Pâque/3631e: Attention, une pâque peut en cacher une autre (It’s all about expulsion, stupid !)

30 mars, 2018
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Lamentations over the Death of the First-Born of Egypt (Charles Sprague Pearce, 1877)File:1872 Lawrence Alma-Tadema - Death of the Pharaoh Firstborn son.jpg
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Représentation d'un « meurtre rituel », cathédrale de Sandomierz, Pologne, XVIIIe siècle« Les Juifs recueillent pour leurs opérations magiques le sang des enfants chrétiens. Dessin à la plume et enluminé d'après le Livre de cabale d'Abraham le Juif
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Le
Pharaon (…)  dit à son peuple: Voilà les enfants d’Israël qui forment un peuple plus nombreux et plus puissant que nous. (…) Alors Pharaon donna cet ordre à tout son peuple: Vous jetterez dans le fleuve tout garçon qui naîtra. Exode 1 : 9-22
L’Éternel dit à Moïse et à Aaron dans le pays d’Égypte: (…) C’est la Pâque de l’Éternel. Cette nuit-là, je passerai dans le pays d’Égypte, et je frapperai tous les premiers-nés du pays d’Égypte, depuis les hommes jusqu’aux animaux, et j’exercerai des jugements contre tous les dieux de l’Égypte. (…) Le sang vous servira de signe sur les maisons où vous serez; je verrai le sang, et je passerai par-dessus vous, et il n’y aura point de plaie qui vous détruise, quand je frapperai le pays d’Égypte. (…) Au milieu de la nuit, l’Éternel frappa tous les premiers-nés dans le pays d’Égypte, depuis le premier-né de Pharaon assis sur son trône, jusqu’au premier-né du captif dans sa prison, et jusqu’à tous les premiers-nés des animaux. Pharaon se leva de nuit, lui et tous ses serviteurs, et tous les Égyptiens; et il y eut de grands cris en Égypte, car il n’y avait point de maison où il n’y eût un mort. Dans la nuit même, Pharaon appela Moïse et Aaron, et leur dit: Levez-vous, sortez du milieu de mon peuple, vous et les enfants d’Israël. Allez, servez l’Éternel, comme vous l’avez dit.Prenez vos brebis et vos boeufs, comme vous l’avez dit; allez, et bénissez-moi.Les Égyptiens pressaient le peuple, et avaient hâte de le renvoyer du pays, car ils disaient: Nous périrons tous. Exode 12 : 1-14
Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. Jésus (Jean 15,13)
Israël est détruit, sa semence même n’est plus. Amenhotep III (Stèle de Mérenptah, 1209 or 1208 Av. JC)
Je me suis réjoui contre lui et contre sa maison. Israël a été ruiné à jamais. Mesha (roi de Moab, Stèle de Mesha, 850 av. J.-C.)
J’ai tué Jéhoram, fils d’Achab roi d’Israël et j’ai tué Ahziahu, fils de Jéoram roi de la Maison de David. Et j’ai changé leurs villes en ruine et leur terre en désert. Hazaël (stèle de Tel Dan, c. 835 av. JC)
Après ce, vint une merdaille Fausse, traître et renoïe : Ce fu Judée la honnie, La mauvaise, la desloyal, Qui bien het et aimme tout mal, Qui tant donna d’or et d’argent Et promist a crestienne gent, Que puis, rivieres et fonteinnes Qui estoient cleres et seinnes En plusieurs lieus empoisonnerent, Dont pluseurs leurs vies finerent ; Car trestuit cil qui en usoient Assez soudeinnement moroient. Dont, certes, par dis fois cent mille En morurent, qu’a champ, qu’a ville. Einsois que fust aperceuë Ceste mortel deconvenue. Mais cils qui haut siet et louing voit, Qui tout gouverne et tout pourvoit, Ceste traïson plus celer Ne volt, enis la fist reveler Et si generalement savoir Qu’ils perdirent corps et avoir. Car tuit Juif furent destruit, Li uns pendus, li autres cuit, L’autre noié, l’autre ot copée La teste de hache ou d’espée. Et maint crestien ensement En morurent honteusement.  Guillaume de Machaut (Jugement du Roy de Navarre, v. 1349)
Le poète et musicien Guillaume de Machaut écrivait au milieu du XIVe siècle. Son Jugement du Roy de Navarre mériterait d’être mieux connu. La partie principale de l’œuvre, certes, n’est qu’un long poème de style courtois, conventionnel de style et de sujet. Mais le début a quelque chose de saisissant. C’est une suite confuse d’événements catastrophiques auxquels Guillaume prétend avoir assisté avant de s’enfermer, finalement, de terreur dans sa maison pour y attendre la mort ou la fin de l’indicible épreuve. Certains événements sont tout à fait invraisemblables, d’autres ne le sont qu’à demi. Et pourtant de ce récit une impression se dégage : il a dû se passer quelque chose de réel. Il y a des signes dans le ciel. Les pierres pleuvent et assomment les vivants. Des villes entières sont détruites par la foudre. Dans celle où résidait Guillaume – il ne dit pas laquelle – les hommes meurent en grand nombre. Certaines de ces morts sont dues à la méchanceté des juifs et de leurs complices parmi les chrétiens. Comment ces gens-là s’y prenaient-ils pour causer de vastes pertes dans la population locale? Ils empoisonnaient les rivières, les sources d’approvisionnement en eau potable. La justice céleste a mis bon ordre à ces méfaits en révélant leurs auteurs à la population qui les a tous massacrés. Et pourtant les gens n’ont pas cessé de mourir, de plus en plus nombreux, jusqu’à un certain jour de printemps où Guillaume entendit de la musique dans la rue, des hommes et des femmes qui riaient. Tout était fini et la poésie courtoise pouvait recommencer. (…) aujourd’hui, les lecteurs repèrent des événements réels à travers les invraisemblances du récit. Ils ne croient ni aux signes dans le ciel ni aux accusations contre les juifs mais ils ne traitent pas tous les thèmes incroyables de la même façon; ils ne les mettent pas tous sur le même plan. Guillaume n’a rien inventé. C’est un homme crédule, certes, et il reflète une opinion publique hystérique. Les innombrables morts dont il fait état n’en sont pas moins réelles, causées de toute évidence par la fameuse peste noire qui ravagea la France en 1349 et 1350. Le massacre des juifs est également réel, justifié aux yeux des foules meurtrières par les rumeurs d’empoisonnement qui circulent un peu partout. C’est la terreur universelle de la maladie qui donne un poids suffisant à ces rumeurs pour déclencher lesdits massacres. (…) Mais les nombreuses morts attribuées par l’auteur au poison judaïque suggèrent une autre explication. Si ces morts sont réelles – et il n’y a pas de raison de les tenir pour imaginaires – elles pourraient bien être les premières victimes d’un seul et même fléau. Mais Guillaume ne s’en doute pas, même rétrospectivement. A ses yeux les boucs émissaires traditionnels conservent leur puissance explicatrice pour les premiers stades de l’épidémie. Pour les stades ultérieurs, seulement, l’auteur reconnaît la présence d’un phénomène proprement pathologique. L’étendue du désastre finit par décourager la seule explication par le complot des empoisonneurs, mais Guillaume ne réinterprète pas la suite entière des événements en fonction de leur raison d’être véritable. (…) Même rétrospectivement, tous les boucs émissaires collectifs réels et imaginaires, les juifs et les flagellants, les pluies de pierre et l’epydimie, continuent à jouer leur rôle si efficacement dans le récit de Guillaume que celui-ci ne voit jamais l’unité du fléau désigné par nous comme la « peste noire ». L’auteur continue à percevoir une multiplicité de désastres plus ou moins indépendants ou reliés les uns aux autres seulement par leur signification religieuse, un peu comme les dix plaies d’Egypte. René Girard
« Ils m’ont haï sans cause »? (…) « Il faut que s’accomplisse en moi ce texte de l’Écriture : ” On l’a compté parmi les criminels [ou les transgresseurs] (…) C’est tout simplement le refus de la causalité magique, et le refus des accusations stéréotypées qui s’énonce dans ces phrases apparemment trop banales pour tirer à conséquence. C’est le refus de tout ce que les foules persécutrices acceptent les yeux fermés. C’est ainsi que les Thébains adoptent tous sans hésiter l’hypothèse d’un Oedipe responsable de la peste, parce qu’incestueux ; c’est ainsi que les Égyptiens font enfermer le malheureux Joseph, sur la foi des racontars d’une Vénus provinciale, tout entière à sa proie attachée. Les Égyptiens n’en font jamais d’autres. Nous restons très égyptiens sous le rapport mythologique, avec Freud en particulier qui demande à l’Égypte la vérité du judaïsme. Les théories à la mode restent toutes païennes dans leur attachement au parricide, à l’inceste, etc., dans leur aveuglement au caractère mensonger des accusations stéréotypées. Nous sommes très en retard sur les Évangiles et même sur la Genèse. René Girard
On admet généralement que toutes les civilisations ou cultures devraient être traitées comme si elles étaient identiques. Dans le même sens, il s’agirait de nier des choses qui paraissent pourtant évidentes dans la supériorité du judaïque et du chrétien sur le plan de la victime. Mais c’est dans la loi juive qu’il est dit: tu accueilleras l’étranger car tu as été toi-même exilé, humilié, etc. Et ça, c’est unique. Je pense qu’on n’en trouvera jamais l’équivalent mythique. On a donc le droit de dire qu’il apparaît là une attitude nouvelle qui est une réflexion sur soi. On est alors quand même très loin des peuples pour qui les limites de l’humanité s’arrêtent aux limites de la tribu. (…) Il faut commencer par se souvenir que le nazisme s’est lui-même présenté comme une lutte contre la violence: c’est en se posant en victime du traité de Versailles que Hitler a gagné son pouvoir. Et le communisme lui aussi s’est présenté comme une défense des victimes. Désormais, c’est donc seulement au nom de la lutte contre la violence qu’on peut commettre la violence. Autrement dit, la problématique judaïque et chrétienne est toujours incorporée à nos déviations. René Girard
Où sont les routes et les chemins de fer, les industries et les infrastructures du nouvel Etat palestinien ? Nulle part. A la place, ils ont construit kilomètres après   kilomètres des tunnels souterrains, destinés à y cacher leurs armes, et lorsque les choses se sont corsées, ils y ont placé leur commandement militaire. Ils ont investi  des millions dans l’importation et la production de roquettes,  de lance-roquettes, de mortiers, d’armes légères et même de drones. Ils les ont délibérément placés dans des écoles, hôpitaux, mosquées et habitations privées pour exposer au mieux  leurs citoyens. Ce jeudi,  les Nations unies ont annoncé  que 20 roquettes avaient été découvertes dans l’une de leurs écoles à Gaza. Ecole depuis laquelle ils ont tiré des roquettes sur Jérusalem et Tel-Aviv. Pourquoi ? Les roquettes ne peuvent même pas infliger de lourds dégâts, étant presque, pour la plupart,  interceptées par le système anti-missiles « Dôme de fer » dont dispose Israël. Même, Mahmoud Abbas, le Président de l’Autorité palestinienne a demandé : « Qu’essayez-vous d’obtenir en tirant des roquettes ? Cela n’a aucun sens à moins  que vous ne compreniez, comme cela a été expliqué dans l’éditorial du Tuesday Post, que le seul but est de provoquer une riposte de la part d’Israël. Cette riposte provoque la mort de nombreux Palestiniens et  la télévision internationale diffuse en boucle les images de ces victimes. Ces images étant un outil de propagande fort télégénique,  le Hamas appelle donc sa propre population, de manière persistante, à ne pas chercher d’abris lorsqu’Israël lance ses tracts avertissant d’une attaque imminente. Cette manière d’agir relève d’une totale amoralité et d’une stratégie  malsaine et pervertie.  Mais cela repose, dans leur propre logique,  sur un principe tout à fait  rationnel,  les yeux du monde étant constamment braqués sur  Israël, le mélange d’antisémitisme classique et d’ignorance historique presque totale  suscitent  un réflexe de sympathie envers  ces défavorisés du Tiers Monde. Tout ceci mène à l’affaiblissement du soutien à Israël, érodant ainsi  sa  légitimité  et  son droit à l’auto-défense. Dans un monde dans lequel on constate de telles inversions morales kafkaïennes, la perversion du Hamas  devient tangible.   C’est un monde dans lequel le massacre de Munich n’est qu’un film  et l’assassinat de Klinghoffer un opéra,  dans lesquels les tueurs sont montrés sous un jour des plus sympathiques.   C’est un monde dans lequel les Nations-Unies ne tiennent pas compte de l’inhumanité   des criminels de guerre de la pire race,  condamnant systématiquement Israël – un Etat en guerre depuis 66 ans – qui, pourtant, fait d’extraordinaires efforts afin d’épargner d’innocentes victimes que le Hamas, lui, n’hésite pas à utiliser  en tant que boucliers humains. C’est tout à l’honneur des Israéliens qui, au milieu de toute cette folie, n’ont  perdu ni leur sens moral, ni leurs nerfs.  Ceux qui sont hors de la région, devraient avoir l’obligation de faire état de cette aberration  et de dire la vérité. Ceci n’a jamais été aussi aveuglément limpide. Charles Krauthammer
Pour se rendre compte du contraste remarquable entre l’histoire de l’Exode telle qu’elle est réellement racontée dans le livre de l’Ancien Testament et la façon mythologique dont de telles histoires sont habituellement racontées, il suffit de se demander : « À quoi ressemblerait l’histoire de l’Exode si les Égyptiens l’avaient racontée à la place des Israélites ? ». Malheureusement, il n’existe pas de documents historiques égyptiens datant du 14e ou du 13e siècle avant notre ère pour raconter la version égyptienne de l’histoire. Cependant, il existe des versions égyptiennes plus tardives de l’histoire de l’Exode, datant de la période hellénistique. Ces versions égyptiennes ultérieures indiquent que du point de vue égyptien, le départ des Hébreux d’Égypte était en fait une expulsion justifiée. Les sources principales sont les écrits de Manéthon et d’Apion, qui sont résumés et réfutés dans l’ouvrage de Josèphe intitulé Contre Apion …. Manéthon était un prêtre égyptien d’Héliopolis. Apion était un Égyptien qui écrivait en grec et jouait un rôle important dans la vie culturelle et politique de l’Égypte. Son récit de l’Exode a été utilisé pour attaquer les revendications et les droits des Juifs d’Alexandrie. [La version hellénistique-égyptienne de l’Exode peut être résumée comme suit : Les Égyptiens étaient confrontés à une crise majeure précipitée par un groupe de personnes souffrant de diverses maladies. De peur que la maladie ne se propage ou que quelque chose de pire ne se produise, ce groupe hétéroclite a été rassemblé et expulsé du pays. Sous la conduite d’un certain Moïse, ce peuple fut expédié ; il se constitua alors en unité religieuse et nationale. Ils s’installèrent finalement à Jérusalem et devinrent les ancêtres des Juifs.  James G. Williams
Le saviez-vous ? 900 000 Juifs ont été exclus ou expulsés des Etats arabo-musulmans entre 1940 et 1970. L’histoire de la disparition du judaïsme en terres d’islam est la clef d’une mystification politique de grande ampleur qui a fini par gagner toutes les consciences. Elle fonde le récit qui accable la légitimité et la moralité d’Israël en l’accusant d’un pseudo « péché originel ». La fable est simpliste : le martyre des Juifs européens sous le nazisme serait la seule justification de l’État d’Israël. Sa « création » par les Nations Unies aurait été une forme de compensation au lendemain de la guerre. Cependant, elle aurait entraîné une autre tragédie, la « Nakba », en dépossédant les Palestiniens de leur propre territoire. Dans le meilleur des cas, ce récit autorise à tolérer que cet État subsiste pour des causes humanitaires, malgré sa culpabilité congénitale. Cette narration a, de fait, tout pour sembler réaliste. Elle surfe sur le sentiment de culpabilité d’une Europe doublement responsable : de la Shoah et de l’imposition coloniale d’Israël à un monde arabe innocent.  Dans le pire des cas, cette narration ne voit en Israël qu’une puissance colonialiste qui doit disparaître. Ce qui explique l’intérêt d’accuser sans cesse Israël de génocide et de nazisme : sa seule « raison d’être » (la Shoah) est ainsi sapée dans son fondement. La « Nakba » est le pendant de la Shoah. La synthèse politiquement correcte de ces deux positions extrêmes est trouvée dans la doctrine de l’État bi-national ou du « retour » des « réfugiés » qui implique que les Juifs d’Israël mettent en oeuvre leur propre destruction en disparaissant dans une masse démographique arabo-musulmane. Shmuel Trigano
The earliest non-Biblical account of the Exodus is in the writings of the Greek author Hecataeus of Abdera: the Egyptians blame a plague on foreigners and expel them from the country, whereupon Moses, their leader, takes them to Canaan, where he founds the city of Jerusalem. Hecataeus wrote in the late 4th century BCE, but the passage is quite possibly an insertion made in the mid-1st century BCE. The most famous is by the Egyptian historian Manetho (3rd century BCE), known from two quotations by the 1st century CE Jewish historian Josephus. In the first, Manetho describes the Hyksos, their lowly origins in Asia, their dominion over and expulsion from Egypt, and their subsequent foundation of the city of Jerusalem and its temple. Josephus (not Manetho) identifies the Hyksos with the Jews. In the second story Manetho tells how 80,000 lepers and other « impure people, » led by a priest named Osarseph, join forces with the former Hyksos, now living in Jerusalem, to take over Egypt. They wreak havoc until eventually the pharaoh and his son chase them out to the borders of Syria, where Osarseph gives the lepers a law-code and changes his name to Moses.  Manetho differs from the other writers in describing his renegades as Egyptians rather than Jews, and in using a name other than Moses for their leader, although the identification of Osarseph with Moses may be a later addition. Wikipedia
En 1883, environ 150 enfants français sont assassinés de façon horrible dans les faubourgs de Paris, avant la Pâque juive. L’enquête a montré que les Juifs avaient tué les enfants pour recueillir leur sang… Un fait similaire s’est déroulé à Londres où beaucoup d’enfants ont été égorgés par des rabbins juifs. Hasan Hanizadeh (Jaam-e-Jam 2 TV, Iran, 20.12. 2005)
Le Talmud, le deuxième livre le plus sacré pour les Juifs, établit que les « matzos » du jour de l’Expiation doivent être pétris « avec le sang » d’un non-Juif. La préférence va au sang de jeunes après les avoir violés. Mahmoud Al-Said Al-Kurdi (Al-Akbar d’Égypte, 25 mars 2001)
La volonté bestiale de pétrir les matzos de la Pâque avec le sang des non-Juifs est [confirmée] dans les archives de la police palestinienne, où l’on trouve de nombreux cas où les corps d’enfants arabes disparus ont été retrouvés déchiquetés sans une seule goutte de sang. L’explication la plus raisonnable est que le sang a été prélevé pour être mélangé à la pâte des juifs extrémistes afin de fabriquer les matzos qui seront dévorés pendant la Pâque.  Adel Hamooda (Al-Ahram, Egypte, 28 octobre 2000)
Je voudrais préciser que le fait que les Juifs versent du sang humain pour préparer des pâtisseries pour leurs fêtes est un fait bien établi… Comment cela se fait-il ? Pour cette fête, la victime doit être un … chrétien ou musulman. Son sang est prélevé et transformé en granulés. Le religieux incorpore ces granulés à la pâte … Pour l’abattage de la Pâque … le sang des enfants chrétiens et musulmans de moins de 10 ans doit être utilisé, et le religieux peut mélanger le sang [à la pâte] … Umayma Ahmad Al-Jalahma (Université King Fahd, Al-Riyadh, Arabie Saoudite, mars 2002)
Les Juifs massacrent les non-Juifs, drainent leur sang et l’utilisent pour des rituels religieux talmudiques. Hussam Wahba (Aqidati, Egyptian magazine, August 2004)
J’ai une prémonition qui ne me quittera pas: ce qui adviendra d’Israël sera notre sort à tous. Si Israël devait périr, l’holocauste fondrait sur nous. Eric Hoffer
Le refus d’accepter la judéophobie de l’islam s’explique dans le contexte des efforts de paix de l’Etat d’Israël avec son environnement et la souffrance très présente à cette époque –quelques années après l’extermination dans les camps – de l’ampleur de la Shoah, certainement le plus grand crime commis contre le peuple juif et l’humanité. (…) La dhimmitude est corrélée au jihad. C’est le statut de soumission des indigènes non-musulmans – juifs, chrétiens, sabéens, zoroastriens, hindous, etc. – régis dans leur pays par la loi islamique. Il est inhérent au fiqh (jurisprudence) et à la charîa (loi islamique). Les éléments sont d’ordre territorial, religieux, politique et social. Le pays conquis s’intègre au dar al-islam (16) sur lequel s’applique la charîa. Celle-ci détermine en fonction des modalités de la conquête les droits et les devoirs des peuples conquis qui gardent leur religion à condition de payer une capitation mentionnée dans le Coran et donc obligatoire. Le Coran précise que cet impôt dénommé la jizya doit être perçu avec humiliation (Coran, 9, 29). Les éléments caractéristiques de ces infidèles conquis (dhimmis) sont leur infériorité dans tous les domaines par rapport aux musulmans, un statut d’humiliation et d’insécurité obligatoires et leur exploitation économique. Les dhimmis ne pouvaient construire de nouveaux lieux de culte et la restauration de ces lieux obéissait à des règles très sévères. Ils subissaient un apartheid social qui les obligeait à vivre dans des quartiers séparés, à se différencier des musulmans par des vêtements de couleur et de forme particulière, par leur coiffure, leurs selles en bois, leurs étriers et leurs ânes, seule monture autorisée. Ils étaient astreints à des corvées humiliantes, même les jours de fête, et à des rançons ruineuses extorquées souvent par des supplices. L’incapacité de les payer les condamnait à l’esclavage. Dans les provinces balkaniques de l’Empire ottoman durant quelques siècles, des enfants chrétiens furent pris en esclavage et islamisés. Au Yémen, les enfants juifs orphelins de père étaient enlevés à leur famille et islamisés. Ce système toutefois doit être replacé dans le contexte des mentalités du Moyen Age et de sociétés tribales et guerrières. Certains évoquent la Cordoue médiévale ou al-Andalous (Andalousie médiévale sous domination arabe) comme des modèles de coexistence entre juifs, chrétiens et musulmans. (…) C’est une fable. L’Andalousie souffrit de guerres continuelles entre les différentes tribus arabes, les guerres entre les cités-royaumes (taifas), les soulèvements des chrétiens indigènes, et enfin de conflits permanents avec les royaumes chrétiens du Nord. Les esclaves chrétiens des deux sexes emplissaient les harems et les troupes du calife. L’Andalousie appliquait le rite malékite, l’un des plus sévères de la jurisprudence islamique. Comme partout, il y eut des périodes de tolérance dont profitaient les dhimmis, mais elles demeuraient circonstancielles, liées à des conjonctures politiques temporaires dont la disparition provoquait le retour à une répression accrue. (…) En 1860, le statut du dhimmi fut officiellement aboli dans l’Empire ottoman sous la pression des puissances européennes, mais en fait il se maintint sous des formes atténuées compte tenu des résistances populaires et religieuses. Hors de l’Empire ottoman, en Iran, en Afghanistan, dans l’Asie musulmane et au Maghreb, il se perpétua sous des formes beaucoup plus sévères jusqu’à la colonisation. En Iran, la dynastie Pahlavi tenta de l’abolir et d’instituer l’égalité religieuse. C’est aussi l’une des raisons de l’impopularité du Shah dans les milieux religieux. Une fois au pouvoir, ceux-ci rétablirent la charîa et la juridiction coranique. (…)  On me reprochait de nier le sort heureux des dhimmis et de lier les juifs et les chrétiens dans un statut commun. Ceci était un sacrilège contre la tendance politique pro-palestinienne des années 1970 en Europe qui visait à rapprocher les chrétiens et les musulmans dans un front uni contre Israël. (…) On m’accusa d’arrière-pensées sionistes démoniaques pour avoir révélé en toute innocence une vérité vieille de 13 siècles, que l’on cachait obstinément au public afin d’attribuer à Israël, les persécutions infligées aux chrétiens par les musulmans. Cette dernière allégation était une façon de démontrer l’origine satanique d’Israël. Décrire un statut d’avilissement commun aux juifs et aux chrétiens inscrit dans la charîa et imposé durant treize siècles, constituait pour les antisionistes et leurs alliés un blasphème impardonnable. Les thèses de l’universitaire américain Edward Said triomphaient alors. Elles glorifiaient la supériorité et la tolérance de la civilisation islamique et infligeaient un sentiment de culpabilité aux Européens qui s’en délectaient. Toute la politique euro-arabe d’union et de fusion méditerranéennes se bâtissait sur ces fondations ainsi que sur la diabolisation d’Israël. (…) Cette recherche débouchait sur un combat politique que je n’avais pas prévu. J’ignorais que je déchirais un tissu de mensonges opaques créés pour soutenir une idéologie politique, celle de la fusion du christianisme et de l’islam fondée sur la théologie de la libération palestinienne et la destruction d’Israël. C’était toute la structure idéologique, politique, culturelle d’Eurabia, mais je l’ignorais alors.(..) Les talibans l’appliquèrent à l’égard des Hindous, les coptes en Egypte continuent d’en souffrir ainsi que les chrétiens en Irak, en Iran, au Soudan, au Nigeria. Même la Turquie maintient certaines restrictions sur les lieux de culte. La dhimmitude ne pourra pas changer tant que l’idéologie du jihad se maintiendra. Bat Ye’or
Les territoires islamisés par le jihad s’étendirent de l’Espagne à l’Indus et du Soudan à la Hongrie. (…) Chassés par les nouveaux États chrétiens des Balkans au XIXe siècle, les Muhagir (émigrés) représentaient des millions de Musulmans fuyant après leurs défaites, les anciennes provinces ottomanes de Serbie, de Grèce, de Bulgarie, de Roumanie, de Bosnie-Herzégovine, de Thessalie, de l’Epire et de Macédoine. Pour contrer le mouvement sioniste, le sultan recourut à la politique traditionnelle de colonisation islamique et installa en Judée, Galilée, Samarie et en Transjordanie des réfugiés, c’est-à-dire ces même Musulmans qui avaient combattu les droits, l’émancipation et l’indépendance des dhimmis chrétiens. Le sultan en avait dirigé une partie vers le Liban, la Syrie, la Palestine, où des terres leur avaient été attribuées à titre collectif et à des conditions favorables, conformément aux principes de colonisation islamique imposés aux indigènes dès le début de la conquête arabe. Cette colonisation détermina l’implantation dans le Levant, à la même époque, de tribus tcherkesses fuyant l’avance russe dans le Caucase ; la plupart furent réparties en Mésopotamie, autour de villages arméniens dont elles massacrèrent les habitants par la suite. Les colons tcherkess de la Palestine historique : Israël, Cisjordanie et Jordanie, constituèrent des villages en Judée, et près de Jérusalem comme Abou Gosh, ou à Quneitra dans le Golan. Aujourd’hui, leurs descendants se marient entre eux ; en Jordanie, ils forment la garde du roi. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, 95 % de la Palestine était constituée de terres domaniales appartenant au sultan ottoman. Le concept de terre fey, terre de butin enlevée aux infidèles et appartenant derechef à la communauté musulmane, est encore valide pour les leaders arabes, notamment l’OLP, qui contestent la légitimité d’Israël sur une terre « arabe ». Cette notion sous-tend le conflit israélo-arabe et il est curieux qu’elle soit défendue par des Chrétiens arabes et par l’Europe, car elle concerne tous les pays qui furent islamisés. De plus, ce principe étant corrélé au concept global d’un jihad universel, il récuse, par conséquent, toute légitimité non islamique. Le droit islamique établit une différence essentielle entre l’Arabie, terre d’origine des Arabes et berceau de la révélation coranique, et les terres de butin, conquises aux infidèles, c’est-à-dire tous les pays extérieurs à l’Arabie. C’est seulement dans ces pays que les infidèles sont tolérés dans les limites de la dhimmitude, mais non en Arabie. (…) Après l’ordre d’expulsion des Juifs et des Chrétiens du Hedjaz en 640, le christianisme fut éliminé totalement d’Arabie, tandis que le judaïsme put se maintenir au Yémen dans des conditions des plus précaires. Sous le califat d’Abd al-Malik (685-705), les tribus arabes chrétiennes furent forcées de se convertir ou de fuir chez les Byzantins. D’autres acceptèrent l’islamisation de leurs enfants en échange d’une exemption de la jizya. En moins d’un siècle, l’islam avait mis un terme au christianisme arabe. Les populations chrétiennes, notamment grec-orthodoxes, uniates et catholiques, sont des dhimmis arabisés au XIXe siècle par la politique coloniale de la France visant à se constituer un grand empire arabe d’Alger à Antioche dès les années 1830.Les conquêtes islamiques n’auraient pu se maintenir si elles n’avaient bénéficié de nombreuses trahisons et collaborations de princes chrétiens, de militaires et de patriarches. Ces collusions découlaient d’un contexte interchrétien de rivalités dynastiques et religieuses ou d’ambitions personnelles. Parce qu’elles se situaient aux niveaux hiérarchiques les plus importants, ceux qui impliquaient les plus hautes responsabilités d’État, de l’armée et de l’Église, ces défections déterminèrent l’islamisation de multitudes de Chrétiens.(…) Les tensions, qui s’inscrivent dans treize siècles de confrontations et de collaborations islamo-chrétiennes, sont toujours actuelles, car le système même qui les généra, celui du jihad et de la dhimmitude, fut délibérément occulté à l’époque moderne. On ne peut ici examiner les causes de cette occultation, déterminées comme autrefois par des collusions et des intérêts politiques, religieux et économiques. Aujourd’hui, on constate que l’Europe, comme les pays de la trêve des siècles passés, a, dès les années 70, maintenu une fragile sécurité moyennant une politique laxiste d’immigration. Elle préféra ignorer la constitution d’un réseau terroriste et financier sur son territoire, et espéra acheter sa sécurité sous forme d’aide au développement à des gouvernements qui n’avaient jamais révoqué les fondements d’une démonisation enracinée dans la culture du jihad. Son « service à l’umma » consiste à délégitimer l’État d’Israël, et à amener les États-Unis dans le camp du jihad anti-israélien. Ce « service de la dhimmitude » se manifeste par l’exonération du terrorisme palestinien et islamiste, par l’incrimination d’Israël et des États-Unis accusés de les motiver. Aussi peut-on déceler aujourd’hui des symptômes profonds d’une dhimmitude d’autant plus inconsciente qu’elle se nourrit du refoulement hermétique de l’histoire, nécessaire au maintien d’une politique fondée sur sa négation. Il serait trop long d’examiner ici cette évolution, mais on peut brièvement l’illustrer par trois exemples.Le premier concerne l’occultation déjà mentionnée de l’idéologie et de l’histoire du jihad, c’est-à-dire de l’ensemble des relations islamo-chrétiennes fondées sur des principes juridiques et religieux islamiques qui, n’ayant jamais été révoqués, sont encore actuels. Cette occultation est remplacée par les excuses, l’autoflagellation pour les croisades, pour les disparités économiques et par la criminalisation d’Israël. Le mal est ainsi attribué aux Juifs et aux Chrétiens afin de ménager la susceptibilité du monde musulman, qui refuse toute critique sur son passé de conquêtes et de colonisation. Ce rapport est celui du système de la dhimmitude, qui interdisait au dhimmi, sous peine de mort, de critiquer l’islam et le gouvernement islamique. Les notables dhimmis étaient chargés par l’autorité islamique d’imposer cette autocensure à leurs coreligionnaires. L’univers de la dhimmitude, conditionné par l’insécurité, l’humilité et la servilité comme gages de survie, est ainsi reconstitué en Europe.Le second exemple concerne le refus de reconnaître le fondement judéo-chrétien de la civilisation occidentale de crainte d’humilier le monde musulman – attitude similaire à celle du dhimmi, obligé de renoncer à sa propre histoire et de disparaître dans la non-existence pour permettre à son oppresseur d’exister. Ce rejet du judéo-christianisme, c’est-à-dire d’une culture fondée sur la Bible, est accentué par les fréquentes déclarations des ministres européens affirmant que les contributions de la culture arabe et islamique ont déterminé le développement de la civilisation européenne. (…) Le troisième exemple concerne la remarque, en septembre dernier, de Silvio Berlusconi, président du Conseil italien, affirmant la supériorité des institutions politiques européennes et les réactions outrées de ses collègues de l’Union européenne, accompagnées des excuses réclamées par le secrétaire de la Ligue arabe, Amr Moussa. Ancien ministre des Affaires étrangères d’Égypte, Moussa a représenté un pays dont la longue histoire de persécutions des dhimmis juifs et chrétiens se poursuit encore aujourd’hui par une culture de haine. On peut souligner que les pays de la Ligue arabe sont précisément les plus fidèles aux valeurs du jihad et de la dhimmitude qu’ils appliquent à des degrés divers à leurs sujets non musulmans. Les excuses que Berlusconi a présentées à ces pays, dont certains pratiquent encore l’esclavage et ont des eunuques et des harems, rappellent l’obligation pour le dhimmi chrétien de descendre de son âne devant un Musulman, ou comme dans la Palestine arabe jusqu’au XIXe siècle de marcher dans le caniveau, afin de l’assurer de sa déférence. Que ces attitudes d’humble servilité soient exigées des représentants des nations européennes donne la mesure de l’échec de leurs politiques qui ont conduit leurs peuples non seulement au déshonneur, mais au tribut pour suspendre, comme autrefois, par leurs services et leurs rançons, la menace du terrorisme. Parmi les nombreux et complexes facteurs de la dhimmitude énoncés plus haut, on citera l’antisionisme qui a pris la relève de l’antisémitisme. On examinera ici les développements des théologies de substitution/déchéance que ce terrain antijuif commun favorise aujourd’hui, dans la version chrétienne concernant le peuple d’Israël, et dans la version islamique relative aux Juifs et aux Chrétiens, ainsi que les dérives du courant chrétien marcionite. Si l’on évalue la dhimmitude comme une catégorie singulière de l’histoire et de l’expérience humaine, dont l’articulation juridique et théologique se déploie dans le temps et sur d’énormes espaces, on devrait pouvoir discerner dans le présent transitoire les axes, les agents et les supports de ses projections dans le futur. On a vu que le rôle des Églises pagano-chrétiennes fut capital dans la formulation de son fondement : le principe de la substitution/déchéance matérialisé par un corpus juridique discriminatoire. De même au cours de l’histoire, la collusion de certains courants du clergé avec les forces islamiques activa la destruction du pouvoir politique chrétien. L’ enracinement du christianisme dans l’arabo-palestinisme induit le mécanisme défini par Alain Besançon comme la perversa imitatio, l’imitation perverse, c’est-à-dire un duplicat d’histoire juive reconstruit dans une version arabo-palestinienne qui constitue, selon la formule de l’auteur mais pour un contexte différent, une « pédagogie du mensonge ». Les Arabes palestiniens héritiers et symboles du Jésus arabo-palestinien se substituent au peuple juif, rejeté dans la non-existence. Ils réalisent la fusion christique islamo-chrétienne d’une Palestine crucifiée par Israël, concept constamment répété dans leur guerre antijuive. Pour l’antisionisme chrétien, les termes « colons », « colonisation », « occupation » appliqués aux Israéliens dans leur pays impliquent que les droits naturels des Juifs dans leur patrie historique sont transférés au peuple arabe de Palestine selon le principe de déchéance/substitution. La restauration d’Israël dans son pays représente « une injustice » car précisément elle illustre une transgression de ce principe. Notons ici la désynchronisation et l’ineptie des concepts occidentaux de colonisation quand ils sont transférés au contexte islamique des peuples dhimmis dépossédés de leur pays et de leur identité par l’impérialisme du jihad. (…) L’ islamisation de l’humanité, des prophètes, des sages, non seulement islamise une histoire antérieure à Mahomet, mais elle dépouille les Juifs et les Chrétiens de toutes leurs références historiques. Ces religions sont comme suspendues dans un temps stagnant sans repères ni évolution. Il est évident que l’islamisation de la Bible, de Jésus et des évangélistes lèse autant les Chrétiens que les Juifs. De plus, l’islamisation de Jésus revient à islamiser toute la théologie chrétienne et la Chrétienté. Ainsi la délégitimation d’Israël n’est pas sans conséquence sur la théologie chrétienne et le sens de son identité. Ses origines sont-elles dans la Bible ou dans le Coran ? Le Jésus historique et les apôtres sont-ils juifs ou sont-ils les prophètes musulmans dont la version coranique n’a que peu de rapports avec les originaux bibliques? Le conflit judéo-chrétien se dédouble par conséquent en un autre conflit islamo-chrétien qui se joue autour de la restauration d’Israël car le principe déchéance/substitution dans la version chrétienne implique dans sa version islamique la confirmation de ce même principe pour les Chrétiens. (…) Il n’est pas rare aujourd’hui de voir les propagandistes de la cause palestinienne écrire que la Palestine est le berceau des trois religions. Affirmation absurde car l’islam est né en Arabie et se développa à La Mecque et à Médine ; aucune ville de Terre sainte, ni même Jérusalem, n’est mentionnée dans le Coran. Si la Palestine avait été le berceau de l’islam, aucun infidèle n’aurait pu y vivre. Par conséquent il n’est pas dans l’intérêt des Chrétiens de propager ces mensonges, car aucune église n’y serait tolérée. Cette falsification est uniquement motivée par le désir d’opposer à la légitimité d’Israël une autre légitimité fictive, qui se retourne dans le contexte de la dhimmitude contre ses protagonistes chrétiens. Pour les Musulmans, cette proposition confirme l’islamisation des personnages bibliques. Les services rendus à l’umma par les Églises dhimmies palestiniennes furent considérables – services, rappelons-le, qui constituent la fonction essentielle du dhimmi et garantissent sa survie. Ces Églises sapèrent le support biblique du christianisme, l’affaiblissant face à un islam toujours plus convaincu de son irréprochabilité morale. Elles renforcèrent la légitimité génocidaire de la dhimmitude par sa justification contre le peuple juif auquel le christianisme est lié. Car, si Israël est un occupant dans son pays, le christianisme, qui tire sa légitimité de l’histoire d’Israël, l’est aussi comme le serait tout autre État infidèle. Bat Ye’or
La Palestinisation de l’Europe s’articule au premier pôle cité ci-dessus et possède une double fonction: politique et théologique. La première ambitionne de remplacer Israël par la Palestine musulmane, par le déni de l’histoire juive et son effacement par l’islamisation de sa topographie. L’aspect théologique vise à islamiser les racines juives du christianisme en substituant au Jésus hébreu de Judée le Jésus musulman du Coran que les Eglises dhimmies islamisées prétendent par anachronisme palestinien, bien que ce mot n’existât pas à l’époque de Jésus et n’apparaît nulle part dans le Coran. L’islamisation des racines théologiques chrétiennes a trois conséquences  : 1) la suppression de l’histoire du peuple d’Israël, fondement historique du christianisme; 2) l’adhésion à la conception islamique de l’histoire qui affirme l’antériorité de l’islam par rapport au judaïsme et au christianisme ; 3) la justification du jihad anti-israélien fondé sur le déni de l’histoire juive et chrétienne. La Palestinisation de l’Europe consiste à abrutir l’ensemble des populations européennes par l’obsession paranoïaque de la Palestine, symbole de ces politiques jihadistes du déni, et à les détourner des grands enjeux civilisationnels qui les confrontent. L’invasion migratoire de l’Europe se rattache à la stratégie du second pôle du Conseil européen et de la Commission, menée conjointement avec la Ligue arabe et l’OCI. Cette entente euro-arabe bien rodée depuis quarante ans explique l’unanimité de l’accueil favorable des gouvernements – la Hongrie et les récents Etats de l’Union exceptés. Le ton dictatorial et menaçant du président de la Commission, le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker illustre bien l’autoritarisme opaque de Bruxelles. Ces invasions de populations majoritairement musulmanes accéléreront certainement le processus de Palestinisation (déchristianisation) et d’islamisation – non seulement démographique mais aussi culturel et politique – des sociétés européennes. C’est d’ailleurs pour cela qu’elles sont si favorablement accueillies par nos élites. Je ne crois pas aux sentiments humanitaires des politiciens mais je crois plutôt en une politique humanitaire gérant des capitaux et des intérêts stratégiques colossaux. Nos leaders qui ont détruit les Etats-nations sont incapables de défendre leurs territoires. (…) Il y eut certes « des idiots utiles » juifs et chrétiens qui bénéficièrent de prébendes, de la célébrité, d’une exposition médiatique flatteuse en servant de marionnettes et de paravents à ceux qui les manipulaient derrière le rideau. Mais ce ne sont que des ombres secondaires. Les véritables responsables de l’islamisation de l’Europe se situent dans les hautes sphères des hiérarchies gouvernementales qui collaborèrent avec le nazisme et ses milieux islamophiles. (…) Il faut aussi reconnaître que de leur côté, la Ligue arabe et l’OCI exercèrent des représailles économiques, soutenues par le terrorisme palestinien d’abord puis islamiste et des pressions incessantes pour amener une Europe parfois réticente à obtempérer à leurs exigences concernant l’afflux et les droits des immigrants musulmans en Europe ou la campagne anti-israélienne. (…) La montée du radicalisme musulman ne menace pas seulement Israël, il menace tout autant les Etats non-musulmans et les musulmans modernistes. Naturellement Israël est plus vulnérable de par son environnement et l’exiguïté de son territoire que l’UE s’acharne à amputer davantage ayant adopté la conception jihadiste de la justice. Mais Israël est moralement plus fort et déterminé à se défendre que les Européens qui subissent une déculturation et une culpabilisation demandées par l’OCI et vivent dans la dhimmitude sans même s’en apercevoir. La politique européenne du déni du jihad et de la dhimmitude a occulté le fait que juifs et chrétiens ont le même statut dans l’islam et que la destruction du judaïsme implique celle du christianisme. Je suis particulièrement affligée par les terribles souffrances infligées aux chrétiens et aux yazidis du Proche et Moyen Orient. Ces sévices prescrits par les lois du jihad et exécutés aujourd’hui confirment les textes chrétiens qui les décrivent datant de la première conquête arabo-islamique et que j’ai reproduit dans mes livres. (…) Quant à l’Iran, le fait qu’il menace Israël seulement est un leurre de la taqiya car le régime des ayatollahs menace d’anéantissement le monde sunnite et occidental. Naturellement le peuple iranien lui-même en fera les frais comme on le voit aujourd’hui avec les populations irako-syriennes qui élevées dans la glorification du jihad en sont elles-mêmes victimes aujourd’hui. (…) Les belles déclarations contre l’antisémitisme sont compensées par la recrudescence de la guerre larvée de l’UE contre Israël destiné à être remplacé par la Palestine islamique. L’effacement des noms géographiques des provinces de Judée et Samarie, la désignation du Mont du Temple comme l‘esplanade des Mosquées, la Palestinisation des tombeaux des Patriarches hébreux à Hébron, c’est-à-dire leur islamisation, s’inscrivent dans l’islamisation des origines juives et chrétiennes conforme à la version coranique. La volonté de construire le vivre-ensemble méditerranéen nourrit deux paranoïas corrélées: le remplacement d’Israël par la Palestine et l’immigration islamique en Europe, avec la disparition de la civilisation judéo-chrétienne honnie par les nazis islamophiles. Les peuples européens ignorent que leurs pays, certaines Eglises, l’Union européenne sont parmi les plus grands pourvoyeurs d’antisémitisme au niveau mondial. Cette Europe-là veut se débarrasser de l’Etat d’Israël, du judaïsme et de son rejeton le christianisme. Elle a fait le choix de l’islam. (…) Pour moi l’Europe s’est édifiée sur l’héritage scientifique et juridique gréco-romain et la spiritualité judéo-chrétienne qui a forgé ses valeurs. Ses contributions aux progrès de l’humanité dans tous les domaines, sciences, arts, lois, emplissent les plus belles pages de l’histoire humaine. Il y eut bien sûr les périodes noires des crimes et des génocides. Mais à la différence des autres peuples qui s’en glorifient ou les nient, l’Europe, nourrie de l’héritage juif de la contrition, du repentir et du pardon, les a reconnues. L’Europe a proclamé l’égalité des êtres humains et leur sacralité (principes bibliques), elle a proscrit l’esclavage et inscrit dans ses institutions la liberté, la dignité et les droits de l’homme. Quand l’Italie a voulu se libérer du joug autrichien, elle l’a proclamé à travers le génie de Verdi dans le Chant des Hébreux de Nabucco. Impuissante à supprimer les guerres, l’Europe en a tempéré la cruauté par la création de la Croix Rouge et divers instruments humanitaires. Enfin elle a agencé les moyens de prospecter le champ infini du savoir et de la connaissance et a archivé dans ses musées et ses universités la mémoire de l’humanité. J’espère que les Européens pourront préserver cet immense, infiniment précieux et unique patrimoine d’une destruction méditée par leurs nombreux ennemis intérieurs et extérieurs. Pour surmonter ce défi l’on ne doit pas se tromper d’ennemis. Cette responsabilité incombe à chacun d’entre nous. Et puis il y a Eurabia… qui terrifiée par le jihad et corrompue par les pétrodollars s’est protégée en s’alliant au jihad qu’elle a détournée contre Israël. Maintenant elle aura le jihad et le déshonneur. Bat Ye’or
Si l’intervention militaire en Irak et le renversement du régime chauviniste de Saddam Hussein a apporté un quelconque résultat positif, hormis le déclenchement timide d’un processus politique démocratique, c’est sans doute le dévoilement de la grande diversité confessionnelle, ethnique et culturelle du Moyen-Orient qui demeure une réalité résiliente. (…) En réalité, les Egyptiens ne sont pas plus Arabes que ne sont Espagnols les Mexicains et les Péruviens. Ce qui fonde la nation, c’est la référence à une entité géographique, le partage de mêmes valeurs, une communauté de convenances politiques, d’idées, d’intérêts, d’affections, de souvenirs et de rêves communs. A contre-courant de toutes les expériences nationalistes venant couronner des faits nationaux, objectifs et observables, le nationalisme panarabe est plus le créateur que la création de la nation arabe. Sa conception arbitraire de la nation qui veut que l’on soit Arabe malgré soi, pour la simple raison que l’on fait usage de la langue arabe met à l’écart d’importants récits historiques et de légitimes revendications nationales. Masri Feki
La paix véritable, globale et durable viendra le jour où les voisins d’Israël reconnaîtront que le peuple juif se trouve sur cette terre de droit, et non de facto. (…) Tout lie Israël à cette région: la géographie, l’histoire, la culture mais aussi la religion et la langue. La religion juive est la référence théologique première et le fondement même de l’islam et de la chrétienté orientale. L’hébreu et l’arabe sont aussi proches que le sont en Europe deux langues d’origine latine. L’apport de la civilisation hébraïque sur les peuples de cette région est indéniable. Prétendre que ce pays est occidental équivaut à délégitimer son existence; le salut d’Israël ne peut venir de son déracinement. Le Moyen-Orient est le seul « club » régional auquel l’Etat hébreu est susceptible d’adhérer. Soutenir cette adhésion revient à se rapprocher des éléments les plus modérés parmi son voisinage arabe, et en premier lieu: des minorités. Rejeter cette option, c’est s’isoler et disparaître. Israël n’a pas le choix. Masri Feki
Le sacrifice du lieutenant-colonel Arnaud Beltrame, qui a offert sa vie vendredi à Trèbes (Aude) pour sauver celle de l’otage d’un terroriste islamiste, fait de lui un martyr. Sa conversion récente au catholicisme (2009) ajoute en effet une profondeur mystique et murie à son geste militaire héroïque. Les gens d’Eglise qui ont accompagné Arnaud Beltrame dans sa recherche spirituelle ont eu raison de lier sa générosité à l’Evangile de Jean (15,13) : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis ». Ce lundi matin sur RTL, la mère du héros, Nicole Beltrame, a expliqué qu’elle n’avait pas été surprise par l’extraordinaire bravoure de son fils : « Il était loyal, altruiste, au service des autres, engagé pour la patrie ». Il plaçait la patrie au-dessus de sa propre famille, a-t-elle également expliqué. Mais si sa mère témoigne de son fils, c’est pour que « son acte serve » dans la « résistance au terrorisme ». « Il ne faut pas baisser les bras », a-t-elle déclaré. « On ne peut tout accepter. Il faut agir, être plus solidaire, être davantage citoyen. On ne peut pas être complètement laxiste comme on l’est aujourd’hui ». Nicole Beltrame assure ne pas éprouver de haine contre le bourreau, Radouane Lakdim, qui a égorgé Arnaud Beltrame et lui a tiré dessus. « Mais j’ai le plus grand mépris. Il ne faut pas montrer la photo de ce monstre car ce serait faire une émulation pour ces gens-là. Ce n’est pas une religion ». Lakdim, 25 ans, franco-marocain fiché S depuis 2014, a également tué sur son parcours Jean Mazières, Christian Medves et Hervé Sosna. Lancer des ballons, allumer des bougies, éteindre la Tour Eiffel sont les gestes dérisoires d’une lâcheté collective qui n’ose se confronter à l’ennemi intérieur islamiste. Ces réponses enfantines deviennent désormais des insultes à la mémoire de ce héros français retrouvé. L’exemplaire geste d’Arnaud Beltrame, ancien élève de Saint-Cyr Coëtquidan (dont il fut major), nous rappelle qu’il est des compatriotes qui sont toujours prêts à mourir pour leur patrie et la défense d’un idéal humaniste, contrairement à ce que le relativisme pouvait laisser croire. Sa mort, offerte pour sauver une vie, est aussi le produit d’une culture et d’une civilisation. Son don de soi interdit de désigner encore les djihadistes, qui sèment la mort dans une détestation satanique de l’autre, comme des « soldats », des « rebelles », des « résistants » ou des « martyrs ». Ceux-là se révèlent pour ce qu’ils sont : non pas des victimes de la société occidentale mais les bras armés et bas du front d’une conquête islamiste qui use autant du prosélytisme subtil que de la terreur brutale pour arriver à ses fins. Dès vendredi, dans le quartier de l’Ozanam (Carcassonne) d’où le tueur (abattu) était originaire, le nom de Radouane Lakdim était applaudi par des jeunes musulmans tandis que des journalistes se faisaient violemment chasser de la cité. Ceux qui persistent à ne rien vouloir voir de la contre-société islamiste qui partout se consolide en France, seront-ils au moins indignés par l’ »héroïsme » dont Lakdim est déjà pour certains le symbole ? Puisse le sacrifice d’Arnaud Beltrame réveiller les endormis. Ivan Rioufol
On Friday, the Palestinian terror group Hamas, which controls the Gaza Strip, is inaugurating what it is calling “The March of Return.” According to Hamas’s leadership, the “March of Return” is scheduled to run from March 30 – the eve of Passover — through May 15, the 70th anniversary of Israel’s establishment. According to Israeli media reports, Hamas has budgeted $10 million for the operation. Throughout the “March of Return,” Hamas intends to send thousands of civilians to the Israeli border. Hamas is planning to set up tent camps along the border fence and then, presumably, order participants to overrun it on May 15. The Palestinians refer to May 15 as “Nakba,” or Catastrophe Day. (…) what is it trying to accomplish by sending them into harm’s way? Why is the terror group telling Gaza residents to place themselves in front of the border fence and challenge Israeli security forces charged with defending Israel? The answer here is also obvious. Hamas intends to provoke Israel to shoot at the Palestinian civilians it is sending to the border. It is setting its people up to die because it expects their deaths to be captured live by the cameras of the Western media, which will be on hand to watch the spectacle. In other words, Hamas’s strategy of harming Israel by forcing its soldiers to kill Palestinians is predicated on its certainty that the Western media will act as its partner and ensure the success of its lethal propaganda stunt. Given widespread assessments that Iran is keen to start a new round of war between Israel and its terror proxies, Hamas in Gaza and Hezbollah in Lebanon, it is possible that Hamas intends for this lethal propaganda stunt to be the initial stage of a larger war. By this assessment, Hamas is using the border operation to cultivate and escalate Western hostility against Israel ahead of a larger shooting war. (…) The real issue revealed by Hamas’s planned operation — as it was revealed by the Mavi Marmara, as well as by Hamas’s military campaigns against Israel in 2014, 2011 and 2008-09 —  is not how Israel will deal with it. The real issue is that Hamas’s entire strategy is predicated on its faith that the Western media and indeed the Western left will side with it against Israel. Hamas is certain that both the media and leftist activists and politicians in Europe and the U.S. will blame Israel for Palestinian civilian casualties. And as past experience proves, Hamas is right to believe the media and leftist activists will play their assigned role. So long as the media and the left rush to indict Israel for its efforts to defend itself and its citizens against its terrorist foes, who turn the laws of war on their head as a matter of course, these attacks will continue and they will escalate. If this border assault does in fact serve as the opening act in a larger terror war against Israel, then a large portion of the blame for the bloodshed will rest on the shoulders of the Western media for empowering the terrorists of Hamas and Hezbollah to attack Israel. Caroline Glick
La sortie d’Egypte est traditionnellement datée vers -1450 (-1310 selon le calendrier rabbinique, mais celui-ci décale toutes les dates de plus d’un siècle jusqu’à Alexandre, et par souci de simplicité, je ne l’utiliserai pas). Cependant, à cette date, Canaan était sous total contrôle égyptien ce qui semble rendre impossible que l’exode se soit produit à ce moment là. Ce n’est qu’après que ce contrôle se délita. La stèle du pharaon Merenptah, datée de -1208, qui décrit une campagne militaire en Canaan, contient la première, et la seule, mention d’Israel par un texte égyptien : « Israël est détruit, sa semence même n’est plus. » Israel est ici présenté comme un peuple qui vit en Canaan. Donc l’exode a forcément eu lieu avant, probablement autour de -1250, sous Ramses II, le père de Merenptah. C’est là que les problèmes commencent: on ne trouve aucune trace ni de l’exode, ni de la présence d’une masse d’esclaves sémites en Egypte à l’époque, ni d’un changement soudain de population en Canaan, ni de destruction de villes. Jericho était en ruine au moment supposé de l’arrivée des Israélites en Canaan. Au point que certains archéologues, comme le professeur Israel Finkelstein de l’université de Tel Aviv, en sont arrivés à imaginer que les Israélites étaient en fait des Canaanéens qui auraient développé une nouvelle identité. Cette conclusion révolutionnaire a cependant un défaut – elle est en totale contradiction avec toute la tradition israélite et le bon sens. Que des peuples s’inventent des mythes fondateurs glorieux est courant, mais aucun peuple ne s’est jamais inventé une origine d’esclaves misérables dans un autre pays. Si les enfants d’Israel n’ont pas été esclaves en Egypte, si Moise n’a pas existé, si l’exode n’a pas eu lieu, d’où sortent ces nouveaux récits et comment ont-ils pu être acceptés par le peuple ? C’est justement pour cette raison que la majorité des historiens continuent de penser qu’il y a bien eu un exode. Remarquez aussi que la stèle de Merenptah est étrange: nous ne savons pas à quoi il est fait référence. Il n’y a aucune source évoquant une quelconque opération de ce pharaon en Canaan ou même ailleurs, et rien qui soit resté dans la tradition d’Israel d’une invasion égyptienne peu de temps après l’exode. Mais les contradictions avec le récit biblique ne s’arrêtent pas là, les principales tenant à l’ampleur des royaumes de David et Salomon. La réalité historique de David ne fait plus de doutes aujourd’hui depuis qu’on a retrouvé une stèle moabite en 1993, datant du 9ème siècle avant l’ère chrétienne, évoquant la « maison de David ». Mais toujours d’après Finkelstein et ses partisans, si David et Salomon ont existé, ils étaient au mieux des chefs de village, régnant sur une territoire pauvre, minuscule, sous développé et peu peuplé. Les ruines de bâtiments monumentaux à Meggido et d’autres endroits attribués à Salomon, dateraient en fait, pour Finkelstein, de la période de la dynastie d’Omri, un siècle après. Ces dernières années, plusieurs fouilles dirigées par les archéologues de l’université hébraïque de Jérusalem sont venues contredire ces affirmations et laissent penser qu’au contraire David et Salomon régnaient sur un véritable état organisé et moderne. Mais leurs découvertes ne font pas encore l’unanimité et sont rejetées par Finkelstein. L’archéologie a bien sur ses limites. Plus on remonte loin dans le temps et moins il reste de traces. La plupart des artefacts du passé ont été détruits et il ne reste aujourd’hui qu’une infime fraction de ce qui existait à l’époque, aussi on ne peut pas affirmer que l’absence de preuves est une preuve de l’absence. Cependant, en regardant bien il se pourrait que le noeud du problème ne se situe pas chez les archéologues bibliques, mais chez leurs confrères égyptologues pour une simple histoire de dates. Après tout, la date traditionnelle de l’exode est généralement située entre -1500 et -1450, pas en -1250. Peut-être que les archéologues ne trouvent rien parce qu’ils ne regardent pas au bon endroit ? C’est la thèse défendue par de nombreux chercheurs, pas toujours issus du monde académique (ce qui n’est pas un défaut), chacun ayant sa version de ce qui s’est réellement passé. Il faut comprendre qu’en remontant un peu en arrière dans l’histoire égyptienne on trouve immédiatement des tas de choses qui rappellent étrangement le récit biblique: la domination du nord de l’Egypte, exactement là où se trouvaient les Israélites dans la Bible, par les Hyksos originaires de Canaan ; la conversion d’Akhenaton au monothéisme ; l’évocation permanente des mystérieux « Habiru », souvent identifiés aux « Hébreux », semeurs de troubles en Canaan ; les esclaves sémites qui vivaient bien à cette époque plus reculée en Egypte et ont inventé un alphabet pour une langue qui pourrait être l’hébreu dans le Sinai – un alphabet dont sont originaires tous les alphabets du monde. De nombreuses thèses essaient de concilier ces faits avec la Bible et l’archéologie. Mais certains vont encore plus loin en remettant en cause toute la chronologie égyptienne utilisée depuis le 19ème siècle. Le plus radical d’entre eux est l’archéologue et égyptologue David Rohl dont la thèse, appelée « Nouvelle Chronologie », avance toutes les dates de l’Egypte ancienne de 300 ans jusqu’à la prise de Thèbes par les Assyriens en -664, date à partir de laquelle toutes les chronologies s’accordent. (…) Il se trouve que la chronologie égyptienne antique est, pour parler clairement, un énorme foutoir, qu’aucune date n’est vraiment certaine, que beaucoup de choses ne sont pas vraiment connues, et que d’énormes contradictions ou anomalies inexplicables se logent dans la chronologie actuelle. En déplaçant les dates, subitement, d’après Rohl, l’archéologie et la Bible correspondent parfaitement. Joseph aurait alors été le vizir d’un pharaon de la XIIème dynastie et on a retrouvé une statue de lui ainsi que son tombeau. Le pharaon de l’exode aurait été Dedumose, en -1450, et c’est le départ des 30 à 40 000 Israélites (il lit « alafim » comme « alufim » et donc arrive à ce chiffre) qui, en mettant l’Egypte à genou, aurait permis l’invasion des Hyksos – les Amalécites de la Bible. Plus tard, ces premiers Hyksos (appelés Amu par les égyptiens) auraient été eux-mêmes conquis par une alliance de peuples indo-européens dont les Philistins issus du monde grec (les Shemau en égyptien), et ces derniers, après avoir été expulsés d’Egypte par la reconquête des pharaons de Thèbes, se seraient réfugiés dans le sud-ouest de Canaan d’où ils auraient servi de force de police aux égyptiens. Pendant que les Israélites passaient la période des Juges – et selon Rohl l’archéologie montre bien la conquête israélite de Canaan à ce moment là – l’Egypte entrait dans sa période impériale et menait des guerres jusqu’en Syrie, ignorant essentiellement les tribus barbares des montagnes de Canaan et se souciant surtout des routes commerciales. Rohl situe Akhenaton à la fin de la période des Juges et comme contemporain du roi Shaul et il prend pour preuve les lettres d’Amarna. Ces dernières sont des échanges diplomatiques retrouvés sur le site d’Amarna, là où s’élevait la capitale d’Akhenaton, entre le pharaon et divers souverains, vassaux et potentats locaux du moyen-orient. La chronologie traditionnelle situe ces lettres entre -1370 et -1350 mais pour Rohl elles datent de -1020 à -1000. (…) David a pu alors construire un royaume puissant, profitant de la faiblesse égyptienne après le désastre que fut le règne d’Akhenaton, et Salomon a su se positionner en partenaire commercial de l’Egypte et a aidé Ramses II lors de la bataille de Kadesh contre les Hittites. Après la mort de Salomon, Ramses II, allié au nouveau royaume d’Israel est le pharaon, appelé Shishak dans la Bible, qui a pris Jérusalem et volé le trésor du Temple, et la stèle de Merenptah commémore cet évènement. Tout devient clair. (…) Aussi surprenant que cela puisse paraitre, et à ma grande stupéfaction lors de mes recherches sur le sujet, en définitive la chronologie classique ne repose pas sur beaucoup d’éléments concrets: entre autres, les textes de Manetho,  prêtre égyptien du 3ème siècle avant l’ère chrétienne, et l’identification par Champollion de Shishak avec le pharaon Shoshenq I à partir de laquelle on a tiré toutes les autres dates. Les Juifs se rappellent de Manetho surtout comme étant l’auteur d’un anti-exode où il décrivait le point de vue égyptien sur l’évènement, assimilant les Israélites à des lépreux et des voleurs, et les liant aux Hyksos. Il fut aussi l’un des inventeurs de l’antisémitisme. Et il a retranscrit les listes des rois d’Egypte. Enfin, nous n’avons pas ses textes originaux mais juste ce que Flavius Josèphe en cite, ainsi qu’Eusebius et Africanus, des versions largement corrompues. Mais c’est à partir de ça que toute l’égyptologie s’est construite. L’identification Shishak-Shoshenq semble aller de soit, et Shoshenq a mené une campagne militaire en Israel. Mais justement, Shishak lui, non. Il l’a mené contre Judah en alliance avec Israel. Or, Shoshenq ne cite que des villes prises en Israel, aucune en Judah. Comme on ne peut pas à la fois se baser sur la Bible pour identifier Shishak et ensuite la rejeter en disant qu’elle est inexacte, il parait difficile d’accepter l’identification entre Shishak et Shoshenq. Ramses II, de son nom de trône, Usermaatre Setepenre Ramses, était, d’après Rohl, plus connu du peuple sous le nom de Sysa, probablement prononcé Shysha en hébreu. Le q final étant peut-être un jeu de mot. C’est donc lui le Shishak de la Bible et toute la chronologie est avancée de 300 à 350 ans. La nouvelle chronologie de Rohl ne se contente pas d’accorder la Bible avec l’archéologie, elle bouleverse complètement toute l’histoire antique telle que nous la connaissons. Ainsi les Hittites ne disparaissent plus au 12ème siècle avant l’ère chrétienne mais au 9ème au moment des invasions des peuples de la mer suite à la guerre de Troy finie vers -863. Ce qui signifie que Homère n’a pas écrit l’Iliade et l’Odyssée des siècles après les évènements supposés mais juste quelques dizaines d’années. Et qu’il n’y a eu aucun mystérieux « Age sombre » en Grèce durant lequel les Grecs auraient subitement perdu la connaissance de l’écriture et abandonné leurs villes pour tout redécouvrir après, mais une parfaite continuité historique entre l’âge héroïque et l’âge classique. (…) Rohl (…) a de très nombreux arguments qui confirment sa thèse, notamment les correspondances quasi-parfaites entre les dates de la nouvelle chronologie et les descriptions d’éclipses solaires ou lunaires de textes anciens, alors que les dates ne collent souvent pas avec la chronologie traditionnelle. Mais il y a de vraies raisons de ne pas être totalement convaincu. Plusieurs tests au carbone 14 ont été menés et ils tendent à confirmer les dates de la chronologie classique. Mais pas toujours. Parfois ils donnent des dates encore plus anciennes et complètement impossibles à accepter. Ce qui fait que de plus en plus de chercheurs rejettent tout simplement cette méthode de confirmation. Mais en attendant elle contredit Rohl et ses semblables. Ensuite le vrai problème de la chronologie de Rohl n’est pas juste de bouger des dates mais aussi des ères archéologiques. Les archéologues de l’antiquité  découpent la période en « Age de Bronze » et « Age de Fer », eux-mêmes divisés en sous périodes. La nouvelle chronologie implique de faire passer des évènements qu’on identifiait à l’âge de fer vers l’âge de bronze, sauf que cela ne correspond pas aux résultats des fouilles, et si Salomon par exemple devient un roi de l’âge de bronze, le problème c’est qu’une bonne partie des villes d’Israel n’existaient pas à ce moment là, apparemment. Néanmoins même si la solution apportée par Rohl est erronée, la chronologie actuelle est intenable et induit tout le monde en erreur. Peut-être faut-il effectivement attendre qu’une génération meure et qu’une nouvelle, à l’esprit non corrompue par de vieilles idées, nous fasse entrer en terre promise. Binyamin Lachkar
Les Egyptiens à l’époque du Nouveau Royaume – du 16ème au 11ème siècle avant l’ère chrétienne – (et avant aussi) entretenaient de nombreux esclaves d’origine sémitique occidentale (comme les Israélites) qui vivaient dans la région du delta oriental, ce qui correspond au pays de Goshen de la Bible. Aux yeux des Egyptiens, ils étaient tous désignés sous le terme « d’asiatiques ». Jusqu’à la moitié du 14ème siècle avant l’ère commune, Canaan était fermement sous le contrôle de l’Egypte comme nous l’apprenons par les lettres d’Amarna, des centaines de tablettes datant de l’époque du Pharaon Akhenaton (vers -1370 à -1350) retraçant les échanges diplomatiques de l’Egypte avec ses voisins et les autres puissances, dont ses vassaux en Canaan. On y voit assez clairement la dissolution progressive du contrôle égyptien de la région alors qu’elle est soumise aux assauts des nomades Habiru. La stèle du pharaon Merenptah commémore une expédition militaire en Canaan datée de -1209, et évoque une victoire contre « Israel », dénoté ici comme un groupe ethnique vivant dans les collines cananéennes. C’est la première mention d’Israel hors des sources bibliques. (…) A quelle date l’Exode s’est-il produit ? La date traditionnelle est de 480 ans avant l’inauguration du premier Temple, ce qui situe la sortie d’Egypte vers -1450 (selon la chronologie classique non-rabbinique, la datation rabbinique étant décalée de plus de 100 ans suite à une comptabilité différente de la durée de la période perse). Cette date est indirectement confirmée intra-textuellement par le livre des Juges, lorsque Yiftah (Jeftah) affirme qu’à son époque 300 ans sont passées depuis qu’Israel a traversé le Jourdain. Une autre version vient de Manetho, un prêtre égyptien qui vivait au 3ème siècle avant l’ère chrétienne. Manetho est un personnage historique de première importance, puisque sa liste de pharaons et de dynasties est la base de l’égyptologie moderne. Or Manetho a aussi écrit une version égyptienne de la sortie d’Egypte qu’il situe deux cents ans après l’expulsion des Hyksos. Les Hyksos (« Chefs des pays étrangers ») étaient un groupe d’envahisseurs originaires du Levant qui ont conquis et dirigé la région du delta pendant plus de 100 ans à partir de -1674. Il furent expulsés vers -1550, donc la sortie d’Egypte à la Manetho aurait eu lieu vers -1350. La seule version dont nous disposons de cette histoire est citée par Flavius Josèphe plus de trois cent ans après Manetho et dans le but de la réfuter. Bizarrement, les historiens qui prennent Manetho très au sérieux quand il parle de dynasties égyptiennes, ont tendance à rejeter cette description de la sortie d’Egypte et à la réduire à de la simple propagande anti-juive (les tensions anti-juives étant effectivement très fortes en Egypte à l’époque grecque). La troisième date proposée se situe vers le milieu du 13ème siècle au plus tard, sachant que les Israélites étaient forcément arrivés en Canaan avant qu’ils ne s’y frottent aux troupes de Merenptah en -1209 (lors d’un accrochage probablement mineur mais transformé dans la propagande royale en victoire épique qui mena à l’annihilation d’Israel). L’avantage de cette date est qu’elle se situe à une période de retrait égyptien, que la ville de Pi-Ramsès a été bâtie a cette époque (la ville de Ramses dans la Bible) et que l’archéologie montre une assez claire et soudaine expansion démographique dans les collines cananéennes où les Israélites étaient justement censés habiter. Le problème de cette datation est qu’elle contredit les données littérales du texte biblique. Pour compliquer tout ceci, il est tentant de relier l’Exode à deux évènements historiques majeurs de l’histoire égyptienne: le premier, déjà évoqué, la domination puis l’expulsion de la Basse-Egypte des « Hyksos », un confédération de peuples en grande partie cananéenne et ouest-sémitique. Le contexte des Hyksos donne un éclairage intéressant à l’histoire de Joseph (si elle se déroule sous un Pharaon d’origine sémite), et pourrait expliquer le soudain revirement anti-israélite du Pharaon « qui n’avait pas connu Joseph », qui serait alors le libérateur indigène qui aurait voulu punir les populations favorables ou proches de l’ancien régime occupant. Remarquez que certains (comme Flavius Josèphe) identifient les Israélites aux Hyksos, ce qui donnerait un twist surprenant à toute cette histoire, mais cet avis reste assez marginal. Le deuxième évènement est la révolution « monothéiste » (ou plus probablement hénothéiste – le culte d’un dieu unique en acceptant l’existence d’autres dieux) du Pharaon Akhenaton au milieu du 14ème siècle. A-t-il été influencé par les évènements de l’Exode et le Dieu des Israélites ? Pour d’autres (comme Freud), au contraire Moise aurait été un prêtre de la religion instituée par Akhenaton qui aurait fuit le pays avec d’autres prêtres (les Levi) et un groupe d’esclaves au moment de la contre-révolution lancée après la mort du Pharaon. Pour pimenter le tout, nous avons aussi la présence de deux groupes de nomades, les Habiru (ou Hapiru) et les Shashu, qui peuvent, ou pas, être identifiés aux Israélites. Le lien entre les Habiru et les Hébreux saute assez facilement aux yeux mais il est contesté, les Habiru n’étant pas un groupe ethnique mais plutôt social, vivant aux marges de la société civilisée de l’ensemble du monde antique. Il n’y a cependant pas de contradiction intrinsèque, surtout si on analyse l’usage biblique du mot « hébreu » qui semble surtout correspondre à la façon dont les Israélites se décrivent lorsqu’ils parlent avec des étrangers mais pas le nom qu’ils se donnent eux-mêmes. Les Israélites seraient alors un groupe d’Habiru parmi d’autres mais qui aurait évolué différemment. Dans ce contexte, les lettres d’Amarna décriraient les débuts de la conquête de Canaan par les Israélites du point de vue des potentats locaux, ce qui placerait alors la sortie d’Egypte vers -1400. Les Shashu sont un nom donné par les Egyptiens à des nomades vivant dans le sud de Canaan. Les textes égyptiens parlent de plusieurs clans dont les Shashu de YHVH, ce qui a conduit à les identifier aux Israélites mais ce point de vue est fortement contesté. La question centrale dans la détermination de la réalité historique des évènements décrits dans la Torah est de savoir quand le texte a été composé. Si le texte a été écrit, comme le veut la tradition, à l’époque même des évènements ou peu après, cela démontrerait de façon quasi certaine que les faits qu’il relate sont historiquement avérés (avec la licence donnée par les styles littéraires de l’époque) ; inversement si le texte a été écrit des siècles plus tard, le noyau de réalité historique serait beaucoup plus réduit voire totalement inexistant. (..) A priori, l’absence de preuves directes de la sortie d’Egypte semble un argument très puissant. Mais en y regardant de plus près, pas tant que ça. D’abord parce que du point de vue textuel, la totalité des archives égyptiennes du delta ont disparu, tandis qu’il ne reste pas grand chose non plus de celles de Haute Egypte qui de toute manière étaient moins concernées par les activités d’esclaves asiatiques en Basse Egypte. Les Egyptiens n’avaient pas non plus coutume de conserver la mémoire de leurs défaites. N’oublions pas cependant la version de l’Exode donnée par Manetho qui aurait très bien pu trouver son origine dans une source égyptienne antique qui existait encore à son époque et perdue par la suite. Pour ce qui est des preuves archéologiques, les nomades modernes comme antiques ne laissent à peu près aucunes traces de leur passage. On peut citer en exemple les travailleurs des mines de turquoise dans le Sinai: pendant des siècles, l’Egypte a exploité ces mines avec des campagnes annuelles de plusieurs mois en saison froide impliquant des centaines voire des milliers de travailleurs et de contre-maitres. (…) Notons aussi qu’il n’existe aucune trace archéologique de nombreux évènements dont la réalité historique est indéniable. Le problème de l’approche qui nie la sortie d’Egypte est qu’elle repose sur une contradiction interne – l’absence de confirmation du texte biblique conduit à inventer une nouvelle histoire d’Israel qui non seulement ne repose sur absolument aucune preuve historique ou archéologique mais est en plus contraire au seul texte dont nous disposons. (…) L’approche modérée et mainstream consiste à accepter l’idée d’un noyau historique derrière le récit de la sortie d’Egypte, et à penser que le texte biblique a été composé plusieurs siècles après les faits en se basant sur les souvenirs déformés d’évènements authentiques. Il y a de nombreuses variations dans les possibilités mais grosso modo, les Israélites sont la conjonction de plusieurs groupes dont certains ont fuit l’Egypte sous la conduite d’une figure fondatrice identifiée à Moise, d’autres sont arrivés d’ailleurs. Le professeur Israel Knohl, détenteur de la chaire d’études bibliques de l’université hébraïque, évoque l’idée de deux exodes, dont le premier serait l’expulsion des Hyksos, et le second la fuite d’un groupe de prêtres pro-Akhenaton, et ces deux groupes se seraient mêlés avec des réfugiés venus du nord de la Syrie. Lors de l’union des trois groupes en une nouvelle confédération chacun aurait contribué en fournissant ses traditions et son histoire qui furent par la suite unifiés. Pourquoi pas. Tout ceci reste cependant de l’ordre de la spéculation pure et simple. (…) L’école dite maximaliste ou conservatrice: pour ses membres, le texte biblique est une source primaire et un document du proche orient antique comme un autre et on n’a pas de raison de douter de ce qu’il raconte a priori, sauf preuve du contraire. Les aspects « religieux » sont communs à tous les textes de la période, une époque où les hommes interprétaient tous les évènements comme résultants de l’intervention de forces divines, sans que les écrits qui en résultent ne soient des textes religieux ou sacrés. Si la Bible dit qu’elle a été écrite pendant la période de pérégrinations dans le désert par Moise, il n’y a a priori pas de raison d’en douter. Surtout qu’il est incontestable que le texte de l’Exode contient une mine d’informations – politiques, culturelles, géographiques, militaires, écologiques – que seuls des gens vivant précisément à cette époque pouvaient connaitre et pas des auteurs ultérieurs. (…) L’absence de preuve n’est pas preuve de l’absence mais elle empêche d’arriver à une conclusion irréfutable. Les preuves avancées par l’école conservatrice sont indirectes et au final ne peuvent pas emporter la conviction absolue. Chacun se fera son opinion suivant ses sensibilités. (…) Jusqu’à la découverte improbable d’une preuve indéniable dans un sens ou dans l’autre, il faut se contenter de cela. Binyamin Lachkar 
The case against the historicity of the exodus is straightforward, and its essence can be stated in five words: a sustained lack of evidence. Nowhere in the written record of ancient Egypt is there any explicit mention of Hebrew or Israelite slaves, let alone a figure named Moses. There is no mention of the Nile waters turning into blood, or of any series of plagues matching those in the Bible, or of the defeat of any pharaoh on the scale suggested by the Torah’s narrative of the mass drowning of Egyptian forces at the sea. Furthermore, the Torah states that 600,000 men between the ages of twenty and sixty left Egypt; adding women, children, and the elderly, we arrive at a population in the vicinity of two million souls. There is no archaeological or other evidence of an ancient encampment that size anywhere in the Sinai desert. Nor is there any evidence of so great a subsequent influx into the land of Israel, at any time. (…) In fact, many major events reported in various ancient writings are archaeologically invisible. The migrations of Celts in Asia Minor, Slavs into Greece, Arameans across the Levant—all described in written sources—have left no archeological trace. And this, too, is hardly surprising: archaeology focuses upon habitation and building; migrants are by definition nomadic. There is similar silence in the archaeological record with regard to many conquests whose historicity is generally accepted, and even of many large and significant battles, including those of relatively recent vintage. The Anglo-Saxon conquest of Britain in the 5th century, the Arab conquest of Palestine in the 7th century, even the Norman invasion of England in 1066: all have left scant if any archaeological remains. (…)  despite the Bible’s apparent declaration that Israelite men numbered 600,000 when they left Egypt, a wealth of material in the Torah points to a number dramatically and perhaps even exponentially lower. For one thing, the book of Exodus (23:29-30) claims that the Israelites were so few in number as to be incapable of populating the land they were destined to enter; similarly, in referring to them as the smallest nation on the face of the earth, the book of Deuteronomy (7:7) says they were badly outnumbered by the inhabitants of the land. The book of Numbers (3:43) records the number of first-born Israelite males of all ages as 22,273; to have so few first-born males in a population totaling in excess of two million would have required a fertility rate of many dozens of children per woman—a phenomenon unmentioned by the Torah and not evidenced in any family lineages from that period in other ancient Near Eastern sources. Besides, an encampment of two million—equivalent to the population of Houston, Texas—would have taken days to traverse. Yet the Torah (Exodus 33:6-11) does not remark upon that, either, instead describing Israelites routinely exiting and returning to the camp with ease. Nor does it register the bedlam and gridlock that would have been created by the system of centralized sacrifices mandated in the book of Leviticus. In Exodus 15:27, moreover, the Israelites are reported camping at a particular desert oasis that boasted 70 date palms—which, for a population of two million, would have to have fed and sheltered 30,000 people per tree! (…) Here we encounter a peculiarity characteristic of the Bible as a whole. If, by and large, its stated proportions and dimensions—like those given for the Tabernacle in the desert, or for Solomon’s Temple—are realistic enough, the exceptions occur almost universally in one sphere. This is the military, where we find numbers reaching truly “biblical” magnitudes. In biblical Hebrew, as in other Semitic languages, the word for thousand—eleph—can also mean “clan,” or “troop,” and it is clear from individual occurrences of the word that such groups do not comprise anywhere near a thousand individuals. In the military context, the term may simply function as a hyperbolic figure of speech—as in “Saul has killed his thousands, but David his tens of thousands” (1 Samuel 18:8)—or serve some typological or symbolic purpose, as do the numerals 7, 12, 40, and so on. In isolation, a census list totaling some 600,000 men obviously refers to a certain sum of individuals; against the wealth of other data I’ve adduced here, it becomes difficult to say what that sum is. It is therefore far less surprising than it may seem that the archaeological record is lacking evidence of the Israelite encampment and influx into the land. The population, after all, may not have been terribly great. (…) Many details of the exodus story do strikingly appear to reflect the realities of late-second-millennium Egypt, the period when the exodus would most likely have taken place—and they are the sorts of details that a scribe living centuries later and inventing the story afresh would have been unlikely to know (…) Archaeologists have documented hundreds of new settlements in the land of Israel from the late-13th and 12th centuries BCE, congruent with the biblically attested arrival there of the liberated slaves; strikingly, these settlements feature an absence of the pig bones normally found in such places. Major destruction is found at Bethel, Yokne’am, and Hatzor—cities taken by Israel according to the book of Joshua. At Hatzor, archaeologists found mutilated cultic statues, suggesting that they were repugnant to the invaders. The earliest written mention of an entity called “Israel” is found in the victory inscription of the pharaoh Merneptah from 1206 BCE. In it the pharaoh lists the nations defeated by him in the course of a campaign to the southern Levant; among them, “Israel is laid waste and his seed is no more.” “Israel” is written in such a way as to connote a group of people, not an established city or region, the implication being that it was not yet a fully settled entity with contiguous control over an entire region. This jibes with the Bible’s description in Joshua and Judges of a gradual conquest of the land. (…) the Bible (…) contains materials like the Garden of Eden story that seem frankly mythical in nature. It recounts supernatural occurrences that a modern historian cannot accept as factual, and it regularly describes earthly actions as the results of divine causation. Many of its texts, scholars believe, were composed centuries after the events purportedly documented, and—as with the exodus—few of those events can be corroborated by independent outside sources. (…) But (…) many other historical inscriptions from the ancient Near East—and elsewhere—are susceptible of the same charge. Cuneiform and hieroglyphic texts that tell of divine revelations to royal figures are found everywhere: overt propaganda on behalf of the kings of yore and the gods they served. Nor can most of the events recorded in these ancient records be corroborated by cross-reference to sources from other cultures. Frequently, the events themselves are miraculous: a pharaoh defeats enemy legions single-handedly, for example, or the sculpted image of a serpent in the pharaoh’s diadem spews forth an all-consuming fire; troop figures are impossibly large. Often, the events occurred, if they occurred at all, centuries before the text’s date of composition. Yet, to one degree or another, scholars routinely accept these texts as historically reliable. Scholars today use the works of Livy to reconstruct the history of the Roman republic, founded several centuries before his lifetime, and all historians of Alexander the Great acknowledge as their most accurate source Arrian’s Anabasis, which dates from four centuries later. Of course, they exclude the blatantly unrealistic elements, which they peel away from the remainder before crediting its reliability. By contrast, however, when it comes to biblical sources, the questionable elements are often taken as prima-facie evidence of the untrustworthiness of the whole. This is all the more remarkable (to put it mildly) in light of one significant difference between biblical literature and the writings of other ancient Near Eastern civilizations. Throughout, the Bible displays a penchant for judging its heroes harshly, and for recording Israel’s failings even more than its successes. No other ancient Near Eastern culture produced a literature so revealing of fault, so realistic about the abuses of power, or so committed to recording those abuses for posterity. On this point, at least, there is universal agreement. Yet in academic precinct, recognition of this fact hasn’t in the least improved the Bible’s reputation as an honest reporter of historical events. (…) From an academic perspective, the Bible should be subject to criteria of analysis applied to other comparable ancient texts. (…) To sum up (…) there is no explicit evidence that confirms the exodus. At best, we have a text—the Hebrew Bible—that exhibits a good grasp of a wide range of fairly standard aspects of ancient Egyptian realities. One of the pillars of modern critical study of the Bible is the so-called comparative method. Scholars elucidate a biblical text by noting similarities between it and texts found among the cultures adjacent to ancient Israel. If the similarities are high in number and truly distinctive to the two sources, it becomes plausible to maintain that the biblical text may have been written under the direct influence of, or in response to, the extra-biblical text. Why the one-way direction, from extra-biblical to biblical? The answer is that Israel was largely a weak player, surrounded politically as well as culturally by much larger forces, and no Hebrew texts from the era prior to the Babylonian exile (586 BCE) have ever been found in translation into other languages. Hence, similarities between texts in Akkadian or Egyptian and the Bible are usually understood to reflect the influence of the former on the latter. Although the comparative method is commonly thought of as a modern approach, its first practitioner was none other than Moses Maimonides in the 12th century. In order to understand Scripture properly, Maimonides writes, he procured every work on ancient civilizations known in his time. In his Guide of the Perplexed, he puts the resultant knowledge to service in elucidating the rationale behind many of the Torah’s cultic laws and practices, reasoning that they were adaptations of ancient pagan customs, but tweaked in conformity with an anti-pagan theology. (…) As an example, consider the familiar biblical refrain that God took Israel out of Egypt “with a mighty hand and an outstretched arm.” The Bible could have employed that phrase to describe a whole host of divine acts on Israel’s behalf, and yet the phrase is used only with reference to the exodus. This is no accident. In much of Egyptian royal literature, the phrase “mighty hand” is a synonym for the pharaoh, and many of the pharaoh’s actions are said to be performed through his “mighty hand” or his “outstretched arm.” Nowhere else in the ancient Near East are rulers described in this way. What is more, the term is most frequently to be found in Egyptian royal propaganda during the latter part of the second millennium. (…) During much of its history, ancient Israel was in Egypt’s shadow. For weak and oppressed peoples, one form of cultural and spiritual resistance is to appropriate the symbols of the oppressor and put them to competitive ideological purposes. I believe, and intend to show in what follows, that in its telling of the exodus the Bible appropriates far more than individual phrases and symbols—that, in brief, it adopts and adapts one of the best-known accounts of one of the greatest of all Egyptian pharaohs. (…) Scholars had long searched for a model, a precursor, that could have inspired the design of the Tabernacle that served as the cultic center of the Israelites’ encampment in the wilderness, a design laid out in exquisite verbal detail in Exodus 25-29. Although the remains of Phoenician temples reveal a floor plan remarkably like that of Solomon’s temple (built, as it happens, with the extensive assistance of a Phoenician king), no known cultic site from the ancient Near East seemed to resemble the desert Tabernacle. Then, some 80 years ago, an unexpected affinity was noticed between the biblical descriptions of the Tabernacle and the illustrations of Ramesses’ camp at Kadesh in several bas reliefs. (…) The resemblance of the military camp at Kadesh to the Tabernacle goes beyond architecture; it is conceptual as well. For Egyptians, Ramesses was both a military leader and a divinity. In the Torah, God is likewise a divinity, obviously, but also Israel’s leader in battle (see Numbers 10:35-36). The tent of God the divine warrior parallels the tent of the pharaoh, the living Egyptian god, poised for battle. (…) But (…) the similarities extended to the entire plot line of the Kadesh poem and that of the splitting of the sea in Exodus 14-15. (…) In both the Kadesh poem and the account of Exodus 14-15, the action begins in like fashion: the protagonist army (of, respectively, the Egyptians and Israelites) is on the march and unprepared for battle when it is attacked by a large force of chariots, causing it to break ranks in fear. Thus, according to the Kadesh poem, Ramesses’ troops were moving north toward the outskirts of Kadesh when they were surprised by a Hittite chariot corps and took fright. The Exodus account opens in similar fashion. As they depart Egypt, the Israelites are described as an armed force (Exodus 13:18 and 14:8). Stunned by the sudden charge of Pharaoh’s chariots, however, they become completely dispirited (14:10-12). In each story, the protagonist now appeals to his god for help and the god exhorts him to move forward with divine assistance. In the Kadesh poem, Ramesses prays to Amun, who responds, “Forward! I am with you, I am your father, my hand is with you!” (…) In like fashion, Moses cries out to the Lord, who responds in 14:15, “Tell the Israelites to go forward!” promising victory over Pharaoh (vv. 16-17). From this point in the Kadesh poem, Ramesses assumes divine powers and proportions. (…) Entirely abandoned by his army, Ramesses engages the Hittites single-handedly, a theme underscored throughout the poem. In Exodus 14:14, God declares that Israel need only remain passive, and that He will fight on their behalf: “The Lord will fight for you, and you will be still.” Especially noteworthy here is that this particular feature of both works—their parallel portrait of a victorious “king” who must work hard to secure the loyalty of those he saves in battle—has no like in the literature of the ancient Near East. (…) An element common to both compositions is the submergence of the enemy in water. The Kadesh poem does not assign the same degree of centrality to this event as does Exodus—it does not tell of wind-swept seas overpowering the Hittites—but Ramesses does indeed vauntingly proclaim that in their haste to escape his onslaught, the Hittites sought refuge by “plunging” into the river, whereupon he slaughtered them in the water. The reliefs depict the drowning of the Hittites in vivid fashion (…) As for survivors, both accounts assert that there were none. We come now to the most striking of the parallels between the two. In each, the timid troops see evidence of the king’s “mighty arm,” review the enemy corpses, and, amazed by the sovereign’s achievement, are impelled to sing a hymn of praise. (…) After the great conquest, in both accounts, the troops offer a paean to the king. In each, the opening stanza comprises three elements. The troops laud the king’s name as a warrior; credit him with stiffening their morale; and exalt him for securing their salvation. (…) To determine a plausible date of transmission, we should be guided by the epigraphic evidence at hand. Egyptologists note that in addition to copies of the monumental version of the Kadesh poem, a papyrus copy was found in a village of workmen and artisans who built the great monuments at Thebes. As we saw earlier, visual accounts of the battle were also produced. This has led many scholars of ancient Egypt to argue that the Kadesh poem was a widely disseminated “little red book,” aimed at stirring public adoration of the valor and salvific grace of Ramesses the Great, and that it would have been widely known, particularly during the reign of Ramesses himself, beyond royal and temple precincts. (…) In my view, the evidence suggests that the Exodus text preserves the memory of a moment when the earliest Israelites reached for language with which to extol the mighty virtues of God, and found the raw material in the terms and tropes of an Egyptian text well-known to them. In appropriating and “transvaluing” that material, they put forward the claim that the God of Israel had far outdone the greatest achievement of the greatest earthly potentate. When Jews around the world gather on the night of Passover to celebrate the exodus and liberation from Egyptian oppression, they can speak the words of the Haggadah, “We were slaves to a pharaoh in Egypt,” with confidence and integrity, without recourse to an enormous leap of faith and with no need to construe those words as mere metaphor. A plausible reading of the evidence is on their side.  Joshua Berman
On the issue of the weight that can be assigned to absence of evidence, consider this: if a significant number of slaves escaped during the reign of a self-possessed pharaoh like Ramesses II, one would hardly expect him to advertise the fact. To the contrary, such information would be well hidden, especially by a regent who glorified himself in a manner exceeding other pharaohs before and after him. A noteworthy fact in this connection is that the battle of Kadesh in 1274 BCE, on which Berman dwells at illuminating length later in his essay, is portrayed in two strikingly disparate ways, once in the monuments Ramesses II built all across Egypt to commemorate his great victory over the Hittite empire but quite differently in the literature of the Hittites themselves—and in the treaty that emerged between Egypt and the supposedly trounced Hittites in the years that followed. That battle seems in fact to have been a draw, with neither side retaining territory taken from the other. The treaty itself is essentially one of parity. But, given his self-beatification as nothing less than a god and the giver of life to all his people, how otherwise than as invincible would we expect Ramesses to depict his exploits on the battlefield? By contrast, how likely would he be to acknowledge a defeat by a group of his own slaves escaping their house of bondage? If Egypt would not have recorded that escape, let alone the generations of Israelite enslavement that preceded it, only one other involved party would have been impelled to do so. (…) Concerning the enslavement, [Berman] offers this pertinent reminder: Israel’s preservation of its origins in ignominious bondage is unique in the ancient world—‘’no other ancient Near Eastern culture,” he writes, “produced a literature so revealing of” its own failings. Such frankness on the matter of the Israelites’ humiliating subjugation would be wholly unexpected unless it rested on some ancient tradition that could not be ignored or contradicted. Turning now to the level of positive evidence, we find in the biblical account quite a number of incidental clues regarding Israel’s ancient status. Berman, for instance, adduces the reference in Exodus 1:11 to the two cities of Pithom and Ramesses, a possible allusion to the city of Pi-Ramesses built by Ramesses II. Since the name was no longer in common use after the second millennium BCE, we cannot plausibly assume that a later writer invented it. Likewise, the personal names of the Israelites given in Exodus fit with attested naming practices among West Semites (of whom the Israelites were a part) in and around the time of the exodus as suggested in the Bible. Although many of these names remained in use later as well, some of them, such as Pinḥas, show an explicit connection with Egyptian personal names at the period in question, and a few, including Ḥevron (Exodus 6:18) and Puah (Exodus 1:15), are attested as personal names only in the mid-second millennium (that is, the 18th to the 13th centuries BCE). The use of other Egyptian words found in the early chapters of Exodus but nowhere else in the Bible similarly supports the view of a connection with Egypt in the same period. Such pieces of incidental information, which would not have been known to a later scribe, point to an antiquity and authenticity in the Exodus account that is difficult to explain otherwise. It is one thing to remember a great figure like Moses and perhaps build all sorts of legends around him. It is something else when minor characters and other incidental details that occur but once in the biblical account fit only within the period of Israel’s earliest history and would be unknown to a writer inventing a tradition centuries later. In his lengthy comparison of the victorious Song at the Sea in Exodus 15 with the account on Egyptian monuments of Ramesses II’s victory at Kadesh, Berman advances the proposition that the former appropriates the literary form and even, in places, the exact phraseology of the latter, which it then turns on its head in an act of brazen cultural triumphalism—an out-Pharaohing of the Pharaoh, as Berman puts it. This dynamic of cultural resistance and appropriation can also be seen at work in certain details earlier in the biblical account, specifically in connection with the ten plagues (Exodus 7-12). In fact, a dialectical relationship can be discerned between each of the ten plagues and one or another deity worshipped in Egypt, although there is no hint of such a purpose in the biblical text. But especially in the ninth plague, the plague of darkness, it is difficult not to see a direct, tit-for-tat challenge to the sun god Amon-Re, who possessed the most powerful and wealthiest temple complex in the land at the time of the exodus. Nor could the placement of this plague just before the tenth and final plague be accidental. That culminating plague, the death of Egypt’s firstborn, not only provides measure-for-measure justice with respect to an earlier pharaoh’s attempt to kill all Israelite male babies (Exodus 1). It also directly challenges the deified pharaoh himself as the source and giver of life to all his people—a “god” who, in the event, can keep alive neither his people nor his own son, the younger “god” designated to succeed him. The very ideology of pharaoh as the source of life predominates in the second millennium BCE, and especially in the writings of Ramesses II. It becomes far less pronounced in later periods. Richard Hess
In some academic writing on the ancient Near East, as Berman writes, one detects a double standard at work: biblical sources that make historical claims are regarded as untrue unless backed by airtight confirmation from archaeology, while non-biblical sources, even in the absence of archaeological authentication, are taken as containing a good deal of factual information. This tendency by otherwise well-trained scholars also occurs on the other end—that is, the believing end—of the spectrum. A relevant instance is James Hoffmeier’s superb study, Israel in Egypt: The Evidence for the Authenticity of the Exodus Tradition (Oxford, 1997). Masterfully weaving together archaeological, linguistic, and historical data, Hoffmeier devastatingly rebuts scholars who insist that the exodus narrative must be entirely fictional. But his rebuttal fails to demonstrate the claim he goes on to make, namely, that the biblical account is accurate not only in its broad sweep but even in its particulars. For instance, in following the Pentateuch’s stipulation that the exodus preceded the beginning of the conquest of the land by 40 years, Hoffmeier runs up against severe difficulties in the dating of both events. Had he conceded that historical texts in the Bible invoke numbers in typological and symbolic ways that differ from the way modern historians use numbers, his job would have been easier—and easier still had he acknowledged that, for narrative purposes, ancient historians sometimes boiled down complex processes to what they regarded as their essentials. In this light, the possibility emerges that both the exodus and the conquest may have been sequences of related events that stretched out over a century or more, rather than episodes that took place, as the Bible has it, in a single night or over a single generation. Hoffmeier asks whether the biblical account as it stands is accurate. A more productive question would be whether and how the narratives reflect real events. (…) But rejecting one detail or even many details in an ancient source does not mean rejecting the broad sweep of its narrative. The question, then, is whether that broad sweep might be based on older traditions going back to an actual event or series of events. Here some background may be helpful. Pretty much all modern biblical scholars agree that the texts found in the Pentateuch were written in the Iron Age, during the time of the Israelite and Judean monarchies between about the 8th and 6th centuries BCE and perhaps in the exilic and post-exilic periods of the late-6th and 5th centuries. For several linguistic and historical reasons, it is clear that these texts do not date back to the 13th or 12th centuries when the exodus is supposed to have occurred. Thus one can justly wonder: is it possible that the Pentateuch’s authors really knew about events that occurred a half-millennium earlier? (…) To this line of evidence, Berman has added a very important new set of data in his examination of the similarities between the Kadesh Poem—the inscriptions on the monuments erected by the pharaoh Ramesses II celebrating his 1274 BCE victory over the Hittite empire—and the account in Exodus 13-15 of the encounter between the pursuing Egyptian forces and the Israelites on their flight into the wilderness. Any one of these similarities might be dismissed as coincidence. The assemblage of similarities, however, suggests that the exodus narrative, and especially the Song at the Sea in Exodus 15, draw on a text from precisely the era to which the exodus is usually dated. This suggestion is strengthened by the fact that many of the links between the two texts do not appear in other ancient Near Eastern poems, historical narratives, and myths. An additional datum, unstressed by Berman, clinches his argument: the shared elements appear in the two texts in precisely the same order. Ancient traditions often invoked stock phrases and motifs, shared in any two texts that drew on those traditions. But the order of the elements is flexible. When two texts share a large number of elements in the same order, as they do in the case Berman brings to our attention, the likelihood is much higher that one is borrowing from the other.
All of this, taken together, comes as close as we can get in the study of ancient literature to proving that chapters 13-15 of Exodus, though composed in the middle of the first millennium, are based on traditions going back to the time of Ramesses II in the late second millennium. The exodus story is not a fiction invented by Israelites in the Iron Age. This conclusion remains valid, moreover, even when we recognize that the biblical texts include the occasional anachronism (referring, for example, to camels and Philistines in the setting of the book of Genesis, though neither was present in Canaan then) as well as some telescoping. By the latter term, I mean a tendency to take complex processes and reduce them to neater narratives that are easier to tell. Thus, it is altogether possible, as a number of scholars have suggested, that the exodus was a series of events; Israelites, or proto-Israelites, may have been escaping from Egyptian bondage in small groups over generations. One group may have been led by a Levite named Moses, another by a Levite named Aaron; I am not sure that the two of them ever met. Furthermore, given the prominence of Levite tribesmen in the story of the exodus and their tendency to bear Egyptian names, I wonder whether it was specifically they who escaped Egyptian bondage. Their historical memory may then have been adopted by other Israelites who never left Canaan, and its commemoration may have become an essential element of pan-Israelite identity. On Thanksgiving, millions of Americans participate enthusiastically in the central ritual meal of the United States, though the ancestors of only a fraction of them were on the Mayflower. It is entirely possible something similar happened in ancient Israel: as exodus-group Israelites linked up with Israelites who had always remained in the land of Canaan, the latter came in time to see themselves as if they, too, had left Egypt. By the time the accounts found in the book of Exodus were written down, the distinction between the two groups was moot, and was forgotten. The ability of Israelites from clans that had not participated in an escape from Egypt to assimilate the memories of those who had may have been bolstered by their own ancestors’ memories of being forced to serve Egyptian imperial overlords in Canaan. Throughout much of the New Kingdom period, Canaanite city states were vassals to the Egyptians, and Canaanite peasants were forced into corvée labor on behalf of Egyptian projects there. Several scholars, including Ronald Hendel (Berkeley) and Nadav Na’aman (Tel Aviv), have argued that this experience of impressed labor was the basis for the historical memories underlying the exodus story; that is, according to Hendel and Na’aman, Israelites were slaves to Pharaoh of Egypt but not in Egypt. Theories of servitude in Egypt and in Canaan are not mutually incompatible. An average Israelite in the Iron Age may have had ancestors who served Egyptians in each locale. In the end, biblical references to the exodus probably take a tangled complex of genuine historical memories and render them more manageable. Some details are surely fictional, but given the number that are authentic and could not have been invented by Iron Age storytellers, it seems clear that the overall thrust of the story—Israelites in the distant past were liberated from enslavement to the greatest empire of its time and place—is accurate. (…) there are no archaeological or historical reasons to doubt the core elements of the Bible’s presentation of Israel’s history. These are: that the ancestors of the Israelites included an important group who came from Mesopotamia; that at least some Israelites were enslaved to Egyptians and were surprisingly rescued from Egyptian bondage; that they experienced a revelation that played a crucial role in the formation of their national, religious, and ethnic identity; that they settled in the hill country of the land of Canaan at the beginning of the Iron Age, around 1300 or 1200 BCE; that they formed kingdoms there a few centuries later, around 1000 BCE; and that these kingdoms were eventually destroyed by Assyrian and Babylonian armies. Not only at Passover but also in Judaism’s daily liturgy and its weekly sanctification of the Sabbath, Jews proclaim that their identity is based on something that happened in history. They do not state that Judaism is based on an inspiring fiction or a metaphor (even if the story is inspiring and serves in important ways as a symbol). Details regarding what happened remain murky, but Jews reciting the benediction before the Shema each day or the kiddush on Friday night can, with a clear conscience, mean what they say. Benjamin Sommer
If my larger claim is correct, it would, for one thing, suggest an Israelite presence in Egypt, as there is no evidence that the Kadesh Poem was known outside Egyptian limits and no indication that it had resonance at any later period within Egypt itself. But, for another and more significant thing, the appropriation of the Kadesh Poem into Israelite culture suggests an Israelite audience that would understand and appreciate the literary re-deployment of royal Egyptian propaganda against the pharaoh himself. Besides, why would Israelites perpetuate a fantastic tale of salvation and victory over the pharaoh if, in fact, nothing on the ground had transpired at all? That they embraced and preserved this defiant transvaluation of royal propaganda suggests that they experienced a collectively transformative event, one that dramatically elevated their lot at the expense of a mighty regent. (…) Richard Hess, in his own response to my essay, notes helpfully that several Egyptian names found in the book of Exodus are known to us only from Egyptian sources from the mid-second millennium BCE. By Hendel’s reckoning, we would thus need to posit that the later authors of the exodus myth, bent on achieving a remarkable degree of verisimilitude, went to the trouble of incorporating names that were period-appropriate. Yet, as Hendel himself documents, there is an avalanche of evidence that Canaanites were enslaved and brought to Egypt, or migrated to Egypt in times of famine.  (…) Across the Bible, starting with the expulsion from Eden until the expulsion from Jerusalem, exile looms as the ultimate punishment—of an altogether different magnitude from subjugation at the hands of an oppressor in one’s own land. Exile and exile alone means cultural annihilation, rupture of continuity with the past, and a bleak future as a landless minority stripped of every shred of autonomy. Many biblical narratives recount Israel’s sufferings within its own land at the hands of external powers; never is that oppression confused with the memory of exile. (…) Hendel is not the only scholar to advance the hypothesis that the reality behind the exodus is that Egypt was taken out of Israel and not, as the Bible has it, the other way around. Introduced in the early 1990s, the theory has been gaining adherents ever since—coincidentally with the meteoric rise of “postcolonial” studies to its current position as the dominant force in the humanities. Is it too much to postulate that, in imagining a past in which Israelites in their native Canaan suffer under the oppression of “colonial” Egypt, scholars have transformed Israel’s seminal tale into something that can find a respectable place at the table of the most recent academic fashion? Joshua Berman
Juifs et chrétiens vont devoir à l’avenir changer ce qu’ils racontent les uns sur les autres. D’un côté, les chrétiens ne seront plus en mesure de prétendre que les juifs en tant que groupe ont consciemment rejeté Jésus comme Dieu. De telles croyances sur les juifs ont conduit à une histoire profonde, sanglante et douloureuse d’antijudaïsme et d’antisémitisme. […] De l’autre côté, les juifs vont devoir arrêter de railler les idées chrétiennes sur Dieu comme une simple collection d’idées fantaisistes “non juives”, peut-être païennes, et en tous les cas bizarres. Daniel Boyarin
Nous définissons habituellement les membres d’une religion en utilisant une sorte de check-list. Par exemple, on pourrait dire que si une personne croit en la Trinité et en l’incarnation, elle est un membre de la religion appelée christianisme, et que, si elle n’y croit pas, elle n’est pas un véritable membre de cette religion. Réciproquement, on pourrait dire que si quelqu’un ne croit pas en la Trinité et l’incarnation, alors il appartient à la religion appelée judaïsme mais que, s’il y croit, il n’y appartient pas. Quelqu’un pourrait aussi dire que, si une personne respecte le shabbat le samedi, ne mange que de la nourriture casher et fait circoncire ses fils, elle est un membre de la religion juive, et que, si elle ne le fait pas, elle ne l’est pas. Ou réciproquement, que, si un certain groupe croit que chacun doit respecter le shabbat, manger casher et circoncire ses fils, cela signifie qu’il n’est pas chrétien mais que, s’il croit que ces pratiques ont été remplacées, alors c’est un groupe chrétien. Comme je l’ai dit, voilà notre façon habituelle de considérer ces questions. (…) Un autre grand problème que ces check-lists ne peuvent pas gérer concerne les personnes dont les croyances et comportements sont un mélange de caractéristiques tirées de deux listes. Dans le cas des Juifs et des chrétiens, c’est un problème qui n’a tout simplement pas voulu disparaître. Des siècles après la mort de Jésus, certains croyaient en la divinité de Jésus, Messie incarné, mais insistaient également sur le fait que, pour être sauvés, ils devaient ne manger que de la nourriture casher, respecter le shabbat comme les autres Juifs et faire circoncire leurs fils. C’était un milieu où bien des personnes ne voyaient pas de contradiction, semble-t-il, à être à la fois juif et chrétien. En outre, beaucoup des éléments qui en sont venus à faire partie de la check-list éventuelle pour déterminer si l’on est juif ou si l’on est chrétien, ne déterminaient absolument pas à l’époque une ligne de frontière. Que devons-nous faire de ces gens là ? Pendant un grand nombre de générations après la venue du Christ, différents disciples, et groupes de disciples, de Jésus ont tenu des positions théologiques variées et se sont engagés dans une grande diversité d’observances relativement à la Loi juive de leurs ancêtres. L’un des débats les plus importants a porté sur la relation entre les deux entités qui allaient finir par former les deux premières personnes de la Trinité. Beaucoup de chrétiens croyaient que le Fils ou le Verbe (Logos) était subordonné à Dieu le Père voire même créé par lui. Pour d’autres, bien que le Fils soit incréé et ait existé dès avant le début du temps, il était seulement d’une substance similaire au Père. Un troisième groupe croyait qu’il n’y avait pas de différence du tout entre le Père et le Fils quant à la substance. Il existait aussi des différences très prononcées d’observances entre chrétien et chrétien : certains chrétiens conservaient une bonne part de la Loi juive (ou même la totalité), d’autres en avaient conservé certaines pratiques mais en avaient abandonné d’autres (par exemple, la règle apostolique d’Actes 15 5 ), et d’autres encore croyaient que la Loi entière devait être abolie et écartée pour les chrétiens (même pour ceux qui étaient nés juifs). Enfin, certains chrétiens étaient d’avis que la Pâque chrétienne était une forme de la Pâque juive, convenablement interprétée, avec Jésus comme agneau de Dieu et sacrifice pascal, tandis que d’autres niaient vigoureusement une telle relation. Cela avait également une portée pratique dans la mesure où le premier groupe célébrait Pâques le même jour où les Juifs célébraient Pessah tandis que le second insistait tout aussi fermement que Pâques ne devait pas tomber le jour de Pessah. Il y avait bien d’autres pommes de discorde. Jusqu’au début du quatrième siècle, tous ces groupes s’appelaient eux -mêmes chrétiens et un bon nombre d’entre eux se définissaient tout autant juifs que chrétiens. Selon cette vue, tenue par beaucoup de penseurs et d’exégètes, chrétiens aussi bien que juifs, après l’humiliation, la souffrance et la mort du Messie Jésus, la théologie de la souffrance vicaire rédemptrice aurait été découverte, apparemment en Is 53. On prétend alors que ce dernier texte a été réinterprété pour renvoyer non au peuple d’Israël persécuté mais au Messie souffrant. “ Le Seigneur a voulu l’écraser par la souffrance. S ’il fait de sa vie un sacrifice expiatoire, il verra une postérité, il prolongera ses jours ; par lui la volonté du Seigneur s’accomplira. A la suite de son épreuve, il verra la lumière ; il sera comblé par sa connaissance. Le juste, mon serviteur, justifiera des multitudes et il portera lui-même leurs fautes. C’est pourquoi je lui donnerai une part parmi les princes et il partagera le butin avec les puissants ; parce qu ’il s’est livré lui-même à la mort et qu’il a été compté parmi les criminels ; alors qu’il portait pourtant le péché des multitudes et intercédait pour les criminels” (Is 5 3,10-12). Si ces versets se réfèrent effectivement au Messie, ils prédisent clairement ses souffrances et sa mort pour expier les péchés des humains. Cependant, on nous affirme que les Juifs auraient toujours interprété ces versets comme une évocation des souffrances du peuple d’Israël lui-même et non du Messie, qui serait quant à lui uniquement triomphant. Résumons ainsi cette opinion communément reçue : la théologie des souffrances du Messie est une réponse apologétique a posteriori pour expliquer les souffrances et l’humiliation subies par Jésus puisque les ‘chrétiens’ le tenaient pour le Messie. Selon cette vue, le christianisme a été inauguré au moment de la crucifixion, qui aurait mis en branle la nouvelle religion. En outre, beaucoup de ceux qui défendent ce point de vue sont aussi d’avis que le sens original d’Isaïe 53 a été déformé par les chrétiens pour expliquer et rendre compte du fait choquant de la crucifixion du Messie, alors qu’il se référait initialement aux souffrances du peuple d’Israël. Ce lieu commun doit être entièrement rejeté. La notion d’un Messie humilié et souffrant n’était pas du tout étrangère au judaïsme avant la venue de Jésus et elle est demeurée courante chez les Juifs postérieurement, et ce jusque dans la première période moderne. C’est un fait fascinant (et sans doute inconfortable pour certains) que cette tradition a été bien établie par les Juifs messianiques modernes soucieux de démontrer que leur foi en Jésus ne les ‘déjudaïse’ pas. Que l’on accepte ou non leur théologie, il n’en demeure pas moins vrai qu’ils ont constitué un très fort dossier textuel à l’appui de l’idée que la conception d’un Messie souffrant est enracinée dans des écrits profondément juifs, tant anciens que plus récents. Les Juifs n’ont apparemment pas eu de difficulté à envisager un Messie qui offrirait sa souffrance pour racheter le monde. Redisons-le : ce qu’on aurait dit de Jésus soi-disant après coup est en fait un ensemble d’attentes et de spéculations messianiques bien établies qui étaient courantes avant même que Jésus ne vienne au monde. Des Juifs avaient appris par une lecture attentive de certains textes bibliques que le Messie souffrirait et serait humilié ; cette lecture assumait précisément la forme de l’interprétation rabbinique classique que nous connaissons sous le nom de midrash, une façon de faire se répondre des versets et des passages de l’Ecriture pour en tirer de nouveaux récits, de nouvelles images et idées théologiques. » Daniel Boyarin
Tout le monde sait bien que Jésus est juif, mais l’auteur affirme que le Christ l’est aussi. Les bases de la christologie chrétienne appartiennent à la pensée israélite du second Temple et les divergences invoquées pour justifier une rupture historique prétendument immédiate entre « judaïsme » et « christianisme » sont erronées. La notion d’un Messie humano-divin, la pensée qu’en Dieu réside une seconde figure divine, la conception d’un Messie qui porte les péchés et sauve par sa souffrance, entre autres, ne sont pas une réinterprétation chrétienne, rétrospective et abusive, du Fils de l’Homme de Daniel 7 et du Serviteur souffrant d’Isaïe 53, mais des interprétations largement attestées dans la littérature juive contemporaine (Hénoch, Esdras, etc.). La nouveauté chrétienne est de voir leur réalisation dans cet homme-là Jésus et tous les juifs ne vont pas l’accepter. Même la prétendue rupture de Jésus avec les observances de la Torah résulte d’une mauvaise lecture de Marc 7 Trinité, messie humano-divin, messie souffrant, lois alimentaires, sabbat, circoncision Yavné et Nicée Qumran et autres. Ces textes intertestamentaires sont des textes qui montrent la diversité de pensée qui était dans ce qu’on appelle le judaïsme des premiers siècles (avant Jésus). Sébastien Lapaque

Attention: une expulsion peut en cacher une autre !

En ce début à nouveau commun de journées pascales

Une semaine exactement après les massacre et martyre tristement communs de Carcassonne et Paris

Dont le don de soi proprement christique du lieutenant-colonel que l’on sait …

Pendant qu’entre parent 1 et parent 2 et autres mariage ou enfants pour tous

Et malgré quelques rares résurgences y compris cinématographiques

Ou, entre un Pierre ou un Samson africains, même l’histoire doit être réécrite

Nos belles âmes finissent de nettoyer les dernières traces de ce religieux qui nous obsède …

Et qu’aux frontières d’Israël comme en Egypte il y a plus de 3 000 ans …

C’est à nouveau de leur propre berceau commun et au nom des mêmes accusations les plus fantaisistes

Comme de la plus perfide inversion des termes et des images

Qu’il s’agit d’extirper définitivement les religions dites « du livre » …

Comment ne pas voir avec l’historien américain Daniel Boyarin …

Au vu des trois premiers siècles de notre ère dite aujourd’hui commune

Où  judaïsme comme christianisme n’étaient largement qu’une variante l’un de l’autre …

Cette expulsion des racines indissociablement juives et chrétiennes

Qui se continue aujourd’hui de notre société occidentale ?

Débat
Jésus était juif, le Christ aussi?

Sébastien Lapaque
La Vie

20/09/2013

Dans le Christ juif, l’historien américain Daniel Boyarin soutient qu’il fallut attendre le IVe siècle pour que judaïsme et christianisme se distinguent clairement.

Que l’on soit juif ou chrétien, que l’on croie au Ciel ou que l’on n’y croie pas, la lecture des livres de Daniel Boyarin est toujours une expérience singulière. L’idée centrale des travaux de cet historien et philosophe, né dans le New Jersey en 1946, est que la « partition » du christianisme et du judaïsme se fit beaucoup plus tard que l’on continue de le croire et de l’enseigner. Contestant ce qu’il appelle la « légende talmudique » d’un grand concile juif qui se serait tenu dans les années 90 pour jeter les bases d’un judaïsme rabbinique bien distinct du christianisme apostolique (par exemple sur la question d’un Messie souffrant, mourant et ressuscitant), ce professeur de culture talmudique à l’université californienne de Berkeley, spécialiste des premiers siècles de notre ère et qui se définit lui-même comme un juif orthodoxe, soutient de manière éloquente qu’il fallut attendre le IVe siècle, peut-être même le Ve siècle, après les conciles de Nicée (325) et de Constantinople (381), pour que les choses soient parfaitement claires : juifs d’un côté, chrétiens de l’autre. Auparavant, ce que Daniel Boyarin appelle avec une grande audace le « judaïsme chrétien » n’était pas clairement distinct du « judaïsme rabbinique ». Selon lui, leur partition tardive fut la conséquence d’un durcissement des positions mutuelles sur quelques questions disputées (l’idée d’une seconde hypostase divine, la croyance en l’éternité de l’âme, le shabbat, la date de Pâques, etc.), les uns et les autres inventant une orthodoxie inexistante jusque-là.

« Les groupes, juge-t-il, se sont graduellement figés en judaïsme et christianisme non via une séparation, via une bifurcation, mais par la formation d’agglomérats dialectaux : des indices d’identité (tels que circoncision ou non-circoncision) furent choisis, se diffusèrent et formèrent des agglomérats. Mais ce fut seulement avec la mobilisation du pouvoir temporel (par le biais des appareils d’État idéologiques et des appareils d’État répressifs) au IVe siècle que le processus a abouti à la formation de “religions”. […] On pourrait dire que le judaïsme et le christianisme ont été inventés pour expliquer le fait qu’il y avait des juifs et des chrétiens. »

Ainsi, deux orthodoxies ayant engendré deux religions auraient-elles inventé chacune leurs mythes fondateurs déroulés comme des barbelés entre deux camps auparavant indécis : telle était la démonstration effrontée de la Partition du judaïsme et du christianisme, magistrale somme traduite en français par les éditions du Cerf en 2011. Une thèse suffisamment révolutionnaire pour être lue et commentée avec le plus grand sérieux, ainsi que le firent quelques professeurs d’exégèse biblique et de sciences religieuses lors d’un débat organisé à Paris autour de Daniel Boyarin pour saluer la parution de son livre. Savant mondialement reconnu, cet homme, qui revendique l’influence de Michel Foucault, a enseigné à la fois dans des universités américaines, des universités israéliennes et à l’université grégorienne de Rome : ses thèses hardies ont beaucoup été discutées par la communauté scientifique internationale ces dernières années, les uns se disant fascinés par la radicalité de ses conclusions, les autres se montrant sceptiques.

Il serait cependant regrettable que les travaux si puissants et si féconds de Daniel Boyarin soient lus uniquement dans le monde universitaire pour ­alimenter de rugueux débats sur la préhistoire du ­christianisme. Car ils éclairent à la fois l’espérance d’Israël et le contenu de la Révélation chrétienne. Acceptés et validés, les résultats de ses travaux peuvent être à l’origine d’un tremblement de terre.

Tout le monde doit en entendre parler, jusqu’aux enfants des écoles et du catéchisme. Ainsi, lorsque Daniel Boyarin, relisant le septième chapitre du livre de Daniel, démontre, dans le Christ juif qui paraît ces jours-ci, qu’il est faux de dire que la Synagogue antique ne pouvait pas accepter une théophanie inédite, « sous la forme d’un second Dieu, un jeune Dieu, ou d’une part de Dieu, ou d’une personne divine au sein de Dieu ». À la fois ancien et moderne, amoureux des textes antiques et doué d’esprit critique, Boyarin pousse les choses loin, éclairant avec des hardiesses de Père de l’Église une humanité du Christ à laquelle il ne croit cependant pas : « Un Dieu qui est très éloigné engendre – presque inévitablement – le besoin d’un Dieu qui soit plus proche ; un Dieu qui juge appelle, presque inévitablement, un Dieu qui combat pour nous et nous défend (aussi longtemps que le second Dieu est complètement subordonné au premier, le principe du monothéisme n’est pas violé). » Ainsi, la nature du Père appelle-t-elle celle du Fils dans la foi chrétienne. Il fallait un juif selon la chair et l’esprit pour le rappeler.

On se félicite que le cardinal Philippe Barbarin salue les travaux de Daniel Boyarin dans une préface rédigée pour l’édition française du Christ juif. Car ce livre est une pièce essentielle d’un dialogue entre juifs et chrétiens qui a besoin de trouver un souffle nouveau depuis les avancées décisives du concile Vatican II. « La lecture de ces pages fut une découverte et une source de grand étonnement, qui m’a amené à voir autrement de nombreux textes que je croyais connaître », avoue le cardinal. Étonnement, le mot est faible, ainsi que le découvriront ceux qui se jetteront à leur tour dans la passionnante aventure intellectuelle et spirituelle qu’est la lecture d’un ouvrage de Daniel Boyarin. Le cardinal Barbarin a ainsi trouvé des lumières chrétiennes dans les travaux de ce savant juif : « Ce n’est pas parce que l’auteur montre l’enracinement profond du christianisme dans la tradition spirituelle juive qu’il nie son originalité. Selon lui, la grande nouveauté des Évangiles, c’est de déclarer que le Fils de l’Homme est déjà là, qu’il marche parmi nous. D’où cette formule qui peut donner bien des pistes de travail : “Toutes les idées sur le Christ sont anciennes : la nouveauté, c’est Jésus.” » Poursuivons le passage cité : « Il n’y a rien de nouveau dans la doctrine du Christ, excepté l’affirmation que cet homme-là est le Fils de l’Homme. Il s’agit évidemment d’une affirmation énorme, une immense innovation en soi qui a eu des conséquences historiques décisives. »

On ne saurait trop recommander le Christ juif comme une porte d’entrée aux travaux de Daniel Boyarin proposée au plus grand nombre. Si ce livre ne se contente pas de résumer les hypothèses précédentes de l’historien américain et apporte des éclairages nouveaux, il a l’avantage d’être plus simple d’accès que la monumentale et ardue Partition du judaïsme et du christianisme. Une main sur la Bible hébraïque, une autre sur le Nouveau Testament, chacun pourra jouer les exégètes en reprenant les textes que Daniel Boyarin commente dans son livre avec la certitude – toute talmudique – qu’ils ne nous ont pas encore tout dit (ou bien que nous ne les avons pas correctement entendus) : Daniel 7 ; Mathieu 5, 17 ; Jean 1, 41 ; Actes 15, 28-29.

« Juifs et chrétiens vont devoir à l’avenir changer ce qu’ils racontent les uns sur les autres, jure Boyarin. D’un côté, les chrétiens ne seront plus en mesure de prétendre que les juifs en tant que groupe ont consciemment rejeté Jésus comme Dieu. De telles croyances sur les juifs ont conduit à une histoire profonde, sanglante et douloureuse d’antijudaïsme et d’antisémitisme. […] De l’autre côté, les juifs vont devoir arrêter de railler les idées chrétiennes sur Dieu comme une simple collection d’idées fantaisistes “non juives”, peut-être païennes, et en tous les cas bizarres. » Ainsi, pour Daniel Boyarin, non seulement Jésus ne fut pas un rabbin marginal, comme on l’a souvent dit, mais les fondements du christianisme – « la notion d’une divinité duelle (Père et Fils), la notion d’un Rédempteur qui serait lui-même à la fois homme et Dieu et la notion que ce Rédempteur souffrirait et mourrait dans le cadre de sa mission salvifique » – ne sauraient en aucun cas être présentés comme les bases d’une hérésie juive née d’une contamination par l’hellénisme.

Très logiquement, Boyarin, ce christologue d’un genre inédit, conteste la tradition exégétique à la mode consistant à opposer un « bon Jésus » à un « mauvais Christ », dont l’idée et l’image auraient été forgées par des disciples après la mort du fils de Joseph de ­Nazareth, « promu au statut de divinité sous l’influence de notions grecques étrangères, avec un prétendu message originel déformé et perdu ».

Il faudrait aller plus loin encore. Rappeler que, pour Daniel Boyarin, la théologie du Logos n’a rien d’incompatible avec les conceptions du judaïsme antique : il pousse l’intrépidité intellectuelle jusqu’à voir dans le prologue de Jean un midrash caractéristique de la culture spirituelle juive. Ceux qui veulent savoir le liront. Avec ses travaux, Daniel Boyarin fait faire un bond en avant au dialogue entre juifs et chrétiens. Cet esprit libre a la force de l’amour et la puissance d’un concile. Daniel Boyarin

Philosophe et spécialiste d’histoire des religions, Daniel Boyarin, qui se définit lui-même comme un juif orthodoxe, est né en 1946 dans le New Jersey. Il a une double nationalité américaine et israélienne. Depuis 1990, il enseigne la culture du Talmud au département d’études proche-orientales de l’université de Californie, à Berkeley. Parmi ses ouvrages traduits en français : Pouvoirs de diaspora. Essai sur la pertinence de la culture juive (Cerf, 2007) ; la Partition du judaïsme et du christianisme
(Cerf, 2011) ; le Christ juif. À la recherche des origines (Cerf, 2013).
À lire

Le Christ juif. À la recherche des origines, de Daniel Boyarin. Traduit de l’américain par Marc Rastoin. Préface du cardinal Philippe Barbarin. Cerf, 19 €.

Voir aussi:

What a friend we have in Jesus

Paula Friedricksen

The Jewish Review of Books

Spring 2012

THE JEWISH ANNOTATED NEW TESTAMENT edited by Amy-Jill Levine, Marc Z. Brettler O xford University Press, 700 pp., $35

THE JEWISH GOSPELS : THE STORY OF THE JEWISH CHRIST by Daniel Boyarin The New Press, 224 pp., $21.95

KOSHER JESUS by Rabbi Shmuley Boteach G efen, 300 pp., $26

Arguments over who has the authority to interpret traditions of Shabbat observance. Reprimands for bad behavior when food appears after community service. Boasting of accomplishments in Jewish education. Concern over the proper size of tefillin. Discussion of the holidays, both minor (Hanukkah) and major (Pesach, Sukkot, Shavuot). Collecting funds in the diaspora to send back to Jerusalem. Endless infighting over the correct way to be Jewish. Sound familiar? It’s all in the New Testament.

An anthology of 1 st -century Jewish texts written in Greek, the New Testament provides some of the best evidence we have from (and for) the rough-and- tumble days of Judaism in the late Second Temple period. The intrinsic Jewishness of the New Testament—and that of its two prime figures, Jesus and Paul—has long been obscured because of two simultaneous and linked accidents of history: the rise of Gentile Christianity and of Rabbinic Judaism.

As with Gentile Christianity, so with Rabbinic Judaism: both asserted, very loudly, that though Jesus may have been a Jew, he was a special sort of anti-Jew. (Paul had a more checkered career, either as the ultimate apikoros or, in some Jewish retellings, a secret agent of the high priest working to ensure that something as outlandish as Christianity would flourish only among the goyim). The anti-Jewish rhetoric of the Christian churches in late antiquity helped to produce long centuries of sporadic violence. Yet, at those times in Western history when Christian scholars availed themselves of Jewish learning, there came moments of fleeting recognition: the gospels tell a Jewish tale.

Eventually—and for reasons again internal to Christianity (namely, the Protestant repudiation of Catholicism)—Christian scholars began more and more to distinguish the Jesus of history from the Christ of doctrine. The 19 th and 20 th centuries in particular saw multiple “quests for the histori – cal Jesus” (the title of Albert Schweitzer’s great classic). Modern Jewish writers, availing themselves of the distinction between Jesus and Christ, have in various ways the historical Jesus of Nazareth back within the 1 st -century Jewish fold—as, indeed, have Christian scholars. And particularly since the 1950s, with the shift ing of the quest from schools of theology to departments of comparative religion in liberal arts faculties, scholars of di % erent faiths and of none have cooperatively joined in the search. In current schol – arship, in schools of theology no less than in faculties of religion, to be a Jewish historian of Christianity, particularly of ancient Christianity, is no rarity. Oxford University Press’ recent publication, The Jewish Annotated New Testament, edited by Amy-Jill Levine and Marc Z. Brettler, celebrates this fact. Re – producing the English text of the Revised Standard Ve r s i o n , t h e  e d i t o r s  h a v e  c o l l e c t e d  a g r o u p o f « ! y Jewish scholars of Christian and Jewish antiquity to comment on the texts of the New Testament canon and to contribute succinct essays on matters of mo – ment: Second Temple Jewish history; the ancient synagogue; food and family; Jewish divine mediator  » gures; concepts of a ! erlife and resurrection; and so on. # e array of topics is at once dazzling and dar – ing, the scholarly erudition all the more e % ective for being lightly worn. These outstanding essays—thirty in all—are alone well worth the price of the book. But  » e Jewish Annotated New Testament o % ers much more. It provides multiple commentaries on each of the New Testament’s twenty-seven writings, from its  » rst gospel (in canonical sequence, Mat – thew) to its closing revelation (Apocalypse of John). # e primary commentary appears as the individual scholar’s notes to particular verses in discrete writ – ings at the bottom of each page. # ese contain a wealth of historical information, linking the New Testament text to other near-contemporary Jewish writings (such as those of Philo of Alexandria, or of Josephus, or of the Dead Sea Scrolls, or of more esoteric apocrypha and pseudepigra – pha). Notes “translate” some of the New Testament’s Greek terms back into the Aramaic or Hebrew from which they likely derive. Others align chronological hints in the texts with events in 1 st -centu – ry Jewish and Roman history. Maps, charts, sidebar essays, and diagrams—scores of them—visually and verbally amplify this contextualizing, providing a secondary kind of commentary. Taken all to – gether, this rich information performs a small miracle, resurrecting the vigorous late Second Temple Judaism that lies buried in these ancient texts, which are so habitu – ally and so understandably regarded by Jews and by Christians as being “against” Judaism. For example, Matthew 27:25 writes of the Jews’ pu – tative response to Pilate’s “washing his hands” of the execution of Jesus: “ # en the people as a whole answered, ‘His blood be upon us and on our children!’” # at sentence went on to have a long and hideous history all its own in the annals of European anti- Semitism. But seen in con – text, this verse functions not as a standing indictment, but as a realized prophecy. Matthew writes one generation a ! er the Temple’s destruction, which occurred one generation a ! er Jesus’ lifetime. As annotator Aaron Gale points out, “Matthew’s  » rst readers likely related the verse to the Jerusalem population, devastated in 70 C.E.” Recognition of this likelihood leaches away some of the verse’s toxicity.

“Jews and Christians still misunderstand many of each other’s texts and traditions,” Amy-Jill Levine and Marc Z. Brettler note in their preface. # e aim of their book, then, is “to increase our knowledge of both our common histories and the reasons why we came to separate.” # e spirit of the book, both in its scholarship and in its pedagogy, is thus deeply ecumenical. Indeed, though the “sensitivities of the contributors” may be “Jewish,” the same work with the same academic mission—placing these New Te s t a m e n t t e x t s i n t h e i r S e c o n d Te m p l e J e w i s h c o n – text—could equally well be produced by a squad of Christian scholars. But who is the book for? Christians (at least in principle) already read the New Testament. One of the editors’ speci  » c goals is to demystify these texts and get Jews to read them without worrying about the historically uncomfortable issue of conversion. # e religious orientation of all of the contributors, the editors hope, should quiet this fear, while promoting cultural understanding. Increasing understanding of a foundational text of majority culture is a laudable goal for our vigorously mongrel democracy. Perhaps just as important is the goal of cultural enrichment; actually reading the gospels of Matthew and of John cannot help but enrich appreciation of Bach. And, of course, the history of Western art is a visual commen – tary on these texts and traditions. So, who should read this book? The short answer is: everybody. Christians will bene  » t from seeing their own tradition placed in historical context, thus coming into a better understanding of Jesus’ and Paul’s native religion and of the origins of their own. Jews will bene  » t for the reasons given—and for Jews no less than for Christians, much of 1 st -century his – tory is terra incognita. T wo other books—also by Jews, also on Chris – tian topics—have just been published: Daniel Boyarin’s  » e Jewish Gospels:  » e Story of the Jewish Christ and Shmuley Boteach’s Kosher Jesus . # ese two exercises in popular writing are in some ways similar, in others very di % erent. Boyarin is a schol – ar of Talmud at University of California, Berkeley; Boteach is a media personality and popular author whose website identi  » es him as “America’s Rabbi.” The intellectual muscle mass of the two works cor – responds accordingly. # eir common goal seems to be to take what, as a Christian datum, seems very strange and foreign to Jews, and then to prove that this datum is in fact profoundly and/or origi – nally Jewish. For Boyarin, that datum is Christian theology about the divinity of Jesus. In his book’s four chap – ters he brings together an assemblage of (canoni – cal and non-canonical) ancient Jewish texts well known to scholars and juxtaposes these to aspects of Matthew, Mark, Luke, and John. (A much briefer sample of his technique is available in his essay on Logos/memra and the Gospel of John in  » e Jewish Annotated New Testament .) Boyarin’s premise and conclusion is that ideas of radically divine mediation  » gure prominently An early European depiction of St. Paul. (Württembergische Landesbibliothek Stuttgart.).

The Haggadah for the Contemporary Family Edited by Alan S. Yoffie Illustrated by Mark Podwal CCAR’s new Haggadah! ! e inclusive text, commentary, and magni  » cent artwork will make all family and friends feel welcome at your seder. Available in paperback or deluxe gift edition. e-Haggadah available through iTunes. New for Passover 2012! Food for ! ought from CCAR Press Voices of Torah: A Treasury of Rabbinic Gleanings on the Weekly Portions, Holidays, and Special Shabbatot Discover multiple perspectives on every parashah in this rich collection of commentary written by CCAR members. Includes holiday portions as well. Makes a great gift. Sacred Table: Creating a Jewish Food Ethic Edited by Mary L. Zamore ! is groundbreaking new volume explores a diversity of approaches to Jewish intentional eating. Finalist, National Jewish Book Award, 2011. ! »#$ % &'(&  » )**)+) » ! Home Service for the Passover Union Haggadah: Home Service for the Passover ! e classic 1923 edition. A Passover Haggadah Edited by Herbert Bronstein Illustrated by Leonard Baskin CLASSIC CCAR HAGGADOT ! e Open Door: A Passover Haggadah Edited by Sue Levi Elwell Art by Ruth Weisberg When Christian scholars availed themselves of Jewish learning, there came moments of ! eeting recognition: the gospels tell a Jewish tale. 24 J EW I SH R E VI EW O F BOO KS • Spring 2012 in all of these late Second Temple texts, not just the “Christian” ones. # e authors of the gospels—and maybe Jesus himself, though Boyarin proposes this rather than argues it—were thinking with these ideas when they framed their teachings.  » e Jew – ish Gospels concludes by inviting the reader to place gospel traditions of Jesus’ divinity “within the Jewish textual and intertextual world, the echo chamber of a Jewish soundscape of the 1 st century.” Kosher Jesus , on the other hand, represents a sort of vernacular translation of the work of the late English scholar Hyam Maccoby. For Maccoby the synoptic gospels’ accounts were thin contriv – ances through which one can still glimpse the real Jesus, a man who adhered fully to Jewish law and who sought, above all, the deliverance of his people from servitude to the Romans. What Boteach has gleaned from Maccoby’s work he has blended with his own thoughts on Vatican II; the charge of dei – cide; the Romans (Romans liked war; Jews, how – ever, liked peace); the true meaning of the gospels; America; modern evangelicals; and much, much more. Like Boyarin, grosso modo , Boteach takes some – thing commonly thought to be quintessentially Christian—Jesus—and shows to his own satisfac – tion that he was in fact quintessentially Jewish. It’s okay, in brief, for Jews to like Jesus, and, opines Boteach, they should. It’s also okay for Jews to like Christians, and they should. Christians should also like Jews. Once everyone understands Jesus and Ju – daism and Christianity as Boteach has con  » gured them, the only question le ! is: What’s not to like? Everybody should live long, be healthy, and there should be peace in Israel. Serious critical scholarly work on the Jewish – ness of Christianity, and of Jesus in particular, has been vigorously ongoing for some two centuries. Until very recently, it has been a largely Christian project, but over the past  the years, in ever-larger numbers, Jewish scholars too have joined in. # ese three works— The Jewish Annotated New Testament, Boyarin’s Jewish Gospels , and Kosher Jesus —testify variously to this fact. # at this work now increas – ingly  » nds a popular audience is an interesting fact of our cultural moment. Will enhanced popular knowledge and under – standing lead to better relations between communi – ties? # at hope, at least, in part motivates these ef – forts. It’s not such a bad thing to want.

Paula Fredriksen is Aurelio Professor Emerita of the Appreciation of Scripture at Boston University, and currently teaches at the Hebrew University of Jerusalem. She is the author of Augustine and the Jews: A Christian Defense of Jews and Judaism (Yale University Press).

Voir aussi:

Arnaud Beltrame, l’exemple attendu

Le sacrifice du lieutenant-colonel Arnaud Beltrame, qui a offert sa vie vendredi à Trèbes (Aude) pour sauver celle de l’otage d’un terroriste islamiste, fait de lui un martyr. Sa conversion récente au catholicisme (2009) ajoute en effet une profondeur mystique et murie à son geste militaire héroïque. Les gens d’Eglise qui ont accompagné Arnaud Beltrame dans sa recherche spirituelle ont eu raison de lier sa générosité à l’Evangile de Jean (15,13) : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis ». Ce lundi matin sur RTL, la mère du héros, Nicole Beltrame, a expliqué qu’elle n’avait pas été surprise par l’extraordinaire bravoure de son fils : « Il était loyal, altruiste, au service des autres, engagé pour la patrie ». Il plaçait la patrie au-dessus de sa propre famille, a-t-elle également expliqué. Mais si sa mère témoigne de son fils, c’est pour que « son acte serve » dans la « résistance au terrorisme ». « Il ne faut pas baisser les bras », a-t-elle déclaré. « On ne peut tout accepter. Il faut agir, être plus solidaire, être davantage citoyen. On ne peut pas être complètement laxiste comme on l’est aujourd’hui ». Nicole Beltrame assure ne pas éprouver de haine contre le bourreau, Radouane Lakdim, qui a égorgé Arnaud Beltrame et lui a tiré dessus. « Mais j’ai le plus grand mépris. Il ne faut pas montrer la photo de ce monstre car ce serait faire une émulation pour ces gens-là. Ce n’est pas une religion ». Lakdim, 25 ans, franco-marocain fiché S depuis 2014, a également tué sur son parcours Jean Mazières, Christian Medves et Hervé Sosna.

Lancer des ballons, allumer des bougies, éteindre la Tour Eiffel sont les gestes dérisoires d’une lâcheté collective qui n’ose se confronter à l’ennemi intérieur islamiste. Ces réponses enfantines deviennent désormais des insultes à la mémoire de ce héros français retrouvé. L’exemplaire geste d’Arnaud Beltrame, ancien élève de Saint-Cyr Coëtquidan (dont il fut major), nous rappelle qu’il est des compatriotes qui sont toujours prêts à mourir pour leur patrie et la défense d’un idéal humaniste, contrairement à ce que le relativisme pouvait laisser croire. Sa mort, offerte pour sauver une vie, est aussi le produit d’une culture et d’une civilisation. Son don de soi interdit de désigner encore les djihadistes, qui sèment la mort dans une détestation satanique de l’autre, comme des « soldats », des « rebelles », des « résistants » ou des « martyrs ». Ceux-là se révèlent pour ce qu’ils sont : non pas des victimes de la société occidentale mais les bras armés et bas du front d’une conquête islamiste qui use autant du prosélytisme subtil que de la terreur brutale pour arriver à ses fins. Dès vendredi, dans le quartier de l’Ozanam (Carcassonne) d’où le tueur (abattu) était originaire, le nom de Radouane Lakdim était applaudi par des jeunes musulmans tandis que des journalistes se faisaient violemment chasser de la cité. Ceux qui persistent à ne rien vouloir voir de la contre-société islamiste qui partout se consolide en France, seront-ils au moins indignés par l’ »héroïsme » dont Lakdim est déjà pour certains le symbole ? Puisse le sacrifice d’Arnaud Beltrame réveiller les endormis.

Voir également:

Western Media Are Hamas’s Partners in the War Against Israel

Caroline Glick

Breitbart

03/30/2018

On Friday, the Palestinian terror group Hamas, which controls the Gaza Strip, is inaugurating what it is calling “The March of Return.”

According to Hamas’s leadership, the “March of Return” is scheduled to run from March 30 – the eve of Passover — through May 15, the 70th anniversary of Israel’s establishment. According to Israeli media reports, Hamas has budgeted $10 million for the operation.

Throughout the “March of Return,” Hamas intends to send thousands of civilians to the Israeli border. Hamas is planning to set up tent camps along the border fence and then, presumably, order participants to overrun it on May 15. The Palestinians refer to May 15 as “Nakba,” or Catastrophe Day.

The first question that observers of this spectacle need to ask themselves is whether Hamas believes that it will be able to overrun Israel.

The obvious answer is, of course it doesn’t.

So this brings us to the second question.

If Hamas doesn’t expect its civilians to overrun Israel, what is it trying to accomplish by sending them into harm’s way? Why it the terror group telling Gaza residents to place themselves in front of the border fence and challenge Israeli security forces charged with defending Israel?

The answer here is also obvious. Hamas intends to provoke Israel to shoot at the Palestinian civilians it is sending to the border. It is setting its people up to die because it expects their deaths to be captured live by the cameras of the Western media, which will be on hand to watch the spectacle.

In other words, Hamas’s strategy of harming Israel by forcing its soldiers to kill Palestinians is predicated on its certainty that the Western media will act as its partner and ensure the success of its lethal propaganda stunt.

Given widespread assessments that Iran is keen to start a new round of war between Israel and its terror proxies, Hamas in Gaza and Hezbollah in Lebanon, it is possible that Hamas intends for this lethal propaganda stunt to be the initial stage of a larger war. By this assessment, Hamas is using the border operation to cultivate and escalate Western hostility against Israel ahead of a larger shooting war.

Several Israeli commentators have noted that Hamas’s plan to send civilians to the border and, presumably, order them to breach it at a certain point, is not original. Hezbollah, acting in concert with Ahmed Jibril’s Popular Front for the Liberation of Palestine–General Command (PFLP-GC) and the Syrian regime, did something similar in 2011.

As the UK Guardian‘s Jonathan Steele reported in March 2015, that operation played a major role in transforming the civil war in Syria from a few scattered battles between the regime and opposition groups into a full-fledged civil war.

Steele recalled that ahead of “Nakba Day,” on May 15, 2011, the Syrian regime sent forces into the Yarmouk refugee camp (actually an upscale neighborhood five minutes from central Damascus). In early 2011, the “camp” was home to 150,000 Palestinians and 650,000 Syrians.

The government forces encouraged the Palestinians to participate in a march on Israel on Nakba Day. On May 15, 2011, the regime sent buses to Yarmouk. Several hundred people from Yarmouk were driven to the border with Israel. The passengers alighted and began marching to Israel.

Israeli soldiers stationed on the Israeli side of the border in the Golan Heights were taken by surprise by the marchers and opened fire. Three of the Palestinians were killed.

A month later, the regime sent minivans to Yarmouk. Several dozen Palestinians climbed aboard. At the border they were joined by several hundred more marchers. Together, they began scaling the border. Israeli forces responded with live shells and tear gas.

23 people were killed. Twelve of the dead were from Yarmouk. The next day, 30,000 people attended their funeral.

The mourners were livid at the regime for sending them to die, and infuriated with Jibril for encouraging them to go. They surrounded Jibril’s offices in Yarmouk. PFLP-GC gunmen killed a 14-year boy in the crowd. The angry mourners stormed the offices and burned them to the ground.

Steele reported that Jibril himself was rescued by regime forces.

The anger the Palestinians directed against the regime inspired the opposition forces to mobilize the Palestinians to their side. The Free Syrian Army and the al-Nusra Brigades took over Yarmouk.

The regime responded by laying siege on Yarmouk. Most of the residents escaped to other areas of Syria, to Lebanon and Jordan. 18,000 civilians and combatants remained. The regime starved and bombed them into submission over the ensuing three-and-a-half years.

Some Israeli commentators believe that having studied the events in Syria, Hamas will end up calling off the marches to avoid a rebellion in the event that Israel kills civilians at the border.

But there is good reason to believe that Hamas intends to go through with the operation.

Wednesday, Arab affairs commentator Yoni Ben Menachem reported that one of the chief organizers of Hamas’s March of Return is Zaher al-Birawi. According to Ben Menachem, al-Birawi, a senior Hamas and Muslim Brotherhood operative, holds the title, “Liaison for the International Committee for Breaking the Embargo on the Gaza Strip.”

In years past, Ben Menachem reported, al-Birawi was a key operative involved in organizing the flotillas to Gaza.

The most lethal flotilla charged with challenging Israel’s naval blockade of Gaza’s coastline was the May 2010 flotilla organized by Turkey’s IHH organization. IHH is an Islamist NGO affiliated with al Qaeda.  The lead ship in the six ship flotilla, the Mavi Marmara, was commanded by IHH. Most of its 630 passengers were anti-Israel activists from Western nations. Forty well-trained IHH members were on board and tasked with assaulting any and all IDF soldiers who attempted to board.

The Israeli naval commandos who were dropped onto the deck of the ship from helicopters were attacked by IHH personnel armed with axes, iron bars, knives, and guns. During a pitched battle between the IHH attackers and the naval commandos, nine soldiers were wounded, three seriously. Nine IHH attackers were killed.

Israel was harshly condemned for what the international media and the international left referred to as a murderous use of force against innocent peace activists.

Turkish President Recep Erdogan demanded that Israel pay compensation to the dead IHH attackers’ families, and accused Israel of state-sponsored terrorism while opening war crimes trials against senior Israeli military commanders in Turkish courts.

During his visit to Israel in 2013, then-President Barack Obama strong-armed Israeli Prime Minister Benjamin Netanyahu to offer an apology to Erdogan and agree to pay compensation to the dead attackers’ families. Obama participated and oversaw the call, which took place on the tarmac of Israel’s Ben Gurion airport before Obama boarded Air Force One to depart from Israel. Most Israelis were angered by Netanyahu’s apology, and Netanyahu privately said he regretted agreeing to offer one.

For their part, the Western anti-Israel activists who were on the Mavi Marmara joined the pile on against Israel, accusing its soldiers of wanton aggression against them.

Earlier this month, British investigator David Collier exposed the existence of a virulently antisemitic secret Facebook group called “Palestine Live.” Collier’s most newsworthy finding was that British Labour Party leader Jeremy Corbyn was an active member of the group until shortly after he was elected head of Labour in 2015.

Collier also reported that Greta Berlin, a member of the Palestine Live group, and one of the heads of the Free Gaza Movement that organized the Mavi Marmara flotilla together with IHH, admitted in one of her exchanges there that Israel was not responsible for the lethal events aboard the ship. Had the IHH activists — including Kenneth O’Keefe, a former U.S. Marine-turned-Hamas terrorist and “Palestine Live” group member — not attacked the Israelis, Berlin wrote, they wouldn’t have opened fire.

In her words, “Had [O’Keefe] not disarmed an Israeli terrorist soldier, they would not have started to fire.”

In addition to a massive quantity of axes, crowbars, chains, tear gas, knives, and other weaponry, Israeli forces found an advanced broadcast and film editing studio aboard the Mavi Marmara. The attackers clearly viewed media warfare as an integral component of their aggression against Israel.

Which brings us back to Hamas’ plan to have Gaza civilians die at the border with Israel to make Israel look bad.

Israel will, no doubt, find means to undermine Hamas’s operations. It has already announced it intends to use drones and snipers. The IDF can be expected to block communications. And in an interview with al-Hurra Arabic television, IDF Maj. General Yoav Mordechai warned that Israel will penalize any bus company that transports Gazans to the border.

The real issue revealed by Hamas’s planned operation — as it was revealed by the Mavi Marmara, as well as by Hamas’s military campaigns against Israel in 2014, 2011 and 2008-09 —  is not how Israel will deal with it. The real issue is that Hamas’s entire strategy is predicated on its faith that the Western media and indeed the Western left will side with it against Israel.

Hamas is certain that both the media and leftist activists and politicians in Europe and the U.S. will blame Israel for Palestinian civilian casualties. And as past experience proves, Hamas is right to believe the media and leftist activists will play their assigned role.

So long as the media and the left rush to indict Israel for its efforts to defend itself and its citizens against its terrorist foes, who turn the laws of war on their head as a matter of course, these attacks will continue and they will escalate.

If this border assault does in fact serve as the opening act in a larger terror war against Israel, then a large portion of the blame for the bloodshed will rest on the shoulders of the Western media for empowering the terrorists of Hamas and Hezbollah to attack Israel.

Voir encore:

Would these hypothetical scholars also pounce on the lack of any mention of Moabite slaves in Egyptian sources? I doubt it: that so many of the account’s details accord with our knowledge of the period would lead many to assess the source as trustworthy—especially in the absence of hard evidence to the contrary.

The reliability of ancient sources—extra-biblical as well as biblical—is a vexing issue. Where does reality end and the sculpting of events to produce a message begin? From an academic perspective, the Bible should be subject to criteria of analysis applied to other comparable ancient texts. The fact that it is not so treated—that a double standard is in operation—tells us something about the field of academic biblical studies, and about the academy itself.

The double standard applied to biblical texts is a key aspect of an ongoing power struggle within biblical studies, which as an academic discipline is somewhat anomalous within the humanities. The Bible is studied today in degree-granting institutions of all kinds, from the fully secular to the most dogmatically committed. But unlike Shakespeare, or the orations of Cicero, or the Gilgamesh epic, or the Code of Hammurabi, the Bible is itself anomalous: not only a work that people read and study but, for many, a work that guides life itself, a work of sacred scripture.

It is of course appropriate for scholars to be wary of the encroachment of belief systems and religious doctrine upon the enterprise of critical analysis. But in the United States, as fundamentalist Christianity has grown, so has the level of defensiveness in certain sectors of the field. Indeed, for some the very word “Bible” seems to have become radioactive, if not taboo. In 1998, for instance, the American School of Oriental Research, a nondenominational academic organization, changed the name of its popular magazine Biblical Archaeologist to Near Eastern Archaeology. At one point, a prominent American archaeologist even proposed that the Bible itself be given a new name and rebranded as “The Library of Ancient Judea.”

Within the guild, the fear of fundamentalist intrusion reached a crescendo some four years ago when the Society of Biblical Literature, the largest academic body in the field, started sending the following automated notice to everyone submitting a proposal for a conference paper:

Please note that, by submitting a paper proposal or accepting a role in any affiliate organization or program unit session at the annual or international meeting of the Society of Biblical Literature, you agree to participate in an open academic discussion guided by a common standard of scholarly discourse that engages your subject through critical inquiry and investigation.

One may safely assume that proposals to the Society for Neuroscience do not merit similar warnings.

To an extent, again, one can appreciate the sense of alarm. “Because the Bible says so!” and “Because God said so!” do not qualify as academic arguments. Yet, if the ideal is “open academic discussion” and “a common standard of scholarly discourse,” overzealousness from the other direction should be no less disturbing. In the drive to keep fundamentalists at bay, some scholars have wound up throwing out the Bible with the bathwater, preemptively downgrading its credibility as a historical witness.

The power struggle within biblical studies is an aspect of the larger culture war that rages between liberals and conservatives in the U.S. (and, with different expressions, in Israel).

And that is not all. The power struggle within biblical studies is also an aspect of the larger culture war that rages between liberals and conservatives in the U.S. (and, with different expressions, in Israel). In that war, the place of religion in the public square is a major battleground, with skirmishes over hot-button issues ranging from abortion and gay marriage to public display of the Ten Commandments. The fight plays itself out in the realm of law and public policy, in the media, and also in the universities; in the last-named arena, whole fields of inquiry are drawn into the fray. One larger-than-academic dispute is over the status of evolutionary psychology as a science; another is over the status of the Bible as a historical witness. Once ideology enters the picture, the stain can spread: attempts by Arab intellectuals and political leaders to deny the Jews an ancient past in the land of Israel may seem risible to some, but they have been given an aura of respectability in works like The Invention of Ancient Israel: The Silencing of Palestinian History, by a scholar at one of the most prominent biblical-studies programs in the UK.

In the past years, two major academic conferences have been devoted to the historicity of the exodus accounts, and their respective titles tell all. One, most of whose participants doubted that there was an exodus, was titled Out of Egypt: Israel’s Exodus between Text and Memory, History and Imagination. The other, convened in explicit response to the first, was titled A Consultation on the Historicity and Authenticity of the Exodus and Wilderness Traditions in a Post-Modern Age. The “liberal” conference was held in California, the “conservative” one in Texas.

There is thus great truth in the statement by the archaeologist and Israel Prize winner Amihai Mazar that “[t]he interpretation of archaeological data and its association with the biblical text may in many cases be a matter of subjective judgment, . . . inspired by the scholar’s personal values, beliefs, ideology, and attitude toward the [data].” In brief: tell me a scholar’s view on the historicity of the exodus, and I will likely be able to tell you how he voted in the last presidential election.

III. Out-Pharaohing the Pharaoh

To sum up thus far: there is no explicit evidence that confirms the exodus. At best, we have a text—the Hebrew Bible—that exhibits a good grasp of a wide range of fairly standard aspects of ancient Egyptian realities. This is definitely something, and hardly to be sneezed at; but can we say still more? At the Texas conference, I presented findings that suggest an explicit link between the biblical account and a specific text from a specific reign in Egyptian history. A fuller account of my investigation and its conclusions will appear in Did I Not Bring Israel Out of Egypt?, a forthcoming volume of the conference proceedings edited by Alan Millard, Gary Rendsburg, and James Hoffmeier. Here, I present the key findings publicly for the first time.

One of the pillars of modern critical study of the Bible is the so-called comparative method. Scholars elucidate a biblical text by noting similarities between it and texts found among the cultures adjacent to ancient Israel. If the similarities are high in number and truly distinctive to the two sources, it becomes plausible to maintain that the biblical text may have been written under the direct influence of, or in response to, the extra-biblical text. Why the one-way direction, from extra-biblical to biblical? The answer is that Israel was largely a weak player, surrounded politically as well as culturally by much larger forces, and no Hebrew texts from the era prior to the Babylonian exile (586 BCE) have ever been found in translation into other languages. Hence, similarities between texts in Akkadian or Egyptian and the Bible are usually understood to reflect the influence of the former on the latter.

Although the comparative method is commonly thought of as a modern approach, its first practitioner was none other than Moses Maimonides in the 12th century. In order to understand Scripture properly, Maimonides writes, he procured every work on ancient civilizations known in his time. In his Guide of the Perplexed, he puts the resultant knowledge to service in elucidating the rationale behind many of the Torah’s cultic laws and practices, reasoning that they were adaptations of ancient pagan customs, but tweaked in conformity with an anti-pagan theology. (I have written on the rabbinic mandate to view the Torah in ancient context here, and on the Torah’s revolution in ancient political thought here.) At the end of the Guide, Maimonides states that his insight into the topic would have been much greater had he been able to discover even more such sources.

Why would the book of Exodus describe God in the same terms used by the Egyptians to exalt their pharaoh? We see here the dynamics of appropriation.

Comparative method can yield dazzling results, adding dimensions of understanding to passages that once seemed either unclear or self-evident and unexceptional. As an example, consider the familiar biblical refrain that God took Israel out of Egypt “with a mighty hand and an outstretched arm.” The Bible could have employed that phrase to describe a whole host of divine acts on Israel’s behalf, and yet the phrase is used only with reference to the exodus. This is no accident. In much of Egyptian royal literature, the phrase “mighty hand” is a synonym for the pharaoh, and many of the pharaoh’s actions are said to be performed through his “mighty hand” or his “outstretched arm.” Nowhere else in the ancient Near East are rulers described in this way. What is more, the term is most frequently to be found in Egyptian royal propaganda during the latter part of the second millennium.

Why would the book of Exodus describe God in the same terms used by the Egyptians to exalt their pharaoh? We see here the dynamics of appropriation. During much of its history, ancient Israel was in Egypt’s shadow. For weak and oppressed peoples, one form of cultural and spiritual resistance is to appropriate the symbols of the oppressor and put them to competitive ideological purposes. I believe, and intend to show in what follows, that in its telling of the exodus the Bible appropriates far more than individual phrases and symbols—that, in brief, it adopts and adapts one of the best-known accounts of one of the greatest of all Egyptian pharaohs.

Here a few words of background are in order. Like all great ancient empires, ancient Egypt waxed and waned. The zenith of its glory was reached during the New Kingdom, roughly 1500-1200 BCE. It was then that its borders reached their farthest limits and many of the massive monuments still visible today were built. We have already met the greatest pharaoh of this period: Ramesses II, also known fittingly as Ramesses the Great, who reigned from 1279 to 1213.

Ramesses’ paramount achievement, which occurred early in his reign, was his 1274 victory over Egypt’s arch-rival, the Hittite empire, at the battle of Kadesh: a town located on the Orontes River on the modern-day border between Lebanon and Syria. Upon his return to Egypt, Ramesses inscribed accounts of this battle on monuments all across the empire. Ten copies of the inscriptions exist to this day. These multiple copies make the battle of Kadesh the most publicized event anywhere in the ancient world, the events of Greece and Rome not excepted. Moreover, the texts were accompanied by a new creation: bas reliefs depicting the battle, frame by frame, so that—much as with stained-glass windows in medieval churches—viewers illiterate in hieroglyphics could learn about the pharaoh’s exploits.

Enter now a longstanding biblical conundrum. Scholars had long searched for a model, a precursor, that could have inspired the design of the Tabernacle that served as the cultic center of the Israelites’ encampment in the wilderness, a design laid out in exquisite verbal detail in Exodus 25-29. Although the remains of Phoenician temples reveal a floor plan remarkably like that of Solomon’s temple (built, as it happens, with the extensive assistance of a Phoenician king), no known cultic site from the ancient Near East seemed to resemble the desert Tabernacle. Then, some 80 years ago, an unexpected affinity was noticed between the biblical descriptions of the Tabernacle and the illustrations of Ramesses’ camp at Kadesh in several bas reliefs.

In the image below of the Kadesh battle, the walled military camp occupies the large rectangular space in the relief’s lower half (click on image to enlarge):

Kadesh_Camp_600dpi_Small

The camp is twice as long as it is wide. The entrance to it is in the middle of the eastern wall, on the left. (In Egyptian illustrations, east is left, west is right.) At the center of the camp, down a long corridor, lies the entrance to a 3:1 rectangular tent. This tent contains two sections: a 2:1 reception tent, with figures kneeling in adoration, and, leading westward (right) from it, a domed square space that is the throne tent of the pharaoh.

All of these proportions are reflected in the prescriptions for the Tabernacle and its surrounding camp in Exodus 25-27, as the two diagrams below make clear:

Ramesses_compound

In the throne tent, displayed in tighter focus below, the emblem bearing the pharaoh’s name and symbolizing his power is flanked by falcons symbolizing the god Horus, with their wings spread in protection over him (click on image to enlarge):

Throne_Tent_600dpi_Small

In Exodus (25:20), the ark of the Tabernacle is similarly flanked by two winged cherubim, whose wings hover protectively over it. To complete the parallel, Egypt’s four army divisions at Kadesh would have camped on the four sides of Ramesses’ battle compound; the book of Numbers (2) states that the tribes of Israel camped on the four sides of the Tabernacle compound.

The resemblance of the military camp at Kadesh to the Tabernacle goes beyond architecture; it is conceptual as well. For Egyptians, Ramesses was both a military leader and a divinity. In the Torah, God is likewise a divinity, obviously, but also Israel’s leader in battle (see Numbers 10:35-36). The tent of God the divine warrior parallels the tent of the pharaoh, the living Egyptian god, poised for battle.

What have scholars made of this observation? All agree that no visual image known to us from the ancient record so closely resembles the Tabernacle as does the Ramesses throne tent. Nor is there any textual description of a cultic tent or throne tent in a military camp that matches these dimensions. On this basis, some scholars have indeed suggested that the bas reliefs of the Kadesh inscriptions inspired the Tabernacle design found in Exodus 25-27. In their thinking, the Israelites reworked the throne tent ideologically, with God displacing Ramesses the Great as the most powerful force of the time. (For the Torah, of course, God cannot be represented in an image and requires no protection, and pagan deities have no standing, which is why, instead of falcons and Horus, we have cherubim hovering protectively over the ark bearing the tablets of His covenant with Israel.) Others suspect that the image of the throne tent initially became absorbed within Israelite culture in ways that we cannot trace and was later incorporated into the text described in Exodus, but with no conscious memory of Ramesses II. Still others remain skeptical, considering the similarities to be merely coincidental.

I had a different reaction. With my interest piqued by the visual similarities between the Tabernacle and the Ramesses throne tent, I decided to have a closer look at the textual components of the Kadesh inscriptions, to learn what they had to say about Ramesses, the Egyptians, and the battle of Kadesh. At first, a few random items—like the reference to pharoah’s mighty arm, mentioned above—jumped out at me as resonant with the language of the account in Exodus. But as I read and reread, I realized that much more than individual phrases or images was involved here—that the similarities extended to the entire plot line of the Kadesh poem and that of the splitting of the sea in Exodus 14-15.

The more I investigated other battle accounts from the ancient Near East, the more forcefully this similarity struck me—to the point where I believe it reasonable to claim that the narrative account of the splitting of the sea (Exodus 14) and the Song at the Sea (Exodus 15) may reflect a deliberate act of cultural appropriation. If the Kadesh inscriptions bear witness to the greatest achievement of the greatest pharaoh of the greatest period in Egyptian history, then the book of Exodus claims that the God of Israel overmastered Ramesses the Great by several orders of magnitude, effectively trouncing him at his own game.

With my interest piqued by the visual similarities between the Tabernacle and the Ramesses throne tent, I decided to have a closer look at the text.

Let’s see how this works. In both the Kadesh poem and the account of Exodus 14-15, the action begins in like fashion: the protagonist army (of, respectively, the Egyptians and Israelites) is on the march and unprepared for battle when it is attacked by a large force of chariots, causing it to break ranks in fear. Thus, according to the Kadesh poem, Ramesses’ troops were moving north toward the outskirts of Kadesh when they were surprised by a Hittite chariot corps and took fright. The Exodus account opens in similar fashion. As they depart Egypt, the Israelites are described as an armed force (Exodus 13:18 and 14:8). Stunned by the sudden charge of Pharaoh’s chariots, however, they become completely dispirited (14:10-12).

In each story, the protagonist now appeals to his god for help and the god exhorts him to move forward with divine assistance. In the Kadesh poem, Ramesses prays to Amun, who responds, “Forward! I am with you, I am your father, my hand is with you!” (Throughout, translations of the poem are from Kenneth A. Kitchen, Ramesside Inscriptions Translated & Annotated, Blackwell, Vol. 2, pp. 2-14.) In like fashion, Moses cries out to the Lord, who responds in 14:15, “Tell the Israelites to go forward!” promising victory over Pharaoh (vv. 16-17).

From this point in the Kadesh poem, Ramesses assumes divine powers and proportions. Put differently, he shifts from human leader in distress to quasi-divine force, thus allowing us to examine his actions against the Hittites at the Orontes alongside God’s actions against the Egyptians at the sea. In each account, the “king” confronts the enemy on his own, unaided by his fearful troops. Entirely abandoned by his army, Ramesses engages the Hittites single-handedly, a theme underscored throughout the poem. In Exodus 14:14, God declares that Israel need only remain passive, and that He will fight on their behalf: “The Lord will fight for you, and you will be still.” Especially noteworthy here is that this particular feature of both works—their parallel portrait of a victorious “king” who must work hard to secure the loyalty of those he saves in battle—has no like in the literature of the ancient Near East.

In each text, the enemy then gives voice to the futility of fighting against a divine force, and seeks to escape. In each, statements made earlier about the potency of the divine figure are now confirmed by the enemy himself. In the Kadesh poem, the Hittites retreat from Ramesses: “One of them called out to his fellows: Look out, beware, don’t approach him! See, Sekhmet the Mighty is she who is with him!,” referring to a goddess extolled earlier in the poem. In this passage, the Hittites acknowledge that they are fighting not only a divine force but a very particular divine force. We find the same trope in the Exodus narrative: confounded by God in 14:25, the Egyptians say, “Let us flee from the Israelites, for the Lord is fighting for them against Egypt.”

An element common to both compositions is the submergence of the enemy in water. The Kadesh poem does not assign the same degree of centrality to this event as does Exodus—it does not tell of wind-swept seas overpowering the Hittites—but Ramesses does indeed vauntingly proclaim that in their haste to escape his onslaught, the Hittites sought refuge by “plunging” into the river, whereupon he slaughtered them in the water. The reliefs depict the drowning of the Hittites in vivid fashion, displayed here in panorama and closeup (click on images to enlarge):

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As for survivors, both accounts assert that there were none. Says the Kadesh poem: “None looked behind him, no other turned around. Whoever of them fell, he did not rise again.” Exodus 14:28: “The waters turned back and covered the chariots and the horsemen . . . not one of them remained.”

We come now to the most striking of the parallels between the two. In each, the timid troops see evidence of the king’s “mighty arm,” review the enemy corpses, and, amazed by the sovereign’s achievement, are impelled to sing a hymn of praise. In the Kadesh poem we read:

Then when my troops and chariotry saw me, that I was like Montu , my arm strong, . . . then they presented themselves one by one, to approach the camp at evening time. They found all the foreign lands, among which I had gone, lying overthrown in their blood . . . . I had made white [with their corpses] the countryside of the land of Kadesh. Then my army came to praise me, their faces [amazed/averted] at seeing what I had done.

Exodus 14:30-31 is remarkably similar, and in two cases identical: “Israel saw the Egyptians dead on the shore of the sea. And when Israel saw the great hand which the Lord had wielded against the Egyptians, the people feared the Lord.” As I noted earlier, “great hand” here and “great arm” in 15:16 are used exclusively in the Hebrew Bible with regard to the exodus, a trope found elsewhere only within Egyptian propaganda, especially during the late-second-millennium New Kingdom.

After the great conquest, in both accounts, the troops offer a paean to the king. In each, the opening stanza comprises three elements. The troops laud the king’s name as a warrior; credit him with stiffening their morale; and exalt him for securing their salvation. In the Kadesh poem we read:

My officers came to extol my strong arm and likewise my chariotry, boasting of my name thus: “What a fine warrior, who strengthens the heart/That you should rescue your troops and chariotry!”

And here are the same motifs in the opening verses of the Song at the Sea (Exodus 15:1-3):

Then Moses and the Israelites sang this song to the Lord. . . . “The Lord is my strength and might; He is become my salvation . . . the Lord, the Warrior—Lord is His name!”

In both the poem and in Exodus, praise of the victorious sovereign continues in a double strophe extolling his powerful hand or arm. The poem: “You are the son of Amun, achieving with his arms, you devastate the land of Hatti by your valiant arm.” The Song (Exodus 15:6): “Your right hand, O Lord, glorious in power, Your right hand, O Lord, shatters the foe!”

And note this: the Hebrew root for the right hand (ymn) is common to a variety of other ancient Near Eastern languages. Yet in those other cultures, the right hand is linked exclusively with holding or grasping. In Egyptian literature, however, we find depictions of the right hand that match those in the Song. Perhaps the most ubiquitous motif of Egyptian narrative art is the pharaoh raising his right hand to shatter the heads of enemy captives:

This Egyptian royal image endured from the third millennium down into the Christian era. In no other ancient Near Eastern culture do we encounter such portrayals of the right hand, which resonate closely with the Song and particularly with 15:6: “Your right hand, O Lord, shatters the enemy.”

Continuing now: in the Kadesh poem, as the troops review the Hittite corpses, their enemies are likened to chaff: “Amun my father being with me instantly, turning all the foreign lands into chaff before me.” The Song similarly compares the enemy with chaff consumed by God’s wrath (15:7): “You send forth Your fury, it consumes them like chaff.” Again, no other ancient Near Eastern military inscription uses “chaff” as a simile for the enemy.

More parallels: in each hymn, the troops declare their king to be without peer in battle. The Kadesh poem: “You are the fine[st] warrior, without your peer”; the Song: “Who is like You, O Lord, among the mighty?” In each, the king is praised as the victorious leader of his troops, intimidating neighboring lands. The Kadesh poem: “You are great in victory in front of your army . . . O Protector of Egypt, who curbs foreign lands”; the Song (15:13-15): “In Your lovingkindness, You lead the people you redeemed; in Your strength, You guide them to Your holy abode. The peoples hear, they tremble.”

The Exodus text focuses on precisely those elements of the Kadesh poem that extol the pharaoh’s valor, which it reworks for purposes of extolling God’s.

Nearing the end, the two again share main elements as the king leads his troops safely on a long journey home from victory over the enemy, intimidating neighboring lands along the way. The Kadesh poem: “His Majesty set off back to Egypt peacefully, with his troops and chariotry, all life, stability and dominion being with him, . . . subduing all lands through fear of him.” The Song (15:16-17): “Terror and dread descend upon them, through the might of Your arm they are still as stone—Till Your people pass, O Lord, the people pass whom You have ransomed.” And the final motif is shared as well: peaceful arrival at the palace of the king, and blessings on his eternal rule. The Kadesh poem:

He having arrived peacefully in Egypt, at Pi-Ramesses Great in Victories, and resting in his palace of life and dominion, . . . the gods of the land [come] to him in greeting . . . according as they have granted him a million jubilees and eternity upon the throne of Re, all lands and all foreign lands being overthrown and slain beneath his sandals eternally and forever.

The Song (15:17-18):

You will bring them and plant them in Your own mountain, the place You made Your abode, O Lord, the sanctuary, O Lord, which Your hands established. The Lord will reign forever and ever!

As readers may have gleaned, the Kadesh poem is a much longer composition than the Exodus account, and it contains many elements without parallels in the latter. For instance, Ramesses offers an extended prayer to his god, Amun, and issues two lengthy rebukes to his troops for their disloyalty to him. But appropriation of a text for purposes of cultural resistance or rivalry is always selective, and never a one-to-one exercise. The Exodus text focuses on precisely those elements of the Kadesh poem that extol the pharaoh’s valor, which it reworks for purposes of extolling God’s. Moreover, the main plot points—it is worth stressing again—are common to both. These are:

The protagonist army breaks ranks at the sight of the enemy chariot force; a plea for divine help is answered with encouragement to move forward, with victory assured; the enemy chariotry, recognizing by name the divine force that attacks it, seeks to flee; many meet their death in water, and there are no survivors; the king’s troops return to survey the enemy corpses; amazed at the king’s accomplishment, the troops offer a victory hymn that includes praise of his name, references to his strong arm, tribute to him as the source of their strength and their salvation; the enemy is compared to chaff, while the king is deemed without peer in battle; the king leads his troops peacefully home, intimidating foreign lands along the way; the king arrives at his palace, and is granted eternal rule.

This is the story of Ramesses II in the Kadesh poem, and this is the story of God in the account of the sea in Exodus 14-15.

Just how distinctive are these parallels? I’m fully aware that similarities between two ancient texts do not automatically imply that one was inspired by the other, and also that common terms and images were the intellectual property of many cultures simultaneously. Some of the motifs identified here, including the dread and awe of the enemy in the face of the king, are ubiquitous across battle accounts of the ancient Near East. Other elements, such as the king building or residing in his palace and gaining eternal rule, are typological tropes known to us from other ancient works. Still others, though peculiar to these two works, can arguably be seen as reflecting similar circumstances, or authorial needs, with no necessary connection between them. Thus, although few if any ancient battle accounts record an army on the march that is suddenly attacked by a massive chariot force and breaks ranks as a result, it could still be that Exodus and the Kadesh poem employ this motif independently.

What really suggests a relation between the two texts, however, is the totality of the parallels, plus the large number of highly distinctive motifs that appear in these two works alone. No other battle account known to us either from the Hebrew Bible or from the epigraphic remains of the ancient Near East provide even half the number of shared narrative motifs exhibited here.

To deepen the connection, let me adduce a further resonance between the Song at the Sea and Egyptian New Kingdom inscriptions more generally. A common literary motif of the period is the claim that the pharaoh causes enemy troops to cease their braggadocio. Thus, in a typical line, Pharaoh Seti I “causes the princes of Syria to cease all of the boasting of their mouths.” This concern with silencing the enemy’s boastings is distinctly Egyptian, not found in the military literature of any other neighboring culture. All the more noteworthy, then, that the Song at the Sea depicts not the movements or actions of the Egyptians but their boasts (15:8-9): “The enemy said, ‘I will pursue! I will overtake! I will divide the spoil! My desire shall have its fill of them, I will bare my sword, my hand shall subdue them!’” Thereupon, at God’s command, the sea covers them, effectively stopping their mouths.

In my judgment, then, the similarities between these two texts are so salient, and so distinctive to them alone, that the claim of literary interdependence is wholly plausible. And so, a question: if, for argument’s sake, we posit that the Exodus sea account was composed with an awareness of the Kadesh poem, when could that poem have been introduced into Israelite culture? The question is important in itself, and also because the answer might help to date the Exodus text in turn.

One possibility might be that the poem reached Israel in a period of amicable relations with Egypt, perhaps during the reign of Solomon in the 10th century or, still later, of Hezekiah in the 8th. Counting against this, though, is that the latest copies of the Kadesh poem in our possession are from the 13th century, and there are no explicit references to it, or any clear attempts to imitate it, in later Egyptian literature. Moreover, we have no epigraphic evidence that any historical inscriptions from ancient Egypt ever reached Israel or the southern kingdom of Judah, either in the Egyptian language or in translation. And this leaves aside the puzzle of what, in a period of entente, would have motivated an Israelite scribe to pen an explicitly anti-Egyptian work in the first place.

To determine a plausible date of transmission, we should be guided by the epigraphic evidence at hand. Egyptologists note that in addition to copies of the monumental version of the Kadesh poem, a papyrus copy was found in a village of workmen and artisans who built the great monuments at Thebes. As we saw earlier, visual accounts of the battle were also produced. This has led many scholars of ancient Egypt to argue that the Kadesh poem was a widely disseminated “little red book,” aimed at stirring public adoration of the valor and salvific grace of Ramesses the Great, and that it would have been widely known, particularly during the reign of Ramesses himself, beyond royal and temple precincts.

Where does all this leave us? What does it prove?

Proofs exist in geometry, and sometimes in law, but rarely within the fields of biblical studies and archaeology. As is so often the case, the record at our disposal is highly incomplete, and speculation about cultural transmission must remain contingent. We do the most we can with the little we have, invoking plausibility more than proof. To be plain about it, the parallels I have drawn here do not “prove” the historical accuracy of the Exodus account, certainly not in its entirety. They do not prove that the text before us received its final form in the 13th century BCE. And they can and no doubt will be construed by rational individuals, lay and professional alike, in different ways.

Proofs exist in geometry, and sometimes in law, but rarely within the fields of biblical studies and archaeology.

Some might conclude that the plot line of the Kadesh poem reached Israel under conditions hidden to us and, for reasons we cannot know, became incorporated into the text of Exodus many centuries down the line. Others will regard the parallels as one big coincidence. But my own conclusion is otherwise: the evidence adduced here can be reasonably taken as indicating that the poem was transmitted during the period of its greatest diffusion, which is the only period when anyone in Egypt seems to have paid much attention to it: namely, during the reign of Ramesses II himself. In my view, the evidence suggests that the Exodus text preserves the memory of a moment when the earliest Israelites reached for language with which to extol the mighty virtues of God, and found the raw material in the terms and tropes of an Egyptian text well-known to them. In appropriating and “transvaluing” that material, they put forward the claim that the God of Israel had far outdone the greatest achievement of the greatest earthly potentate.

When Jews around the world gather on the night of Passover to celebrate the exodus and liberation from Egyptian oppression, they can speak the words of the Haggadah, “We were slaves to a pharaoh in Egypt,” with confidence and integrity, without recourse to an enormous leap of faith and with no need to construe those words as mere metaphor. A plausible reading of the evidence is on their side.

Voir aussi:

How to Judge Evidence for the Exodus

An event like the exodus can’t be “proved” in the manner of a scientific experiment. The way to judge is through the adding-up of suggestive details and reliable witnesses.

A statue of Ramesses II in Luxor, Egypt. Mohammed Moussa/Wikipedia.
Response
March 9 2015
About the author
Richard S. Hess is Earl S. Kalland professor of Old Testament and Semitic languages at Denver Seminary in Littleton, Colorado. He is the author of Israelite Religions: An Archaeological and Biblical Survey (2007) and co-editor, with Bill T. Arnold, of Ancient Israel’s History: An Introduction to Issues and Sources (2014).
Since I’m in general agreement with Joshua Berman’s analysis in “Was There an Exodus?,” I’d like to focus here on amplifying a few of his central points.Early on in his essay, Berman summarizes the core case against the historicity of the exodus: namely, “a sustained lack of evidence.” The written record of ancient Egypt is silent both on the presence of Hebrew or Israelite slaves and on their subsequent departure. In response, Berman provides several reasonable explanations for such a lack of direct evidence, whether written or archaeological, and aptly quotes the cautionary maxim that absence of evidence does not necessarily constitute evidence of absence. Then he proceeds to offer evidence of a circumstantial but highly suggestive kind. A whole series of details in the biblical story, he writes, “do strikingly appear to reflect the realities of late-second-millennium Egypt—the period [under Ramesses II] when the exodus would most likely have taken place.” Moreover, and very significantly, these details are of the sort “that a scribe living centuries later and inventing the story afresh would have been unlikely to know.”All this is well put, and it can be buttressed. On the issue of the weight that can be assigned to absence of evidence, consider this: if a significant number of slaves escaped during the reign of a self-possessed pharaoh like Ramesses II, one would hardly expect him to advertise the fact. To the contrary, such information would be well hidden, especially by a regent who glorified himself in a manner exceeding other pharaohs before and after him.A noteworthy fact in this connection is that the battle of Kadesh in 1274 BCE, on which Berman dwells at illuminating length later in his essay, is portrayed in two strikingly disparate ways, once in the monuments Ramesses II built all across Egypt to commemorate his great victory over the Hittite empire but quite differently in the literature of the Hittites themselves—and in the treaty that emerged between Egypt and the supposedly trounced Hittites in the years that followed. That battle seems in fact to have been a draw, with neither side retaining territory taken from the other. The treaty itself is essentially one of parity. But, given his self-beatification as nothing less than a god and the giver of life to all his people, how otherwise than as invincible would we expect Ramesses to depict his exploits on the battlefield? By contrast, how likely would he be to acknowledge a defeat by a group of his own slaves escaping their house of bondage?

Turning now to the level of positive evidence, we find in the biblical account quite a number of incidental clues regarding Israel’s ancient status. Berman, for instance, adduces the reference in Exodus 1:11 to the two cities of Pithom and Ramesses, a possible allusion to the city of Pi-Ramesses built by Ramesses II. Since the name was no longer in common use after the second millennium BCE, we cannot plausibly assume that a later writer invented it. Likewise, the personal names of the Israelites given in Exodus fit with attested naming practices among West Semites (of whom the Israelites were a part) in and around the time of the exodus as suggested in the Bible. Although many of these names remained in use later as well, some of them, such as Pinḥas, show an explicit connection with Egyptian personal names at the period in question, and a few, including Ḥevron (Exodus 6:18) and Puah (Exodus 1:15), are attested as personal names only in the mid-second millennium (that is, the 18th to the 13th centuries BCE).

The use of other Egyptian words found in the early chapters of Exodus but nowhere else in the Bible similarly supports the view of a connection with Egypt in the same period. Such pieces of incidental information, which would not have been known to a later scribe, point to an antiquity and authenticity in the Exodus account that is difficult to explain otherwise. It is one thing to remember a great figure like Moses and perhaps build all sorts of legends around him. It is something else when minor characters and other incidental details that occur but once in the biblical account fit only within the period of Israel’s earliest history and would be unknown to a writer inventing a tradition centuries later.

In his lengthy comparison of the victorious Song at the Sea in Exodus 15 with the account on Egyptian monuments of Ramesses II’s victory at Kadesh, Berman advances the proposition that the former appropriates the literary form and even, in places, the exact phraseology of the latter, which it then turns on its head in an act of brazen cultural triumphalism—an out-Pharaohing of the Pharaoh, as Berman puts it. This dynamic of cultural resistance and appropriation can also be seen at work in certain details earlier in the biblical account, specifically in connection with the ten plagues (Exodus 7-12).

In fact, a dialectical relationship can be discerned between each of the ten plagues and one or another deity worshipped in Egypt, although there is no hint of such a purpose in the biblical text. But especially in the ninth plague, the plague of darkness, it is difficult not to see a direct, tit-for-tat challenge to the sun god Amon-Re, who possessed the most powerful and wealthiest temple complex in the land at the time of the exodus. Nor could the placement of this plague just before the tenth and final plague be accidental.

That culminating plague, the death of Egypt’s firstborn, not only provides measure-for-measure justice with respect to an earlier pharaoh’s attempt to kill all Israelite male babies (Exodus 1). It also directly challenges the deified pharaoh himself as the source and giver of life to all his people—a “god” who, in the event, can keep alive neither his people nor his own son, the younger “god” designated to succeed him. The very ideology of pharaoh as the source of life predominates in the second millennium BCE, and especially in the writings of Ramesses II. It becomes far less pronounced in later periods.

Joshua Berman correctly observes that historical events are not subject to proof in the same manner as a mathematical equation, a logical proposition, or a scientific experiment that can be reproduced in a laboratory. Rather, historical “proof” normally emerges through the cumulative accretion of reliable witnesses or attestations. Those attestations may take the form of textual or literary similarities as in Berman’s comparison of the Kadesh inscriptions with the biblical Song at the Sea, two texts sharing a similar structural presentation that overall fits best in the period under consideration. They may also, as in my own comments here, take the form of details that, in their totality and singularity, provide persuasive attestation of their own. Together, the two forms combine in an account that suggests authentic and reliable witness to the beginnings of Israel as a people in the late second millennium BCE.

Voir également:

Biblical Criticism Hasn’t Negated the Exodus

The extent to which biblical criticism challenges believers has been vastly exaggerated; there is no reason to doubt the core of the Bible’s presentation of Israel’s history.

Response
Benjamin Sommer
Mosaic
March 16 2015

In “Was There an Exodus?,” Joshua Berman renders a great service: he shows that many pronouncements concerning the non-historicity of biblical narratives are animated by a reflexive hyper-skepticism. This attitude shows up not only among journalists (who have an understandable interest in stirring up controversy) but also among occasional members of the clergy and, most disappointingly, among academic scholars who are supposed to adjudicate historical evidence consistently and relatively dispassionately. In some academic writing on the ancient Near East, as Berman writes, one detects a double standard at work: biblical sources that make historical claims are regarded as untrue unless backed by airtight confirmation from archaeology, while non-biblical sources, even in the absence of archaeological authentication, are taken as containing a good deal of factual information.

This tendency by otherwise well-trained scholars also occurs on the other end—that is, the believing end—of the spectrum. A relevant instance is James Hoffmeier’s superb study, Israel in Egypt: The Evidence for the Authenticity of the Exodus Tradition (Oxford, 1997). Masterfully weaving together archaeological, linguistic, and historical data, Hoffmeier devastatingly rebuts scholars who insist that the exodus narrative must be entirely fictional. But his rebuttal fails to demonstrate the claim he goes on to make, namely, that the biblical account is accurate not only in its broad sweep but even in its particulars.

For instance, in following the Pentateuch’s stipulation that the exodus preceded the beginning of the conquest of the land by 40 years, Hoffmeier runs up against severe difficulties in the dating of both events. Had he conceded that historical texts in the Bible invoke numbers in typological and symbolic ways that differ from the way modern historians use numbers, his job would have been easier—and easier still had he acknowledged that, for narrative purposes, ancient historians sometimes boiled down complex processes to what they regarded as their essentials. In this light, the possibility emerges that both the exodus and the conquest may have been sequences of related events that stretched out over a century or more, rather than episodes that took place, as the Bible has it, in a single night or over a single generation. Hoffmeier asks whether the biblical account as it stands is accurate. A more productive question would be whether and how the narratives reflect real events.

I cite Hoffmeier precisely because he is a top-notch archaeologist and Egyptologist. Yet even he, when he moves from carefully analyzed evidence to a broad conclusion, lurches toward an extreme—if not so extreme as the lurch of many other biblical scholars in the opposite direction. I am not as sure as is Berman that, as he colorfully puts it, “tell me a scholar’s view on the historicity of the exodus, and I will likely be able to tell you how he voted in the last presidential election.” But he is correct that social and cultural factors cloud the way many evaluate evidence.

Happily, Berman himself has no fear of the gray areas where historically valid conclusions are most likely to be found. He does not insist that all the details of the biblical account be taken literally. He seems ready to acknowledge that sometimes biblical texts contradict themselves. Thus, although the Pentateuch informs us several times that 603,550 adult males were present at Mount Sinai a few months after the exodus, Berman points to many other passages indicating that the number of Israelites who left Egypt was much, much smaller. At least one of these claims must be false or symbolic; in this particular case, there is every reason to dismiss the wildly high figure.

But rejecting one detail or even many details in an ancient source does not mean rejecting the broad sweep of its narrative. The question, then, is whether that broad sweep might be based on older traditions going back to an actual event or series of events. Here some background may be helpful. Pretty much all modern biblical scholars agree that the texts found in the Pentateuch were written in the Iron Age, during the time of the Israelite and Judean monarchies between about the 8th and 6th centuries BCE and perhaps in the exilic and post-exilic periods of the late-6th and 5th centuries. For several linguistic and historical reasons, it is clear that these texts do not date back to the 13th or 12th centuries when the exodus is supposed to have occurred.

Thus one can justly wonder: is it possible that the Pentateuch’s authors really knew about events that occurred a half-millennium earlier? If the texts include references to details of late Bronze Age Egypt that were unlikely to be known in Iron Age Canaan, then these texts probably do preserve real historical memories. Multiple examples of such details appear in the books of Exodus and Numbers. Take the fact that the Israelites feared taking a direct northern route to Canaan “lest they see war” (Exodus 13:17). As Berman mentions, this accords well with the fact that there were Egyptian forts along that direct route. I would add that Hoffmeier has demonstrated that by the time of the Israelite and Judean monarchies, these forts had been abandoned and were covered with sand. A Hebrew writer of that time, even one interested in adding historical verisimilitude to his narrative, could not have known that the northern route was the more militarily daunting. The presence of this verse, then, seems based on historical traditions much older than the written Iron Age sources found in the Pentateuch.

Similarly, the presence among the tribe of Levi of many Egyptian names points to older traditions preserved in later Israelite writings. It does not seem likely that an Iron Age writer added these names to render his story more plausible, since that writer wants us to believe that the whole nation Israel was present in Egypt, while the Egyptian names occur almost exclusively in the tribe of Levi. (More on this below.) In addition, some of those Egyptian names are known to us from later texts, like 1 Samuel and Jeremiah, that are not concerned with the exodus at all. In keeping with well-known custom, later Levites would have continued to favor names long established in their tribe, probably without any awareness of the hoary Egyptian origin of the names in question.

To this line of evidence, Berman has added a very important new set of data in his examination of the similarities between the Kadesh Poem—the inscriptions on the monuments ereceted by the pharaoh Ramesses II celebrating his 1274 BCE victory over the Hittite empire—and the account in Exodus 13-15 of the encounter between the pursuing Egyptian forces and the Israelites on their flight into the wilderness. Any one of these similarities might be dismissed as coincidence. The assemblage of similarities, however, suggests that the exodus narrative, and especially the Song at the Sea in Exodus 15, draw on a text from precisely the era to which the exodus is usually dated. This suggestion is strengthened by the fact that many of the links between the two texts do not appear in other ancient Near Eastern poems, historical narratives, and myths.

An additional datum, unstressed by Berman, clinches his argument: the shared elements appear in the two texts in precisely the same order. Ancient traditions often invoked stock phrases and motifs, shared in any two texts that drew on those traditions. But the order of the elements is flexible. When two texts share a large number of elements in the same order, as they do in the case Berman brings to our attention, the likelihood is much higher that one is borrowing from the other.

All of this, taken together, comes as close as we can get in the study of ancient literature to proving that chapters 13-15 of Exodus, though composed in the middle of the first millennium, are based on traditions going back to the time of Ramesses II in the late second millennium. The exodus story is not a fiction invented by Israelites in the Iron Age.

This conclusion remains valid, moreover, even when we recognize that the biblical texts include the occasional anachronism (referring, for example, to camels and Philistines in the setting of the book of Genesis, though neither was present in Canaan then) as well as some telescoping. By the latter term, I mean a tendency to take complex processes and reduce them to neater narratives that are easier to tell. Thus, it is altogether possible, as a number of scholars have suggested, that the exodus was a series of events; Israelites, or proto-Israelites, may have been escaping from Egyptian bondage in small groups over generations. One group may have been led by a Levite named Moses, another by a Levite named Aaron; I am not sure that the two of them ever met. Furthermore, given the prominence of Levite tribesmen in the story of the exodus and their tendency to bear Egyptian names, I wonder whether it was specifically they who escaped Egyptian bondage. Their historical memory may then have been adopted by other Israelites who never left Canaan, and its commemoration may have become an essential element of pan-Israelite identity.

On Thanksgiving, millions of Americans participate enthusiastically in the central ritual meal of the United States, though the ancestors of only a fraction of them were on the Mayflower. It is entirely possible something similar happened in ancient Israel: as exodus-group Israelites linked up with Israelites who had always remained in the land of Canaan, the latter came in time to see themselves as if they, too, had left Egypt. By the time the accounts found in the book of Exodus were written down, the distinction between the two groups was moot, and was forgotten.

The ability of Israelites from clans that had not participated in an escape from Egypt to assimilate the memories of those who had may have been bolstered by their own ancestors’ memories of being forced to serve Egyptian imperial overlords in Canaan. Throughout much of the New Kingdom period, Canaanite city states were vassals to the Egyptians, and Canaanite peasants were forced into corvée labor on behalf of Egyptian projects there. Several scholars, including Ronald Hendel (Berkeley) and Nadav Na’aman (Tel Aviv), have argued that this experience of impressed labor was the basis for the historical memories underlying the exodus story; that is, according to Hendel and Na’aman, Israelites were slaves to Pharaoh of Egypt but not in Egypt.

Theories of servitude in Egypt and in Canaan are not mutually incompatible. An average Israelite in the Iron Age may have had ancestors who served Egyptians in each locale. In the end, biblical references to the exodus probably take a tangled complex of genuine historical memories and render them more manageable. Some details are surely fictional, but given the number that are authentic and could not have been invented by Iron Age storytellers, it seems clear that the overall thrust of the story—Israelites in the distant past were liberated from enslavement to the greatest empire of its time and place—is accurate.

Some Jews and Christians have been unnerved by the doubt cast by modern biblical criticism on the historical reliability of biblical texts. But the extent to which biblical criticism challenges believers who are not overly concerned with minutiae has been vastly exaggerated. To put it bluntly, there are no archaeological or historical reasons to doubt the core elements of the Bible’s presentation of Israel’s history. These are: that the ancestors of the Israelites included an important group who came from Mesopotamia; that at least some Israelites were enslaved to Egyptians and were surprisingly rescued from Egyptian bondage; that they experienced a revelation that played a crucial role in the formation of their national, religious, and ethnic identity; that they settled in the hill country of the land of Canaan at the beginning of the Iron Age, around 1300 or 1200 BCE; that they formed kingdoms there a few centuries later, around 1000 BCE; and that these kingdoms were eventually destroyed by Assyrian and Babylonian armies.

It is important to recognize the specious nature of claims that any of these elements is contradicted or even undermined by what archaeologists have or have not found. Those who put forward such claims seem to be unaware of the evidence actually available; even more importantly, they are unschooled in the nature of the evidence—that is, in what the evidence can and cannot prove. They seem similarly unaware that careful studies of the text of the book of Exodus, like that of Joshua Berman, have themselves uncovered patterns of details that render the core elements of the exodus narrative likely indeed.

Not only at Passover but also in Judaism’s daily liturgy and its weekly sanctification of the Sabbath, Jews proclaim that their identity is based on something that happened in history. They do not state that Judaism is based on an inspiring fiction or a metaphor (even if the story is inspiring and serves in important ways as a symbol). Details regarding what happened remain murky, but Jews reciting the benediction before the Shema each day or the kiddush on Friday night can, with a clear conscience, mean what they say.

Was Israel Taken out of Egypt, or Egypt out of Israel?

Why some scholars want to see the exodus as just a great story.

Last Word
Mosaic

March 23 2015


I thank my fellow biblicists Richard Hess, Ronald Hendel, and Benjamin Sommer for sharing their insights into the question of the historicity of the exodus. As I mentioned in my essay, more and more people are interested in what professional Bible scholars have to say about this issue, and the editors of Mosaic have done a true service by offering something unavailable elsewhere on the Web: an extended discussion from different perspectives, pitched to general readers and educated non-specialists. Readers need to know that one cannot rely on a single scholar’s blog post or essay any more than on the advice of a single surgeon or financial analyst. There is simply no such thing as “what biblicists say” on a given topic, since biblicists construe the data in different ways.

In the case of my essay, one particular construal is that of Ronald Hendel, who dismisses the extended parallels I identified between the “Kadesh Poem”—inscribed in monuments to the 1274 BCE victory of the pharaoh Ramesses II over his Hittite rivals—and the account of the Israelites’ departure from Egypt and the encounter at the sea in chapters 14 and 15 of Exodus. In rebuttal, Hendel claims that most of the motifs cited in my essay, far from being distinctive to these two sources, as I argued, were instead “formulaic and widely distributed” in ancient Egyptian literature.

This is a strong claim, so let’s set the record straight. No Egyptian composition other than the Kadesh Poem speaks of how the pharaoh’s troops fell into disarray when surprised by an enemy chariot force. No other Egyptian composition speaks of the pharaoh pleading to his god and being told to proceed forward in battle against all odds. No other Egyptian composition has defeated enemy troops vocally acknowledging the superiority of the Egyptian divinity who has been working against them. No other Egyptian composition describes (let alone visually portraying in a bas relief, as in the case of the Ramesses monuments) the drowning of the enemy force in a body of water. No other Egyptian composition describes how the pharaoh’s own formerly dispirited troops return to the battlefield, survey the enemy corpses, and erupt in a spontaneous, extended hymn.

Aside from the Poem’s reference to the enemy being consumed “like chaff” by the fire of the pharaoh, which appears in one additional source (itself likely influenced by the Kadesh Poem), not a single one of the motifs listed above appears anywhere else in Egyptian literature. But all of them do appear in this one case, and all of them match the account in Exodus. Moreover, they appear in these two sources in essentially the same sequence—thus further amplifying, as Benjamin Sommer argues in his own response, the persuasive force of the parallels I identify. And when, to these distinctive motifs, you add the Poem’s more widely attested motifs that I also cited—like the return of the victorious forces to the palace and the grant of eternal rule—the Kadesh Poem and the Exodus account can be seen to exhibit almost exactly the same order.

In brief, following the tradition of the Passover seder, we may say that had the book of Exodus listed a perfectly shared sequence of only widely attested motifs, but not motifs specific as well to the Kadesh Poem, dayeinu: this would have been sufficient to suspect a dependent relationship between the two. And were the motifs distinctive to the two compositions but not in the same order, likewise dayeinu. How much stronger, then, is the case of literary dependence when so many of the motifs are distinctive to the two compositions and appear in the same order. One needn’t possess the conflicted psychology of an Orthodox rabbi —in Ronald Hendel’s deconstruction of my supposed motivation—to recognize the force of this conclusion. I invite Professor Hendel—or anyone else of his opinion—to show me where I’m wrong via the Comments section at the end of this piece.

But, Hendel persists, even if my larger claim is correct, how does that relate to the question of whether there was an exodus? After all, he writes, “that biblical literature sometimes draws on old Egyptian motifs—in the Joseph story, in Egyptian influences in the books of Psalms and Proverbs, and elsewhere—is a well-established fact.” Why should the exodus be seen as other than a great story like the story of the Garden of Eden, and similarly “laced with mythical motifs”?

The reason is this. If my larger claim is correct, it would, for one thing, suggest an Israelite presence in Egypt, as there is no evidence that the Kadesh Poem was known outside Egyptian limits and no indication that it had resonance at any later period within Egypt itself. But, for another and more significant thing, the appropriation of the Kadesh Poem into Israelite culture suggests an Israelite audience that would understand and appreciate the literary re-deployment of royal Egyptian propaganda against the pharaoh himself. Besides, why would Israelites perpetuate a fantastic tale of salvation and victory over the pharaoh if, in fact, nothing on the ground had transpired at all? That they embraced and preserved this defiant transvaluation of royal propaganda suggests that they experienced a collectively transformative event, one that dramatically elevated their lot at the expense of a mighty regent.

Hendel, however, offers an alternative account for the origins of the exodus story. Egyptian hegemony had extended over Canaan for centuries. The native inhabitants of this region were, essentially, servants of the pharaoh. For Hendel, then, insofar as there may have been a reality behind the exodus story, it is not that Israel was taken out of Egypt but just the opposite—that Egypt was taken out of Israel. In its ethnic self-fashioning, Israel-in-Canaan then cast its oppression at the hands of pharaoh as bondage-in-Egypt.

Unfortunately, Hendel’s academic studies in this vein reveal no Scriptural support for the claim that the ancestors of Israel had resided in Canaan all along—as contrasted with the hundreds of references to a sojourn in Egypt. Nor does he produce any inscription from Canaan during this period that identifies the ancestors of Israel with Canaanites living under Egyptian rule.

Richard Hess, in his own response to my essay, notes helpfully that several Egyptian names found in the book of Exodus are known to us only from Egyptian sources from the mid-second millennium BCE. By Hendel’s reckoning, we would thus need to posit that the later authors of the exodus myth, bent on achieving a remarkable degree of verisimilitude, went to the trouble of incorporating names that were period-appropriate. Yet, as Hendel himself documents, there is an avalanche of evidence that Canaanites were enslaved and brought to Egypt, or migrated to Egypt in times of famine. Is it not simpler to maintain that the Exodus record contains Egyptian names because, in fact, there were Israelites in Egypt?

By the same token, is it not also highly unlikely that Israel, or any other ancient culture for that matter, would conflate forced slavery in exile with colonial oppression in its own land? Across the Bible, starting with the expulsion from Eden until the expulsion from Jerusalem, exile looms as the ultimate punishment—of an altogether different magnitude from subjugation at the hands of an oppressor in one’s own land. Exile and exile alone means cultural annihilation, rupture of continuity with the past, and a bleak future as a landless minority stripped of every shred of autonomy. Many biblical narratives recount Israel’s sufferings within its own land at the hands of external powers; never is that oppression confused with the memory of exile.

Nor is this unique to antiquity. To consider a more contemporary illustration, African peoples and their cultures suffered for centuries under European colonialism. Did any of them ever refer to such subjugation as tantamount in its ultimate severity to exile and enslavement in the New World? I would think not.

Hendel is not the only scholar to advance the hypothesis that the reality behind the exodus is that Egypt was taken out of Israel and not, as the Bible has it, the other way around. Introduced in the early 1990s, the theory has been gaining adherents ever since—coincidentally with the meteoric rise of “postcolonial” studies to its current position as the dominant force in the humanities. Postcolonialist scholars examine the corrosive interactions between colonizer and colonized as represented in the cultural products of both entities. The key premise of postcolonial studies is that a unique dynamic is set in play when a power exerts its control over another land, exploiting the native populace and resources for its own ends; correlatively, when the colonizer is overthrown, it becomes possible to trace how the formerly colonized revitalize themselves and fashion a new, “postcolonial” self-image.

Is it too much to postulate that, in imagining a past in which Israelites in their native Canaan suffer under the oppression of “colonial” Egypt, scholars have transformed Israel’s seminal tale into something that can find a respectable place at the table of the most recent academic fashion?

“In every generation, each person is obliged to view himself as if he came out of Egypt.” Ronald Hendel cites this line from the Mishnah, later incorporated into the Haggadah, as a prooftext: the exodus was not a “punctual” event, he writes, but has been happening continually for thousands of years. Each generation, in this reading, is called upon to narrate its emergence out of the shadow of slavery and into free existence.

This is surely a beautiful sentiment, but just as surely a misreading of the rabbinic dictum. The text is unambiguous in its use of the past tense: “each person is obliged to view himself as if he came out of Egypt,” not as if he is coming out of Egypt. On Passover night, we do not celebrate our own contemporary processes of liberation. Rather, we are called upon to reflect on the meaning of, precisely, a punctual event, and a historical event at that.

Voir enfin:

Bible ou archéologie – qui a raison ?

Binyamin Lachkar
The Times of Israel
30 septembre 2014

Quand on parle des contradictions entre la Bible et la Science, on pense souvent aux questions qui relèvent de la création de l’univers ou du sujet de l’évolution darwinienne. Comme je l’ai montré précédemment ( et ) il n’y a en fait pas de véritables problèmes entre ce qu’affirment les sciences dures – physique, biologie etc… – et la description des premiers jours de la création selon la Torah, au contraire même selon certains.

Les vrais contradictions apparaissent en fait après, dès l’apparition d’Adam, et aujourd’hui dans le débat sur la véracité de la Bible, l’essentiel du conflit tourne autour des évènements allant du séjour en Egypte au roi Salomon.

Il est acquis que les livres historiques de la Bible hébraïque, à partir de la division du royaume d’Israël en deux, sont en accord avec les découvertes archéologiques et scripturaires de l’ensemble de la région. Le problème, c’est que les découvertes et les textes ne collent plus, apparemment, avec ce qui précède.

Voyons quel est l’avis de l’archéologie biblique mainstream aujourd’hui: la sortie d’Egypte est traditionnellement datée vers -1450 (-1310 selon le calendrier rabbinique, mais celui-ci décale toutes les dates de plus d’un siècle jusqu’à Alexandre, et par souci de simplicité, je ne l’utiliserai pas).

Cependant, à cette date, Canaan était sous total contrôle égyptien ce qui semble rendre impossible que l’exode se soit produit à ce moment là. Ce n’est qu’après que ce contrôle se délita.

La stèle du pharaon Merenptah, datée de -1208, qui décrit une campagne militaire en Canaan, contient la première, et la seule, mention d’Israel par un texte égyptien : « Israël est détruit, sa semence même n’est plus. » Israel est ici présenté comme un peuple qui vit en Canaan. Donc l’exode a forcément eu lieu avant, probablement autour de -1250, sous Ramses II, le père de Merenptah.

C’est là que les problèmes commencent: on ne trouve aucune trace ni de l’exode, ni de la présence d’une masse d’esclaves sémites en Egypte à l’époque, ni d’un changement soudain de population en Canaan, ni de destruction de villes. Jericho était en ruine au moment supposé de l’arrivée des Israélites en Canaan.

Au point que certains archéologues, comme le professeur Israel Finkelstein de l’université de Tel Aviv, en sont arrivés à imaginer que les Israélites étaient en fait des Canaanéens qui auraient développé une nouvelle identité.

Cette conclusion révolutionnaire a cependant un défaut – elle est en totale contradiction avec toute la tradition israélite et le bon sens. Que des peuples s’inventent des mythes fondateurs glorieux est courant, mais aucun peuple ne s’est jamais inventé une origine d’esclaves misérables dans un autre pays.

Si les enfants d’Israel n’ont pas été esclaves en Egypte, si Moise n’a pas existé, si l’exode n’a pas eu lieu, d’où sortent ces nouveaux récits et comment ont-ils pu être acceptés par le peuple ? C’est justement pour cette raison que la majorité des historiens continuent de penser qu’il y a bien eu un exode.

Remarquez aussi que la stèle de Merenptah est étrange: nous ne savons pas à quoi il est fait référence. Il n’y a aucune source évoquant une quelconque opération de ce pharaon en Canaan ou même ailleurs, et rien qui soit resté dans la tradition d’Israel d’une invasion égyptienne peu de temps après l’exode.

Mais les contradictions avec le récit biblique ne s’arrêtent pas là, les principales tenant à l’ampleur des royaumes de David et Salomon. La réalité historique de David ne fait plus de doutes aujourd’hui depuis qu’on a retrouvé une stèle moabite en 1993, datant du 9ème siècle avant l’ère chrétienne, évoquant la « maison de David ».

Mais toujours d’après Finkelstein et ses partisans, si David et Salomon ont existé, ils étaient au mieux des chefs de village, régnant sur une territoire pauvre, minuscule, sous développé et peu peuplé. Les ruines de bâtiments monumentaux à Meggido et d’autres endroits attribués à Salomon, dateraient en fait, pour Finkelstein, de la période de la dynastie d’Omri, un siècle après.

Ces dernières années, plusieurs fouilles dirigées par les archéologues de l’université hébraïque de Jérusalem sont venues contredire ces affirmations et laissent penser qu’au contraire David et Salomon régnaient sur un véritable état organisé et moderne. Mais leurs découvertes ne font pas encore l’unanimité et sont rejetées par Finkelstein.

L’archéologie a bien sur ses limites. Plus on remonte loin dans le temps et moins il reste de traces. La plupart des artefacts du passé ont été détruits et il ne reste aujourd’hui qu’une infime fraction de ce qui existait à l’époque, aussi on ne peut pas affirmer que l’absence de preuves est une preuve de l’absence.

Cependant, en regardant bien il se pourrait que le noeud du problème ne se situe pas chez les archéologues bibliques, mais chez leurs confrères égyptologues pour une simple histoire de dates.

Après tout, la date traditionnelle de l’exode est généralement située entre -1500 et -1450, pas en -1250. Peut-être que les archéologues ne trouvent rien parce qu’ils ne regardent pas au bon endroit ?

C’est la thèse défendue par de nombreux chercheurs, pas toujours issus du monde académique (ce qui n’est pas un défaut), chacun ayant sa version de ce qui s’est réellement passé. Il faut comprendre qu’en remontant un peu en arrière dans l’histoire égyptienne on trouve immédiatement des tas de choses qui rappellent étrangement le récit biblique: la domination du nord de l’Egypte, exactement là où se trouvaient les Israélites dans la Bible, par les Hyksos originaires de Canaan ; la conversion d’Akhenaton au monothéisme ; l’évocation permanente des mystérieux « Habiru », souvent identifiés aux « Hébreux », semeurs de troubles en Canaan ; les esclaves sémites qui vivaient bien à cette époque plus reculée en Egypte et ont inventé un alphabet pour une langue qui pourrait être l’hébreu dans le Sinai – un alphabet dont sont originaires tous les alphabets du monde.

De nombreuses thèses essaient de concilier ces faits avec la Bible et l’archéologie. Mais certains vont encore plus loin en remettant en cause toute la chronologie égyptienne utilisée depuis le 19ème siècle.

Le plus radical d’entre eux est l’archéologue et égyptologue David Rohl dont la thèse, appelée « Nouvelle Chronologie », avance toutes les dates de l’Egypte ancienne de 300 ans jusqu’à la prise de Thèbes par les Assyriens en -664, date à partir de laquelle toutes les chronologies s’accordent.

La thèse de Rohl, développée depuis 20 ans, n’est pas la seule à remettre en question la chronologie classique, mais c’est la plus révolutionnaire.

Il se trouve que la chronologie égyptienne antique est, pour parler clairement, un énorme foutoir, qu’aucune date n’est vraiment certaine, que beaucoup de choses ne sont pas vraiment connues, et que d’énormes contradictions ou anomalies inexplicables se logent dans la chronologie actuelle.

En déplaçant les dates, subitement, d’après Rohl, l’archéologie et la Bible correspondent parfaitement. Joseph aurait alors été le vizir d’un pharaon de la XIIème dynastie et on a retrouvé une statue de lui ainsi que son tombeau.

Le pharaon de l’exode aurait été Dedumose, en -1450, et c’est le départ des 30 à 40 000 Israélites (il lit « alafim » comme « alufim » et donc arrive à ce chiffre) qui, en mettant l’Egypte à genou, aurait permis l’invasion des Hyksos – les Amalécites de la Bible.

Plus tard, ces premiers Hyksos (appelés Amu par les égyptiens) auraient été eux-mêmes conquis par une alliance de peuples indo-européens dont les Philistins issus du monde grec (les Shemau en égyptien), et ces derniers, après avoir été expulsés d’Egypte par la reconquête des pharaons de Thèbes, se seraient réfugiés dans le sud-ouest de Canaan d’où ils auraient servi de force de police aux égyptiens.

Pendant que les Israélites passaient la période des Juges – et selon Rohl l’archéologie montre bien la conquête israélite de Canaan a ce moment là – l’Egypte entrait dans sa période impériale et menait des guerres jusqu’en Syrie, ignorant essentiellement les tribus barbares des montagnes de Canaan et se souciant surtout des routes commerciales.

Rohl situe Akhenaton à la fin de la période des Juges et comme contemporain du roi Shaul et il prend pour preuve les lettres d’Amarna. Ces dernières sont des échanges diplomatiques retrouvés sur le site d’Amarna, là où s’élevait la capitale d’Akhenaton, entre le pharaon et divers souverains, vassaux et potentats locaux du moyen-orient. La chronologie traditionnelle situe ces lettres entre -1370 et -1350 mais pour Rohl elles datent de -1020 à -1000.

Il identifie le roi Shaul comme le seigneur de guerre Labaya des lettres (Lavi-Ya, le lion de Dieu, qui aurait été le vrai nom de Shaul, ce dernier étant son nom de règne). Labaya régnait sur exactement le même territoire, avait un fils dénommé Mutbaal ce qui signifie « homme de Baal » tandis que le fils de Shaul dans la Bible se nommait Ishbaal – « homme de Baal » aussi ; il est mort dans une bataille contre les Philistins, trahi par ses alliés, plus ou moins comme Shaul ; son fils survivant a été assassiné, comme Ishbaal ; et son successeur se nommait Dadoua/Tadoua, une traduction hourrite de David, dont le vrai nom était Elkhanan (il tient ça de Targum Yonathan, pas des lettres d’Amarna). Le général en chef de Dadoua se nommait Ayab (celui de David, Yoav) etc…

Il y a quelques difficultés avec ces identifications, comme le fait que dans la Bible, Shaul n’était pas un vassal de l’Egypte (encore que justement ça aurait été logique) ou que Labaya a été arrêté et devait être extradé vers l’Egypte mais a corrompu ses gardes et s’est enfui, un épisode inconnu de la Bible, ou bien qu’il ne semblait pas parler hébreu.

David a pu alors construire un royaume puissant, profitant de la faiblesse égyptienne après le désastre que fut le règne d’Akhenaton, et Salomon a su se positionner en partenaire commercial de l’Egypte et a aidé Ramses II lors de la bataille de Kadesh contre les Hittites. Après la mort de Salomon, Ramses II, allié au nouveau royaume d’Israel est le pharaon, appelé Shishak dans la Bible, qui a pris Jérusalem et volé le trésor du Temple, et la stèle de Merenptah commémore cet évènement. Tout devient clair.

Nous arrivons là à un point central de la thèse et en fait de toute la construction chronologique de l’Egypte ancienne. Aussi surprenant que cela puisse paraitre, et à ma grande stupéfaction lors de mes recherches sur le sujet, en définitive la chronologie classique ne repose pas sur beaucoup d’éléments concrets: entre autres, les textes de Manetho,  prêtre égyptien du 3ème siècle avant l’ère chrétienne, et l’identification par Champollion de Shishak avec le pharaon Shoshenq I à partir de laquelle on a tiré toutes les autres dates.

Les Juifs se rappellent de Manetho surtout comme étant l’auteur d’un anti-exode où il décrivait le point de vue égyptien sur l’évènement, assimilant les Israélites à des lépreux et des voleurs, et les liant aux Hyksos. Il fut aussi l’un des inventeurs de l’antisémitisme. Et il a retranscrit les listes des rois d’Egypte. Enfin, nous n’avons pas ses textes originaux mais juste ce que Flavius Josèphe en cite, ainsi qu’Eusebius et Africanus, des versions largement corrompues. Mais c’est à partir de ça que toute l’égyptologie s’est construite.

L’identification Shishak-Shoshenq semble aller de soit, et Shoshenq a mené une campagne militaire en Israel. Mais justement, Shishak lui, non. Il l’a mené contre Judah en alliance avec Israel. Or, Shoshenq ne cite que des villes prises en Israel, aucune en Judah. Comme on ne peut pas à la fois se baser sur la Bible pour identifier Shishak et ensuite la rejeter en disant qu’elle est inexacte, il parait difficile d’accepter l’identification entre Shishak et Shoshenq.

Ramses II, de son nom de trône, Usermaatre Setepenre Ramses, était, d’après Rohl, plus connu du peuple sous le nom de Sysa, probablement prononcé Shysha en hébreu. Le q final étant peut-être un jeu de mot. C’est donc lui le Shishak de la Bible et toute la chronologie est avancée de 300 à 350 ans.

La nouvelle chronologie de Rohl ne se contente pas d’accorder la Bible avec l’archéologie, elle bouleverse complètement toute l’histoire antique telle que nous la connaissons. Ainsi les Hittites ne disparaissent plus au 12ème siècle avant l’ère chrétienne mais au 9ème au moment des invasions des peuples de la mer suite à la guerre de Troy finie vers -863.

Ce qui signifie que Homère n’a pas écrit l’Iliade et l’Odyssée des siècles après les évènements supposés mais juste quelques dizaines d’années. Et qu’il n’y a eu aucun mystérieux « Age sombre » en Grèce durant lequel les Grecs auraient subitement perdu la connaissance de l’écriture et abandonné leurs villes pour tout redécouvrir après, mais une parfaite continuité historique entre l’âge héroïque et l’âge classique.

Les thèses de Rohl ou d’autres du même genre sont soutenues pas un petit nombre de chercheurs, mais le mainstream égyptologue ne les a pas acceptées. En général, ses travaux sont considérés comme sérieux et les questions qu’ils posent comme intéressantes, mais il n’a pas convaincu.

En science, malheureusement, les nouvelles idées ne s’imposent pas parce qu’elles ont su convaincre les chercheurs, mais parce que ceux qui s’y opposent finissent pas mourir et une nouvelle génération sans idées préconçues les accepte. Rohl espère appartenir à cette catégorie. Il a de très nombreux arguments qui confirment sa thèse, notamment les correspondances quasi-parfaites entre les dates de la nouvelle chronologie et les descriptions d’éclipses solaires ou lunaires de textes anciens, alors que les dates ne collent souvent pas avec la chronologie traditionnelle. Mais il y a de vraies raisons de ne pas être totalement convaincu.

Plusieurs tests au carbone 14 ont été menés et ils tendent à confirmer les dates de la chronologie classique. Mais pas toujours. Parfois ils donnent des dates encore plus anciennes et complètement impossibles à accepter. Ce qui fait que de plus en plus de chercheurs rejettent tout simplement cette méthode de confirmation. Mais en attendant elle contredit Rohl et ses semblables.

Ensuite le vrai problème de la chronologie de Rohl n’est pas juste de bouger des dates mais aussi des ères archéologiques. Les archéologues de l’antiquité  découpent la période en « Age de Bronze » et « Age de Fer », eux-mêmes divisés en sous périodes. La nouvelle chronologie implique de faire passer des évènements qu’on identifiait à l’âge de fer vers l’âge de bronze, sauf que cela ne correspond pas aux résultats des fouilles, et si Salomon par exemple devient un roi de l’âge de bronze, le problème c’est qu’une bonne partie des villes d’Israel n’existaient pas à ce moment là, apparemment.

Néanmoins même si la solution apportée par Rohl est erronée, la chronologie actuelle est intenable et induit tout le monde en erreur. Peut-être faut-il effectivement attendre qu’une génération meure et qu’une nouvelle, à l’esprit non corrompue par de vieilles idées, nous fasse entrer en terre promise.

Voir par ailleurs:

Laurent Dandrieu

Valeurs actuelles

25 mars 2018

Cinéma. Comme “la Prière”, le splendide film de Cédric Kahn sorti mercredi en salles, plusieurs longs-métrages récents traitent de Dieu et de la foi. Un retour du sacré au cinéma pour le moins inattendu.

Ce qu’il y a de bien avec la grâce, c’est qu’elle frappe où elle veut, quand elle veut, et qu’elle se plaît à déjouer avec gourmandise toutes les prévisions savantes fondées sur les grandes tendances sociologiques et les prédictions des experts en prospective. L’état de la foi chrétienne en Occident comme la situation idéologique de l’industrie du cinéma ne semblent pas prédisposer, par exemple, à un retour en masse des sujets religieux sur le grand écran. Et pourtant, en quelques semaines, les films à thématique chrétienne se sont comme bousculés au portillon.

Le bal a été ouvert par l’Apparition, de Xavier Giannoli (Valeurs actuelles du 15 février), qui voyait un journaliste incarné par Vincent Lindon mener une enquête canonique sur la réalité d’apparitions mariales. Plus apologétique, Jésus, l’enquête, de Jon Gunn (Valeurs actuelles du 1er mars) racontait sous forme fictionnelle l’histoire véridique d’un journaliste d’investigation américain, Lee Strobel, athée militant qui, affolé de voir sa femme se tourner vers le christianisme, décidait de mener l’enquête pour prouver que la Résurrection était une supercherie… Ce 21 mars est sorti sur nos écrans la Prière, de Cédric Kahn, qui raconte l’itinéraire d’un jeune drogué qui réussit à vaincre sa toxicomanie dans une communauté catholique. Enfin, le 28 mars, ce sera au tour de Marie Madeleine, une biographie de la disciple de Jésus, incarnée par Rooney Mara.

Il y a quelque temps encore, un tel déferlement aurait été impensable. Pendant des décennies pourtant, le christianisme avait été un sujet comme un autre, et les films bibliques (les Dix Commandements, de Cecil B. de Mille, 1956), les vies de saints (l’admirable Monsieur Vincent, de Maurice Cloche, 1947) ou les récits d’apparition (le Chant de Bernadette, d’Henry King, 1943) faisaient naturellement partie du paysage : dans Quand le christianisme fait son cinéma, Bruno de Seguins Pazzis en recense plus de 1 200 (lire notre encadré). Mais la révolution libertaire des années 1960 avait changé la donne : depuis la Religieuse, de Jacques Rivette (1967), on ne parlait plus guère de la foi chrétienne que pour s’en moquer (Mon curé chez les nudistes, 1983, un million d’entrées !), polémiquer (Amen, de Costa-Gavras, 2002) voire blasphémer (de la Dernière Tentation du Christ, de Scorsese, 1988, au Jeanne d’Arc de Luc Besson, 1999). Quand Pialat est sifflé à Cannes pour la Palme d’or de Sous le soleil de Satan (1987), ce n’est pas le cinéaste qui est hué, mais le trop grand respect qu’il a témoigné à son personnage de saint prêtre. Comme il faut toujours des exceptions à la règle, le Thérèse d’Alain Cavalier avait obtenu quelques mois plus tôt le césar du meilleur film, mais c’est sans doute parce qu’il montrait la sainte de Lisieux d’une manière trop atypique pour heurter la bien-pensance anticléricale.

Aux États-Unis, le tournant se produit en 2004. C’est pourtant hors du système que Mel Gibson, animé par sa foi personnelle, réalise la Passion du Christ et le film, absurdement accusé d’antisémitisme et critiqué pour sa réelle violence, est entouré de vives polémiques. D’une force émotionnelle et d’une profondeur mystique intenses, il n’en est pas moins un énorme succès et récolte plus de 600 millions de dollars de recettes (l’acteur qui incarnait Jésus, Jim Caviezel, a récemment confirmé que Gibson l’avait embauché pour un film à venir sur la Résurrection). Hollywood se rend compte alors de l’importance du “marché chrétien” et se met à produire des films à destination de ce public. Sony crée même une filiale à cet effet, Affirm Films, qui a produit une trentaine de films allant du récit biblique (la Résurrection du Christ, 2016, Paul, Apostle of Christ, qui sort ce 23 mars aux États-Unis, avec Jim Caviezel dans le rôle de saint Luc) au film édifiant (Miracles du ciel, 2016).

C’est sur cette vague-là que tente de surfer Marie Madeleine, de Garth Davis, qui sort chez nous le 28 mars. La magnifique Rooney Mara y incarne joliment une Marie Madeleine pleine de douceur, qui tranche avec les autres disciples, toujours prompts à projeter sur le Christ (Joaquin Phoenix, complètement hors sujet) leurs propres aspirations, quand elle se contente de se mettre à son écoute : cette disponibilité du coeur lui vaudra d’être le premier témoin de la Résurrection. Mais on comprend vite, hélas, que si le film met en valeur Marie Madeleine (elle n’est pas ici une prostituée repentie, juste une femme qui s’est révoltée contre le mariage que voulait lui imposer sa famille), c’est pour mieux l’opposer aux autres disciples, ceux qui ont fondé l’Église catholique en trahissant le message du Christ… Ce film d’inspiration protestante se termine ainsi en pamphlet anticatholique, guère plus sérieux que le Da Vinci Code.

En France, malgré les efforts de la maison de distribution catholique Saje pour diffuser ce cinéma religieux américain sous nos latitudes, le succès n’est pas toujours au rendez-vous, et même le très bon Cristeros n’a pas dépassé les 82 000 spectateurs. Au cinéma apologétique, le public français préfère les auteurs qui s’interrogent sur la foi, avec la liberté du doute. Quelques francs-tireurs ont ainsi su faire fi de l’anticléricalisme ambiant pour se lancer sur ce terrain miné. Un basculement se produit avec le triomphe du magnifique Des hommes et des dieux, de Xavier Beauvois (2010), où ce cinéaste athée relatait avec une fidélité scrupuleuse le martyre des moines de Tibhirine.

Ce même respect se retrouve aujourd’hui dans l’Apparition, dont le réalisateur, Xavier Giannoli, se dit encore marqué par son éducation catholique, mais sans pouvoir aujourd’hui envisager la foi autrement que comme un mystère. Sans se prononcer sur la réalité de l’apparition qu’il décrit, le film aborde le sujet avec une honnêteté remarquable, et rend notamment hommage à la volonté de l’Église de ne pas donner prise à la superstition, comme l’explique un prêtre à l’enquêteur joué par Vincent Lindon : « L’Église préférera toujours passer à côté d’un phénomène véritable plutôt que de valider une imposture ; toujours. » À la fin du récit, le cinéaste laisse son personnage au seuil de la foi, sans qu’on sache s’il pourra un jour franchir la porte — position où il se tient sans doute lui-même. Au Figaro, il résumait ainsi le projet de son film : « J’avais envie de montrer que la foi peut être un choix libre et éclairé. »

Plus encore que Xavier Giannoli, Cédric Kahn (qui a décliné notre demande d’entretien, arguant que notre journal serait « trop loin de ses idées ») est étranger à la foi. Il se dit agnostique et aucun de ses films précédents n’avait témoigné de préoccupations religieuses. Dans la Prière, ce qui l’a intéressé, c’est sans doute avant tout le contraste, découvert dans des communautés chrétiennes réelles qui viennent en aide à des toxicomanes, entre l’univers de la drogue et celui de la foi. « La drogue, déclare-t-il à l’hebdomadaire la Vie, c’est presque la définition de la non-croyance. La drogue, c’est une non-foi en la vie, un non-projet. En revanche, la foi, c’est aller vers le plein. »

D’une justesse merveilleuse, refusant tout effet scénaristique facile, sans acteurs connus (sauf Hanna Schygulla, qui joue la fondatrice de la communauté dans une scène dérangeante où l’on peut se demander si elle n’a pas succombé à la tentation de la “gouroutisation”), la Prière décrit avec une simplicité évangélique un itinéraire, celui du jeune Thomas (Anthony Bajon, dont l’apparence un peu fruste cache un acteur d’une sensibilité merveilleuse), qui débarque, comme on abat sa dernière carte dans une partie dont l’enjeu est la vie ou la mort, dans une communauté chrétienne perdue dans la montagne. Les règles y sont simples : sevrage absolu, compagnonnage permanent d’un aîné plus avancé dans le processus de désintoxication, travail physique et, surtout, prière constante, qu’on y croie ou qu’on n’y croie pas.

Thomas n’y croit pas et, lorsqu’il arrive, il n’est qu’un bloc de révolte et de souffrance, qui ne peut être qu’horripilé par ce qu’il voit comme des enfantillages. Mais l’envie de s’en sortir est la plus forte, Thomas s’accroche ; il commence par percevoir l’effet apaisant de la prière puis, peu à peu, le sens des paroles l’imprègne, jusqu’à comprendre que l’ailleurs radical qu’il cherchait faussement dans la drogue, c’est dans la prière qu’il peut l’atteindre. Dès lors, les psaumes qu’il connaît désormais par coeur ne sont plus seulement une nouvelle drogue, tranquillisante : ils deviennent une protection, un ami intime dont une épreuve va lui permettre de mesurer qu’il tient ses promesses : « Seigneur, que mes persécutions sont nombreuses ! Plusieurs s’élèvent contre moi ! […] Mais toi, Seigneur, tu es un bouclier pour moi, tu es ma gloire et tu me relèves la tête. » (Psaume 3).

Le rendez-vous de la faiblesse et de la grâce

Il y a quelque chose de miraculeux dans la manière dont Cédric Kahn a réussi à capter cet itinéraire sans jamais tomber dans le pathos ou la mièvrerie, gardant la bonne distance qui laisse le spectateur, seul, juger de l’expérience qu’il observe, l’accepter ou la rejeter. Sans que cette émotion soit sollicitée par des effets de mise en scène racoleurs, il est difficile en tout cas de ne pas se laisser émouvoir jusqu’aux larmes par le chemin parcouru par Thomas, par ses douleurs, ses épreuves, sa ténacité, par la façon dont il passe de la noirceur de la révolte à la lumière de la confiance retrouvée. En captant la façon dont la faiblesse, dans la prière d’abandon qui lui sert de refuge, a rendez-vous avec la grâce qui protège et qui sauve, Cédric Kahn a réalisé, peut-être à son propre insu, un grand film mystique.

En adhérant à la voie proposée par cette communauté, Thomas cherchait sans doute un père de substitution, et l’a d’une certaine façon trouvé. Mais, la dernière scène le prouve magnifiquement, ce père invisible lui a surtout fait le plus beau des cadeaux : la liberté, sans laquelle il n’est pas possible d’aimer. La liberté d’aimer : voilà sans doute, semble nous dire Cédric Kahn, le plus précieux de tous les dons de la foi.

Voir encore:

‘Paul, Apostle of Christ’: Critics Hate It, the People Love It

Those critics who bothered, or who were given an opportunity to review the latest faith-based movie Paul, Apostle of Christ, dumped all over it at a 75 percent rate; the audience score, however, is a healthy 93 percent approval, according to Rotten Tomatoes.

Opening wide in 1,473 theaters this weekend, Paul, the Apostle of Christ stars Jim Caviezel and tells the story of Saint Paul (James Faulkner) who, as Saul of Tarsus, was a fierce persecutor and murderer of Christians. After his famous conversion (31 – 36 AD) on the Road to Damascus, Saul became Paul and, filled with the Holy Ghost, became one of the most important figures in early Christianity. Fourteen of the 27 books in the New Testament are attributed to Paul. He was martyred in Rome sometime between 64-68 AD.

Caviezel, who played Jesus in Mel Gibson’s 2004 record-breaking blockbuster The Passion of the Christ, plays Saint Luke here, a companion of Paul’s who is believed to have written one of the four Gospels (The Gospel of Luke), which tells the story of Christ’s time here on earth. Many scholars believe that whoever wrote The Gospel of Luke also wrote Acts of the Apostles.

Luke is not written as a personal eyewitness account, Acts is.

Of the 20 critics who reviewed Paul, Apostle of Christ, 15 gave it a negative review, which means it has a 25 percent rotten rating at Rotten Tomatoes.

Despite its wide release, the success of The Passion, and last week’s shocking success of I Can Only Imagine — a $7 million faith-based film that has already earned $23 million and currently the second most popular movie in America (beating even Tomb Raider, which was released on the same weekend) — the far-left Los Angeles Times found Paul worthy of only a four-paragraph review that writes the movie off as “ponderous” and snarks at Caviezel as a “suitably serious, Bible-flick-ready actor.”

Over at the left-wing Variety, the negative review can best be described as a oh-so-Woke non sequitur that finds the Crusades relevant, even though the Crusades came hundreds of years after Paul’s martyrdom:

Like its namesake, “Paul, Apostle of Christ” is dedicated to “all who have been persecuted for their faith,” though nothing about the film suggests tolerance of religions other than Christianity. As a final assignment in a college medieval history course, my fellow students and I were expected to write a 10-page essay summarizing the entire semester from a single prompt: “In the long run, who won, the Christians or the Romans?” This film depicts circumstances as they were in 67 A.D., but after Constantine converted to Christianity in the early 4th century, the persecuted became the powerful, and the church went on to sanction the execution of heretics, the Crusades, the Spanish Inquisition and so on.

The Wrap’s review also brings some Woke into it. “Naturally, no sticking points about Paul’s legacy, like his (disputed) rejection of female church leaders, make it into Hyatt’s script,” the reviewer complains … naturally.

Nevertheless, of the 287 audience members who rated the movie on Rotten Tomatoes, a full 93 percent said they “liked it.” The movie held some sneak previews Thursday night.

As of now, Paul, the Apostle of Christ, is predicted to open to $4.3 million.

As we head into Easter (April 1), a third faith-based title opens next weekend, the third entry in the popular God’s Not Dead series — God’s Not Dead: A Light In Darkness, which lands in 1,500 theaters.

Voir de plus:

Rooney Mara as the titular Mary.

Rooney Mara, the star of this Easter’s biblical epic Mary Magdalene, complained bitterly in 2015 about her role in the Hollywood whitewashing controversy surrounding Joe Wright’s film Pan.

In Pan, Mara – who is white – played Native American character Tiger Lily, a casting decision which drew sharp criticism and over 96,000 signatures in a petition protesting the whitewashing of the film. In an interview with The Telegraph, Mara lamented:

I really hate, hate, hate that I am on that side of the whitewashing conversation. I really do. I don’t ever want to be on that side of it again. I can understand why people were upset and frustrated.

And yet here we are. Mary Magdalene is the latest in a long line of Hollywood-produced biblical films to whitewash its cast. The classic biblical epic The Ten Commandments kicked off the trend in the 1950s. More recently, Ridley Scott’s biblical blockbuster Exodus attracted widespread criticism and a social media boycott campaign for having a white cast.

While Mary Magdalene’s director, Garth Davis, avoids being as boorish as Scott, who infamously told Exodus boycotters to “get a life” in his response to whitewashing allegations, he still managed to sidestep the issue, saying:

For me, the most critical, important thing was that I made the most emotionally compelling Mary and Rooney just has such a unique quality. She has an otherworldliness, and in her silences – there’s no other actress like her – she just creates these universes. And all of that was just so critical in bringing to life Mary’s character, so I felt that I had to choose that.

Nevertheless, the Mary Magdalene film is troubling for its lack of diversity. While its portrayal of Judas, played by Tahar Rahim – who is of French Algerian descent – might seem to be a positive development from previous popular cultural representations of the character, there are other problems, too.

White Jesus

Jesus is also played by a white actor: Joaquin Phoenix. Phoenix is a talented performer, but his Christ delivers lines as if he’s stoned and mansplains forgiveness to women who express anger about rape and femicide – a particularly galling scene given the film’s links with Harvey Weinstein (Weinstein’s company was the film’s US distributor) and that it’s been hailed as a feminist film. Alongside Mara, whose complexion often matches her cream outfits, the whiteness of the actors in the film is startling.

Jesus (Phoenix) and Mary (Mara) in the new Mary Magdalene film. Transmission Films.

Stranger still is the bizarre, and seemingly unnecessary, array of accents in the film. While the white leads, Phoenix and Mara, get to speak in their natural American notes, other characters, such as the main black actor Chiwetel Ejiofor, who plays Peter, affect a variety of accents. Ejiofor – who has won a flurry of awards, including a best actor Oscar for 12 Years A Slave, over the years – swaps his natural English accent for a generic “African” accent. This proves to be a problematic move.

Chiwetel Ejiofor’s discusses Mary Magdalene in his natural English accent.

Clearly, given his natural speaking voice, Ejiofor’s African accent in the film is a deliberate directorial choice. If being African was an essential part of the characterisation of Peter, then one wonders why Davis didn’t just hire an African actor. As it stands, it’s strikingly peculiar in the film that Ejiofor puts on an accent while others – the lead white actors – do not.

Unfortunately, Peter’s faux-African accent tends to signify negative racial and ethnic stereotyping in the film. Peter repeatedly proves himself to be the misogynist in the apostle group. While the other apostles embrace Mary Magdalene and, in the case of Judas, become her friend, Peter remains as hostile to Mary at the end of the film as he is at the start.

Peter – played by British actor Chiwetel Ejiofor. Transmission Films.

Misogynist?

In the scene when Mary leaves her family to join the apostles, Peter says that she will divide them, a sentiment he repeats in their final scene together (an episode borrowed from The Gospel of Mary) when, after she is the first apostle to witness the resurrected Jesus, he tells her that she has “weakened” the group.

In another scene where Peter and Mary come across a town ransacked by Romans, Mary rushes to the aid of the starving and suffering inhabitants. Peter, however, tells an appalled Mary that they don’t have time to help. The character of Peter, then, is in danger of portraying black African men as regressive, misogynistic and self-serving.

Despite the assurances of Davis that the whitewashing of the Mary Magdalene movie was merely a side effect of making the best casting choices, the film remains troubling in its representations of race.

Mara may well hate being on the wrong side of such controversies but while Hollywood fails to take seriously racial and ethnic representations, then the dubious tradition of whitewashing in its films will continue.

Voir enfin:

Jesus wasn’t white: he was a brown-skinned, Middle Eastern Jew. Here’s why that matters

Robyn J. Whitaker
Hans Zatzka (Public Domain)/The Conversation

Bromby Senior Lecturer in Biblical Studies, Trinity College, University of Divinity

28 March 2018

I grew up in a Christian home, where a photo of Jesus hung on my bedroom wall. I still have it. It is schmaltzy and rather tacky in that 1970s kind of way, but as a little girl I loved it. In this picture, Jesus looks kind and gentle, he gazes down at me lovingly. He is also light-haired, blue-eyed, and very white.

The problem is, Jesus was not white. You’d be forgiven for thinking otherwise if you’ve ever entered a Western church or visited an art gallery. But while there is no physical description of him in the Bible, there is also no doubt that the historical Jesus, the man who was executed by the Roman State in the first century CE, was a brown-skinned, Middle Eastern Jew.

This is not controversial from a scholarly point of view, but somehow it is a forgotten detail for many of the millions of Christians who will gather to celebrate Easter this week.

On Good Friday, Christians attend churches to worship Jesus and, in particular, remember his death on a cross. In most of these churches, Jesus will be depicted as a white man, a guy that looks like Anglo-Australians, a guy easy for other Anglo-Australians to identify with.

Think for a moment of the rather dashing Jim Caviezel, who played Jesus in Mel Gibson’s Passion of the Christ. He is an Irish-American actor. Or call to mind some of the most famous artworks of Jesus’ crucifixion – Ruben, Grunewald, Giotto – and again we see the European bias in depicting a white-skinned Jesus.

Does any of this matter? Yes, it really does. As a society, we are well aware of the power of representation and the importance of diverse role models.

After winning the 2013 Oscar for Best Supporting Actress for her role in 12 Years a Slave, Kenyan actress Lupita Nyong’o shot to fame. In interviews since then, Nyong’o has repeatedly articulated her feelings of inferiority as a young woman because all the images of beauty she saw around her were of lighter-skinned women. It was only when she saw the fashion world embracing Sudanese model Alek Wek that she realised black could be beautiful too.

If we can recognise the importance of ethnically and physically diverse role models in our media, why can’t we do the same for faith? Why do we continue to allow images of a whitened Jesus to dominate?

Jim Caviezel in Mel Gibson’s 2004 film The Passion of the Christ. IMDBMany churches and cultures do depict Jesus as a brown or black man. Orthodox Christians usually have a very different iconography to that of European art – if you enter a church in Africa, you’ll likely see an African Jesus on display.

But these are rarely the images we see in Australian Protestant and Catholic churches, and it is our loss. It allows the mainstream Christian community to separate their devotion to Jesus from compassionate regard for those who look different.

I would even go so far as to say it creates a cognitive disconnect, where one can feel deep affection for Jesus but little empathy for a Middle Eastern person. It likewise has implications for the theological claim that humans are made in God’s image. If God is always imaged as white, then the default human becomes white and such thinking undergirds racism.

Historically, the whitewashing of Jesus contributed to Christians being some of the worst perpetrators of anti-Semitism and it continues to manifest in the “othering” of non-Anglo Saxon Australians.


Pour en savoir plus : What history really tells us about the birth of Jesus


This Easter, I can’t help but wonder, what would our church and society look like if we just remembered that Jesus was brown? If we were confronted with the reality that the body hung on the cross was a brown body: one broken, tortured, and publicly executed by an oppressive regime.

How might it change our attitudes if we could see that the unjust imprisonment, abuse, and execution of the historical Jesus has more in common with the experience of Indigenous Australians or asylum seekers than it does with those who hold power in the church and usually represent Christ?

Perhaps most radical of all, I can’t help but wonder what might change if we were more mindful that the person Christians celebrate as God in the flesh and saviour of the entire world was not a white man, but a Middle Eastern Jew.


Terrorisme: Cet islam qui tue (Unsafe at any speed: why after decades and tens of thousands of wrongful deaths and injuries should we let Islam Inc. brazenly play on with our safety ?)

24 mars, 2018
/
Map of the global terrorism shows that we live in dangerous times - GeoawesomenessIl n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. Jésus (Jean 15: 13)
Je suis avec vous : affermissez donc les croyants. Je vais jeter l’effroi dans les coeurs des mécréants. Frappez donc au-dessus des cous et frappez-les sur tous les bouts des doigts. Ce, parce qu’ils ont désobéi à Allah et à Son messager. Le Coran (8: 12-13)
La même force culturelle et spirituelle qui a joué un rôle si décisif dans la disparition du sacrifice humain est aujourd’hui en train de provoquer la disparition des rituels de sacrifice humain qui l’ont jadis remplacé. Tout cela semble être une bonne nouvelle, mais à condition que ceux qui comptaient sur ces ressources rituelles soient en mesure de les remplacer par des ressources religieuses durables d’un autre genre. Priver une société des ressources sacrificielles rudimentaires dont elle dépend sans lui proposer d’alternatives, c’est la plonger dans une crise qui la conduira presque certainement à la violence. Gil Bailie
La condition préalable à tout dialogue est que chacun soit honnête avec sa tradition. (…) les chrétiens ont repris tel quel le corpus de la Bible hébraïque. Saint Paul parle de ”greffe” du christianisme sur le judaïsme, ce qui est une façon de ne pas nier celui-ci . (…) Dans l’islam, le corpus biblique est, au contraire, totalement remanié pour lui faire dire tout autre chose que son sens initial (…) La récupération sous forme de torsion ne respecte pas le texte originel sur lequel, malgré tout, le Coran s’appuie. René Girard
Dans la foi musulmane, il y a un aspect simple, brut, pratique qui a facilité sa diffusion et transformé la vie d’un grand nombre de peuples à l’état tribal en les ouvrant au monothéisme juif modifié par le christianisme. Mais il lui manque l’essentiel du christianisme : la croix. Comme le christianisme, l’islam réhabilite la victime innocente, mais il le fait de manière guerrière. La croix, c’est le contraire, c’est la fin des mythes violents et archaïques. René Girard
L’islam (…) ne supporte pas l’idée d’un Dieu crucifié, et donc le sacrifice ultime. Il prône la violence au nom de la guerre sainte et certains de ses fidèles recherchent le martyre en son nom. Archaïque ? Peut-être, mais l’est-il plus que notre société moderne hostile aux rites et de plus en plus soumise à la violence ? Jésus a-t-il échoué ? L’humanité a conservé de nombreux mécanismes sacrificiels. Il lui faut toujours tuer pour fonder, détruire pour créer, ce qui explique pour une part les génocides, les goulags et les holocaustes, le recours à l’arme nucléaire, et aujourd’hui le terrorisme. René Girard
L’erreur est toujours de raisonner dans les catégories de la « différence », alors que la racine de tous les conflits, c’est plutôt la « concurrence », la rivalité mimétique entre des êtres, des pays, des cultures. La concurrence, c’est-à-dire le désir d’imiter l’autre pour obtenir la même chose que lui, au besoin par la violence. Sans doute le terrorisme est-il lié à un monde « différent » du nôtre, mais ce qui suscite le terrorisme n’est pas dans cette « différence » qui l’éloigne le plus de nous et nous le rend inconcevable. Il est au contraire dans un désir exacerbé de convergence et de ressemblance. (…) Ce qui se vit aujourd’hui est une forme de rivalité mimétique à l’échelle planétaire. Lorsque j’ai lu les premiers documents de Ben Laden, constaté ses allusions aux bombes américaines tombées sur le Japon, je me suis senti d’emblée à un niveau qui est au-delà de l’islam, celui de la planète entière. Sous l’étiquette de l’islam, on trouve une volonté de rallier et de mobiliser tout un tiers-monde de frustrés et de victimes dans leurs rapports de rivalité mimétique avec l’Occident. Mais les tours détruites occupaient autant d’étrangers que d’Américains. Et par leur efficacité, par la sophistication des moyens employés, par la connaissance qu’ils avaient des Etats-Unis, par leurs conditions d’entraînement, les auteurs des attentats n’étaient-ils pas un peu américains ? On est en plein mimétisme.Ce sentiment n’est pas vrai des masses, mais des dirigeants. Sur le plan de la fortune personnelle, on sait qu’un homme comme Ben Laden n’a rien à envier à personne. Et combien de chefs de parti ou de faction sont dans cette situation intermédiaire, identique à la sienne. Regardez un Mirabeau au début de la Révolution française : il a un pied dans un camp et un pied dans l’autre, et il n’en vit que de manière plus aiguë son ressentiment. Aux Etats-Unis, des immigrés s’intègrent avec facilité, alors que d’autres, même si leur réussite est éclatante, vivent aussi dans un déchirement et un ressentiment permanents. Parce qu’ils sont ramenés à leur enfance, à des frustrations et des humiliations héritées du passé. Cette dimension est essentielle, en particulier chez des musulmans qui ont des traditions de fierté et un style de rapports individuels encore proche de la féodalité. (…) Cette concurrence mimétique, quand elle est malheureuse, ressort toujours, à un moment donné, sous une forme violente. A cet égard, c’est l’islam qui fournit aujourd’hui le ciment qu’on trouvait autrefois dans le marxismeRené Girard
Aujourd’hui, en Occident, nous faisons montre d’une certaine réticence à engager toute notre force militaire dans une guerre pour ne pas être taxés d’impérialisme; nous hésitons même à garantir nos frontières pour ne pas paraitre racistes. Ne voulant non plus paraitre xénophobes, nous faisons, également, preuve d’une réticence certaine à demander l’assimilation des nouveaux immigrés. Nous souffrons de voir l’enseignement donner la primauté à la civilisation occidentale : foin de la suprématie! L’Occident, de nos jours, vit sur la défensive, et, pour assurer la légitimité de ses sociétés actuelles, doit constamment se dissocier des péchés de son passé, tels le racisme, l’exploitation économique, l’impérialisme, etc. Son manque d’assurance empêche l’Ouest de voir les Palestiniens tels qu’ils sont. Il vaut mieux les voir tels qu’ils se présentent eux-mêmes, en peuple « occupé », privé de sa souveraineté et de sa simple dignité humaine par un pays de colonisateurs occidentaux et blancs. L’Occident ne voulant pas être qualifié de raciste, ne s’oppose donc pas à cette caractérisation « néo-coloniale ». Notre problème d’Occidentaux se comprend et s’explique : nous ne voulons pas perdre plus de notre autorité morale. Nous choisissons donc de fermer les yeux et d’ignorer par exemple que ce ne sont pas des doléances légitimes qui poussent les Palestiniens ainsi qu’une grande partie du Moyen-Orient au militantisme et à la guerre, mais bien un sentiment d’infériorité intériorisé. Que les Palestiniens se trouvent comblés en devenant une nation souveraine et indépendante avec une capacité nucléaire en sus, cela ne les empêchera pas de se réveiller le lendemain toujours hantés par ce sentiment d’infériorité. Que ce soit pour le meilleur ou pour le pire, l’homme s’évalue maintenant par sa modernité. Et la haine est le moyen le plus rapide pour masquer son infériorité. Le problème, « ce sont les autres et pas moi! ». Victimisé, j’atteins une grandeur morale et humaine. Peu importe l’intelligence et la modernité de mon ennemi, à moi l’innocence qui caractérise les victimes. Même pauvre, mes mains restent propres. Mon sous- développement et ma pauvreté témoignent de ma supériorité morale, alors que la richesse de mon ennemi est la preuve de son inhumanité. En d’autres termes, ma haine remplace mon amour-propre. Ce qui expliquerait pourquoi Yasser Arafat a rejeté l’offre d’Ehud Barak à « Camp David » en l’an 2000, alors que ce dernier offrait au premier plus de 90% des exigences des Palestiniens. Accepter cette offre aurait signifié renoncer à la haine, à sa consolation et à sa signification profonde. Les Palestiniens et par extension, la plupart des Musulmans auraient été forcés de se confronter à leur infériorité à l’égard de la modernité. Arafat savait fort bien que, sans la haine vis à vis des Juifs, le monde musulman perdrait la cohésion qui le définit. Il a donc dit non à la paix. Que ce soit dans les banlieues de Paris et de Londres, à Kaboul ou Karachi, dans le quartier du Queens à New York ou bien à Gaza, cette réticence du monde musulman, cette attirance pour les consolations qu’offre la haine, représentent l’un des plus graves problèmes du monde actuel. Si le monde musulman ne peut se définir par sa ferveur pour la haine, celle-ci est bien devenue sa drogue, son opium qui le console de sa concurrence avec l’Occident, un Occident qui, impuissant face à ce problème difficile à résoudre, ne trouve rien de mieux que de réprimander Israël en le prenant comme bouc-émissaire. Ainsi s’exprime notre propre vulnérabilité. Shelby Steele
Avec l’aide de Dieu, ce sommet marquera le début de la fin pour ceux qui pratiquent la terreur et répandent leur vile croyance. Les leaders religieux doivent être très clairs là-dessus: la barbarie n’apportera aucune gloire, l’adoration du mal ne vous apportera aucune dignité. Si vous choisissez le chemin de la terreur, votre vie sera vide, votre vie sera courte et votre âme sera condamnée à l’enfer. Chaque pays de cette région a un devoir absolu de s’assurer que les terroristes ne trouvent aucun abri sur leur sol. Cela veut dire affronter honnêtement la crise de l’extrémisme islamique et les groupes terroristes islamiques qu’il inspire. Et cela veut dire aussi se dresser ensemble contre le meurtre d’innocents musulmans, l’oppression des femmes, la persécution des juifs, et le massacre des chrétiens. Un meilleur futur n’est possible que si vos nations se débarrassent du terrorisme et des extrémistes. Jetez les dehors. Jetez-les hors de vos lieux de culte. Jetez-les hors de vos communautés. Jetez-les hors de vos terres saintes, et jetez-les hors de cette terre. Donald Trump
As the six-week trial revealed, the Palestinian Authority provided backing for terrorists—and continues to do so today. Palestinian military and intelligence officials, Mr. Yalowitz calculated, spend $50 million a year to keep terrorists on the payroll while they are held in Israeli jails. The Palestinian government also awards “martyr payments” to the families of suicide bombers. Monday’s verdict comes as something of a vindication for the family of Leon Klinghoffer, the wheelchair-bound American who in 1985 was murdered by Palestine Liberation Organization terrorists aboard the hijacked Italian cruise liner Achille Lauro. The Klinghoffer family filed a lawsuit, but U.S. federal courts had no jurisdiction over acts of terrorism outside the country. The case was dropped, and the PLO settled with the Klinghoffers out of court for an undisclosed sum in 1997. The 1992 Anti-Terrorism Act provides federal courts “with an explicit grant of jurisdiction over international terrorism” and a private right of action for “any national of the United States injured in his or her person, property, or business by reason of an act of international terrorism.” The act also has the virtue of allowing American citizens to assign blame for supporting terrorism, even if politicians are reluctant to do so. Jessica Kasmer-Jacob
Les événements dont nous sommes témoins sont la conséquence prévisible de décennies de propagande, d’une part, et de laxisme, de l’autre. Un affrontement est imminent à l’échelle mondiale. L’avancée rapide des mouvements terroristes, qui tuent dans des buts à la fois politiques et religieux, est en train de provoquer des vocations chez un nombre effarant de jeunes. Chaque attentat procure aux islamistes une publicité effrénée qui fait rêver beaucoup d’adolescents, partout dans le monde. Qui peut leur faire comprendre qu’ils sont exploités quand ils acceptent de se transformer en bombes humaines? (…) En 2005, un ancien directeur de la CIA évaluait les sommes dépensées par l’Arabie saoudite en prosélytisme wahhabite dans le monde, à 90 milliards de dollars. Ceci, sans compter l’argent versé à des organisations terroristes, comme celle de Ben Laden à ses débuts, ou celui utilisé pour tenter de déstabiliser d’autres pays, influer sur leurs élections et acheter leurs politiciens. Ce n’est pas grand-chose pour la dynastie saoudienne, qui exporte, chaque jour, 10 millions de barils de pétrole brut. Cela lui procurait 1,5 milliard de dollars par jour quand le baril était à 150 dollars (en 2014). Maintenant que le baril est à 50 dollars, elle encaisse 500 millions par jour. Et elle laisse le peuple saoudien dans la pauvreté. Depuis les années 2000, d’autres pays financent l’islamisme dans le monde, notamment le Qatar qui tire d’énormes revenus de l’exportation de son gaz naturel. (…) Les islamistes, comme Ben Laden et Baghdadi, sont francs et vous montrent le couteau. Les islamistes «polis» enveloppent des lames de rasoir dans des gâteaux à la crème. (…) Daech a promis de faire du Vatican une mosquée, de prendre la Maison-Blanche et de remplir de sang les rues de Paris et de Londres. Pour atteindre ce but, tous les moyens sont bons. L’immigration illégale en masse est, peut-être, l’un de ces moyens. Les islamistes «polis» disent aussi qu’ils prendront l’Europe, par la conquête démographique et les conversions. Mais dans quelle mesure ces conversions sont-elles volontaires, quand on sait la pression morale et financière qui s’exerce dans certains quartiers? Des dons appelés «aumônes» sont offerts aux convertis, aux prédicateurs et aux femmes qui acceptent de se voiler. Il n’y a pas de liberté quand il y a de l’argent. Il n’y en a pas non plus quand il y a une propagande phénoménale, surtout sur les réseaux sociaux. Lina Murr Nehmé
Daesh noir, Daesh blanc. Le premier égorge, tue, lapide, coupe les mains, détruit le patrimoine de l’humanité, et déteste l’archéologie, la femme et l’étranger non musulman. Le second est mieux habillé et plus propre, mais il fait la même chose. L’Etat islamique et l’Arabie saoudite. Dans sa lutte contre le terrorisme, l’Occident mène la guerre contre l’un tout en serrant la main de l’autre. Mécanique du déni, et de son prix. On veut sauver la fameuse alliance stratégique avec l’Arabie saoudite tout en oubliant que ce royaume repose sur une autre alliance, avec un clergé religieux qui produit, rend légitime, répand, prêche et défend le wahhabisme, islamisme ultra-puritain dont se nourrit Daesh. (…)  L’Arabie saoudite est un Daesh qui a réussi. Le déni de l’Occident face à ce pays est frappant: on salue cette théocratie comme un allié et on fait mine de ne pas voir qu’elle est le principal mécène idéologique de la culture islamiste. Les nouvelles générations extrémistes du monde dit « arabe » ne sont pas nées djihadistes. Elles ont été biberonnées par la Fatwa Valley, espèce de Vatican islamiste avec une vaste industrie produisant théologiens, lois religieuses, livres et politiques éditoriales et médiatiques agressives. (…) Il faut vivre dans le monde musulman pour comprendre l’immense pouvoir de transformation des chaines TV religieuses sur la société par le biais de ses maillons faibles : les ménages, les femmes, les milieux ruraux. La culture islamiste est aujourd’hui généralisée dans beaucoup de pays — Algérie, Maroc, Tunisie, Libye, Egypte, Mali, Mauritanie. On y retrouve des milliers de journaux et des chaines de télévision islamistes (comme Echourouk et Iqra), ainsi que des clergés qui imposent leur vision unique du monde, de la tradition et des vêtements à la fois dans l’espace public, sur les textes de lois et sur les rites d’une société qu’ils considèrent comme contaminée. Il faut lire certains journaux islamistes et leurs réactions aux attaques de Paris. On y parle de l’Occident comme site de « pays impies »; les attentats sont la conséquence d’attaques contre l’Islam ; les musulmans et les arabes sont devenus les ennemis des laïcs et des juifs. On y joue sur l’affect de la question palestinienne, le viol de l’Irak et le souvenir du trauma colonial pour emballer les masses avec un discours messianique. Alors que ce discours impose son signifiant aux espaces sociaux, en haut, les pouvoirs politiques présentent leurs condoléances à la France et dénoncent un crime contre l’humanité. Une situation de schizophrénie totale, parallèle au déni de l’Occident face à l’Arabie Saoudite. Ceci laisse sceptique sur les déclarations tonitruantes des démocraties occidentales quant à la nécessité de lutter contre le terrorisme. Cette soi-disant guerre est myope car elle s’attaque à l’effet plutôt qu’à la cause. Daesh étant une culture avant d’être une milice, comment empêcher les générations futures de basculer dans le djihadisme alors qu’on n’a pas épuisé l’effet de la Fatwa Valley, de ses clergés, de sa culture et de son immense industrie éditoriale?  Kamel Daoud
Présider la République, c’est ne pas inviter les dictateurs en grand appareil à Paris. François Hollande (janvier 2012, Le Bourget)
Il n’y a pas longtemps, l’apartheid régnait en Afrique du sud. Reposant sur la ségrégation des Noirs, il voulait se disculper en créant des bantoustans où une autonomie factice leur était concédée. Un tel système a heureusement disparu. Et voici qu’aujourd’hui, c’est un apartheid d’un nouveau genre qui est proposé à la France, une ségrégation à l’envers grâce à laquelle les « dominés » préserveraient leur dignité en se mettant à l’abri des « dominants ». Mais alors, cela veut dire qu’une femme qui ôte le voile et sort dans la rue deviendrait une proie normale ? Cela veut dire qu’une « race » qui côtoie les autres serait humiliée ? Cela veut dire qu’une religion qui accepte de n’être qu’une parmi d’autres perdrait la face ? (…) À quoi peut donc servir ce ségrégationnisme nouvelle manière ? Doit-il seulement permettre aux soi-disant « dominés » de sauvegarder leur pureté en vivant entre eux ? N’a-t-il pas surtout pour but d’affirmer la sécession avec la communauté nationale, avec ses lois et ses mœurs ? N’est-il pas l’expression de la haine la plus caractérisée à l’égard de notre pays et de la démocratie ? Que chacun vive dans la loi de sa communauté ou de sa caste et dans le mépris de celle des autres, que chacun ne soit jugé que par les siens, cela est contraire à l’esprit de la République. Celle-ci a été fondée sur le refus de droits privés s’appliquant à des catégories spécifiques et exclusives, autrement dit sur l’abolition des privilèges. Les mêmes lois pour chacun de nous, voilà ce que nous garantit au contraire la République. C’est ce qu’on appelle tout simplement la Justice. Le nouveau séparatisme avance masqué. Il veut paraître bénin, mais il est en réalité l’arme de la conquête politique et culturelle de l’islamisme. L’islamisme veut être à part car il rejette les autres, y compris les musulmans qui ne partagent pas ses vues. L’islamisme déteste la souveraineté démocratique car elle lui refuse toute légitimité. L’islamisme se sent humilié lorsqu’il ne domine pas. Pétition contre le séparatisme islamique
Without TV coverage, the revolutions would never have assumed such proportions. When people followed the revolutions, to what extent did they use the Internet, versus the extent to which they watched them on the TV channels, which gave them continuous coverage? Clearly, there is no comparison…The best proof [of the impact of] the TV channels is that any popular activity that they do not cover, in any country, will die before it can get off the ground. Some Arab countries are currently seeing… protests and the beginnings of a revolution, but these [events] are not getting the necessary TV coverage, because of the focus on the escalating revolution in Libya. As a result, [these protests] will not gain much momentum… but will fade away and be forgotten. Some might argue that the images broadcast on the satellite channels were often taken from the Internet. That is true, but had the [channels] not repeatedly aired these images, their impact would have remained limited. I have yet to hear any [protesters]… complain of insufficient coverage of their activity on the Internet or on Facebook. But [some protesters are] very angry at the satellite channels, which, they claim, are not giving their activity the necessary media coverage… It is [the satellite channels] that truly fuel the revolutions – with image and sound, which remain more powerful than any other weapon… It is no exaggeration to say that one TV report on a certain country has an impact equal to that of all the websites visited by all the Arabs put together – so much so that [activists] have sometimes said, ‘Let’s postpone our protest, because some satellite channel is busy covering another revolution’…  Al-Sharq (Qatar,  March 13, 2011)
J’ai été très impressionnée par l’ouverture de ce pays. Par l’accueil, aussi, sans a priori. J’ai été frappée par l’ouverture, encore une fois, j’insiste, du Qatar.  Ségolène Royal
Les Occidentaux devraient respecter pleinement la dignité de l’Iran et reconnaître son droit souverain à maîtriser la technologie nucléaire civile. Des négociations réussies entre Européens et Iraniens renforceraient la position de l’Europe et de l’Iran sur la scène internationale… C’est inimaginable que l’on soit dans une telle nasse, dans une telle impasse. Il est de l’intérêt de tous de sortir de cette crise. Il faut négocier. J’ai dit aux Iraniens que si on sortait de cette situation, un boulevard allait s’ouvrir entre l’Iran et la France et l’Europe. Jack Lang (sep. 2006)
Quels sont les grands leaders du monde aujourd’hui ? Le président Xi, le président Poutine – on peut être d’accord ou pas, mais c’est un leader –, le grand prince Mohammed Ben Salman. Et que seraient aujourd’hui les Emirats sans le leadership de MBZ ? (…)  Ce matin, j’ai rencontré le prince héritier MBZ. Est-ce que vous croyez qu’on construit un pays comme ça, en deux ans ? Ici, en cinquante ans, vous avez construit un des pays les plus modernes qui soient. La question du leadership est centrale. La réussite du modèle émirien est sans doute l’exemple le plus important pour nous, pour l’ensemble du monde. J’ai été le chef de l’Etat qui a signé le contrat du Louvre à Abou Dhabi. J’y ai mis toute mon énergie. MBZ y a mis toute sa vision. On a mis dix ans ! En allant vite ! Sauf que MBZ est toujours là… Et moi ça fait six ans que je suis parti.  Nicolas Sarkozy


Islam: pourquoi les constructeurs peuvent encore jouer tranquillement avec notre sécurité

Au lendemain d’un énième attentat islamique

Et la mort ce matin d’un énième véritable héros

Mais surtout après un bilan qui depuis les années 70 dépasse les 20 000 morts et les 50 000 blessés …

Comment ne pas se poser la seule question qui vaille …

A savoir …

Et si à coup de centaines de procès à la Nader

On attaquait enfin la famille Saoud et leurs petits camarades du golfe

Comme de l’autre côté leurs ennemis perses …

Pour défaut majeur de conception et de fabrication …

Pour le produit frelaté

Qu’en toute connaissance de cause et depuis des décennies …

Ils continuent à déverser à coup de milliards (de nos dollars du pétrole) sur le reste du monde ?

Startling maps show every terrorist attack worldwide over the last 20 years

On October 31, New York saw the deadliest terrorist attack since September 11, 2001, when 29-year-old Sayfullo Saipov drove a truck down a bike lane, killing eight people and injuring more than a dozen.With fears of attacks around the world at a high, Carnegie Mellon researchers teamed up with Robert Muggah, a global security expert and director of the think tank Igarapé Institute, to visualize terror risks from a bird’s-eye view.

Together, they created Earth TimeLapse, an interactive platform that relies on data from the Global Terrorism Database to create maps of how many terrorism-related deaths occur annually worldwide. The larger the red circle, the more deaths in a given attack.

The project mapped attacks between 1997 and 2016 — here’s what 20 years of that data looks like.

1997: Suicide bombings in Israel killed more than a dozen people and injured more than 150. Bombings also took place in Sri Lanka and Egypt. A shooting took place in India, killing 23 and injuring 31.

1997: Suicide bombings in Israel killed more than a dozen people and injured more than 150. Bombings also took place in Sri Lanka and Egypt. A shooting took place in India, killing 23 and injuring 31. Earth TimeLapse

1998: The greatest losses of life due to terrorist activity came in Kenya and Tanzania. Members of Al-Qaeda bombed two US embassies, killing more than 200 and injuring over 4,000.

1998: The greatest losses of life due to terrorist activity came in Kenya and Tanzania. Members of Al-Qaeda bombed two US embassies, killing more than 200 and injuring over 4,000. Earth TimeLapse

1999: The worst activity occurred in the southwestern Dagestan region in Russia, just west of Kazakhstan. A series of bombings struck apartment buildings, killing nearly 300 and injuring more than 1,000. Debates still swirl about whether Chechen separatists carried out the attacks, or whether the Russian government staged them to foster support for electing Vladimir Putin.

1999: The worst activity occurred in the southwestern Dagestan region in Russia, just west of Kazakhstan. A series of bombings struck apartment buildings, killing nearly 300 and injuring more than 1,000. Debates still swirl about whether Chechen separatists carried out the attacks, or whether the Russian government staged them to foster support for electing Vladimir Putin. Earth TimeLapse

2000: The turn of the millennium was a relatively peaceful year. The world made it until December 30 before the first major attack: a wave of bombings in the Philippines that killed 22 and injured roughly 100.

2000: The turn of the millennium was a relatively peaceful year. The world made it until December 30 before the first major attack: a wave of bombings in the Philippines that killed 22 and injured roughly 100. Earth TimeLapse

2001: September 11, 2001 marked the US’ greatest loss of life from a foreign attack in the country’s history. More than 2,700 people were killed in the attacks on New York City’s Twin Towers. About 300 of those were firefighters and emergency responders.

2001: September 11, 2001 marked the US' greatest loss of life from a foreign attack in the country's history. More than 2,700 people were killed in the attacks on New York City's Twin Towers. About 300 of those were firefighters and emergency responders. Earth TimeLapse

2002: The year saw a consistent bundle of activity in Israel and South America. Sniper attacks in the mid-Atlantic region of the US killed 17 people and injured 10.

2002: The year saw a consistent bundle of activity in Israel and South America. Sniper attacks in the mid-Atlantic region of the US killed 17 people and injured 10. Earth TimeLapse

2003: Bombings spiked somewhat as attacks took place in Russia, Morocco, and Israel. As the Iraq War began, suicide bombings started to become more common around the country.

2003: Bombings spiked somewhat as attacks took place in Russia, Morocco, and Israel. As the Iraq War began, suicide bombings started to become more common around the country. Earth TimeLapse

2004: In March, the world witnessed the Madrid train bombings, which killed nearly 200 people and injured over 2,000. Attacks also proliferated in Iraq and Pakistan. The Taliban and Al-Qaeda were responsible for many of the attacks in Europe and the Middle East at this time.

2004: In March, the world witnessed the Madrid train bombings, which killed nearly 200 people and injured over 2,000. Attacks also proliferated in Iraq and Pakistan. The Taliban and Al-Qaeda were responsible for many of the attacks in Europe and the Middle East at this time. Earth TimeLapse

2005: Early in the year, the Iraqi city of Hillah experienced a devastating car bombing that took 127 lives and injured hundreds more. Later that July, four suicide bombers blew up a London bus. It killed more than 50 people and injured 700.

2005: Early in the year, the Iraqi city of Hillah experienced a devastating car bombing that took 127 lives and injured hundreds more. Later that July, four suicide bombers blew up a London bus. It killed more than 50 people and injured 700. Earth TimeLapse

2006: Unrest in the Middle East continued to produce monthly terror attacks in Iraq, Afghanistan, and Pakistan. In July, pressure-cooker bombs on a Mumbai train led to hundreds of deaths and injuries.

2006: Unrest in the Middle East continued to produce monthly terror attacks in Iraq, Afghanistan, and Pakistan. In July, pressure-cooker bombs on a Mumbai train led to hundreds of deaths and injuries. Earth TimeLapse

2007: Dual bombings in outdoor Iraqi markets took place in the first two months of the year. Then in August, a series of car-bomb attacks killed 800 people and injured 1,500. It’s the second-deadliest terror attack behind September 11.

2007: Dual bombings in outdoor Iraqi markets took place in the first two months of the year. Then in August, a series of car-bomb attacks killed 800 people and injured 1,500. It's the second-deadliest terror attack behind September 11. Earth TimeLapse

2008: A coordinated series of shootings took place in Mumbai in late November. Hundreds were killed and injured. Some terrorists relied on guns, while others planted an estimated eight bombs around the city.

2008: A coordinated series of shootings took place in Mumbai in late November. Hundreds were killed and injured. Some terrorists relied on guns, while others planted an estimated eight bombs around the city. Earth TimeLapse

2009: The first half of the year saw relatively little activity, but in the second half, Iraq and India fell victim to suicide bombings and shootings. Car bombings killed hundreds in Iraq and Pakistan in October of that year.

2009: The first half of the year saw relatively little activity, but in the second half, Iraq and India fell victim to suicide bombings and shootings. Car bombings killed hundreds in Iraq and Pakistan in October of that year. Earth TimeLapse

2010: The worst activity occurred in Pakistan, due primarily to suicide bombings. More than 500 people were injured over a span of three days in September, all due to bombings.

2010: The worst activity occurred in Pakistan, due primarily to suicide bombings. More than 500 people were injured over a span of three days in September, all due to bombings. Earth TimeLapse

2011: A particularly bloody year. Pakistan and India made up the bulk of the terrorist activity, while east Africa and South America also faced conflict.

2011: A particularly bloody year. Pakistan and India made up the bulk of the terrorist activity, while east Africa and South America also faced conflict. Earth TimeLapse

2012: With the Iraq War mostly over, new sources of conflict crossed the western border into Syria. Damascus and Aleppo became hotbeds for terrorist activity.

2012: With the Iraq War mostly over, new sources of conflict crossed the western border into Syria. Damascus and Aleppo became hotbeds for terrorist activity. Earth TimeLapse

2013: Conflict intensified in these Middle Eastern countries, with car bombings in Damascus in February claiming roughly 80 lives and injuring 250 people. The Boston Marathon bombings in April killed five and wounded more than 200.

2013: Conflict intensified in these Middle Eastern countries, with car bombings in Damascus in February claiming roughly 80 lives and injuring 250 people. The Boston Marathon bombings in April killed five and wounded more than 200. Earth TimeLapse

2014: Boko Haram attacks in Nigeria led to the deaths of more than 200 people and an unknown number of injuries in March, as well as hundreds more throughout the rest of the year. ISIS continued to ravage Syria and Iraq.

2014: Boko Haram attacks in Nigeria led to the deaths of more than 200 people and an unknown number of injuries in March, as well as hundreds more throughout the rest of the year. ISIS continued to ravage Syria and Iraq. Earth TimeLapse

2015: Unrest in Nigeria and Cameroon led to thousands of deaths when Boko Haram forces opened fire on civilians. Bombings in Turkey and Yemen also produced hundreds of deaths. In December, shooters claiming allegiance with the Islamic State killed a dozen people and wounded two dozen in San Bernardino, California.

2015: Unrest in Nigeria and Cameroon led to thousands of deaths when Boko Haram forces opened fire on civilians. Bombings in Turkey and Yemen also produced hundreds of deaths. In December, shooters claiming allegiance with the Islamic State killed a dozen people and wounded two dozen in San Bernardino, California. Earth TimeLapse

2016: More than 75% of the year’s attacks took place in 10 countries, including Iraq, Afghanistan, and India. Smaller attacks took place in Nice, France, Orlando, Florida, and New York City.

2016: More than 75% of the year's attacks took place in 10 countries, including Iraq, Afghanistan, and India. Smaller attacks took place in Nice, France, Orlando, Florida, and New York City. Earth TimeLapse

 Voir aussi:

Économie

General Motors: pourquoi les constructeurs peuvent encore jouer tranquillement avec notre sécurité

Et pourquoi il faut que ça cesse.

Un problème de conception d’un modèle automobile de General Motors provoque des dizaines d’accidents de la route et de nombreux décès. Arguant que l’entreprise n’a pas corrigé un défaut dont elle connaissait l’existence, des avocats intentent plus de cent procès au constructeur automobile. GM contre-attaque en engageant des enquêteurs pour mettre en cause les motivations de ses détracteurs. Les politiques et les médias finissent par s’intéresser de plus près à l’affaire. Au final, le dirigeant de GM finit par s’excuser au nom de son entreprise.

Si cette histoire vous donne comme une impression de déjà-lu, c’est sans doute parce que la presse a récemment parlé d’une affaire semblable. En réalité, cette histoire remonte à 1965, date de parution de Ces voitures qui tuent, de Ralph Nader. L’ouvrage accusait General Motors de vendre en toute connaissance de cause des voitures Corvairs dangereuses –et accusait l’industrie automobile dans son ensemble de préférer les profits à la sécurité de ses clients.

Près de cinquante ans ont passé. Pourquoi les Etats-Unis ont toujours du mal à garantir l’absence de dangerosité des véhicules conçus par les constructeurs automobiles? Et pourquoi en sommes-nous encore réduit à nous demander si les organismes de régulation prennent au sérieux leur mission de protection de la santé publique? En 1966, le mouvement des consommateurs a –peu après son apparition– convaincu le Congrès de voter le National Highway Safety and Transportation Act. Il s’agissait de corriger une partie des abus évoqués dans l’ouvrage de Nader.

Les routes suédoises, bien moins mortelles que les routes américaines

Au fil des décennies suivantes, la sécurité automobile s’est améliorée; aux Etats-Unis, le nombre des décès liés à l’automobile a chuté (de 25,9 pour 100.000 personnes en 1966 à 10,8 en 2012). Ces chiffres indiquent clairement qu’une nouvelle réglementation peut sauver des vies. Mais d’autres pays ont fait bien mieux. Selon le dernier rapport de l’International Transport Forum, organisation de surveillance de la sécurité routière mondiale, le taux d’accidents mortels de la circulation est trois fois plus élevé aux Etats-Unis qu’en Suède –un pays qui a fait de la sécurité automobile une priorité. Si les Etats-Unis avaient égalé les taux suédois, il y aurait eu 20.000 morts de moins sur les routes en 2011.

En France, en 2011, le taux était de 6,09 contre 3,4 en Suède et 10,4 aux Etats-Unis

Seulement, voilà: depuis son apparition, l’industrie automobile américaine s’est opposée à la réglementation, n’a pas jugé bon de révéler plusieurs problèmes, et a refusé de corriger les problèmes lorsque ces derniers ont été détectés.

General Motors a récemment rappelé 1,6 million de Chevrolet Cobalt (entre autres modèles de petite taille) afin de procéder à des réparations. En cause: un problème du commutateur d’allumage, qui aurait été à l’origine d’au moins douze morts. Le constructeur connaissait l’existence du problème –ainsi que celle d’autres anomalies– et ce depuis 2004, soit avant la sortie de la toute première Cobalt.

Le 17 mars 2014, Marry Barra, directrice générale de GM, s’est exprimée en ces termes:

«Dans le cas présent, nos processus internes ont connu un problème des plus graves; des évènements terribles en ont résulté.»

General Motors a par ailleurs rappelé 1,33 million de SUV: les airbags ne s’ouvraient pas lors des collisions. Selon une étude, les problèmes d’airbags de GM pourraient avoir contribué à la mort de 300 personnes entre 2003 et 2012. Les problèmes de sécurité ne sont pas l’apanage de GM. Toyota a récemment accepté de débourser 1,2 milliard de dollars pour mettre fin à une enquête criminelle concernant un problème d’accélération soudaines de ses véhicules.

Voilà cinquante ans qu’un –trop– grand nombre de chefs d’entreprises (automobile, alimentation, produits pharmaceutiques, armes à feu, entre autres secteurs) choisissent de suivre la voie tracée par l’industrie du tabac. Ils remettent en doute la validité des éléments de preuve qui justifient la mise en place de nouvelles réglementations. Ils exagèrent les coûts économiques de produits plus sûrs. Grâce à leur poids politique et financier, ils viennent à bout des politiques de santé publique et font en sorte que les organismes chargés de faire respecter la réglementation demeurent sous-financés. Ce sont là des comportements tellement banalisés qu’ils ne paraissent plus immoraux ou criminels, mais simplement inévitables.

Le refus de légiférer est mortel

Pour ce qui est de l’industrie automobile, le refus de respecter la réglementation a provoqué des morts, des maladies et des blessures qui auraient pu être évitées. Des années 1960 aux années 1980, les constructeurs se sont tout d’abord opposés à la mise en place de ceintures de sécurité, d’airbags de freins de meilleure facture et de meilleures normes d’émission. Pendant plus de quinze ans, les constructeurs américains ont réussi à faire obstacle à la réglementation imposant la mise en place d’airbags ou de ceintures de sécurité à fermeture automatique dans leurs automobiles.

Ce n’est qu’en 1986 que la Cour suprême a ordonné à la National Highway Transportation Safety Administration (NHTSA) de mettre en œuvre ces directives. Selon une étude publiée en 1988, ce retard aurait joué un rôle dans au moins 40.000 morts et un million de blessures et handicaps –soit par là même un coût de 17 milliards de dollars à la société.

Le refus d’appliquer la réglementation peut également tuer indirectement. Selon un récent rapport de l’Organisation mondiale de la santé, le nombre de morts dues à la pollution dans le monde est deux fois plus élevé qu’on ne le pensait. Et ce notamment en raison du rôle joué par de la pollution de l’air dans la mortalité d’origine cardiovasculaire. Aux Etats-Unis, l’automobile est l’une des principales sources de pollution, et les constructeurs américains refusent ou retardent la mise en place de normes d’émissions plus strictes.

Vous n’entendrez aucun dirigeant d’entreprise affirmer qu’il vaut mieux gagner de l’argent que sauver des vies humaines, mais leur action parlent pour eux. Les communicants des grands patrons semblent s’être passé le mot: lorsqu’un secret gênant est découvert, la stratégie est toujours la même: le PDG s’excuse platement et rapidement pour limiter au plus vite les dégâts. Mais accepter de voir les grandes sociétés et leurs alliés disposer d’un droit de veto sur les politiques de santé publique, c’est empêcher la prévention de nombreux décès, maladies et blessures sur le territoire américain.

Lors des récentes audiences consacrées à GM, le Congrès américain a eu raison de chercher à savoir qui (chez GM et à la NHTSA) savait quoi –et à quel moment ils l’ont appris. Mais il serait encore plus significatif de renforcer l’implication du gouvernement dans la protection de la santé publique –histoire de ne pas avoir à souffrir de ces problèmes pour cinquante années supplémentaires.

Le Congrès pourrait commencer par permettre à la NHTSA de faire correctement son travail, en lui allouant les ressources nécessaires. Pour 2014, cet organisme a reçu 10% de moins que la somme qu’il avait demandée. Le Congrès devrait également contrôler la mise en application des règles de sécurité par les organismes concernés, et le faire régulièrement –pas seulement lorsque l’existence d’un problème est révélée. Par ailleurs, lorsqu’il est prouvé qu’un dirigeant d’entreprise automobile a caché l’existence d’une anomalie, l’organisme chargé de la sécurité routière devrait être en mesure de le tenir responsable des morts et des décès qui en ont résulté. Au civil comme au pénal.

Nicholas Freudenberg

Traduit par Jean-Clément Nau

Voir enfin:

Profit Above Safety

 Slate
April 1, 2014

 

A design problem in a General Motors car contributes to dozens of automobile crashes and numerous deaths. Charging that the company failed to correct a known defect, lawyers file more than 100 lawsuits against the company. GM responds by hiring investigators to question the motives of its critics. Eventually, as congressional and media scrutiny increase, the head of GM apologizes for the company’s behavior. Sound familiar? You may have been reading about such a case over the past month. But actually, this story is from 1965 when Ralph Nader published Unsafe at Any Speed, a book that charged General Motors with knowingly selling unsafe Corvairs and the auto industry as a whole with putting profit above safety.

Now almost 50 years later, why is the United States still struggling to ensure that cars companies make safe cars? And why must we still question whether regulatory agencies take their mandate to protect public health seriously? In 1966, the emerging consumer movement persuaded Congress to pass the National Highway Safety and Transportation Act to correct some of the abuses Nader had documented. In the decades since, car safety has improved, with United States motor vehicle death rates falling from 25.9 per 100,000 people in 1966 to 10.8 per 100,000 in 2012. This is a clear indication that regulations save lives. But other nations have done much better. According to the latest report from the International Transport Forum, a body that monitors global road safety, the auto death rate in the United States is more than three times higher than the rate in Sweden, a country that has made auto safety a priority. If the United States had achieved Sweden’s rate, in 2011 more than 20,000 U.S. automobile deaths would have been averted.

Since its inception, however, the auto industry has resisted regulation, failed to disclose problems, and refused to correct problems when they were detected. In the past few weeks, General Motors has recalled 1.6 million Cobalts and other small cars to repair defective ignition switches that have been associated with at least 12 deaths. The company had first learned of this and other defects a decade ago—in 2004, before the first Cobalt was released. On March 17th, Mary Barra, the chief executive of GM, observed, “Something went very wrong in our processes in this instance, and terrible things happened.”

In a separate action, General Motors has recalled 1.33 million sports utility vehicles because air bags failed to deploy after crashes. Another review of GM air bag failures from 2003 to 2012 found that they may have contributed to more than 300 deaths. GM is not alone in its safety problems. Toyota recently agreed to pay $1.2 billion to settle federal criminal charges related to sudden acceleration of its vehicles.

For the past 50 years, too many corporate leaders in the auto industry as well as in the food, pharmaceutical, firearms, and other industries have chosen to follow the playbook written by the tobacco industry. They have challenged the evidence justifying regulation, exaggerated the economic costs of safer products, and used their political and financial clout to defeat public health policies and underfund the agencies charged with enforcement. These behaviors have become so normalized they seem inevitable rather than immoral or criminal.

In the case of the auto industry, resistance to regulation has caused preventable deaths, illnesses, and injuries. From the 1960s through the 1980s, the automobile industry initially opposed standard seatbelts, airbags, better brakes, and better emission standards. For more than 15 years, the U.S. auto industry successfully opposed regulations to require either airbags or automatically closing seat belts in automobiles. Finally, in 1986, the Supreme Court ordered the National Highway Transportation Safety Administration to implement the rules. A 1988 study estimated this delay contributed to at least 40,000 deaths and 1 million injuries at a cost to society of more than $17 billion. The auto industry’s resistance to regulation kills people indirectly as well. Earlier this week, the World Health Organization released a report showing that global deaths from air pollution were twice as high as previously thought, largely through air pollution’s role in in cardiovascular deaths. In the United States, automobiles are a primary source of air pollution, and the auto industry has long opposed or delayed stricter emission standards.

No corporate executives will say publicly that they prefer profits to preventing deaths, even though their actions prove otherwise. The damage control advice of the day seems to be to encourage CEOs to make rapid and profuse apologies for corporate cover-ups after they are disclosed. But as long as the public tolerates allowing corporations and their allies to have veto power over public health policy, our nation will continue to experience preventable deaths and avoidable illness and injuries. In the hearings into GM this week, Congress is correct to pursue who in GM and the NHTSA knew what when. But the deeper task should be to strengthen the visible hand of government in protecting public health so we aren’t still facing this issue 50 years from now. As a first step, Congress should provide the highway safety agency with the resources needed to meet its mandates fully; in 2014, the agency received 10 percent less than it requested. Congress should also monitor agency enforcement of safety standards regularly, not just when defects are publicly disclosed. In addition, the safety agency should hold auto executives who fail to disclose defects criminally as well as civilly liable for the resulting deaths and injuries.

Nicholas Freudenberg is a professor of public health at CUNY and Hunter College. His new book is Lethal but Legal: Corporations, Consumption, and Protecting Public Health.

Voir enfin:

L’appel des 100 intellectuels contre le « séparatisme islamiste »
Collectif
Le Figaro
21 mars 2018

Nous sommes des citoyens d’opinions différentes et très souvent opposées qui se trouvent d’accord pour exprimer, en dehors de toute actualité, leur inquiétude face à la montée de l’islamisme. Ce ne sont pas nos affinités qui nous réunissent, mais le sentiment qu’un danger menace la liberté en général et pas seulement la liberté de pensée. Ce qui nous réunit aujourd’hui est plus fondamental que ce qui ne manquera pas de nous séparer demain.
Le nouveau totalitarisme islamiste cherche à gagner du terrain par tous les moyens et à passer pour une victime de l’intolérance. On a pu observer cette stratégie lorsque le syndicat d’enseignants SUD Éducation 93 proposait il y a quelques semaines un stage de formation comportant des ateliers de réflexion sur le « racisme d’État » interdits aux « Blanc.he.s ». Certains animateurs étaient membres ou sympathisants du Collectif Contre l’Islamophobie en France et du Parti des Indigènes de la République. Les exemples de ce genre se sont multipliés dernièrement. Nous avons ainsi appris que la meilleure façon de combattre le racisme serait de séparer les « races ». Si cette idée nous heurte, c’est que nous sommes républicains.
Nous entendons aussi dire que puisque les religions sont bafouées en France par une laïcité « instrumentalisée », il faudrait donner à celle qui est minoritaire, c’est-à-dire à l’islam, une place spéciale pour qu’elle cesse d’être humiliée. La même idée se poursuit : il paraît qu’en se couvrant d’un voile les femmes se protègeraient des hommes et que se mettre à part leur permettrait de s’affranchir.
Le point commun de ces proclamations est de penser que la seule façon de défendre les « dominés » (ce n’est pas notre vocabulaire mais celui de SUD Éducation 93), serait de les mettre à l’écart des autres et de leur accorder des privilèges.
Il n’y a pas longtemps, l’apartheid régnait en Afrique du sud. Reposant sur la ségrégation des Noirs, il voulait se disculper en créant des bantoustans où une autonomie factice leur était concédée. Un tel système a heureusement disparu.
Et voici qu’aujourd’hui, c’est un apartheid d’un nouveau genre qui est proposé à la France, une ségrégation à l’envers grâce à laquelle les « dominés » préserveraient leur dignité en se mettant à l’abri des « dominants ».
Mais alors, cela veut dire qu’une femme qui ôte le voile et sort dans la rue deviendrait une proie normale ? Cela veut dire qu’une « race » qui côtoie les autres serait humiliée ? Cela veut dire qu’une religion qui accepte de n’être qu’une parmi d’autres perdrait la face ?
Et les Français musulmans, ou de culture musulmane sans être croyants, qui aiment la démocratie et veulent vivre avec tout le monde, l’islamisme a-t-il prévu de les mettre à part eux aussi ? Et les femmes qui refusent d’être enfermées, qui décidera pour elles ? Et les autres, ceux qui ne méritent apparemment pas d’être protégés : sous clé dans le camp des « dominants » ?
Tout cela va à l’encontre de ce qui a été fait en France pour garantir la paix civile. Depuis longtemps, l’unité du pays a été fondée sur l’indifférence à l’égard des particularismes pouvant être cause de conflit. Ce qu’on appelle l’universalisme républicain ne consiste pas à nier les sexes, les races ou les religions, mais à définir l’espace civique indépendamment d’eux pour que personne n’en soit exclu. Et comment ne pas voir que la laïcité protège aussi les religions minoritaires ? La mettre en péril nous expose au retour des guerres de religion.
À quoi peut donc servir ce ségrégationnisme nouvelle manière ? Doit-il seulement permettre aux soi-disant « dominés » de sauvegarder leur pureté en vivant entre eux ? N’a-t-il pas surtout pour but d’affirmer la sécession avec la communauté nationale, avec ses lois et ses mœurs ? N’est-il pas l’expression de la haine la plus caractérisée à l’égard de notre pays et de la démocratie ?
Que chacun vive dans la loi de sa communauté ou de sa caste et dans le mépris de celle des autres, que chacun ne soit jugé que par les siens, cela est contraire à l’esprit de la République. Celle-ci a été fondée sur le refus de droits privés s’appliquant à des catégories spécifiques et exclusives, autrement dit sur l’abolition des privilèges. Les mêmes lois pour chacun de nous, voilà ce que nous garantit au contraire la République. C’est ce qu’on appelle tout simplement la Justice.
Le nouveau séparatisme avance masqué. Il veut paraître bénin, mais il est en réalité l’arme de la conquête politique et culturelle de l’islamisme. L’islamisme veut être à part car il rejette les autres, y compris les musulmans qui ne partagent pas ses vues. L’islamisme déteste la souveraineté démocratique car elle lui refuse toute légitimité. L’islamisme se sent humilié lorsqu’il ne domine pas.
Il n’est pas question d’accepter cela. Nous voulons vivre dans un monde complet où les deux sexes se regardent sans se sentir insultés par la présence de l’autre. Nous voulons vivre dans un monde complet où les femmes ne sont pas jugées inférieures par nature. Nous voulons vivre dans un monde complet où les gens peuvent se côtoyer sans se craindre. Nous voulons vivre dans un monde complet où aucune religion ne fait la loi.

Guerre froide 2.0: C’est la lutte finale, imbécile ! (Resisting the Antichrist: In Russian eyes, a new theological struggle pits a godless, materialistic and decadent postmodern West against the rest of the world’s defence of traditional religion and values led by a thermonuclear saber-rattling Putin regime)

21 mars, 2018

Russian President Vladimir Putin, accompanied by Patriarch of Russia Kirill and Prime Minister Dmitry Medvedev, visits the New Jerusalem Orthodox Monastery outside Moscow (November 15, 2017)

Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. Car je suis venu mettre la division entre l’homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère; et l’homme aura pour ennemis les gens de sa maison. Jésus (Matthieu 10 : 34-36)
Depuis que l’ordre religieux est ébranlé – comme le christianisme le fut sous la Réforme – les vices ne sont pas seuls à se trouver libérés. Certes les vices sont libérés et ils errent à l’aventure et ils font des ravages. Mais les vertus aussi sont libérées et elles errent, plus farouches encore, et elles font des ravages plus terribles encore. Le monde moderne est envahi des veilles vertus chrétiennes devenues folles. Les vertus sont devenues folles pour avoir été isolées les unes des autres, contraintes à errer chacune en sa solitude.  G.K. Chesterton
Tout se disloque. Le centre ne peut tenir. L’anarchie se déchaîne sur le monde Comme une mer noircie de sang : partout On noie les saints élans de l’innocence …Sûrement que quelque révélation, c’est pour bientôt … Sûrement que la Seconde Venue, c’est pour bientôt. La Seconde Venue ! A peine dits ces mots, Une image, immense, du Spiritus Mundi Trouble ma vue : quelque part dans les sables du désert, Une forme avec corps de lion et tête d’homme Et l’oeil nul et impitoyable comme un soleil Se meut, à cuisses lentes, tandis qu’autour Tournoient les ombres d’une colère d’oiseaux… La ténèbre, à nouveau ; mais je sais, maintenant, Que vingt siècles d’un sommeil de pierre, exaspérés Par un bruit de berceau, tournent au cauchemar, – Et quelle bête brute, revenue l’heure, Traîne la patte vers Bethléem, pour naître enfin ? Yeats (1919)
La Raison sera remplacée par la Révélation. À la place de la Loi rationnelle et des vérités objectives perceptibles par quiconque prendra les mesures nécessaires de discipline intellectuelle, et la même pour tous, la Connaissance dégénérera en une pagaille de visions subjectives (…) Des cosmogonies complètes seront créées à partir d’un quelconque ressentiment personnel refoulé, des épopées entières écrites dans des langues privées, les barbouillages d’écoliers placés plus haut que les plus grands chefs-d’œuvre. L’Idéalisme sera remplacé par le Matérialisme. La vie après la mort sera un repas de fête éternelle où tous les invités auront 20 ans … La Justice sera remplacée par la Pitié comme vertu cardinale humaine, et toute crainte de représailles disparaîtra … La Nouvelle Aristocratie sera composée exclusivement d’ermites, clochards et invalides permanents. Le Diamant brut, la Prostituée Phtisique, le bandit qui est bon pour sa mère, la jeune fille épileptique qui a le chic avec les animaux seront les héros et héroïnes du Nouvel Age, quand le général, l’homme d’État, et le philosophe seront devenus la cible de chaque farce et satire. Hérode (Pour le temps présent, oratorio de Noël, W. H. Auden, 1944)
Just over 50 years ago, the poet W.H. Auden achieved what all writers envy: making a prophecy that would come true. It is embedded in a long work called For the Time Being, where Herod muses about the distasteful task of massacring the Innocents. He doesn’t want to, because he is at heart a liberal. But still, he predicts, if that Child is allowed to get away, « Reason will be replaced by Revelation. Instead of Rational Law, objective truths perceptible to any who will undergo the necessary intellectual discipline, Knowledge will degenerate into a riot of subjective visions . . . Whole cosmogonies will be created out of some forgotten personal resentment, complete epics written in private languages, the daubs of schoolchildren ranked above the greatest masterpieces. Idealism will be replaced by Materialism. Life after death will be an eternal dinner party where all the guests are 20 years old . . . Justice will be replaced by Pity as the cardinal human virtue, and all fear of retribution will vanish . . . The New Aristocracy will consist exclusively of hermits, bums and permanent invalids. The Rough Diamond, the Consumptive Whore, the bandit who is good to his mother, the epileptic girl who has a way with animals will be the heroes and heroines of the New Age, when the general, the statesman, and the philosopher have become the butt of every farce and satire. »What Herod saw was America in the late 1980s and early ’90s, right down to that dire phrase « New Age. »(…) Americans are obsessed with the recognition, praise and, when necessary, the manufacture of victims, whose one common feature is that they have been denied parity with that Blond Beast of the sentimental imagination, the heterosexual, middle-class white male. The range of victims available 10 years ago — blacks, Chicanos, Indians, women, homosexuals — has now expanded to include every permutation of the halt, the blind and the short, or, to put it correctly, the vertically challenged. (…) Since our newfound sensitivity decrees that only the victim shall be the hero, the white American male starts bawling for victim status too. (…) European man, once the hero of the conquest of the Americas, now becomes its demon; and the victims, who cannot be brought back to life, are sanctified. On either side of the divide between Euro and native, historians stand ready with tarbrush and gold leaf, and instead of the wicked old stereotypes, we have a whole outfit of equally misleading new ones. Our predecessors made a hero of Christopher Columbus. To Europeans and white Americans in 1892, he was Manifest Destiny in tights, whereas a current PC book like Kirkpatrick Sale’s The Conquest of Paradise makes him more like Hitler in a caravel, landing like a virus among the innocent people of the New World. Robert Hughes (24.06.2001)
La vérité biblique sur le penchant universel à la violence a été tenue à l’écart par un puissant processus de refoulement. (…) La vérité fut reportée sur les juifs, sur Adam et la génération de la fin du monde. (…) La représentation théologique de l’adoucissement de la colère de Dieu par l’acte d’expiation du Fils constituait un compromis entre les assertions du Nouveau Testament sur l’amour divin sans limites et celles sur les fantasmes présents en chacun. (…) Même si la vérité biblique a été de nouveau  obscurcie sur de nombreux points, (…) dénaturée en partie, elle n’a jamais été totalement falsifiée par les Églises. Elle a traversé l’histoire et agit comme un levain. Même l’Aufklärung critique contre le christianisme qui a pris ses armes et les prend toujours en grande partie dans le sombre arsenal de l’histoire de l’Eglise, n’a jamais pu se détacher entièrement de l’inspiration chrétienne véritable, et par des détours embrouillés et compliqués, elle a porté la critique originelle des prophètes dans les domaines sans cesse nouveaux de l’existence humaine. Les critiques d’un Kant, d’un Feuerbach, d’un Marx, d’un Nietzsche et d’un Freud – pour ne prendre que quelques uns parmi les plus importants – se situent dans une dépendance non dite par rapport à l’impulsion prophétique. Raymund Schwager
An advertent and sustained foreign policy uses a different part of the brain from the one engaged by horrifying images. If Americans had seen the battles of the Wilderness and Cold Harbor on TV screens in 1864, if they had witnessed the meat-grinding carnage of Ulysses Grant’s warmaking, then public opinion would have demanded an end to the Civil War, and the Union might well have split into two countries, one of them farmed by black slaves. (…) The Americans have ventured into Somalia in a sort of surreal confusion, first impersonating Mother Teresa and now John Wayne. it would help to clarify that self-image, for to do so would clarify the mission, and then to recast the rhetoric of the enterprise. Lance Morrow (1993
In recent years, skewering the politically correct and the political correctness of those mocking political correctness has become a thriving journalistic enterprise. One of the more interesting examples of the genre was a cover-story essay by Robert Hughes, which appeared in the February 3, 1992, edition of Time magazine. The essay was entitled “The Fraying of America.”  In it, Hughes cast a cold eye on the American social landscape, and his assessment was summarized in the article’s subtitle: “When a nation’s diversity breaks into factions, demagogues rush in, false issues cloud debate, and everybody has a grievance.” “Like others, Hughes found himself puzzling over how and why the status of ‘victim’ had become the seal of moral rectitude in American society. He began his essay by quoting a passage from W. H. Auden’s Christmas oratorio, For the Time Being. The lines he quoted were ones in which King Herod ruminates over whether the threat to civilization posed by the birth of Christ is serious enough to warrant murdering all the male children in one region of the empire. (The historical Herod may have been a vulgar and conniving Roman sycophant, but Auden’s Herod, let’s not forget, is watching the rough beast of the twentieth century slouching toward Bethlehem.) Weighing all the factors, Herod decides that the Christ child must be destroyed, even if to do so innocents must be slaughtered. For, he argues in the passage that Hughes quoted, should the Child survive: Reason will be replaced by Revelation . . . . Justice will be replaced by Pity as the cardinal virtue, and all fear of retribution will vanish . . . . The New Aristocracy will consist exclusively of hermits, bums and permanent invalids. The Rough Diamond, the Consumptive Whore, the bandit who is good to his mother, the epileptic girl who has a way with animals will be the heroes and heroines of the New Age, when the general, the statesman, and the philosopher have become the butt of every farce and satire. “Hughes quoted this passage from Auden in order to point out that Auden’s prophecy had come true. As Auden’s Herod had predicted, American society was awash in what Hughes termed the “all-pervasive claim to victimhood.” He noted that in virtually all the contemporary social, political, or moral debates, both sides were either claiming to be victims or claiming to speak on their behalf. It was clear to Hughes, however, that this was not a symptom of a moral victory over our scapegoating impulses. There can be no victims without victimizers. Even though virtually everyone seemed to be claiming the status of victim, the claims could be sustained only if some of the claims could be denied. (At this point, things become even murkier, for in the topsy-turvy world of victimology, a claimant denied can easily be mistaken for a victim scorned, the result being that denying someone’s claim to victim status can have the same effect as granting it.) Nevertheless, the algebraic equation of victimhood requires victimizers, and so, for purely logical reasons, some claims have to be denied. Some, in Hughes’s words, would have to remain “the butt of every farce and satire.” Hughes argued that all those who claim victim status share one thing in common, “they have been denied parity with that Blond Beast of the sentimental imagination, the heterosexual, middle-class, white male.” “Hughes realized that a hardy strain of envy and resentment toward this one, lone nonvictim continued to play an important role in the squabbles over who would be granted victim status. Those whose status as victim was secure were glaring at this last nonvictim with something of the vigilante’s narrow squint. Understandably, the culprit was anxious to remove his blemish. “Since our new found sensitivity decrees that only the victim shall be the hero,” Hughes wrote, “the white American male starts bawling for victim status too.” Gil Bailie
The gospel revelation gradually destroys the ability to sacralize and valorize violence of any kind, even for Americans in pursuit of the good. (…) At the heart of the cultural world in which we live, and into whose orbit the whole world is being gradually drawn, is a surreal confusion. The impossible Mother Teresa-John Wayne antinomy Times correspondent (Lance) Morrow discerned in America’s humanitarian 1992 Somali operation is simply a contemporary manifestation of the tension that for centuries has hounded those cultures under biblical influence. Gil Bailie
L’erreur est toujours de raisonner dans les catégories de la « différence », alors que la racine de tous les conflits, c’est plutôt la « concurrence », la rivalité mimétique entre des êtres, des pays, des cultures. La concurrence, c’est-à-dire le désir d’imiter l’autre pour obtenir la même chose que lui, au besoin par la violence. Sans doute le terrorisme est-il lié à un monde « différent » du nôtre, mais ce qui suscite le terrorisme n’est pas dans cette « différence » qui l’éloigne le plus de nous et nous le rend inconcevable. Il est au contraire dans un désir exacerbé de convergence et de ressemblance. (…) Ce qui se vit aujourd’hui est une forme de rivalité mimétique à l’échelle planétaire. Lorsque j’ai lu les premiers documents de Ben Laden, constaté ses allusions aux bombes américaines tombées sur le Japon, je me suis senti d’emblée à un niveau qui est au-delà de l’islam, celui de la planète entière. Sous l’étiquette de l’islam, on trouve une volonté de rallier et de mobiliser tout un tiers-monde de frustrés et de victimes dans leurs rapports de rivalité mimétique avec l’Occident. Mais les tours détruites occupaient autant d’étrangers que d’Américains. Et par leur efficacité, par la sophistication des moyens employés, par la connaissance qu’ils avaient des Etats-Unis, par leurs conditions d’entraînement, les auteurs des attentats n’étaient-ils pas un peu américains ? On est en plein mimétisme.Ce sentiment n’est pas vrai des masses, mais des dirigeants. Sur le plan de la fortune personnelle, on sait qu’un homme comme Ben Laden n’a rien à envier à personne. Et combien de chefs de parti ou de faction sont dans cette situation intermédiaire, identique à la sienne. Regardez un Mirabeau au début de la Révolution française : il a un pied dans un camp et un pied dans l’autre, et il n’en vit que de manière plus aiguë son ressentiment. Aux Etats-Unis, des immigrés s’intègrent avec facilité, alors que d’autres, même si leur réussite est éclatante, vivent aussi dans un déchirement et un ressentiment permanents. Parce qu’ils sont ramenés à leur enfance, à des frustrations et des humiliations héritées du passé. Cette dimension est essentielle, en particulier chez des musulmans qui ont des traditions de fierté et un style de rapports individuels encore proche de la féodalité. (…) Cette concurrence mimétique, quand elle est malheureuse, ressort toujours, à un moment donné, sous une forme violente. A cet égard, c’est l’islam qui fournit aujourd’hui le ciment qu’on trouvait autrefois dans le marxismeRené Girard
Notre monde est de plus en plus imprégné par cette vérité évangélique de l’innocence des victimes. L’attention qu’on porte aux victimes a commencé au Moyen Age, avec l’invention de l’hôpital. L’Hôtel-Dieu, comme on disait, accueillait toutes les victimes, indépendamment de leur origine. Les sociétés primitives n’étaient pas inhumaines, mais elles n’avaient d’attention que pour leurs membres. Le monde moderne a inventé la « victime inconnue », comme on dirait aujourd’hui le « soldat inconnu ». Le christianisme peut maintenant continuer à s’étendre même sans la loi, car ses grandes percées intellectuelles et morales, notre souci des victimes et notre attention à ne pas nous fabriquer de boucs émissaires, ont fait de nous des chrétiens qui s’ignorent. René Girard
L’inauguration majestueuse de l’ère « post-chrétienne » est une plaisanterie. Nous sommes dans un ultra-christianisme caricatural qui essaie d’échapper à l’orbite judéo-chrétienne en « radicalisant » le souci des victimes dans un sens antichrétien. (…) Jusqu’au nazisme, le judaïsme était la victime préférentielle de ce système de bouc émissaire. Le christianisme ne venait qu’en second lieu. Depuis l’Holocauste, en revanche, on n’ose plus s’en prendre au judaïsme, et le christianisme est promu au rang de bouc émissaire numéro un. René Girard
Les événements qui se déroulent sous nos yeux sont à la fois naturels et culturels, c’est-à-dire qu’ils sont apocalyptiques. Jusqu’à présent, les textes de l’Apocalypse faisaient rire. Tout l’effort de la pensée moderne a été de séparer le culturel du naturel. La science consiste à montrer que les phénomènes culturels ne sont pas naturels et qu’on se trompe forcément si on mélange les tremblements de terre et les rumeurs de guerre, comme le fait le texte de l’Apocalypse. Mais, tout à coup, la science prend conscience que les activités de l’homme sont en train de détruire la nature. C’est la science qui revient à l’Apocalypse. René Girard
La religion doit être historicisée : elle fait des hommes des êtres qui restent toujours violents mais qui deviennent plus subtils, moins spectaculaires, moins proches de la bête et des formes sacrificielles comme le sacrifice humain. Il se pourrait qu’il y ait un christianisme historique qui soit une nécessité historique. Après deux mille ans de christianisme historique, il semble que nous soyons aujourd’hui à une période charnière – soit qui ouvre sur l’Apocalypse directement, soit qui nous prépare une période de compréhension plus grande et de trahison plus subtile du christianisme. (…) Oui, pour moi l’Apocalypse c’est la fin de l’histoire. (…) L’Apocalypse, c’est l’arrivée du royaume de Dieu. Mais on peut penser qu’il y a des « petites ou des demi-apocalypses » ou des crises c’est-à-dire des périodes intermédiaires… (…) Il faut prendre très au sérieux les textes apocalyptiques. Nous ne savons pas si nous sommes à la fin du monde, mais nous sommes dans une période-charnière. Je pense que toutes les grandes expériences chrétiennes des époques-charnières sont inévitablement apocalyptiques dans la mesure où elles rencontrent l’incompréhension des hommes et le fait que cette incompréhension d’une certaine manière est toujours fatale. Je dis qu’elle est toujours fatale, mais en même temps elle ne l’est jamais parce que Dieu reprend toujours les choses et toujours pardonne. (…) Je me souviens d’un journal dans lequel il y avait deux articles juxtaposés. Le premier se moquait de l’Apocalypse d’une certaine façon ; le second était aussi apocalyptique que possible. Le contact de ces deux textes qui se faisaient face et qui dans le même temps se donnaient comme n’ayant aucun rapport l’un avec l’autre avait quelque chose de fascinant. (…) Nous sommes encore proches de cette période des grandes expositions internationales qui regardait de façon utopique la mondialisation comme l’Exposition de Londres – la « Fameuse » dont parle Dostoievski, les expositions de Paris… Plus on s’approche de la vraie mondialisation plus on s’aperçoit que la non-différence ce n’est pas du tout la paix parmi les hommes mais ce peut être la rivalité mimétique la plus extravagante. On était encore dans cette idée selon laquelle on vivait dans le même monde : on n’est plus séparé par rien de ce qui séparait les hommes auparavant donc c’est forcément le paradis. Ce que voulait la Révolution française. Après la nuit du 4 août, plus de problème ! (…) L’Amérique connaît bien cela. Il est évident que la non-différence de classe ne tarit pas les rivalités mais les excite à mort avec tout ce qu’il y a de bon et de mortel dans ce phénomène. (…)  il n’y a plus de sacrifice et donc les hommes sont exposés à la violence et il n’y a plus que deux choix : soit on préfère subir la violence soit on cherche à l’infliger à autrui. Le Christ veut nous dire entre autres choses : il vaut mieux subir la violence (c’est le sacrifice de soi) que de l’infliger à autrui. Si Dieu refuse le sacrifice, il est évident qu’il nous demande la non-violence qui empêchera l’Apocalypse. René Girard
L’avenir apocalyptique n’est pas quelque chose d’historique. C’est quelque chose de religieux sans lequel on ne peut pas vivre. C’est ce que les chrétiens actuels ne comprennent pas. Parce que, dans l’avenir apocalyptique, le bien et le mal sont mélangés de telle manière que d’un point de vue chrétien, on ne peut pas parler de pessimisme. Cela est tout simplement contenu dans le christianisme. Pour le comprendre, lisons la Première Lettre aux Corinthiens : si les puissants, c’est-à-dire les puissants de ce monde, avaient su ce qui arriverait, ils n’auraient jamais crucifié le Seigneur de la Gloire – car cela aurait signifié leur destruction (cf. 1 Co 2, 8). Car lorsque l’on crucifie le Seigneur de la Gloire, la magie des pouvoirs, qui est le mécanisme du bouc émissaire, est révélée. Montrer la crucifixion comme l’assassinat d’une victime innocente, c’est montrer le meurtre collectif et révéler ce phénomène mimétique. C’est finalement cette vérité qui entraîne les puissants à leur perte. Et toute l’histoire est simplement la réalisation de cette prophétie. Ceux qui prétendent que le christianisme est anarchiste ont un peu raison. Les chrétiens détruisent les pouvoirs de ce monde, car ils détruisent la légitimité de toute violence. Pour l’État, le christianisme est une force anarchique, surtout lorsqu’il retrouve sa puissance spirituelle d’autrefois. Ainsi, le conflit avec les musulmans est bien plus considérable que ce que croient les fondamentalistes. Les fondamentalistes pensent que l’apocalypse est la violence de Dieu. Alors qu’en lisant les chapitres apocalyptiques, on voit que l’apocalypse est la violence de l’homme déchaînée par la destruction des puissants, c’est-à-dire des États, comme nous le voyons en ce moment. Lorsque les puissances seront vaincues, la violence deviendra telle que la fin arrivera. Si l’on suit les chapitres apocalyptiques, c’est bien cela qu’ils annoncent. Il y aura des révolutions et des guerres. Les États s’élèveront contre les États, les nations contre les nations. Cela reflète la violence. Voilà le pouvoir anarchique que nous avons maintenant, avec des forces capables de détruire le monde entier. On peut donc voir l’apparition de l’apocalypse d’une manière qui n’était pas possible auparavant. Au début du christianisme, l’apocalypse semblait magique : le monde va finir ; nous irons tous au paradis, et tout sera sauvé ! L’erreur des premiers chrétiens était de croire que l’apocalypse était toute proche. Les premiers textes chronologiques chrétiens sont les Lettres aux Thessaloniciens qui répondent à la question : pourquoi le monde continue-t-il alors qu’on en a annoncé la fin ? Paul dit qu’il y a quelque chose qui retient les pouvoirs, le katochos (quelque chose qui retient). L’interprétation la plus commune est qu’il s’agit de l’Empire romain. La crucifixion n’a pas encore dissout tout l’ordre. Si l’on consulte les chapitres du christianisme, ils décrivent quelque chose comme le chaos actuel, qui n’était pas présent au début de l’Empire romain. (..) le monde actuel (…) confirme vraiment toutes les prédictions. On voit l’apocalypse s’étendre tous les jours : le pouvoir de détruire le monde, les armes de plus en plus fatales, et autres menaces qui se multiplient sous nos yeux. Nous croyons toujours que tous ces problèmes sont gérables par l’homme mais, dans une vision d’ensemble, c’est impossible. Ils ont une valeur quasi surnaturelle. Comme les fondamentalistes, beaucoup de lecteurs de l’Évangile reconnaissent la situation mondiale dans ces chapitres apocalyptiques. Mais les fondamentalistes croient que la violence ultime vient de Dieu, alors ils ne voient pas vraiment le rapport avec la situation actuelle – le rapport religieux. Cela montre combien ils sont peu chrétiens. La violence humaine, qui menace aujourd’hui le monde, est plus conforme au thème apocalyptique de l’Évangile qu’ils ne le pensent. René Girard
Dans le monde actuel, beaucoup de choses correspondent au climat des grands textes apocalyptiques du Nouveau Testament, en particulier Matthieu et Marc. Il y est fait mention du phénomène principal du mimétisme, qui est la lutte des doubles : ville contre ville, province contre province… Ce sont toujours les doubles qui se battent et leur bagarre n’a aucun sens puisque c’est la même chose des deux côtés. Aujourd’hui, il ne semble rien de plus urgent à la Chine que de rattraper les Etats-Unis sur tous les plans et en particulier sur le nombre d’autoroutes ou la production de véhicules automobiles. Vous imaginez les conséquences ? Il est bien évident que la production économique et les performances des entreprises mettent en jeu la rivalité. Clausewitz le disait déjà en 1820 : il n’y a rien qui ressemble plus à la guerre que le commerce. Souvent les chrétiens s’arrêtent à une interprétation eschatologique des textes de l’Apocalypse. Il s’agirait d’un événement supranaturel… Rien n’est plus faux ! Au chapitre 16 de Matthieu, les juifs demandent à Jésus un signe. « Mais, vous savez les lire, les signes, leur répond-t-il. Vous regardez la couleur du ciel le soir et vous savez deviner le temps qu’il fera demain. » Autrement dit, l’Apocalypse, c’est naturel. L’Apocalypse n’est pas du tout divine. Ce sont les hommes qui font l’Apocalypse. René Girard
Quels sont les grands leaders du monde aujourd’hui ? Le président Xi, le président Poutine – on peut être d’accord ou pas, mais c’est un leader –, le grand prince Mohammed Ben Salman. Et que seraient aujourd’hui les Emirats sans le leadership de MBZ ? (…) Quel est le problème des démocraties ? C’est que les démocraties ont pu devenir des démocraties avec de grands leaders : de Gaulle, Churchill… Mais les démocraties détruisent tous les leaderships. C’est un grand sujet, ce n’est pas un sujet anecdotique ! Comment peut-on avoir une vision à dix, quinze ou vingt ans, et en même temps avoir un rythme électoral aux Etats-Unis tous les quatre ans ? Les démocraties sont devenues un champ de bataille, où chaque heure est utilisée par tout le monde, réseaux sociaux et autres, pour détruire celui qui est en place. Comment voulez-vous avoir une vision de long terme pour un pays ? C’est ce qui fait que, aujourd’hui, les grands leaders du monde sont issus de pays qui ne sont pas de grandes démocraties. (…) C’est une formidable bonne nouvelle que la Chine assume ses responsabilités internationales. On assiste à un changement de la politique chinoise comme jamais on n’en a connu avant. Jamais. La Chine, c’est quand même le pays qui a construit la Grande Muraille pour se protéger des barbares qui étaient de l’autre côté : nous. « One Road, One Belt »,  c’est un changement colossal ! Tout d’un coup, la Chine décomplexée dit : “Je pars à la conquête du monde.” Alors est-ce que c’est pour des raisons éducatives, politiques, économiques : peu importe.  (…) Le président Xi considère que deux mandats de cinq ans, dix ans, c’est pas assez. Il a raison ! Le mandat du président américain, en vérité c’est pas quatre ans, c’est deux ans : un an pour apprendre le job, un an pour préparer la réélection. Donc vous comparez le président chinois qui a une vision pour son pays et qui dit : “Dix ans, c’est pas assez”, au président américain qui a en vérité deux ans. Mais qui parierait beaucoup sur la réélection de Trump ? Ce matin, j’ai rencontré le prince héritier MBZ. Est-ce que vous croyez qu’on construit un pays comme ça, en deux ans ? Ici, en cinquante ans, vous avez construit un des pays les plus modernes qui soient. La question du leadership est centrale. La réussite du modèle émirien est sans doute l’exemple le plus important pour nous, pour l’ensemble du monde. J’ai été le chef de l’Etat qui a signé le contrat du Louvre à Abou Dhabi. J’y ai mis toute mon énergie. MBZ y a mis toute sa vision. On a mis dix ans ! En allant vite ! Sauf que MBZ est toujours là… Et moi ça fait six ans que je suis parti. (…) La question doit être posée comme ça : est-ce qu’on a besoin de la Russie ou pas ? Ma réponse est oui ! La Russie, c’est le pays à la plus grande superficie du monde. Qui peut dire qu’on ne doit pas parler avec eux ? Quelle est cette idée folle ? Je n’avais pas tout à fait compris dans l’administration Obama pourquoi Poutine et la Russie étaient devenus le principal adversaire. Y a-t-il un risque que la Russie envahisse d’autres pays ? Je n’y crois pas. La Russie doit perdre environ un demi-million d’habitants par an, sur le territoire le plus grand du monde. Est-ce que vous avez déjà vu des pays qui n’arrivent pas à occuper toute leur surface aller envahir des pays à côté ? Sur l’Ukraine, je pense que l’affaire n’a pas été bien gérée depuis le début et qu’il y avait moyen de faire mieux. Poutine est un homme prévisible, avec qui on peut parler et qui respecte la force. Nicolas Sarkozy
One must be blind not to see the approach of the terrible moments of history about which the Apostle and Evangelist John the Theologian spoke in his Revelation. Patriarch Kirill
We believe that Putin is the best and the only leader [for Russia]… He is trying to make Russia the state where Christians can live and can save their souls for eternal life. Konstantin Malofeev
Simply said, the Antichrist will not come before there will not be anymore supporters [of Orthodoxy]… What is the coming of Antichrist? It is secularism. It is modernization. Westernization. Materialism. Scientific development. The concept of progress. Putin is exactly the figure who is resisting the Antichrist on earth. Aleksandr Dugin
Thank God we live in a country where political correctness has not reached the point of absurdity. Andrei Konchalovsky
If the world were saved from demonic constructions such as the United States, it would be easier for everyone to live. And one of these days it will happen. n. Russian commander
Putin understands that there is no empire without Ukraine. The first move, I think, is Ukraine. But I don’t exclude a military attack in the Far East. They want to distract American attention, prolong the front of confrontation in order to create a favorable situation for aggression in Europe. If you look at the map, Russia is always helping the enemies of America: deep ties to North Korea, involvement in Afghanistan and Syria, backing Iran, and so on. Antoni Macierewicz (Poland’s defense minister)
Vladimir Putin’s propaganda machine has two overarching goals.  First, the Russian people must believe the Kremlin version of domestic and world events (…) that Russia is a super power in a hostile world (…) Second, Kremlin propaganda must discredit Western democracy as dysfunctional and inferior to Russia’s managed “democracy.” Kremlin propaganda has largely failed in this regard. Russians consider their government corrupt, remote from the people, interested in preserving power rather than performing its duties, and lying about the true state of affairs. Nevertheless, Putin’s approval ratings remain high in the absence of rivals, who have fled the country, been indicted, or murdered. Putin, in fact, bases his legitimacy on high approval ratings. To counter the Russian people’s sense that they have no say in how they are governed, Kremlin propagandists must sell the story that Western democracies have it worse. Downtrodden Americans, they say, face poverty, hunger, racial and ethnic discrimination, unemployment, and they are governed by corrupt, inept, greedy, dysfunctional, and feuding politicians who sell out to the highest bidder on Wall Street or in Silicon Valley. This brings us to how the ballyhooed Russian meddling in the 2016 U.S. election has given Putin a gift that keeps on giving—a paralyzed federal government, incapable of compromise, in which a significant portion of the governing class questions the legitimacy of a new president. Russia routinely meddles in the politics of other countries. Despite denials, the Kremlin contributes to pro-Russian political parties throughout the world, gathers compromising information, hacks into email accounts, offers lucrative contracts to foreign businesses, and circulates false news. Given this history, U.S. authorities should not have been surprised by Russian meddling in the 2016 presidential race. To date, Special Counsel Robert Mueller has indicted thirteen Russian “internet trolls,” who sowed discord on social media by posting inflammatory, distorted, slanted, and false information promoting the Russian narrative of a deeply divided electorate and a discredited American electoral system. Mueller’s indictment identifies the Internet Research Agency (IRA) of St. Petersburg as the nerve center of Russia’s trolling operations. Although putatively owned by a private Russian oligarch close to Putin, there is little doubt that the IRA is a mouthpiece of the Kremlin. The existence and activities of the IRA have been known since 2014. It employs hundreds of hackers and writers divided into geographical sections. It is not the sole source of Russian trolling, but it is the most important. Those American politicians and pundits, like Congressman Jerry Nagler and columnist Thomas Friedman, who label Russian intervention an act of warfare on par with Pearl Harbor or 9/11must attribute supernatural powers to Putin’s trolls. After all, the Mueller investigation revealed that Russia spent no more than a few million dollars on its election-meddling versus the over two billion dollars spent by the presidential candidates alone. The IRA’s St. Petersburg America desk constituted some 90 persons. Their social media posts accounted for an infinitesimal portion of social media political traffic and much of this came after the election. (…) that Western democracies, American democracy especially, are rotten, corrupt, and hapless is a cornerstone of the Kremlin narrative. As the Mueller indictment concludes: The stated goal of the Russian operation was “spreading distrust towards candidates and the political system in general.” The Russian trolls, according to the Mueller indictment, used a number of techniques to achieve this end. They encouraged fringe candidates. They tried to ally with disaffected religious, ethnic, and nationalist groups. They discredited the candidate they thought most likely to win. Once the winner was known, they immediately moved to discredit him. (…) The dozen ill-informed operatives indicted by Mueller held poorly attended rallies, had to be educated about red and blue states, and spent their limited funds in uncontested states. It would be almost crazy to believe that such Russian intervention could have made a difference. Why, then, do so many Americans believe that Russia was instrumental in throwing the election to Donald Trump? It may be that some of the President’s opponents actually believe this narrative. But there’s another explanation, too: Russian intervention provides opportunistic politicians and pundits a useful excuse for paralyzing the incoming government of a gutter-fighter President from a show business and construction background with no political experience. In their view, such a person should not be allowed to govern. Hence the paralysis, dysfunction, and chaos of American democracy—long claimed by Russian propagandists—is on its way to becoming reality. What a windfall for Putin and his oligarchs. Paul R. Gregory
Ivan Ilyin, came to imagine a Russian Christian fascism. Born in 1883, he finished a dissertation on God’s worldly failure just before the Russian Revolution of 1917. Expelled from his homeland in 1922 by the Soviet power he despised, he embraced the cause of Benito Mussolini and completed an apology for political violence in 1925. In German and Swiss exile, he wrote in the 1920s and 1930s for White Russian exiles who had fled after defeat in the Russian civil war, and in the 1940s and 1950s for future Russians who would see the end of the Soviet power. (…) For the young Ilyin, writing before the Revolution, law embodied the hope that Russians would partake in a universal consciousness that would allow Russia to create a modern state. For the mature, counter-revolutionary Ilyin, a particular consciousness (“heart” or “soul,” not “mind”) permitted Russians to experience the arbitrary claims of power as law. Though he died forgotten, in 1954, Ilyin’s work was revived after collapse of the Soviet Union in 1991, and guides the men who rule Russia today. (…) Because Ilyin found ways to present the failure of the rule of law as Russian virtue, Russian kleptocrats use his ideas to portray economic inequality as national innocence. In the last few years, Vladimir Putin has also used some of Ilyin’s more specific ideas about geopolitics in his effort translate the task of Russian politics from the pursuit of reform at home to the export of virtue abroad. By transforming international politics into a discussion of “spiritual threats,” Ilyin’s works have helped Russian elites to portray the Ukraine, Europe, and the United States as existential dangers to Russia. (…) Ilyin used the word Spirit (Dukh) to describe the inspiration of fascists. The fascist seizure of power, he wrote, was an “act of salvation.” The fascist is the true redeemer, since he grasps that it is the enemy who must be sacrificed. Ilyin took from Mussolini the concept of a “chivalrous sacrifice” that fascists make in the blood of others. (Speaking of the Holocaust in 1943, Heinrich Himmler would praise his SS-men in just these terms.) (…) What seemed to trouble Ilyin most was that Italians and not Russians had invented fascism: “Why did the Italians succeed where we failed?” Writing of the future of Russian fascism in 1927, he tried to establish Russian primacy by considering the White resistance to the Bolsheviks as the pre-history of the fascist movement as a whole. The White movement had also been “deeper and broader” than fascism because it had preserved a connection to religion and the need for totality. Ilyin proclaimed to “my White brothers, the fascists” that a minority must seize power in Russia. The time would come. The “White Spirit” was eternal. (…) “The fact of the matter,” wrote Ilyin, “is that fascism is a redemptive excess of patriotic arbitrariness.” Arbitrariness (proizvol), a central concept in all modern Russian political discussions, was the bugbear of all Russian reformers seeking improvement through law. Now proizvol was patriotic. The word for “redemptive” (spasytelnii), is another central Russian concept. It is the adjective Russian Orthodox Christians might apply to the sacrifice of Christ on Calvary, the death of the One for the salvation of the many. Ilyin uses it to mean the murder of outsiders so that the nation could undertake a project of total politics that might later redeem a lost God. In one sentence, two universal concepts, law and Christianity, are undone. A spirit of lawlessness replaces the spirit of the law; a spirit of murder replaces a spirit of mercy. (…) Writing in Russian for Russian émigrés, Ilyin was quick to praise Hitler’s seizure of power in 1933. Hitler did well, in Ilyin’s opinion, to have the rule of law suspended after the Reichstag Fire of February 1933. Ilyin presented Hitler, like Mussolini, as a Leader from beyond history whose mission was entirely defensive. “A reaction to Bolshevism had to come,” wrote Ilyin, “and it came.” European civilization had been sentenced to death, but “so long as Mussolini is leading Italy and Hitler is leading Germany, European culture has a stay of execution.” Nazis embodied a “Spirit” (Dukh) that Russians must share. According to Ilyin, Nazis were right to boycott Jewish businesses and blame Jews as a collectivity for the evils that had befallen Germany. Above all, Ilyin wanted to persuade Russians and other Europeans that Hitler was right to treat Jews as agents of Bolshevism. This “Judeobolshevik” idea, as Ilyin understood, was the ideological connection between the Whites and the Nazis. The claim that Jews were Bolsheviks and Bolsheviks were Jews was White propaganda during the Russian Civil War. Of course, most communists were not Jews, and the overwhelming majority of Jews had nothing to do with communism. The conflation of the two groups was not an error or an exaggeration, but rather a transformation of traditional religious prejudices into instruments of national unity. Judeobolshevism appealed to the superstitious belief of Orthodox Christian peasants that Jews guarded the border between the realms of good and evil. It shifted this conviction to modern politics, portraying revolution as hell and Jews as its gatekeepers. As in Ilyin’s philosophy, God was weak, Satan was dominant, and the weapons of hell were modern ideas in the world. (…) As the 1930s passed, Ilyin began to doubt that Nazi Germany was advancing the cause of Russian fascism. This was natural, since Hitler regarded Russians as subhumans, and Germany supported European fascists only insofar as they were useful to the specific Nazi cause. Ilyin began to caution Russian Whites about Nazis, and came under suspicion from the German government. He lost his job and, in 1938, left Germany for Switzerland. He remained faithful, however, to his conviction that the White movement was anterior to Italian fascism and German National Socialism. In time, Russians would demonstrate a superior fascism. (…) World War II (…) was a confusing moment for both communists and their enemies, since the conflict began after the Soviet Union and Nazi Germany reached an agreement known as the Molotov-Ribbentrop Pact. (…) as the Wehrmacht invaded the Soviet Union (…) Ilyin (…) wrote of the German invasion of the USSR as a “judgment on Bolshevism.” After the Soviet victory at Stalingrad in February 1943, when it became clear that Germany would likely lose the war, Ilyin changed his position again. Then, and in the years to follow, he would present the war as one of a series of Western attacks on Russian virtue. Russian innocence was becoming one of Ilyin’s great themes. As a concept, it completed Ilyin’s fascist theory: the world was corrupt; it needed redemption from a nation capable of total politics; that nation was unsoiled Russia. As he aged, Ilyin dwelled on the Russian past, not as history, but as a cyclical myth of native virtue defended from external penetration. Russia was an immaculate empire, always under attack from all sides. A small territory around Moscow became the Russian Empire, the largest country of all time, without ever attacking anyone. Even as it expanded, Russia was the victim, because Europeans did not understand the profound virtue it was defending by taking more land. In Ilyin’s words, Russia has been subject to unceasing “continental blockade,” and so its entire past was one of “self-defense.” And so, “the Russian nation, since its full conversion to Christianity, can count nearly one thousand years of historical suffering.” (…) Democratic elections institutionalized the evil notion of individuality. “The principle of democracy,” Ilyin wrote, “was the irresponsible human atom.” Counting votes was to falsely accept “the mechanical and arithmetical understanding of politics.” It followed that “we must reject blind faith in the number of votes and its political significance.” Public voting with signed ballots will allow Russians to surrender their individuality. Elections were a ritual of submission of Russians before their Leader. (…) Russia today is a media-heavy authoritarian kleptocracy, not the religious totalitarian entity that Ilyin imagined. And yet, his concepts do help lift the obscurity from some of the more interesting aspects of Russian politics. Vladimir Putin, to take a very important example, is a post-Soviet politician who emerged from the realm of fiction. Since it is he who brought Ilyin’s ideas into high politics, his rise to power is part of Ilyin’s story as well. (…) In the early 2000s, Putin maintained that Russia could become some kind of rule-of-law state. Instead, he succeeded in bringing economic crime within the Russian state, transforming general corruption into official kleptocracy. Once the state became the center of crime, the rule of law became incoherent, inequality entrenched, and reform unthinkable. Another political story was needed. Because Putin’s victory over Russia’s oligarchs also meant control over their television stations, new media instruments were at hand. The Western trend towards infotainment was brought to its logical conclusion in Russia, generating an alternative reality meant to generate faith in Russian virtue but cynicism about facts. This transformation was engineered by Vladislav Surkov, the genius of Russian propaganda. He oversaw a striking move toward the world as Ilyin imagined it, a dark and confusing realm given shape only by Russian innocence. With the financial and media resources under control, Putin needed only, in the nice Russian term, to add the “spiritual resource.” And so, beginning in 2005, Putin began to rehabilitate Ilyin as a Kremlin court philosopher. (…) If Russia could not become a rule-of-law state, it would seek to destroy neighbors that had succeeded in doing so or that aspired to do so. Echoing one of the most notorious proclamations of the Nazi legal thinker Carl Schmitt, Ilyin wrote that politics “is the art of identifying and neutralizing the enemy.” In the second decade of the twenty-first century, Putin’s promises were not about law in Russia, but about the defeat of a hyper-legal neighboring entity. The European Union, the largest economy in the world and Russia’s most important economic partner, is grounded on the assumption that international legal agreements provide the basis for fruitful cooperation among rule-of-law states. (…) Putin predicted that Eurasia would overcome the European Union and bring its members into a larger entity that would extend “from Lisbon to Vladivostok.” (…) Modifying Ilyin’s views about Russian innocence ever so slightly, Russian leaders could see the Soviet Union not as a foreign imposition upon Russia, as Ilyin had, but rather as Russia itself, and so virtuous despite appearances. Any faults of the Soviet system became necessary Russian reactions to the prior hostility of the West. Questions about the influence of ideas in politics are very difficult to answer, and it would be needlessly bold to make of Ilyin’s writings the pillar of the Russian system. For one thing, Ilyin’s vast body of work admits multiple interpretations. (…) And yet, most often in the Russia of the second decade of the twenty-first century, it is Ilyin’s ideas that to seem to satisfy political needs and to fill rhetorical gaps, to provide the “spiritual resource” for the kleptocratic state machine. (…) Russia’s 2012 law on “foreign agents,” passed right after Putin’s return to the office of the presidency, well represents Ilyin’s attitude to civil society. Ilyin believed that Russia’s “White Spirit” should animate the fascists of Europe; since 2013, the Kremlin has provided financial and propaganda support to European parties of the populist and extreme right. The Russian campaign against the “decadence” of the European Union, initiated in 2013, is in accord with Ilyin’s worldview. (…) Putin first submitted to years of shirtless fur-and-feather photoshoots, then divorced his wife, then blamed the European Union for Russian homosexuality. Ilyin sexualized what he experienced as foreign threats. Jazz, for example, was a plot to induce premature ejaculation. When Ukrainians began in late 2013 to assemble in favor of a European future for their country, the Russian media raised the specter of a “homodictatorship.” (…) Putin justified Russia’s attempt to draw Ukraine towards Eurasia by Ilyin’s “organic model” that made of Russia and Ukraine “one people. » Timothy Snyder
The last two weeks have witnessed the upending of the European order and the close of the post-Cold War era. With his invasion of Crimea and the instant absorption of the strategic peninsula, Vladimir Putin has shown that he will not play by the West’s rules. The “end of history” is at an end—we’re now seeing the onset of Cold War 2.0. What’s on the Kremlin’s mind was made clear by Putin’s fire-breathing speech to the Duma announcing the annexation of Crimea, which blended retrograde Russian nationalism with a generous helping of messianism on behalf of his fellow Slavs, alongside the KGB-speak that Putin is so fond of. If you enjoy mystical references to Orthodox saints of two millennia past accompanied by warnings about a Western fifth column and “national traitors,” this was the speech for you. Putin confirmed the worst fears of Ukrainians who think they should have their own country. But his ambitions go well beyond Ukraine: By explicitly linking Russian ethnicity with membership in the Russian Federation, Putin has challenged the post-Soviet order writ large. For years, I studied Russia as a counterintelligence officer for the National Security Agency, and at times I feel like I’m seeing history in reverse. The Kremlin is a fiercely revisionist power, seeking to change the status quo by various forms of force. This will soon involve NATO members in the Baltics directly, as well as Poland and Romania indirectly. Longstanding Russian acumen in what I term Special War, an amalgam of espionage, subversion and terrorism by spies and special operatives, is already known to Russia’s neighbors and can be expected to increase. In truth, Putin set Russia on a course for Cold War 2.0 as far back as 2007, and perhaps earlier; Western counterintelligence noted major upswings in aggressive Russian espionage and subversion against NATO members as far back as 2006.The brief Georgia war of August 2008, which made clear that the Kremlin was perfectly comfortable with using force in the post-Soviet space, ought to have served as a bigger wake-up call for the West. John R. Schindler (2014)
Ever since Moscow’s Little Green Men seized Crimea in early 2014, we’ve been in a new Cold War with Russia. To the consternation of wishful-thinkers, as Vladimir Putin’s confrontation with the West has become transparent, the reality of what I termed Cold War 2.0 almost four years ago has grown difficult to deny. Since the Kremlin’s revanchism is driving this conflict, we’re in it whether we want to be or not. Europe is the central front  in Cold War 2.0, thanks to geography and history. Putin’s war on, and in, Ukraine continues on low boil, while the Russian military regularly delivers provocations—a too-close warship here, an aircraft buzz there—all along NATO’s eastern frontier, sending an aggressive message. Major military exercises like September’s Zapad mega-wargame demonstrate Putin’s seriousness about confronting the Atlantic Alliance. (…)  However, Kremlin provocations extend far beyond the former Soviet Union (…) This assessment sounds alarmist at first, particularly the mention of possible aggression in the Far East, but Western intelligence agencies that track Russian moves have been thinking along similar lines—though they seldom say so in public. Therefore, it’s worth taking a brief look at what Putin’s up to, and where. Russia’s footprint on the North Korean crisis is impossible to miss, and since that’s the world’s most dangerous strategic predicament at present, Moscow’s less-than-helpful role merits attention. Although Beijing is clearly exasperated by the unhinged antics of its semi-client regime in Pyongyang, Moscow seems perfectly pleased with the hazardous games played by North Korea. And why not? Pyongyang creates strategic confusion for the Americans, which the Kremlin always enjoys. Russian military and intelligence support to the increasingly isolated Kim regime is an open secret, while Putin’s sanctions-beating lifelines to Pyongyang are public and deeply annoying for both Beijing and Washington. Although Moscow is no more eager to see all-out war on the Korean peninsula than the Chinese or Americans, keeping the nasty Kim regime in place frustrates and distracts the Pentagon, which is Russia’s real aim here. Not to mention that backing North Korea is viewed in the Kremlin as payback for NATO’s “meddling” in Ukraine. A similar pattern can be detected in Afghanistan, where American-led forces are in their sixteenth year of a seemingly endless counterinsurgency against the Taliban—and it’s not going well. Therefore, Moscow has been giving clandestine support to the Taliban. A few months back, the U.S. military command in Afghanistan admitted that Russian arms were reaching the Taliban. That clandestine Kremlin assistance is costing lives is increasingly obvious. Russian aid has reached Taliban “special” units that launch attacks on Afghan military bases. A recent spate of Taliban assaults on Afghan forces, including nighttime raids, has inflicted unexpected casualties on American allies. Of concern to the Pentagon, Taliban fighters equipped with Russian-made night vision gear have been ambushing Afghan military and police with lethal effects. It seems only a matter of time before American troops are killed by Russian-equipped Taliban special operators. While the Kremlin is in truth no fonder of the Taliban than the West is, this spoiler strategy is inflicting pain on the Americans and our clients in Kabul, which is all the Russians seek here. Not to mention that payback against us in Afghanistan, three decades after U.S. clandestine aid killed and wounded thousands of Soviet troops in that country, must be delicious for Moscow, where revenge has always constituted a rational strategic motivation. However, the real fight is in the heart of the Middle East, where Russia and its Iranian allies are fundamentally transforming the region at high cost in blood. Together, Moscow and Tehran are challenging the American-constructed security system that’s an ailing holdover from the last Cold War. Even recent cooperation between America’s two clients, Israel and Saudi Arabia, appears insufficient to turn back the rising Russian-Iranian tide across the Middle East. We only have ourselves to blame for this. Putin has taken full advantage of the blank check written by Barack Obama in September 2013 when our president backed away from his “red line” in Syria, in effect outsourcing that country and its terrible civil war to the Kremlin. As I predicted at the time, the strategic consequences of Obama’s decision have been grave, making Putin the new Middle East power-broker—a message that was missed only in Washington think-tanks. For his part, Donald Trump has been only too willing to let his Russian counterpart and would-be buddy do whatever he likes in Syria, Iraq, and elsewhere. Moscow’s military intervention in the Middle East, begun under Obama, continues to flourish and shows no signs of abating. The balance of power in this vital region has shifted decisively from Washington to Moscow at appalling cost in human life, though none of that troubled President Obama very much, and it seems to trouble his successor not one bit. It would be naïve to think Putin restricts his poking to the Eastern Hemisphere. Closer to our home, the bear’s paw-prints are easily detectable. Take Venezuela, the Bolivarian dictatorship and economic basket-case that’s barely a viable country at all anymore, between currency collapse and serious food shortages. Russian money is keeping this anti-American regime afloat, and last week Moscow’s refinancing of $3.15 billion it’s owed by Caracas gives the flat-broke country a bit of financial breathing room. Without Russia, Venezuela would likely implode, and it’s worth considering whether the Bolivarian regime is actually Putin’s newest satellite state. Although sanctions and low oil prices have diminished the Kremlin’s largess toward anti-Americans all over the globe, the prospect of having a loyal (because utterly dependent) client so close to the United States seems too good for Putin to pass up. Then there’s Cuba, Moscow’s “fraternal ally” from the last Cold War, and apparently the second one too. Just 90 miles from Key West, Cuba has long served as a reliable base for Russian provocations against us, and nothing’s changed. Russian economic aid to that impoverished island is back, after falling off after 1991, and the Kremlin has begun to reopen its military and spy bases in the country, which were shuttered after the Soviet collapse. Western intelligence has detected a Kremlin hand behind the recent rash of sonic attacks on American and Canadian diplomats in Cuba. While Havana flatly denies that anything untoward has occurred, two dozen U.S. diplomats in the country have suffered serious health problems due to this mysterious problem, which remains officially unexplained. However, it’s known that the KGB experimented with sonic weapons, while an attack of this sophistication is widely considered to be beyond the technical abilities of Cuban intelligence. (….) In all, this amounts to a worldwide Russian effort to push back against what’s left of American hegemony. Since Moscow lacks the ability to directly counter NATO and the U.S. militarily, the Russians are provoking and prodding where they can with the techniques of Special War: it’s what the Kremlin does best. This should be considered a spoiler strategy, a strategy of tension—what left-wing Italians in the 1970s termed la strategia della tensione. Vladimir Putin seeks to expand Russian power on the cheap while causing problems for America and our allies wherever he can—without direct military confrontation. John Schindler
One of the more interesting aspects of Cold War 2.0 is the ideological struggle between the postmodern West and Russia—a struggle that most Westerners deny even exists. there is an undeniable ideological struggle between Vladimir Putin’s neo-traditionalist Russia and the post-modern West—one that prominent Russians talk about all the time. In the Kremlin’s imagination, this fight pits the godless, materialistic, doomed 21st century West, too lazy to even reproduce, against a tough, reborn Russia that was forged in the murderous fire of 74 years of Bolshevism. The yawning gap between Russian and Western values can be partly explained by the fact that Communism shielded the former from the West’s vast cultural shifts since the 1960s. Living under the Old Left provided protection against the New Left. As a result, Russians are living in our past and find current Western ways incomprehensible and even contemptible. Take the reaction to America’s present panic about sexual harassment, which is felling celebrities and politicians left and right. In Moscow, this looks like madness, punishing powerful men for doing what powerful men have always done. Their late-night TV uses our sex panic as a punchline, proof that Americans are weak and feminized, held hostage to radical ideology. There is an undeniable theological aspect to this Russian contempt for post-modern Western values. The Russian Orthodox Church, which isn’t exactly state-controlled but is tightly linked to the Kremlin, regularly denounces the godless West and its sins—homosexuality and feminism especially. Orthodox clerics regularly castigate our “Satanic” ways as an example of what Russia must repel if it wants to survive the 21st century. Denouncing the West as godless and decadent is a venerable tradition in Russian Orthodoxy with deep historical roots, and it’s been reborn after Communism with gusto. Patriarch Kirill, the head of the ROC, frequently breathes fire on post-modern Western ways, and a couple weeks back he shared them with John Huntsman, the newly arrived American ambassador in Moscow, in an awkward meet-and-greet that turned into a theology lecture. Simply put, Kirill explained, America today is doing to itself what the Bolsheviks did to Russia: forcing a godless, secular ideology onto society. “Christian values are being destroyed… The West is abandoning God, but Russia is not abandoning God, like the majority of people in the world. That means the distance between our values is increasing,” he stated bluntly. Kirill’s insistence that America and the West are the outliers here, with Russia and most of the world on the side of traditional religion and values, is an important point that merits pondering. The traditionalist nature of Putinism, always present, has grown more intense in recent years as the Kremlin has sought to enshrine an official ideology as confrontation with the West has grown. Whatever Vladimir Putin may actually believe, he has played the public role of an Orthodox believer quite effectively. He has cultivated senior ROC clerics, who provide regime-endorsing soundbites as needed, and the church gives Putin legitimacy in the eyes of average Russians, who aren’t especially religious in terms of church-going, yet they see an Orthodox identity as reassuring and plausible in Communism’s wake. Putin has returned the church’s affection, stating that Russia’s “spiritual shield”—meaning Orthodoxy—is as important to the country’s security as its nuclear shield. In turn, Orthodox leaders portray Putin’s as a God-given figure, divinely sent to bring the country back to faith and great-power status out of the wreckage of atheistic Bolshevism. (…) Recently, Putin has played up the Orthodox nationalist message in a series of public events. He visited Mount Athos, Greece’s famous Holy Mountain, in May 2016 in a pilgrimage of sorts. It was shown live, with great fanfare, in wall-to-wall coverage on Tsargrad TV, and Putin was treated by the monks there more like a visiting Byzantine emperor than as the Russian president. This month, Putin was present for the grand reopening of the New Jerusalem Monastery outside Moscow, a sprawling 17th century complex that was destroyed by the Nazis in World War II and was rebuilt from the ground up over the past decade at great expense. It did not go unnoticed that the monastery was originally constructed to glorify the Third Rome idea, the centuries-old religious myth that Moscow is the sole successor to Rome and Byzantium, which has long served as a driver of Russian nationalism and imperialism. Then, last week, Patriarch Kirill warned of coming Armageddon. (…) Adding that the world’s end is in the hands of humanity, and something that Russians and all nations must stop, Krill warned of Earth imminently “slipping into the abyss of the end of history.” These are the comments of a top cleric, not the Ministry of Defense, but it should be noted that the Russian military is now practicing for global thermonuclear war in a manner it hasn’t done since the last Cold War. Last month, in an apparent continuation of September’s Zapad mega-wargame, Russia’s strategic nuclear forces conducted a huge exercise that involved Putin himself. This exercise involved all three “legs” of Russia’s nuclear triad: land-based ballistic missiles, long-range bombers, and submarines with ballistic missiles. In all, several cruise missiles were fired while three ballistic missiles were launched—and Putin personally gave the launch orders. This is a rare move, not to mention a violation of our nuclear treaties with the Kremlin, and Moscow was sending a hard-to-miss message. (…) It would be a mistake to directly lump nuclear exercises in with apocalyptic messages from leading Kremlin ideologues. However, it’s hardly encouraging that the Putin regime is pushing propaganda about planetary end-times while indulging in saber-rattling nuclear wargames for the first time in decades. Whatever else this aggressive Moscow messaging means, none of it bodes well for peace. John Schindler

Religions de tous pays, unissez vous !

Au lendemain d’un nouveau triomphe électoral du Chaisier musical en chef  de la sainte Russie …

Dont la participation et le score rien de moins qu’africains ou même soviétiques …

En font rêver plus d’un notre Sarkozy national en tête ….

Dans un Occident ne s’étant toujours pas remis du vide stratégique et des folies migratoires laissés par l’ère Obama-Merkel…

Comment ne pas voir …

Avec l’ex-expert de la NSA John Schindler

La lutte proprement théologique qui se profile …

Derrière la convergence des revanchismes tant russe que chinois ou musulman …

Et sous la menace d’une probablement inévitable invasion démographique africaine de l’Europe …

Entre sous l’étendard d’une Amérique en proie aux pires dérives du politiquement correct …

La décadence postmoderne d’un Occident désormais livré au plus crasse du matérialisme et de la déchristianisation ….

Et sous la houlette d’un régime poutinien multipliant entre inaugurations ou visites de lieux saints orthodoxes les démonstrations de force y compris chimiques ou thermonucléaires

Un reste du monde défendant la religion et les valeurs traditionnelles abandonnées par ledit Occident ?

Russia Conducts Nuclear Exercises Amid Orthodox End-Times Talk

One of the more interesting aspects of Cold War 2.0 is the ideological struggle between the postmodern West and Russia—a struggle that most Westerners deny even exists. President Barack Obama, after Moscow seized Crimea in early 2014, pronounced that there was nothing big afoot: “After all, unlike the Soviet Union, Russia leads no bloc of nations, no global ideology.”

Obama’s statement was wrong then, and it’s even more wrong now. As I’ve explained, there is an undeniable ideological struggle between Vladimir Putin’s neo-traditionalist Russia and the post-modern West—one that prominent Russians talk about all the time. In the Kremlin’s imagination, this fight pits the godless, materialistic, doomed 21st century West, too lazy to even reproduce, against a tough, reborn Russia that was forged in the murderous fire of 74 years of Bolshevism.

The yawning gap between Russian and Western values can be partly explained by the fact that Communism shielded the former from the West’s vast cultural shifts since the 1960s. Living under the Old Left provided protection against the New Left. As a result, Russians are living in our past and find current Western ways incomprehensible and even contemptible.

Take the reaction to America’s present panic about sexual harassment, which is felling celebrities and politicians left and right. In Moscow, this looks like madness, punishing powerful men for doing what powerful men have always done. Their late-night TV uses our sex panic as a punchline, proof that Americans are weak and feminized, held hostage to radical ideology. Andrei Konchalovsky, one of Russia’s top film directors (including some Hollywood hits), expressed his view plainly: “Thank God we live in a country where political correctness has not reached the point of absurdity.”

There is an undeniable theological aspect to this Russian contempt for post-modern Western values. The Russian Orthodox Church, which isn’t exactly state-controlled but is tightly linked to the Kremlin, regularly denounces the godless West and its sins—homosexuality and feminism especially. Orthodox clerics regularly castigate our “Satanic” ways as an example of what Russia must repel if it wants to survive the 21st century.

Denouncing the West as godless and decadent is a venerable tradition in Russian Orthodoxy with deep historical roots, and it’s been reborn after Communism with gusto. Patriarch Kirill, the head of the ROC, frequently breathes fire on post-modern Western ways, and a couple weeks back he shared them with John Huntsman, the newly arrived American ambassador in Moscow, in an awkward meet-and-greet that turned into a theology lecture.

Simply put, Kirill explained, America today is doing to itself what the Bolsheviks did to Russia: forcing a godless, secular ideology onto society. “Christian values are being destroyed… The West is abandoning God, but Russia is not abandoning God, like the majority of people in the world. That means the distance between our values is increasing,” he stated bluntly. Kirill’s insistence that America and the West are the outliers here, with Russia and most of the world on the side of traditional religion and values, is an important point that merits pondering.

The traditionalist nature of Putinism, always present, has grown more intense in recent years as the Kremlin has sought to enshrine an official ideology as confrontation with the West has grown. Whatever Vladimir Putin may actually believe, he has played the public role of an Orthodox believer quite effectively. He has cultivated senior ROC clerics, who provide regime-endorsing soundbites as needed, and the church gives Putin legitimacy in the eyes of average Russians, who aren’t especially religious in terms of church-going, yet they see an Orthodox identity as reassuring and plausible in Communism’s wake.

Putin has returned the church’s affection, stating that Russia’s “spiritual shield”—meaning Orthodoxy—is as important to the country’s security as its nuclear shield. In turn, Orthodox leaders portray Putin’s as a God-given figure, divinely sent to bring the country back to faith and great-power status out of the wreckage of atheistic Bolshevism.

Prominent here is Konstantin Malofeev, a hedge-fund billionaire turned militant Orthodox nationalist, who created Tsargrad TV, a 24-hour cable new network, to push those values to the public. Malofeev, like the Blues Brothers, thinks he’s on a mission from God, and his network is basically the Russian Fox News, if FNC focused on theology and mystical nationalism instead of blonde newsreaders.

Malofeev’s affection for Russia’s president and his system is clear: “We believe that Putin is the best and the only leader [for Russia]… He is trying to make Russia the state where Christians can live and can save their souls for eternal life.” While the deeply Eastern nature of Orthodoxy means it has little appeal for Western Christians, there’s no doubt that Kremlin messaging is reaching some, especially American Evangelicals, whom Moscow sees as potential allies abroad.

The notorious gadfly Aleksandr Dugin goes further: “Simply said, the Antichrist will not come before there will not be anymore supporters [of Orthodoxy]… What is the coming of Antichrist? It is secularism. It is modernization. Westernization. Materialism. Scientific development. The concept of progress.” He added that Putin is “exactly” the figure who is resisting the Antichrist on earth.

Dugin, it should be noted, isn’t some random flake or religious nut, he’s a Big Idea thinker who’s taken somewhat seriously in the Kremlin, although his real role seems to be Moscow’s ambassador-at-large to the Western far-right. He is close to the Russian security services and he runs a website that pushes his hardline Orthodox nationalist message in several languages, including English. Its name comes from the Greek word for “he who resists the Antichrist.”

Recently, Putin has played up the Orthodox nationalist message in a series of public events. He visited Mount Athos, Greece’s famous Holy Mountain, in May 2016 in a pilgrimage of sorts. It was shown live, with great fanfare, in wall-to-wall coverage on Tsargrad TV, and Putin was treated by the monks there more like a visiting Byzantine emperor than as the Russian president.

This month, Putin was present for the grand reopening of the New Jerusalem Monastery outside Moscow, a sprawling 17th century complex that was destroyed by the Nazis in World War II and was rebuilt from the ground up over the past decade at great expense. It did not go unnoticed that the monastery was originally constructed to glorify the Third Rome idea, the centuries-old religious myth that Moscow is the sole successor to Rome and Byzantium, which has long served as a driver of Russian nationalism and imperialism.

Then, last week, Patriarch Kirill warned of coming Armageddon. After a service at Moscow’s Christ the Savior Cathedral, he made a stunning statement: “One must be blind not to see the approach of the terrible moments of history about which the Apostle and Evangelist John the Theologian spoke in his Revelation.” Adding that the world’s end is in the hands of humanity, and something that Russians and all nations must stop, Krill warned of Earth imminently “slipping into the abyss of the end of history.”

These are the comments of a top cleric, not the Ministry of Defense, but it should be noted that the Russian military is now practicing for global thermonuclear war in a manner it hasn’t done since the last Cold War. Last month, in an apparent continuation of September’s Zapad mega-wargame, Russia’s strategic nuclear forces conducted a huge exercise that involved Putin himself. This exercise involved all three “legs” of Russia’s nuclear triad: land-based ballistic missiles, long-range bombers, and submarines with ballistic missiles. In all, several cruise missiles were fired while three ballistic missiles were launched—and Putin personally gave the launch orders.

This is a rare move, not to mention a violation of our nuclear treaties with the Kremlin, and Moscow was sending a hard-to-miss message. As Real Clear Defense reports, “The most striking thing about the exercise was that it was announced at all and that President Putin was characterized as ‘overseeing’ it and ordering the missile launches. This exercise was conducted in a sensitive period in U.S.-Russian relations. Russia did not have to announce the exercise. It has previously staged major strategic nuclear exercises without announcing them.”

It would be a mistake to directly lump nuclear exercises in with apocalyptic messages from leading Kremlin ideologues. However, it’s hardly encouraging that the Putin regime is pushing propaganda about planetary end-times while indulging in saber-rattling nuclear wargames for the first time in decades. Whatever else this aggressive Moscow messaging means, none of it bodes well for peace.

John Schindler is a security expert and former National Security Agency analyst and counterintelligence officer. A specialist in espionage and terrorism, he’s also been a Navy officer and a War College professor. He’s published four books and is on Twitter at @20committee. 

Voir aussi:

Putin’s Strategy of Global Tension

Ever since Moscow’s Little Green Men seized Crimea in early 2014, we’ve been in a new Cold War with Russia. To the consternation of wishful-thinkers, as Vladimir Putin’s confrontation with the West has become transparent, the reality of what I termed Cold War 2.0 almost four years ago has grown difficult to deny. Since the Kremlin’s revanchism is driving this conflict, we’re in it whether we want to be or not.

Europe is the central front in Cold War 2.0, thanks to geography and history. Putin’s war on, and in, Ukraine continues on low boil, while the Russian military regularly delivers provocations—a too-close warship here, an aircraft buzz there—all along NATO’s eastern frontier, sending an aggressive message. Major military exercises like September’s Zapad mega-wargame demonstrate Putin’s seriousness about confronting the Atlantic Alliance.

What Putin wants was the subject of my recent interview with Antoni Macierewicz, Poland’s plain-spoken defense minister. What the Kremlin boss seeks, he explained, is restoration of the Russian empire, to which Ukraine (or at least most of it) belonged for centuries. “Putin understands that there is no empire without Ukraine,” he added.

However, Kremlin provocations extend far beyond the former Soviet Union, as Macierewicz elaborated:

The first move, I think, is Ukraine. But I don’t exclude a military attack in the Far East. They want to distract American attention, prolong the front of confrontation in order to create a favorable situation for aggression in Europe. If you look at the map, Russia is always helping the enemies of America: deep ties to North Korea, involvement in Afghanistan and Syria, backing Iran, and so on.

This assessment sounds alarmist at first, particularly the mention of possible aggression in the Far East, but Western intelligence agencies that track Russian moves have been thinking along similar lines—though they seldom say so in public. Therefore, it’s worth taking a brief look at what Putin’s up to, and where.

Russia’s footprint on the North Korean crisis is impossible to miss, and since that’s the world’s most dangerous strategic predicament at present, Moscow’s less-than-helpful role merits attention. Although Beijing is clearly exasperated by the unhinged antics of its semi-client regime in Pyongyang, Moscow seems perfectly pleased with the hazardous games played by North Korea.

And why not? Pyongyang creates strategic confusion for the Americans, which the Kremlin always enjoys. Russian military and intelligence support to the increasingly isolated Kim regime is an open secret, while Putin’s sanctions-beating lifelines to Pyongyang are public and deeply annoying for both Beijing and Washington. Although Moscow is no more eager to see all-out war on the Korean peninsula than the Chinese or Americans, keeping the nasty Kim regime in place frustrates and distracts the Pentagon, which is Russia’s real aim here. Not to mention that backing North Korea is viewed in the Kremlin as payback for NATO’s “meddling” in Ukraine.

A similar pattern can be detected in Afghanistan, where American-led forces are in their sixteenth year of a seemingly endless counterinsurgency against the Taliban—and it’s not going well. Therefore, Moscow has been giving clandestine support to the Taliban. A few months back, the U.S. military command in Afghanistan admitted that Russian arms were reaching the Taliban. That clandestine Kremlin assistance is costing lives is increasingly obvious. Russian aid has reached Taliban “special” units that launch attacks on Afghan military bases.

A recent spate of Taliban assaults on Afghan forces, including nighttime raids, has inflicted unexpected casualties on American allies. Of concern to the Pentagon, Taliban fighters equipped with Russian-made night vision gear have been ambushing Afghan military and police with lethal effects. It seems only a matter of time before American troops are killed by Russian-equipped Taliban special operators.

While the Kremlin is in truth no fonder of the Taliban than the West is, this spoiler strategy is inflicting pain on the Americans and our clients in Kabul, which is all the Russians seek here. Not to mention that payback against us in Afghanistan, three decades after U.S. clandestine aid killed and wounded thousands of Soviet troops in that country, must be delicious for Moscow, where revenge has always constituted a rational strategic motivation.

However, the real fight is in the heart of the Middle East, where Russia and its Iranian allies are fundamentally transforming the region at high cost in blood. Together, Moscow and Tehran are challenging the American-constructed security system that’s an ailing holdover from the last Cold War. Even recent cooperation between America’s two clients, Israel and Saudi Arabia, appears insufficient to turn back the rising Russian-Iranian tide across the Middle East.

We only have ourselves to blame for this. Putin has taken full advantage of the blank check written by Barack Obama in September 2013 when our president backed away from his “red line” in Syria, in effect outsourcing that country and its terrible civil war to the Kremlin. As I predicted at the time, the strategic consequences of Obama’s decision have been grave, making Putin the new Middle East power-broker—a message that was missed only in Washington think-tanks.

For his part, Donald Trump has been only too willing to let his Russian counterpart and would-be buddy do whatever he likes in Syria, Iraq, and elsewhere. Moscow’s military intervention in the Middle East, begun under Obama, continues to flourish and shows no signs of abating. The balance of power in this vital region has shifted decisively from Washington to Moscow at appalling cost in human life, though none of that troubled President Obama very much, and it seems to trouble his successor not one bit.

It would be naïve to think Putin restricts his poking to the Eastern Hemisphere. Closer to our home, the bear’s paw-prints are easily detectable. Take Venezuela, the Bolivarian dictatorship and economic basket-case that’s barely a viable country at all anymore, between currency collapse and serious food shortages. Russian money is keeping this anti-American regime afloat, and last week Moscow’s refinancing of $3.15 billion it’s owed by Caracas gives the flat-broke country a bit of financial breathing room. Without Russia, Venezuela would likely implode, and it’s worth considering whether the Bolivarian regime is actually Putin’s newest satellite state. Although sanctions and low oil prices have diminished the Kremlin’s largess toward anti-Americans all over the globe, the prospect of having a loyal (because utterly dependent) client so close to the United States seems too good for Putin to pass up.

Then there’s Cuba, Moscow’s “fraternal ally” from the last Cold War, and apparently the second one too. Just 90 miles from Key West, Cuba has long served as a reliable base for Russian provocations against us, and nothing’s changed. Russian economic aid to that impoverished island is back, after falling off after 1991, and the Kremlin has begun to reopen its military and spy bases in the country, which were shuttered after the Soviet collapse.

Western intelligence has detected a Kremlin hand behind the recent rash of sonic attacks on American and Canadian diplomats in Cuba. While Havana flatly denies that anything untoward has occurred, two dozen U.S. diplomats in the country have suffered serious health problems due to this mysterious problem, which remains officially unexplained. However, it’s known that the KGB experimented with sonic weapons, while an attack of this sophistication is widely considered to be beyond the technical abilities of Cuban intelligence. “Of course it was the Russians,” explained a senior NATO security official to me recently about this strange case. “We have no real doubt of that.”

In all, this amounts to a worldwide Russian effort to push back against what’s left of American hegemony. Since Moscow lacks the ability to directly counter NATO and the U.S. militarily, the Russians are provoking and prodding where they can with the techniques of Special War: it’s what the Kremlin does best. This should be considered a spoiler strategy, a strategy of tension—what left-wing Italians in the 1970s termed la strategia della tensione.

Vladimir Putin seeks to expand Russian power on the cheap while causing problems for America and our allies wherever he can—without direct military confrontation. So far, the Kremlin seems to be playing its rather poor hand well at the tables of global power, and Putin’s strategy of tension shows no signs of abating. Although the Trump White House is paying no attention to this new reality, the Pentagon and our Intelligence Community certainly are.

John Schindler is a security expert and former National Security Agency analyst and counterintelligence officer. A specialist in espionage and terrorism, he’s also been a Navy officer and a War College professor. He’s published four books and is on Twitter at @20committee. 

Voir également:

How to Win Cold War 2.0

To beat Vladimir Putin, we’re going to have to be a little more like him.

The last two weeks have witnessed the upending of the European order and the close of the post-Cold War era. With his invasion of Crimea and the instant absorption of the strategic peninsula, Vladimir Putin has shown that he will not play by the West’s rules. The “end of history” is at an end—we’re now seeing the onset of Cold War 2.0.

What’s on the Kremlin’s mind was made clear by Putin’s fire-breathing speech to the Duma announcing the annexation of Crimea, which blended retrograde Russian nationalism with a generous helping of messianism on behalf of his fellow Slavs, alongside the KGB-speak that Putin is so fond of. If you enjoy mystical references to Orthodox saints of two millennia past accompanied by warnings about a Western fifth column and “national traitors,” this was the speech for you.

Putin confirmed the worst fears of Ukrainians who think they should have their own country. But his ambitions go well beyond Ukraine: By explicitly linking Russian ethnicity with membership in the Russian Federation, Putin has challenged the post-Soviet order writ large.

For years, I studied Russia as a counterintelligence officer for the National Security Agency, and at times I feel like I’m seeing history in reverse. The Kremlin is a fiercely revisionist power, seeking to change the status quo by various forms of force. This will soon involve NATO members in the Baltics directly, as well as Poland and Romania indirectly. Longstanding Russian acumen in what I term Special War, an amalgam of espionage, subversion and terrorism by spies and special operatives, is already known to Russia’s neighbors and can be expected to increase.

In truth, Putin set Russia on a course for Cold War 2.0 as far back as 2007, and perhaps earlier; Western counterintelligence noted major upswings in aggressive Russian espionage and subversion against NATO members as far back as 2006.The brief Georgia war of August 2008, which made clear that the Kremlin was perfectly comfortable with using force in the post-Soviet space, ought to have served as a bigger wake-up call for the West.

John R. Schindler is professor of national security affairs at the Naval War College and a former National Security Agency counterintelligence officer. The views expressed here are his own.
Voir de même:

Avec Zapad 2017, la Russie se prépare « pour une grande guerre », dit un responsable militaire de l’Otan

Le général tchèque Petr Pavel, le président du comité militaire de l’Otan, ne passe pour être alarmiste. Ainsi, en juin 2016, lors d’une audition devant la commission sénatoriale des Affaires étrangères et des Forces armées, il avait estimé que la Russie « ne présentait pas une menace imminente » tout n’écartant pas la volonté de son président, Vladimir Poutine, de défier l’Alliance atlantique.

« Des intérêts communs existent entre l’Alliance, l’Union européenne, nos propres pays et la Russie. Nous devons accepter que la Russie puisse être un concurrent, un compétiteur, un adversaire, un pair ou un partenaire – voire tout cela en même temps. […] Cette complexité est une réalité de notre environnement stratégique contemporain » et cela « demande une approche pratique et sophistiquée qui prend en compte le fait que la Russie veut devenir un partenaire mondial et acquérir un pouvoir mondial », avait ainsi expliqué le général Pavel aux sénateurs français.

Cela étant, l’exercice Zapad 2017 qui, mené conjointement par les forces russes et biélorusses, vient de débuter, préoccupe depuis plusieurs mois les responsables de l’Otan, dans la mesure où ces manoeuvres se déroulent dans l’enclave russe de Kaliningrad et en Biélorussie, à deux pas du passage dit de Suwalki qui est le seul accès terrestre reliant les pays baltes aux autres pays de l’Alliance et de l’Union européenne.

Or, il est reproché à la Russie de manquer de transparence au sujet de cet exercice, qui vise à simuler l’infiltration de « groupes extrémistes » en Biélorussie et à Kaliningrad pour y commettre des actes terroristes à des fins de déstabilisation.

Officiellement, Zapad 2017 mobilise environ 13.000 soldats. Mais selon le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, il y a « toutes les raisons de croire que le nombre de troupes sera substantiellement plus élevé que ce qui a été annoncé ». En outre, certains estiment qu’il servira de prétexte aux forces russes pour laisser des matériels en Biélorussie en vue d’une utilisation future.

Les manoeuvres Zapad-2017 « sont désignées pour nous provoquer, pour tester nos défenses et c’est pour cela que nous devons être forts », a ainsi affirmé, le 10 septembre, Michael Fallon, le ministre britannique de la Défense.

« La Russie est capable de manipuler les chiffres avec une grande aisance, c’est pourquoi elle ne veut pas d’observateurs étrangers. Mais 12.700 soldats annoncés pour des manoeuvres stratégiques, c’est ridicule », a commenté Alexandre Golts, un expert militaire russe indépendant, cité par l’AFP.

Ce manque de transparence de la Russie, qui ne s’inscrit pas dans l’esprit du Document de Vienne de l’OSCE [Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, ndlr], est un sujet de préoccupation pour le général Pavel, même s’il a rencontré, il y a deux semaines, le chef d’état-major des armées russes, le général Valery Gerasimov, pour évoquer cet exercice.

« Ce que nous voyons est une préparation sérieuse pour une grande guerre », a en effet dit le général tchèque lors d’un entretien donné le 16 septembre à l’Associated Press, en marge d’une réunion du comité militaire de l’Otan en Albanie. « Lorsque nous regardons uniquement l’exercice qui est présenté par la Russie, il ne devrait pas y avoir d’inquiétude. Mais quand on regarde la situation dans son ensemble, nous devons nous inquiéter parce que la Russie n’est pas transparente », a-t-il ajouté.

Le premier sujet de préoccupation du général Pavel porte sur le niveau des effectifs engagés dans l’exercice Zapad 2017. Selon lui, ils pourraient atteindre 70.000 soldats, voire 100.000.

« Nous avons une forte concentration de troupes dans les pays baltes. Nous avons une forte concentration de troupes en mer Noire. E le risque d’un incident peut être assez élevé en raison d’une erreur humaine ou d’une panne technologique », a souligné le général Pavel. « Nous devons être sûrs qu’un tel incident involontaire n’entraînera pas de conflit », a-t-il insisté.

Cela étant, la Biélorussie a annoncé, le 16 septembre, avoir invité des représentants de 7 pays (Lettonie, Lituanie, Estonie, Pologne, Suède, Norvège et d’Ukraine) pour observer les exercices de Zapad 2017 qui auront lieu sur son territoire. Il s’agit ainsi de répondre au « désir de développer la coopération et la bonne entente entre voisins, ainsi que les principes de réciprocité, d’ouverture et de transparence », a fait valoir le ministère biélorusse de la Défense. Jusqu’à présent, Moscou n’avait autorisé la venue que de trois oberservateurs de l’Otan, uniquement lors de la journée organisée pour les « visiteurs ».

Voir de plus:

Paul R. Gregory
Hoover
March 21, 2018

Vladimir Putin’s propaganda machine has two overarching goals.

First, the Russian people must believe the Kremlin version of domestic and world events. In this regard, the agents of Russian “information technology” have succeeded. Polls show that Russians believe that Russia is a super power in a hostile world; that there are no Russian troops in Ukraine; that Crimea voluntarily joined Russia; and that a Ukrainian fighter shot down Malaysian Airlines flight MH17.

Second, Kremlin propaganda must discredit Western democracy as dysfunctional and inferior to Russia’s managed “democracy.” Kremlin propaganda has largely failed in this regard. Russians consider their government corrupt, remote from the people, interested in preserving power rather than performing its duties, and lying about the true state of affairs. Nevertheless, Putin’s approval ratings remain high in the absence of rivals, who have fled the country, been indicted, or murdered.

Putin, in fact, bases his legitimacy on high approval ratings. To counter the Russian people’s sense that they have no say in how they are governed, Kremlin propagandists must sell the story that Western democracies have it worse. Downtrodden Americans, they say, face poverty, hunger, racial and ethnic discrimination, unemployment, and they are governed by corrupt, inept, greedy, dysfunctional, and feuding politicians who sell out to the highest bidder on Wall Street or in Silicon Valley.

This brings us to how the ballyhooed Russian meddling in the 2016 U.S. election has given Putin a gift that keeps on giving—a paralyzed federal government, incapable of compromise, in which a significant portion of the governing class questions the legitimacy of a new president.

Russia routinely meddles in the politics of other countries. Despite denials, the Kremlin contributes to pro-Russian political parties throughout the world, gathers compromising information, hacks into email accounts, offers lucrative contracts to foreign businesses, and circulates false news. Given this history, U.S. authorities should not have been surprised by Russian meddling in the 2016 presidential race.

To date, Special Counsel Robert Mueller has indicted thirteen Russian “internet trolls,” who sowed discord on social media by posting inflammatory, distorted, slanted, and false information promoting the Russian narrative of a deeply divided electorate and a discredited American electoral system. Mueller’s indictment identifies the Internet Research Agency (IRA) of St. Petersburg as the nerve center of Russia’s trolling operations. Although putatively owned by a private Russian oligarch close to Putin, there is little doubt that the IRA is a mouthpiece of the Kremlin. The existence and activities of the IRA have been known since 2014. It employs hundreds of hackers and writers divided into geographical sections. It is not the sole source of Russian trolling, but it is the most important.

Those American politicians and pundits, like Congressman Jerry Nagler and columnist Thomas Friedman, who label Russian intervention an act of warfare on par with Pearl Harbor or 9/11must attribute supernatural powers to Putin’s trolls. After all, the Mueller investigation revealed that Russia spent no more than a few million dollars on its election-meddling versus the over two billion dollars spent by the presidential candidates alone. The IRA’s St. Petersburg America desk constituted some 90 persons. Their social media posts accounted for an infinitesimal portion of social media political traffic and much of this came after the election.

Despite such evidence, Gerald F. Seib, a columnist for the Wall Street Journal, declares himself “frightened” by Russia’s “sophisticated and sustained effort to use technology, social media manipulation, and traditional covert measures to disrupt America’s political system.”

But a closer look at such trolls reveals a different picture. Over the past five years, Russian trolls have regularly attacked my articles at Forbes.com. Given the number of attacks and their organized nature, I suspect most came directly from the IRA.  The Kremlin clearly has not liked my posts on Russian domestic politics, the country’s faltering petro-economy, political assassinations, and foreign military intervention. What I encountered in the comments section of my pieces was an army of scripted trolls engaging in primitive invective and heavy doses of ad hominem blasts. These amateurs did not seem up to the monumental task for which they are now credited—of changing the course of American political history.

My trolls used the same clandestine social media techniques as those identified by Mueller in his indictments. They posted through leased servers with moving IP addresses. They assumed Anglo-Saxon (Jeff, RussM, Dave, John), exotic (Sadr Ewr, Er Ren), and computer generated (Hweits, Aij) monikers. Those with Anglo-Saxon names asserted they were Americans, even ex-Marines. They used provably false identities: One “Stanley Ford,” identifying himself as a graduate student at Stanford, expressed his dismay at my “shallow” Stanford economics seminar. But there is no such graduate student at Stanford and I had given no such seminar.

Other trolls, such as “Andrey,” wrote sometimes incomprehensible English: “Dear PAUL, can we badly know English language, but only one thing I want to say, YOU understand—Fack You.” (Russians have no English “u” sound in their alphabet.) Such “Andreys” were subsequently replaced by experienced trolls, such as “Jeff” and “RussM,” with an occasional guest rant by “Aij,” whose favorite topic was “filthy Jewish bankers.” My most prolific troll, “Jeff,” posted at times almost fifty comments per column. One troll appeared in person to pester me at a panel discussion in the Bay area. One volunteered that I am a fictional person. Another offered to drop by my office for a personal chat. For obvious reasons, I did not accept.

Troll “John’s” tirade is a classic ad hominem smear: “Gregory’s inane, badly written propaganda articles never had one original thought, just parroting what he could grab on the Internet. Gregory is a pitiful Nazi moron.”

My trolls made heavy use of moral equivalence. Did the U.S. not attack Iraq and did its police not gun down black teenagers in Missouri? Yes, Russia may be aiding the rebels in Syria and Ukraine, but are not American troops and CIA operatives swarming all over Ukraine? Yes, the shooting down of MH17 was a tragedy, but did not the United States down an Iranian passenger jet in 1988?

The “denying the obvious” technique is illustrated by three videos circulated by Russian trolls on the Internet and Russian TV. Each featured a wounded man lying in an east Ukrainian hospital bed. In one video, he claimed to be a heroic surgeon. In the second, he was a disillusioned neo-fascist financier. In the third video, the bandaged man declared himself an innocent bystander. The problem, I pointed out, was that each video featured the same Russian actor but in different roles. Unfazed, my trolls “saw no contradictions” until one of Russia’s main TV channels (NTV) declared that the versatile actor was mentally ill. When it comes to Ukraine, the official IRA line has been that the Russian tanks, radar, missile launchers, and the like were purchased at used weapon shops by the “patriots” fighting the neo-Nazis and extremists sent from Kiev. When I pointed out the inanity of this proposition, one troll’s unedited response read: “everything he (Gregory) says at the beginning is nothing BUT LIES! russia did not give the east ANYTHING.”

In a botched false-flag operation, trolls claimed that “Ukrainian” extremists fled in panic after firing on a separatist checkpoint, conveniently leaving behind a vast cache of Nazi regalia (plus “snipers’ diapers”). The video of the Nazi cache, however, is dated to the day before the alleged attack, according to the camera time code. My expose of the snipers’ diapers incident brought forth reinforcement from new trolls, who wanted to debate time zones and now to impute the time of day from the length of shadows.

My clashes with IRA trolls over Ukraine can seem at times comical, but they are dead serious. The trolls are pushing a strictly coordinated narrative both to the Russian people and to foreign audiences that Ukraine is an illegitimate state and that the United States and NATO are the aggressors.

Indeed, that Western democracies, American democracy especially, are rotten, corrupt, and hapless is a cornerstone of the Kremlin narrative. As the Mueller indictment concludes: The stated goal of the Russian operation was “spreading distrust towards candidates and the political system in general.” The Russian trolls, according to the Mueller indictment, used a number of techniques to achieve this end. They encouraged fringe candidates. They tried to ally with disaffected religious, ethnic, and nationalist groups. They discredited the candidate they thought most likely to win. Once the winner was known, they immediately moved to discredit him.

As noted above, the Russian people are largely on board with the IRA’s narrative. Why? The average Russian family gets its news from the major state networks, which offer topflight entertainment before and after news of the day. Russia’s trolls stand ready to swat down any unfavorable social media. Alternative messages have little hope of penetrating the Russian heartland.

Although the trolls are succeeding at home, Russian propaganda has had little effect on foreign audiences. Public opinion worldwide shows a negative opinion of Russia and Putin, according to Pew Research. But if Russian trolls cannot sway Western public opinion, how could they have influenced the outcome of the biggest game of all—a U.S. presidential election? The dozen ill-informed operatives indicted by Mueller held poorly attended rallies, had to be educated about red and blue states, and spent their limited funds in uncontested states. It would be almost crazy to believe that such Russian intervention could have made a difference.

Why, then, do so many Americans believe that Russia was instrumental in throwing the election to Donald Trump? It may be that some of the President’s opponents actually believe this narrative. But there’s another explanation, too: Russian intervention provides opportunistic politicians and pundits a useful excuse for paralyzing the incoming government of a gutter-fighter President from a show business and construction background with no political experience. In their view, such a person should not be allowed to govern. Hence the paralysis, dysfunction, and chaos of American democracy—long claimed by Russian propagandists—is on its way to becoming reality. What a windfall for Putin and his oligarchs.

Voir encore:

A Abou Dhabi, Sarkozy fait l’éloge des hommes forts

L’ancien président français regrette que « les démocraties détruisent tous les leaderships ».

Le Monde

Ces confidences peuvent paraître étonnantes de la part d’un ancien président français. Samedi 3 mars, lors du forum « Ideas Week-end » organisée à Abou Dhabi, la capitale des Emirats arabes unis, Nicolas Sarkozy a livré ses jugements sur l’état du monde, en maniant la provocation. A l’instar du site d’information Buzzfeed, Le Monde s’est procuré l’enregistrement de son intervention. Morceaux choisis.

  • Leadership et démocratie

« Quels sont les grands leaders du monde aujourd’hui ? Le président Xi, le président Poutine – on peut être d’accord ou pas, mais c’est un leader –, le grand prince Mohammed Ben Salman [d’Arabie saoudite]. Et que seraient aujourd’hui les Emirats sans le leadership de MBZ [Mohammed Ben Zayed] ?

Quel est le problème des démocraties ? C’est que les démocraties ont pu devenir des démocraties avec de grands leaders : de Gaulle, Churchill… Mais les démocraties détruisent tous les leaderships. C’est un grand sujet, ce n’est pas un sujet anecdotique ! Comment peut-on avoir une vision à dix, quinze ou vingt ans, et en même temps avoir un rythme électoral aux Etats-Unis tous les quatre ans ? Les démocraties sont devenues un champ de bataille, où chaque heure est utilisée par tout le monde, réseaux sociaux et autres, pour détruire celui qui est en place. Comment voulez-vous avoir une vision de long terme pour un pays ? C’est ce qui fait que, aujourd’hui, les grands leaders du monde sont issus de pays qui ne sont pas de grandes démocraties. »

  • La Chine

« C’est une formidable bonne nouvelle que la Chine assume ses responsabilités internationales. On assiste à un changement de la politique chinoise comme jamais on n’en a connu avant. Jamais. La Chine, c’est quand même le pays qui a construit la Grande Muraille pour se protéger des barbares qui étaient de l’autre côté : nous. « One Road, One Belt » [le projet de « nouvelles routes de la soie » du pouvoir chinois] : c’est un changement colossal ! Tout d’un coup, la Chine décomplexée dit : “Je pars à la conquête du monde.” Alors est-ce que c’est pour des raisons éducatives, politiques, économiques : peu importe. »

  • Xi président à vie

« Le président Xi considère que deux mandats de cinq ans, dix ans, c’est pas assez. Il a raison ! Le mandat du président américain, en vérité c’est pas quatre ans, c’est deux ans : un an pour apprendre le job, un an pour préparer la réélection. Donc vous comparez le président chinois qui a une vision pour son pays et qui dit : “Dix ans, c’est pas assez”, au président américain qui a en vérité deux ans. Mais qui parierait beaucoup sur la réélection de Trump ? Ce matin, j’ai rencontré le prince héritier MBZ. Est-ce que vous croyez qu’on construit un pays comme ça, en deux ans ? Ici, en cinquante ans, vous avez construit un des pays les plus modernes qui soient. La question du leadership est centrale. La réussite du modèle émirien est sans doute l’exemple le plus important pour nous, pour l’ensemble du monde. J’ai été le chef de l’Etat qui a signé le contrat du Louvre à Abou Dhabi. J’y ai mis toute mon énergie. MBZ y a mis toute sa vision. On a mis dix ans ! En allant vite ! Sauf que MBZ est toujours là… Et moi ça fait six ans que je suis parti. »

  • Comment traiter avec la Russie ?

« La question doit être posée comme ça : est-ce qu’on a besoin de la Russie ou pas ? Ma réponse est oui ! La Russie, c’est le pays à la plus grande superficie du monde. Qui peut dire qu’on ne doit pas parler avec eux ? Quelle est cette idée folle ? Je n’avais pas tout à fait compris dans l’administration Obama pourquoi Poutine et la Russie étaient devenus le principal adversaire. Y a-t-il un risque que la Russie envahisse d’autres pays ? Je n’y crois pas. La Russie doit perdre environ un demi-million d’habitants par an, sur le territoire le plus grand du monde. Est-ce que vous avez déjà vu des pays qui n’arrivent pas à occuper toute leur surface aller envahir des pays à côté ? Sur l’Ukraine, je pense que l’affaire n’a pas été bien gérée depuis le début et qu’il y avait moyen de faire mieux. Poutine est un homme prévisible, avec qui on peut parler et qui respecte la force. »

  • Le défi du populisme

« D’abord pour moi, M. Orban en Hongrie [le premier ministre], c’est pas un populiste. Mais là où il y a un grand leader, il n’y a pas de populisme ! Où est le populisme en Chine ? Où est le populisme ici ? Où est le populisme en Russie ? Où est le populisme en Arabie saoudite ? Si le grand leader quitte la table, les leaders populistes prennent la place. Parce que la polémique ne détruit pas le leader populiste, la polémique détruit le leader démocratique.

La seule solution, ce n’est pas de combattre le populisme, ça n’a pas de sens, c’est d’écouter ce que dit le peuple. Que dit le peuple ? L’Europe est à 12 kilomètres de l’Afrique par le détroit de Gibraltar. En trente ans, l’Afrique va passer d’un milliard d’habitants à 2,3 milliards. Le seul Nigeria, vous m’entendez, le Nigeria, dans trente ans, aura plus d’habitants que les Etats-Unis. Le peuple dit : “On ne peut pas accueillir toute l’immigration qui vient d’Afrique.” Et c’est vrai.

Il ne s’agit pas de supprimer l’immigration. Mais dans trente ans, il y aura 500 millions d’Européens, et 2,3 milliards d’Africains. Si l’Afrique ne se développe pas, l’Europe explosera. Ce n’est pas un sujet populiste, c’est un sujet tout court. »

Voir enfin:
Ivan Ilyin, Putin’s Philosopher of Russian Fascism

Timothy Snyder
The NY Reviw of books
March 16, 2018

This is an expanded version of Timothy Snyder’s essay “God Is a Russian” in the April 5, 2018 issue of The New York Review.


“The fact of the matter is that fascism is a redemptive excess of patriotic arbitrariness.”

—Ivan Ilyin, 1927

“My prayer is like a sword. And my sword is like a prayer.”

—Ivan Ilyin, 1927

“Politics is the art of identifying and neutralizing the enemy.”

—Ivan Ilyin, 1948

The Russian looked Satan in the eye, put God on the psychoanalyst’s couch, and understood that his nation could redeem the world. An agonized God told the Russian a story of failure. In the beginning was the Word, purity and perfection, and the Word was God. But then God made a youthful mistake. He created the world to complete himself, but instead soiled himself, and hid in shame. God’s, not Adam’s, was the original sin, the release of the imperfect. Once people were in the world, they apprehended facts and experienced feelings that could not be reassembled to what had been God’s mind. Each individual thought or passion deepened the hold of Satan on the world.

And so the Russian, a philosopher, understood history as a disgrace. Nothing that had happened since creation was of significance. The world was a meaningless farrago of fragments. The more humans sought to understand it, the more sinful it became. Modern society, with its pluralism and its civil society, deepened the flaws of the world and kept God in his exile. God’s one hope was that a righteous nation would follow a Leader into political totality, and thereby begin a repair of the world that might in turn redeem the divine. Because the unifying principle of the Word was the only good in the universe, any means that might bring about its return were justified.

Thus this Russian philosopher, whose name was Ivan Ilyin, came to imagine a Russian Christian fascism. Born in 1883, he finished a dissertation on God’s worldly failure just before the Russian Revolution of 1917. Expelled from his homeland in 1922 by the Soviet power he despised, he embraced the cause of Benito Mussolini and completed an apology for political violence in 1925. In German and Swiss exile, he wrote in the 1920s and 1930s for White Russian exiles who had fled after defeat in the Russian civil war, and in the 1940s and 1950s for future Russians who would see the end of the Soviet power.

A tireless worker, Ilyin produced about twenty books in Russian, and another twenty in German. Some of his work has a rambling and commonsensical character, and it is easy to find tensions and contradictions. One current of thought that is coherent over the decades, however, is his metaphysical and moral justification for political totalitarianism, which he expressed in practical outlines for a fascist state. A crucial concept was “law” or “legal consciousness” (pravosoznanie). For the young Ilyin, writing before the Revolution, law embodied the hope that Russians would partake in a universal consciousness that would allow Russia to create a modern state. For the mature, counter-revolutionary Ilyin, a particular consciousness (“heart” or “soul,” not “mind”) permitted Russians to experience the arbitrary claims of power as law. Though he died forgotten, in 1954, Ilyin’s work was revived after collapse of the Soviet Union in 1991, and guides the men who rule Russia today.

The Russian Federation of the early twenty-first century is a new country, formed in 1991 from the territory of the Russian republic of the Soviet Union. It is smaller than the old Russian Empire, and separated from it in time by the intervening seven decades of Soviet history. Yet the Russian Federation of today does resemble the Russian Empire of Ilyin’s youth in one crucial respect: it has not established the rule of law as the principle of government. The trajectory in Ilyin’s understanding of law, from hopeful universalism to arbitrary nationalism, was followed in the discourse of Russian politicians, including Vladimir Putin. Because Ilyin found ways to present the failure of the rule of law as Russian virtue, Russian kleptocrats use his ideas to portray economic inequality as national innocence. In the last few years, Vladimir Putin has also used some of Ilyin’s more specific ideas about geopolitics in his effort translate the task of Russian politics from the pursuit of reform at home to the export of virtue abroad. By transforming international politics into a discussion of “spiritual threats,” Ilyin’s works have helped Russian elites to portray the Ukraine, Europe, and the United States as existential dangers to Russia.

*

Ivan Ilyin was a philosopher who confronted Russian problems with German thinkers. This was typical of the time and place. He was child of the Silver Age, the late empire of the Romanov dynasty. His father was a Russian nobleman, his mother a German Protestant who had converted to Orthodoxy. As a student at Moscow between 1901 and 1906, Ilyin’s real subject was philosophy, which meant the ethical thought of Immanuel Kant (1724–1804). For the neo-Kantians, who then held sway in universities across Europe as well as in Russia, humans differed from the rest of creation by a capacity for reason that permitted meaningful choices. Humans could then freely submit to law, since they could grasp and accept its spirit.

Law was then the great object of desire of the Russian thinking classes. Russian students of law, perhaps more than their European colleagues, could see it as a source of political transformation. Law seemed to offer the antidote to the ancient Russian problem of proizvol, of arbitrary rule by autocratic tsars. Even as a hopeful young man, however, Ilyin struggled to see the Russian people as the creatures of reason Kant imagined. He waited expectantly for a grand revolt that would hasten the education of the Russian masses. When the Russo-Japanese War created conditions for a revolution in 1905, Ilyin defended the right to free assembly. With his girlfriend, Natalia Vokach, he translated a German anarchist pamphlet into Russian. The tsar was forced to concede a new constitution in 1906, which created a new Russian parliament. Though chosen in a way that guaranteed the power of the empire’s landed classes, the parliament had the authority to legislate. The tsar dismissed parliament twice, and then illegally changed the electoral system to ensure that it was even more conservative. It was impossible to see the new constitution as having brought the rule of law to Russia.

Employed to teach law by the university in 1909, Ilyin published a beautiful article in both Russian (1910) and German (1912) on the conceptual differences between law and power. Yet how to make law functional in practice and resonant in life? Kant seemed to leave open a gap between the spirit of law and the reality of autocracy. G.W.F. Hegel (1770–1831), however, offered hope by proposing that this and other painful tensions would be resolved by time. History, as a hopeful Ilyin read Hegel, was the gradual penetration of Spirit (Geist) into the world. Each age transcended the previous one and brought a crisis that promised the next one. The beastly masses will come to resemble the enlightened friends, ardors of daily life will yield to political order.

The philosopher who understands this message becomes the vehicle of Spirit, always a tempting prospect. Like other Russian intellectuals of his own and previous generations, the young Ilyin was drawn to Hegel, and in 1912 proclaimed a “Hegelian renaissance.” Yet, just as the immense Russian peasantry had given him second thoughts about the ease of communicating law to Russian society, so his experience of modern urban life left him doubtful that historical change was only a matter of Spirit. He found Russians, even those of his own class and milieu in Moscow, to be disgustingly corporeal. In arguments about philosophy and politics in the 1910s, he accused his opponents of “sexual perversion.”

In 1913, Ilyin worried that perversion was a national Russian syndrome, and proposed Sigmund Freud (1856–1939) as Russia’s savior. In Ilyin’s reading of Freud, civilization arose from a collective agreement to suppress basic drives. The individual paid a psychological price for sacrifice of his nature to culture. Only through long consultations on the couch of the psychoanalyst could unconscious experience surface into awareness. Psychoanalysis therefore offered a very different portrait of thought than did the Hegelian philosophy that Ilyin was then studying. Even as Ilyin was preparing his dissertation on Hegel, he offered himself as the pioneer of Russia’s national psychotherapy, travelling with Natalia to Vienna in May 1914 for sessions with Freud. Thus the outbreak of World War I found Ilyin in Vienna, the capital of the Habsburg monarchy, now one of Russia’s enemies.

“My inner Germans,” Ilyin wrote to a friend in 1915, “trouble me more than the outer Germans,” the German and Habsburg realms making war against the Russian Empire. The “inner German” who helped Ilyin to master the others was the philosopher Edmund Husserl, with whom he had studied in Göttingen in 1911. Husserl (1859–1938), the founder of the school of thought known as phenomenology, tried to describe the method by which the philosopher thinks himself into the world. The philosopher sought to forget his own personality and prior assumptions, and tried to experience a subject on its own terms. As Ilyin put it, the philosopher must mentally possess (perezhit’) the object of inquiry until he attains self-evident and exhaustive clarity (ochevidnost).

Husserl’s method was simplified by Ilyin into a “philosophical act” whereby the philosopher can still the universe and anything in it—other philosophers, the world, God— by stilling his own mind. Like an Orthodox believer contemplating an icon, Ilyin believed (in contrast to Husserl) that he could see a metaphysical reality through a physical one. As he wrote his dissertation about Hegel, he perceived the divine subject in a philosophical text, and fixed it in place. Hegel meant God when he wrote Spirit, concluded Ilyin, and Hegel was wrong to see motion in history. God could not realize himself in the world, since the substance of God was irreconcilably different from the substance of the world. Hegel could not show that every fact was connected to a principle, that every accident was part of a design, that every detail was part of a whole, and so on. God had initiated history and then been blocked from further influence.

Ilyin was quite typical of Russian intellectuals in his rapid and enthusiastic embrace of contradictory German ideas. In his dissertation he was able, thanks to his own very specific understanding of Husserl, to bring some order to his “inner Germans.” Kant had suggested the initial problem for a Russian political thinker: how to establish the rule of law. Hegel had seemed to provide a solution, a Spirit advancing through history. Freud had redefined Russia’s problem as sexual rather than spiritual. Husserl allowed Ilyin to transfer the responsibility for political failure and sexual unease to God. Philosophy meant the contemplation that allowed contact with God and began God’s cure. The philosopher had taken control and all was in view: other philosophers, the world, God. Yet, even after contact was made with the divine, history continued, “the current of events” continued to flow.

Indeed, even as Ilyin contemplated God, men were killing and dying by the millions on battlefields across Europe. Ilyin was writing his dissertation as the Russian Empire gained and then lost territory on the Eastern Front of World War I. In February 1917, the tsarist regime was replaced by a new constitutional order. The new government tottered as it continued a costly war. That April, Germany sent Vladimir Lenin to Russia in a sealed train, and his Bolsheviks carried out a second revolution in November, promising land to peasants and peace to all. Ilyin was meanwhile trying to assemble the committee so he could defend his dissertation. By the time he did so, in 1918, the Bolsheviks were in power, their Red Army was fighting a civil war, and the Cheka was defending revolution through terror.

World War I gave revolutionaries their chance, and so opened the way for counter-revolutionaries as well. Throughout Europe, men of the far right saw the Bolshevik Revolution as a certain kind of opportunity; and the drama of revolution and counter-revolution was played out, with different outcomes, in Germany, Hungary, and Italy. Nowhere was the conflict so long, bloody, and passionate as in the lands of the former Russian Empire, where civil war lasted for years, brought famine and pogroms, and cost about as many lives as World War I itself. In Europe in general, but in Russia in particular, the terrible loss of life, the seemingly endless strife, and the fall of empire brought a certain plausibility to ideas that might otherwise have remained unknown or seemed irrelevant. Without the war, Leninism would likely be a footnote in the history of Marxist thought; without Lenin’s revolution, Ilyin might not have drawn right-wing political conclusions from his dissertation.

Lenin and Ilyin did not know each other, but their encounter in revolution and counter-revolution was nevertheless uncanny. Lenin’s patronymic was “Ilyich” and he wrote under the pseudonym “Ilyin,” and the real Ilyin reviewed some of that pseudonymous work. When Ilyin was arrested by the Cheka as an opponent of the revolution, Lenin intervened on his behalf as a gesture of respect for Ilyin’s philosophical work. The intellectual interaction between the two men, which began in 1917 and continues in Russia today, began from a common appreciation of Hegel’s promise of totality. Both men interpreted Hegel in radical ways, agreeing with one another on important points such as the need to destroy the middle classes, disagreeing about the final form of the classless community.

Lenin accepted with Hegel that history was a story of progress through conflict. As a Marxist, he believed that the conflict was between social classes: the bourgeoisie that owned property and the proletariat that enabled profits. Lenin added to Marxism the proposal that the working class, though formed by capitalism and destined to seize its achievements, needed guidance from a disciplined party that understood the rules of history. In 1917, Lenin went so far as to claim that the people who knew the rules of history also knew when to break them— by beginning a socialist revolution in the Russian Empire, where capitalism was weak and the working class tiny. Yet Lenin never doubted that there was a good human nature, trapped by historical conditions, and therefore subject to release by historical action.

Marxists such as Lenin were atheists. They thought that by Spirit, Hegel meant God or some other theological notion, and replaced Spirit with society. Ilyin was not a typical Christian, but he believed in God. Ilyin agreed with Marxists that Hegel meant God, and argued that Hegel’s God had created a ruined world. For Marxists, private property served the function of an original sin, and its dissolution would release the good in man. For Ilyin, God’s act of creation was itself the original sin. There was never a good moment in history, and no intrinsic good in humans. The Marxists were right to hate the middle classes, and indeed did not hate them enough. Middle-class “civil society” entrenches plural interests that confound hopes for an “overpowering national organization” that God needs. Because the middle classes block God, they must be swept away by a classless national community. But there is no historical tendency, no historical group, that will perform this labor. The grand transformation from Satanic individuality to divine totality must begin somewhere beyond history.

According to Ilyin, liberation would arise not from understanding history, but from eliminating it. Since the earthly was corrupt and the divine unattainable, political rescue would come from the realm of fiction. In 1917, Ilyin was still hopeful that Russia might become a state ruled by law. Lenin’s revolution ensured that Ilyin henceforth regarded his own philosophical ideas as political. Bolshevism had proven that God’s world was as flawed as Ilyin had maintained. What Ilyin would call “the abyss of atheism” of the new regime was the final confirmation of the flaws of world, and of the power of modern ideas to reinforce them.

After he departed Russia, Ilyin would maintain that humanity needed heroes, outsized characters from beyond history, capable of willing themselves to power. In his dissertation, this politics was implicit in the longing for a missing totality and the suggestion that the nation might begin its restoration. It was an ideology awaiting a form and a name.

*

Ilyin left Russia in 1922, the year the Soviet Union was founded. His imagination was soon captured by Benito Mussolini’s March on Rome, the coup d’état that brought the world’s first fascist regime. Ilyin was convinced that bold gestures by bold men could begin to undo the flawed character of existence. He visited Italy and published admiring articles about Il Duce while he was writing his book, On the Use of Violence to Resist Evil (1925). If Ilyin’s dissertation had laid groundwork for a metaphysical defense of fascism, this book was a justification of an emerging system. The dissertation described the lost totality unleashed by an unwitting God; second book explained the limits of the teachings of God’s Son. Having understood the trauma of God, Ilyin now “looked Satan in the eye.”

Thus famous teachings of Jesus, as rendered in the Gospel of Mark, take on unexpected meanings in Ilyin’s interpretations. “Judge not,” says Jesus, “that ye not be judged.” That famous appeal to reflection continues:

For with what judgment ye judge, ye shall be judged: and with what measure ye mete, it shall be measured to you again. And why beholdest thou the mote that is in thy brother’s eye, but considerest not the beam that is in thine own eye? Or how wilt thou say to thy brother, Let me pull out the mote out of thine eye; and, behold, a beam is in thine own eye? Thou hypocrite, first cast out the beam out of thine own eye; and then shalt thou see clearly to cast out the mote out of thy brother’s eye.

For Ilyin, these were the words of a failed God with a doomed Son. In fact, a righteous man did not reflect upon his own deeds or attempt to see the perspective of another; he contemplated, recognized absolute good and evil, and named the enemies to be destroyed. The proper interpretation of the “judge not” passage was that every day was judgment day, and that men would be judged for not killing God’s enemies when they had the chance. In God’s absence, Ilyin determined who those enemies were.

Perhaps Jesus’ most remembered commandment is to love one’s enemy, from the Gospel of Matthew: “Ye have heard that it hath been said, An eye for an eye, and a tooth for a tooth: But I say unto you, That ye resist not evil: but whosoever shall smite thee on thy right cheek, turn to him the other also.” Ilyin maintained that the opposite was meant. Properly understood, love meant totality. It did not matter whether one individual tries to love another individual. The individual only loved if he was totally subsumed in the community. To be immersed in such love was to struggle “against the enemies of the divine order on earth.” Christianity actually meant the call of the right-seeing philosopher to apply decisive violence in the name of love. Anyone who failed to accept this logic was himself an agent of Satan: “He who opposes the chivalrous struggle against the devil is himself the devil.”

Thus theology becomes politics. The democracies did not oppose Bolshevism, but enabled it, and must be destroyed. The only way to prevent the spread of evil was to crush middle classes, eradicate their civil society, and transform their individualist and universalist understanding of law into a consciousness of national submission. Bolshevism was no antidote to the disease of the middle classes, but rather the full irruption of their disease. Soviet and European governments must be swept away by violent coups d’état.

Ilyin used the word Spirit (Dukh) to describe the inspiration of fascists. The fascist seizure of power, he wrote, was an “act of salvation.” The fascist is the true redeemer, since he grasps that it is the enemy who must be sacrificed. Ilyin took from Mussolini the concept of a “chivalrous sacrifice” that fascists make in the blood of others. (Speaking of the Holocaust in 1943, Heinrich Himmler would praise his SS-men in just these terms.)

Ilyin understood his role as a Russian intellectual as the propagation of fascist ideas in a particular Russian idiom. In a poem in the first number of a journal he edited between 1927 and 1930, he provided the appropriate lapidary motto: “My prayer is like a sword. And my sword is like a prayer.” Ilyin dedicated his huge 1925 book On the Use of Violence to Resist Evil to the Whites, the men who had resisted the Bolshevik Revolution. It was meant as a guide to their future.

What seemed to trouble Ilyin most was that Italians and not Russians had invented fascism: “Why did the Italians succeed where we failed?” Writing of the future of Russian fascism in 1927, he tried to establish Russian primacy by considering the White resistance to the Bolsheviks as the pre-history of the fascist movement as a whole. The White movement had also been “deeper and broader” than fascism because it had preserved a connection to religion and the need for totality. Ilyin proclaimed to “my White brothers, the fascists” that a minority must seize power in Russia. The time would come. The “White Spirit” was eternal.

Ilyin’s proclamation of a fascist future for Russia in the 1920s was the absolute negation of his hopes in the 1910s that Russia might become a rule-of-law state. “The fact of the matter,” wrote Ilyin, “is that fascism is a redemptive excess of patriotic arbitrariness.” Arbitrariness (proizvol), a central concept in all modern Russian political discussions, was the bugbear of all Russian reformers seeking improvement through law. Now proizvol was patriotic. The word for “redemptive” (spasytelnii), is another central Russian concept. It is the adjective Russian Orthodox Christians might apply to the sacrifice of Christ on Calvary, the death of the One for the salvation of the many. Ilyin uses it to mean the murder of outsiders so that the nation could undertake a project of total politics that might later redeem a lost God.

In one sentence, two universal concepts, law and Christianity, are undone. A spirit of lawlessness replaces the spirit of the law; a spirit of murder replaces a spirit of mercy.

*

Although Ilyin was inspired by fascist Italy, his home as a political refugee between 1922 and 1938 was Germany. As an employee of the Russian Scholarly Institute (Russisches Wissenschaftliches Institut), he was an academic civil servant. It was from Berlin that he observed the succession struggle after Lenin’s death that brought Joseph Stalin to power. He then followed Stalin’s attempt to transform the political victory of the Bolsheviks into a social revolution. In 1933, Ilyin published a long book, in German, on the famine brought by the collectivization of Soviet agriculture.

Writing in Russian for Russian émigrés, Ilyin was quick to praise Hitler’s seizure of power in 1933. Hitler did well, in Ilyin’s opinion, to have the rule of law suspended after the Reichstag Fire of February 1933. Ilyin presented Hitler, like Mussolini, as a Leader from beyond history whose mission was entirely defensive. “A reaction to Bolshevism had to come,” wrote Ilyin, “and it came.” European civilization had been sentenced to death, but “so long as Mussolini is leading Italy and Hitler is leading Germany, European culture has a stay of execution.” Nazis embodied a “Spirit” (Dukh) that Russians must share.

According to Ilyin, Nazis were right to boycott Jewish businesses and blame Jews as a collectivity for the evils that had befallen Germany. Above all, Ilyin wanted to persuade Russians and other Europeans that Hitler was right to treat Jews as agents of Bolshevism. This “Judeobolshevik” idea, as Ilyin understood, was the ideological connection between the Whites and the Nazis. The claim that Jews were Bolsheviks and Bolsheviks were Jews was White propaganda during the Russian Civil War. Of course, most communists were not Jews, and the overwhelming majority of Jews had nothing to do with communism. The conflation of the two groups was not an error or an exaggeration, but rather a transformation of traditional religious prejudices into instruments of national unity. Judeobolshevism appealed to the superstitious belief of Orthodox Christian peasants that Jews guarded the border between the realms of good and evil. It shifted this conviction to modern politics, portraying revolution as hell and Jews as its gatekeepers. As in Ilyin’s philosophy, God was weak, Satan was dominant, and the weapons of hell were modern ideas in the world.

During and after the Russian Civil War, some of the Whites had fled to Germany as refugees. Some brought with them the foundational text of modern antisemitism, the fictional “Protocols of the Elders of Zion,” and many others the conviction that a global Jewish conspiracy was responsible for their defeat. White Judeobolshevism, arriving in Germany in 1919 and 1920, completed the education of Adolf Hitler as an antisemite. Until that moment, Hitler had presented the enemy of Germany as Jewish capitalism. Once convinced that Jews were responsible for both capitalism and communism, Hitler could take the final step and conclude, as he did in Mein Kampf, that Jews were the source of all ideas that threatened the German people. In this important respect, Hitler was indeed a pupil of the Russian White movement. Ilyin, the main White ideologist, wanted the world to know that Hitler was right.

As the 1930s passed, Ilyin began to doubt that Nazi Germany was advancing the cause of Russian fascism. This was natural, since Hitler regarded Russians as subhumans, and Germany supported European fascists only insofar as they were useful to the specific Nazi cause. Ilyin began to caution Russian Whites about Nazis, and came under suspicion from the German government. He lost his job and, in 1938, left Germany for Switzerland. He remained faithful, however, to his conviction that the White movement was anterior to Italian fascism and German National Socialism. In time, Russians would demonstrate a superior fascism.

*

From a safe Swiss vantage point near Zurich, Ilyin observed the outbreak of World War II. It was a confusing moment for both communists and their enemies, since the conflict began after the Soviet Union and Nazi Germany reached an agreement known as the Molotov-Ribbentrop Pact. Its secret protocol, which divided East European territories between the two powers, was an alliance in all but name. In September 1939, both Nazi Germany and the Soviet Union invaded Poland, their armies meeting in the middle. Ilyin believed that the Nazi-Soviet alliance would not last, since Stalin would betray Hitler. In 1941, the reverse took place, as the Wehrmacht invaded the Soviet Union. Though Ilyin harbored reservations about the Nazis, he wrote of the German invasion of the USSR as a “judgment on Bolshevism.” After the Soviet victory at Stalingrad in February 1943, when it became clear that Germany would likely lose the war, Ilyin changed his position again. Then, and in the years to follow, he would present the war as one of a series of Western attacks on Russian virtue.

Russian innocence was becoming one of Ilyin’s great themes. As a concept, it completed Ilyin’s fascist theory: the world was corrupt; it needed redemption from a nation capable of total politics; that nation was unsoiled Russia. As he aged, Ilyin dwelled on the Russian past, not as history, but as a cyclical myth of native virtue defended from external penetration. Russia was an immaculate empire, always under attack from all sides. A small territory around Moscow became the Russian Empire, the largest country of all time, without ever attacking anyone. Even as it expanded, Russia was the victim, because Europeans did not understand the profound virtue it was defending by taking more land. In Ilyin’s words, Russia has been subject to unceasing “continental blockade,” and so its entire past was one of “self-defense.” And so, “the Russian nation, since its full conversion to Christianity, can count nearly one thousand years of historical suffering.”

Although Ilyin wrote hundreds of tedious pages along these lines, he also made clear that it did not matter what had actually happened or what Russians actually did. That was meaningless history, those were mere facts. The truth about a nation, wrote Ilyin, was “pure and objective” regardless of the evidence, and the Russian truth was invisible and ineffable Godliness. Russia was not a country with individuals and institutions, even should it so appear, but an immortal living creature. “Russia is an organism of nature and the soul,” it was a “living organism,” a “living organic unity,” and so on. Ilyin wrote of “Ukrainians” within quotation marks, since in his view they were a part of the Russian organism. Ilyin was obsessed by the fear that people in the West would not understand this, and saw any mention of Ukraine as an attack on Russia. Because Russia is an organism, it “cannot be divided, only dissected.”

Ilyin’s conception of Russia’s political return to God required the abandonment not only of individuality and plurality, but also of humanity. The fascist language of organic unity, discredited by the war, remained central to Ilyin. In general, his thinking was not really altered by the war. He did not reject fascism, as did most of its prewar advocates, although he now did distinguish between what he regarded as better and worse forms of fascism. He did not partake in the general shift of European politics to the left, nor in the rehabilitation of democracy. Perhaps most importantly, he did not recognize that the age of European colonialism was passing. He saw Franco’s Spain and Salazar’s Portugal, then far-flung empires ruled by right-wing authoritarian regimes, as exemplary.

World War II was not a “judgment on Bolshevism,” as Ilyin had imagined in 1941. Instead, the Red Army had emerged triumphant in 1945, Soviet borders had been extended west, and a new outer empire of replicate regimes had been established in Eastern Europe. The simple passage of time made it impossible to imagine in the 1940s, as Ilyin had in the 1920s, the members of the White emigration might someday return to power in Russia. Now he was writing their eulogies rather than their ideologies. What was needed instead was a blueprint for a post-Soviet Russia that would be legible in the future. Ilyin set about composing a number of constitutional proposals, as well as a shorter set of political essays. These last, published as Our tasks (Nashi zadachi), began his intellectual revival in post-Soviet Russia.

These postwar recommendations bear an unmistakable resemblance to prewar fascist systems, and are consistent with the metaphysical and ethical legitimations of fascism present in Ilyin’s major works. The “national dictator,” predicted Ilyin, would spring from somewhere beyond history, from some fictional realm. This Leader (Gosudar’) must be “sufficiently manly,” like Mussolini. The note of fragile masculinity is hard to overlook. “Power comes all by itself,” declared Ilyin, “to the strong man.” People would bow before “the living organ of Russia.” The Leader “hardens himself in just and manly service.”

In Ilyin’s scheme, this Leader would be personally and totally responsible for every aspect of political life, as chief executive, chief legislator, chief justice, and commander of the military. His executive power is unlimited. Any “political selection” should take place “on a formally undemocratic basis.” Democratic elections institutionalized the evil notion of individuality. “The principle of democracy,” Ilyin wrote, “was the irresponsible human atom.” Counting votes was to falsely accept “the mechanical and arithmetical understanding of politics.” It followed that “we must reject blind faith in the number of votes and its political significance.” Public voting with signed ballots will allow Russians to surrender their individuality. Elections were a ritual of submission of Russians before their Leader.

The problem with prewar fascism, according to Ilyin, had been the one-party state. That was one party too many. Russia should be a zero-party state, in that no party should control the state or exercise any influence on the course of events. A party represents only a segment of society, and segmentation is what is to be avoided. Parties can exist, but only as traps for the ambitious or as elements of the ritual of electoral subservience. (Members of Putin’s party were sent the article that makes this point in 2014.) The same goes for civil society: it should exist as a simulacrum. Russians should be allowed to pursue hobbies and the like, but only within the framework of a total corporate structure that included all social organizations. The middle classes must be at the very bottom of the corporate structure, bearing the weight of the entire system. They are the producers and consumers of facts and feelings in a system where the purpose is to overcome factuality and sensuality.

“Freedom for Russia,” as Ilyin understood it (in a text selectively quoted by Putin in 2014), would not mean freedom for Russians as individuals, but rather freedom for Russians to understand themselves as parts of a whole. The political system must generate, as Ilyin clarified, “the organic-spiritual unity of the government with the people, and the people with the government.” The first step back toward the Word would be “the metaphysical identity of all people of the same nation.” The “the evil nature of the ‘sensual’” could be banished, and “the empirical variety of human beings” itself could be overcome.

*

Russia today is a media-heavy authoritarian kleptocracy, not the religious totalitarian entity that Ilyin imagined. And yet, his concepts do help lift the obscurity from some of the more interesting aspects of Russian politics. Vladimir Putin, to take a very important example, is a post-Soviet politician who emerged from the realm of fiction. Since it is he who brought Ilyin’s ideas into high politics, his rise to power is part of Ilyin’s story as well.

Putin was an unknown when he was selected by post-Soviet Russia’s first president, Boris Yeltsin, to be prime minister in 1999. Putin was chosen by political casting call. Yeltsin’s intimates, carrying out what they called “Operation Successor,” asked themselves who the most popular character in Russian television was. Polling showed that this was the hero of a 1970s program, a Soviet spy who spoke German. This fit Putin, a former KGB officer who had served in East Germany. Right after he was appointed prime minister by Yeltsin in September 1999, Putin gained his reputation through a bloodier fiction. When apartment buildings in Russian cities began to explode, Putin blamed Muslims and began a war in Chechnya. Contemporary evidence suggests that the bombs might have been planted by Russia’s own security organization, the FSB. Putin was elected president in 2000, and served until 2008.

In the early 2000s, Putin maintained that Russia could become some kind of rule-of-law state. Instead, he succeeded in bringing economic crime within the Russian state, transforming general corruption into official kleptocracy. Once the state became the center of crime, the rule of law became incoherent, inequality entrenched, and reform unthinkable. Another political story was needed. Because Putin’s victory over Russia’s oligarchs also meant control over their television stations, new media instruments were at hand. The Western trend towards infotainment was brought to its logical conclusion in Russia, generating an alternative reality meant to generate faith in Russian virtue but cynicism about facts. This transformation was engineered by Vladislav Surkov, the genius of Russian propaganda. He oversaw a striking move toward the world as Ilyin imagined it, a dark and confusing realm given shape only by Russian innocence. With the financial and media resources under control, Putin needed only, in the nice Russian term, to add the “spiritual resource.” And so, beginning in 2005, Putin began to rehabilitate Ilyin as a Kremlin court philosopher.

That year, Putin began to cite Ilyin in his addresses to the Federal Assembly of the Russian Federation, and arranged for the reinterment of Ilyin’s remains in Russia. Then Surkov began to cite Ilyin. The propagandist accepted Ilyin’s idea that “Russian culture is the contemplation of the whole,” and summarizes his own work as the creation of a narrative of an innocent Russia surrounded by permanent hostility. Surkov’s enmity toward factuality is as deep as Ilyin’s, and like Ilyin, he tends to find theological grounds for it. Dmitry Medvedev, the leader of Putin’s political party, recommended Ilyin’s books to Russia’s youth. Ilyin began to figure in the speeches of the leaders of Russia’s tame opposition parties, the communists and the (confusingly-named, extreme-right) Liberal Democrats. These last few years, Ilyin has been cited by the head of the constitutional court, by the foreign minister, and by patriarchs of the Russian Orthodox Church.

After a four-year intermission between 2008 and 2012, during which Putin served as prime minister and allowed Medvedev to be president, Putin returned to the highest office. If Putin came to power in 2000 as hero from the realm of fiction, he returned in 2012 as the destroyer of the rule of law. In a minor key, the Russia of Putin’s time had repeated the drama of the Russia of Ilyin’s time. The hopes of Russian liberals for a rule-of-law state were again disappointed. Ilyin, who had transformed that failure into fascism the first time around, now had his moment. His arguments helped Putin transform the failure of his first period in office, the inability to introduce of the rule of law, into the promise for a second period in office, the confirmation of Russian virtue. If Russia could not become a rule-of-law state, it would seek to destroy neighbors that had succeeded in doing so or that aspired to do so. Echoing one of the most notorious proclamations of the Nazi legal thinker Carl Schmitt, Ilyin wrote that politics “is the art of identifying and neutralizing the enemy.” In the second decade of the twenty-first century, Putin’s promises were not about law in Russia, but about the defeat of a hyper-legal neighboring entity.

The European Union, the largest economy in the world and Russia’s most important economic partner, is grounded on the assumption that international legal agreements provide the basis for fruitful cooperation among rule-of-law states. In late 2011 and early 2012, Putin made public a new ideology, based in Ilyin, defining Russia in opposition to this model of Europe. In an article in Izvestiia on October 3, 2011, Putin announced a rival Eurasian Union that would unite states that had failed to establish the rule of law. In Nezavisimaia Gazeta on January 23, 2012, Putin, citing Ilyin, presented integration among states as a matter of virtue rather than achievement. The rule of law was not a universal aspiration, but part of an alien Western civilization; Russian culture, meanwhile, united Russia with post-Soviet states such as Ukraine. In a third article, in Moskovskie Novosti on February 27, 2012, Putin drew the political conclusions. Ilyin had imagined that “Russia as a spiritual organism served not only all the Orthodox nations and not only all of the nations of the Eurasian landmass, but all the nations of the world.” Putin predicted that Eurasia would overcome the European Union and bring its members into a larger entity that would extend “from Lisbon to Vladivostok.”

Putin’s offensive against the rule of law began with the manner of his reaccession to the office of president of the Russian Federation. The foundation of any rule-of-law state is a principle of succession, the set of rules that allow one person to succeed another in office in a manner that confirms rather than destroys the system. The way that Putin returned to power in 2012 destroyed any possibility that such a principle could function in Russia in any foreseeable future. He assumed the office of president, with a parliamentary majority, thanks to presidential and parliamentary elections that were ostentatiously faked, during protests whose participants he condemned as foreign agents.

In depriving Russia of any accepted means by which he might be succeeded by someone else and the Russian parliament controlled by another party but his, Putin was following Ilyin’s recommendation. Elections had become a ritual, and those who thought otherwise were portrayed by a formidable state media as traitors. Sitting in a radio station with the fascist writer Alexander Prokhanov as Russians protested electoral fraud, Putin mused about what Ivan Ilyin would have to say about the state of Russia. “Can we say,” asked Putin rhetorically, “that our country has fully recovered and healed after the dramatic events that have occurred to us after the Soviet Union collapsed, and that we now have a strong, healthy state? No, of course she is still quite ill; but here we must recall Ivan Ilyin: ‘Yes, our country is still sick, but we did not flee from the bed of our sick mother.’”

The fact that Putin cited Ilyin in this setting is very suggestive, and that he knew this phrase suggests extensive reading. Be that as it may, the way that he cited it seems strange. Ilyin was expelled from the Soviet Union by the Cheka—the institution that was the predecessor of Putin’s employer, the KGB. For Ilyin, it was the foundation of the USSR, not its dissolution, that was the Russian sickness. As Ilyin told his Cheka interrogator at the time: “I consider Soviet power to be an inevitable historical outcome of the great social and spiritual disease which has been growing in Russia for several centuries.” Ilyin thought that KGB officers (of whom Putin was one) should be forbidden from entering politics after the end of the Soviet Union. Ilyin dreamed his whole life of a Soviet collapse.

Putin’s reinterment of Ilyin’s remains was a mystical release from this contradiction. Ilyin had been expelled from Russia by the Soviet security service; his corpse was reburied alongside the remains of its victims. Putin had Ilyin’s corpse interred at a monastery where the NKVD, the heir to the Cheka and the predecessor of the KGB, had interred the ashes of thousands of Soviet citizens executed in the Great Terror. When Putin later visited the site to lay flowers on Ilyin’s grave, he was in the company of an Orthodox monk who saw the NKVD executioners as Russian patriots and therefore good men. At the time of the reburial, the head of the Russian Orthodox Church was a man who had previously served the KGB as an agent. After all, Ilyin’s justification for mass murder was the same as that of the Bolsheviks: the defense of an absolute good. As critics of his second book in the 1920s put it, Ilyin was a “Chekist for God.” He was reburied as such, with all possible honors conferred by the Chekists and by the men of God—and by the men of God who were Chekists, and by the Chekists who were men of God.

Ilyin was returned, body and soul, to the Russia he had been forced to leave. And that very return, in its inattention to contradiction, in its disregard of fact, was the purest expression of respect for his legacy. To be sure, Ilyin opposed the Soviet system. Yet, once the USSR ceased to exist in 1991, it was history—and the past, for Ilyin, was nothing but cognitive raw material for a literature of eternal virtue. Modifying Ilyin’s views about Russian innocence ever so slightly, Russian leaders could see the Soviet Union not as a foreign imposition upon Russia, as Ilyin had, but rather as Russia itself, and so virtuous despite appearances. Any faults of the Soviet system became necessary Russian reactions to the prior hostility of the West.

*

Questions about the influence of ideas in politics are very difficult to answer, and it would be needlessly bold to make of Ilyin’s writings the pillar of the Russian system. For one thing, Ilyin’s vast body of work admits multiple interpretations. As with Martin Heidegger, another student of Husserl who supported Hitler, it is reasonable to ask how closely a man’s political support of fascism relates to a philosopher’s work. Within Russia itself, Ilyin is not the only native source of fascist ideas to be cited with approval by Vladimir Putin; Lev Gumilev is another. Contemporary Russian fascists who now rove through the public space, such as Aleksander Prokhanov and Aleksander Dugin, represent distinct traditions. It is Dugin, for example, who made the idea of “Eurasia” popular in Russia, and his references are German Nazis and postwar West European fascists. And yet, most often in the Russia of the second decade of the twenty-first century, it is Ilyin’s ideas that to seem to satisfy political needs and to fill rhetorical gaps, to provide the “spiritual resource” for the kleptocratic state machine. In 2017, when the Russian state had so much difficulty commemorating the centenary of the Bolshevik Revolution, Ilyin was advanced as its heroic opponent. In a television drama about the revolution, he decried the evil of promising social advancement to Russians.

Russian policies certainly recall Ilyin’s recommendations. Russia’s 2012 law on “foreign agents,” passed right after Putin’s return to the office of the presidency, well represents Ilyin’s attitude to civil society. Ilyin believed that Russia’s “White Spirit” should animate the fascists of Europe; since 2013, the Kremlin has provided financial and propaganda support to European parties of the populist and extreme right. The Russian campaign against the “decadence” of the European Union, initiated in 2013, is in accord with Ilyin’s worldview. Ilyin’s scholarly effort followed his personal projection of sexual anxiety to others. First, Ilyin called Russia homosexual, then underwent therapy with his girlfriend, then blamed God. Putin first submitted to years of shirtless fur-and-feather photoshoots, then divorced his wife, then blamed the European Union for Russian homosexuality. Ilyin sexualized what he experienced as foreign threats. Jazz, for example, was a plot to induce premature ejaculation. When Ukrainians began in late 2013 to assemble in favor of a European future for their country, the Russian media raised the specter of a “homodictatorship.”

The case for Ilyin’s influence is perhaps easiest to make with respect to Russia’s new orientation toward Ukraine. Ukraine, like the Russian Federation, is a new country, formed from the territory of a Soviet republic in 1991. After Russia, it was the second-most populous republic of the Soviet Union, and it has a long border with Russia to the east and north as well as with European Union members to the west. For the first two decades after the dissolution of the Soviet Union, Russian-Ukrainian relations were defined by both sides according to international law, with Russian lawyers always insistent on very traditional concepts such as sovereignty and territorial integrity. When Putin returned to power in 2012, legalism gave way to colonialism. Since 2012, Russian policy toward Ukraine has been made on the basis of first principles, and those principles have been Ilyin’s. Putin’s Eurasian Union, a plan he announced with the help of Ilyin’s ideas, presupposed that Ukraine would join. Putin justified Russia’s attempt to draw Ukraine towards Eurasia by Ilyin’s “organic model” that made of Russia and Ukraine “one people.”

Ilyin’s idea of a Russian organism including Ukraine clashed with the more prosaic Ukrainian notion of reforming the Ukrainian state. In Ukraine in 2013, the European Union was a subject of domestic political debate, and was generally popular. An association agreement between Ukraine and the European Union was seen as a way to address the major local problem, the weakness of the rule of law. Through threats and promises, Putin was able in November 2013 to induce the Ukrainian president, Viktor Yanukovych, not to sign the association agreement, which had already been negotiated. This brought young Ukrainians to the street to demonstrate in favor the agreement. When the Ukrainian government (urged on and assisted by Russia) used violence, hundreds of thousands of Ukrainian citizens assembled in Kyiv’s Independence Square. Their main postulate, as surveys showed at the time, was the rule of law. After a sniper massacre that left more than one hundred Ukrainians dead, Yanukovych fled to Russia. His main adviser, Paul Manafort, was next seen working as Donald Trump’s campaign manager.

By the time Yanukovych fled to Russia, Russian troops had already been mobilized for the invasion of Ukraine. As Russian troops entered Ukraine in February 2014, Russian civilizational rhetoric (of which Ilyin was a major source) captured the imagination of many Western observers. In the first half of 2014, the issues debated were whether or not Ukraine was or was not part of Russian culture, or whether Russian myths about the past were somehow a reason to invade a neighboring sovereign state. In accepting the way that Ilyin put the question, as a matter of civilization rather than law, Western observers missed the stakes of the conflict for Europe and the United States. Considering the Russian invasion of Ukraine as a clash of cultures was to render it distant and colorful and obscure; seeing it as an element of a larger assault on the rule of law would have been to realize that Western institutions were in peril. To accept the civilizational framing was also to overlook the basic issue of inequality. What pro-European Ukrainians wanted was to avoid Russian-style kleptocracy. What Putin needed was to demonstrate that such efforts were fruitless.

Ilyin’s arguments were everywhere as Russian troops entered Ukraine multiple times in 2014. As soldiers received their mobilization orders for the invasion of the Ukraine’s Crimean province in January 2014, all of Russia’s high-ranking bureaucrats and regional governors were sent a copy of Ilyin’s Our Tasks. After Russian troops occupied Crimea and the Russian parliament voted for annexation, Putin cited Ilyin again as justification. The Russian commander sent to oversee the second major movement of Russian troops into Ukraine, to the southeastern provinces of Donetsk and Luhansk in summer 2014, described the war’s final goal in terms that Ilyin would have understood: “If the world were saved from demonic constructions such as the United States, it would be easier for everyone to live. And one of these days it will happen.”

Anyone following Russian politics could see in early 2016 that the Russian elite preferred Donald Trump to become the Republican nominee for president and then to defeat Hillary Clinton in the general election. In the spring of that year, Russian military intelligence was boasting of an effort to help Trump win. In the Russian assault on American democracy that followed, the main weapon was falsehood. Donald Trump is another masculinity-challenged kleptocrat from the realm of fiction, in his case that of reality television. His campaign was helped by the elaborate untruths that Russia distributed about his opponent. In office, Trump imitates Putin in his pursuit of political post-truth: first filling the public sphere with lies, then blaming the institutions whose purpose is to seek facts, and finally rejoicing in the resulting confusion. Russian assistance to Trump weakened American trust in the institutions that Russia has been unable to build. Such trust was already in decline, thanks to America’s own media culture and growing inequality.

Ilyin meant to be the prophet of our age, the post-Soviet age, and perhaps he is. His disbelief in this world allows politics to take place in a fictional one. He made of lawlessness a virtue so pure as to be invisible, and so absolute as to demand the destruction of the West. He shows us how fragile masculinity generates enemies, how perverted Christianity rejects Jesus, how economic inequality imitates innocence, and how fascist ideas flow into the postmodern. This is no longer just Russian philosophy. It is now American life.


Littérature: Les sionistes ont même inventé la littérature ! (How Auerbach helped us rediscover the story which forever changed the way we viewed reality)

4 mars, 2018
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Le salut vient des Juifs. Jésus (Jean 4:22)
Soyez fils de votre Père qui est dans les cieux (qui) fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons et (…) pleuvoir sur les justes et sur les injustes. Jésus (Matthieu 5: 45)
Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre,  il n’y a plus ni homme ni femme; car tous vous êtes un en Jésus-Christ. Paul
C’est peut-être dans la Bible qu’on trouverait des procédés littéraires nouveaux et l’art de laisser les choses à leur place. Marcel Schwob (lettre à Jules Renard, 1891)
Il n’y a que l’Occident chrétien qui ait jamais trouvé la perspective et ce réalisme photographique dont on dit tant de mal: c’est également lui qui a inventé les caméras. Jamais les autres univers n’ont découvert ça. Un chercheur qui travaille dans ce domaine me faisait remarquer que, dans le trompe l’oeil occidental, tous les objets sont déformés d’après les mêmes principes par rapport à la lumière et à l’espace: c’est l’équivalent pictural du Dieu qui fait briller son soleil et tomber sa pluie sur les justes comme sur les injustes. On cesse de représenter en grand les gens importants socialement et en petit les autres. C’est l’égalité absolue dans la perception. René Girard 
La rivalité s’intensifie à mesure que le nombre d’imitateurs augmente. (…) Dans tous les arts, à commencer par la peinture, et en continuant avec la musique, l’architecture, la littérature, et la philosophie, les idéaux de radicalisme et de révolution ont longtemps dominé. Ces étiquettes dissimulent l’escalade d’un jeu compétitif qui consiste à abandonner un par un tous les principes et toutes les pratiques traditionnels de chaque art. Les derniers venus étant encore fidèles aux mêmes principes anti-mimétiques que leurs prédécesseurs, ils doivent les imiter de façon paradoxale, balayant tout ce qui n’a pas déjà été emporté par les précédentes vagues de radicalisme. Chaque génération a sa nouvelle fournée d’iconoclastes qui se vantent d’être les seuls révolutionnaires authentiques, mais tous s’imitent les uns les autres : plus ils veulent échapper à l’imitation, moins ils parviennent à le faire. Il y a eu des interruptions temporaires de cette dynamique, sans aucun doute, et même de brefs revirements, dans l’histoire globale du modernisme, mais la principale poussée est indéniable et elle est devenue si évidente que les systèmes de la révolution se sont finalement brisés ou sont en train de se briser. En peinture, le rendement réaliste de l’ombre et de la lumière a été écarté en premier, et de plus en plus d’éléments essentiels, la perspective traditionnelle, et finalement toute forme reconnaissable, et la couleur elle-même. En architecture et en ameublement l’évolution fut la même. En poésie, le rythme a été abandonné, et ensuite tous les aspects métriques. Le mot « minimalisme » désigne maintenant une école particulière seulement, mais il va bien avec toute la dynamique du modernisme. En poésie, dans le roman, dans le drame, et dans tous les autres genres d’écriture, ce processus continue à se répéter. D’abord, tout contexte réaliste est éliminé, puis l’intrigue, puis les personnages; finalement les phrases perdent leur cohérence et même les mots eux-mêmes, qui pourraient être remplacés par un fouillis de lettres significatif ou, encore mieux, incohérent. Toutes les écoles, bien sûr, ne suppriment pas les mêmes choses en même temps et des différences locales ont souvent abouti en flambées créatives brillantes si elles n’étaient éphémères. Finalement, alors que chaque personne et chaque chose tend vers le même néant absolu qui est maintenant triomphant dans tous les champs de l’effort esthétique, de plus en plus de critiques commencent à faire face au fait que la nouveauté vigoureuse se tarit. L’art moderne est achevé et sa fin était certainement hâtée, sinon entièrement causée, par le tempérament de plus en plus anorexique de notre siècle. René Girard
Il n’y a pas en littérature de beaux sujets d’art, et qu’Yvetot donc vaut Constantinople ; et qu’en conséquence l’on peut écrire n’importe quoi aussi bien que quoi que ce soit. L’artiste doit tout élever ; il est comme une pompe, il a en lui un grand tuyau qui descend aux entrailles des choses, dans les couches profondes. Il aspire et fait jaillir au soleil en gerbes géantes ce qui était plat sous terre et qu’on ne voyait pas. Gustave Flaubert (lettre à Louise Colet, 25 juin 1853
La bonne et la mauvaise société doivent être étudiées. La vérité est dans tout. Flaubert (à Ernest Chevalier. 24 février 1842)
Il n’y a ni beaux ni vilains sujets et on pourrait presque établir comme axiome, en se posant au point de vue de l’Art pur, qu’il n’y en a aucun, le style étant à lui tout seul une manière absolue de voir les choses. Flaubert (à Louise Colet, 16 janvier 1852)
Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c’est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui – même par la force interne de son style, comme la terre sans être soutenue se tient en l’air, un livre qui n’aurait presque pas de sujet ou du moins où le sujet serait presque invisible, si cela se peut. Les oeuvres les plus belles sont celles où il y a le moins de matière ; plus l’expression se rapproche de la pensée, plus le mot colle dessus et disparaît, plus c’est beau. Je crois que l’avenir de l’Art est dans ces voies. Je le vois, à mes ure qu’il grandit, s‘éthérisant tant qu’il peut, depuis les pylônes égyptiens jusqu’aux lancettes gothiques, et depuis les poèmes de vingt mille vers des Indiens jusqu’aux jets de Byron. La forme, en devenant habile, s’atténue ; elle quitte toute liturgie, toute règle, toute mesure ; elle abandonne l’épique pour le roman, le vers pour la prose ; elle ne connaît plus d’orthodoxie et est libre comme chaque volonté qui la produit. Cet affranchissement de la matérialité se retrouve en tout et les gouvernements l’ont suivi, depuis les despotismes orientaux jusqu’aux socialismes futurs. C’est pour cela qu’il n’y a ni beaux ni vilains sujets et qu’on pourrait presque établir comme axiome, en se posant au point de vue de l’Art pur, qu’il n’y en a aucun, le style étant à lui tout seul une manière absolue de voir les choses. Flaubert (lettre à Louise Colet du 16 janvier 1852)
Professeur de philologie romane à Marburg, Erich Auerbach (1892-1957) est destitué de sa chaire par les lois antisémites en 1935. Exilé à Istanbul avant de gagner les États-Unis, sans autres livres disponibles que les « classiques », il y écrit Mimésis, essai de synthèse magistral sur l’histoire de la littérature occidentale, vouée d’après lui à représenter la « réalité » par l’écriture et donc à y faire exister le peuple. Ce livre paru en 1946 à Berne, aussitôt traduit en anglais, devient une référence des études de littérature comparée et permet à Auerbach de trouver un poste à Yale en 1950. Traduit en français en 1968, sa réception n’est pas facilitée par la vague structuraliste. Anne-Marie Chartier
Il va de soi que ce mélange des styles ne dénote aucune intention esthétique. Au contraire, il caractérise dès l’origine les écrits judéo-chrétiens ; il fut encore souligné par l’incarnation de Dieu dans un homme du dernier rang, par son existence terrestre parmi les humbles, par sa Passion ignominieuse au jugement du monde, et, par suite de la vaste diffusion et du puissant effet de ces écrits à une époque postérieure, agit naturellement de façon décisive sur la représentation du tragique et du sublime. (…) tout se joue entre des gens communs issus du peuple; une telle action, pour les Anciens, aurait fait la matière d’une farce ou d’une comédie. Et pourquoi n’avons-nous rien de tel ici? Pourquoi ce texte éveille-t-il en nous une profonde et grave sympathie? Parce qu’il représente quelque chose que ni la poésie antique ni l’historiographie antique n’ont jamais représenté: la naissance d’un mouvement spirituel dans les profondeurs du peuple, au sein des circonstances quotidiennes de l’existence du temps. Un nouveau cœur et un nouvel esprit naissent sous nos yeux. Ce que nous disons ici ne s’applique pas seulement au reniement de Pierre, mais à tous les faits que nous rapportent les livres du Nouveau Testament; dans chacun d’entre eux il s’agit toujours de la même question, toujours du même conflit, auquel tout homme se trouve forcément confronté et qui par là est un conflit toujours inachevé et infini. Il met en mouvement le monde entier des hommes, tandis que les enchevêtrements de destin et de passion que connaît l’antiquité gréco-romaine ne concernent directement qu’un seul individu, celui qui s’y trouve impliqué; c’est seulement en vertu d’une relation très générale, parce que nous sommes aussi des hommes, c’est-à-dire soumis au destin et aux passions, que nous ressentons de la terreur et de la pitié. Pierre, en revanche, ainsi que les autres personnages du Nouveau Testament sont plongés dans un mouvement général qui surgit des profondeurs, qui ne concerne d’abord qu’eux-mêmes et qui ne passe que très progressivement (les Actes des Apôtres illustrent le commencement de ce processus) au premier plan de l’histoire, mais qui dès le début est un mouvement sans limite qui aspire à toucher directement chaque homme et absorbe en lui tous les conflits purement personnels. Ainsi apparaît un monde d’une part tout à fait réel, quotidien, reconnaissable sous le rapport du temps, du lieu et des circonstances, et d’autre part ébranlé dans ses fondations, qui se transforme et se renouvelle sous nos yeux. Erich Auerbach (1946)
La naissance dans l’étable de Bethléem, la vie parmi les pêcheurs, des publicains et d’autres personnes du commun, la Passion avec touts ses épisodes réalistes et indignes ne convenaient ni au style de l’éloquence sublime ni à celui de la tragédie ou de la grande épopée; un tel arrière-plan, un tel environnement ne convenait guère, d’après les conceptions de l’esthétique augustéenne, qu’à l’un des genres littéraires les plus bas; mais le style bas de l’Ecriture sainte inclut le sublime. Erich Auerbach
Dans la littérature moderne, toute personne, quels que soient son caractère et sa position sociale, tout événement, qu’il appartienne à la légende, à la haute politique ou à la vie domestique, peut être représenté comme une réalité sérieuse, problématique et tragique, et le plus souvent se trouve effectivement représenté sous cette forme. Mais ceci est complètement impossible dans l’Antiquité. Il existe certes, dans la poésie pastorale ou amoureuse, quelques formes intermédiaires, mais dans l’ensemble la règle de la séparation des styles maintient son empire et demeure inviolée : tout ce qui est vulgairement réaliste, le quotidien tout entier, ne supporte qu’une représentation comique ; on n’en doit pas approfondir les problèmes virtuels. Un tel principe fixe d’étroites limites au réalisme, et on peut dire, en prenant le mot réalisme en un sens plutôt strict, qu’il ôtait à la littérature toute possibilité de prendre au sérieux les métiers et les états de la vie quotidienne – commerçants, artisans, paysans, esclaves –, le décor de la vie quotidienne – maison, atelier, boutique, champ –, les circonstances de la vie quotidienne – mariage, naissance d’un enfant, travail, nourriture –, bref de prendre au sérieux le peuple et la vie du peuple. (…) Au contraire, [le mélange des styles] caractérise dès l’origine les écrits judéo-chrétiens (…) Une figure tragique d’une telle origine, un héros si faible mais qui puise sa force dans sa faiblesse même, un tel va et vient du pendule, est incompatible avec le style élevé de la littérature classique gréco-romaine. (…) Du même coup, les conventions stylistiques de l’Antiquité disparaissent car il est impossible de représenter autrement qu’avec le plus grand sérieux l’attitude de chacun des individus qui se voient impliqués dans le mouvement ; tel pêcheur parmi les autres, ou tel publicain, ou tel jeune homme riche, telle Samaritaine ou telle femme adultère, chacun et chacune pris dans sa vie de tous les jours, se trouvent confrontés directement à la personne de Jésus, et l’attitude de chacune de ces personnes à ce moment précis est nécessairement une chose tragique. La règle stylistique de l’Antiquité, pour laquelle la représentation réaliste, la description de la vie quotidienne ne pouvaient relever que de la comédie (ou au mieux de l’idylle) est par conséquent incompatible avec la représentation de forces historiques dès que celle-ci s’efforce de rendre les choses concrètement. Car alors, elle est contrainte de descendre dans les profondeurs de la vie quotidienne du peuple, elle est dans l’obligation de prendre au sérieux ce qu’elle y rencontre, tandis qu’à l’inverse, la règle stylistique ne peut subsister que là où on renonce à rendre concrètement les forces historiques, où on n’éprouve même pas le besoin d’en tenir compte. Il va de soi que dans les écrits évangéliques cette prise de conscience de forces historiques revêt un caractère parfaitement « non scientifique » ; elle se réduit à des faits concrets et ne les dépasse pas à l’aide de concepts qui systématiseraient des expériences. (…) Néanmoins, quelle que soit la nature du mouvement que les récits évangéliques ont introduit dans l’historiographie, l’essentiel réside en ceci : que les couches profondes qui restaient immobiles aux yeux des observateurs antiques commencent à entrer en mouvement. Erich Auerbach
To us today, this hardly seems an extraordinary detail of the narrative, however moving me may or may not find it; we would expect Peter to weep, and we certainly would expect any narrator to think the event worth recording. But, in some ways, taken in the context of the age in which the Gospels were written, there may well be no stranger or more remarkable moment in the whole of scripture. What is obvious to us–Peter’s wounded soul, the profundity of his devotion to his teacher, the torment of his guilt, the crushing knowledge that Christ’s immanent death forever foreclosed the possibility of seeking forgiveness for his betrayal–is obvious in very large part because we are the heirs of a culture that, in a sense, sprang from Peter’s own tears. To us, this rather small and ordinary narrative detail is unquestionably an ornament of the story, one that ennobles it, proves its gravity, widens its embrace of our common humanity…To the literate classes of antiquity, however, this tale of Peter weeping would more likely have seemed an aesthetic mistake; for Peter, as a rustic, could not possibly have been a worthy object of a well-bred man’s sympathy, nor could his grief possibly have possessed the sort of tragic dignity necessary to make it worthy of anyone’s notice. At most, the grief of a man of Peter’s class might have had a place in comic literature: the querulous expostulations of a witless peon, the anguished laments of a cuckolded taverner, and so on. Of course, in a tragic or epic setting a servant’s tears might have been played as accompaniment to his master’s sorrows, rather like the sympathetic whining of a devoted dog. But, when one compares this scene from the Gospels to the sort of emotional portraiture one finds in great Roman writers, comic or serious, one discovers–as the great literary critic Eric Auerbach noted a half a century ago–that it is only in Peter for the first time that one sees ‘the image of man in the highest and deepest and most tragic sense.’ Yet Peter remains, for all that, a Galilaean peasant. This is not merely a violation of good taste; it is an act of aesthetic rebellion. Robert Gundry
Le « réalisme » est spontanément associé à un courant littéraire, apparu en France autour de 1850, et qui correspond à une sorte d’âge d’or du roman. Or Auerbach montre qu’un tel souci est présent dès l’origine de la littérature occidentale, et même dans sa double origine : Homère et la Bible – selon deux « types fondamentaux », deux approches stylistiques très différentes, qu’il détaille à partir de deux exemples. Le récit du retour d’Ulysse à Ithaque, dans l’Odyssée, ne laisse rien dans l’ombre, tant l’enchaînement des actions est sans mystère, sans arrière-plan ; dans la Genèse, le sacrifice d’Abraham suggère au contraire, par l’emploi d’un « style abrupt », elliptique, « l’inexprimé », « la complexité », il « appelle l’interprétation ». Le premier tend à la « légende », tout en étant plus descriptif et concret ; le second, plus énigmatique, tend à « l’histoire », à l’expression d’une « vérité » liée à l’intervention d’un Dieu invisible.Dans sa simplicité, le style homérique juxtapose moments héroïques et scènes domestiques, parce que le déroulement du récit appelle naturellement leur alternance. La manière dont le style biblique ignore l’opposition du sublime et du trivial a un motif plus profond : humain et divin sont indissociables, Dieu agit au cœur du quotidien – jusqu’à, selon le Nouveau Testament, se faire homme. C’est pourquoi, au Moyen Âge, les Mystères, la littérature contemplative, la poésie franciscaine, seront étrangers à la séparation instaurée par l’Antiquité latine (et maintenue strictement au contraire par les esthétiques qui s’en réclameront, dont, au xviie siècle, celle du classicisme français) entre grand style (réservé aux genres nobles) et style humble (réservé aux petits genres, à la conversation) : « Dans le monde chrétien, les deux styles sont d’emblée confondus, notamment dans l’Incarnation et la Passion du Christ, où sublimitas et humilitas, portées toutes deux à leur comble, se réalisent toutes deux et s’unissent l’une à l’autre ». Encyclopaedia universalis
A l’instar d’un Proust ou d’un Joyce tirant la matière de toute une œuvre d’un récit de faits quotidiens resserrés dans un laps de temps limité, M. Auerbach veut dégager des quelques fragments qu’il étudie les traits distinctifs d’une période et d’une interprétation du réel La tradition antique (c. à. d. gréco-romaine) et le classicisme qui en est issu n’admettent le réel, dans son aspect banalement quotidien, que sous le couvert du grotesque ou du comique et dans la littérature familière. Cet interdit s’insère dans la doctrine plus générale de la distinction des «tons», qui ne sera battue en brèche que par les réalistes français du xixe siècle (Balzac, Stendhal), qui restitueront au réel toute sa valeur problématique et tragique. Cette distinction (qu’il ne faut point confondre avec celle des genres) serait cependant assez moderne dans sa rigueur absolue : elle daterait du xvie siècle et le moyen âge ne l’aurait pas connue. Aussi bien le monde antique et le monde médiéval se rattachent-ils, pour M. Auerbach, à des archétypes très opposés : l’Odyssée et la Bible. Certes, le réel et le quotidien ne sont pas absents de l’œuvre d’Homère (et l’épisode de la cicatrice d’Ulysse en fait foi), mais ils ont une signification limitée et sont exclus du style noble et du sublime. La Bible, au contraire, nous offre le spectacle, déconcertant pour un Grec, de l’intrusion du quotidien dans le tragique. Cette interpénétration se justifierait, d’après l’auteur, par la méthode spécifiquement juive de l’interprétation symbolique, ou mieux figurale, selon laquelle les faits quotidiens ne sont que l’annonce, la préfiguration d’événements d’un caractère supérieur. Ce goût pour le symbolisme, l’ésotérisme, la recherche du sens second constituera un des traits les plus caractéristiques de la mentalité médiévale ; la vie du Christ, avec son mélange continuel de réalité familière et de sublime tragédie, marque à cet égard la rupture la plus catégorique avec la conception littéraire antique du réél. Certains épisodes du Satyricon de Pétrone sont très proches du réalisme moderne : évocation pittoresque d’un monde de parvenus, langage bariolé, étude du milieu, tout y est, sauf l’élément de gravité et de tragique qui constitue la limite du réalisme antique. Le Satyricon est une œuvre comique sans arrière- plan social. Cette curiosité sociale fait également défaut chez Tacite, préoccupé surtout de politique et de morale. Pour M. Auerbach, la notion d’un « devenir » historique, d’un mouvement de forces s’extériorisant en faits divers apparemment sans importance se manifeste d’une façon exemplaire dans l’Évangile. Ici, l’angle de vision, le public, le style, tout est neuf. (…) Telle quelle, la thèse de M. Auerbach peut être discutée ; la méthode qu’il adopte favorise les interprétations subjectives, légèrement gauchies — on pourrait opposer aux textes qu’il cite à l’appui de sa thèse des œuvres moins probantes (pour le moyen âge, le réalisme de certaine scène d’Aucassin et Nicolette ou de quelques miracles) — on pourrait reprocher à cette méthode son allure systématique et le caractère absolu que l’auteur veut lui donner (le prestige de la Passion peut-il légitimement expliquer la disparition de la cloison qui séparait les tons et les genres?)— on pourra trouver excessif le procédé qui tire, comme d’un condensé, tout Balzac, tout Stendhal, tout Zola d’un passage de quelques lignes, de même qu’il peut être dangereux d’isoler un texte de son histoire, de lui couper ses ramifications souterraines. Il n’en reste pas moins que cette étude imposante, fruit d’années de lectures et de méditations, a le mérite d’aborder le problème d’une manière originale qui nous contraint souvent à réexaminer des notions reçues. Les analyses sont remarquables de finesse, de pénétration, de doigté littéraire : celle de Zola, p. ex. restitue sa pleine valeur à un auteur trop méconnu de nos jours. Notre seule crainte est de voir M. Auerbach tirer parfois de son texte plus qu’il ne nous paraît contenir. Mais ce recours au texte est en lui-même déjà une fructueuse leçon. Roland Mortier
Dans cet ouvrage, monument de la critique littéraire moderne, Auerbach offre une véritable histoire de la littérature occidentale depuis la Bible hébraïque, l’Odyssée d’Homère en passant par les littératures latine, médiévale et moderne (Dante, Rabelais, Cervantès, Montaigne, Rousseau, Stendhal, Edmond et Jules de Goncourt, et Virginia Woolf). Chez Auerbach, on trouve d’abord la vision d’ensemble: il embrasse en effet la totalité de l’histoire des grandes œuvres occidentales, à laquelle il applique la sélectivité inhérente au traitement factuel des œuvres étudiées. Il a mis en exergue l’approche stylistique. Sous la plume d’Auerbach, cet adjectif désigne à la fois des déterminations langagières précises (marques d’une manière littéraire particulière) et des contraintes du genre spécifique qui imposent des pratiques rhétorico-discursives fixes. Il essaie d’établir des relations entre les différents conditionnements stylistiques, qui dessinent les traits d’un genre et d’un style particuliers et de faire ressortir la sensibilité et le goût en tant que reflet d’une société et d’une culture. (…) Auerbach essaie de démontrer qu’il est possible de définir un lien entre le discours littéraire et les valeurs socioculturelles d’une époque. Il croit pouvoir décrypter les signes d’un univers mental collectif, à travers telle ou telle réalisation artistique. À travers le texte, le critique décèle une représentation d’un univers particulier. (…) Pour cet auteur, les deux racines du «réalisme» propre à la littérature occidentale sont la littérature classique gréco-latine d’une part et la Bible de l’autre. Dans les deux chapitres initiaux de sa Mimesis, il compare ces deux façons d’écrire. Dans le premier chapitre, Auerbach effectue une comparaison entre l’Aquédah ou l’épreuve d’Abraham (Gn 22) et le chant 19 de l’Odyssée d’Homère. Il s’agit de la scène de l’Odyssée où Ulysse, de retour à Ithaque, est reconnu par sa vieille nourrice quand, en lui lavant les pieds, elle découvre une ancienne cicatrice. Dans le second chapitre de son livre, Auerbach compare le style du récit du reniement de Pierre dans le Nouveau Testament grec avec celui de l’historien latin Petronius. Auerbach établit plusieurs différences principales entre le style biblique et celui de la littérature gréco-latine. D’une part, la Bible est avare de détails et laisse bien des choses à l’arrière-plan du récit, alors qu’Homère abonde en détails qui sont pour la plupart à l’avant-plan. D’autre part, la Bible ne connaît pas la différence de style propre à la littérature classique. Il n’existe pas dans la Bible deux classes de héros et deux classes d’actions. Pas de style «élevé» et de style «mineur». Les héros bibliques n’appartiennent pas nécessairement à l’aristocratie et leurs actions ne doivent pas être des exploits guerriers ou amoureux. Dans l’ensemble, les héros de la Bible peuvent appartenir à n’importe quelle classe sociale et leurs expériences sont celles du commun des mortels. En termes très simples, les personnes de toutes les classes, même les plus humbles, peuvent faire des expériences de portée universelle et les actions les plus ordinaires peuvent être le lieu d’une «vérité» qui concerne l’existence humaine comme telle. Auerbach compare les deux styles, celui d’Homère et celui de la Bible hébraïque, en les contrastant. (…) Chez Homère, les êtres et les choses se tiennent dans un espace où tout est visible. Ils sont clairement décrits et présentés dans une lumière uniforme. Les sentiments comme les pensées sont complètement exprimés, ordonnés, même quand ils traduisent une émotion. Homère n’utilise pas l’arrière-plan, ce qu’il raconte constitue toujours le présent et remplit entièrement la scène aussi bien que la conscience. Le style homérique consiste à présenter les phénomènes sous une forme complètement extériorisée, à les rendre visibles et tangibles dans toutes leurs parties, à les déterminer exactement dans leurs relations temporelles et spatiales. Il n’en va pas autrement des événements intérieurs: là non plus rien ne doit demeurer secret et inexprimé. (…) Dans la Bible par contre, «la seule face des phénomènes qui se trouve extériorisée est celle qui importe au but de l’action, le reste demeure dans l’ombre; l’accent n’est mis que sur les moments décisifs de l’action… le temps et le lieu sont indéterminés et appellent une interprétation; les pensées et les sentiments restent inexprimés, le silence et des paroles fragmentaires se bornent à les suggérer; le tout, soumis à une tension constante, orienté vers un but, et par là beaucoup plus homogène, reste mystérieux et laisse deviner un arrière-plan. (…) Une autre différence entre Homère et la Bible est l’attitude envers l’histoire. Homère est souvent taxé de mensonge, mais il ment pour plaire aux lecteurs. L’historicité de son récit lui importe peu. Selon Auerbach, le narrateur biblique a un rapport à la vérité de son histoire qui est beaucoup plus passionné. Il a une foi en la vérité de la tradition qu’il transmet. Le narrateur biblique travaille avec un présupposé fondamental. Le récit qu’il décrit a pour objet l’histoire universelle et l’interprétation de cette histoire. De plus, les histoires de l’Écriture sainte ne sollicitent pas notre approbation, elles ne nous flattent pas pour nous plaire et nous séduire — elles entendent exercer une autorité sur nous. «En elles s’incarnent la doctrine et la Promesse, qui leur sont indissolublement unies. C’est pourquoi elles possèdent un arrière-plan et sont obscures; elles contiennent un deuxième sens, caché. Indirectement, Auerbach répond à l’objection de James Barr selon lequel l’étude de la Bible comme littérature ne peut se faire en ignorant la spécificité théologique et les présupposés particuliers des narrations bibliques. Auerbach reconnaît que cette prétention à l’autorité des récits bibliques pouvait encore se maintenir au Moyen Âge mais se trouve directement menacée par la trop grande transformation du monde réel et par l’éveil de la conscience critique. Pour pouvoir prétendre régner sur la conscience des hommes d’une façon universelle la Bible se prête à une interprétation et à la modification de son contenu. Il place le travail de saint Paul dans cette perspective de réinterprétation du contenu afin de permettre aux récits bibliques d’atteindre et de régner sur la conscience des européens (p. 26). Par ce biais Auerbach reconnaît le rôle de l’herméneutique qui assure la pérennité aux récits bibliques. Daniel Bodi
Sous presque toutes ses formes, et même lorsqu’elle a eu pour principal objectif de perpétuer la mémoire d’événements et de personnalités hors – normes, que leur grandiose sublimité rend particulièrement dignes d’être exaltés, ce que nous appelons aujourd’hui littérature a fait place à l’évocation de la vie quotidienne sous ses formes les plus ordinaires, ne serait – ce que pour dresser ses décors et en peupler les marges : c’est ainsi que, chez Homère, bien qu’il ne soit pas à proprement parler un chantre de la vie quotidienne ni un desservant de son “humble vérité”, pour reprendre la formule que Maupassant a placée en exergue de son roman Une vie, formule dont les arrière-plans sont étrangement théologiques, on trouverait une accumulation de détails permettant de se représenter concrètement ce qu’a pu être l’existence ordinaire en Grèce au temps des Achéens. Toutefois, les choses paraissent avoir radicalement changé à cet égard lorsque, en particulier avec la vogue du roman dans sa forme moderne, dès le dix – septième siècle, le tournant ayant probablement été représenté par Cervantès, on s’est davantage préoccupé de montrer l’envers du décor, en regardant le spectacle depuis les coulisses où son ordre se présente sous un angle biaisé : alors, la représentation de la vie quotidienne a cessé d’être occasionnelle et marginale et est devenue un thème à part entière, éventuellement traité pour lui-même de manière autonome ; les écrivains se sont mis à visiter les loges de concierge et à séjourner dans des trous de province, en allant à la rencontre de ce qu’on appelle aujourd’hui les “vrais gens”, c’est-à-dire les gens quelconques, les gens sans histoire , dont le type, qui est en réalité un anti-type, est “monsieur Tout-le-Monde”, qui est n’importe qui, Jedermann ou Everyman. Cette démarche est entreprise avec l’idée qu’elle donne les moyens de démasquer certains arrière – plans cachés de la réalité : ceux – ci, parfois à la limite du sordide et du fantastique, comme chez Dickens ou dans Les Mystères de Paris d’Eugène Sue, sont alors traités comme une terra incognita à découvrir, tout un mystérieux continent dont l’exploration ethnographique avant la lettre est censée ramener un inestimable trésor de révélations surprenantes ; ce qui, paradoxalement, revient à renifler certains parfums troublants d’exotisme dans ce qui est le plus proche et le plus commun. De ce moment, a pris forme l’idée d’une littérature dans laquelle la représentation du quotidien joue un rôle privilégié, et devient un thème à part entière, ce qui définit, à la fois sur le pla n du contenu et sur celui de la forme, une orientation littéraire axée sur la production d’effets de réalité : d’où l ’appellation générale de “réalisme” dont on a pris l’habitude de se servir pour identifier ce courant qui, à une certaine époque, et aujourd’hui encore, alors même que s’est produite la révolution de l’écriture pure, détient dans le champ littéraire une position importante, voire même dominante, au moment où la langue parlée y a fait irruption et est devenue, à côté de celles de la langue écrite, l’une de ses formes normales d’expression. Dans ces conditions, l’effort en vue de réfléchir la vie quotidienne, inséparable de la volonté de comprendre sur quelles bases celle-ci est devenue un véritable objet de pensée, et non seulement un motif d’amusement ou de curiosité, voire de préoccupation passagère, ne peut guère se passer des secours de la littérature, ou du moins d’un certain type de littérature, qui, à la fois, fournit à cet effort une précieuse documentation, le conforte dans son élan, et, éventuellement, lui offre, sous forme d’esquisses plus ou moins dégrossies, des schèmes de réflexion particulièrement suggestifs. C‘est ayant cela en tête que Freud, par exemple, lorsqu’il entreprend ce qu’il appelle une psychopathologie de la vie quotidienne, ne cesse de se référer à des exemples et à des analyses empruntés à des ouvrages de fiction qui ont défriché ce terrain avec une clairvoyance qui lui paraît exemplaire : il intègre directement ces exemples et analyses à son propre travail d’élaboration théorique en se contentant de leur apporter de légères transformations qui n’en modifient pas la teneur sur le fond ; c’est-à-dire qu’il crédite la littérature d’en savoir déjà fort long, au sens propre du terme “savoir”, sur le quotidien de la vie, suffisamment en tous cas pour qu’on se mette à son écoute en vue d’en tirer une conception digne d’intérêt, sous réserve d’être précisée et replacée dans un contexte élargi. (…) C’est ce qui ressort des analyses menées dans l’ouvrage d’Erich Auerbach, Mimésis – La représentation de la réalité dans la l ittérature occidentale (Mimesis – Das gestellte Wirklichkeit in der abendländische Litteratur), paru à Berne en 1946, et dont la traduction française par C. Heim a été pour la première fois publiée en 1968 (réédition dans la série Gallimard/Tel, 1977). Dans ce livre monumental, composé durant son exil forcé en Turquie où le régime kémalien lui avait confié la charge de réorganiser les études universitaires, le philologue allemand Auerbach a entrepris de recenser et de comparer les différentes manières de représenter la réalité mises en oeuvre à travers l’ensemble de l’histoire de la littérature occidentale, d’Homère à Virginia Woolf, en passant, entre autres, par Dante, Molière et Stendhal, et ceci à partir d’explications de textes empruntés à des oeuvres qui se sont notablement confrontées à ce problème globalement désigné sous l’appellation de “mimésis”, ou imitation de la réalité. L’une des conclusions qui se dégagent de cette comparaison est que, en réponse au “défi”, ce mot revient à plusieurs reprises sous la plume d’Auerbach, que constitue la nécessité d’appliquer à la réalité un traitement représentatif ou mimétique, et tout simplement d’en parler ou plutôt d’en rendre compte et d’en restituer la présence par les moyens de l’écriture, les principales étapes recensées dans les vingt chapitres du livre de l’histoire de la littérature occidentale vue sous cet angle ont donné lieu à l’élaboration de différents “mondes formels” (l’expression “monde formel” apparaît à la p. 16 de Mimésis ), résultant de la mise en oeuvre des styles représentationnels successivement apparus au cours d’une évolution qu’Auerbach se propose de ramener à un certains nombre de caractères structurels. Autrement dit, pour en revenir au point qui nous intéresse, la littérature, au cours de son histoire, aurait donné lieu à différents types formels de représentation ou écritures du quotidien impossibles à ramener à un modèle unique applicable indifféremment à tous ces systèmes, qui sont autant de réponses variées à un même problème. Ce qui pose bien sûr la question de savoir si, réellement, ce problème est resté inchangé, comme semble le penser Auerbach, à qui on a pu reprocher d’utiliser la notion de mimésis comme une étiquette commode dont il se garde d’examiner le contenu, donc sans se demander si le mot “réalité” garde le même sens lorsqu’il s’applique aux objets appréhendés par le moyen des différentes formes mimétiques : lorsqu’Auerbach justifie son propos à partir de l’intention de caractériser les diverses manières dont les écrivains “répondent au défi de la réalité”, on ne peut manquer de se dire que cette référence à “la réalité” manque de clarté et de précision, ce qui conduit à se demander de quelle réalité au juste il s’agit, et à quel niveau de détermination elle est appréhendée dans le cadre des différents mondes formels qui permettent de la restituer. Suivant le principe de différenciation des mondes formels, le premier chapitre de Mimésis , intitulé “La cicatrice d’Ulysse”, met en évidence une première opposition entre deux “ styles de représentation littéraire de la réalité dans la culture européenne”, opposition résumée dans la conclusion du chapitre à travers ces traits formels : “Les deux styles constituent, par leur antinomie, des types fondamentaux : l’un décrit les événements en les extériorisant, les éclaire également, les enchaîne sans discontinuité ; c’est une expression libre et complète, sans ambiguïté, qui place tous les phénomènes au premier plan et ne laisse que peu de place au développement historique et humain ; – l’autre met en valeur certains éléments pour en laisser d’autres dans l’ombre ; c’est un style abrupt, qui suggère l’inexprimé, l’arrière – plan, la complexité, qui appelle l’interprétation, qui prétend exprimer l’histoire universelle, qui met l’accent sur le devenir historique et en approfondit l’énigme.” (p. 33 – 34) Pour dégager cette opposition, qui n’est pas sans faire penser à celle du classique et du baroque chez Wölfflin, dans la mesure où elle obéit à la même logique structurelle appuyée sur la mise en évidence de corrélations diacritiques (clarté/obscurité, surface/profondeur, continu/discontinu, etc.), Auerbach s’appuie, d’une part sur le passage du chant XIX de l’ Odyssée , où est relaté l’épisode de la reconnaissance d’Ulysse par sa nourrice Euryclée à l’occasion du rituel bain de pieds commandé par Pénélope pour accueillir le vagabond étranger dont l’identité véritable n’a encore été percée par personne, épisode dans lequel il voit une occurrence exemplaire du style “clair”, où tout est dit, tout est montré, sans arrière-plans, et si on peut dire sans états d’âme ; et, d’autre part, sur le chapitre XXII de la Genèse où est raconté le sacrifice d’Isaac par Abraham, dans un style au contraire lacunaire, rompu, évocatoire, où l’essentiel, l’interpellation d’Abraham par une voix venue d’ailleurs qui est celle de Jéhovah, se dérobe à une saisie directe, d’où la nécessité d’une interprétation pour qu’en soient révélées les profondeurs cachées, qui ne sont pas montrées, mais seulement suggérées par le récit. Le rapprochement de ces deux textes narratifs antiques fait donc apparaître, selon Auerbach, le fort contraste stylistique entre deux manières de représenter la réalité, l’une horizontale, qui enchaîne en surface tous les éléments de la représentation sur un unique plan où ils sont uniformément éclairés, au présent, à plat, en l’absence de la tension provoquée par un devenir temporel ; l’autre verticale, qui décale différents plans de réalité, et, à partir de ce décalage, suggère l’urgence d’un développement orienté, c’est-à-dire d’une histoire véritable, où l’état présent ne se suffit pas à lui-même, mais plonge ses racines dans le passé et est tiré vers un avenir providentiel, ce qui lui confère une essentielle instabilité et le nimbe de mystère. On serait presque tenté, en utilisant des catégories qui ne sont pas celles d’Auerbach, de parler à ce propos d’un style de l’immanence et de la présence, propre à la conception polythéiste du divin, et d’un style de la transcendance et de l’absence, d’inspiration monothéiste, radicalement alternatif du précédent. (…) On pourrait sans doute objecter à Auerbach que les passages de l’ Odyssée et de la Bible sur lesquels il appuie son analyse se prêtent à de telles conclusions simplificatrices, et que peut – être la lecture d’autres passages de ces mêmes oeuvres permettrait d’aboutir à des conclusions fort différentes voire contradictoires, ce qui permettrait de restituer à ces oeuvres une complexité qu’il semble ignorer systématiquement en la rabattant sur la dualité élémentaire des styles horizontal et vertical, en tout alternatifs l’un de l’autre : peut-être parviendrait-on à montrer qu’il y a aussi de la profondeur chez Homère et de la clarté dans les écrits testamentaires. Mais s’arrêter à cette objection serait passer à côté de ce qui est pour Auerbach l’essentiel, à savoir, non pas proposer une interprétation globale de ces oeuvres prises dans leur ensemble, en tant qu’elles seraient les témoins d’un moment unique de l’histoire de la littérature, mais dégager, à partir de l’étude d’extraits prélevés en elles, et bien sûr soigneusement choisis en vue des besoins de la démonstration, une opposition structurelle entre deux manières générales de représenter la réalité caractérisées par des traits formels, et en quelque sorte intemporels, comme par exemple une certaine façon de construire les phrases et de les relier entre elles, sous forme d’une articulation directement logique, hypotaxique, comme c’est le cas chez Homère, où au contraire en exploitant des effets elliptiques de confusion et de rupture, parataxiques, comme c’est le cas dans le texte biblique. Et, c’est ce qui doit ici retenir particulièrement notre attention, cette opposition structurelle entre deux styles ou manières de représenter la réalité permet aussi de mettre en évidence deux façons d’écrire le quotidien : l’une qui lui réserve son caractère commun, ordinaire, impossible à confondre avec la dimension héroïque des hautes actions accomplies par de grands personnages avec lesquelles il cohabite en leur étant simplement juxtaposé, dans le cadre d’un monde strictement ordonné et hiérarchisé, ce qui est la clé de sa stabilité, l’autre qui au contraire ménage la possibilité d’un passage permanent et d’un échange entre le haut et le bas, et qui fait apparaître le quotidien comme plombé par un espoir ou une menace de sublimité qui le creuse d’une profondeur insoupçonnée, et le fait apparaître comme le lieu d’un insondable mystère, en creux et non à plat, selon la logique propre, non au style horizontal, mais au style vertical. (…) on serait à première vue tenté de trouver Homère plus “réaliste” que le rédacteur de la Genèse , dans la mesure où, dans son texte, sont inclus des éléments repris tels quels à la vie quotidienne de laquelle ils paraissent sortis directement. (…) C’est pourquoi il semble aller de soi de qualifier de tels passages de “réalistes”. Peut-on en dire autant de la manière dont la Genèse raconte le sacrifice d’Isaac ? (…) Ici aussi sont fournis un certain nombre de repères pris dans la réalité commune qui permettent de raconter la scène en donnant à celle-ci un contenu de réalité : l’endroit élevé, et éloigné, où doit avoir lieu le sacrifice, les serviteurs qui forment avec Abraham et son fils une petite caravane, l’âne, le bois, le couteau. Toutefois, remarque Auerbach, ces détails sont présentés avec une économie de moyens qui va bien au-delà de la sobriété du récit homérique, et recèle une portée complètement différente  (…) ils se présentent doublés d’un arrière-plan symbolique, qui les plonge dans un environnement extraordinaire, excluant toute possibilité de description, et ne laissant place qu’à la pure évocation, qui, par sa nudité même, appelle une interprétation : la scène est vue, non dans la réalité, mais comme en rêve, nimbée de mystère, plongée dans une ombre indécise dont elle tire son effet de suggestion. Les objets et les êtres qui emplissent la scène ne sont réels qu’en première apparence, et le récit est tendu vers la révélation du fait qu’ils sont en réalité porteurs d’une tout autre dimension, non pas profane mais sacrée, au point de vue de laquelle le quotidien n’est que l’ombre portée de formes ou d’intentions secrètes, qui le transcendent, et lui communiquent un parfum troublant, à la fois exaltant et inquiétant, de sublimité. C’est la raison pour laquelle il est extrêmement difficile de parler, à propos du récit biblique, de réalisme : on est d’emblée avec lui dans l’ordre du “ figuratif ”, qui se saisit de tous les éléments empruntés à la simple réalité pour les déporter vers un autre sens qui les dépasse, et les emporte dans un ordre différent de réalité, qui n’est pas celui que nous connaissons immédiatement. (…) à son point de vue, ce que nous appelons réalisme au sens moderne, et que nous pouvons lire chez des auteurs comme Balzac ou Flaubert, serait finalement plus proche du figurativisme du récit biblique, avec ses percées secrètes vers un ailleurs inconnu, et à la limite inaccessible, que de la simplicité horizontale et claire du récit homérique, où tout est donné simplement à plat et de première vue, sans perspective en profondeur. Pour mieux comprendre le dessein d’Auerbach, il faut faire intervenir un concept qui traverse Mimésis de part en part : celui de “sérieux”, qui servira à élaborer pour finir la thèse du “réalisme sérieux”, tel qu’il se retrouve précisément à son point de vue chez des écrivains dits réalistes comme Balzac ou Flaubert, avec la façon très particulière d’écrire le quotidien qu’ils ont mise au point. L’idée défendue par Auerbach est qu’il est très difficile, et à la limite impossible, de reconnaître aux traces apparentes de réalisme qui peuvent être repérées dans la littérature antique , comme par exemple le passage de l’ Odyssée où émerge au passage la représentation du chaudron scintillant et sonore d’Euryclée, un caractère “sérieux”, et ceci pour des raisons qui n’ont rien d’accidentel. C’est ce qui distingue absolument le réalisme antique du réalisme moderne : “Dans la littérature moderne, toute personne, quels que soient son caractère et sa position sociale, tout événement, qu’il appartienne à la légende, à la haute politique, ou à la vie domestique, peut être représenté comme une réalité sérieuse, problématique et tragique, et le plus souvent se trouve effectivement représenté sous cette forme. Mais ceci est complètement impossible dans l’Antiquité.” (Mimésis , ad. cit., p. 42) (…) Alors, que pourrait être une représentation “sérieuse” de la réalité ? Auerbach en trouve précisément une occurrence exemplaire dans le troisième récit qu’il confronte au deux précédents dont il est pratiquement contemporain, mais qui relève d’un monde formel complètement différent, en rupture avec le précédent : celui du reniement de Pierre. Qu’est-ce qui donne à cette scène, que la sobriété de sa relation rend d’autant plus impressionnante, un caractère réaliste ? C’est le fait qu’elle est privée de tout caractère héroïque, ce qui, à première vue, la rejette dans les limbes du genre bas, en contradiction manifeste cependant avec sa dimension irrécusablement poignante. (…)  Ceci fait de Pierre une authentique figure tragique, mais en un sens complètement différent de celui où la littérature antique conçoit et montre le tragique : “Une figure tragique d’une telle origine, un héros si faible, mais qui puise sa plus grande force dans sa faiblesse même, un tel va-et-vient de pendule est incompatible avec le style élevé de la littérature classique gréco-romaine.” ( Mimésis , éd. cit., p. 53) Pierre Macherey
Ces hypothèses avancées à propos de la lecture de textes anciens amènent à porter un regard neuf sur les grands romans modernes qui se réclament explicitement d’une orientation “réaliste”. Si on suit Auerbach, la révolution stylistique opérée au XIXe siècle, en particulier, pour ce qui concerne le domaine français, par Stendhal, Balzac et Flaubert, n’a été possible que parce que, près de vingt siècles plus tôt, avait été levé l’interdit que la règle du cloisonnement des genres faisait peser sur la représentation du quotidien, au titre de ce qui vient d’être caractérisé comme une représentation “sérieuse”, donc empreinte de gravitas ; c’est ce sérieux de la représentation qui restitue au quotidien sa dimension pleinement problématique et tragique, et par là même le dote d’une profondeur nouvelle, condition indispensable pour que lui soit consacré un intérêt positif, dans la forme spécifique du sermo humilis qui abolit la distinction tranchée entre le haut et le bas auxquels il adapte uniformément la forme du grand style. Ce qui, du même coup, permet de faire, dans un but qui ne soit pas seulement de distraction ou d’enseignement moral, de la littérature avec des sujets vulgaires, et à la limite, pour reprendre la célèbre formule de Flaubert, d’écrire un “livre sur rien” : ce livre sera Madame Bovary , production emblématique du réalisme moderne. Dans la suite de Mimésis, Auerbach reprend les étapes du parcours sinueux qui a conduit du réalisme ancien au réalisme moderne, ce qu’il fait en examinant des textes d’Ammien Marcellin, Apulée, saint Jérôme, saint Augustin (chap. 3), Grégoire de Tours (chap. 4), les chansons de gestes (chap. 5), Chrétien de Troyes (chap. 6), les Mystères médiévaux, saint François d’Assise, Jacopone da Todi (chap. 7), Dante (chap. 8), Boccace (chap. 9), Antoine de La Sale, Les quinze joyes du mariage (chap. 10), Rabelais (chap. 11), Montaigne (chap. 12), Shakespeare (chap. 13), Cervantès (chap. 14), Molière, et Racine (chap. 15), l’abbé Prévost, Voltaire, Saint-Simon (chap. 16), Schiller et Goethe (chap. 17), avant d’en arriver, au chap. 18, aux grandes figures du réalisme romanesque que sont Stendhal, Balzac et Flaubert, suivis des Goncourt, Zola (chap. 19), et, en clôture de ce très vaste panorama qui comporte d’ailleurs d’étonnantes lacunes (comme par exemple l’absence de Dickens ou de Victor Hugo), Virginia Woolf et Proust, les deux écrivains de la durée intérieure et du courant de conscience (chap. 20). Reste en suspens dans le cours du livre d’Auerbach la question, brièvement évoquée dans la toute dernière page du dernier chapitre, de savoir quelle est la nature de l’évolution dont ces différents moments représentent les jalons, et en particulier celle de savoir si cette évolution est dirigée suivant une orientation définie qui en dicte la progression : son propos déclaré, qui ne fait pas place à ce type d’interrogation, ou du moins le relègue dans ses marges, est principalement de différencier ces étapes en tant qu’elles constituent autant de réponses au “défi” de la réalité et de sa représentation. (…) Toutefois, (…) l’une des étapes intermédiaires de ce parcours (…) au point de vue d’Auerbach, a une importance particulière, car elle représente le moment où se met en place un système de représentation de la réalité par lequel s’opère une sorte de basculement de l’ancien au moderne : il s’agit de la rupture effectuée avec La Divine Comédie de Dante. Dante est l’auteur de référence d’Auerbach qui, lui avait consacré sa thèse d’habilitation, préparée sous la direction de Karl Vossler à Marbourg en 1929 sous le titre Dante als Dichter der irdischen Welt (cf. la traduction française de ce travail dans le recueil des Ecrits sur Dante d’Auerbach, éd. Macula, 1998). “Dante poète du monde terrestre” : cette formule fait ressortir une dimension “réaliste” de l’oeuvre de Dante, qui n’en conserve pas moins un indiscutable caractère poétique, au sens de la plus haute poésie, ce qui marque justement son incroyable capacité à concilier les extrêmes, à faire tenir ceux – ci ensemble dans le cadre d’une construction grandiose, qui se présente aussi comme une vaste synthèse stylistique, et est en conséquence, à l’exact opposé d’un livre sur rien, un livre sur tout, marqué de part en part par cette ambition totalisatrice (…) L’esprit de cette synthèse se trouve résumé dans le titre “Divine Comédie”, formule provocante, immédiatement choquante, qui associe dans un frappant oxymore la référence au haut (le divin) et au bas (la comédie). (…) Autrement dit, Dante est l’inventeur d’une nouvelle forme littéraire de sublime, qu’Auerbach caractérise de la façon suivante : “Bien qu’il choisisse Virgile comme guide, bien qu’il invoque Apollon et les Muses, il évite de désigner son poème comme une oeuvre sublime au sens antique ; pour caractériser sa forme propre de sublime, il forge une expression particulière : il poema sacro, al quale ha posto mano e cielo e terra ( Paradis XXV, 2 – 3), le poème sacré auquel le ciel et la terre ont mis la main.” Cette réunion du ciel et de la terre n’est pas tout à fait une innovation : comme nous l’avons vu, elle était au coeur des écrits testamentaires, qui déjà avaient mis à mal la distinction traditionnelle des genres dont l’Antiquité classique avait fait un dogme intangible. Mais, si le “grand code” qu’est la Bible est devenu ensuite l’une des principales références du travail des écrivains, comme l’a démontré le critique américain Northop Frye, et s’il est possible, en lui appliquant le même type d’analyse, de la lire comme un texte littéraire, il reste cependant impossible de la rabattre entièrement sur le plan de la création poétique pure, qui n’est ni son unique, ni sa principale dimension. Et c’est ce qui permet de comprendre en quoi Dante, tout en rejouant l’idée du style mêlé déjà pratiqué dans l’Ecriture Sainte, ouvre une voie nouvelle, en faisant de ce principe une forme adaptée spécifiqu ement à la composition d’un grand poème, devenu l’une des oeuvres phares de la littérature européenne. (…) Pour le faire comprendre, Auerbach fait référence à une notion, à laquelle il a par ailleurs consacré tout e une étude en 1938 sous le titre Figura (cf. la traduction française de cet essai parue en 2003 aux éditions Macula ; les passages de Figura se rapportant précisément à Dante sont repris dans le recueil des Ecrits sur Dante ). La doctrine de la figure, dont la première élaboration est due aux pères de l’Eglise, en particulier Tertullien, saint Jérôme et saint Augustin, a d’abord permis d’expliquer le lien organique passant entre les deux grands ensembles dont la Bible est constituée, l’Ancien et le Nouveau Testament : avec à l’arrière-plan une thématique de la promesse, elle avance l’hypothèse que le premier est l’annonce, ou la préfiguration de ce dont le second constitue l’accomplissement, selon une forme de liaison qui concerne, non seulement l’ensemble d e ces deux textes, mais tous leurs éléments de détail qui sont susceptibles d’être interprétés dans ce sens; c’est ainsi qu’Adam sera considéré comme la figure dont le Christ est l’accomplissement, Eve comme la figure de l’Eglise, etc. (…) Toutefois, Auerbach conclut son analyse par un retournement qui constitue la plus inattendue des péripéties, et plonge son lecteur dans la stupeur : “Et dans cette sympathie directe et admirative pour l’individu, le principe fondé dans l’ordre divin, de l’indestructibilité de l’être historique et particulier se tourne contre l’ordre divin, qui s’en trouve obscurci ; l’image de l’homme éclipse l’image de Dieu. L’oeuvre de Dante fit une réalité de l’être – chrétien – figuratif de l’homme, et le détruisit par cette réalisation même ; le cadre grandiose se brisa du fait de la puissance bouleversante des images qu’il contenait… Dans cet accomplissement la figure s’émancipe, de sorte que même en Enfer, il y a des âmes qui restent grandes, et qu’au Purgatoire, par le charme d’un poème – d’une oeuvre humaine – quelques âmes oublient un moment le chemin de leur purification.” (p. 211 – 212) On pourrait dire qu’Auerbach attribue, avant la lettre, à l’entreprise poétique de Dante une dimension faustienne : à force de montrer que sa destination est céleste, elle finirait par reconnaître au monde humain une dimension, une élévation quasi divine, qui l’enracine encore un peu plus dans sa réalité vivante, et, loin de déréaliser celle – ci à l’aide de l’opération de son idéalisation, lui donne un poids de réalité accru. (…) Tout se passe donc comme si la tentative d’édifier un réalisme dans le cadre d’un livre, ou plutôt du livre, sur tout, avec les effets d’intensification et d’amplification qui en sont le corrélat, avait d’un seul coup, avec Dante, épuisé l’essentiel de ses virtualités. Et, de fait, après lui, l’histoire de la mimésis telle qu’Auerbach la reconstitue suit une trajectoire incertaine, marquée en particulier, au cours du XVIIe siècle, par le retour en force de la doctrine antique de la séparation des styles, qui conduit le classicisme français à porter sur le monde terrestre de la vie courante ce que Thomas Pavel appelle un “regard éloigné”, tellement éloigné qu’il semble l’avoir complètement perdu de vue, sauf à le réinscrire occasionnellement dans la perspective comique propre au genre bas. Et il faudra attendre d’autres temps pour que, avec la remise en question sur le fond des modèles politiques, sociaux et culturels hérités de la féodalité, se mette en place le système cohérent d’un nouveau réalisme, rentrant sous la catégorie de “réalisme sérieux”, dont le programme est tracé par Balzac dans une lettre à Mme Hanska du 26 octobre 1834 : “Les Etudes de moeurs représenteront tous les effets sociaux sans que ni une situation de la vie, ni une physionomie, ni un caractère d’homme ou de femme, ni une manière de vivre, ni une profession, ni une zone sociale, ni un pays français, ni quoi que ce soit de l’enfance, de la vieillesse, de l’âge mûr, de la politique, de la justice, de la guerre ait été oublié. Cela posé, l’histoire du coeur humain tracée fil à fil, l’histoire sociale faite dans toutes ses parties, voilà la base. Ce ne seront pas des faits imaginaires ; ce sera ce qui se passe partout.” En énonçant ce programme, Balzac rejoue d’une certaine façon le projet d’écrire un livre, ou le livre, sur tout ; et, en choisissant, pour intituler ce gigantesque e nsemble, une expression, “la Comédie Humaine”, qui, à la fois rime avec celle de Dante, et en transpose le contenu sur un autre plan, où sa dimension “divine” est effacée, et où ses aspects profanes, strictement humains, sont au contraire privilégiés, il se place dans sa filiation et en même temps la subvertit : il reprend l’idée d’une représentation globale, et globalisante, de la réalité humaine à laquelle il applique des modèles empruntés, par l‘intermédiaire de Geoffroy Saint-Hilaire, à l’étude des espèces naturelles, mais il la transporte de la considération de l’exceptionnel, prédominante chez Dante, vers celle du banal, de l’ordinaire, du commun, ce qui n’avait jamais été tenté avant lui, du moins sous cette forme sérieuse. (…) Cet interdit étant levé, il semble que soit définitivement surmontée la contradiction installée au départ de l’histoire de la mimésis entre les styles représentationnels mis en oeuvre par les poèmes homériques et l’Ancien Testament, qui s’inscrivent dans le cadre de “mondes formels” radicalement a lternatifs l’un de l’autre, et que la trajectoire suivie par cette histoire ait enfin atteint son terme, au moment où l’idée du réalisme est elle-même explicitement théorisée, et proposée comme modèle au travail des écrivains. Cependant une difficulté subsiste. Donner pour objectif à la création littéraire de représenter, comme l’écrit Balzac, “ce qui se passe partout”, lui assigner pour but de restituer la vie réelle telle qu’elle se présente en tous lieux, sans exclusive, et par là même poser les jalons d ’une écriture du quotidien, n’est-ce pas la plonger dans l’incertitude et le vague en s’ôtant les moyens ou en s’interdisant de déterminer précisément le contenu assigné à cette “réalité”, cadre qui, du fait d’être trop plein, risque à terme de se révéler vide ? (…) C’est de cette manière que, par une sorte de retournement dialectique, le projet du livre sur tout débouche sur celui du livre sur rien, qui en est en quelque sorte l’aboutissement logique. (…) c’est éprouvé par l’échec, en 1849, de sa première Tentation de Saint Antoine , qui était encore à sa manière l’essai d’un livre sur tout, issu de l’intention de faire le tour des vésanies et des délires inspirés par l’imagination religieuse sous toutes ses formes, que Flaubert s’est résigné, suivant le conseil qui lui avait été donné par son ami Louis Bouilhet, à prendre le contre-pied de sa démarche initiale et à composer un roman sur un sujet banal tiré de la vie courante (…)  De ce point de vue, le réalisme flaubertien ne doit surtout pas être interprété dans le sens d’une réhabilitation de la réalité ordinaire, appuyée sur le goût ou l’attrait qu ’elle lui inspirerait, mais il résulte au contraire de son rejet : s’il choisit de revenir vers cette réalité, c’est pour recenser son déclin, en application du précepte selon lequel “tout doit disparaître”. Son réalisme est foncièrement négatif et répulsif, et il ouvre par là directement la voie à la théorie mallarméenne de l’écriture pure, celle – ci réduisant à quelques battements d’éventail l’évocation du réel de tous les jours, annihilé par le grand drame du coup de dés qui, n’abolissant pas le hasard, du même coup dévalorise les redites vulgaires de la banalité commune et les déclare une fois pour toutes hors propos et forcloses. Comment concilier ce mépris du quotidien, cette disqualification de principe dont il fait l’objet, avec la décision de le prendre au sérieux et de lui rendre justice ? Il y a là indiscutablement une anomalie. Pour y voir plus clair à ce sujet, il faut aller regarder de plus près sur pièces, de manière à mieux comprendre comment, dans le cadre propre au livre sur rien, avec le projet esthétique qui le soutient, joue une écriture du quotidien, avec les agencements particuliers qui en conditionnent le fonctionnement. (…) Cette foi dans le pouvoir propre des mots, sous condition qu’ils soient convenablement choisis et ordonnés, qui place l’auteur dans la position d’un véritable créateur ou recréateur des choses qu’il représente, est, selon Auerbach, “mystique” (…) Utilisée comme un instrument, la langue sert à reproduire l’inanité des choses, leur suc qu’elle en extrait et qu’elle recrache après l’avoir digéré, sous une forme vraie qu i en dénonce la fausseté, le caractère à la fois inéluctable et insupportable, c’est – à – dire, pour reprendre un thème artistique que Flaubert n’a pas lui – même inventé, la vanité. Une telle attitude se situe à l‘opposé de celle du réalisme figuratif qu’Auerb ach trouve à l’oeuvre chez Dante : il ne s’agit plus de créer les conditions pour que l’existence des choses rejoigne enfin leur essence, car elles ne sont que des existences factuelles privées d’essence. Le quotidien, c’est en quelque sorte l’existence pure, à laquelle une dimension essentielle fait définitivement défaut : il reviendra à Sartre, dans La Nausée , d’exploiter cette veine. (…) Dans un monde auquel toute perspective de salut est refusée, et dont la providence divine s’est définitivement absentée, ne se donne plus à entendre que la plainte, le long gémissement de la créature qui se sait abandonnée, délaissée, déjetée davantage encore que rejetée, livrée à ses propres forces, alors qu’elle est sans force, inutile, irrécupérable, vouée au néant qui est son ultime vérité. Il est sans doute possible de lire dans ce sens l’histoire de Félicité, “Un coeur simple”, le premier des Trois Contes , qui représente un aboutissement de l’art de Flaubert, du moins dans la veine inaugurée par Madame Bovary et ensuite poursuivie avec L’éducation sentimentale . Ayant reconnu le temps des héros une fois pour toutes révolu, la littérature n’a plus alors qu’à se consacrer à la représentation du quotidien, ou de ce que Malraux a appelé “l’homme précaire”, lui qui, cependant, avait à un certain moment cru que la littérature pouvait être à nouveau consacrée à la célébration d’actions révolutionnaires héroïques. À ce point de vue, passer le quotidien au crible de l’écriture, c’est en effectuer une radicale déstructuration ou déconstruction qui fait l’impasse sur toute possibilité de reconstruction : c’est lui dénier la possibilité de revendiquer un sens, que celui – ci soit immanent ou transcendant ; c’est également le vider de toute substance, en l’éparpillant en une poussière d’événements plus ou moins aléatoires. Ce travail de déstructuration est poussé jusqu’à ses dernières conséquences dans les productions du roman contemporain étudiées par Auerbach dans le dernier chapitre de Mimésis . Celui – ci prend appui sur une étude de l’oeuvre de Virginia Woolf, où le rapport de l ’insignifiant et du signifiant, au sens de l’important, est complètement inversé, puisque ce sont les incidents infimes de la vie courante qui forment la trame de la narration, alors que les événements marquants qui devraient en justifier la progression, sont ignorés, ou rejetés à l’arrière – plans, au point de passer souvent inaperçus. Selon Auerbach, cette tendance serait devenue dominante dans l’ensemble de la production romanesque du XXe siècle (…) Ecrire le quotidien, c’est de ce point de vue creuser les soubassements de l’existence jusqu’à parvenir, en traversant les couches de l’ordinaire, à ce que, en combinant les démarches de Sarraute et de Pérec, on pourrait appeler les tropismes de l’infraordinaire, en aboutissement d’un mouvement dont Auerbach décèle déjà la forme aboutie chez Virginia Woolf (…) Si on suit Auerbach, on voit donc que cette démarche aboutit, au terme d’un nouveau retournement, à une requalification du quotidien, sur lequel Flaubert se contentait, en exploitant la magie du verbe, de porter un regard désenchanté, cumulant les avantages de la proximité et de l’éloignement. L’idée que suggère Auerbach au terme de son parcours des formes de la mimésis dans la littérature occidentale est à peu près la suivante : la représentation sérieuse de la vie courante tend vers une vision égalisée, tendanciellement démocratique de la réalité, qui, en abolissant définitivement la distinction du haut et du bas, assure du même coup la promotion d’une certaine médiocrité, condition commune à tous, à laquelle il serait vain de prétendre échapper. Tous égaux devant le quotidien : nous voici donc renvoyés pour finir du côté d’une célébration du quotidien, dont il devient légitime d’attendre qu’il donne un nouveau sens à la vie, au lieu de la vider de sa substance. Auerbach note cependant le fond d’amertume et de résignation sur lequel ressort cette célébration, en particulier dans l’oeuvre de Woolf. Pierre Macherey

Après l’école, Supermanl’humourla fête nationale, Thanksgiving, les droits civiques, les Harlem globetrotters et le panier à trois points, le soft power, l’Amérique, le génocide et même eux-mêmes  et sans parler des chansons de Noël et de la musique pop ou d’Hollywood… la littérature !

Retour après notre dernier billet sur le dernier opus du réalisme radical de Clint Eastwood

Et via l’exil turc d’un juif allemand assimilé

Sur l’histoire qui a changé pour toujours notre façon de voir la réalité …

Et qui par son insistance à traiter avec sérieux les personnages ordinaires de la vie quotidienne …

Via l’incarnation et la fin des plus honteuses de la divinité dans un être lui-même des plus humbles …

A littéralement créé, comme notre art occidental en général et jusque dans ses pires  dérives, notre littérature …

BIBLE ET LITTÉRATURE — ERICH AUERBACH ET LES DÉBUTS DE LA MÉTHODE
Daniel Bodi
Revue des Études juives, 161 (3-4),

Institut national des langues et civilisations orientales
juillet-décembre 2002, pp. 465-473

Dans cet ouvrage, monument de la critique littéraire moderne, Auerbach offre une véritable histoire de la littérature occidentale depuis la Bible hébraïque, l’Odyssée d’Homère en passant par les littératures latine, médiévale et moderne (Dante, Rabelais, Cervantès, Montaigne, Rousseau, Stendhal, Edmond et Jules de Goncourt, et Virginia Woolf). Chez Auerbach, on trouve d’abord la vision d’ensemble: il embrasse en effet la totalité de l’histoire des grandes œuvres occidentales, à laquelle il applique la sélectivité inhérente au traitement factuel des œuvres étudiées. Il a mis en exergue l’approche stylistique. Sous la plume d’Auerbach, cet adjectif désigne à la fois des déterminations langagières précises (marques d’une manière littéraire particulière) et des contraintes du genre spécifique qui imposent des pratiques rhétorico-discursives fixes. Il essaie d’établir des relations entre les différents conditionnements stylistiques, qui dessinent les traits d’un genre et d’un style particuliers et de faire ressortir la sensibilité et le goût en tant que reflet d’une société et d’une culture. Cela ressort clairement si l’on compare le chapitre où il analyse le style classique des historiens de l’apogée de l’Empire romain avec le chapitre sur les écrivains de la fin de l’Empire romain. Auerbach essaie de démontrer qu’il est possible de définir un lien entre le discours littéraire et les valeurs socioculturelles d’une époque. Il croit pouvoir décrypter les signes d’un univers mental collectif, à travers telle ou telle réalisation artistique. À travers le texte, le critique décèle une représentation d’un univers particulier. On notera le parti pris résolument non réductionniste de sa méthode: il ne s’agit pas d’établir un rapport de cause à effet entre conditions socio-économiques et littérature. Auerbach s’écarte aussi nettement de l’histoire littéraire que de la critique biographique. Ce n’est pas l’auteur qui l’intéresse à travers l’œuvre. C’est une lecture-construction d’une réelle profondeur, mesurant les conditions mentales et formelles de la littérature.

Pour cet auteur, les deux racines du «réalisme» propre à la littérature occidentale sont la littérature classique gréco-latine d’une part et la Bible de l’autre. Dans les deux chapitres initiaux de sa Mimesis, il compare ces deux façons d’écrire. Dans le premier chapitre, Auerbach effectue une comparaison entre l’Aquédah ou l’épreuve d’Abraham (Gn 22) et le chant 19 de l’Odyssée d’Homère. Il s’agit de la scène de l’Odyssée où Ulysse, de retour à Ithaque, est reconnu par sa vieille nourrice quand, en lui lavant les pieds, elle découvre une ancienne cicatrice. Dans le second chapitre de son livre, Auerbach compare le style du récit du reniement de Pierre dans le Nouveau Testament grec avec celui de l’historien latin Petronius. Auerbach établit plusieurs différences principales entre le style biblique et celui de la littérature gréco-latine. D’une part, la Bible est avare de détails et laisse bien des choses à l’arrière-plan du récit, alors qu’Homère abonde en détails qui sont pour la plupart à l’avant-plan. D’autre part, la Bible ne connaît pas la différence de style propre à la littérature classique. Il n’existe pas dans la Bible deux classes de héros et deux classes d’actions. Pas de style «élevé» et de style «mineur». Les héros bibliques n’appartiennent pas nécessairement à l’aristocratie et leurs actions ne doivent pas être des exploits guerriers ou amoureux. Dans l’ensemble, les héros de la Bible peuvent appartenir à n’importe quelle classe sociale et leurs expériences sont celles du commun des mortels. En termes très simples, les personnes de toutes les classes, même les plus humbles, peuvent faire des expériences de portée universelle et les actions les plus ordinaires peuvent être le lieu d’une «vérité» qui concerne l’existence humaine comme telle.

Auerbach compare les deux styles, celui d’Homère et celui de la Bible hébraïque, en les contrastant. Pour mieux souligner les résultats de son analyse, il utilise une série de termes allemands qui font ressortir cette différence de style. Chez Homère prédomine le Vordergrund, «premier plan», tandis que dans la Bible le Hintergrund, «l’arrière-plan» domine. Dans le passage sur la cicatrice d’Ulysse le réalisme d’Homère repose sur la Eindeutigkeit, «univocité»; dans le récit sur Abraham et Isaac, le style reflète la Vieldeutigkeit, «multivocité». Chez Homère, les êtres et les choses se tiennent dans un espace où tout est visible. Ils sont clairement décrits et présentés dans une lumière uniforme. Les sentiments comme les pensées sont complètement exprimés, ordonnés, même quand ils traduisent une émotion. Homère n’utilise pas l’arrière-plan, ce qu’il raconte constitue toujours le présent et remplit entièrement la scène aussi bien que la conscience. Le style homérique consiste à présenter les phénomènes sous une forme complètement extériorisée, à les rendre visibles et tangibles dans toutes leurs parties, à les déterminer exactement dans leurs relations temporelles et spatiales. Il n’en va pas autrement des événements intérieurs: là non plus rien ne doit demeurer secret et inexprimé. Quand les passions les agitent, les personnages d’Homère expriment intégralement leur être intérieur dans les paroles qu’ils prononcent. Ce qu’ils ne disent pas à autrui, ils le confient à leur propre cœur, de sorte que le lecteur l’apprend (p. 14).

Dans la Bible par contre, «la seule face des phénomènes qui se trouve extériorisée est celle qui importe au but de l’action, le reste demeure dans l’ombre; l’accent n’est mis que sur les moments décisifs de l’action… le temps et le lieu sont indéterminés et appellent une interprétation; les pensées et les sentiments restent inexprimés, le silence et des paroles fragmentaires se bornent à les suggérer; le tout, soumis à une tension constante, orienté vers un but, et par là beaucoup plus homogène, reste mystérieux et laisse deviner un arrière-plan (p. 20). La traduction française utilise quatre mots pour rendre un seul mot allemand, hintergründig (p. 16 du texte allemand). En anglais le traducteur ne fait pas mieux quand il rend le mot allemand par fraught with background (p. 12 du texte anglais). Cette caractérisation exprime la quintessence de l’analyse d’Auerbach dans son chapitre sur la cicatrice d’Ulysse et la Bible.

Le projet d’Auerbach est d’analyser la manière dont la littérature décrit la réalité. Le style particulier du récit biblique est au service d’une réalité particulière qu’il est sensé décrire: «Dieu est toujours dans la Bible, dit Auerbach, car sa présence ne peut pas se circonscrire comme celle de Zeus; c’est seulement “quelque chose” de lui qui se manifeste, il s’étend lui-même dans la profondeur» (p. 20). «Autant, dans la Bible, les narrations et groupes de narrations sont plus séparés et moins reliés horizontalement que ceux de l’Iliade et de l’Odyssée, autant leur liaison verticale est plus forte, liaison qui les réunit tous sous un même signe, et qui manque totalement à Homère» (p. 26). Selon Auerbach, la verticalité et la profondeur des récits bibliques réduit le foisonnement des genres au sein du corpus biblique où il identifie en gros trois grands domaines: légende, narration historique et théologie interprétative de l’histoire (p. 31). Même les personnages des récits bibliques ont davantage d’«arrière-plan» que les personnages homériques. Ils ont un sentiment plus profond du temps, du destin et de la conscience. Leurs sentiments et leurs pensées sont plus complexes et se situent sur davantage de plans. Ils possèdent une complexité spirituelle (p. 21). Le narrateur biblique réussit à exprimer l’existence simultanée de différentes sphères de la conscience et les conflits qui les opposent.

Une autre différence entre Homère et la Bible est l’attitude envers l’histoire. Homère est souvent taxé de mensonge, mais il ment pour plaire aux lecteurs. L’historicité de son récit lui importe peu. Selon Auerbach, le narrateur biblique a un rapport à la vérité de son histoire qui est beaucoup plus passionné. Il a une foi en la vérité de la tradition qu’il transmet. Le narrateur biblique travaille avec un présupposé fondamental. Le récit qu’il décrit a pour objet l’histoire universelle et l’interprétation de cette histoire. De plus, les histoires de l’Écriture sainte ne sollicitent pas notre approbation, elles ne nous flattent pas pour nous plaire et nous séduire — elles entendent exercer une autorité sur nous. «En elles s’incarnent la doctrine et la Promesse, qui leur sont indissolublement unies. C’est pourquoi elles possèdent un arrière-plan et sont obscures; elles contiennent un deuxième sens, caché (p. 24 .

Indirectement, Auerbach répond à l’objection de James Barr selon lequel l’étude de la Bible comme littérature ne peut se faire en ignorant la spécificité théologique et les présupposés particuliers des narrations bibliques. Auerbach reconnaît que cette prétention à l’autorité des récits bibliques pouvait encore se maintenir au Moyen Âge mais se trouve directement menacée par la trop grande transformation du monde réel et par l’éveil de la conscience critique. Pour pouvoir prétendre régner sur la conscience des hommes d’une façon universelle la Bible se prête à une interprétation et à la modification de son contenu. Il place le travail de saint Paul dans cette perspective de réinterprétation du contenu afin de permettre aux récits bibliques d’atteindre et de régner sur la conscience des européens (p. 26). Par ce biais Auerbach reconnaît le rôle de l’herméneutique qui assure la pérennité aux récits bibliques.

Conclusion

Depuis le travail pionnier d’Erich Auerbach, les études littéraires des récits bibliques ont pris leur essor. À notre époque, nous constatons que les approches littéraires (critique rhétorique et narratologie) font désormais partie intégrante du paysage de l’interprétation biblique moderne. Elles sont pratiquées par des spécialistes de la Bible au sein des universités et facultés de théologie, autant que par les professeurs de littérature comparée dans les Facultés des lettres, en Israël, aux États-Unis comme en France. Cette approche qui a ramené au premier plan l’intérêt pour le texte biblique lui-même dans sa forme finale est pourtant relativement récente. Elle a à peine cinquante ans. Dans le cadre de cette contribution j’essaie de montrer à quel point le travail d’Erich Auerbach a été fondamental dans l’établissement de cette nouvelle méthode lui permettant de prendre l’essor qu’on lui connaît. Elle a contribué à enrichir la panoplie des méthodes dites classiques mises à la disposition des lecteurs de la Bible d’aujourd’hui. De nos jours nous pouvons parler de nombreux épigones d’Erich Auerbach. Ainsi Robert Alter se place dans le sillon d’Auerbach. Professeur de littérature comparée à l’Université de Berkeley, il était un spécialiste de Shakespeare et du roman, de Stendhal en particulier comme Auerbach. Dans ses livres parus en 1981 (The Art of Biblical Narrative) et en 1985 (The Art of Biblical Poetry), il conjugue ses compétences littéraires et sa connaissance de la tradition juive pour offrir des analyses de récits bibliques. En se fondant sur le travail de ses prédécesseurs, R. Alter a su présenter de manière systématique des clés essentielles permettant de mettre en lumière les réelles qualités littéraires et stylistiques des récits de la Bible hébraïque.

(…)

Voir aussi:

Auerbach (Erich.). Mimesis. Dargestellte Wirklichkeit in der abendländischen Literatur
[compte-rendu]
Mortier Roland
Revue belge de Philologie et d’Histoire Année 1950 28-1 pp. 189-192

Bern, A. Francke, s. d., (1946) ;

I vol. in-8°, 503 pages

II est devenu assez rare aujourd’hui de voir des historiens littéraires se risquer à des travaux de synthèse embrassant le cours millénaire de diverses littératures. M. Auerbach, professeur à Istamboul, n’a pas craint de tenter la gageure et son solide ouvrage entend retracer « l’histoire du réalisme occidental, en tant qu’expression des transformations dans l’interprétation de l’homme par lui-même ».

En dépit du sous-titre, quelque peu fallacieux, ce n’est pas une véritable « histoire du réalisme occidental » que nous donne M. Auerbach, et lui-même s’en défend à juste titre dans les dernières pages du livre (pp. 488-489 et 496-97). Aussi serait-on mal venu de lui reprocher telle omission dans telle littérature. L’auteur procède par coupes horizontales dans l’évolution littéraire ; chacun de ses chapitres s’ouvre sur un extrait habilement choisi pour éclairer ce découpage et qu’il analyse ensuite de manière originale et minutieuse. Le choix des textes est évidemment arbitraire : c’est le point faible de la méthode chère. à M. Auerbach, méthode qu’il emprunte à l’école « stylistique » de Leo Spitzer, mais dont il fait un usage très ingénieux. Le critère qui détermine ces prélèvements procède lui-même de la thèse qui imprègne et soutient toute l’œuvre : le professeur d’Istamboul les présente comme une illustration des diverses attitudes adoptées par les écrivains à l’égard du réel, il y suit patiemment les vicissitudes de la « Mimesis » de Platon à travers des conceptions parfois antithétiques de la vie et de l’homme.

A l’instar d’un Proust ou d’un Joyce tirant la matière de toute une œuvre d’un récit de faits quotidiens resserrés dans un laps de temps limité, M. Auerbach veut dégager des quelques fragments qu’il étudie les traits distinctifs d’une période et d’une interprétation du réel.

La tradition antique (c. à. d. gréco-romaine) et le classicisme qui en est issu n’admettent le réel, dans son aspect banalement quotidien, que sous le couvert du grotesque ou du comique et dans la littérature familière. Cet interdit s’insère dans la doctrine plus générale de la distinction des «tons», qui ne sera battue en brèche que par les réalistes français du xixe siècle (Balzac, Stendhal), qui restitueront au réel toute sa valeur problématique et tragique. Cette distinction (qu’il ne faut point confondre avec celle des genres) serait cependant assez moderne dans sa rigueur absolue : elle daterait du xvie siècle et le moyen âge ne l’aurait pas connue.

Aussi bien le monde antique et le monde médiéval se rattachent-ils, pour M. Auerbach, à des archétypes très opposés : l’Odyssée et la Bible. Certes, le réel et le quotidien ne sont pas absents de l’œuvre d’Homère (et l’épisode de la cicatrice d’Ulysse en fait foi), mais ils ont une signification limitée et sont exclus du style noble et du sublime. La Bible, au contraire, nous offre le spectacle, déconcertant pour un Grec, de l’intrusion du quotidien dans le tragique. Cette interpénétration se justifierait, d’après l’auteur, par la méthode spécifiquement juive de l’interprétation symbolique, ou mieux figurale, selon laquelle les faits quotidiens ne sont que l’annonce, la préfiguration d’événements d’un caractère supérieur. Ce goût pour le symbolisme, l’ésotérisme, la recherche du sens second constituera un des traits les plus caractéristiques de la mentalité médiévale ; la vie du Christ, avec son mélange continuel de réalité familière et de sublime tragédie, marque à cet égard la rupture la plus catégorique avec la conception littéraire antique du réél.

Certains épisodes du Satyricon de Pétrone sont très proches du réalisme moderne : évocation pittoresque d’un monde de parvenus, langage bariolé, étude du milieu, tout y est, sauf l’élément de gravité et de tragique qui constitue la limite du réalisme antique. Le Satyricon est une œuvre comique sans arrière- plan social. Cette curiosité sociale fait également défaut chez Tacite, préoccupé surtout de politique et de morale. Pour M. Auerbach, la notion d’un « devenir » historique, d’un mouvement de forces s’extériorisant en faits divers apparemment sans importance se manifeste d’une façon exemplaire dans l’Évangile. Ici, l’angle de vision, le public, le style, tout est neuf.

Ammien Marcellin ou Apulée n’ajouteront au détachement aristocratique de Tacite qu’une ambiance assombrie de décadence, à l’horizon spirituel resserré, baignant dans le magique et le sensuel, et découvrant même (avec Apulée, et avant Kafka) le sentiment de l’absurde. Saint Augustin réagit contre ces tendances et place à l’avant-plan l’étude dramatique de l’homme intérieur. C’est dans son œuvre que s’affirme avec éclat la construction coordonnée (ou paratactique) substituée à la subordination chère aux anciens : l’une est à l’image d’un monde actif et tendu, l’autre est l’expression d’un monde statique, d’une conception immuable de la vie et de l’homme.

Mais c’est seulement quand le monde antique se disloque et que sa langue se désagrège que le réalisme concret peut enfin se manifester librement. Grégoire de Tours, avec toutes les monstruosités de sa syntaxe et toute la confusion de son style, est cependant plus près de la vie qu’un Tacite : M. Auerbach discerne en son œuvre la première trace d’un contact direct avec le réel dans son « devenir ».

Le sens du problématique se perd en partie avec l’apparition de la féodalité : si la Chanson de Roland et Saint Alexis introduisent hardiment la « parataxis » dans le style noble, la conception du monde et du réel que ces œuvres reflètent n’en est pas moins étroite et figée, marquant ainsi une tendance à en revenir au processus de réduction du réel, propre à la basse-latinité. Le roman courtois, avec son goût du féerique et son sens de la « distinction », ne pouvait que décourager les efforts vers une interprétation large et profonde de la réalité.

Nous ne suivrons pas les étapes de ce perpétuel balancement que M. Auerbach situe aux cimes mêmes de la littérature d’Occident. Le drame liturgique, le lyrisme de Jacopone da Todi, la Commedia dantesque, la nouvelle de Boccace marquent l’avènement, puis le reflux d’un réalisme pénétré de tragique et de symbolique. Plus tard, Rabelais libérera le réel et le sensuel dans un style que son génie dote d’une qualité exceptionnelle, mais d’où le tragique est encore exclu. Il en sera de même pour Montaigne, dont la philosophie veut ignorer le sens du tragique et minimise délibérément son importance dans « l’humaine condition ».

Le sens du devenir, l’irruption du problématique dans la vie, tels sont les secrets du génie shakespearien ; négligés par les classiques français, ils réapparaîtront chez Saint-Simon, sans que M. Auerbach parvienne à rattacher cet isolé à une tradition quelconque. Ils s’imposeront définitivement dans l’œuvre de Stendhal et de Balzac.

Telle quelle, la thèse de M. Auerbach peut être discutée ; la méthode qu’il adopte favorise les interprétations subjectives, légèrement gauchies — on pourrait opposer aux textes qu’il cite à l’appui de sa thèse des œuvres moins probantes (pour le moyen âge, le réalisme de certaine scène d’Aucassin et Nicolette ou de quelques miracles) — on pourrait reprocher à cette méthode son allure systématique et le caractère absolu que l’auteur veut lui donner (le prestige de la Passion peut-il légitimement expliquer la disparition de la cloison qui séparait les tons et les genres?)— on pourra trouver excessif le procédé qui tire, comme d’un condensé, tout Balzac, tout Stendhal, tout Zola d’un passage de quelques lignes, de même qu’il peut être dangereux d’isoler un texte de son histoire, de lui couper ses ramifications souterraines. Il n’en reste pas moins que cette étude imposante, fruit d’années de lectures et de méditations, a le mérite d’aborder le problème d’une manière originale qui nous contraint souvent à réexaminer des notions reçues. Les analyses sont remarquables de finesse, de pénétration, de doigté littéraire : celle de Zola, p. ex. restitue sa pleine valeur à un auteur trop méconnu de nos jours, Notre seule crainte est de voir M. Auerbach tirer parfois de son texte plus qu’il ne nous paraît contenir. Mais ce recours au texte est en lui-même déjà une fructueuse leçon.

Il est regrettable, pour le lecteur belge, que cet ouvrage solide et copieux (remarquablement édité par ailleurs) ne se présente pas de façon plus engageante. Les paragraphes y sont d’une densité et d’une longueur inaccoutumées, la langue en est extraordinairement chargée. M. Auerbach ne facilite guère les approches du lecteur étranger. Mais ce n’est là qu’un péché véniel. Ce livre, comme tous les ouvrages à thèse, peut se discuter : son intérêt consiste précisément en ce qu’il soulève de nouvelles questions et pose de nouveaux problèmes ; il garde ainsi le mérite assez rare d’être un ouvrage qui fait réfléchir. —

Voir de même:

Auerbach et le problème du “ réalisme sérieux ” : le réalisme ancien

Pierre Macherey
Écrire le quotidien (1)
Groupe d ’études « La philosophie au sens large »
05/01/2005

Sous presque toutes ses formes, et même lorsqu’elle a eu pour principal objectif de perpétuer la mémoire d’événements et de personnalités hors – normes, que leur grandiose sublimité rend particulièrement dignes d’être exaltés, ce que nous appelons aujourd’hui littérature a fait place à l’évocation de la vie quotidienne sous ses formes les plus ordinaires, ne serait – ce que pour dresser ses décors et en peupler les marges : c’est ainsi que, chez Homère, bien qu’il ne soit pas à proprement parler un chantre de la vie quotidienne ni un desservant de son “humble vérité”, pour reprendre la formule que Maupassant a placée en exergue de son roman Une vie, formule dont les arrière-plans sont étrangement théologiques, on trouverait une accumulation de détails permettant de se représenter concrètement ce qu’a pu être l’existence ordinaire en Grèce au temps des Achéens. Toutefois, les choses paraissent avoir radicalement changé à cet égard lorsque, en particulier avec la vogue du roman dans sa forme moderne, dès le dix – septième siècle, le tournant ayant probablement été représenté par Cervantès, on s’est davantage préoccupé de montrer l’envers du décor, en regardant le spectacle depuis les coulisses où son ordre se présente sous un angle biaisé : alors, la représentation de la vie quotidienne a cessé d’être occasionnelle et marginale et est devenue un thème à part entière, éventuellement traité pour lui-même de manière autonome ; les écrivains se sont mis à visiter les loges de concierge et à séjourner dans des trous de province, en allant à la rencontre de ce qu’on appelle aujourd’hui les “vrais gens”, c’est-à-dire les gens quelconques, les gens sans histoire , dont le type, qui est en réalité un anti-type, est “monsieur Tout-le-Monde”, qui est n’importe qui, Jedermann ou Everyman. Cette démarche est entreprise avec l’idée qu’elle donne les moyens de démasquer certains arrière – plans cachés de la réalité : ceux – ci, parfois à la limite du sordide et du fantastique, comme chez Dickens ou dans Les Mystères de Paris d’Eugène Sue, sont alors traités comme une terra incognita à découvrir, tout un mystérieux continent dont l’exploration ethnographique avant la lettre est censée ramener un inestimable trésor de révélations surprenantes ; ce qui, paradoxalement, revient à renifler certains parfums troublants d’exotisme dans ce qui est le plus proche et le plus commun. De ce moment, a pris forme l’idée d’une littérature dans laquelle la représentation du quotidien joue un rôle privilégié, et devient un thème à part entière, ce qui définit, à la fois sur le pla n du contenu et sur celui de la forme, une orientation littéraire axée sur la production d’effets de réalité : d’où l ’appellation générale de “réalisme” dont on a pris l’habitude de se servir pour identifier ce courant qui, à une certaine époque, et aujourd’hui encore, alors même que s’est produite la révolution de l’écriture pure, détient dans le champ littéraire une position importante, voire même dominante, au moment où la langue parlée y a fait irruption et est devenue, à côté de celles de la langue écrite, l’une de ses formes normales d’expression.

Dans ces conditions, l’effort en vue de réfléchir la vie quotidienne, inséparable de la volonté de comprendre sur quelles bases celle-ci est devenue un véritable objet de pensée, et non seulement un motif d’amusement ou de curiosité, voire de préoccupation passagère, ne peut guère se passer des secours de la littérature, ou du moins d’un certain type de littérature, qui, à la fois, fournit à cet effort une précieuse documentation, le conforte dans son élan, et, éventuellement, lui offre, sous forme d’esquisses plus ou moins dégrossies, des schèmes de réflexion particulièrement suggestifs. C‘est ayant cela en tête que Freud, par exemple, lorsqu’il entreprend ce qu’il appelle une psychopathologie de la vie quotidienne, ne cesse de se référer à des exemples et à des analyses empruntés à des ouvrages de fiction qui ont défriché ce terrain avec une clairvoyance qui lui paraît exemplaire : il intègre directement ces exemples et analyses à son propre travail d’élaboration théorique en se contentant de leur apporter de légères transformations qui n’en modifient pas la teneur sur le fond ; c’est-à-dire qu’il crédite la littérature d’en savoir déjà fort long, au sens propre du terme “savoir”, sur le quotidien de la vie, suffisamment en tous cas pour qu’on se mette à son écoute en vue d’en tirer une conception digne d’intérêt, sous réserve d’être précisée et replacée dans un contexte élargi.

Ceci amène à se demander ce que c’est qu’écrire le quotidien, en faisant tenir ensemble par des moyens appropriés, au nombre desquels le style, les éléments dispersés, les éclats de vie, qui sont la forme immédiate sous laquelle sa matière première peut être recueillie : écrire, c’est en premier lieu l’art de construire des phrases, en choisissant ses mots et en exploitant toutes les possibilités de la syntaxe, éventuellement en en bousculant les règles ou en en inventant de nouvelles, de manière à faire rentrer dans le cadre ainsi élaboré des éléments pris dans la réalité, dont la réunion fait sens, et éventuellement suscite une pluralité de sens qui peuvent converger, coexister ou entrer en conflit.

Lorsque la littérature se saisit avec ses forces propres du quotidien, qu’en fait-elle ? Quel genre d’accès la littérature réserve-t-elle au quotidien, et que peut-elle nous apprendre sur lui ? En d’autres termes, en quoi enrichit-elle, ou gauchit-elle, le concept du quotidien que nous pouvons former par la voie courante de l’observation appuyée sur le sens commun, ou par celle plus élaborée, et en principe objective, qu’offrent les sciences humaines ? Y a-t- il un concept ou une mise en forme proprement littéraire du quotidien qui en effectue la réflexion ? Quels en sont les présupposés ? Et en quoi ce concept et cette mise en forme peuvent-ils nous intéresser ? Quels enseignements pouvons-nous en tirer pour une réflexion philosophique au sujet de la vie quotidienne ?

À vrai dire, plutôt que d’une écriture du quotidien, c’est d’écritures du quotidien, au pluriel, qu’il faudrait parler. C’est ce qui ressort des analyses menées dans l’ouvrage d’Erich Auerbach, Mimésis – La représentation de la réalité dans la l ittérature occidentale (Mimesis – Das gestellte Wirklichkeit in der abendländische Litteratur), paru à Berne en 1946, et dont la traduction française par C. Heim a été pour la première fois publiée en 1968 (réédition dans la série Gallimard/Tel, 1977). Dans ce livre monumental, composé durant son exil forcé en Turquie où le régime kémalien lui avait confié la charge de réorganiser les études universitaires, le philologue allemand Auerbach a entrepris de recenser et de comparer les différentes manières de représenter la réalité mises en oeuvre à travers l’ensemble de l’histoire de la littérature occidentale, d’Homère à Virginia Woolf, en passant, entre autres, par Dante, Molière et Stendhal, et ceci à partir d’explications de textes empruntés à des oeuvres qui se sont notablement confrontées à ce problème globalement désigné sous l’appellation de “mimésis”, ou imitation de la réalité. L’une des conclusions qui se dégagent de cette comparaison est que, en réponse au “défi”, ce mot revient à plusieurs reprises sous la plume d’Auerbach, que constitue la nécessité d’appliquer à la réalité un traitement représentatif ou mimétique, et tout simplement d’en parler ou plutôt d’en rendre compte et d’en restituer la présence par les moyens de l’écriture, les principales étapes recensées dans les vingt chapitres du livre de l’histoire de la littérature occidentale vue sous cet angle ont donné lieu à l’élaboration de différents “mondes formels” (l’expression “monde formel” apparaît à la p. 16 de Mimésis ), résultant de la mise en oeuvre des styles représentationnels successivement apparus au cours d’une évolution qu’Auerbach se propose de ramener à un certains nombre de caractères structurels. Autrement dit, pour en revenir au point qui nous intéresse, la littérature, au cours de son histoire, aurait donné lieu à différents types formels de représentation ou écritures du quotidien impossibles à ramener à un modèle unique applicable indifféremment à tous ces systèmes, qui sont autant de réponses variées à un même problème. Ce qui pose bien sûr la question de savoir si, réellement, ce problème est resté inchangé, comme semble le penser Auerbach, à qui on a pu reprocher d’utiliser la notion de mimésis comme une étiquette commode dont il se garde d’examiner le contenu, donc sans se demander si le mot “réalité” garde le même sens lorsqu’il s’applique aux objets appréhendés par le moyen des différentes formes mimétiques : lorsqu’Auerbach justifie son propos à partir de l’intention de caractériser les diverses manières dont les écrivains “répondent au défi de la réalité”, on ne peut manquer de se dire que cette référence à “la réalité” manque de clarté et de précision, ce qui conduit à se demander de quelle réalité au juste il s’agit, et à quel niveau de détermination elle est appréhendée dans le cadre des différents mondes formels qui permettent de la restituer.

Suivant le principe de différenciation des mondes formels, le premier chapitre de Mimésis , intitulé “La cicatrice d’Ulysse”, met en évidence une première opposition entre deux “ styles de représentation littéraire de la réalité dans la culture européenne”, opposition résumée dans la conclusion du chapitre à travers ces traits formels : “Les deux styles constituent, par leur antinomie, des types fondamentaux : l’un décrit les événements en les extériorisant, les éclaire également, les enchaîne sans discontinuité ; c’est une expression libre et complète, sans ambiguïté, qui place tous les phénomènes au premier plan et ne laisse que peu de place au développement historique et humain ; – l’autre met en valeur certains éléments pour en laisser d’autres dans l’ombre ; c’est un style abrupt, qui suggère l’inexprimé, l’arrière – plan, la complexité, qui appelle l’interprétation, qui prétend exprimer l’histoire universelle, qui met l’accent sur le devenir historique et en approfondit l’énigme.” (p. 33 – 34)

Pour dégager cette opposition, qui n’est pas sans faire penser à celle du classique et du baroque chez Wölfflin, dans la mesure où elle obéit à la même logique structurelle appuyée sur la mise en évidence de corrélations diacritiques (clarté/obscurité, surface/profondeur, continu/discontinu, etc.), Auerbach s’appuie, d’une part sur le passage du chant XIX de l’ Odyssée , où est relaté l’épisode de la reconnaissance d’Ulysse par sa nourrice Euryclée à l’occasion du rituel bain de pieds commandé par Pénélope pour accueillir le vagabond étranger dont l’identité véritable n’a encore été percée par personne, épisode dans lequel il voit une occurrence exemplaire du style “clair”, où tout est dit, tout est montré, sans arrière-plans, et si on peut dire sans états d’âme ; et, d’autre part, sur le chapitre XXII de la Genèse où est raconté le sacrifice d’Isaac par Abraham, dans un style au contraire lacunaire, rompu, évocatoire, où l’essentiel, l’interpellation d’Abraham par une voix venue d’ailleurs qui est celle de Jéhovah, se dérobe à une saisie directe, d’où la nécessité d’une interprétation pour qu’en soient révélées les profondeurs cachées, qui ne sont pas montrées, mais seulement suggérées par le récit.

Le rapprochement de ces deux textes narratifs antiques fait donc apparaître, selon Auerbach, le fort contraste stylistique entre deux manières de représenter la réalité, l’une horizontale, qui enchaîne en surface tous les éléments de la représentation sur un unique plan où ils sont uniformément éclairés, au présent, à plat, en l’absence de la tension provoquée par un devenir temporel ; l’autre verticale, qui décale différents plans de réalité, et, à partir de ce décalage, suggère l’urgence d’un développement orienté, c’est-à-dire d’une histoire véritable, où l’état présent ne se suffit pas à lui-même, mais plonge ses racines dans le passé et est tiré vers un avenir providentiel, ce qui lui confère une essentielle instabilité et le nimbe de mystère. On serait presque tenté, en utilisant des catégories qui ne sont pas celles d’Auerbach, de parler à ce propos d’un style de l’immanence et de la présence, propre à la conception polythéiste du divin, et d’un style de la transcendance et de l’absence, d’inspiration monothéiste, radicalement alternatif du précédent.

Ce qui nous intéresse ici, c’est la conséquence qu’Auerbach tire de cette analyse pour ce qui concerne la manière de faire place dans le récit à la relation du quotidien. Chez Homère, le quotidien est présent, mais selon les modalités propres au style clair, c’est-à-dire bien à sa place dans le cadre de l’évocation de la scène domestique, dont on ne voit pas comment elle pourrait faire l’économie de ce genre de détails : en anticipation de la théorie de la distinction des genres qui ne sera expressément formulée que plus tard, le récit du lavement de pieds fait se succéder les éléments de représentation relevant du genre bas, peut-être serait-il mieux venu de dire modeste, qui sont généralement rapportés à des personnages d’humble extraction, esclaves ou domestiques, et d’autres qui relèvent au contraire du genre noble, et caractérisent en propre les héroïques protagonistes de l’action principale, sans les mélanger, et en conservant la distinction entre les ordres de dignité incomparables auxquels ils se rapportent. Il n’en va pas de même dans le texte de l’Ancien Testament, où il y a au contraire va-et-vient constant entre le haut et le bas, le noble et l’indigne, ce qui est la condition pour que le récit soit porteur d’un message à la fois salvateur et menaçant, délivré au nom d’un Dieu caché, message complètement absent chez Homère : “Dans les narrations de l’Ancien Testament, la paix de la vie quotidienne au foyer est continuellement minée par la jalousie de l’élection et la promesse de la bénédiction, d’où naissent des situations complexes qui seraient incompréhensibles à des héros d’Homère. Il faut à ceux-ci une raison manifeste, clairement exprimable pour que surgisse un conflit, et ils résolvent ce conflit en joutes ouvertes, tandis que chez ceux – là la jalousie jamais éteinte, l’imbrication de l’économique et du spirituel, de la bénédiction paternelle et de la bénédiction divine, saturent de conflits virtuels la vie quotidienne et en arrivent souvent à l’empoisonner. Ici l’action sublime de Dieu intervient si profondément dans la réalité journalière que les deux domaines du sublime et du quotidien ne sont pas seulement effectivement indivis, mais foncièrement indivisibles.” (p. 33)

On pourrait sans doute objecter à Auerbach que les passages de l’ Odyssée et de la Bible sur lesquels il appuie son analyse se prêtent à de telles conclusions simplificatrices, et que peut – être la lecture d’autres passages de ces mêmes oeuvres permettrait d’aboutir à des concl usions fort différentes voire contradictoires, ce qui permettrait de restituer à ces oeuvres une complexité qu’il semble ignorer systématiquement en la rabattant sur la dualité élémentaire des styles horizontal et vertical, en tout alternatifs l’un de l’autre : peut-être parviendrait-on à montrer qu’il y a aussi de la profondeur chez Homère et de la clarté dans les écrits testamentaires. Mais s’arrêter à cette objection serait passer à côté de ce qui est pour Auerbach l’essentiel, à savoir, non pas proposer une interprétation globale de ces oeuvres prises dans leur ensemble, en tant qu’elles seraient les témoins d’un moment unique de l’histoire de la littérature, mais dégager, à partir de l’étude d’extraits prélevés en elles, et bien sûr soigneusement choisis en vue des besoins de la démonstration, une opposition structurelle entre deux manières générales de représenter la réalité caractérisées par des traits formels, et en quelque sorte intemporels, comme par exemple une certaine façon de construire les phrases et de les relier entre elles, sous forme d’une articulation directement logique, hypotaxique, comme c’est le cas chez Homère, où au contraire en exploitant des effets elliptiques de confusion et de rupture, parataxiques, comme c’est le cas dans le texte biblique.

Et, c’est ce qui doit ici retenir particulièrement notre attention, cette opposition structurelle entre deux styles ou manières de représenter la réalité permet aussi de mettre en évidence deux façons d’écrire le quotidien : l’une qui lui réserve son caractère commun, ordinaire, impossible à confondre avec la dimension héroïque des hautes actions accomplies par de grands personnages avec lesquelles il cohabite en leur étant simplement juxtaposé, dans le cadre d’un monde strictement ordonné et hiérarchisé, ce qui est la clé de sa stabilité, l’autre qui au contraire ménage la possibilité d’un passage permanent et d’un échange entre le haut et le bas, et qui fait apparaître le quotidien comme plombé par un espoir ou une menace de sublimité qui le creuse d’une profondeur insoupçonnée, et le fait apparaître comme le lieu d’un insondable mystère, en creux et non à plat, selon la logique propre, non au style horizontal, mais au style vertical.

Il serait bien sûr inapproprié, anachronique, d’évaluer les formes archaïques de narration qui se trouvent chez Homère ou dans la Bible à la lumière d’une notion récente, et dont les contours sont d’ailleurs difficiles à préciser, comme celle de “réalisme”. Si, cependant, on s’engage dans une telle tentative de manière purement hypothétique, à titre d’essai, pour voir, on serait à première vue tenté de trouver Homère plus “réaliste” que le rédacteur de la Genèse , dans la mesure où, dans son texte, sont inclus des éléments repris tels quels à la vie quotidienne de laquelle ils paraissent sortis directement. Le récit du bain de pieds donné à Ulysse par Euryclée commence par cette notation, qui, à l’aide de détails concrets, colore l’épisode de naturel et de simplicité : “Euryclée s’en fut prendre un chaudron scintillant, y mit beaucoup d’eau froide, puis ajouta l’eau chaude. Ulysse était allé s’asseoir loin du foyer, tournant aussitôt le dos à la lueur…” ( Odyssée , chant XIX, v. 387 – 389, trad. V. Bérard)

Ces indications fournies avec une grande sobriété, ayant manifestement été sélectionnées avec le plus grand soin, aident, comme on dit à “voir” la scène, à en suivre le déroulement concret, en tant qu’elle a lieu dans un monde de part en part terrestre et profane, avec ses récipients ménagers, ses simples gestes de la vie courante tels qu’ils s’effectuent selon un certain ordre dans un environnement domestique dont la réalité paraît immédiatement tangible. Un peu plus loin, l’épisode de la reconnaissance de la cicatrice est relaté de façon analogue : “Du plat de ses mains, la vieille, en le palpant, reconnut la blessure et laissa retomber le pied dans le chaudron ; le bronze retentit ; le chaudron bascula ; l’eau s’enfuit sur le sol…” (id., v. 467 – 469)

Ces événements, qui sont décrits dans leur détail factuel, donnent lieu, chez ceux qui les vivent, à l’éclosion de sentiments forts, clairement indiqués par la narration : l’émotion d’Euryclée, qui se traduit par la maladresse de son geste, la contrariété d’Ulysse lorsqu’il s’aperçoit que son anonymat a été percé ; mais l’évocation de ces sentiments prend normalement place dans le contexte des mouvements corporels élémentaires dont ils constituent l’accompagnement naturel, et qui sont restitués avec suffisamment de précision pour que le lecteur attentif aie l’impression qu’ils ont lieu directement devant lui : c’est comme si on entendait le son que fait le vase en se renversant. C’est pourquoi il semble aller de soi de qualifier de tels passages de “réalistes”. Peut – on en dire autant de la manière dont la Genèse raconte le sacrifice d’Isaac ? Après l’injonction de Dieu à Abraham qui, venue de l’au-delà, sert de déclencheur à l’action racontée, le récit se poursuit de la manière suivante : “Abraham se leva donc avant le jour, prépara son âne, et prit avec lui deux jeunes serviteurs, et Isaac son fils ; et ayant coupé le bois qui devait servir à l’holocauste, il s’en alla au lieu où Dieu lui avait commandé d’aller. Le troisième jour levant les yeux en haut, il vit le lieu de loin. Et il dit à ses serviteurs : Attendez – moi ici avec l’âne ; nous ne ferons qu’aller jusque-là, mon fils et moi, et, après avoir adoré, nous reviendrons aussitôt à vous. Il prit aussi le bois pour l’holocauste, qu’il mit sur son fils Isaac, et pour lui, il portait en ses mains le feu et le couteau. Ils marchaient ainsi deux ensemble…” ( Genèse , XXII, 3 – 6, trad. Lemaître de Sacy)

Ici aussi sont fournis un certain nombre de repères pris dans la réalité commune qui permettent de raconter la scène en donnant à celle-ci un contenu de réalité : l’endroit élevé, et éloigné, où doit avoir lieu le sacrifice, les serviteurs qui forment avec Abraham et son fils une petite caravane, l’âne, le bois, le couteau. Toutefois, remarque Auerbach, ces détails sont présentés avec une économie de moyens qui va bien au-delà de la sobriété du récit homérique, et recèle une portée complètement différente : “Il serait ici inconcevable de décrire les objets employés, le paysage traversé, les serviteurs et l’âne qui accompagnent Abraham, d’évoquer louangeusement leur origine, leur matière, leur aspect ou leur utilité ; tout cela ne tolère même pas un adjectif ; ce sont des serviteurs, un âne, du bois, un couteau, rien de plus, sans épithète; ces choses ont à servir la fin prescrite par Dieu ; ce qu’elles sont par ailleurs, ce qu’elles furent, ce qu‘elles deviendront ne nous est pas révélé.” ( Mimésis , éd. cit., p. 18)

Le chaudron dont se sert Euryclée pour laver les pieds d’Ulysse est un vrai chaudron; Homère précise qu’il est “scintillant”, indication sans doute fugitive, et quelque peu stéréotypée, mais qui n’en relève pas moins de l’art de la description qui, comme nous l’avons dit, est destinée à faire voir la chose telle qu’elle existe censément dans la réalité, cette réalité, en l’occurrence, étant celle de la cuisine où Euryclée tient rangés ses ustensiles après les avoir bien astiqués. Alors que le couteau dont Abraham va se servir pour sacrifier son fils Isaac, pour l’unique raison que la voix divine le lui a abruptement commandé, n’a pas vraiment une existence réelle : il s’intègre au titre d’un accessoire dématérialisé au déroulement du récit sacré, dans lequel les éléments empruntés à la réalité commune qui servent de support à ce déroulement apparaissent comme de pures entités abstraites, baignées de surnaturel, ce que n’est certainement pas le chaudron d’Euryclée ; ils se présentent doublés d’un arrière-plan symbolique, qui les plonge dans un environnement extraordinaire, excluant toute possibilité de description, et ne laissant place qu’à la pure évocation, qui, par sa nudité même, appelle une interprétation : la scène est vue, non dans la réalité, mais comme en rêve, nimbée de mystère, plongée dans une ombre indécise dont elle tire son effet de suggestion. Les objets et les êtres qui emplissent la scène ne sont réels qu’en première apparence, et le récit est tendu vers la révélation du fait qu’ils sont en réalité porteurs d’une tout autre dimension, non pas profane mais sacrée, au point de vue de laquelle le quotidien n’est que l’ombre portée de formes ou d’intentions secrètes, qui le transcendent, et lui communiquent un parfum troublant, à la fois exaltant et inquiétant, de sublimité. C’est la raison pour laquelle il est extrêmement difficile de parler, à propos du récit biblique, de réalisme : on est d’emblée avec lui dans l’ordre du “ figuratif ”, qui se saisit de tous les éléments empruntés à la simple réalité pour les déporter vers un autre sens qui les dépasse, et les emporte dans un ordre différent de réalité, qui n’est pas celui que nous connaissons immédiatement.

Or, on pourrait avancer que, si Auerbach a écrit Mimésis , c’est, non seulement pour nuancer cette appréciation de première vue dont il fournit lui-même tous les justificatifs de base, mais pour en remettre radicalement en cause les attendus : à son point de vue, ce que nous appelons réalisme au sens moderne, et que nous pouvons lire chez des auteurs comme Balzac ou Flaubert, serait finalement plus proche du figurativisme du récit biblique, avec ses percées secrètes vers un ailleurs inconnu, et à la limite inaccessible, que de la simplicité horizontale et claire du récit homérique, où tout est donné simplement à plat et de première vue, sans perspective en profondeur.

Pour mieux comprendre le dessein d’Auerbach, il faut faire intervenir un concept qui traverse Mimésis de part en part : celui de “sérieux”, qui servira à élaborer pour finir la thèse du “réalisme sérieux”, tel qu’il se retrouve précisément à son point de vue chez des écrivains dits réalistes comme Balzac ou Flaubert, avec la façon très particulière d’écrire le quotidien qu’ils ont mise au point. L’idée défendue par Auerbach est qu’il est très difficile, et à la limite impossible, de reconnaître aux traces apparentes de réalisme qui peuvent être repérées dans la littérature antique , comme par exemple le passage de l’ Odyssée où émerge au passage la représentation du chaudron scintillant et sonore d’Euryclée, un caractère “sérieux”, et ceci pour des raisons qui n’ont rien d’accidentel. C’est ce qui distingue absolument le réalisme antique du réalisme moderne : “Dans la littérature moderne, toute personne, quels que soient son caractère et sa position sociale, tout événement, qu’il appartienne à la légende, à la haute politique, ou à la vie domestique, peut être représenté comme une réalité sérieuse, problématique et tragique, et le plus souvent se trouve effectivement représenté sous cette forme. Mais ceci est complètement impossible dans l’Antiquité.” (Mimésis , ad. cit., p. 42)

Cette référence à première vue énigmatique à la catégorie de sérieux (complétée par celles de problématique et de tragique) est développée dans le chapitre suivant de Mimésis , intitulé “Fortunata”, où sont examinés l’un des passages du Satiricon de Pétrone qui se rapporte au festin de Trimalcion, un extrait des Annales de Tacite, où est relatée la révolte, à l’annonce de la mort d’Auguste, des légions romaines stationnées en Germanie, et enfin le récit du reniement de Pierre dans l’Evangile selon Marc.

À une première lecture du texte de Pétrone, qui donne une représentation hallucinée et grotesque, fellinienne avant l’heure, du monde de parvenus dont le couple formé par Trimalcion et son épouse surnommée Fortunata sont le centre, on est enclin, comme dans le cas du récit de lavement de pieds d’Ulysse, et même encore davantage, à faire rentrer cette relation sous la catégorie du réalisme, tant sont nombreux les détails concrets, parfois répugnants, qui donnent à la scène son poids écrasant de présence directe, simultanément irrécusable et accablante. Dans le passage choisi par Auerbach, celui-ci repère même l’utilisation d’un procédé représentatif extrêmement sophistiqué, abondamment exploité depuis dans la littérature moderne, et dont Pétrone pourrait être l’inventeur. Ce procédé est celui de la relation en perspective, donc subjective, puisqu’elle est rapportée à un point de vue particulier, qui finit paradoxalement par produire un effet impersonnel d’objectivité, dans la mesure où elle apporte une vue en coupe ayant valeur de témoignage irrécusable sur la réalité évoquée par ce type de narration à la première personne, qui la fait rentrer sous la catégorie de “chose vue”, il faudrait plutôt dire de “chose entendue”. Pour donner à voir le monde de Trimalcion et de la foule de comparses et de parasites qui s’agitent autour de lui, Pétrone donne en effet la parole à l’un des membres de ce groupe, qui, dans le langage typé ou le jargon caractéristique de celui-ci, fournit directement, sous la forme d’une confidence de table lancée en aparté au passage, une représentation au premier degré de ce milieu très particulier sur lequel l’auteur du livre, Pétrone, porte un regard à la fois amusé et dégoûté : comme sortie des lèvres, on saisit au vol la réalité d’un monde social, dont l’état d’esprit est aussitôt épinglé à travers la parole de l’un des siens qui le trahit, sans que soit requise l’intervention d’un tiers pour en délivrer le sens, qui s’étale au grand jour sans retenue. Le lecteur de ce passage du Satiricon se trouve dans la situation même d’Encolpe, l’un des principaux protagonistes de l’histoire, recevant inopinément du voisin de table que l’organisation improvisée du festin lui a donné cette révélation édifiante en forme de ragot; cette révélation le fait plonger, et nous avec lui, dans une réalité nauséeuse qui apparaît ainsi comme étant regardée à la fois de l’intérieur et de l’extérieur, ce qui est un comble de l’art narratif. De façon comparable, Tacite, pour faire saisir l’ambiance du camp romain agité par d’obscures émotions et prêt à se soulever, fait personnellement s’exprimer, au discours indirect cette fois, – on croirait lire, à ceci près que ni la langue ni le style ne sont les mêmes, une page de Zola – , le meneur de la sédition, un certain Percennius, dont les propos passés à la moulinette de l’historien fournissent, sans que soit requise l’intervention d’un intermédiaire, un irremplaçable témoignage, rendu au nom même de l’un des principaux acteurs de la scène, ce qui, au point de vue de Tacite, doit suffire pour édifier le lecteur sur les motivations, à ses yeux totalement injustifiées et aberrantes, qui ont dirigé ce mouvement spontané de révolte, manifestation insupportable de désordre, atteinte indéfendable à l’ordre établi, qui témoigne en première ligne des incertitudes propres à une période historique troublée. Dans les deux cas, une certaine réalité, celle d’un groupe social, se trouve présentée dans le récit à travers une parole issue de lui, énoncée à cru, ce qui en garantit la véracité et l’authenticité, parole qui, incorporée au récit, donne à voir ou plutôt à entendre son objet tel quel, de la manière la plus réaliste qui soit, serait-on tenté de conclure en conséquence. On est ici immergé en plein dans le quotidien ordinaire des parvenus et des hommes de troupe ; ce quotidien est happé à même ses façons de parler, ses manières de dire caractéristiques ; celles-ci en fournissent un instantané éloquent, mieux que ne pourrait le faire aucun discours descriptif ou explicatif tenu à son propos qui porterait sur lui un regard distancié, plus ou moins désengagé. Se mettre à l‘écoute du réel tel qu’il parle lui-même de lui-même, n’est-ce pas le comble du réalisme ?

Mais, c’est là qu’Auerbach veut en venir, si vérace et authentique soit-elle en première apparence, cette restitution apparemment réaliste de la réalité est tout sauf “sérieuse”. En effet, Pétrone aussi bien que Tacite, tout en donnant l’impression, par des moyens stylistiques appropriés, de serrer au plus près la réalité à laquelle se rapporte leur narration, puisqu’ils la laissent s’exprimer en s’effaçant eux-mêmes de cette expression et en s’abstenant de la rapporter à un point de vue qui lui serait étranger, parviennent néanmoins à la mettre à distance, et en quelque sorte à la reléguer dans la marge, tout simplement parce que, en exploitant cette manifestation directe, ils ont pour unique objectif de provoquer une réaction négative de rejet à son égard, ce qui amène à porter sur elle une condamnation à la fois esthétique et morale, et empêche littéralement de la prendre au sérieux. Le discours du voisin de table d’Encolpe, tel qu’il est littéralement repris dans le roman de Pétrone, et celui de Percennius, tel qu’il est reconstitué de manière rhétorique par Tacite, ne sont pas seulement des discours “vrais”, pris sur le vif, rapportés tels qu’ils ont pu être entendus sur le moment et enregistrés par un assistant; mais ils sont également connotés, sans que cela ait besoin d’être dit, comme appartenant à un genre, ou se rapportant à un niveau de réalité, immédiatement approprié à la grossièreté et à la brutalité de la mentalité sur laquelle ils fournissent un précieux aperçu : ce genre est le genre bas, que sa bassesse destine à une parole définitivement vulgaire, servile, et sans gloire, tant dans sa forme que dans son contenu.

Pour comprendre ce que c’est que le genre bas, il faut se reporter au chapitre 2 de la Poétique d’Aristote, où est fixée la doctrine des genres et de leur distinction : “Puisque ceux qui imitent imitent des personnages en action qui sont forcément ou nobles ou bas (les caractères se ramènent en effet presque toujours à ces deux seules catégories, puisque, pour tout le monde, ce sont le vice ou la vertu qui font la différence), c’est – à – dire soit meilleurs soit pires que nous, soit semblables, … il est évident que chacun e des imitations en question comportera également ces différences et sera autre parce qu’elle imitera des objets autres sous le rapport qui vient d’être indiqué… C’est sur cette même différence que repose la distinction de la tragédie et de la comédie : l’une cherche à imiter des personnages pires, l’autre de meilleurs que ceux de maintenant.”

L’objectif d’Aristote dans tous les premiers chapitres de la Poétique est d’établir une classification entre les différentes modalités de la pratique mimétique, base de tous les arts représentatifs. La classification ici proposée s’appuie sur la différence passant entre les objets de la représentation mimétique, différence sur laquelle doivent s’aligner les formes de cette représentation, sous peine d’ôter à celle – ci son caractère authentique de représentation. Les objets assignés à la représentation sont des comportements humains, eux – mêmes déterminés par des “caractères”, qui se répartissent sur une échelle de valeurs dont les pôles extrêmes sont la bassesse et la noblesse, le premier correspondant à des comportements vicieux, le second à des comportements vertueux.

Avant d’aller plus loin, il faut s’arrêter sur cette notion de “caractère” (éthos), qui, dans l’esprit d’Aristote, désigne une disposition à la fois morale et sociale, davantage encore que psychologique, au sens où la psychologie fixe son intérêt sur des différences individuelles particulières : le comportement vertueux est généralement, ou génériquement, le fait de personnes nobles, auxquelles leur posi tion dans l’ordre social assigne une destinée héroïque, le comportement vicieux étant au contraire le fait de gens de basse extraction, dont on ne peut raisonnablement attendre aucune action élevée, car ceci est réservé à de grands personnages, auxquels leur dignité naturelle promet une vie hors norme, dont l’excellence peut d’ailleurs coïncider avec l’accomplissement de très grands forfaits, ce qui ne retire rien à leur caractère vertueux, pour autant que ces forfaits maintiennent, en raison de leur exceptionnalité, le caractère de grandeur et de puissance attaché aux personnes qui les accomplissent. Par vice, il ne faut donc pas entendre un manquement occasionnel à des impératifs moraux, manquement imputable à une décision prise en conscience sur le moment par un individu précis personnellement engagé dans cette décision, mais une déficience constitutionnelle, donc permanente, naturellement et socialement conditionnée, et qui détermine à l’avance les actes accomplis par les personnes marquées par cette déficience, tant celle – ci leur colle à la peau dès leur naissance.

Résumons : la représentation mimétique a affaire à des objets ou des êtres qui se répartissent entre deux pôles d’excellence et d’abaissement, et il faut, pour être correcte, qu’elle adapte se s moyens et ses réalisations à la nature propre de ces objets et de ces êtres, et qu’elle respecte leur rapport hiérarchique mesuré en termes de valeur, c’est – à – dire qu’il faut que des réalités basses soient représentées au niveau qui est le leur, d‘une ma nière qui fasse ressortir leur constitutive absence d’élévation, au lieu de chercher à la masquer ou à la faire oublier, alors que les réalités nobles doivent, elles, de façon nettement tranchée, être représentées de manière conforme à leur nature, dans un esprit de grandeur qui en magnifie les splendides manifestations.

C’est à partir de ce critère qu’Aristote justifie pour finir la distinction des deux genres de la représentation théâtrale : la comédie fait rire des actions basses accomplies par des gens grossiers, définitivement inaptes à être admirés, et la tragédie, au contraire, exalte, et éventuellement fait trembler, par l’évocation de héros qui sont par définition incapables d’actes et de comportements vulgaires, portant la marque de la banalité ; c’est pourquoi, très factuellement, la comédie sera centrée sur la représentation des gestes et des comportements d’esclaves et de parvenus, pris sur le vif, donc montrés dans les lieux très communs et ordinaires où ils végètent normalement, alors que la tragédie montrera des actions dont les protagonistes sont des rois et des reines et les personnes de leur entourage direct, actions se déroulant dans des palais prestigieux. C’est en application de cette règle, et même en renchérissant sur elle, que, au XVI Ie siècle, Racine fera de l’histoire de ses plaideurs une comédie, et de celle de Bérénice, qui n’est pas cependant sans présenter des aspects qui pourraient prêter à rire ou du moins à sourire, une tragédie, en respectant à la lettre le cloisonnement entr e ces deux genres qui mettent en scène des types de personnes que sépare nettement leur statut social, des gens de peu et des personnes de haut rang, dont les privilèges ne doivent en aucun cas être remis en cause, et qui ne peuvent donner ses objets au mê me type de représentation mimétique.

Il faut comprendre que, davantage encore que morale et sociale, cette hiérarchie est cosmique : elle reflète l’ordre qui, en principe, donc sauf accident, doit prévaloir dans un monde où les choses et les êtres ont leur place assignée, ce qui est la garantie de sa stabilité. Sans doute, cet ordre est exposé en permanence à être dérangé, en particulier par les initiatives malencontreuses et malignes d’individus qui en ignorent volontairement ou non la nécessité : mais ces perturbations, qui présentent un caractère scandaleux, ne peuvent se réclamer d’aucune justification positive, et elles ne doivent en conséquence être caractérisées que par défaut, comme les manifestations d’un insupportable désordre, ou négation de l’ordre naturel des choses, dont le risque doit être par tous les moyens conjuré. Remettre en cause la hiérarchie du haut et du bas, c’est littéralement mettre le monde sens dessus dessous, l’exposer à une instabilité dont ne peuvent résulter que les pires maux.

C’est pourquoi, pour en revenir au problème qui nous occupe, la représentation du quotidien est d’emblée disqualifiée, ou, au mieux, reléguée sous la rubrique du pittoresque, ce qui empêche de lui consacrer une attention durable : “Tout ce qui est vulgairement réaliste, le quotidien tout entier, ne supporte qu’une représentation comique ; on n’en doit pas approfondir les problèmes virtuels. Un tel principe fixe d’étroites limites au réalisme, et on peut dire, en prenant le mot réalisme en un sens plus strict, qu’il ôtait à la littérature toute possibilité de prendre au sérieux les métiers et les états de la vie quotidienne – commerçants, artisans, paysans, esclaves – , le décor de la vie quotidienne – maison, atelier, boutique, champ – , les circonstances de la vie quotidienne – mariage, naissance d’un enfant, travail, nourriture – , bref toute possibilité de prendre au sérieux le peuple et la vie du peuple.” (Mimésis , éd. cit. , p. 42) “Ceci est intimement lié à la conception générale qui se manifeste dans la séparation des styles, laquelle distingue ce qui est tragique et problématique de ce qui est réaliste ; cette conception repose sur l’horreur aristocratique du devenir qui se réalise dans les profondeurs, devenir qui est ressenti aussi bi en comme vulgaire que comme anarchique et orgiaque.” (id., p. 44)

En conséquence de cette condamnation de principe, toute allusion au quotidien doit rester cantonnée dans les arrière – cuisines ou les arrière – cours où évoluent esclaves et domestiques qui y cohabitent avec la soldatesque révoltée : celles – ci sont leur lieu naturel, auquel ils ne peuvent être soustraits qu’arbitrairement, et, si cela se produit, de manière très provisoire. Le monde de fêtards prétentieux et vains qui entourent Trimalcion est justement rempli de gens qui ont misé sur l’instabilité de la fortune, ce qui leur a provisoirement réussi, en leur permettant d’accumuler des richesses insensées, que le vent peut emporter comme il les a apportées, ce qui les renverra à leur ordure dont ils n’auraient jamais dû sortir, et dont ils portent sur eux la marque indélébile : c’est pourquoi le luxe dont s’entoure Trimalcion, qui est parfaitement factice, reste de part en part marqué par la vulgarité des origines de son détenteur, qui le stigmatise à jamais. De ce point de vue, le roman de Pétrone a une valeur critique de protestation : son pseudo-réalisme, qui se situe aux antipodes de la neutralité, est orienté, inspiré par le mépris, et même peut-on aller jusqu’à dire par un mépris de classe, celui des aristocrates authentiques qui refusent d’être confondus avec une valetaille de déclassés dont les ambitions déchaînées constituent pour leur caste une inquiétante menace ; si, comme nous l’avons vu, Pétrone donne directement la parole à une certaine réalité, c’est pour la laisser faire d’elle-même l’aveu de son inanité, de son caractère sordide, qui sur le champ la disqualifient. C’est pourquoi le monde de Trimalcion est, conformément à son essence, voué à la dérision, ce qui apparie nécessairement sa représentation au genre comique. Le comique en moins, il en va de même de la restitution donnée par Tacite des troubles effarants dont les armées romaines sont le siège en un moment de particulière incertitude politique : le discours de Percennius, le meneur de la révolte, traduit cet état de trouble tel qu’il est vécu par des soldats désemparés, à l’esprit particulièrement frustre, qui offrent une proie facile à une grossière propagande de désordre à laquelle ils ne sont pas préparés à résister ; et, en même temps, au point de vue de Tacite, ce discours donne immédiatement à comprendre que les raisons avancées pour déclencher un tel mouvement ne sont que des prétextes, et que sa vraie raison se trouve dans le déchaînement brutal d’une violence aveugle qui a pour unique objectif de semer la zizanie et la discorde ; ce discours pris sur le vif, sur le mode du reportage direct, qui suffit à dénoncer son auteur comme un vulgaire semeur de merde, est ainsi à lui même son propre démenti, et si la scène rapportée par Tacite ne sombre pas, comme chez Pétrone, dans la dérision comique, c’est parce que, dans le récit qu’il en donne, le responsable de cette agitation malsaine se voit opposer une résistance inébranlable de la part du commandant légitime des légions romaines, un certain Junius Blesius, qui, contre vents et marées, tient bon, et sauve la mise au régime impérial, auquel cette ébauche de sédition n’aura pu porter durablement atteinte en raison de la solidité de la hiérarchie militaire qu’il a su mettre en place, ce qu’il fallait démontrer. Tacite est réaliste lorsqu’il fait parler Percennius, mais son réalisme est accompagné implicitement d’un déni de sérieux sans appel à l’encontre de cette parole, qui, livrée à vif et à nu, apparaît pour ce qu’elle est, vide de sens, privée de légitimité, et vouée à l’échec, comme la suite des événements se chargera d’elle-même de le prouver. Si le réalisme de Pétrone ou de Tacite n’est pas “sérieux”, ce n’est donc pas seulement parce qu’il développe une vision comique des choses, au sens où comique serait synonyme de drôle : car ni Trimalcion ni Percennius ne sont des gens vraiment rigolos, et leur sinistre évocation ferait plutôt frissonner. Leur dimension comique, qui les fait relever du genre bas, tient plutôt au caractère factice de leurs démarches, qui n’ont aucune raison d’être valable, aucune justification crédible, mais sont absolument indéfendables, comme nulles et non avenues. Derrière Trimalcion et ses bouffonneries, derrière Percennius et ses provocations, il n’ y a rien de consistant, rien de solide, et certainement rien de noble, mais du vent, et le vide : aucune force réelle ne les soutient dont ils seraient les représentants légitimes, et par là même aussi les annonciateurs d’un avenir dont les réalisations pourraient être reconnues comme durables. C’est pourquoi Pétrone et Tacite se contentent de les montrer, en leur laissant l’entière initiative de s’exprimer par leur propre parole, mais ne cherchent absolument pas à les expliquer, c’est-à-dire qu’ils ne cherchent pas du tout à s’interroger sur les causes réelles qui les font exister, et qui pourraient restituer à leur abusive présence une sorte de nécessité : car leur existence, qui n’est que factuelle, accidentelle, est, en profondeur, privée de réalité, c’est-à-dire de dignité, et c’est pourquoi elle ne peut être représentée qu’en creux, sur le mode du dénigrement, et non en plein, c’est-à-dire sérieusement, ce qui reviendrait à lui reconnaître la dimension positive de réalité qui, justement, lui fait défaut. Le monde de l’expérience quotidienne, les écrivains de l’Antiquité classique le regardent de haut, en ce double sens qu’ils portent sur lui une vue surplombante, qui l’embrasse pour mieux l’étouffer, et qu’ils ont à son égard le plus parfait dédain, comme c’est normal de la part de gens cultivés et raffinés que sa vulgarité écoeure.

Alors, que pourrait être une représentation “sérieuse” de la réalité ? Auerbach en trouve précisément une occurrence exemplaire dans le troisième récit qu’il confronte au deux précédents dont il est pratiquement contemporain, mais qui relève d’un monde formel complètement différent, en rupture avec le précédent : celui du reniement de Pierre. Le scénario de ce récit est simple : Jésus, suspecté d’atteinte à l’ordre public, a été arrêté ; seul de ses disciples, Pierre, dans le but de s’informer, s’est risqué à le suivre de loin jusque dans la cour du palais où il est enfermé avant d’être interrogé, ce qu’il a fait en prenant toutes sortes de précautions en vue de camoufler sa présence :

“Cependant Pierre étant en bas dans la cour, une des servantes du grand prêtre y vint. Et l’ayant vu qui se chauffait, après l’avoir considéré, elle lui dit : Vous étiez aussi avec Jésus de Nazareth. Mais lui le nia, en disant : Je ne le connais p oint, et je ne sais ce que vous dites. Et étant sorti dehors dans le vestibule, le coq chanta. Et une servante, l’ayant encore vu, commença à dire à ceux qui étaient présents : Celui-ci est de ces gens-là. Mais il le nia pour la deuxième fois. Et, peu de temps après, ceux qui étaient présents dirent encore à Pierre : Assurément vous êtes de ces gens – là, car vous êtes de Galilée. Il se mit alors à faire des serments exécrables, et à dire en jurant : Je ne connais point cet homme – là dont vous me parlez. Aussi tôt le coq chanta pour la seconde fois. Et Pierre se ressouvint de la parole que Jésus lui avait dite : Avant que le coq ait chanté deux fois, vous me renoncerez trois fois ; et il se mit à pleurer.” (Evangile selon Marc , chap. 14, trad. Lemaître de Sacy)

Qu’est-ce qui donne à cette scène, que la sobriété de sa relation rend d’autant plus impressionnante, un caractère réaliste ? C’est le fait qu’elle est privée de tout caractère héroïque, ce qui, à première vue, la rejette dans les limbes du genre bas, en contradiction manifeste cependant avec sa dimension irrécusablement poignante. Au départ, les événements se succèdent de la manière la plus banale en apparence, et on en suit le déroulement en gardant le regard fixé sur leur détail, qui n’a rien d’extraordinaire : un agitateur d’idées doublé d’un faiseur de miracles a été interpellé, l’un de ses fidèles le suit à distance en cherchant à ne pas se faire remarquer, ce qui le conduit jusque dans une cour où passent des servantes qui, une seule tout d’abord, puis une seconde, et finalement une foule rassemblée, le dénoncent ; il se défend, d’abord calmement, puis, s’énervant, se laisse aller à crier, pendant que le coq chante, une fois, puis deux fois ; alors il se rappelle la prédiction que Jésus lui avait faite quelques heures auparavant : “Je vous le dis en vérité que vous – même aujourd’hui, avant que le coq ait chanté deux fois, vous me renoncerez trois fois”, ce que Pierre sur le moment avait refusé d’admettre : “Quand il me faudrait mourir avec vous, je ne vous renoncerai point” ; se rendant compte que la prédiction est réalisée, il est profondément perturbé et, accablé, fond en larmes.

D’où ce récit tire-t-il son puissant intérêt ? Tout d’abord du fait qu’il met en évidence l’ambiguïté du comportement de celui qui en est le principal protagoniste, on ne saurait dire le héros puisqu’il y fait figure, justement, d’anti-héros. Pierre est le seul des disciples à n’avoir pas complètement lâché Jésus lorsque la force publique s’est emparé de lui : en le suivant, il a manifesté un certain courage, conforme à l’engagement qu’il a pris solennellement de ne jamais “renoncer” Jésus ; mais son courage a des limites : quand il se voit à son tour menacé d’être poursuivi, il cède à la panique, et il fait ce que justement il avait dit qu’il ne ferait jamais ; et, quand il s’en rend compte, confusément, dans le clair obscur d’un état de demi – conscience, comme pourrait le faire un personnage de Dostoievski, il se met à s’apitoyer sur lui – même, dont l’enchaînement des circonstances et sa fragilité personnelle ont fait un renégat, qui, contre sa première volonté, a rompu le pacte de fidélité qui le liait à Jésus. Ceci fait de Pierre une authentique figure tragique, mais en un sens complètement différent de celui où la littérature antique conçoit et montre le tragique : “Une figure tragique d’une telle origine, un héros si faible, mais qui puise sa plus grande force dans sa faiblesse même, un tel va-et-vient de pendule est incompatible avec le style élevé de la littérature classique gréco – romaine.” ( Mimésis , éd. cit., p. 53)

Pascal dirait de Pierre, vu à la lumière de cet épisode, qu’il est au rouet de la grandeur et de la misère humaine, tiraillé entre des forces de sens contraire qui, littéralement, le crucifient. De ce point de vue, la logique du récit effectue un perpétuel va-et-vient entre le haut et le bas et le bas et le haut, dont il tire l’essentiel de son efficacité et de sa signification, ce qui oblige à lui accorder un maximum d’attention sérieuse : l’histoire vécue par Pierre est sanctifiée au coeur même de son abjection, qui témoigne dramatiquement pour toute la condition humaine, avec sa constitutionnelle faiblesse qui contrecarre ses aspirations à la grandeur.

Voir de plus:

Auerbach et le problème du “ réalisme sérieux ” : le réalisme moderne

Écrire le quotidien (2)

Groupe d ’études « La philosophie au sens large »
Animé par Pierre Macherey
12/01/2005

Ces hypothèses avancées à propos de la lecture de textes anciens amènent à porter un regard neuf sur les grands romans modernes qui se réclament explicitement d’une orientation “réaliste”. Si on suit Auerbach, la révolution stylistique opérée au XIXe siècle, en particulier, pour ce qui concerne le domaine français, par Stendhal, Balzac et Flaubert, n’a été possible que parce que, près de vingt siècles plus tôt, avait été levé l’interdit que la règle du cloisonnement des genres faisait peser sur la représentation du quotidien, au titre de ce qui vient d’être caractérisé comme une représentation “sérieuse”, donc empreinte de gravitas ; c’est ce sérieux de la représentation qui restitue au quotidien sa dimension pleinement problématique et tragique, et par là même le dote d’une profondeur nouvelle, condition indispensable pour que lui soit consacré un intérêt positif, dans la forme spécifique du sermo humilis qui abolit la distinction tranchée entre le haut et le bas auxquels il adapte uniformément la forme du grand style. Ce qui, du même coup, permet de faire, dans un but qui ne soit pas seulement de distraction ou d’enseignement moral, de la littérature avec des sujets vulgaires, et à la limite, pour reprendre la célèbre formule de Flaubert, d’écrire un “livre sur rien” : ce livre sera Madame Bovary , production emblématique du réalisme moderne.

Dans la suite de Mimésis, Auerbach reprend les étapes du parcours sinueux qui a conduit du réalisme ancien au réalisme moderne, ce qu’il fait en examinant des textes d’Ammien Marcellin, Apulée, saint Jérôme, saint Augustin (chap. 3), Grégoire de Tours (chap. 4), les chansons de gestes (chap. 5), Chrétien de Troyes (chap. 6), les Mystères médiévaux, saint François d’Assise, Jacopone da Todi (chap. 7), Dante (chap. 8), Boccace (chap. 9), Antoine de La Sale, Les quinze joyes du mariage (chap. 10), Rabelais (chap. 11), Montaigne (chap. 12), Shakespeare (chap. 13), Cervantès (chap. 14), Molière, et Racine (chap. 15), l’abbé Prévost, Voltaire, Saint-Simon (chap. 16), Schiller et Goethe (chap. 17), avant d’en arriver, au chap. 18, aux grandes figures du réalisme romanesque que sont Stendhal, Balzac et Flaubert, suivis des Goncourt, Zola (chap. 19), et, en clôture de ce très vaste panorama qui comporte d’ailleurs d’étonnantes lacunes (comme par exemple l’absence de Dickens ou de Victor Hugo), Virginia Woolf et Proust, les deux écrivains de la durée intérieure et du courant de conscience (chap. 20). Reste en suspens dans le cours du livre d’Auerbach la question, brièvement évoquée dans la toute dernière page du dernier chapitre, de savoir quelle est la nature de l’évolution dont ces différents moments représentent les jalons, et en particulier celle de savoir si cette évolution est dirigée suivant une orientation définie qui en dicte la progression : son propos déclaré, qui ne fait pas place à ce type d’interrogation, ou du moins le relègue dans ses marges, est principalement de différencier ces étapes en tant qu’elles constituent autant de réponses au “défi” de la réalité et de sa représentation.

Il est naturellement impossible de prendre en considération la totalité de ces analyses dont la sûreté et la richesse d’invention sont confondantes : Auerbach est un très grand lecteur de textes, capable d‘opérer la jonction entre des études stylistiques minutieuses, attentives au mot à mot, et des considérations à caractère plus large concernant les modèles culturels dans lesquels prennent place des innovations opérées sur le plan de l’écriture qui en sont les révélateurs exemplaires. Ces analyses mettent en évidence la diversité apparemment inépuisable des procédures mimétiques de représentation de la réalité et des écritures du quotidien qui en sont le corrélat : il en découle que l’appellation générale de réalisme recouvre des opérations compositionnelles fort diverses, incomparables sur le plan de la forme comme sur celui du sens. C’est pourquoi, au lieu de parler du réalisme, comme s’il correspondait idéalement à un modèle unique de représentation mimétique, il faudrait parler, au pluriel, des réalismes, dont chacun développe des tactiques originales en vue de restituer les réalités communes de la vie ordinaire.

Toutefois, bien que cela nous éloigne quelque peu en apparence du problème de la vie quotidienne, avant d’en venir à ce qui nous intéresse plus directement, à savoir les grandes créations du roman réaliste moderne, et les modalités du “réalisme sérieux” auxq uelles elles correspondent, il faut que nous nous arrêtions sur l’une des étapes intermédiaires de ce parcours, qui, au point de vue d’Auerbach, a une importance particulière, car elle représente le moment où se met en place un système de représentation de la réalité par lequel s’opère une sorte de basculement de l’ancien au moderne : il s’agit de la rupture effectuée avec La Divine Comédie de Dante.

Dante est l’auteur de référence d’Auerbach qui, lui avait consacré sa thèse d’habilitation, préparée sous la direction de Karl Vossler à Marbourg en 1929 sous le titre Dante als Dichter der irdischen Welt (cf. la traduction française de ce travail dans le recueil des Ecrits sur Dante d’Auerbach, éd. Macula, 1998). “Dante poète du monde terrestre” : cette formule fait ressortir une dimension “réaliste” de l’oeuvre de Dante, qui n’en conserve pas moins un indiscutable caractère poétique, au sens de la plus haute poésie, ce qui marque justement son incroyable capacité à concilier les extrêmes, à faire tenir ceux – ci ensemble dans le cadre d’une construction grandiose, qui se présente aussi comme une vaste synthèse stylistique, et est en conséquence, à l’exact opposé d’un livre sur rien, un livre sur tout, marqué de part en part par cette ambition totalisatrice : “La Comédie est, entre autres choses, un poème didactique de dimensions encyclopédiques qui expose l’ordre physico – cosmologique, éthique et historico – politique de l’univers ; elle est en outre une oeuvre d’art qui imite la réalité et dans laquelle apparaissent toutes les sphères imaginables du réel : passé et présent, grandeur et abjection, histoire et fable, tragique et comique, homme et paysage ; elle est enfin l’histoire du développement et du salut d’un individu particulier, Dante, et en tant que telle une a llégorie de la rédemption de l’espèce humaine tout entière. On y rencontre les figures de la mythologie antique, souvent, mais non toujours, présentées sous la forme de démons fantastiques ; des personnifications allégoriques et des animaux symboliques emp runtés à la culture de la fin de l’antiquité et du Moyen – Age ; des anges, des saints et des bienheureux présentés comme porte – paroles de la vérité chrétienne ; Apollon, Lucifer et le Christ, Fortune et Dame Pauvreté, Méduse en tant qu’emblème des cercles p rofonds de l’Enfer ; et Caton d’Utique en tant que gardien du Purgatoire. Mais sous le rapport de la visée au style élevé, rien de cela n’est aussi neuf et problématique que les incursions de Dante dans le domaine de la vie réelle, de la réalité non sélect ionnée et préordonnée selon des normes esthétiques ; et c’est cette approche de la vie réelle qui fit naître toutes ces tournures inhabituelles dans le style élevé, dont la vigueur et la franchise choquèrent le goût classique. En outre, ce réalisme ne se s itue pas à l’intérieur d’une seule action, mais d’une multitude d’actions aux registres très divers et qui se succèdent continuellement.” ( Mimésis , éd. cit., p. 198 – 199)

On est à première vue surpris qu’une oeuvre situant son contenu dans les marges du mon de réel, dont, sauf information contraire, ni l’Enfer, ni le Purgatoire, ni le Paradis ne font partie, puisse être qualifiée de “réaliste”. Mais cette surprise s’atténue lorsqu’on comprend que, tel qu’Auerbach l’interprète, le réalisme de Dante est avant t out un réalisme linguistique, au sens d’un réalisme de la langue qui sert à la représentation davantage encore qu’un réalisme propre aux êtres concernés par cette représentation, êtres qui, dans La Divine Comédie , sont tout sauf ordinaires. De ce point de vue, l’acte révolutionnaire de Dante, qui fait de son oeuvre un tournant dans l’histoire de toute la littérature occidentale, a été la décision d’écrire son épopée didactique en italien courant, initiant ainsi le projet de la grande poésie en langue vulgai re qui repose sur la pratique, comme il le dit lui – même, du vulgare illustre , et créant par là même ce qui sera ensuite pour l’Italie sa langue nationale. Cette révolution a permis de concilier les exigences propres au grand style sublime avec des formes d ’expression empruntées à la langue de tous les jours, d’où découle en particulier l’art de faire parler des personnes dans leur propre langage, qui sera un considérable acquis pour toute la tradition réaliste ultérieure. Dante est en effet parvenu à intégr er les tournures familières, le ton non stylisé du discours spontané de la conversation quotidienne à l’expression des choses les plus élevées, effectuant du même coup, sur le plan de la forme, la synthèse entre sublimité et humilité, synthèse qui est, sel on Auerbach, la clé de son “réalisme” : “L’oeuvre de Dante a permis pour la première fois d’embrasser du regard l’universalité complexe de la réalité humaine. Pour la première fois depuis l’Antiquité, le monde humain se montre librement et de toutes parts, sans limitation de classe, sans rétrécissement du champ visuel, dans une vision qui se tourne de tous côtés sans restriction, dans une perspective qui ordonne d’une manière vivante tous les phénomènes, et dans une langue qui rend aussi bien compte de l’as pect sensoriel des phénomènes que de leur interprétation multiple et de leur agencement.” ( Mimésis , éd. cit, p. 229)

L’esprit de cette synthèse se trouve résumé dans le titre “Divine Comédie”, formule provocante, immédiatement choquante, qui associe dans u n frappant oxymore la référence au haut (le divin) et au bas (la comédie). A ce propos, Auerbach cite un des premiers commentateurs de Dante, Benvenuto di Imola : “Je dis que l’auteur a voulu nommer son livre Comédie à cause de son style bas et vulgaire, q ui est en effet sans élévation en comparaison du latin, bien qu’il soit sublime et supérieur en son genre.” (cité p. 198)

Autrement dit, Dante est l’inventeur d’une nouvelle forme littéraire de sublime, qu’Auerbach caractérise de la façon suivante : “Bien qu’il choisisse Virgile comme guide, bien qu’il invoque Apollon et les Muses, il évite de désigner son poème comme une oeuvre sublime au sens antique ; pour caractériser sa forme propre de sublime, il forge une expression particulière : il poema sacro, al quale ha posto mano e cielo e terra ( Paradis XXV, 2 – 3), le poème sacré auquel le ciel et la terre ont mis la main.”

Cette réunion du ciel et de la terre n’est pas tout à fait une innovation : comme nous l’avons vu, elle était au coeur des écrits testament aires, qui déjà avaient mis à mal la distinction traditionnelle des genres dont l’Antiquité classique avait fait un dogme intangible. Mais, si le “grand code” qu’est la Bible est devenu ensuite l’une des principales références du travail des écrivains, com me l’a démontré le critique américain Northop Frye, et s’il est possible, en lui appliquant le même type d’analyse, de la lire comme un texte littéraire, il reste cependant impossible de la rabattre entièrement sur le plan de la création poétique pure, qui n’est ni son unique, ni sa principale dimension. Et c’est ce qui permet de comprendre en quoi Dante, tout en rejouant l’idée du style mêlé déjà pratiqué dans l’Ecriture Sainte, ouvre une voie nouvelle, en faisant de ce principe une forme adaptée spécifiqu ement à la composition d’un grand poème, devenu l’une des oeuvres phares de la littérature européenne.

Ceci conduit à revenir sur l’idée défendue par Auerbach d’un “réalisme” de Dante. Ce réalisme est d’abord, nous l’avons dit, un réalisme de la langue, basé sur l’intégration des formes vulgaires de l’expression courante au style élevé de la grande déclamation poétique. Mais il ne se réduit pas à cela. Pour le faire comprendre, Auerbach fait référence à une notion, à laquelle il a par ailleurs consacré tout e une étude en 1938 sous le titre Figura (cf. la traduction française de cet essai parue en 2003 aux éditions Macula ; les passages de Figura se rapportant précisément à Dante sont repris dans le recueil des Ecrits sur Dante ). La doctrine de la figure, don t la première élaboration est due aux pères de l’Eglise, en particulier Tertullien, saint Jérôme et saint Augustin, a d’abord permis d’expliquer le lien organique passant entre les deux grands ensembles dont la Bible est constituée, l’Ancien et le Nouveau Testament : avec à l’arrière – plan une thématique de la promesse, elle avance l’hypothèse que le premier est l’annonce, ou la préfiguration de ce dont le second constitue l’accomplissement, selon une forme de liaison qui concerne, non seulement l’ensemble d e ces deux textes, mais tous leurs éléments de détail qui sont susceptibles d’être interprétés dans ce sens; c’est ainsi qu’Adam sera considéré comme la figure dont le Christ est l’accomplissement, Eve comme la figure de l’Eglise, etc. Pascal a accordé la plus grande importance à cette doctrine des figuratifs, et il en a fait la clé de sa propre lecture scripturaire, comme il en a fait aussi l’instrument de son interprétation des comportements humains : on peut dire qu’il propose du divertissement une lectu re figurative, qui permet d’en transposer la signification au – delà de ses manifestations immédiates, dans la perspective propre à ce que nous avons proposé d’appeler une anthropo – théologie.

Voici comment ce principe de la figuration est repris par Dante, q ui en fait l’instrument privilégié de sa création poétique : les morts, que, guidé par Virgile, il rencontre en visitant le monde de l’au – delà, et qui sont les grandes figures de l’histoire humaine, représentent sous une forme exacerbée et magnifiée par le jugement de Dieu, les mêmes êtres qu’ils ont pu être durant leur existence temporelle, où ils n’étaient que des figures en attente de cet accomplissement par lequel ils rejoignent leur essence, à laquelle, une fois installés dans l’au-delà, ils adhérent totalement. C’est ce qui explique que, par delà la mort, et en quelque sorte grâce à elle, ils conservent distinctement leur individualité, sous une forme même plus accusée :

Nous voyons une image intensifiée de l’essence de ces êtres, fixée pour toute l’é ternité dans des dimensions grandioses ; nous voyons les caractères se manifester avec une pureté et une force qui n’auraient jamais été possibles à aucun moment de leur vie terrestre.” ( Mimésis , p. 201) Le rapport de la figure à son accomplissement est do nc un rapport d’intensification, ou d’amplification. Paradoxalement, les morts dont la vision poétique suscite la résurrection paraissent encore plus vivants qu’ils ne l’étaient de leur vivant ; leur personnalité s’impose avec un relief accru ; leur présen ce est écrasante ; ils ne sont pas moins réels, mais plus réels. C’est ce qui donne au récit poétique de Dante son caractère distinctif : son exploration d’un autre monde qui n’est plus le monde des vivants révèle l’essence des êtres telle qu’elle n’était accessible, durant leur existence terrestre, qu’en figure ; elle donne à voir l’accomplissement de ces figures dont elle fixe et élucide la détermination. Et cependant, les figures ainsi révélées à travers leur accomplissement restent les mêmes, telles qu’ en elles – mêmes l’éternité les change serait – on tenté de dire, c’est – à – dire identiques, et même encore plus, si c’est possible, à leur destination telle qu’elle leur a été fixée de manière intemporelle par le plan divin. C’est pourquoi le figurativisme, ain si interprété, loin de se situer à l’opposé d’un réalisme, en constitue au contraire une forme accusée, et peut – on dire l’accomplissement : il charge les êtres réels d’un surcroît de réalité, dans la perspective propre à ce qu’on peut appeler un réalisme f iguratif. Auerbach en tire argument pour substituer à l’opposition du figurativisme au réalisme, opposition qui n’a plus alors de raison d’être, celle du figurativisme au symbolisme ou à l’allégorisme, qui, eux, dépouillent les contenus dont ils s’emparent , de leur réalité, en les métamorphosant d’êtres concrets en êtres abstraits, c’est – à – dire en purs signes. En effet, les figures accomplies qui, telles que les révèle La Divine Comédie , se donnent à voir dans l’empire des morts sont plus concrètes encore, plus incarnées si c’est possible, en tous cas plus saillantes, que ce qu’elles avaient pu être durant leur existence mortelle, où leur vraie nature n’apparaissait que de manière floue, sous des traits hésitants, non encore complètement définis, privés de l a précision implacable dans laquelle les saisit et les fige leur condition de morts où ils sont condamnés à subsister sous une forme inchangée, et ceci quel que soit le lieu de résidence, Enfer, Purgatoire ou Paradis, qui leur soit assigné : “La structure figurative conserve à ses deux pôles – la figure et son accomplissement – les caractères concrets de la réalité historique, à l’inverse de ce qui se passe dans les formes symboliques et allégoriques, de sorte que figure et accomplissement se “signifient” réciproquement, mais que la signification qu’ils contiennent n’exclut aucunement leur réalité. Un événement qu’il y a lieu d’interpréter figurativement conserve son sens littéral, historique. Il ne devient pas un simple signe, il reste un événement.” (Mimésis, p. 205)

C’est cet effet d’intensification du réel résultant de l’opération figurative qui permet en particulier de comprendre que, jusque dans l’Enfer, où sont cantonnés les damnés, donc les réprouvés du jugement de Dieu, Dante rencontre, ce qui est à première vue un paradoxe qui a surpris et même scandalisé ses premiers lecteurs et commentateurs, des êtres d’une écrasante grandeur, qui tirent leur dimension et leur relief du fait que leur existence a enfin rejoint leur essence et du même coup accédé à sa vérité, non pas en étant dépouillés de leur réalité, mais dans un état où leur réalité propre, qui s’élève ainsi à la sublimité, est comme augmentée. C’est ce qui permet également de comprendre qu’un représentant du monde païen, donc un mécréant, comme Caton d’Utique, qu’on s’attendrait à rencontrer en Enfer, soit élevé au rang de gardien du Purgatoire, où il accomplit les caractères dont son existence terrestre avait constitué l’esquisse en attente de son accomplissement.

Ce sont cette amplitude et cett e acuité qui marquent le style de Dante, et permettent de l’incorporer à la tradition réaliste, au sens du grand réalisme, empreint de gravité et de sérieux, qui magnifie tout ce qu’il touche, ce qui est la définition de la haute poésie. L’art de Dante se caractérise par sa capacité à retenir des formes individuelles dans les liens d’une expression élevée qui leur garde, et même multiplie, intensifie ce qui fait leur réalité. Le mouvement des figures tendues vers leur accomplissement, qui littéralement les transfigure, tout en conservant leur identité, permet de saisir les êtres dans ce qu’ils sont en eux – mêmes et non comme les représentants d’autre chose. C’est de cette manière qu’est effectuée l’union du ciel et de la terre, union qui élève jusqu’au ciel l es événements terrestres, en leur conférant leur plénitude de sens : “Dante fait vivre, à l’intérieur du cadre figuratif, l’ensemble de l’histoire universelle et en celle – ci tout homme qui sollicite son inspiration.” (Mimésis , p. 211)

Toutefois, Auerbach conclut son analyse par un retournement qui constitue la plus inattendue des péripéties, et plonge son lecteur dans la stupeur : “Et dans cette sympathie directe et admirative pour l’individu, le principe fondé dans l’ordre divin, de l’indestructibilité de l’être historique et particulier se tourne contre l’ordre divin, qui s’en trouve obscurci ; l’image de l’homme éclipse l’image de Dieu. L’oeuvre de Dante fit une réalité de l’être – chrétien – figuratif de l’homme, et le détruisit par cette réalisation même ; le cadre grandiose se brisa du fait de la puissance bouleversante des images qu’il contenait… Dans cet accomplissement la figure s’émancipe, de sorte que même en Enfer, il y a des âmes qui restent grandes, et qu’au Purgatoire, par le charme d’un poème – d’une oeuvre humaine – quelques âmes oublient un moment le chemin de leur purification.” (p. 211 – 212)

On pourrait dire qu’Auerbach attribue, avant la lettre, à l’entreprise poétique de Dante une dimension faustienne : à force de montrer que sa destination est céleste, elle finirait par reconnaître au monde humain une dimension, une élévation quasi divine, qui l’enracine encore un peu plus dans sa réalité vivante, et, loin de déréaliser celle – ci à l’aide de l’opération de son idéalisation, lui donne un poids de réalité accru.

Du même coup, on comprend pourquoi, aux yeux d’Auerbach, Dante représente le moment de rupture où s’opère le basculement de l’ancien dans le moderne. S’il innove, ce n’est pas seulement en établissant une communication entre le haut et le bas et en pratiquant dans le cadre de la haute poésie en langue vulgaire le style mélangé qui traduit cette communication : car, comme nous l’avons vu, dès l’Antiquité, les productions scripturaires de la religion judéo – chrétienne avaient déjà préparé c ette révolution, qui s’était traduite à travers l’effort de donner aux plus humbles aspects de la réalité une forte charge symbolique permettant de les transposer sur un autre plan. Mais son invention propre consiste surtout dans la mise au point d’un figu rativisme original, qu’on peut appeler un figurativisme concret, devenu un instrument de pénétration du réel, et présentant par là le caractère inverse du mouvement de symbolisation abstraite dont le texte biblique porte inscrites en lui les traces : on pe ut dire qu’au lieu de tourner la terre vers le ciel, il tourne le ciel vers la terre, de manière à en embrasser tous les aspects divers en un tableau d’ensemble, et à éclairer ce qui les caractérise spécifiquement avec un maximum d’intensité. L’effet d’élévation produit par ce moyen consiste non en éloignement mais en un retour : l’utilisation que Dante fait de la procédure figurative, loin de faire oublier le réel de la réalité, et d’amener littéralement à faire une croix dessus, y ramène en plein, et même avec une dimension écrasante de plénitude, d’où résulte l’impression de saisir la totalité du réel et de la faire rentrer dans l’espace d’un unique livre, qui serait le Livre, comme dirait Mallarmé. On pourrait parler à ce propos, dans un langage qui n’es t pas celui d’Auerbach, d’un réalisme de la chose même, qui résout l’alternative entre essence et existence.

Cette lecture de Dante, en même temps qu’elle met en valeur le caractère grandiose de son entreprise, en fait aussi comprendre la fragilité, liée à ce qu’elle comporte d’unique, donc d’inimitable, qui en fait à la fois la force et la faiblesse : “Dans la Comédie de Dante, l’interprétation figurative chrétienne avait donné le jour à un réalisme humain et tragique, et en même temps elle s’était détruite elle – même. Mais du même coup le réalisme tragique se perdit également.” (Mimésis , éd. cit. p. 241)

Le réalisme de Dante est un réalisme paradoxal, reposant sur un retournement ou une inversion de l a procédure figurative qui permet, en en développant toutes les conséquences, de la mettre au service d’une représentation globale du réel : mais c’est précisément par le biais de cette globalisation qu’elle entre en opposition à elle – même, par excès davan tage que par défaut. Trop de réalité tue le réel : et c’est pourquoi l‘opération menée par Dante, tout en étant exemplaire, est restée sur le moment sans suite.

Tout se passe donc comme si la tentative d’édifier un réalisme dans le cadre d’un livre, ou plutôt du livre, sur tout, avec les effets d’intensification et d’amplification qui en sont le corrélat, avait d’un seul coup, avec Dante, épuisé l’essentiel de ses virtualités. Et, de fait, après lui, l’histoire de la mimésis telle qu’Auerbach la reconstitue suit une trajectoire incertaine, marquée en particulier, au cours du XVIIe siècle, par le retour en force de la doctrine antique de la séparation des styles, qui conduit le classicisme français à porter sur le monde terrestre de la vie courante ce que Thomas Pavel appelle un “regard éloigné”, tellement éloigné qu’il semble l’avoir complètement perdu de vue, sauf à le réinscrire occasionnellement dans la perspective comique propre au genre bas. Et il faudra attendre d’autres temps pour que, avec la remise en question sur le fond des modèles politiques, sociaux et culturels hérités de la féodalité, se mette en place le système cohérent d’un nouveau réalisme, rentrant sous la catégorie de “réalisme sérieux”, dont le programme est tracé par Balzac dans une le ttre à Mme Hanska du 26 octobre 1834 :

“Les Etudes de moeurs représenteront tous les effets sociaux sans que ni une situation de la vie, ni une physionomie, ni un caractère d’homme ou de femme, ni une manière de vivre, ni une profession, ni une zone social e, ni un pays français, ni quoi que ce soit de l’enfance, de la vieillesse, de l’âge mûr, de la politique, de la justice, de la guerre ait été oublié. Cela posé, l’histoire du coeur humain tracée fil à fil, l’histoire sociale faite dans toutes ses parties, voilà la base. Ce ne seront pas des faits imaginaires ; ce sera ce qui se passe partout.”

En énonçant ce programme, Balzac rejoue d’une certaine façon le projet d’écrire un livre, ou le livre, sur tout ; et, en choisissant, pour intituler ce gigantesque e nsemble, une expression, “la Comédie Humaine”, qui, à la fois rime avec celle de Dante, et en transpose le contenu sur un autre plan, où sa dimension “divine” est effacée, et où ses aspects profanes, strictement humains, sont au contraire privilégiés, il se place dans sa filiation et en même temps la subvertit : il reprend l’idée d’une représentation globale, et globalisante, de la réalité humaine à laquelle il applique des modèles empruntés, par l‘intermédiaire de Geoffroy Saint-Hilaire, à l’étude des espè ces naturelles, mais il la transporte de la considération de l’exceptionnel, prédominante chez Dante, vers celle du banal, de l’ordinaire, du commun, ce qui n’avait jamais été tenté avant lui, du moins sous cette forme sérieuse. “Ce ne seront pas des faits imaginaires ; ce sera ce qui se passe partout” ; cette formule de la lettre à madame Hanska suggère à Auerbach le commentaire suivant :

“Cela signifie que l’invention ne puise pas sa matière dans l’imagination mais dans la vie réelle telle qu’elle se prés ente en tous lieux. A l’égard de cette vie multiple, saturée d’histoire, crûment représentée dans ses aspects quotidiens, pratiques, triviaux et laids, Balzac adopte une attitude analogue à celle qu’avait déjà Stendhal : il la prend au sérieux, et même au tragique, sous cette forme réelle – quotidienne – historique. Depuis que s’était imposé le goût classique, une pareille attitude ne s’était rencontrée nulle part, et même auparavant le réalisme n’avait jamais été aussi pénétré d’éléments pratiques et historiqu es, jamais il n’avait rendu compte à tel point de l’homme social. Depuis le classicisme et l’absolutisme français, le traitement de la réalité quotidienne n’était pas seulement devenu beaucoup plus timide et conventionnel : l’attitude même des écrivains à son égard leur interdisait d’en relever les aspects tragiques et problématiques… Un sujet tiré de la réalité pratique pouvait être traité sur un mode satirique, comique ou didactico – moral, certains sujets ressortissant à certains domaines déterminés et l imités de la vie quotidienne contemporaine pouvaient se hausser jusqu’au niveau stylistique intermédiaire du touchant ; mais il ne leur était pas permis de franchir cette frontière…” ( Mimésis , éd. cit., p. 476)

Cet interdit étant levé, il semble que soit définitivement surmontée la contradiction installée au départ de l’histoire de la mimésis entre les styles représentationnels mis en oeuvre par les poèmes homériques et l’Ancien Testament, qui s’inscrivent dans le cadre de “mondes formels” radicalement a lternatifs l’un de l’autre, et que la trajectoire suivie par cette histoire ait enfin atteint son terme, au moment où l’idée du réalisme est elle-même explicitement théorisée, et proposée comme modèle au travail des écrivains. Cependant une difficulté subsiste. Donner pour objectif à la création littéraire de représenter, comme l’écrit Balzac, “ce qui se passe partout”, lui assigner pour but de restituer la vie réelle telle qu’elle se présente en tous lieux, sans exclusive, et par là même poser les jalons d ’une écriture du quotidien, n’est – ce pas la plonger dans l’incertitude et le vague en s’ôtant les moyens ou en s’interdisant de déterminer précisément le contenu assigné à cette “réalité”, cadre qui, du fait d’être trop plein, risque à terme de se révéler vide ? Prétendre faire rentrer la réalité tout entière dans les limites d’une composition littéraire, n’est – ce pas s’exposer à l’irréaliser en en noyant les contours à l’aide la catégorie abstraite de totalité qui, si elle permet de ratisser large, n’y par vient qu’en ouvrant une place à la considération du n’importe quoi, de l’indéterminé, du quelconque, c’est – à – dire du rien, ou du moins du presque rien ? Et si l’écriture du quotidien consiste dans la mise en forme du presque rien, quelle est au juste la limite qui permet d’assigner à ce “presque” des contours un peu définis, à l’intérieur desquels il ne soit pas tout à fait rien ?

C’est de cette manière que, par une sorte de retournement dialectique, le projet du livre sur tout débouche sur celui du livre s ur rien, qui en est en quelque sorte l’aboutissement logique. Nul mieux que Baudelaire, dans son article, “ Madame Bovary par Gustave Flaubert”, publié en 1857, repris dans L’art romantique (chap. XVII), n’a restitué la nécessité de cet enchaînement : “Depuis quelques années, la part d’intérêt que le public accorde aux choses spirituelles était singulièrement diminuée ; son budget d’enthousiasme allait se rétrécissant toujours. Les dernières années de Louis – Philippe avaient vu les dernières explosions d’un esprit encore excitable par les jeux de l’imagination ; mais le nouveau romancier se trouvait en face d’une société absolument usée, – pire qu’usée – , abrutie et goulue, n’ayant horreur que de la fiction, et d’amour que pour la possession. Dans des conditions semblables, un esprit bien nourri, enthousiaste du beau, mais façonné à une forte escrime, jugeant à la fois le bon et le mauvais des circonstances, a dû se dire : “Quel est le moyen le plus sûr de remuer toutes ces vieilles âmes ? Elles ignorent en réalité ce qu’elles aimeraient ; elles n’ont un dégoût positif que du grand ; la passion naïve, ardente, l’abandon poétique les fait rougir et les blesse. – Soyons donc vulgaire dans le choix du sujet, puisque le choix d’un sujet trop grand est une impertinen ce pour le lecteur du XIXe siècle. Et aussi prenons garde à nous abandonner et à parler pour notre compte propre. Nous serons de glace en racontant des passions et des aventures où le commun du monde met ses chaleurs ; nous serons, comme dit l’école, objec tif et impersonnel. Et aussi, comme nos oreilles ont été harassées dans ces derniers temps par des bavardages d’école puérils, comme nous avons entendu parler d’un certain procédé littéraire appelé réalisme , – injure dégoûtante jetée à la face de tous les analystes, mot vague et élastique qui signifie pour le vulgaire, non pas une méthode nouvelle de création, mais une description minutieuse des accessoires – nous profiterons de la confusion des esprits et de l’ignorance universelle. Nous étendrons un style nerveux, pittoresque, subtil, exact, sur un canevas banal. Nous enfermerons les sentiments les plus chauds et les plus bouillants dans l’aventure la plus triviale. Les paroles les plus solennelles, les plus décisives, s’échapperont des bouches les plus sottes…”

Ce diagnostic ambigu, qui témoigne de la fascination et de la répulsion éprouvée par Baudelaire devant la tentative de Flaubert, dont il perçoit l’originalité, ramène celle-ci à une stratégie concertée, véritable politique de l’écriture, liée à un e conjoncture historique déterminée, dont l’un des effets est la mise en oeuvre d’un nouveau système de représentation du quotidien, une fois liquidé le privilège que la littérature du romantisme avait continué à accorder aux grands sujets, en pratiquant à leur égard la confusion du sublime et du grotesque. Dans les faits, les choses se sont bien passées à peu près de cette manière : c’est éprouvé par l’échec, en 1849, de sa première Tentation de Saint Antoine , qui était encore à sa manière l’essai d’un livre sur tout, issu de l’intention de faire le tour des vésanies et des délires inspirés par l’imagination religieuse sous toutes ses formes, que Flaubert s’est résigné, suivant le conseil qui lui avait été donné par son ami Louis Bouilhet, à prendre le contre-pied de sa démarche initiale et à composer un roman sur un sujet banal tiré de la vie courante, projet dont la lettre à Louise Colet du 16 janvier 1852 donne la formulation emblématique : “Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c’est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui – même par la force interne de son style, comme la terre sans être soutenue se tient en l’air, un livre qui n’aurait presque pas de sujet ou du moins où le sujet serait presque invisible, si cela se peut. Les oeuvres les plus belles sont celles où il y a le moins de matière ; plus l’expression se rapproche de la pensée, plus le mot colle dessus et disparaît, plus c’est beau. Je crois que l’avenir de l’Art est dans ces voies. Je le vois, à mes ure qu’il grandit, s‘éthérisant tant qu’il peut, depuis les pylônes égyptiens jusqu’aux lancettes gothiques, et depuis les poèmes de vingt mille vers des Indiens jusqu’aux jets de Byron. La forme, en devenant habile, s’atténue ; elle quitte toute liturgie, toute règle, toute mesure ; elle abandonne l’épique pour le roman, le vers pour la prose ; elle ne connaît plus d’orthodoxie et est libre comme chaque volonté qui la produit. Cet affranchissement de la matérialité se retrouve en tout et les gouvernements l’ont suivi, depuis les despotismes orientaux jusqu’aux socialismes futurs. C’est pour cela qu’il n’y a ni beaux ni vilains sujet et qu’on pourrait presque établir comme axiome, en se posant au point de vue de l’Art pur, qu’il n’y en a aucun, le style étant à lui tout seul une manière absolue de voir les choses.”

On constate qu’en se proposant d’écrire un livre sur rien, Flaubert ne renonce nullement à faire oeuvre d’art, et ne cherche pas à soustraire la littérature à la sujétion de l’esthétique et à en fa ire une sorte de sociologie appliquée. Au contraire, il y voit un moyen de réduire la place de la matière, qui au mieux l’indiffère, et au pire l’indispose tant elle est “bête”, pour en faire une plus grande à la forme, c’est – à – dire au style, cette “manière absolue de voir les choses”, la seule chose qui l’intéresse en tant qu’artiste. De ce point de vue, le réalisme flaubertien ne doit surtout pas être interprété dans le sens d’une réhabilitation de la réalité ordinaire, appuyée sur le goût ou l’attrait qu ’elle lui inspirerait, mais il résulte au contraire de son rejet : s’il choisit de revenir vers cette réalité, c’est pour recenser son déclin, en application du précepte selon lequel “tout doit disparaître”. Son réalisme est foncièrement négatif et répulsif, et il ouvre par là directement la voie à la théorie mallarméenne de l’écriture pure, celle – ci réduisant à quelques battements d’éventail l’évocation du réel de tous les jours, annihilé par le grand drame du coup de dés qui, n’abolissant pas le hasard, d u même coup dévalorise les redites vulgaires de la banalité commune et les déclare une fois pour toutes hors propos et forcloses.

Comment concilier ce mépris du quotidien, cette disqualification de principe dont il fait l’objet, avec la décision de le prendre au sérieux et de lui rendre justice ? Il y a là indiscutablement une anomalie. Pour y voir plus clair à ce sujet, il faut aller regarder de plus près sur pièces, de manière à mieux comprendre comment, dans le cadre propre au livre sur rien, avec le projet esthétique qui le soutient, joue une écriture du quotidien, avec les agencements particuliers qui en conditionnent le fonctionnement.

Pour procéder à cet examen, reprenons le paragraphe du roman de Flaubert auquel Auerbach consacre lui – même une analyse stylistique détaillée : “Mais c’était surtout aux heures des repas qu’elle n’en pouvait plus, dans cette petite salle au rez – de – chaussée, avec le poêle qui fumait, la porte qui criait, les murs qui suintaient, les pavés humides ; toute l’amertume de l’existence lui semblait servie sur son assiette, et, à la fumée du bouilli, il montait du fond de son âme comme d’autres bouffées d’affadissement. Charles était long à manger ; elle grignotait quelques noisettes, ou bien, appuyée du coude, s’amusait, avec la pointe de son couteau, de faire des raies sur la toile cirée.”

Cette évocation déprimante d’une scène banale de la vie courante est destinée, c’est sa fonction dans l‘enchaînement de la narration, à faire matériellement saisir au lecteur la profonde déception éprouvée par Emma à la suite de son mariage avec Charles Bovary dont, comme dans la plupart des expériences qu’elle fera plus tard, elle attendait toutes sortes de merveilles, auxquelles le contact des faits a opposé un brutal démenti, ce qui, au terme du roman, l’acculera à une issue fatale. Il est manifeste que Flaubert a composé les quelques lignes dans lesquelles cette évocation est concentrée avec un soin extrême, à la manière d’une sorte de poème en prose dont le thème serait l’ennui, et qui est ordonné autour d’une formule saisissante, voire même osée, à la limite de l’incongruité : “Toute l’amertume de l’existence lui semblait servie sur son assiette”. Est ainsi mise en oeuvre l’intention d’exposer dans une forme parfaitement étudiée et travaillée une réalité qui, c’est le moins qu’on puisse dire, n’est pas satisfaisante, donc de traiter un sujet bas dans un style élevé, raffiné, qui le pénètre à fond et le restitue en totalité. Et ce déroutant contraste est destiné à produire un effet d’art particulier, qui pourrait faire penser à l’exploitation irritante et excitante de l’effet de sweet sour dans la cuisine extrême – orientale.

Plus précisément, l’objectif principal poursuivi dans ce paragraphe est de restituer un paysage mental, ce qui se pas se dans l’esprit d’Emma, résumé à travers la formule initiale “elle n’en pouvait plus”, en le mettant en corrélation avec un cadre factuel et les événements qui s’y déroulent rituellement : le repas de midi pris en commun dans une cuisine miteuse, où de fa des nourritures sont servies sur une table sans nappe, tout un ensemble de détails convergents et nauséeux, qui littéralement coupent l’appétit. Est mis en évidence, à partir de là, le contraste entre les attitudes des deux protagonistes de la scène représentée, le mari, qui ne se rend compte de rien, et mastique pesamment, et son épouse, qui, crispée, attend que soit enfin passé ce moment désagréable, qui résume toutes ses déceptions de femme mariée, et, commence – t – elle à se dire, mal mariée, par là condamnée à rester enfermée dans un cadre de vie qu’elle ne supporte pas. Ces deux thèmes ne sont cependant pas exactement sur le même plan, et la manière dont les phrases sont composées et se suivent est destinée à subordonner le second au premier : “Il n’y a pas deux personnes à table, et en face le lecteur qui les considère ; le lecteur voit d’abord Emma…, et c’est seulement à travers ses yeux qu’il aperçoit la scène. Il ne voit directement que l’état d’âme d’Emma ; il voit indirectement, à travers cet état d’âme, à la lumière de ce que ressent Emma, ce qui se passe à table.” (Mimésis , éd. cit., p. 479)

Est ainsi réalisée, par le moyen de l’écriture, une extraordinaire combinaison de subjectif et d’objectif, qui révèle ce qui constitue en dernière instance l’ essence même du quotidien, à savoir qu’il est fait de choses perçues et d’états d’âme plus ou moins clairement formulés, percepts et affects mêlés entre eux, et dont la confusion ne peut être démêlée. En lisant ces lignes nous voyons le mari à travers le regard de sa femme, regard qui le métamorphose en un élément du décor sordide dont il paraît être l’émanation, comme une chose à côté des autres ; mais en même temps, l’alchimie du verbe nous fait aussi contempler ce regard, non toutefois en nous identifiant immédiatement à son point de vue subjectif, mais en faisant de lui également une chose vue, un élément objectivé du décor dans lequel il se noie, et dont il ne peut être détaché, se trouvant ainsi à son égard dans une étrange et peu confortable position de dedans – dehors, position tordue que nous sommes amenés nous – mêmes à partager. Autrement dit, Flaubert écrivain fait exprimer par l’intermédiaire de son personnage, Emma, quelque chose qu’elle ressent indistinctement, mais qu’elle serait elle – même incapable de formuler, du moins de cette façon, ce qu’Auerbach résume de la manière suivante : “Elle est vue en tant qu’elle voit” (p. 480). Les notations “le poêle qui fumait, la porte qui criait, les murs qui suintaient, les pavés humides”, c’est l’auteur qui l es a choisies en vue de rendre sensible au lecteur ce qui se passe dans l’esprit d’Emma, mais ce n’est pas elle qui les énonce à la première personne ; la formule qui a été isolée pour commencer, “toute l’amertume de l’existence lui semblait servie sur son assiette”, est avancée au nom d’Emma, mais elle n’est pas prononcée par elle, ce dont, selon Auerbach, elle serait bien incapable, car elle n’y voit pas suffisamment clair en elle – même pour dire de cette façon, avec des mots appropriés, ce qu’elle éprouve, et cette incapacité est d’ailleurs l’un des éléments déterminants de sa situation existentielle.

L’écriture littéraire parvient donc à effectuer une radiographie du quotidien, à travers la mise en ordre des impressions qui le restituent en donnant le sentiment de le voir à la fois de près et de loin, dans la proximité de l’éloignement ou dans l’éloignement de la proximité, au point de vue d’un auteur qui suit avec attention les événements dont il rend compte tout en s’absentant lui – même, non seulement de leur déroulement, mais de la relation qu’il en propose, puisqu’il se garde soigneusement de les commenter, de prendre position à leur sujet, se contentant de laisser place à l’évocation d’une réalité nue, à la fois objectivée et subjectivée, qui est censée parler d’elle – même de par la puissance des mots et de leur arrangement, tel qu’il est effectué par le moyen du style : “Le rôle de l’écrivain se borne à sélectionner les événements et à les traduire en mots, avec la conviction que, s’il réussit à l’exprimer purement et totalement, tout événement s’interprétera parfaitement de lui – même ainsi que les individus qui y prennent part, que cette interprétation sera bien meilleure et plus complète que les opinions et les jugements qu i pourraient s’y associer. C’est sur cette conviction, sur la profonde confiance en la vérité de la langue lorsqu’elle est utilisée d’une manière scrupuleuse, probe et exacte, que repose la pratique artistique de Flaubert.” (Mimésis , éd. cit., p. 481)

Cette foi dans le pouvoir propre des mots, sous condition qu’ils soient convenablement choisis et ordonnés, qui place l’auteur dans la position d’un véritable créateur ou recréateur des choses qu’il représente, est, selon Auerbach, “mystique” (p. 482) : “L’écrivain se satisfait entièrement de son objet ; il s’oublie, son coeur ne lui sert plus qu’à sentir celui des autres, et lorsque, au moyen d’une patience fanatique, cette condition est remplie, l’expression parfaite, qui appréhende à la fois pleinement l’objet et le juge impartialement, se présente d’elle – même ; les choses sont vues comme Dieu les voit, dans leur particularité véritable.” (Mimésis , éd. cit., p. 482)

Le paradoxe tient à ce que la réalité ainsi reconstituée est celle d’un monde incréé, désespérant et faux, parfaitement inauthentique, dont aucun de ceux qui s’y trouvent englués ne parvient à une réelle prise de conscience de la situation qu’il y occupe, ce qui serait la condition pour qu’il puisse modifier cette situation : “Chacun est seul, personne ne comprend son prochain ni ne peut l’aider à voir plus clair. Il n’y a pas de communauté humaine, car celle – ci ne pourrait naître que si beaucoup d’entre eux trouvaient le chemin de leur propre réalité, de la réalité qui est donnée à l’individu, et qui deviendrait du même coup l’authentique réalité commune à tous. Sans doute les hommes se rencontrent – ils pour leurs affaires ou leurs plaisirs, mais de telles rencontres n’amorcent pas une communauté ; elles sont ridicules, pénibles, grevées de malentendus, de vanités, de mensonges et de haines stupides. Mais que pourrait être le monde, le monde la “sagesse” ? Flaubert ne nous le dit jamais ; dans son roman le monde n’est fait que de sottises sans rapport avec la réalité vraie, si bien que celle-ci semble en être absente. Elle y a place néanmoins, elle réside dans la langue de l’écrivain qui démasque la sottise en se bornant à la décrire. La langue sert donc de critère pour dénoncer la sottise, et là elle participe à cette réalité de la “sagesse”, qui ne se manifeste d’aucune autre manière dans ce livre.” (Mimésis , éd. cit., p. 484 – 485)

Utilisée comme un instrument, la langue sert à reproduire l’inanité des choses, leur suc qu’elle en extrait et qu’elle recrache après l’avoir digéré, sous une forme vraie qu i en dénonce la fausseté, le caractère à la fois inéluctable et insupportable, c’est – à – dire, pour reprendre un thème artistique que Flaubert n’a pas lui – même inventé, la vanité. Une telle attitude se situe à l‘opposé de celle du réalisme figuratif qu’Auerb ach trouve à l’oeuvre chez Dante : il ne s’agit plus de créer les conditions pour que l’existence des choses rejoigne enfin leur essence, car elles ne sont que des existences factuelles privées d’essence. Le quotidien, c’est en quelque sorte l’existence pure, à laquelle une dimension essentielle fait définitivement défaut : il reviendra à Sartre, dans La Nausée , d’exploiter cette veine.

Dans ces conditions, qu’est – ce que prendre la réalité quotidienne au sérieux ? C’est faire objectivement apparaître, par l a seule force des mots, le poids d’incertitude et d’insignifiance dont elle est chargée, et ainsi mettre à nu son peu de réalité, son vide profond. C’est percer son énigme en révélant que son mystère ne cache rien, et que, derrière sa surface insipide, aucun sens consistant ne se dissimule qu’un peu de charitable attention ferait revenir au jour : cette réalité quotidienne, qui se situe à l’intersection improbable de mille drames secrets ou de minuscules histoires de vie, qui se recoupent sans parvenir à véritablement se rencontrer, existe seulement comme le résultat de cet entrecroisement, dont le travail de l’écrivain dénoue et renoue les fils de manière à en faire un ensemble dont la cohérence est purement verbale. C’est donc faire comprendre que le mot “ quotidien” désigne quelque chose qui n’existe pas en réalité, en dehors de ce qu’on peut en dire à l’occasion, ce qui est la raison pour laquelle il s’avère insaisissable, et se dérobe définitivement à tout effort de célébration empathique.

Le sérieux de la représentation mimétique consiste alors dans l’attention soutenue à une réalité qu’elle voit en quelque sorte se défaire sous ses yeux, et dont elle fixe savamment dans ses phrases la décomposition, sans que ce mouvement d’auto – destruction comporte aucu ne promesse de restauration ou de rénovation. Au moment où Flaubert a écrit Madame Bovary , entre 1852 et 1856, la pensée de Schopenhauer n’était pas encore introduite en France, et en conséquence il n’est pas permis de soutenir qu’il en a subi l’influence : mais on peut estimer, en sens inverse, que, par son travail d’écrivain, il a contribué à préparer l’introduction de cette pensée, qui s’effectuera massivement après 1870, en imprégnant une grande partie de la production artistique et intellectuelle en France jusqu’à la fin du XIXe siècle, où cette influence commencera à être supplantée par celle de Nietzsche. Or l’une des composantes essentielles du schopenhauerisme, base à la fois de sa morale et de son esthétique, est le recours à la pitié, le seul sent iment vrai qui trouve encore sa place dans un monde habité et déserté par les jeux de la volonté et de la représentation. Flaubert, dont la position déclarée est celle du sérieux objectif, qui lui interdit à l’égard de la réalité qu’il entend restituer sur le plan de la littérature pure toute velléité d’intervention, que cette intervention prenne une forme morale, éventuellement satirique, de dénonciation, ou qu’elle préconise une active transformation révolutionnaire de cette réalité, ouvre peut – être la vo ie à ce qu’on pourrait appeler un réalisme compassionnel, qui amène à prendre morbidement sa part des souffrances du quotidien dont le contact gluant est cependant épargné par la mince pellicule de ses formations verbales qui protège de la tentation d’une saisie plus rapprochée, ce qui serait la condition pour que soit porté sur lui un jugement. Dans un monde auquel toute perspective de salut est refusée, et dont la providence divine s’est définitivement absentée, ne se donne plus à entendre que la plainte, le long gémissement de la créature qui se sait abandonnée, délaissée, déjetée davantage encore que rejetée, livrée à ses propres forces, alors qu’elle est sans force, inutile, irrécupérable, vouée au néant qui est son ultime vérité. Il est sans doute poss ible de lire dans ce sens l’histoire de Félicité, “Un coeur simple”, le premier des Trois Contes , qui représente un aboutissement de l’art de Flaubert, du moins dans la veine inaugurée par Madame Bovary et ensuite poursuivie avec L’éducation sentimentale . Ayant reconnu le temps des héros une fois pour toutes révolu, la littérature n’a plus alors qu’à se consacrer à la représentation du quotidien, ou de ce que Malraux a appelé “l’homme précaire”, lui qui, cependant, avait à un certain moment cru que la litté rature pouvait être à nouveau consacrée à la célébration d’actions révolutionnaires héroïques.

À ce point de vue, passer le quotidien au crible de l’écriture, c’est en effectuer une radicale déstructuration ou déconstruction qui fait l’impasse sur toute possibilité de reconstruction : c’est lui dénier la possibilité de revendiquer un sens, que celui – ci soit immanent ou transcendant ; c’est également le vider de toute substance, en l’éparpillant en une poussière d’événements plus ou moins aléatoires. Ce travail de déstructuration est poussé jusqu’à ses dernières conséquences dans les productions du roman contemporain étudiées par Auerbach dans le dernier chapitre de Mimésis . Celui – ci prend appui sur une étude de l’oeuvre de Virginia Woolf, où le rapport de l ’insignifiant et du signifiant, au sens de l’important, est complètement inversé, puisque ce sont les incidents infimes de la vie courante qui forment la trame de la narration, alors que les événements marquants qui devraient en justifier la progression, sont ignorés, ou rejetés à l’arrière – plans, au point de passer souvent inaperçus. Selon Auerbach, cette tendance serait devenue dominante dans l’ensemble de la production romanesque du XXe siècle : “L’accent est déplacé ; beaucoup d’écrivains relatent pour eux-mêmes des événements sans importance et sans influence sur la destinée de leurs personnages, ou plutôt ils les utilisent comme points de départ pour développer leurs thèmes, pour créer des perspectives au sein d’un milieu, ou d’une conscience, ou d’un arrière – plan historique ; ils ont renoncé à représenter l’histoire de leurs personnages avec la prétention d’être complets, en respectant l’ordre chronologique et en mettant l’accent sur les tournants extérieurs de leur destinée… On accorde une moindre importance aux grands événements extérieurs et aux coups du sort, on les estime moins capables de révéler quelque chose d’essentiel au sujet de l’objet considéré ; on croit en revanche que n’importe quel fragment de vie, pris au hasard, n’importe quand, contient la totalité du destin et qu’il peut servir à le représenter. On a plus de confiance dans des synthèses obtenues par l’approfondissement d’une circonstance quotidienne que dans un traitement global, ordonné chronologiquement, qui suit son objet du commencement à la fin, s’efforce de ne rien omettre d’extérieurement important et met en relief les grands tournants de la vie pour en faire les articulations de l’intrigue “ (Mimésis , éd. cit., p. 542 – 543)

En majorant à l’extrême l’importance du quotidien on en est arrivé à pulvériser tout effort de logique narrative. C’est l’infinitésimal de la vie qui est devenu la clé de son interprétation, ou plutôt de la multiplicité de ses interprétations possibles, étant reconnue l’impossibilité d’en faire rentrer tous les aspects dans un unique cadre rigidement défini, une fois pour toutes fixé et délimité. La prise de conscience du quotidien implique alors, à l’inverse d’une concentration ou d’une homogénéisation, une dispersion des intérêts, dont l’irréductible diversité devient l’élément caractéristique de l’ordre humain. Comme dit Pascal, c’est la grandeur de l’homme d’avoir fondé sur la concupiscence un si bel ordre : ordre fait du désordre des situations entrecroisées en l’absence d’une ligne réelle de convergence qui les unifierait. Le commun et le divers sont alors les deux faces d’une même réalité qui se dérobe à une saisie frontale, qui permettrait d’en faire le tour.

Ecrire le quotidien, c’est de ce point de vue creuser les soubassements de l’existence jusqu’à parvenir, en traversant les couches de l’ordinaire, à ce que, en combinant les démarches de Sarraute et de Pérec, on pourrait appeler les tropismes de l’infraordinaire, en aboutissement d’un mouvement dont Auerbach décèle déjà la forme aboutie chez Virginia Woolf : “Mettre l’accent sur la circonstance insignifiante, quelconque, la traiter pour elle-même, sans la faire servir à un ensemble concerté d’actions ; du même coup quelque chose d’entièrement neuf et d’élémentaire se révèle à notre esprit : la rich esse de réalité et la profondeur de vie de chaque moment auquel nous nous abandonnons sans arrière-pensées. Ce qui se produit en un tel moment – qu’il s’agisse d’événements intérieurs ou extérieurs – concerne très personnellement les individus qui le vivent, mais aussi ce qu’ils ont de commun et d’élémentaire. C’est précisément l‘instant quelconque qui possède une relative indépendance à l’égard des idéologies contestées et précaires au sujet desquelles les hommes luttent ou désespèrent : il s’écoule en des sous d’elles, en tant que vie quotidienne.“ (Mimésis , éd. cit. p. 547 – 548)

Si on suit Auerbach, on voit donc que cette démarche aboutit, au terme d’un nouveau retournement, à une requalification du quotidien, sur lequel Flaubert se contentait, en exploitant la magie du verbe, de porter un regard désenchanté, cumulant les avantages de la proximité et de l’éloignement. L’idée que suggère Auerbach au terme de son parcours des formes de la mimésis dans la littérature occidentale est à peu près la suivante : la représentation sérieuse de la vie courante tend vers une vision égalisée, tendanciellement démocratique de la réalité, qui, en abolissant définitivement la distinction du haut et du bas, assure du même coup la promotion d’une certaine médiocrité, condition commune à tous, à laquelle il serait vain de prétendre échapper. Tous égaux devant le quotidien : nous voici donc renvoyés pour finir du côté d’une célébration du quotidien, dont il devient légitime d’attendre qu’il donne un nouveau sens à la vie, au lieu de la vider de sa substance. Auerbach note cependant le fond d’amertume et de résignation sur lequel ressort cette célébration, en particulier dans l’oeuvre de Woolf. Ceci soulève la question suivante, sur l’évocation de laquelle on terminera cette brève revue des figures du réalisme en littérature : la littérature, avec les moyens spécifiques dont elle dispose, est – elle aujourd’hui en mesure de prendre au sérieux le quotidien autrement que dans la forme d’un réalisme compassionnel, avec la dimension implicite de déploration morose et de fatalisme que celui-ci comporte ?

Voir encore:

L’émergence du peuple selon Auerbach
Anne-Marie Chartier, maître de conférences, service d’histoire de l’éducation, Institut national de recherche pédagogique (INRP/ENS-Paris).

Professeur de philologie romane à Marburg, Erich Auerbach (1892-1957) est destitué de sa chaire par les lois antisémites en 1935. Exilé à Istanbul avant de gagner les États-Unis, sans autres livres disponibles que les « classiques », il y écrit Mimésis, essai de synthèse magistral sur l’histoire de la littérature occidentale, vouée d’après lui à représenter la « réalité » par l’écriture et donc à y faire exister le peuple. Ce livre paru en 1946 à Berne, aussitôt traduit en anglais, devient une référence des études de littérature comparée et permet à Auerbach de trouver un poste à Yale en 1950. Traduit en français en 1968, sa réception n’est pas facilitée par la vague structuraliste. Les extraits qui suivent sont tirés du chapitre II qui compare trois textes du premier siècle de notre ère : le roman « réaliste » de Pétrone (Le Festin de Trimalcion), le récit par Tacite du soulèvement des légions de Germanie et le récit du reniement de Pierre dans l’évangile de Marc.

«Dans la littérature moderne, toute personne, quels que soient son caractère et sa position sociale, tout événement, qu’il appartienne à la légende, à la haute politique ou à la vie domestique, peut être représenté comme une réalité sérieuse, problématique et tragique, et le plus souvent se trouve effectivement représenté sous cette forme. Mais ceci est complètement impossible dans l’Antiquité. Il existe certes, dans la poésie pastorale ou amoureuse, quelques formes intermédiaires, mais dans l’ensemble la règle de la séparation des styles maintient son empire et demeure inviolée : tout ce qui est vulgairement réaliste, le quotidien tout entier, ne supporte qu’une représentation comique ; on n’en doit pas approfondir les problèmes virtuels. Un tel principe fixe d’étroites limites au réalisme, et on peut dire, en prenant le mot réalisme en un sens plutôt strict, qu’il ôtait à la littérature toute possibilité de prendre au sérieux les métiers et les états de la vie quotidienne – commerçants, artisans, paysans, esclaves –, le décor de la vie quotidienne – maison, atelier, boutique, champ –, les circonstances de la vie quotidienne – mariage, naissance d’un enfant, travail, nourriture –, bref de prendre au sérieux le peuple et la vie du peuple. » (p. 42)

« Au contraire, [le mélange des styles] caractérise dès l’origine les écrits judéo-chrétiens [suit le récit commenté du reniement de Pierre dans l’évangile de Marc].

Une figure tragique d’une telle origine, un héros si faible mais qui puise sa force dans sa faiblesse même, un tel va et vient du pendule, est incompatible avec le style élevé de la littérature classique gréco-romaine. (…)

Du même coup, les conventions stylistiques de l’Antiquité disparaissent car il est impossible de représenter autrement qu’avec le plus grand sérieux l’attitude de chacun des individus qui se voient impliqués dans le mouvement ; tel pêcheur parmi les autres, ou tel publicain, ou tel jeune homme riche, telle Samaritaine ou telle femme adultère, chacun et chacune pris dans sa vie de tous les jours, se trouvent confrontés directement à la personne de Jésus, et l’attitude de chacune de ces personnes à ce moment précis est nécessairement une chose tragique. La règle stylistique de l’Antiquité, pour laquelle la représentation réaliste, la description de la vie quotidienne ne pouvaient relever que de la comédie (ou au mieux de l’idylle) est par conséquent incompatible avec la représentation de forces historiques dès que celle-ci s’efforce de rendre les choses concrètement. Car alors, elle est contrainte de descendre dans les profondeurs de la vie quotidienne du peuple, elle est dans l’obligation de prendre au sérieux ce qu’elle y rencontre, tandis qu’à l’inverse, la règle stylistique ne peut subsister que là où on renonce à rendre concrètement les forces historiques, où on n’éprouve même pas le besoin d’en tenir compte. Il va de soi que dans les écrits évangéliques cette prise de conscience de forces historiques revêt un caractère parfaitement « non scientifique » ; elle se réduit à des faits concrets et ne les dépasse pas à l’aide de concepts qui systématiseraient des expériences.

Néanmoins, quelle que soit la nature du mouvement que les récits évangéliques ont introduit dans l’historiographie, l’essentiel réside en ceci : que les couches profondes qui restaient immobiles aux yeux des observateurs antiques commencent à entrer en mouvement. » (p. 52-56)

Auerbach, E., Mimésis. La représentation de la réalité dans la littérature occidentale, 1946, Paris, Gallimard, 1968 ; réédition « Tel », Gallimard, 2002, traduction Cornelius Heim.

Voir encore:

Les peintres du réel

En réaction à l’académisme des sujets historiques et religieux et aux excès du romantisme, les peintres de la fin du XIX e siècle s’intéressent aux réalités les plus prosaïques.

MARIE-ANGE FOUGÈRE, MAÎTRE DE CONFÉRENCES EN LITTÉRATURE FRANÇAISE, UNIVERSITÉ DE BOURGOGNE

Dans le dernier tiers du xix e siècle, les impres- sionnistes ne sont pas les seuls à rejeter la peinture d’histoire ou la peinture religieuse et à représenter le réel tel qu’ils le voient et plus selon les canons classiques. Les natu- ralistes, eux aussi, contestent la peinture académique. Toutefois, le courant natura- liste a souffert d’un manque de reconnaissance, d’abord parce qu’il ne présente pas une unité stylis- tique clairement identifiable, ensuite parce qu’il n’apparaît pas sous la forme d’un groupe constitué, enfin parce que son existence fut éclipsée par la fas- cination qu’exer ça longtemps l’impressionnisme. Depuis quelques années, plusieurs expositions (« Frédéric Bazille », au musée Marmottan à Paris, 2003-2004 ; « Jules Bastien-Lepage », au musée d’Orsay à Paris, 2007 ; « Alfred Roll-Alfred Smith, peinture et société au temps des impressionnistes », au musée des Beaux-Arts à Bordeaux, 2007-2008 ; « Fernand Pelez, la parade des humbles », au Petit Palais à Paris, 2009-2010 ; « Dans l’intimité des frères Caillebotte », au musée Jacquemart-André à Paris, 2011) permettent de saisir la force et l’ori- ginalité d’un mouvement dont la modernité était largement reconnue en son temps. La continuité dans le changement De même que, en littérature, le mot natura- lisme a déjà une longue histoire lorsqu’Émile Zola s’en empare, en peinture le terme est depuis longtemps utilisé dans l’acception qu’en donnait l’Académie royale de peinture au xvii e siècle : « L’imitation exacte de la nature en toutes choses. » Charles Baudelaire, dans son Salon de 1846, présente Jean-Auguste-Dominique Ingres comme « le représentant le plus illustre de l’école naturaliste dans le dessin ». Le naturalisme s’inscrit dans la continuité du réalisme des années 1850, dont Gustave Courbet avait été sacré chef d’école par Champfleury en 1855 ; non que le réalisme date du xix e siècle, puisqu’il apparaît dès l’Anti- quité – lire à ce sujet l’essai d’Erich Auerbach, Mimésis (voir Savoir +) dans lequel l’auteur évoque L’Odyssée d’Homère. Depuis la Renais- sance, les artistes se sont attachés à représenter la réalité – le corps humain, le mouvement, la vie quotidienne –, comme l’atteste l’exposition « Les Peintres de la réalité » (musée de l’Orangerie, 1934) qui réunissait des peintres du xvii e siècle – Charles Le Brun, Simon Vouet, les frères Le Nain, Philippe de Champaigne, Nicolas Poussin, Lubin Baugin ou encore Georges de La Tour – dont les œuvres faisaient voisiner scènes paysannes, portraits de gentilshommes et scènes religieuses. Au milieu du xix e siècle, les excès du roman- tisme et du néoclassicisme incitent les artistes à revenir à une représentation moins sublimée du réel et à aborder des thématiques politiques ou sociales. Avec Un enterrement à Ornans (1849), Gustave Courbet adopte une démarche radicale- ment novatrice : il utilise les dimensions monu- mentales ordinairement réservées à la peinture d’histoire, genre « noble », pour représenter, sans l’idéaliser, un sujet de la vie quotidienne. Lors du Salon de 1850-1851, beaucoup dénoncent la laideur des personnages et la trivialité de l’ensemble, mais Courbet exprime là son désir de réformer la peinture d’histoire, affirmant que « l’art historique est par essence contemporain ». Avec Courbet, un certain nombre d’artistes s’ins- crivant contre le romantisme et la peinture mythologique reviennent à la nature (l’école de Barbizon) et à des sujets plus prosaïques, en parti- culier les scènes campagnardes ( La Bénédiction des blés de Jules Breton, Un vanneur, Des glaneuses de Jean-François Millet). L’expression de la vie Dans le passage du réalisme au naturalisme, les années 1870-1871 jouent un rôle détermi- nant : la débâcle de Sedan et la fin du Second Empire, la défaite infligée par la Prusse et le siège Les peintres du réel En réaction à l’académisme des sujets historiques et religieux et aux excès du romantisme, les peintres de la fin du XIX e siècle s’intéressent aux réalités les plus prosaïques de Paris, la guerre civile et l’insurrection de la Commune réprimée dans le sang ont profondé- ment marqué la France et incité à un réalisme accru. En outre, la société française se transforme rapidement : l’industrialisation se poursuit, modifie les paysages et engendre une classe ouvrière toujours plus nombreuse. Et comme l’écrivain naturaliste que décrit Zola veut rivaliser avec la science, étudier les individus à la manière d’un expérimentateur afin de produire « l’histoire naturelle et sociale d’une famille » dans une période donnée, les peintres naturalistes, influencés par les progrès scientifiques considé- rables, poursuivent la réfutation de toute forme d’idéalisation de la réalité. Le critique d’art Jules- Antoine Castagnary, dans son Salon de 1863, définit le naturalisme comme « l’expression de la vie sous tous ses modes et à tous ses degrés, […] son but unique est de reproduire la nature en l’amenant à son maximum de puissance et d’inten- sité : c’est la vérité s’équilibrant avec la science ». Toutefois les peintres doivent désormais compter avec la photographie qui vient leur disputer le monopole de la représentation du réel. Contrairement aux peintres académiques qui puisent leur inspiration dans la mythologie, la Bible et l’histoire, les naturalistes s’attachent à la réalité quotidienne des petites gens et privilégient l’observation exacte de leur existence contempo- raine à laquelle ils sont les seuls, selon Joris-Karl Huysmans – qui les appelle les Indépendants dans son Art moderne (1883) –, à oser vraiment s’atta- quer, « les seuls, – qu’ils fassent des danseuses comme M. Degas, des pauvres gens comme M. Raffaëlli, des bourgeois comme M. Caillebotte, des filles comme M. Forain – qui aient donné une vision particulière et très nette du monde qu’ils voulaient peindre ». Aussi se voient-ils souvent reprocher la vulgarité de leurs sujets, la trivialité des situations qu’ils représentent et la bassesse  des personnages qu’ils mettent en scène. « J’ai tout bonnement décrit, en plus d’un endr oit dans mes pages, quelques-uns de vos tableaux », écrit Zola à Degas dont les Blanchisseuses (1874-1876) préfigurent Gervaise, l’héroïne de L’Assommoir, qui allait causer un énorme scandale en 1877. Mais à côté de cette inspiration critiquée pour son misérabilisme, les bourgeois représentés par Gustave Caillebotte ou Frédéric Bazille participent tout autant de l’observation naturaliste de la société contemporaine. Naturalisme, impressionnisme : une frontière floue Du point de vue du style, l’opposition entre peinture académique et peinture naturaliste est moins flagrante : tandis que certains naturalistes empruntent à la peinture de genre sa touche précise et léchée et la lumière artificielle de l’ate- lier, d’autres, chevalet en main, privilégient la peinture de plein air et adoptent une touche plus fragmentée. On comprend dès lors que la ligne de partage entre naturalisme et impressionnisme ne soit pas toujours nette et que Zola, désireux de conforter la domination du naturalisme en littérature mais aussi en peinture, n’hésite pas, dans son compte rendu du Salon de 1880, à assimiler les deux mouvements : « Le naturalisme, l’impression- nisme, la modernité, comme on voudra l’appeler, est aujourd’hui maître des salons officiels », écrit-il en constatant que « les tableaux peints sur nature [l’emportent] sur les tableaux d’école », que « les académies d’hommes ou de femmes servies au public sous une étiquette mythologique, les sujets classiques, historiques, romantiques, les peintures poussées au noir par la tradition » laissent la place à « des figures en pied habillées à la mode du jour et peintes en plein air, des scènes mondaines ou populaires, le Bois, les halles, nos boulevards, notre vie intime ». Dans ce compte rendu voisinent donc Édouard Manet, « un des infatigables ouvriers du natura- lisme », Claude Monet, « paysagiste incompa- rable, d’une clarté et d’une vérité de tons superbes », Auguste Renoir, loué pour sa palette de couleurs, mais aussi Jules Bastien-Lepage et Henri Gervex, d’abord qualifiés d’impression- nistes de la dernière heure, puis placés « à la tête du groupe des artistes qui se sont détachés de l’École pour venir au naturalisme ». Et Zola de conclure sa revue en établissant une équivalence entre « nouvelle formule », « sujets modernes », « observation exacte de la nature » et « peinture du plein air qui baigne les personnages dans le milieu de lumière vraie où ils vivent ». P our carac- tériser le naturalisme en peinture, il semble donc nécessaire de distinguer les moyens utilisés par les peintres – souvent proches, on vient de le voir, de ceux qu’utilisent les impressionnistes – et l’ambi- tion qu’ils poursuivent : représenter une scène de la vie quotidienne d’anonymes. Conjuguer le réalisme et les apports de la nouvelle école du plein air, telle est l’ambition de Bastien-Lepage, successeur de Jean-François Millet et peintre de la vie paysanne. Dans Les Foins (1877), celui-ci manifeste à la fois le désir de mettre en scène la misère – on notera l’air absent, le regard vide de la faucheuse, comme tourné vers l’intérieur – et celui d’allier le flou et le précis. Il adopte volontairement le point de vue du prome- neur pour qui la saisie complète d’un spectacle, même limité, est impossible. Le naturalisme est donc affaire à la fois de technique picturale et d’ouverture sur le monde des miséreux. Avec Le Mendiant, Pauvre fauvette, Petit colporteur endormi , Bastien-Lepage amorce une peinture sociale qui s’affirme avec Émile Friant ou Fernand Pelez, peintres des misères urbaines. Les apports de la nouvelle école du plein air

Une modernité sans avenir

Le corps, le travail et les rituels sociaux apparaissent dès lors comme les thèmes privilégiés des peintres naturalistes. Dans Les Raboteurs de parquet (1875), Gustave Caillebotte offre une des premières représentations d’ouvriers au travail (voir p. 23) : les raboteurs ont certes le torse nu, baigné de lumière, des héros antiques, mais ils port ent des pantalons dont la couleur sombre fait contraste et travaillent dans un appartement à l’évidence sis dans les nouvelles rues du Paris reconstruit par le préfet Haussmann, contemporain de l’artiste ; les outils utilisés – marteau, lime et sacs à outils – sont éparpillés sur le parquet, tandis que sur la cheminée sont posés une bouteille de vin et un verre. Si la moder- nité du sujet plut à Zola, il n’en apprécia pourtant pas l’exécution qu’il jugea photographique : « Une peinture claire comme le verre, bourgeoise à force d’exactitude » ( Lettres de Paris, juin 1876). Au Salon de 1880, ce sont des mineurs que représente Alfred Roll. Sa Grève des mineurs (1880) met en scène la profonde misère du monde ouvrier et l’accablement qui suit la répression ; tout comme Zola préparant Germinal quatre ans plus tard, Roll s’est livré à un long travail de documentation et s’est rendu à Charleroi puis Anzin pour rencontrer des mineurs (voir Jean-Christophe Castelain, Alfred Roll, 1846-1919 : le naturalisme en question ) – on pourra aussi penser au peintre belge Constantin Meunier (1831-1905) que sa visite de bassins miniers marqua profondément et qui se fit à son tour l’interprète du monde du travail (Hauts fourneaux, Charbonnages sous la neige, Au pays noir) . Le format imposant de la toile, la tonalité très sombre, enfin l’acca blement des per sonnages – les mineurs sont représentés devant les char- bonnages, avec femmes et enfants –, manifestent de manière poignante la sensibilité des peintres naturalistes à la réalité sociale. Aussi Roll consa- crera-t-il d’autres toiles au monde ouvrier : Rouby, cimentier et La Femme du gréviste (1884), Marianne Offrey, crieuse de vert (vers 1884), Le Travail, chantier de Suresnes (1885). « Vivre… et peindre d’après la vie ! Je veux parler ici de la vie observée et cherchée partout où elle se manifeste […]. Ce qui m’a toujours tenté, ce qui me tente le plus, voyez-vous, c’est la vie dans toute sa vérité », cette profession de foi de l’artiste annonce celle du peintre Claude Lantier s’écriant dans L’Œuvre, le roman très autobiographique que Zola consacre à l’art (1886) : « Ah ! tout voir et tout peindre ! […] la vie telle qu’elle passe dans les rues, la vie des pauvres et des riches, aux marchés, aux courses, sur les boulevards, au fond des ruelles populeuses ; et tous les métiers en branle […]. Oui ! toute la vie moderne. » Entre l’académisme et l’impressionnisme, le naturalisme constitue donc, en ces dernières décennies du xix e siècle, une troisième voie, d’autant plus oubliée ou méprisée que son atta- chement à la mimêsis, qui lui est consubstantiel, l’exclut inévitablement du terrain sur lequel s’engage ensuite la modernité – l’amenuisement de l’importance du sujet, le culte de la forme. Mais l’attention que porte aujourd’hui l’art contempo- rain au réel (on pensera par exemple au peintre britannique Julian Freud, mort en juillet 2011) n’est sans doute pas étrangère à l’intérêt que suscite aujourd’hui la peinture naturaliste. ●

Voir aussi:

COMPTES RENDUS

Erich AUERBACH, Mimésis, la représentation de la réalité dans la littérature occidentale, traduit de l’allemand par Cornélius Heim, Paris, Gallimard, 1968, 559 p.

Ce livre partout cité en Suisse, en Allemagne, aux États-Unis aura mis vingt ans à percer le silence français: le voici donc enfin traduit, et excellemment. Ne rouvrons pas le procès de la recherche littéraire dans l’Université de France pour qui toute tentative méthodologique faite hors des frontières est, ou du moins a été longtemps considérée comme nulle et non avenue. Un linguiste nourri dans le sérail comme Georges Mounin a déjà déploré que ses collègues se privent des travaux d’Hatzfeld, Spitzer, Riffatterre et, jusqu’à une date récente, des formalistes russes. À ces noms, nous pourrions adjoindre en ce qui touche plus particulièrement l’étude de la prose narrative ceux de Henry James, Lubbock, Mendilow, W. C. Booth et bien d’autres. Mimésis, publié en 1946, risquait de ne plus être qu’un document historique, un classique respecté et dépassé. Il nous arrive avec sa force intacte. On sait dans quelles conditions difficiles Auerbach a mené cette enquête sur « la représentation de la réalité dans la littérature occidenta- le », à Istambul où il fuyait les nazis, privé de bonnes éditions et des sources de références. Mais peut-être en définitive est-ce une chance qu’il n’ait pas eu à sa dispo- sition tous les documents nécessaires : Auerbach s’est vu contraint à un face-à-face avec le texte nu qui constitue l’essentiel de sa méthode. Certes il avait pour lui sa vaste érudition, des lectures dont la diversité étonne encore, son intelligence exceptionnelle des langues — seul le domaine slave échappe à ses investigations—, mais le meilleur de son essai et, à coup sûr, le plus original et le plus convaincant réside dans ce qu’il tire du texte. Il n’a pas tenté l’impossi- ble, une histoire du réalisme occidental (il effleure à peine Diderot, les romanciers anglais des xvme et XIX© siècles, Joyce), mais prélevé des échantillons dans un tuf épais dont les premières couches remontent à trois mille ans. Dès la première analyse— une des plus belles —, Auerbach établit ses perspectives: à partir de deux textes narratifs tirés d’Homère et de la Genèse, il montre comment un mode de représentation littéraire renvoie à des structures de pensée et à des valeurs morales. Traduire les « rapports au monde », tel est le problème fondamental dont Auerbach suit les avatars, à com- mencer par l’Antiquité, de Pétrone à Ammien Marcellin ou saint Augustin. Il montre comment le christianisme fait éclater les distinctions rhétoriques des genres et des styles léguées par l’Antiquité, comment par delà le Moyen Âge elles reparaissent, plus intangibles, au xviie siècle, puis comment s’assimilent peu à peu à la littérature narrative les forces historiques. Au Moyen Âge, et il aurait pu le faire pour d’autres époques, il dégage le double mouvement contradictoire et complémentaire du rapprochement {Adam et Eve) ou d’éloignement du réel (le roman courtois). Par ces analyses nous retrouvons une fraîcheur à des œuvres trop bien défendues par les gloses critiques et l’on a la surprise de retrouver par exemple dans la Chanson de Roland un procédé de réitération curieusement proche du roman contemporain. Ce n’est pas le moindre mérite d’Auerbach que de nous faire toucher du doigt, par quelques citations prises souvent au hasard, pourquoi des œuvres tenues pour des chefs-d’œuvre en sont vraiment. Ainsi, avec la Divine Comédie, Dante prend une distance considérable par rapport à l’Anti- quité et, en intégrant l’horrible au style élevé, il opère une révolution d’une puissante nouveauté. Suivant l’ordre chronologique des œuvres, chaque étude est centrée sur une notion développée patiemment, non parfois sans quelques redites: l’apparition d’un réalisme aux couleurs violentes (« l’Arrestation de Pierre Valvomère »), le bas conçu vers le sublime (« Adam et Eve »), l’esthétique de Rabelais où rien n’est incompatible (« le Monde que renferme la bouche de Pantagruel »), la solidarité de toutes les parties du monde shakespearien (« le Prince fatigué»). La réflexion d’Auerbach trouve son amorce dans une simple particularité de syntaxe: d’une conjonction ou d’un relatif, il reconstitue tout un monde culturel avec ses préjugés, ses modes de pensée, sa couleur. S’il possède à un haut degré le sens philologique, Auerbach le double d’un sens de la perspective histo- rique d’une grande justesse. La notion fondamentale de niveau stylistique lui permet de juger à quelle profondeur dans l’enracine- ment culturel atteint l’idée exprimée. Que ce soit pour un écrivain de la féodalité finissante comme La Sale ou pour Saint-Simon dont quelques portraits lui fournissent des modèles d’analyse remarquables, Auerbach met l’accent sur les conditions sociales d’un style. De l’étude stylistique il tire les processus intellectuels d’un écrivain et, au-delà, découvre l’idéologie de toute une époque, vérifiant son hypothèse d’après laquelle la représentation est liée à une conscience du monde et de l’histoire (p. 325). Cette notion affleure à chaque instant et l’on s’attendrait souvent que l’auteur allât plus loin; par exemple, selon que l’on considère la position de détachement face à la réalité de Tacite ou celle d’intégration d’un évangéliste, nous sommes renvoyés à une anthropologie différente: pour le chrétien il n’y a plus de distinction de rang et tout homme en vaut un autre. Ou encore, à propos de la tragédie classique française, comment ne pas conclure après l’analyse d’Auerbach que la distinction style bas-style sublime correspond en réalité à un ordre social fondé sur la caste ? Dans cette voie, Goldmann parlera d’homologie entre littérature et société. Mais Auerbach se refuse presque toujours à systématiser et, résistant à l’attrait de la formule frappante et réductrice, il reste volontairement en-deça de ses intuitions. Mimés/s ne fait pas l’histoire des œuvres, encore moins celle des auteurs; il ne résout pas toutes les difficultés et les ambiguïtés du réalisme, mais il nous rend sensibles ces puissants courants de fonds qui parcourent à travers les siècles la littérature narrative. En suivant les rapports des concepts style noble ou sérieux-réalité contemporaine, rapports d’exclusion puis finalement d’alliance, Auerbach nous fait assister à la naissance du réalisme moderne qui intègre successivement le « démonisme » social avec Balzac, l’arrière-plan historique avec Stendhal, avec Flaubert la mobilité de l’époque rendue par la diversité des points de vue jusqu’à une «représentation pluripersonnelle de la conscience » avec Virginia Woolf. Et surtout, Mimés/s propose un modèle méthodologique où se réconcilient de façon inattendue les fins du critique et celles du romancier contemporain : « On a plus de con- fiance dans des synthèses obtenues par l’approfondissement d’une circonstance quotidienne que dans un traitement global, ordonné chronologiquement, qui suit son objet du commencement à la fin, s’efforce de ne rien omettre d’exté- rieurement important et met en relief les grands tournants de la vie pour en faire les articulations de l’intrigue» (p. 543). Le renouvelle- ment de la compréhension littéraire par le travail sur un texte court avec l’appui de la stylistique, tel est,
encore plus précieux peut-être que ses trouvailles, l’apport de ce grand livre tonique et chaleureux. Loin de figer la réflexion, il appelle d’autres analyses qui établiront des liens, prépareront des synthèses, conti- nueront l’aventure critique.

Voir de même:

Philologie et esthétique chez Erich Auerbach
slojkine on sam, 04/21/2012
Robert Kahn

CIELAM, Centre interdisciplinaire d’étude des littératures d’Aix-Marseille, EA4235

Mimésis est l’un des rares livres de critique littéraire encore lu, étudié, commenté, plus de soixante ans après sa parution (1946). Il y a une « actualité » d’Erich Auerbach. On peut citer, par exemple, la parution en 2007 en Allemagne d’Erich Auerbach, Geschichte und Aktualität eines europaïschen Philologen1, et en 2009 celle de Erich Auerbach, la littérature en perspective, actes du premier colloque français consacré à l’œuvre du romaniste2. Une thèse de littérature comparée est en préparation3. Des textes importants ont été publiés récemment : Ecrits sur Dante4, Le Haut Langage5…Comment expliquer cette renaissance, qui ne concerne pas son collègue et contradicteur Ernst Robert Curtius ? Auerbach bénéficie sans doute d’une « aura » due aux circonstances biographiques bien connues : il est une haute figure de l’émigration allemande, il écrit son opus magnum en exil à Istanbul pendant la guerre, dans des conditions matérielles très difficiles. Son destin a fasciné un autre exilé célèbre, qui l’a d’ailleurs traduit : Edward Saïd. Mais si Auerbach a encore quelque chose à nous dire c’est surtout parce qu’il opère une fusion entre « esthétique » et « philologie ». Seule une étude minutieuse, érudite, d’échantillons textuels prélevés dans l’immense massif de la culture occidentale lui permet d’étudier les variations et les invariants de la façon de représenter la réalité sur une période de deux millénaires – « dargestelle Wirklichkeit » comme le précise le sous-titre de Mimésis. Ce faisant, le terme de « philologie » prend le sens large que lui donne Vico : il s’agit bien de tous les savoirs d’une époque, d’une période historique. Il ne saurait être question ici de retracer tout l’itinéraire intellectuel, esthétique d’Auerbach. Nous allons simplement évoquer quelques points qui l’ont intéressé toute sa vie, et qu’il reprend dans deux articles tardifs : «  Epilegomena zu Mimesis »6 (1954), et « Philologie der Weltliteratur »7 (1952) : la question de la séparation des styles, celle de l’interprétation figurative, sa pratique de l’historicisme, sa quête d’une clé permettant élucidation : « Ansatzpunkt »,enfin sa conviction que toute critique scientifique est aussi une œuvre d’art.

I. « Epilegomena zu Mimesis »
L’article est la réponse suscitée par les comptes-rendus. C’est l’un des rares textes « théoriques » de son auteur, qui a toujours considéré que la théorie devait pouvoir se déduire de l’analyse critique des œuvres et d’elle seule. L’interlocuteur est surtout Curtius qui a formulé des critiques de fond en 1952 dans un article des Romanische Forschungen. Comme on sait Mimésis et La Littérature européenne et le Moyen-Age latin traitent pour l’essentiel des mêmes textes : la littérature médiévale en latin, Dante, la littérature française. Auerbach et Curtius ont eu la même formation, les mêmes maîtres, ils ont été collègues, le sont encore, se sont rencontrés à Princeton en 1949, ils s’écrivent amicalement8.Mais l’Histoire les a séparés de manière irréversible : Curtius est resté en Allemagne nazie, et lui, traducteur de T.S. Eliot et premier lecteur allemand de Proust, a fini par se réfugier dans un « exil intérieur » et dans un culte exclusif et hautain voué à la seule Antiquité gréco-latine. A lui l’étude des « topoï », à Auerbach celle des discontinuités, des ruptures. Ce sont là deux esthétiques bien différentes. Curtius conteste les analyses de son collègue : «  la règle antique de la séparation des styles n’est ni si unifiée ni si absolue qu’elle paraît l’être d’après Auerbach », critique qui lui paraît être étayée par les textes théoriques de l’Antiquité et du Moyen Age, «  de la rhétorique d’Herennius jusqu’à Meinhart de Bamberg ». A cela Auerbach répond :

La convocation des conceptions doctrinales est utile mais elle n’apporte rien à la critique de Mimésis. Mimésis est un essai sur l’histoire de la matière elle-même et non sur les conceptions doctrinales rattachées. Il était totalement impossible de rédiger un tel essai avec les matériaux disponibles à Istanbul. La paire de concepts « séparation-mélange des styles » est un des thèmes de mon livre et a toujours la même signification tout au long des vingt chapitres, de la Genèse à Virginia Woolf.
Plus loin il explique qu’il n’a jamais affirmé l’existence d’un lien strict entre les genres littéraires et niveaux de « style ». Mais il y a une séparation des styles qui repose sur le « prepon »9, une hiérarchie des objets correspond à une hiérarchie des formes d’expression. Auerbach conclut sa réfutation en s’appuyant sur Cicéron «  pour lequel il y a des genres littéraires dans lesquels un certain niveau domine absolument. » Prenons un exemple dans Mimésis : dans Germinal Zola, avec la scène du « Bal du Bon-Joyeux », s’inscrit précisément dans l’héritage de l’ancienne pensée rhétorique des niveaux de style :

Zola ne donnait aucunement son art comme un art de « style bas » ou comique, presque chacune de ses lignes révélait un esprit suprêmement sérieux et moral, et l’ensemble ne constituait pas un divertissement ou un jeu artistique, mais prétendait offrir une peinture fidèle de la société du temps telle que lui, Zola, la voyait.10
A propos d’une conversation, un soir, chez les Maheu, le philologue s’interroge : «  Tout cela forme un tableau typique de la classe ouvrière aux premiers temps du socialisme, et personne ne peut plus nier sérieusement aujourd’hui qu’un tel sujet possède une signification qui intéresse l’histoire universelle. Quel niveau stylistique convient-il d’attribuer à un tel texte ? ». Sa réponse est claire : « Nous avons affaire, sans aucun doute, à un grand tragique historique, à un mélange d’humile et de sublime, dans lequel, du fait du contenu, le second prédomine. » Bien sûr, le fait que le réalisme de Zola, que les contemporains ont très souvent jugé choquant, puisse toucher au style le plus haut, au sublime, est la conséquence d’une évolution millénaire, rendue possible par le fait que la figure du Christ est celle de l’humilié et du Sauveur, de celui qui meurt de manière infâme et qui, pourtant, est Dieu. Comme Auerbach l’écrit dans le chapitre « Sermo humilis » du Haut Langage : «  Le style de l’Ecriture sainte est humilis, bas ou humble. Mais le sujet, simple ou caché, est « sublime ». La bassesse ou l’humilité de l’exposition est la seule forme possible compatible, qui permette de rendre accessible aux hommes des mystères aussi sublimes. »11 Dès lors se pose la question de la valeur heuristique de cette théorie : avec toutes les inflexions qu’elle a connues au cours des siècles, depuis la Haute Antiquité jusqu’à aujourd’hui, la doctrine de la séparation et du mélange des styles est un instrument d’analyse très puissant, dont on peut simplement regretter qu’Auerbach ne l’ait pas étendu à d’autres auteurs de la modernité comme Franz Kafka, sans doute le grand absent de Mimésis,et à James Joyce, évoqué de manière beaucoup trop succincte.

L’autre point de désaccord avec E.R.Curtius est le second grand pôle de la réflexion auerbachienne : l’interprétation « figurale ». On ne peut ici que renvoyer à la magistrale étude de 1938 Figura12 , essai lui aussi rédigé à Istanbul,et par lequel Auerbach montre que l’interprétation figurative est l’un des éléments essentiels de la représentation chrétienne de la réalité. Citons brièvement la définition qu’il en propose :

L’interprétation figurative établit un rapport entre deux événements ou deux personnes . Le premier terme n’est pas seulement autoréférentiel, mais désigne également le second qui, de son côté, inclut ou accomplit le premier. Les deux pôles de la figure sont séparés dans le temps, mais tous deux, en tant qu’événements ou personnages réels, participent de la temporalité et du flux ininterrompu de la vie historique. 13
Nous ne suivrons pas la polémique dans le détail. Mais il semble bien qu’Auerbach marque des points importants, par exemple lorsqu’il constate que Curtius convoque contre lui un chapitre du livre de Henri-Irénée Marrou sur Saint-Augustin, intitulé La Bible et les lettrés de la décadence, alors que précisément Marrou a plus tard lui-même fortement critiqué ce même chapitre en ce qui concerne l’interprétation figurale, que Curtius appelle «  allégorèse typologique ». Auerbach se bat d’ailleurs sur deux fronts. Il a en effet toujours refusé, contre son vieil ami Walter Benjamin, la primauté de l’allégorie. Pour l’auteur de Mimésis l’allégorie, parce qu’elle interprète de manière abstraite les mythes et les textes poétiques, et ce dans un sens cosmologique, mystique ou moral, n’est pas un concept opératoire qui permettrait de rendre compte de l’évolution de la représentation de la réalité dans la littérature occidentale. Pour lui la Divine Comédie, par exemple, ne contient en fait pas de personnifications abstraites, exceptées les trois Bêtes du premier Chant, et aucun de ses personnages ne se laisse décrire par un concept. Tous sont des personnages historiques, qui accomplissent dans leur vie terrestre un destin figural. La « figura » indique que quelque chose est à interpréter, qui a déjà eu lieu et qui s’accomplira à nouveau. Il est clair que, pour la critique contemporaine, la « figura » telle que pensée par Auerbach, est moins actuelle que l’allégorie benjaminienne, conception qui a beaucoup influencé les « déconstructionnistes » comme Paul de Man ou Jacques Derrida. Cependant elle n’a pas perdu toute valeur heuristique, et pourrait peut-être servir à étudier des textes aussi novateurs que Parabole de Faulkner ou 2666 de Roberto Bolanò. Mais le texte sans doute le plus actuel venu sous la plume du spécialiste de Vico, c’est-à-dire quelqu’un pour qui l’actuel ne peut être qu’une phase dans un mouvement cyclique, est «  Philologie de la littérature mondiale » (« Philologie der Weltliteratur »). Le texte a été publié en 1952 dans une « Festchrift »14. L’article vient seulement d’être traduit dans Où est la littérature mondiale ?, recueil publié en 2005 par Tiphaine Samoyault et Christophe Pradeau.

II. « Philologie de la littérature mondiale »
Auerbach, après Goethe, considère que le fait esthétique ne peut plus être pensé dans le seul cadre national. Pourtant, il prend ses distances avec Goethe dès la première phrase : « Il est temps de se demander quel sens les mots « Littérature mondiale », compris dans leur acception goethéenne qui vise le contemporain et ce qu’il peut attendre de l’avenir, peuvent encore avoir »15. Le diagnostic posé par l’auteur de Mimésis est celui de la perte universelle de la diversité qui précisément, autrefois, permettait l’ensemencement réciproque des cultures, et, en parallèle, le développement paroxystique de la standardisation culturelle, « que cela soit selon un modèle européano-américain ou russo-bolchevique»16. Auerbach écrit ceci en pleine guerre froide. Qu’aurait-il pensé de ce monde où il n’existe plus qu’un seul modèle économique ? Mais cela aussi le philologue le perçoit déjà :

Si l’humanité parvient à survivre aux bouleversements qu’entraîne un processus de concentration si brutal, si impétueux et si mal préparé dans les consciences, alors il faudra s’habituer à l’idée que sur une planète organisée uniformément il n’y aura plus qu’une culture littéraire unique vivante, voire, en un temps relativement court , plus que quelques langues littéraires ou même bientôt plus qu’une seule. 17
Ainsi le concept de littérature mondiale «  serait à la fois réalisé et détruit. » C’est maintenant un lieu commun de la recherche que de faire d’Auerbach le premier analyste de la « globalisation ». Et de fait il posait son diagnostic dès 1937 dans une lettre qu’il envoyait d’Istanbul à son ami Walter Benjamin. Il y évoquait l’européanisation à marche forcée déclenchée par Kemal Atatûrk, le remplacement, par exemple, de l’alphabet arabe par l’alphabet latin, et il mettait en rapport ce processus très rapide, inéluctable, avec ce qui se passait en Allemagne et en Italie fascistes quant au langage. Il formule cela ainsi : « … on nous amène d’une manière douloureuse et sanglante à l’Internationale de la trivialité et à l’espéranto de la culture»18. L’outil qui permet dans une certaine mesure d’appréhender ce phénomène, et donc de lutter, est l’historicisme tel qu’Auerbach l’a hérité de Vico et qu’il définit par rapport à l’esthétique en ces termes :

Il ne s’agit pas seulement de la découverte du matériau et l’élaboration des méthodes permettant de l’étudier, mais aussi de sa pénétration et de sa mise en valeur dans une histoire intérieure de l’humanité, dans l’élaboration d’une représentation de l’homme qui soit unique dans sa multiplicité. Tel a été, depuis Vico et Herder, le véritable dessein de la philologie.19
Quelques années plus tard, dans l’introduction théorique, « Über Absicht und Methode » de son grand livre posthume Literatursprache und Publikum in der lateinischen Spätantike und im Mittelalter, Auerbach revient sur ce que doit être, selon lui, l’historicisme :

Il n’est pas exact que le relativisme historique conduise à une incapacité éclectique de jugement, et qu’il soit indispensable, pour juger, de disposer de critères a-historiques. Celui qui comprend l’historicisme comme un éclectisme ne l’a pas compris. La particularité de chaque époque et chaque œuvre ainsi que la forme de leur relation sont à conquérir par l’approfondissement et le dévouement, une tâche infinie, qu’il appartient à chacun, de là où il est placé, d’essayer d’accomplir.Car le relativisme historique est double, il se rapporte aussi bien à celui qui comprend qu’à ce qui est à comprendre. C’est un relativisme extrême ; mais on ne devrait pas pour autant en avoir peur. L’espace dans lequel on se meut au cours de cette activité est le monde des hommes auquel appartient celui-là même qui comprend. Cela lui permet d’envisager sa tâche comme possible. 20
L’œuvre d’art exprime donc non seulement les tensions et interrogations de son époque à elle, mais aussi celles de l’époque de sa réception. De ce point de vue, l’auteur de Mimésis est bien un précurseur de Jauss et de l’école de Constance. L’œuvre n’existe que dans une société qui l’a produite et dans une société qui la reçoit. Et l’interprète se situe, par sa visée esthétique, dans une certaine époque qui, même si elle peut être très éloignée de celle qui a vu naître l’œuvre, en conditionne pourtant la perception. La clausule de l’article « Epilegomena zu Mimesis » se lit : «  Mimésis est de manière résolument consciente un livre écrit par un certain être humain, dans une certaine situation, au début des années 40. » Retenue pudique d’Erich Auerbach : tous ses lecteurs savent quelle était sa situation en ces années-là.

Comment évaluer aujourd’hui l’apport de Mimésis à la compréhension à la fois du « réalisme » et des œuvres abordées dans leur singularité ? Un critique aussi averti que Claus Uhlig, s’il reconnaît le brillant et la valeur du chapitre dédié à Montaigne, estime que les pages sur Proust, Joyce et Virginia Woolf ont perdu de leur pertinence, que l’instrument heuristique d’Auerbach ne lui permet pas d’accéder à la « réalité intérieure » de ces auteurs modernes21. Mais ce jugement est lui aussi en train de devenir un « topos ». Il contient, certes, une part de vérité. Les goûts personnels d’Auerbach ne le menaient pas à l’avant-garde. Il écrit dans « Epilegomena » de manière significative : «  Les grands romanciers français sont d’une importance décisive pour la problématique de Mimésis, mon admiration pour eux est grande. Mais pour le plaisir et le délassement je préfère lire Goethe, Stifter et Keller. »22 Et l’auteur de Mimésis ne cite qu’une seule fois le nom de Kafka : «  Kafka dont le monde grimaçant et terrible rappelle une folie très cohérente »23, à propos d’Apulée. Il n’est pas non plus très à l’aise avec l’œuvre de Joyce. Mais l’analyse de la Promenade au phare est impressionnante de précision et d’empathie. Elle est d’ailleurs reprise dans un grand nombre d’éditions anglo-saxonnes du roman, comme celle dirigée par Harold Bloom. Quant au roman de Proust, nous avons montré ailleurs à quel point Auerbach avait su, très tôt, dès 1925, lui rendre justice. Le bilan de l’attitude d’Auerbach envers la « modernité » est donc beaucoup plus contrasté qu’on ne le croit généralement. Reste à aborder un outil heuristique qui nous semble encore aujourd’hui d’une grande pertinence, tel qu’il est développé dans « Philologie de la littérature mondiale » : la notion d’«Ansatzpunkt ».

III. L’« Ansatzpunkt »
Cette notion auerbachienne est généralement traduite par « point de départ » 24 , mais on pourrait préférer la formuler de diverses façons : «  point de levier, point d’ancrage, point d’insertion ». Il s’agit de s’appuyer sur quelque chose pour laisser libre cours à l’intuition créatrice qui va saisir et restituer les formes esthétiques. Auerbach, dans cette deuxième partie de son essai, fait des remarques fondamentales et toujours actuelles. Il accorde donc sa confiance à l’intuition du chercheur qui, bien sûr, s’appuie sur sa connaissance du matériau, et refuse des catégories trop généralisantes comme « classicisme, Renaissance, maniérisme, baroque, Lumières , romantisme, symbolisme etc. »25. Pour lui, la singularité et la force d’un bon « point d’ancrage » résident, d’une part, dans sa concrétude, et, de l’autre, dans son « rayonnement potentiel »26. Il cite trois exemples de ce que pourrait être un tel « point d’ancrage » : l’étude des topoï par E.R.Curtius dans son grand livre (même si Auerbach ne partage pas, loin s’en faut, toutes ses conclusions, ni même ses présupposés méthodologiques), son propre questionnement sur le public français du XVIIe siècle à partir de l’expression « la cour et la ville », et enfin une suggestion de son ami Erwin Panofsky : « retracer la façon dont ont été interprétés certains passages isolés de la Comédie de Dante , depuis les premiers commentateurs jusqu’au XVIe siècle et ensuite à partir du Romantisme ». Un type de questionnement qui semble tout à fait actualisé par la recherche d’un philologue comme Jean Bollack.

Pour ce qui est de Mimésis, on peut se demander si Auerbach n’a pas réussi le passage de l’article ou de la monographie érudite au très vaste panorama qu’il nous propose grâce à la découverte d’un livre que son ami Walter Benjamin lui a envoyé à Istanbul. En effet il remercie celui-ci dans une lettre du 28 janvier 1937 pour Deutsche Menschen27, «  qui est tombé comme la foudre ». Il s’agit d’une anthologie de lettres réunies par Benjamin de « grands Allemands » du siècle de la bourgeoisie : Kant, Goethe, Collenbusch, Lichtenberg… Ils incarnent en une ère de barbarie totale ce que l’Allemagne, la pensée de l’Allemagne, avait pu avoir de meilleur. On peut raisonnablement penser que le livre a fourni à Auerbach le « déclic », « l’Ansatzpunkt » : réunir en une anthologie les textes du « réalisme » européen d’Homère à Woolf, et, ainsi, généraliser, procéder à une très vaste extension dans le temps et l’espace de ce que Benjamin avait fait pour les valeurs définitivement perdues de la culture bourgeoise allemande, porteuse d’émancipation. C’est aussi faire œuvre d’art. Mimésis se veut, comme les textes qu’il analyse, « œuvre d’art ». Auerbach parle au conditionnel, par modestie : «  La synthèse historique à laquelle nous pensons , quoiqu’il lui faille s’appuyer sur une présentation scientifique du matériau, résulte d’une intuition personnelles et ne peut donc être due qu’à un individu. Parfaitement réussie, elle serait à la fois un travail scientifique et une œuvre d’art. »28 On peut donc dire que, pour Auerbach, la « tâche » du chercheur en littérature est double : étudier les œuvres, réfléchir sur l’esthétique en faisant œuvre, et esthétique, gageure réussie avec Mimésis.

1 .M. Treml et K. Barck (éd.), Kadmos Verlag, Berlin, 2007.
2 .Il s’est tenu en Sorbonne en octobre 2007, et avait été organisé par Paolo Tortonese.
3 .Diane Berthezène, Université de Limoges, dir. Bertrand Westphal.
4 .Erich Auerbach, Ecrits sur Dante, trad. D. Meur, Paris, Macula, 1998.
5 .Erich Auerbach, Le Haut Langage, trad. R. Kahn, Paris, Belin, 2004.
6 .Romanische Forschungen, LXV, n°1-2, p.1-18.
7 .Weltliteratur,Festgabe für Fritz Strich, Bern, Francke Verlag, 1952. Trad. D. Meur in Où est la littérature mondiale, C. Pradeau et T. Samoyault (éd.), Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, 2005.
8 .Leur correspondance est conservée dans le fonds « Erich Auerbach » du Deutsches Literaturarchiv de Marbach.
9 .« ce qui convient, le convenable, l’approprié ».
10 .Erich Auerbach, Mimésis 1946, Paris, Gallimard, 1968, p .503-504.
11 .Le Haut Langage, op.cit., p. 55.
12 .Erich Auerbach, Figura, trad. M.A Bernier, Paris, Belin, 1993
13 .Ibid., p.60.
14 .« Recueil d’hommages », pour le romaniste Fritz Strich.
15 .Traduction modifiée.
16 .Ibid., p. 301
17 .Où est la littérature mondiale, op.cit., p.26.
18 .Lettre du 3.1.1937, trad. R.Kahn, in Les Temps modernes n° 575, juin 1994, p.60.
19 .Où est la littérature mondiale ?, op.cit., p. 27.
20 .Le Haut Langage, op.cit., p.20.
21 .Claus Uhlig, in Literary History and the Challenge of Philology, Seth Lerer (éd.), Stanford, p .48.
22 .« Epilegomena »,op.cit., p.14 :« Zu Vergnügen und Erholung ».
23 .Mimésis, op.cit., p. 72.
24 .Par exemple « Philologie de la littérature mondiale », op.cit., p. 32.
25 .« Epilegomena zu Mimesis, op.cit.,p.122.
26 .« Philologie de la littérature mondiale », op.cit., p.35.
27 .Traduit sous le titre Allemands, ou Hommes allemands.
28 .« Philologie de la littérature mondiale », op.cit., p.32.

Voir encore:

The Book of Books
Erich Auerbach and the making of “Mimesis.”
Arthur Krystal
The NewYorker
December 9, 2013

The German scholar wrote his masterwork while deprived of his libraries in Istanbul.
Illustration by Patrick Morgan

No one knows how he came to Istanbul: whether he caught the Orient Express in Munich or drove from Marburg to Genoa and boarded a ship for Athens. We know that he arrived in September, 1936, and was joined, two months later, by his wife and thirteen-year-old son. We know that he hadn’t wanted to go, and didn’t think that he would stay long. A year earlier, he had told a colleague that Istanbul University was “quite good for a guest performance, but certainly not for long-term work.” As it turned out, he stayed nearly eleven years, three of which were devoted to writing a book that helped define the discipline of comparative literature.

That book, with its totemic one-word title, represented for many of its readers the apex of European humanist criticism. The German edition was published in 1946 and the English translation in 1953, and for decades “Mimesis” was the book that students of comparative literature had to contend with. For one thing, its author, Erich Auerbach, moved effortlessly among eight ancient and modern languages, including Hebrew, which probably helped the book live up to its daunting subtitle: “The Representation of Reality in Western Literature.”

“Mimesis” contains twenty chapters, each one anchored to a characteristic passage from a theological or literary work, which is then tested for tone, diction, and syntax, and enfolded within a specific historical context. Auerbach viewed European literature as an evolving pattern of themes, motifs, narrative devices, and Judeo-Christian affiliations; and his book is essentially a history of Western literature in which successive periods are classified by levels of realism fashioned from a specific mingling of styles. Auerbach distinguished the high style of classical Greek and Roman rhetoric from the more psychologically complex phrasing of Hebrew Scripture, which, in turn, was less graphic and immediate than the story of God’s incarnation through the vessel of a lowly carpenter, which forever changed the way man viewed reality. Addressing Peter’s denial of Jesus, in the Gospel of Mark, Auerbach finds

something which neither the poets nor the historians of antiquity ever set out to portray: the birth of a spiritual movement in the depths of the common people, from within the everyday occurrences of contemporary life, which thus assumes an importance it could never have assumed in antique literature. . . . A scene like Peter’s denial fits into no antique genre. It is too serious for comedy, too contemporary and everyday for tragedy, politically too insignificant for history.

For Auerbach, a philologist by training, but a historian-philosopher by temperament, literature is always bounded by the writer’s sense of reality, which, at its deepest level, depicts everyday life in all its seriousness. Classical decorum and medieval allegory fell short on this score, but over time the gradual transformation of thought, from the sublime tragedy of the Greeks to the tragic realism of the modern novel, came to define European literature. Style was the great indicator, and it enabled Molière to be as much of a realist as Balzac, though his style was informed by a very different reality.

What gave “Mimesis” ballast for a generation of readers was more than its interpretative ingenuity. Unlike other works of criticism, it had a backstory. Tucked away in Istanbul without the books and periodicals that he needed, Auerbach speculated that “Mimesis” might owe its existence to the “lack of a rich and specialized library.” The legend of the bookless scholar took hold in 1968, when Harry Levin published an essay about the careers of Auerbach and Leo Spitzer, both Jewish philologists who were forced to leave Germany and ended up at American universities. Spitzer, who preceded Auerbach at Istanbul University, laid the groundwork in his own account of a meeting with the dean, who, when asked about the university’s meagre library, had replied, “We don’t bother with books. They burn.” It was this deficit, Levin believed, that forced Auerbach to write “a more original kind of book than he might otherwise have attempted,” to produce “an imaginary museum.”

But “Mimesis” was more than an imaginary museum, as Auerbach himself hinted when he carefully noted that it was written between May, 1942, and April, 1945, as the smoke was rising above Auschwitz and Bergen-Belsen. For many critics, Auerbach, in recapitulating Western literature from Homer to Woolf, wasn’t just shaking his fist at the forces that drove him into exile; he was, in effect, building the very thing that the Nazis wished to tear down. Geoffrey Green, who devoted a book to Auerbach and Spitzer, concluded that Auerbach saw his work “as a fortress—an arsenal—from which he could wage a passionate and vehement war against the possible flow of history in his time.” And so “Mimesis,” a singularly powerful study of narrative, arrived complete with its own soulful narrative.

Erich Auerbach was born into a well-to-do Berlin family on November 9, 1892. He attended the illustrious Französisches Gymnasium and went on to study law, receiving a doctorate from the University of Heidelberg in 1913. In Heidelberg, he seems to have met Georg Lukács, Walter Benjamin, and Karl Jaspers, who undoubtedly fed his interest in literary and philosophical matters. When war broke out, he was sent to the Western Front, where he was wounded in the foot and received the Iron Cross Second Class. Afterward, he gave up law and in 1921 took a doctorate in Romance languages from the University of Greifswald. In 1923, he began a job at the Prussian State Library, in Berlin, and married Marie Mankiewitz, whose family was the largest shareholder in Deutsche Bank. During the next six years, he contributed to scholarly journals, translated Giambattista Vico’s “New Science,” with the assistance of Benedetto Croce, and finished a study of Dante.

Auerbach was made for Dante. Everything about the poet, his work, and his times combined to win Auerbach’s admiration:

The noble style in which the poem is written is a harmony of all the voices that had ever struck [Dante’s] ear. All those voices can be heard in the lines of the Comedy, the Provençal poets and the stil nuovo, the language of Virgil and of Christian hymns, the French epic and the Umbrian Lauds, the terminology of the philosophical schools and the incomparable wealth of the popular vernacular which here for the first time found its way into a poem in the lofty style.

As in much of Auerbach’s work, the erudition is more than a little intimidating. One might know that the stil nuovo refers to a literary movement of the thirteenth century, but who can hum an Umbrian Laud?

Ensconced in the Berlin library, with his family and friends nearby, Auerbach seemed almost envious of the poet, who began the “Commedia” after being exiled from Florence. Exile, he observed, enabled Dante “to correct and overcome that disharmony of fate, not by Stoic asceticism and renunciation, but by taking account of historical events, by mastering them and ordering them in his mind.” On the strength of the book, in 1929 Auerbach was appointed professor of Romance philology at the University of Marburg, assuming the position once held by Spitzer, who was now at the University of Cologne.

Auerbach arrived in Marburg the year after Martin Heidegger left. “He’s a terrible fellow,” he later wrote, “but at least he’s got substance.” Other faculty members also had substance, including Hans-Georg Gadamer and the theologian Rudolf Bultmann. The Auerbachs were happy in Marburg—the intellectual historian Malachi Haim Hacohen says that they regarded these years as “a golden age”—and did not think of leaving, in spite of the fact that Jews were officially barred from the civil service in 1933. As a veteran, Auerbach was exempt, and, like other Jews of the professional class, he kept a low profile, even taking the mandatory pledge of allegiance to Hitler, in September, 1934.
“My worst nightmare is seeing apostrophes where they don’t belong.”

Auerbach was typical of many assimilated Jews in the days of the Weimar Republic. A self-described “Prussian of the Mosaic faith,” he gave his son a Christian name (Clemens) and only had him circumcised, for medical reasons, at the age of fourteen. Not all assimilated Jews are assimilated in the same way. He had fought for his country, and he wanted to remain in it. But, once the Nuremberg Laws were passed, in 1935, Auerbach knew that his own exile had been decreed.

Fortunately, Spitzer, who had decided to immigrate to America, lobbied for Auerbach to be named his successor at Istanbul, and Auerbach found himself competing with other scholars, including Victor Klemperer, for a position that he would have scoffed at a year earlier. Auerbach prevailed, and Klemperer remained in Germany, where he somehow managed to survive. (His diary, “I Will Bear Witness,” caused a sensation in Europe when it was published, in 1998.) Before he was forced to depart from the University of Marburg, Auerbach negotiated an official leave with the possibility of returning after 1941. The idea of permanently settling elsewhere had not yet sunk in.

In Istanbul, he felt isolated but not unhappy. “I am fine here,” he wrote to Walter Benjamin in March, 1937. “Marie and Clemens are reasonably over the flu. . . . The house on the Bosporus is glorious; as far as research goes, my work is entirely primitive, but personally, politically, and administratively it is extremely interesting.” And then, in a place where books were scarce, he produced his book about books.

Not everyone is convinced that “Mimesis” sprang, Athena-like, from Auerbach’s head. Kader Konuk, of the University of Michigan, argues persuasively, in her book “East West Mimesis,” that Istanbul in 1936 was far from an intellectual backwater. It was, in fact, home to a thriving community of scholars who, in addition to their own well-stocked libraries, had access to bookstores and municipal libraries around town. Moreover, Auerbach had colleagues he could talk to and former colleagues who regularly sent him scholarly articles before the war. As Konuk notes in her illuminating account, he could also visit the library at the Dominican monastery of San Pietro di Galata and its set of Jacques-Paul Migne’s “Patrologia Latina_,”_ consisting of hundreds of volumes of commentaries by the Church Fathers, which figured significantly in Auerbach’s work. As for the dean who dispensed with books, it seems that he was actually a bibliophile with some sixteen thousand volumes to his name. As Konuk sees it, Istanbul was a cosmopolitan city where Auerbach “found humanism . . . at the very moment it was being banished from Europe.”

Ultimately, though, exile isn’t about numbers; it’s about displacement. For Levin, exile was “a blessing in disguise,” the very thing to have inspired Auerbach’s conception of “Mimesis.” Fifteen years later, Edward Said, himself something of an exile, reinforced the point: “Mimesis” was not only “a massive reaffirmation of the Western cultural tradition, but also a work built upon a critically important alienation from it, a work whose conditions and circumstances of existence are not immediately derived from the culture it describes with such extraordinary insight and brilliance but built rather on an agonizing distance from it.”

Then again, there’s also the distinct possibility that, given Auerbach’s temperament and interests and the ideas already worked out in his “Dante: Poet of the Secular World” and in his long essay “Figura” (published in 1938 and posthumously collected in “Scenes from the Drama of European Literature”), he would have produced something very much like “Mimesis” had he remained in Germany or moved of his own volition to Stockholm or Spokane. Konuk, of course, will have none of this. She insists that Istanbul was more like home than the Berlin of 1942, and that, “in some sense, he found himself at home in exile.”

Another point of dispute centers on Auerbach’s motives. Hacohen, for one, suspects Auerbach of having an antipathy toward his own Jewishness, and wonders why he turned down Martin Buber’s request that he write an introduction to the Hebrew edition of “Mimesis.” In Hacohen’s eyes, Auerbach was “a progressive mandarin” who “made a special effort to ignore” Jews while maintaining an “interplay of proximity and distance facing the Holocaust.” He thinks Auerbach’s silence leads readers to “find clues to the Holocaust” in “Mimesis” where none exist. On the other hand, Earl Jeffrey Richards, who teaches at the University of Wuppertal, in Germany, claims that “Mimesis” is “unified not so much by its stylistic analysis but by its underlying meditation on the Shoah.” He also suggests that Auerbach may have aided Monsignor Angelo Giuseppe Roncalli—the prelate who had allowed him use of the library at the Dominican monastery, and who later became Pope John XXIII—in his efforts to save Balkan Jews from the Gestapo.

Auerbach himself is no help in sorting through these contesting claims. Although he allowed that “Mimesis” was “quite consciously a book that a particular person, in a particular situation, wrote at the beginning of the 1940s,” he was tight-lipped about his politics and didn’t say much about his wartime experiences. When he mentioned current events in letters, it was usually in the most general terms. “You know me sufficiently . . . to know that I can understand the motives of your political views,” he wrote to the philosopher Erich Rothacker when Rothacker declared support for the National Socialist Party. “But yet it would pain me much . . . if you wanted to deny me the right to be a German.” Not the strongest of words, although it could be argued that he opposed the Reich’s policies in subtler ways.

During the nineteen-thirties, many religious leaders in Germany traduced the Old Testament’s authority, in an attempt to strip Jewish history of its original meaning. In 1933, Cardinal Faulhaber noted (disapprovingly) the widespread sentiment that a “Christianity which still clings to the Old Testament is a Jewish religion, irreconcilable with the spirit of the German people.” In April of 1939, the Godesberg Declaration of the Evangelical Lutheran Church concluded that the Christian faith did not arise from or complete Judaism but “is the unbridgeable religious contradiction to Judaism.” The clergymen who signed the document were, in effect, echoing the Nazi propagandist Alfred Rosenberg, who blasted the Old Testament for turning normal people into “spiritual Jews,” and who claimed that there wasn’t “the slightest reason to believe” that Jesus Christ was of Jewish ancestry.

A Jew in Germany, even an unobservant one, must have been dismayed by all this. And, to some degree, “Figura” was Auerbach’s response. The essay conjures up an interpretation of historical events in which the first event “signifies not only itself but also the second, while the second encompasses or fulfills the first.” Events in the Old Testament are reaffirmed in their significance when they can be shown to have prefigured events in the New Testament. By tracing the etymology of figura in patristic literature and stressing Augustine’s conception of the Old Testament as “phenomenal prophecy,” Auerbach explored the deep bond between the Old and the New. And, by emphasizing that figural interpretation “had grown out of a definite historical situation, the Christian break with Judaism and the Christian mission among the Gentiles,” he tacitly linked that break with the Nazis’ attempt to despoil Jewish law and theology. The scholars David Weinstein and Avihu Zakai go so far as to describe the essay as part of “Auerbach’s Kulturkampf against the premises of Aryan philology and the spread of Nazi barbarism.”

“Mimesis,” too, may have taken its bearings from German cultural politics. The book’s compelling first chapter, “Odysseus’ Scar,” which contrasts Book 19 of the Odyssey with Abraham’s intended sacrifice of Isaac, lays out the differences in attitude and articulation between the Homeric epic and Hebrew Scripture. But because the discussion pivots on the binding of Isaac and Abraham’s reflexive anxiety—one of several Biblical scenes forbidden in German schools—the chapter can also be viewed as Auerbach’s nod to Jewish martyrdom. At least one Auerbach scholar wants to take this even further, claiming that Auerbach was “pressing philology in the direction of something utterly unheard: a new resistant, if implicit, Jewish philology.”

But how to tease apart the Jew and the philologist? No literary critic ever paid such attention to “the strange moral dialectic of Christianity” and its influence on literary style, which for centuries had to juggle the eternal alongside earthly transience. Auerbach may have wanted to upend German philology, but his central concern was the gradual transformation of Christian realism into modern literary realism. If a few veiled references in “Mimesis” or the more explicit words at the end of the first epilogue (“I hope that my study will reach its readers—both my friends of former years, if they are still alive, as well as all the others for whom it was intended”) touch on the tragedy, that’s all they do.
“I have to go. I have another coffee break on seven.”

After the war, Auerbach arrived in the United States—teaching first at Pennsylvania State College, then at the Institute for Advanced Study, at Princeton, and, in 1950, at Yale. He and Marie became U.S. citizens, but he remained, according to his colleague René Wellek, a perpetual émigré, someone whose bags were always packed. Nonetheless, when he was offered a chair at Marburg, in March, 1953, he declined. Auerbach visited Europe in 1956 and spent the following summer in Germany, where he suffered a mild stroke. Upon his return to America, he entered a sanatorium in Wallingford, Connecticut. He died on October 13, 1957, three weeks before his sixty-fifth birthday.

By then, he was, at least by academic standards, famous. When another German philologist, Ernst Robert Curtius, the author of “European Literature and the Latin Middle Ages,” visited the United States, he grumbled that “one hardly hears anything but ‘Mimesis.’ ” The book was praised by Alfred Kazin and Delmore Schwartz, and Lionel Trilling included the first chapter in his 1970 anthology, “Literary Criticism.” In 2003, on the fiftieth anniversary of the English translation, Edward Said wrote an introduction to a new edition, which Terry Eagleton, among the foremost popularizers of literary theory, commended in the London Review of Books.

Since then, a cottage industry has grown up around Auerbach’s œuvre. Until recently, that œuvre consisted primarily of four books—“Dante: Poet of the Secular World,” “Mimesis,” and two posthumous collections published in the late nineteen-fifties. Now there’s a fifth book: “Time, History, and Literature,” edited by James I. Porter and energetically translated by Jane O. Newman, containing twenty essays, only eight of which have previously appeared in English. There are, as one might expect, erudite disquisitions on Dante, Vico, and Herder. But there are also musings on Montaigne (“When he enjoys life, it is himself that Montaigne is enjoying”), Pascal (“Pascal’s hatred of human nature arose from radical Augustinianism”), and Rousseau (“the first who, despite a thoroughly Christian constitution, was no longer able to be a Christian”).

Auerbach is one of those critics whose ideas seem to grow organically from the loam of their narrative soil. We sense this as we follow him on his excursions around the seventeenth century (“Racine and the Passions” or “La Cour et la Ville”), or read his account of the history of Augustine’s sermo humilis, the mode of expression that best conveys the reality of the Passion of Christ. But it’s also true that his immersion in the German philological tradition sometimes makes him resort to knotty, high-sounding formulations that seem to waffle ever so slightly. Said sensed this in Auerbach’s attraction to “the dynamic transformations as well as the deep sedimentations of history.” And this, I think, lies at the heart of Auerbach’s presumed detachment. Deeply influenced by Hegelian idealism, he viewed life on earth as a purposeful unfolding in which the tempo of history is continually roiled by events. So, even as the world changes in front of us, it should be viewed in retrospect, since only then can such changes become part of the tempo.

In a lecture that Auerbach delivered in Turkey about European realism, included in Konuk’s book, he interjects an apparent non sequitur. After observing that the art of realism is leaning toward a depiction of “the life shared in common” by all people, he asserts, “Those who understand this should not be shaken by the tragic events occurring today.” He was speaking in the winter of 1941-42. “History is manifested through catastrophic events and ruptures. That which is being prepared today, that which has been in preparation for a century, is the tragic realism I have discussed, modern realism, the life shared in common which grants the possibility of life to all people on earth.”

Even a great critic must have his critics. The eminent medievalist Charles Muscatine chided Auerbach for blurring “half a dozen medieval realisms,” and Wellek wondered whether his notion of realism was fully consistent. Auerbach tended to undervalue the comic and, consequently, gave short shrift to both Dickens and Thackeray. He neglected American literature entirely, except for a brief allusion to Pearl S. Buck. Moreover, his characterization of realism as the unvarnished reënactment of the common man’s sojourn on earth is oddly restrictive. As Eagleton pointed out, ordinary life is no more real than “courts and country houses,” and “cucumber sandwiches are no less ontologically solid than pie and beans.”

Curiously, for a critic who seemed so buttoned up in his own everyday life, Auerbach wanted us to know that a strong personal element stamped his work, that his own experiences directly led to his “choice of problems, the starting points, the reasoning and the intention” found in his writings. Anyone looking for these experiences, however, is going to be disappointed. Although Auerbach occasionally displays an animus toward a writer, he wasn’t what you’d call an emotionally demonstrative critic. But, because he valued the historical situation of literary works, he thought that we should regard his own work as that of a particular man writing at a particular time.

Perhaps he feared that his reserve, his formality, and his lofty style would cause readers to presume a worldly detachment on his part, even a lack of sympathy for the Jews of Europe. There’s not much pain or outrage in this 1938 assessment of Fascism:

The challenge is not to grasp and digest all the evil that’s happening—that’s not too difficult—but much more to find a point of departure for those historical forces that can be set against it. . . . To seek for them in myself, to track them down in the world, completely absorbs me. The old forces of resistance—churches, democracies, education, economic laws—are useful and effective only if they are renewed and activated through a new force not yet visible to me.

That new force never emerged, and Auerbach could never take solace in the future. He was a Jew outside of Judaism and a German ousted from Germany. His main academic interest—the flow of history through the conduit of Christianity—also attested to his expatriate status as both a critic and a Jew. Even when he regarded Germany as his homeland, he hadn’t felt completely at home. Writing to Walter Benjamin in October, 1935, he refers to the strangeness of his situation at Marburg, where he was “living among people who are not of our origin, and whose conditions are very different—but who, nevertheless, think exactly as we do. This is wonderful, but it implies a temptation for foolishness; the temptation consists in the illusion that there is a ground to build upon.” Such awareness is already a form of exile.

It’s difficult to say when exile began to define him. But, almost twenty years after his book on Dante, he’s still musing on the poet’s ejection from Florence, and the way Dante “never ceased to feel the bitterness of exile, his nostalgia for Florence, and his hatred for her new rulers.” This works both as literal truth and as an obvious analogy to Auerbach himself. “You are to know the bitter taste / of others’ bread,” he quotes, “how salt it is.”

In one of his last essays, “The Philology of World Literature,” Auerbach seems to be reflecting on his own situation, a man caught between the place where he was born and the work that he was born to. “The most precious and necessary thing that philologists inherit may be their national language and culture,” he writes. “But it is only in losing—or overcoming—this inheritance that it can have this effect.” He then cites the twelfth-century theologian Hugh of St. Victor: “The man who finds his homeland sweet is still a tender beginner; he to whom every soil is as his native one is already strong; but he is perfect to whom the entire world is as a foreign land.” Auerbach now muses, “Hugh’s intended audience consisted of those individuals whose goal it was to free themselves from their love of this world. But it is also a good path to follow for anyone who desires to secure a proper love for the world.” Who, though, can acquire such love? Auerbach never did; history wouldn’t let him. ♦

Voir encore:

Erich Auerbach à Istanbul : l’exil comme distance critique
Kader Konuk
p. 93-102
Revue germanique internationale
19 | 2014 : La romanistique allemande

Erich Auerbach left Germany as a Dante-scholar and became a comparatist in Turkish exile. There were two reasons for this intellectual move. He wanted to rescue a certain idea of Europe destroyed by the Nazis and was assigned the role of a Europeanist at the newly founded, secular University of Istanbul. This article investigates and challenges two conventional explanations concerning the originality of Auerbach’s authorship, namely, the unavailability of books and detachment as a precondition for critical thinking.

1« Malheureusement il n’y avait presque pas de livres », écrivait le romaniste Leo Spitzer pour décrire les conditions de travail de son exil à Istanbul. « Finalement je me suis renseigné auprès du doyen sur cette carence et il m’a simplement répondu, nous ne faisons pas d’effort pour les livres. Ils brûlent. »1 Les propos du doyen étaient incompréhensibles pour Spitzer et ils demandent aujourd’hui encore une explication. Car le doyen n’exprime pas ici, comme Spitzer semble le laisser croire, son désintérêt pour les livres, mais plutôt une attitude cynique face à la possibilité de les conserver dans une ville menacée par les tremblements de terre. Les Ottomans avaient principalement construit en bois pendant des siècles en raison de l’élasticité du matériau et ils s’étaient ainsi accommodés du fait que des incendies puissent provoquer des dommages irréparables. La bibliothèque universitaire d’Istanbul a été détruite en 1860 par un de ces incendies. Le fait que le doyen traite le danger d’incendie permanent de façon aussi sereine inquiétait le philologue Spitzer venu d’Allemagne en 1933 alors qu’il n’avait rien pu faire dans sa patrie contre les autodafés du national-socialisme ni contre le bannissement de scientifiques dans le cadre de la sinistre loi sur « la restauration du corps des fonctionnaires.

2L’idée qu’on manquait de livres dans l’exil d’Istanbul et que l’endroit était de ce point de vue une sorte de tabula rasa est largement répandue. De telles affirmations visent la plupart du temps à souligner l’originalité de la science née dans l’exil et les lacunes de la situation scientifique à la périphérie de l’Europe. Elles suggèrent que la science européenne peut être exportée et traduite, mais qu’il ne peut y avoir de véritables échanges réciproques. Les termes de transfert de savoir et d’aide à l’éducation ne transmettent toutefois qu’une image réduite et unidimensionnelle des relations scientifiques germano-turques entre 1933 et 1945. Pour faire contrepoids à cette image je discute ici le procédé de critique littéraire que le romaniste juif allemand Erich Auerbach a élaboré pendant son exil à Istanbul entre 1936 et 1947.

3Dans son œuvre de l’exil Mimésis. La représentation de la réalité dans la littérature occidentale Auerbach justifie son utilisation parcimonieuse de la littérature secondaire et des notes infrapaginales en arguant qu’il lui avait manqué une bibliothèque spécialisée suffisante. « Si j’avais pu essayer », écrit-il, « de m’informer sur tout ce qui a été écrit sur tant de sujets, je n’aurais peut-être pas pu écrire. »2 L’affirmation d’Auerbach selon laquelle son nouveau procédé d’écriture serait dû au manque de ressource adaptée suscite toujours des débats dans les disciplines concernées. Son œuvre de l’exil est aujourd’hui considérée comme exemple de distance critique et est présentée dans le monde entier comme un texte fondamental de la littérature comparée. Nous le devons surtout à Edward Said qui dans des articles de grande influence a montré la relation entre l’exil et la pratique de la critique littéraire. L’intérêt de Said pour la Mimésis d’Auerbach n’est pas lié en premier lieu au fait qu’Auerbach ramène les trois mille ans d’histoire de la littérature occidentale à ses origines homériques et hébraïques. Said ne souligne pas non plus particulièrement que grâce à Auerbach nous savons que les conceptions de l’histoire et les formes de représentation littéraire de la réalité sont en étroite relation. Bien que la vision du monde humaniste d’Auerbach soit incompatible avec la critique postcoloniale, le philologue judéo-allemand occupe une place centrale dans la pensée de Said. Le théoricien palestinien de la littérature s’intéresse avant tout à l’étrangéité comme condition préalable au développement d’une distance critique vis-à-vis des philologies nationales. Il suggère que Mimésis d’Auerbach « doit précisément sa réalisation aux circonstances de l’exil oriental, non-occidental et à la perte de la patrie qu’il impliquait ».3 Contrairement aux représentations de Said les années 1930 et le début des années 1940 en Turquie étaient pourtant marqués par des réformes visant le rapprochement avec l’Europe et par des processus de traduction qui favorisaient l’humanisme comme dénominateur commun entre une Turquie moderne et le prétendu Occident. L’humaniste Auerbach ne se retrouvait donc pas du tout dans un lieu qui signifiait le contraire de l’Europe. C’est précisément aux frontières de l’Europe que Leo Spitzer et Erich Auerbach se trouvèrent confrontés au défi d’élaborer une littérature comparée selon un modèle humaniste et orientée sur l’Europe afin de fonder des sciences humaines modernes dans la plus importante université de Turquie.

4Sur l’arrière-plan de l’attentat du World Trade Center et des contrecoups religieux à travers le monde le comparatisme doit faire face à de nouveaux défis. Nous avons maintenant besoin d’une science de la littérature et de la culture qui aide d’une part à renforcer le fondement sécularisé du monde moderne et d’autre part à donner une nouvelle pertinence à la littérature mondiale comme espace intellectuel de rencontre. Le comparatisme actuel n’étudie pas seulement la construction de différences nationales, ethniques et culturelles mais aborde en règle générale les différentes philologies nationales dans une perspective transnationale. Avant de développer mes réflexions sur le comparatisme du xxie siècle je voudrais remettre en question un des mythes fondateurs de la discipline : à savoir la légende répandue principalement aux États-Unis selon laquelle Auerbach aurait écrit Mimésis sans bibliothèque spécialisée. L’hypothèse d’après laquelle l’originalité de la perspective critique d’Auerbach viendrait de son sentiment d’étrangéité et d’isolation dans l’exil turc est devenue presque un lieu commun après la guerre. La présente contribution examine à nouveaux frais les conditions de l’exil à Istanbul et analyse l’hypothèse selon laquelle Auerbach entre 1942 et 1945 écrivit l’histoire de la littérature occidentale d’Homère à Virginia Woolf dans une sorte de tour d’ivoire. A partir de là je considère les conclusions que l’on peut tirer de l’expérience de l’exil pour les méthodes de la discipline.

5Il s’agit d’abord de revenir à l’affirmation de Spitzer citée au début et de se demander qui était ce doyen de l’institut de littérature d’Istanbul qui ne voulait pas, dit-on, se préoccuper des livres. Il s’agit de l’historien de la littérature Mehmet Fuat Köprülü qui en tant que fondateur du premier institut de littérature a rassemblé en une décennie 16 000 volumes concernant l’étude de la langue, de la littérature et de l’histoire turque. Köprülü était issu d’une ancienne famille ottomane de grands vizirs qui au xviie siècle avaient fondé un cabinet de lecture pour les pauvres et une bibliothèque publique. Celle-ci faisait encore partie à l’époque du séjour à Istanbul de Spitzer et d’Auerbach des principales bibliothèques de l’époque.4 Présenter Köprülü comme un homme indifférent aux livres ne manque pas dans ce contexte d’une dimension ironique qui n’a pas besoin d’être développée ici. Prendre au pied de la lettre sa réponse à Spitzer induit tout simplement en erreur.

6Cela ne veut pas dire que les bibliothèques d’Istanbul aient été comparables à la bibliothèque de Prusse à Berlin, dotée d’un bon catalogue, une bibliothèque où Auerbach avait travaillé lui-même comme bibliothécaire pendant bien des années. A Berlin Auerbach disposait des ressources avec lesquelles il put rédiger son mémoire d’habilitation sur Dante qui lui assura sa chaire à l’Université de Marburg. D’un autre côté Istanbul était aussi un lieu aux nombreuses ressources. Quand le philologue Harry Howard à la fin des années 1920 visita les bibliothèques et les archives, il évalua qu’au moins 100 000 manuscrits de textes anciens étaient conservés qui concernaient les époques grecque, romaine, byzantine, islamique, ottomane et turque. Howard caractérise pour cette raison Istanbul comme « une des plus riches villes du monde pour ses ressources d’archives et bibliothèques qui sont équivalentes aux trésors bien connus de Rome. »5 A cela s’ajoutent les musées de la ville qui n’abritent pas seulement des pièces de l’époque ottomane, mais aussi des époques grecque, romaine et byzantine – un important matériau pour un médiéviste donc qui seulement ici, dans l’exil turc, devait devenir comparatiste.

7En ce qui concerne les livres européens modernes, Istanbul n’était certes pas au niveau de Berlin, mais la première année de la Réforme universitaire laïque on acheta tout de même 20 000 ouvrages pour la bibliothèque universitaire. Par conséquent la bibliothèque put en 1934 élargir ses collections à 132 000 livres. Et en raison de la réforme humaniste de la Turquie on peut être assuré qu’une part notable des livres nouvellement acquis étaient des classiques européens et des textes sur la littérature et la culture de l’Europe.

8C’est un des paradoxes de l’histoire de l’exil que l’acquisition de livres allemands à Istanbul était relativement simple en raison des nombreuses librairies fermées en Allemagne qui étaient auparavant en la possession de marchands juifs. Et comme les bibliothécaires émigrés Gerhard Kessler et Walter Gottschalk organisèrent la mise en place de la nouvelle bibliothèque universitaire d’Istanbul, on peut supposer qu’ils se sont efforcés de couvrir les besoins matériels de leurs collègues allemands et de correspondre à l’idée qu’il se faisait de la modernisation.6 De façon générale la bibliothèque universitaire, comme le prouvent des rapports, comprenait dans tous les domaines une forte base de livres allemands.7

9Howard nous apprend que des livres modernes étaient disponibles dans les bibliothèques en dehors de l’Université d’Istanbul. Il écrit ainsi à propos de la bibliothèque Inkilmap, récemment fondée, que celle-ci se limite « pour l’essentiel à des livres modernes en français, anglais, allemand, grec, arménien et turc » et est surtout orientée vers le xixe siècle. Auerbach a utilisé des collections de ce genre. C’est ce que confirme la romaniste Süheyla Bayrav qui pendant bien des années a travaillé comme assistante et traductrice d’Auerbach. Dans une interview sur les débuts de la philologie en Turquie elle indique en outre qu’Auerbach – en dehors de sa collection privée – profita lors de la rédaction de Mimésis de la bibliothèque du département de philologie française.8

10Les matériaux qu’Auerbach ne pouvait pas trouver à l’Université, il chercha à les obtenir par d’autres émigrants, par des librairies et à divers endroits de la ville. La librairie Hachette de Pera était, la plus grande, présentait principalement de la littérature française. Les librairies Kalis et Kapp en revanche, qui étaient la propriété de nazis, étaient boycottées par les Juifs et les antifascistes.9 Mais sur le plan des littératures européennes la ville offrait des alternatives. C’est ainsi qu’à côté d’une librairie italienne deux librairies allemandes occupaient une place importante. La vieille librairie Caron, qui était la propriété d’un Juif allemand né à Istanbul, constituait pour ainsi dire le centre intellectuel des scientifiques allemands en exil.

11Dans des lettres et des mémoires nous lisons que les émigrants avaient accès à une quantité de sources qui étaient dispersées entre de nombreuses bibliothèques et archives d’Istanbul ; des textes canoniques, d’importantes éditions critiques et même des manuscrits romains et grecs n’étaient pas inaccessibles. Cela n’empêche certes pas Auerbach, dans ses lettres de se plaindre du manque de « bibliothèque raisonnable ». Mais il rapporte en même temps qu’outre sa propre bibliothèque il utilise « celle des Dominicains de Galata » où « il a heureusement découvert une patrologie complète ? »10 La patrologie latine est inappréciable parce qu’elle consiste en deux cent volumes d’ouvrages religieux latins qui englobent mille ans d’œuvres théologiques, historiques et littéraires. Une autre collection massive de textes de la patrologie contient des textes grecs avec des traductions latines. Après la première publication de Mimésis Auerbach, entre-temps émigré aux États-Unis, a confirmé cette trouvaille importante dans une note infrapaginale des épilégomènes de Mimésis. Là il rapporte qu’Angelo Giuseppe Roncalli lui-même, le futur pape Jean XXIII, lui a donné accès à la Patrologie.11 A cette lecture se rattache chez Auerbach le concept de figura comme une forme essentielle pour concevoir l’histoire. On dit que, pendant son séjour en Turquie, Roncalli a aidé des milliers de Juifs à échapper à l’holocauste, mais indépendamment du fait qu’il a ouvert la bibliothèque du cloître dominicain San Pietro di Galata (saint Pierre et Paul) à Auerbach, on ne sait pas grand-chose de la relation des deux hommes. Dans une lettre de 1956 Roncalli remercie l’érudit juif après avoir reçu Mimésis comme une preuve de « fraternité universelle » et il se souvient de leurs « joyeux et amicaux dialogues » de 1937. La lettre ne permet toutefois pas de dire si Roncalli et Auerbach eurent des relations scientifiques, s’ils discutèrent de questions théologiques ou de la possibilité de protéger les Juifs des agressions nazies. Mais d’Auerbach nous savons que sans accès à la bibliothèque des dominicains il n’aurait pas été en état de formuler ses influentes idées sur la figura. Dans la patrologie il trouva une riche tradition de lecture chrétienne figurale de l’Ancien Testament, qui lui permit de poser les bases de son œuvre Mimésis. Ce type de connaissances autorisent à douter de l’affirmation d’Auerbach selon laquelle Mimésis devrait son existence « au manque d’une grande bibliothèque spécialisée ». Son collègue Alexander Rüstow a rédigé l’histoire culturelle Lieux contemporains [Ortsbestimmung der Gegenwart] dans l’exil d’Istanbul sans proférer la même affirmation. C’est pourquoi nous pouvons interpréter l’affirmation d’Auerbach, souvent citée, comme une litote, un euphémisme. Donc comme un procédé rhétorique qui permettait à Auerbach de justifier une nouvelle méthode, une méthode qui prend comme point de départ de brefs extraits littéraires soigneusement choisis pour étudier différentes formes de représentation de la réalité à travers trois millénaires. Les remarques d’Auerbach dans la postface ont contribué à ce qu’Istanbul soit compris comme un lieu d’absence, comme un manque. Mais ce qui est à l’œuvre ici, c’est la litote, un vieux procédé stylistique de la littérature de voyage qui se trouve déjà dans les scènes d’arrivée de l’Odyssée, dans la Genèse et dans la littérature d’exploration. Jonathan Lamble la décrit remarquablement comme « un balancement entre tout et rien, entre plénitude et manque. »12

12Nous pouvons mettre la sous-évaluation si ce n’est la négation de tout présupposé intellectuel en relation avec la méthode de Giambattista Vico dont Auerbach avait traduit l’œuvre dans les années 1920. Définissant sa philosophie de l’histoire, Vico écrit en 1725 que nous devons « nous comporter comme s’il n’y avait pas de livres dans le monde. »13 De cette manière Vico fonde la vision d’une nouvelle philosophie de l’histoire séculière. Chez les anciens assistants des philologues allemands de Turquie on sent encore les conséquences de ce coup franc. La spécialiste des humanités Azra Erhat qui avait encore été étudiante de Leo Spitzer avant de rejoindre Georg Rohde au séminaire de philologie classique d’Ankara écrit en 1937 qu’un humaniste ne devait pas se contenter d’être une « bibliothèque ambulante »14 Son mentor Spitzer présente l’émancipation de son propre présent comme le premier devoir de l’humaniste. Selon Spitzer la distance par rapport au présent est la condition préalable de la méthode philologique.

13Dans ces conditions on ne s’étonne pas qu’Auerbach se soit aussi interrogé sur le moyen d’accorder la méthode d’un philologue ou d’un écrivain avec l’adoption d’une perspective particulière. Quand dans l’après-guerre il rencontre l’historien de la littérature Harry Levin il compare le travail dans l’exil d’Istanbul au travail « dans un grenier ».15 Une comparaison que l’on peut rapprocher d’autres représentations de l’auteur moderne. Ainsi cette image rappelle par exemple Mrs Dalloway de Virginia Woolf où la protagoniste se retire toujours dans un grenier à l’écart pour échapper aux devoirs du quotidien et laisser libre cours au flot de ses idées. L’importance qu’attribue Auerbach à une émancipation spatio-temporelle du présent est en rapport avec les procédés littéraires modernes. Ce n’est pas par hasard que dans le chapitre conclusif de Mimésis il se confronte à To the Lighthouse de Virginia Woolf et à La recherche du temps perdu de Marcel Proust. Au centre du chapitre il y a les processus subjectifs de remémoration propres à la modernité littéraire. Il commence par la scène de To the Lighthouse où Mrs Ramsay tout en vaquant à son travail quotidien – elle tricote une chaussette pour son fils cadet – sombre dans une profonde réflexion. Elle est convaincue que les vacances familiales sur une île ont un effet bienfaisant sur son mari parce qu’il est loin de sa bibliothèque et inaccessible pour ses étudiants en philosophie. Le phare, un lieu sans livres érudits, promet, selon Auerbach, de devenir un lieu de repos intellectuel. Cette image du phare sans livres est présente encore en filigrane dans l’épilogue de Mimésis qui suit de peu, un épilogue où Auerbach souligne le manque de livres spécialisés à Istanbul. Dans le roman de Woolf le voyage en bateau vers le phare représente le point crucial de l’action ; ce voyage que les enfants dans la première partie du roman ont attendu en vain ne se réalise qu’après la fin de la Première Guerre mondiale, si destructrice, et après la mort de Mrs Ramsay. Les enfants devenus adultes entre temps entreprennent le voyage en bateau avec leur père et peuvent conclure leur douloureux passé dans une forme de voyage du souvenir. Aux yeux de l’artiste et amie de la famille Lily Briscoe ce voyage en bateau, qu’elle observe depuis la côte, devient central pour une création artistique qui promet de dépasser les frontières de la représentation réaliste.

14Harry Levin a avec beaucoup de pertinence décrit l’œuvre d’Auerbach comme un « musée imaginaire de […] la civilisation européenne. »16Mimésis même doit être compris comme une forme de travail de la mémoire où l’auteur s’émancipe de restrictions disciplinaires et parvient pour la première fois à établir un fondement judéo-chrétien qui puisse servir de base à la littérature de l’Occident. Selon Auerbach l’artiste moderne comme observateur s’est émancipé de l’objet et fait face à son propre passé. C’est seulement une émancipation consciente de la période et de l’espace contemporains qui permet le procès de remémoration. Cette émancipation de son propre lieu est chez Auerbach une condition préalable de la méthode propre au philologue moderne. Woolf dans la scène de To the Lighthouse met en œuvre la distance comme éloignement spatial et base de la création artistique. Proust au contraire souligne la dimension temporelle d’une distance qui peut être franchie grâce au fragment d’un passé lointain. En analogie avec le procédé littéraire de Proust et de Woolf Auerbach se présente comme un auteur qui s’émancipe de sa propre fixation spatio-temporelle pour explorer les relations entre phénomènes littéraires dans l’histoire culturelle de l’Europe du point de vue d’une distance critique.

15En conclusion de ses recherches de critique littéraire Auerbach offre à ses lecteurs une dernière vision qui mérite autant d’être remémorée que le coup de pinceau décisif de Lily Briscoe à la fin de To the Lighthouse, un coup de pinceau qui symbolise l’irruption de la modernité. Auerbach achève son chapitre en mai 1945 avec les mots suivants : Peut-être le processus de décomposition du présent est-il « trop simple pour ceux qui admirent et aiment notre époque malgré tous ses dangers et ses catastrophes à cause de son débordement de vie et de l’incomparable point de vue qu’elle offre. Mais ils sont minoritaires et vraisemblablement ils ne connaîtront guère plus que les premiers signes de l’unification et de la simplification qui s’annonce. »17 Le deuil d’Auerbach face à la perte de diversité et de profondeur à l’époque moderne n’est pas totalement dystopique. Au malheur menaçant qu’il observe dans l’Ulysse de Joyce – ce « cynisme criard et douloureux », au refus d’une « volonté pratique de vivre » Auerbach oppose la prose de Virginia Woolf. Dans To the Lighthouse, il voit un roman « plein d’une tristesse voilée et sans issue » mais aussi d’un « bel et authentique amour » « à la manière des femmes ». Contre la standardisation des cultures qu’il a pu lui-même observer de près pendant les réformes prolongées en vue de l’européisation de la Turquie moderne il met son espoir dans « la plénitude de réel et la profondeur de vie de chaque instant »18 propres à Woolf.

16La publication de Mimésis déclencha un débat sur le dépassement des frontières disciplinaires – finalement Auerbach quitta Marbourg comme un spécialiste de Dante et Istanbul après onze années comme un comparatiste. Sous l’impulsion de l’essai de Lion Feuchtwanger sur les écrivains allemands en exil Victor Klemperer écrit en 1948 une recension où il cherche à définir exactement le lien entre Mimésis et l’expérience de l’exil chez Auerbach. Plutôt qu’un lieu sans livres Klemperer voit dans l’exil d’Auerbach un espace où un nouveau procédé de critique littéraire a pu naître. Selon Klemperer c’est précisément l’exil qui permit à son collègue de se débarrasser des œillères de sa discipline et d’adopter dans ses recherches stylistiques à la fois « la perspective de l’esthéticien, de l’historien et du sociologue ».19 Ce ne serait pas, argumente-t-il, le lieu spécifique d’Istanbul mais l’exil en soi qui aurait permis de faire sauter les barrières disciplinaires. Mes recherches sur les conditions historiques de l’exil à Istanbul contredisent les hypothèses de Klemperer dans la mesure où il existe un lien étroit entre Mimésis et le rôle de l’auteur dans les réformes humanistes en Turquie. Il faut considérer ici que le rôle d’Auerbach comme responsable de la première faculté du pays consacrée aux littératures occidentales (et de façon caractéristique pas seulement à la romanistique) a rendu nécessaire de développer une nouvelle méthode de compréhension des littératures européennes.

17Au cours de la première phase de réception de Mimésis s’est maintenue l’idée que le lieu de l’exil n’avait exercé aucune influence sur l’œuvre de l’exil d’Auerbach ou seulement ex negativo – par l’étrangéité, l’isolation et le manque. Comme Auerbach représentait – au moins aux USA – l’image même du savant émigré on parlait dans l’après-guerre de l’exil turc soit comme d’un problème ou bien on y voyait une sorte de décoration.20 « Mimésis est de façon parfaitement consciente un livre qu’un homme déterminé, dans une situation déterminée a écrit au début des années 1940, remarque Auerbach en 1953 dans l’« épilégomène à Mimésis ».21 Il se défend contre une critique qui caractérisait son livre comme trop lié au présent et argumente qu’un auteur ne peut concevoir les contextes qu’à partir de son présent vécu, de son origine personnelle, de son histoire et de sa formation. De ce « point de vue historique incomparable », dit Auerbach, il entame une approche des conditions de l’histoire littéraire occidentale. De façon analogue à Lily Briscoe dans To the Lighthouse il n’est pas question pour lui d’une reproduction réaliste et conforme aux règles de la discipline mais de la possibilité d’un commencement nouveau bien qu’incertain. Dans les cercles comparatistes Auerbach, selon Seth Lerer, est considéré comme un Dante de son époque, un Ovide du xxe siècle.22 L’image exclusive d’un Auerbach humaniste déraciné et devenu étranger a encore renforcé ce mythe. Je ne voudrais ici nullement mettre en doute l’originalité de Mimésis et ses apports mais simplement mettre en question l’instrumentalisation de son auteur pour un programme comparatiste. A la suite de Said, le comparatiste Aamir Mufti conclut par exemple directement de l’expérience de l’exil à un procédé de critique littéraire. Mufti attribue de la sorte des aptitudes presque utopiques à l’exil comme « expérience par excellence de la minorité ».23 Suivant une argumentation comparable Abdul Jan Mohammed propose une sorte de « pédagogie de la frontière » qui met au premier plan la production littéraire des « intellectuels frontaliers » et l’idée du déracinement et de l’étrangéité pour faire comprendre aux étudiants la distance critique.

18Dans les cercles comparatistes le motif de l’émancipation par rapport à son propre présent a plus d’importance que l’attachement d’Auerbach au présent et à un lieu du travail. Les expériences influencent certainement les procédés méthodologiques mais on ne peut les y identifier et elles ne sont pas mesurables. Dans le cas d’Auerbach l’exil à Istanbul a favorisé une approche macrohistorique avec laquelle il cherchait à appréhender des phénomènes centraux de la littérature occidentale. Pour Spitzer au contraire l’exil signifiait le renforcement d’une approche microanalytique.24 C’est pourquoi les expériences de l’exil ne se laissent pas directement traduire en une méthode. Elles entraînent finalement non seulement l’étrangéité et une distance critique mais elles ont aussi un revers : c’est précisément la vie quotidienne de l’exil qui exige de nouer un nouveau lien avec le lieu de l’exil. Même Auerbach qui s’est souvent présenté comme un savant sans livres dans sa tour d’ivoire s’est confronté à la plénitude de réel et à la profondeur de vie de chaque instant en exil.25

19Une des tâches du comparatisme réside depuis toujours dans le fait d’avoir à mettre en relation les conditions d’émergence des littératures européennes avec les littératures voisines. Sous l’influence de Said le comparatisme depuis les années 1980 a répondu aux exigences de l’ère postcoloniale et est, au moins pour l’espace anglophone, au cœur de la théorie littéraire. Aujourd’hui les études postcoloniales sous l’influence de Dipesh Chakrabarty explorent des formes de co-émergence – les anciennes régions coloniales sont traitées comme conditions cadres de constitution des cultures d’Europe occidentale.

20Sur l’arrière-plan de l’histoire de ma discipline je voudrais mettre un nouvel accent. Au lieu d’un traitement anhistorique et globalement européen de la politique culturelle coloniale je m’intéresse dans mon travail aux formes historiquement spécifiques de l’impérialisme et je mets avant tout en avant les procédures de sécularisation. Pour traiter de l’histoire culturelle et littéraire de l’Empire ottoman et de sa relation à l’Europe la base théorique des études postcoloniales est de toute façon insuffisante. La même remarque vaut pour la Russie tsariste dont la politique impérialiste, comme celle de l’empire ottoman, se distingue des modèles britannique, français et allemand. Un nouveau défi à notre discipline viendra surtout des recherches qui sont autant en ruptures avec le postcolonialisme qu’elles privilégient les relations multilatérales. Grâce à la connaissance, souvent plus large, des langues étrangères qu’on peut observer chez les étudiants actuels et grâce à notre propre point de vue historique, de nouveaux territoires s’offrent à la recherche et à l’enseignement dont j’attends un nouvel élargissement de nos fondements théoriques.

Voir encore:

New book explores ‘ethical turn’ of critical theory

December 20, 2017

How did critical theory—a major area of inquiry for humanities scholars and social scientists in the late 20th century—pivot from a narrowly focused investigation of meaning and text to a broad engagement with culture and politics?

That question is at the heart of The Ethics of Theory: Philosophy, History, Literature (Bloomsbury, 2017), a new book by Robert Doran, a professor of French and comparative literature. He examines iconic 20th-century philosophers, including Jean-Paul Sartre, Michel Foucault, Jacques Derrida, and Richard Rorty, as well as influential literary and cultural theorists, such as Claude Lévi-Strauss, Erich Auerbach, Hayden White, René Girard, and Edward Said.

Doran’s own education influenced his selections. He studied under, or attended seminars with, four of the nine theorists about whom he writes: White, Girard, Derrida, and Rorty.

He could have titled his book “How Theory Became Ethics,” he says.

Once “denounced as amoral, nihilistic, and quietist, due to its ‘relativist,’ ‘textualist,’ and ‘anti-subjectivist’ bent,” critical theory also became “the source of the ‘political turn’ in the humanities as well as a wellspring for liberal activists,” he writes.

Critical theory is a philosophical approach to understanding culture and society. Interdisciplinary in its areas of inquiry, it’s particularly concerned with how people form knowledge and the kinds of power that underlie these formations. The groundwork for critical theory was laid by thinkers such as Immanuel Kant, with his considerations of how the mind structures knowledge, and Karl Marx, through his critique of capitalist culture. Intensely concerned with language and written texts, critical theory later became socially engaged, as well, in what Doran calls its political turn.

Doran locates critical theory’s emergence in 1960s France, with the early writings of philosophers Foucault and Derrida—“two figures who have reconfigured the intellectual landscape in ways that are still being felt,” he writes. They did so in part by making Continental thought—especially the thought of German philosophers Friedrich Nietzsche and Martin Heidegger—more relevant to the broader humanities and social sciences.

By the late 19th century, scientific inquiry had taken philosophy’s place in popular regard as the most elevated form of knowledge. Nietzsche and Heidegger challenged the magisterial presumptions of theoretical knowledge, arguing that the only knowledge attainable is interpretive—contingent and perspectival, rather than universal and ahistorical. This contention is at the root of what became critical theory.

In the United States and Britain, critical theory found a place in literature departments, where the path had been paved by New Criticism, a method of literary criticism based on the idea that meaning is found within texts themselves, not in external contexts, such as the author’s life or social history.

“… and people were beginning to ask, what about the silence of the whole poststructuralist movement—isn’t that a problem? Where is the ethics in it?”

For French philosophers in the ’60s, the main intellectual action was in structuralism, which approaches systems as the internal relation of their parts. In the 19th century, Swiss linguist Ferdinand de Saussure developed the field of structural linguistics—language, he argued, was a system built from the relationships between different kinds of linguistic signs. His work came to wider attention in the 1950s, when Claude Lévi-Strauss used it to develop “structural anthropology.”

Just as American scholars were taking up structuralism, Derrida delivered a paper at a 1966 conference at Johns Hopkins that is widely regarded as “the birth of Theory,” Doran writes. In “Structure, Sign, and Play in the Discourse of the Human Sciences,” Derrida offered a critique of structuralism that opened the way to poststructuralism, or “deconstruction,” as it has come to be known. Interest in deconstruction reached a fever pitch in the 1980s. And then, dramatically, “the fever broke in 1987,” Doran says.

That year brought two scandals: disclosures about Heidegger’s connections with Nazism in the 1930s and the discovery of early anti-Semitic writings by the eminent deconstructive critic Paul de Man.

The revelations created a crisis for the basic orientation of critical theory. “Heidegger never apologized for his Nazi connections, never said anything about the Holocaust, was just completely silent about the whole thing,” Doran says. “So you have Heidegger’s silence and de Man’s silence. And people were beginning to ask, what about the silence of the whole poststructuralist movement—isn’t that a problem? Where is the ethics in it?”

Out of that crisis came what Doran terms the “ethical turn” of critical theory. It was ushered in by critic Gayatri Spivak, who had studied under de Man at Cornell. She had also translated and introduced Derrida’s most important work, Of Grammatology, a book that became required reading in US departments of English starting in the late 1970s and early 1980s. But with her landmark 1988 essay, “Can the Subaltern Speak?”—a consideration of power and its accessibility—Spivak helped to establish the field of postcolonial studies and thereby contributed to the introduction of an ethical and political dimension to critical theory. This effectively ended the “textualist” phase she herself had inaugurated with her translation of Of Grammatology.

The significance of the ethical subject, and of the author figure, which had been sidelined with the singular focus on the text, came roaring back into play. “Personal experience and group identity become an index of theoretical authenticity. The death of the author gives way to a new kind of ‘authority,’” Doran writes. “The fact that Derrida was a Jew born in (French) Algeria and the fact that Foucault was a homosexual, facts that were considered philosophically irrelevant in the 1960s and 1970s, suddenly became salient after the political turn.”

So emphatic was the turn that it obscured critical theory’s origins: “The transformation of Theory into an ethico-political discourse was so sudden, successful, and complete that it now appears to many as if Theory had always been conceived or understood as a socially committed or activist discourse,” Doran writes.

He argues that understanding theory’s evolution is critical. “A lot of people think of theory as a kind of toolbox” for scholarship, he says. “You take this and you take that [mode of analysis]—you take whatever seems to work for you. But these ideas came about at a particular time and have a particular meaning. You can’t just take them willy-nilly out of context, and that’s what I try to rectify, to some extent, in this book.”

Since its heyday in the 1980s, critical theory has moved from center stage for scholars. But it hasn’t disappeared, and Doran argues that it remains crucial. It has “become synonymous with the ethical and political questions that agitate our times,” he writes. His book, he says, is an “endeavor to understand how this happened.”


Cinéma-vérité: Avec « Le 15h17 pour Paris », Clint Eastwood reste à quai (Radical plainness tinged with Christian mystery which will resonate in the heartland: it’s the artlessness, stupid !)

1 mars, 2018

Qui a cru à ce qui nous était annoncé? Qui a reconnu le bras de l’Éternel? (…) mon serviteur (…) s’est livré lui-même à la mort et (…) il a été mis au nombre des malfaiteurs, parce qu’il a porté les péchés de beaucoup d’hommes et qu’il a intercédé pour les coupables. Esaïe (53: 1-12)
Ayez en vous les sentiments qui étaient en Jésus Christ, lequel, existant en forme de Dieu, n’a point regardé comme une proie à arracher d’être égal avec Dieu, mais s’est dépouillé lui-même, en prenant une forme de serviteur, en devenant semblable aux hommes; et ayant paru comme un simple homme, il s’est humilié lui-même, se rendant obéissant jusqu’à la mort, même jusqu’à la mort de la croix. Paul (Lettre aux Philippiens 2: 5-8)
Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix ; là où est la haine, que je mette l’amour ; là où est l’offense, que je mette le pardon ; là où est la discorde, que je mette l’union ; là où est l’erreur, que je mette la vérité ; là où est le doute, que je mette la foi ; là où est le désespoir, que je mette l’espérance ; là où sont les ténèbres, que je mette la lumière ; là où est la tristesse, que je mette la joie. O Seigneur, que je ne cherche pas tant à être consolé qu’à consoler, à être compris qu’à comprendre, à être aimé qu’à aimer. Car c’est en se donnant qu’on reçoit, c’est en s’oubliant qu’on se retrouve, c’est en pardonnant qu’on est pardonné, c’est en mourant qu’on ressuscite à l’éternelle vie. Prière dite de Saint François
C’est peut-être dans la Bible qu’on trouverait des procédés littéraires nouveaux et l’art de laisser les choses à leur place. Marcel Schwob (lettre à Jules Renard, 1891)
Il va de soi que ce mélange des styles ne dénote aucune intention esthétique. Au contraire, il caractérise dès l’origine les écrits judéo-chrétiens ; il fut encore souligné par l’incarnation de Dieu dans un homme du dernier rang, par son existence terrestre parmi les humbles, par sa Passion ignominieuse au jugement du monde, et, par suite de la vaste diffusion et du puissant effet de ces écrits à une époque postérieure, agit naturellement de façon décisive sur la représentation du tragique et du sublime. (…) tout se joue entre des gens communs issus du peuple; une telle action, pour les Anciens, aurait fait la matière d’une farce ou d’une comédie. Et pourquoi n’avons-nous rien de tel ici? Pourquoi ce texte éveille-t-il en nous une profonde et grave sympathie? Parce qu’il représente quelque chose que ni la poésie antique ni l’historiographie antique n’ont jamais représenté: la naissance d’un mouvement spirituel dans les profondeurs du peuple, au sein des circonstances quotidiennes de l’existence du temps. Un nouveau cœur et un nouvel esprit naissent sous nos yeux. Ce que nous disons ici ne s’applique pas seulement au reniement de Pierre, mais à tous les faits que nous rapportent les livres du Nouveau Testament; dans chacun d’entre eux il s’agit toujours de la même question, toujours du même conflit, auquel tout homme se trouve forcément confronté et qui par là est un conflit toujours inachevé et infini. Il met en mouvement le monde entier des hommes, tandis que les enchevêtrements de destin et de passion que connaît l’antiquité gréco-romaine ne concernent directement qu’un seul individu, celui qui s’y trouve impliqué; c’est seulement en vertu d’une relation très générale, parce que nous sommes aussi des hommes, c’est-à-dire soumis au destin et aux passions, que nous ressentons de la terreur et de la pitié. Pierre, en revanche, ainsi que les autres personnages du Nouveau Testament sont plongés dans un mouvement général qui surgit des profondeurs, qui ne concerne d’abord qu’eux-mêmes et qui ne passe que très progressivement (les Actes des Apôtres illustrent le commencement de ce processus) au premier plan de l’histoire, mais qui dès le début est un mouvement sans limite qui aspire à toucher directement chaque homme et absorbe en lui tous les conflits purement personnels. Ainsi apparaît un monde d’une part tout à fait réel, quotidien, reconnaissable sous le rapport du temps, du lieu et des circonstances, et d’autre part ébranlé dans ses fondations, qui se transforme et se renouvelle sous nos yeux. Erich Auerbach (1946)
Pour restituer à la crucifixion sa puissance de scandale, il suffit de la filmer telle quelle, sans rien y ajouter, sans rien en retrancher. Mel Gibson a-t-il réalisé ce programme jusqu’au bout ? Pas complètement sans doute, mais il en a fait suffisamment pour épouvanter tous les conformismes. René Girard
Le cinéma ne peut-il pas être un des moyens de briser cette membrane qui nous isole les uns des autres, dans le métro ou dans la rue, dans l’escalier de l’immeuble ? La recherche du nouveau cinéma-vérité est du même coup celle d’un cinéma de la fraternité. Morin refuse donc un rapport lointain au spectateur et un regard vertical sur le sujet filmé. Qu’en est-il de la « vérité » dont il se réclame ? (…) Qu’on ne s’y trompe pas. Il ne s’agit pas seulement de donner à cette caméra cette légèreté du stylo qui permet au cinéaste de se mêler à la vie des hommes. […] Notre personnalité sociale est faite de rôles qui se sont incorporés à nous. Il est donc possible, à la manière du sociodrame, de permettre à chacun de jouer sa vie devant la caméra. Et comme dans un sociodrame, ce jeu a valeur de vérité psychanalytique. Edgar Morin
Dans un article pour France-Observateur en janvier 1960 intitulé « Pour un nouveau ‹ cinéma-vérité › », Morin emprunte à Dziga Vertov sa fameuse expression « Kino-Pravda », traduite par Sadoul par « cinéma-vérité » ou « ciné-vérité ». Ce terme ne désigne alors dans l’article de Morin que des films ethnographiques et sociologiques présentés au Festival de Florence. Cependant, compte tenu du ton prescriptif de l’article et de sa proximité avec le début du tournage de Chronique d’un été (mai 1960), ce texte a valeur de manifeste. Morin y présente les grands axes théoriques de ce nouveau type de films (…) Morin refuse donc un rapport lointain au spectateur et un regard vertical sur le sujet filmé. Qu’en est-il de la « vérité » dont il se réclame ? (…) Si les innovations techniques sont fascinantes, la nouveauté de ce cinéma repose donc avant tout sur un dispositif plus large, incluant l’implication du cinéaste et des protagonistes filmés qui, loin d’être passifs ou oublieux de la caméra, s’en servent pour laisser émerger leur « vérité profonde, […] la sève même de leur vie ». Séverine Graff
Why does all this matter? Because we are losing history. It is not the fault of Hollywood, as they used to call it, but Hollywood is a contributor to it. When people care enough about history to study and read it, it’s a small sin to lie and mislead in dramas. But when people get their history through entertainment, when they absorb the story of their times only through screens, then the tendency to fabricate is more damaging. Those who make movies and television dramas should start caring about this. It is wrong in an age of lies to add to their sum total. It’s not right. It will do harm. (…) President Nixon is portrayed as the villain of the story. And that is the opposite of the truth. Nixon did not start the Vietnam War, he ended it. His administration was not even mentioned in the Pentagon Papers, which were finished before he took office. When that dark, sad man tried to halt publication of the document, he was protecting not his own reputation but in effect those of others. Those others were his political adversaries—Lyndon Johnson and Ben Bradlee’s friend JFK—who the papers revealed had misled the public. If Nixon had been merely self-interested, he would have faked umbrage and done nothing to stop their publication. Even cleverer, he could have decried the leaking of government secrets while declaring and bowing to the public’s right to know. Instead, he did what he thought was the right thing—went to court to prevent the publication of secrets that might harm America’s diplomatic standing while it attempted to extricate itself from a war….His attempt to stop publication was wrong—the public did have a right to know. But he did what he thought was the responsible thing, and of course pays for it to this day. Were the makers of “The Post” ignorant of all this? You might think so if it weren’t for the little coda they tag on to the end. Suddenly a movie about the Pentagon Papers is depicting the Watergate break-in, which would take place a year later. As if to say: OK, Nixon isn’t really the villain of our story, but he became a villain soon enough. It struck me not as a failed attempt at resolving a drama but an admission of a perpetrated injustice. Peggy Noonan
Mumblecore est une mouvance du cinéma indépendant américain née au tournant du XXIe siècle1,2. Ces films sont caractérisés principalement par une production « fauchée » (souvent tournés en numérique), des sujets tournant autour des relations entre personnes de vingt à trente ans, des dialogues en partie improvisés et des acteurs non professionnels. Lynn Shelton, Andrew Bujalski, Mark Duplass, Jay Duplass, Aaron Katz, Joe Swanberg ou Barry Jenkins en sont les principales figures. Le mot mumblecore a été forgé en 2005 lors du festival du film de South by Southwest par Eric Masunaga, un ingénieur du son travaillant avec Bujalski (Mumble signifie marmonner en anglais). Ce fut Bujalski qui employa le premier le terme lors d’une interview avec indieWIRE2. Les metteurs en scène de ce genre de films sont aussi parfois regroupés sous le terme « mumblecorps, » à l’instar de press corps concernant les journalistes. Les critiques ont aussi employé les termes « bedhead cinema » (cinéma de tête de lit) et « Slackavetes », un mot-valise venant de Slacker, film des années 90, bavard et au son sale, et du nom du metteur en scène John Cassavetes. Wikipedia
“My sound mixer named the movement ‘mumblecore,’” Bujalski said, “which is pretty catchy.” (…) The interweaving of filmmakers committed to ambling narratives about young Americans who babble about their interpersonal problems more than they do anything constructive with their lives stood out more than ever.  That summer, roughly two years after Bujalski first casually dropped the term, mumblecore was everywhere. New York’s IFC Center showcased films by Bujalski, Swanberg and fellow chronicler of young adult anxieties Aaron Katz with a series entitled “The New Talkies,” which prompted The New York Times to run a feature headlined, “A Generation Finds Its Mumble.” But did it? While far from a premeditated movement, the perceptions associated with mumblecore stemmed from a real place: Several filmmakers less intrigued by the prospects of big budget studio filmmaking than naturalistic portraits of worlds they knew far better focused on similar topics; many of them worked within the confines of a tight-knit community, sharing resources and inspiration. The chatty, neurotic loners found in Bujalski’s first two movies wouldn’t seem out of place in Swanberg’s emerging universe of romantically confused twentysomethings, which could easily encompass the stars of the Duplass brothers’ “The Puffy Chair” or Katz’s “Quiet City.” Intentionally or not, mumblecore was an apt umbrella term that nailed these filmmakers’ predilection for lo-fi portraits of perpetual mumblers; the mumbling didn’t just take the place of the plot — it was the plot.  Yet the organic roots of this tendency, aided by the advance of loose production methods associated with cheaper, digitally-enhanced filmmaking methods, meant that it resisted storytelling conventions in favor of unvarnished realism. The very possibility that any of these movies reflected a generic formula was paradoxical. How could anyone turn ordinary people living ordinary lives into cookie-cutter fodder for a newfangled genre? Fortunately, pushback to the notion of mumblecore held back its potential to overwhelm any of its filmmakers’ careers, and they’ve continued to diversify. Indiewire
Back in 2002, Andrew Bujalski became known for pioneering the “mumblecore” movement with his debut film “Funny Ha Ha.” The term usually refers to indie films made on small budgets, featuring natural dialogue and starring amateur actors. (…) I feel like the military metaphor is always apt for filmmaking: what I’m used to, in a sense, is this guerrilla style, where it’s all hands on deck. Everybody is running and contributing and putting their hands on everything, and doing whatever it takes to survive in the jungle. Whereas, once you do have dozens of people on set, the structure becomes more hierarchical, and more about chain of command. It took some adjusting to; my job becomes like a general sitting behind a desk somewhere, while everyone else does all the work. The professional actors are very used to that; they live and breath in that zone. I’d say the biggest difference working with pros v. non-pros is all of their training, like they’re so used to getting dropped into unusual situations and adverse conditions and having to deliver something really strong without getting to take a breath. What’s nice about that is, they show up super-prepared and basically bulletproof. The drawback, of course, is that I was often looking to breath some vulnerability back in. With non-professionals, you’ve got plenty of vulnerability, and it’s all about working with them to get to a certain confidence and structure. And with professionals, that structure is all there, and if anything, we’re chipping away at that. (..) I never thought it [“mumblecore”] was a good descriptor. The word is 10 years-old now, I guess. So it’s been around long enough that it’s taken on its own life, and I don’t bristle so much at it as I used to. It felt so specifically affixed… it was just this thing I couldn’t get off of me, that was going to be on my gravestone. You spend years and years on something, you put your life into a movie, your blood, sweat, and tears, and then people say, “Hey, there’s this new mumblecore trend.” And that’s what people want to talk about. There’s a frustration there, mostly that springs from a fear that people are not going to see the movie. The word has enough cache now… and I don’t know that people care so much as they used to. I think the faddishness has come and gone, which is great. (…) I got a mortgage and I got two kids, so it would be cool if I could make movies and get paid for it. That seems to involve professional actors these days. My dreams and enthusiasm are kind of all over the place. I have dreams for things that might make sense as great big expensive movies, and I still have plenty of dreams for things that I should be doing in my backyard. It’s always a matter of what you think you can get away with at any moment. I think filmmakers, by their nature, are always sort of scam artists, looking for the angle, looking for where you can sneak in. Very rarely in the 21st century, almost never, is the path clear and easy. It’s always some trick you have to pull off.  Indiewire
Recent rumblings — perhaps one should say mumblings — indicate an emerging movement in American independent film. Specimens of the genre share a low-key naturalism, low-fi production values and a stream of low-volume chatter often perceived as ineloquence. Hence the name: mumblecore. More a loose collective or even a state of mind than an actual aesthetic movement, mumblecore concerns itself with the mundane vacillations of postcollegiate existence. It can seem like these movies, which star nonprofessional actors and feature quasi-improvised dialogue, seldom deal with matters more pressing than whether to return a phone call. (…) But what these films understand all too well is that the tentative drift of the in-between years masks quietly seismic shifts that are apparent only in hindsight. Mumblecore narratives hinge less on plot points than on the tipping points in interpersonal relationships. A favorite setting is the party that goes subtly but disastrously astray. Events are often set in motion by an impulsive, ill-judged act of intimacy. Artists who mine life’s minutiae are by no means new, but mumblecore bespeaks a true 21st-century sensibility, reflective of MySpace-like social networks and the voyeurism and intimacy of YouTube. It also signals a paradigm shift in how movies are made and how they find an audience. (…) Boosted in the last two years by enthusiastic word of mouth at film festivals and on blogs, movies like Mr. Katz’s have gained a following in the hipster enclaves where they are often set. (…) But for the most part mumblecore has stayed small precisely because it can. The need for traditional distribution deals is diminished when production costs are often as low as a few thousand dollars. (…) Mumblecore’s origin myth locates the watershed at the 2005 South by Southwest Film Festival in Austin, Tex., which screened a cluster of small, superficially similar films  (…) At a bar one night Mr. Bujalski’s sound mixer, Eric Masunaga, coined the word “mumblecore.” (…) It’s only fitting that the etymology should be a point of contention, since the films in question often deal with the fraught process of identity formation. Journalists and bloggers have floated other tags, including the self-explanatory “bedhead cinema” and “Slackavettes,” in homage to the patron saint of American indie auteurs, John Cassavetes. The IFC Center series, despite using “mumblecore” in its publicity materials, is officially called “The New Talkies: Generation D.I.Y. » (…) Despite the anti-Sundance image, mumblecore has ancestors in American indie cinema. Given that the films are often anthropological studies of 20-something mating rituals, attuned to the halting rhythms and circular digressions of actual speech, Richard Linklater is perhaps the most obvious forefather. (“Quiet City” is a scruffy cover version of Mr. Linklater’s meet-cute romance “Before Sunrise,” substituting the F train for the Eurostar.) Some critics have suggested loftier reference points like the French masters of talk Eric Rohmer and Jean Eustache. For potential haters, mumblecore offers plenty of ammunition. The films are modest in scope, but their concentration on daily banalities can register as narcissism. Despite the movement’s communitarian ethos, from the outside it can seem incestuous and insular. Hardly models of diversity, the films are set in mostly white, straight, middle-class worlds, and while female characters are often well drawn, the directors are overwhelmingly male. To their credit, most of these films offset their navel-gazing tendencies with a dose of skepticism. The filmmakers view their characters with empathy but don’t let them off the hook; Mr. Swanberg and Mr. Bujalski often assign themselves the least flattering roles available. “A lot of that is actual self-critique,” said Mr. Swanberg, whose “LOL” is a withering portrayal of masculine self-absorption in an age of high-tech addictions. Mumblecore’s inherent emphasis on the transitional periods of life should in theory save it from an ignominious middle age. Dennis Lim (NYT)
Mon Dieu est plus grand que vos statistiques ! Mère de Spencer Stone
D’une naïveté et d’une bonne conscience qu’on trouvera au choix admirables, ridicules ou abjectes, le film de Clint Eastwood recèle aussi d’étranges phénomènes. (…) Une grande partie du film est dédiée à l’enfance des trois garçons, élèves indisciplinés d’un collège religieux de l’Amérique profonde. On suit ensuite les tentatives finalement couronnées de succès du bouillant mais pieux Spencer pour intégrer l’armée de l’air. Promu personnage central, il sera le principal auteur de la mise hors de nuire du terroriste. Alek aussi intègre l’armée et est envoyé en Afghanistan, tandis que le troisième, Anthony, reste au pays sans qu’on en sache plus. Les trois se retrouvent en Europe, où ils font du tourisme et des selfies pour Instagram, draguent des filles, et fréquentent des boîtes de nuit survoltées, avant de monter dans le train Amsterdam-Paris. C’est d’un inintérêt qui frôle l’abstraction, ou le septième degré. Après, à bord du Thalys, c’est plié en trois coups les gros bras. Et puis c’est déplié, starring François Hollande. Le film se termine en effet par les images authentiques de la remise de la Légion d’honneur aux trois types, cérémonie qui eut effectivement lieu à l’Élysée le 24 août. C’est la meilleure scène du film. Pas parce qu’elle authentifie rétrospectivement l’action (dont il faut se réjouir sans réserve qu’elle ait eu lieu, évidemment, là n’est pas la question, la question est celle du film), mais parce qu’elle révèle un étrange phénomène. François Hollande a l’air si faux que c’en est effrayant. Il est un assez mauvais acteur (on le savait), mais il est surtout un acteur absolument décalé par rapport aux trois garçons –et au reste du film. Pourquoi décalé? Parce que loin d’avoir gagné quelque «effet de réel» que ce soit avec son choix audacieux de casting, le film a utilisé les trois jeunes gens exactement comme des personnages de film d’action, il les a hollywoodisés jusqu’à la moelle. Tout, absolument tout dans le film (la diction, la gestuelle, les éclairages, l’utilisation des décors, des personnages secondaires, des accessoires) est reformaté par ce qui caractérise l’esthétique hollywoodienne comme négation de la réalité. Et la présence de François Hollande agit là comme un révélateur. L’ex-président français aurait été assez médiocre interprète de, disons, Plus belle la vie –cela a sans doute largement contribué à l’infinie désaffection que lui auront voué ses concitoyens. Mais dans un film d’action américain, il est carrément à des années-lumière, pas sur la même planète, même pas dans la même galaxie. (…) Et il y a toute raison de supposer que les trois interprètes ont, eux, adoré avoir à jouer comme s’ils étaient Matt Damon ou Will Smith. C’est-à-dire endosser la persona de ces clichés d’une Amérique fière d’elle-même, de ses valeurs, de sa certitude d’être du côté du Bien, y compris vautrés devant un match de baseball avec une Budweiser, ou en offrant aux enfants des armes à feu, fausses ou vraies. C’est le véritable enjeu de ce qui apparaît comme un film de propagande où «l’événement Thalys» fait bizarrement figure d’incident presque surnuméraire, fortuit, mais venu rappeler à la planète esbaubie combien le mode de vie états-unien est admirable, puisque susceptible de fabriquer des héros au détour du couloir de n’importe quel transport en commun, même après une fiesta d’enfer dans un bar de pole dance. Et de manière vraiment bizarre, l’artifice nunuche du message est rendu plus criant encore par l’utilisation manipulatrice des «vrais» personnages, transformés en leur propre marionnette du showbiz. Le –triste– sens qu’on trouve à tout cela, le seul, est que ces gens-là (Clint Eastwood, les acteurs, le public auquel ils s’adressent) croient vraiment que le monde ressemble à cela – des cartes postales, un moralisme misérable lesté d’idéologie de l’action, and «God on our Side», of course. Face à la surenchère paradoxale de l’utilisation des faits réels et des vrais acteurs au service de ce tissu de simulacres stéréotypés, on s’abstiendra de ressasser que désormais le vrai est un moment du faux. En mémoire des nombreux grands films réalisés par Eastwood, on se contentera d’un sourire navré. Slate
Le Monde ne saisit pas pourquoi Clint Eastwood ne cherche pas à comprendre les motivations du tueur, ce qui fait qu’un musulman devient un terroriste islamiste, mais plutôt pourquoi de jeunes américains assez banals deviennent des héros, face justement à la violence du marocain en question. Cette incapacité à comprendre le fait que les héros soient ces héros-là, symbolise peut-être tout ce qui sépare la France de Paris et la France périphérique. La particularité fort intéressante du film, que des personnages soient joués par les personnes elles-mêmes, est réduite à la maladresse d’acteurs « non professionnels » dans tous les journaux, à croire qu’une fiche a circulé. Un film « impossible à sauver », Télérama, qui « assomme », Le Parisien, « Voyage au bout de l’ennui », pour La Croix qui, ainsi, ne masque pas son interprétation politique du film… Au fond, ce qui ne plaît pas dans les salles de rédaction parisiennes ? Les héros sont de jeunes américains, deux blancs et un métis, banals, croyants, évangélistes en appelant à Dieu, priant, venant de l’Amérique moyenne ou pauvre, militaires, patriotes… Tout ce que les médias libéraux libertaires français détestent. Des individus qui devraient plutôt être des suprématistes blancs adeptes du KKK, du moins pour deux d’entre eux, dans le logiciel de la presse dominante française. Le magazine RollingStone va plus loin encore que Le Monde dans la caricature du média libéral libertaire en écrivant que le « plus frustrant » est la présentation du terroriste comme « l’étranger tellement plus facile à rejeter ». On suppose que l’auteur de l’article ne se trouvait pas dans ce train. Devant ce film, les réactions des médias, en ne disant rien du film en tant qu’œuvre cinématographique, disent de fait beaucoup de l’état de l’esprit des milieux auxquels ils appartiennent. OJIM
Eastwood’s use of the actual citizen-heroes highlights the complexities of our national distrust and self-doubt. This development is part of the story he wants to tell, and thoughtful viewers have to deal with it. Since WWII hero Audie Murphy’s Hollywood sojourn from decorated amateur to marquee professional, the film industry’s official presentation of citizen-heroes has only become more conflicted (it took nearly a decade before Murphy eventually acted his own story in 1955’s To Hell and Back). This ambivalence intensified during the Vietnam years, when Hollywood was reluctant to lionize military veterans; instead it constantly disparaged the idea of service. The abolition of the draft gave way to civilian snark and snideness, which is different from draft-resister “principle.” New generations of performers — particularly comic actors — created a vogue that corroded the idea of military heroism and instead celebrated sarcasm and rebellion. By using comic actors as background, Eastwood intentionally flips the snideness so that we’re forced to look at American characters differently. Flashbacks set in the three heroes’ Sacramento, Calif., hometown must take place on the other side of the tracks from the scenes in Lady Bird: Two of the boys have single mothers, and they all attend a Christian school. Cagey Eastwood and screenwriter Dorothy Blyskal present school authorities as self-centered egotists, which implicitly satirizes the liberal pop psychology commonly associated with big-city, union-activist teachers. It’s odd, yet the comic actors (Judy Greer, Jenna Fischer, Thomas Lennon, Tony Hale, and Jaleel White) are enough to establish the film’s cunning. Eastwood’s essential project takes up the other, forgotten America, not the diversity vagrants who are everywhere in the media. Those multitudinous stereotypes of proto-Communist proles, all desperately in need of government assistance, seem spawned by the sentiments in socialist Michael Harrington’s 1962 book The Other America, which eventuated in last year’s insolent, bleeding-heart movie The Florida Project. Eastwood explores the beefy boys and articulate, domestic moms that mainstream media usually avoids — except for rare TV shows such as This Is Us or Roseanne. The 15:17 to Paris is iconoclastic; it wins back the humanity of conservative Americans — people who are usually caricatured by our hippest comics and media-makers. This means that The 15:17 to Paris’s essence is iconoclastic; it wins back the humanity of conservative Americans — people who are usually caricatured by our hippest comics and media-makers. When a teacher suggests medicating Spencer for his learning difficulties, his mom’s response — “My God is bigger than your statistics, so I don’t care about anything you have to say anymore!” — caused prominent liberals in the screening room to grumble their disagreement. (They were also unmoved during Spencer’s “Lord, make me an instrument of your peace” prayer.) Eastwood takes a tricky position — between acknowledgement of faith and a choice to not proselytize — but he needs a meticulous hybrid of documentary and drama, not the shameful mawkishness of United 93, to make this advance. It also needs to be a humanistic defense. Stone, Skarlatos, and Sadler are not movie-star types, yet they’re un-self-conscious before the camera. They smile winningly, and their untrained voices have a pleasingly familiar informal cadence and light sonority (not the Noo Yawkese most filmmakers associate with the working class). The film’s narrative structure (always shifting back to the train incident) avoids suspense and artfully draws us into the guys’ daily life and their fate. It’s a matter of normalizing the moral and social values that the liberal Hollywood filmmakers have rabidly abandoned. We see teenage Stone and Skarlatos wear camo T-shirts (which slim, stylish Sadler mocks), and they all like to play war. In a scene sure to unnerve Second Amendment haters, Stone brings out an arsenal of toy guns, casually adding a hunting rifle to the stash. It’s how the Other America gets acculturated — the opposite of radicalization — when pop trash is not dominant. The boys’ military fascination prepares them for their roles in the world. To match these uncomplicated characterizations, Eastwood profiles the train attacker Ayoub El Khazzani (Ray Corasani) without religious or ideological specifics but through synecdoche: black sneakers, white paratrooper-style running pants, curly dark hair, tan yet pale and hirsute arms. Big Spencer, quiet Alek, and wily Anthony are our guys, but the film is as simple as that. Eastwood treats their feats matter-of-factly and without rousing or piety. At the end, it all blends into seeing these men, ironically, with the depth perception that military medics tell Stone he lacks; it’s an almost native double vision: The characters they portrayed suddenly appear in documentary news footage, standing humbly, at the actual Légion d’Honneur ceremony with French president François Hollande. Most recent bio-pics switch to reality epigraphs as a cliché but while Eastwood’s climax gives the men their due, it also causes a profound reassessment of how we regard contemporary history and those who make it. The National Review
Eastwood– as he did in “American Sniper” and “Sully”– lays out their stories and backgrounds objectively. I’m already seeing in some reviews some idea that Eastwood is pushing a religious agenda or whatever. Nonsense. He’s accurately depicting these people. The mothers of the guys are religious– this is what they believe, it’s their right. No one is mocking them or judging them. This is who they are. (…) If there’s a problem with “15:17” it’s that it’s almost filmed like cinema verite, certainly as the story unfolds. There’s a lot of exposition and it seems slow. Again, a little patience wouldn’t hurt anyone. Because when the kids’ backstories switch to the main guys, Eastwood finds a groove. Forgive him if the entry seems clunky. (…) Eastwood once told me he likes “get up and go” type actors, ones who can snap to and do what he needs. In “15:17” he has amateurs and pros all doing that. He really pulled it off. I don’t know if “15:17” will one day be considered great art– I consider “Unforgiven” and “Gran Torino” great art– or an interesting experiment. But it’s well worth paying attention to. Eastwood obviously saw a lot in these guys– two of them as children are thought to have ADD, they’re screw ups, etc. And in the end, maybe with prayer, with military training and maturity, they reacted in a moment and made America proud, and themselves proud. And as for Clint– he’s eighty seven years old. This list of films in his ninth decade is utterly remarkable. This is the sixth movie he’s directed in eight years. Hello? Not all perfect– “Invictus” didn’t thrill me. But overall, there’s an extreme brilliance to his lean, mean execution of stories he knows will resonate in the heartland. Very, very cool. Roger Friedman
The practice of casting nonprofessionals in stories that closely mirror their own experiences has a long history — it’s a staple of Italian neorealism, the films of Robert Bresson and the Iranian cinema of the 1990s — but it remains a rarity in Hollywood. Usually the most we can expect is a poignant end-credits glimpse of the real people our favorite movie stars have pretended to be for the previous two hours. After all, part of the appeal of movies “inspired by true events” is the chance to admire the artistry of actors (like Tom Hanks’s, say, in Mr. Eastwood’s “Sully”) as they communicate the grit and gumption of ordinary Americans in tough circumstances. But the thing to admire about “The 15:17 to Paris” is precisely its artlessness. Mr. Eastwood, who has long favored a lean, functional directing style, practices an economy here that makes some of his earlier movies look positively baroque. He almost seems to be testing the limits of minimalism, seeing how much artifice he can strip away and still achieve some kind of dramatic impact. There is not a lot of suspense, and not much psychological exploration, either. A certain blunt power is guaranteed by the facts of the story, and Mr. Eastwood doesn’t obviously try for anything more than that. But his workmanlike absorption in the task at hand is precisely what makes this movie fascinating as well as moving. Its radical plainness is tinged with mystery. (…) To call what happens before the confrontation with the gunman a plot, in the conventional sense, does not seem quite accurate. Nor do Spencer, Anthony and Alek seem quite like movie characters. But they aren’t documentary subjects, either. Mr. Eastwood, famous for avoiding extensive rehearsals and retakes, doesn’t demand too much acting. Throughout the film, the principal performers behave with the mix of affability and reserve they might display when meeting a group of people for the first time. They are polite, direct and unfailingly good-natured, even when a given scene might call for more emotional intensity. In a normal movie, they would be extras. And on a normal day, they would have been — part of the mass of tourists, commuters and other travelers taking a quick ride from one European capital to another. At times, Spencer, the most restless of the three and the one whose life choices receive the most attention, talks about the feeling of being “catapulted” toward some obscure destiny. But “The 15:17 to Paris” isn’t a meditation on fate any more than it is an exploration of the politics of global terrorism. Rather, it is concerned with locating the precise boundary between the banal and the extraordinary, between routine and violence, between complacency and courage. The personalities of the main characters remain opaque, their inner lives the subject of speculation. You can wonder about the sorrow in Alek’s eyes, about the hint of a temper underneath Spencer’s jovial energy, about Anthony’s skeptical detachment. But at the end of the movie, you don’t really know them all that well. (You barely know Chris, a British passenger who helped subdue Mr. Khazzani, at all. He is seen but not named.) Producing the illusion of intimacy is not among Mr. Eastwood’s priorities. He has always been a natural existentialist, devoted to the idea that meaning and character emerge through action. At the end of “The 15:17 to Paris,” a speech by former President François Hollande of France provides a touch of eloquence and a welcome flood of feeling. But the mood of the film is better captured by Mr. Skarlatos’s account of it, published in news reports after the attack: “We chose to fight and got lucky and didn’t die.” A.O. Scott (NYT)
Le subterfuge du cauchemar, qui pollue nombre de thrillers médiocres, semble indigne de Clint Eastwood, cinéaste réputé pour son son laconisme et ses litotes. En fait, il marque un niveau supérieur d’accomplissement artistique. D’un exploit aéronautique, d’un fait divers tant répercuté par les médias qu’on a l’impression qu’il est vidé de tout sens, le réalisateur tire un récit post-traumatique aux vertus réparatrices doublé d’une fable politique amère, hantée, qui s’élève à la dimension parabolique. (…) le commandant Chesley «Sully» Sullenberger (…) sauve la vie des 155 passagers. L’opinion publique salue cet exploit unique dans l’histoire de l’aviation, fin de l’épisode. Outrepassant la canonisation médiatique, Clint Eastwood revient sur le drame pour interroger la figure héroïque du commandant de bord. «Je n’ai pas l’impression d’être un héros», dit Sully. Il a simplement fait son devoir – de pilote, de citoyen. Il reste un homme, doutant de sa propre réalité dans le miroir embué de la salle de bains. Il entretient avec sa femme une relation adulte. Elle ne minaude pas des «I love you» au téléphone, elle s’inquiète de l’hypothèque sur la maison… Une enquête administrative est ouverte: Sully n’aurait-il pas pu rallier un aéroport plutôt que de tenter cet exploit insensé? Quarante années d’aviation vont être jugées sur 208 secondes… Si sa responsabilité est établie, le pilote risque d’être mis à pied et de perdre sa pension. Ce procès est à haute valeur métaphorique. Sully jugé par les instances de l’aviation civile, c’est l’héroïsme jugé par la bureaucratie, le courage par le règlement, l’empirisme par le dogmatisme. Dans la salle d’audience se rejouent des conflits immémoriaux, celui de la classe ouvrière contre le patronat, du cow-boy contre le propriétaire terrien cadastrant la prairie, de l’homme contre la machine, du peuple contre les élites… Sully adopte une remarquable structure en flash-back. Le cauchemar initial est réitéré, l’amerrissage, extraordinairement impressionnant, montré deux fois, dont la seconde pendant les audiences, comme une illustration du contenu de la boîte noire. A cette manœuvre risquée, les ordinateurs opposent des trajets alternatifs plus orthodoxes vers les aéroports de la région. Dans leurs simulateurs de vol, des pilotes chevronnés démontrent qu’il aurait été possible de se poser à LaGuardia ou à Teterboro. L’affaire semble pliée, la faute démontrée, lorsque Sully tranche soudain: «Et si nous parlions sérieusement, maintenant?» Les logiciels de pilotage ont intégré tous les paramètres (altitude, vitesse du vent, poussée des réacteurs…) sauf un: le facteur humain. Les vols simulés virent vers les aéroports régionaux juste après la collision alors que Sully a eu besoin de 35 secondes pour comprendre ce qui se passait, évaluer les dégâts, en référer aux contrôleurs aériens et prendre sa folle décision… (…) Tom Hanks, grave, taiseux (…) incarne une nouvelle fois l’Américain moyen voué à l’héroïsme modeste. Républicain pur jus, Clint Eastwood fait montre d’une grande intelligence en choisissant Tom Hanks, démocrate inébranlable. L’année passée, dans American Sniper, énorme succès public, le cinéaste retraçait le destin de Chris Kyle, le plus talentueux des tireurs d’élite de l’armée américaine, en prenant garde de ne pas prendre position. Le surdoué de la gâchette était-il un défenseur de la démocratie ou un tueur stipendié par l’Etat? Ce film indéchiffrable a enthousiasmé l’Amérique conservatrice. Nouveau succès au box-office, Sully est apte à réconcilier les deux camps. Contrairement à Vol 93, de Paul Greengrass (…) Clint Eastwood s’abstient de trop personnaliser les passagers. Il les considère sous l’angle collectif. Tous unis avec les hôtesses de l’air, ils endossent leur responsabilité tandis que Sully tente l’impossible. «Tout le monde a fait son job», dira-t-il. Revu par Clint Eastwood, le vol 1549 se pose en métaphore d’une Amérique idéale dans laquelle chacun assume sa part de responsabilité derrière un pilote aux compétences supérieures. Curieusement, le pilote Trump auquel le cinéaste a apporté son soutien n’a pas la maîtrise de Sully. Le Temps
Avec Le 15h17 pour Paris, Eastwood semble conclure une trilogie du héros américain amorcée avec American Sniper (2014) puis poursuivie avec Sully (2016). Après avoir raconté l’histoire du plus redoutable tireur d’élite de l’histoire militaire américaine, puis celle du pilote ayant réussi à poser un avion en détresse sur le fleuve Hudson, il s’attaque cette fois à l’acte de bravoure de trois amis ayant réussi à empêcher, en été 2015, un attentat meurtrier. S’ils n’étaient pas parvenus à maîtriser un terroriste monté à bord d’un train à grande vitesse reliant Amsterdam à Paris, c’est probablement à un carnage qu’on aurait assisté. Le réalisateur explique avoir eu envie d’adapter le livre publié par les trois protagonistes sans penser à de possibles connexions avec ses deux précédents longs-métrages. Il estimait simplement qu’il s’agissait là d’une bonne histoire. Certes, mais elle est tellement ténue – l’action héroïque qui en constitue le cœur étant brève – qu’elle ne suffisait pas à remplir un film entier. C’était déjà le cas dans Sully, mais Eastwood parvenait alors à admirablement contourner cet obstacle grâce à la force de son personnage, subtilement incarné par Tom Hanks, devenu héros avant de devoir se justifier lors d’un procès où il devenait soudain coupable de n’avoir peut-être pas pris la meilleure décision. Rien de cela ici: Spencer Stone, Anthony Sadler et Alek Skarlatos ont sauvé les passagers d’un train, et c’est tout. Mais comme il fallait tenir les 90 minutes syndicales, Eastwood survole d’abord leur enfance, où l’on note qu’ils auraient pu mal tourner, puis reconstitue le voyage européen qui les a menés à monter, ce 21 août 2015, dans le Thalys 9364. Rome, Venise, Berlin puis Amsterdam: on a ainsi droit à une succession de vignettes sans intérêt aucun puisqu’elles ne servent qu’à amener au moment fatidique. Pire, elles sont filmées à la va comme je te pousse, comme si le réalisateur du définitif Impitoyable (1992), un des plus grands westerns de l’histoire, avait laissé les clés de la maison à un vidéaste amateur. Mais où est passée la maestria d’un des derniers grands tenants du classicisme américain, d’habitude capable en quelques plans savamment imbriqués de susciter le trouble, de laisser toujours planer le doute quant à l’interprétation que l’on peut faire de ses films? A l’image d’American Sniper, autrement plus subtil que la simpliste apologie du bon soldat US que certains avaient voulu y voir. Venons enfin à l’idée qui aurait pu amener ce fameux trouble «eastwoodien»: Spencer Stone, Anthony Sadler et Alek Skarlatos sont personnages, mais aussi acteurs. Ils jouent leur propre rôle, comme pour mieux souligner l’idée que des hommes ordinaires peuvent un jour être amenés à faire des choses extraordinaires. Reste que si souvent des non-professionnels ont pu s’avérer d’une rare intensité, ces trois-là manquent sérieusement du charisme nécessaire lorsqu’il s’agit de dépasser le cadre d’un récit de type docu-fiction et de faire œuvre de cinéma. Plus embarrassant encore, ce sous-texte déplaisant qui semble dire que si l’on se passionne depuis l’enfance pour la guerre et qu’on a la foi, on sera peut-être plus enclin que les autres à se comporter en héros. Le film se clôt alors comme s’est terminée la vraie histoire: sur la Légion d’honneur remise aux trois amis par François Hollande. Séquence qui permet à Eastwood de prendre une autre décision incompréhensible: voilà que dans un montage grossier, il entremêle les vraies images de la cérémonie – pour disposer de gros plans – et celles d’une reconstitution avec un faux Hollande. D’où des raccords hasardeux qui, alors que le moment est solennel et devrait être source d’émotion, s’avèrent risibles. Ne reste plus à espérer que ce ratage ne soit pas le testament filmique du grand Clint, qui fêtera fin mai son 88e anniversaire. Le Temps

Et si ce génial ratage était justement le testament filmique du grand Clint qui fêtera fin mai son 88e anniversaire ?

« Reconstitution patraque mais fascinante »,  » échoue à en faire un grand film »,  » pale restitution cinématographique »,  » laid, déficient narrativement et idéologiquement absurde », « plus mauvais film »,  » laborieux », « voyage au bout de l’ennui, « nous assomme en s’éternisant sur la jeunesse de ses héros », « ritournelle biographique laborieuse », « longue séquence de springbreak européen », « mauvais soap juvénile des années 80 », « pub pour de la Budweiser », « apologie de la crétinerie », « naufrage », « étrange idée de épart », « fiasco », « gadget », bondieuseries ridicules », « extrême vacuité », « vignettes insipides », « démunis face au grand vide de l’exitence », « Mal livré sans autre perspective historique que la seule glorification des bons contre les méchants », »son plus mauvais film de cinéaste », « film impossible à sauver », « scénario de débutante »,  « naïveté »,  « bonne conscience », « Amérique profonde », « inintérêt qui frôle l’abstraction ou le septième degré »,  « jeunes gens  hollywoodisés jusqu’à la moelle », « négation de la réalité », « clichés », « certitude d’être du côté du Bien », « vautrés devant un match de baseball avec une Budweiser », « offrant aux enfants des armes à feu, fausses ou vraies », « film de propagande », ‘nunuche », « manipulateur », « marionnettes », « cartes postales », « moralisme misérable lesté d’idéologie de l’action », « God on our Side », « tissu de simulacres stéréotypés »…

A l’heure où au lendemain d’un énième massacre de 17 lycéens …

Présenté presque à l’unanimité comme 18e de l’année par une presse aussi moutonnière que mensongère …

Le président Trump se voit dénoncé pour avoir osé évoquer sa colère qu’ils aient pu être abandonnés à leur sort par les garde et premiers policiers censés les défendre et surestimé le courage de ses critiques (« et je pense que la plupart des gens ici aurait fait pareil« )…

Et que la même critique qui encense des films qui frisent la désinformation (un « Post » – « Pentagon papers » en vf – qui, au-delà d’un contexte de guere froide où il était question d’abandonner un nouveau peuple aux griffes et au goulag du communisme, s’acharne sur l’ambulance d’un Nixon pour des actes datant en fait de ses deux prédécesseurs démocrates Kennedy et Johnson) …

Ou qui,  derrière la vaine grandiloquence, le kitsch et le manichéisme, n’ont pour eux que la couleur de leurs héros (« Black panther ») …

N’a sauf exceptions que mépris pour le dernier film du réalisateur américain Clint Eastwood sur le meurtre de masse déjoué du Thalys d’il y a à peine trois ans …

Comment ne pas se désoler dans un premier temps …

Devant tant de déni et d’amnésie d’une presse française mais aussi américaine …

Mais aussi, rétrospectivement, de naïveté et d’insouciance face d’abord au véritable carnage qui a ainsi été évité dans un train qui transportait plus de 500 passagers dont bien sûr nombre d’enfants …

Par un terroriste entré en Europe avec certains des futurs auteurs des attentats du Bataclan et du Stade de France en se dissimulant dans un groupe de migrants et armé littéralement jusqu’aux dents (près de 300 munitions, kalachnikov, pistolet automatique, cutter, demi-litre d’essence) …

Mais comment aussi ne pas être épaté …

Par la rare perspicacité de la critique du journal genevois Le Temps (qui en plus vous offre 9 articles gratuits !) …

Qui, quasiment seule avec celle du New York Times, met le doigt sur le véritable ovni que constitue ce dernier film du monument qu’est devenu Clit Eastwood (une soixantaine de films, 4 Oscars, 5 Golden Globes, 3 Césars, une  Palme d’honneur) …

A savoir derrière le jeu de mots facile …

Qu’après son gros mais douteux succès d' »American sniper » (coupable d’avoir enthousiasmé l’Amérique conservatrice simpliste par son apparente « apologie du bon soldat US »)  …

Et son autre succès impeccablement rassembleur d’un pilote ayant sauvé 155 vies (Sully) …

Que dans cet apparent troisième volet (bonne pioche encore pour le critique du Temps !) d’une éventuelle trilogie …

Le réalisateur continue son exploration du héros ordinaire …

Mais cette fois, d’où l’énorme déception et très vite le dépit et le mépris, « reste à quai » …

Comme le repère admirablement, derrière le jeu de mots facile de son titre, le critique …

Qui hélas n’allant pas jusqu’au bout de sa géniale découverte …

Ne voit pas, comme l’avait bien vu son collègue pour le cauchemar qui ouvre « Sully », que le subterfuge des héros jouant leurs propres rôles qui semble si « indigne » d’un réalisateur à l’imposante filmographie  qui n’a plus rien à prouver marque peut-être un « niveau supérieur d’accomplissement artistique » …

Qui alors éclaire tout le reste …

Les non-professionnels sans « charisme » qui jouent leur propre rôle (pas moins de six entre les deux militaires américains et leur ami d’enfance, un universitaire américain, son épouse française et un passager britannique, sans compter les images d’archives du président français et, post-générique, la foule de leur ville natale de Sacramento et, dit-on, si les juges ne l’avaient empêché, le terroriste lui-même), mais pour justement « mieux souligner l’idée que des hommes ordinaires peuvent un jour être amenés à faire des choses extraordinaires » …

L’action héroïque de départ tellement ténue (10 minutes à peine, plans prémonitoires compris, pour le morceau de bravoure violent qui avait jusque là fait sa réputation !) …

L’enfance de « soap opera traditionnel » « survolée » (le « lourd lestage de réél », le « risque de l’ennui » « assumé ici avec une ferveur ascétique » dont parle le Monde, ces « bondieuseries », références devenues taboues et presque pornographiques à la religion, cette foi enfantine en son destin et cette conviction d’être poussé par une force mystérieuse vers « quelque chose de plus grand que lui ») …

La « succession de vignettes » de touristes en goguette « sans intérêt aucun puisqu’elles ne servent qu’à amener au moment fatidique » (avec leur selfies et leurs platitudes) …

La réalisation  » à la va comme je te pousse, comme si le réalisateur d’un des plus grands westerns de l’histoire, avait laissé les clés de la maison à un vidéaste amateur » …

Ce  « plus embarrassant encore » « sous-texte déplaisant qui semble dire que si l’on se passionne depuis l’enfance pour la guerre et qu’on a la foi, on sera peut-être plus enclin que les autres à se comporter en héros »……

Cet « incompréhensible » choix final d’un « montage grossier » d’images d’archives de la cérémonie de remise de la légion d’honneur et celles d’une « reconstitution avec un faux Hollande » avec « raccords hasardeux qui, alors que le moment est solennel et devrait être source d’émotion, s’avèrent risibles » (mais peut-il en être autrement rétrospectivement devant le ton presque badin d’un président décorant ces grands enfants, entre gentils boy scouts et touristes en goguette, d’Américains ?) ……

Et même, à l’image de Sully, le réalisateur lui-même sommé de « devoir se justifier lors d’un procès où il devenait soudain coupable de n’avoir peut-être pas pris la meilleure décision » (devant aussi bien la commision qui voulait condamner son film au classement R – interdit aux moins de 13 ans – que la justice elle-même avec la demande de censure et de saisie de l’avocate du terroriste au motif que le film porterait atteinte à la présomption d’innocence de son client – comment ne pas repenser à un autre « procès » qui avait visé aussi en son temps pour le péché similaire d’excès de réalisme, l’auteur, lui aussi américain, de « Passion ») …

D’expliquer « où est passée la maestria d’un des derniers grands tenants du classicisme américain, d’habitude capable en quelques plans savamment imbriqués de susciter le trouble, de laisser toujours planer le doute quant à l’interprétation que l’on peut faire de ses films » …

Et ce ratage tellement énorme qu’il pourrait justement bien être …

Comme le regrette explicitement notre critique qui n’a pas osé aller jusqu’au bout de sa géniale intuition …

Le « testament filmique du grand Clint qui fêtera fin mai son 88e anniversaire » …

On aurait alors affaire à l’insu de nos critiques pourtant si avides de nouveauté …

A l’aussi improbable qu’extraordinaire résurgence pour ne pas dire résurrection d’un genre qui au début des années 60 n’avait eu droit qu’à trois courte années de gloire …

Mis à part sa redécouverte, via sa version « mumblecore » par une nouvelle génération, dont un récent petit joyau de cinéma-vérité lui aussi basé à Sacramento …

A savoir le fameux cinéma-vérité théorisé par le sociologue Edgar Morin …

Selon lequel il s’agissait rien de moins que de « permettre à chacun de jouer sa vie devant la caméra » …

Mais aussi de la part de l’acteur devenu cinéaste …

A l’instar du sacrifice ultime de sa vie qu’il imposait à ce vétéran de la guerre de Corée raciste qui se sachant condamné par la médecine et après avoir confessé ses crimes de guerre (et dument légué sa maison et ses biens à l’église ainsi que sa chère Gran Torino à son jeune ami vietnamien Thao) se rachète en une sorte de sacrifice christique (en prononçant un dernier « Je vous salue, Marie ») à la fin en donnant sa vie pour sauver celle de son jeune voisin en perdition … .

A une sorte d’ultime dépouillement de soi (les théologiens parlent de « kénose »), de renoncement à soi mais qui est aussi un dépassement …

Le presque demi-siècle de carrière de l’acteur-cinéaste apparaissant alors comme un long détachement (dont son fameux laconisme et son amour immodéré des litotes et des paraboles) de son personnage de violent redresseur de torts …

Passant de rôles de hors la loi à celui de justicier puis de sauveteur (le héros d’ « American Sniper » utilise encore les armes à feu mais évoque l’image du chien de berger, par sa simple présence d’esprit et maitrise technique de pilote, Sully sauve 155 vies, Spencer Stone – qui serait probablement mort sans le miracle de la kalachnikov enrayée – et ses deux amis se contentent de maitriser à mains nues le terroriste, le tout sur fond du rappel de la fameuse prière attribuée à Saint François qui avait bercé son enfance: « c’est en se donnant qu’on reçoit, c’est en s’oubliant qu’on se retrouve, c’est en pardonnant qu’on est pardonné, c’est en mourant qu’on ressuscite à l’éternelle vie ») …

A l’image de ce Dieu chrétien qui comme l’avait magistralement repéré le philologue juif-allemand Erich Auerbach fuyant lui-même à Istanbul la déjudaïsation même des textes fondateurs de la littérature occidentale par les nazis et leurs affidés luthériens …

Pousse l’abnégation de soi jusqu’à « l’incarnation dans un homme du dernier rang, par son existence terrestre parmi les humbles, par sa Passion ignominieuse au jugement du monde » pour représenter  » quelque chose que ni la poésie antique ni l’historiographie antique n’ont jamais représenté: la naissance d’un mouvement spirituel dans les profondeurs du peuple, au sein des circonstances quotidiennes de l’existence du temps » …

Et ce faisant, via le style légendairement abrupt et aride du texte biblique et évangélique, fait accéder au sérieux et au sublime que l’Antiquité réservait au seul genre tragique le réalisme à la fois quotidien et universel …

Redonnant sa dignité, jusqu’à l’échec, la faute et la médiocrité, au plus intime et au plus trivial de l’expérience humaine …

Mais aussi derrière la formation un temps méprisée de secouriste de guerre ou de jiujitsu mais aussi inaboutie de soldat d’élite, la vocation jusque là refusée de toute une vie consistant à « sauver des vies »…

En réintégrant au passage dans la grandeur d’une nation, loin de la tyrannie dévoyée du politiquement correct et de l’hommage obligé à la sacro-sainte diversité à l’instar de l’élection-surprise du milliardaire honni Donald Trump, ces « pitoyables » et ces « accros aux armes à feu et à la religion » qu’avait rejetés dans le mépris le pouvoir précédent

Et finissant en somme par retrouver cette véritable source et inspiration du réalisme occidental …

Que triste ironie et bégaiement de l’histoire, nos nouveaux maitres tentent à leur tour de faire taire ?

Avec «Le 15h17 pour Paris», Clint Eastwood reste à quai
Le cinéaste américain raconte dans «Le 15h17 pour Paris» l’héroïsme de trois compatriotes ayant neutralisé le terroriste entré en août 2015 à bord d’un train à grande vitesse reliant Amsterdam à Paris. Embarrassant
Stéphane Gobbo
Le Temps
7 février 2018

Fait a priori unique au sein de l’imposante filmographie de Clint Eastwood, Le 15h17 pour Paris, en salle depuis ce mercredi, n’a pas été montré à la presse avant sa sortie. Une décision pas vraiment rassurante quant à la qualité du film… Et en effet, malgré toute la bonne volonté qu’on peut y mettre, difficile de sauver ce 37e long-métrage d’un cinéaste qui a signé en près de cinquante ans de carrière derrière la caméra un nombre assez impressionnant d’œuvres majeures.

Avec Le 15h17 pour Paris, Eastwood semble conclure une trilogie du héros américain amorcée avec American Sniper (2014) puis poursuivie avec Sully (2016). Après avoir raconté l’histoire du plus redoutable tireur d’élite de l’histoire militaire américaine, puis celle du pilote ayant réussi à poser un avion en détresse sur le fleuve Hudson, il s’attaque cette fois à l’acte de bravoure de trois amis ayant réussi à empêcher, en été 2015, un attentat meurtrier. S’ils n’étaient pas parvenus à maîtriser un terroriste monté à bord d’un train à grande vitesse reliant Amsterdam à Paris, c’est probablement à un carnage qu’on aurait assisté.

Vignettes sans intérêt

Le réalisateur explique avoir eu envie d’adapter le livre publié par les trois protagonistes sans penser à de possibles connexions avec ses deux précédents longs-métrages. Il estimait simplement qu’il s’agissait là d’une bonne histoire. Certes, mais elle est tellement ténue – l’action héroïque qui en constitue le cœur étant brève – qu’elle ne suffisait pas à remplir un film entier. C’était déjà le cas dans Sully, mais Eastwood parvenait alors à admirablement contourner cet obstacle grâce à la force de son personnage, subtilement incarné par Tom Hanks, devenu héros avant de devoir se justifier lors d’un procès où il devenait soudain coupable de n’avoir peut-être pas pris la meilleure décision.

Rien de cela ici: Spencer Stone, Anthony Sadler et Alek Skarlatos ont sauvé les passagers d’un train, et c’est tout. Mais comme il fallait tenir les 90 minutes syndicales, Eastwood survole d’abord leur enfance, où l’on note qu’ils auraient pu mal tourner, puis reconstitue le voyage européen qui les a menés à monter, ce 21 août 2015, dans le Thalys 9364. Rome, Venise, Berlin puis Amsterdam: on a ainsi droit à une succession de vignettes sans intérêt aucun puisqu’elles ne servent qu’à amener au moment fatidique.

Pire, elles sont filmées à la va comme je te pousse, comme si le réalisateur du définitif Impitoyable (1992), un des plus grands westerns de l’histoire, avait laissé les clés de la maison à un vidéaste amateur. Mais où est passée la maestria d’un des derniers grands tenants du classicisme américain, d’habitude capable en quelques plans savamment imbriqués de susciter le trouble, de laisser toujours planer le doute quant à l’interprétation que l’on peut faire de ses films? A l’image d’American Sniper, autrement plus subtil que la simpliste apologie du bon soldat US que certains avaient voulu y voir.

Personnages et acteurs

Venons enfin à l’idée qui aurait pu amener ce fameux trouble «eastwoodien»: Spencer Stone, Anthony Sadler et Alek Skarlatos sont personnages, mais aussi acteurs. Ils jouent leur propre rôle, comme pour mieux souligner l’idée que des hommes ordinaires peuvent un jour être amenés à faire des choses extraordinaires. Reste que si souvent des non-professionnels ont pu s’avérer d’une rare intensité, ces trois-là manquent sérieusement du charisme nécessaire lorsqu’il s’agit de dépasser le cadre d’un récit de type docu-fiction et de faire œuvre de cinéma. Plus embarrassant encore, ce sous-texte déplaisant qui semble dire que si l’on se passionne depuis l’enfance pour la guerre et qu’on a la foi, on sera peut-être plus enclin que les autres à se comporter en héros.

Le film se clôt alors comme s’est terminée la vraie histoire: sur la Légion d’honneur remise aux trois amis par François Hollande. Séquence qui permet à Eastwood de prendre une autre décision incompréhensible: voilà que dans un montage grossier, il entremêle les vraies images de la cérémonie – pour disposer de gros plans – et celles d’une reconstitution avec un faux Hollande. D’où des raccords hasardeux qui, alors que le moment est solennel et devrait être source d’émotion, s’avèrent risibles. Ne reste plus à espérer que ce ratage ne soit pas le testament filmique du grand Clint, qui fêtera fin mai son 88e anniversaire.

Le 15h17 pour Paris (The 15:17 to Paris), de Clint Eastwood (Etats-Unis, 2018), avec Spencer Stone, Anthony Sadler, Alek Skarlatos, 1h34.

Voir aussi:

«Sully», un portrait du vrai héros américain par Clint Eastwood
«Sully», un portrait du vrai héros américain par Clint Eastwood
A New York, en janvier 2009, un pilote posait son appareil sur l’Hudson River. De ce fait divers, Clint Eastwood tire un grand film politique avec Tom Hanks en vedette
Antoine Duplan
Le Temps
29 novembre 2016

Mayday! Mayday! Le film démarre dans le vif de l’action: un avion se crashe au cœur de Manhattan… Pas de panique! Cette réminiscence fracassante du 11-Septembre appartient à une réalité alternative sécrétée par un subconscient ébranlé. Le dormeur est arraché du sommeil, paniqué. Le subterfuge du cauchemar, qui pollue nombre de thrillers médiocres, semble indigne de Clint Eastwood, cinéaste réputé pour son son laconisme et ses litotes. En fait, il marque un niveau supérieur d’accomplissement artistique.

D’un exploit aéronautique, d’un fait divers tant répercuté par les médias qu’on a l’impression qu’il est vidé de tout sens, le réalisateur tire un récit post-traumatique aux vertus réparatrices doublé d’une fable politique amère, hantée, qui s’élève à la dimension parabolique.

Lire aussi notre portrait politique: Clint Eastwood, la victoire républicaine

L’événement, en janvier 2009
Le 15 janvier 2009, le commandant Chesley «Sully» Sullenberger réussit à poser sur les eaux glacées du fleuve Hudson son appareil qui, impacté au décollage par un vol d’oiseaux, a perdu ses deux réacteurs. Il sauve la vie des 155 passagers. L’opinion publique salue cet exploit unique dans l’histoire de l’aviation, fin de l’épisode.

Outrepassant la canonisation médiatique, Clint Eastwood revient sur le drame pour interroger la figure héroïque du commandant de bord. «Je n’ai pas l’impression d’être un héros», dit Sully. Il a simplement fait son devoir – de pilote, de citoyen. Il reste un homme, doutant de sa propre réalité dans le miroir embué de la salle de bains. Il entretient avec sa femme une relation adulte. Elle ne minaude pas des «I love you» au téléphone, elle s’inquiète de l’hypothèque sur la maison…

Le facteur humain

Une enquête administrative est ouverte: Sully n’aurait-il pas pu rallier un aéroport plutôt que de tenter cet exploit insensé? Quarante années d’aviation vont être jugées sur 208 secondes… Si sa responsabilité est établie, le pilote risque d’être mis à pied et de perdre sa pension. Ce procès est à haute valeur métaphorique. Sully jugé par les instances de l’aviation civile, c’est l’héroïsme jugé par la bureaucratie, le courage par le règlement, l’empirisme par le dogmatisme. Dans la salle d’audience se rejouent des conflits immémoriaux, celui de la classe ouvrière contre le patronat, du cow-boy contre le propriétaire terrien cadastrant la prairie, de l’homme contre la machine, du peuple contre les élites…

Sully adopte une remarquable structure en flash-back. Le cauchemar initial est réitéré, l’amerrissage, extraordinairement impressionnant, montré deux fois, dont la seconde pendant les audiences, comme une illustration du contenu de la boîte noire. A cette manœuvre risquée, les ordinateurs opposent des trajets alternatifs plus orthodoxes vers les aéroports de la région. Dans leurs simulateurs de vol, des pilotes chevronnés démontrent qu’il aurait été possible de se poser à LaGuardia ou à Teterboro.

L’affaire semble pliée, la faute démontrée, lorsque Sully tranche soudain: «Et si nous parlions sérieusement, maintenant?» Les logiciels de pilotage ont intégré tous les paramètres (altitude, vitesse du vent, poussée des réacteurs…) sauf un: le facteur humain. Les vols simulés virent vers les aéroports régionaux juste après la collision alors que Sully a eu besoin de 35 secondes pour comprendre ce qui se passait, évaluer les dégâts, en référer aux contrôleurs aériens et prendre sa folle décision…

Voué à l’héroïsme

Flanqué de l’excellent Aaron Eckhart en copilote truculent (le mot de la fin, fort drôle, lui revient, histoire de rappeler que le true american hero est aussi cool), Tom Hanks, grave, taiseux, tient le rôle-titre. Depuis trente ans, le comédien personnifie avec naturel les vertus de l’Amérique, qu’il soit un rédempteur au QI de crevette (Forrest Gump), un cador du Débarquement (Il faut sauver le soldat Ryan), un cosmonaute impavide (Apollo 13), un capitaine de marine marchande attaqué par des pirates (Capitaine Phillips), un gardien de prison à visage humain (La Ligne verte), un avocat défendant un espion russe pour démontrer la supériorité de l’Etat de droit sur le totalitarisme soviétique (Le Pont des espions), voire Walt Disney en personne (Dans l’ombre de Mary)… Dans Sully, il incarne une nouvelle fois l’Américain moyen voué à l’héroïsme modeste.

Eastwood le républicain avec Hanks le démocrate
Républicain pur jus, Clint Eastwood fait montre d’une grande intelligence en choisissant Tom Hanks, démocrate inébranlable. L’année passée, dans American Sniper, énorme succès public, le cinéaste retraçait le destin de Chris Kyle, le plus talentueux des tireurs d’élite de l’armée américaine, en prenant garde de ne pas prendre position. Le surdoué de la gâchette était-il un défenseur de la démocratie ou un tueur stipendié par l’Etat? Ce film indéchiffrable a enthousiasmé l’Amérique conservatrice. Nouveau succès au box-office, Sully est apte à réconcilier les deux camps.

Contrairement à Vol 93, de Paul Greengrass, qui, à travers des anecdotes feuilletonesques, imagine vainement ce qui s’est passé dans l’avion détourné et crashé en Pennsylvanie le 11 septembre 2001, Clint Eastwood s’abstient de trop personnaliser les passagers. Il les considère sous l’angle collectif. Tous unis avec les hôtesses de l’air, ils endossent leur responsabilité tandis que Sully tente l’impossible. «Tout le monde a fait son job», dira-t-il. Revu par Clint Eastwood, le vol 1549 se pose en métaphore d’une Amérique idéale dans laquelle chacun assume sa part de responsabilité derrière un pilote aux compétences supérieures. Curieusement, le pilote Trump auquel le cinéaste a apporté son soutien n’a pas la maîtrise de Sully.

Sully, de Clint Eastwood (Etats-Unis, 2016), avec Tom Hanks, Aaron Eckhart, Laura Linney, 1h36.

Voir également:

Review: In ‘The 15:17 to Paris,’ Real Heroes Portray Their Heroism

The 15:17 to Paris
Directed by Clint Eastwood

Drama/ History/ Thriller
PG-13
1h 34m
A.O. Scott

The NYT
Feb. 7, 2018

On Aug. 21, 2015, Ayoub El Khazzani boarded a high-speed train en route to Paris, armed with a knife, a pistol, an assault rifle and nearly 300 rounds of ammunition. His attack, apparently inspired by ISIS, was thwarted by the bravery and quick thinking of several passengers, notably three young American tourists: Alek Skarlatos, Anthony Sadler and Spencer Stone.

Their heroism is at the center of Clint Eastwood’s new movie, “The 15:17 to Paris,” a dramatic reconstruction as unassuming and effective as the action it depicts. Based on a book written (along with Jeffrey E. Stern) by Mr. Sadler, Mr. Skarlatos and Mr. Stone, the film stars them, too.

The practice of casting nonprofessionals in stories that closely mirror their own experiences has a long history — it’s a staple of Italian neorealism, the films of Robert Bresson and the Iranian cinema of the 1990s — but it remains a rarity in Hollywood. Usually the most we can expect is a poignant end-credits glimpse of the real people our favorite movie stars have pretended to be for the previous two hours. After all, part of the appeal of movies “inspired by true events” is the chance to admire the artistry of actors (like Tom Hanks’s, say, in Mr. Eastwood’s “Sully”) as they communicate the grit and gumption of ordinary Americans in tough circumstances.

But the thing to admire about “The 15:17 to Paris” is precisely its artlessness. Mr. Eastwood, who has long favored a lean, functional directing style, practices an economy here that makes some of his earlier movies look positively baroque. He almost seems to be testing the limits of minimalism, seeing how much artifice he can strip away and still achieve some kind of dramatic impact. There is not a lot of suspense, and not much psychological exploration, either. A certain blunt power is guaranteed by the facts of the story, and Mr. Eastwood doesn’t obviously try for anything more than that. But his workmanlike absorption in the task at hand is precisely what makes this movie fascinating as well as moving. Its radical plainness is tinged with mystery.

Who exactly are these guys? They first met as boys in Sacramento, which is where we meet them, played by Cole Eichenberger (Spencer Stone), Paul-Mikel Williams (Anthony Sadler) and Bryce Gheisar (Alek Skarlatos). Alek and Spencer, whose mothers (Judy Greer and Jenna Fischer) are friends, pull their sons out of public school and enroll them in a Christian academy, where they meet Anthony, a regular visitor to the principal’s office.

Frustrated by the educational demands of both church and state, the boys indulge in minor acts of rebellion: toilet-papering a neighbor’s house, swearing in gym class, playing war in the woods. They are separated when Alek moves to Oregon to live with his father and Anthony changes schools, but the three stay in touch as Anthony attends college and Alek and Spencer enlist in the military. Spencer, stationed in Portugal, meets up with Anthony in Rome, and Alek, who is serving in Afghanistan, visits a girlfriend in Germany before joining his pals in Berlin. They go clubbing in Amsterdam, wake up hung over and, after some debate, head for Paris.

To call what happens before the confrontation with the gunman a plot, in the conventional sense, does not seem quite accurate. Nor do Spencer, Anthony and Alek seem quite like movie characters. But they aren’t documentary subjects, either. Mr. Eastwood, famous for avoiding extensive rehearsals and retakes, doesn’t demand too much acting. Throughout the film, the principal performers behave with the mix of affability and reserve they might display when meeting a group of people for the first time. They are polite, direct and unfailingly good-natured, even when a given scene might call for more emotional intensity. In a normal movie, they would be extras.

And on a normal day, they would have been — part of the mass of tourists, commuters and other travelers taking a quick ride from one European capital to another. At times, Spencer, the most restless of the three and the one whose life choices receive the most attention, talks about the feeling of being “catapulted” toward some obscure destiny. But “The 15:17 to Paris” isn’t a meditation on fate any more than it is an exploration of the politics of global terrorism. Rather, it is concerned with locating the precise boundary between the banal and the extraordinary, between routine and violence, between complacency and courage.

The personalities of the main characters remain opaque, their inner lives the subject of speculation. You can wonder about the sorrow in Alek’s eyes, about the hint of a temper underneath Spencer’s jovial energy, about Anthony’s skeptical detachment. But at the end of the movie, you don’t really know them all that well. (You barely know Chris, a British passenger who helped subdue Mr. Khazzani, at all. He is seen but not named.)

Producing the illusion of intimacy is not among Mr. Eastwood’s priorities. He has always been a natural existentialist, devoted to the idea that meaning and character emerge through action. At the end of “The 15:17 to Paris,” a speech by former President François Hollande of France provides a touch of eloquence and a welcome flood of feeling. But the mood of the film is better captured by Mr. Skarlatos’s account of it, published in news reports after the attack: “We chose to fight and got lucky and didn’t die.”

Voir aussi:

Le 15h17 pour Paris

Critique du 20/02/2018

Jacques Morice

Le sujet est énoncé par le soldat Spencer Stone dans un raccourci assez discutable : « Faire la guerre et sauver des vies. » L’histoire, on la connaît : c’est celle du Thalys parti d’Amsterdam pour Paris le 21 août 2015. Un terroriste belgo-marocain était prêt à y faire un carnage. Grâce à l’intervention héroïque d’un professeur franco-américain (Mark Moogalian), d’un employé de banque (resté anonyme), puis de trois jeunes Américains, l’attentat a été déjoué.

On comprend pourquoi Clint East­wood s’est intéressé à ce drame évité, lui qui explore depuis longtemps le statut du héros, sa part de courage mais aussi de mystère. L’action stricto sensu, dans le train, tient en à peine dix minutes. C’est plus que dans Sully, autre histoire de sauvetage, dont Eastwood parvenait malgré tout à tirer un film captivant sur l’après et sur l’étrange prix à payer par le sauveur. Ici, il filme surtout l’avant : des flash-back sur la longue amitié, remontant à l’enfance, des trois héros, interprétés à l’âge adulte par les vrais protagonistes. On apprend qu’ils étaient de bons gar­çons mais turbulents, aimant jouer à la guerre, mauvais élèves dans des éco­les religieuses (Anthony Sadler est le seul à avoir suivi des études). Que Spencer Stone et Alek Skarlatos ont été élevés par des mères célibataires et ont choisi une carrière dans l’armée, non sans frustration pour le premier.

Bref, des choses ordinaires, anecdotiques, rendues encore plus lisses par l’interprétation de ces acteurs d’un jour. Le pire étant les séquences du voyage touristique à Berlin et Venise, où les gars en goguette visitent les ­monuments, font des selfies à la chaîne, s’amusent en boîte et se demandent s’ils vont aller jusqu’à Paris, où les gens, leur dit-on, sont « malpolis ». Le seul inté­rêt tient à la part d’inconscience derrière l’héroïsme. Le personnage central, Spencer Stone, est une tête brûlée. Lorsqu’il fonce sur le terroriste, il n’a pas d’arme. L’ennemi a le temps de viser, tire, mais son fusil mitrailleur s’enraye. Le héros serait-il attiré par la mort ? Serait-il lui-même un fantôme ? Le film, hélas, ne fait qu’effleurer cette question.

Avec «Le 15h17 pour Paris», Eastwood semble conclure une trilogie du héros américain amorcée avec «American Sniper» (2014) puis poursuivie avec «Sully» (2016).

Voir également:

« Le 15h17 pour Paris » de Clint Eastwood : tellement mauvais que le meilleur passage, ce sont les images d’archive !

13 février 2018

Clairement, les critiques du « Masque et la Plume » ont jugé le dernier film de Clint Eastwood décevant, pour le moins. Extraits des critiques… ou comment torpiller un film, en quatre essais.

Le 21 août 2015, à bord du Thalys à destination de Paris, un terroriste djihadiste, armé d’une kalachnikov, est neutralisé par trois amis d’enfance américains : l’étudiant Anthony Sadler, les militaires Alek Skarlatos et Spencer Stone. En sauvant la vie de 500 passagers, ils deviennent des héros.

Clint Eastwood en a tiré un film, où il a demandé aux trois vrais héros de jouer leurs propres rôles…

Xavier Leherpeur : « Les Chtis à Marseille à côté, c’est un bonheur ! »

Ce n’est pas un film, ce n’est rien. Ça n’a aucun intérêt.

Donc il va raconter l’histoire de ces gamins (enfin surtout des deux militaires, l’étudiant noir, Clint Eastwood n’en a rien à faire), surtout le petit rondouillard qui a tout donné à l’armée, l’armée lui a si peu rendu en l’empêchant de devenir ce qu’il voulait être, mais il s’est musclé, il s’est endurci, il s’est valorisé, il aime Dieu. Donc : Dieu / l’armée / les armes : le gamin est un pur Ricain élevé au Kellogg’s, il est inattaquable.

Michel Ciment : « Les visites de la Place St-Marc, de St Pierre de Rome, etc : c’est du travelog sans aucun intérêt ». / 2016 Warner Bros.

Michel Ciment : « c’est un film raté »

C’est un faux pas d’Eastwood, c’est arrivé à de grands réalisateurs (Bergmann, Buñuel…) C’est un film raté, à mon avis essentiellement sur un scénario qui est d’une faiblesse invraisemblable. w

Je trouve que l’idée était intéressante : prendre des personnages et raconter leurs vies qui les amènent à cet acte. On peut se moquer des Américains héroïques mais ce sont des Américains héroïques. Ce sont des gens qui ont risqué leur vie pour empêcher une massacre de 500 personnes dans le Thalys. Il faut le reconnaître ; il n’y a pas besoin de faire de l’anti-américanisme à tout bout de champ.

Simplement, l’erreur du film, c’est qu’il faut remplir cette 1h30.

Eric Neuhoff : « on se pince en regardant ça ! »

C’est tellement mauvais que le meilleur passage ce sont les images d’archive avec François Hollande qui fait un discours à l’Élysée. Mais sinon c’est un film complètement nul, on se pince en regardant ça !

Eric Neuhoff : « Les héros sont des gars assommants. Ils boivent de la bière, ils font des selfies… » / 2016 Warner Bros

Pierre Murat : « désuet, plat et nul »

Les acteurs sont très mauvais, c’est quand même un problème, et la mise en scène… les derniers films de Clint Eastwood sont beaucoup moins biens.