Libye: On ne fait pas la révolution pour faire baisser le prix du melon (We didn’t start a revolution to lower the price of melons)

27 mars, 2011
No revolution to lower the price of melonsNous n’avons pas créé une révolution pour faire baisser le prix du melon. Khomeiny
Nos peuples et sociétés doivent comprendre que leur principal ennemi à l ‘étranger est les Etats-unis et la bande sioniste et que leur principal ennemi intérieur est Israël. Tout le monde doit tenir compte de cela et doit être conscient que tel est l’ennemi qui nous guette au sein de la société du Moyen-Orient. Yussuf Al-Qaradawi (Le Caire)
Les Saoudiens et les Libyens constituent le plus gros des contingents de terroristes étrangers qui sont entrés en Irak de juillet 2006 à août 2007. C’est ce que vient de révéler une étude rendue publique sur Internet par le Combating Terrorist Center (CTC), de la célèbre université américaine West Point. (…) Sur les 595 dossiers cités dans cette étude, 244 étrangers viennent d’Arabie Saoudite, ce qui représente 41%. La Libye avec 112 combattants, ce qui représente 18,8%, vient en seconde position. Ces deux pays sont suivis par la Syrie qui vient en troisième position avec 49 terroristes, soit 8,2%, puis le Yémen avec 48 terroristes, soit 8,1%. (…) il est souligné l’importance du contingent de terroristes libyens qui a toujours été sous-estimé dans les précédents rapports. Abordant le volet inhérent aux villes d’origine des terroristes, l’étude relève que sur les 591 dossiers, 440 contenaient des informations sur les quartiers et les villes des différents contingents qui ont rejoint l’Irak. 52 terroristes viennent de Darnah en Libye, 51 de Ryadh en Arabie Saoudite, 43 autres de la ville libyenne de Benghazi … Vitaminedz
But this dogma begs any number of questions and looks more like wishful thinking rather than a sober understanding of reality. In the past, we have liberated oppressed Muslims in the Balkans, oppressed Muslims in Kuwait, oppressed Muslims in Afghanistan, oppressed Muslims in Iraq, and now we’re going to liberate (maybe) oppressed Muslims in Libya. And how much goodwill has that bought us in the Muslim world? Did liberating millions of Shiites from a murderous tyrant in Iraq make Shiite Iran stop regarding us as the Great Satan? Of course not. We have to free ourselves from this curiously arrogant assumption that the whole world determines its policies and beliefs simply in reaction to what we do. Muslims have a religious worldview and sensibility that condition their actions and interests, and we must understand those spiritual beliefs in their own terms rather than reducing them to the materialist determinism that dominates our thinking. As the Ayatollah Khomeini said, he didn’t start an Islamist revolution to lower the price of melons
According to a Stratfor report, jihadist personnel files captured in Iraq revealed that on a per capita basis, Libyans comprised the largest percentage of foreign insurgents, and 85% were suicide bombers. Finally, the majority of these fighters listed their hometowns in Libya as Darnah and Benghazi, the latter the de facto capital of the rebellion.
Events in Libya reveal once again the danger and hypocrisy of internationalist idealism. After all, murderously mad, illegitimate regimes are as common as flies, many of them much worse than Gaddafi. This means our interventions abroad must clearly be in the service of our own interests. But intervening in a civil war in service to other nations’ interests and our own misplaced idealism — without a clear knowledge of the rebels’ aims, or a reasonable estimation of what sort of regime will be in place when the smoke clears — endangers those interests and puts at risk our national security. Bruce Thornton
In the new Middle East multilateralism, America supplies the firepower, Europeans the policy and high profile, Arabs the public cover, and the international community the legitimacy — as long as the campaigning is brief, the losses small, and the rebels supposedly somewhat Western in outlook. But no one yet has told us why we must not “meddle” in Iran, must ignore the Saudis going into Bahrain, should continue “outreach” with Assad, must support the ouster of Mubarak and Ben Ali, but are so far mum about further challenges to pro-American authoritarians in the Gulf and Jordan.
There is no longer a “war on terror,” and we are to understand that its former components — tribunals, renditions, preventative detention, Guantanamo, Predator assassinations, Iraq, the Patriot Act, wiretapping, and intercepts — were as subversive to the Constitution under Bush as they are essential to our security under Obama. Whatever happened to the impending civilian trial of Khalid Sheikh Mohammed?  Victor Davis Hanson
Dans une interview au journal italien Il Sole 24 Or, [le leader de la rebellion libyenne] M. al-Hasidi a admis qu’il avait recruté « environ 25 hommes » de la région de Derna, dans l’Est de la Libye, pour lutter contre les troupes de la coalition en Irak. Certains d’entre eux, dit-il, sont « aujourd’hui sur les lignes de front dans Adjabiya ». M. al-Hasidi affirme que ses combattants « sont des patriotes et de bons musulmans, pas des terroristes », mais il a également ajouté que les « membres d’Al-Qaïda sont également de bons musulmans et se battent contre l’envahisseur ». Ses révélations ont eu lieu au moment même où le président tchadien Idriss Deby Itno annonçait qu’al-Qaeda avait réussi à piller des arsenaux militaires dans la zone contrôlée par les rebelles et acquis des armes telles que des missiles sol-air qui avaient ensuite été introduites illégalement dans leurs sanctuaires. M. al-Hasidi a admis qu’il avait déjà lutté contre « l’invasion étrangère » en Afghanistan, avant d’être « capturé en 2002 à Peshawar, au Pakistan ». Il a ensuite été remis aux États-Unis, puis détenu en Libye avant d’être libéré en 2008. The Telegraph (25.03.11)

Attention: une révolution peut en cacher une autre!

A l’heure où, grâce aux bombardements de nos armées et sous les acclamations générales, deux nouvelles villes auraient été reprises par les insurgés libyens …

En ces temps nouveaux où, dans le meilleur des mondes multilatéralistes comme le rappelle l’analyste militaire américain Victor Davis Hanson, « les Etats-Unis fournissent la puissance de feu, l’Europe la doctrine et les discours flamboyants, les Arabes la couverture publique et la communauté internationale la légitimité » …

Et où au nom de la libération des peuples nos forces militaires peuvent se permettre à peu près tout ce qui du temps de Cowboy Bush avait soulevé l’ire de nos médias soudain bien silencieux et indulgents

Mais où l’on ne sait toujours pas pourquoi l’on doit fermer les yeux sur la situation des peuples iraniens, syriens, jordaniens ou du Golfe où comme au Bahrein les forces saoudites peuvent intervenir à leur guise …

Pendant que derrière leurs images et leurs téléjihadistes comme leurs fonds et à présent leur couverture militaire, les qataris tirent les ficelles de la révolution tout en continuant à désigner à la rue arabe les ennemis de toujours à savoir les Etats-Unis et la « bande sioniste », elle-même contrainte à la  « retenue » contre les incessantes attaques palestiniennes …

Retour, avec le site d’intelligence militaire Stratfor, sur ces enjeux pétroliers ou électoraux étrangement absents de nos médias (même le décidément très enchainé palmipède que fête ce jour-même le NYT) et sans lesquels pourtant on ne comprend pas la passion soudaine de nos Sarkozy et Cameron aujourd’hui à l’avant-garde du mouvement.

Sans compter cette incroyable concentration de jihadistes (rien de moins,  darwinisme stratégique oblige, que les fameux Al-Libby des campagnes d’Irak ou d’Afghanistan!) jusque-là tenus à bonne distance par Kadhafi mais que l’actuelle libération de la région de  Benghazi semble sur le point  de fournir en armes lourdes voire de  libérer dans la nature …

Jihadist Opportunities in Libya

Scott Stewart

Stratfor

Feb 24 2011

As George Friedman noted in his geopolitical weekly “Revolution and the Muslim World,” one aspect of the recent wave of revolutions we have been carefully monitoring is the involvement of militant Islamists, and their reaction to these events.

Militant Islamists, and specifically the subset of militant Islamists we refer to as jihadists, have long sought to overthrow regimes in the Muslim world. With the sole exception of Afghanistan, they have failed, and even the rise of the Taliban in Afghanistan was really more a matter of establishing a polity amid a power vacuum than the true overthrow of a coherent regime. The brief rule of the Supreme Islamic Courts Council in Somalia also occurred amid a similarly chaotic environment and a vacuum of authority.

However, even though jihadists have not been successful in overthrowing governments, they are still viewed as a threat by regimes in countries like Tunisia, Egypt and Libya. In response to this threat, these regimes have dealt quite harshly with the jihadists, and strong crackdowns combined with other programs have served to keep the jihadists largely in check.

As we watch the situation unfold in Libya, there are concerns that unlike Tunisia and Egypt, the uprising in Libya might result not only in a change of ruler but also in a change of regime and perhaps even a collapse of the state. In Egypt and Tunisia, strong military regimes were able to ensure stability after the departure of a long-reigning president. By contrast, in Libya, longtime leader Moammar Gadhafi has deliberately kept his military and security forces fractured and weak and thereby dependent on him. Consequently, there may not be an institution to step in and replace Gadhafi should he fall. This means energy-rich Libya could spiral into chaos, the ideal environment for jihadists to flourish, as demonstrated by Somalia and Afghanistan.

Because of this, it seems an appropriate time to once again examine the dynamic of jihadism in Libya.

A Long History

Libyans have long participated in militant operations in places like Afghanistan, Bosnia, Chechnya and Iraq. After leaving Afghanistan in the early 1990s, a sizable group of Libyan jihadists returned home and launched a militant campaign aimed at toppling Gadhafi, whom they considered an infidel. The group began calling itself the Libyan Islamic Fighting Group (LIFG) in 1995, and carried out a low-level insurgency that included assassination attempts against Gadhafi and attacks against military and police patrols.

Gadhafi responded with an iron fist, essentially imposing martial law in the Islamist militant strongholds of Darnah and Benghazi and the towns of Ras al-Helal and al-Qubbah in the Jabal al-Akhdar region. After a series of military crackdowns, Gadhafi gained the upper hand in dealing with his Islamist militant opponents, and the insurgency tapered off by the end of the 1990s. Many LIFG members fled the country in the face of the government crackdown and a number of them ended up finding refuge with groups like al Qaeda in places such as Afghanistan.

While the continued participation of Libyan men in fighting on far-flung battlefields was not expressly encouraged by the Libyan government, it was tacitly permitted. The Gadhafi regime, like other countries in the region, saw exporting jihadists as a way to rid itself of potential problems. Every jihadist who died overseas was one less the government had to worry about. This policy did not take into account the concept of “tactical Darwinism,” which means that while the United States and its coalition partners will kill many fighters, those who survive are apt to be strong and cunning. The weak and incompetent have been weeded out, leaving a core of hardened, competent militants. These survivors have learned tactics for survival in the face of superior firepower and have learned to manufacture and effectively employ new types of highly effective improvised explosive devices (IEDs).

In a Nov. 3, 2007, audio message, al Qaeda No. 2 Ayman al-Zawahiri reported that the LIFG had formally joined the al Qaeda network. This statement came as no real surprise, given that members of the group have long been close to al-Zawahiri and Osama bin Laden. Moreover, the core al Qaeda group has long had a large number of Libyan cadre in its senior ranks, including men such as Abu Yahya al-Libi, Anas al-Libi, Abu Faraj al-Libi (who reportedly is being held by U.S. forces at Guantanamo Bay) and Abu Laith al-Libi, who was killed in a January 2008 unmanned aerial vehicle strike in Pakistan.

The scope of Libyan participation in jihadist efforts in Iraq became readily apparent with the September 2007 seizure of a large batch of personnel files from an al Qaeda safe-house in the Iraqi city of Sinjar. The Sinjar files were only a small cross-section of all the fighters traveling to Iraq to fight with the jihadists, but they did provide a very interesting snapshot. Of the 595 personnel files recovered, 112 of them were of Libyans. This number is smaller than the 244 Saudi citizens represented in the cache, but when one considers the overall size of the population of the two countries, the Libyan contingent represented a far larger percentage on a per capita basis. The Sinjar files suggested that a proportionally higher percentage of Libyans was engaged in the fighting in Iraq than their brethren from other countries in the region.

Another interesting difference was noted in the job-description section of the Sinjar files. Of those Libyan men who listed their intended occupation in Iraq, 85 percent of them listed it as suicide bomber and only 13 percent listed fighter. By way of comparison, only 50 percent of the Saudis listed their occupation as suicide bomber. This indicates that the Libyans tended to be more radical than their Saudi counterparts. Moroccans appeared to be the most radical, with more than 91 percent of them apparently desiring to become suicide bombers.

The Libyan government’s security apparatus carefully monitored those Libyans who passed through the crucible of fighting on the battlefield in places like Iraq and Afghanistan and then returned to Libya. Tripoli took a carrot-and-stick approach to the group similar to that implemented by the Saudi regime. As a result, the LIFG and other jihadists were unable to pose a serious threat to the Gadhafi regime, and have remained very quiet in recent years. In fact, they were for the most part demobilized and rehabilitated.

Gadhafi’s son Seif al-Islam oversaw the program to rehabilitate LIFG militants, which his personal charity managed. The regime’s continued concern over the LIFG was clearly demonstrated early on in the unrest when it announced that it would continue the scheduled release from custody of LIFG fighters.

The Sinjar reports also reflected that more than 60 percent of the Libyan fighters had listed their home city as Darnah and almost 24 percent had come from Benghazi. These two cities are in Libya’s east and happen to be places where some of the most intense anti-Gadhafi protests have occurred in recent days. Arms depots have been looted in both cities, and we have seen reports that at least some of those doing the looting appeared to have been organized Islamists.

A U.S. State Department cable drafted in Tripoli in June 2008 made available by WikiLeaks talked about this strain of radicalism in Libya’s east. The cable, titled “Die Hard in Derna,” was written several months after the release of the report on the Sinjar files. Derna is an alternative transliteration of Darnah, and “Die Hard” was a reference to the Bruce Willis character in the Die Hard movie series, who always proved hard for the villains to kill. The author of the cable, the U.S. Embassy’s political and economic officer, noted that many of the Libyan fighters who returned from fighting in transnational jihad battlefields liked to settle in places like Darnah due to the relative weakness of the security apparatus there. The author of the cable also noted his belief that the presence of these older fighters was having an influence on the younger men of the region, who were becoming radicalized, and the result was that Darnah had become “a wellspring of foreign fighters in Iraq.” He also noted that some 60 to 70 percent of the young men in the region were unemployed or underemployed.

Finally, the author opined that many of these men were viewing the fight in Iraq as a way to attack the United States, which they saw as supporting the Libyan regime in recent years. This is a concept jihadists refer to as attacking the far enemy and seems to indicate an acceptance of the transnational version of jihadist ideology — as does the travel of men to Iraq to fight and the apparent willingness of Libyans to serve as suicide bombers.

Trouble on the Horizon?

This deep streak of radicalism in eastern Libya brings us back to the beginning. While it seems unlikely at this point that the jihadists could somehow gain control of Libya, if Gadhafi falls and there is a period of chaos in Libya, these militants may find themselves with far more operating space inside the country than they have experienced in decades. If the regime does not fall and there is civil war between the eastern and western parts of the country, they could likewise find a great deal of operational space amid the chaos. Even if Gadhafi, or an entity that replaces him, is able to restore order, due to the opportunity the jihadists have had to loot military arms depots, they have suddenly found themselves more heavily armed than they have ever been inside their home country. And these heavily armed jihadists could pose a substantial threat of the kind that Libya has avoided in recent years.

Given this window of opportunity, the LIFG could decide to become operational again, especially if the regime they have made their deal with unexpectedly disappears. However, even should the LIFG decide to remain out of the jihad business as an organization, there is a distinct possibility that it could splinter and that the more radical individuals could cluster together to create a new group or groups that would seek to take advantage of this suddenly more permissive operational environment. Of course, there are also jihadists in Libya unaffiliated with LIFG and not bound by the organization’s agreements with the regime.

The looting of the arms depots in Libya is also reminiscent of the looting witnessed in Iraq following the dissolution of the Iraqi army in the face of the U.S. invasion in 2003. That ordnance not only was used in thousands of armed assaults and indirect fire attacks with rockets and mortars, but many of the mortar and artillery rounds were used to fashion powerful IEDs. This concept of making and employing IEDs from military ordnance will not be foreign to the Libyans who have returned from Iraq (or Afghanistan, for that matter).

This bodes ill for foreign interests in Libya, where they have not had the same security concerns in recent years that they have had in Algeria or Yemen. If the Libyans truly buy into the concept of targeting the far enemy that supports the state, it would not be out of the realm of possibility for them to begin to attack multinational oil companies, foreign diplomatic facilities and even foreign companies and hotels.

While Seif al-Islam, who certainly has political motives to hype such a threat, has mentioned this possibility, so have the governments of Egypt and Italy. Should Libya become chaotic and the jihadists become able to establish an operational base amid the chaos, Egypt and Italy will have to be concerned about not only refugee problems but also the potential spillover of jihadists. Certainly, at the very least the weapons looted in Libya could easily be sold or given to jihadists in places like Egypt, Tunisia and Algeria, turning militancy in Libya into a larger regional problem. In a worst-case scenario, if Libya experiences a vacuum of power, it could become the next Iraq or Pakistan, a gathering place for jihadists from around the region and the world. The country did serve as such a base for a wide array of Marxist and rejectionist terrorists and militants in the 1970s and 1980s.

It will be very important to keep a focus on Libya in the coming days and weeks — not just to see what happens to the regime but also to look for indicators of the jihadists testing their wings.

Terrorism/SecurityScott StewartLibyaSecurity Weekly

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Links:

[1] http://www.stratfor.com/weekly/burton_and_stewart_on_security

[2] http://www.stratfor.com/weekly/20110221-revolution-and-muslim-world

[3] http://www.stratfor.com/analysis/20110120-jihadism-2011-persistent-grassroots-threat

[4] http://www.stratfor.com/analysis/20110221-jihadists-and-libya-uprising

[5] http://web.stratfor.com/images/middleeast/map/LibyaMap800.jpg

[6] http://www.stratfor.com/weekly/20091014_pakistan_south_waziristan_migration

[7] http://www.stratfor.com/imminent_spread_efps

[8] http://www.stratfor.com/al_qaeda_next_generation

[9] http://www.stratfor.com/analysis/libya_jihadist_threat

[10] http://www.stratfor.com/analysis/libya_petrodollars_and_peace_jihadists

[11] http://www.stratfor.com/weekly/al_qaeda_2008_struggle_relevance

Voir aussi:

The Libyan War: Full Coverage

Special Series: Europe’s Libya Intervention

Stratfor

March 25, 2011

Editor’s Note: This is the second installment in a four-part series publishing in the next few days that examines the motives and mindset behind current European intervention in Libya. We began with an overview and now follow with an examination of the positions put forth by the United Kingdom, France, Italy, Germany and Russia. Our next installment publishes Monday, March 28.

France and the United Kingdom have led the charge on the intervention in Libya. For a month, both pushed the international community toward an intervention, ultimately penning U.N. Security Council Resolution 1973 authorizing the no-fly zone on March 17.

Paris’ and London’s interests in waging war on Libya are not the same, and Libya carries different weight with each. For the United Kingdom, Libya offers a promise of energy exploitation. It is not a country with which London has a strong client-patron relationship at the moment, but one could develop if Moammar Gadhafi were removed from power. For France, Tripoli already is a significant energy exporter and arms customer. Paris’ interest in intervening is also about intra-European politics.

France

Paris has been the most vociferous supporter of the Libya intervention. French President Nicolas Sarkozy made it his mission to gather an international coalition to wage war on Libya, and France has been at the vanguard of recognizing the legitimacy of the Benghazi-based rebels.

French interests in the Libya intervention fall into two categories: domestic politics and intra-European relations.

The domestic political story is fairly straightforward. At the onset of the unrest in the Middle East, Paris stalled on recognizing the protesters as legitimate. In fact, then-French Foreign Minister Michele Alliot-Marie offered the Tunisian government official help in dealing with the protesters. Three days later, longtime Tunisian President Zine El Abidine Ben Ali was forced to flee the country. It was revealed later that Alliot-Marie spent her Christmas vacation in Tunisia; during the trip, she used the private jet of a businessman close to the Ben Ali regime, and her parents were negotiating a business deal with the same businessman. Needless to say, the whole episode was highly embarrassing for Paris both internationally and domestically, and Sarkozy was essentially forced to fire Alliot-Marie and replace her with the veteran Alain Juppe. Additionally, Paris has its own Muslim population to consider, including a sizable Tunisian minority — though nowhere near as large as its Algerian minority — of around 600,000 people. This audience had a particularly negative reaction to Paris’ handling of the revolution in Tunisia.

The French intervention is more than just overcompensation for an initially disastrous handling of what Europe now perceives as a groundswell of agitation for democracy in the Arab world. Rather, Sarkozy has a history of using aggressive foreign relation moves to gain or maintain popularity at home. In August 2008, for example, he attempted and succeeded in negotiating a Russo-Georgian cease-fire without being invited to be a peacemaker. After the September 2008 financial crash, he called for a new “Bretton Woods.” While to the rest of the world “Super Sarko” seems impulsive and perhaps even arrogant, at home these moves boost his popularity, at least among his existing supporters. Sarkozy could use such a boost, as the French presidential election is barely more than a year away and he is trailing not just the likely Socialist candidate, but also far-right candidate Marine Le Pen. His supporters are beginning to gravitate toward Le Pen, who has worked hard to smooth over her father’s hard-right image. This could prompt Sarkozy’s party to choose a different candidate before it is too late, particularly as his own prime minister, Francois Fillon, gains ground.

There is more at play for France than just domestic politics, however. France also is reasserting its role as the most militarily capable European power. This has become particularly important because of developments in the European Union over the past 12 months. Ever since the eurozone sovereign debt crisis began in December 2009 with the Greek economic imbroglio, Germany has sought to use the power of its purse to reshape EU institutions to its own liking. These are the same institutions France painstakingly designed throughout and immediately after the Cold War. They were intended to magnify French political power in Europe and later offer Berlin incentives that would lock united Germany into Europe in a way that also benefited Paris.

Germany has worked to keep France appraised of the reforms every step of the way, with German Chancellor Angela Merkel huddling with Sarkozy before every major decision. However, this has not concealed the reality that Paris has had to take a backseat and accept most of Germany’s decisions as a fait accompli, from the need to pursue severe austerity measures, which caused widespread rioting in France in October 2010, to largely giving Berlin control over the new bailout mechanisms being designed to support lagging eurozone member states. This shift has not gone unnoticed by the French public, and criticism has been leveled against Sarkozy of having been reduced to Merkel’s yes-man.

The intervention in Libya therefore is a way to reassert to Europe, but particularly to Germany, that France still leads the Continent on foreign and military affairs. It is a message that says if Europe intends to be taken seriously as a global power, it will need French military power. France’s close coordination with the United Kingdom also is an attempt to further develop the military alliance between London and Paris formalized on Nov. 2, 2010, as a counter to Germany’s overwhelming economic and political power in the European Union.

In asserting its strength, Paris may cause Berlin to become more assertive in its own right. With the very act of opposing the Franco-British consensus on Libya, Berlin already has shown a level of assertiveness and foreign policy independence not seen in some time. In a sense, France and the United Kingdom are replaying their 19th century roles of colonial European powers looking to project power and protect interests outside the European continent, while Berlin remains landlocked behind the Skagerrak and concentrates on building a Mitteleuropa.

As for interests in Libya, France has plenty, but its situation could be improved. French energy major Total SA is involved in Libya but not to the same extent as Italian ENI or even German Wintershall. Considering Libya’s plentiful and largely unexplored energy reserves, French energy companies could stand to profit from helping rebels take power in Tripoli. But it is really military sales that Paris has benefited from thus far. Between 2004 — when the European Union lifted its arms embargo against Libya — and 2011, Tripoli has purchased approximately half a billion dollars worth of arms from France, more than from any other country in Europe. However, the Italian government was in negotiation for more than a billion dollars worth of more deals in 2010, and it seemed that the Rome-Tripoli relationship was overtaking Paris’ efforts in Libya prior to the intervention.

United Kingdom

London has not been as aggressive about pushing for the Libya intervention as France, but it still has been at the forefront of the coalition. For the United Kingdom, the domestic political component is not as strong as its energy interests.

British Prime Minister David Cameron’s government initially came under strong criticism for being slow to evacuate British nationals from Libya. Nick Clegg, the deputy prime minister and leader of the coalition Liberal Democratic Party, was on a ski vacation in Switzerland when the crisis in Libya began and later told a reporter he “forgot” he was running the country while Cameron was on a trip to the Persian Gulf states. Later, the rebels seized a Special Air Service diplomatic security team, dispatched on a diplomatic mission to establish contact with anti-Gadhafi forces in eastern Libya, because they did not announce their presence in the country.

Therefore, the United Kingdom is motivated to recover leadership of the intervention after an otherwise-bungled first few weeks of the unrest. There is also, as with most of the Western countries, a sense that decades of tolerating and profiting from Arab dictators has come to an end and that the people in the United Kingdom will no longer accept such actions.

London has another significant interest, namely, energy. British energy major BP has no production in Libya, although it agreed with Tripoli to drill onshore and offshore wells under a $1 billion deal signed in 2007. The negotiations on these concessions were drawn out but were finalized after the Scottish government decided to release convicted Lockerbie bomber Abdel Baset al-Megrahi on humanitarian grounds in August 2009. He was expected to die of prostate cancer within months of his release but presumably is still alive in Tripoli. The Labour government in power at the time came under heavy criticism for al-Megrahi’s release. British media speculated, not entirely unfairly, that the decision represented an effort to kick-start BP’s production in Libya and smooth relations between London and Tripoli. BP announced in 2009 that it planned to invest $20 billion in Libyan oil production over the next 20 years.

The May 2010 Macondo well disaster in the Gulf of Mexico has made BP’s — and London’s — Libya strategy even more urgent. The United States accounted for a quarter of BP’s total hydrocarbon production in 2010. The disaster cost BP $17.7 billion worth of losses in 2010, and the company also has had to set up a $20 billion compensation fund. Estimates of potential further spill-related costs range between $38 billion and $60 billion, making BP’s future in the United States uncertain. The disaster also allowed BP’s competitors to complain about its potential future offshore operations, something Italian Foreign Minister Franco Frattini stressed, arguing that until the investigation into the Macondo well disaster is completed, BP should refrain from drilling off Libya’s shore in the Mediterranean Sea. The complaint was more than likely an attempt by ENI to complicate BP’s Libya operations by questioning its environmental record in North America.

Ultimately, London could gain the most by the removal of Gadhafi or winning the allegiance of a rebel-controlled government in some kind of semi-independent state in eastern Libya. With no oil production in Libya and arms sales that lag those of France and Italy by a considerable margin, the United Kingdom could substantially benefit from new leadership in Tripoli or even just Benghazi.

Exit Strategies

In sum, the United Kingdom and France have two main points to consider in terms of what would be an appropriate strategy to the current intervention. First, how palatable will it be for their publics if Gadhafi remained in power after the considerable vilification that justified the intervention in the first place? It is true that both Paris and London have in recent days stepped back from arguing that the military intervention is supposed to oust Gadhafi, but that tempered rhetoric may have been forced on them by criticism from within the coalition that they have overstepped the U.N. mandate. British Defense Secretary Liam Fox said March 21 that the direct targeting of Gadhafi by coalition forces was a possibility. 


Second, will France and the United Kingdom be satisfied with a solution in which Gadhafi withdraws to the west and rebels take control of the east? The United Kingdom and France could live with that solution because they would still benefit from their patronage of the eastern rebels in both new arms deals and energy deals in the oil-rich east. For Italy, the situation is more complex, as it would be left to deal with an indignant Gadhafi across the Mediterranean.

Next: Italy has far “more to lose” than anyone else involved in the American-European coalition. Italy’s business, energy and national security interests are directly impacted by what happens in Libya.

Voir enfin:

Irak Le terrorisme par les chiffres

27/01/2008

Les Saoudiens et les Libyens constituent le plus gros des contingents de terroristes étrangers qui sont entrés en Irak de juillet 2006 à août 2007. C’est ce que vient de révéler une étude rendue publique sur Internet par le Combating Terrorist Center (CTC), de la célèbre université américaine West Point.

L’étude contient des informations sur les terroristes qui ont rejoint l’Irak via la Syrie durant la période allant de juillet 2006 à août 2007. L’étude présente des dossiers sur ces terroristes étrangers, à savoir leurs pays et villes d’origine, leur âge, leur profession, les noms de leurs agents recruteurs et même l’itinéraire qu’ils ont pris pour rejoindre l’Irak. L’étude précise que les dossiers de ces terroristes ont été récupérés par les forces de la coalition en octobre 2007 suite à un raid près de la ville de Sinjar le long de la frontière avec la Syrie.

Dans ce rapport, le CTC révèle que la plupart des terroristes étrangers en Irak sont d’origine saoudienne. Sur les 595 dossiers cités dans cette étude, 244 étrangers viennent d’Arabie Saoudite, ce qui représente 41%. La Libye avec 112 combattants, ce qui représente 18,8%, vient en seconde position. Ces deux pays sont suivis par la Syrie qui vient en troisième position avec 49 terroristes, soit 8,2%, puis le Yémen avec 48 terroristes, soit 8,1%. Outre la Libye, deux autres pays du Maghreb sont cités dans cette étude. L’Algérie avec 43 terroristes, soit 7,2%, vient en cinquième position suivie en sixième position par le Maroc avec 36 terroristes, soit un pourcentage de 6,1. La Jordanie avec 11 terroristes, soit 1,9%, occupe la septième place.

Dans l’une des observations faites par le Combating Center, il est souligné l’importance du contingent de terroristes libyens qui a toujours été sous-estimé dans les précédents rapports. Abordant le volet inhérent aux villes d’origine des terroristes, l’étude relève que sur les 591 dossiers, 440 contenaient des informations sur les quartiers et les villes des différents contingents qui ont rejoint l’Irak. 52 terroristes viennent de Darnah en Libye, 51 de Ryadh en Arabie Saoudite, 43 autres de la ville libyenne de Benghazi et 21 terroristes de Casablanca au Maroc.

Contrairement aux idées reçues, le rapport souligne que la moyenne d’âge de ces terroristes se situe entre 24 et 25 ans. La majorité d’entre eux sont des universitaires. En grande partie, ce sont les opérations kamikazes qui leur sont confiées. Aussi, lit-on dans ce rapport que 56,3%, soit 217, sont des kamikazes et 1,8%, soit 6, sont chargés des volets juridiques, médiatiques et de la médecine.

Toujours selon ce même rapport qui cite une récente étude, sur 94 opérations kamikazes perpétrées en Irak, 44 étaient l’oeuvre de Saoudiens, 7 de Koweïtiens, 6 de Syriens et le reste de kamikazes originaires du Proche-Orient ou d’Afrique du Nord. L’étude précise que ce sont beaucoup plus les Marocains et les Libyens qui rallient les opérations kamikazes.

Enfin, le CTC a annoncé l’élaboration d’une étude plus approfondie sur les terroristes étrangers en Irak en 2008.

Voir enfin:

Libyan rebel commander admits his fighters have al-Qaeda links

Abdel-Hakim al-Hasidi, the Libyan rebel leader, has said jihadists who fought against allied troops in Iraq are on the front lines of the battle against Muammar Gaddafi’s regime.

Praveen Swami, Nick Squires and Duncan Gardham

25 Mar 2011

In an interview with the Italian newspaper Il Sole 24 Ore, Mr al-Hasidi admitted that he had recruited « around 25 » men from the Derna area in eastern Libya to fight against coalition troops in Iraq. Some of them, he said, are « today are on the front lines in Adjabiya ».

Mr al-Hasidi insisted his fighters « are patriots and good Muslims, not terrorists, » but added that the « members of al-Qaeda are also good Muslims and are fighting against the invader ».

His revelations came even as Idriss Deby Itno, Chad’s president, said al-Qaeda had managed to pillage military arsenals in the Libyan rebel zone and acquired arms, « including surface-to-air missiles, which were then smuggled into their sanctuaries ».

Mr al-Hasidi admitted he had earlier fought against « the foreign invasion » in Afghanistan, before being « captured in 2002 in Peshwar, in Pakistan ». He was later handed over to the US, and then held in Libya before being released in 2008.

US and British government sources said Mr al-Hasidi was a member of the Libyan Islamic Fighting Group, or LIFG, which killed dozens of Libyan troops in guerrilla attacks around Derna and Benghazi in 1995 and 1996.

Even though the LIFG is not part of the al-Qaeda organisation, the United States military’s West Point academy has said the two share an « increasingly co-operative relationship ». In 2007, documents captured by allied forces from the town of Sinjar, showed LIFG emmbers made up the second-largest cohort of foreign fighters in Iraq, after Saudi Arabia.

Earlier this month, al-Qaeda issued a call for supporters to back the Libyan rebellion, which it said would lead to the imposition of « the stage of Islam » in the country.

British Islamists have also backed the rebellion, with the former head of the banned al-Muhajiroun proclaiming that the call for « Islam, the Shariah and jihad from Libya » had « shaken the enemies of Islam and the Muslims more than the tsunami that Allah sent against their friends, the Japanese ».


Médias: Attention, une barbarie peut en cacher une autre (Armchair barbarism)

25 mars, 2011
The Fogel familySi je n’étais pas féministe et partisan de la parité au Parlement, je me serais dit que c’est exactement le genre de fille qu’on a envie de sauter entre deux portes en espérant qu’elle vous demande de lui donner des baffes avant de jouir pour pouvoir se mettre un instant dans la peau d’un sans-papiers macho et irascible. Libération
Pendant toutes les années du mitterrandisme, nous n’avons jamais été face à une menace fasciste, donc tout antifascisme n’était que du théâtre. Nous avons été face à un parti, le Front National, qui était un parti d’extrême droite, un parti populiste aussi, à sa façon, mais nous n’avons jamais été dans une situation de menace fasciste, et même pas face à un parti fasciste.D’abord le procès en fascisme à l’égard de Nicolas Sarkozy est à la fois absurde et scandaleux. Je suis profondément attaché à l’identité nationale et je crois même ressentir et savoir ce qu’elle est, en tout cas pour moi. L’identité nationale, c’est notre bien commun, c’est une langue, c’est une histoire, c’est une mémoire, ce qui n’est pas exactement la même chose, c’est une culture, c’est-à-dire une littérature, des arts, une’ la philo’les philosophies. Et puis c’est une organisation politique avec ses principes et ses lois. Quand on vit en France, j’ajouterai : l’identité nationale, c’est aussi un art de vivre, peut-être, que cette identité nationale. Je crois profondément que les nations existent, existent encore, et en France, ce qui est frappant, c’est que nous sommes à la fois attachés à la multiplicité des expressions qui font notre nation, et à la singularité de notre propre nation. Et donc ce que je me dis, c’est que s’il y a aujourd’hui une crise de l’identité, crise de l’identité à travers notamment des institutions qui l’exprimaient, la représentaient [Jospin emploie l’imparfait…], c’est peut-être parce qu’il y a une crise de la tradition, une crise de la transmission. Il faut que nous rappelions les éléments essentiels de notre identité nationale parce que si nous doutons de notre identité nationale, nous aurons évidemment beaucoup plus de mal à intégrer. Lionel Jospin (France Culture, 29.09.07)
On nous dit qu’au Rwanda, la France aurait commis une “faute politique”. C’est trop ou trop peu. De quelle faute s’agit-il? Il faut l’expliquer! Aurions-nous, par exemple, pris systématiquement le parti d’un camp contre l’autre, des Hutus contre les Tutsis? C’est une contre-vérité. Pendant la période où j’ai conduit la diplomatie française (d’avril 1993 à mai 1995), nous avons fait tous les efforts possibles pour aider à la réconciliation des Rwandais. (…)  l’opération Turquoise (…) a parfaitement accompli la mission qui lui avait été assignée, dans les conditions de temps et de lieu prévues. La présence de l’armée française a permis de sauver des dizaines de milliers de vie et d’arrêter le flux de plusieurs millions de personnes qui fuyaient vers le Zaïre voisin (devenu République Démocratique du Congo). Son intervention est à l’honneur de la France. Dès lors, de quelle faute nous parle-t-on? (…) La diplomatie française ne devrait pas s’écarter de la voie de la vérité et de la dignité.  Alain Juppé (27.04.08)
Je ne comprends plus (…) de voir les autorités israéliennes, apparemment soutenues par l’immense majorité de leurs citoyens, se fourvoyer à ce point. Où donc l’attaque sauvage qu’elles mènent contre Gaza peut-elle les mener? Il y a d’abord la morale. Les écoles de l’ONU ou les convois humanitaires constituent-ils des objectifs militaires? Et que répondre aux responsables du Comité International de la Croix-Rouge (CICR) quand ils déclarent: “L’armée israélienne n’a pas respecté ses obligations requises par le droit international humanitaire. Le retard dans l’autorisation d’accès aux services de secours est intolérable.”  Les images qui nous montrent des enfants blessés, des enfants morts ne sont pas des montages médiatiques! (…) L’isolement dans lequel Israël risque de s’enfermer est suicidaire. Le conseil de sécurité des Nations Unies vient d’adopter à l’unanimité, à l’exception des Etats-Unis qui n’ont pas voté contre mais se sont abstenus, la résolution 1860 qui demande un cessez le feu immédiat. Ce devrait être le signal, pour le gouvernement israélien, que maintenant, c’est assez. Alain Juppé
La France condamne avec la plus grande fermeté (…) cet acte barbare » contre des citoyens par ailleurs français … (mais) condamne tout acte de violence dans les territoires occupés et appelle à la plus grande retenue afin d’empêcher la dégradation de la situation (…) La recherche de la paix par la négociation doit prévaloir. Le Quai d’Orsay 
As anticipated, the moral depravity of the Arabs is finding a grotesque echo in the moral bankruptcy and worse of the British and American ‘liberal’ media – a sickening form of armchair barbarism which is also in evidence, it has to be said, on the comment thread beneath my post below.  (…) To the New York Times, it’s not the Arab massacre of a Jewish family which has jeopardised ‘peace prospects’ – because the Israelis will quite rightly never trust any agreement with such savages – but instead Israeli policy on building more homes, on land to which it is legally and morally entitled, which is responsible instead for making peace elusive. Twisted, and sick. Melanie Phillips

Vous avez dit « sauvages »?

A l’heure où nos serveurs de soupe des suppôts de Castro, Chavez ou du Hamas à la Mélenchon ou Besancenot tentent de nous refaire le coup de l’union sacrée voire se lâchent complètement face au  prétendu fascisme de Marine Le Pen …

Pendant qu’aveuglés par leur soudain engouement pour les crieurs d’Allah Akbar financés et soutenus comme les autres par les propriétaires de Jihad TV, nos révolutionnaires en chambre n’ont pas de mots assez durs, entre deux empoignades pour diriger leur guerre, pour les néoconservateurs dont ils ne font que reprendre le wilsonisme botté (eux au moins avaient l’ « excuse » d’avoir éliminé l’un des plus sanguinaires tyrans de la planète)  …

Et que le même ministre des Affaires étrangères qui avait en son temps soutenu les génocidaires houtous se permet à présent, au moment où il bombarde la Libye ou l’Afghanistan, de donner des leçons de morale à un pays dont le seul tort est de s’obstiner à refuser de contribuer à  sa propre disparition … 

Retour avec la blogueuse britannique Melanie Phillips tout récemment épinglée par la Commission de déontologie de la presse de son pays, pour avoir osé dénoncer

Derrière la barbarie des égorgeurs de bébés (pardon: des « colons » de 3 mois, par, s’il vous plait, les « modérés » du Fatah), la peut-être plus sournoise encore  barbarie de nos salles de rédaction  …

Armchair barbarism

Melanie Phillips

The Spectator

 13th March 2011

Today the massacred Fogel family was buried in Jerusalem. And as anticipated, the moral depravity of the Arabs is finding a grotesque echo in the moral bankruptcy and worse of the British and American ‘liberal’ media – a sickening form of armchair barbarism which is also in evidence, it has to be said, on the comment thread beneath my post below.

Overwhelmingly, the media have either ignored or downplayed the atrocity – or worse, effectively blamed the victims for bringing it on themselves, describing them as ‘hard-line settlers’ or extremists. Given that three of the victims were children, one a baby of three months whose throat was cut, such a response is utterly degraded.

The New York Times blamed Israeli ‘defiance’ over renewed ‘settlement’ building in the wake of the massacre for throwing already shaky peace efforts into a new tailspin.

So to the New York Times, it’s not the Arab massacre of a Jewish family which has jeopardised ‘peace prospects’ — because the Israelis will quite rightly never trust any agreement with such savages — but instead Israeli policy on building more homes, on land to which it is legally and morally entitled, which is responsible instead for making peace elusive. Twisted, and sick.

 

Both CNN and the BBC, meanwhile, along with Harriet Sherwood in the Guardian, gave the impression that this was not a terrorist attack but the actions of an ‘intruder’ — for all the world as if this was a burglary that got out of hand. CNN said:

Five members of an Israeli family were killed in the West Bank early Saturday morning in what the Israeli military is calling a ‘terror attack’…According to a military spokeswoman, an intruder entered the Israeli settlement of Itamar near the northern West Bank city of Nablus around 1 am, made his way into a family home and killed two parents and their three children.

The BBC similarly reported:

The family – including three children — were stabbed to death by an intruder who broke into their home, Israeli media reported…

Honest Reporting finds the BBC treatment of this massacre, all but burying the details of the attack on the Fogel family beneath a story about those wicked settlements, the most shocking and callous of all this dreadful coverage.

For those who don’t appreciate the role played by the ‘moderate’ PA in glorifying terrorism and inciting the mass murder of Israelis, Palestinian Media Watch has assembled some recent examples here – including the award by Abbas of $2000 to the family of a terrorist who attacked and tried to kill Israeli soldiers two months ago.

(Graphic pictures of the bodies of the slain Fogel family are circulating on the net and on YouTube. The relatives of the massacre victims have made them publicly available in order to show the world the full horror of the Arab barbarism in Itamar.  However, I have decided not to link to these pictures. The reported wishes of a distraught family cannot in my view justify what is inescapably a gratuitous invasion of the privacy and dignity of the dead. But read this, and weep.)

What is being deliberately ignored through this travesty of reporting is not just the human tragedy of this terrible massacre. It is the politically crucial fact that it was apparently carried out not by Hamas but by the Al Aqsa Martyrs’ Brigade, the terrorist wing of Fatah. Fatah is the party of Mahmoud Abbas, the Holocaust denier who is the allegedly ‘moderate’ Chairman of the PA – and who not surprisingly couldn’t even bring himself to express unequivocal horror at the atrocity.

This diabolical deed therefore gives the lie to all those who have been supporting, promoting and funding the PA as ‘moderates’ who deserve a state of their own. The fact is that America, Britain and the EU have been not only promoting this bunch of neo-Nazi fanatics and baby murderers. They have also been forcing their putative victim, Israel, to offer them its own throat to be cut, along with that of Jewish babies. And these craven governments in turn are being egged on by the bigots, useful idiots and worse of the British, European and — it has to be said loud and clear — Israeli ‘liberal’ intelligentsia.

Truly, this is beyond desolation.


Printemps arabe: Les filles préfèrent les garçons sanctionnés (Blame it on the girls!)

19 mars, 2011
Les organisations humanitaires et une partie de la gauche occidentale, l’extrême gauche surtout, souffrent d’un complexe post-colonial. Les anciens colonisés sont perçus comme des victimes absolues, pour les uns, comme la force motrice de l’histoire, pour les autres. Ils jouissent d’un droit intangible à la bienveillance morale et au soutien politique, quoi qu’ils disent et quoi qu’ils fassent. Le fanatisme est permis, pourvu qu’il soit tiers-mondiste. La discrimination est justifiée, à condition qu’elle soit pratiquée dans un pays d’Afrique ou d’Asie. Le massacre est excusable, quand il est commis par des États non-européens. On a déjà assisté à cette même veulerie face aux haines, à cette même incapacité à voir le Mal, dans d’autres contextes historiques. Qu’on se souvienne de la complaisance des communistes européens, et notamment français, face à la terreur stalinienne et au goulag. Qu’on se souvienne aussi de l’indulgence de la gauche pacifiste française face à l’Allemagne nazie des années 1930. L’Allemagne était perçue comme victime du militarisme français et du traité de Versailles… Sous l’Occupation, de nombreux collaborateurs enthousiastes, et de très haut rang, proviendront de cette gauche pacifiste et humanitaire.
La politique d’apaisement vis-à-vis de l’Iran d’Ahmadinejad est fondée sur la même incompréhension que celle qui fut menée face à Hitler à la fin des années 1930, par l’Angleterre et la France. Ce prétendu réalisme, au nom duquel il faut faire des concessions et pratiquer l’ouverture, procède certes d’un réflexe très humain. Mais il témoigne d’une méconnaissance profonde de l’adversaire. On est en face, dans les deux cas, d’une machine de guerre très habile et très bien organisée, qui connaît et qui exploite fort bien les faiblesses de l’Occident démocratique. Il faut laisser Obama tendre la main à l’Iran, mais il comprendra vite – s’il est intelligent, et je crois qu’il l’est -, à qui il a affaire. Simon Epstein
J’ai le meilleur emploi que je pourrais imaginer. Et il n’y a rien que que je puisse imaginer après cela qui serait aussi exigeant, aussi difficile ni aussi gratifiant. [Après 2012] je retournerai sans doute à un travail de défense des droits, en particulier pour les femmes et les enfants dans le monde. Hillary Clinton
Paris a donné l’impression d’un comportement de matamore. Comme s’il s’agissait de l’emporter dans une course à l’affichage de la position la plus anti- Kadhafi qui soit. Le Monde
Le privilège masculin est aussi un piège et il trouve sa contrepartie  dans la tension et la contention permanentes, parfois poussées jusqu’à l’absurde, qu’impose à chaque homme le devoir d’affirmer en toute circonstance sa virilité. (…) Tout concourt ainsi à faire de l’idéal impossible de virilité le principe d’une immense vulnérabilité. C’est elle qui conduit, paradoxalement, à l’investissement, parfois forcené, dans tous les jeux de violence masculins, tels dans nos sociétés les sports, et tout spécialement ceux qui sont les mieux faits pour produire les signes visibles de la masculinité, et pour manifester et aussi éprouver les qualités dites viriles, comme les sports de combat. Pierre Bourdieu 
Les filles déclarent franchement qu’elles préfèrent les garçons qui sont sanctionnés : ce sont les rebelles, les durs, ils sont virils. Elles disent que les autres les ennuient : ce sont les intellos, les bouffons, ils sont trop sages. Les filles aiment bien les garçons qui sont étiquetés comme dominants. C’est bien d’être regardée par un garçon dominant. Les filles composent un public, et ainsi encouragent les garçons.
La sanction permet un passage symbolique, l’entrée dans le groupe des garçons dominants. Il y a un peu de souffrance : des admonestations du CPE [conseiller principal d’éducation, ndlr], des parents, mais cela fait partie du rite. Et finalement, c’est une consécration. Les garçons avouent d’ailleurs en tirer un immense plaisir, ils parlent «d’adrénaline», «d’excitation». Tout cela leur sert à se démarquer du féminin, et à l’intérieur du groupe des garçons, à se démarquer des «faibles». Cela leur sert à montrer qu’ils sont dominants et hétérosexuels. Ce rite leur permet d’être en conformité avec les normes ; d’être un « vrai » garçon. Il y a d’ailleurs des concours de celui qui aura le plus d’heures de colle. Quand un garçon se fait exclure du collège, le lendemain, il est devant l’établissement avec ses copains agglutinés tout autour de lui. Comme un héros. Comme un petit caïd auréolé de sa gloire. Tout cela grâce à la sanction. Sylvie Ayral

Et si les sanctions contre Kadhafi renforçaient ce qu’elles prétendent combattre?

A l’heure où, après avoir arraché de justesse et trois semaines après le début de l’insurrection un vote de sanctions militaires contre le caïd libyen, même Hillary se désespère du « Président-présent » (abonnés aux votes « présent »pour ne pas se mouiller) censé être à la tête du Monde libre …

Pendant que, contre Mme Merkel et pour avoir enfin décidé de faire suivre les belles paroles aux crieurs d’Allah akbar libyens par des actes (et après leur avoir discrètement livré des canons anti-aériens  au beau milieu d’un fret humanitaire !), notre Sarko national se voit traiter de « matamore » par notre quotidien de révérence …

Confirmation, avec la sortie du livre de la spécialiste en éducation Sylvie Ayral sur  la sursanction et sa contribution à la virilisation de nos garçons (« La Fabrique des garçons« ), de ce que nombre d’entre nous avions longtemps soupçonné.

A savoir que… ce sont les filles en fait qui préfèrent les garçons sanctionnés!

« La sanction renforce les identités viriles »

Interview

Éducation. Sylvie Ayral, chercheure, a analysé 6 000 punitions infligées à des collégiens. Résultat : plus de 80% concernent des garçons, qui s’en enorgueillissent:

Charlotte Rotman

Libération

11/03/2011

Plus de 80% des élèves punis au collège sont des garçons. Pourquoi ? Par quel processus ? Avec quels effets ? Sylvie Ayral a été institutrice pendant quinze ans en milieu rural, elle est aujourd’hui professeur d’espagnol dans un collège et docteur en sciences de l’éducation. Elle a enquêté dans cinq collèges de Gironde aux profils variés : rural, ZEP, périurbain plutôt favorisé, défavorisé du centre-ville avec de nombreux élèves issus de l’immigration et, enfin, un établissement privé à fort taux de réussite scolaire. Elle y a épluché les registres et plus de 5 842 sanctions pour arriver à ces chiffres édifiants : 83% des punitions pour indiscipline sont le fait de garçons, et 91% quand il s’agit d’atteinte aux biens et aux personnes. Plus la transgression est grave, plus les garçons sont représentés. Dans un livre percutant, intitulé la Fabrique des garçons (1), Sylvie Ayral montre comment, loin d’atteindre leurs objectifs, les punitions sont contre-productives. Et renforcent les identités de genre et la domination masculine.

Les garçons sont les plus punis; comment les enseignants l’expliquent-ils ? La faute aux hormones ?

J’ai beaucoup entendu cela : «C’est les gènes, les hormones.» Beaucoup invoquent la nature : c’est «comme ça». On parle d’instinct masculin. On dit que les garçons sont plus agressifs que les filles. Ces réponses, très nombreuses, sont savoureuses. Pour les enseignants, il y a deux catégories : les garçons bourrés de testostérone, et les filles supposées être plus calmes. On n’invoque pas seulement la biologie. J’ai aussi entendu des explications qui relèvent de la psychologie et de la psychanalyse. L’autorité est considérée par nature comme masculine. L’institution scolaire va alors se substituer au père absent et remettre le garçon dans le droit chemin, grâce à la punition. La fonction maternelle est toujours dévalorisée, et les familles monoparentales, pathologisées. On pense qu’un vrai garçon doit se frotter à l’autre et chercher la transgression.

Et les filles ?

Elles ne sont pas punies pour les mêmes raisons que les garçons : c’est davantage pour des bavardages, un cahier oublié, l’usage du portable ou de l’iPod en cours. On n’est pas dans les mêmes registres. J’entends dire que les filles sont de plus en plus violentes ; de ce que j’ai vu, c’est faux. Sur 6 000 sanctions, seules six concernent des violences commises par des filles. En fait, on ferme souvent les yeux sur la violence des garçons : quand on traverse la cour d’un collège, on trouve normal les attroupements de garçons, un coup de pied par ci, un coup-de-poing par là, c’est presque rassurant. Alors que la violence des filles, elle, paraît aberrante. Elle ne correspond pas aux attentes et est donc immédiatement repérée.

Que disent-elles du comportement des garçons ?

Les filles déclarent franchement qu’elles préfèrent les garçons qui sont sanctionnés : ce sont les rebelles, les durs, ils sont virils. Elles disent que les autres les ennuient : ce sont les intellos, les bouffons, ils sont trop sages. Les filles aiment bien les garçons qui sont étiquetés comme dominants. C’est bien d’être regardée par un garçon dominant. Les filles composent un public, et ainsi encouragent les garçons.

La sanction serait donc «une médaille de virilité» ?

Elle permet un passage symbolique, l’entrée dans le groupe des garçons dominants. Il y a un peu de souffrance : des admonestations du CPE [conseiller principal d’éducation, ndlr], des parents, mais cela fait partie du rite. Et finalement, c’est une consécration. Les garçons avouent d’ailleurs en tirer un immense plaisir, ils parlent «d’adrénaline», «d’excitation». Tout cela leur sert à se démarquer du féminin, et à l’intérieur du groupe des garçons, à se démarquer des «faibles». Cela leur sert à montrer qu’ils sont dominants et hétérosexuels. Ce rite leur permet d’être en conformité avec les normes ; d’être un «vrai» garçon. Il y a d’ailleurs des concours de celui qui aura le plus d’heures de colle. Quand un garçon se fait exclure du collège, le lendemain, il est devant l’établissement avec ses copains agglutinés tout autour de lui. Comme un héros. Comme un petit caïd auréolé de sa gloire. Tout cela grâce à la sanction.

Les sanctions sont demandées majoritairement par des femmes (à 74%). Pourquoi ?

Parce que les femmes sont des cibles privilégiées. Comme cette assistante d’éducation qui demande à un élève de ramasser un papier et qui se voit répondre : «Tu as tes règles ou quoi ?» L’élève la «rabaisse» à sa condition de femme. C’est lui qui a le dernier mot. Mais ces épisodes ne sont jamais analysés comme ça. Les femmes ne les voient pas comme un rapport social de sexe. Elles vont se dire «je suis nulle comme prof». Dans les rapports de sanction que j’ai examinés, pas une seule fois on ne parle de propos sexiste ou homophobe. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y en a pas. Seulement, ils ne sont pas repérés comme tels. Alors que les propos ou les agissements racistes, oui.

Comment se comportent les profs hommes ?

Les enseignants ont deux types d’attitude. S’ils ont la carrure physique, une grosse voix, des muscles, ils arrivent à imposer un respect parce que les élèves, spontanément, leur attribuent une autorité naturelle. Ces enseignants, quand ils ont un ou deux élèves qui les chahutent, interviennent tout de suite sur le plan de la virilité. Ils entretiennent le fantasme de la confrontation physique. Il suffit d’un regard parfois. Pour ceux qui ont un problème d’autorité, c’est indicible, c’est la honte. Comme s’ils étaient déclassés, des sous-hommes, des tapettes. Soit ils deviennent très sympas, pour éviter le conflit, soit ils rasent les murs et dépriment. Ils n’en parlent pas, alors qu’une femme qui a des difficultés s’épanche plus facilement en salle des profs.

Si les punitions sont contre-productives, faut-il arrêter d’en donner ?

Le problème, c’est qu’elles renforcent ce qu’elles prétendent combattre. Elles sont censées apprendre à l’élève qu’il y a une loi qui s’applique à tous, qu’il est un futur citoyen. En fait, la sanction disciplinaire telle qu’elle est pratiquée est aux antipodes de cela. Elle consacre et renforce les identités viriles. Au lieu de parler de tolérance zéro, on aurait tout intérêt à adoucir les choses. A se pencher sur les relations entre garçons et filles : faire des ateliers de parole, travailler sur une mixité active dès la maternelle, analyser comment les injures sont construites et former les enseignants pour cela. Sinon, cela continuera à pourrir le quotidien des classes et à reproduire une société dominée par les valeurs viriles.

(1) Ed. PUF, mars 2011, 224 pp., 24 euros.

Voir aussi:

« La punition n’a jamais incité un élève à travailler »

Sylvie Ayral est professeure d’espagnol au collège et docteur en science de l’éducation. Elle publie «La fabrique des garçons» (Ed.PUF), une analyse de 6000 punitions infligées à des collégiens. Elle a répondu à vos questions.

Libération

17/03/2011
 
 

Idée. Quel a été pour vous le point de départ de cette recherche?
 
 
 

 

 

Sylvie Ayral. J’ai été institutrice pendant quinze ans, avant d’être enseignante au collège. A l’époque, j’enseignais dans des classes uniques, dans lesquelles je travaillais par pédagogie coopérative – c’est-à-dire, les élèves avaient des âges différents, donc des niveaux différents. Ils s’entraidaient, participaient à l’élaboration des projets, ainsi qu’à des ateliers de réflexion -. Ensuite, je suis arrivée en collège où j’ai été carrément choqué de voir que les élèves travaillaient constamment sous la menace. Qu’ils étaient punis s’ils ne faisaient pas leur travail, s’ils ne le remettaient pas à temps, s’ils avaient un comportement inadapté. En fait, ce qui m’a interpellé. On aurait dit que la seule solution, c’était: la punition.

KimJongStin. Quelles méthodes utilisiez-vous pour remplacer la punition, dans des cas ou un autre enseignant aurait puni l’élève?

Pour ma part, j’ai toujours essayé de privilégier le dialogue et l’analyse de la situation, ou du conflit.

Dalila 09. Que faudrait-il faire pour obliger un élève à travailler s’il n’y a plus de punitlons?

La punition n’a jamais incité un élève à travailler, tout au plus à copier sur ses copains pour ne pas être puni. On n’apprend jamais sous la menace, on ne fait que se soumettre.

Rachida. Les punitions sont efficaces, ne vous en déplaise, sinon un procédé qui est employé depuis la nuit des temps dans toutes les écoles du monde aurait disparu depuis bien longtemps. Qu’en pensez-vous?

Toute la pédagogie Freinet, et la pédagogie institutionnelle a démontré le contraire. On apprend quand on a envie d’apprendre et certainement pas sous la menace.

Delia95. Si un élève vous insulte, comment réagir avec distance sans passer par la punition?

Je le prends tout seul, pas devant le groupe classe qui constitue un public, et qui pousse à sauver la face. J’essaye de travailler avec lui sur ce qu’il a ressenti, son émotion. J’essaye de lui faire formuler sa colère, pour l’amener vers le décalage qui existe entre son émotion de départ, et le mot qu’il a prononcé, qui, en général, est de connotation sexiste. Il a le droit d’être en colère, je ne remets pas en question ce sentiment, mais j’essaye de lui faire comprendre qu’il peut l’exprimer autrement que par des injures.

KimJongStin. Comment les élèves, habitués aux méthodes traditionnelles, réagissent aux méthodes dont vous parlez?

En général, très bien. Cela apaise tout le monde, cela apaise considérablement les relations. Cela libère la parole dans les deux sens. Les élèves aiment parler des relations humaines, et des émotions qui les concernent.

Oahn. Cette méthode marche-t-elle à tous les coups?

Je ne suis pas un pompier de l’éducation. Ce n’est pas une méthode miracle, une solution toute faite. C’est un processus très long de déconstruction de nos façons de fonctionner. C’est quelque chose sur du très long terme. On ne peut plus continuer à fonctionner de cette façon-là, on n’est plus dans la même société. L’enseignant n’est plus détenteur d’un savoir qu’il transmet de façon vertical. Internet en sait beaucoup plus que n’importe quel enseignant, il faut fonctionner de façon horizontal, c’est-à-dire accompagner les élèves dans l’accès à toutes ces informations. Les guider, être une référence, mais non plus un prof surplombant et dominant, tous ces modèles ne fonctionnent plus. On se détruit tous à vouloir continuer à fonctionner comme cela, c’est un carcan qui génère d’immenses souffrances aussi bien chez les élèves que chez les enseignants.

Delia95. Et si l’enfant refuse ce dialogue, refuse tout échange…

Il faut essayer, rééssayer… C’est parfois très, très, long. Cela peut parfois prendre plusieurs mois, voire une année, mais notre métier est d’essayer, et de réessayer encore, jusqu’à arriver à créer un pont, une accroche. En sachant que certains cas très graves ne sont pas de notre compétence, et relèvent d’une prise en charge extérieure (psychiatrique ou éducative).

Kiki. Certains élèves ne recherchent-ils pas une vraie sanction pour apprendre les limites? La force n’est -elle pas inconsciemment demandée par ses garçons en perte de père et donc de repères?

La société a changé. On continue à fonctionner sur un modèle patriarcal, issu du modèle freudien avec un père qui est là pour arracher l’enfant à la mère, alors que la société a complètement évolué, qu’il y a des familles monoparentales, des familles homoparentales qui vont parfaitement bien. Ce cadre d’analyse ne correspond plus à la société. On ne parle que des garçons en manque de père, ce qui prouve bien que l’on est dans le domaine de la construction sexuée. On ne parle jamais des filles en manquent de père, on ne parle que des garçons. Comme si, finalement, seuls les garçons avaient besoin de limites, et qu’elles ne pouvaient être posées que par un homme: le père. Plus que de limites, il me semble que les jeunes filles et les jeunes garçons ont, avant tout, besoin de références, sur lesquelles s’appuyer pour devenir adulte.

Feuille. Professeure d’EPS, les problèmes posés dans l’interview m’intéressent beaucoup (je n’ai pas lu encore le livre de Sylvie Ayral). J’ai deux questions:

Le travail fait autour, non de la sanction, mais de la faute commise par l’élève est-il susceptible de changer l’ordre sexué que vous évoquez?

Il me semble que la construction du sens de la responsabilité chez les collégiens s’associe à celle du narcissisme: or, pour reconnaître une faute, il faut que ce narcissisme soit assez solide. Les garçons sont-ils plus fragiles de ce point de vue dans l’école ?

Sur le long terme oui, si ce travail est fait tout au long des années de scolarité, ça a des effets extrêmement positifs. Et cela apaise les tensions, parce que ça évite une surconstruction de la virilité ou de la féminité au moment de la puberté. Je pense que la vulnérabilité des garçons vient de la construction de leur identité sexuée. C’est-à-dire qu’ils doivent en permanence, aux yeux de tous et de toutes, donner la preuve de leur virilité, et surtout de l’hétérosexualité. C’est-à-dire de se démarquer de tout ce qui est associé au féminin, y compris à l’intérieur de la catégorie garçon. D’où un narcissisme extrêmement fragile, et lié à l’approbation par les pairs

Lulu. Vérifier si les élèves ont préparé leur travail, leur donner un travail supplémentaire, les inciter certes au début à copier le travail, mais petit à petit aussi à le faire. On ne rend pas service aux élèves qui ne sont pas encadrés chez eux en ne les encadrant pas à l’école. Qu’en pensez-vous?

 Je suis tout à fait d’accord, il faut que les élèves puissent compter sur nous, à tout point de vue, pas seulement dans le travail scolaire, mais aussi, et peut-être surtout, dans leur construction d’être humain.


Angélisme: Cachez ce réel que je ne saurais voir ! (Some peace theories are often unrecognized bellicosity)

13 mars, 2011
The Nobel for Obama | Chappatte.comNous voulons, en un mot, remplir les vœux de la nature, accomplir les destins de l’humanité, tenir les promesses de la philosophie, absoudre la providence du long règne du crime et de la tyrannie. Robespierre
Nous sommes ici aujourd’hui parce que le printemps de Prague – parce que la quête, simple et légitime, de liberté et de perspectives d’avenir – a couvert de honte ceux qui s’appuyaient sur le pouvoir des tanks et des armes pour écraser la volonté du peuple. Nous sommes ici aujourd’hui parce que, il y a vingt ans, les gens de cette ville sont descendus dans la rue pour réclamer la promesse d’un jour nouveau et les droits humains fondamentaux qui leur avaient été refusés depuis bien trop longtemps. Sametová revoluce (la « révolution de velours ») nous a enseigné beaucoup de choses. Elle nous a montré qu’une protestation pacifique pouvait ébranler les fondations d’un empire et révéler la vanité d’une idéologie. Elle nous a montré que de petits pays pouvaient jouer un rôle pivot dans les événements du monde, et que des gens jeunes pouvaient montrer le chemin pour surmonter d’anciens conflits. Et elle a prouvé que le pouvoir moral était plus puissant que n’importe quelle arme. (…) Tout comme nous nous sommes dressés au XXe siècle pour défendre la liberté, nous devons nous dresser ensemble au XXIe siècle pour vivre libres de toute peur. Et en tant que puissance nucléaire – en tant qu’unique puissance nucléaire ayant eu recours à l’arme nucléaire -, les Etats-Unis ont la responsabilité morale d’agir. Nous ne pouvons réussir seuls dans cette entreprise, mais nous pouvons la conduire. Ainsi, aujourd’hui, j’affirme clairement et avec conviction l’engagement de l’Amérique à rechercher la paix et la sécurité dans un monde sans armes nucléaires. Ce but ne pourra être atteint avant longtemps, sans doute pas de mon vivant. Il faudra de la patience et de l’obstination. Mais maintenant, c’est à nous d’ignorer les voix qui nous disent que le monde ne peut pas changer. (…) Nous soutiendrons le droit de l’Iran à disposer d’une énergie nucléaire pacifique dans le cadre de contrôles rigoureux. Barack Hussein Obama (2009)
C’est la conception d’Obama pour le rôle des Etats-Unis dans le monde – de travailler avec les organisations multilatérales et les relations bilatérales de façon à être sûr que les mesures que nous prenons soient amplifiées. Ben Rhodes (porte-parole de la Maison Blanche pour la sécurité nationale)
L’Iran cherche à contacter les oppositions arabes pour influer sur l’issue des événements (…) bien que l’Iran n’ait pas de relations avec l’opposition, et dans certains cas de mauvaises relations avec les sunnites, avec les groupes de Frères musulmans ou d’autres groupes qui n’ont pas ses faveurs, il fait tout ce qu’il peut pour influer sur le résultat dans ces endroits. Hillary Clinton
Lorsqu’on est en désaccord profond avec quelqu’un, il faut lui parler directement. Barack Obama
Je pense aux frères. C’est ça la force du cinéma : quand on est cinéaste on peut mettre en lumière la parole de gens, la parole de frères, de moines ou d’autres personnes, on peut mettre cette parole en lumière et c’est une parole d’intelligence, c’est une parole qui dit simplement : il ne faut pas avoir peur des autres, il faut juste parler, et quand on se parle ça va. C’est un message de liberté, d’égalité et fraternité… Il y a des choses qui se passent en ce moment c’est un petit peu l’inverse, on se dit il faut avoir peur… Des choses immondes que j’entends, des remises de prix à des négationnistes, des choses immondes, des choses sournoises, comme Zemmour, ou des choses intolérables comme Hortefeux… [Applaudissements] Le cinéma français il est comme la France, il est divers, et je n’ai pas envie que dans la campagne électorale qui arrive, on dise du mal des Français musulmans. J’ai envie qu’on soit avec eux, c’est la leçon de ce film, et puis là je vais arrêter parce que je vais dire des bêtises…Xavier Beauvois
Combien de temps les Français supporteront-ils (…) de voir les bons apôtres de l’islam, du multiculturalisme et de l’immigration à tout crin, leur prêcher une théorie dont ils seraient bien incapables de vivre les applications ? Voilà des imbéciles qui croient que leur couleur leur donne le droit de crier plus fort que les autres ; des comédiennes au sein qui déborde, chantant les beautés du voile islamique ; des énarques qui envoient leurs gosses à l’Ecole Alsacienne, mais proposent des cours d’arabe à l’école publique ; des amuseurs publics qui vivent avenue Montaigne, et reprochent aux Français d’avoir peur dans le métro. Voilà ceux qui nous jugent aujourd’hui, voilà ceux qui, paradant derrière des micros, nous donnent des leçons, voilà ceux qui se promettent de foutre en l’air notre existence, sûrs d’être, quant à eux, totalement protégés des vicissitudes du commun des mortels. Malheur (…) à quiconque ose aujourd’hui refuser les raisonnements simplistes et les admirations obligatoires. Antigone (Riposte laïque)
Xavier Beauvois est à ce point imprégné par le pathos ambiant qu’il ne voit pas ce qu’il montre. Ce qu’il montre c’est quoi ? C’est l’échec du dialogue face à un fanatisme implacable. Alain Finkielkraut
C’était l’été 1944. J’avais vingt-trois ans. Tout ça m’a marqué et plus particulièrement une histoire tragique à laquelle j’ai été mêlé. Le chef de notre groupe FTP avait comme maitresse l’institutrice d’un village proche de notre camp , à côté de Lurs … On est allé arrêter cette jeune femme à six heures du soir et, aussitôt, on a insitué « un tribunal du peuple » pour la juger, avec un procureur et trois juges. Alors j’ai demandé: « Où est l’avocat ? Nous n’allons pas continuer à la manière d’Hitler. Il faut un avocat. » Et j’ai décidé de jouer le rôle de l’avocat. Ce fut terrible. Elle était innocente et le tribunal la condamna à mort. Il y eut cette nuit d’épouvante où les partisans la violèrent dans une grange à foin. Et à l’aube, elle fut exécutée sur une petite montagne appelée Stalingrad (…) On avait demandé des volontaires. Tous furent volontaires. J’étais le seul à ne pas y être allé. Après une telle expérience, vous ne pouvez plus porter le même regard sur l’humanité. Julien Freund
Vous croyez, comme tous les pacifistes, que c’est vous qui désignez l’ennemi. Or c’est lui qui vous désigne. S’il veut que vous soyez son ennemi, vous l’êtes, et il vous empêchera même de cultiver votre jardin. Julian Freund
Si le conflit est indépassable c’est que je me suis trompé, je n’ai plus qu’à me suicider. Jean Hyppolite
Votre position est dramatique et typique de nombreux professeurs. Vous préférez vous anéantir plutôt que de reconnaître que la politique réelle obéit à des règles qui ne correspondent pas à vos normes idéales. Raymond Aron
Tout comme le pacifiste découvre immédiatement l’ennemi chez celui qui n’admet pas sa conception de la paix, les idéologies de la société sans ennemi (par exemple le marxisme) maudissent la guerre, mais préconisent la révolution et exigent que les hommes s’entretuent en vue de mettre la guerre hors-la-loi. On a assez souvent signalé l’imposture que couvre cette attitude et, bien que cet argument appartienne à la polémique courante, il n’est pas inutile de l’évoquer, car il rappelle par trop le ridicule de la querelle hideuse entre Bossuet et Fénelon sur le… pur amour (que n’ont-ils commencé par s’aimer !). La chose la plus grave consiste cependant dans le ressentiment qu’engendre inévitablement la bonne conscience des partisans de ces idéologies : étant donné que leur fin est bonne et hautement humaine, les ennemis ne peuvent être que des criminels ou même l’incarnation du mal (…). C’est ainsi qu’on justifie au nom de l’humanité l’extermination inhumaine des ennemis, car tout est permis pour débarrasser le monde de ces hors-la-loi et hors-l’humanité qui, de ce fait, sont des coupables. Dans ces conditions la notion de paix perd toute signification, étant entendu que politiquement elle consiste en un contrat ou traité, ou plutôt la paix devient impossible. Comment pourrait-il en être autrement, puisque toute action de l’ennemi, fût-elle désintéressée et noble, devient automatiquement perverse, immorale et criminelle, tandis que toute action du révolutionnaire, même scélérate et atroce, devient sainte, juste et irréprochable ? Nier l’ennemi, c’est nier la paix. Il ne faudrait cependant pas jeter la pierre au seul marxisme par exemple, car, par certains côtés, il est un enfant du libéralisme dont l’un des principes essentiels est justement la négation de l’ennemi politique pour ne laisser subsister que les concurrents économiques. Julien Freund
On pourrait également montrer que la négation de l’ennemi est contenue dans le fait que la charte des Nations-Unies repose en principe sur une curieuse conception du statu quo. Elle demande aux membres de respecter l’intégrité territoriale des Etats : ce qui signifie que nul Etat ne saurait être amputé par la violence ou annexé de force par un autre. Or quel est le but de toute guerre (en dehors de la guerre civile) ? Ou bien la conquête, c’est-à-dire l’annexion territoriale, ou bien l’indépendance, c’est-à-dire la constitution d’un nouvel Etat qui se détache d’un autre. Si l’O.N.U. condamne la conquête, elle soutient par contre la guerre d’indépendance. Ce propos ne cherche pas à donner tort à l’O.N.U. sur ce point, mais à saisir sans ambages le phénomène de la guerre et à comprendre que certaines théories de la paix sont souvent un bellicisme qui s’ignore.
Nous touchons à la lumière de ces exemples, à l’équivoque fondamentale de l’O.N.U. : elle subit pratiquement la réalité de l’ennemi politique tout en le niant théoriquement. Autrement dit, elle reste un haut lieu de la politique, parce qu’elle n’arrive pas et ne peut parvenir à exorciser l’inimitié. Celle-ci demeure à l’arrière-fond de toutes les discussions et les commande, bien qu’on ne veuille pas le reconnaître explicitement. Si nous cherchions des preuves historiques de l’impossibilité d’une politique sans ennemi, nous pourrions entre autres invoquer celle-là. En vérité, une évidence n’a pas besoin de preuves. Ce qui nous paraît déterminant, c’est que la non reconnaissance de l’ennemi est un obstacle à la paix. Avec qui la faire, s’il n’y a plus d’ennemis ? Elle ne s’établit pas d’elle-même par l’adhésion des hommes à l’une ou l’autre doctrine pacifiste, surtout que leur nombre suscite une rivalité qui peut aller jusqu’à l’inimitié, sans compter que les moyens dits pacifiques ne sont pas toujours ni même nécessairement les meilleurs pour préserver une paix existante. On sait aujourd’hui que si les Français et les Anglais avaient eu une autre attitude lors de l’entrée des troupes allemandes dans la zone démilitarisée en 1935, on aurait peut-être réussi à faire tomber Hitler et ainsi empêché la guerre de 1939. Il y a également de fortes chances qu’une action offensive des Alliés les aurait fait passer pour coupables aux yeux de l’opinion mondiale. En général ; on ne connaît qu’après coup l’utilité d’une guerre préventive pour préserver la paix. Julien Freund
Cachez ce réel que je ne saurai voir !

A l’heure où nos nouveaux damnés de la terre viennent pour la énième fois d’exercer au couteau de boucher leur « droit de résistance contre l’occupation et ses crimes » face à cinq « colons » israéliens dont, selon la formule consacrée, deux adultes …

Pendant que, comme le rappelle JihadTV elle-même sur fond d’évidente et systématique subversion iranienne, la prétendue Communauté internationale nous refait pour les crieurs d’Alla Akbar libyens le coup des chiites irakiens de 1991 ou des musulmans bosniaques quatre ans plus tard  lâchement abandonnés, après avoir été incités à se révolter, aux griffes de Saddam ou de Milosevic …   

Retour, comme le prônaient récemment Alain Finkielkraut ou il y a peu Chantal Delsol, sur les analyses particulièrement à propos du polémologue schmittien disparu en 1993 Julien Freund.

Qui, au-delà de ses apparentes sympathies pour la nouvelle droite du GRECE, avait le mérite d’avoir bien perçu tant les inhérentes contradictions du Machin que cette étrange propension de nos démocraties post-modernes à se voiler la face devant ses pires ennemis.

Et surtout les aberrations auxquelles aboutissent nécessairement les illusions pacifistes, certaines « théories de la paix » se révélant n’être au bout du compte qu’un « bellicisme qui s’ignore » …

Un philosophe contre l’angélisme

Chantal Delsol

Le Figaro

19 février 2004

 Julien Freund avait commencé avec Jean Hyppolite sa thèse sur L’Essence du politique (1). Après quelque temps, il lui envoya les cent premières pages pour appréciation. Jean Hyppolite, en des termes inquiets, lui donna aussitôt un rendez-vous au Balzar. Il avait pris soin d’inviter aussi Canguilhem. Il s’agissait de révoquer son thésard : «Je suis socialiste et pacifiste», dit Hyppolite à Freund. «Je ne puis diriger en Sorbonne une thèse dans laquelle on déclare : Il n’y a de politique que là où il y a un ennemi.» Freund étonné et dépité écrivit à Raymond Aron pour lui demander de diriger la thèse commencée, et celui-ci accepta. Des années plus tard, vint le moment de la soutenance, et Jean Hyppolite participait au jury. Il servit à Freund un discours sévère : «Sur la question de la catégorie de l’ami-ennemi, si vous avez vraiment raison, il ne me reste plus qu’à aller cultiver mon jardin.» Freund se défendit audacieusement : «Vous croyez, comme tous les pacifistes, que c’est vous qui désignez l’ennemi. Or c’est lui qui vous désigne. S’il veut que vous soyez son ennemi, vous l’êtes, et il vous empêchera même de cultiver votre jardin.» Hyppolite se dressa sur sa chaise : «Dans ce cas, affirma-t-il, il ne me reste plus qu’à me suicider».

Cette histoire authentique au détail près, est significative de la vie de Julien Freund. C’est un homme qui subit l’ostracisme pour des idées auxquelles ses adversaires vont finalement se rendre, mais après sa mort.

La description de la relation ami-ennemi comme fondement irréductible de la politique ressemble à cette époque à une provocation, elle indigne la cléricature régnante, elle installe Julien Freund dans une marginalité qui paraît alors définitive. En prétendant qu’il n’y a pas de politique sans reconnaissance de l’ennemi, Freund veut-il donc la guerre ? C’est assez pour le traiter de fasciste.

Freund a vécu à l’époque de la pensée marxiste triomphante. Or il est un fils d’Aristote. Il ne croit pas que les intellectuels et les politiques puissent régénérer l’humanité. Il cherche ce qui est : qu’est-ce que l’homme ? Qu’est-ce qu’une société humaine ? Il s’intéresse à la réalité, devant laquelle il s’étonne, attitude philosophique. Comment se présente le monde humain ? C’est une diversité mouvante. Une pluralité de cultures. Ne pourrait-on réduire cette pluralité génératrice de conflits, l’éradiquer ? C’est bien ce qu’espère le marxisme. Freund croit bien en cette possibilité, mais au prix du pire asservissement. Pourquoi faut-il donc accepter la diversité qui porte la guerre en son sein ? Parce que l’humanité est incapable de répondre une bonne fois pour toutes, et d’une seule parole achevée, aux interrogations qui la tourmentent. Pluralité signifie pluralité des interprétations. Seul un oppresseur peut la réduire.

Le conflit est le corrélat de la diversité des pensées, et de la particularité de chaque culture. La politique au sens large de gouvernement signifie l’organisation d’une société particulière qui apporte, à travers sa culture, des réponses spécifiques aux questions que se posent tous les hommes, et se heurte par là à d’autres réponses différentes et tout aussi spécifiques. La politique au sens strict de gouvernement européen, inventée par les Grecs, signifie cette organisation qui accepte les débats d’interprétation au sein même d’une société et d’une culture.

En plein XXe siècle, à l’époque où les idéologies tiennent pour certain qu’en ce qui concerne l’homme, «tout est possible», Freund élabore une réflexion anthropologique et traque les détours d’une condition humaine, à partir de laquelle on s’aperçoit que tout n’est pas possible impunément. Et il empêche l’envol d’Icare vers des régions éthérées peuplées d’anges et saturées d’azur.

Il n’accepta jamais qu’on lui reproche son admiration pour la pensée de Carl Schmitt. Ses détracteurs étaient, selon l’expression désormais consacrée, antifascistes mais non pas antitotalitaires, et de surcroît jugeaient naturel, eux, d’admirer Heidegger. Ces hypocrisies le plongeaient dans des rires sonnants et des colères foudroyantes. Il avait un talent pédagogique incontestable, la passion de la transmission désintéressée : l’étudiant le moins académique, poursuivant sa thèse hors des sentiers officiels, il le conseillait avec autant de soin que s’il avait porté de grandes espérances. Ce talent de pédagogue l’emmenait vers les auditoires les plus simples, et les organisations paysannes savaient qu’il ne refusait aucune conférence.

Comme d’autres, j’ai admiré chez lui une pensée capable d’accepter avec bravoure la réalité humaine, à une époque où tant de grands cerveaux la fuyaient dans l’espoir insane de devenir des dieux. La vie de certains eût été plus tranquille s’ils ne l’avaient pas rencontré, car c’était cela qui transparaissait dans sa manière de fréquenter le monde hostile des idées : quoi qu’il lui en coûte, un esprit libre ne se rend pas.

Philosophe. (1) Les éditions Dalloz rééditent ce maître ouvrage, avec une postface de Pierre-André Taguieff (L’Essence du politique, 867 p. 45 €.)

Voir aussi:

Julien Freund, l’«inconformiste» capital 
Paul-François Paoli«Sachons être suspect»

Après un bref passage dans un parti de gauche après guerre, il abandonne la politique politicienne. Il a 28 ans et découvre Aristote. Devenu professeur de philosophie, il s’interroge sur ce qui constitue «l’essence» du politique. Il tombe sur un livre, Le Concept de politique, dont l’auteur, Carl Schmitt, lui est inconnu. Convaincu d’avoir découvert un penseur considérable pour qui le conflit est inhérent à la politique, il devient son ami. «Nous n’aurions pas été dans le même camp», lui écrit-il après avoir découvert le pot aux roses. Mais Schmitt le fascine pour sa subtilité. Il le fait connaître à Raymond Aron, qui, lui aussi, minimisera l’engagement nazi de Schmitt,esprit d’élite, mais violemment antisémite.

En 1965, Julien Freund présente son grand œuvre, L’Essence du politique, devant un jury de sommités, parmi lesquels Aron, Canguilhem, Paul Ricœur et Jean Hyppolite, penseur pacifiste qui affirmera que si le «conflit est indépassable c’est que je me suis trompé, je n’ai plus qu’à me suicider». Mais l’être humain n’est pas que conflictuel, il est aussi avide de réconciliation et de grâce. Catholique par sa mère, qui lui fera promettre d’aller à l’église toute sa vie, Freund est tiraillé entre sa vision tragique de l’histoire et son désir d’espérance. «L’homme est religieux, nous ne penserions pas l’immanence sans la transcendance», affirme-t-il.

Aristotélicien, machiavélien, aronien, schmittien, Freund n’est certes pas un homme de gauche. Dans les années 1980, les jeunes intellectuels de la nouvelle droite, parmi lesquels Alain de Benoist, lui rendent un hommage que Freund, sans toujours adhérer à leurs thèses, ne refuse pas, ce qui lui sera reproché par les lieutenants de la bien-pensance. Son grand livre sur la décadence, qui embrasse des pans entiers de la pensée humaine, de Thucydide à Toynbee, en passant par Ibn Khaldoun, Oswald Spengler et Paul Valéry, sera ignoré, ou sous-estimé. Il est vrai qu’il ne cachait pas son pessimisme quant à l’avenir de l’Occident. Julien Freund, qui se définissait comme «français et européen», «régionaliste et gaulliste», ne minimisait pas ses contradictions.

Aujourd’hui, des esprits aussi opposés que Michel Maffesoli ou la philosophe Chantal Delsol se réclament de lui. En une phrase Freund a livré un des secrets de sa vie : «Sachons être suspect. C’est le signe, aujourd’hui, d’un esprit libre et indépendant, surtout en milieu intellectuel.» À méditer…

(*) Aux Éditions Syros.

Julien Freund, au cœur du politique de Pierre-André Taguieff La Table ronde, 154 p., 18 €.

Voir enfin:

Julien FREUND : La négation de l’ennemi

21 mars 2010

Conséquences de la négation de l’ennemi

Il ne faudrait pas jeter la pierre au seul marxisme par exemple, car, par certains côtés, il est un enfant du libéralisme dont l’un des principes essentiels est justement la négation de l’ennemi politique pour ne laisser subsister que les concurrents économiques. Il n’est pas nécessaire de refaire, ici, du point de vue qui nous intéresse la critique de cette doctrine, Carl Schmitt l’ayant faite avec une rare pénétration. (…) Prenons simplement en bloc l’ensemble de la situation internationale telle qu’elle résulte des relations internationales instituées au lendemain de la guerre 1914-1918 (Traité de Versailles, Pacte Briand-Kellog, et SDN) ou au lendemain de la guerre de 1939-1945 (Procès de Nuremberg, ONU, etc.). Pour prévenir tout malentendu, disons tout de suite qu’il est hors de question de fournir ici une quelconque justification, même indirecte, aux atrocités de l’hitlérisme. Il s’agit seulement de saisir les erreurs commises par les rédacteurs des conventions internationales précitées, justement parce qu’elles s’inspirent de la négation de l’ennemi. Ce n’est pas parce que le nazisme est condamnable que la politique de ses vainqueurs est bonne.

Le traité de Versailles a rompu avec la tradition diplomatique normale et seule politiquement logique, en refusant de négocier avec le vaincu et en lui imposant purement et simplement les conditions du vainqueur. L’ennemi était nié puisqu’il perdait sa qualité d’interlocuteur politique pour devenir un coupable du point de vue d’une idéologie morale. Du même coup le traité de paix perdait toute signification, et la paix elle-même, puisqu’elle n’était plus une convention ou un contrat entre le vainqueur et le vaincu, prenait l’allure d’une condamnation prononcée par le procureur. Faute d’ennemi politique, le droit international perdait lui aussi sa signification pour devenir une espèce de droit pénal et criminel. Le pacte Briand-Kellog mettait la guerre hors-la-loi et tendait de ce fait, au moins théoriquement, à la suppression de l’ennemi. Il est vrai, ce traité condamnait seulement la guerre comme moyen de résoudre les différends internationaux et l’interdisait comme instrument de la politique nationale entre les Etats. Par contre, il sauvegardait le droit de légitime défense des Etats signataires et autorisait même l’emploi de la force en dehors de toute déclaration de guerre. N’insistons pas sur l’hypocrisie de cette dernière clause qui permettait à certains juristes de déclarer que l’entrée des troupes japonaises en Mandchourie en 1932 n’était pas un acte de guerre puisque les formes du pacte Briand-Kellog étaient respectées ! Passons aussi les nombreuses lacunes du point de vue de la sécurité collective qu’il prétendait garantir. Retenons seulement le non-sens politique qui résultait de la mise hors-la-loi de l’ennemi politique : un Etat avait la possibilité de menacer l’existence d’un autre Etat en usant de la contrainte économique et de moyens « subversifs » et si ce dernier, sentant que son existence était en jeu, ripostait par ces forces militaires en déclarant la guerre, il avait le désavantage non seulement de la victime de l’agression économique, mais aussi du coupable au regard du traité. A regarder les choses de près, ce pacte contenait en germe la notion de guerre froide puisqu’il aboutissait à l’instauration de relations internationales purement négatives qui n’étaient pas pacifiques, mais non plus reconnues comme belliqueuses. Ainsi, par l’élimination de l’ennemi au sens politique, la paix devenait avec la bénédiction de la conscience mondiale une espèce de guerre larvée. On peut faire des observations analogues à propos de la S.D.N. , surtout en ce qui concerne les tentatives pour définir juridiquement l’agresseur et remarquer que l’on risquait seulement de faire de l’ennemi politique un criminel et par voie de conséquence rendre les guerres plus odieuses.

Les principes de l’O.N.U. sont quelque peu différents de ceux de la S.D.N. D’un côté ils mettent en avant les aspects économiques et sociaux autant que militaires des problèmes internationaux ; de l’autre ils essayent de limiter, au moins en intention, le champ de manœuvre de la politique en se prononçant contre les zones d’influence, les coalitions et l’emploi de la force pour régler les différends internationaux et en donnant le droit d’intervenir dans les affaires intérieures des pays, au cas où la paix internationale se trouverait menacée. Malgré ces dispositions et quelques autres qui pourraient passer pour un progrès par rapport à l’institution de la S.D.N., l’O.N.U. n’a guère réussi dans ses entreprises, car elle est impuissante à honorer les buts en vue desquels elle a été créée. On met trop facilement ses échecs sur le compte de l’adhésion de trop nombreux pays nouvellement indépendants qui n’ont aucune expérience politique internationale et qui réagissent davantage en fonction des intérêts immédiats, du ressentiment contre les Occidentaux, ainsi que de l’agitation politique que du souci de la paix. Ce facteur a indéniablement contribué à l’incohérence de la politique générale de l’O.N.U. La cause principale tient cependant à la philosophie générale de cet organisme, identique à celle qui servait de base à la S.D.N. et au pacte Briand-Kellog, à savoir le juridisme pacifiste qui nie l’ennemi politique. La vocation de réunir tous les Etats du monde dans une même organisation internationale, appelée à préserver la paix, comporte déjà par elle-même cette négation. Il se trouve en outre que la doctrine politique dont se réclame la majorité relative, peut-être bientôt absolue, des membres de l’O.N.U. est le neutralisme conçu comme un refus de l’inimitié qui oppose les deux grandes puissances, l’U.R.S.S. et les U.S.A. Il s’agit pourtant dans ce dernier cas d’une inimitié politique classique : la puissance de l’un des deux grands Etats met par elle-même en question l’existence de l’autre. Pour comble, ces deux ennemis politiques virtuels (car il n’est pas besoin d’une guerre pour qu’il y ait inimitié politique) siègent ensemble et en personne au Conseil de Sécurité. Cette situation permet de camoufler leur inimitié, mais aussi de ne point régler les différends qui les opposent. On pourrait également montrer que la négation de l’ennemi est contenue dans le fait que la charte des Nations-Unies repose en principe sur une curieuse conception du statu quo. Elle demande aux membres de respecter l’intégrité territoriale des Etats : ce qui signifie que nul Etat ne saurait être amputé par la violence ou annexé de force par un autre. Or quel est le but de toute guerre (en dehors de la guerre civile) ? Ou bien la conquête, c’est-à-dire l’annexion territoriale, ou bien l’indépendance, c’est-à-dire la constitution d’un nouvel Etat qui se détache d’un autre. Si l’O.N.U. condamne la conquête, elle soutient par contre la guerre d’indépendance. Ce propos ne cherche pas à donner tort à l’O.N.U. sur ce point, mais à saisir sans ambages le phénomène de la guerre et à comprendre que certaines théories de la paix sont souvent un bellicisme qui s’ignore.

Nous touchons à la lumière de ces exemples, à l’équivoque fondamentale de l’O.N.U. : elle subit pratiquement la réalité de l’ennemi politique tout en le niant théoriquement. Autrement dit, elle reste un haut lieu de la politique, parce qu’elle n’arrive pas et ne peut parvenir à exorciser l’inimitié. Celle-ci demeure à l’arrière-fond de toutes les discussions et les commande, bien qu’on ne veuille pas le reconnaître explicitement. Si nous cherchions des preuves historiques de l’impossibilité d’une politique sans ennemi, nous pourrions entre autres invoquer celle-là. En vérité, une évidence n’a pas besoin de preuves. Ce qui nous paraît déterminant, c’est que la non reconnaissance de l’ennemi est un obstacle à la paix. Avec qui la faire, s’il n’y a plus d’ennemis ? Elle ne s’établit pas d’elle-même par l’adhésion des hommes à l’une ou l’autre doctrine pacifiste, surtout que leur nombre suscite une rivalité qui peut aller jusqu’à l’inimitié, sans compter que les moyens dits pacifiques ne sont pas toujours ni même nécessairement les meilleurs pour préserver une paix existante. On sait aujourd’hui que si les Français et les Anglais avaient eu une autre attitude lors de l’entrée des troupes allemandes dans la zone démilitarisée en 1935, on aurait peut-être réussi à faire tomber Hitler et ainsi empêché la guerre de 1939. Il y a également de fortes chances qu’une action offensive des Alliés les aurait fait passer pour coupables aux yeux de l’opinion mondiale. En général ; on ne connaît qu’après coup l’utilité d’une guerre préventive pour préserver la paix. En tout cas, la notion n’a rien d’absurde, quoi qu’on en dise, car trop souvent on ne voit dans le merveilleux de la fin ultime que les commodités paresseuses du passé.

Se tromper sur son ennemi par étourderie idéologique, par peur ou par refus de le reconnaître à cause de la langueur de l’opinion publique c’est, pour un Etat, s’exposer à voir son existence mise tôt ou tard en péril. Un ennemi non reconnu est toujours plus dangereux qu’un ennemi reconnu. Il peut y avoir de bonnes raisons à ne pas le reconnaître ouvertement, à condition que l’on prenne les mesures indispensables pour parer la menace. En tout cas, même si par un accord tacite les nations s’entendaient pour nier l’ennemi théoriquement, il n’en resterait pas moins présent pratiquement, comme le montre la politique des organisations que nous venons d’analyser. Ce moyen écarte peut-être provisoirement la guerre ; en revanche il contrarie également l’établissement de la paix au sens politique du terme. A dissimuler l’ennemi derrière le rideau de l’idéologie, du juridisme moral, on tisse de par le monde un réseau de relations qui ne sont ni celles de la guerre ni celles de la paix. La guerre froide ou respectivement la paix belliqueuse en sont la conséquence logique, avec tout le cortège des situations chaotiques, instables, irritantes et parfois grotesques. Pour l’instant le trouble qu’engendre le refus de reconnaître l’ennemi, se limite sur la scène internationale à quelques problèmes déterminés ; selon toute vraisemblance leur nombre s’accroîtra d’année en année, jusqu’au moment où la situation sera devenue tellement intolérable que les ennemis réels seront obligés de se reconnaître nettement. A ce moment nous saurons si la satisfaction artificielle que nous éprouvons chaque fois qu’un de ces problèmes s’embourbe dans l’indécision et dans la belligérance larvée aura été lucide ou non. Une chose est certaine : l’inimitié politique subsiste derrière le masque des organisations internationales. Il y aura donc aussi un vaincu de la guerre froide.

A n’en pas douter, les doctrines de la négation de l’ennemi reposent, aux yeux de beaucoup de leurs adeptes, sur des intentions bonnes et louables et ils les défendent avec une entière bonne foi. Il est également possible que dans la conjoncture actuelle, étant donné le nombre des partisans du neutralisme, et du socialisme entendu comme une construction de la société sans ennemi, la voie suivie dans la politique mondiale par les puissances ennemies soit la plus raisonnable et en même temps la plus politique, au regard des objectifs que l’une et l’autre veulent atteindre. Ce n’est pas notre rôle de porter un jugement sur cette attitude, mais d’en examiner les conséquences et de faire les rapprochements logiquement inévitables. Ce que nous contestons par contre, c’est la possibilité d’éliminer effectivement l’ennemi de la politique ; on peut seulement le nier théoriquement ou le voiler. Nous contestons également que cette dissimulation de l’ennemi constitue un progrès du point de vue du droit international ou de la moralité publique ou même qu’elle puisse passer pour une déchéance progressive ou une atténuation de l’inimitié politique. Bellum manet, pugna cessat. Il serait plus exact d’y voir une intensification et une exacerbation, car dès qu’on cherche à nier l’ennemi politique du point de vue du moralisme juridique on le transforme immanquablement en un coupable.

Non reconnaissance et culpabilité

Arrêtons-nous un instant à ce point. De tout temps les ennemis ont utilisé l’arme de la réputation pour se discréditer l’un l’autre en se qualifiant de perfide, de déloyal ou de parjure. Mais il faut bien comprendre le sens de ces épithètes. Elles ne sont pas spécifiquement morales, mais plutôt paramorales, car elles sont des prétextes ou motifs de l’hostilité visant à justifier du point de vue des intérêts de la collectivité la lutte entreprise ; elles indiquent que l’adversaire ne respecte pas les règles du jeu normal de la collision entre forces rivales ou de la coexistence de collectivités diverses. Non pas que le stratagème soit illicite ou répréhensible dans la guerre ou dans la diplomatie ; au contraire il fait la renommée des grands capitaines et des diplomates qui réussissent par ce moyen à donner une conclusion rapide aux conflits. C’est que, du point de vue politique, la fin de la guerre n’est pas la disparition collective par extermination physique de l’ennemi politique. La mort est donc le risque individuel que comporte l’usage de la violence en cas de guerre. C’est un fait que la violence s’accompagne souvent dans le feu de l’action d’actes de brigandage, de massacres inutiles, d’atrocités et d’horreurs, mais il est à noter que l’esprit politique, en tant qu’il est fondé sur la reconnaissance de l’ennemi, n’admet pas les exterminations massives et arbitraires qu’un vainqueur ordonne après la victoire. Les membres de la collectivité ennemie restent des hommes et ne sont pas, du point de vue strictement politique, l’objet d’une haine personnelle ni des victimes désignées à la vengeance. Une fois que le Dieu des armées a prononcé son jugement et que le traité de paix a reconnu le nouveau rapport des forces, il reste au vainqueur à consolider et à préserver sa puissance, au vaincu à retrouver celle qu’il a perdu ou en cas de conquête totale à se donner les moyens pour recouvrer son indépendance, si telle est la volonté secrète de la collectivité. Politiquement il n’existe pas d’ennemi absolu ou total que l’on pourrait exterminer collectivement parce qu’il serait intrinsèquement coupable. L’ennemi politique est une puissance collective que les autres puissances essayent d’empêcher de dominer exclusivement et qu’elles doivent ruiner le cas échéant s’il met en question leur propre existence politique. Le but de la guerre étant la conquête ou la défense de la patrie, elle perdrait toute signification si elle réduisait à néant l’objet de la conquête ou si elle considérait l’adversaire comme à être à exterminer après la victoire, donc après la guerre.

Voilà comment les choses se présentent du point de vue strictement politique. C’est une vérité d’expérience que d’autres facteurs non politiques, mais moraux, économiques, religieux ou idéologiques entrent également en jeu et modifient l’aspect de l’ennemi. Cependant, tant que l’élément politique reste prédominant, l’ennemi garde en général sa grandeur d’homme parce qu’il est reconnu. Il en va tout autrement lorsque les autres facteurs ou l’un d’entre eux acquièrent la suprématie, par exemple lorsqu’une civilisation conspire à réduire, voire à faire « dépérir » la politique. Alors commence le règne de la démesure et même de la démence, parce que l’ennemi devient absolu ou total. Quand le motif religieux est prédominant – guerre sainte, croisade, guerre de religion – l’ennemi est dégradé en être infâme, infernal et impie : l’incarnation du diable ou du mal. Quand une idéologie raciste prend le dessus, il devient un esclave par nature. Quand une idéologie morale ou humanitaire est souveraine, il devient un être intrinsèquement coupable, de sorte que l’on rend un service à l’humanité en le faisant disparaître – par euphémisme on dit : en l’immolant. Dans tous ces cas on se donne le droit de l’exterminer comme un malfaiteur, un criminel, un pervers ou un être indigne. C’est que toutes ces sortes d’idéologies comportent un élément étranger au politique : l’affirmation de la supériorité intrinsèque, arbitraire et combien dangereuse d’une catégorie d’hommes sur les autres, au nom de la race, de la classe ou de la religion. Le politique par contre ne reconnaît que la supériorité de la puissance. De ce point de vue, le jugement de la force est plus propre, plus juste et plus humain que celui qui se donne un autre critère de justification. Comme quoi il y a parfois de la barbarie et quelque chose d’odieusement sale dans l’éthique. Il n’est pas difficile de saisir la différence qui sépare la puissance proprement politique, telle qu’elle se déploie dans la guerre (y compris les atrocités inutiles dont les soldats se rendent souvent coupables), et celle qu’on exerce au nom d’une idéologie fondée sur la supériorité d’une race, d’une classe ou d’une église. La première est essentiellement spontanée et farouche, sauf la guerre elle-même (c’est pourquoi elle pose un problème particulier que nous étudierons plus loin), alors que l’autre est préméditée, systématique et organisée. L’une est pour ainsi dire sauvage car, lorsque la violence est déchaînée, il est difficile de contrôler les agissements de chaque soldat, l’autre est savante, intellectualisée, recherchée, calculée et d’autant plus implacable, barbare et révoltante qu’elle se donne un alibi grâce à des justifications éthiques ou religieuses préalables. Il y a entre ces deux sortes de violences la même différence qu’entre un crime passionnel et la torture. La non reconnaissance de l’ennemi implique généralement l’intention terroriste, parce que la terreur cherche des justifications ailleurs que dans sa puissance politique, à savoir dans une fin qui la transcenderait.

Il est inutile de se voiler les yeux ; depuis près de deux siècles, exactement depuis la Révolution française, la politique s’exerce au nom d’une conception prétendue plus humaine, dénature l’inimitié et la rend plus cruelle, occupée qu’elle est à découvrir des coupables. De ce point de vue la lecture des écrits de ceux qui passent pour des autorités révolutionnaires est tout à fait significative et instructive. Prenons seulement l’exemple de Robespierre et feuilletons ses discours. Il ne parle presque jamais de l’ennemi sans y ajouter les épithètes de scélérat, criminel, brigand et assassin ou sans le traiter de corrompu, vicieux, immoral, etc. Dans quel but ? Il l’indique lui-même dans son discours Sur les principes de morale politique qui doivent guider la Convention dans l’administration intérieure de la République : « Nous voulons, en un mot, remplir les vœux de la nature, accomplir les destins de l’humanité, tenir les promesses de la philosophie, absoudre la providence du long règne du crime et de la tyrannie ». Il ne s’agit plus de combattre l’ennemi simplement parce qu’il est puissant, mais parce qu’il est coupable en vertu de son appartenance à une collectivité, à une classe, à un groupement qui est mauvais en soi. Nous, modernes, devons à la diffusion de cette idéologie révolutionnaire contradictoirement humanitariste et terroriste, de ne plus saisir clairement l’essence du politique. Il est vrai, cette situation est historique et elle peut changer avec le temps. C’est qu’il ne s’agit pas là d’une véritable nouveauté, car l’humanité a connu d’autres périodes de ce genre (les croisades, les guerres de religion, etc.). En tout cas cette moralisation de la politique ne vaut pas mieux que la politisation de la morale : dans les deux cas il s’agit d’une confusion des essences suscitant plus de problèmes qu’elle n’en résout et plus d’horreurs qu’elle n’en fait cesser. Il me semble cependant que les hommes y trouvent leur compte car, à tout prendre, ils ont davantage besoin de croire que de comprendre. C’est pourquoi les machiavéliens, les hobbesiens et autres wébériens n’auront jamais l’audience des prophètes et des inspirés de la politique.

Il est à noter que le développement du droit international moderne contribue à son tour à transformer l’ennemi politique en un coupable, du point de vue éthico-juridique, sous prétexte de le nier.

La tendance est à la multiplication des conférences, rencontres et colloques internationaux avec l’espoir que ces réunions prépareront la constitution d’organismes internationaux capables de résoudre pacifiquement les conflits. Si souhaitables et utiles que soient ces assemblées périodiques dans le cadre des connaissances scientifiques, médicales, techniques et autres, on aurait tort de croire qu’on pourrait résoudre définitivement par cette voie les problèmes politiques. La discussion n’est pas la solution des problèmes de puissance, car elle n’a de sens qu’à la condition que les interlocuteurs admettent les mêmes présuppositions, sinon elle tourne à un dialogue de sourds. Plus exactement, cette procédure se donne pour résolu le problème qui est précisément à résoudre, à savoir celui de l’ennemi politique. Prenant prétexte de ces innovations, le droit international qui régit les organisations politiques internationales actuelles, en adopte aussi l’esprit : partant de l’idée de l’égalité en droit des souverainetés et du refus de l’ennemi politique, il espère résoudre les conflits de puissance par la voie pacifique et juridique de l’arbitrage. Quelque séduisant que soit ce principe, il n’est pas viable pratiquement et surtout ses promesses sont plus illusoires que réelles.

En effet, le droit international moderne se croit en mesure de pouvoir éliminer l’ennemi en prenant modèle sur le droit interne des Etats qui se caractérise justement par la négation de l’ennemi intérieur. La question est de savoir si l’assimilation de ces deux espèces de droit est réalisable et judicieuse. Il est à noter en premier lieu que le droit interne de l’Etat moderne a pour fondement, comme nous le verrons encore, la négation de l’ennemi intérieur (sans pouvoir le vaincre définitivement), mais parallèlement cette négation prend tout son sens par l’affirmation de l’ennemi extérieur. Or, le droit international moderne prétend au contraire éliminer cet ennemi extérieur. Cette différence indique déjà clairement que le rapprochement entre les deux droits est peu solide. En second lieu, l’Etat moderne est une connexion de divers monopoles, celui du pouvoir législatif, de la souveraineté, de la violence physique légitime. Une organisation internationale d’Etats ne possède point ces attributs. L’assemblée générale de l’O.N.U. par exemple prend des résolutions : ce ne sont pas des lois au sens exact du mot. Un groupement d’Etats souverains ne devient pas, en vertu de l’association, une entité souveraine au sens politique du terme. Non seulement il lui manque la base territoriale indispensable, mais encore le pouvoir de contrainte et tous les attributs de Ce que Bodin appelle le « droit gouvernement ». Quand on entre dans les détails le contraste devient plus frappant, surtout en ce qui concerne le problème du pouvoir judiciaire et l’arbitrage. Dans un Etat le juge prononce la sentence au nom d’une loi qui est la même pour tous, c’est-à-dire que devant elle les deux parties en conflit ou en procès sont des sujets et non des personnes souveraines ; de plus le verdict du juge ne constitue pas un acte de souveraineté politique, puisque le pouvoir du juge est réglé et octroyé par le souverain et que, même si le juge décide e toute indépendance, il reste soumis à la loi et à l’autorité transcendante de l’Etat, lequel possède seul les moyens de contrainte nécessaires pour faire exécuter la sentence. Rien de tel dans le droit international régissant une organisation internationale d’Etats. Les parties en conflit peuvent ou non accepter la sentence du juge ou de l’arbitre, car la norme au nom de laquelle celui-ci se prononce n’a point le caractère obligatoire d’une loi interne. Pour un Etat il ne saurait d’ailleurs exister que des lois internes, car une loi externe consacrerait son hétéronomie, lui ferait perdre sa souveraineté et le nierait comme Etat. Quand deux Etats se présentent devant une juridiction internationale, ils ne comparaissent pas en qualité de sujets soumis à une même loi, mais en tant qu’entités politiquement souveraines. Si les Etats n’avaient plus la liberté d’accepter ou de refuser la sentence, la décision du juge deviendrait un acte de souveraineté proprement politique, tout comme l’appel à une éventuelle contrainte pour faire appliquer la sentence. Ce dernier point pose en outre un problème déterminant du point de vue qui nous intéresse ici. Supposons que l’organisation internationale décide d’imposer par la force le verdict de l’arbitrage contre la volonté de l’Etat mis en cause ; il en résulterait un acte d’hostilité que l’arbitrage est justement censé supprimer. Une pareille conduite fera donc surgir l’inimitié que le droit international moderne prétend nier. C’est dire qu’il est absurde de vouloir calquer l’élimination de l’ennemi extérieur par le droit international sur la négation de l’ennemi intérieur par le droit interne des Etats. Il apparaît ainsi que le problème de l’inimitié politique jette le droit international moderne dans une contradiction qu’il ne peut lever, tant qu’il accepte le principe de la souveraineté des Etats. Et s’il nie cette souveraineté, il perd sa qualité de droit international.

En dehors de la dissolution pure et simple comme il a été de la S.D.N., il n’y a pour une organisation internationale d’Etats souverains que deux possibilités. Ou bien elle évolue vers un Etat mondial unique confisquant à son profit toute la souveraineté politique – ce qui signifie selon toute vraisemblance la domination impérialiste d’une puissance particulière. Cette constitution de l’organisation mondiale en une unité politique unique impliquerait, en même temps que la disparition de toute souveraineté concurrente, la suppression de tout ennemi extérieur ainsi que de tout droit international. La démonstration serait alors faite de la corrélation entre pluralité de souverainetés, inimitié extérieure et droit international. Néanmoins cet Etat mondial continuerait à agir en tant qu’entité politique aussi longtemps que subsisterait le risque d’inimitié intérieure. Ou bien l’organisation mondiale reste ce qu’elle est : un trait d’union commode entre unités politiques souveraines, qui peuvent discuter dans son cadre des différends internationaux et contribuer à la recherche d’une solution qui ne sera jamais viable que si les Etats en cause l’acceptent librement. En ce cas le risque d’inimitié extérieure est insurmontable et l’arbitrage ne sera jamais qu’un palliatif précaire et incertain. En effet, on ne peut à la fois respecter l’égalité juridique des souverainetés et imposer à l’une d’entre elles, de l’extérieur, un arbitrage qui la nie. Qu’on le veuille ou non, le principe de la possibilité d’intervenir dans les affaires intérieures d’un pays en cas de menace pour la paix internationale comporte de toute évidence, si le pays en cause la refuse, le risque d’inimitié que l’arbitrage voudrait éliminer. Encore faut-il s’entendre sur la notion de « l’égalité des souverainetés ». Elle n’est politiquement qu’un subterfuge juridique si l’on croit qu’elle pourrait égaliser les puissances politiques respectives des membres. Il s’en faut de beaucoup que les souverainetés soient politiquement équivalentes. Pensons seulement à ce qui pourrait arriver (cette éventualité n’est pas absurde) si la puissance politique d’un membre de l’organisation mondiale était supérieure aux puissances réunies de tous les autres membres et si elle pouvait exercer dans des limites tolérable son hégémonie. Cette possibilité montre mieux que n’importe qu’elle démonstration logique que la souveraineté est essentiellement un concept politique et non juridique. En tout état de cause, la faiblesse des souverainetés et leur inégalité politique fondée sur la puissance que chacune représente. Toutes les illusions qu’engendre la paix par le seul arbitrage viennent de la négligence du facteur politique.

Cela dit, il n’est pas question de nier l’utilité et même la nécessité des rencontres internationales ou même de négliger leur rôle parfois essentiel. Une telle attitude serait contraire à la méthode phénoménologique. Au surplus, il y a toujours eu au cours de l’histoire des entretiens et des dialogues entre les Etats, du fait que la diplomatie et la négociation ont toujours été des moyens politiques de régler les différends politiques, voire même d’accroître la puissance d’une unité politique. Malgré tout, si la diplomatie nie l’ennemie elle ne peut aboutir à une solution proprement politique. La nécessité de reconnaître l’ennemi est encore plus indispensable pour elle que pour la lutte armée. On peut s’en rendre compte en analysant les raisons des échecs des rencontres internationales durant la période dite de guerre froide. Il serait trop long d’entrer ici dans le détail pour illustrer à l’aide d’exemples l’inévitable carence de la diplomatie dans ce cas. Le fait est que les relations internationales sont très souvent fondées de nos jours sur la négation ou la non reconnaissance de l’ennemi. Du point de vue auquel nous nous plaçons ici, nous ne pouvons qu’enregistrer cette situation comme une des manières dont l’activité politique s’accommode. En effet, nous n’avons à justifier ou à déprécier quoi que soit, mais uniquement à comprendre, du point de vue politique, les conséquences de la négation et de la non reconnaissance de l’ennemi, à savoir le développement de la notion de culpabilité collective et la dénaturation de la lutte proprement politique en des conflits qui déprécient l’être humain, du fait qu’il appartient à une autre nation, une autre race ou une autre classe ou simplement du fait qu’il se réclame d’une autre conception du monde. De ce point de vue il semble que le principe de la reconnaissance de l’ennemi du droit international classique devient un élément politiquement déterminant, il est vain d’espérer que l’arbitrage puisse devenir un moyen efficace de régler les différends internationaux, surtout que, de toute manière, il ne saurait jamais être l’équivalent d’une décision politique. L’arbitre international ne peut tout au plus qu’être un souverain occasionnel dans un litige déterminé et limité, à la condition que les parties reconnaissent son autorité ; il ne peut l’être dans la durée, ainsi que l’exige le concept politique de souveraineté dans le cas de la division du monde en de multiples Etats indépendants. Rien de peut remplacer une décision politique qu’une autre décision du même genre. Un juge applique des normes existantes, il n’est pas le créateur de nouvelles normes à l’instar du politique. Une sentence n’est pas une décision car celle-ci n’est pas liée à une procédure.

L’obstacle de la souveraineté est un autre prétexte pour transformer l’ennemi politique en coupable. Puisqu’aucune organisation mondiale ne saurait subsister comme telle sans respecter la souveraineté des Etats-Membres, à l’exception de l’Etat unique universel, il va de soi qu’un Etat aura toujours raison juridiquement même s’il fait une politique qui déplait à la majorité ou au groupe le plus influent de l’organisation et même lorsqu’il contrevient dans ses affaires intérieures à l’esprit de l’organisation. A quel moment, en effet, la politique intérieure d’un Etat constitue-t-il une menace pour la paix internationale ? A défaut de critères vraiment positifs, c’est l’appréciation discrétionnaire et subjective des divers membres de l’organisation qui devient déterminante, sans pouvoir pour autant prétendre à l’efficacité. Il est clair que, dans ces conditions, ce droit de regard est davantage un exutoire des passions politiques qu’une disposition réellement applicable. Ou plutôt elle est surtout un moyen de pression politique au nom de la conscience mondiale, laquelle correspond moins en général à l’esprit universaliste de l’organisation qu’elle n’est un travestissement idéologique des intérêts du plus grands nombre ou du groupe d’Etats le plus influent. Il en résulte que, faute de pouvoir agir juridiquement contre le ou les membres récalcitrants, on les condamne moralement au nom de cette prétendue conscience mondiale dont le contenu varie avec les hasards de la politique et les alliances momentanées, en même temps qu’elle exprime les inimitiés latentes entre membres et groupe de membres. Cette pseudo-justice dispose d’ailleurs de tout un arsenal de concepts qui passent pour diffamatoires suivant que l’on appartient à un camp ou à l’autre : colonialisme, impérialisme, capitalisme, communisme, totalitarisme, despotisme, etc. En réalité, ce vocabulaire permet surtout de parler de l’ennemi par prétérition, étant donné qu’à l’intérieur de l’organisation mondiale il ne convient pas que les groupes opposés se reconnaissent tout haut et individuellement comme ennemis politiques.

Il n’y a pas de doute que ce semblant de morale sociale s’avère assez souvent politiquement payant. Aucun pays, à moins qu’il n’élève l’arrogance au niveau d’une méthode de politique internationale, n’aime passer pour coupable, fût-ce par simple manœuvre, car cette mise en accusation publique constitue une perte de puissance. Ainsi l’Allemagne a perdu pendant la guerre de 1914-1918 un grand nombre d’atouts parce que les Alliés avaient réussi à la discréditer au nom de la morale internationale. Depuis lors, ce procédé est entré dans les mœurs internationales et sert parfois de moyen pour mettre en question l’existence politique d’une collectivité. C’est pourquoi l’appel à la conscience appartient davantage au domaine de la ruse politique qu’à celui de la morale proprement dite. Avec le développement et la prospérité des polémiques idéologiques cette méthode s’est encore renforcée. En effet, le mot d’ordre n’est plus seulement d’instaurer la paix, mais encore la justice internationale. Ce qui fait que certains groupes de nations ont tendance à s’ériger en juges des autres, à trouver des coupables dans chaque conflit que d’essayer de le régler, car là où il y a des juges il faut aussi des coupables. A coup sûr, la polémique gagne à ce jeu, non la paix et la justice. D’ailleurs l’association de ces deux derniers concepts ne va pas sans difficultés. Les moyens les plus pacifiques ne sont pas nécessairement les plus appropriés pour faire régner la justice et il arrive parfois que pour établir la paix politique il faille transiger avec les exigences de la justice. Ici aussi il faut savoir ce que l’on veut, car la guerre peut avoir pour origine un conflit entre la paix et la justice. Il est en effet bien rare que les nations, quelles qu’elles soient, qui distribuent à discrétion la culpabilité, ne tombent pas elles-mêmes sous les mêmes chefs d’accusation dont elles accablent les autres, non seulement au regard de leur histoire passée, mais aussi présente. On peut même se demander si les nations n’ont pas besoin de vilipender les autres pour dissimuler leurs propres tares. Les crimes nazis sont inqualifiables et il faut avoir soi-même l’âme criminelle pour leur trouver un soupçon d’excuse. Mais que dire des Etats-Juges du procès de Nuremberg qui ont à leur actif le massacre de Katyn et celui de populations entières du Caucase ou la bombe d’Hiroshima ? Bien d’autres pays, y compris les partisans du neutralisme actif, pourraient tomber sous les mêmes chefs d’accusation. Ces propos n’ont rien de démagogique, tant il est vrai que la démagogie consiste à flatter certaines passions au détriment de la lucidité. En aucun cas en effet, le meurtre par égoïsme n’excuse le meurtre par intérêt ou par idéologie. Il y a de l’imposture dans cette justice politique qui fait de tous les hommes, suivant qu’ils appartiennent à l’une ou l’autre catégorie sociale, ou bien des innocents ou bien des coupables. Non seulement « aucun politique ne peut se flatter d’être innocent » (Merleau-Ponty), mais aucun pays ne peut en remontrer aux autres sur le chapitre de ce qu’on appelle la morale collective ou sociale. Il est donc bien vrai que la culpabilité est surtout une arme politique servant à dégrader l’homme dans l’ennemi.

Si la morale et la religion peuvent servir à humaniser l’action politique, elles peuvent aussi avoir l’effet inverse, lorsqu’elles suppriment ce qu’il y a de noble dans l’ennemi en salissant l’homme. C’est pourquoi les guerres de religion ou celles menées au nom de l’humanité ou d’une idéologie (de race, de classe ou autre) sont généralement les plus affreuses. Il ne suffit pas de condamner les abus au nom de la morale car il y a aussi des abus de la morale. Des auteurs comme De Maistre ou Proudhon qui ont reconnu ce qu’il y a de divin dans l’épreuve de force, dans la puissance, et qui ont vu « l’affinité entre guerre et justice » sont souvent beaucoup plus humains que les idéologues de la justice qui ne réussissent le plus souvent qu’à caricaturer l’ennemi politique. Cela apparaît avec le plus d’évidence lorsqu’on pousse aux conséquences extrêmes la notion de culpabilité appliquée unilatéralement à l’ennemi politique. On aboutit, en effet, au paradoxe qu’il serait permis d’exterminer un groupe ou une classe sociale au nom de l’humanité, puisque l’on ne tue pas pas un ennemi mais un coupable. Finalement – et nous rencontrons déjà des indices de cette évolution – le soldat n’aura plus une fonction militaire, mais celle de policier et de bourreau. Telle est la logique : une société sans ennemi qui voudrait faire régner la paix par la justice, c’est-à-dire par le droit et la morale, se transformerait en un royaume de juges et de coupables. Loin que la justice tiendrait lieu de politique, on assisterait à une parodie de la justice et de la politique. Ne médisons donc pas trop du passé. Nos grands-pères et arrière-grands-pères étaient certainement aussi intelligents que nous. D’être nés au XXe siècle n’est pas un exploit qui nous est imputable. Rien ne nous assure que nous ferons mieux que nos ancêtres avec nos idées politiques. Le plus grand génie en mathématiques doit commencer par apprendre la table de multiplication et l’on voudrait nous faire croire que le progrès politique dépend d’une rupture totale avec le passé ! Il est insensé de faire de l’humanisme contre l’homme.

L’explication de la notion d’ennemi politique comme une collectivité qui met en question l’existence politique d’une autre collectivité nous a permis de mettre en évidence un élément essentiel : dès que la morale ou l’idéologie prennent le pas sur la puissance, le diplomate ou le guerrier disparaissent derrière le justicier. Cela signifie, comme nous l’avons vu, que la tentation de faire de l’autre un ennemi absolu est la conséquence de l’intervention de la morale, de la religion ou de l’idéologie dans l’activité politique, car du point de vue strictement politique il n’y a point d’ennemi absolu ou total. Il ne saurait pas y en avoir, puisqu’il n’y a pas non plus d’amitié politique ou d’alliance absolue.

A l’heure où nos nouveaux damnés de la terre viennent pour la énième fois d’exercer leur droit de résistance contre l’occupation et ses crimes au couteau de boucher face à cinq colons israéliens dont, selon la formule consacrée, deux adultes …

Retour, comme le prônaient récemment Alain Finkielkraut ou il y a quelques années Chantal Delsol, sur les analyses particulièrement à propos du polémologue schmittien disparu en 1993 Julien Freund.

Qui, au-delà de ses apparentes sympathies pour la nouvelle droite du GRECE, avait le mérite d’avoir bien perçu tant les inhérentes contradictions du Machin que cette étrange propension de nos démocraties post-modernes à se voiler la face devant ses pires ennemis.

Et surtout les inepties ausquelles aboutissent nécessairement les illusions pacifistes, certaines théories de la paix se révélant n’être au bout du compte qu’un « bellicisme qui s’ignore »

Un philosophe contre l’angélisme

Chantal Delsol

Le Figaro

19 février 2004

Julien Freund avait commencé avec Jean Hyppolite sa thèse sur L’Essence du politique (1). Après quelque temps, il lui envoya les cent premières pages pour appréciation. Jean Hyppolite, en des termes inquiets, lui donna aussitôt un rendez-vous au Balzar. Il avait pris soin d’inviter aussi Canguilhem. Il s’agissait de révoquer son thésard : «Je suis socialiste et pacifiste», dit Hyppolite à Freund. «Je ne puis diriger en Sorbonne une thèse dans laquelle on déclare : Il n’y a de politique que là où il y a un ennemi.» Freund étonné et dépité écrivit à Raymond Aron pour lui demander de diriger la thèse commencée, et celui-ci accepta. Des années plus tard, vint le moment de la soutenance, et Jean Hyppolite participait au jury. Il servit à Freund un discours sévère : «Sur la question de la catégorie de l’ami-ennemi, si vous avez vraiment raison, il ne me reste plus qu’à aller cultiver mon jardin.» Freund se défendit audacieusement : «Vous croyez, comme tous les pacifistes, que c’est vous qui désignez l’ennemi. Or c’est lui qui vous désigne. S’il veut que vous soyez son ennemi, vous l’êtes, et il vous empêchera même de cultiver votre jardin.» Hyppolite se dressa sur sa chaise : «Dans ce cas, affirma-t-il, il ne me reste plus qu’à me suicider».

Cette histoire authentique au détail près, est significative de la vie de Julien Freund. C’est un homme qui subit l’ostracisme pour des idées auxquelles ses adversaires vont finalement se rendre, mais après sa mort.

La description de la relation ami-ennemi comme fondement irréductible de la politique ressemble à cette époque à une provocation, elle indigne la cléricature régnante, elle installe Julien Freund dans une marginalité qui paraît alors définitive. En prétendant qu’il n’y a pas de politique sans reconnaissance de l’ennemi, Freund veut-il donc la guerre ? C’est assez pour le traiter de fasciste.

Freund a vécu à l’époque de la pensée marxiste triomphante. Or il est un fils d’Aristote. Il ne croit pas que les intellectuels et les politiques puissent régénérer l’humanité. Il cherche ce qui est : qu’est-ce que l’homme ? Qu’est-ce qu’une société humaine ? Il s’intéresse à la réalité, devant laquelle il s’étonne, attitude philosophique. Comment se présente le monde humain ? C’est une diversité mouvante. Une pluralité de cultures. Ne pourrait-on réduire cette pluralité génératrice de conflits, l’éradiquer ? C’est bien ce qu’espère le marxisme. Freund croit bien en cette possibilité, mais au prix du pire asservissement. Pourquoi faut-il donc accepter la diversité qui porte la guerre en son sein ? Parce que l’humanité est incapable de répondre une bonne fois pour toutes, et d’une seule parole achevée, aux interrogations qui la tourmentent. Pluralité signifie pluralité des interprétations. Seul un oppresseur peut la réduire.

Le conflit est le corrélat de la diversité des pensées, et de la particularité de chaque culture. La politique au sens large de gouvernement signifie l’organisation d’une société particulière qui apporte, à travers sa culture, des réponses spécifiques aux questions que se posent tous les hommes, et se heurte par là à d’autres réponses différentes et tout aussi spécifiques. La politique au sens strict de gouvernement européen, inventée par les Grecs, signifie cette organisation qui accepte les débats d’interprétation au sein même d’une société et d’une culture.

En plein XXe siècle, à l’époque où les idéologies tiennent pour certain qu’en ce qui concerne l’homme, «tout est possible», Freund élabore une réflexion anthropologique et traque les détours d’une condition humaine, à partir de laquelle on s’aperçoit que tout n’est pas possible impunément. Et il empêche l’envol d’Icare vers des régions éthérées peuplées d’anges et saturées d’azur.

Il n’accepta jamais qu’on lui reproche son admiration pour la pensée de Carl Schmitt. Ses détracteurs étaient, selon l’expression désormais consacrée, antifascistes mais non pas antitotalitaires, et de surcroît jugeaient naturel, eux, d’admirer Heidegger. Ces hypocrisies le plongeaient dans des rires sonnants et des colères foudroyantes. Il avait un talent pédagogique incontestable, la passion de la transmission désintéressée : l’étudiant le moins académique, poursuivant sa thèse hors des sentiers officiels, il le conseillait avec autant de soin que s’il avait porté de grandes espérances. Ce talent de pédagogue l’emmenait vers les auditoires les plus simples, et les organisations paysannes savaient qu’il ne refusait aucune conférence.

Comme d’autres, j’ai admiré chez lui une pensée capable d’accepter avec bravoure la réalité humaine, à une époque où tant de grands cerveaux la fuyaient dans l’espoir insane de devenir des dieux. La vie de certains eût été plus tranquille s’ils ne l’avaient pas rencontré, car c’était cela qui transparaissait dans sa manière de fréquenter le monde hostile des idées : quoi qu’il lui en coûte, un esprit libre ne se rend pas.

Philosophe. (1) Les éditions Dalloz rééditent ce maître ouvrage, avec une postface de Pierre-André Taguieff (L’Essence du politique, 867 p. 45 €.)

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Le point de vue de Carl Schmitt

Le point de vue de Carl Schmitt

David Cumin

Spécialiste de droit constitutionnel et de droit international mais aussi politologue, philosophe, théologien et historien, Carl Schmitt fut le témoin engagé d’une époque tragique. Le publiciste allemand a 26 ans en 1914, 61 en 1949 : sa vie d’homme a été plongée dans la longue « guerre civile européenne » du xxe siècle. Il a ainsi consacré une part substantielle de son œuvre à l’étude des différentes formes d’hostilité et de belligérance dont il fut l’observateur attentif, de la Première Guerre mondiale à la guerre froide et à la guerre révolutionnaire (guerres de Corée, d’Indochine et d’Algérie) en passant par les tensions et conflits de l’entre-deux-guerres (occupation de la Rhur, conflit sino-japonais, guerre d’Espagne) et par la Seconde Guerre mondiale

Une œuvre dominée par le concept d’ennemi

L’importance accordée par l’auteur au concept d’ennemi, notamment dans les relations internationales, s’explique par le contexte historique, mais aussi par sa biographie politique et intellectuelle. Marquée par un catholicisme contre-révolutionnaire, le nationalisme, l’antilibéralisme et l’antimarxisme, l’œuvre du savant est une sorte de regard de l’ennemi sur la modernité. D’où l’attirance précoce pour le fascisme italien et le ralliement au national-socialisme en 1933. Un autre facteur explicatif est sans doute la situation de l’Allemagne au sortir et au milieu des deux guerres mondiales, à laquelle Carl Schmitt accorde une attention privilégiée. À cet égard, il est bien évident que la relation d’hostilité n’est pas qu’une représentation ; c’est une réalité. D’après le publiciste, le système « Weimar-Genève-Versailles » instauré après 1918-1919 puis le système « Bonn-Nuremberg-Potsdam » établi après 1945-1949 marquent la double institution en droit international et en droit interne de l’assujettissement de l’Allemagne aux grandes puissances hostiles. Un triple rappel des faits s’impose.

À la fin et au lendemain du premier conflit mondial, l’Allemagne a été désignée comme l’unique responsable du déclenchement et de la poursuite de la guerre, soumise à d’énormes réparations, sommée de livrer ses criminels de guerre (c’est-à-dire ses dirigeants politiques et militaires), amputée territorialement, séparée de l’Autriche, des Sudètes et de Dantzig, démilitarisée et désarmée, exclue du marché mondial, privée de ses colonies. À la fin et au lendemain du second conflit mondial, la perte de souveraineté au profit d’une administration interalliée s’est accompagnée de bouleversements territoriaux (occupation intégrale du territoire, déplacement des frontières sur la ligne Oder-Neisse) et démographiques (expulsion des Volksdeutsche d’Europe centrale, des Sudètes et des Allemands habitant à l’est de l’Oder-Neisse), ainsi que d’une révolution politico-culturelle (liquidation du militarisme et du nazisme, culpabilisation, instauration d’une démocratie bourgeoise à l’Ouest, prolétarienne à l’Est) devant lier les deux États allemands à chacun des deux blocs en formation. Pendant la guerre froide, l’Allemagne divisée, assignée au statut de glacis ou promise au destin de theatrum belli, a été l’objet central de l’affrontement des superpuissances et de leur condominium nucléaire.

Un dernier élément explicatif est la théorie et la méthodologie schmittiennes du droit public et de la politologie. Carl Schmitt est un juriste qui a une conception politique – non pas juridique – du droit. Le droit constitutionnel et le droit international sont des droits politiques, et le politique est définie par la relation d’hostilité (la fameuse distinction ami-ennemi). On ne peut saisir le sens des concepts juridiques qu’en élucidant leur dimension politique, c’est-à-dire polémique. Cela vaut tout particulièrement pour le droit international, dont la structure n’est pas assurée par une logique verticale, celle du modèle hiérarchique et centralisé de l’État et de son droit interne, mais par une logique horizontale correspondant à un monde anarchique de sujets également souverains, dans le cadre d’une pluralité – non d’une unité – politique. L’histoire du droit est celle des conflits entre conceptions ou convictions opposées à propos du droit. Bref, l’hostilité est au cœur de la science politique et de la science juridique. La formation et la diffusion des concepts du droit public ou de la politologie sont déterminées par une relation d’hostilité (qu’elle soit explicite ou implicite, avouée ou tue) car ils visent des oppositions réelles ou expriment des conflits réels. « Tous les concepts politiques visent un antagonisme concret. Des mots tels que État, république, société, classe, souveraineté, État de droit sont inintelligibles si l’on ignore qui, concrètement, est censé être atteint, combattu, contesté et réfuté au moyen de ces mots »1. Les idées sont des armes et la vie intellectuelle un combat. Quant aux problèmes économiques et sociaux d’appropriation, de répartition et d’exploitation, ils maintiennent et renouvellent les oppositions politiques. Cette démarche axée sur le polemos explique l’attrait pour les situations de crise : guerre, révolution, dictature. La relation ami-ennemi est inéluctable. Carl Schmitt fonde-t-il cette thèse sur le postulat d’une nature humaine ayant tendance à former des groupes exclusifs, donc virtuellement hostiles ? L’horizon du publiciste catholique n’est pas qu’anthropologique, il est théologique. C’est à l’origine des temps que l’auteur d’Ex captivitate salus2 situe la distinction ami-ennemi : « Adam et Ève avaient deux fils, Caïn et Abel ; ainsi commence l’histoire de l’humanité ».

C’est donc en « juriste-politique » persuadé que l’hostilité est la source de l’histoire (et la conquête, le fondement de tout ordre humain) que Carl Schmitt aborde les relations internationales. Par cette expression floue, il entend les rapports d’amitié ou d’hostilité entre États, ou mieux les rapports d’amitié ou d’hostilité inter- ou trans-politiques, puisque l’État, répète-t-il, n’est qu’une forme historique d’unité politique. Le champ des relations internationales est structuré par les concepts d’ami ou d’ennemi, d’où dérivent les concepts de paix et de guerre. La réalité ou la virtualité de l’hostilité détermine la politique internationale, tant la pratique (la diplomatie, les alliances, la menace ou l’usage de la force, la guerre) que les représentations, discours et argumentations qui accompagnent cette pratique. L’école réaliste conçoit les relations internationales – les rapports entre États – en termes de puissance et d’intérêts ; l’école idéaliste les conçoit en termes de coopération et de valeurs. Pour Schmitt, les rapports entre unités politiques sont déterminés par la relation ami-ennemi, la question de l’amitié ou de l’hostilité. Cette amitié ou cette hostilité procèdent de la communauté ou de l’antagonisme des intérêts ou des valeurs. L’angle agonal, la perspective de la crise, implique de donner la priorité (tant sur le plan pratique que théorique) à l’hostilité, dont la possibilité extrême est la guerre. Carl Schmitt aborde les relations internationales dans la perspective du droit international. On retrouve pleinement le « juriste-politique ». Sa théorie du droit des gens relève en effet d’un « nationalisme en acte » dominé par la question de l’ennemi. Dans le pluriversum interétatique, il importe d’être réellement souverain, c’est-à-dire indépendant et armé. L’approche normativiste du droit international masque la réalité des rapports de force, de domination ou d’hostilité sous prétexte d’autonomie de la science juridique ou d’apolitisme (la théorie pure kelsénienne est visée). Le droit international, droit dont les sources sont diplomatiques, est un droit politique. Tout principe de droit international est un instrument politique fondé sur la puissance. Toute puissance hégémonique entend fixer son code conceptuel et normatif, à la fois juridique et politique, afin de lier partenaires et adversaires à ce code. Il importe toujours de savoir qui décide ce que signifient la paix, la sécurité, la justice¼ Le « décisionnisme » schmittien révèle ainsi la part irréductible d’arbitraire politique qui est fondement de tout droit, notamment du droit international.

Hostilité et guerre froide

L’hostilité est le concept central des relations internationales, selon Carl Schmitt, car les relations internationales dont il est le témoin et l’observateur sont caractérisées par l’hostilité entre les États. Schmitt fut le premier théoricien de la guerre froide. Non parce qu’il fut le premier à analyser le conflit Est/Ouest, mais parce qu’il fut le premier à souligner que la situation de paix-guerre – où l’hostilité prime – n’apparaît pas qu’au lendemain ou dans la foulée du second conflit mondial avec l’antagonisme américano-soviétique. Cette situation, écrit-il en 1932 et en 19384, est apparue dès 1919. Qu’il s’agisse des réparations, de l’occupation de la Rhur, des projets d’union européenne, des traités de sécurité collective ou du renforcement de la SDN, la politique française a poursuivi, sous une forme non-belligérante, les hostilités contre une Allemagne encore trop forte. Elle a fait de la paix une continuation de la guerre par d’autres moyens. La situation de paix-guerre a réapparu en 1938, au moment de la crise des Sudètes. Elle s’est encore manifestée en 1939-1941 avec le conflit latent entre le Reich et les États-Unis, qui dissimulaient leur engagement aux côtés de la France et de la Grande-Bretagne derrière une neutralité fallacieuse.

Carl Schmitt constate que l’Europe, depuis le traité de Versailles, se trouve dans une situation intermédiaire entre la paix et la guerre. Son approche se place sous les auspices de la pensée clausewitzienne. L’hostilité est le présupposé de la guerre et l’ennemi est le concept premier par rapport à la guerre. Là où l’hostilité et la guerre sont des phénomènes clairs, nets et délimités, tout ce qui n’est pas ennemi est eo ipso ami et tout ce qui n’est pas guerre est eo ipso paix. Inversement, tout ce qui n’est pas ami peut devenir ennemi et tout ce qui n’est pas paix peut devenir guerre. La formule inter pacem et bellum nihil est medium, garde tout son sens. Mais ce couple de concepts qui se définissent réciproquement de manière négative – l’ami est le non-ennemi et l’ennemi est le non-ami, il y a ou la paix ou la guerre – a perdu sa pertinence pratique. A surgi une situation internationale où le nihil medium pose problème. N’y aurait-il pas une possibilité intermédiaire ? Le publiciste donne l’exemple de l’Allemagne et de la Tchécoslovaquie : l’État du Président Bénès était-il, « en mai et en septembre 1938 », l’ami du Reich parce que l’Allemagne n’était pas en guerre contre lui ? Classiquement, est paix toute absence de guerre, la guerre renvoyant à l’usage direct de la force armée. Schmitt, quant à lui, entend prendre en considération les actes d’hostilité, mesures de force et moyens de coercition non-militaires. Dans l’état intermédiaire, la détermination d’un concept par l’autre – de la paix par la guerre ou de la guerre par la paix – perd son sens, d’autant plus que déclarer la guerre revient à se mettre dans son tort (du fait de l’évolution du droit international). La désignation d’actions militaires ou non militaires par les qualificatifs pacifiques ou belliqueuses perd également son sens, puisque des actions militaires peuvent s’accompagner de solennelles proclamations d’amitié, tandis que des actions non-militaires peuvent relever de l’hostilité la plus effective. Dans l’état intermédiaire, l’hostilité devient le concept primordial. Aussi la question déterminante n’est-elle plus « guerre ou paix ? », mais « ami ou ennemi ? »

Dans les années 1950 et 1960, le publiciste prolonge sa réflexion menée dans les années 1930. Les formes intermédiaires entre la guerre ouverte et la paix réelle, dit-il, ne s’expliquent et n’ont de sens qu’en rapport avec la réalité de l’hostilité et l’éventualité de la guerre. La guerre froide Est/Ouest ignore les distinctions classiques entre guerre et paix, politique et économie, militaires et civils ; mais elle poursuit à très grande échelle la distinction ami-ennemi. Elle est « une mise en œuvre de l’hostilité réelle adaptée aux circonstances du moment et servie par des moyens autres qu’ouverts et violents »5. La confrontation entre Raymond Aron, Carl Schmitt et Julien Freund est éclairante. Aron met l’accent sur la violence en tant que caractère spécifique de la guerre, celle-ci étant définie par la spécificité du moyen : le recours homicide à la force armée pour contraindre l’ennemi. Cette spécification l’autorise à conserver l’alternative « paix ou guerre », la guerre impliquant l’usage direct des armes6. Schmitt, lui, met l’accent sur l’hostilité afin de saisir le phénomène atypique de la guerre froide. Quant à Freund, il considère que la paix est, comme la guerre, une « relation politique » et un « moyen de la politique » ; « Il y aura aussi un vaincu de la guerre froide », dit-il7. Ce faisant, il rejoint le raisonnement suivant de Mao Tsé-Toung tel qu’il est envisagé par Schmitt. La raison d’être de la guerre est dans l’hostilité. La guerre étant la continuation de la politique, cette dernière contient toujours un élément d’hostilité virtuelle. Si la paix porte en elle la possibilité de la guerre, ce que l’expérience confirme, elle porte également cet élément d’hostilité. La guerre froide n’est donc ni paix, ni guerre, mais, procédant de l’hostilité, elle est une « mise en œuvre » de cette hostilité. Le concept d’hostilité prime.

La définition de l’ennemi et la justification de la guerre

Selon Carl Schmitt, la distinction ami-ennemi, qui sert à définir le politique, exprime un degré extrême de dissociation, dont les motifs, causes ou enjeux peuvent être de tous ordres, religieux, économique, social ou idéologique, lorsque ces oppositions religieuses, économiques, sociales ou idéologiques atteignent l’état polémique, c’est-à-dire le degré d’intensité qui provoque le regroupement ami-ennemi. Celui-ci fait survenir la perspective de l’épreuve de force, dont la possibilité ultime est la guerre. En cela, l’ennemi n’est ni le concurrent, ni le rival, ni l’adversaire, car il tire sa signification de sa relation permanente à l’éventualité réelle, mais non inéluctable, de l’affrontement mortel. L’hostilité résulte de l’altérité des protagonistes dans le concret de tel conflit et de telle menace, et de la décision politique qui désigne l’ennemi. Acte politique qui résulte d’un dessein politique, la guerre suppose la désignation de l’ennemi, c’est-à-dire l’autre, l’étranger, l’antagoniste sur le plan des intérêts ou des valeurs, sans que le conflit puisse être réglé juridiquement ou par l’arbitrage d’un tiers. L’ennemi au sens politique, ce n’est pas l’inimicus, c’est l’hostis, c’est-à-dire l’ennemi public, pas l’ennemi privé. En cela, il n’implique aucune haine personnelle, car l’ennemi est un ennemi de la communauté – que cette communauté soit une confession, une classe, un peuple, un État -, et il est lui-même une communauté ou un membre de cette communauté.

Quant à la guerre, elle n’est pas l’objectif, la finalité ou la substance des rapports politiques. Elle est l’horizon du politique en tant qu’ultima ratio de la relation d’hostilité. « Les choses ne se présentent nullement comme si l’existence politique n’était qu’une guerre et chaque acte politique une opération militaire, comme si sans cesse chaque peuple face à chaque autre peuple était acculé de façon permanente à l’alternative ami ou ennemi, comme si la décision politiquement bonne ne pouvait pas être celle qui précisément évite la guerre. La définition que nous donnons ici du politique n’est ni belliciste, ni militariste, ni impérialiste. Elle n’est pas davantage une tentative de présenter la guerre comme un idéal social, car la guerre (n’est) ni un fait social ni un fait idéal »9. Rien ne permet de justifier la guerre, si ce n’est la nécessité vitale de maintenir sa propre forme d’existence collective face à une négation tout aussi vitale de cette forme. « Il n’est pas un programme, pas d’idéal, de norme ou de finalité qui puisse conférer le droit de disposer de la vie physique d’autrui. Maudire la guerre homicide et demander aux hommes de faire la guerre, de tuer et de se faire tuer pour qu’il n’y ait « plus jamais ça », c’est une imposture manifeste. La guerre, les hommes qui se battent prêts à mourir, le fait de donner la mort à d’autres hommes qui sont, eux, dans le camp ennemi, rien de cela n’a de valeur normative ; il s’agit, au contraire, de valeurs purement existentielles, insérées dans la réalité d’une situation de lutte effective contre un ennemi réel, et qui n’ont rien à voir avec de quelconques idéaux, programmes ou abstraction normatives. Il n’est pas de finalité rationnelle, pas de norme, si juste soit-elle, pas de programme, si exemplaire soit-il, pas d’idéal social, si beau soit-il, pas de légitimité ni de légalité qui puissent justifier le fait que des êtres humains se tuent les uns les autres en leur nom »10.

Ce n’est que s’il existe réellement des ennemis, au sens politique du terme, qu’il est logique, « mais d’une logique exclusivement politique », de lutter contre eux par l’emploi de la force armée ; « Une guerre a un sens quand elle est dirigée contre un ennemi véritable »11, non parce qu’elle est « juste ». L’idée du bellum justum ou de la justa causa est une idée politique, souligne Carl Schmitt. Soit elle signifie que la guerre doit être dirigée uniquement contre un ennemi réel, ce qui va de soi, soit elle masque le dessein de transférer le jus belli à des instances internationales ou à des coalitions d’États, soit encore elle implique de concevoir des normes juridiques définies ou appliquées par des tiers qui s’arrogent par ce biais la décision politique. Que signifie la souveraineté du droit ? Si le droit désigne les traités en vigueur, cette formule ne signifie rien d’autre que la légitimation du statu quo au bénéfice des possédants. Si le droit désigne un droit métapositif, ladite formule implique la suprématie concrète de ceux qui savent en appeler à ce droit, qui décident de son contenu et de la manière dont il sera appliqué et par qui. L’État voit sa souveraineté contestée par les institutions internationales, dit-on. Mais, dans la pratique politique, c’est le collège des grandes puissances (au Conseil de la SDN ou de l’ONU) qui impose et légitime son monopole juridique de la désignation de l’ennemi au plan international. En effet, ce ne sont jamais que des États qui, au nom du droit, de l’humanité ou de la paix, luttent contre d’autres États

Rapports entre États et désignation de l’ennemi

Ces relations internationales structurées par la relation ami-ennemi sont d’abord – quoique pas seulement – des relations entre États13. La théorie pluraliste de l’État de Cole et de Laski, âprement critiquée par le publiciste allemand, a été transposée en relations internationales par des auteurs comme, en France, B. Badie et M.-Cl. Smouts. On pourrait parler à cet égard de « théorie pluraliste des relations internationales », détrônant l’État de sa position centrale. Certes, l’État, s’il est l’unique sujet du droit international, n’est pas l’unique acteur de la politique internationale. Mais « tant qu’il existe en tant qu’État », ce qui suppose un minimum de cohésion intérieure et de puissance extérieure, l’État ne saurait être mis sur le même plan que les « firmes multinationales, diasporas, réseaux de solidarité, etc. »14.

Il est en effet le détenteur du monopole, non seulement de l’édiction et de la sanction du droit positif (de la contrainte légitime), mais du jus vitae ac necis, du jus puniendi et du jus belli. En tant qu’unité politique souveraine, l’État peut désigner l’ennemi intérieur et l’ennemi extérieur. Il concentre donc « un pouvoir énorme », car il a la possibilité de faire la guerre, c’est-à-dire d’exiger des citoyens qu’ils soient prêts à tuer et à mourir. La théorie pluraliste de l’État de Cole et Laski dénie à l’État son caractère d’unité et de totalité suprêmement englobantes, ainsi que sa prétention à constituer un type différent et supérieur de communauté politique. D’après eux, l’État est une « association sociale » parmi d’autres « associations sociales », si bien que l’individu se trouve inséré dans une pluralité de relations d’allégeance juxtaposées sans hiérarchie. Leur théorie, souligne Schmitt, ne résout pas la question essentielle : quelle est l’instance qui décide en cas d’exception et qui distingue l’ami de l’ennemi ? La conception pluraliste de l’État, groupement social parallèle et équivalent aux autres groupements sociaux, évacue la question du politique. L’erreur, poursuit le publiciste, est de comprendre le politique comme un « domaine » à côté d’autres « domaines » (religion, culture, économie, société, etc.) et l’État, comme une « association » à côté d’autres « associations » (Églises, partis, syndicats, entreprises, etc.). Le politique ne possède pas de substance propre car il est le degré d’intensité d’une relation d’hostilité. Aussi, l’unité politique – qu’on l’appelle ou non « État » – est l’unité globale et suprême parce qu’elle décide souverainement, qu’elle a le droit de désigner l’ennemi, qu’elle est capable au sein d’elle-même d’empêcher la dissociation des groupes sociaux jusqu’à l’antagonisme extrême de la guerre civile. L’État n’est donc pas une « association », car son jus belli suffit à créer, par-delà ce qui ne serait qu’ »association », une « communauté » globale et suprême, « décisive » par rapport à toutes les autres « associations ». « Faire figurer, à la manière pluraliste, une association politique à côté d’une association religieuse, culturelle, économique ou autre, cela n’est possible que pour autant que la nature du politique n’est pas perçue ou pas prise en considération »15. On peut transposer à la « théorie pluraliste des relations internationales » ce type de critique : faire figurer l’État à côté d’autres instances n’est possible qu’à condition d’éluder la question de l’hostilité ou de la guerre.

Carl Schmitt est cependant convaincu que l’époque de l’État est révolue. Les concepts formulés dans les années 1930-1940 de totaler Staat, Reich ou Grossraum montrent précisément sa volonté d’être à la hauteur des nouvelles exigences du politique. Mais sa culture historico-juridique et les nécessités de la critique du jugement de Nuremberg le maintiennent après 1947 dans l’horizon du droit des gens classique, statocentré. Des dizaines de nouveaux États souverains sont apparus, écrit-il en 197116, certains d’entre eux ayant participé à des guerres bien qu’ils siègent à l’ONU. Quoi qu’il en soit des discours sur le déclin de l’État, en raison de la transnationalisation du pouvoir politique, les instances centrales de l’État, souligne Aron, continuent de disposer du monopole de la violence légitime et, pour les grandes puissances, des armes de destruction massive. Qu’il y ait de moins en moins d’États capables, grâce à leur puissance industrielle, de mener une guerre moderne, observe Schmitt dès 192617, ne prouve pas « que la guerre, l’État et la politique ont cessé d’exister »18. L’éventuel déclin de l’État ne signifie surtout pas abolition du politique, au sens de la relation ami-ennemi. L’État n’est qu’un type historique d’ordre politique. Il peut y avoir une politique sans État et même un État sans politique, dès lors que des forces d’opposition religieuses, économiques, sociales ou idéologiques sont assez puissantes pour emporter de leur propre chef la décision relative à l’épreuve suprême ou qu’elles instrumentalisent un État qui a perdu son monopole de la désignation de l’ennemi. L’État est une instance, c’est-à-dire l’institution qui dispose normalement du monopole de la décision politique. Mais, en période révolutionnaire ou de guerre civile, l’État peut se décomposer. L’instance disparaît, jusqu’à la restauration de l’ancien État ou l’instauration d’un nouvel État, tandis que la relation politique, elle, continue à s’affirmer avec une plus grande intensité. La désagrégation de l’instance étatique ne signifie nullement, bien au contraire, la disparition du rapport politique, car celui-ci est d’autant plus intense qu’il a perdu son support officiel.

Politique, États et organisations internationales

La théorie schmittienne doit répondre au défi lancé par les institutions internationales, la SDN après 1919, l’ONU après 1945, avec leur philosophie sous-jacente de « l’unité du monde » et leur projet d’abolition de la belligérance. À quelles conditions la politique entre les États cesserait-elle de se dérouler à l’ombre de la guerre, demande Aron, dès lors que la pluralité et l’inégalité des unités politiques implique la possibilité d’une relation d’hostilité ? La paix ne peut résulter que de la substitution du règne de la loi au règne de la force ou de la substitution de l’État universel à la pluralité des souverainetés. Le règne de la loi et l’État universel ne sont pas des concepts équivalents, bien que le premier, via le juspositivisme, mène au second. Mais tous deux impliquent la suppression de ce qui a été l’essence de la politique mondiale, à savoir la rivalité d’États qui se font justice eux-mêmes et qui, de ce fait, ne sauraient vivre en une amitié ou en une paix définitives.

Carl Schmitt entend démontrer que « le caractère spécifique du politique entraîne un pluralisme des États », car « toute unité politique implique l’existence éventuelle d’un ennemi, donc la coexistence d’une autre unité politique ». L’État se pose en s’opposant, disait Hegel. Par définition, l’unité politique implique d’autres unités politiques et l’État d’autres États. Il ne saurait par conséquent y avoir d’unité politique « universelle » ni d’État « universel », car une unité politique « universelle » ou un État « universel » ne seraient pas à proprement parler une unité politique ou un État. Par nature, le monde politique est un pluriversum, pas un universum. C’est pourquoi toute théorie politique est pluraliste (mais dans un sens radicalement différent de Cole et Laski). Le genre humain n’étant pas un concept politique, puisqu’il n’a pas d’ennemi au sens politique (il peut en avoir au sens pénal, ainsi du pirate, qualifié d’hostes generis humani), il n’existe et ne peut exister nul statut politique qui lui corresponde. L’humanité restera un concept zoologique tant que ne sera pas éliminée l’éventualité de l’hostilité et de la guerre. Ce n’est que « le jour où les peuples, les religions, les classes et les autres groupes humains sur cette Terre, dans toute leur diversité, seront unis au point de rendre impossible et inconcevable une lutte entre eux, où la possibilité même d’une guerre civile au sein d’un empire englobant la Terre entière sera réellement écartée à tout jamais (qu’) il n’y aura plus ni politique ni État ». La société universelle des individus, dans un monde dépolitisé, ne connaîtrait plus « de peuples organisés en unités politiques, ni de classes en lutte les unes contre les autres, ni de groupes ennemis »20. L’idée d’une Société des nations ou d’une Organisation des nations unies favorise-t-elle le programme (récusé par Schmitt) du One World ?

L’institution d’une Société des Nations englobant l’humanité entière, écrit-il en 1932, peut correspondre à l’aspiration à réaliser « l’état idéal, non politique, (d’une) société universelle qui a nom humanité ». L’universalité d’une telle Société, dont tous les États de la planète seraient membres, signifierait « dépolitisation totale ». Mais la SDN de Genève – comme l’ONU de New York – est « un organisme plein de contradictions ». Primo, la SDN n’est pas une organisation internationale où siégeraient des représentants des nations, mais une organisation interétatique où siègent des représentants des États. D’où la contradiction « entre (la) société universelle dépolitisée et la garantie interétatique du statu quo ». Secundo, la SDN, bien qu’elle prétende établir le règne du droit dans la société des États, ne saurait être dépolitisée dans l’espoir qu’elle se transforme d’instrument déguisé de politique internationale en organe véritable de droit international. L’existence de l’institution dépend de la reconnaissance par les États et coalitions d’États, membres du Conseil ou de l’Assemblée, de son utilité politique, qu’il s’agisse d’entériner l’hégémonie des uns ou de préserver l’indépendance des autres. Tertio, la SDN « ne supprime pas plus l’éventualité des guerres qu’elle n’abolit les États ». Or, une ligue non universelle n’aurait d’importance politique que si lui était transféré le jus belli étatique. Une ligue universelle devrait abolir ce jus belli sans pour autant se l’attribuer, « sinon l’universalité, l’humanité, la société dépolitisée disparaîtraient de nouveau »21. Quarto, la SDN en tant que système collectif est un nœud de paradoxes. Son but était de créer une communauté internationale entre États amis et similaires dont le régime s’accorde avec les principes du pacte. Normalement, elle aurait dû rejeter comme ennemis les États dont le régime est en désaccord avec ses principes. Mais elle a opté pour l’universalité au détriment de l’homogénéité. Pourquoi ? Parce que l’universalité est la condition de la sécurité collective et que le Covenant est un traité de sécurité collective. Elle a donc prétendu accueillir en son sein tous les États du globe, sans examiner leur régime ni leur politique. Elle a ainsi cherché à nier la notion d’hostilité. La logique du droit international moderne mène à une impasse, si l’on suit Schmitt. Il n’y a pas de sécurité collective sans universalité ; mais il n’y a pas de communauté internationale sans homogénéité des États. D’un côté, l’universalité implique l’hétérogénéité, donc l’hostilité potentielle ; de l’autre, l’homogénéité transforme l’organisation internationale en coalition internationale. La contradiction la plus profonde du système collectif réside dans la question de l’ennemi supposé. Si l’agresseur présumé se tient en dehors du traité, celui-ci n’est ni plus ni moins qu’une alliance. De fait, les traités de sécurité collective finissent en traités d’alliance et l’organisation internationale en coalition internationale. Si, au contraire, le traité est réellement universel, cela signifie que, pour chaque État partie, un État cocontractant peut aussi bien être un allié potentiel, une « victime », qu’un ennemi virtuel, un agresseur !

Un État ne saurait renoncer à décider lui-même de l’hostilité ou de l’amitié, de la guerre ou de la paix. S’il n’a plus cette volonté ou cette capacité, cela signifie qu’il cesse d’exister politiquement. S’il accepte que des instances étrangères décident à sa place, cela signifie qu’il cesse d’être politiquement indépendant et qu’il est soumis à ces instances. Un État n’est pas libre d’échapper à la relation d’hostilité « à coups de proclamations incantatoires ». Un peuple ne saurait à lui seul faire disparaître la réalité de l’hostilité en déclarant son amitié au monde entier ou en procédant à son désarmement. Quant à la proscription de la guerre, elle n’abolit pas la guerre. Elle lui donne un contenu nouveau en raison des possibilités nouvelles de désignation de l’hostis au plan international. De fait, ce sont des États implicitement visés qui sont proscrits, non la guerre elle-même. Qu’un peuple refuse les risques de l’existence politique, et il s’en trouvera un autre qui assumera sa protection, donc la souveraineté, en vertu de la corrélation entre protection et obéissance. Les retournements dialectiques sont fréquents dans les rapports politiques : « celui qui protège la liberté et l’indépendance d’un autre État est aussi, très normalement et très logiquement, celui dont la protection supprime la liberté et l’indépendance du « protégé ». Dans le pluriversum interétatique, « celui qui cherche sa propre sécurité auprès de l’autre lui est déjà soumis »22.

Union d’États et désignation de l’ennemi

Union d’États et désignation de l’ennemi

Dès 1926-192824, Carl Schmitt soutient que les États et les systèmes d’États doivent acquérir de plus grandes dimensions, car l’envergure territoriale et démographique est la condition d’une souveraineté réelle. Avant de se tourner vers les notions de « grand espace » et d’ »empire », il s’intéresse ainsi au concept de Bund. Il donne à ce mot un sens spécifique, en rejetant l’alternative étatique entre la confédération (composée d’États souverains liés par un traité international) et la « fédération » (composée d’États fédérés liés par une constitution fédérative »). Il considère que la caractéristique de la fédération réside dans un minimum de garantie et dans un minimum d’homogénéité de ses membres. Le Bund garantit l’autonomie politique et l’intégrité territoriale des États membres tout en assurant leur protection vis-à-vis de l’extérieur. À la communauté d’intérêts, de valeurs et d’institutions au sein du Bund, qui supprime l’hypothèse de l’hostilité et de la belligérance entre les membres, correspond le transfert du jus belli des États au Bund. La renonciation à la guerre est possible entre des États dont la similitude substantielle exclut l’antagonisme extrême ; mais la guerre demeure possible avec les États tiers. La fédération signifie que l’ennemi d’un État membre est nécessairement l’ennemi de l’ensemble du Bund, et inversement que l’ennemi du Bund est nécessairement l’ennemi de chaque État membre. Il n’y a pas de fédération sans la possibilité d’une guerre fédérative. Il n’y pas d’union sans exclusion, donc sans rapport virtuel ami-ennemi entre ceux qui sont admissibles ou admis dans l’union et ceux qui ne le sont pas. Les rassemblements d’États présupposent en effet des critères d’admission ou d’exclusion – un regroupement géopolitique avec qui et contre qui ? -, impliquant une relation d’hostilité au moins potentielle vis-à-vis des puissances étrangères. C’est ce que montrent les exemples ou contre-exemples – développés par Schmitt – de la Sainte Alliance, de la doctrine Monroe, de l’Europe ou de la SDN. On retrouve enfin cette logique dans la théorie du Grossraumordnung.

La Sainte Alliance fut, de 1815 à 1848, une sorte de fédération européenne qui regroupait la Russie, la Prusse, l’Autriche, la France, et qui reposait sur la défense de la monarchie. Son principe de légitimité garantissait un certain ordre intra-étatique et, par ce biais, un certain ordre interétatique, la garantie de l’ordre international monarchique reposant sur la garantie de l’ordre intérieur monarchique. « La solidarité dynastique internationale s’opposait à la révolution démocratique internationale »25. Contrairement à la ligue de Genève qui accepte n’importe quel type d’État et de régime, la Sainte Alliance estimait qu’une communauté politico-juridique entre les États européens n’était pas concevable sans des régimes communs et une légitimité commune. C’est pourquoi elle s’autorisait à intervenir tant à l’intérieur qu’à l’extérieur pour réprimer les menées révolutionnaires. Ce que le gouvernement américain repoussait dans la Sainte Alliance, il l’accomplit lui-même au moyen de la doctrine Monroe, relayée par la doctrine Tobar. En revendiquant et en obtenant le droit de s’opposer aux interventions des monarchies européennes sur le continent américain et celui de s’immiscer dans les affaires intérieures des Républiques de l’hémisphère occidental, les États-Unis ont transformé cet hémisphère en une communauté de type fédéral. Ils ont en effet rempli les deux exigences de toute fédération, selon Schmitt : la garantie de l’intégrité et de l’indépendance des États sur la base de leur homogénéité constitutionnelle et face à des puissances extérieures. La doctrine Monroe a valeur de modèle pour le publiciste allemand. Elle pose le double principe du « grand espace » et de l’exclusion des puissances étrangères à cet espace, à l’intérieur duquel l’hégémon veille à l’intégrité et à l’indépendance des États sur la base de leur similitude politique (droit d’intervention délimité). Outre-Atlantique, une claire « conscience spatiale » a permis de forger un concept juridique pertinent parce qu’orienté politiquement, c’est-à-dire dirigé contre un ennemi désigné : les États européens. C’est en ce sens que « le concept du grand espace présuppose le concept du politique »26.

Comme tous les regroupements politiques, la ligue de Genève a un sens polémique. Elle entérine les diktat de 1919-1920. Elle a donc un sens anti-allemand, bien que l’Allemagne en soit devenue membre après les accords de Locarno. Carl Schmitt a mis en garde contre cette adhésion dans Die Kernfrage des Völkerbundes. Ce qui l’intéresse néanmoins dans l’institution genevoise, c’est qu’elle exclut la Russie soviétique. De 1919 à 1936, le publiciste milite en faveur d’une union européenne contre Moscou. S’il met en avant le principe d’intervention ou d’ingérence, dans son ouvrage de 1926 sur la SDN, c’est précisément parce qu’il pense que la ligue de Genève doit affronter le bolchevisme, la iiie Internationale et l’URSS. Dans les années 1920, sa critique virulente de la ligue – celle-ci est une continuation de l’Entente qui n’a pas supprimé la distinction entre vainqueurs et vaincus, armés et désarmés, contrôleurs et contrôlés, créanciers et débiteurs – est atténuée par l’espoir (ténu) qu’elle pourrait devenir une « Sainte Alliance anti-soviétique », donc acquérir dans l’anticommunisme sa dimension politique spécifique. Remarquons que cet appel à une union européenne contre l’URSS implique de faire passer les idéaux – l’anticommunisme en l’occurrence – avant les intérêts nationaux. Dans ses textes sur Donoso Cortès27, Schmitt déplore l’improbabilité d’une collaboration des États européens face à Moscou et dénonce la priorité donnée à une étroite Realpolitik par rapport aux valeurs. Mais, après le départ de l’Allemagne de la SDN et l’entrée de l’URSS, il n’est plus question de prôner un principe d’ingérence qui pourrait légitimer une intervention de la ligue de Genève contre le Reich national-socialiste. De 1939 à 1942, par contre, l’Allemagne n’ayant plus à craindre l’ingérence occidentale, la théorie du Grossraumordnung marque la synthèse finale du principe de non-intervention – l’exclusion des puissances étrangères à l’espace centre-européen – et du principe d’intervention -le droit d’ingérence du Reich dans sa sphère d’influence.

D’après Carl Schmitt, le destin de l’Abyssinie conquise par l’Italie fasciste en 1935 a révélé la question cruciale inhérente à toute fédération : la garantie de l’existence politique sur la base de l’homogénéité et face à des tiers. Le publiciste ne critique pas la faillite de l’obligation de garantie contenue dans l’article 10 du pacte de la SDN. Il critique l’absence de critères matériels d’admission et l’universalisme de la ligue, qui ont permis à l’Empire du Négus de devenir membre à part entière d’une institution accueillant indifféremment toutes les unités politiques, sans poser d’autres critères que formels. Il pose la question de la substance politique de la ligue de Genève, en retraçant l’évolution interne de l’institution. La SDN initiale, à la base du Pacte, relevait de l’esprit de Wilson. Les États-Unis n’ayant pas adhéré au Covenant, une 2e SDN est née, dirigée par les quatre puissances alliées (France, Grande-Bretagne, Italie, Japon). L’entrée du Reich a impliqué une 3e SDN, le départ du Japon, une 4e et celui de l’Allemagne, une 5e, l’admission de l’URSS, une 6e ; enfin, avec la conquête de l’Éthiopie et le maintien de l’Italie, une 7e SDN apparaît. On pourrait ajouter : une 8e après le retrait de l’Italie en 1937 ; une 9e après l’exclusion de la Russie en 1939. Aucune communauté politique digne de ce nom ne saurait supporter ces allées et venues de membres si différents. Comment la SDN, après de tels compromis et de telles variations, pourrait-elle garantir la paix en Europe et dans le monde ? La Ligue de Genève est dépourvue de continuité et de cohésion. Son relativisme accompagne son universalisme et la rend incapable de distinguer l’homogène et l’hétérogène, et moins encore, l’ami et l’ennemi.

L’union européenne (question d’actualité) a une double face selon Schmitt : positive la « Sainte Alliance continentale » – négative – « l’Europe franco-genevoise ». On retrouve la problématique de l’ennemi. D’après le publiciste, l’idée « européenne » impulsée par Paris n’a point d’avenir. Primo, la question du regroupement géopolitique n’a pas été tranchée. Qu’est-ce que l’Europe ? De quoi se compose-t’elle ? Inclut-elle l’Angleterre ou la Russie ? Où s’arrêtent ses frontières ? Secundo, la Grande-Bretagne, la France, les Pays-Bas, la Belgique, l’Espagne ou le Portugal, ne sont pas uniquement des puissances européennes, mais des puissances coloniales qui n’entendent pas renoncer à leurs possessions ultramarines. Tertio, les projets français et genevois ne reposent pas sur la communauté d’intérêts des États européens, mais ont pour but de figer le statu quo au profit des vainqueurs et au détriment des vaincus de 1918. Quarto, la France ne désire pas plus se couper de ses colonies, de l’Empire britannique et de l’Amérique, qu’elle ne veut une réelle union européenne, c’est-à-dire une réconciliation avec l’Allemagne. Une telle réconciliation supposerait la reconnaissance de l’égalité des droits (en matière militaire), ce que refuse Paris. Quinto, l’Europe ne pourrait résister à l’hostilité des États-Unis ou des puissances anglo-saxonnes ni à celle de l’URSS. Des institutions animées par les idéaux du pacifisme, du libéralisme ou de la sociale-démocratie, comme la Société des nations et l’Europe, ne sauraient être les môles d’une vraie construction politique, car elles sont dépourvues de la détermination polémique qu’exigerait la constitution d’une union continentale. Celle-ci impliquerait de nouveaux rapports de force et d’hostilité dans le monde, car la formation d’une nouvelle puissance mondiale provoque inévitablement de nouveaux regroupements amis-ennemis. Le destin de la Sainte Alliance au xixe siècle montre à quels obstacles et à quelles oppositions – la doctrine Monroe suggérée par l’Anglais Canning, à l’époque- se heurterait une fédération européenne. Sous cet angle, l’unité de l’Europe, face à l’hostilité des Anglo-Saxons ou des Soviétiques, serait encore plus miraculeuse que l’unité de l’Allemagne, laquelle engendra précisément des antagonismes nouveaux, dont la guerre de 1914-1918 fut une conséquence.

Lorsque l’idée d’Europe est proposée sous les auspices de la France, de la ligue de Genève et de la République de Weimar, Carl Schmitt la rejette comme n’étant qu’un instrument au service du statu quo et de la prépondérance française. Par contre, lorsque l’idée européenne devient une idée « allemande et nationale-socialiste », il l’adopte. En 1933-1936, à l’époque où l’Allemagne s’attache à recouvrer sa souveraineté militaire, le thème de la « communauté européenne » est associé, d’une part, à une argumentation visant à justifier la révision du traité de Versailles – « l’anomalie » de la situation du Reich, privé de l’égalité des droits depuis 1919, empêche l’avènement d’un « ordre européen » d’autant plus nécessaire que l’heure est à l’élargissement des systèmes politiques, face à l’Amérique et à la Russie -, d’autre part à l’anticommunisme – au projet d’une alliance européenne ou d’une association des quatre puissances, Allemagne, Italie, Grande-Bretagne, France, dirigée contre l’URSS. En 1939-1944, Schmitt associe le thème de la « communauté européenne » à la théorie du Grossraumordnung : l’Europe dominée puis conquise est un « grand espace » excluant les puissances anglo-saxonnes et l’URSS. Inspirée par une doctrine Monroe revisitée, cette théorie réunit deux éléments : la délimitation d’un espace sous hégémonie et le principe de non-ingérence des puissances étrangères à cet espace. Combinés avec le peuple (au sens ethnique) et l’État (en tant qu’organisation administrative et militaire), ces deux éléments forment le Reich, nouveau sujet d’un nouvel ordre politico-juridique international appelé Grossraumordnung. Celui-ci s’oppose à la conception périmée du droit interétatique, à l’impérialisme anglo-saxon et aux constructions universalistes. De la même manière que la théorie bodinienne de la souveraineté, en prise sur la réalité politique de son époque, participa à l’émergence du nouvel ordre géopolitique basé sur l’État, la théorie schmittienne du Grossraumordnung, en prise elle aussi sur la réalité historique, doit participer à l’instauration d’un ordre nouveau qui donne son vrai sens à la guerre mondiale.

Qui est l’ennemi pour Carl Schmitt ?

Si « les sommets de la grande politique sont les moments où il y a perception nette et concrète de l’ennemi en tant que tel »29, on doit alors se demander qui est, pour Schmitt, l’ennemi de l’Allemagne, celui contre lequel la guerre trouve sa justification. L’ennemi est-il à l’Ouest ou à l’Est ? Malgré les attaques portées contre la France, la Grande-Bretagne ou l’Amérique, il semble que cet ennemi, avec lequel n’existe même pas de communauté de droit des gens – alors qu’une telle communauté existe entre l’Allemagne et les puissances occidentales -, c’est l’URSS. Néanmoins, ce qu’il dira en 1963 de « la situation sans issue » du général Salan et de sa « double déclaration d’hostilité »30, s’applique parfaitement à la position du publiciste, qui balance son hostilité entre l’Est et l’Ouest. De 1923 à 1936, l’ennemi, c’est l’URSS, encore que la France, la Grande-Bretagne et l’Amérique soient elles aussi des adversaires du Reich. De 1937 à 1944, par contre, c’est la Grande-Bretagne ou plus généralement la puissance maritime anglo-américaine. De 1938 à 1950, les États-Unis incarnent l’ennemi. Dans les années 1950, Carl Schmitt considère que l’Allemagne est prise dans un « étau » entre Moscou et Washington. Enfin, dans les années 1960 et 1970, il paraît à nouveau désigner l’URSS et le communisme international comme les ennemis principaux de la vieille Europe. Mais l’hostis n’est pas qu’extérieur, il est intérieur : l’ennemi extérieur – l’URSS ou les puissances occidentales – est relayé par un ennemi intérieur ou transnational – le marxisme, le libéralisme, les Internationales. Le publiciste ne se contente pas d’attaquer le libéralisme et le marxisme, mais aussi le judaïsme ou la franc-maçonnerie. En 1938-1939, il s’en prend aux « puissances indirectes » – Komintern, franc-maçonnerie, organisations juives, émigrés antifascistes. Celles-ci utilisent les sanctions économiques, le boycott ou la proscription morale, attisent l’hostilité des démocraties occidentales contre le Reich, entretiennent un climat de guerre froide, alors qu’il n’y a pas, dit-il, de différends politiques réels entre les peuples du continent (URSS puis Angleterre exclues). Ces puissances non étatiques mais politiques, parvenues à dominer les régimes libéraux, s’arrogent une autorité morale supranationale pour discriminer, disqualifier et excommunier l’adversaire désigné.

Si Carl Schmitt fut un opposant à la République de Weimar, c’est au fond parce qu’il lui reproche de n’avoir pas le sens de l’ennemi. De son point de vue, l’adhésion au traité de Locarno, à la SDN, au pacte Briand-Kellog, aux plans Dawes et Young, aux projets d’union européenne, n’aboutit qu’à entériner le statut politico-territorial et juridico-financier de 1919. En revanche, il loue le régime national-socialiste d’avoir, lui, le sens de l’ennemi. Aussi fait-il sien le combat du régime sur la scène internationale. La justification de la restauration de la souveraineté militaire du Reich s’accompagne de la mise en avant d’un projet fondamental : la volonté d’organiser une coalition européenne, dirigée par l’Allemagne, contre l’URSS. C’est par référence à ce projet que sont durement critiqués le système collectif de la SDN, l’admission de la Russie à Genève et le pacte d’assistance mutuelle franco-soviétique. En 1936, Carl Schmitt privilégie l’axe Rome-Berlin comme axe fondamental de la politique étrangère allemande, entre les démocraties occidentales et la Russie soviétique. Au moment de la guerre d’Espagne, l’idée de la coopération européenne contre l’URSS fait place, du fait de l’hostilité persistante de la France et de la Grande-Bretagne, au triangle Berlin-Rome-Tokyo, orienté aussi bien contre l’Union soviétique que contre les puissances occidentales. Le publiciste milite pour l’alliance germano-italienne. Il est significatif qu’il ne souffle mot de l’antagonisme italo-allemand à propos de l’Autriche, ni du « Front de Stresa », ni de la garantie italienne du statut de Locarno. En 1938-1939, de la crise des Sudètes à l’invasion de la Pologne, la politique internationale est déterminée, dit-il, par la préparation à la « guerre juste ». Aussi l’évolution politico-juridique des concepts de guerre et d’ennemi est-elle au centre de ses préoccupations avant puis après le conflit mondial.

La question de l’ennemi désigné révèle la particularité de la position de Carl Schmitt dans la doctrine allemande à partir de 1937. L’hostilité à l’encontre de la Grande-Bretagne – non plus de l’URSS – détermine l’intérêt passionné qu’il porte jusqu’en 1944 à l’opposition terre-mer, en tant qu’allégorie de l’antagonisme entre l’Allemagne et l’Angleterre puis l’Amérique. Non seulement il n’appelle pas à une croisade contre le bolchevisme, mais il n’invoque même plus l’anticommunisme. Pour lui, le sens de la guerre en cours – l’avènement d’un Grossraumordnung – ne s’acquiert pas dans la lutte contre la Russie de Staline, mais dans la lutte contre l’Amérique de Roosevelt. G.L. Ulmen31 a résumé le regard que Schmitt porte sur la République américaine. En 1926-1928, les puissances anglo-saxonnes sont les adversaires de la « fédération européenne » tournée contre l’URSS. En 1932, l’impérialisme américain représente l’impérialisme typiquement moderne, économique et culturel, dont les méthodes atteignent leur point culminant avec le pacte Kellog et la doctrine Stimson. En 1938, les États-Unis sont depuis Wilson à l’avant-garde de l’évolution vers un concept discriminatoire de guerre et d’ennemi. En 1939-1944, l’Amérique offre le modèle d’un continent organisé selon le principe du « grand espace », mais aussi l’exemple d’une trahison de la doctrine Monroe par l’idéologie de l’universalisme et par l’alliance avec la Grande-Bretagne. En 1950, « l’hémisphère occidental » apparaît comme le véritable adversaire du droit des gens européen, depuis l’opposition à la Sainte Alliance jusqu’à la criminalisation de la guerre et la division Est/Ouest de l’Europe. Dans les années 1960 et 1970, l’impérialisme américain est associé à la logique discriminatoire de l’idéologie humanitaire. Si l’on revient à la période 1935-1941, on s’aperçoit avec Carl Schmitt que les États-Unis passèrent de la neutralité à la non-belligérance partiale en faveur de la France et de la Grande-Bretagne, puis à la guerre non déclarée contre l’Allemagne, enfin à la guerre totale contre l’Axe.

Où est l’ennemi durant la guerre froide ? « La grande antithèse de la politique mondiale »32 ne porte pas sur l’opposition Est/Ouest, renvoyés dos à dos car ils visent tous deux l’unité du monde au nom de la même philosophie progressiste de l’histoire. Elle porte sur l’opposition entre l’universalisme du monde unipolaire centralement dominé et la pluralité des « grands espaces » équilibrés. Le concept de Grossraum est au centre d’un projet politique visant à dépasser le dualisme mondial et à favoriser l’émergence d’une troisième voie. Ce projet est développé dans les années 1950 : la « véritable situation » de l’Europe est « entre l’Est et l’Ouest », déclare-t-il, voire dans les année 1930 : l’Allemagne nationale-socialiste et l’Italie fasciste, écrivait-il, se tiennent au milieu de l’Europe entre l’Ouest libéral et l’Est communiste. L’alliance soviéto-américaine contre l’Axe marqua précisément la solidarité de l’Est et de l’Ouest. L’Europe et l’Allemagne sont occupées ou dominées par les États-Unis et par l’Union soviétique. Face à cette situation, Carl Schmitt ne place pas ses espoirs dans la construction communautaire (la CEE) impulsée par la démocratie chrétienne et la sociale-démocratie européennes. Précisément parce que cette construction européenne s’inscrit (avant 1989-1991) dans la logique des blocs en pérennisant la division de l’Allemagne et le protectorat américain.

Ennemi total et guerre totale

Il existe différents types d’ennemi ou d’hostilité. Carl Schmitt en distingue essentiellement deux : l’ennemi réel et l’ennemi total, l’hostilité réelle et l’hostilité totale. Le second type est une exacerbation, une intensification ou une extension, du premier. Dans le contexte historique et guerrier qui fut le sien, le publiciste a été le témoin de cette exacerbation, dont il a établi le diagnostic.

Carl Schmitt appelle-t’il à la guerre totale ? Sa position est ambiguë. Primo, il cite Clausewitz : « si la guerre appartient à la politique, elle prendra naturellement son caractère. Si la politique est grandiose et puissante, la guerre le sera aussi et pourra même atteindre les sommets où elle prend sa forme absolue ». Lorsque la guerre monte aux extrêmes, l’aspect militaire semble l’emporter sur l’aspect politique ; mais ce n’est qu’une apparence. La guerre est en réalité à son maximum d’intensité politique, car elle reste commandée par la politique. « Grande politique » signifie donc « guerre totale », puisque la guerre totale implique le politique à son maximum d’intensité. Aussi Schmitt prend-il l’exemple de la lutte de Cromwell contre l’Espagne catholique : contre cet ennemi « providentiel », l’hostilité et le conflit sont à leur comble34. Secundo, « l’État total », dont il est le théoricien à partir de 1930, appelle la guerre totale, car la guerre entre États totaux implique la mobilisation totale, donc la guerre totale. Avant et après le conflit mondial, le publiciste soutient que la guerre, si on veut la limiter, doit demeurer une guerre d’État à État, comme dans le droit des gens classique. Mais à l’État reposant sur la distinction public/privé s’est substitué l’État total qu’il érige en nouveau paradigme politico-juridique. Or, la guerre d’État total à État total n’est ni plus ni moins qu’une guerre de peuple à peuple, sans distinction possible entre les combattants et les non-combattants, puisque, même livrée par des armées régulières en rase campagne, elle mobilise et affecte l’ensemble de l’économie et de la société. Tertio, s’il dénonce les tendances à l’hostilité absolue qui découlent de la discrimination juridico-morale de l’ennemi, s’il récuse la distinction entre régime et population, qui transforme la guerre interétatique en guerre civile internationale, s’il milite pour le maintien de l’égalité juridico-morale entre les belligérants, c’est pour s’opposer à une disqualification du iiie Reich dans la guerre à venir (disqualification qui justifiera la non-reconnaissance du gouvernement allemand par les Alliés, l’exigence de la capitulation sans conditions et l’administration internationale de l’Allemagne).

Reprenons l’examen schmittien du concept de totaler Krieg. Depuis 1920, dit-il, cette formule est devenue un slogan prédominant en Europe. La doctrine fasciste vient à sa rencontre du côté de l’État : à l’État total correspond la guerre totale. Autrement dit, l’État total livre une guerre totale. Carl Schmitt, lui, développe en disciple de Clausewitz l’enchaînement suivant : ennemi total, guerre totale, État total. L’ennemi total appelle la guerre totale et la guerre totale, l’État total (seul l’État total est à même de réaliser la mobilisation totale et de soutenir la guerre totale). De même que la guerre implique l’hostilité, la guerre totale implique l’hostilité totale. L’une procède de l’autre. Il serait politiquement absurde – ou anti-clausewitzien – que l’hostilité découle de la belligérance, ou en devienne un simple épiphénomène, puisque c’est l’hostilité qui donne son sens à la belligérance, non l’inverse. C’est pourtant ce qui s’est malheureusement passé en 1914-1918. Les États européens ont glissé dans la guerre totale alors qu’il n’y avait pas d’hostilité totale entre eux ! C’est l’interaction de la guerre militaire continentale et de la guerre extra-militaire maritime « menée par les Anglais » – le publiciste ne souffle mot de la guerre sous-marine allemande -, et l’escalade entre ces deux formes de guerre, qui ont poussé aux extrêmes de la violence. L’aboutissement inéluctable du conflit fut, non un traité ni une paix, « mais un jugement du vainqueur condamnant le vaincu », le droit servant à disqualifier l’Allemagne et à entériner les ambitions occidentales. En 1936 et 1937, devant le risque d’un nouvel affrontement, Schmitt pose la question : existe-t’il une hostilité totale entre les nations européennes qui justifierait le recours à une guerre totale35 ? En soulignant, dans d’autres textes des années 1934-1942, la réalité d’une communauté européenne de droit des gens, d’où sont exclues successivement l’URSS puis l’Angleterre, il répond par la négative à cette dramatique question. Il n’y a pas d’hostilité irrémissible entre les nations européennes. Le véritable ennemi, commun, c’est l’URSS ou l’Angleterre. Celles-ci apparaissent alors comme des ennemies totales justiciables d’une guerre totale¼

Visant les Anglo-Saxons, Carl Schmitt met en relation la guerre totale avec la guerre maritime. Sur terre, la guerre est livrée par des armées étatiques régulières s’affrontant en rase campagne. La population civile reste en dehors des hostilités et n’est pas traitée en ennemie aussi longtemps qu’elle ne participe pas aux combats. À l’opposé, la guerre sur mer n’est pas une guerre entre militaires, car elle considère comme ennemi non seulement l’adversaire en armes, mais aussi tout ressortissant de l’État belligérant, et même toute personne ou État neutre qui entretient des relations économiques avec lui. En effet, les méthodes de la guerre maritime sont dirigées aussi bien contre les combattants que contre les non-combattants. Le blocus frappe indistinctement l’ensemble de la population du territoire visé. Le droit de prise permet de s’emparer de la propriété privée de l’ennemi et même de celle des neutres. La guerre maritime anglo-saxonne est donc totale parce qu’elle rejette la distinction propre à la guerre sur terre entre combattants et non-combattants. Elle l’est aussi parce qu’elle développe, pour le compte d’un impérialisme libéral et au nom d’une idéologie humanitaire, une doctrine de la « guerre juste » qui assimile l’ennemi à un criminel et rompt l’égalité juridico-morale des belligérants.

La critique de l’évolution vers un concept discriminatoire de guerre et d’ennemi

La guerre totale ne découle pas seulement ni même principalement de l’hostilité totale et de la mobilisation totale (de l’abolition de la distinction entre combattants et non-combattants). Elle correspond aussi et surtout à la proscription de la guerre et à la criminalisation de l’ennemi (à l’abolition de la distinction entre ennemi et criminel). « Il aura fallu la négation de l’hostilité réelle pour ouvrir la voie à l’œuvre d’extermination d’une hostilité absolue », écrit Schmitt en 196337. Le refus du tournant vers un concept discriminatoire de guerre et d’ennemi est un thème essentiel de l’œuvre du publiciste. Ce refus, visible dès 1932, approfondi en 1938-1939, l’amènera en 1950 à devenir « le dernier théoricien du jus publicum europaeum » – c’est-à-dire le premier opposant au Tribunal de Nuremberg. Élaborée en 1938-1939 – au moment où « les démocraties occidentales poussent à l’armement intellectuel pour leur « juste guerre »38 – puis après 1945, la récusation de la criminalisation de la guerre n’est cependant pas réductible au contexte du national-socialisme ni à la seule défense du Reich inculpé et condamné par le TMI. Ce sont les tendances fondamentales du droit international contemporain que Carl Schmitt remet en question. Ses propos sont de pleine actualité.

Du traité de Versailles et de la SDN au pacte Kellog, aux conventions de Londres et au jugement de Nuremberg, émerge l’idée d’une interdiction du recours à la belligérance, sanctionnée par la punition de l’agresseur. La conséquence en est qu’il faut considérer que l’une des deux parties au conflit n’est pas seulement un adversaire qui doit être vaincu mais un coupable qui doit être châtié. Cette non-reconnaissance des belligérants sur le plan du jus ad bellum voire du jus in bello entraîne l’exacerbation des buts de guerre et de la guerre elle-même. Le nouveau droit international a mis fin tant à la déclaration de guerre – assimilée à un acte d’agression – qu’au traité de paix et à l’amnistie – remplacés par le diktat et la condamnation dans un procès. Cette évolution est d’autant plus dommageable que l’hostilité demeure inéluctable. Adeptes de la « juridicisation » des relations internationales et adeptes du pacifisme le confirment. L’idée d’une réalisation du droit dans les relations internationales présupposant la souveraineté de ceux qui définissent et appliquent le droit, elle implique nécessairement l’éventualité d’un rapport ami-ennemi entre ceux qui sont pour et ceux qui sont contre ce droit. Quant à l’opposition des pacifistes à la guerre, elle ne pourrait triompher que si elle devenait elle-même politique, c’est-à-dire assez forte pour regrouper les hommes en amis et en ennemis : en précipitant les pacifistes dans une guerre contre les non-pacifistes, dans une « guerre contre la guerre ». C’est là un procédé de justification des guerres très « fécond de nos jours ». D’où l’intensité de ces guerres, qui font de l’ennemi un criminel à anéantir. Si « le concept d’humanité exclut le concept d’ennemi parce que l’ennemi lui-même ne laisse pas d’être un homme, le fait que certaines guerres soient menées au nom de l’humanité ne constitue pas une réfutation de cette vérité simple, mais seulement un renforcement de la signification politique. Quand un État combat son ennemi au nom de l’humanité, ce n’est pas une guerre de l’humanité mais bien plutôt une de celles où un État donné affrontant l’adversaire cherche à accaparer un concept universel pour s’identifier à celui-ci, comme on abuse d’autre part de la paix, de la justice, du progrès et de la civilisation en les revendiquant pour soi tout en les déniant à l’ennemi »39. Carl Schmitt dénonce la notion impolitique de « guerre à la guerre » : en déclarant la belligérance hors la loi, les pacifistes ou les tenants de la nouvelle doctrine de la « guerre juste » (celle menée contre l’agresseur au nom de la paix ou des droits de l’homme) sont conduits à criminaliser leurs adversaires. Les guerres les plus inexpiables sont ainsi livrées par ceux qui veulent supprimer la polarité ami-ennemi et transformer la belligérance en police internationale contre des coupables.

Last but not least, l’introduction du concept discriminatoire de guerre et d’ennemi a pour conséquence de rompre l’unité du peuple et de l’État. Depuis Hans Wehberg ou Georges Scelle, la plupart des juristes de l’Ouest affirment que les auteurs d’une guerre injuste doivent être poursuivis comme criminels de guerre devant une Cour de justice internationale. « You cannot interdict a nation », disait sir J.F. Williams. Il est possible de mener une action collective contre des États ou des peuples ; mais il est impossible de punir comme criminel un peuple entier, même en admettant l’idée de la responsabilité collective. La transformation de la guerre en opération de police conduit donc à distinguer entre la population et l’État. Au fur et à mesure que le conflit se donne comme une action internationale contre une violation du droit et de la paix, il se faisait passer pour une action pénale dirigée, non contre la population civile (même si elle subit les effets de la guerre), mais contre le gouvernement, de façon que la première se désolidarise du second. En résulte la mutation tendancielle de la guerre interétatique en « guerre civile internationale ».

L’évolution du sens de la guerre vers l’hostilité absolue s’effectue parallèlement à l’accroissement des moyens de destruction et à la globalisation du theatrum belli. Seule la disqualification morale et juridique de l’ennemi permet de légitimer l’application d’une violence aussi radicale que, par exemple, les bombardements aériens, a fortiori atomiques, sur les villes. La transformation de la belligérance en opération punitive contre des « criminels » justifie les méthodes (anglo-saxonnes) de la police bombing ou la menace (Est/Ouest) des représailles anticités. Le juste peut employer tous les moyens contre l’injuste : telle est la relation entre la guerre juste et la guerre totale. Dans la Théorie du partisan, Carl Schmitt – qui ramène la dissuasion nucléaire à l’hostilité absolue et à l’éventualité de la guerre totale- voit dans cette hostilité absolue la conséquence de la logique de l’arme atomique. Les armes de destruction massive, qui tiennent l’humanité en otage, exigent un ennemi absolu sous peine d’être absolument inhumains. En effet, « ce ne sont pas les moyens d’extermination qui exterminent, mais des hommes qui exterminent d’autres hommes par ces moyens ». Plus que la nature de l’arme, c’est la nature de l’ennemi qui est en cause. La « menace dernière » ne réside pas dans les « moyens d’extermination » mais dans « le caractère inéluctable d’une contrainte morale ». Les hommes qui utilisent les instruments d’anéantissement contre d’autres hommes se voient contraints au préalable d’anéantir moralement leurs adversaires, sous peine d’être eux-mêmes des criminels. L’hostilité absolue correspond ainsi à la condamnation juridico-morale de l’ennemi avant le déclenchement de l’opération d’extermination. Celle-ci, dans un monde futur où les notions d’amitié et d’hostilité auront disparu dans le « système moderne des criminalisations collectives », sera alors « toute abstraite et toute absolue ». Elle ne sera pas dirigée contre un ennemi politique ; « elle ne servira plus qu’à faire triompher, dans une prétendue objectivité, les valeurs suprêmes dont chacun sait qu’elles ne sauraient être payées trop cher ».

Police internationale ou reconnaissance de l’ennemi ?

Carl Schmitt a développé, de 1938 à 1963, le contraste entre le concept non-discriminatoire de guerre et d’ennemi et le concept discriminatoire, qui déchaîne au « nom de la guerre juste, des hostilités de classe ou de race à caractère révolutionnaire ». À l’encontre de la criminalisation, le publiciste pose une conception politique de l’hostis. L’ennemi n’est pas la figure du mal à annihiler ; sa défaite n’implique pas son écrasement ou sa capitulation sans condition. C’est parce qu’il pense qu’il y aura toujours des conflits que Schmitt affirme la nécessité de les contenir dans des limites admises, comme c’était la règle entre les États européens à l’âge classique. Or, c’est en acceptant l’égalité juridique et morale des belligérants que la réglementation de la conduite de la guerre devient possible et que l’esprit de modération qui doit la guider trouve sa justification. À l’époque de la guerre froide entre l’Est et l’Ouest – l’époque où écrit le publiciste -, l’époque qui produit les armes nucléaires et qui efface la distinction paix/guerre, la réflexion essentielle n’est-elle pas celle qui a pour objet la distinction de l’ami et de l’ennemi ? Le problème central n’est-il pas de relativiser l’hostilité et de limiter la guerre ? Carl Schmitt réclame la suppression de l’argumentation idéologique sur la guerre juste, qui implique la discrimination de l’ennemi, et son remplacement par une argumentation qui reconnaisse l’égalité des belligérants et distingue l’ennemi du criminel. Il oppose ainsi son concept politique d’ennemi au concept d’ennemi absolu. L’hostis implique épreuve de force et règlement du conflit. « Toute extermination n’est qu’une autodestruction », car « on se classe d’après son ennemi », dit-il dans Ex captivitate salus. C’est parce qu’il se situe sur un même plan que moi que j’ai à le combattre, « pour conquérir ma propre mesure ». « C’est dans la reconnaissance de (cette) reconnaissance réciproque que réside la grandeur du concept (d’ennemi) »41.

Le Figaro
16/01/2008
Pierre-André Taguieff, l’historien des idées, retrace le parcours d’un grand intellectuel que Raymond Aron admirait.
Julien Freund, au cœur du politique de Pierre-André Taguieff La Table ronde, 154 p., 18 €.
En France, avoir combattu le nazisme les armes à la main ne suffit pas toujours pour acquérir la respectabilité : il faut aussi être un «antifasciste» à la mode de chez nous. Autrement dit avoir été adoubé par des milieux universitaires qui ont, des décennies durant, consacré le marxisme comme étant la science indépassable de notre temps. Telle est la mésaventure survenue à Julien Freund, philosophe qu’on lira de plus en plus, au fur et à mesure qu’on délaissera Louis Althusser. Julien Freund est l’auteur d’une œuvre, L’Essence du politique (*), que Raymond Aron tenait pour géniale, ainsi que d’un ouvrage d’une rare érudition : La Décadence : histoire sociologique et philosophique d’une catégorie de l’expérience humaine; dans lequel il analyse les phénomènes de déclin qui travaillent les civilisations.
On croit que les penseurs sont des hommes de cabinet. C’est l’inverse qui est vrai pour Julien Freund. Né en 1921 à Henridorff, en Lorraine, celui-ci n’a pas le loisir de lire Aristote et Machiavel. L’événement qui surgit en 1940 ne lui en laisse pas le temps, il faut agir. Jeune étudiant réfugié à Clermont-Ferrand, il rejoint le mouvement Libération, fondé par son professeur de philosophie, Jean Cavaillès. Puis il adhère aux groupes francs de Combat, dirigé par le maurassien Jacques Renouvin, activisme qui le mène en prison puis en camp de captivité, d’où il s’évade, en 1944, pour gagner les maquis de la Drôme. Entre deux actions de partisans, il découvre une autre face de la résistance : la turpitude des règlements de comptes, la lâcheté des «héros» de la dernière heure. Un procès le marque à vie : celui d’une jeune communiste fusillée par ses «camarades». «Ce fut terrible, elle était innocente et le tribunal la condamna à mort. Il y eut cette nuit d’épouvante où les partisans la violèrent dans une grange à foin (…) Après une telle expérience, vous ne pouvez plus porter le même regard sur l’humanité», déclarera Freund.
Voir enfin:

Barack Obama : « Un monde sans armes nucléaires »

Le Monde

06.04.2009

Le 5 avril 2009, Barack Obama prononçait un discours à Prague à l’occasion d’un sommet UE-Etats-Unis.

« Je suis fier de me trouver ici avec vous aujourd’hui, au centre de cette ville prestigieuse, au centre de l’Europe (…). Quand je suis né, le monde était divisé, et nos nations étaient confrontées à une situation très différente. Peu de gens auraient prédit que quelqu’un comme moi deviendrait un jour un président américain. Peu de gens auraient prédit qu’un président américain serait un jour autorisé à parler à un public comme celui-ci à Prague. Et bien peu encore auraient imaginé que la République tchèque deviendrait une nation libre, un membre de l’OTAN, et serait à la tête d’une Europe unie. Ces idées auraient été écartées comme de doux rêves.

Nous sommes ici aujourd’hui parce qu’il y a eu assez de gens pour ignorer les voix qui leur disaient que le monde ne pourrait pas changer.

(…) Nous sommes ici aujourd’hui parce que le printemps de Prague – parce que la quête, simple et légitime, de liberté et de perspectives d’avenir – a couvert de honte ceux qui s’appuyaient sur le pouvoir des tanks et des armes pour écraser la volonté du peuple.

Nous sommes ici aujourd’hui parce que, il y a vingt ans, les gens de cette ville sont descendus dans la rue pour réclamer la promesse d’un jour nouveau et les droits humains fondamentaux qui leur avaient été refusés depuis bien trop longtemps. Sametová revoluce (la « révolution de velours ») nous a enseigné beaucoup de choses. Elle nous a montré qu’une protestation pacifique pouvait ébranler les fondations d’un empire et révéler la vanité d’une idéologie. Elle nous a montré que de petits pays pouvaient jouer un rôle pivot dans les événements du monde, et que des gens jeunes pouvaient montrer le chemin pour surmonter d’anciens conflits. Et elle a prouvé que le pouvoir moral était plus puissant que n’importe quelle arme.

Voici la raison pour laquelle je vous parle en ce moment, au centre d’une Europe pacifique, unie et libre : parce que des gens ordinaires ont cru que les fossés pouvaient être comblés, que les murs pouvaient s’écrouler et que la paix pouvait l’emporter.

Nous sommes ici aujourd’hui parce que des Américains et des Tchèques ont cru contre toute attente qu’aujourd’hui serait possible.

Nous partageons cette histoire commune. Mais maintenant cette génération – notre génération – ne peut rester immobile. Nous aussi sommes devant un choix. Si le monde connaît moins de divisions, il connaît plus d’interconnexions. Et nous avons vu les événements se précipiter au point de dépasser notre capacité à les contrôler : une économie mondiale en crise, un changement climatique, les dangereuses séquelles d’anciens conflits, de nouvelles menaces et la prolifération d’armes catastrophiques.

Aucun de ces défis ne peut être résolu de manière simple et rapide. Mais chacun d’eux exige que nous soyons à l’écoute les uns des autres et que nous travaillions ensemble ; que nous nous concentrions sur nos intérêts communs et non sur nos différences occasionnelles ; et que nous réaffirmions les valeurs que nous partageons, qui sont plus fortes que n’importe quelle force susceptible de nous diviser (…).

Pour renouveler notre prospérité, nous avons besoin d’une action coordonnée par-delà les frontières. Cela signifie des investissements pour créer de nouveaux emplois. Cela signifie résister aux murs du protectionnisme (…). Cela signifie un changement dans notre système financier, avec de nouvelles règles pour prévenir les abus et les crises futures. Et nous avons pour obligation envers notre prospérité commune et notre humanité commune de tendre la main à ces marchés émergents et à ces personnes appauvries qui souffrent le plus, ce pourquoi, un peu plus tôt dans la semaine, nous avons gardé en réserve mille milliards de dollars pour le Fonds monétaire international.

Pour protéger notre planète, il est temps aujourd’hui de changer la façon dont nous utilisons l’énergie. Ensemble, nous devons faire face au changement climatique en mettant un terme à la dépendance mondiale aux énergies fossiles et en exploitant le pouvoir de nouvelles sources d’énergie (…). Et je vous promets que, dans cet effort global, les Etats-Unis sont aujourd’hui prêts à montrer le chemin.

Pour assurer notre sécurité commune, nous devons renforcer notre alliance (…).

C’est le dixième anniversaire de l’entrée de la République tchèque dans l’OTAN. Je sais qu’à de nombreuses reprises au cours du XXe siècle, des décisions ont été prises sans que vous soyez consultés. De grandes puissances vous ont fait faux bond, ou bien ont décidé de votre avenir sans que vos voix soient entendues. Je suis ici pour dire que les Etats-Unis ne tourneront jamais le dos aux gens de cette nation. Nous sommes liés par des valeurs communes, une histoire commune, et par la promesse durable de notre alliance. L’article 5 de l’OTAN le formule clairement : une attaque contre l’un est une attaque contre tous. Cette promesse vaut pour maintenant et pour toujours.

Les habitants de la République tchèque ont tenu cette promesse quand l’Amérique a été attaquée, que des milliers de personnes ont été tuées sur notre sol, et l’OTAN a riposté. La mission de l’OTAN en Afghanistan est essentielle pour la sécurité des peuples des deux côtés de l’Atlantique. Nous visons les mêmes terroristes d’Al-Qaida qui ont frappé de New York à Londres, et aidons le peuple afghan à prendre en main son avenir. Nous démontrons que des nations libres peuvent faire cause commune au nom de notre commune sécurité (…).

Aucune alliance ne peut se permettre de rester immobile. Nous devons travailler ensemble en tant que membres de l’OTAN afin de mettre en place des plans d’urgence pour faire face à de nouvelles menaces, d’où qu’elles viennent. Nous devons renforcer notre coopération l’un envers l’autre (…). Et nous devons entretenir des relations constructives avec la Russie sur des questions qui nous préoccupent également.

L’une de ces questions sur lesquelles je vais me concentrer aujourd’hui est essentielle pour nos nations, et pour la paix et la sécurité dans le monde : l’avenir des armes nucléaires au XXIe siècle.

L’existence de milliers d’armes nucléaires est le legs le plus dangereux que nous a laissé la guerre froide. Il n’y a pas eu de guerre nucléaire entre les Etats-Unis et l’Union soviétique, mais des générations ont vécu avec la conscience que leur monde pouvait être effacé en un éclair (…).

Aujourd’hui, la guerre froide n’est plus, mais ces armes existent toujours par milliers. Par un de ces étranges retournements de l’histoire, la menace d’une guerre nucléaire mondiale a diminué, mais le risque d’une attaque nucléaire a augmenté. Davantage de nations ont acquis ces armes. Les essais se sont poursuivis. Des marchés parallèles font commerce de secrets et de matériaux nucléaires. La technologie nécessaire pour fabriquer une bombe s’est largement diffusée. Des terroristes sont prêts à tout pour en acheter, en construire ou en voler une. Nos efforts pour contenir ces dangers se concentrent sur un régime global de non-prolifération, mais si davantage de personnes et de nations enfreignent les règles, nous pourrions atteindre le point où le centre ne peut plus tenir.

Tout le monde est concerné, partout. Une arme nucléaire qui exploserait dans une grande ville – qu’il s’agisse de New York ou de Moscou, d’Islamabad ou de Bombay, de Tokyo ou de Tel-Aviv, de Paris ou de Prague – pourrait causer la mort de centaines de milliers de gens. Et quel que soit le lieu, les conséquences sur notre sécurité, notre société, notre économie et, en définitive, notre survie seraient sans fin au niveau mondial.

(…) Tout comme nous nous sommes dressés au XXe siècle pour défendre la liberté, nous devons nous dresser ensemble au XXIe siècle pour vivre libres de toute peur. Et en tant que puissance nucléaire – en tant qu’unique puissance nucléaire ayant eu recours à l’arme nucléaire -, les Etats-Unis ont la responsabilité morale d’agir. Nous ne pouvons réussir seuls dans cette entreprise, mais nous pouvons la conduire.

Ainsi, aujourd’hui, j’affirme clairement et avec conviction l’engagement de l’Amérique à rechercher la paix et la sécurité dans un monde sans armes nucléaires. Ce but ne pourra être atteint avant longtemps, sans doute pas de mon vivant. Il faudra de la patience et de l’obstination. Mais maintenant, c’est à nous d’ignorer les voix qui nous disent que le monde ne peut pas changer.

Premièrement, les Etats-Unis vont prendre des mesures concrètes en faveur d’un monde sans armes nucléaires.

Pour mettre un terme à l’esprit de la guerre froide, nous réduirons le rôle des armes nucléaires dans notre stratégie de sécurité nationale et nous inciterons les autres pays à faire de même. Ne vous méprenez pas : tant que ces armes existeront, nous conserverons un arsenal sûr et efficace pour dissuader tout adversaire, et garantir la défense de nos alliés, notamment la République tchèque. Nous allons cependant commencer à procéder à la réduction de notre arsenal.

Afin de réduire nos ogives et stocks d’armes nucléaires, nous négocierons cette année un nouveau traité de réduction des armes stratégiques avec la Russie. Le président Medvedev et moi-même avons commencé ce processus à Londres, et nous chercherons d’ici à la fin de l’année un nouvel accord qui ait force de loi et soit suffisamment audacieux. Cela ouvrira la voie à de nouvelles réductions, et nous chercherons à inclure dans cette entreprise tous les Etats dotés de l’arme nucléaire.

Pour parvenir à une interdiction globale sur les essais nucléaires, mon administration va immédiatement et énergiquement se consacrer à la ratification par le Sénat américain du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires. Après plus de cinq décennies de pourparlers, le temps est venu que les essais d’armes nucléaires soient définitivement bannis.

Pour supprimer les composants nécessaires à la fabrication d’une bombe, les Etats-Unis vont chercher à établir un nouveau traité qui mette fin de façon vérifiable à la production de matières fissiles destinées aux armes nucléaires. Si nous voulons sérieusement arrêter la prolifération de ces armes, nous devons alors mettre un terme à la production spécifique des matériaux de qualité militaire qui les créent.

Deuxièmement, tous ensemble, nous allons consolider le Traité de non-prolifération nucléaire comme base de coopération.

Le marché est simple : les pays possédant l’arme nucléaire s’engageront vers un désarmement, ceux qui n’en sont pas dotés ne l’acquerront pas ; et tous les pays pourront accéder à une énergie nucléaire pacifique. Pour étayer le traité, nous devrons adopter plusieurs principes. Nous avons besoin de davantage de moyens et d’autorité pour renforcer les contrôles internationaux. Nous demandons des sanctions réelles et immédiates pour les pays qui enfreignent les règles ou qui tentent d’abandonner le traité sans raison valable.

Nous allons construire un nouveau cadre pour une coopération nucléaire civile, comprenant une banque internationale d’approvisionnement en combustible pour que les pays puissent disposer d’une puissance pacifique sans augmenter les risques de prolifération. Chaque nation qui renonce aux armes nucléaires, en particulier les pays en développement mettant en oeuvre des programmes pacifiques, devra y avoir accès. Aucune méthode ne pourra aboutir si elle s’appuie sur le refus de droits aux nations qui respectent les règles. Nous devons utiliser la puissance de l’énergie nucléaire au nom de nos efforts pour combattre le changement climatique et pour offrir à tous des perspectives d’avenir.

Nous ne nous berçons pas d’illusions. Certains ne respecteront pas les règles, et c’est la raison pour laquelle il nous faut mettre en place une structure qui garantisse que si une nation est en infraction, elle en assume les conséquences. Ce matin même, l’actualité nous a rappelé que nous devions avoir une approche nouvelle et plus rigoureuse afin de faire face à cette menace. La Corée du Nord a une fois encore enfreint les règles en testant une fusée qui pourrait servir de missile à longue portée.

Cette provocation met en évidence la nécessité d’agir : pas seulement cet après-midi auprès du Conseil de sécurité des Nations unies, mais dans notre détermination à empêcher la dissémination de ces armes. Les règles doivent avoir un caractère contraignant. Les violations doivent être punies. Les mots doivent avoir un sens. Le monde doit se rassembler pour empêcher la prolifération de ces armes.

Il est temps aujourd’hui d’avoir une réponse internationale forte. La Corée du Nord doit savoir que la voie vers la sécurité et le respect ne passe jamais par des menaces et des armes illégales. Toutes les nations doivent s’unir pour construire un cadre réglementaire mondial plus puissant.

L’Iran n’a pas encore construit une arme nucléaire. Mon administration cherchera à établir un accord avec l’Iran en s’appuyant sur des intérêts mutuels et un respect mutuel, et nous offrirons un choix clair. Nous souhaitons que l’Iran prenne sa place légitime dans la communauté des nations, politiquement et économiquement. Nous soutiendrons le droit de l’Iran à disposer d’une énergie nucléaire pacifique dans le cadre de contrôles rigoureux. C’est une voie que la République islamique peut adopter. Le gouvernement peut également faire le choix d’un isolement et d’une pression internationale accrus et d’une éventuelle course aux armements nucléaires dans cette région qui augmentera l’insécurité pour tous.

Que les choses soient claires : les activités iraniennes liées aux missiles balistiques et nucléaires constituent une réelle menace, pas uniquement pour les Etats-Unis, mais pour les voisins de l’Iran et pour nos alliés. La République tchèque et la Pologne ont eu le courage d’accepter sur leur sol des forces de défense contre ces missiles.

Tant que la menace iranienne persistera, nous avons l’intention de maintenir un système de défense antimissile qui soit efficace économiquement et ait fait ses preuves. Si la menace iranienne disparaît, notre sécurité reposera sur des bases plus solides, et le besoin de construction d’une défense antimissile en Europe ne se fera alors plus sentir.

Enfin, nous devons veiller à ce que les terroristes n’acquièrent jamais l’arme nucléaire.

Il s’agit de la menace la plus immédiate et extrême pour la sécurité du monde. Des terroristes détenant l’arme nucléaire pourraient se livrer à une destruction massive. Al-Qaida a dit être à la recherche de la bombe. Nous savons que des matériaux nucléaires non sécurisés sont présents dans le monde entier. Pour protéger nos populations, nous devons agir avec détermination et sans plus attendre.

Aujourd’hui, j’annonce un nouvel effort international afin de sécuriser dans les quatre années à venir tous les matériaux nucléaires sensibles dans le monde entier. Nous allons fixer de nouvelles normes, élargir notre coopération avec la Russie, et chercher à obtenir de nouveaux partenariats pour placer ces matériaux sensibles hors d’atteinte.

Nous devons également poursuivre nos efforts pour disloquer les marchés parallèles, détecter et intercepter les matériaux en transit, et utiliser des outils financiers pour déstructurer ce commerce dangereux. Comme cette menace est susceptible de durer, nous devons nous unir pour transformer des mesures telles que l’Initiative de sécurité contre la prolifération et l’Initiative globale de lutte contre le terrorisme nucléaire en institutions internationales durables. Nous allons commencer par la tenue d’un sommet mondial sur la sécurité nucléaire, qui aura lieu aux Etats-Unis d’ici l’an prochain.

Je sais que certains vont se demander si nous sommes en mesure d’agir sur un programme aussi vaste. D’autres vont douter de la possibilité d’une coopération internationale réelle, compte tenu des différences inévitables entre les nations (…).

Mais ne vous méprenez pas : nous savons où cela mène. Lorsque des nations et des populations se laissent définir par leurs différences, le fossé entre elles se creuse. Si l’on s’abstient de chercher à obtenir la paix, elle restera pour toujours hors de notre portée. Dénoncer ou dédaigner un appel à la coopération est facile et lâche. C’est ainsi que commencent les guerres. C’est ici que l’humanité cesse de progresser.

Nous devons affronter la violence et l’injustice de notre monde. Nous devons y faire face non en nous divisant, mais en nous unissant comme des nations libres, des citoyens libres. Je sais qu’un appel à prendre les armes plutôt qu’un appel à les déposer peut semer le trouble dans les consciences des femmes et des hommes. Voilà pourquoi les voix en faveur de la paix et du progrès doivent s’élever toutes ensemble.

Ce sont les voix qui résonnent encore dans les rues de Prague. Ce sont les fantômes de 1968. Ce furent les sons joyeux de la « révolution de velours ». Ce furent les Tchèques qui, sans tirer un coup de feu, aidèrent à faire chuter un empire doté de l’arme nucléaire.

La destinée de l’humanité sera ce que nous en ferons. Ici, à Prague, honorons notre passé en visant un avenir meilleur. Surmontons nos divisions, avançons en nous appuyant sur nos espoirs, et acceptons la responsabilité de laisser ce monde plus prospère et plus pacifique que nous l’avons trouvé. Merci. »

(Traduit par Isabelle Chérel.)

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2009/04/06/barack-obama-un-monde-sans-armes-nucleaires_1177289_3232.html#P97JWprfvb4Xx84t.99


Affaire Galliano: Attention, un scandale peut en cacher un autre (From Carter to Galliano: Antisemitism for dummies)

7 mars, 2011

Foreign policy for dummies (Obama cartoon)

J’ai tellement entendu les propos de M. Gollnisch à Lyon que cela finissait par ne plus m’émouvoir. Quand on entend à longueur de journée tout ce qui se dit à droite et à gauche, à la fin on n’y porte plus attention. Raymond Barre
Cet attentat odieux a voulu frapper les israélites qui se rendaient à la synagogue, il a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic. Raymond Barre (1980)
Ce n’est pas une politique de tuer des enfants. Chirac (à Barak, 2000)
La situation est tragique mais les forces en présence au Moyen-Orient font qu’au long terme, Israël, comme autrefois les Royaumes francs, finira par disparaître. Cette région a toujours rejeté les corps étrangers. Villepin (2001)
Pourquoi accepterions-nous une troisième guerre mondiale à cause de ces gens là? Daniel Bernard (ambassadeur de France, après avoir qualifié Israël de « petit pays de merde », Londres, décembre 2001)
Les Israéliens se sont surarmés et en faisant cela, ils font la même faute que les Américains, celle de ne pas avoir compris les leçons de la deuxième guerre mondiale, car il n’y a jamais rien de bon à attendre d’une guerre. Et la force peut détruire, elle ne peut jamais rien construire, surtout pas la paix. Le fait d’être ivre de puissance et d’être seul à l’avoir, si vous n’êtes pas très cultivé, enfant d’une longue histoire et grande pratique, vous allez toujours croire que vous pouvez imposer votre vision. Israël vit encore cette illusion, les Israéliens sont probablement dans la période où ils sont en train de comprendre leurs limites. C’était Sharon le premier général qui s’est retiré de la bande de Gaza car il ne pouvait plus la tenir. Nous défendons absolument le droit à l’existence d’Israël et à sa sécurité, mais nous ne défendons pas son droit à se conduire en puissance occupante, cynique et brutale … Michel Rocard (2006)
C’est un moment génial de l’histoire de France. Toute la communauté issue de l’immigration adhère complètement à la position de la France. Tout d’un coup, il y a une espèce de ferment. Profitons de cet espace de francitude nouvelle. Jean-Louis Borloo (ministre délégué à la Ville, suite à des manifestations anti-guerre d’Irak marquées par nombre de cris d' »A mort les juifs! », avril 2003)
Sur la question des chambres à gaz, il est vraisemblable que la totalité de celles projetées par les nazis n’ont pas été construites. Abbé Pierre
Comment comprendre le passage du juif persécuté à l’Israélien persécuteur? Edgar Morin (1997)
Pour moi, l’image correspondait à la réalité de la situation non seulement à Gaza, mais aussi en Cisjordanie. L’armée israélienne ripostait au soulèvement palestinien par l’utilisation massive de tirs à balles réelles. (…) Du 29 septembre à la fin octobre 2000, 118 Palestiniens sont morts, parmi eux 33 avaient moins de 18 ans. Onze Israéliens ont été tués, tous adultes. Charles Enderlin
A Gaza et dans les territoires occupés, ils ont [les meurtres de violées] représenté deux tiers des homicides (…) Les femmes palestiniennes violées par les soldats israéliens sont systématiquement tuées par leur propre famille. Ici, le viol devient un crime de guerre, car les soldats israéliens agissent en parfaite connaissance de cause. Sara Daniel (Le Nouvel Observateur, 2001, démenti par la suite)
Comment la puissance américaine a-t-elle été contestée le 11 septembre 2001? Sujet de géographie du brevet francais (2005)
Aucun avion ne s’est écrasé sur le Pentagone.Thierry Meyssan
Moi j’ai tendance à être plutôt souvent de l’avis de la théorie du complot.(…) Parce que je pense qu’on nous ment sur énormément de choses: Coluche, le 11-Septembre. (…) c’était bourré d’or les tours du 11-Septembre, et puis c’était un gouffre à thunes parce ce que ça a été terminé, il me semble, en 73 et pour recâbler tout ça, pour mettre à l’heure de toute la technologie et tout, c’était beaucoup plus cher de faire les travaux que de les détruire. Marion Cotillard
[Est-ce que tu penses que Bush peut être à l’origine de ces attentats (les attentats du 11-Septembre) ?] Je pense que c’est possible. Je sais que les sites qui parlent de ce problème sont des sites qui ont les plus gros taux de visites. (…) Et donc je me dis, moi qui suis très sensibilisée au problème des nouvelles techniques de l’information et de la communication, que cette expression de la masse et du peuple ne peut pas être sans aucune vérité. (…) Je ne te dis pas que j’adhère à cette posture, mais disons que je m’interroge quand même un petit peu sur cette question.(…) C’est la responsabilité de chaque blogueur de se faire son idée. Christine Boutin (nov. 2006)
Je suis allée voir l’ambassadeur iranien à l’époque et il a dit que bien sûr c’était vrai.  (…) Elle affirme donc que la CIA et d’autres agences étaient au courant qu’il y aurait quelque chose le 11 septembre? « Absolument ». Doit-on comprendre qu’il s’agit d’un complot interne US ou que al-Qaïda est le responsable? « Tout le monde est responsable. Si seulement vous en saviez plus, c’est encore plus déprimant.  Juliette Binoche (sept. 2007)
Il est sûr et certain maintenant que les deux avions qui sont écrasés soit disant dans la forêt et au Pentagon n’existent pas, il n’y a jamais eu d’avions, ces deux avions volent encore, c’est un mensonge absolument énorme (…) et l’on commence à penser très sérieusement que ni al Qaida et ni aucun ben Laden n’a été responsable des attentats su 11 Septembre (…) Non, c’est un missile américain qui frappe le Pentagone, tout simplement donc ils ont provoqué eux mêmes, ils ont tué des Américains. (…) c’est une démolition programmée les tours du World Trade Center (…) tous les spécialistes de la terre sont d’accord là-dessus. Jean-Marie Bigard
Goebbels a dit: plus le mensonge est gros plus il passe. Donc on doit se poser la question de ce qui s’est passé le 11 septembre 2001. Matthieu Kassovitz
[Et tu penses qu’en France le Mossad pourrait attaquer les synagogues …?] Je ne sais pas si c’est le cas. Simplement, ce que je dis, c’est qu’il faut savoir à qui peut profiter le crime. José Bové (à Karl Zéro, Canal plus, avril 2002)
A la limite, c’est eux qui l’ont fait, mais c’est nous qui l’avons voulu. Jean Baudrillard (sept. 2001)
La plus grande oeuvre d’art jamais réalisée … Karlheinz Stockhausen (nov. 2001)
J’aurais été bien plus content si, le 11 septembre, le Pentagone avait été mis à terre et s’ils n’avaient pas manqué la Maison Blanche – au lieu de voir s’effondrer les Twin Towers remplies de milliers de travailleurs américains, parmi lesquels, paraît-il, se trouvaient presqu’un millier de clandestins. Toni Negri
On est des Arabes et des Noirs, faut qu’on se soutienne. (…) Les juifs sont les rois car ils bouffent l’argent de l’Etat et, moi, comme je suis noir, je suis considéré comme un esclave par l’Etat. Yousouf Fofana (février 2006)
Il y a un grand nombre de gens mis en cause dans l’affaire d’Ilan (vingt-sept en tout), à qui il faut ajouter les amis, les petits-amis et petites-amies et parfois les parents. On arrive à une quarantaine de personnes qui, elles, savaient pertinemment qu’un jeune homme était détenu, nourri à l’aide d’une paille, ficelé, baillonné, voire frappé. Et toutes ces personnes se sont tues (…) [alors qu’] un simple coup de fil anonyme aurait mis en quelques heures fin au calvaire d’Ilan Halimi. Alexandre Lévy
Dans cette histoire, on retrouve tous les ingrédients du fonctionnement des ghettos : la logique du groupe qui fait commettre des actes qu’on ne commettrait pas individuellement, la présence d’un leader charismatique, la loi du silence, la peur, l’absence de solidarité avec des gens extérieurs au quartier et l’antisémitisme qui circule dans le groupe et d’une certaine façon le cimente, donnant à chacun l’illusion d’exister et d’être en possession d’une forme de compréhension supérieure qui échappe au commun des mortels. On est sur des logiques collectives assez classiques. (…) La focalisation sur les événements du Proche-Orient vient du fait que les gens sont antisémites, pas l’inverse. L’antisémitisme puise ses racines dans les conditions sociales et le vide politique qui règnent dans certaines banlieues. C’est une forme de ‘socialisme des imbéciles’ . Quand on écoute les gens tenir des propos antisémites, ils font leur portrait à l’envers : les juifs sont puissants, je suis faible ; ils sont partout, je suis nulle part; ils sont solidaires, je suis seul ; ils ont le droit de revendiquer leur identité, nous, au contraire, n’avons aucun droit, etc. Didier Lapeyronnie (sociologue)
Je suis un partisan du fascisme : notre unique chance de nous sortir de ce libéralisme répugnant, c’est l’extrême droite, tyrannique et dictatoriale. Les rock-stars sont fascistes aussi et Hitler était l’une des premières. Ce n’était pas un politicien mais un grand artiste moderne. Il a utilisé la politique et le théâtre pour créer cette chose qui allait gouverner et contrôler le spectacle pendant ces douze années-là : il a mis en scène un pays. David Bowie (Playboy, 1976)
Les juifs sont responsables de toutes les guerres dans le monde. Est-ce que vous êtes juif? Mel Gibson (août 2006)
Deutschland, Deutschland über alles… Pete Doherty (concert à Munich retransmis en direct à la télévision allemande, décembre 2009)
Mais il n’y a pas de doute qu’à l’intérieur des territoires occupés palestiniens on a affaire à un exemple effarant d’apartheid. Jimmy Carter
Si je parle d’Auschwitz, ce n’est pas pour dire qu’il y a chambre à gaz, qu’il y a… non, c’est l’esprit ! José Saramago (2002)
(L’armée israélienne) continue fidèlement (…) les doctrines génocidaires de ceux qui ont torturé, gazé et brûlé ses ancêtres. José Saramago
(…) ces experts en cruauté, ces diplômés en mépris, qui regardent le monde du haut de leur insolence qui est à la base de leur éducation. Nous comprenons mieux leur dieu biblique lorsque nous observons ses disciples. Jéhova, ou Yahvé, quel que soit le nom qui le désigne, est un dieu rancunier et féroce, un dieu que les Israéliens actualisent en permanence. José Saramago
Le blond David d’antan survole en hélicoptère les territoires occupés de Palestine. Il lance des missiles sur des innocents désarmés. Le délicat David d’antan conduit les tanks les plus puissants du monde et rase et détruit tout ce qu’il trouve sur son chemin. Le David lyrique qui chantait les louanges de Bethsabée, incarné à présent dans la figure gargantuesque d’un criminel de guerre nommé Ariel Sharon, lance le message ‘poétique’ qu’il faut au préalable en finir avec les Palestiniens pour après négocier avec ceux qui restent. » (…) (…) Mentalement intoxiqués par l’idée messianique du grand Israël qui leur permettra de concrétiser enfin les rêves expansionnistes du sionisme le plus radical ; contaminés par la ‘certitude’ monstrueuse et indéracinable que, dans ce monde catastrophique et absurde, il existe un peuple élu de Dieu et que, de ce fait, et au nom des horreurs du passé et des peurs du présent, toutes les actions inspirées d’un racisme obsessionnel, psychologiquement et pathologiquement exclusiviste, sont automatiquement justifiées et autorisées ; éduqués et endoctrinés dans l’idée que toute souffrance déjà infligée, ou en cours d’infliction, ou qui sera infligée, à n’importe qui d’autre, mais en particulier aux Palestiniens, sera toujours inférieure aux souffrances qu’eux-mêmes ont vécues pendant l’Holocauste, les juifs grattent sans cesse leur propre plaie pour qu’elle n’arrête pas de saigner, pour la rendre incurable, et ils l’exhibent au monde comme s’il s’agissait d’un drapeau. Israël s’approprie les terribles paroles de Dieu dans le Deutéronome : « à moi la vengeance, à moi la rétribution ». Israël veut que nous nous sentions, directement ou indirectement, tous coupables des horreurs de l’Holocauste ; Israël veut que nous renoncions à notre plus élémentaire faculté de jugement critique pour que nous nous transformions en un docile écho de sa volonté ; Israël veut que nous reconnaissions de jure ce que pour eux constitue déjà un exercice de facto : l’impunité absolue. Du point de vue des juifs, parce qu’ils ont été torturés, gazés et incinérés à Auschwitz, Israël ne pourra jamais être soumis à la loi. Je me demande si les juifs qui sont morts dans les camps de concentration nazis, ceux qui furent persécutés tout au long de l’histoire, ceux qui sont morts dans les pogroms, ceux qui furent oubliés dans les ghettos, oui, je me demande si cette immense multitude de malheureux n’aurait pas eu honte des actes infâmes que leurs descendants commettent. Je me demande si le fait d’avoir tant souffert ne serait pas la meilleure raison de ne pas faire souffrir autrui. José Saramago
J’ai été profondément bouleversé lors de ma visite en Terre Sainte ; cela m’a tant rappelé ce que qui nous est arrivé à nous les noirs d’Afrique du Sud. J’ai vu l’humiliation des palestiniens aux check-points et aux barrages routiers, je les ai vus souffrir comme nous quand de jeunes officiers de police blancs nous empêchaient de nous déplacer. (…) Les gens ici [aux USA] sont paniqués à l’idée de dire que ce qui est mal est mal, parce que le lobby juif est puissant – très puissant. Desmond Tutu (2002)
Hitler a fait bien plus de mal au peuple russe qu’au peuple juif», avant de verser dans la théorie du complot en déclarant que la «domination juive des médias» explique le fait que l’Holocauste est plus médiatisé que les millions de morts russes pendant la Seconde guerre mondiale. (…) Il y a un lobby majeur. Ce sont de gros travailleurs. […] C’est le lobby le plus puissant à Washington. Israël a [fichu en l’air] la politique étrangère des Etats-Unis depuis des années. Oliver Stone (juillet 2010)
Oubliez le truc sur les juifs. Julian Assange
Let me suggest two possible answers. The first is that little about the nature of prejudice has really changed, but technology has brought private prejudices into the public arena. (…)The pervasiveness of cellphone videos and the widespread use of the social media have blurred the line between private and public expression. What used to be only whispered to friends at a bar is now broadcast around the world. There is a second, a far more troubling answer to « Why the Jews? » Prominent public figures have blurred another line as well — the line between anti-Zionism and anti-Semitism, between attacking the Jewish state and attacking the Jewish people. (…) By thus blurring the line between legitimate political criticism and illegitimate bigotry, widely admired people like Tutu and Carter legitimize the kind of anti-Semitic attitudes that manifest themselves in the rants of celebrities like Galliano, Sheen and Gibson. This blurring has also affected the tone on university campuses around the world, where Tutu and Carter are particularly admired and imitated. I speak at universities and had never, until recently, heard and seen the kind of language now being directed against Jewish students and faculty who support Israel. So I was not as surprised as some by the recent celebrity rants. The oldest prejudice has never quite disappeared. It just went underground — waiting for the right moment to fester. Alan Dershowitz
Casual antisemitism appears to be having a « moment » right now. Casual antisemitism is « hot » and seemingly nowhere « hotter » than in the US entertainment industry. (…) With all the terrible problems going on in the world, some involving Jewish issues, does it matter if some well-known types, some of whom, frankly, aren’t the brightest, let their masks slip? Yes, it does. (…) this is the kind of thing ordinary people around the world can relate to. Gossipy, accessible, easy to understand, full of scandal and famous faces. Its antisemitism for dummies – for people who otherwise would probably barely be aware of what antisemitism is. Just as some say marijuana is a gateway to harder drugs, so could such incidents serve as gateways to much nastier, more-focused antisemitism. « Hmm, says here, Jews control Hollywood »; « Duh, just read that Jews cause all the wars. » People unable to grasp the complexities of the Middle East, or WikiLeaks, or even Two and a Half Men, can come in on this lower intellectual rung – absorbing, repeating, and spreading antisemitic bilge without even realising it. At a time when Jewish people can barely even point out antisemitism without being shouted down as over-sensitive, paranoid or enthralled by their own victimhood, such exposure, unchecked, could become incredibly powerful. Natalie Portman was not only brave to speak out, without hesitation, about the Galliano incident, but this Harvard-educated actress was also bright enough to realise that she effectively had no choice. Barbara Ellen
Attention: un scandale peut en cacher un autre! 

Propos antisémites, apologie du nazisme, promotion des théories du complot sur le 11 septembre …

 

Barre, Chirac, Rocard, Abbé Pierre, Morin,  Baudrillard, Boutin, Bové, Carter, Tutu, Farrakhan … 

Dieudonné, Kassovitz, Cotillard, Bigard, Prince Harry, Mosley, Stone, Assange, Sheen, Galliano …  

Où l’on (re)découvre…
.
Derrière le dérapage alcoolisé ou amphétaminé d’une énième célébrité
.
La réalité quotidienne de la population de tout un quartier de Paris.

Mais aussi, derrière la banalisation voire l’instrumentalisation (le dernier chic pour choquer le bourgeois et créer le buzz, sans parler des passages à l’acte à la Fofana!) du véritable « socialisme des imbéciles » qu’est devenu, comme alternativement sa variante anti-américaniste, le  discours antisémite.

Les décennies de levée des tabous de la part de nos dument nobélisés Carter, Tutu et compagnie … 

Jewish people in the French capital live in the shadow of hatred
Antisemitic comments allegedly made by the designer John Galliano come as no surprise in the Marais quarter of Paris
Kim Willsher
The Observer
Sunday 6 March 2011   
 
Orthodox Jews in the Marais district of Paris where John Galliano allegedly made his comments. Photograph: Alamy Like most Paris schools, the Ecole des Hospitalières-Saint-Gervais bears a sombre plaque. It reads: « 165 Jewish children from this school, deported to Germany during the second world war, were exterminated in the Nazi camps. Do not forget.
 
 In this district, known as the Marais, the heart of Paris’s oldest Jewish quarter, gay bars rub shoulders with falafel cafés, kosher restaurants, synagogues and prayer rooms. Its labyrinthine streets have been home to Jews on and off since the 13th century. Ten days ago, however, it also played host to John Galliano.
 
The alleged infamous outburst of the Dior designer, who has now been sacked, in which he is said to have abused a Jewish woman and her Asian boyfriend, was offensive on many levels – not only because of what he allegedly said, but because of where he said it. It was in a bar just a few paces from the Hospitalières-Saint-Gervais that the couturier, who is British but has lived in the French capital for two decades, was arrested. And it was also where, last year, he was filmed telling two women he believed to be Jewish that he loved Hitler.
 
His reported behaviour has shocked France and the fashion world. Yet in what locals call the pletzl – « little place » in Yiddish – it provoked little surprise. Local residents and traders say that the insult « sale juif » (dirty Jew) is a fact of daily life; asking a local if they have suffered abuse provokes a quizzical stare as if you are trying to be funny. « Bien sûr » (« of course ») is the most common reply.
« It’s stating the obvious, » says one kippah-wearing youngster in the Rue des Rosiers, the Jewish quarter’s main street. « We hear what Galliano said, or versions of it, every day, sometimes several times every day. » Like many I speak to, he prefers not to be named.
 
Standing in the doorway of a grocery shop, Dan points to his wide-brimmed black hat. « My 80-year-old neighbour told me that when she was growing up they used to say we Jews wore these hats to hide our horns, and long black coats to hide our tails, » he says, laughing.
« She would tell me not to let my boys wear their [skull] caps in case ‘they’ come back. More than 50 years after the war, she still thought it could happen again. »

At the Sacha Finkelsztajn pastry shop, famous for its apple strudel and cheesecake, two women shrug when Galliano’s alleged antisemitic diatribe is mentioned. Over the road in the Panzer, a grocery store, the shop assistant refuses to talk about Galliano. « We’re always being called ‘dirty Jews’; there’s always been antisemitism here and there always will be. It upsets me, but it doesn’t shock me. » Galliano was filmed telling the two women he thought were Jewish that their relatives would have been « fucking gassed ».

In La Perle, the trendy bar where the designer – who denies being antisemitic – was arrested after another alleged outburst, Jérôme says: « France invented the term ‘antisemitism’. »
He says he would like to write a book on « happy » events in Jewish history, but adds that he would need time to research some. « I find it depressing that whenever I talk to my son about Jewish history it’s just one long list of terrible events. »
 
Like a sore that never completely heals, antisemitism erupts in France, which has the biggest Jewish community in Europe, with depressing regularity. Toni Kamins, the American author of The Complete Jewish Guide to France, observes that since Roman times Jews have been subject to vilification and humiliation. It is a history scarred with mass expulsions, forced conversions to Christianity, crippling taxation, segregation and « both systematic and random physical violence and murder ».
 
The French revolution and the early 19th century saw the country’s Jewish citizens emancipated. But the undercurrent of hatred persisted, culminating in the Dreyfus affair in 1894, with the trial and false conviction of Alfred Dreyfus, a French military officer of Jewish descent, which is often described as one of the most influential events in the modern history of French Jewry. Dreyfus became a byword for antisemitism.
At the time of Nazi occupation in 1940, as many as 9,000 Jews lived in the Marais. Many of them were among the estimated 76,000 French Jews who were deported between 1942 and 1944 to Auschwitz-Birkenau, where most were exterminated on arrival.
 
In 1982, after a terrorist bomb planted outside the Copernic synagogue in Paris killed four people – only one of them Jewish — the then prime minister, Raymond Barre, spoke of « a heinous act » that had struck « innocent French people ». When a British-born rabbi, Michael Williams, tried to visit the injured in hospital, he says he was told: « Get the hell out of here. You’re responsible for this. »
 
Then, in 2006, a 23-year-old mobile-phone salesman was kidnapped and horrifically tortured for three weeks before being left for dead because he was Jewish and his Muslim attackers assumed his family had money.
Until recently the extreme-right Front National of Jean-Marie Le Pen was the political face of antisemitism in France. Since his daughter, Marine, became leader, it has moved away from historical revisionism and has its sights on France’s Muslim population.

In the Marais, many Jews now blame antisemitism on immigrants from France’s former north African colonies, and on the country’s traditional special relationship with Arab countries.

The Jewish community’s Protection Service documented 466 reported antisemitic incidents in 2010 – down from a 10-year peak of 974 in 2004 – but says many more go unreported. It says most attacks can be linked to Muslim fundamentalists.

Politically, the « Jewish question » is often a scratch from the surface in France. A fortnight ago Le Monde reported that French internet surfers searching for information on politicians typed a name followed by « Juif » (« Jew ») more frequently than in any other nation. Olivier Ertzscheid, an internet specialist at Nantes University, said this could « reveal the mentality » of the country.

A French newspaper website recently asked: « Is France ready for a Jewish president? » Dominique Strauss-Kahn, head of the International Monetary Fund and a potential candidate in next year’s presidential elections, was recently described by an opponent as « cosmopolitan » and « not the image of rural France », both well-known French euphemisms for being Jewish.

Jérôme believes the idea of the « enemy within » – epitomised by the Dreyfus case – is a cause of antisemitism that is unique to France. « I think it makes some people angry that Jewish people are so well integrated that, while they know we are here, they don’t know who we are. »

He describes a Gallic attitude to its Jewish population that is two-faced: « The Jews who were deported and died during the second world war were mostly denounced by French people, but those French Jews who remained in France and lived were saved by French people. »

It is 4.30pm, and across the other side of the Marais from La Perle the bell rings at the Jewish school. Pupils do not stream out of the door. Instead, a nervous-looking man with a walkie-talkie propels them into waiting cars.

In his grocery store, not far from Goldenbergs, the restaurant that was targeted by terrorists in 1982 and is now a men’s clothing shop, Dan says that local people live in fear of attack. But he adds: « It’s a peaceful place on the whole. We have a Jewish saying: you can tell what’s in the heart of a man by how he behaves when he’s drunk, when he’s angry and when he has money. I think we have seen what’s in the heart of Galliano. »

Voir aussi:

Why the Jews?
Anti-Semitism never went away — it just went underground
Alan M. Dershowitz
March 5, 2011
 
When celebrities are drunk, on drugs or just high on their own egos, they often engage in rants. These days many such rants are captured on cellphone videos or audio tapes and go viral on the Internet. Nothing surprising there. What is surprising to many is that the rant du jour seems to be directed against Jews.
 
Consider the former Dior designer, John Galliano, who was sitting in a bar in a Jewish section of Paris and announcing his love for Hitler and smiling as he told the people at an adjoining table, who he apparently assumed to be Jewish, that « People like you would be dead. Your mothers, your forefathers, would all be f – – – ing gassed. »
   
Or Charlie Sheen, who claims to be high on Charlie Sheen, attacking his producer by emphasizing the Jewish nature of his original name, Chaim Levine.
 
Or Oliver Stone telling an interviewer last year that too much attention is paid to the Holocaust because of « Jewish domination of the media. » And that Hitler wasn’t all that terrible to the Jews.
 
Then there is the Reverend Louis Farrakhan, ranting and raving about Satanic Jews controlling the world.
This is not an entirely new phenomenon. Mel Gibson delivered a similar rant when he was stopped by Los Angeles police in 2006. « F – – – ing Jews . . . The Jews are responsible for all the wars in the world. » Gibson then asked the deputy, « Are you a Jew? »
  
Generally, sobriety results in apology, but the damage has been done.
The question is: « Why the Jews? » There’s an old joke about a Nazi rally in Nuremberg where Hitler is screaming, « Who causes all of Germany’s problems? » An old man in the crowd shouts back, « The bicycle riders. » Hitler’s taken by surprise and asks, « Why the bicycle riders? » To which the old man replies, « Why the Jews? » That was the 1930s — we’re still asking the question in the 21st century.
Let me suggest two possible answers. The first is that little about the nature of prejudice has really changed, but technology has brought private prejudices into the public arena. In commenting on the Galliano outburst, Michel Gaubert, a French DJ and music designer, observed that « virulent views like those expressed by [Galliano] are not rare. » But « the public expression » of intolerance is unusual and particularly troubling, according to patrons of the bar in which Galliano expressed his bigoted views. The pervasiveness of cellphone videos and the widespread use of the social media have blurred the line between private and public expression. What used to be only whispered to friends at a bar is now broadcast around the world.
 
There is a second, a far more troubling answer to « Why the Jews? » Prominent public figures have blurred another line as well — the line between anti-Zionism and anti-Semitism, between attacking the Jewish state and attacking the Jewish people.
 
Consider widely publicized remarks made by Bishop Desmond Tutu, winner of the Nobel Peace Prize and the American Medal of Freedom, and a man openly admired and praised by President Obama. He has called the Jews « a peculiar people » and has accused « the Jews » of causing many of the world’s problems. He has railed against « the Jewish Lobby, » comparing its power to that of Hitler and Stalin.
 
He has said that « the Jews thought they had a monopoly of God: Jesus was angry that they could shut out other human beings. » He has said that Jews have been « fighting against » and being « opposed to » his God. He has « compared the features of the ancient Holy Temple in Jerusalem to the features of the apartheid system in South Africa. » He has complained that « the Jewish people with their traditions, religion and long history of persecution sometimes appear to have caused a refugee problem among others. » Tutu has minimized the suffering of those murdered in the Holocaust by asserting that « the gas chambers » made for « a neater death » than did apartheid. He has demanded that its victims must « forgive the Nazis for the Holocaust, » while refusing to forgive the « Jewish people » for « persecute[ing] others. »
He has has accused Jews — not Israelis — of exhibiting « an arrogance — the arrogance of power because Jews are a powerful lobby in this land and all kinds of people woo their support. »

Tutu has acknowledged having been frequently accused of being anti-Semitic, to which he has offered two responses: « Tough luck » and « my dentist’s name is Dr. Cohen. »

Former President Jimmy Carter too has contributed to this new legitimization of Jew-bashing, by echoing Tutu’s derisive talk about the Jewish domination of America (« powerful political, economic and religious forces . . . that dominate our media ») and his use of the term « apartheid » in his book about Israel.

By thus blurring the line between legitimate political criticism and illegitimate bigotry, widely admired people like Tutu and Carter legitimize the kind of anti-Semitic attitudes that manifest themselves in the rants of celebrities like Galliano, Sheen and Gibson.

This blurring has also affected the tone on university campuses around the world, where Tutu and Carter are particularly admired and imitated. I speak at universities and had never, until recently, heard and seen the kind of language now being directed against Jewish students and faculty who support Israel.

So I was not as surprised as some by the recent celebrity rants. The oldest prejudice has never quite disappeared. It just went underground — waiting for the right moment to fester.

Alan Dershowitz’s latest novel is « The Trials of Zion. »

Voir également:

If only John Galliano’s hate rant was a one-off.
The fashion designer’s outburst is just one example of a growing casual antisemitism
Barbara Ellen
The Observer
Sunday 6 March 2011
 
It’s interesting that John Galliano could just have got away with his antisemitic ravings, some caught on video in a Paris bar, had it not been for Jewish actress Natalie Portman.
 
Nicole Kidman and Sharon Stone still wore Dior to the Oscars. It was Portman, the « face » of Dior perfumes, who wore Rodarte. It was Portman who immediately stated she was « shocked and disgusted » and « would not be associated with Mr Galliano ». She added: « I hope these terrible comments remind us to reflect and act upon combating these still-existing prejudices that are the opposite of all that is beautiful. »
 
« The opposite of all that is beautiful » – a melodramatic, very actressy statement? Perhaps it was de trop considering this isn’t the Middle Eastern conflict, darling, just a sloshed fashion designer, slurring vilely, but also fashion enfant terrible-style, about « dirty Jews », « gassing » and « I love Hitler ».
 
However, Portman wasn’t being melodramatic. She was what she said she was and had every right to be: « shocked and disgusted ». Since when was casual antisemitism something to be taken casually?
Casual antisemitism appears to be having a « moment » right now. Casual antisemitism is « hot » and seemingly nowhere « hotter » than in the US entertainment industry. This is the very industry everyone is always moaning about being « controlled by Jews », making the whole thing even more bizarre or, arguably, more understandable, if you stir envy and resentment into the mix.
There’s Charlie Sheen with his comment about Two and a Half Men creator Chuck Lorre’s « real name » being « Chaim Levine »; Sheen’s other alleged comments about his manager, Mark Burg, being a « stooped Jew pig »; Mel Gibson’s « Jews responsible for all the wars in the world » outburst; Oliver Stone’s « Jewish domination of the media ».
 
Nearer to home, there are Julian Assange’s « Jewish conspiracy » comments, as reported by Ian Hislop in Private Eye; also Assange’s friendship with Holocaust-denier Israel Shamir (not his real name).
Burg points out that his client has several personal and professional Jewish relationships. (Sheen has relationships with women – that doesn’t stop him abusing them.) Assange claims to have been misrepresented by Hislop (but still buddies with Shamir?). And so it goes on. Oliver Stone is half-Jewish. Galliano was pissed and now claiming Jewish roots. Gibson is (sigh) just Gibson.
And these are just the « breakthrough performances ». Saying that, does it matter? With all the terrible problems going on in the world, some involving Jewish issues, does it matter if some well-known types, some of whom, frankly, aren’t the brightest, let their masks slip? Yes, it does.
Upbringing, personal experiences, business deals gone awry – all, or some, of these could lie behind the sudden ooze of antisemitism in Hollywood. It almost doesn’t matter. What truly matters is that this is the kind of thing ordinary people around the world can relate to. Gossipy, accessible, easy to understand, full of scandal and famous faces. Its antisemitism for dummies – for people who otherwise would probably barely be aware of what antisemitism is.
Just as some say marijuana is a gateway to harder drugs, so could such incidents serve as gateways to much nastier, more-focused antisemitism. « Hmm, says here, Jews control Hollywood »; « Duh, just read that Jews cause all the wars. » People unable to grasp the complexities of the Middle East, or WikiLeaks, or even Two and a Half Men, can come in on this lower intellectual rung – absorbing, repeating, and spreading antisemitic bilge without even realising it.
At a time when Jewish people can barely even point out antisemitism without being shouted down as over-sensitive, paranoid or enthralled by their own victimhood, such exposure, unchecked, could become incredibly powerful.
Natalie Portman was not only brave to speak out, without hesitation, about the Galliano incident, but this Harvard-educated actress was also bright enough to realise that she effectively had no choice.
(…)
Voir enfin: 
Quand les people dérapent
Le Nouvel Observateur
03/03/2011
 
Propos antisémites, apologie du nazisme, promotion des théories du complot sur le 11 septembre… John Galliano, qui sera jugé d’ici quelques mois pour injures antisémites, n’est pas la première star à sérieusement déraper sur des sujets sensibles.
 
1976 David Bowie déclare dans une interview au magazine Playboy : « Je suis un partisan du fascisme : notre unique chance de nous sortir de ce libéralisme répugnant, c’est l’extrême droite, tyrannique et dictatoriale. Les rock-stars sont fascistes aussi et Hitler était l’une des premières. Ce n’était pas un politicien mais un grand artiste moderne. Il a utilisé la politique et le théâtre pour créer cette chose qui allait gouverner et contrôler le spectacle pendant ces douze années-là : il a mis en scène un pays. »
 
Janvier 2005 Le quotidien The Sun publie en première page une photographie montrant le prince Harry, âgé de 20 ans, habillé en uniforme nazi, avec un brassard portant une croix gammée, lors d’une fête costumée. Quatre ans plus tard, l’hebdomadaire News of the World publie sur son site web une vidéo datant de 2006, tournée par le prince lui-même lors d’un voyage à Chypre avec son unité militaire. On y voit Harry qualifier un élève officier de « Paki » (terme péjoratif désignant Indiens ou Pakistanais) et un autre de « raghead » (« enturbanné », terme raciste désignant les arabes).
 
Août 2006 Mel Gibson est arrêté au volant en état d’ivresse. Le comédien déclare au policier qui l’a interpellé: « Les juifs sont responsables de toutes les guerres dans le monde. Est-ce que vous êtes juif? »
 
Février 2007 Dans une émission diffusée sur Paris Première, Marion Cotillard se dit « souvent de l’avis de la théorie du complot », notamment au sujet des attentats du 11 septembre. « Je pense qu’on nous ment sur énormément de choses : Coluche, le 11 septembre. On peut voir sur internet tous les films du 11-Septembre sur la théorie du complot. C’est passionnant, c’est addictif, même », affirme-t-elle. Et de poursuivre:  » Parce que c’était bourré d’or les tours du 11-Septembre. Et puis c’était un gouffre à thunes parce qu’elles ont été terminées, il me semble, en 1973 et pour recâbler tout ça, pour le mettre à l’heure de toute la technologie et tout, c’était beaucoup plus cher de faire des travaux etc. que de les détruire… »
 
Novembre 2007 Dieudonné est condamné par la cour d’appel de Paris à 5.000 euros d’amende pour avoir comparé les « juifs » à des « négriers ». Le 26 juin 2008, la cour d’appel confirme sa condamnation à 7.000 euros d’amende pour avoir assimilé la mémoire de la Shoah à de la « pornographie mémorielle ». En octobre 2009, il est à nouveau condamné à 10.000 euros d’amende pour injures antisémites lors de la remise d’un « prix de l’infréquentabilité » à l’historien négationniste Robert Faurisson, par quelqu’un déguisé en déporté juif.
 
Mars 2008 Un tabloïd britannique diffuse une vidéo montrant le président de la fédération internationale de l’automobile (FIA), Max Mosley, dans une orgie SM nazie avec cinq prostituées, dont certaines sont vêtues d’un uniforme rayé de prisonnier. Max Mosley s’y exprime en allemand, et joue tour à tour le rôle d’un détenu et d’un gardien de camp de concentration.
 
Septembre 2008 Jean-Marie Bigard remet en cause la version officielle du 11 septembre et défend la théorie du complot sur les attentats du World Trade Center, au micro de Laurent Ruquier sur Europe 1. « Il n’y a jamais eu d’avion, ces deux avions volent encore, c’est un mensonge absolument énorme », affirme-t-il. Devant le scandale, il ajoutera un peu plus tard : « Je ne nie pas cet attentat qui a fait près de 3.000 morts, j’émets simplement de gros doutes ».
Septembre 2009 Dans l’émission « Ce soir ou jamais » sur France 3, Mathieu Kassovitz estime « questionnables » les conclusions officielles de la commission d’enquête américaine sur les attentats du 11 septembre et évoque différentes thèses conspirationnistes. 
 

Décembre 2009 Lors d’un concert à Munich retransmis en direct à la télévision allemande, le chanteur britannique Pete Doherty entonne le début de « Deutschland, Deutschland über alles », l’hymne allemand abandonné car il avait été récupéré par les nazis.


Printemps arabe: C’est encore la faute à Bush (Bush Doctrine: OK For Libya But Not Iraq?)

6 mars, 2011

 

IBD cartoonSometimes decades pass and nothing happens; and then sometimes weeks pass and decades happen. Lenin
I think the Obama administration’s « reset » outreach to countries like Iran and Syria is moribund — as it should be. Oppressed peoples in nightmarish states do not care to hear of our efforts to reach out to their oppressors, multiculturalism or no multiculturalism. Victor Davis Hanson
The uprisings may not all end happily. As history has shown time and again — notably in Iran in 1979 — minorities that are organized and willing to use violence can establish reigns of terror over unorganized or passive majorities. Whatever ensues, however, the Arab risings have revealed that Iran’s revolutionary ideology has not only been rendered bankrupt at home, but it has also lost the war of ideas among its neighbors. Karim Sadjapour
Now that revolutions are sweeping the Middle East and everyone is a convert to George W. Bush’s freedom agenda, it’s not just Iraq that has slid into the memory hole. Also forgotten is the once proudly proclaimed « realism » of Years One and Two of President Obama’s foreign policy – the « smart power » antidote to Bush’s alleged misty-eyed idealism. (…) Now that revolution has spread from Tunisia to Oman, however, the administration is rushing to keep up with the new dispensation, repeating the fundamental tenet of the Bush Doctrine that Arabs are no exception to the universal thirst for dignity and freedom. Charles Krauthammer
En ce printemps arabe où, ironie de l’histoire, tout le monde semble s’être brusquement converti à la doctrine Bush dénoncée jusque là par tous …

Et où, pendant que le chef de file supposé du Monde libre semble de plus en plus dépassé par les évènements et que les joyeux membres du Conseil des droits de l’homme du Machin (Arabie saoudite, Cuba et Chine en tête) se décide enfin à suspendre leur compère libyen, ceux qui, à l’instar des mollahs iraniens, poussent le plus le feu de la contestation pourraient un jour voir celle-ci se retourner contre eux …

Retour, avec le célèbre commentateur du Washington Post Charles Krauthammer, sur l’ironie supplémentaire de ceux qui, pour un Khadafi au bilan et à l’armement bien moins dangereux qu’un Saddam, appellent à une intervention américaine qu’ils refusaient pour le boucher de Bagdad.

 

Et, derrière l’oubli de la 1ère révolution irakienne et de la doctine Bush sans lesquels l’actuel printemps arabe ne serait pas, celui de la fameuse doctrine du réalisme intelligent de la première année de son successeur …

Charles Krauthammer
The Washington Post

March 4, 2011

Voices around the world, from Europe to America to Libya, are calling for U.S. intervention to help bring down Moammar Gaddafi. Yet for bringing down Saddam Hussein, the United States has been denounced variously for aggression, deception, arrogance and imperialism.

A strange moral inversion, considering that Hussein’s evil was an order of magnitude beyond Gaddafi’s. Gaddafi is a capricious killer; Hussein was systematic. Gaddafi was too unstable and crazy to begin to match the Baathist apparatus: a comprehensive national system of terror, torture and mass murder, gassing entire villages to create what author Kanan Makiya called a « Republic of Fear. »

Moreover, that systemized brutality made Hussein immovable in a way that Gaddafi is not. Barely armed Libyans have already seized half the country on their own. Yet in Iraq, there was no chance of putting an end to the regime without the terrible swift sword (it took all of three weeks) of the United States.

No matter the hypocritical double standard. Now that revolutions are sweeping the Middle East and everyone is a convert to George W. Bush’s freedom agenda, it’s not just Iraq that has slid into the memory hole. Also forgotten is the once proudly proclaimed « realism » of Years One and Two of President Obama’s foreign policy – the « smart power » antidote to Bush’s alleged misty-eyed idealism.

It began on Secretary of State Hillary Clinton’s first Asia trip, when she publicly played down human rights concerns in China. The administration also cut aid for democracy promotion in Egypt by 50 percent. And cut civil society funds – money for precisely the organizations we now need to help Egyptian democracy – by 70 percent.

This new realism reached its apogee with Obama’s reticence and tardiness in saying anything in support of the 2009 Green Revolution in Iran. On the contrary, Obama made clear that nuclear negotiations with the discredited and murderous regime (talks that a child could see would go nowhere) took precedence over the democratic revolutionaries in the street – to the point where demonstrators in Tehran chanted, « Obama, Obama, you are either with us or with them. »

Now that revolution has spread from Tunisia to Oman, however, the administration is rushing to keep up with the new dispensation, repeating the fundamental tenet of the Bush Doctrine that Arabs are no exception to the universal thirst for dignity and freedom.

Iraq, of course, required a sustained U.S. military engagement to push back totalitarian forces trying to extinguish the new Iraq. But is this not what we are being asked to do with a no-fly zone over Libya? In conditions of active civil war, taking command of Libyan airspace requires a sustained military engagement.

Now, it can be argued that the price in blood and treasure that America paid to establish Iraq’s democracy was too high. But whatever side you take on that question, what’s unmistakable is that to the Middle Easterner, Iraq today is the only functioning Arab democracy, with multiparty elections and the freest press. Its democracy is fragile and imperfect – last week, security forces cracked down on demonstrators demanding better services – but were Egypt to be as politically developed in, say, a year as is Iraq today, we would think it a great success.

For Libyans, the effect of the Iraq war is even more concrete. However much bloodshed they face, they have been spared the threat of genocide. Gaddafi was so terrified by what we did to Saddam & Sons that he plea-bargained away his weapons of mass destruction. For a rebel in Benghazi, that is no small matter.

Yet we have been told incessantly how Iraq poisoned the Arab mind against America. Really? Where is the rampant anti-Americanism in any of these revolutions? In fact, notes Middle East scholar Daniel Pipes, the United States has been « conspicuously absent from the sloganeering. »

It’s Yemen’s president and the delusional Gaddafi who are railing against American conspiracies to rule and enslave. The demonstrators in the streets of Egypt, Iran and Libya have been straining their eyes for America to help. They are not chanting the antiwar slogans – remember « No blood for oil »? – of the American left. Why would they? America is leaving Iraq having taken no oil, having established no permanent bases, having left behind not a puppet regime but a functioning democracy. This, after Iraq’s purple-fingered exercises in free elections seen on television everywhere set an example for the entire region.

Facebook and Twitter have surely mediated this pan-Arab (and Iranian) reach for dignity and freedom. But the Bush Doctrine set the premise.

Voir aussi:

Arabs Rise, Tehran Trembles

Karim Sadjapour

The NYT

March 5, 2011

In « Garden of the Brave in War, » his classic memoir of life on a pomegranate farm in 1960s Iran, the American writer Terence O’Donnell recounts how his illiterate house servant, Mamdali, would wake him every morning with a loud knock on the door and a simple question: « Are you an Arab or an Iranian? »

« If I was naked, » O’Donnell explained, « I would answer that I’m an Arab and he would wait outside the door, whereas if I was clothed I would reply that I was an Iranian and he would come in with the coffee. » This joke went hand in hand, O’Donnell wrote, with an age-old chauvinism that depicted the Persians’ Arab neighbors as « uncivilized people who went about unclothed and ate lizards. »

The Islamist victors of the 1979 Iranian revolution intended to change things, to replace the shah’s haughty Persian nationalism with an Arab-friendly, pan-Islamic ideology. Yet Tehran’s official reaction to the 2011 Arab awakening shows that, at the heart of the Islamic Republic of Iran’s Middle East strategy, there lays a veiled contempt for Arab intelligence, autonomy and prosperity.

What many young Iranians see as a familiar struggle for justice, economic dignity and freedom from dictatorial rule, Iranian officialdom has struggled to spin as a belated Arab attempt to emulate the Islamic revolution and join Tehran in its battle against America and Israel.

The delusions of the Iranian regime are partly attributable to a generation gap. Tehran’s ruling elite continue to cling to the antiquated ideology of Ayatollah Ruhollah Khomeini, whose worldview was formed by decades of imperial transgressions in Iran. The demographic boom in the Middle East, however, has brought a wave of young Arabs and Iranians who associate subjugation and injustice not with colonial or imperial powers, but with their own governments.

Until now, Iran’s interests have been served by the Arab status quo: frustrated populations ruled over by emasculated regimes incapable of checking Israel, and easily dismissed as American co-dependents. A conversation I once had with a senior Iranian diplomat is instructive.

He complained, justifiably, about Washington’s excessive focus on military power to solve political problems. I posed a simple hypothetical: What if, instead of having spent several billion dollars financing Hezbollah, Hamas and Islamic Jihad over the past three decades, Iran had spent that money educating tens of thousands of Palestinians and Lebanese Shiites to become doctors, professors and lawyers? Wouldn’t those communities now be much better off and in a much stronger position to assert their rights vis-à-vis Israel?

« What good would that have done for Iran? » he responded candidly. (He himself had a doctorate from a British university.) « Do you think if we sent them abroad to study they would return to southern Lebanon and Gaza to fight Israel? Of course not; they would have remained doctors, lawyers and professors. »

Iran, in essence, understands that it can inspire and champion the region’s downtrodden and dispossessed, but not the upwardly mobile. Its strategy to dominate the Middle East hinges less on building nuclear weapons than on the twin pillars of oil and alienation.

Iranian petrodollars are used to finance radicals — Khaled Meshaal in Syria, Hassan Nasrallah in Lebanon and Moktada al-Sadr in Iraq, to name a few — who feed off popular humiliation. As an Arab Shiite friend once complained to me, « Iran wants to fight America and Israel down to the last Palestinian, Lebanese and Iraqi. »

At first glance, the fall of Western-oriented Arab governments may appear to be a blow to Washington and a boon for Tehran. The seeming consensus among Western analysts and pundits — that Iran will fill the Middle East power vacuum — is short-sighted.

While the relationship between Egypt and Iran — the regions two oldest and most populous nations — will likely improve, the competition between them will likely intensify.

Tehran’s ascent in the Arab world over the last decade has been partly attributable to Cairo’s decline. The potential re-emergence of a proud, assertive Egypt will undermine Shiite Persian Iran’s ambitions to be the vanguard of the largely Sunni Arab Middle East. Indeed, if Egypt can create a democratic model that combines political tolerance, economic prosperity and adept diplomacy, Iran’s model of intolerance, economic malaise and confrontation will hold little appeal in the Arab world.

Renewed Iranian influence in places like Bahrain and Yemen may also prove self-limiting. As we have seen in Iraq, familiarity with Iranian officialdom often breeds contempt. Polls have shown that even a sizable majority of Iraq’s Shiites resent the meddling in their affairs by their co-religionists from Iran. « The harder they push, » said Ryan Crocker, a former United States ambassador to Iraq, « the more resistance they get. »

Elsewhere in the Arab world, Iranian proxies like Hezbollah will increasingly find themselves in the awkward position of being a resistance group purportedly fighting injustice while simultaneously cashing checks from a patron that is brutally suppressing justice at home.

The Arab uprisings of 2011 will also, of course, have their effect on Iran internally. Iranian democracy advocates have long taken solace in the belief that they were ahead of their Arab neighbors, who would one day too have to undergo the intolerance and heartaches of Islamist rule. The largely secular nature of the uprisings in Egypt and Tunisia have bruised the Iranian ego: were they the only ones naïve enough to succumb to the false promise of an Islamic utopia?

It has been said about authoritarian regimes that while they rule their collapse appears inconceivable, but after they’ve fallen their demise appears to have been inevitable. In the short term Tehran’s oil largesse and religious pretensions have seemingly created for it deeper, if not wider, popular support than many Arab regimes.

But the regime’s curiously heavy-handed response to resilient pro-democracy protests — including the recent disappearance of opposition leaders Mir Hussein Mousavi and Mehdi Karroubi — betrays its anxiety about the 21st-century viability of an economically floundering, gender-apartheid state led by a « supreme leader » who purports to be the prophet’s representative on Earth.

Tehran publicly cheered the fall of Egyptian and Tunisian regimes undone by corruption, economic stagnation and repression. Do its rulers not know that Iran — according to Transparency International, Freedom House and the World Bank — ranks worse than Tunisia and Egypt in all three categories?

A saying often attributed to Lenin best captures the sorts of tectonic shifts taking place in today’s Middle East. « Sometimes decades pass and nothing happens; and then sometimes weeks pass and decades happen. »

The uprisings may not all end happily. As history has shown time and again — notably in Iran in 1979 — minorities that are organized and willing to use violence can establish reigns of terror over unorganized or passive majorities. Whatever ensues, however, the Arab risings have revealed that Iran’s revolutionary ideology has not only been rendered bankrupt at home, but it has also lost the war of ideas among its neighbors.

Karim Sadjadpour is an associate at the Carnegie Endowment for International Peace.


Mort de Jean Lartéguy: Attention, un déni peut en cacher un autre (How the French became the world’s counter-insurgency masters)

4 mars, 2011
Alain Juppé dans la quête de moyens humains lui apparaissant nécessaires pour l’action du RPR a délibérément fait le choix d’une certaine efficacité en recourant à des arrangements illégaux […] Que la nature des faits commis est insupportable au corps social comme contraire à la volonté générale exprimée par la loi ; qu’agissant ainsi, Alain Juppé a, alors qu’il était investi d’un mandat électif public, trompé la confiance du peuple souverain. Tribunal correctionnel de Nanterre (30/01/2004)
Il est regrettable qu’au moment où le législateur prenait conscience de la nécessité de mettre fin à des pratiques délictueuses qui existaient à l’occasion du financement des partis politiques, M. Juppé n’ait pas appliqué à son propre parti les règles qu’il avait votées au parlement. Il est également regrettable que M. Juppé, dont les qualités intellectuelles sont unanimement reconnues, n’ait pas cru devoir assumer devant la justice l’ensemble de ses responsabilités pénales et ait maintenu la négation de faits avérés. Cour d’appel de Versailles (01/12/2004)
On nous dit qu’au Rwanda, la France aurait commis une “faute politique”. C’est trop ou trop peu. De quelle faute s’agit-il? Il faut l’expliquer! Aurions-nous, par exemple, pris systématiquement le parti d’un camp contre l’autre, des Hutus contre les Tutsis? C’est une contre-vérité. Pendant la période où j’ai conduit la diplomatie française (d’avril 1993 à mai 1995), nous avons fait tous les efforts possibles pour aider à la réconciliation des Rwandais. (…)  l’opération Turquoise (…) a parfaitement accompli la mission qui lui avait été assignée, dans les conditions de temps et de lieu prévues. La présence de l’armée française a permis de sauver des dizaines de milliers de vie et d’arrêter le flux de plusieurs millions de personnes qui fuyaient vers le Zaïre voisin (devenu République Démocratique du Congo). Son intervention est à l’honneur de la France. Dès lors, de quelle faute nous parle-t-on? (…) La diplomatie française ne devrait pas s’écarter de la voie de la vérité et de la dignité.  Alain Juppé (27.04.08)
Nous n’avons absolument rien à faire en Afghanistan, le plus tôt nous sortirons de là-bas, le mieux ce sera. Laurent Fabius (27.02.11, FR2)
On pourra dans ces circonstances, préférer une ronéo à une mitrailleuse, un médecin spécialiste en pédiatrie à un spécialiste des mortiers, du ciment à des barbelés et des employés de bureau à des fantassins.David Galula
On peut dire de l’ouvrage de Galula qu’il est à la fois le plus grand et le seul grand livre jamais écrit sur la guerre non conventionnelle…Car il s’agit vraiment d’une pépite : tout comme De la guerre de Clausewitz, cet ouvrage est à la fois une réflexion philosophique sur la nature de la guerre et un précis de doctrine. Général David Petraeus (préface de la réédition française du livre de Galula, janvier 2008)
Au sein du JSOC [commandement intégré des opérations spéciales, ndlr], nous avions ce sens… de la mission, de la passion… appelez ça comme vous voulez. Les insurgés avaient une cause à défendre et nous l’inverse. Nous avions un haut degré de cohésion au sein des unités, comme dans Les Centurions. General McChrystal (ancien commandant des troupes américaines en Afghanistan, avril, 2010)
Pourquoi Les Centurions atteignent-ils des prix pareils et pourquoi ce livre plaît-il au stratège le plus influent de sa génération? (…) tandis que je relisais cet épais roman historique, son intérêt m’est apparu de manière assez limpide. Le roman suit les aventures du lieutenant-colonel Pierre Raspéguy, qui doit transformer une unité militaire accoutumée à la guerre conventionnelle en une unité capable de remplir les missions plus complexes et plus délicates de la guerre de contre-insurrection. Les «centurions» auxquels le titre fait référence sont les soldats français de Raspéguy, un terme faisant naturellement référence aux officiers romains de l’Antiquité, qui, sur la fin de l’Empire, combattaient à sa périphérie tandis que l’empire s’effondrait de l’intérieur. Ça vous rappelle quelque chose? Comme le général Marcel Bigeard, dont son personnage s’inspire clairement, Raspéguy se retrouve un temps dans un camp de prisonniers en Indochine où lui et ses soldats (…) prennent conscience que le Viet-Minh ne suit pas les règles conventionnelles de la guerre et motive ses partisans en s’appuyant surtout sur l’idéologie et son dogme. Il s’agit donc d’une force aussi politique que militaire, et vaincre un tel ennemi nécessite une nouvelle pensée, de nouveaux chefs et de nouvelles tactiques. «Pour cette sorte de guerre», songe Raspéguy, «il faut des hommes rusés et astucieux, capables de combattre loin du troupeau et qui font preuve d’esprit d’initiative… qui peuvent effectuer toutes les tâches, braconniers et missionnaires.» (…) en Algérie (…) Raspéguy et ses hommes réalisent qu’ils doivent «couper les rebelles de la population, qui leur fournit des informations et les nourrit. Alors seulement, nous pourrons combattre à armes égales». Sophia Raday
On prêche (…) au sein même d’une armée qui a déjà vaincu le terrorisme le plus féroce, « qu’il n’y a pas de solution militaire face au terrorisme ». Il en est ainsi aux États-Unis et en Europe qui comptent des victoires tout à fait documentées sur de nombreuses insurrections (en Grèce, aux Philippines, en Malaisie, au Moyen-Orient (…). En un mot, dans de nombreux milieux proches des instances de décision, sans parler des média trop souvent pitoyables, la guerre contre le terrorisme est perdue avant même d’avoir été engagée. (…) L’asymétrie, ce n’est pas tant le rapport des forces initial que le désir de l’adversaire d’échapper aux lois de la guerre, et l’attitude vis-à-vis des pertes humaines et des souffrances auxquelles le belligérant expose sa propre population civile. Yaakov Amidror
Alors les soldats français leur disaient ’vous devez ouvrir les ventres de ces Tutsis que vous tuez afin qu’ils coulent et que les satellites ne les voient pas’. Andrew Wallis
Si vous n’arrêtez pas le combat, si vous vous emparez du pays, vous ne retrouverez pas vos frères et vos familles, parce que tous auront été massacrés.
Paul Dijoud (directeur des Affaires africaines au Quai d’Orsay, à Paul Kagamé, chef des « rebelles » tutsis, septembre 1991)
Tuer un million de gens et être capable d’en déplacer trois à quatre millions en l’espace de trois mois et demi, sans toute la technologie que l’on a vue dans d’autres pays, c’est tout de même une mission significative. Il fallait qu’il y ait une méthodologie. Cela suppose des données, des ordres ou au moins une coordination. Les Belges et les Français avaient des instructeurs et des conseillers techniques au sein même du quartier général des forces gouvernementales, ainsi que dans les unités d’élite qui sont devenues les unités les plus extrémistes. [.] Des officiers français étaient intégrés au sein de la garde présidentielle, qui, depuis des mois, semait la zizanie et empêchait que les modérés puissent former un gouvernement de réconciliation nationale. Général canadien Roméo Dallaire (commandant des forces de l’ONU au Rwanda, janvier 2004)
Nous n’avons tenu ni machettes, ni fusils, ni massues. Nous ne sommes pas des assassins. Nous avons instruit les tueurs. Nous leur avons fourni la technologie : notre « théorie ». Nous leur avons fourni la méthodologie : notre « doctrine ». Nous avons appliqué au Rwanda un vieux concept tiré de notre histoire d’empire. De nos guerres coloniales. Des guerres qui devinrent « révolutionnaires » à l’épreuve de l’Indochine. Puis se firent « psychologiques » en Algérie. Des « guerres totales ». Avec des dégâts totaux. Les « guerres sales ». » (…) Cette doctrine fut le ressort du piège [.] qui permit de transformer une intention de génocide en génocide. [.] Sans lui, sans ce ressort que nous avons fourni, il y aurait eu massacres, pas génocide. Patrick de Saint-Exupéry
Je n’ai eu aucun problème éthique, j’étais devant un tortionnaire, un violeur des droits humains. Preuve en est ce qu’ils ont fait et ce qu’ils veulent occulter. Le général Ramon Diaz Bessone doit être furieux à cause de ce que j’ai enregistré. Lorsqu’il a pensé que j’avais cessé de filmer, il a totalement changé, il s’est transformé et détendu, et c’est alors qu’il dévoile cet autre personnage, et il dit ce qu’il pense réellement : « Comment veux-tu tirer des renseignements, si tu ne tortures pas, si tu ne serres pas » ? Marie-Monique Robin
Après la lecture de l’interview réalisée par ma consoeur du Mercurio, j’ai eu envie de prendre ma plume pour écrire à Dominique de Villepin. Finalement, je ne l’ai pas fait, mais j’ai lu, depuis, le long essai que lui a adressé Patrick de Saint-Exupéry, journaliste au Figaro, qui lui reproche un autre déni : celui du génocide perpétré au Rwanda par les Hutus contre les Tutsis, d’avril à juin 1994. Un déni, qui, en réalité, en cache un autre : celui du rôle joué par la France dans la genèse du troisième génocide du xxe siècle, où plus de 800 000 innocents furent massacrés en cent jours. Marie-Monique Robin
Après la danse, la restauration, la mode et l’art de vivre ou l’exercice, les Français seraient-ils devenus les maitres à torturer du monde?

Au lendemain de la mort, largement passée inaperçue, du soldat (ancien volontaire de la Guerre de Corée), grand reporter et auteur de récits de guerre devenus aujourd’hui introuvables en France (Les Centurions, Les Mercenaires, Les Prétoriens) Jean Lartéguy (de son vrai nom Lucien Osty, neveu du célèbre chanoine traducteur de la Bible)…

Et à l’heure où une diplomatie française en plein désarroi se prend pour sauveur l’un des artisans, doublé d’un ancien condamné pour abus de biens sociaux, de la politique qui a conduit au dernier génocide en date de l’histoire …

Pendant que la probable future équipe à la tête du pays autoproclamé des droits de l’homme a déjà annoncé sur le front afghan sa capitulation préventive  …

Quelle meilleure illustration de cette guerre d’Algérie qui ne passe pas que ce  déni gêné ou cette violente détestation réservés en leur pays natal aux auteurs des classiques des écoles de guerre américaines ou d’ailleurs tels que Lartéguy,  Galula ou Trinquier?

Comme notamment, il y a quelques années, les particulièrement typiques documentaire et livre de la journaliste Marie-Monique Robin (« Escadrons de la mort, l’école française », 2003), déjà auteure de films controversés sur les prétendus « vols d’yeux » en Colombie ou les OGM.

Qui d’un côté a le mérite de rappeler contre le déni ambiant l’incroyable succès, pour le meilleur et certes hélas aussi pour le pire (Amérique latine, Vietnam, Irlande du nord, Tchéchénie, ex-Yougoslavie, Algérie, Irak et Rwanda) des techniques françaises de contre-insurrection.

Mais de l’autre fait totalement l’impasse sur tout le volet positif de l’approche française (ie. la prise en compte de la dimension politique et idéologique des conflits) face à la menace proprement totalitaire et les méthodes proprement barbares que faisaient peser sur les pays en question de véritables groupes terroristes que leur obédience soit communiste ou plus tard islamiste.

Refusant ainsi de poser la question et délégitmant à l’avance les réponses qu’une démocratie est bien obligée de trouver face à des groupes de combattants sans uniformes pratiquant la transgression délibérée de toute loi de la guerre.

Quand elle ne donne pas l’impression, emportée par son zèle dénonciateur, d’attribuer directement à « l’école française » ce qu’elle décrit elle-même pourtant par ailleurs, dans le cas notamment des Chiliens, Algériens, Russes ou Rwandais, comme d’évidentes dérives (ie. le viol des femmes à la serbe ou rwandaise n’ était pas, que l’on sache, prévu par ladite « doctrine française »).

Reste, comme l’a démontré un bien solitaire Patrick de Saint-Exupéry pour le dernier génocide du XXe siècle, le fait que forces comme autorités françaises semblent avoir, exfiltration des génocidaires comprise, fermé les yeux jusqu’au bout

Escadrons de la mort, l’école française

LDH Toulon

31 décembre 2004

Une présentation de l’ouvrage de Marie-Monique Robin [1] suivie d’extraits du dernier chapitre du livre.

Dans les années 1970 et 1980, les dictatures militaires du Cône sud de l’Amérique latine ont férocement réprimé leurs opposants, utilisant à une échelle sans précédent les techniques de la « guerre sale » : rafles indiscriminées, torture systématique, exécutions extrajudiciaires et « disparitions », escadrons de la mort… C’est en enquêtant sur l’organisation transnationale dont s’étaient dotées ces dictatures – le fameux « Plan Condor » – que Marie-Monique Robin a découvert le rôle majeur joué secrètement par des militaires français dans la formation à ces méthodes de leurs homologues latino-américains (et en particulier argentins). Des méthodes expérimentées en Indochine, puis généralisées au cours de la guerre d’Algérie, pendant laquelle des officiers théoriseront le concept de « guerre révolutionnaire ».

Dès la fin des années 1950, les méthodes de la « Bataille d’Alger » sont enseignées à l’École supérieure de guerre de Paris, puis en Argentine, où s’installe une « mission militaire permanente française » constituée d’anciens d’Algérie (elle siègera dans les bureaux de l’état-major argentin jusqu’à la dictature du général Videla). De même, en 1960, des experts français en lutte antisubversive, dont le général Paul Aussaresses, formeront les officiers américains aux techniques de la « guerre moderne », qu’ils appliqueront au Sud-Viêtnam.

Fruit d’une enquête de deux ans, menée en Amérique latine et en Europe, ce livre apporte d’étonnantes révélations, appuyées sur des archives inédites et sur les déclarations exclusives de nombreux anciens généraux – français, américains, argentins, chiliens… Des dessous encore méconnus des guerres françaises en Indochine et en Algérie, jusqu’à la collaboration politique secrète établie par le gouvernement de Valéry Giscard d’Estaing avec les dictatures de Pinochet et de Videla, ce livre dévoile une page occulte de l’histoire de France, où se croisent aussi des anciens de l’OAS, des fascistes européens ou des « moines soldats » agissant pour le compte de l’organisation intégriste la Cité catholique…

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Voir aussi:

Monique Robin: escadrons de la mort, l’Ecole française

27 février 2009

Dans le cadre de mon opération : Français regarde-toi dans un miroir avant de donner des leçons de droits de l’hommisme à la planète… Et dis-toi surtout que c’est de cette manière que les autres te voient… Enfin étonnez-vous de la montée des idées d’extrême-droite en France puisque le passé est caché, les crimes accomplis, les coupables tout est resté en place… pour demain peut-être..

Conclusion

L’histoire continue.

Au Parlement français : de la reconnaissance au déni de la réalité

L’histoire continue…

Au Parlement français : de la reconnaissance au déni de la réalité [2]

« J’ai été bouleversé par ce documentaire et je dois dire que j’ai honte pour la France… J’espère que nous aurons le courage de faire toute la lumière sur cette face cachée de notre histoire pour que nous ayons enfin le droit de nous revendiquer comme la patrie des droits de l’homme… » C’était le 10 mars 2004 sous les lambris du Palais du Luxembourg. Ancien ministre et actuel médiateur de la République, Bernard Stasi a été désigné par les organisateurs de la neuvième édition des « Lauriers de la radio et de la télévision au Sénat » pour me remettre le prix du « meilleur documentaire politique de l’année ». À dire vrai, quand un mois plus tôt, j’avais été informée du choix du jury, présidé par Marcel Jullian, j’avais d’abord cru à une erreur. Un prix au Sénat pour « Escadrons de la mort : l’école française » : la nouvelle paraissait incroyable ! Ma surprise est à son comble quand j’entends les mots courageux de Bernard Stasi, premier homme politique français – à ma connaissance – à assumer ainsi publiquement la « face cachée de notre histoire ».

Car, il faut bien le reconnaître, après la diffusion de mon documentaire sur Canal Plus, le lundi 1er septembre 2003, la classe politique et la presse françaises ont fait preuve d’une belle unanimité : silence radio, ou, pour reprendre l’expression de Marie Colmant, « apathie générale ». « On guette la presse du lendemain, écrit l’éditorialiste de l’hebdomadaire Télérama, on regarde les infos, en se disant que ça va faire un fameux barouf, que quelques députés un peu plus réveillés que les autres vont demander une enquête parlementaire, que la presse va prendre le relais… Mardi, rien vu, à l’exception d’un billet en bas de page dans la rubrique télé d’un grand quotidien du soir. Mercredi rien vu. Jeudi rien vu. Vendredi, toujours rien vu. Je ne comprends pas. C’est quoi ce monde « mou du genou » dans lequel on vit [3] ? »

C’est vrai qu’il y a de quoi s’offusquer de cette bonne vieille spécificité française : tandis qu’aux États-Unis, la publication de photos, par la chaîne CBS, montrant l’usage de la torture en Irak par des militaires américains déclenchera en avril 2004 une crise légitime outre-Atlantique et fera la une des journaux français pendant une quinzaine de jours, les déclarations, documents à l’appui, d’une palanquée de généraux français, nord et sud-américains et d’un ancien ministre des Armées sur le rôle joué par le « pays des droits de l’homme » dans la genèse des dictatures du Cône sud ne provoquent en France que… l’indifférence générale.

Ou presque : le 10 septembre 2003, le jour où paraît le numéro précité de Télérama, les députés Verts Noël Mamère, Martine Billard et Yves Cochet déposent une demande de commission d’enquête parlementaire sur le « rôle de la France dans le soutien aux régimes militaires d’Amérique latine de 1973 à 1984 [4] », auprès de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, présidée par Édouard Balladur. Pas un journal, à l’exception du Monde [5], ne se fait l’écho de cette demande. Qu’importe : on se dit, à l’instar de Marie Colmant, qu’il existe bien, en France, « quelques députés plus réveillés que les autres » et que quelque chose va, enfin, se passer. Nenni ! Nommé rapporteur, le député Roland Blum, qui, malgré ma demande écrite, n’a même pas daigné m’auditionner, publie, en décembre 2003, son « rapport » : douze pages où la langue de bois rivalise avec la mauvaise foi [6].

On peut notamment y lire : « La proposition de résolution est fondée, sur un point, sur des faits inexacts. En effet, elle émet le souhait qu’une éventuelle commission d’enquête puisse étudier le « rôle du ministère des Armées et en particulier l’application des accords de coopération entre la France, le Chili, le Brésil et l’Argentine entre 1973 et 1984 ». Or, aucun accord de coopération militaire entre la France et l’un de ces trois pays d’Amérique latine n’était applicable lors de la période considérée. […] Aucun accord de ce type ne figure au recueil des accords et traités publié par le ministère des Affaires étrangères. » Roland Blum – c’est un comble ! – n’a manifestement pas vu mon documentaire, où je montre une copie de l’accord, signé en 1959, entre la France et l’Argentine, pour la création d’une « mission permanente militaire française » à Buenos Aires, laquelle perdurera jusqu’à la fin des années 1970, ainsi que le prouvent les documents que je produis également à l’antenne (voir supra, chapitres 14 et 20). D’ailleurs, si le rapporteur avait fait l’effort de me contacter, j’aurais pu lui indiquer où retrouver ledit accord dans les archives du Quai d’Orsay [7]…

La « doctrine française » au cours du génocide rwandais

Après la lecture de l’interview réalisée par ma consour du Mercurio, j’ai eu envie de prendre ma plume pour écrire à Dominique de Villepin. Finalement, je ne l’ai pas fait, mais j’ai lu, depuis, le long essai que lui a adressé Patrick de Saint-Exupéry, journaliste au Figaro, qui lui reproche un autre déni : celui du génocide perpétré au Rwanda par les Hutus contre les Tutsis, d’avril à juin 1994[8]. Un déni, qui, en réalité, en cache un autre : celui du rôle joué par la France dans la genèse du troisième génocide du xxe siècle, où plus de 800 000 innocents furent massacrés en cent jours.

Appelé à témoigner en janvier 2004 devant le tribunal pénal international d’Arusha (Tanzanie), dont la mission est de juger les responsables du génocide rwandais, le général canadien Roméo Dallaire, commandant des forces de l’ONU au Rwanda, expliquera : « Tuer un million de gens et être capable d’en déplacer trois à quatre millions en l’espace de trois mois et demi, sans toute la technologie que l’on a vue dans d’autres pays, c’est tout de même une mission significative. Il fallait qu’il y ait une méthodologie. Cela suppose des données, des ordres ou au moins une coordination[9]. » Celui qui commandait alors les 2 500 casques bleus de la Mission des Nations unies d’assistance au Rwanda (Minuar) et qui, après une longue dépression, a fini par écrire ses mémoires[10], s’est fait plus explicite dans une interview à Libération : « Les Belges et les Français avaient des instructeurs et des conseillers techniques au sein même du quartier général des forces gouvernementales, ainsi que dans les unités d’élite qui sont devenues les unités les plus extrémistes. [.] Des officiers français étaient intégrés au sein de la garde présidentielle, qui, depuis des mois, semait la zizanie et empêchait que les modérés puissent former un gouvernement de réconciliation nationale[11]. »

Qui étaient ces Français et quelle était leur mission ? C’est précisément le cour de l’enquête de Patrick de Saint-Exupéry, qui rappelle qu’en 1990, le président François Mitterrand décida de s’engager résolument aux côtés de son homologue Juvénal Habyarimana, arrivé au pouvoir au Rwanda après un coup d’État sanglant. Représentant la majorité hutue du pays, le dictateur se dit alors menacé par les rebelles tutsis du Front patriotique rwandais de Paul Kagamé, soutenus par l’Ouganda anglophone. Et c’est là que resurgirent les vieux démons coloniaux de la « patrie des droits de l’homme » : obsédé par le « complexe de Fachoda[12] », le président Mitterrand craignait de voir tomber le Rwanda dans le giron anglo-saxon, en l’occurrence américain. Or, le « pays des mille collines », c’est bien connu, fait partie du pré-carré français.

Dans l’entourage présidentiel, on susurre que les États-Unis ont décidé de parrainer une « guerre révolutionnaire » contre la France, menée par le FPR, dont le chef Paul Kagamé, rappelle-t-on opportunément, a été formé à Cuba et à. Fort Bragg. C’est ainsi que, le 4 octobre 1990, après une « manipulation[13] » simulant une fausse attaque des « rebelles » à Kigali, Paris vole au secours de Habyarimana en envoyant des « renforts ». « De 1990 à 1993, nous avons eu cent cinquante hommes au Rwanda, dont le boulot était de former des officiers et sous-officiers rwandais, écrit Patrick de Saint-Exupéry. Ces hommes étaient issus du 8e régiment parachutiste d’infanterie de marine (RPIMa) et du 2e REP, deux régiments de la 11e division parachutiste (DP), le creuset du service Action, le bras armé de la DGSE[14]. » La DGSE, qui, on l’a vu, s’appelait SDECE du temps où un certain général Aussaresses officiait précisément au service Action.

Un extrait du rapport établi par la mission d’enquête parlementaire qui, à la fin de 1998, essaya de faire la lumière sur le rôle de la France au Rwanda, donne une idée précise du « boulot » effectué par les « renforts » français : « Dans le rapport qu’il établit le 30 avril 1991, au terme de sa deuxième mission de conseil, le colonel Gilbert Canovas rappelle les aménagements intervenus dans l’armée rwandaise depuis le 1er octobre 1990, notamment:

– la mise en place de secteurs opérationnels afin de faire face à l’adversaire ; [.]

– le recrutement en grand nombre de militaires de rang et la mobilisation des réservistes, qui a permis un quasi-doublement des effectifs ; [.]

– la réduction du temps de formation initiale des soldats, limitée à l’utilisation de l’arme individuelle en dotation ; [.]

– une offensive médiatique menée par les Rwandais[15]. »

Et Patrick de Saint-Exupéry de décoder le langage militaire, en appliquant le jargon caractéristique de la « doctrine française » : « Ces mots nous décrivent un type précis de guerre, écrit-il :

« Secteurs opérationnels », cela signifie « quadrillage ».

« Recrutement en grand nombre », cela signifie « mobilisation populaire ».

« Réduction du temps de formation », cela signifie « milices ».

« Offensive médiatique », cela signifie « guerre psychologique »[16]. »

De fait, ainsi qu’il ressort des documents d’archives consultés par mon confrère du Figaro, « la France prend les rênes de l’armée rwandaise », deux ans avant le génocide. Le 3 février 1992, une note du Quai d’Orsay à l’ambassade de France à Kigali met celle-ci devant le fait accompli : « À compter du 1er janvier 1992, le lieutenant-colonel Chollet, chef du détachement d’assistance militaire et d’instruction (DAMI), exercera simultanément les fonctions de conseiller du président de la République, chef suprême des Forces armées rwandaises (FAR), et les fonctions de conseiller du chef d’état-major de l’armée rwandaise. » La note précise que les pouvoirs de l’officier français auprès du chef d’état-major consistent à « le conseiller sur l’organisation de l’armée rwandaise, l’instruction et l’entraînement des unités, l’emploi des forces[17] ».

Tandis que les instructeurs français du DAMI forment dans les camps militaires rwandais des unités, qui seront, plus tard, le fer de lance du génocide, Paris reste sourd aux dénonciations de massacres qui émaillent le début des années 1990, et continue d’armer massivement le Rwanda[18]. « Nous n’avons tenu ni machettes, ni fusils, ni massues. Nous ne sommes pas des assassins, commente, meurtri, Patrick de Saint-Exupéry. Nous avons instruit les tueurs. Nous leur avons fourni la technologie : notre « théorie ». Nous leur avons fourni la méthodologie : notre « doctrine ». Nous avons appliqué au Rwanda un vieux concept tiré de notre histoire d’empire. De nos guerres coloniales. Des guerres qui devinrent « révolutionnaires » à l’épreuve de l’Indochine. Puis se firent « psychologiques » en Algérie. Des « guerres totales ». Avec des dégâts totaux. Les « guerres sales »[19]. » Et d’ajouter : « Cette doctrine fut le ressort du piège [.] qui permit de transformer une intention de génocide en génocide. [.] Sans lui, sans ce ressort que nous avons fourni, il y aurait eu massacres, pas génocide[20]. »

À ceux qui voudraient se raccrocher aux branches de la bonne conscience en se disant qu’après tout le « pays des droits de l’homme » ne pouvait pas prévoir quelle serait l’ampleur du drame en gestation, le journaliste du Figaro apporte de nouveaux éléments qui terrasse leurs dernières illusions : du 17 au 27 septembre 1991, Paul Kagamé, le chef des « rebelles » tutsis a effectué une « visite en France au cours de laquelle il a pu rencontrer MM. Jean-Christophe Mitterrand et Paul Dijoud », note un télégramme diplomatique, cité dans le rapport de la mission d’enquête parlementaire[21]. C’est lors d’un rendez-vous avec Paul Dijoud, le directeur des Affaires africaines au Quai d’Orsay, que le futur président rwandais aurait entendu celui-ci proférer de sombres menaces : « Si vous n’arrêtez pas le combat, si vous vous emparez du pays, vous ne retrouverez pas vos frères et vos familles, parce que tous auront été massacrés[22] », aurait dit celui qui occupera plus tard le poste d’ambassadeur de France en Argentine, au moment où j’enquête pour mon film Escadrons de la mort : l’école française.

En lisant ces lignes, j’ai frémi : la veille de mon départ pour Buenos Aires, j’avais failli informer l’ambassade de France de mes projets, estimant que mon tournage comportait quelques risques et qu’il convenait peut-être d’aviser le représentant des autorités françaises. « Je te le déconseille, m’avait dit Horacio Verbitsky. Dijoud est comme cul et chemise avec les militaires argentins, et il vaut mieux que tu restes le plus discrète possible, si tu ne veux pas faire capoter tes interviews avec les anciens généraux de la junte. »

En attendant, une chose est sûre : fin avril 1994, alors que le génocide rwandais bat son plein, une délégation du « gouvernement intérimaire » de Kigali est reçue à l’Élysée, à Matignon et au Quai d’Orsay. Parmi les dignitaires criminels en visite à Paris, il y a notamment Jean-Bosco Barayagwiza, le chef politique des extrémistes hutus et actionnaire de Radio Mille Collines, qui sera condamné en décembre 2003 par le Tribunal pénal international d’Arusha à trente-cinq ans de prison.

Les guerres sales d’Irlande, de Bosnie et de Tchétchénie

Cela est dur à admettre, mais c’est ainsi : la référence à la « doctrine française » est systématique dès qu’un pouvoir politique vire dans une « guerre sale » au nom, notamment, de la « lutte contre le terrorisme ». Ce fut le cas en Irlande du Nord, où dans les années 1970 et 1980 l’armée britannique a appliqué au pied de la lettre les techniques contre-insurrectionnelles françaises, pour venir à bout des nationalistes de l’IRA. À cette époque, les exécutants de la sale guerre irlandaise disposent d’une bible : intitulée Low Intensity Operations. Subversion, Insurgency and Peacekeeping[23], elle a été rédigée par le général Frank Kitson, qui a inauguré sa carrière comme officier de renseignements militaires au Kenya, avant de commander une compagnie en Malaisie en 1957. Après un court séjour en Irlande du Nord, il est nommé au centre de recherche pour la défense à l’université d’Oxford, où il rédige son opus contre-insurrectionnel. Puis, du printemps 1970 à avril 1972, il reçoit le commandement de la 39e brigade d’infanterie, en Irlande du Nord, qui couvre notamment Belfast.

« Le colonel Roger Trinquier est le seul officier français que Kitson cite abondamment, notait en 1980 Roger Faligot, l’un des meilleurs spécialistes français de la guerre d’Irlande. À juste titre. Trinquier est remarquablement apprécié dans les pays anglo-saxons[24]. » Dans son livre, Roger Faligot analyse les techniques militaires développées par les officiers de Sa Majesté en terre irlandaise : « Contrôle des populations, guerre psychologique, usage d’unités spéciales et hypertrophie d’une communauté de renseignements. [.] Infiltration et manipulation des formations politiques, des mouvements syndicaux ; [.] et neutralisation des dissidents ou des opposants en puissance[25]. » Une application concrète des enseignements du théoricien phare de la « guerre moderne », dans laquelle les services de renseignements britanniques n’hésitèrent pas à chapeauter en sous-main des escadrons de la mort à qui ils désignaient les cibles à exécuter.

Si l’on reprend, une à une, les guerres sales qui ont ensanglanté le Vieux Continent au cours des vingt dernières années du xxe siècle – dont certaines jusqu’à ce jour -, on est surpris de la continuité des méthodes utilisées. À commencer, bien sûr, par l’ex-Yougoslavie, où la vieille amitié franco-serbe explique très certainement le mutisme longtemps observé par les dirigeants français face aux exactions commises par l’ex-président Slobodan Milosevic. Ou par son acolyte le général Ratko Madic, chef des milices serbes de Bosnie, responsables notamment du massacre de 7 000 musulmans à Srebenica, en juillet 1995[26].

Le programme d’épuration ethnique mené par les idéologues et militaires serbes contre les populations croates et musulmanes de Bosnie-Herzégovine s’appuyait sur l’usage systématique de méthodes, développées à grande échelle, qui découlent en droite ligne des enseignements dispensés par les théoriciens de la « guerre psychologique » : « snipers » – tireurs isolés – juchés sur le toit des maisons, comme pendant le siège de Sarajevo, dont la mission n’était pas seulement de tuer à l’aveugle, mais aussi de terroriser les populations, pour, finalement, les contraindre à fuir ; expéditions punitives, tournant généralement aux massacres, menées par les milices serbes, qui se comportaient comme des escadrons de la mort institutionnalisés ; pratique planifiée du viol des femmes comme une arme de la guerre, au point que le Tribunal pénal international de la Haye pour l’ex-Yougoslavie a estimé qu’il s’agissait d’une nouvelle forme de « crime contre l’humanité »[27]. Sans oublier les enlèvements suivis de disparitions, pratique caractéristique de la sale guerre menée par les Serbes : « Près de 17 000 personnes sont toujours portées disparues en Bosnie-Herzégovine, notait Amnesty International dans un rapport du 30 août 2003. Avant de « disparaître », précisait l’organisation humanitaire, nombre d’entre elles ont été aperçues pour la dernière fois aux mains des forces armées, de la police ou de groupes paramilitaires. »

Escadrons de la mort, torture, disparitions, supplétifs et mercenaires : ce sont aussi les techniques utilisées de manière systématique par l’armée russe en Tchétchénie, lors de la première guerre conduite de 1994 à 1996, puis lors de la seconde engagée depuis 1999 et toujours en cours en 2004. Des guerres à huis clos, atroces, qui ont fait sans doute plus de 200 000 morts (sur une population estimée de 734 000 personnes en 1989)[28]. Dans la capitale Grozny (400 000 habitants avant la guerre, moins de 100 000 aujourd’hui), « rasée en l’hiver 1999-2000 au nom de la lutte antiterroriste[29] », la guerre sale menée par les soldats de Vladimir Poutine a atteint un sommet de démence meurtrière, par la multiplication à un niveau inimaginable des méthodes utilisées, en leur temps, par les paras de Massu à Alger. On retrouve dans ces guerres la même justification théorique, si bien développée par le colonel Trinquier (voir supra chapitre 9), qui réduit les combattants tchétchènes à des « terroristes hors la loi ».

Faisant écho aux généraux argentins, le gouvernement russe viole ainsi en permanence les conventions de Genève, puisqu’il estime fort opportunément que les « terroristes tchétchènes » se placent d’eux-mêmes hors des lois de la guerre et qu’ils doivent donc être traités avec un « statut à part ». De surcroît, et par un glissement qui caractérisait aussi les praticiens français de la guerre antisubversive en Algérie, le tour de passe-passe théorique s’applique également aux populations civiles tchétchènes, soupçonnées d’apporter un soutien logistique aux « terroristes ». Au nom de la lutte contre le terrorisme, Vladimir Poutine a créé en Tchétchénie un système hors de l’État de droit, ouvrant la porte à toutes les exactions.

De Guantanamo à la guerre d’Irak

Ce raisonnement vaut aussi pour l’administration Bush qui, dès la fin 2001, est confrontée au problème des prisonniers de la « guerre contre le terrorisme », à savoir les présumés combattants de Al-Qaida, arrêtés en Afghanistan. Sensible, l’affaire oppose alors le secrétaire d’État Colin Powell, partisan d’une stricte application des lois de la guerre, au chef du Pentagone Donald Rumsfeld et au vice-président Richard Cheney. Finalement, ces derniers emporteront le morceau en déclarant les prisonniers « combattants irréguliers » (unlawful combatants) et non pas prisonniers de guerre, ce qui permet de ne pas leur appliquer les conventions de Genève.

Consciente de violer le droit international, qui est censé s’appliquer sur le territoire américain, la Maison-Blanche ouvrira donc un camp spécial, à Guantanamo, sur l’île de Cuba, hors des frontières des États-Unis. « En fait, écrira Le Monde dans un excellent dossier, les arguties du Pentagone et de la Maison-Blanche avaient pour finalité de soumettre les détenus à des interrogatoires[30]. » Or, comme nous l’avons vu tout au long de ce livre, dans la « guerre antiterroriste », qui dit « interrogatoire » dit « torture ». Dès que l’on choisit exclusivement la solution militaire pour répondre aux défis lancés par le terrorisme, la torture devient incontournable et même « logique ». Dès le lendemain du 11 septembre, éditorialistes et « experts » n’avaient d’ailleurs pas manqué de multiplier les interventions médiatiques pour légitimer la torture (voir supra, chapitre 16), comme l’a rappelé l’étonnant – et effroyable – florilège de citations de la presse américaine, écrite et audiovisuelle, établi en 2003 par mon confrère Jean Guisnel[31].

En écrivant ces lignes, je ne peux m’empêcher de repenser au colonel Carl Bernard et au général John Johns, qui avaient prévu dès avril 2003 l’enfer dans lequel le président Georges W. Bush entraînait son pays en attaquant l’Irak. Car, bien sûr, ainsi que le souligne Thomas Malinowski, qui dirige le bureau de Washington de l’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch, les problèmes apparus en Irak ont leurs racines à Guantanamo Bay : « On a créé un système de détention qui se situe hors de l’État de droit[32] » et qui, par capillarité, au nom de la lutte contre le terrorisme, contamine les forces armées du « premier gendarme du monde ».

Celui-ci, pourtant, était bien informé des « risques » qu’il courait en ressortant les vieilles recettes de la bataille d’Alger. C’est d’ailleurs, officiellement en tout cas, pour éviter de tomber dans le piège qui conduisit à la défaite des Français en Algérie, que la direction des « Opérations spéciales et des conflits de basse intensité » du Pentagone avait organisé, le 27 août 2003, une projection du film de Gillo Pontecorvo, à laquelle furent conviés des officiers d’état-major et des civils[33]. « Des enfants tirent sur des soldats à bout portant. Des femmes mettent des bombes dans les cafés. Bientôt toute la population arabe communie dans une ferveur folle. Cela vous rappelle quelque chose ? », interrogeait l’invitation à la séance, qui ajoutait : « Les Français ont un plan. Ils obtiennent un succès tactique, mais subissent un échec stratégique. Pour comprendre pourquoi, venez à cette projection rare. »

Je me souviens, qu’à l’époque, je m’étais interrogée sur les véritables raisons qui avaient poussé le Pentagone à présenter La Bataille d’Alger à ses officiers[34]. Aujourd’hui, au regard des révélations qui ont suivi l’affaire des photos publiées en avril et mai 2004 sur la torture en Irak, je suis convaincue qu’il s’agissait de préparer – fût-ce de manière subliminale – les militaires américains, voire l’opinion publique des États-Unis, aux affres incontournables qu’entraîne la « recherche du renseignement », l’immuable pilier de la « guerre contre le terrorisme ». De fait, après l’émotion qu’a provoquée la publication des photos de torture par des soldats américains à la prison irakienne d’Abou Ghraib, on a fini par apprendre que ladite torture avait été secrètement autorisée par le secrétaire à la Défense en personne : « Le scandale de la prison d’Abou Ghraib ne plonge pas ses racines dans les penchants criminels de quelques réservistes, mais dans une décision approuvée l’an dernier par le secrétaire à la défense Donald Rumsfeld, d’étendre aux interrogatoires des prisonniers en Irak un programme secret conçu pour la traque d’Al-Qaida », écrit Seymour Hersh, un vétéran américain du journalisme d’investigation[35]. Mis en place après les attentats du 11 septembre pour faciliter la collecte du renseignement, ce programme autorisait la « contrainte physique et les humiliations sexuelles » sur les membres d’Al-Qaida[36].

À dire vrai, cette affaire est doublement révélatrice : d’abord, elle en dit long sur l’extraordinaire hypocrisie dont font finalement preuve la plupart des médias américains, qui, depuis septembre 2001, n’ont cessé de débattre ouvertement, et avec une belle complaisance, des mérites et méfaits de la torture dans la guerre contre le terrorisme ; ensuite, elle confirme que le dispositif de « guerre contre-révolutionnaire » à la française ne peut fonctionner que dans le secret, le mensonge et la désinformation – et on peut parier que, dorénavant, appareils photos et caméscopes seront strictement interdits aux soldats des troupes d’intervention américaines. Sur ce plan, les généraux algériens d’aujourd’hui, on va le voir, ont parfaitement tiré la leçon de leurs maîtres.

La « sale guerre » des généraux algériens des années 1990

Car il est impossible, en tirant ce bilan de l’application de la « doctrine française » de ne pas évoquer longuement la guerre sale qui ensanglante l’Algérie contemporaine depuis plus d’une décennie. De l’Algérie à l’Argentine, puis de l’Argentine à l’Algérie : la boucle est bouclée, qui se referme sur une montagne de cadavres, innocents jetés à la mer, ou égorgés au nom de « la guerre contre le terrorisme ». De la « guerre sale » des généraux argentins des années 1970 à la « sale guerre » des généraux algériens des années 1990, la continuité est impressionnante.

Certes, de prime abord, les situations n’ont rien à voir. En Argentine, on l’a vu, c’est au nom de la doctrine de la Sécurité nationale que des généraux habités des « valeurs » de l’anticommunisme et de l’intégrisme catholique ont mobilisé et adapté les méthodes de la guerre révolutionnaire « à la française ». En Algérie, ce serait au nom de la défense de la démocratie que l’armée a interrompu le 11 janvier 1992 le processus électoral qui allait donner le pouvoir aux islamistes et déclenché contre ces derniers une guerre sans pitié pour « éradiquer » l’« intégrisme » musulman[37].

Mais en vérité, à ce stade de la violence d’État, ces justifications perverses importent peu. Car, dans les deux cas, la logique est la même : celle de l’« éradication ». En 1975, on l’a vu (voir supra, chapitre 20), le général Videla, futur chef de la dictature argentine, avait déclaré : « S’il le faut, en Argentine devront mourir toutes les personnes nécessaires pour que revienne la paix. » Il est très impressionnant de constater que le général Smaïl Lamari, numéro deux de la police politique algérienne (le DRS, Département de renseignement et de sécurité, anciennement Sécurité militaire), aura pratiquement les mêmes mots en s’adressant à ses hommes en mai 1992 : « Je suis prêt et décidé à éliminer trois millions d’Algériens s’il le faut pour maintenir l’ordre que les islamistes menacent[38]. » Dès lors, il n’est pas surprenant que, dans les deux cas, les « moyens » mis en ouvre l’emportent largement sur les fins officiellement affichées (ramener la paix ou maintenir l’ordre). Et ces moyens, ce sont ceux préconisés par les théoriciens français de la « guerre moderne ». En la matière, les généraux algériens d’aujourd’hui sont allés beaucoup plus loin que les émules latino-américains des officiers français qui avaient forgé leur théorie lors de. la bataille d’Alger.

C’est ce qu’a relevé fin 2003 un remarquable rapport de l’association de défense des droits de l’homme Algeria-Watch, intitulé Algérie, la machine de mort : « Pour conserver leur pouvoir et leurs fortunes nourries par la corruption, ceux que l’on a appelés les généraux « janviéristes » – les généraux Larbi Belkheir, Khaled Nezzar, Mohamed Lamari, Mohamed Médiène, Smaïl Lamari, Kamel Abderrahmane et quelques autres – n’ont pas hésité à déchaîner contre leur peuple une répression sauvage, utilisant, à une échelle sans précédent dans l’histoire des guerres civiles de la seconde moitié du xxe siècle, les techniques de « guerre secrète » théorisées par certains officiers français au cours de la guerre d’indépendance algérienne, de 1954 à 1962 : escadrons de la mort, torture systématique, enlèvements et disparitions, manipulation de la violence des opposants, désinformation et « action psychologique », etc.[39] »

Bilan de ces douze années de guerre, pour une population (32 millions d’habitants en 2003) équivalente à celle de l’Argentine : plus de 150 000 morts, de 15 000 à 20 000 disparus, de 1 à 1,5 million de personnes déplacées, une société brisée pour des générations, des millions de gens vivant en dessous du seuil de pauvreté. Bien sûr, les islamistes en guerre contre le pouvoir ont largement leur part de responsabilité dans cette tragédie. Mais les nombreux témoignages de victimes et de dissidents des forces de sécurité ne laissent aucune place au doute : cette guerre civile n’aurait jamais pris une telle ampleur sans l’effroyable violence et les manipulations déployées par les généraux « éradicateurs », nourris des enseignements de leurs prédécesseurs de la bataille d’Alger et de leurs disciples latino-américains[40]. Toutes leurs méthodes ont été répétées, jusqu’à la nausée, dans l’Algérie des années 1990.

La torture : gégène, « chevalet », « chiffon », ces pratiques élaborées par l’armée française lors de la guerre de libération sont devenues celles de la police et de l’armée algérienne dès 1962. Il n’est donc pas surprenant qu’elles aient été développées à une échelle industrielle lors de la répression sauvage des émeutes d’octobre 1988[41], et plus encore depuis le coup d’État de janvier 1992[42], la torture étant de surcroît souvent pratiquée dans des centres de détention utilisés aux mêmes fins par l’armée française pendant la guerre d’indépendance. Pour ne citer qu’un témoignage, parmi des milliers, rapporté en janvier 1998 à un quotidien britannique par « Robert », un policier dissident qui s’était réfugié en Grande-Bretagne un mois plus tôt : « Robert témoigne de tortures l’année dernière dans l’infâme centre de police de Châteauneuf : « Nous avions amené le prisonnier dans les baraques, en bas par une trappe dans le sous-sol. Il y avait là environ quinze prisonniers dans la salle de torture. Ils avaient tous les yeux bandés. Un homme était en train de pratiquer la torture avec un chalumeau et une paire de pinces. Je l’ai vu de mes propres yeux. Celui que nous avions amené était ligoté à une échelle. Quand il ne voulait pas donner de noms, la police jetait l’échelle et il tombait sur son visage. Puis ils utilisèrent une bouteille cassée. Il y avait aussi une machine pour étirer les torturés. » Il a décrit environ quatre-vingt-dix façons de torturer, dont l’électricité avec l’eau pour augmenter la douleur[43]. »

Les escadrons de la mort : en la matière, les généraux algériens ont incontestablement innové. À l’instar de la « Main rouge » française ou de la « Triple A » argentine, ils ont certes créé, fin 1993, l’Organisation des jeunes Algériens libres (OJAL) et l’OSSRA (Organisation secrète de sauvegarde de la République algérienne) : il s’agissait, purement et simplement, de commandos constitués d’hommes de la police politique du régime, le sinistre DRS[44]. Après avoir liquidé des dizaines d’opposants, en se faisant passer pour des civils anti-islamistes, ces pseudo-organisations disparaîtront à la mi-1994. Car au même moment, les chefs du DRS ont préféré généraliser le déploiement et l’action d’escadrons de la mort également composés de leurs hommes, mais se faisant passer pour des terroristes islamistes[45].

Les rafles et les disparitions forcées : dès janvier 1992, les forces de sécurité ont multiplié les rafles de civils, arrêtés illégalement, systématiquement torturés et déportés par milliers dans des camps de concentration ouverts à cette fin dans le Sahara. Par la suite, principalement du printemps 1994 à 1998, les enlèvements seront presque toujours suivis d’exécutions sommaires (attribuées aux islamistes quand les cadavres sont rejetés en pleine rue) ou de « disparitions » : selon plusieurs témoignages de militaires dissidents, la plupart des « disparus » – dont le nombre est évalué à au moins 20 000 par les organisations de défense des droits de l’homme – ont été liquidés, les forces de sécurité se débarrassant de leurs corps selon les mêmes méthodes qu’en Argentine ou qu’en Algérie quarante ans plus tôt (enterrement dans des tombes anonymes ou des fosses communes, cadavres jetés dans la mer à partir d’hélicoptères.).

La centralisation de la répression et le quadrillage du territoire : sur ce plan, les généraux algériens ont suivi scrupuleusement les méthodes de l’« école française ». Dès l’été 1992, a été constitué un « Centre de commandement de la lutte anti-subversive » (CCLAS), dirigé par le général Mohamed Lamari et réunissant les régiments de para-commandos des « forces spéciales » de l’armée (ANP) et les unités du DRS[46]. Et en mars 1993, les différentes unités du CCLAS ont été déployées dans tout l’Algérois – région la plus peuplée du pays, où s’est concentrée, tout au long de la guerre, la plus féroce répression des populations civiles -, découpé en six « secteurs opérationnels », eux-mêmes divisés en sous-secteurs[47]. Dans la pratique, la coordination de la « sale guerre » a été secrètement assurée, pour l’essentiel, par la police politique, le DRS, qui avait de fait autorité sur l’ensemble des forces de répression : forces spéciales de l’armée et unités du DRS, mais aussi de la police et de la gendarmerie, et milices civiles créées à partir de mars 1994 sur le modèle des « supplétifs » de l’armée française (harkis, mokhzanis, etc.) pendant la guerre d’indépendance. L’épine dorsale de cette organisation était constituée des fameux CTRI (centres territoriaux de recherche et d’investigation), antennes de la direction du contre-espionnage du DRS, dirigée par le général Smaïl Lamari, dans chacune des six régions militaires, fédérant autour d’eux des dizaines de centres secrets de détention et de torture[48] – l’équivalent exact des « détachements opérationnels de protection » (DOP) de l’armée française pendant la guerre d’indépendance de l’Algérie (voir supra, chapitre 9).

Mais, bien plus encore que dans le cas du « modèle français » de la première guerre d’Algérie et des dictatures latino-américaines des années 1970, ce dispositif de « guerre révolutionnaire » est resté soigneusement caché derrière la façade civile du pouvoir, contrôlé en sous-main par les généraux, comme l’a bien vu Algeria-Watch : « Il est essentiel de souligner que les organigrammes de ce « noyau dur » du dispositif de répression sont restés, tout au long de ces années, très largement secrets (ce n’est que par le recoupement de témoignages de militaires et policiers dissidents que les informations précédentes ont pu être synthétisées). Par ailleurs, les opérations de répression elles-mêmes ont été le plus souvent menées de façon quasi clandestine, avec des moyens sophistiqués pour tenter d’effacer toute trace des violations systématiques des droits humains. Cette organisation de l’opacité explique que, souvent, les chaînes de commandement officielles ne correspondent pas à la réalité du terrain (au point qu’il n’est pas rare, par exemple que des officiers du DRS puissent donner des ordres à des officiers de l’ANP de grade supérieur). Seuls les quelques généraux au cour du pouvoir sans discontinuer depuis 1992 (essentiellement les généraux Larbi Belkheir, Mohamed Lamari, Mohamed Médiène, Smaïn Lamari, Kamel Abderrahmane, Brahim Fodhil Chérif) ont une vision d’ensemble des méthodes illégales (en particulier la manipulation des groupes armés islamistes) employées par les différentes composantes de la « machine de mort » qu’ils ont déployée contre la population[49]. »

L’action psychologique : c’est sans conteste dans ce domaine que les généraux algériens ont le plus nettement dépassé les enseignements du colonel Lacheroy, du capitaine Léger et des 5e bureaux (voir supra, chapitre 8). Forts de l’expérience accumulée depuis 1962 par la Sécurité militaire – dont nombre des cadres ont été formés dans les écoles du KGB et de la Stasi -, ils ont conduit à partir de 1992 une action de désinformation particulièrement élaborée, reposant notamment sur l’infiltration et la manipulation des groupes armés islamistes, à la fois pour contrôler et diviser leurs adversaires et pour intoxiquer l’opinion publique internationale. À l’image de la « Force K », ce contre-maquis prétendument anti-français créé par la DST en 1956 pour lutter contre le FLN[50], les chefs du DRS ont créé des faux maquis islamistes – dirigés par des officiers transformés en « émirs » – et infiltré les vrais, au point d’éliminer ces derniers et de s’assurer, à partir du début de 1996, l’entier contrôle du GIA (Groupe islamiste armé), fédérant les groupes armés islamistes[51].

Habileté suprême, en 1996 et 1997, c’est à ces groupes, connus de tous avec terreur comme les « égorgeurs », que sera dévolue par les généraux la tâche classique de la « guerre révolutionnaire » de déplacer les populations civiles pour mieux les contrôler : à coup de massacres aveugles, dont les plus atroces surviendront à l’automne 1997[52], près d’un million et demi de personnes seront contraintes à quitter leurs villages et à s’entasser dans des bidonvilles à la périphérie des grandes villes – où elles vivent toujours, dans une misère atroce, en 2004[53].

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Le pays des droits de l’homme [10]

Et la France aujourd’hui ? Cette question revient avec constance dès qu’est organisé un débat à la suite de la projection de mon film Escadrons de la mort, l’école française. Que le lecteur se « rassure » : fort heureusement, il y a belle lurette que l’armée française a banni de ses enseignements – à l’École militaire ou dans tout autre institut de formation dépendant du ministère de la Défense – toute référence à la théorie et aux techniques de la « guerre révolutionnaire ». Dès le début des années 1960, et sur ordre, comme on l’a vu, du général de Gaulle cette « matière » si prisée du temps des guerres coloniales a disparu des programmes militaires, pour ainsi dire du jour au lendemain.

Il n’en reste pas moins vrai que ce sont bien des officiers français, venus pour beaucoup des rangs de la résistance au nazisme, qui, au nom d’une idéologie – l’anticommunisme et la défense des valeurs de l’Occident chrétien -, ont mis au point lors des guerres coloniales en Indochine et en Algérie des « méthodes de guerre » qui ont légitimé les pires sauvageries contre les populations civiles. Et ces méthodes, grâce à leur efficacité, sont devenues des modèles, voire des fins en soi, pour des chefs politiques, dictateurs et despotes (dans le tiers monde et en Russie) ou démocrates (aux États-Unis). Il s’agit là d’une vérité historique que la France officielle ne peut continuer à occulter, en invoquant encore et toujours la « raison d’État ».

Or, dans ce domaine, le travail de mémoire et, surtout, de reconnaissance publique des responsabilités politiques, a tout juste commencé. Il a fallu attendre quarante ans pour que l’on parle enfin ouvertement des atrocités commises par l’armée française en Algérie. Mais dès qu’un Aussaresses ouvre la bouche, les loups se mettent à hurler – sur le thème qu’il faut taire ce qui pourrait salir l’honneur de la France -, entraînant de tragiques conséquences : combien de vieux militaires ai-je rencontré, qui échaudés par l’expérience de leur « ancien camarade », ont finalement décidé d’emporter leurs « secrets » dans la tombe ? Les déboires en justice du général Aussaresses sont révélateurs de cette incapacité qui caractérise la classe politique et intellectuelle française de se pencher sereinement sur ce que Bernard Stasi appelle la « face cachée de l’histoire de la France ». Tout aussi révélateur est le fait qu’aujourd’hui encore, il ne soit pas possible de consulter librement l’ensemble des archives disponibles sur la guerre d’Algérie : théoriquement « déclassifiées » après le délai de quarante ans de rigueur, bon nombre d’entre elles sont, en fait, soumises à des dérogations spéciales que n’octroie jamais le ministre de la Défense.

Cette « omerta légale », pour reprendre l’expression de mon confrère Paul Moreira, et cet « excès de secret » [11] ne sont pas dignes d’un grand pays démocratique comme la France, si prompte, par ailleurs, à donner des leçons de morale humanitaire, dès qu’il s’agit, par exemple, de réclamer l’extradition d’un tortionnaire argentin comme Alfredo Astiz… Or, telle la lune du poète allemand Rainer Maria Rilke, les deux faces de la France sont intimement liées : pour que sa face lumineuse brille pleinement – à l’intérieur comme à l’extérieur -, il faut que soit reconnue, et donc enfin assumée publiquement, sa face cachée et sombre. Il y va tout simplement de la crédibilité, et donc de la respectabilité, du « pays des droits de l’homme »…

P.-S.

Lire également la sale guerre des généraux algériens des années 1990, par Marie-Monique Robin.

Notes

[1] Escadrons de la mort,l’école française, Éd. La Découverte, septembre 2004, 22 €.

Née en 1960, Marie-Monique Robin est lauréate du Prix Albert Londres (1995). Journaliste et réalisatrice, elle a réalisé de nombreux documentaires, couronnés par une dizaine de prix internationaux, et reportages tournés en Amérique latine, Afrique, Europe et Asie. Elle est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Voleurs d’organes, enquête sur un trafic (Bayard), Les 100 photos du siècle (Le Chêne/Taschen), et Le sixième sens, science et paranormal (Le Chêne).

[2] Le début du dernier chapitre du livre Escadrons …

[3] Télérama, 10 septembre 2003.

[4] Dans la proposition de résolution n° 1060, les députés Verts, qui seront finalement relayés par le groupe socialiste, écrivent notamment : « Pour la première fois, le film de Mme Marie-Monique Robin apporte une démonstration éclatante des conditions dans lesquelles les militaires français ont livré à leurs homologues argentins le savoir-faire qu’ils avaient acquis pendant la bataille d’Alger. »

[5] Le Monde, 25 septembre 2003.

[6] Rapport 1295, décembre 2003. On peut le consulter sur le site de l’Assemblée nationale :

[7] Pour les curieux, l’accord est à chercher dans le « carton » intitulé « Série B. Amérique 1952-1963. Sous-série : Argentine, n° 74. Cotes : 18.6.1. mars 52-août 63 ».

[8] Lire notamment Siete +7, 5 septembre 2003.

[9] El Mercurio, 2 février 2004 ; Le Monde, 5 février 2004.

[10] La fin du dernier chapitre

[11] « Crever l’excès de secret en France » : c’est le titre d’un appel pour un « accès plus libre à l’information », publié dans Libération le 16 avril 2004, et signé dix jours plus tard par deux cents journalistes et hommes politiques. Cet appel demande que soit votée une loi permettant la déclassification des dossiers d’État gardés secrets, à l’instar de la procédure américaine du Freedom of Information Act, qui « oblige toute administration, même la plus sensible, à fournir au public l’accès aux documents classés, sous réserve de neuf exceptions qui devront être correctement motivées ».

Voir également:

Entretien avec Marie-Monique Robin

Argentine – Escadrons de la mort : l’école française

par Ana Bianco

22 octobre 2004

Le film documentaire Escadrons de la Mort : l’école française, réalisé par la journaliste et historienne française Marie-Monique Robin décrit la participation et la collaboration des militaires français avec les dictatures sud-américaines durant les années 1970 et 1980, en particulier avec la junte militaire argentine [1976 – 1983, ndlr].

Dans un entretien avec le quotidien argentin Pagina 12, Marie-Monique Robin rappelle : « L’Etat Major argentin a proposé en 1959 un accord pour que des experts français donnent des cours et agissent en tant que conseillers payés par l’Armée argentine dans le domaine de la « guerre anti-subversive ». La mission militaire française permanente à Buenos Aires, composée essentiellement de vétérans de la guerre coloniale en Algérie (1954-1962), est restée en place jusqu’en 1981, avec l’appui des gouvernements argentin et français. Les méthodes utilisées dans la « Bataille d’Alger » [le 7 janvier 1957, les pleins pouvoirs de police sur le Grand Alger – 800.000 habitants – sont attribués au général Jacques Massu, qui commande quelque 6000 parachutistes, ndlr] ont été exportées à l’Ecole de Guerre de Buenos-Aires. Cela a été le cas notamment en ce qui concerne la conception de l’ennemi intérieur, qui était à la base de la doctrine française, issue de leur expérience dans la lutte contre un ennemi en milieu urbain. En effet, pour les militaires argentins, jusqu’à l’arrivée des Français, l’ennemi venait de l’extérieur, du Chili, du Paraguay. Mais avec cette nouvelle conception, l’ennemi pouvait être un voisin, un enseignant, un péroniste ou un militant de gauche qui mettait en péril les valeurs occidentales. Et pour vaincre cet ennemi caché, entremêlé à la population, dépourvu d’uniforme, il fallait mettre en oeuvre les méthodes de la « doctrine française » ou « école française ». Le renseignement est fondamental : et qui dit renseignement dit interrogatoire, et donc torture (pour prétendument tirer les informations). Et ensuite, pour se débarrasser des torturés, on les fait disparaître. »

Escadrons de la mort : l’école française commence par la voix de quelques ex-combattants français en Indochine et en Algérie qu’on entre dans le sujet. Il y a également des témoignages de quelques élèves exemplaires comme, entre autres, l’ex-ministre de l’Intérieur pendant la dictature, Albano Harguindeguy, l’ex-président, de fait, Reynaldo Bignone, et Manuel Contreras, chef de la DINA, la police secrète chilienne.

Ces témoignages historiques sont complétés par les récits de deux ex-cadets de la Marine, emprisonnés et renvoyés parce qu’ils ont dénoncé l’utilisation de la torture, et par les histoires de quelques survivants et de Horacio Mendez Carrera, avocat des disparus français en Argentine, et de Maria del Rosario Cerruti, une mère de la Plaza de Mayo [ces femmes qui ont, avec une volonté et un courage sans faille, réclamé dès avril 1977 que la vérité soit faite sur les crimes de la dictature au pouvoir].

En quoi a consisté la participation des militaires français durant la dernière dictature en Argentine ?

Marie-Monique Robin (Source : Página 12) C’est en 1957 que les premiers officiers argentins, dont Alcides Lopez Aufranc, sont arrivés à Paris pour suivre durant deux ans des cours de l’Ecole de Guerre. A cette époque, Fidel Castro n’était pas au pouvoir à Cuba, la guérilla argentine n’existait pas en tant que telle, et le poids du Parti communiste n’était pas important. A l’époque où Lopez Aufranc se formait à Paris, il y avait la Guerre froide ; il n’y avait pas d’ennemi, mais ils étaient convaincus que la Troisième Guerre mondiale menaçait.

Dans le film, le général Balza explique cela très clairement lorsqu’il dit – en parlant des militaires argentins à la fin des années 1950 – qu’ils se préparaient pour une guerre virtuelle, fictive. Dans la pratique, l’arrivée des Français en Argentine a entraîné une extension massive des services de renseignements et l’utilisation de la torture en tant que principale arme de la guerre anti-subversive dans le concept de guerre moderne. Comme la population civile est méfiante, il fallait quadriller le territoire : on attribuait à chaque général une zone, et des sous-zones étaient confiées à un capitaine ou à un lieutenant.

Quelles sont les différences dans l’utilisation de la technique militaire en Algérie et en Argentine ?

Bignone l’exprime très bien dans le film lorsqu’il dit textuellement : « L’ordre de bataille de mars 1976 est une copie de la bataille d’Algérie ». Les décrets signés, en 1975, durant le gouvernement d’Isabel Perón pour exterminer la guérilla et les décrets militaires qui ont instauré la dictature [en 1976, ndlr], ont tous les deux été inspirés de textes français. La célèbre Bataille d’Alger était caractérisée par le fait que les pouvoirs de la Police ont été délégués à l’Armée, et en particulier aux parachutistes. La police était sous le contrôle de l’Armée, et ce sont les militaires eux-mêmes qui menaient les interrogatoires. On y a également pratiqué les disparitions forcées, avec un bilan de 30.000 personnes disparues.

Le film affirme que les militaires argentins ont été les meilleurs élèves de l’école française. Pourquoi ?

L’Argentine est le seul pays où il y a eu une mission militaire permanente pendant 20 ans. Aux Etats-Unis, les militaires français ne sont restés que deux ou trois ans. Au Brésil, ils ont donné des cours ponctuellement à Manaus [capital de l’Etat Amazonas, ndlr]. Ce n’est pas un pur hasard si les militaires français sont restés en Argentine pendant 20 ans sans discontinuer. Il y a eu des liens entre l’extrême droite française et l’Argentine depuis les années 1930. L’intégrisme catholique français a joué un rôle très important dans l’exportation de la doctrine française, en lui fournissant une base idéologique, notamment par le biais de l’ainsi dénommée « Cité catholique ». Celle-ci fut créée par Jean Ousset, un ex-secrétaire de Charles Maurras, qui a été l’un des leaders de l’extrême droite en France. La Cité éditait une revue, Le Verbe, qui a eu beaucoup d’influence sur les militaires durant la guerre d’Algérie, notamment pour justifier l’utilisation de la torture.

A la fin des années 1950, la Cité catholique [courant catholique intégriste, ndlr] s’est installée en Argentine sous le même nom, et avec la même revue. Elle organise des cellules à l’intérieur de l’armée et connaît un développement important pendant le gouvernement du général Onganía [en 1969, ndlr].

Le personnage clé de cette organisation est le père Georges Grasset, qui a été le confesseur personnel de Videla [un des chefs de la junte militaire argentine, ndlr], et qui vit encore en Argentine. Guide spirituel de l’OAS (l’organisation de l’armée secrète) qui, avec ses commandos Delta (escadrons de la mort) a essayé d’empêcher par les armes l’indépendance de l’Algérie. Dans l’Armée argentine, il existait un courant ultra-catholique intégriste, qui explique pourquoi l’influence des Français a été si importante. Lorsqu’il vient à Buenos Aires – Grasset vit à la Rue Tucuman n°1561, 4e étage, appartement 37 – il entretient des liens avec la congrégation de Monseigneur Lefebvre, un évêque intégriste français qui a depuis été excommunié par le Vatican [Il est décédé en 1991 – né en 1905 ; la Congrégation a toujours son centre à Ecône, en Valais-Suisse, sous le nom de Fraternité sacerdotale Saint Pie X, ndlr]. Cette congrégation possède quatre monastères en Argentine, la principale à La Reja. Lorsque je suis allée à La Reja, j’ai parlé avec un curé français qui m’a dit : « Pour sauver l’âme d’un curé communiste, il faut le tuer ». C’est là que j’ai rencontré Luis Roldan, ex-sous secrétaire du Culte sous Menem [président de l’Argentine entre 1989 et 1999, ndlr]. Il m’a été présenté par Dominique Lagneau, le curé directeur du monastère, comme étant « Monsieur Cité catholique en Argentine ».

L’influence française a été théorique, technique et idéologique. Bruno Genta et Juan Carlos Goyeneche représentent cette idéologie, partagée par les officiers qui allaient prendre le pouvoir en Argentine 20 ans plus tard. Le coup militaire de 76 est le fruit d’une lente préparation qui a débuté dans les années 1950.

Est-ce que vous avez dû utiliser une caméra cachée pour certaines séquences ?

Je l’ai notamment utilisée pour la rencontre avec Bignone [le général Reynaldo Bignogne est nommé Président par la Junte en juillet 1982 ; alors que la crise du pouvoir est à son sommet suite à la guerre des Malvinas de 1982 contre la Grande-Bretagne de Thatcher, ndlr]. Bignogne m’a reçu à cause du livre – qui sera édité par les éditions Sudamericana l’année prochaine, et qui portera le même titre que le film – et je me suis présentée comme historienne de l’extrême droite.

Je n’ai eu aucun problème éthique, j’étais devant un tortionnaire, un violeur des droits humains. Preuve en est ce qu’ils ont fait et ce qu’ils veulent occulter. Le général Ramon Diaz Bessone doit être furieux à cause de ce que j’ai enregistré. Lorsqu’il a pensé que j’avais cessé de filmer, il a totalement changé, il s’est transformé et détendu, et c’est alors qu’il dévoile cet autre personnage, et il dit ce qu’il pense réellement : « Comment veux-tu tirer des renseignements, si tu ne tortures pas, si tu ne serres pas » ?

Source : Página 12 (http://www.pagina12web.com.ar), Argentine, 13 octobre 2004.

Traduction : revue A l’encontre (http://www.alencontre.org).

Voir de même:

Ces docs qui ont changé le monde (1/5) : « Escadrons de la mort, l’école française »

Hélène Marzolf

Télérama n° 3178

– Oui, il arrive que la télévision fasse bouger les choses. A condition que les enquêtes soient percutantes et trouvent un écho dans les médias et chez les politiques. Durant cinq jours, nous vous donnons à voir ou revoir ces films exceptionnels qui ont provoqué des remous considérables lors de leur diffusion. On commence par « Escadrons de la mort, l’école française », un documentaire de Marie-Monique Robin qui a fait trembler l’Argentine, diffusé en septembre 2003 sur Canal+. A revoir ici jusqu’à15h.

Avec ce film, la réalisatrice Marie-Monique Robin a réussi un tour de force : secouer la mémoire d’un pays – l’Argentine – et déclencher une réaction en chaîne dont les effets se font encore sentir aujourd’hui. Dans son enquête, elle révèle la manière dont la France exporta, dans les années 1960 et 1970, les techniques de lutte antisubversive apprises en Algérie, et forma les militaires sud-américains à la torture et au renseignement. A l’appui de sa démonstration, le film exploite, entre autres, le témoignage de hauts responsables argentins comme Ramon Diaz Bessone (responsable de nombreux camps de torture), Benito Bignone (dernier chef de la junte) ou Albano Harguindeguy (ex-ministre de l’Intérieur du dictateur Jorge Videla).

Lorsqu’elle boucle les entretiens avec ces généraux, au printemps 2003, la journaliste ne mesure pas encore ce qu’elle va déclencher. « Avant de quitter l’Argentine, j’ai montré mes rushs à Horacio Verbit sky, un journaliste très engagé dans la défense des droits de l’homme. Et il m’a dit : « C’est une bombe ! C’est la première fois que les généraux reconnaissent avoir exploité ces techniques de torture et de disparition de manière méthodique. Il faut absolument que tu me laisses utiliser les rushs. » » Le jour même de la diffusion du film sur Canal+, le 1er septembre 2003, le journal Pagina 12 publie une retranscription des témoignages dans ses colonnes, et des extraits des entretiens sont diffusés sur Telefe, une grande chaîne privée. « Et là, l’effet a été dément, s’étonne encore Robin. Les médias ont repris les extraits en boucle, tout le monde s’est passé mon portable, et m’a appelée jour et nuit. C’était l’enfer pendant une semaine. J’ai dû faire quarante ou cinquante interviews. On a parlé de « commotion nationale ! » » L’affaire remonte jusqu’au sommet de l’Etat. Une réunion de crise est organisée par l’état-major argentin, et le ministère de la Défense dégrade les généraux, dans l’attente de poursuites judiciaires. De son côté, la hiérarchie catholique – incriminée dans le film pour sa complaisance envers la junte – organise, dans la panique, une conférence de presse.

Si l’impact du documentaire est aussi fort, c’est parce que sa diffusion intervient dans un contexte où, pour la première fois depuis la dictature, l’Argentine semble prête à affronter son passé. Depuis son élection, en mai, le président Nestor Kirschner, en quête de légitimité, n’a cessé de marteler sa volonté de mettre fin au régime d’impunité dont bénéficiaient les militaires depuis un quart de siècle. Votée par le parlement dès août 2003, l’abolition des lois d’amnistie est entérinée deux ans plus tard par la Cour suprême. Des centaines de poursuites sont alors relancées, certaines grâce aux révélations du film. La boîte de Pandore est ouverte : les rushs de Marie-Monique Robin sont aujourd’hui exploités comme pièces à conviction devant les tribunaux, et elle-même est régulièrement citée à comparaître. En 2008, elle s’est rendue à Corrientès, pour témoigner contre les hommes de Bessone, et retournera en début d’année prochaine en Argentine pour les procès de deux autres membres de la junte.

Ironie de l’histoire, cet exercice de remue-mémoire cathartique n’a pas eu lieu en France. En 2003, une poignée de députés verts (Noël Mamère, Yves Cochet et Martine Billard) a demandé la constitution d’une commission d’enquête parlementaire sur le sujet. Peine perdue. La commission des Affaires étrangères, alors présidée par Edouard Balladur, a rejeté la demande, arguant du fait que « les allégations portées sur le rôle de la France en Amérique latine dans les années 1970 sont sans fondement sérieux. » Réaction aberrante, au vu des révélations et des preuves apportées par le film sur l’implication du gouvernement sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing. Seul signe de reconnaissance octroyé par la République, la journaliste a décroché un prix, les lauriers du Sénat, et reçu, à cette occasion, un hommage appuyé du médiateur de la République, Bernard Stasi : « J’ai honte pour la France. J’espère que nous aurons le courage de faire toute la lumière sur cette face cachée de notre histoire pour que nous ayons enfin le droit de nous revendiquer patrie des droits de l’homme ».

Voir aussi: 

Voir enfin:

Jean Lartéguy, maître à penser de l’armée américaine

Pierre Assouline

Le Monde des livres

03.03.11

S’il arrive que les funérailles d’un écrivain populaire précèdent de peu celles de son oeuvre, il est plus rare qu’elles lui succèdent. Nul doute que les personnes présentes ce mercredi à la messe célébrée en la cathédrale Saint-Louis-des-Invalides, à la mémoire de Jean Lartéguy, disparu le 23 février à 90 ans, possédaient tous ses livres dans leur bibliothèque. Ce qui n’était pas le cas des journalistes chargés de rédiger la nécrologie du soldat-grand reporter qui fut un écrivain de guerre à succès. Ses ouvrages demeurant introuvables dans les librairies en dur quel que soit le format, ils durent se rabattre sur les librairies en ligne quel que soit le prix.

Ses récits de guerre (Les Centurions, Les Mercenaires, Les Prétoriens, Le Mal jaune, Les Tambours de bronze), les seuls disponibles en principe, ont bien été réunis en un volume par Omnibus ; mais comme il s’en est vendu moins de 2 000 exemplaires depuis 2004, on ne les trouve plus guère. Il ne s’agit pourtant pas d’un écrivain maudit nationalement célébré avec perte et fracas, ni d’un auteur d’avant-garde que l’air du temps aurait relégué dans l’arrière-garde, mais bien d’un authentique romancier populaire. Il est vrai qu’il exalta des valeurs – honneur, patrie, sacrifice, fraternité – qui semblent avoir été emportées par le vent de l’Histoire avec les guerres coloniales dont il avait peint la geste.

Or, par un étrange paradoxe, cet auteur jouit d’une plus forte notoriété en langue anglaise que dans sa propre langue. Les Centurions (1963), son grand roman sur les parachutistes de Bigeard en Algérie, porté à l’écran avec Alain Delon, Anthony Quinn, Michèle Morgan, Maurice Ronet, Jean Servais et Claudia Cardinale, atteint 2 000 dollars sur Amazon. Aussi a-t-il été réédité en février par Amereon, petit éditeur de Mattituck, dans l’Etat de New York, qui ne le vend « que » 60 dollars.

Il faut dire que Lartéguy peut compter sur de fidèles lecteurs outre-Atlantique. Beaucoup sont galonnés. L’un d’eux, qui l’est particulièrement, s’est fait l’attaché de presse bénévole du livre : le général David Petraeus, commandant de la coalition militaire en Irak avant de prendre le commandement des troupes de l’OTAN en Afghanistan à la suite du général Stanley McChrystal, lui-même inconditionnel des Centurions, viré par le président Obama pour avoir trop parlé au reporter de Rolling Stone. Petraeus en a réactivé le culte dans l’armée américaine en encourageant fortement l’éditeur à le publier de nouveau.

Torture et guérilla

C’est peu dire que son propre manuel de contre-insurrection est inspiré d’un chapitre des Centurions ; celui-là même où Bigeard, alias Raspeguy, tirant les leçons de sa détention dans les geôles du Vietminh, décide d’adapter ses paras en Algérie à une guerre non conventionnelle où il faut d’abord couper son adversaire de la population dès lors qu’elle lui fournit ravitaillement et informations. C’est un traité vivant et vécu de guerre contre-insurrectionnelle, dans lequel la dimension politique et psychologique, basée sur la primauté du renseignement, l’emporte sur l’aspect purement militaire des opérations.

Sophia Raday, épouse d’un officier qui a servi sous les ordres du général Petraeus en Irak, a raconté sur le site Slate qu’à Bagdad ce dernier ne cessait de relire le livre de Jean Lartéguy et de s’en faire le propagandiste, tant les situations sur le terrain lui paraissaient semblables. Jusqu’à la « manière » de faire parler à temps des combattants ayant disséminé en ville des bombes réglées pour exploser dans les vingt-quatre heures – ce qu’il appellera le « ticking time bomb scenario », justifiant le recours dans l’urgence à la torture afin de sauver les vies de civils (et en ce sens, on peut dire que la série « 24 heures chrono » paie aussi sa dette aux Centurions).

Il n’y a pas que Jean Lartéguy : le colonel Trinquier aussi. Son livre La Guerre moderne (La Table ronde, 1961), qui théorise la guerre subversive, est un classique des écoles de guerre américaines, les mêmes où, pour enseigner la guérilla urbaine, l’on projette aux futurs officiers La Bataille d’Alger (1966). Coproduit pour l’Algérie par Yacef Saadi, ancien responsable de l’Armée de libération nationale, le film était signé du réalisateur italien Gillo Pontecorvo, qui se réclamait du marxisme.

Mais Les Centurions, à l’origine de tant de vocations militaires, a une particularité qui le distingue de tous les autres : c’est un roman ; et pourtant, la vérité qui y est rapportée par un écrivain au coeur même de l’Histoire en marche, ce n’est pas du roman. Jean Lartéguy était son nom, inconnu des jeunes générations et déjà méconnu des précédentes. Un nom de plume, qui le distinguait de celui qu’il partageait avec son oncle, le chanoine Osty, traducteur d’un livre encore plus répandu et plus influent (même dans l’armée américaine !) que Les Centurions, et auquel est accolé son patronyme : la Bible.

Ce roman français que le général Petraeus a fait rééditer

Sophia Raday

Traduction Antoine Bourguilleau

Slate

2 février 2011

Le commandant des forces alliées en Afghanistan a trouvé des leçons de stratégie dans «Les Centurions», livre de Jean Lartéguy sur les guerres d’Indochine et d’Algérie.

Un exemplaire du roman de Jean Lartéguy, Les Centurions, épuisé en langue anglaise et traitant des parachutistes en Algérie et en Indochine, peut atteindre les 1.700 dollars (un peu plus de 1.200 euros) sur Amazon.com. Ce simple fait pourrait expliquer sa réédition ce mois de janvier par Amereon LTD, pour un prix conseillé de 59,95 dollars. Mais lorsque j’ai passé un coup de fil à l’éditeur, Jed Clauss, il m’a fait savoir que l’argent n’était pas le motif principal: «Ecoutez, je suis un vieux monsieur», m’a-t-il dit. «Je suis à la fin de ma carrière d’éditeur. Je ne me lance plus que dans des projets qui m’amusent. Mais David Petraeus voulait que ce livre soit réédité. Alors je l’ai réédité.»

Il s’ agit bien du général David Petraeus, l’homme crédité du tournant de la guerre en Irak, aujourd’hui chef des troupes alliées en Afghanistan. J’ai lu la traduction de ce roman de 1960, qui bénéficiait, il y a encore peu, du statut de livre-culte au sein du personnel militaire –et je l’ai aimé. Mais après avoir discuté avec Clauss, je me suis posé cette question: «Pourquoi Les Centurions atteignent-ils des prix pareils et pourquoi ce livre plaît-il au stratège le plus influent de sa génération?».

Mon mari ayant servi sous les ordres de Petraeus en Irak, je suis parvenu à me procurer son adresse e-mail et je lui ai directement posé la question. Il m’a répondu, m’a demandé de féliciter mon mari puis a ajouté, de manière assez énigmatique: «Content de l’apprendre. Bons baisers de Kaboul –Dave Petraeus.» C’était tout. Avait-il délibérément ignoré la question? Ou, plutôt, avait-il lu mon mail en diagonale, et cru que je me contentais de l’informer de la reparution des Centurions? Quelle que soit la réponse, j’ai été ravi du «Dave».

Inspiré par le général Bigeard

Mais «Dave» ne m’avait pas répondu grand chose. J’ai donc tenté de répondre à cette question par moi-même. Et, tandis que je relisais cet épais roman historique, son intérêt m’est apparu de manière assez limpide. Le roman suit les aventures du lieutenant-colonel Pierre Raspéguy, qui doit transformer une unité militaire accoutumée à la guerre conventionnelle en une unité capable de remplir les missions plus complexes et plus délicates de la guerre de contre-insurrection. Les «centurions» auxquels le titre fait référence sont les soldats français de Raspéguy, un terme faisant naturellement référence aux officiers romains de l’Antiquité, qui, sur la fin de l’Empire, combattaient à sa périphérie tandis que l’empire s’effondrait de l’intérieur. Ça vous rappelle quelque chose?

Comme le général Marcel Bigeard, dont son personnage s’inspire clairement, Raspéguy se retrouve un temps dans un camp de prisonniers en Indochine où lui et ses soldats voient «leurs individualités trempées dans un bain de chaux vive» jusqu’à ce qu’il n’en subsiste plus que «le strict essentiel». Durant ce processus de «macération», Raspéguy et ses hommes en profitent pour étudier leur ennemi, le Viet-Minh. Ils prennent conscience que le Viet-Minh ne suit pas les règles conventionnelles de la guerre et motive ses partisans en s’appuyant surtout sur l’idéologie et son dogme. Il s’agit donc d’une force aussi politique que militaire, et vaincre un tel ennemi nécessite une nouvelle pensée, de nouveaux chefs et de nouvelles tactiques. «Pour cette sorte de guerre», songe Raspéguy, «il faut des hommes rusés et astucieux, capables de combattre loin du troupeau et qui font preuve d’esprit d’initiative… qui peuvent effectuer toutes les tâches, braconniers et missionnaires.»

Après un retour difficile en France, Raspéguy et sa compagnie sont envoyés en Algérie. Tandis que le reste de l’armée végète –confinée dans des garnisons, ne se souciant que du règlement et de l’opinion des hauts gradés–, Raspéguy et ses hommes réalisent qu’ils doivent «couper les rebelles de la population, qui leur fournit des informations et les nourrit. Alors seulement, nous pourrons combattre à armes égales».

Les chapitres qui se déroulent en Algérie sont assez similaires aux expériences de Petraeus en Irak. En 2005, alors qu’il devenait de plus en plus évident que les Etats-Unis étaient en train de perdre la guerre, Petraeus se fit l’avocat d’une nouvelle approche, celle de la contre-insurrection (ou COIN), qui diffère de la doctrine militaire traditionnelle en mettant l’accent sur le caractère plus politique que militaire de l’insurrection. En 2006, il supervisa la rédaction du nouveau Field Manual 3-24, la première mise à jour de la doctrine américaine de contre-insurrection depuis vingt ans et le seul manuel de l’armée à avoir fait l’objet d’une critique dans le New York Times. Le FM 3-24 donna à Petraeus le statut de «théoricien militaire», et fit basculer les priorités de la doctrine américaine de l’emploi bref, mais dévastateur, de la puissance de feu, à la patience et à l’adaptabilité, en insistant tout particulièrement sur l’adoption la plus rapide possible des leçons du terrain. Raspéguy aurait été enchanté.

Des raisons essentiellement émotionnelles

Les similitudes entre Les Centurions et la stratégie actuelle de COIN ne sont pas accidentelles. On sait que Petraeus relit régulièrement des passages du livre et qu’il est également un disciple de Marcel Bigeard. Comme Greg Jaffe et David Cloud le font remarquer dans The Fourth Star (un ouvrage traitant des généraux Petraeus, Peter Chiarelli, George Casey Jr. et John Abizaid), Petraeus a correspondu avec Bigeard durant près de trois décennies et conserve une photo dédicacée du général sur son bureau.

Mais malgré toutes les leçons stratégiques que l’on peut tirer des Centurions, je pense que les militaires apprécient le livre pour des raisons essentiellement émotionnelles. Lartéguy a le don pour mettre en scène des situations psychologiques tendues qui font à la fois la part belle aux idéaux militaires (loyauté, commandement en première ligne, courage) et aux angoisses de la guerre. On lui attribue d’ailleurs l’invention du ressort scénaristique de la «course contre la bombe»: Raspéguy et sa compagnie capturent un chef rebelle qui connaît l’emplacement de quinze bombes qui doivent exploser dans différents magasins européens d’Alger dans exactement 24 heures et ils doivent, naturellement, obtenir cette information avant l’heure dite. De nombreux détails de cette scène, dont une horloge égrénant le temps qui reste, furent utilisés à plusieurs reprises dans la série télévisée 24 heures chrono.

Mais dans 24 heures chrono, la «course contre la bombe» est utilisée pour faire monter la tension dramatique et, diraient certains, pour justifier l’utilisation de «tous les moyens nécessaires» pour faire parler les terroristes. Dans Les Centurions, cette part de l’intrigue est avant tout psychologique et l’officier chargé de l’interrogatoire tente sincèrement d’éviter tout usage de la violence. Il tente de briser la résolution de son prisonnier en lui racontant sa propre expérience de la torture: «Tu ne tiendras pas le coup; et tu sauras alors ce que cela fait d’être un lâche et de devoir vivre avec cette lâcheté le restant de tes jours» (ce qui est, disons-le, bien plus sophistiqué et réaliste que ce que l’on nous raconte dans 24 heures chrono. Le héros de la série, Jack Bauer, aurait enduré deux ans de torture sans prononcer un mot). Si le personnage de Raspéguy finit par utiliser la pression physique, il le fait parce qu’il se laisse totalement submerger par ses propres émotions, une décision qui va causer un véritable traumatisme.

McChrystal, un personnage de Lartéguy

L’acuité du propos de Lartéguy dépasse le champ purement militaire et s’étend également aux relations entre la société et ses guerriers. Les parachutistes haïssent tout particulièrement les généraux ronds-de-cuir qui critiquent leur conduite sans avoir fait l’expérience de leurs souffrances et de leur dilemme moral. Lorsque les centurions apprennent qu’une procédure judiciaire va être intentée contre eux pour «cruauté excessive», Raspéguy déclare: «Maintenant qu’ils ne se chient plus dessus de trouille, ils nous envoient leurs petits carrés de papier.» Dans Les Centurions, le destin du combattant est celui de la fraternité avec ses compagnons d’armes —au détriment de tous les autres. Cette aliénation devient naturellement des plus sévères quand ces hommes rentrent chez eux. Comme Larteguy l’écrit

«Le paradis dont ils avaient tant rêvé dans les camps de prisonniers se rapprochait lentement et avait déjà perdu de son attrait. Ils rêvaient d’un autre paradis: l’Indochine… ils n’étaient pas des fils accablés rentrant à la maison pour panser leurs plaies. Ils étaient des étrangers.»

Le général Petraeus semble avoir évité une déconvenue aussi extrême. Mais le général Stanley McChrystal, ancien commandant des troupes américaines en Afghanistan, semble sortir du moule de Larteguy. Il est manifeste que McChrystal a lu Les Centurions et qu’il a pu ressentir l’esprit de corps que Lartéguy décrit. Dans une de ses dernières grandes interviews, il a déclaré, dans les colonnes de The Atlantic:

«Au sein du JSOC [commandement intégré des opérations spéciales, ndlr], nous avions ce sens… de la mission, de la passion… appelez ça comme vous voulez. Les insurgés avaient une cause à défendre et nous l’inverse. Nous avions un haut degré de cohésion au sein des unités, comme dans Les Centurions.»

Il est également manifeste qu’il nourrit un profond ressentiment à l’encontre des étrangers à sa condition de militaire. Dans le portrait de Rolling Stone qui ruina sa carrière, il se moquait ouvertement des diplomates et des politiciens qui entendaient se mêler de cette guerre –râlant en recevant un e-mail de Richard Holbrooke (qu’il compare à un animal blessé) et racontant qu’il venait de se faire «baiser» et allait devoir assister à un dîner avec des ministres français.

Lors de sa parution en France en 1960, Les Centurions fut un succès de librairie avec plus de 450.000 exemplaires vendus, et permit à Jean Lartéguy de se tailler un nom dans l’ édition. Les avis sur ses mérites littéraires varièrent. Aux Etats-Unis, lorsqu’il fut publié en anglais peu après, les opinions furent clairement négatives. Le Harvard Crimson le décrivit comme «un très mauvais roman» et le New York Times écrivit qu’il «était impossible de suivre qui était qui et plus encore de s’y intéresser». Mais alors que nous entrons dans la dixième année du conflit en Afghanistan, que nous débattons des mérites de la COIN et que nous voyons s’accroître le fossé entre la société civile et ceux qui font la guerre en son nom, ce livre semble d’une troublante acuité. Les soldats utilisent une phrase toute faite pour décrire ceux qui n’ont jamais combattu en les désignant comme des gens n’ayant jamais «entendu un coup de feu tiré sous le coup de la colère». Il est impossible de comprendre l’impact émotionnel du combat sans l’avoir vécu, mais la lecture des Centurions en est un très bon substitut.


Printemps arabe: Et si, loin de l’éliminer, la démocratie radicalisait l’islamisme? (Far from eliminating radicalization, Western values can actually exacerbate Islamist tendencies)

1 mars, 2011
 Au bout du compte, idéologies de l’individu comme idéologies collectivistes se sont soldées par l’échec. C’est maintenant à l’islam, à l’Umma de jouer leur rôle, en la plus critique des heures, quand règnent le trouble et la confusion (…). Le temps de l’islam est venu, lui qui ne renie pas les inventions matérielles en ce monde, car il les considère comme la première fonction de l’homme depuis que Dieu a accordé à celui-ci sa lieutenance sur la terre comme un moyen – sous certaines conditions – d’adorer Dieu et de réaliser les buts de l’existence humaine. Or, l’islam ne peut jouer son rôle que s’il s’incarne dans une société, dans une Umma (…). L’humanité ne prête pas l’oreille, ces temps-ci en particulier, à une croyance abstraite dont elle ne puisse constater la corroboration par des faits tangibles : or l’Umma, croit-on, a vu son existence s’éteindre depuis de nombreux siècles. Mais l’Umma n’est pas une terre sur laquelle vit l’islam, pas plus qu’une patrie dont les aïeux auraient vécu à telle époque selon un mode islamique (…). L’Umma musulmane est une collectivité (jama’a) de gens dont la vie tout entière, dans ses aspects intellectuels, sociaux, existentiels, politiques, moraux et pratiques, procède de l’éthique (…) islamique. Cette Umma, ainsi caractérisée, a cessé d’exister depuis que l’on ne gouverne plus nulle part sur terre selon la loi de Dieu. Sayyid Qutb
Aussi le mouvement de la lutte musulmane est-il une guerre défensive : défense de l’homme contre tous ceux qui aliènent sa liberté et bloquent sa libération, jusqu’à que soit instauré sur le genre humain le royaume de la Loi sacrée. Sayyid Qutb
If this is the West’s version of freedom, and their peace policy, we have our own policies in freedom and it is war until … the infidels leave defeated. Aldawsari (08.04.10)
Nous n’avons absolument rien à faire en Afghanistan, le plus tôt nous sortirons de là-bas, le mieux ce sera. Laurent Fabius (27.02.11, FR2)
Sayyid Qutb came to the United States from Egypt in 1948 to study English and went home appalled by the materialism and gross sensuality of American culture; he became a key ideologist in the development of Islamism.Gary Rosen
We generally understand « radical Islam » as a purely Islamic phenomenon, but Buruma and Margalit show that while the Islamic part of radical Islam certainly is, the radical part owes a primary debt of inheritance to the West. Whatever else they are, al Qaeda and its ilk are revolutionary anti-Western political movements, and Buruma and Margalit show us that the bogeyman of the West who stalks their thinking is the same one who has haunted the thoughts of many other revolutionary groups, going back to the early nineteenth century. In this genealogy of the components of the anti-Western worldview, the same oppositions appear again and again: the heroic revolutionary versus the timid, soft bourgeois; the rootless, deracinated cosmopolitan living in the Western city, cut off from the roots of a spiritually healthy society; the sterile Western mind, all reason and no soul; the machine society, controlled from the center by a cabal of insiders, often jews, pulling the hidden levers of power versus an organically knit-together one, a society of « blood and soil. » The anti-Western virus has found a ready host in the Islamic world for a number of legitimate reasons, they argue, but in no way does that make it an exclusively Islamic matter. The Economist
It’s not enough to be against, or to bring down, a hated regime. It’s not even enough to be for something, at least in the sense in which the Arab world now seeks a freer and more representative political dispensation. What’s required is the statesmanship that can give concrete form to a hazy political dream. It would be nice to believe that this kind of statesmanship will emerge unbidden from decent quarters, which probably explains the fascination with Egyptian Google exec Wael Ghonim. But the perennial political problem is that good people usually lack political ambition. They cede the field to charlatans, romantics and jackals. Bret Stephens
Will Egypt see that its real enemies since the deposition of King Farouk in 1952 have always been poverty, ignorance, repression, failing prospects for its youth, and a shameful record in human rights? Or will it slip back into fervent nationalism, religious zealotry, and anti-Semitism and in the process find itself saddled with an army man eager to re-energize his country by demonizing the usual Israeli suspect? The opening of the Suez Canal to two Iranian warships does not bode well. Neither does radical Sheikh Yusuf al-Qaradawi’s ability to draw over a million Egyptians to hear him preach in Tahrir Square. Nor does last week’s attack by the army on a Coptic monastery, or the brutal sexual assault on CBS News correspondent Lara Logan during the massive celebration of Mr. Mubarak’s ouster. As a crowd of 200 men attacked her, it was widely reported that they screamed « Jew,Jew, Jew. » (Ms. Logan is not Jewish.) Andre Aciman
Paradoxically, a more democratic Iraq may also be a more repressive one; it may well be that a majority of Iraqis favor more curbs on professional women and on religious minorities. . . . Women did relatively well under Saddam Hussein. . . . Iraq won’t follow the theocratic model of Iran, but it could end up as Iran Lite: an Islamic state, but ruled by politicians rather than ayatollahs. I get the sense that’s the system many Iraqis seek. . . . We may just have to get used to the idea that we have been midwives to growing Islamic fundamentalism in Iraq. Nicholas Kristof (The New York Times, June 24, 2003)
If American Muslims, who enjoy Western benefits — including democracy, liberty, prosperity, and freedom of expression — are still being radicalized, why then do we insist that the importation of those same Western benefits to the Muslim world will eliminate its even more indigenous or authentic form of « radicalization »? (…) here are American Muslims, immersed in the bounties of the West — and still do they turn to violent jihad. Why think their counterparts, who are born and raised in the Muslim world, where Islam permeates every aspect of life, will respond differently?
In fact, far from eliminating radicalization, there is reason to believe that Western values can actually exacerbate Islamist tendencies. It is already known that Western concessions to Islam — in the guise of multiculturalism, « cultural sensitivity, » political correctness, and self-censorship — only bring out the worst in Islamists. Yet even some of the most prized aspects of Western civilization — personal freedom, rule of law, human dignity — when articulated through an Islamist framework, have the capacity to « radicalize » Muslims. (…) Western notions of autonomy and personal freedom have even helped « Westernize » the notion of jihad into an individual duty, though it has traditionally been held by sharia as a communal duty. Nor should any of this be surprising: a set of noble principles articulated through a fascistic paradigm can produce abominations. ‘…) just as a stress on human freedom, human dignity, and universal justice produces good humans, rearticulating these same concepts through an Islamist framework that qualifies them with the word « Muslim » — Muslim freedom, Muslim dignity, and Muslim justice — leads to what is being called « radicalization. » Raymond Ibrahim
America needs to stop praising democracy — a means — and start supporting freedom and universal rights — the desired end. If that end can best be achieved by, say, a « philosopher-king, » as opposed to popular support, so be it; if that end can be achieved by supporting secularists while « undemocratically » suppressing Islamists, so be it. Rather than offer lip service to any specific mode of governance, the US should support whoever and whatever form of government is best positioned to provide the boons regularly conflated with democracy. Raymond Ibrahim

Pourquoi la démocratie qui radicalise un Nidal Malik Hasan ou un Aldawsari au Texas ne radicaliserait pas leurs coreligionnaires au Caire ou à Tunis ?   

A l’heure où la menace terroriste n’a jamais été aussi élevée au sein même de nos sociétés occidentales …

Et où, au nom de la liberté d’expression, la plus haute institution éducative française se voit condamnée pour avoir refusé de cautionner l’appel au boycott de la première démocratie du Moyen-Orient …

Pendant que le prétendu chef de file du Monde libre navigue à  vue et que, sous prétexte de printemps arabe et sans compter l’annonce de sa capitulation préventive sur le front afghan par la probable future équipe à la tête du pays autoproclamé des droits de l’homme, s’enflamment brusquement ceux qui n’avaient pas eu de mots assez durs pour dénoncer il y a sept ans la mise hors d’état de nuire d’un des pires despotes de l’histoire …

Telle est la tout à fait pertinente question que pose l’islamologue Raymond Ibrahim.

Pointant, exemples à l’appui, la prétendument nécessaire équivalence, faite couramment en Occident, entre démocratie et régime pluraliste et laïc.

Et montrant au contraire que les valeurs occidentales peuvent même, ici comme là-bas, exacerber et radicaliser les tendances islamistes …

D’où son appel, pour l’Amérique, à arrêter de se focaliser sur la forme de gouvernement (la démocratie qui n’est qu’un moyen) pour se concentrer sur le contenu (la défense des véritables buts que sont la liberté et les droits universels).

Et ce y compris contre la volonté populaire si celle-ci s’avérait soutenir, comme en Iran ou à Gaza, des islamistes liberticides ..

Is an Egyptian « Democracy » a Good Thing?

Raymond Ibrahim

February 26, 2011

That democracy equates freedom is axiomatic in the West. Say the word « democracy » and images of a free, pluralistic, and secular society come to mind. Recently commenting on the turmoil in Egypt, President Obama made this association when he said that « the United States will continue to stand up for democracy and the universal rights that all human beings deserve »—as if the two are inseparable.

But are they? Does « democracy » always lead to « universal rights » — and all of the other boons associated with that form of governance?

The fact is, there is nothing inherently liberal, humanitarian, or secular about democracies. Consider ancient Athens, regularly touted as history’s first democracy. It held principles, such as slavery, that would today be deemed antithetical to a democratic society. Indeed, whereas the status of women in « democratic » Athens would have made the Taliban proud, women in « authoritarian » Sparta reportedly enjoyed a much higher level of equality. Thus the Athenian Plato, one of history’s greatest minds, eschewed democracy, opting for a so-called « philosopher king » to provide for the good of the people.

In short, as with all forms of governance, democracy is a means to an end: based on whether that end is good (freedom) or bad (tyranny) should be the ultimate measure of its worth.

Recent examples of « people-power » — literally, demos-kratia — giving rise to fascistic governments are many: the Palestinians elected the terrorist organization Hamas to lead their government in 2006; Islamists were poised to take over in Algeria thanks to free elections in1991. Most famously, the Shah of Iran, whose monarchy was culturally and socially liberal, was overthrown by the people, who brought the Khomeini and tyranny to power in 1979.

Enter Egypt. For starters, what we are witnessing is a popular revolt. But now that the people have gotten what they want — the overthrow of Mubarak — will « people-power » also lead to a more liberal, secular, and pluralistic society? Theoretically, it is possible: many Egyptians, Christians and Muslims, would welcome a freer society. Despite al-Jazeera’s and the Iranian media’s propaganda — which some in the West follow hook-line-and-sinker — the majority of Egyptians protesting are not doing so to see sharia law implemented, but rather for mundane reasons: food and jobs.

That said, the Muslim Brotherhood does pose a very real threat; moreover, it does want strict sharia implemented. If the people help see it to power, Egypt will become considerably more fascistic. Yet this does not mean that most Egyptians are Islamists. While some are, others go along with the Brotherhood for the ostensible benefits, while being indifferent to the group’s ideological agenda. After all, Hamas’ famous strategy of endearing the Palestinians to it by providing for their needs was learned directly from its parent organization: Egypt’s Brotherhood.

In a way, this is not unlike Western democracies: people can vote based on their immediate needs, emotions, misinformation, or even sheer propaganda — and get more than they bargained for. Yet Western democracies have built-in safeguards, for example, a constitution, rule of law, and a separate judiciary. But what if all of these are built on Islamist principles, agreed to by the majority? The constitution, law, and judiciary of a government can all be built atop sharia (the word sharia simply means « the way » of Muslim society). After all, part of the Brotherhood’s by now infamous slogan is that « the Koran is our Constitution »; likewise, Iran has a « constitutional government » — based on sharia jurisprudence.

In short, America needs to stop praising democracy — a means — and start supporting freedom and universal rights — the desired end. If that end can best be achieved by, say, a « philosopher-king, » as opposed to popular support, so be it; if that end can be achieved by supporting secularists while « undemocratically » suppressing Islamists, so be it. Rather than offer lip service to any specific mode of governance, the US should support whoever and whatever form of government is best positioned to provide the boons regularly conflated with democracy.

Such an approach would have an added bonus: it would fend off the ubiquitous charge — emanating from the ivory towers of academia to the Arab street — that America is hypocritical for befriending and supporting dictators even as it constantly sings paeans to democracy.

Can American Values Radicalize Muslims?
Raymond Ibrahim

Pajamas media

February 21, 2011

Recent comments by US officials on the threat posed by « radicalized » American Muslims are troubling, both for their domestic and international implications. Attorney General Eric Holder states that « the threat has changed … to worrying about people in the United States, American citizens — raised here, born here, and who for whatever reason, have decided that they are going to become radicalized and take up arms against the nation in which they were born. » The situation is critical enough to compel incoming head of the House Committee on Homeland Security Peter King to do all he can « to break down the wall of political correctness and drive the public debate on Islamic radicalization. »

To be sure, radicalized American Muslims pose a far greater risk than foreign radicals. For example, it is much easier for the former to get a job in the food industry and poison food — a recently revealed al-Qaeda strategy. American terrorists are also better positioned to exploit the Western mindset. After describing Anwar al-Awlaki as one of the most dangerous terrorists alive, Holder added that he « is a person who — as an American citizen — is familiar with this country and he brings a dimension, because of that American familiarity, that others do not. » (Likewise, American Adam Gadahn is al Qaeda’s chief propagandist in English no doubt due to his « American familiarity. »)

Sue Myrick, a member of the House of Representatives Permanent Select Committee on Intelligence, wrote a particularly candid letter on « radicalization » to President Obama:

For many years we lulled ourselves with the idea that radicalization was not happening inside the United Sates. We believed American Muslims were immune to radicalization because, unlike the European counterparts, they are socially and economically well-integrated into society. There had been warnings that these assumptions were false but we paid them no mind. Today there is no doubt that radicalization is taking place inside America. The strikingly accelerated rate of American Muslims arrested for involvement in terrorist activities since May 2009 makes this fact self-evident.

Myrick named several American Muslims as examples of those who, while « embodying the American dream, at least socio-economically, » still turned to radical Islam, astutely adding, « The truth is that if grievances were the sole cause of terrorism, we would see daily acts by Americans who have lost their jobs and homes in this economic downturn. »

Quite so. Yet, though Myrick’s observations are limited to the domestic scene, they beg the following, even more « cosmic, » question: If American Muslims, who enjoy Western benefits — including democracy, liberty, prosperity, and freedom of expression — are still being radicalized, why then do we insist that the importation of those same Western benefits to the Muslim world will eliminate its even more indigenous or authentic form of « radicalization »?

After all, the mainstream position, the only one evoked by politicians, maintains that all American sacrifices in the Muslim world (Iraq, Afghanistan, etc.) will pay off once Muslims discover how wonderful Western ways are, and happily slough off their Islamist veneer, which, as the theory goes, is a product of — you guessed it — a lack of democracy, liberty, prosperity, and freedom of expression. Yet here are American Muslims, immersed in the bounties of the West — and still do they turn to violent jihad. Why think their counterparts, who are born and raised in the Muslim world, where Islam permeates every aspect of life, will respond differently?

In fact, far from eliminating radicalization, there is reason to believe that Western values can actually exacerbate Islamist tendencies. It is already known that Western concessions to Islam — in the guise of multiculturalism, « cultural sensitivity, » political correctness, and self-censorship — only bring out the worst in Islamists. Yet even some of the most prized aspects of Western civilization — personal freedom, rule of law, human dignity — when articulated through an Islamist framework, have the capacity to « radicalize » Muslims.

Consider: the West’s unique stress on the law as supreme arbitrator, translates into a stress to establish sharia law, Islam’s supreme arbitrator of human affairs; the West’s unwavering commitment to democracy, translates into an unwavering commitment to theocracy, including an anxious impulse to resurrect the caliphate; Western notions of human dignity and pride, when articulated through an Islamist mindset (which sees fellow Muslims as the ultimate, if not only, representatives of humanity) induces rage when fellow Muslims — Palestinians, Afghanis, Iraqis, etc. — are seen under Western, infidel dominion; Western notions of autonomy and personal freedom have even helped « Westernize » the notion of jihad into an individual duty, though it has traditionally been held by sharia as a communal duty.

Nor should any of this be surprising: a set of noble principles articulated through a fascistic paradigm can produce abominations. In this case, the better principles of Western civilization are being devoured, absorbed, and regurgitated into something equally potent, though from the other end of the spectrum. Put differently, just as a stress on human freedom, human dignity, and universal justice produces good humans, rearticulating these same concepts through an Islamist framework that qualifies them with the word « Muslim » — Muslim freedom, Muslim dignity, and Muslim justice — leads to what is being called « radicalization. »

Voir enfin:
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Débat sur Israël : l’ENS condamnée pour entrave à la liberté d’expression
Le Monde
01.03.11
Le Tribunal administratif de Paris a condamné, samedi 26 février, la direction de l’Ecole normale supérieure (ENS) pour avoir refusé la réservation d’une salle pour un débat sur la question israélo-palestinienne.AFP
Le Tribunal administratif de Paris a condamné, samedi 26 février, la direction de l’Ecole normale supérieure (ENS) pour avoir refusé la réservation d’une salle pour un débat sur la question israélo-palestinienne. Le collectif Palestine de l’ENS avait déposé, début février, une demande de réservation de salle pour organiser un nouveau débat, dans le cadre de la « semaine contre l’apartheid israélien ». Selon ses membres, ce débat avait pour objectif de « réfléchir à la pertinence de la qualification juridique d’apartheid pour décrire la situation israélo-palestinienne ». Le collectif avait invité Omar Barghouti, initiateur en Cisjordanie de la campagne de boycott des produits israéliens (« Boycott, désinvestissement, sanctions », aussi appelée BDS) et la réalisatrice franco-israélienne Simone Bitton, ainsi que des étudiants israéliens et palestiniens.
L’ENS a refusé, par la voix de sa directrice, Monique Canto-Sperber, fin février, la réservation de la salle, estimant que « ‘l’ENS n’a pas pour vocation d’abriter des meetings de partis politiques ou des réunions organisées par des groupes militants, nationaux ou internationaux, dans lesquels s’exprimerait un point de vue univoque », comme l’expliquait le blog du Monde de l’éducation.
LA JUSTICE DONNE RAISON AU COLLECTIF
Le collectif Palestine a dénoncé une « censure ». Après avoir essuyé un nouveau refus de la direction de l’école, il a décidé de porter l’affaire en justice. Qui lui a donné en partie raison. Dans ses conclusions, le juge des référés estime que les plaignants « sont fondés à soutenir que la directrice de l’ENS, dans l’exercice de ses fonctions, a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de réunion, qui constitue une liberté fondamentale ».
Le juge ordonne à l’ENS de suspendre sa décision de réexaminer la demande du collectif Palestine. Il note également que les plaignants ont « fait part de leur volonté d’assurer un caractère contradictoire aux débats programmés ». (Voir la décision du tribunal sur Le Monde.fr.)
Contacté par Le Monde.fr, l’un des avocats de l’école, Patrick Klugman, estime que « cette décision est un dangereux précédent ». « La semaine contre l’apartheid d’Israël est un événement susceptible de poursuites pénales, donc je ne vois pas comment la direction de l’école aurait pu l’autoriser », explique-t-il, estimant que l’emploi du terme « apartheid » concernant l’Etat d’Israël est illégal en France. Il ajoute que l’ENS a la volonté de saisir le Conseil d’Etat sur cette question.
Conformément à la décision du juge, la direction de l’école a réexaminé, mardi, la demande du collectif. Et a de nouveau refusé la salle, au motif que le débat aurait dû être contradictoire, et qu’il ne peut être inclu dans la « semaine contre l’apartheid israélien ».
Le collectif assure que le débat organisé n’est pas une promotion du boycott d’Israël mais un débat de fond sur la notion d' »apartheid ». Et entend saisir le juge administratif mercredi pour obtenir satisfaction.
LE « PRÉCÉDENT » STÉPHANE HESSEL
Cette affaire fait suite à l’annulation d’un débat sur Israël avec Stéphane Hessel, mi-janvier, qui avait déclenché une polémique. L’auteur d’Indignez-vous !, ancien résistant, était invité à débattre de la répression de la campagne de boycott des produits israéliens. La direction de l’ENS avait annulé le débat après les inquiétudes relayées par le Conseil représentatif des associations juives de France et plusieurs associations juives.
 
 

 

Une décision qui avait suscité la colère de plusieurs chercheurs anciens élèves de l’école, qui avaient dénoncé dans une lettre publiée dans Libération une atteinte à la liberté d’expression. Ils estimaient que la directrice de l’ENS avait « déshonoré sa fonction ». Cette dernière avait déploré dans une tribune au Monde un « vacarme d’indignation sincère et de mauvaise foi mêlées ». Et avait expliqué avoir décidé « seule » de cette annulation, estimant qu’il s’agissait d’un « meeting sans débat ». Elle ajoutait : « Si une situation analogue se présentait de nouveau, j’agirais de la même façon ».

Voir également:

 Is There an Arab George Washington?
Most revolutions trace a familiar arc from euphoria to terror.
Bret Stephens
The WSJ
March 1, 2011

On learning that George Washington intended to follow up his victory at Yorktown by retiring to his farm at Mount Vernon, George III told the painter Benjamin West: « If he does that, he will be the greatest man in the world. » The British monarch may have wound up stark raving mad, but he knew a thing or two about the seductions of power.

We celebrate Washington today as the greatest of the founding fathers. But the fame he gained during his lifetime owed mainly to his willingness to relinquish the vast powers he had repeatedly been granted, and which were his for the keeping. That’s a rarity in the history of revolutions, in which the distance from liberation to despotism—from euphoria to terror—is usually short. The French Revolution began with a Declaration of the Rights of Man. It very nearly ended in an extinction of those rights.

The uprisings now sweeping the Arab world threaten to retrace that familiar arc. Consider the irony of last month’s massive protests in Cairo’s Tahrir Square. Until Egypt’s corrupt but tolerant monarchy was overthrown in 1952, the square was known as Midan El-Ismailiya after Ismail Pasha, the great 19th-century Egyptian Westernizer. It became Liberation Square only after Gamal Abdel Nasser’s 1952 coup, yet another calamitous revolution that began brightly with promises of democracy.

Now we’re being told that this time it’s different. A day after the demonstrators began to gather on Tahrir Square last month, an Egyptian friend of mine—a former independent member of parliament with close ties to the secular opposition—explained that difference: « It’s a revolution without papas, » he told me. No Nasser, no Ben Bella, no Arafat, just ordinary people in their millions demanding their long-denied civil and political rights.

I’d love to think that my friend is right. And there’s no shortage of pop-political philosophy explaining how in our networked, horizontal, spontaneously organizing era of Facebook and Twitter, there’s no longer a need for credible leaders or effective political parties. Just click the install button on People Power 3.0 and the program will run itself.

Yet until technology recasts human nature, human nature will be what it always has been. And human nature abhors a leadership vacuum. When revolutions are successful, it’s not that they have no « papas »; it’s that they have good papas. So it was with Washington, or with Mandela—men of hard-earned and unmatched moral authority, steeped in the right values, who not only could defeat their adversaries but rein in the tempers of their own followers.

What happens when revolutions don’t have such leaders? The French Revolution is Exhibit A. Exhibit B might be Lebanon’s Cedar Revolution of 2005, which took place following the assassination of the charismatic former premier Rafik Hariri. Millions of Lebanese poured into Beirut’s Martyrs’ Square on March 14 to demand the end of Syrian occupation.

The Syrians obliged. Elections gave pro-Western groups clear majorities in parliament. The country seemed settled on a better course. In May of that year I went to Lebanon to see things for myself. « Wherever

I go here, the impression is of a people intent on making up for lost time, and determined never again to be dragged down by extremism, » I wrote. « It is these Lebanese, one senses, and not Hezbollah, who are making the country anew, and who are doing so, at long last, in the absence of fear. »

Re-reading those lines today, with Hezbollah in firm control of a puppet government and the various leaders of the March 14 movement murdered, dismembered or politically neutered, is enough to make me cringe.

But it’s also a useful lesson in the limits of the very kind of people power now being celebrated in Egypt. It’s not enough to be against, or to bring down, a hated regime. It’s not even enough to be for something, at least in the sense in which the Arab world now seeks a freer and more representative political dispensation. What’s required is the statesmanship that can give concrete form to a hazy political dream.

It would be nice to believe that this kind of statesmanship will emerge unbidden from decent quarters, which probably explains the fascination with Egyptian Google exec Wael Ghonim. But the perennial political problem is that good people usually lack political ambition. They cede the field to charlatans, romantics and jackals.

As Americans look at what is happening in the Middle East, it’s natural that their sympathies should lie with the demonstrators. Natural, too, is the belief that movements consisting mainly of oppressed people in search of a better life will lead to decent regimes that care for those people. And maybe that will turn out to be true.

But also true is that America’s revolutionary history was exceptional because we had a Washington while the French had a Robespierre and the Egyptians had a Nasser. We owe today’s Arabs our optimism, and the benefit of the doubt. They owe themselves the real lessons of our example.

Voir enfin:

 
The ‘Israel First’ Myth
Obsessed with the Jewish state, Mideast « experts » got the region all wrong.
James Taranto
The WSJ
3/1/2011

In the past few weeks, we’ve seen revolutions in Egypt and Tunisia, a brutal and continuing attempt to put down a rebellion in Libya, and varying degrees of unrest, sometimes violent, in Algeria, Bahrain, Djibouti, Iran, Iraq, Jordan, Kuwait, Lebanon, Mauritania, Morocco, Oman, Sudan and Yemen.

If only Israel would recognize a Palestinian state, we would have peace in the Middle East!

Ha ha. Hardly anybody is saying that now, but it’s worth remembering that it has been the accepted view among Mideast « experts » for decades. Israeli cartoonist Yaakov Kirschen, who draws the syndicated Dry Bones strip, had a terrific one a few weeks ago. It showed a pair of such experts yammering, « Israel, Palestine, Gaza, Israel, Palestine, Gaza, » ad nauseam. In the second panel, the experts are shaken as a voice yells « EGYPT! » In the third panel, they stand silently, trying to make sense of it all.

Nick Cohen of London’s Observer, a rare British leftist who does not loathe Israel, confronts his ideological brethren in an excellent column:

To a generation of politically active if not morally consistent campaigners, the Middle East has meant Israel and only Israel. In theory, they should have been able to stick by universal principles and support a just settlement for the Palestinians while opposing the dictators who kept Arabs subjugated. Few, however, have been able to oppose oppression in all its forms consistently. . . .

Far from being a cause of the revolution, antagonism to Israel everywhere served the interests of oppressors. Europeans have no right to be surprised. Of all people, we ought to know from our experience of Nazism that antisemitism is a conspiracy theory about power, rather than a standard racist hatred of poor immigrants. Fascistic regimes reached for it when they sought to deny their own people liberty. . . .

Syrian Ba’athists, Hamas, the Saudi monarchy and Gaddafi eagerly promoted the Protocols [of the Elders of Zion], for why wouldn’t vicious elites welcome a fantasy that dismissed democracy as a fraud and justified their domination? Just before the Libyan revolt, [Muammar] Gaddafi tried a desperate move his European predecessors would have understood. He tried to deflect Libyan anger by calling for a popular Palestinian revolution against Israel. That may or may not have been justified, but it assuredly would have done nothing to help the wretched Libyans.

Cohen also claims that « the right has been no better than the liberal-left in its Jew obsessions. The briefest reading of Conservative newspapers shows that at all times their first concern about political changes in the Middle East is how they affect Israel. »

Maybe he’s right–we haven’t been following British coverage closely enough to say–but here in America, the anti-Semitic canard that neoconservatives are loyal to Israel first has been disproved. Politico reported Feb. 3:

As Israeli leaders worriedly eye the protests and street battles in neighboring Egypt, they’ve been dismayed to find that the neoconservatives and hawkish Democrats who are usually their most reliable American advocates are cheering for Egyptian President Hosni Mubarak’s fall. . . .

In particular, neoconservatives such as Weekly Standard Editor Bill Kristol, Bush National Security Council official Elliott Abrams, and scholar Robert Kagan are essentially saying good riddance to Mubarak and chiding Obama mainly for not making the same sporadic push for democracy as President George W. Bush.

« If [the Israelis] were to say, ‘This is very worrying because we don’t know what the future will bring and none of us trust the [Muslim] Brotherhood’–we would all agree with that. But then they then go further and start mourning the departure of Mubarak and telling you that he is the greatest thing that ever happened, » said Abrams, who battled inside the Bush administration for more public pressure on Arab allies to reform.

« They don’t seem to realize that the crisis that now exists is the creation of Mubarak, » he said. « We were calling on him to stop crushing the moderate and centrist parties–and the Israelis had no sympathy for that whatsoever. »

One can see why Israelis would be especially anxious about the outcome of the revolution in Egypt, the most populous Arab state and one that has waged war against Israel several times. On « The Journal Editorial Report » a couple of weeks ago, Paul Wolfowitz, the former deputy defense secretary and a pro-democracy neoconservative, raised an analogy that seems to us pertinent:

There’s really been too much hand-wringing. Yes, there are a lot of ways this can go wrong. But, you know, I’m reminded that when the Berlin Wall came down, someone I admire, Margaret Thatcher, and her counterpart in France, Francois Mitterrand, were wringing their hands with the specter of a revived German threat in Europe. And President [George H.W.] Bush said: Look, let’s celebrate what the Germans have done, let’s embrace unity, and then we’ll have a chance to steer this in the right direction. . . .

Look, when the tide of freedom is sweeping, we should love it. And when it’s headed in the wrong direction, then we’ll have a lot more credibility to say, « Whoa, this isn’t freedom anymore. »

We agree with Wolfowitz, but there’s a more sympathetic way of looking at Thatcher’s and Mitterand’s unease over German unification–one that ought to inspire some empathy for Israel’s anxiety. Germany was in their backyard and had waged a vicious war on both England and France just a few decades earlier. The same is true of Egypt today vis-à-vis Israel. And Egypt’s future is harder to predict than Germany’s in 1989, when most of the country was already stable, democratic and allied with the West. Regime change in Egypt produces uncertainty about the 1978 peace treaty, an agreement that is essential to Israel’s security.

On the other hand, we’ve long argued that the Israeli-Palestinian conflict is largely a product of Arab dictators, a point even Thomas Friedman acknowledges in a recent column: « The Arab tyrants, precisely because they were illegitimate, were the ones who fed their people hatred of Israel as a diversion. » But Friedman still manages to get it backward:

If Israel could finalize a deal with the Palestinians, it will find that a more democratic Arab world is a more stable partner. Not because everyone will suddenly love Israel (they won’t). But because the voices that would continue calling for conflict would have legitimate competition, and democratically elected leaders will have to be much more responsive to their people’s priorities, which are for more schools not wars.

In truth, a more democratic Arab world–which is now a real possibility, though by no means a certainty–is a necessary precondition for peace between Israel and the Palestinians. On this point Friedman has long been obtuse. Nine years ago, he suggested the Arab states offer « a simple, clear-cut proposal to Israel to break the Israeli-Palestinian impasse: In return for a total withdrawal by Israel to the June 4, 1967, lines, and the establishment of a Palestinian state, the 22 members of the Arab League would offer Israel full diplomatic relations, normalized trade and security guarantees. »

Crown Prince Abdullah of Saudi Arabia, in a 2002 interview with Friedman, enthusiastically endorsed the idea, which Friedman started calling « the Abdullah plan. » But as Friedman acknowledged in a 2009 column, Abdullah, who became king in 2005, « always stopped short of presenting his ideas directly to the Israeli people. » That 2009 column included the latest Friedman brainstorm, « what I would call a five-state solution, » involving the creation of a Palestinian state and promises by Egypt, Jordan and Saudi Arabia aimed at guaranteeing Israel’s security.

It was fanciful of Friedman to think that Arab dictators–whom he now acknowledges have depended on scapegoating Israel to maintain their hold on power–would have agreed to such plans. But what if they had?

A little history is perhaps apposite here. From Israel’s creation in 1948 until the 1979 Iranian revolution, Jerusalem had close relations with the authoritarian government of the shah. The current regime in Iran is dedicated to Israel’s destruction. It’s hard to see how Israel would be better off today if it had entrusted its security to the Arab dictators whose own people have suddenly made them an endangered species.

Two Columnists in One!

■ »Paradoxically, a more democratic Iraq may also be a more repressive one; it may well be that a majority of Iraqis favor more curbs on professional women and on religious minorities. . . . Women did relatively well under Saddam Hussein. . . . Iraq won’t follow the theocratic model of Iran, but it could end up as Iran Lite: an Islamic state, but ruled by politicians rather than ayatollahs. I get the sense that’s the system many Iraqis seek. . . . We may just have to get used to the idea that we have been midwives to growing Islamic fundamentalism in Iraq. »–Nicholas Kristof, New York Times, June 24, 2003

■ »Is the Arab world unready for freedom? A crude stereotype lingers that some people–Arabs, Chinese and Africans–are incompatible with democracy. . . . This line of thinking seems to me insulting to the unfree world. . . . It’s condescending and foolish to suggest that people dying for democracy aren’t ready for it. »–Kristof, Times, Feb. 27, 2011

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