J’aime la piété et non les sacrifices, et la connaissance de Dieu plus que les holocaustes. Osée 6: 6-7
Tu n’as voulu ni sacrifice ni oblation… Donc j’ai dit: Voici, je viens. Psaume 40: 7-8
L’arbre de la liberté doit être revivifié de temps en temps par le sang des patriotes et des tyrans. Jefferson
Une nation ne se régénère que sur un monceau de cadavres. Saint-Just
Qu’un sang impur abreuve nos sillons! Air connu
It’s the same old thing since 1916 … The Cranberries (1994)
Nous ne servons ni le Roi, ni le Kaiser, mais l’Irlande. Banderole de la Maison des syndicats
Vous dites que nous devrions calmer la terre jusqu’à ce que l’Allemagne soit vaincue Mais qui peut dire cela quand Pearse est sourd et muet ? Y a-t-il un raisonnement qui puisse valoir le pouce osseux de MacDonagh ? Yeats (Seize hommes morts)
Il n’y a que notre sang rouge qui puisse faire s’épanouir le rosier. Yeats (Le Rosier)
Etait-ce une mort inutile après tout ? Un sacrifice trop long Peut faire d’un cœur une pierre. Oh ! quand cela pourra-t-il suffire ? C’est le rôle du Ciel, notre rôle De murmurer nom après nom Comme une mère nomme son enfant Quand le sommeil est venu enfin, Sur des membres qui ont couru violemment. (…) Etait-ce une mort inutile après tout ? Car l’Angleterre peut garder la foi En tout ce qui est fait et dit. (…) Je le note en vers – McDonagh et MacBride Et Connolly et Pearse Maintenant et dans les jours à venir, Partout où le vert est défraîchi. Ils ont changé, changé complètement ; Une beauté terrible est née.(…) Je le note en vers – McDonagh et MacBride Et Connolly et Pearse Maintenant et dans les jours à venir, Partout où le vert est défraîchi. Ils ont changé, changé complètement ; Une beauté terrible est née. Yeats (Pâques 1916)
IRLANDAIS ET IRLANDAISES : Au nom de Dieu et des générations disparues desquelles elle a reçu ses vieilles traditions nationales, l’Irlande, à travers nous, appelle ses enfants à se rallier à son étendard et à frapper pour sa libération. Après avoir organisé et entraîné ses hommes dans son organisation révolutionnaire secrète, la Fraternité Républicaine Irlandaise, et ses organisations armées, les Volontaires Irlandais et l’Armée des Citoyens Irlandais, après avoir patiemment perfectionné sa discipline, et attendu fermement le moment opportun pour se révéler, elle saisit l’instant où, soutenue par ses enfants exilés en Amérique et ses courageux alliés en Europe, mais en comptant avant tout sur sa propre force, elle frappe avec la certitude de vaincre. Nous proclamons le droit du peuple d’Irlande à la propriété de l’Irlande, et au contrôle sans entraves de sa destinée; le droit à être souverain et uni. La longue usurpation de ce droit par un peuple et un gouvernement étranger ne l’a pas supprimé, ce droit ne peut disparaître que par la destruction du peuple irlandais. A chaque génération, les Irlandais ont affirmé leur droit à la liberté et à la souveraineté nationale ; six fois durant les trois derniers siècles ils l’ont affirmé par les armes. En nous appuyant sur ce droit fondamental et en l’affirmant de nouveau par les armes à la face du monde, nous proclamons la République Irlandaise, Etat souverain et indépendant, et nous engageons nos vies et celles de nos compagnons d’armes à la cause de sa liberté, de son bien-être, et de sa fierté parmi les nations. La République d’Irlande est en droit d’attendre, et d’ailleurs elle le requiert, l’allégeance de tous les Irlandais et Irlandaises. La République garantit la liberté religieuse et civile, des droits égaux et les mêmes opportunités pour tous les citoyens. Elle proclame sa volonté de construire le bonheur et la prospérité de la nation entière et de ses composantes. Elle chérit tous les enfants de la nation de façon égale, sans égard pour les différences entretenues soigneusement par un gouvernement étranger qui les a divisés par le passé entre minorité et majorité. En attendant que nos armes trouvent le moment opportun pour établir une structure nationale permanente, représentative de tous les Irlandais et élue par tous les hommes et toutes les femmes, le Gouvernement Provisoire, désormais constitué, administrera les affaires civiles et militaires de la République pour le compte du peuple. Nous mettons la cause de la République Irlandaise sous la protection de Dieu Tout-Puissant. Nous appelons sa bénédiction sur nos armes, et nous prions pour qu’aucun de ceux qui servent cette cause ne la déshonore par couardise, inhumanité ou avidité. En cette heure suprême, la nation irlandaise doit, par sa valeur, sa discipline, et l’acceptation par ses enfants du sacrifice pour le bien commun, prouver qu’elle est digne de la destinée auguste à laquelle elle est appelée. Proclamation irlandaise (1916)
Les opinions des adversaires de l’autodétermination aboutissent à cette conclusion que la viabilité des petites nations opprimées par l’impérialisme est d’ores et déjà épuisée, qu’elles ne peuvent jouer aucun rôle contre l’impérialisme, qu’on n’aboutirait à rien en soutenant leurs aspirations purement nationales, etc. L’expérience de la guerre impérialiste de 1914-1916 dément concrètement ce genre de conclusions. La guerre a été une époque de crise pour les nations d’Europe occidentale et pour tout l’impérialisme. Toute crise rejette ce qui est conventionnel, arrache les voiles extérieurs, balaie ce qui a fait son temps, met à nu des forces et des ressorts plus profonds. Qu’a-t-elle révélé du point de vue du mouvement des nations opprimées ? Dans les colonies, plusieurs tentatives d’insurrection que les nations oppressives se sont évidemment efforcées, avec l’aide de la censure de guerre, de camoufler par tous les moyens. On sait, néanmoins, que les anglais ont sauvagement écrasé à Singapour une muti- nerie de leurs troupes hindoues; qu’il y a eu des tentatives d’insurrection dans l’Annam français et au Cameroun allemand; qu’en Europe, il y a eu une insurrection en Irlande, et que les Anglais « épris de liberté », qui n’avaient pas osé étendre aux Irlandais le service militaire obligatoire, y ont rétabli la paix par des exécutions; et que, d’autre part, le gouvernement autri- chien a condamné à mort les députés de la Diète tchèque « pour trahison » et fait passer par les armes, pour le même « crime », des régiments tchèques entiers. (…) Le mouvement national irlandais, qui a derrière lui des siècles d’existence, qui est passé par différentes étapes et combinaisons d’in- térêts de classe, s’est traduit, notamment, par un congrès national irlandais de masse, tenu en Amérique (Vorwärts du 20 mars 1916), lequel s’est prononcé en faveur de l’indépendance de l’Irlande; il s’est traduit par des batailles de rue auxquelles prirent part une partie de la petite bourgeoisie des villes,ainsi qu’une partie des ouvriers, après un long effort de propagande au sein des masses, après des manifestations, des interdictions de journaux, etc. Quiconque qualifie de putsch pareille insurrection est, ou bien le pire des réactionnaires, ou bien un doctrinaire absolument incapable de se représenter la révolution sociale comme un phénomène vivant. (…) N’est-il pas clair que, sous ce rapport moins que sous tous les autres, on n’a pas le droit d’opposer l’Europe aux colonies ? La lutte des nations opprimées en Europe, capable d’en arriver à des insurrections et à des combats de rues, à la violation de la discipline de fer de l’armée et à l’état de siège, « aggravera la crise révolutionnaire en Europe » infiniment plus qu’un soulèvement de bien plus grande envergure dans une colonie lointaine. A force égale, le coup porté au pouvoir de la bour- geoisie impérialiste anglaise par l’insurrection en Irlande a une importance politique cent fois plus grande que s’il avait été porté en Asie ou en Afrique. (…) Dans la guerre actuelle, les états-majors généraux s’attachent minutieusement à tirer profit de chaque mouvement national ou révolutionnaire qui éclate dans le camp adverse : les Allemands, du soulèvement irlandais; les Français, du mouvement des Tchèques, etc. Et, de leur point de vue, ils ont parfaitement raison. On ne peut se comporter sérieusement à l’égard d’une guerre sérieuse si l’on ne profite pas de la moindre faiblesse de l’ennemi, si l’on ne se saisit pas de la moindre chance, d’autant plus que l’on ne peut savoir à l’avance à quel moment précis et avec quelle force précise « sautera » ici ou là tel ou tel dépôt de poudre. Nous serions de piètres révolutionnaires, si, dans la grande guerre libératrice du prolétariat pour le socialisme, nous ne savions pas tirer profit de tout mouvement populaire dirigé contre tel ou tel fléau de l’impérialisme, afin d’aggraver et d’approfondir la crise. Si nous nous mettions, d’une part, à déclarer et répéter sur tous les tons que nous sommes « contre » toute oppression nationale, et, d’autre part, à qualifier de « putsch » l’insurrection héroïque de la partie la plus active et la plus éclairée de certaines classes d’une nation opprimée contre ses oppresseurs, nous nous ravalerions à un niveau de stupidité égal à celui des kautskistes. Le malheur des irlandais est qu’ils se sont insurgés dans un moment inopportun, alors que l’insurrection du prolétariat européen n’était pas encore mûre. Lénine
As a second boy died today from wounds from a bombing in Warrington on Saturday, there were signs of a growing public backlash against the Irish Republican Army, which seems to attack more and more ordinary civilians. For some time now bombs or bomb scares have become a feature of life in England, and people appear to accept them with resigned fatalism. But widespread anger and revulsion have been touched off by the two bombs that went off in metal trash baskets in a crowded shopping area Saturday afternoon in Warrington, a town on the Mersey River 16 miles east of Liverpool. Fifty-six people were wounded, many of them seriously, and a 3-year-old boy, Jonathan Ball, who was being taken shopping to buy a Mother’s Day present, was killed. Another boy, Tim Parry, a 12-year-old with a mischievous grin, ran from the first explosion straight into the second. (…) The Warrington bombing touched a particular nerve because the victims were so young and also because it seemed to have been carried out in a way almost calculated to cause harm to ordinary people. In recent years, I.R.A. bombs have been placed in public places. In a relatively new tactic, the terrorists often plant two bombs at once, so people running from one are sometimes struck by the other. « The I.R.A. goes through phases on the targeting of civilians, » said Frank Brenchley, chairman of the Research Institute for the Study of Conflict and Terrorism, a private research agency. Casualties have also been increased lately because the warnings telephoned in by the I.R.A. often are late or have incomplete or misleading information, the authorities say. This is denied by the I.R.A. In the Warrington case, the authorities said the warning was telephoned in to an emergency help line, saying only that a bomb had been placed outside a Boots pharmacy. The police searched a Boots pharmacy in Liverpool, but the bomb went off near a Boots pharmacy in Warrington, 16 miles away. In a statement acknowledging the act, the I.R.A. said it « profoundly » regretted the death and injuries but charged that the responsibility « lies squarely at the door of those in the British authorities who deliberately failed to act on precise and adequate warnings. » (…) In a rare public demonstration of feeling against the Irish Republican Army, thousands of Irish men and women gathered in downtown Dublin today to express sorrow and revulsion over the deaths of two children in Warrington, England. Thousands waited in line to sign a condolence book outside the Post Office, where the Irish rebellion against British power began in 1916. The NYT
Depuis cent ans, l’insurrection républicaine irlandaise donne lieu à diverses interprétations plus ou moins malveillantes : du sacrifice sanglant au putsch raté en passant par une escarmouche inutile. Or, ce soulèvement armé en pleine guerre mondiale, ne prend sa signification que si on l’englobe dans une période révolutionnaire en Irlande (1912 à 1923), et dans la situation internationale d’alors. Bien peu de personnes à l’époque comprirent que les premiers coups de feu qui résonnèrent à Dublin le 24 avril 1916, sonnaient en fait le glas de l’empire britannique. La presse de l’époque ne note qu’une tentative de sédition ratée, qui plus est, fomentée par l’Allemagne. Or cet événement s’inscrit dans un contexte très ancien. (…) L’aile modérée des Irish Volunteers par la voix du député John Redmond se joignit à l’Union sacrée pour engager les Irlandais aux cotés du gouvernement anglais dans ce qui promettait d’être une guerre pour le droit des nations à disposer d’elles-mêmes. A l’opposé la minorité des Volunteers influencée par l’I.R.B. refusa ce soutien et les partisans de l’I.C.A. posèrent cette bannière sur le bâtiment de la maison des syndycats : “Nous ne servons ni le Roi, ni le Kaiser mais l’Irlande”. Tous espéraient alors que “les difficultés de l’Angleterre seraient l’opportunité de l’Irlande” et espéraient tirer avantage de cette situation pour faire avancer la cause nationale irlandaise. Ils avaient d’autant moins de scrupules que dès la declaration de la guerre et la promesse de Home Rule reportée, la Grande Bretagne incorporait la milice “rebelle” UVF en bloc au sein de l’armée britannique dans la 36e division d’Ulster tandis qu’elle éparpillait les Irish Volunteers dans tous les regiments, et leur interdisait tout signe distinctif. (…) L’agitation contre la conscription obligatoire rencontre un certain écho en Irlande dès 1915. Les même évènements secouèrent la région de Glasgow où son ami républicain socialiste écossais John MacLean militait contre la guerre et la conscription, où dès 1915, le Comité des Travailleurs de la Clyde mèna une agitation sociale et politique, tout semblait alors indiquer qu’il était concevable, dans les conditions présentes, de transformer la guerre impérialiste en révolution nationale et socialiste. C’est bien dans cette optique qu’il mit en place des entrainements militaires conjoints entre l’ICA et les Irish Volunteers, qu’il prit contact avec le conseil militaire de l’IRB au sein duquel il fut coopté en janvier 1916 en vue du soulèvement prévu pour Pâques. Parmi les préparatifs, la mission de Roger Casement, un Irlandais protestant qui avait rejoint la cause républicaine, était d’importance. Bien qu’il n’eût pas réussi à créer une brigade irlandaise parmi ses compatriotes prisonniers dans les camps allemands, il avait réussi à obtenir un considérable chargement d’armes et de munitions pour la rébellion. Mais, alors qu’il rejoignait l’Irlande à bord d’un sous marin allemand il fut capturé le 21 avril. Le bateau convoyant l’armement ayant en vain attendu sa venue dans la baie de Tralee se saborda alors qu’il était encerclé par la marine britannique (en fait ce bateau, selon les ordres de l’IRB, n’aurait du approcher des côtes irlandaises qu’après le début de l’insurrection). Le 22 avril un dirigeant des Irish Volunteers, Eoin MacNeill, opposé au soulèvement, annule par voix de presse toutes les manœuvres prévues pour Pâques semant alors la confusion dans les rangs républicains. La date du soulèvement fut néanmoins maintenue et le lundi 24 avril les volontaires et l’ICA réunis désormais au sein de l’Armée Républicaine Irlandaise (I.R.A.) prirent position en divers points de Dublin. La République fut proclamée devant la Grande Poste qui devint le quartier général du gouvernement provisoire tandis que divers détachements prirent position dans une dizaine d’autres points stratégiques. Outre les contre ordres de Mac Neill qui privèrent les insurgés d’au moins 1000 combattants, certains échecs, comme celui qui entrava la prise de contrôle du « Château » (l’administration centrale britannique) ou le central téléphonique fragilisèrent dès le départ l’entreprise. Au delà de la capitale hormis Galway, Ashbourne (comté de Meath) et Enniscorthy il y eut peu de combats significatifs. Mais, un peu partout, les Volontaires se réunirent et se mirent en marche, sans se battre, y compris dans le Nord. La réaction britannique fut extrêmement violente : l’utilisation de l’artillerie en plein centre de Dublin réduit en champs de ruines visait autant à en finir rapidement qu’à terroriser la population. Le samedi 29 avril « afin d’arrêter le massacre d’une population sans défense » Patrick Pearse et le gouvernement provisoire se rendirent sans condition et ordonnaient de déposer les armes. En fait, à part le quartier général de la Grande Poste, tous les autres édifices restèrent aux mains de l’IRA. L’exemple des volontaires (tous très jeunes) regroupés au sein du Mendicity Institute et qui bloquèrent l’armée anglaise pendant plus de trois jours, occasionnant de lourds revers aux britanniques, sans pour autant subir de perte équivalente, est un des exemples qui démontre que l’affaire n’avait pas été envisagé à la légère et que l’insurrection avait de réelles capacités militaires. La « semaine sanglante » coûta la vie à 116 soldats britanniques, 16 policiers et 318 « rebelles » ou civiles. Il y eut plus de 2000 blessés dans la population. La répression fut immédiate. Plus de 3000 hommes et 79 femmes furent arrêtés, 1480 ensuite internés dans des camps en Angleterre et au Pays de Galles. 90 peines de mort furent prononcées, 15 seront exécutées dont les sept signataires de la proclamation d’indépendance. La légende se construisit aussitôt autour des dernières minutes des fusillés (Plunket qui se maria quelques heures avant son exécution, Connolly blessé et fusillé sur une chaise…) le poète Yeats exprimera si bien cet instant où tout bascule : (…) Tout est changé, totalement changé Une terrible beauté est née. Au delà du retournement de l’opinion publique en faveur des insurgés, suite aux représailles, les questionnements ou les anathèmes fleurissent. Si les condamnations des sociaux démocrates englués dans l’Union sacrée ne furent pas une surprise il est intéressant de noter qu’un des commentaires les plus lucides fut écrit en Suisse par Lénine. Dans un texte célèbre, il note tout ce que la guerre a « révélé du point de vue du mouvement des nations opprimées », il évoque les mutineries et les révoltes à Singapour, en Annam et au Cameroun qui démontrent « que des foyers d’insurrections nationales, surgies en liaison avec la crise de l’impérialisme, se sont allumés à la fois dans les colonies et en Europe » Il replace donc, fort justement, Pâques 1916 dans le contexte international de « crise de l’impérialisme » dont le conflit mondial est l’illustration éclatante. Il fustige ceux qui (y compris à gauche) qualifient l’insurrection de « putsch petit bourgeois» comme faisant preuve d’un « doctrinarisme et d’un pédantisme monstrueux ». Après avoir rappelé « les siècles d’existence » et le caractère « de masse du mouvement national irlandais » il note qu’au coté de la petite bourgeoisie urbaine « un partie des ouvriers » avait participé au combat. « Quiconque qualifie de putsch pareille insurrection est, ou bien le pire des réactionnaires, ou bien un doctrinaire absolument incapable de se représenter la révolution sociale comme un phénomène vivant. La lutte des nations opprimées en Europe, capable d’en arriver à des insurrections et à des combats de rues, à la violation de la discipline de fer de l’armée et à l’état de siège, « aggravera la crise révolutionnaire en Europe » infiniment plus qu’un soulèvement de bien plus grande envergure dans une colonie lointaine. A force égale, le coup porté au pouvoir de la bourgeoisie impérialiste anglaise par l’insurrection en Irlande a une importance politique cent fois plus grande que s’il avait été porté en Asie ou en Afrique. » Et de conclure que « le malheur des irlandais est qu’ils se sont insurgés dans un moment inopportun, alors que l’insurrection du prolétariat européen n’était pas encore mûre ». (…) En Irlande la mythologie mise en place autour de l’insurrection de Pâques 1916 gomma toute référence au contexte international. Les tenants du « sacrifice consenti pour réveiller la nation » (avec le message sous-jacent que ce n’était plus un exemple à suivre) n’entendaient courir le risque de se hasarder à réveiller la question sociale en parlant d’anti-impérialisme. Au lendemain de la défaite et alors que l’opinion publique prenait fait et cause pour les révolutionnaires exécutés, ce fut le parti Sinn Fein, qui n’avait eut aucune responsabilité dans le soulèvement, qui remporta les élections en 1918 et devient le symbole de la lute pour l ‘indépendance. Dominique Foulon
Though many people do not know it, the reference in the 1916 Proclamation to « gallant allies in Europe » was an acknowledgement of German assistance to the Irish rebels. In making their stand in Easter Week 1916, a number of leading Irish rebels believed that if Germany won World War One then Irish freedom would be guaranteed by the post-war peace conference. Many of the guns used by Irish nationalists during Easter Week 1916 originated in Germany and had been smuggled into Howth in north Dublin and Kilcoole in County Wicklow during the summer of 1914. The guns had been purchased by Erskine Childers, the father of a future President of Ireland, from the Hamburg-based munitions firm of Moritz Magnus der Jungere. The guns were not sophisticated in terms of the advances that had been made in modern weaponry. Many of these guns actually dated from the Franco-Prussian War in 1870-1, but they were still in good working order. From the outbreak of World War One in 1914, advanced Irish nationalists sought direct assistance for their rebellion plans from the Imperial Government in Germany. With the tacit approval of the German Government, Sir Roger Casement had sought to persuade captured Irishmen in the British Army, who were being held in German prisoner of war camps, to join an Irish Brigade and return to Ireland to fight for Irish freedom. In spring 1915, Casement was joined in Berlin by Joseph Mary Plunkett, a poet, a member of the IRB Military Council and subsequently a signatory of the 1916 Proclamation. Casement and Plunkett met with representatives of the German General Staff. Plunkett confided in the German Government that revolutionary plans were afoot in Ireland. Bethmann Hollweg, the German Chancellor, pledged to deliver arms and ammunition for an Irish uprising against British rule. Ultimately, the German Government declined Irish requests to land German troops in Ireland, but they sent a single shipment of arms consisting of 20,000 rifles, 10 machine guns and 1,000,000 rounds of ammunition. The German arms shipment was of suspect quality and mostly comprised of weapons captured from the Russians on the Eastern Front. Nevertheless, this quantity of weaponry would have significantly boosted the chances of the poorly armed Irish rebels if this arms cargo had actually made it safely ashore. Captain Karl Spindler, a native of Königswinter, near Cologne, and an officer of the Imperial German Navy, was entrusted with the secret mission of delivering the arms shipment to Ireland in time for the planned Easter Rebellion in April 1916. On 9th April 1916, Spindler set out from the Baltic port of Lubeck on board a German ship, the Libau, which was disguised as a neutral Norwegian freighter and renamed the Aud. Two days later, Casement set sail for Ireland from Wilhelmshaven, aboard the German submarine U19 with the intention to rendezvous with the Aud in County Kerry. After a difficult journey and having survived a serious storm, the Aud arrived in Tralee Bay on 20th April 1916. However, poor communications and an unexpected car accident, in which Irish Volunteers who were to meet Casement ended up being drowned, meant that no-one was present to meet the German ship. After a long wait in Tralee Bay, Spindler reluctantly turned his ship around to sail away. Unbeknown to him, his movements were being monitored by the British Navy, who had tracked the Aud on its journey. Earlier in the war, British Navy Intelligence had cracked the German codes so the British Navy was aware of the Aud and its cargo almost from the moment it left port. The Aud was intercepted by Bluebell, a British destroyer, and commanded to sail to Queenstown (Cobh). Though captured, Spindler and his colleagues were not prepared to hand their arms cargo over to the British. After a number of failed manoeuvres to escape, the German sailors ultimately scuttled their own ship using pre-set charges of explosives. Meanwhile, Casement, who had landed from the German U-Boat on Banna Strand, was captured on Good Friday, 21st April 1916. When Eoin MacNeill, the head of the Irish Volunteers, learned that Casement had been captured and the German arms were lost, he issued an order countermanding the Rising, which had been planned for Easter Sunday. Ultimately, the Rising would break out the following day, Easter Monday, 1916. Early on Tuesday morning of Easter Week, German battle cruisers, under the command of Rear Admiral Friedrich Bödicker, shelled the English coastal towns of Lowestoft and Yarmouth. Meanwhile, a German zeppelin raid took place on Essex and Kent. The purpose of these German military actions was to try to divert British attention away from Ireland in order to give the rebellion a chance to take hold. The rebellion lasted only six days. It involved not much more than 1,200 rebels and its leaders knew they had little chance of winning against a far superior number of British troops. One of the rebel leaders, James Connolly, admitted to his comrades as fighting commenced that « we are going out to be slaughtered. » (…) In 1966, as part of the official state commemoration to mark the 50th anniversary of the Easter Rising, surviving members of the crew of the Aud and the U19, including Captain Raimund Weisbach, Walter Augustin, Otto Walter, Hans Dunker and Ferderic Schmidt, visited Ireland as distinguished guests of the Irish Government. The retired German sailors travelled to Kerry to witness the laying of the foundation stone of the Casement Memorial at Banna Strand. In 2016, little mention has been made of the role that German naval officers played in the Easter Rising, but their bravery deserves to be remembered. The Munich eye
Attention: un sacrifice peut en cacher un autre !
Pourparlers avec l’Allemagne, tentative de création de brigade de prisonniers irlandais dans les camps allemands, livraison allemande d’armes et de munitions, envoyé nationaliste rapatrié par sous marin allemand, raid de Zeppelins et bombardements navals allemands de diversion sur les côtes britanniques …
En ce Lundi de Pâques et lendemain d’un énième massacre de la religion de paix de ceux qui osent encore célèbrer le sacrifice et la résurrection du Christ …
Et en ce centenaire de l’Insurrection de Pâques et véritable acte de naissance tant de l’indépendance irlandaise que de l’IRA et de ses véritables actes de barbarie dont notamment la mort – avec doubles bombes pour maximiser les pertes entre une pharmacie et un McDonalds le jour de la fête des mères – de deux enfants dans la banlieue de Liverpool en mars 1993 et dénoncée par un fameux tube du groupe The Cranberries …
Qui rappelle que véritable appel à la trahison, après celui dix ans plus tôt de la guerre des Boers qui avait même vu les indépendantistes irlandais prendre contact avec le deuxième bureau français impatient de venger Fachoda, au moment où leurs compatriotes se battaient au coude à coude avec les Anglais sur le sol français …
La « révolution des poètes » qui fit, en ces cinq jours de la Semaine sainte sous prétexte du report – guerre oblige – du statut déjà voté d’autonomie (Home Rule), des centaines de victimes majoritairement civiles …
Ne rencontra en fait sur le moment, entre deux scènes de pillage, que les insultes et les sarcasmes de la population locale …
Et que sans les martyrs que leur fournit juste après la féroce répression des troupes britanniques, n’aurait jamais dépassé le stade de la véritable opération suicide qu’elle était vraiment, saluée d’ailleurs comme il se doit par Lénine lui-même depuis son exil genevois …
Ou plus précisément de l’opération de diversion de ces fameux « courageux alliés en Europe » auquels rend hommage la célèbre Proclamation de la république irlandaise …
A savoir, comme le rappelait indirectement la légendaire banderole de la Maison des syndicats de Dublin et sans parler de l’Empire Austro-hongrois ou des Turcs, ceux de l’Allemagne du Kaiser ?
Germany and the Easter Rising
The Munich eye
In Ireland, this Easter hundreds of thousands of people took to the streets to celebrate the centenary of a seminal event that led to Irish independence.
The Easter Rebellion of 1916 dramatically altered the course of Irish history. Immediately prior to this event, Ireland was an integral part of the United Kingdom and only a small minority of its people supported full independence.
The Rising and, more particularly, the heavy-handed and botched British response to the rebellion had a transformative effect. Thousands of Irish people were interned without trial and the main leaders of the Rising were summarily executed. This provoked a rapid sea-change in Irish attitudes.
In the most famous poetic lines written about the rebellion, William Butler Yeats observed « all changed, changed utterly: A terrible beauty is born. » The sacrifice of a small number of Irish separatists in 1916 was the touchstone which set in train a popularly supported national struggle for independence.
On Easter Sunday 2016, as the centre-piece of the largest military parade ever held in Ireland, the President of Ireland, Michael D. Higgins, laid a wreath at the front of Dublin’s General Post Office in memory of those who had fought for Irish freedom one hundred years previously.
The General Post Office was the headquarters of the rebel Irish forces during the Rising and it was at this location that Patrick Pearse read the Proclamation of the Irish Republic.
Though many people do not know it, the reference in the 1916 Proclamation to « gallant allies in Europe » was an acknowledgement of German assistance to the Irish rebels.
In making their stand in Easter Week 1916, a number of leading Irish rebels believed that if Germany won World War One then Irish freedom would be guaranteed by the post-war peace conference.
Many of the guns used by Irish nationalists during Easter Week 1916 originated in Germany and had been smuggled into Howth in north Dublin and Kilcoole in County Wicklow during the summer of 1914. The guns had been purchased by Erskine Childers, the father of a future President of Ireland, from the Hamburg-based munitions firm of Moritz Magnus der Jungere. The guns were not sophisticated in terms of the advances that had been made in modern weaponry. Many of these guns actually dated from the Franco-Prussian War in 1870-1, but they were still in good working order.
From the outbreak of World War One in 1914, advanced Irish nationalists sought direct assistance for their rebellion plans from the Imperial Government in Germany. With the tacit approval of the German Government, Sir Roger Casement had sought to persuade captured Irishmen in the British Army, who were being held in German prisoner of war camps, to join an Irish Brigade and return to Ireland to fight for Irish freedom.
In spring 1915, Casement was joined in Berlin by Joseph Mary Plunkett, a poet, a member of the IRB Military Council and subsequently a signatory of the 1916 Proclamation. Casement and Plunkett met with representatives of the German General Staff. Plunkett confided in the German Government that revolutionary plans were afoot in Ireland. Bethmann Hollweg, the German Chancellor, pledged to deliver arms and ammunition for an Irish uprising against British rule.
Ultimately, the German Government declined Irish requests to land German troops in Ireland, but they sent a single shipment of arms consisting of 20,000 rifles, 10 machine guns and 1,000,000 rounds of ammunition. The German arms shipment was of suspect quality and mostly comprised of weapons captured from the Russians on the Eastern Front. Nevertheless, this quantity of weaponry would have significantly boosted the chances of the poorly armed Irish rebels if this arms cargo had actually made it safely ashore.
Captain Karl Spindler, a native of Königswinter, near Cologne, and an officer of the Imperial German Navy, was entrusted with the secret mission of delivering the arms shipment to Ireland in time for the planned Easter Rebellion in April 1916. On 9th April 1916, Spindler set out from the Baltic port of Lubeck on board a German ship, the Libau, which was disguised as a neutral Norwegian freighter and renamed the Aud. Two days later, Casement set sail for Ireland from Wilhelmshaven, aboard the German submarine U19 with the intention to rendezvous with the Aud in County Kerry.
After a difficult journey and having survived a serious storm, the Aud arrived in Tralee Bay on 20th April 1916. However, poor communications and an unexpected car accident, in which Irish Volunteers who were to meet Casement ended up being drowned, meant that no-one was present to meet the German ship.
After a long wait in Tralee Bay, Spindler reluctantly turned his ship around to sail away. Unbeknown to him, his movements were being monitored by the British Navy, who had tracked the Aud on its journey. Earlier in the war, British Navy Intelligence had cracked the German codes so the British Navy was aware of the Aud and its cargo almost from the moment it left port.
The Aud was intercepted by Bluebell, a British destroyer, and commanded to sail to Queenstown (Cobh). Though captured, Spindler and his colleagues were not prepared to hand their arms cargo over to the British. After a number of failed manoeuvres to escape, the German sailors ultimately scuttled their own ship using pre-set charges of explosives.
Meanwhile, Casement, who had landed from the German U-Boat on Banna Strand, was captured on Good Friday, 21st April 1916. When Eoin MacNeill, the head of the Irish Volunteers, learned that Casement had been captured and the German arms were lost, he issued an order countermanding the Rising, which had been planned for Easter Sunday. Ultimately, the Rising would break out the following day, Easter Monday, 1916.
Early on Tuesday morning of Easter Week, German battle cruisers, under the command of Rear Admiral Friedrich Bödicker, shelled the English coastal towns of Lowestoft and Yarmouth. Meanwhile, a German zeppelin raid took place on Essex and Kent. The purpose of these German military actions was to try to divert British attention away from Ireland in order to give the rebellion a chance to take hold.
The rebellion lasted only six days. It involved not much more than 1,200 rebels and its leaders knew they had little chance of winning against a far superior number of British troops. One of the rebel leaders, James Connolly, admitted to his comrades as fighting commenced that « we are going out to be slaughtered. » Connolly’s fate was to be executed by a British military firing squad, while strapped to a chair and unable to stand because of wounds he had sustained in the Rising.
Sir Roger Casement was hanged in Pentonville Prison, London, in August 1916.
Captain Karl Spindler was interned as a prisoner of war in Donington Hall in Leicestershire. He was released as part of a prisoner exchange towards the end of World War One. He subsequently wrote a best-selling book about his Irish adventure.
In 1931, to mark the 15th anniversary of the Easter Rising, Spindler undertook a lecture tour of the United States. He was enthusiastically greeted by Irish-Americans in Philadelphia, Pittsburgh, Chicago, Detroit and Boston. Spindler died in Bismark, North Dakota, in 1951.
In 1966, as part of the official state commemoration to mark the 50th anniversary of the Easter Rising, surviving members of the crew of the Aud and the U19, including Captain Raimund Weisbach, Walter Augustin, Otto Walter, Hans Dunker and Ferderic Schmidt, visited Ireland as distinguished guests of the Irish Government. The retired German sailors travelled to Kerry to witness the laying of the foundation stone of the Casement Memorial at Banna Strand.
In 2016, little mention has been made of the role that German naval officers played in the Easter Rising, but their bravery deserves to be remembered.
Voir aussi:
Historical reality of 1916 leaders
Martin Mansergh
The Irish Examiner
July 14, 2014
While the words on the banner hung in front of Liberty Hall (‘We serve neither King nor Kaiser but Ireland’) still resonate a century on, representing the values of a patriotic anti-imperialist neutrality, they mask an historical reality that was a good deal more complex than is generally allowed (Letters, July 4).
While James Connolly regarded the Great War, as it was called then, as barbaric, and would have wished the labour movement across Europe to have refused to participate, he also took the view that the war having started he wished the British Empire to be beaten, and that, if forced to choose between the two, the German Empire was ‘a homogeneous Empire of self-governing peoples’ (Poland, German South-West Africa?) and contained ‘in germ more of the possibilities of freedom and civilisation’.
The reality is that the leaders of 1916 were neither neutral nor anti-imperialist. They were anti-British imperialism. The Proclamation referred to ‘our gallant allies in Europe’, which were principally Imperial Germany and the Austro-Hungarian Empire, which incidentally was Arthur Griffith’s and the early Sinn Féin’s model for Irish independence. Undoubtedly, German support for Irish revolution turned out to be a mirage, apart from the guns landed at Howth and Kilcoole in the summer of 1914, which were a fraction of those landed at Larne for the unionists, but it was enough to facilitate the rising. Even after that, as Michael Collins told the American journalist Hayden Talbot in 1922, in his estimation, the Rising and the subsequent national revival ‘were all inseparable from the thought and hope of a German victory’, on which they were counting to gain a place at the peace table.
Certainly, one can be sceptical about the notion that the First World War was started for the sake of small nations, such as Serbia and Belgium, but the fate of Catholic Belgium was the issue that had greatest impact on recruitment in Ireland in the early months of the war. In terms of war outcomes, four defeated empires collapsed, others were weakened, and about a third of the countries that now make up the European Union directly or indirectly gained their freedom, including Ireland. France, which would have lost the war but for the British Expeditionary Force which included thousands of Irishmen, regained Alsace-Lorraine, taken from them in 1871. The principle of national self-determination enunciated in 1917 by President Woodrow Wilson, however imperfect and difficult to apply, has led in the longer run to close to 200 members of the United Nations.
One can certainly argue that Ireland’s freedom came about not just because of the Rising and the struggle for independence, but also because it fitted into the new international order created by the Allied victory. Most people, and all main political parties, now accept that it is right to commemorate Irishmen who gave their lives in World War I, but perhaps we could accept that their sacrifice also contributed to the freedom we enjoy today, acknowledging that people can serve their country honourably in different ways.
Perhaps, post the Good Friday Agreement, we should welcome the fact that we have been able to move beyond any desire to rekindle conflict on this island or between these islands, and adapt Pearse’s eloquent ideal to read: ‘Ireland at peace shall never be unfree’.
Martin Mansergh
Friarsfield House
Tipperary
Voir également:
Our Gallant Allies?
Pat Walsh
2015-08-02
The Easter Proclamation which Padraig Pearse read from the steps of the GPO at Easter 1916 is the founding document of the Irish Republic. It makes specific reference to “our gallant allies in Europe.” Who else could these “gallant allies” be but the Germans and Turks?
The founding fathers of what was to become the independent Irish State quite deliberately chose to mention “our gallant allies” even in the teeth of British propaganda about the behaviour of these allies. All during 1915 and early 1916 Ireland had been bombarded with this propaganda about the “evil Hun” and “merciless Turk” and yet Pearse chose to associate the emerging Irish Nation with its “gallant allies” in Germany and the Ottoman Empire. It was a quite deliberate decision, presumably in order to prevent the volunteering of Irish cannon-fodder, procured through the British propaganda used by the Redmondite recruiting sergeants.
During 1915 and 1916 Lord Bryce, the Belfast born Liberal, made highly-reported speeches in Parliament and helped document and publicise official reports about German and Ottoman atrocities. The leaders of 1916 not only ignored these but attacked them as British lies against “our gallant allies”.
Sir Roger Casement, Bryce’s former colleague in investigating atrocities in South America, took a very hostile view of Bryce’s war work in his article ‘The Far Extended Baleful Power of the Lie’, published in Continental Times, 3.11.1915. Casement condemned Bryce for selling himself as a hireling propagandist. According to Casement, Lord Bryce, had presided over a government body “directed to one end only”:
“the blackening of the character of those with whom England was at war… given out to the world of neutral peoples as the pronouncement of an impartial court seeking only to discover and reveal the truth.”
Casement particularly criticised Bryce’s methods of reporting atrocities. He noted that in relation to the reporting of Belgian atrocities in the Congo he had investigated these reports “on the spot at some little pain and danger to myself” whilst Bryce had “inspected with a very long telescope.”
Casement continued with a point that is very relevant to any estimation of the validity of the Blue Book:
“I have investigated more bona fide atrocities at close hand than possibly any other living man. But unlike Lord Bryce, I investigated them on the spot, from the lips of those who had suffered, in the very places where the very crimes were perpetuated, where the evidence could be sifted and the accusation brought by the victim could be rebutted by the accused; and in each case my finding was confirmed by the Courts of Justice of the very States whose citizens I had indicted.”
Casement added: “It is only necessary to turn to James Bryce the historian to convict James Bryce the partisan…”
Casement wrote the above about Bryce’s work on the German atrocities but the criticism stands equally against his companion work directed at the Ottomans. Sir Roger was incapable of commenting directly on the Blue Book since he had been hanged by the British in 1916 as a traitor, for doing in Ireland what Bryce and other British Liberals had supported the Armenian revolutionaries in doing within the Ottoman Empire. Casement had followed through on the principles of small nations on which the war was supposedly being fought by Britain and advertised by Lord Bryce. But Casement was found to be a traitor whilst the Armenians and others who went into insurrection were lauded as patriots in Liberal England. T.P. O’Connor, the Redmondite MP, for instance, appeared on a platform in Westminster during June 1919 with General Andranik , the butcher of thousands of Kurds in eastern Anatolia. (Andranik had led the Armenian forces around Erzerum with General Dro, who later fought for Hitler with a Nazi Armenian Legion)
The present writer made it his business to read a lot of Irish newspapers produced between 1900 and 1924 in order to understand the development of Redmondism and the Republican counter-attack against it. What was found was much anti-Turkish propaganda produced by Redmondism and much pro-Turkish sentiment generated in opposition by Irish Republicans. In the book Britain’s Great War on Turkey – an Irish perspective what was found was republished in extensive extracts to demonstrate that Irish Republicans, and particularly Anti-Treaty ones, were fully behind Mustapha Kemal Ataturk and his war of liberation against the British, French, and Italian Imperialists and their Greek and Armenian catspaws.
In the Redmondite hold-out of West Belfast there was continued credence given to British war-propaganda about the massacres of Armenians and Greeks. The Irish News and other Devlinite publications continued to keep the Imperial faith to get Irishmen into British uniform as the rest of Ireland sloughed it off and broke free of the British sphere of influence. But then, even the Irish News, under pressure of what was done to the Northern Catholics who had kept the faith with Joe Devlin and Britain until the end, began to have second thoughts, when they were awarded ‘Northern Ireland’ as their reward for loyalty.
In October 1922 the Irish Independent published a British account of alleged Turkish atrocities in Smyrna (now Ismir). It was immediately attacked by Sinn Fein.
The context of the Sinn Fein counter-attack (reproduced below) on behalf of the Turks was the Greek evacuation of Anatolia after the defeat of their invading army, which had been encouraged by Lloyd George to enforce the Treaty of Sevres on the Turks. Smyrna was burnt and many died.
The reply to the British allegations comes from O. Grattan Esmonde, Sinn Fein’s most famous diplomat who had held the record for being expelled from more countries in the world than any one else (by the British, who held these countries at the time.) Esmonde was the son of Sir Thomas Esmonde who had briefly left the Irish Party in 1906 to stand for Griiffith’s Sinn Fein. The son went with the Treatyites in the Treaty split and was later elected in 1923 as a Cumann na nGaedheal TD for Wexford and was returned in the 1927 election. He was re-elected at the 1932 and 1933 elections.
In the statement he dismisses allegations that the Turks had massacred Greeks and Armenians as British propaganda and puts the Irish Republican forces and Mustafa Kemal (Ataturk) forces together as brothers in arms, fighting British Imperialism:
“I cannot refrain from expressing my astonishment at your leading-article of to-day, and the prominence you are giving to virulent English propaganda directed against the Turkish army, who are on the point of freeing their native land from the invader… We, who have suffered more than any other nation in the world from English propaganda, have no right to accept it when directed against another nation which for four years has been fighting for its life, and whose leaders have in public and in private expressed their sympathy and admiration for Ireland. I notice to-day that the Armenian Archbishop, who was massacred last week, has turned up safely in Greece. The same fate awaits at least ninety-per cent of the 120,000 Christians, slaughtered by Reuter’s news-agency this morning! It is more than probable that at least three zeros have been added inadvertently to the correct number of the victims… The new Turkish army and the Turkish National leaders are clean fighters, and the same type of men as those who have carried through the evolution in this country.” (O. Grattan Esmonde, Sinn Fein diplomat writing to the Irish Independent, from the Catholic Bulletin October 1922)
The political and military assault launched by Britain on neutral Greece and the devastating effect this ultimately had on the Greek people across the Balkans and Asia Minor is almost completely forgotten about these days. The Greek King Constantine and his government tried to remain neutral in the World War but Britain was determined to enlist as many neutrals as possible in their Great War. So they made offers to the Greek Prime Minister, Venizélos, of territory in Anatolia which he found to hard to resist.
The Greek King, however, under the constitution had the final say on matters of war and he attempted to defend his neutrality policy against the British. Constantine was then deposed by the actions of the British Army at Salonika, through a starvation blockade by the Royal Navy and a seizure of the harvest by Allied troops. This had the result of a widespread famine in the neutral nation – and this under the guise of ‘the war for small nations!’
With the Royal Navy’s guns trained on Athens the King was forced to abdicate with a gun to his head.
These events led to the Greek tragedy in Anatolia because the puppet government under Venizélos, installed in Athens through Allied bayonets, was enlisted as a catspaw to bring the Turks to heal after the Armistice at Mudros. This was because Lloyd George had demobilised his army before he could impose the punitive Treaty of Sevres on the Turks. Britain was also highly in debt to the U.S. after its Great War on Germany and the Ottomans had proved so costly. So others were needed to enforce the partition of Turkey whilst England concentrated on absorbing Palestine and Mesopotamia/Iraq into the Empire.
The Greeks were presented with the town of Smyrna first and then, encouraged by Lloyd George, advanced across Anatolia toward where the Turkish democracy had re-established itself, at Ankara, after it had been suppressed in Constantinople. Ataturk had seen that Constantinople was open to the guns of the Royal Navy, as Athens was and he established a new capital inland in a small town.
Britain was using the Greeks and their desire for a new Byzantium (the Megali or Big Idea) in Anatolia to get Ataturk and the Turkish national forces to submit to the Treaty of Sèvres, and the destruction of not only the Ottoman State but Turkey itself.
But the Greek Army perished on the burning sands of Anatolia after being skillfully maneuvered into a position by Ataturk in which their lines were stretched. And the two or three thousand year old Greek population of Asia Minor fled on boats from Smyrna, with the remnants of their Army after Britain had withdrawn its support, because the Greek democracy had reasserted its will to have back its King.
Esmonde’s statement on behalf of Sinn Fein is interesting in referring to the links between the Irish Independence movement and its gallant ally, Turkey.
There was an early contact between the independent Irish Parliament (the Dáil) and the Grand National Assembly of Turkey, established by Mustafa Kemal at Ankara. This contact was made through the Dáil’s ‘Message to the Free Nations of the World’ delivered to the revolutionary Grand National Assembly at Ankara, on a date following 10 August 1921. The Dáil, in its first act of foreign affairs, sent out this message to the other free nations of the world (including Turkey) declaring the existence of an independent Irish Government. It was read out, in Irish, to the Dáil by J.J.O’Kelly, the editor of The Catholic Bulletin in January 1919.
The Catholic Bulletin which published Esmonde’s letter and which was run by De Valera’s teacher and friend, Fr. Timothy Corcoran, drew attention to the many parallels between the experience of Ireland and Turkey between 1919 and 1923. Turkey had agreed to an armistice (ceasefire) at Mudros in October 1918. But that armistice was turned into a surrender when British and French Imperial forces entered Constantinople and occupied it soon after. Turkey found its parliament closed down and its representatives arrested or forced ‘on the run’, at the same time as England meted out similar treatment to the Irish democracy. Then a punitive treaty (The Treaty of Sevres, August 1920) was imposed on the Turks at the point of a gun, sharing out the Ottoman possessions amongst the Entente Powers. Along with that, Turkey itself was partitioned into spheres of influence, with the Greek Army being used to enforce the settlement in Anatolia, in exchange for its irredentist claims in Asia Minor.
The Turks, under the skillful leadership of Mustapha Kemal (Ataturk), decided not to lie down and resisted the imposed Treaty of Sevres. The Greek catspaw was pushed out of Turkey and their Imperialist sponsors forced back to the conference table at Lausanne, after the British humiliation at Chanak.
In February 1923, at the conference in Lausanne, the Turkish delegation refused to be brow-beaten by Lord Curzon and his tactics, reminiscent of the Anglo-Irish negotiations, when the Irish plenipotentiaries were strong-armed into signing a dictat under the threat of “immediate and terrible war.” The Turks stonewalled. When Curzon told the Turks that “the train was waiting at the station,” and it was a case of take it or leave it, the Turks left the offer and Curzon left on his train, never to return. Terms much more advantageous to the Turks were signed by Sir Horace Rumbold six months later, and the Turkish Republic came into being – a free and independent state.
At the Lausanne negotiations the Turks, when confronted with the accusation that they had massacred Christians, replied “what about the Irish, you British hypocrites!” The British from there found their moral card was trumped and discarded it, getting down to the real business. They had no care for the destruction of the centuries old Christian communities that their War on the Ottoman Empire had produced. They saw that Turkey had emerged under a strong leader and they were prepared to do business, as England always was.
The Catholic Bulletin publicised Atatürk’s great achievement in defeating the British Empire and saw it as an inspiration to other countries in the world resisting the great powers. It was particularly impressed with the Turkish negotiating skill at Lausanne and contrasted it to the Irish failure in negotiating with the British in the Anglo-Irish treaty of 1921 that had left the country part of the British Empire. The Turks had successfully achieved independence and ‘The Catholic Bulletin’ described Ataturk as the ‘man of the year’ and one of the few causes for optimism in the world.
Sinn Fein in 1920 were in no doubt that what is now called “the Armenian Genocide” by new Sinn Fein was a construction of British propaganda. Esmonde’s statement was issued a number of years after the Bryce Report of 1916 which was the centrepiece of this. But new Sinn Fein seems to have departed the traditional Republican position. An article in An Phoblacht in April 2015 calling for the “Armenian Genocide” to be recognised did not even mention Britain! That really must be a first for Sinn Fein – not blaming Britain!
There are, in fact no judicial or historical grounds for what is termed the “Armenian Genocide”. It is merely an emotional assertion. No International Court has ever found for such a thing and historians are extremely divided over the issue. It is mindlessly repeated that “most historians” agree on the “Genocide” label being applied. But when has this assertion ever been quantified? And if such an exercise is ever completed how meaningless it will be. This “majority” is, if it actually exists, made up of those from the Anglosphere, predominantly from the Armenian diaspora, and some career-minded Westerners, with a few guilty Turks thrown in (the Roy Fosters and Trinity College Workshops of Turkey, like Taner Aksam). The vast majority of historians are actually “denialists” (on the terms of the lobby) because they do not use the word.
The campaign for recognition of an “Armenian Genocide” is, in fact, a political one, begun quite lately. It is an attempt to muster legislators together to pronounce on a historical and legal issue when they have no competence to do so.
If “Genocide” is just a question of the deaths of a large numbers of people then it is hard to explain why new Sinn Fein is not pursuing the Irish Famine (for which the Ottoman Sultan provided the only international assistance) as an international case against the British Government, or indeed the Cromwellian settlement? One of the leading judicial advocates of an “Armenian Genocide” the famous Mr. Geoffrey Robertson QC has written a book on his great hero, John Cooke – who was he may not realise, Cromwell’s judicial legitimiser of what he did in Ireland!
A new Sinn Fein spokesman says: “If we do not accept what happened in the past we cannot learn from the mistakes and move on. Collectively we must ensure that we oppose the manipulation of history…”
What manipulation of history, one might ask? Surely that is what is being suggested in demanding that a word that didn’t exist in legal form at the time of an event be applied retrospectively to events within a complex historical context by people who do not have competence to make such judgments.
Sinn Fein in 1920 knew that the Turks were no dupes of Imperialism. The Turks know the danger of pleading guilty to such a charge with regard to their self-respect and standing in the world. They are battle-hardened, having engaged in a monumental fight for survival between 1914 and 1922 that not only created their nation, but also ensured its very existence. They were invaded by all the Imperialist powers, with only the Bolsheviks as allies, and with Greek and Armenian armies massacring within their territory.
The new Sinn Fein has done a marvellous job of resurgence on behalf of the Northern Catholics, improving the community’s standing and self-respect to a position nobody would have thought possible in 1969. The present writer will always recognise the achievement of that transformation, having lived through it.
But West Belfast was the storm-centre of Redmondite Hibernianism in the days of Joe Devlin, the most Imperial part of Ireland by a long chalk. And it was saturated with British War propaganda. When a famous pamphlet was produced to highlight the plight of Belfast Catholics in the new construction of ‘Northern Ireland’ Fr. Hassan of St. Mary’s compared the Unionists to Turks and the Catholics to Armenians.
Sinn Fein participation in Great War Remembrance can be justified as part of the necessary reconciliation of the Unionist community that the Peace strategy involves. But perhaps it has been forgotten what the bits of the “Foggy Dew” about “Suvla Side and Sud-el-bar” were supposed to teach about being an Irish Republican!
The new Sinn Fein has been a product, to a very great extent, of the unusual events of half a century ago in the Six Counties. 1969 was Year Zero. That, and the subsequent war and its transition to a peace settlement against substantial and multi-layered opposition, has given it a tremendous ability within the confines of the political situation it operates. It achieved out of brilliant improvisation, drawing from its experience of life in the Six Counties as its stock of knowledge. And it really had to imagine it was something it really wasn’t to carry through its war to a functional peace settlement. And in such a situation too much thinking about its past may have actually proved detrimental to the carving out of a different future.
But that is no longer enough, if greater things are to be done.
Sinn Fein has now made itself a competitor for state power in the 26 Counties. That brings upon it different responsibilities. If it attains that power will it be able to exercise it with reference to the traditional Republican position? Will it be able to exercise the responsibility that this entails, which goes far beyond sloganeering and politicking?
If Sinn Fein persists with its belief in an “Armenian Genocide” surely it should delete the offending phrase in the Proclamation of 1916, or perhaps change it from “our gallant allies” to “our genocidal allies”. That would be logical. But it would be very problematic for next years centenary commemoration.
Voir encore:
Au delà du mythe : l’insurrection irlandaise de Pâques 1916
Dominique Foulon
Mediapart
20 mars 2016
Depuis cent ans, l’insurrection républicaine irlandaise donne lieu à diverses interprétations plus ou moins malveillantes : du sacrifice sanglant au putsch raté en passant par une escarmouche inutile. Or, ce soulèvement armé en pleine guerre mondiale, ne prend sa signification que si on l’englobe dans une période révolutionnaire en Irlande (1912 à 1923), et dans la situation internationale d’alors.
Bien peu de personnes à l’époque comprirent que les premiers coups de feu qui résonnèrent à Dublin le 24 avril 1916, sonnaient en fait le glas de l’empire britannique. La presse de l’époque ne note qu’une tentative de sédition ratée, qui plus est, fomentée par l’Allemagne. Or cet événement s’inscrit dans un contexte très ancien.
Un pays colonisé
Depuis plusieurs siècles, l’Irlande sauvagement conquise et colonisée par son voisin anglais tente de retrouver son indépendance. Soulèvements armés et luttes politiques alternent selon les époques, sans plus de succès l’un que l’autre. Si depuis 1798 (1) et tout au long du 19e siècle, le recours régulier à la lutte armée échoue, la lutte parlementaire des députés irlandais à Westminster aboutit à un projet d’autonomie interne dans le cadre du Royaume Uni : le Home Rule. En effet, l’obstruction systématique du parlement de Westminster par les députés irlandais, sous la direction de Charles Parnell, poussa le premier ministre libéral Gladstone à adhérer à ce vieux projet d’Isaac Butt. Celui-ci un conservateur protestant, s’était rallié à l’idée qu’un parlement irlandais était la meilleur solution pour régler au mieux les affaires domestiques irlandaises.(2) Ce projet fut violemment combattu par les Conservateurs et une partie du Parti libéral, qui en recevant le soutien de l’Ulster Loyalist Anti Repeal Union leur donna l’idée de jouer la carte orangiste, c’est à dire se servir du loyalisme nord irlandais pour contrer leur adversaires.
En effet, la conquête de l’Irlande avait conduit à un développement différencié dans la province d’Ulster.
Dans la plus grande partie de l’île, une fois la conquête finie, la plupart des terres furent acquises par des aventuriers qui n’en attendaient qu’un profit immédiat, pressurant la paysannerie autant que possible, et la laissant dans un état de misère noire tant de fois décrite par tous les voyageurs au XIXe siècle. L’Ulster fut la dernière partie de l’île à être (durement) conquise. Pour s’assurer de sa pacification définitive, la couronne anglaise eut recours à l’établissement de plantations. Sur les terres d’où avaient été expulsés les Irlandais, des fermiers anglais ou écossais s’établissaient en colonies de peuplement afin de consolider la conquête et éviter toute nouvelle insurrection dans cette région. Or les propriétaires terriens ne pouvaient soumettre cette nouvelle paysannerie à une exploitation identique à celles des indigènes du Sud sous peine de voir le projet colonial échouer. Des garanties et des avantages octroyés aux fermiers connus comme « la coutume d’Ulster » permit une relative prospérité et le développement d’activités annexes comme la culture et le tissage du lin. Cela servit de base à la fin des guerres napoléoniennes, à l’industrie du lin qui connut une immense prospérité. Belfast avec ses dizaines d’immenses filatures, était connue comme la Linenopolis de l’Irlande. La ville connut aussi un essor industriel fantastique à partir de 1850 avec la création de chantiers navals et des industries annexes. Un développement unique en Irlande qui était le prolongement des grands centres industriels d’Angleterre et d’Ecosse, parfaitement intégré au marché britannique.
Dans le reste de l’Irlande les industries naissantes se trouvaient en concurrence avec celles de Grande Bretagne, et donc envisageaient l’autonomie dans le cadre de l’Empire ( Home Rule) comme un moyen de se protéger par le biais de taxes diverses d’importation.
Une révolte conservatrice
Au delà des aspects économiques, la physionomie politique irlandaise était toujours tributaire de la colonisation, bien que cette dernière fut déjà ancienne. Dans le Nord-Est de l’île, les opposants au Home Rule surent profiter de l’existence d’un courant fondamentaliste protestant et conservateur dont l’Ordre d’Orange (3) était l’expression publique la plus achevée, pour mobiliser le « peuple protestant », ceux dont les ancêtres avaient colonisé la région. En comparant le Home Rule au Rome Rule c’est à dire en utilisant la peur de perdre les libertés religieuses dans un état catholique, en amalgamant l’appartenance religieuse au débat politique, ils réussirent à entretenir et développer le sectarisme religieux et communautaire. Bien qu’il ne manquât pas de voix dissonantes en son sein pour contester l’hégémonie unioniste, cette dernière réussit à créer un mouvement de masse qui ne cessa de grandir au fil des temps. Le premier projet de Home Rule datait de 1886, le second de 1893, et en 1912 le troisième projet, bien que repoussé par la chambre des Lords, était simplement retardé de deux ans, le veto de cette institution monarchique n’étant plus absolu. L’imminence du « danger » conduisit les tenants de l’Union à d’immenses rassemblements et à organiser de véritables milices armées pour s’opposer au Home Rule. L ‘Ulster Volunteers Force regroupa 100 000 hommes et femmes bénéficiant, à partir de 1914, d’un armement moderne en provenance d’Allemagne. Outre le soutien des Tories anglais, cette sédition reçue aussi celui de la caste des officiers britanniques en Irlande, qui menacèrent de démissionner en masse plutôt que de devoir marcher contre l’UVF si on le leur demandait.
Le réveil républicain
Ces évènements eurent forcément un retentissement dans le reste du pays. Les nationalistes formèrent en réponse au grand jour, en 1913, une autre milice : les Irish Volunteers. Créée au départ sur l’initiative de l‘IRB (4), les constitutionalistes du Parti Irlandais adhérèrent en masse à cette organisation qu’ils contrôlèrent ensuite largement. Toutefois, contrairement à l’UVF, ils ne bénéficièrent pas de la mansuétude de certains militaires en juillet 1914, pour recevoir leur armement, lui aussi en provenance d’Allemagne. A cela vint se joindre l’Irish Citizen Army du syndicaliste révolutionnaire James Connolly, formée depuis peu à partir des groupes d’auto-défense ouvrier qui avaient été créés lors de la grande grève de Dublin en 1913 pour faire face aux attaques policières et à celles des jaunes.
Cette grève de 6 mois (et le lock-out qui suivit) avait été soutenue par une partie de l’intelligentsia dublinoise : Patrick Pearse, chantre du renouveau celtique, la comtesse Markievicz, militante suffragette socialiste, fondatrice des Na Fianna Éireann (scouts nationalistes irlandais) ainsi que le poète Yeats. La question sociale, malgré la défaite de la grève, s’invitait aux cotés de la question nationale sur la scène politique. Cet épisode permit aussi de constater qu’une partie du mouvement nationaliste (le Sinn Fein d’Arthur Griffith en particulier) était hostile au mouvement ouvrier.
Dès 1913, les Unionistes proposèrent que la province d’Ulster soit tenue à l’écart du Home Rule : refus des nationalistes et du gouvernement britannique. En mai 1914, le gouvernement proposa que la province soit pour une durée de 6 ans, autorisée à rester en dehors : refus des unionistes. La situation semblait bloquée et la guerre civile imminente. Le 4 août la Grande Bretagne déclarait la guerre à l’Allemagne. Le 18 septembre le gouvernement instaurait le Home Rule en Irlande, mais suspendait son application à la fin des hostilités.
Première guerre mondiale
L’aile modérée des Irish Volunteers par la voix du député John Redmond se joignit à l’Union sacrée pour engager les Irlandais aux cotés du gouvernement anglais dans ce qui promettait d’être une guerre pour le droit des nations à disposer d’elles-mêmes. A l’opposé la minorité des Volunteers influencée par l’I.R.B. refusa ce soutien et les partisans de l’I.C.A. posèrent cette bannière sur le bâtiment de la maison des syndycats : “Nous ne servons ni le Roi, ni le Kaiser mais l’Irlande”. Tous espéraient alors que “les difficultés de l’Angleterre seraient l’opportunité de l’Irlande” et espéraient tirer avantage de cette situation pour faire avancer la cause nationale irlandaise. Ils avaient d’autant moins de scrupules que dès la declaration de la guerre et la promesse de Home Rule reportée, la Grande Bretagne incorporait la milice “rebelle” UVF en bloc au sein de l’armée britannique dans la 36e division d’Ulster. (5) tandis qu’elle éparpillait les Irish Volunteers dans tous les regiments, et leur interdisait tout signe distinctif. Quant à Edward Carson qui avait pris la tête de la sédition unioniste, qui n’avait pas hésité à rechercher le soutien de l’Allemagne et poussé l’Irlande au bord de la guerre civile, il était nommé en 1915 Attorney général de l’Angleterre, avant de rejoindre le cabinet de guerre comme premier Lord de l’Amirauté.
Pour James Connolly, la partition prévisible de l’Irlande ne pouvait amener que deux regimes conservateurs dans chaque partie de l’île, et compromettre alors toute avancée sociale dans l’ensemble du pays. C’est autant en militant internationaliste que nationaliste qu’il envisagea alors une insurrection. L’agitation contre la conscription obligatoire rencontre un certain écho en Irlande dès 1915. Les même évènements secouèrent la région de Glasgow où son ami républicain socialiste écossais John MacLean militait contre la guerre et la conscription, où dès 1915, le Comité des Travailleurs de la Clyde mèna une agitation sociale et politique, tout semblait alors indiquer qu’il était concevable, dans les conditions présentes, de transformer la guerre impérialiste en révolution nationale et socialiste. C’est bien dans cette optique qu’il mit en place des entrainements militaires conjoints entre l’ICA et les Irish Volunteers, qu’il prit contact avec le conseil militaire de l’IRB au sein duquel il fut coopté en janvier 1916 en vue du soulèvement prévu pour Pâques.
Vers l’insurrection
Parmi les préparatifs, la mission de Roger Casement, un Irlandais protestant qui avait rejoint la cause républicaine, était d’importance. Bien qu’il n’eût pas réussi à créer une brigade irlandaise parmi ses compatriotes prisonniers dans les camps allemands, il avait réussi à obtenir un considérable chargement d’armes et de munitions pour la rébellion. Mais, alors qu’il rejoignait l’Irlande à bord d’un sous marin allemand il fut capturé le 21 avril. Le bateau convoyant l’armement ayant en vain attendu sa venue dans la baie de Tralee se saborda alors qu’il était encerclé par la marine britannique (en fait ce bateau, selon les ordres de l’IRB, n’aurait du approcher des côtes irlandaises qu’après le début de l’insurrection). Le 22 avril un dirigeant des Irish Volunteers, Eoin MacNeill, opposé au soulèvement, annule par voix de presse toutes les manœuvres prévues pour Pâques semant alors la confusion dans les rangs républicains. La date du soulèvement fut néanmoins maintenue et le lundi 24 avril les volontaires et l’ICA réunis désormais au sein de l’Armée Républicaine Irlandaise (I.R.A.) prirent position en divers points de Dublin. La République fut proclamée devant la Grande Poste qui devint le quartier général du gouvernement provisoire tandis que divers détachements prirent position dans une dizaine d’autres points stratégiques. Outre les contre ordres de Mac Neill qui privèrent les insurgés d’au moins 1000 combattants, certains échecs, comme celui qui entrava la prise de contrôle du « Château » (l’administration centrale britannique) ou le central téléphonique fragilisèrent dès le départ l’entreprise. Au delà de la capitale hormis Galway, Ashbourne (comté de Meath) et Enniscorthy il y eut peu de combats significatifs. Mais, un peu partout, les Volontaires se réunirent et se mirent en marche, sans se battre, y compris dans le Nord. La réaction britannique fut extrêmement violente : l’utilisation de l’artillerie en plein centre de Dublin réduit en champs de ruines visait autant à en finir rapidement qu’à terroriser la population. Le samedi 29 avril « afin d’arrêter le massacre d’une population sans défense » Patrick Pearse et le gouvernement provisoire se rendirent sans condition et ordonnaient de déposer les armes. En fait, à part le quartier général de la Grande Poste, tous les autres édifices restèrent aux mains de l’IRA. L’exemple des volontaires (tous très jeunes) regroupés au sein du Mendicity Institute et qui bloquèrent l’armée anglaise pendant plus de trois jours, occasionnant de lourds revers aux britanniques, sans pour autant subir de perte équivalente, est un des exemples qui démontre que l’affaire n’avait pas été envisagé à la légère et que l’insurrection avait de réelles capacités militaires. La « semaine sanglante » coûta la vie à 116 soldats britanniques, 16 policiers et 318 « rebelles » ou civiles. Il y eut plus de 2000 blessés dans la population.
La répression fut immédiate. Plus de 3000 hommes et 79 femmes furent arrêtés, 1480 ensuite internés dans des camps en Angleterre et au Pays de Galles. 90 peines de mort furent prononcées, 15 seront exécutées dont les sept signataires de la proclamation d’indépendance. La légende se construisit aussitôt autour des dernières minutes des fusillés (Plunket qui se maria quelques heures avant son exécution, Connolly blessé et fusillé sur une chaise…) le poète Yeats exprimera si bien cet instant où tout bascule :
Je l’écris en faisant rimer
Les noms de
Mac Donagh et Mac bride
Et Connolly et Pearse
Maintenant et dans les jours à venir
Partout où le vert sera arboré
Tout est changé, totalement changé
Une terrible beauté est née (6)
Quelle analyse de l’insurrection ?
Au delà du retournement de l’opinion publique en faveur des insurgés, suite aux représailles, les questionnements ou les anathèmes fleurissent. Si les condamnations des sociaux démocrates englués dans l’Union sacrée ne furent pas une surprise il est intéressant de noter qu’un des commentaires les plus lucides fut écrit en Suisse par Lénine. Dans un texte célèbre, il note tout ce que la guerre a « révélé du point de vue du mouvement des nations opprimées », il évoque les mutineries et les révoltes à Singapour, en Annam et au Cameroun qui démontrent « que des foyers d’insurrections nationales, surgies en liaison avec la crise de l’impérialisme, se sont allumés à la fois dans les colonies et en Europe » Il replace donc, fort justement, Pâques 1916 dans le contexte international de « crise de l’impérialisme » dont le conflit mondial est l’illustration éclatante. Il fustige ceux qui (y compris à gauche) qualifient l’insurrection de « putsch petit bourgeois» comme faisant preuve d’un « doctrinarisme et d’un pédantisme monstrueux ». Après avoir rappelé « les siècles d’existence » et le caractère « de masse du mouvement national irlandais » il note qu’au coté de la petite bourgeoisie urbaine « un partie des ouvriers » avait participé au combat. « Quiconque qualifie de putsch pareille insurrection est, ou bien le pire des réactionnaires, ou bien un doctrinaire absolument incapable de se représenter la révolution sociale comme un phénomène vivant. La lutte des nations opprimées en Europe, capable d’en arriver à des insurrections et à des combats de rues, à la violation de la discipline de fer de l’armée et à l’état de siège, « aggravera la crise révolutionnaire en Europe » infiniment plus qu’un soulèvement de bien plus grande envergure dans une colonie lointaine. A force égale, le coup porté au pouvoir de la bourgeoisie impérialiste anglaise par l’insurrection en Irlande a une importance politique cent fois plus grande que s’il avait été porté en Asie ou en Afrique. » Et de conclure que « le malheur des irlandais est qu’ils se sont insurgés dans un moment inopportun, alors que l’insurrection du prolétariat européen n’était pas encore mûre ». (7) Il ne s’agit pas de citer Lénine comme un oracle, mais de noter que dans son analyse, à chaud, il situe clairement la rébellion irlandaise comme une « lutte anti-impérialiste » du point de vue de la lutte des classes internationale et de la révolution mondiale. Il n’est pas inutile de rappeler, qu’à l’époque, il finit la rédaction de « L’impérialisme, stade suprême du capitalisme ».
C’est ce qui sera à nouveau souligné lors du second congrès de la 3e internationale en juillet/août 1920, où la question irlandaise fut discutée dans le cadre de la question coloniale et des mouvements d’émancipation des pays opprimés (en présence de deux irlandais dont Roddy Connolly le fils de James Connolly).(8)
En Irlande la mythologie mise en place autour de l’insurrection de Pâques 1916 gomma toute référence au contexte international. Les tenants du « sacrifice consenti pour réveiller la nation » (avec le message sous-jacent que ce n’était plus un exemple à suivre) n’entendaient courir le risque de se hasarder à réveiller la question sociale en parlant d’anti-impérialisme. Au lendemain de la défaite et alors que l’opinion publique prenait fait et cause pour les révolutionnaires exécutés, ce fut le parti Sinn Fein, qui n’avait eut aucune responsabilité dans le soulèvement, qui remporta les élections en 1918 et devient le symbole de la lute pour l ‘indépendance. Le parti parlementaire irlandais, déconsidéré, ne joua plus de rôle important dans le nouveau processus politique qui s’amorçait. Toutefois sa capacité de nuisance se révéla redoutable, quelques années plus tard, quand plusieurs de ses membres rejoignirent les partisans de la partition du pays et appuyèrent leur démarche contre-révolutionnaire.
Il a été aussi beaucoup question de la mauvaise stratégie militaire des insurgés. Le fait de maintenir l’insurrection malgré les évènements contraires, reposait sur le fait que les autorités britanniques au courant des préparatifs auraient, de toute façon procédé, à une répression massive. Car initier une rébellion, en temps de guerre, avec le soutien et la coopération de l’ennemi ne laissait que peu de chances aux promoteurs du projet. La prise de différents points stratégiques dans la ville ainsi que des principales routes et les tenir se concevait dans le dessein d’attendre les colonnes d’insurgés censées converger vers Dublin. Il fallut l’envoi de 20 000 soldats pour mater la rébellion et la férocité des combats avec l’usage intensif de l’artillerie dans le centre très peuplé de la capitale indique à la fois un mépris colonial pour les indigènes en révolte et la volonté d’en finir au plus vite dans la crainte que la rébellion ne s’étende. Quoiqu’il en fut, certains historiens indiquent que « cette aventure » fut « la plus sérieuse brèche dans les remparts de l’empire britannique depuis la défaite de Yorktown en 1781 » face aux insurgés américains. (9)
(1) En 1798 la création du mouvement des Irlandais Unis influencé par la Révolution française de 1789 tente un soulèvement armé avec l’appui (tardif) du gouvernement français. Créé, en particulier par des Presbytériens, ce mouvement est à la base du républicanisme irlandais.
(2) (2) Le parlement irlandais avait été aboli en 1800 et suivit de l’Acte d’Union (entre la Grande Bretagne et l’Irlande.)
(3) Confrérie politico-religieuse à caractère maçonnique dont la profession de foi se base sur la défense de la religion réformée, le souvenir de la Glorieuse Révolution de 1689 et le maintien de l’Irlande du Nord au sein du Royaume Uni. Son nom est en référence au roi Guillaume d’Orange vainqueur du roi catholique Jacques II en1690.
(4) Irish Republican Brotherhood : Fraternité Irlandaise Républicaine, société secrète nationaliste et révolutonnaire, héritière du mouvement Fénian du 19e siècle
(5) La 36e division d’Ulster sera massacrée lors de la bataille de la Somme en juillet 1916
(6) Il existe plusieurs versions de la traduction du poème de Yeats « A terrible beauty »
(7) Le texte de Lénine publié en juillet 1916 se trouve sur le site http://www.marxists.org
(8) Les cahiers du Cermtri n° 127 Irlande : le mouvement national, le mouvement ouvrier et l’Internationale communiste 1913-1941
(9) P. Brandon cité par Kieran Allen : The 1916 rising : myth. And reality in Irish marxist review vol 4 number 17
Sources :
Irish marxist review vol 4 number 17, 2015 (téléchargeable en ligne)
James Connolly de Roger Faligot Édition Terre de Brume, 1997
Pour Dieu et l’Ulster : Histoire des Protestants d’Irlande du Nord
de Dominique FoulonÉdition Terre de Brume 1997
Voir aussi:
Malcolm Jones
The Daily Beast
03.27.16
A century ago, Irish rebels set out on the long road to independence with a fumbled armed insurrection against the occupying British. It took a poet to explain it all.
The Easter Rising, the 1916 armed insurrection that hindsight tells us was the opening act in the successful Irish fight for independence from Great Britain, was by almost any measure a catastrophe.
It did not, at the time, look like the beginning of anything. The conspirators who planned it did not plan well, nor did what plans they laid turn out the way they hoped. Hundreds of people died needlessly.
It would have been almost impossible at the time to predict that the Easter Rising was a turning point in Irish history, that the events of that bloody week would set in motion a chain of events that would ultimately result in Ireland’s independence. Historians and partisans still argue over the efficacy of the revolt and its execution. But Ireland being Ireland, a land that bred some of the finest writing of the last century, it is not surprising that the finest summation of that event comes from a poet, William Butler Yeats, whose ambivalent and mysterious “Easter, 1916” is not only one of the most powerful poems ever written but a splendid snapshot of his nation’s confusion over what had transpired in the revolt and the concurrent understanding that something momentous, a profound game change, had just happened.
When the six-day revolt was over, smothered by fierce British retaliation that left more than 400 people dead—most of them civilians—as well as thousands wounded and the city of Dublin shelled and burned, every aspect of the revolt bore the stench of failure.
A lot of that failure was the fault of the conspirators. They failed to capture key positions in the city of Dublin, including city hall and the docks and railway stations. So when the British sent troops to quell the revolt, they had little trouble entering Dublin, where most of the fighting took place. For that matter, confusion was general all over Ireland.
Worse, the conspirators failed to warn their countrymen about what was happening, so that once the fighting started, some of the fiercest opposition came from the Irish themselves, and not only from the six, largely Protestant counties in the North that would eventually make up what is now Northern Ireland. Many Dubliners, for instance, were confused and baffled by the revolt in their streets, and either actively opposed the insurrectionists or simply refused to help them.
Things might have turned out very differently in the long run had the British settled for merely restoring peace and exploiting that lack of consensus on the part of the Irish. Instead, they savagely put down the revolt and then sent some 90 conspirators to face the firing squad in a matter of days. The reprisals, coupled with the hard line the British took going forward, fueled the opposition and, more important, solidified it. Factions coalesced behind Sinn Fein, the militant group that would spearhead the fight for independence, and the table was set for the civil war that eight years later resulted in the Irish Free State and ultimately in the republic of Ireland in 1937.
The Irish lost in the Easter rebellion, but the English lost Ireland.
Yeats was 50 years old at the time, a prominent poet still known mostly as one of the leaders of the Irish renaissance, a movement that extolled the native traditions and folklore of the country. Like his collaborators, the playwright John Millington Synge and Lady Augusta Gregory, Yeats was a cultural revolutionary, but he was not particularly political and disparaged violence as a means of creating an Irish republic. But at the time of the Easter rebellion, he was in the process of changing as a poet, influenced both by literary modernism and the events in his own country. Going forward, he was guided as much by what he saw in the street outside his door as he was by the past, and what he wrote from then on would secure his reputation as arguably the finest poet of the 20th century.
The amazing thing about this transformation is that it did not make the poet more didactic. Yeats was never a preacher. Rather, it made him more subtle, more open to ambiguity. But ambiguity in Yeats’s hands was neither wishy washy nor vague. He might be oblique, but he was never opaque.
In “Easter, 1916,” written in the months that followed the failed uprising, he would express perfectly the confusion and awe with which he and the citizens of his country were consumed.
“We make out of the quarrel with others, rhetoric, but of the quarrel with ourselves, poetry,” he once said, and no poem of his illustrates that sentiment better than “Easter, 1916.” It begins in everydayness: “I have met them at close of day / Coming with vivid faces / From counter or desk among / Eighteenth-century houses. / I have passed with a nod of the head / Or polite meaningless words, / Or have lingered awhile and said / Polite meaningless words, / And thought before I had done / Of a mocking tale or a gibe / To please a companion / Around the fire at the club, / Being certain that they and I / But lived where motley is worn: / All changed, changed utterly: / A terrible beauty is born.”
This is the plainest of the poem’s four verses, but even here, the quotidian is upended and placed in the past tense. That foolish, almost clownish reality (“where motley is worn”) is seen, as it were, in the rear-view mirror. Something has happened, something both terrible and beautiful, and there is no going back.
The rest of the poem proceeds in similar fashion, with people and realities changing like clouds (“Minute by minute they change”), and each part, fractal fashion, reflects the whole of the poem. Even a man he despised he now sees in a different light, less than a hero perhaps but more than a cad.
In the end Yeats is still not sure whether the price paid was worth it (“Was it needless death after all?”). But on one point he does not dither: The men and women he writes about changed history, and in turn they too were changed, as Yeats was, by what happened in that bloody week a century ago.
The easy explanation for all this is to say that the Easter Rising politicized Yeats, and to the extent that it drew him into more complete engagement with his time and his country, that is true. But to stop there does a disservice to the confusion and mystery he has witnessed and set down with such clarity in his poem. For “Easter, 1916” is not only complex and mysterious, it is about complexity and mystery, about beauties that are terrible. Events, especially cataclysmic events, he tells us, are not easily parsed, and we do them and ourselves an injustice to pretend otherwise. All we can do, the poem reminds us, is to confront conflicting realities and reconcile them as best we can. No poet, not even Yeats himself, ever said it better than in “Easter, 1916.”
Rage at I.R.A. Grows in England As Second Boy Dies From a Bomb
John Darnton
The New York Times
March 26, 1993
LONDON, March 25— As a second boy died today from wounds from a bombing in Warrington on Saturday, there were signs of a growing public backlash against the Irish Republican Army, which seems to attack more and more ordinary civilians.
For some time now bombs or bomb scares have become a feature of life in England, and people appear to accept them with resigned fatalism. But widespread anger and revulsion have been touched off by the two bombs that went off in metal trash baskets in a crowded shopping area Saturday afternoon in Warrington, a town on the Mersey River 16 miles east of Liverpool.
Fifty-six people were wounded, many of them seriously, and a 3-year-old boy, Jonathan Ball, who was being taken shopping to buy a Mother’s Day present, was killed. Another boy, Tim Parry, a 12-year-old with a mischievous grin, ran from the first explosion straight into the second.
For days, as he lingered between life and death, the country followed the reports on his failing condition. Finally, after a brain scan showed little activity, the life-support system was disconnected, and he died at 11:20 A.M. Feeling of Loss
With composure his father, Colin Parry, described the boy’s last moments. Then, when he was asked if he felt anger toward the I.R.A., he fought to hold back tears and said no — all he felt was loss: « We produced a bloody good kid. He was a fine lad. He had his moments; he could be a cheeky impudent little pup. But he was a great kid. The I.R.A., I’ve really got no words for them at all. »
At the same time, four Catholic workmen were killed today in Northern Ireland in an ambush by Protestant paramilitaries in the northern coast town of Castlerock and another Protestant was killed in Belfast.
So far this year, outlawed gangs of loyalist assassins have killed 23 people in Northern Ireland, 17 of them civilians. The gangs warned at the beginning of the year that they would step up their attacks. Touching a Nerve
The Warrington bombing touched a particular nerve because the victims were so young and also because it seemed to have been carried out in a way almost calculated to cause harm to ordinary people.
In recent years, I.R.A. bombs have been placed in public places. In a relatively new tactic, the terrorists often plant two bombs at once, so people running from one are sometimes struck by the other.
« The I.R.A. goes through phases on the targeting of civilians, » said Frank Brenchley, chairman of the Research Institute for the Study of Conflict and Terrorism, a private research agency.
Casualties have also been increased lately because the warnings telephoned in by the I.R.A. often are late or have incomplete or misleading information, the authorities say. This is denied by the I.R.A.
In the Warrington case, the authorities said the warning was telephoned in to an emergency help line, saying only that a bomb had been placed outside a Boots pharmacy. The police searched a Boots pharmacy in Liverpool, but the bomb went off near a Boots pharmacy in Warrington, 16 miles away.
In a statement acknowledging the act, the I.R.A. said it « profoundly » regretted the death and injuries but charged that the responsibility « lies squarely at the door of those in the British authorities who deliberately failed to act on precise and adequate warnings. » ——————– Sorrow in Dublin
DUBLIN, March 25 (Special to The New York Times) — In a rare public demonstration of feeling against the Irish Republican Army, thousands of Irish men and women gathered in downtown Dublin today to express sorrow and revulsion over the deaths of two children in Warrington, England.
Thousands waited in line to sign a condolence book outside the Post Office, where the Irish rebellion against British power began in 1916.
At St. Stephen’s Green, in the fashionable heart of the capital, thousands laid bouquets and wreaths, teddy bears and Snoopys with messages of sorrow and apology around their necks, that are to be taken to Warrington for the boys’ funerals.
Voir enfin:
Chronique de la quinzaine, histoire politique
Charles Benoist
Revue des Deux Mondes
14 mai 1916
Comme la note du Président Wilson au gouvernement impérial allemand réclamait une réponse immédiate, on pouvait croire qu’il ne se passerait pas quinze jours sans que cette réponse fût arrêtée, envoyée, connue dans le détail ; et comme la réponse réclamée consistait uniquement dans le choix entre les deux propositions de la plus simple des alternatives, oui ou non, il semblait qu’il ne fallût pas tant d’allées et venues, tant de consultations, tant d’audiences solennelles, pour n’arriver qu’à tant de car, de si, de mais, et de peut-être. Mais c’était à la fois méconnaître l’esprit et ignorer la situation de l’Allemagne, portée par l’un à ergoter sans bonne foi et obligée par l’autre à tâcher de s’esquiver sans fausse honte. En attendant qu’il fût prêt à ne dire aux États-Unis ni oui, ni non, et que sa presse, docile jusque dans la colère, eût épuisé sur eux le trésor de ses séductions et l’arsenal de ses menaces, l’Empire qui, hier, se croyait déjà le maître du monde, montait contre le plus détesté de ses ennemis, contre l’Angleterre, un triple coup, et le manquait. Pas de doute possible sur l’origine : le coup a bien été monté par l’Allemagne contre l’Angleterre. Tous les faits, ici, sont publics, évidens, incontestables. Par la concordance de ces trois attaques, deux de vive force, maritime et aérienne, une en traîtrise, l’insurrection d’Irlande, la politique prussienne a mis sous son œuvre sa signature, qui est un curieux mélange d’astuce, d’impudence et de niaiserie. Le lundi soir, 24 avril, un raid de zeppelins, le trente-troisième ou le trente-quatrième de la série, mais qu’on eût dit plus méthodique que les autres, fouillait la côte anglaise, comme s’il se fût agi, on en a fait l’observation, de « reconnaître la route entre Helgoland et Lowestoft. » Presque en même temps, ou aussitôt après, une escadre allemande, composée de vaisseaux rapides, croiseurs et contre-torpilleurs, apparaissait, courait le long de cette partie de la côte britannique, de Lowestoft à Yarmouth, lâchait quelques coups de canon, puis, accrochée par les forces, médiocres, de la défense locale, s’échappait et montrait sa légèreté en filant au bout de vingt minutes de combat, dans la crainte d’une plus mauvaise rencontre et d’un pire destin. Presque en même temps encore, voici le mélodrame ou le roman-feuilleton. La scène se passe à Tralee-Bay , sur la côte Sud-Ouest d’Irlande. On voit rôder un sous-marin, qui a l’air d’escorter un second navire. Ce second navire, pour inspirer plus de confiance, louvoie tranquillement sous une honnête et candide figure de caboteur hollandais. Ils avancent tout doucement, à petite vapeur, le corsaire au pas du marchand, comme des gens qui ne porteraient vraiment que des harengs dans leurs barils. Là-haut, en pleine mer du Nord, une patrouille anglaise les a « arraisonnés, » leur a demandé leurs papiers ; ils en ont présenté de si parfaitement en règle qu’ils ont été invités à passer, avec un salut. Le capitaine n’a pas fini d’en rire, lorsque, ayant brusquement piqué au Sud, il arrive en vue de la verte Erin. Soudain, un coup de semonce, « par le travers de l’avant du hollandais. » C’est d’autant plus sérieux qu’il va être procédé à la visite du bâtiment suspect. Il faut avouer que le bâtiment n’est pas hollandais, mais allemand ; que ses vingt hommes d’équipage sont allemands; que ses officiers sont allemands; que sa cargaison, — 20 000 fusils de guerre, des mitrailleuses et des munitions, — est allemande; bref, que ses desseins sont allemands. Tandis qu’ayant reçu l’ordre de suivre jusqu’au port de Queenstown la vedette qui l’a capturé, le faux hollandais, auquel on ne saurait du moins refuser le courage, arbore enfin son drapeau et bravement essaie de se couler, on rattrape deux hommes qui s’enfuyaient dans un canot pliant, et dont l’un ne tarde pas à confesser qu’il est sir Roger (Jasement. Dès son début, l’équipée tourne court : Feringhea a parlé ! Nous n’avons point l’intention d’entreprendre une longue biographie de sir Roger Casement : ce n’était hier qu’un intrigant, mêlé à des affaires louches, traînant en pays étranger les titres qu’il avait emportés du sien, et le reste de crédit que lui avaient laissé ses anciennes fonctions ; c’est maintenant quelque chose de plus, ou quelque chose de moins ; il réglera son compte avec le lord-chief justice, et le règlement sera sans doute sévère, puisque lui, il n’a pas même, dans son crime, cette dernière excuse d’être Allemand. Au surplus, l’aventure de sir Roger ne serait qu’un épisode sans intérêt, si elle n’avait servi à découvrir, dirigeant le complot et tirant les ficelles, la main de l’Allemagne. Trois jours auparavant, le vendredi avril, le bruit avait été répandu à Amsterdam, pour être, de là, répandu à Londres, que sir Roger Casement ,venait d’être arrêté et emprisonné en Allemagne. Arrêté et jeté en prison, pourquoi? Pour lui permettre de s’embarquer, en toute sûreté, à Kiel, ce même Vendredi-Saint, qui devait lui porter malheur. C’était, comme on le devine, le fin alibi, le plus fin qu’ait été capable d’inventer la police allemande; et c’est un paraphe ajouté à la signature de ce beau travail. Mais, dans les plans de l’Allemagne, sir Roger Casement n’était qu’un instrument; l’incursion des croiseurs et le raid des zeppelins n’étaient que des diversions ; sa machine infernale à triple détente ne manquerait pas de semer la révolution en Irlande, la panique en Angleterre, la prudence aux États-Unis. De fait, le lundi de Pâques, 2-4 avril, le lundi des zeppelins et des croiseurs, pendant que, fidèle aux chères habitudes, tout le Dublin officiel était aux courses, éclatait un mouvement d’une violence foudroyante, qui dépassait l’émeute, et d’un coup allait aux extrêmes, à la séparation d’avec la Grande-Bretagne, à la proclamation de la République irlandaise, au comble des désirs profonds et passionnés de l’Allemagne. En un instant, les insurgés se sont emparés de l’hôtel des postes, des deux gares du chemin de fer, du. Palais de justice, de nombre d’édifices publics et privés ; d’autres se sont enfermés dans la Bourse du travail, dans Liberty-Hall ; ils ont, auparavant, dressé des barricades et coupé les communications, si bien que les fonctionnaires, absens de la ville pour les fêtes, ont du mal à y rentrer. Dans les comtés, sur quelques points, des troubles se dessinent ; à Atheney, à Galway, en deux ou trois centres encore. Peut-on dire que c’est une surprise, et que rien n’avait permis de prévoir la rébellion ? Lord Middleton a affirmé le contraire, le lord-lieutenant ou vice-roi d’Irlande, lord Wimborne, l’a reconnu, et le secrétaire d’État pour l’Irlande, M. Birrell, ne l’a point nié. Il semble, en effet, que, depuis le commencement de l’année, les signes se soient multipliés. Le 5 février notamment, et le 17 mars, jour de la Saint-Patrick, à Dublin et à Cork, plusieurs centaines de « volontaires irlandais, » 1 600 ici, et là 1 100, paradent et défilent, armés, pour les deux tiers, de fusils, « du reste hétéroclites ; » ils font, de carrefour en carrefour, « une sorte de répétition de petite guerre. » Perquisitions et saisies d’armes, de munitions ou de manifestes, le 14 mars à Cork, le 22 et le 24 à Dublin; le 27 mars, ordre d’expulsion contre trois organisateurs delà fédération des volontaires, antérieurement arrêtés; le 16 mars, à Tullamore, le 31 à Dublin, meetings et conflits avec la police. Arrive le mois d’avril. Le i, à la conférence irlando-américaine de Londres, un ancien fenian, John Devey, presse les Irlando-Américains de lever un fonds de 1 million de dollars pour organiser une révolte en Irlande ; le 10, arrestation à Dublin de deux individus qui transportaient dans une automobile des fusils et des munitions ; le 23, à Currahane Strand, saisie d’un bateau submersible contenant une cargaison d’armes et de munitions. Sauf le petit courant de la surveillance quotidienne en temps calme, les autorités paraissent n’avoir opposé à tous ces préparatifs que leur flegme : en cela, il y a eu faillite partielle, défaillance de la fonction gouvernementale. Qui ne sait le prix auquel de tels abandons se paient? Meurtres, incendies, destructions, répressions, fusillades, déportations; au total, directement ou indirectement, des milliers de victimes. Après une semaine de lutte, l’insurrection est partout domptée, elle expire ; laissons-en aux journaux le récit circonstancié: ce qui nous intéresse, c’est beaucoup moins ce qu’elle a fait, et comment elle l’a fait, que pourquoi elle l’a fait ; autrement dit, c’est ce qu’elle a voulu être, c’est ce qu’on aurait voulu qu’elle fût. Et l’important, par-dessus l’intéressant, est d’identifier avec certitude, de personnifier ce vague, fugace et impersonnel « On. » Deux élémens se sont associés visiblement pour bouleverser l’île, s’ils l’avaient pu, et le deuxième est tout moderne : celui qui a établi, comme d’instinct, son quartier général à Liberty-Hall, à la Bourse du travail. C’est ce qu’on pourrait nommer l’élément, non pas proprement socialiste, mais syndicaliste, recruté parmi les ouvriers, en particulier des transports, et obéissant à James Gonnolly, naguère lieutenant de Jim Larkin, comme lui éminent « gréviculteur. » Mais le premier élément est connu, pour ainsi dire, de toute éternité, dans la suite séculaire et ininterrompue des agitations de l’Irlande. Il se qualifie maintenant de Sin-Fein, qualifie ses adeptes de Sinn-Feiners, ce qui assure-t-on, veut dire : « Nous-mêmes, » en gaélique. Ce serait donc le parti de l’autonomie, de l’indépendance, de la souveraineté irlandaise. — Fraction insignifiante de la nation, notait M. Louis Paul-Dubois dès 1907, et qui n’en est ni la plus éclairée, ni la plus recommandable ; exaltés, déclassés, rêveurs, gamins, mauvais sujets.
— Mais que les Sinn-Feiners soient ce qu’ils veulent ou ce qu’ils peuvent être, M. Jules de Lasteyrie, en 1865 et 1867, M. John Lemoinne, en 1848, ne s’exprimaient pas différemment, dans la Revue, sur le compte des « Fenians » ou de « la Jeune Irlande. » Les mots mêmes, les noms mêmes décèlent et étalent la parenté. Quel que soit le sens du gaélique Sin-Fein, les Sinn-Feiners rappellent les Fenians, qu’on rattachait, il y a cinquante ans, aux Feini, le plus méridional des trois peuples primitifs qui habitaient Erin ; et quant à ces Feini, on les faisait descendre ni plus ni moins que d’un certain Fenius,roi de Phénicie, qui aurait été le Francus de l’Irlande, le héros troyen que toute nation un peu fière se doit d’inscrire en tête de sa généalogie. Pour nous en tenir à une filiation plus certaine, les Sinn-Feiners se relient aux Fenians, qui continuaient la Jeune-Irlande, laquelle perpétuait les Irlandais-Unis, les Enfans-Blancs , les Enfansdu-Chêne, les Enfans-de-1’Acier, les Pieds-Blancs, les Pieds-Noirs. Le but ou l’objectif est le même. L’autre jour, Connolly, « commandant militaire des forces républicaines de Dublin, » grimpé sur le toit d’un tramway, harangua la foule en ces termes : « Concitoyens !
Nous avons conquis l’Irlande et occupé le siège du gouvernement.
Tous les Irlandais ont le devoir de nous aider, et en leur nom je proclame la République d’Irlande. » Aussitôt, symbolique ment, une grande affiche où flamboyait, en énormes caractères rouges : « Proclamation de la République irlandaise, » fut étendue, comme un drap, barrant le trottoir. La nouvelle République, — the Jrish Republic, — a son journal : Irish War News; il publie le communiqué du « général G. H. Pearse, commandant suprême de l’armée et président du Gouvernement provisoire, » qui vaut d’être conservé par curiosité : « La République irlandaise, disait le Bulletin, a été proclamée le lundi de Pâques, 24 avril, à midi. Simultanément, la division de Dublin de l’armée républicaine, y compris les volontaires irlandais de la milice citoyenne, occupait les positions dominantes de la cité. La bannière républicaine flotte sur le palais delà poste. » Mais combien de fois depuis la Révolution française, et même depuis la Révolution d’Amérique, cet étendard n’avait-il pas été déployé, combien de fois la République irlandaise proclamée ! Toujours en vain ; cette fois plus vainement que jamais.
Les personnages sont lés mêmes, c’est-à-dire que d’autres hommes, affublés des mêmes oripeaux, jouent le même rôle. Par génération spontanée, « les généraux » foisonnent. « On appelait général quiconque portait un revolver. » C’est un phénomène universellement constaté aux heures d’anarchie : le pavé des villes devient d’une fécondité incroyable ; il y pousse à vue d’oeil des chefs improvisés. Leur cas n’est pas exempt de quelque cabotinage : plus d’un prend son parti de monter plus tard sur l’échafaud, s’il monte d’abord sur le théâtre. La « Comtesse verte, » au moment de se rendre, l’autre jour, baisa dévotement la crosse de son browning.
Aussi le Crown security bill a-t-il jadis supprimé l’échafaud, et atténué en simple « félonie » la haute trahison. « 11 y aura, disait le solicitor général, un grand avantage à convertir la trahison en simple félonie, parce qu’il y a des gens qui commettent des crimes uniquement pour faire parler d’eux. C’est pour cela qu’on se jette du haut de la colonne. » Ce qu’on nous a conté des meneurs du Sin-Fein n’engage pas à corriger la rigueur de ce jugement.
Les procédés, les moyens sont les mêmes. Ce sont ceux de la guerre révolutionnaire, de la guerre de rue, qui n’exclut pas les plus abominables. L’autre semaine, Dublin a revu les flammes de cet enfer jaillir du soupirail et de la fenêtre. Le pétroleur, ou lapétroleuse, est, depuis longtemps, de toutes les Communes. Chacun, homme ou femme, récite sa théorie, son catéchisme du parfait insurgé : « bloquer les troupes dans leurs casernes, couvrir la ville de barricades, couper les chemins de fer. » La leçon de nos Journées parisiennes n’est pas perdue. L’organe de John Mitchell, Y United Irishman, a baptisé ces gentillesses : « Plan d’opérations à la mode française, French fashion. »
La conduite de l’affaire et sa fin sont les mêmes. On ne s’est pas plus caché, cette fois-ci, des autorités constituées que ne s’en cachaient les « confédérés » d’autrefois, lorsqu’ils avaient l’audace d’écrire « à Son Excellence le comte de Clarendon, espion général de Sa Majesté et suborneur général en Irlande » : « Il n’y a point de jour fixé pour la prise du château. Vous le saurez aussitôt que nous. Vous le fixerez vous-même. » Pareillement, ou parallèlement, les autorités d’autrefois ne s’en inquiétaient pas plus que ne se sont émues celles d’hier, au moins tant qu’elles n’eurent devant elles que des meetings et des revues : « Le gouvernement anglais assistait à ces ’grandes démonstrations verbales avec la plus désolante impassibilité. » Mais soudain des clubs remplacèrent ces grands meetings que dédaigneusement Wellington avait traités de « farces. » L’agitation irlandaise, de type oratoire et procédurier, telle que l’avait menée Daniel O’Connell, en maître et presque en roi, qui avait eu sa liste civile et à qui il n’avait manqué que la couronne, retournait à la conspiration de type classique. L’Irlande revenait à son vice invétéré, à sa vieille pratique des sociétés secrètes ; très peu secrètes, puisque les clubistes, par compagnies de vingt ou trente hommes, défilaient devant O’Brien, dans un champ près de Cork, sous le regard placide du lord-lieutenant. Alors, comme à présent, « les jeunes gens des clubs passaient leurs journées dans les tirs à la carabine ou à faire l’exercice avec la pique ; des convois d’armes, achetées en Angleterre même, arrivaient librement en Irlande. » La révolution préparait son règne par la terreur et désignait ouvertement dans chaque district ses futurs otages, qu’elle marquait, ses marked men. La seule différence entre autrefois et aujourd’hui, c’est qu’autrefois le gouvernement anglais s’éveilla, suspendit Yhabeas corpus, proclama la loi martiale, l’état de siège, et que lord Lansdowne et lord John Russell firent ainsi avorter le mouvement en le devançant; ce que M. Birrell et lord Wimborne n’ont pas fait l’autre jour, par une confiance excessive qu’ils vont racheter dans la retraite.
Le mouvement des Sinn-Feiners s’est déroulé exactement comme le mouvement des Fenians, et dans les mêmes lieux, quoique, cette fois, à cause des circonstances, il ait revêtu plus de gravité. La nuit du mardi 5 au mercredi 6 mars 1867, comme le lundi de Pâques 1916 à midi, le soulèvement avait été simultané à Dublin et dans les environs, à Drogheda, à Cork, dans quelques parties du Limerick, dans la partie du Tipperary au Nord des Galtees, et au Sud des mêmes montagnes, entre^le Black- Water et le Lee. Quarante postes de police avaient été attaqués sur cette étendue de soixante-dix lieues de longueur, de vingt ou trente lieues de largeur, sans qu’aucun poste de plus de cinq hommes eût été pris, sans qu’aucun rassemblement eût attendu l’approche d’une troupe quelconque. « Neuf chefs armés chacun d’un revolver se sont laissé mettre des menottes et ont pu être traînés en prison par quatre hommes de police. » Axiome à l’usage des constables et de la yeomanry : « Il est acquis qu’un soldat de police vaut cinquante fenians ; quatre hommes de police en ont battu deux cents ; quinze hommes de police en ont battu deux mille. » Le fenian, « prêt au martyre, » très excitable, enthousiaste, avait couru, pieds nus et tête nue, au rendez-vous dans la bruyère ; puis, le premier feu tombé, il s’était soumis. Cette fois, la résistance a été plus dure, mais également inutile : le bilan se liquide par des centaines de morts, auxquelles s’ajoutera une douzaine d’exécutions. Jamais les insurrections irlandaises n’ont tenu; et c’est peut-être ce qui, pour une part, explique l’optimisme serein du gouvernement britannique :il ne prend pas la peine de prévenir des désordres qu’il a si peu de peine à réprimer.
Les mobiles non plus, les têtes, les cœurs, les âmes n’ont pas changé. Pour les plus désintéressés, les plus sincères, les idéalistes, c’est toujours : « L’Irlande l’Irlande; l’Irlande à elle seule, avec tout ce qu’elle possède, depuis le gazon jusqu’au firmament. » Une poignée de républicains à l’antique peut bien rêver aussi d’une Irlande républicaine. Des socialistes ouvriers ou agraires peuvent bien construire en esprit une société irlandaise régénérée et heureuse après tant de siècles de misère. Mais, plus bas, il y a les autres. Comme en tout temps et en tout pays, il y a les pêcheurs en eau trouble. Il y a les affamés de notoriété et de pouvoir. Il y a les amateurs de bruit et de panache, ceux qui abritent des appétits derrière des systèmes, ceux qui tirent, surtout en l’air, des coups de pistolet. Il y a les fanatiques, les hypnotisés, les faiseurs, les dupes. Il y a ceux qui se dévouent, ceux qui s’inclinent, ceux qui se donnent, ceux qui se prêtent, et ceux qui se vendent. Il y a ceux qui travaillent pour la gloire, ceux qui travaillent pour la patrie, et ceux qui travaillent pour l’étranger. Les insurgés de la dernière semaine d’avril ont travaillé pour l’étranger, et pour quel étranger! pour le roi de Prusse. Cette révolte de l’Irlande n’a point du tout été irlandaise, mais allemande; elle n’a gardé d’irlandais que la forme; c’est un métal, un plomb allemand coulé dans le moule des révolutions irlandaises; la tentative de guerre civile n’était qu’un acte ou qu’une scène de la grande guerre européenne. Aucune question vraiment irlandaise n’était posée, ni même aucune espèce de question. Cela nous met à l’aise pour la condamner, sans étouffer l’écho que n’ont cessé d’éveiller chez nous, comme en Angleterre même, les justes plaintes de l’Irlande. Et cela nous fournit une occasion de faire deux réflexions : l’une, que, chaque fois que l’Irlande, par une campagne « pacifique et légale, » fût-elle de celles qu’on a définies « pacifiques, c’est-à-dire jusqu’à la dernière extrémité en deçà de la guerre ; légales, c’est-à-dire jusqu’à la dernière limite en deçà de la loi, » a été amenée à portée d’accomplir son vœu, des forcenés ou des insensés sont venus tout compromettre. Ainsi, contre O’ConnelI, s’était formée la Jeune Irlande, et contre M. John Redmond se dresse le Sin-Fein. L’autre réflexion, plus essentielle encore, c’est que, chaque fois que l’Angleterre a été engagée dans une guerre extérieure, ses ennemis se sont efforcés de déchaîner une révolte et d’opérer un débarquement en Irlande, sans que jamais aucun de ces projets ait abouti. L’Allemagne avait sous les yeux nos exemples de 1796 et de 1798; longtemps avant les nôtres, celui de l’Espagne; et le sien propre, l’expérience, qui date de plusieurs siècles, de Martin Schwartz, avec 2 000 lansquenets, allant à Dublin aider au couronnement du prétendant national Lambert Simnel, traversant le canal d’Irlande, et finalement déconfit à la bataille de Stoke-on-Trent. Tout entière à sa haine, elle n’a pas entendu l’avertissement.
La main de l’Allemagne, répétons-le, traîne partout en cette tragicomédie. Elle s’est glissée, depuis des années, dans l’université, dans les municipalités de Dublin et de Cork, avec les professeurs allemands de philologie celtique, Zimmer et Kuno Meyer. Dès le premier jour de l’insurrection, elle a tenu la plume qui a écrit la proclamation de James Connolly. C’est elle qui a rédigé, dans le premier numéro du journal Irish War News, le long article qui a pour titre : Si les Allemands conquièrent V Angleterre. C’est elle qui lance effrontément des dépêches de ce genre : « Verdun est tombé aux mains des Allemands; la Hollande a déclaré la guerre à l’Angleterre et la flotte britannique a perdu dix-huit bâtimens en un combat dans la mer du Nord ; » pendant exact à la pancarte exposée en face des tranchées anglaises sur l’Yser et annonçant un désastre britannique en Irlande. C’est elle qui promet l’appui de la « chevaleresque « et « victorieuse » Allemagne, car quelle autre main qu’une main allemande aurait pu, sans se dessécher, accoler à ce nom ces deux épithètes?
Elle est là, la main allemande, et elle y tricote, et elle y tripote,
comme elle tricote et tripote dans l’Afrique australe, aux États-Unis, dans les Indes néerlandaises. Le véritable sens de la Weltpolitik, n’est-ce pas : l’Allemagne partout, et se croyant chez soi chez les autres, avide de chasser les autres de chez eux? En Irlande, on ne peut pas dire qu’elle n’ait pas obtenu de résultat, bien que ce ne soit pas celui qu’elle cherchait. Elle a fait apparaître l’unité, l’unanimité de l’Empire britannique dans la guerre soutenue et à soutenir contre elle. Elle a donné l’argument décisif en faveur du service militaire obligatoire. Et, par là, si elle n’a pas fait de révolution en Irlande, elle a contribué, malgré elle, à en faire une en Angleterre. Elle a tacitement avoué que l’infiltration allemande crée ou entretient, à l’intérieur de chaque État, une constante et croissante menace, dans le moment même où elle est, vis-à-vis delà plus puissante des Puissances neutres, dans une position infiniment délicate. C’est le 4 mai seulement que le gouvernement allemand a remis sa prétendue réponse à la note américaine qui lui avait été signifiée le 20 avril. De ce document gratté et regratté, pendant quatorze jours, par des civils, des marins et des militaires, on n’est pas sûr encore d’avoir un texte authentique. Il en existe plusieurs variantes. II y en a, s’il est permis de s’exprimer ainsi, pour l’usage interne et pour l’usage externe, pour l’opinion allemande et pour le dehors. Il y a la version adoucie des radiotélégrammes et la version renforcée de l’Agence Wolff. La presse allemande, la plus savamment orchestrée 478 REVUE DES DEUX MONDES.
du monde, où chaque journal est chargé de tenir sa partie et joue sous le bâton du chef, les a, par surcroît, embrouillées de son mieux, enveloppées de fumée et de tapage. L’Allemagne manie ses gazettes comme elle manœuvre son artillerie lourde; elle s’en sert pour retourner le terrain, pour étourdir et pour affoler l’adversaire. Dans la dissertation signée de M. de Jagow, on distingue, à la loupe, les traces de deux tendances et les manières de cinq ou six collaborateurs. Non seulement le gouvernement impérial s’y montre préoccupé de faire deux visages : un visage farouche, inflexible, pour l’Allemagne même, un visage moins repoussant pour les États-Unis; mais on l’y sent déchiré, écartelé par des sentimens opposés, rage et crainte, peur et fureur, qui le tirent, comme des chevaux emportés, de contradiction en contradiction. La bouche gronde ou raille, l’œil appelle, et le tout fait un singulier mélange. C’est de la résignation poudrée d’impertinence, de la provocation avec « mille pardons, » le pour et le contre, le oui et le non en quatre cents lignes. « Devine si tu peux, et choisis si tu l’oses. » Si le Président Wilson aime les énigmes, il a eu de quoi s’exercer.
La « réponse » allemande commence par admettre ce que la chancellerie avait jusqu’ici contesté, avec dessins et croquis annexés : la possibilité que le navire mentionné dans la note du 20 avril comme ayant été torpillé par un sous-marin allemand soit effectivement le Sussex. C’est que l’enquête est là, et qu’elle est telle que, sur ce point, toutes les issues sont fermées. Mais, pour Berlin, ce n’est qu’un point de fait, un point de détail, un menu point, que le gouvernement impérial se refuse ’à laisser généraliser. Il n’accepte pas que les États-Unis le posent « comme un exemple des méthodes de destruction délibérée et sans discernement de navires de toutes provenances et de toute destination par les commandans de sous-marins allemands. » On lui fait injure : « Par égard pour les intérêts des neutres, » et au risque de procurer un avantage à ses ennemis, l’Allemagne adonné des ordres pour que la guerre sous-marine fût menée « selon les règles du droit international, qui s’appliquent à la visite, à la perquisition et à la destruction des navires de commerce. » Elle ne les « donnera » pas, elle les « adonnés. » Certes, il peut se produire des erreurs, qui peuvent produire des accidens. Mais qu’y faire ? Il faut être indulgent aux faiblesses humaines, et même inhumaines. « Certaines tolérances doivent être accordées dans la conduite de la guerre navale, contre un ennemi qui recourt à toutes sortes de ruses, qu’elles soient licites ou ne le soient pas. »
qui est des principes sacrés de l’humanité, — des principes, entendons-le bien, — l’Allemagne y attache autant de prix que personne. Tout le mal vient de l’Angleterre, et les États-Unis eux-mêmes ne sont pas sans reproche. Si les États-Unis avaient écouté l’Allemagne, ils auraient pu « réduire au minimum pour les voyageurs et les biens américains les dangers inhérens à la guerre navale. » Ils n’avaient qu’à obliger l’Angleterre, puisque l’Allemagne n’est pas maîtresse de la mer, à renoncer au blocus, à lui livrer le passage, à neutraliser complètement la mer. Ils n’avaient qu’à empêcher l’Angleterre « d’affamer des millions de femmes et d’enfans allemands dans le dessein avoué de contraindre à la capitulation les armées victorieuses des Puissances centrales. » L’indulgence, la partialité, l’injustice des États-Unis ont aggravé, par conséquent, « cette guerre cruelle et sanglante. » Il ne manquerait plus que, par leur faute encore, elle fût « élargie et prolongée ! » Cet horrible souci empoisonne la conscience de la triomphante Allemagne. Parce qu’elle est triomphante, rien ne lui interdit d’être généreuse. Et voici, peut-être, la phrase pour laquelle tout le reste est écrit : «Le gouvernement allemand, conscient de la force de l’Allemagne, a annoncé, deux fois dans l’espace des quelques derniers mois, qu’il était prêt à faire la paix sur une base qui sauvegardât les intérêts vitaux de l’Allemagne. » Ah! si les États-Unis le voulaient! Si le Président comprenait!… C’est là, bien plus que sa conclusion qui n’est pas une conclusion, ce qui mérite de subsister de cette réponse qui n’en est pas une. L’Allemagne s’abstiendra si… Elle donnera des instructions, pourvu que… Ergotage et verbiage, du vent. Mais écoutez ce cri, cet aveu, ou ce soupir : la paix! Diplomatiquement, la soi-disant réponse allemande n’est qu’un mémoire de procureur; psychologiquement, elle est une révélation. L’Allemagne et son Empereur sont pleins de précipices. A la lecture d’un si lourd et perfide, plat et cauteleux factum, M. Woodrow Wilson aurait eu le droit de réfléchir, et même d’hésiter. Quatre partis lui étaient offerts : céder, rompre, discuter, attendre. Les « gros malins » de la Wilhelmstrasse l’invitaient à une conversation, avec la Grande-Bretagne en tiers. En somme, ce qu’ils lui demandaient, c’était de renvoyer à l’Angleterre, comme à sa véritable adresse, la note des États-Unis au gouvernement impérial ; d’être auprès d’elle leur interprète, leur commissionnaire ; de renverser l’échelle des valeurs morales et de placer sur le même degré, de frapper de la même réprobation la guerre maritime conforme au droit et l’assassinat contraire à tout droit. Ils se flattaient de le pousser ainsi à se faire ou l’instigateur d’une querelle inique ou le médiateur d’une paix impossible. Impossible, même s’il fût entré dans le jeu: de quelque respect que soit entouré et de quelque crédit que jouisse le Président des États-Unis, il y a des choses qui dépendent de M. Wilson et des choses qui ne dépendent pas de lui. Il ne peut, à lui seul, sur la prière de l’Empereur, décréter une paix que personne ne veut, tant qu’elle se présente comme la paix allemande, tant que l’Allemagne n’a pas appris que vivre, ce n’est point manger autrui. Rien n’est (quelquefois, du moins) plus habile que l’honnêteté. La droiture de M. « Wilson l’a sauvé. Il a empoigné les deux branches du piège allemand, et il les a brisées entre ses doigts. Il prend l’Allemagne à son serment, attache à sa parole plus de prix qu’elle-même» met à l’impératif ce qu’elle amis au conditionnel. C’est convenu, c’est juré : les sous-marins allemands ne s’attaqueront plus aux neutres» épargneront, ménageront les non-combattans ; l’Allemagne fera ce qu’elle doit faire, quoi que fasse tel ou tel autre gouvernement belbgérant, et sans qu’elle ait à considérer ce que les États-Unis font ou ne font pas à l’égard de tel ou tel gouvernement : ils demeurent libres d’agir comme il leur convient, c’est l’Allemagne qui ne l’est pas de se conduire comme il lui plaît. « Sa responsabilité est personnelle, elle n’est pas conjointe, elle est absolue et non relative. » Nous voilà sortis de l’équivoque. M. Wilson a paré, il est gardé, il voit venir. Qu’est-ce qui vient? Ou nous n’avons jamais été aussi près de la rupture, ou l’Allemagne n’a jamais subi une si complète humiliation. Son attitude va donner la mesure de son usure. Regardons bien le dynamomètre.
Charles Benoist.
Le Directeur-Gérant,
René Doumic
Voir enfin:
Le deuxième bureau et les républicains irlandais, 1900-1904 : contacts, invasion et déception
Jérôme Aan de Wiel
p. 74-85
Introduction
1 Andrew (C.) & Dilks (D.) (eds.), The Missing Dimension: Government and Intelligence Communities in (…)
1En 1984, le professeur Christopher Andrew, spécialiste de l’histoire des services secrets britanniques, fit la remarque suivante : « Le renseignement a été décrit par Sir Alexander Cadogan, un éminent diplomate, comme étant « la dimension quasi-manquante dans l’histoire de la diplomatie ». Cette même dimension est aussi quasi-manquante dans l’histoire politique et militaire. Fréquemment, les historiens ont tendance soit à ne tenir aucun compte du renseignement, soit à le traiter comme quantité négligeable. (…) Les historiens inclinent à prêter trop attention aux preuves qui survivent et ne tiennent pas assez compte de ce qui n’a pas survécu. Le renseignement est devenu la « dimension quasi-manquante » en tout premier lieu parce que ses traces écrites sont si difficiles à obtenir. » 1 L’affirmation du professeur Andrew est particulièrement pertinente pour le sujet que l’on propose de traiter ici : les relations entre le deuxième bureau et les républicains irlandais entre 1900 et 1904, ou grosso-modo durant la guerre des Boers en Afrique du Sud.
2Un livre britannique, paru en 2001, traitant de l’impact international qu’eut la guerre des Boers sur les grandes puissances de l’époque, ne mentionne pas une seule fois, selon l’index, le nom de l’Irlande ce qui est bien surprenant dans la mesure où les nationalistes et séparatistes irlandais soutenaient ouvertement les Boers contre les Britanniques. Dans le chapitre consacré à la France, on lit que Théophile Delcassé, ministre des Affaires étrangères, estimait que cette guerre devait cesser 2. Mais, était-ce bien le cas ? Ou bien est-ce que Delcassé représentait les vues de tous les membres du gouvernement français ? C’est ainsi que les archives du Service historique de la Défense au château de Vincennes révèlent que le deuxième bureau, le service de renseignement militaire français, avait eu des contacts avec des républicains irlandais dans le but, semblerait-il, d’envahir ou de libérer l’Irlande afin d’encercler la Grande-Bretagne dont les soldats se trouvaient dans la lointaine Afrique du Sud. Dans un premier temps, ces contacts et plans de débarquement et d’invasion seront étudiés. Dans un second temps, il sera montré comment le service de renseignement britannique réagit face aux menaces françaises et comment l’Allemagne prit la place de la France au sein du mouvement républicain irlandais. Puis, en guise de conclusion l’on répondra à la question de savoir si l’invasion de l’Irlande avait été sérieusement envisagée par la France ou alors si ces plans ne constituaient en fait que des exercices militaires théoriques ou des opérations de reconnaissance de routine.
3Avant d’évoquer ces contacts entre le deuxième bureau et les républicains irlandais, partisans d’une séparation totale entre l’Irlande et la Grande-Bretagne, un bref rappel de la situation internationale est nécessaire. Les relations entre la France et la Grande-Bretagne étaient tendues. En 1898, eut lieu la crise de Fachoda dans la vallée du Nil lorsque l’expédition coloniale britannique sous le commandement du général Herbert Kitchener se heurta à la mission française du commandant Jean-Baptiste Marchand. Les Français durent se retirer et, bien qu’il ne soit pas certain que l’incident aurait pu mener à la guerre entre les deux pays, la presse nationale parla d’humiliation pour la France 3. Puis, la guerre des Boers éclata en Afrique du Sud. L’opinion publique française soutenait largement les Boers. Survint alors l’affaire Dreyfus et de l’autre côté de la Manche, l’opinion publique britannique était largement anti-française à tel point que l’ambassade de France à Londres dut être protégée et que les Français dans les rues étaient insultés 4. En Irlande, les Français étaient en bien meilleure posture. À cette époque, le Parti nationaliste irlandais luttait âprement pour l’obtention du Home Rule, l’autonomie, soutenu en cela par les nationalistes, en leur très grande majorité des catholiques, et s’opposant aux unionistes, en leur très grande majorité des protestants fiers de leur identité britannique. Les nationalistes prirent fait et cause pour les Boers. Il y avait des comités de soutien partout dans le pays. Le Quai d’Orsay, par exemple, reçut du comité du Transvaal de la ville de Cork une lettre adressée à « la grande République française », l’informant que bien que l’Irlande fût « cruellement persécutée », elle était toujours « du côté de la justice et de l’humanité » 5. L’ambassadeur de France rapporta que les députés nationalistes irlandais au parlement de Westminster à Londres se moquaient ouvertement des défaites britanniques en Afrique du Sud 6. Dans ces conditions, il n’était pas bien étonnant que l’attaché militaire français à Londres, le colonel Dupontovice de Heussey, suggéra à l’ambassadeur, Alphonse de Courcel, de financer secrètement les activités des nationalistes irlandais. Il écrivit : « Pourquoi ne pas essayer de contrecarrer les projets et plans de l’Angleterre en lui suscitant des embarras intérieurs ? » 7
4C’est exactement ce que fit le Quai d’Orsay. En effet, en 1899, Paul Cambon, le nouvel ambassadeur, reçut la visite « d’une personnalité importante du Parti nationaliste » dont il ne mentionna pas le nom. Le politicien était venu remercier Cambon de l’aide de la France et des sommes d’argent furent mentionnées. Puis, il proposa un plan d’alliance entre les États-Unis, où résidaient des millions d’Américains d’origine irlandaise, la France et l’Irlande. Le plan était bien sûr dirigé contre la Grande-Bretagne qui cherchait à ce moment-là à se rapprocher de l’Allemagne. Cambon envoya un rapport sur son entretien à Théophile Delcassé, le ministre des Affaires étrangères 8. On ne sait pas comment Cambon réagit à cette offre d’alliance. On ignore également la réaction de Delcassé. Mais dans son cas, on peut se livrer à la science de la conjecture sans trop prendre de risques. Il est très peu probable que Delcassé donna l’ordre à Cambon de s’intéresser de près à l’offre des nationalistes irlandais. En effet, le ministre des Affaires étrangères avait pris conscience du danger d’un éventuel rapprochement entre la Grande-Bretagne et les pays de la Triple Alliance (Allemagne, Autriche-Hongrie, Italie) 9, ce qui encerclerait la France. Selon lui, il était temps de négocier avec les Britanniques même si, pendant un cours instant, ces derniers semblaient effectivement vouloir opérer un rapprochement avec l’Allemagne. De plus, la France avait conclu une alliance militaire avec la Russie en 1892 dirigée contre l’Allemagne mais il était loin d’être sûr que ces deux pays pouvaient se mesurer à une alliance anglo-allemande 10. Delcassé était conscient de cette situation et, petit à petit, il commença à tourner les yeux vers la Grande-Bretagne comme une alliée potentielle, Fachoda ou pas. Au Quai d’Orsay, les nationalistes irlandais étaient mis sur liste d’attente pour ainsi dire.
5Cependant, contrairement aux diplomates, certains militaires français n’étaient pas prêts à envisager une entente ou une alliance avec la Grande-Bretagne. Pour eux, l’Irlande nationaliste restait toujours le meilleur moyen de déstabiliser les Britanniques. L’humiliation de Fachoda n’avait pas été oubliée, l’opinion publique française était belliqueuse, bref, le moment semblait idéal pour préparer une attaque contre la Grande-Bretagne dont l’armée s’enlisait en Afrique du Sud. Outre-Manche, la population ne comprenait pas pourquoi une armée de 450 000 hommes (sur une période de trois ans) n’arrivait pas à battre des bandes de Boers. Comme le gros des troupes était à l’étranger, l’opinion publique commença à croire que le pays était sans défense. Des rumeurs alarmistes concernant des invasions circulèrent rapidement. Les Britanniques pensaient que la France et la Russie seraient les envahisseurs 11. Bien qu’on puisse parler de psychose collective, les peurs du public n’étaient pas entièrement sans fondement et les rumeurs d’invasion française en Irlande ne circulaient pas seulement à Londres.
6À Paris, elles furent entendues par le comte Georg Münster zu Dernburg, l’ambassadeur d’Allemagne. Il envoya sans tarder un rapport au prince Bernhard von Bülow, le ministre des Affaires étrangères à Berlin. Bülow fut suffisamment intrigué pour demander l’opinion de son ambassadeur à Londres, le comte Paul von Hatzfeldt. Hatzfeldt ne fut pas alarmé et écarta de suite cette possibilité, estimant qu’elle n’était pas du tout réaliste 12. Il avait tort. La France avait un consul à Dublin mais pas d’attaché militaire. Pourtant les archives militaires à Vincennes révèlent que les Français envoyèrent une équipe de renseignement militaire en Irlande afin d’examiner plusieurs endroits de débarquement. De manière régulière, ces espions firent parvenir des rapports extrêmement détaillés au deuxième bureau à Paris. Ils contenaient des esquisses des défenses côtières britanniques, des cartes régionales, des études de topographie, des commentaires sur la qualité des routes, des analyses des activités de divers groupes nationalistes et unionistes, des analyses de l’opinion publique nationaliste et des estimations sur la qualité et la quantité des troupes britanniques stationnées en Irlande. Une de ces missions militaires dura une année entière 13. Les noms des officiers français et de leurs contacts irlandais ne furent jamais mentionnés. Néanmoins, des annotations et des tampons sur les documents prouvent que ces rapports furent envoyés au président de la République et à plusieurs ministres. La guerre des Boers suscita donc de nombreuses missions de reconnaissance en Irlande entre 1900 et 1904, leur but étant d’évaluer les possibilités d’invasion avec l’aide de républicains irlandais. La « libération » du pays par les troupes françaises conduirait à l’encerclement de la Grande-Bretagne. Ce fut un plan déjà envisagé lors des rebellions irlandaises avec l’appui de la France révolutionnaire en 1796 et 1798 14, excepté que cette fois-ci les Français pouvaient dépendre de leur propre service de renseignement et non pas des rapports d’indépendantistes irlandais.
7Les deux premiers rapports qui furent envoyés à Paris en 1901 étaient des estimations concernant les forces politiques en présence. Le deuxième bureau s’était intéressé de près à trois organisations nationalistes. Tout d’abord, il y avait le Cumman na nGaedheal, un groupement séparatiste qui ne croyait pas au Home Rule. Selon les agents français, le Cumman na nGaedheal enseignait aux habitants dans les campagnes de se tourner vers la France pour se débarrasser des Britanniques. L’organisation comptait 15 000 hommes. Puis, il y avait la ligue Gaélique dont le but était surtout le rétablissement de l’usage de la langue gaélique dans le pays. Bien que la ligue n’eût pas de but politique à proprement parler, les Français s’étaient aperçus que d’autres organisations nationalistes essayaient de la contrôler, ce qui était tout à fait exact. La ligue comptait à peu près dix mille membres. Finalement, il y avait aussi l’United Irish League, une organisation essentiellement agraire dont le but était de s’opposer aux grands propriétaires terriens anglo-irlandais et aussi d’obtenir le Home Rule. La ligue comptait 10 000 hommes et était en faveur des Boers en Afrique du Sud. Cependant, les agents français étaient d’avis qu’elle était trop britannique malgré tout, mais qu’on pouvait habilement la changer en une organisation vraiment séparatiste 15. Bien entendu, les agents du deuxième bureau s’étaient rendus compte que les Irlandais étaient non seulement divisés entre nationalistes modérés et nationalistes extrémistes, mais aussi entre nationalistes et unionistes.
8Les Français signalèrent dans leurs rapports l’existence de l’ordre d’Orange qui représentait « le parti anglais en Irlande ». Bien que l’ordre comptât le chiffre impressionnant de 50 000 hommes dans ses rangs, les Français furent loin d’être impressionnés. Selon les agents, la majorité d’entre eux étaient des ouvriers brutaux et violents de Belfast. Pour terminer, une estimation des troupes qui s’opposeraient à l’armée française avait été faite. La milice irlandaise disposait de 30 000 hommes mais le deuxième bureau estima que 15 000 à 20 000 d’entre eux pouvaient être retirés aux Anglais « dans les trois mois suivant le commencement des hostilités » 16. Le mot « hostilités » est frappant car il suggère que les espions étaient en fait en train de préparer le terrain. Cette impression allait être confirmée au fil des rapports, comme il va être montré. Selon les agents, ces 15 000 à 20 000 hommes étaient des nationalistes et beaucoup d’entre eux soutenaient les Boers. Ils s’étaient engagés dans la milice pro-britannique soit à cause de raisons financières, soit parce qu’ils avaient été soûlés par des sergents-recruteurs. Le deuxième bureau avait repéré les régiments pro-britanniques : les 3e, 4e, 5e et 6e bataillons des Royal Inniskilling Fusiliers, les 3e, 4e, 5e et 6e bataillons des Royal Irish Rifles et les 3e, 4e et 5e bataillons des Irish Fusiliers 17. Mais, si les Irlandais étaient divisés entre eux, les Français l’étaient aussi. Théophile Delcassé dirigeait la politique étrangère au Quai d’Orsay et il s’efforçait de maintenir l’alliance franco-russe, de détacher l’Italie de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie et d’opérer un rapprochement avec la Grande-Bretagne. Cette tâche était fort difficile dans la mesure où il servit dans cinq gouvernements différents entre 1898 et 1905 18. Néanmoins, il réussit à renforcer l’alliance militaire avec la Russie et simultanément à apaiser les tensions avec la Grande-Bretagne.
9Il y avait aussi un courant pro-britannique en France, et en Grande-Bretagne certains politiciens tels Joseph Chamberlain commencèrent à évoquer la possibilité d’une entente cordiale avec la France. Quelques traités entre les deux pays furent signés, notamment concernant l’Afrique. C’était le début du « système Delcassé » 19. Pourtant, certains au sein du gouvernement à Paris n’étaient pas en faveur d’un rapprochement avec les Britanniques car l’humiliation de Fachoda n’avait pas été oubliée 20. En fait, il n’y avait pas d’unité d’opinion, ce qui constitue une faiblesse importante pour l’élaboration d’une politique étrangère cohérente. De plus, il pouvait être extrêmement dangereux d’exprimer son opinion lors du conseil des ministres car durant une discussion particulièrement houleuse, le ministre de la Guerre tenta d’étrangler le ministre de la Marine 21 ! Il apparait que les Britanniques n’avaient pas trop à se soucier des Français mais plutôt des Allemands et de leur nouvelle flotte. Cependant, était-ce bien le cas ?
Invasion
10L’année 1902 semblait de bonne augure pour le deuxième bureau. La guerre en Afrique du Sud perdurait bien qu’il fût clair que les Boers ne vaincraient pas les Britanniques malgré les revers humiliants de ces derniers. Le 17 mars 1902, l’attaché militaire français à Londres envoya un rapport encourageant au gouvernement et au deuxième bureau à Paris. Il commença par dire que le roi Édouard VII, le nouveau monarque britannique, avait décidé d’annuler sa visite en Irlande, exaspéré par le fait que les trois quarts des paysans et presque tous les Irlando-Américains soutenaient ouvertement les Boers. Son rapport précisa que la situation dans le pays était extrêmement tendue. L’attaché militaire se demanda si la question irlandaise pouvait avoir des répercussions internationales sur l’Europe tôt ou tard. Sa réponse à sa propre question était « oui et non ». D’un côté, c’était « oui » car il pensait que la stratégie des séparatistes irlandais était d’encourager les Boers à persévérer dans leur lutte, le but étant d’épuiser les Britanniques. Si des troubles éclataient en Asie Centrale, en Afghanistan et en Perse où les Britanniques et les Russes étaient opposés, l’armée britannique serait, selon lui, dans une position désespérée. D’un autre côté, c’était « non » car il pensait qu’il y avait certains facteurs qui empêcheraient une rébellion à grande échelle d’avoir lieu en Irlande, rébellion qui aurait inéluctablement conduit à la défaite de la Grande-Bretagne sur la scène internationale. Il nomma deux facteurs importants : le manque d’argent et le manque d’armes parmi les républicains 22. Dans l’ensemble, le rapport de l’attaché militaire était une évaluation réaliste de la situation, évaluation qui incitait plutôt à la prudence. Un mois plus tard, en avril 1902, Paris reçut un autre rapport sur l’Irlande et les nouvelles étaient bonnes. En effet, le 3e bataillon du régiment des Munster Fusiliers était revenu d’Afrique du Sud. Ce bataillon était généralement plus connu sous le nom de South Cork Militia (la milice du sud de Cork).
11Lorsque le bataillon arriva à la caserne de la petite ville portuaire de Kinsale, il fut dissout car le régiment des Munster Fusiliers n’avait pas été exemplaire en Afrique du Sud. Selon l’agent français qui avait réussi à obtenir cette information, les soldats irlandais n’avaient jamais été envoyés au front et avaient été maintenus dans leur caserne pour faire des corvées sous la surveillance de détachements anglais 23. Peu de temps après, en septembre 1902, les agents du deuxième bureau à Dublin se virent remettre par des républicains un rapport très précis pour un débarquement français en Irlande. Il serait beaucoup trop long de l’évoquer en détail mais il est clair que les auteurs de ce plan de dix pages avaient minutieusement étudié les conditions sociales, politiques et militaires dans le pays. Selon eux, le meilleur endroit pour débarquer était la côte sud, plus précisément près des villes de Kinsale et Cork. Un premier débarquement d’une petite force aurait pour but de se diriger immédiatement vers l’ouest afin de créer un mouvement de diversion. Les stratèges escomptaient que l’armée britannique allait naturellement suivre les Français et leurs alliés irlandais dans cette direction. Un deuxième débarquement de 60 000 hommes, pas moins, aurait lieu peu de temps après, toujours à Kinsale et ses environs. Cette armée se dirigerait alors tout droit sur Dublin.
12Le plan donnait aussi les principaux objectifs à atteindre et une estimation des forces britanniques 24. Tout cela semblait être faisable en théorie, mais deux remarques viennent à l’esprit. Premièrement, il n’est pas évident que le port de Kinsale fût en mesure d’accueillir une armée de la taille envisagée et tout son matériel. N’oublions pas non plus le nombre de bateaux nécessaires pour une telle opération. Deuxièmement, les républicains n’avaient fait aucune mention de la Royal Navy. Peut-être pensaient-ils que c’était à l’amirauté française de régler ce détail ? Détail fort préoccupant du reste ! Il est vrai, bien sûr, que la marine française avait réussi à éviter la Royal Navy à deux reprises en 1796 et en 1798. Cependant, la Royal Navy du début du vingtième siècle, était-elle aussi puissante qu’on ne le prétendait ? La réponse semble être non. En effet, en 1889, après des manœuvres navales, la Royal Navy avait conclu qu’elle n’était pas en mesure de protéger efficacement la marine marchande britannique, essentielle à la survie du pays, contre une attaque de la flotte française. Ceci préoccupa les chefs du renseignement naval. Mais, il y avait pire. Douze ans plus tard, en 1901, les choses n’avaient pas évolué. L’amiral Lord Walter Kerr, chef de l’amirauté, ne voyait pas l’intérêt de faire des manœuvres navales afin de se préparer contre une éventuelle attaque allemande cette fois-ci. Il dit : « Ce n’est pas la peine de s’interroger sur ce qui pourrait se passer dans un avenir incertain ! » 25 L’avenir était effectivement incertain car en 1901 ce n’était pas du côté de la mer du Nord qu’il fallait regarder mais du côté de la Manche… Les choses n’allèrent vraiment pas en s’arrangeant car la stratégie de la Royal Navy demeurait remarquablement vague en cas de guerre, ce dont se plaignirent certains officiers. Lorsqu’en 1904, Sir John Fisher remplaça Kerr à l’amirauté, rien ne changea car la stratégie de Fisher se résuma par sa maxime préférée : « Frappez les premiers, frappez fort, et frappez partout. » 26 Si le renseignement militaire français avait été au courant de la situation de la Royal Navy, cela aurait pu encourager certains esprits à Paris de venger l’humiliation de Fachoda. Qu’en était-il de la défense de l’Irlande ? La situation peut être très succinctement résumée en un seul mot : désastreuse.
13Avant 1890, il n’y avait pas souvent de manœuvres militaires. En 1892, après quelques manœuvres, le général Garnet Wolseley écrivit au duc de Cambridge que l’artillerie avait perdu de nombreux canons à cause d’erreurs tactiques. Quant à l’infanterie, elle était éparpillée à travers tout le pays et ne savait quoi faire. La conclusion du général était que les officiers supérieurs avaient besoin de prendre des cours de stratégie ! 27 Autrement dit, en cas d’invasion, l’armée britannique ne ferait pas le poids. Une dizaine d’années plus tard, on en était toujours au même point. En 1901, le duc de Connaught, nouveau commandant en chef des armées britanniques en Irlande, écrivit au Lord Roberts : « Il y a, comme vous le savez, un manque très important en hommes en Irlande en ce moment précis et ceci est en soi un grand encouragement pour les ennemis de l’Angleterre. » 28 Sur ce, Connaught quitta son commandement pour un voyage en Inde de quatre mois… Pour finir, il y avait aussi pour le commandement britannique la question brûlante de savoir si on pouvait faire confiance aux troupes irlandaises dans l’armée en cas de guerre. Ceci préoccupa les généraux anglais jusqu’au début de la Première Guerre mondiale en 1914 29. Le deuxième bureau s’était rendu compte de ce problème 30.
14Quoi qu’il en soit, le deuxième bureau n’avait pas attendu le plan de débarquement des républicains irlandais comme le démontre un rapport rédigé en octobre 1902. En effet, durant l’été, les Français avaient étudié les meilleurs endroits possibles pour un débarquement dans le sud de l’Irlande. En fait, ils étaient plus ou moins arrivés aux mêmes conclusions que les républicains. Mais ils avaient repéré quatre points de débarquement : Ballycotton Bay, Courtmacsherry Bay, Kinsale Harbour et Oyster Haven. Ils envisagèrent un seul débarquement massif ou alors, au contraire, plusieurs débarquements simultanés, très probablement pour éviter un engorgement d’hommes et de matériel au même endroit. Ils soulignèrent que si Dublin était l’objectif final, Ballycotton Bay serait le meilleur endroit dans la mesure où des routes très proches menaient à Fermoy, Lismore et finalement à la capitale. Si la ville de Cork était l’objectif principal, alors pas seulement Ballycotton Bay mais aussi Courtmacsherry et Kinsale seraient les meilleures options 31. Il y avait encore un autre facteur très encourageant. Le nombre de soldats irlandais servant dans l’armée britannique était en forte baisse. En janvier 1900, il s’élevait à 37 316 hommes. En avril 1902, il avait baissé jusqu’à 16 837 hommes. Les Français avancèrent comme explication à cette baisse spectaculaire notamment l’influence de l’association Inghinidhe na hEireann, les filles de l’Irlande, fondée par les républicaines Maud Gonne et la comtesse Constance Markievicz. L’association soutenait le séparatisme et boycottait tout Irlandais qui s’enrôlait dans l’armée britannique 32. Il y avait aussi un autre facteur que les Français n’avaient pas mentionné : la peur de l’armée. Durant la guerre en Afrique du Sud, de nombreux jeunes décidèrent d’émigrer, convaincus que la conscription serait bientôt imposée afin de remplacer les pertes britanniques 33. Finalement, le rapport donna une précision des plus intéressantes : « Pour revenir à l’appui réel que trouverait un corps de débarquement dans le pays, je dois noter cette réponse qui nous a été faite chaque fois que, bien à l’abri sous une nationalité d’emprunt, nous interrogions une notabilité nationaliste quelconque sur les chances d’un débarquement franco-russe en Irlande : « si l’envahisseur veut être suivi, qu’il donne de suite aux Irlandais un uniforme, un armement, une organisation militaire et des cadres, même étrangers, l’on aura d’excellents soldats ».» 34
15Les Russes en Irlande… Était-ce une possibilité ? Il ne faut pas oublier qu’à cette époque il y avait des tensions entre la Grande-Bretagne et la Russie concernant l’Afghanistan, la Perse et le Tibet 35. Les Russes n’étaient pas les amis des Britanniques. Une coopération franco-russe en Irlande n’était alors pas si improbable que ça d’autant plus qu’en février 1901, Paul Cambon, à sa plus grande surprise, avait été informé par Théophile Delcassé que le « chef d’état-major [français] était à Petersbourg pour élaborer des plans de défense, non seulement contre l’Allemagne mais contre l’Angleterre » 36. Il est vrai qu’en juillet 1900, le général Pendezec, le chef d’état-major, s’était rendu en Russie pour s’entretenir avec son homologue russe, le général Sakharov. Pendezec avait suggéré le plan suivant : si la France était attaquée par la Grande-Bretagne, alors la Russie enverrait 300 000 hommes en Afghanistan afin de menacer la frontière de l’Inde, le joyau de l’Empire britannique ; si la Russie était attaquée, alors la France concentrerait 150 000 hommes sur sa côte du nord-ouest afin de menacer le sud de l’Angleterre. Les Russes avaient été d’accord 37. Mais en pleine guerre des Boers, l’on est en droit de se demander si ces plans n’étaient pas plutôt de nature offensive car on voit mal la Grande-Bretagne attaquer la France ou la Russie à ce moment-là. Par ailleurs, ce ne serait pas la première fois que la Russie impériale montrerait son intérêt vis-à-vis de l’Irlande. En effet, en 1885, William O’Brien, membre du Parti nationaliste, avait été sondé par un émissaire russe à Londres. L’émissaire voulait obtenir l’approbation de Charles Stewart Parnell, alors chef du parti, pour « une flotte russe de volontaires » afin de transporter 5 000 Irlando-Américains en Irlande et déclencher un soulèvement. Parnell n’avait pas été intéressé et avait répondu à O’Brien : « Le Russe échappera peut-être à la potence – mais pas toi ni moi. ».
16Certains Russes furent impliqués dans d’autres contacts avec les républicains irlandais, notamment aux États-Unis 38. Mais, les services secrets britanniques étaient au courant des relations occultes entre les Français, les Russes et les Irlandais. Comme nous l’avons vu, l’opinion publique française était largement en faveur des Boers. Des comités de soutien virent le jour comme, par exemple, le comité français des Républiques sud-africaines dans lequel étaient impliqués certains membres de l’Action française, tel Lucien Millevoye, journaliste ultra-nationaliste 39. Il n’était alors pas bien étonnant que des républicains irlandais vivaient à Paris et étaient actifs dans des cercles pro-Boers. Maud Gonne était l’une d’entre eux. Elle éditait également un bulletin nationaliste appelé L’Irlande Libre et était la maîtresse de Millevoye avant d’épouser le très républicain John MacBride, qui avait organisé une brigade de volontaires irlandais pour soutenir les Boers. La branche spéciale de la police irlandaise pro-britannique savait que MacBride et Gonne « travaillaient à Paris dans le but d’obtenir la permission du gouvernement français d’établir une brigade irlandaise dans cette ville » 40. Au début, Millevoye n’était pas particulièrement impressionné par les républicains. En 1896, il avait déclaré à Maud Gonne : « Tes révolutionnaires irlandais ne sont qu’un groupe de farceurs. » 41 Peut-être, mais c’était en 1896. Maintenant, il y avait une guerre en cours en Afrique du Sud. De leur côté, les Britanniques ne prirent aucun risque. La branche spéciale rapporta à Londres que Maud Gonne était parmi les « conspirateurs les plus dangereux » et qu’on devait la prendre en filature.
17Le ministère aux Affaires irlandaises ordonna au commandant Gosselin de la branche spéciale de trouver qui étaient les associés et correspondants de Gonne à Paris et ailleurs sur le continent, et également de trouver d’où venait l’argent pour financer ses activités. Gosselin alla voir Sir John Ardagh du renseignement militaire britannique qui lui confia qu’il avait un indicateur auprès de Gonne. Gosselin remarqua qu’il ne croyait pas que les gouvernements français et russe finançaient les républicains irlandais. Mais Ardagh n’en était pas si sûr et répondit : « Oui, cela est parfaitement exact en ce qui concerne le gouvernement russe, le Tsar et son Ministre des Finances, mais vous devez garder à l’esprit qu’il y a plusieurs fonds pour les services secrets russes et qu’ils agissent tous de manière indépendante. Par exemple, le département militaire peut parfaitement faire des dépenses sans que le Tsar ne le sache. » 42 Lors de la conversation, Gosselin apporta une précision intéressante. Il dit qu’un homme appelé Raffalovich de l’ambassade russe à Paris avait « une sœur qui était mariée avec un agitateur irlandais bien connu ». Ardagh répondit qu’il le savait et dit : « Oui, je connais bien cet homme – un juif polonais et un ennemi juré de l’Angleterre. » 43 L’agitateur en question n’était personne d’autre que William O’Brien, l’ancien bras droit de Parnell qui avait été contacté par cet émissaire russe à Londres en 1885. Sa femme était Sophie Raffalovich qui l’avait aidé financièrement dans ses campagnes politiques en faveur du Home Rule.
18Cependant, les plans établis par les républicains irlandais et le deuxième bureau avaient un point faible commun : ils n’évoquaient pas l’aide que devrait apporter, bien évidemment, la marine française. Or, il n’y avait pas vraiment de stratégie commune entre la marine et l’armée en France. Les navires n’étaient pas des plus modernes et de plus, comme pour la Royal Navy, la Marine nationale souffrait de désorganisation. Le ministère de la Marine ne disposait même pas d’un état-major pour étudier des plans de guerre. Il faudra attendre 1902 pour que cela soit le cas. En fait, pour la période qui nous concerne, la marine était en phase de restructuration 44. Les archives du département marine du Service historique de la Défense à Vincennes ne contiennent pas de plan de soutien aux plans du deuxième bureau.Malheureusement pour ces militaires et politiciens français qui brûlaient d’impatience de prendre leur revanche sur la Perfide Albion après Fachoda, le roi Édouard VII décida de tendre la main à l’amitié à la France.
Déception
19Le 1er mai 1903 fut le commencement d’un bouleversement dans les relations internationales en Europe qui frappa de plein fouet l’Irlande nationaliste. Le roi d’Angleterre, Édouard VII, arriva en France pour une visite d’ État. Juste avant son arrivée, l’ambassadeur d’Allemagne à Paris écrivit au prince von Bülow, maintenant chancelier à Berlin : « Plus se rapproche la visite du Roi Édouard, plus les journaux français s’opposent au rapprochement [franco-britannique]. » 45 À première vue, cela semblait bien être le cas car le roi se fit copieusement conspuer et siffler par la foule parisienne qui scanda : « Vive Marchand ! », « Vive les Boers ! ». Mais Édouard VII avait un sens inné de la diplomatie et était un expert en ce que l’on appelle aujourd’hui les relations publiques. Il réussit à changer un climat de franche hostilité en un climat de franche amitié et admiration. « Vive le Roi ! », crièrent les Parisiens à son départ… Le rapprochement franco-britannique était en phase de réalisation, créant la consternation en Allemagne. Quelles furent les raisons de ce changement en relations internationales ? Brièvement, Londres appréhendait la nouvelle politique navale de l’empereur Guillaume II et son amiral Alfred von Tirpitz, capable de menacer directement la Grande-Bretagne et son empire. Petit à petit, l’opinion publique britannique devenait de plus en plus germanophobe. Ceci pava la voie pour l’Entente Cordiale, qui fut signée par la France et la Grande-Bretagne le 8 avril 1904.
20Cette Entente n’était pas à proprement parler une alliance militaire mais il était évident que les deux pays allaient coopérer. Pour les républicains irlandais, ce fut un sérieux revers. Il leur fallait maintenant trouver une autre puissance étrangère susceptible de les aider. Cette puissance allait être l’Allemagne. En 1909, le journal irlandais Kilkenny People rapporta que John MacBride espérait que si les Allemands envahissaient la Grande-Bretagne, ils enverraient aussi 100 000 fusils et de l’artillerie en Irlande pour la libération du pays 46. Cette collaboration entre les républicains et les Allemands allait aboutir au soulèvement de Pâques à Dublin en avril 1916.
21Un incident mineur mais en fait très représentatif du changement d’attitude des Français vis-à-vis des nationalistes et républicains irlandais eut lieu à Fontenoy en Belgique, un endroit extrêmement symbolique de l’amitié franco-irlandaise. C’était ici qu’en 1745 le maréchal de Saxe à la tête de l’armée française vainquit les troupes des alliés anglais, autrichiens et néerlandais sous le commandement du duc de Cumberland. La victoire française n’eut lieu qu’à la fin de la bataille lorsque les régiments d’exilés irlandais au service du roi Louis XV chargèrent les Anglais. Depuis lors, Fontenoy était devenu un haut lieu de la culture nationaliste irlandaise et il y avait des commémorations tous les ans avec la participation d’Irlandais mais aussi de Français. Mais depuis la signature de l’Entente Cordiale, Fontenoy était soudainement devenu un embarras diplomatique pour Paris. Le 3 août 1907, le consul de France à Tournai envoya un rapport sur la commémoration annuelle à l’ambassadeur le comte d’Ormesson à Bruxelles. Il souligna que des nationalistes avaient l’intention d’inaugurer un monument dédié à la bataille et aux soldats irlandais tombés. Il s’agissait d’une croix celtique que l’on voit toujours aujourd’hui au centre du village. Il rappela à l’ambassadeur qu’André Géraud du Quai d’Orsay, spécialiste des affaires irlandaises, avait conseillé aux citoyens français de ne plus participer aux cérémonies de Fontenoy. Il écrivit : « C’était à l’époque de la visite du Roi d’Angleterre en France, en vue de l’Entente Cordiale, et la réserve de M. Géraud paraît [?] avoir d’autant mieux inspiré qu’en fait la manifestation fut une démonstration essentiellement anglophobe. » Quelques jours plus tard, d’Ormesson répondit que les consignes de Géraud devaient être maintenues 47. Les nationalistes irlandais eux-mêmes, d’ailleurs, avaient remarqué ce changement d’attitude chez les autorités françaises. Anatole Le Braz, écrivain breton, s’était rendu en Irlande en avril-mai 1905 et avait pu constater l’importance du souvenir de la bataille de Fontenoy dans les milieux nationalistes. Il rapporta l’anecdote suivante. Apparemment, le maire de Dublin avait invité le consul de France à assister à une commémoration de la bataille. Gêné, le consul répondit qu’il ne pouvait accepter de peur d’offenser la Grande-Bretagne, ce à quoi, le maire répliqua : « Oui, si l’Angleterre vous avait invité à assister à la commémoration de Waterloo, vous y seriez allé… » 48
Conclusion
22Finalement, il convient de répondre à la question suivante : en fin de compte, est-ce que ces plans de débarquement et d’invasion de l’Irlande étaient sérieux ou alors faisaient-ils partie d’opérations de reconnaissance menées régulièrement par le deuxième bureau ou constituaient-ils des exercices militaires théoriques ? Il y a des indices. En ce qui concerne les militaires français, ils perdirent tout intérêt dans les républicains irlandais immédiatement après la signature de l’Entente Cordiale en 1904. Ceci est très clair dans les archives militaires à Vincennes comme le montre le manque soudain de papiers concernant l’Irlande. En effet, il n’y a plus de document intéressant jusqu’en 1912 environ, année à partir de laquelle on semble se diriger vers une guerre civile entre paramilitaires nationalistes et unionistes à cause du Home Rule. En outre, il semble peu probable que des agents français se soient donné tant de peine dans leurs missions en Irlande pour de simples missions de reconnaissance ou d’exercices théoriques. De plus, des enquêtes concernant la possible réaction du peuple irlandais à un débarquement franco-russe incitent à penser qu’une invasion était sérieusement étudiée. Tout ceci peut constituer la preuve que certains militaires et politiciens français avaient bel et bien flirté avec l’idée d’attaquer la Grande-Bretagne pendant la guerre des Boers. L’occasion était trop belle de porter le coup de grâce à un rival colonial puissant et d’essuyer l’affront de Fachoda. Mais, du côté français, les documents semblent manquer pour étayer cette thèse de manière qui ne laisse aucun doute. Peut-être n’ont-ils jamais existés d’ailleurs.
23Comme l’a dit le baron Hermann Speck von Sternburg, l’ambassadeur d’Allemagne à Washington au début du XXe siècle qui était en contact avec des groupements républicains irlando-américains : « [Il y a des renseignements] dont il vaut mieux parler plutôt que d’écrire. » 49 Pas de preuve absolue alors ? Peut-être pas du côté français, mais qu’en est-il du côté britannique ? C’est ainsi que les archives nationales à Londres contiennent un document extrêmement révélateur. Le commandant Gosselin de la branche spéciale avait réussi à infiltrer le Clan na Gael, une organisation républicaine irlandaise aux États-Unis. En décembre 1900, un de ses agents avait assisté à une réunion secrète à laquelle participait John MacBride qui venait d’arriver d’Afrique du Sud en passant par Paris. Voici ce que l’agent britannique rapporta : « Dans son discours aux divers camps [du Clan na Gael] rassemblés dans des réunions secrètes, McBride [sic] fit allusion aux sentiments de la France et mentionna que récemment il avait été présenté au ministre principal [sic] du gouvernement à Paris par un député bien connu. La question que lui posa le ministre était ce que les Irlandais seraient prêts à faire dans, par exemple, six mois, ou alors quand ce pays [la France] aurait recours à eux. C’est ça, continua McBride [sic] que je suis venu vous demander ici pour que je puisse montrer au ministre ce que nous pouvons faire. » 50
24Le « député bien connu » dont parla MacBride fut probablement Lucien Millevoye. Quant au « ministre principal », terme ambigu, MacBride semble avoir fait allusion au président du Conseil, dans ce cas-ci, vu la date, René Waldeck-Rousseau. Certes, il apparait peu crédible qu’un ultranationaliste de droite comme Millevoye, si cela avait été lui, ait eu des relations occultes, pour ainsi dire, avec Waldeck-Rousseau, un politicien de gauche. Seulement voilà, le document de la branche spéciale cadre tout à fait dans la logique des choses et complémente ceux du deuxième bureau trouvés aux archives militaires à Vincennes. N’oublions pas non plus que l’ambassade d’Allemagne à Paris avait eu vent de l’affaire. Il s’agit donc bien de la « dimension quasi-manquante » dont parle à très juste titre le professeur Christopher Andrew.
Notes
1 Andrew (C.) & Dilks (D.) (eds.), The Missing Dimension: Government and Intelligence Communities in the Twentieth Century, London, Macmillan, 1984, p. 1-2.
2 Venier (Pascal), “French foreign policy and the Boer War” in Keith Wilson (ed.), The International Impact of the Boer War, Chesham, Acumen, 2001, p. 65-78.
3 Bell (P.M.H.), France and Britain, 1900-1940 ; entente and estrangement, London, Longman, 1996, p. 9-10.
4 Villate (Laurent), La République des diplomates ; Paul et Jules Cambon, 1843-1935, Paris, Science Infuse, 2003, p. 216 et 213.
5 AMAE, correspondance politique et commerciale 1897-1918, nouvelle série, Transvaal-Orange, no 11, consulat de France à Dublin au Quai d’Orsay, 18 novembre 1899.
6 Ibid., vol. 22, Paul Cambon à Théophile Delcassé, le 11 mars 1902.
7 Guillen (Pierre), L’expansion, 1881-1898, Paris, Imprimerie nationale, 1985, p. 283.
8 AMAE, Grande-Bretagne, politique intérieure, question d’Irlande, 1897-1914, vol. 4, p. 47, Paul Cambon à Théophile Delcassé, le 10 juin 1899.
9 Villate, La République des diplomates, p. 217.
10 Bell, France and Britain, 1900-1914, p. 14-15.
11 Andrew (Christopher), Secret Service; the making of the British intelligence community, London, Heinemann, 1985, p. 34.
12 Hünseler (Wolfgang), Das Deutsche Kaiserreich und die Irische Frage, 1900-1914, Frankfurt am Main, Peter Lang, 1978, p. 119 et note de bas de page no2, p. 119.
13 SHD/DAT, 7 N 1230, attachés militaires, chemise 6, rapport du 30 septembre 1903.
14 Murphy (John A.) (ed.), The French are in the Bay: the expedition to Bantry Bay, 1796, Cork, 1997.
15 SHD/DAT, 7 N 1230, attachés militaires, chemise 3, rapports des 15 octobre 1901 et 20 novembre 1901.
16 SHD/DAT, 7 N 1230, attachés militaires, rapport du 20 novembre 1901.
17 SHD/DAT, 7 N 1230, attachés militaires, rapports des 15 octobre 1901 et 20 novembre 1901.
18 Bell, France and Britain, 1900-1914, p. 24.
19 Allain (Jean-Claude), « L’affirmation internationale à l’épreuve des crises (1898-1914) », Jean-Claude Allain (et al.), Histoire de la diplomatie française, Paris, Perrin, 2005, p. 686, p. 688, p. 696-697 et p. 701.
20 Milza (Pierre), Les relations internationales de 1871 à 1914, Paris, Armand Colin, 2003, p. 118.
21 Kiesling (Eugenia C.), “France”, in Richard F. Hamilton & Holger H. Herwig (eds.), The Origins of World War I, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, p. 260-262 & footnote 150 p. 262.
22 SHD/DAT, 7 N 1230, attachés militaires, chemise 5, rapport du 17 mars 1902.
23 SHD/DAT, 7 N 1230, attachés militaires, rapport du 18 avril 1902.
24 SHD/DAT, 7 N 1230, attachés militaires, rapport du 20 septembre 1902.
25 Gooch (John), “The weary titan: Strategy and policy in Great Britain, 1890-1918”, Williamson Murray, MacGregor Knox, Alvin Bernstein (eds.), The Making of strategy; Rulers, states and war, Cambridge, Cambridge University Press, 1994, p. 285-286.
26 Ibid., p. 286.
27 Muenger (Elizabeth A.), The British military dilemma in Ireland; occupation politics, 1886-1914, Lawrence, University Press of Kansas, 1991, p. 24.
28 Ibid., p. 112.
29 Ibid., problème traité à travers cet ouvrage.
30 SHD/DAT, 7 N 1230, attachés militaires, chemise 3, rapport du 20 novembre 1901 et chemise 7, rapport du 18 avril 1902 ; 7 N 1231, chemise 5, rapport du 2 mars 1902.
31 SHD/DAT, 7 N 1230-1231, attachés militaires, chemise 3, rapport du 27 octobre 1902.
32 Idem.
33 Maume (Patrick), The Long Gestation; Irish Nationalist Life 1891-1918, Dublin, Gill and Macmillan, 1999, p.28.
34 SHD/DAT, 7 N 1231, attachés militaires, chemise 5, rapport du 27 octobre 1902.
35 Milza, Les relations internationales de1871 à 1914, p. 123.
36 Villate, La république des diplomates, p. 197-198.
37 Allain, « L’affirmation internationale à l’épreuve des crises (1898-1914) », p. 691.
38 Campbell (Christy), Fenian Fire. The British Government Plot to Assassinate Queen Victoria, London, Harper Collins, 2003, p. 159.
39 Lugan (Bernard), La Guerre des Boers, 1899-1902, Paris, Perrin, 1998, p. 224-252.
40 National Archives (Dublin), “Chief Secretary’s Office, Crime Branch Special 1899-1920”, no 23489/S, rapports des 03/12/1900 & 14/09/1900.
41 McCracken (Donal P.), MacBride’s brigade; Irish Commandos in the Anglo-Boer War, Dublin, Four Courts Press, 1999, p. 78.
42 Public Record Office (Londres maintenant appelé National Archives) ; CO904/202/166A, Maud Gonne’s file, rapports des 30 octobre 1900, 14 novembre 1900, 20 novembre 1900 et résumé non-daté des activités de Maud Gonne, p. 131.
43 Ibid.
44 Doise (Jean) et Vaïsse (Maurice), Diplomatie et outil militaire, Paris, Imprimerie nationale, 1987, p. 120-126.
45 Guiffan (Jean), Histoire de l’anglophobie en France, Rennes, Terre de Brume, 2004, p. 156-157.
46 Hünseler, Das Deutsche Kaiserreich und die Irische Frage, 1900-1914, p. 124-125.
47 AMAE, Grande-Bretagne, politique intérieure, question d’Irlande, 1897-1914, vol. 4, Bossuet à d’Ormesson, le 3 août 1907 et Quai d’Orsay à Bossuet, le 10 août 1907.
48 Le Braz (Anatole), Voyage en Irlande, au Pays de Galles et en Angleterre, Rennes, Terre de Brume, 1999, p. 147-148. L’auteur remercie le professeur Jean Guiffan pour cette précision.
49 Morris (Edmund), “A matter of extreme urgency: Theodore Roosevelt, WilhelmII, and the Venezuela Crisis of1902 – United States-Germany conflict over alleged German expansionistic efforts in Latin America”, The Naval War College Review, spring 2002, http://www.findarticles.com (consulté le 4octobre2004).
50 Public Record Office (National Archives, Londres), CO904/208/258, dossier MacBride, rapport du commandant Gosselin, le 2 janvier 1901, concernant la réunion du Clan na Gael du 16 décembre 1900.
Jérôme Aan de Wiel
Docteur en histoire, il est actuellement professeur associé au département d’histoire à l’université de Cork en Irlande. Il a notamment publié : The Catholic Church in Ireland, 1914-1918: War and Politics (Dublin : Irish Academic Press, 2003) et The Irish Factor, 1899-1919; Ireland’s strategic and diplomatic importance for foreign powers (Dublin: Irish Academic Press, 2008).