La pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient est devenue la principale de l’angle. Jésus
Soyez fils de votre Père qui est dans les cieux; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. Jésus
Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus. Paul
Qu’on n’en appelle pas à la providence de l’Etat, car l’Etat est postérieur à l’homme. Avant qu’il pût se former, l’homme déjà avait reçu de la nature le droit de vivre et de protéger son existence. Léon XIII
William Temple, archevêque d’York se rend célèbre en 1941 par les résolutions de Malvern, où il explique que la concentration des principales ressources industrielles entre les mains de quelques grands propriétaires privés peut constituer un obstacle au développement de la vie chrétienne. En 1942, il est nommé archevêque de Canterbury. Il publie alors Christianisme et Ordre social, qui se présente sous forme de conversations avec Keynes. Ils demandent des allocations familiales, une politique des logements, des congés payés et une élévation de l’âge de la scolarité. Il a favorisé le ralliement d’une partie des anglicans à l’esprit du WS et sa mort prématurée en 1944 est un désastre pour de nombreux anglais.Mathieu Marmouget
Notre monde est de plus en plus imprégné par cette vérité évangélique de l’innocence des victimes. L’attention qu’on porte aux victimes a commencé au Moyen Age, avec l’invention de l’hôpital. L’Hôtel-Dieu, comme on disait, accueillait toutes les victimes, indépendamment de leur origine. Les sociétés primitives n’étaient pas inhumaines, mais elles n’avaient d’attention que pour leurs membres. Le monde moderne a inventé la « victime inconnue », comme on dirait aujourd’hui le « soldat inconnu ». Le christianisme peut maintenant continuer à s’étendre même sans la loi, car ses grandes percées intellectuelles et morales, notre souci des victimes et notre attention à ne pas nous fabriquer de boucs émissaires, ont fait de nous des chrétiens qui s’ignorent.René Girard
L’expression « État-providence » aurait été employée pour la première fois dans un sens péjoratif par le député Emile Ollivier en 1864, afin de dévaloriser la solidarité nationale organisée par l’État par rapport aux solidarités professionnelles traditionnelles. (…) Pourtant, en France, l’État s’est longtemps limité à un rôle d’assistance : jusqu’au début du XXème siècle, en effet, la bienfaisance publique a remplacé la charité de l’Eglise chrétienne, mais demeure réservée aux personnes dans l’incapacité de travailler (enfants, vieillards et infirmes). La protection des travailleurs repose sur la prévoyance individuelle, ou sur une protection collective d’initiative privée (mutuelles de salariés, institutions patronales). C’est à la fin du XIXème siècle que se substituent dans certains pays d’Europe les premiers systèmes d’assurance sociale (destinés à protéger les salariés contre les risques liés à la vieillesse, à la maladie ou aux accidents du travail) aux anciens systèmes fondés sur l’assistance. Une première ébauche de l’État-providence (le Sozialstaat ou « État social ») voit le jour en Allemagne. Le chancelier Bismarck y met en place un système d’assurances sociales afin de contrer l’influence grandissante du socialisme au sein d’une classe ouvrière en plein développement. (…) Initialement destinées aux ouvriers dont les revenus ne dépassent pas un certain plafond, ces assurances sociales sont progressivement étendues aux autres catégories professionnelles, tout en restant soumises à des conditions de ressources. Cette première grande conception de l’État-providence, fondée sur l’assurance des revenus du travail, se diffuse en Europe. (…) Dans le même temps, aux États-Unis, le président Roosevelt fait adopter en août 1935 le « Social security act », qui prévoit notamment l’instauration d’un système de pension pour les travailleurs âgés de plus de 65 ans. Une deuxième grande conception de l’État-providence fait son apparition en Angleterre avec le rapport de Lord William Beveridge intitulé « Social Insurance and Allied Services ». Paru en 1942, cedocument développe la notion de Welfare State (ou « État de bien-être »). Il rejette le système d’assurances sociales réservées aux seuls travailleurs ainsi que le principe d’une assistance limitée aux plus démunis, et introduit l’idée d’une protection universelle de tous les citoyens financée par l’impôt. (…) Le système français de Sécurité sociale initié par le juriste Pierre Laroque en 1945 s’inspire de ces deux grandes conceptions : il conserve la logique d’un système assurantiel, financé par des cotisations des travailleurs, mais vise à la mise en place d’un système généralisé, centralisé et global de sécurité sociale.Site du gouvernement français
L’apprenti sorcier qui prend le risque de s’intéresser à la sorcellerie indigène et à ses fétiches, au lieu d’aller chercher sous de lointains tropiques les charmes rassurants d’une magie exotique, doit s’attendre à voir se retourner contre lui la violence qu’il a déchaînée.Pierre Bourdieu
J’ai construit la notion de champ à la fois contre Weber et avec Weber, en réfléchissant sur l’analyse qu’il propose des rapports entre prêtre, prophète et sorcier. Bourdieu
L’obscurantisme des Lumières peut prendre la forme d’un fétichisme de la raison et d’un fanatisme de l’universel qui restent fermés à toutes les manifestations traditionnelles de croyance et qui, comme l’atteste par exemple la violence réflexe de certaines dénonciations de l’intégrisme religieux, ne sont pas moins obscurs et opaques à eux-mêmes que ce qu’ils dénoncent. Bourdieu
J’ai eu à découvrir dans ma propre tête toutes les mutilations que j’avais héritées d’une tradition laïque, renforcée par les présupposés implicites de ma science. Il y a des sujets qu’on n’aborde pas, ou seulement avec la plus grande prudence. Il y a des manières d’aborder certains sujets qui sont un peu dangereuses et, finalement, on accepte les mutilations que la science a dû accepter pour se constituer. Tout ce qui est de l’ordre des objets traditionnels de la religion et de la métaphysique, on se sent tenu – par une adhésion implicite qui est liée à l’entrée dans la profession – de le mettre entre parenthèses. Il y a une espèce de refoulement qui est tacitement exigé du professionnel. Bourdieu
La sociologie offre un moyen, peut-être le seul, de contribuer, ne fût-ce que par la conscience des déterminations, à la construction, autrement abandonnée aux forces du monde, de quelque chose comme un sujet.Bourdieu
Ceux qui théorisent le bien public sont aussi ceux qui en profitent. (…) Cette appropriation privée de l’universel […] est malgré tout quelque chose qui fait progresser l’universel. Bourdieu
Un racket de protection organisé par des gangsters comme on en voit à Chicago n’est pas si différent de l’Etat. Bourdieu
(…) cette banque centrale de capital symbolique, cette sorte de lieu où s’engendrent et se garantissent toutes les monnaies fiduciaires qui circulent dans le monde social et toutes les réalités qu’on peut désigner comme fétiches, qu’il s’agisse d’un titre scolaire, de la culture légitime, de la nation, de la notion de frontière ou de l’orthographe. Bourdieu
Est-ce que le « retour du religieux » n’est pas, en réalité, un effet du retrait de l’Etat? Bourdieu (dernière phrase de Sur l’Etat)
Les grandes firmes multinationales et leurs conseils d’administrations internationaux, les grandes organisations internationales, OMC, FMI et Banque mondiale aux multiples subdivisions désignées par des sigles et des acronymes compliqués et souvent imprononçables, et toutes les réalités correspondantes, commissions et comités de technocrates non élus, peu connus du grand public, bref, tout ce gouvernement mondial qui s’est en quelques années institué et dont le pouvoir s’exerce sur les gouvernements nationaux eux-mêmes, est une instance inaperçue et inconnue du plus grand nombre. Cette sorte de Big Brother invisible, qui s’est doté de fichiers interconnectés sur toutes les institutions économiques et culturelles, est déjà là, agissant, efficient, décidant de ce que nous pourrons manger ou ne pas manger, lire ou ne pas lire, voir ou ne pas voir à la télévision et au cinéma, et ainsi de suite (…). A travers la maîtrise quasi absolue qu’ils détiennent sur les nouveaux instruments de communication, les nouveaux maîtres du monde tendent à concentrer tous les pouvoirs, économiques, culturels et symboliques, et ils sont ainsi en mesure d’imposer très largement une vision du monde conforme à leurs intérêts.Pierre Bourdieu
Nous avons tous l’Etat dans la tête. Thomas Bernhard
Réalité à double face, l’Etat est une machine complexe qui instaure une domination symbolique, mais peut être aussi le lieu d’une libération. Patrick Champagne
L’Etat est le champ de la lutte pour l’obtention du pouvoir sur tous les autres champs.Abram de Swaan
Est-ce que, dans une démocratie telle qu’on la souhaite, on admet que l’épouse d’un ministre en exercice soit nommée par le Président de la république à la tête de l’audiovisuel extérieur français ? (…) Est-ce une bonne chose que les journalistes censés éclairer le jugement des citoyens fassent des ménages pour des entreprises privées ? Est-il normal qu’un petit cercle d’experts cooptés entre eux et qui partagent les mêmes points de vue accaparent l’espace médiatique ? Faut-il s’accommoder du pouvoir des annonceurs ?Yannick Kergoat
On peut changer d’idées, mais, quand on est journaliste, on n’est pas non plus obligé de devenir le porteur d’eau de Lagardère, du club du Siècle ou des patrons du CAC 40. Quand Michel Field fait des ménages pour Géant Casino, il n’exprime pas une opinion, mais un conflit d’intérêt. Pour nous, cela relève de la faute professionnelle. Est-ce la place d’un journaliste, en pleine campagne référendaire sur le Traité constitutionnel européen, d’animer un meeting de l’UMP en faveur du « oui », et de surcroît d’y faire applaudir son employeur, Arnaud Lagardère, patron d’Europe 1 ? Le travail d’un journaliste, c’est d’informer le public, non de dîner avec les maîtres du monde. Ou alors, on fait de la communication, pas du journalisme.Gilles Balbastre
En France, il y a deux figures de l’intellectuel critique: celui qui construit des instruments de connaissance, dans la tradition des Encyclopédistes; et celui qui prend des positions politiques, à la façon de Voltaire ou Zola. Longtemps, Bourdieu, très attaché à l’autonomie de la recherche intellectuelle, n’a voulu agir dans la société que par le dévoilement sociologique de la réalité. Pendant la guerre d’Algérie, il n’a pas signé le «Manifeste des 121». En 1968 il se méfie des gauchistes et critique la posture de Jean-Paul Sartre: nous en discutions ferme et j’ai quand même réussi à l’emmener à son enterrement. En 1981, il a pris parti avec Foucault en faveur de Solidarnosc. Mais c’est en 1993, avec «la Misère du monde», qu’il découvre son audience dans le grand public. Sartre et Foucault étant morts, il juge qu’il a le devoir d’assumer à son tour la figure de l’intellectuel engagé. Il signe la pétition contre le plan Juppé, encourage les cheminots grévistes, soutient les sans-papiers de l’église Saint-Bernard. Pierre Encrevé
Une des façons dont la sociologie, telle que la comprend Bourdieu, contribue à faire la lumière ou, en tout cas, à nous donner plus de lumière est qu’elle nous fait découvrir non seulement plus de grandeur et plus de bassesse dans l’homme en général, mais également plus de grandeur dans le commun des hommes et plus de bassesse dans ceux qui sont les plus élevés, ce qui, à coup sûr, ne facilite pas son acceptation par les seconds. Une bonne partie des critiques qui ont été formulées contre elle consistent, au fond, à lui reprocher de chercher à occuper une position qui est un peu comparable à celle de la religion, chez Pascal. Les philosophes, pourrait-on être tenté de dire, étonnent et parfois scandalisent le commun des hommes par le surplus de lumière qu’ils apportent et les sociologues sont par rapport aux philosophes un peu comme les chrétiens : ils occupent le degré le plus élevé dans la hiérarchie et ils étonnent à leur tour les philosophes par la lumière qu’ils jettent sur leur demi-savoir et sur leurs pratiques. Jacques Bouveresse
La religion a un statut d’objet paradoxal dans l’oeuvre de Pierre Bourdieu. Les articles qui y sont directement consacrés sont fort peu nombreux et aucun de ses ouvrages importants ne porte sur ce sujet. Comparée à la sociologie de l’art, de la culture, de l’éducation, du pouvoir ou de la misère sociale, la sociologie des religions occupe donc une place marginale dans le corpus. D’un autre côté, certains des concepts les plus importants du « structuralisme génétique » sont issus des sciences sociales des religions. Hérité de Mauss et Durkheim, le concept de croyance, qui est un ressort de tout champ, en est l’exemple le plus manifeste. Même l’élaboration de ce dernier concept, au dire du sociologue, provient de la rencontre entre ses recherches de sociologie de l’art, commencées vers 1960, et « le commentaire du chapitre consacré à la sociologie religieuse dans Wirtschaft und Gesellschaft », de Weber. (…). Autre exemple : c’est dans la lecture du travail de Panofski sur l’architecture gothique et la pensée scolastique que s’est forgée la définition de l’habitus (…). De ce point de vue, l’oeuvre de P. Bourdieu est presque une sociologie des religions « généralisée », la religion présentant de façon paradigmatique des propriétés communes à toutes les sphères d’activité symbolique. Erwan Dianteill
« Fiction collective », « illusion bien fondée », « orthodoxie », « grand fétiche”, « nomos ratifié par l’inconscient », « coercition incorporée », “montée progressive des clercs”, « banque centrale symbolique », « monde où les hommes auraient intérêt à la vertu », « dévalorisation du dévouement obscur à l’intérêt collectif », « jeu dans lequel tout le monde se ment et ment à d’autres en sachant qu’ils se mentent », « monopole de la violence physique et symbolique”, « instrument de production d’évidence et de sentiment d’évidence », « nom que nous donnons aux principes cachés, invisibles (…) de l’ordre social » …
L’Etat serait-il, pour reprendre une image que Bourdieu citait souvent pour la culture, ce qui reste de la religion quand on a tout oublié?
En ce 10e anniversaire de la mort de Bourdieu qui voit la publication de la première partie de ses cours du Collège de France sur l’Etat …
Comme la sortie par certains de ses émules d’un film dénonçant la collusion des médias avec les responsables politiques et les gros intérêts économiques …
Et en ces temps étranges où, tout en rejetant leurs origines judéo-chrétiennes, nos Etats se prennent plus que jamais, selon le mot du député du Second-Empire Emile Ollivier, pour la « Providence » …
Qui se souvient que, « Etats-Providence » ou « Welfare state », réponse à l’individualisme de la loi Le Chapelier ou référence ironique à l’efficacité sociale de l’État, citation de l’encyclique Rerum novarum de Léon XIII ou des conversations keneysiennes de l’archevêque de Canterbury William Temple, nos Etats au bord de l’implosion furent largement tributaires, face aux dérives totalitaires du socialisme réel, de nos tant décriées racines judéo-chrétiennes?
Et qui rappelle, comme le soulignait un article de 2002 du sociologue des religions Erwan Dianteill, l’un des paradoxes les mieux cachés de l’oeuvre du philosophe défroqué du Collège de France qui irritait tant avec ses accents prophétiques contre « l’appropriation privée de l’universel » par ceux qui « théorisent le bien public » ou contre « l’obscurantisme des Lumières » ou « fétichisme de la raison » « fermés à toutes les manifestations traditionnelles de croyance » et « pas moins obscurs et opaques à eux-mêmes que ce qu’ils dénoncent »?
A savoir, à l’instar d’une sociologie française largement issue des luttes anticléricales du début du siècle dernier, l’étrange ‘ »gêne épistémologique » de cette quasi « sociologie des religions généralisée » que constitue l’oeuvre de l’héritier pas toujours reconnaissant de Mauss, Durkheim et Weber devant l’objet sociologique (islam compris pour son anthropologie kabyle) dont l’étude se trouve être « à l’origine de ses principaux concepts » …
La religion a un statut d’objet paradoxal dans l’oeuvre de Pierre Bourdieu. Les articles qui y sont directement consacrés sont fort peu nombreux et aucun de ses ouvrages importants ne porte sur ce sujet. Comparée à la sociologie de l’art, de la culture, de l’éducation, du pouvoir ou de la misère sociale, la sociologie des religions occupe donc une place marginale dans le corpus. D’un autre côté, certains des concepts les plus importants du « structuralisme génétique » sont issus des sciences sociales des religions. Hérité de Mauss et Durkheim, le concept de croyance, qui est un ressort de tout champ, en est l’exemple le plus manifeste.
Même l’élaboration de ce dernier concept, au dire du sociologue, provient de la rencontre entre ses recherches de sociologie de l’art, commencées vers 1960, et « le commentaire du chapitre consacré à la sociologie religieuse dans Wirtschaft und Gesellschaft », de Weber. « J’ai construit, écrit-il, la notion de champ à la fois contre Weber et avec Weber, en réfléchissant sur l’analyse qu’il propose des rapports entre prêtre, prophète et sorcier » (1987a, p. 33, p. 63). Autre exemple : c’est dans la lecture du travail de Panofski sur l’architecture gothique et la pensée scolastique que s’est forgée la définition de l’habitus (ibid., p. 23). De ce point de vue, l’oeuvre de P. Bourdieu est presque une sociologie des religions « généralisée », la religion présentant de façon paradigmatique des propriétés communes à toutes les sphères d’activité symbolique.
L’objet du texte ici présent, dont le titre est une forme d’hommage à une pensée qui s’est toujours voulue réflexive, est de présenter l’apport de P. Bourdieu aux sciences sociales des religions en parcourant à la fois son oeuvre d’anthropologue et de sociologue. Peut-on parler de « religion » dans des sociétés où les religions institutionnelles n’existent pas ou dans les sociétés où elles sont singulièrement affaiblies ? La notion de champ religieux reste-t-elle pertinente dans des sociétés non segmentées ou dans des sociétés de plus en plus sécularisées ? En d’autres termes, le « religieux » se limite-t-il au champ religieux ?
La lecture des oeuvres de P. Bourdieu suggère des réponses négatives à ces questions. La validité sociologique de la notion de champ religieux est limitée, en amont, par l’absence de monopolisation de la production symbolique dans certaines sociétés agraires, en aval, par l’incertitude croissante portant sur les limites du champ, due notamment à l’apparition de nouvelles professions spécialisées dans le « travail symbolique » et au « découplage » entre croyance et allégeance institutionnelle.
Dans les travaux ethnologiques de P. Bourdieu, il apparaît que le symbolique informe l’ensemble de la vie sociale, sans que l’existence d’une institution autonome puisse permettre de parler de « champ religieux » (1980). Comment se constitue donc l’espace institutionnel religieux, à partir d’un espace social peu différencié (1971a) ? Le champ religieux semble en fait correspondre précisément aux religions historiques occidentales, notamment au judaïsme et au catholicisme analysés dans la dialectique entre relations internes et relations externes (Bourdieu et Saint-Martin, 1982), et l’on peut observer une certaine « dissolution du religieux » dans les sociétés occidentales aujourd’hui (1987c). On reviendra en conclusion sur le paradoxe qui a été relevé plus haut et dont l’élucidation permet de voir les limites de la sociologie des religions de P. Bourdieu : pourquoi, alors que l’étude des faits religieux est à l’origine de ses principaux concepts, occupe-t-elle une place quantitativement aussi marginale dans cette oeuvre ?
La genèse sociale du champ religieux
Il existe, selon P. Bourdieu, trois grandes théories sociologiques de la religion, symbolisées par trois noms : Marx, Weber, Durkheim. Ces théories semblent s’exclure mutuellement. Il s’agit donc de « se situer au lieu géométrique des différentes perspectives, c’est-à-dire au point d’où se laissent apercevoir à la fois ce qui peut et ce qui ne peut pas être aperçu à partir de chacun des points de vue » (1971a, p. 295). Que faut-il donc retenir de la pensée des trois perspectives ? L’apport de Durkheim est exprimé explicitement par P. Bourdieu, ceux de Marx et de Weber semblent moins clairement distingués.
P. Bourdieu retient des Formes élémentaires de la vie religieuse de Durkheim que la sociologie de la religion doit être considérée comme une dimension de la sociologie de la connaissance. La religion est un instrument de communication et un instrument de connaissance ; elle permet un accord sur le sens des signes et le sens du monde. Elle a une fonction d’intégration logique et sociale des « représentations collectives » et en particulier des « formes de classification » religieuses (ibid., p. 297).
L’apport wébérien à la sociologie du champ religieux est décisif car il permet d’échapper à l’alternative stérile entre le subjectivisme religieux et la réduction marxiste sans médiation (1971b, p. 1). De Weber vient ainsi l’idée que la sociologie religieuse est une dimension de la sociologie du pouvoir ; il faut rattacher le discours mythique aux intérêts religieux de ceux qui le produisent, qui le diffusent et qui le reçoivent. Il existe une genèse historique des corps de spécialistes religieux, les clercs, ce qui constitue le fondement de l’autonomie relative du champ religieux. Ces professionnels de la religion ont des stratégies pour s’approprier le monopole de la contrainte hiérocratique, des biens de salut. Le champ religieux se présente donc comme le système complet des relations objectives de concurrence ou de transaction entre les positions des agents religieux (ibid., p. 6).
Enfin il semble que P. Bourdieu retient de Marx la notion d’idéologie comme « transfiguration des rapports sociaux en rapports surnaturels, donc inscrits dans la nature des choses et par là justifiés » (1971a, p. 300). La religion assume, dans cette perspective une fonction politique de conservation de l’ordre social. Notons qu’il est difficile de différencier les apports de Marx et de Weber dans la mesure où l’un et l’autre situent la sociologie de la religion aux confins de la sociologie économique et de la sociologie politique.
Dans Le Sens pratique, les développements sur la magie sont surtout proches de la problématique durkheimienne et plus précisément maussienne. Dans « Genèse et structure du champ religieux », Weber et Marx dominent.
Le symbolique omniprésent dans les sociétés agraires : Le Sens pratique
Dans Le Sens pratique, oeuvre de synthèse des travaux anthropologiques de P. Bourdieu, il n’est guère question de « religion », mais souvent de rituels, de magie, d’institutions magiques et de force illocutionnaire, cas particulier du pouvoir symbolique (le mot « religion » est d’ailleurs absent de l’index thématique ainsi que le mot « symbole » [1980, pp. 469-475]). La société kabyle, organisée autour des travaux agricoles et d’un nombre limité d’activités artisanales (comme le tissage, activité spécifiquement féminine), ne connaît pas de groupe de clercs autonome, mais elle est intégralement structurée par le « démon de l’analogie », système de schèmes constitués d’oppositions binaires dont la partition originaire « oppose le masculin et le féminin, le sec et l’humide, le chaud et le froid » (ibid., p. 367). Proche du structuralisme de Lévi-Strauss dans l’analyse des principes logiques organisant « la pensée sauvage » (Lévi-Strauss, 1962), P. Bourdieu s’en distingue par une attention accrue pour les dispositions incorporées qui génèrent des pratiques symboliques imparfaitement systématiques.
Selon lui, on peut comprendre complètement « toutes les pratiques et tous les symboles rituels à partir de deux schèmes opératoires qui, en tant que processus naturels culturellement constitués dans et par la pratique rituelle, sont inséparablement logiques et biologiques comme les processus naturels qu’ils visent à reproduire (au double sens) lorsqu’ils sont pensés dans la logique magique : d’une part la réunion des contraires séparés, dont le mariage, le labour ou la trempe du fer sont des actualisations exemplaires et qui engendre la vie, comme réunion réalisée des contraires, et, d’autre part, la séparation des contraires réunifiés, destruction et mise à mort, avec par exemple le sacrifice du boeuf et la moisson comme meurtres déniés » (1980, pp. 366-367). Mais si la logique rituelle demande la réunion ou la séparation des contraires, elle impose aussi de rendre socialement acceptable la transgression qu’elle signifie objectivement.
La magie fonctionne ainsi comme dénégation collective d’actes de transgression nécessaire (jonction du disjoint ou scission de l’uni). Sans ceux-ci les contraires séparés resteraient stériles. La transgression permet la reproduction de l’ordre vital, la reproduction du groupe, mais elle est excessivement dangereuse et demande donc une mise en forme collective, publique et pratique déniant le sens objectif du rite. Comment ces exigences contraires peuvent-elles être conciliées rituellement ? Le sens pratique à l’oeuvre dans la magie légitime des rites de licitation est en fait un double sens : affirmation de l’unité dans la séparation des contraires ; affirmation de la séparation dans leur unification. La conciliation de principes contradictoires ne peut être réalisée que dans l’autorisation circulairement accordée au groupe par le groupe au moment du rituel (1980, p. 385) :
Toute la vérité de la magie et de la croyance collective est enfermée dans ce jeu de la double vérité objective, dans ce double jeu avec la vérité, par lequel le groupe, responsable de toute objectivité, se ment en quelque sorte à lui-même, en produisant une vérité qui n’a de sens et de fonction que de nier une vérité connue et reconnue de tous, mensonge qui ne tromperait personne si tout le monde n’était résolu à se tromper. Dans le cas de la moisson, la vérité sociale qu’il s’agit de dénier collectivement est sans ambiguïté : la moisson (thamegra) est un meurtre (thamgert’, désigne la gorge, la mort violente, la vengeance ; et amgar, la faucille) au terme duquel la terre, fécondée par les labours, est dépouillée des produits qu’elle a portés à leur maturité.
Les rites licitatoires qui impliquent une solution de continuité (déniée) dans la vie sociale kabyle ont pour pendants des rites propitiatoires. Leur logique est celle de « la gestion » de l’antagonisme qui menace l’ordre social et naturel. Ils permettent la transition entre les principes opposés, en particulier le passage sans heurt d’une période de l’année à une autre. C’est la féminisation du masculin à l’automne, la masculinisation du féminin au printemps, l’été et l’hiver étant symboliquement purement masculin et féminin.
Dans Le Sens pratique, la valeur heuristique de la distinction entre magie et religion est déniée, car cette opposition est conçue comme un enjeu de lutte symbolique étranger à la société kabyle. L’usage du terme « magie » vise, dans les sociétés segmentées, à disqualifier les pratiques symboliques des dominés, les dominants se réservant le terme de « religion ». Ces catégories sont inséparables de la constitution d’un champ religieux, avec ses enjeux concurrentiels entre prêtres, sorciers, et prophètes en Europe et au Proche-Orient. Elles ne sont pas pertinentes dans les sociétés peu segmentées (1980, p. 395) :
L’institution de périodes ou de moments licites (lah’lal), la désignation de mandataires écrans (famille chargée d’ouvrir les labours, mariage inaugural de cousins parallèles) et l’organisation de grandes cérémonies collectives, dans lesquelles le groupe s’autorise et sa propre autorité, sont trois aspects de la même opération, qui est constitutive de tout rituel légitime (on embrouille tout en identifiant la distinction entre magie légitime et magie illégitime à la distinction, qui est un enjeu de luttes sociales, entre religion et magie). C’est sur l’autorité circulairement autorisée que le groupe s’accorde à lui-même, dans son entier ou en la personne de l’un des siens, mandataire autorisé, que repose la force illocutionnaire qui est à l’oeuvre dans tous les rituels sociaux.
On retrouve dans les analyses précédentes des accents très clairement maussiens. La magie a un fondement social, la croyance, et une efficacité sociale qui lui est associée. « En définitive, écrit M. Mauss, c’est toujours la société qui se paie elle-même de la fausse monnaie de son rêve. La synthèse de la cause et de l’effet ne se produit que dans l’opinion publique. (…) Nous devons considérer la magie comme un système d’inductions a priori, opérées sous la pression du besoin par des groupes d’individus » (1985 [1902], p. 119). D’autre part, elle est pour Mauss et Hubert « à la fois un opus operatum au point de vue magique et un opus inoperans au point de vue technique » (1985 [1902]), p. 135), idée reprise et généralisée par P. Bourdieu (1980, p. 395) :
Le caractère proprement magique de cette force de part en part sociale échappe aussi longtemps qu’elle s’exerce seulement sur le monde social, séparant et unissant des individus ou des groupes par des frontières ou des liens (mariage) non moins magiques que ceux qu’instituent le couteau ou le noeud de la magie, transmuant la valeur sociale des choses (comme la griffe du couturier) ou des personnes (comme le titre scolaire). Il apparaît au contraire dans toute son évidence lorsque, par une sorte d’innocence, de confiance, de remise de soi imposée par la détresse et le désarroi extrêmes, les groupes tentent d’exercer le pouvoir qu’ils s’octroient eux-mêmes, par un de ces cercles qui sont au principe de la magie très réellement efficace du collectif, au delà de ses limites de validité, c’est-à-dire sur ce qui ne dépend pas d’eux, sur le monde naturel dont ils dépendent (…).
Au total, l’accent est porté dans les travaux anthropologiques de P. Bourdieu sur les conditions sociales d’efficacité du rite, en dehors d’un champ religieux non constitué dans la société kabyle. Il n’y a pas d’intermédiaires institutionnalisés (semble-t-il) entre le groupe et lui-même : il existe bien des familles chargées de couper la première gerbe au moment des moissons, par exemple, mais cette fonction n’est pas constante. Tout autre est le rôle social des institutions religieuses.
Constitution des institutions religieuses : « Genèse et structure du champ religieux »
Les « transformations technologiques, économiques et sociales » associées au développement urbain, comme « les progrès de la division du travail et l’apparition de la « séparation du travail intellectuel et du travail matériel » (1971a, pp. 300-301) sont à l’origine de deux processus intimement liés, que l’on pourrait qualifier de subjectif et d’objectif, à savoir la constitution d’un champ religieux d’une part, et d’autre part le processus de rationalisation des croyances et des rites. À la suite de Max Weber, P. Bourdieu rappelle les obstacles opposés à l’autonomisation des comportements religieux par la condition paysanne, alors que l’urbanisation favorise, par l’indépendance relative vis-à-vis des aléas naturels qu’elle procure, la « rationalisation » et la « moralisation » des besoins religieux (Weber, 1971, alinéa 7 : « Ordres, classes et religion »). De plus, l’urbanisation favorise le développement d’un corps de professionnels des biens de salut. Le clergé citadin contribue à l’intériorisation de la foi, à l’introduction de critères éthiques, du « bien » et du « mal », et de la notion de « péché », en tout cas dans le contexte judéo-chrétien. Il faut d’autre part attribuer à la conjonction des intérêts de la prêtrise et de ceux de certaines catégories de laïcs citadins, la domination du monothéisme en Palestine, et à Jérusalem en particulier.
Les deux processus précédents, à savoir d’une part la constitution d’un champ religieux relativement autonome, caractérisé par la production, la reproduction et la diffusion des biens et services religieux, et par une complexification institutionnelle croissante, et d’autre part un processus de « moralisation » des pratiques et des représentations religieuses, ont plusieurs corrélats. On passe ainsi du mythe à l’idéologie religieuse (monopolisation de la contrainte hiérocratique par un corps de professionnels), du tabou au péché (transfert de la notion de souillure de l’ordre magique à l’ordre moral), du Dieu punisseur au Dieu juste et bon (attribution de qualités de plus en plus « sociales » à la divinité) (1971a, p. 303).
Enfin la constitution d’un champ religieux s’accompagne d’une dépossession du capital religieux des laïcs au profit du corps de spécialistes religieux qui produisent et reproduisent un corpus délibérément organisé de savoirs secrets. On peut ainsi écrire que les différentes formations sociales se situent entre deux pôles : celui de l’autoconsommation religieuse et celui de la monopolisation complète de la production religieuse par des spécialistes. Ces deux positions extrêmes se caractérisent par l’opposition entre une maîtrise pratique d’un ensemble de schèmes de pensée et d’actions objectivement systématiques, acquis par simple familiarisation et une maîtrise savante, action pédagogique expresse et institutionnalisée. Elles sont aussi structurées par des systèmes mythico-rituels d’un côté, et des idéologies religieuses, réinterprétations lettrées des premiers en fonction d’intérêts internes ou externes liés à la constitution des États et aux antagonismes de classes (1971a, pp. 304-306).
Notons que même dans le cas des sociétés peu différenciées, P. Bourdieu propose d’importer les méthodes de la sociologie en ethnologie : celle-ci doit dépasser le culturalisme et concevoir la religion comme un fait social lié à d’autres faits sociaux notamment à la division du travail, elle doit savoir rapporter le discours mythique ou religieux à ses conditions sociales de production en s’attardant en particulier sur la formation et les caractéristiques des agents privilégiés de l’activité magico-religieuse. Ce qui ne signifie pas qu’il faille évacuer du champ de recherches les représentations collectives religieuses ; il s’agit simplement de concevoir leur autonomie relative dans la structure sociale générale.
Enfin, les oppositions entre sacré et profane, entre religion et magie (que celle-ci se présente comme profanation objective, caractérisant la religion dominée, qui est le plus souvent issue d’un état ancien du champ religieux ; ou comme profanation intentionnelle, c’est-à-dire comme religion inversée) proviennent de l’opposition entre détenteurs du monopole du sacré et laïcs. En d’autres termes, on peut déduire des progrès de la division du travail religieux et de l’histoire du champ religieux les distinctions entre les catégories fondamentales de la pensée et de la pratique religieuse.
Cette genèse nous amène à considérer la structure et les enjeux essentiellement politiques du champ religieux, qu’il s’agisse des luttes internes ou de la relation entretenue avec l’espace social, relation qui constitue ce champ aujourd’hui comme structure structurante et structurée en voie de déstructuration.
Structure et déstructuration du champ religieux
L’autonomisation du champ religieux n’implique pas une indépendance absolue vis-à-vis des autorités temporelles, en particulier politiques. Dans la sociologie de P. Bourdieu, très influencée sur ce point par le marxisme, peut-être même dans sa version althussérienne, pratiques et représentations religieuses contribuent d’abord à informer une « vision du monde » essentiellement conservatrice, elles absolutisent le relatif et légitiment l’arbitraire de la domination. D’autre part, à partir de l’origine sociale du personnel religieux et de sa trajectoire dans l’institution, dont un exemple est donné par la structure et l’histoire contemporaine du « corps » des évêques dans l’Église catholique française (Bourdieu et Saint-Martin, 1982), le sociologue tente d’expliquer à la fois l’homogénéité de l’épiscopat et la division du travail religieux en son sein, cette dernière lui permettant de répondre à la demande religieuse. Enfin, quelques textes portent sur la dissolution du champ religieux, dont les frontières semblent de plus en plus floues dans les sociétés les plus modernes.
Intérêts religieux et fonction sociale du religieux (relations internes, relations externes)
Il existe un intérêt proprement religieux, que l’on peut définir comme « l’intérêt qu’un groupe ou une classe trouve dans un type déterminé de pratique ou de croyance religieuse et, en particulier, dans la production, la reproduction, la diffusion et la consommation d’un type déterminé de biens de salut (parmi lesquels le message religieux lui-même). Ce groupe social recherche la légitimation des propriétés symboliques et matérielles qui le caractérisent dans la structure sociale.
P. Bourdieu refuse toute explication psychologique ou phénoménologique du fait religieux. Celui-ci doit être conçu « de manière proprement sociologique, i.e. comme l’expression légitimatrice d’une position sociale » (1971a, pp. 311-312).
L’inspiration marxiste apparaît ici encore clairement. Elle s’est doublée dans les années 1990 de l’affirmation que la religion joue aussi un rôle dans la légitimation de la domination des hommes sur les femmes. L’Église, écrit-il sans nuance, est « habitée par l’antiféminisme profond du clergé » et elle « inculque (ou inculquait) explicitement une morale familialiste entièrement dominée par les valeurs patriarcales» (1998, pp. 92-93). Ajoutons que dans certains cas, la religion (ou plus exactement la magie) peut aussi permettre de trouver une solution (illusoire) à la misère sociale. « L’espérance magique est la visée de l’avenir propre à ceux qui n’ont pas d’avenir (…). Le millénarisme révolutionnaire et l’utopie magique sont la seule visée du futur qui s’offre à une classe dépourvue de futur objectif » (1977a, pp. 90-91). De nature différente pour les dominants et les dominés, l’intérêt religieux est le principal opérateur d’homologie entre le champ religieux et la structure générale des rapports sociaux.
Relativement autonome par rapport à la structure sociale, le champ religieux est en effet structuré par des enjeux internes et par des enjeux externes. Les positions de pouvoirs dans le champ résultent de la confrontation de la « demande religieuse (i.e. les intérêts religieux des différents groupes ou classes de laïcs) et de l’offre religieuse (i.e. les services religieux plutôt orthodoxes ou hérétiques)» (1971a, p. 319). La position de pouvoir qu’occupe une instance religieuse dans le champ dépend du pouvoir du groupe social dont elle s’est concilié l’appui.
Cet appui, dans une relation dialectique, dépend à son tour de la position du groupe des producteurs dans le champ. Cette relation explique l’homologie de structure observée entre la structure sociale et le champ religieux : les dominants du champ religieux, par exemple, fondent leur domination sur celle des classes dominantes dans la structure sociale, tandis que les prophètes s’appuient sur les groupes dominés pour modifier l’état du rapport de forces dans le champ. Aussi, l’action du prophète est-elle à la fois un ferment de restructuration du champ religieux et de la structure sociale. Il apparaît donc que le « fonctionnement » du champ religieux est le produit d’une concurrence interne entre différentes instances (dont les principales sont l’Église, les prophètes, les sectes et les sorciers) en relation avec les lignes de force de la structure sociale.
Examinons un cas particulier étudié par P. Bourdieu : le groupe des évêques français à la fin des années 1970.
Origine sociale des évêques et effets sur l’organisation de l’Église catholique
Le travail conjoint de P. Bourdieu et de Monique de Saint-Martin (1982) explore un nombre limité de dimensions ouvertes par les articles de 1971. Il s’agit principalement de saisir le processus menant l’ensemble des évêques à dénier toute différenciation interne correspondant à leur origine sociale. Dépassant l’image d’homogénéité produite par le corps de professionnels, on peut associer la classe sociale d’origine à la position occupée dans l’institution ecclésiastique, à condition de prendre en compte les déformations structurales, « les mêmes dispositions pouvant conduire à des positions et à des prises de positions différentes, voire opposées, dans des états du champ différents, ce qui a pour effet d’affaiblir, voire d’annuler la relation statistique avec la classe d’origine ». Il n’y a pas, en d’autres termes, de rapport mécanique entre l’origine sociale et la position au sein de l’Église.
Sous ces conditions, l’analyse fait apparaître ces deux groupes dans le corps épiscopal : « d’un côté les « oblats » qui, voués et dévoués à l’Église dès leur prime enfance, investissent totalement dans une institution à laquelle ils doivent tout ; qui sont disposés à tout donner à une institution qui leur a tout donné, sans laquelle et hors de laquelle ils ne seraient rien. De l’autre, les évêques qui, ordonnés plus tard, possédaient, avant leur entrée dans l’Église, outre un capital social hérité, un capital scolaire important, et qui entretiennent de ce fait un rapport plus distant, plus détaché, et moins tourné vers les choses temporelles, à l’égard de l’institution, de ses hiérarchies, de ses enjeux » (1982, pp. 4-5). Les prises de positions adoptées par ces deux groupes ne sont intelligibles que si l’on prend en compte l’évolution historique. Le même habitus « aristocratique » caractérisant les « héritiers », qui aurait défini autrefois un rôle d’évêque hiératique et solennel, peut conduire aujourd’hui à éviter des postes trop communs, à accepter des évêchés « missionnaires», ou à rechercher le statut de théologien. L’opposition entre les deux catégories est formelle et non substantielle : « les antagonistes (…) peuvent échanger, en toute bonne foi, leurs positions : lorsque l’un d’eux, souvent le dominant, qui a le privilège des audaces, vient à changer, l’autre ne peut maintenir l’opposition qu’en changeant aussi » (ibid., p. 16).
Comment se situe le corps des évêques « dans le champ du pouvoir religieux et, plus largement dans le champ du pouvoir symbolique » (ibid., p. 22) ? Les évêques sont en quelque sorte « pris entre deux feux » : ils s’opposent d’une part au pouvoir politique central des organismes ecclésiastiques, peu enclins à prêter attention aux réalités locales, d’autre part aux théologiens et religieux, orientés vers « le pouvoir symbolique central (…) moins soucieux des choses temporelles qui préoccupent les “responsables” » (ibid., p. 28). Assumant cette position moyenne dans l’Église catholique, les évêques peuvent remplir pleinement le travail d’unification qui leur incombe. Leur cohésion est renforcée par des dispositions communes (ce sont tous des hommes, souvent issus de familles nombreuses et nés dans de petits villages) et par une formation homogénéisante. Aussi, l’épiscopat est-il un champ de concurrence, mais à faible tension (ibid., p. 31).
L’ajustement entre l’offre et la demande religieuse n’est pas le produit d’une transaction, comme pouvait le penser Max Weber, mais l’effet d’une homologie involontaire de structure, « chaque clerc produisant en fonction de sa trajectoire et de sa position un produit plus ou moins ajusté à la demande d’une catégorie particulière de laïcs » (ibid., p. 34). L’Église, en tant que champ, se caractérise par l’unité et la diversité. Cette apparente contradiction est en fait au principe de sa grande capacité d’adaptation : elle permet à l’Église de « traiter de façon aussi homogène que possible une clientèle distribuée (de manière différente selon les époques) entre les classes sociales, les classes d’âge et les classes sexuelles ou de traiter de manière aussi différenciée que possible des clients qui, quoique très différents sous différents rapports, ont en commun d’être catholiques « (ibid., p. 35).
Cette capacité à traiter des demandes variées sous les apparences de l’unité est renforcée par le caractère intrinsèquement polysémique du discours religieux, qui masque sous un discours unique une pluralité de significations en rapport avec une série de positions sociales, renforçant ainsi la confusion subjective de limites sociales objectives. Le discours religieux tend à nier les conflits sociaux, ou faute de mieux, à les euphémiser. P. Bourdieu avance même que les procédés discursifs du double sens et de l’euphémisme sont « profondément caractéristiques du discours religieux dans son universalité » (ibid., p. 46).
Cette transfiguration des rapports de forces, en particulier économiques, par les agents religieux dominants est illustrée par la gestion par l’épiscopat des revendications professionnelles de laïcs travaillant pour l’Église à la limite du bénévolat et du salariat. L’économie de l’Église est déniée par la hiérarchie en tant qu’économie régie par des lois économiques, c’est-à-dire fondée sur le prix, le salaire, l’offre et la demande. « Le rire des évêques », lorsqu’ils sont exposés à un discours qui traite l’Église comme une société commerciale, est significatif de la « vérité de l’entreprise religieuse (qui) est d’avoir deux vérités : la vérité économique et la vérité religieuse, qui la dénie » (1994a, p. 204). L’hilarité épiscopale est un effet du dévoilement de ce qui leur apparaît comme une parfaite incongruité (mais qui n’est pas sans fondement puisque l’on peut considérer, du point de vue du marché du travail, que la chaisière est une femme de ménage sans salaire).
Au total, P. Bourdieu conçoit donc l’Église comme un ensemble de mécanismes et de processus de légitimation des positions sociales, se présentant sous une forme objectivée, qu’elle soit matérielle (bâtiments, vêtements, instruments liturgiques, etc.) ou à l’état de technologie sociale (droit canon, liturgie, théologie, etc.).
À l’état incorporé, elle est consubstantielle aux habitus catholiques, générés par la famille chrétienne et consacrés par des rites d’institution, qui agrègent tout en séparant.
« Et en définitive, elle n’existe vraiment en tant qu’Église vivante, c’est-à-dire agissante et capable d’assurer sa propre reproduction, que dans la relation entre ses deux modes d’incarnation (…) » (Bourdieu et Saint-Martin, 1982, p. 51).
Vers une dissolution du champ religieux ?
Sans parler d’évolutionnisme au sens classique du terme, la sociologie des religions de P. Bourdieu se caractérise aussi par une grande attention accordée aux processus historiques de constitution des institutions religieuses. Ceux-ci ne se réalisent pas indépendamment des changements généraux affectant la structure sociale, notamment des progrès de la division du travail social et de l’urbanisation. P. Bourdieu n’utilise pas le concept de « champ religieux » pour les sociétés agraires comme la société kabyle, du fait, selon lui, du manque d’institutions et de professionnels spécialisés. Peut-on alors parler de « religion » s’il n’existe pas de « champ religieux » ? On ne peut parler de l’activité symbolique dans les mêmes termes pour des sociétés agraires peu différenciées, où le « démon de l’analogie » informe et unifie toutes les dimensions de la structure sociale, et pour des sociétés très segmentées, où la production symbolique se concentre dans des espaces institutionnels spécifiques et relativement autonomes dont le champ religieux constitue l’un des principaux.
Cependant, les sociétés modernes qui se caractérisent par un haut degré de division du travail social, sont en même temps celles où les religions historiques, et en particulier le catholicisme, semblent en déclin. On y assiste à une « dissolution du religieux » (1987c, pp. 117-123). « (…) On assiste à une redéfinition des limites du champ religieux, la dissolution du religieux dans un champ plus large s’accompagnant d’une perte du monopole de la cure des âmes au sens ancien, du moins au niveau de la clientèle bourgeoise » (Bourdieu, 1985, p. 257). Les limites du champ religieux ne sont plus clairement définies : certaines professions profanes, psychologues, analystes ou conseillers conjugaux, se substituent aux clercs dans leur fonction thérapeutique. Ainsi, « le champ religieux s’est trouvé dissout dans un champ de manipulation symbolique plus large « (Bourdieu, 1985, p. 259). Dans un dialogue avec Jacques Maître, auteur de plusieurs ouvrages de psychopathologie sociale appliquée à des individus fortement impliqués dans le catholicisme, P. Bourdieu déclare qu’« il se pourrait que la psychanalyse ait aujourd’hui, dans la conscience commune, une fonction assez analogue à ce qu’était la religion pour » les personnages étudiés par J. Maître (Bourdieu et Maître, 1994, p. XVI).
D’un autre côté, le refus de l’obéissance aveugle aux prescriptions des clercs provient pour une part de l’élévation du niveau d’instruction, qui entraîne moins le rejet d’une « posture » religieuse que celui de la délégation spirituelle. Ce déni (relatif) de la légitimité accordée à l’institution catholique contribue ainsi au développement de sectes autonomes, au « rassemblement de petits prophètes charismatiques», et plus généralement à la disjonction entre l’orthodoxie cultuelle et les pratiques et croyances effectives. Ainsi, la légitimité de la parole religieuse d’institution est en concurrence avec de nouvelles formes de légitimité et de nouvelles professions, qui s’appuient souvent sur un discours pseudo-scientifique, comme les astrologues, numérologues ou graphologues par exemple. Le clerc religieux, anciennement dominant, devient dominé, « au profit de clercs qui s’autorisent de la science pour imposer des valeurs et des vérités ni plus ni moins scientifiques que celles des autorités religieuses du passé » (1987c, p. 123).
L’émergence d’un sentiment esthétique face aux représentations visant à l’origine à susciter la foi est aussi un indice de la régression de la « croyance religieuse» par rapport à la « croyance esthétique ». En un même lieu (l’Église Santa Maria Novella observée par le sociologue en 1982), se juxtaposent des pratiques qui tiennent à la fois de la muséographie et de la dévotion, et qui témoignent de l’hétérogénéité des visées du public dans l’« admiration » d’une Vierge au Rosaire ou d’une Présentation au Temple. L’usage dévotionnel des statues et des tableaux n’a pas pourtant complètement disparu, mais il se concentre sur les oeuvres dont les caractéristiques sont les moins formelles, celles qui « remplissent une fonction expressive de représentation de leurs référents » (1994c, p. 73).
Remarquons enfin que la « dissolution du religieux » ne signifie pas pour le sociologue critique une régression à un état indifférencié de l’activité symbolique.
Les « nouveaux agents symboliques », qui se situent en dehors de l’institution religieuse, coexistent avec une institution catholique qui tend à devenir « une Église sans fidèles » (1994b, p. 216), s’y opposent souvent, mais contribuent aussi à faire évoluer les positions de celle-ci, comme en témoigne par exemple l’influence de la psychanalyse sur la pensée religieuse moderne. L’activité symbolique aux marges du champ religieux engendre une certaine confusion quant à ses limites, mais elle ne signifie pas pour autant sa disparition 1.
Conclusion : dignité et indignité de la religion comme objet de science sociale
Le pouvoir symbolique, qui ne se limite certes pas au domaine religieux, s’y exerce peut-être plus clairement que dans d’autres champs d’activité sociale, et c’est probablement pourquoi une bonne partie de l’architecture conceptuelle de la sociologie de P. Bourdieu s’est construite dans l’étude de la religion. Le pouvoir symbolique est en effet ce qui permet de constituer le donné par l’énonciation, « de faire voir et de faire croire, de confirmer ou de transformer la vision du monde et par là, l’action sur le monde, donc le monde ». C’est « un pouvoir quasi-magique qui permet d’obtenir l’équivalent de ce qui est obtenu par la force (physique ou économique). Ce pouvoir ne s’exerce que s’il est reconnu, c’est-à-dire méconnu comme arbitraire » (Bourdieu, 1977b, p. 410). La religion apparaît donc, dans cette perspective, comme une activité essentiellement symbolique, comme une forme symbolique, c’est-à-dire comme un ensemble de pratiques et de représentations (en l’occurrence de rites et de croyances) dont l’efficacité n’est pas d’ordre matériel (comme la force physique par exemple). Le symbolique comprend le langage mais ne s’y réduit pas ; il désigne aussi la fonction connotative des signes, linguistiques ou non. Le pouvoir du symbole repose sur ce qu’il ne dit pas explicitement, sur ce qu’il suppose sans l’expliciter ouvertement. Il induit un rapport de sens socialement fondé, ce qui signifie que le pouvoir symbolique ne se constitue pas en dehors des rapports de forces caractéristiques de la structure sociale dans sa totalité. Si le symbole a une efficacité propre, elle n’en est pas moins en rapport avec la genèse et la structure de l’espace social. Plus précisément, pour ce qui concerne le pouvoir symbolique du langage, son efficacité nécessite « la croyance dans la légitimité des mots et de celui qui les prononce, croyance qu’il n’appartient pas aux mots de produire » (Bourdieu, 1977b, p. 411). En d’autres termes, le pouvoir symbolique ne se suffit pas à lui même, il trouve son fondement dans les rapports généraux de domination, dont il peut apparaître comme une « sublimation ».
Entre efficacité propre et dépendance idéologique, entre ordre sui generis et superstructure, le fait religieux n’est dans cette perspective ni purement idéal, ni simple reflet plus ou moins déformé de la structure sociale. Le secret de cette dépendance/indépendance du pouvoir symbolique religieux est à chercher dans cette instance intermédiaire, dont l’analyse constitue le centre de la sociologie religieuse de P. Bourdieu : la notion de champ religieux. La notion d’habitus complète la précédente en ce qu’elle associe à un champ spécifique un type d’intérêt spécifique, irréductible aux intérêts des autres champs, notamment à l’intérêt économique.
« Pour qu’un champ marche, il faut qu’il y ait des enjeux et des gens prêts à jouer le jeu, dotés de l’habitus impliquant la connaissance et la reconnaissance des lois immanentes du jeu, des enjeux, etc. » (1984a, p. 114). Un intérêt spécifiquement religieux est donc associé au champ religieux, qui donne un exemple particulièrement achevé de cette « liberté surveillée » caractéristique des instances secondes dans les mécanismes de la domination (où l’économique, le politique et le médiatique semblent occuper les positions centrales, du moins dans les sociétés participant de la modernité avancée).
Pour P. Bourdieu, le champ religieux ne doit donc pas être conçu comme une réalité immuable : il existe une genèse structurale du champ religieux, en rapport avec les transformations de la structure sociale, et l’on assiste, selon lui, à une dissolution du religieux dans les sociétés en voie de sécularisation. Alors que toute institution religieuse tend à se présenter comme réalité anhistorique, identique à elle-même de tout temps et en tout lieu, il faut passer par l’examen historique des processus de constitution des croyances, des rites, des institutions.
On peut alors se demander pourquoi la sociologie des religions, qui a fourni à P. Bourdieu une grande partie de son architecture conceptuelle et dont il ignore moins que tout autre qu’elle constitue le coeur de la sociologie de Durkheim, de Weber et une partie non négligeable de celle de Marx, a une importance si limitée en termes quantitatifs dans son oeuvre.
Cet écart provient d’une incertitude fondamentale quant aux conditions de possibilité de l’étude scientifique de la religion. Pour P. Bourdieu, la religion est en fait un objet sociologique presque impossible. Cette « gène » épistémologique n’a jamais été plus manifeste qu’à l’occasion du colloque annuel de l’Association Française de Sociologie des Religions, en décembre 1982, lorsque le sociologue questionna publiquement la validité scientifique de la sociologie des religions lorsqu’elle est pratiquée par « des producteurs qui participent à des degrés divers au champ religieux » (1987b, p. 156). Pour un sociologue des religions, avoir des convictions religieuses constitue un obstacle presque insurmontable au travail scientifique. Mais il existe un deuxième obstacle, tout aussi dangereux : l’absence complète d’affinité avec l’objet. Selon P. Bourdieu, tout sociologue de la religion est ainsi confronté à une contradiction quasi-insoluble : « quand on en est, déclare-t-il, on participe de la croyance inhérente à l’appartenance à un champ quel qu’il soit (religieux, universitaire, etc.) et quand on n’en est pas, on risque premièrement d’omettre d’inscrire la croyance dans le modèle (…), deuxièmement d’être privé d’une partie de l’information utile » (1987b, p. 156). Le premier écueil, c’est-à-dire le fait d’appartenir d’une façon ou d’une autre à l’institution religieuse, peut mener à adopter un point de vue religieux sur la religion, à pratiquer une sociologie religieuse plus qu’une sociologie des religions. Pour l’éviter (ce qui est « difficile », mais pas impossible selon P. Bourdieu), il faut pratiquer « une objectivation sans complaisance (…) de tous les liens, de toutes les formes de participation, d’appartenance objective ou subjective, même les plus ténues » (ibid., p. 160). Le deuxième écueil (ne pas en être) n’est pas moins dangereux scientifiquement. Celui qui en est victime tombe dans l’ornière positiviste en abordant la religion exclusivement d’un point de vue extérieur, « comme une chose », sans apercevoir les ressorts subjectifs de l’activité religieuse, et en particulier l’adhésion inconditionnée à des vérités révélées.
Or, il y a une affinité certaine entre cette seconde posture et les sciences sociales «républicaines». La sociologie française s’est largement constituée contre l’emprise intellectuelle de la religion, et singulièrement contre l’influence catholique dans l’université, au moment des luttes anticléricales du début du XXe siècle.
D’une certaine façon, être sociologue demandait nécessairement de « ne pas en être ». P. Bourdieu n’a pas échappé à cette forme d’anticléricalisme. Dans la conclusion du colloque sur « les nouveaux clercs », on peut lire par exemple cette déclaration sans ambiguïté : « L’interrogation sur les ’nouveaux clercs’ n’aurait peut-être pas manqué son but si elle pouvait ainsi conduire à poser les fondements d’un nouvel anticléricalisme » (1985, p. 261). Notons que cette phrase conclusive n’a pas été reprise dans la deuxième version du texte publiée dans Choses dites (1987). Ce « repentir » témoigne assurément d’un certain malaise, dont P. Bourdieu a lui-même tenté de rendre raison dans un entretien avec Jacques Maître (1994, p. XV) :
J’ai eu à découvrir dans ma propre tête toutes les mutilations que j’avais héritées d’une tradition laïque, renforcée par les présupposés implicites de ma science. Il y a des sujets qu’on n’aborde pas, ou seulement avec la plus grande prudence. Il y a des manières d’aborder certains sujets qui sont un peu dangereuses et, finalement, on accepte les mutilations que la science a dû accepter pour se constituer. Tout ce qui est de l’ordre des objets traditionnels de la religion et de la métaphysique, on se sent tenu – par une adhésion implicite qui est liée à l’entrée dans la profession – de le mettre entre parenthèses. Il y a une espèce de refoulement qui est tacitement exigé du professionnel.
N’« en étant pas » par méfiance méthodologique et par culture laïque, P. Bourdieu manquait assurément d’« intérêt » pour le fait religieux, ce qui le plaçait dans une position peu favorable pour l’étudier sociologiquement. Dans la perspective de la sociologie critique et réflexive, on l’a vu, l’incrédulité militante est aussi dommageable scientifiquement que la « faiblesse de croire », car elle entrave toute restitution du sens des « adhésions » religieuses. Première victime de cette aporie, P. Bourdieu s’est donc investi de façon très limitée dans la sociologie des religions, d’autant plus qu’il considérait le pouvoir religieux, largement assimilé à celui de l’Église catholique, comme un pouvoir déclinant dont la critique est sans enjeux, contrairement par exemple à la domination masculine ou au pouvoir télévisuel. En d’autres termes, P. Bourdieu ne manifestait aucune inclination pour l’activité religieuse (alors que l’on connaît son goût pour l’art et la littérature, et bien sûr pour la pédagogie), mais cette distance était doublée de l’idée que la religion n’a plus l’emprise sociale qu’elle avait encore du temps de Weber ou Durkheim, qui en avaient fait l’objet central de leur sociologie. P. Bourdieu n’avait donc pas non plus d’intérêt négatif pour la religion (alors qu’il s’en est pris dans la dernière partie de son oeuvre aux médias ou à la « Noblesse d’État », dont le pouvoir est conçu comme bien réel). C’est pourquoi, confronté à des contradictions méthodologiques difficiles à résoudre, pénétré par une culture laïque qui assimile la religion au pouvoir de l’Église catholique, convaincu que celle-ci constitue une force sociale déclinante, P. Bourdieu n’a accordé qu’une place marginale à l’étude des faits religieux dans son oeuvre.
Remarquons pour finir que la lecture en parallèle de ses travaux anthropologiques et sociologiques suggère qu’il existe une division entre les sociétés agraires sans institution religieuse 2 et les sociétés différenciées où la religion serait d’abord entièrement monopolisée par l’Église avant de disparaître en même temps qu’elle.
Or, si l’Église catholique n’a plus le pouvoir politique et économique qu’elle a eu, cela signifie-t-il pour autant que croyances et pratiques religieuses ont disparu dans les sociétés modernes ? Rien n’est moins sûr. Une définition de la « religion » centrée sur le « champ religieux », c’est-à-dire sur les luttes entre spécialistes dans leurs rapports avec la structure sociale globale, permet en fait difficilement d’étudier des phénomènes religieux qui échappent largement au contrôle des clercs, fussent- ils de « nouveaux clercs ». Cette erreur de perspective aurait pu être évitée en accordant plus de place au fait religieux hors institution, y compris dans les sociétés différenciées. En portant, par exemple, son attention sur le bricolage des croyances ou sur la construction des lignées de fidèles dans la modernité, sur l’organisation en réseau des amateurs d’ésotérisme ou sur l’organisation non bureaucratique de certains pentecôtismes, on peut éviter d’assimiler l’étude des faits religieux au simple constat de la perte de pouvoir des institutions ecclésiastiques.
Erwan DIANTEILL
Centre d’Études Interdisciplinaires des Faits Religieux
EHESS
1 Il ne faut pas confondre cette activité symbolique de substitution religieuse avec le pouvoir symbolique «hors champ religieux», notamment celui de l’État en tant que banque centrale symbolique (1989) qui s’appuie sur des rites d’institution (1982). La magie sociale ne se limite donc pas au champ religieux, comme en témoigne par exemple la force purement symbolique des « marques » et des « griffes» dans la haute couture (1984).
2 Si la sociologie des religions de P. Bourdieu se focalise sur le catholicisme, son anthropologie kabyle minore singulièrement le rôle de l’islam. Le structuralisme, qui informe largement ces premiers travaux, s’intéresse avant tout aux systèmes symboliques, et non aux institutions religieuses. Ajoutons que l’islam était considéré comme une force sociale déclinante au moment de la décolonisation de l’Afrique du Nord, dans les années 1950 et 1960. Comme le catholicisme, l’idéologie laïque percevait alors la religion musulmane comme un archaïsme condamné par la modernité à plus ou moins long terme.
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Bourdieu dit du sociologue, dont la tâche consiste à relater les choses du monde social et à les dire, autant que possible, comme elles sont, qu’il est entouré de gens qui ont tendance à ignorer le monde social. Mais il considère comme essentiel de faire une différence entre ceux qui se contentent de ne pas en parler et ceux qui, tout en s’en défendant, en traitent bel et bien, et le font en toute ignorance et sur un mode qui est en fait celui de la dénégation. C’est évidemment à la deuxième catégorie qu’appartiennent, à ses yeux, les philosophes.
Aussi y a-t-il de bonnes raisons, pour le sociologue, de ne pas leur concéder ce qu’il accorde, en revanche, sans réticence à d’autres. « Je serai, dit Bourdieu, le dernier à reprocher aux artistes, aux écrivains, aux savants, d’être tout à leur affaire. » Mais il éprouve des difficultés plus grandes à reconnaître aux philosophes le même privilège.
Car tout le problème est de savoir s’ils sont à une affaire réelle, qui les dispenserait de s’intéresser en même temps de façon sérieuse à quelque chose d’autre, en particulier au monde social, et à quel genre d’affaire ils sont exactement. Le soupçon qui naît ici est que le monde social n’est peut-être pas une chose que la philosophie se permet d’ignorer pour s’intéresser, comme cela pourrait sembler être son droit, à un autre sujet, mais une chose qu’elle ignore justement parce qu’elle croit la connaître déjà suffisamment sans avoir jamais pris la peine de l’étudier, et que c’est tout bonnement de cet aveuglement à la réalité sociale que se nourrit pour une part essentielle son discours.
La philosophie, telle que la conçoit Bourdieu, est, comme n’importe quelle autre activité intellectuelle, soumise à des déterminations qui sont de nature sociale, ce qui constitue une chose à première vue peu contestable et ne signifie, ni de près ni de loin, que ce qu’elle fait pourrait être expliqué et jugé entièrement à partir de déterminations de cette sorte.
Mais c’est malheureusement ce genre de thèse réductionniste qui a été imputé la plupart du temps à Bourdieu par les philosophes, et en particulier par les défenseurs de la philosophie « pure », pour lesquels l’idée d’une dépendance quelconque de la philosophie par rapport à des raisons (et plus encore à des causes) sociales est déjà insupportable.
Si la philosophie comportait sans doute, aux yeux de Bourdieu, des problèmes qui, considérés du point de vue sociologique, apparaissent comme dépourvus de sérieux et même de réalité, le philosophe qu’il était aussi n’avait cependant, de toute évidence, aucun doute sur l’existence d’un bon nombre de problèmes philosophiques qui sont tout à fait réels et qui ne peuvent être traités et résolus que philosophiquement.
« On doit, affirme-t-il, poser, contre toutes les formes d’autonomisation d’un ordre proprement linguistique, que toute parole est produite pour et par le marché auquel elle doit son existence et ses propriétés les plus spécifiques. » Il ne faut évidemment pas se laisser arrêter ici par l’usage de termes comme « économie » et « marché », car ce qu’ils signifient, en l’occurrence, est uniquement que des champs qui ne sont pas économiques, au sens littéral du terme, comme celui de l’échange linguistique, mais également ceux de la littérature, de l’art ou de la philosophie elle-même, peuvent néanmoins être régis par une logique de type économique, si l’on entend par là que ce qui s’y joue est la conquête et la répartition non pas de biens matériels, mais de capitaux, de profits et d’avantages qui sont de type symbolique et culturel. J’ai souvent été tenté, je l’avoue, de comparer, sur ce point, la position de Bourdieu à celle de La Rochefoucauld, qui dit, dans une remarque célèbre, que « les vertus se perdent dans l’intérêt comme les fleuves dans la mer ».
La possibilité que Bourdieu nous oblige à regarder en face est que même le désintéressement sous sa forme réputée la plus pure, à savoir le désintéressement philosophique, se perd lui aussi dans la mer de la recherche intéressée de profits symboliques d’une certaine sorte.
Tout au début des Méditations pascaliennes, Bourdieu confesse que, s’il lui fallait à tout prix reconnaître une affiliation, il préférerait sans doute, à tout prendre, se dire pascalien plutôt que marxiste. Le côté par lequel son affinité avec Pascal apparaît probablement le mieux réside, dit-il, précisément dans ce qui a trait à la question du pouvoir symbolique. On peut dire sans exagération qu’il voit dans Pascal un des premiers grands théoriciens du capital symbolique, du pouvoir symbolique et de la violence symbolique.
Il est, à ses yeux, un des auteurs qui ont le mieux perçu d’abord la façon dont un élément symbolique qui peut être plus ou moins essentiel intervient dans la possession et l’exercice d’à peu près n’importe quelle espèce de pouvoir, et ensuite la part respective de compréhension et de méconnaissance qu’impliquent la reconnaissance et l’acceptation de celui-ci par ceux que, de l’extérieur, on est tenté de considérer comme étant en premier lieu ses victimes.
Une des raisons pour lesquelles Bourdieu se sent proche de Pascal est la considération de celui-ci pour les « opinions du peuple saines ». Visiblement, l’attitude condescendante que les philosophes adoptent la plupart du temps à l’égard de l’opinion des gens ordinaires n’est pas, pour lui, celle de savants authentiques, mais plutôt celle des demi-savants dont parle Pascal, qui croient savoir, mais n’ont en réalité parcouru que la moitié du chemin qui mène à la science véritable.
Contrairement à ce qu’ils supposent, le peuple a raison, de façon générale, de penser qu’il faut suivre la coutume, bien qu’il ait tort, nous dit Pascal, de croire que c’est parce qu’elle est raisonnable et juste, et ne puisse cependant la suivre qu’à la condition de croire qu’elle est raisonnable et juste, pour la raison qu’« on ne veut être assujetti qu’à la raison ou à la justice ». On n’est pas gêné de céder à la force, parce que la seule attitude raisonnable que l’on puisse adopter à son égard est de la craindre ; mais on serait gêné d’obéir à la coutume, si on ne pouvait pas justifier sa soumission par la croyance qu’elle est juste.
Les demi-savants commettent ici facilement l’erreur de donner dans ce que Bourdieu appelle l’« obscurantisme de la raison », qui se croit en droit de ridiculiser des croyances dont il ne comprend pas la raison. « L’obscurantisme des Lumières peut, dit-il, prendre la forme d’un fétichisme de la raison et d’un fanatisme de l’universel qui restent fermés à toutes les manifestations traditionnelles de croyance et qui, comme l’atteste par exemple la violence réflexe de certaines dénonciations de l’intégrisme religieux, ne sont pas moins obscurs et opaques à eux-mêmes que ce qu’ils dénoncent. »
Cette remarque ne s’applique, bien entendu, pas seulement à la façon dont ceux qui savent ou en tout cas croient savoir ont tendance à traiter les croyances religieuses du peuple, mais également à celle dont ils traitent généralement ses croyances politiques. C’est la demi-science qui produit, dans le monde intellectuel, les révolutionnaires en chambre, qui reprochent, implicitement ou explicitement, aux gens ordinaires leur soumission à l’ordre établi, mais ne voient pas qu’ils font preuve eux-mêmes, dans le domaine où s’exerce leur propre activité, du conformisme le plus total à l’égard des exigences spécifiques et, vues de l’extérieur, plus ou moins arbitraires qu’implique l’appartenance à un champ scolastique.
Une des façons dont la sociologie, telle que la comprend Bourdieu, contribue à faire la lumière ou, en tout cas, à nous donner plus de lumière est qu’elle nous fait découvrir non seulement plus de grandeur et plus de bassesse dans l’homme en général, mais également plus de grandeur dans le commun des hommes et plus de bassesse dans ceux qui sont les plus élevés, ce qui, à coup sûr, ne facilite pas son acceptation par les seconds.
Une bonne partie des critiques qui ont été formulées contre elle consistent, au fond, à lui reprocher de chercher à occuper une position qui est un peu comparable à celle de la religion, chez Pascal. Les philosophes, pourrait-on être tenté de dire, étonnent et parfois scandalisent le commun des hommes par le surplus de lumière qu’ils apportent et les sociologues sont par rapport aux philosophes un peu comme les chrétiens : ils occupent le degré le plus élevé dans la hiérarchie et ils étonnent à leur tour les philosophes par la lumière qu’ils jettent sur leur demi-savoir et sur leurs pratiques.
Pour comprendre le pari audacieux que Bourdieu, dans les relations difficiles et conflictuelles qu’il a entretenues avec la philosophie, a fait et pensait avoir gagné, il faut se souvenir de ce qu’il dit à propos d’une chose importante que lui a apprise, sur cette question, sa tentative d’auto-socioanalyse : « Ce sont sans doute les dispositions antagonistes d’un habitus clivé qui m’ont encouragé à entreprendre et m’ont permis de réussir la transition périlleuse d’une discipline souveraine, la philosophie, à une discipline stigmatisée comme la sociologie, mais en important dans cette discipline inférieure les ambitions associées à la hauteur de la discipline d’origine en même temps que les vertus scientifiques capables de les accomplir. »
Alors que commence la publication de ses cours, la critique de l’Etat par le sociologue PIerre Bourdieu reste d’une urgente actualité. Retour sur la pensée d’un esprit très critique.
Juliette Cerf
Télérama
16 janvier 2012
A mesure que croissait sa notoriété, le sociologue disparu il y a dix ans devenait de plus en plus militant. Photo : Patrick Messina / Contour by Getty Images
L’Etat ? « Un jeu dans lequel tout le monde se ment et ment à d’autres en sachant qu’ils se mentent. » L’homme officiel ? « Un ventriloque qui parle au nom de l’Etat. » Ainsi le subversif Pierre Bourdieu achevait-il, au Collège de France, son cours du 1er février 1990, Sur l’Etat, aujourd’hui coédité par Le Seuil et Raisons d’agir. Bourdieu et le politique ? Le sujet fait débat, voire polémique. « La lecture de ce cours s’impose à l’approche des élections, à l’heure où la crise financière précipite le démantèlement du service public. Le prolongement de l’Etat dynastique dans notre Etat bureaucratique se révèle encore d’une folle actualité sous l’ère Sarkozy », annonce Patrick Champagne, qui a établi l’édition du texte avec d’autres spécialistes, inaugurant ainsi la publication intégrale des cours et séminaires du sociologue.
Sur l’Etat se donne surtout comme la route de crête de la pensée (politique) de Bourdieu, déchiffreur par excellence des mécanismes de domination, dynamiteur des ordres établis. Qu’est-ce que l’Etat, en effet, sinon l’instance suprême qui détient le monopole de la domination ? L’Etat est le principe même de l’ordre public : il opère des classifications, des hiérarchies. Il impose une vision du monde officielle, légitime, c’est-à-dire tacitement reconnue par tous. Or, c’est la fabrication même de cette légitimité mensongère, la violence sourde de cette domination que Bourdieu a pensées de livre en livre. Le sociologue a analysé ce qui n’aura finalement jamais cessé de l’étonner : le fait que l’ordre social se reproduise sans sourciller, demeurant tel qu’en lui-même. Il suffit de ne rien faire pour que les choses se perpétuent, tant les dominés intériorisent leur domination.
Quelques années plus tôt, prenant pour cible privilégiée l’école, lieu même de la reproduction des élites, Bourdieu montrait que les individus sont déterminés par leur place dans la société, dressés à agir en fonction de ce que leur classe sociale attend d’eux. Il n’en va pas autrement avec l’Etat : « Quand je remplis un formulaire administratif – nom, prénom, date de naissance -, je comprends l’Etat ; c’est l’Etat qui me donne des ordres auxquels je suis préparé », décrypte le sociologue. Cet Etat nous entoure familièrement, sans que nous y pensions forcément : calendrier social, vacances scolaires, achat de maison sont des pratiques régies par sa main. Mais ne nous y trompons pas : sous ses airs collectifs, il n’est en rien la chose au monde la mieux partagée… Le champ politique reste un microcosme, un univers gouverné par des spécialistes, fondé sur l’exclusion du plus grand nombre. Loin de nous unir, l’Etat nous divise. D’un côté, les clercs, de l’autre, les profanes. Dominants contre dominés…
« Mais ceux que Bourdieu ne cesse d’appeler les profanes, ce sont les citoyens justement ! Le peuple n’est pas cette masse ignorante qu’il décrit, ni les partis, des entreprises », s’indigne Jean Baudouin, professeur de sciences politiques venu du droit. Sous son titre perfide, Pierre Bourdieu. Quand l’intelligence entrait enfin en politique ! 1982-2002, son brûlot ne fait pas dans la dentelle : « Le géant de la pensée sociologique se révèle un nain de la proposition politique » ! Ou encore : « Bourdieu ne comprend rien aux principes fondamentaux de la démocratie. » L’auteur va même jusqu’à déclarer que le politique est l’« impensé », le trou noir de la sociologie bourdieusienne, alors que Bourdieu ne parle que de ça ! De quoi faire enrager ceux que ce non-spécialiste désigne avec mépris comme les « dévots » du sociologue, réactivant ainsi la chasse à la secte « bourdivine », remettant de l’huile sur le bûcher ardent alimenté par tous ceux qui adorent diaboliser Bour-Dieu…
Bourdieu dynamite les apparences, les illusions, déconstruit ce que considérons comme allant de soi.
Un feu qui fait souvent crépiter des différends idéologiques. Car deux visions du politique s’affrontent ici : une vision (morale et juridique) qui a foi dans les principes démocratiques, rempart au totalitarisme, et une vision (critique) qui se méfie de tous les pouvoirs. L’opinion publique tout comme les sondages, censés être démocratiques, ne sont aux yeux de Bourdieu qu’une supercherie, cachant l’avis des puissants. Au fond, Jean Baudouin ne supporte pas cette défiance que le politique inspire à Pierre Bourdieu. Il s’étrangle d’ailleurs devant cette « énormité » proférée par le sociologue dans Contre-feux : « Je considère que le travail de démolition de l’intellectuel critique, mort ou vivant – Marx, Nietzsche, Sartre, Foucault, et quelques autres que l’on classe en bloc sous l’étiquette de « pensée 68 » – est aussi dangereux que la démolition de la chose publique. »
Bourdieu persiste et signe : « Il n’y a pas de démocratie effective sans vrai contre-pouvoir critique. » Et ce contre-pouvoir, c’est la sociologie qui est en mesure de l’exercer. Le sociologue dévoile les processus masqués, enfouis au tréfonds de la société. Il dynamite les apparences, les illusions, déconstruit ce que nous croyons naturel, ce que nous considérons comme allant de soi. « Détruire le sens commun », « organiser le retour du refoulé », « dire à la face de tous ce que personne ne veut savoir », autant d’actions impérieuses (et ô combien politiques) menées par la sociologie, ce sport de combat. Au judo, on se sert de la force de son adversaire pour le faire tomber… En socio, l’action sur le monde social passe par la connaissance de ses mécanismes. Une métaphore martiale popularisée en 2001 par le documentaire de Pierre Carles consacré à Bourdieu, La sociologie est un sport de combat (1) : « Le titre s’est vite imposé tant cette discipline sert à se défendre contre la domination symbolique. Loïc Wacquant, l’un des disciples de Bourdieu, a une image très forte : la sociologie nous permet de ne pas être agi par le monde social comme un bout de limaille dans un champ magnétique », se souvient le réalisateur.
D’abord cantonnée à ses livres, défensive, la pensée de Bourdieu est devenue de plus en plus militante, offensive, à mesure qu’augmentait sa notoriété. En 1995, le sociologue s’est engagé corps et âme dans le mouvement social, soutenant les grèves déclenchées par le plan Juppé sur les retraites et la Sécurité sociale. Cet engagement, il l’a vécu comme une « fureur légitime », un quasi-devoir : « Ceux qui ont la chance de pouvoir consacrer leur vie à l’étude du monde social ne peuvent rester, neutres et indifférents, à l’écart des luttes dont l’avenir de ce monde est l’enjeu », a-t-il décrété. Luttant sur tous les fronts contre « l’invasion néolibérale », Bourdieu s’est fait alors plus visible dans les médias. Il venait en outre de diriger La Misère du monde, volume paru en 1993, qui donnait la parole à un peuple en souffrance. Ce best-seller inattendu a mis le sociologue sur le devant de la scène ; on le voit ainsi débattre avec l’abbé Pierre dans une Marche du siècle consacrée à l’exclusion.
Bourdieu a élaboré le concept d’intellectuel collectif, contre la figure de l’intellectuel total incarnée par Sartre.
Le mouvement des chômeurs de 1998 lui apparaît alors comme un « miracle social ». Il enchaîne les pétitions, multiplie les soutiens, allume un peu partout ses contre-feux, milite pour une Europe sociale, critique la « troïka néolibérale Blair-Jospin-Schröder », appelle de ses voeux une gauche vraiment de gauche et crée un collectif, Raisons d’agir, qui publie de petits essais accessibles conçus comme des armes de poing, tels Sur la télévision, signé de sa main, ou Les Nouveaux Chiens de garde, de Serge Halimi (lire page ci-contre). « Le savoir est mis en commun, partagé entre chercheurs et militants, explique Gisèle Sapiro, qui dirige le Centre européen de sociologie et de science politique. Bourdieu a élaboré le concept d’intellectuel collectif, contre la figure de l’intellectuel total incarnée par Sartre – capable d’embrasser tous les sujets -, et dans le prolongement de l’intellectuel spécifique défini par Foucault – qui, lui, intervient sur ses thèmes de recherche relevant de ses compétences, comme la prison ou la sexualité. Mais il est faux de croire que Bourdieu se serait engagé à la seule fin de sa vie. Toute sa pensée est politique : il a traité les sujets les plus brûlants, comme l’Algérie dans les années 1950, la démocratisation scolaire et culturelle dans les années 1960, la technocratie dans les années 1970. Et son mode d’engagement reste la science. Attaquer le Bourdieu engagé sert souvent de prétexte à ceux qui n’ont pas les moyens de critiquer sa théorie. »
« Bourdieu a fait son Mai 68 avec presque trente ans de retard ! » se gausse Jean Baudouin. Il aiguise son persiflage sur une contradiction apparente : « Le Bourdieu des Héritiers [1964] est très critique envers l’Etat, jugé oppresseur, tandis que celui de La Misère du monde [1993] encense l’Etat providence ». Un balancement que le cours sur l’Etat permet justement de comprendre, rappelle Patrick Champagne : « Réalité à double face, l’Etat est une machine complexe qui instaure une domination symbolique, mais peut être aussi le lieu d’une libération. » Bourdieu parle à cet égard de la main droite et de la main gauche de l’Etat – l’économique et le politique, d’un côté, le social, de l’autre. Jean Baudouin remarque encore que Bourdieu n’a pas arrêté de critiquer la République, alors que normalien, agrégé, professeur au Collège de France, fils d’un paysan devenu petit fonctionnaire, il en avait reçu tous les honneurs. Un fils indigne et turbulent ? Ces attaques, Bourdieu les connaissait par coeur. Il les a lui-même parées dans son Esquisse pour une auto-analyse : « Dénonciateur de la gloire et des honneurs, écrit-il à la troisième personne, il est avide de gloire et d’honneurs ; pourfendeur des médias, il est « médiatique » ; contempteur du système scolaire, il est asservi aux grandeurs d’Ecole, et ainsi de suite à l’infini »… Pas facile d’échapper à cette intelligence réflexive. A la main gauche et la main droite de Pierre Bourdieu…
(1) Il sera projeté le 16 janvier à la Maison des Métallos, Paris 11e, et suivi d’un débat. Tél. : 01-48-05-88-27.
A lire
Trois titres indispensables de Pierre Bourdieu :
La Reproduction. Eléments pour une théorie du système d’enseignement (1970), prolongement de la réflexion entamée dans Les Héritiers (1964) sur la fonction reproductrice de l’école.
La Distinction. Critique sociale du jugement (1979), analyse de la construction sociale des goûts, des jugements esthétiques.
Méditations pascaliennes (1997), critique de la philosophie abstraite, « scolastique », placée sous le signe de Pascal, autre destructeur des apparences, des illusions humaines.
A lire
Sur l’Etat. Cours au Collège de France 1989-1992, de Pierre Bourdieu, éd. établie par Patrick Champagne, Rémi Lenoir, Franck Poupeau et Marie-Christine Rivière, coéd. Raisons d’agir/Seuil, 656 p., 30 €.
Pierre Bourdieu. Quand l’intelligence entrait enfin en politique ! 1982-2002, de Jean Baudouin, éd. du Cerf, 124 p., 14 €.
Le monde politique est le lieu de deux tendances de sens inverse : d’une part, il se ferme de plus en plus complètement sur soi, sur ses jeux et ses enjeux ; d’autre part, il est de plus en plus directement accessible au regard du commun des citoyens, la télévision jouant un rôle déterminant dans les deux cas. Il en résulte que la distance ne cesse de croitre entre les professionnels et les profanes ainsi que la conscience de la logique propre du jeu politique.
Il n’est plus besoin aujourd’hui d’être un expert en sociologie politique pour savoir que nombre des déclarations et des actions des hommes politiques, non seulement les » petites phrases » sur les » grands desseins » ou les grands débats sur les petites divergences entre les leaders ou les » courants « , mais aussi les plus graves décisions politiques peuvent trouver leur principe dans les intérêts nés de la concurrence pour telle ou telle position rare, celle de secrétaire général, de premier ministre ou de président de la République et ainsi à tous les niveaux de l’espace politique.
La discordance entre les attentes de sincérité ou les exigences de désintéressement qui sont inscrites dans la délégation démocratique de pouvoirs et la réalité des microscopiques manoeuvres contribue à renforcer un indifférentisme actif, symbolisé un moment par Coluche, et bien différent de l’antiparlementarisme poujadiste auquel, pour se défendre, entendent le réduire ceux qui contribuent à le susciter. Mais elle peut aussi inspirer un sentiment de scandale qui transforme l’apolitisme ordinaire en hostilité envers la politique et ceux qui en vivent.
C’est ainsi que les volte-face répétées de dirigeants plus évidemment inspirés par le souci de leur propre perpétuation que par les intérêts de ceux qu’ils font profession de défendre ne sont pas pour rien dans le fait que le Front national recrute souvent aujourd’hui dans les anciens bastions du Parti communiste, qui a bénéficié plus que personne de la remise de soi confiante ou résignée au porte-parole (on sait en effet que cette disposition est de plus en plus fréquente à mesure que l’on descend dans la hiérarchie sociale). Et si les alliances avec les partis de droite profitent tant au même Front national, c’est moins, comme on le dit, par la touche de respectabilité qu’elles lui assurent, que par le discrédit qu’elles infligent à ceux qui dénoncent leurs propres dénonciations en se montrant prêts à tout pour assurer leur propre reproduction.
Ainsi, le désenchantement du politique résulte presque automatiquement du double mouvement de l’univers politique. D’un côté, ceux qui sont engagés dans le jeu politique s’enferment toujours davantage dans leurs jeux à huis clos, sans autre communication avec le monde extérieur bien souvent que des sondages qui produisent les réponses en imposant les questions, et nombre d’entre eux, mus par le seul souci d’exister (comme les prétendants) ou de survivre (comme les champions déchus), se déterminent les uns et les autres dans des actions qui, loin d’avoir pour principe la conviction éthique ou le dévouement à une cause politique, ne sont que des réactions aux réactions des autres. Et le comble de la perversion est atteint lorsque, la » performance télévisuelle » devenant la mesure de toutes choses, les conseillers en communication guidés par les sondeurs forment les politiciens à mimer la sincérité et à jouer la conviction.
De l’autre côté, la télévision, par un de ses effets les plus systématiquement ignorés de ceux qui lui imputent tous les malheurs du siècle, autrefois la » massification » des » masses » et, aujourd’hui, la dégradation de la culture, a ouvert une fenêtre sur le champ clos où les politiciens jouent leurs jeux de prince, avec l’illusion de passer inaperçus. Comme dans les anciennes démocraties des petits groupes d’interconnaissance ou dans la cité grecque imaginée par Hegel, les mandataires sont désormais sous le regard prolongé du groupe tout entier : pour qui les a observés, à longueur d’interviews, de déclarations ou de débats de soirées électorales, les protagonistes du jeu politique n’ont plus de secret et les plus inconscients d’entre eux perdraient beaucoup de leur superbe s’ils pouvaient lire les portraits psychologiques d’une rare acuité que font d’eux les téléspectateurs, même les plus culturellement démunis, lorsqu’on les interroge à leur propos. Chacun sait que, comme le notait Hugo, » Quand la bouche dit oui, le regard dit peut-être. » Et le citoyen, devenu téléspectateur, pour peu qu’il possède l’art de déchiffrer les impondérables de la communication infralinguistique, se trouve ainsi en mesure d’exercer le » droit de regard « , qu’il a toujours plus ou moins consciemment revendiqué.
L’autre ouverture
L' » ouverture » que les électeurs ont approuvée lors de la dernière élection présidentielle n’est pas celle qui excite et divise les appareils, les apparatchiks et aussi les commentateurs politiques, celle qui renforcerait la tendance du microcosme politique à la fermeture sur soi, c’est-à-dire sur des formes simplement un peu plus compliquées des combinaisons ordinaires. C’est celle qui offrirait, plus largement encore, le monde politique au regard critique de tous les citoyens, empêchant le corps politique d’interposer l’écran de ses intérêts particuliers et de ses préoccupations que l’on a raison d’appeler politiciennes, puisqu’elles n’ont de cause et de fin que la défense du corps politique.
Tout le monde a compris qu’il y a trop de problèmes vrais pour que l’on puisse laisser aux hommes politiques le soin d’inventer les faux problèmes nécessaires à leur propre perpétuation.
La solution que le gouvernement de Michel Rocard a apportée au problème calédonien est, en ce sens, exemplaire. Affronter, sans autre fin que de le résoudre, un problème qui venait de faire l’objet d’une évidente exploitation politicienne, c’était faire éclater au grand jour, rétrospectivement, l’instrumentalisme cynique d’une décision politique comme l’attaque de la grotte d’Ouvéa ; c’était rappeler que, comme l’avait enseigné en d’autres temps Mendès France, le courage politique consiste à se mettre au service des problèmes, au risque de ne pas durer, plutôt que de se servir des problèmes pour se perpétuer à tout prix. Et la réussite de la négociation a montré que la vertu civile, peut-être parce qu’elle est si rare, peut-être parce qu’elle appelle la vertu, constitue parfois une arme politique hautement efficace.
On a le sentiment que, du fait du mode d’action politique qui s’est trouvé ainsi instauré, le monde politique est en train de rattraper le retard qu’il avait pris, en se fermant sur lui-même, par rapport aux attentes des citoyens et par rapport notamment aux exigences éthiques qui se sont manifestées tant de fois, au cours des vingt dernières années, à travers notamment des actions ou des manifestations comme celles de SOS Racisme, des étudiants ou des lycéens.
Les responsables politiques les plus libres, objectivement et subjectivement, par rapport aux exigences du jeu politique et auxcontraintes des appareils peuvent se faire entendre, tandis que les apparatchiks sont momentanément réduits au silence. Et peut-être les conditions sont-elles en train de se créer pour que s’instaurent durablement des règles écrites ou non écrites, et, mieux encore, des mécanismes objectifs capables d’imposer pratiquement aux hommes politiques les disciplines de la vertu civile. Il dépend de tous les citoyens, et notamment de ceux qui, comme les intellectuels, ont le loisir et les moyens d’exercer leur droit de regard sur le monde politique, qu’un mode d’exercice du pouvoir qui est parfois dénoncé comme une forme de moralisme naif (c’est bien ce que l’on veut dire lorsque l’on parle de » boyscoutisme « ) soit en réalité une anticipation créatrice d’un état du monde politique où les responsables politiques, sans cesse placés sous le regard de tous, à découvert, seraient contraints d’instaurer cette forme de démocratie directe que rendent possible, paradoxalement, la transparence et l’ouverture du champ politique assurées par un usage démocratique de la télévision.
Prendre la parole
On a beaucoup parlé du silence des intellectuels en des temps où il leur fallait beaucoup de vertu pour ne pas dénoncer à chaque instant, au risque de servir des desseins plus cyniques, les manquements à la vertu civile. Peut-être le moment est-il venu pour eux de prendre la parole, non pour célébrer les pouvoirs, comme on le leur demande d’ordinaire, mais pour participer, avec d’autres, et en particulier les journalistes, à l’exercice de la vigilance civique qui, par la critique et la révélation autant que par l’éloge ou la complicité tacite, contribuerait à instaurer un monde politique où les responsables politiques auraient intérêt à la vertu.
Exposé fait à Noroit (Arras) en janvier 1972 et paru dans Les temps modernes, 318, janvier 1973, pp. 1292-1309. Repris in Questions de sociologie, Paris, Les Éditions de Minuit, 1984, pp. 222-235.
Je voudrais préciser d’abord que mon propos n’est pas de dénoncer de façon mécanique et facile les sondages d’opinion, mais de procéder à une analyse rigoureuse de leur fonctionnement et de leurs fonctions. Ce qui suppose que l’on mette en question les trois postulats qu’ils engagent implicitement. Toute enquête d’opinion suppose que tout le monde peut avoir une opinion ; ou, autrement dit, que la production d’une opinion est à la portée de tous. Quitte à heurter un sentiment naïvement démocratique, je contesterai ce premier postulat. Deuxième postulat : on suppose que toutes les opinions se valent. Je pense que l’on peut démontrer qu’il n’en est rien et que le fait de cumuler des opinions qui n’ont pas du tout la même force réelle conduit à produire des artefacts dépourvus de sens. Troisième postulat implicite : dans le simple fait de poser la même question à tout le monde se trouve impliquée l’hypothèse qu’il y a un consensus sur les problèmes, autrement dit qu’il y a un accord sur les questions qui méritent d’être posées. Ces trois postulats impliquent, me semble-t-il, toute une série de distorsions qui s’observent lors même que toutes les conditions de la rigueur méthodologique sont remplies dans la recollection et l’analyse des données.
On fait très souvent aux sondages d’opinion des reproches techniques. Par exemple, on met en question la représentativité des échantillons. Je pense que dans l’état actuel des moyens utilisés par les offices de production de sondages, l’objection n’est guère fondée. On leur reproche aussi de poser des questions biaisées ou plutôt de biaiser les questions dans leur formulation : cela est déjà plus vrai et il arrive souvent que l’on induise la réponse à travers la façon de poser la question. Ainsi, par exemple, transgressant le précepte élémentaire de la construction d’un questionnaire qui exige qu’on « laisse leurs chances » à toutes les réponses possibles, on omet fréquemment dans les questions ou dans les réponses proposées une des options possibles, ou encore on propose plusieurs fois la même option sous des formulations différentes. Il y a toutes sortes de biais de ce type et il serait intéressant de s’interroger sur les conditions sociales d’apparition de ces biais. La plupart du temps ils tiennent aux conditions dans lesquelles travaillent les gens qui produisent les questionnaires. Mais ils tiennent surtout au fait que les problématiques que fabriquent les instituts de sondages d’opinion sont subordonnées à une demande d’un type particulier. Ainsi, ayant entrepris l’analyse d’une grande enquête nationale sur l’opinion des Français concernant le système d’enseignement, nous avons relevé, dans les archives d’un certain nombre de bureaux d’études, toutes les questions concernant l’enseignement. Ceci nous a fait voir que plus de deux cents questions sur le système d’enseignement ont été posées depuis Mai 1968, contre moins d’une vingtaine entre 1960 et 1968. Cela signifie que les problématiques qui s’imposent à ce type d’organisme sont profondément liées à la conjoncture et dominées par un certain type de demande sociale. La question de l’enseignement par exemple ne peut être posée par un institut d’opinion publique que lorsqu’elle devient un problème politique. On voit tout de suite la différence qui sépare ces institutions des centres de recherches qui engendrent leurs problématiques, sinon dans un ciel pur, en tout cas avec une distance beaucoup plus grande à l’égard de la demande sociale sous sa forme directe et immédiate.
Une analyse statistique sommaire des questions posées nous a fait voir que la grande majorité d’entre elles étaient directement liées aux préoccupations politiques du « personnel politique ». Si nous nous amusions ce soir à jouer aux petits papiers et si je vous disais d’écrire les cinq questions qui vous paraissent les plus importantes en matière d’enseignement, nous obtiendrions sûrement une liste très différente de celle que nous obtenons en relevant les questions qui ont été effectivement posées par les enquêtes d’opinion. La question : « Faut-il introduire la politique dans les lycées ? » (ou des variantes) a été posée très souvent, tandis que la question : « Faut-il modifier les programmes ? » ou « Faut-il modifier le mode de transmission des contenus ? » n’a que très rarement été posée. De même : « Faut-il recycler les enseignants ? ». Autant de questions qui sont très importantes, du moins dans une autre perspective.
Les problématiques qui sont proposées par les sondages d’opinion sont subordonnées à des intérêts politiques, et cela commande très fortement à la fois la signification des réponses et la signification qui est donnée à la publication des résultats. Le sondage d’opinion est, dans l’état actuel, un instrument d’action politique ; sa fonction la plus importante consiste peut-être à imposer l’illusion qu’il existe une opinion publique comme sommation purement additive d’opinions individuelles ; à imposer l’idée qu’il existe quelque chose qui serait comme la moyenne des opinions ou l’opinion moyenne. L’« opinion publique » qui est manifestée dans les premières pages de journaux sous la forme de pourcentages (60 % des Français sont favorables à…), cette opinion publique est un artefact pur et simple dont la fonction est de dissimuler que l’état de l’opinion à un moment donné du temps est un système de forces, de tensions et qu’il n’est rien de plus inadéquat pour représenter l’état de l’opinion qu’un pourcentage.
On sait que tout exercice de la force s’accompagne d’un discours visant à légitimer la force de celui qui l’exerce ; on peut même dire que le propre de tout rapport de force, c’est de n’avoir toute sa force que dans la mesure où il se dissimule comme tel. Bref, pour parler simplement, l’homme politique est celui qui dit : « Dieu est avec nous ». L’équivalent de « Dieu est avec nous », c’est aujourd’hui « l’opinion publique est avec nous ». Tel est l’effet fondamental de l’enquête d’opinion : constituer l’idée qu’il existe une opinion publique unanime, donc légitimer une politique et renforcer les rapports de force qui la fondent ou la rendent possible.
Ayant dit au commencement ce que je voulais dire à la fin, je vais essayer d’indiquer très rapidement quelles sont les opérations par lesquelles on produit cet effet de consensus. La première opération, qui a pour point de départ le postulat selon lequel tout le monde doit avoir une opinion, consiste à ignorer les non-réponses. Par exemple vous demandez aux gens : « Êtes-vous favorable au gouvernement Pompidou ? » Vous enregistrez 30 % de non-réponses, 20 % de oui, 50 % de non. Vous pouvez dire : la part des gens défavorables est supérieure à la part des gens favorables et puis il y a ce résidu de 30 %. Vous pouvez aussi recalculer les pourcentages favorables et défavorables en excluant les non-réponses. Ce simple choix est une opération théorique d’une importance fantastique sur laquelle je voudrais réfléchir avec vous.
Éliminer les non-réponses, c’est faire ce qu’on fait dans une consultation électorale où il y a des bulletins blancs ou nuls ; c’est imposer à l’enquête d’opinion la philosophie implicite de l’enquête électorale. Si l’on regarde de plus près, on observe que le taux des non-réponses est plus élevé d’une façon générale chez les femmes que chez les hommes, que l’écart entre les femmes et les hommes est d’autant plus élevé que les problèmes posés sont d’ordre plus proprement politique. Autre observation : plus une question porte sur des problèmes de savoir, de connaissance, plus l’écart est grand entre les taux de non-réponses des plus instruits et des moins instruits. À l’inverse, quand les questions portent sur les problèmes éthiques, les variations des non-réponses selon le niveau d’instruction sont faibles (exemple : « Faut-il être sévère avec les enfants ? »). Autre observation : plus une question pose des problèmes conflictuels, porte sur un nœud de contradictions (soit une question sur la situation en Tchécoslovaquie pour les gens qui votent communiste), plus une question est génératrice de tensions pour une catégorie déterminée, plus les non-réponses sont fréquentes dans cette catégorie. En conséquence, la simple analyse statistique des non-réponses apporte une information sur ce que signifie la question et aussi sur la catégorie considérée, celle-ci étant définie autant par la probabilité qui lui est attachée d’avoir une opinion que par la probabilité conditionnelle d’avoir une opinion favorable ou défavorable.
L’analyse scientifique des sondages d’opinion montre qu’il n’existe pratiquement pas de problème omnibus ; pas de question qui ne soit réinterprétée en fonction des intérêts des gens à qui elle est posée, le premier impératif étant de se demander à quelle question les différentes catégories de répondants ont cru répondre. Un des effets les plus pernicieux de l’enquête d’opinion consiste précisément à mettre les gens en demeure de répondre à des questions qu’ils ne se sont pas posées. Soit par exemple les questions qui tournent autour des problèmes de morale, qu’il s’agisse des questions sur la sévérité des parents, les rapports entre les maîtres et les élèves, la pédagogie directive ou non directive, etc., problèmes qui sont d’autant plus perçus comme des problèmes éthiques qu’on descend davantage dans la hiérarchie sociale, mais qui peuvent être des problèmes politiques pour les classes supérieures : un des effets de l’enquête consiste à transformer des réponses éthiques en réponses politiques par le simple effet d’imposition de problématique.
En fait, il y a plusieurs principes à partir desquels on peut engendrer une réponse. Il y a d’abord ce qu’on peut appeler la compétence politique par référence à une définition à la fois arbitraire et légitime, c’est-à-dire dominante et dissimulée comme telle, de la politique. Cette compétence politique n’est pas universellement répandue. Elle varie grosso modo comme le niveau d’instruction. Autrement dit, la probabilité d’avoir une opinion sur toutes les questions supposant un savoir politique est assez comparable à la probabilité d’aller au musée. On observe des écarts fantastiques : là où tel étudiant engagé dans un mouvement gauchiste perçoit quinze divisions à gauche du PSU, pour un cadre moyen il n’y a rien. Dans l’échelle politique (extrême-gauche, gauche, centre-gauche, centre, centre-droit, droite, extrême-droite, etc.) que les enquêtes de « science politique » emploient comme allant de soi, certaines catégories sociales utilisent intensément un petit coin de l’extrême-gauche ; d’autres utilisent uniquement le centre, d’autres utilisent toute l’échelle. Finalement une élection est l’agrégation d’espaces tout à fait différents ; on additionne des gens qui mesurent en centimètres avec des gens qui mesurent en kilomètres, ou, mieux, des gens qui notent de 0 à 20 et des gens qui notent entre 9 et 11. La compétence se mesure entre autres choses au degré de finesse de perception (c’est la même chose en esthétique, certains pouvant distinguer les cinq ou six manières successives d’un seul peintre).
Cette comparaison peut être poussée plus loin. En matière de perception esthétique, il y a d’abord une condition permissive : il faut que les gens pensent l’œuvre d’art comme une œuvre d’art ; ensuite, l’ayant perçue comme œuvre d’art, il faut qu’ils aient des catégories de perception pour la construire, la structurer, etc. Supposons une question formulée ainsi : « Êtes-vous pour une éducation directive ou une éducation non directive ? » Pour certains, elle peut être constituée comme politique, la représentation des rapports parents-enfants s’intégrant dans une vision systématique de la société ; pour d’autres, c’est une pure question de morale. Ainsi le questionnaire que nous avons élaboré et dans lequel nous demandons aux gens si, pour eux, c’est de la politique ou non de faire la grève, d’avoir les cheveux longs, de participer à un festival pop, etc., fait apparaître des variations très grandes selon les classes sociales. La première condition pour répondre adéquatement à une question politique est donc d’être capable de la constituer comme politique ; la deuxième, l’ayant constituée comme politique, est d’être capable de lui appliquer des catégories proprement politiques qui peuvent être plus ou moins adéquates, plus ou moins raffinées, etc. Telles sont les conditions spécifiques de production des opinions, celles que l’enquête d’opinion suppose universellement et uniformément remplies avec le premier postulat selon lequel tout le monde peut produire une opinion.
Deuxième principe à partir duquel les gens peuvent produire une opinion, ce que j’appelle l’« ethos de classe » (pour ne pas dire « éthique de classe »), c’est-à-dire un système de valeurs implicites que les gens ont intériorisées depuis l’enfance et à partir duquel ils engendrent des réponses à des problèmes extrêmement différents. Les opinions que les gens peuvent échanger à la sortie d’un match de football entre Roubaix et Valenciennes doivent une grande partie de leur cohérence, de leur logique, à l’ethos de classe. Une foule de réponses qui sont considérées comme des réponses politiques, sont en réalité produites à partir de l’ethos de classe et du même coup peuvent revêtir une signification tout à fait différente quand elles sont interprétées sur le terrain politique. Là, je dois faire référence à une tradition sociologique, répandue surtout parmi certains sociologues de la politique aux États-Unis, qui parlent très communément d’un conservatisme et d’un autoritarisme des classes populaires. Ces thèses sont fondées sur la comparaison internationale d’enquêtes ou d’élections qui tendent à montrer que chaque fois que l’on interroge les classes populaires, dans quelque pays que ce soit, sur des problèmes concernant les rapports d’autorité, la liberté individuelle, la liberté de la presse, etc., elles font des réponses plus « autoritaires » que les autres classes ; et on en conclut globalement qu’il y a un conflit entre les valeurs démocratiques (chez l’auteur auquel je pense, Lipset, il s’agit des valeurs démocratiques américaines) et les valeurs qu’ont intériorisées les classes populaires, valeurs de type autoritaire et répressif. De là, on tire une sorte de vision eschatologique : élevons le niveau de vie, élevons le niveau d’instruction et, puisque la propension à la répression, à l’autoritarisme, etc., est liée aux bas revenus, aux bas niveaux d’instruction, etc., nous produirons ainsi de bons citoyens de la démocratie américaine. À mon sens ce qui est en question, c’est la signification des réponses à certaines questions. Supposons un ensemble de questions du type suivant : Êtes-vous favorable à l’égalité entre les sexes ? Êtes-vous favorable à la liberté sexuelle des conjoints ? Êtes-vous favorable à une éducation non répressive ? Êtes-vous favorable à la nouvelle société ? etc. Supposons un autre ensemble de questions du type : Est-ce que les professeurs doivent faire la grève lorsque leur situation est menacée? Les enseignants doivent-ils être solidaires avec les autres fonctionnaires dans les périodes de conflit social ? etc. Ces deux ensembles de questions donnent des réponses de structure strictement inverse sous le rapport de la classe sociale : le premier ensemble de questions, qui concerne un certain type de novation dans les rapports sociaux, dans la forme symbolique des relations sociales, suscite des réponses d’autant plus favorables que l’on s’élève dans la hiérarchie sociale et dans la hiérarchie selon le niveau d’instruction ; inversement, les questions qui portent sur les transformations réelles des rapports de force entre les classes suscitent des réponses de plus en plus défavorables à mesure qu’on s’élève dans la hiérarchie sociale.
Bref, la proposition « Les classes populaires sont répressives » n’est ni vraie ni fausse. Elle est vraie dans la mesure où, devant tout un ensemble de problèmes comme ceux qui touchent à la morale domestique, aux relations entre les générations ou entre les sexes, les classes populaires ont tendance à se montrer beaucoup plus rigoristes que les autres classes sociales. Au contraire, sur les questions de structure politique, qui mettent en jeu la conservation ou la transformation de l’ordre social, et non plus seulement la conservation ou la transformation des modes de relation entre les individus, les classes populaires sont beaucoup plus favorables à la novation, c’est-à-dire à une transformation des structures sociales. Vous voyez comment certains des problèmes posés en Mai 1968, et souvent mal posés, dans le conflit entre le parti communiste et les gauchistes, se rattachent très directement au problème central que j’ai essayé de poser ce soir, celui de la nature des réponses, c’est-à-dire du principe à partir duquel elles sont produites. L’opposition que j’ai faite entre ces deux groupes de questions se ramène en effet à l’opposition entre deux principes de production des opinions : un principe proprement politique et un principe éthique, le problème du conservatisme des classes populaires étant le produit de l’ignorance de cette distinction.
L’effet d’imposition de problématique, effet exercé par toute enquête d’opinion et par toute interrogation politique (à commencer par l’électorale), résulte du fait que les questions posées dans une enquête d’opinion ne sont pas des questions qui se posent réellement à toutes les personnes interrogées et que les réponses ne sont pas interprétées en fonction de la problématique par rapport à laquelle les différentes catégories de répondants ont effectivement répondu. Ainsi la problématique dominante, dont la liste des questions posées depuis deux ans par les instituts de sondage fournit une image, c’est-à-dire la problématique qui intéresse essentiellement les gens qui détiennent le pouvoir et qui entendent être informés sur les moyens d’organiser leur action politique, est très inégalement maîtrisée par les différentes classes sociales. Et, chose importante, celles-ci sont plus ou moins aptes à produire une contre-problématique. À propos du débat télévisé entre Servan-Schreiber et Giscard d’Estaing, un institut de sondages d’opinion avait posé des questions du type : « Est-ce que la réussite scolaire est fonction des dons, de l’intelligence, du travail, du mérite ? » Les réponses recueillies livrent en fait une information (ignorée de ceux qui les produisaient) sur le degré auquel les différentes classes sociales ont conscience des lois de la transmission héréditaire du capital culturel : l’adhésion au mythe du don et de l’ascension par l’école, de la justice scolaire, de l’équité de la distribution des postes en fonction des titres, etc., est très forte dans les classes populaires. La contre-problématique peut exister pour quelques intellectuels mais elle n’a pas de force sociale bien qu’elle ait été reprise par un certain nombre de partis, de groupes. La vérité scientifique est soumise aux mêmes lois de diffusion que l’idéologie. Une proposition scientifique, c’est comme une bulle du pape sur la régulation des naissances, ça ne prêche que les convertis.
On associe l’idée d’objectivité dans une enquête d’opinion au fait de poser la question dans les termes les plus neutres afin de donner toutes les chances à toutes les réponses. En réalité, l’enquête d’opinion serait sans doute plus proche de ce qui se passe dans la réalité si, transgressant complètement les règles de l’« objectivité », on donnait aux gens les moyens de se situer comme ils se situent réellement dans la pratique réelle, c’est-à-dire par rapport à des opinions déjà formulées ; si, au lieu de dire par exemple « II y a des gens favorables à la régulation des naissances, d’autres qui sont défavorables ; et vous ?… », on énonçait une série de prises de positions explicites de groupes mandatés pour constituer les opinions et les diffuser, de façon que les gens puissent se situer par rapport à des réponses déjà constituées. On parle communément de « prises de position » ; il y a des positions qui sont déjà prévues et on les prend. Mais on ne les prend pas au hasard. On prend les positions que l’on est prédisposé à prendre en fonction de la position que l’on occupe dans un certain champ. Une analyse rigoureuse vise à expliquer les relations entre la structure des positions à prendre et la structure du champ des positions objectivement occupées.
Si les enquêtes d’opinion saisissent très mal les états virtuels de l’opinion et plus exactement les mouvements d’opinion, c’est, entre autres raisons, que la situation dans laquelle elles appréhendent les opinions est tout à fait artificielle. Dans les situations où se constitue l’opinion, en particulier les situations de crise, les gens sont devant des opinions constituées, des opinions soutenues par des groupes, en sorte que choisir entre des opinions, c’est très évidemment choisir entre des groupes. Tel est le principe de l’effet de politisation que produit la crise : il faut choisir entre des groupes qui se définissent politiquement et définir de plus en plus de prises de position en fonction de principes explicitement politiques. En fait, ce qui me paraît important, c’est que l’enquête d’opinion traite l’opinion publique comme une simple somme d’opinions individuelles, recueillies dans une situation qui est au fond celle de l’isoloir, où l’individu va furtivement exprimer dans l’isolement une opinion isolée. Dans les situations réelles, les opinions sont des forces et les rapports d’opinions sont des conflits de force entre des groupes.
Une autre loi se dégage de ces analyses : on a d’autant plus d’opinions sur un problème que l’on est plus intéressé par ce problème, c’est-à-dire que l’on a plus intérêt à ce problème. Par exemple sur le système d’enseignement, le taux de réponses est très intimement lié au degré de proximité par rapport au système d’enseignement, et la probabilité d’avoir une opinion varie en fonction de la probabilité d’avoir du pouvoir sur ce à propos de quoi on opine. L’opinion qui s’affirme comme telle, spontanément, c’est l’opinion des gens dont l’opinion a du poids, comme on dit. Si un ministre de l’Éducation nationale agissait en fonction d’un sondage d’opinion (ou au moins à partir d’une lecture superficielle du sondage), il ne ferait pas ce qu’il fait lorsqu’il agit réellement comme un homme politique, c’est-à-dire à partir des coups de téléphone qu’il reçoit, de la visite de tel responsable syndical, de tel doyen, etc. En fait, il agit en fonction de ces forces d’opinion réellement constituées qui n’affleurent à sa perception que dans la mesure où elles ont de la force et où elles ont de la force parce qu’elles sont mobilisées.
S’agissant de prévoir ce que va devenir l’Université dans les dix années prochaines, je pense que l’opinion mobilisée constitue la meilleure base. Toutefois, le fait, attesté par les non-réponses, que les dispositions de certaines catégories n’accèdent pas au statut d’opinion, c’est-à-dire de discours constitué prétendant à la cohérence, prétendant à être entendu, à s’imposer, etc., ne doit pas faire conclure que, dans des situations de crise, les gens qui n’avaient aucune opinion choisiront au hasard : si le problème est politiquement constitué pour eux (problèmes de salaire, de cadence de travail pour les ouvriers), ils choisiront en termes de compétence politique ; s’il s’agit d’un problème qui n’est pas constitué politiquement pour eux (répressivité dans les rapports à l’intérieur de l’entreprise) ou s’il est en voie de constitution, ils seront guidés par le système de dispositions profondément inconscient qui oriente leurs choix dans les domaines les plus différents, depuis l’esthétique ou le sport jusqu’aux préférences économiques. L’enquête d’opinion traditionnelle ignore à la fois les groupes de pression et les dispositions virtuelles qui peuvent ne pas s’exprimer sous forme de discours explicite. C’est pourquoi elle est incapable d’engendrer la moindre prévision raisonnable sur ce qui se passerait en situation de crise.
Supposons un problème comme celui du système d’enseignement. On peut demander : « Que pensez-vous de la politique d’Edgar Faure ? » C’est une question très voisine d’une enquête électorale, en ce sens que c’est la nuit où toutes les vaches sont noires : tout le monde est d’accord grosso modo sans savoir sur quoi ; on sait ce que signifiait le vote à l’unanimité de la loi Faure à l’Assemblée nationale. On demande ensuite : « Êtes-vous favorable à l’introduction de la politique dans les lycées ? » Là, on observe un clivage très net. Il en va de même lorsqu’on demande : « Les professeurs peuvent-ils faire grève ? » Dans ce cas, les membres des classes populaires, par un transfert de leur compétence politique spécifique, savent quoi répondre. On peut encore demander : « Faut-il transformer les programmes ? Êtes-vous favorable au contrôle continu ? Êtes-vous favorable à l’introduction des parents d’élèves dans les conseils des professeurs ? Êtes-vous favorable à la suppression de l’agrégation ? etc. » Sous la question « êtes-vous favorable à Edgar Faure ? », il y avait toutes ces questions et les gens ont pris position d’un coup sur un ensemble de problèmes qu’un bon questionnaire ne pourrait poser qu’au moyen d’au moins soixante questions à propos desquelles on observerait des variations dans tous les sens. Dans un cas les opinions seraient positivement liées à la position dans la hiérarchie sociale, dans l’autre, négativement, dans certains cas très fortement, dans d’autres cas faiblement, ou même pas du tout. Il suffit de penser qu’une consultation électorale représente la limite d’une question comme « êtes-vous favorable à Edgar Faure ? » pour comprendre que les spécialistes de sociologie politique puissent noter que la relation qui s’observe habituellement, dans presque tous les domaines de la pratique sociale, entre la classe sociale et les pratiques ou les opinions, est très faible quand il s’agit de phénomènes électoraux, à tel point que certains n’hésitent pas à conclure qu’il n’y a aucune relation entre la classe sociale et le fait de voter pour la droite ou pour la gauche. Si vous avez à l’esprit qu’une consultation électorale pose en une seule question syncrétique ce qu’on ne pourrait raisonnablement saisir qu’en deux cents questions, que les uns mesurent en centimètres, les autres en kilomètres, que la stratégie des candidats consiste à mal poser les questions et à jouer au maximum sur la dissimulation des clivages pour gagner les voix qui flottent, et tant d’autres effets, vous concluerez qu’il faut peut-être poser à l’envers la question traditionnelle de la relation entre le vote et la classe sociale et se demander comment il se fait que l’on constate malgré tout une relation, même faible ; et s’interroger sur la fonction du système électoral, instrument qui, par sa logique même, tend à atténuer les conflits et les clivages. Ce qui est certain, c’est qu’en étudiant le fonctionnement du sondage d’opinion, on peut se faire une idée de la manière dont fonctionne ce type particulier d’enquête d’opinion qu’est la consultation électorale et de l’effet qu’elle produit.
Bref, j’ai bien voulu dire que l’opinion publique n’existe pas, sous la forme en tout cas que lui prêtent ceux qui ont intérêt à affirmer son existence. J’ai dit qu’il y avait d’une part des opinions constituées, mobilisées, des groupes de pression mobilisés autour d’un système d’intérêts explicitement formulés ; et d’autre part, des dispositions qui, par définition, ne sont pas opinion si l’on entend par là, comme je l’ai fait tout au long de cette analyse, quelque chose qui peut se formuler en discours avec une certaine prétention à la cohérence. Cette définition de l’opinion n’est pas mon opinion sur l’opinion. C’est simplement l’explicitation de la définition que mettent en œuvre les sondages d’opinion en demandant aux gens de prendre position sur des opinions formulées et en produisant, par simple agrégation statistique d’opinions ainsi produites, cet artefact qu’est l’opinion publique. Je dis simplement que l’opinion publique dans l’acception implicitement admise par ceux qui font des sondages d’opinion ou ceux qui en utilisent les résultats, je dis simplement que cette opinion-là n’existe pas.
D’où sont venues toutes ces personnes ? Ils sont un mélange d’anglais, d’écossais, d’irlandais, de français, de hollandais, des Allemands, et des Suédois… Quel, alors, est l’Américain, ce nouvel homme ? Il n’est ni un Européen ni le descendant d’un Européen ; par conséquent qui mélange étrange de sang, que vous trouverez dans aucun autre pays. Je pourrais préciser à toi une famille dont le père était un Anglais, dont l’épouse était hollandaise, dont le fils ai épousé une femme française, et dont les fils du présent quatre ont maintenant quatre épouses de différentes nations. Il est un Américain, qui, laissant lui tous ses préjudices et façons antiques, reçoit des neufs du nouveau mode de la vie où il a embrassé, du nouveaugouvernement il obéit, et du nouveau rang il se tient. . . . Les Américains étaient par le passé partout l’Europe dispersée ; les voici qui sont incorporés à un des systèmes les plus fins de la population qui est jamais apparue. Hector John de Crevecoeur (« Lettres d’un fermier américain », Londres, 1782)
Comprenez que l’Amérique est le creuset de Dieu, le grand Melting pot dans lequel tous les peuples d’Europe se fondent, se transforment (…) Ce sont les feux de Dieu. Au diable vos querelles et vos vendettas! Allemands et Français, Irlandais et Anglais, Juifs et Russes. Au fond du creuset avec vous tous, Dieu fabrique l’Américain. Israël Zangwill (« The Melting pot« , Londres, 1908)
Ce ne sont pas les différences qui provoquent les conflits mais leur effacement. René Girard
Selon un recensement de 1990, un Américain sur sept, quel que soit son âge, ne maîtrise pas l’anglais, Aussi, le fameux melting-pot dont les Etats-Unis étaient si fiers se revèle être un mythe de moins en moins agréable. Le cas de Los Angeles est à cet égard exemplaire. Rassemblant 140 nationalités, la plus grande ville des Etats-Unis n’est plus qu’une succession d’îlots ethniques (…) où chaque groupe vit en vase clos et préserve son identité d’origine. Chaque communauté y dispose de sa chaîne de télévision, de ses journaux, de ses restaurants et de ses épiceries regorgeant de produits étiquetés en espagnol, en coréen, en arabe ou en vietnamien.G. Olivier (1997)
Robert Putnam a découvert que plus la diversité dans une communauté est grande, moins les gens votent et moins ils donnent à des associations caritatives et travaillent à des projets communautaires. (…) Dans une étude récente, Glaeser et son collègue Alberto Alesina ont démontré qu’à peu près la moitié de la différence dans les dépenses sociales entre les Etats-Unis et l’Europe — l’Europe dépense bien plus — peut être attribuée à la diversité ethnique plus grande de la population américaine.Michael Jonas
En ceci Putnam remet en cause les deux écoles dominantes de la pensée sur la diversité ethnique et raciale, la théorie du “contact” et la théorie du “conflit”. Selon la théorie du contact, plus de temps passé avec des gens issus d’autres milieux mène à plus de compréhension et d’harmonie entre les groupes. Selon la théorie du conflit, cette proximité produit la tension et la discorde. (…) Les résultats de Putnam rejettent les deux théories. Dans les communautés plus diverses, il n’y avait pour lui ni de grandes obligations formées à travers des lignes de groupe ni des tensions ethniques intensifiées, mais un malaise civique général. Et dans peut-être le résultat le plus étonnant de tous, les niveaux de la confiance étaient non seulement plus bas entre les groupes dans des arrangements plus divers, mais même parmi les membres du même groupe. (…) Alors, comment expliquer New York, Londres, Rio de Janiero, Los Angeles — les grandes villes du creuset qui tirent les économies créatrices et financières du monde ? L’image de la lassitude civique entrainant vers le bas des communautés plus diverses contredit la vigueur souvent liée aux centres urbains, où la diversité ethnique est la plus grande. (…) Pour le chercheur en sciences politiques de l’Université du Michigan, Scoot Page, dans les lieux de travail de haut niveau, les différentes manières de penser parmi des personnes de différentes cultures peuvent être un avantage. “puisqu’elles voient et appréhendent le monde différemment que vous, c’est provocant. Mais la fréquentation de personnes différentes peut stimuler la créativité de tous. Les équipes diverses tendent à être plus productives.” (…) Autrement dit, les membres de communautés plus diverses peuvent faire plus de bowling seuls, mais les tensions créatrices lâchées par ces différences dans le lieu de travail peuvent propulser ces mêmes endroits à la pointe de l’économie et de la culture créatrice. (…) Page appelle ça le “paradoxe de diversité.” Il pense que les effets à la fois positifs et négatifs de la diversité peuvent coexister dans les communautés, mais qu’il doit y avoir une limite. Si l’investissement civique tombe trop bas, il est facile d’imaginer que les effets positifs de la diversité puissent tout aussi bien commencer à s’affaiblir. Michael Jonas
Peut-être tous ceux qui sont arrivés dans le gratte-ciel des possibles ne vont-ils pas arriver jusqu’au sommet; le sommet est aujourd’hui très loin pour la majorité… Mais même si certains ascenseurs ne montent qu’au dixième étage et que d’autres commencent seulement au 50ème, il y a pour tout le monde un voyage vers le haut. Et puis il y a ceux qui n’atteignent même pas le rez-de-chaussée de l’immeuble des possibles. Ralf Dahrendorf
Quelle est alors l’alternative à l’assimilation ? Le » panier à salade » du soi-disant multiculturalisme ne présente pas une alternative sérieuse parce qu’il ne propose pas le ciment nécessaire à l’union des communautés. Tous les ingrédients restent dès le départ séparés. La seule alternative viable pour laquelle nous avons des exemples est probablement celle de Londres ou New York. La principale caractéristique de cette alternative est la coexistence d’une sphère publique commune partagée par tous et un degré considérable de séparation culturelle de la sphère » privée « , notamment dans les zones résidentielles. L’espace public est multiculturel du fait de l’origine des gens qui le forme mais reste gouverné par des valeurs consenties et même une langue commune, tandis que la vie privée des gens reste ghettoisée, pour employer un vocable désagréable. (…) Personne n’a encore trouvé de nom pour cette nouvelle version de la doctrine » séparés mais égaux » que certains d’entre nous ont si ardemment combattue dans les années 1960 : des vies privées séparées dans un espace public qui est égalitaire pour tous. Cela est clairement plus simple à Londres et à New York que ça ne l’est dans des villes plus petites ou même dans les capitales de pays où la langue mondiale qu’est l’anglais n’est pas parlée. La communauté turque de Berlin et les communautés nord-africaines autour de Paris semblent toujours plus dissociées, avec leurs propres sphère publique et souvent leur propre langue. Là où cela se produit se créent des situations explosives, une sorte de séparatisme interne qui n’est pas le résultat de groupes historiquement séparés mais celui des nouveaux arrivants opposés aux natifs du lieu. Ralf Dahrendorf
A l’heure où, face à l’implosion et à la fragmentation de nos Etats-providence sous leur propre poids de dettes et de la simple masse des problèmes d’intégration qu’on leur demande de résoudre …
Nos belles âmes appellent à toujours plus de renoncement sur ce qui nous reste de dimension nationale (à quand, derrière l’appel à la reconnaissance du Kippour et de l’Aïd, la suppression de Noël et de Pâques?) …
Pendant que près de Versailles on se bat contre l’implantation du premier temple mormon de France …
Retour sur une particulièrement éclairante tribune de 2004 du modèle de cette nouvelle classe globale de penseurs que le spécialiste du conflit social décédé il y a deux ans, le feu Lord Dahrendorf.
Britannique d’origine allemande, sociologue et philosophe de renommée mondiale, homme politique (député libéral au parlement allemand puis du Lib Dem britannique annobli par la Reine et siégeant à la Chambre des Lords), universitaire ayant dirigé les plus grandes institutions (LSE, Oxford), ex-commissaire européen …
Dahrendorf a effectivement le mérite de pointer l’impasse, pour cause de dissolution de tout ciment social, du multiculturalisme ou « salad bowl » (retraduit par « mosaïque » au Canada des « accommodements raisonnables » et dénoncé en France sous le terme de « communautarisme », lui faisant de fait perdre toute la connatation positive qu’il conserve en anglais et le réduisant en fait à sa seule dimension de « ethnic separatism ») …
Mais aussi, pour les villes ne disposant ni de la taille ni d’une langue à vocation planétaire comme New York ou son Londres d’adoption, les formidables obstacles à la troisième voie qu’il propose comme remplacement à la désormais défunte assimilation (le fameux creuset du franco-américain Crèvecoeur ou « melting pot » du juif britannique Zangvill) sous la forme d’une sorte de modèle hybride fait de développement séparé au niveau privé et de mise en commun de la sphère publique autour de la langue et des valeurs démocratiques ….
Même s’il reste étrangement silencieux, dans le cas des Etats-Unis, tant sur la part de la religion que de la délinquance ou du terrorisme post 11/9 dans l’équation générale de l’intégration …
Ou la menace que pourrait présenter, dans les régions frontalières et les grandes métropoles telles que Los Angeles ou Miami, la part toujours plus grande (14% de la population mais 22% des naissances en 2003) et plus concentrée mais aussi, notamment pour des questions de non-connaissance de la langue commune, plus pauvre et sous-éduquée d’une minorité comme celle des Hispaniques …
La migration des personnes est aussi vieille que l’histoire de l’humanité. Même la migration vers des lieux éloignés et des cultures retirées n’est pas nouvelle. Au dix-neuvième siècle, des millions d’Européens ont cherché la liberté et la prospérité aux Amériques, notamment aux Etats-Unis. Ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est l’échelle à laquelle se produit cette migration, souvent par delà d’importantes divisions culturelles et bien souvent sans but défini.
Les boat people africains de la Méditerranée sont rarement décidés quant au pays où ils veulent aller : l’Italie, l’Allemagne ou la Grande-Bretagne. Même ceux qui sont décidés, comme les Nord-Afridains en France ou en Espagne ou les Turcs en Allemagne, avaient comme priorité d’échapper au désespoir de leur pays d’origine plutôt que de se rendre dans un pays précis.
Cette forme moderne de migration soulève d’importantes questions pour les pays d’accueil. En Europe, c’est probablement la question sociale la plus sérieuse aujourd’hui parce que personne n’a une vision claire de la gestion possible du clash des cultures qui en résulte.
Autrefois, l’Amérique du Nord et plus particulièrement les Etats-Unis semblaient à même de proposer une solution. Celle du melting pot : différents peuples apportaient leur propre contribution à la culture américaine mais, par dessus tout, déployaient tous les efforts nécessaires pour accepter ce qu’ils trouvaient sur place pour s’y intégrer. » Non » répondit la femme russe arrivée aux Etats-Unis au début du vingtième siècle à son petit-fils qui lui demandait si ses ancêtres étaient arrivés avec les pèlerins du Mayflower. » Notre bateau portait un nom différent mais aujourd’hui, nous sommes tous Américains. «
Plus récemment, cela a changé pour donner naissance à un processus décrit par Arthur Schlessinger, historien et ancien secrétaire du Président John F. Kennedy, dans son livre The Disuniting of America (la désunion de l’Amérique). Les citoyens américains ne sont plus tous des Américains. Ils sont devenus des Américains à trait d’union. Italo-Américains, Afro-Américains, Hispano-Américains, etc. Les ingrédients du melting pot se dissocient.
Même en Israël, dernier véritable pays d’immigration, du moins pour les Juifs, l’assimilation ne se fait plus aussi facilement. Les nouveaux migrants de Russie ont formé leur propre parti politique et ceux de la vieille Europe sont devenus une minorité distincte.
Israël et les Etats-Unis continuent d’avoir des mécanismes pour intégrer les nouveaux migrants. La langue est un important facteur prioritaire. En Israël, c’est l’armée, tandis qu’en Amérique, les valeurs incarnées par la Constitution représentent encore un principe laïque largement partagé.
Mais ces mécanismes s’affaiblissent partout et sont quasi inexistants dans les pays européens. Les sociétés modernes se caractérisent par des problèmes aigus d’appartenance. Elles n’offrent pas les liens implicites et inconscients d’une communauté dont les citoyens faisaient l’expérience par le passé. Ainsi, les gens ont commencé à s’accrocher à d’autres identités de groupes, plus primordiales. Ils résistent à l’assimilation, de crainte que cela ne leur enlève leur identité sans rien leur offrir en échange.
Quelle est alors l’alternative à l’assimilation ? Le » panier à salade » du soi-disant multiculturalisme ne présente pas une alternative sérieuse parce qu’il ne propose pas le ciment nécessaire à l’union des communautés. Tous les ingrédients restent dès le départ séparés.
La seule alternative viable pour laquelle nous avons des exemples est probablement celle de Londres ou New York. La principale caractéristique de cette alternative est la coexistence d’une sphère publique commune partagée par tous et un degré considérable de séparation culturelle de la sphère » privée « , notamment dans les zones résidentielles. L’espace public est multiculturel du fait de l’origine des gens qui le forme mais reste gouverné par des valeurs consenties et même une langue commune, tandis que la vie privée des gens reste ghettoisée, pour employer un vocable désagréable.
Théoriquement, c’est là la deuxième meilleure solution aux conséquences culturelles de la migration et en pratique, c’est la meilleure réponse dont nous disposions. Mais on ne peut y accéder sans sacrifice. Même le strict nécessaire de la langue commune requiert un effort délibéré sans parler de certaines règles de bonne conduite.
Vivant à Londres, je m’émerveille de la façon dont nous, les londoniens, avons fini par accepter les petites boutiques indiennes familiales et les transports publics aux mains des Antillais, sans se poser trop de questions sur des quartiers entiers devenus chinois ou bangladais. Personne n’a encore trouvé de nom pour cette nouvelle version de la doctrine » séparés mais égaux » que certains d’entre nous ont si ardemment combattue dans les années 1960 : des vies privées séparées dans un espace public qui est égalitaire pour tous.
Cela est clairement plus simple à Londres et à New York que ça ne l’est dans des villes plus petites ou même dans les capitales de pays où la langue mondiale qu’est l’anglais n’est pas parlée. La communauté turque de Berlin et les communautés nord-africaines autour de Paris semblent toujours plus dissociées, avec leurs propres sphère publique et souvent leur propre langue. Là où cela se produit se créent des situations explosives, une sorte de séparatisme interne qui n’est pas le résultat de groupes historiquement séparés mais celui des nouveaux arrivants opposés aux natifs du lieu.
Si nous sommes forcés à abandonner l’espoir de l’assimilation, nos efforts devraient se concentrer sur la création d’un espace public auquel nous devrons tous contribuer pour tous l’apprécier. L’idéal serait que ce soit un espace public en expansion puisque finalement, l’élément de l’unité d’une société moderne reste la garantie de la liberté de ses citoyens.
Ralf Dahrendorf, auteur de nombreux ouvrages reconnus, ancien Commissaire européen pour l’Allemagne, ancien directeur de la London School of Economics, et ancien directeur du St. Antony’s College d’Oxford, est membre de la Chambre des Lords britannique.
Copyright : Project Syndicate/Institute for Human Sciences, septembre 2004.
TWO weeks ago, dozens of cars were set alight in the French city of Clermont-Ferrand after a 30-year-old truck driver, Wissam El-Yamni, was roughed up and then died while in police custody. The uproar underscored the hostility of young minority men toward authority across communities in Europe, an antipathy that has at times led to deadly violence.
The failure of Islamic integration in Europe is often attributed — especially by right-wing parties — to an excess of tolerance toward the large-scale Muslim immigration that began in the mid-1970s. By recognizing Muslim religious requirements, the argument goes, countries like France, Britain and the Netherlands have unwittingly hindered assimilation and even, in some cases, fostered radicalism. But the unrest in gritty European suburbs stems not from religious difference, but from anomie.
Europeans should not be afraid to allow Muslim students to take classes on Islam in state-financed schools and universities. The recognition and accommodation of Islamic religious practices, from clothing to language to education, does not mean capitulation to fundamentalism. On the contrary, only by strengthening the democratic rights of Muslim citizens to form associations, join political parties and engage in other aspects of civic life can Europe integrate immigrants and give full meaning to the abstract promise of religious liberty.
The rise of right-wing, anti-immigrant parties has led several European countries to impose restrictions on Islamic dress, mosque-building and reunification of families through immigration law. These policies are counterproductive. Paradoxically, people for whom religion is otherwise not all that important become more attached to their faith’s clothing, symbols and traditions when they feel they are being singled out and denied basic rights.
Take, for example, the French debate over whether to recognize the Jewish Day of Atonement, Yom Kippur, and the Muslim festival of Eid al-Adha as official holidays. Yes, the French state clings to the principle of “laïcité,” or secularism — but the state’s recognition of Easter and Christmas as official holidays feels, to some Jews and Muslims, like hypocrisy. It is Islam’s absence in the institutions young European Muslims encounter, starting with the school’s calendar, classroom and canteen, that contributes to anger and alienation.
In the last few months, there have been some signs that the right-wing momentum has slowed. A French bill to ban headscarves from day care centers was killed in committee. The Dutch Parliament voted down a bill to outlaw Islamic animal slaughter. And Germany’s most populous state helped offset a judicial ban on school prayer by announcing equal access to religion courses for Muslim students.
European countries could use a period of benign neglect of the Islam issue — but only after they finish incorporating religion into the national fabric. For too long, they have instead masked an absence of coherent integration policy under the cloak of “multiculturalism.” The state outsourced the hard work of integration to foreign diplomats and Islamist institutions — for example, some students in Germany read Saudi-supplied textbooks in Saudi-run institutions.
This neglect of integration helped an unregulated “underground Islam” to take hold in storefronts, basements and courtyards. It reflected wishful thinking about how long guest workers would stay and perpetuated a myth of eventual departure and repatriation.
In Britain, for example, race-based equality laws protected Sikhs and Jews as minorities, but not Hindus and Muslims, since they were still considered “foreign.”
Institutional exclusion fueled a demand for religious recognition, and did much to unite and segregate Muslims. Islamist organizations became the most visible defenders of the faith. It is crucial now to provide the right mix of institutional incentives for religious and political moderation, and the most promising strategy for doing that is for governments to consult with the full range of law-abiding religious institutions that Muslims have themselves established.
The French Council for the Muslim Faith, the German Islam Conference, the Committee for Italian Islam and the Mosques and Imams National Advisory Board in Britain — all state-sanctioned Islamic organizations set up in the past decade — represent a broad cross-section of mosque administrators in every country. They have quietly begun reconciling many practical issues, from issuing mosque permits to establishing Islamic theology departments at public universities to appointing chaplains in the military and in prisons.
Ultimately, however, elected democratic institutions are the place where the desires of individual Muslims should be expressed. Ever since 1789, when a French legislator argued that “the Jews should be denied everything as a nation, but granted everything as individuals,” Europeans have struggled to resolve the tension between rights derived from universal citizenship versus group membership.
Over the next 20 years, Europe’s Muslim population is projected to grow to nearly 30 million — 7 to 8 percent of all Europeans — from around 17 million. Granting Muslims full religious freedom wouldn’t remove obstacles to political participation or create jobs. But it would at least allow tensions over Muslims’ religious practices to fade. This would avoid needless sectarian strife and clear the way for politicians to address the more vexing and urgent challenges of socioeconomic integration.
Jonathan Laurence, an associate professor of political science at Boston College, is the author of “The Emancipation of Europe’s Muslims: The State’s Role in Minority Integration.”
Dieu créa l’homme à son image (…) Dieu regarda tout ce qu’il avait fait, et il constata que c’était très bon. (…) C’est ainsi que furent terminés le ciel et la terre et toute leur armée. Le septième jour, Dieu mit un terme à son travail de création. (…) Dieu bénit le septième jour et en fit un jour saint, parce que ce jour-là il se reposa de toute son activité, de tout ce qu’il avait créé. Genèse 1-2
Le sabbat a été fait pour l’homme et non pas l’homme pour le sabbat. Jésus
Dieu dit à Noé: « La fin de tous les hommes est décidée devant moi, car ils ont rempli la terre de violence. (…) J’exterminerai ainsi de la surface du sol tous les êtres que j’ai créés. » Genèse 6-7
Il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes.Jésus
Ses disciples lui firent cette question: Rabbi, qui a péché, cet homme ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle? Jésus répondit: Ce n’est pas que lui ou ses parents aient péché. Jean 9: 2-3
Une femme oublie-t-elle son nourrisson? De montrer sa tendresse au fils de son ventre? Même si celles-là oubliaient, moi je ne t’oublierai pas.Esdras 49: 15
Longtemps, il fut une journée remplie d’obligations sociales (messes, fêtes et réunions familiales). Parallèlement à l’urbanisation et à la déchristianisation de la société française, le septième jour, libéré de ces contraintes, est entré dans l’ère du temps libre.Paul Yonnet
C’est bien la preuve que le dimanche est inscrit de manière indélébile dans notre psyché. Nous sommes imprégnés par l’idée qu’il s’agit d’un moment particulier. Jour du Seigneur pour les chrétiens ou jour de la famille dans l’idéal laïque, il charrie bons et mauvais souvenirs, nostalgie des repas dominicaux ou haine de la parentèle.Serge Hefez (psychiatre)
Notre monde est de plus en plus imprégné par cette vérité évangélique de l’innocence des victimes. L’attention qu’on porte aux victimes a commencé au Moyen Age, avec l’invention de l’hôpital. L’Hôtel-Dieu, comme on disait, accueillait toutes les victimes, indépendamment de leur origine. Les sociétés primitives n’étaient pas inhumaines, mais elles n’avaient d’attention que pour leurs membres. Le monde moderne a inventé la “victime inconnue”, comme on dirait aujourd’hui le “soldat inconnu”. Le christianisme peut maintenant continuer à s’étendre même sans la loi, car ses grandes percées intellectuelles et morales, notre souci des victimes et notre attention à ne pas nous fabriquer de boucs émissaires, ont fait de nous des chrétiens qui s’ignorent.René Girard
L’inauguration majestueuse de l’ère “post-chrétienne” est une plaisanterie. Nous sommes dans un ultra-christianisme caricatural qui essaie d’échapper à l’orbite judéo-chrétienne en “radicalisant” le souci des victimes dans un sens antichrétien. (…) Le mouvement antichrétien le plus puissant est celui qui réassume et “radicalise” le souci des victimes pour le paganiser. (…) Comme les Eglises chrétiennes ont pris conscience tardivement de leurs manquements à la charité, de leur connivence avec l’ordre établi, dans le monde d’hier et d’aujourd’hui, elles sont particulièrement vulnérables au chantage permanent auquel le néopaganisme contemporain les soumet.René Girard
En ce qui concerne l’aspect théologique de la question, il est toujours pénible pour moi. Je suis déconcerté. Je n’avais aucune intention d’écrire en faveur de l’athéisme mais, où que je regarde autour de nous, j’avoue qu’il m’est impossible de voir aussi clairement que d’autres, et comme je le voudrais bien, la preuve d’un dessein et d’une bienveillance. Il me semble qu’il y a trop de misère dans le monde. Je ne peux pas me persuader qu’un dieu bienveillant et tout-puissant aurait créé exprès les ichneumonidés dans l’intention qu’ils se nourrissent du corps vivant de chenilles ou le chat pour qu’il jouât avec les souris… D’un autre côté, en revanche, je ne peux pas me contenter de voir cet univers magnifique et surtout la nature de l’homme et conclure que tout cela n’est que le résultat de forces brutes. Je suis disposé à regarder toute chose comme provenant de lois faites à dessein, mais dont les détails, soit bons soit mauvais, auraient été abandonnés à ce que nous pouvons appeler le hasard.Charles Darwin
La supposition que l’œil ait été formé par l’évolution me semble au plus haut point absurde. Darwin
(…) l’extrême difficulté ou plutôt l’impossibilité de concevoir cet univers immense et magnifique, y compris l’homme avec sa capacité de regarder au loin dans le passé et dans le futur, comme le résultat d’un hasard ou d’une nécessité aveugle. Quand je réfléchis ainsi, je me sens obligé d’imaginer une Cause première douée d’un esprit intelligent, analogue à un certain degré à celui de l’homme ; et je mérite d’être appelé théiste. Darwin
Il est intéressant de contempler un rivage luxuriant, tapissé de nombreuses plantes appartenant à de nombreuses espèces abritant des oiseaux qui chantent dans les buissons, des insectes variés qui voltigent çà et là, des vers qui rampent dans la terre humide, si l’on songe que ces formes si admirablement construites, si différemment conformées, et dépendantes les unes des autres d’une manière si complexe, ont toutes été produites par des lois qui agissent autour de nous. (…) N’y a-t-il pas une véritable grandeur dans cette manière d’envisager la vie, avec ses puissances diverses attribuées primitivement par le Créateur à un petit nombre de formes, ou même à une seule ? Darwin (dernières lignes de L’Origine des espèces)
Si intentionnellement, nous en arrivions à négliger les faibles et les sans défenses, cela ne pourrait être que pour un bénéfice incertain, au prix d’un crime actuel accablant . Nous devons donc accepter les effets, sans aucun doute néfaste, de la survie et de la propagation des faibles. (…) Bien que la lutte pour l’existence ait été et est toujours importante, il y a, en ce qui concerne les parties les plus hautes de la nature humaine d’autres forces à l’oeuvre plus importante. En effet les qualités morales progressent, de manière directe ou indirecte, beaucoup plus à travers les effets des coutumes, de la raison, de l’instruction, de la religion, etc., qu’à travers la sélection naturelle.Darwin (1871)
Des dix enfants qu’il eut de sa cousine germaine Emma, née Wedgwood, Darwin en a vu mourir trois : sa seconde fille et troisième enfant, Mary Eleanor, la cadette d’Annie, était morte à trois semaines le 16 octobre 1842, d’une tuberculose et de l’ignorance médicale. Près de seize ans plus tard, au moment même où se préparait la première communication de la théorie sélective au public de la Linnean Society of London, un petit garçon âgé de dix-huit mois, Charles Waring, mourut de la scarlatine le 28 juin 1858. Il était en outre probablement atteint du « syndrome de Down » – du nom du médecin John Langdon Down (triste coïncidence homonymique avec le lieu de résidence des Darwin), qui n’identifia qu’en 1866, sous les termes d’idiotie mongoloïde, cette pathologie appartenant à la classe des idioties congénitales. Sans doute Darwin n’avait-il pas oublié que sa propre mère, née Susannah Wedgwood, elle-même issue de consanguins, s’était éteinte à l’âge de cinquante-deux ans, sans que la médecine, si présente et si puissamment injonctive dans la lignée de son époux, ait pu seulement retarder sa fin. La conscience aiguë d’un risque lié à la reproduction entre proches apparentés était telle chez Darwin qu’il ne cessa d’en appeler à des enquêtes officielles sur ses éventuelles conséquences. Son deuxième fils, George Howard, fut à ce sujet l’auteur d’une investigation statistique précise portant sur les familles de 4822 aliénés, et ses conclusions furent plutôt rassurantes, la proportion d’unions consanguines y excédant de peu ce qu’elle était dans la population normale. Darwin se rangea à l’opinion de ceux qui estimaient que la consanguinité n’était pas en elle-même une cause directe de déficits sanitaires, mais augmentait les chances de leur convergence aggravée dans la descendance en annulant du même coup toute possibilité – due, incontestablement cette fois, à la diversité des souches et au croisement hétérogène – d’enrichissement des qualités biologique et de rajeunissement dans les lignées, l’homme tombant à cet égard sous la même règle de mélange nécessaire qu’il a appliquée, pour renouveler leur vigueur, aux animaux domestiques, et qu’il a négligé, par préjugé et présomption, de s’appliquer à lui-même.Patrick Tort
Pour Darwin, la science adulte est nécessairement athée dès lors et tant qu’elle est la science. Qu’il ait soigneusement évité de proclamer un athéisme personnel ne doit pas dissimuler l’athéité nécessaire du rationalisme moniste qui gouverne son appréhension du monde vivant et la totalité de son œuvre. Dans ses Carnets, il revendiquait en effet déjà le matérialisme comme voie unique d’exploration causale des processus immanents, c’est-à-dire comme condition fondamentale de toute intelligibilité dans les sciences de la nature, s’étendant naturellement à l’explication de la complexité humaine. Alors que le christianisme s’arrogeait le privilège exclusif de dire la vérité « sur l’Homme et sur son histoire », c’est la théorie darwinienne qui, à partir de 1871 et à travers un renversement qu’aucune Église ne pourra complètement admettre, s’est donné le droit d’analyser la religion elle-même comme un fait évolutif et un objet parmi d’autres pour une anthropologie désormais installée sur ses bases naturelles. Note de l’éditeur (Darwin et la Religion. La conversion matérialiste, Patrick Tort, 2011)
Charles Darwin, connu pour être un croyant devenu progressivement agnostique a en fait vécu une véritable « conversion matérialiste ». (…) Face à la société, toutefois, il ne se déclarera jamais ouvertement athéiste (« au sens », dit-il, « de celui qui nie l’existence de Dieu »), évitant ainsi de sortir du champ de la science et de mettre sa théorie en péril dans un univers où l’enseignement de l’histoire naturelle et de la géologie est encore dominé par les membres du clergé anglican – lesquels cependant, pour la plupart, ne s’y tromperont pas. Son choix affiché de l’agnosticisme – notion parodiquement inventée en 1869 par la facétieuse ironie de Huxley payant son droit d’entrée à la Société de métaphysique en greffant avec malice une désinence de doctrine sur le simple refus de prétendre connaître ce qui dépasse l’expérience – ne saurait cependant exprimer une conviction. Charles Conte
Toutefois, si sa théorie de l’évolution est en effet, c’est l’une de ses conséquences, l’antidote sans doute le plus radical contre la religion, Darwin reconnaissait tout de même à cette dernière… une fonction dans l’évolution. Elle devenait donc un objet d’étude parmi d’autres pour l’anthropologie sociale. (…) à rebours des conclusions tirées par Herbert Spencer et d’autres à partir de sa propre théorie – et consistant à dire que la sélection naturelle règne en maîtresse sanglante sur la société humaine comme dans l’ensemble du monde vivant (et qu’il faudrait donc la relayer dans cette œuvre…) –, Darwin innova encore en déterminant que les instincts sociaux et altruistes furent eux-mêmes sélectionnés comme des avantages adaptatifs au sein du monde animal. Mais, surtout, il affirma que ces dispositions morales, souvent portées chez l’Homme dans un premier temps par les religions, tendent à contrecarrer les effets habituels de la sélection naturelle elle-même : celle-ci aurait donc sélectionné sa contradiction, résultat que Tort appelle « l’effet réversif de l’évolution ». La loi de fer de la survie du plus apte cède ainsi tendanciellement la place, chez l’Homme, à la préservation des plus faibles quel qu’en soit le coût. Yann Buxcel
Quand la « loi de fer de la survie du plus apte » cède la place à la « préservation des plus faibles » …
Pendant que, face à un Dieu et une religion qui n’en finissent pas de mourir, nos astronomes n’en reviennent toujours pas de la désespérante étroitesse des conditions d’habitabilité de notre planète …
Retour, avec le récent livre du directeur de l’Institut Charles Darwin International Patrick Tort et contre les tentatives de sa récupération religieuse (jusque sur son lit de mort!), sur la longue marche de Darwin pour se libérer du joug tyrannique de la religion.
Où l’on découvre, derrière la nécessité tactique d’avancer masqué pour sauver sa théorie, la véritable « conversion matérialiste » du père fondateur de l’évolutionnisme moderne.
Mais aussi, chez ce fervent partisan des lois d’assistance aux pauvres contre les dérives de ses émules « darwinistes sociaux« , la réintégration, jusque dans sa théorie, de la propre contradiction de celle-ci.
A savoir les dispositions morales (pardon: les « instincts sociaux et altruistes ») portés jusque là, et avant leur nécessaire dépérissement pour cause d’archaïsme superstitieux, par les religions.
Se voyant ainsi promues, d’entraves aux « effets habituels de la sélection naturelle », à « avantages adaptatifs au sein du monde animal ».
La « loi de fer de la survie du plus apte » cèdant ainsi la place, comme le verront bien Nietzsche ou Hitler, à la « préservation des plus faibles quel qu’en soit le coût » …
Patrick Tort, avec la collaboration de Solange Willefert
Darwin et la Religion. La conversion matérialiste
Paris, Ellipses, 2011, 549 pages.
Ce livre est une mise au point érudite et exhaustive sur un sujet où régnait jusqu’ici une certaine ambiguïté, voire une ambiguïté certaine (et entretenue ?) : quelle était la position de l’inventeur de la théorie de l’évolution par variation / sélection à propos de la religion ? Cette question peut désormais être considérée comme résolue.
La réponse que donne Patrick Tort, directeur de l’Institut Charles Darwin International, directeur de la publication des Œuvres complètes de Darwin aux éditions Slatkine, auteur à la bibliographie conséquente et lauréat de nombreux prix, s’appuie sur un ensemble impressionnant d’éléments à la fois biographiques et théoriques. En effet, il faut dire conjointement que, d’une part, comme l’indique le sous-titre de l’ouvrage, l’évolution de Darwin par rapport à la religion consiste bien en une conversion personnelle, et que, d’autre part, celle-ci a tout à voir avec la mise au point progressive de sa théorie.
Il faut tout le savoir encyclopédique de Patrick Tort pour restituer les débats scientifiques de l’époque et entrer véritablement au cœur de la théorie afin de faire comprendre la révolution darwinienne – et le pourquoi de la haine qu’elle a toujours suscitée chez ses détracteurs théologiens.
Darwin lui-même, comme le montre l’ouvrage d’une façon convaincante, s’il ne fut pas agnostique (position jugée inconsistante) mais bien athée, n’a pourtant jamais cherché à provoquer cette fureur, préférant « feinter » avec ses contemporains sur cette question plutôt que les attaquer de front. L’auteur décortique les usages rhétoriques qui en découlent tout au long d’une analyse de texte portant sur l’œuvre entière. Au final, il se révèle cependant certain que Darwin acquit et conserva jusqu’à la fin de sa vie une incrédulité totale (« total disbelief », comme il l’écrivit lui-même en 1876).
Peut-être déjà incliné au scepticisme par son héritage familial (il se trouve notamment que son grand-père Erasmus Darwin, qui était un savant, fut un auteur transformiste précoce, c’est-à-dire qu’il pensait déjà avec raison et contre la doxa de l’époque, que les espèces n’étaient pas fixes mais se modifiaient), Charles, qui dans ses jeunes années était sincèrement croyant et qui se destinait d’abord à la vie tranquille de pasteur de campagne, remettra radicalement en question le dogme, et ce à partir des observations naturalistes effectuées lors de son tour du monde sur le Beagle, observations qui « induisaient principalement une interprétation de la nature, physique et vivante, en termes de processus immanents, complexes et de longue durée » (p. 243), et qui sont évoquées dans son Journal de bord (à paraître chez Slatkine en septembre 2011, dans une édition scientifique illustrée préparée par Patrick Tort). Cette remise en question personnelle sera non seulement radicale mais également irréversible, et la meilleure raison à cela est que Darwin a mis au point, en science et pour le bénéfice de l’humanité entière, rien de moins que la théorie à la fois la plus matérialiste et la plus cohérente qui soit sur un ensemble de questions – l’origine des espèces vivantes et la place de l’humanité dans le monde animal – parmi les plus cruciales pour le dogme religieux auquel il croyait lui-même initialement. Ce qui fait l’intérêt universel de ce livre traitant d’une question qui, à première vue, peut sembler de pure érudition, voire de détail.
Toutefois, si sa théorie de l’évolution est en effet, c’est l’une de ses conséquences, l’antidote sans doute le plus radical contre la religion, Darwin reconnaissait tout de même à cette dernière… une fonction dans l’évolution. Elle devenait donc un objet d’étude parmi d’autres pour l’anthropologie sociale. « C’est ainsi que la religion, qui a toujours prétendu dire la vérité de la nature, devra devenir un objet pour une branche de l’histoire de la nature » (p. 51).
Il a lui-même, dans son second ouvrage majeur, La Filiation de l’Homme et la Sélection liée au sexe, exposé ses conceptions sur l’Homme. Il faut d’abord souligner qu’à rebours des conclusions tirées par Herbert Spencer et d’autres à partir de sa propre théorie – et consistant à dire que la sélection naturelle règne en maîtresse sanglante sur la société humaine comme dans l’ensemble du monde vivant (et qu’il faudrait donc la relayer dans cette œuvre…) –, Darwin innova encore en déterminant que les instincts sociaux et altruistes furent eux-mêmes sélectionnés comme des avantages adaptatifs au sein du monde animal. Mais, surtout, il affirma que ces dispositions morales, souvent portées chez l’Homme dans un premier temps par les religions, tendent à contrecarrer les effets habituels de la sélection naturelle elle-même : celle-ci aurait donc sélectionné sa contradiction, résultat que Tort appelle « l’effet réversif de l’évolution ». La loi de fer de la survie du plus apte cède ainsi tendanciellement la place, chez l’Homme, à la préservation des plus faibles quel qu’en soit le coût.
Mais cet effet « rend compte chez Darwin, indissociablement, de l’évolution conjointe du rationnel et de l’éthique » (p. 197) : la religion est appelée, de par sa nature superstitieuse liée aux périodes archaïques de l’évolution des cultures, à dépérir.
Là encore, les éléments biographiques et théoriques se répondent d’une façon cohérente, puisque Darwin a été en son temps, contrairement à ceux qu’on a fort improprement appelés les « darwinistes sociaux », partisan des lois d’assistance aux pauvres. On peut, en suivant ce fil, noter, par exemple, que le mouvement ouvrier et d’autres mouvements progressistes incarnent en quelque sorte, par les conquêtes sociales qu’ils ont réalisées pour tous et toutes, le point le plus avancé de l’évolution humaine. La conclusion, également politique, de Patrick Tort revient quant à elle plutôt sur la nouvelle offensive du créationnisme et… les tentatives de « reconquête évangélique » de la théorie darwinienne elle-même.
La moitié des cinq cent cinquante pages de l’ouvrage est constituée de trois Annexes : le premier porte sur « Géologie et christianisme jusqu’à Darwin » ; la seconde contient des citations clé de Darwin sur la religion, mises en contexte par l’auteur ; la troisième est un texte d’E.B. Aveling, libre-penseur, athée et militant socialiste, sur « Les opinions religieuses de Charles Darwin », qui commence ainsi :
« Depuis la mort de notre grand professeur, les membres du clergé, qui l’avaient auparavant stigmatisé avec cette volubilité dont une longue pratique dans l’art de l’invective a fait d’eux les maîtres consommés, ont revendiqué l’illustre mort comme l’une de leurs brebis. Non contents d’inhumer dans l’Abbaye de Westminster l’homme qu’ils avaient tous injurié et calomnié, l’homme dont ils avaient tourné en dérision les grandes découvertes, ils ont eu l’audace de dire que l’enseignement de l’Évolution est en accord total avec celui de l’Église et de la Bible. »
L’ensemble de ce livre défend l’option inverse de celle de ces hommes d’Église et la question n’est, on espère l’avoir montré, pas de simple détail.
Pour finir sur une touche amusante, notons une ironie du hasard présente dans l’index en fin de volume: « Dieu » se trouve, le pauvre, coincé entre « Diderot » et « Dinosaure ».
Charles Darwin, connu pour être un croyant devenu progressivement agnostique a en fait vécu une véritable « conversion matérialiste ».
Un article de Patrick Tort. Patrick Tort est directeur de l’Institut Charles Darwin International. Il vient de publier « Darwin et la religion » aux Editions Ellipses.
Passé, ainsi qu’il le confie lui-même, de l’« orthodoxie » relative de la jeunesse à l’« incrédulité totale » de l’âge mûr, Darwin a lié cette « conversion » au progrès irréversible de sa connaissance scientifique de la nature. Rompant nécessairement, dès son choix du transformisme en 1837, avec l’obligation de croire aux énoncés de la théologie dogmatique, il rompra également avec les argumentations palliatives de la théologie naturelle « créationniste », de même, ultérieurement, qu’avec tout providentialisme soucieux de réinscrire le fait accepté de l’évolution dans la préméditation infaillible et secrète d’un « dessein » transcendant. Face à la société, toutefois, il ne se déclarera jamais ouvertement athéiste (« au sens », dit-il, « de celui qui nie l’existence de Dieu »), évitant ainsi de sortir du champ de la science et de mettre sa théorie en péril dans un univers où l’enseignement de l’histoire naturelle et de la géologie est encore dominé par les membres du clergé anglican – lesquels cependant, pour la plupart, ne s’y tromperont pas. Son choix affiché de l’agnosticisme – notion parodiquement inventée en 1869 par la facétieuse ironie de Huxley payant son droit d’entrée à la Société de métaphysique en greffant avec malice une désinence de doctrine sur le simple refus de prétendre connaître ce qui dépasse l’expérience – ne saurait cependant exprimer une conviction.
L’usage darwinien de ce postiche est socialement auto-protecteur en même temps qu’il est, plus profondément, un opérateur d’exclusion de la métaphysique et une transaction temporaire permettant l’institution positive de la science comme champ de vérité élaborant ses propres normes. L’idée d’un Dieu agissant directement sur le monde par la voie du miracle rendant toute science improbable, le rejet du miracle et le rejet du Dieu magicien sont une réciproque impliquée par toute démarche de connaissance objective affranchie des superstitions de l’enfance. Pour Darwin, la science adulte est nécessairement athée dès lors et tant qu’elle est la science. Qu’il ait soigneusement évité de proclamer un athéisme personnel ne doit pas dissimuler l’athéité nécessaire du rationalisme moniste qui gouverne son appréhension du monde vivant et la totalité de son œuvre. Dans ses Carnets, il revendiquait en effet déjà le matérialisme comme voie unique d’exploration causale des processus immanents, c’est-à-dire comme condition fondamentale de toute intelligibilité dans les sciences de la nature, s’étendant naturellement à l’explication de la complexité humaine.
Alors que le christianisme s’arrogeait le privilège exclusif de dire la vérité « sur l’Homme et sur son histoire », c’est la théorie darwinienne qui, à partir de 1871 et à travers un renversement qu’aucune Église ne pourra complètement admettre, s’est donné le droit d’analyser la religion elle-même comme un fait évolutif et un objet parmi d’autres pour une anthropologie désormais installée sur ses bases naturelles.
Leading Darwin expert and founder of Darwin Online, John van Wyhe, challenges the popular assumption that Darwin’s theory of evolution corresponded with a loss of religious belief.
The religious views of Charles Darwin, the venerable Victorian naturalist and author of the Origin of Species (1859) never cease to interest modern readers. Bookshops and the internet are well-stocked with discussions of Darwin’s views and the implications of his theory of evolution for religion. Many religious writers today accuse Darwin of atheism. Some popular proponents of atheism also enlist Darwin to their cause. Even while Darwin was still alive there were widely varying descriptions of his religious opinions – which he kept mostly private. In 1880 the Austrian writer Ernst von Hesse-Wartegg visited Darwin at his home, Down House, in Kent. The coachman who drove Hesse-Wartegg from the train station at Orpington opined of the famous Mr. Darwin: “Ha es en enfidel, Sar- yes, an enfidel — an unbeliever! and the people say he never went to church!”. The passage quoted here was actually marked in Darwin’s copy of this German newspaper (the Frankfurter Zeitung und Handelsblatt) – no doubt it amused Darwin as much as the German attempt to capture the Kentish accent through phonetic spelling.
Other commentators were more generous in their interpretations of Darwin’s religiosity. The modern myth of a timeless conflict of science and religion was far from the reality experienced by Victorian readers who first turned the pages of Darwin’s Origin of Species and Descent of Man (1871). It is now widely forgotten that the scientific debate over the theory of evolution was over within twenty years of the publication of Origin of Species. Yet how could that be given that the Victorians were, by and large, far more religious than people generally are today and the scientific evidence for evolution was far less complete than it is now? The explanation is that for very many Victorians the choice was not between God and science, religion or evolution, but between different notions of how God designed nature. It was already widely accepted that fixed natural laws (or secondary laws) had been discovered that explained natural phenomena from astronomy and chemistry to physiology and geology. Darwin, it was believed, had simply discovered a new law of nature designed by God. And it seems this was how Darwin himself viewed at least part of the religious implications of his evolutionary theory. This also makes it all the more understandable that Darwin was buried by the nation in Westminster Abbey in 1882.
« A Venerable Orang-outang », a caricature of Charles Darwin as an ape published in The Hornet, a satirical magazine
A few of Darwin’s private letters referring to religion were published near the end of his life and more after his death. These have been very widely quoted in the voluminous discussions of Darwin’s religious views. Searching for other material which might have bearing on the question of his religious views, I turned to Darwin Online, an online repository of Darwin’s corpus where it is possible to search the works by key term. Putting in terms like ‘atheist’ and ‘atheism’ I found what seems to be a previously unknown discussion of this question by Darwin himself. The passage occurs in Darwin’s lengthy 1879 “Preliminary notice” to the English translation of Ernst Krause’s biography of Darwin’s freethinking paternal grandfather, the poet and physician Erasmus Darwin (1731-1802). Darwin addressed the question of whether his grandfather was an atheist:
Dr. Darwin has been frequently called an atheist, whereas in every one of his works distinct expressions may be found showing that he fully believed in God as the Creator of the universe. For instance, in the ‘Temple of Nature,’ published posthumously, he writes: “Perhaps all the productions of nature are in their progress to greater perfection! an idea countenanced by modern discoveries and deductions concerning the progressive formation of the solid parts of the terraqueous globe, and consonant to the dignity of the creator of all things.” He concludes one chapter in ‘Zoonomia’ with the words of the Psalmist: “The heavens declare the Glory of God, and the firmament sheweth his handiwork.”
He published an ode on the folly of atheism, with the motto “I am fearfully and wonderfully made,” of which the first verse is as follows:—
1.
Dull atheist, could a giddy dance
Of atoms lawless hurl’d
Construct so wonderful, so wise,
So harmonised a world?
It is curious that this passage has not been noticed before. If Charles Darwin argued that his grandfather’s frequent published “expressions” about a creator meant he was not an atheist, it is possible to put Darwin’s own writings to the same test. By searching his published writings on Darwin Online for “creator” one can quickly see the life-long use that Darwin made of this language
The first occurrence is in his first book, Journal of Researches (first edition of 1839, based on his Beagle diary) now known universally as The Voyage of the Beagle referring to an excursion in Australia:
A little time before this I had been lying on a sunny bank, and was reflecting on the strange character of the animals of this country as compared with the rest of the world. An unbeliever in every thing beyond his own reason might exclaim, “Two distinct Creators must have been at work; their object, however, has been the same, and certainly the end in each case is complete.”
The term does not appear in Darwin’s published writings again until the first edition of Origin of Species (1859) and the many different editions and rewordings that followed until 1872.
Darwin next used the term in his following book on the pollination adaptations of orchids in 1862:
This treatise affords me also an opportunity of attempting to show that the study of organic beings may be as interesting to an observer who is fully convinced that the structure of each is due to secondary laws, as to one who views every trifling detail of structure as the result of the direct interposition of the Creator.
This shows Darwin’s position very clearly. Even more informative are the concluding paragraphs of *Variation of Animals and Plants (1868), one of his clearest and most powerful expressions of his theory of natural selection:
Some authors have declared that natural selection explains nothing, unless the precise cause of each slight individual difference be made clear. Now, if it were explained to a savage utterly ignorant of the art of building, how the edifice had been raised stone upon stone, and why wedge-formed fragments were used for the arches, flat stones for the roof, &c.; and if the use of each part and of the whole building were pointed out, it would be unreasonable if he declared that nothing had been made clear to him, because the precise cause of the shape of each fragment could not be given. But this is a nearly parallel case with the objection that selection explains nothing, because we know not the cause of each individual difference in the structure of each being. The shape of the fragments of stone at the base of our precipice may be called accidental, but this is not strictly correct; for the shape of each depends on a long sequence of events, all obeying natural laws; on the nature of the rock, on the lines of deposition or cleavage, on the form of the mountain which depends on its upheaval and subsequent denudation, and lastly on the storm or earthquake which threw down the fragments. But in regard to the use to which the fragments may be put, their shape may be strictly said to be accidental. And here we are led to face a great difficulty, in alluding to which I am aware that I am travelling beyond my proper province. An omniscient Creator must have foreseen every consequence which results from the laws imposed by Him. But can it be reasonably maintained that the Creator intentionally ordered, if we use the words in any ordinary sense, that certain fragments of rock should assume certain shapes so that the builder might erect his edifice? If the various laws which have determined the shape of each fragment were not predetermined for the builder’s sake, can it with any greater probability be maintained that He specially ordained for the sake of the breeder each of the innumerable variations in our domestic animals and plants;— many of these variations being of no service to man, and not beneficial, far more often injurious, to the creatures themselves? Did He ordain that the crop and tail-feathers of the pigeon should vary in order that the fancier might make his grotesque pouter and fantail breeds? Did He cause the frame and mental qualities of the dog to vary in order that a breed might be formed of indomitable ferocity, with jaws fitted to pin down the bull for man’s brutal sport? But if we give up the principle in one case,—if we do not admit that the variations of the primeval dog were intentionally guided in order that the greyhound, for instance, that perfect image of symmetry and vigour, might be formed,—no shadow of reason can be assigned for the belief that variations, alike in nature and the result of the same general laws, which have been the groundwork through natural selection of the formation of the most perfectly adapted animals in the world, man included, were intentionally and specially guided. However much we may wish it, we can hardly follow Professor Asa Gray in his belief “that variation has been led along certain beneficial lines,” like a stream “along definite and useful lines of irrigation.” If we assume that each particular variation was from the beginning of all time preordained, the plasticity of organisation, which leads to many injurious deviations of structure, as well as that redundant power of reproduction which inevitably leads to a struggle for existence, and, as a consequence, to the natural selection or survival of the fittest, must appear to us superfluous laws of nature. On the other hand, an omnipotent and omniscient Creator ordains everything and foresees everything. Thus we are brought face to face with a difficulty as insoluble as is that of free will and predestination.
Then in 1871 Darwin addressed the subject of religion in the Descent of Man:
Belief in God—Religion.—There is no evidence that man was aboriginally endowed with the ennobling belief in the existence of an Omnipotent God. On the contrary there is ample evidence, derived not from hasty travellers, but from men who have long resided with savages, that numerous races have existed and still exist, who have no idea of one or more gods, and who have no words in their languages to express such an idea. The question is of course wholly distinct from that higher one, whether there exists a Creator and Ruler of the universe; and this has been answered in the affirmative by the highest intellects that have ever lived.
And in the conclusion to the second volume Darwin wrote:
He who believes in the advancement of man from some lowly-organised form, will naturally ask how does this bear on the belief in the immortality of the soul. The barbarous races of man, as Sir J. Lubbock has shewn, possess no clear belief of this kind; but arguments derived from the primeval beliefs of savages are, as we have just seen, of little or no avail. Few persons feel any anxiety from the impossibility of determining at what precise period in the development of the individual, from the first trace of the minute germinal vesicle to the child either before or after birth, man becomes an immortal being; and there is no greater cause for anxiety because the period in the gradually ascending organic scale cannot possibly be determined.
Darwin himself was not entirely consistent in the language he used to describe his beliefs. And of course his views changed over the course of his life. Starting in 1876 he began writing a private autobiography for his children and grandchildren. In it he mentioned the change in his religious views. A gradual scepticism towards Christianity and the authenticity of the Bible gradually crept over him during the late 1830s – leaving him not a Christian, but no atheist either; rather a sort of theist. To be a ‘theist’ in Darwin’s day was to believe that a supernatural deity had created nature or the univerise but did not intervene in the course of history. Darwin used the term in one famous passage in the autobiography:
… the extreme difficulty or rather impossibility of conceiving this immense and wonderful universe, including man with his capacity of looking far backwards and far into futurity, as the result of blind chance or necessity. When thus reflecting I feel compelled to look to a First Cause having an intelligent mind in some degree analogous to that of man; and I deserve to be called a Theist. This conclusion was strong in my mind about the time, as far as I can remember, when I wrote the Origin of Species; and it is since that time that it has very gradually with many fluctuations become weaker.
At other times he used the term ‘agnostic’ – a word coined and made fashionable by the naturalist Thomas Henry Huxley. In an 1879 letter, written around the same time as the autobiography and first published in Life and Letters, he writes:
In my most extreme fluctuations I have never been an Atheist in the sense of denying the existence of a God. I think that generally (and more and more as I grow older), but not always, that an Agnostic would be the more correct description of my state of mind.
Given the paucity of evidence, and the ambiguity of the statements that do remain, we will probably never be able to completely refine our definition or understanding of Darwin’s religious views. But that is not to say that there are some things that cannot be known. One point is abundantly clear, all the surviving evidence contradicts the assertion that Darwin was an atheist.
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John van Wyhe is Senior Lecturer at the National University of Singapore. He has published four books on Darwin, including the illustrated biography: Darwin (Andre Deutsch 2008). He is also founder and director of Darwin Online.
Religious critics of evolution are wrong about its flaws. But are they right that it threatens belief in a loving God?
Shankar Vedantam
February 5, 2006
The wolf shall dwell with the lamb, and the leopard shall lie down with the kid . . .Isaiah 11:6
What a book a Devil’s Chaplain might write on the clumsy, wasteful, blundering, low and horridly cruel works of nature. Charles Darwin
Ricky Nguyen and Mariama Lowe never really believed in evolution to begin with. But as they took their seats in Room CC-121 at Northern Virginia Community College on November 2, they fully expected to hear what students usually hear in any Biology 101 class: that Charles Darwin’s theory of evolution was true.
As professor Caroline Crocker took the lectern, Nguyen sat in the back of the class of 60 students, Lowe in the front. Crocker, who wore a light brown sweater and slacks, flashed a slide showing a cartoon of a cheerful monkey eating a banana. An arrow led from the monkey to a photograph of an exceptionally unattractive man sitting in his underwear on a couch. Above the arrow was a question mark.
Crocker was about to establish a small beachhead for an insurgency that ultimately aims to topple Darwin’s view that humans and apes are distant cousins. The lecture she was to deliver had caused her to lose a job at a previous university, she told me earlier, and she was taking a risk by delivering it again. As a nontenured professor, she had little institutional protection. But this highly trained biologist wanted students to know what she herself deeply believed: that the scientific establishment was perpetrating fraud, hunting down critics of evolution to ruin them and disguising an atheistic view of life in the garb of science.
It took a while for Nguyen, Lowe and the other students to realize what they were hearing. Some took notes; others doodled distractedly. Crocker brought up a new slide. She told the students there were two kinds of evolution: microevolution and macroevolution. Microevolution is easily seen in any microbiology lab. Grow bacteria in a petri dish; destroy half with penicillin; and allow the remainder to repopulate the dish. The new generation of bacteria, descendants of survivors, will better withstand the drug the next time. That’s because they are likely to have the chance mutations that allow some bacteria to defend themselves against penicillin. Over multiple cycles, increasingly resistant strains can become impervious to the drug, and the mutations can become standard issue throughout the bacterial population. A new, resistant strain of bacteria would have evolved. While such small changes are well established, Crocker said, they are quite different from macroevolution. No one has ever seen a dog turn into a cat in a laboratory.
The students leaned forward. They were starting to realize that this was unconventional material for a biology class. Many scientists, Crocker added, believe that complex life reveals the hand of an intelligent designer. The theory of intelligent design holds that while the evolutionary forces of random genetic mutation and natural selection may shape species on a small scale, they cannot account for the kind of large-scale differences between, say, chimpanzees and humans. Only some form of intelligence — most people read that phrase as « God » — could have accounted for the origin of life from nonliving matter, or the existence of complex structures within cells and organisms that rely on many parts functioning together. While many advocates of the theory of intelligent design, including Crocker, are religious, some are not. What unites these advocates is not religion but the belief that supernatural forces are active in everyday life. Science, they say, fails to see the true nature of the world when it refuses to admit anything other than material evidence. Crocker believes that biological systems cannot grow more complex on their own any more than a novel, through chance typographical errors, can turn into a different book, with a different story. How could anyone think that new books get written because of typos in old books?
Ripples of excitement spread through the class. Crocker took the students on a tour of experiments that she said were supposed to prove evolution. In the 1950s, she said, scientists Stanley Miller and Harold Urey ran electricity through a soup of chemicals to show how chemicals on the early Earth could assemble themselves into the building blocks of life.
« Anyone read about it? » she asked.
« It’s in our book, » a student said.
Crocker said that subsequent research had shown that chemicals used in the experiment did not exist on Earth 4 billion years ago. « The experiment is irrelevant, but you still find it in your books, » she said.
She cited another experiment, involving researcher Bernard Kettlewell, who produced pictures of variously colored peppered moths on tree trunks to show that when the moths were not well camouflaged, they were more likely to be eaten by birds — a process of natural selection that influenced the color of the moths. « This comes from your book — it is not actually true, » Crocker said. « The experiment was falsified. He glued his moths to the trees. »
Gasps and giggles burst out. Why was the experiment still in the textbook? Crocker said the authors’ answer was, « because it makes the point . . . The problem with evolution is that it is all supposition — this evolved into this — but there is no evidence. »
The students sat stunned. But Crocker was not done. From this ill-conceived theory, she concluded, much harm had arisen. Nazi Germany had taken Darwin’s ideas about natural selection, the credo that only the fittest survive, and followed it to its extreme conclusions — anti-Semitism, eugenics and death camps. « What happened in Germany in World War II was based on science, that some genes and some people should be killed, » Crocker said quietly. « My grandfather had a genetic problem and was put in the hospital and killed. »
Nguyen was among the first students to speak. « With so many things disproving evolution and evolution having no proof, why is it still taught? » he asked.
« Right now, in our society, we have an underlying philosophy of naturalism, that there is a material explanation for everything, » Crocker replied. « Evolution came with that philosophy. »
Carolyn Flitcroft, a student in one of the front rows, said: « So far, we have only learned that evolution is true. This is the first time I have ever heard it isn’t. »
« I lost my job at George Mason University for teaching the problems with evolution, » said Crocker, a charge that the university denies. « Lots of scientists question evolution, but they would lose their jobs if they spoke out. »
As more students began to speak, many expressed what were clearly long-held doubts about evolution. Nguyen said later that Crocker had merely provided evidence for what he had always suspected.
When Lowe finally spoke, it seemed as if the lecture had lifted a load from her shoulders. « I believe in creationism, I believe in intelligent design, » she declared to the class. Humans have souls, which make them different from other animals, she told me later. To believe in evolution meant that « after you are dead, you are done. » Without the accountability of Judgment Day and Hell, why would people follow the Ten Commandments?
A woman in the back of the class raised her hand. Her voice shook with emotion. « If science is the pursuit of truth, why is evolution not questioned? »
« I’ve heard scientists say people won’t understand, so they should be told only one side, » Crocker replied.
There was a long moment of silence. Finally the student said, « Isn’t that lying to the public? »
Crocker declined to answer the question, but someone else grimly observed, « Won’t be the first time. »
I went up to this last student after the class. She initially agreed to be identified, but moments later, remembering what Crocker had said about the scientific establishment’s intolerance of dissent, she begged me not to publish her name. The fear on her face was palpable. She wanted to be a veterinarian and was convinced that dream would be smashed if powerful scientists learned she had dared to question evolution.
Before the class, Crocker had told me that she was going to teach « the strengths and weaknesses of evolution. » Afterward, I asked her whether she was going to discuss the evidence for evolution in another class. She said no.
« There really is not a lot of evidence for evolution, » Crocker said. Besides, she added, she saw her role as trying to balance the « ad nauseum » pro-evolution accounts that students had long been force-fed.
Late last fall, Crocker debated Alan Leshner, head of the American Association for the Advancement of Science. The audience was a group of seventh-grade students at Mary Ellen Henderson Middle School in Falls Church. Leshner will not debate opponents of evolution in person, and he will not debate them in a science class, because the science association believes that such events convey a false sense to the public that there really exists a scientific controversy over evolution. As a result, Leshner and Crocker spoke to a debating class on consecutive weeks.
The theory of evolution, Leshner announced to the students, was as firmly established as the theory of gravity. That didn’t mean it couldn’t be disproved, just that no one had ever done so — or even raised any significant doubts. Leshner grabbed a set of papers and books. If the theory of gravitation still held true, it predicted with very high probability that the bundle would fall. He let go, and the papers and books landed with a thud.
« Whew! » he quipped. « That’s a relief. »
Evolutionary theory, Leshner explained, does the same thing. It explains and makes predictions about the living world that hold up. Even though Darwin’s theory predated — by a century — the discovery of DNA and a scientific understanding of the role of genes in heredity, the more science learns, the more the living world looks exactly like what would be expected if evolution were true. All living things are built from the same genetic toolbox, and species that evolution predicts are closely related share more genetic material than those that evolution says are far apart. Humans and chimps, for example, share 96 percent of their DNA sequence. Intelligent design’s argument that evolution cannot explain the origin of astoundingly complex biological systems such as the flagellum of bacteria — the microscopic, whiplike propulsion system with multiple interdependent parts — is indistinguishable, Leshner said, from the bland assertion that science has not explained everything. Unexplained, however, is not the same as unexplainable. When ID advocates see something unexplained, they point to the supernatural. But science, by definition, looks only for natural explanations, Leshner said.
« For all I know, there was an intelligent designer, but science can’t answer the question, » Leshner told the students.
Crocker’s arguments are part of a familiar litany of half-truths and errors, said Alan Gishlick, a research affiliate at the National Center for Science Education. The Miller-Urey experiment was not intended to be evidence for evolution but part of a research program into how biological mechanisms might arise from nonbiological chemical reactions. As for gluing moths to trees, Gishlick said, researcher Kettlewell affixed the moths to trees to determine how birds spot moths of different hues. The photos were illustrations and never meant to be depictions of real life.
« They put us in a position that we have to defend things that don’t need defending, and then they come back and say, Why are you defending things that we know are wrong? » Gishlick told me, his voice rising.
While critics of evolution point to gaps in the fossil record — asking, for instance, why no fossils of intermediary species exist between land mammals and sea mammals — new discoveries regularly fill those holes. By 1994, observed Brown University biologist Ken Miller, scientists unearthed fossils of animals near the Indian subcontinent that had front and hind limbs capable of walking on land and flippering through water.
Why have such examples failed to convince doubters? Over many months of interviews about intelligent design, I gradually came to realize that evolution’s advocates and critics are mostly talking about different things. While the controversy over intelligent design is superficially about scientific facts, the real debate is more emotional. Evolution cuts to the heart of the belief that humans have a special place in creation. If all things in the living world exist solely because of evolutionary competition and natural selection, what room is left for the idea that humans are made in God’s image or for any morality beyond the naked requirements of survival? Beneath all the complex arguments of intelligent design advocates, Georgetown theologian John Haught agreed, « there lies a deeply human and passionately religious concern about whether the universe resides in the bosom of a loving, caring God or is instead perched over an abyss of ultimate meaninglessness. »
If intelligent design advocates have generally been blind to the overwhelming evidence for evolution, scientists have generally been deaf to concerns about evolution’s implications.
At a news conference last year to mark the start of a trial in Dover, Pa., where parents had sued a school board for trying to introduce intelligent design into curricula, Leshner’s science association and Gishlick’s science education center repeatedly argued that evolution has no moral implications. They insisted that science and religion could coexist easily and pointed out that many scientists who accept evolution are religious.
Many religious conservatives believe the assertion that science and religion occupy separate, non-conflicting spheres is a smokescreen, a convenient way for religious liberals to brush conflict under the carpet. That may be why Leshner’s diplomatic views are rarely mentioned by critics of evolution. And it is also why a 64-year-old biologist in England has come to occupy an outsize role in one of America’s oldest culture wars. No matter the forum, location or theme, any debate about intelligent design or evolution will sooner or later invoke the name of Richard Dawkins.
« Anyone who chooses not to believe in evolution is ignorant, stupid or insane, » said Dawkins, professor of public understanding of science at Oxford University.
Dawkins was sitting in his Victorian Gothic home in North Oxford. The house boasts high ceilings and beautiful views of the garden, and, from this sanctuary, Dawkins has penned some of the world’s best-known prose in praise of Darwin’s theory of evolution. Among religious people, Dawkins is known primarily not for his science but for his militant views on evolution’s implications, especially as they pertain to religion in general and Christianity in particular. What beneficent creator, Darwin himself asked after his voyage of discovery to the Galapagos Islands in South America, would permit the sort of suffering so widespread in nature? « The God of the Galapagos is careless, wasteful, indifferent, almost diabolical, » agreed the American philosopher David Hull, writing in the scientific journal Nature. « He is certainly not the sort of God to whom anyone would be inclined to pray. »
Dawkins first shot to fame with his bestselling book, The Selfish Gene, published in 1975, which laid out the idea that animals — humans included — are essentially survival machines for genes. Individual animals die, and whole species may go extinct, but an unbroken genetic line connects every living thing on Earth. In the three decades since he wrote that book, Dawkins has seen his ideas become textbook orthodoxy, even as the notion of selfish genes has grown controversial among nonscientists. Even his wife, the biologist noted, once said, « Selfish genes are Frankensteins, and all life their monster. »
It occurred to me as I listened to Dawkins that there is a parallel between the public’s fear of selfish genes and the blockbuster science fiction movie « The Matrix, » where highly sophisticated robots take over the world: Humans in the movie do not realize they are circumscribed by unseen rules and artificial parameters; they believe they are free, when in fact they are serving the robots. Genes, Dawkins asserted, behave much like these robots, with some differences. While the robots are malevolent and manipulative, genes lack conscious intention. The « selfishness » of genes is only a metaphor. Nor are genes purely deterministic. Behavior, especially at the level of humans, is complex, and leaves much room for learning and culture. Humans can also outsmart their genetic commanders — contraceptives, for example, have disentangled the genetic lure of sexual pleasure from the genetic goal of procreation. Still, one implication of neo-Darwinian ideas is that even when people believe they are acting autonomously, they may really only be obeying the distant tugs of genes.
Dawkins’s refusal to blunt the sharp implications of evolutionary theory places him at ground zero in debates about evolution. For doubters of Darwin, Dawkins has become the poster boy of how evolutionary ideas lead — inevitably, many religious people believe — to atheism. I asked Dawkins about his propensity to rub religious people the wrong way.
« I honestly think it comes from being clear, » he said. « Some people can’t bear clarity . . . to say someone is ignorant is not insulting. I’m ignorant of baseball, and I wouldn’t be insulted if someone said, ‘You don’t know what you are talking about.’ Anyone who thinks the world is 10,000 years old doesn’t know anything about the world. »
Dawkins told me that the idea that science and religion occupy separate spheres doesn’t stand up to scrutiny. Every miracle in the Bible, from the Virgin Birth to the Resurrection, tramples on what Dawkins calls the scientific grass. « Politically, it’s expedient to pretend there is no conflict, » he told me. « What I care about is what’s true, not what’s politically expedient. »
And evolutionary science has a great deal to say about ethics and morality, Dawkins said. Being « pro-life in debates on abortion or stem cell research always means pro-human life, for no sensibly articulated reason, » he once wrote. The fact that humans think of themselves as altogether distinct from other animals — and the biblical notion that humans have dominion over other animals — is a sort of racism, Dawkins said. Evolution shows that fox hunters and bullfighters are tormenting their own distant cousins, which is why the biologist sends money to anti-bullfighting groups in Spain, and why he notes with pride that fox hunting was banned on the family farm. « The melancholy fact, » Dawkins wrote in an essay called « Gaps in the Mind, » « is that, at present, society’s moral attitudes rest almost entirely on the . . . speciesist imperative. »
Darwinian ideas about natural selection are also freighted with moral import because they show that nature, while spectacularly beautiful and ingenious, requires prodigious amounts of ruthlessness and suffering to achieve its ends. The grace of the cheetah, the beauty of a butterfly’s wings and the complexity of the human brain were all achieved by the same general process that allows bacteria to evolve into a resistant strain — they required the death of those less quick, less strong and less smart.
« The sheer amount of suffering in the world that is the direct result of natural selection is beyond contemplation, » Dawkins told me. He recently published a collection of essays called A Devil’s Chaplain, drawing on a phrase Darwin employed to describe the indifferent cruelty of nature, where wasps paralyze caterpillars segment by segment so their larvae may feed on living meat: « What a book a Devil’s Chaplain might write on the clumsy, wasteful, blundering, low and horridly cruel works of nature. » But in response to his wife’s suggestion that Frankenstein-like selfish genes have created living monsters, Dawkins believes that, alone on Earth, human beings can rebel against the mechanistic indifference of nature. Understanding the pitiless ways of natural selection is precisely what can make humans moral, Dawkins said. It is human agency, human rationality and human law that can create a world more compassionate than nature, not a religious view that falsely sees the universe as fundamentally good and benevolent. That is why, Dawkins said, he donates to disaster relief efforts — work that is « un-Darwinian » — and why he is a stickler for human laws, even the unimportant ones: When riding his bicycle, he stops at red lights even when there are no traffic and police officers present.
« I am a passionate Darwinian when it comes to explaining how things are, but I am an even more passionate anti-Darwinian when it comes to politics, » said Dawkins, who comes close to describing himself as a pacifist. « Let us understand Darwinism so we can walk in the opposite direction when it comes to setting up society. »
Moral implications have attended Darwin’s theory from the beginning. The arrow that points to the past, to the origin of human beings, also points in the other direction — to human purpose and meaning.
« Moral concerns are exactly what most people who are concerned about Darwinism in the classroom are concerned about, » said Russell Moore, dean of the theology school at Southern Baptist Theological Seminary in Louisville. « They may not articulate it in the same way, but most Americans fear a world in which everything is reduced to biology. »
David Masci, a senior fellow at the Pew Forum on Religion & Public Life, who helped conduct a recent poll that found only about 1 in 4 Americans believes that humans came about through evolution alone, said that many Christians are disturbed by the Darwinian notion that human beings, far from being the point of creation, are essentially an accident: « But for a different mutation here or there, or if an asteroid had not hit the Earth 65 million years ago, none of who we are would have happened. »
Some religious scientists have argued that evolution is consistent with a God who sets the world in motion and then leaves it to function according to fixed laws, or that the evolution of intelligent life reveals a divine plan for the emergence of creatures capable of recognizing God. However, those ideas of a distant designer are at odds with the notion of a loving God who regularly intervenes in the world to lift the burdens of the faithful. « There are a lot of forms of Christianity that are not compatible with Darwinism, » said Richard Weikart, a professor of history at California State University in Stanislaus and the author of From Darwin to Hitler: Evolutionary Ethics, Eugenics, and Racism in Germany.
Weikart, who is also a research fellow at the Discovery Institute, the chief proponent of intelligent design in the United States, said Darwinism advanced the cause not of immorality, but amorality. As evidence, he pointed to the work of evolutionary psychologists and sociobiologists who have applied Darwin’s ideas to human behavior and society and who have concluded that the same processes of natural selection that gave rise to eyes, hands and legs also produce emotions and behavior — even morality. Reduced to the Darwinian arithmetic of natural selection, emotions are neither good nor bad but merely appendages, such as wings or hands, selfishly designed by genes for their own survival. The distant tugs of genes may give rise to altruism, love and compassion, not just to selfishness and hatred, but that means human assertions about good and evil are just that, notions that humans impose on an indifferent universe, instead of absolute law. It would be as if human beings invented God, rather than the other way around.
« It may be difficult, » Darwin wrote in The Origin of Species, « but we ought to admire the savage instinctive hatred of the queen-bee, which urges her to destroy the young queens, her daughters, as soon as they are born, or to perish herself in the combat; for undoubtedly this is for the good of the community; and maternal love or maternal hatred, though the latter fortunately is most rare, is all the same to the inexorable principles of natural selection. »
If humans descended from animals, Weikart argued, no one could assert that humans ought to behave in qualitatively different ways from animals. And whatever Dawkins may say about humans choosing to turn their back on survival-of-the-fittest mentality, Weikart said, evolutionary ideas make the opposite more likely. « Eugenics would have had a difficult time getting off the ground without Darwinism, » he said.
Evolutionists abhor that assertion, but social Darwinism goes right back to Darwin himself. In The Descent of Man, Darwin noted that it was « highly injurious to the race of man » that civilized nations care for and keep alive « the imbecile, the maimed and the sick. » And while natural selection ascribes no particular value to any trait or race — fitness is merely how well an organism adapts to its environment — the naturalist reflected the prejudices of his time, 19th-century colonial Britain, when he quoted others who worried that the « careless, squalid, unaspiring Irishman » and the « inferior » Celt usually multiply faster than the « frugal, foreseeing, self-respecting, ambitious » Scot and the Saxon. Darwin believed society would be aided by « the weak in body and mind refraining from marriage. »
In fairness, Darwin mostly refrained from extrapolating natural selection to human society. And he abhorred slavery at a time when many justified it as the natural order of things. Yet, it is unquestionably true that Darwinian ideas have been easily appropriated by advocates with axes to grind. In his own day, Darwin’s research was eagerly seized upon by Thomas Henry Huxley, who used evolutionary ideas to cudgel religion.
« Extinguished theologians lie about the cradle of every science as the strangled snakes beside that of Hercules, » Huxley declared in an 1860 essay about The Origin of Species. « And history records that whenever science and orthodoxy have been fairly opposed, the latter have been forced to retire from the lists, bleeding and crushed, if not annihilated. »
In the caverns of the University of Cambridge, among darkened library stacks, Alison Pearn opened a small box. Inside were red, leather-bound notebooks, 3 inches by 6 inches, held shut with a metal clasp. The notebooks belonged to Darwin, and the ones we were examining reflected his notes on how evolutionary processes may explain the development of emotions. Lacking the tools of modern neuroscience, the naturalist studied animals, got nieces to monitor pets and even asked the parents of newborns to report to him on their crying babies.
On adjoining shelves that form the basis of the Darwin Correspondence Project, a massive effort by Pearn and her colleagues to collate the private letters and musings of evolution’s prime theorist, yellowing sheets bore diary entries from Darwin’s travels to South America on the HMS Beagle. Pearn delicately lifted pages of the notebooks with both hands; pens and ink of any sort were forbidden in the library area. As I examined the notebooks, I saw that Darwin’s handwriting was spidery and bore idiosyncratic little ticks above his W’s.
The origin of the moral conflicts over evolution goes back to those notebooks. They help explain why Darwin held his tongue for 20 years between his voyage and his publication of The Origin of Species in 1859. Realizing the religious and moral implications of his work, Darwin told a friend, was « like confessing a murder. »
« The Origin of Species for people was a bombshell, » said Darwin biographer James Moore. « It went off like a terrorist attack on the intellectual establishment. »
Moore is a philosopher of science at the University of Cambridge, a visiting scholar at Harvard University and a co-author of Darwin: The Life of a Tormented Evolutionist. I spoke with him at Cambridge last year, on the sidelines of a fellowship I was attending organized by the university and the John Templeton Foundation, which seeks to build bridges between science and religion. The foundation is critical of intelligent design for discounting abundant scientific evidence but has offered forums for advocates and critics of the theory to debate one another.
Darwin himself studied at Cambridge, where he showed the same curiosity about the natural world that would mark the rest of his life. For instance, no pursuit at Cambridge, Darwin noted in his brief autobiography, gave him more pleasure than collecting beetles. On one occasion, having peeled back the bark on a tree, Darwin spotted two rare beetles. Eagerly he scooped them up in either hand. At that very moment, he spied a third beetle, which he could not bear to lose. « I popped the one which I held in my right hand into my mouth, » Darwin wrote. « Alas! It ejected some intensely acrid fluid, which burnt my tongue so that I was forced to spit the beetle out, which was lost, as was the third one. »
Like many educated men of his time, Darwin planned to become an Anglican clergyman. When an opportunity arose to become a naturalist aboard the HMS Beagle, he set out expecting « to see God’s magnificence manifested in nature, » Moore said. Throughout the voyage, there is evidence Darwin held closely to his faith, to the point that he was teased for being such a keen believer, said Thomas Dixon, a historian at Lancaster University in England. That faith endured as Darwin was writing The Origin of Species, and it was eventually shaken less by his scientific findings than by a personal tragedy that caused Darwin to reject the existence of a Christian God who was loving and good.
At one point in Darwin’s voyage to South America, Moore told me, the naturalist stopped in Brazil, where his blood ran cold to see slaves in manacles being tortured by Catholic traders. Darwin was enraged as a Christian, but also as a scientist, because he recognized that the slave trade relied on the false notion that slaves were a different, inferior and exploitable species. Upon his return to England, Darwin extended the idea to the way people treated animals, an early precursor to Dawkins’s argument about speciesism. « To say man is the pinnacle of creation and all things were created for him . . . Darwin says that is the same arrogance we see in the slave master, » said Moore. Quoting Darwin, he added that it is « more humble and I believe true to see man created from animals — because that makes us netted together in the web of life. »
Assembling and collating the staggering range of observations he made during his travels about plants, insects and animals, and drawing insights from geology and embryology, Darwin set about his argument. He realized it was going to be controversial, but far from being anti-religious, Moore said, Darwin saw evolution as evidence of an orderly, Christian God. While his findings contradicted literal interpretations of the Bible and the special place that human beings have in creation, Darwin believed he was showing something even more grand — that God’s hand was present in all living things.
« He is not degrading man, » Moore told me. « He is bringing up the rest of creation. »
But Darwin’s religious worldview was shaken after the death of a beloved daughter in 1851, when he was unable to reconcile the death to God’s will. Moore said Darwin determined that « yes, there is a God; yes, he governs by law, but the tragic consequence of these laws is that the very old and very young go out of existence . . .
« It was the personally providential Christian god that he gives up, » Moore said. « He [still] believes in the power of God, but this is not the Lord and father of Jesus Christ. »
Darwin’s dilemma reverberates to this day: The basic tenet of all religions is that everything will work out in the end, said John Green, who studies religion and science at the University of Akron. In an indifferent universe, however, « everything is not going to turn out okay in the end. »
While Dawkins believes that Darwin referred to « the Creator » in his book merely to assuage religious critics, Moore and Alison Pearn said it was a true reflection of Darwin’s beliefs.
« Darwin stared deeply into the naked face of nature without a God, and I don’t believe he could accept what he saw — that there was just this natural machine, » said Moore. The machine, Darwin eventually concluded, was the way God brought complex life into existence. This idea of a distant designer who sets creation in motion and then does not interfere with it is embraced today by many religious scientists.
« There is grandeur in this view of life, » Darwin insisted in the conclusion to The Origin of Species. From simple beginnings « breathed by the Creator » the naturalist wrote, « endless forms most beautiful and most wonderful have been, and are being evolved. »
Eighteen Christians filed into the chapel of Truro Church in Fairfax. It was a sunny fall morning, and the group had shown up to listen to a different kind of sermon: Paul Julienne was giving a lecture on science and faith. Julienne is a physicist for the federal government and a believer.
« When people argue that science proves there is no God, they are taking a step beyond the science, » said Julienne. « If I have a criticism of intelligent design, it is that . . . natural theology is not the way one comes to understand God. God loves us. We’re not accidents. There is purpose. You don’t have to snap at Darwin at the heels. »
Julienne reflects two curious facets of the debate over intelligent design. The first is that while physicists were the original source of science’s conflict with the church, Christians by and large seem to have made their peace with physicists. Passages in Genesis about Earth’s central location in the universe are contradicted by astronomy, but battles between science and Christianity today are almost entirely over biology. In part, said Richard Potts, a biologist who studies human origins at the Smithsonian’s Museum of Natural History, this is because evolution requires a comprehension of enormous amounts of time; by contrast, telescopes have made Earth’s peripheral location in the cosmos obvious. But there is another reason. With the advent of quantum mechanics, physicists have come to believe that there are things about the universe that are not only unknown but unknowable. Biologists, by contrast, are far more likely to be reductionists, who believe all phenomena are explainable.
Julienne’s criticism of intelligent design echoes the concern of many people who are worried not about the consequences of intelligent design to science but about its consequences to faith. Brown University’s Ken Miller, a devout Catholic, noted in his book Finding Darwin’s God: « If a lack of scientific explanation is proof of God’s existence, the counterlogic is unimpeachable: A successful scientific explanation is an argument against God. That’s why this reasoning, ultimately, is much more dangerous to religion than it is to science. »
Why have intelligent design advocates sought to conduct the debate on scientific grounds — seeking to undermine the validity of evolutionary theory, while studiously avoiding mention of God or morality? In part, several historians said, this reflects the growing hegemony of science in a society where arguments need to be seen as scientific for them to carry weight.
Ronald Numbers, a professor of the history of science and medicine at the University of Wisconsin-Madison who has studied Darwinism and creationism, contends that a focus on evolution was also the only way to get creationists to set aside their own disagreements. Different groups, he told me, disagree over whether the world was literally created in seven days, as described in Genesis, whether those seven days were a metaphorical way to refer to seven epochs, or whether there were large, undocumented gaps of time between the days.
« There are three camps just within the creationists, » said Numbers. « The intelligent design people say, let’s set aside these quibbles, and let’s focus on evolution. They want to create a big tent with all the anti-evolutionists. »
While creationism in general has moved ever closer to scientific language in its various incarnations over the past century, Lancaster University historian Thomas Dixon noted that the modern debate over intelligent design — largely an American phenomenon — is really about neither science nor religion, but the American constitution, which has kept religion out of schools. The intelligent design movement, he said, is simply a reaction to this prohibition, which does not exist in Britain.
Given that so many scientists and religious people believe the theory does disservice to both science and religion, Dixon said, « a solution to this may be to have schools teach religion. Let them teach Christianity and everything else. It may be a complete and utter revolution in American history, but I’m saying it’s a good idea. »
Sitting in the pews of the church the morning I heard Paul Julienne was Caroline Crocker, the biology professor whom I had watched teach a few days earlier. I asked Crocker what she made of Julienne’s assertions about intelligent design.
« I agree it makes for weak theology, » she said.
But Crocker was reluctant to say much more. In fact, she seemed reluctant to be speaking to a reporter at all. She asked if I had seen the e-mail she had sent me the previous day; I had not. In it, she described the attacks targeted at her career as a result of her views on evolution. Losing the faculty position at GMU had left Crocker worried about how she could support a son at school in England. Family members were asking why she was sticking her neck out. Crocker and her husband, Richard, who is associate rector at Truro, believe she has become the victim of scientific authoritarianism. It is one thing to believe his wife is wrong, Richard Crocker told me, and quite another to deprive her of her right to speak.
GMU spokesman Daniel Walsch denied that the school had fired Crocker. She was a part-time faculty member, he said, and was let go at the end of her contract period for reasons unrelated to her views on intelligent design. « We wholeheartedly support academic freedom, » he said. But teachers also have a responsibility to stick to subjects they were hired to teach, he added, and intelligent design belonged in a religion class, not biology. Does academic freedom « literally give you the right to talk about anything, whether it has anything to do with the subject matter or not? The answer is no. »
Crocker said she came to her views on evolution not because of her religious faith but while working on a PhD in biology, when she learned about the complexity of the cell and the immune system. When I asked her what she made of the extraordinary genetic relatedness of living things, Crocker said she saw it as consistent with the hand of a creator, who uses the same palette of DNA to build protozoa, pandas and people.
The sense that the scientific establishment is intolerant of dissent has become common wisdom among intelligent design advocates. Many are convinced the fight should be left to tenured professors, such as biochemist Michael Behe of Lehigh University in Pennsylvania, the author of the anti-evolution tome Darwin’s Black Box, and to professionals at the Discovery Institute.
« She is really brave for it, but I felt bad that her contract wasn’t renewed, » said Irene Fanous Kamel, a student who took Crocker’s class at GMU and whose orthodox Coptic Christian family hails from Egypt. Kamel, who recently presented her own sympathetic views on intelligent design at a seminar, said she heard exasperated sighs from professors. In private, however, many students said they agreed with her. Kamel said she « would be very surprised to find another teacher talk about ID in class, unless they have tenure. It’s not welcome. »
An unintended consequence of the scientific establishment’s exasperation with evolution’s critics is that supporters of intelligent design such as Crocker and Kamel are increasingly limiting their conversations to fellow sympathizers. Among themselves, these advocates believe the wheel has turned full circle: If Galileo and Copernicus were the scientific rebels who were once punished by the dogma and authority of the church, these advocates now believe that they are being punished by the dogma and authority of science.
« Just like they say you can’t discriminate against black people, or against gays, maybe they will say you can’t discriminate against Darwin-doubters, » Crocker told me.
The personal flavor of the fight over intelligent design has been exacerbated by the political contours of the debate in the United States, where many backers of evolution fear the Christian right is seeking to impose its views on a secular nation, while religious people feel they are held in contempt by intellectuals. In an increasingly partisan atmosphere, advocates have begun to treat opponents — and not just ideas — as fair game.
Nancey Murphy, a religious scholar at Fuller Theological Seminary in Pasadena, Calif., said she faced a campaign to get her fired because she expressed the view that intelligent design was not only poor theology, but « so stupid, I don’t want to give them my time. »
Murphy, who believes in evolution, said she had to fight to keep her job after one of the founding members of the intelligent design movement, legal theorist Phillip Johnson, called a trustee at the seminary and tried to get her fired.
« His tactic has always been to fight dirty when anyone attacks his ideas, » she said. « For a long time afterward, I would tell reporters I don’t want to comment, and I don’t want you to say I don’t want to comment. I’m tired of being careful. »
Johnson denied he had tried to get Murphy fired. He said that he had spoken with a former trustee of the seminary who was himself upset with Murphy but that he was not responsible for any action taken against her. « It’s the Darwinists who hold the power in academia and who threaten the professional status and livelihoods of anyone who disagrees, » Johnson said. « They feel to teach anything but their orthodoxy is an act of professional treason. »
The odd thing is that while religious people are striving to sound like scientists, some scientists are starting to sound like religious advocates, Cambridge cosmologist John Barrow warned. « In doing science, one should be careful about wanting your theory to be true, » he said. « This is a big difference between science and religion. If you have a religious theory, you have to want the theory to be true. »
And it was exactly the kind of fight that Darwin abhorred, said Alison Pearn, the historian at the Darwin Correspondence Project. Although the naturalist’s extraordinary scholarship entitled him to strong views, Pearn said Darwin always reached out to people with different opinions. In his books, he strove mightily to represent the best arguments against his own theory, a fair-mindedness that has sometimes been abused by critics who selectively use quotes to suggest the naturalist himself had doubts. Pearn said Darwin welcomed debate because he believed that, eventually, the better ideas would win.
« The question is whether other people must be made to believe what you believe, » she said. If Darwin were alive today, she added, « Dawkins would have been goading him to say something, and he would have found a way to politely get out of it. »
A wealth of studies in recent years have suggested the benefits of faith and religious community for mental and physical health — potential markers, in Darwinian terms, of evolutionary success. Given that traditional people tend to have larger families, and that the doubters of natural selection are more likely than not to be religious traditionalists, I asked Dawkins whether natural selection may favor those who don’t believe in it.
Dawkins said he thought the scientific evidence on the benefits of religion was equivocal. Still, he said: « That’s an interesting suggestion that natural selection may favor those who do not believe in natural selection. It might be true. »
Religious scientists and philosophers who believe Darwin is right on evolution are striving to reconcile the implications of evolution with their faith. Theologian John Haught argued that a loving God can be reconciled with the suffering inherent in evolution because divine love implies freedom, and freedom implies the possibility of suffering. John Polkinghorne, a Cambridge physicist and clergyman, wrote that the world’s suffering is redeemed when God suffers along with creation: « . . . the Christian God is the Crucified God, not just a compassionate spectator of the travail of creation, but also truly ‘a fellow sufferer who understands.' »
While evolutionary ideas may coexist better with Eastern religious traditions that do not emphasize the active, involved God of Christianity, there are still obstacles. When asked about Buddhist views on evolution at a recent meeting in Washington, the Dalai Lama said the theory failed to account for the idea of karma, the ledger of reward and punishment carried over from life to life.
Peter Lipton, a University of Cambridge historian and philosopher, said the only way he has found to reconcile the factual evidence for evolution with religious faith is to think of religious texts as novels, texts in which believers can emotionally immerse themselves, while still knowing, at another level, that the truth claims being made are not literally true.
Russell Stannard, a religious physicist and the British director of the fellowship where Lipton spoke to a group of journalists, bristled at the idea. « I can’t see how a Christian can approach the New Testament as a novel, » he said. « Whether there is a Resurrection or not is not the stuff of novels — it is supposed to be historical fact. »
« Maybe I am asking less of religion than you are, » Lipton replied. « Think of all the worldly benefits you derive from religion — they are benefits that might or might not be divinely caused. I get those benefits; I don’t think they are divinely caused. »
I asked Lipton whether he was trying to have his cake and eat it, too. He admitted he was: « Here I am in a synagogue on a Saturday morning, and I say the prayers and say all these things to God and engage with God, and yet I don’t believe God exists. As I am saying that prayer, I recognize it as being a statement to God. I understand it literally, and it has meaning because of the human sentiments it expresses. I am standing saying this prayer that my ancestors said, with feeling and intention, those things are moving to me. What I am saying is, maybe that is enough. »
Shankar Vedantam writes about science and human behavior for The Post.
It’s bad enough to see basic scientific misinformation about evolution getting tossed around these days. USA Today apparently has no qualms about publishing an op-ed by a state senator from Utah (who wants to have students be taught about something called « divine design ») claiming there is no empirical evidence in the fossil evidence that humans evolved from apes. I’m not sure what we’re supposed to do with the twenty or so species of hominids that existed over the past six million years. Perhaps just file them away under « divine false starts. »
But history takes a hit as well as science. Creationists try whenever they can to claim that Darwin was directly responsible for Hitler. The reality is that Hitler and some other like-minded thinkers in the early twentieth century had a warped view of evolution that bore little resemblance to what Darwin wrote, and even less to what biologists today understand about evolution. The fact that someone claims that a scientific theory justifies a political ideology does not support or weaken the scientific theory. It’s irrelevant. Nazis also embraced Newton’s theory of gravity, which they used to rain V-2 rockets on England. Does that mean Newton was a Nazi, or that his theory is therefore wrong?
Creationists are by no means the only people who are getting history wrong these days. Yesterday in Slate, Jacob Weisberg wrote an essay in which he claimed that evolution and religion are incompatible. He claims to find support for his argument in Darwin’s own life.
That evolution erodes religious belief seems almost too obvious to require argument. It destroyed the faith of Darwin himself, who moved from Christianity to agnosticism as a result of his discoveries and was immediately recognized as a huge threat by his reverent contemporaries.
I get the feeling that Weisberg has yet to read either of the two excellent modern biographies of Darwin, one by Janet Browne and the other by Adrian Desmond and James Moore. I hope he does soon. Darwin’s life as he actually lived it does not boil down to the sort of shorthands that people like Weisberg toss around.
Darwin wrestled with his spirituality for most of his adult life. When he boarded the Beagle at age 22 and began his voyage around the world, he was a devout Anglican and a parson in the making. As he studied the slow work of geology in South America, he began to doubt the literal truth of the Old Testament. And as he matured as a scientist on the journey, he grew skeptical of miracles. Nevertheless, Darwin still attended the weekly services held on the Beagle. On shore he sought churches whenever he could find them. While in South Africa, Darwin and FitzRoy wrote a letter together in which they praised the role of Christian missions in the Pacific. When Darwin returned to England, he was no longer a parson in the making, but he certainly was no atheist.
In the notebooks Darwin began keeping on his return, he explored every implication of evolution by natural selection, no matter how heretical. If eyes and wings could evolve without help from a designer, then why couldn’t behavior? And wasn’t religion just another type of behavior? All societies had some type of religion, and their similarities were often striking. Perhaps religion had evolved in our ancestors. As a definition of religion, Darwin jotted down, « Belief allied to instinct. »
Yet these were little more than thought experiments, a few speculations that distracted Darwin every now and then from his main work: of discovering how evolution could produce the natural world. Darwin did experience an intense spiritual crisis during those years, but science was not the cause.
At age 39, Darwin watched his father Robert slowly die over the course of months. His father had confided his private doubts about religion to Darwin, and he wondered what those doubts would mean to Robert in the afterlife. At the time Darwin happened to be reading a book by Coleridge called Friend and Aids to Reflection, about the nature of Christianity. Nonbelievers, Coleridge declared, should be left to suffer the wrath of God.
Robert Darwin died in November, 1848. Throughout Charles’s life, his father had shown him unfailing love, financial support, and practical advice. And now was Darwin supposed to believe that his father was going to be cast into eternal suffering in hell? If that were so, then many other nonbelievers, including Darwin’s brother Erasmus and many of his best friends, would follow him as well. If that was the essence of Christianity, Darwin wondered why anyone would want such a cruel doctrine to be true.
Shortly after his father’s death, Darwin’s health turned for the worse. He vomited frequently and his bowels filled with gas. He turned to hydropathy, a Victorian medical fashion in which a patient is given cold showers, steam baths, and wrappings in wet sheets. He would be scrubbed until he looked « very like a lobster, » he wrote to his wife Emma. His health improved, and his sprits rose even more when Emma discovered that she was pregnant again. In November 1850 she gave birth to their eighth child, Leonard. But within a few months death would return to Down House.
In 1849 three of the Darwin girls, Henrietta, Elizabeth, and Anne suffered bouts of scarlet fever. While Henrietta and Elizabeth recovered, nine-year old Anne remained weak. She was Darwin’s favorite, always throwing her arms around his neck and kissing him. Through 1850 Anne’s health still did not rebound. She would vomit sometimes, making Darwin worry that « she inherits I fear with grief, my wretched digestion. » The heredity that Darwin saw shaping all of nature was now claiming his own daughter.
In the spring 1851 Anne came down with the flu, and Darwin decided to take her to Malvern, the town where he had gotten his own water-cure. He left her there with the family nurse and his doctor. But soon after, she developed a fever and Darwin rushed back to Malvern alone. Emma could not come because she was pregnant again and just a few weeks away from giving birth to a ninth child.
When Darwin arrived in Anne’s room in Malvern, he collapsed on a couch. The sight of his ill daughter was awful enough, but the camphor and ammonia in the air reminded him of his nightmarish medical school days in Edinburgh, when he watched children operated on without anesthesia. For a week–Easter week, no less–he watched her fail, vomiting green fluids. He wrote agonizing letters to Emma. « Sometimes Dr. G. exclaims she will get through the struggle; then, I see, he doubts.–Oh my own it is very bitter indeed. »
Anne died on April 23, 1851. « God bless her, » Charles wrote to Emma. « We must be more & more to each other my dear wife. »
When Darwin’s father had died, he had felt a numb absence. Now, when he came back to Down House, he mourned in a different way: with a bitter, rageful, Job-like grief. « We have lost the joy of our household, and the solace of our old age, » he wrote. He called Anne a « little angel, » but the words gave him no comfort. He could no longer believe that Anne’s soul was in heaven, that her soul had survived beyond her unjustifiable death.
It was then, 13 years after Darwin discovered natural selection, that he gave up Christianity. Many years later, when he put together an autobiographical essay for his grandchildren, he wrote, « I think that generally (and more and more as I grow older), but not always, that an agnostic would be the most correct description of my state of mind. »
Darwin did not trumpet his agnosticism. Only by poring over his private autobiography and his letters have scholars been able to piece together the nature of his faith after Anne’s death. Darwin wrote a letter of endorsement, for example, to an American magazine called the Index, which championed what it called « Free Religion, » a humanistic spirituality in which the magazine claimed « lies the only hope of the spiritual perfection of the individual and the spiritual unity of the race. »
Yet when the Index asked Darwin to write a paper for them, he declined. « I do not feel that I have thought deeply enough [about religion] to justify any publicity, » he wrote to them. He knew that he was no longer a traditional Christian, but he had not sorted out his spiritual views. In an 1860 letter to Asa Gray—a Harvard botanist, the leading promoter of Darwin in America, and an evangelical Christian–he wrote, « I am inclined to look at everything as resulting from designed laws, with the details, whether good or bad, left to the working out of what we may call chance. Not that this notion at all satisfies me. I feel most deeply that the whole subject is too profound for human intellect. A dog might as well speculate on the mind of Newton. »
In private Darwin complained about social Darwinism, which was being used to justify laissez-faire capitalism. In a letter to the geologist Charles Lyell, he wrote sarcastically, « I have received in a Manchester newspaper rather a good quib, showing that I have proved ‘might is right’ and therefore that Napoleon is right, and every cheating tradesman is also right. » But Darwin decided not to write his own spiritual manifesto. He was too private a man for that.
Despite his silence, Darwin was often pestered in his later years for his thoughts on religion. « Half the fools throughout Europe write to ask me the stupidest questions, » he groused. The inquiring letters not only tracked him down to Down House but reached deep into his most private anguish. To strangers, his responses were much briefer than the one he had sent to Gray. To one correspondent, he simply said that when he had written the Origin of Species, his own beliefs were as strong as a prelate’s. To another, he wrote that a person could undoubtedly be « an ardent theist and an evolutionist, » and pointed to Asa Gray as an example.
Yet to the end of his life, Darwin never published anything about religion. Other scientists might declare that evolution and Christianity were perfectly in harmony, and others such as Thomas Huxley might taunt bishops with agnosticism. But Darwin would not be drawn out. What he actually believed or didn’t, he said, was of « no consequence to any one but myself. »
Darwin and and his wife Emma rarely spoke about his faith after Anne’s death, but he came to rely on her more with every passing year, both to nurse him through his illnesses and to keep his spirits up. At age 71, a few weeks before his death, he looked over the letter she had written to him just after they married. At the time she was beginning to become worried about his faith and urged him to remember what Jesus had done for him. On the bottom he wrote, « When I am dead, know that many times, I have kissed & cryed over this. »
It is a disservice to Darwin, and to history, to turn his tortured, complex life into a talking point in a culture war.
(Much of this post is adapted from the last chapter of my book, Evolution.)
Les Juifs demandent des miracles et les Grecs cherchent la sagesse: nous, nous prêchons Christ crucifié; scandale pour les Juifs et folie pour les païens, mais puissance de Dieu et sagesse de Dieu pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs. Paul (1 Cor 1: 22-24)
Dieu a-t-il rejeté son peuple? Loin de là! Car moi aussi je suis Israélite, de la postérité d’Abraham, de la tribu de Benjamin.Paul (Rm 11: 1)
Je voudrais moi-même être anathème et séparé de Christ pour mes frères, mes parents selon la chair, qui sont Israélites, à qui appartiennent l’adoption, et la gloire, et les alliances, et la loi, et le culte, et les promesses, et les patriarches, et de qui est issu, selon la chair, le Christ, qui est au-dessus de toutes choses, Dieu béni éternellement. Paul (Rm 9: 3)
O Enfants d’Israël ! rappelez-vous la faveur que Je vous ai octroyé, et remplissez vos engagements envers Moi comme Je remplis Mes obligations envers vous, et ne craignez personne d’autre que Moi. Et croyez en ce que Je révèle, confirmant la révélation qui est avec vous, et ne soyez pas les premiers à rejeter la Foi qui s’y trouve, ni ne vendez Mes Signes pour un petit prix; et craignez Moi, et Moi seul.Coran 2:40-41
Combattez ceux qui rejettent Allah et le jugement dernier et qui ne respectent pas Ses interdits ni ceux de Son messager, et qui ne suivent pas la vraie Religion quand le Livre leur a été apporté, (Combattez-les) jusqu’à ce qu’ils payent tribut de leurs mains et se considèrent infériorisés.Coran 9:29
Des théologiens absurdes défendent la haine des Juifs… Quel Juif pourrait consentir d’entrer dans nos rangs quand il voit la cruauté et l’hostilité que nous manifestons à leur égard et que dans notre comportement envers eux nous ressemblons moins à des chrétiens qu’à des bêtes ? Luther (1519).
Nous ne devons pas […] traiter les Juifs aussi méchamment, car il y a de futurs chrétiens parmi eux. Luther (Propos de table, 1543)
Si les apôtres, qui aussi étaient juifs, s’étaient comportés avec nous, Gentils, comme nous Gentils nous nous comportons avec les Juifs, il n’y aurait eu aucun chrétien parmi les Gentils… Quand nous sommes enclins à nous vanter de notre situation de chrétiens, nous devons nous souvenir que nous ne sommes que des Gentils, alors que les Juifs sont de la lignée du Christ. Nous sommes des étrangers et de la famille par alliance; ils sont de la famille par le sang, des cousins et des frères de notre Seigneur. En conséquence, si on doit se vanter de la chair et du sang, les Juifs sont actuellement plus près du Christ que nous-mêmes… Si nous voulons réellement les aider, nous devons être guidés dans notre approche vers eux non par la loi papale, mais par la loi de l’amour chrétien. Nous devons les recevoir cordialement et leur permettre de commercer et de travailler avec nous, de façon qu’ils aient l’occasion et l’opportunité de s’associer à nous, d’apprendre notre enseignement chrétien et d’être témoins de notre vie chrétienne. Si certains d’entre eux se comportent de façon entêtée, où est le problème? Après tout, nous-mêmes, nous ne sommes pas tous de bons chrétiens. Luther (Que Jésus Christ est né Juif, 1523)
Les Juifs sont notre malheur (…) Les Juifs sont un peuple de débauche, et leur synagogue n’est qu’une putain incorrigible. On ne doit montrer à leur égard aucune pitié, ni aucune bonté. Nous sommes fautifs de ne pas les tuer! Luther
Ou Dieu est injuste ou vous, les Juifs, vous êtes des impies (…) Il est un argument que les Juifs ne peuvent combattre (…) Il faut qu’il nous disent les causes pourquoi, depuis quinze cents ans, ils sont un peuple rejeté de Dieu, sans roi, sans prophètes, sans temple; ils ne peuvent en donner d’autres raisons que leur péchés. Luther
Si un juif vient me demander le baptême, je lui donnerai, mais aussitôt après je vous le mènerai au milieu du pont de l’Elbe, lui accrocherai une meule au cou et vous le jetterai à l’eau. Luther (Propos de table, 1543)
Vous ne trouverez en eux qu’un peuple ignorant et barbare, qui joint depuis longtemps la plus sordide avarice à la plus détestable superstition et à la plus invincible haine pour tous les peuples qui les tolèrent et qui les enrichissent. Il ne faut pourtant pas les brûler.Voltaire (Dictionnaire philosophique, 1769)
Victime en tous temps de son fanatisme, de sa religion insociable, de sa loi insensée, [le peuple juif] est maintenant dispersé dans toutes les nations, pour lesquelles il est un monument durable des effets terribles de l’aveuglement superstitieux […]. Ose donc enfin, ô Europe, secouer le joug insupportable des préjugés qui t’affligent ! Laisse à des Hébreux stupides, à de frénétiques imbéciles, à des Asiatiques lâches et dégradés, ces superstitions aussi avilissantes qu’insensées. Paul Henri Thiry d’Holbach (L’esprit du judaïsme, 1770)
La nation juive n’est pas civilisée, elle est patriarchale, n’ayant point de souverain, n’en reconnaissant aucun en secret, et croyant toute fourberie louable, quand il s’agit de tromper ceux qui ne pratiquent pas sa religion. Elle n’affiche pas ses principes, mais on les connaît assez. Un tort plus grave chez cette nation, est de s’adonner exclusivement au trafic, à l’usure, et aux dépravations mercantiles […] Tout gouvernement qui tient aux bonnes mœurs devrait y astreindre les Juifs, les obliger au travail productif, ne les admettre qu’en proportion d’un centième pour le vice: une famille marchande pour cent familles agricoles et manufacturières; mais notre siècle philosophe admet inconsidérément des légions de Juifs, tous parasites, marchands, usuriers, etc.Charles Fourier (Analyse de la civilisation, 1848)
Juifs. Faire un article contre cette race qui envenime tout, en se fourrant partout, sans jamais se fondre avec aucun peuple. Demander son expulsion de France, à l’exception des individus mariés avec des Françaises ; abolir les synagogues, ne les admettre à aucun emploi, poursuivre enfin l’abolition de ce culte. Ce n’est pas pour rien que les chrétiens les ont appelés déicides. Le juif est l’ennemi du genre humain. Il faut renvoyer cette race en Asie, ou l’exterminer. Pierre-Joseph Proudhon (1849)
Observons le Juif de tous les jours, le Juif ordinaire et non celui du sabbat. Ne cherchons point le mystère du Juif dans sa religion, mais le mystère de sa religion dans le Juif réel. Quelle est donc la base mondaine du judaïsme ? C’est le besoin pratique, l’égoïsme. Quel est le culte mondain du Juif ? C’est le trafic. Quelle est la divinité mondaine du Juif ? C’est l’argent. Karl Marx
L’argent est le dieu jaloux d’Israël devant qui nul autre Dieu ne doit subsister.Karl Marx
Dans les villes, ce qui exaspère le gros de la population française contre les Juifs, c’est que, par l’usure, par l’infatigable activité commerciale et par l’abus des influences politiques, ils accaparent peu à peu la fortune, le commerce, les emplois lucratifs, les fonctions administratives, la puissance publique . […] En France, l’influence politique des Juifs est énorme mais elle est, si je puis dire, indirecte. Elle ne s’exerce pas par la puissance du nombre, mais par la puissance de l’argent. Ils tiennent une grande partie de de la presse, les grandes institutions financières, et, quand ils n’ont pu agir sur les électeurs, ils agissent sur les élus. Ici, ils ont, en plus d’un point, la double force de l’argent et du nombre. Jean Jaurès (La question juive en Algérie, Dépêche de Toulouse, 1er mai 1895)
Nous savons bien que la race juive, concentrée, passionnée, subtile, toujours dévorée par une sorte de fièvre du gain quand ce n’est pas par la force du prophétisme, nous savons bien qu’elle manie avec une particulière habileté le mécanisme capitaliste, mécanisme de rapine, de mensonge, de corset, d’extorsion. Jean Jaurès (Discours au Tivoli, 1898)
Parmi eux, nous pouvons compter les grands guerriers de ce monde, qui bien qu’incompris par le présent, sont néanmoins préparés à combattre pour leurs idées et leurs idéaux jusqu’à la fin. Ce sont des hommes qui un jour seront plus près du cœur du peuple, il semble même comme si chaque individu ressent le devoir de compenser dans le passé pour les péchés que le présent a commis à l’égard des grands. Leur vie et leurs œuvres sont suivies avec une gratitude et une émotion admiratives, et plus particulièrement dans les jours de ténèbres, ils ont le pouvoir de relever les cœurs cassés et les âmes désespérées. Parmi eux se trouvent non seulement les véritables grands hommes d’État, mais aussi tous les autres grands réformateurs. À côté de Frédéric le Grand, se tient Martin Luther ainsi que Richard Wagner. Hitler (« Mein Kampf », 1925)
Le 10 novembre 1938, le jour anniversaire de la naissance de Luther, les synagogues brûlent en Allemagne. Martin Sasse (évêque protestant de Thuringe)
Depuis la mort de Martin Luther, aucun fils de notre peuple n’est réapparu comme tel. Il a été décidé que nous serons les premiers à être témoins de sa réapparition… Je pense que le temps est passé et que nous devons dorénavant dire les noms de Hitler et de Luther d’un même souffle. Ils sont faits tous les deux du même moule. [Schrot und Korn]. Bernhard Rust (ministre de l’éducation d’Hitler)
Avec ses actes et son attitude spirituelle, il a commencé le combat que nous allons continuer maintenant; avec Luther, la révolution du sang germanique et le sentiment contre les éléments étrangers au Peuple ont commencé. Nous allons continuer et terminer son protestantisme; le nationalisme doit faire de l’image de Luther, un combattant allemand, un exemple vivant « au-dessus des barrières des confessions » pour tous les camarades de sang germanique. Hans Hinkel (responsable du magazine de la Ligue de Luther Deutsche Kultur-Wacht, et de la section de Berlin de la Kampfbund, discours de réception à la tête de la Section Juive et du département des films de la Chambre de la Culture et du ministère de la Propagande de Goebbels)
Le Peuple Allemand est uni non seulement par la loyauté et l’amour de la patrie, mais aussi par la vieille croyance germanique en Luther [Lutherglauben]; une nouvelle époque de vie religieuse consciente et forte a vu le jour en Allemagne. Chemnitzer Tageblatt
Le nationalisme doit faire de Luther un combattant allemand. Avec ses actes et son attitude spirituelle, il a commencé le combat que nous allons continuer maintenant. Hans Hinkel (rédacteur de la Ligue de Luther. Deutsche Kuktur-Watch).
Tout ce qui se passe dans le monde aujourd’hui est la faute des sionistes. Les Juifs Américains sont derrière la crise économique mondiale qui a aussi frappé la Grèce.Mikis Theodorakis (2011)
Là, vous avez déjà l’ensemble du programme nazi. Karl Jaspers
Nous ne savons pas si Hitler est sur le point de fonder un nouvel islam. Il est d’ores et déjà sur la voie; il ressemble à Mahomet. L’émotion en Allemagne est islamique, guerrière et islamique. Ils sont tous ivres d’un dieu farouche. Jung (1939)
Mein Kampf (…) Tel était le nouveau Coran de la foi et de la guerre: emphatique, fastidieux, sans forme, mais empli de son propre message. Churchill
Il est difficile de comprendre le comportement de la plupart des protestants allemands durant les premières années du nazisme si on ne prend pas en compte deux choses : leur histoire et l’influence de Martin Luther. Le grand fondateur du protestantisme était à la fois un antisémite ardent et un partisan absolu de l’autorité politique. Il voulait une Allemagne débarrassée des Juifs. Le conseil de Luther a été littéralement suivi quatre siècles plus tard par Hitler, Goering et Himmler. William L. Shirer
Au Procès de Nuremberg, après la Seconde Guerre mondiale Julius Streicher, le fameux propagandiste nazi, éditeur de la revue hebdomadaire haineuse antisémite Der Stürmer, affirme que s’il doit être présent ici, accusé de telles charges, alors il doit en être de même pour Martin Luther. En lisant certains passages, il est difficile de ne pas être d’accord avec lui. Les propositions de Luther se lisent comme un programme pour les nazis. William Nichols
Nous qui portons son nom et héritage, devons reconnaître avec peine les diatribes anti-judaïques contenues dans les articles tardifs de Luther. Nous rejetons ses invectives violentes comme l’on fait nombre de ses compagnons au XVIe siècle, et nous sommes dans une profonde et constante tristesse pour ses effets tragiques sur les générations ultérieures de Juifs. Conseil des églises de l’Église luthérienne évangélique d’Amérique (1994)
Le peuple juif est le Peuple Élu de Dieu. Les croyants doivent les bénir comme les Écritures disent que Dieu bénira ceux qui bénissent Israël et maudira ceux qui maudissent Israël. L’Église désavoue et renonce aux œuvres et mots de Martin Luther concernant le peuple juif. Des prières sont faites pour la cicatrisation des douleurs du peuple juif, sa paix et sa prospérité. Des prières sont faites pour la paix de Jérusalem. Avec une grande tristesse et des regrets, une repentance est offerte au peuple juif pour le mal que Martin Luther a causé. Le pardon est demandé au peuple juif pour ces actions. Les Évangiles sont tout d’abord pour les Juifs et ensuite les Gentils (les croyants en Christ). Les Gentils ont été greffés à la vigne. Dans le Christ, il n’y a ni Juif ni Gentil, mais le désir du Seigneur est qu’il n’y ait qu’un seul nouvel homme, car le Christ a rompu le mur de séparation avec Son propre corps. (Éphésiens 2:14-15). Le LEPC/EPC/GCEPC bénit Israël et le peuple juif. The Lutheran Evangelical Protestant Church (Église protestante évangélique luthérienne des États-Unis)
L’antisionisme est le nouvel habit de l’antisémitisme. Demain, les universitaires qui boycottent Israël demanderont qu’on brûle les livres des Israéliens, puis les livres des sionistes, puis ceux des juifs.Roger Cukierman (président du CRIF, janvier 2003)
La nouvelle judéophobie se présente comme une saine réaction à l’injustice – la “spoliation” des Palestiniens, des musulmans, de tous les peuples victimes de l’“arrogance” occidentale. Aussi est-elle assez largement partagée par les multiples héritiers du communisme, du gauchisme et du tiers-mondisme. D’autant plus qu’elle se veut – spécificité nauséeuse – un rejet de la discrimination. L’antijuif de notre temps ne s’affirme plus raciste, il dénonce au contraire le racisme comme il condamne l’islamophobie et, en stigmatisant les sionistes en tant que racistes, il s’affirme antiraciste et propalestinien.Les antijuifs ont retrouvé le chemin de la bonne conscience. (…) Autrefois rejetés comme venus d’Orient puis comme apatrides, les juifs sont à présent “désémitisés”, fustigés comme sionistes et occidentaux. L’antisémitisme refusait la présence des juifs au sein de la nation; l’antisionisme leur dénie le droit d’en constituer une. La rhétorique a changé. L’anathème demeure.Atila Ozer
Les juifs ont toujours été l’objet des calomnies d’une Europe ambivalente- montrés du doigt pour le trop grand exclusivisme de leur foi, ne disposant ni des lignées ancestrales des propriétaires terriens ni du statut des aristocrates. Les juifs commencent maintenant à se sentir aussi indésirables en Europe que dans les années 30 – ou qu’en 1543, quand Martin Luther écrivait sa diatribe« Des juifs et leurs mensonges ». Des universitaires juifs sont parfois tenus à l’écart dans les conférences internationales en Europe. Certaines banlieues de Paris et de Rotterdam ne sont plus sûres pour les juifs. L’Europe est en grande partie anti-Israël et le sera probablement toujours.Victor Davis Hanson (20.12.11)
La direction de l’Union protestante épouse une vision similaire. Fahrenhorst, qui est au comité d’organisation du Luthertag, nomme Luther le premier Führer spirituel allemand qui parle à tous les Allemands sans tenir compte du clan ou de la religion. Dans une lettre à Hitler, Fahrenhorst rappelle à Hitler que ses Vieux Combattants étaient pour la plupart protestants et que c’était précisément dans les régions protestantes de notre Patrie que le nazisme trouvait sa plus grande force. Promettant que la célébration du Luthertag ne se transformera pas en manifestation confessionnelle, Fahrenhorst invite Hitler à devenir le patron officiel du Luthertag. Dans une correspondance ultérieure, Fahrenhorst ré-explique que la célébration de Luther pourrait d’une certaine façon servir à dépasser les limites confessionnelles : Luther est réellement, non seulement le fondateur d’une confession chrétienne, mais beaucoup plus. Ses idées ont eu un impact fructueux sur tout le christianisme en Allemagne. Précisément, en raison de la signification politique aussi bien que religieuse de Luther, le Luthertag doit servir de référence aussi bien pour l’Église que pour le peuple. Richard Steigmann-Gall
La principale opposition de frères ennemis dans l’Histoire, c’est bien les juifs et les chrétiens. Mais le premier christianisme est dominé par l’Epître aux Romains qui dit : la faute des juifs est très réelle, mais elle est votre salut. N’allez surtout pas vous vanter vous chrétiens. Vous avez été greffés grâce à la faute des juifs. On voit l’idée que les chrétiens pourraient se révéler tout aussi indignes de la Révélation chrétienne que les juifs se sont révélés indignes de leur révélation. (…) Il faut reconnaître que le christianisme n’a pas à se vanter. Les chrétiens héritent de Saint Paul et des Evangiles de la même façon que les Juifs héritaient de la Genèse et du Lévitique et de toute la Loi. Mais ils n’ont pas compris cela puisqu’ils ont continué à se battre et à mépriser les Juifs. (…) ils ont recréé de l’ordre sacrificiel. Ce qui est historiquement fatal et je dirais même nécessaire. Un passage trop brusque aurait été impossible et impensable. Nous avons eu deux mille ans d’histoire et cela est fondamental. (…) la religion doit être historicisée : elle fait des hommes des êtres qui restent toujours violents mais qui deviennent plus subtils, moins spectaculaires, moins proches de la bête et des formes sacrificielles comme le sacrifice humain. Il se pourrait qu’il y ait un christianisme historique qui soit une nécessité historique. Après deux mille ans de christianisme historique, il semble que nous soyons aujourd’hui à une période charnière – soit qui ouvre sur l’Apocalypse directement, soit qui nous prépare une période de compréhension plus grande et de trahison plus subtile du christianisme. René Girard
Il y a deux grandes attitudes à mon avis dans l’histoire humaine, il y a celle de la mythologie qui s’efforce de dissimuler la violence (…) la plus répandue, la plus normale, la plus naturelle à l’homme et (…) l ’autre (…) beaucoup plus rare et (…) même unique au monde (…) réservée tout entière aux grands moments de l’inspiration biblique et chrétienne [qui] consiste non pas à pudiquement dissimuler mais, au contraire, à révéler la violence dans toute son injustice et son mensonge, partout où il est possible de la repérer. C’est l’attitude du Livre de Job et c’est l’attitude des Evangiles. […]. C’est l’attitude qui nous a permis de découvrir l’innocence de la plupart des victimes que même les hommes les plus religieux, au cours de leur histoire, n’ont jamais cessé de massacrer et de persécuter. C’est là qu’est l’inspiration commune au judaïsme et au christianisme, et c’est la clef, il faut l’espérer, de leur réconciliation future. C’est la tendance héroïque à mettre la vérité au-dessus même de l’ordre social. René Girard
Alors que, comme le montre bien la liste du Centre Wiesenthal, l’année 2011 a amplement démontré qu’avec son cortège de boycotts, critiques et discours de déligimitation contre Israël, l’antisémitisme est « loin d’être le domaine exclusif des Néo nazis et des cinglés » …
Et en prolongement de l’un de nos récents billets sur le véritable mouvement de déjudaïsation du christianisme allemand sur lequel Hitler et les nazis s’étaient appuyés pour leur prise du pouvoir ….
Comment ne pas être interpellé par cette récente déclaration de Victor Davis Hanson rappelant la longue tradition antisémite de notre continent et notamment les tristement célèbres textes antisémites de Martin Luther de 1543?
Comment surtout ne pas voir leur étrange ressemblance avec tant les déclarations antisémites du Coran neufs siècles plus tôt que celles des nazis quatre cents ans plus tard?
Comme si, nouveau Mahomet et au prix d’un monstreux contresens, celui qui avait tant fait pour libérer la foi chrétienne après Paul des dérives de la Loi basculait soudain, à la fin de sa vie et contre les juifs qui refusaient de se convertir et de lui apporter son soutien, de la plus grande bienveillance à la plus totale hostilité et à l’appel au meurtre.
Allant jusqu’à proposer, dans son tristement célèbre »Des Juifs et leurs mensonges », une véritable ébauche, toutes proportions gardées, de la « Solution finale » (appelant, en huit points, à la spoliation, l’expulsion et la mise à mort des juifs) que reprendront et mettront littéralement en pratique quatre siècles plus tard les nazis …
DES JUIFS ET LEURS MENSONGES (Extraits)
Martin Luther
1543
Je m’étais résolu à ne plus écrire sur les Juifs ni contre eux. Mais comme j’ai appris que ces gens misérables et maudits n’arrêtent pas de nous leurrer, nous les chrétiens, j’ai publié ce petit livre, de façon que je puisse me trouver parmi ceux qui s’opposent à leurs activités empoisonnées et pour mettre les chrétiens en garde contre eux.
Cher monsieur et bon ami, j’ai reçu un traité dans lequel un Juif s’engage dans un dialogue avec un Chrétien. Il ose pervertir les passages des Écritures saintes que nous citons en témoignage de notre foi, concernant notre Seigneur Jésus Christ et sa mère Marie, et les interpréter de façon tout à fait différente. Avec ces arguments, il pense qu’il peut détruire la base de notre foi.
Il n’y a pas d’autre explication pour ceci que celle de Moïse citée précédemment, à savoir, que Dieu a frappé les Juifs de ‘folie, de cécité et de confusion d’esprit’. Aussi nous sommes même coupables si nous ne vengeons pas tout ce sang innocent de notre Seigneur et des chrétiens qu’ils ont répandu pendant les trois cents ans après la destruction de Jérusalem, et le sang des enfants qu’ils ont répandu depuis lors (qui brille encore de leurs yeux et de leur peau). Nous sommes fautifs de ne pas les tuer. Au contraire, nous leur permettons de vivre librement dans notre milieu, en dépit de tous leurs meurtres, leurs imprécations, leurs blasphèmes, leurs mensonges et diffamations; nous protégeons et défendons leurs synagogues, leurs maisons, leurs vies et leurs biens. De cette façon, nous les rendons paresseux et tranquilles et nous les encourageons à nous plumer hardiment de notre argent et de nos biens, ainsi qu’à se moquer et à se railler de nous, avec comme but de nous vaincre, de nous tuer pour un tel péché et de prendre tous nos biens (comme ils le prient et souhaitent tous les jours). Maintenant, dites-moi s’ils n’ont pas toutes les raisons d’être les ennemis de nous, les maudits Goyim, et de nous maudire et de faire tout leur possible pour obtenir notre ruine finale, complète et éternelle !
1.« Tout d’abord, mettre le feu à leurs synagogues ou écoles et enterrer ou couvrir de saleté tout ce qui ne brûlera pas, de façon que personne ne puisse jamais revoir une de leurs pierres ou leur cendre… »
2.« En second, je conseille que leurs maisons soient rasées et détruites. »
3.« En trois, je conseille que tous leurs livres de prières et écrits talmudiques, qui servent à apprendre une telle idolâtrie, leurs mensonges, leurs malédictions et leurs blasphèmes, leur soient retirés… »
4.« En quatre, je conseille que leurs rabbins aient l’interdiction d’enseigner sous peine de perdre la vie… »
5.« En cinq, je conseille que les sauf-conduits sur les grands chemins soient abolis complètement pour les Juifs… »
6.« En six, je conseille que l’usure leur soit interdite, et que toutes les liquidités et trésors d’or et d’argent leur soient confisqués…de tel argent ne doit pas être utilisé…de la [manière] suivante… Si un Juif se convertit sincèrement, on doit lui remettre [une certaine somme]… »
7.« En sept, je recommande que l’on mette un fléau, une hache, une houe, une pelle, une quenouille ou un fuseau entre les mains des jeunes et forts Juifs ou Juives et qu’on les laisse gagner leur pain à la sueur de leur front. Car ce n’est pas juste qu’ils doivent nous laisser trimer à la sueur de nos faces, nous les damnés Goyim, tandis qu’eux, le peuple élu, passent leur temps à fainéanter devant leur poêle, faisant bombance et pétant, et en plus de tout cela, faisant des fanfaronnades blasphématoires de leur seigneurie contre les chrétiens, à l’aide de notre sueur. Non, nous devons expulser ces fripons paresseux par le fond de leur pantalon. »
8.« Si nous voulons laver nos mains du blasphème des Juifs et ne pas partager leur culpabilité, nous devons nous séparer d’eux. Ils doivent être conduits hors de notre pays » et « nous devons les conduire comme des chiens enragés ». »
« Il n’y a aucune différence en ce qui concerne la naissance ou la chair ou le sang, comme la raison nous le dit. En conséquence « ni les Juifs ni les Gentils ne doivent se vanter » devant Dieu de leur naissance physique… car tous ensembles, nous partageons une naissance, une chair et un sang, provenant des tout premiers et très saints ancêtres. Nul ne peut reprocher à l’autre quelque singularité sans s’impliquer lui-même à la même occasion. » (148).
« En premier lieu, ils diffament notre Seigneur Jésus Christ, le nommant sorcier et outil du diable. Ils le font, car ils ne peuvent nier ses miracles. Ainsi, ils imitent leurs aïeux qui disaient ‘Il chasse les démons par Belzébuth, le prince des démons’. [Luc 11:15]. » »
Extraits de Du nom de Hamphoras et de la lignée du Christ
« Ici à Wittenburg, dans notre église paroissiale, il y a une truie sculptée dans la pierre, sous laquelle sont étendus des jeunes cochons et des Juifs qui sont en train de téter, et derrière la truie se tient un rabbin qui soulève la patte droite de la truie, se dresse derrière la truie, se penche et regarde avec grand effort le Talmud sous la truie, comme s’il voulait lire et voir quelque chose de très difficile et d’exceptionnel ; il n’y a aucun doute, ils ont reçu leur Chem Hamphoras de cet endroit »
« Quand Judas s’est pendu et que ses intestins ont jailli et, comme cela se produit dans de telles circonstances, que sa vessie aussi éclata, les Juifs étaient prêts à recueillir l’eau et les autres choses précieuses, et puis ils s’en sont gavé et en ont bu avidement entre eux, et ils étaient alors dotés d’une telle finesse de vue qu’ils ont pu percevoir des commentaires dans les Saintes Écritures que ni Matthieu ni Isaïe eux-mêmes …n’auraient été capables de détecter, ou peut-être regardaient-ils dans le cul de leur Dieu “Shed,” et ont trouvé ces choses écrites dans ce trou fumant »
Le Diable s’est calmé et a de nouveau rempli sa panse; ceci est une véritable bénédiction pour les Juifs et ceux qui désirent être Juifs, à embrasser, à s’engraisser, à déglutir et à adorer ; et puis le Diable à son tour dévore et boit goulûment ce que ces bons élèves dégorgent et éjectent par le haut et par le bas.
« Le diable avec son groin angélique, dévore ce qui est secrété des ouvertures orales et anales des Juifs ; ceci est en effet son plat favori, dont il se gave comme une truie derrière la haie.
Ces deux dernières années, le Centre Simon Wiesenthal, une importante ONG Juive des droits de l’homme, a compilé une liste des dix premières insultes anti-Israël et antisémites. La liste continue de refléter un antisémitisme global en pleine croissance et la délégitimation d’Israël venant de voix courantes. Elle n’inclut pas de déclarations venant d’organisations terroristes ou du gouvernement Iranien. Ces citations devraient servir comme un réveil téléphonique à ceux qui croient que de tels discours emphatiques sont le domaine exclusif des Néo nazis et des cinglés.
1
« Je viens aujourd’hui devant vous, de la Terre Sainte, la terre de la Palestine, la terre des messages divins, l’ascension de la paix du Prophète Muhammad – que la paix soit avec lui – et du lieu de naissance de Jésus Christ – que la paix soit avec lui – parler au nom des Palestiniens …
Le Président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas à l’ONU s’adressant devant l’Assemblée Générale, Le 23 septembre 2011. En parlant au monde, Abbas a omis toute référence et liens historiques des Juifs avec la Terre Sainte. Aucune référence à Abraham, Isaac, Jacob, le Roi David, le Roi Solomon, ou Isaiah, Jeremiah, Ézéchiel
Lisez la source
2
« Je voudrais voir les statistique précises du nombre d’Israéliens qui ont été tués par des bombes ou des roquettes lancées par les Palestiniens ?
Nous savons que des centaines de milliers de Palestiniens ont été tués … ni la Turquie ni les Musulmans dans la région n’ont exercé une telle cruauté sur Israël … Israël est inexplicablement cruel contre l’innocent Palestinien, se cachant derrière l’Holocauste Nazi et cherchant a montrer qu’elle est la victime….Chacun sait ce qu’est Israël . «
le Premier ministre turc Recèpe Tayyip Erdogan lors d’un entretien sur CNN avec Fareed Zakaria,
Le 25 septembre 2011 Lisez la source
3
“ Tout ce qui se passe dans le monde aujourd’hui est la faute des sionistes “
Les Juifs Américains sont derrière la crise économique mondiale qui a aussi frappé la Grèce »
Zorba le grec du compositeur, Mikis Theodorakis, Vainqueur de Musique Internationale du conseil de L’UNESCO, a aussi dit à la TV grecque qu’il était « anti-israélien et antisémite, » le 15 février 2011 . Lire la source
4
« J’aime Hitler…des gens comme vous seraient morts. Vos mères, vos ancêtres, toutes seraient p ****** gazés, »
le renommé couturier de Christian Dior John Galliano a été licencié et reconnu coupable plus tard devant la justice Française pour ses propos emphatiques antisémites qu’il a crié à des Juifs dans un café de Paris.
Galliano a présenté des excuses plus tard. Lisez la source
5
« Je comprends Hitler… Il n’est pas ce que vous appelleriez un bon type, mais ouais,
Je comprends beaucoup de lui et je sympathise avec lui un peu. Mais allons, je ne suis pas pour la seconde guerre mondiale et je ne suis pas contre des Juifs … je suis bien sûr, beaucoup pour les Juifs. Non, non c’est trop, parce qu’Israël est un emmerdeur… Je suis beaucoup pour Speer. Albert Speer [l’Architecte d’Hitler] … Il était aussi peut-être un des meilleurs enfants de Dieu …et Bien, je suis un Nazi. «
le directeur Lars Von Trier Trèves a été expulsé du Festival du cinéma Cannes après ce discours emphatique,
Le 18 mai 2011. Il a fait des excuses plus tard. Lisez la source
6
« Les Juifs veulent cette ventouse de sang syrien pour rester et continuer à sucer le sang de leur proie. Ils veulent non seulement leur sécurité, mais aussi jouir à la vue de sang syrien versé.
Je me demande pourquoi le soutien des Juifs à Bashar el Assad accrût après qu’ils aient vu des rivières de sang syrien versé.
Ce boucher de masse a agi dans des villes syriennes, une vieille image vient à mon esprit, des Juifs saignent les gens et utilisent leur sang pour préparer des matzas. La logique n’accepte pas ceci, mais les faits le prouvent. »
auteur syrien Osama Al-Malouhi, un adversaire de Président Bashar Assad, posté sur un site Web d’opposition, le 26 octobre 2011, l’Institut de Recherches du Moyen-Orient. Lisez la source
7
« Tous les Juifs dans le monde ne sont pas mauvais. La proportion est de 60-40. Soixante pour cent sont mauvais à des degrés différents jusqu’à un niveau que les mots ne peuvent pas décrire, tandis que 40 pour cent ne sont pas mauvais. »
Tawfiq Okasha, un candidat au poste présidentiel en Egypte post-Mubarak a ajouté que parmi 40 % ’de non-mauvais’ Juifs il y a seulement chaque millionième qui est irréprochable et que le président Français Nicolas Sarkozy est « un de ces Juifs qui adhère à l’idéologie des Sionistes … une des pires idéologies, » diffusé à la TV Al-Faraeen, le 31 octobre 2011. LISEZ LA SOURCE…
*6 et *7 à l’origine annoncé dans « L’éloge du printemps Arabe excepté pour l’Antisémitisme » par Jeffrey Goldberg. Bloomberg, le 28 novembre 2011
8
« La source qui finance et incite toutes ces organisations internationales particulièrement dans le monde arabe … elle sont dirigées par une seule organisation, mauvaise et connue : le Sionisme qui est derrière tous ces mouvements, toutes ces guerres civiles et tous ces maux …
Jésus Christ guérissait les malades parmi les Juifs … et ressuscitait les morts. Comment l ont-ils remboursé ? » Ils se sont efforcés de le crucifier jusqu’à sa mort. … «
« Le peuple de l’opposition aujourd’hui … appartient-il au Christianisme ou à l’Islam ? Non, il est profondément enraciné dans le Judaïsme et dans le Sionisme … N’importe quelle personne intelligente qui lit les Protocoles des sages de Sion comprendra la mesure de son influence sur la politique de notre région et du monde. »
George Saliba, Évêque de l’Église Orthodoxe syrienne au Liban, TV Al-Dunya,
Le 24 juillet 2011. Media research Institute du Moyen-Orient Lisez la source
9
« Opposez-vous au chantage moral du prétendu Holocauste ! » Arbeit macht
Frei ! « , « la vérité rend libre ! »
Hermann Dierkes, leader du Parti de gauche à Duisburg, Allemagne, avril 2011.
Dierkes a posté un flyer sur un site Web avec une swastika devenant une Étoile de David et a appelé au boycott de produits israéliens, étiquetant Israël comme un état voyou et belliciste ».
« Arbeit macht Frei ! » est inscrit sur les portes d’entrée des camps de concentration Nazis Auschwitz et Dachau. Lisez la source
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« L’état d’Israël est un endroit illégal et génocidaire … pour comparer le Judaïsme avec l’état d’Israël, c’est comme comparer le Christianisme avec le rappeur Flavor Flav.( du groupe Public Ennemy)
le Révérend Jeremiah Wright dans un discours devant des milliers de personnes, le 14 juin 2011, à Baltimore, Maryland. Lisez la source
Nous invitons les membres du public à écrire au Centre de Wiesenthal pour tout propos anti-israélien ou antisémite afin que de tels incidents puissent être exposés et que les criminels soient tenus pour responsable devant l’opinion publique
Cela ressemble bien aux Américains d’inventer un big bang à l’origine de nos univers. Julien Green (écrivain franco-américain)
Of course it has nothing to do with God whatsoever. But I can understand why people go that way because the Higgs is so important to our understanding of nature.James Gillies (CERN)
On appelle planète Boucles d’or (en anglais Goldilocks planet) une planète située dans la zone habitable de son étoile (habitable zone aussi appelée Goldilocks zone en anglais). Cette appellation est une allusion au conte intitulé Boucles d’or et les Trois Ours dans lequel l’héroïne, Boucles d’or, décide de manger le gruau du bol de l’ourson lorsqu’elle se trouve au logis de la famille ours, car ce bol n’est « ni trop chaud, ni trop froid », tout comme doit l’être la zone habitable d’une étoile.Wikipedia
Si la Terre avait été seulement un petit peu plus proche du Soleil, elle aurait pu connaître le même sort que la suffocante Vénus. Un soupçon plus loin, et elle serait devenu un désert glacé semblable à Mars. Et malgré tout, la Terre s’est retrouvée pile au bon endroit, et qui plus est avec les bons ingrédients pour permettre à la vie de croître et embellir. Les scientifiques des années 70, perplexes, en conclurent que nous étions » au pays de Boucles d’Or » Mais ce pays de cocagne s’étendait sur une portion remarquablement limitée de l’espace. Il ne recouvrait même pas toute la Terre. À cette époque, les formes de vie connues se confinaient dans des limites bien définies : pas plus froid que l’Antarctique (les pingouins), pas plus chaud que l’eau frémissante (les lézards du désert), pas plus haut que les nuages (grands rapaces), pas plus bas que certains puits de mines (microbes) Et cependant dans les 30 dernières années, notre connaissance de la vie dans les milieux extrêmes a littéralement explosé. Les scientifiques ont découvert des microbes dans les réacteurs nucléaires, d’autres qui se gavent d’acide, d’autres encore pour lesquels l’eau bouillante est un agréable jacuzzi. Des écosystèmes complets ont été découverts autour de cheminées hydrothermales du fond des mers où la lumière du Soleil ne pénètre jamais, et où l’eau qui jaillit de ces cheminées est à la température du plomb fondu. Le pays de Boucles d’Or est beaucoup plus grand qu’on ne l’avait initialement pensé. Science Nasa
L’univers a été réglé très précisément pour l’émergence de la vie et de la conscience. Le réglage initial est d’une virtuosité époustouflante: on pourrait le comparer à l’habileté d’un archer qui réussirait à planter sa flèche au milieu d’une cible carrée de 1 centimètre de coté, éloignée de 15 milliards d’années-lumière… Trinh Xuan Thuan
La révolution copernicienne « nous » a fait perdre « notre » place au centre de l’Univers. La révolution darwinienne « nous » a remis à « notre » place de simple espèce biologique parmi d’autres. Trouver de la vie extra-terrestre serait une troisième révolution montrant que « notre » vie terrestre n’est que l’un des multiples exemples de vies. Pierre Thomas
Si d’un coup de baguette magique on transportait la Terre au-delà de l’orbite de Mars, les fleurs et les petits oiseaux disparaîtraient bien sûr. Mais la vie dans le sous-sol profond, près des sources hydrothermales mantelliques et dans les lacs sous-glaciaires persisterait. Notons que cette vie serait très difficile à détecter « de l’extérieur ». Pierre Thomas
Il existe un codage extrêmement précis de l’Univers. Il suffit de l’observer pour constater qu’il est gouverné par des lois parfaitement réglées. Aujourd’hui, la plupart des scientifiques étudient ces lois sans se poser -du moins publiquement – la question de leur origine. Pourtant, ces lois ont de façon troublante les propriétés habituellement attribuées à Dieu. Elles sont universelles. Elles sont absolues car elles ne dépendent ni de la personne qui les étudie ni de l’état du système observé. Elles sont éternelles et intemporelles. Grâce à ces machines à remonter le temps que sont les télescopes, nous constatons que les propriétés des galaxies lointaines vues dans leur enfance peuvent s’expliquer avec les mêmes lois physiques que les galaxies proches vues dans leur maturité. Elles sont omnipotentes puisque rien dans l’Univers, du plus petit atome au plus grand amas de galaxies, n’échappe à leur emprise. Enfin, elles sont omniscientes: les systèmes physiques dans l’Univers n’ont pas à les informer de leurs états particuliers pour que ces lois agissent sur eux. Elles savent à l’avance. (…) La nature semble parler le langage des mathématiques. (…) nous vivons dans un Univers où la difficulté du code cosmique semble ajustée à l’aptitude du cerveau humain à le comprendre. (…) L’Univers semble réglé de façon précise dès sa naissance pour l’apparition de la vie et de la conscience. (…) par ailleurs, un « principe créateur » ne signifie pas pour moi un Dieu personnifié qui crée ex nihilo l’Univers, mais un principe panthéiste omniprésent dans la nature, tel que l’entendaient Spinoza et Einstein.Trihn Xuan Thuan
Mais on ne sait même pas si l’univers a un début car le temps a été créé avec l’univers.Trihn Xuan Thuan
En 1968, le sociologue de la religion Peter Berger assura le New York Times que ‘d’ici le 21ème siècle, on ne trouverait probablement plus de croyants que dans de petites sectes, blottis les uns contre les autres pour résister à une culture séculaire mondiale’. Parmi les prédictions les plus spectaculairement fausses, celle-ci n’est pas loin de celle du journaliste de la vieille aristocratie de gauche britannique qui assura les Européens qu’Al-Qa’eda ne représentait aucune menace pour l’Europe le jour même où celle-ci assassina 200 banlieusards à la station d’Atocha de Madrid. Pour ce qui est de Berger, il a au moins depuis rectifié le tir puisqu’ il a reconnu l’ ‘erreur de catégorie’ que représentait le fait de confondre modernisation et sécularisation, forme de prise de ses désirs pour la réalité qui remonte d’ailleurs aux Lumières.The Telegraph
Qui se souvient que le principal modèle d’explication de l’origine de l’Univers …
Vient en fait du terme ironique qu’avait choisi …
Pour moquer l’hypothèse d’un curé belge (un certain Georges Lemaitre postulant par ailleurs, excusez du peu, « l’expansion de l’univers » et un « écho disparu de la formation des mondes ») …
Particule Dieu? Zone de Boucles d’or? Fenêtre d’habitabilité? Théorie de la Terre rare? Lois de l’univers parfaitement réglées? Universelles, absolues, éternelles, intemporelles, omnipotentes et omniscientes?
Incroyable dosage de conditions (masse, distance, longévité, allumage, gravitation, composition, température, présence d’eau liquide, lumière, protection contre rayonnements et météorites), de forces physiques fondamentales (gravitation, force électromagnétique, forces nucléaires électro-forte et électro-faible) et de constantes universelles (vitesse de la lumière, constante de Planck, constante de gravitation) ?
Alors qu’à l’aube d’une nouvelle année et après le moment fatidique où depuis la nuit des temps les peuples se sont demandés s’il allait bien revenir (du moins pour l’hémisphère nord), la plupart d’entre nous a pu à nouveau constater, soulagé, le retour du Sol invictus …
Et où, alors qu’un Dieu annoncé mort depuis près d’un siècle n’en finit non seulement pas de mourir mais semble reprendre du poil de la bête et redeviendrait même, si l’on en croit, un numéro double du Point, « tendance » …
Pendant que, semblant confirmer l’angoissante singularité de notre propre planète, nos astronomes continuent leur recherche chaque jour un peu plus vaine d’autres planètes habitables à défaut d’habitées …
Comment ne pas s’étonner …
Pendant que de son côté l’art apparait de plus en plus antichrétien …
De cette sorte d’effacement progressif des frontières entre science et théologie à laquelle nous semblons assister?
Et notamment au-delà de la « suite de coïncidences improbables d’évènements et de circonstances astrophysiques et géologiques qu’il semble devoir imaginer pour que notre monde se crée tel qu’il est et qu’y émerge une vie multicellulaire complexe …
Tous les jours, les scientifiques découvrent que la vie peut s’épanouir dans des endroits inattendus, et pas seulement dans l’aire privilégiée où nous la croyions confinée.
» Cette soupe est trop chaude ! » s’exclama Boucles d’Or.
Puis elle goûta la deuxième assiette de soupe.
» Cette soupe est trop froide ! » protesta-t-elle.
Elle trempa alors sa cuillère dans la troisième assiette et la porta à sa bouche
» Hummm… cette soupe est juste comme il faut ! » dit-elle joyeusement, avant de l’avaler d’une seule traite.
( » Boucles d’Or et les trois ours « , conte pour enfants)
On pourrait dire que les scientifiques qui se posent la question de l’existence d’une vie extraterrestre sont un peu comme Boucles d’Or.
Pendant de nombreuses années, ils ont regardé le système solaire autour d’eux. Mercure et Vénus étaient définitivement trop chaudes, et Mars et les planètes extérieures trop froides pour abriter des êtres vivants. Seule la Terre convenait à la vie pensaient-ils. Notre planète avait pour elle son eau liquide, son atmosphère respirable, et une quantité adaptée de rayonnement solaire. Formidable.
Cependant les choses auraient pu être très différentes. Si la Terre avait été seulement un petit peu plus proche du Soleil, elle aurait pu connaître le même sort que la suffocante Vénus. Un soupçon plus loin, et elle serait devenu un désert glacé semblable à Mars. Et malgré tout, la Terre s’est retrouvée pile au bon endroit, et qui plus est avec les bons ingrédients pour permettre à la vie de croître et embellir. Les scientifiques des années 70, perplexes, en conclurent que nous étions » au pays de Boucles d’Or «
Mais ce pays de cocagne s’étendait sur une portion remarquablement limitée de l’espace. Il ne recouvrait même pas toute la Terre. À cette époque, les formes de vie connues se confinaient dans des limites bien définies : pas plus froid que l’Antarctique (les pingouins), pas plus chaud que l’eau frémissante (les lézards du désert), pas plus haut que les nuages (grands rapaces), pas plus bas que certains puits de mines (microbes).
Et cependant dans les 30 dernières années, notre connaissance de la vie dans les milieux extrêmes a littéralement explosé. Les scientifiques ont découvert des microbes dans les réacteurs nucléaires, d’autres qui se gavent d’acide, d’autres encore pour lesquels l’eau bouillante est un agréable jacuzzi. Des écosystèmes complets ont été découverts autour de cheminées hydrothermales du fond des mers où la lumière du Soleil ne pénètre jamais, et où l’eau qui jaillit de ces cheminées est à la température du plomb fondu.
Le pays de Boucles d’Or est beaucoup plus grand qu’on ne l’avait initialement pensé.
Grand comment ? Pour le découvrir, les scientifiques vont chercher plus profond, plus haut et pour ainsi dire dans tous les coins et recoins de notre planète.
Rechercher la vie dans l’Univers est une des missions essentielles de la Nasa. Et trouver une forme de vie dans un milieu extrême ici sur Terre peut nous indiquer quels types d’endroits pourraient finalement se révéler propices à la vie ailleurs dans l’univers.
Les chercheurs de la Nasa Richard Hoover et Elena Pikuta font partie de ces scientifiques. Le mois dernier, ils ont annoncé la découverte d’une nouvelle espèce d’organisme extrêmophile, Tindallia californiensis, découverte sur les rivages du lac Mono, en Californie.
Le lac Mono est une pièce d’eau extrêmement salée et alcaline. Elle est environ trois fois plus salée que l’eau de mer et son pH est de 10, équivalent à celui des produits ménagers utilisés pour nettoyer les vitres. (un pH de 7 est neutre, tandis que la lessive de soude a un pH de 14).
Et en dépit de cela, le lac Mono comprend une gamme étendue de formes de vie, depuis les microbes jusqu’à de petites crevettes en passant par le plancton. Tindalia Californiensis s’y trouve chez elle car elle prolifère dans les milieux très alcalins (pH compris entre 8,5 et 10) et contenant une forte proportion de sel (20%)
» Tindalia californiensis occupe une niche intéressante dans la chaîne alimentaire du lac Mono » note Hoover. Laquelle ? découvrez le maintenant dans la suite de cet article, » l’exobiologie est un sport d’endurance « . (lien ci-dessous).
Pour les scientifiques, l’apparition de la vie sur une planète résulte d’une propention naturelle de la matière à s’organiser en structures de plus en plus complexes, lorsque certaines conditions favorables sont réunies.
Ces conditions sont celles d’un équilibre, d’une zone tempérée entre les extrêmes, entre le trop chaud et le trop froid, le trop massif et le trop léger, entre le trop lointain et le trop proche de l’étoile.
Il y a donc une zone orbitale propice à la vie autour de nombreuses étoiles, d’où la probabilité très élevée que la vie puisse exister sur de nombreuses autres planètes dans l’univers.
Condition n°1: La masse de l’étoile
Les étoiles géantes ont une longévité inférieure à 1 milliard d’année. Elles meurent donc avant que des formes de vie intelligentes n’aient eu le temps de se dèvelopper. De même, les étoiles de masse 10 fois inférieure au soleil ne parviennent pas à « s’allumer » (c’est à dire à démarrer le processus de fusion thermonucléaire qui fait la différence entre une étoile et une planète). Les étoiles moyennes comme le Soleil sont donc les plus favorables.
Condition n°2: La masse de la planète
La masse de la planète détermine la composition de l’atmosphère. La gravité sélectionne les atomes retenus sur la planète, et ceux qui peuvent s’échapper vers l’espace.
Si la planète est trop massive, elle retient intégralement les gaz les plus légers comme l’hydrogène et l’hélium, ce qui crée une atmosphère à base de méthane ou d’amoniac, comme sur Jupiter, Saturne, Uranus ou Neptune.
Si la planète n’est pas assez massive, elle laisse échapper l’hydrogène mais aussi les gaz plus lourds indispensables à la vie comme l’oxygène, ainsi que l’eau qui va s’évaporer dans l’espace. De telles planètes dépourvues d’atmosphère sont exposée sans protection à la radioactivité solaire, aux ultra-violets, ainsi qu’au bombardement des météorites. Dans le système solaire, Mercure est un exemple de ce type de planète.
Mercure: trop petite
Terre: OK
Jupiter: trop grosse
Condition n°3: La distance par rapport à l’étoile
La distance par rapport à l’étoile détermine la quantité reçue de rayonnement solaire. Elle conditionne donc:
La température, qui détermine la présence ou non d’eau liquide, indispensable pour le développement de la vie.
La lumière disponible pour les végétaux
La quantité reçue de rayonnements nocifs à la vie et à la stabilité de l’ADN (ultra-violets, rayons gamma)
Si la Terre avait été plus près du Soleil de 4%, son sort aurait été celui de Vénus: une fournaise.
Si elle avait été plus éloignée de 1 ou 2%, sa destinée aurait été celle de Mars, une planète glacée. La bande d’espace favorable à la vie autour d’une étoile est donc relativement étroite.
Venus: trop chaud
Terre: OK
Mars: trop froid
Condition n°4: La composition de la planète
Eau, oxygène, carbone, fer, font partie des éléments indispensables à la vie telle que nous la connaissons sur Terre, c’est à dire basée sur la chimie du carbone et de l’eau.
Mais il n’est pas exclu que des formes de vie différentes puissent se développer à partir d’autres éléments chimiques, comme par exemple le silicium, ou le méthane.
La composition interne de la planète et de son noyau va également déterminer la présence ou l’absence d’une magnétosphère, dont l’effet est de protéger la planète des rayonnements dangereux en provenance de l’espace et du soleil. Sur Terre, la magnétosphère est générée par les mouvements du fer en fusion, au coeur de notre planète.
Condition n°5: Les lois physiques de la matière et de l’univers
Si les planètes et les étoiles peuvent exister, c’est d’abord grâce aux lois physiques de notre univers, ainsi qu’au « bon dosage » de ses composants.
Ainsi, notre monde n’existerait pas si il n’y avait pas eu initialement un peu plus de matière que d’antimatière. L’univers que nous connaissons est en effet la matière restante après l’anihilation réciproque des masses de matière et d’antimatière, dans les premiers instants de l’univers.
De même, si la vitesse d’expansion initiale de l’univers avait été plus faible, la phase de nucléosynthèse primordiale aurait duré plus longtemps. Si elle avait duré quelques millions d’années au lieu de quelques minutes, notre univers serait ajourd’hui entièrement constitué d’atomes lourds. Un univers de métal, stable et stérile.
De manière générale, les forces physiques fondamentales (gravitation, force électromagnétique, forces nucléaires électro-forte et électro- faible) et les constantes universelles (vitesse de la lumière, constante de Planck, constante de gravitation…) sont idéalement réglés pour permettre l’apparition de la vie.
Les scientifiques ont calculé que si l’on modifie un tant soit peu les valeurs de ces constantes, l’univers n’aurait pu permettre l’apparition de la vie.
L’astrophysicien Trinh Xuan Thuan résume les choses ainsi: « L’univers a été réglé très précisément pour l’émergence de la vie et de la conscience. Le réglage initial est d’une virtuosité époustouflante: on pourrait le comparer à l’habileté d’un archer qui réussirait à planter sa flèche au milieu d’une cible carrée de 1 centimètre de coté, éloignée de 15 milliards d’années-lumière »…
Voir de plus:
• Plus chaud:
121°C, Strain 121 (fumeurs duPacifique)
• Plus froid: –‐15C°, Cryptoendoliths
(Antarctique)
• Radiation: 5MRad, Deinococcusradiodurans
• Gravité: 1 million de g, Escherichiacoli (dans une centrifugeuse)
• Profondeur: 3.2km sous la terre, 12km sous la mer. BacillusInfernus
• Acide: pH0.0 (la plupart des organismes vivent dans un milieu 100000x moins acide), Thiobacillus
• Basique: pH12.8 (la plupart des organismes vivent dans un milieu 1000x moins basique)
• Espace: 6 ans de survie dans le vide pour Bacillussubtilis retrouvé sur un satellite de la NASA
• Pression: 1200x la pression atmosphérique ou 12km d’eau!
According to John Micklethwait and Adrian Wooldridge’s God is Back, the resurgence of religion has little to do with belief, finds Michael Burleigh
Michael Burleigh
06 Jun 2009
In 1968 the sociologist of religion, Peter Berger, assured The New York Times that ‘by the 21st century, religious believers are likely to be found only in small sects, huddled together to resist a worldwide secular culture’. Among spectacularly wrong-headed predictions this almost ranks alongside the British liberal patrician journalist who assured Europeans that al-Qa’eda was no threat to Europe, on the day that it murdered 200 commuters at Madrid’s Atocha station. At least in Berger’s case it has been a matter of live and learn, and he has since acknowledged the ‘category error’ of confusing modernisation with secularisation, a form of wishful thinking that goes back to the Enlightenment.
John Micklethwait is editor of The Economist and Adrian Wooldridge the magazine’s Washington bureau chief. They have coauthored several books, including The Right Nation, a knowledgeable survey of the tribes that make up US conservatism, even if the long-term hegemony they predicted looks like a category error in the era of Barack Obama. They are on firmer ground with this sparky account of the strength and vitality of religion in the 21st century, although their relentless emphasis on the material world may grate upon those for whom religion is more ineffable. Art and music are a closed book to them.
Their particular strength is to write intelligently and sympathetically about Christians in America, a group of people that especially seem to elicit irrational loathing in readers of The Guardian or the guardians of the BBC and Channel 4. There is certainly much to mock, if one is so inclined. Cross Garden, in Prattville, Alabama, consists of an 11-acre collection of discarded kitchen appliances interspersed with crosses. They bear such slogans as ‘No ice water in hell! Fire hot!’ or ‘You will die’. At the Golgotha Fun Park in Kentucky there is a miniature golf course; players tee-off with Creation at the first hole, and reach Resurrection at the 18th.
The authors give clear and intelligent explanations as to why religion thrives in the most advanced, modern society on the planet, and why it seems to be doing so well in societies that seek to emulate the American model. Even Mikhail Gorbachev has discovered his Orthodox roots, while Vladimir Putin also knows the value of clouds of incense in concealing chauvinism and thuggery.
Thanks to the defining American Revolution, Christianity has never been encumbered by association with a reactionary social order, the factor that explains the anticlericalism and aggressive secularism that still exists in parts of Europe. Although the authors may underestimate the absence of government social safety nets in America, they are surely right in saying that religion provides an intense and practical community. The clients include new immigrants, for whom churches are like decompression chambers for surfacing divers, as well as poor African-Americans, or middle-class blacks and whites who live in the anomic sprawl of suburbia.
In a struggling city such as Philadelphia, the authorities would have to find $250?million a year if it had to fund welfare activities run by the churches. The mega-churches are like mini cities, with cafés, cinemas, crèches, libraries and restaurants. Some of them run to giant publishing empires, universities and television stations, for in the US, as in significant parts of the developing world, religion is one defining characteristic of the aspirant and successful. Major businesses, including Domino’s Pizza, Blockbuster, Tyson Food and Wal-Mart are run on Christian lines, although they don’t take this as far as the health care firm Preferred Management, which incorporates Jesus in the company’s management chart.
In other words, Christianity is associated with success rather than condescension and indulgence towards failure. Elsewhere, there are plenty of people ready to emulate the American model that Europeans mock, if only because America is both successful and powerful. Even Chinese government economists have recognised how religion is useful in smoothing out the sharper, disintegrative effects of free-market capitalism, giving a fresh meaning to Marx’s talk of religion as a form of opiate for the masses.
The book is less sure-footed on either the Islamic world or Western Europe, where readers would be better off investigating the more assured works of Gilles Kepel or Olivier Roy. Too many of the authors’ notes in the chapter on Culture Wars refer to articles in The Economist, rather than anything of substance.
Their conclusion, which echoes Benjamin Franklin, that religion thrives when it is protected from the contaminant of civil power, seems sensible, and they explicitly recommend the disestablishment of the Church of England. By contrast, their concluding encomium to interfaith dialogue and Tony Blair’s ludicrous Faith Foundation surely includes the one unintended joke in the book when they write: ‘Either way, he has spotted a genuine opportunity.’ Amen to that.
God is Back: How the Global Rise of Faith is Changing the World
Globalisation is leading to more belief, not less. Caspar Melville talks to the editor of The Economist about his new book tracing the rise and rise of religion
Caspar Melville
New Humanist
May/June 2009
Another day, another denunciation of Dawkins and Hitchens and their fellow New Atheists. No sooner have we absorbed Chris Hedges’ I Don’t Believe in Atheists (2008), Tina Beattie’s The New Atheists: The Twilight of Reason and the War on Religion (2008) or David Bentley Hart’s Atheist Delusions (2009) when along comes God is Back: How the Revival of Religion is Changing the World, by Economist journalists John Micklethwait (pictured right) and Adrian Wooldridge.
But this « God book » is of a rather different order. Unlike its rivals it contains a wealth of fact and subtle argument, empirical evidence and expert witness. As we might expect from The Economist its perspective is global – it sweeps comfortably from the corridors of the Pentagon to a front room church in Shanghai, and speaks authoritatively about events in Nigeria, Pakistan and Egypt. Altogether it lays down a very serious challenge to any of us who had waved God a not-so-fond farewell.
The challenge is threefold. First in line is the secularisation thesis, the argument that religion simply fades away as a natural consequence of modernisation. Not true, argue Micklethwait and Wooldridge. Modernity doesn’t usher in secularisation, it actively promotes religious pluralism. They then train their sights on the equally popular notion that religion contaminates all those who subscribe to its bogus myths and stories. Not true, argue Micklethwait and Wooldridge. Religion brings out both the best and worst in man, and secularists need to come to terms with the positive role religions have played in providing meaningful care and support for the oppressed as well as in the nurturing of aspirations for political freedom from Poland to Burma to El Salvador. Secularists should therefore recognise the corollary of these two facts. While it is perfectly appropriate to demand that religionists should accept the separation of church and mosque from state as a guarantee of freedom of conscience for all, secularists should play their part by accepting that religion is here to stay.
Consider the United States. It is both the most modern and one of the most religious countries in the world. It also provides solid evidence of how religions can provide a commendable array of social services in the absence of an effective welfare state. But it is also a perfect example of how religion can be kept separate from the state. If we could all become more like America, the book argues, we could all get along famously.
I met up with John Micklethwait in a spacious office on the 13th floor of the tallest building in West London’s Economist Plaza. He sipped from a can of Coke as he apologised in a friendly, youthful manner for the mess on his very noticeably tidy antique desk. I began by pressing him on his objections to the well-known secularisation thesis. Were he and his co-author really saying that Durkheim, Weber, Marx, Freud and generations of sociologists had got it wrong?
« Well, I’m not sure we are the first people to say it – after all the distinguished sociologist Peter Berger changed his mind about it a while ago, which was a pretty seismic event, and sociologists have been arguing about it ever since. The difference is that as reporters we have gone out into the world and seen the evidence. We have seen that religion is not going away, that it is in many ways a partner with modernity and not in conflict with it. Many people in Europe, ourselves included, missed the signs that religion was coming back. It took 9/11 for us to take notice, but as a phenomenon it started well before. Even as a Catholic I grew up in an environment which completely accepted the notion that modernity and religion are incompatible – we all thought that if religion did survive it would be a kind of subtle Anglicanism, some version of a doubting Graham Greeneish religion. The evidence shows we were wrong. »
And, he went on to claim, it wasn’t only the classical academics who’d got it wrong. The political class, across the West, was almost wilfully blind to the return of the sacred. « Take the CIA looking at the Shah of Iran, just before the revolution. Someone wrote a report saying that religion was an important factor in what might happen, and someone else scribbled a dismissive note on it that it was ‘mere sociology’. Or when Hezbollah first appeared in Lebanon and people were trying to fit them into the old left-right spectrum – I mean this was a group calling itself ‘the party of God’. When the Americans were preparing to invade Iraq it was clear that no one in the State Department knew anything about the differences between Shia and Sunni – they just didn’t think it mattered. In Europe there was this same pattern. Immigrants from all over the world moved to the UK and set up organisations like the Muslim Council of Britain, and the secular British state kept trying to reinterpret them as national or ethnic groups – they didn’t understand the significance of religious identity at all. History does not record the dwindling importance of religion. Instead it’s a story of people trying to push the issue aside – until September 11. »
There was also the compelling evidence of the emergence of new forms of Christianity in China and Nigeria, the growth of Islam across the Arab world and in Asia, and the proliferation of different strands of belief in the USA. And all of this was happening while modernisation proceeded apace.
At this point we were « joined » by Micklethwait’s co-author Adrian Wooldridge, on the phone from Washington. His voice emerged, loud and clear and disconcertingly, from a golf-ball-shaped speaker in the ceiling. (It crossed my mind that it was not unlike interviewing the Archbishop of Canterbury and having God join the conversation.)
Wooldridge took up the question of what we can learn from American religious pluralism: « European secularists assume that the church is on the side of the ancien régime, of the establishment, that it’s against reason and democracy and liberal emancipation, and there is a lot of evidence for that in Europe. But in America the evangelical movement advanced alongside democracy and liberal enlightened values. They were not oppositional forces but comrades in arms. If you give people more freedom and more democracy they will talk about what they want to talk about and obviously for many people that is God. Religion itself has also been important for advancing democracy – it’s an example of the little platoons of civil society. Churches nurture certain civic values, that’s why the Chinese government, and all totalitarian governments, have been very suspicious of them and have tried to crush them. »
Micklethwait was quick to provide reinforcement. « In Eastern Europe religion has served as a battering ram for opening up the post-communist world because it serves as a focus for discontent. In Poland or Latin America even the Catholic Church has been a focus for dissent. The church can act as a barrier to democratisation, as the Catholic Church did for a long time in Europe, but it can also inspire democratisation. »
They are only too happy to concede that religion has been and still can be a disaster. What they resist is a simple dichotomy. Wooldridge put it like this: « The problem with this subject, and I speak as a Balliol atheist here, is that people want to see a neat antithesis between liberalism and religion, or modernity and religion, or reason and religion, and it just doesn’t work. Religion has a good side and a bad side. Sometimes they can come together in the same organisation, as with Hezbollah. It’s complicated. »
I wondered if they realised the alarm with which rationalists and atheists would greet their suggestions that as democracy increases around the world we should expect to see the emergence of more « parties of God ». Did they recognise that this was a kind of nightmare for many of us? « If the parties of God are Hezbollah then they are nightmares for us too, » says Micklethwait. « The thing is, when democracy is concerned the secular-minded always think that people will go off and vote for ‘normal guys’ but of course they don’t. It’s not just the most oppressed who do this – in India and Turkey the educated bourgeoisie, exactly the people who should be the most secular, the driving force of the economy, have flooded towards religiously inspired parties. »
This is not necessarily a welcome development for either Micklethwait or Wooldridge. They are pragmatists. Religion is there, and you have to deal with it.
But didn’t their pragmatism wear a little thin when they turned in their book to the manner in which religion did good? In their portrait, for example, of the many ways in which American Christianity provided vital welfare to the needy, an expertise they dub « soulcraft ». Not so, argued Adrian Wooldridge. « If you look at the world of social services, religion provides two things very well. One is you have people who are willing to make sacrifices and do things that it is hard to believe that secular-minded people would do. People like Pastor Richard Smith from the Faith Assembly of God in Philadelphia, who would just walk into crack houses where people were pointing guns at him and try and close them down. No rational person, let alone any social services bureaucrat, would do that sort of thing. He was absolutely convinced that God would protect him. He devoted his entire time to helping the poor, the homeless, drug-addicted people, with very few resources. His story is remarkable but I think it is multiplied in a lot of different places. If you took away the work that is done by the church in Philadelphia alone it would represent about half a billion dollars of social services cost a year. »
But wasn’t there some traditional Economist bias against the welfare state here? Weren’t the churches in the US merely compensating for the fact that US welfare is so threadbare? Wouldn’t it be preferable if such care was provided by the state and not delivered in the context of faith? Wooldridge, the atheist, was having none of that. « Care is actually better if it is provided in a faith context. If you look at social services you have to fill in forms, people are antagonistic or they do it because they have to, whereas if you go to church for help you know you are talking to another human being who actually cares. Its not just in the US – the same is true in China or Russia and part of the Middle East. If you look around the world you have weak welfare states that don’t provide, and it is unlikely that they will provide in the future. Most people who become welfare-dependent do so because of lack of skills, lack of opportunities, but also because of a lack of self-worth or a lack of a sense of meaning or purpose. These are things that religion is very good at, that bureaucratic welfare systems can’t do. So yes, I think they are a good in themselves. »
Though the tone at times tends toward the celebratory, the authors recognise the catastrophic damage religion can do too. « We disagree with European secularists in the idea that God is dead or unimportant, or that modernity and religion are incompatible, » says Wooldridge. « Where we strongly agree with them is with the idea that religion can be dangerous, and we think that this happens when you get a fusion between political power and religion ». And they think they’ve found the solution. « The lesson other countries should learn from America, » Wooldridge continues, « is that the separation between church and state is the basis for a flourishing civil society. »
Just as American entrepreneurial can-do provides the model for the Economist-approved form of global capitalism, so religion American-style is the exportable model for faith. « We think internally America has the best system for dealing with the return of religion, » insisted Micklethwait. « If only they could recognise it, and model their foreign policy on it. They have plurality of religion, which does not clash with progress, and if people are going to continue believing in God, which they are, then some kind of formal separation between religion and the state seems a really good idea. With the constitution America has that bit cracked. »
But did we really want more exporting of American models to the world? Wouldn’t we end up with more megachurchs and McMosques, with the emergence of powerful consolidated global religious brands? « There may be a degree of consolidation, but the thing about American religions is they come and go. The Methodists swept through everything, then the Baptists were in the ascendant, then the Catholics come back a bit. Nobody ever quite hangs on to dominance. It’s a vigorous, competitive marketplace of ideas. »
This might well be true of America. But when, I asked, might we expect to see a free market of religions in Saudi Arabia? Micklethwait happily conceded that Islam has a good deal further to travel but pointed out that it is losing significant ground to Christianity in the new markets of Asia and Latin America. « This is not what we expected given how well Islam did compared with Christianity in the 20th century in terms of expansion, and given that it was the arrival of Jihadi violence that alerted the world to the return of religion. Islam’s problems with plurality and individual conscience will drag it back. It has to go through a process – a Reformation or Renaissance or Enlightenment – which will be painful. It’s entirely possible that Islam will go through some horrific revolutions. Equally what might happen is that Muslims who live in the West, those with experience of living in a plural society, might start to change Islam from within. Saudi Arabia does not look like a likely candidate to offer a modernised Islam. »
It is because of their (very Economist) emphasis on the benefits of religion as a kind of spiritual marketplace, with traders free to set up stall, consumers free to choose, and rules against monopoly, that the authors choose to end their argument with a clarion call for global disestablishment, and a more local demand for the ending of the established church in Britain. « Rowan Williams is a decent man but there is no way you can defend the situation where we are the only country other than Iran to have clerics at the heart of our political system, » says Micklethwait. « Disestablishment would also be a very good thing for the church – it would allow them speak more clearly and compete in the marketplace of ideas. Has the Church of England gained from the past 200 years of being an organ of the state? I think not. »
I left feeling in need of more proof that the secularisation thesis was completely wrong: experience seems to suggest that rising educational standards do reduce religious affiliation. But I felt more able to acknowledge that the process is far from even and that globalisation is throwing up more diversity of belief. Nor did I feel ready to accept that faith-based social welfare is the best model for developing countries, but then perhaps I am romantic about the NHS.
We should all be cheered, however, by Micklethwait and Wooldridge’s unconditional support for disestablishment – they will make useful allies in keeping up the pressure on theocracies worldwide, as well as launching the long overdue expulsion of the bishops from the second chamber here at home.
Secularists might find some of the arguments in this book hard to swallow, though they should welcome the opportunity to sharpen their own against them, but as a clear and convincing case for the separation of religion and politics, it counts as a considerable, and unapologetically secular, achievement.
How the Global Revival of Faith Is Changing the World
By John Micklethwait and Adrian Wooldridge
405 pp. The Penguin Press. $27.95
Not all that long ago, the great minds of Europe predicted a future with little or no religion. Science would make us highly skeptical of miracles. Psychiatry would direct all of our awe and wonder inward. Changing roles for women would weaken the patriarchal structure that props up clerics. Whatever script for modernity one followed, it had God playing a bit role.
As we all know, it didn’t happen that way. Modernity arrived and improvised new starring roles for God. The Americans led the way by becoming both “the quintessentially modern country” and a very devout one, John Micklethwait and Adrian Wooldridge write in their new book, “God Is Back,” and most of the world has followed that model. In rich countries and poorer ones, democratic and undemocratic, primarily Islamic and primarily Christian — everywhere, basically, except Europe — devotion to God has remained surprisingly robust.
“The very things that were supposed to destroy religion — democracy and markets, technology and reason — are combining to make it stronger,” write Micklethwait, editor in chief of The Economist, and Wooldridge, the magazine’s Washington bureau chief, who together have written previous books about globalization and American conservatism, two similarly sweeping topics.
To anyone who lives outside Europe, the Harvard campus or Manhattan (all faith-free zones singled out by the authors), this conclusion is not exactly startling. In most of the United States, for example, God is always back in one form or another. And various religion-stoked conflicts in the Middle East and Africa make the modern era sometimes feel like a replay of the Crusades. But the book’s strength is in dissecting exactly how God managed to morph and evolve and become indispensable to the world at a time when he should have faded away.
Micklethwait and Wooldridge do not display the usual horror at overt religiosity that we heard in abundance from British and other European writers during the Bush years. Starting with the cheerful ad-speak of the title, they are instead astute social observers in the Tocquevillean mode, reporting from a distance in a tone just short of admiring. When it comes to American religion, they marvel mostly at its astounding success at replicating itself all over the world.
While fundamentalists of all kinds get most of the attention, the authors zero in on another phenomenon: the growth and global spread of the American megachurch. With no state-sanctioned religion, American churches began to operate like multinational corporations; pastors became “pastorpreneurs,” endlessly branding and expanding, treating the flock like customers and seeding franchises all over the world. The surge of religion was “driven by the same forces driving the success of market capitalism: competition and choice.”
The market that niche religious leaders stepped into was the hole opened up by modernity, and their product was something the authors call “soulcraft.” Instead of raging against modern life, they sold themselves as easing the way for the harried middle class. Church became a place to form social bonds, get dates, meet fellow moms isolated in suburbia, lose weight. Christian America spawned a parallel world of popular culture, with books and movies telling people how to live meaningful lives. The most popular, like Rick Warren’s “Purpose-Driven Life,” perfectly mirrored the can-do ethos of American success culture.
ll the while, religion began shedding its association with anti-intellectualism, and became the province of the upwardly mobile middle class. Evangelicals began graduating from college in record numbers, and Christian philanthropists began building an “intellectual infrastructure,” including programs and endowed chairs in the Ivy League. A new class of thinkers emerged representing what some have called “the opening of the evangelical mind,” and a solid religious left began to take shape, symbolized most powerfully by Barack Obama. Obama beat Hillary Clinton for many reasons, but one was his ability to “out-God” her, they write.
Much of Micklethwait and Wooldridge’s analysis of domestic evangelical culture is familiar. The most original parts of the book come when they follow the trail overseas, where homegrown Rick Warrens are popping up in unlikely places. The book opens with a scene from what sounds like a typical Wednesday night Bible study in, say, Colorado Springs — a doctor, an academic, a couple of entrepreneurs, a young hipster in a Che T-shirt, sitting around someone’s living room and chatting about the Bible. Only this is taking place in Shanghai, one of the many places where the casual, personalized, distinctly American style of worship is thriving. They do the same thing a group of American evangelicals would do: debate homosexuality and Darwin, vow to spread the Word, and then check their BlackBerrys before heading home.
The authors track the explosion of Pentecostalism — with its perfect mix of “raw emotion and self-improvement” — to Brazil and South Korea. The American style even has converts in the Muslim world. Indonesia’s Abdullah Gymnastiar, who has been criticized as “the Britney Spears of Islam,” favors wireless mikes, a chatty sermon style and casual dress. (Aa Gym, as he’s known, is making a comeback after being brought low by a sex scandal in 2006.) Amr Khaled, “Egypt’s answer to Billy Graham,” is ushering his followers into the televangelist age. His TV show features testimonials from sports stars and actresses, and he peddles cassettes and sweatshirts on his Web site.
Much like their American models, this new generation of religious leaders is an interesting mix of modern style and traditional message. The trick they try to pull off is making concessions to modernity without diluting their message, but in the Muslim world, especially, it’s not clear how much influence they have.
In many Muslim regions, democracy and the markets are leading to an explosion of religion in the opposite way, as fundamentalists react against sexual promiscuity and other excesses they see in modern life in general and American-style capitalism in particular. The Muslim world, Micklethwait and Wooldridge acknowledge, has been much slower to engage with modernity and has remained mostly hostile to it. There is no Koran equivalent of the various Bible zines that tailor their message to teenagers or hip-hop fans in America. There has never been a Muslim equivalent of the Enlightenment.
The result is a modern era that seems to be replaying the religious wars of the 17th century in a slightly altered form. Radical Islam dominates Iran, Saudi Arabia and Pakistan, casting itself as an enemy of the Judeo-Christian West. Nigeria is split along religious lines.
Despite the dark side, the authors ultimately conclude that “God is back, for better.” By this they mean that religion is now a matter of choice for most people, and not a forced or inherited identity. But if that choice can lead you to either buy a sweatshirt or blow up a building, the conclusion itself seems a little forced. The reality is that God is back, for better or worse.
Hanna Rosin is the author of “God’s Harvard: A Christian College on a Mission to Save America.”
Adrian Wooldridge, Management Editor of The Economist and author of God is Back, discusses the global resurgence of evangelical religion.
Former Evangelical Christians are usually difficult to spot. Many of us have had years to adjust since we put our days of Christian rock and Bible study groups behind us, and aside from a few telltale signs like a weird over-enthusiasm for the Theory of Evolution, we manage to blend in with the secular world pretty well.
But every so often something puts Evangelicals in the headlines—a movie like Jesus Camp comes out, or Sarah Palin starts talking about, well, anything really—and suddenly there we are plain as day, wincing in recognition, smiling tightly at the inevitable jokes. As much as we try to ignore it, this part of our culture isn’t going anywhere; and lately it’s been demanding more and more of our attention.
As someone who recently joined the ranks of “spiritual-not-religious” critics of the church, I found God is Back: How the Global Rise of Faith is Changing the World to be an eye-opening but uncomfortable read. Co-authors Adrian Wooldridge and John Micklethwait, writers for The Economist, make the case that instead of fading out in the face of modernity, religion—the American Evangelical brand in particular—is flourishing.
The basic argument, made with historical context, balance, and a touch of wry amusement, is that religion falls into two main categories. There’s the European model, old-fashioned and dogmatic, in which religion is imposed on people by the government. Then there’s the American model based on the separation of church and state, in which churches have to compete with one another for followers. This new model gave rise to the aggressively commercial Evangelical movement, with its auditorium-sized mega-churches, charismatic celebrity preachers, huge media networks, and full-scale marketing campaigns like the Left Behind series. God is Back argues that the power of this spiritual free market is driving a massive revival of faith that is catching on around the world.
When I met Adrian Wooldridge for soft drinks in a hotel bar after his appearance at the Auckland Writers & Readers Festival, I wasn’t quite ready to accept this. As an American progressive, I cling wearily to the belief that times are changing and the Sarah Palins and Pat Robinsons of the world are on their way out. And after all, I was quick to mention, Wooldridge and Micklethwait made similar predictions about the dominance of the Republican Party that were (mostly) debunked by the 2008 election.
“Yes, the one we got wrong,” Wooldridge said with a laugh. He was jovial and relaxed that evening, loosening his tie as we talked. Admitting his mistake, he still insisted that President Obama’s narrow victory over McCain’s inept campaign during a recession proves his larger point. “America is a very conservative country in its soul, in its heart. Even the Democrats are much more conservative than most progressive parties in Europe or Australasia. I think that’s absolutely the truth.”
Still, his claims of a religious revival seemed surprising to me. Not long after the election, Newsweek magazine ran an ominous cover story called “The End of Christian America”. The article cites a recent American Religious Identification Survey showing that the percentage of self-identified Christians has fallen from 86% to 76% since 1990, and a Pew Forum poll showing that the number of people willing to describe themselves as atheist or agnostic has increased from 1 million in 1990 to 3.6 million in 2009.
On the other hand, Wooldridge remarked, a quarter of those self-proclaimed atheists say they believe in some kind of higher power—“an odd notion of atheism.” To him, those poll numbers actually reveal a growing intensity in the debate over organised religion and the role it plays in the world.
“What has happened in America is that the question of God has become a more serious and politicised question,” he said. “There was a long time in which people would identify themselves as religious almost in the same way they’d identify themselves as patriotic or pro-American. That was very much associated with the Cold War and the battle against atheistic Communism. Now they’ve become divided over this issue. The question of ‘Do you believe in God?’ became the question of ‘Do you believe in the Republican Party? Do you like or dislike George Bush?’”
I agreed with him there. Liberals around the world still have nightmares about President Bush “getting instructions from Jesus” in the Oval Office, and the recent headlines about Christian activists rewriting history books in Texas aren’t helping us sleep any easier. Many critics of the Republican Party, like American Theocracy author Kevin Phillips, are convinced that the Religious Right is trying to do away with the separation of church and state altogether.
According to Wooldridge, though, this fear is nonsense. “What did it actually produce under George Bush, when the Republicans controlled both the House and the Senate and had a majority of publicly-appointed people on the Supreme Court?” he asked me. “They banned only publicly-funded experimentation on stem cells, and abortion remained legal.”
This comment touched on something I noticed while reading God is Back: a faith in the checks and balances of the United States government that is both gratifying and sometimes hard to believe. The book argues that our political system is neither as religious nor as agnostic as some make it out to be. The Founding Fathers designed a secular framework—“There were no references to biblical texts in the Declaration of Independence, the Constitution or the new state charters, an astounding fact for the time”—but they didn’t intend for religion to be banned from public life either.
As Wooldridge put it, the real argument America is having is not whether there should be a line between church and state, but how sharply it should be drawn. “You can’t have the Ten Commandments carved in stone in a courthouse, but you can have people proselytising as much as they absolutely want to in the town square and trying to get converts,” he said. “You can’t have prayer enforced by schoolmasters, but you can allow students to pray in private and read their Bible.” His theory is that people on both sides tend to overreach on this issue, leading to cycles of public pushback, retreat, and resurgence.
Despite my frustration with the Religious Right, I had to admit that Wooldridge had a point: non-religious people, particularly those of the Hitchens and Dawkins variety, can be too quick to dismiss the important role religion plays in society. Without the influence of religion in politics, Wooldridge pointed out, we wouldn’t have had the Civil Rights Movement. (“Martin Luther King Jr. wasn’t called Martin Luther by accident.”) Many leaders in the anti-Vietnam War movement were also believers, acting on their convictions that war is immoral in the eyes of God.
It also comes down to a question of basic human kindness. Reading God is Back, I was genuinely humbled and inspired by the chapter on churches in Philadelphia that feed the homeless, provide health services to poor families and set up support networks for young people—services that would cost the city millions of dollars to replace. It’s hard to deny that in an increasingly hostile world, churches can offer a refuge and a sense of community.
The thing that bothered me is that small inner-city churches don’t seem to be the ones being exported worldwide—it’s the large, wealthy, suburban mega-churches that are organised and run like multinational corporations, complete with political lobbyists and advertising experts. The book describes how these churches are investing huge amounts of money to gain power in developing countries, using missionary work and charity organisations like Pastor Rick Warren’s anti-AIDS initiative in Africa. Fresh from reading Naomi Klein (like a good liberal) I was alarmed at the idea of American religion becoming a kind of spiritual Wal-Mart, putting a brand name on philanthropy and undermining other forms of civil society.
As one might expect of the Management Editor of The Economist, Wooldridge wasn’t very concerned about this. (When I mentioned Klein he laughed, and the word “buffoon” might have come up.) “I think what you tend to find is societies that have a lot of civil society will also tend to be quite religious societies. You can go back to Tocqueville’s Democracy in America on this. What really is destructive of civil associations, both in religious and non-religious forms, is the power of the state. I think the creation of the welfare state and the huge expansion of state power—the power to tax, to distribute income, to provide services—is really what has led to the withering of associations since the Second World War and even before that.”
With some enthusiasm, he explained that churches-as-corporations are a good thing, however commercial and tacky they may be, because they have to embrace modernity and individual choice to remain competitive. “It creates a religion that’s very differentiated, very consumer-oriented and concerned with different markets. So we talk in the book about these cowboy churches; you have churches oriented toward gays; there are churches that are oriented towards bikers. There’s this marvellous church in Colorado called the Scum of the Earth Church with people who regard themselves as rebels against society.”
Rigid, “customer-hostile” religions like traditional Islam, on the other hand, run the risk of being pushed out of the marketplace despite their strength in numbers. “All of these countries who are trying to impose religion on people are saying that if you’re born Muslim, you’ve got to stay Muslim,” he said. “If you’re born in Saudi Arabia, you’re ipso facto Muslim. In the short term that may work, but in the long term you’re in a collision course with modernity, and I think you’re backing the losing side.”
For Wooldridge, economics is both a handy metaphor for religion and a practical reality. God is Back has a number of anecdotes about upwardly mobile, educated middle-class people in places like China, India, and Indonesia who have a growing infatuation with American-style churches. The book suggests that there is a positive relationship between the rise of faith in these countries and an increase in prosperity.
Pointing me to the theories of Max Weber and Religion and the Rise of Capitalism by R H Tawney, Wooldridge said that Protestantism was an agent of modernity that helped to create capitalism in the West. “Protestantism spread a faith in the power of the individual and spread scepticism about received authority in the form of the Catholic hierarchy,” he said. “It put an emphasis on thrift, hard work and saving.”
Now, he argued, we may see Weber and Tawney proved right in the developing world, Latin America in particular. “When you’ve got all these people arriving in these gigantic cities and the men go to brothels and gamble and drink, that creates huge social problems. But if they go to church they’re taught, ‘Be disciplined, wear a suit, work hard, aspire to better things, and God will help you.’” Latin-American women also have a lot to gain from escaping the old Catholic system. “The women are very powerful in these churches. They do a lot of the speaking and accept very important organisational roles. They learn to have faith in themselves, present themselves, and become agents of change in society.”
It all sounded very uplifting, but I was still sceptical. If Evangelical religion is all about thrift and humility, I argued, how do you explain Christian celebrities like Joel Osteen and Joyce Meyer, who live in sprawling mansions and travel the world in private jets? Wooldridge agreed, with a dry smile, that Weber did not have them in mind. “These ministers—let’s put it like this—they’re not noticeably abstemious in their lifestyles. They will display their wealth in a very ostentatious and rather vulgar manner because they think this is proof of God’s favour and God’s blessing. The Gospel of Wealth is… problematic, I think.”
It was a bit more than problematic from my point of view. Osteen is one of the most well-known religious leaders in America, and he essentially preaches that if you pray hard enough and have the right amount of faith, God will magically bring wealth and power your way—a slightly more biblical version of The Secret or How to Win Friends and Influence People. I couldn’t help but wonder if people in developing countries are picking up Evangelical Christianity in the hopes that the God of the world’s wealthiest nation will decide to make them wealthy too.
But the question that worried me the most was this: In this booming global marketplace of religious ideas, how do secular-minded people compete? What about people who tend to be marginalised by organised religion—atheists, for example, or the LGBT community? In a world where an American presidential candidate has to attend the right kind of church to stand any chance of being elected, should non-religious people resign themselves to never having any real influence or political power?
Wooldridge, who himself is an atheist, admitted that this is a concern. “I think it’s unfortunate that deep in the American psyche, there is this notion that to be moral you have to be religious, and that it’s a sort of test that any potential President would have to pass.” But he pointed out that it’s less of a problem for public figures in large cities like San Francisco and Los Angeles, and the major universities in America tend to be aggressively secular. “It cuts both ways. On the one hand it’s hard to become President if you’re not willing to at least profess Christianity. However, if you wanted to be on the Harvard faculty, it probably works to be a secular-minded person. And the Harvard faculty has a job for life. Not like the President—he’s only in there for a few years.”
The evening was wearing on by then, and the hotel bar was getting crowded. We chatted about Wooldridge’s study of self-help gurus and the weirdly New Age tone of management seminars as I gathered my notes together, and I left with a somewhat less defensive attitude than when I’d arrived. At the very least, the case for the social and spiritual value of organised religion was worth reconsidering.
But my distrust of the American Evangelical movement was far from over. Several days after my conversation with Wooldridge, a gay couple in Malawi made international news when they were convicted of “gross indecency and unnatural acts” and threatened with at least a decade in prison. It was the latest headline of a culture war over homosexuality and reproductive rights that has flared up in Africa over the last two years—a culture war that has been directly linked to Pastor Rick Warren and political activists from America’s far-right. Perhaps Wooldridge is correct that America is protected from the extreme elements of religion by our freedom of choice. My concern is whether the people to whom we are exporting our religious ideas will have the same protection.
God is Back: How the Global Revival of Faith is Changing the World
By John Micklethwait and Adrian Wooldridge
Penguin Press $27.95 416 pages
FT Bookshop price: £20
Many liberals in postwar Europe view those who are enthusiastic about religion with a certain amount of suspicion. To be a “religious nut” – to talk fanatically about one’s faith – would be to invite at least covert ridicule; one just has to remember how President George W Bush was mocked in Europe for his evangelism. In much of Europe, most people don’t understand why anyone should be joyously and openly religious.
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In God is Back, The Economist’s editor John Micklethwait and its US editor Adrian Wooldridge seek to address this incomprehension, and show how it limits the understanding of what moves hundreds of millions of people round the world. Protestantism, for example, emphasises the direct experience of God through the intercession of the holy spirit, and accounts for about a quarter of the world’s 2bn Christians. This, and other extreme forms of religious belief, is widely regarded by liberals as backward, ignorant and obscurantist. The authors, however, view it as “a great force for social progress and upward mobility in the developing world”. Pentecostalists, they say, “provide people with the right psychological disposition to thrive in a capitalist economy”, because of their emphasis on discipline, regular habits, thriftiness and preservation of the family.
The authors observe that, in general, “the great forces of modernity – technology and democracy, choice and freedom – are all strengthening religion rather than undermining it”. And as a result of this, they claim that the world is moving in the “American direction, where religion and modernity happily co-exist, rather than in the European direction, where secularisation marginalises religion”. In the US version of religion (predominantly Christianity), technology, marketing, the internet and popular culture are pressed into service to gain and keep the flock. As much of the literature on US religion either deprecates its rightwing bias or boosts its wonder-working power, a cool and fair analysis such as this is a welcome rarity.
The book opens in Shanghai, with an account of a group of upper middle-class people holding a Christian prayer meeting at one of their homes. The gathering is expressing ardent agreement with the Biblical text in the book of Romans, which denounces men who “give up natural sexual relations with women and burn with passion for each other”. These worshippers are the kind of people, well-educated and motivated by a desire to join or stay in the middle class, who are at China’s cutting edge, part of its formidable drive to be the leading economy in the world. As this vignette shows, such people can conjoin modern openness with prejudice, especially against homosexuals. This is disconcerting for those who believe that 21st-century intellectual thought should be at war with bigotry.
Micklethwait and Wooldridge have co-authored books on globalisation, the nature of the business corporation and the US right. Although it may seem like a departure from the sort of subject matter one might expect senior Economist writers to cover, God is Back is the duo’s most successful and vivid book to date. It is filled with clear and apposite examples of resurgent religiosity. Take the case of Chick-fil-A, a fast-food chain, selling chicken sandwiches. The company’s mission statement is “to glorify God by being faithful stewards of all that is entrusted to us and to have a positive influence on all who come into contact with Chick-fil-A”. This is not a lone or freakish instance of unembarrassed belief in God, say the authors.
The central message of this book is that the US, by separating the state from the church and decreeing religious freedom, established the lasting base for religious entrepreneurialism, and for a successful export of various forms of Christianity. Thomas Jefferson saw separation as good for religion because it would promote competition; James Madison saw it as good for the state because religion could be free “to promote public morality, unencumbered by state patronage”. On their beliefs – and those of the other framers of the Constitution – an entrepreneurial religious agora was created, constantly able to renew itself, as it is now doing.
According to Micklethwait and Wooldridge, the just-departed President Bush was not out of line with postwar US presidents: Dwight Eisenhower, Jimmy Carter, Ronald Reagan and that louche cosmopolitan Bill Clinton all affirmed their faith and sought to promote it. This was in strong contrast to most European politicians.
US evangelicals are not a collection of rednecks: their churches are often mixed-race, their interests increasingly comprehend world poverty and global warming, and they are shedding the anti-intellectual image. Marginalised from a largely secular educational establishment, they have “formed an impressive array of academic associations”, which exist parallel to the state colleges and the Ivy League.
Christianity is the overwhelming focus of the narrative. In this sense, the book fails to be comprehensive and falls short of its sub-title, “How the Global Rise of Faith is Changing the World”. The God that is back is a Christian one, with an American accent. Islam gets some space, much of it an assessment of the evidence on how far the faith has mutated into a series of violent campaigns to Islamise, or re-Islamise, as much of the world as possible. There is little about Orthodoxy, not much more about Judaism, while Buddhism and Hinduism must fend for themselves.
Above all, the authors destroy the equation often made by anti-Americanists between US evangelism and radical Islam. The former resides in an assumption, not just of toleration, but of pluralism: the second insists not just on the rightness of its path but on the duty to impose it by force. “History”, said Jefferson, “furnishes no example of a priest-ridden country maintaining a free civil government.” For all its sins against liberalism, particularly on the issue of gay sexuality, new-minted US Christianity has remained true to the founders’ belief that faith should be freely found.
John Lloyd is a contributing editor to the Financial Times
Une gigantesque explosion à l’origine de l’Univers ! Le scénario du Big Bang serait-il une adaptation scientifique de la Genèse biblique ? Cette croyance explique peut-être son succès bien au-delà du cercle des spécialistes.
La théorie du Big Bang tient aujourd’hui du mythe moderne. La science aurait ainsi élaboré au cours du XXe siècle un fabuleux récit de notre genèse. Il faut dire que l’histoire de l’Univers qu’elle raconte semble trop belle pour être vraie. Une « explosion » à l’origine de tout, une évolution globale qui a donné naissance à une incroyable variété d’êtres dont des organismes vivants, et même des êtres pensants. Or, malgré les apparences, l’élaboration de cette théorie n’a pas été une construction tranquille, venant satisfaire les besoins humains en « belles histoires » généalogiques. Elle a eu, au contraire, à vaincre les résistances des plus grands scientifiques, théoriciens comme observateurs, et à bousculer le sens commun du plus grand nombre ! En un siècle, les surprises n’ont pas manqué, et la plus inattendue a certainement été réservée à Albert Einstein lui-même.
La naissance, cachée, de la théorie du Big Bang a lieu en 1917 lorsque celui qui est déjà le plus grand physicien du XXe siècle, publie un article intitulé « Considérations cosmologiques sur la théorie de la relativité générale ». Dans ce texte, le savant allemand étudie les liens entre la gravitation (dont il a élaboré les équations deux ans auparavant) et les propriétés structurelles de l’Univers. Autrement dit, Einstein s’interroge sur les rapports entre le contenu du cosmos, la matière et son cadre global, sa forme. Si développer les lois de la gravitation à cette échelle peut sembler naturel aujourd’hui, une telle démarche était tout simplement révolutionnaire à l’époque. Einstein, en a parfaitement conscience. Il écrit la même année à Paul Ehrenfest : « J’ai encore commis quant à la gravitation quelque chose qui m’expose au danger d’être enfermé dans un asile d’aliénés. »
Science interdite
Car la cosmologie comme science est disqualifiée, voire interdite, depuis plusieurs siècles ! Pour le comprendre, il faut remonter au XVIIe siècle, la science devient autonome en cherchant des « fondements internes » à son activité et non « externes », comme pouvaient l’être les principes philosophiques ou religieux.
Il s’agit en somme de comprendre a posteriori quelles lois régissent les phénomènes naturels et non quels principes a priori ils doivent respecter.
Ainsi, pour Galilée, il fallait analyser les phénomènes locaux (chute des corps, rapports relatifs des mouvements entre eux, etc.) pour en découvrir les lois mathématiques, véritable langage de la nature. Dans ce contexte, il faut donc construire l’édifice des connaissances scientifiques à partir de ce qui est accessible, expérimental, local – en pratiquant des allers-retours entre élaborations théoriques et mises à l’épreuve empiriques – , puis, par extension, comprendre des phénomènes de plus en plus lointains.
La cosmologie, science du «tout », est donc par principe exclue puisqu’on ne peut observer et encore moins expérimenter toutes les parties de l’Univers. Deux siècles plus tard, elle devient même une « science interdite », l’Univers dans son ensemble ne pouvant être l’objet d’une science rigoureuse, positive, empirique. Auguste Comte affirme en effet dans son Catéchisme positiviste que les scientifiques ne doivent pas parler du « tout » sous peine de sortir de leur domaine de compétence, et donc de confondre idéologie et véritables connaissances. Ainsi, l’acte d’Einstein au début du XXe siècle est proprement inouï. Il aurait pu rester lettre morte sans un autre événement pas moins révolutionnaire : une observation dans ce champ inédit !
En 1917 toujours, l’astronome américain Vesto Slipher observe depuis l’observatoire de Flagstaff, en Arizona, un étonnant décalage vers la partie rouge du spectre des raies de lumière en provenance de « nébuleuses » que l’on croit encore à cette époque internes à notre galaxie, la Voie lactée. Or, d’après l’effet Doppler * que l’on connaît depuis 1842, le décalage spectral de ces futures « galaxies » signifie qu’elles s’éloignent toutes de nous et les unes des autres ! Il s’agit bel et bien d’un phénomène cosmologique puisqu’il implique l’Univers dans son ensemble.
Il sera baptisé « expansion de l’espace ».
La solution d’Einstein
Ces observations, bientôt confirmées par tous les astronomes, dont l’Américain Edwin Hubble, vont conduire à une loi, connue sous le nom de « constante de Hubble », formulée en premier lieu par le mathématicien et abbé belge Georges Lemaître [1] . Elle affirme que plus les galaxies sont éloignées de nous, plus le décalage vers le rouge est important. Ainsi, la « nécessité » d’une explication générale, d’un « sens » global, pour comprendre une observation locale (à peine une vingtaine de galaxies) va retourner la situation. À cette nécessité observationnelle répond, comme par « miracle », la théorie cosmologique élaborée par Einstein en 1917 ! Les solutions cosmologiques relativistes impliquaient une dynamique de l’ensemble de l’Univers qui tout naturellement explique l’éloignement systématique observé.
Ainsi, à la fin des années 1920, l’idée d’évolution globale de l’Univers (au coeur de la future théorie du Big Bang) venait d’entrer par effraction dans la science la plus moderne en combinant théorie et expérience. Une première avancée qui en préparait une seconde plus « incroyable » encore : l’idée d’origine de l’Univers. En effet, dès 1931, le même abbé Lemaître extrapole l’idée d’expansion de l’Univers en la projetant, non plus dans l’espace, mais dans le temps, et plus précisément encore vers le passé. Dans un article resté célèbre [2] ,
il propose l’idée d’« atome primitif » pour symboliser le moment où l’expansion de l’espace observée aujourd’hui a « commencé ». Ce qui va devenir une sorte de « récit des origines » sous le nom de Big Bang est ainsi littéralement tombé du ciel car, comme le souligne le plus grand historien de la cosmologie scientifique, Jacques Merleau-Ponty : « La discussion du problème cosmologique (…) et la logique interne de toutes les solutions proposées conduisent d’elles-mêmes à la position du problème de genèse [3] . »
Au phénomène d’expansion Lemaître ajoute donc celui d’instant initial de l’Univers. Mais s’il présente sa conception avec toute la rigueur mathématique et physique nécessaire, il l’exprime aussi en des termes plus imagés et poétiques comme la « désintégration radioactive d’un atome-Univers » ou le « feu d’artifice ». Ces métaphores donnent lieu à de nombreuses incompréhensions et interprétations en termes mythologiques. Dès cette époque, les adversaires de cette vision « créatrice » du cosmos ne vont pas manquer.
L’un des plus importants et influents, le cosmologiste anglais Fred Hoyle, promoteur de l’idée opposée d’un Univers stationnaire et éternel, va même, en 1948, au cours d’une émission radiophonique, utiliser pour la première fois l’expression « Big Bang » dans un sens ironique et avec la volonté de disqualifier toute idée scientifique de commencement de l’Univers. Hoyle récidive en 1960, présentant au cours d’un congrès à Pasadena, aux États-Unis, l’abbé Lemaître comme le « Big Bang man » ! Au final, on le sait, l’effet fut exactement inverse. Le terme « Big Bang » connut un succès planétaire…, ainsi que la conception cosmologique sous-jacente. Le succès sera tel que l’enthousiasme de certains va déborder le cadre scientifique pour envahir tout le champ de la culture, y compris celui de la religion (lire « De la science à la religion », p. 38).
Restait à trouver une « preuve » de l’intuition de Lemaître. Cela n’allait pas tarder. En 1965, un an avant la mort du savant belge, les radioastronomes américains Arno Penzias et Robert Wilson découvrent un rayonnement baignant uniformément l’ensemble de la voûte céleste à quelque 3 kelvins de température (- 270 °C). Une telle uniformité ne peut s’expliquer sans l’existence d’un moment « physique » dans le passé de l’Univers, en équilibre thermodynamique parfait et sans relation avec un quelconque extérieur (lire « La preuve par le corps noir, ci-contre). Si ce rayonnement vestige de l’« origine » du cosmos avait été prévu par Lemaître, puis par le physicien américain George Gamow, la majorité des astronomes ne l’attendaient pas. Ainsi, l’un des découvreurs, Robert Wilson, raconte : « Philosophiquement, j’aimais la cosmologie de l’état stationnaire. Aussi ai-je pensé que nous devions rapporter notre résultat comme une simple mesure. » Depuis, plusieurs satellites ont été lancés pour mesurer le rayonnement de fond du ciel avec une incroyable précision, confirmant encore la « réalité de l’instant initial » et le situant à quelque 13,7 milliards d’années en arrière.
Éléments lourds
À cette preuve d’un « moment singulier » dans le passé s’en est ajoutée une autre, tout aussi convaincante et inattendue. Dès les années 1940, les astronomes mesurent la répartition de la composition chimique de l’Univers et trouvent partout 75 % d’hydrogène, 25 % d’hélium et des traces d’éléments plus lourds. Or, une telle quantité d’hélium ne peut avoir été fabriquée dans les réacteurs nucléaires que constituent les coeurs des étoiles. Si c’était le cas, les éléments plus lourds, nécessairement produits en même temps, auraient dû être plus présents dans l’Univers. La seule explication à ce déséquilibre implique l’Univers dans son ensemble : l’hélium a été fabriqué lors de la « nucléosynthèse primordiale », au moment du fameux Big Bang. En effet, l’idée d’une phase initiale de l’Univers très chaude et dense permet d’expliquer « simplement » cette composition chimique. Une preuve physique de plus, imposée par une mesure céleste.
L’expansion de l’Univers, le rayonnement du fond cosmologique et la composition chimique de l’Univers forment à eux trois un socle cohérent à la théorie du Big Bang. En effet, pour que la nucléosynthèse primordiale soit possible, il faut une température très élevée, de l’ordre du milliard de degrés, qui prévoit l’existence d’un rayonnement lumineux dont on doit trouver la trace fossile répartie de manière homogène dans le ciel… Par ailleurs, ce scénario suppose une homogénéité fondamentale de l’Univers, baptisée « principe cosmologique » * et confirmée grâce aux sondages de plus en plus précis et lointains. Ainsi, la variété locale de notre environnement proche cache l’homogénéité fondamentale, en parfait accord avec l’origine et l’évolution de l’Univers.
À l’écoute du ciel
Faut-il en conclure que la théorie du Big Bang, fille de l’invention mathématique et d’observations astronomiques, raconte le récit vrai et définitif de l’histoire de l’Univers ? Une réponse positive serait à la fois présomptueuse et imprudente. Car, la leçon philosophique de la cosmologie scientifique est justement de toujours être à l’écoute du ciel. La théorie du Big Bang n’est qu’un « modèle ». Malgré ses nombreux succès, il reste incomplet et encore sujet à controverses parfois violentes. Que penser de la singularité initiale, fondamentale dans le scénario mais qui échappe à la compréhension – les valeurs y sont infinies, ce qui n’a pas de sens physique ? Que penser des « cas » de galaxies dont l’âge propre ne semble pas correspondre avec l’âge de leur environnement proche ? Que penser de l’incompatibilité mathématique entre la relativité générale qui explique l’univers macroscopique et la physique quantique qui décrit l’univers microscopique, alors que le Big Bang suppose une unité du tout ? Si certaines avancées ne peuvent être remises en question et si pour « vivre dans son temps » il faut connaître le scénario du Big Bang, les surprises, voire les retournements, ne peuvent être exclus.
Ce que le ciel nous a donné, le ciel peut nous le reprendre… .-
Jean-François Robredo
La preuve par le corps noir
L’observation du rayonnement du fond du ciel, à 3 kelvins, est considérée comme la preuve la plus convaincante du scénario du Big Bang. Découvert en 1965, dans les longueurs d’onde très courtes (micro-ondes), il est isotrope, c’est-à-dire d’une intensité égale quelle que soit la direction d’observation. Une telle caractéristique ne peut s’expliquer que si l’Univers à un instant donné a été dans un équilibre parfait où la matière et l’énergie avaient des températures identiques. Cela implique que le corps ( ici l’Univers) ait été coupé de toute influence extérieure. Les caractéristiques du corps peuvent être déterminées par la seule étude de la température rayonnée : on parle alors de rayonnement de corps noir.
Le spectre du rayonnement enregistré par le satellite Cobe en 1990 s’accorde exactement aux prévisions d’un spectre de corps noir dont la température correspond à celle mersurée précisément de 2,7 kelvins (ci-contre). Une telle courbe suppose dans le passé un moment extrêmement chaud et dense, comme le prédit la théorie du Big Bang. Toutes les mesures plus précises réalisées depuis ont confirmé cette interprétation.
De la science à la religion
En 1951, le Pape Pie XII, enthousiaste amateur d’astronomie, lit devant l’Académie pontificale des sciences un discours dans lequel il reprend les récentes avancées de la cosmologie et affirme : « Il semble, en vérité, que la science aujourd’hui, remontant d’un trait des millions de siècles, ait réussi à se faire le témoin de ce Fiat Lux initial, de cet instant où surgit du néant, avec la matière, un océan de lumière et de radiations, tandis que les particules des éléments chimiques se séparaient et s’assemblaient en millions de galaxies. » Pie XII fait référence, sans complexe, au scénario de l’abbé Lemaître. Mais ce « concordisme » assumé entre vérité révélée et science est une contre-publicité pour ceux, dont l’abbé Lemaître, qui voulaient que l’histoire scientifique de l’Univers et la vérité religieuse soient totalement indépendantes l’une de l’autre. Ainsi, après une discussion avec l’abbé Lemaître, Pie XII renonce un an plus tard, devant l’assemblée générale de l’Union astronomique internationale, à tout concordisme en séparant les domaines de la science et de la religion. Pour Lemaître, le bénéfice est double : la cosmologie peut se développer en toute liberté, et la religion n’a pas à craindre un revers de scénario imposé par de nouveaux faits scientifiques. Mais la séparation rigoureuse de l’abbé ne sera pas suivie par d’autres religieux, spiritualistes, ou même une partie du grand public qui aime la simplicité d’une seule et même explication. La théorie du Big Bang a donc aussi été victime de sa « beauté » conceptuelle et la diffuser demande toujours de grandes précautions.
We don’t call it the « God particle, » it’s just the media that do that,” a senior U.S.
INSIDE THE HUNT FOR THE HIGGS BOSON Eight reasons the Higgs boson particle hunt matters Scientists find ‘tantalizing hints’ of Higgs boson, but stop short of claiming ‘God Particle’ discovery The search for the Higgs boson: How does the Large Hadron Collider work? (With graphic and video)
Robert Evans
National Post
December 14, 2014
GENEVA — “We don’t call it the “God particle,” it’s just the media that do that,” a senior U.S. scientist politely told an interviewer on a major European radio station on Tuesday.
“Well, I am the from the media and I’m going to continue calling it that,” said the journalist — and continued to do so.
The exchange, as physicists at the CERN research centre near Geneva were preparing to announce the latest news from their long and frustrating search for the Higgs boson, illustrated sharply how science and the popular media are not always a good mix.
“I hate that “God particle’ term,” said Pauline Gagnon, a Canadian member of CERN’s ATLAS team of so-called “Higgs hunters” – an epithet they do not reject.
NO RELIGIOUS MEANING
“The Higgs is not endowed with any religious meaning. It is ridiculous to call it that,” she told Reuters at a news conference after her colleagues revealed growing evidence, albeit not yet proof, of the particle’s existence.
Oliver Buchmueller, from the rival research team CMS, was a little less trenchant.
“Calling it the ’God particle’ is completely inappropriate,” said the German physicist, who divides his time between CERN and teaching at London’s Imperial College.
“It’s not doing justice to the Higgs and what we think its role in the universe is. It has nothing to do with God.”
The Higgs boson is being hunted so determinedly because it would be the manifestation of an invisible field – the Higgs field – thought to permeate the entire universe.
The field was posited in the 1960s by British scientist Peter Higgs as the way that matter obtained mass after the universe was created in the Big Bang.
As such, according to the theory, it was the agent that made the stars, planets – and life – possible by giving mass to most elementary particles, the building blocks of the universe; hence the nickname “God particle”.
“Without it, or something like it, particles would just have remained whizzing around the universe at the speed of light,” said Pippa Wells, another Atlas researcher.
But Wells also has no time for theological terminology in describing it.
“Hearing it called the ’God particle’ makes me angry. It confuses people about what we are trying to do here at CERN.”
According to people who have investigated the subject, the term originated with a 1993 history of particle physics by U.S. Nobel prize winner Leon M Lederman.
The book was titled: The God Particle: If the Universe is the Answer, What is the Question?
Physicists say Lederman, who over the years has been the target of much opprobrium from his scientific colleagues, tells friends he wanted to call the book “The Goddamned Particle” to reflect frustration at the failure to find it.
But, according to that account, his publisher rejected the epithet — possibly because of its potential to upset a strongly religious U.S. public — and convinced Lederman to accept the alternative he proposed.
“Lederman has a lot to answer for,” said Higgs himself, now 82, on a visit to Geneva some six years ago.
But James Gillies, spokesman for CERN and himself a physicist, is slightly more equivocal.
“Of course it has nothing to do with God whatsoever,” he says. “But I can understand why people go that way because the Higgs is so important to our understanding of nature.”
Ce texte est l’introduction de l’ouvrage A. Friedmann, G. Lemaître : Essais de Cosmologie, traduction et notes de J.-P. Luminet et A. Grib, Le Seuil, collections « Sources du Savoir », Paris, 1997.
1. DES RÉVOLUTIONS
Il faut bien que nous vivions, malgré la chute de tant de cieux
D.H.Lawrence, L’amant de Lady Chatterley (1928)
La citation de l’écrivain anglais sonne étrangement juste au regard de deux événements qui se sont déroulés dans le monde occidental entre 1925 et 1935: une crise économique doublée d’une crise cosmologique, aussi brutales qu’imprévisibles – malgré quelques lézardes antérieures dont personne n’avait tenu compte.
Crise économique : en octobre 1929, après une période de prospérité qui semblait durable, la bourse américaine de Wall Street connaît un effondrement spectaculaire. La situation économique et industrielle se dégrade rapidement et la crise gagne l’ensemble des pays industrialisés. Voyant leur univers financier s’effondrer du jour au lendemain, les hommes d’affaires se suicident par dizaines. C’est par millions que se comptent les sans-travail. Près de dix ans seront nécessaires pour redresser la situation sociale.
Sans être aussi dramatique, et n’affectant que le microcosme des physiciens théoriciens et des astronomes de pointe, la crise de la représentation cosmologique qui s’est déroulée simultanément et dans le même intervalle de temps marquera sans doute davantage l’histoire de la pensée humaine que la crise économique. Elle s’est en effet dénouée en ce que l’épistémologue Thomas Kuhn [1].
appelle une révolution scientifique. Il y a révolution scientifique lorsqu’une théorie scientifique consacrée par le temps et l’expérience est rejetée au profit d’une nouvelle théorie. Or, dans le domaine de la cosmologie, la physique n’a connu que trois révolutions scientifiques : la révolution copernico-galiléenne, la révolution newtonienne et la révolution relativiste.
A titre d’exemple, penchons-nous brièvement sur la première d’entre elles. En 1543, Copernic publie De Revolutionibus Orbium Coelestis [2], dans lequel il déplace la Terre du centre du monde au profit du Soleil. En 1572, une étoile nouvelle apparaît dans la constellation de Cassiopée; minutieusement observée par Tycho-Brahé, elle jette le doute sur le dogme aristotélicien de l’immuabilité des étoiles fixes [3]. En 1600, Giordano Bruno est condamné par l’Inquisition après avoir affirmé l’infinité de l’espace, la pluralité de mondes habités et autres hérésies théologiques [4]. En 1609, Johannes Kepler, ayant analysé les données planétaires de Tycho Brahé, doit abandonner le mythe de la perfection circulaire, et décrit les trajectoires planétaires en termes d’ellipses [5]. En 1610 enfin, Galilée braque une lunette grossissante vers le ciel [6]; dévoilant pour la première fois l’imperfection de la Lune, constellée de cratères, et du Soleil, couvert de taches, il ouvre la voie à une physique terrestre et une physique céleste unifiées. Cette révolution cosmologique étalée sur près d’un siècle a donc vu l’éclatement du cosmos clos aristotélo-chrétien, centré sur la terre, au profit d’un espace agrandi (chez certains jusqu’à l’infini) dans lesquels la terre n’occupe qu’une place marginale.
Les révolutions scientifiques semblent devoir accompagner les révolutions sociales, politiques ou économiques. Il faut souvent de grands bouleversements de société pour oser repenser la représentation du monde. Réciproquement, un changement de paradigme scientifique engendre, de façon plus subtile et plus lente, des évolutions dans le domaine de la philosophie et de l’esthétique [7]. Ainsi, établir la position centrale du Soleil contribue à minimiser l’importance des affaires terrestres ou humaines, ce qui ne peut laisser indifférente la pensée philosophique et littéraire.
Si les révolutions cosmologiques ont tant d’influence culturelle, c’est aussi parce qu’elles vont de pair avec une refonte de la physique fondamentale. La révolution copernico-galiléenne a débouché sur l’idée d’unification des physiques terrestre et céleste, sur les lois du mouvement planétaire, et marque la naissance même de la mécanique. La révolution cosmologique newtonienne, avec son espace infini absolu et son temps éternel au sein desquels se meuvent les astres soumis à l’attraction universelle, accompagne l’énoncé des principes fondamentaux de la dynamique et la définition des forces.
La révolution cosmologique relativiste, à savoir la découverte de l’expansion de l’univers et la reconnaissance d’une évolution du cosmos dans son ensemble à partir d’une origine singulière (appelée aujourd’hui <<Big Bang>>), prend sa source dans la théorie de la relativité, élaborée par Einstein en 1905, puis en 1915. Celle-ci remanie essentiellement les concepts d’espace, de temps, de lumière et de gravitation. Dans sa version actuelle, la cosmologie relativiste repose également sur l’autre grand pilier de la physique moderne: la mécanique quantique, qui, en décrivant les interactions entre particules élémentaires et les ondes électromagnétiques, remanie les concepts de la mécanique classique.
Ainsi, le lien indéfectible entre cosmologie et concepts physiques fondamentaux ne facilite guère l’assimilation rapide des nouveaux paradigmes cosmologiques. Pour ce qui est de la révolution cosmologique relativiste, il a fallu au moins trente années pour qu’un consensus – non pas l’unanimité – commence à voir le jour chez les physiciens.
L’image qu’offre aujourd’hui la cosmologie de l’évolution de l’univers – qui est loin d’être définitive – est assez différente du schéma initialement proposé par Friedmann et Lemaître, mais les concepts fondamentaux sont restés. L’origine des grandes structures cosmiques a effectivement été trouvée dans les inhomogénéités de densité de l’univers primitif. Les traces de ces irrégularités ont été décelées en 1992 par le satellite américain COBE (COsmic Background Explorer). Dès lors, il n’y a plus guère de doutes quant à la validité de la théorie et des observations sur lesquelles les modèles cosmologiques relativistes sont fondés, même si, ça et là, de saines critiques – encore que trop vite relayées et amplifiées par les médias – paraissent encore dans la littérature spécialisée.
A l’instar des deux révolutions cosmologiques antérieures, la révolution relativiste déborde largement son strict cadre d’application astronomique. Force est de reconnaître qu’il s’agit de la théorie scientifique la plus ambitieuse de l’histoire. Comme le souligne Jacques Merleau-Ponty [8], le commandement du catéchisme réductionniste, <<Tu ne parleras pas du Tout>>, est transgressé de façon irréversible. La cosmologie relativiste parle désormais de l’univers comme d’un système physique, soumis à des lois et confronté à des faits expérimentaux. Le système <<univers>> jouit toutefois d’un statut unique. Par là-même, la cosmologie présente la particularité d’être, bien que discipline très spécialisée de la physique, en permanence commentée et critiquée par des chercheurs extérieurs à cette discipline [9].
Les pères du Big Bang
L’objet de cette introduction n’est pas de retracer, même brièvement, l’histoire de la cosmologie à travers les siècles, ni les quelques décennies qui ont vu le développement de la cosmologie relativiste. Les études sur la question, anthologiques ou analytiques, sont nombreuses et certaines sont de qualité [10]. Nous nous proposons de présenter et d’analyser les textes qui sont à l’origine des deux idées maîtresses de la cosmologie relativiste :
– l’expansion de l’univers
– son origine singulière.
Ces textes sont l’oeuvre de deux pionniers qui, armés de leur seul <<crayon>> et d’une intuition que l’on peut sans emphase qualifier de géniale, ont dévoilé cette nouvelle vision du monde : le russe Alexandre Friedmann [11] (1888 -1925) et le belge Georges Lemaître (1894-1966). Deux de leurs textes au moins, publiés pour le premier en 1922, pour le second en 1927, en font les véritables <<pères>> du Big Bang.
Cependant, l’une des anomalies de l’histoire des sciences récente veut que dans l’esprit (et sous la plume) de nombreux écrivains scientifiques à large audience, les concepts d’univers en expansion et de Big Bang soient attribués à deux autres hommes de science: Edwin Hubble et Albert Einstein. Or, si Edwin Hubble a bien mis en évidence expérimentale la relation linéaire entre le décalage spectral vers le rouge des galaxies et la distance, il n’a ni découvert ce décalage spectral systématique (la découverte revient à Vesto Slipher), ni accepté l’interprétation relativiste de ses observations, à savoir l’expansion de l’espace en lieu et place d’un déplacement réel des galaxies. Quant au génial inventeur de la théorie de la relativité, il a rejeté pendant plus de dix ans l’idée d’univers évolutif – semble-t-il sur la foi de préjugés philosophiques-, et il a cessé de travailler dans le domaine dès lors qu’il a dû amender son opinion.
L’anonymat quasi complet de Friedmann et Lemaître auprès du grand public est une chose. La sous-estimation de leur contribution scientifique dans la communauté des physiciens, voire même dans celle des astrophysiciens et des cosmologistes, en est une autre, très surprenante si l’on songe que les concepts qu’ils ont promulgués resteront l’un des accomplissements les plus remarquables de la science du XXe siècle. Le Biographical Encyclopedia of Scientists [12] accorde une petite notice à Friedmann mais aucune à Lemaître (pour des motifs divers, notamment politiques et idéologiques, les auteurs soviétiques font l’objet de plus d’attention de la part des américains que les auteurs francophones); le dictionnaire français Inventeurs et Scientifiques [13] cite au contraire Lemaître mais non pas Friedmann ; la plus sérieuse et plus complète compilation de ce type, le Dictionary of Scientific Biography [14], accorde cependant un article à chacun, mais au développement plus que modeste eu égard à la portée de leur oeuvre.
Les raisons de ce relatif oubli sont multiples et d’importances diverses. Certes, Friedmann a publié ses oeuvres en allemand ou en russe, et la plupart des articles de Lemaître sont rédigés en français ; mais Einstein et Poincaré, pour ne citer qu’eux, ont également exprimé leurs résultats fondamentaux dans leur langue maternelle. Certes, l’érosion du temps et des mémoires fait que les dits et écrits sont rapidement déformés, parfois jusqu’à la caricature. Par exemple, l’article de revue sur la cosmologie relativiste publié par Robertson [15] dès 1933 – au demeurant excellent – est déjà trompeur sur l’histoire contemporaine qu’il décrit ; en laissant croire que le concept d’univers en expansion était déjà accepté, il traduit davantage le voeu secret de son auteur qu’une objectivité historique. Certes, Friedmann et Lemaître ne sont pas anglo-saxons, ce qui constitue aujourd’hui un handicap sérieux pour accéder à la reconnaissance scientifique internationale, qu’elle soit anthume ou posthume.
Outre ces raisons générales et un peu difficiles à apprécier, il y a des raisons particulières. Friedmann est mort prématurément, avant même que des observations astronomiques puissent étayer sa thèse. Sans cette disparition prématurée, on peut se demander jusqu’où le savant russe aurait poussé ses investigations en cosmologie relativiste. Quant à Lemaître, pourtant à l’initiative des deux avancées conceptuelles mentionnées plus haut, sa spécialité de mathématicien et son engagement religieux ont sans doute cristallisé les résistances naturelles qui accompagnent l’instauration d’une nouvelle vision du monde [16].
La situation change progressivement. Friedmann et Lemaître sont de plus en plus reconnus comme des novateurs s’inscrivant dans la lignée des Ptolémée, Copernic, Kepler, Galilée, Newton et Einstein. Depuis peu, une biographie a été consacrée à chacun [17]. Parmi les porte-parole actuels de la cosmologie anglo-saxonne, certains commencent à reconnaître le rôle fondateur joué par Friedmann et/ou Lemaître [18], y compris à travers des ouvrages de cosmologie ayant connu quelque succès populaire [19]. Les contributions respectives des hommes de science ayant participé à l’élaboration du nouveau paradigme cosmologique se clarifient enfin : Einstein a créé la théorie de la relativité générale et écrit les équations gouvernant les propriétés physico-géométriques de l’univers ; Friedmann a découvert les solutions non statiques de ces équations, décrivant la variation temporelle de l’espace, et entrevu son possible commencement dans une singularité ; Lemaître a relié l’expansion théorique de l’espace au mouvement observé des galaxies, et jeté les bases physiques du Big Bang ; Hubble, enfin, a démontré la nature extragalactique des nébuleuses spirales, et confirmé expérimentalement la loi de proportionalité entre leur vitesse de récession et leur distance.
Les cinq périodes de la cosmologie relativiste
Dans les quelques soixante-dix années d’histoire de la cosmologie relativiste, il est possible de distinguer cinq périodes [20].
– La période initiale (1917-1927) voit le développement de modèles cosmologiques relativistes quantitatifs, mais dont la signification physique, en particulier la relation avec les observations astronomiques, n’est pas comprise.
– La période de développement (1927-1945) est celle durant laquelle les aspects géométriques et dynamiques des modèles d’univers sont explorés intensivement, et l’interprétation des décalages spectraux en termes d’univers en expansion s’affirme.
– La période de consolidation (1945-1965) correspond aux développements mathématiques et à l’amélioration des données observationnelles; elle s’achève par la découverte et l’interprétation du fond diffus cosmologique. Commence alors
– la période d’acceptation (au sens de consensus, et non d’unanimité) des modèles de <<Big Bang>> [21], qui laisse la place, à partir des années 1980, à
– la période d’élargissement, dans laquelle nous nous trouvons encore, et où des modifications, pour la plupart issues de la physique des hautes énergies, sont apportées aux modèles standard de Big Bang.
Les textes présentés dans ce volume relèvent tous des deux premières périodes. Ceux de Friedmann appartiennent à la période initiale, ceux de Lemaître à la période de développement. Ce sont en fait les travaux de Lemaître qui définissent le découpage entre les trois premières périodes. Son article de 1927 inaugure en effet la période de développement, tandis que son recueil d’articles, publié en 1945 sous le nom de L’hypothèse de l’atome primitif, la clôt.
Nous avons voulu présenter en outre deux aspects différents de leur activité créatrice : des écrits de vulgarisation scientifique (de haute volée) et certains de leurs écrits techniques. Le livre de vulgarisation de Friedmann (le premier de ce genre à avoir été publié en langue russe) est traduit pour la première fois dans une langue étrangère. Ses deux articles fondamentaux de 1922 et 1924, à l’origine publiés en allemand, étaient inédits en langue française. Les correspondances Lemaître – de Sitter et Lemaître – Einstein, puisées dans les Archives Lemaître à l’Université de Louvain-la-Neuve [22], sont également inédites.
2. DE LA GRAVITATION
Les théories pré-relativistes
Nous l’avons dit plus haut, les textes fondateurs de la cosmologie moderne n’auraient pas vu le jour sans l’élaboration préalable de la relativité générale, qui est une théorie de la gravitation. Celle-ci constituant le sujet principal de l’ouvrage de vulgarisation de Friedmann, il nous paraît utile d’en rappeler brièvement l’historique [23].
Aristote [24] affirma qu’une force ne pouvait s’appliquer que par contact – la force à distance étant selon lui impossible. Il prétendit en outre qu’une force constante était nécessaire pour maintenir un corps en mouvement rectiligne. Cette notion manifestement fausse (sinon, les flèches retomberaient selon une ligne brisée et non pas une parabole) bloqua la compréhension des phénomènes de gravité pendant deux millénaires.
Le nouveau système du monde héliocentrique, proposé par Copernic en 1543, fit office de déclic : les planètes tournent autour du Soleil central et non l’inverse, soit ; mais qu’est-ce qui les meut ? Copernic n’y répondit point, mais dans les décennies qui suivirent, les lois du mouvement planétaire découvertes par Kepler, et celles régissant la chute des corps décrites par Galilée, fixèrent un cadre propice à l’élaboration d’une théorie de la gravitation. Celle-ci vit le jour en 1687 sous la plume d’Isaac Newton et sous le nom d’attraction universelle [25].
Après avoir reçu leur forme analytique définitive, les lois de la gravitation newtonienne furent développées sous forme de méthodes très générales et très puissantes, utilisant de nouvelles quantités reliées à la force mais éloignées de l’expérience commune, telles que le potentiel. La théorie de l’attraction universelle ne fut réellement acceptée qu’après avoir connu des confirmations expérimentales, portant notamment sur la forme du globe terrestre (1736), le retour des comètes périodiques (1759) et la découverte de nouvelles planètes (1846).
Malgré ses triomphes pratiques, l’action gravitationnelle à distance restait inexpliquée. En 1864, James Clerk Maxwell fit à ce sujet quelques remarques profondes [26]. Désireux d’expliquer l’action électromagnétique s’exerçant entre corps distants sans supposer l’existence de forces capables d’agir à distance, Maxwell fit l’hypothèse d’un champ réparti dans tout l’espace ; il remarqua alors qu’ayant rattaché les attractions et répulsions magnétiques et électriques à l’action d’un milieu environnant, et trouvé qu’elles dépendaient de l’inverse du carré de la distance, il était naturel de se demander si l’attraction gravitationnelle, qui suivait la même loi de distance, ne pouvait pas, elle aussi, être rattachée à l’action d’un milieu. Maxwell avoua toutefois son incapacité à poursuivre ses investigations sur les causes de la gravitation.
A l’aube du XXe siècle, Hendrik Lorentz mit en évidence la variation des intervalles de temps et d’espace avec la vitesse du référentiel et donna les formules de transformation entre deux référentiels à vitesse relative uniforme, qui allaient permettre le développement de la relativité restreinte ; il conjectura aussi que la gravitation pouvait être attribuée à une interaction non pas instantanée, mais se propageant à la vitesse de la lumière [27]. Dans un article de juillet 1905 (soumis quelques jours avant celui d’Einstein sur le même sujet), Henri Poincaré posa le principe de la relativité restreinte : tous les référentiels à vitesse relative uniforme sont équivalents, la forme des lois physiques étant invariante sous les transformations de Lorentz. Notant toutefois que la loi de gravitation newtonienne ne satisfaisait pas à ce critère, il proposa l’existence d’ondes gravitationnelles voyageant à la vitesse de la lumière, mais ne développa pas de nouvelle théorie.
L’élaboration de la relativité générale (1907-1916)
En 1907, Einstein reprit le problème de la gravitation posé par Poincaré. Comment la gravitation newtonienne devait-elle être modifiée de façon à être compatible avec la relativité restreinte ? Il souçonna que le Principe d’Équivalence, c’est-à-dire l’égalité de la masse inertielle et de la masse gravitationnelle constatée expérimentalement, devait jouer un rôle-clé dans la gravitation. Il eut alors ce qu’il appellera plus tard <<l’idée la plus heureuse de son existence>>, à savoir qu’un observateur tombant en chute libre ne ressentirait aucun champ gravitationnel ; en d’autres termes, l’équivalence physique complète entre un champ gravitationnel et un système de référence convenablement accéléré. Cette hypothèse permettait de généraliser le principe de relativité au cas du mouvement uniformément accéléré, et faisait ressortir que le postulat de base de la relativité restreinte était trop étroit : pour décrire la gravitation, il fallait également envisager l’équivalence entre tous les référentiels en accélération relative uniforme, se traduisant par l’indépendance de la forme des lois physiques par rapport à certaines transformations non linéaires des coordonnées dans un espace à quatre dimensions.
En vertu du Principe d’Equivalence, toutes les formes d’énergie doivent être influencées par la gravitation, y compris la lumière. En 1911, l’astronome allemand Erwin Finlay Freundlich convainquit Einstein de l’importance des observations astronomiques pour tester les théories gravitationnelles, notamment la déflexion de la lumière dans un champ gravitationnel. Einstein n’avait précédemment songé qu’à des expériences terrestres, laissant peu de chances à des résultats mesurables en raison de la faiblesse du champ gravitationnel mis en jeu. Dans son article [28], il discuta également du décalage vers le rouge gravitationnel, selon lequel la lumière s’échappant d’un astre massif doit être décalée vers les plus grandes longueurs d’onde, en raison de la perte d’énergie due au champ gravitationnel.
En 1912, Einstein montra que les transformations de Lorentz étaient incompatibles avec une description non-newtonienne de la gravitation incorporant le Principe d’Equivalence. Ces recherches incitèrent d’autres physiciens à bâtir des théories gravitationnelles. Gunnar Nordström, Max Abraham et Gustav Mie effectuèrent diverses tentatives, toutes inspirées par celle d’Einstein, mais ne parvinrent pas à élaborer une théorie satisfaisante.
De son côté, Einstein comprit le fond technique du problème : si tous les systèmes de référence accélérés sont équivalents, alors la géométrie euclidienne ne peut être valide en chaque point de l’espace. Il mesura alors combien les fondements de la géométrie revêtaient une importance physique fondamentale et, dès lors, changea d’état d’esprit au sujet des mathématiques, qu’il avait jusqu’alors quelque peu négligées. Son ami Marcel Grossmann entreprit de lui expliquer les développements mathématiques récents sur les espaces courbes, obtenus par Riemann, Ricci et Levi-Civita. En 1913, Einstein et Grossmann signèrent ensemble un article en deux parties, dans lequel l’utilisation du calcul tensoriel faisait progresser le formalisme gravitationnel de manière significative. Grossmann fournit à Einstein le tenseur de courbure de Riemann-Christoffel, qui allait devenir l’outil géométrique de base de la future théorie. Pour la première fois, la gravitation était décrite en termes d’un tenseur métrique, dont les coefficients jouent le rôle de potentiels gravitationnels. Toutefois, la théorie restait incorrecte.
A la fin juin 1915, Einstein passa une semaine à Göttingen, où il donna six cours consacrés à l’exposé de sa version de la relativité générale. David Hilbert et Félix Klein assistèrent à ces cours et Einstein, après avoir quitté Göttingen, exprima sa satisfaction de les avoir convaincus.
Les dernières étapes de la théorie de la relativité générale furent accomplies simultanément par Einstein et Hilbert, qui tous deux reconnurent les erreurs figurant dans l’article d’octobre 1914.
Le 18 novembre 1915, Einstein se rendit compte que sa théorie expliquait naturellement l’avance du périhélie de la planète Mercure. En 1859, l’astronome français Urbain-Joseph Le Verrier avait en effet noté que le périhélie (le point de l’orbite où la planète est la plus proche du Soleil) avançait au cours du temps, une partie de l’avance s’expliquant par les perturbations gravitationnelles des autres planètes, une partie résiduelle de 38″ par siècle restant inexpliquée en termes de ce qui était connu à l’époque. Nombre de solutions possibles avaient été proposées dans le cadre de la gravitation newtonienne, par exemple que le soleil fût très aplati, que Vénus fût 10% plus massive que ce que l’on pensait, ou bien qu’une autre planète gravitât à l’intérieur de l’orbite de Mercure – hypothèses infirmées par les observations. Restait la possibilité que la loi de Newton elle-même fût incorrecte. Depuis 1882, l’avance du périhélie était connue avec plus de précision : 43″ par siècle, valeur confirmée par Freundlich en 1913. En novembre 1915, Einstein appliqua donc sa théorie de la gravitation à la description de l’orbite mercurienne, et découvrit que l’avance de 43″ par siècle s’expliquait avec précision dans le cadre de sa nouvelle théorie gravitationnelle, sans invoquer l’existence de corps invisibles ou d’autres hypothèses ad hoc. L’article d’Einstein [29], daté du 18 novembre, ne présentait pas encore la forme correcte des équations du champ, mais ceci n’affectait pas le calcul particulier concernant l’orbite de Mercure.
Einstein montra aussi que le calcul de la déflexion de la lumière qu’il avait présenté dans son travail de 1911 était faux d’un facteur 2, la valeur correcte étant 1″74 (de fait, après plusieurs tentatives en vue de mesurer cette déviation qui avaient échoué pour des raisons diverses telles que le mauvais temps, la guerre, l’incompétence, etc., deux expéditions britanniques confirmeront en 1919 la prédiction d’Einstein, en fournissant les valeurs 1″98± 0″30 et 1″61± 0″30).
Le 25 novembre 1915, Einstein soumit son article fondamental Les équations du champ de la gravitation [30], fixant la forme correcte de la relativité générale. Les calculs de la déflexion des rayons lumineux et de l’avance du périhélie de Mercure restaient identiques à ceux effectués une semaine auparavant.
Le 20 novembre, Hilbert avait lui aussi soumis son article, Grundlagen der Physik, fournissant les équations correctes de la gravitation. Il apportait des contributions importantes à la relativité ne se trouvant pas dans le travail d’Einstein. Hilbert appliquait les principes variationnels à la gravitation, et donnait sans démontration un ensemble d’identités remarquables qu’il attribuait à la mathématicienne Emmy Noether [31]. L’article de Hilbert énonçait aussi l’espoir d’une unification géométrique de la gravitation et de l’électromagnétisme.
Immédiatement après, Karl Schwarzschild découvrit une solution mathématique exacte des équations, correspondant au champ gravitationnel créé par un corps sphérique massif. Ce travail, à l’origine purement théorique et qui allait longtemps rester incompris, deviendrait plus tard la pierre de touche de la compréhension des étoiles à neutrons, des pulsars et des trous noirs.
En 1916, Einstein publia un article expliquant les fondements de la relativité générale en termes plus aisément compréhensibles [32]. Le terrain théorique était désormais prêt pour la cosmologie.
3. LES COSMOLOGIES STATIQUES (1917)
L’univers sans mouvement d’Einstein
Il était légitime que le père de la relativité générale cherchât en premier lieu une solution cosmologique des équations du champ. L’ère de la cosmologie relativiste commence donc par la publication en 1917 de l’article d’Einstein, <<Kosmologische Betrachtungen zur allgemeinen Relativitätstheorie>> [33]. Ce texte fondamental a été traduit en français et analysé dans un autre volume de cette collection [34], mais compte tenu de son importance, nous le commentons ci-après.
La croyance en un univers statique, c’est-à-dire invariable dans le temps, subsistait encore. Aussi Einstein envisage-t-il tout naturellement un univers rempli de matière sans pression, de densité constante dans l’espace et dans le temps. Distribution de matière uniforme implique courbure uniforme; la partie spatiale de l’univers d’Einstein a donc une courbure positive, partout la même – c’est un espace de type sphérique. L’univers d’Einstein peut s’interpréter mathématiquement comme le produit d’une hypersphère par un axe temporel infini. Son mérite est au moins double ; en premier lieu, il démontre l’efficacité technique de la relativité générale pour aborder le problème cosmologique ; en second lieu, il ébranle la croyance en un univers infini en proposant un espace fini mais sans limite.
Mais si Einstein a osé toucher à l’espace, il n’a pas osé toucher au temps. Là réside le défaut fatal de son modèle cosmologique : l’univers d’Einstein, c’est de la matière sans mouvement. Nombre de commentateurs ont par la suite écrit qu’Einstein n’avait pu se défaire d’une influence <<culturelle>> et <<philosophique>> remontant à Aristote, selon laquelle le cosmos serait immuable. C’est éluder certaines motivations plus pragmatiques du physicien théoricien.
Einstein sait que les étoiles ont de faibles mouvements propres, et il présume qu’il n’existe pas d’autre mouvement séculaire à grande échelle. Les observations de l’époque ne fournissent aucune contre-indication claire à cette hypothèse, et la nature extragalactique des nébuleuses spirales n’est même pas élucidée. Il est donc légitime de considérer l’univers comme un simple gaz d’étoiles, et Einstein tient le raisonnement suivant. Si l’univers est infini à la fois dans l’espace et dans le temps, ainsi que le propose la cosmologie newtonienne, alors pour compléter les équations de la relativité générale il est nécessaire de spécifier des conditions aux limites à l’infini. Influencé par une idée de Mach [35] selon laquelle une particule unique dans un espace vide de matière n’aurait pas d’inertie, Einstein estime que l’inertie est engendrée par la distribution des masses lointaines. Or, les potentiels gravitationnels (les coefficients de la métrique) sont déterminés par la distribution de la matière. Pour que l’inertie reste finie, il faut donc que les coefficients de la métrique s’annulent à l’infini; mais puisque l’espace n’existe pas sans la gravitation, cela implique la disparition pure et simple de l’espace à l’infini. Einstein abandonne donc le modèle d’un univers spatialement infini, et tente de trouver une solution de ses équations décrivant un univers fini, empli d’une distribution statique de matière. Il est à ce moment-là troublé par le résultat newtonien bien connu selon lequel un tel équilibre est instable à la moindre perturbation. L’un de ses arguments est particulièrement intéressant car il utilise une forme de raisonnement relevant de la mécanique statistique, en laquelle il est passé maître. Einstein envisage l’univers fini comme un gaz de Boltzmann en équilibre à une certaine température finie, dont les molécules sont les étoiles. Si le nombre d’étoiles par unité de volume doit s’annuler à la frontière de la distribution, argumente Einstein, elle doit aussi s’annuler au centre. En effet, le rapport des densités au bord et au centre est égal au rapport des facteurs de Boltzmann, exp(-E/kT), mettant en jeu la différence des potentiels gravitationnels aux deux points de référence. Or cette différence ne peut pas s’annuler, sauf si la densité est partout nulle. Ceci contredit l’hypothèse que la densité stellaire moyenne de l’univers est une constante strictement positive. Einstein en déduit avec justesse que la relativité générale, dans sa formulation originale, est incompatible avec un univers statique.
L’idée qu’il puisse exister des solutions non statiques l’effleure, puisque selon ses propres mots, <<le caractère courbe de l’espace varie dans le temps et dans l’espace en fonction de la distribution de la matière>> [36]. Il n’abandonne pas pour autant l’hypothèse de staticité, puisqu’il pense que les observations (et non pas la physique d’Aristote) l’exigent. Il n’a par conséquent pas d’autre choix que de modifier la formulation originale, en introduisant la constante cosmologique, notée l
Le seul terme qu’il soit possible d’ajouter aux équations du champ tout en respectant le postulat de covariance est proportionnel au tenseur de métrique, le facteur de proportionnalité étant la constante l. Si, formellement, ce nouveau terme peut être incorporé dans le tenseur impulsion-énergie [37], pour Einstein il doit être considéré comme d’origine physique différente; non pas lié à la matière, mais à la structure même de l’espace, d’où son qualificatif <<cosmologique>>. Ayant modifié ses équations, Einstein s’attache ensuite à trouver une solution satisfaisant ses hypothèses relatives au champ et à la matière. Il commence par construire un tenseur métrique. Les conditions qu’il pose sont que la composante temporelle est indépendante de l’espace, que le tenseur métrique est diagonal, et que l’espace est à courbure constante – cette dernière condition correspondant à l’hypothèse d’une distribution uniforme de la matière. Pour garantir la finitude de l’espace, Einstein choisit la géométrie spatiale la plus simple, celle de l’hypersphère de <<rayon>> R, dont la courbure constante est positive. La solution obtenue est connue sous le nom d’univers cylindrique d’Einstein. Si l’on représente la direction du temps par un axe vertical et que l’on trace un cylindre dont l’axe est confondu avec le temps, on obtient une description projective de l’espace d’Einstein dans laquelle deux directions d’espace ont été supprimées. Le cercle représente le périmètre de l’espace sphérique à un instant donné, et ce périmètre ne varie pas au cours du temps. C’est donc un espace authentiquement statique. Muni de cette métrique, Einstein peut étudier les conditions d’existence de solutions de ses équations. Il y a deux conditions, l’une reliant la constante cosmologique à la densité de matière, l’autre la reliant au rayon de courbure de l’espace: .
L’univers sans matière de de Sitter.
Malgré la remarque d’Einstein à propos du terme cosmologique : <<ce dernier n’est nécessaire que pour rendre possible une répartition quasi statique de la matière, laquelle correspond au fait que les vitesses des étoiles sont petites>> [38], la présence possible d’une constante cosmologique dans les équations du champ peut être envisagée indépendamment du modèle statique spécifique d’Einstein. La même année 1917, l’astronome hollandais Wilhem de Sitter découvre une deuxième solution cosmologique des équations de la relativité générale [39]. Il s’agit encore d’une solution statique, en ce sens qu’il existe un système de coordonnées dans lequel tous les coefficients de la métrique sont indépendants du temps, avec constante cosmologique (si celle-ci est égale à zéro, l’espace de de Sitter se réduit à l’espace plat de Minkowski, solution unique de la relativité restreinte). Elle se distingue de celle d’Einstein par le fait qu’elle ne contient pas de matière. Plus précisément, les formes de matière qui emplissent l’univers de de Sitter, telles que les étoiles, sont considérées comme des <<particules-test>> n’engendrant pas de gravitation. A ce titre, elles sont en mouvement dans une métrique de fond fixée d’avance.
La solution de de Sitter est caractérisée par
La courbure spatiale tridimensionnelle est positive (si l est positif) et constante dans le temps. De Sitter utilise un système de coordonnées dans lequel toutes les composantes du tenseur métrique s’annulent quand la distance à l’origine des coordonnées tend vers l’infini. Dans un post-scriptum, de Sitter en déduit que la fréquence des vibrations lumineuses diminue quand la distance à l’origine des coordonnées augmente; en conséquence, les raies spectrales des étoiles lointaines ou des nébuleuses doivent systématiquement être décalées vers le rouge, donnant lieu à une vitesse radiale positive <<faussée>> – c’est-à-dire une vitesse de fuite; une vitesse radiale négative dénote au contraire un rapprochement de la source et, en vertu de l’effet Doppler, se traduit par un décalage spectral vers le bleu. De Sitter fait même allusion à de <<faibles>> indices observationnels suggérant qu’un tel effet aurait déjà été détecté. La référence concerne sans aucun doute les résultats préliminaires présentés en 1915 par l’astronome américain Vesto Slipher [40]. De Sitter est donc <<sur la piste>> de l’interprétation cosmologique des décalages vers le rouge; il ne franchit cependant pas l’étape, et s’il décrit les vitesses radiales résultantes comme étant <<faussées>>, c’est bien parce qu’il garde à l’esprit la conception d’un univers statique, dont les propriétés intrinsèques ne changent pas au cours du temps.
Mais pour l’heure, il ne s’agit encore que de <<curiosités mathématiques>>; la métrique de de Sitter ne peut sérieusement être considérée comme un modèle d’univers plausible, puisque les propriétés de l’espace-temps y sont indépendantes de la matière. C’est du moins l’opinion d’Einstein, pour qui le Principe de Mach, nous l’avons vu, impose que les coefficients de la métrique soient déterminés par la distribution de matière [41]. La vraie résolution du dilemme est trouvée en 1922 par le mathématicien, mécanicien et météorologue russe Friedmann.
4. ALEXANDRE FRIEDMANN (1888-1925)
Alexandre Alexandrovich Friedmann [42] est né à Saint-Petersbourg (Russie) en 1888. Son père, Alexandrovich Friedmann, était danseur dans le ballet du théâtre Mariinsky; sa mère, L.I. Voyachek, était pianiste. En 1910, Friedmann obtient son diplôme de l’université de Saint-Petersbourg dans la spécialité <<physique mathématique>>. Entre 1914 et 1916 il participe à la première guerre mondiale, effectuant des missions à bord d’avions militaires de l’armée russe, au titre d’expert en balistique et en techniques de bombardement. Entre 1918 et 1920 il est professeur à l’université de Perm, et, entre 1920 et 1924, professeur à l’université de Petrograd (nouveau nom donné à Saint-Petersbourg). Il y enseigne la physique et les mathématiques. C’est au cours de cette période qu’il découvre la théorie de la relativité générale et entreprend d’en chercher des solutions exactes. Il rédige son ouvrage de vulgarisation, L’Univers comme Espace et Temps, qui paraît en 1923. Ses deux grands articles cosmologiques datent de 1922 et de 1924. En 1925, il est nommé directeur de l’institut géophysique de Leningrad (le nom de Saint-Petersbourg avait à nouveau changé en 1924). L’été 1925, en compagnie de l’aviateur P.F. Fedosenko, il bat le record d’altitude en ballon stratosphérique en s’élevant à 7400 m. Friedmann meurt subitement à Leningrad le 16 septembre 1925, d’une fièvre typhoïde [43].
Il est enterré dans sa ville natale. A ce propos, une anecdote instructive mérite d’être contée. L’emplacement de la tombe du savant russe a rapidement été oublié, d’autant que le régime stalinien qui a suivi n’a guère été enclin à perpétuer la mémoire de ce savant réputé <<créationniste>>. En 1988, le Laboratoire Alexandre Friedmann de l’université Saint Petersbourg décide d’organiser le premier <<Séminaire International A.Friedmann de Cosmologie>>, pour honorer le centenaire de la naissance du savant. Le directeur de l’institut Friedmann, Andrey Grib, a l’idée de faire rechercher la tombe d’Alexandre Friedmann, prévoyant une petite cérémonie commérative à laquelle les participants des divers pays seraient curieux de participer. Un vénérable professeur de l’institut de physique et de technologie de Saint-Petersbourg, et ancien élève de Friedmann, Georgy Grinberg, se souvient avoir assisté aux funérailles du savant au cimetière Smolenskoye, et que la tombe du cosmologiste était proche de celle du grand mathématicien Leonhard Euler. Andrey Grib demande donc à l’un de ses étudiants, Mihail Rosenberg, de se rendre au cimetière pour repérer la tombe – lui laissant même entendre que cette tâche ferait partie de son travail de thèse. Lorsque Mihail Rosenberg arrive au cimetière Smolenskoye et demande à consulter le registre de toutes les personnes enterrées ici, les autorités lui répondent qu’elles n’ont aucune information antérieure à la seconde guerre mondiale. Rosenberg demande à voir la tombe de Leonhard Euler. Après la guerre, lui répond-on, cette dernière a été transférée dans un autre cimetière. Reste au moins l’ancien emplacement, que les autorités lui indiquent. Rosenberg cherche aux alentours mais ne trouve aucun indice de la présence de Friedmann. Il commence alors à se quereller avec les autorités: comment les archives peuvent-elles avoir disparu ? A ce moment, un préposé à l’entretien des tombes s’approche et s’enquiert de l’objet de la dispute. Le directeur du cimetière lui répond que l’étudiant cherche un certain Friedmann … <<Quel Friedmann? >> demande l’employé, <<Celui qui a découvert la solution cosmologique non statique des équations d’Einstein?>>. <<Oui, oui!>> s’écrie l’étudiant. <<Hé bien venez avec moi, je vais vous montrer!>> C’est ainsi que la tombe du cosmologiste a été retrouvée. Le croque-mort n’était autre qu’un ancien physicien qui avait dû quitter son institut faute de crédits.
5. L’UNIVERS COMME ESPACE ET TEMPS (1923)
Coupés de la littérature scientifique mondiale pendant les années de guerre et la révolution russe, les savants soviétiques ne prennent connaissance de la théorie de la relativité générale qu’avec plusieurs années de retard. En 1919, la confirmation expérimentale de la valeur de la déflexion des rayons lumineux dans le champ gravitationnel solaire, prédite par la théorie relativiste, a un grand retentissement. Dès sa nomination à l’université de Saint-Petersbourg, Friedman commence à étudier la relativité générale avec une diligence exceptionnelle. Indubitablement, la théorie le séduit par la largeur de ses vues, par sa base théorique claire et simple, son appareil mathématique élégant. Il mesure vite qu’avec cette nouvelle interprétation de la gravitation, dans laquelle la nature de l’espace et du temps est liée à la distribution et au mouvement des masses gravitantes, la structure de l’univers devient pour la première fois l’objet d’une analyse scientifique exacte.
Un séminaire régulier est organisé à l’institut de physique de l’université. Friedmann et son collègue Vsevolod Konstantinovich Frederiks donnent des leçons sur la relativité générale. Selon le physicien Vladimir Fock, qui a participé au séminaire, les styles de leurs présentations sont différents. Frederiks met l’accent sur l’aspect physique de la théorie et, n’aimant pas les formulations mathématiques, il tente de rendre ses présentations qualitatives. Friedmann place au contraire l’accent sur les mathématiques et non pas sur la physique, s’efforçant à la rigueur et à l’exhaustivité dans la formulation et la discussion des problèmes. Yuri Alexandrovitch Krutkoff, qui jouera un rôle important dans la diffusion des travaux de Friedmann, prend également part au séminaire et y donne des exposés.
En 1922, le premier travail de synthèse en langue russe sur les fondements de la relativité générale est publié par Frederiks [44]. Il est fondé sur les notes de cours délivrés par Frederiks à Petrograd et à Moscou.
A la même époque, Friedmann et Frederiks commencent à rédiger une monographie fondamentale sur la théorie de la relativité. Ils entreprennent de présenter la théorie dans toute sa rigueur logique, en supposant que le niveau de connaissance de leurs lecteurs en mathématiques et en physique théorique ne dépasse pas celui délivré dans les universités russes. Des contraintes techniques les conduisent à diviser leur projet en cinq volumes séparés : un premier volume consacré aux fondements du calcul tensoriel, un second consacré aux fondements de la géométrie multidimensionnelle, un troisième à l’électrodynamique, un quatrième et un cinquième aux fondements de la relativité restreinte et générale. Seul le premier volume [45] voit le jour; il est publié en 1924 à Leningrad par les éditions Academia.
Parallèlement, Friedmann mène à bien son propre ouvrage Mir kak prostranstvo i vremya (L’Univers comme Espace et Temps). Cet ouvrage de 131 pages sort en édition séparée à Petrograd en 1923, dans la série <<Culture Contemporaine>> proposée par Academia. Le tirage, de 3000 copies, est normal pour l’époque. Une seconde édition sera publiée 42 ans plus tard à Moscou, chez Nauka, avec un tirage de 45 000 exemplaires. Une troisième édition verra le jour en 1966, intégrée dans la collection des >Oeuvres Choisies de A. A. Friedmann.
Un livre de vulgarisation?
Le livre comporte une introduction et trois chapitres respectivement intitulés l’espace, le temps, la gravitation. Il s’agit essentiellement d’un exposé axiomatique de la théorie de la relativité générale, Friedmann n’abordant la question cosmologique comme domaine d’application particulier de la théorie que dans les derniers paragraphes du dernier chapitre.
Dès l’introduction, Friedmann se défend d’avoir écrit un ouvrage de vulgarisation scientifique. Il n’appréciait visiblement guère le genre, bien qu’il possédât plusieurs ouvrages de ce type dans sa bibliothèque personnelle. Selon lui, la relativité est un sujet à la mode, mais <<impossible à vulgariser>>. Dans un pays émergeant à peine de bouleversements gigantesques, où la vie reprend son cours normal après tant d’années de guerre et de famine, l’intérêt du public pour la théorie de la relativité est un phénomène surprenant qui doit être attribué à un effet de mode. Dans son roman Sylvia, Emmanuel Berl écrit : <<La guerre avait laissé un certain désespoir au coeur de chacun ; l’après-guerre fut, néanmoins, une époque d’espérance, de foi secrète […] Les toniques, après tout, ne manquaient pas : les révolutionnaires avaient Lénine, les industriels avaient Ford, les savants Einstein, les psychologues Freud>> [46]. Cependant, un autre facteur culturel a joué. La cosmologie traite des éternelles questions sur la nature du monde, et offre un champ de réflexion sur la place de l’homme dans l’univers. Ce n’est donc pas sans raison si, dès cette époque, les conférences publiques sur la théorie de la relativité attirent un large public, et si livres et articles sont rapidement vendus malgré l’importance de leurs tirages.
En 1923 existaient déjà une vingtaine d’ouvrages sur la relativité en langue russe. La moitié d’entre eux étaient des traductions d’ouvrages étrangers – surtout allemands. Celui d’Einstein lui-même, Relativity : the Special and the General Theory. Popular Exposition, avait connu plusieurs éditions en russe, dont deux publiées à Petrograd en 1921 et 1922. L’édition allemande de 1916 se trouvait dans la bibliothèque personnelle de Friedmann. On comptait également le livre de Freundlich, Fondements de la Théorie de la Gravitation d’Einstein, préfacé par Einstein, dont la traduction russe fut éditée par Frederiks; celui de I. Lehmann, Théorie de la Relativité; de E. Cassirer, Théorie de la Relativité d’Einstein; et de Max Born, Théorie de la Relativité. Les monographies de Charles Nordmann et Henri Bergson étaient également disponibles en traduction russe.
Malgré l’avertissement de son auteur, L’Univers comme Espace et Temps est bien un texte de vulgarisation scientifique, rédigé non pas à l’intention du grand public, mais à celle des philosophes. Telle est du moins l’ambition de Friedmann, puisque son texte était initialement destiné à la revue de philosophie Mysl (La Pensée). On ignore la raison pour laquelle il ne fut pas publié dans cette revue; il est vrai qu’un article de 131 pages n’est pas d’un format convenant à une revue. On peut également penser que le contenu et le niveau n’étaient pas adaptés. Quoi qu’il en soit, force est de reconnaître que son projet de <<vulgarisation à l’usage des philosophes>> n’est pas une réussite parfaite. Le style proprement littéraire de Friedmann est emprunté, souffrant d’un grand nombre de répétitions [47], de lourdeurs et de raideurs de langage. Quant au contenu et au niveau de technicité, Friedmann est quelque peu naïf de croire que les philosophes pourront pénétrer les arcanes de la relativité en le lisant.
L’intérêt de l’ouvrage réside ailleurs. A notre regard d’aujourd’hui, il tient en quatre points :
1) l’exposé axiomatique des problèmes de l’espace, du temps et de la gravitation,
2) la discussion de la tentative d’unification géométrique de la gravitation et de l’électromagnétisme, due à Weyl,
3) l’affirmation selon laquelle la <<création de l’univers>> apparaît naturellement comme solution des équations du champ gravitationnel,
4) les remarques sur l’indétermination topologique de la relativité générale.
Examinons ces points un par un.
L’axiomatisation de la relativité
Friedmann conduit le lecteur au coeur même du sujet (la nature de l’espace et du temps) par le biais de l’axiomatique et non de la physique. Cette approche particulière est celle de David Hilbert (1862-1943).
La nécessité d’une axiomatisation, des mathématiques d’abord, puis de la physique, prend sa source au milieu du XIXe siècle lorsque l’édification de la géométrie non-euclidienne hyperbolique par Gauss, Lobatchevski et Bolyai a obligé à abandonner les prétentions à la vérité absolue de la géométrie euclidienne. Dès lors, les axiomes mathématiques n’apparaissent plus comme évidents, mais comme des hypothèses dont il faut vérifier qu’elles sont adaptées à la représentation du monde sensible. Gauss est, par exemple, convaincu que le débat entre les diverses géométries peut être tranché par l’expérience; comme Friedmann le rappelle dans son livre, Gauss a même tenté de le prouver en testant la géométrie de l’espace au moyen de mesures géodésiques. Friedmann cite également à plusieurs reprises la célèbre dissertation inaugurale de Riemann, Des hypothèses qui servent de fondement à la géométrie (1867). L’ambition de Riemann est précisément de fournir un cadre mathématique général aux divers phénomènes naturels : dans la mesure où il ne peut plus y avoir de confiance illimitée en l’intuition géométrique classique, défaillante, il faut axiomatiser la géométrie sans faire appel à l’intuition. Le plus célèbre achèvement de l’axiomatisation de la géométrie euclidienne sont les Grundlagen der Geometrie [48] de Hilbert, parus en 1899. Cet ouvrage devient presque aussitôt la <<charte>> de l’axiomatique moderne. Non content de procurer un système complet d’axiomes valides pour la géométrie euclidienne, Hilbert classe ces axiomes en divers groupes de nature différente, et s’attache à déterminer la portée exacte de chacun de ces groupes d’axiomes. Par exemple, les géométries non-euclidiennes de Lobatchevski et de Riemann apparaissent comme de simples cas particuliers obtenus en supprimant ou en modifiant tel ou tel axiome. Hilbert met ainsi clairement en relief la liberté dont dispose le mathématicien dans le choix de ses hypothèses. Cette vue sera rapidement adoptée de façon à peu près unanime par les mathématiciens ; elle se développera tout au long de la première moitié du siècle, sera momentanément couronnée par l’oeuvre de Bourbaki [49], puis définitivement limitée par celle de Gödel [50].
Hilbert pousse plus loin sa réflexion en prétendant axiomatiser l’ensemble de la physique. C’est en effet l’époque où la physique s’enracine définitivement dans les mathématiques, et l’analyse critique des fondements logiques de la seconde devait nécessairement se reporter sur la première. En 1915, Hilbert publie Grundlagen der Physik (où il fournit notamment les bonnes équations de la relativité générale, comme nous l’avons dit plus haut). C’est dans ce climat que Friedmann rédige son opuscule sur la relativité.
Dès les premiers paragraphes, Friedmann insiste sur le problème de l’interprétation physique. Les mathématiciens sont en effet embarrassés par les concepts nouveaux jusqu’à ce qu’ils puissent en donner une interprétation sensible. Il en avait été ainsi des nombres négatifs et des nombres imaginaires. Au XIXe siècle, les mathématiciens avaient commencé à sentir nettement qu’il était légitime de raisonner sur des objets n’ayant aucune interprétation sensible. Par exemple, dans sa dissertation inaugurale, Riemann avait pris soin de ne pas parler de points, mais de <<déterminations>>, les relations métriques ne pouvant <<s’étudier que pour des grandeurs abstraites et se représenter que par des formules.>> [51] A cause des multiples interprétations ou modèles possibles, on avait reconnu que la nature des objets mathématiques était au fond secondaire. L’essence des mathématiques apparaissait désormais comme l’étude des relations entre des objets qui ne sont plus connus et décrits que par quelques-unes de leurs propriétés, celles précisément que l’on met à la base comme axiomes de la théorie. C’est la thèse à laquelle Friedmann adhère pleinement.
Le physicien russe utilise également le terme <<arithmétisation>>, qui peut surprendre le lecteur. Qu’a à voir l’arithmétique avec la relativité? Là encore, le contexte de l’époque doit être rappelé. L’arithmétique traite des entiers naturels, <<produits exclusifs de notre esprit>> comme l’écrivait Gauss en 1832 en les opposant à la notion d’espace [52]. Weierstrass a toutefois obtenu un modèle des nombres rationnels positifs ou des nombres entiers négatifs en considérant des classes de couples d’entiers naturels. Puis Cantor et Dedekind ont réussi à trouver un modèle arithmétique des nombres irrationnels. A partir de ce moment, les entiers sont devenus le fondement de toutes les mathématiques classiques. Les réels ont été interprétés en termes d’entiers, les nombres complexes et la géométrie euclidienne aussi (grâce à la géométrie analytique); enfin, Beltrami et Klein ont obtenu des modèles euclidiens des géométries non-euclidiennes de Lobatchevski et Riemann, et par suite arithmétisé ces théories.
Les modèles fondés sur l’arithmétique ont acquis d’autant plus d’importance que la méthode axiomatique s’est développée, et avec elle la conception des objets mathématiques comme libres créations de l’esprit. Démontrer l’existence d’un objet mathématique ayant des propriétés données, c’est simplement construire un objet ayant les propriétés indiquées. C’est à quoi servent les modèles arithmétiques. On parle alors de la classe des objets possédant telle ou telle propriété. Dans son « calcul logique », Boole [53] n’avait pas hésité à introduire en 1847 l’Univers comme ensemble de tous les objets!
C’est bien ainsi que Friedmann définit l’espace et le temps : en termes de classe d’objets arithmétisée au moyen de telle ou telle propriété. Il est clair que l’axiomatisation de l’espace et du temps a peu de vertu pédagogique ; ce qui constitue l’une des originalités – sur le plan physique et non pas mathématique – de la présentation de Friedmann en constitue donc, aussi, l’une des limites.
L’unification géométrique de la gravitation et de l’électromagnétisme.
La théorie de la relativité restreinte – à l’origine conçue comme une théorie physique de l’électrodynamique – a été géométrisée par Hermann Minkowski en 1908. C’est en effet lui qui introduisit le formalisme d’espace-temps quadri-dimensionnel, base mathématique de tous les développements relativistes futurs. Historiquement, la relativité générale a été construite comme une théorie géométrique de la gravitation [54]; cette dernière n’est plus décrite en termes de force, mais en termes de métrique d’un espace riemannien.
Hermann Weyl fut le premier à tenter d’étendre la géométrie riemannienne de façon à incorporer l’électromagnétisme et la gravitation dans un formalisme unifié. Il utilisa des connexions non métriques, mais sa tentative s’avéra plus tard un échec sous sa forme originelle. Néanmoins, la théorie était belle. Pour son aspect mathématique, elle a joué un rôle essentiel dans le développement de la géométrie différentielle moderne et dans l’élaboration des théories de jauge [55]. Quant à sa motivation physique, elle prolongeait le voeu exprimé par Hilbert dans son article de 1915, et allait hanter sans résultat l’esprit des physiciens tout au long de ce siècle : traiter toutes les forces de la Nature (et pas seulement la gravitation) comme des manifestations de la structure d’un espace-temps.
L’importance fondamentale de ces questions se reflète dans la place que Friedmann accorde à l’approche de Weyl. Tout en reconnaissant que la théorie n’est en aucune façon prouvée par l’expérience, le physicien russe laisse transparaître une certaine préférence pour l’approche de Weyl par rapport à celle, plus modeste, d’Einstein.
Il est intéressant de préciser quel allait être le sort des tentatives de géométrisation de l’électromagnétisme après 1922. On peut distinguer deux approches : soit la généralisation de la géométrie de l’espace-temps à quatre dimensions – voie empruntée par Weyl, Eddington, Cartan et Einstein -, soit l’adjonction d’une dimension supplémentaire à l’espace-temps – parti adopté par la théorie de Kaluza-Klein.
En ce qui concerne la première voie, le mathématicien français Elie Cartan proposa en 1922 une extension de la géométrie riemannienne utilisant des connexions qui n’étaient pas nécessairement symétriques sur ses deux indices inférieurs. Il suspecta que le tenseur obtenu de cette façon, aujourd’hui appelé torsion de Cartan, pouvait être en rapport avec l’électrodynamique. Dans ce contexte, les lettres sur le parallélisme absolu échangées entre Cartan et Einstein [56] dans la période 1922-1929, sont très intéressantes (le nom de parallélisme absolu vient du fait que dans cette théorie, le tenseur de courbure de Riemann, distinct du tenseur de Riemann-Christoffel utilisé en relativité générale, est partout nul). A leur suite, Einstein publia une série d’articles dans les rapports de l’Académie des Sciences de Prusse au sujet du parallélisme absolu et d’une théorie du champ unifiée. L’un d’entre eux récapitule les divers articles proposant des équations du champ qui incluent le tenseur de torsion et conduisent, en première approximation, à la fois aux équations de Maxwell et aux équations de Newton-Poisson [57]. Malheureusement, Einstein n’essaya jamais d’incorporer la mécanique quantique dans son schéma. Les autres physiciens préférèrent explorer la voie de la théorie quantique des champs plutôt que de le suivre dans son approche. Ainsi le projet de théorie unitaire d’Einstein, manquant d’une description des particules, échoua-t-il.
La deuxième voie fut empruntée par le physicien autrichien Theodor Kaluza (1885 – 1945) et le physicien suédois Oscar Klein (1894-1977). Ils développèrent indépendamment une théorie de l’espace à cinq dimensions portant aujourd’hui leur nom [58]. Dans leur modèle, la description de l’électromagnétisme nécessite l’introduction d’une <<cinquième>> dimension. Cette dimension n’est toutefois pas orthogonale à <<notre>> espace-temps quadri-dimensionnel. Les quatre cosinus directeurs des <<angles>> que fait cette nouvelle dimension avec nos dimensions usuelles dépendent du point de l’espace-temps, et forment les quatre composantes du potentiel-vecteur du champ électromagnétique. Du point de vue de cette théorie, les particules chargées se meuvent dans un espace-temps penta-dimensionnel, tandis que nous, êtres humains, ne percevons que la projection de ce mouvement dans l’espace-temps quadri-dimensionnel. Ceci peut être illustré par l’analogie avec le mouvement de l’ombre d’un avion à la surface de la Terre [59]. Le mouvement de l’ombre dépend non seulement de la trajectoire de l’avion, mais aussi de la position du Soleil dans le ciel. Donc, même si la trajectoire de l’avion est rectiligne, le mouvement de son ombre ne l’est pas. Il en va de même dans la théore de Kaluza-Klein ; la projection du mouvement varie selon les points de l’espace-temps, et l'<<ombre>> de la charge ne se meut pas selon une ligne droite. Cette déviation géodésique est interprétée comme un effet des forces électriques et magnétiques.
Le modèle de Kaluza-Klein, abandonné pour l’électromagnétisme, a été repris et généralisé dans les théories modernes de la physique des particules, en particulier dans la théorie des supercordes, où le nombre de dimensions supplémentaires atteint sept ou même davantage [60]. Ces dimensions supplémentaires sont différentes des dimensions spatiales usuelles en ce sens qu’elle sont compactifiées, c’est-à-dire qu’elles prennent la forme d’un cercle dans le plan, de rayon aussi petit que 10-33 centimètre.
Friedmann travaillera en 1924 avec le mathématicien hollandais Jan Arnoldus Schouten sur un modèle géométrique de l’électromagnétisme inspiré de celui de Weyl [61]. Ce n’est toutefois pas dans cette voie que Friedmann fut novateur, mais dans celle qui suit.
La création de l’univers
A la fin de son livre, Friedmann présente, bien que de façon fort brève, les solutions dynamiques qu’il a découvertes et publiées sous forme technique en 1922 dans Zeitschrift für Physik ; c’est donc, dans l’histoire de la cosmologie, la première formulation vulgarisée des concepts d’univers en expansion ou en contraction et de singularité cosmique. Pour ce qui est de la dynamique cosmique, Friedmann écrit : <<Le type d’univers variable engendre une famille beaucoup plus générale de modèles : dans certains cas le rayon de courbure de l’univers part d’une certaine valeur et augmente constamment au cours du temps; dans d’autres cas le rayon de courbure varie de façon périodique, l’univers se contractant en un point (de volume nul), puis, à partir de ce point, augmente de rayon jusqu’à une certaine valeur maximale, puis diminue à nouveau pour redevenir un point, et ainsi de suite>>. Ainsi, il est évident que dès la rédaction de son livre, Friedmann connaissait déjà les espace-temps fermé et ouvert, et qu’il mesurait totalement les implications de leur découverte pour l’univers réel.
Contrairement à ce qui a été souvent prétendu, le travail cosmologique de Friedmann ne se réduisait pas à un simple problème mathématique. En ce qui concerne la singularité cosmique (l’univers réduit à un point), Friedmann pose pour la première fois le problème du début et de la fin de l’univers en termes scientifiques [62]. Il ne peut s’empêcher d’y voir une implication métaphysique, lorsqu’il écrit : <<On peut se souvenir ici de la mythologie indienne sur les cycles de vie, on peut aussi parler de la création du monde à partir de rien>>. Ce terme de <<création du monde>>, une fois lancé dans le champ de la cosmologie relativiste, allait susciter bien des remous et malentendus, et bloquer psychologiquement la plupart des physiciens.
Dans la bibliographie générale d’A. Friedmann, on note l’existence d’un manuscrit perdu, justement intitulé Création (Mirozdanie). Nul ne sait quel pouvait en être le contenu, mais il n’est pas impossible que Friedmann y ait développé un point de vue théologique – point de vue qu’il se refuse à aborder dans son livre de vulgarisation, comme il le dit à plusieurs reprises. Parler de la création de l’univers sous le régime communiste était quelque peu osé politiquement, bien que Friedmann ne se souciât guère de politique. Ce n’est que dans les années 1960 que la science soviétique s’est convertie à la conception du Big Bang. Certains indices laissent à penser que si le savant russe avait survécu plus longtemps à sa théorie, il aurait pu être emprisonné et persécuté [63]
Friedmann discute également de l’âge de l’univers : <<Si on essaye de calculer le temps écoulé depuis le moment où l’univers fut créé à partir du vide jusqu’à aujourd’hui, c’est-à-dire calculer le temps depuis la création du monde, on obtient des nombres correspondant à quelques dizaines de milliards de nos années usuelles>>. Friedmann se fonde en fait sur le calcul théorique de la période d’expansion-contraction de sa solution « cyclique », qu’il a effectué dans son article de Zeitschrift für Physik (formule (14)). La période y est liée à la masse totale de l’univers et à la constante cosmologique. En tenant compte de certaines données observationnelles de l’époque relatives à la densité moyenne d’étoiles et à la taille de l’univers observable, Friedmann adopte la valeur de 5x 10^(21) masses solaires pour la masse de l’univers. En négligeant la constante cosmologique, il en déduit un âge de l’ordre de 10^(10) années. Ce nombre était beaucoup plus grand que l’âge des plus vieux objets de l’univers connu à l’époque. Au début des années 1920, l’âge de la Terre, estimé d’après la période de désintégration du radium, ne dépassait pas le milliard d’années. Comme nous aurons l’occasion de le voir plus loin, les chiffres avancés aujourd’hui pour l’âge de l’univers confirment et précisent la remarquable prédiction de Friedmann.
Le modèle d’univers en oscillation perpétuelle, avec ses cycles d’expansion – contraction, sera joliment appelé <<univers – phénix>> par Eddington [64], puis Lemaître. Il a été abandonné pour diverses raisons [65]. Beaucoup plus populaire aujourd’hui est l’idée d’univers <<inflationnaire>>, précédant la phase d’expansion de Friedmann, au cours de laquelle l’espace se serait dilaté à un taux beaucoup plus rapide que dans la période ultérieure. D’autre part, le problème de la <<création du monde>> est étroitement lié au problème non résolu de la gravité quantique [66].
La question topologique
C’est également dans le dernier chapitre que Friedmann mentionne l’insuffisance des équations d’Einstein pour définir la topologie globale de l’univers, et qu’en conséquence plusieurs topologies différentes peuvent être envisagées pour une même solution des équations. Ces aspects topologiques seront développés dans son second article technique, paru en 1924 dans Zeitschrift für Physik. Nous y reviendrons au [[section]]13 après avoir examiné l’oeuvre de Lemaître, car les préoccupations topologiques des deux hommes sont l’un des signes les plus profonds de leur originalité.
6. SUR LA COURBURE DE L’ESPACE (1922)
Friedmann publie son « opus » majeur sur la courbure de l’espace dans la revue allemande Zeitschrift für Physik [67]. Il y démontre <<l’existence possible d’univers dont la courbure spatiale est constante par rapport aux trois coordonnées spatiales mais dépend du temps, c’est-à-dire de la quatrième coordonnée (temporelle)>> et il en écrit la métrique, qui sera plus tard appelée métrique de Friedmann. Autrement dit, Friedmann franchit le pas qu’Einstein n’avait pas été prêt à faire : si l’on abandonne l’hypothèse d’un univers statique, le problème cosmologique relativiste comporte une infinité de solutions dans lesquelles la métrique varie en fonction du temps.
Friedmann discute le cas d’un univers homogène et isotrope, c’est-à-dire avec une densité de matière constante dans l’espace. Le relation entre distribution de matière et courbure, stipulée par les équations d’Einstein, impose que la courbure spatiale de l’univers est uniforme (constante en chaque point de l’espace à un instant donné). Dans ce premier article, Friedmann ne considère que le cas d’une courbure spatiale positive (le cas négatif fera l’objet de son article de 1924). Si le rayon de courbure R est indépendant du temps, démontre-t-il, les seules solutions sont les univers statiques de Einstein et de Sitter. Si R(t) dépend de la variable temporelle, il y a une infinité de modèles non statiques, en expansion monotone ou en oscillation périodique selon la valeur choisie pour la constante cosmologique l. Cette dernière, introduite par Einstein et adoptée par de Sitter pour assurer l’existence de solutions statiques, n’est plus nécessaire; comme il l’écrit, c’est <<une constante superflue du problème>>. Elle peut néanmoins être conservée, et ses diverses valeurs possibles engendrent toute une variété de modèles. Si l est positive et supérieure à une certaine valeur critique, le rayon de courbure de l’univers croît monotonement à partir d’une valeur initiale nulle; le modèle est dit monotone de première espèce. Si l est positive mais inférieure à la valeur critique, le rayon de courbure de l’univers croît monotonement à partir d’une valeur initiale non nulle; le modèle est dit monotone de seconde espèce. Enfin, si l <= 0, on obtient un modèle oscillant avec des ères alternées d’expansion et de contraction. Friedmann note que si l = 0, la période ne dépend que de la masse totale de l’univers, ce qui lui permet d’estimer numériquement le <<temps depuis la création du monde>> et obtenir une valeur <<de l’ordre de dix milliards d’années>>.
La modernité de l’article de Friedmann se voit également dans le fait que quiconque étudiant la cosmologie moderne peut reconnaître aussitôt ses principales équations [68]. Alors que les formulations des diverses métriques (celle de Sitter autant que celles de Friedmann) changeront ultérieurement pour la forme unifiée de Robertson et Walker (cf. Encadré 1), les équations différentielles qui gouvernent le développement temporel d’un espace de courbure positive constante n’ont pas changé d’un iota.
La réaction d’Einstein
Avec son article de 1922, Friedmann introduit une révolution scientifique de même ampleur que la révolution copernicienne. Dans la cosmologie pré-copernicienne, l’espace était centré sur un lieu très particulier, la Terre. Dans la cosmologie pré-friedmannienne, le déroulement temporel de l’univers était réduit à un cas très particulier, la staticité, c’est-à-dire l’absence de toute évolution. La cosmologie friedmannienne introduit de façon irréversible l’historicité de l’univers comme espace-temps, et l’idée d’un commencement.
Mais la communauté scientifique des années 1920 n’est pas préparée à recevoir ces « faits curieux », comme les qualifie Friedmann dans son livre de vulgarisation. Au premier rang figure Einstein. Zeitschrift für Physik étant la revue de physique la plus lue de l’époque, le père de la relativité remarque l’article de Friedmann et réagit rapidement. Le 18 septembre 1922, il fait paraître dans la même revue une courte <<remarque>> [69], dans laquelle il prétend que Friedmann a fait une erreur de calcul et que les solutions à rayon variable sont incompatibles avec la relativité.
<<Dans le travail cité, les résultats concernant un univers non statique me semblent sujets à caution>>, affirme-t-il. En fait, c’est Einstein lui-même qui commet une erreur de calcul [70], mais une suite de circonstances fortuites [71] retardera de plusieurs mois la reconnaissance de cette erreur.
Le numéro de la revue Zeitschrift für Physik contenant l’objection d’Einstein parvient en Russie en octobre 1922. Friedmann et ses collègues – en particulier Frederiks – en prennent connaissance, et Friedmann décide de répondre par courrier. Il n’envoie pas sa lettre au bureau éditorial de la revue mais à Einstein, montrant ainsi un certain tact envers son prestigieux contradicteur. En fait, il est probable que Friedmann a pris connaissance de la critique d’Einstein un peu avant, ainsi qu’en témoigne le début de sa lettre: <<Cher Professeur! Selon la lettre d’un de mes amis qui est maintenant à l’étranger, j’ai eu l’honneur d’apprendre que vous avez soumis une courte note destinée à être publiée dans le volume 11 de Zeitschrift für Physik, où vous établissez que si l’on accepte les hypothèses faites dans mon article <<Sur la courbure de l’espace>>, il s’ensuit que d’après les équations d’univers que vous avez dérivées, le rayon de courbure de l’univers est une quantité indépendante du temps>>. L’ami en question est Yu. A. Krutkoff, qui va jouer pendant quelques mois le rôle de « messager » entre Einstein et Friedmann.
Le messager
Krutkoff est l’un des physiciens russes les plus cultivés de son temps. Il a étudié la relativité restreinte avec Ehrenfest entre 1907 et 1912, et, en 1920, il a participé au séminaire de l’Université de Petrograd organisé par Friedmann et Frederiks, consacré à la relativité générale. Dans les nombreux agendas de notes et la correspondance que Krutkoff a laissés, nous apprenons qu’en 1922-1923 il a passé <<un an et un jour>> en Allemagne. Plus précisément, Krutkoff arrive à Berlin à la fin septembre 1922, peu après la publication de la remarque d’Einstein. Il a donc vraisemblablement informé Friedmann de la critique d’Einstein avant que la revue ne parvienne à Saint-Petersbourg. Aucune correspondance entre Krutkoff et Friedmann n’a pu toutefois être retrouvée.
Dans sa lettre à Einstein, Friedmann montre ensuite par des calculs directs que l’annulation de la divergence du tenseur impulsion-énergie [72] interdit d’obtenir un rayon de courbure constant dans le temps. <<Considérant que l’existence possible d’un univers non-statique présente un certain intérêt – écrit Friedmann -, je me permettrai de soumettre ici les calculs que j’ai effectués à votre jugement critique>>. Friedmann précise ensuite qu’il a récemment étudié <<le cas d’un univers à courbure négative constante et variable dans le temps […]. La possibilité d’obtenir à partir de vos équations d’univers une solution à courbure négative constante est pour moi d’un intérêt exceptionnel, et je vous prie donc, bien que je vous sache très occupé, de répondre à ma lettre>>. Ce passage prouve que dès 1922, Friedmann avait découvert les solutions à courbure négative, mais celles-ci ne seront publiées que deux ans plus tard. Friedmann conclut sa lettre : <<Au cas où vous estimeriez corrects les calculs présentés dans cette lettre, je vous prie d’être assez aimable pour en informer les éditeurs de Zeitschrift für Physik; peut-être dans ce cas publierez-vous un correctif à votre note, ou donnerez-vous à cette lettre l’occasion d’être publiée>>.
Friedmann a raison de supposer qu’Einstein est <<très occupé>>. Des semaines s’écoulent sans obtenir de réponse. L’explication est simple : lorsque la lettre parvient à Berlin en décembre, Einstein a quitté la ville. Dès la fin septembre, deux semaines après avoir envoyé son commentaire sur l’article de Friedmann, lui et son épouse entreprennent un grand voyage qui les fait d’abord passer par la Suisse et la France, et le 11 octobre ils embarquent pour le Japon. Au cours de ce voyage, Einstein apprend qu’il a reçu le prix Nobel de physique. Il ne peut se présenter à Stockholm à temps pour la cérémonie de remise des prix. Ce n’est qu’en mars 1923, après être passé par la Palestine, la France et l’Espagne, qu’Einstein regagne Berlin. Il lui faut évidemment quelque temps pour trier le courrier accumulé durant son absence de près de six mois. En mai, Einstein est invité en Hollande, à l’Université de Leyde – dont il était professeur honoraire -, pour assister au dernier cours public de Lorentz. Krutkoff se trouve à Leyde au même moment. Einstein fait sa rencontre au domicile d’Ehrenfest, où il séjournait toujours quand il se rendait en Hollande. Einstein avait déjà entendu parler de Krutkoff, comme en témoigne la correspondance entre Max Born et Einstein [73].
On peut suivre les entretiens que Krutkoff a eus avec le grand physicien d’après les notes de ses agendas et les lettres qu’il a envoyées à sa soeur, Tatiana Krutkova. L’agenda du mois de mai 1923 est couvert de formules extraites de l’article de Friedmann et de calculs s’y rapportant. Dans une des lettres, Krutkoff écrit : <<Lundi 7 mai 1923, j’ai lu avec Einstein l’article de Friedmann paru dans la Zeitschrift für Physik>>. Dans une autre lettre du 18 mai : <<A cinq heures, Einstein a fait un compte-rendu de son dernier article devant Ehrenfest, Droite et un Belge … J’ai défait Einstein dans son argumentation contre Friedmann. L’honneur de Petrograd est sauf!>>.
On ne sait si, au moment de cette entrevue, Einstein avait déjà lu la lettre que lui avait adressée Friedmann, ou bien si c’est l’entrevue avec Krutkoff qui l’a pressé de trier son courrier à son retour à Berlin. Toujours est-il que le 16 mai 1923, Einstein regagne Berlin et le 21 mai, il soumet sa seconde note [74] sur l’article de Friedmann à la Zeitschrift für Physik.
Son texte, très bref, est le suivant : <<Dans une note antérieure j’ai critiqué le travail susmentionné. Mais – comme je m’en suis convaincu à l’instigation de M. Krutkoff et grâce à une lettre de M. Friedmann – mon objection était fondée sur une erreur de calcul. Je tiens les résultats de M. Friedmann pour justes et éclairants. Ils montrent que les équations du champ admettent pour la structure de l’espace à symétrie centrale, en plus des solutions statiques, des solutions dynamiques (c’est-à-dire variant avec la coordonnée de temps).>>
Peut-on en déduire qu’Einstein admet enfin la découverte de Friedmann comme étant de nature à dessiner une nouvelle image de l’Univers? C’est peu probable, comme le montreront également ses réticences ultérieures envers le travail de Lemaître. Un article récent de D.J. Stachel [75] fait état d’une première version (non publiée) de la note, dans laquelle la dernière phrase du manuscrit <<… les équations du champ admettent […] des solutions dynamiques […]>> se prolongeait par <<auxquelles il est à peine possible d’attribuer une signification physique>>. Cette phrase a été – au dernier moment – biffée par Einstein. Elle est similaire à la sentence qu’il édictera plus tard, en 1927, à l’encontre du travail de Lemaître. L’attitude d’Einstein vis-à-vis du problème cosmologique traduit donc une sorte de malaise qui ne se résoudra jamais réellement [76].
Rendez-vous manqués
En août et septembre 1923, Friedmann fait un séjour à Berlin et tente de rencontrer Einstein. Le 9 août, Krutkoff écrit à sa soeur: <<Friedmann est ici; aujourd’hui, dans quelques heures il part à Hambourg. La note d’Einstein, dans laquelle il est réhabilité grâce à mon intervention, est déjà sortie>>. Le 19 août, c’est Friedmann qui écrit à N. Malinina – sa future épouse: <<Mon voyage se déroule mal – Einstein, par exemple, a quitté Berlin pour des vacances, et je ne pourrai pas le voir>>. Le 2 septembre : <<les seules choses que j’ai à faire sont les suivantes : 1) visiter Göttingen; 2) voir Pahlen (un astronome qui a été mon collaborateur); 3) voir Mises (l’éditeur de Zeitschrift für Ang. Math.) et Einstein>>. Le 13 septembre: <<Aujourd’hui j’ai rendu visite à l’astronome Pahlen [77], un vieil ami à moi. Là, j’ai rencontré l’astronome Freundlich, une personne très intéressante, nous avons parlé de la structure de l’univers…>>.
Friedmann, Pahlen et Freundlich restent d’une certaine façon associés dans l’histoire de l’astronomie par le fait que trois cratères de la Lune portent leurs noms. Friedmann avait connu Pahlen à Saint-Petersbourg avant la première guerre mondiale, et durant la guerre ils s’étaient tous deux retrouvés à Kiev dans la même équipe d’aviation. L’autre astronome mentionné dans la lettre, Erwin Finlay Freundlich (1885-1964), avait travaillé en 1911 avec Einstein sur l’orbite de Mercure. En 1916 il avait publié à Berlin un livre de vulgarisation scientifique, Les fondements de la théorie de la gravitation d’Einstein, dont Einstein avait rédigé la préface. En 1918, il avait démissionné de son poste à Berlin pour travailler à plein temps avec Einstein [78]. Il sera plus tard le fondateur et le premier directeur de l’institut Einstein à Postdam.
Friedmann n’est pas parvenu à rencontrer Einstein en 1923, ni en avril de l’année suivante lors de son deuxième passage en Allemagne, à l’occasion de sa participation au Congrès International Technical Mechanics à Delft, en Hollande. Sa lettre du 13 septembre 1923 se poursuit par: <<…Tout le monde a été très impressionné par ma lutte avec Einstein et ma victoire finale; cela me fait plaisir, parce qu’en ce qui concerne mes articles, je pourrais maintenant les publier plus facilement>>.
7. L’ESPACE À COURBURE NÉGATIVE (1924)
En 1924 paraît le deuxième article cosmologique fondamental de Friedmann, <<Sur la possibilité d’un univers à courbure négative constante>> [79], toujours dans Zeitschrift für Physik. Nous avons vu plus haut qu’il en avait les résultats depuis deux ans.
Friedmann considère les modèles à courbure négative et démontre l’existence de solutions non statiques avec densité de matière positive, toutes caractérisées par une expansion monotone.
Tandis que dans le premier article de 1922, l’équation de la métrique pour un espace à courbure positive (D3) [cf. infra p. xx] peut sans peine être transformée par un changement de coordonnées en la forme de Robertson-Walker adoptée aujourd’hui (cf. Encadré 1), celle du second article décrivant un espace à courbure négative (équations D’ et D ») n’est plus du tout familière, et il n’est même guère évident que, dans ce choix particulier de coordonnées, l’espace soit vraiment à courbure constante. Friedmann a en fait utilisé une ancienne forme de la métrique d’un espace de courbure constante, donnée pour la première fois par Beltrami. La transformation de coordonnées qui transforme cette métrique en la forme unifiée de Robertson-Walker est <<hideuse>>, pour reprendre les termes mêmes de Robertson [80].
Tandis que dans l’article de 1922 Friedmann discutait dans le détail le développement temporel de ses solutions, dans l’article de 1924 il indique seulement la possibilité d’une expansion sans s’étendre davantage. Dans son importante conclusion, il préfère discuter d’un problème jusqu’ici jamais abordé en cosmologie: la topologie globale de l’espace. Pour lui, la signification physique fondamentale de ses résultats est que <<les équations d’univers à elles seules ne suffisent pas pour décider si l’univers est fini ou non>>. Friedmann doit effectivement penser, comme la plupart des physiciens de l’époque, que seuls les espaces de volume fini (telle l’hypersphère utilisée par Einstein dans son modèle de 1917) sont physiquement admissibles pour décrire l’espace réel. Jusqu’ici, les solutions cosmologiques d’Einstein et de Sitter en 1917, et celle de Friedmann en 1922, avaient une courbure positive et satisfaisaient ce critère. Avec les espaces à courbure négative, le problème est plus ardu : le prototype naturel d’un espace à courbure négative constante est un espace hyperbolique de volume infini. Mais Friedmann voit une échappatoire dans le fait que les équations d’Einstein ne suffisent pas à décider si l’espace est fini ou infini, même si la courbure est négative; il faut faire des hypothèses supplémentaires spécifiant des conditions aux limites, notamment le fait de savoir si certains points de l’espace sont identifiés entre eux ou non. Tout le problème de la topologie cosmique est ainsi déjà posé, mais Friedmann ne dispose pas des bases mathématiques suffisantes pour poursuivre la discussion : en 1924, la classification topologique des espaces riemanniens est encore inexistante.
Einstein n’aura pas de réaction publique au second article de Friedmann. Comme nous l’avons vu, ce dernier disparaît prématurément en septembre 1925, sans avoir eu la satisfaction de voir la moindre acceptation de ses idées cosmologiques. Au même moment, un autre homme de science européen revient des Etats-Unis pour enseigner à l’université de Louvain. Le belge Georges Lemaître va reprendre indépendamment les intuitions prémonitoires du savant russe, et les amplifier jusqu’à en faire la base de la théorie moderne du Big Bang.
8. GEORGES LEMAÎTRE (1894 – 1966)
Contrairement à Friedmann qui ne vint à l’astronomie qu’en 1921-1922, soit trois ans avant sa mort seulement, Lemaître fut durant toute sa longue vie étroitement lié à l’astronomie. Il a toujours senti l’absolue nécessité de confronter les faits d’observation et la théorie. Il sera, par exemple, beaucoup plus au courant que Friedmann du statut expérimental de la théorie de la relativité, et cela dès ses années d’apprentissage [81]. Lemaître n’en fut pas moins un remarquable mathématicien, tant sur le plan des mathématiques fondamentales, avec ses travaux sur les quaternions ou le problème de Störmer, qu’en analyse numérique [82]. Il est à noter que, contrairement à Friedmann, Lemaître n’aura aucune affinité avec l’approche axiomatique des mathématiques mise à la mode par Hilbert et l’école de Göttingen.
Georges Lemaître naît le 17 juillet 1894 à Charleroi [83]. Aîné d’une famille de la moyenne bourgeoisie, il est formé au Collège Jésuite de Charleroi et, à l’âge de 17 ans, il commence des études d’ingénieur à l’université de Louvain. En 1914, il s’engage volontairement dans l’artillerie belge ; à la fin de la guerre, il reçoit l’une des plus hautes distinctions militaires.
Revenu en 1919 à l’université, il change d’orientation en passant des études d’ingéniérie à celles, beaucoup plus abstraites, des sciences physiques et mathématiques. Il s’y révèle de première force. En 1920, il obtient son doctorat de mathématiques (correspondant aujourd’hui à la licence en sciences belge ou à la maîtrise française). Dès cette époque, Lemaître manifeste l’ouverture d’esprit et la diversité d’intérêts qui le caractériseront par la suite, puisque parallèlement à ses travaux mathématiques de haute volée, il obtient un diplôme de bachelier en philosophie thomiste. La science ne représente, en effet, pas tout pour lui. La même année 1920, Lemaître entre au séminaire de Malines, à la Maison Saint Rombaut réservée aux <<vocations tardives>>. Le 23 septembre 1923, il est ordonné prêtre par le cardinal Mercier, archevêque de Malines et Primat de Belgique. Sa formation ecclésiastique n’aura donc duré que trois années seulement, au lieu des six prescrites par les statuts canoniques.
En même temps, Lemaître prépare, seul, un mémoire sur la relativité et la gravitation pour un concours de bourses de voyage. Il est de toute évidence impressionné par la théorie d’Einstein, à cette époque pratiquement inconnue des cercles que Lemaître fréquente. En juillet 1923, il obtient une bourse du gouvernement belge lui permettant d’étudier à l’étranger. Il passe ainsi une première année à Cambridge, en Angleterre, où il apprend l’astronomie stellaire sous la direction du célèbre astrophysicien Eddington. Arthur Stanley Eddington (1882-1944) était directeur de l’Observatoire de Cambridge depuis 1914. Durant la première guerre mondiale, il avait obtenu une copie des articles publiées par Einstein à Berlin par l’intermédiaire de son collègue hollandais Wilhem de Sitter. Il avait accepté sans réserve la théorie de la relativité générale, et l’avait fait connaître en Angleterre en 1918 par un rapport à la Physical Society of London intitulé The Relativity Theory of Gravitation. Eddington avait ensuite dirigé l’expédition à l’île Principe destinée à mesurer la déflexion des rayons lumineux lors de l’éclipse de soleil de 1919. En 1920, Eddington avait rédigé un exposé de la gravitation einsteinienne à l’usage des profanes, Space, Time and Gravitation [84]ainsi qu’en 1923 l’ouvrage technique The Mathematical Theory of Relativity [85].
Lemaître a soigneusement étudié l’oeuvre d’Eddington au moment où il arrive à Cambridge, et l’année passée à ses côtés ne fera qu’augmenter son admiration pour lui [86]. La seconde année de bourse, Lemaître se rend au Cambridge américain, au Harvard College Observatory, où il travaille avec Shapley sur le problème des nébuleuses. Harlow Shapley (1885-1972) dirigeait le Harvard College Observatory depuis 1922. A l’époque, ses recherches portaient principalement sur les nuages de Magellan. Lemaître passe ensuite au Massachusetts Institute of Technology (MIT), où Edwin Hubble et Vesto Slipher travaillent. Le premier mesure les distances des nébuleuses en observant des étoiles variables de type Céphéides, le second estime leurs vitesses à partir de leur décalage spectral. Tout en suivant de près leurs travaux qui allaient fonder la cosmologie observationnelle, Lemaître entreprend une thèse de PhD sur les champs gravitationnels dans les fluides en relativité générale, un sujet que lui avait suggéré Eddington.
Le 8 juillet 1925, son séjour américain prend fin et Lemaître rejoint sa famille à Bruxelles. Il repart aussitôt à la deuxième assemblée générale de l’Union Astronomique, qui se tient à Cambridge du 14 au 22 juillet. En octobre, il est nommé chargé de cours à la faculté des sciences de Louvain. Le 19 novembre 1925, il soumet par écrit sa thèse doctorale au MIT : <<The gravitational field in a fluid sphere of uniform invariant density according to the theory of relativity>> [87]. Elle ne sera acceptée que le 15 décembre 1926, après révision.
En 1926-27, Lemaître se rend à nouveau aux Etats-Unis, au MIT, où il séjourne durant le troisième trimestre de l’année académique. De retour en Europe en juin 1927, il apprend par courrier que le MIT lui a enfin accordé le grade de doctorat (PhD) en sciences physiques (il a été dispensé de la soutenance orale). La même année, il est nommé professeur à l’université de Louvain et publie son article fondamental sur l’univers en expansion et les décalages spectraux. Il restera à ce poste jusqu’à sa retraite en 1964, interrompant parfois son enseignement pour de brefs séjours à l’étranger consacrés à des contacts et à des conférences scientifiques. Il a été choisi comme membre de l’Académie Pontificale des Sciences lors de sa création en 1936, en est devenu le président en mars 1960 et l’est resté jusqu’à sa mort, survenue à Louvain le 20 juin 1966.
En résumé, l’oeuvre cosmologique de Lemaître s’est construite en deux phases. Dans un premier temps, il retrouve indépendamment de Friedmann que les équations d’Einstein admettent des solutions cosmologiques non statiques. Simultanément, il prend en compte les observations américaines sur les vitesses des galaxies, auxquelles il donne un sens physique en les interprétant comme les indices d’un univers en expansion. Dans un second temps, Lemaître ose une hypothèse encore plus audacieuse, qui est en partie un prolongement logique de la théorie de l’univers en expansion. Si l’univers est aujourd’hui en expansion, dans le passé il a été beaucoup plus dense; un jour lointain, il a donc été condensé en un <<atome primitif>> dont les fractionnements successifs l’ont façonné tel qu’il est maintenant. Revue et corrigée au fil du temps, cette conception est devenue la théorie du Big Bang.
Reprenons maintenant les étapes de l’oeuvre de Lemaître.
9. RÉCESSION DES GALAXIES ET UNIVERS EN EXPANSION (1927)
Lemaître et de Sitter
Le premier résultat cosmologique notable de Lemaître date de 1925 et concerne la solution trouvée par de Sitter. En 1923, H.Weyl [88] avait noté que les particules dans l’univers de de Sitter s’éloignent avec des vitesses proportionnelles à leurs distances mutuelles, mais il n’avait pas fourni de système de coordonnées explicites pour prouver ses dires.
C’est Lemaître qui, dans deux articles de 1925 portant le même titre [89], montre comment on peut introduire de nouvelles coordonnées pour l’univers de de Sitter qui rendent la métrique non statique et conduisent à une relation linéaire entre la vitesse et la distance. Dans le premier article, Lemaître obtient explicitement la métrique pour un espace de courbure nulle, mettant en jeu un facteur d’échelle spatiale dépendant du temps de façon exponentielle [90]. Cette métrique sera utilisée vingt ans plus tard par les adversaires les plus acharnés de la théorie de l’univers en expansion, partisans du <<steady-state model>>. Dans le second article, Lemaître en déduit que la relation vitesse-distance dans l’univers de de Sitter est linéaire. C’est la première fois que la constante cosmologique se voit attribuer le rôle d’une force de <<répulsion cosmique>> (lorsqu’elle est positive), obligeant les lignes d’univers des particules à se séparer au cours du temps.
Restait à faire le lien avec les vitesses réelles des objets cosmiques. Dès 1922, dans son livre Théorie mathématique de la relativité, Arthur Eddington écrivait que <<l’un des problèmes les plus mystérieux en cosmologie sont les grandes vitesses de nombreuses nébuleuses. Leurs vitesses radiales sont de l’ordre de 600 km/s, et la majorité des nébuleuses s’éloignent du système solaire>>. En 1925, l’astronome américain Edwin Hubble [91] accomplit un pas décisif en cosmologie observationnelle, grâce à l’utilisation du grand téléscope du Mont Wilson. Il démontre que les nébuleuses spirales sont d’autres systèmes d’étoiles analogues à notre propre galaxie. Le terme de « nébuleuse » était utilisé par les astronomes depuis des siècles pour désigner les astres peu lumineux, analogues à des nuages et qui, contrairement aux comètes, ne changent ni de position ni d’apparence. Vesto Slipher avait déjà mis en évidence un décalage vers le rouge quasi-systématique des raies spectrales du rayonnement de ces galaxies. Traduits en termes d’effet Doppler-Fizeau, ces décalages impliquaient une vitesse de récession. L’effet Doppler-Fizeau permet en effet de mesurer les vitesses radiales des objets célestes par spectroscopie. Les spectres des astres (étoiles, galaxies) contiennent des raies sombres, ou raies d’absorption, qui correspondent aux rayonnement absorbés par les atomes in situ. Les raies spectrales des objets célestes sont comparées à celles des éléments chimiques correspondantes au repos (en laboratoire), et le décalage en longueur d’onde est relié à la vitesse de la source; un décalage vers le rouge, c’est-à-dire vers les plus grandes longueurs d’onde, indique que l’astre s’éloigne, un décalage vers le bleu signifie qu’il se rapproche.
Aucune interprétation théorique ne pouvait être donnée au décalage systématique vers le rouge, d’autant que l’effet n’était pas encore bien établi. Grâce à son passage au MIT, Lemaître est informé de ces résultats préliminaires, et contrairement à Friedmann qui ignorait les résultats expérimentaux, il affiche la volonté de tenir compte des données de l’observation de l’époque.
L’univers de Lemaître
En 1927, il écrit son article fondamental <<Un univers homogène de masse constante et de rayon croissant, rendant compte de la vitesse radiale des nébuleuses extragalactiques>>. Comme son titre l’annonce clairement, il relie l’expansion de l’univers découlant des solutions cosmologiques de la relativité générale avec les observations sur la vitesse de fuite des nébuleuses extragalactiques.
Tout comme Einstein et de Sitter, Friedmann avait fait l’hypothèse que le terme de pression était nul (cf. Encadré 1). Les solutions proposées par Lemaître dans son article de 1927 incluent le terme de pression et sont donc plus générales. Lemaître reprend le dilemme entre les modèles d’univers de de Sitter et Einstein. Le modèle de de Sitter ignorait l’existence de la matière. Il faisait cependant ressortir les vitesses de récession observées des nébuleuses spirales comme simple conséquence du champ gravitationnel. La solution d’Einstein permettait la présence de matière et conduisait à une relation entre la densité de matière et le rayon de l’univers. Il ne pouvait cependant expliquer la vitesse de récession des galaxies. Lemaître cherche une solution des équations relativistes intermédiaire entre les modèles d’Einstein et de de Sitter, c’est-à-dire ayant à la fois un contenu matériel et expliquant la récession des galaxies.
Lemaître suppose que le rayon de courbure de l’univers, R, est fonction du temps t. Comme Friedmann, il trouve que R(t) augmente indéfiniment avec le temps, et il obtient des équations différentielles pour R presque identiques. La différence majeure est que Lemaître suppose la conservation de l’énergie et, comme nous l’avons dit plus haut, inclut la pression de radiation en même temps que le terme de densité de matière. Lemaître montre ainsi l’importance de cette pression de radiation dans les premiers stades de l’expansion cosmique. Il s’avèrera plus tard, dans le cadre des modèles de big bang, que l’approximation <<poussière>> p=0 n’est valable que pour les temps postérieurs de cent mille ans environ au big bang.
Le modèle auquel il aboutit décrit un univers de courbure positive en expansion monotone, à densité et pression non nulles, et qui, lorsqu’on remonte indéfiniment le temps dans le passé, s’approche de manière asymptotique de la solution statique d’Einstein. Ce modèle, dépourvu de singularité initiale au même titre que la solution monotone de seconde espèce de Friedmann, sera plus tard baptisé modèle d’Eddington-Lemaître (voir Figure 1 et Table).
Figure 1 : Le modèle de Lemaître-Eddington.
Le rayon de l’hypersphère d’Einstein est atteint asymptotiquement pour . L’origine du temps cosmique est arbitraire, le modèle ne pose donc aucun problème d’âge.
Tout en donnant sa préférence à ce modèle particulier, Lemaître a néanmoins calculé l’ensemble des solutions homogènes, puisqu’il fournit les formules permettant de calculer l’évolution temporelle de tous les modèles homogènes et isotropes à courbure positive (cf. annexe, équation 11), et fait référence aux autres cas de courbure. Les archives de Lemaître à Louvain contiennent d’ailleurs un agenda rouge daté de 1927, contenant le brouillon de son article ainsi que deux diagrammes qui ne figurent pas dans la publication [92]. Ces diagrammes retracent les évolutions temporelles du facteur d’échelle spatiale en fonction de la constante cosmologique pour tous les univers de courbure positive.
L’article de 1927 de Lemaître ne fait aucune référence aux oeuvres de Friedmann, publiées pourtant dans Zeitschrift für Physik, la revue de physique théorique la plus connue à cette époque. Cette absence est d’autant plus étrange si on se rappelle les deux <<notes>> d’Einstein, publiées dans la même revue, lesquelles avaient été largement discutées dans la communauté scientifique. Une réponse possible à cette question est que Lemaître ne connaissait pas l’allemand… Le travail de Friedmann fut signalé à Lemaître par Einstein lui-même, au congrès Solvay de 1927. La référence à Friedmann apparaît ainsi dans une note du texte de 1929, La grandeur de l’espace, dans laquelle Lemaître remercie <<M. Einstein de l’amabilité qu’il a eue en me signalant l’important travail de Friedmann qui contient plusieurs des résultats contenus dans ma note Un univers homogène…>>. La référence figure également dans la traduction anglaise de l’article de Lemaître [93], publiée en mars 1931 dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society sous l’égide d’Eddington : <<Les équations de l’univers de rayon variable et de masse constante ont été pleinement discutées sans référence aux vitesse de récession des nébuleuses par A.Friedmann « Uber die Krummung der Raumes », Z. f. Phys. 10, 377, 1922; voir aussi A.Einstein, Z. f. Phys. 11, 326, 1922 et 16, 228, 1923. L’univers de rayon variable a été étudié indépendamment par I.C.Tolman dans P.N.A.S. 16, 320, 1930>>.
L’intérêt exceptionnel du travail de Lemaître est d’introduire pour la première fois l’idée que les vitesses de récession des nébuleuses extragalactiques sont la conséquence cosmique de l’expansion de l’univers dans le cadre de la relativité générale. Lemaître n’a donc pas seulement trouvé l’expansion (corrélativement mais indépendamment de Friedmann) comme solution des équations relativistes, il est le premier à affirmer qu’elle est la bonne solution, puisqu’elle repose sur l’analyse des observations.
<<Utilisant les 42 nébuleuses extra-galactiques figurant dans les listes de Hubble et de Strömberg, et tenant compte de la vitesse propre du Soleil, on trouve une distance moyenne de 0,95 millions de parsecs et une vitesse radiale de 600 km/s, soit 625 km/s à 106 parsecs>>, écrit-il. Lemaître annonce clairement la relation de proportionnalité entre la vitesse de fuite et la distance, cette loi que Hubble ne publiera que deux ans plus tard avec des chiffres quasiment identiques, et dont l’attribution lui reviendra au regard de l’histoire. La découverte devrait pour le moins être attribuée en partie à Lemaître; il est vrai que dans la version anglaise de l’article de Lemaître, le calcul de cette loi de proportionnalité n’a pas été traduit!
L’expansion dans l’air du temps
Malheureusement, l’article du jeune savant belge n’est pas plus apprécié que ne l’avaient été ceux de son prédécesseur russe. Du 24 au 29 octobre 1927, a lieu à Bruxelles le Cinquième Congrès Solvay de Physique, l’un des grands rendez-vous de la science mondiale. Le Congrès Solvay est consacré à la nouvelle discipline de la mécanique quantique, dont les problèmes perturbent de nombreux physiciens. Parmi eux, Einstein. Pour Lemaître, c’est l’occasion de parler au père de la relativité. Il a lui-même relaté plus tard cette rencontre : <<En se promenant dans les allées du parc Léopold, [Einstein] me parla d’un article, peu remarqué, que j’avais écrit l’année précédente sur l’expansion de l’univers et qu’un ami lui avait fait lire. Après quelques remarques techniques favorables, il conclut en disant que du point de vue physique cela lui paraissait tout à fait abominable>>. Le lecteur remarquera ici la ressemblance avec la phrase finale de la seconde note sur l’article de Friedmann, que, comme nous l’avons vu, d’Einstein avait supprimée dans la publication finale. Lemaître poursuit : <<Comme je cherchais à prolonger la conversation, Auguste Piccard qui l’accompagnait, m’invita à monter en taxi avec Einstein qui devait visiter son laboratoire à l’Université de Bruxelles. Dans le taxi, je parlai des vitesses des nébuleuses et j’eus l’impression qu’Einstein n’était guère au courant des faits astronomiques. A l’université, tout se passa en allemand>>. Dans ses savoureuses notes ajoutées à l’article d’Odon Godart (op. cit.), André Deprit (ancien élève de Lemaître) donne une version plus pittoresque et légèrement différente de cette rencontre. Il affirme notamment que Lemaître ne connaissait pas l’allemand, ce qui peut expliquer le fait que Lemaître n’ait pas cité le travail antérieur de Friedmann dans son article de 1927.
Lemaître a envoyé sa note à Eddington mais n’a pas reçu de réponse; son ancien directeur de thèse a classé le manuscrit sans le lire vraiment. En juillet 1928, Lemaître se rend à Leyde, où de Sitter préside la troisième assemblée de l’Union Astronomique Internationale, mais il ne le rencontre pas. L’heure du Big Bang n’est manifestement pas encore venue.
Une nouvelle occasion se présente en février 1930 qui, cette fois, sera décisive. En janvier, à Londres, une réunion de la Royal Astronomical Society est le théâtre d’une discussion entre Eddington et de Sitter. Ils ne savent comment interpréter les données sur les galaxies. Eddington suggère que le problème pourrait venir du fait que seuls des modèles d’univers statiques aient été considérés.
Ayant lu un rapport de la réunion de Londres [94], Lemaître comprend qu’Eddington et de Sitter se posent un problème qu’il a résolu deux ans plus tôt. Il écrit à Eddington pour lui rappeler son envoi de 1927 et le prier d’en transmettre une copie à de Sitter. Cette fois, Eddington réagit. L’ancien mentor de Lemaître est l’une des plus puissantes figures de la science à l’époque, et il va jouer un rôle clé dans l’acceptation de l’hypothèse de Lemaître. Il envoie la note à de Sitter, en Hollande, et à Shapley, aux États-Unis. Eddington est quelque peu embarrassé. Il accompagne l’envoi à de Sitter par le commentaire suivant: <<C’est le compte-rendu de vos interventions et des miennes à la Royal Astronomical Society qui ont incité Lemaître à m’écrire. A ce moment, un de mes étudiants-chercheurs, Mc Vittie et moi-même nous tracassions pour le problème et nous avions fait de considérables progrès; ce fut dès lors un choc pour nous, de découvrir que ce travail avait été fait beaucoup plus complètement par Lemaître (un choc atténué, en ce qui me concerne, par le fait que Lemaître fut un de mes élèves)>>.
De Sitter répond à Lemaître très favorablement (cf. la lettre de de Sitter à Lemaître du 25 mars 1930, en annexe). De son côté, Eddington a remodelé son projet de communication à la réunion suivante de la Royal Astronomical Society en mai (qui portait sur la stabilité de l’univers d’Einstein), pour faire une présentation favorable du modèle d’Univers en expansion de Lemaître [95]. Eddington publie ensuite un article important [96] dans lequel il prouve l’instabilité du modèle statique d’Einstein et discute le modèle d’univers en expansion de Lemaître – qui restera sous le nom de modèle d’Eddington-Lemaître. Enfin, Eddington fait réaliser une traduction de l’article de Lemaître de 1927 pour les comptes-rendus de la Royal Astronomical Society (cf. supra).
Dès lors, l’Univers en expansion est en passe de devenir le nouveau paradigme cosmologique. L’idée était dans l’air du temps. Weyl, Lemaître et d’autres [97] avaient d’une part tenté de relier à la solution de de Sitter les vitesses radiales positives observées. En se fondant sur ses propres observations et sur celles de Slipher achevées en 1926, Hubble avait d’autre part établi en 1929 que la vitesse de récession v de n’importe quelle galaxie est proportionnelle à sa distance r. Il donnait ainsi la <<loi de Hubble>> selon laquelle v = Hr, où H est appelée <<constante de Hubble>> car sa valeur est constante pour toute galaxie et indépendante de la distance.
Nous avons vu que dans son article de 1927, Lemaître avait déjà trouvé cette loi et fixé la valeur de la constante (que l’on n’appelait pas encore constante de Hubble, et pour cause) à 630 km/s. Lemaître avait donc prédit ce que Hubble était en train de patiemment redécouvrir, et la fameuse loi devrait pour le moins porter leurs deux noms. D’autant que Hubble, auquel on attribue le plus souvent la paternité de l’expansion de l’univers, n’admit qu’avec beaucoup de réticence que la récession des galaxies puisse résulter de l’expansion de l’espace.
Il n’y avait pourtant pas d’autre explication cohérente, et Einstein lui-même finit par l’accepter. Mais au moment même où Eddington et Einstein le rejoignent dans sa vision d’un univers dynamique, Lemaître est déjà plus loin. Au lieu de considérer le monde statique d’Einstein comme stade initial à partir duquel commence le modèle dynamique, Lemaître préfère penser que l’univers a commencé son expansion à partir d’un état initial singulier, l’atome primitif. Entre eux va ainsi se creuser le fossé d’une autre controverse, qui ne se résoudra pas de leur vivant : celle de la naissance même de l’univers.
10.L’EXPANSION DE L’ESPACE (1931)
Cette idée capitale, Lemaître la développe dans le texte <<L’expansion de l’espace>>, publié dans la Revue des Questions Scientifiques en novembre 1931. C’est la version simplifiée d’un travail publié en mars sous forme technique et en anglais dans les Monthly Notices [98], juste à la suite de la traduction de son article de 1927.
Le style de Lemaître contraste absolument avec celui de Friedmann, tant sur le fond que sur la forme. Sur le fond, autant l’approche de Friedmann était axiomatique, autant celle de Lemaître – lui-même remarquable mathématicien – est physique. Quant à la forme, très littéraire (adaptée à celle des conférences publiques que Lemaître donnait fréquemment), c’est un modèle de rigueur et de lyrisme mêlés, lisible par presque tous et qui témoigne des années d’études de Lemaître en humanités gréco-latines. Comme le signale André Deprit [99], le jeune Lemaître avait suivi en 1908-1909 une classe de poésie sous la direction de Franz Charlier; ce dernier s’était fait une réputation de critique impitoyable en matière de style.
On peut se demander si la qualité de forme de son oeuvre n’a pas nui à la crédibilité de son fond, du moins dans les pays anglo-saxons peu habitués à cette façon fleurie d’écrire la science. Aujourd’hui encore, bien des scientifiques ont vite fait de taxer péjorativement de <<vulgarisation>> un texte haussant la qualité de la forme au même niveau que celle du fond.
Le fond, précisément, est d’une richesse inouïe. Là encore, Lemaître part des données expérimentales : l’observation des décalages vers le rouge des nébuleuses lointaines traduit l’expansion de l’univers, mais l’existence même de ces nébuleuses impose que, dans son passé, l’univers ait aussi connu des processus de contraction qui leur ont donné naissance. Pour Lemaître, expansion de l’espace et contraction de la matière sont les manifestations de déséquilibres entre deux forces cosmiques opposées : la gravitation, attractive, et celle décrite par la constante cosmologique, répulsive.
Par ailleurs, le résultat des observations impose une durée très restreinte pour l’évolution du monde et implique la nécessité d’une cosmogonie rapide. Selon Hubble en effet, le taux d’expansion est égal à 540 km/s/Mpc. Avec un taux d’expansion aussi rapide et en l’absence de constante cosmologique, l’univers actuel devrait avoir quelques 2 milliards d’années d’existence. Or on sait déjà, par l’étude des éléments radioactifs, que l’âge de la Terre est d’au moins 4 milliards d’années. Il est évidemment impossible que la Terre soit plus vieille que l’univers. Lemaître a donc doublement besoin de la constante cosmologique reniée par Einstein, à la fois pour rendre l’âge de l’univers compatible avec celui de la Terre, et pour laisser le temps aux condensations galactiques de se former.
Le modèle de Lemaître (cf. Fig. 2) divise l’évolution de l’univers en trois phases distinctes : deux expansions rapides séparées par une période de ralentissement. La première phase est une expansion de type explosif, issue de la désintégration radioactive d’un atome-univers. Pour cette phase, Lemaître utilise l’image du feu d’artifice qui, si elle est poétique, n’en est pas moins pédagogiquement contestable : elle a été source d’un malentendu constamment reconduit par la vulgarisation, présentant le Big Bang comme une explosion ponctuelle de matière dans un espace extérieur. La seconde phase correspond à un quasi-équilibre entre la densité de matière et la constante comologique, résultant en un rayon pratiquement constant durant une période dite de stagnation; les effets attractifs de la gravitation étant prépondérants à petite échelle, c’est au cours de cette phase que se forment les fluctuations de densité, lesquelles se condensent ultérieurement pour donner naissance aux grandes structures de l’univers, avec ses étoiles groupées en galaxies et ses galaxies en amas. La formation des condensations locales dérange les conditions d’équilibre, ce qui rend prééminente la contante cosmologique et déclenche la reprise de l’expansion. C’est la troisième phase, celle que nous observons aujourd’hui.
FIGURE 2 : L’Univers « hésitant » de Lemaître
Techniquement, la solution s’obtient à partir des équations relativistes en supposant l’espace à courbure positive et une constante cosmologique légèrement supérieure à la valeur einsteinienne , où est le rayon d’équilibre de l’univers d’Einstein. La durée de la période de stagnation varie beaucoup avec le choix de l, elle est d’autant plus longue que l est proche de . Pour cette raison, le modèle est parfois appelé « univers hésitant ».
Dans cet enchaînement de phases, la plus originale est la première car elle pose la question de l’origine singulière de l’univers, que Lemaître baptise pour la première fois du nom d’atome primitif. Là encore, la terminologie est spectaculaire, mais pédagogiquement discutable. En un sens elle est faible car un atome est un système physique localisé dans l’espace ; elle est bien plus heureuse si l’on prend a-tome au sens étymologique : qu’on ne peut séparer ; elle signifie alors que l’univers est unique et inséparable, sans aucun parti-pris de localisation.
Le raisonnement de Lemaître s’appuie sur la volonté d’utiliser les nouvelles connaissances de la physique atomique et de lier les nébuleuses aux atomes : <<une cosmogonie vraiment complète devrait expliquer les atomes comme les soleils>>, écrit-il. Prenant appui sur les phénomènes radioactifs, Lemaître conçoit l’univers primitif comme un quantum unique, dont la désintégration a donné naissance à tous les composants actuels de l’univers. A son modèle précédent, à évolution lente, Lemaître oppose désormais une cosmologie rapide, avec une origine explosive, qui, partant du plus simple, engendre le complexe.
Personne n’a pensé et défendu avec une telle force cette conception du commencement du monde : <<Nous pouvons concevoir que l’espace a commencé avec l’atome primitif et que le commencement de l’espace a marqué le commencement du temps>>. Il est toutefois important de souligner, eu égard aux tempêtes de protestations ultérieurement soulevées par les termes de genèse et de création, combien la conception que Lemaître se faisait de la singularité initiale n’a jamais reposé sur une confusion scientifico-religieuse, mais sur une conception naturelle de l’origine s’opposant à une création surnaturelle [100].
La solution euclidienne d’Einstein – de Sitter
Lorsqu’Einstein doit admettre la réalité expérimentale de l’expansion, il regrette amèrement d’avoir introduit la constante cosmologique, et il ne se départira plus d’un certain sentiment d’échec face au problème cosmologique – d’autant qu’en 1930, Arthur Eddington démontrait l’instabilité de son modèle statique.
En 1931, dans son article <<Sur le problème cosmologique en théorie de la relativité générale>> [101], Einstein reconnaît définitivement l’importance des travaux de Friedmann pour la description de l’univers suite aux observations de Hubble, mais il ne cite pas Lemaître. En 1932, les deux promoteurs de l’univers statique, Einstein et de Sitter, unissent leurs efforts pour <<rattraper le coup>>. Ils publient un article d’une page [102] où ils font valoir qu’un univers en expansion est aussi possible sans introduire de courbure spatiale, ni de pression, ni de constante cosmologique. Il suffit pour cela que la densité de matière soit exactement égale à la valeur critique qui sépare les cas elliptique (courbure positive) et hyperbolique (courbure négative).
Cet article, il faut le reconnaître, est un singulier appauvrissement des calculs effectués précédemment par Friedmann, Lemaître et Robertson. Friedmann et Lemaître avaient déjà montré que des univers en expansion étaient possibles, avec ou sans constante cosmologique, et une courbure spatiale négative. Le cas à courbure nulle k=0 avait été décrit par Robertson [103] en 1929 dans le cadre des métriques spatialement homogènes et isotropes. Or, Einstein et de Sitter ne font référence ni à Friedmann ni à Lemaître, mais à Heckman [104].
Que d’efforts de leur part pour retrouver la solution la plus simple ! Bien leur en prend cependant au regard de l’histoire. Leur article tombe au bon moment et a deux prestigieux signataires; c’est donc lui qui va rester, et longtemps occulter la profonde richesse des solutions de Friedmann et Lemaître – à tel point qu’aujourd’hui encore, lorsqu’on lit dans la presse scientifique que le modèle de Big Bang est menacé par de nouvelles observations sur l’âge des étoiles, les auteurs se réfèrent uniquement à la solution très simplifiée d’Einstein-de Sitter.
La balance précise entre la densité réelle et la densité critique est encore l’objet d’un débat controversé. Les modèles d’inflation développés à partir des années 1980 suggèrent un univers presque <<plat>>, c’est-à-dire, en l’absence de constante cosmologique, une densité de matière très proche de la densité critique; en revanche, les observations astronomiques actuelles favorisent un univers de densité nettement sous-critique (donc hyperbolique), avec peut-être une constante cosmologique non nulle [105].
Notons par ailleurs que la valeur de la constante de Hubble H0, déterminée expérimentalement par l’astronome américain, était fausse, plus grande d’un ordre de grandeur que la valeur mesurée aujourd’hui. L’erreur de Hubble venait d’une estimation erronée des distances aux autres galaxies. Les valeurs de ces distances seront reconsidérées par Walter Baade en 1952 et par Allan Sandage en 1958, et conduiront à une nouvelle valeur beaucoup plus basse de H0. Ce fait a joué un rôle retardateur dans l’acceptation du concept de Big Bang. En effet, à partir de la valeur initiale proposée par Hubble, l’âge de l’univers, calculé dans le cas d’une constante cosmologique nulle, était beaucoup plus petit que l’âge de la terre (cf. supra). L’hypothèse de l’expansion de l’univers n’y trouvait guère de crédibilité, à moins d’adhérer au modèle avec constante cosmologique de Lemaître.
Il est remarquable qu’aujourd’hui encore, des adversaires acharnés du Big Bang – souvent pour des raisons extra scientifiques – se focalisent sur une possible incompatibilité entre l’âge de l’univers théorique (calculé à partir de la constante de Hubble) et l’âge des plus vieux objets de l’univers (non plus la terre, mais les plus vieilles étoiles) [106]. Dans cette confrontation, certaines valeurs des paramètres dont dépend l’âge théorique de l’univers – par exemple le rapport de la densité réelle à la <<densité critique>> et la constante cosmologique, sont trop vite oubliés. Maints cosmologistes ayant longtemps supposé que la densité était égale à la densité critique, pour des raisons diverses mêlant l’histoire (le modèle d’Einstein – de Sitter servant de référence), la simplicité (le calcul étant plus facile) et la mode (la jolie théorie de l’inflation permettant de justifier l’assertion), les adversaires du Big Bang ont eu beau jeu d’annoncer à grand fracas la mort du modèle, relayés aussitôt par une presse avide de nouvelles sensationnelles. Il est en effet plus intéressant d’annoncer au grand public qu’une théorie célèbre (bien qu’incomprise) est morte, plutôt que d’avouer qu’elle résiste bien aux observations à l’intérieur de certaines <<barres d’erreur>>. Combien n’a-t-on pas vu d’articles dans la presse de vulgarisation scientifique faisant leur titre sur la <<mort du Big Bang>>! Or, si le modèle ultra-simplifié d’Einstein-de Sitter, avec la densité critique et la constante cosmologique nulle, semble effectivement écarté par les observations, les modèles de Big Bang pour des valeurs de la densité cinq ou dix fois inférieures à la valeur critique – compatibles avec ce qui est précisément observé – résistent parfaitement à la confrontation des âges…
11. LA NAISSANCE QUANTIQUE DE L’UNIVERS (1931)
A l’instar de nombreux autres physiciens, Lemaître est assez impressionné par la nouvelle mécanique quantique. En raison de cet intérêt, il accepte l’invitation de la British Association for Science de Londres à participer à son colloque annuel, consacré aux relations entre <<l’univers physique et la vie de l’esprit>>. Lemaître y exprime l’idée d’une création singulière de l’univers en expansion et esquisse le modèle de l’atome primitif. Comme nous l’avons dit plus haut, la création singulière de l’univers avait été brièvement abordée par Friedmann, mais totalement ignorée par la communauté scientifique.
Dans la foulée, il publie une lettre dans l’édition du 9 mai 1931 de la revue scientifique britannique Nature. Ce court texte (cf. Annexe infra, p. xxx) est considéré comme la <<charte>> de la théorie du Big Bang. La nouveauté radicale introduite par Lemaître consiste à lier la structure de l’univers à grande échelle à la nature intime des atomes, autrement dit lier la physique de l’infiniment grand à celle de l’infiniment petit. Lemaître utilise le terme <<quantum unique>> et non celui d’atome primitif. Il prend bien garde de souligner qu’à ce stade, les lois de la physique telle que nous la connaissons n’ont plus de sens, car au tout début de l’espace-temps, les notions d’espace et de temps ne sont pas définies. C’est la frontière de la science telle que Lemaître la conçoit, et rien n’indique aujourd’hui que cette frontière – appelée ère de Planck et correspondant à un temps de 10-43 seconde – puisse être franchie.
A la suite d’Eddington [107], Lemaître suppose que le temps et sa flèche sont reliés à la croissance de l’entropie. Dans le sens des temps croissants, l’univers court à sa fin qui serait un état d’entropie infinie, c’est-à-dire de désorganisation complète. Dans la direction du passé, l’univers procéderait d’un état d’entropie nulle. Eddington s’était demandé si l’instant d’entropie nulle pouvait marquer le commencement du monde, une notion qu’il avait des raisons personnelles de repousser. Lemaître fait remarquer que l’entropie est une mesure du temps propre et non pas du temps-coordonnée; dès lors, Eddington a tort de croire que l’instant d’entropie minimale sépare l’avant-création de l’après-création sur un axe de temps universel. Il faut le voir au contraire comme une singularité essentielle où les notions d’espace et de temps même perdent leur sens. Pour qu’il y ait espace-temps au sens de la relativité générale, il faut un tenseur d’énergie matérielle, en vertu de l’identification de la géométrie à la matière. La matière dans un état non décomposé (d’entropie nulle) constitue une singularité du tenseur de matière dans le membre de droite des équations, ce qui revient à une singularité dans le tenseur de courbure au membre de gauche. Il n’y a pas de temps ni d’espace préalables à la condensation d’entropie nulle. C’est la singularité intiale qui crée l’espace-temps. Ainsi, la pluralité et la diversité du monde physique paraissent provenir de <<quelque chose>> de physique, coïncidant avec la singularité R=0 de certains modèles cosmologiques relativistes. L’atome-univers a explosé et la pluralité a surgi. L’entropie est devenue non nulle, le temps et sa flèche sont apparus également. Cette idée de Lemaître correspond bien à ce que l’on appelle aujourd’hui la cosmologie quantique.
Dans la version dactylographiée de l’article de Lemaître, conservée aux Archives Lemaître à Louvain, figure un dernier paragraphe très bref, vraisemblablement biffé par la main de Lemaître lui-même et qui, donc, n’a jamais été publié. Lemaître concluait ainsi sa lettre à Nature: <<Je pense que quiconque croit à un être suprême soutenant chaque être et chaque acte, croit aussi que Dieu est essentiellement caché, et peut se réjouir de voir comment la physique actuelle fournit un voile cachant la création>>. Lemaître conservera toute sa vie cette conception du Dieu suprême et inaccessible dont parle le prophète Isaïe, conception lui permettant notamment de garder l’origine naturelle du monde dans les strictes limites de la physique, sans la mélanger à une création surnaturelle [108]. Il n’est pas inutile de souligner cette rigueur théologique de Lemaître, lorsqu’aujourd’hui des cosmologistes américains, après avoir détecté expérimentalement les inhomogénéités du fond diffus cosmologique, osent déclarer qu’ils ont vu <<le visage de Dieu>> !
Les trous noirs et l’évanouissement de l’espace
Lemaître donne à sa cosmologie une version plus structurée en 1933, publiée en français dans les Annales de la Société Scientifique de Bruxelles [109]. Dans ce très remarquable texte, lui aussi méconnu, on trouve maints trésors additionnels. Ainsi, Lemaître démontre pour la première fois que la singularité apparente de la solution de Schwarzschild n’est qu’une singularité fictive, résultant d’un mauvais choix des coordonnées. On se souvient que dès 1917, Karl Schwarzschild découvrait la métrique d’espace-temps décrivant le champ gravitationnel statique engendré par une masse sphérique sans rotation, dans le vide. Cette solution devenait singulière (en ce sens que certaines coordonnées d’espace-temps devenaient infinies) pour une valeur non nulle du rayon, appelée rayon critique (où M est la masse, G la constante de gravitation et c la vitesse de la lumière). Pour que ce rayon pût être physiquement atteint, il fallait envisager un effondrement gravitationnel de la matière conduisant à des configurations extrêmement compactes. Ce rayon était celui déjà calculé au XVIIIe siècle par Laplace et Michell pour prédire l’existence d’astres invisibles, dans le contexte de la théorie newtonienne de l’attraction universelle. Ces infinis relativistes firent horreur à nombre de physiciens [110]. Eddington, en particulier, qualifia le rayon critique de <<cercle magique à l’intérieur duquel aucune mesure ne peut nous mener>>, et dénia toute pertinence physique au concept d’effondrement gravitationnel.
Dans son article de 1933, Lemaître est le premier à reconnaître que la surface du trou noir n’est pas une vraie singularité, et que si des infinis y apparaissent, c’est en raison d’un mauvais choix du système de coordonnées. Pour prouver ses dires, il construit un système de coordonnées équivalent, où ces infinis disparaissent. Malheureusement, son argumentation, perdue dans un article au contexte cosmologique plus général au lieu de faire l’objet d’une publication séparée en anglais, passe inaperçue. Le développement de la théorie relativiste du trou noir restera bloqué pendant trente ans. Le caractère artificiel de la singularité de Schwarzschild ne sera redécouvert que dans les années 1960, date à partir de laquelle les fascinants modèles relativistes de trous noirs prendront leur envol. [111]
Dans le même article, Lemaître traite brillamment le problème de <<l’évanouissement de l’espace>>, à savoir l’annulation du rayon de l’espace à la singularité cosmique. Sa motivation est de discuter la plausibilité de la solution cycloïdale proposée par Friedmann, dans laquelle l’univers fermé se dilate et se contracte successivement un grand nombre de fois : <<l’univers-phénix>>. Pour cela, il faut examiner si la solution fermée peut être mathématiquement prolongée au-delà des singularités initiale et finale, autrement dit <<s’il y a moyen d’émousser la pointe de la cycloïde>>. Lemaître esquisse alors une démonstration capitale, selon laquelle les singularités cosmologiques sont une conséquence inéluctable de la relativité générale moyennant des hypothèses raisonnables. Il démontre notamment que ni une pression non nulle, ni une anisotropie de l’espace ne peuvent empêcher l’occurrence d’une singularité. Il anticipe ainsi les <<théorèmes sur les singularités>>, redémontrés de façon plus générale dans les années 1960 et qui rendront célèbres leurs auteurs, S. Hawking et R. Penrose [112]. Lemaître en conclut que le zéro de l’espace doit être traité comme un réel commencement, en ce sens que toute structure astronomique d’une existence antérieure y aurait été complètement détruite. Il faut donc abandonner les solutions d’univers cycloïdal, qui <<avaient un charme poétique incontestable et faisaient penser au phénix de la légende>>.
Les discussions entre Einstein et Lemaître
En août 1932, quand il embarque pour la deuxième fois sur un bateau à destination de l’Amérique, Lemaître est précédé d’une réputation bien établie. Sa lettre à Nature l’a révélé au monde de la presse (la situation n’a guère changé aujourd’hui; il semblerait qu’une publication dans Nature constitue un passage obligé pour qu’une reconnaissance scientifique internationale puisse s’instaurer, quelle que soit la qualité des travaux publiés par ailleurs). Le New York Times titre un article le 19 mai où l’on voit les dangers de la terminologie de Lemaître : <<Lemaître suggère qu’un grand atome unique contenant toute l’énergie est à l’origine de l’Univers>>.
Le monde occidental traverse les affres de la grande dépression. Les médias tentent de remonter le moral de leurs lecteurs par des reportages excitants, parfois exagérés, sur les découvertes scientifiques spectaculaires. Lemaître devient une petite célébrité. Le Times ajoute que Lemaître est <<l’un des meilleurs physiciens mathématiciens vivants […] . Son Univers en expansion est si populaire que le modèle statique d’Einstein paraît aussi démodé qu’un fiacre>>. Ces divagations médiatiques ne doivent guère plaire à Einstein, mais il n’en tiendra pas rigueur à Lemaître. En fait, Einstein commence à réaliser qu’il a rejeté un peu vite les idées du jeune prêtre.
La rencontre entre Lemaître et Einstein à Pasadena (Californie), en 1932, est plus réussie que la précédente rencontre à Bruxelles, en 1927 . A cette époque, Einstein songe à quitter l’Allemagne pour émigrer aux États-Unis. Le roi Albert de Belgique et la reine Elisabeth avaient sympathisé avec Einstein, et le nom de Lemaître associé à son idée d’univers en expansion avait parfois été mentionné au cours des conversations entre le physicien et le le couple royal. Ainsi, à Pasadena, Einstein ne rencontre plus un quelconque jeune scientifique inconnu, mais l’homme dont les idées nouvelles font beaucoup parler. Einstein admet la réalité de l’expansion comme conséquence de la relativité générale, à travers le modèle cosmologique de Lemaître qui est en mesure de prédire la loi de Hubble. Einstein préfère ne pas discuter de l’hypothèse de l’atome primitif, car il soupçonne le prêtre belge de ne pas être scientifiquement objectif sur cette question [113]. Il la juge <<inspirée par le dogme chrétien de la création, et injustifiée sur le plan de la physique>> [114]. La conversation est donc consacrée à la constante cosmologique. La situation doit paraître embrouillée aux yeux d’Einstein. En effet, après des années de réticence à l’égard des solutions dynamiques, Einstein a fini par céder aux arguments de Friedmann et par renier la constante cosmologique (cf. supra son article avec de Sitter). Lemaître va plus loin que Friedmann, et soutient au contraire qu’il faut conserver cette constante. Si Lemaître tenait tant à ce facteur, nous l’avons vu, c’est notamment parce que les modèles dynamiques à constante cosmologique nulle produisaient un univers trop jeune.
Les échanges, verbaux ou épistolaires, entre Einstein et Lemaître, ne manquent pas de sel. Ils ont été relatés de façon pittoresque et pleine de chaleur humaine par Lemaître lui-même, dans un texte lu à la radio nationale belge le 27 avril 1957 à l’occasion du deuxième anniversaire de la mort d’Einstein [115]. Il y raconte notamment que les journalistes qui suivaient leur conversations de Pasadena parlaient d’un <<little lamb>>, c’est-à-dire d’un <<petit agneau>>, qui les suivait partout. Dans l’article original d’Einstein, la constante cosmologique était en effet représentée par la lettre grecque l minuscule, en anglais <<little lambda>>. André Deprit [116] ajoute que Lemaître n’avait pas saisi la plaisanterie : les journalistes se référaient à une comptine bien connue dans les écoles maternelles américaines…
<<Pas plus que d’autres>>, dit Lemaître dans le même article, <<sur des sujets qui lui tenaient bien plus à coeur, […] je n’ai pu le convaincre ni, je dois l’avouer, saisir sa pensée d’une façon bien précise>>. On peut ajouter que, réciproquement, le père de la relativité n’a jamais vraiment saisi la pensée cosmologique de Lemaître. Le physicien allemand ne cesse de regretter le caractère superflu et abominable de la constante cosmologique, tandis que le prêtre belge lui répète sans relâche qu’il a eu au contraire une idée de génie <<sans le savoir>>, parce que la constante cosmologique est indispensable pour assurer l’adéquation des modèles relativistes aux observations. Lemaître ne parviendra pas à le convaincre, comme en témoigne la correspondance de 1947 entre les deux hommes (cf. Annexe, page xxx). Notons qu’après une période d’abandon de la constante cosmologique, disons entre 1945 et 1990, qui ne fait que traduire l’influence prédominante d’Einstein, la tendance revient aujourd’hui à considérer la constante cosmologique à la fois comme une nécessité logique et comme une nécessité observationnelle [117].
L’idée de l’atome primitif est abordée devant Einstein, en janvier 1933. A la fin d’un exposé de Lemaître à l’Observatoire du Mont Wilson, en Californie, Einstein se lève, applaudit et lance qu’il s’agit là de la plus belle et la plus satisfaisante de toutes les explications de la création qu’il ait jamais entendues. Einstein et Lemaître se retrouvent la même année en mai, à Bruxelles. Pour aider Einstein en difficulté, le prêtre belge organise en effet, avec l’appui de la fondation Franqui, une série de conférences scientifiques animées par le père de la relativité. Ce dernier était arrivé à Anvers quelques semaines auparavant et avait appris l’accession de Hitler au pouvoir. Il avait renoncé à sa nationalité allemande en remettant son passeport à l’Ambassade d’Allemagne à Bruxelles, et avait démissionné de ses fonctions à l’Académie de Prusse et à l’Université de Berlin. Soutenu notamment par la reine Elisabeth de Belgique, il s’était installé provisoirement dans une villa à De Haan (Le Coq), où Lemaître était allé lui rendre visite pour lui faire part de la proposition de la fondation Franqui.
Les conférences d’Einstein ont lieu à la Fondation universitaire de Bruxelles, entourées de strictes mesures de sécurité. A l’avant-dernier séminaire, Einstein annonce sans préavis que le prochain et dernier séminaire serait animé par Lemaître <<qui a des choses intéressantes à nous dire>>. Quatre jours plus tard, Lemaître expose ses idées et est interrompu plusieurs fois par Einstein s’exclamant <<Très joli, très, très joli!>>. Einstein manifestera encore son estime envers son confrère belge en soutenant sa candidature à l’important prix Franqui, qui sera effectivement attribué à Lemaître en mars 1934.
12. L’HYPOTHÈSE DE L’ATOME PRIMITIF (1945)
Lemaître veut donner une base expérimentale à son hypothèse de l’atome primitif, et croit trouver dans les rayons cosmiques la manifestation de la fragmentation initiale. Il approfondit la question avec des collaborateurs tels que Odon Godart et Manuel Sandoval Vallarta (1899-1977). Lemaître avait rencontré ce dernier lors de son séjour à Harvard en 1924 et s’était lié d’amitié avec lui. L’échec de leur explication ne va pas favoriser la crédibilité du modèle de l’atome primitif.
De plus, la guerre de 39-45 coupe le chanoine Lemaître de toute relation internationale. A la sortie de la guerre, il a perdu le contact avec le monde scientifique international.
<<L’hypothèse de l’atome primitif>> est le texte d’une conférence que Lemaître donne à la session annuelle de la Société helvétique des sciences naturelles à Fribourg en septembre 1945, et publiée la même année dans les actes de cette société. Sous ce même titre figurent plusieurs autres publications de Lemaître [118], notamment l’ouvrage qui fera le plus connaître Lemaître en Europe et à l’étranger : L’hypothèse de l’atome primitif : Essai de cosmogonie, publié à Neuchâtel et à Bruxelles en 1946, traduit en anglais sous le titre The primeval atom : An essay on cosmogony en 1950.
En fait, cet ouvrage n’est pas un texte original de Lemaître, mais une collection de cinq articles déjà existants. Le chapitre 1, intitulé <<La grandeur de l’espace>>, est le texte d’une conférence faite le 31 janvier 1929 à la Société scientifique de Bruxelles et publiée dans la Revue des Questions Scientifiques en mars 1929. Le chapitre 2, intitulé <<Expansion>>, reprend l’article <<L’expansion de l’espace>> paru dans la Revue des Questions Scientifiques en novembre 1931 (cf. infra page xxx). Le chapitre 3, intitulé <<Évolution>>, est le texte d’une lecture publique devant l’Académie royale de Belgique le 15 décembre 1934, publiée sous le titre <<L’Univers en Expansion>> dans le Bulletin de l’Académie en décembre 1934. Le chapitre 4, intitulé <<Hypothèses cosmogoniques>>, reprend la conférence du même nom faite à la Société royale belge des Ingénieurs et des Industriels, à Bruxelles le 10 janvier 1945, et publiée dans Ciel et Terre en mars -avril 1945. Enfin, le chapitre 5 reprend le texte de 1945 qui donne son titre à l’ouvrage et que nous publions ici (cf. infra page xxx). Lemaître a écrit une brève introduction supplémentaire, ainsi qu’une vingtaine de pages d’éclaircissements mathématiques figurant en appendice. Le tout est préfacé par Ferdinand Gonseth [119].
Le livre paraît en quelque sorte à contretemps, car la théorie de l’atome primitif n’est plus à la mode. Lemaître lui-même ne s’intéresse plus que de loin à la cosmologie, même s’il donne encore régulièrement des conférences un peu partout en Europe. La grande passion scientifique de Lemaître est désormais le calcul numérique sur machine, domaine où il sera aussi grand précurseur. Depuis 1948 triomphe la théorie cosmologique alternative de l'<<état stationnaire>>, dont les promoteurs principaux sont l’américain Thomas Gold et les britanniques Hermann Bondi et Fred Hoyle [120]. Leur idée est que l’univers a toujours été et sera toujours comme il est maintenant, identique à lui-même au cours du temps (d’où le nom de l’état stationnaire). Mais comme la matière cosmique se disperse sous l’effet de la fuite des galaxies, les auteurs de l’état stationnaire proposent, pour compenser la dilution et assurer une densité moyenne constante, que de la matière soit créée spontanément, de façon continue – d’où le nom également donné à cette théorie : la <<création continue>>.
Fred Hoyle, à la forte personnalité, n’est guère tendre avec ses adversaires scientifiques. Lors d’une réunion à Pasadena en 1960, Hoyle se moque de Lemaître en l’accueillant par ces mots: <<This is the Big Bang man>>. Hoyle apportera pourtant doublement de l’eau au moulin de la théorie du Big Bang : d’abord en lui trouvant son nom (qui pour lui était signe de dérision), et plus sérieusement en contribuant à résoudre la question de l’abondance des éléments chimiques dans l’Univers. L’expression Big Bang, débarrassée de son sens péjoratif, allait passer à la postérité grâce à un américain d’origine russe, ancien étudiant de Friedmann mais que Lemaître ne voulut pas rencontrer: Georges Gamow.
Gamow reprend les données de physique nucléaire développées pour des projets militaires et propose une théorie de l’origine des éléments. Il émet l’hypothèse que tous les éléments ont été produits durant les premières phases, très chaudes, de l’univers en expansion. Grâce aux travaux de Fred Hoyle et de ses collaborateurs, cette vue sera ultérieurement corrigée : seuls les isotopes les plus légers – hydrogène, hélium, lithium – ont pu se former dans l’univers chaud du début selon le processus envisagé par Gamow; les éléments plus lourds, comme le carbone, l’azote, l’oxygène, etc., proviennent des étoiles explosives, d’une époque beaucoup plus récente.
Quoi qu’il en soit, Gamow a enrichi considérablement l’hypothèse de Lemaître en y ajoutant la notion de température. Lemaître imaginait que l’univers du début devait être plus dense, Gamow a précisé qu’il devait être également plus chaud. Ce nouveau paramètre de température est le vrai trait d’union entre la cosmologie et la physique des particules à haute énergie, disciplines qui marchent aujourd’hui de pair et dont Lemaître avait entrevu le mariage dès 1931.
C’est aussi la raison pour laquelle Lemaître s’est trompé en cherchant dans les rayons cosmiques le vestige de l’univers primitif : il fallait chercher un rayonnement thermique. C’est précisément ce que fit Gamow, qui prédisit un vestige sous forme d’un rayonnement de corps noir à la température de 5 Kelvin (dans la gamme des micro-ondes). Ce rayonnement a été découvert en 1965 par Arno Penzias et Robert Wilson, à la température de 3 Kelvin, et interprété théoriquement par Robert Dicke et James Peebles [121]. C’est Odon Godart qui a appris à Mgr Lemaître, quelques jours avant sa mort, la découverte du rayonnement fossile – ce que Lemaître avait élégamment appelé <<l’éclat disparu de la formation des mondes>>. Lemaître avait été transporté à l’hôpital deux semaines auparavant, atteint d’une leucémie. Lemaître dit simplement <<Je suis content maintenant, au moins, on en a la preuve>>.
Le fait est que l’hypothèse de l’atome primitif devenait enfin, sous le nom plus médiatique de Big Bang, une théorie physique. Quelques années supplémentaires seront nécessaires pour qu’elle reçoive ses titres de noblesse: le prix Nobel de Physique sera remis à Penzias et Wilson le 8 décembre 1978.
13. LA TOPOLOGIE DE L’UNIVERS
Nous terminerons cette rapide exégèse de l’oeuvre cosmologique de Friedmann et Lemaître en examinant l’une de leurs contributions qui, curieusement, n’a pratiquement été relevée par aucun de leurs commentateurs, mais qui constitue pourtant l’un des signes les plus remarquables de leur originalité : la topologie de l’espace. Friedmann et Lemaître se sont en effet penchés non seulement sur la dynamique cosmique, mais aussi sur la structure globale de l’univers, c’est-à-dire sa topologie. De plus, ils ont tous deux rapidement pris conscience de l’incomplétude de la théorie de la relativité générale sur ce problème.
L’une des plus anciennes questions cosmologiques est celle de l’extension de l’espace. Est-il fini ou infini? L’espace physique newtonien, mathématiquement identifié à l’espace euclidien infini, n’était pas sans poser quelques paradoxes, tels celui dit d’Olbers [122], et autres problèmes de conditions aux limites; si l’on se réfère par exemple au principe de Mach, qui a tant guidé Einstein dans l’élaboration de la relativité générale, et en vertu duquel l’inertie locale est la résultante des contributions des masses à l’infini, un problème évident de divergence se pose dès lors que l’espace infini, s’il est homogène, a une masse infinie.
Lorsqu’Einstein introduisit dans son modèle cosmologique de 1917 un espace tridimensionnel de courbure positive (appelé aussi hypersphère), l’une de ses principales motivations était de fournir un modèle d’espace fini, bien que sans frontières. Cette solution résolvait de façon si ingénieuse tous les paradoxes liés à l’espace newtonien que les cosmologistes s’accrochèrent rapidement à cette idée nouvelle, aux dépens des autres possibilités.
Einstein pensait aussi que l’hypershère fournissait non seulement la métrique de l’espace – c’est-à-dire ses propriétés géométriques locales – mais aussi sa structure globale, sa topologie; par exemple, le fait que le volume de l’espace soit fini. Or, la question de la forme globale de l’espace, ou plus généralement de son caractère fini ou infini, n’est pas seulement affaire de métrique; c’est avant tout affaire de topologie et à ce titre, exige une approche supplémentaire par rapport à celle de la géométrie différentielle riemannienne – support mathématique de la relativité générale.
Les équations d’Einstein étant des équations aux dérivées partielles, elles ne décrivent que les propriétés géométriques locales de l’espace-temps. Ces dernières sont contenues dans le tenseur métrique, qui permet notamment de calculer les composantes de courbure en chaque point de l’espace-temps. Mais les équations d’Einstein ne fixent pas la structure globale de l’espace-temps: pour une métrique donnée, solution des équations, correspondent plusieurs – et même en général une infinité – de modèles d’univers topologiquement distincts.
Mathématiquement, un espace est dit posséder une topologie simplement connexe si en chacun de ses points, toute courbe fermée peut être continûment contractée en un point; c’est le cas, par exemple, du plan euclidien infini ou de la surface d’une sphère. Dans le cas contraire, la topologie est dite multiplement connexe. Toute surface qui possède par exemple un trou (comme un tore ou une sphère munie d’une poignée) est multiplement connexe.
Pour une métrique donnée, la topologie la plus simple est celle de l’espace simplement connexe ayant localement cette métrique. Mais la pertinence physique ne se mesure pas nécessairement à l’aune de la simplicité mathématique. Les variétés riemanniennes utilisées en relativité générale sont moins <<simples>> que l’espace euclidien. Dès lors, qu’est-ce qui peut guider le choix du physicien en matière de topologie?
La topologie ne faisait apparemment pas partie des préoccupations d’Einstein, puisque son article de 1917 ne mentionne aucune alternative topologique à son modèle d’espace sphérique. Aussitôt, certains de ses collègues, plus au fait des développements récents de la topologie, lui firent remarquer le caractère arbitraire de son choix. De Sitter, par exemple, nota que la solution cosmologique d’Einstein admettait une forme différente de l’espace sphérique : celle de l’espace projectif tridimensionnel (appelé aussi <<espace elliptique>>), construit à partir de la sphère en identifiant les points diamétralement opposés. L’espace projectif a la même métrique que l’espace sphérique, mais une topologie différente – notamment son volume est moitié moindre.
Hermann Weyl lui écrivit également sur la question du choix entre les topologies sphérique ou elliptique. Einstein lui répondit dans une lettre [123] datée de juin 1918 : <<J’ai pourtant un sentiment obscur qui me fait préférer le [modèle] sphérique. Je pressens que les variétés dans lesquelles toute courbe fermée peut être contractée continûment en un point sont les plus simples. D’autres personnes doivent également avoir ce sentiment, car autrement, en astronomie, on aurait sans doute pris en considération le cas que notre espace puisse aussi être euclidien et fini. L’espace euclidien à deux dimensions aurait alors les propriétés de connexion d’une surface annulaire. C’est un plan euclidien dans lequel tout phénomène est doublement périodique, où des points qui se trouvent sur la même grille périodique sont identiques. Dans l’espace euclidien fini existeraient trois genres de courbes fermées non continûment réductibles en un point. De façon analogue, l’espace elliptique possède, contrairement au sphérique, une classe de courbes non continûment réductibles en un point; c’est pourquoi il me plaît moins que le sphérique. Peut-on prouver que l’espace elliptique est la seule variante de l’espace sphérique ? Il me semble>>.
Einstein répète cet argument dans une carte postale [124] du 16 avril 1919 adressée cette fois à Félix Klein : <<Je voudrais vous soumettre un argument par lequel la possibilité sphérique semble devoir être préférée à la possibilité elliptique. Dans l’espace sphérique, toute courbe fermée peut se contracter continûment en un point, mais pas dans l’espace elliptique; autrement dit seul l’espace sphérique, et non pas l’elliptique, est simplement connexe. […] Il y a sans doute pour l’élément de métrique euclidien des espaces finis d’étendue arbitraire, que l’on peut obtenir à partir des espaces infinis en postulant une triple périodicité [125], si l’on suppose l’identité entre certains points. Mais ces possibilités-là, qui n’entrent pas en considération pour la relativité générale, souffrent de la propriété que les espaces correspondants sont multiplement connexes>>. Ainsi, sans autre argumentation physique, Einstein avait un préjugé « esthétique » en faveur du caractère simplement connexe de l’espace.
Dans sa réponse à Weyl, Einstein se trompait notamment sur le dernier point : à trois dimensions, en plus de l’espace elliptique existe une infinité de variantes topologiques de l’espace sphérique, toutes fermées, comprenant notamment les espaces dits <<lenticulaires>> [126] (tandis que pour les surfaces bidimensionnelles de courbure positive, il n’y a effectivement que deux types topologiques distincts, la sphère et le plan elliptique). Mais cela, personne ne le savait encore. La classification topologique des espaces tridimensionnels commençait à peine à être comprise. L’étude des différentes formes d’espace euclidien à trois dimensions avait commencé avec des travaux de cirstallographie. Le russe Feodoroff avait classé les 18 groupes de symétrie pour les structures cristallines dans R3 en 1885, et en 1911, Bierbach avait élaboré une théorie des groupes cristallographiques [127]. Ce n’est toutefois qu’en 1934 que Nowacki [128] démontrera comment les résultats de Bierbach permettent de classifier les formes d’espace euclidien. Le cas des espaces sphériques avait été posé notamment par Félix Klein en 1890 et par Killing en 1891, sous le nom de problème de Clifford-Klein [129]. Ce problème ne sera résolu de façon complète qu’en 1960 par Wolf [130]. Quant au problème des espaces homogènes hyperboliques, la classification ne commencera à être abordée sérieusement que dans les années 1970 par W. Thurston [131], et fait aujourd’hui encore l’objet de recherches intensives.
La découverte des solutions non statiques par Friedmann en 1922, et par Lemaître en 1927, enrichit considérablement le champ de la modélisation cosmologique. Les modèles d’univers homogènes et isotropes admettent des espaces de type sphérique, euclidien ou hyperbolique selon que leur courbure spatiale (constante) est positive, nulle ou négative. Dans son ouvrage de vulgarisation, Friedmann mentionne déjà le problème topologique et il insiste sur le fait que la métrique, donc la relativité générale, ne suffit pas à elle seule à définir la structure globale de l’espace. Pour en décider il faut des hypothèses supplémentaires. Il indique notamment l’exemple du cylindre; cette surface à deux dimensions est une variante topologique du plan euclidien obtenue en identifiant les bords opposés d’une bande plane de longueur infinie. Le cylindre est bien une surface localement euclidienne (sa courbure est partout nulle), mais elle est finie dans une direction et infinie dans l’autre.
Les remarques les plus profondes de Friedmann sur la question topologique se trouvent dans l’article de 1924. Il est le premier à définir clairement les limitations fondamentales de la théorie cosmologique fondées sur la relativité générale. <<En l’absence d’hypothèses additionnelles, les équations d’univers d’Einstein ne permettent pas de trancher la question de la finitude de notre univers>>, écrit-il. Il s’attache à définir comment l’espace peut devenir fini si l’on identifie des points entre eux (ce qui, en langage topologique, rend l’espace multiplement connexe). Il entrevoit aussi comment cette possibilité permet l’existence de « fantômes », en ce sens qu’en un même point coexistent un objet et ses propres images. <<Un espace à courbure positive est toujours fini>>, ajoute-t-il, mais les connaissances mathématiques ne permettent pas de <<résoudre la question de la finitude pour un espace à courbure négative>>. On le voit, Friedmann n’avait aucun préjugé en faveur de la topologie simplement connexe, ni n’avouait sa préférence pour une topologie particulière.
De son côté, Lemaître partage pleinement le penchant commun en faveur de la finitude de l’espace. Dans une conférence devant l’Institut Catholique de Paris [132], dans laquelle il parle du développement de la géométrie au XIXe siècle, il décrit la géométrie riemannienne comme celle qui a <<dissipé le cauchemar de l’espace infini>>. Tous les modèles cosmologiques pour lesquels il a opté à partir de 1927 font l’hypothèse d’un espace de courbure positive, nécessairement fini. Ceci ne l’empêche nullement de reconnaître d’autres possibilités. Il est, semble-t-il, le premier cosmologiste à remarquer, en 1958, que les métriques de courbure négative admettent des topologies de volume fini : <<Il est vrai qu’un espace localement hyperbolique n’est pas nécessairement ouvert. Il est possible de construire de tels espaces ayant un volume fini. Cela est même vrai pour l’espace euclidien>> [133]. Par ailleurs, Lemaître discute longuement la possibilité de l’espace elliptique, notamment dans son texte de 1931 ; contrairement à Einstein, il lui donne sa préférence, mais son argumentation semble tout autant reposer sur un <<sentiment esthétique>>.
Ces idées extrêmement fécondes de la topologie resteront largement ignorées du courant général de la cosmologie, hormis quelques exceptions [134]. Le modèle d’Einstein-de Sitter de 1932, qui stipule un espace euclidien, fait implicitement l’hypothèse du caractère infini de l’espace. L’oubli quasi-total de l’aspect topologique remonte à cette période. Les articles et les manuels – spécialisés ou non – traitant de cosmologie supposent implicitement que la structure spatiale de l’univers est soit l’hypersphère finie, soit l’espace euclidien infini, soit l’espace hyperbolique infini, sans mentionner les alternatives topologiques. Peu à peu, cette simplification arbitraire instaure une confusion sur le qualificatif <<ouvert>> ou <<fermé>>, utilisé pour caractériser les modèles de Friedmann-Lemaître. On croit qu’il s’applique non seulement au comportement temporel des modèles (ouverts s’ils sont en expansion perpétuelle, fermés s’ils sont en expansion-contraction), mais aussi à son caractère spatial. Dans l’hypothèse d’une topologie simplement connexe et d’une constante cosmologique nulle, il y a en effet stricte coïncidence entre modèles en expansion perpétuelle et modèles spatialement infinis d’une part, entre modèles en expansion-contraction et modèles spatialement finis d’autre part. Mais selon l’avertissement de Friedmann, pour savoir si l’espace est fini ou infini, il ne suffit pas de déterminer le signe de la courbure spatiale, autrement dit de comparer la densité de matière à la <<densité critique>>; il faut des <<hypothèses supplémentaires>> – précisément, celles de la topologie.
Aujourd’hui, les investigations sur la topologie cosmique ont peu progressé. Le préjugé en faveur des espaces simplement connexes plutôt que multiplement connexes rappelle le préjugé des années 1920-30 en faveur des espaces statiques plutôt que dynamiques. Le principe d’économie, en vertu duquel le nombre minimal d’hypothèses est préférable dans la construction d’un modèle, permet à première vue de sélectionner la topologie simplement connexe. Pourtant, de nouvelles approches de l’espace-temps, comme celle de la cosmologie quantique, suggèrent la nécessité d’un volume spatial fini. Par ailleurs, les données astronomiques présentes indiquent que la densité de matière dans l’univers observable est inférieure à la valeur critique, donc une solution de Friedmann-Lemaître à espace hyperbolique. Or, un espace hyperbolique n’a un volume fini que si sa topologie est multiplement connexe…
Parmi les observations astronomiques directes susceptibles de mettre en évidence la topologie de l’espace, figure la recherche de ces <<images fantômes>> dont parlait Friedmann dans son article de 1924, c’est-à-dire des images multiples d’un seul et unique objet céleste. Les images fantômes peuvent apparaître dans un espace topologiquement fini et dont le volume est plus petit que celui de l’espace observable, parce que la lumière émise par une source lointaine peut nous atteindre selon plusieurs trajets spatio-temporels. L’école russe a été la plus active dans le domaine; un programme observationnel, commencé dans les années 1970 au télescope de six mètres de Zelentchouk (Caucase) sous la direction de Viktoryn Fyodorovich Schvartsman, a permis de fixer des contraintes sur la taille minimale d’un espace multiplement connexe. De nouveaux tests observationnels, dans l’hypothèse d’un <<univers cristallographique>>, ont récemment été proposés [135].
Le domaine de la topologie cosmique émerge peu à peu de l’ombre. S’il sort un jour en pleine lumière, il faut espérer qu’Alexandre Friedmann et Georges Lemaître y feront figure d’éclaireurs.
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Notes
[1] Thomas S. Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, trad. fr. L. Meyer, Flammarion, 1983.Retour texte
[2] Nicolas Copernic, De Revolutionibus Orbium Coelestis, trad. fr. Sur les révolutions des orbes célestes, Blanchard, Paris, 1987.Retour texte
[3] Tycho Brahé, Astronomiae instauratae Progymnasmata, Prague 1603. Dans Tychonis Brahe Danis Opera Omnia, ed. J.L.E. Dreyer, 15 vols., Copenhagen Libraria Gyldendaliana, 1913-1929. Aucune traduction en français de cet ouvrage fondamental n’est disponible. Retour texte
[4] Voir par exemple Giordano Bruno, De l’infini, de l’univers et des mondes, Oeuvres complètes, vol. IV, trad. fr. J.-P. Cavaillé, Les Belles Lettres, 1995.Retour texte
[6] Galilée, Le Messager Céleste, trad. fr. Le Seuil/Sources du Savoir, Paris, 199xRetour texte
[7] En ce qui concerne les rapports entre les révolutions astronomiques et la littérature, voir H. Tuzet, Le Cosmos et l’Imagination, José Corti, Paris, 1965, et Jean-Pierre Luminet, Les poètes et l’univers, Le Cherche-Midi éditeur, Paris, 1996.Retour texte
[9] Voir par exemple Jean-François Gautier, L’Univers existe-t-il ?, Actes Sud, 1994.Retour texte
[10] Pour ce qui est des anthologies, toutes en langue anglaise, Milton Munitz, Theories of the Universe: From Babylonian Myth to Modern Science (cf. Bibliographie générale en fin de volume, ainsi que pour les références qui suivent) propose, depuis le Timée de Platon (vers 355 av. J.-C.) jusqu’à Fred Hoyle (1950), un ensemble de textes marquant des jalons importants dans l’évolution de la pensée cosmologique occidentale. Cette anthologie de la littérature cosmologique comporte un article de Lemaître, mais aucun de Friedmann. La période relativiste entre 1917 et 1982 est traitée dans les anthologies de Jeremy Bernstein et Gerald Feinberg, Cosmological Constants, et de Kenneth Lang et Owen Gingerich, A Source Book.. Pour ce qui est des analyses, nous citerons le monumental travail de Pierre Duhem, Le Système du Monde, en ce qui concerne la période pré-copernicienne, Alexandre Koyré, Du monde clos à l’univers infini et Etudes Newtoniennes pour la période ultérieure et, pour les cosmologies du XXe siècle, Jacques Merleau-Ponty, Cosmologies du XXe siècle, et George Ellis, <<Cosmology from 1917 to 1960>>.Retour texte
[11] Transcrite littéralement du russe, l’orthographe correcte serait Fridman, voir par exemple l’article de V. Fock, qui fut son élève : <<The researches of A.A. Fridman on the Einstein theory of gravitation>>. Sov. Phys. Usp. 6(4) (1964) pp. 473-474. Dans l’article de 1922 paru dans Zeits. f. Physik, l’orthographe est Friedman. C’est Einstein qui, semble-t-il, a introduit la variante <<Friedmann>> dans sa <<remarque sur le travail de A. Friedmann>> parue la même année dans Zeits. f. Physik. Cette orthographe a prévalu, à tel point que le second article du physicien russe paru dans Zeits. f. Physik en 1924 est signé Friedmann! Nous adopterons donc ici l’orthographe d’usage (usage tout relatif, dans la mesure où Alexandre Friedmann ne figure pas dans le Dictionnaire Robert des Noms Propres).Retour texte
[12] Biographical Encyclopedia of Scientists, second edition, Institute of Physics Publishing, Bristol and Philadelphia, 1994.Retour texte
[13] Inventeurs et Scientifiques, Larousse, 1994.Retour texte
[14] Dictionary of Scientific Biography, Ed. C.C. Gillespie, 16 vols. New York: Scribner, 1970-80.Retour texte
[16] Voir la remarquable analyse de Jean-François Robredo, La contribution de Georges Lemaître à la cosmologie moderne, cf. bibliographie générale.Retour texte
[17] Voir la Bibliographie générale.Retour texte
[18] Lire par exemple P.J.E. Peebles, <<Impact of Lemaitre’s Ideas on Modern Cosmogy>>, in Berger 1984 (bibliographie générale); Joseph Silk, The big bang, édition revue et réactualisée, New York, Freeman, 1989. Il est vrai que Silk séjourne fréquemment en Europe, qu’il en connaît la culture et les traditions. Quant à Peebles, il a reçu le premier Prix attribué par la Fondation Lemaître en 1994.Retour texte
[19] George Smoot et Keay Davidson, Wrinkles in Time, W. Morrow and Co, New York, 1994; trad. fr. Les rides du temps, Flammarion, Paris, 1994.Retour texte
[20] George Ellis, dans <<Cosmology from 1917 to 1960>>, distingue également des périodes, mais avec un découpage différent.Retour texte
[21] Rappelons que le terme de <<big bang>> est devenu célèbre du jour au lendemain, à la suite d’une émission de la radio britannique au cours de laquelle Fred Hoyle, l’adversaire le plus acharné de la théorie de Lemaître et promoteur de la théorie alternative de l’état stationnaire, l’avait utilisé par dérision.Retour texte
[22] Nous remercions André Berger, directeur de l’Institut d’Astronomie et de Géophysique G. Lemaître à Louvain, qui a accordé les autorisations de publication, et Jacqueline Moens, conservatrice des Archives, qui a faciltié la consultation des Archives.Retour texte
[23] Pour un développement plus complet, voir par exemple Jean-Pierre Luminet, Les trous noirs ; Première partie : Gravitation et lumière, Paris, Le Seuil / Points Sciences, 1992.Retour texte
[25] Isaac Newton, De Philosophiae Naturalis Principia Mathematica, 1687 ; trad. fr. : Principes Mathématiques de la Philosohie Naturelle, Bourgois, Paris, 1985Retour texte
[26] James Clerk Maxwell, Treatise on Electricity and Magnetism ,Oxford, Oxford University Press, 1873. ; trad. fr. : Traité d’Electricité et de Magnétisme, Jacques Gabay, Paris, 1989.Retour texte
[27] Pour les références précises concernant la période postérieure à 1900, nous renvoyons le lecteur à A. Einstein, Oeuvres choisies, volume 2: Relativités I, coll. Sources du Savoir, Le Seuil/CNRS, Paris, 1993.Retour texte
[28] Trad. fr. dans Oeuvres choisies, volume 2: Relativités I, p.134.Retour texte
[29] Trad. fr. dans Oeuvres choisies, volume 2: Relativités I, p.169.Retour texte
[30] A. Einstein, <<Die Feldgleichungen der Gravitation>>, Preussische Akademie der Wissenschaften, Sitzungsberichte, 1915, p. 844-847.Retour texte
[31] En fait, le théorème d’Emmy Noether sera démontré en 1918 dans un article publié sous son propre nom. Ce théorème est devenu en physique théorique un outil vital, dont la portée est beaucoup plus générale que le seul cadre initial d’une théorie de la gravitation. En 1917, Weyl découvrit un cas particulier du théorème de Noether en dérivant des identités qui avaient été découvertes indépendamment par Ricci en 1889 et par Bianchi en 1902.Retour texte
[32] A. Einstein, <<Die Grundlage der allgemeinen Relativitätstheorie>>, Annalen der Physik, vol. XLIX, 1916, p. 769-822. Trad. franç. <<Les fondements de la théorie de la relativité générale>>, in A. Einstein, Oeuvres choisies, volume 2: Relativités I, p. 179 sq.Retour texte
[33] Preussische Akademie der Wissenschaften, Sitzungsberichte, 1917, p. 142-152.Retour texte
[34] <<Considérations cosmologiques sur la théorie de la relativité générale>>, dans Einstein, Oeuvres choisies, vol. 3, Relativités II, p. 88-98.Retour texte
[35] Le travail d’Ernst Mach sur la gravité et l’origine de l’inertie est Die Mechanik in ihrer Entwicklung, historisch-kritisch dargestellt, Leipzig, Brockhaus, 1883.Retour texte
[36] <<Considérations cosmologiques…>>, p. 97.Retour texte
[37] En 1967, le physicien soviétique Zel’dovich a montré qu’à la lumière de la théorie quantique des champs, l’incorporation de l dans le tenseur impulsion-énergie pouvait être non pas seulement formelle, mais physiquement justifiée; en effet, le vide quantique apporte une contribution au tenseur impulsion-énergie de la forme . Voir Ya. B. Zel’dovich, <<Cosmological constant and elementary particles>>, Soviet Physics JETP Letters, 6, 316-317, 1967.Retour texte
[38] <<Considérations cosmologiques…>>, p. 98Retour texte
[39] W. de Sitter, <<On Einstein’s Theory of Gravitation and its Astronomical Consequences>>, Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, vol. 78, 1917, p. 3-28. Dans son article de revue de 1933, H. P. Robertson attribue l’idée de l’univers de De Sitter à l’un de ses collègues hollandais, Paul Ehrenfest.Retour texte
[40] V.M. Slipher, <<Spectrographic Observations of Nebulae>>, Pop. Ast. 23, 21-24, 1915. L’auteur fait état de quinze vitesses radiales mesurées, dont onze sont positives.Retour texte
[41] Sur les discussions entre Einstein et de Sitter qui ont suivi, nous renvoyons le lecteur à Relativités II, p. 98-102, et surtout à Pierre Kerszberg, <<The Einstein-de Sitter Controversy of 1916-1917 and the Rise of Relativistic Cosmology>>, in Howard et Stachel, bibliographie générale.Retour texte
[42] Le lecteur intéressé trouvera une description exhaustive de sa vie et de son oeuvre dans E. Tropp, V. Frankel et A. Chernin, voir Bibliographie.Retour texte
[43] Selon son ancien élève George Gamow, Friedmann aurait succombé à une pneumonie contractée lors de son vol en ballon. Cf. G. Gamow, My World Line : An Informal Autobiography, Viking Press, New York, 1970.Retour texte
[44] V.K. Frederiks, Uspekhi Fizicheskikh Nauk (Advances in Physical Sciences) vol.2 p.162 (1922).Retour texte
[45] V.K. Frederiks et A. A. Friedman, Osnovy teorii otnositel’nosti (Principes de la Théorie de la Relativité), I: Tenzorial’noe ischislenie (Calcul Tensoriel), Akademia,1924.Retour texte
[46] Cité par Jean-Marc Lévy-Leblond, <<L’arbre et la forêt : le mythe d’Einstein>>, in L’esprit de sel, Le Seuil / Points Sciences, Paris, 1984, p. 164.Retour texte
[47] Nous en avons supprimé certaines dans la traduction ci-après.Retour texte
[48] Trad. franç. : Fondements de la Géométrie, par P. Rossier, Paris, Dunod, 1971.Retour texte
[49] Nicolas Bourbaki, auteur polycéphale formé à partir de 1933 par des mathématiciens de l’Ecole normale supérieure, reprendra les mathématiques modernes dans leurs fondements pour l’édifier sur des bases axiomatiques rigoureuses dans l’esprit de Hilbert.Retour texte
[50] Ernest Nagel, James R. Newman, Kurt Gödel, Jean-Yves Girard, Le théorème de Gödel, Paris, Le Seuil, 1989 (collection Sources du Savoir).Retour texte
[51] B. Riemann, Gesammelte mathematische Werke, 2e éd., Leipzig, Teubner, 1892, p. 276.Retour texte
[52] C. F. Gauss, vol. VIII p.201 in Werke, 12 volumes, Göttingen, 1870-1927. Retour texte
[53] G. Boole, The mathematical analysis of logic, Cambridge, 1847.Retour texte
[54] Ce point de vue, encore dominant, n’est pas le seul ; on peut aussi considérer la relativité générale comme une théorie des champs non linéaire, voir par exemple Jean-Marc Lévy-Leblond, Aux contraires, Gallimard, 1996, note 2 p. 110 et références indiquées. Retour texte
[55] Un ouvrage excellent traitant de l’analyse tensorielle dans un contexte très large est J.A.Schouten, Ricci-Calculus (Springer, 2nd ed. 1954), en particulier chap. 3 <<Linear connexions>>.Retour texte
[56] Publiées par l’Académie royale de Belgique.Retour texte
[57] Cf. A. Einstein, Relativités II , partie III.Retour texte
[58] T. Kaluza, <<Zum Unitätsproblem der Physik>>, Sitzungsberichte Preussische Akademie der Wissenschaften, 1921, p. 966-972, et O. Klein, Zeitschrift für Physik, vol. XXXVII, 1926, p. 895-906.Retour texte
[59] L’analogie est de Andrey Grib, <<Concepts of modern physics for economists>>,Retour texte
St.Petersburg University of Economics and Finances, St.Petersbourg, Russie.
[60] Pour une approche vulgarisée, voir par exemple Paul Davies, Superforce, Payot, 1987.Retour texte
[61] A. A. Friedmann et J. A. Schouten, <<Über die Geometrie der halbsymmetrischen Übertragungen>>, Math. Zeitschrift, 21, 3-4, 1924.Retour texte
[62] Sur le point de vue moderne concernant la singularité cosmique – par exemple le fait de savoir si elle est une conséquence inéluctable de la relativité générale, si elle a eu lieu en un seul point ou plusieurs, etc., le lecteur pourra consulter S.W. Hawking et G.F.R. Ellis, The Large Scale Structure of Spacetime, Cambridge University Press, 1973, et, à un niveau moins technique, S. Hawking et R. Penrose, La Nature de l’espace et du temps, Gallimard, 1997.Retour texte
[63] Andrey Grib, communication privée.Retour texte
[64] A. Eddington, La nature du monde physique (trad. fr. G. Gros), Paris, Payot, 1929, p.99. Il s’agit de conférences données de janvier à mars 1927 à l’université d’Edimbourg.Retour texte
[65] Voir par exemple Jacques Demaret, Univers, Le Mail, 1991, [[section]] 7.9.Retour texte
[66] Certaines conjectures sur des solutions possibles peuvent être trouvées dans S.W. Hawking, Une brève histoire du temps, Paris, Champs Flammarion, 1991; Andrei Linde, Particle Physics and Inflationary Cosmology, Harwood, 1990 ; Jacques Demaret et Dominique Lambert, Le Principe Anthropique, Paris, Armand Colin, 1994.Retour texte
[67] Cet article a été traduit en russe sous le titre <<O krivizne prostranstva >>, Zhurnal Russkago fiziko-khimicheskago obshchestva, vol. 56 ndeg.1 (1924) p. 40-58, et dans Uspekhi Fizicheskikh Nauk, vol. 80 ndeg.3 (1963) pp. 439-446. Traduction anglaise : << On the curvature of space >>, par B. Doyle, in K.R. Lang et 0. Gingerich (éd.), A Source Book in Astronomy and Astrophysics, 1900-1975, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1979, p. 838.Retour texte
[68] Equations (4) et (5), cf. infra, p. …Retour texte
[69] A. Einstein, Zeitschrift für Physik 11, 326 (1922). Trad. franç. <<Remarque sur le travail de A. Friedmann <<Sur la courbure de l’espace>> >> in Einstein, Oeuvres choisies, vol. 3, Relativités II, p. 103.Retour texte
[70] Son objection repose sur l’équation au lieu de , où [[rho]] est la densité, R le rayon d’univers et x4 la variable temporelle.Retour texte
[71] Pour la suite de cette section, nous suivons de près l’article de V. Frenkel et A.A.Grib, Proc. of the 2nd Alexander Friedmann International seminar on Gravitation and Cosmology, St Petersburg, Friedmann Laboratory Publishing 1994, p. 1.Retour texte
[72] Equivalente à l’équation de la note ci-dessus.Retour texte
[73] Lettre du 28 octobre 1920. Voir A. Einstein, M. Born, Correspondance 1916-1955, Paris, Le Seuil, 1972.Retour texte
[74] A. Einstein, Zeitschrift für Physik 21, 228, 1923. Trad. franç. <<Note sur le travail de A. Friedmann <<Sur la courbure de l’espace>> >> in Einstein, Oeuvres choisies, vol. 3, Relativités II, p. 104-105.Retour texte
[75] J. Stachel, <<Eddington and Einstein>>, in E. Ulmann-Margarit (éd.), The Prism of Science, Dordrecht et Boston, D. Reidel, 1986.Retour texte
[76] Voir notamment l’analyse de J. Eisenstaedt dans Einstein, Oeuvres choisies, vol. 3, Relativités II, pp. 83-129.Retour texte
[77] Emmanuel von der Pahlen (1882-1952), astronome allemand travaillant à l’Observatoire de Postdam, surtout connu pour ses travaux sur la statistique stellaire. Docteur en Philosophie de l’université de Göttingen, il avait vécu à Saint-Petersbourg et avait été l’assistant de Friedmann à Kiev. Il était parti en Allemagne après la révolution de 1917. En 1924, il publia un ouvrage intitulé L’infini de l’espace et la théorie de la Relativité.Retour texte
[78] voir K. Hentschel, <<Erwin Finlay Freundlich and Testing Einstein’s Theory of Relativity>>, Archive for History of Exact Sciences, 47, 143-201, 1994. Sur l’ensemble de sa vie et son oeuvre, voir Dictionary of Scientific Biography.Retour texte
[79] L’article a été traduit en russe dans Uspekhi Fizicheskikh Nauk vol. 93 ndeg.2 (1967) pp. 280-287, et en anglais dans Bernstein et Feinberg, op. cit. Retour texte
[80] H.P. Robertson et T.W. Noonan, Relativity and Cosmology, Philadelphie, W.B.Saunders, 1968.Retour texte
[81] G. Lemaître, La théorie de la relativité et l’expérience, in Revue des Questions Scientifiques, 4e série, t. IX, 1926, pp. 346-374.Retour texte
[82] cf. Bibliographie en fin de volume.Retour texte
[83] Pour ce résumé biographique, nous suivons de près l’excellent résumé de Odon Godart, <<Monseigneur Lemaître, sa vie, son oeuvre>>, Revue des Questions Scientifiques, vol. 155, 1984, p. 155-182.Retour texte
[84] Traduit en français sous le titre Espace, Temps et Gravitation, Paris, Hermann, 1921.Retour texte
[85] Arthur S. Eddington, The Mathematical Theory of Relativity, Cambridge, Cambridge University Press, 1922.Retour texte
[86] Pour la question de l’influence d’Eddington sur Lemaître, cf. D. Lambert, Un atome d’univers, en préparation.Retour texte
[87] Georgy Abramovich Grinberg, étudiant de Friedmann, avait soutenu en 1924 une thèse sur le même sujet : G.A. Grinberg. J. Russ. Phys. Chem. Soc., vol. 56, p.368, 1925, restée ignoré car en langue russe.Retour texte
[88] H. Weyl, Zeit. Phys. 24, 230 (1923)Retour texte
[89] G. Lemaître, <<Note on De Sitter’s universe>>, The Physical Review, t. XXV, 1925, p. 903. <<Note on De Sitter’s universe>>, Journal of Mathematics and Physics, t. IV, 1925, p. 189-192.Retour texte
[90] Voir Encadré 1. Cette forme sera plus tard utilisée pour décrire l’hypothétique phase inflationnaire des modèles de big bang. Voir par exemple Andrei Linde, Particle physics and inflationary cosmology, Harwood, 1990.Retour texte
[91] Sur la vie et l’oeuvre de Hubble, voir Bibliographie générale. Après la mort de l’astronome en 1953, son épouse Grace Hubble en donna une image romancée et enjolivée, du genre <<C’était un Olympien, grand, fort et beau, avec les épaules de l’Hermès de Praxitèle, et une douce sérénité>> ! (cité dans Osterbrock et al, Bibliographie générale.) Ceci ne contribua guère à rendre les récits de ses biographes très fidèles.Retour texte
[92] cf. Godart, Odon et Heller, Michael, Lemaître Cosmology, Tucson, Pachart Publishing House, 1985, p. 57.Retour texte
[93] G. Lemaître, <<A homogeneous universe of constant mass and increasing radius accounting for the radial velocity of extra -galactic nebulae>>, Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, t. XCI, 1931, pp. 483-490.Retour texte
[94] A.S. Eddington, <<[Remarks at the Meeting of the Royal Astronomical Society]>>, The Observatory, vol. 53, 1930, p. 39-40.Retour texte
[95] A.S. Eddington, The Observatory, vol. 53, 1930, p. 162-164.Retour texte
[96] A.S. Eddington, <<On the Instability of Einstein’s Spherical Wolrd>>, Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, t. 90, 1930, p. 668-678.Retour texte
[97] G.F. Paddock, <<The Relation of the System of Stars to the Spiral Nebulae>>, Publications of the Astron. Soc. Pacific, 28, pp. 109-115 (1916). C. Wirtz, <<Über die Bewegung der Nebelflecke>>, Astr. Nachr. 206, pp. 109-116 (1918), et <<Notiz zur Radialbewegung der Spiralnebel>>, Astr. Nach. 216, p. 451 (1922).Retour texte
[98] G. Lemaître, <<The expanding universe>>, Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, t. XVI, mars 1931 , pp. 483(490) -501.Retour texte
[99] Dans ses notes ajoutées à l’article de O. Godart, <<Monseigneur Lemaître, sa vie, son oeuvre >>.Retour texte
[100] Pour une discussion approfondie: J.-F. Robredo, La contribution de Georges Lemaître à la cosmologie moderne; D. Lambert, <<Monseigneur Georges Lemaître et le débat entre le cosmologie et la foi>>, Revue Théologique de Louvain, 28, 1997, 28-53.Retour texte
[101] A. Einstein, <<Zum kosmologischen Problem der allgemeinen Relativitätstheorie>>, Preussische Akademie der Wissenschaften, Sitzungsberichte, 1931, p. 235-237. Trad. franç. in Einstein, Oeuvres choisies, vol. 3, Relativités II, p. 107-110.Retour texte
[102] A. Einstein, W. de Sitter, <<On the Relation between the Expansion and the Mean Density of the Universe>>, National Academy of Sciences, Proceedings, vol. XVIII, 1932, p. 213-214. Traduit en français sous le titre <<Sur la relation entre l’expansion et la densité moyenne de l’univers>>, dans Relativités II, p. 110-112.Retour texte
[103] H.P. Robertson, <<On the Foundations of Relativistic Cosmology>>, National Academy of Sciences, Proceedings, vol. XV, 1929, p. 822-829.Retour texte
[104] Otto Heckmann, <<Über die Metrik des sich ausdehnenden Universums>>, Nach. Ges. Gött. Wiss. 127-130, 1931.Retour texte
[105] Voir par exemple P. Coles et G. Ellis, <<The case for an open universe>>, Nature, vol. 370, 1994, p. 609.Retour texte
[106] Des limites peuvent être fixées sur l’âge de l’univers à partir de celui des étoiles les plus vieilles de notre galaxie et à partir des abondances de certains éléments radioactifs. Des valeurs de 12 à 17 milliards d’années sont avancées. Voir D. Clayton, <<Cosmology, Cosmochronology>>, in S. Maran (éd.), The Astronomy and Astrophysics Encyclopedia p. 153-156. New York, Van Nostrand Reinhold, 1992.)Retour texte
[107] A.S. Eddington, <<The End of the World : from the Standpoint of Mathematical Physics>>, Nature, vol. 127 pp. 447-453 (21 mars 1931).Retour texte
[108] D. Lambert, <<Monseigneur Georges Lemaître et le débat entre le cosmologie et la foi>>.Retour texte
[109] G. Lemaître, <<L’Univers en expansion>>, Annales de la Société Scientifique de Bruxelles, série A, t. III, 1933, pp. 51-85.Retour texte
[110] cf J. Eisenstaedt, <<Histoire et singularités de la solution de Schwarschild (1915-1923)>>, Archives Hist. Exact Sciences, vol. 27, 1982, p. 157-198.Retour texte
[111] Voir J.-P Luminet, Les trous noirs, Le Seuil/Points Sciences, Paris 1992.Retour texte
[112] Voir par exemple S.W. Hawking et G.F.R. Ellis, The Large Scale Structure of Spacetime. Retour texte
[113] Les rapports entre science et foi religieuse dans la pensée de Lemaître ont été analysés notamment dans O. Godart, <<Contributions of Lemaître to General Relativity (1922-1934)>>, [[section]]7 ; O. Godart et M. Heller, <<Les relations entre la science et la foi chez Georges Lemaître>>, in Commentarii, Académie Pontificale des Sciences, vol. III, ndeg.121, pp.1-12 ; J.F. Robredo, Les idées cosmologiques de Lemaître entre science et religion, rapport de séminaire à l’Observatoire de Meudon, janvier 1993 ; D. Lambert, <<Mgr. Georges Lemaître et les <<Amis de Jésus>>>>, Revue Théologique de Louvain, 27, 1996, 309-343, et <<Monseigneur Georges Lemaître et le débat entre le cosmologie et la foi>>, Revue Théologique de Louvain, 28, 1997, 28-53. Lemaître s’est lui-même exprimé sur la question dans <<La culture catholique et les sciences positives>>, in Actes du VIe congrès catholique de Malines. – Vol. 5, pp. 65-70.Retour texte
[114] Dans O. Godart, <<Monseigneur Lemaître, sa vie, son oeuvre>>, op. cit.Retour texte
[115] G. Lemaître, <<Rencontres avec A. Einstein>>, Revue des Questions Scientifiques, t. LXXIX, 5e série, t. XIX, janvier1958, ndeg.2, pp. 129-132.Retour texte
[116] Dans les notes ajoutées à O. Godart, op. cit.Retour texte
[117] Voir par exemple S. Carroll et W. Press, <<The cosmological constant>>, Ann. Rev. Astron. Astrophys., vol. 30, 1992, p. 499-542.Retour texte
[118] <<L’hypothèse de l’atome primitif>> in Revue des Questions Scientifiques, 61e année, 5e série, t. IX, 1948, pp. 321-339 ; <<L’hypothèse de l’atome primitif>> – texte d’une Conférence du Palais de la découverte, 13 mai 1947 publiée à Alençon chez Poulet-Malassis, 1948.Retour texte
[119] Lui-même auteur d’ouvrages sur l’espace et les géométries non-euclidiennes, par exemple La géométrie et le problème de l’espace, Neuchâtel, Ed. du Griffon.Retour texte
[120] H. Bondi et T. Gold, <<Th Steady State Theory of the Expanding Universe>>, MNRAS, 108, 1948, p. 252-270 ; F. Hoyle, <<A New Model for the Expanding Universe>>, MNRAS, vol. 108, 1948, p.372-382.Retour texte
[121] Observateurs et théoriciens se mirent d’accord sur une publication simultanée de leurs résultats respectifs en deux notes distinctes mais consécutives. Dans R.H. Dicke, P.J.E. Peebles, P. G. Roll et D. T. Wilkinson, <<Cosmic Black Body Radiation>>, The Astrophysical Journal, vol. 142 (1965) 414-418, le groupe de Princeton justifiait les conclusions cosmologques qu’ils tiraient de lettre de Penzias et Wilson qui suivait : <<Measurement of Excess Antenna Temperature at 4800 Mc/s>>, The Astrophysical Journal, vol. 142, 419-423. Au début des années 1990, les données recueillies par le satellite COBE en ondes millimétriques ont permis de fixer la température du rayonnement cosmologique avec une grande précision : 2,736 +/- 0,017 degrés Kelvin. Voir par exemple Marc Lachièze-Rey et Edgar Gunzig, Le Fond Diffus Cosmologique, Paris, Masson, 1995.Retour texte
[122] Voir par exemple E. Harrison, Le noir de la nuit, Seuil/Science ouverte, 1990 ; J.-P. Luminet et M. Lachièze-Rey, La physique et l’infini, Flammarion/Dominos, Paris, 1994. Retour texte
[123] Communication privée de Jacques Merleau-Ponty. L’auteur remercie J. Frieben pour la traduction.Retour texte
[124] Ibid.Retour texte
[125] Allusion à l'<<hypertore>>, variante de l’espace Euclidien à trois dimensions obtenue en considérant comme identiques tous les points appartenant aux faces opposées d’un parallélépipède. Voir Lachièze-Rey, M. et Luminet, J.-P. : <<Cosmic Topology>>, Physics Reports, vol. 254, 1995, pp. 135-214.Retour texte
[126] Lachièze-Rey, M. et Luminet, J.-P. : <<Cosmic Topology>>, op.cit., [[section]]7.Retour texte
[127] E. Feodoroff, <<Symmetrie der regelmassigen Systeme der Figuren>>, Russian journal for crystallography and mineralogy, St Petersburg, vol. 21, 1885 ; L. Bierbach, <<Über die Bewegungsgruppen der Euklidischen Raume I>>, Mathematische Annalen, vol. 70, 1911, pp. 297-336. II, ibid vol. 72, 1912, pp. 400-412Retour texte
[128] W. Novacki, <<Die euklidishen, dreidimensionalen, geschlossenen und offenen Raumformen>>, Commentarii Mathematici Helvetici, vol. 7, 1934, pp.81-93.Retour texte
[129] F. Klein, <<Zur nicht-euklidischen Geometrie>>, Mathematisches Annalen, vol. 37, 1890, p. 544 ; W. Killing, <<Über die Clifford-Kleinschen Raumformen, Mathematisches Annalen, vol. 39, 1891, p. 257.Retour texte
[130] J.A. Wolf, <<Sur la classification des variétés riemanniennes homogènes à courbure constane>>, Comptes rendus de l’Académie des Sciences de Paris, vol. 250, 1960, pp. 3443-3445.Retour texte
[131] W. Thurston, The geometry and topology of three manifolds, Princeton Lecture Notes, 1979.Retour texte
[132] Dont le texte a été publié à titre posthume dans <<L’Univers, problème accessible à la science humaine>>, Revue d’Histoire Scientifique, t. 31, 1978, pp. 345-359.Retour texte
[133] Lemaître, G. : La structure et l’évolution de l’univers, Onzième Conseil de Physique Solvay, 1958.Retour texte
[134] Cf. références dans Lachièze-Rey, M. et Luminet, J.-P. : <<Cosmic Topology>>.Retour texte
[135] Lehoucq R., Lachièze-Rey M. & Luminet J.-P., <<Cosmic Crystallography>>, Astronomy and Astrophysics, vol. 313, 1996, pp. 339-346Retour texte
Encadré 1 : Représentation mathématique
des univers de Friedmann – Lemaître
1.1 Les équations du champ
En relativité générale, l’espace-temps est décrit au moyen d’une variété pseudo-riemannienne à quatre dimensions, caractérisée localement par un tenseur métrique tel que l’intervalle ds entre deux points voisins est
.
Les propriétés géométriques de l’espace-temps sont liées à la distribution de masse et d’énergie, donnée par le tenseur impulsion-énergie , selon les équations du champ d’Einstein
(1)
où est le tenseur de courbure de Ricci, est sa contraction, est la constante cosmologique, et
1.2 Les simplifications cosmologiques.
L’application des équations de la relativité générale à la description de la structure de l’univers autorise deux simplifications importantes, qui permetttent de trouver des solutions exactes :
1/ L’univers est empli d’un fluide parfait de densité et de pression , dont le tenseur impulsion-énergie s’écrit
(2)
où sont les composantes du quadrivecteur-vitesse du fluide. En choisissant convenablement les coordonnées (comobiles), les seules composantes non-nulles de (2) sont
Une simplification supplémentaire sur l’équation d’état de la matière consiste à supposer que la pression est nulle (approximation dite « poussière »).
2/ A grande échelle, on peut également supposer que la matière cosmique est distribuée de façon homogène (densité constante dans l’espace) et isotrope (indépendante de la direction).
Il s’ensuit que l’espace est à courbure constante, et que l’élément de métrique prend la forme dite de Friedmann-Lemaître- Robertson – Walker (FLRW) :
(3)
où sont des coordonnées sphériques, la constante k est égale à +1, 0 ou -1 selon que la courbure est positive (espace elliptique), nulle (espace euclidien) ou négative (espace hyperbolique). représente la courbure de l’espace, étant une quantité sans dimension fonction du temps, appelée initialement rayon d’univers et rebaptisée plus correctement facteur d’échelle, dans la mesure où elle ne représente pas le rayon physique de l’espace (qui peut être infini).
Une forme équivalente de (3) est
(4)
1.3 Les équations de Friedmann-Lemaître
Le problème cosmologique se réduit alors à déterminer les trois fonctions inconnues , constantes dans l’espace mais a priori variables dans le temps, à partir des équations du champ (1).
Pour déterminer, il faut trois relations indépendantes. Les équations du champ permettent d’en fixer deux, sous forme d’équations différentielles ordinaires :
(5a)
(5b)
Une combinaison astucieuse des deux relations (5) permet de retrouver la loi de conservation de l’énergie :
(6)
La troisième relation doit être spécifiée indépendamment des équations d’Einstein ; c’est l’équation d’état du fluide : .
Le rapport , qui mesure le taux de variation du facteur d’échelle (taux d’expansion si R(t) croît), est appelé paramètre de Hubble. Sa valeur aujourd’hui, , est la constante de proportionnalité entre le décalage spectral des galaxies lointaines et leur distance.
1.4 Les solutions cosmologiques
Univers cylindrique d’Einstein (1917)
R(t) = constante = R et k = +1 dans (3), p=0,
Univers sphérique de de Sitter (1917)
La solution donnée originellement par de Sitter est
avec
p=0,
Par le changement de coordonnées
introduit par Lemaître, la métrique réécrite sous la forme (3) devient :
Sous cette forme, l’espace apparaît euclidien (k = 0)
Univers sphérique de Friedmann (1922)
k = +1 dans (3), p = 0, L quelconque.
L’évolution temporelle du facteur d’échelle R(t) dépend de la constante cosmologique, voir Tableau 1 ligne 3.
Univers hyperbolique de Friedmann (1924)
k = – 1 dans (3), p = 0, L quelconque.
L’évolution temporelle du facteur d’échelle R(t) dépend de la constante cosmologique, voir Tableau 1 ligne 1.
Univers sphérique de Lemaître-Eddington (1927)
k =+1, p _0, L = LE
Evolution temporelle du facteur d’échelle : Figure 1.
Univers hésitant de Lemaître (1931)
k =+1, L > LE
Evolution temporelle du facteur d’échelle : Figure 2.
Univers euclidien d’Einstein-de Sitter (1932)
k = 0, L=0, p = 0
,
où R0 et H0 sont les valeurs actuelles du facteur d’échelle R(t) et du paramètre de Hubble H(t).
Table 1 : Représentation graphique
des univers de Friedmann – Lemaître
La dynamique des modèles cosmologiques de Friedmann – Lemaître, c’est-à-dire la variation du facteur d’échelle spatiale en fonction du temps cosmique, est déterminée par le signe de la courbure (constante) des sections spatiales, k, et par la valeur de la constante cosmologique, L. Deux valeurs critiques de cette constante sont L = 0 (on retrouve alors les modèles de Friedmann les plus souvent utilisés, dans la colonne en gris; un cas particulier est la solution euclidienne d’Einstein – de Sitter, marquée E-dS), et L = LE, où LE est la valeur proposée en 1917 par Einstein afin d’assurer la staticité de son univers sphérique. Puisqu’une constante cosmologique positive équivaut à une action répulsive à grande distance, tous les modèles à grande constante cosmologique (L > LE), quelle que soit leur courbure, sont « ouverts » dans le temps, c’est-à-dire en expansion perpétuelle. A l’inverse, une constante négative (L <0) contribue à augmenter la gravité effective, de sorte que les modèles d’univers correspondants finissent tous par s’effondrer sur eux-mêmes.
Dans certains cas (k>0 et 0 < L < LE), la singularité initiale peut disparaître; en particulier, le modèle de Lemaître-Eddington (marqué L-Edd) est un univers spatialement fermé en expansion continue à partir de la sphère statique d’Einstein (correspondant à un rayon constant indiqué en pointillés). Le modèle à explosion primordiale prôné par Lemaître (marqué Lem) a une constante cosmologique légèrement supérieure à la valeur critique LE, de sorte qu’il traverse une phase plus ou moins longue au cours de laquelle il frôle l’état statique d’Einstein, avant de repartir en expansion continûment accélérée.
Repères chronologiques
1915 : Einstein et Hilbert donnent les équations définitives de la théorie de la relativité générale.
1917 : Einstein dérive le premier modèle cosmologique relativiste. L’espace est sphérique, statique, de densité uniforme. Einstein introduit la constante cosmologique.
1917 : De Sitter dérive le second modèle cosmologique relativiste. L’espace est statique, vide de matière.
1918 : Weyl expose ses idées sur l’unification possible de la gravitation et de l’électromagnétisme.
1920: Shapley et Curtis participent au <<grand débat>> sur la nature extragalactique des nébuleuses.
1922 : Friedmann fournit le premier modèle d’univers en expansion, à courbure et densité positives, constante cosmologique non nulle et pression nulle.
1922 : Einstein prétend que Friedmann a fait une erreur de calcul.
1923 : Einstein retire sa critique et admet son erreur.
1923 : Friedmann publie L’Univers comme Espace et Temps.
1923: Weyl suggère le caractère non statique de l’univers de de Sitter
1924 : Friedmann donne le premier modèle d’univers en expansion hyperbolique. Première discussion d’envergure sur la topologie cosmique.
1924 : Eddington indique que sur 41 décalages spectraux de galaxies mesurés, 36 sont vers le rouge ; il favorise la solution de de Sitter.
1925 : Lemaître trouve une seconde forme de la métrique de de Sitter, suggérant un espace en expansion de courbure nulle.
1925 : Lemaître démontre une relation linéaire entre la distance et le décalage spectral dans la solution de de Sitter.
1925 : Hubble établit l’échelle de distances extragalactiques et clôt le <<grand débat>>.
1927 : Lemaître propose un modèle d’univers en expansion à courbure et constante cosmolgique positives, applique les lois de conservation de l’énergie et les équations du champ avec pression. Il donne la première interprétation des décalages vers le rouge liée à l’expansion de l’univers et prédit la relation linéaire distance-décalage vers le rouge.
1929 : Robertson trouve la métrique générale pour tous les univers spatialement homogènes, mais ne réalise pas leur importance.
1929 : Hubble trouve expérimentalement la relation linéaire distance-décalage vers le rouge, mais ne la relie pas à l’expansion.
1930 : Eddington prouve l’instabilité de l’univers d’Einstein et adopte le modèle de Lemaître.
1931 : Hubble et Humason fixent la constante de proportionnalité entre vitesse de récession et distance à Ho = 558 km/s/Mpc.
1931 : Lemaître propose son modèle d’univers initialement singulier, l’atome primitif, dans lequel une phase de stagnation permet la formation des galaxies. Il suggère que les rayons cosmiques sont les reliques de l’univers primitif.
1931 : Lemaître propose une origine quantique de l’univers.
1932 : Einstein et de Sitter analysent le cas le plus simple à courbure, pression et constante cosmologique nulles; ils donnent la relation entre la densité et le taux d’expansion.
1945 : Lemaître réunit son oeuvre cosmologique dans L’hypothèse de l’atome primitif.
1946 : Gamow propose la nucléosynthèse cosmologique.
1948 : Alpher, Bethe et Gamow calculent les abondances des éléments formés dans l’univers primitif.
1949 : Alpher et Herman font la prédiction d’un fond diffus cosmologique, sous forme de rayonnement de corps noir à la température de 5 degrés Kelvin.
1952 : Baade révise l’échelle de distances extragalactiques, qui augmente l’échelle de temps cosmique d’un facteur 2,6.
1965 : Penzias et Wilson découvrent un fond diffus de rayonnement radio à la température de 3 degrés Kelvin. Dicke et Peebles en donnent l’interprétation cosmologique dans le cadre des modèles de Big Bang.
1992 : Le satellite d’observation COBE vérifie la nature thermique, l’homogénéité et l’isotropie du fond diffus cosmologique à une précision de 10-5, et décèle les premières fluctuations de densité.