
Dans les quartiers ou banlieues pauvres, beaucoup de familles « méritantes » pouvaient envoyer leurs enfants dans de meilleures écoles ou collèges que ceux de leur environnement immédiat. Parfois même au lycée, assez élitiste avant 1939. Avec la carte scolaire, la chose devenait beaucoup plus difficile. On aurait voulu contenir les pauvres dans des écoles pour pauvres et éviter que les enfants de familles « convenables » ne soient mêlés à ceux des « classes dangereuses », qu’on n’aurait pas pu mieux s’y prendre ! Quand, aux USA, on voulut s’attaquer à la ségrégation de fait, on imposa le « busing », qui est tout le contraire de la carte scolaire ! Pierre Barrucand
A l’heure où, campagne oblige, les candidats font mine de découvrir le secret de polichinelle de l’aberration sociale que constitue la carte scolaire (je mets au défi quiconque de me trouver un seul avantage* de ce vestige digne des plus beaux jours de la feue Union soviétique), il faut lire cet intéressant commentaire sur le site libéral « Les 4 vérités ».
En effet, pouvait-on imaginer, au moment où l’Amérique découvrait la déségrégation et le « busing« , mesure plus abjecte que ce pur produit d’une bureaucratie devenue folle et qui, redécouvrant les vertus supposée de l’apartheid scolaire (« separate but equal »), réussissait l’exploit de cadenasser, au nom de leur intérêt prétendu, les plus démunis dans leurs ghettos ?
Pire encore, peut-on imaginer plus grande absurdité que l’entêtement avec lequel la gauche se cramponne, 43 ans après, à une disposition aussi ségrégationniste et inégalitaire (puisqu’au pays du passe-droit – voir ci-dessous – elle est systématiquement tournée par les plus favorisés) et… dont elle n’était même pas à l’origine ?
* Le site des « jeunes socialistes » nous gratifie, lui, d’un merveilleux sophisme: « Ce mécanisme permet en principe de lutter contre la ségrégation sociale puisque le critère d’affection ne tient pas compte de la fortune des parents mais de leur lieu d’habitation ». Comme si… « lieu d’habitation » et « fortune des parents » n’avaient rien à voir. Sans parler de la possibilité, par définition inégalement répartie, d’ « acheter un logement dans la bonne zone » (et donc de se payer par exemple les 10% de surcote immobilière du quartier déjà hors de prix jouxtant le meilleur établissement de France: Henri IV, en plein centre historique de Paris, juste à côté, Place du Panthéon, de chez… le leader de la classe ouvrière bien connu Laurent Fabius!) ou d’ « avoir les relations suffisantes ».
Carte scolaire et ségrégation sociale
Pierre Barrucand
Les 4 vérités
le 20 septembre 2006
La carte scolaire ne fut inventée, ni par la IIIe ni par la IVe République mais seulement en 1963. Le ministre, très contesté, était Christian Fouchet. Son but, se voulant louable, était d’accroître la mixité sociale. Mais toute réforme entraîne toujours peu ou prou des « effets pervers ». Mais dans ce cas, il y a eu subversion totale du but initial, car ce qui fut accru, voire parfois totalement réalisé, a été une forme de ségrégation sociale, voire raciale.
Dès le début, la chose était prévisible. Car ni en 1900, ni en 1960, les enfants d’Aubervilliers ou de Romainville n’étaient ceux de Neuilly ou de Passy ; même à Paris, ceux de Belleville n’étaient pas ceux d’Auteuil. Toutefois, dans les quartiers ou banlieues pauvres, beaucoup de familles « méritantes » pouvaient envoyer leurs enfants dans de meilleures écoles ou collèges que ceux de leur environnement immédiat. Parfois même au lycée, assez élitiste avant 1939.
Avec la carte scolaire, la chose devenait beaucoup plus difficile. On aurait voulu contenir les pauvres dans des écoles pour pauvres et éviter que les enfants de familles « convenables » ne soient mêlés à ceux des « classes dangereuses », qu’on n’aurait pas pu mieux s’y prendre !
De plus, depuis 1963, un phénomène nouveau s’est développé : la ghettoïsation de trop nombreuses localités due à l’afflux d’immigrés d’origine musulmane et aggravée par le retrait progressif des « Gaulois » (soyons corrects, ne parlons pas de Français de souche !) qui constatent la difficulté de la coexistence, augmentant ainsi une forme douce de purification ethnique ou, plutôt religieuse, à la grande satisfaction des wahhabites et des salafistes d’une part, et, d’autre part, d’une minorité de jeunes délinquants agressifs : la « caillera » (ne parlons pas de racaille !).
Les résultats sont le développement de la violence scolaire qui obère la qualité de l’enseignement, les lourdes pressions sur les femmes pour qu’elles se voilent, voire mènent une vie recluse, l’abaissement du pourcentage de mariages « mixtes » et un chômage massif.
Or, il y a beaucoup de jeunes « issus de l’immigration » qui désirent s’intégrer, travailler, poursuivre des études, notamment des filles désireuses d’échapper aux violences de la « caillera » ou aux pressions des intégristes, et de connaître un autre monde que celui, étouffant, de ces lieux. Et cela, la perverse carte scolaire ne le permet guère, renforçant ainsi le phénomène de ghettoïsation.
Quand, aux USA, on voulut s’attaquer à la ségrégation de fait, on imposa le « bussing », qui est tout le contraire de la carte scolaire ! Les inconvénients étaient réels, mais la méthode fut assez efficace. Dans la mesure où la gauche se veut réellement (?) en faveur des plus démunis, elle devrait exiger en priorité la suppression totale de cette maudite carte ségrégationniste. Or, Razzye Hammadi, leader autocratique du MJS (les « jeunes socialistes ») déclare : « Abandonner la carte scolaire, c’est mettre en ordre l’injustice » ce qui, on le voit, est « hénaurme ».
, cet homme d’origine purement nord-africaine, est issu d’une famille modeste. Alors ? Désire-t-il accroître ségrégation et ghettoïsation ? Et pourquoi ? La chose est peu vraisemblable et serait très inquiétante. Une autre explication est plus probable et médiocre : Ségolène Royal ayant proposé une timide réforme, constatant l’injustice du système, mais surtout contrariant les ambitions de certains « éléphants » usés et vieillis auxquels elle taille des croupières, Hammadi se veut à une avant-garde agressive de la protection de ceux-ci, et entend multiplier contre elle toutes sortes de provocations et d’agressions, conforme en cela à la tradition d’une certaine extrême-gauche. Nostalgie ?
Et cela illustre l’extrême médiocrité intellectuelle d’un PS qui n’a plus aucune idée neuve, ce qui n’était pas le cas, il y a quelques décennies, quoi que l’on pense de ces idées. Il n’est plus guère qu’un appareil électoral, un parti attrape-tout unissant un « conservatisme » qui est en fait un misonéisme fondamental, refus de tout changement, à un verbalisme creux.
À sa gauche, existent des forces « altermondialistes » qui ont, elles, quelques idées, même si fausses ou dangereuses, et qui ont de moins en moins de sympathies pour lui.
Voir aussi le petit vademecum de la triche concocté par Libération qui réussit la prouesse, lui, de présenter le choix du privé comme une des options possibles du… « ruser en toute légalité »:
Ces parents qui s’adonnent à la triche
Tour d’horizon des astuces pour scolariser les enfants dans l’établissement souhaité.
Olivier Bertrand (à Lyon), Ludovic Blecher, Salomé Legrand
Libération
6 septembre 2006
«Bonjour, connaissez-vous des moyens pour éviter son collège de rattachement géographique ? Et, selon vous, est-ce la solution de fuir les collèges réputés difficiles ?» Des questions comme celles-là, il y en a des centaines sur les forums de discussion en ligne. Espérant tirer profit des récits des autres, les parents sont de plus en plus nombreux à mutualiser leurs expériences pour affiner les ruses qui permettent de scolariser leurs enfants dans les établissements de leur choix.
«Tâche». La plupart du temps, c’est pour éviter un «environnement difficile» qu’ils se démènent. Et parfois dès le plus jeune âge. En témoigne cette réponse glanée sur l’Internet : «Notre fils de 3 ans et demi ans devait faire sa rentrée dans une maternelle située en ZEP. […] Vu le caractère de notre loulou, ce ne serait pas lui faciliter la tâche que de débuter sa scolarité dans un environnement difficile. Pour avoir une dérogation, il faut justifier d’un frère ou d’une soeur dans un autre établissement, d’une nounou à proximité ou d’un travail proche de l’établissement où tu souhaites l’inscrire. Et, si tu ne bosses pas, pourquoi ne pas tricher pour essayer d’avoir une fausse promesse d’embauche ? Dans les mairies, ils ne prennent pas la peine de vérifier si tous les parents ont un emploi effectivement proche de l’école souhaitée.»
Parfois, c’est au piston que ça se passe. «C’est le maire qui décide, explique Mafaldita. Ma nièce est scolarisée dans la commune où ma mère la garde. Ma soeur a donc demandé une dérogation au maire. Le maire, c’est mon père, alors y a pas eu de souci.» Mais quand il n’y a pas connivence, les parents doivent trouver d’autres astuces. Nicole, une comptable parisienne devenue experte ès dérogations, a réussi la manoeuvre pour ses trois enfants. Pour le premier, elle a fait une simple demande en expliquant que sa fille partageait sa nourrice avec celle d’une famille dépendant d’une autre école du quartier. «Pour le deuxième, j’ai pleuré Margot devant le chargé de la petite enfance à la mairie, et ça a marché», se souvient-elle. Réclamer le rapprochement de fratrie aura suffi pour changer l’affectation du troisième.
Quatre points. Pour vous faciliter la vie, le site Réponseàtout.com (1) liste les techniques pour frauder. En insistant particulièrement sur «la voie détournée : ruser en toute légalité». Elle se décline en quatre points : choisir une option rare, domicilier son enfant chez un parent, acheter un appartement dans le secteur convoité, et, en dernier recours, le lycée privé. Pas banal : Marie, comédienne de Viroflay (Yvelines), a choisi la fausse domiciliation pour mettre sa fille dans un établissement moins bien classé que celui auquel elle avait droit. «Elle s’y sent mieux, et, du coup, d’élève moyenne, elle est devenue excellente», dit cette mère qui détonne dans un univers parental où on cherche plutôt à fuir la mauvaise réputation. «Ma fille aînée devait normalement aller au lycée Joliot-Curie, qui est mal fréquenté, raconte ainsi Amandine (2), cadre supérieure à Nanterre. Comme une option histoire de l’art qui l’intéressait était proposée par trois autres établissements mieux cotés des Hauts-de-Seine, nous avons tenté le coup.» La procédure est passée comme une lettre à la poste, et, jusqu’à l’obtention de son bac cette année, la jeune fille prenait chaque matin son scooter pour effectuer les quelques kilomètres qui séparaient le bon lycée de chez elle.
«Beau sur le papier». A Lyon, sur les pentes de la Croix-Rousse, Daphné et sa soeur Géraldine ont elles aussi évité le collège de leur quartier, qui subit la très forte désaffection des familles les plus favorisées. Leur père, Christophe, 51 ans, «assume» les stratégies mises en place pour éviter l’établissement du coin. «Quand Daphné a eu l’âge d’aller en 6e, elle a pris deux langues vivantes, ce qui lui a permis d’aller dans le IIe arrondissement [la presqu’île lyonnaise,ndlr], dans un collège où c’était possible.» Sa seconde a choisi une lanue non dispensée dans le quartier, afin de rejoindre un autre collège de la presqu’île.
Christophe confie : «Les expériences de mixité sociale, je trouve ça beau sur le papier, mais je ne peux pas sacrifier mes gamins au nom d’une idée.» Il travaille dans la culture, vote à gauche. «J’ai envie que mes filles soient tirées vers le haut.» Comme cela ne se passait pas bien sur la presqu’île, cet «anticlérical» a franchi un nouveau pas il y a deux ans en faisant «le forcing» pour que la cadette intègre un collège catholique. Cette année, Daphné commence des études de droit, et Géraldine redouble sa 4e dans le privé.
(1) http://www.reponseatout.com /article.php3?id_article=19&artsuite=0
(2) A la demande des personnes interrogées, les prénoms ont été modifiés.
Voir également:
– Sur les effets pervers de la carte scolaire (et les stratégies et stratagèmes pour y échapper – demandes de dérogations, location ou achat de chambres de bonne place du Pantheon, fausses adresses, etc. – ou choisir le « bon » établissement et entre les… 150 bacs !):
« au niveau du collège, dans certaines régions, jusqu’à 40 % des élèves ne sont pas scolarisés dans l’établissement public de leur secteur.
Le paysage scolaire s’apparente à une mosaïque de ghettos : ceux dans lesquels sont cantonnés les pauvres, sans qu’on leur demande leur avis ; ceux dans lesquels se protègent les riches, sans d’ailleurs avoir besoin de contourner la loi (leur lieu d’habitation leur offre protection) ; et de plus en plus ceux par lesquels les classes moyennes tentent d’échapper à une mixité sociale
Selon le sociologue Eric Maurin, la carte scolaire est «un facteur de polarisation des familles» : dans la mesure où les plus riches sont «dans une recherche active de quartiers protégés et sûrs qui assurent la scolarité de leurs enfants contre les aléas» , les «un peu moins riches» en font autant (avec moins de choix) et ainsi de suite. Résultat : la ségrégation : la ghettoïsation urbaine, statistiquement, est aussi marquée en France qu’aux… Etats-Unis.
Les enseignants arrivent en tête des dérogataires, devant les inactifs (15 %), les cadres (10 %), les professions intermédiaires (8,5 %)…
Libé 08/11/03
– Sur les méfaits corollaires des ZEP, voir le même Eric Maupin :
« Aider un quartier, c’est le stigmatiser. La mise en place de zones urbaines sensibles (ZUS) ou celle de zones d’éducation prioritaires (ZEP), où les établissements scolaires reçoivent un peu plus de moyens qu’ailleurs, équivalent à montrer ces espaces du doigt. Cet étiquetage joue a contrario, en faisant fuir les familles les plus à l’aise, ou en les décourageant de s’y installer. Mieux vaut choisir d’aider directement les individus. »
Nouvel Obs hebdo 02/12/04
COMPLEMENT:
Dossier
Ecole : l’inégalité des chances ?
Le Monde
18.12.06
« Egalité des chances » : l’expression a été utilisée la première fois par Jean-Pierre Chevènement en 1986. Depuis, ses successeurs à la tête du ministère de l’éducation parlent tous d’école plus juste, plus mixte et plus égalitaire. Pure utopie ? ZEP, carte scolaire, collège unique et réformes pédagogiques ont été mis en place. Résultat : peut mieux faire car l’école crée ses propres inégalités, comme l’ont cristallisé les émeutes des banlieues en 2005 et le mouvement anti-CPE en 2006. Dans la perspective de la présidentielle en 2007, l’éducation est un thème prioritaire de campagne à droite comme à gauche. Mais pour faire quoi ? Réformer le système en profondeur ou le maintenir avec plus de moyens ?
Egalité des chances, une expression, un principe et une loi
le 01.12.06
L’égalité des chances… Des mots qui circulent d’un gouvernement à l’autre, qui passent d’une école à l’autre, tel le titre d’une récitation apprise par cœur par l’ensemble des acteurs scolaires. Mais de quoi parle-t-on ?
L’égalité des chances, c’est une expression. Elle apparaît pour la première fois dans un discours de Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’éducation, le 7 février 1986. Depuis, tous ses successeurs s’approprient la formule, l’école devant assurer l’égalité des chances pour tous les élèves.
L’égalité des chances, c’est aussi un principe. L’école républicaine, obligatoire et gratuite doit assurer l’égalité entre les citoyens. La France, comme le rappelle le sociologue François Dubet, est attachée à l’idée de justice. La tradition républicaine et anti-aristocratique repose sur le principe selon lequel la seule manière de produire des inégalités acceptables, c’est de construire une compétition qui permettrait de dégager une autre hiérarchie sociale, s’opposant ainsi aux hiérarchies tenant à l’héritage et au passé. Pour les père fondateurs de la République, l’école s’est substituée à l’Eglise dans sa capacité à transmettre des valeurs et des principes, dans sa capacité à former les citoyens. L’école, c’est la République, et la République, c’est l’école.Les années 1960 ont marqué un tournant. Avant, le système scolaire répondait aux exigences de l’Etat républicain. Le modèle scolaire parvenait à redistribuer les connaissances pour tous ceux qui avaient accès au savoir. Après, la France a changé de registre. Tous les élèves, riches ou pauvres, sont allés dans la même école. Dans ce nouveau système, la règle de l’égalité des chances a impliqué que tous les élèves munis de leur bâton de maréchal dans le cartable ont eu la possibilité de réussir. La compétition s’est démocratisée, l’école s’est « massifiée » en même temps que le système n’est plus parvenu à surmonter ses propres contradictions devenues sources d’inégalités. Certaines voix, comme celles des sociologues Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, se sont élevées pour montrer que l’école ne faisait que répéter les inégalités sociales. Pour eux, le système scolaire constituait le « meilleur allié du conservatisme social et politique » (Les Héritiers, Editions de Minuit, 1964).
UN DEVOIR URGENT DE CHANGEMENT
Quarante ans après, les inégalités scolaires se sont accrues en France, à l’image des mutations économiques, facteurs de disparités en tout genre. De réforme en réforme, le système scolaire est devenu une institution en état grippal permanent. Le modèle scolaire républicain marche tellement à plein régime qu’il est en surchauffe constante et ne peut donc plus faire face aux pressions extérieures – qu’elles soient politiques, économiques, sociales, culturelles ou religieuses. L’école n’est plus un sanctuaire mais devient un buvard ; un buvard dont les auréoles sont le reflet de ses propres contradictions mais aussi celles de la société. Elle absorbe en quelque sorte les inégalités qui l’entourent. Au fond, les inégalités sociales se sont déplacées de la société dans l’école pour se reproduire dans la société.
Si bien qu’aujourd’hui, l’égalité des chances, c’est aussi une loi. Le 2 juin 2005, Azouz Begag, écrivain et sociologue, est nommé ministre délégué à l’égalité des chances. Il n’est pas vraiment mis en avant par le gouvernement. C’est à partir de novembre 2005, juste après la crise des banlieues, que l’égalité des chances se présente réellement comme une nécessité et devient en quelque sorte un devoir, un devoir urgent, celui de changer la société. La loi sur l’égalité des chances, dont M. de Villepin a pris l’initiative, veut donner une priorité au combat contre les inégalités, notamment dans le système scolaire.
Alors, faut-il préserver l’égalité des chances pour surmonter la crise de l’école ? Pour Patrick Fauconnier, cette égalité n’est envisageable que si l’on revoit complètement le sens même de l’école. Il faudrait, affirme-t-il, passer de l’« école-raffinerie » à l’« école-pépinière », c’est-à-dire ne plus concevoir le système éducatif sur « une base hiérarchique », mais en aidant chacun « à réussir là où il est doué ». Pour Jean-Paul Brighelli, il faut d’abord sortir des slogans et détruire la machine à fabriquer des « crétins ». Attention, dit François Dubet, à ne pas casser la clé de voûte du système, qui est celle de l’égalité méritocratique des chances. Mais comment en est-on arrivé là ?
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Grandes réformes et tentatives marginales
Publié le 15.12.06 | 14h51
Pour faire face à ces nouveaux défis, l’Etat a mis en place toute une panoplie de mesures et de réformes de l’éducation nationale :
En 1963, le ministre de l’éducation Christian Fouchet instaure la carte scolaire, pour gérer les flux d’élèves et les moyens d’éducation. Il souhaite ainsi promouvoir la mixité sociale en obligeant les parents à inscrire leurs enfants dans un établissement en fonction de leur lieu d’habitation. Mais le système est rapidement perverti : ceux qui le peuvent contournent la carte par des dérogations, adresses fictives, relations et inscriptions dans le privé. La carte scolaire, paradoxalement, se met de plus en plus à rimer avec inégalité.
En 1975 est mis en place le collège unique. Il a pour objectif de démocratiser l’accès à l’éducation en offrant à tous, de la sixième à la troisième, le même enseignement. Mais les inégalités demeurent : aujourd’hui, on est encore trop souvent orienté en filière professionnelle quand on connaît une situation d’échec. Il faudrait un « rééquilibrage disciplinaire », explique Philippe Meirieu, auteur de plusieurs ouvrages et d’un rapport sur l’éducation.
En 1981, la gauche, quelques mois après son arrivée au pouvoir, crée les zones d’éducation prioritaire (ZEP), dans le but de renforcer le niveau des élèves inscrits dans des établissements en zones défavorisées, par un ensemble de mesures volontaristes, matérielles et pédagogiques. D’après le dernier rapport de l’inspection générale de l’éducation nationale sur la contribution de l’éducation prioritaire à l’égalité des chances des élèves, le bilan est mitigé. Conclusion reprise par la plupart des intervenants avec lesquels nous nous sommes entretenus (cf. notre série d’entretiens).
Depuis, beaucoup de mesures ont suivi, émanant de gouvernements de droite comme de gauche : loi Savary sur l’école privée, loi Devaquet, réforme des diplômes, CPE, etc. La liste est loin d’être exhaustive. De nouvelles méthodes pédagogiques ont été inspirées de la maternelle à la fin du cycle primaire. Des adaptations des filières d’orientation ont été expérimentées du collège au lycée, avec plus ou moins de réussite, les effectifs dans les classes ont été réduits, avec l’approbation du corps enseignant et des syndicats. L’objectif de ces mesures est le même, en théorie : réhausser le niveau des élèves en maintenant le principe fondateur de l’égalité des chances de la maternelle à l’accès à l’université.
Dans le supérieur, même combat : ceux qui étaient défavorisés dès le début ne rattrapent pas leur retard. Le baccalauréat à 80 % d’une classe d’âge entend répondre à la massification de l’école et à la démocratisation du savoir. Les universités sont submergées par les inscriptions, les filières se bouchent, les moyens manquent, la sélection est bannie par les étudiants. Les universités françaises deviennent les parents pauvres de l’enseignement supérieur, le cursus des étudiants anonymes sans perspective, la voie de garage en rupture avec les exigences des entreprises et la réalité du marché. L’égalité des chances s’essouffle, souffre et recule même.
Quelques initiatives marginales sont alors appliquées, souvent mises en avant par les médias. Sciences Po prend depuis quelques années les meilleurs élèves des zones d’éducation prioritaire (ZEP), l’Ecole normale supérieure envoie, elle, ses professeurs dans des établissements classés en ZEP. Le lycée Henri-IV a créé une classe préparatoire de remise à niveau, « classe préparatoire aux études supérieures », pour trente élèves issus de milieux modestes à la rentrée 2006. « Il ne s’agit pas de discrimination positive, estime le proviseur du lycée, Patrice Corre, mais d’une opération d’ouverture sociale sur la base du mérite. » (Le Monde du 16 mai 2006). Mais ces initiatives sont loin de faire l’unanimité. Sciences Po a fait ses « bonnes œuvres de la marquise », pour Jean-Paul Brighelli, alors que Christian Jeanbrau, ancien professeur en classes préparatoires à Henri-IV, trouve le projet « méprisant, insultant pour l’effort pédagogique en zone difficile, élitiste à contre-emploi et, en termes d’impact social, ridicule » (Le Monde du 19 mai).
A l’issue de ces projets de modernisation du système scolaire, experts et professionnels de l’éducation tirent un bilan globalement négatif de trente ans de politique éducative. D’où la pertinence de la question sur l’inégalité des chances. Souffrirait-on d’un mal bien français, qui impliquerait que toute réforme est mauvaise mais que, paradoxalement, le système ne conviendrait à personne ?
[-] fermer « Consolidation du système ou ouverture ? »
Consolidation du système ou ouverture ?
Publié le 15.12.06 | 14h44
Les crises du monde scolaire et parascolaire bousculent les certitudes du système français qui se croyait à l’abri, persuadé d’être le meilleur. Mais la sinistrose gagne l’ensemble de l’univers scolaire. En premier lieu, les élèves qui s’interrogent sur leur lien à l’école, puis les parents d’élèves qui s’inquiètent de l’avenir de leur progéniture, le corps enseignant qui se pose des questions sur la valeur du métier, et les experts et hommes politiques qui retournent dans tous les sens le casse-tête de l’éducation sans trouver de solution durable.
En 2006, la politique de l’égalité des chances se trouve donc à la croisée des chemins. Ce n’est pas sur le diagnostic que les divergences apparaissent mais sur les recettes. L’heure est plutôt au pessimisme ambiant et de cette inquiétude sont nées deux dynamiques.
D’un côté les pessimistes de conviction plaident pour des solutions telles que redoublement, fin du collège unique et parfois retour aux blouses. C’est à l’élève de s’adapter à un ordre scolaire plus ferme, capable de faire le tri entre le bon grain et l’ivraie, le lauréat et le bonnet d’âne. L’école aurait besoin d’une thérapie de choc, par la réification d’un système égalitaire souvent embelli. Car comme le souligne le sociologue François Dubet, « nous n’étions pas véritablement dans un système d’égalité des chances ». Mais quid de la politique de massification des écoles ? Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les noms des bacheliers étaient annoncés à la radio… On imagine mal aujourd’hui l’exercice. Jusqu’aux années 1960, la République pouvait se permettre de récompenser ses meilleurs éléments. « Le système scolaire était un système qui ouvrait une certaine école aux enfants du peuple et ouvrait une certaine école aux enfants de la bourgeoisie », poursuit François Dubet. Mais ce n’était pas la même école. De l’élitisme républicain plus que de l’égalité des chances. On partait du principe que tout le monde n’avait pas le devoir de réussir à l’école. Pour ceux qui excellaient mais qui étaient issus de milieux défavorisés, le système a inventé la bourse. Les boursiers étaient les éléments prometteurs du système, les symboles de l’efficacité d’un modèle républicain capable de donner une chance à tous.
A côté de ce camp minoritaire, les pessimistes de responsabilité, eux, rejettent le fatalisme de l’échec et refusent de se laisser dominer par des solutions de repli. L’esprit du « Pensionnat de Chavagnes » (une émission de télé-réalité sur M6) est révolu, insiste Hervé Hamon. Ce dont l’école souffre, ce n’est pas d’un manque d’attachement au passé mais d’un repli par rapport à la réalité d’aujourd’hui. A commencer par un manque d’ambition qui interdit de placer l’élève au cœur du système. L’école souffre d’un manque évident d’adaptation à une société complexe et en mouvement. D’où les incidences sur le moral et le manque d’estime de soi de l’élève. Mais aussi des techniques de management rétrogrades, un système par trop arc-bouté sur ses acquis et ses symboles. « L’école est prise dans un imaginaire un peu sacré, un peu magique, rappelle François Dubet, qui fait qu’il est difficile de toucher à des symboles. » C’est comme si tout s’était figé : on refuse la sélection alors qu’elle constitue le moteur de la compétition (mention au bac, classes prépa, etc.), on manque de passerelles avec l’entreprise, on perpétue le traitement indifférencié des cas en difficulté, l’orientation post-secondaire est de mauvaise qualité, on s’interdit d’observer ses voisins européens, etc. Bref, la rigidité du système moule les esprits, uniformise les comportements et castre l’idée de changement.
Pourtant, rien ne peut plus marcher comme avant. Ce n’est pas encore l’union sacrée, mais jamais la volonté de moderniser, de changer, de réformer les choses n’a été aussi grande qu’aujourd’hui entre les élèves et les professeurs, les syndicats et les associations de parents d’élèves, les proviseurs et les parents, les administrateurs et les sociologues de l’éducation.
Le temps est donc venu, semble-t-il, d’ouvrir un nouveau cycle… De Jean-Paul Brighelli à Gérard Aschiéri via Richard Descoings, Patrick Fauconnier et François Dubet, plusieurs indiquent le chemin à suivre, avec une seule finalité : celle d’une véritable égalité des chances. Mais encore faut-il que les politiques décident de faire de l’éducation une priorité.-] fermer « Les candidats à l’assaut de l’égalité des chances »
Les candidats à l’assaut de l’égalité des chances
le 15.12.06
Pour la campagne présidentielle 2007, les candidats des deux plus grands partis, Nicolas Sarkozy pour l’UMP et Ségolène Royal pour le PS, ont placé l’éducation parmi les thèmes prioritaires. Ségolène Royal appelle à réfléchir sur les résultats de la carte scolaire et à refonder les bases de l’égalité des chances par des entorses à la tradition socialiste. Nicolas Sarkozy, fidèle à la philosophie de droite, insiste sur le mérite, l’effort, le travail et la compétition en proposant de supprimer la carte scolaire pour réorganiser le rapport entre les Français et l’école.
A gauche comme à droite, on le sait : l’école française mérite plus qu’un débat « pour ou contre la carte scolaire ». Et le ministre en exercice, Gilles de Robien, a raison d’appeler tous les candidats à la présidentielle à ne pas tomber dans le « simplisme » concernant l’école. Celle-ci, avant tout, a besoin que la société lui lance un autre regard, en suivant trois grandes dynamiques.
Il y a tout d’abord la question des politiques scolaires à long terme. Peut-on envisager des réformes dans la durée en France ? Quand on voit le nombre de ministres de l’éducation en dix ans, on se dit que rien n’est possible. C’est faux. La réforme LMD (licence, master, doctorat), rappelle Patrick Fauconnier, est un projet pour lequel quatre ministres de gauche comme de droite ont œuvré : MM. Allègre, Lang, Ferry, Fillon.
Il y a ensuite la question de l’adaptation de l’éducation aux réalités économiques, ce qui renvoie au statut des écoles et surtout des universités. Là aussi, de nouveaux chantiers ont été ouverts. Et tout porte à croire, au regard des dernières prévisions économiques, qu’il ne peut pas y avoir de développement et de croissance en France sans un effort entrepris sur la recherche. La croissance de demain passe par une politique intensive en faveur de la recherche et du développement des connaissances. Et cela commence à l’école, qui, pour préparer ses élèves au nouveau paysage économique, doit leur permettre d’acquérir des compétences, de mieux percevoir les talents individuels, de donner confiance.
Il y a enfin la question des moyens. Seule une politique volontariste peut susciter des résultats. L’école a besoin d’une politique de grands travaux du savoir. Pas forcément de rallonger des lignes de crédits là où les résultats sont mitigés. Réinventer la politique des ZEP, réviser la carte scolaire, améliorer les filières d’accès à l’Université, ouvrir et autonomiser celle-ci, équiper les établissements en moyens techniques, optimiser la formation des enseignants et insister davantage sur les langues et l’ouverture sur les autres modèles, tout cela demande des moyens mais surtout des fins, avertit François Dubet, car « on ne peut pas dire qu’en mettant plus de moyens pour des choses qui ne marchent pas bien, cela marchera mieux ».
[-] fermer « Pourquoi pas boucher ? «
Pourquoi pas boucher ?
Publié le 18.12.06
Il est presque 8 h 20, ce jeudi d’automne. Une masse d’adolescents patiente dans le calme devant le 37, boulevard Soult, dans l’est de Paris. La plupart d’entre eux sont des garçons ; quelques petits groupes sont formés. On discute. Certains fument une cigarette, aucun ne chahute. Légèrement en retrait, deux surveillants observent ce petit monde. Une sonnerie retentit : c’est l’heure de rentrer au centre de formation d’apprentis des métiers de la viande.
L’école accueille environ 300 élèves de 14 à 25 ans pour les former au métier de boucher. L’apprentissage est ici le cœur de la formation. Les plus jeunes peuvent intégrer la classe d’initiation préprofessionnelle en alternance (Clipa). Viennent ensuite les CAP, BEP puis les brevets professionnels. Ce jeudi à 8 h 30, c’est cours pratique pour la classe de première année de BEP. Ici, la cravate est de rigueur pour les apprentis bouchers comme pour leurs professeurs. Des vêtements chauds sont nécessaires pour passer plusieurs heures debout, face à un billot, dans une salle où la température ne dépasse pas les 10 °C. Chacun revêt également une cotte de mailles pour éviter un coup de lame malheureux et se coiffe d’une casquette pour des questions d’hygiène. La leçon du jour porte sur la préparation d’une pièce de bœuf. Stéphane Riquet, maître boucher, fait face à une vingtaine d’élèves. Couteau en main, le professeur exécute sa démonstration. Il détaille chaque morceau de viande, chacun des éléments qui la composent. Il répète inlassablement les règles qui feront de ses apprentis d’honnêtes professionnels puis il interroge, note et recommence. Ses élèves écoutent et s’escriment à reproduire les gestes de leur maître.
Surprise : autour de Stéphane Riquet, il se fait un silence d’église. Cette vingtaine de personnes, que le tronc commun de l’éducation nationale n’a pas gardées, est à l’écoute. « On ne plaisante pas avec la discipline », explique le maître boucher avant d’affiner son analyse. « Ce n’est pas à l’école qu’ils doivent le plus prendre sur eux. Ils travaillent en alternance. Ils passent plus de la moitié de leur temps chez un patron boucher avec lequel il peut y avoir des tensions. Ils doivent très rapidement apprendre à gérer l’environnement quelquefois difficile de la vie professionnelle. »
UNE ALTERNATIVE AU TRONC COMMUN DE L’ÉDUCATION NATIONALE
« La majorité des élèves qui intègrent l’école sont fâchés avec le système scolaire », reconnaît Bernard Merhet, président de l’école et de la Fédération de la boucherie d’Ile-de-France. Toutefois, 75 % à 80 % des élèves présentés aux examens obtiennent un diplôme, avec de bonnes chances d’intégrer avec succès la vie active. L’apprentissage offre un autre cadre pédagogique et une nouvelle chance à des adolescents brouillés avec le tableau noir. Le profil de ces futurs préparateurs de produits carnés est « multiple », estime Annie Robillard, directrice pédagogique du Centre de formation des apprentis (CFA). « Nous avons eu des enfants de la DASS et des fils de chirurgiens ou d’ingénieurs. » Toutefois, « beaucoup de jeunes sont dans une détresse morale, sociale, affective. Issus de familles déchirées avec des parents au chômage. Ceux qui entrent en CAP sont très souvent en échec scolaire. Certains sortent de 4e, d’autres sont déscolarisés depuis plusieurs années. Nous leur donnons une nouvelle chance de s’en sortir. C’est lors du premier trimestre de la première année que nous enregistrons le plus gros taux d’abandons. Ils supportent mal les contraintes de l’école et celles de leurs patrons ».
Certains de ces apprentis sont également des fils de bouchers qui ont la perspective de reprendre l’affaire familiale. « Mon père a trois boucheries, témoigne Emmanuel, 19 ans, j’ai fait une seconde, puis j’ai quitté l’école et j’ai travaillé dix-huit mois comme vendeur de téléphone mobile. » Sans métier ni diplôme, son père le recadre dans le savoir-faire familial et l’envoie à l’école de boucherie. « Mon frère aîné gère déjà une des boutiques de mon père. Il veut que moi aussi je me forme au métier« , explique le jeune homme.
Djamel, lui, est dans l’école par hasard. « Je n’ai pas choisi », assure-t-il, « c’est le conseiller d’orientation qui m’a dit d’aller là. Mais c’est bien. Je ne regrette pas, j’apprends un métier. Si ça ne me plaisait pas, je serais parti. On peut gagner de l’argent et on aura du travail. A la sortie de l’école avec un BEP, je peux compter sur un travail à 1 400 euros [mensuel]« .
LA FILIÈRE RECRUTEUn métier, un emploi et un salaire décent constituent les arguments les plus importants pour la plupart des élèves. « J’étais en première l’an dernier, témoigne Arnaud, mais je voulais me former à un métier pour gagner un vrai salaire. Les bouchers confirmés peuvent gagner jusqu’à 1 800 euros. »
La filière recrute, confirme Annie Robillard. Il existerait 6 000 offres d’emplois par an dans le secteur, alors que seulement 600 apprentis sortent chaque année des écoles, estime la Fédération de la boucherie d’Ile-de France. « Dans les années 70, nous avons accueilli jusqu’à 600 apprentis. Au fil des années, le nombre de vocations s’est atténué. La boucherie a une image de marque déplorable. Les élèves ne disent pas facilement qu’ils sont apprentis bouchers à l’extérieur de l’école, ils s’inventent un autre cursus. Les patrons bouchers souhaitent également une autre vie pour leurs enfants, ils les encouragent à poursuivre leurs études. Et puis, au pays des 35 heures, la profession conserve l’image d’un métier difficile où il est nécessaire de faire beaucoup d’heures pour bien gagner sa vie. Enfin, l’image du grand costaud rougeaud transportant des carcasses sur ses épaules perdure et ne facilite pas la féminisation de la profession« , explique la directrice pédagogique. Les chiffres le confirment : une dizaine de filles sur trois cents élèves dans cette école.
« Il faudrait valoriser ces métiers et leurs formations », souligne Annie Robillard. Alors boucherie, charcuterie, poissonnerie, à quand la relève ?
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Ressources, cours en ligne, blogs et formations à distance
le 27.11.06
Ressources et cours en ligne :
Le Précepteur
Documents scolaires directement utilisables par les élèves du CP à la terminale.
Cours et ressources pédagogiques en ligne
Du collège à l’université et aux classes prépa.
Campus virtuels
Annuaire des cours dispensés en ligne dans les universités françaises.
Association Libre cours
Supports pédagogiques classés par domaines mis en ligne par des enseignants.
Encyclopédie sonore
Service éducatif en ligne proposé par les universités françaises et étrangères. Il dispose de 6 967 cours audio dans 346 thèmes.
Librecours.org
Supports pédagogiques mis en ligne par des enseignants de l’association Libre Cours.
Doc’s du Net
Tutoriaux informatiques réalisés par un élève en ingénierie informatique.
Canal U
Webtélévision de l’enseignement supérieur et de la recherche (cours, conférences, colloques…).
BNF
Dossiers pédagogiques de la BNF (littérature, arts, architecture et photographie).
Cyberpapy
Premier site français de soutien scolaire.
Plagiat :
Compilatio.net
Veille et détection de plagiat sur Internet en direction du corps enseignant.
Blog :
Blogs : quelles applications pédagogiques ?
Sur le site Franc-Parler, communauté mondiale des professeurs de français.
Le Web pédagogique
Plate-forme de blogs pédagogiques.
Erasmus Campus FLE 2007
Blogs des étudiants FLE (université de León).
Campus virtuel FLE, audio-vidéo blog
Le Professeur de français
Matériaux utiles aux classes de FLE.
« Partagez la connaissance » :
Mot d’ordre du blog de Marie-Hélène Paturel
enseignante-documentaliste.
Blog d’un conseiller principal d’éducation
Concours CPE et vie scolaire, par Gabrielle Lamotte.
Veilles en éducation
Dédié aux « connecteurs et pronétaires qui s’intéressent à l’évolution des nouvelles technologies éducatives ».
Chronique éducation
Revue de presse des quotidiens français sur le thème de l’éducation, par Philippe Watrelot, professeur de sciences économiques et sociales et formateur à l’IUFM.
Blog d’une jeune pousse du e-learning
Actualité du e-learning et, plus généralement, sur l’univers du multimédia.
Formation à distance
FIED
Fédération interuniversitaire de l’enseignement à distance.
Centre national d’enseignement à distance (CNED)
L’établissement public du ministère de l’éducation nationale.
Cursus
Répertoire de la formation à distance.
Thot
Nouvelles de la formation à distance.
CNPR, le savoir vert à distance
Etablissement public national d’enseignement à distance agricole (du ministère de l’agriculture).
Enseignement hybride
Tour d’horizon des nouvelles formes d’enseignement (échanges distants avec les élèves, en temps réel ou temps différé, dans une classe ou hors d’une classe).
Les cours à distance de l’université de Lecce
A partir d’une plate-forme d’enseignement à distance (Modus), accessible par câble et par satellite.
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L’Université face aux inégalités et à l’échec, comment en sortir ?
Publié le 15.12.06
Grande inégalité, ceux qui échouent viennent souvent de milieux défavorisés. « Un vrai gâchis », déclarait le ministre de l’éducation nationale François Fillon en 2004. Au niveau du diplôme d’études universitaires générales (DEUG), l’échec est patent. Selon les statistiques du ministère de l’éducation nationale, moins d’un étudiant sur deux (45,5 % en 2003) réussit son DEUG en deux ans, et 70 % le réussissent en trois ans. Les bacheliers professionnels et, dans une moindre mesure, technologiques, sont particulièrement vulnérables. A la session 2003 (derniers chiffres connus), seulement 15,4 % des bacheliers professionnels ont obtenu le DEUG (en quatre ans au plus), contre 77 % des bacheliers littéraires. Les élèves des bacs professionnels sont par ailleurs plus nombreux à être issus de milieux défavorisés.
De plus, seuls 59 % des étudiants inscrits obtiennent le niveau licence. Conscients de ces risques, les enfants des milieux favorisés (cadres supérieurs et professions libérales) évitent au maximum les premiers cycles universitaires et se tournent vers les filières sélectives, notamment les classes préparatoires. L’objectif est de contourner l’enseignement de masse et le principe de non-sélection après le baccalauréat. Cette situation traduit une grande inégalité du système universitaire. Les bons étudiants, souvent les plus favorisés, bénéficient ainsi d’un enseignement de qualité dans un environnement favorable : cours en petits effectifs, suivi serré par des enseignants disponibles, nombreux exercices. Une situation qui s’oppose point par point à la formation dispensée dans les premiers cycles universitaires, souligne François Dubet dans L’école des chances, est-ce une école juste ? Et une inégalité flagrante au détriment des élèves issus des couches populaires de la population.
L’insuffisance de moyens financiers explique, en partie, le déficit d’encadrement qui pénalise les étudiants les plus fragiles. L’Etat dépense en effet moins de 7 000 euros par étudiant à l’université, alors qu’il investit en moyenne, par an, plus de 13 000 euros pour chaque étudiant de classe préparatoire. L’absence de visibilité à cinq ans sur les besoins en qualification est un autre problème. Or, cinq ans c’est le temps nécessaire pour la mise en place d’une formation.
LA QUESTION CRUCIALE DE L’ORIENTATION
Mais le plus grave est le problème de l’orientation des bacheliers vers les formations qui ne sont pas des voies de garage ou sans perspectives. La réforme de 1998 instaurant le système licence-maîtrise-doctorat (LMD) permet en principe une réorientation de l’étudiant à l’issue du premier semestre d’études. Mais il semble que le système soit peu ou mal appliqué.
Face à ces difficultés et à ces inégalités, le recteur de l’académie de Limoges, Patrick Hetzel, nommé par le premier ministre Dominique de Villepin à la tête de la commission université-emploi, a remis fin octobre 2006 un rapport sur l’orientation et l’insertion professionnelle des étudiants. S’il écarte l’idée d’instaurer une sélection à l’entrée de l’Université, il propose différentes mesures afin d’améliorer l’information et l’orientation des étudiants. Par exemple que chaque lycéen qui souhaite s’inscrire à l’Université ait un entretien avec les responsables de la formation envisagée, qui pourraient lui faire d’autres propositions intra ou extra-universitaires. Le rapport prévoit dès la prochaine campagne d’inscription en juillet 2007 que les universités aient l’obligation légale d’informer les futurs étudiants sur le taux de réussite sur trois ans dans la filière qu’ils ont choisie.
Premier progrès : un portail Internet a été mis en place en mai 2006 par le ministre délégué à l’enseignement supérieur, François Goulard, censé aider les étudiants à se repérer dans le maquis des vingt-deux mille formations post-secondaires. Mais face à l’afflux de bacheliers – deux cent quarante mille chaque année – à l’Université, est-ce suffisant ? La sélection généralisée n’est-elle pas à terme inévitable ? D’ailleurs les jeunes Français ne s’y trompent pas, qui privilégient de plus en plus les filières post-baccalauréat dites courtes – (dans les instituts universitaires de technologie (IUT), les sections de techniciens supérieurs (STS), rattachées aux lycées et qui délivrent des BTS…) – où une sélection s’opère après le baccalauréat. Un choix assez pertinent puisque les étudiants concernés obtiennent à 72 % leur diplôme.
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La carte scolaire est devenue l’instrument de la ségrégation sociale
Publié le 17.09.06
En février 2006, lors de la convention éducation de l’UMP, j’ai soulevé, parmi d’autres questions, celle de la carte scolaire. Plus de quarante ans après sa mise en place, il n’est quand même pas incongru d’en dresser le bilan.
Je suis heureux que cette question taboue soit devenue, en quelques mois, un sujet de débat politique, une préoccupation gouvernementale et même, semble-t-il, un thème de la campagne interne des socialistes. Afin d’éviter qu’on ne déforme ma pensée, je souhaite rappeler ici dans le détail les propositions que j’ai formulées.
La carte scolaire a été créée en 1963. Elle part du principe que la meilleure manière de garantir l’égalité des chances est d’uniformiser les établissements et d’y répartir les élèves de manière autoritaire afin de créer de la mixité sociale.
La première idée ne correspond plus aux besoins de l’école aujourd’hui. L’école accueille des publics plus nombreux, plus divers, qu’elle mène à des niveaux de qualification plus élevés. Elle ne peut plus le faire dans les mêmes conditions qu’à l’époque où une sélection sévère, parfois brutale, se chargeait d’écarter ceux qui semblaient inadaptés. Chaque enfant est différent. Les uns excellent en langues, les autres en sport, certains travaillent seuls, d’autres ont besoin d’être encadrés. Combien de parents, dans tous les milieux sociaux, ont eu parfois ce sentiment que l’école, parce qu’elle est trop monolithique, ne savait pas comprendre l’intelligence de leur enfant ?
La seconde idée est juste et elle n’a pas pris une ride. Toutes les études sérieuses le démontrent : les principaux facteurs de réussite des élèves sont, dans l’ordre, la qualité pédagogique des enseignants et la mixité sociale, loin devant le nombre d’élèves par classe. Mais la carte scolaire, qui était effectivement autrefois l’outil de la mixité, est devenue l’instrument de la ségrégation.
L’incapacité des pouvoirs publics à moduler réellement les moyens des établissements en fonction des difficultés rencontrées par les élèves a progressivement creusé des différences profondes entre les établissements.
Différence de niveau, qui peut varier de 30 % à composition sociologique comparable. Différence d’ambition, puisque 50 % des lycées n’envoient jamais aucun dossier d’élève pour l’inscription en classe préparatoire.
Différence d’horizon, puisque les établissements situés dans les quartiers les plus défavorisés sont devenus de véritables ghettos où le seul effet de la carte scolaire est d’y concentrer les élèves le plus en difficulté quand il faudrait au contraire les répartir dans d’autres établissements.
Ces constats ne sont pas le fruit de mon imagination, mais ont été dressés par des expertises unanimement saluées. Face à cette situation, certaines familles peuvent s’émanciper de la carte scolaire en faisant le choix du privé, en s’installant dans des quartiers huppés, ou tout simplement en contournant la carte par la mobilisation de leur réseau relationnel. 30 % des enfants sont ainsi scolarisés en dehors de leur collège de rattachement. Les autres sont tenus de se plier à une règle qui vaut pour les uns, mais pas pour tout le monde.
Cette réalité est choquante. Elle est contraire aux principes les plus essentiels de l’école républicaine, laïque, gratuite et égalitaire. La carte scolaire se voulait un instrument de justice. Elle est devenue le symbole d’une société qui ne parvient plus à réduire ses injustices parce qu’elle n’ose pas s’interroger sur ses outils. Devant ce constat, je formule trois propositions.
La première est de donner de l’autonomie aux établissements scolaires pour leur permettre de mettre en oeuvre des projets éducatifs spécifiques. Cette méthode a fait ses preuves. Les établissements qui ont les meilleurs résultats pour tous leurs élèves sont ceux qui ont su créer une dynamique de réussite grâce à un projet spécifique. C’est en mettant de la diversité dans les méthodes, sans renoncer bien sûr au caractère national des programmes et des évaluations, que l’on permettra à chaque enfant de trouver une solution lui permettant de grandir et de s’épanouir.
Qui dit autonomie dit évaluation. Je propose que nous nous dotions d’un organisme d’évaluation de chaque établissement scolaire. Il doit s’agir d’évaluations détaillées, allant bien au-delà de la seule mesure des résultats des élèves, et s’intéressant également à la qualité du projet éducatif, à sa capacité à faire progresser tous les élèves, à l’ambiance au sein de l’établissement, etc. Ces évaluations aideront les établissements à remédier à leurs insuffisances. Elles seront évidemment à la disposition des parents.
Enfin, qui dit évaluation dit engagement de l’Etat à aider les établissements qui ont des difficultés à améliorer leurs performances. Le but n’est pas de désigner à la vindicte les établissements ayant des résultats insuffisants, mais de garantir une qualité éducative pour tous.
La conséquence logique de ces propositions, c’est le libre choix par les parents de l’établissement scolaire de leur enfant. A partir du moment où chaque établissement propose un projet spécifique, il est normal que les parents puissent choisir l’établissement qui correspond le mieux à leur enfant. Cette réforme ne peut pas intervenir du jour au lendemain. Certaines conditions doivent être préalablement remplies. Elle suppose de profondes transformations de notre système scolaire. Mais c’est le projet vers lequel je propose de tendre.
Certains demandent : « Si l’on supprime la carte scolaire, par quoi la remplacera-t-on ? ». Je leur réponds : « Mais par rien ! Ou par un système d’inscription dans, par exemple, trois établissements au choix. » La carte scolaire a été supprimée dans presque tous les pays de l’Union européenne. Dans tous ces pays, aucun élève n’est scolarisé dans un établissement que sa famille n’a pas choisi parce que les établissements sont à la fois divers dans la méthode, mais égaux dans la qualité. Il n’y a pas de sélection selon le niveau scolaire ou l’appartenance sociale, mais une répartition finalement assez naturelle des élèves selon le projet d’établissement qui leur convient le mieux.
Supprimer la carte scolaire est pour moi un aboutissement, pas un préalable. Mon projet n’est pas plus de liberté pour les uns, moins de liberté pour les autres. Cela, c’est le système existant. C’est au contraire la qualité éducative pour tous, un objectif difficilement contestable. La carte scolaire n’aura alors plus de raison d’être puisque tous les établissements seront de qualité. Ceux qui pensent que ça ne peut pas marcher sont tout simplement ceux qui n’ont pas confiance dans la capacité du corps enseignant et de l’école républicaine d’y parvenir. Pour ma part, je sais que le système éducatif et les enseignants ont toujours été les moteurs d’une société plus juste et je veux leur donner les moyens de le redevenir.
[-] fermer « François Dubet : « L’égalité des chances, le pire des systèmes, mais il n’y en a pas d’autres » »
François Dubet : « L’égalité des chances, le pire des systèmes, mais il n’y en a pas d’autres »
Publié le 18.12.06
Dans votre ouvrage L’Ecole des chances, vous remettez en question le modèle de justice à l’école, notamment l’égalité méritocratique des chances. Et pourtant, vous dites, c’est une « fiction nécessaire » . Pourquoi ?
François Dubet : Ce que je pense, c’est que ce modèle de justice et d’égalité a une force essentielle : c’est qu’il n’y en a pas d’autre ! Je veux dire par là que sauf à dire que les gens vont hériter automatiquement de la position de leurs parents, ou sauf à tirer au sort la position des individus par une loterie qui dirait les uns seront médecins, les autres seront balayeurs, il n’y a pas d’autre manière de s’y prendre que d’organiser cette compétition.
Ce que je dis simplement, c’est que le fait qu’il n’y pas d’autres manière que cela ne doit pas nous rendre complètement aveugles sur les difficultés de ce modèle, sur le fait qu’il n’est probablement pas réalisable dans une société où les gens sont inégaux, ont des positions sociales inégales. Je crois que de ce point de vue-là, il faut à la fois affirmer et tendre vers ce modèle – ma position est celle d’un sceptique – et en même temps compenser, par d’autres politiques et d’autres mesures, le fait que ce modèle ne peut pas, à mon avis – et je dirai que pour le moment les faits me donnent raison en France et partout –, véritablement se mettre en place. Pour prendre un exemple très simple, je peux tenir sur l’égalité des chances les propos que Winston Churchill tenait sur la démocratie : c’est le pire des systèmes mais il n’y en a pas d’autres. A partir de là, et comme pour la démocratie, quels sont les mécanismes que l’on peut mettre en place pour compenser les effets négatifs, sachant que l’égalité des chances reste la vertu cardinale d’un système scolaire.
Vous estimez que la situation peut s’améliorer en partant de ce qui existe. En même temps, vous parlez de révolution ? Mais quelle est cette révolution ?
François Dubet : Cela peut apparaître comme une révolution mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit puisque je continue à dire : établissons l’égalité des chances, donnons plus de moyens à ceux qui en ont moins, faisons en sorte que les privilèges scolaires ne se déplacent pas uniquement vers les bons élèves qui sont aussi les élèves des classes dirigeantes, essayons de faire que l’arbitrage scolaire soit plus équitable et plus neutre qu’il ne l’est.
En même temps, il y a trois choses importantes : premièrement, puisqu’un système de ce type – et je répète il n’y en a pas d’autres – produit nécessairement des vainqueurs et des vaincus, la première chose à faire serait de s’occuper prioritairement du sort des vaincus. Que sont devenus tous ceux qui ne sont pas rentrés dans les grandes écoles ? Et s’ils sont maltraités, s’ils n’ont rien appris, s’ils sont nuls et s’ils ne savent rien faire, on ne peut quand même pas considérer que c’est un succès ! Puisqu’un tel système produit des vaincus, essayons d’améliorer le plus possible le sort des vaincus au lieu de dire « c’est la compétition, elle est juste et malheur aux vaincus ». De ce point de vue, je suis assez favorable aux politiques style Sciences-Po.
En même temps, que fait-on des 99 % d’élèves qui n’y arriveront jamais ? Je pense qu’il faut revenir à ce que j’appelle le smic : un savoir commun pour tous les élèves à la sortie du collège. Le système crée des inégalités, mais jusqu’à quel seuil peut-on accepter d’aller, notamment du point de vue des plus faibles ?
Deuxièmement, pour pondérer le système de l’égalité des chances, il conviendrait de dire que, puisque les diplômes aujourd’hui – étant donné la massification scolaire – sont un outil absolument indispensable pour se situer sur le marché du travail, alors faisons en sorte que l’on donne aux élèves des diplômes qui ont un peu de valeur. Même dans le cas où la répartition des diplômes serait juste, il n’est peut-être pas juste que certains diplômes donnent des monopoles et des rampes, que certains diplômes ne donnent rien et que l’absence de diplômes devienne un véritable handicap social. Là encore, il faut bien pondérer le système de l’égalité des chances en disant : puisqu’aller à l’école est d’une certaine manière un sacrifice pour l’individu qui y va, il faut probablement faire en sorte que chaque formation ait un minimum d’utilité sociale, c’est-à-dire que je puisse aller sur le marché du travail en disant « voilà ce que j’ai et je sais faire quelque chose ».
Troisièmement, le principe de l’égalité des chances – et toutes les violences scolaires en sont la manifestation quotidienne – est un principe d’une extrême cruauté pour les individus. Quand vous êtes dans un système d’égalité des chances, vous êtes tenus de vous vivre comme le responsable de votre échec. « Vous avez eu l’opportunité de gagner, vous n’avez pas gagné, tant pis pour vous. » Notre système scolaire – et c’est une caractéristique qui le distingue fâcheusement d’autres systèmes scolaires – a une très forte capacité à humilier les mauvais élèves, a une capacité de convaincre les élèves qu’ils sont nuls et qu’ils sont incapables. Je crois que l’on pourrait parfaitement essayer de dire : évidemment, les élèves sont inégaux, mais l’école doit garantir aux élèves les plus faibles un sentiment d’estime de soi, un sentiment de confiance de soi auquel tout individu a droit, même s’il n’est pas bon à l’école. Par exemple, on doit pouvoir aller dans un enseignement professionnel sans être considéré a priori comme un incapable.
On doit pouvoir rejoindre la formation permanente au cours de sa vie même si on a échoué à l’école, alors que la plupart des individus n’y vont pas, étant convaincus que de toute façon ils n’apprendront jamais rien, qu’ils en sont incapables. On ne peut donc pas faire autrement que de garder l’égalité des chances au cœur de notre dispositif scolaire – parce que, je le répète, dans les sociétés démocratiques, c’est la seule chose possible –, mais on ne peut pas être naïf au point de croire que, premièrement, on va véritablement l’atteindre, et que, deuxièmement, si on l’atteint, cela n’aura pas des conséquences forcément injustes sur les individus qui n’auront pas eu la chance, le mérite, le talent d’y réussir.
Vous vous placez du côté des vaincus. Or, dans ce que vous proposez, vous n’écartez pas l’idée qu’il y aura toujours des vaincus. Alors comment faire ? Existe-t-il un système duquel tout le monde sort avec succès ?
François Dubet : Ne soyons pas naïfs au point de croire que tout le monde finira à l’IEP. En même temps, puisqu’on n’est pas naïf et que l’on pense qu’il y aura toujours des vaincus, la question des compétences, des savoirs, de l’estime de soi que l’on donne aux vaincus en dépit de leur échec est quand même une question essentielle.
Je répète : la tradition scolaire française n’est pas la meilleure qui soit. Ce qu’on observe par exemple dans un grand nombre de pays qui ne sont pas plus égalitaires que nous, c’est qu’il y a des manières de traiter les élèves, des formes d’apprentissage, des formes de connaissances qui s’efforcent un peu plus que nous ne le faisons de ne pas humilier les vaincus. Dans les enquêtes de l’OCDE qui comparent les systèmes scolaires, il y a une question qui est posée aux élèves : « Quand tu ne comprends pas, est-ce que tu demandes au prof ? ». Dans la plupart des pays du monde, 85 % des élèves demandent à un enseignant d’expliquer parce qu’ils n’ont pas compris. En France, il n’y a que 15 % des élèves qui disent » quand je ne comprends pas, je demande aux enseignants « ! Parce qu’on est dans un système où, au fond, l’organisation du mérite et de la compétition commande même les relations scolaires. Sur ce point, il ne s’agit pas de révolution. Il s’agirait de dire qu’il est déjà très injuste que les enfants des catégories les moins favorisées se retrouvent dans les filières les moins favorisées pour avoir les emplois les moins favorisés, il n’est peut-être pas nécessaire de faire à la fois qu’ils soient ignorants et qu’ils soient humiliés.
Justement, en prenant exemple sur les modèle scandinave et anglo-saxon, vous n’ignorez pas que ces modèle scolaires sont le reflet d’une culture et d’une histoire. Comment appliquer ces modèles en France ?
François Dubet : Nous savons tous que le système scolaire va mal, qu’il faut le réformer et que nous pourrions tout simplement regarder un peu comment s’y prennent les autres. Au lieu de rester trop enfermés dans cette image que nous avons d’une société absolument singulière, d’un système scolaire absolument unique, au fond, en étant à peu près convaincus qu’il est toujours le meilleur sauf à des moments dépressifs où l’on se met plus bas que terre, je crois que l’on pourrait avoir des raisonnements un peu pragmatiques là-dessus. Les élèves espagnols, lorsqu’on les teste internationalement à l’âge de 16 ans, parlent mieux l’anglais que les élèves français, alors qu’ils consacrent moins d’heures à l’apprentissage de l’anglais. Cela ne serait pas une insulte nationale que de se demander comment font les Espagnols !
Les élèves australiens ont une plus forte estime d’eux-mêmes que les élèves français. Cela ne serait pas scandaleux de regarder comment font les Australiens ! Par exemple, les Scandinaves ont une scolarité primaire et moyenne dans laquelle il n’y a pas de redoublement. On sait qu’en France, le redoublement est inefficace mais on y tient beaucoup. Cela ne serait pas scandaleux de voir comment font les Scandinaves ! Ce ne serait pas trahir notre société que de se dire que l’on pourrait parfois faire un peu mieux. Bien évidemment, je ne souhaite pas – et je ne pense que cela soit possible – de devenir demain Finlandais, Coréens, etc.
Vous stigmatisez assez souvent les enseignants, notamment sur ce qui se passe dans les salles de professeurs et leurs rapport avec les élèves. Vous parlez de passage du jugement des performances au jugement de personnes. Comment ont-ils réagi à vos idées ?
François Dubet : Le monde des enseignants est un monde extrêmement sensible…
Justement, d’où vient cette extrême sensibilité des enseignants ?
François Dubet : Parce que je crois que le monde scolaire français a été vécu comme étant le centre de la société ayant une légitimité culturelle extraordinaire. Les instituteurs étaient les hussards de la République, les professeurs étaient les témoins de la grande culture et l’école était l’espérance de la société. Je crois qu’aujourd’hui, dans une société où le niveau de consommation culturelle a considérablement augmenté, dans une société où tous les élèves vont à l’école pendant très longtemps, cette espèce d’institution un peu « cléricale » se sent menacée. Il y a un sentiment, au fond, que la place de l’école – alors même qu’elle n’a jamais été aussi puissante – n’est plus ce qu’elle était.
Puis, un autre point extrêmement important qui explique la réactivité très forte des enseignants, c’est que les conditions subjectives de travail sont devenues considérablement plus difficiles. Vous comprenez, faire la classe à des petits paysans en se disant que dans le meilleur des cas, un tiers ou la moitié d’entre eux auront le certificat d’études, ou faire la classe à des lycéens dont les deux tiers étaient des enfants de la bourgeoisie et le dernier tiers des enfants des classes moyennes qui avaient un désir forcené de travail et de réussite, c’était extrêmement facile ! Aujourd’hui, évidemment, vous êtes dans un monde complètement désajusté, c’est-à-dire que tous les élèves sont là, leur rapport à la culture scolaire est loin d’être fixé, les élèves comme leurs parents sont convaincus que faire des études sert à quelque chose mais ils ne savent pas trop à quoi cela les destine. C’est très difficile aujourd’hui de faire la classe. Et quand vous avez ce monde qui, d’une part, a le sentiment d’une chute symbolique, et d’autre part, a des conditions de travail de plus en plus difficiles, évidemment la tendance naturelle, c’est le repli, la défense, fermer le sanctuaire.
Je crois que les problèmes de l’école ne se réduisent pas aux problèmes des attitudes subjectives des enseignants et des élèves. Les enseignants sont pour la plupart d’entre eux des gens généreux.
La question c’est qu’en fait, enseignants et élèves sont dans un piège. Ce piège, c’est l’affirmation continue que tout le monde doit réussir à aller au plus haut, et c’est l’expérience quotidienne que cela ne marche pas. On finit, quand on est élève, par détester ces enseignants qui vous mettent devant des exigences que vous ne pouvez jamais atteindre, et vous avez le sentiment que vous échouez en permanence. Et les enseignants ont un sentiment parallèle : « J’ai passé un Capes, une agrégation, j’ai un haut niveau de culture et j’ai des élèves très loin de ça. » Je crois qu’il faut aujourd’hui sortir de ce piège. Ce qui me chagrine et qui m’inquiète beaucoup, c’est que dans le monde de l’école et autour de lui, c’est que la sortie de cette situation, c’est le retour au passé.
On a eu la méthode syllabique ; aujourd’hui, c’est la grammaire. Il y a des nostalgies de blouses grises, de règlements intérieurs. Je crois que cela est vraiment catastrophique. Soit on s’enfermera dans le piège, soit on finira par dire : « la plupart des élèves n’ont pas leur place à l’école, vous pouvez sortir ». Donc, je crois qu’il faut admettre que nous avons changé la nature du système scolaire avec l’égalité des chances méritocratique et l’école de masse. Et même si cela nous fait moyennement plaisir, il faut en tirer les conséquences de manière à ce que l’école soit un peu plus juste, un peu plus efficace, un peu plus vivable qu’elle ne l’est.
Que manque-t-il alors ? la volonté politique ?
François Dubet : Fondamentalement, le problème, je crois, est politique. Toute la difficulté est là. Je prends un exemple que vous allez trouver cruel de ma part : tous les étudiants français acceptent de se livrer à des jeux de sélections extrêmement féroces : classes prépa, mention au bac, mention dans les IUT. Mais si vous dites « je filtre à l’entrée des universités », ce sont des centaines de milliers de gens dans la rue, alors que par ailleurs ces mêmes gens accepteront la sélection féroce. Vous êtes devant un monde où les symboles jouent un rôle essentiel. C’est une première difficulté.
La deuxième difficulté, c’est que si vous considérez aujourd’hui que l’école distribue des gagnants et des perdants, on n’imagine pas aisément que les gagnants vont vouloir changer des règles qui les favorisent. Moi qui ne suis pas un sociologue marxiste, sur l’école, je suis assez « lutte de classes ». La violence des intérêts en jeu est très grande.
La troisième chose qui rendra ces réformes difficiles, c’est que le monde de ceux qui échouent à l’école ou qui sont marginalisés ou exclus de l’école considère grosso modo qu’il n’a pas vraiment de légitimité pour intervenir dans un débat scolaire. Ce qui fait qu’un débat scolaire est presque toujours un débat d’experts, d’enseignants, de professeurs, de classes moyennes, d’intellectuels, alors qu’en réalité tout le monde va à l’école. Cela crée des difficultés politiques extrêmement sérieuses. Chacun peut s’accorder sur le fait qu’il y a de grands problèmes, mais en même temps si chacun regarde devant sa porte et ses intérêts, ceux qui s’en tirent pas trop mal ont plutôt tendance à dire « gardons le système tel qu’il est ».
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Des normaliens à Sarcelles
Publié le 15.12.06
Salle 208, lycée Jean-Jacques-Rousseau, à Sarcelles. Francis, Benoît et Anthony planchent sur un problème de mathématiques. Ce mercredi après-midi, avec cinq de leurs camarades, ils font des « heures sup ». Leurs professeures, elles, sèchent des cours : ce sont des normaliennes, volontaires pour participer au programme de tutorat mis en place par leur école. Par-dessus les épaules, Delphine et Catherine contrôlent, donnent des indications, précisent des notations.
PLUS DE BOURSIERS, MOINS DE PRÉPAS
« C’est bien d’aller voir des gens qu’on ne rencontre pas forcément, qui n’auraient pas pensé à faire une prépa », explique Delphine, une biologiste de 22 ans. « On essaie d’aider un peu ces jeunes, c’est du bénévolat ‘soft’. J’ai eu de la chance, chez moi on lisait, on sortait, on allait au théâtre… Je réalise que j’ai eu un environnement super favorable. » Parisienne, elle a été interne en classes préparatoires au lycée pour filles Sainte-Geneviève, à Versailles.
Aïssatou, Gabrielle et les autres sont, eux, en première à Sarcelles, dans le Val-d’Oise. Leur lycée est situé dans un quartier résidentiel, à l’écart des barres. Couloirs blancs fraîchement repeints et couleurs vives, l’établissement est encore en travaux. Ici, comme dans les autres lycées sélectionnés, le taux de boursiers est supérieur à la moyenne nationale. Le nombre de demandes d’entrée en classes préparatoires y est inférieur. « La prépa, j’en ai entendu parler au collège, par un prof de latin qui avait fait une grosse digression », raconte Gabrielle. « Mais ici, on ne nous en parle pas trop. On nous dit ‘passez le bac, et après on verra' », confirme Francis.
Rachida et Tamara sont en section économique et sociale. Elles ne savent pas encore si elles veulent faire une prépa. L’objectif du programme de l’Ecole normale supérieure (ENS) ? Leur montrer que si elles le souhaitent, « c’est possible ». « Je viens d’un lycée de province pas mauvais, mais moyen. On ne savait simplement pas ce qu’était une prépa », explique Claire Scotton, chargée du programme à l’ENS. C’est elle, avec d’autres étudiants, qui est à l’origine du projet. « L’information est capitale, mais cela ne suffit pas. Il faut qu’il y ait un relais humain, un ami, un proche, pour faire tomber les mythes. On veut leur montrer qu’il n’y a pas que des gens qui lisaient Proust à 7 ans et demi dans l’école ! Et même s’ils n’entrent pas en prépa, on leur fait partager une passion, une idée du savoir. »
« POURQUOI AIDER DES BONS ÉLÈVES ? »
En salle 208, pas de pause. Les élèves sont silencieux. Leurs tutrices ne leur laissent pas le temps de discuter, elles enchaînent les énoncés. Et veillent à ce qu’ils travaillent seuls, sans traîner. Delphine et Catherine distribuent un nouvel exercice. « Vous voulez le plus simple ou le plus difficile ? » Pas vraiment le choix, ce sera le difficile. « On essaie de leur donner l’émulation qu’ils n’ont pas eue », explique Catherine. « Mon ancien lycée, Orsay, est élitiste. Quand je suis arrivée en prépa, à Saint-Louis, je n’ai pas eu de difficultés, j’avais déjà fait le programme. » Plus tard, elle pense faire de la recherche plutôt que de l’enseignement. « Travailler avec des élèves motivés, c’est bien. Sinon, ça ne me dit rien. » A Jean-Jacques-Rousseau, pas de problèmes : Francis, Benoît ou Anthony font partie des « bons élèves ».
« Au début, j’étais un peu sceptique sur le projet. Quelle est la pertinence d’aider des élèves qui sont déjà bons ? », s’interroge François de l’ENS. « La plupart des lycées du programme, surtout en province, ne sont pas vraiment en difficulté. Finalement, je me suis dit qu’on pourrait toujours les motiver un peu plus. » A Sarcelles, le proviseur a compris que le but était social et a « joué le jeu », confirme Delphine. Les élèves, volontaires, n’ont pas été uniquement choisis en fonction de leurs résultats scolaires. « Ailleurs, il n’y a que des fils de médecin ou de profs… Ils n’ont pas besoin de nous. »
« LA BASE, C’EST LE CONCOURS »
L’égalité des chances, la discrimination positive ? Pour Delphine et Catherine, si leurs élèves entrent en prépa, ce sera déjà bien. Normale, c’est une autre histoire. Et elles n’imaginent pas que l’école puisse aller plus loin, créer une filière spécifique, comme par exemple à Science Po Paris. « Je ne suis pas vraiment pour. La base de l’école, c’est le concours », assure Catherine. François, lui, hausse les épaules. « C’est vrai que j’ai été un peu surpris quand j’ai su qu’à Normale, 80 % des élèves sont issus des classes moyennes ou supérieures. Au départ, la prépa, le concours, c’est gratuit. Mais en fait, on se retrouve entre privilégiés. » François a eu son bac à 16 ans. Après une prépa au lycée du Parc, à Lyon, il est en 2e année à l’ENS, en biologie.
Après deux heures de récurrences et congruences, Francis est satisfait. « Elles expliquent mieux que mon prof de maths ! Et puis d’habitude, à trente élèves, ce n’est pas évident pour poser des questions. » Catherine et Delphine trouvent que leurs élèves, globalement, s’en sont bien sortis. Elles ont déjà repéré les « rapides » et se demandent déjà s’il ne faudrait pas mettre en place des groupes de niveau.
Le cours de maths fini, on ne traîne pas devant Jean-Jacques-Rousseau. Les lycéens habitent à côté. Les normaliennes vont, elles, reprendre le RER D, direction Paris. Rendez-vous est fixé pour le prochain cours, un samedi après-midi. Rue d’Ulm.
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Plus de vingt ans d’expériences d’assouplissement
Publié le 13.09.06
Depuis plus de vingt ans, des expériences d’assouplissement de la carte scolaire ont été tentés. Dès 1983, Alain Savary, alors ministre de l’éducation nationale, a desserré la sectorisation à l’entrée de la sixième dans cinq départements. Le but était de faciliter la prise en compte des souhaits des familles et de rendre les procédures de dérogation transparentes.
Etendue à six départements supplémentaires sous Jean-Pierre Chevènement, il faudra attendre 1987 pour que cette expérimentation prenne de l’ampleur. « Il s’agissait de calmer le jeu après les manifestations monstres de juin 1984 au nom de la défense de l’école libre », analyse Denis Paget, ancien secrétaire général du SNES, le principal syndicat d’enseignants.
René Monory, qui a pris la direction de la Rue de Grenelle en mars 1986 et en restera à sa tête jusqu’en mai 1988, a ensuite étendu cette expérience à 74 départements. Ce premier pas d’ampleur vers « le libre choix » décevra pourtant nombre de sympathisants de droite qui avaient cru en la promesse contenue dans la plate forme électorale RPR-UDF de 1986 qui prônait la « liberté pour chaque parent de choisir l’école de ses enfants ».
« LE LIBRE CHOIX » DE LA DROITE
Le 30 avril 1987, une circulaire de l’éducation nationale précise que ces expériences ne sont pas provisoires et que l’objectif de l’éducation nationale reste bien « une généralisation de l’assouplissement selon un rythme et des modalités qui pourront varier selon les lieux ». Sur le terrain il existe désormais tous les cas de figure. A côté de villes entièrement désectorisées comme Avignon, Périgueux, Clermont-Ferrand… d’autres ne le sont pas du tout ; c’est le cas de Nice, Versailles, Strasbourg ou encore Rouen. Certaines communes ont été divisées en secteurs.
A Paris, l’assouplissement ne concerne que 17 collèges de 4 arrondissements. Quatre-vingt-neuf départements sont partiellement ou entièrement touchés par la désectorisation en 1988. Cinq ans plus tard, la droite inscrit une fois de plus à son programme « le libre choix ». Une note d’information publiée par le ministère de l’éducation nationale en mai 1993 révèle que près d’un collège sur deux (47 %) et plus d’un lycée sur quatre (27 %) peuvent en toute liberté et sans dérogation, accueillir des élèves « hors secteur ». Elle montre aussi que l’introduction d’une relative souplesse a surtout profité aux familles socialement les mieux dotées.
François Bayrou, ministre de l’éducation de 1993 à 1997, donnera un coup de frein à cette décennie d’assouplissement ininterrompu. A Paris, notamment, une resectorisation stricte met le feu à l’académie à partir de 1997 et ce pour plusieurs rentrées. Où en est-on aujourd’hui ? Aucun véritable suivi de ces expériences de désectorisation n’a été fait par le ministère. Pour Denis Paget, ancien secrétaire du SNES, « l’arrêt officiel de ces expériences n’a jamais eu lieu. Elles ont continué dans certains endroits de façon plus ou moins sauvage. A charge pour les académies de gérer les dérogations ».
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Patrick Fauconnier : « Les politiques ont fait de l’école du mérite une école du mépris »
Publié le 18.12.06
Dans La Fabrique des meilleurs, vous partez d’un constat : « 37 % d’une génération dans le supérieur et 150 000 jeunes chaque année sans qualification ». Où en est l’égalité des chances en France ?
Patrick Fauconnier : Elle n’existe pas pour moi à l’heure actuelle. C’est une vue de l’esprit. Je pense qu’elle a existé dans l’école de Jules Ferry, qui représente un monument national tellement vénéré – à juste titre d’ailleurs – qu’on est persuadé que le monument n’a pas bougé. En réalité, l’école au cours des dernières décennies n’offre plus cette égalité des chances, parce que si vous voulez vous insérer professionnellement, le seul bagage scolaire ne suffit plus. Il y a des familles dans lesquelles on a le soir une relation d’aide aux devoirs que l’on n’a pas dans d’autres familles. Il y a des jeunes qui ont des ordinateurs, d’autres qui n’en ont pas. Il y en a qui bénéficient d’un séjour culturel et linguistique à l’étranger, d’autres pas. Aujourd’hui, les termes du contrat sont faussés à cause de tout ce qui est apporté par ailleurs pour aider à l’insertion. Mais on commence à le comprendre.
Vous écrivez également que « l’école qui accroît les inégalités conduit à penser que cet état de fait ne résulte pas de facteurs politiques mais culturels ». Pourquoi ?
Patrick Fauconnier : J’ai pensé que si c’était politique, avec les alternances qui ont eu lieu depuis une vingtaine d’années, la situation se serait améliorée, ce qui n’a pas été le cas. J’ai donc tendance à en déduire que c’est culturel. D’autant que je considère que l’école s’est constituée idéologiquement comme une machine à filtrer. On a, en France, cette obsession des étiquettes et du diplôme. Je trouve que c’est un abus parce que le diplôme scolaire, dans le système français, ne mesure pas la compétence professionnelle mais l’aptitude à restituer correctement des choses apprises par cœur. Or la vie active, c’est tout sauf ça. C’est savoir s’adapter en permanence à des choses tout le temps changeantes. Je trouve donc très cruel que l’on ait indexé le recrutement à ce point-là sur la possession ou non d’un diplôme. C’est pour ça que je suis pour la suppression du bac. Je crois qu’il faut mesurer le niveau atteint à la fin de l’enseignement secondaire, mais de là à barrer toute possibilité de poursuite dans l’enseignement supérieur à cause de ce niveau, je ne suis pas d’accord. S’il n’y avait pas ce verrou, je pense que, dès la seconde, les jeunes seraient bien plus disposés à se poser des questions sur leur devenir professionnel.
Le fait que la classe politique soit issue de cette « voie royale » que vous dénoncez contribue-t-il à expliquer cette situation ?
Patrick Fauconnier : Absolument. Avec notre système dual, ceux qui sont sortis des grandes écoles sont finalement ceux qui gèrent la nation et qui sont pratiquement à tous les postes de décision. Ils ne peuvent qu’auto-entretenir ce regard un peu misérabiliste sur ceux qui n’ont pas réussi. Ceux qui sont passés par cette « voie royale » peuvent sortir du système et entrer dans un cabinet ministériel sans avoir réellement côtoyé certaines injustices assez flagrantes de la société. Je reproche aux élites d’avoir poussé trop loin l’application de la devise « à chacun son mérite » et d’avoir fait de l’école du mérite une école du mépris. Ils ne se rendent pas compte que les faibles ont manqué des moyens qui leur auraient permis d’avoir plus de « mérite ».
Que pensez-vous des expériences menées par exemple à Sciences-Po pour tenter de diversifier le recrutement des élèves ?
Patrick Fauconnier : Je n’en pense que du bien. Ça a provoqué des débats un peu hystériques parce que ça a été perçu comme une rupture du fameux pacte républicain qui veut que le concours soit le même pour tous. Mais un même concours pour tous ne peut être juste que si la formation a été la même pour tous. Or ce n’est pas le cas. Il faut donc en tenir compte. Dans les grandes écoles de commerce, cela fait plus de trente ans que l’on a créé des admissions parallèles et ça n’a pas fait hurler à la mort. De surcroît, cette initiative a des effets bénéfiques par ricochet. Par exemple, des lycées qui n’étaient pas remarqués ont été regardés plus positivement à partir du moment où ils ont eu une convention Sciences-Po, les profs se sont sentis valorisés, le proviseur aussi. En plus, ça a l’avantage de porter sur un nombre important de jeunes.
Quel rôle attribuez-vous alors au ministre de l’éducation nationale ?
Patrick Fauconnier : J’allais vous dire : tout dépend s’il est courageux ou pas. Je reproche à nos élites de faire beaucoup dans le discours mais de ne pas être assez nombreuses à passer aux actes. C’est sûr que c’est un poste extrêmement sensible. Mais il est vrai que les politiques ne se battent pas pour occuper ce ministère, qui est considéré comme un cactus. C’est un poste où il faut quelqu’un d’extrêmement diplomate et habile en concertation et en dialogue. Mais on ne peut plus faire la même réponse à cette question en 2006 qu’en 2004. A cause de ce qui s’est passé dans les banlieues et des manifestations contre le CPE, le ministre de l’éducation nationale a compris qu’il est aussi le ministre de l’insertion professionnelle. Avant, on était content de lui s’il était un bon gestionnaire en faisant en sorte qu’il n’y ait pas trop de récriminations. Maintenant, la nouvelle approche veut que ce ministre ne s’occupe plus simplement du monde enseignant et de ses structures, mais aussi de l’insertion des jeunes.
Est-ce possible pour un ministre de l’éducation nationale de mener une réforme jusqu’au bout ?
Patrick Fauconnier : Depuis peu de temps, je suis plus optimiste. Auparavant, il suffisait que le ministre annonce une réforme, qu’il soit de gauche ou de droite, pour qu’aussitôt un certain nombre de syndicats montent au créneau. C’est une façon de faire qui est en train de s’estomper avec l’arrivée de mentalités beaucoup plus réalistes au sein des appareils syndicaux. Aujourd’hui, même l’UNEF dit qu’il souhaite une professionnalisation des cursus, et Julie Coudry, de la Confédération étudiante, appelle de ses vœux plus d’enseignements alternés, plus de modules de découverte professionnelle… Pour moi, c’est totalement révolutionnaire. Cela signifie que le ministre trouve en face de lui des interlocuteurs nettement plus ouverts et réalistes, moins idéologues, moins dogmatiques qu’avant. Ce drame du chômage des jeunes a mis tellement de temps à être reconnu que maintenant que c’est le cas, je ressens une espèce de consensus famille-syndicats-politiques pour dire que ça ne peut plus durer. Je crois que le dialogue est nettement meilleur aujourd’hui, mais seulement si le ministre et le gouvernement savent prendre la précaution de consulter. Le CPE était un évident échec de l’absence de concertation. C’était un avatar de cette arrogance qu’ont certaines élites issues des plus hauts cursus qui pensent qu’on peut encore gouverner par décret.
Pour vous, l’éducation est un » placement gagnant « . Quelle place cette question va-t-elle occuper, selon vous, dans la campagne présidentielle ?
Patrick Fauconnier : Le premier qui se soit exprimé sur cette question, c’est Nicolas Sarkozy. Il faut reconnaître qu’il a beaucoup consulté d’experts et il a annoncé dès l’été dernier des rafales de mesures qu’il préconiserait s’il arrivait au pouvoir. En particulier, il a beaucoup écouté les gens des universités et a repris quasiment toutes les revendications actuelles des présidents d’université sur l’autonomie, la gouvernance, le financement… Là où la Conférence des présidents d’université demandait 3 milliards, il a proposé – démagogiquement, sans doute – 6 milliards. Et c’est un peu par réaction qu’on a entendu la gauche s’exprimer. Selon moi, à gauche, c’est Dominique Strauss-Kahn qui était le plus en pointe sur cette question, mais ses propositions n’étaient pas très éloignées de celles de Sarkozy. Et si vous prenez ce qu’a dit Ségolène Royal sur la carte scolaire, c’est pareil : on n’est pas très éloigné de ce qu’a dit la droite. Il faut reconnaître que sur ces questions-là, les réponses ne sont pas forcément de gauche ou de droite.
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A l’attaque de la carte scolaire !
Publié le 18.12.06
En 1963, Christian Fouchet, alors ministre de l’éducation, instaure la carte scolaire pour gérer les flux et les moyens d’éducation. Objectif : promouvoir la mixité sociale en obligeant les parents à inscrire leurs enfants dans un établissement en fonction de leur lieu d’habitation. Plus de quarante années ont passé et aujourd’hui, à quelques mois de l’élection présidentielle, la carte scolaire se retrouve au cœur des débats.
Nicolas Sarkozy, candidat de l’UMP, demande sa suppression, tandis que Ségolène Royale, la candidate socialiste, demande, contre toute attente, son réaménagement. A Florac, en Lozère, elle a ainsi exprimé « en off » qu’à ses yeux, « ‘l’idéal » serait de « supprimer la carte scolaire », ou à tout le moins de « desserrer ses contraintes » afin de « mettre en place une forme de choix entre deux ou trois établissements, à condition que les établissements les plus délaissés soient renforcés avec des activités culturelles de haut niveau ». « Arrêtons les hypocrisies, il n’y a plus de mixité sociale », assurait-elle (Le Monde du 5 septembre 2006). Nicolas Sarkozy a, lui, exprimé ses réticences face à l’existence de la carte scolaire pour deux raisons principales : d’abord, elle ne correspondrait plus aux besoins de l’école d’aujourd’hui ; ensuite, elle se serait en quelque sorte retournée contre elle-même, devenant, affirme-t-il, « l’instrument de la ségrégation » (Le Monde daté 17-18 septembre 2006).
UN SYSTÈME QUI DÉRIVE
Ce que les deux candidats montrent du doigt, ce sont les dérives générées par ce système que les « plus favorisés » contourneraient aisément. Dérogations, fraudes et écoles privées en sont les principaux détournements. Car si la carte scolaire impose le rattachement à un établissement donné, elle ne permet pas d’assurer une mixité sociale dans les écoles, particulièrement dans les quartiers défavorisés.
La carte scolaire creuserait donc les inégalités plutôt que de les réduire. « Pour deux grandes raisons, soulignent François Dubet et Marie Duru-Bellat, coauteurs de L’Hypocrisie scolaire (Le Monde du 9 septembre 2006). La première vient du fait que les inégalités sociales entre les territoires se sont creusées et que la carte scolaire les reflète et les cristallise. La seconde tient au fait que tous ceux qui le peuvent, dans le privé ou dans le public, fuient les établissements jugés ‘difficiles’. »
A Paris, 15 % des élèves qui entrent chaque année en 6e obtiennent une dérogation. La plupart invoque le choix d’une option rare qui n’est pas enseignée dans leur collège de rattachement. D’autres utilisent leur propre réseau de relations. Le rectorat affirme : « Les journalistes arrivent en tête de ces demandes, viennent ensuite les personnalités du spectacle et du show-biz, et enfin les personnes qui invoquent un appui politique. »
Du coup, depuis plus de vingt ans, on tente d’assouplir la carte scolaire. Dès 1983, Alain Savary a desserré la sectorisation à l’entrée de la 6e dans cinq départements. René Monory, ministre de l’éducation de 1986 à 1988, étend l’expérience à 74 départements. Mais ce n’est qu’un premier pas, puisqu’à Paris l’assouplissement ne concerne que dix-sept collèges. Le « libre choix » est encore inscrit au programme de la droite en 1992. Avec François Bayrou, aux commandes de la Rue de Grenelle de 1993 à 1997, le mouvement est mis en berne.
Aujourd’hui, on attendrait clairement des futurs candidats une alternative à cette carte scolaire. Pourtant, selon un sondage réalisé en septembre par l’Institut Louis-Harris pour 20 Minutes et RMC Infos, 50 % des Français estiment que la carte scolaire est « une bonne chose ». Un chiffre qu’il convient de regarder de plus près puisque 51,9 % des cadres et professions intellectuelles supérieures sont favorables à son maintien, contre seulement 22 % des agriculteurs. Le juste miroir de l’inégalité des chances dans ce système.
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Jean-Paul Brighelli : « L’égalité des chances est un slogan »
Publié le 18.12.06
Que signifie cette notion d’« égalité des chances » à l’école ?
Jean-Paul Brighelli : Il faut dire qu’une fois pour toutes, « l’égalité des chances « est un slogan ! Et il est beaucoup plus facile d’entonner un slogan que de réaliser l’égalité des droits, qui est un peu complexe depuis… les deux cents dernières années.
Qui en est à l’origine ?
Jean-Paul Brighelli : C’est un slogan que se partagent à 50/50 la gauche et la droite. C’est très certainement un slogan qui doit marcher au niveau de la démagogie, mais certainement pas au niveau de la pédagogie. Le slogan est né de toutes une série de bonnes intentions qui ont systématiquement été dévoyées.
A quelles « bonnes intentions » faites-vous allusion ?
Jean-Paul Brighelli : La carte scolaire en 1963, c’était une bonne intention, le côté social du gaullisme. C’est fabriquer de la mixité sociale. C’est aussi le moment où Bourdieu et Passeron ont écrit Les Héritiers. Christian Fouchet [ministre de l’éducation nationale de 1962 à 1967] s’était sûrement demandé comment aménager ce côté lycée bourgeois qui existait encore au début des années 60. J’ai des souvenirs précis en ce qui me concerne : j’habitais dans une banlieue très déshéritée de Marseille, on allait tous dans un des grands lycées en centre-ville. On était mélangé aux bourgeois du centre-ville, aux fils de commerçants et ça marchait très bien. Cela plaidait en faveur de la mixité sociale.
Quelles autres « bonnes intentions » ont conduit le système à la dérive ?
Jean-Paul Brighelli : La deuxième bonne intention a été le « collège unique ». L’idée qu’il n’y aurait plus de filière courtes et que tout le monde aurait droit à la même instruction de qualité. Dans la réalité, quand on met dans la même classe des élèves faibles avec des forts, un prof normal parle aux élèves faibles. Résultat : il n’arrive pas à les remonter parce qu’il doit aussi tenir compte des autres et il ennuie les élèves forts ! Bref, c’est un échec sidéral ! On a été obligé de descendre le niveau d’exigence.Quelles solutions préconisez-vous ?
Jean-Paul Brighelli : D’abord, il faut le dire très haut. Actuellement, on laisse l’extrême droite le présenter à sa manière et donc en faire un argument raciste.
Mais aujourd’hui, peut-on revenir en arrière ?
Jean-Paul Brighelli : Je n’en sais rien, et dans l’état de ma réflexion je suis très pessimiste. Il y a des tendances intéressées à faire du communautarisme. A force de fabriquer des ghettos scolaires, on produit des collèges qui sont quasiment ethniquement purs. Ce sont des nids à violence : on fournit des enseignements au rabais à des gosses en dérive sociale.
Quelle alternative alors ?
Jean-Paul Brighelli : Le conseil général du Nord – Pas-de-Calais, par exemple, a choisi, plutôt que de reconstruire les collèges au même endroit, de les mettre ailleurs. On peut aussi affiner la carte scolaire, et c’est un pouvoir qu’on doit donner aux établissements. Ce n’est pas rue de Grenelle [siège du ministère de l’éducation nationale] que ça peut se décider.
Que penser des systèmes qui récompensent les meilleurs élèves ?
Jean-Paul Brighelli : Il y aura toujours des meilleurs élèves. Ce qui est scandaleux, c’est que les meilleurs élèves d’aujourd’hui sont les enfants des meilleurs élèves d’hier. La solution Sciences-Po, avec son côté « bonne œuvre de la marquise », peut marcher ponctuellement mais ce n’est pas une politique. J’aime bien la solution du proviseur d’Henri IV de faire une prépa zéro. C’est une bonne idée car elle peut se généraliser : refaire en fac, par exemple, une propédeutique. A Orsay, ils faisaient une année zéro de remise à niveau scientifique pour ceux qui ne venaient pas d’une section scientifique.
Quand on voit le rapport Hetzel sur l’Université qui affirme que 50 % des étudiants loupent leur première année, il ne s’agit que d’un résultat global. Dans le détail, ils sont moins de 30 % quand ils viennent de S, 50 % quand ils viennent de L ou d’ES, 70 % quand ils viennent de STT et 95 ou 97 % quand ils viennent de bac pro. On envoie des gosses au casse-pipe. On pourrait leur mettre une année zéro, non disciplinaire, de remise à niveau au rang des connaissances absolument obligatoires, comme savoir rédiger par exemple.
Pourquoi ces réformes pédagogiques ne sont-elles jamais appliquées ? Pourquoi aucun ministère ne réussit-il à changer la donne ?
Jean-Paul Brighelli : C’est tellement vrai que je finis par me demander s’ils en ont vraiment envie. Je me demande si inconsciemment ils ne travaillent pas pour leurs enfants à eux. C’est bien beau de vouloir aider les petits pauvres, mais en attendant on les laisse sur la marge. On les amène au bord de l’eau et on ne les fait pas boire. Il y a une espèce de réticence inconsciente.
En quoi le « pédagogisme » que vous montrez du doigt participe-t-il de cet immobilisme ?
Jean-Paul Brighelli : Le système est coincé par des a priori idéologiques. Ce n’est pas parce que vous avez déclaré la citoyenneté que vous fabriquez des citoyens. En revanche, on fabriquait des citoyens bien plus conscients à la fin du XVIIIe ou au début du XIXe siècle en faisant des cours complets sur Athènes, Sparte et Rome qu’en essayant de les instruire sur les aléas de la politique contemporaine en 2006. C’est une perte de temps. C’est un problème général avec les pédagogues qui ne défendent pas les savoirs disciplinaires, ils les méprisent. Meirieu est compétent mais entouré de c… complets. Je connais des tas de gens qui sont en IUFM et qui ont très peu enseigné ou avaient de gros problèmes en tant que profs.
Comment identifiez-vous les problèmes qui entravent l’égalité des chances ?
Jean-Paul Brighelli : D’abord le français, il faut que tous le lisent et l’écrivent. Or, ces dernières années, il y a eu a l’école primaire une réduction drastique des heures de français. On a ajouté des tas de matières annexes. On sort beaucoup les enfants au détriment de matières fondamentales. Il y a sûrement un « énarque à calculette » qui, un jour, s’est avisé qu’on faisait les cours d’histoire en français. Sur 50 minutes de cours d’histoire, on en décomptait 15 consacrées au français par exemple. Théoriquement, dans le cycle 3 du primaire [du CE2 au CM2], il y a une heure et demie de cours de langue étrangère, autant que la grammaire… Alors que plus tard les professeurs de langue constatent les lacunes en français qui ont pour conséquence des lacunes en langues.
De même, le par-cœur est honni actuellement parce qu’il passe pour passif. Aujourd’hui, il faut comprendre pourquoi 2 +2 = 4. Il faut déjà donner aux jeunes les mots pour exprimer des idées. C’est pour ça que je dis que « le barbare nouveau est arrivé », c’est la liberté d’expression avec deux cents mots de vocabulaire…
Comment réussir le retour au « désir de savoir » que vous réclamez ?
Jean-Paul Brighelli : D’abord, il faudrait former autrement les profs. Il faut vraiment avoir la vocation. Pour tenir une classe, il faut également en savoir mille fois plus que ce que le programme demande. Apprendre la pédagogie sur le terrain et avoir des cours dans les matières qu’on enseignera.
Ensuite, il faut remettre au programme les devoirs du soir, quitte à avoir des gens qui aident pendant les études de façon à égaliser les possibilités.
Faire de la détection de talents dans tous les niveaux : mathématiques, français, mais tout le secteur pratique surtout, qui est totalement sinistré. Je rapporte sur mon blog cette histoire de mon ami tailleur de pierre qui cherche un apprenti qui sait ce que c’est qu’un angle droit. Il ne le trouve pas ! 80 % d’une classe d’âge au bac, ça les a tous transformés en pré-fonctionnaires, au moment où la fonction publique dégraisse.
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A l’école des filles
Publié le 18.12.06
Le constat est sans appel et perdure : les filles, pourtant meilleures élèves que les garçons, restent très minoritaires dans les cursus les plus prestigieux, mais aussi dans les filières professionnalisées. Dans Les Héritiers, Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron avaient démontré combien l’origine sociale est décisive dans une sociologie de l’éducation. Dans leur enquête Allez les filles ! (Seuil, 1992, réédité en 2006), Christian Baudelot et Roger Establet, constatent eux, combien l’inégalité des sexes est encore frappante dans le système scolaire. Une date historique : en 1971, le nombre de bachelières égalise le nombre de bacheliers.
Depuis, l’évolution est constante. Ainsi, selon les derniers chiffres publiés par l’INSEE, les résultats du baccalauréat 2005 montrent qu’en filière générale, le nombre de mentions chez les filles est supérieur à celui des garçons, quelle que soit la section. De même, question scolarisation, en 1946, à 20 ans, 3 % des filles étaient scolarisées (pour 6,5 % des garçons). En 1996, les filles dominent à tous les âges : à 20 ans, 62 % des filles (contre 54 % des garçons) sont scolarisées. Durant l’année scolaire 2002/2003, 45,7 % des filles étaient scolarisées contre 34 % des garçons. « Elles l’emportent sur les garçons aux quatre étages de l’édifice scolaire », montrent Baudelot et Establet : du primaire au secondaire en passant par le lycée et la faculté.
Et pourtant, sur le marché du travail, la tendance est inversée : elles ne sont ni les premières, ni les mieux payées. En 2003, 12,9 % des dirigeants travaillant dans l’industrie sont des femmes, dont le salaire net fiscal est, en moyenne, de 39 000 euros par an ; celui de leurs homologues masculins est supérieur de 42,5 %. Dans les services, 20,2 % des dirigeants sont des femmes et cette fois, leurs homologues masculins ont des salaires en moyenne supérieurs de 66,4 % (voir l’étude publiée par l’INSEE).
C’est comme si l’école avait amorcé une révolution que le reste de la société aurait du mal à suivre. « Ces conquêtes spectaculaires et rapides, interrogent les deux sociologues, ont-elle suffi pour balayer les représentations qui sont associées, depuis des temps immémoriaux, aux statuts respectifs de garçon et de fille, d’homme et de femme ? » Leur réponse est sans appel :« non. » Cette « révolution silencieuse » doit continuer à faire face aux mêmes obstacles persistants : « stéréotypes éducatifs, faibles transformation des rôles dans la famille », ségrégations diverses dans l’enseignement professionnel et sur le marché du travail, discriminations salariales et mauvaises orientations scolaires… La liste est longue, mais la lutte continue. Allez les filles !
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Haro sur la « carte scolaire », mais sans alternative
Publié le 06.09.06
Assouplissement de la carte scolaire pour Ségolène Royal, suppression pure et simple pour Nicolas Sarkozy : la candidate à l’investiture du PS pour l’élection présidentielle de 2007 et le président de l’UMP veulent en finir avec les règles qui régissent la sectorisation, c’est-à-dire le rattachement d’un élève à un établissement scolaire en fonction de son lieu d’habitation. La première a détaillé, dimanche 3 septembre, ses propositions à Florac, en Lozère (Le Monde du 5 septembre). Le second les avait présentées à l’occasion de la convention pour la France d’après, en février.
« L’idéal » serait de « supprimer la carte scolaire » ou à tout le moins de « desserrer ses contraintes » afin de « mettre en place une forme de choix entre deux ou trois établissements, à condition que les établissements les plus délaissés soient renforcés avec des activités scolaires de haut niveau », considère Ségolène Royal. Nicolas Sarkozy plaide, quant à lui, pour « le libre choix des établissements par les parents ». Pour le futur candidat à l’élection présidentielle, cette possibilité « crée de l’émulation entre les établissements ».
Lundi 4 septembre, jour de la rentrée des classes, le ministre de l’éducation nationale, Gilles de Robien, est allé dans le même sens, estimant, à l’occasion d’une visite au lycée Hoche de Versailles, que la carte scolaire avait « un petit côté privatif de liberté qu’il faut, le cas échéant, assouplir ».
Cette année, une petite brèche a été ouverte. Les élèves issus des 249 collèges classés « Ambition réussite » et obtenant une mention très bien au brevet en troisième pourront accéder au lycée de leur choix.
Instituée en 1963, lors de la création des collèges d’enseignement secondaire (CES), la sectorisation permet de répartir le nombre d’élèves dans les établissements en fonction de leur capacité d’accueil. Elle a aussi comme objectif de promouvoir la mixité sociale. De ce point de vue, l’objectif n’est pas atteint. Nombre de parents, souvent issus de classes aisées ou moyennes, déploient des stratégies d' »évitement » pour ne pas mettre leurs enfants dans leur collège de secteur, qu’ils jugent mal fréquenté, trop violent, ou d’un faible niveau (Le Monde du 3 septembre 2005).
Pour ce faire, les parents demandent des dérogations à l’inspection d’académie invoquant des motifs scolaires (choix d’une langue vivante ou d’une option spécifique, classes à horaires aménagées), familiaux (rapprochement de frères et soeurs, proximité du domicile) ou médicaux. Ils peuvent également inscrire leur enfant dans le privé. Selon une étude publiée en août 2001, trois ans après leur entrée dans le secondaire, 10 % des enfants fréquentaient un établissement public en dehors de leur secteur et 20 % étaient inscrits dans le privé.
Les enseignants sont deux fois plus nombreux que la moyenne à inscrire leur enfant dans un établissement public hors de leur secteur géographique. En revanche, la scolarisation dans un collège privé est plus fréquente chez les enfants de chefs d’entreprise, d’agriculteurs et de cadres.
Les membres de la commission du débat national sur l’avenir de l’école, qui avait servi de base de travail à l’élaboration de la loi Fillon du 23 avril 2005, s’étaient intéressés à la question de la mixité sociale. Leur rapport préconisait, dans les cas d’établissements très problématiques, d’élargir le choix des parents à un vaste secteur géographique. La commission estimait que la mise en oeuvre d’une telle mesure se traduirait vraisemblablement par la fermeture de l’établissement très dégradé.
Pour le reste, le rapport recommandait de concentrer beaucoup plus de moyens sur les établissements en difficulté et de leur conférer une plus grande autonomie, plutôt que d’abroger la carte scolaire.
Pour les différents syndicats de l’éducation nationale, la suppression de la sectorisation apparaît « irréaliste », voire « dangereuse ». « Faire ce que préconise Nicolas Sarkozy revient à détruire l’éducation nationale et à mettre en place un système concurrentiel à l’instar de ce que font les Anglais », estime Philippe Guittet, président du SNPDEN, le syndicat majoritaire chez les chefs d’établissement. Selon lui, « il faut supprimer les établissements ghettos, redécouper autrement les secteurs pour renforcer la mixité sociale ». L’opposition est la même pour le principal syndicat des enseignants du second degré, le SNES.
Bernard Kuntz, président du Snalc, un syndicat d’enseignant classé à droite, n’est pas plus favorable à une telle suppression. « Je n’ai toujours pas compris comment Nicolas Sarkozy allait pouvoir mettre en oeuvre une telle réforme et réussir à éviter que tous les parents en centre-ville se ruent sur les mêmes établissements, explique-t-il. C’est la porte ouverte à des situations ubuesques. Dans l’état actuel du système éducatif, il me semble que c’est une réforme impossible à mener. » Selon lui, les propositions du président de l’UMP nécessiteraient « une réforme en profondeur du système éducatif, en développant par exemple des filières d’excellence dans les classes de banlieue pour réduire l’évitement scolaire ».
La Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), marquée à gauche, est farouchement opposée à la mesure. Son président, Faride Hamana, estime qu’il « est dangereux de bâtir des propositions à partir de la frange des parents qui trichent ». « Il faut arrêter de faire croire que la suppression de la carte scolaire est une demande partagée par tous les parents, estime-t-il. Cela correspond à une vision très parisienne des choses. » Anne Kerkhove, son homologue de la PEEP, plus proche de la droite, n’est pas contre un assouplissement de la carte scolaire, mais avec prudence : « Avoir plusieurs choix ? Pourquoi pas, mais il faudra ensuite trouver les moyens de gérer les voeux des parents. »
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Bibliographie
Publié le 18.12.06
Les Héritiers. Les étudiants et la culture, de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Minuit, 1964.
La Reproduction, de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Minuit, 1970.
L’Inégalité des chances, de Raymond Boudon, Armand Colin, 1973.
Allez les filles !, de Christian Baudelot et Roger Establet, Point, 1992.L’Apartheid scolaire, de Georges Felouzis, Françoise Liot et Joëlle Perroton, Seuil, 2005.
Globale ou B.A.-BA ? Que cache la guerre des méthodes d’apprentissage de la lecture ?, de Laure Dumont, Robert Laffont, 2006.
Une école sous influence ou Tartuffe-roi, de Jean-Paul Brighelli, Jean-Claude Gawsewitch, 2006.
L’Ecole des chances, Qu’est-ce qu’une école juste ?, de François Dubet, Seuil, 2004.
Ecole : demandez le programme !, de Philippe Meirieu, ESF, 2006.
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Arrêtons de discréditer l’université !
Publié le 04.10.06
Beaucoup d’idées reçues ont la vie dure et finissent par se transformer en dogmes. Non seulement les formations universitaires sont de plus en plus remises en cause, mais on entend répéter partout que le secteur sciences humaines et sociales (SHS) ne produit que des chômeurs et récemment encore le supplément hebdomadaire d’un quotidien parisien pointait « six filières saturées », dont les activités physiques et sportives (APS), la psychologie, les lettres, les langues et, d’une manière plus générale, les sciences humaines et sociales.
Ou l’on cherche à discréditer un secteur qui a peut-être, aux yeux de certains, le tort de trop former l’esprit critique (c’est le secteur SHS qui a été le plus actif dans le mouvement anti-CPE) ou la désinformation sur l’université et ses missions est telle qu’il convient, de toute urgence, d’y répondre.
Contrairement aux filières professionnelles, donc sélectives et souvent onéreuses (grandes écoles, classes préparatoires, instituts universitaires de technologie), l’université a une mission de service public, c’est-à-dire qu’elle se doit d’accueillir tous les bacheliers (y compris ceux qui n’ont pu intégrer les formations d’élite), afin de leur offrir, avec des moyens limités, le meilleur niveau de savoir.
Cela ne veut pas dire qu’elle ne se préoccupe pas de l’insertion professionnelle de ses étudiants, bien au contraire. Mais ses formations, en dehors d’un secteur professionnalisant à effectif nécessairement réduit, et plus coûteux en moyens (licences pro, mastères pro), ne peuvent s’ouvrir que sur des champs professionnels et non sur des métiers. C’est particulièrement vrai pour les SHS, si souvent décriées.
Si l’un des débouchés traditionnels de ce secteur reste l’enseignement, la mise en place, dans nos cursus, de parcours de formation alliant savoir et compétences en relation avec des champs professionnels permet à nos étudiants une insertion bien meilleure qu’on ne le dit.
Pour prendre le cas, souvent cité, des APS : à l’université Rennes-II, les chiffres montrent que, si seulement 5 % à 10 % des effectifs peuvent espérer réussir au Capes ou à l’agrégation et devenir professeurs d’éducation physique, 80 % trouvent une insertion dans des métiers accessibles à l’issue de la formation : en éducation et motricité, activités physiques adaptées et santé, entraînement sportif, ergonomie du mouvement, management du sport… Il y a quelque paradoxe, dans une société où les activités physiques font partie d’une culture fortement valorisée, à prétendre que les études d’APS ne mènent à rien, alors que, partout, salles de sport et clubs sportifs se multiplient !
On pourrait faire le même constat pour toutes les disciplines aujourd’hui montrées du doigt. En psychologie, il existe bien d’autres débouchés que la psychologie clinique. Les secteurs de la santé, de l’éducation, de la justice, de l’ergonomie, mais aussi la gestion des entreprises : direction des ressources humaines, cabinets de conseil en organisation, en recrutement, absorbent un pourcentage important des effectifs qui sortent de l’université. Là encore, à Rennes-II, nous avons, dans cette discipline, un très bon taux d’insertion. Si l’on prend les lettres, comme dernier exemple, en dehors du professorat des écoles ou du second degré, des champs professionnels comme les métiers du livre et de l’édition, des bibliothèques et de la documentation, ou encore de la communication, du patrimoine, de la culture… ouvrent un nombre non négligeable de débouchés : 75 % des étudiants en master « Métiers du texte et de l’édition » trouvent un emploi avant un an.
Il faut donc reconsidérer, en fonction de la mission de service public qui est la leur, les possibilités d’insertion professionnelle offertes par les universités SHS.
Non seulement on pourrait montrer que ce qu’on appelle le taux d’échec en première année, voisin de 50 %, n’est en fait qu’un processus de réorientation auquel on peut remédier par une meilleure information dans les lycées et par des dispositifs de « passerelles » en premier cycle, mais les filières SHS, dites sans débouchés, offrent des possibilités d’insertion professionnelles sérieuses, d’autant plus que, dans les prochaines années, la majorité des emplois qui seront créés ne le seront pas dans l’industrie mais dans les services.
C’est donc bien l’université qui, aujourd’hui, offre une vraie « égalité des chances » pour les classes les moins favorisées et si on peut souhaiter que les grandes écoles s’en rapprochent (François Goulard), en dehors du domaine de la recherche, où les collaborations sont déjà en place (PRES), il faudrait modifier en profondeur le système inégalitaire qui est le nôtre pour donner aux universités les mêmes moyens de préparer directement à des métiers comme c’est le cas pour les facultés de médecine.
A moins qu’on ne préfère, plus démocratiquement, l’intégration des grandes écoles dans les universités sous forme d’instituts de formation professionnelle…
Même la recherche en SHS a fortement évolué ces dernières années. Si la recherche finalisée, soucieuse de la demande sociale, prend de plus en plus de place, une réflexion s’est ouverte, parallèlement, sur la question de l' »employabilité » des étudiants.
Ce sera le thème d’un colloque international, organisé, à l’initiative de Rennes-II, par l’Université de Bretagne, sur le thème « Université, compétences et emploi » (Rennes, Les Champs libres, du 13 au 15 décembre).
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Hervé Hamon : « L’école n’est pas organisée autour de l’élève »
Publié le 18.12.06
Revenons d’abord sur votre méthode. En 1984, vous étiez allé dans des collèges et des lycées. Vingt ans plus tard, vous y êtes retourné. Votre démarche est celle de l’observation, sur le terrain ?
Hervé Hamon : Ma caractéristique, c’est que je suis incompétent et irresponsable. Je n’ai pas d’expertise particulière. Je suis un citoyen passionné par les questions d’éducation. Et je suis indépendant : je décide de faire une enquête, je pars deux ans et demi et je rends mes conclusions. C’est un travail de sociologie empirique, je n’ai pas de prétention à la science ou à l’exactitude, mais une certaine prétention à l’honnêteté. Surtout, j’ai une singularité, c’est que j’y suis allé. Je suis fatigué de voir tous les gens qui nous parlent de la banlieue sans y avoir jamais mis les pieds.
En 1984, Patrick Rotman et moi avions fait une longue enquête sur l’enseignement secondaire public français. Nous avons fait le tour des collèges, des lycées, des lycées professionnels, que l’on appelait à l’époque les LEP [lycées d’enseignement professionnel], et nous avons interviewé à peu près trois cents adultes qui travaillaient dans ces établissements. J’ai décidé de refaire, en solo, exactement le même travail, le même parcours. Je n’ai pas forcément retrouvé les mêmes témoins, mais je pense avoir eu la possibilité de jouer sur cet effet optique pour dire, vingt ans après, ce qui a bougé, ce qui n’a pas bougé, et pouvoir porter un certain jugement global. D’autant plus que j’ai recoupé ces données de terrain avec tout ce qui est disponible comme travaux et observations.
Votre premier constat, à l’issue de cette enquête, c’est que globalement le niveau général a augmenté ?
Hervé Hamon : Arrêtons de perdre du temps dans des querelles subalternes. Quand nous parlons d’éducation, nous sommes soit dans la polémique, soit dans l’affect. Il y a peut-être des choses qui étaient mieux en 1930, mais si l’on veut bien regarder le système éducatif français, le niveau n’a pas cessé de monter. Dans les années 50, n’en déplaise au « Pensionnat de Chavagnes » [émission de télé-réalité sur M6] , l’ambition était d’amener 50 % d’une classe d’âge au niveau de la 6e. Aujourd’hui, nous en amenons les deux tiers au baccalauréat. Ce n’est pas pipeau : contrairement à ce que tout le monde raconte, le bac n’est pas dévalué. On demande aux jeunes de maîtriser des compétences beaucoup plus complexes que celles que j’avais à maîtriser à leur âge. D’autre part, le niveau des profs a également progressé. Il y a vingt ans, un prof sur deux avait le bac. Aujourd’hui, ils sont plutôt surqualifiés. Nous avons des jeunes profs qui ne sont peut-être pas très armés pédagogiquement, mais qui ont un niveau universitaire élevé.
En revanche, vous avez observé, sur le terrain, que les inégalités sont de plus en plus fortes…
Hervé Hamon : Oui, le niveau monte, mais les écarts se creusent. Nous avons un peloton de tête qui est sensiblement plus étoffé, qui roule plus vite, qui est plus performant et qui va plus loin. Nous amenons plus de jeunes, en France, à faire des études complexes et longues. En revanche, entre ce peloton et ceux qui sont à la traîne, l’écart est devenu vertigineux et totalement inquiétant. L’année de mon bac, nous étions environ 11 % à le passer. Mais pour tous, la possibilité d’entrer dans la vie active était plus grande. Aujourd’hui, l’attente de qualification est beaucoup plus forte, et pour ceux qui ont décroché, la situation est très anxiogène. Comme dans les autres pays développés, environ 20 % des élèves sont en grande ou très grande difficulté scolaire. Dans une société toujours plus exigeante, ils sont d’autant plus marginalisés et humiliés. Ce qui m’a beaucoup marqué, c’est de voir comment, dès la 6e, dans n’importe quel collège en situation difficile, les gosses ont intériorisé dix jours après la rentrée l’idée que l’école, ce n’est pas pour eux.
Quelles sont les solutions pour faire face à cette situation ?
Hervé Hamon : C’est simple. On estime que ces 20 % d’élèves n’ont pas leur place dans le système, et on cherche à les évacuer : c’est ce qu’amorce, à mon avis, le ministre de l’éducation, Gilles de Robien, avec l’apprentissage dès 14 ans. Cela constitue pour moi un recul inacceptable : les entreprises ne veulent pas de gens à 14 ans, elles ne sont pas qualifiantes, et en France il n’y a pas de possibilité de retour. Je ne suis pas opposé au fait de déscolariser des élèves qui décrochent : si un gosse étouffe à l’école, qu’il insulte les profs, il est nécessaire qu’il en sorte un moment. Mais il doit avoir un droit au retour. Les pays nordiques arrivent très bien à faire ça, les Canadiens aussi. Le débat est politique. Soit on déclare que ces enfants n’ont pas de place chez nous, et on laisse les enfants des classes moyennes et supérieures fonctionner entre eux ; soit on juge que l’on a su massifier, mais pas démocratiser. Nous avons enfourné des générations d’élèves dans un moule qui écrabouille les plus faibles, les étrangers, les gosses de banlieue, certains ruraux. Nous n’avons pas encore essayé de transformer le moule avant de dire qu’il faut dégager les élèves.
D’autres pays s’en sortent mieux que nous ?
Hervé Hamon : Bien sûr ! Il faut aller voir ceux qui fonctionnent autrement. En Norvège, par exemple, quand un élève décroche en maths, un véritable « SAMU » se met en place. Il y a des professeurs spécialisés qui jugent glorieux, et non pas infamant, de s’occuper de mauvais élèves. En France, nous savons prendre la population la plus normée, la plus normale, les bons élèves, et nous en occuper. En revanche, dès que les populations sont trop homogènes par le bas, ou trop hétérogènes, on ne sait pas faire. L’école n’est pas organisée autour de l’élève.
Y a-t-il une volonté, en France, de s’inspirer de ces exemples étrangers ?
Hervé Hamon : Nous avons beaucoup de travaux, de recherches et d’études sur l’école. Tout le monde sait par exemple que le redoublement, qui est une spécificité française, ne marche pas dans la plupart des cas. On sait que les Français n’arrivent pas à apprendre les langues étrangères, parce que les professeurs ne font pas travailler l’oral, et ont peur d’avoir des élèves qui se trompent. Mais ce qui me choque, en France, c’est qu’on ne veut pas le savoir ! J’ai été étonné de voir à quel point les enseignants ignorent les travaux qui les concernent. C’est comme si je disais : je vais vous parler de médecine, mais je ne lis pas les manuels. Il y a une volonté de ne pas être dérangé. De manière générale, les enseignants ne se comportent pas assez en professionnels ou en intellectuels. Il est difficile de trouver les solutions : on pourrait déjà essayer de poser les problèmes. Nous sommes sans arrêt dans la polémique, le jeu des petites phrases est terrifiant.
Quelle est la responsabilité des professeurs dans l’aggravation des inégalités ?
Hervé Hamon : Ce ne sont pas les professeurs, au sens individuel, qui sont responsables. Les enseignants que j’ai rencontrés sont globalement des gens plutôt consciencieux, qui ont envie de bien faire, et qui sont malheureux quand ça ne marche pas. En revanche, la culture traditionnelle collective est ringarde et désuète, et la formation des enseignants est très insuffisante. Il y a un énorme déficit pédagogique dans ce pays. Par exemple, les familles peuvent avoir en temps réel sur Internet les appréciations des professeurs. Mais l’appréciation, très souvent, c’est « peut mieux faire » ! On fait quoi avec ça ? Est-ce que l’élève va avancer, est-ce qu’il va comprendre ce qu’il doit travailler ? Est-ce que les parents vont pouvoir aider leur enfant ? Les rapports parents-école sont toujours décevants : en France, le parent a toujours tort. S’il est là, c’est un emmerdeur. S’il n’est pas là, il est démissionnaire. Cette école ne fonctionne pas bien, et ce n’est pas, à mon avis, un problème de qualité des individus.
Pour rendre l’école plus performante, vous proposez notamment d’introduire une direction des ressources humaines dans l’éducation nationale.
Hervé Hamon : L’encadrement est un élément-clé. Je me suis souvent demandé, pendant mon enquête, pourquoi on avait, de part et d’autre d’une rue, un collège qui tournait et un collège qui ne tournait pas. A mon avis, la réponse tient beaucoup à la qualité de l’encadrement. En France, nous recrutons des cadres, sur des critères universitaires, et nous les nommons à vie. C’est absurde. N’importe qui, au cours de sa carrière, peut plafonner, avoir un passage à vide, être déprimé. Les possibilités de carrière doivent être beaucoup plus souples. Tous les profs ont envie de partir à 50 ans, et ils ne voient pas comment. Il faut surtout une politique d’évaluation et de sanction, négative mais aussi positive. Que les gens qui s’investissent en tirent de la gratification, de l’argent, des possibilités de choix. Mais on ne peut pas se permettre d’avoir des gens incompétents !
Ces questions de l’organisation de l’éducation nationale sont-elles encore taboues ?
Hervé Hamon : Oui, cela reste un verrou. Dans l’éducation nationale, nous avons des syndicats faibles, qui courent après leur électorat en jouant la carte du statu quo. Mais il va bien falloir que cela change. Par exemple, sur la présence des profs dans l’école : l’obligation de service est un verrou majeur. Il ne s’agit pas de demander aux profs d’être là 35 heures, c’est un travail qui doit se faire par objectifs, et non de façon comptable. Dans les pays qui font mieux que nous, avec des budgets équivalents ou moindres, l’obligation de service ne se réduit pas à dispenser des cours magistraux. Sortons des polémiques là aussi, personne ne pense que les profs travaillent uniquement quand ils sont devant leurs élèves. Mais si on veut progresser, il faut que les enseignants soient plus présents, qu’ils fassent de la méthodologie, qu’ils travaillent ensemble ! Quitte à donner moins d’heures de cours. Par rapport à 1984, sur ce sujet, ça n’a pas bougé. Par certains aspects, nous avons même régressé. Il faut se concerter sur les élèves pour les évaluer, partager les échecs, les difficultés. Tout simplement se réunir autour de l’élève. Cela passe forcément par une modification de toute l’ergonomie des établissements. On ne peut pas demander aux enseignants de rester dans une salle de profs minable, avec seulement une machine à café, pour travailler. Cette révolution culturelle est à faire, c’est le prochain chantier. Ségolène Royal s’y est très mal prise en parlant de 35 heures : il ne faut ni quantifier cela, ni donner à penser qu’on considère que les profs ne foutent rien. Encore une fois, c’est une affaire de système et de culture, plus que d’individus.
Autre sujet d’actualité, la carte scolaire. Pensez-vous que les parents ont aussi une part de responsabilité en refusant la mixité sociale ?
Hervé Hamon : D’abord, la carte scolaire ne marche pas. On l’a créée pour éviter les ghettos et fabriquer un peu de mixité sociale. Le bilan est catastrophique. Aujourd’hui, il y a des ghettos scolaires, comme il y a des ghettos sociaux, ethniques, et c’est un échec de toute la société. Face à ce constat, il y a la solution de Nicolas Sarkozy, qui consiste à dire « on décloisonne tout, et les parents vont choisir ». Là, ce sera encore pire. Nous savons très bien qu’il y a des parents qui choisissent, ce sont les « consommateurs d’écoles », les initiés. En gros, un tiers des parents connaît les bonnes filières, les bonnes options, les bons établissements.
En revanche, il ne faut pas non plus avoir de discours religieux là-dessus, comme au PS où on ne veut pas en parler. Oui, assouplissons la carte scolaire, mais dans le cadre d’une politique réelle d’aide aux établissements défavorisés. Des parents comprennent qu’il nous faut de la mixité sociale, mais aussi de la mixité pédagogique. Certains enfants vont très bien se débrouiller dans un établissement compétitif, d’autres seront mieux dans un établissement accompagnateur. Ce choix-là doit être donné, et cela inciterait les établissements à être plus transparents, à avoir de vrais projets d’établissement qui ne soient pas les deux pages pondues par le proviseur parce qu’il faut rendre quelque chose. Qu’on sache ce que fait l’établissement, comment il travaille, ce qu’il propose aux parents et aux enfants. Cela signifie en même temps qu’il faut mettre le paquet sur les pauvres.
Vous jugez que les moyens ne sont pas assez ciblés ?
Hervé Hamon : Tout à fait. Aujourd’hui, tout le monde est en ZEP. C’est une machine à saupoudrer de l’argent pour acheter de la paix sociale. Pour vous donner un exemple, je ne suis pas partisan de faire baisser les effectifs par classe dans la majorité des établissements. Toutes les études ont montré que quatre élèves de moins, ça coûte très cher, alors que les bénéfices sont faibles. En revanche, dans les secteurs très en difficulté, une baisse drastique des effectifs peut être vraiment efficace. Je souhaiterais qu’on ait un vrai plan d’urgence pour les plus pauvres. Qu’on ferme certains établissements, qu’on n’arrivera pas à sauver. On ne fabriquera pas de la mixité sociale par décret. Il faut être réellement innovant et courageux. Qu’on ne se contente pas de nommer les collèges « ambition réussite », en leur donnant des éducateurs pas formés.
Existe-t-il aujourd’hui une marge de manœuvre ? Est-il possible d’innover à l’intérieur du système ?
Hervé Hamon : Nous ne sommes pas condamnés au désespoir, même si le plus urgent est de gérer autrement les enseignants. Christian Forestier par exemple, lorsqu’il était recteur de Créteil, a su prendre des initiatives. Il a sélectionné cent collèges de l’académie, dans lesquels il a injecté de l’argent. Bien sûr, il a été critiqué, accusé de faire de la discrimination positive. Il a proposé à de jeunes professeurs de venir dans ces établissements, mais en groupe. Ils n’ont pas été nommés seuls mais avec leurs amis, leur petit copain, leur copine, par effet de bande. Ils ont été accueillis six mois avant la rentrée et encadrés. Et ça a marché ! Bien sûr qu’il y a de la marge. Pour l’instant, le système ne fonctionne que parce qu’il y a de la vertu, des gens qui veulent bien faire.
Il vous paraît donc envisageable de réformer l’éducation nationale, l’organisation des professeurs ?
Hervé Hamon : J’ai été positivement surpris par les jeunes profs, notamment dans les zones difficiles. Ils ne disent pas être là par vocation, ils ne jouent pas aux missionnaires, mais ils se posent en professionnels. Ils sont plus souples que ma génération et acceptent que leurs élèves ne ressemblent pas aux élèves qu’ils ont été. Et ils semblent prêts à essayer de comprendre la culture de ces populations scolaires qu’ils ont devant eux. C’est avec cette masse de jeunes enseignants qui arrive qu’il faut négocier. Avec les anciennes générations, cela ne sert à rien, ils ne sont absolument pas prêts à changer leurs habitudes. Les jeunes disent « pourquoi pas, mais quelle est la contrepartie ? ». C’est un réflexe sain. Il faut parler, négocier. On ne peut pas réformer en publiant un décret, ce que les ministres aiment beaucoup.
Pour conclure, vous croyez encore à l’idée de l’égalité des chances à l’école ?
Hervé Hamon : C’est un problème d’ascenseur social. Aujourd’hui, les pôles d’excellence se sont organisés pour résister à la démocratisation, les prépas sont la chasse gardée des classes supérieures. Il y a en France un mécanisme d’autodéfense face au phénomène démocratique. Cela dit, l’ascenseur social n’est pas totalement en panne. Il ne fonctionne plus si on imagine qu’on va prendre un gamin de Clichy-sous-Bois, et le faire entrer à l’ENA. En revanche, amener un jeune de Clichy-sous-Bois au BTS, c’est imaginable. L’ascenseur ne s’arrête pas à tous les étages, et les plus hauts étages sont toujours desservis pour les mêmes. Mais il monte quand même plus haut qu’avant. Je ne désespère pas de l’école.
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Pédagogie : la réforme impossible ?
Publié le 18.12.06
Le système éducatif a encore et toujours besoin de s’attaquer au problème de l’échec scolaire. Le rapport du ministère de l’éducation nationale sur l’état de l’école en 2004 relève que « 50 000 jeunes, soit 7 % des sortants de formation initiale, ont quitté l’école sans qualification, c’est-à-dire sans avoir atteint au moins une classe terminale de CAP ou BEP, ou une seconde générale et technologique… En ajoutant ceux qui possèdent au mieux le brevet, on atteint le total de 150 000 ; 20 % des sortants se trouvant ainsi dépourvus de diplôme de second cycle : CAP, BEP ou baccalauréat ».
Ceux qui sortent sans qualification sont en majorité issus de milieux défavorisés et se retrouvent, par voie de conséquence, les premières victimes du chômage. En simplifiant volontairement les choses, on est face à l’alternative suivante : inculquer à tous le même tronc commun de connaissances ou adapter la pédagogie aux différences et aux disparités.
En 1989, la loi Jospin apparaît comme un tournant. Un des ses objectifs principaux est de placer l’élève au centre du système éducatif. « L’école doit permettre à l’élève d’acquérir un savoir et de construire sa personnalité par sa propre activité, précise le texte. La réalisation de cet objectif demande du temps : son utilisation optimale par l’élève est le problème essentiel de l’école. Le temps scolaire est partagé entre des cours, des travaux dirigés et d’atelier, le travail personnel assisté et le travail personnel autonome. La durée de ces activités doit être évaluée par l’équipe pédagogique pour être communiquée aux élèves et à leur famille, et ne pas dépasser au total une durée hebdomadaire fixée pour chaque cycle d’enseignement. » Pour Jean-Paul Brighelli, enseignant et auteur notamment de La Fabrique du crétin, c’est une « date d’apocalypse », la faillite annoncée du projet de l’école. L’illusion, à ses yeux : croire que c’est en parlant de « liberté d’expression qu’on la rend réalisable ».
Faut-il revenir à des conceptions plus traditionnelles, redonner la place centrale à l’enseignant ? Pourquoi la France, dont les dépenses pour l’éducation sont particulièrement élevées, n’arrive-t-elle qu’en 13e position des pays de l’OCDE pour les résultats en mathématiques des élèves de 15 ans ? A la rentrée 2006, la réforme de l’éducation prioritaire a été mise en place par Gilles de Robien. Elle est placée sous le signe de « la lutte contre l’échec scolaire ». Deux cent quarante neuf collèges ont ainsi été classés « ambition réussite », bénéficiant de moyens supplémentaires (1 000 postes d’enseignants référents et plus de 3 000 assistants d’éducation). Un soutien est mis en place pour les élèves en difficulté, surtout en CE1 et en 6e. Les syndicats estiment que ces réformes se font au détriment d’autres établissements et qu’elles manquent de moyens. Réponse à la rentrée 2007.
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Gérard Aschieri : « Il y a des établissements et des zones qui s’éloignent de plus en plus des autres »
Publié le 18.12.06
L’école est-elle aujourd’hui devenue un facteur d’inégalités ?
Gérard Aschieri : Les inégalités ne viennent pas de l’école. Mais l’école n’est pas en mesure de les corriger de manière suffisante. Les inégalités, souvent liées à des phénomènes de ségrégation sociale et territoriale, existent dans l’école. L’éducation nationale en souffre : le travail qui est fait permet d’éviter la catastrophe, mais on voit que ces inégalités se creusent. De plus en plus, ce sont des différences territoriales qui redoublent les inégalités sociales.
L’école n’est même plus en mesure de freiner ces inégalités ?
Gérard Aschieri : Elle limite l’hémorragie, si l’on peut dire, mais elle ne l’arrête pas. Confrontée à ces inégalités, l’école ne les répare pas suffisamment. Mais attention, si on n’avait pas un système éducatif public, ce serait peut-être pire. Cependant, ce n’est pas satisfaisant : il y a eu une dégradation de la situation ces dernières années, notamment en termes de géographie. Il y a des établissements et des zones qui s’éloignent de plus en plus des autres quant à la capacité de réussite, aux chances de réussite. Mais attention à la notion d’égalité des chances. Souvent, on a l’impression d’une compétition dans laquelle des gens ont des handicaps et qu’il suffirait de les compenser pour que tout le monde ait la même chance d’arriver au bout. Je pense qu’il ne s’agit pas d’une compétition. Car aujourd’hui, on a plutôt un problème dans l’égalité de l’accès aux droits.
Dans certaines zones, par exemple ?
Gérard Aschieri : Quand on parle de zones de non-droit, il faudrait ajouter un « s » à droit ! Ces zones dites difficiles ne sont pas des lieux où les gens sont difficiles et où la loi ne s’applique pas. Ce sont des zones où l’accès aux droits – droit à l’éducation, au logement, à l’emploi, etc. – est moindre par rapport à d’autres zones, voire nul. Et l’école, elle, se trouve au milieu de tout ça. Elle a du mal à faire face. C’est pour ça qu’un certain nombre d’établissements scolaires sont de plus en plus ghettoïsés. On a une école qui fonctionne bien dans 90 % des cas, et puis il y a 10 % d’établissements qui cumulent les difficultés scolaires, l’échec, la violence.
On reproche parfois aux organisations syndicales de ne s’attaquer qu’à la question des moyens. Est-ce la clé de toute réforme ?
Gérard Aschieri : On ne peut pas traiter la question sans moyens. Les redéploiements, ce n’est pas juste et ce n’est pas suffisant pour faire face. Cette difficulté scolaire, cette violence, elle ne se traite pas sans un apport significatif de moyens supplémentaires. Il faut compenser beaucoup plus les handicaps territoriaux que ce n’est fait aujourd’hui. Mais les moyens ne suffisent pas. Il faut savoir ce qu’on en fait : individualiser le suivi des élèves en grande difficulté, réduire les effectifs des classes, permettre aux personnels de travailler beaucoup plus en équipe. Dans les établissements qui connaissent le plus de difficultés, il faut faire un peu dans la dentelle dans le suivi, se concerter, avoir plus d’adultes présents. Mais au-delà, il y a tout ce qui se passe autour de l’école. Elle ne traitera pas les problèmes du logement, de la pauvreté, du chômage, et sans effort concerté pour traiter ces difficultés, l’école peut ramer, mais elle ne ramera jamais suffisamment.
Mais dans ces zones-là, des initiatives ont été mises en place, comme les zones d’éducation prioritaires (ZEP). Et pourtant, les résultats ne sont pas ceux qui étaient attendus…
Gérard Aschieri : Ils ne sont pas ceux qui étaient attendus, mais le différentiel de moyens n’est pas ce qu’il aurait dû être… Il y a deux sortes de ZEP : un certain nombre d’entre elles ont réussi à garder la tête hors de l’eau, tandis que d’autres se sont enfoncées. Notre proposition, c’est d’abord de mettre le paquet sur ces dernières. Mais attention, on ne peut pas enlever des moyens à celles qui ont la tête hors de l’eau, ce serait les enfoncer encore plus. Il y a deux autres questions qui sont fondamentales. D’abord la formation des personnels, notamment à la diversité des publics. Et ensuite, sur le plan qualitatif, il y a la question de la culture commune : qu’apprend-on à l’école et quel sens cela a-t-il ? La culture scolaire traditionnelle peut être socialement très sélective. La dissertation est un genre lié à une certaine couche sociale. On savait implicitement ce que c’était que la méthode de la dissertation. Or là, on a des élèves qui ne sont pas issus de cette couche sociale. Je ne dis pas qu’il faut jeter par-dessus bord les classiques mais il faut redonner du sens, réfléchir à la hiérarchie des disciplines. Pour la technologie, aurait-elle une place moindre que les mathématiques, par exemple ?
Certaines solutions relèvent des moyens, d’autres du domaine de la pédagogie ?
Gérard Aschieri : Bien sûr. Et pourtant, ce travail sur les contenus est rarement fait. Le fameux socle commun [mis en place par Gilles de Robien, ministre de l’éducation nationale] ne fait pas ce travail, et c’est en cela que c’est une supercherie. Il n’y a pas de solution clés en main. Cela nécessite un travail où les enseignants aient leur part, mais aussi les spécialistes des disciplines, les chercheurs en sciences de l’éducation aussi. Il faut qu’il y ait un vrai débat sur cette question, en se donnant un petit peu de temps. On ne va pas tout révolutionner, il s’agit de donner de la cohérence. Et au sein de cette cohérence, il faut donner une place à la diversité culturelle qui est celle de notre pays. La France est un pays marqué par la mixité culturelle et les jeunes y sont très sensibles. Je dirais même qu’ils la vivent bien. Malheureusement, je ne suis pas certain qu’ils la retrouvent dans l’école.
Outre la question des moyens, outre celle des contenus, n’y a-t-il pas une autre question relative à l’organisation du travail des enseignants ? Est-il possible d’envisager une réforme qui modifie le temps de travail ?
Gérard Aschieri : C’est ce que l’on demande. Quand je dis qu’il faut travailler plus en équipe, je dis qu’il faut changer l’organisation du travail. Simplement, on ne peut pas modifier en chargeant toujours la barque, il faut qu’il y ait des compensations. Et une manière de le faire, c’est de réduire le temps de travail devant les élèves afin de permettre plus de travail collectif. Ça a un coût énorme, c’est vrai. La proposition qu’on a faite, déjà, à plusieurs ministres, c’est de commencer par les établissements les plus difficiles. Il y a également la question du soutien aux élèves : cela relève du service public, c’est vrai. Mais, là encore, ça ne se fera qu’en dégageant du temps pour que ce soit fait. Dans les établissements difficiles, c’est souvent fait en heures supplémentaires, puisque ces établissements ont souvent des crédits pour cela. Sur cette question, il y a aussi une idée toute simple qu’on peut appliquer : l’industrialisation du cours de soutien et du cours complémentaire est liée à une seule chose, c’est la défiscalisation des cours privés, à hauteur de 50 %. C’est autant d’argent en moins dans les caisses de l’Etat ! Si on met cet argent dans l’école, dans les établissements les plus difficiles, on pourrait payer des personnes pour faire du soutien.
Ces entreprises privées qui font du soutien scolaire, sont-elles des partenaires pour l’école ou des concurrents ?
Gérard Aschieri : Ce ne sont pas des partenaires, je ne les qualifierais pas de concurrents non plus. Mais ce qui est contestable, c’est que l’Etat mette de l’argent là-dedans au lieu de le mettre dans les écoles publiques. D’ailleurs, les élèves qui ont recours à ces officines ne sont pas ceux qui en ont le plus besoin.
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Recentrage sur les 249 collèges les plus en difficulté
Publié le 18.12.06
Pour le vieux principe égalitariste de l’éducation nationale et républicaine, 1981 a été une année de rupture. S’inspirant d’expériences déjà tentées en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis dans les années 1960 et 1970, le gouvernement de l’époque casse le principe d’une égalité de moyens : chaque individu ne recevra pas de l’Etat le même investissement en matière d’éducation.
L’idée est de corriger les effets des inégalités sociales, économiques et culturelles en renforçant l’action éducative là où l’échec scolaire est le plus élevé. Le gouvernement crée les zones d’éducation prioritaires (ZEP), pour lesquelles des moyens extraordinaires sont débloqués. Alain Savary, ministre de l’éducation nationale, précise alors : « La démocratisation du système éducatif et la lutte contre les inégalités sociales doivent se concrétiser par davantage de moyens et surtout une plus grande attention pour ceux qui en ont le plus besoin. » Les ZEP seraient donc des « machines » à réduire les inégalités sociales. Les moyens supplémentaires accordés aux établissements scolaires concernés prennent généralement la forme de primes pour les enseignants et d’une réduction des effectifs par classe. La France se classe ainsi parmi les premiers pays de l’OCDE en termes d’effort financier dans le domaine de l’éducation (7 % du PIB). En 2006, l’éducation nationale demeure le premier budget de l’Etat avec 22,5 % du budget général.
Vingt-quatre ans après leur création, malgré les bilans intermédiaires et les tentatives de réformes de la réforme, le système des zones d’éducation prioritaires est usé. L’écart des résultats scolaire entre les élèves de ZEP et hors ZEP n’a pas été réduit. Pis, le récent rapport corédigé par l’inspection générale de l’éducation nationale et l’inspection générale de l’administration et de la recherche souligne des effets pervers, « comme la ‘stigmatisation’ conduisant à ‘l’évitement‘ par les catégories sociales » (contournement de la carte scolaire) et « les résultats insuffisants en matière d’orientation des élèves au-delà du collège ».
« Les moyens supplémentaires ont été trop dispersés », souligne le rapport. Le plan de relance pour la rentrée 2006 de Gilles de Robien, ministre de l’éducation nationale, recentre donc les moyens sur les établissements les plus en difficulté. Le classement des établissements des ZEP est modifié : parmi eux, 249 collèges sont classés « ambition réussite ». En 2006, un millier de professeurs expérimentés devaient rejoindre ces collèges. Déchargés de 50 % de leur temps de classe, ils doivent également former leurs plus jeunes collègues. Ces collèges bénéficient également de l’arrivée de trois mille assistants pédagogiques.
Sans surprise, la réforme a suscité une vise opposition des syndicats. Ils dénoncent un simple redéploiement de moyens. Pourtant, Gérard Aschieri, secrétaire général de la FSU, dresse également un bilan mitigé des ZEP : « Les résultats ne sont pas ceux qui étaient attendus. » L’éducation nationale manquerait toujours de moyens pour réaliser ses objectifs.« Il est nécessaire d’investir sur les zones les plus difficiles. Mais il est également indispensable de ne pas enlever des moyens à celles qui ont la tête hors de l’eau », précise M. Aschieri. D’autres voies doivent être explorées, estime le syndicaliste, par exemple en ce qui concerne « la formation des personnels » dans le domaine de la pédagogie. « La culture scolaire traditionnelle peut être socialement très sélective. La dissertation est un genre lié à une certaine couche sociale. On savait implicitement ce que c’était que le beau, que la méthode de la dissertation. Or là, on a des élèves qui ne sont pas issus de cette couche sociale. Il faut redonner du sens, réfléchir à la hiérarchie des disciplines. La technologie a-t-elle une place moindre que les mathématiques ? »
Des failles également détectées par les experts des deux inspections, qui soulignent un « pilotage défaillant », un manque de souplesse et « d’autonomie » à l’égard de l’éducation nationale. Il est nécessaire que « cette politique ne s’enferme pas non plus dans la routine, conclut le rapport. Elle devra faire l’objet d’adaptations permanentes ».
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Impasse de l’université
Publié le 30.11.06
C’est la rentrée à l’université, synonyme d’ascension sociale pour beaucoup d’étudiants. Mauvais calcul, hélas. Pour 40 % d’entre eux, ils n’obtiendront pas leur DEUG, le diplôme de deuxième année, comme ceux des rentrées 2005, 2004, 2003… A la différence des années précédentes, cependant, le gouvernement semble vouloir sortir de cette impasse, mais à pas lents.
Jacobinisme oblige, l’enseignement supérieur a été dessiné comme un jardin à la française. Le bac général était censé mener aux grandes écoles et à la fac. Le bac technologique conduire aux IUT (instituts universitaires de technologie) et aux BTS (brevets de technicien supérieur). Tandis que le bac professionnel était destiné aux futurs ouvriers et employés, même si cela n’a jamais été dit.
Sur le papier, ce système ne manque ni d’allure ni d’ambition. Aucun jeune Français ne doit avoir quitté l’éducation nationale sans une qualification. 80 % d’une classe d’âge est réputée se hisser au niveau du bac et la moitié d’entre elle obtenir un diplôme de l’enseignement supérieur. Evidemment, ce n’est pas le cas. Au fil des années, cette vision dirigiste, colbertiste, de l’éducation, s’est révélée de plus en plus inadaptée à la » massification « de l’enseignement supérieur, qui conduit 40 % d’une classe d’âge à l’université contre 15 % il y a vingt ans. Des filières sélectives, comme les IUT et les BTS, se sont multipliées, qui ont fait refluer vers l’université, où il n’y a pas de sélection, nombre de lycéens qui n’avaient rien à y faire.
C’est le cas, chaque année, de 6 000 titulaires d’un bac » pro « (sur 92 000). Censés accéder directement à la vie professionnelle, ils optent pour un DEUG où leur taux de réussite en quatre ans est inférieur à 17 %. Comme eux, les bacheliers des filières technologiques sont 18 % à entrer chaque année à l’université au lieu de choisir un IUT ou de préparer un BTS. 60 % en sortent sans aucun diplôme, soit 15 000 étudiants.
Les titulaires d’un bac général n’en font qu’à leur tête, eux aussi. Beaucoup d’entre eux choisissent d’intégrer un IUT et s’en servent comme tremplin. Ils bifurquent ensuite vers une école de commerce ou une école d’ingénieur. Tant mieux pour leur avenir. Tant pis pour l’équilibre du système, qui prend eau de toute part.
Conséquence de ce mouvement brownien : chaque année, 80 000 étudiants quittent l’université sans aucun diplôme. La faute à qui ? A l’opacité du système pour commencer. Elèves et parents se perdent dans le dédale des formations post-secondaires – 22 000 en tout -, aux dénominations parfois obscures comme le BTS » mise en forme des alliages moulés, dominantes coulées non granitaire (moulage sous pression) « .
Dans les facs, un schéma » LMD « a été mis en place mais, pour ne rien simplifier non plus, il ne s’est pas entièrement substitué au système antérieur. » LMD « , en jargon éduc. nat., signifie licence (bac + 3), master (bac + 5) et doctorat (bac + 8). Reconnus dans toutes les universités de l’espace européen – un progrès -, ces trois grades coexistent avec les anciens DEUG et les anciennes maîtrises, qui continuent d’être délivrés aux étudiants qui le demandent. Comment s’y retrouver ? L’orientation scolaire est le talon d’Achille de l’éducation nationale. Elle remplit mal sa mission, faute d’effectifs adéquats. Faute surtout pour les conseillers d’orientation de connaître de l’intérieur le marché du travail. L’éducation nationale compte ainsi moins de 5 000 conseillers d’orientation. Comme il y a 6 millions de collégiens et de lycéens, le calcul est vite fait : chaque conseiller a en charge plus d’un millier d’élèves.
LA SÉLECTION » PAR LA FENÊTRE «
Leur formation laisse à désirer. A dominante » psycho « , elle ne met pas assez l’accent sur le volet » insertion professionnelle « de leur mission. La plupart des conseillers d’orientation-psychologues, c’est leur dénomination officielle, connaissent mal le monde de l’entreprise, faute, souvent, d’y avoir été en stage. Et, vieux travers, ils se méfient de lui.
Eperonné par un taux de chômage élevé – 22 % en 2005 chez les 15-24 ans, contre 18 % en moyenne dans l’Union européenne -, le gouvernement de Dominique de Villepin a décidé de réagir. Il a confié au recteur de l’académie de Limoges, Patrick Hetzel, la charge d’organiser un » débat national université-emploi « , dont les premières recommandations ont été formulées en juin. L’une d’elles préconisait la création d’un poste de délégué interministériel à l’orientation, qui a vu le jour mi-septembre. Une autre, parmi les plus intéressantes, suggère la mise en place dans chaque université d’une direction des stages, des emplois et des carrières à l’instar de ce qui se fait dans certaines facs.
Echaudé, comme Dominique de Villepin, par la crise du CPE, François Goulard, le ministre délégué à l’enseignement supérieur, multiplie les initiatives pour tirer en douceur le » mammouth « de sa léthargie. Il propose aux élèves de terminale de déposer dès février ou mars leur dossier d’inscription à l’université, et non plus en juillet, comme c’est le cas aujourd’hui. Cela dans les facs qui voudront bien se prêter à l’opération.
Même si l’UNEF accuse le gouvernement de vouloir, avec cette réforme, réintroduire la sélection » par la fenêtre « , elle va dans la bonne direction. Elle vise à dissuader les titulaires d’un bac » pro « ou » techno « de s’engouffrer dans des filières longues. Et les titulaires d’un bac général de se lancer dans des études sans réels débouchés : » psycho « , » médiation culturelle « , éducation physique et sportive, etc.
L’université est irremplaçable pour les » post-bac « , mordus de français ou de maths, qui deviendront profs. Elle prépare convenablement à la vie active les étudiants en licences ou masters professionnels qui ont de bonnes chances, au terme de leur cursus, de trouver un emploi. Mais son premier cycle est le pot au noir.
Trop souvent, les enseignants, qui sont une aristocratie, ne s’intéressent aux étudiants qu’une fois franchi le redoutable barrage du DEUG. C’est-à-dire lorsque le tiers état accède, après écrémage, au statut de » vrais « étudiants.
Les bacheliers et leurs parents s’accommodent tant bien que mal de cette situation qui laisse à un système injuste et passablement hypocrite le soin de procéder à une sélection qui ne dit pas son nom.
Comment expliquer à des parents qui, souvent, n’ont pas fait d’études supérieures que l’université est, pour trop d’étudiants, un miroir aux alouettes ? Et à tous qu’un BTS vaut mieux qu’un parcours incertain à la fac ? La démocratisation de l’enseignement supérieur – la vraie – est pourtant à ce prix.
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Trois questions à Richard Descoings, directeur de Sciences-Po Paris
Publié le 18.12.06
Quel bilan tirez-vous de votre projet d’ouvrir Sciences-Po aux plus brillants élèves issus des banlieues défavorisées ? Combien d’élèves sont concernés ? S’agit-il plus de filles ou de garçons ? Quel est leur niveau ? Et que deviennent-ils en sortant de Sciences-Po ?
Richard Descoings : Les conventions éducation prioritaire ont été lancées en 2001 et avaient alors déclenché un tollé général. « Coup de pub… mise à bas de la République… Sciences-Po en bonne dame de charité du XIXe siècle… », sans compter les attaques personnelles, et les plus ou moins bons mots. Les étudiants de ZEP seraient « les boat-people de Sciences-Po », avait ainsi déclaré la présidente de la très honorable Société des agrégés… Les partisans de l’immobilisme étaient légion… D’autres ont défendu le droit à l’expérimentation.
Il y avait sept lycées partenaires de Sciences-Po à l’époque. Ils sont quarante-huit aujourd’hui, situés dans dix régions françaises. Il y a eu dix-sept élèves admis la première année, soixante-quinze en 2006, ce qui porte le nombre total d’étudiants sélectionnés à 264, en six ans. Une centaine sont issus de la Seine-Saint-Denis. Des dizaines de grandes écoles ont finalement suivi Sciences-Po et ont même signé en 2005, un an après les grandes entreprises, une charte de la diversité. L’innovation lancée par Sciences-Po a fait école.
Les filles sont pour l’instant à l’avant-garde. Elles représentent environ les deux tiers des candidats. Au total, entre 50 et 70 % des admis sont enfants de chômeurs, d’ouvriers, de retraités ou d’employés. Cela correspond au taux de catégories socioprofessionnelles défavorisées des lycées partenaires, qui ont généralement entre 50 et 80 % de CSP, pour une moyenne nationale à peine supérieure à 20 % (enseignement public et privé confondus). La première promo – celle des pionniers – a été diplômée en juillet 2006. Trois sur quinze qui passaient les épreuves finales avaient signé un CDI plus d’un mois avant les examens. Pendant cinq ans, ces étudiants ont suivi les mêmes cours et passé les mêmes examens que les autres. Ils ont gagné un droit à l’indifférence. C’est le meilleur succès qu’on pouvait espérer.
Jean-Claude Brighelli, professeur agrégé de lettres, considère que la solution de Sciences-Po et « son côté bonne œuvre de la marquise peut marcher ponctuellement mais ce n’est pas une politique ». Que lui répondez-vous ?
Richard Descoings : Ce type de formule a un goût de réchauffé. Je tire mon chapeau aux élèves qui n’avaient rien au départ mais qui en veulent et bossent, aux enseignants des lycées qui sont sur le front depuis le début et ont gardé le même enthousiasme. Sur le terrain, cela bouge ! Ce n’est qu’un exemple, modeste par nature, mais qui suffit à montrer qu’avec de la volonté, on peut relancer l’ascenseur social. Pourvu que chacun accepte de ne pas rester chez soi, pour soi, sur son quant-à-soi.
Quels sont vos nouveaux projets pour favoriser l’égalité des chances ?
Richard Descoings : Avec ces mêmes acteurs de terrain, chefs d’établissement, enseignants, responsables d’association, on a décidé d’aller plus loin. En décembre 2005, je les ai réunis à Sciences-Po en leur posant une seule question : « quel serait le lycée de vos rêves ? ». On a planché pendant trois mois. Aujourd’hui, sur la base de ce travail, quatre lycées du « 9-3 » (à Clichy-sous-Bois, Epinay-sur-Seine, Saint-Ouen et Bondy) se sont lancés en réseau dans l’expérimentation.
Ce n’est pas facile tous les jours. On taraude le bois dur. Mais là aussi, cela bouge. Huit établissements d’enseignement supérieur et une vingtaine de très grandes entreprises sont partenaires du programme, condition sine qua non pour sortir les lycéens de leur huis clos. Deux axes majeurs, l’innovation pédagogique et l’ouverture des élèves au monde extérieur, avec un travail sur mesure pour leur orientation. Au menu, l’interdisciplinarité et de nouveaux horizons. Des voyages d’études ambitieux, au Bénin, au Sénégal, en Chine. Avec, à Pékin ou Shanghaï, des rencontres avec des responsables d’entreprises françaises qui réussissent. Est-ce parce que l’on est né à Clichy-sous-Bois que l’on doit s’interdire d’envisager une carrière là où se fera le monde de demain ?
[-] fermer « Bataille pour la réforme des ZEP »
Bataille pour la réforme des ZEP
Publié le 30.11.06
En Seine-Saint-Denis, fief de l’éducation prioritaire, la mise en place des collèges » ambition réussite « , réforme-phare de l’éducation nationale, ne plaît pas à tout le monde. Dans ce département, les représentants du principal syndicat des enseignants du second degré, le SNES, sont partis en campagne, dès le début de l’année, contre ce qu’ils considéraient comme » un plan de dynamitage de la politique des ZEP « , les zones d’éducation prioritaire. En février, une quinzaine de collèges ont été occupés.
Dans toute la France, 249 collèges et les 1 600 écoles primaires qui s’y rattachent, jugés les plus défavorisés, ont été labélisés » ambition réussite « . Ils ont bénéficié à ce titre, à la rentrée 2006, de quelque 1 000 professeurs » référents « de plus et de 3 000 assistants d’éducation dans le cadre de la réforme des ZEP, annoncée par Dominique de Villepin au lendemain de la crise des banlieues.
Une manne, certes, mais les opposants dénoncent le fait que, pour donner davantage de moyens aux collèges » ambition réussite « , le gouvernement en a pris aux autres. Ils s’inquiètent aussi d’une prochaine étape de la réforme, qui prévoit de retirer le label ZEP – et les moyens qui vont avec – aux collèges dont la situation scolaire et sociale ne le justifie plus. Le recteur de l’académie de Créteil, dont fait partie la Seine-Saint-Denis, a pourtant assuré que celle-ci ne serait pas concernée.
Enfin, les adversaires de la réforme contestent le principe de professeurs référents. Ces enseignants – quatre en moyenne par collège » ambition réussite « – ne sont tenus d’assurer qu’un mi-temps de cours, le reste étant consacré à la mise en place de projets pour les élèves les plus en difficulté, à l’encadrement des assistants d’éducation ou à épauler leurs collègues en classe.
Sans que cela corresponde à une consigne nationale de ce syndicat, le SNES-93 a appelé à boycotter la réforme. » A aucun moment, nous n’étions demandeurs de professeurs référents, explique Goulven Kerien, du SNES-93. Ce que nous voulions, ce sont des heures en plus pour dédoubler les classes et du temps pour que les équipes pédagogiques puissent se concerter. «
Au collège Robert-Doisneau, de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), où les opposants sont venus présenter leurs arguments en mai, on est passé outre et on a décidé de jouer le jeu. » Nous avons eu une grande discussion avec l’équipe, explique Marie-Christine Culioli, la principale. J’ai expliqué que si on ne prenait pas ce dispositif, on n’aurait plus rien avant longtemps. Alors, soit on prend et on se bat, soit on s’en mord les doigts. «
Avec près de 80 % d’élèves issus de familles défavorisées, seulement 58 % de réussite au brevet, 29 nationalités représentées, le collège Robert-Doisneau de Clichy-sous-Bois fait partie des établissements scolaires qui concentrent, en France, le plus de difficultés. C’est là qu’étaient scolarisés les deux adolescents électrocutés dans un transformateur EDF le 27 octobre 2005. Depuis la rentrée, l’établissement bénéficie de quatre professeurs en plus et d’autant d’assistants d’éducation.
Pas question d’accréditer l’idée qu’il y aurait des » superprofs « et les autres. On a banni le terme de professeurs référents, rebaptisés » professeurs supplémentaires « . Deux d’entre eux, professeurs d’anglais et de mathématiques, ont été recrutés en interne. Un enseignant du primaire, qui travaillait déjà avec le collège, a été intégré à l’équipe. Seul un jeune professeur de français a été recruté à l’extérieur.
Pour être prête à la rentrée de septembre, l’équipe de direction de Robert-Doisneau a planché sur le dispositif, dès le mois de mai, avec les enseignants. » On a réfléchi à une façon d’enseigner différente du modèle classique « frontal », c’est-à-dire avec un professeur seul devant sa classe « , explique Mme Culioli. A chaque niveau (6e, 5e, 4e, 3e), une organisation spéciale a été mise en place, au plus près des besoins des élèves, en mathématiques, anglais et français.
En anglais, par exemple, dès la sixième, les élèves ont une heure de cours en plus par semaine et sont répartis dans différents groupes selon leur niveau. » En langue, il faut intervenir très tôt pour ne pas laisser couler les élèves « , explique Sylvie Jégo, l’enseignante supplémentaire d’anglais.
La » co-intervention « , qui prévoit deux enseignants en même temps dans une classe ou dans un groupe, fait également partie des innovations. » Quand on fait un cours classique, on a au moins la moitié de la classe qui est passive, explique Tamas Hegedus, professeur supplémentaire de mathématiques. A deux, on peut appliquer une pédagogie différente. «
Des études surveillées ont été mises en place pour les élèves qui le souhaitent, avec une attention particulière pour les plus en difficulté. Et, désormais, le collège est ouvert jusqu’à 19 heures. » C’est un vrai défi, assure la chef d’établissement. De ces nouvelles pratiques peut émerger une autre manière de penser l’éducation nationale. « Encore faut-il que les enseignants l’acceptent. Début octobre, le recteur de Créteil estimait que des tensions subsistaient dans quatre collèges de Seine-Saint-Denis. Au SNES-93, on parlait de » pagaille « dans une dizaine d’établissements.
[-] fermer « Philippe Meirieu : » Je me sens trop en désaccord avec les décisions prises dans le secteur éducatif « »
Philippe Meirieu : » Je me sens trop en désaccord avec les décisions prises dans le secteur éducatif «
Publié le 30.11.06
vous incarnez le courant des pédagogues, face aux tenants d’une conception traditionnelle de l’éducation. pourquoi n’avez-vous pas postulé à un nouveau mandat à la direction de l’institut universitaire de formation des maîtres (iufm) de lyon ?
Dans la conjoncture actuelle, je ne souhaitais pas être nommé par le ministre de l’éducation nationale, Gilles de Robien. Je me sens trop en désaccord avec les décisions prises, ces dernières années, dans le domaine éducatif, pour assumer ces responsabilités. Et je tiens à ma liberté de parole.
Que reprochez-vous à la politique de M. de Robien ?
Il s’agit d’une politique de renoncement aux ambitions. L’apprentissage à 14 ans, présenté comme une réponse à la crise des banlieues, en est une illustration. Ce n’est pas en renonçant à l’éducation, à la culture, qu’on va résoudre la question des violences. Au contraire. C’est une mesure démagogique. On paye les jeunes 300 euros, mais c’est une prime pour abandonner l’école. En plus, on sait qu’ils ne trouveront pas d’emploi, car les entreprises n’en veulent pas.
Ce que je crains, c’est que la possibilité d’orienter des jeunes en apprentissage dès 14 ans, sous statut scolaire, soit anticipée dès 12 ans. A terme, on risque de revenir à un palier d’orientation dès la fin de l’école primaire.
Que dire, aussi, des orientations contenues dans l’avant-projet de loi du gouvernement sur la prévention de la délinquance, qui met l’accent sur la détection précoce des troubles du comportement?
Pour le pédagogue que je suis, c’est une catastrophe. Les spécialistes ont montré qu’il existe un effet » pygmalion « , notamment à l’école, c’est-à-dire que certains enfants vont mettre un point d’honneur à agir comme des » lascars « pour se caler sur l’image que les adultes leur attribuent.
Ces mesures n’ont pas suscité beaucoup d’opposition de la part des syndicats et des enseignants…
Elles sont passées comme une lettre à la poste. Je fais l’hypothèse que chez les enseignants du second degré, il y a eu une forme de soulagement au regard des difficultés rencontrées dans les classes. Aujourd’hui, il y a un essoufflement des dynamiques. Il existait une minorité militante, déterminée, qui arrivait à faire exister des enclaves d’espérance. Ces gens sont de plus en plus découragés. Ils ont le sentiment de ne pas être soutenus.
L’éducation nationale n’a jamais vraiment perçu qu’avec des sommes très minimes, on peut installer des choses intéressantes dans les classes. Elle s’est défaussée des budgets pédagogiques auprès des collectivités territoriales. Du coup, les enseignants survivent comme ils peuvent.
Qu’est-ce qui ne va pas avec le collège unique ?
Nous n’avons pas mis les moyens suffisants pour mettre en oeuvre le collège unique, dont la vocation est de scolariser dans les mêmes classes tous les élèves de la 6e à la 3e. Il aurait fallu un rééquilibrage disciplinaire. Je suis partisan de l’enseignement technologique pour tous, à une hauteur significative. Actuellement, l’enseignement technologique est très conceptualisé. Il faudrait, au contraire, développer une approche axée sur l’artisanat de proximité, sur les métiers. L’introduction de cette approche pour tous les élèves permettrait une orientation positive vers l’enseignement professionnel, et pas seulement par l’échec.
Il faudrait aussi davantage de suivi individuel des élèves, de temps consacré à leur remise à niveau. Je reconnais que la loi Fillon avait ouvert la porte. Je suis d’autant plus sidéré que M. de Robien ne l’ait toujours pas mis en oeuvre.
La définition d’un socle commun de connaissances et de compétences compensera-t-il les lacunes du collège unique ?
Tout dépend de ce que l’on y met. Si ce socle s’entend comme une culture commune à tous les élèves au terme de leur scolarité obligatoire, là, je suis d’accord même si je pense qu’un toilettage des enseignements est nécessaire. Il est plus important aujourd’hui de connaître la différence entre le civil et le pénal que de savoir résoudre le théorème de Thalès. De même, un minimum de culture économique serait plus utile que la maîtrise d’une troisième langue vivante.
Mais ce n’est pas dans cet esprit-là qu’il a été conçu. Au nom du socle commun, il s’agit d’exclure une partie des jeunes, en ne leur assurant qu’un minimum des enseignements. Au lieu de réconcilier certains élèves avec l’école, par la culture, l’expérimentation, le sport, on se focalise sur certaines matières académiques. On est dans l’acharnement pédagogique.
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L’école doit-elle protéger les garçons ?
Publié le 30.11.06
Les garçons, espèce à protéger ! Ce titre du Monde de l’éducation de janvier – nouvelle formule – peut choquer dans ce monde qui prône l’égalité des sexes et son corollaire, la mixité de l’éducation. De quoi faut-il donc protéger ces adolescents si machistes ? D’eux-mêmes ? De la compétition avec les filles ? D’un environnement qui offre peu de chances de s’épanouir aux plus défavorisés ? Ou même d’une institution qui, après avoir instauré la mixité, s’est voilé les yeux sur ses conséquences parfois négatives ? Point ne sert d’ergoter, le problème est là. Pour la rédactrice en chef, Brigitte Perucca, » alors que les filles continuent de s’orienter massivement vers des filières sans avenir, qu’elles se dénient le droit à postuler à des carrières scientifiques malgré des résultats scolaires très encourageants, qu’elles sont victimes de violences sexistes graves, il y a sans doute quelque provocation à clamer qu’il faut sauver les garçons. C’est précisément parce que la construction des identités sexuelles semble emprunter, chez les adolescents, un chemin désespérant, parsemé de violences, que nous lançons ce mot d’ordre. Les garçons, ceux des milieux défavorisés, ceux dont l’expression favorite passe par le corps parce que leur parole est trop pauvre, ceux-là mêmes sont en péril et mettent en péril du même coup une cohabitation filles-garçons de toute façon difficile. (…) La mixité, qui nous semble aujourd’hui une évidence et que personne ne songe à remettre en question, pose des problèmes aux adultes « .
COMBATTRE L’ENNUI SCOLAIRE
La mixité a-t-elle été pensée ou n’a-t-elle été qu’une façade ? Selon la circulaire de 1957, » la crise de croissance de l’enseignement secondaire nous projette dans une expérience (de la mixité) que nous ne conduisons pas au nom de principes (par ailleurs fort discutés) mais pour servir les familles au plus proche de leur domicile « . Ce qui expliquerait l’absence de sensibilisation des enseignants à la mixité, ou que ces mêmes enseignants, » s’ils sont motivés dans l’ensemble sur les questions d’égalité entre garçons et filles à l’école, ne se rendent pas toujours compte qu’ils véhiculent des stéréotypes « dans une société où la femme est trop souvent présentée comme une marchandise. La situation est d’autant plus grave que l’on s’éloigne des beaux quartiers, comme en témoignent les agressions – souvent sexuelles – contre des lycéennes. Les garçons réussissent moins bien au bac, » sont plus susceptibles que les représentantes du sexe féminin d’appartenir à la catégorie des élèves faibles « (rapport de l’OCDE). Pour le sociologue Hugues Lagrange, » les garçons les plus jeunes qui ont un mauvais cursus scolaire et ne reçoivent pas là de gratifications doivent chercher d’autres stratégies de déviation et de contrôle de leurs pulsions sexuelles. Or, précisément, ce sont eux qui sont le moins bien armés pour s’engager dans des relations symétriques, fondées sur une acceptation des filles comme égales « .
Les » doués « perdraient-ils leurs moyens face aux » travailleuses « ? Chercheraient-ils hors de l’école un autre univers où ils pourraient s’exprimer, en marge ou contre la société ? D’autant que, selon Macha Séry et Christian Bonrepaux, dans » Voyage au bout de l’ennui « , » découragement, inappétence, manque de motivation, passivité, chahut, transgression : l’ennui scolaire prend des formes multiples et conduit les jeunes à l’échec. Les lycéens ne se satisfont plus d’un enseignement classique qu’ils jugent rébarbatif « . » L’enseignant doit savoir se vendre. L’ennui naît de la répétition. Et ce ne sont pas les mauvais élèves qui s’ennuient, mais les plus imaginatifs. Aux enseignants de trouver la manière de les intéresser. «
Pour sauver la mixité, l’égalité des sexes, faut-il instaurer une discrimination positive à l’américaine afin d’aider les garçons à ne pas perdre pied à l’école ? » L’école républicaine en sortira renforcée « , estime Maryline Baumard.
DossierEcole : l’inégalité des chances ?Dossier publié le 18.12.06
« L’inégalité des chances » : l’expression a été utilisée la première fois par Jean-Pierre Chevènement en 1986. Depuis, ses successeurs à la tête du ministère de l’éducation parlent tous d’école plus juste, plus mixte et plus égalitaire. Pure utopie ? ZEP, carte scolaire, collège unique et réformes pédagogiques ont été mis en place. Résultat : peut mieux faire car l’école crée ses propres inégalités, comme l’ont cristallisé les émeutes des banlieues en 2005 et le mouvement anti-CPE en 2006. Dans la perspective de la présidentielle en 2007, l’éducation est un thème prioritaire de campagne à droite comme à gauche. Mais pour faire quoi ? Réformer le système en profondeur ou le maintenir avec plus de moyens ?Egalité des chances, une expression, un principe et une loiPublié le 01.12.06 | 15h12L’égalité des chances… Des mots qui circulent d’un gouvernement à l’autre, qui passent d’une école à l’autre, tel le titre d’une récitation apprise par cœur par l’ensemble des acteurs scolaires. Mais de quoi parle-t-on ?L’égalité des chances, c’est une expression. Elle apparaît pour la première fois dans un discours de Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’éducation, le 7 février 1986. Depuis, tous ses successeurs s’approprient la formule, l’école devant assurer l’égalité des chances pour tous les élèves.L’égalité des chances, c’est aussi un principe. L’école républicaine, obligatoire et gratuite doit assurer l’égalité entre les citoyens. La France, comme le rappelle le sociologue François Dubet, est attachée à l’idée de justice. La tradition républicaine et anti-aristocratique repose sur le principe selon lequel la seule manière de produire des inégalités acceptables, c’est de construire une compétition qui permettrait de dégager une autre hiérarchie sociale, s’opposant ainsi aux hiérarchies tenant à l’héritage et au passé. Pour les père fondateurs de la République, l’école s’est substituée à l’Eglise dans sa capacité à transmettre des valeurs et des principes, dans sa capacité à former les citoyens. L’école, c’est la République, et la République, c’est l’école. Les années 1960 ont marqué un tournant. Avant, le système scolaire répondait aux exigences de l’Etat républicain. Le modèle scolaire parvenait à redistribuer les connaissances pour tous ceux qui avaient accès au savoir. Après, la France a changé de registre. Tous les élèves, riches ou pauvres, sont allés dans la même école. Dans ce nouveau système, la règle de l’égalité des chances a impliqué que tous les élèves munis de leur bâton de maréchal dans le cartable ont eu la possibilité de réussir. La compétition s’est démocratisée, l’école s’est « massifiée » en même temps que le système n’est plus parvenu à surmonter ses propres contradictions devenues sources d’inégalités. Certaines voix, comme celles des sociologues Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, se sont élevées pour montrer que l’école ne faisait que répéter les inégalités sociales. Pour eux, le système scolaire constituait le « meilleur allié du conservatisme social et politique » (Les Héritiers, Editions de Minuit, 1964).UN DEVOIR URGENT DE CHANGEMENTQuarante ans après, les inégalités scolaires se sont accrues en France, à l’image des mutations économiques, facteurs de disparités en tout genre. De réforme en réforme, le système scolaire est devenu une institution en état grippal permanent. Le modèle scolaire républicain marche tellement à plein régime qu’il est en surchauffe constante et ne peut donc plus faire face aux pressions extérieures – qu’elles soient politiques, économiques, sociales, culturelles ou religieuses. L’école n’est plus un sanctuaire mais devient un buvard ; un buvard dont les auréoles sont le reflet de ses propres contradictions mais aussi celles de la société. Elle absorbe en quelque sorte les inégalités qui l’entourent. Au fond, les inégalités sociales se sont déplacées de la société dans l’école pour se reproduire dans la société.Si bien qu’aujourd’hui, l’égalité des chances, c’est aussi une loi. Le 2 juin 2005, Azouz Begag, écrivain et sociologue, est nommé ministre délégué à l’égalité des chances. Il n’est pas vraiment mis en avant par le gouvernement. C’est à partir de novembre 2005, juste après la crise des banlieues, que l’égalité des chances se présente réellement comme une nécessité et devient en quelque sorte un devoir, un devoir urgent, celui de changer la société. La loi sur l’égalité des chances, dont M. de Villepin a pris l’initiative, veut donner une priorité au combat contre les inégalités, notamment dans le système scolaire.Alors, faut-il préserver l’égalité des chances pour surmonter la crise de l’école ? Pour Patrick Fauconnier, cette égalité n’est envisageable que si l’on revoit complètement le sens même de l’école. Il faudrait, affirme-t-il, passer de l’« école-raffinerie » à l’« école-pépinière », c’est-à-dire ne plus concevoir le système éducatif sur « une base hiérarchique », mais en aidant chacun « à réussir là où il est doué ». Pour Jean-Paul Brighelli, il faut d’abord sortir des slogans et détruire la machine à fabriquer des « crétins ». Attention, dit François Dubet, à ne pas casser la clé de voûte du système, qui est celle de l’égalité méritocratique des chances. Mais comment en est-on arrivé là ? Grandes réformes et tentatives marginalesPublié le 15.12.06 | 14h51Pour faire face à ces nouveaux défis, l’Etat a mis en place toute une panoplie de mesures et de réformes de l’éducation nationale :En 1963, le ministre de l’éducation Christian Fouchet instaure la carte scolaire, pour gérer les flux d’élèves et les moyens d’éducation. Il souhaite ainsi promouvoir la mixité sociale en obligeant les parents à inscrire leurs enfants dans un établissement en fonction de leur lieu d’habitation. Mais le système est rapidement perverti : ceux qui le peuvent contournent la carte par des dérogations, adresses fictives, relations et inscriptions dans le privé. La carte scolaire, paradoxalement, se met de plus en plus à rimer avec inégalité.En 1975 est mis en place le collège unique. Il a pour objectif de démocratiser l’accès à l’éducation en offrant à tous, de la sixième à la troisième, le même enseignement. Mais les inégalités demeurent : aujourd’hui, on est encore trop souvent orienté en filière professionnelle quand on connaît une situation d’échec. Il faudrait un « rééquilibrage disciplinaire », explique Philippe Meirieu, auteur de plusieurs ouvrages et d’un rapport sur l’éducation.En 1981, la gauche, quelques mois après son arrivée au pouvoir, crée les zones d’éducation prioritaire (ZEP), dans le but de renforcer le niveau des élèves inscrits dans des établissements en zones défavorisées, par un ensemble de mesures volontaristes, matérielles et pédagogiques. D’après le dernier rapport de l’inspection générale de l’éducation nationale sur la contribution de l’éducation prioritaire à l’égalité des chances des élèves, le bilan est mitigé. Conclusion reprise par la plupart des intervenants avec lesquels nous nous sommes entretenus (cf. notre série d’entretiens).Depuis, beaucoup de mesures ont suivi, émanant de gouvernements de droite comme de gauche : loi Savary sur l’école privée, loi Devaquet, réforme des diplômes, CPE, etc. La liste est loin d’être exhaustive. De nouvelles méthodes pédagogiques ont été inspirées de la maternelle à la fin du cycle primaire. Des adaptations des filières d’orientation ont été expérimentées du collège au lycée, avec plus ou moins de réussite, les effectifs dans les classes ont été réduits, avec l’approbation du corps enseignant et des syndicats. L’objectif de ces mesures est le même, en théorie : réhausser le niveau des élèves en maintenant le principe fondateur de l’égalité des chances de la maternelle à l’accès à l’université.Dans le supérieur, même combat : ceux qui étaient défavorisés dès le début ne rattrapent pas leur retard. Le baccalauréat à 80 % d’une classe d’âge entend répondre à la massification de l’école et à la démocratisation du savoir. Les universités sont submergées par les inscriptions, les filières se bouchent, les moyens manquent, la sélection est bannie par les étudiants. Les universités françaises deviennent les parents pauvres de l’enseignement supérieur, le cursus des étudiants anonymes sans perspective, la voie de garage en rupture avec les exigences des entreprises et la réalité du marché. L’égalité des chances s’essouffle, souffre et recule même.Quelques initiatives marginales sont alors appliquées, souvent mises en avant par les médias. Sciences Po prend depuis quelques années les meilleurs élèves des zones d’éducation prioritaire (ZEP), l’Ecole normale supérieure envoie, elle, ses professeurs dans des établissements classés en ZEP. Le lycée Henri-IV a créé une classe préparatoire de remise à niveau, « classe préparatoire aux études supérieures », pour trente élèves issus de milieux modestes à la rentrée 2006. « Il ne s’agit pas de discrimination positive, estime le proviseur du lycée, Patrice Corre, mais d’une opération d’ouverture sociale sur la base du mérite. » (Le Monde du 16 mai 2006). Mais ces initiatives sont loin de faire l’unanimité. Sciences Po a fait ses « bonnes œuvres de la marquise », pour Jean-Paul Brighelli, alors que Christian Jeanbrau, ancien professeur en classes préparatoires à Henri-IV, trouve le projet « méprisant, insultant pour l’effort pédagogique en zone difficile, élitiste à contre-emploi et, en termes d’impact social, ridicule » (Le Monde du 19 mai).A l’issue de ces projets de modernisation du système scolaire, experts et professionnels de l’éducation tirent un bilan globalement négatif de trente ans de politique éducative. D’où la pertinence de la question sur l’inégalité des chances. Souffrirait-on d’un mal bien français, qui impliquerait que toute réforme est mauvaise mais que, paradoxalement, le système ne conviendrait à personne ? Consolidation du système ou ouverture ?Publié le 15.12.06 | 14h44Les crises du monde scolaire et parascolaire bousculent les certitudes du système français qui se croyait à l’abri, persuadé d’être le meilleur. Mais la sinistrose gagne l’ensemble de l’univers scolaire. En premier lieu, les élèves qui s’interrogent sur leur lien à l’école, puis les parents d’élèves qui s’inquiètent de l’avenir de leur progéniture, le corps enseignant qui se pose des questions sur la valeur du métier, et les experts et hommes politiques qui retournent dans tous les sens le casse-tête de l’éducation sans trouver de solution durable.En 2006, la politique de l’égalité des chances se trouve donc à la croisée des chemins. Ce n’est pas sur le diagnostic que les divergences apparaissent mais sur les recettes. L’heure est plutôt au pessimisme ambiant et de cette inquiétude sont nées deux dynamiques.D’un côté les pessimistes de conviction plaident pour des solutions telles que redoublement, fin du collège unique et parfois retour aux blouses. C’est à l’élève de s’adapter à un ordre scolaire plus ferme, capable de faire le tri entre le bon grain et l’ivraie, le lauréat et le bonnet d’âne. L’école aurait besoin d’une thérapie de choc, par la réification d’un système égalitaire souvent embelli. Car comme le souligne le sociologue François Dubet, « nous n’étions pas véritablement dans un système d’égalité des chances ». Mais quid de la politique de massification des écoles ? Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les noms des bacheliers étaient annoncés à la radio… On imagine mal aujourd’hui l’exercice. Jusqu’aux années 1960, la République pouvait se permettre de récompenser ses meilleurs éléments. « Le système scolaire était un système qui ouvrait une certaine école aux enfants du peuple et ouvrait une certaine école aux enfants de la bourgeoisie », poursuit François Dubet. Mais ce n’était pas la même école. De l’élitisme républicain plus que de l’égalité des chances. On partait du principe que tout le monde n’avait pas le devoir de réussir à l’école. Pour ceux qui excellaient mais qui étaient issus de milieux défavorisés, le système a inventé la bourse. Les boursiers étaient les éléments prometteurs du système, les symboles de l’efficacité d’un modèle républicain capable de donner une chance à tous.A côté de ce camp minoritaire, les pessimistes de responsabilité, eux, rejettent le fatalisme de l’échec et refusent de se laisser dominer par des solutions de repli. L’esprit du « Pensionnat de Chavagnes » (une émission de télé-réalité sur M6) est révolu, insiste Hervé Hamon. Ce dont l’école souffre, ce n’est pas d’un manque d’attachement au passé mais d’un repli par rapport à la réalité d’aujourd’hui. A commencer par un manque d’ambition qui interdit de placer l’élève au cœur du système. L’école souffre d’un manque évident d’adaptation à une société complexe et en mouvement. D’où les incidences sur le moral et le manque d’estime de soi de l’élève. Mais aussi des techniques de management rétrogrades, un système par trop arc-bouté sur ses acquis et ses symboles. « L’école est prise dans un imaginaire un peu sacré, un peu magique, rappelle François Dubet, qui fait qu’il est difficile de toucher à des symboles. » C’est comme si tout s’était figé : on refuse la sélection alors qu’elle constitue le moteur de la compétition (mention au bac, classes prépa, etc.), on manque de passerelles avec l’entreprise, on perpétue le traitement indifférencié des cas en difficulté, l’orientation post-secondaire est de mauvaise qualité, on s’interdit d’observer ses voisins européens, etc. Bref, la rigidité du système moule les esprits, uniformise les comportements et castre l’idée de changement.Pourtant, rien ne peut plus marcher comme avant. Ce n’est pas encore l’union sacrée, mais jamais la volonté de moderniser, de changer, de réformer les choses n’a été aussi grande qu’aujourd’hui entre les élèves et les professeurs, les syndicats et les associations de parents d’élèves, les proviseurs et les parents, les administrateurs et les sociologues de l’éducation. Le temps est donc venu, semble-t-il, d’ouvrir un nouveau cycle… De Jean-Paul Brighelli à Gérard Aschiéri via Richard Descoings, Patrick Fauconnier et François Dubet, plusieurs indiquent le chemin à suivre, avec une seule finalité : celle d’une véritable égalité des chances. Mais encore faut-il que les politiques décident de faire de l’éducation une priorité. Les candidats à l’assaut de l’égalité des chancesPublié le 15.12.06 | 15h10Pour la campagne présidentielle 2007, les candidats des deux plus grands partis, Nicolas Sarkozy pour l’UMP et Ségolène Royal pour le PS, ont placé l’éducation parmi les thèmes prioritaires. Ségolène Royal appelle à réfléchir sur les résultats de la carte scolaire et à refonder les bases de l’égalité des chances par des entorses à la tradition socialiste. Nicolas Sarkozy, fidèle à la philosophie de droite, insiste sur le mérite, l’effort, le travail et la compétition en proposant de supprimer la carte scolaire pour réorganiser le rapport entre les Français et l’école. A gauche comme à droite, on le sait : l’école française mérite plus qu’un débat « pour ou contre la carte scolaire ». Et le ministre en exercice, Gilles de Robien, a raison d’appeler tous les candidats à la présidentielle à ne pas tomber dans le « simplisme » concernant l’école. Celle-ci, avant tout, a besoin que la société lui lance un autre regard, en suivant trois grandes dynamiques.Il y a tout d’abord la question des politiques scolaires à long terme. Peut-on envisager des réformes dans la durée en France ? Quand on voit le nombre de ministres de l’éducation en dix ans, on se dit que rien n’est possible. C’est faux. La réforme LMD (licence, master, doctorat), rappelle Patrick Fauconnier, est un projet pour lequel quatre ministres de gauche comme de droite ont œuvré : MM. Allègre, Lang, Ferry, Fillon. Il y a ensuite la question de l’adaptation de l’éducation aux réalités économiques, ce qui renvoie au statut des écoles et surtout des universités. Là aussi, de nouveaux chantiers ont été ouverts. Et tout porte à croire, au regard des dernières prévisions économiques, qu’il ne peut pas y avoir de développement et de croissance en France sans un effort entrepris sur la recherche. La croissance de demain passe par une politique intensive en faveur de la recherche et du développement des connaissances. Et cela commence à l’école, qui, pour préparer ses élèves au nouveau paysage économique, doit leur permettre d’acquérir des compétences, de mieux percevoir les talents individuels, de donner confiance.Il y a enfin la question des moyens. Seule une politique volontariste peut susciter des résultats. L’école a besoin d’une politique de grands travaux du savoir. Pas forcément de rallonger des lignes de crédits là où les résultats sont mitigés. Réinventer la politique des ZEP, réviser la carte scolaire, améliorer les filières d’accès à l’Université, ouvrir et autonomiser celle-ci, équiper les établissements en moyens techniques, optimiser la formation des enseignants et insister davantage sur les langues et l’ouverture sur les autres modèles, tout cela demande des moyens mais surtout des fins, avertit François Dubet, car « on ne peut pas dire qu’en mettant plus de moyens pour des choses qui ne marchent pas bien, cela marchera mieux ». Pourquoi pas boucher ? Publié le 18.12.06Il est presque 8 h 20, ce jeudi d’automne. Une masse d’adolescents patiente dans le calme devant le 37, boulevard Soult, dans l’est de Paris. La plupart d’entre eux sont des garçons ; quelques petits groupes sont formés. On discute. Certains fument une cigarette, aucun ne chahute. Légèrement en retrait, deux surveillants observent ce petit monde. Une sonnerie retentit : c’est l’heure de rentrer au centre de formation d’apprentis des métiers de la viande.L’école accueille environ 300 élèves de 14 à 25 ans pour les former au métier de boucher. L’apprentissage est ici le cœur de la formation. Les plus jeunes peuvent intégrer la classe d’initiation préprofessionnelle en alternance (Clipa). Viennent ensuite les CAP, BEP puis les brevets professionnels. Ce jeudi à 8 h 30, c’est cours pratique pour la classe de première année de BEP. Ici, la cravate est de rigueur pour les apprentis bouchers comme pour leurs professeurs. Des vêtements chauds sont nécessaires pour passer plusieurs heures debout, face à un billot, dans une salle où la température ne dépasse pas les 10 °C. Chacun revêt également une cotte de mailles pour éviter un coup de lame malheureux et se coiffe d’une casquette pour des questions d’hygiène. La leçon du jour porte sur la préparation d’une pièce de bœuf. Stéphane Riquet, maître boucher, fait face à une vingtaine d’élèves. Couteau en main, le professeur exécute sa démonstration. Il détaille chaque morceau de viande, chacun des éléments qui la composent. Il répète inlassablement les règles qui feront de ses apprentis d’honnêtes professionnels puis il interroge, note et recommence. Ses élèves écoutent et s’escriment à reproduire les gestes de leur maître. Surprise : autour de Stéphane Riquet, il se fait un silence d’église. Cette vingtaine de personnes, que le tronc commun de l’éducation nationale n’a pas gardées, est à l’écoute. « On ne plaisante pas avec la discipline », explique le maître boucher avant d’affiner son analyse. « Ce n’est pas à l’école qu’ils doivent le plus prendre sur eux. Ils travaillent en alternance. Ils passent plus de la moitié de leur temps chez un patron boucher avec lequel il peut y avoir des tensions. Ils doivent très rapidement apprendre à gérer l’environnement quelquefois difficile de la vie professionnelle. » UNE ALTERNATIVE AU TRONC COMMUN DE L’ÉDUCATION NATIONALE« La majorité des élèves qui intègrent l’école sont fâchés avec le système scolaire », reconnaît Bernard Merhet, président de l’école et de la Fédération de la boucherie d’Ile-de-France. Toutefois, 75 % à 80 % des élèves présentés aux examens obtiennent un diplôme, avec de bonnes chances d’intégrer avec succès la vie active. L’apprentissage offre un autre cadre pédagogique et une nouvelle chance à des adolescents brouillés avec le tableau noir. Le profil de ces futurs préparateurs de produits carnés est « multiple », estime Annie Robillard, directrice pédagogique du Centre de formation des apprentis (CFA). « Nous avons eu des enfants de la DASS et des fils de chirurgiens ou d’ingénieurs. » Toutefois, « beaucoup de jeunes sont dans une détresse morale, sociale, affective. Issus de familles déchirées avec des parents au chômage. Ceux qui entrent en CAP sont très souvent en échec scolaire. Certains sortent de 4e, d’autres sont déscolarisés depuis plusieurs années. Nous leur donnons une nouvelle chance de s’en sortir. C’est lors du premier trimestre de la première année que nous enregistrons le plus gros taux d’abandons. Ils supportent mal les contraintes de l’école et celles de leurs patrons ». Certains de ces apprentis sont également des fils de bouchers qui ont la perspective de reprendre l’affaire familiale. « Mon père a trois boucheries, témoigne Emmanuel, 19 ans, j’ai fait une seconde, puis j’ai quitté l’école et j’ai travaillé dix-huit mois comme vendeur de téléphone mobile. » Sans métier ni diplôme, son père le recadre dans le savoir-faire familial et l’envoie à l’école de boucherie. « Mon frère aîné gère déjà une des boutiques de mon père. Il veut que moi aussi je me forme au métier », explique le jeune homme. Djamel, lui, est dans l’école par hasard. « Je n’ai pas choisi », assure-t-il, « c’est le conseiller d’orientation qui m’a dit d’aller là. Mais c’est bien. Je ne regrette pas, j’apprends un métier. Si ça ne me plaisait pas, je serais parti. On peut gagner de l’argent et on aura du travail. A la sortie de l’école avec un BEP, je peux compter sur un travail à 1 400 euros [mensuel]« .LA FILIÈRE RECRUTEUn métier, un emploi et un salaire décent constituent les arguments les plus importants pour la plupart des élèves. « J’étais en première l’an dernier, témoigne Arnaud, mais je voulais me former à un métier pour gagner un vrai salaire. Les bouchers confirmés peuvent gagner jusqu’à 1 800 euros. »La filière recrute, confirme Annie Robillard. Il existerait 6 000 offres d’emplois par an dans le secteur, alors que seulement 600 apprentis sortent chaque année des écoles, estime la Fédération de la boucherie d’Ile-de France. « Dans les années 70, nous avons accueilli jusqu’à 600 apprentis. Au fil des années, le nombre de vocations s’est atténué. La boucherie a une image de marque déplorable. Les élèves ne disent pas facilement qu’ils sont apprentis bouchers à l’extérieur de l’école, ils s’inventent un autre cursus. Les patrons bouchers souhaitent également une autre vie pour leurs enfants, ils les encouragent à poursuivre leurs études. Et puis, au pays des 35 heures, la profession conserve l’image d’un métier difficile où il est nécessaire de faire beaucoup d’heures pour bien gagner sa vie. Enfin, l’image du grand costaud rougeaud transportant des carcasses sur ses épaules perdure et ne facilite pas la féminisation de la profession », explique la directrice pédagogique. Les chiffres le confirment : une dizaine de filles sur trois cents élèves dans cette école.« Il faudrait valoriser ces métiers et leurs formations », souligne Annie Robillard. Alors boucherie, charcuterie, poissonnerie, à quand la relève ? Ressources, cours en ligne, blogs et formations à distancePublié le 27.11.06Ressources et cours en ligne :Le Précepteur
Documents scolaires directement utilisables par les élèves du CP à la terminale.Cours et ressources pédagogiques en ligne
Du collège à l’université et aux classes prépa.Campus virtuels
Annuaire des cours dispensés en ligne dans les universités françaises.Association Libre cours
Supports pédagogiques classés par domaines mis en ligne par des enseignants.Encyclopédie sonore
Service éducatif en ligne proposé par les universités françaises et étrangères. Il dispose de 6 967 cours audio dans 346 thèmes.Librecours.org
Supports pédagogiques mis en ligne par des enseignants de l’association Libre Cours.Doc’s du Net
Tutoriaux informatiques réalisés par un élève en ingénierie informatique.Canal U
Webtélévision de l’enseignement supérieur et de la recherche (cours, conférences, colloques…).BNF
Dossiers pédagogiques de la BNF (littérature, arts, architecture et photographie).Cyberpapy
Premier site français de soutien scolaire.Plagiat :Compilatio.net
Veille et détection de plagiat sur Internet en direction du corps enseignant.
Blog :Blogs : quelles applications pédagogiques ?
Sur le site Franc-Parler, communauté mondiale des professeurs de français.
Le Web pédagogique
Plate-forme de blogs pédagogiques. Erasmus Campus FLE 2007
Blogs des étudiants FLE (université de León).Campus virtuel FLE, audio-vidéo blogLe Professeur de français
Matériaux utiles aux classes de FLE.« Partagez la connaissance » :Mot d’ordre du blog de Marie-Hélène Paturel
enseignante-documentaliste.Blog d’un conseiller principal d’éducation
Concours CPE et vie scolaire, par Gabrielle Lamotte.Veilles en éducation
Dédié aux « connecteurs et pronétaires qui s’intéressent à l’évolution des nouvelles technologies éducatives ».Chronique éducation
Revue de presse des quotidiens français sur le thème de l’éducation, par Philippe Watrelot, professeur de sciences économiques et sociales et formateur à l’IUFM.Blog d’une jeune pousse du e-learning
Actualité du e-learning et, plus généralement, sur l’univers du multimédia.Formation à distanceFIED
Fédération interuniversitaire de l’enseignement à distance.Centre national d’enseignement à distance (CNED)
L’établissement public du ministère de l’éducation nationale.Cursus
Répertoire de la formation à distance.Thot
Nouvelles de la formation à distance.CNPR, le savoir vert à distance
Etablissement public national d’enseignement à distance agricole (du ministère de l’agriculture).Enseignement hybride
Tour d’horizon des nouvelles formes d’enseignement (échanges distants avec les élèves, en temps réel ou temps différé, dans une classe ou hors d’une classe).Les cours à distance de l’université de Lecce
A partir d’une plate-forme d’enseignement à distance (Modus), accessible par câble et par satellite. L’Université face aux inégalités et à l’échec, comment en sortir ?Publié le 15.12.06Grande inégalité, ceux qui échouent viennent souvent de milieux défavorisés. « Un vrai gâchis », déclarait le ministre de l’éducation nationale François Fillon en 2004. Au niveau du diplôme d’études universitaires générales (DEUG), l’échec est patent. Selon les statistiques du ministère de l’éducation nationale, moins d’un étudiant sur deux (45,5 % en 2003) réussit son DEUG en deux ans, et 70 % le réussissent en trois ans. Les bacheliers professionnels et, dans une moindre mesure, technologiques, sont particulièrement vulnérables. A la session 2003 (derniers chiffres connus), seulement 15,4 % des bacheliers professionnels ont obtenu le DEUG (en quatre ans au plus), contre 77 % des bacheliers littéraires. Les élèves des bacs professionnels sont par ailleurs plus nombreux à être issus de milieux défavorisés.De plus, seuls 59 % des étudiants inscrits obtiennent le niveau licence. Conscients de ces risques, les enfants des milieux favorisés (cadres supérieurs et professions libérales) évitent au maximum les premiers cycles universitaires et se tournent vers les filières sélectives, notamment les classes préparatoires. L’objectif est de contourner l’enseignement de masse et le principe de non-sélection après le baccalauréat. Cette situation traduit une grande inégalité du système universitaire. Les bons étudiants, souvent les plus favorisés, bénéficient ainsi d’un enseignement de qualité dans un environnement favorable : cours en petits effectifs, suivi serré par des enseignants disponibles, nombreux exercices. Une situation qui s’oppose point par point à la formation dispensée dans les premiers cycles universitaires, souligne François Dubet dans L’école des chances, est-ce une école juste ? Et une inégalité flagrante au détriment des élèves issus des couches populaires de la population. L’insuffisance de moyens financiers explique, en partie, le déficit d’encadrement qui pénalise les étudiants les plus fragiles. L’Etat dépense en effet moins de 7 000 euros par étudiant à l’université, alors qu’il investit en moyenne, par an, plus de 13 000 euros pour chaque étudiant de classe préparatoire. L’absence de visibilité à cinq ans sur les besoins en qualification est un autre problème. Or, cinq ans c’est le temps nécessaire pour la mise en place d’une formation.LA QUESTION CRUCIALE DE L’ORIENTATIONMais le plus grave est le problème de l’orientation des bacheliers vers les formations qui ne sont pas des voies de garage ou sans perspectives. La réforme de 1998 instaurant le système licence-maîtrise-doctorat (LMD) permet en principe une réorientation de l’étudiant à l’issue du premier semestre d’études. Mais il semble que le système soit peu ou mal appliqué.Face à ces difficultés et à ces inégalités, le recteur de l’académie de Limoges, Patrick Hetzel, nommé par le premier ministre Dominique de Villepin à la tête de la commission université-emploi, a remis fin octobre 2006 un rapport sur l’orientation et l’insertion professionnelle des étudiants. S’il écarte l’idée d’instaurer une sélection à l’entrée de l’Université, il propose différentes mesures afin d’améliorer l’information et l’orientation des étudiants. Par exemple que chaque lycéen qui souhaite s’inscrire à l’Université ait un entretien avec les responsables de la formation envisagée, qui pourraient lui faire d’autres propositions intra ou extra-universitaires. Le rapport prévoit dès la prochaine campagne d’inscription en juillet 2007 que les universités aient l’obligation légale d’informer les futurs étudiants sur le taux de réussite sur trois ans dans la filière qu’ils ont choisie.Premier progrès : un portail Internet a été mis en place en mai 2006 par le ministre délégué à l’enseignement supérieur, François Goulard, censé aider les étudiants à se repérer dans le maquis des vingt-deux mille formations post-secondaires. Mais face à l’afflux de bacheliers – deux cent quarante mille chaque année – à l’Université, est-ce suffisant ? La sélection généralisée n’est-elle pas à terme inévitable ? D’ailleurs les jeunes Français ne s’y trompent pas, qui privilégient de plus en plus les filières post-baccalauréat dites courtes – (dans les instituts universitaires de technologie (IUT), les sections de techniciens supérieurs (STS), rattachées aux lycées et qui délivrent des BTS…) – où une sélection s’opère après le baccalauréat. Un choix assez pertinent puisque les étudiants concernés obtiennent à 72 % leur diplôme. La carte scolaire est devenue l’instrument de la ségrégation socialePublié le 17.09.06En février 2006, lors de la convention éducation de l’UMP, j’ai soulevé, parmi d’autres questions, celle de la carte scolaire. Plus de quarante ans après sa mise en place, il n’est quand même pas incongru d’en dresser le bilan.Je suis heureux que cette question taboue soit devenue, en quelques mois, un sujet de débat politique, une préoccupation gouvernementale et même, semble-t-il, un thème de la campagne interne des socialistes. Afin d’éviter qu’on ne déforme ma pensée, je souhaite rappeler ici dans le détail les propositions que j’ai formulées.La carte scolaire a été créée en 1963. Elle part du principe que la meilleure manière de garantir l’égalité des chances est d’uniformiser les établissements et d’y répartir les élèves de manière autoritaire afin de créer de la mixité sociale.La première idée ne correspond plus aux besoins de l’école aujourd’hui. L’école accueille des publics plus nombreux, plus divers, qu’elle mène à des niveaux de qualification plus élevés. Elle ne peut plus le faire dans les mêmes conditions qu’à l’époque où une sélection sévère, parfois brutale, se chargeait d’écarter ceux qui semblaient inadaptés. Chaque enfant est différent. Les uns excellent en langues, les autres en sport, certains travaillent seuls, d’autres ont besoin d’être encadrés. Combien de parents, dans tous les milieux sociaux, ont eu parfois ce sentiment que l’école, parce qu’elle est trop monolithique, ne savait pas comprendre l’intelligence de leur enfant ?La seconde idée est juste et elle n’a pas pris une ride. Toutes les études sérieuses le démontrent : les principaux facteurs de réussite des élèves sont, dans l’ordre, la qualité pédagogique des enseignants et la mixité sociale, loin devant le nombre d’élèves par classe. Mais la carte scolaire, qui était effectivement autrefois l’outil de la mixité, est devenue l’instrument de la ségrégation.L’incapacité des pouvoirs publics à moduler réellement les moyens des établissements en fonction des difficultés rencontrées par les élèves a progressivement creusé des différences profondes entre les établissements.Différence de niveau, qui peut varier de 30 % à composition sociologique comparable. Différence d’ambition, puisque 50 % des lycées n’envoient jamais aucun dossier d’élève pour l’inscription en classe préparatoire.Différence d’horizon, puisque les établissements situés dans les quartiers les plus défavorisés sont devenus de véritables ghettos où le seul effet de la carte scolaire est d’y concentrer les élèves le plus en difficulté quand il faudrait au contraire les répartir dans d’autres établissements.Ces constats ne sont pas le fruit de mon imagination, mais ont été dressés par des expertises unanimement saluées. Face à cette situation, certaines familles peuvent s’émanciper de la carte scolaire en faisant le choix du privé, en s’installant dans des quartiers huppés, ou tout simplement en contournant la carte par la mobilisation de leur réseau relationnel. 30 % des enfants sont ainsi scolarisés en dehors de leur collège de rattachement. Les autres sont tenus de se plier à une règle qui vaut pour les uns, mais pas pour tout le monde.Cette réalité est choquante. Elle est contraire aux principes les plus essentiels de l’école républicaine, laïque, gratuite et égalitaire. La carte scolaire se voulait un instrument de justice. Elle est devenue le symbole d’une société qui ne parvient plus à réduire ses injustices parce qu’elle n’ose pas s’interroger sur ses outils. Devant ce constat, je formule trois propositions.La première est de donner de l’autonomie aux établissements scolaires pour leur permettre de mettre en oeuvre des projets éducatifs spécifiques. Cette méthode a fait ses preuves. Les établissements qui ont les meilleurs résultats pour tous leurs élèves sont ceux qui ont su créer une dynamique de réussite grâce à un projet spécifique. C’est en mettant de la diversité dans les méthodes, sans renoncer bien sûr au caractère national des programmes et des évaluations, que l’on permettra à chaque enfant de trouver une solution lui permettant de grandir et de s’épanouir.Qui dit autonomie dit évaluation. Je propose que nous nous dotions d’un organisme d’évaluation de chaque établissement scolaire. Il doit s’agir d’évaluations détaillées, allant bien au-delà de la seule mesure des résultats des élèves, et s’intéressant également à la qualité du projet éducatif, à sa capacité à faire progresser tous les élèves, à l’ambiance au sein de l’établissement, etc. Ces évaluations aideront les établissements à remédier à leurs insuffisances. Elles seront évidemment à la disposition des parents.Enfin, qui dit évaluation dit engagement de l’Etat à aider les établissements qui ont des difficultés à améliorer leurs performances. Le but n’est pas de désigner à la vindicte les établissements ayant des résultats insuffisants, mais de garantir une qualité éducative pour tous.La conséquence logique de ces propositions, c’est le libre choix par les parents de l’établissement scolaire de leur enfant. A partir du moment où chaque établissement propose un projet spécifique, il est normal que les parents puissent choisir l’établissement qui correspond le mieux à leur enfant. Cette réforme ne peut pas intervenir du jour au lendemain. Certaines conditions doivent être préalablement remplies. Elle suppose de profondes transformations de notre système scolaire. Mais c’est le projet vers lequel je propose de tendre.Certains demandent : « Si l’on supprime la carte scolaire, par quoi la remplacera-t-on ? ». Je leur réponds : « Mais par rien ! Ou par un système d’inscription dans, par exemple, trois établissements au choix. » La carte scolaire a été supprimée dans presque tous les pays de l’Union européenne. Dans tous ces pays, aucun élève n’est scolarisé dans un établissement que sa famille n’a pas choisi parce que les établissements sont à la fois divers dans la méthode, mais égaux dans la qualité. Il n’y a pas de sélection selon le niveau scolaire ou l’appartenance sociale, mais une répartition finalement assez naturelle des élèves selon le projet d’établissement qui leur convient le mieux.Supprimer la carte scolaire est pour moi un aboutissement, pas un préalable. Mon projet n’est pas plus de liberté pour les uns, moins de liberté pour les autres. Cela, c’est le système existant. C’est au contraire la qualité éducative pour tous, un objectif difficilement contestable. La carte scolaire n’aura alors plus de raison d’être puisque tous les établissements seront de qualité. Ceux qui pensent que ça ne peut pas marcher sont tout simplement ceux qui n’ont pas confiance dans la capacité du corps enseignant et de l’école républicaine d’y parvenir. Pour ma part, je sais que le système éducatif et les enseignants ont toujours été les moteurs d’une société plus juste et je veux leur donner les moyens de le redevenir. François Dubet : « L’égalité des chances, le pire des systèmes, mais il n’y en a pas d’autres »Publié le 18.12.06Dans votre ouvrage L’Ecole des chances, vous remettez en question le modèle de justice à l’école, notamment l’égalité méritocratique des chances. Et pourtant, vous dites, c’est une « fiction nécessaire » . Pourquoi ?François Dubet : Ce que je pense, c’est que ce modèle de justice et d’égalité a une force essentielle : c’est qu’il n’y en a pas d’autre ! Je veux dire par là que sauf à dire que les gens vont hériter automatiquement de la position de leurs parents, ou sauf à tirer au sort la position des individus par une loterie qui dirait les uns seront médecins, les autres seront balayeurs, il n’y a pas d’autre manière de s’y prendre que d’organiser cette compétition.Ce que je dis simplement, c’est que le fait qu’il n’y pas d’autres manière que cela ne doit pas nous rendre complètement aveugles sur les difficultés de ce modèle, sur le fait qu’il n’est probablement pas réalisable dans une société où les gens sont inégaux, ont des positions sociales inégales. Je crois que de ce point de vue-là, il faut à la fois affirmer et tendre vers ce modèle – ma position est celle d’un sceptique – et en même temps compenser, par d’autres politiques et d’autres mesures, le fait que ce modèle ne peut pas, à mon avis – et je dirai que pour le moment les faits me donnent raison en France et partout –, véritablement se mettre en place. Pour prendre un exemple très simple, je peux tenir sur l’égalité des chances les propos que Winston Churchill tenait sur la démocratie : c’est le pire des systèmes mais il n’y en a pas d’autres. A partir de là, et comme pour la démocratie, quels sont les mécanismes que l’on peut mettre en place pour compenser les effets négatifs, sachant que l’égalité des chances reste la vertu cardinale d’un système scolaire.Vous estimez que la situation peut s’améliorer en partant de ce qui existe. En même temps, vous parlez de révolution ? Mais quelle est cette révolution ?François Dubet : Cela peut apparaître comme une révolution mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit puisque je continue à dire : établissons l’égalité des chances, donnons plus de moyens à ceux qui en ont moins, faisons en sorte que les privilèges scolaires ne se déplacent pas uniquement vers les bons élèves qui sont aussi les élèves des classes dirigeantes, essayons de faire que l’arbitrage scolaire soit plus équitable et plus neutre qu’il ne l’est.En même temps, il y a trois choses importantes : premièrement, puisqu’un système de ce type – et je répète il n’y en a pas d’autres – produit nécessairement des vainqueurs et des vaincus, la première chose à faire serait de s’occuper prioritairement du sort des vaincus. Que sont devenus tous ceux qui ne sont pas rentrés dans les grandes écoles ? Et s’ils sont maltraités, s’ils n’ont rien appris, s’ils sont nuls et s’ils ne savent rien faire, on ne peut quand même pas considérer que c’est un succès ! Puisqu’un tel système produit des vaincus, essayons d’améliorer le plus possible le sort des vaincus au lieu de dire « c’est la compétition, elle est juste et malheur aux vaincus ». De ce point de vue, je suis assez favorable aux politiques style Sciences-Po.En même temps, que fait-on des 99 % d’élèves qui n’y arriveront jamais ? Je pense qu’il faut revenir à ce que j’appelle le smic : un savoir commun pour tous les élèves à la sortie du collège. Le système crée des inégalités, mais jusqu’à quel seuil peut-on accepter d’aller, notamment du point de vue des plus faibles ?Deuxièmement, pour pondérer le système de l’égalité des chances, il conviendrait de dire que, puisque les diplômes aujourd’hui – étant donné la massification scolaire – sont un outil absolument indispensable pour se situer sur le marché du travail, alors faisons en sorte que l’on donne aux élèves des diplômes qui ont un peu de valeur. Même dans le cas où la répartition des diplômes serait juste, il n’est peut-être pas juste que certains diplômes donnent des monopoles et des rampes, que certains diplômes ne donnent rien et que l’absence de diplômes devienne un véritable handicap social. Là encore, il faut bien pondérer le système de l’égalité des chances en disant : puisqu’aller à l’école est d’une certaine manière un sacrifice pour l’individu qui y va, il faut probablement faire en sorte que chaque formation ait un minimum d’utilité sociale, c’est-à-dire que je puisse aller sur le marché du travail en disant « voilà ce que j’ai et je sais faire quelque chose ».Troisièmement, le principe de l’égalité des chances – et toutes les violences scolaires en sont la manifestation quotidienne – est un principe d’une extrême cruauté pour les individus. Quand vous êtes dans un système d’égalité des chances, vous êtes tenus de vous vivre comme le responsable de votre échec. « Vous avez eu l’opportunité de gagner, vous n’avez pas gagné, tant pis pour vous. » Notre système scolaire – et c’est une caractéristique qui le distingue fâcheusement d’autres systèmes scolaires – a une très forte capacité à humilier les mauvais élèves, a une capacité de convaincre les élèves qu’ils sont nuls et qu’ils sont incapables. Je crois que l’on pourrait parfaitement essayer de dire : évidemment, les élèves sont inégaux, mais l’école doit garantir aux élèves les plus faibles un sentiment d’estime de soi, un sentiment de confiance de soi auquel tout individu a droit, même s’il n’est pas bon à l’école. Par exemple, on doit pouvoir aller dans un enseignement professionnel sans être considéré a priori comme un incapable.On doit pouvoir rejoindre la formation permanente au cours de sa vie même si on a échoué à l’école, alors que la plupart des individus n’y vont pas, étant convaincus que de toute façon ils n’apprendront jamais rien, qu’ils en sont incapables. On ne peut donc pas faire autrement que de garder l’égalité des chances au cœur de notre dispositif scolaire – parce que, je le répète, dans les sociétés démocratiques, c’est la seule chose possible –, mais on ne peut pas être naïf au point de croire que, premièrement, on va véritablement l’atteindre, et que, deuxièmement, si on l’atteint, cela n’aura pas des conséquences forcément injustes sur les individus qui n’auront pas eu la chance, le mérite, le talent d’y réussir.Vous vous placez du côté des vaincus. Or, dans ce que vous proposez, vous n’écartez pas l’idée qu’il y aura toujours des vaincus. Alors comment faire ? Existe-t-il un système duquel tout le monde sort avec succès ?François Dubet : Ne soyons pas naïfs au point de croire que tout le monde finira à l’IEP. En même temps, puisqu’on n’est pas naïf et que l’on pense qu’il y aura toujours des vaincus, la question des compétences, des savoirs, de l’estime de soi que l’on donne aux vaincus en dépit de leur échec est quand même une question essentielle.Je répète : la tradition scolaire française n’est pas la meilleure qui soit. Ce qu’on observe par exemple dans un grand nombre de pays qui ne sont pas plus égalitaires que nous, c’est qu’il y a des manières de traiter les élèves, des formes d’apprentissage, des formes de connaissances qui s’efforcent un peu plus que nous ne le faisons de ne pas humilier les vaincus. Dans les enquêtes de l’OCDE qui comparent les systèmes scolaires, il y a une question qui est posée aux élèves : « Quand tu ne comprends pas, est-ce que tu demandes au prof ? ». Dans la plupart des pays du monde, 85 % des élèves demandent à un enseignant d’expliquer parce qu’ils n’ont pas compris. En France, il n’y a que 15 % des élèves qui disent » quand je ne comprends pas, je demande aux enseignants « ! Parce qu’on est dans un système où, au fond, l’organisation du mérite et de la compétition commande même les relations scolaires. Sur ce point, il ne s’agit pas de révolution. Il s’agirait de dire qu’il est déjà très injuste que les enfants des catégories les moins favorisées se retrouvent dans les filières les moins favorisées pour avoir les emplois les moins favorisés, il n’est peut-être pas nécessaire de faire à la fois qu’ils soient ignorants et qu’ils soient humiliés.Justement, en prenant exemple sur les modèle scandinave et anglo-saxon, vous n’ignorez pas que ces modèle scolaires sont le reflet d’une culture et d’une histoire. Comment appliquer ces modèles en France ?François Dubet : Nous savons tous que le système scolaire va mal, qu’il faut le réformer et que nous pourrions tout simplement regarder un peu comment s’y prennent les autres. Au lieu de rester trop enfermés dans cette image que nous avons d’une société absolument singulière, d’un système scolaire absolument unique, au fond, en étant à peu près convaincus qu’il est toujours le meilleur sauf à des moments dépressifs où l’on se met plus bas que terre, je crois que l’on pourrait avoir des raisonnements un peu pragmatiques là-dessus. Les élèves espagnols, lorsqu’on les teste internationalement à l’âge de 16 ans, parlent mieux l’anglais que les élèves français, alors qu’ils consacrent moins d’heures à l’apprentissage de l’anglais. Cela ne serait pas une insulte nationale que de se demander comment font les Espagnols !Les élèves australiens ont une plus forte estime d’eux-mêmes que les élèves français. Cela ne serait pas scandaleux de regarder comment font les Australiens ! Par exemple, les Scandinaves ont une scolarité primaire et moyenne dans laquelle il n’y a pas de redoublement. On sait qu’en France, le redoublement est inefficace mais on y tient beaucoup. Cela ne serait pas scandaleux de voir comment font les Scandinaves ! Ce ne serait pas trahir notre société que de se dire que l’on pourrait parfois faire un peu mieux. Bien évidemment, je ne souhaite pas – et je ne pense que cela soit possible – de devenir demain Finlandais, Coréens, etc.Vous stigmatisez assez souvent les enseignants, notamment sur ce qui se passe dans les salles de professeurs et leurs rapport avec les élèves. Vous parlez de passage du jugement des performances au jugement de personnes. Comment ont-ils réagi à vos idées ?François Dubet : Le monde des enseignants est un monde extrêmement sensible…Justement, d’où vient cette extrême sensibilité des enseignants ?François Dubet : Parce que je crois que le monde scolaire français a été vécu comme étant le centre de la société ayant une légitimité culturelle extraordinaire. Les instituteurs étaient les hussards de la République, les professeurs étaient les témoins de la grande culture et l’école était l’espérance de la société. Je crois qu’aujourd’hui, dans une société où le niveau de consommation culturelle a considérablement augmenté, dans une société où tous les élèves vont à l’école pendant très longtemps, cette espèce d’institution un peu « cléricale » se sent menacée. Il y a un sentiment, au fond, que la place de l’école – alors même qu’elle n’a jamais été aussi puissante – n’est plus ce qu’elle était.Puis, un autre point extrêmement important qui explique la réactivité très forte des enseignants, c’est que les conditions subjectives de travail sont devenues considérablement plus difficiles. Vous comprenez, faire la classe à des petits paysans en se disant que dans le meilleur des cas, un tiers ou la moitié d’entre eux auront le certificat d’études, ou faire la classe à des lycéens dont les deux tiers étaient des enfants de la bourgeoisie et le dernier tiers des enfants des classes moyennes qui avaient un désir forcené de travail et de réussite, c’était extrêmement facile ! Aujourd’hui, évidemment, vous êtes dans un monde complètement désajusté, c’est-à-dire que tous les élèves sont là, leur rapport à la culture scolaire est loin d’être fixé, les élèves comme leurs parents sont convaincus que faire des études sert à quelque chose mais ils ne savent pas trop à quoi cela les destine. C’est très difficile aujourd’hui de faire la classe. Et quand vous avez ce monde qui, d’une part, a le sentiment d’une chute symbolique, et d’autre part, a des conditions de travail de plus en plus difficiles, évidemment la tendance naturelle, c’est le repli, la défense, fermer le sanctuaire.Je crois que les problèmes de l’école ne se réduisent pas aux problèmes des attitudes subjectives des enseignants et des élèves. Les enseignants sont pour la plupart d’entre eux des gens généreux.La question c’est qu’en fait, enseignants et élèves sont dans un piège. Ce piège, c’est l’affirmation continue que tout le monde doit réussir à aller au plus haut, et c’est l’expérience quotidienne que cela ne marche pas. On finit, quand on est élève, par détester ces enseignants qui vous mettent devant des exigences que vous ne pouvez jamais atteindre, et vous avez le sentiment que vous échouez en permanence. Et les enseignants ont un sentiment parallèle : « J’ai passé un Capes, une agrégation, j’ai un haut niveau de culture et j’ai des élèves très loin de ça. » Je crois qu’il faut aujourd’hui sortir de ce piège. Ce qui me chagrine et qui m’inquiète beaucoup, c’est que dans le monde de l’école et autour de lui, c’est que la sortie de cette situation, c’est le retour au passé.On a eu la méthode syllabique ; aujourd’hui, c’est la grammaire. Il y a des nostalgies de blouses grises, de règlements intérieurs. Je crois que cela est vraiment catastrophique. Soit on s’enfermera dans le piège, soit on finira par dire : « la plupart des élèves n’ont pas leur place à l’école, vous pouvez sortir ». Donc, je crois qu’il faut admettre que nous avons changé la nature du système scolaire avec l’égalité des chances méritocratique et l’école de masse. Et même si cela nous fait moyennement plaisir, il faut en tirer les conséquences de manière à ce que l’école soit un peu plus juste, un peu plus efficace, un peu plus vivable qu’elle ne l’est.Que manque-t-il alors ? la volonté politique ?François Dubet : Fondamentalement, le problème, je crois, est politique. Toute la difficulté est là. Je prends un exemple que vous allez trouver cruel de ma part : tous les étudiants français acceptent de se livrer à des jeux de sélections extrêmement féroces : classes prépa, mention au bac, mention dans les IUT. Mais si vous dites « je filtre à l’entrée des universités », ce sont des centaines de milliers de gens dans la rue, alors que par ailleurs ces mêmes gens accepteront la sélection féroce. Vous êtes devant un monde où les symboles jouent un rôle essentiel. C’est une première difficulté.La deuxième difficulté, c’est que si vous considérez aujourd’hui que l’école distribue des gagnants et des perdants, on n’imagine pas aisément que les gagnants vont vouloir changer des règles qui les favorisent. Moi qui ne suis pas un sociologue marxiste, sur l’école, je suis assez « lutte de classes ». La violence des intérêts en jeu est très grande.La troisième chose qui rendra ces réformes difficiles, c’est que le monde de ceux qui échouent à l’école ou qui sont marginalisés ou exclus de l’école considère grosso modo qu’il n’a pas vraiment de légitimité pour intervenir dans un débat scolaire. Ce qui fait qu’un débat scolaire est presque toujours un débat d’experts, d’enseignants, de professeurs, de classes moyennes, d’intellectuels, alors qu’en réalité tout le monde va à l’école. Cela crée des difficultés politiques extrêmement sérieuses. Chacun peut s’accorder sur le fait qu’il y a de grands problèmes, mais en même temps si chacun regarde devant sa porte et ses intérêts, ceux qui s’en tirent pas trop mal ont plutôt tendance à dire « gardons le système tel qu’il est ». Des normaliens à SarcellesPublié le 15.12.06Salle 208, lycée Jean-Jacques-Rousseau, à Sarcelles. Francis, Benoît et Anthony planchent sur un problème de mathématiques. Ce mercredi après-midi, avec cinq de leurs camarades, ils font des « heures sup ». Leurs professeures, elles, sèchent des cours : ce sont des normaliennes, volontaires pour participer au programme de tutorat mis en place par leur école. Par-dessus les épaules, Delphine et Catherine contrôlent, donnent des indications, précisent des notations. PLUS DE BOURSIERS, MOINS DE PRÉPAS
« C’est bien d’aller voir des gens qu’on ne rencontre pas forcément, qui n’auraient pas pensé à faire une prépa », explique Delphine, une biologiste de 22 ans. « On essaie d’aider un peu ces jeunes, c’est du bénévolat ‘soft’. J’ai eu de la chance, chez moi on lisait, on sortait, on allait au théâtre… Je réalise que j’ai eu un environnement super favorable. » Parisienne, elle a été interne en classes préparatoires au lycée pour filles Sainte-Geneviève, à Versailles.Aïssatou, Gabrielle et les autres sont, eux, en première à Sarcelles, dans le Val-d’Oise. Leur lycée est situé dans un quartier résidentiel, à l’écart des barres. Couloirs blancs fraîchement repeints et couleurs vives, l’établissement est encore en travaux. Ici, comme dans les autres lycées sélectionnés, le taux de boursiers est supérieur à la moyenne nationale. Le nombre de demandes d’entrée en classes préparatoires y est inférieur. « La prépa, j’en ai entendu parler au collège, par un prof de latin qui avait fait une grosse digression », raconte Gabrielle. « Mais ici, on ne nous en parle pas trop. On nous dit ‘passez le bac, et après on verra' », confirme Francis. Rachida et Tamara sont en section économique et sociale. Elles ne savent pas encore si elles veulent faire une prépa. L’objectif du programme de l’Ecole normale supérieure (ENS) ? Leur montrer que si elles le souhaitent, « c’est possible ». « Je viens d’un lycée de province pas mauvais, mais moyen. On ne savait simplement pas ce qu’était une prépa », explique Claire Scotton, chargée du programme à l’ENS. C’est elle, avec d’autres étudiants, qui est à l’origine du projet. « L’information est capitale, mais cela ne suffit pas. Il faut qu’il y ait un relais humain, un ami, un proche, pour faire tomber les mythes. On veut leur montrer qu’il n’y a pas que des gens qui lisaient Proust à 7 ans et demi dans l’école ! Et même s’ils n’entrent pas en prépa, on leur fait partager une passion, une idée du savoir. »
« POURQUOI AIDER DES BONS ÉLÈVES ? » En salle 208, pas de pause. Les élèves sont silencieux. Leurs tutrices ne leur laissent pas le temps de discuter, elles enchaînent les énoncés. Et veillent à ce qu’ils travaillent seuls, sans traîner. Delphine et Catherine distribuent un nouvel exercice. « Vous voulez le plus simple ou le plus difficile ? » Pas vraiment le choix, ce sera le difficile. « On essaie de leur donner l’émulation qu’ils n’ont pas eue », explique Catherine. « Mon ancien lycée, Orsay, est élitiste. Quand je suis arrivée en prépa, à Saint-Louis, je n’ai pas eu de difficultés, j’avais déjà fait le programme. » Plus tard, elle pense faire de la recherche plutôt que de l’enseignement. « Travailler avec des élèves motivés, c’est bien. Sinon, ça ne me dit rien. » A Jean-Jacques-Rousseau, pas de problèmes : Francis, Benoît ou Anthony font partie des « bons élèves ». « Au début, j’étais un peu sceptique sur le projet. Quelle est la pertinence d’aider des élèves qui sont déjà bons ? », s’interroge François de l’ENS. « La plupart des lycées du programme, surtout en province, ne sont pas vraiment en difficulté. Finalement, je me suis dit qu’on pourrait toujours les motiver un peu plus. » A Sarcelles, le proviseur a compris que le but était social et a « joué le jeu », confirme Delphine. Les élèves, volontaires, n’ont pas été uniquement choisis en fonction de leurs résultats scolaires. « Ailleurs, il n’y a que des fils de médecin ou de profs… Ils n’ont pas besoin de nous. »
« LA BASE, C’EST LE CONCOURS » L’égalité des chances, la discrimination positive ? Pour Delphine et Catherine, si leurs élèves entrent en prépa, ce sera déjà bien. Normale, c’est une autre histoire. Et elles n’imaginent pas que l’école puisse aller plus loin, créer une filière spécifique, comme par exemple à Science Po Paris. « Je ne suis pas vraiment pour. La base de l’école, c’est le concours », assure Catherine. François, lui, hausse les épaules. « C’est vrai que j’ai été un peu surpris quand j’ai su qu’à Normale, 80 % des élèves sont issus des classes moyennes ou supérieures. Au départ, la prépa, le concours, c’est gratuit. Mais en fait, on se retrouve entre privilégiés. » François a eu son bac à 16 ans. Après une prépa au lycée du Parc, à Lyon, il est en 2e année à l’ENS, en biologie. Après deux heures de récurrences et congruences, Francis est satisfait. « Elles expliquent mieux que mon prof de maths ! Et puis d’habitude, à trente élèves, ce n’est pas évident pour poser des questions. » Catherine et Delphine trouvent que leurs élèves, globalement, s’en sont bien sortis. Elles ont déjà repéré les « rapides » et se demandent déjà s’il ne faudrait pas mettre en place des groupes de niveau. Le cours de maths fini, on ne traîne pas devant Jean-Jacques-Rousseau. Les lycéens habitent à côté. Les normaliennes vont, elles, reprendre le RER D, direction Paris. Rendez-vous est fixé pour le prochain cours, un samedi après-midi. Rue d’Ulm. Plus de vingt ans d’expériences d’assouplissementPublié le 13.09.06Depuis plus de vingt ans, des expériences d’assouplissement de la carte scolaire ont été tentés. Dès 1983, Alain Savary, alors ministre de l’éducation nationale, a desserré la sectorisation à l’entrée de la sixième dans cinq départements. Le but était de faciliter la prise en compte des souhaits des familles et de rendre les procédures de dérogation transparentes.Etendue à six départements supplémentaires sous Jean-Pierre Chevènement, il faudra attendre 1987 pour que cette expérimentation prenne de l’ampleur. « Il s’agissait de calmer le jeu après les manifestations monstres de juin 1984 au nom de la défense de l’école libre », analyse Denis Paget, ancien secrétaire général du SNES, le principal syndicat d’enseignants.René Monory, qui a pris la direction de la Rue de Grenelle en mars 1986 et en restera à sa tête jusqu’en mai 1988, a ensuite étendu cette expérience à 74 départements. Ce premier pas d’ampleur vers « le libre choix » décevra pourtant nombre de sympathisants de droite qui avaient cru en la promesse contenue dans la plate forme électorale RPR-UDF de 1986 qui prônait la « liberté pour chaque parent de choisir l’école de ses enfants ».« LE LIBRE CHOIX » DE LA DROITE Le 30 avril 1987, une circulaire de l’éducation nationale précise que ces expériences ne sont pas provisoires et que l’objectif de l’éducation nationale reste bien « une généralisation de l’assouplissement selon un rythme et des modalités qui pourront varier selon les lieux ». Sur le terrain il existe désormais tous les cas de figure. A côté de villes entièrement désectorisées comme Avignon, Périgueux, Clermont-Ferrand… d’autres ne le sont pas du tout ; c’est le cas de Nice, Versailles, Strasbourg ou encore Rouen. Certaines communes ont été divisées en secteurs.A Paris, l’assouplissement ne concerne que 17 collèges de 4 arrondissements. Quatre-vingt-neuf départements sont partiellement ou entièrement touchés par la désectorisation en 1988. Cinq ans plus tard, la droite inscrit une fois de plus à son programme « le libre choix ». Une note d’information publiée par le ministère de l’éducation nationale en mai 1993 révèle que près d’un collège sur deux (47 %) et plus d’un lycée sur quatre (27 %) peuvent en toute liberté et sans dérogation, accueillir des élèves « hors secteur ». Elle montre aussi que l’introduction d’une relative souplesse a surtout profité aux familles socialement les mieux dotées.François Bayrou, ministre de l’éducation de 1993 à 1997, donnera un coup de frein à cette décennie d’assouplissement ininterrompu. A Paris, notamment, une resectorisation stricte met le feu à l’académie à partir de 1997 et ce pour plusieurs rentrées. Où en est-on aujourd’hui ? Aucun véritable suivi de ces expériences de désectorisation n’a été fait par le ministère. Pour Denis Paget, ancien secrétaire du SNES, « l’arrêt officiel de ces expériences n’a jamais eu lieu. Elles ont continué dans certains endroits de façon plus ou moins sauvage. A charge pour les académies de gérer les dérogations ». Patrick Fauconnier : « Les politiques ont fait de l’école du mérite une école du mépris »Publié le 18.12.06Dans La Fabrique des meilleurs, vous partez d’un constat : « 37 % d’une génération dans le supérieur et 150 000 jeunes chaque année sans qualification ». Où en est l’égalité des chances en France ?Patrick Fauconnier : Elle n’existe pas pour moi à l’heure actuelle. C’est une vue de l’esprit. Je pense qu’elle a existé dans l’école de Jules Ferry, qui représente un monument national tellement vénéré – à juste titre d’ailleurs – qu’on est persuadé que le monument n’a pas bougé. En réalité, l’école au cours des dernières décennies n’offre plus cette égalité des chances, parce que si vous voulez vous insérer professionnellement, le seul bagage scolaire ne suffit plus. Il y a des familles dans lesquelles on a le soir une relation d’aide aux devoirs que l’on n’a pas dans d’autres familles. Il y a des jeunes qui ont des ordinateurs, d’autres qui n’en ont pas. Il y en a qui bénéficient d’un séjour culturel et linguistique à l’étranger, d’autres pas. Aujourd’hui, les termes du contrat sont faussés à cause de tout ce qui est apporté par ailleurs pour aider à l’insertion. Mais on commence à le comprendre. Vous écrivez également que « l’école qui accroît les inégalités conduit à penser que cet état de fait ne résulte pas de facteurs politiques mais culturels ». Pourquoi ? Patrick Fauconnier : J’ai pensé que si c’était politique, avec les alternances qui ont eu lieu depuis une vingtaine d’années, la situation se serait améliorée, ce qui n’a pas été le cas. J’ai donc tendance à en déduire que c’est culturel. D’autant que je considère que l’école s’est constituée idéologiquement comme une machine à filtrer. On a, en France, cette obsession des étiquettes et du diplôme. Je trouve que c’est un abus parce que le diplôme scolaire, dans le système français, ne mesure pas la compétence professionnelle mais l’aptitude à restituer correctement des choses apprises par cœur. Or la vie active, c’est tout sauf ça. C’est savoir s’adapter en permanence à des choses tout le temps changeantes. Je trouve donc très cruel que l’on ait indexé le recrutement à ce point-là sur la possession ou non d’un diplôme. C’est pour ça que je suis pour la suppression du bac. Je crois qu’il faut mesurer le niveau atteint à la fin de l’enseignement secondaire, mais de là à barrer toute possibilité de poursuite dans l’enseignement supérieur à cause de ce niveau, je ne suis pas d’accord. S’il n’y avait pas ce verrou, je pense que, dès la seconde, les jeunes seraient bien plus disposés à se poser des questions sur leur devenir professionnel. Le fait que la classe politique soit issue de cette « voie royale » que vous dénoncez contribue-t-il à expliquer cette situation ? Patrick Fauconnier : Absolument. Avec notre système dual, ceux qui sont sortis des grandes écoles sont finalement ceux qui gèrent la nation et qui sont pratiquement à tous les postes de décision. Ils ne peuvent qu’auto-entretenir ce regard un peu misérabiliste sur ceux qui n’ont pas réussi. Ceux qui sont passés par cette « voie royale » peuvent sortir du système et entrer dans un cabinet ministériel sans avoir réellement côtoyé certaines injustices assez flagrantes de la société. Je reproche aux élites d’avoir poussé trop loin l’application de la devise « à chacun son mérite » et d’avoir fait de l’école du mérite une école du mépris. Ils ne se rendent pas compte que les faibles ont manqué des moyens qui leur auraient permis d’avoir plus de « mérite ».Que pensez-vous des expériences menées par exemple à Sciences-Po pour tenter de diversifier le recrutement des élèves ?Patrick Fauconnier : Je n’en pense que du bien. Ça a provoqué des débats un peu hystériques parce que ça a été perçu comme une rupture du fameux pacte républicain qui veut que le concours soit le même pour tous. Mais un même concours pour tous ne peut être juste que si la formation a été la même pour tous. Or ce n’est pas le cas. Il faut donc en tenir compte. Dans les grandes écoles de commerce, cela fait plus de trente ans que l’on a créé des admissions parallèles et ça n’a pas fait hurler à la mort. De surcroît, cette initiative a des effets bénéfiques par ricochet. Par exemple, des lycées qui n’étaient pas remarqués ont été regardés plus positivement à partir du moment où ils ont eu une convention Sciences-Po, les profs se sont sentis valorisés, le proviseur aussi. En plus, ça a l’avantage de porter sur un nombre important de jeunes. Quel rôle attribuez-vous alors au ministre de l’éducation nationale ?Patrick Fauconnier : J’allais vous dire : tout dépend s’il est courageux ou pas. Je reproche à nos élites de faire beaucoup dans le discours mais de ne pas être assez nombreuses à passer aux actes. C’est sûr que c’est un poste extrêmement sensible. Mais il est vrai que les politiques ne se battent pas pour occuper ce ministère, qui est considéré comme un cactus. C’est un poste où il faut quelqu’un d’extrêmement diplomate et habile en concertation et en dialogue. Mais on ne peut plus faire la même réponse à cette question en 2006 qu’en 2004. A cause de ce qui s’est passé dans les banlieues et des manifestations contre le CPE, le ministre de l’éducation nationale a compris qu’il est aussi le ministre de l’insertion professionnelle. Avant, on était content de lui s’il était un bon gestionnaire en faisant en sorte qu’il n’y ait pas trop de récriminations. Maintenant, la nouvelle approche veut que ce ministre ne s’occupe plus simplement du monde enseignant et de ses structures, mais aussi de l’insertion des jeunes. Est-ce possible pour un ministre de l’éducation nationale de mener une réforme jusqu’au bout ?Patrick Fauconnier : Depuis peu de temps, je suis plus optimiste. Auparavant, il suffisait que le ministre annonce une réforme, qu’il soit de gauche ou de droite, pour qu’aussitôt un certain nombre de syndicats montent au créneau. C’est une façon de faire qui est en train de s’estomper avec l’arrivée de mentalités beaucoup plus réalistes au sein des appareils syndicaux. Aujourd’hui, même l’UNEF dit qu’il souhaite une professionnalisation des cursus, et Julie Coudry, de la Confédération étudiante, appelle de ses vœux plus d’enseignements alternés, plus de modules de découverte professionnelle… Pour moi, c’est totalement révolutionnaire. Cela signifie que le ministre trouve en face de lui des interlocuteurs nettement plus ouverts et réalistes, moins idéologues, moins dogmatiques qu’avant. Ce drame du chômage des jeunes a mis tellement de temps à être reconnu que maintenant que c’est le cas, je ressens une espèce de consensus famille-syndicats-politiques pour dire que ça ne peut plus durer. Je crois que le dialogue est nettement meilleur aujourd’hui, mais seulement si le ministre et le gouvernement savent prendre la précaution de consulter. Le CPE était un évident échec de l’absence de concertation. C’était un avatar de cette arrogance qu’ont certaines élites issues des plus hauts cursus qui pensent qu’on peut encore gouverner par décret. Pour vous, l’éducation est un » placement gagnant « . Quelle place cette question va-t-elle occuper, selon vous, dans la campagne présidentielle ?Patrick Fauconnier : Le premier qui se soit exprimé sur cette question, c’est Nicolas Sarkozy. Il faut reconnaître qu’il a beaucoup consulté d’experts et il a annoncé dès l’été dernier des rafales de mesures qu’il préconiserait s’il arrivait au pouvoir. En particulier, il a beaucoup écouté les gens des universités et a repris quasiment toutes les revendications actuelles des présidents d’université sur l’autonomie, la gouvernance, le financement… Là où la Conférence des présidents d’université demandait 3 milliards, il a proposé – démagogiquement, sans doute – 6 milliards. Et c’est un peu par réaction qu’on a entendu la gauche s’exprimer. Selon moi, à gauche, c’est Dominique Strauss-Kahn qui était le plus en pointe sur cette question, mais ses propositions n’étaient pas très éloignées de celles de Sarkozy. Et si vous prenez ce qu’a dit Ségolène Royal sur la carte scolaire, c’est pareil : on n’est pas très éloigné de ce qu’a dit la droite. Il faut reconnaître que sur ces questions-là, les réponses ne sont pas forcément de gauche ou de droite. A l’attaque de la carte scolaire !Publié le 18.12.06En 1963, Christian Fouchet, alors ministre de l’éducation, instaure la carte scolaire pour gérer les flux et les moyens d’éducation. Objectif : promouvoir la mixité sociale en obligeant les parents à inscrire leurs enfants dans un établissement en fonction de leur lieu d’habitation. Plus de quarante années ont passé et aujourd’hui, à quelques mois de l’élection présidentielle, la carte scolaire se retrouve au cœur des débats. Nicolas Sarkozy, candidat de l’UMP, demande sa suppression, tandis que Ségolène Royale, la candidate socialiste, demande, contre toute attente, son réaménagement. A Florac, en Lozère, elle a ainsi exprimé « en off » qu’à ses yeux, « ‘l’idéal » serait de « supprimer la carte scolaire », ou à tout le moins de « desserrer ses contraintes » afin de « mettre en place une forme de choix entre deux ou trois établissements, à condition que les établissements les plus délaissés soient renforcés avec des activités culturelles de haut niveau ». « Arrêtons les hypocrisies, il n’y a plus de mixité sociale », assurait-elle (Le Monde du 5 septembre 2006). Nicolas Sarkozy a, lui, exprimé ses réticences face à l’existence de la carte scolaire pour deux raisons principales : d’abord, elle ne correspondrait plus aux besoins de l’école d’aujourd’hui ; ensuite, elle se serait en quelque sorte retournée contre elle-même, devenant, affirme-t-il, « l’instrument de la ségrégation » (Le Monde daté 17-18 septembre 2006).UN SYSTÈME QUI DÉRIVECe que les deux candidats montrent du doigt, ce sont les dérives générées par ce système que les « plus favorisés » contourneraient aisément. Dérogations, fraudes et écoles privées en sont les principaux détournements. Car si la carte scolaire impose le rattachement à un établissement donné, elle ne permet pas d’assurer une mixité sociale dans les écoles, particulièrement dans les quartiers défavorisés. La carte scolaire creuserait donc les inégalités plutôt que de les réduire. « Pour deux grandes raisons, soulignent François Dubet et Marie Duru-Bellat, coauteurs de L’Hypocrisie scolaire (Le Monde du 9 septembre 2006). La première vient du fait que les inégalités sociales entre les territoires se sont creusées et que la carte scolaire les reflète et les cristallise. La seconde tient au fait que tous ceux qui le peuvent, dans le privé ou dans le public, fuient les établissements jugés ‘difficiles’. »A Paris, 15 % des élèves qui entrent chaque année en 6e obtiennent une dérogation. La plupart invoque le choix d’une option rare qui n’est pas enseignée dans leur collège de rattachement. D’autres utilisent leur propre réseau de relations. Le rectorat affirme : « Les journalistes arrivent en tête de ces demandes, viennent ensuite les personnalités du spectacle et du show-biz, et enfin les personnes qui invoquent un appui politique. » Du coup, depuis plus de vingt ans, on tente d’assouplir la carte scolaire. Dès 1983, Alain Savary a desserré la sectorisation à l’entrée de la 6e dans cinq départements. René Monory, ministre de l’éducation de 1986 à 1988, étend l’expérience à 74 départements. Mais ce n’est qu’un premier pas, puisqu’à Paris l’assouplissement ne concerne que dix-sept collèges. Le « libre choix » est encore inscrit au programme de la droite en 1992. Avec François Bayrou, aux commandes de la Rue de Grenelle de 1993 à 1997, le mouvement est mis en berne. Aujourd’hui, on attendrait clairement des futurs candidats une alternative à cette carte scolaire. Pourtant, selon un sondage réalisé en septembre par l’Institut Louis-Harris pour 20 Minutes et RMC Infos, 50 % des Français estiment que la carte scolaire est « une bonne chose ». Un chiffre qu’il convient de regarder de plus près puisque 51,9 % des cadres et professions intellectuelles supérieures sont favorables à son maintien, contre seulement 22 % des agriculteurs. Le juste miroir de l’inégalité des chances dans ce système. Jean-Paul Brighelli : « L’égalité des chances est un slogan »Publié le 18.12.06Que signifie cette notion d’« égalité des chances » à l’école ?Jean-Paul Brighelli : Il faut dire qu’une fois pour toutes, « l’égalité des chances « est un slogan ! Et il est beaucoup plus facile d’entonner un slogan que de réaliser l’égalité des droits, qui est un peu complexe depuis… les deux cents dernières années.Qui en est à l’origine ?Jean-Paul Brighelli : C’est un slogan que se partagent à 50/50 la gauche et la droite. C’est très certainement un slogan qui doit marcher au niveau de la démagogie, mais certainement pas au niveau de la pédagogie. Le slogan est né de toutes une série de bonnes intentions qui ont systématiquement été dévoyées.A quelles « bonnes intentions » faites-vous allusion ?Jean-Paul Brighelli : La carte scolaire en 1963, c’était une bonne intention, le côté social du gaullisme. C’est fabriquer de la mixité sociale. C’est aussi le moment où Bourdieu et Passeron ont écrit Les Héritiers. Christian Fouchet [ministre de l’éducation nationale de 1962 à 1967] s’était sûrement demandé comment aménager ce côté lycée bourgeois qui existait encore au début des années 60. J’ai des souvenirs précis en ce qui me concerne : j’habitais dans une banlieue très déshéritée de Marseille, on allait tous dans un des grands lycées en centre-ville. On était mélangé aux bourgeois du centre-ville, aux fils de commerçants et ça marchait très bien. Cela plaidait en faveur de la mixité sociale.Quelles autres « bonnes intentions » ont conduit le système à la dérive ?
Jean-Paul Brighelli : La deuxième bonne intention a été le « collège unique ». L’idée qu’il n’y aurait plus de filière courtes et que tout le monde aurait droit à la même instruction de qualité. Dans la réalité, quand on met dans la même classe des élèves faibles avec des forts, un prof normal parle aux élèves faibles. Résultat : il n’arrive pas à les remonter parce qu’il doit aussi tenir compte des autres et il ennuie les élèves forts ! Bref, c’est un échec sidéral ! On a été obligé de descendre le niveau d’exigence. Quelles solutions préconisez-vous ?Jean-Paul Brighelli : D’abord, il faut le dire très haut. Actuellement, on laisse l’extrême droite le présenter à sa manière et donc en faire un argument raciste. Mais aujourd’hui, peut-on revenir en arrière ?Jean-Paul Brighelli : Je n’en sais rien, et dans l’état de ma réflexion je suis très pessimiste. Il y a des tendances intéressées à faire du communautarisme. A force de fabriquer des ghettos scolaires, on produit des collèges qui sont quasiment ethniquement purs. Ce sont des nids à violence : on fournit des enseignements au rabais à des gosses en dérive sociale.
Quelle alternative alors ?Jean-Paul Brighelli : Le conseil général du Nord – Pas-de-Calais, par exemple, a choisi, plutôt que de reconstruire les collèges au même endroit, de les mettre ailleurs. On peut aussi affiner la carte scolaire, et c’est un pouvoir qu’on doit donner aux établissements. Ce n’est pas rue de Grenelle [siège du ministère de l’éducation nationale] que ça peut se décider.Que penser des systèmes qui récompensent les meilleurs élèves ?Jean-Paul Brighelli : Il y aura toujours des meilleurs élèves. Ce qui est scandaleux, c’est que les meilleurs élèves d’aujourd’hui sont les enfants des meilleurs élèves d’hier. La solution Sciences-Po, avec son côté « bonne œuvre de la marquise », peut marcher ponctuellement mais ce n’est pas une politique. J’aime bien la solution du proviseur d’Henri IV de faire une prépa zéro. C’est une bonne idée car elle peut se généraliser : refaire en fac, par exemple, une propédeutique. A Orsay, ils faisaient une année zéro de remise à niveau scientifique pour ceux qui ne venaient pas d’une section scientifique. Quand on voit le rapport Hetzel sur l’Université qui affirme que 50 % des étudiants loupent leur première année, il ne s’agit que d’un résultat global. Dans le détail, ils sont moins de 30 % quand ils viennent de S, 50 % quand ils viennent de L ou d’ES, 70 % quand ils viennent de STT et 95 ou 97 % quand ils viennent de bac pro. On envoie des gosses au casse-pipe. On pourrait leur mettre une année zéro, non disciplinaire, de remise à niveau au rang des connaissances absolument obligatoires, comme savoir rédiger par exemple.
Pourquoi ces réformes pédagogiques ne sont-elles jamais appliquées ? Pourquoi aucun ministère ne réussit-il à changer la donne ?Jean-Paul Brighelli : C’est tellement vrai que je finis par me demander s’ils en ont vraiment envie. Je me demande si inconsciemment ils ne travaillent pas pour leurs enfants à eux. C’est bien beau de vouloir aider les petits pauvres, mais en attendant on les laisse sur la marge. On les amène au bord de l’eau et on ne les fait pas boire. Il y a une espèce de réticence inconsciente.
En quoi le « pédagogisme » que vous montrez du doigt participe-t-il de cet immobilisme ?Jean-Paul Brighelli : Le système est coincé par des a priori idéologiques. Ce n’est pas parce que vous avez déclaré la citoyenneté que vous fabriquez des citoyens. En revanche, on fabriquait des citoyens bien plus conscients à la fin du XVIIIe ou au début du XIXe siècle en faisant des cours complets sur Athènes, Sparte et Rome qu’en essayant de les instruire sur les aléas de la politique contemporaine en 2006. C’est une perte de temps. C’est un problème général avec les pédagogues qui ne défendent pas les savoirs disciplinaires, ils les méprisent. Meirieu est compétent mais entouré de c… complets. Je connais des tas de gens qui sont en IUFM et qui ont très peu enseigné ou avaient de gros problèmes en tant que profs. Comment identifiez-vous les problèmes qui entravent l’égalité des chances ?Jean-Paul Brighelli : D’abord le français, il faut que tous le lisent et l’écrivent. Or, ces dernières années, il y a eu a l’école primaire une réduction drastique des heures de français. On a ajouté des tas de matières annexes. On sort beaucoup les enfants au détriment de matières fondamentales. Il y a sûrement un « énarque à calculette » qui, un jour, s’est avisé qu’on faisait les cours d’histoire en français. Sur 50 minutes de cours d’histoire, on en décomptait 15 consacrées au français par exemple. Théoriquement, dans le cycle 3 du primaire [du CE2 au CM2], il y a une heure et demie de cours de langue étrangère, autant que la grammaire… Alors que plus tard les professeurs de langue constatent les lacunes en français qui ont pour conséquence des lacunes en langues.De même, le par-cœur est honni actuellement parce qu’il passe pour passif. Aujourd’hui, il faut comprendre pourquoi 2 +2 = 4. Il faut déjà donner aux jeunes les mots pour exprimer des idées. C’est pour ça que je dis que « le barbare nouveau est arrivé », c’est la liberté d’expression avec deux cents mots de vocabulaire…Comment réussir le retour au « désir de savoir » que vous réclamez ?Jean-Paul Brighelli : D’abord, il faudrait former autrement les profs. Il faut vraiment avoir la vocation. Pour tenir une classe, il faut également en savoir mille fois plus que ce que le programme demande. Apprendre la pédagogie sur le terrain et avoir des cours dans les matières qu’on enseignera.Ensuite, il faut remettre au programme les devoirs du soir, quitte à avoir des gens qui aident pendant les études de façon à égaliser les possibilités.Faire de la détection de talents dans tous les niveaux : mathématiques, français, mais tout le secteur pratique surtout, qui est totalement sinistré. Je rapporte sur mon blog cette histoire de mon ami tailleur de pierre qui cherche un apprenti qui sait ce que c’est qu’un angle droit. Il ne le trouve pas ! 80 % d’une classe d’âge au bac, ça les a tous transformés en pré-fonctionnaires, au moment où la fonction publique dégraisse. A l’école des fillesPublié le 18.12.06Le constat est sans appel et perdure : les filles, pourtant meilleures élèves que les garçons, restent très minoritaires dans les cursus les plus prestigieux, mais aussi dans les filières professionnalisées. Dans Les Héritiers, Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron avaient démontré combien l’origine sociale est décisive dans une sociologie de l’éducation. Dans leur enquête Allez les filles ! (Seuil, 1992, réédité en 2006), Christian Baudelot et Roger Establet, constatent eux, combien l’inégalité des sexes est encore frappante dans le système scolaire. Une date historique : en 1971, le nombre de bachelières égalise le nombre de bacheliers. Depuis, l’évolution est constante. Ainsi, selon les derniers chiffres publiés par l’INSEE, les résultats du baccalauréat 2005 montrent qu’en filière générale, le nombre de mentions chez les filles est supérieur à celui des garçons, quelle que soit la section. De même, question scolarisation, en 1946, à 20 ans, 3 % des filles étaient scolarisées (pour 6,5 % des garçons). En 1996, les filles dominent à tous les âges : à 20 ans, 62 % des filles (contre 54 % des garçons) sont scolarisées. Durant l’année scolaire 2002/2003, 45,7 % des filles étaient scolarisées contre 34 % des garçons. « Elles l’emportent sur les garçons aux quatre étages de l’édifice scolaire », montrent Baudelot et Establet : du primaire au secondaire en passant par le lycée et la faculté.Et pourtant, sur le marché du travail, la tendance est inversée : elles ne sont ni les premières, ni les mieux payées. En 2003, 12,9 % des dirigeants travaillant dans l’industrie sont des femmes, dont le salaire net fiscal est, en moyenne, de 39 000 euros par an ; celui de leurs homologues masculins est supérieur de 42,5 %. Dans les services, 20,2 % des dirigeants sont des femmes et cette fois, leurs homologues masculins ont des salaires en moyenne supérieurs de 66,4 % (voir l’étude publiée par l’INSEE).C’est comme si l’école avait amorcé une révolution que le reste de la société aurait du mal à suivre. « Ces conquêtes spectaculaires et rapides, interrogent les deux sociologues, ont-elle suffi pour balayer les représentations qui sont associées, depuis des temps immémoriaux, aux statuts respectifs de garçon et de fille, d’homme et de femme ? » Leur réponse est sans appel :« non. » Cette « révolution silencieuse » doit continuer à faire face aux mêmes obstacles persistants : « stéréotypes éducatifs, faibles transformation des rôles dans la famille », ségrégations diverses dans l’enseignement professionnel et sur le marché du travail, discriminations salariales et mauvaises orientations scolaires… La liste est longue, mais la lutte continue. Allez les filles ! Haro sur la « carte scolaire », mais sans alternativePublié le 06.09.06Assouplissement de la carte scolaire pour Ségolène Royal, suppression pure et simple pour Nicolas Sarkozy : la candidate à l’investiture du PS pour l’élection présidentielle de 2007 et le président de l’UMP veulent en finir avec les règles qui régissent la sectorisation, c’est-à-dire le rattachement d’un élève à un établissement scolaire en fonction de son lieu d’habitation. La première a détaillé, dimanche 3 septembre, ses propositions à Florac, en Lozère (Le Monde du 5 septembre). Le second les avait présentées à l’occasion de la convention pour la France d’après, en février.« L’idéal » serait de « supprimer la carte scolaire » ou à tout le moins de « desserrer ses contraintes » afin de « mettre en place une forme de choix entre deux ou trois établissements, à condition que les établissements les plus délaissés soient renforcés avec des activités scolaires de haut niveau », considère Ségolène Royal. Nicolas Sarkozy plaide, quant à lui, pour « le libre choix des établissements par les parents ». Pour le futur candidat à l’élection présidentielle, cette possibilité « crée de l’émulation entre les établissements ».Lundi 4 septembre, jour de la rentrée des classes, le ministre de l’éducation nationale, Gilles de Robien, est allé dans le même sens, estimant, à l’occasion d’une visite au lycée Hoche de Versailles, que la carte scolaire avait « un petit côté privatif de liberté qu’il faut, le cas échéant, assouplir ».Cette année, une petite brèche a été ouverte. Les élèves issus des 249 collèges classés « Ambition réussite » et obtenant une mention très bien au brevet en troisième pourront accéder au lycée de leur choix.Instituée en 1963, lors de la création des collèges d’enseignement secondaire (CES), la sectorisation permet de répartir le nombre d’élèves dans les établissements en fonction de leur capacité d’accueil. Elle a aussi comme objectif de promouvoir la mixité sociale. De ce point de vue, l’objectif n’est pas atteint. Nombre de parents, souvent issus de classes aisées ou moyennes, déploient des stratégies d' »évitement » pour ne pas mettre leurs enfants dans leur collège de secteur, qu’ils jugent mal fréquenté, trop violent, ou d’un faible niveau (Le Monde du 3 septembre 2005).Pour ce faire, les parents demandent des dérogations à l’inspection d’académie invoquant des motifs scolaires (choix d’une langue vivante ou d’une option spécifique, classes à horaires aménagées), familiaux (rapprochement de frères et soeurs, proximité du domicile) ou médicaux. Ils peuvent également inscrire leur enfant dans le privé. Selon une étude publiée en août 2001, trois ans après leur entrée dans le secondaire, 10 % des enfants fréquentaient un établissement public en dehors de leur secteur et 20 % étaient inscrits dans le privé.Les enseignants sont deux fois plus nombreux que la moyenne à inscrire leur enfant dans un établissement public hors de leur secteur géographique. En revanche, la scolarisation dans un collège privé est plus fréquente chez les enfants de chefs d’entreprise, d’agriculteurs et de cadres.Les membres de la commission du débat national sur l’avenir de l’école, qui avait servi de base de travail à l’élaboration de la loi Fillon du 23 avril 2005, s’étaient intéressés à la question de la mixité sociale. Leur rapport préconisait, dans les cas d’établissements très problématiques, d’élargir le choix des parents à un vaste secteur géographique. La commission estimait que la mise en oeuvre d’une telle mesure se traduirait vraisemblablement par la fermeture de l’établissement très dégradé.Pour le reste, le rapport recommandait de concentrer beaucoup plus de moyens sur les établissements en difficulté et de leur conférer une plus grande autonomie, plutôt que d’abroger la carte scolaire.Pour les différents syndicats de l’éducation nationale, la suppression de la sectorisation apparaît « irréaliste », voire « dangereuse ». « Faire ce que préconise Nicolas Sarkozy revient à détruire l’éducation nationale et à mettre en place un système concurrentiel à l’instar de ce que font les Anglais », estime Philippe Guittet, président du SNPDEN, le syndicat majoritaire chez les chefs d’établissement. Selon lui, « il faut supprimer les établissements ghettos, redécouper autrement les secteurs pour renforcer la mixité sociale ». L’opposition est la même pour le principal syndicat des enseignants du second degré, le SNES.Bernard Kuntz, président du Snalc, un syndicat d’enseignant classé à droite, n’est pas plus favorable à une telle suppression. « Je n’ai toujours pas compris comment Nicolas Sarkozy allait pouvoir mettre en oeuvre une telle réforme et réussir à éviter que tous les parents en centre-ville se ruent sur les mêmes établissements, explique-t-il. C’est la porte ouverte à des situations ubuesques. Dans l’état actuel du système éducatif, il me semble que c’est une réforme impossible à mener. » Selon lui, les propositions du président de l’UMP nécessiteraient « une réforme en profondeur du système éducatif, en développant par exemple des filières d’excellence dans les classes de banlieue pour réduire l’évitement scolaire ».La Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), marquée à gauche, est farouchement opposée à la mesure. Son président, Faride Hamana, estime qu’il « est dangereux de bâtir des propositions à partir de la frange des parents qui trichent ». « Il faut arrêter de faire croire que la suppression de la carte scolaire est une demande partagée par tous les parents, estime-t-il. Cela correspond à une vision très parisienne des choses. » Anne Kerkhove, son homologue de la PEEP, plus proche de la droite, n’est pas contre un assouplissement de la carte scolaire, mais avec prudence : « Avoir plusieurs choix ? Pourquoi pas, mais il faudra ensuite trouver les moyens de gérer les voeux des parents. » BibliographiePublié le 18.12.06Les Héritiers. Les étudiants et la culture, de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Minuit, 1964.La Reproduction, de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Minuit, 1970.L’Inégalité des chances, de Raymond Boudon, Armand Colin, 1973.
Allez les filles !, de Christian Baudelot et Roger Establet, Point, 1992. L’Apartheid scolaire, de Georges Felouzis, Françoise Liot et Joëlle Perroton, Seuil, 2005.Globale ou B.A.-BA ? Que cache la guerre des méthodes d’apprentissage de la lecture ?, de Laure Dumont, Robert Laffont, 2006.Une école sous influence ou Tartuffe-roi, de Jean-Paul Brighelli, Jean-Claude Gawsewitch, 2006.L’Ecole des chances, Qu’est-ce qu’une école juste ?, de François Dubet, Seuil, 2004.Ecole : demandez le programme !, de Philippe Meirieu, ESF, 2006. Arrêtons de discréditer l’université !Publié le 04.10.06Beaucoup d’idées reçues ont la vie dure et finissent par se transformer en dogmes. Non seulement les formations universitaires sont de plus en plus remises en cause, mais on entend répéter partout que le secteur sciences humaines et sociales (SHS) ne produit que des chômeurs et récemment encore le supplément hebdomadaire d’un quotidien parisien pointait « six filières saturées », dont les activités physiques et sportives (APS), la psychologie, les lettres, les langues et, d’une manière plus générale, les sciences humaines et sociales.Ou l’on cherche à discréditer un secteur qui a peut-être, aux yeux de certains, le tort de trop former l’esprit critique (c’est le secteur SHS qui a été le plus actif dans le mouvement anti-CPE) ou la désinformation sur l’université et ses missions est telle qu’il convient, de toute urgence, d’y répondre.Contrairement aux filières professionnelles, donc sélectives et souvent onéreuses (grandes écoles, classes préparatoires, instituts universitaires de technologie), l’université a une mission de service public, c’est-à-dire qu’elle se doit d’accueillir tous les bacheliers (y compris ceux qui n’ont pu intégrer les formations d’élite), afin de leur offrir, avec des moyens limités, le meilleur niveau de savoir.Cela ne veut pas dire qu’elle ne se préoccupe pas de l’insertion professionnelle de ses étudiants, bien au contraire. Mais ses formations, en dehors d’un secteur professionnalisant à effectif nécessairement réduit, et plus coûteux en moyens (licences pro, mastères pro), ne peuvent s’ouvrir que sur des champs professionnels et non sur des métiers. C’est particulièrement vrai pour les SHS, si souvent décriées.Si l’un des débouchés traditionnels de ce secteur reste l’enseignement, la mise en place, dans nos cursus, de parcours de formation alliant savoir et compétences en relation avec des champs professionnels permet à nos étudiants une insertion bien meilleure qu’on ne le dit.Pour prendre le cas, souvent cité, des APS : à l’université Rennes-II, les chiffres montrent que, si seulement 5 % à 10 % des effectifs peuvent espérer réussir au Capes ou à l’agrégation et devenir professeurs d’éducation physique, 80 % trouvent une insertion dans des métiers accessibles à l’issue de la formation : en éducation et motricité, activités physiques adaptées et santé, entraînement sportif, ergonomie du mouvement, management du sport… Il y a quelque paradoxe, dans une société où les activités physiques font partie d’une culture fortement valorisée, à prétendre que les études d’APS ne mènent à rien, alors que, partout, salles de sport et clubs sportifs se multiplient !On pourrait faire le même constat pour toutes les disciplines aujourd’hui montrées du doigt. En psychologie, il existe bien d’autres débouchés que la psychologie clinique. Les secteurs de la santé, de l’éducation, de la justice, de l’ergonomie, mais aussi la gestion des entreprises : direction des ressources humaines, cabinets de conseil en organisation, en recrutement, absorbent un pourcentage important des effectifs qui sortent de l’université. Là encore, à Rennes-II, nous avons, dans cette discipline, un très bon taux d’insertion. Si l’on prend les lettres, comme dernier exemple, en dehors du professorat des écoles ou du second degré, des champs professionnels comme les métiers du livre et de l’édition, des bibliothèques et de la documentation, ou encore de la communication, du patrimoine, de la culture… ouvrent un nombre non négligeable de débouchés : 75 % des étudiants en master « Métiers du texte et de l’édition » trouvent un emploi avant un an.Il faut donc reconsidérer, en fonction de la mission de service public qui est la leur, les possibilités d’insertion professionnelle offertes par les universités SHS. Non seulement on pourrait montrer que ce qu’on appelle le taux d’échec en première année, voisin de 50 %, n’est en fait qu’un processus de réorientation auquel on peut remédier par une meilleure information dans les lycées et par des dispositifs de « passerelles » en premier cycle, mais les filières SHS, dites sans débouchés, offrent des possibilités d’insertion professionnelles sérieuses, d’autant plus que, dans les prochaines années, la majorité des emplois qui seront créés ne le seront pas dans l’industrie mais dans les services.C’est donc bien l’université qui, aujourd’hui, offre une vraie « égalité des chances » pour les classes les moins favorisées et si on peut souhaiter que les grandes écoles s’en rapprochent (François Goulard), en dehors du domaine de la recherche, où les collaborations sont déjà en place (PRES), il faudrait modifier en profondeur le système inégalitaire qui est le nôtre pour donner aux universités les mêmes moyens de préparer directement à des métiers comme c’est le cas pour les facultés de médecine.A moins qu’on ne préfère, plus démocratiquement, l’intégration des grandes écoles dans les universités sous forme d’instituts de formation professionnelle…Même la recherche en SHS a fortement évolué ces dernières années. Si la recherche finalisée, soucieuse de la demande sociale, prend de plus en plus de place, une réflexion s’est ouverte, parallèlement, sur la question de l' »employabilité » des étudiants.Ce sera le thème d’un colloque international, organisé, à l’initiative de Rennes-II, par l’Université de Bretagne, sur le thème « Université, compétences et emploi » (Rennes, Les Champs libres, du 13 au 15 décembre).
Hervé Hamon : « L’école n’est pas organisée autour de l’élève »Publié le 18.12.06Revenons d’abord sur votre méthode. En 1984, vous étiez allé dans des collèges et des lycées. Vingt ans plus tard, vous y êtes retourné. Votre démarche est celle de l’observation, sur le terrain ?Hervé Hamon : Ma caractéristique, c’est que je suis incompétent et irresponsable. Je n’ai pas d’expertise particulière. Je suis un citoyen passionné par les questions d’éducation. Et je suis indépendant : je décide de faire une enquête, je pars deux ans et demi et je rends mes conclusions. C’est un travail de sociologie empirique, je n’ai pas de prétention à la science ou à l’exactitude, mais une certaine prétention à l’honnêteté. Surtout, j’ai une singularité, c’est que j’y suis allé. Je suis fatigué de voir tous les gens qui nous parlent de la banlieue sans y avoir jamais mis les pieds. En 1984, Patrick Rotman et moi avions fait une longue enquête sur l’enseignement secondaire public français. Nous avons fait le tour des collèges, des lycées, des lycées professionnels, que l’on appelait à l’époque les LEP [lycées d’enseignement professionnel], et nous avons interviewé à peu près trois cents adultes qui travaillaient dans ces établissements. J’ai décidé de refaire, en solo, exactement le même travail, le même parcours. Je n’ai pas forcément retrouvé les mêmes témoins, mais je pense avoir eu la possibilité de jouer sur cet effet optique pour dire, vingt ans après, ce qui a bougé, ce qui n’a pas bougé, et pouvoir porter un certain jugement global. D’autant plus que j’ai recoupé ces données de terrain avec tout ce qui est disponible comme travaux et observations. Votre premier constat, à l’issue de cette enquête, c’est que globalement le niveau général a augmenté ?Hervé Hamon : Arrêtons de perdre du temps dans des querelles subalternes. Quand nous parlons d’éducation, nous sommes soit dans la polémique, soit dans l’affect. Il y a peut-être des choses qui étaient mieux en 1930, mais si l’on veut bien regarder le système éducatif français, le niveau n’a pas cessé de monter. Dans les années 50, n’en déplaise au « Pensionnat de Chavagnes » [émission de télé-réalité sur M6] , l’ambition était d’amener 50 % d’une classe d’âge au niveau de la 6e. Aujourd’hui, nous en amenons les deux tiers au baccalauréat. Ce n’est pas pipeau : contrairement à ce que tout le monde raconte, le bac n’est pas dévalué. On demande aux jeunes de maîtriser des compétences beaucoup plus complexes que celles que j’avais à maîtriser à leur âge. D’autre part, le niveau des profs a également progressé. Il y a vingt ans, un prof sur deux avait le bac. Aujourd’hui, ils sont plutôt surqualifiés. Nous avons des jeunes profs qui ne sont peut-être pas très armés pédagogiquement, mais qui ont un niveau universitaire élevé. En revanche, vous avez observé, sur le terrain, que les inégalités sont de plus en plus fortes… Hervé Hamon : Oui, le niveau monte, mais les écarts se creusent. Nous avons un peloton de tête qui est sensiblement plus étoffé, qui roule plus vite, qui est plus performant et qui va plus loin. Nous amenons plus de jeunes, en France, à faire des études complexes et longues. En revanche, entre ce peloton et ceux qui sont à la traîne, l’écart est devenu vertigineux et totalement inquiétant. L’année de mon bac, nous étions environ 11 % à le passer. Mais pour tous, la possibilité d’entrer dans la vie active était plus grande. Aujourd’hui, l’attente de qualification est beaucoup plus forte, et pour ceux qui ont décroché, la situation est très anxiogène. Comme dans les autres pays développés, environ 20 % des élèves sont en grande ou très grande difficulté scolaire. Dans une société toujours plus exigeante, ils sont d’autant plus marginalisés et humiliés. Ce qui m’a beaucoup marqué, c’est de voir comment, dès la 6e, dans n’importe quel collège en situation difficile, les gosses ont intériorisé dix jours après la rentrée l’idée que l’école, ce n’est pas pour eux. Quelles sont les solutions pour faire face à cette situation ? Hervé Hamon : C’est simple. On estime que ces 20 % d’élèves n’ont pas leur place dans le système, et on cherche à les évacuer : c’est ce qu’amorce, à mon avis, le ministre de l’éducation, Gilles de Robien, avec l’apprentissage dès 14 ans. Cela constitue pour moi un recul inacceptable : les entreprises ne veulent pas de gens à 14 ans, elles ne sont pas qualifiantes, et en France il n’y a pas de possibilité de retour. Je ne suis pas opposé au fait de déscolariser des élèves qui décrochent : si un gosse étouffe à l’école, qu’il insulte les profs, il est nécessaire qu’il en sorte un moment. Mais il doit avoir un droit au retour. Les pays nordiques arrivent très bien à faire ça, les Canadiens aussi. Le débat est politique. Soit on déclare que ces enfants n’ont pas de place chez nous, et on laisse les enfants des classes moyennes et supérieures fonctionner entre eux ; soit on juge que l’on a su massifier, mais pas démocratiser. Nous avons enfourné des générations d’élèves dans un moule qui écrabouille les plus faibles, les étrangers, les gosses de banlieue, certains ruraux. Nous n’avons pas encore essayé de transformer le moule avant de dire qu’il faut dégager les élèves.D’autres pays s’en sortent mieux que nous ? Hervé Hamon : Bien sûr ! Il faut aller voir ceux qui fonctionnent autrement. En Norvège, par exemple, quand un élève décroche en maths, un véritable « SAMU » se met en place. Il y a des professeurs spécialisés qui jugent glorieux, et non pas infamant, de s’occuper de mauvais élèves. En France, nous savons prendre la population la plus normée, la plus normale, les bons élèves, et nous en occuper. En revanche, dès que les populations sont trop homogènes par le bas, ou trop hétérogènes, on ne sait pas faire. L’école n’est pas organisée autour de l’élève.Y a-t-il une volonté, en France, de s’inspirer de ces exemples étrangers ?Hervé Hamon : Nous avons beaucoup de travaux, de recherches et d’études sur l’école. Tout le monde sait par exemple que le redoublement, qui est une spécificité française, ne marche pas dans la plupart des cas. On sait que les Français n’arrivent pas à apprendre les langues étrangères, parce que les professeurs ne font pas travailler l’oral, et ont peur d’avoir des élèves qui se trompent. Mais ce qui me choque, en France, c’est qu’on ne veut pas le savoir ! J’ai été étonné de voir à quel point les enseignants ignorent les travaux qui les concernent. C’est comme si je disais : je vais vous parler de médecine, mais je ne lis pas les manuels. Il y a une volonté de ne pas être dérangé. De manière générale, les enseignants ne se comportent pas assez en professionnels ou en intellectuels. Il est difficile de trouver les solutions : on pourrait déjà essayer de poser les problèmes. Nous sommes sans arrêt dans la polémique, le jeu des petites phrases est terrifiant.Quelle est la responsabilité des professeurs dans l’aggravation des inégalités ? Hervé Hamon : Ce ne sont pas les professeurs, au sens individuel, qui sont responsables. Les enseignants que j’ai rencontrés sont globalement des gens plutôt consciencieux, qui ont envie de bien faire, et qui sont malheureux quand ça ne marche pas. En revanche, la culture traditionnelle collective est ringarde et désuète, et la formation des enseignants est très insuffisante. Il y a un énorme déficit pédagogique dans ce pays. Par exemple, les familles peuvent avoir en temps réel sur Internet les appréciations des professeurs. Mais l’appréciation, très souvent, c’est « peut mieux faire » ! On fait quoi avec ça ? Est-ce que l’élève va avancer, est-ce qu’il va comprendre ce qu’il doit travailler ? Est-ce que les parents vont pouvoir aider leur enfant ? Les rapports parents-école sont toujours décevants : en France, le parent a toujours tort. S’il est là, c’est un emmerdeur. S’il n’est pas là, il est démissionnaire. Cette école ne fonctionne pas bien, et ce n’est pas, à mon avis, un problème de qualité des individus.Pour rendre l’école plus performante, vous proposez notamment d’introduire une direction des ressources humaines dans l’éducation nationale. Hervé Hamon : L’encadrement est un élément-clé. Je me suis souvent demandé, pendant mon enquête, pourquoi on avait, de part et d’autre d’une rue, un collège qui tournait et un collège qui ne tournait pas. A mon avis, la réponse tient beaucoup à la qualité de l’encadrement. En France, nous recrutons des cadres, sur des critères universitaires, et nous les nommons à vie. C’est absurde. N’importe qui, au cours de sa carrière, peut plafonner, avoir un passage à vide, être déprimé. Les possibilités de carrière doivent être beaucoup plus souples. Tous les profs ont envie de partir à 50 ans, et ils ne voient pas comment. Il faut surtout une politique d’évaluation et de sanction, négative mais aussi positive. Que les gens qui s’investissent en tirent de la gratification, de l’argent, des possibilités de choix. Mais on ne peut pas se permettre d’avoir des gens incompétents ! Ces questions de l’organisation de l’éducation nationale sont-elles encore taboues ? Hervé Hamon : Oui, cela reste un verrou. Dans l’éducation nationale, nous avons des syndicats faibles, qui courent après leur électorat en jouant la carte du statu quo. Mais il va bien falloir que cela change. Par exemple, sur la présence des profs dans l’école : l’obligation de service est un verrou majeur. Il ne s’agit pas de demander aux profs d’être là 35 heures, c’est un travail qui doit se faire par objectifs, et non de façon comptable. Dans les pays qui font mieux que nous, avec des budgets équivalents ou moindres, l’obligation de service ne se réduit pas à dispenser des cours magistraux. Sortons des polémiques là aussi, personne ne pense que les profs travaillent uniquement quand ils sont devant leurs élèves. Mais si on veut progresser, il faut que les enseignants soient plus présents, qu’ils fassent de la méthodologie, qu’ils travaillent ensemble ! Quitte à donner moins d’heures de cours. Par rapport à 1984, sur ce sujet, ça n’a pas bougé. Par certains aspects, nous avons même régressé. Il faut se concerter sur les élèves pour les évaluer, partager les échecs, les difficultés. Tout simplement se réunir autour de l’élève. Cela passe forcément par une modification de toute l’ergonomie des établissements. On ne peut pas demander aux enseignants de rester dans une salle de profs minable, avec seulement une machine à café, pour travailler. Cette révolution culturelle est à faire, c’est le prochain chantier. Ségolène Royal s’y est très mal prise en parlant de 35 heures : il ne faut ni quantifier cela, ni donner à penser qu’on considère que les profs ne foutent rien. Encore une fois, c’est une affaire de système et de culture, plus que d’individus. Autre sujet d’actualité, la carte scolaire. Pensez-vous que les parents ont aussi une part de responsabilité en refusant la mixité sociale ? Hervé Hamon : D’abord, la carte scolaire ne marche pas. On l’a créée pour éviter les ghettos et fabriquer un peu de mixité sociale. Le bilan est catastrophique. Aujourd’hui, il y a des ghettos scolaires, comme il y a des ghettos sociaux, ethniques, et c’est un échec de toute la société. Face à ce constat, il y a la solution de Nicolas Sarkozy, qui consiste à dire « on décloisonne tout, et les parents vont choisir ». Là, ce sera encore pire. Nous savons très bien qu’il y a des parents qui choisissent, ce sont les « consommateurs d’écoles », les initiés. En gros, un tiers des parents connaît les bonnes filières, les bonnes options, les bons établissements. En revanche, il ne faut pas non plus avoir de discours religieux là-dessus, comme au PS où on ne veut pas en parler. Oui, assouplissons la carte scolaire, mais dans le cadre d’une politique réelle d’aide aux établissements défavorisés. Des parents comprennent qu’il nous faut de la mixité sociale, mais aussi de la mixité pédagogique. Certains enfants vont très bien se débrouiller dans un établissement compétitif, d’autres seront mieux dans un établissement accompagnateur. Ce choix-là doit être donné, et cela inciterait les établissements à être plus transparents, à avoir de vrais projets d’établissement qui ne soient pas les deux pages pondues par le proviseur parce qu’il faut rendre quelque chose. Qu’on sache ce que fait l’établissement, comment il travaille, ce qu’il propose aux parents et aux enfants. Cela signifie en même temps qu’il faut mettre le paquet sur les pauvres.Vous jugez que les moyens ne sont pas assez ciblés ? Hervé Hamon : Tout à fait. Aujourd’hui, tout le monde est en ZEP. C’est une machine à saupoudrer de l’argent pour acheter de la paix sociale. Pour vous donner un exemple, je ne suis pas partisan de faire baisser les effectifs par classe dans la majorité des établissements. Toutes les études ont montré que quatre élèves de moins, ça coûte très cher, alors que les bénéfices sont faibles. En revanche, dans les secteurs très en difficulté, une baisse drastique des effectifs peut être vraiment efficace. Je souhaiterais qu’on ait un vrai plan d’urgence pour les plus pauvres. Qu’on ferme certains établissements, qu’on n’arrivera pas à sauver. On ne fabriquera pas de la mixité sociale par décret. Il faut être réellement innovant et courageux. Qu’on ne se contente pas de nommer les collèges « ambition réussite », en leur donnant des éducateurs pas formés. Existe-t-il aujourd’hui une marge de manœuvre ? Est-il possible d’innover à l’intérieur du système ?Hervé Hamon : Nous ne sommes pas condamnés au désespoir, même si le plus urgent est de gérer autrement les enseignants. Christian Forestier par exemple, lorsqu’il était recteur de Créteil, a su prendre des initiatives. Il a sélectionné cent collèges de l’académie, dans lesquels il a injecté de l’argent. Bien sûr, il a été critiqué, accusé de faire de la discrimination positive. Il a proposé à de jeunes professeurs de venir dans ces établissements, mais en groupe. Ils n’ont pas été nommés seuls mais avec leurs amis, leur petit copain, leur copine, par effet de bande. Ils ont été accueillis six mois avant la rentrée et encadrés. Et ça a marché ! Bien sûr qu’il y a de la marge. Pour l’instant, le système ne fonctionne que parce qu’il y a de la vertu, des gens qui veulent bien faire. Il vous paraît donc envisageable de réformer l’éducation nationale, l’organisation des professeurs ? Hervé Hamon : J’ai été positivement surpris par les jeunes profs, notamment dans les zones difficiles. Ils ne disent pas être là par vocation, ils ne jouent pas aux missionnaires, mais ils se posent en professionnels. Ils sont plus souples que ma génération et acceptent que leurs élèves ne ressemblent pas aux élèves qu’ils ont été. Et ils semblent prêts à essayer de comprendre la culture de ces populations scolaires qu’ils ont devant eux. C’est avec cette masse de jeunes enseignants qui arrive qu’il faut négocier. Avec les anciennes générations, cela ne sert à rien, ils ne sont absolument pas prêts à changer leurs habitudes. Les jeunes disent « pourquoi pas, mais quelle est la contrepartie ? ». C’est un réflexe sain. Il faut parler, négocier. On ne peut pas réformer en publiant un décret, ce que les ministres aiment beaucoup. Pour conclure, vous croyez encore à l’idée de l’égalité des chances à l’école ? Hervé Hamon : C’est un problème d’ascenseur social. Aujourd’hui, les pôles d’excellence se sont organisés pour résister à la démocratisation, les prépas sont la chasse gardée des classes supérieures. Il y a en France un mécanisme d’autodéfense face au phénomène démocratique. Cela dit, l’ascenseur social n’est pas totalement en panne. Il ne fonctionne plus si on imagine qu’on va prendre un gamin de Clichy-sous-Bois, et le faire entrer à l’ENA. En revanche, amener un jeune de Clichy-sous-Bois au BTS, c’est imaginable. L’ascenseur ne s’arrête pas à tous les étages, et les plus hauts étages sont toujours desservis pour les mêmes. Mais il monte quand même plus haut qu’avant. Je ne désespère pas de l’école. Pédagogie : la réforme impossible ?Publié le 18.12.06Le système éducatif a encore et toujours besoin de s’attaquer au problème de l’échec scolaire. Le rapport du ministère de l’éducation nationale sur l’état de l’école en 2004 relève que « 50 000 jeunes, soit 7 % des sortants de formation initiale, ont quitté l’école sans qualification, c’est-à-dire sans avoir atteint au moins une classe terminale de CAP ou BEP, ou une seconde générale et technologique… En ajoutant ceux qui possèdent au mieux le brevet, on atteint le total de 150 000 ; 20 % des sortants se trouvant ainsi dépourvus de diplôme de second cycle : CAP, BEP ou baccalauréat ».Ceux qui sortent sans qualification sont en majorité issus de milieux défavorisés et se retrouvent, par voie de conséquence, les premières victimes du chômage. En simplifiant volontairement les choses, on est face à l’alternative suivante : inculquer à tous le même tronc commun de connaissances ou adapter la pédagogie aux différences et aux disparités.En 1989, la loi Jospin apparaît comme un tournant. Un des ses objectifs principaux est de placer l’élève au centre du système éducatif. « L’école doit permettre à l’élève d’acquérir un savoir et de construire sa personnalité par sa propre activité, précise le texte. La réalisation de cet objectif demande du temps : son utilisation optimale par l’élève est le problème essentiel de l’école. Le temps scolaire est partagé entre des cours, des travaux dirigés et d’atelier, le travail personnel assisté et le travail personnel autonome. La durée de ces activités doit être évaluée par l’équipe pédagogique pour être communiquée aux élèves et à leur famille, et ne pas dépasser au total une durée hebdomadaire fixée pour chaque cycle d’enseignement. » Pour Jean-Paul Brighelli, enseignant et auteur notamment de La Fabrique du crétin, c’est une « date d’apocalypse », la faillite annoncée du projet de l’école. L’illusion, à ses yeux : croire que c’est en parlant de « liberté d’expression qu’on la rend réalisable ».Faut-il revenir à des conceptions plus traditionnelles, redonner la place centrale à l’enseignant ? Pourquoi la France, dont les dépenses pour l’éducation sont particulièrement élevées, n’arrive-t-elle qu’en 13e position des pays de l’OCDE pour les résultats en mathématiques des élèves de 15 ans ? A la rentrée 2006, la réforme de l’éducation prioritaire a été mise en place par Gilles de Robien. Elle est placée sous le signe de « la lutte contre l’échec scolaire ». Deux cent quarante neuf collèges ont ainsi été classés « ambition réussite », bénéficiant de moyens supplémentaires (1 000 postes d’enseignants référents et plus de 3 000 assistants d’éducation). Un soutien est mis en place pour les élèves en difficulté, surtout en CE1 et en 6e. Les syndicats estiment que ces réformes se font au détriment d’autres établissements et qu’elles manquent de moyens. Réponse à la rentrée 2007.
Gérard Aschieri : « Il y a des établissements et des zones qui s’éloignent de plus en plus des autres »
le 18.12.06
L’école est-elle aujourd’hui devenue un facteur d’inégalités ?
Gérard Aschieri : Les inégalités ne viennent pas de l’école. Mais l’école n’est pas en mesure de les corriger de manière suffisante. Les inégalités, souvent liées à des phénomènes de ségrégation sociale et territoriale, existent dans l’école. L’éducation nationale en souffre : le travail qui est fait permet d’éviter la catastrophe, mais on voit que ces inégalités se creusent. De plus en plus, ce sont des différences territoriales qui redoublent les inégalités sociales.
L’école n’est même plus en mesure de freiner ces inégalités ?
Gérard Aschieri : Elle limite l’hémorragie, si l’on peut dire, mais elle ne l’arrête pas. Confrontée à ces inégalités, l’école ne les répare pas suffisamment. Mais attention, si on n’avait pas un système éducatif public, ce serait peut-être pire. Cependant, ce n’est pas satisfaisant : il y a eu une dégradation de la situation ces dernières années, notamment en termes de géographie. Il y a des établissements et des zones qui s’éloignent de plus en plus des autres quant à la capacité de réussite, aux chances de réussite. Mais attention à la notion d’égalité des chances. Souvent, on a l’impression d’une compétition dans laquelle des gens ont des handicaps et qu’il suffirait de les compenser pour que tout le monde ait la même chance d’arriver au bout. Je pense qu’il ne s’agit pas d’une compétition. Car aujourd’hui, on a plutôt un problème dans l’égalité de l’accès aux droits.
Dans certaines zones, par exemple ?
Gérard Aschieri : Quand on parle de zones de non-droit, il faudrait ajouter un « s » à droit ! Ces zones dites difficiles ne sont pas des lieux où les gens sont difficiles et où la loi ne s’applique pas. Ce sont des zones où l’accès aux droits – droit à l’éducation, au logement, à l’emploi, etc. – est moindre par rapport à d’autres zones, voire nul. Et l’école, elle, se trouve au milieu de tout ça. Elle a du mal à faire face. C’est pour ça qu’un certain nombre d’établissements scolaires sont de plus en plus ghettoïsés. On a une école qui fonctionne bien dans 90 % des cas, et puis il y a 10 % d’établissements qui cumulent les difficultés scolaires, l’échec, la violence.
On reproche parfois aux organisations syndicales de ne s’attaquer qu’à la question des moyens. Est-ce la clé de toute réforme ?
Gérard Aschieri : On ne peut pas traiter la question sans moyens. Les redéploiements, ce n’est pas juste et ce n’est pas suffisant pour faire face. Cette difficulté scolaire, cette violence, elle ne se traite pas sans un apport significatif de moyens supplémentaires. Il faut compenser beaucoup plus les handicaps territoriaux que ce n’est fait aujourd’hui. Mais les moyens ne suffisent pas. Il faut savoir ce qu’on en fait : individualiser le suivi des élèves en grande difficulté, réduire les effectifs des classes, permettre aux personnels de travailler beaucoup plus en équipe. Dans les établissements qui connaissent le plus de difficultés, il faut faire un peu dans la dentelle dans le suivi, se concerter, avoir plus d’adultes présents. Mais au-delà, il y a tout ce qui se passe autour de l’école. Elle ne traitera pas les problèmes du logement, de la pauvreté, du chômage, et sans effort concerté pour traiter ces difficultés, l’école peut ramer, mais elle ne ramera jamais suffisamment. Mais dans ces zones-là, des initiatives ont été mises en place, comme les zones d’éducation prioritaires (ZEP). Et pourtant, les résultats ne sont pas ceux qui étaient attendus…Gérard Aschieri : Ils ne sont pas ceux qui étaient attendus, mais le différentiel de moyens n’est pas ce qu’il aurait dû être… Il y a deux sortes de ZEP : un certain nombre d’entre elles ont réussi à garder la tête hors de l’eau, tandis que d’autres se sont enfoncées. Notre proposition, c’est d’abord de mettre le paquet sur ces dernières. Mais attention, on ne peut pas enlever des moyens à celles qui ont la tête hors de l’eau, ce serait les enfoncer encore plus. Il y a deux autres questions qui sont fondamentales. D’abord la formation des personnels, notamment à la diversité des publics. Et ensuite, sur le plan qualitatif, il y a la question de la culture commune : qu’apprend-on à l’école et quel sens cela a-t-il ? La culture scolaire traditionnelle peut être socialement très sélective. La dissertation est un genre lié à une certaine couche sociale. On savait implicitement ce que c’était que la méthode de la dissertation. Or là, on a des élèves qui ne sont pas issus de cette couche sociale. Je ne dis pas qu’il faut jeter par-dessus bord les classiques mais il faut redonner du sens, réfléchir à la hiérarchie des disciplines. Pour la technologie, aurait-elle une place moindre que les mathématiques, par exemple ? Certaines solutions relèvent des moyens, d’autres du domaine de la pédagogie ? Gérard Aschieri : Bien sûr. Et pourtant, ce travail sur les contenus est rarement fait. Le fameux socle commun [mis en place par Gilles de Robien, ministre de l’éducation nationale] ne fait pas ce travail, et c’est en cela que c’est une supercherie. Il n’y a pas de solution clés en main. Cela nécessite un travail où les enseignants aient leur part, mais aussi les spécialistes des disciplines, les chercheurs en sciences de l’éducation aussi. Il faut qu’il y ait un vrai débat sur cette question, en se donnant un petit peu de temps. On ne va pas tout révolutionner, il s’agit de donner de la cohérence. Et au sein de cette cohérence, il faut donner une place à la diversité culturelle qui est celle de notre pays. La France est un pays marqué par la mixité culturelle et les jeunes y sont très sensibles. Je dirais même qu’ils la vivent bien. Malheureusement, je ne suis pas certain qu’ils la retrouvent dans l’école.Outre la question des moyens, outre celle des contenus, n’y a-t-il pas une autre question relative à l’organisation du travail des enseignants ? Est-il possible d’envisager une réforme qui modifie le temps de travail ?Gérard Aschieri : C’est ce que l’on demande. Quand je dis qu’il faut travailler plus en équipe, je dis qu’il faut changer l’organisation du travail. Simplement, on ne peut pas modifier en chargeant toujours la barque, il faut qu’il y ait des compensations. Et une manière de le faire, c’est de réduire le temps de travail devant les élèves afin de permettre plus de travail collectif. Ça a un coût énorme, c’est vrai. La proposition qu’on a faite, déjà, à plusieurs ministres, c’est de commencer par les établissements les plus difficiles. Il y a également la question du soutien aux élèves : cela relève du service public, c’est vrai. Mais, là encore, ça ne se fera qu’en dégageant du temps pour que ce soit fait. Dans les établissements difficiles, c’est souvent fait en heures supplémentaires, puisque ces établissements ont souvent des crédits pour cela. Sur cette question, il y a aussi une idée toute simple qu’on peut appliquer : l’industrialisation du cours de soutien et du cours complémentaire est liée à une seule chose, c’est la défiscalisation des cours privés, à hauteur de 50 %. C’est autant d’argent en moins dans les caisses de l’Etat ! Si on met cet argent dans l’école, dans les établissements les plus difficiles, on pourrait payer des personnes pour faire du soutien.Ces entreprises privées qui font du soutien scolaire, sont-elles des partenaires pour l’école ou des concurrents ?Gérard Aschieri : Ce ne sont pas des partenaires, je ne les qualifierais pas de concurrents non plus. Mais ce qui est contestable, c’est que l’Etat mette de l’argent là-dedans au lieu de le mettre dans les écoles publiques. D’ailleurs, les élèves qui ont recours à ces officines ne sont pas ceux qui en ont le plus besoin.
Recentrage sur les 249 collèges les plus en difficulté
le 18.12.06
Pour le vieux principe égalitariste de l’éducation nationale et républicaine, 1981 a été une année de rupture. S’inspirant d’expériences déjà tentées en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis dans les années 1960 et 1970, le gouvernement de l’époque casse le principe d’une égalité de moyens : chaque individu ne recevra pas de l’Etat le même investissement en matière d’éducation. L’idée est de corriger les effets des inégalités sociales, économiques et culturelles en renforçant l’action éducative là où l’échec scolaire est le plus élevé. Le gouvernement crée les zones d’éducation prioritaires (ZEP), pour lesquelles des moyens extraordinaires sont débloqués. Alain Savary, ministre de l’éducation nationale, précise alors : « La démocratisation du système éducatif et la lutte contre les inégalités sociales doivent se concrétiser par davantage de moyens et surtout une plus grande attention pour ceux qui en ont le plus besoin. » Les ZEP seraient donc des « machines » à réduire les inégalités sociales. Les moyens supplémentaires accordés aux établissements scolaires concernés prennent généralement la forme de primes pour les enseignants et d’une réduction des effectifs par classe. La France se classe ainsi parmi les premiers pays de l’OCDE en termes d’effort financier dans le domaine de l’éducation (7 % du PIB). En 2006, l’éducation nationale demeure le premier budget de l’Etat avec 22,5 % du budget général.Vingt-quatre ans après leur création, malgré les bilans intermédiaires et les tentatives de réformes de la réforme, le système des zones d’éducation prioritaires est usé. L’écart des résultats scolaire entre les élèves de ZEP et hors ZEP n’a pas été réduit. Pis, le récent rapport corédigé par l’inspection générale de l’éducation nationale et l’inspection générale de l’administration et de la recherche souligne des effets pervers, « comme la ‘stigmatisation’ conduisant à ‘l’évitement’ par les catégories sociales » (contournement de la carte scolaire) et « les résultats insuffisants en matière d’orientation des élèves au-delà du collège ». « Les moyens supplémentaires ont été trop dispersés », souligne le rapport. Le plan de relance pour la rentrée 2006 de Gilles de Robien, ministre de l’éducation nationale, recentre donc les moyens sur les établissements les plus en difficulté. Le classement des établissements des ZEP est modifié : parmi eux, 249 collèges sont classés « ambition réussite ». En 2006, un millier de professeurs expérimentés devaient rejoindre ces collèges. Déchargés de 50 % de leur temps de classe, ils doivent également former leurs plus jeunes collègues. Ces collèges bénéficient également de l’arrivée de trois mille assistants pédagogiques. Sans surprise, la réforme a suscité une vise opposition des syndicats. Ils dénoncent un simple redéploiement de moyens. Pourtant, Gérard Aschieri, secrétaire général de la FSU, dresse également un bilan mitigé des ZEP : « Les résultats ne sont pas ceux qui étaient attendus. » L’éducation nationale manquerait toujours de moyens pour réaliser ses objectifs.« Il est nécessaire d’investir sur les zones les plus difficiles. Mais il est également indispensable de ne pas enlever des moyens à celles qui ont la tête hors de l’eau », précise M. Aschieri. D’autres voies doivent être explorées, estime le syndicaliste, par exemple en ce qui concerne « la formation des personnels » dans le domaine de la pédagogie. « La culture scolaire traditionnelle peut être socialement très sélective. La dissertation est un genre lié à une certaine couche sociale. On savait implicitement ce que c’était que le beau, que la méthode de la dissertation. Or là, on a des élèves qui ne sont pas issus de cette couche sociale. Il faut redonner du sens, réfléchir à la hiérarchie des disciplines. La technologie a-t-elle une place moindre que les mathématiques ? » Des failles également détectées par les experts des deux inspections, qui soulignent un « pilotage défaillant », un manque de souplesse et « d’autonomie » à l’égard de l’éducation nationale. Il est nécessaire que « cette politique ne s’enferme pas non plus dans la routine, conclut le rapport. Elle devra faire l’objet d’adaptations permanentes ». Impasse de l’universitéPublié le 30.11.06C’est la rentrée à l’université, synonyme d’ascension sociale pour beaucoup d’étudiants. Mauvais calcul, hélas. Pour 40 % d’entre eux, ils n’obtiendront pas leur DEUG, le diplôme de deuxième année, comme ceux des rentrées 2005, 2004, 2003… A la différence des années précédentes, cependant, le gouvernement semble vouloir sortir de cette impasse, mais à pas lents.Jacobinisme oblige, l’enseignement supérieur a été dessiné comme un jardin à la française. Le bac général était censé mener aux grandes écoles et à la fac. Le bac technologique conduire aux IUT (instituts universitaires de technologie) et aux BTS (brevets de technicien supérieur). Tandis que le bac professionnel était destiné aux futurs ouvriers et employés, même si cela n’a jamais été dit.Sur le papier, ce système ne manque ni d’allure ni d’ambition. Aucun jeune Français ne doit avoir quitté l’éducation nationale sans une qualification. 80 % d’une classe d’âge est réputée se hisser au niveau du bac et la moitié d’entre elle obtenir un diplôme de l’enseignement supérieur. Evidemment, ce n’est pas le cas. Au fil des années, cette vision dirigiste, colbertiste, de l’éducation, s’est révélée de plus en plus inadaptée à la » massification « de l’enseignement supérieur, qui conduit 40 % d’une classe d’âge à l’université contre 15 % il y a vingt ans. Des filières sélectives, comme les IUT et les BTS, se sont multipliées, qui ont fait refluer vers l’université, où il n’y a pas de sélection, nombre de lycéens qui n’avaient rien à y faire.C’est le cas, chaque année, de 6 000 titulaires d’un bac » pro « (sur 92 000). Censés accéder directement à la vie professionnelle, ils optent pour un DEUG où leur taux de réussite en quatre ans est inférieur à 17 %. Comme eux, les bacheliers des filières technologiques sont 18 % à entrer chaque année à l’université au lieu de choisir un IUT ou de préparer un BTS. 60 % en sortent sans aucun diplôme, soit 15 000 étudiants.Les titulaires d’un bac général n’en font qu’à leur tête, eux aussi. Beaucoup d’entre eux choisissent d’intégrer un IUT et s’en servent comme tremplin. Ils bifurquent ensuite vers une école de commerce ou une école d’ingénieur. Tant mieux pour leur avenir. Tant pis pour l’équilibre du système, qui prend eau de toute part.Conséquence de ce mouvement brownien : chaque année, 80 000 étudiants quittent l’université sans aucun diplôme. La faute à qui ? A l’opacité du système pour commencer. Elèves et parents se perdent dans le dédale des formations post-secondaires – 22 000 en tout -, aux dénominations parfois obscures comme le BTS » mise en forme des alliages moulés, dominantes coulées non granitaire (moulage sous pression) « .Dans les facs, un schéma » LMD « a été mis en place mais, pour ne rien simplifier non plus, il ne s’est pas entièrement substitué au système antérieur. » LMD « , en jargon éduc. nat., signifie licence (bac + 3), master (bac + 5) et doctorat (bac + 8). Reconnus dans toutes les universités de l’espace européen – un progrès -, ces trois grades coexistent avec les anciens DEUG et les anciennes maîtrises, qui continuent d’être délivrés aux étudiants qui le demandent. Comment s’y retrouver ? L’orientation scolaire est le talon d’Achille de l’éducation nationale. Elle remplit mal sa mission, faute d’effectifs adéquats. Faute surtout pour les conseillers d’orientation de connaître de l’intérieur le marché du travail. L’éducation nationale compte ainsi moins de 5 000 conseillers d’orientation. Comme il y a 6 millions de collégiens et de lycéens, le calcul est vite fait : chaque conseiller a en charge plus d’un millier d’élèves.LA SÉLECTION » PAR LA FENÊTRE « Leur formation laisse à désirer. A dominante » psycho « , elle ne met pas assez l’accent sur le volet » insertion professionnelle « de leur mission. La plupart des conseillers d’orientation-psychologues, c’est leur dénomination officielle, connaissent mal le monde de l’entreprise, faute, souvent, d’y avoir été en stage. Et, vieux travers, ils se méfient de lui.Eperonné par un taux de chômage élevé – 22 % en 2005 chez les 15-24 ans, contre 18 % en moyenne dans l’Union européenne -, le gouvernement de Dominique de Villepin a décidé de réagir. Il a confié au recteur de l’académie de Limoges, Patrick Hetzel, la charge d’organiser un » débat national université-emploi « , dont les premières recommandations ont été formulées en juin. L’une d’elles préconisait la création d’un poste de délégué interministériel à l’orientation, qui a vu le jour mi-septembre. Une autre, parmi les plus intéressantes, suggère la mise en place dans chaque université d’une direction des stages, des emplois et des carrières à l’instar de ce qui se fait dans certaines facs.Echaudé, comme Dominique de Villepin, par la crise du CPE, François Goulard, le ministre délégué à l’enseignement supérieur, multiplie les initiatives pour tirer en douceur le » mammouth « de sa léthargie. Il propose aux élèves de terminale de déposer dès février ou mars leur dossier d’inscription à l’université, et non plus en juillet, comme c’est le cas aujourd’hui. Cela dans les facs qui voudront bien se prêter à l’opération.Même si l’UNEF accuse le gouvernement de vouloir, avec cette réforme, réintroduire la sélection » par la fenêtre « , elle va dans la bonne direction. Elle vise à dissuader les titulaires d’un bac » pro « ou » techno « de s’engouffrer dans des filières longues. Et les titulaires d’un bac général de se lancer dans des études sans réels débouchés : » psycho « , » médiation culturelle « , éducation physique et sportive, etc.L’université est irremplaçable pour les » post-bac « , mordus de français ou de maths, qui deviendront profs. Elle prépare convenablement à la vie active les étudiants en licences ou masters professionnels qui ont de bonnes chances, au terme de leur cursus, de trouver un emploi. Mais son premier cycle est le pot au noir.Trop souvent, les enseignants, qui sont une aristocratie, ne s’intéressent aux étudiants qu’une fois franchi le redoutable barrage du DEUG. C’est-à-dire lorsque le tiers état accède, après écrémage, au statut de » vrais « étudiants.Les bacheliers et leurs parents s’accommodent tant bien que mal de cette situation qui laisse à un système injuste et passablement hypocrite le soin de procéder à une sélection qui ne dit pas son nom.Comment expliquer à des parents qui, souvent, n’ont pas fait d’études supérieures que l’université est, pour trop d’étudiants, un miroir aux alouettes ? Et à tous qu’un BTS vaut mieux qu’un parcours incertain à la fac ? La démocratisation de l’enseignement supérieur – la vraie – est pourtant à ce prix.Trois questions à Richard Descoings, directeur de Sciences-Po ParisPublié le 18.12.06Quel bilan tirez-vous de votre projet d’ouvrir Sciences-Po aux plus brillants élèves issus des banlieues défavorisées ? Combien d’élèves sont concernés ? S’agit-il plus de filles ou de garçons ? Quel est leur niveau ? Et que deviennent-ils en sortant de Sciences-Po ?Richard Descoings : Les conventions éducation prioritaire ont été lancées en 2001 et avaient alors déclenché un tollé général. « Coup de pub… mise à bas de la République… Sciences-Po en bonne dame de charité du XIXe siècle… », sans compter les attaques personnelles, et les plus ou moins bons mots. Les étudiants de ZEP seraient « les boat-people de Sciences-Po », avait ainsi déclaré la présidente de la très honorable Société des agrégés… Les partisans de l’immobilisme étaient légion… D’autres ont défendu le droit à l’expérimentation.Il y avait sept lycées partenaires de Sciences-Po à l’époque. Ils sont quarante-huit aujourd’hui, situés dans dix régions françaises. Il y a eu dix-sept élèves admis la première année, soixante-quinze en 2006, ce qui porte le nombre total d’étudiants sélectionnés à 264, en six ans. Une centaine sont issus de la Seine-Saint-Denis. Des dizaines de grandes écoles ont finalement suivi Sciences-Po et ont même signé en 2005, un an après les grandes entreprises, une charte de la diversité. L’innovation lancée par Sciences-Po a fait école.Les filles sont pour l’instant à l’avant-garde. Elles représentent environ les deux tiers des candidats. Au total, entre 50 et 70 % des admis sont enfants de chômeurs, d’ouvriers, de retraités ou d’employés. Cela correspond au taux de catégories socioprofessionnelles défavorisées des lycées partenaires, qui ont généralement entre 50 et 80 % de CSP, pour une moyenne nationale à peine supérieure à 20 % (enseignement public et privé confondus). La première promo – celle des pionniers – a été diplômée en juillet 2006. Trois sur quinze qui passaient les épreuves finales avaient signé un CDI plus d’un mois avant les examens. Pendant cinq ans, ces étudiants ont suivi les mêmes cours et passé les mêmes examens que les autres. Ils ont gagné un droit à l’indifférence. C’est le meilleur succès qu’on pouvait espérer. Jean-Claude Brighelli, professeur agrégé de lettres, considère que la solution de Sciences-Po et « son côté bonne œuvre de la marquise peut marcher ponctuellement mais ce n’est pas une politique ». Que lui répondez-vous ?
Richard Descoings : Ce type de formule a un goût de réchauffé. Je tire mon chapeau aux élèves qui n’avaient rien au départ mais qui en veulent et bossent, aux enseignants des lycées qui sont sur le front depuis le début et ont gardé le même enthousiasme. Sur le terrain, cela bouge ! Ce n’est qu’un exemple, modeste par nature, mais qui suffit à montrer qu’avec de la volonté, on peut relancer l’ascenseur social. Pourvu que chacun accepte de ne pas rester chez soi, pour soi, sur son quant-à-soi. Quels sont vos nouveaux projets pour favoriser l’égalité des chances ?Richard Descoings : Avec ces mêmes acteurs de terrain, chefs d’établissement, enseignants, responsables d’association, on a décidé d’aller plus loin. En décembre 2005, je les ai réunis à Sciences-Po en leur posant une seule question : « quel serait le lycée de vos rêves ? ». On a planché pendant trois mois. Aujourd’hui, sur la base de ce travail, quatre lycées du « 9-3 » (à Clichy-sous-Bois, Epinay-sur-Seine, Saint-Ouen et Bondy) se sont lancés en réseau dans l’expérimentation.Ce n’est pas facile tous les jours. On taraude le bois dur. Mais là aussi, cela bouge. Huit établissements d’enseignement supérieur et une vingtaine de très grandes entreprises sont partenaires du programme, condition sine qua non pour sortir les lycéens de leur huis clos. Deux axes majeurs, l’innovation pédagogique et l’ouverture des élèves au monde extérieur, avec un travail sur mesure pour leur orientation. Au menu, l’interdisciplinarité et de nouveaux horizons. Des voyages d’études ambitieux, au Bénin, au Sénégal, en Chine. Avec, à Pékin ou Shanghaï, des rencontres avec des responsables d’entreprises françaises qui réussissent. Est-ce parce que l’on est né à Clichy-sous-Bois que l’on doit s’interdire d’envisager une carrière là où se fera le monde de demain ? Bataille pour la réforme des ZEPPublié le 30.11.06
En Seine-Saint-Denis, fief de l’éducation prioritaire, la mise en place des collèges » ambition réussite « , réforme-phare de l’éducation nationale, ne plaît pas à tout le monde. Dans ce département, les représentants du principal syndicat des enseignants du second degré, le SNES, sont partis en campagne, dès le début de l’année, contre ce qu’ils considéraient comme » un plan de dynamitage de la politique des ZEP « , les zones d’éducation prioritaire. En février, une quinzaine de collèges ont été occupés.Dans toute la France, 249 collèges et les 1 600 écoles primaires qui s’y rattachent, jugés les plus défavorisés, ont été labélisés » ambition réussite « . Ils ont bénéficié à ce titre, à la rentrée 2006, de quelque 1 000 professeurs » référents « de plus et de 3 000 assistants d’éducation dans le cadre de la réforme des ZEP, annoncée par Dominique de Villepin au lendemain de la crise des banlieues.Une manne, certes, mais les opposants dénoncent le fait que, pour donner davantage de moyens aux collèges » ambition réussite « , le gouvernement en a pris aux autres. Ils s’inquiètent aussi d’une prochaine étape de la réforme, qui prévoit de retirer le label ZEP – et les moyens qui vont avec – aux collèges dont la situation scolaire et sociale ne le justifie plus. Le recteur de l’académie de Créteil, dont fait partie la Seine-Saint-Denis, a pourtant assuré que celle-ci ne serait pas concernée.Enfin, les adversaires de la réforme contestent le principe de professeurs référents. Ces enseignants – quatre en moyenne par collège » ambition réussite « – ne sont tenus d’assurer qu’un mi-temps de cours, le reste étant consacré à la mise en place de projets pour les élèves les plus en difficulté, à l’encadrement des assistants d’éducation ou à épauler leurs collègues en classe.Sans que cela corresponde à une consigne nationale de ce syndicat, le SNES-93 a appelé à boycotter la réforme. » A aucun moment, nous n’étions demandeurs de professeurs référents, explique Goulven Kerien, du SNES-93. Ce que nous voulions, ce sont des heures en plus pour dédoubler les classes et du temps pour que les équipes pédagogiques puissent se concerter. «
Au collège Robert-Doisneau, de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), où les opposants sont venus présenter leurs arguments en mai, on est passé outre et on a décidé de jouer le jeu. » Nous avons eu une grande discussion avec l’équipe, explique Marie-Christine Culioli, la principale. J’ai expliqué que si on ne prenait pas ce dispositif, on n’aurait plus rien avant longtemps. Alors, soit on prend et on se bat, soit on s’en mord les doigts. «
Avec près de 80 % d’élèves issus de familles défavorisées, seulement 58 % de réussite au brevet, 29 nationalités représentées, le collège Robert-Doisneau de Clichy-sous-Bois fait partie des établissements scolaires qui concentrent, en France, le plus de difficultés. C’est là qu’étaient scolarisés les deux adolescents électrocutés dans un transformateur EDF le 27 octobre 2005. Depuis la rentrée, l’établissement bénéficie de quatre professeurs en plus et d’autant d’assistants d’éducation.Pas question d’accréditer l’idée qu’il y aurait des » superprofs « et les autres. On a banni le terme de professeurs référents, rebaptisés » professeurs supplémentaires « . Deux d’entre eux, professeurs d’anglais et de mathématiques, ont été recrutés en interne. Un enseignant du primaire, qui travaillait déjà avec le collège, a été intégré à l’équipe. Seul un jeune professeur de français a été recruté à l’extérieur.Pour être prête à la rentrée de septembre, l’équipe de direction de Robert-Doisneau a planché sur le dispositif, dès le mois de mai, avec les enseignants. » On a réfléchi à une façon d’enseigner différente du modèle classique « frontal », c’est-à-dire avec un professeur seul devant sa classe « , explique Mme Culioli. A chaque niveau (6e, 5e, 4e, 3e), une organisation spéciale a été mise en place, au plus près des besoins des élèves, en mathématiques, anglais et français.En anglais, par exemple, dès la sixième, les élèves ont une heure de cours en plus par semaine et sont répartis dans différents groupes selon leur niveau. » En langue, il faut intervenir très tôt pour ne pas laisser couler les élèves « , explique Sylvie Jégo, l’enseignante supplémentaire d’anglais.La » co-intervention « , qui prévoit deux enseignants en même temps dans une classe ou dans un groupe, fait également partie des innovations. » Quand on fait un cours classique, on a au moins la moitié de la classe qui est passive, explique Tamas Hegedus, professeur supplémentaire de mathématiques. A deux, on peut appliquer une pédagogie différente. «
Des études surveillées ont été mises en place pour les élèves qui le souhaitent, avec une attention particulière pour les plus en difficulté. Et, désormais, le collège est ouvert jusqu’à 19 heures. » C’est un vrai défi, assure la chef d’établissement. De ces nouvelles pratiques peut émerger une autre manière de penser l’éducation nationale. « Encore faut-il que les enseignants l’acceptent. Début octobre, le recteur de Créteil estimait que des tensions subsistaient dans quatre collèges de Seine-Saint-Denis. Au SNES-93, on parlait de » pagaille « dans une dizaine d’établissements.
Philippe Meirieu : » Je me sens trop en désaccord avec les décisions prises dans le secteur éducatif «
le 30.11.06
Vous incarnez le courant des pédagogues, face aux tenants d’une conception traditionnelle de l’éducation. pourquoi n’avez-vous pas postulé à un nouveau mandat à la direction de l’institut universitaire de formation des maîtres (iufm) de lyon ?
Dans la conjoncture actuelle, je ne souhaitais pas être nommé par le ministre de l’éducation nationale, Gilles de Robien. Je me sens trop en désaccord avec les décisions prises, ces dernières années, dans le domaine éducatif, pour assumer ces responsabilités. Et je tiens à ma liberté de parole.
Que reprochez-vous à la politique de M. de Robien ?
Il s’agit d’une politique de renoncement aux ambitions. L’apprentissage à 14 ans, présenté comme une réponse à la crise des banlieues, en est une illustration. Ce n’est pas en renonçant à l’éducation, à la culture, qu’on va résoudre la question des violences. Au contraire. C’est une mesure démagogique. On paye les jeunes 300 euros, mais c’est une prime pour abandonner l’école. En plus, on sait qu’ils ne trouveront pas d’emploi, car les entreprises n’en veulent pas.Ce que je crains, c’est que la possibilité d’orienter des jeunes en apprentissage dès 14 ans, sous statut scolaire, soit anticipée dès 12 ans. A terme, on risque de revenir à un palier d’orientation dès la fin de l’école primaire.
Que dire, aussi, des orientations contenues dans l’avant-projet de loi du gouvernement sur la prévention de la délinquance, qui met l’accent sur la détection précoce des troubles du comportement?
Pour le pédagogue que je suis, c’est une catastrophe. Les spécialistes ont montré qu’il existe un effet » pygmalion « , notamment à l’école, c’est-à-dire que certains enfants vont mettre un point d’honneur à agir comme des » lascars « pour se caler sur l’image que les adultes leur attribuent.
Ces mesures n’ont pas suscité beaucoup d’opposition de la part des syndicats et des enseignants…
Elles sont passées comme une lettre à la poste. Je fais l’hypothèse que chez les enseignants du second degré, il y a eu une forme de soulagement au regard des difficultés rencontrées dans les classes. Aujourd’hui, il y a un essoufflement des dynamiques. Il existait une minorité militante, déterminée, qui arrivait à faire exister des enclaves d’espérance. Ces gens sont de plus en plus découragés. Ils ont le sentiment de ne pas être soutenus.L’éducation nationale n’a jamais vraiment perçu qu’avec des sommes très minimes, on peut installer des choses intéressantes dans les classes. Elle s’est défaussée des budgets pédagogiques auprès des collectivités territoriales. Du coup, les enseignants survivent comme ils peuvent.
Qu’est-ce qui ne va pas avec le collège unique ?
Nous n’avons pas mis les moyens suffisants pour mettre en oeuvre le collège unique, dont la vocation est de scolariser dans les mêmes classes tous les élèves de la 6e à la 3e. Il aurait fallu un rééquilibrage disciplinaire. Je suis partisan de l’enseignement technologique pour tous, à une hauteur significative. Actuellement, l’enseignement technologique est très conceptualisé. Il faudrait, au contraire, développer une approche axée sur l’artisanat de proximité, sur les métiers. L’introduction de cette approche pour tous les élèves permettrait une orientation positive vers l’enseignement professionnel, et pas seulement par l’échec.Il faudrait aussi davantage de suivi individuel des élèves, de temps consacré à leur remise à niveau. Je reconnais que la loi Fillon avait ouvert la porte. Je suis d’autant plus sidéré que M. de Robien ne l’ait toujours pas mis en oeuvre.La définition d’un socle commun de connaissances et de compétences compensera-t-il les lacunes du collège unique ?Tout dépend de ce que l’on y met. Si ce socle s’entend comme une culture commune à tous les élèves au terme de leur scolarité obligatoire, là, je suis d’accord même si je pense qu’un toilettage des enseignements est nécessaire. Il est plus important aujourd’hui de connaître la différence entre le civil et le pénal que de savoir résoudre le théorème de Thalès. De même, un minimum de culture économique serait plus utile que la maîtrise d’une troisième langue vivante.Mais ce n’est pas dans cet esprit-là qu’il a été conçu. Au nom du socle commun, il s’agit d’exclure une partie des jeunes, en ne leur assurant qu’un minimum des enseignements. Au lieu de réconcilier certains élèves avec l’école, par la culture, l’expérimentation, le sport, on se focalise sur certaines matières académiques. On est dans l’acharnement pédagogique.L’école doit-elle protéger les garçons ?Publié le 30.11.06Les garçons, espèce à protéger ! Ce titre du Monde de l’éducation de janvier – nouvelle formule – peut choquer dans ce monde qui prône l’égalité des sexes et son corollaire, la mixité de l’éducation. De quoi faut-il donc protéger ces adolescents si machistes ? D’eux-mêmes ? De la compétition avec les filles ? D’un environnement qui offre peu de chances de s’épanouir aux plus défavorisés ? Ou même d’une institution qui, après avoir instauré la mixité, s’est voilé les yeux sur ses conséquences parfois négatives ? Point ne sert d’ergoter, le problème est là. Pour la rédactrice en chef, Brigitte Perucca, » alors que les filles continuent de s’orienter massivement vers des filières sans avenir, qu’elles se dénient le droit à postuler à des carrières scientifiques malgré des résultats scolaires très encourageants, qu’elles sont victimes de violences sexistes graves, il y a sans doute quelque provocation à clamer qu’il faut sauver les garçons. C’est précisément parce que la construction des identités sexuelles semble emprunter, chez les adolescents, un chemin désespérant, parsemé de violences, que nous lançons ce mot d’ordre. Les garçons, ceux des milieux défavorisés, ceux dont l’expression favorite passe par le corps parce que leur parole est trop pauvre, ceux-là mêmes sont en péril et mettent en péril du même coup une cohabitation filles-garçons de toute façon difficile. (…) La mixité, qui nous semble aujourd’hui une évidence et que personne ne songe à remettre en question, pose des problèmes aux adultes « .
COMBATTRE L’ENNUI SCOLAIRE
La mixité a-t-elle été pensée ou n’a-t-elle été qu’une façade ? Selon la circulaire de 1957, » la crise de croissance de l’enseignement secondaire nous projette dans une expérience (de la mixité) que nous ne conduisons pas au nom de principes (par ailleurs fort discutés) mais pour servir les familles au plus proche de leur domicile « . Ce qui expliquerait l’absence de sensibilisation des enseignants à la mixité, ou que ces mêmes enseignants, » s’ils sont motivés dans l’ensemble sur les questions d’égalité entre garçons et filles à l’école, ne se rendent pas toujours compte qu’ils véhiculent des stéréotypes « dans une société où la femme est trop souvent présentée comme une marchandise. La situation est d’autant plus grave que l’on s’éloigne des beaux quartiers, comme en témoignent les agressions – souvent sexuelles – contre des lycéennes. Les garçons réussissent moins bien au bac, » sont plus susceptibles que les représentantes du sexe féminin d’appartenir à la catégorie des élèves faibles « (rapport de l’OCDE). Pour le sociologue Hugues Lagrange, » les garçons les plus jeunes qui ont un mauvais cursus scolaire et ne reçoivent pas là de gratifications doivent chercher d’autres stratégies de déviation et de contrôle de leurs pulsions sexuelles. Or, précisément, ce sont eux qui sont le moins bien armés pour s’engager dans des relations symétriques, fondées sur une acceptation des filles comme égales « .Les » doués « perdraient-ils leurs moyens face aux » travailleuses « ? Chercheraient-ils hors de l’école un autre univers où ils pourraient s’exprimer, en marge ou contre la société ? D’autant que, selon Macha Séry et Christian Bonrepaux, dans » Voyage au bout de l’ennui « , » découragement, inappétence, manque de motivation, passivité, chahut, transgression : l’ennui scolaire prend des formes multiples et conduit les jeunes à l’échec. Les lycéens ne se satisfont plus d’un enseignement classique qu’ils jugent rébarbatif « . » L’enseignant doit savoir se vendre. L’ennui naît de la répétition. Et ce ne sont pas les mauvais élèves qui s’ennuient, mais les plus imaginatifs. Aux enseignants de trouver la manière de les intéresser. «
Pour sauver la mixité, l’égalité des sexes, faut-il instaurer une discrimination positive à l’américaine afin d’aider les garçons à ne pas perdre pied à l’école ? » L’école républicaine en sortira renforcée « , estime Maryline Baumard.
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