avait joué, comme rôle dans le dispositif du mensonge généralisé, celui du bouc émissaire, vers lequel on détourne la violence sociale, afin qu’elle ne détruise pas tout sur son passage. (…) Nous approchons du point où la fonction de bouc émissaire, théorisée par René Girard  va être entièrement dévoilée et où la violence ne pourra plus se déchaîner vers une victime extérieure. Il faut bien mesurer le danger social d’une telle situation, et la haute probabilité de renversement qu’elle secrète: le moment approche pour ceux qui ont désigné la victime émissaire à la vindicte du peuple, de voir refluer sur eux, avec la vitesse et la violence d’un tsunami politique, la frustration sociale qu’ils avaient cherché à détourner. Les élections régionales sont sans doute un des derniers avertissements en ce sens. Les élites devraient anticiper la colère d’un peuple qui se découvre de plus en plus floué, et admettre qu’elles ont produit le système de la victime émissaire, afin de détourner la violence et la critique à l’égard de leur propre action. Pour cela, elles devraient cesser d’ostraciser le Front national, et accepter pleinement le débat avec lui, en le réintégrant sans réserve dans la vie politique républicaine française. Y-a-t-il une solution pour échapper à une telle issue? Avouons que cette responsabilité est celle des élites en place, ayant entonné depuis 30 ans le même refrain. A supposer cependant que nous voulions les sauver, nous pourrions leur donner le conseil suivant: leur seule possibilité de survivre serait d’anticiper la violence refluant sur elles en faisant le sacrifice de leur innocence. Elles devraient anticiper la colère d’un peuple qui se découvre de plus en plus floué, et admettre qu’elles ont produit le système de la victime émissaire, afin de détourner la violence et la critique à l’égard de leur propre action. Pour cela, elles devraient cesser d’ostraciser le Front national, et accepter pleinement le débat avec lui, en le réintégrant sans réserve dans la vie politique républicaine française. Pour cela, elles devraient admettre de déconstruire la gigantesque hallucination collective produite autour du Front national, hallucination revenant aujourd’hui sous la forme inversée du Sauveur. (…) Curieuses élites, qui ne comprennent pas que la posture «républicaine», initiée par Mitterrand, menace désormais de revenir comme un boomerang les détruire. Christopher Lasch avait écrit La révolte des élites, pour pointer leur sécession d’avec le peuple, c’est aujourd’hui le suicide de celles-ci qu’il faudrait expliquer, dernière conséquence peut-être de cette sécession. Vincent Coussedière
Il n’y a rien de plus douloureux pour moi à ce stade de ma vie que de marcher dans la rue, d’entendre des pas derrière moi, de penser que quelqu’un veut me voler, et en regardant autour de moi, de me sentir soulagé quand c’est un Blanc. Jesse Jackson (1993)
Vous allez dans certaines petites villes de Pennsylvanie où, comme ans beaucoup de petites villes du Middle West, les emplois ont disparu depuis maintenant 25 ans et n’ont été remplacés par rien d’autre (…) Et il n’est pas surprenant qu’ils deviennent pleins d’amertume, qu’ils s’accrochent aux armes à feu ou à la religion, ou à leur antipathie pour ceux qui ne sont pas comme eux, ou encore à un sentiment d’hostilité envers les immigrants. Barack Hussein Obama (2008)
Pour généraliser, en gros, vous pouvez placer la moitié des partisans de Trump dans ce que j’appelle le panier des pitoyables. Les racistes, sexistes, homophobes, xénophobes, islamophobes. A vous de choisir. Hillary Clinton (2016)
Bien sûr, nous sommes résolument cosmopolites. Bien sûr, tout ce qui est terroir, béret, bourrées, binious, bref franchouillard ou cocardier, nous est étranger, voire odieux. Bernard-Henri Lévy
Nous ne pouvons pas faire de distinction dans les droits, que ce soit la PMA, la GPA ou l’adoption. Moi, je suis pour toutes les libertés. Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l’usine, quelle différence ? C’est faire un distinguo qui est choquant. Pierre Bergé
On les appelle bourgeois bohèmes Ou bien bobos pour les intimes Dans les chanson d’Vincent Delerm On les retrouve à chaque rime Ils sont une nouvelle classe Après les bourges et les prolos Pas loin des beaufs, quoique plus classe Je vais vous en dresser le tableau Sont un peu artistes c’est déjà ça Mais leur passion c’est leur boulot Dans l’informatique, les médias Sont fiers d’payer beaucoup d’impôts Ils vivent dans les beaux quartiers ou en banlieue mais dans un loft Ateliers d’artistes branchés, Bien plus tendance que l’avenue Foch ont des enfants bien élevés, qui ont lu le Petit Prince à 6 ans Qui vont dans des écoles privées Privées de racaille, je me comprends ils fument un joint de temps en temps, font leurs courses dans les marchés bios Roulent en 4×4, mais l’plus souvent, préfèrent s’déplacer à vélo Ils lisent Houellebecq ou Philippe Djian, les Inrocks et Télérama, Leur livre de chevet c’est Surand Près du catalogue Ikea. Ils aiment les restos japonais et le cinéma coréen passent leurs vacances au cap Ferret La côte d’azur, franchement ça craint Ils regardent surtout ARTE Canal plus, c’est pour les blaireaux Sauf pour les matchs du PSG et d’temps en temps un p’tit porno Ils écoutent sur leur chaîne hi fi France-info toute la journée Alain Bashung Françoise Hardy Et forcement Gérard Manset Ils aiment Desproges sans même savoir que Desproges les détestait Bedos et Jean Marie Bigard, même s’ils ont honte de l’avouer Ils aiment Jack Lang et Sarkozy Mais votent toujours écolo Ils adorent le Maire de Paris, Ardisson et son pote Marco La femme se fringue chez Diesel Et l’homme a des prix chez Kenzo Pour leur cachemire toujours nickel Zadig & Voltaire je dis bravo Ils fréquentent beaucoup les musées, les galeries d’art, les vieux bistrots boivent de la manzana glacée en écoutant Manu chao Ma plume est un peu assassine pour ces gens que je n’aime pas trop par certains côtés j’imagine que je fais aussi partie du lot. Renaud (2006)
La voie est devenue l’une des plus fréquentées du centre de Paris, aussi bien par les habitants que par les touristes. C’est surtout sa piétonnisation en 1991 qui lui a donné un charme irrésistible et qui a fait flamber les prix de l’immobilier. « Ici, il y a cette ambiance historique qui a vraiment la cote, surtout auprès des étrangers, notamment les Américains, souligne Caroline Baudry, directrice de l’agence Barnes IIe, IIIe et IVe arrondissements. Dans la rue, il y a beaucoup de restaurants et de commerces de bouche assez recherchés. » Effectivement, cette rue longue de 360 m, traversant deux arrondissements entre la rue Montmartre et la rue Saint-Sauveur, est l’une des plus anciennes de la capitale. La plupart des boutiques, qui ont fait sa réputation, sont installées ici depuis longtemps, comme la boulangerie-pâtisserie Stohrer, fondée en 1730, avec son fameux baba au rhum, ou le restaurant l’Escargot, créé en 1832, et spécialisé dans la cuisine bourguignonne et les recettes à base du petit gastéropode. Il a notamment eu pour clients Marcel Proust, Sarah Bernhardt, Sacha Guitry, Pablo Picasso ou encore Charlie Chaplin. Le restaurant Au Rocher de Cancale, qui a ouvert en 1804, a été rendu célèbre par Honoré de Balzac dans sa fresque historique « La Comédie humaine ». Le lieu sert de cadre, à plusieurs reprises, pour des rencontres entre ses différents personnages. « Nos clients recherchent aussi clairement le charme de l’ancien, poursuit l’experte. On retrouve beaucoup de logements avec cheminée, poutre apparente et parquet. Enfin, le fait qu’il y ait peu de biens à vendre chaque année permet de maintenir des prix assez élevés. » Le site est tellement coté que même les produits peu attractifs trouvent preneurs, comme ce studio de 27 mètres carrés, sombre, à refaire, au 2e étage sans ascenseur, qui est parti l’année dernière pour 267 000 euros, soit 11 800 euros le mètre carré. « On trouve majoritairement des petites et moyennes surfaces, souvent des deux-pièces, entre 25 et 60 mètres carrés, détaille Alexis Mathieu, patron de l’agence Laforêt Ier et IIe. Avec le taux de change qui les avantage, on voit passer pas mal d’Américains. » Les grands espaces, produits très rares, se vendent au-dessus des prix du marché, comme ce trois-pièces de 100 mètres carrés parti pour 1,35 million d’euros, soit 13 500 euros le mètre carré. « C’est sûr, il faut aimer l’ancien ici », reconnaît-il. Car bon nombre d’immeubles n’ont pas la structure ou la place pour supporter un ascenseur par exemple. Ce qui rend les accès compliqués pour les personnes âgées. C’est justement le cas de Marie (le prénom a été changé). La sémillante septuagénaire a décidé de vendre son 88 mètres carrés de la rue Montorgueil pour 1,08 million d’euros (12 272 euros le mètre carré), dont l’immeuble date de 1750, car elle commençait à avoir du mal à grimper les trois étages qui mènent à son appartement. « Il est dans ma famille depuis 1964 et j’y habite depuis ce temps-là, raconte-t-elle. J’ai vu les commerces changer. Avant, il y avait beaucoup de bouchers qui faisaient leurs boudins sous nos fenêtres et l’odeur qui va avec, tout comme la soupe à l’oignon proposée aux ouvriers des halles et aux noctambules, c’était assez folklo. » Avec la création de Rungis dans les années 1970, et donc la fermeture des halles, et la piétonnisation des années 1990, le quartier est clairement monté en gamme. « Les magasins de vêtements, les commerces de bouche, tout est plus luxueux, sourit-elle. Je me souviens que j’avais assisté, début 2000, à la visite de la reine d’Angleterre. Elle s’est notamment arrêtée à la boulangerie Stohrer ».  Si Marie apprécie l’absence des voitures, elle reconnaît quand même l’aspect assez bruyant de l’artère, notamment avec les nombreux passages de camions-poubelles et véhicules de livraison. Ce que l’office de tourisme de Paris décrit très poétiquement : « Au petit matin, les camions de livraison et l’agitation ambiante reflètent le Paris d’antan. » Malgré cela, elle tient à rester dans le quartier et espère trouver à proximité. Avec ascenseur. Mais ce ne sera pas facile. « On assiste pas mal à des ventes par le bouche-à-oreille, analyse Mickaël Boulaigre, de l’agence Fredélion, dont l’une va justement ouvrir dans la rue Montorgueil. Et on comprend le succès du lieu. Le tout faire à pied prend ici tout son sens, ce qui justifie son esprit village. Vous avez Beaubourg à deux pas, le quartier Latin pas loin, les Grands Boulevards avec leurs théâtres… Sans compter qu’avec Châtelet-les Halles, vous avez le gros hub de transport de France. » Le Parisien
L’augmentation des taxes foncières s’inscrit dans une tendance de fond que l’on observe dans de nombreuses villes. En France, les taxes foncières ont augmenté de 24,9 % en l’espace de dix ans. Alors qu’en parallèle, la hausse des loyers était de 7,5 % et l’inflation de 10,4 %. C’est dire le poids toujours plus douloureux de la fiscalité supportée par les propriétaires! Mais faut-il s’en étonner, alors que la disparition de la taxe d’habitation conduit inévitablement les maires à rechercher de nouvelles ressources pour financer le niveau toujours plus important des dépenses communales? L’équation devient impossible pour de nombreux propriétaires qui nous disent ne plus pouvoir faire face à l’augmentation de leurs charges, notamment fiscales. Il y a parmi les propriétaires occupants de nombreux retraités appartenant à la classe moyenne dont les revenus ont diminué quand ils ont quitté la vie active ou que l’un des membres du couple se retrouve veuf. Depuis deux ou trois ans, nombre d’entre eux sont pris à la gorge. On voit de plus en plus fréquemment des gens vendre un bien, ou recourir au viager, par exemple. Christophe Demerson (Union nationale des propriétaires immobiliers)
La flambée de la taxe foncière, à Paris comme dans de nombreuses villes, fait grimper l’inquiétude des propriétaires, déjà soumis à de lourdes contraintes financières et réglementaires. Rien ne va plus sur le front de la pierre. Entre colère et angoisse, les propriétaires immobiliers tirent la sonnette d’alarme alors que l’État comme les collectivités locales n’ont de cesse de les assommer d’impôts, de taxes et de contraintes en tout genre. Dernier tir en date: l’annonce par Anne Hidalgo, en quête désespérée de moyens financiers pour renflouer les caisses de la ville de Paris, d’une augmentation de plus de 50 % de la taxe foncière, dont le taux passerait en 2023 de 13,5 % à 20,5 %. Soit une hausse de 7 points de pourcentage et, à la clé, plusieurs centaines de millions d’euros que les propriétaires devront payer en plus. Et ce n’est pas tout, car les valeurs cadastrales locatives progresseront de 7 % en France l’an prochain (après 3,4 % en 2022 et +12,2 % en dix ans). (…) Les choses ne devraient pas s’arranger, alors que les subventions de l’État aux collectivités locales diminuent année après année. Or, les besoins restent identiques: il faut toujours éclairer les rues, chauffer les piscines, entretenir les stades… Comment, par exemple, trouver à l’avenir les moyens de financer la rénovation énergétique des bâtiments publics sinon en puisant dans la poche des propriétaires? Une urgence alors que l’envolée des prix de l’énergie générera l’an prochain un surcoût de dépenses publiques évalué à 11 milliards d’euros: presque le tiers des 36 milliards d’euros que rapportent les taxes foncières en France! (…) Pour les jeunes actifs, qui se sont fortement endettés ces dernières années pour se loger dans les grandes villes, proches des bassins d’emploi, en profitant des taux bas, souvent sur des longues durées, l’équation n’est pas simple non plus: pour les primo-accédants, chaque euro du budget familial compte. À Paris notamment, où l’effort financier consacré au logement est considérable, la flambée de la taxe foncière va devenir problématique pour certains, qui, ne pouvant assumer cette hausse en plus de leurs mensualités d’emprunt, pourraient devoir vendre leurs biens à des prix revus à la baisse. Mais cela fera peut-être les affaires de la Mairie, qui pourra ainsi préempter leurs appartements à moindre coût en vue d’augmenter le nombre de logements sociaux… La situation des propriétaires bailleurs n’est guère plus enviable. La rentabilité n’est plus là, avec des loyers plafonnés dans les grandes villes et un indice de référence des loyers – qui sert de base à la revalorisation de ces derniers – lui-même contraint par une limitation de principe à 3,5 % dans le cadre de la loi pouvoir d’achat, d’août 2022. Et cerise sur le gâteau, les bailleurs devront en prime se mettre aux normes des nouvelles exigences en matière énergétique, en engageant des travaux de rénovation parfois importants sans lesquels ils ne pourront plus louer leurs biens. Certains préféreront sans doute les retirer du marché locatif, déjà très tendu à Paris comme dans nombre de grandes villes de l’Hexagone. Voilà qui n’arrangera pas les difficultés des plus jeunes à se loger. Ghislain de Montalembert
En Île-de-France, comme à Paris, il y a toujours de moins en moins d’ouvriers et d’employés et de plus en plus de cadres et de professions intellectuelles supérieures. À l’intérieur du périphérique, ces derniers sont passés de 21 % en 1982 à 34 % en 2008. À côté de la bourgeoisie traditionnelle se développe une petite bourgeoisie intellectuelle, avec une surreprésentation des professions de l’information, des arts et des spectacles et des étudiants. Paris intra-muros concentre à elle seule 26 % de ces dernières à l’échelle du pays. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a plus d’employés ou d’ouvriers dans la capitale. Mais ils sont sous-représentés par rapport au reste de l’Île-de-France, ou même au reste du pays. À Paris, 20 % de la population des ménages sont des ouvriers ou des employés, contre 33 % en France. Il ne reste que quelques quartiers, comme Belleville ou la Goutte-d’Or, où ils sont encore surreprésentés par rapport au profil moyen de l’ensemble de la ville. Et encore, ces zones apparaissent à peine si on les compare au profil moyen de la région. (…) Le terme « bobo », inventé par un journaliste réactionnaire [?] aux États-Unis, n’a aucun fondement scientifique. Aucun chercheur en activité ne l’utilise. Je préfère utiliser les termes de gentrifieurs et de gentrification, qui ont été forgés en partie par un courant de géographie radicale anglophone. Cette notion désigne un embourgeoisement spécifique des quartiers populaires par remplacement de population et transformation matérielle de la ville. (…) La désindustrialisation a plusieurs facettes. Les grandes villes des anciens pays industrialisés ne sont plus des centres de fabrication, sous-traitée aux pays du Sud, mais elles restent des centres de commandement stratégique (direction, conception, gestion, finance). C’est ce qu’on appelle la métropolisation, une nouvelle division internationale du travail qui entraîne la concentration des emplois très qualifiés dans les villes qui dominent l’économie mondiale. La gentrification en est l’une des conséquences. Mais ces recompositions macroéconomiques ne tombent pas du ciel. Elles résultent de choix politiques. (…) L’ouverture des frontières et la libre concurrence ont été mises en place par les États à travers l’Union européenne ou l’OMC. Au niveau local, la désindustrialisation de la région parisienne a été accompagnée par la politique de décentralisation industrielle dès les années 1960, favorisant le contournement par l’espace des bastions ouvriers les plus syndiqués à l’époque. S’en est suivie une volonté de « tertiariser » la capitale dans les années 1970, symbolisée par l’édification de la tour Montparnasse. Pour autant, d’autres politiques publiques ont plutôt retardé la gentrification à Paris. Le contrôle des loyers par la loi de 1948 a freiné la spéculation immobilière jusqu’aux années 1980. Avec une indexation des loyers sur la surface et la qualité des logements et non sur les prix du marché, ce système était autrement plus efficace que celui que promeut actuellement Cécile Duflot à travers le projet de loi Alur. Il explique en grande partie pourquoi la capitale française reste encore peu chère par rapport à des villes comme New York ou Londres. D’autre part, les politiques de rénovation par démolition-reconstruction menées par la mairie de droite dans les années 1980-1990 ont eu un effet ambigu. Si elles avaient pour but de faire des bureaux et d’élever le niveau social de la population, elles ont malgré tout conduit à la construction d’un parc non négligeable de logements sociaux, assurant le maintien d’une partie des classes populaires. Certains îlots de rénovation, comme le quartier Couronnes à Belleville, sont aujourd’hui classés en politique de la ville. Cette politique de rénovation a été abandonnée en 1995 avec le remplacement de Chirac par Tiberi et le passage à gauche de six arrondissements du Nord-Est parisien. À la fin des années 1990, la production de logements sociaux s’effondre et la mairie se lance dans une politique de soutien public à la réhabilitation privée à travers les opérations d’amélioration de l’habitat (Opah). Elle encourage aussi l’embellissement de la ville, y compris des faubourgs, avec la création de pistes cyclables, d’espaces verts, qui accompagnent la gentrification de quartiers comme la Bastille… Encore embryonnaire sous Tiberi, cette politique a été amplifiée par Bertrand Delanoë. (…) Il y a un vrai effort sur le logement social. En termes de budget, il est même difficile de faire mieux, sauf à augmenter les impôts locaux. Le problème, c’est que cette politique ne peut à elle seule lutter contre la gentrification et l’éviction des classes populaires. À Paris, où les terrains libres sont rares, on produit du logement social par la démolition, la réhabilitation de logements insalubres ou le rachat de logements préexistants. Avec ces opérations, on crée des logements plus grands et de bien meilleure qualité, mais, d’un point de vue quantitatif, on réduit le nombre de logements accessibles aux classes populaires. Si rien n’est fait pour garantir l’accessibilité du parc privé aux ménages modestes, 20 ou 25 % de logements sociaux ne suffiront pas quand on sait que les classes populaires représentent 40 % de la population des ménages en Île-de-France. D’autant plus que les logements sociaux ne sont pas tous destinés aux classes populaires. Un tiers des HLM créées depuis 2001 sont des PLS et s’adressent à des ménages dont les revenus sont supérieurs aux plafonds habituels, alors que seuls 5 % des demandeurs peuvent y prétendre. Dans une ville déjà bourgeoise, il faudrait en priorité créer des logements très sociaux (Plai). Et même imposer, comme le demandaient les Verts et maintenant les élus du Front de gauche, le remplacement de chaque logement dégradé par un logement social. Or, ce type d’opération engage des financements de l’État. Et ceux-ci sont toujours insuffisants, malgré le changement de majorité. (…) Toutes les statistiques montrent clairement que ce sont les classes populaires qui déclinent le plus à Paris. Contrairement aux idées reçues, les professions intermédiaires sont en progression régulière depuis les années 1980 (autour de 23 % des actifs à Paris aujourd’hui, une part proche de celle de la région et du pays). Les dirigeants PS de la capitale ne cessent de mettre en avant un déficit de familles, sans dire lesquelles. Ils reprennent aussi l’idée de droite selon laquelle Paris serait une ville « des plus aisés et des plus aidés ». Toute leur politique est destinée aux classes moyennes. La lutte contre l’éviction des classes populaires et la gentrification n’a jamais été affichée comme un objectif. Ils préfèrent mettre en avant la mixité sociale, un but à géométrie variable au nom duquel on peut construire à la fois quelques logements sociaux dans les beaux quartiers et des PLS dans les quartiers populaires. On agit sur la ville comme si elle était figée, comme si le rapport de forces n’était pas en défaveur des classes populaires, chassées de la ville depuis plus de vingt ans. Rechercher la mixité sociale dans les quartiers populaires, alors que la bourgeoisie résiste toujours à celle-ci, et avec succès, dans les beaux quartiers, cela revient à accompagner la gentrification. (…) Il faut remettre en cause ces idées toutes faites. Qui peut croire que l’installation de classes moyennes à la Goutte-d’Or va améliorer les conditions de vie des ouvriers et des employés vivant dans ces quartiers ? Proximité spatiale ne signifie pas redistribution des richesses. Elle accroît même, parfois, les difficultés. Les familles populaires installées dans les logements sociaux construits en bas des Champs-Élysées, en plein cœur du 16e arrondissement, pour beaucoup d’origine africaine, se heurtent à un racisme bien plus important qu’ailleurs, et perdent des liens sociaux nécessaires pour résister à la crise. L’éviction et la dispersion des classes populaires vers la périphérie entraînent aussi la perte d’un précieux capital social, des réseaux de solidarité, voire des réseaux militants, particulièrement denses dans la ville-centre et certaines communes de proche banlieue. Aujourd’hui, l’injonction au vivre ensemble et la mixité sociale ont remplacé la lutte des classes. Ce ne sont que les succédanés contemporains de la collaboration de classe et de la justification d’un ordre social inégalitaire prônées par le catholicisme social au XIXe siècle pour concurrencer le socialisme. L’hégémonie de ce discours et l’ethnicisation croissante des questions sociales désarment les classes populaires face à la gentrification, et compliquent le développement d’une solidarité de classe. Il n’y a pas de ghettos, ni de ghettoïsation, mais une paupérisation considérable des classes populaires dans le nouveau régime capitaliste d’accumulation flexible. La concentration spatiale des classes populaires a au contraire été historiquement un support d’émancipation par la révolte et la révolution, comme les quartiers noirs états-uniens ont été la base du mouvement pour les droits civiques : à charge d’une gauche de gauche de prendre au sérieux les ferments actuels de révolte dans ces quartiers au lieu de vouloir les supprimer. (…) il faut d’abord poser la question du mode de production capitaliste de la ville. Pourquoi la capitale exclut-elle autant de personnes ? Parce que la production de la ville n’est pas faite pour satisfaire les besoins des gens. Elle vise d’abord à rentabiliser le capital, à immobiliser au sol les surplus de capitaux pour une rentabilisation ultérieure. La ville est un stabilisateur du capitalisme mondial. Lutter contre le processus de gentrification suppose de remettre en cause le capitalisme. C’est la condition nécessaire à la réappropriation de la ville par tous, et en particulier les classes populaires. Cela rejoint la proposition d’Henri Lefebvre pour le droit à la ville, autrement dit le droit collectif de produire et de gérer la ville, qui oppose la propriété d’usage à la propriété privée lucrative et remet en cause à la fois le pouvoir des propriétaires ou des promoteurs et celui des édiles au profit d’un pouvoir collectif direct. Cette lutte contre la production marchande et inégalitaire de la ville s’incarne, aux États-Unis, dans un mouvement appelé Right to the city. Cette coalition de collectifs locaux s’affirme clairement contre la gentrification, milite pour le droit au logement, ou se bat pour sauver un commerce populaire menacé par un promoteur… Une lutte multiforme qui permet d’ancrer la lutte des classes dans chaque quartier et de fédérer différentes luttes sectorielles au niveau local. Elle peut aussi inclure ceux qui fréquentent la ville, qui la font vivre, sans toutefois y résider. Parfois, ce sont d’anciens habitants qui continuent d’y passer du temps, comme à Château-Rouge (18e). La ville, longtemps réduite à la question du cadre de vie, peut être un levier aussi efficace que le monde du travail pour une prise de conscience anticapitaliste. Anne Clerval
Qui sont les gentrifieurs ? « La barricade de la rue Saint-Maur vient de mourir, celle de la Fontaine-au-Roi s’entête. » Ce livre sur l’éviction des classes populaires de Paris, issue d’une thèse, s’ouvre sur les derniers instants de la Commune décrits par Louise Michel. Ce n’est évidemment pas un hasard. Les transformations matérielles actuelles de Paris trouvent leurs racines dans « l’embellissement stratégique » d’Haussmann, et elles sont, comme à cette époque, le résultat du mode de production capitaliste de la ville. En menant ce travail abouti sur la gentrification, la géographe Anne Clerval permet de faire le lien entre la mutation de la ville et les rapports de domination, entre le changement de la rue et l’évolution du capitalisme mondial. Son livre, parfait révélateur des politiques publiques actuelles, écrase le mythe des « bobos », expression faisant croire à une catégorie homogène. À côté des « gentrifieurs stricto sensu », de catégories intermédiaires ou supérieures, propriétaires qui transforment leur logement, se trouvent aussi d’autres professions intellectuelles moins fortunés, souvent locataires, qui ne participent qu’à la marge à la gentrification. Ils sont souvent plus à gauche et plus critiques vis-à-vis du Parti socialiste. L’Humanité
Le concept de « dépossédés » permet de décrire la véritable nature des mouvements de contestation qui traversent les pays occidentaux depuis une vingtaine d’années, qui ne ressemblent pas aux mouvements sociaux des siècles passés. Ils revêtent une dimension sociale, mais aussi existentielle, en touchant des catégories très diverses qui constituaient hier le socle majoritaire de la classe moyenne occidentale. Nous sommes dans un moment très particulier de l’Occident, où, après plusieurs décennies d’adaptation aux normes de l’économie-monde, une majorité de la population considère qu’elle est en train d’être dépossédée de tout ce qui la constituait: son travail, ses lieux de vie, son système de représentation politique. Pour comprendre qui sont les dépossédés, il faut revenir au tournant des années 1980, le plus grand plan social de l’histoire, qui a débouché sur la liquidation progressive de cette classe moyenne occidentale. C’est le point de bascule essentiel, celui qui détermine tout. Le grand choc culturel, philosophique, démocratique et intellectuel de l’Occident est là. L’Occident était alors le seul espace géographique au monde à avoir réussi, après la dernière guerre, à faire émerger une classe moyenne majoritaire dans laquelle se reconnaissaient les ouvriers, les employés comme les paysans ou les cadres supérieurs. D’ailleurs, à l’époque, on ne se posait pas la question de la mixité sociale, de savoir par exemple si le fils de l’ouvrier allait à l’école avec le fils de l’avocat puisqu’on était intégré économiquement, mais aussi politiquement, et donc culturellement. Intégrées économiquement, les classes populaires étaient aussi représentées politiquement et respectées culturellement par le monde d’en haut. Ce qu’on appelle l’élite était alors au service de la majorité, comme l’a longtemps illustré par exemple le gaullo-communiste. Aujourd’hui, nous avons basculé dans le triptyque thatchéro-blairo-macroniste: «There is no alternative» ; «There is no society» ; «There is no majority.» Ce que l’on vit actuellement n’a donc rien à voir avec un mouvement social du XIX ou du XX siècle, ce n’est pas une résurgence de la classe ouvrière qui réclamerait de nouveaux droits. Nous sommes dans un moment très particulier de l’histoire occidentale où une classe majoritaire est en train de perdre ce qu’elle a et ce qu’elle est. Sociologiquement, et à moyen terme, le littoral atlantique ressemblera à la sociologie des quartiers gentrifiés des centres-villes. Et les grandes agglomérations prévoient de bannir les véhicules des plus pauvres. En réduisant l’accès à la mer et en interdisant la cité, c’est la ligne d’horizon des plus modestes qui se brise. (…) Ceux que j’appelle les dépossédés se révoltent contre la destruction de leur patrimoine aussi bien matériel qu’immatériel. Encore une fois, la question posée est existentielle. De ce point de vue, la gauche radicale comme la droite identitaire se trompent en s’enfermant dans un discours binaire. Les uns ne veulent voir que la paupérisation économique et sociale tandis que les autres s’en tiennent à la perte de repères culturels. Je ne nie pas les désordres provoqués par les flux migratoires incessants, au contraire, mais il est illusoire de vouloir séparer la question de l’immigration de celle du travail ou du pouvoir d’achat. Les dépossédés sont, en réalité, victimes d’une double dépossession, sociale et culturelle, qui est le fruit de quatre décennies de mondialisation. À cette double dépossession il faut ajouter une troisième, non moins importante: la dépossession des lieux, c’est-à-dire l’exclusion des plus modestes de leur lieu de vie et de naissance, liée à la fermeture des usines et plus largement au processus de métropolisation. Le péché originel de l’intelligentsia française est d’avoir accompagné, voire accentué, ce processus consubstantiel à la mondialisation. (…) La maison de pêcheur est en train de devenir la maison du cadre parisien. La pandémie, et le développement du télétravail, sont venus accélérer le mouvement de gentrification du littoral. Compte tenu de l’accroissement de l’écart entre revenus moyens régionaux et prix de l’immobilier, on peut désormais acter la fin programmée de la présence populaire près des bords de mer. Sociologiquement, et à moyen terme, le littoral atlantique ressemblera à la sociologie des quartiers gentrifiés des centres-villes. Cette évolution est décrite de manière positive par la plupart des médias et prescripteurs d’opinion, qui mettent en avant les bienfaits, notamment en termes d’activité et d’emplois, générés par l’arrivée des nouveaux habitants. Mais qu’un jeune issu d’un milieu modeste ne puisse plus vivre où il est né ne dérange pas grand monde. Cette violence sociale invisible est pourtant susceptible de générer des frustrations majeures. C’est déjà le cas depuis de longues années en Corse et ce n’est pas étranger à la montée en puissance du phénomène nationaliste. La dépossession géographique est également accentuée par la transformation des métropoles en cités interdites. À ce titre, rappelons que c’est en 2023 que les véhicules à essence immatriculés avant le 1er janvier 2006 et les moteurs Diesel immatriculés avant le 1er janvier 2011 seront interdits de circulation dans le Grand Paris. Les grandes agglomérations françaises prévoient, elles aussi, de bannir les véhicules les plus anciens, et donc ceux des plus pauvres, de leurs rues. Le bouclage de la cité par de nouvelles frontières invisibles impacte la société populaire à un niveau qui dépasse les tableaux de bord sociaux de Bercy. En réduisant l’accès à la mer et en interdisant la cité, c’est la ligne d’horizon des plus modestes qui se brise et, avec elle, la capacité de se projeter dans l’avenir. (…) L’effet bulle fait que les choses les plus basiques pour le commun des mortels ne le sont plus pour les technocrates de Bercy. Ce que l’on paie aujourd’hui, c’est la rupture presque anthropologique entre un monde d’en haut sécessionniste, dont la représentation est tronquée, et le monde réel. (…) [Quant au processus de fragmentation de la nation décrit par de nombreux observateurs] Aussi intéressante et stimulante intellectuellement soit-elle, cette représentation pose question, car elle nie l’existence d’une France majoritaire et, indirectement, valide le narratif néolibéral de segmentation de la société. Qualifier les «gilets jaunes» de «petits blancs», c’était une manière de les tribaliser, de les folkloriser, d’en faire une force de répulsion, et in fine de nier le fait qu’ils représentaient une majorité silencieuse et pouvaient potentiellement devenir une force très puissante et attractive, y compris pour des Français issus de l’immigration. Il ne faut pas oublier, du reste, que les DOM-TOM ont été au cœur de la contestation des «gilets jaunes». Ne pas oublier non plus que l’une des forces du trumpisme est d’avoir su attirer 40 % du vote latino et même une partie du vote noir. Les Latinos qui sont allés chez Trump, ou plus largement les populations immigrées qui vont vers le vote dit populiste, sont des gens qui se sont intégrés ou assimilés à l’ancienne, c’est-à-dire qu’ils se sont identifiés à la majorité et ont été attirés par une force d’attraction. En France, on aime à discuter des concepts abstraits de valeurs républicaines, de laïcité ou d’identité sans se préoccuper de ceux qui les incarnent et les font vivre au quotidien. Aucun concept n’existe sans les acteurs qui font vivre ces concepts. C’est l’ouvrier autochtone, quelle que soit son origine, par son mode de vie respecté, qui était jadis le meilleur vecteur de l’intégration. Par ailleurs, faire de l’islamisation un phénomène hyperpuissant qui balaierait tout sur son passage est une erreur. Sans nier le danger qu’elle représente, sa force est corrélée à l’impuissance de l’État régalien et au fait que les élites ont abandonné la force intrinsèque des sociétés occidentales, c’est-à-dire, appelez-les comme vous voulez, les gens ordinaires, les classes populaires ou encore les classes moyennes, ceux que j’appelle les dépossédés. Les islamistes ne sont forts que de la faiblesse de l’État et des élites. Et d’ailleurs, quand les dépossédés votent pour les partis dits populistes, ils votent plus contre l’impuissance régalienne que contre l’islamisation. Dans un État où les élites auraient encore une forme de confiance en leur propre peuple et dans le destin de leur pays, à condition bien sûr de réguler les flux, l’assimilation serait encore possible. Quand le monde populaire est attractif et respecté culturellement, cela fonctionne. Mais si, comme cela s’est produit depuis les années 1980, ce monde est décrit comme celui des «déplorables», alors la nation est désincarnée. Celle-ci n’est pas seulement un concept vague, une histoire ou une géographie, mais aussi un peuple qui l’incarne. On ne souligne pas assez que ce qu’on appelle «le déclin de l’Occident» est en fait d’abord la conséquence de l’abandon de ceux qui font vivre les valeurs de l’Occident. Nous sommes la seule partie du monde où les élites ont fait sécession, non seulement en se confinant dans leurs citadelles métropolitaines, mais aussi par une rhétorique culturelle, partagée aussi bien par la gauche que par une partie de la droite, y compris conservatrice. Ces élites ne cessent de déconsidérer ceux qui font vivre concrètement la République, la nation et in fine l’Occident, les décrivent comme des gens à bannir, «des veaux devant leur télé». C’est pour moi le cœur de l’explication du déclin des sociétés occidentales. (…) je ne suis pas en train d’expliquer que le monde des classes populaires serait un monde idéal. Si «la décence commune» existe, c’est parce que les plus modestes sont souvent liés par des solidarités contraintes. En revanche, ce qui me plaît dans ce monde-là par rapport à celui du salon, c’est qu’on n’y fait pas la morale matin, midi et soir. Je me méfie de ceux qui font la morale. Ce que les classes populaires ne supportent plus, c’est d’entendre ceux qui les dépossèdent leur expliquer comment ils doivent vivre, se comporter et être civilisés. La caractéristique de la bourgeoisie cool d’aujourd’hui, c’est justement de se placer dans une posture de supériorité morale délirante. Il fut un temps où même les bourgeois considéraient qu’ils pouvaient pécher. Sans leur faire la morale à mon tour, mon livre est aussi un moyen de rappeler à la nouvelle bourgeoisie son péché originel, la mise à l’écart des plus modestes: «Certes, vous êtes ouverts, inclusifs, écolos, mais vos actions ont aussi un impact négatif sur le devenir des classes populaires.» Sur le mode humoristique, je propose ainsi d’inventer un label socio-responsable sur le modèle du label écolo-responsable. De la même manière que l’on mesure scientifiquement l’empreinte écologique ou l’empreinte carbone, on pourrait mesurer, de manière technocratique et chiffrée, l’«empreinte sociale» de certains choix économiques, sociétaux ou résidentiels. Pourquoi pas un socio-label qui évaluerait l’impact d’une décision économique sur l’emploi des classes populaires? Un autre, l’impact de l’achat d’un bien immobilier dans une zone tendue où l’offre de logements est inaccessible aux plus modestes? Un petit dernier qui porterait sur les conséquences de l’évitement scolaire des classes supérieures sur le destin des plus modestes? (…) [Mais c’est aussi]  une forme de dépossession politique. Les partis de gauche et de droite, qui structuraient autrefois la vie politique, ont peu à peu spécialisé leur offre en direction de certains segments de la population (les retraités et les cadres pour la droite ; les fonctionnaires et les minorités pour la gauche), s’adressant de moins en moins à la majorité des Français. On peut parler de gentrification de l’offre politique: un peu à la manière du magasin le Bon Marché, attirant autrefois une clientèle populaire et aujourd’hui temple du luxe… De la même manière que les classes populaires ne mettent plus les pieds dans les grands magasins, elles se réfugient dans l’abstention ou le hard-discount électoral constitué par les partis dits «populistes»… (…) À chaque fois, les mouvements populistes sont portés par la même sociologie et presque la même géographie, hormis quelques spécificités locales, comme l’opposition Nord-Sud en Italie, qui reste en partie structurante. S’il y a un pays, qui a vu sa classe moyenne fracassée en Europe, c’est bien l’Italie (selon l’OCDE, l’Italie est le seul pays européen où les salaires ont diminué de 2,9 % entre 1990 et 2020, celui également où le taux de chômage, notamment des jeunes, reste supérieur à la moyenne européenne). Il est également frappant de constater qu’en Suède les sociaux-démocrates ont encore augmenté leur score à Stockholm, la ville la plus riche du pays. L’élection de Meloni, la percée des démocrates de Suède ne sont que des répliques de la grande dépossession des classes moyennes occidentales. En France, la diabolisation du diagnostic des gens ordinaires et maintenant les menaces apocalyptiques (écologique, sanitaire ou nucléaire avec la guerre en Ukraine) permettent d’évacuer les questions de fond, économiques, sociales et culturelles. Mais ces narratifs demeurent fragiles et ne créent que des moments de sidération ponctuels. La distribution de chèques est aussi une manière d’apaiser les choses, mais, à la fin des fins, le monde d’en haut se heurte à un mur qui n’est autre que celui de l’existence. Si un mouvement social se gère avec un chéquier, ce n’est pas le cas d’un mouvement existentiel. La mécanique est dès lors pour moi imparable: la réalité du phénomène que l’on vit, c’est le retour au centre d’une majorité ordinaire qui ne veut pas mourir. Notons qu’il suffit de quelques pompes à essence pour déstabiliser un ensemble ultra-fragile. Nous sommes ainsi sur un volcan et il suffira d’une étincelle pour que cela explose. Christophe Guilluy
Comme dans le film de Patrice Leconte (Les grands-ducs) les vieux comédiens sont de retour : le gouvernement qui réforme, les syndicats qui manifestent et les médias qui font de la pédagogie. Le spectacle a effectivement un air de déjà-vu et surtout il est joué par des acteurs (politiques, syndicats, médias) qui aujourd’hui ne suscitent plus que de la défiance. Comme d’habitude cette énième réforme provoque un énième rejet comme le montre la forte mobilisation notamment dans les petites villes et villes moyennes de la France périphérique. Pourquoi ? C’est moins du côté du contenu des mesures qu’il faut chercher la réponse que du côté de l’absence de sens de réformes qui ne s’inscrivent dans aucun dessein politique mais seulement dans un mécano technocratique. Le seul objectif semble être de répondre aux normes d’une économie mondialisée dans laquelle la classe moyenne occidentale est en fait trop payée et trop protégée. Aujourd’hui, les classes populaires et moyennes ne croient plus et n’écoutent plus ceux qui depuis des années les dépossèdent de ce qu’elles ont et de ce qu’elles sont sans jamais leur proposer d’autre horizon que celui d’une société du rationnement. Pilotée par une technostructure qui a démontré depuis bien longtemps que le bien commun n’était pas son sujet, cette énième réforme illustre bien la volonté d’être en marche mais en marche vers nulle part. (…) La contestation sociale et politique d’aujourd’hui, n’est pas un remake des Misérables, elle n’est pas un soulèvement de « pauvres » et ne vise pas non plus l’obtention de nouveaux droits sociaux. Elle n’est pas porté par une aspiration à un « nouveau monde » mais au contraire, elle vise la poursuite de l’ancien ; un monde où la majorité ordinaire était encore au « centre ». Au centre des rouages de l’économie, au centre des préoccupations de la classe politique et au centre des représentations culturelles. Cette révolte est animée par la conviction d’avoir été dépossédé de ses prérogatives, d’avoir peu à peu été mis au bord du monde. Ses ressorts profonds, et c’est bien là sa spécificité, ne sont pas seulement matériels, mais surtout existentiels. Cette dépossession est d’autant plus violente qu’elle s’accompagne d’une perte d’un statut essentiel : celui de référent politique et culturel. Cette angoisse existentielle est renforcée par le refus des élites de reconnaître ses trois échecs les plus saillants sur la mondialisation libérale, la métropolisation et sa gestion des flux migratoires. (…) Le jeu du pouvoir est évidemment de segmenter, de jouer sur des mesures catégorielles, de faire croire que nous ne sommes face qu’à une contestation des marges, de certaines catégories ou de certains territoires. La réalité est que ce qui se joue sous nos yeux, c’est la disparition de ce qu’on appelait jadis la classe moyenne occidentale. Les néolibéraux qui ont initié ce modèle (mondialisation, métropolisation) et les néo-keynésiens du « quoi qu’il en coûte » (qui permettent au modèle de perdurer) jouent main dans la main. Ils accompagnent en douceur cette disparition en feignant de répondre à l’inquiétude par la distribution de chèques ou de quelques dotations sur les territoires. (…) Sur l’Insécurité comme sur l’immigration – auxquelles il faut bien évidemment ajouter les thématiques qui s’y rattachent comme l’échec de l’État régalien et la survie de l’État-providence – tout a été dit… depuis si longtemps ! Sur la question des flux migratoires par exemple, la démographe Michèle Tribalat a tout écrit il y a plus de 30 ans. Contrairement à ce qu’affirment les médias, ces sujets sont parfaitement consensuels dans les milieux populaires, quelles que soient leurs origines. L’explosion des violences aux personnes et plus généralement la diffusion de la délinquance sur l’ensemble du territoire ont fait voler en éclats un cadre essentiel aux yeux des gens ordinaires, celui de la maîtrise de l’espace public. Les manquements de l’État et l’autisme d’une bourgeoisie qui surjoue la posture morale (en se protégeant bien sur des effets de l’insécurité et de l’immigration) sont vécus par la majorité ordinaire comme une négation de leur existence. Mais si, sur ces sujets, la brume médiatique et académique est épaisse, elle n’effacera jamais la réalité. C’est ce qu’ont compris les élites scandinaves qui en quelques années ont été capables de penser contre elles-mêmes et tout simplement de faire preuve de responsabilités sur ces sujets vitaux. Un sens de la responsabilité collective et du bien commun qui, pour l’heure, reste totalement étranger à la bourgeoisie progressiste. (…) Cette majorité ordinaire présentée par une part du monde médiatique et académique comme une masse anomique composée d’abrutis a effectivement quelques difficultés à imposer son diagnostic à une classe politique « netflixisée » qui considère que la majorité n’existe pas (pas plus que le pays d’ailleurs) et qui désormais bâtit ses programmes en ciblant des panels socioculturels. Contrairement à ce qu’on pense, la diabolisation ne vise pas prioritairement ce qu’on appelle « l’extrême droite ». Tout cela n’est que du spectacle. Le principal objet de la diabolisation est de délégitimer le diagnostic solide et rationnel des gens ordinaires ; un diagnostic parfaitement incompatible avec les intérêts des classes supérieures. Cette diabolisation permet au pouvoir de se maintenir sans projet, si ce n’est celui de gérer le chaos. Mais tout cela reste très fragile. Aujourd’hui le narratif dominant ne convainc plus que les bénéficiaires du modèle et une majorité de retraités. La réalité est qu’aujourd’hui la majorité ordinaire est le seul ensemble socioculturel cohérent, le seul socle sur lequel on puisse reconstruire un dessein politique commun. Autonome, sûre d’elle-même, affranchi du clivage gauche-droite et de la tutelle des syndicats ou des partis, la majorité ordinaire, c’est-à-dire la société elle-même, est engagée dans un mouvement existentiel. Ce n’est pas seulement son pouvoir d’achat qui est en jeu mais son être. Il ne manque qu’une étincelle pour qu’elle s’exprime dans la rue ou dans les urnes. Ce n’est qu’une question de temps. (…) Que le rapport au travail ait évolué, c’est une évidence mais comment peut-on considérer, comme le pense la gauche anti-Roussel, que le travail est une valeur dépassée ou pire que les classes populaires n’aspireraient qu’aux loisirs ? Ces représentations sont typiquement celles d’une catégorie sociale totalement déconnectée qui plaque sa réalité sur celle de la majorité ordinaire. Le problème des classes populaires n’est pas de savoir comment on occupe son temps libre. Le problème du temps libre, on peut y inclure la retraite, ou les congés, n’est pas d’en avoir mais de pouvoir en profiter. Rappelons que près de la moitié des Français ne partent jamais en vacances (une proportion qui augmente dans les milieux modestes) et que les RTT ont surtout été une bénédiction pour les classes supérieures. Entre congés payés et RTT, ces dernières disposent aujourd’hui de beaucoup plus de temps libre que, par exemple, les employés et les ouvriers non qualifiés (33 jours contre 26 en moyenne, source : DARES, ministère du Travail 2017). Le télétravail qui dessine aussi un autre rapport au travail concerne d’abord ces catégories (60 % des télétravailleurs sont des cadres, alors qu’ils ne représentent que 20 % des salariés). Nouveau marronnier de la presse, la thématique de la « grande démission », présentée comme massive, est un luxe que peu de catégories modestes peuvent se permettre. Fabien Roussel a eu raison de rappeler que dans leur immense majorité les classes populaires préfèrent le travail au chômage, de vivre des revenus de leur activité aux prestations. Pour compléter le tableau, la majorité ordinaire est aussi présentée comme une masse dont le seul objectif serait de consommer. Pour mémoire, en juin 2022, l’institut Ipsos confirmait que la marge de manœuvre budgétaire des Français n’avait cessé de baisser, et qu’aujourd’hui 58% d’entre eux font leurs courses à 10 euros près ou moins… un accès à la société de consommation tout relatif. Ces représentations qui émanent de classes urbaines qui baignent dans la surconsommation métropolitaine seraient risibles si, in fine, elles ne masquaient pas l’essentiel. Si le rapport au travail a changé, on le doit d’abord à des gens intelligents qui pilotent depuis des décennies et qui ont conduit à la grande désindustrialisation du pays en plongeant des familles entières dans le chômage et les prestations sociales. Pour résumer, ceux qui fracassent l’outil de production (la part de l’industrie est passée de 24 % du PIB en 1980 à 10 % en 2019) puis dissertent de la « fin du travail » ne voient pas que les gens n’aspirent qu’à une chose : avoir un emploi correctement rémunéré. (…) [Dans] la vision nihiliste qui est celle de Netflix : une société réduite aux panels du marketing (…) il n’y a plus de société, le marché fait la loi et surtout le pays n’existe plus. C’est peut-être la vision de quelques élites mais cela ne correspond pas à une réalité où les gens restent attachés à leur mode de vie ce qui induit mécaniquement des solidarités contraintes. Et puis cette représentation d’une société atomisée n’est pas nouvelle. De Gaulle nous parlait déjà de ce pays ingouvernable aux 350 fromages. Sauf qu’à l’époque, l’élite, y compris l’énarchie, était attachée à quelque chose qu’on appelait le bien commun et qui était en réalité un attachement à la Nation et à ceux qui la constitue. Cet attachement a produit la grande politique industrielle et sociale de l’après-guerre qu’on a appelé le gaullo-communisme, un pur produit de l’élitisme français. On feint de croire que la critique des élites contemporaines est un antiélitisme en soi. Rien n’est moins vrai. Les gens attendent des élites attachées au bien commun, c’est-à-dire à leur service, qui leur disent sincèrement « Je vous ai compris », « Nous nous sommes trompés », « Nous sommes allés trop loin dans la mondialisation libérale, la métropolisation, l’ouverture des frontières, et nous allons enfin vous servir ». [Les zones à faible émission] C’est l’aboutissement du processus de sécession de la bourgeoisie d’aujourd’hui et de dépossession géographique des classes populaires. Du mur de l’Atlantique (l’embourgeoisement des littoraux de la côte normande au Pays basque) aux murs métropoles-citadelles, les classes populaires sont évincés des lieux qu’ils occupaient hier. Dit autrement, les jeunes issus de milieux populaires ne peuvent plus vivre là où ils sont nés. De l’accès à la mer à l’accès aux zones d’emplois les plus actives, l’horizon de la majorité ordinaire s’est peu à peu fermé. Tout en communiquant sur leur ouverture, avec les ZFE, les métropoles achèvent donc de se débarrasser des classes populaires en installant le retour de l’octroi, au nom bien sûr de la défense de l’environnement. Christophe Guilluy

Attention: un grand remplacement peut en cacher un autre !

Gentrification, avec la flambée de l’immobilier, des taxes et des normes environnementales, des centres-villes et du littoral atlantique de la côte normande au Pays basque, transformation des grands magasins populaires en temples du luxe à la Bon Marché ou à la Samaritaine, bannissement des véhicules des plus pauvres des métropoles et des zones d’emplois les plus actives, perte de la maîtrise de l’espace public avec la diffusion de la délinquance et de l’immigration sauvage sur l’ensemble du territoire, panélisation et gentrification de l’offre politique…

Alors qu’avance la gentrification économique, culturelle, géographique et même politique de nos territoires…

Et que rivalisant dans l’hémiplégie, notre gauche radicale ne veut voir que la paupérisation économique et sociale …

Et notre droite identitaire que la perte de repères culturels …

A quand, comme le suggère le dernier livre du géographe Christophe Guilluy …

Un label socio-responsable pour mesurer l’empreinte sociale …

Véritable dépossession …

Au nom de l’ouverture et de l’écologie

Et même de la morale et de la bienpensance …

Des choix économiques, sociétaux et résidentiels de nos élites …

Sur l’emploi, le logement et l’éducation de nos classes moyennes et populaires ?

Christophe Guilluy: « Les classes moyennes ne croient plus et n’écoutent plus ceux qui les dépossèdent »

 

FIGAROVOX/ENTRETIEN – Pour le géographe, la réforme des retraites et l’opposition qu’elle provoque ne sont qu’un pâle reflet du malaise beaucoup plus profond qui hante la société française. Celui de l’angoisse existentielle d’une majorité ordinaire qui cherche, sans la trouver, une élite qui pourrait la représenter.

Géographe, Christophe Guilluy a notamment publié en 2022 Les Dépossédés (Flammarion).


FIGAROVOX. – La réforme des retraites restaure une chorégraphie sociale qui correspond à ce que l’on connaît depuis 30 ans sur ce sujet. Dans la charge symbolique et politique que l’on donne à cette réforme retrouvez-vous les inquiétudes des classes populaires sur lesquelles vous travaillez depuis des années ?

Christophe GUILLUY. – Comme dans le film de Patrice Lecomte (les grands-ducs) les vieux comédiens sont de retour : le gouvernement qui réforme, les syndicats qui manifestent et les médias qui font de la pédagogie. Le spectacle a effectivement un air de déjà-vu et surtout il est joué par des acteurs (politiques, syndicats, médias) qui aujourd’hui ne suscitent plus que de la défiance.

Comme d’habitude cette énième réforme provoque un énième rejet comme le montre la forte mobilisation notamment dans les petites villes et villes moyennes de la France périphérique. Pourquoi ? C’est moins du côté du contenu des mesures qu’il faut chercher la réponse que du côté de l’absence de sens de réformes qui ne s’inscrivent dans aucun dessein politique mais seulement dans un mécano technocratique. Le seul objectif semble être de répondre aux normes d’une économie mondialisée dans laquelle la classe moyenne occidentale est en fait trop payée et trop protégée.

Aujourd’hui, les classes populaires et moyennes ne croient plus et n’écoutent plus ceux qui depuis des années les dépossèdent de ce qu’elles ont et de ce qu’elles sont sans jamais leur proposer d’autre horizon que celui d’une société du rationnement. Pilotée par une technostructure qui a démontré depuis bien longtemps que le bien commun n’était pas son sujet, cette énième réforme illustre bien la volonté d’être en marche mais en marche vers nulle part.

Vous parlez d’instinct de survie, d’angoisse existentielle. Qu’est-ce qui selon vous menace ces catégories d’effacement ?

La contestation sociale et politique d’aujourd’hui, n’est pas un remake des Misérables , elle n’est pas un soulèvement de « pauvres » et ne vise pas non plus l’obtention de nouveaux droits sociaux. Elle n’est pas porté par une aspiration à un « nouveau monde » mais au contraire, elle vise la poursuite de l’ancien ; un monde où la majorité ordinaire était encore au « centre ». Au centre des rouages de l’économie, au centre des préoccupations de la classe politique et au centre des représentations culturelles.

Cette révolte est animée par la conviction d’avoir été dépossédé de ses prérogatives, d’avoir peu à peu été mis au bord du monde. Ses ressorts profonds, et c’est bien là sa spécificité, ne sont pas seulement matériels, mais surtout existentiels. Cette dépossession est d’autant plus violente qu’elle s’accompagne d’une perte d’un statut essentiel : celui de référent politique et culturel. Cette angoisse existentielle est renforcée par le refus des élites de reconnaître ses trois échecs les plus saillants sur la mondialisation libérale, la métropolisation et sa gestion des flux migratoires.

Diriez-vous que des décisions de détail – fin du timbre rouge, crise des boulangers, extinction des commerces dans les villes moyennes… – participent de cette inquiétude ?

Le jeu du pouvoir est évidemment de segmenter, de jouer sur des mesures catégorielles, de faire croire que nous ne sommes face qu’à une contestation des marges, de certaines catégories ou de certains territoires. La réalité est que ce qui se joue sous nos yeux, c’est la disparition de ce qu’on appelait jadis la classe moyenne occidentale. Les néolibéraux qui ont initié ce modèle (mondialisation, métropolisation) et les néo-keynésiens du « quoi qu’il en coûte » (qui permettent au modèle de perdurer) jouent main dans la main. Ils accompagnent en douceur cette disparition en feignant de répondre à l’inquiétude par la distribution de chèques ou de quelques dotations sur les territoires.

Quelle place donner à l’immigration anarchique et à la délinquance qui parfois en découlent dans cette inquiétude ?

Sur l’Insécurité comme sur l’immigration – auxquelles il faut bien évidemment ajouter les thématiques qui s’y rattachent comme l’échec de l’État régalien et la survie de l’État-providence – tout a été dit… depuis si longtemps ! Sur la question des flux migratoires par exemple, la démographe Michèle Tribalat a tout écrit il y a plus de 30 ans. Contrairement à ce qu’affirment les médias, ces sujets sont parfaitement consensuels dans les milieux populaires, quelles que soient leurs origines.

L’explosion des violences aux personnes et plus généralement la diffusion de la délinquance sur l’ensemble du territoire ont fait voler en éclats un cadre essentiel aux yeux des gens ordinaires, celui de la maîtrise de l’espace public. Les manquements de l’État et l’autisme d’une bourgeoisie qui surjoue la posture morale (en se protégeant bien sur des effets de l’insécurité et de l’immigration) sont vécus par la majorité ordinaire comme une négation de leur existence. Mais si, sur ces sujets, la brume médiatique et académique est épaisse, elle n’effacera jamais la réalité. C’est ce qu’ont compris les élites scandinaves qui en quelques années ont été capables de penser contre elles-mêmes et tout simplement de faire preuve de responsabilités sur ces sujets vitaux. Un sens de la responsabilité collective et du bien commun qui, pour l’heure, reste totalement étranger à la bourgeoisie progressiste.

Référendum de 2005, «gilets jaunes» et même réforme des retraites, une majorité hétéroclite s’agrège dans un front de refus mais elle ne trouve pas de débouché politique positif…

Cette majorité ordinaire présentée par une part du monde médiatique et académique comme une masse anomique composée d’abrutis a effectivement quelques difficultés à imposer son diagnostic à une classe politique « netflixisée » qui considère que la majorité n’existe pas (pas plus que le pays d’ailleurs) et qui désormais bâti ses programmes en ciblant des panels socioculturels.

Contrairement à ce qu’on pense, la diabolisation ne vise pas prioritairement ce qu’on appelle « l’extrême droite ». Tout cela n’est que du spectacle. Le principal objet de la diabolisation est de délégitimer le diagnostic solide et rationnel des gens ordinaires ; un diagnostic parfaitement incompatible avec les intérêts des classes supérieures. Cette diabolisation permet au pouvoir de se maintenir sans projet, si ce n’est celui de gérer le chaos. Mais tout cela reste très fragile. Aujourd’hui le narratif dominant ne convainc plus que les bénéficiaires du modèle et une majorité de retraités. La réalité est qu’aujourd’hui la majorité ordinaire est le seul ensemble socioculturel cohérent, le seul socle sur lequel on puisse reconstruire un dessein politique commun. Autonome, sûre d’elle-même, affranchi du clivage gauche-droite et de la tutelle des syndicats ou des partis, la majorité ordinaire, c’est-à-dire la société elle-même, est engagée dans un mouvement existentiel. Ce n’est pas seulement son pouvoir d’achat qui est en jeu mais son être. Il ne manque qu’une étincelle pour qu’elle s’exprime dans la rue ou dans les urnes. Ce n’est qu’une question de temps.

Beaucoup de Français sont comme atteints de Covid long expliquent Jérémie Peltier et Jérôme Fourquet dans une note récente. On voit la gauche se diviser entre gauche du travail et gauche du loisir. N’y a-t-il pas dans le rapport au travail un nouveau point de fracture dans les catégories populaires ?

Que le rapport au travail ait évolué, c’est une évidence mais comment peut-on considérer, comme le pense la gauche anti-Roussel, que le travail est une valeur dépassée ou pire que les classes populaires n’aspireraient qu’aux loisirs ? Ces représentations sont typiquement celles d’une catégorie sociale totalement déconnectée qui plaque sa réalité sur celle de la majorité ordinaire. Le problème des classes populaires n’est pas de savoir comment on occupe son temps libre. Le problème du temps libre, on peut y inclure la retraite, ou les congés, n’est pas d’en avoir mais de pouvoir en profiter. Rappelons que près de la moitié des Français ne partent jamais en vacances (une proportion qui augmente dans les milieux modestes) et que les RTT ont surtout été une bénédiction pour les classes supérieures. Entre congés payés et RTT, ces dernières disposent aujourd’hui de beaucoup plus de temps libre que, par exemple, les employés et les ouvriers non qualifiés (33 jours contre 26 en moyenne, source : DARES, ministère du Travail 2017).

Le télétravail qui dessine aussi un autre rapport au travail concerne d’abord ces catégories (60 % des télétravailleurs sont des cadres, alors qu’ils ne représentent que 20 % des salariés). Nouveau marronnier de la presse, la thématique de la « grande démission », présentée comme massive, est un luxe que peu de catégories modestes peuvent se permettre. Fabien Roussel a eu raison de rappeler que dans leur immense majorité les classes populaires préfèrent le travail au chômage, de vivre des revenus de leur activité aux prestations.

Pour compléter le tableau, la majorité ordinaire est aussi présentée comme une masse dont le seul objectif serait de consommer. Pour mémoire, en juin 2022, l’institut Ipsos confirmait que la marge de manœuvre budgétaire des Français n’avait cessé de baisser, et qu’aujourd’hui 58% d’entre eux font leurs courses à 10 euros près ou moins… un accès à la société de consommation tout relatif.

Ces représentations qui émanent de classes urbaines qui baignent dans la surconsommation métropolitaine seraient risibles si, in fine, elles ne masquaient pas l’essentiel. Si le rapport au travail a changé, on le doit d’abord à des gens intelligents qui pilotent depuis des décennies et qui ont conduit à la grande désindustrialisation du pays en plongeant des familles entières dans le chômage et les prestations sociales. Pour résumer, ceux qui fracassent l’outil de production (la part de l’industrie est passée de 24 % du PIB en 1980 à 10 % en 2019) puis dissertent de la « fin du travail » ne voient pas que les gens n’aspirent qu’à une chose : avoir un emploi correctement rémunéré.

N’est-ce pas le symptôme supplémentaire d’une société qui a placé comme unique horizon le cocon amicalo-familial ?

Vous validez indirectement la vision nihiliste qui est celle de Netflix : une société réduite aux panels du marketing. Dans ce schéma, il n’y a plus de société, le marché fait la loi et surtout le pays n’existe plus. C’est peut-être la vision de quelques élites mais cela ne correspond pas à une réalité où les gens restent attachés à leur mode de vie ce qui induit mécaniquement des solidarités contraintes. Et puis cette représentation d’une société atomisée n’est pas nouvelle. De Gaulle nous parlait déjà de ce pays ingouvernable aux 350 fromages. Sauf qu’à l’époque, l’élite, y compris l’énarchie, était attachée à quelque chose qu’on appelait le bien commun et qui était en réalité un attachement à la Nation et à ceux qui la constitue. Cet attachement a produit la grande politique industrielle et sociale de l’après-guerre qu’on a appelé le gaullo-communisme, un pur produit de l’élitisme français.

On feint de croire que la critique des élites contemporaines est un antiélitisme en soi. Rien n’est moins vrai. Les gens attendent des élites attachées au bien commun, c’est-à-dire à leur service, qui leur disent sincèrement « Je vous ai compris », « Nous nous sommes trompés », « Nous sommes allés trop loin dans la mondialisation libérale, la métropolisation, l’ouverture des frontières, et nous allons enfin vous servir ».

Les zones à faible émission installent une sorte de péage immatériel entre la France périphérique et les métropoles. Que vous inspire cette décision ?

C’est l’aboutissement du processus de sécession de la bourgeoisie d’aujourd’hui et de dépossession géographique des classes populaires. Du mur de l’Atlantique (l’embourgeoisement des littoraux de la côte normande au Pays basque) aux murs métropoles- citadelles, les classes populaires sont évincés des lieux qu’ils occupaient hier. Dit autrement, les jeunes issus de milieux populaires ne peuvent plus vivre là où ils sont nés. De l’accès à la mer à l’accès aux zones d’emplois les plus actives, l’horizon de la majorité ordinaire s’est peu à peu fermé. Tout en communiquant sur leur ouverture, avec les ZFE, les métropoles achèvent donc de se débarrasser des classes populaires en installant le retour de l’octroi, au nom bien sûr de la défense de l’environnement.

Voir aussi:

Christophe Guilluy: « Une majorité de la population se sent dépossédée de tout ce qui la constituait »

Alexandre Devecchio

Le Figaro

18 octobre 2022

GRAND ENTRETIEN – De livre en livre, l’auteur de La France périphérique ne cesse de renouveler et d’affiner son diagnostic. Son nouvel essai, Les Dépossédés (Flammarion), est une magistrale explication des soubresauts que traversent les démocraties occidentales ainsi qu’une méditation à la fois mélancolique et optimiste sur le devenir des classes populaires et moyennes.

LE FIGARO – Après les concepts de «France périphérique» ou de «gens ordinaires», votre nouveau livre évoque le sort de ceux que vous appelez désormais les «dépossédés»…

CHRISTOPHE GUILLUY – Le concept de «dépossédés» permet de décrire la véritable nature des mouvements de contestation qui traversent les pays occidentaux depuis une vingtaine d’années, qui ne ressemblent pas aux mouvements sociaux des siècles passés. Ils revêtent une dimension sociale, mais aussi existentielle, en touchant des catégories très diverses qui constituaient hier le socle majoritaire de la classe moyenne occidentale.

Nous sommes dans un moment très particulier de l’Occident, où, après plusieurs décennies d’adaptation aux normes de l’économie-monde, une majorité de la population considère qu’elle est en train d’être dépossédée de tout ce qui la constituait: son travail, ses lieux de vie, son système de représentation politique. Pour comprendre qui sont les dépossédés, il faut revenir au tournant des années 1980, le plus grand plan social de l’histoire, qui a débouché sur la liquidation progressive de cette classe moyenne occidentale. C’est le point de bascule essentiel, celui qui détermine tout. Le grand choc culturel, philosophique, démocratique et intellectuel de l’Occident est là. L’Occident était alors le seul espace géographique au monde à avoir réussi, après la dernière guerre, à faire émerger une classe moyenne majoritaire dans laquelle se reconnaissaient les ouvriers, les employés comme les paysans ou les cadres supérieurs. D’ailleurs, à l’époque, on ne se posait pas la question de la mixité sociale, de savoir par exemple si le fils de l’ouvrier allait à l’école avec le fils de l’avocat puisqu’on était intégré économiquement, mais aussi politiquement, et donc culturellement.

Intégrées économiquement, les classes populaires étaient aussi représentées politiquement et respectées culturellement par le monde d’en haut. Ce qu’on appelle l’élite était alors au service de la majorité, comme l’a longtemps illustré par exemple le gaullo-communiste. Aujourd’hui, nous avons basculé dans le triptyque thatchéro-blairo-macroniste: «There is no alternative» ; «There is no society» ; «There is no majority.» Ce que l’on vit actuellement n’a donc rien à voir avec un mouvement social du XIX ou du XX siècle, ce n’est pas une résurgence de la classe ouvrière qui réclamerait de nouveaux droits. Nous sommes dans un moment très particulier de l’histoire occidentale où une classe majoritaire est en train de perdre ce qu’elle a et ce qu’elle est.Sociologiquement, et à moyen terme, le littoral atlantique ressemblera à la sociologie des quartiers gentrifiés des centres-villes. Et les grandes agglomérations prévoient de bannir les véhicules des plus pauvres. En réduisant l’accès à la mer et en interdisant la cité, c’est la ligne d’horizon des plus modestes qui se brise

Leur révolte ne se résume donc pas à une nouvelle lutte des classes?

Ceux que j’appelle les dépossédés se révoltent contre la destruction de leur patrimoine aussi bien matériel qu’immatériel. Encore une fois, la question posée est existentielle. De ce point de vue, la gauche radicale comme la droite identitaire se trompent en s’enfermant dans un discours binaire. Les uns ne veulent voir que la paupérisation économique et sociale tandis que les autres s’en tiennent à la perte de repères culturels. Je ne nie pas les désordres provoqués par les flux migratoires incessants, au contraire, mais il est illusoire de vouloir séparer la question de l’immigration de celle du travail ou du pouvoir d’achat. Les dépossédés sont, en réalité, victimes d’une double dépossession, sociale et culturelle, qui est le fruit de quatre décennies de mondialisation.

À cette double dépossession il faut ajouter une troisième, non moins importante: la dépossession des lieux, c’est-à-dire l’exclusion des plus modestes de leur lieu de vie et de naissance, liée à la fermeture des usines et plus largement au processus de métropolisation. Le péché originel de l’intelligentsia française est d’avoir accompagné, voire accentué, ce processus consubstantiel à la mondialisation.

L’exode urbain, qui a accompagné la crise du Covid, a-t-il paradoxalement accentué cette dépossession?

Oui. La maison de pêcheur est en train de devenir la maison du cadre parisien. La pandémie, et le développement du télétravail, sont venus accélérer le mouvement de gentrification du littoral. Compte tenu de l’accroissement de l’écart entre revenus moyens régionaux et prix de l’immobilier, on peut désormais acter la fin programmée de la présence populaire près des bords de mer. Sociologiquement, et à moyen terme, le littoral atlantique ressemblera à la sociologie des quartiers gentrifiés des centres-villes. Cette évolution est décrite de manière positive par la plupart des médias et prescripteurs d’opinion, qui mettent en avant les bienfaits, notamment en termes d’activité et d’emplois, générés par l’arrivée des nouveaux habitants. Mais qu’un jeune issu d’un milieu modeste ne puisse plus vivre où il est né ne dérange pas grand monde.

Cette violence sociale invisible est pourtant susceptible de générer des frustrations majeures. C’est déjà le cas depuis de longues années en Corse et ce n’est pas étranger à la montée en puissance du phénomène nationaliste. La dépossession géographique est également accentuée par la transformation des métropoles en cités interdites. À ce titre, rappelons que c’est en 2023 que les véhicules à essence immatriculés avant le 1er janvier 2006 et les moteurs Diesel immatriculés avant le 1er janvier 2011 seront interdits de circulation dans le Grand Paris. Les grandes agglomérations françaises prévoient, elles aussi, de bannir les véhicules les plus anciens, et donc ceux des plus pauvres, de leurs rues. Le bouclage de la cité par de nouvelles frontières invisibles impacte la société populaire à un niveau qui dépasse les tableaux de bord sociaux de Bercy. En réduisant l’accès à la mer et en interdisant la cité, c’est la ligne d’horizon des plus modestes qui se brise et, avec elle, la capacité de se projeter dans l’avenir.

Est-ce parce qu’il est aveugle au mode de vie des classes populaires que le gouvernement a autant tardé à prendre la mesure des conséquences provoquées par la pénurie d’essence actuelle?

L’effet bulle fait que les choses les plus basiques pour le commun des mortels ne le sont plus pour les technocrates de Bercy. Ce que l’on paie aujourd’hui, c’est la rupture presque anthropologique entre un monde d’en haut sécessionniste, dont la représentation est tronquée, et le monde réel.

Si vous insistez sur la fracture élite-peuple, vous semblez sceptique sur le processus de fragmentation de la nation décrit par de nombreux observateurs…

Aussi intéressante et stimulante intellectuellement soit-elle, cette représentation pose question, car elle nie l’existence d’une France majoritaire et, indirectement, valide le narratif néolibéral de segmentation de la société. Qualifier les «gilets jaunes» de «petits blancs», c’était une manière de les tribaliser, de les folkloriser, d’en faire une force de répulsion, et in finede nier le fait qu’ils représentaient une majorité silencieuse et pouvaient potentiellement devenir une force très puissante et attractive, y compris pour des Français issus de l’immigration. Il ne faut pas oublier, du reste, que les DOM-TOM ont été au cœur de la contestation des «gilets jaunes». Ne pas oublier non plus que l’une des forces du trumpisme est d’avoir su attirer 40 % du vote latino et même une partie du vote noir. Les Latinos qui sont allés chez Trump, ou plus largement les populations immigrées qui vont vers le vote dit populiste, sont des gens qui se sont intégrés ou assimilés à l’ancienne, c’est-à-dire qu’ils se sont identifiés à la majorité et ont été attirés par une force d’attraction.Je ne suis pas en train d’expliquer que le monde des classes populaires serait idéal. En revanche, ce qui me plaît dans ce monde-là par rapport à celui du salon, c’est qu’on n’y fait pas la morale. Ce que les classes populaires ne supportent plus, c’est d’entendre ceux qui les dépossèdent leur expliquer comment ils doivent vivre et se comporter

En France, on aime à discuter des concepts abstraits de valeurs républicaines, de laïcité ou d’identité sans se préoccuper de ceux qui les incarnent et les font vivre au quotidien. Aucun concept n’existe sans les acteurs qui font vivre ces concepts. C’est l’ouvrier autochtone, quelle que soit son origine, par son mode de vie respecté, qui était jadis le meilleur vecteur de l’intégration. Par ailleurs, faire de l’islamisation un phénomène hyperpuissant qui balaierait tout sur son passage est une erreur. Sans nier le danger qu’elle représente, sa force est corrélée à l’impuissance de l’État régalien et au fait que les élites ont abandonné la force intrinsèque des sociétés occidentales, c’est-à-dire, appelez-les comme vous voulez, les gens ordinaires, les classes populaires ou encore les classes moyennes, ceux que j’appelle les dépossédés. Les islamistes ne sont forts que de la faiblesse de l’État et des élites. Et d’ailleurs, quand les dépossédés votent pour les partis dits populistes, ils votent plus contre l’impuissance régalienne que contre l’islamisation.

Dans un État où les élites auraient encore une forme de confiance en leur propre peuple et dans le destin de leur pays, à condition bien sûr de réguler les flux, l’assimilation serait encore possible. Quand le monde populaire est attractif et respecté culturellement, cela fonctionne. Mais si, comme cela s’est produit depuis les années 1980, ce monde est décrit comme celui des «déplorables», alors la nation est désincarnée. Celle-ci n’est pas seulement un concept vague, une histoire ou une géographie, mais aussi un peuple qui l’incarne. On ne souligne pas assez que ce qu’on appelle «le déclin de l’Occident» est en fait d’abord la conséquence de l’abandon de ceux qui font vivre les valeurs de l’Occident. Nous sommes la seule partie du monde où les élites ont fait sécession, non seulement en se confinant dans leurs citadelles métropolitaines, mais aussi par une rhétorique culturelle, partagée aussi bien par la gauche que par une partie de la droite, y compris conservatrice. Ces élites ne cessent de déconsidérer ceux qui font vivre concrètement la République, la nation et in fine l’Occident, les décrivent comme des gens à bannir, «des veaux devant leur télé». C’est pour moi le cœur de l’explication du déclin des sociétés occidentales.

N’avez-vous pas tendance à idéaliser les classes populaires? Ne sont-elles pas autant responsables du déclin occidental que les élites?

Non, je ne suis pas en train d’expliquer que le monde des classes populaires serait un monde idéal. Si «la décence commune» existe, c’est parce que les plus modestes sont souvent liés par des solidarités contraintes. En revanche, ce qui me plaît dans ce monde-là par rapport à celui du salon, c’est qu’on n’y fait pas la morale matin, midi et soir. Je me méfie de ceux qui font la morale. Ce que les classes populaires ne supportent plus, c’est d’entendre ceux qui les dépossèdent leur expliquer comment ils doivent vivre, se comporter et être civilisés. La caractéristique de la bourgeoisie cool d’aujourd’hui, c’est justement de se placer dans une posture de supériorité morale délirante. Il fut un temps où même les bourgeois considéraient qu’ils pouvaient pécher. Sans leur faire la morale à mon tour, mon livre est aussi un moyen de rappeler à la nouvelle bourgeoisie son péché originel, la mise à l’écart des plus modestes: «Certes, vous êtes ouverts, inclusifs, écolos, mais vos actions ont aussi un impact négatif sur le devenir des classes populaires.»

Sur le mode humoristique, je propose ainsi d’inventer un label socio-responsable sur le modèle du label écolo-responsable. De la même manière que l’on mesure scientifiquement l’empreinte écologique ou l’empreinte carbone, on pourrait mesurer, de manière technocratique et chiffrée, l’«empreinte sociale» de certains choix économiques, sociétaux ou résidentiels. Pourquoi pas un socio-label qui évaluerait l’impact d’une décision économique sur l’emploi des classes populaires? Un autre, l’impact de l’achat d’un bien immobilier dans une zone tendue où l’offre de logements est inaccessible aux plus modestes? Un petit dernier qui porterait sur les conséquences de l’évitement scolaire des classes supérieures sur le destin des plus modestes?

Vous expliquez que le processus d’exclusion économique, culturelle et géographique, s’est accompagné d’un processus d’exclusion politique…

Oui c’est une forme de dépossession politique. Les partis de gauche et de droite, qui structuraient autrefois la vie politique, ont peu à peu spécialisé leur offre en direction de certains segments de la population (les retraités et les cadres pour la droite ; les fonctionnaires et les minorités pour la gauche), s’adressant de moins en moins à la majorité des Français. On peut parler de gentrification de l’offre politique: un peu à la manière du magasin le Bon Marché, attirant autrefois une clientèle populaire et aujourd’hui temple du luxe… De la même manière que les classes populaires ne mettent plus les pieds dans les grands magasins, elles se réfugient dans l’abstention ou le hard-discount électoral constitué par les partis dits «populistes»…

C’est ce qui s’est passé en Italie et en Suède. La France peut-elle échapper au phénomène?

À chaque fois, les mouvements populistes sont portés par la même sociologie et presque la même géographie, hormis quelques spécificités locales, comme l’opposition Nord-Sud en Italie, qui reste en partie structurante. S’il y a un pays, qui a vu sa classe moyenne fracassée en Europe, c’est bien l’Italie (selon l’OCDE, l’Italie est le seul pays européen où les salaires ont diminué de 2,9 % entre 1990 et 2020, celui également où le taux de chômage, notamment des jeunes, reste supérieur à la moyenne européenne). Il est également frappant de constater qu’en Suède les sociaux-démocrates ont encore augmenté leur score à Stockholm, la ville la plus riche du pays. L’élection de Meloni, la percée des démocrates de Suède ne sont que des répliques de la grande dépossession des classes moyennes occidentales.

En France, la diabolisation du diagnostic des gens ordinaires et maintenant les menaces apocalyptiques (écologique, sanitaire ou nucléaire avec la guerre en Ukraine) permettent d’évacuer les questions de fond, économiques, sociales et culturelles. Mais ces narratifs demeurent fragiles et ne créent que des moments de sidération ponctuels. La distribution de chèques est aussi une manière d’apaiser les choses, mais, à la fin des fins, le monde d’en haut se heurte à un mur qui n’est autre que celui de l’existence. Si un mouvement social se gère avec un chéquier, ce n’est pas le cas d’un mouvement existentiel. La mécanique est dès lors pour moi imparable: la réalité du phénomène que l’on vit, c’est le retour au centre d’une majorité ordinaire qui ne veut pas mourir. Notons qu’il suffit de quelques pompes à essence pour déstabiliser un ensemble ultra-fragile. Nous sommes ainsi sur un volcan et il suffira d’une étincelle pour que cela explose.

Les Dépossédés, par Christophe Guilluy, Flammarion, 204 p., 19 €. Flammarion

Voir par ailleurs:

L’Humanité

18 Octobre 2013

 
 
Dans Paris sans le peuple (1), la géographe Anne Clerval analyse finement l’éviction des classes populaires de la capitale. Ce processus, appelé gentrification, ne tombe pas du ciel. Il est autant le fruit de la métropolisation que de l’absence, au niveau local, de politiques publiques permettant aux classes populaires de se réapproprier la ville.

Reste-t-il encore des espaces 
populaires à Paris ?

Anne Clerval. On ne peut pas répondre à cette question dans l’absolu. En Île-de-France, comme à Paris, il y a toujours de moins en moins d’ouvriers et d’employés et de plus en plus de cadres et de professions intellectuelles supérieures. À l’intérieur du périphérique, ces derniers sont passés de 21 % en 1982 à 34 % en 2008. À côté de la bourgeoisie traditionnelle se développe une petite bourgeoisie intellectuelle, avec une surreprésentation des professions de l’information, des arts et des spectacles et des étudiants. Paris intra-muros concentre à elle seule 26 % de ces dernières à l’échelle du pays. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a plus d’employés ou d’ouvriers dans la capitale. Mais ils sont sous-représentés par rapport au reste de l’Île-de-France, ou même au reste du pays. À Paris, 20 % de la population des ménages sont des ouvriers ou des employés, contre 33 % en France. Il ne reste que quelques quartiers, comme Belleville ou la Goutte-d’Or, où ils sont encore surreprésentés par rapport au profil moyen de l’ensemble de la ville. Et encore, ces zones apparaissent à peine si on les compare au profil moyen de la région.

Cet embourgeoisement de la capitale a été rendu visible par l’apparition des « bobos ». Un terme que vous prenez soin de ne jamais utiliser dans votre livre. Pourquoi ?

Anne Clerval. Le terme « bobo », inventé par un journaliste réactionnaire aux États-Unis, n’a aucun fondement scientifique. Aucun chercheur en activité ne l’utilise. Je préfère utiliser les termes de gentrifieurs et de gentrification, qui ont été forgés en partie par un courant de géographie radicale anglophone. Cette notion désigne un embourgeoisement spécifique des quartiers populaires par remplacement de population et transformation matérielle de la ville.

Cette recomposition sociale est-elle la conséquence directe de la désindustrialisation ?

Anne Clerval. La désindustrialisation a plusieurs facettes. Les grandes villes des anciens pays industrialisés ne sont plus des centres de fabrication, sous-traitée aux pays du Sud, mais elles restent des centres de commandement stratégique (direction, conception, gestion, finance). C’est ce qu’on appelle la métropolisation, une nouvelle division internationale du travail qui entraîne la concentration des emplois très qualifiés dans les villes qui dominent l’économie mondiale. La gentrification en est l’une des conséquences. Mais ces recompositions macroéconomiques ne tombent pas du ciel. Elles résultent de choix politiques.

C’est-à-dire ?

Anne Clerval. L’ouverture des frontières et la libre concurrence ont été mises en place par les États à travers l’Union européenne ou l’OMC. Au niveau local, la désindustrialisation de la région parisienne a été accompagnée par la politique de décentralisation industrielle dès les années 1960, favorisant le contournement par l’espace des bastions ouvriers les plus syndiqués à l’époque. S’en est suivie une volonté de « tertiariser » la capitale dans les années 1970, symbolisée par l’édification de la tour Montparnasse. Pour autant, d’autres politiques publiques ont plutôt retardé la gentrification à Paris. Le contrôle des loyers par la loi de 1948 a freiné la spéculation immobilière jusqu’aux années 1980. Avec une indexation des loyers sur la surface et la qualité des logements et non sur les prix du marché, ce système était autrement plus efficace que celui que promeut actuellement Cécile Duflot à travers le projet de loi Alur. Il explique en grande partie pourquoi la capitale française reste encore peu chère par rapport à des villes comme New York ou Londres. D’autre part, les politiques de rénovation par démolition-reconstruction menées par la mairie de droite dans les années 1980-1990 ont eu un effet ambigu. Si elles avaient pour but de faire des bureaux et d’élever le niveau social de la population, elles ont malgré tout conduit à la construction d’un parc non négligeable de logements sociaux, assurant le maintien d’une partie des classes populaires. Certains îlots de rénovation, comme le quartier Couronnes à Belleville, sont aujourd’hui classés en politique de la ville. Cette politique de rénovation a été abandonnée en 1995 avec le remplacement de Chirac par Tiberi et le passage à gauche de six arrondissements du Nord-Est parisien. À la fin des années 1990, la production de logements sociaux s’effondre et la mairie se lance dans une politique de soutien public à la réhabilitation privée à travers les opérations d’amélioration de l’habitat (Opah). Elle encourage aussi l’embellissement de la ville, y compris des faubourgs, avec la création de pistes cyclables, d’espaces verts, qui accompagnent la gentrification de quartiers comme la Bastille… Encore embryonnaire sous Tiberi, cette politique a été amplifiée par Bertrand Delanoë.

Depuis sa conquête de l’Hôtel de Ville, en 2001, la gauche a pourtant accéléré considérablement la construction de logements sociaux. Lors du dernier mandat, la majorité municipale a même dépassé ses objectifs de construction…

Anne Clerval. Il y a un vrai effort sur le logement social. En termes de budget, il est même difficile de faire mieux, sauf à augmenter les impôts locaux. Le problème, c’est que cette politique ne peut à elle seule lutter contre la gentrification et l’éviction des classes populaires. À Paris, où les terrains libres sont rares, on produit du logement social par la démolition, la réhabilitation de logements insalubres ou le rachat de logements préexistants. Avec ces opérations, on crée des logements plus grands et de bien meilleure qualité, mais, d’un point de vue quantitatif, on réduit le nombre de logements accessibles aux classes populaires. Si rien n’est fait pour garantir l’accessibilité du parc privé aux ménages modestes, 20 ou 25 % de logements sociaux ne suffiront pas quand on sait que les classes populaires représentent 40 % de la population des ménages en Île-de-France. D’autant plus que les logements sociaux ne sont pas tous destinés aux classes populaires. Un tiers des HLM créées depuis 2001 sont des PLS et s’adressent à des ménages dont les revenus sont supérieurs aux plafonds habituels, alors que seuls 5 % des demandeurs peuvent y prétendre. Dans une ville déjà bourgeoise, il faudrait en priorité créer des logements très sociaux (Plai). Et même imposer, comme le demandaient les Verts et maintenant les élus du Front de gauche, le remplacement de chaque logement dégradé par un logement social. Or, ce type d’opération engage des financements de l’État. Et ceux-ci sont toujours insuffisants, malgré le changement de majorité.

Anne Hidalgo a repris l’objectif des communistes d’atteindre 30 % de logements sociaux d’ici à 2030. Parallèlement, elle promet un « effort particulier sur les logements intermédiaires pour les classes moyennes et les jeunes actifs ». Les classes moyennes ne sont-elles pas, elles aussi, victimes de la gentrification ?

Anne Clerval. C’est faux. Toutes les statistiques montrent clairement que ce sont les classes populaires qui déclinent le plus à Paris. Contrairement aux idées reçues, les professions intermédiaires sont en progression régulière depuis les années 1980 (autour de 23 % des actifs à Paris aujourd’hui, une part proche de celle de la région et du pays). Les dirigeants PS de la capitale ne cessent de mettre en avant un déficit de familles, sans dire lesquelles. Ils reprennent aussi l’idée de droite selon laquelle Paris serait une ville « des plus aisés et des plus aidés ». Toute leur politique est destinée aux classes moyennes. La lutte contre l’éviction des classes populaires et la gentrification n’a jamais été affichée comme un objectif. Ils préfèrent mettre en avant la mixité sociale, un but à géométrie variable au nom duquel on peut construire à la fois quelques logements sociaux dans les beaux quartiers et des PLS dans les quartiers populaires. On agit sur la ville comme si elle était figée, comme si le rapport de forces n’était pas en défaveur des classes populaires, chassées de la ville depuis plus de vingt ans. Rechercher la mixité sociale dans les quartiers populaires, alors que la bourgeoisie résiste toujours à celle-ci, et avec succès, dans les beaux quartiers, cela revient à accompagner la gentrification.

Vous critiquez la mixité sociale, mais n’est-ce pas, finalement, une manière d’éviter une ghettoïsation de certains quartiers, de favoriser le vivre ensemble ?

Anne Clerval. Il faut remettre en cause ces idées toutes faites. Qui peut croire que l’installation de classes moyennes à la Goutte-d’Or va améliorer les conditions de vie des ouvriers et des employés vivant dans ces quartiers ? Proximité spatiale ne signifie pas redistribution des richesses. Elle accroît même, parfois, les difficultés. Les familles populaires installées dans les logements sociaux construits en bas des Champs-Élysées, en plein cœur du 16e arrondissement, pour beaucoup d’origine africaine, se heurtent à un racisme bien plus important qu’ailleurs, et perdent des liens sociaux nécessaires pour résister à la crise. L’éviction et la dispersion des classes populaires vers la périphérie entraînent aussi la perte d’un précieux capital social, des réseaux de solidarité, voire des réseaux militants, particulièrement denses dans la ville-centre et certaines communes de proche banlieue. Aujourd’hui, l’injonction au vivre ensemble et la mixité sociale ont remplacé la lutte des classes. Ce ne sont que les succédanés contemporains de la collaboration de classe et de la justification d’un ordre social inégalitaire prônées par le catholicisme social au XIXe siècle pour concurrencer le socialisme. L’hégémonie de ce discours et l’ethnicisation croissante des questions sociales désarment les classes populaires face à la gentrification, et compliquent le développement d’une solidarité de classe. Il n’y a pas de ghettos, ni de ghettoïsation, mais une paupérisation considérable des classes populaires dans le nouveau régime capitaliste d’accumulation flexible. La concentration spatiale des classes populaires a au contraire été historiquement un support d’émancipation par la révolte et la révolution, comme les quartiers noirs états-uniens ont été la base du mouvement pour les droits civiques : à charge d’une gauche de gauche de prendre au sérieux les ferments actuels de révolte dans ces quartiers au lieu de vouloir les supprimer.

Existe-t-il un contre-modèle pour faire le lien entre les moins fortunés des gentrifieurs, qui votent souvent Front de gauche, et les classes populaires ?

Anne Clerval. Pour cela, il faut d’abord poser la question du mode de production capitaliste de la ville. Pourquoi la capitale exclut-elle autant de personnes ? Parce que la production de la ville n’est pas faite pour satisfaire les besoins des gens. Elle vise d’abord à rentabiliser le capital, à immobiliser au sol les surplus de capitaux pour une rentabilisation ultérieure. La ville est un stabilisateur du capitalisme mondial. Lutter contre le processus de gentrification suppose de remettre en cause le capitalisme. C’est la condition nécessaire à la réappropriation de la ville par tous, et en particulier les classes populaires. Cela rejoint la proposition d’Henri Lefebvre pour le droit à la ville, autrement dit le droit collectif de produire et de gérer la ville, qui oppose la propriété d’usage à la propriété privée lucrative et remet en cause à la fois le pouvoir des propriétaires ou des promoteurs et celui des édiles au profit d’un pouvoir collectif direct. Cette lutte contre la production marchande et inégalitaire de la ville s’incarne, aux États-Unis, dans un mouvement appelé Right to the city. Cette coalition de collectifs locaux s’affirme clairement contre la gentrification, milite pour le droit au logement, ou se bat pour sauver un commerce populaire menacé par un promoteur… Une lutte multiforme qui permet d’ancrer la lutte des classes dans chaque quartier et de fédérer différentes luttes sectorielles au niveau local. Elle peut aussi inclure ceux qui fréquentent la ville, qui la font vivre, sans toutefois y résider. Parfois, ce sont d’anciens habitants qui continuent d’y passer du temps, comme à Château-Rouge (18e). La ville, longtemps réduite à la question du cadre de vie, peut être un levier aussi efficace que le monde du travail pour une prise de conscience anticapitaliste.

(1) Paris sans le peuple la Gentrification de la capitale. Éditions La Découverte, 2013, 24 euros.

Qui sont les gentrifieurs ? « La barricade de la rue Saint-Maur vient de mourir, celle de la Fontaine-au-Roi s’entête. » Ce livre sur l’éviction des classes populaires de Paris, issue d’une thèse, s’ouvre sur les derniers instants de la Commune décrits par Louise Michel. Ce n’est évidemment pas un hasard. Les transformations matérielles actuelles de Paris trouvent leurs racines dans « l’embellissement stratégique » d’Haussmann, et elles sont, comme à cette époque, le résultat du mode de production capitaliste de la ville. En menant ce travail abouti sur la gentrification, la géographe Anne Clerval permet de faire le lien entre la mutation de la ville et les rapports de domination, entre le changement de la rue et l’évolution du capitalisme mondial. Son livre, parfait révélateur des politiques publiques actuelles, écrase le mythe des « bobos », expression faisant croire à une catégorie homogène. À côté des « gentrifieurs stricto sensu », de catégories intermédiaires ou supérieures, propriétaires qui transforment leur logement, se trouvent aussi d’autres professions intellectuelles moins fortunés, souvent locataires, qui ne participent qu’à la marge à la gentrification. Ils sont souvent plus à gauche et plus critiques vis-à-vis du Parti socialiste.

Voir encore:

La grande colère des propriétaires immobiliers
Ghislain de Montalembert
Le Monde
18/11/2022

DÉCRYPTAGE – La flambée de la taxe foncière, à Paris comme dans de nombreuses villes, fait grimper l’inquiétude des propriétaires, déjà soumis à de lourdes contraintes financières et réglementaires.

Rien ne va plus sur le front de la pierre. Entre colère et angoisse, les propriétaires immobiliers tirent la sonnette d’alarme alors que l’État comme les collectivités locales n’ont de cesse de les assommer d’impôts, de taxes et de contraintes en tout genre. Dernier tir en date: l’annonce par Anne Hidalgo, en quête désespérée de moyens financiers pour renflouer les caisses de la ville de Paris, d’une augmentation de plus de 50 % de la taxe foncière, dont le taux passerait en 2023 de 13,5 % à 20,5 %. Soit une hausse de 7 points de pourcentage et, à la clé, plusieurs centaines de millions d’euros que les propriétaires devront payer en plus.

Et ce n’est pas tout, car les valeurs cadastrales locatives progresseront de 7 % en France l’an prochain (après 3,4 % en 2022 et +12,2 % en dix ans). «L’augmentation des taxes foncières s’inscrit dans une tendance de fond que l’on observe dans de nombreuses villes remarque Christophe Demerson, président de l’Union nationale des propriétaires immobiliers (UNPI). En France, les taxes foncières ont augmenté de 24,9 % en l’espace de dix ans. Alors qu’en parallèle, la hausse des loyers était de 7,5 % et l’inflation de 10,4 %. C’est dire le poids toujours plus douloureux de la fiscalité supportée par les propriétaires! Mais faut-il s’en étonner, alors que la disparition de la taxe d’habitation conduit inévitablement les maires à rechercher de nouvelles ressources pour financer le niveau toujours plus important des dépenses communales?»

Les choses ne devraient pas s’arranger, alors que les subventions de l’État aux collectivités locales diminuent année après année. Or, les besoins restent identiques: il faut toujours éclairer les rues, chauffer les piscines, entretenir les stades… Comment, par exemple, trouver à l’avenir les moyens de financer la rénovation énergétique des bâtiments publics sinon en puisant dans la poche des propriétaires? Une urgence alors que l’envolée des prix de l’énergie générera l’an prochain un surcoût de dépenses publiques évalué à 11 milliards d’euros: presque le tiers des 36 milliards d’euros que rapportent les taxes foncières en France!

«L’équation devient impossible pour de nombreux propriétaires qui nous disent ne plus pouvoir faire face à l’augmentation de leurs charges, notamment fiscales, reprend Christophe Demerson. Il y a parmi les propriétaires occupants de nombreux retraités appartenant à la classe moyenne dont les revenus ont diminué quand ils ont quitté la vie active ou que l’un des membres du couple se retrouve veuf. Depuis deux ou trois ans, nombre d’entre eux sont pris à la gorge. On voit de plus en plus fréquemment des gens vendre un bien, ou recourir au viager, par exemple.»

Les propriétaires bailleurs également touchés
Pour les jeunes actifs, qui se sont fortement endettés ces dernières années pour se loger dans les grandes villes, proches des bassins d’emploi, en profitant des taux bas, souvent sur des longues durées, l’équation n’est pas simple non plus: pour les primo-accédants, chaque euro du budget familial compte. À Paris notamment, où l’effort financier consacré au logement est considérable, la flambée de la taxe foncière va devenir problématique pour certains, qui, ne pouvant assumer cette hausse en plus de leurs mensualités d’emprunt, pourraient devoir vendre leurs biens à des prix revus à la baisse. Mais cela fera peut-être les affaires de la Mairie, qui pourra ainsi préempter leurs appartements à moindre coût en vue d’augmenter le nombre de logements sociaux…

La situation des propriétaires bailleurs n’est guère plus enviable. La rentabilité n’est plus là, avec des loyers plafonnés dans les grandes villes et un indice de référence des loyers – qui sert de base à la revalorisation de ces derniers – lui-même contraint par une limitation de principe à 3,5 % dans le cadre de la loi pouvoir d’achat, d’août 2022. Et cerise sur le gâteau, les bailleurs devront en prime se mettre aux normes des nouvelles exigences en matière énergétique, en engageant des travaux de rénovation parfois importants sans lesquels ils ne pourront plus louer leurs biens. Certains préféreront sans doute les retirer du marché locatif, déjà très tendu à Paris comme dans nombre de grandes villes de l’Hexagone. Voilà qui n’arrangera pas les difficultés des plus jeunes à se loger.

Voir enfin:

Les rues piétonnes de Paris : à Montorgueil, l’esprit village s’arrache à 12000 euros le mètre carré
La rue ne fait que quelques centaines de mètres mais connaît un dynamisme et une animation à nuls autres pareils. Ajoutez à cela les six siècles qui l’ont façonnée et vous obtenez une artère à fort pouvoir d’attractivité pour les investisseurs immobiliers… et les prix qui vont avec.
Sébastien Thomas

Le Parisien

22 janvier 2023 

Ce sont des ruelles discrètes, à l’abri des regards, ou bien au contraire de vraies artères passantes et commerçantes. Tous les jours de l’année, on peut s’y promener, faire ses courses, prendre un café en terrasse tranquillement sans se soucier des voitures qui passent. Le Parisien part à la découverte de ces rues piétonnes qui parfois font rêver et où les prix de l’immobilier s’envolent souvent.
C’est difficile à croire, surtout lorsqu’on sait que le prix moyen au mètre carré se négocie autour de 12 362 euros, selon le site d’estimation immobilière Meilleurs Agents (MA), mais voici comment était décrite la rue Montorgueil (Ier et IIe arrondissements) au XVIIe siècle dans un manuscrit de l’époque : « orde (d’une saleté repoussante), boueuse, avec plusieurs tas d’immondices ».
Et pour cause : dès le Xe siècle et jusqu’au XVe siècle, les Parisiens vont prendre l’habitude d’entasser leurs ordures sur le site. Ils baptisent ironiquement le Mont-Orgueilleux le tas qui se forme au fil du temps et qui deviendra la future rue Montorgueil.

Évidemment, aujourd’hui, les choses ont bien changé. La voie est devenue l’une des plus fréquentées du centre de Paris, aussi bien par les habitants que par les touristes. C’est surtout sa piétonnisation en 1991 qui lui a donné un charme irrésistible et qui a fait flamber les prix de l’immobilier.

« Ici, il y a cette ambiance historique qui a vraiment la cote, surtout auprès des étrangers, notamment les Américains, souligne Caroline Baudry, directrice de l’agence Barnes IIe, IIIe et IVe arrondissements. Dans la rue, il y a beaucoup de restaurants et de commerces de bouche assez recherchés. »

Marcel Proust, Sarah Bernhardt ou Charlie Chaplin y avaient leurs habitudes

Effectivement, cette rue longue de 360 m, traversant deux arrondissements entre la rue Montmartre et la rue Saint-Sauveur, est l’une des plus anciennes de la capitale. La plupart des boutiques, qui ont fait sa réputation, sont installées ici depuis longtemps, comme la boulangerie-pâtisserie Stohrer, fondée en 1730, avec son fameux baba au rhum, ou le restaurant l’Escargot, créé en 1832, et spécialisé dans la cuisine bourguignonne et les recettes à base du petit gastéropode. Il a notamment eu pour clients Marcel Proust, Sarah Bernhardt, Sacha Guitry, Pablo Picasso ou encore Charlie Chaplin.

La boulangerie pâtisserie Stohrer est le commerce le plus ancien, installé depuis 1730. LP/Jean-Baptiste QuentinLe restaurant Au Rocher de Cancale, qui a ouvert en 1804, a été rendu célèbre par Honoré de Balzac dans sa fresque historique « La Comédie humaine ». Le lieu sert de cadre, à plusieurs reprises, pour des rencontres entre ses différents personnages.
« Nos clients recherchent aussi clairement le charme de l’ancien, poursuit l’experte. On retrouve beaucoup de logements avec cheminée, poutre apparente et parquet. Enfin, le fait qu’il y ait peu de biens à vendre chaque année permet de maintenir des prix assez élevés. »

« C’est sûr, il faut aimer l’ancien ici »

Le site est tellement coté que même les produits peu attractifs trouvent preneurs, comme ce studio de 27 mètres carrés, sombre, à refaire, au 2e étage sans ascenseur, qui est parti l’année dernière pour 267 000 euros, soit 11 800 euros le mètre carré. « On trouve majoritairement des petites et moyennes surfaces, souvent des deux-pièces, entre 25 et 60 mètres carrés, détaille Alexis Mathieu, patron de l’agence Laforêt Ier et IIe. Avec le taux de change qui les avantage, on voit passer pas mal d’Américains. »

Les grands espaces, produits très rares, se vendent au-dessus des prix du marché, comme ce trois-pièces de 100 mètres carrés parti pour 1,35 million d’euros, soit 13 500 euros le mètre carré. « C’est sûr, il faut aimer l’ancien ici », reconnaît-il. Car bon nombre d’immeubles n’ont pas la structure ou la place pour supporter un ascenseur par exemple. Ce qui rend les accès compliqués pour les personnes âgées.

Depuis son appartement en vente, Marie a une vue dégagée sur la rue Montorgueil et Etienne-Marcel. LP/Jean-Baptiste QuentinC’est justement le cas de Marie (le prénom a été changé). La sémillante septuagénaire a décidé de vendre son 88 mètres carrés de la rue Montorgueil pour 1,08 million d’euros (12 272 euros le mètre carré), dont l’immeuble date de 1750, car elle commençait à avoir du mal à grimper les trois étages qui mènent à son appartement. « Il est dans ma famille depuis 1964 et j’y habite depuis ce temps-là, raconte-t-elle. J’ai vu les commerces changer. Avant, il y avait beaucoup de bouchers qui faisaient leurs boudins sous nos fenêtres et l’odeur qui va avec, tout comme la soupe à l’oignon proposée aux ouvriers des halles et aux noctambules, c’était assez folklo. »

Jolie, mais plutôt bruyante

Avec la création de Rungis dans les années 1970, et donc la fermeture des halles, et la piétonnisation des années 1990, le quartier est clairement monté en gamme. « Les magasins de vêtements, les commerces de bouche, tout est plus luxueux, sourit-elle. Je me souviens que j’avais assisté, début 2000, à la visite de la reine d’Angleterre.Elle s’est notamment arrêtée à la boulangerie Stohrer. »

Si Marie apprécie l’absence des voitures, elle reconnaît quand même l’aspect assez bruyant de l’artère, notamment avec les nombreux passages de camions-poubelles et véhicules de livraison. Ce que l’office de tourisme de Paris décrit très poétiquement : « Au petit matin, les camions de livraison et l’agitation ambiante reflètent le Paris d’antan. » Malgré cela, elle tient à rester dans le quartier et espère trouver à proximité. Avec ascenseur.

Mais ce ne sera pas facile. « On assiste pas mal à des ventes par le bouche-à-oreille, analyse Mickaël Boulaigre, de l’agence Fredélion, dont l’une va justement ouvrir dans la rue Montorgueil. Et on comprend le succès du lieu. Le tout faire à pied prend ici tout son sens, ce qui justifie son esprit village. Vous avez Beaubourg à deux pas, le quartier Latin pas loin, les Grands Boulevards avec leurs théâtres… Sans compter qu’avec Châtelet-les Halles, vous avez le gros hub de transport de France. »



Noëls interdits: C’est la préservation de la sécurité publique, imbécile ! (Continuation of holy war by other means: What strange Western blindness, from Voltaire to Jeffrey Sachs, to the weaponization of religion in both Russia and China ?)

6 janvier, 2023
L'image montre une grande pièce avec un haut plafond. Un grand escalier mange l'image et se sépare a l'étage sur la gauche et la droite. Au premier plan, 7 jeunes gens sont assis sur des canapés de style ancien, de couleur marron. Ils sont vêtus de vêtements d'époque. Sur l'image, on voit de nombreux plans floutés : un sapin de Noël, au milieu de l'image, et des décorations suspendues sur les deux côtés des escaliers. Le logo de la chaîne de télévision, « Mango TV », apparaît en haut à gauche, en caractères chinois.
Si un homme a cent brebis, et que l’une d’elles s’égare, ne laisse-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf autres sur les montagnes, pour aller chercher celle qui s’est égarée? Et, s’il la trouve, je vous le dis en vérité, elle lui cause plus de joie que les quatre-vingt-dix-neuf qui ne se sont pas égarées. Jésus (Matthieu 18: 12-13)
Je vous le dis, il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se repent, que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de repentance. Jésus (Luc 5: 7)
Mon enfant, lui dit le père, tu es toujours avec moi, et tout ce que j’ai est à toi; mais il fallait bien s’égayer et se réjouir, parce que ton frère que voici était mort et qu’il est revenu à la vie, parce qu’il était perdu et qu’il est retrouvé. Jésus (Luc 15: 31-32)
Une civilisation est testée sur la manière dont elle traite ses membres les plus faibles. Pearl Buck
Les paraboles de la brebis égarée (Mt 18, 12) et du fils prodigue (Lc 15, 11) soulignent encore plus directement l’inversion de la logique victimaire – sacrificielle: au « tous contre un » Jésus oppose le « tous pour un », l’amour préférentiel pour l’égaré, même lorsqu’il semble responsable de son errance. Bernard Perret
L’inauguration majestueuse de l’ère « post-chrétienne » est une plaisanterie. Nous sommes dans un ultra-christianisme caricatural qui essaie d’échapper à l’orbite judéo-chrétienne en « radicalisant » le souci des victimes dans un sens antichrétien. (…) Jusqu’au nazisme, le judaïsme était la victime préférentielle de ce système de bouc émissaire. Le christianisme ne venait qu’en second lieu. Depuis l’Holocauste, en revanche, on n’ose plus s’en prendre au judaïsme, et le christianisme est promu au rang de bouc émissaire numéro un. (…) Le mouvement antichrétien le plus puissant est celui qui réassume et « radicalise » le souci des victimes pour le paganiser. (…) Comme les Eglises chrétiennes ont pris conscience tardivement de leurs manquements à la charité, de leur connivence avec l’ordre établi, dans le monde d’hier et d’aujourd’hui, elles sont particulièrement vulnérables au chantage permanent auquel le néopaganisme contemporain les soumet. René Girard
De ce tour d’horizon, il ressort que 75 % des cas de persécution religieuse concernent les chrétiens, dont la condition se détériore en de nombreux endroits. En tête de liste, outre le Moyen-Orient, l’AED place la Corée du Nord, la Chine, le Vietnam, l’Inde, le Pakistan, le Soudan et Cuba. Si l’on tente de classer ces phénomènes de christianophobie en fonction de leur origine, il ressort que leur premier vecteur, à l’échelle de la planète, est constitué par l’islam politique ou le fondamentalisme musulman. (…) Même s’il est géographiquement limité, l’hindouisme constitue un deuxième facteur de persécution antichrétienne. Si cette idéologie politico-religieuse est rejetée par le gouvernement central de New Delhi, elle inspire des forces actives dans plusieurs États de la fédération indienne, provoquant des violences qui ont culminé en 2009, mais qui n’ont pas cessé depuis. Troisième vecteur antichrétien: le marxisme. En Corée du Nord, toute activité religieuse est qualifiée de révolte contre les principes socialistes, et des milliers de chrétiens sont emprisonnés. En Chine, le Parti communiste fait paradoxalement bon ménage avec le capitalisme, mais les vieux réflexes sont loin d’avoir disparu: l’État tient à contrôler les religions. (…) Le 10 décembre dernier a été publié, à Vienne, un rapport de l’Observatoire sur l’intolérance et les discriminations contre les chrétiens en Europe, concernant les années 2005-2010. Ce document recense les actes de vandalisme contre les églises et les symboles religieux, les manifestations de haine et les brimades contre les chrétiens observées sur le continent européen au cours des dernières années. La liste est impressionnante, mais les faits incriminés ont suscité une émotion bien discrète ici. Aux facteurs aggravants de la situation des chrétiens dans le monde, peut-être faudrait-il ajouter l’indifférentisme religieux en Occident: si les Européens ne respectent pas le christianisme chez eux, comment aideraient-ils les chrétiens persécutés aux quatre points de l’horizon? Jean Sévillia (Le Figaro)
Un des grands problèmes de la Russie – et plus encore de la Chine – est que, contrairement aux camps de concentration hitlériens, les leurs n’ont jamais été libérés et qu’il n’y a eu aucun tribunal de Nuremberg pour juger les crimes commis. Thérèse Delpech (2005)
L’idée d’une Chine naturellement pacifique et trônant, satisfaite, au milieu d’un pré carré qu’elle ne songe pas à arrondir est une fiction. L’idée impériale, dont le régime communiste s’est fait l’héritier, porte en elle une volonté hégémoniste. La politique de puissance exige de « sécuriser les abords ». Or les abords de la Chine comprennent plusieurs des grandes puissances économiques du monde d’aujourd’hui : la « protection » de ses abords par la Chine heurte de plein fouet la stabilité du monde. Et ce, d’autant qu’elle est taraudée de mille maux intérieurs qui sont autant d’incitations aux aventures extérieurs et à la mobilisation nationaliste. Que veut la République Populaire ? Rétablir la Chine comme empire du Milieu. (…) À cet avenir glorieux, à la vassalisation par la Chine, les Etats-Unis sont l’obstacle premier. La Chine ne veut pas de confrontation militaire, elle veut intimider et dissuader, et forcer les Etats-Unis à la reculade.  (…) Pékin a récupéré Hong-Kong – l’argent, la finance, les communications. L’étape suivante, c’est Taïwan – la technologie avancée, l’industrie, d’énormes réserves monétaires. Si Pékin parvient à imposer la réunification à ses propres conditions, si un « coup de Taïwan » réussissait, aujourd’hui, demain ou après-demain, tous les espoirs seraient permis à Pékin. Dès lors, la diaspora chinoise, riche et influente, devrait mettre tous ses œufs dans le même panier ; il n’y aurait plus de centre alternatif de puissance. La RPC contrôlerait désormais les ressources technologiques et financières de l’ensemble de la « Grande Chine ». Elle aurait atteint la masse critique nécessaire à son grand dessein asiatique. Militairement surclassés, dénués de contrepoids régionaux, les pays de l’ASEAN, Singapour et les autres, passeraient alors sous la coupe de la Chine, sans heurts, mais avec armes et bagages. Pékin pourrait s’attaquer à sa « chaîne de première défense insulaire » : le Japon, la Corée, les Philippines, l’Indonésie. La Corée ? (…) Ce que les tenants, aujourd’hui déconfits, des « valeurs asiatiques », n’avaient pas compris, dans leurs plaidoyers pro domo en faveur d’un despotisme qu’ils prétendaient éclairé, c’est que les contre-pouvoirs, les contrepoids, que sont une opposition active, une presse libre et critique, des pouvoirs séparés selon les règles d’un Montesquieu, l’existence d’une société civile et de multitudes d’organisations associatives, font partie de la nécessaire diffusion du pouvoir qui peut ainsi intégrer les compétences, les intérêts et les opinions différentes. Mais, pour ce faire, il convient de renoncer au modèle chinois, c’est-à-dire au monolithisme intérieur. La renonciation au monolithisme extérieur n’est pas moins indispensable : la Chine doit participer à un monde dont elle n’a pas créé les règles, et ces règles sont étrangères à l’esprit même de sa politique multimillénaire. La Chine vit toujours sous la malédiction de sa propre culture politique. La figure que prendra le siècle dépendra largement du maintien de la Chine, ou de l’abandon par elle, de cette culture, et de sa malédiction. Laurent Murawiec (2000)
Tout se passe comme si, à l’heure actuelle, s’effectuait une distribution des rôles entre ceux qui pratiquent le repentir et l’autocritique – les Européens, les Occidentaux – et ceux qui s’installent dans la dénonciation sans procéder eux-mêmes à un réexamen critique analogue de leur propre passé – en particulier les pays arabes et musulmans. Tout indique même que notre mauvaise conscience, bien loin de susciter l’émulation, renforce les autres dans leur bonne conscience. Jacques Dewitte (L’exception européenne, 2009)
Comme au XXe siècle, une guerre a été déclarée contre l’Occident. Certes, elle est différente dans le sens où il s’agit d’une guerre culturelle destinée à combattre la tradition occidentale. Mais, un peu comme lors de la guerre froide, c’est le camp de la démocratie, des droits et des principes universels, de la raison qui se trouve menacé. Bien sûr, les attaques contre l’Occident en ce moment sont différentes de la plupart des conflits précédents. Parce que ce sont des attaques qui sont portées sur nous-mêmes PAR nous-mêmes. Il y a de nombreuses variantes de l’antioccidentalisme. Il y a l’antioccidentalisme chinois, l’antioccidentalisme arabe et bien d’autres encore. Mais celui qui me préoccupe est l’antioccidentalisme occidental, c’est-à-dire l’attaque de nos propres fondements civilisationnels par des personnes issues de nos propres sociétés. Il s’agit d’une remise en question radicale de notre histoire et des éléments qui constituent les bases de notre fierté, de notre identité et de nos valeurs. Même si des gens comme le Kremlin et le Parti communiste chinois (PCC) font tout pour en profiter, il s’agit d’abord d’une attaque que nous menons contre nous-mêmes. Alors qu’avant, nous étions fiers et que nous défendions notre culture occidentale, nous entendons désormais un discours acerbe selon lequel il faudrait la démanteler. On ne veut plus la transmettre, l’étudier, ou alors sous un angle biaisé et accusateur. En revanche, n’importe quelle culture qui n’est pas occidentale se retrouve célébrée et vénérée. (…) Si ce mépris de la culture occidentale se propage à grande échelle, c’est par ignorance : on n’apprend aux jeunes générations incultes que les parties sombres de son histoire, on en fait une lecture biaisée et on passe sous silence tous les apports qu’elle a pu donner à notre monde. Nous avons offert de considérables avancées scientifiques, économiques, musicales, etc. La culture occidentale est celle qui vit s’épanouir le Bernin, Vinci, Michel-Ange, Mozart, Bach, La Fontaine, Pascal et tant d’autres. Elle fit sortir de la misère des millions d’individus et fit briller les lumières de l’esprit. Mais on apprend aux écoliers son rôle dans l’esclavage et ses autres fautes sans contrebalancer par ses richesses. Les artisans de ce déséquilibre sont des idéologues qui voient le monde sous un rapport de domination et à travers la politique des identités. L’Occident est vu comme raciste et patriarcal et doit alors expier ses fautes. (…) le mal vient de l’intérieur, mais il est exploité de l’extérieur. Cette haine de soi est un mal typiquement occidental que certaines puissances sont ravies d’exploiter. Comme je le montre dans mon livre, les communistes chinois trouvent particulièrement commode d’être confrontés à un concurrent occidental qui ne cesse de répéter à quel point il est raciste. Pendant ce temps, le PCC peut s’en tirer notamment en envoyant au bas mot 1 million de personnes dans des camps de concentration. Par exemple, au cours d’une session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, au cours de l’été 2021, Zhao Lijian, porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois, a déclaré devant la presse internationale que le monde occidental devait faire un « examen de conscience profond » pour lutter contre le « racisme systémique » et « la discrimination raciale ». Et ce, alors qu’un certain racisme décomplexé existe en Chine… Le Parti communiste chinois transforme ainsi les faiblesses occidentales en armes. J’ai parlé à des personnes qui ont souffert des régimes de Corée du Nord, de Chine, de Russie et de bien d’autres pays, et elles sont tout simplement stupéfaites que les pays les plus libres – les nôtres, en Occident – soient les plus obsédés par cette autocritique qui mène à l’autodénigrement, au dégoût de soi et finalement à l’automutilation. Obsédés par nos fautes, nous sommes incapables de voir les atteintes aux droits de l’homme qui ont lieu dans certains pays et toute une compréhension du monde nous échappe. Douglas Murray
Il faut du sang. Yang Shangkun (président chinois,1989)
De tout ce qui est sous le Ciel, il n’est rien qui ne soit le territoire du roi. Shijing
Le parti est comme Dieu,  il est partout, mais vous ne pouvez pas le voir. Universitaire chinois
Statues of hated Chinese historical figures that are replaced when destroyed could help other countries address their controversial pasts (…) Statues of a treacherous Song dynasty politician and his wife in Hangzhou that were built for public vilification have been replaced 11 times since 1475. For Belgium, which is considering what to do with a statue of the brutal King Leopold II, simply melting it down might be letting him off too easily. In China, the most infamous purpose-built statues for public vilification were those of the Song dynasty politician Qin Hui (1090-1155) and his wife. In the epic tale of Chinese national hero Yue Fei (1103-1142), who valiantly defended the Southern Song dynasty against invasions from the Jurchen-ruled Jin dynasty, and whose loyalty to emperor and country was rewarded with treachery, betrayal and his own death, Qin was cast as the consummate villain. For abetting her husband in causing Yue’s death, Qin’s wife Madam Wang has also been hated by generations of Chinese. Statues of Qin and Wang, some of which depicted them in various states of undress, always show them kneeling in contrition. Presently, their statues can be found in about half a dozen locations in China, but the most famous ones are found in the Yue Fei Temple in Hangzhou, on the banks of the beautiful West Lake. The first pair of statues was erected here in 1475. Since then, the images of Qin and Wang have been subjected to all manner of physical abuse. At various times in the past, they were thrown into the lake or irrevocably damaged, but each time new statues reappear and the cycle of abuse resumes. The present statues, the 12th iteration, date from 1979. It’s up to the Belgians, of course, to decide what they want to do with King Leopold’s statue, but just toppling it would be letting him off too easy. South China Morning Post
De nombreux ménages pauvres ont plongé dans la pauvreté pour cause de maladie dans la famille. Certains ont recours à la foi en Jésus pour guérir leurs maladies. Mais nous avons essayé de leur dire que tomber malade est une chose physique et que les personnes qui peuvent vraiment les aider sont le Parti communiste et le secrétaire général Xi. Beaucoup de ruraux sont ignorants. Ils pensent que Dieu est leur sauveur… Après le travail de nos cadres, ils se rendent compte de leurs erreurs et pensent : nous ne devons plus compter sur Jésus, mais sur le parti pour obtenir de l’aide. (…) Nous leur avons seulement demandé de retirer les affiches [religieuses] au centre de la maison. Ils peuvent toujours les accrocher dans d’autres pièces, nous n’interférerons pas avec cela. Ce que nous exigeons, c’est qu’ils n’oublient pas la gentillesse du parti au centre de leur salon. Ce n’est pas une offre à prendre ou à laisser. Ils ont toujours la liberté de croire en la religion, mais dans leur esprit, il faut qu’ils fassent [aussi] faire confiance à notre parti. Qi Yan(président de l’assemblée populaire de Huangjinbu)
Certaines familles mettent des couplets évangéliques sur leurs portes d’entrée lors du Nouvel An lunaire,  certaines accrochent également des tableaux de la croix. Mais ils ont tous été démolis. Ils ont tous leur conviction et, bien sûr, ils n’étaient pas d’accord. Mais il n’y a pas d’issue. S’ils n’acceptent pas, ils ne recevront pas leur quote-part du fonds de lutte contre la pauvreté. Liu
Des milliers de chrétiens d’un comté pauvre du sud-est rural de la Chine ont troqué leurs affiches de Jésus contre des portraits du président Xi Jinping dans le cadre d’un programme de lutte contre la pauvreté du gouvernement local qui vise à « transformer les croyants en la religion en croyants dans le parti ». Situé sur le bord du Poyang, le plus grand lac d’eau douce de Chine, le comté de Yugan dans la province du Jiangxi est connu aussi bien pour sa pauvreté que pour sa grande communauté chrétienne. Plus de 11% de ses 1 million d’habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté officiel du pays, tandis que près de 10% de sa population est chrétienne, selon les données officielles. Mais alors que le gouvernement local redouble d’efforts pour réduire la pauvreté, de nombreux croyants ont été invités à retirer les images de Jésus, les croix et les couplets évangéliques qui forment les pièces maîtresses de leurs maisons, et à accrocher des portraits de Xi à la place – une pratique qui marque un retour à l’ère du culte de la personnalité autour du défunt président Mao Zedong, dont les portraits étaient autrefois omniprésents dans les foyers chinois. Sous Xi, le Parti communiste au pouvoir a fait de l’élimination de la pauvreté d’ici 2020 une priorité absolue. La campagne est non seulement cruciale pour l’héritage politique du dirigeant le plus puissant du pays depuis Mao, mais sert également à consolider le contrôle du parti sur les racines de la société, qui, malgré leur grand nombre, ont été largement négligées pendant les décennies de poursuite de la  croissance économique par la Chine. À Yugan, le parti officiellement athée rivalise d’influence avec le christianisme, qui s’est rapidement répandu dans les villages ruraux pauvres et les villes prospères depuis la fin de la Révolution culturelle il y a plus de 40 ans. Selon certaines estimations, les chrétiens en Chine sont maintenant plus nombreux que les 90 millions de membres du parti. Un reportage sur les réseaux sociaux locaux a rapporté ce week-end que dans le canton de Huangjinbu de Yugan, des cadres ont rendu visite à des familles chrétiennes pauvres pour promouvoir les politiques de lutte contre la pauvreté du parti et les ont aidées à résoudre leurs problèmes matériels. Les responsables ont réussi à « faire fondre la glace dure de leur cœur » et à les « faire passer de la croyance en la religion à la croyance dans le parti », indique le reportage. En conséquence, plus de 600 villageois se sont «volontairement» débarrassés des textes religieux et des peintures qu’ils avaient chez eux, et les ont remplacés par 453 portraits de Xi. L’article avait disparu lundi après-midi, mais l’existence de la campagne a été confirmée par des villageois et des responsables locaux contactés par le South China Morning Post. Qi Yan, président de l’assemblée populaire de Huangjinbu et responsable de la campagne de lutte contre la pauvreté du canton, a déclaré que la campagne était en cours dans tout le comté depuis mars. Il a déclaré qu’il visait à enseigner aux familles chrétiennes tout ce que le parti avait fait pour aider à éradiquer la pauvreté et à quel point Xi s’était soucié de leur bien-être. Il a déclaré que le gouvernement du canton avait distribué plus de 1 000 portraits de Xi, et que tous avaient été accrochés dans les maisons des habitants. Un habitant d’un autre canton de Yugan, prénommé Liu, a déclaré que ces derniers mois, nombre de ses concitoyens avaient reçu l’ordre de retirer les objets religieux de leurs maisons. (…) [Mais] Beaucoup de croyants ne l’ont pas fait volontairement. (…) Mais Qi a rejeté les allégations selon lesquelles les fonds dépendaient du retrait des affiches religieuses. (…) Sous Xi, le parti a resserré son emprise sur la liberté religieuse dans tout le pays, allant de la suppression des croix sur les églises chrétiennes de l’est de la Chine à la suppression des pratiques islamiques dans le cœur ouïghour du Xinjiang au nom de la lutte contre le terrorisme et le séparatisme. Dans le Jiangxi, outre le retrait des affiches religieuses des habitations, plusieurs croix ont été retirées des églises depuis l’été – dont celle du comté de Yugan – poursuivant la tendance amorcée dans la province du Zhejiang. South China Morning Post
Cela fait des années que nous entendons ou lisons que la Constitution chinoise interdit l’enseignement de la religion aux jeunes de moins de 18 ans. La bonne nouvelle, comme nous pouvons le constater, est que ce n’est pas vrai. La Constitution chinoise ne dit rien de tel. La mauvaise nouvelle, en revanche, est que cette interdiction figure bien dans le « Document n° 19 – Point de vue fondamental et politique relatif aux questions religieuses au cours de la période socialiste de notre pays », diffusé par le Conseil des affaires d’Etat (le gouvernement) en 1982. (…) En d’autres termes, les Chinois peuvent croire ce qu’ils veulent, mais l’Etat se réserve le droit de mettre des limites à la pratique de leur religion. Joann Pittmann
Certains articles ont rapporté que des villes et des universités avaient « interdit Noël », ce qui a attiré l’attention de certains médias étrangers. Ceux-ci ont exagéré cette information, expliquant que la Chine interdisait Noël pour des considérations politiques et pour résister à l’invasion culturelle occidentale. Les membres du Parti communiste de Chine dans les villes majeures comme Beijing et Shanghai n’ont été informés d’aucune notification interdisant Noël. Cette interdiction dans certains lieux et certaines institutions avait pour but de préserver la sécurité publique et en aucun cas de « boycotter » Noël. France.China
It is like Taliban/ISIS style of persecution against a peaceful church. It was primarily destroyed because it refused to register. Bob Fu (China Aid)
Ces dernières années, une dizaine d’églises ont été détruites dans le pays, et de nombreuses croix ont été démontées. Dans le Jiangxi, dans le sud du pays, les portraits de Jésus ont même dû être remplacés par ceux du président Xi Jinping. RFI.
Les autorités chinoises ont démoli à l’explosif la monumentale église évangélique Jindengtai, située à Linfen, dans la province du Shanxi, « dans le cadre d’une campagne municipale visant à éliminer les constructions illégales », a précisé un responsable de la ville au journal Global Times, cité par l’AFP. « Un chrétien a donné son terrain agricole à une association chrétienne locale, et ils ont construit secrètement une église, prétextant construire un entrepôt », a indiqué la source municipale, qui a ajouté que les autorités avaient fait stopper la construction du lieu de culte en 2009. À l’époque, des fidèles avaient été arrêtés, des Bibles confisquées et des leaders religieux condamnés à de longues peines de prison. « Une nuée de policiers militaires ont été mobilisés et ont réalisé la démolition grâce à une grande quantité d’explosifs placés sous l’église », s’est insurgé de son côté Bob Fu, président de China Aid, un groupe de défense des droits religieux basé aux États-Unis. « Cette persécution est digne de l’État islamique et des talibans », a-t-il même dénoncé. (…) Le pouvoir communiste de Pékin, qui redoute l’influence des organisations religieuses, les surveille de très près. La Chine, qui compterait 60 millions de chrétiens, fait partie des 50 pays qui les persécutent le plus dans le monde, selon l’index 2018 de l’ONG Portes ouvertes. Valeurs actuelles
Les hommes des Lumières remettaient tout en cause dans la société européenne ; rien dans la société chinoise. Leur esprit critique, si aigu d’un côté, s’émoussait de l’autre. Le paradis raisonnable de la Chine athée leur permettait de dénoncer l’enfer de l’Europe soumise à l’Infâme” – au clergé. Ainsi comptèrent-ils pour rien les cruautés des empereurs, les séismes des changements de dynastie, les autodafés de livres, les supplices d’opposants, les rébellions toujours renaissantes et toujours noyées dans le sang. Alain Peyrefitte (1989)
La nouvelle guerre froide est créée en très grande majorité par les États-Unis. À partir de 2015 environ, les responsables néoconservateurs de la politique étrangère américaine ont conclu que l’hégémonie américaine était menacée par la montée en puissance de la Chine. Depuis lors, le gouvernement américain a mis en place un ensemble croissant d’outils – barrières commerciales, sanctions, contrôles des exportations, contrôle des investissements et nouvelles alliances militaires en Asie – pour tenter de « contenir » la Chine. Cette approche pourrait conduire à une guerre pure et simple, par exemple à propos de Taïwan. Les États-Unis tentent d’enrôler l’Europe dans leur effort pour contenir la Chine. Pourtant, l’intérêt profond de l’Europe n’est pas l’hégémonie américaine, mais plutôt un véritable ordre multilatéral dans lequel l’Europe et la Chine jouent toutes deux des rôles actifs et responsables – tout comme les États-Unis, bien sûr. L’Europe devrait donc résister à la nouvelle guerre froide menée par les États-Unis et poursuivre à la place des relations diplomatiques, économiques et financières actives avec la Chine. (…) Et l’opinion selon laquelle la Chine représente une grave menace pour la sécurité des États-Unis est alarmiste. Oui, la Chine est un pays grand et puissant, mais pas un pays intrinsèquement militariste ou belliqueux. La Chine n’a pas mené une seule guerre au cours des 40 dernières années, tandis que les États-Unis ont mené d’innombrables (et apparemment perpétuels) conflits. (…) Les États-Unis devraient cesser de jouer sur la peur, s’engager dans une diplomatie renforcée, rester attachés à la politique d’une seule Chine, cesser de provoquer un affrontement à propos de Taïwan et mettre fin aux mesures commerciales, technologiques et financières unilatérales qui entravent l’économie chinoise. La Chine devrait elle aussi s’engager avec les États-Unis et l’Union européenne dans une diplomatie renforcée, pour résoudre les problèmes d’intérêt commun. Je crois que la Chine est tout à fait prête à le faire. (…) Cette guerre [de Poutine avec l’Ukraine] aurait pu être évitée si les États-Unis n’avaient pas poussé à l’élargissement de l’Otan à l’Ukraine et à la Géorgie, et n’avaient pas participé au renversement de Viktor Ianoukovitch en 2014. La France et l’Allemagne auraient également dû pousser l’Ukraine à se conformer aux accords de Minsk II. Il y a déjà plusieurs centaines de milliers de morts en Ukraine à cause de cette guerre. Si l’Ukraine tente de reprendre la Crimée, je pense que nous assisterons à une escalade massive, voire à une guerre nucléaire. L’idée que l’Ukraine vaincra la Russie est un pari imprudent sur l’apocalypse. Les États-Unis et les Ukrainiens auraient dû signer la neutralité de l’Ukraine, le contrôle de facto de la Russie sur la Crimée et la mise en œuvre des accords de Minsk II. Au lieu de cela, ils parient imprudemment sur la victoire militaire contre un pays qui a 1 600 armes nucléaires. (…) Dans les deux cas [de l’origine de la pandémie et du sabotage de Nord Stream], le gouvernement américain maintient et manipule un récit invraisemblable, et le fait avec une acceptation remarquable en Europe. Sur le Covid-19, il est clair que les États-Unis ont financé des recherches très dangereuses en Chine basées sur la manipulation génétique avancée de virus de la famille du Sars. Et il est également clair que le gouvernement américain a refusé d’enquêter sur ses propres programmes de recherche qui auraient pu contribuer à la création du Sars-CoV-2. Au lieu de cela, le gouvernement américain a encouragé l’histoire scientifiquement faible d’une épidémie « naturelle » sur le marché de Huanan, à Wuhan. Sur Nord Stream, Joe Biden a promis le 7 février que si la Russie envahissait l’Ukraine, Nord Stream serait terminé. Lorsqu’on lui a demandé comment les États-Unis feraient cela, il a répondu : « Je vous promets que nous serons en mesure de le faire. » Même la Suède cache les résultats de son enquête sur Nord Stream à l’Allemagne et au Danemark, au nom de la sécurité nationale ! Je crois que les dirigeants européens savent que les États-Unis et d’autres alliés ont fait cela, mais ils ne commenteront ou n’expliqueront tout simplement pas la vérité au public. Nous ne savons pas avec certitude que le Sars-CoV-2 est venu d’un laboratoire et que les États-Unis ont fait sauter le pipeline, mais nous savons que le public n’a pas encore été informé des faits réels concernant ces deux cas. Jeffrey Sachs
Pourquoi l’Union soviétique s’est-elle désintégrée ? Pourquoi le Parti communiste soviétique s’est effondré ?  Une raison importante était que leurs idéaux et leurs convictions vacillaient. Finalement, il a suffi d’un mot silencieux de Gorbatchev pour déclarer la dissolution du Parti communiste soviétique, et un grand parti a disparu. En fin de compte, personne ne s’est comporté en homme, personne n’a osé résister. Xi Jinping
L’épidémie est un démon. Nous ne permettrons pas au démon de rester caché. Xi Jinping
Si vous vivez en Chine, peu importe la taille de votre domicile, ce n’est qu’une sorte de cellule, un substitut de prison. Les méthodes carcérales de ce pouvoir totalitaire sont bien pires que l’épidémie. La Chine tout entière n’est qu’une grande prison d’où sont exclues toute information et toute pensée. Chaque coin de rue, chaque station de métro pullule de caméras et de policiers, et il n’existe aucun endroit où l’on puisse se rencontrer et communiquer librement. Les gens traitent donc leurs amis et voisins comme des virus dont ils doivent se garder. (…) Je repense aux cinq dieux des épidémies qui sont vénérés en Chine depuis des millénaires. Cinq démons à l’origine, qui régissaient les saisons et leurs terrifiants maux respectifs. Selon la légende, les anciens ont dompté ces esprits pernicieux, les ont transformés en divinités, les « cinq commissaires des miasmes », et les ont placés dans des temples où l’on pouvait, en leur faisant des offrandes, obtenir leur protection contre les maladies. Le démon qui contrôlait les maux du printemps s’appelait Zhang Yuanbo. Le Covid s’étant déclaré au printemps, à Wuhan comme à Shanghai, le dieu des miasmes du printemps s’appelle aujourd’hui Xi Jinping : Xi est devenu un démon maléfique qui, tout comme Zhang Yuanbo, devrait être dompté. (…) Tout comme en 1958, lors du Grand Bond en avant, quand Mao Zedong a ordonné aux Chinois d’exterminer les moineaux accusés de picorer les semences. La stratégie « zéro moineaux » a été couronnée de succès, mais à quel prix : les insectes se sont multipliés, entraînant une catastrophe écologique. C’est le modèle institutionnel du Parti communiste chinois, Xi Jinping a juste remplacé les moineaux par le Covid. Le bouclage intégral de Shanghai signe en réalité une défaite pour Xi Jinping. Il y a deux ans, il avait ordonné la fermeture totale du pays tout en maintenant les vols internationaux, et ainsi permis au virus de se propager dans le monde. Cette fois, il voulait empêcher le retour en Chine du virus qui avait pourtant perdu en virulence. Quoi que fasse le dieu de la peste Xi, il montre que les virus dictatoriaux sont plus dangereux que les virus de chauve-souris. Les potentats sont bien incapables de contrôler la diffusion des maladies contagieuses, mais contrôlent parfaitement la transmission de la vérité. Il suffit que leurs propres virus se dissolvent dans un mensonge pour se glisser dans les esprits des personnes qui ne connaissent pas la vérité. Tout comme une balle ne tue que lorsqu’elle a été insérée dans le barillet d’un revolver. Xi Jinping est un dieu de la peste qui brandit un « pistolet à mensonges ». S’il n’avait pas tout fait pour dissimuler la vérité au moment où le coronavirus a surgi à Wuhan, sa propagation aurait pu être contenue, comme cela a été le cas pour le virus Ebola. A l’ère de la mondialisation, le camouflage de la vérité sur l’épidémie a eu comme conséquence que le monde entier est devenu un grand Wuhan. Absolument aucune ville n’y a échappé. A Londres, où je suis exilé, quatre membres de ma famille ont été contaminés. 160 millions de personnes dans le monde ont été infectées, des millions sont mortes. Malgré ce coût écrasant en vies humaines, nous ne connaissons toujours pas le vrai visage du fléau dissimulé sous des mensonges politiques. Cette vérité est entre les mains du commandant en chef de la peste, Xi Jinping. Mais la Chine sous le joug communiste est un pays sans vérité. Du massacre d’étudiants sur la place Tiananmen en 1989 à l’emprisonnement de millions de personnes dans les camps de concentration du Xinjiang, la vérité est toujours cachée. Les responsables des démocraties européennes devraient savoir que laisser ces mensonges se diffuser revient à tuer la vérité une deuxième fois. Et qu’oublier les victimes de ces mensonges nous rend incapables de nous en protéger. Nous vivons en un temps qui a perdu le sens du bien et du mal, réduits à assister en spectateurs aux assauts de cette calamiteuse machine à fabriquer des « mensonges rouges » contre nos vies et nos libertés. Nous sommes en 2022, mais nous nous sommes rapprochés du « 1984 » d’Orwell. Ce n’est pas seulement en Chine, à Hongkong ou au Xinjiang que l’on voit, sous l’effet du totalitarisme, le désir de changement social peu à peu remplacé par l’attrait pour le fric et le besoin de sécurité. L’espèce humaine tout entière est en train de s’engourdir et ne sait plus distinguer le vrai du faux. A cause de ce flou, dans de nombreux pays, il n’est même pas possible de vacciner la population. Et il y a tant de personnes qui développent des anticorps contre les droits humains et la démocratie, et s’habituent à vivre en symbiose avec le virus totalitaire. Car oui, trente-trois ans après le massacre de la place Tiananmen, les gens évitent de parler du carnage qui a eu lieu sur cette place, et c’est là une victoire du mensonge. L’Union européenne a même ouvert un boulevard au régime de Xi Jinping en lui permettant de faire miroiter le « rêve chinois » aux yeux de la planète. Pendant ce temps, le Covid né à Wuhan se propageait, entraînant une hécatombe des millions de fois supérieure au massacre de Tiananmen. Oui, il y a trente-trois ans, les démocraties ont vu tomber le mur de Berlin et tout le monde a cru que le communisme s’était éteint avec le XXe siècle. Mais le plus grand Parti communiste du monde, le PC chinois, n’est pas tombé ; il a envoyé 200 000 soldats réprimer le mouvement pro-démocratie sur la place Tiananmen, après quoi il a nettoyé les taches de sang, rebouché les trous laissés par les balles sur les monuments de la place, et imprégné de mensonges le cerveau de 1,3 milliard de personnes. Et le PC chinois est devenu, sous le manteau, le protecteur de Poutine et de Kim troisième du nom. Avec ses « gènes » communistes et sa pensée restée bloquée à l’époque de l’empire soviétique, Poutine est naturellement devenu un pion dans le jeu du prince rouge Xi Jinping. Ces deux dictateurs unissent désormais leurs forces en vue de dominer le monde. L’invasion de l’Ukraine montre quelle est l’ambition de Poutine. Et comment Xi Jinping manœuvre. Aujourd’hui comme il y a trente-trois ans, les pays démocratiques doivent se battre contre ces deux super-hégémons rouges. Oui, après trente-trois ans de mensonges, on finit par penser que la vérité est elle aussi indigne de confiance. Après Tiananmen, la Chine communiste s’est lancée dans le développement capitalistique, devenant vite le nouveau Big Brother. Aujourd’hui, elle ne cache plus son désir d’écraser les démocraties afin de réaliser le « rêve chinois » – la domination de l’Empire rouge sur le monde. Le virus du rêve chinois, tout comme le coronavirus de Wuhan, a besoin de se transmettre pour survivre et se perpétuer. Pour ce faire, la Chine est devenue une boîte de Pandore qui produit sans trêve des mutations et contamine tous les pays. Face à elle, nous ne sommes plus que des prisonniers enfermés dans un labyrinthe de mensonges, contraints à aspirer ses miasmes. Oui, si le Parti communiste chinois s’était désintégré en même temps que les régimes communistes de l’Est, et si les responsables politiques occidentaux ne s’étaient pas empressés d’oublier le massacre qui a eu lieu à Pékin en 1989, la pandémie qui se promène aujourd’hui dans l’air que nous respirons n’existerait pas. Mais le Parti communiste chinois a profité du Covid pour démolir à nouveau la statue de la Liberté qui avait été érigée sur Tiananmen : il a abattu le phare de liberté qu’était Hongkong. Et on a revu les mêmes scènes qu’il y a trente-trois ans : des étudiants et des enseignants en grève de la faim pour défendre la démocratie et la liberté ; des étudiantes ligotées, écrasées sous les bottes de la police militaire ; des mamies aux cheveux blancs tentant de raisonner les policiers ; des danseuses et des chanteuses se battant jusqu’à la mort… Le dieu des miasmes Xi a décrété que la vérité était « fake ». Et nous des « mensonges » qu’il veut effacer. Aujourd’hui, les Ukrainiens meurent sous les bombes de Poutine, les habitants du Xinjiang sont emprisonnés et « rééduqués » par Xi Jinping, les Taïwanais risquent à tout moment l’invasion. Ces deux dictateurs sont en train de propager une épidémie sanglante, ouvrant une époque où le glas sonne tous les jours. Souvenons-nous du poète anglais John Donne qui a écrit au tournant des XVIe et XVIIe siècles :« Nul homme n’est une île, entière en elle-même ; tout homme est un morceau du continent, une partie de l’ensemble. […] La mort de tout homme me diminue, parce que je fais partie du genre humain, aussi n’envoie jamais demander pour qui sonne le glas ; il sonne pour toi. » Quand pourrons-nous sonner le glas des dictateurs qui répandent la peste ? Notre inquiétude au XXIe siècle, c’était que la technologie, l’internet et les divertissements bouleversent trop la société, que nos enfants regardent trop la télévision et jouent trop aux jeux vidéo. Nous étions loin de nous douter que la peste rouge venue de Chine allait surgir dans nos vies, prendre la vie de nos amis et de nos proches, puis s’atteler à « purifier » nos esprits, effacer notre conscience, nos valeurs, transformer nos façons de communiquer, de nous déplacer, nos services publics et notre vie culturelle, comme elle l’a fait à Wuhan ou à Shanghai. La civilisation politique de l’Europe est d’ores et déjà endommagée. Allons-nous continuer à regarder sans réagir les moines tibétains s’immoler l’un après l’autre, les habitants du Xinjiang, des personnes âgées aux enfants, être jetés dans des camps de concentration, leurs familles être détruites, et mes amis écrivains de Hongkong être arrêtés et disparaître les uns après les autres ? Je prie pour que, quand la grande souffrance du Covid prendra fin, les pays démocratiques auront réussi à construire une cage indestructible et y auront enfermé les dieux des miasmes. Que le rêve chinois du démon de la peste Xi reste à jamais un rêve. Ou qu’il soit enfermé, en compagnie de milliers d’autres virus, dans le laboratoire de Wuhan construit avec l’aide des Français. Allons-nous laisser la civilisation humaine régresser et tomber dans le piège du rêve chinois ? Ma Jian
La publication d’un manuel scolaire contenant une histoire biblique déformée et détournée a suscité la colère parmi les fidèles de la communauté catholique en Chine continentale. Le manuel en question a été publié pour enseigner « l’éthique professionnelle et le respect de la loi ». Le manuel scolaire, publié par le service d’édition de l’Université des sciences et technologies électroniques de Chine, qui dépend du gouvernement, contient un texte évoquant le récit de Jésus et de la femme adultère pardonnée. Dans la publication, le récit évangélique (Jean 8, 1-11) est déformé et affirme que Jésus Christ a lapidé une femme pécheresse afin de respecter la loi de son temps. Le texte reprend le passage décrivant la foule voulant lapider une femme selon la loi, et Jésus leur répondant « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre ». Pourtant, la fin du récit diffère radicalement, le texte ajoutant qu’une fois la foule dispersée, Jésus se serait mis à lapider la femme à mort en ajoutant « Moi aussi je suis pécheur, mais si la loi ne devait être exécutée que par des hommes sans faute, la loi serait vaine ». Un paroissien a publié le passage en question sur les réseaux sociaux, en dénonçant la falsification d’un texte biblique à des fins politiques comme une insulte à l’Église catholique. (…) Mathew Wang, un enseignant chrétien dans une école professionnelle, confirme le contenu du texte controversé, tout en ajoutant que la publication exacte varie selon les lieux en Chine. Mathew Wang précise que le texte publié par le manuel scolaire a été relu par le Comité de contrôle des manuels scolaires pour l’éducation morale, dans le cadre de l’enseignement professionnel dans le secondaire. Il déplore que les auteurs aient utilisé un tel exemple erroné pour justifier les lois socialistes chinoises. Selon certains catholiques chinois, les auteurs du manuel auraient voulu souligner que la loi est sacrée en Chine, et que son respect absolu est essentiel. Missions étrangères
Nous avons assez remarqué ailleurs combien il est téméraire et maladroit de disputer à une nation telle que la chinoise ses titres authentiques. Nous n’avons aucune maison en Europe dont l’antiquité soit aussi bien prouvée que celle de l’empire de la Chine. (…) Laissez tous les lettrés chinois, tous les mandarins, tous les empereurs reconnaître Fo-hi pour un des premiers qui donnèrent des lois à la Chine, environ deux mille cinq ou six cents ans avant notre ère vulgaire. Convenez qu’il faut qu’il y ait des peuples avant qu’il y ait des rois. Convenez qu’il faut un temps prodigieux avant qu’un peuple nombreux, ayant inventé les arts nécessaires, se soit réuni pour se choisir un maître. Si vous n’en convenez pas, il ne nous importe. Nous croirons toujours sans vous que deux et deux font quatre. Dans une province d’Occident, nommée autrefois la Celtique, on a poussé le goût de la singularité et du paradoxe jusqu’à dire que les Chinois n’étaient qu’une colonie d’Égypte (…) Les Égyptiens allumaient des flambeaux quelquefois pendant la nuit ; les Chinois allument des lanternes : donc les Chinois sont évidemment une colonie d’Égypte. (…) Confutzée, nommé parmi nous Confucius (…) ne faisait point le prophète ; il ne se disait point inspiré ; il n’enseignait point une religion nouvelle ; il ne recourait point aux prestiges ; il ne flatte point l’empereur sous lequel il vivait, il n’en parle seulement pas. C’est enfin le seul des instituteurs du monde qui ne se soit point fait suivre par des femmes. J’ai connu un philosophe qui n’avait que le portrait de Confucius dans son arrière-cabinet (…) J’ai lu ses livres avec attention ; j’en ai fait des extraits ; je n’y ai trouvé que la morale la plus pure, sans aucune teinture de charlatanisme. Il vivait six cents ans avant notre ère vulgaire. Ses ouvrages furent commentés par les plus savants hommes de la nation.  (…) Ce n’est pas ici la peine d’opposer le monument de la grande muraille de la Chine aux monuments des autres nations, qui n’en ont jamais approché ; ni de redire que les pyramides d’Égypte ne sont que des masses inutiles et puériles en comparaison de ce grand ouvrage ; ni de parler de trente-deux éclipses calculées dans l’ancienne chronique de la Chine, dont vingt-huit ont été vérifiées par les mathématiciens d’Europe ; ni de faire voir combien le respect des Chinois pour leurs ancêtres assure l’existence de ces mêmes ancêtres ; ni de répéter au long combien ce même respect a nui chez eux aux progrès de la physique, de la géométrie, et de l’astronomie. (…) Mais on peut être un fort mauvais physicien et un excellent moraliste. Aussi c’est dans la morale et —dans l’économie politique, dans l’agriculture, dans les arts nécessaires, que les Chinois se sont perfectionnés. Nous leur avons enseigné tout le reste ; mais dans cette partie nous devions être leurs disciples. Humainement parlant, et indépendamment des services que les jésuites pouvaient rendre à la religion chrétienne, n’étaient-ils pas bien malheureux d’être venus de si loin porter la discorde et le trouble dans le plus vaste royaume et le mieux policé de la terre ? Et n’était-ce pas abuser horriblement de l’indulgence et de la bonté des peuples orientaux, surtout après les torrents de sang versés à leur occasion au Japon ? scène affreuse dont cet empire n’a cru pouvoir prévenir les suites qu’en fermant ses ports à tous les étrangers. (…) L’empereur céda bientôt après aux cris de la Chine entière ; on demandait le renvoi des jésuites, comme depuis en France et dans d’autres pays on a demandé leur abolition. Tous les tribunaux de la Chine voulaient qu’on les fît partir sur-le-champ pour Macao, qui est regardé comme une place séparée de l’empire, et dont on a laissé toujours la possession aux Portugais avec garnison chinoise. Yong-tching eut la bonté de consulter les tribunaux et les gouverneurs, pour savoir s’il y aurait quelque danger à faire conduire tous les jésuites dans la province de Kanton. En attendant la réponse il fit venir trois jésuites en sa présence, et leur dit ces propres paroles, que le P. Parennin rapporte avec beaucoup de bonne foi : « Vos Européans dans la province de Fo-Kien voulaient anéantir nos lois, et troublaient nos peuples ; les tribunaux me les ont déférés ; j’ai dû pourvoir à ces désordres ; il y va de l’intérêt de l’empire… Que diriez-vous si j’envoyais dans votre pays une troupe de bonzes et de lamas prêcher leur loi? »  (….) On abattit leurs maisons et leurs églises dans toutes les autres provinces. Enfin les plaintes contre eux redoublèrent. Ce qu’on leur reprochait le plus, c’était d’affaiblir dans les enfants le respect pour leurs pères, en ne rendant point les honneurs dus aux ancêtres ; d’assembler indécemment les jeunes gens et les filles dans les lieux écartés qu’ils appelaient églises ; de faire agenouiller les filles entre leurs jambes, et de leur parler bas en cette posture. Rien ne paraissait plus monstrueux à la délicatesse chinoise. L’empereur Yong-tching daigna même en avertir les jésuites ; après quoi il renvoya la plupart des missionnaires à Macao, mais avec des politesses et des attentions dont les seuls Chinois peut-être sont capables. (…) Le célèbre Wolf, professeur de mathématiques dans l’université de Hall, prononça un jour un très-bon discours à la louange de la philosophie chinoise ; il loua cette ancienne espèce d’hommes, qui diffère de nous par la barbe, par les yeux, par le nez, par les oreilles, et par le raisonnement ; il loua, dis-je, les Chinois d’adorer un Dieu suprême, et d’aimer la vertu ; il rendait cette justice aux empereurs de la Chine, aux colaos, aux tribunaux, aux lettrés. (…) Il ne faut pas être fanatique du mérite chinois : la constitution de leur empire est à la vérité la meilleure qui soit au monde ; la seule qui soit toute fondée sur le pouvoir paternel ; la seule dans laquelle un gouverneur de province soit puni quand, en sortant de charge, il n’a pas eu les acclamations du peuple ; la seule qui ait institué des prix pour la vertu, tandis que partout ailleurs les lois se bornent à punir le crime ; la seule qui ait fait adopter ses lois à ses vainqueurs, tandis que nous sommes encore sujets aux coutumes des Burgundiens, des Francs et des Goths, qui nous ont domptés. Mais on doit avouer que le petit peuple, gouverné par des bonzes, est aussi fripon que le nôtre ; qu’on y vend tout fort cher aux étrangers, ainsi que chez nous ; que dans les sciences, les Chinois sont encore au terme où nous étions il y a deux cents ans ; qu’ils ont comme nous mille préjugés ridicules ; qu’ils croient aux talismans, à l’astrologie judiciaire, comme nous y avons cru longtemps. (…)  mais tout cela n’empêche pas que les Chinois, il y a quatre mille ans, lorsque nous ne savions pas lire, ne sussent toutes les choses essentiellement utiles dont nous nous vantons aujourd’hui. La religion des lettrés, encore une fois, est admirable. Point de superstitions, point de légendes absurdes, point de ces dogmes qui insultent à la raison et à la nature, et auxquels des bonzes donnent mille sens différents, parce qu’ils n’en ont aucun. Le culte le plus simple leur a paru le meilleur depuis plus de quarante siècles. Ils sont ce que nous pensons qu’étaient Seth, Énoch et Noé ; ils se contentent d’adorer un Dieu avec tous les sages de la terre, tandis qu’en Europe on se partage entre Thomas et Bonaventure, entre Calvin et Luther, entre Jansénius et Molina. Voltaire
La Chine, autrefois entièrement ignorée, longtemps ensuite défigurée à nos yeux, et enfin mieux connue de nous que plusieurs provinces d’Europe, est l’empire le plus peuplé, le plus florissant et le plus antique de l’univers (…) On nous assure encore que cette vaste étendue de pays n’est point gouvernée despotiquement, mais par six tribunaux principaux qui servent de frein à tous les tribunaux inférieurs. La religion y est simple, et c’est une preuve incontestable de son antiquité. Il y a plus de quatre mille ans que les empereurs de la Chine sont les premiers pontifes de l’empire ; ils adorent un Dieu unique, ils lui offrent les prémices d’un champ qu’ils ont labouré de leurs mains. (…) Cette religion de l’empereur, de tous les colaos, de tous les lettrés, est d’autant plus belle qu’elle n’est souillée par aucune superstition. Toute la sagesse du gouvernement n’a pu empêcher que les bonzes ne se soient introduits dans l’empire, de même que toute l’attention du maître-d’hôtel ne peut empêcher que les rats ne se glissent dans les caves et dans les greniers. L’esprit de tolérance, qui faisait le caractère de toutes les nations asiatiques, laissa les bonzes séduire le peuple ; mais, en s’emparant de la canaille, on les empêcha de la gouverner. On les a traités comme on traite les charlatans : on les laisse débiter leur orviétan dans les places publiques ; mais s’ils ameutent le peuple, ils sont pendus. Les bonzes ont été tolérés et réprimés. L’empereur Kang-hi avait accueilli avec une bonté singulière les bonzes jésuites ; ceux-ci, à la faveur de quelques sphères armillaires, des baromètres, des thermomètres, des lunettes, qu’ils avaient apportés d’Europe, obtinrent de Kang-hi la tolérance publique de la religion chrétienne. On doit observer que cet empereur fut obligé de consulter les tribunaux, de les solliciter lui-même, et de dresser de sa main la requête des bonzes jésuites pour leur obtenir la permission d’exercer leur religion : ce qui prouve évidemment que l’empereur n’est point despotique, comme tant d’auteurs mal instruits l’ont prétendu, et que les lois sont plus fortes que lui. Les querelles élevées entre les missionnaires rendirent bientôt la nouvelle secte odieuse. Les Chinois, qui sont gens sensés, furent étonnés et indignés que des bonzes d’Europe osassent établir dans leur empire des opinions dont eux-mêmes n’étaient pas d’accord ; les tribunaux présentèrent à l’empereur des mémoires contre tous ces bonzes d’Europe et surtout contre les jésuites, ainsi que nous avons vu depuis peu les parlements de France requérir et ensuite ordonner l’abolition de cette société. (…) ces bonzes, sous prétexte de religion, faisaient un commerce immense, qu’ils prêchaient une doctrine intolérante ; qu’ils avaient été l’unique cause d’une guerre civile au Japon, dans laquelle il était péri plus de quatre cent mille âmes ; qu’ils étaient les soldats et les espions d’un prêtre d’Occident, réputé souverain de tous les royaumes de la terre ; que ce prêtre avait divisé le royaume de la Chine en évêchés ; qu’il avait rendu des sentences à Rome contre les anciens rites de la nation, et qu’enfin, si l’on ne réprimait pas au plus tôt ces entreprises inouïes, une révolution était à craindre. Voltaire
Sans éblouir le monde, éclairant les esprits, il ne parla qu’en sage, et jamais en prophète ; cependant on le crut, et même en son pays. Voltaire (sur Confucius)
Confucius : d’autant plus grand qu’il ne fut point prophète, car qui est envoyé de Dieu doit l’être pour les deux hémisphères. Voltaire
Confucius ne recommande que la vertu ; il ne prêche aucun mystère […] pour apprendre à gouverner il faut passer tous ses jours à se corriger. Voltaire
L’empereur est, de temps immémorial, le premier pontife : c’est lui qui sacrifie au Tien, au souverain du ciel et de la terre. Il doit être le premier philosophe, le premier prédicateur de l’empire : ses édits sont presque toujours des instructions et des leçons de morale. Voltaire
L’Empereur nous apparaît ainsi comme le juge universel du bien et du mal (…), en lui se réalise l’étroite union de la politique, de la morale et de la religion, principe fondamental du gouvernement chinois ; il est véritablement le Fils du Ciel, et son omnipotence absolue et sacrée provient de ce qu’il est le mandataire du Ciel sur la terre. Edouard Chavannes (1904 )
Le feu sacré est étranger également au formidable ramassis de préjugés gauchistes, tiers-mondistes, multiculturalistes, politiquement corrects, etc. ; qui, depuis les années soixante, ont pris le relais des anciennes excuses pour ligoter plus que jamais la recherche, au nom de la protection dont les civilisations non occidentales, même défuntes, auraient besoin, face à l’impérialisme occidental. Passer son temps à déblatérer l’impérialisme, c’est se donner plus d’importance politique que nous en avons. Tous les mouvements gauchistes minimisent les violences archaïques pour protéger ce qu’on ne peut guère appeler autrement que la “vanité culturelle” des sociétés défavorisées, pas plus respectable en fin de compte que la vanité des peuples privilégié. René Girard 
Le Père Noël a été sacrifié en holocauste. A la vérité le mensonge ne peut réveiller le sentiment religieux chez l’enfant et n’est en aucune façon une méthode d’éducation. Cathédrale de Dijon (communique de presse aux journaux, le 24 décembre 1951)
Comme ces rites qu’on avait cru noyés dans l’oubli et qui finissent par refaire surface, on pourrait dire que le temps de Noël, après des siècles d’endoctrinement chrétien, vit aujourd’hui le retour des saturnales. André Burguière
Grâce à l’autodafé de Dijon, voici donc le héros reconstitué avec tous ses caractères, et ce n’est pas le moindre des paradoxes de cette singulière affaire qu’en voulant mettre fin au Père Noël, les ecclésiastiques dijonnais n’aient fait que restaurer dans sa plénitude, après une éclipse de quelques millénaires, une figure rituelle dont ils se sont ainsi chargés, sous prétexte de la détruire, de prouver eux-mêmes la pérennité. (…)La croyance où nous gardons nos enfants que leurs jouets viennent de l’au-delà apporte un alibi au secret mouvement qui nous incite, en fait, à les offrir à l’au-delà sous prétexte de les donner aux enfants […] Les cadeaux de Noël restent un sacrifice véritable à la douceur de vivre, laquelle consiste d’abord à ne pas mourir. (…) Les cadeaux seraient donc une prière adressée aux petits enfants – incarnation traditionnelle des morts, pour qu’ils consentent, en croyant au Père Noël, « à nous aider à croire en la vie ». Claude Lévi-Strauss
Nous avons mis en ligne des e-mails jusqu’alors inédits, montrant que le Dr Fauci a dissimulé des informations à propos d’une origine du Covid-19 en provenance du laboratoire de Wuhan, et intentionnellement minimisé la thèse d’une fuite de laboratoire. Parti républicain américain
En développant massivement un programme de modification des conditions météorologiques, le pays pourra, d’ici 2025, infléchir la météo grâce aux avancées spectaculaires de la recherche en matière « d’ensemencement » des nuages, rapporte CNN. Si cette technologie n’est pas nouvelle, l’ampleur du programme impressionne : la zone concernée couvrira une surface de 5,5 millions de kilomètres carrés, soit une fois et demi la superficie de l’Inde. Le concept d’ensemencement des nuages, déjà connu, consiste à injecter de petites quantités d’iodure d’argent dans les nuages qui comportent un taux d’humidité élevé, ce qui provoque la condensation des particules, puis des précipitations. Pékin est familière de cette technologie, utilisée notamment lors des JO de 2008 pour assurer un ciel dégagé pendant les épreuves sportives, ou encore lors des grandes exhibitions politiques dans la capitale. À l’heure où le dérèglement climatique menace, la maîtrise de cette technologie permettrait à la Chine de préserver ses régions agricoles des chutes de grêle, de lutter plus efficacement contre les grands feux de forêt, ou encore de parer aux périodes de sécheresse. L’année dernière, l’agence de presse chinoise Chine nouvelle annonçait en effet que la manipulation météorologique avait permis de réduire de 70% les dommages provoqués par la grêle sur les cultures dans le Xinjiang. Cette technologie a toutefois nécessité un investissement massif de la part du gouvernement chinois qui a, au total, déboursé pas moins de 1,34 milliard de dollars entre 2012 et 2017. Cet engouement fait cependant tiquer certains pays, comme l’Inde justement. Les deux pays, qui partagent une frontière le long de l’Himalaya, s’y étaient confrontés lors de violents heurts en juin 2020. L’Inde se demande depuis plusieurs années si la modification météorologique et les chutes de neige artificielles ne pourraient pas donner l’ascendant à la Chine en cas de conflit futur dans cette zone montagneuse où les mouvements de troupes sont essentiels. Capital
Nous avions déjà connu dans les années précédentes des demandes pour retirer les sapins de Noël, car ce serait un signe ostentatoire. Je trouve la décision du tribunal très agressive vis-à-vis du président du conseil général, surtout en Vendée. Bientôt, il faudra supprimer le mot Dieu de tout notre vocabulaire. C’est un peu insensé. Il faut arrêter les provocations. (…Toutes les mairies mettent des sapins de Noël partout. Ou alors on décide d’enlever toutes les églises du pays, car c’est aussi un signe ostentatoire religieux. Il faut arrêter de répondre à quelques babas cool écervelés à un moment où tout ça est très crispant dans la société. On prend la décision de retirer une crèche juste avant Noël, alors que cette fête est uniquement féérique. Ça n’a rien à voir avec la religion. On devrait se demander si on supprime Noël dans ce cas. La connerie n’a pas de limites… (…) Il faut du discernement. C’est ça le vivre ensemble. La réponse du ministre de l’Intérieur à une question écrite en mars 2007 l’explique tout a fait. (NDLR : à une question de Jean-Luc Mélenchon, alors sénateur, au sujet d’une crèche installée par une mairie, le ministère de l’Intérieur, dirigé à l’époque par Nicolas Sarkozy, répond que « le principe de laïcité n’impose pas aux collectivités territoriales de méconnaître les traditions issues du fait religieux qui, sans constituer l’exercice d’un culte, s’y rattachent néanmoins de façon plus ou moins directe. Tel est le cas de la pratique populaire d’installation de crèches, apparue au XIIIe siècle. Tel est le cas aussi de la fête musulmane de l’Aïd-el-Adha ».) Sans discernement, on supprime tout. L’Hôtel-Dieu doit changer de nom dans ce cas… Les musulmans ne le demandent même pas. Ceux qui demandent cela sont des ramassis de gens hors-sol et anti-calotin. Il ne faut pas y céder. (…) C’est une erreur. C’est souffler sur des braises. (…) au moment où les chrétiens sont martyrisés dans une partie du monde, je crois qu’il faut arrêter. On ne va pas brûler les minarets et faire sauter les synagogues. Arrêtons les bêtises. Noël, c’est féérique et je crois qu’on doit croire au Père-Noël le plus longtemps possible. Pierre Charon (sénateur UMP de Paris)
Le Parti, la politique, le militaire, le civil, l’université, l’Est, l’Ouest, le Sud, le Nord et le Centre, le Parti dirige tout. Mao Zedong
Pourquoi l’Union soviétique s’est-elle désintégrée ? Pourquoi le Parti communiste soviétique s’est effondré ? Une raison importante était que leurs idéaux et leurs convictions vacillaient. Finalement, il a suffi d’un mot silencieux de Gorbatchev pour déclarer la dissolution du Parti communiste soviétique, et un grand parti a disparu. En fin de compte, personne ne s’est comporté en homme, personne n’a osé résister. Xi Jinping
President Xi Jinping managed to offend Buddhists more deeply through his visit in Hebei last week than he did when visiting Tibet in July, in a trip that was mostly devoted to geopolitical issues and the question of water. That Xi Jinping’s visit to Chengde, in Hebei province, on August 24 did not create an international scandal only proves how easily history, including history of genocides, is forgotten. In fact, the Chinese president visited and honored a temple built to commemorate a genocide. The Puning Temple in Chengde is inextricably connected with the 18th-century extermination of the Dzungar Buddhists, which virtually all non-Chinese historians recognize as genocide. The Dzungars were a confederation of Mongol tribes that converted to Buddhism and established a powerful Khanate in the 17th century in present-day Xinjiang. The beautiful temples and monasteries they built there were all destroyed during the Cultural Revolution. Tibetans do not have a good memory of the Dzungars. Although the Fifth Dalai Lama and the founder of the Dzungar Khanate, Erdenu Batur, were allies, by the 18th century the Khanate had become so powerful that they invaded Tibet and conquered and looted Lhasa in 1717. The Tibetans, perhaps making a mistake justified by their difficult predicament, called the Chinese for help. The Dzungars defeated the Chinese army in 1718 (something the Chinese never forgot), but a second Chinese expedition was more successful, and the Dzungars were expelled from Tibet in 1720. The defeat of 1718 was avenged in 1755, when China moved decisively to annihilate the Dzungar Khanate and exterminate the Dzungar people. Between 500,000 and 800,000 Dzungars (650,000 being the figure advanced by some recent historians) were killed, men, women, and children. Only a few thousand descendants from the Dzungars survive in present-day Mongolia. Although the Dzungar invasion of Tibet was an act of aggression, nothing can justify the genocide perpetrated by the Qianlong Emperor, the worst mass massacre of the 18th century in the world. The same Qianlong Emperor built in 1755 the Puning Temple to celebrate what he called his “pacification” of the Dzungars, which was in effect extermination and genocide. (…) On August 24, Xi Jinping came to the Puning Temple. The visit was prepared by a video the CCP produced to explain to a Chinese audience the historical significance of the event. The video explained the conquest of the Dzungar Khanate and extermination of the Dzungars by claiming that the Qianlong Emperor “put down the rebellion of the Mongol Dzungar tribe.” The temple was presented as “one temple, two styles” (Chinese and Tibetan), a symbol of “Han-Tibetan unity and national unity.” (…) This is the usual jargon for total submission of religion to the CCP, but even more significant is that from the Puning Temple Xi went on to visit at the Chengde Museum an exhibition called “Inside and Outside of the Great Wall of Hope: Records of National Unity in the Qing Dynasty,” which is a blatant celebration of the genocidal policies of the Qianlong Emperor, who is praised for having promoted “ethnic unity, border stability, and national unity.” That he did so by killing hundreds of thousands of Dzungars is not explained. In such a significant location, Xi warned ethnic minorities that they should “adhere to the leadership of the CCP, adhere to the correct path of solving ethnic problems with Chinese characteristics, fully implement the Party’s ethnic theory and ethnic policies, and constantly consolidate and develop socialist ethnic relations.” They are, Xi said, inscribed in “historical laws” —one of which seems to be that either you submit or you are exterminated through genocide. Bitter winter
Aucune religion n’interdit le cannibalisme. Je ne trouve pas non plus de loi qui nous empêche de manger les gens. J’ai profité de l’espace entre la morale et la loi et c’est là-dessus que j’ai basé mon travail. Zhu Yu 
It is worth trying to understand why China is producing the most outrageous, the darkest art, of anywhere in the world.  Waldemar Januszczak (Times art critic)
Le sinologue français Robert des Rotours (…), dans son article « Quelques notes sur l’anthropophagie en Chine », indique que la consommation de viande humaine se pratique dans quatre buts principaux : pour survivre (en période de famine), dans un but de vengeance (sur un ennemi défini), pour satisfaire ses goûts culinaires, et enfin dans un but médical. J’ajouterais une cinquième catégorie, à savoir le témoignage de la piété filiale, rattaché à deux des catégories précédentes (famine et maladie), mais dont la pratique est singulière puisqu’il se pratique sur des personnes vivantes et volontaires (don de soi). Après avoir épluché longuement l’historiographie chinoise, le Professeur Key Ray Chong (…) a dénombré pas moins de 1219 évocations d’une pratique cannibale entre l’Antiquité et 1912 : 780 motivés par la piété filiale, 329 liés à la famine, 82 à la haine et à la guerre, et une infime minorité motivée par des penchants culinaires. A tout cela, il faudra ajouter les faits qui se sont déroulés au xxe siècle, avec un cannibalisme pratiqué dans un but idéologique. (…) nous avons présenté les différentes motivations poussant à la consommation de chair humaine en Chine : guerres, vengeances, famines, idéologie, piété filiale, croyances médicales, rituels ancestraux, penchants culinaires. (…) Existe-t-il réellement dans la société chinoise des faits de cannibalisme ? Historiquement, c’est sûr. Prenez l’exemple de Yi Ya à l’époque des Royaumes Combattants, qui a donné son fils à manger au duc Huan de Qi. D’autres faits sont attestés à l’époque féodale ; la piété filiale contraignait à donner sa propre chair pour soigner ses parents ; Lu Xun et son Journal d’un fou qui se termine par l’appel « Sauvez les enfants » ; les témoignages de Zheng Yi à l’époque de la Révolution culturelle sur des actes de cannibalisme dans le sud du pays. Tout prouve que le cannibalisme a existé. Solange Cruveillé
[L’hypothèse de l’accident de laboratoire] est basée, entre autres, sur le fait que le virus le plus proche actuellement connu, donc le RaTG13, a été échantillonné par un laboratoire de virologie localisé dans la zone où les premiers cas de Sars-CoV-2 ont été détectés, et où des travaux sur ces coronavirus émergents sont conduits. Des projets de recherche importants visaient à comprendre le mécanisme de franchissement de barrières d’espèces, c’est-à-dire justement à collecter des virus chez les chauves-souris, récolter des échantillons de manière à séquencer ces virus, essayer de mettre en culture ces virus dans des cellules et essayer de comprendre comment ces virus sont potentiellement capables d’infecter des cellules d’autres mammifères, incluant des cellules humaines. (…) Chez les coronavirus, par exemple, il y a une protéine qui joue un rôle majeur dans le franchissement de la barrière des espèces, c’est la protéine Spike qui est à la surface de la particule virale et donne l’aspect en couronne des virus. Il se trouve que les laboratoires de virologie de Wuhan ont démontré, à partir de 2016, qu’il existe chez certaines chauves-souris des virus avec des protéines Spike potentiellement capables d’infecter directement des cellules humaines sans nécessiter pour autant de passer par des hôtes intermédiaires.  (…) Il est crucial, de mon point de vue, de comprendre l’origine de cette pandémie, parce qu’il y a des décisions collectives et mondiales à prendre qui seront complètement différentes si l’origine est zoonotique ou accidentelle. S’il y a eu passage par tel ou tel hôte intermédiaire, il faudra prendre des mesures de surveillance chez les animaux potentiellement infectés, donc potentiellement vecteurs de ces virus, avec à la clef des abattages systématiques, comme c’est le cas régulièrement pour la grippe aviaire. Et s’il s’avère que c’est un accident dû à des manipulations, alors il faut mieux encadrer les conditions expérimentales dans lesquelles sont faites les expériences dont on vient de parler. Par ailleurs, quelle que soit l’origine du virus, avec l’avancée rapide des nouveaux outils de biologie moléculaires, il est peut-être urgent de réfléchir de manière collective aux expériences qu’il est nécessaire de faire dans les laboratoires et à celles qu’il ne faut pas faire parce qu’elles sont trop dangereuses. Est-il raisonnable de construire dans des laboratoires, des virus potentiellement pandémiques chez l’homme qui, au départ, n’existent pas naturellement ? Ce débat éthique existe depuis les années 2010-12, quand des équipes américaines et hollandaises ont cherché à construire des virus de la grippe, potentiellement pandémiques, et cette fois-ci à partir d’un virus qui n’était pas particulièrement adapté à la transmission par aérosol. Le bénéfice qu’on escomptait de ces expériences était-il si important qu’on pouvait s’affranchir du risque de sa diffusion ? Ou, est-ce que, éthiquement, ces travaux devaient être considérés comme trop dangereux et donc interdits ? Voilà ce qui a conduit les États-Unis à décréter à partir de 2014 un moratoire sur ce type d’expérience. (…) l’une des conséquences de cette nouvelle politique a été l’arrêt des expériences sur les coronavirus par les grands laboratoires sur le territoire américain. Ce qui a conduit, à la place, à l’intensification de ces recherches dans les laboratoires de Wuhan, par exemple, avec des financements américains… notamment, entre autres, via la EcoHealth Alliance ! Paradoxalement, le moratoire américain, qui pourrait être jugé comme une décision limitant les risques biologiques, a donc peut-être eu des effets pervers, en favorisant le déploiement de recherche dans des pays ou le contrôle des risque biologiques est moindre. Étienne Decroly
Moi aussi je suis pécheur, mais si la loi ne devait être exécutée que par des hommes sans faute, la loi serait vaine. Jésus (réécrit par un manuel scolaire chinois)
Il faut une évaluation complète des traductions existantes de classiques religieux. Pour les contenus non conformes, il faut des modifications et il faut retraduire les textes. Communiqué du parti communiste chinois (6 novembre 2019)
Le régime communiste est une secte et il voit le bouddhisme tibétain, le catholicisme ou l’islam comme des idéologies rivales. Le contrôle accru sur les religions trahit en réalité la peur de voir la société lui échapper. Zhang Lifan (historien chinois)
En Chine, un manuel scolaire destiné à l’enseignement professionnel dans le secondaire, publié par un service d’édition dépendant du gouvernement, a choisi de reprendre le passage biblique concernant la femme adultère afin d’enseigner aux élèves « l’éthique professionnelle et le respect de la loi ». On aurait pu s’en féliciter dans la mesure où Jésus, dans ce texte (Jn 8, 1-11), prend la défense de la femme adultère et empêche sa lapidation avec ces mots : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre ». Mais loin d’encourager une telle charité et l’amour de son prochain, le passage biblique cité dans le manuel scolaire assure que Jésus se serait mis lui-même à lapider la femme adultère en ajoutant : « Moi aussi je suis pécheur, mais si la loi ne devait être exécutée que par des hommes sans faute, la loi serait vaine ». (…) Ce n’est pas la première fois que le gouvernement chinois s’en prend aux catholiques du pays de manière plus ou moins insidieuse. Dans la province de l’Anhui (est du pays), près de Shanghai, depuis la mi-avril, plus de 500 croix appartenant à des lieux de culte chrétiens, que ce soit des églises catholiques ou des temples protestants, ont été enlevées des clochers. Cette répression qui émane du parti communiste n’est pas nouvelle et des milliers de croix ont déjà été retirées dans les provinces du Zhejiang, du Henan, du Hebei et du Guizhou, parfois sous prétexte de respecter les règles d’urbanisme. Alteia
L’État chinois contrôle de plus en plus profondément les nouvelles diffusées dans les médias officiels, et ce qui n’est pas validé en haut lieu est souvent qualifié de rumeur, comme cela a été le cas pour les premiers messages non officiels à propos de ce nouveau virus. Dès le 30 décembre 2019, le docteur Li Wenliang, ophtalmologue à l’hôpital central de Wuhan, diffuse l’information d’une nouvelle maladie, grave et transmissible d’homme à homme, auprès de quelques collègues. Questionné par la police le 3 janvier 2020, il est accusé d’avoir propagé de fausses rumeurs. Dans la culture communiste chinoise, il doit se rétracter en signant une « lettre d’admonestation », nouvelle formule des autocritiques en vigueur dans les années 1940 avec un paroxysme pendant la Révolution culturelle, par laquelle il s’engage à ne pas recommencer sous peine de poursuites. Avec le recul et vue de nos rives occidentales, cette menace à l’encontre de la diffusion de l’existence d’une maladie qui va rapidement devenir une pandémie paraît incroyable. Pourtant, cela est courant en Chine et n’étonne personne là-bas. (…) En effet, c’est d’abord la glorification du peuple chinois réussissant sa lutte contre le virus qui doit dorénavant circuler, comme cela transparaît dans une bande dessinée de propagande nommée « Grande illustration de la lutte contre le coronavirus », publiée sur le site du Quotidien du peuple le 2 avril. (…) L’arrivée du virus est imputée au « ciel », à travers des éclairs et des coups de tonnerre soudains, malmenant la sérénité des voyageurs se préparant à rentrer en famille fêter le Nouvel An. Le ciel, dans la tradition chinoise, est la puissance cosmique fondamentale. Ciel et destin sont souvent synonymes, et une traduction courante de la maxime ci-dessus (« le ciel avait un autre plan ») est « le destin est imprévisible ». L’apparition du « ciel/destin » en tant que moteur cosmique surplombant les hommes est assez originale dans un journal communiste. S’ensuit cette parole si anodine du virus : « Je suis arrivé tout doucement » – soudaine, impromptue, insidieuse, hors de tout contrôle, cette venue enlève toute responsabilité aux humains. Car c’est bien cela qu’il faut retenir : rien n’a pu être fait pour contenir cette épidémie que personne n’a vue venir, parce qu’elle a été orchestrée par le ciel. Dès lors, il appartient aux humains de se liguer pour combattre la maladie, heureusement avec l’aide du dieu du feu et du dieu du tonnerre, qui nomment les hôpitaux bâtis en un temps record. La teneur globale du message semble être la suivante : le ciel a envoyé un défi aux hommes qui, malgré quelques pertes, l’ont relevé victorieusement. L’avenir est dans le rêve chinois, représenté par les bulles d’une petite fille solitaire, volant sous des arbres en fleur vers le ciel. Bien sûr, on peut faire d’autres interprétations : d’abord, la fresque représente évidemment une réécriture de la bataille contre le virus du point de vue des dominants ; paradoxalement, ces derniers sont absents, et c’est bien le peuple lui-même qui est glorifié pour ses sacrifices. Ensuite, on peut être frappé par les accents religieux, voire mystiques, se manifestant dans l’évocation du ciel, dans celle des dieux du feu et du tonnerre nommant les hôpitaux parce qu’ils sont traditionnellement des dieux exorcistes pourfendeurs des maladies, dans les nombreuses colombes blanches voletant – symboles universels de paix et de pureté –, et enfin dans la pagode bouddhiste, présente au début et à la fin. Comment se fait-il que la propagande chinoise doive recourir à des clichés religieux et cacher le communisme et le Parti, les commanditaires de cette fresque ? Comment peut-on interpréter la petite fille solitaire du dernier dessin ? Ne pourrait-on pas y voir signifié le souhait chinois profond d’atteindre à l’individuation loin des foules pour vivre dans un monde idéal, en accord avec une nature bienveillante, sous une protection divine ? Cependant, la douceur extérieure relative de cette fresque disparaît avec fracas dans des caricatures d’une violence extrême livrées sans retenue en ligne fin avril, critiquant la romancière Fang Fang et le docteur Zhang Wenhong. Le journal du confinement de Wuhan de Fang Fang, publié chaque soir en ligne, a été le seul récit relatant librement les sentiments d’une écrivaine confinée. (…) les éditions chinoises ayant rejeté toute publication en Chine, Fang Fang a conclu un contrat avec des éditions non chinoises. Dès lors, considérée comme traître, elle est traitée dans des termes abjects datant de l’époque de la Révolution culturelle. Sur le dessin, travestie comme un chien, objet de haine et de mépris, elle est accusée par trois jeunes gens la pointant avec un doigt, un pinceau et une plume, la jeune fille tenant une lampe rouge, le tout sur un fond de drapeaux rouges. C’est bien l’écriture libre qui est dénoncée unilatéralement par les tenants d’un communisme rouge revenant sur le devant de la scène par les « nationalistes maoïstes » via les réseaux sociaux. Une deuxième caricature dénonce également l’esprit libre d’une autorité scientifique, le docteur Zhang Wenhong, représenté un peu comme un moustique à écraser, tenu par une main rouge – communiste donc. La raison de cette attaque ? Zhang Wenhong, directeur du service de maladies infectieuses d’un hôpital de Shanghai, est extrêmement populaire, bien plus que l’officiel Zhong Nanshan, représenté dans la fresque du Quotidien du peuple, pour ses prises de paroles réalistes et parfois humoristiques. II est violemment attaqué sur les réseaux sociaux, parce qu’il a proposé aux parents chinois de donner à leurs enfants du lait et des œufs pour le petit-déjeuner, à la place de la traditionnelle bouillie de riz, pour renforcer leur immunité. Ces propos ont été considérés comme une traîtrise vis-à-vis de la culture chinoise. Quels que soient les arguments et leur validité, ces attaques visent des personnes populaires, parce qu’elles ont révélé au grand jour ce qui n’aurait pas dû l’être. La Chine actuelle reste une société du secret, où la parole publique officielle travestit ou utilise le mensonge pour cacher ce qui ne doit pas être dit. Malheur à ceux qui transgressent les consignes ! (…) Ce qui se passe actuellement en Chine revient certainement en arrière sur tous les combats pour la liberté et la démocratie entamés depuis le début du xxe siècle, portés par de nombreux acteurs, y compris le Parti communiste chinois à son origine. Depuis l’ère des réformes, dans une Chine apaisée, nombreux encore sont ceux qui ont continué sur cette lancée, malgré Tian’anmen en 1989. Bien qu’aujourd’hui, la société numérique développe encore plus la surveillance de masse et favorise la circulation d’images terribles, elle n’a pourtant pas encore réussi à entraver ces espérances. Catherine Capdeville-Zeng
Le régime communiste veut que les religions servent les objectifs du Parti communiste, et donc la construction du socialisme. Xi Jinping sait qu’il ne peut pas faire disparaître la religion par une persécution massive, donc il poursuit la mise en œuvre d’une politique de contrôle et d’instrumentalisation de la foi chrétienne et de la religion musulmane. C’est une politique qui vise l’Église catholique mais aussi les autres religions, comme le protestantisme et l’islam. Ce n’est pas une annonce spectaculaire dans le sens où c’est la suite logique cohérente d’une volonté politique de sinisation de la société, que Xi Jinping a exprimé il y a déjà des années. Lorsqu’il a employé le terme de « sinisation » pour la première fois en 2011, il l’a appliqué au marxisme. Depuis 2015, il estime que cela doit aussi s’appliquer aux religions présentes en Chine. Pour lui, les religions doivent s’adapter à la culture et aux valeurs chinoises, et donc être un relais des valeurs marxistes. (…) C’est un contrôle de plus en plus étroit et quotidien, à la fois sur tous les édifices mais également sur toutes les activités religieuses en général. En Chine, aucun journal chrétien ni revue de théologie ne peut exister. Il y a parfois quelques bulletins d’une église ou d’un temple, mais ils sont contrôlés par le régime. Pour la période de Noël, cela va encore plus loin : les autorités ont mis en place une campagne de boycott, car ils considèrent que cette fête trahit la culture chinoise. Dans les écoles, toutes les décorations de Noël sont interdites. Dans plusieurs établissements, des enfants ont été punis car ils ont dit qu’ils allaient se rendre à la messe de Noël. Cela est dû à une réglementation adoptée il y a deux ans, qui interdit aux enfants de moins de 18 ans d’aller dans les églises ou dans les temples. (…) Dans l’idéologie marxiste, la religion est « l’opium du peuple », une superstructure qu’il faut faire disparaître. Mais le régime est conscient que dans les faits, ce n’est pas possible dans l’immédiat. A défaut de détruire la religion, il cherche dont à la transformer. Cette politique de sinisation s’est traduite par exemple par une récente campagne d’affichage dans les églises. Les autorités politiques essayaient de montrer par des citations que les douze grandes valeurs du socialisme ont une correspondance directe dans la Bible, donc que la Bible annonce le socialisme. (…) À mon sentiment, c’est la suite logique de la politique engagée par Xi Jinping depuis 2013. Mais dans la décennie 1966-1976, pendant ce que l’on a appelé la Révolution culturelle, la situation était encore plus dramatique. Aucun culte religieux n’était autorisé : même les églises « officielles » (celles qui sont reconnues par le régime, ndlr) ont été fermées de force, ainsi que les temples protestants… Aucun culte religieux n’existait en Chine. Aujourd’hui, même si la liberté de pratique religieuse est gravement entravée, des églises officielles sont ouvertes, et la religion n’est pas interdite. (…) [Avoir une croyance religieuse en Chine] C’est possible, dans la mesure où aucun pays à aucune époque n’a réussi à empêcher les gens de croire. L’objectif du régime à long terme serait de supprimer la religion en Chine, mais évidemment, il n’y parviendra pas. (…) Les différentes mesures prises par les autorités chinoises depuis la signature de l’accord [avec le Vatican] sont en contradiction avec cet accord. Le régime a toujours pour objectif de contrôler davantage l’Église catholique, et d’instrumentaliser la doctrine religieuse à des fins politiques. Évidemment, en signant cet accord, le Pape essayait de préserver la liberté de l’Église et assurer sa continuité en Chine, où de nombreux diocèses étaient sans évêques… Il avait des raisons de signer cet accord. Mais la Chine et le Saint-Siège poursuivent des intérêts différents. Il est peu probable que le Vatican réagisse à cette nouvelle offensive du régime. Le Pape sait bien que 11 millions de catholiques chinois vont déjà fêter Noël dans des conditions très difficiles. Il ne voudra pas aggraver la situation. Yves Chiron
Il est impossible de comprendre la forme de la gouvernance chinoise actuelle sans s’intéresser à la Chine archaïque et à la Chine impériale. Et, quand on se livre à cet exercice, on constate combien la théorie du philosophe René Girard sur le bouc émissaire est pertinente. L’homme fonctionne toujours sur le mode mimétique : il désire ce que veut son voisin, d’où les conflits. Lorsque ceux qui déchirent une communauté finissent par converger vers un seul de ses membres, rendu responsable de tout le mal, sa mise à mort ramène l’ordre et l’harmonie. C’est un phénomène anthropologique universel que les Évangiles ont subverti en racontant ce lynchage non pas du point de vue de la foule persécutrice, mais du point de vue de la victime innocente. Cependant, ce phénomène reste particulièrement présent dans la Chine actuelle, où il structure la religion comme la politique. (…) Les mythes de la Chine la plus archaïque sont nombreux à mettre en scène un meurtre fondateur. Ainsi, Tang le Victorieux, fondateur de la dynastie Shang, est à la fois considéré comme celui qui mit à mort Jie, le dernier souverain des Xia – la première dynastie chinoise – il y a trois millénaires, et, après son arrivée au pouvoir, comme une victime émissaire, accusée d’exactement les mêmes maux que Jie en son temps. Lors d’une sécheresse, les conflits se multiplièrent et Tang s’offrit en sacrifice pour faire tomber la pluie. Tang et Yu le Grand, le fondateur des Xia, furent tous deux des infirmes portant les marques d’élection propres aux victimes émissaires. Tang était « desséché », comme les sorciers au cœur des rites de faiseurs de pluie, et Yu le Grand boitait. Le « pas de Yu » reste aujourd’hui un des principaux rituels taoïstes. (…)  c’est par les sacrifices que l’empereur pouvait faire régner l’ordre et l’harmonie ! Avant d’être un politique, l’empereur était « fils du Ciel ». Le sacrifice au Ciel, qui était son apanage jusqu’en 1912 et la fondation de la République, était un rituel sanglant auquel aucun étranger ne pouvait assister. Si les sacrifices étaient correctement effectués, cela signifiait que le monde était en ordre. Si l’empereur s’agitait pour tenter de résoudre les problèmes auxquels le pays était confronté, il risquait au contraire de semer le désordre dans la communauté. Le « décret du Ciel », une notion dont la première occurrence apparaît en 998 avant notre ère, sous la dynastie des Zhou, permettait de justifier le pouvoir en place. L’empereur devait sans cesse faire face aux risques de subversion et inspirer une peur plus grande que celle qu’il éprouvait lui-même à l’égard de la violence collective. Le regard menaçant des « dix mille êtres » (la foule) pesait constamment sur l’« être unique » qu’était l’empereur, « plus à plaindre qu’un lépreux », comme le disait le légiste Han Feizi. Pour Mencius [Mengzi], le tyran déchu doit faire face à la volonté commune du Ciel, du peuple et de celui qui l’a chassé, lequel devient le nouveau détenteur du décret du Ciel mais peut être demain une nouvelle victime sacrifiée. N’est-il pas intéressant de voir comment, lors du XXe Congrès, Hu Jintao, le prédécesseur de Xi Jinping, a été, en public, exclu de l’assemblée ? Son successeur n’a pas bougé un cil. Depuis l’avènement du Parti communiste, le « décret du Ciel » s’appelle « mission historique » et fonde la légitimité du Parti. Si la dénomination change, c’est toujours du Ciel que vient la légitimité. Tant qu’ils ont le pouvoir, les dirigeants sont légitimes. (…) la théologie joue toujours son rôle dans la Chine d’aujourd’hui. Le sinologue Joël Thoraval a démontré que souvent, dans les campagnes, les souverains occupent la place centrale sur les autels domestiques et lors des rites, aux côtés du Ciel, de la Terre, des ancêtres et des maîtres. La politique chinoise est intimement liée à la religion. Dans les années 1980 et 1990, après la fin du culte de la personnalité, décrétée par Deng Xiaoping, des empereurs autoproclamés, suivis parfois de milliers de fidèles, sont apparus partout en Chine. Le retour d’une figure impériale avec Xi Jinping marque au fond un retour à la normale. (…) [Mais] présente en Chine depuis le XVIIe siècle, [la religion chrétienne] rend plus difficile la fermeture sacrificielle sur le bouc émissaire. Le christianisme est synonyme de liberté. C’est grâce à lui que les femmes ont pu avoir accès à l’éducation et commencer à se libérer de la coutume des pieds bandés, progrès d’ailleurs revendiqué par le Parti communiste. Aujourd’hui, malgré les persécutions parfois sanglantes contre les chrétiens jusqu’aux années 1970 et les mesures prises aujourd’hui pour interdire l’accès au culte, les conversions vont croissant. Nous manquons de statistiques fiables, mais les chrétiens seraient environ 100 millions, en majorité des protestants. C’est dans ce vivier que se recrutent nombre de militants des droits de l’homme. Ce n’est donc pas un hasard si le pouvoir veut « siniser » le christianisme. En 2019, il a annoncé un projet de réécriture de la Bible, qui devrait être terminé d’ici dix ans. Il a renoncé toutefois à inclure dans un manuel d’éducation civique sa version de l’épisode de la femme adultère (Évangile de Jean), dans laquelle le Christ participe lui aussi à la lapidation ! (…)  [L’historiographie chinoise] n’est pas fondée sur la vérité, mais sur l’autojustification du pouvoir, lequel est toujours pacificateur alors que les victimes sont des « fauteurs de troubles » responsables de ce qui leur arrive. Le massacre des Dzoungars, commis par les Qing au milieu du XVIIIe siècle, est ainsi présenté dans les annales comme une expédition punitive contre des brigands rebelles au fils du Ciel. Les Dzoungars ont été exterminés ; leur principauté est devenue pour partie la province du Xinjiang, peuplée par les Ouïgours, alors alliés des Chinois, et aujourd’hui par de plus en plus de Hans. Mais ce génocide est commémoré en toute bonne conscience par le pouvoir chinois en tant que moment privilégié de l’unité entre les Hans et les Tibétains, qui les avaient alors aidés. A contrario, la Chine ne peut être que victime des Occidentaux et des Japonais, qui l’auraient humiliée, sans que le pouvoir accepte de prendre en compte le fait que c’est grâce aux « barbares » étrangers qu’elle s’est pour une part ouverte à la modernité. Elle-même d’ailleurs n’aurait jamais fait de guerres de conquête, elle se serait contentée d’unifier le territoire du Ciel… Emmanuel Dubois de Prisque
Il apparaît (…) que la Chine actuelle, malgré son « athéisme » officiel, partage avec la Chine impériale un même tropisme qui la porte à ne pas distinguer le politique du religieux. Le Parti communiste chinois agit de plus en plus comme une institution qui se pose en gardienne de ce qui est sacré pour la Chine et que des forces extérieures, politiques ou religieuses, viennent en permanence menacer, de la même façon que la « bureaucratie céleste de l’Empire était la gardienne d’un dogme contre les hérésies » qui le menaçaient. Du point de vue du rapport du politique avec le religieux, la situation actuelle se rapproche de celle que décrivait Édouard Chavannes en 1904 : « L’Empereur nous apparaît ainsi comme le juge universel du bien et du mal […], en lui se réalise l’étroite union de la politique, de la morale et de la religion, principe fondamental du gouvernement chinois ; il est véritablement le Fils du Ciel, et son omnipotence absolue et sacrée provient de ce qu’il est le mandataire du Ciel sur la terre. » (…) La « grande renaissance de la nation chinoise » (…) est le cœur du métarécit de la Chine contemporaine selon lequel la Chine a refermé en 1949 une parenthèse d’un long siècle qui s’étend du début de la première guerre de l’Opium, en 1839, à la création de la « nouvelle Chine », siècle au cours duquel elle a été « humiliée » par les puissances occidentales et japonaise qui ont tiré profit de sa faiblesse, de son ingénuité et d’un pacifisme intrinsèque à sa culture. Sans renoncer à ce qu’elle est essentiellement, une civilisation pacifique et harmonieuse, elle ne répétera pas les erreurs du passé et saura se défendre si elle est agressée. (…) La posture parfois agressive et irascible de la Chine contemporaine s’explique ainsi paradoxalement par le sentiment que la civilisation chinoise est plus pacifique que les autres. Il lui faut donc devenir forte pour redevenir ce qu’elle imagine qu’elle fut : un modèle de vertu pour elle-même et pour le monde. (…) Depuis, au moins, le traité de Westphalie en 1648, les nations européennes ont de facto renoncé à incarner la totalité de la Chrétienté, c’est-à-dire à se considérer comme un avatar de l’empire universel des Romains et ont, de ce fait, sécularisé et territorialisé leur pouvoir. La Chine, quant à elle, n’a jamais été contrainte à cette kénose politico-religieuse. L’Empereur est resté jusqu’au terme de l’Empire non seulement souverain politique, mais aussi maître des rites et des sacrifices. Plus encore, les deux aspects de sa pratique politico-religieuse n’étaient qu’une seule et même chose. Comme l’écrit Jean Levi à propos de la Chine antique, « gouverner revient à sacrifier ». Malgré l’émergence progressive dans l’histoire chinoise de religions non directement politiques, diffusant leurs doctrines plus ou moins à l’écart du pouvoir, le bouddhisme et le taoïsme, le pouvoir impérial continuera à jouir d’un monopole sur la légalité et la légitimité du phénomène religieux dans le corps social. C’est l’administration qui définit, sur la base d’une loi fondamentale, ce qui est « correct » et ce qui est « hérétique » dans les pratiques religieuses. Pendant plus de cinq siècles, une loi Ming du xive siècle, reprise par la dynastie sino-mandchoue Qing jusqu’au début du xxe, prévoit la mort par strangulation ou l’administration de cent coups de bâton suivie (s’ils survivent) du bannissement de ceux qui pratiquent des cultes « hérétiques », c’est-à-dire non conformes aux pratiques considérées comme « correctes » par la bureaucratie. Pour reprendre les termes de J. J. M. De Groot, « l’Empereur aussi bien que le Ciel est seigneur et maître de tous les dieux, et délègue cette dignité à ses mandarins, chacun pour sa juridiction. C’est d’eux que relève la décision de savoir quels dieux sont susceptibles d’être objets de culte, et quels dieux ne le sont pas. S’il faut prendre la volonté de « restauration » de Pékin au sérieux, comme cela est vraisemblable, il convient d’envisager que ce processus puisse avoir une dimension religieuse et que cette dimension religieuse soit même centrale dans le projet des autorités chinoises. Depuis 2016, Pékin applique une politique de « sinisation » des religions qui non seulement réprime les « superstitions », mais soumet l’ensemble des cinq religions « officielles » (taoïsme, bouddhisme, islam, protestantisme, catholicisme) à une tutelle pesante. Des mosquées, des églises et mêmes des temples bouddhiques sont détruits ; le prosélytisme est sévèrement réprimé, l’accès aux églises ou aux mosquées est parfois interdit aux mineurs, tout comme l’enseignement religieux, tandis que le Parti promeut sa propre « spiritualité » de façon de plus en plus insistante. La « pureté » de l’idéal révolutionnaire est mise en avant et, dans certaines régions, les autorités locales remplacent jusque dans les domiciles les effigies religieuses par des portraits de Xi Jinping. Sur les lieux de culte qui restent tolérés, les inscriptions religieuses sont parfois effacées pour être remplacées par des slogans du Parti. Les autorités religieuses sont ainsi engagées dans un vaste projet visant à supplanter les religions existantes par une « spiritualité » indistinctement politique et religieuse qui s’appuie sur la doctrine marxiste-léniniste pour neutraliser non seulement les « religions étrangères » (christianisme et islam), mais aussi les religions considérées comme chinoises (taoïsme et bouddhisme) dans la mesure où ces dernières impliquent, pour les fidèles, un ordre de loyauté concurrent de l’ordre politique. En outre, les autorités situent parfois délibérément la vocation du religieux et celle du politique sur le même plan. Le catholicisme, notamment, est critiqué pour son inefficacité dans la lutte contre la pauvreté et la maladie, tandis que le Parti vante ses résultats dans ces deux domaines. Les autorités prétendent ainsi « transformer les fidèles des religions en fidèles du Parti . C’est aussi dans ce contexte que doit se comprendre la politique menée à l’égard de l’islam ouïghour au Xinjiang. Lorsque le Parti prétend, pour répondre aux accusations occidentales, se contenter de « rééduquer » les foules musulmanes du Xinjiang plutôt que de les enfermer dans des camps de concentration, cela n’a rien de rassurant car se manifeste ainsi une foi profonde dans la vertu civilisatrice de cette abstraction qu’est « la Chine ». Mais aussi abstraite soit-elle, cette Chine conçue comme centre de civilisation exerce des effets puissants sur les cadres du Parti communiste, qui y trouvent les ressources symboliques nécessaires à la légitimation de la mise en œuvre de politiques de plus en plus coercitives à l’égard des populations qui leur sont soumises. Mais plus profondément encore que dans ses rapports avec les religions, la nature religieuse, ou plus exactement sacrificielle, du régime chinois se révèle dans sa structuration fondamentale. En se faisant le gardien et le défenseur de l’orthodoxie spirituelle et de la foi dans les idéaux révolutionnaires de ses membres, le Parti s’inscrit dans les pas du pouvoir politico-religieux chinois traditionnel, dont un des rôles essentiels était de distinguer ce qui est « correct » de ce qui est « hérétique » dans le foisonnement des rites et cultes chinois. Aujourd’hui, c’est dans sa capacité de purification du corps social, à travers l’expulsion des ennemis de la Chine ou de la Révolution, que le Parti manifeste sa puissance, de la même manière qu’autrefois la puissance de l’Empereur se manifestait dans sa capacité à respecter les rites, au premier rang desquels le grand sacrifice au Ciel. Avec lui, l’ordre social et cosmique était produit et garanti. (…) Comme nombre d’autres empereurs avant lui, Mao fut déifié après sa mort par une partie de la population chinoise, malgré la vive hostilité à la religion traditionnelle qu’il manifesta durant son existence. Ou, plutôt, cette déification se produisit en raison même de cette hostilité : sa capacité magique à chasser les esprits et les fantômes de l’ancien monde faisait de Mao un esprit d’une puissance supérieure à celle des esprits et fantômes auxquels la Chine devait faire face jusqu’alors. Aujourd’hui encore, Mao occupe parfois la place centrale dans les autels domestiques, celle du souverain, alors même que son mausolée occupe le cœur de la place centrale (Tiananmen) de la capitale chinoise.  La politique actuelle de « sinisation » des religions et d’expulsion de tout ce qui dans ces religions les rattache aux puissances étrangères renoue ainsi avec la longue tradition chinoise, malgré les soubresauts de l’histoire politique de ce pays au xxe siècle. Sur au moins un temple bouddhique chinois, on pouvait lire en 2018 un slogan frappant : « Sans parti communiste, il n’y a pas de bouddha », qui établit très clairement la nature de la hiérarchie entre le pouvoir du Parti et celui des autres organisations religieuses. Pas plus que dans la Chine d’ancien régime, il n’existe dans la Chine contemporaine un ordre politique et un ordre religieux qui existeraient parallèlement et exerceraient leurs compétences chacun sur son « royaume » qui serait celui de la terre, pour le premier, et celui des cieux, pour le second. La Chine est le « pays des dieux » ou le « pays sacré », selon une de ses appellations traditionnelles, ce qui signifie que les dieux sont indistinctement d’en bas et d’en haut. Selon un principe tout à la fois taoïste (Zhuangzi) et confucéen (Dong Zhongshu), « le Ciel et l’Humanité ne font qu’un ». Le contraste est frappant entre les rapports du politique et du religieux tels qu’ils se sont établis en Occident au cours de son histoire et ce qu’ils sont en Chine : alors que pour le christianisme la Chute a pour conséquence une séparation de Dieu d’avec sa créature et qu’en conséquence le royaume du « fils de Dieu » n’est « pas de ce monde ». En Chine le royaume du « fils du Ciel » n’est rien d’autre que le monde Tianxia : tout ce qui est sous le Ciel. « De tout ce qui est sous le Ciel, il n’est rien qui ne soit le territoire du roi », dit aussi le Shijing. (…) Autrefois du ressort du souverain et de sa « bureaucratie céleste », ces rites antiques de production, de structuration et de purification du corps sociopolitique ont été modernisés et prennent aujourd’hui des formes diverses (lutte contre la corruption, contre la « pollution spirituelle », mise en place, enfin, d’un « système de crédit social » d’évaluation et de sanction des citoyens…) : ils sont aujourd’hui du ressort du « grand dirigeant » et de sa bureaucratie moderne que sont respectivement Xi Jinping et le Parti.  La nature religieuse du projet chinois se manifeste jusque dans le vocabulaire employé pour le décrire. Un chercheur officiel prétend ainsi que l’évaluation du « crédit » des individus (c’est-à-dire de la confiance qu’on peut leur accorder) sera comme la « main invisible » qui disciplinera les citoyens et assurera l’harmonie de la société [19][19]Dai Mucai, « Poursuivre en même temps le gouvernement par la…. Ainsi, à la « main invisible » du marché qui ordonne la société selon les libéraux anglo-saxons, succède la « main invisible » de l’État chinois. Un autre déclare de façon plus explicite encore que le système de crédit social sera le « dieu » de l’ère du big data. Le système participera en outre à la répression des « cultes hérétiques ». À titre d’exemple, dans la ville pilote de Roncheng, où un système de notation est déjà en place, des bonus de points sont accordés à ceux qui dénoncent aux autorités des membres des organisations religieuses non autorisées par le gouvernement, comme à ceux qui financent de façon substantielle les bonnes œuvres du Parti. Quant à ceux qui participent aux activités de ces « cultes hérétiques », ils sont rétrogradés au « niveau d’alerte C » (juste avant le niveau le plus bas, le niveau « D », celui des criminels), le niveau de ceux qui, par exemple, refusent de remplir leurs obligations militaires. Dans un ouvrage qui reflète, semble-t-il, le point de vue du pouvoir chinois,  l’ancien interprète de Deng Xiaoping, Zhang Weiwei, présente le « Ciel » chinois (le Tian de Tianxia) de façon très éclairante. Selon Zhang, le « concept chinois traditionnel de Tian ou de Ciel […] signifie les intérêts vitaux ou la conscience de la société chinoise ». Et, affirme Zhang, lorsque cette conscience ou ces intérêts vitaux sont violés, il est légitime de s’affranchir des contraintes de l’État de droit pour punir des coupables, même si ceux-ci n’apparaissent pas comme tels aux yeux de la loi. (…) Le niveau religieux est en effet celui qui permet le mieux d’appréhender ce qui se joue ici. Pékin l’a bien compris : la volonté de restaurer l’Empire emporte avec elle une forme politique qui fait de l’empereur potentiel Xi Jinping et de sa bureaucratie les figures sacrées du pouvoir. Celles-ci ne sauraient souffrir la concurrence d’organisations religieuses pleinement libres. Pour le Parti l’alternative est claire : les religions devront se soumettre, en se sinisant, ou disparaître. Du point de vue de Pékin, ces organisations religieuses ne peuvent en effet subsister que comme supplétifs du Parti, c’est-à-dire en devenant de simples ressources spirituelles que le régime devra pouvoir détourner à son profit. Emmanuel Dubois de Prisque
Les étrangers, lorsqu’ils critiquent le régime chinois, s’en prennent à des idéologies ou à des systèmes sociopolitiques, capitalisme ou communisme, qui trouvent leur origine en Occident, comme si effectivement la culture chinoise était intouchable. Se dégage un étrange consensus pour ne pas rechercher précisément les liens qui seraient susceptibles d’exister entre la gouvernance de plus en plus totalitaire du régime chinois et la civilisation chinoise. Parallèlement, (…) l’Occident (…) devient un bouc émissaire universel (…) attaqué à la fois sur le front intérieur et sur le front extérieur, accusé d’être la cause à peu près unique de tous les malheurs du monde contemporain. (…) les anciens empires musulman et chinois assistent avec une joie mauvaise et mal dissimulée à la lente mise à mort de la bête blessée. (…) Alors même qu’elles sont le fait de civilisations profondément hiérarchisées et inégalitaires, ces dénonciations s’appuient avec habileté, et même perversité, sur les « valeurs » de l’Occident : liberté politique, liberté d’expression, égalité des conditions, et, dernière-née de ces valeurs dont nous verrons la fortune en Chine : « inclusivité ». Si son régime est soumis au feu de féroces critiques, en particulier dans les pays occidentaux, la Chine pour sa part, en tant que civilisation, fait l’objet d’une étrange complaisance, comme si l’esclavage, les guerres de religion, les génocides et le colonialisme étaient étrangers à la culture chinoise. (…) En outre, (…) un mythe, datant des Lumières, et qui est allé jusqu’à infecter les dirigeants chinois actuels, tout comme certains des commentateurs les plus influents de la Chine contemporaine, affirme que la civilisation chinoise est intrinsèquement pacifique et tolérante. Si elle s’arme aujourd’hui à une vitesse impressionnante, ce serait seulement parce qu’elle serait contrainte de se mettre au diapason des idéologies occidentales qui font du rapport de force l’alpha et l’oméga des relations internationales. (…)  En évitant de nous pencher sur les sources culturelles du sino-totalitarisme, nous nous privons de comprendre vraiment ce qui se passe en Chine. Le « système de crédit social » d’évaluation de la vertu des personnes morales et privées, la volonté de la Chine de « siniser » les religions, son obsession de la « pureté » idéologique et de la lutte contre la corruption ou contre le « démon » de la pandémie, le mélange déconcertant de bonne conscience et de férocité qui caractérise sa gouvernance, sa conception de la guerre et des conflits commerciaux, la nature de ses relations avec ses pays voisins, la forme prise par sa volonté de domination, tous ces éléments, et d’autres encore, ne peuvent se comprendre que si nous acceptons de regarder sans pudeur ce qu’est la culture traditionnelle de ce pays et la façon dont elle informe la Chine contemporaine. (…) Tous les dirigeants chinois ont affirmé sous une forme ou sous une autre ces dernières années leur conviction que le « gène de l’agression » était étranger à l’ADN chinois. Au contraire des pays occidentaux, naturellement portés à la conquête et à l’expansionnisme territorial, les Chinois n’auraient, « au cours de leur histoire de cinq mille ans », « jamais colonisé personne » et se seraient contentés, dans un esprit d’ouverture pacifique, de rendre de temps en temps visite à leurs voisins sans jamais les envahir, ni même les menacer. (…) la vanité culturelle chinoise, qui campe pour l’éternité la Chine dans le rôle de la victime bafouée par la violence des barbares, est le reflet inversé de la vanité occidentale qui se voit pour l’éternité comme la cause unique de tous les malheurs du monde. La rencontre de ces deux vanités (…) contribue à créer ce monstre surpuissant qu’est la Chine contemporaine, gavé de technologie et de bonne conscience. (…) [et] explique bien des renoncements : il est plus facile de céder sa technologie lorsqu’on a le sentiment de le faire pour la bonne cause du développement des pays du Sud que nos pères auraient hier exploités. (…) C’est aussi la vanité culturelle chinoise, alimentée par la culpabilité occidentale, qui nous a trop longtemps entravés dans une recherche libre de l’origine de la pandémie qui a bouleversé le monde en 2020. Dès les premières semaines de la propagation du virus, des scientifiques courageux se posaient des questions parfaitement légitimes sur la possibilité d’un échappement du nouveau virus d’un laboratoire wuhanais. Cependant, le 19 février 2020, vingt-sept scientifiques de premier plan bénéficiaient de l’autorité de la revue The Lancet pour dénoncer sur un ton moralisateur fort éloigné de la sérénité d’esprit qui devrait caractériser la recherche scientifique « les théories du complot qui suggèrent que le Covid-19 n’a pas une origine naturelle ». Ils échouèrent de peu à tuer dans l’œuf la recherche sur l’origine du virus. Il est apparu que le scientifique à l’origine de cet article, Peter Daszak, était un proche collaborateur des chercheurs de l’Institut de virologie de Wuhan, avec lesquels il a publié une vingtaine d’études. Il faisait également partie du groupe d’experts de l’OMS chargé à l’automne 2020 d’enquêter sur l’origine du SARS-CoV-2. Quand on connaît la mainmise exercée par la Chine sur l’organisation de Genève, il n’est guère surprenant que cette enquête n’ait pu porter ses fruits… (…) les chercheurs sont de plus en plus nombreux a estimé que certaines caractéristiques du virus semblent indiquer qu’il a pu faire l’objet d’une manipulation en laboratoire, sous la forme d’expérience de « gains de fonction ». Nous savons aujourd’hui que ce type de recherche, visant à rendre plus contagieux des coronavirus afin de mieux en étudier la possible transmission à l’homme, était mené dans plusieurs laboratoires de Wuhan. Rappelons aussi que la Chine a connu plusieurs échappements accidentels de laboratoire. La plupart des spécialistes estiment aujourd’hui que l’épidémie mondiale de grippe H1N1 en 1977 fut causée par un échappement d’un laboratoire soviétique ou chinois. (…) Il aura fallu la présidence de l’outsider Donald Trump aux États-Unis pour que l’Occident commence à prendre vraiment conscience de l’ampleur du désastre provoqué par notre cécité volontaire à l’égard de la nature du régime chinois. Quels que soient les nombreux défauts de l’ex-président américain, Trump a hâté la fin d’une politique complaisante à l’égard d’un régime qu’il faut bien qualifier de totalitaire. Le traitement par la Chine des opposants politiques, des minorités ethniques et religieuses, des intellectuels qui veulent continuer à réfléchir, ou de toute autre forme, si fragmentaire soit-elle, de société civile susceptible d’exister à l’écart du pouvoir, montre quelle est la nature de la gouvernance chinoise. Son emprise sur la société se veut totale. Avec le crédit social, la vidéosurveillance, le recueil de l’ADN de la population, sa volonté intacte d’éradiquer la puissance spirituelle des religions qui lui échappent, le pouvoir chinois met en œuvre un ensemble de solutions technologico-politiques à même de lui permettre de réaliser l’idéal traditionnel du souverain : tandis qu’il se rend opaque pour l’extérieur, l’extérieur doit lui être rendu transparent (…) Depuis quelques années, le régime chinois (…) s’est lancé dans une campagne de lutte contre les influences étrangères qui passe par une « sinisation » du christianisme [qui] passe par une réécriture de la Bible dont un manuel officiel d’éducation éthique et de morale professionnelle publié par une université publique nous a donné un avant-goût : la femme adultère sera finalement lapidée par Jésus, car c’est la loi qui le veut, et personne, y compris le Christ, n’est au-dessus de la loi. Autant dire que, pour le Parti, le seul christianisme qui tienne est un christianisme « sinisé », c’est-à-dire, semble-t-il, un christianisme lapidateur, afin que la Chine elle-même soit débarrassée de cet empêcheur de lyncher en rond qu’est le Christ : un christianisme sans le Christ…(…) la modernité occidentale est devenue pour le régime chinois un épouvantail dont l’expulsion hors de la communauté nationale constitue l’acte central de sa gouvernance. En « purifiant » le corps politique chinois de ce qui vient le corrompre de l’extérieur, le Parti renoue, par-dessus la modernité chinoise qu’il prétend incarner, avec la tradition indistinctement politique et religieuse de l’empire. Emmanuel Dubois de Prisque

Attention, un Noël interdit peut en cacher un autre !

Boycott et floutage de décorations de Noël, remplacement de portraits de la Vierge et l’Enfant par ceux de Xi Jinping dans les églises, réécriture de la Bible, destructions de croix et d’églises …

A l’heure où avec sa fausse trêve de Noël et après son prédécesseur Staline et avec le patriarche Kiril …

Le nouveau Führer de Moscou réquisitionne à son tour la religion pour sa guerre sainte contre l’Ukraine et l’Occident qui la soutient …

Et où après les philosophes de Lumières à la Voltaire, nos actuels petits télégraphistes de Moscou et de Pékin appellent à ne pas humilier une Russie et une Chine essentiellement pacifiques et victimes face au bellicisme américain …

Pendant qu’avec la fiction mensongère du Père Noël remplaçant un Saint Nicolas trop chrétien, l’éjection du petit Jésus de nos crèches et les nouveaux tabous lingusitiques, se poursuit la guerre contre Noël en Occident même …

Comment ne pas voir avec le dernier livre du sinologue, tout récemment disparu, Emmanuel Dubois de Prisque …

Derrière le peu de réactions que semblent susciter les restrictions et les menaces qui se précisent contre le christianisme et les traditions occidentales comme Noël …

Dans le pays officiellement athée et prétendument républicain d’un XI Jinping qui, en prolongeant indéfiniment son « Mandat du Ciel » du haut de sa « Cité interdite » 30 ans après le massacre de la  « Place de la porte de la Paix céleste », vient de s’offrir un poste de « Fils du Ciel » à vie

Sur fond d’exorcismes, entre crédit social et prix de vertu ou centres de quarantaine, camps de rééducation et hôpitaux aux noms d’anciennes divinités traditionnelles, contre les démons étrangers et leurs pestilences …

Sans compter, pour nos nouveaux faiseurs de pluie, l’ensemencement des nuages ou les plus dangereuses des expériences de gain de fonction dans des laboratoires construits ou financés par la France ou les Etats-unis

Ou, entre deux souvenirs de cannibalisme (y compris à but médical ou comme témoignage de piété filiale ou idéologique !), la célébration de génocides

L’étrange aveuglement occidental devant le retour à une fusion du politique et du religieux …

Qui n’a en fait jamais complètement quitté les deux seules puissances …

A n’avoir toujours pas eu comme par hasard…

Leur Nuremberg depuis la fin de la 2e guerre mondiale …?

‘Les États-Unis tentent d’enrôler l’Europe contre la Chine’

ENTRETIEN. Invité à s’exprimer à l’occasion du G20, l’économiste controversé Jeffrey Sachs défend la Chine et la Russie. Et dénonce l’hégémonie américaine.
Propos recueillis par Jérémy André
Le Point
15/11/2022

Les dirigeants des grandes puissances sont réunis cette semaine à Bali, en Indonésie, pour leur sommet annuel du G20. Invité par Djakarta pour une conférence inaugurale, l’économiste américain Jeffrey Sachs, professeur à l’université Columbia et conseiller du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, pour les objectifs du développement durable, conteste sévèrement l’hégémonie des États-Unis et se fait l’écho des critiques formulées par les puissances rivales, Chine et Russie en tête. Dans les années 1990, Jeffrey Sachs avait conseillé les pays de l’ex-bloc de l’Est pour rejoindre la mondialisation libérale. Cependant, depuis la fin des années 2010, ses commentaires sur la politique extérieure des États-Unis sont devenus de plus en plus tranchants.

Jeffrey Sachs se fait désormais l’« avocat du diable », refusant de qualifier de génocide la répression contre les Ouïghours en Chine ou de condamner Vladimir Poutine pour son invasion de l’Ukraine. La presse américaine l’étiquette « propagandiste de Xi Jinping » et « apologiste du Kremlin ». Ses dernières prises de position ont encore accentué la polémique. En tant que président de la Commission sur le Covid, créée par la revue The Lancet, il a accusé les scientifiques d’avoir étouffé l’hypothèse d’un accident de laboratoire comme origine de la pandémie. Quant au sabotage du gazoduc Nord Stream, il accuse, sans preuve et au diapason de Moscou, Washington et ses alliés. Entretien

Le Point : Joe Biden et Xi Jinping se sont rencontrés, ici, à Bali, pour la première fois depuis que le président américain a pris ses fonctions, en janvier 2021. Peuvent-ils encore échapper à une nouvelle guerre froide ?

Jeffrey Sachs : La nouvelle guerre froide est créée en très grande majorité par les États-Unis. À partir de 2015 environ, les responsables néoconservateurs de la politique étrangère américaine ont conclu que l’hégémonie américaine était menacée par la montée en puissance de la Chine. Depuis lors, le gouvernement américain a mis en place un ensemble croissant d’outils – barrières commerciales, sanctions, contrôles des exportations, contrôle des investissements et nouvelles alliances militaires en Asie – pour tenter de « contenir » la Chine. Cette approche pourrait conduire à une guerre pure et simple, par exemple à propos de Taïwan.

Les États-Unis tentent d’enrôler l’Europe dans leur effort pour contenir la Chine. Pourtant, l’intérêt profond de l’Europe n’est pas l’hégémonie américaine, mais plutôt un véritable ordre multilatéral dans lequel l’Europe et la Chine jouent toutes deux des rôles actifs et responsables – tout comme les États-Unis, bien sûr. L’Europe devrait donc résister à la nouvelle guerre froide menée par les États-Unis et poursuivre à la place des relations diplomatiques, économiques et financières actives avec la Chine. Trois domaines sont essentiels pour la coopération euro-chinoise : la décarbonation de l’énergie, les infrastructures eurasiennes et le soutien coordonné au développement à long terme de l’Afrique. Les États-Unis, de leur côté, devraient rétablir la relation avec la Chine. Je ne suis pas optimiste cependant. Leur politique étrangère reste entre les mains des néoconservateurs.

D’autres observateurs pensent que le tournant de la politique américaine vis-à-vis de la Chine n’est pas néoconservateur mais transpartisan, et qu’il a été causé par une politique étrangère plus agressive de Xi Jinping. Quel genre de compromis les États-Unis et la Chine pourraient-ils accepter ?La politique antichinoise des États-Unis est en effet transpartisane. Cela reflète deux idées. La première est que la Chine « a volé des emplois américains ». Après la victoire de Trump en 2016, les deux parties en sont venues à croire que le protectionnisme antichinois permettrait de gagner des voix dans les États pivots du Midwest. La seconde est que l’ascension de la Chine menace l’hégémonie américaine et qu’elle doit donc être ralentie ou arrêtée, ce qui reflète la prédominance de l’idéologie néoconservatrice dans les deux partis. Ces opinions sur la Chine sont cependant éloignées de la vérité.

Le commerce avec la Chine a probablement entraîné des pertes – modérées – d’emplois dans le secteur manufacturier, mais aussi des gains d’emplois compensatoires dans d’autres secteurs. Dans l’ensemble, le commerce bilatéral a été bénéfique pour les États-Unis et la Chine, et les effets secondaires négatifs pour les États-Unis (tels que la perte d’emplois dans certains secteurs) devraient être résolus par le biais de politiques intérieures (reconversion professionnelle, protection sociale, etc.) plutôt que par le protectionnisme. Et l’opinion selon laquelle la Chine représente une grave menace pour la sécurité des États-Unis est alarmiste. Oui, la Chine est un pays grand et puissant, mais pas un pays intrinsèquement militariste ou belliqueux. La Chine n’a pas mené une seule guerre au cours des 40 dernières années, tandis que les États-Unis ont mené d’innombrables (et apparemment perpétuels) conflits.

Alors que préconisez-vous ?

Les États-Unis devraient cesser de jouer sur la peur, s’engager dans une diplomatie renforcée, rester attachés à la politique d’une seule Chine, cesser de provoquer un affrontement à propos de Taïwan et mettre fin aux mesures commerciales, technologiques et financières unilatérales qui entravent l’économie chinoise. La Chine devrait elle aussi s’engager avec les États-Unis et l’Union européenne dans une diplomatie renforcée, pour résoudre les problèmes d’intérêt commun. Je crois que la Chine est tout à fait prête à le faire.

Vous avez conseillé à plusieurs reprises aux dirigeants occidentaux de ne pas humilier Vladimir Poutine. Son invasion de l’Ukraine ressemble de plus en plus à un désastre militaire, surtout après la défaite de Kherson. Pourquoi ne pas le laisser face au principe éternel de la guerre : « vae victis », « malheur aux vaincus » ?

Cette guerre aurait pu être évitée si les États-Unis n’avaient pas poussé à l’élargissement de l’Otan à l’Ukraine et à la Géorgie, et n’avaient pas participé au renversement de Viktor Ianoukovitch en 2014. La France et l’Allemagne auraient également dû pousser l’Ukraine à se conformer aux accords de Minsk II. Il y a déjà plusieurs centaines de milliers de morts en Ukraine à cause de cette guerre. Si l’Ukraine tente de reprendre la Crimée, je pense que nous assisterons à une escalade massive, voire à une guerre nucléaire. L’idée que l’Ukraine vaincra la Russie est un pari imprudent sur l’apocalypse. Les États-Unis et les Ukrainiens auraient dû signer la neutralité de l’Ukraine, le contrôle de facto de la Russie sur la Crimée et la mise en œuvre des accords de Minsk II. Au lieu de cela, ils parient imprudemment sur la victoire militaire contre un pays qui a 1 600 armes nucléaires. Récemment, le général Mark A. Milley, chef d’état-major des armées américaines, a déclaré qu’il était temps de négocier, mais la Maison-Blanche a semblé rejeter ses sages conseils.

Pourquoi maintenez-vous une position prorusse ?

Je suis pro-Ukraine et pro-paix. Je reconnais également les objections légitimes de la Russie contre l’élargissement de l’Otan, objections qui remontent à plus de trente ans. Je veux aider à accélérer la fin des souffrances et des destructions massives en Ukraine causées par la guerre par procuration entre les États-Unis et la Russie. Plus important encore, les États-Unis devraient cesser d’insister sur l’élargissement de l’Otan. Les dirigeants européens ont depuis longtemps reconnu les dangers des actions américaines sur l’Otan, mais malheureusement ils ne combattent pas les positions américaines.

Que peut accomplir cette réunion du G20, en l’absence de Vladimir Poutine ?

Le G20 devrait s’accorder sur la mise en place d’une nouvelle architecture financière mondiale pour aider les pays en développement à financer le développement durable, y compris l’adaptation au climat et la transformation énergétique. Le programme économique peut et doit aller de l’avant.

Xi Jinping peut-il aider à résoudre la crise ukrainienne ?

Oui, bien sûr. La Chine aiderait à garantir la sécurité de l’Ukraine en tant que pays neutre. La Chine n’a aucun intérêt à soutenir l’élargissement de l’Otan, d’autant plus que les États-Unis construisent des alliances militaires en Asie contre la Chine, et engagent même dangereusement l’Otan dans la politique antichinoise des États-Unis.

Selon votre dernier rapport sur les objectifs du développement durable, les efforts pour les atteindre à l’horizon 2030 sont sous-financés et sont ralentis par les crises qui s’accumulent. Ressentez-vous suffisamment d’urgence dans ce G20 pour rétablir le cap ?

Non, hélas, il n’y a aucun sentiment d’urgence. Le système politique américain, notamment les membres du Congrès, ne se soucie pas vraiment du développement économique mondial. L’élite politique se concentre plutôt sur l’hégémonie américaine. Tout au plus, l’intérêt des États-Unis pour l’Afrique s’est un peu ragaillardi pour concurrencer la Chine.

Trois ans après son déclenchement, l’origine de la pandémie est encore inconnue. Près de deux mois après le sabotage de Nord Stream, l’enquête n’a pas nommé ceux qui l’ont commis. Comment la communauté internationale peut-elle rester si divisée face à des événements majeurs ?

Dans les deux cas, le gouvernement américain maintient et manipule un récit invraisemblable, et le fait avec une acceptation remarquable en Europe. Sur le Covid-19, il est clair que les États-Unis ont financé des recherches très dangereuses en Chine basées sur la manipulation génétique avancée de virus de la famille du Sars. Et il est également clair que le gouvernement américain a refusé d’enquêter sur ses propres programmes de recherche qui auraient pu contribuer à la création du Sars-CoV-2. Au lieu de cela, le gouvernement américain a encouragé l’histoire scientifiquement faible d’une épidémie « naturelle » sur le marché de Huanan, à Wuhan.

Sur Nord Stream, Joe Biden a promis le 7 février que si la Russie envahissait l’Ukraine, Nord Stream serait terminé. Lorsqu’on lui a demandé comment les États-Unis feraient cela, il a répondu : « Je vous promets que nous serons en mesure de le faire. » Même la Suède cache les résultats de son enquête sur Nord Stream à l’Allemagne et au Danemark, au nom de la sécurité nationale ! Je crois que les dirigeants européens savent que les États-Unis et d’autres alliés ont fait cela, mais ils ne commenteront ou n’expliqueront tout simplement pas la vérité au public. Nous ne savons pas avec certitude que le Sars-CoV-2 est venu d’un laboratoire et que les États-Unis ont fait sauter le pipeline, mais nous savons que le public n’a pas encore été informé des faits réels concernant ces deux cas.

La Chine et la Russie ont un problème de transparence et de désinformation. Comment faire en sorte que les grandes puissances mettent fin à ce cycle de postvérité et de tromperie ?

Nous avons besoin d’une diplomatie structurée, systématique et renforcée entre les États-Unis, l’UE, la Russie et la Chine. La diplomatie s’est presque effondrée, emportée par une vague d’accusations, de désignation de coupables et, bien sûr, à cause de la guerre en Ukraine. Des diplomates de haut rang en Europe affirment que la diplomatie avec Poutine est impossible. Ce n’est pas vrai. La Russie a fait plusieurs tentatives diplomatiques valables ces dernières années (par exemple, pour arrêter l’élargissement de l’Otan à l’Ukraine et à la Géorgie, pour mettre en œuvre l’accord de Minsk II, etc.), mais celles-ci ont été repoussées par les États-Unis et l’Europe. De même, les États-Unis ont réduit leur diplomatie avec la Chine lorsque Joe Biden est arrivé au pouvoir. Cela aussi était une erreur.

Voir aussi:

« La politique chinoise est intimement liée à la religion »
ENTRETIEN. Pour Emmanuel Dubois de Prisque, le Parti communiste fonde, comme les anciens empereurs, sa légitimité sur le Ciel et la religion du sacrifice.
Propos recueillis par Laurence Moreau
Le Point
13/11/2022

Si moderne que cela, la Chine de Xi Jinping ? Celle qui est dirigée par un parti oligarchique dont la gouvernance ressemble fort à celle des anciens empereurs, celle qui privilégie le collectif sur l’individu, celle qui se présente volontiers comme la victime des Occidentaux mais aussi de tous ceux qui contestent son emprise, qu’il s’agisse des Tibétains, des Ouïgours ou des Taïwanais, quitte à utiliser les « faits alternatifs » pour mieux appréhender sa propre lecture de l’Histoire, cette Chine-là ne fonctionne-t-elle pas inlassablement et depuis des millénaires selon le modèle archaïque du sacrifice du bouc émissaire ? C’est la thèse du sinologue Emmanuel Dubois de Prisque, chercheur à l’Institut Thomas More et grand lecteur de l’anthropologue René Girard, l’auteur du livre culte La Violence et le Sacré (1972). Pour lui, l’opposition irréductible entre la Chine et l’Occident est le rapport à la religion, notamment le conflit sous-jacent avec le christianisme qui concurrence le culte traditionnel depuis cinq siècles.

Le Point : Dans La Chine et ses démons (Odile Jacob), votre nouveau livre, vous affirmez que la source du totalitarisme chinois repose sur le fondement sacrificiel du pouvoir. Pourquoi ?

Emmanuel Dubois de Prisque : Il est impossible de comprendre la forme de la gouvernance chinoise actuelle sans s’intéresser à la Chine archaïque et à la Chine impériale. Et, quand on se livre à cet exercice, on constate combien la théorie du philosophe René Girard sur le bouc émissaire est pertinente. L’homme fonctionne toujours sur le mode mimétique : il désire ce que veut son voisin, d’où les conflits. Lorsque ceux qui déchirent une communauté finissent par converger vers un seul de ses membres, rendu responsable de tout le mal, sa mise à mort ramène l’ordre et l’harmonie. C’est un phénomène anthropologique universel que les Évangiles ont subverti en racontant ce lynchage non pas du point de vue de la foule persécutrice, mais du point de vue de la victime innocente. Cependant, ce phénomène reste particulièrement présent dans la Chine actuelle, où il structure la religion comme la politique.De quelle manière ?

Les mythes de la Chine la plus archaïque sont nombreux à mettre en scène un meurtre fondateur. Ainsi, Tang le Victorieux, fondateur de la dynastie Shang, est à la fois considéré comme celui qui mit à mort Jie, le dernier souverain des Xia – la première dynastie chinoise – il y a trois millénaires, et, après son arrivée au pouvoir, comme une victime émissaire, accusée d’exactement les mêmes maux que Jie en son temps. Lors d’une sécheresse, les conflits se multiplièrent et Tang s’offrit en sacrifice pour faire tomber la pluie. Tang et Yu le Grand, le fondateur des Xia, furent tous deux des infirmes portant les marques d’élection propres aux victimes émissaires. Tang était « desséché », comme les sorciers au cœur des rites de faiseurs de pluie, et Yu le Grand boitait. Le « pas de Yu » reste aujourd’hui un des principaux rituels taoïstes.

Le confucianisme n’insiste-t-il pas sur la notion de Voie royale, un modèle d’État où le roi vertueux tire sa légitimité du « décret (ou mandat) du Ciel » pour faire régner l’ordre et l’harmonie ? Rien à voir avec les sacrifices sanglants…

Bien au contraire, c’est par les sacrifices que l’empereur pouvait faire régner l’ordre et l’harmonie ! Avant d’être un politique, l’empereur était « fils du Ciel ». Le sacrifice au Ciel, qui était son apanage jusqu’en 1912 et la fondation de la République, était un rituel sanglant auquel aucun étranger ne pouvait assister. Si les sacrifices étaient correctement effectués, cela signifiait que le monde était en ordre. Si l’empereur s’agitait pour tenter de résoudre les problèmes auxquels le pays était confronté, il risquait au contraire de semer le désordre dans la communauté. Le « décret du Ciel », une notion dont la première occurrence apparaît en 998 avant notre ère, sous la dynastie des Zhou, permettait de justifier le pouvoir en place. L’empereur devait sans cesse faire face aux risques de subversion et inspirer une peur plus grande que celle qu’il éprouvait lui-même à l’égard de la violence collective. Le regard menaçant des « dix mille êtres » (la foule) pesait constamment sur l’« être unique » qu’était l’empereur, « plus à plaindre qu’un lépreux », comme le disait le légiste Han Feizi. Pour Mencius [Mengzi], le tyran déchu doit faire face à la volonté commune du Ciel, du peuple et de celui qui l’a chassé, lequel devient le nouveau détenteur du décret du Ciel mais peut être demain une nouvelle victime sacrifiée. N’est-il pas intéressant de voir comment, lors du XXe Congrès, Hu Jintao, le prédécesseur de Xi Jinping, a été, en public, exclu de l’assemblée ? Son successeur n’a pas bougé un cil. Depuis l’avènement du Parti communiste, le « décret du Ciel » s’appelle « mission historique » et fonde la légitimité du Parti. Si la dénomination change, c’est toujours du Ciel que vient la légitimité. Tant qu’ils ont le pouvoir, les dirigeants sont légitimes.

Le culte du chef communiste a-t-il quelque chose à voir avec celui des empereurs ?

Oui, car la théologie joue toujours son rôle dans la Chine d’aujourd’hui. Le sinologue Joël Thoraval a démontré que souvent, dans les campagnes, les souverains occupent la place centrale sur les autels domestiques et lors des rites, aux côtés du Ciel, de la Terre, des ancêtres et des maîtres. La politique chinoise est intimement liée à la religion. Dans les années 1980 et 1990, après la fin du culte de la personnalité, décrétée par Deng Xiaoping, des empereurs autoproclamés, suivis parfois de milliers de fidèles, sont apparus partout en Chine. Le retour d’une figure impériale avec Xi Jinping marque au fond un retour à la normale.

Selon vous, ce ne sont pas les « cinq poisons » – que sont les résistants ouïgours et tibétains, les indépendantistes taïwanais, les militants pour la démocratie ou les membres de la secte Falun Gong – qui gênent vraiment le Parti communiste chinois, mais le christianisme. Pourquoi ?

Cette religion, présente en Chine depuis le XVIIe siècle, rend plus difficile la fermeture sacrificielle sur le bouc émissaire. Le christianisme est synonyme de liberté. C’est grâce à lui que les femmes ont pu avoir accès à l’éducation et commencer à se libérer de la coutume des pieds bandés, progrès d’ailleurs revendiqué par le Parti communiste. Aujourd’hui, malgré les persécutions parfois sanglantes contre les chrétiens jusqu’aux années 1970 et les mesures prises aujourd’hui pour interdire l’accès au culte, les conversions vont croissant. Nous manquons de statistiques fiables, mais les chrétiens seraient environ 100 millions, en majorité des protestants. C’est dans ce vivier que se recrutent nombre de militants des droits de l’homme. Ce n’est donc pas un hasard si le pouvoir veut « siniser » le christianisme. En 2019, il a annoncé un projet de réécriture de la Bible, qui devrait être terminé d’ici dix ans. Il a renoncé toutefois à inclure dans un manuel d’éducation civique sa version de l’épisode de la femme adultère (Évangile de Jean), dans laquelle le Christ participe lui aussi à la lapidation !

La règle du bouc émissaire a-t-elle une influence sur l’historiographie chinoise ?

Bien sûr. Celle-ci n’est pas fondée sur la vérité, mais sur l’autojustification du pouvoir, lequel est toujours pacificateur alors que les victimes sont des « fauteurs de troubles » responsables de ce qui leur arrive. Le massacre des Dzoungars, commis par les Qing au milieu du XVIIIe siècle, est ainsi présenté dans les annales comme une expédition punitive contre des brigands rebelles au fils du Ciel. Les Dzoungars ont été exterminés ; leur principauté est devenue pour partie la province du Xinjiang, peuplée par les Ouïgours, alors alliés des Chinois, et aujourd’hui par de plus en plus de Hans. Mais ce génocide est commémoré en toute bonne conscience par le pouvoir chinois en tant que moment privilégié de l’unité entre les Hans et les Tibétains, qui les avaient alors aidés. A contrario, la Chine ne peut être que victime des Occidentaux et des Japonais, qui l’auraient humiliée, sans que le pouvoir accepte de prendre en compte le fait que c’est grâce aux « barbares » étrangers qu’elle s’est pour une part ouverte à la modernité. Elle-même d’ailleurs n’aurait jamais fait de guerres de conquête, elle se serait contentée d’unifier le territoire du Ciel…

Voir également:

Tiananmen: 30 ans après, la Chine assume tout
La violence fondatrice de Tiananmen
Emmanuel Dubois de Prisque
Causeur
12 juin 2019

Tiananmen: 30 ans après, la Chine assume tout
© Yomiuti / AP / SIPA Numéro de reportage : AP22343224_000023

La violence de Tiananmen se comprend difficilement avec des yeux d’Occidentaux


Il y a un mystère Tiananmen. Alors qu’à l’extérieur de la Chine, ce massacre est toujours considéré comme une tache indélébile sur l’uniforme de l’Armée populaire de libération, le pouvoir chinois semble pour sa part de mieux en mieux l’assumer.

Cette répression par l’armée chinoise de manifestations étudiantes pacifiques, qui s’est soldée selon les sources par un bilan allant de quelques centaines à quelques milliers de morts, a longtemps été occultée par le pouvoir. Mais aujourd’hui, trente ans après les faits, le ton change à Pékin. Loin de disparaître de la conscience du Parti comme une mauvaise action qu’il s’agirait de refouler à jamais, cet acte de violence, ce coup d’État au sens premier du terme, est dorénavant revendiqué par le pouvoir comme un acte « correct » qui a mis la Chine « sur le chemin de la stabilité et du développement » (selon le ministre chinois de la Défense), ou encore comme un « incident » qui tel un vaccin «  immunise la société chinoise contre les désordres politiques les plus importants » (selon le journal officiel Global Times). Un acte bénéfique en somme, que le Parti défend aujourd’hui ouvertement, tandis qu’il se persuade que l’Occident en crise n’a plus aucune leçon à lui donner.

“Il faut du sang”

L’analogie entre vaccination et répression pourra sembler saugrenue, voire blasphématoire aux yeux d’Européens habitués à considérer toute violence, même d’État, sinon comme illégitime, au moins comme une forme d’aveu d’échec. Pourtant, ce n’est pas un auteur chinois, mais un auteur occidental qui nous permet peut-être de comprendre le mieux ce que le Global Times entend par cette analogie. Dans La Violence et le Sacré, René Girard décrit le processus de vaccination sur le modèle du sacrifice. « Que dire des procédés modernes d’immunisation et de vaccination ? (…) L’intervention médicale consiste à inoculer « un peu » de la maladie, exactement comme dans les rites qui injectent « un peu » de la violence dans le corps social pour le rendre capable de résister à la violence ». Quelques jours avant le déclenchement de la répression, fin mai 1989, alors que la direction du Parti semble plus divisée que jamais, le président de la République Yang Shangkun aura cette injonction glaçante : « il faut du sang ».

Ce qui est moderne en Chine, ce sont donc, tout autant que les pratiques de la médecine contemporaine, les procédés archaïques du sacrifice et de la violence, qui visent par la violence à mettre à distance la violence. Mais que la violence puisse porter des fruits, qu’elle puisse devenir fondatrice d’un ordre politique pérenne, cela n’est possible, à suivre René Girard, qu’à la condition qu’elle fasse l’objet d’une méconnaissance, c’est-à-dire que la responsabilité de la violence qui traverse la communauté soit attribuée non à ses auteurs véritables, mais à un bouc émissaire qui par là même mérite, aux yeux de la communauté, le sort qui lui est fait par le pouvoir. C’est ainsi que des dissidents chinois réfugiés à l’étranger peuvent aujourd’hui se voir reprocher par des étudiants éduqués en Chine d’avoir « cruellement tué des soldats de l’armée populaire » (Le Monde des 2 et 3 juin 2019).

Victimes sacrificielles

C’est seulement en mettant en lumière la logique sacrificielle qui sous-tend son discours que nous pouvons comprendre comment le pouvoir chinois peut simultanément mettre en avant son souci de l’harmonie et mettre en œuvre une répression féroce. En effet, dans cette logique, l’un ne va pas sans l’autre, car c’est en exerçant une répression féroce contre ceux qui sont accusés de répandre la discorde que l’harmonie est préservée. Ainsi, depuis des décennies, le pouvoir chinois organise de rituelles « luttes contre la corruption » ou contre la « pollution spirituelle » qui visent à fournir au système les victimes sacrificielles dont il a besoin.

René Girard pensait que partout dans le monde, les mécanismes sacrificiels de la politique avaient été rendus inefficaces par leur dévoilement progressif au cours de la période moderne. La Chine est peut-être en train de nous prouver qu’il avait tort.

La Violence et le Sacré, René Girard (Fayard/Pluriel)

Voir de même:

Le dieu chinois de la peste, par l’écrivain Ma Jian

Le courageux auteur de « China Dream », exilé à Londres, est l’un des meilleurs analystes de la propagande de Pékin et de ses mythes. Il dit, pour « l’Obs », ce que lui inspire la politique sanitaire mise en œuvre par Xi Jinping.

Ma Jian

Ecrivain

Le Nouvel Obs

Au début du printemps 2020, lorsque l’épidémie de Covid-19 a submergé Wuhan, une avocate de Shanghai, Zhang Zhan, arpentait la ville pestiférée. Elle savait que le plus effrayant n’était pas que le virus se propage, mais que la vérité soit étouffée. Elle voulait fournir aux personnes vivant hors de cette zone des informations non contaminées par le virus du mensonge. Résultat : elle a été arrêtée, ramenée à Shanghai et condamnée à quatre années de détention. Prisonnière du gouvernement chinois.

Au début du printemps 2022, après deux ans pendant lesquels il a fait le tour du monde, le Covid est arrivé à Shanghai, et les gens se sont de nouveau retrouvés enfermés chez eux. Prisonniers du gouvernement chinois. La même chose se reproduira prochainement à Pékin, à Tianjin, dans d’autres villes encore. Si vous vivez en Chine, peu importe la taille de votre domicile, ce n’est qu’une sorte de cellule, un substitut de prison. Les méthodes carcérales de ce pouvoir totalitaire sont bien pires que l’épidémie. La Chine tout entière n’est qu’une grande prison d’où sont exclues toute information et toute pensée. Chaque coin de rue, chaque station de métro pullule de caméras et de policiers, et il n’existe aucun endroit où l’on puisse se rencontrer et communiquer librement. Les gens traitent donc leurs amis et voisins comme des virus dont ils doivent se garder.

Zhang Zhan a été la première personne à être publiquement condamnée par le Parti communiste chinois pour avoir dévoilé l’épidémie de Wuhan. J’ai vu Zhang Zhan à la télévision, en fauteuil roulant, affaiblie par une grève de la faim de près de sept mois. J’ai vu aussi les images de ces Shanghaïens tellement affamés qu’ils se disputaient une botte d’ail dans un magasin. Et de ces habitants strictement confinés dans leur appartement au quatrième étage, qui descendaient par la fenêtre leur chien attaché à une corde pour qu’il puisse gambader un peu, avant de le remonter par la même voie. J’ai même vu un type qui rampait à quatre pattes dans la rue, cherchant à se faire passer pour un chien… L’absurde et l’humour noir ont toujours été omniprésents en Chine, mais j’ai le sentiment désormais que les Chinois se sont habitués à vivre sans liberté ni dignité.

Je repense aux cinq dieux des épidémies qui sont vénérés en Chine depuis des millénaires. Cinq démons à l’origine, qui régissaient les saisons et leurs terrifiants maux respectifs. Selon la légende, les anciens ont dompté ces esprits pernicieux, les ont transformés en divinités, les « cinq commissaires des miasmes », et les ont placés dans des temples où l’on pouvait, en leur faisant des offrandes, obtenir leur protection contre les maladies. Le démon qui contrôlait les maux du printemps s’appelait Zhang Yuanbo. Le Covid s’étant déclaré au printemps, à Wuhan comme à Shanghai, le dieu des miasmes du printemps s’appelle aujourd’hui Xi Jinping : Xi est devenu un démon maléfique qui, tout comme Zhang Yuanbo, devrait être dompté.

En cas d’épidémie, il est courant que les gens s’enferment quelques jours afin d’empêcher la propagation du virus, et que les gouvernements organisent ce confinement. Mais après deux années de mutations constantes, le Covid sous sa forme actuelle Omicron est devenu semblable à la grippe. Confiner strictement les villes, les quartiers et les familles revient à utiliser un canon pour écraser un moustique. Pourtant, si le commandant en chef Xi Jinping veut appliquer le « zéro Covid », la Chine tout entière doit être bouclée. Tout comme en 1958, lors du Grand Bond en avant, quand Mao Zedong a ordonné aux Chinois d’exterminer les moineaux accusés de picorer les semences. La stratégie « zéro moineaux » a été couronnée de succès, mais à quel prix : les insectes se sont multipliés, entraînant une catastrophe écologique. C’est le modèle institutionnel du Parti communiste chinois, Xi Jinping a juste remplacé les moineaux par le Covid.

« Pistolet à mensonges »

Le bouclage intégral de Shanghai signe en réalité une défaite pour Xi Jinping. Il y a deux ans, il avait ordonné la fermeture totale du pays tout en maintenant les vols internationaux, et ainsi permis au virus de se propager dans le monde. Cette fois, il voulait empêcher le retour en Chine du virus qui avait pourtant perdu en virulence. Quoi que fasse le dieu de la peste Xi, il montre que les virus dictatoriaux sont plus dangereux que les virus de chauve-souris. Les potentats sont bien incapables de contrôler la diffusion des maladies contagieuses, mais contrôlent parfaitement la transmission de la vérité. Il suffit que leurs propres virus se dissolvent dans un mensonge pour se glisser dans les esprits des personnes qui ne connaissent pas la vérité. Tout comme une balle ne tue que lorsqu’elle a été insérée dans le barillet d’un revolver. Xi Jinping est un dieu de la peste qui brandit un « pistolet à mensonges ». S’il n’avait pas tout fait pour dissimuler la vérité au moment où le coronavirus a surgi à Wuhan, sa propagation aurait pu être contenue, comme cela a été le cas pour le virus Ebola.

A l’ère de la mondialisation, le camouflage de la vérité sur l’épidémie a eu comme conséquence que le monde entier est devenu un grand Wuhan. Absolument aucune ville n’y a échappé. A Londres, où je suis exilé, quatre membres de ma famille ont été contaminés. 160 millions de personnes dans le monde ont été infectées, des millions sont mortes. Malgré ce coût écrasant en vies humaines, nous ne connaissons toujours pas le vrai visage du fléau dissimulé sous des mensonges politiques. Cette vérité est entre les mains du commandant en chef de la peste, Xi Jinping. Mais la Chine sous le joug communiste est un pays sans vérité. Du massacre d’étudiants sur la place Tiananmen en 1989 à l’emprisonnement de millions de personnes dans les camps de concentration du Xinjiang, la vérité est toujours cachée. Les responsables des démocraties européennes devraient savoir que laisser ces mensonges se diffuser revient à tuer la vérité une deuxième fois. Et qu’oublier les victimes de ces mensonges nous rend incapables de nous en protéger.

Nous vivons en un temps qui a perdu le sens du bien et du mal, réduits à assister en spectateurs aux assauts de cette calamiteuse machine à fabriquer des « mensonges rouges » contre nos vies et nos libertés. Nous sommes en 2022, mais nous nous sommes rapprochés du « 1984 » d’Orwell. Ce n’est pas seulement en Chine, à Hongkong ou au Xinjiang que l’on voit, sous l’effet du totalitarisme, le désir de changement social peu à peu remplacé par l’attrait pour le fric et le besoin de sécurité. L’espèce humaine tout entière est en train de s’engourdir et ne sait plus distinguer le vrai du faux. A cause de ce flou, dans de nombreux pays, il n’est même pas possible de vacciner la population. Et il y a tant de personnes qui développent des anticorps contre les droits humains et la démocratie, et s’habituent à vivre en symbiose avec le virus totalitaire.

Protecteur de Poutine et de Kim troisième du nom

Car oui, trente-trois ans après le massacre de la place Tiananmen, les gens évitent de parler du carnage qui a eu lieu sur cette place, et c’est là une victoire du mensonge. L’Union européenne a même ouvert un boulevard au régime de Xi Jinping en lui permettant de faire miroiter le « rêve chinois » aux yeux de la planète. Pendant ce temps, le Covid né à Wuhan se propageait, entraînant une hécatombe des millions de fois supérieure au massacre de Tiananmen.

Oui, il y a trente-trois ans, les démocraties ont vu tomber le mur de Berlin et tout le monde a cru que le communisme s’était éteint avec le XXe siècle. Mais le plus grand Parti communiste du monde, le PC chinois, n’est pas tombé ; il a envoyé 200 000 soldats réprimer le mouvement pro-démocratie sur la place Tiananmen, après quoi il a nettoyé les taches de sang, rebouché les trous laissés par les balles sur les monuments de la place, et imprégné de mensonges le cerveau de 1,3 milliard de personnes. Et le PC chinois est devenu, sous le manteau, le protecteur de Poutine et de Kim troisième du nom. Avec ses « gènes » communistes et sa pensée restée bloquée à l’époque de l’empire soviétique, Poutine est naturellement devenu un pion dans le jeu du prince rouge Xi Jinping. Ces deux dictateurs unissent désormais leurs forces en vue de dominer le monde. L’invasion de l’Ukraine montre quelle est l’ambition de Poutine. Et comment Xi Jinping manœuvre. Aujourd’hui comme il y a trente-trois ans, les pays démocratiques doivent se battre contre ces deux super-hégémons rouges.

Oui, après trente-trois ans de mensonges, on finit par penser que la vérité est elle aussi indigne de confiance. Après Tiananmen, la Chine communiste s’est lancée dans le développement capitalistique, devenant vite le nouveau Big Brother. Aujourd’hui, elle ne cache plus son désir d’écraser les démocraties afin de réaliser le « rêve chinois » – la domination de l’Empire rouge sur le monde. Le virus du rêve chinois, tout comme le coronavirus de Wuhan, a besoin de se transmettre pour survivre et se perpétuer. Pour ce faire, la Chine est devenue une boîte de Pandore qui produit sans trêve des mutations et contamine tous les pays. Face à elle, nous ne sommes plus que des prisonniers enfermés dans un labyrinthe de mensonges, contraints à aspirer ses miasmes.

Oui, si le Parti communiste chinois s’était désintégré en même temps que les régimes communistes de l’Est, et si les responsables politiques occidentaux ne s’étaient pas empressés d’oublier le massacre qui a eu lieu à Pékin en 1989, la pandémie qui se promène aujourd’hui dans l’air que nous respirons n’existerait pas. Mais le Parti communiste chinois a profité du Covid pour démolir à nouveau la statue de la Liberté qui avait été érigée sur Tiananmen : il a abattu le phare de liberté qu’était Hongkong. Et on a revu les mêmes scènes qu’il y a trente-trois ans : des étudiants et des enseignants en grève de la faim pour défendre la démocratie et la liberté ; des étudiantes ligotées, écrasées sous les bottes de la police militaire ; des mamies aux cheveux blancs tentant de raisonner les policiers ; des danseuses et des chanteuses se battant jusqu’à la mort… Le dieu des miasmes Xi a décrété que la vérité était « fake ». Et nous des « mensonges » qu’il veut effacer.

Epidémie sanglante

Aujourd’hui, les Ukrainiens meurent sous les bombes de Poutine, les habitants du Xinjiang sont emprisonnés et « rééduqués » par Xi Jinping, les Taïwanais risquent à tout moment l’invasion. Ces deux dictateurs sont en train de propager une épidémie sanglante, ouvrant une époque où le glas sonne tous les jours. Souvenons-nous du poète anglais John Donne qui a écrit au tournant des XVIe et XVIIe siècles :

« Nul homme n’est une île,
entière en elle-même ;
tout homme est un morceau du continent,
une partie de l’ensemble.
[…]
La mort de tout homme me diminue,
parce que je fais partie du genre humain,
aussi n’envoie jamais demander pour qui sonne le glas ;
il sonne pour toi. »

Quand pourrons-nous sonner le glas des dictateurs qui répandent la peste ? Notre inquiétude au XXIe siècle, c’était que la technologie, l’internet et les divertissements bouleversent trop la société, que nos enfants regardent trop la télévision et jouent trop aux jeux vidéo. Nous étions loin de nous douter que la peste rouge venue de Chine allait surgir dans nos vies, prendre la vie de nos amis et de nos proches, puis s’atteler à « purifier » nos esprits, effacer notre conscience, nos valeurs, transformer nos façons de communiquer, de nous déplacer, nos services publics et notre vie culturelle, comme elle l’a fait à Wuhan ou à Shanghai. La civilisation politique de l’Europe est d’ores et déjà endommagée.

Allons-nous continuer à regarder sans réagir les moines tibétains s’immoler l’un après l’autre, les habitants du Xinjiang, des personnes âgées aux enfants, être jetés dans des camps de concentration, leurs familles être détruites, et mes amis écrivains de Hongkong être arrêtés et disparaître les uns après les autres ? Je prie pour que, quand la grande souffrance du Covid prendra fin, les pays démocratiques auront réussi à construire une cage indestructible et y auront enfermé les dieux des miasmes. Que le rêve chinois du démon de la peste Xi reste à jamais un rêve. Ou qu’il soit enfermé, en compagnie de milliers d’autres virus, dans le laboratoire de Wuhan construit avec l’aide des Français. Allons-nous laisser la civilisation humaine régresser et tomber dans le piège du rêve chinois ?

BIO EXPRESS

Né en 1953 à Qingdao, Ma Jian est poète, peintre et romancier. Il est notamment l’auteur de « Nouilles chinoises », « Beijing Coma », « la Route sombre » et « China Dream », tous traduits aux éditions Flammarion. Il a fui la Chine en 1997, et vit à Londres depuis 1999.

Voir de plus:

Un manuel scolaire destiné à l’enseignement professionnel dans le secondaire, publié par le service d’édition de l’Université des sciences et technologies électroniques de Chine, qui dépend du gouvernement, a suscité la consternation parmi les catholiques de Chine continentale. Le texte, publié afin d’enseigner « l’éthique professionnelle et le respect de la loi » aux élèves, cite un passage du récit évangélique de la femme adultère pardonnée, mais déformé et détourné à des fins politiques. « Comment enseigner l’éthique professionnelle avec un tel manuel ? », demande un prêtre, qui souhaite rester anonyme.

Une partie de la page de couverture d’un manuel scolaire controversé, qui a suscité la consternation parmi la communauté catholique chinoise.

La publication d’un manuel scolaire contenant une histoire biblique déformée et détournée a suscité la colère parmi les fidèles de la communauté catholique en Chine continentale. Le manuel en question a été publié pour enseigner « l’éthique professionnelle et le respect de la loi ». Le manuel scolaire, publié par le service d’édition de l’Université des sciences et technologies électroniques de Chine, qui dépend du gouvernement, contient un texte évoquant le récit de Jésus et de la femme adultère pardonnée. Dans la publication, le récit évangélique (Jean 8, 1-11) est déformé et affirme que Jésus Christ a lapidé une femme pécheresse afin de respecter la loi de son temps. Le texte reprend le passage décrivant la foule voulant lapider une femme selon la loi, et Jésus leur répondant « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre ». Pourtant, la fin du récit diffère radicalement, le texte ajoutant qu’une fois la foule dispersée, Jésus se serait mis à lapider la femme à mort en ajoutant « Moi aussi je suis pécheur, mais si la loi ne devait être exécutée que par des hommes sans faute, la loi serait vaine ». Un paroissien a publié le passage en question sur les réseaux sociaux, en dénonçant la falsification d’un texte biblique à des fins politiques comme une insulte à l’Église catholique. « Je voudrais que tout le monde sache que le Parti communiste chinois a déjà essayé de déformer l’histoire de l’Église par le passé, de diffamer notre Église et d’attirer la haine du peuple sur notre Église », a-t-il souligné.

Mathew Wang, un enseignant chrétien dans une école professionnelle, confirme le contenu du texte controversé, tout en ajoutant que la publication exacte varie selon les lieux en Chine. Mathew Wang précise que le texte publié par le manuel scolaire a été relu par le Comité de contrôle des manuels scolaires pour l’éducation morale, dans le cadre de l’enseignement professionnel dans le secondaire. Il déplore que les auteurs aient utilisé un tel exemple erroné pour justifier les lois socialistes chinoises. Selon certains catholiques chinois, les auteurs du manuel auraient voulu souligner que la loi est sacrée en Chine, et que son respect absolu est essentiel. Un prêtre catholique, qui souhaite rester anonyme, affirme quant à lui que le texte publié « est lui-même immoral et illégal ». « Du coup, comment pouvons-nous encore enseigner l’éthique professionnelle avec un tel manuel ? », demande-t-il. « C’est un phénomène social bien triste que nous observons en Chine continentale », déplore-t-il. Paul, un catholique chinois, ajoute que des déformations similaires de récits chrétiens et de l’histoire de l’Église continuent d’être observées, mais il estime que les protestations des chrétiens n’auront aucun impact. « La même tendance se répète chaque année, mais l’Église ne riposte jamais, ou en tout cas elle ne reçoit jamais le respect et les excuses qu’elle mérite. » Kama, un catholique qui gère les contenus d’un groupe catholique sur les réseaux sociaux, souligne que le contenu publié par le manuel est une offense aux croyances religieuses des chrétiens. Il appelle les auteurs et les éditeurs concernés à présenter leurs excuses publiquement et corriger le texte. « Nous espérons que les autorités chrétiennes prendront la parole », ajoute-t-il.

(Avec Ucanews, Hong-Kong)

Le débat sur l’interdiction de Noël en Chine rate l’image d’ensemble
French.china.org.cn

26. 12. 2017

Lundi, c’était Noël. En Chine, de nombreux magasins lancent des promotions sur ce thème, remplissant les rues commerciales à travers le pays d’une atmosphère de Noël. Cette pratique est devenue courante dans les zones commerciales de Chine à chaque fin d’année.

Cependant, certains articles ont rapporté que des villes et des universités avaient « interdit Noël », ce qui a attiré l’attention de certains médias étrangers. Ceux-ci ont exagéré cette information, expliquant que la Chine interdisait Noël pour des considérations politiques et pour résister à l’invasion culturelle occidentale.

Les membres du Parti communiste de Chine dans les villes majeures comme Beijing et Shanghai n’ont été informés d’aucune notification interdisant Noël. Cette interdiction dans certains lieux et certaines institutions avait pour but de préserver la sécurité publique et en aucun cas de « boycotter » Noël.

Noël n’a cessé de se populariser en tant que fête commerciale. Au cours des dernières années, même les fêtes traditionnelles chinoises sont devenues plus populaires que jamais. La popularité de ces fêtes peut être attribuée aux améliorations dans la vie de la population. En effet, celle-ci a de plus grandes exigences en matière de loisirs et espère que ces fêtes pourront apporter une distraction dans leur vie bien remplie.

L’une des raisons pour la popularité des fêtes étrangères est que les jeunes Chinois les conçoivent comme un moment pour se détendre et s’amuser. Ils connaissent peu leurs origines ou leurs significations et ne ressentent pas d’obligation à suivre leurs rites.

Une autre de ces raisons est que le potentiel commercial de nombreuses fêtes traditionnelles chinoises n’a pas encore été pleinement exploré. La population montre également un intérêt de plus en plus grand dans les fêtes chinoises traditionnellement moins importantes, comme la fête de Qixi (l’équivalent chinois de la Saint-Valentin) ou encore la fête de Dongzhi (fête du solstice d’hiver), qui est célébrée avec un repas constitué de raviolis chinois, les jiaozi.

Dans cette ère de communications mondialisées et de partage interculturel, il est inévitable que les fêtes étrangères deviennent de plus en plus populaires. L’influence de la fête chinoise du Printemps devrait également se développer à travers le monde.

La culture occidentale s’est répandue en Chine pendant plus d’un siècle, tandis que la culture chinoise traditionnelle est en train de connaître un renouveau. A l’heure actuelle, il est compréhensible que la société chinoise souhaite promouvoir ses propres fêtes traditionnelles et que les officiels maintiennent une certaine distance avec les fêtes étrangères.

Certains médias occidentaux semblent très sensibles à la controverse sur Noël en Chine et l’observent sous un angle politique. La société chinoise en général n’a pas besoin de prendre cela trop au sérieux.

Voir également:

Chine : réactions en ligne après le floutage des images de Noël dans une célèbre émission de télévision
The Stand News
Véronique Danzé
12/01/2021

L'image montre une grande pièce avec un haut plafond. Un grand escalier mange l'image et se sépare a l'étage sur la gauche et la droite. Au premier plan, 7 jeunes gens sont assis sur des canapés de style ancien, de couleur marron. Ils sont vêtus de vêtements d'époque. Sur l'image, on voit de nombreux plans floutés : un sapin de Noël, au milieu de l'image, et des décorations suspendues sur les deux côtés des escaliers. Le logo de la chaîne de télévision, « Mango TV », apparaît en haut à gauche, en caractères chinois.

Copie d’écran de l’émission de télévision en ligne « Qui est le meurtrier ? »

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en chinois, ndlt.]

La version originale du reportage a été publiée en chinois le 26 décembre 2020 par The Stand News. La version suivante, traduite de l’anglais, est publiée sur Global Voices dans le cadre d’un accord de partage de contenu.

Au cours des dernières années, la campagne politique de « boycott des festivités étrangères » a pris de l’ampleur en Chine. Sous la pression du gouvernement, la majorité des médias de Chine continentale se sont abstenus de produire des programmes de promotion des festivités étrangères. Ainsi, cette année, une télévision chinoise en ligne a dû brusquement flouter le décor de Noël de sa populaire émission de variétés, lors de la diffusion de sa première la veille de Noël, générant une réaction immédiate en ligne.

Depuis 2016, l’émission de variétés « Who’s the Murderer » [en], très en vogue auprès des jeunes en Chine et à l’étranger, est produite par la populaire chaîne en ligne « Mango TV », filiale de la télévision publique, Hunan Television. Le premier épisode de la sixième saison devait être diffusé la veille de Noël depuis un grand hôtel dont la décoration était inspirée du thème de Noël.

Bien que le contenu de l’épisode ne porte pas sur Noël, le décor risquait d’être interprété comme une promotion des « festivités occidentales ». L’équipe de production de la série a donc choisi de flouter tous les sapins de Noël, couronnes, cloches et autres décorations en vue de la diffusion en ligne de l’émission. Les accessoires présents sur la tête des personnages ont même été camouflés par des chapeaux de dessin animé en post-production.

Un utilisateur de Twitter, @Chenpingcong191, a filmé certaines des scènes de l’épisode du réveillon de Noël :

Pixellisation du sapin de Noël. C’est quoi ce bordel ?

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L’image est composée de 4 plans sur lesquels on distingue des extraits de l’émission « Who’s the Murderer » (Qui est le meurtrier ?), toutes les décorations et le sapin de Noël sont floutés.

Les fans de la série ont été consternés de découvrir les effets de la post-production. Les commentaires ont également inondé le compte officiel de la série sur les médias sociaux et le hashtag #明星大侦探将圣诞元素打码# (#PixellisationDesDécorsdeNoëlSurQuiEstLeMeurtrier#) est devenu viral sur Weibo le jour même. Vous trouverez ci-dessous quelques commentaires typiques sur Weibo :

Je ne supporte pas cette mosaïque…

Je suis aveuglé par la mosaïque sur l’écran

La composante étrangère des festivités ne peut pas échapper à l’organisme chargé de la censure, comprenez bien et ne vous en plaignez pas. Par chance, l’émission a pu être diffusée.

Cette campagne de boycott des festivités étrangères s’est accélérée depuis janvier 2017, après que le Comité central du Parti communiste chinois et le Conseil d’État ont publié un document intitulé, « Suggestions sur la mise en œuvre de projets visant à promouvoir et à développer le patrimoine culturel traditionnel chinois », invitant tous les responsables gouvernementaux et les autorités à mettre en place des activités de promotion des fêtes chinoises afin de renforcer la confiance culturelle de la population et la puissance tranquille de la Chine.

L’Administration nationale de la radio et de la télévision chinoise représente désormais l’une des autorités clés dans la mise en œuvre de ce projet politico-culturel. Son rapport annuel en 2018 a mis en évidence ses accomplissements dans la lutte idéologique contre les valeurs occidentales et les influences religieuses par le biais de la censure, de l’orientation de l’opinion publique et via la promotion des fêtes et des valeurs éthiques chinoises.

Bien qu’aucun document officiel n’interdise les festivités occidentales, la répression des pratiques religieuses, dont le christianisme, dans tout le pays s’est élargie à une interdiction des décorations de Noël publiques. Ainsi, en 2018 [fr], le Bureau de l’administration urbaine et de l’application des lois de la ville de Langfang, dans la province de Hebei, a exigé le retrait des décorations de Noël placées dans les rues. Ces dernières années, certaines écoles chinoises ont banni les célébrations de Noël dans l’enceinte des établissements.

Autrefois, la majorité des Chinois pensaient que les mesures répressives pendant la période de Noël ciblaient une minorité d’activités chrétiennes et que le secteur commercial ne serait pas affecté. Cependant, la pixellisation des décorations de Noël dans l’émission de télévision mentionnée ci-dessus témoigne du fait que cette politique pourrait avoir un impact plus important sur la vie des gens. Un utilisateur de Weibo a évoqué les implications économiques de cette pratique :

Cette fête occidentale fait désormais partie de notre culture populaire et la majorité de nos centres commerciaux sont parés de toutes sortes de décorations de Noël. Notre État veut-il vraiment une ligne de démarcation ferme [avec le monde occidental], que le marché des petites marchandises de Yiwu ne serve plus qu’à l’exportation et cesse de vendre ses produits sur le marché local ? La promotion de la confiance culturelle ne signifie pas que nous devons verrouiller le pays, n’est-ce pas ?

Un autre utilisateur de Weibo a regretté le retard pris en matière de politique culturelle :

Les chrétiens sont minoritaires dans notre pays. La majorité perçoit Noël comme une fête amusante.
Le secteur commercial y voit une raison de réaliser des ventes, les consommateurs y trouvent une occasion de dépenser, les amoureux y trouvent une occasion de dévoiler leurs sentiments ou de s’embrasser. Rien à voir avec la vénération de l’Occident. La majorité des personnes estiment que Noël est sans rapport avec la religion.
Ce n’est pas ainsi que l’on construit la confiance culturelle ; la force de la culture chinoise est liée à sa capacité à absorber d’autres cultures. Nous avions l’habitude de nous approprier la culture étrangère pour que notre civilisation puisse progresser. Que sommes-nous devenus aujourd’hui ?

Sur Twitter, @HuangZhanghong s’est gaussé :

Toujours sur Twitter, le blogueur chinois @fangshimin a déploré la politique de deux poids deux mesures des autorités chinoises vis-à-vis de la célébration de Noël, en publiant sur Twitter une capture d’écran des vœux de Noël du porte-parole chinois, Hua Chunying [en] :

Comment se fait-il que le diplomate « guerrier-loup » puisse célébrer Noël alors que le simple citoyen chinois ne le peut pas ? Même les sapins de Noël doivent être pixellisés ? Les journalistes étrangers peuvent-ils poser cette question au « guerrier-loup », Hua Chunying ?

Suite au tweet de Hua Chunying [en], beaucoup ont soulevé des questions similaires et certains ont ajouté des remarques sarcastiques :

Vous employez une expression venue de l’Ouest. Cela signifie-t-il que vous êtes de connivence avec l’Occident ? L’ourson à la tête pensante ne sera pas ravi.

Est-ce que les Chinois en Chine fêtent Noël ? Et si oui, quel est le pourcentage de ceux qui le font ? Les musulmans, les bouddhistes et les Chinois athées célèbrent-ils eux aussi Noël en Chine ?

Je vous souhaite un joyeux Noël, j’espère que tout le monde profitera de cette fête ! J’espère que ceux qui ne fêtent pas Noël en Chine bénéficieront au moins de quelques remises.

Suite au tollé en ligne survenu le 24 décembre, la pixellisation des décorations de Noël de l’émission a été retirée le lendemain.

Voir de même:

Le gouvernement chinois déforme totalement un évangile dans un manuel scolaire
En Chine, un manuel scolaire publié par une maison d’édition dépendant du gouvernement s’est autorisé à réécrire le passage de la Bible concernant la femme adultère afin de mieux « coller » à l’enseignement auquel il est destiné : « l’éthique professionnelle et le respect de la loi ».
Agnès Pinard Legry
Aleteia

C’est un événement qui aurait presque pu passer inaperçu sans la vigilance de la communauté catholique chinoise. En Chine, un manuel scolaire destiné à l’enseignement professionnel dans le secondaire, publié par un service d’édition dépendant du gouvernement, a choisi de reprendre le passage biblique concernant la femme adultère afin d’enseigner aux élèves « l’éthique professionnelle et le respect de la loi ». On aurait pu s’en féliciter dans la mesure où Jésus, dans ce texte (Jn 8, 1-11), prend la défense de la femme adultère et empêche sa lapidation avec ces mots : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre ».Une volonté de justifier les lois socialistes chinoises ?Mais loin d’encourager une telle charité et l’amour de son prochain, le passage biblique cité dans le manuel scolaire assure que Jésus se serait mis lui-même à lapider la femme adultère en ajoutant : « Moi aussi je suis pécheur, mais si la loi ne devait être exécutée que par des hommes sans faute, la loi serait vaine ».C’est un paroissien qui a dénoncé cette falsification sur les réseaux sociaux : « Je voudrais que tout le monde sache que le Parti communiste chinois a déjà essayé de déformer l’histoire de l’Église par le passé, de diffamer notre Église et d’attirer la haine du peuple sur notre Église », a-t-il souligné d’après l’agence de presse UCA News. Mathew Wang, un enseignant chrétien également interrogé par l’agence de presse, déplore de son côté que les auteurs aient utilisé un tel exemple erroné pour justifier les lois socialistes chinoises.Ce n’est pas la première fois que le gouvernement chinois s’en prend aux catholiques du pays de manière plus ou moins insidieuse. Dans la province de l’Anhui (est du pays), près de Shanghai, depuis la mi-avril, plus de 500 croix appartenant à des lieux de culte chrétiens, que ce soit des églises catholiques ou des temples protestants, ont été enlevées des clochers. Cette répression qui émane du parti communiste n’est pas nouvelle et des milliers de croix ont déjà été retirées dans les provinces du Zhejiang, du Henan, du Hebei et du Guizhou, parfois sous prétexte de respecter les règles d’urbanisme.
Voir de plus:

Pourquoi Xi Jinping veut-il adapter la Bible à la ligne du Parti communiste ?

Les autorités chinoises ont demandé aux responsables religieux, lors d’une réunion qui s’est tenue le 6 novembre 2019, de veiller à la conformité des textes de référence avec les « exigences de la nouvelle époque ». Pour l’historien Yves Chiron, cette annonce est la suite logique de la politique de sinisation mise en place par Xi Jinping.

Timothée Dhellemmes

Aleteia

23/12/19

« Il faut une évaluation complète des traductions existantes de classiques religieux. Pour les contenus non conformes, il faut des modifications et il faut retraduire les textes ». C’est par ces mots que le parti communiste chinois (PCC) s’est adressé aux responsables religieux lors d’une réunion qui s’est tenu le 6 novembre 2019. La République populaire de Chine, qui surveille étroitement les religions depuis sa création en 1949, veut ainsi renforcer la mainmise du Parti communiste sur la société. Auteur de La longue marche des catholiques de Chine aux éditions Artège, l’historien Yves Chiron explique à Aleteia « qu’à défaut de pouvoir supprimer la religion, Xi Jinping cherche à la transformer ».Aleteia : en limitant de plus en plus la liberté religieuse en Chine, que cherche à faire le régime communiste ?
Yves Chiron : Le régime communiste veut que les religions servent les objectifs du Parti communiste, et donc la construction du socialisme. Xi Jinping sait qu’il ne peut pas faire disparaître la religion par une persécution massive, donc il poursuit la mise en œuvre d’une politique de contrôle et d’instrumentalisation de la foi chrétienne et de la religion musulmane. C’est une politique qui vise l’Église catholique mais aussi les autres religions, comme le protestantisme et l’islam.Ce n’est pas une annonce spectaculaire dans le sens où c’est la suite logique cohérente d’une volonté politique de sinisation de la société, que Xi Jinping a exprimé il y a déjà des années. Lorsqu’il a employé le terme de « sinisation » pour la première fois en 2011, il l’a appliqué au marxisme. Depuis 2015, il estime que cela doit aussi s’appliquer aux religions présentes en Chine. Pour lui, les religions doivent s’adapter à la culture et aux valeurs chinoises, et donc être un relais des valeurs marxistes.Quelles seraient les conséquences sur les relations, déjà très compliquées, entre les croyants et le régime ?
C’est un contrôle de plus en plus étroit et quotidien, à la fois sur tous les édifices mais également sur toutes les activités religieuses en général. En Chine, aucun journal chrétien ni revue de théologie ne peut exister. Il y a parfois quelques bulletins d’une église ou d’un temple, mais ils sont contrôlés par le régime.Pour la période de Noël, cela va encore plus loin : les autorités ont mis en place une campagne de boycott, car ils considèrent que cette fête trahit la culture chinoise. Dans les écoles, toutes les décorations de Noël sont interdites. Dans plusieurs établissements, des enfants ont été punis car ils ont dit qu’ils allaient se rendre à la messe de Noël. Cela est dû à une réglementation adoptée il y a deux ans, qui interdit aux enfants de moins de 18 ans d’aller dans les églises ou dans les temples.Le régime veut « graduellement former un système idéologique religieux aux caractéristiques chinoises ». Àterme, l’objectif est-t-il de se débarrasser de toutes les religions ?
Dans l’idéologie marxiste, la religion est « l’opium du peuple », une superstructure qu’il faut faire disparaître. Mais le régime est conscient que dans les faits, ce n’est pas possible dans l’immédiat. A défaut de détruire la religion, il cherche dont à la transformer. Cette politique de sinisation s’est traduite par exemple par une récente campagne d’affichage dans les églises. Les autorités politiques essayaient de montrer par des citations que les douze grandes valeurs du socialisme ont une correspondance directe dans la Bible, donc que la Bible annonce le socialisme.Le contrôle étroit des religions par le régime date de 1949, dès la fondation de laRépublique populaire. Cette décision, particulièrement grave, montre que le régime a franchi un nouveau palier ?
À mon sentiment, c’est la suite logique de la politique engagée par Xi Jinping depuis 2013. Mais dans la décennie 1966-1976, pendant ce que l’on a appelé la Révolution culturelle, la situation était encore plus dramatique. Aucun culte religieux n’était autorisé : même les églises « officielles » (celles qui sont reconnues par le régime, ndlr) ont été fermées de force, ainsi que les temples protestants… Aucun culte religieux n’existait en Chine. Aujourd’hui, même si la liberté de pratique religieuse est gravement entravée, des églises officielles sont ouvertes, et la religion n’est pas interdite.Est-il réellement possible d’avoir une croyance religieuse en Chine ?
C’est possible, dans la mesure où aucun pays à aucune époque n’a réussi à empêcher les gens de croire. L’objectif du régime à long terme serait de supprimer la religion en Chine, mais évidemment, il n’y parviendra pas.Le Vatican a signé un accord en 2018 reconnaissant sept évêques désignés par le régime. Certains catholiques avaient alors protesté, en particulier l’évêque émérite de Hongkong, le cardinal Joseph Zen Ze-kiun, qui avait dénoncé une « trahison ». Cette nouvelle offensive du régime lui donne-t-elle raison ? 
Les différentes mesures prises par les autorités chinoises depuis la signature de l’accord sont en contradiction avec cet accord. Le régime a toujours pour objectif de contrôler davantage l’Église catholique, et d’instrumentaliser la doctrine religieuse à des fins politiques. Évidemment, en signant cet accord, le Pape essayait de préserver la liberté de l’Église et assurer sa continuité en Chine, où de nombreux diocèses étaient sans évêques… Il avait des raisons de signer cet accord. Mais la Chine et le Saint-Siège poursuivent des intérêts différents. Il est peu probable que le Vatican réagisse à cette nouvelle offensive du régime. Le Pape sait bien que 11 millions de catholiques chinois vont déjà fêter Noël dans des conditions très difficiles. Il ne voudra pas aggraver la situation.
Voir encore:

Xi Jinping veut réécrire la Bible pour l’adapter à la ligne du Parti communiste

Sébastien Falletti
Le Figaro
22/12/2019

DÉCRYPTAGE – Les autorités chinoises ont exhorté les représentants des principaux cultes à modifier les traductions des textes de référence afin de les mettre en conformité avec «les exigences de la nouvelle époque».

De notre correspondant à Pékin

Désormais, l’Évangile devra se conformer à la vulgate marxiste-léniniste matinée de «caractéristiques chinoises», et les paraboles de Jésus-Christ, rester dans la ligne du Parti communiste, sous peine d’être expurgées des bibles à disposition des fidèles dans le pays le plus peuplé de la planète. Pékin lance une nouvelle offensive en faveur de la «sinisation» des religions, s’attaquant cette fois à la doctrine même, du Nouveau Testament au Coran en passant par les sutras bouddhistes. Les autorités ont exhorté les représentants des principaux cultes en Chine à modifier les traductions des textes de référence, lors d’une réunion le 6 novembre, afin de les mettre en conformité avec «les exigences de la nouvelle époque». Une formule codée qui fait référence à «l’ère du président Xi Jinping», dont la pensée a été inscrite dans la Constitution en 2018, dans la foulée d’un Congrès à sa gloire.

«Il faut une évaluation complète des traductions existantes de classiques religieux. Pour les contenus non conformes, il faut des modifications et il faut retraduire les textes», affirme le compte rendu en chinois, par l’agence officielle Xinhua, de ce symposium présidé par Wang Yang, l’un de sept membres du comité permanent du Politburo, le «saint des saints» du régime. «Cette réunion indique que le contrôle des religions va être encore plus strict», juge Ren Yanli, chercheur à l’Académie des sciences sociales de Chine, un centre de recherche public à Pékin.

Communautés souterraines

Les représentants des principaux cultes en Chine ont été convoqués pour mettre en application les décisions du 4e plénum du Parti, tenu fin octobre à Pékin, et qui a décrété le renforcement de sa mainmise idéologique sur la société, avec pour ambition d’affermir un contre-modèle à la démocratie occidentale. Face à ses interlocuteurs coiffés de calotte ou de costumes ethniques traditionnels, le cacique Wang a souligné «l’importance fondamentale de l’interprétation des doctrines et des règles religieuses» avec pour objectif de «graduellement former un système idéologique religieux aux caractéristiques chinoises».

Récemment un portrait de Xi Jinping a même remplacé la Vierge Marie et l’Enfant dans une église catholique

Depuis sa fondation en 1949, la République populaire surveille étroitement les religions, encadrées dans des organisations «patriotiques», auxquelles résistent nombre de fidèles réfugiés dans des communautés souterraines. Mais cette injonction à modifier la doctrine marque un seuil nouveau dans la volonté du président Xi Jinping d’étouffer toute vision alternative au Parti. Après avoir insisté sur le «patriotisme» des fidèles après son arrivée au pouvoir en 2013, Xi s’attaque désormais au message, lors de son second mandat à la tête de la seconde puissance mondiale. «La volonté de retoucher la Bible est une première», juge Ren.

Une mise au pas qui s’est illustrée par des levers de drapeaux rouges dans les temples, ou l’installation de banderoles de propagande dans les mosquées comme dans la région autonome hui du Ningxhia. Récemment un portrait de Xi Jinping a même remplacé la Vierge Marie et l’Enfant dans une église catholique à Ji’an, dans la province du Jiangxi, rapporte l’ONG Bitter Winter, qui milite pour la liberté religieuse à travers le monde. Dans la province rétive du Xinjiang, à majorité turcophone, la répression des croyants prend une dimension concentrationnaire, marquée par l’enfermement de plus d’un million de musulmans dans des «camps», selon Washington, présentés comme des «centres de formation professionnelle» par Pékin.

Effet boomerang

Cette reprise en main brutale s’inscrit dans la perspective d’une «lutte idéologique» décrétée par le dirigeant le plus autoritaire depuis Mao, sonnant la charge contre les «forces hostiles» manipulées par l’étranger et trahissant une crispation politique, selon certains observateurs. «Le régime communiste est une secte et il voit le bouddhisme tibétain, le catholicisme ou l’islam comme des idéologies rivales. Le contrôle accru sur les religions trahit en réalité la peur de voir la société lui échapper», juge Zhang Lifan, historien indépendant, dans la capitale chinoise, lui aussi sous surveillance.

Cette nouvelle offensive survient dans la foulée de l’accord conclu entre Pékin et le Vatican en 2018, marqué par la reconnaissance par le pape de sept évêques désignés par le régime et dénoncé comme une «trahison» par certains hauts responsables catholiques. Elle s’annonce comme un test de la capacité du Parti à s’immiscer étroitement au cœur de la société chinoise, selon le cap fixé par le Congrès, dans un contexte international et économique toujours plus tendu, marqué par un bras de fer stratégique avec l’Amérique de Donald Trump.

Certains mettent en garde contre les risques d’effet boomerang pour un Parti qui veut étendre son empire sur les consciences. «Le durcissement des contrôles sur les religions va s’avérer contre-productif, comme l’ont démontré les dernières décennies. Le pouvoir a pour mission de gouverner le pays, l’économie, la société, mais pas les croyances. Certains dirigeants semblent ne pas comprendre cela», juge Ren Yanli, expert dans un centre de recherche gouvernemental. La bataille pour la réécriture de l’Évangile selon Xi est lancée.

Voir aussi:

Chine : « Noël est interdit, c’est une fête occidentale »

fsspx.news
09 Février, 2022

Le 20 décembre 2021, l’Administration d’Etat pour les Affaires religieuses (SARA) a publié les nouvelles “Mesures administratives pour les services d’information religieuse sur Internet”. Adoptées conjointement avec le ministère de la Sécurité de l’Etat et d’autres ministères, ces nouvelles mesures entreront en vigueur le 1er mars 2022.

Les sermons, homélies, cérémonies et activités de formation organisées par les institutions religieuses, les monastères, les églises et les particuliers ne pourront être diffusés sur internet qu’après avoir obtenu une licence spéciale auprès de leur département provincial des Affaires religieuses.Il est également précisé qu’aucune organisation ni individu ne peut collecter des fonds « au nom de la religion » sur internet. Les activités religieuses en ligne sont également interdites pour toutes les organisations étrangères présentes en Chine.Par ailleurs, les informations religieuses diffusées ne doivent pas « inciter à la subversion contre le pouvoir de l’Etat, ni s’opposer à l’autorité du Parti, s’attaquer au système socialiste et à l’unité nationale ou menacer la stabilité sociale ».Elles ne doivent pas non plus « promouvoir l’extrémisme, le terrorisme, le séparatisme ethnique et le fanatisme religieux ». Les communications en ligne ne doivent pas « inciter les mineurs à devenir religieux, ni les amener ou les forcer à participer à des activités religieuses ».

La « sinisation » des religions

Durant les sessions de travail de la dernière conférence nationale sur les Affaires religieuses, début décembre 2021, le président chinois Xi Jinping, secrétaire général du Parti communiste, a déclaré son intention de renforcer le contrôle « démocratique » sur les religions.

En d’autres termes, renforcer la répression religieuse du régime. Selon le nouveau « Grand Timonier », la masse des croyants de différentes confessions doit s’unir autour du Parti et du gouvernement, en rejetant toute influence étrangère.

L’objectif de Pékin est de poursuivre la « sinisation » des religions, un processus entamé officiellement en 2015. En février 2021, l’Administration d’Etat pour les Affaires religieuses avait rendu publiques les “Mesures administratives pour le personnel religieux”, sur l’administration du clergé, des moines, des prêtres, des évêques, etc.

Noël interdit

L’agence Asianews, des Missions étrangères italiennes, annonçait le 21 décembre les limitations et les interdictions imposées pour la célébration de Noël, dans les écoles de la province du Guangxi. L’agence Bitter Winter a publié le 24 décembre le document officiel diffusé dans le Guangxi, ainsi que dans différentes provinces et régions de Chine.

Les mesures ont été appliquées également dans les lieux de culte de l’Eglise des Trois-Autonomies contrôlée par le gouvernement (i.e. Eglise « patriotique » officielle), soit sous prétexte de Covid-19, soit en mettant en œuvre des directives sur la « sinisation » du christianisme qui interdisent les célébrations « occidentales » : « Cela nuit à notre culture traditionnelle chinoise. »

La source confidentielle qui a divulgué le document à Bitter Winter, a confirmé qu’il était non seulement interdit aux élèves et aux enseignants de célébrer Noël à l’école, mais aussi à la maison. De même, ceux qui connaissaient des personnes qui célèbrent Noël étaient priés de le signaler immédiatement à la sécurité publique, et un agent a été désigné pour gérer les délations.

Voir également:

Le gouvernement chinois déteste Noël, sa population adore

Xi Jinping voit dans cette fête une influence occidentale indésirable.

D’une célébration chrétienne, Noël est devenue une fête qui dépasse largement la naissance du Christ. C’est désormais une période commerciale et culturelle, davantage représentée par le Père Noël et des sapins décorés que par la messe de minuit. Ce mastodonte de soft power se propage donc dans les pays qui n’ont pas de tradition chrétienne. Les Japonais par exemple, célèbrent le 25 décembre en allant au KFC.

Toutefois, au moins un pays essaye par tous les moyens d’endiguer la contagion. Depuis quelques années, Xi Jinping, le secrétaire général du Parti communiste chinois, mène une politique identitaire forte en exacerbant le nationalisme et en rejetant les influences occidentales dans le pays. Cette politique se traduit par exemple par un rejet des arts martiaux modernes au profit du kung-fu traditionnel.

Le 15 décembre, la ville de Langfang, dans la province de Hebei, a interdit l’exposition de décorations de Noël dans les écoles, les magasins, les rues et les places de la ville, arguant d’une lutte contre la «propagande religieuse». L’année dernière, la ville de Hengyang avait demandé aux officiels du parti de «résister à ce festival d’occidentalisme rampant».

En Chine, Noël souffre en plus des restrictions imposées contre les libertés religieuses. Si les musulmans sont particulièrement réprimés, certaines églises chrétiennes sont sous surveillance et récemment, cent chrétiens d’une église clandestine ont été arrêtés. C’est autre chose que les gobelets Starbucks ou l’interdiction de mettre des crèches dans les mairies d’un pays laïque.

Popularité croissante

Toutefois, tout cela ne semble pas suffisant pour tenir le pays à l’écart de la magie de Noël. D’après Bloomberg, la fabrication de décorations de Noël est un gigantesque marché de 5,6 milliards de dollars pour la Chine. À titre d’exemple, 90% des décorations de Noël importées aux États-Unis viennent de Chine. Et on ne parle même pas de tous les cadeaux manufacturés dans le pays.

Aussi, malgré les efforts du gouvernement, la célébration de fin d’année est de plus en plus populaire chez les habitants et les habitantes. Pour le constater il suffit de se tourner vers Rovaniemi, la ville du Père Noël. Cette ville finlandaise de Laponie du nord abrite un village touristique entièrement dédié à la fête de Noël. D’après Visit Rovaniemi, la société qui y organise le tourisme, le nombre de touristes chinois est passé de 3.300 en 2010 à 32.349 l’année dernière. Et des centaines de lettres d’enfants écrites en chinois s’entassent dans le bureau de poste de la ville.

L’indistinction du politique et du religieux en Chine
Un problème contemporain
Emmanuel Dubois de Prisque
Le Débat
2020/1 (n° 208), pages 57 à 69

1Alors que le pouvoir chinois prétend aujourd’hui faire « renaître » la Chine éternelle et s’inscrire ainsi dans la continuité de « 5 000 ans d’histoire [1][1]Les « 5 000 ans d’histoire » de la Chine font partie intégrante… », qu’est-ce qui, exactement, relie le régime chinois actuel à l’antique tradition politique de ce pays ? En quoi « l’empire du Milieu » actuel serait-il l’héritier de la forme politique impériale qui fut celle de la Chine sous ses différents avatars dynastiques du iiie siècle avant J.-C. à la révolution de 1911, alors même que le régime se réclame toujours (et avec vigueur) du marxisme-léninisme, allant jusqu’à prétendre avoir créé ex nihilo, au moment de son avènement en 1949, une « nouvelle Chine » qui du passé faisait table rase ? Comment concilier restauration et modernité ? communisme et empire ? capitalisme et tradition ? « La Chine » serait-elle une pure illusion, un simple instrument aux mains de Pékin, sans véritable continuité historique ?

2Il apparaît pourtant que la Chine actuelle, malgré son « athéisme » officiel, partage avec la Chine impériale un même tropisme qui la porte à ne pas distinguer le politique du religieux. Le Parti communiste chinois agit de plus en plus comme une institution qui se pose en gardienne de ce qui est sacré pour la Chine et que des forces extérieures, politiques ou religieuses, viennent en permanence menacer, de la même façon que la « bureaucratie céleste [2][2]Étienne Balazs, La Bureaucratie céleste. Recherches sur la… » de l’Empire était la gardienne d’un dogme contre les « hérésies » qui le menaçaient.

3Du point de vue du rapport du politique avec le religieux, la situation actuelle se rapproche de celle que décrivait Édouard Chavannes en 1904 : « L’Empereur nous apparaît ainsi comme le juge universel du bien et du mal […], en lui se réalise l’étroite union de la politique, de la morale et de la religion, principe fondamental du gouvernement chinois ; il est véritablement le Fils du Ciel, et son omnipotence absolue et sacrée provient de ce qu’il est le mandataire du Ciel sur la terre [3][3]Édouard Chavannes, « Les prix de vertu en Chine », Comptes…. »

L’ère des transformations

4Avec le « Grand Bond en avant » grâce auquel Mao prétendait en quelques années transformer une société rurale en grande puissance industrielle, avec aussi la « grande révolution culturelle prolétarienne » visant à éradiquer de l’esprit des Chinois les « quatre vieilleries » (idées, culture, coutumes et habitudes), avec, surtout, les transformations induites par le capitalisme qui s’impose en Chine dès la fin du xxe siècle, bien des aspects de la société traditionnelle chinoise ont été bouleversés. Aujourd’hui, le capitalisme est la révolution continuée par d’autres moyens, tout aussi efficaces. Les transformations suscitées par l’ouverture économique voulue par Deng Xiaoping il y a quarante ans sont sans équivalent dans l’histoire de la Chine. La croissance a été favorisée par une augmentation de la productivité agricole qui a entraîné un exode rural massif ; en quelques décennies, cette antique société paysanne qu’était la Chine s’urbanise massivement. L’effondrement de la natalité transforme radicalement les liens entre les générations d’une société qui faisait de la « piété filiale » une de ses pratiques cardinales. L’ouverture sur le monde rend l’éducation à l’étranger possible et, de 1978 à 2018, le nombre d’étudiants chinois à l’étranger croît de façon exponentielle. L’émigration temporaire sous la forme, par exemple, de l’expatriation des cadres et des employés des entreprises chinoises devient chose banale. Les échanges de tous ordres entre la société chinoise et les sociétés étrangères, notamment occidentales, sont intenses et exercent nécessairement des effets durables. Ils se font sentir jusqu’au niveau le plus profond et le plus structurant, le niveau religieux. Les conversions au christianisme se multiplient, au point que certains voient dans la Chine de demain le premier pays chrétien du monde, en nombre de pratiquants.

« La grande renaissance de la nation chinoise »

5Cependant, parallèlement à ces évolutions dont l’irréversibilité est probable, Pékin est engagé dans un ambitieux projet de « grande renaissance » de, au choix, la nation, le peuple ou la race chinoise, trois traductions possibles du terme chinois minzu employé par Pékin dans son slogan officiel. La « grande renaissance de la nation chinoise » – contentons-nous de la traduction officielle – est le cœur du métarécit de la Chine contemporaine selon lequel la Chine a refermé en 1949 une parenthèse d’un long siècle qui s’étend du début de la première guerre de l’Opium, en 1839, à la création de la « nouvelle Chine », siècle au cours duquel elle a été « humiliée » par les puissances occidentales et japonaise qui ont tiré profit de sa faiblesse, de son ingénuité et d’un pacifisme intrinsèque à sa culture. Sans renoncer à ce qu’elle est essentiellement, une civilisation pacifique et harmonieuse, elle ne répétera pas les erreurs du passé et saura se défendre si elle est agressée. Le sentiment d’avoir été la victime de puissances agressives alimente une ferme volonté de ne pas « se laisser berner » une nouvelle fois sur la scène internationale. La posture parfois agressive et irascible de la Chine contemporaine s’explique ainsi paradoxalement par le sentiment que la civilisation chinoise est plus pacifique que les autres. Il lui faut donc devenir forte pour redevenir ce qu’elle imagine qu’elle fut : un modèle de vertu pour elle-même et pour le monde. Par-delà la modernité imposée par l’Occident, la Chine cherche à renouer avec un passé glorieux durant lequel elle aurait occupé « la première place ».

6La normalisation chinoise impulsée par la modernisation du pays trouve donc ses limites dans les ambitions de Pékin, ambitions qui s’appuient sur son projet de « grande renaissance » de la Chine d’avant le traumatisme de la rencontre avec la modernité occidentale. Si cette « restauration » n’est pas ouvertement un projet de restauration de la forme politique de la Chine impériale au sens strict, elle est un projet de restauration de la puissance symbolique de l’Empire et de sa place dans le monde. Ce projet porte avec lui non seulement une ambition pour la Chine, mais aussi une vision chinoise du monde : ce serait alors la restauration d’une Chine qui se concevait comme la seule et unique civilisation, une civilisation qui structurait et organisait le monde, en termes chinois : tout ce qui était sous le ciel, le Tianxia.

7Précisons la contradiction structurelle dans laquelle s’enfonce aujourd’hui la Chine : pour retrouver la place centrale qu’elle occupait autrefois, la Chine doit supplanter le pays qui lui semble occuper cette place aujourd’hui. Bien qu’elle s’en défende, elle est donc engagée avec les États-Unis dans une lutte pour la suprématie, une rivalité qui l’amène par un effet mimétique puissant à se calquer plus ou moins consciemment sur ce qui lui semble être le comportement de son rival. Mais ce mimétisme, visible dans de nombreux aspects de la vie contemporaine aujourd’hui en Chine, et qui contribue à banaliser ce pays et sa civilisation, contredit la volonté affichée de Pékin de renouer avec son passé impérial. Car c’est non seulement son identité culturelle qui est menacée par l’adoption de pratiques occidentales, mais la structure même de son être politique : la Chine impériale n’avait par définition pas de rival, étant « la » civilisation, elle était d’une essence différente des peuples barbares qui l’entouraient et sur lesquels l’Empereur et sa bureaucratie céleste avaient vocation à exercer leur action civilisatrice. Ainsi, en renouant avec son passé impérial, la Chine voudrait se situer au-dessus des débats et des rivalités, trouver la formule qui la garderait de la contagion de la violence qui caractérise, selon elle, le système international occidental. Lorsqu’elle est entrée malgré elle dans le concert des nations, la Chine impériale est tombée du piédestal depuis lequel elle organisait ses relations avec les pays qui l’entouraient, sous la forme de cette semi-fiction que le sinologue John King Fairbank qualifia de « système tributaire ». Au xixe siècle, la Chine, au fil de ses défaites, fut abaissée au niveau symbolique de ceux qui triomphaient d’elle. La véritable humiliation est sans doute celle-là : qu’un empire sans équivalent dans le monde, la seule et unique civilisation, celle qui se proposait de « civiliser » l’humanité, puisse être réduit au rang de nation parmi d’autres, contraint à exercer sa souveraineté dans les limites étroites d’un territoire précis.

La dimension religieuse de la restauration de la nation chinoise

8Avec le projet de « grande renaissance » de la nation chinoise, la Chine se propose donc de sortir de la rivalité et de la violence pour qu’advienne enfin un « monde harmonieux » au sein duquel elle jouerait un rôle central. Hantée par la puissance américaine qu’elle veut supplanter, la Chine continue cependant de s’imaginer d’une autre essence que celle de ses rivaux, ayant une vocation à ordonner le monde selon des critères étrangers à la bellicosité intrinsèque aux puissances occidentales. Tout en professant formellement le principe de l’« égalité de toutes les nations » contre l’« hégémonisme » qu’il prête aux États-Unis, le Parti communiste chinois s’efforce de faire en sorte que la Chine s’approche du « centre de la scène mondiale [4][4]C’est l’expression de Xi Jinping lors de son discours devant le… », renouant ainsi avec l’imaginaire politico-religieux de la « bureaucratie céleste ».

9Depuis, au moins, le traité de Westphalie en 1648, les nations européennes ont de facto renoncé à incarner la totalité de la Chrétienté, c’est-à-dire à se considérer comme un avatar de l’empire universel des Romains et ont, de ce fait, sécularisé et territorialisé leur pouvoir. La Chine, quant à elle, n’a jamais été contrainte à cette kénose politico-religieuse. L’Empereur est resté jusqu’au terme de l’Empire non seulement souverain politique, mais aussi maître des rites et des sacrifices. Plus encore, les deux aspects de sa pratique politico-religieuse n’étaient qu’une seule et même chose. Comme l’écrit Jean Levi à propos de la Chine antique, « gouverner revient à sacrifier [5][5]Jean Levi, « Le rite, la norme et le tao : philosophie du… ». Malgré l’émergence progressive dans l’histoire chinoise de religions non directement politiques, diffusant leurs doctrines plus ou moins à l’écart du pouvoir, le bouddhisme et le taoïsme, le pouvoir impérial continuera à jouir d’un monopole sur la légalité et la légitimité du phénomène religieux dans le corps social. C’est l’administration qui définit, sur la base d’une loi fondamentale, ce qui est « correct » et ce qui est « hérétique » dans les pratiques religieuses. Pendant plus de cinq siècles, une loi Ming du xive siècle, reprise par la dynastie sino-mandchoue Qing jusqu’au début du xxe, prévoit la mort par strangulation ou l’administration de cent coups de bâton suivie (s’ils survivent) du bannissement de ceux qui pratiquent des cultes « hérétiques », c’est-à-dire non conformes aux pratiques considérées comme « correctes » par la bureaucratie [6][6]Jan Jacob Maria De Groot, Sectarianism and Religious…. Pour reprendre les termes de J. J. M. De Groot, « l’Empereur aussi bien que le Ciel est seigneur et maître de tous les dieux, et délègue cette dignité à ses mandarins, chacun pour sa juridiction. C’est d’eux que relève la décision de savoir quels dieux sont susceptibles d’être objets de culte, et quels dieux ne le sont pas [7][7]Ibid., Introduction, p. 18. ».

10En 1670, l’empereur Kangxi publie un « édit sacré » dont le but est d’instiller de la vertu chez les sujets de l’Empire. L’édit est affiché dans chaque comté et village. Son article 7 demande à chaque citoyen de l’Empire d’« éradiquer les hérésies afin de respecter la doctrine correcte ». Les hérésies, ce pouvait être, selon les circonstances, n’importe lequel des rites locaux chinois, le bouddhisme, le chamanisme, le taoïsme ou le christianisme. Quant à la doctrine correcte, ce n’est rien d’autre que celle défendue par l’Empire, le confucianisme. Son respect est donc intimement lié à un processus d’éradication de ce qui n’est pas correct : chacun, jusqu’au plus humble villageois, doit régulièrement communier dans la mise à l’écart des cultes jugés hérétiques par le pouvoir. Ce processus d’expulsion des cultes hérétiques était sans cesse renouvelé par l’action « civilisatrice » des fonctionnaires locaux, du fait de la persistance de ces cultes sur le vaste territoire de l’Empire. Ce processus prenait la forme d’un rituel tout uniment politique et religieux de purification du corps social : l’édit sacré de Kangxi formait le cœur de la doctrine impériale et faisait l’objet d’homélies exégétiques régulières par les fonctionnaires locaux, auxquelles tous les membres des communautés locales étaient tenus d’assister.

« La sinisation des religions »

11S’il faut prendre la volonté de « restauration » de Pékin au sérieux, comme cela est vraisemblable, il convient d’envisager que ce processus puisse avoir une dimension religieuse et que cette dimension religieuse soit même centrale dans le projet des autorités chinoises. Depuis 2016, Pékin applique une politique de « sinisation » des religions qui non seulement réprime les « superstitions », mais soumet l’ensemble des cinq religions « officielles » (taoïsme, bouddhisme, islam, protestantisme, catholicisme) à une tutelle pesante. Des mosquées, des églises et mêmes des temples bouddhiques sont détruits ; le prosélytisme est sévèrement réprimé, l’accès aux églises ou aux mosquées est parfois interdit aux mineurs, tout comme l’enseignement religieux, tandis que le Parti promeut sa propre « spiritualité » de façon de plus en plus insistante. La « pureté » de l’idéal révolutionnaire est mise en avant et, dans certaines régions, les autorités locales remplacent jusque dans les domiciles les effigies religieuses par des portraits de Xi Jinping. Sur les lieux de culte qui restent tolérés, les inscriptions religieuses sont parfois effacées pour être remplacées par des slogans du Parti. Les autorités religieuses sont ainsi engagées dans un vaste projet visant à supplanter les religions existantes par une « spiritualité » indistinctement politique et religieuse qui s’appuie sur la doctrine marxiste-léniniste pour neutraliser non seulement les « religions étrangères » (christianisme et islam), mais aussi les religions considérées comme chinoises (taoïsme et bouddhisme) dans la mesure où ces dernières impliquent, pour les fidèles, un ordre de loyauté concurrent de l’ordre politique. En outre, les autorités situent parfois délibérément la vocation du religieux et celle du politique sur le même plan. Le catholicisme, notamment, est critiqué pour son inefficacité dans la lutte contre la pauvreté et la maladie, tandis que le Parti vante ses résultats dans ces deux domaines. Les autorités prétendent ainsi « transformer les fidèles des religions en fidèles du Parti [8][8]Nectar Gan, « Want to Escape Poverty ? Replace Pictures of… ». C’est aussi dans ce contexte que doit se comprendre la politique menée à l’égard de l’islam ouïghour au Xinjiang. Lorsque le Parti prétend, pour répondre aux accusations occidentales, se contenter de « rééduquer » les foules musulmanes du Xinjiang plutôt que de les enfermer dans des camps de concentration, cela n’a rien de rassurant car se manifeste ainsi une foi profonde dans la vertu civilisatrice de cette abstraction qu’est « la Chine ». Mais aussi abstraite soit-elle, cette Chine conçue comme centre de civilisation exerce des effets puissants sur les cadres du Parti communiste, qui y trouvent les ressources symboliques nécessaires à la légitimation de la mise en œuvre de politiques de plus en plus coercitives à l’égard des populations qui leur sont soumises.

Religieusement correct

12Mais plus profondément encore que dans ses rapports avec les religions, la nature religieuse, ou plus exactement sacrificielle, du régime chinois se révèle dans sa structuration fondamentale [9][9]J’utilise ici le mot « sacrificiel » au sens que lui a donné…. En se faisant le gardien et le défenseur de l’orthodoxie spirituelle et de la foi dans les idéaux révolutionnaires de ses membres, le Parti s’inscrit dans les pas du pouvoir politico-religieux chinois traditionnel, dont un des rôles essentiels était de distinguer ce qui est « correct » de ce qui est « hérétique » dans le foisonnement des rites et cultes chinois. Aujourd’hui, c’est dans sa capacité de purification du corps social, à travers l’expulsion des ennemis de la Chine ou de la Révolution, que le Parti manifeste sa puissance, de la même manière qu’autrefois la puissance de l’Empereur se manifestait dans sa capacité à respecter les rites, au premier rang desquels le grand sacrifice au Ciel. Avec lui, l’ordre social et cosmique était produit et garanti.

13Une histoire religieuse de la Chine contemporaine qui porterait son attention sur les avatars de la figure du souverain dans certains rites privés et publics de la Chine impériale, républicaine et communiste, frapperait sans doute par la continuité qui s’en dégagerait, au-delà des ruptures évidentes de l’histoire événementielle. Comme nombre d’autres empereurs avant lui, Mao fut déifié après sa mort par une partie de la population chinoise, malgré la vive hostilité à la religion traditionnelle qu’il manifesta durant son existence. Ou, plutôt, cette déification se produisit en raison même de cette hostilité : sa capacité magique à chasser les esprits et les fantômes de l’ancien monde faisait de Mao un esprit d’une puissance supérieure à celle des esprits et fantômes auxquels la Chine devait faire face jusqu’alors. Aujourd’hui encore, Mao occupe parfois la place centrale dans les autels domestiques, celle du souverain, alors même que son mausolée occupe le cœur de la place centrale (Tiananmen) de la capitale chinoise.

14La politique actuelle de « sinisation » des religions et d’expulsion de tout ce qui dans ces religions les rattache aux puissances étrangères renoue ainsi avec la longue tradition chinoise, malgré les soubresauts de l’histoire politique de ce pays au xxe siècle. Sur au moins un temple bouddhique chinois, on pouvait lire en 2018 un slogan frappant : « Sans parti communiste, il n’y a pas de bouddha », qui établit très clairement la nature de la hiérarchie entre le pouvoir du Parti et celui des autres organisations religieuses. Pas plus que dans la Chine d’ancien régime, il n’existe dans la Chine contemporaine un ordre politique et un ordre religieux qui existeraient parallèlement et exerceraient leurs compétences chacun sur son « royaume » qui serait celui de la terre, pour le premier, et celui des cieux, pour le second. La Chine est le « pays des dieux » ou le « pays sacré », selon une de ses appellations traditionnelles, ce qui signifie que les dieux sont indistinctement d’en bas et d’en haut. Selon un principe tout à la fois taoïste (Zhuangzi) et confucéen (Dong Zhongshu), « le Ciel et l’Humanité ne font qu’un ». Le contraste est frappant entre les rapports du politique et du religieux tels qu’ils se sont établis en Occident au cours de son histoire et ce qu’ils sont en Chine : alors que pour le christianisme la Chute a pour conséquence une séparation de Dieu d’avec sa créature et qu’en conséquence le royaume du « fils de Dieu » n’est « pas de ce monde » [10][10]« Mon Royaume n’est pas de ce monde » (Jean, XVIII, 36). Cette…, en Chine le royaume du « fils du Ciel » n’est rien d’autre que le monde Tianxia : tout ce qui est sous le Ciel. « De tout ce qui est sous le Ciel, il n’est rien qui ne soit le territoire du roi », dit aussi le Shijing.

15À la lumière de ce rapide détour théologique, la nature du rapport de la Chine impériale avec le monde s’éclaire : source sacrée (car fondée sur le sacrifice) d’organisation de l’ensemble de l’univers, la « bureaucratie céleste » qui incarne la Chine n’a, de son propre point de vue, aucun équivalent parmi les autres États. L’égalité de principe de tous les États-nations qui fonde le système international d’après guerre, bien que formellement défendue par la Chine, est au fond pour elle hérétique. La restauration de l’Empire ne va bien sûr pas de soi, mais, avec l’émergence géopolitique actuelle de la Chine, l’héritage classique, rejeté lors du mouvement « moderniste » de 1919 (dont un des slogans était « à bas la boutique de Confucius »), est à nouveau promu et valorisé par les autorités. Les dirigeants chinois ne cessent aujourd’hui de se réclamer d’une « histoire de 5 000 ans », prétendant ainsi se situer dans la continuité d’une société qu’il faut bien qualifier d’archaïque [11][11]Grâce à de récentes études archéologiques, il est avéré que… et qui, comme toutes les sociétés archaïques, est fondée sur une économie de la violence au cœur de laquelle opèrent les rites de purification du corps sociopolitique. Autrefois du ressort du souverain et de sa « bureaucratie céleste », ces rites antiques de production, de structuration et de purification du corps sociopolitique ont été modernisés et prennent aujourd’hui des formes diverses (lutte contre la corruption, contre la « pollution spirituelle », mise en place, enfin, d’un « système de crédit social » d’évaluation et de sanction des citoyens, sur lequel je reviendrai) : ils sont aujourd’hui du ressort du « grand dirigeant » et de sa bureaucratie moderne que sont respectivement Xi Jinping et le Parti.

16Mais si la Chine a été profondément transformée par sa période maoïste et continue de l’être par sa période capitaliste, en quoi, au-delà de la structuration du rapport du politique et du religieux, cette progressive restauration de la forme impériale informe-t-elle les pratiques politiques en Chine ? À travers l’analyse de trois phénomènes saillants de la Chine contemporaine, son rapport à la guerre, son usage des statistiques et son projet d’évaluer et de noter les individus, il est possible de mettre en lumière les effets concrets qu’exerce la structuration néo-impériale de l’État chinois sur le corps sociopolitique qui lui est soumis. Mais il faut immédiatement souligner que cette structuration se produit dans un rapport de forte tension, voire souvent de contradiction, avec la normalisation continue de la Chine sous l’effet à la fois de la rivalité mimétique avec les États-Unis et de son insertion dans un monde façonné par des pratiques pour l’essentiel étrangères à sa propre tradition politico-religieuse.

La guerre juste selon la Chine ou le sacrifice réinventé

17La contradiction entre une Chine qui est à la fois une nation parmi d’autres, engagée dans une rivalité de chaque instant avec d’autres nations, et une Chine qui se conçoit comme une civilisation unique est éclatante dans son appréhension du phénomène guerrier : tout en augmentant constamment son budget militaire, plus rapidement encore que ne croît la richesse du pays, les dirigeants chinois ne cessent d’affirmer qu’ils sont les représentants d’une « civilisation pacifique » dont le pacifisme est inscrit jusque dans son adn.

18Pour dénouer cette contradiction, il faut faire retour ici encore à la Chine antique. Comme le démontre Jean Levi, la condamnation de la guerre, « activité funeste » par excellence, n’est pas une innovation de la Chine contemporaine [12][12]La Chine en guerre. Vaincre sans ensanglanter la lame…. Il s’agit, au contraire, d’un passage obligé des traités militaires et stratégiques chinois « tout au long des siècles ». Il n’y a pas, dans ces traités, de valorisation d’un ethos guerrier puisque les soldats risquent à chaque instant de se faire tuer et d’éteindre leur lignée. Selon le Hanfeizi, Confucius estime même qu’il est très honorable de fuir les combats car la « piété filiale » exige de rester en vie pour prendre soin de la lignée de ses ancêtres [13][13]Ibid., p. 227. !

19Du point de vue historique, la violence politique, exercice rituel et cynégétique limité à l’aristocratie durant les dynasties Shang (1570-1045 av. J.-C.) et Zhou (1046-256 av. J.-C.), visant à procurer des victimes sacrificielles à la communauté, s’est progressivement transformée en une activité guerrière totale, mobilisant l’ensemble de la communauté dans des affrontements pouvant entraîner la mort de plusieurs centaines de milliers de personnes en une seule bataille. Ce dérèglement du processus sacrificiel n’est que l’autre face de la désagrégation de la Chine de la dynastie Zhou pendant la période des Royaumes combattants. Le territoire formellement sous la souveraineté du duc de Zhou se fractionne alors en royaumes rivaux mobilisant chacun d’immenses ressources humaines et techniques pour triompher de ses ennemis. Alors que la guerre, à travers sa fonction sacrificielle, avait pour vocation de souder la communauté, elle devient la cause du déchirement et de la dislocation du corps politique. C’est le sort de la violence, du fait de sa nature mimétique, de se propager à l’ensemble de la communauté, lorsque, comme se lamentait Confucius, les rites ne sont plus respectés et qu’ils n’exercent plus leur fonction qui est de la contenir, aux deux sens du mot contenir (de lui octroyer une place, mais une place limitée, au sein des institutions).

20Mais le plus remarquable est que jamais les stratèges ne perdront de vue la visée sacrificielle de l’activité militaire. Idéalement, pour tous les stratèges, l’activité guerrière doit s’abolir dans le sacrifice d’un seul. C’est ce qui se passe lors de l’« expédition punitive », autre nom de la guerre juste en Chine. L’Art du commandement du commandant Liao l’affirme de la façon la plus claire : « L’unique objectif [d’une juste guerre] est le châtiment d’un seul [14][14]Cité par Jean Levi, La Chine en guerre, op. cit., p. 126.. » C’est le mauvais prince qui doit être châtié par le bon. Le Lüshi chunqiu le prétend également : « Il n’est d’opération militaire qui n’ait pour but de détruire les mauvais princes et de châtier les seigneurs iniques. N’est-il plus grand bienfait que de détruire le vice et de châtier l’iniquité [15][15]Ibid., p. 127. ? » Ainsi, la guerre dans sa forme parfaite s’apparente à un acte de justice, à l’exécution d’une sentence tout uniment populaire et divine contre le mauvais prince. Mais dans les affrontements mimétiques qui caractérisent l’histoire chinoise, comment distinguer le mauvais prince et le bon ? Le bon prince est le vicaire du ciel, c’est-à-dire celui qui représente et agit pour l’Empereur ou celui qui a vocation à le devenir en chassant le tyran. C’est donc le seul jugement de l’Histoire, celui qui prend la forme de la victoire ou de la défaite, qui devient le critère de la guerre juste. Celle-ci s’apparente ainsi à une forme de sacrifice, l’ordalie. Le prince sur qui les yeux de la foule sont constamment fixés risque toujours de devenir l’objet de la violence collective. Il lui faut donc la maintenir à distance et la retourner vers l’extérieur, si possible contre un rival qui se trouve exactement dans la même situation que lui. Le prince est le maître de la guerre tant qu’il n’en devient pas la victime. La guerre peut être appelée « art du mensonge », car elle occulte l’identité des rivaux, en lui substituant une opposition radicale entre le Bien et le Mal, dans laquelle la différence est aussi fictive que revendiquée par celui qui, par la victoire, parvient à l’imposer.

21La guerre idéale prend donc la forme du sacrifice qui évacue la violence du groupe sur un seul et restaure ainsi la paix. A contrario, la rivalité et le conflit ouvert soulignent l’indécision quant à l’identité du souverain légitime. Cette indécision est profondément troublante et demande à être résolue, autant que faire se peut, par l’émergence d’un souverain universel qui, à la manière de l’empereur, « punit » ceux qui refusent de se soumettre à son autorité sacrée. Ce tropisme impérial se manifeste dans la politique étrangère chinoise par une forte tendance à utiliser le vocabulaire de la punition et de la sanction là où l’Occident utiliserait plutôt un vocabulaire guerrier ou, à l’époque contemporaine, un vocabulaire plus platement juridique. La dernière (et désastreuse) intervention militaire chinoise, en 1979, avait officiellement pour but de « donner une leçon » au Vietnam. Aujourd’hui encore, c’est de cette façon que Pékin aborde le problème géopolitique central qui est le sien, le problème de Taïwan. Ainsi, selon Xi Jinping, avec le pouvoir taïwanais actuel (opposé à un rapprochement politique avec Pékin), les « fondations » naturelles du monde commun deviennent instables, « la terre bouge et les montagnes tremblent ». Plus encore, en s’opposant au « sens de l’Histoire », le pouvoir taïwanais risque de subir une « punition » dont il faut donc penser qu’elle serait octroyée au nom de principes qui dépassent la simple volonté humaine. Selon Pékin, l’Armée populaire de libération, si elle use un jour de la force contre Taïwan, se fera l’instrument d’une puissance transcendante en harmonie avec le sens de l’Histoire, puissance dont la volonté est de rendre à la Chine sa juste place sur la scène mondiale.

Les statistiques, ou l’impossible kénose du pouvoir chinois

22À partir du xviie siècle, les trois grands États européens que sont la France, la Prusse et l’Angleterre développent à peu près en même temps des outils qui visent à mieux comprendre leurs populations. C’est la naissance de la « statistique » (mot dont l’étymologie est la même que celle du mot état) dans ses aspects les plus modernes. Cette évolution est contemporaine de la territorialisation et de la sécularisation des États européens qui se manifestent dans le traité de Westphalie (1648). La statistique procède du même phénomène général de désacralisation progressive du pouvoir. La statistique, écrit en effet Olivier Rey, se place « non du point de vue d’un Être omniscient supposé savoir […] mais de l’être humain dans ses conditions véritables d’existence [16][16]Quand le monde s’est fait nombre, Éd. du Seuil, 2017, p. 246. ». La statistique suppose donc une disponibilité à l’égard de ce que les chiffres peuvent nous apprendre. Avec les statistiques, l’État moderne renonce à l’illusion de toute-puissance d’un souverain qui vivrait en symbiose avec son corps politique. Par cette kénose intellectuelle, le pouvoir admet qu’il peut apprendre quelque chose sur (et de) la société qui lui fait face.

23La statistique procède, en outre, d’une volonté des souverains européens de comparer leurs territoires et leurs populations à ceux de leurs rivaux. Ce phénomène ne pourrait donc se produire sans l’idée préalable de comparabilité des États européens, idée parfaitement étrangère à la situation unique de l’Empire chinois, seule « civilisation » et même source de toute civilisation. Le développement de la statistique moderne peut être imputé aux effets de long terme de la sécularisation judéo-chrétienne et reste fondamentalement étranger à la tradition chinoise. Dans celle-ci, le souverain est, à travers son activité rituelle, le producteur et le garant non seulement du monde humain, mais encore du cosmos dans son ensemble. Sa parole a pour vocation non pas de refléter une réalité qui lui préexisterait et lui échapperait mais celle de structurer la réalité d’un monde qui sans lui serait sans forme. Le souverain par ses rites et ses rescrits produit le monde : son discours est performatif.

24Dans un tel contexte, on comprend ce que la pratique chinoise des statistiques peut avoir de problématique. Au début du Grand Bond en avant, en juin 1958, un des deux dirigeants du bureau des statistiques, Xu Muqiao, affirme : « Quelles que soient les statistiques que l’administration et le Parti demanderont, nous les leur fournirons, et nos chiffres iront dans la direction des campagnes politiques et de production, quelles qu’elles soient. » Quelques mois plus tard, en août, un éditorial du Quotidien du peuple prétend pousser les chiffres vers le haut et faire faire un « grand bond en avant » à la statistique. La folie criminelle qui consiste à écraser tout écart négatif entre prévision et évaluation occasionnera une des catastrophes les plus meurtrières de l’histoire de l’humanité. La performativité de la parole du pouvoir chinois rencontrait tragiquement le volontarisme forcené du Parti et les rêves de toute-puissance de Mao Zedong.

25Aujourd’hui encore, le statut des chiffres produits par le pouvoir chinois nous apparaît souvent dans une curieuse ambiguïté. Il n’arrive presque jamais que les prévisions du pouvoir soient démenties par la réalité des chiffres, comme si Pékin se devait de contenir la réalité chinoise dans ses discours. Sans que l’on sache toujours s’il s’agit de prévisions, d’objectifs ou d’évaluations, les chiffres chinois sont cependant toujours remarquablement lisses. Les évaluations de pib, par exemple, sont produites avec une célérité inconnue des pays occidentaux, malgré la taille du pays et les écarts depuis longtemps soulignés par les observateurs entre les chiffres fournis par les échelons régionaux et ceux fournis par le pouvoir central. Depuis quelques années, des études universitaires paraissent régulièrement pour contester la fiabilité des statistiques chinoises. Un exemple parmi bien d’autres : en 1998, après la crise financière asiatique, Pékin prétendait, en dépit de toute vraisemblance, que son économie avait connu un taux de croissance de 7,8 %, tout près des 8 % que le spécialiste Tom Orlik qualifie de « chiffre magique » que, pendant longtemps, la Chine se devait d’atteindre [17][17]Tom Orlik, Understanding China’s Economic Indicators.….

26La performativité des chiffres produits par le pouvoir chinois est, bien sûr, progressivement remise en question par l’ouverture au monde de la Chine, la diffusion des pratiques occidentales et la soumission contrainte et forcée des publications officielles chinoises au libre examen de la recherche universitaire et au journalisme d’investigation occidentaux (et parfois même chinois). Mais qu’en sera-t-il demain si la Chine poursuit son effort de restauration impériale et estime progressivement qu’elle n’a plus rien à apprendre du monde extérieur ?

Le système de crédit social : comment Pékin sonde les reins et les cœurs

27Lorsque la mise en place d’un « système de crédit social » par le gouvernement chinois a progressivement été divulguée dans les médias occidentaux à partir de 2015, l’incrédulité a rapidement fait place à la stupéfaction, puis à l’inquiétude. Le régime chinois, dont beaucoup espéraient encore naguère qu’il évoluerait progressivement vers un régime plus libéral sous l’effet de son ouverture économique au monde, faisait preuve d’une capacité d’innovation étonnante non pour se démocratiser, mais, au contraire, pour renforcer son emprise sur la société. Dans un projet s’inspirant des systèmes d’évaluation de la fiabilité des clients et emprunteurs des institutions de crédit occidentales, le pouvoir chinois prévoyait de mettre en place dès 2020 un système global d’évaluation des citoyens, des entreprises et même des administrations. Selon la propagande du gouvernement, ce système avait pour but d’augmenter le niveau de la « qualité humaine » des citoyens chinois afin de lutter contre les incivilités et la délinquance (notamment financière) et d’établir clairement, grâce à une évaluation objective fondée sur l’observation constante des comportements de chacun, en qui il est possible d’avoir confiance.

28Ce projet frappe moins par son caractère « orwellien » (adjectif souvent utilisé par les médias occidentaux) que par la continuité qu’il traduit avec le système impérial, système dans lequel le pouvoir prétendait aussi injecter de la vertu dans le corps social. Dès le début des années 2000, le pouvoir veut faire de la Chine, dans la tradition confucéenne, un pays « gouverné par la vertu ». Cette expression est utilisée par Xi Jinping lui-même, qui veut « promouvoir les vertus traditionnelles chinoises et élever le niveau éthique et moral de la population [18][18]Xi Jinping, « The Rule of Law and the Rule of Virtue »… », notamment grâce à l’exemple que les membres du Parti sont susceptibles d’offrir au public. Mais, outre les effets de l’exemplarité de leur conduite, les fonctionnaires et membres du Parti sont susceptibles d’agir sur le corps social d’une autre manière encore. Le mot qui signifie « vertu » signifie aussi « puissance », une puissance qui est d’abord ce qui émane des « saints » ou de ceux qui exercent un office sacré. Chez Confucius, cette vertu irradiante est l’un des attributs du souverain. C’est grâce à cette aura qui émane de sa personne que celui-ci sera en mesure de produire l’harmonie du corps social. Le système de crédit social vise donc, en s’appuyant sur cette puissance qui émane de la tête de l’État, à contrôler et à civiliser le corps social et à en expulser tout ce qui est susceptible d’en troubler l’harmonie. La juste évaluation des citoyens par la puissance publique participera à cette harmonisation d’au moins quatre manières. Le système de crédit social, en attribuant des récompenses et en infligeant des sanctions, incite chacun à bien se comporter ; il renforce, en outre, l’adhésion au système de ceux qui, inscrits sur des « listes rouges », sont distingués par le pouvoir pour leurs bonnes actions ; il justifie le souverain lui-même en lui octroyant la place inexpugnable de juge suprême, de juge des juges. Enfin, en établissant des « listes noires » de citoyens peu recommandables, il active une fois encore le mécanisme du bouc émissaire.

29Il faut mesurer tout ce qui sépare les pays occidentaux d’un tel projet. Celui-ci procède d’une conception de la vie commune qui fait du pouvoir politique le lieu d’un jugement sans appel sur les personnes. Dans un contexte judéo-chrétien, seul Dieu sonde les reins et les cœurs, et l’existence d’un ordre spirituel vient en quelque sorte relativiser les jugements du monde. S’il est glorieux d’être riche, il n’en reste pas moins qu’il est plus difficile pour un riche d’entrer dans le royaume des Cieux que pour un chameau de passer par le chas d’une aiguille. Tandis qu’avec son système de crédit social Pékin tend à faire du jugement porté sur les hommes par les hommes un jugement dernier, sans recours possible. Le système établira en outre peu à peu une forme d’équivalence entre jugement moral et réussite sociale : si les citoyens inscrits sur les listes noires ne peuvent plus acheter de billets d’avion en classe affaires, cela signifie que ceux qui voyagent en tête des avions sont à la fois riches et vertueux tandis que ceux qui doivent se contenter de la classe économique sont à la fois pauvres et peu recommandables.

30La nature religieuse du projet chinois se manifeste jusque dans le vocabulaire employé pour le décrire. Un chercheur officiel prétend ainsi que l’évaluation du « crédit » des individus (c’est-à-dire de la confiance qu’on peut leur accorder) sera comme la « main invisible » qui disciplinera les citoyens et assurera l’harmonie de la société [19][19]Dai Mucai, « Poursuivre en même temps le gouvernement par la…. Ainsi, à la « main invisible » du marché qui ordonne la société selon les libéraux anglo-saxons, succède la « main invisible » de l’État chinois. Un autre déclare de façon plus explicite encore que le système de crédit social sera le « dieu » de l’ère du big data. Le système participera en outre à la répression des « cultes hérétiques ». À titre d’exemple, dans la ville pilote de Roncheng, où un système de notation est déjà en place, des bonus de points sont accordés à ceux qui dénoncent aux autorités des membres des organisations religieuses non autorisées par le gouvernement, comme à ceux qui financent de façon substantielle les bonnes œuvres du Parti. Quant à ceux qui participent aux activités de ces « cultes hérétiques », ils sont rétrogradés au « niveau d’alerte C » (juste avant le niveau le plus bas, le niveau « D », celui des criminels), le niveau de ceux qui, par exemple, refusent de remplir leurs obligations militaires.

La guerre des dieux, avec des caractéristiques chinoises

31Dans un ouvrage qui reflète, semble-t-il, le point de vue du pouvoir chinois [20][20]Zhang Weiwei, The China Wave (World Century, 2012), ouvrage qui…, l’ancien interprète de Deng Xiaoping, Zhang Weiwei, présente le « Ciel » chinois (le Tian de Tianxia) de façon très éclairante. Selon Zhang, le « concept chinois traditionnel de Tian ou de Ciel […] signifie les intérêts vitaux ou la conscience de la société chinoise ». Et, affirme Zhang, lorsque cette conscience ou ces intérêts vitaux sont violés, il est légitime de s’affranchir des contraintes de l’État de droit pour punir des coupables, même si ceux-ci n’apparaissent pas comme tels aux yeux de la loi. Zhang reproche ainsi aux États-Unis d’avoir été incapables de punir les responsables de la crise financière de 2008 en raison d’un « légalisme » excessif. Ce que justifie ici Zhang et ce qu’il place au cœur de la gouvernance chinoise, c’est le phénomène du bouc émissaire et son instrumentalisation par le pouvoir politique. Lorsque la communauté réclame des coupables, il est du devoir du pouvoir de les lui fournir. « Les dieux ont soif », écrivait Anatole France à propos de la Révolution française. En effet, ce qui est intéressant dans ce contexte, c’est la forme religieuse que prend, sous la plume de Zhang, ce plaidoyer en faveur du lynchage d’État. La volonté du peuple de voir punir des coupables est ainsi gravée par Zhang dans le marbre de la tradition chinoise sous sa forme la moins discutable puisqu’elle se cristallise dans ce qu’il appelle le « Ciel ». Zhang, au-delà de sa rhétorique confucéenne, met ici en lumière le fond sacrificiel de la tradition chinoise qui lui est si chère. Le phénomène du bouc émissaire, c’est l’autre face, la face sombre, de la recherche d’harmonie qui caractérise, selon lui, la tradition chinoise : l’harmonie ne sera possible que lorsque les fauteurs de troubles seront châtiés ou, plus précisément, lorsqu’on aura trouvé des fauteurs de troubles à châtier.

32*

33La mise en lumière des continuités entre l’Empire et le régime actuel ne permet cependant pas d’affirmer qu’il n’y aurait rien de nouveau sous le soleil. Bien au contraire, la modernité et l’influence de l’Occident, je l’ai souligné, ont profondément transformé et transforment encore la Chine. Les conversions multiples au christianisme en sont le signe le plus évident et sans doute le plus dangereux pour le pouvoir, car le christianisme l’attaque dans son essence sacrificielle. Cependant, la force et la nature de la réaction de Pékin sont à la mesure de ces enjeux. Le niveau religieux est en effet celui qui permet le mieux d’appréhender ce qui se joue ici. Pékin l’a bien compris : la volonté de restaurer l’Empire emporte avec elle une forme politique qui fait de l’empereur potentiel Xi Jinping et de sa bureaucratie les figures sacrées du pouvoir. Celles-ci ne sauraient souffrir la concurrence d’organisations religieuses pleinement libres. Pour le Parti l’alternative est claire : les religions devront se soumettre, en se sinisant, ou disparaître. Du point de vue de Pékin, ces organisations religieuses ne peuvent en effet subsister que comme supplétifs du Parti, c’est-à-dire en devenant de simples ressources spirituelles que le régime devra pouvoir détourner à son profit.

Notes

  • [1]
    Les « 5 000 ans d’histoire » de la Chine font partie intégrante de la mythologie officielle de Pékin, mais n’ont pas de fondement historique. Les premières traces écrites remontent à la dynastie des Shang et guère au-delà de 1200 ans avant J.-C.
  • [2]
    Étienne Balazs, La Bureaucratie céleste. Recherches sur la société et l’économie de la Chine traditionnelle, Gallimard, « Tel », 1988.
  • [3]
    Édouard Chavannes, « Les prix de vertu en Chine », Comptes rendus des séances de l’Académie des inscriptions et belles lettres, 48e année, n° 6, 1904, pp. 667-691.
  • [4]
    C’est l’expression de Xi Jinping lors de son discours devant le XIXe congrès du Parti (18 octobre 2017).
  • [5]
    Jean Levi, « Le rite, la norme et le tao : philosophie du sacrifice et transcendance du pouvoir en Chine ancienne », in John Lagerwey (sous la dir. de), Religion et société en Chine ancienne et médiévale, Cerf, 2009, p. 166.
  • [6]
    Jan Jacob Maria De Groot, Sectarianism and Religious Persecution in China, Amsterdam, Johannes Müller, 1903, p. 137.
  • [7]
    Ibid., Introduction, p. 18.
  • [8]
    Nectar Gan, « Want to Escape Poverty ? Replace Pictures of Jesus with Xi Jinping, Christian Villagers Urged », South China Morning Post, 14 novembre 2017.
  • [9]
    J’utilise ici le mot « sacrificiel » au sens que lui a donné René Girard, notamment dans La Violence et le Sacré (Grasset, 1972). Pour Girard, la politique est sacrificielle dans son essence en ce que les communautés humaines sont fondées sur une institution, le sacrifice, qui reproduit un acte originel de mise à mort d’une victime émissaire, acte qui, par la violence, met la violence à distance. Pour Girard (Des choses cachées depuis la fondation du monde, Grasset, 1978), le judéo-christianisme est ce qui permet de dépasser cette violence fondatrice par la révélation biblique de ses mécanismes.
  • [10]
    « Mon Royaume n’est pas de ce monde » (Jean, XVIII, 36). Cette simple remarque sur l’articulation du politique et du religieux tel qu’il est informé par le christianisme est nécessairement, dans le cadre d’un article consacré à la Chine, très insuffisante. Il n’est sans doute pas incongru ici de renvoyer aux pages classiques et toujours éclairantes de Marcel Gauchet, Le Désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion (Gallimard, 1985), en particulier le sous-chapitre intitulé « L’autre monde et l’appropriation du monde », pp. 92-113.
  • [11]
    Grâce à de récentes études archéologiques, il est avéré que l’institution du sacrifice (aussi bien humain qu’animal) était l’institution centrale de la dynastie semi-historique des Shang. Voir Gideon Shelach, « The Qiang and the Question of Human Sacrifice in the Late Shang Period », Asian Perspectives, vol. 35, n° 1 (été 1996), pp. 1-26. Et Roderick Campbell, « Transformations of Violence : On Humanity and Inhumanity in Early China », in R. Campbell (sous la dir. de), Violence and Civilization, Studies of Social Violence in History and Prehistory, Oxford, Oxbow Books, 2014, pp. 94-118. C’est durant cette période que le système d’écriture chinois (sorte de produit dérivé des rites sacrificiels) a été inventé.
  • [12]
    La Chine en guerre. Vaincre sans ensanglanter la lame (viiieiiie avant J.-C.), arkhe, 2018.
  • [13]
    Ibid., p. 227.
  • [14]
    Cité par Jean Levi, La Chine en guerre, op. cit., p. 126.
  • [15]
    Ibid., p. 127.
  • [16]
    Quand le monde s’est fait nombre, Éd. du Seuil, 2017, p. 246.
  • [17]
    Tom Orlik, Understanding China’s Economic Indicators. Translating the Data into Investment Opportunities, Upper Saddle River (nj), ft Press, 2011.
  • [18]
    Xi Jinping, « The Rule of Law and the Rule of Virtue » (discours du 9 décembre 2016), in The Governance of China, t. 2, Pékin, Foreign Languages Press, 2017, p. 146.
  • [19]
    Dai Mucai, « Poursuivre en même temps le gouvernement par la loi et le gouvernement par la vertu », Le Quotidien du peuple (en chinois), 14 février 2017, p. 7.
  • [20]
    Zhang Weiwei, The China Wave (World Century, 2012), ouvrage qui évite d’aborder les aspects sombres de l’histoire chinoise et dont on dit qu’il a été lu et approuvé par Xi Jinping.
  • Voir encore:

Que disent les nouveaux e-mails rendus publics sur l’origine du SARS-CoV-2 ?

La version non censurée de courriels de l’agence américaine de la santé confirme que la thèse d’une fuite de laboratoire a été sérieusement envisagée, avant de passer à l’arrière-plan.

William Audureau

Le Monde
14 janvier 2022

Au début de la pandémie, les instances de santé américaines ont-elles caché au grand public que le SARS-CoV-2 pouvait provenir d’un laboratoire ? C’est la conclusion que certains tirent d’un document d’une dizaine de pages rendu public le 11 janvier 2022 par le Parti républicain, visant Anthony Fauci, directeur de l’Institut national des maladies infectieuses américain (Niaid), principal responsable de la gestion de la pandémie aux Etats-Unis.

« Nous avons mis en ligne des e-mails jusqu’alors inédits, montrant que le Dr Fauci a dissimulé des informations à propos d’une origine du Covid-19 en provenance du laboratoire de Wuhan, et intentionnellement minimisé la thèse d’une fuite de laboratoire. »

Cette publication survient alors que le Dr Fauci, auditionné au Sénat américain, accuse les Républicains d’encourager les « détraqués » à le menacer de mort en propageant depuis des mois des accusations mensongères à son sujet.

Que contiennent ces documents ?

Le dossier mis en ligne contient neuf courriels, reçus ou émis par des responsables de l’Institut national américain de la santé (NIH), principale agence de recherche médicale, notamment le généticien Francis Collins. La plupart remontent au tout début de février 2020, quand plusieurs experts internationaux en virologie, immunologie, et biologie évolutionnaire se sont réunis en téléconférence pour discuter de l’origine possible du virus du SARS-CoV-2.

Ces courriels avaient déjà été obtenus par le Washington Post et Buzzfeed en juin 2020, mais une partie du contenu était alors caviardée : ils sont désormais partiellement ou complètement retranscrits. Deux éléments en ressortent :

  • Comme le montraient déjà plusieurs e-mails rendus publics, la thèse d’un virus « sorti » d’un laboratoire était dès le début prise au sérieux par les experts, et même parfois jugée plus probable qu’une zoonose (maladie transmise d’un animal à l’homme). « Pour moi, c’est du 70-30 ou 60-40 », écrivait ainsi le virologue Michael Farzan, le 1er février 2020.
  • Le NIH a fait pression pour que cette piste soit disqualifiée, par le truchement de publications scientifiques ou de communications de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Il l’a même réduite à une « théorie du complot très destructrice », estimant qu’elle causerait du tort à la recherche scientifique.

Que sait-on de l’authenticité de ces e-mails ?

Ils ont été obtenus dans le cadre du Freedom of Information Act, loi sur le droit à l’information qui oblige les agences fédérales américaines à partager leurs documents à quiconque en fait la demande…

 

‘Festival of shame’: Why China has cracked down on Christmas

Rising nationalism under Xi Jinping and tensions between China and the West has left little room for foreign culture that Beijing sees as an affront to Chinese values, writes Ahmed Aboudouh
The Independent
23 December 2021

Scorning it as ‘Western spiritual opium’ and the ‘Festival of Shame’, China has cracked down on Christmas in recent years as the Chinese Communist Party’s (CCP) increasingly vociferous brand of nationalism rejects any outside influence or ideas.

Christmas may not be traditional or officially recognised in China, but there are tens of millions of Christians in the country who celebrate the occasion while much of the general public enjoy festive rituals that are common worldwide – be it shopping for gifts or going out with friends.

Yet under the leadership of Xi Jinping – and since relations with the US soured under the presidency of Donald Trump – Beijing has sought to either downplay or exert control over Western culture or beliefs, and Christmas celebrations have been repeatedly denounced.

CCP notices have banned party members, government agencies, and even universities from taking part in any festivities while slogans urging citizens to boycott Christmas are common on social media platforms.

For example, in Hengyang city in Hunan province, authorities said in December 2018 that any Christmas activities or sales that blocked the streets would be removed. The previous December, a local government agency issued a letter warning CCP officials to avoid celebrating the occasion and instead promote traditional Chinese culture.

“Party members must observe the belief of communism and are forbidden to blindly worship the Western spiritual opium,” it read.

Under Mr Xi, the competition with the US and its allies emboldened nationalists at home who have become more vocal in urging society to focus on Chinese culture.

While Christmas around the world is celebrated by non-Christians and is often considered a cultural event as much as a religious one, academics said that the CCP was sensitive about China being open to any foreign influence as it espouses nationalism.

Rana Mitter, professor of history and politics in modern China at Oxford University, said Beijing was becoming more reluctant to allow the “free flow of what it regards as Western ideas”.

“This includes not just religious concepts but also ideas of liberal democracy and constitutionalism,” he told The Independent.

Speaking this month at a national conference on religious affairs, Mr Xi referred to the “sinicization of religion,” a catchphrase requiring all religions, faith, rituals and practices to align with Chinese culture and society.

Since its introduction in 2015, the concept has aimed to bring Christianity, Islam, Buddhism, Taoism and all other religions in China under the CCP’s control and in line with its tradition and ideology.

Mr Xi told the conference there was a need “to develop a religious theory of socialism with Chinese characteristics, work in line with the Party’s basic policy on religious affairs, and uphold the principle that religions in China must be Chinese in orientation.”

The Chinese government has faced global criticism and accusations of genocide from countries including the US for its treatment of the Uyghur population and other mostly-Muslim ethnic minorities in northwestern Xinjiang, where about a million people are estimated to have been detained and subjected to abuses.

By contrast, there are a relatively small number of Christians estimated to be living in China – around 38 million Protestants and 6 million Catholics – and although suffering from abuses related to their religious beliefs, they have not suffered similar targeted persecution.

“The government’s attitude toward Christians, as with other religions, is not necessarily against the religion per se but rather the potential for religion to become a political force and an alternative to the CCP,” said Xing Hang, an associate professor at Brandeis University.

“Government policy is essentially to ensure that churches put the party and state above the religion,” Mr Xing said, adding that Christians might come under greater scrutiny in the future due to growing Chinese nationalism.

This could also be affected by relations between China and the US, which have worsened in recent years after trade disputes with Mr Trump, arguments over military presence in the Indo-Pacific, and pressure put on Beijing over human rights issues by the administration of US President Joe Biden.

<p>File photo: A person dressed as Santa Claus distributes gifts to people outside a shopping complex in Beijing, China, 25 December 2020</p>

 

File photo: A person dressed as Santa Claus distributes gifts to people outside a shopping complex in Beijing, China, 25 December 2020

Some Chinese officials have tried to deflect attention from Christmas in the country by instead encouraging people to celebrate the birthday of Mao Zedong, the former leader and architect of modern China who was born on 26 December 1893 and died aged 82.

On Christmas Day in 2019, just before the world became aware of the coronavirus pandemic, officials in Linyi, a city in Shandong province, placed a cake with “Happy birthday to Mao” at the footstep of a statue of Mao in the Wangzishan Temple in Pingyi county.

And in Chinese schools, Christmas has been identified as one of the evils in a patriotic education campaign that places great emphasis on rejecting anything Western, according to Bitter Winter, a magazine focused on religious liberty.

For instance, it focuses on teaching students about the “Century of Humiliation” – an account of China’s history between the 19th and 20th centuries where China was “bullied” by Western powers and Japan.

Although any Christmas celebrations in China this year may well be curtailed by the Omicron outbreak, one can still see trees, lights and decorations adorning public spaces and shopping malls in major cities including Shanghai.

This year, one user on Weibo questioned China’s cultural influence abroad and called for promoting national festivals such as the Spring and Mid-Autumn festivals.

They asked:Wouldn’t it be great if one day the influence of the Spring Festival can reach 1 per cent or even slightly higher than that of Christmas?”

China cancels Christmas: why Santa Claus is not coming to town for Chinese kids

  • Options for Christmas celebrations beyond the malls and stores shrink as English-teaching centres shut down following a crackdown
  • Rising online nationalism combined with a boycott of Western cultural values is making many parents choose to forgo the festivities to ‘avoid trouble’
Governments around China have been trying to cool the public zest for celebrating Christmas, in a bid to resist Western cultural influences. EPA-EFE
Governments around China have been trying to cool the public zest for celebrating Christmas, in a bid to resist Western cultural influences. EPA-EFE

Josie Wang and her family are not Christian. But they have celebrated Christmas every year since 2016.

That was the year her son William, then a toddler of three, started learning English with a private education company in Beijing.

Christmas then meant singing carols under the tree with his tutors. As Wang’s flat was too small to put up a Christmas tree and festive decorations, she would usually leave the boy a gift on behalf of Santa, to “reward his good behaviour”.

1Le 31 octobre 2017, quelques jours après leur désignation à l’issue du XIXe congrès du Parti Communiste Chinois (PCC), les sept membres du Comité permanent du Bureau politique – la plus haute instance du Parti au complet –, se sont rendus à Shanghai pour commémorer la création du Parti en ce lieu, quatre-vingt-seize ans plus tôt, en 1921. Au cours d’une cérémonie dirigée par le secrétaire général Xi Jinping en personne, les hauts dirigeants ont, le poing gauche dressé, solennellement juré de servir le Parti et de garder ses secrets. Ils ont ensuite visité le « mémorial révolutionnaire du lac du sud de Jiaxing », musée dont l’objet est de rappeler à la population chinoise l’horreur des souffrances qu’elle subissait sous les jougs conjugués du féodalisme et de l’impérialisme, avant la création par le PCC, en 1949, de la « Nouvelle Chine », la République Populaire de Chine (RPC). Selon les médias chinois officiels, Xi Jinping, au cours de cette visite, s’est exclamé à plusieurs reprises « Que d’humiliations ! Que de honte ! Á cette époque, la Chine était un mouton gras attendant le sacrifice. » [1][1]http://news.xinhuanet.com/politics/2017-11/01/c_1121886406.htm.…

La Chine est-elle un bouc émissaire ?

2Ainsi, dans l’esprit de ses dirigeants actuels, la Chine du « siècle des humiliations », qui selon l’historiographie officielle chinoise, s’étend de la première Guerre de l’opium en 1839 à 1949 [2][2]Voir Alison A. Kaufman The “Century of Humiliation” and China’s…, était un bouc émissaire, un objet passif et presque consentant de l’avidité des prédateurs occidentaux et japonais qui, secrètement coalisés pour tirer profit de sa faiblesse, la violèrent et l’occupèrent pour finir par la démembrer et par s’en partager les morceaux. On a presque le sentiment que Xi Jinping a lu René Girard [3][3]Dans toute son œuvre et notamment dans La Violence et le sacré,…. Le doute est permis cependant, car si Xi décèle chez autrui la soif de persécution, il lui semble impossible d’admettre que cette soif puisse être partagée par son peuple [4][4]« Avoir un bouc émissaire, écrit Girard, c’est ne pas savoir…. En effet, au mépris de toute réalité historique, le Parti ressasse un discours qui fait de la Chine une victime innocente de l’agressivité naturelle des barbares. Cette vision manichéenne de l’histoire chinoise s’appuie paradoxalement sur un sentiment de supériorité. Du fait de la qualité supérieurement pacifique de sa civilisation, la Chine resterait en effet, pour son malheur, traditionnellement incapable de répondre à la violence qu’on exerce contre elle, mystérieusement immunisée contre la nature universellement mimétique du conflit…

3Peut-être que si Xi Jinping imagine la Chine du « siècle des humiliations » comme un mouton gras promis au sacrifice, et donc à la disparition, c’est qu’il souhaite que le souvenir de ces humiliations soit à jamais effacé. Que la « parenthèse » de la domination occidentale soit vite refermée, et oubliée. Pourtant, l’image de la Chine faible et soumise aux Occidentaux vient sans cesse hanter les nationalistes comme ces revenants de la religion traditionnelle qu’il faut régulièrement chasser de la communauté des vivants à coup d’exorcismes. Á moins que cette Chine sacrifiée puisse « renaître » [5][5]Le projet de faire renaître ou de revitaliser (复兴 fùxīng) la…, mais cette fois sous la forme d’une Chine tout à la fois éternelle et idéale, toute puissante, à jamais purifiée de ses hontes et de ses humiliations.

4En qualifiant la Chine de « mouton attendant le sacrifice », Xi Jinping s’approprie les images d’un roman publié en 2004 et qui eut un formidable succès en Chine, Le Totem du loup[6][6]Cet ouvrage, dont l’auteur, Jiang Rong, fut un de ces « jeunes…. Dans ce roman, dont l’intrigue se situe dans les régions reculées de Mongolie-Intérieure, les étrangers sont assimilés à des hordes de nomades sanguinaires, des loups assoiffés de viande rouge, et les Chinois à de passives proies sans défense, d’inoffensifs troupeaux de moutons bêlants. Son auteur ne cachait d’ailleurs pas son admiration pour les « loups » et incitait les Chinois, pour sortir de la persécution millénaire qu’ils subissent de la part des étrangers, à devenir eux-mêmes quelque peu des loups. Le paradoxe du livre était que les loups étaient progressivement décimés par la population locale, pour finir par quasiment disparaître.

5L’auteur du Totem du loup a été entendu au-delà de ses espérances. En effet, Xi refuse que la Chine soit un mouton bêlant promis au couteau du boucher : il veut la construction d’un pays fort et fier, capable de gagner une guerre. Cela passe par la culture d’un esprit guerrier, où le civil et le militaire doivent fusionner, et plus concrètement par une augmentation rapide des dépenses budgétaires non seulement de l’armée [7][7]Cette augmentation se produit alors même que la Chine n‘est…, mais aussi de la police et de la police armée. Pourtant, Xi Jinping ne renonce pas à présenter la Chine comme essentiellement pacifique. Au cours de son rapport au XIXe congrès, un impressionnant discours de trois heures et vingt-trois minutes, il a prononcé vingt fois le mot « pacifique », 和平 [8][8]français sous l’attrayant titre suivant : « Remporter la…. Comment expliquer cette contradiction ? La Chine s’imagine dans le rôle avantageux de l’ancienne victime qui s’est trop longtemps laissé faire, de la bonne pâte qui se rebelle et refuse de se laisser marcher sur les pieds plus longtemps par les voyous qui l’ont trop longtemps martyrisée. S’il entre bien sûr du calcul dans l’affirmation du caractère pacifique du développement de la Chine, qui vise à rassurer ceux qui l’entourent, il est difficile de ne pas y percevoir un accent de sincérité : la Chine se pense vraiment, en toute candeur, plus pacifique que les puissances dont elle fut la victime.

6Pour un œil extérieur, une connaissance même superficielle de l’histoire chinoise suffit pourtant à réfuter cette assertion. On pourra par exemple consulter avec profit le passionnant ouvrage récemment publié par Howard French pour constater que la prétention de la Chine à être « la » civilisation ne l’a jamais empêchée d’utiliser la force aussi souvent que n’importe quelle autre puissance d’importance, lorsque cela lui semblait utile ou nécessaire [9][9]Howard W. French, Everything Under the Heavens: How the Past…. Comment comprendre qu’au moment même où l’Europe tend à voir sa propre histoire sous un jour très sombre, s’accusant sans relâche de tous les crimes qu’elle a commis ou qu’elle n’a pas commis, la Chine pour sa part récuse tout retour critique sur sa propre histoire, qualifiant de « nihilisme historique » les efforts pour regarder en face la violence chinoise à l’encontre des étrangers au XIXe et au XXe siècles, ou pire encore les travaux visant à comprendre la logique criminelle de la Révolution culturelle [10][10]Voir par exemple “Une mémoire ambiguë en Chine : le «Massacre… ?

La structure sacrificielle de la politique chinoise

7« Un mouton gras attendant le sacrifice ». L’assimilation de la Chine du « siècle des humiliations » à la victime d’un sacrifice rituel sonne étrangement lorsqu’on se figure que dans la Chine ancienne, « gouverner revient à sacrifier », comme l’écrit Jean Lévi [11][11]« Le rite, la norme, le tao : philosophie du sacrifice et…. Il se trouve en effet que le terme utilisé ici par Xi Jinping pour dire l’acte du sacrifice 宰, zǎi, signifie tout autant « gouverner » que « sacrifier » [12][12]Selon le dictionnaire Ricci 宰爵zǎi jué dans l’administration…. Le système sacrificiel des Zhou, bien que mis à mal durant la longue agonie de la dynastie, pendant la période dite des Printemps et Automnes et celle des Royaumes combattants qui lui succède du Ve au IIIe siècle avant J.C., servira de modèle aux empereurs chinois, à travers le sacrifice au Ciel opéré par le souverain en personne après chaque solstice d’hiver. Cette pratique sacrificielle perdurera jusqu’en 1912 et la chute de l’Empire, voire jusqu’en 1915-1916, période durant laquelle Yuan Shikai tente de restaurer l’Empire. Ce sacrifice avait pour objet un animal – un jeune taureau roux, dont la couleur rousse rappelait « l’empereur enflammé » (炎帝, yándì) encore appelé « l’empereur rouge » (赤帝, chìdì), une figure mythique considérée avec « l’empereur jaune » (黄帝 huángdì) comme l’ancêtre de tous les Hans, l’ethnie majoritaire en Chine. L’animal était brûlé intégralement et consacré au Ciel. Ce sacrifice était doublé d’un sacrifice aux ancêtres d’un autre taureau roux, en tous points semblable au premier, dont le corps était démembré et les morceaux répartis entre les participants, selon un ordre strict qui (re)produisait la hiérarchie sociale. La possession territoriale de chaque chef de clan était directement conditionnée par le nombre d’ancêtres qu’il avait à honorer, et donc par la place qu’il occupait dans ce sacrifice.

8C’est ainsi que dans l’imaginaire de Xi Jinping, la consommation sacrificielle de la Chine-bouc émissaire et son démembrement par les puissances étrangères qui s’en partagent littéralement le territoire durant « le siècle des humiliations », reproduit un sacrifice ancien dont les auteurs représentaient le sommet de l’aristocratie du régime féodal. Il se trouve que dans la mythologie propre au parti, les communistes se sont rebellés tout uniment contre le féodalisme et l’impérialisme. L’histoire de la « Nouvelle Chine » communiste est celle de la libération de la Chine et de son peuple du joug qui lui était imposé par les tyrans féodaux et étrangers. Cette association symbolique entre féodaux et puissances étrangères est facilitée par la présence concrète de forces armées étrangères en Chine jusqu’au milieu du XXe siècle et par la nature « étrangère » (mandchou) de la dernière dynastie chinoise, dont la haute aristocratie n’était majoritairement pas d’ethnie Han. Mao Zedong s’identifiera à celui qu’on appelle l’empereur Qin Shihuang, le premier empereur historique qui, au IIIe siècle avant J.C., unifiera la Chine, mettra à bas le système féodal et lui substituera un système centralisé extrêmement répressif. Jean Lévi voit dans l’émergence de ce système centralisé la fin du système féodal fondé sur le sacrifice [13][13]Jean Lévi, Op. Cit. p. 186 et suivantes.. De même, dans l’imaginaire communiste, Mao est un nouvel empereur qui comme son modèle unifie le pays et pourfend les pouvoir féodaux et les impérialistes avides d’asservir la Chine et son peuple. Ce modèle est très présent aujourd’hui chez Xi Jinping dans sa lutte contre la corruption et les baronnies qui divisent la Chine, comme dans sa lutte contre toutes les formes de « séparatismes » politiques ou religieux. Aujourd’hui encore par exemple, la séparation de Taïwan de la mère patrie est comprise comme une conséquence de l’ère impérialiste et féodale durant laquelle la Chine était asservie aux étrangers. Mais est-ce que la fin du système féodal signifie pour autant la fin de la structure sacrificielle qui l’organisait ? Si l’on prend le mot « sacrificiel » au sens étroit du sacrifice au Ciel, la réponse est oui, puisque les Républicains ont mis fin à un système que la Chine communiste n’a naturellement pas restauré. Si l’on prend le mot « sacrificiel » au sens que lui a donné René Girard, on peut en douter.

9En effet, à suivre René Girard, toutes les communautés humaines archaïques sont fondées sur des rituels qui visent à expulser la violence qui les menace hors d’elles-mêmes. Le sacrifice que Girard voit à la source des communautés humaines est la reproduction ritualisée d’une scène originelle : un lynchage qui a miraculeusement restauré la paix menacée par la discorde et les conflits mimétiques. L’objet du lynchage est ce que Girard appelle la victime émissaire : toute la violence réelle de la communauté se porte sur elle, tandis qu’elle est accusée d’être la seule responsable de cette violence et des calamités frappant la communauté. Pour ce qui concerne la Chine archaïque, il est vraisemblable que le sacrifice au Ciel trouve son modèle dans une scène de lynchage dont les rois/chamans de la Chine ancienne furent l’objet.

10Ainsi, on peut citer le cas du souverain Tang, fondateur de la dynastie Shang au XVIe siècle avant J.C. [14][14]Il s’agit de la dynastie semi-historique qui précède celle des…, qui après sa victoire sur le dernier souverain de la dynastie des Xia dut faire face à une longue période de sècheresse durant laquelle rien ne fut récolté. Dans une structure typique des mythes sacrificiels, il s’accusa et accusa son gouvernement de nombreux maux sans lien apparent avec la sécheresse (concussion, luxure, dépenses somptuaires, calomnies), préfigurant ainsi les séances d’autocritique chères au parti communiste. Pour conjurer le retour des esprits persécuteurs et des démons envoyés par le Ciel pour le punir, il offrit à l’empereur d’en-Haut et à son peuple de s’immoler par le feu pour que cesse la sécheresse et que soit mis fin aux malheurs qui s’abattaient avec elle sur le pays [15][15]Cette attitude du souverain Tang servit de modèle aux empereurs…. Diverses versions de ce mythe existent. Selon l’une d’entre elles, le souverain s’en sortit en offrant au Ciel certaines parties de lui-même, ongles et cheveux, qui le représentaient tout entier auprès de la divinité. Selon une autre version, il offrit au Ciel une victime de substitution, un taureau. Le sacrifice du roi fit pleuvoir et ramena l’harmonie [16][16]Voir Anthologie des mythes et légendes de la Chine ancienne,…. Dans sa structure, ce mythe est identique au rituel du sacrifice au Ciel au cœur de la politique des Zhou : un roi, après le solstice d’hiver et avant les semences et les pluies du printemps immole par le feu, après l’avoir criblé de flèches, un taureau roux dont la couleur manifeste qu’il s’est exposé au feu du soleil, comme pour conjurer la sécheresse et assurer la permanence du retour des saisons, modèle et fondation de l’harmonie cosmique et sociale.

Sacrifier le Prince ou chasser les démons ?

11Se perçoit aussi dans ce mythe l’origine et le lien avec le sacrifice de ce que les textes de la dynastie Zhou appelleront plus tard le « mandat du Ciel » : lorsque les calamités et les conflits s’abattent sur la Chine, c’est que le mandat du Ciel a été retiré au souverain et il devient alors légitime de le remplacer, y compris par des moyens violents et illégaux. Cependant, si par son bon gouvernement et par une bonne pratique du sacrifice (ce qui dans le cadre de la dynastie Zhou est une seule et même chose), le souverain parvient à ramener concorde et harmonie, c’est que le mandat du Ciel ne lui a pas été retiré. Dans les faits, le mandat du Ciel sert bien sûr surtout aux nouveaux souverains à justifier a posteriori le renversement dynastique. Mais ce qui importe ici, c’est de constater à quel point le mandat du Ciel et son retrait possible ressemblent en tous points aux humeurs variables qui traversent les « 10 000 hommes », la foule des agriculteurs formée par les sujets du souverain, qui est lui « l’homme unique » [17][17]Id. p. 140., dans un rapport de force qui pourrait paraître inégal et inquiétant si la force structurante de l’institution sacrificielle ne permettait de maintenir à bonne distance symbolique et physique la foule de son souverain [18][18]C’est ainsi qu’on peut comprendre les multiples tabous qui….

12Cette mentalité sacrificielle inhérente à la politique en Chine fut particulièrement manifeste, dans son emballement même, pendant la Révolution culturelle. Ainsi le chercheur néerlandais Barend J. ter Haar a pu décrire la politique maoïste durant la Révolution culturelle (1966-1976) comme étant régie par un « paradigme démonologique » selon lequel la politique consiste, sur le modèle taoïste, à « chasser les démons » hors de la communauté qu’ils menacent [19][19]Barend J. ter Haar, “China’s Inner Demons: The Political Impact…. Pour éviter que la violence qui traverse la communauté politique ne se retourne contre le souverain, il faut que celui-ci la prenne entre ses propres mains et l’oriente vers des objets sacrifiables, symboliquement ou réellement. Du point de vue du souverain, il n’en est naturellement pas un lui-même : tout le monde ne peut pas avoir la vertu du souverain Tang des Shang, qui, on l’a vu, s’est offert lui-même en sacrifice. Peut-être aussi, mais les chroniques ne le disent pas, cette offre s’est-elle faite sous la pression d’une foule courroucée, sur le modèle de ces « criminels » qui aujourd’hui après avoir passé quelques semaines au secret et aux mains de la redoutable Commission de discipline et d’inspection du Parti sont envoyés en victimes expiatoires à la télévision pour confesser leur crime devant la foule des spectateurs [20][20]“Beijing’s Televised Confessions”, chinafile.com, 20 janvier…. C’est ainsi que le sacrifice rituel se transforme en châtiment, qui n’est rien d’autre qu’une nouvelle sorte de sacrifice rituel [21][21]La continuité structurelle du sacrifice et du châtiment se lit….Ce fut le cas dans la Chine antique, ou la crise de l’institution sacrificielle traditionnelle mena à l’émergence d’un courant de pensée, le légisme, qui faisait de l’aristocratie sa tête de Turc, et de la chasse aux têtes par les paysans-soldats et du châtiment par le Prince le cœur de l’art de gouverner [22][22]Sur le légisme voir Han-Fei-Tse ou le Tao du Prince, Présenté…. De même, dans l’imaginaire communiste aujourd’hui, le féodalisme et l’impérialisme qui présidaient au sacrifice de la Chine bouc-émissaire sont-ils devenus la substance même de ce qu’il faut sacrifier, c’est-à-dire expulser hors de la communauté, en même temps que les criminels ou les corrompus. Sous l’impulsion du Parti communiste, la Chine exécute chaque année plus de condamnés à mort que le reste du monde réuni, sans doute plusieurs milliers de personnes par an [23][23]Voir dans ce numéro l’entretien avec Marie Holzman, pp. 38-45..

13La Chine, dans la version idéalisée qu’en présente le Parti, d’objet du sacrifice en est devenue l’acteur légitime et tout puissant, incarnée par un souverain fermement en possession du mandat du Ciel. Ainsi, en conclusion de son discours fleuve ouvrant le XIXe congrès du PCC le 18 octobre 2017, Xi Jinping pouvait ainsi, en toute quiétude, s’identifier à un moderne fils du Ciel en citant une phrase tirée du classique des rites, le texte organisant la vie sociale, politique et administrative de la dynastie Zhou : « Quand la Voie céleste prévaut, l’esprit public règne sur Terre. » [24][24]Traduction donnée par la presse officielle de la citation par…

« Comment Satan peut-il chasser Satan ? »

14Il est maintenant enfin possible de répondre à la question posée plus haut. Pourquoi la Chine récuse-t-elle tout retour critique sur sa propre histoire ? Comment, malgré son histoire banalement chaotique, la Chine peut-elle se penser comme une civilisation plus pacifique que les autres ? C’est très certainement parce que, en vertu de la structure sacrificielle de la politique en Chine, la violence qui s’y exerce doit être expulsée en même temps que ceux qui l’incarnent, le féodalisme ou l’impérialisme, c’est-à-dire les traitres et les étrangers qui veulent diviser et humilier la Chine. D’une certaine façon, en se situant résolument dans la continuité des « 5000 ans d’histoire » de la Chine, le Parti et ses dirigeants revendiquent eux-mêmes l’archaïsme sacrificiel qui continue de structurer la politique dans ce pays. Cependant, aujourd’hui, en Chine comme ailleurs (même si sans doute plus lentement qu’ailleurs), la structure sacrificielle de la politique est subvertie par la confrontation avec les autres récits nationaux qui pour leur part ne se sentent nullement contraints d’occulter la violence chinoise, et par la difficile recherche de la vérité historique et anthropologique qui est le propre du travail intellectuel. Le pouvoir chinois tente de se protéger et de protéger la stabilité du pays par l’érection de murs numériques et symboliques. Il sait que les vieux secrets de la violence politique sont éventés, et que la révélation de la nature violente des structures sacrificielles du pouvoir peut lui être fatale. « Comment Satan peut-il chasser Satan ? » (Matt, 12,26).

Notes

  • [1]
    http://news.xinhuanet.com/politics/2017-11/01/c_1121886406.htm. 习近平总书记连连感叹:“多屈辱啊!多耻辱啊!那时的中国是待宰的肥羊。”
  • [2]
    Voir Alison A. Kaufman The “Century of Humiliation” and China’s National Narratives, 10 mars 2011 https://www.uscc.gov/sites/default/files/3.10.11Kaufman.pdf.
  • [3]
    Dans toute son œuvre et notamment dans La Violence et le sacré, Grasset 1972, et Des Choses cachées depuis la fondation du monde, Grasset 1978, René Girard explore la source sacrificielle de toutes les cultures humaines. La pertinence de ses analyses dans le cadre de la civilisation chinoise a été, à ma connaissance peu explorée.
  • [4]
    « Avoir un bouc émissaire, écrit Girard, c’est ne pas savoir qu’on l’a » (Achevez Clausewitz, Carnet Nord, 2017, p. 17).
  • [5]
    Le projet de faire renaître ou de revitaliser (复兴 fùxīng) la nation (ou l’ethnie, ou la « race », 民族, mínzú) chinoise est en effet le projet phare du PCC dans la perspective de la célébration des cent ans du PCC, en 2021.
  • [6]
    Cet ouvrage, dont l’auteur, Jiang Rong, fut un de ces « jeunes instruits » envoyé à la campagne, en l’occurrence en Mongolie Intérieure, pendant la Révolution culturelle, a été vendu à des dizaines de millions d’exemplaires en Chine et traduit en français comme dans de nombreuses autres langues (Le Totem du loup, Livre de Poche, 2009). En 2015, il a fait l’objet d’une adaptation cinématographique franco-chinoise, réalisée par Jean-Jacques Annaud, dans laquelle la dimension historique et géopolitique du livre est complètement occultée.
  • [7]
    Cette augmentation se produit alors même que la Chine n‘est actuellement engagée dans aucun conflit à l’étranger et que sa croissance ralentit.
  • [8]
    français sous l’attrayant titre suivant : « Remporter la victoire décisive de l’édification intégrale de la société de moyenne aisance et faire triompher le socialisme à la chinoise de la nouvelle ère ». http://french.xinhuanet.com/chine/2017-11/03/c_136726219.htm?from=timeline.
  • [9]
    Howard W. French, Everything Under the Heavens: How the Past Helps Shape China’s Push for Global Power, Knopf, 2017.
  • [10]
    Voir par exemple “Une mémoire ambiguë en Chine : le «Massacre de Tianjin» en 1870 », Asialyst, 26 octobre 2017 https://asialyst.com/fr/2017/10/26/chine-memoire-ambigue-massacre-tianjin-1870/. “China’s history problem: how it’s censoring the past and denying academics access to archives”, South China Morning Post, 2 mai 2017 : http://www.scmp.com/culture/books/article/2091436/why-you-cant-believe-word-xi-jinping-says-about-history-according. Historian’s Latest Book on Mao Turns Acclaim in China to Censure, The New York Time, 21 janvier 2017. https://www.nytimes.com/2017/01/21/world/asia/china-historian-yang-jisheng-book-mao.html.
  • [11]
    « Le rite, la norme, le tao : philosophie du sacrifice et transcendance du pouvoir en Chine ancienne » dans Religion et société en Chine ancienne et médiévale, sous la direction de John Lagerwey, Institut Ricci, Cerf, 2009, p. 166.
  • [12]
    Selon le dictionnaire Ricci 宰爵zǎi jué dans l’administration impériale est l’officier de bouche : responsable des sacrifices, de la répartition de la viande durant les dynasties 周 Zhou et 秦 Qin.宰夫zǎi fū, signifie à la fois sacrificateur, personne chargé de découper et répartir la viande et Administrateur-adjoint au 天官 tiān guān ou ministère du Ciel, chargé des questions politiques (selon le 周禮 Zhou Li). 宰割zǎi gē signifie dépecer, démembrer et 宰官zǎi guān fonctionnaire, mandarin. 宰肉 zǎi ròu signifie à la fois découper la viande en allusion à 陳平 Chen Ping (? -178 A.C.), premier ministre du fondateur de la dynastie 西漢 Han de l’Ouest et le talent de gouverner un pays (voir à propos de Chen Ping, Jean Lévi, Op. Cit. p. 169). 宰相zǎi xiàng signifie ministre, etc.
  • [13]
    Jean Lévi, Op. Cit. p. 186 et suivantes.
  • [14]
    Il s’agit de la dynastie semi-historique qui précède celle des Zhou, qui ritualisera le sacrifice au Ciel.
  • [15]
    Cette attitude du souverain Tang servit de modèle aux empereurs des dynasties postérieures. Ainsi, « [le règne de l’empereur Yuan] fut une succession de désastres : famines, cannibalisme, tremblements de terre, incendies, sécheresses, inondations, épidémies, éboulements, tempêtes, éclipses, invasions de papillons blancs en si grand nombre qu’ils cachent le soleil surviennent année après année, suscitant, selon une mécanique bien rodée, les stations de la contrition impériale : l’empereur constate le mal, s’en accuse, se prive, amnistie, exempte et récompense ».) Michèle Pirazzoli-t’Serstevens et Marianne Bujard, Les Dynasties Qin et Han, Histoire générale de la Chine (221 av. J.-C. – 220 apr. J.-C.), Les Belles Lettres, 2017 p. 88.
  • [16]
    Voir Anthologie des mythes et légendes de la Chine ancienne, textes choisis, traduits et indexés par Rémi Mathieu, Gallimard, 1989, pp. 139-141.
  • [17]
    Id. p. 140.
  • [18]
    C’est ainsi qu’on peut comprendre les multiples tabous qui pesaient sur la représentation de l’empereur et sur les contacts que le peuple et l’administration impériale pouvaient ou ne pouvaient pas entretenir avec lui, ainsi que l’institution du « prieur secret » (祕祝, mìzhù) « dont la fonction consistait à détourner sur des inférieurs les calamités visant le souverain ». Cette institution disparut cependant sous l’empereur Wen, réputé pour sa clémence dès le IIe siècle avant Jésus-Christ. Michèle Pirazzoli-t’Serstevens et Marianne Bujard, Les Dynasties Qin et Han, Histoire générale de la Chine (221 av. J.-C. – 220 apr. J.-C.), Les Belles Lettres, pp. 52-53.
  • [19]
    Barend J. ter Haar, “China’s Inner Demons: The Political Impact of the Demonological Paradigm” dans Woei Lien Chong (ed.), China’s Great Proletarian Revolution: Master Narratives and Post-Mao Counternarratives, Rowman & Littlefield, 2002, pp. 27-68.
  • [20]
    “Beijing’s Televised Confessions”, chinafile.com, 20 janvier 2016.
  • [21]
    La continuité structurelle du sacrifice et du châtiment se lit jusque dans l’étymologie du terme 宰, zǎi utilisé par Xi Jinping pour décrire l’abattage de la Chine bouc-émissaire par les impérialistes/féodaux. Selon le dictionnaire Ricci 宰 est en effet composé de la clé du toit et de sa partie inférieure qui signifie châtiment appliqué en rétribution d’un crime.
  • [22]
    Sur le légisme voir Han-Fei-Tse ou le Tao du Prince, Présenté et traduit du chinois par Jean Lévi, Seuil, 1999 et Shang Yang, Le livre du Prince Shang, présentation et traduction Jean Lévi, Flammarion 2005.
  • [23]
    Voir dans ce numéro l’entretien avec Marie Holzman, pp. 38-45.
  • [24]
    Traduction donnée par la presse officielle de la citation par Xi Jinping d’une phrase bien connue du classique des rites : 大道之行,天下为公dàdào zhī xíng, tiānxià wèi gōng. Rappelons puisqu’à ce point cela paraît nécessaire, que le PC reste officiellement areligieux et même athée. Sur la religion politique chinoise, je me permets de renvoyer à « XIXe congrès, le triomphe de la religion politique chinoise », Institut Thomas More, octobre 2017. http://institut-thomas-more.org/2017/10/18/dix-neuvieme-congres-du-pcc-le-triomphe-de-la-religion-politique-chinoise/.

« Can’t Let This Demon Hide »: Xi Jinping On Coronavirus As Nations Prepare Airlifts

Xi made his remarks during talks with the head of the World Health Organization in Beijing amid growing global concerns about a novel coronavirus that has infected thousands in China and reached more than a dozen other countries.

World Agence France-Presse
January 29, 2020

« The epidemic is a demon, and we cannot let this demon hide, » Xi Jinping said.

Wuhan, China: China is battling a « demon » virus that has so far killed more than 100 people, President Xi Jinping said Tuesday, as foreign nations prepared to evacuate their citizens and the US said it was developing a vaccine.

Xi made his remarks during talks with the head of the World Health Organization in Beijing amid growing global concerns about a novel coronavirus that has infected thousands in China and reached more than a dozen other countries.

In a development that could cause more jitters abroad, Japan and Germany reported the first confirmed cases of human-to-human transmission outside of China.

World markets outside Asia nevertheless rebounded following a global sell-off fuelled by the spread of the virus.

The infection is believed to have originated in a wild-animal market in the central Chinese city of Wuhan, where it jumped to humans before spreading rapidly across the country, prompting authorities to enact drastic nationwide travel restrictions in recent days.

Countries are also concerned about the fate of thousands of foreigners stuck in Wuhan, a city of 11 million that has been sealed off by Chinese authorities in a bid to contain the disease.

A plane sent by Tokyo landed in the virus-stricken metropolis late Tuesday and was scheduled to repatriate Japanese nationals on Wednesday, the same day that a US aircraft is expected to bring American citizens back to their homeland.

The European Union will fly its citizens out aboard two French planes this week, and South Korea was due to do the same. Several other countries were assessing their options.

« Chinese people are currently engaged in a serious struggle against an epidemic of a new type of coronavirus infection, » Xi told WHO chief Tedros Adhanom Ghebreyesus in Beijing.

« The epidemic is a demon, and we cannot let this demon hide, » the Chinese leader said, pledging that the government would be transparent and release information in a « timely » manner.

His comments came as anger simmered on Chinese social media over the handling of the health emergency by local officials in central Hubei province.

Some experts have praised Beijing for being more reactive and open about this crisis than it was during the SARS (Severe Acute Respiratory Syndrome) epidemic of 2002-2003.

But others say local cadres were more focused on projecting stability earlier in January than in adequately responding to the outbreak during regional political meetings.

Since then, the number of cases has soared — doubling to more than 4,500 in the past 24 hours.

In Washington, US health authorities said a vaccine was in the works but would take months to develop.

Health and Human Services Secretary Alex Azar called on Beijing to show « more cooperation and transparency, » saying the US had offered its help three times — so far without success.

– Contagion abroad –

The WHO last week stopped short of declaring the outbreak a global emergency, which could have prompted a more aggressive international response, such as travel restrictions.

Following the high-level talks with Xi in Beijing, the WHO said the two sides had agreed to send international experts to China « as soon as possible… to guide global response efforts. »

« Stopping the spread of this virus both in China and globally is WHO’s highest priority, » Tedros said.

Until Tuesday, all reported cases in more than a dozen countries had involved people who had been in or around Wuhan.

But in Japan, a man in his 60s apparently contracted the virus after driving two groups of tourists visiting from the city earlier in January, the health ministry said.

And a 33-year-old German man contracted the disease from a Chinese colleague from Shanghai who visited Germany last week, according to health officials.

Vietnam has been investigating a possible case of human-to-human transmission.

The development came after countries including Sri Lanka, Malaysia and the Philippines announced tighter visa restrictions for people coming from China.

China has taken its own drastic steps to stop the virus, which health officials say is passed between people through sneezing or coughing, and possibly through physical contact.

Zhong Nanshan, a renowned scientist at China’s National Health Commission, told the official Xinhua news agency on Tuesday that the outbreak could peak in a week or 10 days.

Authorities sealed off Wuhan and other cities in Hubei province late last week, trapping more than 50 million people.

China has since extended the Lunar New Year holiday to keep people indoors as much as possible, and suspended a wide range of train services.

On Tuesday, authorities urged Chinese citizens to delay any foreign travel « to protect the health and safety of Chinese and foreign people. »

Ghost town

Wuhan, meanwhile, has been turned into a near ghost town under a lockdown that has largely confined the industrial hub’s residents to their homes.

With a ban on car traffic, the streets were nearly deserted apart from the occasional ambulance — although the city’s hospitals are overwhelmed.

1Comments« Everyone goes out wearing masks and they are worried about the infection, » said David, a Chinese man who works in Shanghai but found himself trapped in Wuhan after it was put under quarantine. He declined to give his family name.

Want to escape poverty? Replace pictures of Jesus with Xi Jinping, Christian villagers urged

Believers urged to replace religious artefacts in their homes with posters of Communist Party leader if they want to benefit from poverty-relief efforts

Vows of Change in China Belie Private Warning
Chris Buckley
NYT

Feb. 14, 2013

HONG KONG — When China’s new leader, Xi Jinping, visited the country’s south to promote himself before the public as an audacious reformer following in the footsteps of Deng Xiaoping, he had another message to deliver to Communist Party officials behind closed doors.

Despite decades of heady economic growth, Mr. Xi told party insiders during a visit to Guangdong Province in December, China must still heed the “deeply profound” lessons of the former Soviet Union, where political rot, ideological heresy and military disloyalty brought down the governing party. In a province famed for its frenetic capitalism, he demanded a return to traditional Leninist discipline.

“Why did the Soviet Union disintegrate? Why did the Soviet Communist Party collapse? An important reason was that their ideals and convictions wavered,” Mr. Xi said, according to a summary of his comments that has circulated among officials but has not been published by the state-run news media.

“Finally, all it took was one quiet word from Gorbachev to declare the dissolution of the Soviet Communist Party, and a great party was gone,” the summary quoted Mr. Xi as saying. “In the end nobody was a real man, nobody came out to resist.”

In Mr. Xi’s first three months as China’s top leader, he has gyrated between defending the party’s absolute hold on power and vowing a fundamental assault on entrenched interests of the party elite that fuel corruption. How to balance those goals presents a quandary to Mr. Xi, whose agenda could easily be undermined by rival leaders determined to protect their own bailiwicks and on guard against anything that weakens the party’s authority, insiders and analysts say.

“Everyone is talking about reform, but in fact everyone has a fear of reform,” said Ma Yong, a historian at the Chinese Academy of Social Sciences. For party leaders, he added: “The question is: Can society be kept under control while you go forward? That’s the test.”

Gao Yu, a former journalist and independent commentator, was the first to reveal Mr. Xi’s comments, doing so on a blog hosted by Deutsche Welle, a German broadcaster. Three insiders, who were shown copies by officials or editors at state newspapers, confirmed their authenticity, speaking on the condition of anonymity because of the risk of punishment for discussing party affairs.

More on China
Covid Outbreak: Since China abandoned its strict “zero Covid” policy, the intensity and magnitude of the country’s outbreak has remained largely a mystery. But a picture is emerging of the virus spreading like wildfire.
Economic Recovery: Years of Covid lockdowns took a brutal toll on Chinese businesses. Now, the rapid spread of the virus after a chaotic reopening has deprived them of workers and customers.
Youth Unemployment: With youth unemployment high in China, millions will soon take the Civil Service exam. But for those who get entry-level government jobs, the reality can be monotonous work that blurs the line with personal lives.
Space Program: Human spaceflight achievements show that China is running a steady space marathon rather than competing in a head-to-head space race with the United States.
The tension between embracing change and defending top-down party power has been an abiding theme in China since Deng set the country on its economic transformation in the late 1970s. But Mr. Xi has come to power at a time when such strains are especially acute, and the pressure of public expectations for greater official accountability is growing, amplified by millions of participants in online forums.

Mr. Xi has promised determined efforts to deal with China’s persistent problems, including official corruption and the chasm between rich and poor. He has also sought a sunnier image, doing away with some of the intimidating security that swaddled his predecessor, Hu Jintao, and demanding that official banquets be replaced by plainer fare called “four dishes and a soup.”

Yet Mr. Xi’s remarks on the lessons of the Soviet Union, as well as warnings in the state news media, betray a fear that China’s strains could overwhelm the party, especially if vows of change founder because of political sclerosis and opposition from privileged interest groups like state-owned conglomerates. Already this year, public outcries over censorship at a popular newspaper and choking pollution in Beijing have given the new party leadership a taste of those pressures.

Some progressive voices are urging China’s leaders to pay more than lip service to respecting rights and limits on party power promised by the Constitution. Meanwhile, some old-school leftists hail Mr. Xi as a muscular nationalist who will go further than his predecessors in asserting China’s territorial claims.

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Xi Jinping came to power at a time when the pressure of public expectations for greater official accountability is growing.Credit…Feng Li/Getty Images

The choices facing China’s new leadership include how much to relax the state’s continuing grip on the commanding heights of the economy and how far to take promises to fight corruption — a step that could alienate powerful officials and their families.

“How can the ruling party ensure its standing during a period of flux?” asked Ding Dong, a current affairs commentator in Beijing. “That’s truly a real challenge, and it’s creating a sense of tension and latent crisis inside the party.”

What we consider before using anonymous sources. Do the sources know the information? What’s their motivation for telling us? Have they proved reliable in the past? Can we corroborate the information? Even with these questions satisfied, The Times uses anonymous sources as a last resort. The reporter and at least one editor know the identity of the source.

Learn more about our process.
Mr. Xi and his inner circle have about 18 months to consolidate power and begin any big initiatives before preparations for the next Communist Party Congress and leadership reshuffle in 2017 start to consume elite attention, said Christopher Johnson, an analyst on China at the Center for Strategic and International Studies in Washington.

“For now, he’s a guy who’s trying to be two things at once,” said Mr. Johnson, formerly a senior China analyst for the C.I.A. “The question is: How long will they be able to get by with gestures like four dishes and a soup before they have to make the hard choices?”

So far, Mr. Xi has been busy distinguishing himself from his predecessor through an energetic succession of visits and speeches. Mr. Hu, who formally remains state president until next month, when Mr. Xi will take over that post, also came to power accompanied by widespread expectations of change. But he proved to be a rigidly unadventurous leader.

In recent weeks, Mr. Xi has promised to clean up Beijing’s noxious smog and make it easier to hail a cab on the city’s congested streets. Before that, Mr. Xi also vowed that the party would allow “sharp criticism” of its failings, and said “power must be held in an institutional cage.”

Censors have allowed photographs showing Mr. Xi as a relaxed man of the people to spread on the Internet, including one of a jolly encounter with a man in a Santa Claus costume during a trip overseas.

Mr. Xi “doesn’t want to be known as Hu Jintao is known, as someone who didn’t make much progress,” said Ezra Vogel, an emeritus professor of social sciences at Harvard University who recently visited China, a country he has studied for decades.

Yet Mr. Xi has qualified his promises in ways that have already disappointed some proponents of faster market-driven change and political liberalization. In one speech, Mr. Xi said that change must be piecemeal, citing Deng’s dictum that progress is made “crossing the river by groping stones.” In another, he said Mao Zedong’s era of revolutionary socialism should not be dismissed as a failure.

He has also repeatedly demanded that the military show unflinching loyalty — a principle that, in his view, the Soviet Communist Party under Mikhail S. Gorbachev fatally failed to uphold.

Mr. Xi, 59, is the son of a revolutionary who worked alongside Mao until he was purged and jailed. A senior commentator for a major Chinese newspaper said that political patrimony had made Mr. Xi even more sensitive to showing that “while talking about reform, he also wants to tell the party that he won’t become a Gorbachev.”

Unlike the former Soviet leader, Mr. Xi presides over an economy that, for all its hazards, has grown robustly over three decades, propelling China to greater international influence. But Chinese officials have warned that rising stature is also generating external rivalries and domestic demands that would magnify the damage from political missteps and schisms.

“We’re a major power, and we absolutely cannot allow any subversive errors when it comes to the fundamental issues,” Mr. Xi told party officials in Guangdong. “If that happens, there’s no going back.”


Les nouveaux dazibao

Représenter la lutte contre l’épidémie en Chine

Catherine Capdeville-Zeng

Esprit

décembre 2020

Les autorités chinoises ont veillé à ce que les images et informations qui circulent glorifient la victoire du peuple chinois sur l’épidémie, mais elles ont également renoué avec la violence de la Révolution culturelle.

Le dimanche 26 janvier 2020, deux amis chinois de passage à Paris déjeunent à la maison. Contrairement à ce qui était prévu, l’homme arrive seul, sans sa femme et sa fille. Cette dernière est grippée, il n’est pas question de nous contaminer. En effet, depuis quelques jours, la rumeur qui bruissait sur l’existence d’une nouvelle grave maladie contagieuse en Chine a été confirmée officiellement. La conversation a donc roulé principalement sur cette maladie mystérieuse. Nos amis devaient-ils rentrer en Chine ? Malgré leur inquiétude, tous deux ont finalement choisi d’y retourner, principalement pour des raisons familiales. Avant de partir, ils ont essayé d’acheter des masques, mais les pharmacies parisiennes avaient déjà toutes été dévalisées par des Chinois. De retour dans leurs villes respectives loin de Wuhan, leurs premiers messages racontent qu’il est interdit d’aller nulle part sans masque. Mais il y a un problème : les masques sont introuvables en Chine aussi.

La suite, on l’a tous vécue, bien que de manière différente selon les sociétés. Si le contexte épidémique extraordinaire a favorisé partout des discussions et des circulations de messages et publications divers sur Internet, en Chine, on a vu surgir des illustrations poursuivant la tradition des dazibao, ces affiches en grands caractères placardées en masse lors des mouvements politiques qui ont rythmé la vie chinoise pendant toute l’époque maoïste, et qui avaient totalement disparu depuis les réformes, au début des années 1980. Certaines images m’ont semblé significatives et ainsi dignes d’être analysées pour réfléchir à la validité d’une parole désabusée énoncée par de nombreux Chinois, à savoir que leur pays est en train de retourner à l’extrémisme de la Révolution culturelle (1966-1976).

Glorifier le combat

L’État chinois contrôle de plus en plus profondément les nouvelles diffusées dans les médias officiels, et ce qui n’est pas validé en haut lieu est souvent qualifié de rumeur, comme cela a été le cas pour les premiers messages non officiels à propos de ce nouveau virus. Dès le 30 décembre 2019, le docteur Li Wenliang, ophtalmologue à l’hôpital central de Wuhan, diffuse l’information d’une nouvelle maladie, grave et transmissible d’homme à homme, auprès de quelques collègues. Questionné par la police le 3 janvier 2020, il est accusé d’avoir propagé de fausses rumeurs. Dans la culture communiste chinoise, il doit se rétracter en signant une « lettre d’admonestation », nouvelle formule des autocritiques en vigueur dans les années 1940 avec un paroxysme pendant la Révolution culturelle, par laquelle il s’engage à ne pas recommencer sous peine de poursuites. Avec le recul et vue de nos rives occidentales, cette menace à l’encontre de la diffusion de l’existence d’une maladie qui va rapidement devenir une pandémie paraît incroyable. Pourtant, cela est courant en Chine et n’étonne personne là-bas.

Mi-janvier, Li Wenliang, contaminé lors de l’exercice de son métier, tombe lui-même malade, et décède le 6 février 2020, à 34 ans. En signe de respect, sa photo circule largement en ligne, parfois avec la mention : tiandi buren (天地不仁), une parole extraite du Livre de la voie et de la vertu de Laozi, qui peut se traduire de cette manière dans le contexte de pandémie : « Ciel et terre n’ont pas été bienveillants. » Très rapidement, cette photo est suivie en ligne d’un dessin, cependant vite supprimé par les nettoyeurs de l’Internet chinois.

Le dernier message public de Li Wenliang, publié peu avant sa mort, aurait comporté la parole suivante : « Pour être en bonne santé, une société ne devrait pas comporter une seule voix. » Sur le dessin tiré de la photo, le masque devenu bâillon en fil de fer barbelé symbolise l’interdiction d’énoncer toute parole libre.

C’est d’abord la glorification du peuple chinois réussissant sa lutte contre le virus qui doit dorénavant circuler.

En effet, c’est d’abord la glorification du peuple chinois réussissant sa lutte contre le virus qui doit dorénavant circuler, comme cela transparaît dans une bande dessinée de propagande nommée « Grande illustration de la lutte contre le coronavirus », publiée sur le site du Quotidien du peuple le 2 avril. Elle est ensuite amplement relayée en ligne avec la mention : « Le Quotidien du peuple vient de diffuser une photo qui étonne les citoyens ! » Par sa taille, cette image est prévue pour être consultée facilement sur un téléphone portable. Elle illustre l’arrivée du virus à Wuhan, symbolisée par sa pagode de la Grue jaune, peu avant le départ des migrants pour fêter le Nouvel An en famille. Elle glorifie ensuite le combat mené par tous, qui aboutit à la victoire en un temps record. Voici quelques extraits de cette immense fresque.

Le plan du ciel

Esthétiquement et techniquement parlant, les dessins, probablement réalisés sur ordinateur, sont incontestablement réussis. Concentrons-nous à présent sur ce qu’ils montrent et disent, et sur ce qu’ils ne montrent ni ne disent.

L’arrivée du virus est imputée au « ciel », à travers des éclairs et des coups de tonnerre soudains, malmenant la sérénité des voyageurs se préparant à rentrer en famille fêter le Nouvel An. Le ciel, dans la tradition chinoise, est la puissance cosmique fondamentale. Ciel et destin sont souvent synonymes, et une traduction courante de la maxime ci-dessus (« le ciel avait un autre plan ») est « le destin est imprévisible ». L’apparition du « ciel/destin » en tant que moteur cosmique surplombant les hommes est assez originale dans un journal communiste. S’ensuit cette parole si anodine du virus : « Je suis arrivé tout doucement » – soudaine, impromptue, insidieuse, hors de tout contrôle, cette venue enlève toute responsabilité aux humains. Car c’est bien cela qu’il faut retenir : rien n’a pu être fait pour contenir cette épidémie que personne n’a vue venir, parce qu’elle a été orchestrée par le ciel.

Dès lors, il appartient aux humains de se liguer pour combattre la maladie, heureusement avec l’aide du dieu du feu et du dieu du tonnerre, qui nomment les hôpitaux bâtis en un temps record1.

Le combat est héroïque, et les dessins reflètent fidèlement les informations divulguées par les médias officiels, pendant les deux mois de confinement de Wuhan. Les travailleurs sont magnifiés, le sacrifice de chacun est souligné, depuis l’enfant qui pleure car sa mère part faire son devoir jusqu’au mari policier qui déclare à sa femme infirmière : « À ton retour, je te promets de faire le ménage pendant un an ! » À trois reprises, les chiffres officiels sont présentés : tant de cas déclarés, tant de morts, tant de guéris. Les hommes représentent les vecteurs d’autorité et les guerriers : le scientifique officiel Zhong Nanshan, puis tous les ouvriers, policiers, soldats ; les femmes, elles, se sacrifient et aident les autres comme médecins et infirmières. Mais encore, chacun prend sa part : les médecins sont épuisés, les livreurs apportent des choses de première nécessité, les professeurs enseignent en visioconférence, les gens sont confinés… Enfin, arrive le grand jour où les hôpitaux peuvent être démantelés. La vie reprend son cours : les livraisons de toutes sortes reprennent en masse, on peut se passer de faire le dîner le soir car le restaurant d’en dessous a rouvert, les jeunes se remettent à conter fleurette. Et la petite fille solitaire du dernier dessin fait des bulles avec un jouet dont la forme est indiscernable, peut-être une grenouille, un écureuil – ou une chauve-souris ? Sous la protection bienveillante de la pagode de la Grue jaune, dans un parterre de cerisiers du Japon en fleur signalant le printemps, est acté le retour au « rêve chinois » évoqué dans les dernières images : consommation, insouciance, légèreté.

L’expérience paraît finalement assez anodine : la souffrance n’y est jamais frontale, bien qu’elle soit parfois indirectement évoquée, non par pudeur, mais parce que tout élément « négatif » n’a droit de cité dans ce type de communication que pour y être combattu, comme le montrent les mains nues qui reçoivent un masque. La mort est présente à travers le nombre de décès et dans une courte séquence où une jeune fille verse une larme en envoyant des fleurs blanches vers le ciel étoilé, sous la mention : « Certains sont tombés et ne se sont pas réveillés. » L’absence de toute référence idéologique directe est à remarquer : ni le Parti, ni aucun dirigeant n’y sont montrés. Cependant, la société hypercontrôlée est parfaitement dévoilée : policiers, soldats, gardiens en tout genre sont bien présents. « Camarade, ne bouge pas ! » dit un policier en prenant la température sur le front d’une personne. Pour rentrer dans son village barricadé, un migrant doit implorer qu’on lui ouvre la barrière.

La teneur globale du message semble être la suivante : le ciel a envoyé un défi aux hommes qui, malgré quelques pertes, l’ont relevé victorieusement. L’avenir est dans le rêve chinois, représenté par les bulles d’une petite fille solitaire, volant sous des arbres en fleur vers le ciel.

Bien sûr, on peut faire d’autres interprétations : d’abord, la fresque représente évidemment une réécriture de la bataille contre le virus du point de vue des dominants ; paradoxalement, ces derniers sont absents, et c’est bien le peuple lui-même qui est glorifié pour ses sacrifices. Ensuite, on peut être frappé par les accents religieux, voire mystiques, se manifestant dans l’évocation du ciel, dans celle des dieux du feu et du tonnerre nommant les hôpitaux parce qu’ils sont traditionnellement des dieux exorcistes pourfendeurs des maladies, dans les nombreuses colombes blanches voletant – symboles universels de paix et de pureté –, et enfin dans la pagode bouddhiste, présente au début et à la fin. Comment se fait-il que la propagande chinoise doive recourir à des clichés religieux et cacher le communisme et le Parti, les commanditaires de cette fresque ? Comment peut-on interpréter la petite fille solitaire du dernier dessin ? Ne pourrait-on pas y voir signifié le souhait chinois profond d’atteindre à l’individuation loin des foules pour vivre dans un monde idéal, en accord avec une nature bienveillante, sous une protection divine ?

Retour à la Révolution culturelle

Cependant, la douceur extérieure relative de cette fresque disparaît avec fracas dans des caricatures d’une violence extrême livrées sans retenue en ligne fin avril, critiquant la romancière Fang Fang et le docteur Zhang Wenhong2.

Le journal du confinement de Wuhan de Fang Fang, publié chaque soir en ligne, a été le seul récit relatant librement les sentiments d’une écrivaine confinée. Il a été lu et transmis massivement. Parfois supprimé, il a incité à de nombreux débats de soutien, puis de rejet, quand, les éditions chinoises ayant rejeté toute publication en Chine, Fang Fang a conclu un contrat avec des éditions non chinoises. Dès lors, considérée comme traître, elle est traitée dans des termes abjects datant de l’époque de la Révolution culturelle. Sur le dessin, travestie comme un chien, objet de haine et de mépris, elle est accusée par trois jeunes gens la pointant avec un doigt, un pinceau et une plume, la jeune fille tenant une lampe rouge, le tout sur un fond de drapeaux rouges. C’est bien l’écriture libre qui est dénoncée unilatéralement par les tenants d’un communisme rouge revenant sur le devant de la scène par les « nationalistes maoïstes » via les réseaux sociaux. Une caricature datant du mouvement de critique contre Lin Biao et Confucius lors de la fin de la Révolution culturelle en 19743 semble avoir inspiré l’auteur de celle contre Fang Fang.

Les deux caricatures sont composées sur un format et des postures très semblables : trois jeunes gens, jeune fille au milieu, tiennent trois objets accusateurs représentant des armes contre ce qui est dénoncé. L’ancien dessin montre pinceau, pelle et balai ciblant un tas de vieux papiers sur les mots : « Gagnons la guerre du peuple contre Lin [Biao] et Kong [fuzi, Confucius] » ; le nouveau dessin présente pinceau, plume, doigt accusateur et une lampe-tempête tenue à bout de bras, ciblant une Fang Fang représentée en chien méprisable sur les mots : « À bas ce chien courant de l’impérialisme, traître à la patrie, Fang Fang. » Les deux images utilisent le contraste entre le rouge révolutionnaire et les couleurs sombres relevées par du blanc. En revanche, si l’ardeur révolutionnaire est bien lisible dans les yeux et les attitudes des jeunes de la Révolution culturelle, elle semble absente de ceux des jeunes modernes, dont l’un porte même des lunettes, objet autrefois honni car révélateur du statut d’intellectuel. Diffèrent aussi les vêtements ouvriers des jeunes révolutionnaires remplacés par des tenues modernes, bien bourgeoises, comme le signalent la minijupe et la cravate. L’époque a changé et, effectivement, Confucius est revenu à l’honneur ces dernières années. Pourtant, les jeunes mènent toujours le combat sous la direction des drapeaux rouges.

Une deuxième caricature dénonce également l’esprit libre d’une autorité scientifique, le docteur Zhang Wenhong, représenté un peu comme un moustique à écraser, tenu par une main rouge – communiste donc.

La Chine actuelle reste une société du secret. Malheur à ceux qui transgressent les consignes !

La raison de cette attaque ? Zhang Wenhong, directeur du service de maladies infectieuses d’un hôpital de Shanghai, est extrêmement populaire, bien plus que l’officiel Zhong Nanshan, représenté dans la fresque du Quotidien du peuple, pour ses prises de paroles réalistes et parfois humoristiques. II est violemment attaqué sur les réseaux sociaux, parce qu’il a proposé aux parents chinois de donner à leurs enfants du lait et des œufs pour le petit-déjeuner, à la place de la traditionnelle bouillie de riz, pour renforcer leur immunité. Ces propos ont été considérés comme une traîtrise vis-à-vis de la culture chinoise.

Quels que soient les arguments et leur validité, ces attaques visent des personnes populaires, parce qu’elles ont révélé au grand jour ce qui n’aurait pas dû l’être. La Chine actuelle reste une société du secret, où la parole publique officielle travestit ou utilise le mensonge pour cacher ce qui ne doit pas être dit. Malheur à ceux qui transgressent les consignes !

Les deux caricatures ont pourtant été dénoncées en ligne par Zhao Shilin, professeur à la retraite, ancien membre du Comité central du Parti communiste chinois. Selon Zhao Shilin, ces caricatures signent un réel retour à l’extrémisme et à la sauvagerie : « C’est exactement le même processus de critique que pendant la Révolution culturelle : subversion des notions de bien et de mal, renversement des valeurs morales, incapacité à tenir un discours logique et raisonné, étiquettes infamantes et propos insultants, autant d’innombrables tactiques bien organisées, soigneusement déployées, avec effet d’écho ; les auteurs en semblent complètement fous, comme dopés à l’adrénaline4. »

La bonne santé

Ce qui se passe actuellement en Chine revient certainement en arrière sur tous les combats pour la liberté et la démocratie entamés depuis le début du xxe siècle, portés par de nombreux acteurs, y compris le Parti communiste chinois à son origine. Depuis l’ère des réformes, dans une Chine apaisée, nombreux encore sont ceux qui ont continué sur cette lancée, malgré Tian’anmen en 1989. Bien qu’aujourd’hui, la société numérique développe encore plus la surveillance de masse et favorise la circulation d’images terribles, elle n’a pourtant pas encore réussi à entraver ces espérances. C’est précisément ce qu’a demandé Li Wenliang, représentant en cela les masses chinoises : que la Chine devienne une « société en bonne santé », c’est-à-dire où il n’y aurait pas qu’une seule voix.

Cette demande est tellement profonde que, malgré le tournant de plus en plus autoritaire, le journal de Fang Fang a pu continuer à paraître, certes avec des difficultés, et que la photo de Li Wenliang a pu circuler, de même que sa caricature bâillonnée, malgré les fossoyeurs d’Internet. Même dans la fresque officielle du Quotidien du peuple surgissent – peut-être à l’insu de ses réalisateurs et commanditaires – des éléments troublants : pourquoi le Parti est-il absent ? Pourquoi faire appel au religieux ? Et le souhait de la petite fille – représentante elle aussi des larges masses ? – n’est-il pas finalement celui de faire advenir un individu libre dans un monde vivable ?

Si le mouvement politique actuel est un réel recul, il reste que l’idée de liberté est cependant toujours là, comme un horizon à atteindre ; chaque fois qu’elle est bafouée, des voix ou des stylos se lèvent pour le dénoncer, selon les moyens de chacun. Li Wenliang, Fang Fang, Zhang Wenhong, Zhao Shilin, la petite fille, tous ceux qui font circuler les publications, et tous les autres qui ne peuvent rien dire, n’arrêtent pas de le penser, de le dire et le montrer.

  • 1.Tian Zhaoyuan, historien et folkoriste, indique dans The Paper (27 janvier 2020) que ces termes ne sont pas des noms de lieu et ont été choisis sciemment pour leur portée symbolique : le dieu du feu est un grand ancêtre de la région de Chu où est situé Wuhan, les dieux du feu et du tonnerre sont des divinités exorcistes, maîtrisant les épidémies dans toute la Chine ; en outre, le feu et le tonnerre, dans les théories des huit trigrammes et des cinq éléments, sont des forces ayant la capacité de combattre le mal. Ces dénominations ne représentent pas de la superstition, mais « une force spirituelle qui, grâce à l’activation de notre culture ancienne et de nos traditions, nous aide à faire face à la difficulté présente ». L’expert étant muet sur le terme de « mont », ajoutons que celui-ci est souvent utilisé pour nommer des temples taoïstes.
  • 2.Probablement mises en ligne courant avril par des extrémistes nommés en chinois des « gauchistes maoïstes », ces caricatures ont disparu depuis.
  • 3.« Critiquer Lin Biao, critiquer Confucius ». Le maréchal Lin Biao, ancien bras droit de Mao, est mort dans un accident d’avion dans des circonstances non élucidées lors de sa fuite de Chine vers l’URSS en 1971. Le mouvement politique déclenché en 1974 associe ce renégat et Confucius : tous deux sont rendus coupables des maux qui accablent la Chine lors des dernières années de la Révolution culturelle.
  • 4.Cet article, intitulé « Un mouvement politique ? Encore un mouvement politique ! » et publié le 27 avril sur http://www.ipk-media.com, est traduit et présenté en français par la sinologue Brigitte Duzan le 9 mai 2020 sur http://www.chinese-shortstories.com. Brigitte Duzan compare les deux caricatures avec d’autres, datant de la période maoïste et de la Révolution culturelle, pour en montrer l’inspiration, et traduit l’article de Zhao Shilin en explicitant ses références politiques et littéraires.
  • Voir par ailleurs:
  • Vu d’Ukraine.

    En réclamant une “trêve de Noël”, Poutine cherche à gagner du temps

    Le 5 janvier, le président russe a annoncé avoir demandé à son ministre de la Défense d’ordonner un cessez-le-feu sur toute la ligne de front du 6 janvier à midi au 7 janvier à minuit, pour le Noël orthodoxe. Une décision qui suscite la plus grande méfiance à Kiev.

     

    La déclaration de Vladimir Poutine, jeudi 5 janvier, appelant de ses vœux une “trêve de Noël” ne rencontre que suspicion et ironie en Ukraine. “Poutine a demandé à Sergueï Choïgou [le ministre de la Défense russe] d’ordonner un arrêt des combats du 6 janvier à midi au 7 janvier à minuit et a appelé la partie ukrainienne à le respecter”, rappelle l’agence de presse officielle Interfax-Oukraïna.

    Celle-ci relaie la réponse acerbe du chef du Conseil de la défense et de la sécurité nationale (RNBO) de l’Ukraine, Oleksiy Danilov. Sur Twitter, il a dénoncé un mélange de cynisme et d’hypocrisie des forces russes. “Quelle relation peut-il y avoir entre la fête chrétienne de Noël et cette tribu de diables et de démons ? Qui va croire ces misérables qui tuent des enfants, tirent sur les maternités, torturent les prisonniers ? Un cessez-le-feu ? Mensonge et hypocrisie.”

    Quant au ministre des Affaires étrangères ukrainien, Dmytro Kouleba, repris par le quotidien en ligne Oukraïnska Pravda, il estime que “le cessez-le-feu unilatéral [de la Russie] ne peut pas et ne devrait pas être pris au sérieux”. Il ajoute que “le président Zelensky a proposé une formule de paix claire, en dix points. La Russie l’a ignorée, et au lieu de cela a tiré sur Kherson la veille de Noël, lancé des frappes massives de missiles et de drones pour le Nouvel An.”

    “Moscou dit cesser la guerre pendant trente-six heures en Ukraine, mais le monde exige la fin de la guerre et non une pause, commente aussi la version ukrainienne de Voice of America. À la suite de la réaction de l’Ukraine, les dirigeants aux États-Unis et en Europe ont réagi avec fermeté aux déclarations de Moscou sur son intention de cesser temporairement le feu en Ukraine pour respecter Noël conformément au calendrier julien [décalé de treize jours par rapport au calendrier grégorien], pour la première fois depuis le début de l’invasion russe en février, laquelle a fait des milliers de victimes, causé des destructions gigantesques et transformé des millions de gens en réfugiés.”

    Un cessez-le-feu déjà violé ?

    Dès le 5 janvier, le président Volodymyr Zelensky a réagi en accusant “le Kremlin d’utiliser les trêves pendant les guerres pour poursuivre le combat avec de nouvelles forces”. Une vision des choses que l’on retrouve également chez certains analystes et dans les journaux. Ainsi, le groupe de réflexion américain Institute for the Study of War, relayé par Interfax-Oukraïna, considère que cette pause éventuelle pourrait avoir pour objectif de “reprendre l’initiative aux Ukrainiens”.

    “Poutine appelle à un cessez-le-feu pour présenter l’Ukraine comme intransigeante [et dénoncer Kiev] qui ne souhaiterait pas accomplir le nécessaire en faveur de pourparlers.”

    Du point de vue du quotidien ukrainien Gazeta, “le Kremlin parodie un ‘cessez-le-feu’ car il en a besoin. [Cela] montre seulement que les préparatifs d’une nouvelle vague de mobilisation ont ralenti en Russie alors que, de son côté, l’armée ukrainienne a mené à bien la préparation de sa prochaine contre-offensive déjà annoncée pour ce printemps.”

    Les tirs ont-ils vraiment cessé sur le terrain ? La version ukrainienne de Voice of America se permet d’en douter, rappelant que :

    “Depuis le matin du 6 janvier en Ukraine, on signale que, durant la première moitié de la journée, les Russes ont attaqué les positions ukrainiennes et tiré entre autres sur la ville de Kramatorsk, non loin du front, dans la région de Donetsk.”

    Un peu plus tard, l’alerte aérienne aurait retenti dans tout le pays.

    Voir de plus:

    Puning Temple: Why Xi Jinping Celebrated a Genocide

    The Chinese president visited the complex built by the Qianlong Emperor to commemorate his 18th-century extermination of 650,000 Dzungar Buddhists.

    Bitter winter

    Xi visiting the Puning Temple. From Weibo.

Xi visiting the Puning Temple. From Weibo.

President Xi Jinping managed to offend Buddhists more deeply through his visit in Hebei last week than he did when visiting Tibet in July, in a trip that was mostly devoted to geopolitical issues and the question of water.

That Xi Jinping’s visit to Chengde, in Hebei province, on August 24 did not create an international scandal only proves how easily history, including history of genocides, is forgotten. In fact, the Chinese president visited and honored a temple built to commemorate a genocide. The Puning Temple in Chengde is inextricably connected with the 18th-century extermination of the Dzungar Buddhists, which virtually all non-Chinese historians recognize as genocide.

The Dzungars were a confederation of Mongol tribes that converted to Buddhism and established a powerful Khanate in the 17th century in present-day Xinjiang. The beautiful temples and monasteries they built there were all destroyed during the Cultural Revolution.

Tibetans do not have a good memory of the Dzungars. Although the Fifth Dalai Lama and the founder of the Dzungar Khanate, Erdenu Batur, were allies, by the 18th century the Khanate had become so powerful that they invaded Tibet and conquered and looted Lhasa in 1717. The Tibetans, perhaps making a mistake justified by their difficult predicament, called the Chinese for help. The Dzungars defeated the Chinese army in 1718 (something the Chinese never forgot), but a second Chinese expedition was more successful, and the Dzungars were expelled from Tibet in 1720. The defeat of 1718 was avenged in 1755, when China moved decisively to annihilate the Dzungar Khanate and exterminate the Dzungar people. Between 500,000 and 800,000 Dzungars (650,000 being the figure advanced by some recent historians) were killed, men, women, and children. Only a few thousand descendants from the Dzungars survive in present-day Mongolia.

Although the Dzungar invasion of Tibet was an act of aggression, nothing can justify the genocide perpetrated by the Qianlong Emperor, the worst mass massacre of the 18th century in the world.

The Puning Temple.

The Puning Temple (credits).

The same Qianlong Emperor built in 1755 the Puning Temple to celebrate what he called his “pacification” of the Dzungars, which was in effect extermination and genocide. He personally inscribed a tablet still venerated in the temple to commemorate his victory over the Dzungars. The architecture itself of the temple, modeled after the Samye Monastery in Tibet, is a powerful political statement of Chinese hegemony over Buddhist lands.

On August 24, Xi Jinping came to the Puning Temple. The visit was prepared by a video the CCP produced to explain to a Chinese audience the historical significance of the event. The video explained the conquest of the Dzungar Khanate and extermination of the Dzungars by claiming that the Qianlong Emperor “put down the rebellion of the Mongol Dzungar tribe.” The temple was presented as “one temple, two styles” (Chinese and Tibetan), a symbol of “Han-Tibetan unity and national unity.”

“Field research” by Xi at the Puning Temple. From Weibo.
“Field research” by Xi at the Puning Temple. From Weibo.

The video mentioned that Xi “came to Puning Temple to conduct field research on religious work.” We don’t know whether the visit was long enough (slightly more than one hour) to conduct “field research.” According to the official press release, Xi “carefully inspected the historical monuments, the Palace of Heavenly Kings, the Grand Hall, and other buildings, and listened to reports on religious work. Xi Jinping emphasized that we must adhere to the Party’s basic policy of religious work, adhere to the sinicization of our country’s religions, actively guide religions to adapt to the socialist society, […] manage religious affairs in accordance with laws and regulations, and promote religions to better conform to society, serve society, and fulfill social responsibilities.”

This is the usual jargon for total submission of religion to the CCP, but even more significant is that from the Puning Temple Xi went on to visit at the Chengde Museum an exhibition called “Inside and Outside of the Great Wall of Hope: Records of National Unity in the Qing Dynasty,” which is a blatant celebration of the genocidal policies of the Qianlong Emperor, who is praised for having promoted “ethnic unity, border stability, and national unity.” That he did so by killing hundreds of thousands of Dzungars is not explained.

Xi visits the exhibition on “National Unity in the Qing Dynasty.” From Weibo.
Xi visits the exhibition on “National Unity in the Qing Dynasty.” From Weibo.

Xi Jinping was right when he said in his speech at the Chengdu Museum that the CCP has continued the work of  “the great unity of the Chinese nation” to which the Qianlong Emperor so powerfully contributed. Yes, the CCP continued with genocides against ethnic and religious minorities. Only, the CCP genocides may easily overcome the Qianlong Emperor record of brutality and murder.

Another image from Xi’s visit to the Chengdu Museum. From Weibo.
Another image from Xi’s visit to the Chengdu Museum. From Weibo.

In such a significant location, Xi warned ethnic minorities that they should “adhere to the leadership of the CCP, adhere to the correct path of solving ethnic problems with Chinese characteristics, fully implement the Party’s ethnic theory and ethnic policies, and constantly consolidate and develop socialist ethnic relations.” They are, Xi said, inscribed in “historical laws” —one of which seems to be that either you submit or you are exterminated through genocide.

Voir de plus:

La consommation de chair humaine en Chine

Les raisons d’un cannibalisme subi ou choisi
Solange Cruveillé
Impression d’Extrême-orient
2015

1Dans un récit du Youyang zazu 酉阳杂俎 (Miscellanées de Youyang)1, un général de la dynastie des Tang, réputé pour son habitude de manger tout et n’importe quoi, affirme : « Il n’y a rien qui ne puisse être mangé. Le secret réside dans la maîtrise du mode de cuisson, et dans l’art d’assaisonner. »2 Qu’en est-il de la chair humaine ? Quel rapport les Chinois entretiennent-ils avec la pratique du cannibalisme ?3 Le sujet est-il tabou dans l’Histoire de Chine ? Quelles traces en reste-t-il dans les ouvrages historiques et littéraires ?

  • 4  Cf. Lin Ling 林翎, « Zhongguo lishishang zui beican de yi ye : chi renrou » 中国历史上最悲惨的一页:吃人肉 (« L’une (…)
  • 5  Robert des Rotours, « Quelques notes sur l’anthropophagie en Chine », T’oung Pao, n° 50, 1963, p. (…)

2Pour reprendre les mots du chercheur taïwanais Lin Fu-shih 林富士 (pseudonyme Lin Ling 林翎) (1960 – ) : « L’expérience qu’ont les Chinois de la consommation de viande humaine est sans doute la plus riche du monde »4. Le sinologue français Robert des Rotours (1891 – 1980), dans son article « Quelques notes sur l’anthropophagie en Chine », indique que la consommation de viande humaine se pratique dans quatre buts principaux : pour survivre (en période de famine), dans un but de vengeance (sur un ennemi défini), pour satisfaire ses goûts culinaires, et enfin dans un but médical5. J’ajouterais une cinquième catégorie, à savoir le témoignage de la piété filiale, rattaché à deux des catégories précédentes (famine et maladie), mais dont la pratique est singulière puisqu’il se pratique sur des personnes vivantes et volontaires (don de soi).

  • 6  Cf. Georges Guille-Escuret, Sociologie comparée du cannibalisme, vol. 2 : la consommation d’autrui (…)

3Après avoir épluché longuement l’historiographie chinoise, le Professeur Key Ray Chong (1933 – ) a dénombré pas moins de 1219 évocations d’une pratique cannibale entre l’Antiquité et 1912 : 780 motivés par la piété filiale, 329 liés à la famine, 82 à la haine et à la guerre, et une infime minorité motivée par des penchants culinaires6. A tout cela, il faudra ajouter les faits qui se sont déroulés au xxe siècle, avec un cannibalisme pratiqué dans un but idéologique.

  • 7  Voir notamment les références présentées en notes 5 et 6. Voir aussi Huang Wenxiong 黃文雄,, Zhongguo (…)

4Les travaux de recherche étant déjà assez complets sur le sujet7, nous ne proposerons ici qu’un simple panorama, en nous appuyant sur diverses sources : recueils de contes fantastiques, ouvrages de pharmacopée, chroniques historiques, nouvelles, romans. Nous donnerons des exemples concrets de pratiques cannibales selon les axes préalablement cités : par plaisir, à des fins médicales, par piété filiale, pour survivre lors de périodes de famine, par vengeance et cruauté, et enfin par idéologie.

1. Le cannibalisme jouissif

  • 8  Sima Qian, Shiji, « Qi taigong shijia » 齐太公世家
  • 9  Cf. Guanzi 管子, « 小称 » : « 易牙以厨艺服侍齐桓公。齐桓公说:“只有蒸婴儿肉还没尝过。”於是易牙将其长子蒸了献给齐桓公吃. » Voir aussi Han Fei zi(…)

5Les exemples de personnages historiques amateurs de viande humaine ne manquent pas en Chine. Le cas le plus connu est sans doute celui du quinzième souverain de l’Etat de Qi (Qi Heng gong 齐恒公), sous les Royaumes Combattants, qui régna de 685 à 643 avant notre ère. Dans ses Mémoires historiques (Shiji 史记), Sima Qian 司马迁 le présente comme un dirigeant lubrique et sans morale8. Une réputation due en partie à l’anecdote selon laquelle son fidèle ministre Yi Ya 易牙, pour satisfaire ses désirs, lui offrit la chair de son propre fils9.

  • 10  Connu aussi sous le nom de Lushi zashuo 卢氏杂说, écrit par Lu Yan 卢言 sous la dynastie des Tang.

6Plus d’un millénaire après, le Lushi zaji 卢氏杂记10 raconte également :

  • 11  Traduction personnelle. Texte original : « 唐张茂昭为节镇,频吃人肉,及除统军,到京。班中有人问曰:闻尚书在镇好人肉,虚实?”昭笑曰:“人肉腥而且肕,争堪 (…)

Le gouverneur militaire Zhang Maozhao [762-811] de la dynastie des Tang était connu pour manger de la viande humaine. Lorsqu’il rejoignit le haut commandement de l’armée impériale, il se rendit à la capitale. L’un de ses collègues officiers lui demanda alors : « On dit que vous mangez de la chair humaine. Est-ce vrai ? » Zhang Maozhao répondit avec un sourire : « Allons donc ! La chair humaine est bien trop dure et fétide ! »11

  • 12  Cf. Chaoye qianzai 朝野佥载, in TPGJ, j. 267, rubrique « Actes de cruauté » 酷暴, récit « Dugu Zhuang » (…)

7Un autre récit mettant en avant la cruauté d’un gouverneur de province nommé Dugu Zhuang 独孤庄 explique qu’il termina sa vie fou, et que la seule pensée qui lui vint alors à l’esprit était de manger de la chair humaine. Par contre, il ne tua pas à dessein pour assouvir son désir : il se contenta de manger le cadavre d’une servante décédée12.

  • 13  Recueil de biji composé par Zhang Zhuo 张鷟 (657-730) sous la dynastie des Tang.

8Si cette tendance à l’anthropophagie existe, les condamnations morales sont néanmoins courantes. Le souverain de l’Etat de Qi, cité plus haut, finira, ironiquement, par mourir de faim : on pourrait voir dans cette fin tragique une punition céleste. Dans le deuxième récit présenté, la réaction de l’officier prouve que la consommation de viande humaine choque l’opinion. Enfin, dans un texte tiré du Chaoye qianzai 朝野佥载 (Rapport complet sur les affaires à la cour et en dehors)13, un amateur de viande humaine est publiquement et sévèrement puni :

  • 14  Traduction personnelle. Texte original : « 周杭州临安尉薛震好食人肉。有债主及奴诣临安,于客舍,遂饮之醉。杀而脔之,以水银和煎,并骨消尽。后又欲食其妇,妇 (…)

Sous la dynastie Zhou [690 – 705, fondée par l’Impératrice Wu Zetian], Xue Zhen, chef du district de Lin’an près de Hangzhou, adorait la chair humaine. Un jour, un de ses créanciers, accompagné d’un domestique, fit halte dans une auberge de Lin’an. Là, il burent jusqu’à l’ivresse. Xue Zhen en profita pour les tuer. Il les découpa en morceaux, arrosa le tout de mercure, les fit frire et s’en régala. Il n’en resta même pas les os. Par la suite, il projeta de manger également son épouse. En découvrant ses intentions, la femme prit la fuite. Le magistrat du district enquêta et fit un rapport aux autorités provinciales, qui elles-mêmes en référèrent aux autorités impériales. Xue Zhen fut condamné à être battu à mort.14

  • 15  Cf. Des Rotours, « Quelques notes sur l’anthropophagie en Chine », op. cit., p. 397. L’auteur cite (…)
  • 16  Cf. Marco Polo, La Description du monde, Pierre-Yves Badel (trad.), chapitre LXXIV. Paris : Le liv (…)
  • 17  Ibidem, chapitre CLIV, p. 267.
  • 18  Voir partie 5 du présent article, sur le cannibalisme guerrier.

9Mais l’exemple le plus horripilant concerne certainement la dynastie éphémère des Zhao postérieurs 后赵 (319-352), avec les habitudes du cruel dirigeant Shi Sui 石邃, qui succéda à son père Shi Hu 石虎, lui-même neveu de Shi Le石勒, brigand fondateur de la dynastie : une fois au pouvoir, il prit l’habitude de faire tuer et préparer en cuisines ses plus belles concubines, pour les offrir à ses invités lors de banquets, prenant soin de laisser sur la table la tête des belles15. Des rumeurs circulent également à propos de la dynastie mongole des Yuan. Marco Polo raconte notamment à propos de la ville de Shangdu 商都 (résidence d’été de Kubilai Khan, en Mongolie intérieure) que des devins originaires du Tibet et du Cachemire mangeaient la chair des condamnés à mort : « Quand un homme est condamné à mort et qu’il a été exécuté par le gouvernement, ils le prennent, le font cuire et le mangent. »16 Il écrit également à propos des habitants des villes et villages sous l’autorité de Fuzhou (province du Fujian) : «  […] Ils mangent de toutes les viandes, je vous assure qu’ils mangent de la chair d’un homme avec plaisir dès lors qu’il n’est pas mort de mort naturelle : ceux qui sont tués, on les recherche et on les mange avec plaisir, car on les tient pour une bonne viande »17. Il s’agit néanmoins ici de la viande d’un ennemi : le plaisir se mêle à l’esprit de vengeance et de combat18.

10Pour conclure, même si elles sont avérées, les pratiques d’un véritable « cannibalisme jouissif » en tant que tel restent minoritaires dans l’Histoire de Chine, se limitent à quelques personnages historiques la plupart du temps fous ou cruels, et sont généralement moralement condamnées.

2. La consommation de viande humaine à des fins médicales

  • 19  Chen Zangqi, après avoir étudié minutieusement le Classique de Materia medica du Divin laboureur ((…)
  • 20  Chen Zangqi 陈藏器, Bencao shiyi 本草拾遗 : « 人肉疗羸瘵 ».
  • 21  Cf. Xin Tangshu 新唐书, chap. 195. Cité in Des Rotours, « Quelques notes sur l’anthropophagie en Chin (…)
  • 22  Cf. J. Becker, La grande famine de Mao (titre original : Hungry Ghosts, China’s secret Famine), Mi (…)
  • 23  Cf. J. Becker, La grande famine de Mao, op. cit., p. 302.

11Dans son ouvrage de pharmacopée Bencao shiyi 本草拾遗19, le botaniste et médecin Chen Zangqi 陈藏器 (687-757) présente la chair humaine comme un reconstituant20. A la suite de cette annonce, « des fils pieux se firent couper des morceaux de chair pour la donner à leurs parents afin de guérir leur maladie »21. Li Shizhen 李时珍(1518-1593), médecin de l’époque des Ming, répertorie dans son Bencao gangmu 本草纲目 (Compendium de materia medica) « 35 parties ou organes du corps humain ainsi que les différentes maladies et douleurs que lesdites parties pouvaient servir à soigner. »22 Le journaliste britannique Jasper Becker (1956 – ) raconte encore que, toujours sous la dynastie des Ming, les eunuques mangeaient la cervelle de jeunes hommes vigoureux dans le but de « recouvrer leur puissance sexuelle »23.

  • 24  « Le Journal d’un fou », in Cris, Sebastian Veg (trad.). Paris : Editions rues d’Ulm, 2010, p. 24.
  • 25  Ibidem, note 7 p. 181.
  • 26  Cf. Wells Williams, The Middle Kingdom. New York, (1847) 1899, vol. I, p. 514. Cité in Des Rotours (…)

12Ces vertus médicales ont traversé les siècles. Dans la nouvelle « Le journal d’un fou », le protagoniste cite d’ailleurs le Bencao gangmu en disant : « Dans l’Herbier quelque chose de leur maître à penser Li Shizhen, il est écrit clairement que la chair humaine peut être mangée grillée. »24 Sébastian Veg signale à ce sujet qu’une prescription du Bencao gangmu recommande en effet la consommation de chair humaine grillée pour traiter la tuberculose25. Il était également courant de se procurer le sang d’un supplicié pour se donner du courage ou augmenter sa virilité26. Lu Xun 鲁迅 (1881 – 1936) s’est d’ailleurs inspiré de cette croyance pour construire l’intrigue de sa nouvelle « Le remède » (« Yao » 药).

13Dans cette nouvelle, le vieux Shuan, propriétaire d’une maison de thé, sort discrètement à l’aube acheter contre une bourse pleine d’argent un petit pain à la vapeur imbibé du sang encore frais d’un supplicié. Il se sent mal à l’aise, mais heureux de le faire, car pour lui, cette marchandise est précieuse : il la destine à son fils unique, tuberculeux. Le jeune garçon l’engloutit, sans savoir ce que c’est. Ses parents, le vieux Shuan et la mère Hua, affirment que cela le guérira. Lu Xun construit bien sa nouvelle : ce n’est qu’au troisième chapitre qu’on apprend ce que contient réellement le petit pain ainsi que l’identité de celui qui l’a vendu au vieux Shuan, c’est-à-dire le bourreau, Sieur Kang. Ce dernier vient d’ailleurs fanfaronner dans la maison de thé et s’écrie : « C’est garanti, garanti ! Il faut l’avaler chaud. Un petit pain au sang humain, c’est un remède garanti contre toute tuberculose. » Mais en dépit du grand espoir placé en ce remède, le fils Shuan décède. La mère Hua se retrouve, le jour de la fête des Morts (Qingming jie 清明节), sur la tombe de son fils. Elle y rencontre la vieille mère du supplicié, dont son fils avait bu le sang à travers le petit pain. Ce n’est pas un hasard si Lu Xun a choisi d’écrire cette nouvelle, parallèlement au « Journal d’un fou », et qu’il y a intégré, dans l’une comme dans l’autre, des références au cannibalisme. Sebastian Veg, qui a traduit les deux nouvelles en 2010, commente :

  • 27  Cf. Cris, op. cit., p. 214. Voir la traduction intégrale de la nouvelle p. 39-48.

Plusieurs raisons incitent à penser que la nouvelle forme un diptyque avec le « Journal d’un fou ». D’abord, l’intrigue du « Médicament » est annoncée à l’entrée X du « Journal » : « L’année dernière, quand on a exécuté un criminel en ville, un tuberculeux a utilisé un petit pain cuit à la vapeur pour le tremper dans son sang et le lécher. » Ensuite, les allusions historiques se complètent […]. On retrouve dans le « Médicament » les thèmes du cannibalisme, notamment à travers le petit pain trempé de sang, et de la médecine, avec un léger déplacement d’accent.27

  • 28  Cf. Han Shaogong, Pa pa pa (N. Dutrait, Hu Sishe, trad.). La Tour d’Aigues : Editions de l’Aube, c (…)
  • 29  Cf. Noël Dutrait, « Le pays de l’alcool de Mo Yan [Entretien avec l’auteur] », Perspectives chinoi (…)
  • 30  Connu en Occident sous le nom de Fruit Chan.
  • 31  Concernant la consommation de fœtus humains, citons également les exhibitions controversées de l’a (…)

14Au niveau de la littérature contemporaine, nous pouvons citer la nouvelle « Ba ba ba » 爸爸爸 de Han Shaogong 韩少功 (1953 – ), dans laquelle la mère du protagoniste, Bingzai, accoucheuse, confectionne des fortifiants à base de placentas28. Plus près de nous, Mo Yan 莫言 (1956 – ) explique que ce qui lui a donné l’idée de son roman Le Pays de l’alcool (Jiuguo 酒国) est la pratique courante de récupérer dans les hôpitaux les fœtus humains de trois mois (issus majoritairement d’avortements) et de les réduire en poudre pour en faire un fortifiant29. Fait qui n’est pas sans rappeler l’intrigue du film La nouvelle cuisine (Jiaozi 饺子), réalisé par le Hongkongais Chen Guo 陳果30 (1959 – ) en 2004, dans lequel une femme nommée Tante Mei vend des raviolis fourrés aux fœtus humains, promesses de la beauté et de la jeunesse éternelles31.

3. Les cas de piété filiale

  • 32  On trouve parfois le terme 股 (signifiant « la cuisse ») à la place de 骨 (« l’os »). Voir à ce suje (…)

15Les actes de cannibalisme réalisés dans un but de piété filiale sont, dans les ouvrages historiques, extrêmement nombreux. Nous l’avons déjà abordé dans la partie précédente, à propos du Bencao shiyi de Chen Zangqi. Il s’agit d’un don physique de soi (comprendre « don d’une partie de soi ») pour soigner ou nourrir un parent ou un beau-parent. Cette pratique porte le nom de « gegu liaoqin » 割骨疗亲32. Les premières traces remontent à l’époque des Six Dynasties, sous la dynastie des Song (420-479), où il est dit :

  • 33  Cf. J. Becker, La grande famine de Mao, op. cit., p. 302.

Les gens découpaient parfois des parties de leur corps pour nourrir un ancien vénéré. Souvent, c’est la belle-fille qui coupait une partie de sa jambe ou de sa cuisse afin de faire une soupe nourrissante pour une belle-mère malade, et cette pratique était devenue si courante que l’Etat fut contraint de publier un édit l’interdisant.33

  • 34  Cf. Key Ray Chong, Cannibalism in Chine, p. 159. Cité in Georges Guille-Escuret, Sociologie compar (…)
  • 35  Sur le fait de s’approprier l’âme d’un défunt respecté à travers l’endo-cannibalisme (principaleme (…)

16La pratique se perpétua jusque sous les dernières dynasties impériales, et peut-être plus tard… Rey Kay Chong, qui a réalisé une étude très complète sur ce sujet, révèle, chiffres à la clé, que ce sont majoritairement les femmes qui se sacrifient pour prouver leur piété filiale. Il explique par exemple que sur 653 cas répertoriés sous la dynastie des Ming : « les dons masculins représentent moins de 1% […] Deux fois sur trois, une belle-fille nourrit l’un de ses beaux-parents […]. Une fois sur quatre, la fille nourrit un de ses ascendants […]. A dix-neuf reprises, l’épouse a alimenté le mari, jamais en sens inverse. »34 Les morceaux de chair sont généralement prélevés sur la cuisse ou le bras. On peut parler ici « d’homophagie » (consommer la chair d’un parent consanguin) ou « d’endo-cannibalisme » (consommer la chair d’un proche — une belle-fille par exemple —, ou d’une personne du même clan)35, sauf que la personne mangée n’est pas une victime rituelle ici, puisqu’elle offre volontairement une partie d’elle-même.

17Les personnes qui se sacrifient pour guérir un parent proche sont louées pour leur comportement exemplaire d’enfant respectueux à l’extrême de la piété filiale, une vertu présentée comme essentielle dans le confucianisme. Cela a même donné naissance à des chefs d’œuvre littéraires. Robert des Rotours raconte notamment : « A Pékin, en 1921, j’ai vu une pièce de théâtre qui, si mes souvenirs sont exacts, était intitulée Ting-xiang ko jeou, « Ting-xiang coupe sa chair » ; l’héroïne de la pièce faisait couper sa chair pour guérir la maladie de sa mère. »36 Ses souvenirs sont bien exacts, à quelques détails près. Il s’agit en réalité d’un opéra de Pékin qui s’intitule en pinyin Dingxiang gerou 丁香割肉. L’histoire se passe dans un village. Une veuve vit avec ses trois belles-filles et son fils cadet, les deux aînés travaillant loin de la maison. Seul son fils cadet se montre pieux envers elle en s’occupant diligemment de leurs terres, et seule l’épouse de ce dernier, nommée Dingxiang, se montre polie et dévouée. Les deux autres belles-filles, perfides et jalouses, font tout pour envenimer les relations entre Dingxiang et la belle-mère, en vain. Jusqu’au jour où elles font croire à la vieille dame que Dingxiang lui a lancé une malédiction pour que son corps entier soit couvert de furoncles et qu’elle finisse par en mourir. Écœurée et terrifiée par ce qu’elle vient d’entendre, la belle-mère tombe malade : du jour au lendemain, elle ne peut plus rien avaler, ni nourriture ni liquide, et semble avoir perdu la raison. Un prêtre taoïste explique à son fils cadet que le seul remède valable est de lui faire boire un bouillon fait avec de la viande humaine. Sans hésiter un instant, Dingxiang se rend dans sa chambre et se coupe un morceau de la cuisse. L’épouse du fils aîné saisit l’occasion pour servir le bouillon à sa belle-mère en lui faisant croire qu’il s’agit de sa propre chair, et que Dingxiang reste enfermée dans sa chambre en feignant d’être malade. La belle-mère, une fois guérie, est outrée par le comportement de Dingxiang : elle sort de ses gongs et part la molester. Mais elle trouve celle-ci mal en point, alitée, couverte de sueur et gémissante. Elle comprend alors ce qui s’est réellement passé et punit les deux perfides comme il se doit. Par la suite, Dingxiang est érigée dans le village en modèle de piété filiale37.

  • 38  Cf. Cris, op. cit., p. 205. Malgré tout, rappelons que ce ne sont pas toujours les jeunes qui se s (…)

18Paradoxalement, c’est cette piété filiale tant louée dans l’Histoire de Chine que Lu Xun dénonce dans sa nouvelle « Le journal d’un fou », la présentant comme une forme cachée de cannibalisme. Comme l’explique Sebastian Veg : « La révélation nocturne du protagoniste consiste en la prise de conscience que les livres anciens sont remplis de prescriptions cannibales, recouvertes par le vernis moral des quatre vertus cardinales « humanité, justice, voie, vertu ». C’est en particulier la piété filiale, et plus généralement le pouvoir des anciens et des hommes sur les plus jeunes et les femmes »38.

4. Les périodes de famine

  • 39  Tout le monde a à l’esprit le naufrage de la frégate Méduse, de la Marine française, échouée au la (…)
  • 40  Rémi Mathieu, Anthologie des mythes et légendes de la Chine ancienne. Paris : Gallimard, coll. « C (…)

19Universellement, la faim a poussé au cannibalisme39. La Chine ne fait pas figure d’exception. Et les traces de cette pratique sont très anciennes. Les yayu 猰狳, bêtes sauvages légendaires et anthropophages, sont censées avoir régulièrement sévi durant les périodes de pénurie alimentaire à l’époque mythique. Elles sont définies par Rémi Mathieu comme des quadrupèdes à tête de dragon et parfois comme des renards ou des chats sauvages anthropophages des contrées occidentales40. Ces créatures ont-elles réellement existé ? Ou bien sont-elles utilisées pour désigner une population précise qui se serait livrée à des actes de cannibalisme durant une période de pénurie ? On peut en effet se poser la question.

  • 41  Cf. Sima Guang 司马光, Zizhi tongjian 资治通鉴 (Miroir compréhensif pour aider le gouvernement), juan 17 (…)
  • 42  Cf. Ying Shao 应劭 (140 – 206), Fengsu tongyi 风俗通义 (« Généralités sur les moeurs et les coutumes »), (…)

20Le grand avantage qu’on a lorsqu’on étudie le cannibalisme dans l’Empire du Milieu est qu’il n’y aucun tabou à cet égard en Chine. Concernant les cas de cannibalisme en période de famine, les historiographes chinois ont toujours pris soin de les noter. Comme l’explique Sima Guang 司马光 (1019-1086), historien de la dynastie des Song : « En période de famine, les humains se mangent entre eux »41. Dans la Chine ancienne, les enfants sont généralement consommés en premier : les gens s’échangent leurs enfants, pour ne pas avoir à manger leur progéniture (d’où l’expression « yi zi xi hai » 易子析骸)42. Parfois, les acteurs mis en cause peuvent constituer un groupe entier, dont les membres sont solidaires. La viande humaine est consommée dans un but de survie, que cela implique ou non de tuer les victimes. Il est dit notamment dans le Chaoye qianzai 朝野佥载, cité plus haut :

  • 43  Traduction personnelle. Texte original : « 隋末荒乱,狂贼朱粲起于襄、邓间。岁饥,米斛万钱,亦无得处,人民相食。粲乃驱男女小大,仰一大铜钟,可二百石,煮人 (…)

Lors de la période troublée de la fin des Sui [581-618], le fanatique brigand Zhu Can leva ses troupes dans la région de Xiangzhou et Dengzhou. En cette période de famine, une simple once de riz coûtait 10 000 pièces. Mais comme on ne pouvait de toute façon en acheter nulle part, les gens venaient à se manger entre eux. Zhu Can fit alors amener un groupe d’hommes et de femmes, jeunes et vieux, ainsi qu’une énorme cloche en cuivre, qui pouvait à elle seule contenir jusqu’à deux cents dan de céréales. Il y fit cuire les malheureux pour rassasier ses troupes. Et c’est ainsi que périrent de nombreuses gens.43

  • 44  Nous ne traiterons pas de tous ces cas en détail. Un grand nombre ont déjà été minutieusement répe (…)
  • 45  Cf. Ji Yun 纪昀, Yuewei caotang biji 阅微草堂笔记, « 滦阳消夏录 », juan 2 : « 盖前崇禎末,河南 、山东大旱蝗,草根树皮皆尽,乃以人为粮,官吏弗能 (…)

21Les exemples au cours de l’Histoire sont extrêmement variés : famines dues à de mauvaises récoltes, périodes troublées, villes assiégées44. La pratique semble s’être perpétuée jusque sous les Ming, puisqu’on raconte qu’à la fin du règne de l’empereur Chongzhen 崇祯 (1628 – 1644), lors d’une terrible famine, il existait des marchés de viande humaine dans les provinces du Henan et du Shandong. Les victimes, majoritairement des femmes et des enfants, étaient désignées sous le terme « d’humains d’alimentation » (cairen 菜人)45.

  • 46  Theodore White, A la quête de l’Histoire, Henri Rollet (trad.). Montréal : Stanké, 1979, p. 165-16 (…)

22Ce qui attire cependant l’attention des chercheurs depuis quelques décennies, ce sont les faits de cannibalisme qui ont eu lieu non pas sous les dernières dynasties impériales, mais au cours du xxe siècle, par exemple lors de la famine durant la guerre civile, notamment dans la province du Henan. Le journaliste américain du Time Magazine, Theodore White (1915 – 1986), nous en livre un témoignage poignant dans son ouvrage A la quête de l’Histoire. Il prend soin de préciser, néanmoins, que les personnes mangées étaient toutes décédées de mort naturelle avant d’être consommées46.

  • 47  Cf. Cris, op. cit., p. 281.
  • 48  Ibidem, p. 28.
  • 49  Ibid., p. 29.

23Ces faits historiques se retrouvent dans la littérature moderne et contemporaine. Citons par exemple un extrait de la nouvelle « Le journal d’un fou » de Lu Xun. Alors qu’une période de disette sévit dans son village, le protagoniste est pris d’un délire de persécution : il est persuadé que l’ensemble des gens qui l’entourent (voisins, villageois, membres de sa famille) projettent de le tuer pour le manger. Tout le monde est suspect à ses yeux, même son frère, même le docteur qui vient l’examiner, comme si un complot énorme se tramait autour de lui. Les habitants le pousseraient au suicide pour ne pas avoir à le tuer eux-mêmes et ne pas se heurter à la vengeance de son âme. Ils le feraient également passer pour un fou pour se déculpabiliser. La nouvelle serait avant toute chose une métaphore de la « société ancienne cannibale » forgée par Lu Xun et figée dans le discours révolutionnaire communiste à travers la dénonciation rituelle du « féodalisme »47. A travers les propos de son protagoniste, Lu Xun explique dans sa nouvelle : « Au début, les hommes sauvages ont tous dû manger un peu d’homme. Ensuite, développant des idées différentes, certains n’ont plus mangé d’homme ; en décidant de s’améliorer, ils sont devenus des êtres humains, de vrais êtres humains. »48 Et un peu plus loin : « Vous pouvez changer, changez sincèrement ! Vous devez comprendre qu’on ne tolérera plus les mangeurs d’homme dans ce monde à l’avenir. »49 Si Lu Xun avait su ce que le demi-siècle suivant allait réserver de monstruosités en la matière, il aurait sûrement ajouté une fin moins heureuse à sa nouvelle…

24Il en est de même dans le roman de Chen Zhongshi 陈忠实, Au pays du cerf blanc (Bailu yuan 白鹿原), dont le récit se situe peu après la chute de la dynastie des Qing puis pendant la lutte entre nationalistes et communistes. Au chapitre 18, alors que sévit une terrible famine, un couple essaie de convaincre son fils de tuer sa femme pour la manger :

  • 50  Cf. Chen Zhongshi, Au pays du cerf blanc, Shao Baoqing / Solange Cruveillé (trad.). Paris : Le Seu (…)

Mourir de faim n’effrayait plus, ne surprenait plus. Les premiers à périr furent les personnes âgées et les enfants, car c’étaient les plus fragiles. Quand les vieux mouraient, non seulement on n’était plus accablé, mais on se réjouissait des économies qu’on allait réaliser et qui allaient permettre aux personnes plus utiles de survivre. Seuls les ragots pouvaient encore éveiller quelque intérêt chez les gens. Ainsi, on racontait qu’une jeune femme, mariée depuis un an, réveillée au milieu de la nuit par la faim et ne parvenant pas à se rendormir, tâta le lit et se rendit compte que son mari n’était pas là. Se doutant qu’il mangeait à la dérobée avec ses beaux-parents, elle se glissa à pas feutrés sous la fenêtre de la belle-mère et surprit son mari et ses parents en pleine discussion :
— Ne t’inquiète pas, dit le beau-père, dès que la famine sera finie, on te trouvera une nouvelle femme. Il faut la tuer, sinon toute la famille va crever de faim ! Alors, non seulement tu perdras ta femme, mais en plus notre nom s’éteindra !
La jeune femme, terrifiée, partit la nuit même chez ses parents. Là, elle s’endormit, calmée par les consolations de sa mère. Mais elle ne mit pas longtemps à se réveiller à nouveau. Elle entendit son père dire :
— Plutôt que de la laisser manger par les autres, mieux vaudrait la manger nous-mêmes !
La jeune femme tomba de son lit et perdit la raison…
Les rumeurs de ce genre, à l’instar des croassements de corbeaux, faisaient froid dans le dos.50

  • 51  Cf. Yang Jisheng 楊繼繩,, Mubei : Zhongguo liushi niandai da jihuang jishi 墓碑——中國六十年代大饑荒紀實. Taïwan : (…)
  • 52  Cf. J. Becker, La grande famine de Mao, op. cit., pp. 295-305.
  • 53  Ibidem, p. 300.

25Mais l’exemple historique le plus récent concerne la période noire du Grand Bond en avant (1958 – 1962), lancé par Mao, qui entraîna la plus grande famine du siècle et fit, selon les estimations, entre 30 et 50 millions de morts en Chine51. Jasper Becker, auteur de l’ouvrage très complet La grande famine de Mao, consacre un court chapitre au cannibalisme52. On constate que de nombreuses provinces furent touchées : le Sichuan, le Liaoning, l’Anhui, le Shaanxi, le Ningxia, le Hebei, mais aussi le Tibet, le Qinghai, le Gansu et le Heilongjiang. Comme dans la Chine ancienne, les premières victimes tuées à dessein pour se nourrir étaient les enfants. Ceux qui consommaient de la chair humaine étaient même décrits comme « ayant une odeur étrange, leurs yeux et leur peau prenant une couleur rouge. »53 L’écrivain Ma Jian 马建 (1953 – ) cite également des événements similaires qui eurent lieu sous la Révolution Culturelle, dans son roman Beijing Coma (Beijing zhiwu ren 北京植物人) :

  • 54  Ma Jian, Beijing Coma, Constance de Saint-Mont (trad. de l’anglais). Paris : J’ai lu, « Par ailleu (…)

Je me rappelai un passage du journal de mon père qui décrivait un acte de cannibalisme dont il avait été témoin [dans un camp du] Gansu : « Trois jours après que Jiang est mort de faim, Hu et Gao ont découpé des tranches dans sa fesse et sa cuisse et les ont rôties sur un feu. Ils ne s’attendaient pas à ce que la femme de Jiang vienne chercher le corps le lendemain. Elle avait pleuré pendant des heures en tenant son corps mutilé dans ses bras. » […] Je n’arrive tout simplement pas à imaginer comment on peut se résoudre à manger de la chair humaine. Mon père m’a dit que sur les trois mille droitistes qui avaient été envoyés [dans le camp de rééducation du Gansu], mille sept cents étaient morts de faim. Parfois les survivants étaient si affamés qu’ils étaient obligés de manger les cadavres.54

  • 55  Nous aborderons ce point dans la partie 6.

26Nous verrons que malheureusement, à cette époque-là, les cas de cannibalisme ne furent pas tous motivés par la faim…55

5. Le cannibalisme guerrier

  • 56  Georges Guille-Escuret, Sociologie comparée du cannibalisme, vol. 2, op. cit., p. 97.
  • 57  « Chidiao diren yige shi » 吃掉敌人一个师. Cf. Dictionnaire chinois-français 汉法词典,. Beijing : Shangwu yin (…)

27Le cannibalisme peut également être pratiqué en temps de guerre ou de rivalité, dans un but de punition, de vengeance ou de simple cruauté, faisant de l’acte de dévorer les organes des victimes défaites un symbole de possession, de prise de pouvoir. Comme l’explique Georges Guille-Escuret, docteur en ethnologie et en biologie, consommer la chair de l’ennemi ou d’un prisonnier est, en cas de guerre, un symbole d’allégeance à son souverain ou à son général, et un témoignage de la solidarité et de l’unité du groupe56. Ne dit-on pas, en chinois, lorsqu’on anéantit une division ennemie, qu’on « l’engloutit » ?57 Faut-il voir dans cette expression autre chose qu’une image ? On peut se poser la question…

  • 58  Cf. Robert des Rotours, « Quelques notes sur l’anthropophagie en Chine », op. cit., p. 389. Voir a (…)
  • 59  Cf. Sima Qian, Shiji, « Qingbu liezhuan » 黥布列传.
  • 60  Des Rotours cite à ce sujet le Traité des châtiments et des Lois (Xingfa zhi 刑法志), dont un passage (…)
  • 61  Source : Sima Guang, Zizhi tongjian 资治通鉴, juan 111 : « 醢诸县令,以食其妻子;不肯食者,辄支解之». Traduction Robert de (…)

28La référence la plus célèbre concerne l’Archer Yi 羿, que ses serviteurs mirent à mort. Ils le firent ensuite bouillir et forcèrent ses fils à manger sa chair. Refusant d’obtempérer, les fils furent tués à leur tour58. Dans les Mémoires historiques, Sima Qian raconte aussi que Liu Bang 刘邦 (256 – 195 avant notre ère), fondateur de la dynastie des Han et coutumier des actes de vengeance, obligea les princes feudataires à manger la chair de son ancien allié Peng Yue 彭越, soupçonné de préparer une rébellion, qu’il avait fait occire et cuisiner59. Cette manœuvre avait pour but de dissuader les princes de se liguer contre lui60. Un autre exemple connu concerne le cruel pirate Sun En 孙恩, meneur d’une révolte paysanne d’inspiration taoïste dans la région du Zhejiang, en 399 de notre ère : « Il faisait mettre en hachis salé les sous-préfets de la région [de Shaoxing 绍兴] pour les donner à manger à leurs épouses et à leurs enfants ; si ceux-ci se refusaient à les manger, il les faisait dépecer. »61

29La punition, qui a toujours pour but d’effrayer, peut parfois être ordonnée sur un simple coup de sang, comme c’est le cas dans un texte du Tang zhiyan 唐摭言, recueil de biji composé par Wang Dingbao 王定保 (870-940) sous les Cinq dynasties :

  • 62  Traduction personnelle. Texte original : « 周岭南首陈元光设客,令一袍裤行酒。光怒,令曳出,遂杀之。须臾烂煮,以食诸客。后呈其二手,客惧,攫喉而吐。 » (…)

Sous la dynastie des Zhou [fondée par l’Impératrice Wu Zetian], Chen Yuanguang, le chef de la région de Lingnan [Guangdong et Guangxi], organisa un banquet pour recevoir des invités. Il demanda à un de ses officiers de servir l’alcool. Soudain, Chen Yuanguang se mit terriblement en colère contre lui : il ordonna qu’on le fasse sortir et qu’on le tue. En peu de temps, le cadavre du pauvre homme fut cuisiné et on le servit aux invités. Lorsque ces derniers aperçurent finalement deux mains dans le plat, ils s’enfoncèrent aussitôt les doigts dans la gorge pour se faire vomir.62

  • 63  Cf. Yutang xianhua 玉堂闲话, in TPGJ, j. 269, rubrique « Actes de cruauté », récit « Zhao Siwan » 赵思绾, (…)

30Dans son Yutang xianhua 玉堂闲话 (« Bavardages du Hall de Jade »), recueil de biji composé à la fin des Tang et au début des Cinq Dynasties, Wang Renyu 王仁裕 (880-956) raconte encore que le général séditieux Zhao Siwan 赵思绾, avant d’être vaincu, dévora les foies de soixante-six victimes. Certaines, à ce moment-là, étaient encore agonisantes63.

  • 64  Voir à ce sujet le court article de Lin Ling 林翎, « 中国历史上最悲惨的一页:吃人肉 », op. cit., p. 2.
  • 65  Tao Zongyi, Chuogeng lu, chap. 9 : « 想肉天下兵甲方殷,而淮右之军嗜食人,以小儿为上,妇女次之,男子又次之. »
  • 66  Cf. Lin Ling, op. cit., p. 4 : « 战争真正可怕的地方不是在于屠戮生命,而是在于摧残人性。 »

31Sous les Yuan, on trouve même des détails expliquant la façon de cuisiner la viande humaine. Cela se fait principalement dans un contexte de guerre, pour nourrir les troupes armées lors de périodes de pénurie alimentaire64. Tao Zongyi 陶宗仪 (fin des Yuan, début des Ming), auteur du recueil de biji Chuogeng lu 辍耕录 (Archives de l’arrêt des cultures), explique au chapitre 9 : « En période de guerre […] la chair des enfants est considérée comme la plus exquise des nourritures ; vient ensuite celle des femmes, et en dernier celle des hommes »65. La viande peut être rôtie, bouillie, les victimes cuites vivantes, entières ou en morceaux (jambes, poitrine). Ceux qui en mangent trouvent cela tellement bon qu’ils qualifient la viande humaine de « viande désirée » (xiangrou 想肉). Il faut cependant ici bien insister sur le contexte : il ne s’agit pas de combler un caprice alimentaire, ni simplement de trouver un moyen de nourrir les soldats. La barbarie est mise en avant à tout point de vue, la cruauté est sans limite, et Tao Zongyi présente ces événements comme des actes vils et inhumains. Comme l’explique Lin Fu-shih : « Ce qu’il y a de véritablement effrayant dans la guerre, ce n’est pas le fait de massacrer des vies, mais de porter atteinte à ce qui nous rend humain »66.

6. Le cannibalisme culturel et idéologique

  • 67  Cf. Han Shaogong, Pa pa pa, N. Dutrait (trad.), op. cit., p. 7

32La pratique relève, à ce stade, soit de la folie meurtrière, soit de la superstition. Comme l’explique Noël Dutrait dans la préface de la traduction française de Ba ba ba de Han Shaogong, le passé millénaire de la Chine voit s’opposer deux cultures : la culture confucéenne « rationaliste » et la culture « non orthodoxe » des minorités, régie par des règles et des religions primitives67.

  • 68  Cf. Jasper Becker, La grande famine de Mao, op. cit., p. 301.
  • 69  Cf. J. Becker, op. cit. p. 304. Voir aussi Georges Guille-Escuret, Sociologie comparée du cannibal (…)
  • 70  Cf. J. Becker, op. cit., p. 304.

33Kay Ray Chong, dans son étude le cannibalisme en Chine, défend l’idée qu’il y a en Chine un « cannibalisme de survie » (époques de famine…) et un « cannibalisme culturel ». C’est cela qui fait selon lui de la Chine un cas à part68. Cet acte barbare de manger la chair d’un ennemi est-il cantonné à la Chine ancienne et classique ? Assurément pas. En effet, des faits similaires se sont déroulés au xixe siècle à Canton, à propos d’une querelle autour du droit sur l’eau. Cet épisode est relaté par le sinologue James Dyer Ball (1847 – 1919) dans son livre Choses vues en Chine : « Après chaque escarmouche, les hommes faits prisonniers étaient abattus. Ensuite les cœurs et les foies étaient distribués et mangés ; on permettait même aux jeunes enfants de participer au festin. »69 Plus près de nous, au niveau littéraire, au chapitre IV de Ba ba ba, Han Shaogong raconte que lors d’une période de rivalités entre deux villages voisins, une guerre est déclarée. L’un des villages fait alors bouillir dans une marmite un porc et le cadavre d’un ennemi coupé en morceaux, et chaque habitant, malgré l’écœurement, est obligé de manger un morceau pioché au hasard dans le bouillon, pour prouver sa solidarité envers les membres du village. Des cas ont par ailleurs été relevés lors de la guerre civile opposant communistes et nationalistes70.

  • 71  Zheng Yi, Stèles rouges, Françoise Lemoine & Anne Auyeung (trad.). Paris : Bleu de Chine, 1999, 28 (…)
  • 72  10 000 personnes pour l’ensemble de la région.
  • 73  Voir le compte-rendu de l’ouvrage rédigé par Max Lagarrigue, in Communisme, n° 65/66, L’âge d’homm (…)

34Mais la preuve la plus démesurée est l’étude édifiante réalisée par l’écrivain Zheng Yi 郑义 (1947 – ) (de son vrai nom Zheng Guangzhao 郑光召) dans la province du Guangxi, et publiée dans son ouvrage Hongse jinianbei 紅色纪念碑 (Stèles rouges : du totalitarisme au cannibalisme)71. Il y répertorie des centaines de cas de cannibalisme qui eurent lieu durant la Révolution culturelle (1966 – 1976), avec cette fois une visée purement idéologique : « Dans le seul district de Wuxuan [Guangxi], au cours de la Révolution culturelle, 504 personnes ont été tuées et plus d’une centaine dévorée […]72. L’estimation du nombre de cannibales pour ce district est de 10 000. »73

  • 74  Sur ces faits, le lecteur intéressé pourra se reporter à l’article « Le cannibalisme au Guangxi » (…)
  • 75  Notons néanmoins qu’à la fin de la Révolution Culturelle, certaines victimes ont été réhabilitées, (…)
  • 76  Voir le compte-rendu de lecture de Jean-Jacques Gandini in Perspectives chinoises n° 57, janvier-f (…)
  • 77  Zheng Yi, Stèles rouges, op. cit., p. 163.
  • 78  Une petite nuance à apporter cependant à cette qualification, puisqu’on relève dans l’ouvrage que (…)

35Les faits les plus marquants concernent le meurtre d’une professeure d’école par ses propres élèves, qui, ensuite, se partagèrent son cœur, son foie et la chair de ses cuisses. Ceux qui ne voulaient pas suivre le mouvement risquaient le même traitement, de sorte qu’une hystérie collective submergea toute la ville puis toute la région74. Le principal prétexte à ces orgies ? La lutte des classes. Certains bourreaux clamant haut et fort qu’il ne s’agissait pas simplement de chair humaine, mais de « chair de propriétaire foncier », de « chair de traitre », de « chair d’ennemis de classe ». Les victimes étaient généralement tuées et découpées à la suite de séances de pidou 批斗, ces séances d’humiliation publique courantes sous la Révolution Culturelle. Les personnes ciblées pouvaient être des voisins, des professeurs, des élèves. Elles pouvaient être dépecées vivantes, et leur chair pouvait être consommée lors de banquets collectifs, au vu et au su des autorités75. Pour Zheng Yi : « Le cannibalisme pendant la Révolution Culturelle au Guangxi correspond au despotisme sanguinaire du Parti communiste »76. Il qualifie ainsi ces faits : « une atrocité organisée, armée par la théorie de la dictature du prolétariat, de la lutte des classes du marxisme-léninisme et de la pensée de Mao »77. En ce sens, on peut véritablement parler ici de « cannibalisme culturel »78.

  • 79  Cf. Lu Xun, Fleurs du matin cueillies le soir, François Jullien (trad.). Lausanne : A. Eibel, 1976 (…)
  • 80  Cf. « Le cannibalisme au Guangxi » (extrait de Stèles rouges de Zheng Yi), op. cit., p. 74.
  • 81  Cf. Cris, op. cit., p. 205.

36On pense aussitôt au récit de Lu Xun, Fleurs du matin cueillies le soir (Zhao hua xi shi 朝花夕拾), écrit en 1928. L’auteur se serait inspiré de la tragédie arrivée à l’un de ses amis rencontré au Japon et devenu gouverneur de l’Anhui. Le malheureux fut mis à mort puis son cœur et son foie furent donnés à manger aux soldats du gouvernement79. On pense également à la nouvelle de Lu Xun « Le journal d’un fou » vue plus haut, à propos de laquelle Zheng Yi écrit » « Ce qui n’était que du symbolisme dans son roman était malheureusement devenu réalité dans la grandiose et radieuse société socialiste. »80 Pour Sébastian Veg, le cannibalisme renvoie in fine à « la lutte de tous contre tous »81.

37Ma Jian ajoute sa pierre à l’édifice concernant les faits qui se sont déroulés dans le Guangxi sous la Révolution culturelle, toujours dans son roman Beijing Coma. Alors que le protagoniste effectue un voyage dans le fameux district de Wuxuan (où Zheng Yi mena ses investigations), il rencontre un certain Docteur Song qui lui raconte :

  • 82  Ma Jian, Beijing Coma, op. cit., pp. 89-90.

« Ici, [dans le Guangxi], ce n’est pas la faim qui poussait les gens au cannibalisme. C’était la haine. »
Je ne voyais pas ce qu’il voulait dire.
« Il ne leur suffisait pas d’exécuter leurs ennemis ? Pourquoi fallait-il qu’ils les mangent en plus ?
— C’était en 1968, une des années les plus violentes de la Révolution culturelle. [Dans le Guangxi], tuer les ennemis de classe n’était pas suffisant, les comités révolutionnaires locaux forçaient les gens à les manger en plus. Au début, les cadavres des ennemis étaient mis à mijoter dans de grandes cuves avec des pieds de porc. Mais à mesure que la campagne progressait, il y avait trop de cadavres, et seuls le cœur, le foie et la cervelle étaient cuits. […] Tu vois ces volumes que mon équipe de chercheurs vient de retrouver : Chroniques de la Révolution culturelle dans la province du Guangxi. Regarde, il est écrit ici que dans la province du Guangxi, en 1968, plus de 100 000 personnes ont été tuées, et que dans le seul district de Wuxuan, 3523 personnes ont été assassinées, et que 350 d’entre elles furent mangées. Si je n’avais pas été emprisonné en août de cette année-là, j’aurais sans doute été tué moi aussi. »82

38Il nous raconte plus en détail les actes de l’ethnie Zhuang de la province du Guangxi, dans son autre roman Chemins de poussière rouge (Hongchen 红尘), en reprenant les faits présentés plus haut concernant une professeure :

  • 83  Ma Jian, Chemins de poussière rouge, Jean-Jacques Bretou (trad. de l’anglais). Paris : « J’ai lu » (…)

J’ai passé une grande partie du mois dernier dans le village de Longzhou près de la frontière vietnamienne. […] J’ai pensé aux étudiants du village voisin qui ont massacré leur professeur pendant la Révolution culturelle. Pour prouver leur dévotion au Parti, ils l’ont découpé en morceaux, fait cuire dans une bassine avant de la manger pour le dîner. Comme ils avaient pris goût aux abats frais, avant de tuer leur victime suivante, ils lui ont ouvert le ventre et lui ont tapé dans le dos pour faire tomber le foie encore chaud dans leurs mains. Les villages locaux ont dû consommer environ trois cents ennemis de classe ces années-là.83

  • 84  Georges Guille-Escuret, Sociologie comparée du cannibalisme, vol.2 , op. cit., pp. 116-117.

39Ma Jian s’est-il inspiré de l’enquête de Zheng Yi ou bien a-t-il réellement entendu parler de ces faits connus de tous dans la région ? Quoi qu’il en soit, si barbares soient-ils, ces événements sont à relativiser. Georges Guille-Escuret voit dans l’étude de Zheng Yi un pessimisme extrême et un jugement généralisé et partial sur une nation chinoise présentée comme barbare, alors qu’à ses yeux, les pratiques cannibales de l’ethnie Zhuang du Guangxi étaient surtout influencées par un passé chamanique ancestral et par la tradition d’un cannibalisme guerrier84.

Conclusion

40Au fil de notre article, nous avons présenté les différentes motivations poussant à la consommation de chair humaine en Chine : guerres, vengeances, famines, idéologie, piété filiale, croyances médicales, rituels ancestraux, penchants culinaires. Nous avons vu les multiples influences que les événements historiques ont eues sur les auteurs anciens, notamment de recueils de contes du premier millénaire, mais aussi sur les auteurs modernes (Lu Xun) et contemporains (Han Shaogong, Mo Yan, Chen Zhongshi, Ma Jian). Il y en a assurément une multitude d’autres.

41Les écrivains chinois sont tout à fait au courant de l’existence de ces pratiques, ils en ont tous plus ou moins entendu parler. L’aveu de Mo Yan à ce sujet est significatif :

  • 85  Voir plus haut, note 8.
  • 86  Nous avons fait le choix de ne pas traiter du cannibalisme dans le Shuihu zhuan 水浒传, car il s’agit (…)
  • 87  Cf. Dutrait Noël, « Le pays de l’alcool de Mo Yan », op. cit., p. 60. Sur cette dernière phrase, o (…)

Existe-t-il réellement dans la société chinoise des faits de cannibalisme ? Historiquement, c’est sûr. Prenez l’exemple de Yi Ya à l’époque des Royaumes Combattants, qui a donné son fils à manger au duc Huan de Qi85. D’autres faits sont attestés à l’époque féodale ; la piété filiale contraignait à donner sa propre chair pour soigner ses parents ; Lu Xun et son Journal d’un fou qui se termine par l’appel « Sauvez les enfants » ; les témoignages de Zheng Yi à l’époque de la Révolution culturelle sur des actes de cannibalisme dans le sud du pays. Tout prouve que le cannibalisme a existé. On en trouve aussi des traces dans le Roman des Trois Royaumes ou dans Au bord de l’eau86 ; mais pour ce qui est de notre époque, nous n’avons pas réellement de preuves que des enfants aient été dévorés, comme je l’écris dans mon roman où le cannibalisme a une valeur plutôt symbolique.87

42La consommation de chair humaine, c’est un fait, a été récurrente dans l’Histoire de Chine et a laissé une empreinte indélébile, et ce jusqu’au siècle dernier. La grande diligence des historiographes et des écrivains chinois, mais aussi le travail énorme fourni par les spécialistes ou chercheurs chinois et européens — dont vous avons à de multiples reprises cité les ouvrages — nous ont permis d’en faire une étude succincte mais complète du sujet : nous leur sommes redevables de tant de sincérité sur une pratique, rappelons-le, généralement taboue et condamnée.

43Reste à savoir si le cannibalisme continuera ou non d’influencer les auteurs chinois, et donnera lieu à de nouvelles études qui apporteront, peut-être, un nouvel éclairage sur ces épisodes sombres de l’Histoire de Chine.

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Notes

1  Recueil de biji 笔记 de Duan Chengshi  段成式 (803-863).

2  Traduction personnelle. Texte original : « 无物不堪吃,唯在火候,善均五味。 » (Cf. Duan Chengshi 段成式, Xiyang zazu 酉阳杂俎, cité dans le Taiping guangji 太平广记 (TPGJ), juan 234, rubrique « Nourriture » 食, récit « Bai zhangni » 败障泥. Cf. Li Fang 李昉, Taiping Guangji. Beijing : Zhonghua shuju, 1986, p. 1794.).

3  A propos de la terminologie utilisée dans notre article, précisons que l’anthropophagie désigne le fait de consommer de la viande humaine (peu importe l’espèce animale qui consomme cette viande), alors que le cannibalisme désigne le fait de manger un individu de la même espèce que la sienne. À ce titre, lorsqu’on parle des êtres humains, un cannibale est forcément anthropophage et vice versa. Les deux termes seront donc utilisés dans notre article, même si nous privilégierons le mot « cannibalisme », qui peut posséder en outre, selon le contexte, une connotation rituelle.

4  Cf. Lin Ling 林翎, « Zhongguo lishishang zui beican de yi ye : chi renrou » 中国历史上最悲惨的一页:吃人肉 (« L’une des pages les plus tragiques de l’Histoire de Chine : le cannibalisme »), in Zhongyang ribao 中央日報, avril 1989, Editions Changhe, p. 1 : « 中国人吃人的经验可能是世界上最丰富的。. »

5  Robert des Rotours, « Quelques notes sur l’anthropophagie en Chine », T’oung Pao, n° 50, 1963, p. 387

6  Cf. Georges Guille-Escuret, Sociologie comparée du cannibalisme, vol. 2 : la consommation d’autrui en Asie et en Océanie. Paris : PUF, 2012, p. 89 et p. 91, d’après sa lecture de l’ouvrage de Key Ray Chong, Cannibalism in China. Wakefield : Longwood Academic, 1990, 200 p. Ledit ouvrage a été traduit en chinois sous la référence suivante : Key Ray Chong 鄭麒來, Zhongguo gudai de shiren, ren chi ren xingwei toushi 中國古代的食人: 人吃人行為透視. Beijing : Zhongguo she hui ke xue, 1994. Voir particulièrement la partie 5 sur la littérature.

7  Voir notamment les références présentées en notes 5 et 6. Voir aussi Huang Wenxiong 黃文雄,, Zhongguo shiren shi 中國食人史 (Histoire du cannibalisme en Chine). Taipei : Qianwei, 2005, 235 p. D’autres ouvrages seront cités au fil de l’article.

8  Sima Qian, Shiji, « Qi taigong shijia » 齐太公世家

9  Cf. Guanzi 管子, « 小称 » : « 易牙以厨艺服侍齐桓公。齐桓公说:“只有蒸婴儿肉还没尝过。”於是易牙将其长子蒸了献给齐桓公吃. » Voir aussi Han Fei zi 韩非子, « 二柄·难一皆 » : « 齐桓公好味,易牙蒸其子首而进之。 ».

10  Connu aussi sous le nom de Lushi zashuo 卢氏杂说, écrit par Lu Yan 卢言 sous la dynastie des Tang.

11  Traduction personnelle. Texte original : « 唐张茂昭为节镇,频吃人肉,及除统军,到京。班中有人问曰:闻尚书在镇好人肉,虚实?”昭笑曰:“人肉腥而且肕,争堪吃。” » (Cf. Lushi zazi 卢氏杂记, in TPGJ, j. 261, rubrique « Raillerie » 嗤鄙, récit « Zhang Maozhao » 张茂昭, édition de référence p. 2035).

12  Cf. Chaoye qianzai 朝野佥载, in TPGJ, j. 267, rubrique « Actes de cruauté » 酷暴, récit « Dugu Zhuang » 独狐庄, p. 2094-2095.

13  Recueil de biji composé par Zhang Zhuo 张鷟 (657-730) sous la dynastie des Tang.

14  Traduction personnelle. Texte original : « 周杭州临安尉薛震好食人肉。有债主及奴诣临安,于客舍,遂饮之醉。杀而脔之,以水银和煎,并骨消尽。后又欲食其妇,妇觉而遁。县令诘得其情,申州,录事奏,奉敕杖杀之。 ». Cf. Chaoye qianzai 朝野佥载, in TPGJ, j. 267, rubrique « Actes de cruauté » 酷暴, récit « Xuezhen » 薛震, p. 2094).

15  Cf. Des Rotours, « Quelques notes sur l’anthropophagie en Chine », op. cit., p. 397. L’auteur cite un passage du Shiliu guo chunqiu 十六国春秋, « Hou zhao lu » 后赵录.

16  Cf. Marco Polo, La Description du monde, Pierre-Yves Badel (trad.), chapitre LXXIV. Paris : Le livre de Poche, coll. « Classiques », 2012, p. 140.

17  Ibidem, chapitre CLIV, p. 267.

18  Voir partie 5 du présent article, sur le cannibalisme guerrier.

19  Chen Zangqi, après avoir étudié minutieusement le Classique de Materia medica du Divin laboureur (Shennong bencao jing 神农本草经) (époque Han), considéré comme le plus grand classique de pharmacopée chinoise, estima qu’il y avait dedans beaucoup de lacunes, et décida d’y remédier en publiant un ouvrage plus complet.

20  Chen Zangqi 陈藏器, Bencao shiyi 本草拾遗 : « 人肉疗羸瘵 ».

21  Cf. Xin Tangshu 新唐书, chap. 195. Cité in Des Rotours, « Quelques notes sur l’anthropophagie en Chine », op. cit., p. 416. On peut se demander néanmoins s’il ne s’agit pas plutôt, en fait de « fils pieux », de « filles » et de « belles-filles » pieuses. Voir la partie suivante du présent article sur le cannibalisme et la piété filiale.

22  Cf. J. Becker, La grande famine de Mao (titre original : Hungry Ghosts, China’s secret Famine), Michel Pencréach (trad.). Paris : Dagorno, 1998, p. 302. Pour une étude poussée des parties du corps humains aux vertus médicinales présentées dans le Bencao gangmu, voir W.C. Cooper et Nathan Sivin, « Man as a Medicine: Pharmacological and Ritual Aspects of Traditional Therapy Using Drugs Derived from the Human Body », in Chinese Science : Exploration of an Ancient Tradition. Cambridge : The MIT Press, 1973, p. 203-272.

23  Cf. J. Becker, La grande famine de Mao, op. cit., p. 302.

24  « Le Journal d’un fou », in Cris, Sebastian Veg (trad.). Paris : Editions rues d’Ulm, 2010, p. 24.

25  Ibidem, note 7 p. 181.

26  Cf. Wells Williams, The Middle Kingdom. New York, (1847) 1899, vol. I, p. 514. Cité in Des Rotours, « Quelques notes sur l’anthropophagie en Chine », op. cit., p. 421. Voir aussi Edgar Snow, Living China. Londres, 1936, p. 29.

27  Cf. Cris, op. cit., p. 214. Voir la traduction intégrale de la nouvelle p. 39-48.

28  Cf. Han Shaogong, Pa pa pa (N. Dutrait, Hu Sishe, trad.). La Tour d’Aigues : Editions de l’Aube, coll. « Proche », 1995.

29  Cf. Noël Dutrait, « Le pays de l’alcool de Mo Yan [Entretien avec l’auteur] », Perspectives chinoises, n° 58, avril 2000, p. 60.

30  Connu en Occident sous le nom de Fruit Chan.

31  Concernant la consommation de fœtus humains, citons également les exhibitions controversées de l’artiste chinois contemporain Zhu Yu 朱昱 (1970 – ), se présentant comme le premier « artiste cannibale » et se délectant de soupes de fœtus humains dans le simple but de choquer. Pour plus d’informations sur cet artiste, mais aussi sur le fait de manger des fœtus en Chine et à Taiwan, voir l’article de Meiling Cheng, « Violent Capital: Zhu Yu on File », The Drama Review, Vol. 49, No. 3 (Autumn, 2005), The MIT Press, p. 58-77.

32  On trouve parfois le terme 股 (signifiant « la cuisse ») à la place de 骨 (« l’os »). Voir à ce sujet l’intervention de Chün Fang Yü de l’Université de Rutgers : « Filial Piety, Iatric Cannibalism and the Cult of Kuan-yin in Late Imperial China », AAS Convention, Washington, avril 1994.

33  Cf. J. Becker, La grande famine de Mao, op. cit., p. 302.

34  Cf. Key Ray Chong, Cannibalism in Chine, p. 159. Cité in Georges Guille-Escuret, Sociologie comparée du cannibalisme, vol. 2, op. cit., p. 91-92.

35  Sur le fait de s’approprier l’âme d’un défunt respecté à travers l’endo-cannibalisme (principalement sous la préhistoire), voir l’article de M. Patou-Mathis, « Aux racines du cannibalisme », La Recherche, janvier 2000.

36  Des Rotours, « Quelques notes sur l’anthropophagie en Chine », op. cit., p. 416.

37  Nous avons trouvé le résumé de cette pièce sur le site http://www.luquanren.com/Article/ShowArticle.asp?ArticleID=302. Dernière date de consultation : 20 mai 2015.

38  Cf. Cris, op. cit., p. 205. Malgré tout, rappelons que ce ne sont pas toujours les jeunes qui se sacrifient pour les vieux. A la fin de la nouvelle Ba ba ba de Han Shaogong, en pleine période de famine, le tailleur Zheng prépare une décoction mortelle pour supprimer les vieillards (dont lui-même), les impotents et les bébés, afin de laisser plus de chances de survie aux jeunes gens, faisant passer la lignée avant tout. Tout le monde boit le breuvage volontairement.

39  Tout le monde a à l’esprit le naufrage de la frégate Méduse, de la Marine française, échouée au large de la Mauritanie en 1816 : une minorité de naufragés ayant pris place sur un radeau survécut, principalement grâce à la consommation de chair humaine. Il en fut de même pour les survivants du crash aérien du vol 571 Fuerza Aérea Uruguaya dans la cordillère des Andes le 13 octobre 1972. Pour plus d’informations à ce sujet, voir l’article en ligne du Point du 20/12/2012, « Sauvetage de seize rugbymen cannibales dans les Andes. ». http://www.lepoint.fr/c-est-arrive-aujourd-hui/20-decembre-1972-bien-avant-chabal-il-existait-deja-des-rugbymen-cannibales-dans-les-andes-20-12-2012-1604056_494.php

40  Rémi Mathieu, Anthologie des mythes et légendes de la Chine ancienne. Paris : Gallimard, coll. « Connaissance de l’Orient », 1989, p. 113

41  Cf. Sima Guang 司马光, Zizhi tongjian 资治通鉴 (Miroir compréhensif pour aider le gouvernement), juan 17 : « Da ji, ren xiang shi » 大饥,人相食.

42  Cf. Ying Shao 应劭 (140 – 206), Fengsu tongyi 风俗通义 (« Généralités sur les moeurs et les coutumes »), « 皇霸·五伯».

43  Traduction personnelle. Texte original : « 隋末荒乱,狂贼朱粲起于襄、邓间。岁饥,米斛万钱,亦无得处,人民相食。粲乃驱男女小大,仰一大铜钟,可二百石,煮人肉以喂贼。生灵歼于此矣。»,Cf. Chaoye qianzai, in TPGJ, j. 267, rubrique « Actes de cruauté », récit 朱粲, p. 2093.

44  Nous ne traiterons pas de tous ces cas en détail. Un grand nombre ont déjà été minutieusement répertoriés dans les articles de Robert des Rotours (« Quelques notes sur l’anthropophagie en Chine », op. cit. et « Encore quelques notes sur l’anthropophagie en Chine », T’oung Pao, n° 54, 1/3, Leiden : Brill, 1968, p. 1-49) ainsi que dans l’ouvrage de Key Ray Chong, Cannibalism in China, op. cit.

45  Cf. Ji Yun 纪昀, Yuewei caotang biji 阅微草堂笔记, « 滦阳消夏录 », juan 2 : « 盖前崇禎末,河南 、山东大旱蝗,草根树皮皆尽,乃以人为粮,官吏弗能禁。妇女幼孩反接鬻于市,谓之菜人 婦女幼孩,反接鬻於市,謂之菜人 ». Voir la traduction de Jacques Dars in Ji Yun, Passe-temps d’un été à Luanyang. Paris : Gallimard, coll. « Connaissance de l’Orient », 1998, p. 135, « Humains à cuisiner » : « C’est qu’à la fin de l’ère Chongzhen de la précédente dynastie, quand par suite de la sécheresse et des ravages de sauterelles au Henan et au Shandong il ne resta plus ni racines ni écorces, on se nourrit de chair humaine, sans que les fonctionnaires officiels pussent l’interdire. Femmes et jeunes enfants, mains liées derrière le dos, étaient vendus sur les marchés comme « humains à cuisiner », que les bouchers achetaient et emmenaient pour les débiter tels des moutons ou des porcs. »

46  Theodore White, A la quête de l’Histoire, Henri Rollet (trad.). Montréal : Stanké, 1979, p. 165-167. Pour la version originale, voir T. White, In search of History. Harpercollins, 1978, 561 p.

47  Cf. Cris, op. cit., p. 281.

48  Ibidem, p. 28.

49  Ibid., p. 29.

50  Cf. Chen Zhongshi, Au pays du cerf blanc, Shao Baoqing / Solange Cruveillé (trad.). Paris : Le Seuil, 2012, p. 378.

51  Cf. Yang Jisheng 楊繼繩,, Mubei : Zhongguo liushi niandai da jihuang jishi 墓碑——中國六十年代大饑荒紀實. Taïwan : Tiandi tushu, 2009, 660 p. Pour une traduction, voir Yang Jisheng, Stèles, la Grande famine en Chine, 1958-1961. Paris : Le Seuil, 2012, 660 p. Voir aussi Zhou Xun, The Great Famine in China, 1958-1962. Yale University Press, 2012.

52  Cf. J. Becker, La grande famine de Mao, op. cit., pp. 295-305.

53  Ibidem, p. 300.

54  Ma Jian, Beijing Coma, Constance de Saint-Mont (trad. de l’anglais). Paris : J’ai lu, « Par ailleurs », 2009, p. 88.

55  Nous aborderons ce point dans la partie 6.

56  Georges Guille-Escuret, Sociologie comparée du cannibalisme, vol. 2, op. cit., p. 97.

57  « Chidiao diren yige shi » 吃掉敌人一个师. Cf. Dictionnaire chinois-français 汉法词典,. Beijing : Shangwu yinshu guan, 2011, p. 87.

58  Cf. Robert des Rotours, « Quelques notes sur l’anthropophagie en Chine », op. cit., p. 389. Voir aussi Séraphin Couvreur, Tso tchouan. Ho kien fou, 1914, tome II, p. 205 ; et Marcel Granet, Danses et légendes de la Chine ancienne. Paris : Presses Universitaires de France, 1926, p. 164.

59  Cf. Sima Qian, Shiji, « Qingbu liezhuan » 黥布列传.

60  Des Rotours cite à ce sujet le Traité des châtiments et des Lois (Xingfa zhi 刑法志), dont un passage décrit les différentes façons de cuire les restes d’un condamné : en hachis, avec ou sans les os, mélangés avec des légumes ou avec de la viande, en gros ou en petits morceaux… Les destinataires de ce genre de préparation sont avertis de la nature de la viande, et se contentent souvent de la considérer comme un avertissement. Mais il arrive également qu’ils soient tenus d’en consommer, pour prouver leur solidarité envers leur souverain et leur haine à l’égard du traître (Cf. « Quelques notes sur l’anthropophagie en Chine », op. cit., pp. 391-392).

61  Source : Sima Guang, Zizhi tongjian 资治通鉴, juan 111 : « 醢诸县令,以食其妻子;不肯食者,辄支解之». Traduction Robert des Rotours, « Quelques notes sur l’anthropophagie en Chine », op. cit. ,p. 398.

62  Traduction personnelle. Texte original : « 周岭南首陈元光设客,令一袍裤行酒。光怒,令曳出,遂杀之。须臾烂煮,以食诸客。后呈其二手,客惧,攫喉而吐。 » (Cf. Zhiyan 摭言, in TPGJ, j. 267, rubrique « Actes de cruauté » 酷暴, récit « 陈元光 », p. 2094).

63  Cf. Yutang xianhua 玉堂闲话, in TPGJ, j. 269, rubrique « Actes de cruauté », récit « Zhao Siwan » 赵思绾, p. 2114.

64  Voir à ce sujet le court article de Lin Ling 林翎, « 中国历史上最悲惨的一页:吃人肉 », op. cit., p. 2.

65  Tao Zongyi, Chuogeng lu, chap. 9 : « 想肉天下兵甲方殷,而淮右之军嗜食人,以小儿为上,妇女次之,男子又次之. »

66  Cf. Lin Ling, op. cit., p. 4 : « 战争真正可怕的地方不是在于屠戮生命,而是在于摧残人性。 »

67  Cf. Han Shaogong, Pa pa pa, N. Dutrait (trad.), op. cit., p. 7

68  Cf. Jasper Becker, La grande famine de Mao, op. cit., p. 301.

69  Cf. J. Becker, op. cit. p. 304. Voir aussi Georges Guille-Escuret, Sociologie comparée du cannibalisme, vol.2, op. cit., p. 107.

70  Cf. J. Becker, op. cit., p. 304.

71  Zheng Yi, Stèles rouges, Françoise Lemoine & Anne Auyeung (trad.). Paris : Bleu de Chine, 1999, 288 p. Au départ, Zheng Yi avait commencé son enquête dans le but d’écrire un roman. Ce qu’il découvrit le fit changer d’avis et donna lieu à la publication même de l’enquête. Mais pour ce faire, Zheng Yi dut quitter la Chine continentale. Le livre est paru d’abord à Taïwan. Il vit aujourd’hui avec sa femme aux Etats-Unis. Pour plus d’informations sur cet auteur et l’histoire de la rédaction de ce livre, voir Michel Bonnin, Perspectives chinoises, n° 11-12, janvier/février 1993, pp. 68-71. Voir aussi Jacques Andrieu, « Les gardes rouges : des rebelles sous influence », Revue Cultures et Conflits, n° 18, 1995, pp.121-164. Pour une étude contextualisée des événements présentés dans le livre de Zheng Yi, voir enfin Donald Sutton, « Consuming Counterrevolution: The Ritual and Culture of Cannibalism in Wuxuan, Guangxi, China, May to July 1968 », Comparative Studies in Society and History, n° 37, 1995, pp. 136-172.

72  10 000 personnes pour l’ensemble de la région.

73  Voir le compte-rendu de l’ouvrage rédigé par Max Lagarrigue, in Communisme, n° 65/66, L’âge d’homme, 2001, p. 272.

74  Sur ces faits, le lecteur intéressé pourra se reporter à l’article « Le cannibalisme au Guangxi » (extrait de Stèles rouges de Zheng Yi), traduit par Annie Au-Yeung et Françoise Lemoine-Minaudier, paru dans la revue Perspectives chinoises, n° 11-12, 1993, pp. 72-83.

75  Notons néanmoins qu’à la fin de la Révolution Culturelle, certaines victimes ont été réhabilitées, et certains bourreaux ont été condamnés. Certains témoins ou acteurs avouent regretter leurs actes, d’autres s’être sentis obligés de le faire. D’autres encore, toutefois, gardent le silence ou continuent à vouer une haine féroce aux descendants de leurs victimes, même vingt ans plus tard (cf. Ibidem, p. 81).

76  Voir le compte-rendu de lecture de Jean-Jacques Gandini in Perspectives chinoises n° 57, janvier-février 2000, p. 100.

77  Zheng Yi, Stèles rouges, op. cit., p. 163.

78  Une petite nuance à apporter cependant à cette qualification, puisqu’on relève dans l’ouvrage que les personnes âgées qui mangeaient la chair des victimes considéraient principalement la vertu médicale de la chair humaine (avant l’aspect idéologique du cannibalisme). Dans son compte-rendu, Jean-Jacques Gandini explique en effet : « Ce qui est consommé en priorité ce sont les viscères qui sont censés guérir divers maux selon les croyances locales : la cervelle, le cœur, les intestins, l’utérus et surtout le foie, réputé donner du courage et être en outre un puissant tonique. […] La consommation de cervelle était aussi prisée par les vieillards qui en escomptaient un regain de jeunesse. » (op. cit., pp. 98-99).

79  Cf. Lu Xun, Fleurs du matin cueillies le soir, François Jullien (trad.). Lausanne : A. Eibel, 1976, p.152 (cité dans Cris, op. cit., note 13 p. 181).

80  Cf. « Le cannibalisme au Guangxi » (extrait de Stèles rouges de Zheng Yi), op. cit., p. 74.

81  Cf. Cris, op. cit., p. 205.

82  Ma Jian, Beijing Coma, op. cit., pp. 89-90.

83  Ma Jian, Chemins de poussière rouge, Jean-Jacques Bretou (trad. de l’anglais). Paris : « J’ai lu », 2014, p. 344.

84  Georges Guille-Escuret, Sociologie comparée du cannibalisme, vol.2 , op. cit., pp. 116-117.

85  Voir plus haut, note 8.

86  Nous avons fait le choix de ne pas traiter du cannibalisme dans le Shuihu zhuan 水浒传, car il s’agit là d’un cannibalisme involontaire : le couple de taverniers tue les voyageurs riches et se débarrasse de leur chair dans la farce de leurs petits pains, mais les consommateurs desdits petits pains ne sont pas au courant du contenu de leur nourriture.

87  Cf. Dutrait Noël, « Le pays de l’alcool de Mo Yan », op. cit., p. 60. Sur cette dernière phrase, on peut toutefois objecter que la pratique de consommer des fœtus humains à des fins médicinales est bien un acte de cannibalisme contemporain sur les enfants (même si ces derniers sont encore au stade de fœtus). Mo Yan lui-même reconnaît d’ailleurs s’être inspiré de cette pratique pour son roman (voir plus haut, note 29).

References

Electronic reference

Solange Cruveillé, “La consommation de chair humaine en Chine”Impressions d’Extrême-Orient [Online], 5 | 2015, Online since 15 September 2015, connection on 09 January 2023. URL: http://journals.openedition.org/ideo/379

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Solange Cruveillé

IRIEC, Université Paul-Valéry

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Voir de plus:

Chine : avec un mandat illimité, « un système à vie », le président Xi Jinping suscite la critique

L’Assemblée populaire de Chine, réunie à partir de lundi, devrait voter sans ciller un mandat illimité à l’actuel président, Xi Jinping. Une mesure que des Pékinois ne se privent pourtant pas de critiquer.

Dominique André
Radio France

L’Assemblée nationale populaire (ANP) de Chine se réunit à partir de lundi 5 mars pendant près de deux semaines. Sans surprise, les délégués chinois devraient voter la modification de la Constitution voulue par le président chinois, en supprimant la limite à deux mandats pourtant prévue Deng Xiaoping dans les années 1980. Une mesure qui ne fait pas l’unanimité parmi les Pékinois.

Xi Jinping dans les pas de Mao Tsé-toung ?

Xi Jinping est chef d’Etat depuis 2013. À 64 ans, il entame un deuxième mandat prévu jusqu’en 2023. Sans limite dans le temps cette fois, il occupe aussi les fonctions de secrétaire général du Parti communiste chinois et de président de la Commission militaire centrale. Une modification constitutionnelle, soumise aux députés, pourrait offrir au président un mandat illimité. Pourtant, en 1982, le numéro un chinois, Deng Xiao Ping, l’architecte de la Chine moderne avait introduit ce plafond à deux mandats pour prévenir la concentration excessive du pouvoir, comme l’avait montré le règne de Mao Tsé de 1949 à 1976. La mesure, qui est un séisme politique, ne plaît pas à certains Pékinois. Ils ne veulent pas revenir en arrière. « Il faut suivre l’envie du peuple avant de décider de la modification de la Constitution, sinon c’est inutile », n’hésite pas à clamer un habitant. « Je ne suis pas d’accord avec un système à vie », ajoute-t-il.

Les temps ont changé. Il faut laisser les nouvelles générations participer au gouvernement de notre pays. Il faut du sang neuf, c’est comme ça qu’on arrivera à avancer.

Un Pékinois sur la modification constitutionnelle

à franceinfo

Une Pékinoise renchérit et s’interroge sur le pouvoir et l’âge. « Je trouve qu’il ne faut pas rester au pouvoir à vie. Chaque individu a la capacité à réaliser beaucoup de projets tant qu’il est en forme. Mais ça n’est plus possible quand on vieillit, qu’on est fatigué », assène-t-elle. Cette femme précise qu’elle se contentait, jusqu’ici, d’« un système plutôt démocratique avec des réunions régulières », comme celle qui commence lundi.

Depuis l’annonce du projet présidentiel, il y a une semaine, les réseaux sociaux sont surveillés par la censure. Et parmi les experts chinois, ceux qui ne soutiennent pas la décision sont priés de se taire.

Voir encore:

La Chine avance à grand pas dans la modification de sa météo

L’Empire du Milieu s’apprête à fortement amplifier un programme expérimental de modification des conditions météorologiques. La zone concernée représentera une fois et demi la superficie de l’Inde.

La Chine, une puissance montante au point de faire la pluie et le beau temps ? La réalité devrait bientôt rattraper l’expression. En développant massivement un programme de modification des conditions météorologiques, le pays pourra, d’ici 2025, infléchir la météo grâce aux avancées spectaculaires de la recherche en matière « d’ensemencement » des nuages, rapporte CNN. Si cette technologie n’est pas nouvelle, l’ampleur du programme impressionne : la zone concernée couvrira une surface de 5,5 millions de kilomètres carrés, soit une fois et demi la superficie de l’Inde.

Le concept d’ensemencement des nuages, déjà connu, consiste à injecter de petites quantités d’iodure d’argent dans les nuages qui comportent un taux d’humidité élevé, ce qui provoque la condensation des particules, puis des précipitations. Pékin est familière de cette technologie, utilisée notamment lors des JO de 2008 pour assurer un ciel dégagé pendant les épreuves sportives, ou encore lors des grandes exhibitions politiques dans la capitale.

Un enjeu stratégique

À l’heure où le dérèglement climatique menace, la maîtrise de cette technologie permettrait à la Chine de préserver ses régions agricoles des chutes de grêle, de lutter plus efficacement contre les grands feux de forêt, ou encore de parer aux périodes de sécheresse. L’année dernière, l’agence de presse chinoise Chine nouvelle annonçait en effet que la manipulation météorologique avait permis de réduire de 70% les dommages provoqués par la grêle sur les cultures dans le Xinjiang. Cette technologie a toutefois nécessité un investissement massif de la part du gouvernement chinois qui a, au total, déboursé pas moins de 1,34 milliard de dollars entre 2012 et 2017.

Cet engouement fait cependant tiquer certains pays, comme l’Inde justement. Les deux pays, qui partagent une frontière le long de l’Himalaya, s’y étaient confrontés lors de violents heurts en juin 2020. L’Inde se demande depuis plusieurs années si la modification météorologique et les chutes de neige artificielles ne pourraient pas donner l’ascendant à la Chine en cas de conflit futur dans cette zone montagneuse où les mouvements de troupes sont essentiels.

Voir enfin:

Polémique sur les crèches de Noël : « On devrait supprimer Noël dans ce cas » ironise Pierre Charon
Avant les fêtes de Noël, c’est une polémique que la droite avive volontiers. La semaine dernière, le conseil général de Vendée, présidé par le président du groupe UMP du Sénat, Bruno Retailleau, a dû retirer la crèche de Noël qu’il avait installée.
François Vignal
Public Sénat
08 déc 2014

Avant les fêtes de Noël, c’est une polémique que la droite avive volontiers. La semaine dernière, le conseil général de Vendée, présidé par le président du groupe UMP du Sénat, Bruno Retailleau, a dû retirer la crèche de Noël qu’il avait installée. Saisi par une association de défense de la laïcité, le tribunal administratif a motivé sa décision au nom du principe de séparation de l’Église et de l’État. La décision passe mal en Vendée, terre de tradition catholique forte, et chez une partie de la droite. « Bientôt, il faudra supprimer le mot Dieu de tout notre vocabulaire », ironise Pierre Charon, sénateur UMP de Paris, qui y voit une décision anti-chrétienne « au moment où ils sont martyrisés dans une partie du monde ». Ce sarkozyste renvoie à une réponse du ministère de l’Intérieur, datant de 2007, qui affirmait que « le principe de laïcité n’impose pas aux collectivités territoriales de méconnaître les traditions issues du fait religieux ». Le ministre était à l’époque Nicolas Sarkozy. Entretien.

Vous dénoncez la décision du tribunal administratif de Nantes qui a demandé au conseil général de Vendée de retirer la crèche de Noël qu’il avait installée. Pourquoi ?
J’ai été outré par cette décision et par celui qui l’a demandée. C’est une provocation. Nous avions déjà connu dans les années précédentes des demandes pour retirer les sapins de Noël, car ce serait un signe ostentatoire. Je trouve la décision du tribunal très agressive vis-à-vis du président du conseil général, surtout en Vendée. Bientôt, il faudra supprimer le mot Dieu de tout notre vocabulaire. C’est un peu insensé. Il faut arrêter les provocations.

Mais qu’est-ce qu’une crèche de Noël a à faire dans le hall d’un conseil général ou d’une mairie ?
Toutes les mairies mettent des sapins de Noël partout. Ou alors on décide d’enlever toutes les églises du pays, car c’est aussi un signe ostentatoire religieux. Il faut arrêter de répondre à quelques babas cool écervelés à un moment où tout ça est très crispant dans la société. On prend la décision de retirer une crèche juste avant Noël, alors que cette fête est uniquement féérique. Ça n’a rien à voir avec la religion. On devrait se demander si on supprime Noël dans ce cas. La connerie n’a pas de limites…

La laïcité impose pourtant une neutralité des bâtiments publics…
Il faut du discernement. C’est ça le vivre ensemble. La réponse du ministre de l’Intérieur à une question écrite en mars 2007 l’explique tout a fait. (NDLR : à une question de Jean-Luc Mélenchon, alors sénateur, au sujet d’une crèche installée par une mairie, le ministère de l’Intérieur, dirigé à l’époque par Nicolas Sarkozy, répond que « le principe de laïcité n’impose pas aux collectivités territoriales de méconnaître les traditions issues du fait religieux qui, sans constituer l’exercice d’un culte, s’y rattachent néanmoins de façon plus ou moins directe. Tel est le cas de la pratique populaire d’installation de crèches, apparue au XIIIe siècle. Tel est le cas aussi de la fête musulmane de l’Aïd-el-Adha ».) Sans discernement, on supprime tout. L’Hôtel-Dieu doit changer de nom dans ce cas… Les musulmans ne le demandent même pas. Ceux qui demandent cela sont des ramassis de gens hors-sol et anti-calotin. Il ne faut pas y céder.

Mais il y a aussi le préfet qui a demandé à Robert Menard, maire de Beziers, soutenu par le FN, de retirer la crèche qu’il a installée car elle contrevient « aux dispositions constitutionnelles et législatives garantissant le principe de laïcité »…
C’est une erreur. C’est souffler sur des braises.

Qualifieriez-vous ces décisions d’anti-chrétiennes ?
Oui, au moment où les chrétiens sont martyrisés dans une partie du monde, je crois qu’il faut arrêter. On ne va pas brûler les minarets et faire sauter les synagogues. Arrêtons les bêtises. Noël, c’est féérique et je crois qu’on doit croire au Père-Noël le plus longtemps possible.

Voir enfin:

[Entretien] Douglas Murray : l’Occident en ligne de mire

Une attaque en règle contre notre civilisation est en cours, alimentée par la haine de soi et l’antiracisme, avertit Douglas Murray.

Valeurs actuelles. Avortements forcés parfois tardifs jusqu’à il y a peu, internements forcés : la Chine est plus que critiquable en matière de droits de l’homme et bénéficie pourtant d’une étonnante indulgence. Seul l’Occident, en effet, semble responsable de tous les maux de la planète et focalise les critiques : il serait raciste, esclavagiste, patriarcal, discriminatoire…

Désormais, dénonce Douglas Murray dans son nouvel ouvrage, « l’Occident ne peut jamais bien agir tandis que le reste du monde ne pourrait jamais mal se comporter ». L’écrivain, journaliste et commentateur politique avait déjà commencé à évoquer sans concessions la disparition de la civilisation européenne dans son best-seller l’Étrange Suicide de l’Europe, immigration, identité, islam (L’Artilleur). Une réflexion percutante qu’il avait poursuivie avec la Grande Déraison, race, genre, identité (L’Artilleur) en exposant les dangers posés par la “politique de l’identité”, dont l’antiracisme.

Avec Abattre l’Occident, l’intellectuel britannique poursuit son analyse en montrant comment une véritable guerre est menée contre l’Occident par une partie de ses propres habitants. Un ouvrage coup de poing, qui illustre les aberrations idéologiques du système de pensée perverti qu’il dénonce à l’aide de nombreux exemples.

Vous faites le parallèle entre les attaques que subirait actuellement l’Occident avec les conflits du XXe siècle, notamment la guerre froide ?

​Douglas Murray. Comme au XXe siècle, une guerre a été déclarée contre l’Occident. Certes, elle est différente dans le sens où il s’agit d’une guerre culturelle destinée à combattre la tradition occidentale. Mais, un peu comme lors de la guerre froide, c’est le camp de la démocratie, des droits et des principes universels, de la raison qui se trouve menacé.

Bien sûr, les attaques contre l’Occident en ce moment sont différentes de la plupart des conflits précédents. Parce que ce sont des attaques qui sont portées sur nous-mêmes PAR nous-mêmes. Il y a de nombreuses variantes de l’antioccidentalisme. Il y a l’antioccidentalisme chinois, l’antioccidentalisme arabe et bien d’autres encore. Mais celui qui me préoccupe est l’antioccidentalisme occidental, c’est-à-dire l’attaque de nos propres fondements civilisationnels par des personnes issues de nos propres sociétés. Il s’agit d’une remise en question radicale de notre histoire et des éléments qui constituent les bases de notre fierté, de notre identité et de nos valeurs.

Même si des gens comme le Kremlin et le Parti communiste chinois (PCC) font tout pour en profiter, il s’agit d’abord d’une attaque que nous menons contre nous-mêmes. Alors qu’avant, nous étions fiers et que nous défendions notre culture occidentale, nous entendons désormais un discours acerbe selon lequel il faudrait la démanteler. On ne veut plus la transmettre, l’étudier, ou alors sous un angle biaisé et accusateur. En revanche, n’importe quelle culture qui n’est pas occidentale se retrouve célébrée et vénérée.

Pourquoi un tel autodénigrement ?

Si ce mépris de la culture occidentale se propage à grande échelle, c’est par ignorance : on n’apprend aux jeunes générations incultes que les parties sombres de son histoire, on en fait une lecture biaisée et on passe sous silence tous les apports qu’elle a pu donner à notre monde.

Nous avons offert de considérables avancées scientifiques, économiques, musicales, etc. La culture occidentale est celle qui vit s’épanouir le Bernin, Vinci, Michel-Ange, Mozart, Bach, La Fontaine, Pascal et tant d’autres. Elle fit sortir de la misère des millions d’individus et fit briller les lumières de l’esprit. Mais on apprend aux écoliers son rôle dans l’esclavage et ses autres fautes sans contrebalancer par ses richesses.

Les artisans de ce déséquilibre sont des idéologues qui voient le monde sous un rapport de domination et à travers la politique des identités. L’Occident est vu comme raciste et patriarcal et doit alors expier ses fautes.

Vous montrez comment cette haine de soi occidentale est exploitée sur le plan géopolitique…

Oui, le mal vient de l’intérieur, mais il est exploité de l’extérieur. Cette haine de soi est un mal typiquement occidental que certaines puissances sont ravies d’exploiter. Comme je le montre dans mon livre, les communistes chinois trouvent particulièrement commode d’être confrontés à un concurrent occidental qui ne cesse de répéter à quel point il est raciste. Pendant ce temps, le PCC peut s’en tirer notamment en envoyant au bas mot 1 million de personnes dans des camps de concentration. Par exemple, au cours d’une session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, au cours de l’été 2021, Zhao Lijian, porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois, a déclaré devant la presse internationale que le monde occidental devait faire un « examen de conscience profond » pour lutter contre le « racisme systémique » et « la discrimination raciale ». Et ce, alors qu’un certain racisme décomplexé existe en Chine… Le Parti communiste chinois transforme ainsi les faiblesses occidentales en armes.

Obsédés par nos fautes, nous sommes incapables de voir les atteintes aux droits de l’homme qui ont lieu dans certains pays et toute une compréhension du monde nous échappe.

J’ai parlé à des personnes qui ont souffert des régimes de Corée du Nord, de Chine, de Russie et de bien d’autres pays, et elles sont tout simplement stupéfaites que les pays les plus libres – les nôtres, en Occident – soient les plus obsédés par cette autocritique qui mène à l’autodénigrement, au dégoût de soi et finalement à l’automutilation. Obsédés par nos fautes, nous sommes incapables de voir les atteintes aux droits de l’homme qui ont lieu dans certains pays et toute une compréhension du monde nous échappe.

Vous montrez comment Karl Marx et Michel Foucault ont influencé cet antioccidentalisme. Pourtant, ils n’étaient pas de blanches colombes, loin de là. Comment expliquer l’indulgence dont ils bénéficient ?

Quant à Foucault, nous savons maintenant quelle personne épouvantable il était.

Tous deux étaient sans aucun doute des stylistes impressionnants, capables d’exposer avec force des idées qui étaient totalement absurdes. Cela requiert une certaine compétence. Comme je le mentionne dans mon livre, Marx était bien plus raciste que son époque. C’était un convaincu vraiment vicieux et désagréable. Pourtant, étrangement, les personnes qui se sont attaquées à tous les autres personnages historiques qui ne pensaient pas comme nous dans les années 2020 ne se sont pas encore attaquées à Marx. La raison en est évidente, bien sûr. Parce qu’ils l’admirent et veulent encore défendre ses idées. Une vision catastrophique et irréalisable. Quant à Foucault, nous savons maintenant quelle personne épouvantable il était. La révélation de ses abus sexuels sur de jeunes enfants en Afrique du Nord est à la fois choquante et sans surprise. Au cœur de ses idées, il y a une obsession absolue pour le pouvoir.

Le véritable principe d’organisation le plus puissant sur terre est l’amour.

Qui l’exerce et contre qui il est exercé. Bien sûr, Foucault est extrêmement contradictoire, mais il a fourni un cadre qui semble plaire à des personnes issues d’un large éventail de disciplines. Il est toujours l’un des penseurs les plus cités dans diverses écoles de pensée. J’espère que son temps sera bientôt révolu. Sa philosophie, telle qu’il la présente lui-même, est sauvagement anti-humaine et inadaptée à la tâche qui consiste à essayer de nous comprendre. Par exemple, considérer toutes les dynamiques humaines à travers le prisme du “pouvoir” est quelque chose qui ignore ce que je pense – et surtout ce que pensaient de grands penseurs comme Rilke -, à savoir que le véritable principe d’organisation le plus puissant sur terre est l’amour. Mais Foucault n’était pas très intéressé par cela. Ses disciples non plus. Et c’est un fait éloquent.

Nous vivons à l’ère du ressentiment.

La grande indulgence dont ils bénéficient doit sans doute au travail de sape que leurs travaux ont effectué sur les institutions occidentales. Si le racisme de Marx et les viols de Foucault sur des jeunes Orientaux restent passés sous silence, c’est parce qu’ils appartiennent au camp de la gauche politique. Et leurs œuvres continuent à être diffusées. Personne ne semble trouver à redire sur le fait que l’un des penseurs à l’origine du discours antioccidental satisfaisait son appétit sexuel en utilisant des jeunes mineurs autochtones dans des pays étrangers…

Vous mettez en garde contre les hommes de ressentiment, pourquoi ?

Eh bien, nous vivons à l’ère du ressentiment. Il faut toujours traiter Nietzsche avec beaucoup de prudence, et c’est ce que je fais, mais son travail sur la question dans la Généalogie de la morale est vraiment perspicace et d’une grande utilité pour notre époque. Par exemple, sa description des hommes gonflés par le ressentiment qui rouvrent des blessures depuis longtemps guéries et pleurent ensuite sur leur douleur. Cela ne vous rappelle-t-il pas un certain type de personnes aujourd’hui ?

Le problème des personnes qui se complaisent dans le ressentiment, c’est qu’elles peuvent toujours trouver d’autres personnes responsables de leurs maux. Il y a toujours quelqu’un ou quelque chose d’autre à blâmer. Il peut s’agir d’un parent. Il peut s’agir d’un problème “structurel” de la société. Pourtant, le plus souvent, le problème vient d’eux-mêmes. Comme le dit Nietzsche, quelqu’un doit se tenir droit face à ces personnes et dire : “Oui, quelqu’un a ruiné votre vie – cette personne, c’est vous. ” Mais qui accepterait une telle tâche ? Pour ma part, je tenterais de le faire si l’occasion devait se présenter.

Regardez toutes les choses dont nous avons hérité en Occident.

Comment sauvegarder ce que nous sommes ?

Comme je le dis dans ce qui est mon chapitre préféré de ce nouveau livre, la réponse à toutes ces choses est la “gratitude”. C’est la seule chose suffisamment profonde pour faire évoluer les gens loin du “ressentiment”. Je crois qu’il est crucial que nous réalisions que le ressentiment est l’un des moteurs les plus profonds de l’esprit humain, même si celui-ci est parfois déformé. Il doit être contré par quelque chose d’aussi profond, et je suggère que cette chose soit la gratitude. Regardez toutes les choses dont nous avons hérité en Occident.

J’étais à Paris, tout récemment, pour la première fois depuis trois misérables années. Le simple fait de se promener dans les rues de Paris fait naître – ou devrait faire naître – un profond sentiment de gratitude. Regardez ce qui nous a été donné. Regardez ce qu’on nous a donné, ce qu’on nous a laissé, ce qu’on nous a confié, ce dont nous devons nous montrer à la hauteur ! Tout cela pourrait être si différent.

Je peux me plaindre des choses qui ne sont pas exactement à mon goût en ce moment ou je peux avoir une saine gratitude.

J’ai grandi dans la paix, j’ai vécu la majeure partie de ma vie dans la paix et j’ai dû me rendre dans d’autres endroits pour voir la guerre. Je vis dans un pays doté d’un État de droit, d’une démocratie représentative, d’une grande culture et de bien d’autres choses encore. Je peux me plaindre des choses qui ne sont pas exactement à mon goût en ce moment ou je peux avoir une saine gratitude. Où est passé cet esprit ? Je crois qu’il est parti en fumée sous l’impulsion de penseurs comme Foucault et Marx. Mais je crois que nous pouvons le retrouver. Non seulement nous pouvons, mais nous devons.

Abattre l’Occident, de Douglas Murray, L’Artilleur, 432 pages, 22 €.


Capitale de Noël: La pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient (Decumanus maximus: Guess what could be Strasbourg’s oldest street from its Roman military camp days and who infamously got the blame for the advancing Black death while their money, properties and fine women were equally and happily divided among a motley crew of local guilds of artisans, workmen and heavily indebted local nobles ?)

1 janvier, 2023

La pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient est devenue la principale de l’angle. Psaume 118: 22
On dit que les Psaumes de la Bible sont violents, mais qui s’exprime dans les psaumes, sinon les victimes des violences des mythes : “Les taureaux de Balaam m’encerclent et vont me lyncher”? Les Psaumes sont comme une fourrure magnifique de l’extérieur, mais qui, une fois retournée, laisse découvrir une peau sanglante. Ils sont typiques de la violence qui pèse sur l’homme et du recours que celui-ci trouve dans son Dieu. René Girard
Le Père Noël a été sacrifié en holocauste. A la vérité le mensonge ne peut réveiller le sentiment religieux chez l’enfant et n’est en aucune façon une méthode d’éducation. Cathédrale de Dijon (communique de presse aux journaux, le 24 décembre 1951)
Comme ces rites qu’on avait cru noyés dans l’oubli et qui finissent par refaire surface, on pourrait dire que le temps de Noël, après des siècles d’endoctrinement chrétien, vit aujourd’hui le retour des saturnales. André Burguière
Il est généralement admis par les historiens des religions et par les folkloristes que l’origine lointaine du Père Noël se trouve dans cet Abbé de Liesse, Abbas Stultorum, Abbé de la Malgouverné qui traduit exactement l’anglais Lord of Misrule, tous personnages qui sont, pour une durée déterminée, rois de Noël et en qui on reconnaît les héritiers du roi des Saturnales de l’époque romaine » : dans l’Europe du Moyen-âge il était en effet de coutume à noël que les jeunes élisent leur « abbé », présidant à toutes sortes de comportements transgressifs mais provisoirement tolérés (filiation manifeste du roi des Saturnales romaines), et Lévi-Strauss voit dans cette élection réelle une généalogie du personnage mythique, devenu vieillard bienveillant (« l’héritier, en même temps que l’antithèse » (…) Grâce à l’autodafé de Dijon, voici donc le héros reconstitué avec tous ses caractères, et ce n’est pas le moindre des paradoxes de cette singulière affaire qu’en voulant mettre fin au Père Noël, les ecclésiastiques dijonnais n’aient fait que restaurer dans sa plénitude, après une éclipse de quelques millénaires, une figure rituelle dont ils se sont ainsi chargés, sous prétexte de la détruire, de prouver eux-mêmes la pérennité. (…) La croyance où nous gardons nos enfants que leurs jouets viennent de l’au-delà apporte un alibi au secret mouvement qui nous incite, en fait, à les offrir à l’au-delà sous prétexte de les donner aux enfants […] Les cadeaux de Noël restent un sacrifice véritable à la douceur de vivre, laquelle consiste d’abord à ne pas mourir. (…) Les cadeaux seraient donc une prière adressée aux petits enfants – incarnation traditionnelle des morts, pour qu’ils consentent, en croyant au Père Noël, « à nous aider à croire en la vie ». Claude Lévi-Strauss
Le Christkindelsmärik, ou « marché de l’enfant Jésus », est le nom donné en langue alsacienne au traditionnel marché de Noël qui se tient depuis 1570 à Strasbourg, en Alsace, et a été longtemps le seul en France. Il débute le premier samedi de l’Avent pour s’achever le 24 décembre au soir. Le Christkindelsmärik attire chaque année deux millions de visiteurs venus du monde entier. Le Christkindelsmärik de Strasbourg est l’un des plus anciens marchés de Noël, lesquels étaient une spécificité du monde germanique. Le plus célèbre était celui de Nuremberg, mais ceux de Francfort, Dresde et Berlin étaient aussi très réputés. Au Moyen Âge, un marché était organisé à Strasbourg en prévision de la fête de saint Nicolas le 6 décembre. C’est en effet à ce saint, évêque de Myre en Turquie au IVe siècle, que l’on attribuait le rôle de dispensateur de cadeaux aux enfants. Pour permettre aux parents de se procurer friandises et jouets, un marché, appelé en alsacien « Klausemärik », était alors installé quelques jours avant cette date. La Réforme protestante fut adoptée par la ville de Strasbourg en 1525 et, en 1570, dans la cathédrale alors affectée au culte protestant, le pasteur Johannes Flinner s’éleva en chaire contre l’usage de remettre des cadeaux aux enfants le jour de la Saint-Nicolas. Cette pratique, jugée « papiste », donnait à un saint le rôle valorisant de donateur. Le pasteur Flinner préconisa de confier symboliquement cette mission au Christ, sous la forme de l’enfant Jésus. Impressionné par ce sermon, le Conseil des XXI de Strasbourg décida le 4 décembre 1570 de supprimer la Saint-Nicolas, mais d’autoriser les commerçants à tenir leur marché trois jours avant cette date. On y trouvait des marchands de poupées et d’autres jouets, des ciriers (ou marchands de bougies et cierges en cire), des marchands de pain d’épices et de sucreries, mais ce marché était aussi une véritable foire annuelle, qui attirait à Strasbourg des marchands venus de loin. Les premiers efforts pour faire venir des touristes à Noël sont peu concluants : Germain Muller, dans son cabaret satirique strasbourgeois, présente même un sketch mettant en scène deux Parisiennes venues à Strasbourg pour fêter Noël le soir du 24 décembre et échouant sur le quai d’une gare quasi déserte, où le porteur leur explique que le marché de Noël est fermé, les illuminations éteintes et que les Strasbourgeois sont rentrés fêter Noël en famille. (…) la ville de Strasbourg s’autoproclame en 1992 « Capitale de Noël » et lance une importante campagne de promotion de l’événement, centrée sur l’attractivité du marché de Noël. Celui-ci est agrandi sur la place Broglie même et d’autres cabanes sont installées sur la place de la Cathédrale, place d’Austerlitz, jusqu’à onze lieux dans la ville. Trois cents commerçants et artisans, installés dans des chalets en bois d’un même modèle imposé par la municipalité contribuent à la renommée du marché et profitent de ses retombées économiques. Un nouveau rôle est attribué au Christkindelsmärik est d’être à la fois l’attraction majeure et le prétexte à une manifestation touristique qui prend chaque année davantage d’ampleur. (…) Dès 1996, des voix s’élèvent à Strasbourg pour dénoncer le développement exponentiel de ce marché et le « déferlement touristique » qu’il engendre. Des marchés inspirés par celui de Strasbourg s’implantent dans d’autres régions de France et la manifestation s’est exportée sous son label à Tokyo et Moscou. Un partenariat est en cours pour l’organisation d’un marché de Noël sur le modèle strasbourgeois à New York, et le sapin du Madison Square Garden a été décoré en 2014 par Antoinette Pflimlin, qui fut la décoratrice attitrée de celui de la place Kléber pendant vingt ans. Ces décentralisations du marché de Noël ont pour but d’attirer chaque année plus de touristes étrangers à Strasbourg. En décembre 2014, la ville de Strasbourg met à la disposition des touristes et des strasbourgeois un réseau Wi-Fi gratuit, disponible sur cinq places de Strasbourg. Wikipedia
À Strasbourg, ils sont plus de deux millions venus du monde entier à venir s’imprégner de cette ambiance si particulière à la fois conviviale, chaleureuse et magique. Le marché de Noël de Strasbourg est le plus vieux de France. Il a été créé en 1570 et relancé avec force par les acteurs alsaciens du tourisme en 1992 quand la ville de Strasbourg s’autoproclame capitale de Noël. Désormais, il s’exporte partout dans le monde. Le marché de Noël de Strasbourg-Mulhouse-Colmar va prendre place au cœur de Manhattan à New York, du 6 au 22 décembre prochain. Les années précédentes, il s’était installé à Tokyo (Japon), Moscou (Russie), Beijing (Chine), Taipei (Taïwan) ou encore Séoul (Corée du Sud). Le Progrès
A 19H10, l’immense sapin qui orne la place Kléber, dans le coeur historique de la ville, s’est illuminé sous les acclamations de la foule, mais dès 14H00, les rues de la « capitale de Noël » s’étaient animées avec l’ouverture de ce marché, le plus célèbre de France (…) où quelque 2 millions de visiteurs sont attendus. (…) Avec un budget qui devrait atteindre 4,5 à 5 millions d’euros pour ce marché, dont près d’un million pour la sécurité, Strasbourg attend environ 250 millions d’euros de retombées économiques. L’0bs
The suspicion arose that the Jews had poisoned the brooks and wells, and even the air, in order to annihilate the Christians of every country at one blow.  Heinrich Graetz (History of the Jews, 1894)They burnt the Jews on a wooden platform in their cemetery. There were about two thousand of them. (…) Everything (all debt) that was owed to the Jews was cancelled… The council…took the cash that the Jews possessed and divided it among the working-men proportionately. The money was indeed the thing that killed the Jews. If they had been poor and if the feudal lords had not been in debt, they would not have been burnt. Jakob Twinger von Konigshofen
The Rue des Juifs (Jew street) is the heart of the old Jewish quarter and one of Strasbourg’s oldest streets. Over 1,600 years old, it was the Roman east-west road. On the end of the street furthest from the Cathedral, number 30, between rue des Pucelles and rue de la Faisan, was the site of the twelfth century synagogue; the community’s bakery was at number 17, the Mikvah at the corner of rue des Charpentiers, the butcher shop at 22 rue des Charpentiers and the cemetery at the Place de la Republique. Number 15 was constructed in 1290 and is the only remaining building from this periods that was inhabited by a Jewish family. Beginning in 1587, this section of the rue des Juifs was known as Zum Judenbad (to the Jewish bath). In the heart of the Jewish quarter, at 20, rue des Charpentiers is a thirteenth century Mikvah. Discovered during excavations in the neighborhood, it is not yet completely restored and in a fragile state. On the other side of the River Ill at 23 Quai Saint Nicholas is the Musee Alsacien. Here you will find two rooms devoted to Alsacien Jewish objects along with a model shtiebel. Jewish library
Mais nos propres enfants aussi sont frappés par la peste. Juif de Strasbourg
Quand on a tué le fils de Dieu, on peut bien empoisonner un de ses enfants à soi, pour faire croire à son innocence : tout le monde sait combien les Juifs sont rusés. Herrmann (boucher de la Pfalz)
Dès l’aube, un vacarme indescriptible remplissait les rues de Strasbourg : c’était le bruit des troupes en marche, avançant au rythme de chants sauvages, accompagnés des cris de femmes déchaînées. Lorsqu’elle eut brisé les barrières qui fermaient l’entrée du quartier juif, la foule se précipita dans le ghetto. Hommes et femmes, enfants et vieillards furent égorgés sans pitié. Dans les maisons incendiées, des familles entières disparurent sans laisser trace. Compagnon tanneur
The Strasbourg massacre occurred on February 14, 1349, when several hundred Jews were publicly burnt to death, and the rest of them expelled from the city as part of the Black Death persecutions. This event was heavily linked to a revolt by the guilds five days previously, the consequences of which were the displacement of the master tradesmen, a reduction of the power of the patrician bourgeoisie, who had until then been ruling almost exclusively, and an increase in the power of the groups that were involved in the revolt. The aristocratic families of Zorn and Müllenheim, which had been displaced from the council and their offices in 1332, recovered most of their power. The guilds, which until then had no means of political participation, could occupy the most important position in the city, that of the Ammanmeister. The revolt had occurred because a large part of the population on the one hand believed the power of the master tradesmen was too great, particularly that of the then-Ammanmeister Peter Swarber, and on the other hand, there was a desire to put an end to the policy of protecting Jews under Peter Swarber. (…) The Jews especially had a vital role to play in this: people depended on their credit for large-scale investments, their supra-regional role as bankers ensured a positive balance of trade for Strasbourg, and they filled the city coffers through the taxes they paid. (…)  The new rulers of the city did not care about either the contract of protection with the Jews nor the financial losses for the city which resulted from the pogrom. The two deposed officials were left with the task of leading the Jews to the place of their execution, pretending to lead them out of Strasbourg. At this place, a wooden house had been built in which the Jews were burnt alive. Those Jews who were willing to get baptized as well as children and any women considered attractive were spared from the burning alive. The massacre is said to have lasted six days. (…) After getting rid of the Jews, the murderers distributed the properties among themselves, which suggests another motive for the murders. By killing the Jews, the debtors had the opportunity to restore themselves, which they used consistently. Many of those who promoted the overthrow were in debt of the Jews, and this shows the connection between the overthrow of the master tradesmen and the pogrom. Apart from Strasbourg nobles and citizens, Bishop Berthold von Buchegg was also indebted to the Jews, as were several of the landed gentry, even some sovereign princes such as the Margrave of Baden and the Count of Württemberg. The cash of the Jews was divided among the artisans by decision of the council, maybe as a sort of « reward » for their support in overthrowing the master tradesmen. This had probably been promised to the craftsmen in advance, and the prospect of a share of the Jews’ fortune may have motivated them even more to murder. After the distribution of the loot among the citizenry had been decided, they had to ensure that this would not be reclaimed by anyone. (…) Strasbourg made an alliance on 5 June 1349 with the bishop and the Alsatian rural nobility: the city would offer aid in times of war and promised to give back all bonds, and received the assurance that the bishop and nobles would support Strasbourg against anyone wanting to hold it to account for the murder of the Jews and confiscation of their assets. (…) With these measures, Strasbourg managed to retain complete control of the Jewish assets. In a deed of 12 July 1349, Charles IV also gave up his claims. Wikipedia
Sous les pavés, le sang
Devinez …
Sous ces pavés encore tout illuminés et enguirlandés du célèbre marché de Noël de Strasbourg
Alors que sur les pavés des villes ukrainiennes pleuvent les bombes des génocidaires de Moscou
Quelle pourrait être la plus ancienne rue de Strasbourg
Depuis son temps du camp militaire romain où, avec son chiffre au X barré, elle portait le nom de la rue est-ouest séparant les tentes de la 10e cohorte et de la 9ème cohorte … ?
Et quel sang d’un certain massacre de la Saint Valentin d’il y a 680 ans …
Quand alors que menaçait la pandémie de peste qui balayait l’Europe …
Et contre l’avis du Pape mais avec le pardon commode de l’Empereur  lui-même …
Une certaine communauté dont le petit enfant, sous la forme de Saint Nicolas ou grimé en Père Noël, a tant fait pour l’actuelle prospérité de la ville …
A fini sur le bûcher d’une populace terrifiée …
Pendant qu’également répartis entre eux, leurs argent, propriétés et belles femmes firent le bonheur d’une masse hétéroclite de guildes d’artisans, d’ouvriers et de nobles lourdement endettés ?
LE MASSACRE DE LA SAINT-VALENTIN
février 1349Lazare LANDAU
Extrait de l’Almanach du KKL Strasbourg 5718-1958

La vie des juifs dans l’Europe médiévale, si riche en aspects exaltants, est jalonnée aussi par des épisodes sanglants qui illustrent abondamment l’épithète de « barbare », si souvent accolée à la société médiévale d’Occident. Le massacre des juifs de Strasbourg, connu sous le nom de « massacre de la Saint-Valentin », apparaît comme le type de ces flambées de haine dont les manifestations ont ensanglanté le calvaire d’Israël au long des siècles passés.

Les premières décades du 14e siècle avaient été marquées dans le Saint Empire Germanique par des guerres et des troubles continuels, conséquences des luttes d’influence entre les nombreux princes allemands. Aux approches de l’an 1340, des bandes de brigands s’étaient formées en de nombreux pays relevant de l’Empire : elles pratiquaient sans risque leur sinistre industrie à la faveur de la disparition quasi-complète d’une autorité publique capable de faire régner l’ordre.

L’Alsace n’était pas épargnée par le fléau. Des groupes de brigands s’étaient constitués qui, sous la direction d’un certain Armleder, rançonnaient les habitants et mettaient le pays à feu et à sang. Les principaux seigneurs d’Alsace se décidèrent à une rigoureuse réaction collective. A cette fin, l’évêque de Strasbourg conclut alliance avec le Landgrave d’Alsace et les villes de la Décapole. Les coalisés prêtèrent le serment de sévir sans faiblesse contre les bandes d’Armleder et contre tous ceux qui s’étaient joints à lui dans l’intention de participer au massacre des Juifs entrepris par ses tueurs.

Les massacres de juifs étaient un phénomène assez fréquent dans le Saint-Empire pour laisser en paix la conscience publique. Celui qui commença vers 1347 revêtit pourtant une ampleur et une importance particulières. A son origine se trouvait l’apparition d’un fléau horrible, la peste noire, qui s’étant déclarée pour la première mois en Europe au cours de cette année, faisait d’effrayants ravages. Or, les Juifs étaient moins frappés par le fléau que les chrétiens. Cet apparent privilège était dû très probablement à leur pratique d’une morale sévère qui interdisait certains excès et à l’observance de lois alimentaires qui s’avérèrent en l’occurrence une sauvegarde précieuse contre la maladie.

Le bas-peuple pourtant ne l’entendit pas ainsi. Il donnait à la peste une interprétation lourde de menaces pour les Juifs. D’une part on disait que la peste noire était un châtiment envoyé par le Ciel pour punir les princes coupables d’avoir arrêté l’oeuvre d’extermination entreprise par Armleder ; d’autre part, on accusait formellement les juifs d’avoir provoqué le fléau en empoisonnant tous les points d’eau : sources, fontaines, citernes. La populace, ulcérée par les ravages du mal, cherchait un bouc-émissaire : les Juifs, comme il va de soi, étaient tout désignés pour ce rôle. Pour s’attaquer aux Juifs en toute quiétude, il fallait détenir des preuves de leur culpabilité : on en trouva sans peine. Des juifs torturés à Wintzenheim avouèrent tout ce que les tortionnaires voulaient. Désormais, on pouvait passer aux actes : les Juifs le savaient et vivaient dans l’angoisse. A Strasbourg, à l’approche du mois d’Adar – au début de l’année 1349 – aucun Juif ne se risquait plus dans la rue. Le Stettmeister de Strasbourg, désireux de protéger ses Juifs contre les violences de la populace, ordonna la fermeture du quartier juif. Des pays de l’Empire, comme des régions voisines, des nouvelles alarmantes atteignirent les juifs d’Alsace. Des massacres atroces endeuillaient jour après jour des communautés de Suisse, de Rhénanie et de Haute-Alsace. Les seigneurs alsaciens, inquiétés par ce mouvement dont ils n’avaient pas le contrôle, se réunirent en congrès à Benfeld pour aviser aux moyens les plus propices à rétablir l’ordre. Mais ils se contentèrent d’appeler la populace au calme, sans se faire illusion sur la valeur de cette manifestation. Brusquement, la situation atteignit un degré d’extrême gravité en Basse-Alsace.

Du jour au lendemain, la situation des juifs était devenue intenable à Strasbourg. Non pas, certes, du fait du gouvernement strasbourgeois : Sturm et Kuntz de Winterthur, les deux Stettmeister, jouissaient de, même que l’Ammeister (chef de corporations de métiers) Pierre Schwarber, de la réputation d’hommes justes et honnêtes dont les Juifs n’avaient rien à craindre. Mais les corporations des métiers – très puissantes ici – et la populace, travaillées par des agitateurs fanatiques, nourrissaient des sentiments très différents de ceux des gouvernants. Dès le 9 février, les députés des corporations demandaient à l’Ammeister – magistrat comparable au maire de l’époque moderne – l’arrestation de tous les Juifs et leur mise en jugement. Pierre SCHWARBER, non seulement repoussa cette requête, mais encore il prononça un discours empreint de grave noblesse pour apaiser la populace déchaînée. Les députés furieux répondirent par des insultes au discours de l’Ammeister : « Ne le savait-on depuis longtemps vendu aux Juifs ? » Pierre Schwarber n’était pas homme à tolérer les écarts de langage des trublions : sur-le-champ, il les fit arrêter tous.

Un seul député du groupe parvint à prendre la fuite et son action fut décisive. Sans tarder, il ameuta les corporations qui, toutes, répondirent à son appel en se réunissant, avec la noblesse, place de la Cathédrale. On délibéra sur la conduite à tenir envers les juifs. Bouchers et tanneurs étaient les adversaires les plus acharnés des Juifs parce qu’ils avaient contracté envers eux des dettes considérables : ils espéraient liquider en même temps créances et créanciers. Les deux Stettmeister vinrent assister à la réunion, place de la Cathédrale. Ils y furent très mal accueillis. Alors qu’ils appelaient la foule au calme, ils furent grossièrement insultés et accusés à leur tour de corruption.

Le massacre des Juifs de Strasbourg

Le 10 février marque une étape décisive dans l’évolution de l’émeute strasbourgeoise. Ce jour, en effet, les émeutiers se rendirent maîtres du gouvernement de la petite république. Ils s’empressèrent de proclamer la déchéance des magistrats qui passaient pour être favorables aux juifs : Sturm, Kuntz de Winterthur et surtout de l’Ammeister Pierre Schwarber, la bête noire de la populace. Les insurgés nommèrent Ammeister le boucher Betschold, connu pour être l’ennemi juré des Juifs. A cette nouvelle, de nombreux juifs quittèrent Strasbourg à la hâte, cependant que d’autres cherchaient, dans la ville même, un refuge chez des Chrétiens.

Au cours des jours suivants, les émeutiers s’efforcèrent de donner une apparence légale à la situation créée par leur coup de force. Le 13 février ils installèrent un nouveau sénat peuplé de leurs créatures. Pierre Schwarber, l’Ammeister intègre, fut durement frappé par les vainqueurs. Condamné au bannissement perpétuel, à la confiscation de tous ses biens, il se voyait en outre déchu de la qualité de bourgeois de Strasbourg. Pendant que les assemblées nouvelles prenaient ces mesures, la multitude déchaînée grondait dans les rues : une catastrophe paraissait désormais inévitable.

Elle se produisit, totale, le 14 février, jour de la Saint-Valentin. Les chroniques de Clossner et de Kœnigshoffen rapportent, sur cette journée, le témoignage, émouvant dans sa simplicité, d’un compagnon tanneur qui assista impuissant aux scènes atroces qui ensanglantèrent alors la ville.

« Dès l’aube, un vacarme indescriptible remplissait les rues de Strasbourg : c’était le bruit des troupes en marche, avançant au rythme de chants sauvages, accompagnés des cris de femmes déchaînées. Lorsqu’elle eut brisé les barrières qui fermaient l’entrée du quartier juif, la foule se précipita dans le ghetto. Hommes et femmes, enfants et vieillards furent égorgés sans pitié. Dans les maisons incendiées, des familles entières disparurent sans laisser trace. »

Le témoin auquel nous avons fait allusion plus haut, rapporte un dialogue touchant entre un chef de famille juif et l’un des assassins. Comme le prétexte du massacre résidait dans la prétendue responsabilité des juifs dans la propagation de la peste noire, le juif s’écria : « Mais nos propres enfants aussi sont frappés par la peste ». A quoi le gros Herrmann, le boucher de la Pfalz, répliqua : « Quand on a tué le fils de Dieu, on peut bien empoisonner un de ses enfants à soi, pour faire croire à son innocence : tout le monde sait combien les Juifs sont rusés ».

Malgré l’ampleur du massacre, des juifs assez nombreux – on parle de plusieurs milliers – avaient survécu. Ils furent tous rassemblés et traînés au cimetière juif. Là s’élevait un grand bûcher auquel on mit le feu. La foule s’acharna avec prédilection sur les petits enfants juifs : ils recevaient le baptême avant d’être jetés au bûcher. Les chroniqueurs relèvent avec admiration la noble attitude des femmes juives : elles arrachaient leurs enfants aux mains des baptiseurs pour les jeter sur le bûcher où elles les suivaient aussitôt.

Sur cette vision dantesque s’achève le récit de notre tanneur. Il témoigne durement contre l’état d’esprit du petit peuple strasbourgeois, prompt aux entraînements irréfléchis et aux atrocités barbares accomplies joyeusement derrière le fallacieux prétexte de la culpabilité juive dans les grands fléaux qui, périodiquement, frappaient l’Occident médiéval. Le courage tranquille des juifs, l’héroïsme des mères, méritent une admiration qui ne soit pas de pure convention. Si le souvenir du massacre de la Saint-Valentin doit demeurer vivace parmi nous, c’est que si nos ancêtres ont su avec simplicité mourir pour une idée, il vaut sans doute aussi la peine de vivre pour elle.

Voir aussi:

Dr. Yvette Alt Miller
Aish

On Valentine’s Day 1349 thousands of Jews were burned to death, accused of poisoning wells.

Most people associate February 14 with love and romance. Yet hundreds of years ago Valentine’s Day saw a horrific mass murder when 2,000 Jews were burned alive in the French city of Strasbourg.

The year was 1349 and the Bubonic Plague, known as the Black Death, was sweeping across Europe, wiping out whole communities. Between 1347 and 1352, it killed millions of people. Historian Ole J. Benedictow estimates that 60% of Europeans died from the disease. One Italian writer recorded what the plague did to the city of Florence, where he lived: “All the citizens did little else except to carry dead bodies to be buried… At every church they dug deep pits down to the water-table; and thus those who were poor who died during the night were bundled up quickly and thrown into the pit.”

Bubonic Plague is caused by a bacterium called Yersinia pestis and is most commonly spread by fleas that live on rodents like rats and mice. The disease still exists, and sickens thousands of people each year, including a handful of people in the United States and other developed countries. Caught early, Bubonic Plague is treatable with modern medicines. In the Middle Ages, of course, no medical treatment existed to mitigate the Plague’s devastating effects. It’s estimated that about 80% of people who contracted the Plague in Medieval Europe died.

The first major European outbreak of Plague occurred in Messina, Italy, in 1347, and it spread rapidly from there. Historians estimate that the largest wave of Bubonic Plague – the pandemic that was dubbed The Black Death – originated in Central Asia. As it began sweeping through European communities, terrified people cast about for someone to blame. Jews were a natural choice. As the Black Death advanced, Christians turned on the Jews in their midst, accusing them of spreading the Plague by poisoning Christian people’s wells.

Jews, often forced into overcrowded and fenced-in Jewish quarters, suffered from the Black Death at rates comparable to their Christian neighbors. Yet even though it was apparent that Jews were sickening and dying as well, many Christians leapt to accuse Jews of deliberately spreading the disease to harm Christians. Historian Heinrich Graetz described the fevered atmosphere of hate and accusations leveled at European Jews: “…the suspicion arose that the Jews had poisoned the brooks and wells, and even the air, in order to annihilate the Christians of every country at one blow”. (Detailed in Graetz’s History of the Jews, 1894).

Jewish communities found themselves under attack. Of the approximately 363 Jewish communities in Europe at the time, Jews were attacked in fully half of them by mobs blaming them for spreading the Plague.

These attacks were horrifically violent. In Cologne, Jews were locked into a synagogue which was then set on fire. In Mainz, the entire town’s sizeable Jewish community was murdered in just one day. Jews were massacred and tortured across Europe, in Spain, Italy, France, the Low Countries, and the Germanic Lands. Emperor Charles IV, the Holy Roman Emperor, decreed that the property of Jews murdered for supposedly spreading the Plague could be seized by their Christian neighbors with impunity. With this financial incentive to kill Jews, the attacks only intensified.

In 1349, a group of feudal lords in the Alsace region of what is, today, France, attempted to make the attacks on Jews official. They assembled in the French town of Benfeld, and formally blamed Jews for the Black Death. They also adopted a series of steps to target Jews, singling Jews out for murder and calling for them to be expelled from towns. This “Benfeld Decree” had an immediate effect as Jews in thirty communities across Alsace were attacked. Only the city of Strasbourg, which had a large Jewish community, resisted, protecting their city’s Jews.

The atmosphere in Strasbourg in early 1349 was tense. The Black Death had not yet reached the city, though anxious citizens awaited the first case of victims to sicken and die any day. Strasbourg’s Bishop Berthold III railed against Jews, but the city’s elected officials held firm. Mayor Kunze of Wintertur, Strasbourg’s sheriff, Gosse Sturm, and a local lay leader named Peter Swaber all vociferously defended and protected Strasbourg’s Jews.

On February 10, 1349, the restless citizens finally had enough. A mob rose up and overthrew Strasbourg’s city government, installing an unstable government “of the people” instead. This hateful group that was now in charge was a strange amalgam: led by the local guilds of butchers and tailors, it was financially backed by local nobles who hated the Jews and hoped to seize their property. One of this new mob’s first acts was to arrest the city’s Jews on the charge of poisoning Christian wells in order to spread the Black Death.

The Black Death

Friday, February 13, 1349 was a black day for Strasbourg’s Jews. Normally, they would have spent the day preparing for Shabbat, baking challah, cleaning their homes and preparing festive meals. Instead, under heavy armed guard, women, children and men were dragged from their homes, imprisoned, and charged with murder. Any Jew who was willing to convert to Christianity would be spared, they were told. As the terrified Jews awaited their fate, the city’s new governors were building a huge wooden platform that could hold thousands of people inside the Jewish cemetery. For the Jews, the next day was Shabbat. For Strasbourg’s Christian citizens, the next day was February 14, St. Valentine’s Day. They designated this saint’s day as the date on which they would execute Strasbourg’s entire Jewish population.

In the morning of Valentine’s Day, a large crowd assembled to watch. A local priest named Jakob Twinger von Konigshofen recorded the grisly massacre: “they burnt the Jews on a wooden platform in their cemetery,” he wrote. “There were about two thousand of them.” Some young children were yanked away from their parents’ arms, and saved so that they could be baptized and raised as Christians. For most Jews, however, no such aid arrived. As the enormous wooden structure went up in flames, around 2,000 thousand Jews were slowly burned alive.

Their murder took hours. Afterwards, eager townspeople combed through the smoldering ashes, not searching for survivors, but looking for valuables. von Konigshofen recorded the financial motive for this enormous massacre: “…everything (all debt) that was owed to the Jews was cancelled… The council…took the cash that the Jews possessed and divided it among the working-men proportionately. The money was indeed the thing that killed the Jews. If they had been poor and if the feudal lords had not been in debt, they would not have been burnt.”

Strasbourg’s mob government and citizens faced no criticism. A few months later, Emperor Charles IV officially pardoned the citizens of Strasbourg for killing their town’s Jews and for stealing their money.

With the passage of so much time, many have seemed to forget the cataclysm of violence that led to the torture and murder of so many Jews during the Black Death. Yet we owe it to the victims to remember.
Voir aussi:
Strasbourg massacre
Wikipedia
The Strasbourg massacre occurred on February 14, 1349, when several hundred Jews were publicly burnt to death, and the rest of them expelled from the city as part of the Black Death persecutions.

Starting in the spring of 1348, pogroms against Jews had occurred in European cities, starting in Toulon. By November of that year they spread via Savoy to German-speaking territories. In January 1349, burnings of Jews took place in Basel and Freiburg, and on 14 February the Jewish community in Strasbourg was destroyed.

This event was heavily linked to a revolt by the guilds five days previously, the consequences of which were the displacement of the master tradesmen, a reduction of the power of the patrician bourgeoisie, who had until then been ruling almost exclusively, and an increase in the power of the groups that were involved in the revolt. The aristocratic families of Zorn and Müllenheim, which had been displaced from the council and their offices in 1332, recovered most of their power. The guilds, which until then had no means of political participation, could occupy the most important position in the city, that of the Ammanmeister. The revolt had occurred because a large part of the population on the one hand believed the power of the master tradesmen was too great, particularly that of the then-Ammanmeister Peter Swarber, and on the other hand, there was a desire to put an end to the policy of protecting Jews under Peter Swarber.

Causes

Anti-Semitism in the population

The causes of the increased anti-semitism are easy to make out. Its development found fertile territory in the religious and social resentments against Jews that had grown deeper over the centuries (with allegations such as host desecration, blood libel, and deicide).

Through their role as money-lenders, one of the few roles available to Jews, who were forbidden by local and often canon law, to own land or to be farmers, the Jews took an important position in the city’s economy. However, this brought serious problems. The chroniclers report that the Jews were criticised for their business practices: they were said to be so arrogant that they were unwilling to grant anyone else precedence, and those who dealt with them, could hardly come to an agreement with them. This supposed ruthlessness of the Jews did not, however, derive from any particular hard-heartedness, but was rather due to the huge levies and taxes that they were made to pay, mostly in exchange for protection. Formally, the Jews still belonged to the King’s chamber, but he had long since ceded these rights to the city (the confirmation of the relevant rights of the city by Charles IV occurred in 1347). Strasbourg therefore took in the most part of the Jews’ taxes, but in exchange had to take over their protection (the exact amount of the taxes was determined by written agreements). In order to satisfy the city’s demands, the Jews therefore had to do business accordingly, but in doing so further increased the population’s, and certainly the debtors’, anti-Semitism.

With the threat of Black Death, there were also accusations of well poisoning, and some who now openly called for the burning of Jews.

The government’s policy of protecting Jews

Unlike the majority of the population, the council and the master tradesmen remained committed to the policy of protecting the Jews and attempted to calm the people and prevent a pogrom. The Catholic clergy had been advised by two papal bulls of Pope Clement VI the previous year (July and September 1348) to preach against anyone accusing the Jews of poisoning wells as « seduced by that liar, the Devil. »

Tactical measures

At first the council tried to rebut the claims of well poisoning by initiating court proceedings against a number of Jews and torturing them. As expected, they did not confess to the crimes. Despite this, they were still killed on the breaking wheel. Furthermore, the Jewish quarter was sealed off and guarded by armed persons, in order to protect the Jews from the population and possible over-reactions. The master tradesmen wanted to maintain the legal process with respect to the Jews; in their situation in which they themselves increasingly came under attack, this was a matter of self-preservation and holding on to power. A pogrom could easily escalate and turn into an uncontrollable revolt of the people. How seriously this threat of revolt was taken is shown by a letter from the city council of Cologne on 12 January 1349 to the leaders of Strasbourg, which warned that such riots by the common people had led to much evil and devastation in other towns. Furthermore, this unrest could give the opponents the possibility of taking power themselves. The bourgeoisie had after all come to occupy the leading political positions in a similar way, when they had used the dispute between the Zorn and Müllenheim noble families to their advantage.

The duty to protect the Jews

As the de facto master over the Jews, the city had a duty to protect them, especially since they paid significant amounts of money in exchange for this. Peter Swarber also pointed to this: the city had collected the money and had given in return a guarantee for their security—with a letter and a seal. The city must fulfill this duty towards the Jews. He, therefore could not and would not agree to an extermination of the Jews, a stance in which he was undoubtedly strengthened by the fear of the adverse effects on the economic development of the city. A weakening of the city would also mean a weakening of the patrician bourgeoisie, which was reliant on stable political conditions and a healthy city economy for their long-distance trade. The Jews especially had a vital role to play in this: people depended on their credit for large-scale investments, their supra-regional role as bankers ensured a positive balance of trade for Strasbourg, and they filled the city coffers through the taxes they paid. There were reasons enough, therefore, to remain attached to the policy of protecting the Jews.
Overthrow

The motivations of the master tradesmen were concealed from the people of Strasbourg. Instead, they thought another reason far more likely: there were rumours that the master tradesmen had allowed themselves to be bribed by the Jews, which was why they were protecting them so determinedly against the will of the majority. It was therefore seen as important to first remove the masters from power, which would allow the majority to push through the will of the people.
Rebellion of the artisans

The chronicles have delivered a detailed overview of the process of the displacement of the masters. On Monday 9 February, the artisans gathered in front of the cathedral and, in front of the crowd, informed the masters that they would not allow them to remain in office anymore, as they had too much power. This action appears to have been organised beforehand among the guilds, since they had their guild banners with them and also appeared organised by guilds. The masters attempted to persuade the artisans to break up the assembled crowd—without success—but made no moves to comply with the rebels’ demands. The artisans, after an exhaustive debate which involved not only the guilds’ representatives but also the most eminent of the knights and citizens, decided to make a new attempt. It now became finally clear to the masters that they had no support any more, and so they gave up their posts. One craftsman became Ammanmeister, namely « Betscholt der metziger. » The guilds had thereby attained their goal: the last obstacle to their demand of destroying the Jews was pushed aside, and they now had increased possibilities of participating in town politics. This had previously been denied to them, although in 1332 they had helped the bourgeois patricians to get a position of power.
Organisers of the coup

The noble families of Zorn and Müllenheim, who had been forced from power at that time, tried to regain their old position of power, but in order to do this they had to cooperate with the guilds. In the chronicles, this cooperation comes across again and again: the noble families brought their weapons at the same time as the craftsmen when the latter assembled before the cathedral, they were involved with the debates during the rebellion, and it was noblemen who put the demands to the masters, in the name of the artisans. The nobles cooperated not only with the guilds, but also with the Bishop of Strasbourg. This is proved by a meeting which took place one day before the rebellion and which concerned the « Jewish issue. » This meeting can only have revolved around the method of getting rid of the Jews; the fact that they had to go had already been decided a month previously. On that occasion, the Strasbourg bishop, representatives of the cities of Strasbourg, Freiburg and Basel, and Alsatian local rulers met in Benfeld, in order to plan their actions towards the Jews. Peter Swarber was in fact aware of this agreement by the bishop and Alsatian nobles, which is why he warned: if the bishop and the nobles were successful against him in the « Jewish issue », they would not rest until they were also successful in other cases. But he was not able to dissuade from the anti-Jewish stance.
Result of the coup

Through the coup, the old noble families regained a great deal of their former power, the guilds regained their political participation, and many expected an anti-Semitic policy from the new political leadership (whereas between 1332 and 1349 not one nobleman had held the office of a master, now two of four town masters were nobles). The demand to reduce the power of the masters was also granted. The old masters were punished (the town masters were banned from election to the council for 10 years, the hated Peter Swarber was banished, his assets confiscated), the council was dissolved and reconstituted in the next three days, and the pogrom began a day later.
The pogrom

The new rulers of the city did not care about either the contract of protection with the Jews nor the financial losses for the city which resulted from the pogrom. The two deposed officials were left with the task of leading the Jews to the place of their execution, pretending to lead them out of Strasbourg. At this place, a wooden house had been built in which the Jews were burnt alive. Those Jews who were willing to get baptized as well as children and any women considered attractive were spared from the burning alive. The massacre is said to have lasted six days.
Result

After getting rid of the Jews, the murderers distributed the properties among themselves, which suggests another motive for the murders. By killing the Jews, the debtors had the opportunity to restore themselves, which they used consistently. Many of those who promoted the overthrow were in debt of the Jews, and this shows the connection between the overthrow of the master tradesmen and the pogrom. Apart from Strasbourg nobles and citizens, Bishop Berthold von Buchegg was also indebted to the Jews, as were several of the landed gentry, even some sovereign princes such as the Margrave of Baden and the Count of Württemberg. The cash of the Jews was divided among the artisans by decision of the council, maybe as a sort of « reward » for their support in overthrowing the master tradesmen. This had probably been promised to the craftsmen in advance, and the prospect of a share of the Jews’ fortune may have motivated them even more to murder.
Securing Jewish property

After the distribution of the loot among the citizenry had been decided, they had to ensure that this would not be reclaimed by anyone. For King Charles IV started to play politics with the Strasbourg Jewish legacy, by granting large-scale debt repayments for Jews. It is possible that the few Strasbourg Jews who were still alive also wanted to redeem their rights to the property. Counter-measures were therefore decided. Strasbourg made an alliance on 5 June 1349 with the bishop and the Alsatian rural nobility: the city would offer aid in times of war and promised to give back all bonds, and received the assurance that the bishop and nobles would support Strasbourg against anyone wanting to hold it to account for the murder of the Jews and confiscation of their assets. The Strasbourg council demanded that its allies should also take action against the Jews. In fact, it even tried to force those towns and nobles who did not do so to take action via the Landfrieden. With these measures, Strasbourg managed to retain complete control of the Jewish assets. In a deed of 12 July 1349, Charles IV also gave up his claims.
Political dimension of the massacre in the Empire

In the Late Middles Ages, Strasbourg was the most important city on the Upper Rhine. Since it had rid itself of rule by the bishop in 1262, the city was autonomous and effectively enjoyed Imperial immediacy. Thus, the throne disputes between the House of Luxembourg (with Charles IV) and the House of Wittelsbach (with Louis IV (until 1347) and Günther von Schwarzburg) also played out on the level of city politics, inasmuch as both sides tried to form alliances. The bourgeois-patrician leadership was on the Wittelsbachs’ side until Louis’ death, after which they supported Charles IV, the city’s nobility on the other hand now supported Günther von Schwarzburg.

The contrasts of both groups are also reflected in the throne dispute. Through this, the Schutzjuden (« protected Jews ») became a politically misused power instrument. The disputes brought huge costs, which and these were partly offset by selling of the royal rights concerning the Jews. Thus curious situation came about in Strasbourg that the kingdom’s Jewish right had been given by the rivals to different individuals (Charles IV sold it on 12 December 1347 to the Count of Öttingen, Günther sold it on 2 January 1349 to the Counts of Katzenelnbogen). Therefore there was now legal uncertainty, as it was not clear who was responsible for protecting the Jews.
Voir par ailleurs:

Le marché de Noël de Strasbourg est ouvert, Castaner affiche sa « sérénité »

L’OBS/AFP

Strasbourg (AFP) – Un an après l’attentat sanglant qui avait endeuillé le célèbre marché de Noël de Strasbourg le 11 décembre 2018, Christophe Castaner a affiché vendredi sa « sérénité », déambulant dans les allées le jour même de l’ouverture, tandis que les touristes commençaient à admirer décorations et illuminations.

« Le message que nous voulons passer (est) celui de la sérénité et du sentiment que nos forces seront totalement engagées aux côtés des élus pour que l’événement international qu’est le marché de Noël se passe bien », a souligné le ministre de l’Intérieur.

Même s’il n’existe « aucune inquiétude particulière pour Strasbourg », le « risque terroriste est permanent en France et reste à un niveau élevé », a encore observé Christophe Castaner.

Puis il a repris cette déambulation de plus d’une heure parmi les 300 chalets du marché, dégustant un vin chaud et se prêtant de bonne grâce au jeu des selfies, mais remerciant aussi les nombreux membres des forces de l’ordre rencontrés pour leur « présence rassurante et leur engagement ». Parmi elles, des sections d’intervention antiterroristes ou les soldats de l’opération Sentinelle.

Selon le ministre, ce sont « près de 760 personnes, hommes, femmes, de la police, de la gendarmerie, de la Sécurité civile, des sapeurs-pompiers, de la police municipale, de l’armée qui seront mobilisées pour garantir » la sécurité du marché de Noël jusqu’au 30 décembre.

A 19H10, l’immense sapin qui orne la place Kléber, dans le coeur historique de la ville, s’est illuminé sous les acclamations de la foule, mais dès 14H00, les rues de la « capitale de Noël » s’étaient animées avec l’ouverture de ce marché, le plus célèbre de France.

« Il est bon ? » demande une vendeuse dans son chalet à Fabienne et sa fille Solène, venues de Nice, qui dégustent dès l’ouverture des chalets leur premier verre de jus de pomme chaud dans le quartier touristique de la Petite France. « C’est vraiment très joli et en plus dans plusieurs quartiers différents, c’est très sympa », se réjouit Fabienne, ravie de l’ambiance bon enfant.

Ce marché, « c’est l’émerveillement des petits et des grands et même des personnes âgées », résume Christiane pendant que son compagnon Dany prend en photo le sapin de la place Kléber.

« L’attentat, on y pense mais cela ne nous arrête pas, il faut sortir quand même, se serrer les coudes, ne pas extérioriser la peur, sinon ils auront gagné », ajoute cette retraitée strasbourgeoise.

– Vin chaud –

Sous les odeurs de vin chaud affleure pourtant le souvenir du soir où Cherif Chekatt avait semé la terreur dans les ruelles du centre, à l’heure où le marché de Noël s’apprêtait à fermer.

Armé d’un pistolet et d’un couteau, il avait tué cinq hommes et blessé une dizaine de personnes avant d’être tué par une patrouille de police après deux jours de cavale.

Le 11 décembre, une journée d’hommage sera organisée en souvenir des victimes de l’attentat, moment d’émotion à mi-course du marché de Noël. Vendredi soir, le maire de Strasbourg Roland Ries leur a dédié cette 450e édition de la manifestation, où quelque 2 millions de visiteurs sont attendus.

Cette année, les mesures de sécurité ont encore été renforcées, qu’il s’agisse des effectifs des forces de l’ordre ou du filtrage des visiteurs sur les ponts qui conduisent au centre historique.

La crainte du terrorisme ne semble pourtant pas avoir découragé les visiteurs, pour la plupart convaincus que les attentats peuvent se dérouler « n’importe où ».

« Les tendances sont bonnes, on a une montée en charge des réservations qui est très encourageante pour l’ensemble de la saison des marchés de Noël, mais on a toujours une inquiétude à cause de la grève SNCF du 5 décembre », explique Pierre Siegel, du Groupement des hôteliers, restaurateurs et débitants de boissons du Bas-Rhin.

« Vous voir aussi nombreux ce soir, ça montre qu’on est forts et qu’on ne lâchera rien ! », a lancé vendredi soir à la foule la marraine des illuminations de cette édition, la chanteuse Chimène Badi, avant d' »allumer » une à une les rues de la ville à l’aide d’une baguette magique.

Avec un budget qui devrait atteindre 4,5 à 5 millions d’euros pour ce marché, dont près d’un million pour la sécurité, Strasbourg attend environ 250 millions d’euros de retombées économiques.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Twitter files: Toutes les caractéristiques classiques d’une opération de désinformation (What classic earmarks of an information operation when Big Tech colludes with intelligence officials to interfere in elections by suppressing or restricting information ?)

10 décembre, 2022

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