Présidentielle 2012: Après le gâchis Sarkozy, le cauchemar Hollande? (Will Sarkozy finally manage to snatch defeat from the jaws of victory?)

28 février, 2012
Certains m’appellent l’Américain. J’en suis fier … Je partage beaucoup de valeurs américaines. Nicolas Sarkozy (2004)
Le libéralisme, ce serait aussi désastreux que le communisme. Jacques Chirac  (2005)
C’est un Corrézien qui avait succédé en 1995 à François Mitterrand. Je veux croire qu’en 2012, ce sera aussi un autre Corrézien qui reprendra le fil du changement. François Hollande (2012)
De tous les reproches que je pourrais ad­resser à Nicolas Sar­kozy, le pire serait que, par ses erreurs et ses errances, il a conduit le pays dans la situation présente. Celle où il devient de plus en plus difficile de ne pas voir ce qui se profile sur l’horizon : l’élection de François Hollande à la présidence de la République, suivie par l’arrivée d’une majorité de gauche à l’Assemblée Nationale. Comme me le faisait remarquer récemment un ami, cela ferait que la gauche en France disposerait de tous les pouvoirs, puisqu’elle contrôle la plupart des grandes villes, l’ensemble des régions, le Sénat, les grands médias, et le secteur de l’enseignement et de la culture. (…) Nous passerions d’un déclin en pente relativement douce à un déclin en pente plus accélérée. Guy Millière

Sarkozy finira-t-il par arracher la défaite des mâchoires de la victoire?

Réforme (certes limitée et coûteuse) des retraites par suppression des régimes spéciaux et allongement des années de cotisation,   réduction des effectifs de l’Etat par le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux, fusion de l’ANPE et des Assedic,  fusion des services des impôts, service minimum dans les transports publics en cas de grève, réforme de la carte hospitalière par fermeture des établissements non rentables ou trop petits, réforme de la carte judiciaire et de la garde à vue, réforme des universités, suppression de la carte scolaire, interdiction du port du voile intégral, retour dans le commandement militaire intégré de l’OTAN après 40 ans d’absence,  fusion de la Direction centrale des renseignements généraux et de la  DST,     loi contre le téléchargement illégal sur Internet, limite du nombre de mandats présidentiels, renforcement du pouvoir du Parlement, possibilité de saisine du Conseil constitutionnel par les justiciables pour des questions de constitutionnalité …

Alors qu’alternance oblige après 15 ans de présidence de droite, un autre Corrézien  « capitaine de pédalo »  s’apprête à reprendre le pouvoir et (surprise!) à peu près l’essentiel des quelques réformes à l’époque tant décriées de son prédécesseur …

Pendant qu’à l’instar d’une gauche qui continue à mépriser les aspirations populaires, un ministre de l’Intérieur jusqu’ici plutôt inspiré se laisse aller au plus piteux des rétropédalages via le plus oiseux des jeux de mots sur le programme de la candidate dont les voix vont être cruciales comme il y a cinq ans …

 Et à la mesure de l’espoir qu’avait soulevé  l’élection, après les dix longues années de l’accident industriel Chirac, du soi-disant plus « américain » de nos présidents et même si nous ne le suivons pas sur la question des gitans (pardon: des « gens du voyage »!) contre lesquels il est évident qu’il fallait agir et qu’il oublie un peu vite les circonstances atténuantes de la crise financière …

Comment, avec Guy Millière, ne pas comprendre l’immense déception et l’incroyable impression de gâchis que devrait laisser derrière lui, entre les gesticulations, l’obsession des « coups » et les abandons à l’air du temps, le premier et probablement unique mandat Sarkozy?

Surtout quand on imagine les dégâts qu’appuyé sur le contrôle de « la plupart des grandes villes, de l’ensemble des régions, du Sénat des grands médias et du secteur de l’enseignement et de la culture » (et à moins d’une présidentielle très serrée et un sursaut aux législatives?), que pourrait causer l’équipe Hollande avec ses appels démagogiques aux dépenses, aux blocages des prix et loyers ou à l’alourdissement des charges des secteurs les plus dynamiques  …

Pitoyable bilan de Nicolas Sarkozy

Guy Millière

Les 4 vérités

26 janvier 2012

J’ai, je le reconnais, pensé que Nicolas Sarkozy ferait mieux que Jacques Chirac. Vu ce qu’a fait Jacques Chirac, cela ne semblait pas très difficile. Il ne m’a pas fallu longtemps pour m’apercevoir que ce que m’avait dit un de mes amis, qui connaissait bien Nicolas Sarkozy, se révélait exact : Nicolas Sarkozy serait pire que Jacques Chirac.

Nous sommes à l’heure du bilan et celui-ci est accablant. Les rares gestes positifs accomplis ces dernières années, tels la limitation des prélèvements obligatoires ou le projet de réforme des universités, se sont trouvés aussitôt raturés par diverses formes de pusillanimité.

Et, pour le reste, quelle trajectoire (si l’on peut dire, car le mot trajectoire semble tout à fait excessif pour désigner ce qui ressemble à une errance titubante et sans repères) !

Économiquement, la France a stagné : la croissance a été quasiment nulle, le chômage s’est maintenu à un niveau élevé, la pauvreté s’est accrue dans des proportions alarmantes, des entreprises ont fermé sans que d’autres entreprises viennent les remplacer.

« Socialement », il a été procédé à des rafistolages indigents : le RMI a été remplacé par le RSA, quelle avancée !

En termes de sécurité intérieure, il y a eu beaucoup de gesticulation, mais aucun résultat, sinon une « tolérance zéro » appliquée aux automobilistes, ce à quoi les théoriciens américains de la « tolérance zéro » n’avaient effectivement pas pensé car, eux, ils pensaient aux criminels…

Des décisions timides ont été prises : telles la loi sur le voile islamique, qui n’est pas une loi sur le voile islamique, car elle peut concerner aussi les casques de moto ou l’usage du passe-montagne.

D’autres décisions, honteuses et xénophobes, ont fait tache : pour régler des problèmes d’émeutes dans des quartiers islamisés, on a décidé d’expulser des Roumains en les désignant à la vindicte. Pour tenter de faire plaisir aux adeptes de la peste verte écologique, on a pris des mesures inutiles et coûteuses, telles l’ajout d’éthanol dans l’essence, l’imposition de normes « basse consommation » dans le secteur immobilier, ou la construction de parcs d’éoliennes destinés à faire ce que les ministres font déjà très bien : brasser du vent en gaspillant l’argent des contribuables.

En politique extérieure, c’est loin d’être mieux : présenté au départ comme « américain » et « ami d’Israël », Nicolas Sarkozy s’est assez vite rangé aux positions les plus fangeuses du Quai d’Orsay et à la politique arabe de la France. Bachar Al Assad a été reçu avec les honneurs à Paris : il massacre son peuple aujourd’hui, sans que la France fasse davantage qu’énoncer quelques remontrances.

Mouammar Kadhafi a planté sa tente à quelques mètres de l’Élysée, et il a suffi, quelques mois plus tard, d’un coup de téléphone de Bernard-Henri Lévy pour que la France s’emploie à le faire tomber, puis assassiner par des islamistes antisémites. Mahmoud Abbas a été reçu très souvent à l’Élysée et a reçu un soutien clair de la France à ses activités de chef maffieux.

Nicolas Sarkozy a même comparé l’Autorité palestinienne au Vatican. Nicolas Sarkozy a tout fait pour se rapprocher de Barack Obama qui, imprégné d’un mépris profond pour l’Europe, n’a cessé de le dédaigner. L’élection présidentielle ayant lieu dans trois mois, Nicolas Sarkozy s’agite dans toutes les directions. Un jour, il se déclare partisan de la taxe Tobin qu’il dénonçait voici quelques années comme une ineptie gauchiste.

Un autre, il suggère une ouverture en direction du mariage gay, avant de se rétracter. Un autre, il célèbre Jeanne d’Arc pour imiter le Front National.

Parce qu’un autre candidat parle de réindustrialiser la France, il se met à parler de réindustrialisation. L’euro étant en péril, il s’est placé en première ligne en prétendant le sauver…

Ce qui pourrait encore permettre la réélection de Nicolas Sarkozy serait l’immense nullité de ses adversaires. Le débat actuel en France se situe au ras du plancher. Avoir autant de candidats et n’en avoir aucun qui tient un discours à la hauteur des enjeux, cela s’appelle le crépuscule. Si Nicolas Sarkozy se faisait réélire parce que ceux qui lui font face semblent plus nuls que lui, cela suffirait à indiquer où est tombée la France.

 Voir aussi:

HOLLANDE, LE CAUCHEMAR QUI VIENT

Guy Millière

Les4 vérités

01.02.12

De tous les reproches que je pourrais ad­resser à Nicolas Sar­kozy, le pire serait que, par ses erreurs et ses errances, il a conduit le pays dans la situation présente. Celle où il devient de plus en plus difficile de ne pas voir ce qui se profile sur l’horizon : l’élection de François Hollande à la présidence de la République, suivie par l’arrivée d’une majorité de gauche à l’Assemblée Nationale.Comme me le faisait remarquer récemment un ami, cela ferait que la gauche en France disposerait de tous les pouvoirs, puisqu’elle contrôle la plupart des grandes villes, l’ensemble des régions, le Sénat, les grands médias, et le secteur de l’enseignement et de la culture.On ne peut en déduire hâtivement qu’il en résulterait une situation irréversible. On peut cependant dire, au moins, que la situation deviendrait difficilement réversible.Nous passerions d’un déclin en pente relativement douce à un déclin en pente plus accélérée.D’ores et déjà, la France compte sept millions de personnes vivant dans la grande pauvreté, trois millions de chômeurs, un million et demi de bénéficiaires du revenu dit de « solidarité active ». D’ores et déjà, un Français sur deux ne paie aucun impôt sur le revenu, et plus d’un Français sur deux reçoit des allocations diverses payées par les autres. Mais la situation s’aggraverait. François Hollande prévoit la création de 65 000 postes de fonctionnaires supplémentaires, quand bien même il énonce en parallèle que le nombre total de fonctionnaires n’augmentera pas. Et l’essentiel des postes créés, a-t-il ajouté, le seront dans l’éducation, donc dans la formation des esprits.

François Hollande prévoit d’accroître la progressivité des impôts, ce qui détruira davantage l’épargne, et d’augmenter les impôts sur les grandes entreprises, ce qui accélérera les délocalisations. Il prévoit d’accentuer le dirigisme économique en mettant en place une « banque d’investissement » gouvernementale pour les PME. Ce qui signifie que des bureaucrates décideront davantage encore de ce que doivent être les investissements. Il prévoit la création de 150 000 emplois « subventionnés » pour les jeunes, ce qui accoutumera ceux-ci, dès la fin de leur parcours scolaire, à dépendre de l’État.

Aux fins de détruire un peu plus la famille, il entend légaliser le mariage homosexuel et l’adoption par deux parents du même sexe, ce qui débouchera sans doute sur l’irruption de manuels scolaires dès la maternelle qui ressembleront à ceux qu’on trouve dans des États américains déliquescents, tels que la Californie : « Thomas a deux papas » (la question subsidiaire qui ne figure pas dans le livre : lequel des deux est sa tante ?). François Hollande promet aussi de donner le droit de vote au niveau local aux étrangers non européens, et seuls ceux qui ignorent le fonctionnement de la pyramide politique, qui fait qu’un maire peut devenir sénateur ou député, penseront que le sommet de la pyramide ne sera pas concerné.

Par rapport au programme délirant présenté par le Parti socialiste voici quelques mois, le programme de François Hollande peut sembler modéré, raisonnable. Hollande lui-même peut paraître porteur d’une bonhomie rassurante. Mais on ne peut ignorer quelle cohorte se profile derrière lui : Martine Aubry, Arnaud Montebourg, Jean-Luc Mélenchon, disciple de Chavez. On ne peut ignorer que les Verts demanderont quelques postes. Imaginez Éva Joly et Cécile Duflot au gouvernement…

L’analphabétisme économique qui règne en France est déjà effrayant. Je n’ose imaginer ce qu’il pourrait devenir. La pensée libérale est déjà en état de dissidence : je crains qu’elle disparaisse complètement et ne subsiste qu’à l’état de traces.Les relations internationales ? Attendez-vous à ce que les actions du monde islamique soient en hausse.Un sursaut ultérieur ? En cas d’élection de François Hollande, l’UMP explosera sans doute, ce qui ne sera pas nécessairement une mauvaise chose. Mais, pour qu’un sursaut existe, il faut qu’il y ait une alternative. Nous allons vers les décombres. Rebâtir prendrait du temps. Et le temps manque cruellement lorsqu’on est aussi près du précipice…

 Voir également:

Ce que M. Hollande se prépare à garder de l’héritage Sarkozy

27.02.12

Que conserveront-ils de Nicolas Sarkozy? Du quinquennat qui s’achève, les socialistes n’entendent pas forcément faire table rase. Loin de se préparer à un effacement systématique des réformes de son prédécesseur, le candidat socialiste, si d’aventure il lui succédait, a opté pour leur remplacement, voire par un accommodement.

Une philosophie dont Michel Sapin, responsable de son projet, résume les grandes lignes : « A quoi servirait-il de se lancer dans une bataille d’abrogation? », indique le député PS de l’Indre, qui précise qu' »il y a quelques lois emblématiques sur lesquelles il faudra revenir ». Ainsi la « circulaire Guéant » sur les étudiants étrangers, les peines planchers ou la réforme territoriale.

Mais nombre de mesures symboliques, comme la création de Pôle emploi ou l’entrée dans le commandement militaire intégré de l’OTAN, ne semblent pas devoir être remises en cause.

L’IMMIGRATION ET LA SÉCURITÉ

L’interdiction du port du voile intégral. Loi emblématique adoptée en septembre 2010, cette mesure fut érigée au rang de symbole par l’UMP. François Hollande, qui à l’époque avait fait part de son opposition au texte du gouvernement, ne l’a pas évoquée depuis.

L’Organisation de la sécurité. La création de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), qui résulte de la fusion de la Direction centrale des renseignements généraux (DCRG) et la Direction de la surveillance du territoire (DST), ne devrait pas être remise en cause.

Au-delà, concernant la multitude de lois de sécurité intérieure adoptées depuis l’installation de M. Sarkozy Place Beauvau, « l’idée n’est pas de supprimer tout ce qui a été fait, indique François Rebsamen, maire PS de Dijon et chargé du pôle sécurité dans l’équipe de M. Hollande. Sur les 28 lois prises depuis 2002, il faudra évaluer celles qui n’ont aucun impact, aucune efficacité et celles qui marchent ».

LA JUSTICE

Les peines planchers. Introduites par la loi Dati de 2007, les « peines planchers » fixent le minimum que doit infliger un juge en cas de récidive d’un accusé ou pour certains crimes et délits. « Il faudra les supprimer », tranche M. Rebsamen.

La rétention de sûreté. Le PS se montre plus prudent quant à la rétention de sûreté, votée en 2008, qui permet de placer, à l’issue de leur peine, des prisonniers jugés dangereux dans des centres socio-judiciaires fermés. André Vallini, responsable du pôle justice dans l’équipe de campagne du candidat socialiste, estime que « si la rétention de sûreté consiste à maintenir en prison quelqu’un qui a purgé sa peine, c’est contraire au droit. Mais on ne peut relâcher dans la nature sans surveillance des gens considérés comme des malades ».

Les jurés citoyens en correctionnelle. Mis en place par M. Sarkozy, les premiers ont siégé au printemps. C’est « une idée intéressante mais gâchée par excès de précipitation », indique M. Vallini, qui lui préfère le concept d' »échevinage, avec des citoyens volontaires associés au travail des magistrats ».

La réforme de la carte judiciaire. La suppression de 17 tribunaux de grande instance avait déclenché une fronde dans le monde judiciaire. Interrogé sur une réinstallation de ces tribunaux, alors que les crédits manquent, M. Vallini préfère annoncer une « grande réforme de l’organisation judiciaire, qui remettrait notamment à plat la distinction entre tribunaux d’instance et de grande instance ».

La réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et de la garde à vue. Le CSM, qui a désormais le pouvoir de nommer les procureurs, sera à nouveau réformé ; les procureurs seront nommés sur le modèle des juges du siège. Autre grande réforme, imposée par l’Europe, la présence d’un avocat lors des garde à vue. Il s’agit pour M. Vallini d’une « réforme minimale qu’il faudra poursuivre pour mettre [la France] au standard des pays européens ».

La justice des mineurs. M. Sarkozy a en grande partie détricoté celle-ci en revisitant de nombreuses fois l’ordonnance de 1945. « Cela fait partie des réformes à abroger », assure M. Vallini, qui annonce un « retour au principe de l’ordonnance de 1945, la spécialisation des juridictions, l’atténuation de responsabilité et le primat de l’éducatif sur le répressif ».

L’EDUCATION

La Loi LRU. Tantôt critiquée, tantôt saluée comme une réussite, la réforme des universités que M. Sarkozy ne cesse de mettre en avant semble embarrasser le PS. « Ce n’est pas pour nous le sujet majeur, même s’il est emblématique », estime Vincent Peillon, chargé du pôle éducation, qui voit dans la question de son abrogation « un faux débat ». « Ce qui est important, c’est ce par quoi on remplace, en l’occurrence une loi-cadre qui interviendra assez rapidement après une courte consultation », plaide-t-il.

La suppression de la carte scolaire. Cette réforme fut combattue par la gauche. Elle n’a pourtant pas entraîné de révolution sur le terrain. Pas sûr que le PS revienne sur ce dispositif, M. Peillon estimant lui-même que « les modèles précédents n’étaient pas formidables ».

La formation des enseignants. Le gouvernement de François Fillon a ouvert la voie à une suppression des Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), au profit d’une formation en master des enseignants. Le PS annonce qu’il « reviendra entièrement sur la réforme de laformation des enseignants, qui a été détruite », selon M. Peillon.

LES INSTITUTIONS

La réforme constitutionnelle. Adoptée en 2008, elle limite à deux le nombre de mandats du chef de l’Etat, lui permet d’intervenir en Congrès, renforce le pouvoir du Parlement et instaure la possibilité d’une saisine du Conseil constitutionnel par les justiciables avec la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Le PS évoque certes de nouveaux aménagements institutionnels (une part de proportionnelle, la parité homme-femme), mais ne parle pas d’un retour en arrière.

La réforme territoriale. Votée en 2010, elle instaure le conseiller territorial, destiné à siéger à la fois au conseil régional et au conseil général. Le PS a promis de revenir sur cette réforme. Selon le président PS du Sénat, Jean-Pierre Bel, « tout ou presque sera abrogé, à part peut être la partie intercommunalité ». M. Bel se dit « favorable au maintien de tous les niveaux : commune, intercommmunalité, départements et régions ». Quant à la suppression de la taxe professionnelle (TP), elle sera « plus difficile à défaire », concède M. Bel.

LA FONCTION PUBLIQUE

La Révision générale des politiques publiques (RGPP). Le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux a permis de réduire de plus de 100 000 personnes les effectifs de l’Etat. Le PS et François Hollande promettent aujourd’hui « d’en finir avec la RGPP aveugle », mais demeurent flous sur les chiffres. Le candidat socialiste a promis des créations de postes, mais sans augmenter l’effectif de fonctionnaires. Cet effort devrait donc nécessiter la poursuite du non-remplacement.

La création de Pôle emploi. Issu de la fusion de l’ANPE et des Assedic, Pôle emploi a été créé en février 2008 afin de simplifier les démarches et le suivi des demandeurs d’emploi, tout en diminuant les coûts. Son bilan est mitigé. Le PS ne compte pourtant pas revenir sur cette création.

Le service minimum. Instaurée en 2007, la loi sur le service minimum ne sera pas modifiée, a déjà annoncé François Hollande, qui juge qu’elle est « entrée dans les mœurs ».

LA SANTÉ ET LES RETRAITES

La carte hospitalière. Le gouvernement de François Fillon l’a réformée en fermant des établissements jugés non rentables ou trop petits. François Hollande s’est engagé à permettre un accès de chacun à un établissement d’urgence accessible en trente minutes, sans préciser toutefois quels seraient les centres hospitaliers ainsi rouverts ou créés.

La réforme des retraites. Votée en 2010, elle a fait passer l’âge minimum de départ à 62 ans et l’âge de départ à taux plein à 67 ans, et le nombre d’années de cotisation à 41 ans. M. Hollande a promis de permettre aux personnes à jour de cotisation de partir à la retraite avant l’âge légal, sans changer celui-ci.

LA CULTURE

La loi Hadopi. Ce texte réprimant le téléchargement illégal sur Internet, voté en 2008, fait l’objet d’une valse-hésitation du PS. M. Hollande promet désormais un « acte II de l’exception culturelle ». Aurélie Filipetti, chargée de la culture dans l’équipe de campagne du candidat socialiste, évoque une offre légale, la lutte contre la contrefaçon commerciale et l’élargissement des sources de financement, mais sans licence globale, jugée trop incertaine.

L’INTERNATIONAL

L’Europe. Concernant le traité européen voulu par M. Sarkozy et la chancelière allemande Angela Merkel, M. Hollande, s’engage à le renégocier. Pour Pierre Moscovici, « la ratification, qui aura été interrompue par la période électorale, ne sera pas engagée s’il n’y a pas une réorientation de la construction européenne ».

L’OTAN. M. Sarkozy avait choisi, dès 2007, le retour de la France dans le commandement militaire intégré de l’OTAN, qu’elle avait quitté en 1966. La décision du chef de l’Etat avait alors été critiquée par la gauche. Mais selon M. Moscovici, le départ de la France n’est plus envisagé.

Voir enfin:

Moscovici sur le bilan de Sarkozy : « L’idée n’est pas de défaire, mais de faire »

Le Monde

27.02.12

Le directeur de campagne de François Hollande, Pierre Moscovici, explique ce qui changera en cas de victoire du candidat socialiste. Au menu : loi de programmation des finances publiques, fiscalité du capital, quotient familial, circulaire Guéant.

Du bilan législatif de Nicolas Sarkozy, faudra-t-il entièrement faire table rase si François Hollande accède à l’Elysée ?

Il ne s’agira pas de pratiquer un antisarkozysme de principe ou d’abroger simplement telle ou telle mesure spectaculaire. Il s’agit de mettre en place une autre politique. Mais il est exact que cela suppose au passage des changements et des remises en question radicales. L’idée n’est pas de défaire, mais de faire. De construire.

Ces remises en question doivent-elles en priorité toucher la fiscalité, qui constitue depuis cinq ans le cheval de bataille du PS ?

Le quinquennat de Nicolas Sarkozy a commencé par l’injustice et se termine dans l’incohérence. C’est le cas du paquet fiscal TEPA [travail, emploi, pouvoir d’achat], petit à petit détricoté sans fil directeur, si ce n’est un plan de rigueur qui aggrave les inégalités. Pour marquer le changement, nous adopterons rapidement une loi de programmation des finances publiques pour réduire les déficits, ainsi qu’une loi de finances rectificative. Nous taxerons les revenus du capital comme les revenus du travail, nous reviendrons sur les allégements de l’impôt sur la fortune institués après la réforme du bouclier fiscal en relevant les taux d’imposition des plus gros patrimoines. Nous remettrons en question les heures supplémentaires défiscalisées, qui, en réalité, ont surtout incité à ne pas embaucher.

Et surtout, nous mettrons l’accent sur la progressivité de l’impôt, engagerons la fusion à terme de l’impôt sur le revenu et de la CSG, et réviserons le quotient familial pour permettre d’augmenter l’allocation de rentrée scolaire. Nous instaurerons un taux différencié de l’impôt sur les sociétés en fonction de la taille des entreprises pour encourager les PME innovantes.

N’y a-t-il pas cependant des mesures emblématiques que le président François Hollande voudrait symboliquement abroger?

Nous abrogerons la circulaire Guéant sur les étudiants étrangers, absurde et inique, qui interdit à ceux-ci d’étudier dans de bonnes conditions et de devenir ensuite les ambassadeurs de la France à l’étranger, comme ils devraient l’être. Mais nous procéderons aussi par modifications, comme celle de la loi LRU [relative aux libertés et responsabilités des universités], dans le sens d’un rééquilibrage vers les universités délaissées.

Reviendrez-vous sur la création de Pôle emploi ?

Cette réforme voulait aller dans le sens d’une personnalisation du traitement des demandeurs d’emploi. Mais elle s’est surtout accompagnée d’une baisse des moyens. Le renforcement de Pôle emploi constituera donc l’une de nos priorités, comme l’éducation nationale, la justice et la police.

François Hollande sortira-t-il la France du commandement intégré de l’OTAN ?

La réintégration dans le commandement militaire intégré a été décidée en 2007 de manière précipitée et sans effet probant. A part un engagement supplémentaire des troupes françaises en Afghanistan. François Hollande s’est engagé à les en retirer avant la fin 2012, en concertation avec nos alliés. Il faudra aussi donner un sens à la présence de la France au sein du commandement intégré de l’OTAN.

Et la loi Hadopi ? François Hollande a-t-il enfin statué ?

Nous remplacerons Hadopi après une large concertation avec les milieux concernés, pour soutenir le droit d’auteur à la fois patrimonial et moral, et encourager la création.

Propos recueillis par David Revault d’Allonnes


Election française: Pourquoi les pauvres ne votent plus à gauche (What’s the matter with Billancourt?)

26 février, 2012
Ironically, it was the Assad tyranny itself that had summoned those furies in its campaign against the American war in Iraq. It had provided transit and sanctuary for jihadists who crossed into Iraq to do battle against the Americans and the Shiites; it even released its own Islamist prisoners and dispatched them to Iraq with the promise of pardon. Now the chickens have come home to roost, and an Alawite community beyond the bounds of Islam is facing a religious war in all but name. Fouad Ajami
In fact, far from eliminating radicalization, there is reason to believe that Western values can actually exacerbate Islamist tendencies. It is already known that Western concessions to Islam — in the guise of multiculturalism, “cultural sensitivity,” political correctness, and self-censorship — only bring out the worst in Islamists. Yet even some of the most prized aspects of Western civilization — personal freedom, rule of law, human dignity — when articulated through an Islamist framework, have the capacity to “radicalize” Muslims. (…) Western notions of autonomy and personal freedom have even helped “Westernize” the notion of jihad into an individual duty, though it has traditionally been held by sharia as a communal duty. Nor should any of this be surprising: a set of noble principles articulated through a fascistic paradigm can produce abominations. ‘…) just as a stress on human freedom, human dignity, and universal justice produces good humans, rearticulating these same concepts through an Islamist framework that qualifies them with the word “Muslim” — Muslim freedom, Muslim dignity, and Muslim justice — leads to what is being called “radicalization.” Raymond Ibrahim
Vous allez dans certaines petites villes de Pennsylvanie où, comme dans beaucoup de petites villes du Middle West, les emplois ont disparu depuis maintenant 25 ans et n’ont été remplacés par rien d’autre (…) Et il n’est pas surprenant qu’ils deviennent pleins d’amertume, qu’ils s’accrochent aux armes à feu ou à la religion, ou à leur antipathie pour ceux qui ne sont pas comme eux, ou encore à un sentiment d’hostilité envers les immigrants. Barack Obama
Nous qui vivons dans les régions côtières des villes bleues, nous lisons plus de livres et nous allons plus souvent au théâtre que ceux qui vivent au fin fond du pays. Nous sommes à la fois plus sophistiqués et plus cosmopolites – parlez-nous de nos voyages scolaires en Chine et en Provence ou, par exemple, de notre intérêt pour le bouddhisme. Mais par pitié, ne nous demandez pas à quoi ressemble la vie dans l’Amérique rouge. Nous n’en savons rien. Nous ne savons pas qui sont Tim LaHaye et Jerry B. Jenkins. […] Nous ne savons pas ce que peut bien dire James Dobson dans son émission de radio écoutée par des millions d’auditeurs. Nous ne savons rien de Reba et Travis. […] Nous sommes très peu nombreux à savoir ce qu’il se passe à Branson dans le Missouri, même si cette ville reçoit quelque sept millions de touristes par an; pas plus que nous ne pouvons nommer ne serait-ce que cinq pilotes de stock-car. […] Nous ne savons pas tirer au fusil ni même en nettoyer un, ni reconnaître le grade d’un officier rien qu’à son insigne. Quant à savoir à quoi ressemble une graine de soja poussée dans un champ… David Brooks
Les tea party ne se résument pas à des positions pro life et anti-masturbatoires, la révolte est bien plus large et profonde (…), elle est sans doute à rapprocher aux mouvements souterrains résilients depuis des années qui se font désormais jour en Hollande, en Allemagne, en Suède maintenant, en Italie et en France depuis quelques temps, à savoir le refus, hétérogène, de se voir imposer d’en haut une vision idéaliste, désincarnée, réduisant le vivre ensemble au “care”, comparant toute volonté de conserver un certain art de vivre comme réactionnaire, analysant enfin tout refus de confondre ouverture et disparition comme raciste. (…) Les tea party sont évidemment dénoncées par les idéologues de Hollywood, de New York, de Washington DC, et aussi de st Germain des Prés puisqu’ils incarnent tous le nihilisme étatiste dénoncé par les tea party en ce qu’il parasite l’espace public, l’idéal public, la volonté commune, et très pratiquement les fonds publics pour fabriquer leur gloire par la victimisation (du “care”) c’est-à-dire par la transformation du peuple en assistés scotchés aux frasques de leur ego supposé artistique (…). Il ne s’agit donc pas de populisme, mais de se libérer de chaînes installées à nos poignets pour notre bien alors que ces bienfaiteurs sont en réalité le principal obstacle pour réellement faire de l’espace commun un bien au service de toutes et de tous. Lucien SA Oulahbib (16/9/2010)
Les propos antisémites se sont banalisés. Pour le BNVCA la propagande anti-israelienne soutenue, voire relayée par des élus politiques, des universitaires, des syndicalistes, constitue la source principale de ce fléau, car en attisant la haine d’Israel, elle pousse à l’acte antijuif. C’est le cas du Conseil Municipal de Champigny qui fait preuve d’ un activisme démesuré dans ce domaine. Voyages à répétition à Gaza. Motions votées pour la libération du terroriste franco palestinien Salah Hamouri. Soutien du Maire à la flottille illégale pour Gaza ; coopération de solidarité avec le camp palestinien d’Al Fawwar à Hébron etc etc….Volonté de nommer le terroriste Barghouti citoyen d’honneur etc… Sammy Ghozlan
« Populiste » est aujourd’hui, en Europe et en tout cas en France, un jugement négatif, presque une insulte. Il n’en est pas ainsi partout. Aux Etats-Unis, le populisme fait partie du répertoire politique acceptable. Opposer le sentiment ou la revendication populaires aux élites est une arme dont l’usage par un politicien, démocrate ou républicain, ne choque personne, car le peuple peut en effet avoir des intérêts ou des priorités autres que celles des puissances économiques, des autorités administratives ou judiciaires, des gouvernants. Il revient aux grands partis et à leurs candidats soit de capter ces attentes et d’y répondre, soit de les neutraliser. Au contraire, les totalitarismes qui ont mis l’Europe à feu et à sang y ont disqualifié le populisme.  (…) Le procès fait aux baby-boomeurs est le même aux Etats-Unis. Là-bas aussi, les jeunes contestataires des années 1960-1970 sont accusés d’avoir détourné le Parti démocrate de son alliance historique avec la classe ouvrière blanche, laquelle, du coup, prêta l’oreille aux républicains, de Ronald Reagan à George Bush junior. Le mouvement néoconservateur est né en réaction à l’abandon, par les démocrates, des idéaux nationalistes (anticommunistes) et plébéiens qu’ils avaient portés, de Franklin Roosevelt à Lyndon Johnson. Roger Pol-Droit

Qui sème le vent …

 Alors qu’en Syrie un régime qui avait pendant des années lâché ses islamistes sur l’expérience démocratique de ses voisins libanais ou irakiens se voit, sur le dos de sa propre population et grâce à la passivité et à la complicité conjuguées du Carter noir de Washington et des virtuoses toujours impunis des chaises musicales de l’Axe Moscou-Pékin, payer de sa propre pièce …

Et que dans nos propres banlieues dites « sensibles » une municipalité qui avait instrumentalisé le conflit israélo-palestinien voit une séance interrompue dans un des cinémas de la ville par les cris de « mort aux juifs » de ses chères têtes blondes …

Pendant que dans une campagne présidentielle théoriquement gagnée d’avance après 15 ans de contrôle du pouvoir par une droite largement elle aussi délégitimée, la gauche française semble, à l’instar de son homologue américaine et malgré l’amère leçon d’il y a dix ans, plus démunie que jamais face aux populismes lepéniste ou mélenchoniste …

Retour, avec deux ouvrages de Laurent Bouvet et de Jean-Philippe Domecq, sur les rapports historiquement ambivalents de la gauche française (écolos compris) avec le pouvoir …

Et, sans compter la tentation conspirationniste, son abandon non moins historique aux petits partis protestataires et extrémistes et au profit d’un « peuple de substitution » d’immigrés …

Des « aspirations populaires » telles que « le travail, bien sûr, mais aussi l’identité nationale, le modèle d’autorité social-familial, le sens de l’appartenance et de la protection collectives, etc. » …

L’alerte populiste, un défi démocratique

Roger Pol-Droit

Le Monde des livres

09.02.12

Faut-il en avoir peur ? Seulement peur ? L’histoire commande de s’en méfier et, aujourd’hui, le Tea Party américain et les mouvements xénophobes d’Europe font craindre que des forces politiques agressives ne trouvent un appui populaire suffisant pour accéder au pouvoir. Mais le populisme n’est-il qu’un danger à désigner, un adversaire à combattre, ou bien est-il aussi un signal à entendre ?

L’une des caractéristiques propres au populisme contemporain est que, à la différence de ses devanciers russe et nord-américain du XIXe siècle, sud-américain du XXe, il n’est pas revendiqué par ceux qui le pratiquent. Ils sont les premiers à savoir que leur posture inquiète à mesure qu’elle séduit. En France, Jean-Luc Mélenchon est le seul à assumer l’accusation de populisme, mais cette transgression, proclamée haut et fort, est cousue de fil blanc. L’ancien sénateur et ministre socialiste veut obtenir des commentateurs un certificat d’exclusion.

« Populiste » est aujourd’hui, en Europe et en tout cas en France, un jugement négatif, presque une insulte. Il n’en est pas ainsi partout. Aux Etats-Unis, le populisme fait partie du répertoire politique acceptable. Opposer le sentiment ou la revendication populaires aux élites est une arme dont l’usage par un politicien, démocrate ou républicain, ne choque personne, car le peuple peut en effet avoir des intérêts ou des priorités autres que celles des puissances économiques, des autorités administratives ou judiciaires, des gouvernants. Il revient aux grands partis et à leurs candidats soit de capter ces attentes et d’y répondre, soit de les neutraliser.

Au contraire, les totalitarismes qui ont mis l’Europe à feu et à sang y ont disqualifié le populisme. Ils ont même provoqué l’effacement du peuple, écrit Laurent Bouvet dans Le Sens du peuple, au profit de la société. La promotion des peuples, résultant à la fois de la diffusion de la démocratie et de l’affirmation des nationalités, au XIXe siècle, a débouché, après la première guerre mondiale, sur celle des masses, supports du communisme en Russie et des fascismes en Europe occidentale. Les désastres qui en ont résulté vingt ans plus tard ont amené les citoyens des démocraties victorieuses à se détourner de la croyance dans les bienfaits de la multitude unie, pour s’intéresser plutôt à ceux du progrès économique et de l’épanouissement individuel. Mai-68 est, en France, le moment où la disparition du peuple fut « actée », alors même que le Quartier latin s’imaginait rejouer les journées révolutionnaires du siècle précédent.

Le livre de Laurent Bouvet expose, dans leur riche variété, des analyses qui aboutissent toutes, avec des perspectives différentes, au constat d’une séparation entre la gauche et le peuple, d’un oubli ou d’un rejet de celui-ci par celle-là. L’émergence politique de « jeunes issus du baby-boom protestant contre une société qui ne leur fait pas suffisamment de place » a selon lui transformé la gauche. Celle-ci a conservé, jusqu’en 1983, un discours et une pratique « de classe » – nationalisation, planification, autogestion, droits sociaux et syndicaux -, mais elle s’est convertie en réalité, dans la même période, aux idées libérales, qui placent l’individu au centre de la société au lieu qu’il s’intègre à la collectivité politique, sociale et nationale. Selon Bouvet, après le tournant de la rigueur, présenté mensongèrement comme une parenthèse, le Parti socialiste a mis sa politique économique en accord avec ses choix de société.

Le procès fait aux baby-boomeurs est le même aux Etats-Unis. Là-bas aussi, les jeunes contestataires des années 1960-1970 sont accusés d’avoir détourné le Parti démocrate de son alliance historique avec la classe ouvrière blanche, laquelle, du coup, prêta l’oreille aux républicains, de Ronald Reagan à George Bush junior. Le mouvement néoconservateur est né en réaction à l’abandon, par les démocrates, des idéaux nationalistes (anticommunistes) et plébéiens qu’ils avaient portés, de Franklin Roosevelt à Lyndon Johnson. L’ennui pour cette thèse est que le même Johnson, président de la guerre du Vietnam, imposa à la fois les lois sociales de la « grande société » et la reconnaissance des droits civiques des Noirs, ce qui montre que la fidélité à la majorité et la justice pour les minorités peuvent aussi s’articuler l’une à l’autre.

La gauche française, c’est-à-dire le Parti socialiste et, dans une certaine mesure, son concurrent écologiste, sont-ils responsables, par défaut, de l’émergence et de la persistance de ce que Pierre-André Taguieff a caractérisé comme le « national-populisme » ? Pour Bouvet, la gauche « a nourri elle-même cet ennemi mortel de ses renoncements et de ses insuffisances », en délaissant des « aspirations populaires » telles que « le travail, bien sûr, mais aussi l’identité nationale, le modèle d’autorité social-familial, le sens de l’appartenance et de la protection collectives, etc. ». Taguieff, lui, incrimine à la fois la droite et la gauche, estimant que, méprisées par l’une autant que par l’autre, « les classes populaires ont été poussées vers le Front national ». Ces deux auteurs, qui s’entre-citent élogieusement, jugent la gauche française coupable d’avoir élu un peuple de substitution à celui qu’elle a renoncé à défendre, les immigrés prenant la place des ouvriers et des employés autochtones.

Cependant, le national-populisme, s’il s’inscrit dans les particularités de chaque pays, a une dimension européenne. C’est un produit des échecs économiques et politiques de la construction européenne, qui entretiennent le rejet de celle-ci par une partie de la population. Ce n’est pas un hasard si les deux pays qui, par référendum, en 2005, ont refusé le traité constitutionnel européen, la France et les Pays-Bas, ont en commun la pression qu’exerce, sur leur vie politique, une extrême droite xénophobe. L’Europe est condamnée pour son impuissance à protéger ses citoyens contre les effets négatifs de la mondialisation et pour son refus d’entrer en conflit avec des civilisations différentes, autrement dit de combattre la présence et l’extension, sur son sol, de la religion musulmane.

Sur ce point, Tzvetan Todorov s’oppose au populisme, qu’il tend à réduire à la xénophobie, ce rejet de ceux d’en face qui, selon Taguieff, s’ajoute souvent, mais pas toujours, à l’hostilité contre ceux d’en haut. Au terme de l’ample critique qu’il déploie contre les sociétés occidentales, le livre de Todorov donne à penser que la démocratie doit certes se méfier de ses « ennemis intimes », mais tout autant se garder de ses faux amis. Toutefois, s’il partage nombre de répulsions populistes face aux sociétés d’aujourd’hui, s’il est intarissable dans sa haine du libéralisme, préfixé bien sûr « néo » et « ultra », Todorov s’accorde à défendre les mêmes « droits humains » que ses ennemis libéraux, ce qui est, au final, rassurant.

Face au populisme, on n’est pas plus avancé. « Marine Le Pen change-t-elle la donne ou donne-t-elle le change ? » Ainsi Taguieff formule-t-il la question à laquelle personne ne parvient à répondre aujourd’hui. Probablement la présidente du Front national n’en sait-elle rien elle-même, alors qu’elle a décidé de rapprocher son parti de ces mouvements néopopulistes d’Europe du Nord qui n’ont pas grand-chose à voir avec l’extrême droite totalitaire du siècle dernier et dont le ferment est identitaire et antimusulman.

Selon Taguieff, le pire qui puisse arriver à ces démagogues serait d’être admis dans le jeu politique normal, plutôt que d’être dispensés de démontrer leur aptitude à résoudre les problèmes qu’ils dénoncent. Rien n’indique, toutefois, que le FN mariniste soit prêt à des alliances. Sauf, naturellement, s’il les dirige. Mais alors, pour la démocratie, il sera trop tard.

Voir aussi:

Psychanalyse de la gauche

Le Monde des livres

09.02.12

Evidemment, Jean-Philippe Domecq a un peu raison, et c’est très agaçant. Sa thèse est claire : « La gauche n’aime pas le pouvoir. Elle n’aime pas ça. Pas vraiment… » Dans le contexte d’une campagne présidentielle, pareille allégation est faite pour choquer. Comment ? Mais enfin, que dit-il ? En ce moment même, ne voit-on pas tous les jours des candidats de gauche qui se battent pour être élus ?

Certes, mais Jean-Philippe Domecq se place sur la longue durée, or, de ce point de vue, son hypothèse semble confirmée par l’histoire, car la gauche est rarement au pouvoir : « Huit à dix fois moins que la droite en deux siècles. Le fait est vrai, vérifiable, comptable exactement en France et dans la plupart des pays d’Europe. » Ainsi, additionnons le Cartel des gauches en 1924, le Front populaire, les sept mois de Mendès France et les quelques mois de Guy Mollet : avant 1981, on arrive à peine à cinq ans de gauche en France. Le constat est frappant, et même alarmant. « Au fond de la mentalité de gauche, il y a que le pouvoir salit, écrit Jean-Philippe Domecq. Elle n’a pas tort. »

Mais la psychanalyse de la gauche française, qui semblait être le propos initial du livre, devient bientôt un réquisitoire politique contre la gauche de la gauche. En effet, selon l’auteur, c’est elle qui est responsable des échecs répétés de la gauche en France. Evidemment, le 21 avril 2002 et l’élimination de Lionel Jospin au premier tour de la présidentielle semblent conforter cette thèse. N’est-ce pas la dispersion des voix de gauche qui a causé cette débâcle ?

Autre cas d’école, les élections de 2000 remportées par George Bush face à Al Gore. Certes, il y eut ce décompte ahurissant, les bulletins mal lisibles, les décisions très partisanes de la Cour suprême en Floride et la victoire très discutable des républicains, avec 537 voix d’avance. Mais, ajoute l’auteur, « 2 934 410 électeurs de gauche votèrent pour un candidat écologiste qui n’avait aucune chance de gagner ». Résultat : ceux qui désapprouvaient Bush au nom de ce candidat écologiste, Nader, épaulèrent ceux qui approuvaient Bush. Dernier exemple, cette voix qui manqua à Prodi, le 24 janvier 2008, celle d’un chef de micro-parti, lors d’un vote de confiance qui ramena Berlusconi au pouvoir.

 Des conflits douloureux

Tous ces arguments permettent à Jean-Philippe Domecq de dénoncer le « bovarysme de gauche », « la gauche d’insatisfaction, de déception permanente, d’exigence idéale », qui constitue en définitive une forme de « bêtise stratégique », ni plus ni moins. La thèse est forte, défendue avec panache – non sans mauvaise foi, dans certains cas. Car enfin, imputer la division de la gauche depuis deux siècles à la seule gauche de la gauche est un peu sommaire. C’est oublier une longue histoire de conflits douloureux, au cours desquels la gauche radicale a souvent été non seulement trahie par la gauche modérée, mais parfois même réprimée, y compris dans le sang, comme ce fut le cas en 1848. Mais laissons le passé. Aujourd’hui, si la gauche entend gagner, elle se doit d’être unie. Or, quels que soient l’éloquence et le talent de Jean-Philippe Domecq, ce n’est pas en affirmant que la gauche de la gauche est seule responsable des échecs passés qu’il pourra contribuer à créer un climat favorable à l’union qu’il appelle de ses voeux.

 Voir de plus:

A Champigny on crie « mort aux juifs » (lors de « La Vérité si je mens 3 »)

Lessakele

24 février 2012

Le Bureau National de Vigilance Contre l’Antisémitisme dépose plainte auprès du Procureur de la République de Creteil-Val de Marne- pour des faits à caractère antisémite qui se sont produits le 4 février, 2012 à l’intérieur de la Salle de Cinéma « 66 » de Champigny sur Marne, au cours de la projection du film « LA VERITE SI JE MENS 3. ».durant la séance de 20H30.

Les témoins des faits ont rapporté au BNVCA que des individus ont crié et répété « à Mort Les Juifs » perturbant la séance, obligeant la Direction à suspendre la projection du film. Selon ces témoins, la police est intervenue, sans qu’aucune interpellation n’ai été effectuée pour ce flagrant délit..

Voici la partie de témoignage que les requérants nous ont adressée

«  »le cinéma : studio 66 au 66 rue jean jaurès – 94500 Champigny sur marne. la séance de 20h30. le film « la vérité si je mens » a débuté quand un groupe de jeunes s’est mis à crier 2 fois de suite « à mort les juifs ».

il y a eu une émeute et la séance a été interrompue. Le responsable de l’établissement a aussitôt contacté la police. Ces derniers sont intervenus, ont pratiqué à la vérification de pièces d’identités, puis le groupe a été relâché. une mainte courante a été déposée. » »

Le BNVCA demande au Procureur de la République d’ouvrir une enquête, et à la Police de tout mettre en oeuvre pour retrouver les auteurs des faits et les mettre à la disposition de la justice.

Le BNVCA constate que la haine antijuive persiste en dépit des mesures prises par l’Etat et les Institutions.

Les propos antisémites se sont banalisés. Pour le BNVCA la propagande anti-israelienne soutenue, voire relayée par des élus politiques, des universitaires, des syndicalistes, constitue la source principale de ce fléau, car en attisant la haine d’Israel, elle pousse à l’acte antijuif.

C’est le cas du Conseil Municipal de Champigny qui fait preuve d’ un activisme démesuré dans ce domaine. Voyages à répétition à Gaza. Motions votées pour la libération du terroriste franco palestinien Salah Hamouri. Soutien du Maire à la flottille illégale pour Gaza ; coopération de solidarité avec le camp palestinien d’Al Fawwar à Hébron etc etc….Volonté de nommer le terroriste Barghouti citoyen d’honneur etc…

Le BNVCA a chargé le cabinet d’avocat de Maitre Baccouche d’engager les poursuites.

Drancy le 23/2/12

BUREAU NATIONAL DE VIGILANCE CONTRE L’ ANTISEMITISME 8 Boulevard Saint Simon 93700 Drancy 0668563029 Le Président

Sammy GHOZLAN

Voir enfin:

America’s Alibis for Not Helping Syria

We can lend a hand to its tyrannized people or risk turning the country into a devil’s playground of religious extremism.

Fouad Ajami

The WSJ

February 23, 2012

There are the Friends of Syria, and there are the Friends of the Syrian Regime. The former, a large group—the United States, the Europeans and the bulk of Arab governments—is casting about for a way to end the Assad regime’s assault on its own people. In their ranks there is irresolution and endless talk about the complications and the uniqueness of the Syrian case.

No such uncertainty detains the Friends of the Syrian Regime—Russia, Iran, Hezbollah and to a lesser extent China. In this camp, there is a will to prevail, a knowledge of the stakes in this cruel contest, and material assistance for the Damascus dictatorship.

In the face of the barbarism unleashed on the helpless people of Homs, the Friends of Syria squirm and hope to be delivered from any meaningful burdens. Still, they are meeting Friday in Tunis to discuss their options. But Syrian dictator Bashar al-Assad needn’t worry. The Tunisian hosts themselves proclaimed that this convocation held on their soil precluded a decision in favor of foreign military intervention.

Syria is not Libya, the mantra goes, especially in Washington. The provision of arms to the Syrian opposition is « premature, » Gen. Martin Dempsey, chairman of the Joint Chiefs of Staff, recently stated. We don’t know the Syrian opposition, another alibi has it—they are of uncertain provenance and are internally divided. Our weapons could end up in the wrong hands, and besides, we would be « militarizing » this conflict.

Those speaking in such ways seem to overlook the disparity in firepower between the Damascus ruler with his tanks and artillery, and the civilian population aided by defectors who had their fill with official terror.

The borders of Syria offer another exculpation for passivity. Look at the map, say the naysayers. Syria is bordered by Lebanon, Iraq, Jordan, Turkey and Israel. Intervention here is certain to become a regional affair.

Grant the Syrians sympathy, their struggle unfolds in the midst of an American presidential contest. And the incumbent has his lines at the ready for his acceptance speech in Charlotte, N.C. He’s done what he had promised during his first presidential run, shutting down the war in Iraq and ending the American presence. This sure applause line precludes the acceptance of a new burden just on the other side of the Syria-Iraq frontier.

The silence of President Obama on the matter of Syria reveals the general retreat of American power in the Middle East. In Istanbul some days ago, a Turkish intellectual and political writer put the matter starkly to me: We don’t think and talk much about America these days, he said.

Yet the tortured dissertations on the uniqueness of Syria’s strategic landscape are in fact proofs for why we must thwart the Iran-Syria-Hezbollah nexus. Topple the Syrian dictatorship and the access of Iran to the Mediterranean is severed, leaving the brigands of Hamas and Hezbollah scrambling for a new way. The democracies would demonstrate that regimes of plunder and cruelty, perpetrators of terror, have been cut down to size.

Plainly, the Syrian tyranny’s writ has expired. Assad has implicated his own Alawite community in a war to defend his family’s reign. The ambiguity that allowed the Assad tyranny to conceal its minority, schismatic identity, to hide behind a co-opted Sunni religious class, has been torn asunder. Calls for a jihad, a holy war, against a godless lot have been made in Sunni religious circles everywhere.

Ironically, it was the Assad tyranny itself that had summoned those furies in its campaign against the American war in Iraq. It had provided transit and sanctuary for jihadists who crossed into Iraq to do battle against the Americans and the Shiites; it even released its own Islamist prisoners and dispatched them to Iraq with the promise of pardon. Now the chickens have come home to roost, and an Alawite community beyond the bounds of Islam is facing a religious war in all but name.

This schism cannot be viewed with American indifference. It is an inescapable fate that the U.S. is the provider of order in that region. We can lend a hand to the embattled Syrians or risk turning Syria into a devil’s playground of religious extremism. Syria can become that self-fulfilling prophesy: a population abandoned by the powers but offered false solace and the promise of redemption by the forces of extremism and ruin.

We make much of the « opaqueness » of the Syrian rebellion and the divisions within its leadership. But there is no great mystery that attends this rebellion: An oppressed people, done with a tyranny of four decades, was stirred to life and conquered its fear after witnessing the upheaval that had earlier overtaken Tunisia, Egypt, Libya and Yemen.

In Istanbul this month, I encountered the variety, and the normalcy, of this rebellion in extended discussions with prominent figures of the Syrian National Council. There was the senior diplomat who had grown weary of being a functionary of so sullied a regime. There was a businessman of means, from Aleppo, who was drawn into the opposition by the retrogression of his country.

There was a young prayer leader, from Banyas, on the Syrian coast, who had taken up the cause because the young people in his town had pressed him to speak a word of truth in the face of evil. Even the leader of the Muslim Brotherhood, Riad al-Shaqfa, in exile for three decades, acknowledged the pluralism of his country and the weakness of the Brotherhood, banned since 1980.

We frighten ourselves with phantoms of our own making. No one is asking or expecting the U.S. Marines to storm the shores of Latakia. This Syrian tyranny is merciless in its battles against the people of Homs and Zabadani, but its army is demoralized and riven with factionalism and sectarian enmities. It could be brought down by defectors given training and weapons; safe havens could give disaffected soldiers an incentive, and the space, to defect.

Meanwhile, we should recognize the Syrian National Council as the country’s rightful leaders. This stamp of legitimacy would embolden the opposition and give them heart in this brutal season. Such recognition would put the governments of Lebanon and Iraq on notice that they are on the side of a brigand, lawless regime. There is Arab wealth that can sustain this struggle, and in Turkey there is a sympathetic government that can join this fight under American leadership.

The world does not always oblige our desires for peace; some struggles are thrown our way and have to be taken up. In his State of the Union address last month, President Obama dissociated himself from those who preach the doctrine of America’s decline.

Never mind that he himself had been a declinist and had risen to power as an exponent of America’s guilt in foreign lands. We should take him at his word. In a battered Syria, a desperate people await America’s help and puzzle over its leader’s passivity.

Mr. Ajami is a senior fellow at Stanford University’s Hoover Institution and co-chairman of the Working Group on Islamism and the International Order.


Basketball: Cachez ces racines chrétiennes que je ne saurai voir (From the Y to Jeremy Lin: Reviving basketball’s original Christian values)

23 février, 2012
Ne savez-vous pas que ceux qui courent dans le stade courent tous, mais qu’un seul remporte le prix? Courez de manière à le remporter. Tous ceux qui combattent s’imposent toute espèce d’abstinences, et ils le font pour obtenir une couronne corruptible; mais nous, faisons-le pour une couronne incorruptible. Paul
J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé la course, j’ai gardé la foi. Paul
Le triangle est l’exemple d’une harmonie essentielle à l’homme sur les plans spirituel, intellectuel et physique. Luther Gulick (moniteur d’éducation physique du YMCA et créateur du symbole triangulaire des YMCA, 1891)
Je remercie Dieu pour tout. Comme la Bible le dit: Dieu travaille pour le bien de tous ceux qui l’aiment. Jeremy Lin
En Chine, les églises qui refusent de se soumettre au contrôle officiel de l’Etat, sont soumises à des arrestations et des pressions. Les limites sont strictes et toute sortie de ce cadre est dangereuse. Pékin cherche des moyens de contrôler les chrétiens. Des événements comme les Jeux olympiques ou la foire internationale ont été utilisés pour reprocher leur taille à certaines églises. Ils ont peur d’une Eglise indépendante et libre. Michel Varton
Taiwan est un des rares problèmes stratégiques qui puisse provoquer une guerre mondiale aussi sûrement que l’Alsace-Lorraine au début du siècle dernier. Thérèse Delpech
Il serait normal non seulement de cesser de répéter à toute occasion que Taiwan est une province chinoise sans tenir compte de l’histoire, mais aussi de soutenir cette Chine démocratique qui fait la démonstration que les valeurs qui sont les nôtres ont leur place dans cette partie du monde. Thérèse Delpech
Un des grands problèmes de la Russie – et plus encore de la Chine – est que, contrairement aux camps de concentration hitlériens, les leurs n’ont jamais été libérés et qu’il n’y a eu aucun tribunal de Nuremberg pour juger les crimes commis. Thérèse Delpech
Quels sont les mouvements porteurs d’exigence démocratique et/ou de modernisation (économique, sociale, politique) qui ne sont pas passés par la “case” chrétienne? Jean-François Sabouret (Université Paris V)
Une économie de marché a le grand avantage d’apprendre aux gens à ne pas être paresseux. Mais elle ne peut pas leur apprendre à ne pas mentir ou à ne pas se faire de mal les uns aux autres. Zhao Xiao (Economiste de l’Université de Pékin)
Bush (…) se soucie davantage des droits de l’homme en Chine que Bill Clinton, et bien plus encore que les Européens. (…) Le christianisme fait partie de l’histoire chinoise. Ce n’est pas la religion des Blancs; elle appartient à tous. Yu Jie
Au-delà de ses aptitudes soudain découvertes, les particularités de Lin sont diverses et expliquent cet engouement extraordinaire dont il est difficile de prendre la mesure en France. La première est qu’il est Américain d’origine asiatique. Né à Palo Alto, en Californie, ses parents sont Taïwanais et sont arrivés aux Etats-Unis dans les années 70. Ce n’est pas la toute première fois qu’un Américain d’origine asiatique figure en NBA, mais cela reste une vraie rareté. (…) Le second motif de starisation réside dans le fait que Jeremy Lin est chrétien et parle ouvertement et simplement de sa foi et touche le cœur de nombre de ses (nouveaux) supporters avec lesquels il échange sur la force divine qui le porterait aujourd’hui. (…) Cette nouvelle référence à Dieu, qui n’est pas en soi un événement dans un pays comme les Etats-Unis, intervient quelques semaines après un autre raz-de-marée médiatique qui avait submergé une autre star improbable du sport américain, Tim Tebow, quarterback des Broncos de Denver. Jusqu’à récemment, Tebow, malgré une belle carrière chez les universitaires, n’avait pas suscité beaucoup de commentaires sur ses performances ballon en main jusqu’au moment où propulsé lui aussi sur le terrain alors que cela n’était pas prévu, il s’est imposé comme le sujet n°1 de l’actualité sportive et nationale. En quelques matches gagnés par les Broncos et le nouveau héros de l’Amérique, le tebowing s’est propagé comme une traînée de poudre en hommage à ce joueur épris de religion qui n’hésitait pas à prier en plein match en posant un genou à terre visage baissé. Cette pose caractéristique et spectaculaire devint une signature à travers les Etats-Unis, mais aussi au-delà de ses frontières. «Il est en mission de Dieu pour affecter les vies des autres gens», alla même jusqu’à déclarer le père de ce jeune sportif de 24 ans ouvertement «pro life», c’est-à-dire militant contre l’avortement, qui a fini par rencontrer sa propre limite de joueur en s’inclinant avec son équipe lors des play-offs. Slate

Taiwano-américain, diplomé de Harvard, chrétien fervent se destinant au pastorat …

Alors que le meneur des New York Knicks Jeremy Lin vient, en à peine une semaine et contre tous les stéréotypes (déjà deux couvertures de US Sports illustrated et une de Time Asie  pour, après  le nippo-américain Wataru Misaka – dès 1944 soit six ans après le premier noir – ou les Chinois Yao Ming et Yi Jianlian, ce rare Asiatique de la NBA), de  faire pour le basketball ce que son compatriote et frère en la foi chrétienne Michael Chang avait fait 25 ans plus tôt pour le tennis …

Pendant que dans une Chine toujours impunie et prête à tout pour récupérer la première et seule démocratie chinoise de l’hsitoire et qui dans l’indifférence générale continue à persécuter les chrétiens et ne respecte rien, on spécule déjà sur la valeur commerciale de son nom …

Et qu’en France on risque l’excommunication politique pour avoir évoqué l’évidente supériorité de nos valeurs judéo-chrétiennes …

Qui se souvient que le basketball est en fait l’invention d’une association chrétienne?

Le groupe de prière et d’étude de la Bible pour les jeunes hommes issus de l’exode rural créé à Londres il y a près de 170 ans par le commis drapier George Williams

Et qui, avec ses émules nord-américains James Naismith et William Morgan moins de 50 ans plus tard, devait donner au monde avec le volleyball, deux de ses sports les plus populaires?

A savoir, avant sa récupération comme terrain de chasse par les homosexuels,… la YMCA, dite « Union chrétienne de jeunes gens » en français?

Basketball : historique de ses origines à nos jours

10 janvier 2007

L’histoire du basketball s’écrit en plusieurs épisodes. Le plus ancien remonte au temps des Indiens Mayas d’Amérique Centrale.

En effet, on retrouve sur d’anciens manuscrits d’époque trouvés dans le Yucatan au Mexique, des traces de jeux le « pok-ta-pok » ou le « Tlatchtli » ayant les mêmes principes que le Basketball que pratiquaient les Aztèques en l’honneur du dieu Quetzoal coat (représenté par un serpent à plumes). Ces jeux se déroulaient sur un terrain plat et rectangulaire de 10 à 15 mètres de largeur et de 30 à 60 mètres de longueur entourée de murs de 7 à 8 mètres de hauteur. Deux disques troués placés perpendiculairement au sol de 35 à 60 cm de diamètre étaient fixés à 2,70 mètres de hauteur. Le but du jeu était de faire passer une balle de 25 à 30 centimètres de diamètre à travers l’anneau de l’adversaire. Le capitaine de l’équipe perdante était sacrifié aux dieux !

Cependant, la forme moderne du basketball fut inventé par le Canadien James Naismith (né le 06 Novembre 1861 à Almonte au Canada et mort le 28 Novembre 1939).

Dès son plus jeune âge, James Naismith démontre un vif intérêt pour le sport. Malgré son travail à la ferme de ses parents, il joue avec ses copains et il est reconnu comme étant le plus habile et le plus athlétique.

En 1883, il commence des études universitaires à McGill (Montréal), et poursuit également un baccalauréat d’éducation physique. Il pratique alors le Rugby, La Crosse et le conditionnement physique. L’activité physique est au centre de son univers.

En 1890, il quitte Montréal pour Spingfield dans le Massachusetts (USA). Il devient alors professeur.

En 1891, il enseigne la psychologie, l’étude de la Bible et la culture physique à l’école de formation de l’International Young Men’s Christian Association (Y.M.C.A.) à Springfield au Massachusetts. Sa classe est particulièrement indisciplinée, et face à cela le directeur des sports lui demande de trouver une occupation pour calmer ses élèves. Etant en pleine période hivernale interdisant les sports d’extérieur et étant adepte de l’adage « un esprit sain dans un corps sain », il propose des cours de gymnastique suédoise auxquels ses étudiants n’adhèrent pas du tout.

Naismith se met donc à travailler sur une projet susceptible de résoudre ses difficultés : trouver une nouvelle activité physique qui deviendrait un sport d’hivers, c’est à dire praticable en salle, et qui prendrait place entre la saison de football américain et celle du base-ball. Après avoir tenté en vain d’adapter le soccer, le football américain et le jeu de crosse aux dimensions du gymnase, James Naismith propose un jeu où :

1. le ballon sera suffisamment gros que l’on puisse le lancer et l’attraper facilement

2. les courses avec le ballon seront interdites pour éviter les plaquages sur le sol du gymnase.

3. une position surélevée des buts afin de favoriser l’adresse à la force.

Le seul problème immédiat consistait à décider ce qu’il fallait utiliser pour marquer des buts. Un certain Stebbins, lui proposa deux anciens cageots de pêches puisqu’il ne possédait rien d’autre. Notre inventeur les prit et arrivant dans le gymnase leva la tête pour trouver l’endroit ou il pourrait les accrocher ; dans cette salle de sports, comme dans toutes les salles de l’époque, courait une galerie en forme de piste sur laquelle les athlètes s’échauffaient : Naismith fixa ses buts sur la rampe de cette galerie (qui était à 3.05 mètres du sol) appela sa classe et lança la partie après de brève explications :

1. le ballon sera spécial, c’est-à-dire différent de ceux utilisés pour le football américain ou l’association. Gros et léger, il sera joué uniquement avec les mains sans pouvoir être dissimulé.

2. interdiction de courir avec la balle en raison de l’exiguïté des gymnases et du contrôle de soi recherché.

3. pas de « contacts chocs ».

4. tout joueur peut obtenir la balle à n’importe quel moment et n’importe quel endroit sur le terrain (pour le différencier du football américain).

5. le but est horizontal et élevé et de petite dimension pour qu’il soit fait appel plus à l’adresse qu’à la puissance.

Le coup d’envoi du premier match donné, William Chase marqua l’unique « but » de la partie ce qui permit à son équipe de l’emporter sur le score d’1 à 0. Le basket était né. Malgré quelques lacunes, le jeu enthousiasma les élèves. Si bien que, immédiatement, les garçons décidèrent de le baptiser « Naismith-ball » : cela amusa beaucoup l’inventeur mais il refusa. Alors le chef de la classe (Franch Mahan) proposa qu’on le nomme simplement « Basket-ball » puisqu’il avait « a basket and a ball ».

Avec l’aide de l’Américain Luther Halsey Gulick, il peaufina le règlement et écrivit les 13 règles originelles du basket-ball et le premier match officiel fut joué le 20 janvier 1892. Chaque équipe avait sept joueurs puis neuf puis huit et puis finalement 5 en 1897-1898. A l’origine, les tirs réussis comptaient 3 points, chaque équipe possédait son tireur de « lancer franc » spécialement chargé de tenter toutes les réparations accordées à ses équipiers. Les matches se jouaient en 3 périodes de 20 minutes.

Le basket se répandit rapidement parce que les diplômés de la Y.M.C.A. voyageaient beaucoup et son inventeur donnait les règles du jeu à qui les voulait. Séduisant par sa grande vitesse et l’adresse requise, le jeu s’étendit rapidement à tout l’Est des USA puis à travers le pays entier dès que les éducateurs prirent conscience de ses possibilités. Les Y.M.C.A. permirent le développement de ce sport dans tous les Etats-Unis jusqu’en 1896, date à laquelle un championnat lycéen vit le jour au Colorado alors qu’une ligue pro se créa dans le New-Jersey. Le mouvement du Y.M.C.A. aidant, les universités américaines adoptèrent rapidement le basket : les universités de l’Ivy League, comme Yale, Harvard, Princeton ou Cornwell furent les premières à former des équipes, bientôt suivies au début du siècle par toutes les autres.

Diffusé par la Y.M.C.A., le basket eut bientôt une audience mondiale dès la première guerre. Le jeu gagna rapidement tout le pays, le Canada et les autres pays du monde, et était pratiqué par des hommes et des femmes ! des matchs eurent lieu en plein air. Il fut introduit en Europe en 1892 par le Professeur Rideout, l’un des débutants de Springfield. Il fallut attendre l’année 1909 pour voir le premier match international de l’histoire entre le Russian Mayak Sports Club contre une sélection Y.M.C.A. à Saint-Pétersbourg.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, les soldats américains firent connaître ce jeu dans de nombreux pays étrangers et depuis les années 1950, le basket-ball est universellement apprécié. Il est aujurd’hui réglementé par la Fédération Internationale de Basket-ball Amateur (F.I.B.A crée en 1932).

Voir aussi:

Jeremy Lin, entre Dieu et Kim Kardashian

Yannick Cochennec

Slate 22.02.12

Nous voilà à l’heure du sport réalité où des inconnus deviennent des stars nationales et internationales en quelques jours. Le très croyant Jeremy Lin, basketteur des Knicks de New York, en est le spectaculaire dernier spécimen.

En l’espace de quelques jours, Jeremy Lin s’est catapulté au rang de star aux Etats-Unis, mais aussi au niveau international. A 23 ans, ce basketteur quasi inconnu à la fin janvier est devenu, en effet, la nouvelle vedette des planchers de la NBA, le championnat professionnel américain.

Joueur des Knicks de New York, équipe qu’il a rejointe voilà quelques mois après avoir été négligé par les Golden State Warriors, son précédent employeur, Lin, ancien étudiant de Harvard, avait davantage l’habitude de cirer le banc des remplaçants jusqu’au jour où une cascade de blessures a précipité son entrée en scène dans le cinq majeur new-yorkais. Et aussitôt, il a capté toute la lumière grâce à des performances étonnantes qui ont rejailli sur les résultats remarquables de son équipe, invaincue pendant sept matches consécutifs entre le 3 et le 17 février, alors qu’elle n’est pas l’une des plus en vue du championnat NBA. A la huitième rencontre, la défaite est finalement arrivée contre les Hornets de la Nouvelle-Orléans. Deux jours plus tard, les Knicks ont surpris les Mavericks de Dallas, champions en titre, relançant le buzz.

Rareté asiatique

Au-delà de ses aptitudes soudain découvertes, les particularités de Lin sont diverses et expliquent cet engouement extraordinaire dont il est difficile de prendre la mesure en France. La première est qu’il est Américain d’origine asiatique. Né à Palo Alto, en Californie, ses parents sont Taïwanais et sont arrivés aux Etats-Unis dans les années 70. Ce n’est pas la toute première fois qu’un Américain d’origine asiatique figure en NBA, mais cela reste une vraie rareté.

Tous les pays accueillant des communautés asiatiques relativement importantes ont relayé la nouvelle comme le Canada et Vancouver. Ainsi, à des milliers de kilomètres de New York, le quotidien principal, le Vancouver Sun, n’a pas hésité à offrir une partie de sa Une à la nouvelle icône. Le néologisme anglais Linsanity -il y en a d’autres- est devenu une sorte de mot générique pour accompagner la folie douce autour de la nouvelle idole des Knicks.

Le second motif de starisation réside dans le fait que Jeremy Lin est chrétien et parle ouvertement et simplement de sa foi et touche le cœur de nombre de ses (nouveaux) supporters avec lesquels il échange sur la force divine qui le porterait aujourd’hui. «Je remercie Dieu pour tout, dit-il. Comme la Bible le dit: Dieu travaille pour le bien de tous ceux qui l’aiment.» Son compte Twitter reprend cette phrase en anglais concernant le tout puissant: «To know Him is to want to know Him more.» Quant à la photo de son profil, elle vaut vraiment le coup d’oeil.

Dieu est avec eux

Cette nouvelle référence à Dieu, qui n’est pas en soi un événement dans un pays comme les Etats-Unis, intervient quelques semaines après un autre raz-de-marée médiatique qui avait submergé une autre star improbable du sport américain, Tim Tebow, quarterback des Broncos de Denver.

Jusqu’à récemment, Tebow, malgré une belle carrière chez les universitaires, n’avait pas suscité beaucoup de commentaires sur ses performances ballon en main jusqu’au moment où propulsé lui aussi sur le terrain alors que cela n’était pas prévu, il s’est imposé comme le sujet n°1 de l’actualité sportive et nationale. En quelques matches gagnés par les Broncos et le nouveau héros de l’Amérique, le tebowing s’est propagé comme une traînée de poudre en hommage à ce joueur épris de religion qui n’hésitait pas à prier en plein match en posant un genou à terre visage baissé.

Cette pose caractéristique et spectaculaire devint une signature à travers les Etats-Unis, mais aussi au-delà de ses frontières. «Il est en mission de Dieu pour affecter les vies des autres gens», alla même jusqu’à déclarer le père de ce jeune sportif de 24 ans ouvertement «pro life», c’est-à-dire militant contre l’avortement, qui a fini par rencontrer sa propre limite de joueur en s’inclinant avec son équipe lors des play-offs.

Il est probable que Jeremy Lin retombera vite sur terre et que le conte de fées s’arrêtera peut-être comme il avait commencé puisqu’à ce stade, il est encore très difficile d’être certain de la qualification des Knicks en play-offs de la NBA –n’imaginons même pas un titre national au début de l’été. Mais l’histoire est captivante car elle offre aux medias et au public une nouvelle version de Cendrillon dont le sport est si friand.

Lorsque Tebow a embrasé l’actualité en décembre et janvier, il s’en est trouvé quelques-uns, parfois de façon virulente, pour se moquer de ses génuflexions sur les terrains de jeu, à l’instar de Bill Maher, bien connu à la télévision américaine. Débordé par le phénomène entre les «pour» et les «contre» Tebow, le site Internet d’ESPN, la chaîne américaine, a fini par abandonner toute modération dans les commentaires afin de laisser s’instaurer le débat ou plutôt le combat. L’écho des performances de Jeremy Lin est pareillement en train de résonner au-delà des cercles habituels du sport en enflammant la Toile entre admirateurs et sceptiques.

Stars en quelques jours

En réalité, même s’ils ont du talent, Jeremy Lin et Tim Tebow ressemblent plus à un miracle de Lourdes qu’à autre chose. Aspergée d’eau bénite, leur histoire est aussi un peu à l’eau de rose, mais elle s’inscrit complètement dans le monde aujourd’hui où il est possible de devenir une star intergalactique à la faveur de deux ou trois apparitions réussies à la télévision. C’est nouveau: nous voilà à l’heure du sport réalité.

Jadis pour pouvoir prétendre être une vedette du sport, un certain temps était nécessaire. Pour se retrouver à la Une de la presse, il fallait commencer par faire ses preuves puis confirmer. Désormais, comme les stars de la télé réalité, des sportifs inconnus sont désormais propulsés au sommet de leur discipline en un claquement de doigt et risquent d’être aussi vite oubliés dès que s’éloignera d’eux le halo de la réussite. Tim Tebow n’est pas un grand quarterback et Jeremy Lin risque d’attendre longtemps avant de glisser une bague de champion à son doigt.

De manière symptomatique, une rumeur s’est d’ailleurs propagée au sujet de Lin. Certains sites people ont relayé l’information selon laquelle Kim Kardashian, icône de la télé réalité aux Etats-Unis, s’était mise en tête de dîner avec le nouveau Dieu américain (après tout, ne se s’est-elle pas mariée avec un autre basketteur, Kris Humphries, pour en divorcer moins de trois mois plus tard?). Vrai ou faux? Qu’importe. Peut-être lassé de ses stars, le sport s’est découvert à l’évidence un fascinant nouveau registre avec le sport réalité. Bientôt en France? Amen!

NBA

Jeremy Lin Had a Counterpart in France Long Before Tebow

February 11, 2012

For an illuminating cross-sport comparison with Jeremy Lin, you need to bypass all that Tebowing on the gridiron and head back to a dusty swirl of French clay, where an Asian-American teenager has just shocked the tennis world.

It is 1989, and 17-year-old Michael Chang is holding a microphone, about to speak in English to thousands of French-speaking fans who are so enamored with this sudden star that he would be able to keep their attention even if he just spoke in tongues.

That throng of supporters probably would have thought he was just a ball boy had they seen him first enter the Parisian tennis facilities of Roland Garros. They knew who he was now.

He had just won the French Open, one of the four biggest tournaments in professional tennis. And he had done so in delightfully improbable fashion.

As an Asian-American on such a grand tennis stage, Michael Chang was a conspicuous presence in a sport that was generally as white as the clothes they wore at Wimbledon.

Now standing before thousands of French-speakers, he stood out for his excellent play, not his race. He began to testify, “First, I want to thank my Lord and Savior Jesus Christ.” Standing there paying divine homage, it must have felt like the first time he had stopped running all week.

Match after match, he had flown around the court under the jet-propelling speed of two massively-developed leg muscles. They were disproportionately strong for his otherwise diminutive frame.

Maybe that is why he had cramped so badly against Ivan Lendl in the semi-finals, having to resort to underhand serves to keep the wily veteran from mercilessly dragging him through more long rallies. Those clever tactics, combined with gutsy play, worked.

Lendl was flummoxed and then beaten.

Chang went on to the finals to cap off his seemingly miraculous run of victories against Stefan Edberg from Sweden.

When Jeremy Lin first stood alone in the bright lights of Madison Square Garden over twenty-years later, a microphone squeaked from the sheer Linsanity of the moment. Lin seemed as dumbfounded as everyone else.

Like Chang, his ethnicity stood out against a backdrop of another race—in this case, mainly African-American. Like Chang, Lin is an evangelical Christian for whom gratitude to God after a spectacular victory flows as naturally as his layups after herky-jerky drives to the hoop.

Like Chang, it must have felt like the first time he had stopped running in quite awhile. He had run around in the D-League, on the Golden State Warriors, and even for a breathlessly brief period this season with the Houston Rockets.

Now after his first major minutes with the Knicks he had just slashed all over the court, handing out assists with precision timing, knocking down long-distance jumpers, and pulling off some cleverly disguised pick-and-roll drives that had left defenders reaching and straining to catch him.

Like Chang, Lin has the support of a vast array of Christians, whose religion (ideally) transcends racial or cultural differences. Like Chang, Lin has sparked new imaginative possibilities for young Asian-Americans in a sport where they are otherwise underrepresented.

And, perhaps, most dramatically, like Chang, Lin has captured the attention and heart of a whole swath of people who could care less about religion or race, and who just can’t get enough of watching someone come out of nowhere, leave everything he has on the court, and do it all with a ton of class.

After his French Open win, Chang went on to become the second-ranked tennis player in the entire world. That was an astounding achievement in an individual sport.

Jeremy Lin has team goals: he wants to take the Knicks to the playoffs, and then the championships.

Before you bet against him, think about what the odds were for an upstart 17-year old Asian-American in 1989, sliding around recklessly on red clay against well-seasoned veterans.

Like Chang, Lin will give it everything he has.

Voir également:

The Jeremy Lin Problem

David Brooks

The NYT

February 16, 2012

Jeremy Lin is anomalous in all sorts of ways. He’s a Harvard grad in the N.B.A., an Asian-American man in professional sports. But we shouldn’t neglect the biggest anomaly. He’s a religious person in professional sports.

We’ve become accustomed to the faith-driven athlete and coach, from Billy Sunday to Tim Tebow. But we shouldn’t forget how problematic this is. The moral ethos of sport is in tension with the moral ethos of faith, whether Jewish, Christian or Muslim.

The moral universe of modern sport is oriented around victory and supremacy. The sports hero tries to perform great deeds in order to win glory and fame. It doesn’t really matter whether he has good intentions. His job is to beat his opponents and avoid the oblivion that goes with defeat.

The modern sports hero is competitive and ambitious. (Let’s say he’s a man, though these traits apply to female athletes as well). He is theatrical. He puts himself on display.

He is assertive, proud and intimidating. He makes himself the center of attention when the game is on the line. His identity is built around his prowess. His achievement is measured by how much he can elicit the admiration of other people — the roar of the crowd and the respect of ESPN.

His primary virtue is courage — the ability to withstand pain, remain calm under pressure and rise from nowhere to topple the greats.

This is what we go to sporting events to see. This sporting ethos pervades modern life and shapes how we think about business, academic and political competition.

But there’s no use denying — though many do deny it — that this ethos violates the religious ethos on many levels. The religious ethos is about redemption, self-abnegation and surrender to God.

Ascent in the sports universe is a straight shot. You set your goal, and you climb toward greatness. But ascent in the religious universe often proceeds by a series of inversions: You have to be willing to lose yourself in order to find yourself; to gain everything you have to be willing to give up everything; the last shall be first; it’s not about you.

For many religious teachers, humility is the primary virtue. You achieve loftiness of spirit by performing the most menial services. (That’s why shepherds are perpetually becoming kings in the Bible.) You achieve your identity through self-effacement. You achieve strength by acknowledging your weaknesses. You lead most boldly when you consider yourself an instrument of a larger cause.

The most perceptive athletes have always tried to wrestle with this conflict. Sports history is littered with odd quotations from people who try to reconcile their love of sport with their religious creed — and fail.

Jeremy Lin has wrestled with this tension quite openly. In a 2010 interview with the Web site Patheos, Lin recalled, “I wanted to do well for myself and my team. How can I possibly give that up and play selflessly for God?”

Lin says in that interview that he has learned not to obsess about stats and championships. He continues, “I’m not working hard and practicing day in and day out so that I can please other people. My audience is God. … The right way to play is not for others and not for myself, but for God. I still don’t fully understand what that means; I struggle with these things every game, every day. I’m still learning to be selfless and submit myself to God and give up my game to Him.”

The odds are that Lin will never figure it out because the two moral universes are not reconcilable. Our best teacher on these matters is Joseph Soloveitchik, the great Jewish theologian. In his essays “The Lonely Man of Faith” and “Majesty and Humility” he argues that people have two natures. First, there is “Adam the First,” the part of us that creates, discovers, competes and is involved in building the world. Then, there is “Adam the Second,” the spiritual individual who is awed and humbled by the universe as a spectator and a worshipper.

Soloveitchik plays off the text that humans are products of God’s breath and the dust of the earth, and these two natures have different moral qualities, which he calls the morality of majesty and the morality of humility. They exist in creative tension with each other and the religious person shuttles between them, feeling lonely and slightly out of place in both experiences.

Jeremy Lin is now living this creative contradiction. Much of the anger that arises when religion mixes with sport or with politics comes from people who want to deny that this contradiction exists and who want to live in a world in which there is only one morality, one set of qualities and where everything is easy, untragic and clean. Life and religion are more complicated than that.

 Voir enfin:

THE APOSTLE PAUL AND THE SPORTS

Alois Koch

(published in: W. Schwank (and others edit.): Begegnung. Schriftenreihe zur Geschichte der Beziehung zwischen Christentum und Sport, Volume 1. Aachen 1999, p. 42 – 73 u. 123 – 126.

I.

If one talks in the area of the Christian churches about the modern sport, about its fascination and problems, then the references to the pictures and comparisons from the antique sport, used by the Apostle PAUL in his letters, are rarely missing. Often from the use of these comparisons is even concluded that the Apostle Paul knew the antique sports from his own experience, and had had a positive attitude towards sport. These views are found not only in countless lectures and speeches of bishops and popes, but also in exegetical, moral and pastoral theological writings.

For many authors St Paul « deliberately refers to the world of sport » by these comparisons (G. SÖLL 1972, p. 114); yes, they prove its ethical value: « St Paul, who grew up in the Hellenic culture area, used the sporting life repeatedly as example and comparison for the religious life, and gave so also an excellent example of the ‘value world’ of sports » (WEILER 1996, P. 23) « With St Paul we meet also that biblical authority that in numerous … places furnishes evidence for an exact knowledge of the happening in the stadium and in the palaestra. … From the synopsis of St Paul’s texts, in particular of the First Letter to the Corinthians, can be won a comprehensive picture of the sport from the view of the New Testament » (SCHWANK 1997, P. 85).

Particularly in lectures and speeches of the last popes the references to St Paul’s comparisons are much liked. To the so-called « Sport Epistle » from the First Letter to the Corinthians (1 Cor 9:24-27) PIUS XII says, « These words throw rays of mystical light upon the sport » (M. SÖLL 1964, P. 22). The sport and the body culture would get « a supernatural value » (M. SÖLL 1964, P. 23). And JOHN PAUL II says in a speech for sportswomen: « The peoples’ Apostle does not hesitate to number the sport among the human values which served him as clue and reference point for the dialogue with people of his time. Hence he acknowledged the fundamental validity of sport.

It offered him not only the possibility of comparison, in order to describe a higher ethical and ascetical ideal, but he saw it also in its internal reality as educational factor for man, and as component of culture and society « (JOHN PAUL II, 1984).

That St Paul was familiar with the antique agonistic, and used for this reason corresponding pictures and comparisons, is surprisingly also the view of many exegetes. Time and again they refer to Corinth as the place of the Isthmic Games: « The picture of the contests in the stadium … must greatly impress the Greeks who liked the sports and the contests, particularly in Corinth, in the neighbourhood of which every two years the Isthmic Games took place » (KUSS 1940, P. 156). « The readers knew such contests from the Pan-Hellenic Isthmic Games held in their city » (KREMER 1997, SS. 196 f).

But these apparently matter-of-course assumptions might hardly apply to St Paul. A large unawareness of the « sporting » disciplines actually exercised at that time becomes particularly apparent in the unscrupulous adoption of conceptions of the antique agonistic. Time and again these terms are used in the commentaries, but they have hardly somewhat in common with the reality and are rather taken from today’s sporting forms. That does not only apply to the general comparisons from the world of the « Agon » with the Christian life, but in particular to the comparisons from the antique races and the antique fist-fight.

Hence the procedure in this essay results from the mentioned things. First it will be asked after the literary (style) form of St Paul’s pictures and comparisons from the antique agonistic. Then two particularly striking comparisons are to be examined exegetically. From there conclusions will result then in regard to the view that St Paul had – in knowledge of the antique forms of sport – evaluated such activities positively.

II.

The pictures and comparisons from the world of the antique sport, time and again used by St Paul in his letters, are not an invention of the Apostle. They call rather our attention to a contemporary literary style that was particularly used first by the Greek Sophists, later by the philosophers of Cynicism and Stoicism. With this literary style is concerned the so-called « diatribe » (see in addition SCHMELLER 1987). It means « a philosophical instruction of popular character with predominantly ethical contents » (MARROU, RAC III, P. 998).

In a dialogue with an imagined listener moral-philosophical topics are treated. In order to bind the attention of the listeners, pictures and comparisons from nature and the human life are used: Poverty, age and death, the nature and the dangers of the sensual pleasure for human beings, the moral effort as means to achieve self-control; not least however, particularly in the Stoical « diatribe », the self-sufficiency of the sage and the « apatheia », i.e. the freedom of affects and passions.

Since the « diatribe » was very popular in the Hellenic-Roman world, the oldest Christian literature – as we find it in the writings of the New Testament and the early Christian literary testimonies – took over quite automatically the styles of the « diatribe ». MARROU calls it a matter of « cultural osmosis » (MARROU, RAC III, P. 999), i.e. the natural and unreflecting imitation of the surrounding culture. That means also that one followed in many details the model of the pagan philosophers. But the contemporary Jewish writers too used the methods of the « diatribe », as the writings of PHILON of Alexandria show.

Hence it is not surprising that in the writings of the New Testament many elements of the « diatribe » appear. These elements are particularly frequent and remarkable in St Paul’s letters. They are mainly found in those parts according to which we have to imagine St Paul’s verbal instructions.

« To some extent St Paul’s lecture used similar styles as the lecture of the Cynical-Stoical popular philosophers » (BULTMANN 1910, P. 107). But despite many similarities in the mode of expression St Paul retained his independence. « Everywhere the Greek expressions are used in St Paul’s peculiar way, and are … often interwoven with expressions which have their origin somewhere else » (BULTMANN 1910, P. 108). Therefore BULTMANN can rightfully state: « The coat of the Greek speaker hangs around St Paul’s shoulders, but the Apostle has no taste for the skilful drapery, and the lines of the foreign shape shine everywhere through » (BULTMANN 1910, Ss. 108). The styles of the « diatribe » are for St Paul only the means to represent and unfold his message of Christ in an up-to-date way.

Hence it is not coincidental that St Paul very often uses comparisons from the antique agonistic and athletics, particularly since the « diatribe » draws gladly a parallel between the exercises of virtue and those of athletics. In the Hellenic time the exercise of virtue and the moral struggle of life are time and again compared with the efforts and privations of the ‘agon’, as the writings e.g. of PHILON of Alexandria, of EPIKTET and SENECA can show us. In the use of these comparisons St Paul depends certainly on the « diatribe ». Hence, when the repetition of many pictures and comparisons in the history of the « diatribe » is attributed to a tradition, then it would surely be strange to attribute « the so frequent occurrence of the same comparisons in the Christian literature … to a casual coincidence » (WENDLAND, P. 1910, P. 357).

III.

Particularly two texts of St Paul are mentioned as « classical » evidences for St Paul’s familiarity with the world of the ‘agon’. It is first the « Sport Epistle » from chapter nine of the First Letter to the Corinthians; then a text from the Letter to the Philippians. These two texts are to be examined now exegetically.

A.

« Do you not know that in the stadium all the runners run but that only one wins the victory wreath? Run in such a way that you win it! Each fighter lives however completely abstinent; they do it to win a passing, we however to win an imperishable prize. Therefore I do not run like someone who is running without aim, and do not fight with my fists like someone who punches into air; rather I chastise and subject my body, in order that I do not preach to other people and am rejected myself. » (1 Cor 9:24-27)

1

The most detailed comparison of St Paul’s Letters is found in the third part of the First Letter to the Corinthians. This section treats questions of the Christian life. First it is about marriage and single state (celibacy) (7:1-40). Afterwards the question is treated whether one may eat sacrificial meat. St Paul says that the one who is enlightened is to dispense with sacrificial meat for the sake of the weaker brother (8:1-13). He motivates this rule with the fact that he too does disclaim his rights and freedom for the best of others (9:1-23). He takes upon himself privations for the sake of the gospel – like the runner and the pugilist for the athletic contests. At the same time he admonishes the addressees to care seriously for their own salvation, and accordingly to exert themselves.

2

The mission activity of St Paul in Corinth is generally dated to the years 51/52 A.D. (CONZELMANN 1969, P. 26 f). During that time also the Isthmic Games, one of the four large Panhellenic festivals, took place periodically. Hence it is not surprising that nearly all exegetes refer to the Isthmic Games when they discourse on the comparisons from the antique sports in our passage of the text. « The picture of the contests in the stadium … is to impress greatly the sport-minded and contest loving Greeks, particularly in Corinth, in the proximity of which every two years the Isthmic Games took place » (KUSS 1940, P. 156; likewise KREMER 1997, P. 196 f).

But there are to be raised some reasonable doubts against the view that St Paul’s comparisons originated in his exact knowledge of the Olympic Games. Since the pictures of the sporting contest are far common in the popular-philosophical literature of his time, and sport belonged in each Greek city to the everyday and natural things, « there is no need to think particularly of the Isthmic Games near Corinth with the spruce wreath as prize » (CONZELMANN 1969, P. 191). With considerable certainty it can even be excluded that St Paul saw the games as a spectator. In his youth he had got a strict Jewish education, which, as everybody knows, thinks little of the Greek athletics, yes, which was ill-disposed toward it because of its proximity to the pagan idolatry (see 1 Mac 1:13 f and 2 Mac 4:7 ff).

But the weightiest reason against the view, St Paul’s comparisons are owed to his exact knowledge of the antique sport, lies in the lacking exactness of many comparisons, and this in contrast to the comparisons in the contemporary « diatribe ». St Paul usually uses only the general terms of the contests. This applies particularly to the use of « agon=fight » (Phil 1:30; Col 2:1; 1 Thess 2:2; 1 Tim 6:12), of « agonizesthai=fight » (1 Cor 9:25; 1 Tim 6:12) and « athlein=fight » (2 Tim 2:5).

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48

As a rule these terms became equivalent to « trouble » and « exert oneself ». But this applies even to a term like « trechein=run » (Rom 9:16; Gal 2:2; Phil 2:16).

3

In our text first the picture of the « runner » is used. But about which « race » is here talked? Is it only about the « runners in the stadium (in the race-course) », as most of the translations and commentaries assume, or is meant perhaps a completely determined race discipline? Probably it is about a certain « race discipline » here: the « stadium race », by the Greeks called « stadium » simply. « The characteristic performance, which of the different kinds of races was not only at most in favour, but which is, so to speak, also the most important sporting performance (so e.g. the winner gives his name to the Olympiad), is the stadium race – stadion. The same word designates both the race and the race-course which it uses as the distance which it covers: six hundreds foot, which corresponds to a changing distance of about 200 meters « (MARROU 1957, P. 157 f).

About the participants in the stadium race is said that all run, but « only one receives the victory wreath ». First is to refer to a parallel found in LUCIAN’S « Anacharsis ». In a dialogue between the Athenian legislator SOLON and the Skyth ANACHARSIS it is about the value of the physical exercises. ANACHARSIS asks also after the sense of the prize: « Tell me, does everybody who takes part in the contest get this reward? – By no means, only the one who overcame all the other runners gets it » (LUKIAN, Anacharsis 13). But the assumption St Paul had – on grounds of this parallel with LUCIAN – used a proverbial figure of speech, by which he was inspired, is rather unlikely (CONZELMANN 1969, Ss. 192).

4

« Prize » is the translation of the Greek word « brabeion ». This word belongs (together with the verb « brabeuo ») to the « technical terms of the sports field, which St Paul introduced into the theological language of the primitive Christianity » (STAUFFER, « brabeuo », P. 636).

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49

Thereby it is remarkable that the word « brabeion=prize » is rare in the profane Greek. In the Septuaginta too one will look in vain for it. It uses in a similar sense the picture of the « athlon », the prize. The Greek Baruch Apocalypse speaks about the just who have got the « prizes » (RIESSLER 1928, P. 52).

Alternating with « athlon » appears « brabeion » with PHILON. In his writing « On Rewards and Punishments » he realized the « picture of the agon of life – from which the pious will emerge victorious – most consistently » (STAUFFER, « brabeion », P. 637). In the New Testament « brabeion=prize » is only used by St Paul: here in the First Letter to the Corinthians and in the First Letter to the Philippians. In each case « that prize is meant, which a human being can win only with the engagement of its whole life, and the summoning of its last strength » (STAUFFER, « brabeuo », P. 637).

5

First the point for comparison, which St Paul has in mind, seems to lie in the circumstance that with the contests only one person can become the winner and get the prize: « Run now in such a way that you achieve this price! » But St Paul felt obviously that the point of comparison with the life of his Christians could by no means lie here, but in something else. Therefore he corrects in the sense that only those receive the prize or the victory wreath, who before exerted themselves in an appropriate training. In addition he does not abide by the picture of the « race ». St Paul speaks generally of those who « take part in a contest ». What matters for him in his admonition is the circumstance that, similar as for each athletic contest a special preparation, a quite specific way of life is required, also in the life of the Christian quite special behaviours are necessary.

The verb « agonizesthai = fight » which is used here, and the primary word « agon = fight » belonging to it, are a « word family that has its home in the Greek stadium – in the Septuaginta and the New Testament they are seldom,

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and are almost exclusively used in those writings that were in contact with Hellenism » (STAUFFER, « agon », P. 134). The word meant as much as « fight in a contest » or « take part in a contest ». In some places it is used literally, i.e. in the original sense (1 Cor 9:25; 1 Tim 6:12; 2 Tim 4:7), often however in a figurative sense; then it means only « fight » or « strive » (Col 1:29 and 4:12; Rom 15:30; 1 Tim 4:10) and is « obviously hardly felt in a pictorial way yet » (STRAUB 1937, P. 28).

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St Paul says now that everyone who takes part in a contest will accordingly prepare him/herself by a serious training, and submit thereby to a quite special way of life that is rich in privations. The passage in the text is interpreted by almost all translations and commentaries with « complete abstinence ». SICKENBERGER writes: « Like an athlete the Christian … has to steel his/her strengths by any kind of abstinence » (SICKENBERGER 1932, P. 44 f). WENDLAND makes the remark: « If one wants to win the contest, then complete abstinence belongs to it » (WENDLAND, H. D 1969, P. 76). The difference between the abstinence of the athletes and the fight of the Christian he sees only « in the aim: here an eternal, there a passing one » (WENDLAND, H. D 1969, P. 76). SCHIWY says that everyone who fights will abstain from all things « impairing his/her shape and with this his/her victory chances » (SCHIWY 1968, P. 164). SCHLATTER points out that the preparation of the fighters consists « in a strictly accomplished abstinence » (SCHLATTER 1934, P. 284). He also stresses that the difference between the athlete and the Christian consists not in the way of abnegation, but only in the different objective. « In the abnegation the Christian bears a resemblance to the sportsman, but not in the thing that is won by them » (SCHLATTER 1934, P. 284). Similarly STRAUB says: « By abstinence is won the – passing – prize by the fighters … We too need abstinence in order to … win an imperishable wreath » (STRAUB 1937, P. 90). KUERZINGER notices: « St Paul wants above all to stress the abstinence practiced by the athletes, in order to give motives to his readers to dispense with entitled rights » (KUERZINGER 1951, P. 25).

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It is to be asked now what is meant with « enkrateia =abstinence » and with « enkrateuesthai =abstain ». The word family expresses the « power or rule which someone has over him/herself or also over something » (GRUNDMANN, « enkrateia », P. 338).

In the philosophical ethics of the classical Hellenism this term plays an important role. Thus according to ARISTOTELES man’s perfection consists in the « enkrateia »; it is necessary to « raise man above the animal » (CHADWICK, « enkrateia », P. 344). For the Stoical philosopher « enkrateia » designates « that resistance against the stimulus of the senses which is characteristic for the true high-mindedness of the soul. To be a true human being one has to practice moderation in the satisfaction of the strongest natural instincts, particularly against the sexual instinct and the delight in eating and drinking » (CHADWICK, » enkrateia « , S. 344).

With PHILON of Alexandria « enkrateia » means the « superiority » in view of any longing (GRUNDMANN, « enkrateia », P. 339). It consists in the control of the body and its senses. It refers thereby not only to the sexual, but also to eating and drinking as well as to the dangers of the tongue. « The ascetic attitude of PHILON has its origin in a cosmological dualism, in which the matter is devalued » (GRUNDMANN, « enkrateia », Ss. 339).

In view of this high estimation of « enkrateia » in the Greek philosophy and in the Hellenized Judaism it is surprising, which small role the attitude « enkrateia » plays in the New Testament. In the gospel the word family is missing completely. It is found almost exclusively in St Paul’s letters, particularly in the First Letter to the Corinthians. But of what is St Paul thinking when he says of the participants in the athletic contests that they « practice complete abstinence »?

In the commentaries it is generally accepted that this remark applies to the « ten months of training for the fight » (GUTJAHR 1907, P. 247). In this connection CONZELMANN refers to the Olympic oath, by which those who took part in the Olympic festival had bound themselves to train for ten months (CONZELMANN 1969, P. 192).

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Probably the athletes trained already since the sixth pre-Christian century for thirty days before the beginning of the festival in Elis (ZIEHEN, P. 6-8). During this time, probably toward the end of the training or briefly before the beginning of the festival, the fighters went to Olympia to take the solemn oath. If at all, then only in later time the ten months training could – according to the testimony of PAUSANIAS – have been introduced. Whether this custom applies also to the Isthmic Games is however questionable.

About « training » is to be observed that gymnastic and athletic in the Hellenic epoch spread in such a manner and had attained such a popularity that an own profession developed. The coaches refined the technical skill; they developed a system of preparatory exercises. In a four-day rhythm hard and easy training work alternated (POPPLOW 1962, P. 160). Also everything else was adjusted to the training. The coaches told their favourites exactly, what they should eat and how much, and when they would have to sleep. To refer is here to the remark of EPIKTETS, who describes this comprehensive preparation for the contest so:

« Do you want to triumph in Olympia? Look, what you have to do before! Only then you are to realize your project. You will have to lead a disciplined life, and only special food is allowed to you. You must do without sweet food. You must come at the determined time for training, with heat and with cold weather. You may not drink anything cold, also no wine. With one word: You have to obey your coach like the patient the physician in every matter. » EPIKTET, Enchiridion 35).

After HORAZ also the abstinence of wine and sexual intercourse belong to the « asceticism » of the athletes (HORAZ, De arte poetica 412-414). In the commentaries one refers particularly to these forms of abstinence: « The sportswoman practices abstinence (enkrateia) of wine, onerous food and sexual intercourse » (KREMER 1997, P. 197). « The abstinent life of the athletes means abstinence from wine, meat and consorting with women » (KLAUCK 1984, P. 69).

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The way of life of the athletes was however in no way so exemplary and so generally acknowledged as it might seem from the « diatribe », and also from St Paul’s remark. Even in the old time, which has been illumined by PAUSANIAS and DIOGENES LAERTIOS with their statements on the simple way of life of the athletes, they were by no means reputed to be « abstinent » people. « The conception of a mighty champion was inseparable united with that of a great eater » (JÜTHNER, « Gymnastik », P. 2047). Hence the reports about some athletes who lived simply and abstinent are by no means to be generalized; so when IKKOS of Tarent is characterized, he had led with his coach a moderate way of life, had held the food intake within certain limits, and had touched neither a woman nor a boy (PLATON, Nomoi VIII. 7). The diet which was prescribed into details by the coaches, had, at least with the heavy athletes (i.e. with the wrestlers, pugilists and pancratists), the purpose to produce the most possible corpulence. This was reached by the so-called « anankophagia » or « forcible diet », which consisted in a « systematic overfeeding particularly with meat » (JÜTHNER, « Gymnastik », P. 2050).

Hence it is not surprising that the athletes were considered as « great eaters » (XENOPHON, Memorabilia I 2:4). « To eat like a wrestler » was a proverbial phrase (ARISTOPHANES, Der Friede 33-34). In excessive food intake, connected with adequate long punch- and other special exercises consisted the preparation of the athletes for the contests. Aimed was at the so-called « athletic well-being …, which consisted in the as strong as possible development of muscles and flesh, together with a general health » (JÜTHNER, « Gymnastik », P. 2050).

Of course, these methods of the coaches and athletes were criticized sharply. As example of such criticism and complete refusal of the way of life of the athletes of his time be quoted a section from PHILOSTRAT’S paper on gymnastic. The new methods, in particular however the diet, render the athletes effeminate, « as the diet teaches them inactivity, and to sit there during the time before the exercises, crammed like Libyan and Egyptian flour bags; by introducing furthermore fancy bakers and luxury cooks, whereby only gluttons and people who have a sweet tooth are bred, and by offering poppy-covered wheat bread made from fine flour, fattening them with fish food which is completely against the rules and determines the nature of the fish according to the habitats in the sea …, furthermore giving the porc with peculiar instructions » (PHILOSTRATOS, Gymnastik 44).

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Still more drastically, yes even cynical SENECA writes in a letter to LUCILIUS: « Likewise I eliminate from the range of the ‘free arts and sciences’: wrestler and the whole crowd of the ‘artists’ who have to do it only with oil and dirt … I ask you, what have all these things to do with ‘free arts’, all these poor ‘puke fellows’, whose physical function consists in the fattening of their bodies, but whose spirit continues to suffer from emaciation and somnolence » (SENECA, letters at Lucilius 88.18-19)?

Had St Paul these customs of the professional athletes – as they were only too well known to his contemporaries – in mind when he described the « enkrateia » of the athletes to his Christians as model for their moral efforts? To ask the question so pointedly, means to answer to it in the negative. It is impossible that St Paul meant these well-known customs, which were rejected everywhere as degrading.

Then however the question is to be asked whether he knew them at all. Probably they were, at least from the practice, unknown to him. But then the use of the comparison is not explained by St Paul’s – time and again maintained – knowledge of the athletic training, but the comparison might have been adopted by him from the « diatribe literature ». Which of this picture from the antique sport however seemed particularly suitable to him is undoubtedly the consistent orientation of the entire way of life at the victory in the contest. This way of life which is determined by the desired victory – so St Paul – would have to shape actually also the life of the Christian.

One should therefore be cautious with the interpretation of the passage in the text, and insert nothing which is not actually in it contained. The « enkrateia » of the antique athletes differed substantially from the « enkrateia » e.g. of the Stoic philosopher, and all the more from that of the Christian. The difference comes not only from the aim aspired to, as WENDLAND means (WENDLAND, H. D 1969, P. 76), but there are fundamental differences. The « abstinence » of the athletes was in no way exemplary but, a way of life which is determined by the desired victory. It included also some sacrifice but was not limited to it, as the aforementioned examples of the preparation of the athletes show. What is more, the « enkrateia » was in no case the most remarkable characteristic of the athletes; that it was only in the « diatribe ».

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It is still to refer to the fact that the « enkrateia » was never an end in itself for St Paul and for the Christians. It gets its authorization and its value only from the aim aspired to. « He does the ‘enkrateuesthai’ not for his own sake or for the sake of some salvation necessity, but for the brothers sake: this is the fundamental difference to all Hellenic conceptions » (GRUNDMANN, » enkrateia « , P. 340).

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The effort of the athlete as of the Christian aims at achieving the « victory wreath »: « Those (submit to a completely determined way of life), in order to receive a passing prize, but we to get an imperishable (victory wreath) ». Here some references are necessary concerning the term « stephanos =victory wreath » (see BAUS 1940).

With the Greeks the use of the wreath belongs into the « sphere of the cult » (GRUNDMANN, « stephanos », P. 617). This relation to the cult applies also to the victory wreaths which were given at the athletic contests, e.g. in Olympia, in Delphi or at the Isthmus of Corinth. The contests take place at the festivities of the gods, and in honour of the gods. With the award of the victory wreath to a victorious athlete also the God is honoured at the same time, and it is not surprising that the victory wreath in the contest is generally regarded as the highest earthly success (GRUNDMANN, « stephanos », P. 620). Therefore the picture of the victory wreath is much liked in the diatribe ». SENECA writes in a letter to his friend Lucilius:

« For us is in store no victory wreath, no palm twig, also not the announcement of our name in the silence ordered by the herald’s call – no, we fight and gain the victory for the sake of manliness, strength and the peace of the soul: if we have won the victory once in the fight with fate, then the peace of the heart will remains ours for ever » (SENECA, Briefe an Lucilius 78, 16).

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In the Jewish literature too the picture of the victory wreath is much liked. Above all the Fourth Book of the Maccabees uses the entire terminology of the stadium and gymnasion, in order to describe the victorious fight of the martyrs: « But the fear of God remained victor; it put the wreath on the heads of its fighters » (4 Macc 17:15: RIESSLER 1928, P. 727). PHILON of Alexandria compares the athlete with the man striving for knowledge, who runs through his life course without falling, and gets at the aim the well-deserved wreaths and prizes. He encourages: « Fight this most beautiful battle and endeavour to attain in the fight against the sensual pleasure, which controls all other desires, the most beautiful and glorious victory wreath, which no festive meeting of people can give to you » (PHILON, Legum Allegoriae II, 108). The victory wreath however which has to be achieved is the « vision of God ».

Similarly the « imperishable wreath » is for St Paul a « likeness of the eternal life » (WENDLAND, H. D 1969, P. 76). If the athletes endeavour so intensively to achieve a passing wreath only, how much more must the members of the Christian community strive to get the imperishable wreath: « the communion with the risen Christ » (SCHIWY 1968, P. 165).

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In the following verse St Paul turns again to the picture of the race: « Hence I do not run without a fixed aim in my mind. » First the change to the statement in the first person is surprising. Besides it is now no longer about the effort of all energies during the race, in which there can be only one winner; also no longer about the preparation by an appropriate way of life; but it is about not losing sight of the aim of the race: « I am a runner who is sure of the aim, and therefore the model for you » (WENDLAND, H. D 1969, P. 76). Hence it is about a « new nuance » in the picture of the contest (CONZELMANN 1969, P. 192). To the runner does not only belong the knowledge of the aim; also not only the circumstance that he hastens to meet the aim without detour; but that he has in mind actually the aim, and arrives at it. Similarly it is in the life of the Christian. The knowledge alone is not sufficient, but crucial is the doing in the light of the aim.

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In the following the picture changes from the race to the fist-fight: « I lead the fist-fight so as someone who strikes not blows into the air. » With this comparison it is – in parallel to the runner who may not lose sight of the aim – again about the necessity to realize the earnest of moral striving on the part of the Christians, and to direct all reflecting and striving toward the crucial victory over the opponent.

« Always the exegetes do not agree with each other which means ‘pykteuein’ (=fist-fighting) as ‘eis aera derein’ (=strike blows into the air) in the view of a present or missing opponent » (SCHMIDT, « pgyme », P. 916). Hence it is not surprising that in the commentaries are mentioned above all two possibilities of understanding the picture. Some point out that the pugilist whose blows go into emptiness, and of whom St Paul wants to differ, is a clumsy or untrained fighter. Others assume that it is not at all about a real fight here and therefore also not about a « missing » of the opponent (BACHMAN 1936, P. 327), but about an « illusory fight », a so-called « skiamachia », i.e. a fight against an only imagined opponent (CONZELMANN 1969, P. 192).

To clarify whether it is in our passage in the text about an actual fight or only about a « skiamachia », i.e. a « illusory fight », it is necessary to deal somewhat nearer with the Greek fist-fight, which differs in many details from the modern boxing (see JÜTHNER / MEHL, « pygme », S.1306-1353).

First a limited box ring was missing. There was also no temporal limitation of the fight. It ended only if one of the two opponents was exhausted, or raised his arm as sign for giving up or defeat. The blows were almost exclusively aimed at the head. This was the most vulnerable, the « weakest » spot of the pugilist. Because of the danger of such head blows the combat tactics consisted in evading the impacts of the opponent, in letting him make « blows into the air », respectively to land effective blows at the opponent. PAUSANIAS reported on the pugilist HIPPOMACHOS, he had defeated three opponents without even getting only one blow (PAUSANIAS, Beschreibung Griechenlands VI. 12, 6).

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And DION CHRYSOSTOMOS mentions from the time of the Emperor TITUS a pugilist who succeeded in defending himself so skilfully two days long that his opponent could finally bring home not any blow at him, and had to give up exhausted (DION CHRYSOSTOMOS, Reden 27, 11). Finally still another section from a homily of St John CHRYSOSTOMOS be mentioned, in which the tactics of the pugilist is vividly described: « Also the pugilist becomes only then winner, if he bends himself not to the ground and gets the blows, but if he straightens himself and lets his opponent strike blows into the air. In this way he does not get the blow, and makes the whole punch of the opponent ineffective » (JOHN CHRYSOSTOMOS, Homilien zum Römerbrief 23, 3).

The tactics of dodging respectively waiting for one’s own chance to land a crucial blow at the opponent becomes still more understandable, if one considers that the fists of the fighters were wrapped up in hard leather bandages. With the rise of the professional athletes the fist-fight belts were fit out with ever more dangerous things; however the deadly metal ‘caests’ (compare: caesura, cut) were probably used in the fights of the gladiators only.

If one has in mind the technology and tactics of the antique fist-fight, then the assumption that St Paul meant a so-called « skiamachia », i.e. a « illusory fight » is improbably. The Apostle means a real « fist-fight » with an actual present opponent, who has to be taken seriously. Hence the « blows into the air » are not a hint at an untrained or awkward fighter; they belong for the picture of the fist-fight.

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St Paul uses now this picture of the fist-fight for his moral effort. First the verb « hypopiazein » in the verse 27, which is translated with « chastise » in the ecumenical translation, has to be defined more detailed. The word is used in the New Testament only here, and meant as much as to « strike someone so in the face (below the eye) that he gets blue marks (‘a blue eye’) and is thereby defaced » (WEISS, « hypopiazein », S. 588).

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With the antique fist-fight, where the blows were aimed in the main at the head or face of the opponent, blue marks and dents were never missing. The blows however which leave marks and dents, are aimed – so St Paul – « at my body ». But which is meant with this statement that « my body » is the aim of the punches?

If one consults the various commentaries then a conflicting picture results. One group understands the statement in the literal sense. Thus SICKENBERGER writes: « St Paul’s opponent is thereby his own body, which is subjected to all privations and castigations » (SICKENBERGER 1932, P. 45). KUSS means: « The opponent in his fist-fight is his own body, which is made submissive by use of force » (KUSS 1940, P. 156). WENDLAND speaks of « self-castigation », by which the Apostle punishes and subjugates his own body (WENDLAND, H. D 1969, P. 76), and SCHWEIZER says even: « Hence the Apostle strikes and subjugates his body, in order to put it into service for Christ » (SCHWEIZER, « soma », P. 1061). KLAUCK interprets the passage in the text to the effect that St Paul makes « also the repugnant body docile » (KLAUCK 1984, P. 198).

Another group of exegetes turns against this all too « realistic » view of the « body » and tries to interpret the expression in the context of St Paul’s anthropology. CONZELMANN remarks to the place: « He struggles with himself … Not the body as such is the opponent » (CONZELMANN 1969, P. 192). SCHIWY interprets the sentence in the following way: « I am my own opponent in this religious fist-fight, if the resistance against God is still effective within me, the egotism, inconsiderateness, unkindness » (SCHIWY 1968, P. 165). BACHMANN too stresses, that it is out of the question « that the body is presented as opponent which has to be fought » (BACHMANN 1936, P. 328). KREMER holds the same view: « With ‘body’ is meant here not the body only but the whole man. In plastic mode of expression the Apostle says thus that he tries to put his ‘I’ completely into service of his mission. » But in the following KREMER seems then to qualify his opinion, when he says that St Paul would here not describe « self-castigation for its own sake » (KREMER 1997, P. 198).

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In a « realistic » interpretation of our text « body » is understood ‘dualistic’, and so misunderstood as the principle which is striving against the spirit, which is to be subjected to the rule of the spirit and be made the instrument of the spirit. But this ‘dualistic’ thinking is completely far from St Paul. He means here in no way a « asceticism » of Stoical or Cynical coinage, as it was common in his time. Indeed, the representatives of the « realistic » interpretation point also out to us that it is here « not about the rule of the reason over the senses as in the antique and late antique ethics » (WENDLAND, H. D 1969, P. 76); but « the warning of the care for the body » (SCHLATTER 1934, P. 285) is not to be over-heard, and is revoked; it marks such a view as not corresponding with St Paul’s view.

The Greek word for « body » (=soma) is « because of its close relationship to ‘sarx’ the most difficult term of St Paul’s anthropology » (SCHMID, « Leib », P. 900). « Soma =body » depends in its meaning on the ‘monistic’ view on the human nature in the Bible. The Old Testament does not know a strict distinction between « body » and « soul »; it has also no own word for « body », but designates with « flesh » both, the body and the whole man; human beings « do not have » a body, but they « are » body. The terms « body », « flesh », and « spirit » designate therefore not components of man, but only different criteria under which the one and whole human being is seen.

In the New Testament, particularly in St Paul’s letters, the ‘monistic’ view of man is kept up. With St Paul « soma=body » can quite generally designate the body, the « human being in its earthly condition » (KARRER 1958, P. 215), the unity of the whole human being. But for St Paul « soma=body » can also designate the only earthly-minded man; it is then to a large extent synonymous with « sarx=flesh », which can often have a neutral meaning in the sense of ‘human being’ in general, but usually it means as much as the « egocentric, selfish people who close their mind to God’s saving call » (KARRER 1958, P. 215). « Sarx=flesh » becomes then the « place » of sin within man: « the power of sin has its seat in it » (SCHMID, « Leib », P. 900): « Those who live after the flesh are plotting the things which the flesh wants;

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those who live after the spirit, meditate on the things which the spirit wants. The planning of the flesh leads to death, but the meditating of the spirit to life and peace » (Rom 8:5-6).

St Paul uses however often « soma » for « sarx », also in places where he is actually talking about « sarx » in its relation to sin and death. Thereby he attributes to « soma » the specific characteristics and functions of the « sarx ». Thus « soma » can also stand under the power of sin and death (Rom 6:6), and St Paul can speak from the longings and the sinful acts of the « soma » (Rom 6:12 and 8:13).

If we ask now on the background of St Paul’s anthropology how « soma » is to be understood at our passage in the text, then is to say: Here it is about a text in which « soma » is understood in the sense of « sarx ». It is about the whole human being in its bodily making, as far as it is not adjusted to the service of God, but has only earthly, egoistic aims in mind.

But then is from the likeness of the fist-fight understandable that just this wrong « direction » is the « weak point », at which the « blows » are to be aimed. Hence St Paul clarifies in the picture that point on which everything depends actually. For those who came to the faith in Jesus Christ it is crucial to give to their lives a different orientation; to let themselves no longer be led by the aims of the « sarx » i.e. of the ‘Ego’, but to put themselves with their whole existence into the service of God. St Paul means thus in our place the same thing which he formulated elsewhere so: « If you live after the flesh, you will die. But if you kill the acts of the body by the spirit, you will live « (Rom 8:13).

That this « conversion », this « reorientation » is not possible without using force, not without marks and dents, shall just be clarified by the picture of the pugilist. Where the fist meets, there are blue marks, even bloody wounds. Similarly it happens in the religious fight, which St Paul leads against himself and his selfish nature. One must not have wrong considerations thereby; one may also not make « blows into the air », but they must be aimed actually at the « weak point » in one’s own life. St Paul wants to gain the victory in this fight with himself.

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The last verse of our text contains still a second statement; the literal translation reads: « I enslave my body. » « Soma » in its meaning as « only earthly-minded man » is in our sentence object both, to « hypopiazein = to hit below the eyes » as well as to « doulagogein = to enslave ». Which concerns the meaning of the verb « doulagogein », the commentaries go not into closer details there. One assumes obviously that the picture of the contest, in particular that of the fist-fight, is abandoned. BACHMANN means that St Paul imposed upon « the body, like upon a slave who is treated hard, all the privations and efforts which are necessary for his effort to become everything for everyone » (BACHMANN 1936, P. 328).

The question is whether it is here about a technical term of the fist-fight or of wrestling and pancration, or even about a term from the world of the gladiators, in the sense that the winner led the defeated opponent under the applause of the spectators in the arena like a subjected slave. But such a « custom » is not proved in the literature. For this reason the assumption is justified that the picture of the agon is abandoned. That applies probably also to the continuation of the text, although CONZELMANN expresses the assumption that « keryssein = proclaim » and also « adokimos = not proven » could in this sentence « actually still be influenced by the conception of the contest in the stadium » (CONZELMANN 1969, P. 192 f).

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To a set of comparisons from the contemporary diatribe literature may still be referred. They set St Paul’s text clearly into contrast to the Stoical world of ideas. Just which concerns the valuation of the body St Paul’s conception differs fundamentally from the conceptions of the contemporary philosophy.

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Therefore also St Paul’s « asceticism » does not aim at the elimination and a suppression of the body, of its tendencies and abilities. « Asceticism » is always rather subordinated to his office as Apostle. It wants the « reorientation » of the man in its wholeness in the direction of the service of God. We have to consider this fundamental difference, when we read the comparisons from the « diatribe ». Thus e.g. EPIKTET writes:

« One may not lose heart where it is about the largest fight, but must also accept blows; because the fight is not for the victory in wrestling or pankration, where one in the case of victory can become very famous or in the case of defeat fameless … But at stake are happiness and God blessedness. » (Epiktet, Diatriben III, 25)

Above all SENECA loves such comparisons in his letters to LUCILIUS. « Those who become slaves of their bodies, who care overanxiously for it, and show in everything consideration for it, become slaves of many things. We must not behave so as if we had to live for our body, but as if we could not do it without it » (14, 12). Another letter reads:

« The fate wages war with me: I am not ready to execute its orders. I do not take the yoke upon me; On the contrary, I shake it off – and this requires greater bravery. My will power may not become weak: if I give way to the longings, then I must do it also to pain, toil, and poverty; ambition and anger usurp the same right to me: all these passions pull me back and forth, they even tear me up. Liberty is the aim for which I fight; all my striving is about this prize. Wherein does liberty consist? You will ask. To be subjected to nothing slavishly, to no obligation, no coincidence – and to let fate not grow over your head » (SENECA, Briefe an LUCILIUS 51, 8-9).

The following comparison is also very descriptive:

« An athlete will not enter the lists with particular fighting spirit, if he had not been beaten brown and blue already. Reversely a man will go into the fight with quite hopeful chances, who has seen his blood flowing,

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against whose teeth the fist of the opponent cracked, who was overthrown by being tripped up and has felt the full weight of the opponent on himself – he lost the ground under his feet but never his courage; from each fall he rose with wilder defiance. This comparison means for you: Often already fate had you in its clutches; you did never surrender, time and again you came round and defended your place harder than before. For bravery that is provoked up to the blood will only grow » (SENECA, Briefe an LUCILIUS 13, 2-3).

B.

St Paul’s second comparison from the antique agonistic, which is to be examined in the following exegetically, is found in his Letter to the Philippians:

« Not that I had already reached it or that I were already perfect. But I strive to seize it because also I have been seized by Christ Jesus. Brothers, I do not fancy that I had already seized it. But I do one thing: I forget which lies behind me and stretch myself out for which is in front of me. The aim before my eyes I am hunting for the prize: the heavenly vocation which is given to us by God in Christ Jesus. » (Phil 3:12-14)

1

In the fourth part of the Letter to the Philippians, which is seen by some exegetes as an own, so-called « combat letter » (GNILKA 1968, P. 184), St Paul points to the danger of heresies. He considers it as necessary to speak more clearly about the things which are factually needed in view of this emergency. First he refers to the divine guidance in his own life: « St Paul offers himself to the Philippians as ‘exemplum imitandum' », as « the example which can be copied » (GNILKA 1968, S.184). He warns of each wrong pride, which was the characteristic of those Christians within the community of Philippi who tended to Judaism. Therefore he makes plain to his addressees the difference between one’s own justice and justice by faith, between wrong and true piety.

For St Paul the new people of God is not constituted by « circumcision », hence not by getting the « sign of being chosen », i.e. the circumcision, and thus by the assumption of the « Jewish Law », but by faith;

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The aim of « perfection » cannot be attained by such rituals. Therefore St Paul (although he knows that he as « full Israelite » is of equal birth with the heretics) admits that he is still on the way, and has not nearly reached the last aim, the perfection, but is striving for it. The knowledge of Christ is the centre of his effort; it is highlighted as the alone worthwhile good. The striving for it is expressed by him in the likeness of the race.

2

The aim of life is for St Paul the perfection in Christ. He knows that he is seized by him; his life got a new basis « by Christ » (FRIEDRICH 1965, P. 120). Due to this being seized it is possible for him, to « hunt for the prize ». But he knows that he has not reached the aim yet; only the completion with the Lord will end all « chasing ».

The exegetes agree that is a picture from the antique sport. St Paul « compares here as usual his life as a Christian with the race in the stadium » (FRIEDRICH 1965, P. 120). In verse 12 first the two verbs « diokein » and « katalambanein » are to be considered. The first verb meant as much as « to set in fast motion »; with omitted object, as seemingly intransitive verb, it can have the meaning of « riding, marching, rowing, generally hurrying » (OEPKE, » dioko « , P. 232). In our place it could be translated with « hurrying toward the aim » (OEPKE, « dioko », P. 233). The verb « katalambanein » is an « intensification of the simplex » (DELLING, « lambano », P. 10) and meant « seizing », « tackling », « overtaking », « securing ». « In the New Testament becomes particularly apparent that ‘kata’ gives to the simplex the character either of intensity (to seize by force …) or of suddenness (surprise …) » (DELLING, « lambanein », P. 10). The meaning is then: « to get something finally »; that meaning points to the « picture of overtaking » in the race (DELLING, « lambanein », P. 10).

The aim of striving is the perfect communion of fate with Christ. But this sentence may not be misunderstood in the sense, that St Paul was able to reach this aim by his own strength.

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« The chasing after the seizing (of the prize) is based on the ‘being seized' » (LOHMEYER 1964, P. 145). The Christian knows him/herself in his whole being under the word: « Which have you that you did not receive » (1 Cor 4:7)? Man’s acting and striving is founded in Christ’s salvation, which has already happened. This striving will only come to its end when the aim of the race is reached, « the resurrection » and the « eschatological glory » (FRIEDRICH 1965, P. 120).

In verse 13 it is again stressed that the aim was not achieved yet. St Paul knows that he has obtained already some progress, and can boast some successes, « that he has overcome already a considerable distance of the race-course and come nearer to the aim » (GNILKA 1968, P. 199). But this is not crucial for him. One may namely not be content with the attained but has to direct one’s attention to the distance which has still to be covered.

3

Now the picture of the race becomes undoubtedly clearer. In verse 14 is talked about the « aim » of the race, about the section which has still to be run, and about the « prize ». To this LOHMEYER means: « The one part of the race-course lies behind the runner. He arrived at the point where the curve of the course bends again into the straight and the aim becomes visible. The run seems to go downward, and a last effort is still to be made to achieve the aim (LOHMEYER 1964, P. 146). Similarly also GNILKA says: « The still determining picture presupposes that the runner brought the last curve behind himself and entered into the home stretch » (GNILKA 1968, P. 200).

This view of LOHMEYER and GNILKA is well-meant but does not correspond to the reality of the antique race. « The Greeks know only the run on a level and straight race-course » (MARROU 1957, P. 175). Hence there was no « round course » in today’s sense for the different antique race competitions. If the run went over two or more stages, then the runner as soon as he had reached the end of the course turned on the spot; thereby he turned probably round a column which stood at the starting respectively at the finishing line (MARROU 1957, P. 175 f). This is the reason why one cannot tell about « turning into the home stretch ».

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The picture used by St Paul here means certainly however the crucial phase of the race. And there it is of no use to look back upon the already performed, i.e. to mind the covered distance. There is no longer time for it. On the contrary, in the crucial phase one has to stretch one’s strengths to the limit to get through with the last stage. Thereby the thought of the victory and the prize is, as it were, « to accelerate » the race. The verb « epekeinesthai = to stretch oneself out » is to insinuate the arm movements which are typical for the run. Hence it is no way about a runner « who is running with outstretched empty hands » (STRAUB 1937, P. 91). The rhythm of running would be disturbed by such a style; the runner would forfeit his/her victory chance.

JOHN CRRYSOSTOMOS represented the situation in a homily on this passage of the Letter to the Philippians vividly:

« We must forget our past achievements and let them behind us. For also the runner does not count how often he run already through the course, but how often he has to cover it … According to the Apostle’s expression we have to exert ourselves. Already before we reached the aim, we must always seek to attain it. For those who exert themselves (‘outstretch’) strive, as it were, with their whole body to run in front of their feet, as fast as these are ever running; they bend themselves forward and outstretch their hands, in order to accelerate the run, if possible. The eagerness of their striving, the heat of their eagerness is driving them. So the runner must run, with such perseverance, with such joyfulness, without losing the joy » (JOH. CHRYSOSTOMOS, Homilien zum Philipperbrief 12, 1).

4

Since Christ called the Apostle on the race-course and points out the prize to him, he runs with full engagement; he does not run « into uncertainty » but has the aim and the prize in his mind. The word « skopos », which is translated with « aim », means on the one hand the one who is looking watchfully at something, for instance a guardian.

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But then it means also the aim, e.g. the aim of an archer, which can be hit or missed. Also in the figurative sense the word is frequently used. As PLATON in his dialogue « Gorgias » explains, each human being has its aim that controls its whole life (PLATON, Gorgias 507 D).

In the New Testament the word occurs only here. « As in 1 Cor 9:24 St Paul has in mind the likeness of the race in the stadium, which is common to the diatribe » (FUCHS, » skopos « , P. 416). In view of the close aim all forces are to be strained again. For St Paul the reaching of the aim is equivalent to the acquisition of the « brabeion », the prize. The « ‘brabeion’ is the point in the infinity, in which the two parallels intersect, the aim beyond this world time and its possibilities, where divine and human doing become united » (STAUFFER, « brabeuo », P. 637).

The word « brabeion » is a derivative of the verb « brabeuo », which originally means the activity of the arbitrator with the contests. In the noun « brabeion » thus also still the activity of the arbitrator might be reminiscent, who awards the price to the winner. There is also to be pointed out that in the beginnings of the athletic contests the arbitrator was mostly identical with the organizer, i.e. with the one who « called up » the plays; he too was it who fixed the prizes.

St Paul had probably a similar conception. Jesus Christ is for him obvious the one who has called him to this race, who promises the prize, and is at the same time the arbitrator in this contest. The prize for which the Apostle takes great pines is the completion of man in the resurrection to the eternal life. In this fight the runner has « to put an end to everything that lies behind him » (STAUFFER, « brabeuo », P. 637); he may not look at his performances, but may direct all his doing and thinking to the aim assigned to him by God. « It is God who sets the aim for human beings. It gives from now on the meaning to their work and to their lives the direction » (STAUFFER, « brabeuo », P. 637). « The prize consists in the call to a life which is fulfilled … in the world of God … God is the one who is calling, in Christ Jesus the calling has become possible » (GNILKA 1968, P. 200).

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5

It is still to refer to the fact that the pictures used by St Paul are familiar to the « diatribe ». But also the difference to St Paul’s way of thinking becomes clear. Thus is said by EPIKTET, one should « keep one’s soul directed towards the aim, pursue not the outside things which do not belong to us, but aim so as the one who has the power has ordered it at the aims in the range of our will during our entire life, but use the other things in such a way as they are granted to us » (EPIKTET, Diatriben IVTH 12). Similar is said in another place:

« The substantial thing is nevertheless … that one understands the most important matter in the world, and pursues it in everything which one does with the greatest eagerness, but treats thereby everything else in comparison with it as minor affair » (EPIKTET, Diatriben II, 23).

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IV.

The exegetical analysis of the two probably most striking comparisons from the antique agonistic, but also the knowledge of the pictures and comparisons which are otherwise used by St Paul leads to these conclusions:

1

First the view that the use of the comparisons and pictures from the antique sport presupposed the familiarity with this cultural area can hardly be proved. St Paul uses usually only the general terms of the contest. That applies particularly to the use of the terms « agon = fight », « agonizesthai = to take part in a contest », and « athlein = to fight ». Nearly in all places these terms let see the « sporting » meaning only vaguely yet. They are mostly equivalent to « fight » and « effort », or to « exert oneself » and to « strive hard ».

From such vague and indistinct comparisons cannot be won a comprehensive picture of the antique sport. The comparisons and pictures remind only weakly of the sporting contest. They refer rather with high probability to the literary form of the « diatribe », as it was usual in the Cynical and Stoical popular philosophy, and which its embodiment in the late Jewish martyr literature. Also the early Christian martyr literature will adopt these comparisons and pictures.

2

St Paul uses only a few times special athletic exercises in his comparisons. This applies particularly to the exercise of running. But even here in most cases a semantic change took place. Often « Running » means only « exert oneself », i.e. « effort » in general. Besides, one has to point out here that a different origin of the picture of « running » is possible. This is suggested by the circumstance that the idiom « eis kenon trechein = run into emptiness » (Phil 2:16) is not provable in the Greek outside of the Bible (BAUERNFEIND, « trecho », P. 226).

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71

With this idiom it is probably about the idea, which is provable also for the Qumran literature, that running is the « life-task of that person who gives the direction to the faith of his/her followers » (BAUERNFEIND, « trecho », P. 230). Only at two places the picture of « running » in the sense of an athletic exercise can be recognized more exactly. But in 1 Cor 9:24.26 the use and the evaluation of the comparison is not homogeneous with St Paul. The initial point of comparison is not accomplished. In Phil 3:12-14 is found that comparison which corresponds most to the antique athletic exercise of running. The often strange interpretations reveal the lacking knowledge of the exegetes of the conditions of the antique race.

3

In 1 Cor 9:25 St Paul refers apparently to the training of the athletes. This did not consist however in a complete abstinence, as the most exegetes state, but in a way of life that was up to the smallest details regulated, and aimed at the sporting performance. St Paul did obviously not know that « enkrateia = abstinence » of the athletes. For had been impossible for him to recommend the concrete forms of that athletic « abstinence » to his Christians for imitation. Recommendable was only the athletes’ way of life, which was appropriate and subordinated to their aim (prize).

4

The picture of the fist-fight in 1 Cor 9:26 is given more in detail by St Paul. But with this fight it is not about a « skiamachia = shadow fight », but about a real and « bloody » one, which is to be taken seriously. The opponent in this fight is however not, as the exegetes state time and again, the human « body » as such, but the wrong aim in the life of people for whom God and divine service not exist. If the human « body » were particularly « dangerous » for Christians, then the « blows » would have to be applied to it. This was indeed the consequence, which has been drawn precisely from this passage in the text – caused above all by the body-devaluating influences of the Platonic philosophy on prominent Christian personalities.

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72

Expression of this view is the German word « kasteien ». The Greek special expression « hypopiazein = to hit below the eye; to meet the most sensitive place » is translated in the Vulgata with « castigare = chastise », and found as loanword entrance into the German language. But the fatal role of 1 Cor 9:27 – as evidence for an asceticism which aimed almost exclusively at the body, respectively at the practice of « self-castigation » – is not recognized, or is concealed.

5

Hence the pictures and comparisons from the antique agonistic show in no way a detailed knowledge of these exercises; they do not convey a « comprehensive picture from the view of the New Testament » (SCHWANK 1997, P. 85). St Paul knows these athletic exercises hardly from his own experience; otherwise these comparisons would not be so in general, so vague, and so indistinct. Finally the mere use of a comparison from an area of human life, e.g. from the military range, agricultural work, or a handicraft means not so easily a familiarity with these activities.

A crucial reason why St Paul had hardly any direct contact to the antique athletics, lies in the circumstance that he experienced in his youth a strictly pharisaic education, which had hardly cared for the antique athletics, yes, even rejected it because of its proximity to the pagan cult. The First and Second Book Maccabees testify clearly this incompatibility of the Jewish religion with the participation in the athletic exercises; also the participation as spectator is rejected.

But when the use of the agon comparisons cannot be attributed to St Paul’s familiarity with the antique sport, as justifiable and reasonable explanation remains probably only that St Paul knew these pictures and comparisons from the Cynical-Stoical « diatribe », and from the writings of PHILON of Alexandria. Hence it would be the assumption of a contemporary literary style. How much these comparisons were popular is shown by their use also in other writing of the New Testament, particularly in the Letter to the Hebrews and the Pastoral Letters, which probably are not from St Paul.

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6

Thus it results however with logical consistency that from the comparisons and pictures from the antique agonistic no evaluation or even approval of the contemporary athletics can be gathered. It is not possible to see in these comparisons « a beautiful example of the value world of sports » (WEILER 1996, P. 23); and also the opinion that St Paul numbered « the sport among the human values » and regarded it « in its internal reality as human education factor and as component of culture and society » (JOHN PAUL II, 1984), can by no means be proved from St Paul’s use of these comparisons.

Less than ever a fundamental valuation of the sport from today can be won from the use of these comparisons. Expressions like, « St Paul’s comparisons shed a mystical light on the sport » (SÖLL, M. 1964, P. 22 f), one can take only as well meant, but untenable pious exaggerations. KUCHLER noticed therefore rightfully that « a fundamental valuation of the sport of that time, still less of the sport from today cannot be won » by the agon likenesses of the New Testament (KUCHLER 1969, P. 211). St Paul is by no means the « principal witness » for a positive evaluation of the antique agonistic. All the more he is not suited as an authority for an approval or even a justification of the modern sport. From such an « abuse » St Paul has to be protected.

7

With his pictures and comparisons from the world of sports St Paul wants to clarify the trouble and the effort, which the service to the gospel requires of the Apostle, but also of each Christian. These comparisons illustrate the moral effort to which the Christians committed themselves in baptism. The life as a Christian is not possible without this striving, just as of the athlete a quite determined way of life is demanded, if he/she wants to achieve the sporting victory. Certainly the Christians should keep in mind that it depends in the long run not on their own « willing » and « running », but on God’s mercy (Rom 9:16).

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Bibliography

NB

The writings of the Bible are not specified in the bibliography. The text passages are quoted in the text with the usual abbreviations. The writings of the antique writers are also not specified in the bibliography. They are quoted in the text with the appropriate titles.

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Sport – A Secular Religion?

Alois Koch SJ

From: Stimmen der Zeit, 2002/2, p. 90-102

In the Olympia year 1932 the magazine « The Cross-Section » published in Berlin a booklet with the topic « Sense and Nonsense of Sport » {1}. Across the first page runs the banner headline « World Religion of the Twentieth Century ». The fictitious retrospect from a distance of ten thousand years begins with the statement: Not Christianity has been the controlling religious system of the European-American culture area but a new « world religion » with the name « sport ». In the twentieth century this new religious movement has almost completely ousted the old Christian religion. The symbol of the cross has been replaced by the ball, whose spherical shape – as « symbol of the finite encompassed by the infinite » – is regarded as the highest form of religiousness. The spherical shape of the ball as principal cult article, showed the ‘this world’ character of the « sport religion ». One refers to class-specific kinds of sport (called « sects »), from the lower classes over the middle class up to the upper class, and likewise to the ardour of the sporting rites. Finally is mentioned the stupefying popularity of some « priests and Priest Orders of the sport religion » around which often hundreds of thousands « faithful » crowd.

Wolfgang Rothe calls this fictitious historical retrospect « joke à la mode », but the characterisation of sport as « world religion of the twentieth century » seems to be quite applicable. For obviously in today’s sport phenomena come to light that show characteristics typical for religions. Does perhaps a « secular religion »{2} hide behind modern sport? Does not just the maxim of Olympic Movement « citius, altius, fortius – faster, higher, stronger » let assume that in modern sport « self-transcendence » is at stake?

« Religion » can be characterized as a « system that explains the world and helps to get the better of life ». It is distinguished by its alignment to an in whatever manner disposed « unavailable reality », to which people know themselves related. Of course, as such a « system » religion is autonomous in relation to the environment, but it is in a constant process of interaction with it. It is carried by people and wins its shape by their « faith », their behaviour and their socialization. A characteristic of all « religions » is the « mastering of contingency » – contingency understood as finiteness and insufficiency in the human life, to which belong illness, misery and death, but also guilt and failure. The « religions » open ways for man to deal meaningfully with the conditions of contingency, and to integrate the negative moments into the own life draft. True, with this understanding of « religion » as a « system » with which human beings can handle the central questions of life, also those deliberately secular world views and ideologies can be taken as « religion » which permit no transcendental perspective (e.g. to « God ») and reject traditional religions, but nevertheless have as subject « the whole » of world, humankind and history, and can so exercise the function of a religion for their followers.

In view of an advancing secularization it is for many people no longer about a transcendental « salvation aim ». In the concept of the « civil religion », respectively « secular religion » is enclosed – so Gottfried Küenzlen – the hope aim of the « New Man » – and that in quite different shapes. It is about the arising « New Man », who « has already here on earth the kingdom of heaven » (Heinrich Heine). Human beings are then logically understood as creators and directors of their own « salvation »:

In its empirical realization the ‘New Man’ can now be produced, planned and – according to the imagination of some movements – also be bred biologically. »{3}

As for the concept « sport », a more external consideration leads us to differentiate the recovery and leisure sport from the area of the contest-operated sport. The distinctive characteristic is not the subjective « performance » accomplished in the sporting exercises. At the bottom of the two areas are rather two different « principles »: the « recreational » and the « sporting principle ».

The « recreational principle » means the range of non-utility, of free play. It is realized in the freedom of the performance dictate. It is defined by the always temporally activities. It tries to win joy and pleasure. It pays homage to the unnecessary. It gives way to spontaneous, creative ideas. It is free of rules and ways of exercises forced upon it. It tends to recovery and balance, and gives so back the human freedom of onerous existence conditions. That all that applies not only to wide ranges of the traditional and institutionalized sport movement, but includes various other forms of « physical exercises » in which thinking and feeling of the modern ‘affluent society’ are expressed. Mentioned be the « ski tourism », that has hardly to do something with « ski sport ».

A different principle, namely the « sporting » one, is the basis of the contest sport (mass sport and high-performance sport). It means the performance orientated towards records.

It is realized in the performance comparison of the contest. It is determined by the expenditure of time, and also of money for a performance-oriented, specialized training. It tries to increase, by way of rationalization measures of multiple kinds, the effectiveness of the spent training time. It invents always new methods to economize technical talents or tactical behaviours. It insists on automating the order of motions and differs from the work principle only in regard to the larger possibilities of free decisions.{4}

In the following several phenomena or characteristics are to be pointed out that may suggest the conclusion that we possibly or even obviously have to do with a « secular religion » in today’s sport movement. That is to be clarified by some examples: First by the borrowed « quasi-religious elements » in modern sport; secondly by the positive statement to be a « religion »; thirdly by the effort to be a « sense conveying action system »; fourthly by phenomena with the element of « ecstasy », typical for religions and fifthly by the trend to egocentric, « solipsistic occupation » or « obsession » just in high-performance sport.

The Borrowed « Quasi-religious Elements » in Modern Sport

In order to prove modern sport as « secular religion », it is wrong to refer to the ‘agonistic’ of the Greek antiquity, and its being at home in the cult of the gods, which manifested itself, as you know, above all in the large Pan-Hellenic Games of Olympia, Delphi, Nemea and Corinth. The modern sport, and also the « quasi-religious elements » in modern sport have other roots, even if one appeals time and again to the Greek antiquity.

It is obvious how at the opening celebrations of Olympiads or world championships quasi-religious liturgies are celebrated – not least enacted accurately by the media for their audience. With this « transfer of the sacral » one intends the « sublimation of sport » by ceremonies. In « liturgies », as you know, one gets blessings. One is admitted into a cult community, the community of the « knowing », the « gnostics ». One gets security and safety in a group of like-minded. These « liturgies » are celebrated by a « priest class », by a « nomenclatura » that enjoys privileges and decides who is worthy to participate in these « liturgies », and to be admitted into the circle of the privileged.

But « quasi-religious liturgies » are not only at the « high level ». Also at other levels of sport one celebrates such « rituals ».

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« Everything is ritualized, situations are dealt with, the ‘knowing’ are informed about the state of events: of the run-in of the crews in association colours, the exchange of pennants, the national anthem before the beginning of the play and after the Olympic championship. »{5}

Of course, one should not overestimate expressions of club fans like: « My religion is ‘Club XY' », or the title « Schalke Our » in a fan magazine, but regard them as curiosities. Nevertheless they indicate sense deficits just with young people.

The Positive Claim of Olympic Movement to Be a « Religion »

There are statements from the area of modern Olympic movement that seem far weightier and that read positively: Olympic movement is a religion. This claim is laid particularly by the founder of the Olympic movement, Pierre de Coubertin, but also by the IOC President of many years standing, Avery Brundage; not least by Carl Diem, who – particularly by the organization and arrangement of the Berlin Olympiad 1936 – exerted coining influence in the sense of religion and cult.

For Pierre de Coubertin, the founder of the Olympiads of modern times, who felt destined to preach the « sporting gospel »{6}, the sport is « a religion with church, dogma, cult … but especially with a religious feeling ». Olympiads have a « sacral character » for him, and give ritual super-eminence to sport.

« The first and substantial element of the old as well as of the new Olympic movement is: to be a religion … Hence I believe I was right when I tried from the beginning to awaken religious feelings by the renewal of Olympic movement … The sport-religious thought, the ‘religio athletae’, entered only slowly into the awareness of the sportswomen … But little by little it will be taken quite seriously by them. »{7}

And another passage says, « Like the old athletics, so the modern athletics too is a religion, a cult. »{8} For Coubertin the athlete is « a kind of priest and the servant of the religion of muscle power »{9}; the sporting youths of all nations are to become « again disciples of the sporting religion »{10}. Obviously « the coronation of the Olympic idea by the Olympic religion was necessary for Coubertin, because without religion the dynamics, the enthusiasm and the absolute would be missing from the Olympic idea »{11}. He recommended to a secularized world the « continuation of the divine service at the again lighted up Olympic fire »{12}. Characteristic for Coubertin’s view is also his « Ode to the Sport », in which the « religion of muscle power »{13}, hence a biological ideology of Darwinist coinage, is expressed.

From Coubertin’s statements one could draw the conclusion that he had taken over from the antique « Olympic religion » certain « rituals » and the « religious feeling »,

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but he did not say yes to the gods, and thus also not to such a thing as « transcendency ». At the place of the gods he set, at least in some statements, the nation as surrogate of divinity; the victorious Olympian fighters of the present raise their native country, their race and flag{14}.

« How much Coubertin was aware of the pseudo religiosity of Olympic movement can be seen from the fact that he talks at another place of ‘true paganism’ and the ‘cult of man’. » {15}

Avery Brundage, who became in 1952 IOC President, is without doubt on Coubertin’s line. He used the term ‘religion’ in connection with sport and the Olympic movement in a similar sense as Coubertin. His most well-known statements from 1964 run under the headline « Olympian Movement – Religion of the Twentieth Century » through the media.

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« The Olympian movement is a religion of the 20th century, a religion with universal claim, which integrates all basic values of other religions. A modern, dynamic religion, attractive for the youth, and we of the International Olympic Committee are its disciples. Here is no longer any injustice of caste, race, family and money. One may search in the whole history and will find no system of principles that spread so far and so fast as Coubertin’s brilliant philosophy. He ignited the torch that will illuminate the world. » {16}

Beside Coubertin and Avery Brundage is – at least from the German view – to be mentioned Carl Diem. After Coubertin he contributed probably most to the matter which we call « rituals » and « ritual actions » with Olympiads. Diem sees himself as « Knight of the Grail » guarding Coubertin’s ideas, yes, as Coubertin’s « son », who on the occasion of a visit in the run-up of the Berlin Olympiad in 1936 « wanted like a son to get the father’s blessing » {17}. In 1944, on the occasion of the 50th anniversary of the IOC, he will write:

« Nowhere the perfect gift of our ingenious reviver is reflected more strongly than in the designing of the Olympic ceremonies, in the mental and artistic shaping of this thought, in the creation of genuine Olympic symbols which – I believe I can say this – lifted the entire sport upon a higher level. »{18}

From here it becomes understandable that Diem, just with his « creation » of the Berlin Olympiad 1936 in Coubertin’s sense, wanted to renew the mental substance of the Olympic movement. In his « message » at the end of the Berlin Olympiad Coubertin writes:

« Now Berlin has given it (i.e. Olympic movement) for all times the solemnity by daring, and with fullest success crowned enterprises, as there are: the torch-run with the Olympic fire, and the meeting at the first evening of the Games; both were engineered by my ingenious and enthusiastic friend Carl Diem. »{19}

Already by the preceding Olympiads the Olympic fires had been lighted

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in the different contest places. For Berlin however Diem had the idea to arrange the lighting of the fire as a solemn quasi-religious act:

« The flame of the XIth Olympiad … ‘was born’ in the holy grove of the antique Olympia … The sun of Greece, collected in the focus of a concave mirror of the German company Carl Zeiss, inflamed the torch in the hand of a ‘priestess’. » {20}

The idea of the Olympic torch run from Olympia to Berlin, in connection with that ceremony, is attributed time and again to Carl Diem. But the suggestion came obviously from the Propaganda Ministry in Berlin – a fact that is generally ignored by the Olympic movement. At any rate, Diem was anxious to get « higher solemnity » for the Olympic ceremony by the prestige of the antiquity. In the retrospect Diem writes that he had seen himself even tempted, that the torch was carried into the stadium by a « light god » with « divine buoyancy » {21}.

Even if Diem expressed himself later more reservedly, some of his remarks concerning an « Olympic religion » are nevertheless unmasking.

« Over the modern event of the « Olympiad lies the magic circle of the historical-old and the divine-pious … The things that open the celebration: Bell sound – fanfares – festive procession – choir singing – speech – oath – flags – pigeons – light symbol, all this means solemnity, equal-ranking to a church celebration without copying it, and a deep emotion is everywhere, quite comparable to a religious celebration hour » {22}.

It does no longer matter to honour Zeus, but everything stands under the pious belief to fulfil – in the secret sense of the festive play – a divine will, to stand with this sense of the play within the sense of the world: To be man, to be entirely man. With Olympia it is about a festivity, « with which people celebrate their being man, i.e. that more of life that is not exhausted in mastering the existence, but wants to share in the celestial, spiritual, eternal progress that makes us people to human beings » {23}.

Therefore it can also not surprise when – for Diem – the Olympiad represents the ‘day of faith’ in the holy springtime of the peoples: « This new world demanded a new man that had to be shaped by a new education. » {24} Diem wrote this sentence in summer 1944. A few months later, in March 1945, he will step before sixteen-year-old youths on the Reichssportfeld (stadium) in Berlin, to call on them by a « glowing speech – in which was so much of Sparta and self-sacrificing devotion – to the victorious final fight against Germany’s enemies »(25); Diem had obviously identified himself with the criminal order of the Leader, and had used a disfigured Olympic movement to motivate those doomed men.

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Sport – a Sense Conveying Action System?

In Coubertin’s and his epigones’ Olympic movement we meet the attempt to offer modern people a system of actions conveying sense. But this intention can be seen also in sport generally, the more so since the traditional religions – in particular Christianity – have seemingly lost more and more their moulding influence. Thereby is, on the part of sport, referred to the many positive values which got a high rank in today’s time. Inversely to sport are transferred tasks that actually belong into the field of other institutions: « It is to serve public health, moral and discipline, education and character formation, the social behaviour, national pride and commerce » {26}. By that are attributed to sport effects which overcharge it. Therewith it becomes also susceptible to ideology, and can be used for all possible tasks and by any interested party.

Apart from these rationally comprehensible fields into which today’s sport is pressed, other motivations shove themselves into the foreground. Running for example does not only serve health and well-being. Beyond that it serves « meditation training, mental perfection or religious illumination » {27}. The relevant impulses come usually from religious, but non-Christian sources. Above all eastern meditation techniques have to be named here. Many are looking for the desired « illumination » by running. Yes, one can see in the « expanding run culture » (manifesting itself in the many marathon races and in the jogging scene) a « reaction against a general social trend to ‘Entkörperlichung’ (disregard of the body) »; the body is, at is were, rediscovered. Thus it does not surprise, when « in the run event, but probably already in its physical and mental preparation and emotional long interpretation, the construction of sense, faith, and orientation systems » is seen{28}.

Elements of « Ecstasy » in Modern Sport

Today one hardly talks of religious elements in modern sport, although there is a set of phenomena which prove that the modern sport could « become still more comprehensively a ‘pseudo-religious mass movement’ as it is already the case today » {29}. This assumption resp. impression is substantiated by the phenomenon « ecstasy » in the modern sport – « ecstasy » understood as the ego’s stepping out of its borders with a strong participation of the emotions.

Remarkable, yes astonishing is the proximity to a certain type

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of pagan services in the antique world: the services of the mystery cults. These « services » aimed at impressing and overwhelming. The « faithful », the members of the « cult community » experience the « epiphany of the divine » by the extension of the senses, by the change of their consciousness by intoxication. Often it is introduced by fasting, night watches, and dance for hours up to trance, by poisons and stimulants, by physical injuries and pain, generally by feelings of delight. All these « procedures » are carefully religiously « administered », in order to bring about this « ecstasy », to cause the « epiphany of the divine ». « Ecstasy » is meant here completely literally: as stepping out of the profane and as gliding into the comprehensive numinous, divine being. It is a matter of trained motor-minded and toxic « ecstasies ». The loss of the external reality and the loss of self-control are the general characteristics of such a « being beside oneself », that usually takes place only in the guarding context of a cult group, for instance in the Dionysos cult.

If one looks in modern sport for the mentioned phenomena of « ecstasy », one cannot pass the so-called « adventure sport ». These « adventure sports » are today extremely liked, and are, as it were, the « dernier cri ». What does constitute the attractiveness of these kinds of sport: Canoeing, rafting, paragliding, ski runs with gradients of 60% and more? It is the so-called « kick », the thrill, which one wants to experience by ‘border experiences’ of deadly perils that are not only accepted but even desired. « Terms as ‘search for the ultimate kick’, ‘thrill’ and ‘risk experience’ advance to key words of the event boom in sport. » {30}

« With the ‘kick’ that one wants to experience and that is important, a new currency of satisfying sport- and self-experience wins, so to speak, recognition » {31}

Thereby, so one argues, it is about plumbing everything that is humanly possible – as a means to self-identification. As negative « examples » the canoeing accidents or the tragedies on Mount Everest may be mentioned. The highest mountain of the world and also the other eight thousand meter high mountains have almost become a tourist attraction; they are mounted no longer only by real top climbers and specialists. Today such « border events » are in demand; they are commercially offered; one can « buy » them on the event market.

Not only by the example of extreme mountaineering the euphoric « exceeding-oneself » can be proved. Such « flow experiences » are described as « absence of fear and stress also by extreme danger; one is oblivious of all around one, the Ego disappears, one experiences a union without distance and merges with the surrounding environment – ecstatic experiences of an ‘oceanic’ security in nature, which seem even religious ». This experience had a « large similarity to meditative experiences of crossing the frontiers of one’s own being »; yes, one believes that one can see by those extreme mountain climbers a « kind of obsession

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for transcendence experiences in the mountains ». Thereby the danger is not to be underestimated, « that any form of falling into a trance-transcendence of the everyday consciousness can assume the features of addiction » {32}. The « kick » looked for by the protagonists of this kind of extreme sports, is obviously the enhancement of the individual « fun motive »; it reminds of experiences of drug consume, and « appears as the last stage of self-delight, respectively of anti-social self-realization » {33}.

In the world annually twenty internationally well-known marathon races take place, which attract up to 25.000 participants each. What constitutes the attractiveness of these runs? For most people it is certainly not the prize money; and it is for certain also not the aspect of health; then it would be better and less strenuous to care otherwise for one’s health. It is medically proved that by strain, and a marathon race is strain, after approximately twenty five kilometres a pain threshold is reached, which is met by the body by production of body-own endorphins, i.e. of body-own morphin. The runners become « high ». The medical profession speaks of a real « craving », and of « becoming addicted »: the runners just intend to « become high ». Those who constantly run longer distances, become addicted, and experience by going off the « drug running » actual withdrawal symptoms. One may ask the question, what differentiates this « becoming high » by body-own endorphins from an ecstasy-intoxication.

Here we do not deal with the various inciting drugs (like ephedrine or amphetamine), also not with the use of anabolic steroids (which have an aggression intensifying effect), of marijuana and cocaine, which are obviously popular in ball sports. Only in passing be referred to the public at big sporting meetings. Here it is not only about the « identification » with the sporting heroes. The « getting beside oneself », the merging in the mass of like-minded, and the merging in the moment are obvious: sport is indeed the « arena of the now ». Here too « poisons » intensify the merging in the moment: drugs, alcohol etc. The modern sport proves obviously as the new « opiate for the people ».

The Trend to the Total

The « trend to the total » in modern sport, to the « occupation » of those who do sport becomes apparent first in the fact that above all physical fitness and health moved into the centre of interest.

« Health, physical fitness and soundness are the socially accepted attributes (capable of securing a majority) of the dynamic, juvenile, successful man who remained and will remain young … Health got a central value in our performance-oriented society. » {34}

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A physician formulates it still more drastic: « Health is the highest good of a society which is looking for its welfare chiefly in this life. » {35} Going in for sports becomes a ritual health activity, by which one is convinced that it will automatically lead to health. The post-modern people want seemingly to outfox their limitedness and finiteness by a cult of health and fitness – this too is a symptom for the « secularization of the paradise », and its transfer into the earthly existence.

All the more the « trend to the total » appears in today’s top-performance sport. The top-class sportswoman subordinates her/his whole conduct of life to the aim ‘sporting performance’, in a way hardly imaginable for the sporting laywoman. Training and sporting contest become an action maxim of first order. By this fixation on only one perspective and by this total orientation towards a presentable performance or success, and by the necessary readiness for a total psycho-physical engagement it is not only about the enormous temporal expense, but also about the affective-emotional reference to the sporting performance. « Those who are so engaged have often hardly any strength to be impressively active elsewhere and otherwise »; the top-performance sportswoman is « to a large extent a human being occupied by sport » {36}. Hence s/he is « possessed » by her/his sport. These facts are called « attention focusing on sport »{37} and « ‘Totalisierung’ (make absolute) the sportswoman role »{38}. Needs and interests, school and occupation, spare time and vacation, nutrition and recovery, friendship, sexuality and privacy, world view and social-cultural commitment are subordinated to the necessities of sport – with the inevitable consequence that people are completely absorbed by sport, and are allowed no further activities. « The less time remains for other things the more important become sporting activities as sense causing centre of one’s own identity » {39}.

It might be clear that in view of such a priority setting and such a « value scale » everything is subordinated to the sporting success, e.g. also the negative subsequent effects concerning the physical health. Health damage is almost constituent for high-performance sport. The top-performance sportswoman does not only move in biological, but in pathogen frontier.

« In most sporting disciplines top-performances can be achieved only after heaviest training labour over months and years, in certain cases one feels automatically reminded of the material abrasion tests in the industry. » {40}

The final product is, as you know, scrap material. « Top-performance sport exceeds – negligently or consciously – the limits of a usable or justifiable state of health. » {41} In view of the priorities valid in top-performance sport the much-praised sporting fairness fails all the more.

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« Fair play appears as ‘success prevention mechanism’ against this background » {42}. Then for instance doping (in its various variants) is justified. Hence doping is a problem essentially caused by the system code ‘top-performance sport’. It is clear that the commercialization of the « commodity sport » will still strengthen these negative sides. Under the laws of the market the solution of the doping problem moves into an unattainable distance – unless the doping means are generally allowed.

With this a further moment is connected, which is typical for any ideology. It is the excluding, respectively the fading out of any fundamental criticism or questioning of the « system sport ». System foreign discussion participants are often simply ignored. That means: the « sympathizers » or « fundamentalists » are among themselves. All of them pretend to live naturally « for » the sport. But there are mostly people concerned who live « on » the sport; who have therefore an elementary and material interest in sport. However that may be, from « lobbyists » one can expect only an endorsement, if necessary a « partial » criticism. Above all the functionaries are keen on the keeping of their privileges. The athletes are thereby the « useful idiots », who are kept in good mood by appropriate bonuses.

The Religious Garments of Sport

Does today’s sport represent a « secular religion »? The religious « garments », the religious « symbols » and « rituals », as they are not only used by Olympiads, may not mislead about the fact that the modern sport is not a « religion » in the actual sense. These « symbols » and « rituals » are only « borrowed ». The Olympiads are no longer organized in honour of gods. « Religion » is rather used as instrument. The religious feelings and energies of man are directed to a different object. « In Olympia man celebrates itself. A religion without God leads to the divinisation of human beings and of their performance. » {43} This « idolization » of man respectively the « attempt to mythologize the sport »{44} found its classical expression in Coubertin’s « Ode to the Sport ». It is about the « cult of man ».

Also beyond the range of the Olympiads one cannot discover in today’s sport (both in the « adventure sports » and in the sport done as contest in mass and top-performance sports) « expressions » of transcendence: not even in the sense of a « cultural transcendence », let alone in the sense of an actually « religious transcendence ». « The sport belongs to the secular everyday ways of life. … It represents them in an almost exemplary way. … Experiences of wholeness are not to be won by sport. » {45}

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In today’s sport it is about the « cult of man »; about the « New Man » who is to develop by sporting activity. This becomes more than obvious in the absence or in the fading out of the things that belong to the nature of religions: the fading out of the aspect « accomplishment of contingency » – contingency understood as finiteness and insufficiency of the human life, to which, of course, belong illness, wrong and death, guilt and failure. The absence of just this aspect proves therefore the « sport religion » as deficit. Yes, it is even impossible to « complete » the « sport religion ». Occasionally one gets the impression that in the sporting activity is expressed the effort of people to get the better of finiteness; as it were, to be able to « run away » from illness, wrong and death. But you can neither ignore nor run away from human contingency. Nevertheless today’s sport takes incontestably advantage of a tendency in modern society: those vague desires and longings of human beings for a sense in life, for identification with « heroes », yes, for « light figures » with quasi-salvation functions. « A part of the partly disappointed, partly unsatisfied religious need has diffused into sport » {37}.

The modern sport movement is a « partial ideology ». As « partial » it is in danger or temptation to follow « large ideologies », yes, even to sell itself to them – as the past has sufficiently shown. Yes, the modern sport movement is a kind « totalitarian system », because it reduces the « total reality » to certain aspects: a « part » of reality is announced as « whole » (= totum). The « salvation promises » of sport that are based on it, are deceitful and insufficient. Mere tension maximization and desire satisfaction in sporting activity as well as the tasting to the full of body-referred intense experiences, the « just for fun »: all that only addresses the senses but is still no « sense address ». « We do not find the sense of life in sport only. Those who still believe it will ultimately find emptiness there » (47).

Notes

(0) The contribution represents the revised version of a paper: A. Koch: Der moderne Sport – eine säkularisierte Religion? In: W. Schwank (inter alia Ed.): Begegnung. Schriftenreihe zur Geschichte der Beziehung von Christentum und Sport, vol. 2. Aachen 2000, p. 35-50.

(1) W. Rothe, Sport u. Literatur in den Zwanzigerjahren, in: Stadion 7 (1981) 131-151.

(2) See my detailed explanation: Der moderne Sport – eine säkularisierte Religion?, in: Begegnung. Schriftenreihe zur Geschichte der Beziehung von Christentum u. Sport. Volume 2, edited by W. Schwank and others (Aachen 2000) 35-50.

(3) G. Küenzlen: Der Neue Mensch. Zur säkularen Religionsgeschichte der Moderne (München 1994) 20.

(4) About the concept « Sport » see J. Dieckert: Probleme des Sports und der Leibeserziehung (Frankfurt 1970) 126 et sequ.

(5) K. Weis: Sport und Religion, in: Soziologie des Sports, edited by J. Winkler and others (Opladen 1995) 129.

(6) P. de Coubertin, Der Olympische Gedanke (Schorndorf 1967) 52.

(7) The same, Olympische Erinnerungen (Frankfurt 1959) 217 et sequ.

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(8) The same, Gedanke (note 6) 137.

(9) The same, Erinnerungen (note 7) 222.

(10) ibid. 207.

(11) J. Moltmann, Olympia zwischen Politik und Religion, in: Concilium 25 (1989) 432-437, 433.

(12) Coubertin, Gedanke (note 6) 133.

(13) ibid. 47 et sequ.

(14) See H. Bernett, Symbolik und Zeremoniell der XI. Olympischen Spiele in Berlin 1936, in: Sportwissenschaft 16 (1986) 364.

(15) B. Wirkus, « Werden wie die Griechen » – Implikationen, Intentionen und Widersprüche im Olympismus Pierre de Coubertins, in: Stadion 16 (1990) 119.

(16) Quoted from M. Hörrmann, Religion der Athleten (Stuttgart 1968) 22.

(17) C. Diem, Ein Leben für den Sport (Ratingen 1974) 163.

(18) The same, Gedanken zur Sportgeschichte (Schorndorf 1965) 20.

(19) Coubertin, Gedanke (note 6) 156.

(20) Bernett (note 14) 370.

(21) C. Diem, Ausgewählte Schriften. volume 1 (St. Augustin 1982) 196.

(22) The same, Ewiges Olympia (Minden 1948) 10.

(23) The same, Spätlese am Rhein (Frankfurt 1957) 68.

(24) The same, (note 8) 8.

(25) Bernett (note 14) 394.

(26) Weis (note 5) 132.

(27) ibid. 142.

(28) ibid. 148.

(29) H. Digel, Über den Wandel der Werte in Gesellschaft, Freizeit und Sport, in: DSB (ed.): Die Zukunft des Sports, edited by DSB (Schorndorf 1986) 41.

(30) H. Allmer, « Erlebnissport – Erlebnis Sport » – mehr als Wortspielerei, in: Brennpunkte der Sportwissenschaft 9 (1995) No. 1 and 2, 3.

(31) V. Rittner: Sport in der Erlebnisgesellschaft. In: Brennpunkte der Sportwissenschaft 9 (1995), No. 1 and 2, p. 29.

(32) W. Schleske, Grenzerfahrungen in den Erlebnissportarten, in: Sport an der Wende, edited by S. Riedl and others (Wien 1991) 88 f.

(33) J. Thiele, « Werde ich zum Augenblicke sagen: verweile doch! Du bist so schön. », in: Brennpunkte der Sportwissenschaft 9 (1995) No. 1 and 2, 115.

(34) G. A. Pilz, Sport und Gesundheit, in: Sport und Gesundheit, edited by D. Küpper and others(Schorndorf 1991) 111.

(35) R. Rost, Gesundheit und Gesundheitserziehung, in: Brennpunkte der Sportwissenschaft 1 (1987) 60.

(36) M. Steinbach, Der Hochleistungssport, in: Rekorde aus der Retorte, edited by A. Natan (Stuttgart 1972) 52 et sequ.

(37) K.-H. Bette and U. Schimank, Doping im Hochleistungssport (Frankfurt 1995) 113.

(38) ibid. 285.

(39) ibid. 113 et sequ.

(40) H. Krahl, Orthopädie und Sportmedizin, in: Sportärztliche und sportpädagogische Betreuung, edited by A. Claus (Erlangen 1978) 209.

(41) T. Wessinghage, Kinder und Hochleistungssport aus orthopädischer Sicht, in: Kinder und Jugendliche im Hochleistungssport, edited by R. Daugs and others(Schorndorf 1998) 250.

(42) Bette u. Schimank (note 37) 218.

(43) Moltmann (note 11) 435.

(44) B. Wirkus, Olympismus als Geschichtsphilosophie und Ideologie, in: Stadion 18 (1992) 320.

(45) ibid. 320 f.

(46) D. Mieth, Jenseits aller Moral – Ersatzreligion Sport, in: Sportwissenschaft 27 (1997) 181.

(47) quoted after G. Drexel, Existentielle Krise und sportanthropologisches Denken, in: Für einen besseren Sport, edited by H. Gabler and others (Schorndorf 1990) 235.

Voir enfin:

Linsanity brings to mind first Asian-American NBA player

 John Daley

KSL.com

February 26th, 2012

SALT LAKE CITY — Jeremy Lin, the Harvard-educated New York Knicks player, is unusual. An NBA star of Taiwanese descent, he’s leading the team on a surprising run of wins. But the first Asian-American in the league was a Utahn whose parents were Japanese.

Wat Misaka’s story goes back to the University of Utah, during World War II-era, but he’s recently been interviewed by outlets from NPR to NBC, thanks to the surprise emergence of NBA start Jeremy Lin. Misaka also played for the Knicks, and on a visit back to Madison Square Garden was surprised to see that the first team plaque on the wall was from 1947, and it had Misaka’s name on it.

He started on a University of Utah team that won two national championships, including one in 1944, while the U.S. was still at war with Japan and other Japanese- Americans were living in internment camps. At times, Misaka endured hateful comments from the crowd.

« I just chose to ignore it all, » Misaka said. « I felt like it would do me no good at all to dwell on that and let it bother me. »

Misaka won over crowds and teammates with his energetic defensive intensity.

« We won the NIT championship with a 5’7″ center, » said teammate Arnie Ferrin. « That’s pretty good isn’t it? »

« In the forties the game was a lot slower than it is today, » said Bill Marcroft, a U. broadcaster. « But with Wat, his energy and his boundless enthusiasm stood out because nobody else played that way. »

Misaka is a humble man. Looking back now, he prefers to focus on friends he made — like teammate Arnie Ferrin — rather than his own personal accomplishments. Meanwhile, a new book is out about the U of U. team from 1944, called « Blitz Kids, » which has sold movie rights for the story.

John Daley, Reporter

John Daley is a reporter with KSL-TV and the Deseret News specializing in political, investigative and transportation issues.


Inventions: Le néon est centenaire et français (Who’s afraid of red, yellow and blue?)

23 février, 2012
My eyes were stabbed by the flash of a neon light that split the night … Paul Simon

A l’occasion de la première grande exposition internationale consacrée au néon (sous le titre d’une oeuvre du peintre américain Barnett Newman reprise par le néoniste italien Maurizio Nannucci) à La Maison Rouge de Paris (rue de Bastille) …

Retour sur l’invention centenaire et française du néon

Inventée, comme souvent par accident, par le chimiste (et futur pétainiste et collabo, d’où peut-être son long purgatoire?) Georges Claude (fabricant des lampes du même nom et fondateur de la multinationale Air liquide) cherchant à s’amuser avec les gaz rares restant de sa production de gaz liquéfié.

Et ce dès 1910 à l’Exposition Universelle de Paris mais installée sous forme d’enseigne lumineuse commerciale que deux ans plus tard pour un coiffeur de la rue Montmartre (le Palais barbier).

Avant son arrivée et la fortune que l’on sait  aux Etats-Unis en 1923 avec l’enseigne Packard d’un certain Earl C. Anthony de Los Angeles …

Et déjà, grâce à l’utilisation de poudres phosphorescentes, bien au-delà des couleurs originelles du rouge (néon) et du bleu (argon) …

 Une invention longtemps restée dans l’ombre

Philippe Dagen

Le Monde

18.02.12

Ce n’est pas le moindre intérêt de l’exposition que de poser une question inattendue : pourquoi les artistes ont-ils tant tardé à s’apercevoir des capacités du néon ? On se tromperait en effet en supposant que ses premiers usages artistiques auraient suivi de près son invention. Loin d’être une nouveauté des années 1960, le néon est centenaire. Il a été présenté au public pour la première fois en 1910, à Paris, au Grand Palais, lors d’un Salon de l’automobile.

Son inventeur était un savant français, Georges Claude, qui ne cherchait rien de tel. Son but était de produire de grandes quantités d’oxygène afin d’en réussir la liquéfaction. Isolant l’oxygène de l’air, il avait isolé des quantités – plus faibles naturellement – de ces gaz rares qui se trouvent aussi dans l’atmosphère, hélium, argon, krypton et néon. Tentant une expérience de physique amusante, il eut alors la curiosité de faire passer un courant électrique dans un tube contenant du néon, il découvrit ainsi fortuitement cette clarté d’un genre nouveau. Ayant mesuré combien elle intéressait les visiteurs du Grand Palais, il fonda la société des Lampes Claude, et il installa le premier néon publicitaire au monde en 1912, au 14 du boulevard Montmartre, pour attirer l’attention des passants sur le Palais Barbier – un coiffeur.

Suivit, sur les Champs-Elysées, une réclame pour l’apéritif Cinzano, lettres de néon blanc de 1 mètre de haut. Rodin ou Monet purent les voir, mais aussi Picasso, Léger ou Duchamp. Ces amateurs d’inventions modernes qui se passionnaient autant pour l’aviation que pour le cinéma ne s’intéressèrent pas au néon. Peut-être parce qu’ils crurent que cette technique était trop délicate pour se prêter à des détournements esthétiques.

Indifférence des artistes

Le plus étrange est que l’indifférence des artistes a duré tout au long de l’entre-deux-guerres. Or, des années 1920 aux années 1930, toutes les métropoles, Berlin et New York, Londres et Paris, voient se multiplier les néons publicitaires le long des avenues et jusque sur les toits des immeubles. Circonstance aggravante : dans ces décennies, photographes et cinéastes n’en finissent pas de tirer parti du néon dans la ville.

Quoi de plus dansant que les reflets inversés des lettres lumineuses dans les flaques ou sur le bitume mouillé des rues ? Quoi de plus inquiétant que l’auréole des enseignes flottant dans le brouillard ? Peut-être ce succès explique-t-il en partie la méfiance des avant-gardes, qui se seraient convaincu que ce matériau n’était bon que pour la réclame et les arts mécaniques ?

L’oeuvre la plus ancienne que révèle l’exposition est celle de Gyula Kosice, de 1946 : un dessin de néon bleu pâle sur un support bleu sombre aux angles géométriquement découpés. Et encore a-t-il fallu attendre le début des années 1960 pour que le néon pénètre vraiment dans les ateliers et les galeries – un demi-siècle exactement après son invention.

http://www.lemonde.fr/culture/article/2012/02/18/les-neons-illuminent-la-maison-rouge_1645268_3246.html#ens_id=1645010

Critique

Les « Néons » illuminent la Maison rouge

Le Monde

18.02.12

L’idée est tellement évidente qu’il est peu compréhensible qu’aucun musée ne l’ait eue jusqu’ici : s’intéresser aux usages artistiques du néon. Tout visiteur de musée d’art contemporain et de foire y a vu des Flavin, des Morellet ou des Merz qui ont pour point commun ce matériau. Les néons artistiques s’ils ne sont pas tout à fait aussi communs que les néons publicitaires qui désignent autant les bars que les pharmacies – ne surprennent plus depuis longtemps. Or cette histoire n’avait encore jamais été étudiée pour elle-même, de sorte que l’exposition de la Maison rouge peut se flatter d’être une première mondiale.

Pourquoi ? On ne serait pas surpris que musées et fondations aient été découragés par des inquiétudes techniques. Le néon, ça se brise ou ça fuit et, le gaz s’échappant, la lumière meurt. De surcroît, une telle exposition exige de ceux qui l' »accrochent » des compétences sérieuses. Il faut des électriciens et des « néonistes » impeccables. Sinon, il est facile d’imaginer le drame, la panne ou, pire, l’erreur fatale, telle celle d’un marchand américain à la foire de Bâle. Son stand installé, il voulut brancher ses Flavin. Un détail lui avait échappé : ils avaient été conçus aux Etats-Unis pour fonctionner en 110 volts. Les 220 volts du réseau helvétique les pulvérisèrent instantanément. Coûteuse bévue.

Rien de tel ne s’est produit à la Maison rouge, grâce en soit rendue à l’équipe technique, qui a su disposer et allumer les 108 oeuvres de 83 artistes différents dans les salles. Ces chiffres suffisent à indiquer l’ampleur de la vogue du néon, d’autant que la quasi-totalité des pièces date du dernier demi-siècle et la majorité des vingt dernières années. Des artistes de toutes nationalités et toutes générations s’en sont emparés. Et c’est là qu’apparaît la deuxième difficulté : impossible de se contenter de dresser un inventaire classé dans l’ordre chronologique, par continents ou – pourquoi pas – par couleurs, tous les néons rouges d’un côté, les blancs d’un autre, les bleus d’un troisième. Pour être convaincante, l’exposition doit montrer que l’emploi du néon va de pair avec d’autres caractéristiques, avec d’autres choix.

 La réussite de « Néon » ne tient donc ni à son abondance, ni même aux raretés qu’elle révèle, ni même à la splendeur visuelle de bien des pièces, mais à la façon dont est mise en évidence la poétique propre à ce matériau, quelle que soit la forme de l’oeuvre.

Avec ces tubes, on peut écrire ou dessiner. Peu importe cette distinction cependant : écrites ou dessinées, la plupart des pièces réunies sont toutes empreintes d’un certain esprit de dérision – explicite ou sous-entendu. Autrement dit, si tonalité propre au néon il y a, elle oscille entre absurde et funèbre. Que l’on considère trois artistes fort différents : Jean-Michel Alberola, né en 1953, Stefan Brüggemann, né en 1975 , Kendel Geers, né en 1968. Alberola écrit « rien » en néon bleu, de telle façon que les lettres évoquent le contour d’un crâne humain.

Brüggemann annonce en capitales blanches sur fond noir : « This work should be turned off when I die. » Geers trace en rouge « TERROR » et le « T » clignote, faisant apparaître « ERROR ». Quant à Tracey Emin, son « Just love me » est-il une supplique ou sa parodie ?

Remarquer que néon et lettres vont de pair dans plus de la moitié des oeuvres ne suffit donc pas. Il faut lire – et on lit beaucoup dans l’exposition, en anglais, français et même latin – pour sentir combien ce qui est écrit cherche ou avoue la blessure, dénonce ou désespère. « Black and Die » en lettres noires pour l’artiste afro-américain Glenn Ligon : la référence est évidente. « Sous les pavés la plage », à déchiffrer à l’envers, pour l’Israélienne Miri Segal : c’est aussi clair.

L’inquiétude n’a cependant pas nécessairement besoin de se confesser en toutes lettres. Elle se donne à voir quand Monica Bonvicini joue de l’éblouissement et Laurent Grasso de l’éclipse. L’une aveugle le visiteur, l’autre lui dérobe la lumière qu’il attendait. Michel François photographie la fin inévitable de l’histoire : un tube brisé. Car c’est évidemment cette peur qui hante toute pièce en néon, cette idée qui l’habite : celle du fragile, de l’éphémère. Il suffirait de peu pour qu’elle meure. Il n’est pas anodin que la première oeuvre en néon produite en Europe soit un tourbillon suspendu, dessiné par Lucio Fontana, forme vouée à disparaître, forme d’un instant.

Il n’est pas plus surprenant que le néon s’entende particulièrement bien avec l’ironie et la parodie. François Morellet, Bertrand Lavier et John Armleder le rappellent chaque fois qu’ils fabriquent, avec des tubes destinés à la publicité ou à l’éclairage industriel, des abstractions qui n’ont plus rien de la pureté éternelle à laquelle Mondrian aspirait. Ce seraient plutôt des monstres, nés de l’alliance improbable de l’industrie et de l’utopie, de l’idéal et de la série. Au début des années 1960, Dan Flavin n’a-t-il pas d’abord pratiqué le néon pour se démarquer froidement de l’expressionnisme abstrait, sublime selon Rothko ? Martial Raysse, au même moment, ne s’est-il pas emparé des inscriptions commerciales les plus triviales pour les insérer dans des collages rehaussés d’objets en plastique et de couleurs fluo ? Le néon était alors l’agent inoculant la vulgarité du quotidien au « grand art ». Bruce Nauman a fait de même quelques années plus tard en traduisant en néons clignotants des graffitis obscènes.

Décidément, le néon n’est pas innocent. Ceux qui s’en servent ne lui demandent pas de charmer les regards mais de troubler les esprits. Ainsi l’artiste galloise Bethan Huws a-t-elle eu l’idée perverse de faire réaliser un double du Porte-bouteilles de Duchamp en néon rose. Mais qu’est-ce donc qu’un ready-made choisi pour la banalité de son métal et de sa forme convertie en objet précieux et étincelant ? Un monstre encore, un paradoxe extrême, une vanité peut-être surtout.

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« Néon », La Maison rouge, 10, boulevard de la Bastille, Paris 12e. Sur le Web : Lamaisonrouge.org. Du mercredi au dimanche de 11 heures à 19 heures, le jeudi jusqu’à 21 heures, jusqu’au 20 mai. Entrée : 7 euros.

Une invention longtemps restée dans l’ombre

Publié par : Temey, le Dimanche 19 Février 2012 – 00:00

CE N’EST PAS LE MOINDRE INTÉRÊT de l’exposition que de poser une question inattendue : pourquoi les artistes ont-ils tant tardé à s’apercevoir des capacités du néon ? On se tromperait en effet en supposant que ses premiers usages artistiques auraient suivi de près son invention. Loin d’être une nouveauté des années 1960, le néon est centenaire. Il a été présenté au public pour la première fois en 1910, à Paris, au Grand Palais, lors d’un Salon de l’automobile.

Son inventeur était un savant français, Georges Claude, qui ne cherchait rien de tel. Son but était de produire de grandes quantités d’oxygène afin d’en réussir la liquéfaction. Isolant l’oxygène de l’air, il avait isolé des quantités – plus faibles naturellement – de ces gaz rares qui se trouvent aussi dans l’atmosphère, hélium, argon, krypton et néon. Tentant une expérience de physique amusante, il eut alors la curiosité de faire passer un courant électrique dans un tube contenant du néon, il découvrit ainsi fortuitement cette clarté d’un genre nouveau. Ayant mesuré combien elle intéressait les visiteurs du Grand Palais, il fonda la société des Lampes Claude, et il installa le premier néon publicitaire au monde en 1912, au 14 du boulevard Montmartre, pour attirer l’attention des passants sur le Palais Barbier – un coiffeur


Livres: Attention, une apocalypse peut en cacher une autre (Behold, your house is left unto you desolate)

21 février, 2012
Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. Car je suis venu mettre la division entre l’homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère; et l’homme aura pour ennemis les gens de sa maison. Jésus
Vous entendrez parler de guerres et de bruits de guerres: gardez-vous d’être troublés, car il faut que ces choses arrivent. Mais ce ne sera pas encore la fin. Une nation s’élèvera contre une nation, et un royaume contre un royaume, et il y aura, en divers lieux, des famines et des tremblements de terre.Tout cela ne sera que le commencement des douleurs. Alors on vous livrera aux tourments, et l’on vous fera mourir; et vous serez haïs de toutes les nations, à cause de mon nom. Jésus
Voici, votre maison vous sera laissée déserte. Jésus
Ce sont les enjeux ! Pour faire un monde où chaque enfant de Dieu puisse vivre, ou entrer dans l’obscurité, nous devons soit nous aimer l’un l’autre, soit mourir. Lyndon Johnson (1964)
La mondialisation engendre une fragilité qui se répercute en cascade tout en diminuant la volatilité et en créant une apparence de stabilité. En d’autres termes, la mondialisation produit des Cygnes Noirs foudroyants. Nous n’avons jamais vécu sous la menace d’un effondrement général. Jusqu’à présent, les institutions financières ont fusionné, donnant naissance à un nombre plus restreint de très grandes banques. Maintenant, les banques sont pratiquement toutes liées entre elles. Ainsi l’écologie financière est-elle en train d’enfler pour former des banques bureaucratiques gigantesques, incestueuses (souvent « gaussianisées » en termes d’évaluation des risques) – la chute de l’une entraîne celle de toutes les autres. La concentration accrue des banques semble avoir pour effet de rendre les crises financières moins probables, mais quand elles se produisent, c’est à une échelle plus globale et elles nous frappent très cruellement. Nous sommes passés d’une écologie diversifiée de petites banques, avec différentes politiques de prêt, à un ensemble plus homogène de sociétés qui se ressemblent toutes. Certes, nous enregistrons maintenant moins d’échecs, mais quand ils se produisent… Cette pensée me fait frémir. Je reformule mon idée : nous allons avoir moins de crises, mais elles seront plus graves. Plus un événement est rare, moins nous connaissons les chances qu’il a de se produire. Autrement dit, nous en savons toujours moins sur les possibilités qu’une crise a de survenir. Nassim Taleb
L’Apocalypse fut un écrit de circonstance, destiné à réconforter les chrétiens par temps de persécution et à prédire la ruine de l’ « Antéchrist », Néron actuellement régnant et dans son acmé. Il se promenait en Grèce, tout près de Patmos, lorsque Jean mettait par écrit sa prophétie, dans les années 66-67 de notre ère. On s’explique que ce livre, appelé à circuler sous le manteau, fut rédigé dans un langage symbolique et même chiffré. Wikipedia
C’est un problème universel. Notre réseau [l’ONG Portes ouvertes affiliée au réseau international Open Doors] évalue à 400 000 le nombre de chrétiens soumis à des restrictions de libertés. Cela va de la discrimination jusqu’à la persécution. La Corée du Nord illustre la situation extrême : sur 400 000 croyants, 70 000 sont enfermés dans des camps de travail. Lorsque j’ai commencé à travailler sur le sujet il y a 25 ans, nous entendions rarement parler de personnes tuées à cause de leur foi. Nous travaillions alors principalement en Europe de l’est, dans les régimes du Rideau de fer. Aujourd’hui, les persécutions sont devenues très violentes et nous voyons régulièrement des attaques comme dimanche au Nigéria, où des tueries visent directement les chrétiens. Chaque année, nous réalisons un index de persécution dans lequel nous répertorions les pays où les chrétiens sont le plus persécuté. Depuis une dizaine d’années, la Corée du Nord reste le pays où il y a le moins de libertés pour les croyants. Si l’on découvre que vous croyez en Dieu, sans même envisager d’aller dans une église, vous êtes interné dans un camp où l’on vous fera travailler jusqu’à la mort. Il existe quatre églises à Pyongyang qui ne sont là que pour assurer la propagande du régime auprès des touristes. (…) L’islam radical est le premier grand persécuteur de l’Eglise. Dans des pays comme l’Iran, l’Irak, l’Afghanistan, le Nigéria, le Moyen-Orient en général, les chrétiens sont souvent la cible de persécution de la part des extrémistes. Il est particulièrement difficile pour un musulman de se convertir au christianisme. Les convertis subissent une pression énorme de la part de leurs familles, des autorités religieuses locales et parfois même de l’Etat. Cette discrimination s’applique aussi à des courants chrétiens vieux comme le monde. C’est le cas des coptes en Egypte qui subissent pressions et violences. L’autre grand persécuteur de l’Eglise, c’est le communisme. Il considère que la religion est l’opium qui endort le peuple et vise à libérer la société de toute religion. Je passe le cas de la Corée du Nord où le communisme a dérivé en un culte à la personnalité du chef de l’Etat. Dans d’autres pays communistes comme le Vietnam, la Chine ou Cuba, il y a toujours des discriminations contre l’Eglise. Ce ne sont plus les persécutions d’il y a vingt ou trente ans mais le manque de liberté reste manifeste. En Chine, les églises qui refusent de se soumettre au contrôle officiel de l’Etat, sont soumises à des arrestations et des pressions. Les limites sont strictes et toute sortie de ce cadre est dangereuse. Pékin cherche des moyens de contrôler les chrétiens. Des événements comme les Jeux olympiques ou la foire internationale ont été utilisés pour reprocher leur taille à certaines églises. Ils ont peur d’une Eglise indépendante et libre. Michel Varton
La prophétie de malheur est faite pour éviter qu’elle ne se réalise; et se gausser ultérieurement d’éventuels sonneurs d’alarme en leur rappelant que le pire ne s’est pas réalisé serait le comble de l’injustice: il se peut que leur impair soit leur mérite. Hans Jonas
Pourquoi l’activisme contre les OGM de Greenpeace est-il quasi absent aux États-Unis (où se concentrent 50 % des cultures OGM) et si virulent en Europe (où la culture des OGM est marginale) ? (…) Le mensonge a changé de camp. Du pouvoir politique et des industriels, il a gagné […] le contre-pouvoir. Jean-Claude Jaillette
 Interdire le DDT a tué plus de personnes qu’Hitler. Personnage d’un roman de  Michael Crichton (State of Fear, 2004)
Plus la guerre froide s’éloigne, plus le nombre de conflits diminue. (…) il n’y a eu ainsi en 2010 que 15 conflits d’ampleur significative, tous internes. (…)  Grosso modo, le nombre de conflits d’importance a diminué de 60% depuis la fin de la guerre froide (…) outre le fait que les guerres sont plutôt moins meurtrières, en moyenne, qu’elles ne l’étaient jusque dans les années 1960, cette réduction trouve sa source essentiellement dans la diminution spectaculaire du nombre de guerres civiles. La fin des conflits indirects entre l’Est et l’Ouest, l’intervention croissante des organisations internationales et des médiateurs externes, et dans une certaine mesure le développement économique et social des États, sont les causes principales de cette tendance. S’y ajoutent sans doute (…) des évolutions démographiques favorables. Bruno Tertrais
Imaginez que [Fukushima] se soit produit dans un pays non-développé: le nombre de morts aurait été de 200 000. Le développement et la croissance nous protègent des catastrophes naturelles. Bruno Tertrais
Longtemps, les divinités représentèrent le lieu de cette extériorité. Les sociétés modernes ont voulu s’en affranchir: mais cette désacralisation peut nous laisser sans protection aucune face à notre violence et nous mener à la catastrophe finale. Jean-Pierre Dupuy
Nous vivons à la fois dans le meilleur et le pire des mondes. Les progrès de l’humanité sont réels. Nos lois sont meilleures et nous nous tuons moins les uns les autres. En même temps, nous ne voulons pas voir notre responsabilité dans les menaces et les possibilités de destruction qui pèsent sur nous. René Girard
Les événements qui se déroulent sous nos yeux sont à la fois naturels et culturels, c’est-à-dire qu’ils sont apocalyptiques. Jusqu’à présent, les textes de l’Apocalypse faisaient rire. Tout l’effort de la pensée moderne a été de séparer le culturel du naturel. La science consiste à montrer que les phénomènes culturels ne sont pas naturels et qu’on se trompe forcément si on mélange les tremblements de terre et les rumeurs de guerre, comme le fait le texte de l’Apocalypse. Mais, tout à coup, la science prend conscience que les activités de l’homme sont en train de détruire la nature. C’est la science qui revient à l’Apocalypse. René Girard
La religion doit être historicisée : elle fait des hommes des êtres qui restent toujours violents mais qui deviennent plus subtils, moins spectaculaires, moins proches de la bête et des formes sacrificielles comme le sacrifice humain. Il se pourrait qu’il y ait un christianisme historique qui soit une nécessité historique. Après deux mille ans de christianisme historique, il semble que nous soyons aujourd’hui à une période charnière – soit qui ouvre sur l’Apocalypse directement, soit qui nous prépare une période de compréhension plus grande et de trahison plus subtile du christianisme.
Oui, pour moi l’Apocalypse c’est la fin de l’histoire. (…) L’Apocalypse, c’est l’arrivée du royaume de Dieu. Mais on peut penser qu’il y a des « petites ou des demi-apocalypses » ou des crises c’est-à-dire des périodes intermédiaires… (…) Il faut prendre très au sérieux les textes apocalyptiques. Nous ne savons pas si nous sommes à la fin du monde, mais nous sommes dans une période-charnière. Je pense que toutes les grandes expériences chrétiennes des époques-charnières sont inévitablement apocalyptiques dans la mesure où elles rencontrent l’incompréhension des hommes et le fait que cette incompréhension d’une certaine manière est toujours fatale. Je dis qu’elle est toujours fatale, mais en même temps elle ne l’est jamais parce que Dieu reprend toujours les choses et toujours pardonne. 
 Je me souviens d’un journal dans lequel il y avait deux articles juxtaposés. Le premier se moquait de l’Apocalypse d’une certaine façon ; le second était aussi apocalyptique que possible. Le contact de ces deux textes qui se faisaient face et qui dans le même temps se donnaient comme n’ayant aucun rapport l’un avec l’autre avait quelque chose de fascinant. 
Nous sommes encore proches de cette période des grandes expositions internationales qui regardait de façon utopique la mondialisation comme l’Exposition de Londres – la « Fameuse » dont parle Dostoievski, les expositions de Paris… Plus on s’approche de la vraie mondialisation plus on s’aperçoit que la non-différence ce n’est pas du tout la paix parmi les hommes mais ce peut être la rivalité mimétique la plus extravagante. On était encore dans cette idée selon laquelle on vivait dans le même monde : on n’est plus séparé par rien de ce qui séparait les hommes auparavant donc c’est forcément le paradis. Ce que voulait la Révolution française. Après la nuit du 4 août, plus de problème ! 
L’Amérique connaît bien cela. Il est évident que la non-différence de classe ne tarit pas les rivalités mais les excite à mort avec tout ce qu’il y a de bon et de mortel dans ce phénomène. (…)  il n’y a plus de sacrifice et donc les hommes sont exposés à la violence et il n’y a plus que deux choix : soit on préfère subir la violence soit on cherche à l’infliger à autrui. Le Christ veut nous dire entre autres choses : il vaut mieux subir la violence (c’est le sacrifice de soi) que de l’infliger à autrui. Si Dieu refuse le sacrifice, il est évident qu’il nous demande la non-violence qui empêchera l’Apocalypse.
La rivalité est présente dès l’origine. C’est ce que découvre aujourd’hui la science expérimentale : elle découvre qu’il y a imitation dès l’origine de l’humanité, dans son existence et son organisation. L’imitation est fondamentale dans les premiers mouvements réflexes de l’être humain. (…) La théorie mimétique ne veut pas se présenter comme une philosophie qui ferait le tour de l’homme. Elle tend simplement à dire qu’il y a toujours assez de rivalité mimétique dans une société pour tout troubler et pour obliger à procéder à un sacrifice. Mais cela ne veut pas dire que tout le monde est coupable au même titre. Il est bien évident que dans notre société les gens sont très forts pour éviter la rivalité mimétique non seulement instinctivement mais très délibérément : il y a tout un art d’éviter la rivalité mimétique qui au fond est l’art de vivre ensemble. Et cela est absolument indispensable.
Quant à la question du progrès, ce dernier n’est pas forcément fatal parce que les hommes y contribuent eux-mêmes. Je reconnais qu’il peut y avoir une régression.  
Je crois qu’il y a un double mouvement. Il ne faut pas oublier qu’il y a aussi une société de la peur. Beaucoup de gens considèrent que la violence augmente dans notre univers. Les deux mouvements se chevauchent. 
il y a eu des gestes de prudence extraordinaires, puisque Kroutchev n’a pas maintenu à Cuba les bombes atomiques. Il y a, dans ce geste, quelque chose de décisif. Ce fut le seul moment effrayant pour les hommes d’Etat eux-mêmes. Aujourd’hui nous savons qu’il y a des pays qui essaient par tous les moyens de se procurer ces armes et nous savons aussi qu’ils sont bien décidés à les utiliser. On a donc encore franchi un palier. René Girard

Attention: une apocalypse peut en cacher une autre!

Sida, vache folle, bug de l’an 2000, grippe aviaire, 11/9, Irak, crise financière, grippe H1N111/9, Fukushima  …

Alors qu’avec le premier président nobélisé avant l’heure qui devait nous délivrer du bellicisme du cowboy Bush, l’exécution extrajudiciaire des djihadistes est passée dans l’indifférence la plus totale mais avec une redoutable efficacité à l’échelle quasi-industrielle de la robotisation et bientôt peut-être de l’automatisation  …

Et qu’un an après le véritable tsunami de révélations de documents secrets (pas moins de 750 000!) qui devait enfin contraindre à la transparence totale le chef de ligne du Monde libre et qui n’a réussi en fait qu’à lui permettre d’améliorer le secret de ses procédures de transmission d’informations, l’autobiographie non autorisée du hacker fou de  WikiLeaks peine à trouver preneur …

Pendant qu’en « terre d’islam » ou communiste, on persécute ou massacre allégrement du chrétien et qu’en une France qui cède à nouveau face à l’hystérie collective anti-OGM, on peut se voir exclu de son parti pour avoir osé rappeler l’inavouable secret de polichinelle historique de la supériorité de la civilisation judéo-chrétienne …

Comment ne pas s’émerveiller de l’incroyable résilience de ce monde qui enchaine les tsunamis sanitaires, miltaires, financiers ou mêmes nucléaires et qui loin des apocalypses annoncées par ses détracteurs habituels, ressort à chaque fois plus fort?

 Et, avec le dernier livre du spécialiste du désarmement Bruno Tertrais, en conclure qu’effectivement « l’Apocalypse n’est pas pour demain »?

A condition de ne voir dans le terme que son acception de catastrophe, lui qui, en ce Ier siècle où le « Royaume » annoncé par le Christ se faisait attendre et où, dénoncés comme « asociaux » et « ennemis du genre humain »,  ses fidèles se voyaient confrontés à la plus sauvage des persécutions, avait le culot, dans son langage fleuri et codé (inversant et subvertissant à la fois  le bestiaire de ces têtes de monstre installées à l’entrée des villes pour les protéger des esprits maléfiques), de « lever le voile » (c’est le sens étymologique, on le sait, du terme grec) sur les envers monstrueux du mythe de la « Ville éternelle » et la certitude d’une alors bien improbable chute d’un système impérialiste et esclavagiste au faite de sa gloire, drainant non seulement à son seul profit la richesse et la force de travail de l’ensemble du monde connu mais poussant l’arrogance jusqu’à réclamer pour ses maitres le statut de dieux vivants …

Et à moins, comme le rappelle souvent l’anthropologue René Girard, qu’entre « petites ou demi-apocalypses » ou « crises » ou « périodes intermédiaires » et loin des rêves de châtiment final des fondamentalistes comme des timidités des chrétiens ordinaires qui n’osent plus en parler, l’Apocalypse tant annoncée ne soit pas celle qu’on croit?

Et surtout  qu’après les coups de folie de nos Hitler, Staline ou Mao comme les gestes de prudence extraordinaires de nos Kroutchev, nous risquions d’oublier qu’ « il y a toujours assez de rivalité mimétique dans une société pour tout troubler et pour obliger à procéder à un sacrifice ».

Et que, dans un monde chaque jour un peu plus dépouillé de ses ressources sacrificielles où nations, langues, religions, vieux interdits sont peu à peu écrasés par le rouleau compresseur de la modernité, « la non-différence ce n’est pas du tout la paix parmi les hommes mais ce peut être la rivalité mimétique la plus extravagante », la non-différence  ne tari[ssan]t pas les rivalités mais les excit[ant] à mort avec tout ce qu’il y a de bon et de mortel dans ce phénomène » …

2011 : toujours moins de guerres…

Le centre de recherches sur les conflits de l’université d’Uppsala (Uppsala Conflict Data Program, UDPC) vient de publier, à l’été 2011, son analyse de la conflictualité pour l’année calendaire précédente. Très attendue tous les ans, et reprise par le rapport annuel du SIPRI (SIPRI Yearbook 2011), cette analyse confirme la tendance très nette observée depuis maintenant vingt ans : plus la guerre froide s’éloigne, plus le nombre de conflits diminue. Selon l’UDPC, il n’y a eu ainsi en 2010 que 15 conflits d’ampleur significative, tous internes.

L’analyse de la tendance sur la longue durée n’est pas aisée, car au cours des vingt dernières années l’UDPC a changé par deux fois de méthodologie, en 1999 et en 2007 (diverses définitions de ce qu’est un «conflit armé d’importance», major armed conflict). Le déclin de la conflictualité ne serait-il donc qu’un artefact statistique? Non. La consultation des archives électroniques de l’UDPC permet de reconstruire des séries de longue durée à partir des trois méthodologies différences (ante 1999, 1999-2007, et post 2007). Le résultat est très net : quels que soient les critères adoptés, la tendance est la même. Grosso modo, le nombre de conflits d’importance a diminué de 60% depuis la fin de la guerre froide, comme le montre le graphique ci-dessous (qui couvre les années 1989-2009):

Il ne s’agit pas de l’effet de technologies plus destructrices (les guerres seraient plus intenses et donc plus brèves, ce qui affecterait le nombre de conflits en cours par an). Car, outre le fait que les guerres sont plutôt moins meurtrières, en moyenne, qu’elles ne l’étaient jusque dans les années 1960, cette réduction trouve sa source essentiellement dans la diminution spectaculaire du nombre de guerres civiles. La fin des conflits indirects entre l’Est et l’Ouest, l’intervention croissante des organisations internationales et des médiateurs externes, et dans une certaine mesure le développement économique et social des États, sont les causes principales de cette tendance. S’y ajoutent sans doute –on y reviendra dans un prochain billet – des évolutions démographiques favorables.

Voir aussi:

Entretien avec René Girard Laurent Linneuil – Abbé de Tanoüarn Nouvelle revue CERTITUDES – n°16

On ne présente plus René Girard aux lecteurs de Certitudes. Cet anthropologue français vivant aux Etats-unis propose une extraordinaire grille de lecture des mythes archaïques, dont, selon lui, nous dépendons encore aujourd’hui et dont seul l’Evangile nous délivre efficacement. D’après lui, toute la culture humaine provient d’un meurtre primitif, dont il attribue le processus au diable. Nous avons eu la chance, Laurent Linneuil et moi, de pouvoir discuter à bâtons rompus durant deux heures, avec ce penseur original et profond… dont l’apport risque de révolutionner non seulement les sciences humaines mais la philosophie et même, vous le verrez, la théologie. Il s’est plié, avec une extraordinaire bonne grâce au feu roulant de nos questions… (GT)

Certitudes : René Girard, le fait d’avoir intitulé votre livre Les origines de la culture était-ce un souhait de réorienter le commentaire de votre œuvre vers un aspect méconnu, l’aspect fondateur de la violence ?

René Girard : Oui, l’aspect fondateur de la violence est mal compris, mal perçu. En anglais, on parle de titre programmatique c’est-à-dire un titre qui sert le public. Mais auparavant, j’ai toujours eu des titres plutôt « sensationnels », mais cela ne marche plus du tout…

C : Et donc pour ce livre, vous avez pris un titre moins scandaleux et plus classique qui symbolise l’ensemble de votre recherche. N’est-ce pas aussi une façon de répondre à l’une des accusations qui est souvent faite à votre pensée d’être exagérément pessimiste ?

R.G : Il s’agit ici d’un titre programmatique qui d’une certaine manière apparaît plus explicatif que les autres. Pour le fait qu’il symbolise l’ensemble de mon œuvre, on a déjà dit cela de mon dernier livre Je vois Satan tomber comme l’éclair … Mais « Je vois Satan tomber comme l’éclair » est une parole très ambiguë parce qu’où tombe-t-il ? Sur la terre…Et c’est le moment où justement il fait le plus de mal en tombant sur la terre. Il devient libre de faire ce qu’il veut ; c’est donc une parole souvent interprétée dans un sens apocalyptique. C’est l’annonce de la fin de Satan bien sûr mais non pas sa fin immédiate dans la mesure où il est libéré. Il y a aussi le symbolisme de la ligature – si j’ose dire – de Satan et de sa libération.

« Il cria : Mort ! – les poings tendus vers l’ombre vide. Ce mot plus tard fut homme et s’appela Caïn. Il tombait. » ( Victor Hugo) La Fin de Satan

C : Alors Satan est libéré quand il est dans les liens de la culture…

R.G : En effet. Est-ce que cela signifie que Satan n’est plus tenu ? Souvenez-vous du texte où il est dit que « c’est par Belzébuth que tu expulses le démon » et Jésus répond : « Si ce n’est pas par Belzébuth mais par Dieu que j’expulse le démon, etc. ». L’idée que « c’est par Belzébuth que tu expulses le démon » est très profonde : bien des interlocuteurs de Jésus affirment qu’il y a une expulsion du démon qui se fait par Satan. Il s’agit ici de l’expulsion de la culture. Mais dans le judaïsme de l’époque il se pratique des sacrifices ; comment celui-ci interprète-il ces sacrifices ? Je suis sûr qu’il y a des prophètes, très soupçonneux à l’égard de ces sacrifices, qui demandent à ce qu’ils cessent et disent que Dieu est contre tout cela. Et je pense que cet aspect a été minimisé.

C : Et c’est la raison pour laquelle vous dites dans Quand ces choses commenceront que Satan c’est l’ordre…

R.G : Satan, jusqu’à un certain point, c’est l’ordre culturel dans ce qu’il a de violent. Mais il faut se méfier : cela ne signifie pas que l’on peut condamner cet ordre parce que de toute façon le mouvement sacrificiel va vers toujours moins de violence. Et il est bien évident, s’il est vrai comme je le dis que la violence est en quelque sorte fatale dans l’humanité qui ne pourrait pas s’organiser s’il n’y avait pas de sacrifice, que les sacrifices sont nécessaires et acceptés par Dieu. On peut se référer à des paroles évangéliques telles que : « Si Dieu vous a permis de répudier votre femme… ». Dieu a fait des concessions dans le judaïsme classique qui ne sont plus là dans le christianisme dans la mesure où le principe sacrificiel est révélé.

C : A partir du moment où le meurtre fondateur débouche sur le sacrifice et que l’on s’éloigne du meurtre original le sacrifice tend à se transformer en rite, en institution de moins en moins violente ?

R.G : Le sacrifice s’institutionnalise par le changement de la victime – j’admire ce que dit Kierkegaard du sacrifice d’Abraham. Le sens principal est donc historique : c’est le passage du sacrifice humain au sacrifice animal qui représente un progrès immense et que le judaïsme est le seul à interpréter dans le sacrifice d’Isaac. Le seul à le symboliser dans une grande scène qui est une des premières scènes de l’Ancien Testament. Il ne faut pas oublier ce dont ce texte tient compte et dont la tradition n’a pas assez tenu compte : tout l’Ancien Testament se situe dans le contexte du sacrifice du premier né. Rattacher le christianisme au sacrifice du premier né est absurde, mais derrière le judaïsme se trouve ce qu’il y a dans toutes les civilisations moyen-orientales, en particulier chez les Phéniciens : le sacrifice des enfants. Lorsque Flaubert le représente dans Salambo, Sainte-Beuve avait bien tort de se moquer de lui parce que ce dont parle Flaubert est très réel. Les chercheurs ont découvert dans les cimetières de Carthage des tombes qui étaient des mélanges d’animaux à demi-brulés et d’enfants à la naissance à demi-brulés. Il a beaucoup été reproché à Flaubert la scène du dieu Moloch où les parents carthaginois jettent leurs enfants dans la fournaise. Or, les dernières recherches lui donnent raison contre Sainte-Beuve. En définitive, c’est le romancier qui a raison : cette scène est l’un des éléments les plus terrifiants et magnifiques de Salambo. La mode intellectuelle de ces dernières années selon laquelle la violence a été inventée par le monde occidental à l’époque du colonialisme est une véritable absurdité et les archéologues n’en ont pas tenu compte. Aux Etats-Unis, des programmes de recherche se mettent en place notamment sur les Mayas. Ces derniers ont souvent été considérés comme des « anti-Aztèques » : ils n’auraient pas pratiqué de sacrifices humains. Pourtant, dès que l’on fait la moindre fouille, on découvre des choses extraordinaires : chez les Mayas, il y a des kilomètres carrés de villes enfouies. C’est une population formidable avec de nombreux temples et les traces du sacrifice humain y sont partout : des crânes de petits-enfants mêlés à des crânes d’animaux.

C : Ce qui est assez surprenant dans votre relecture de la Bible c’est qu’en plaçant la violence au cœur des rapports humains comme vous le faites, on vous sent presque tentés de déplacer le péché originel d’Adam et Eve à Caïn et Abel…

R.G : C’est une très bonne observation. Les scènes d’Adam et Eve renvoient précisément au désir mimétique : Eve reçoit le désir du serpent et Adam le reçoit d’Eve et lorsque Dieu pose la question par la suite, on refait la même chaîne à l’envers. Adam dit « c’est elle » et Eve dit « C’est le serpent ». D’ailleurs, le serpent est vraiment le premier responsable puisqu’il est plus puni par Dieu que n’importe qui. Mais la première conséquence de cet acte c’est Caïn et Abel. Et le fait que l’un soit la cause de l’autre n’est pas très développé. Adam et Eve, c’est la rivalité mimétique, c’est le désir mimétique qui se communique de l’un à l’autre et par la suite, la guerre des frères ennemis et la fondation de la communauté. Ce qu’il y a de plus frappant dans l’histoire de Caïn et Abel c’est que le texte nous dit : la première société fut fondée par Caïn mais il n’est pas dit comment. En réalité, l’acte fondateur c’est le meurtre d’Abel. Est-ce clair pour les exégètes ? Je ne le crois pas.

C : Vous montrez en effet que c’est le meurtre qui fonde l’interdiction du meurtre…

R.G : Bien sûr. Il y a d’ailleurs un article de Josep Fornari qui porte sur ce que l’on appelait au XIX° siècle, le caïnisme. Des écrivains comme Nerval, de tradition ésotérique, se sont beaucoup intéressés à ce sujet dans lequel ils voyaient souvent un « diabolisme littéraire » mais en même temps quelque chose de très fécond. On ne sait jamais ce que c’est précisément parce que les critiques littéraires qui en parlent n’approfondissent jamais. Il y a des textes de Nerval qui font allusion au caïnisme, c’est-à-dire aux aspects ésotériques et noirs du romantisme dans le religieux. Des écrivains comme Joseph de Maistre y ont été sensibles. Ils ont influencé ensuite des penseurs comme René Guénon. Je n’appartiens pas, bien sûr, à ce courant, mais le terme de « caïnisme » m’intéresse parce que c’est l’idée d’insister sur le caractère meurtrier de l’homme. Nerval adorait l’ésotérisme, mais en même temps il ne menait pas trop loin ses recherches. Le caïnisme était chez lui plus poétique qu’érudit. Mais je m’interroge pour savoir à quoi cela correspond vraiment sur le plan de la pensée : quelle définition claire donner du caïnisme ?

C : L’exégèse classique, dans la lecture d’Adam et Eve, insiste sur le péché d’orgueil et vous déplacez cette lecture sur le plan du désir mimétique…

R.G : Il est facile de trouver les textes évangéliques sur le fait que Satan est meurtrier depuis le commencement : « Vous êtes du diable, votre père. Il était homicide dès le commencement » (St Jean, 8, 44). Dans ce chapitre 8 de Saint Jean qui donne à voir le début de la culture, il est donc dit : « Vous vous croyez les fils de Dieu, mais vous êtes très évidemment les fils de Satan puisque vous ne savez même pas de quoi il retourne. Vous vous croyez fils de Dieu dans une suite naturelle sans vous douter que vous restez dans le sacrifice. » Mais ces textes ne sont jamais vraiment lus. Que reproche saint Jean aux Juifs ? En quoi se distingue-t-il du judaïsme orthodoxe dans ce reproche… ? Voilà de vraies questions…

C : Il reproche aux Juifs de valoriser leur filiation établie…

R.G : Oui, sans voir leur propre violence, sans voir le péché originel d’une certaine façon. « Notre père, c’est Abraham. » Jésus leur dit : « Si vous étiez enfants d’Abraham, vous feriez les œuvres d’Abraham ». (St Jean, 8, 39). Or, c’est la vérité qui rend libre. Cela amène à montrer comment le péché originel, même s’il n’est pas question de le définir, est lié à la violence et au religieux tel qu’il est dans les religions archaïques ou dans le christianisme déformé par l’archaïsme dont il ne parvient pas à triompher totalement dans l’Histoire. Je me garderais bien de définir le péché originel.

C : Mais ce qui paraît très étonnant c’est le fait que dans la Bible on ne connaisse pas la raison pour laquelle Abel est préféré à Caïn…

R.G : Il y a peut-être, paradoxalement, une raison qui est visible dans l’islam. Abel est celui qui sacrifie des animaux et nous sommes au stade : Abel n’a pas envie de tuer son frère peut-être parce qu’il sacrifie des animaux et Caïn, c’est l’agriculteur. Et là, il n’y a pas de sacrifices d’animaux. Caïn n’a pas d’autre moyen d’expulser la violence que de tuer son frère. Il y a des textes tout à fait extraordinaires dans le Coran qui disent que l’animal envoyé par Dieu à Abraham pour épargner Isaac est le même animal qui est tué par Abel pour l’empêcher de tuer son frère. Cela est fascinant et montre que le Coran n’est pas insignifiant sur le plan biblique. C’est très métaphorique mais d’une puissance incomparable. Cela me frappe profondément. Vous avez des scènes très comparables dans l’Odyssée, ce qui est extraordinaire. Celles du Cyclope. Comment échappe-t-on au Cyclope ? En se mettant sous la bête. Et de la même manière qu’Isaac tâte la peau de son fils pour reconnaître, croit-il, Jacob alors qu’il y a une peau d’animal, le Cyclope tâte l’animal et voit qu’il n’y a pas l’homme qu’il cherche et qu’il voudrait tuer. Il apparaît donc que dans l’Odyssée l’animal sauve l’homme. D’une certaine manière, le troupeau de bêtes du Cyclope est ce qui sauve. On retrouve la même chose dans les Mille et une nuits, beaucoup plus tard, dans le monde de l’islam et cette partie de l’histoire du Cyclope disparaît, elle n’est plus nécessaire, elle ne joue plus un rôle. Mais dans l’Odyssée il y a une intuition sacrificielle tout-à-fait remarquable.

C : Vous avez dit que cet aspect dénonciateur du meurtre fondateur dans le discours de Jésus avait été assez mal compris – on y voit souvent de l’antisémitisme. Pour quelle raison l’avènement du christianisme, s’il a été si mal compris, n’a-t-il pas provoqué un déchaînement de la rivalité mimétique ?

R.G : On peut dire que cela aboutit à des déchaînements de rivalité mimétique, d’opposition de frères ennemis. La principale opposition de frères ennemis dans l’Histoire, c’est bien les juifs et les chrétiens. Mais le premier christianisme est dominé par l’Epître aux Romains qui dit : la faute des juifs est très réelle, mais elle est votre salut. N’allez surtout pas vous vanter vous chrétiens. Vous avez été greffés grâce à la faute des juifs. On voit l’idée que les chrétiens pourraient se révéler tout aussi indignes de la Révélation chrétienne que les juifs se sont révélés indignes de leur révélation. Je crois profondément que c’est là qu’il faut chercher le fondement de la théologie contemporaine. Le livre de Mgr Lustiger, La Promesse, est admirable notamment ce qu’il dit sur le massacre des Innocents et la Shoah. Il faut reconnaître que le christianisme n’a pas à se vanter. Les chrétiens héritent de Saint Paul et des Evangiles de la même façon que les Juifs héritaient de la Genèse et du Lévitique et de toute la Loi. Mais ils n’ont pas compris cela puisqu’ils ont continué à se battre et à mépriser les Juifs.

C : Ils ont continué à être dans l’ordre sacrificiel. Mais la Chrétienté n’est-elle pas alors une contradiction dans les termes ? Une société chrétienne est-elle possible ? Les chrétiens ne sont-ils pas toujours des contestataires de l’ordre et de Satan et donc des marginaux ?

R.G : Oui, ils ont recréé de l’ordre sacrificiel. Ce qui est historiquement fatal et je dirais même nécessaire. Un passage trop brusque aurait été impossible et impensable. Nous avons eu deux mille ans d’histoire et cela est fondamental. Mon travail a un rapport avec la théologie, mais il a aussi un rapport avec la science moderne en ceci qu’il historicise tout. Il montre que la religion doit être historicisée : elle fait des hommes des êtres qui restent toujours violents mais qui deviennent plus subtils, moins spectaculaires, moins proches de la bête et des formes sacrificielles comme le sacrifice humain. Il se pourrait qu’il y ait un christianisme historique qui soit une nécessité historique. Après deux mille ans de christianisme historique, il semble que nous soyons aujourd’hui à une période charnière – soit qui ouvre sur l’Apocalypse directement, soit qui nous prépare une période de compréhension plus grande et de trahison plus subtile du christianisme. Nous ne pouvons pas fermer l’histoire et nous n’en avons pas le droit.

C : L’Apocalypse pour vous, c’est la fin de l’histoire…

R.G : Oui, pour moi l’Apocalypse c’est la fin de l’histoire. J’ai une vision aussi traditionnelle que possible. L’Apocalypse, c’est l’arrivée du royaume de Dieu. Mais on peut penser qu’il y a des « petites ou des demi-apocalypses » ou des crises c’est-à-dire des périodes intermédiaires…

C : Et vous ne croyez pas à la post-histoire de Philippe Murray ?

R.G : Je l’apprécie beaucoup. Mais je suis sans doute un chrétien plus classique malgré mon historicisme. Il faut prendre très au sérieux les textes apocalyptiques. Nous ne savons pas si nous sommes à la fin du monde, mais nous sommes dans une période-charnière. Je pense que toutes les grandes expériences chrétiennes des époques-charnières sont inévitablement apocalyptiques dans la mesure où elles rencontrent l’incompréhension des hommes et le fait que cette incompréhension d’une certaine manière est toujours fatale. Je dis qu’elle est toujours fatale, mais en même temps elle ne l’est jamais parce que Dieu reprend toujours les choses et toujours pardonne.

C : Comment envisagez-vous la mondialisation du point de vue de votre système ? La mondialisation ne serait-elle pas une répétition de l’Apocalypse ou de la post-histoire ? La mondialisation n’est-ce pas d’abord Babel puisque l’on revient au début de la Genèse et puis l’Apocalypse du fait de la disparition des nations ?

R.G : Oui, il n’y a plus que des forces contraires qui transcendent toute distinction tribale, nationale…

C : Avec une sorte de mondialisation de l’ordre sans possibilité de nouveau recours à la béquille sacrificielle…

R.G : Le principe apocalyptique définit ce que vous avez dit. Dès qu’il y a non possibilité de recours ou même moindre recours, celui qui vit le christianisme d’une façon intense sent ceci. Donc, même s’il se trompe, il considère toujours la fin toute proche et l’expérience devient apocalyptique.

C : Et en même temps nous sommes dans une situation historique inédite où d’une part la béquille sacrificielle serait tombée, et d’autre part, on a supprimé toutes les barrières à la rivalité mimétique…

R.G : Je suis entièrement d’accord avec vous. Je me souviens d’un journal dans lequel il y avait deux articles juxtaposés. Le premier se moquait de l’Apocalypse d’une certaine façon ; le second était aussi apocalyptique que possible. Le contact de ces deux textes qui se faisaient face et qui dans le même temps se donnaient comme n’ayant aucun rapport l’un avec l’autre avait quelque chose de fascinant.

C : Dans votre essai Celui par qui le scandale arrive, on a l’impression que vous envisagez l’idée d’une société non sacrificielle qui pourrait être la plus violente possible dans une sorte d’égalitarisme qui produit le conflit plutôt qu’il ne l’alimente.

R.G : Nous sommes encore proches de cette période des grandes expositions internationales qui regardait de façon utopique la mondialisation comme l’Exposition de Londres – la « Fameuse » dont parle Dostoievski, les expositions de Paris… Plus on s’approche de la vraie mondialisation plus on s’aperçoit que la non-différence ce n’est pas du tout la paix parmi les hommes mais ce peut être la rivalité mimétique la plus extravagante. On était encore dans cette idée selon laquelle on vivait dans le même monde :on n’est plus séparé par rien de ce qui séparait les hommes auparavant donc c’est forcément le paradis. Ce que voulait la Révolution française. Après la nuit du 4 août, plus de problème ! (rires).

C : Cela est vrai sur le plan mondial comme sur le plan interne des sociétés puisqu’il y existe pour les deux de l’égalitarisme qui masque les différences nécessaires.

R.G : L’Amérique connaît bien cela. Il est évident que la non-différence de classe ne tarit pas les rivalités mais les excite à mort avec tout ce qu’il y a de bon et de mortel dans ce phénomène.

« Mahomet s’est établi en tuant ; JÉSUS-CHRIST en faisant tuer les siens. Mahomet en défendant de lire ; JÉSUS-CHRIST en ordonnant de lire. Enfin cela est si contraire, que si Mahomet a pis la voie de réussir humainement, JÉSUS-CHRIST a pris celle de périr humainement. Et au lieu de conclure, que puisque Mahomet a réussi, JÉSUS-CHRIST a bien pu réussir ; il faut dire, que puisque Mahomet a réussi, le Christianisme devait périr, s’il n’eût été soutenu par une force toute divine » Pascal Pensées

C : On remarque un facteur inédit qui est celui de la confrontation de notre société avec une religion qui, elle, n’éprouve aucune répulsion pour la violence. Cette religion, c’est l’islam. Vous réfléchissez en outre beaucoup sur les Veda pour marquer ainsi le caractère universel de votre pensée et l’islam finalement y reste encore un peu marginal…

R.G : Ce sont là des circonstances tout à fait accidentelles. J’ai essayé de lire certaines traductions du Coran, mais elles sont assez rébarbatives. Le livre d’André Chouraqui, Le Coran, m’est un peu tombé des mains ! (rires). Sans le contact avec la langue arabe, la tache est difficile. Il y a deux importantes traductions du Coran : celle de Denise Masson et une plus ancienne rééditée récemment chez Payot : celle d’Edouard Montet. Les différences entre ces traductions sont énormes et l’on n’a pas les moyens d’arbitrer.

C : Les traductions de différentes sourates que donne Anne-Marie Delcambre dans son ouvrage L’islam des interdits montrent clairement comment il y a une légitimité de la violence dans l’Islam principalement dans l’affrontement avec les « Infidèles ». Il se pose ici un défi dont on ne voit pas très bien comment l’Occident peut y répondre…Mais on peut penser à l’idée d’une réforme de l’Islam, idée soutenue par des penseurs comme René Guénon et aujourd’hui par de nombreux musulmans comme Dalil Boubakeur …

R.G : L’Occident peut-il encore y répondre sur le plan spirituel ? Il y a une interprétation de ce qui se passe actuellement selon laquelle nous vivons les avatars de la modernisation de l’Islam. Cette thèse est peut-être vraie, mais quand est-ce que se réalisera cette réforme ? Combien d’années faudra-t-il attendre ?

C : Le problème est que cet Islam se détacherait probablement de ses sources idéologiques. Or le Coran semble difficilement transposable dans une autre perspective.

R.G : C’est toute la difficulté de l’interprétation. La question de la vocalisation est ici essentielle. L’arabe est une langue consonantique comme l’hébreu et si l’on vocalise en araméen, on trouve des traductions différentes. Je ne sais pas comment les spécialistes réagissent à cela. Mais il y a quelque chose d’intéressant dans le fait que la critique historique devienne d’un coup une espèce d’arme. Elle s’en ait pris au christianisme. Il y a donc un bon usage de la critique historique.

Le sens du sacrifice chrétien

C : Pouvez-vous développer les raisons profondes qui ont fait qu’après avoir récusé au terme de « sacrifice » tout usage chrétien, vous disiez dans votre dernier livre ne pas pouvoir vous en passer ? Il est donc important de conserver le terme « sacrifice » dans son usage chrétien en ayant conscience que c’est le contraire du sacrifice archaïque.

R.G : Il y a une histoire à ceci. C’est un théologien allemand, le Père Schweiger, qui m’a conduit à accepter le terme de sacrifice dans son sens chrétien. Je lui ai rendu service pour la rivalité mimétique mais l’utilisation chrétienne de cette notion et de l’idée d’une violence fondatrice nous sont venues ensembles et son ouvrage est paru au même moment que le mien. Donc sur certains points, il devrait être considéré comme le fondateur de la théorie au même titre que moi. Il a essayé pendant plusieurs années de convaincre les théologiens allemands. Les théologiens allemands sont fondamentalement divisés en deux groupes : l’un protestant, l’autre plus bavarois et catholique. Il a réussi à les intéresser à cette thèse et je me suis rendu à leur rassemblement cet été. C’est la première fois que ce groupe de théologiens m’invite à parler de mes thèses. Mais ils ne sont plus ce qu’ils étaient.

C : Vous voulez dire qu’ils n’ont plus la même puissance de travail ?

R.G : Les théologiens allemands dominaient la réflexion dans ce domaine. Et maintenant ce sont les théologiens américains qui dominent. Ils ont de grandes personnalités mais aussi des « farceurs » dont certains alimentent Prieur et Mordillat. Ce que je pense, – dans Des choses cachées depuis la fondation du monde j’essaye de créer une plage non sacrificielle – c’est qu’il y a deux types de sacrifice. Si l’on se fonde, par exemple, sur le jugement de Salomon, on distingue : le sacrifice de soi et le sacrifice de l’autre. Eprouver le désir de parler sans « sacrifice » c’est dire qu’il y a un lieu où l’on peut se situer qui est purement scientifique et qui est étranger à toutes les formes de sacrifice. Donc il y a une objectivité scientifique au sens traditionnel. Nier cette objectivité, c’est dire : « non pas du tout, on est toujours dans une forme de religieux ou dans une autre : il faut se sacrifier soi-même ». D’ailleurs, c’est le Père Schweiger qui énonce cette thèse selon laquelle il faut une conversion personnelle pour comprendre le désir mimétique. Une conversion qui n’est pas nécessairement chrétienne… En tout cas, il faut être capable de se reconnaître coupable de désir mimétique. Et cela, je crois, est essentiel.

C : Vous voulez dire que le sacrifice c’est la conversion, quelle qu’elle soit, chrétienne ou non…

R.G : Le passage du sacrifice de l’autre au sacrifice de soi, c’est la conversion. La preuve, dans les Evangiles, c’est le rapport extrêmement proche qui n’est pas souvent perçu entre la première conversion chrétienne qui est la reconversion de Pierre après son reniement et puis la conversion de Paul, marquée par la parole de Jésus « Pourquoi me persécutes-tu ? ». Quel que soit celui que l’on persécute c’est toujours Jésus que l’on persécute. L’absence de lieu non sacrificiel où l’on pourrait s’installer pour rédiger une science du religieux, qui n’aurait aucun rapport avec lui, est une utopie rationaliste. Autrement dit il n’y a que le religieux chrétien qui lise vraiment de façon scientifique le religieux non chrétien.

C : En défendant le sacrifice chrétien vous défendez le religieux chrétien contre l’idée d’un christianisme qui serait pure foi, sans religion ?

R.G : Oui, d’un christianisme sans religion, ce christianisme irréligieux que l’on voit très bien apparaître dans les attaques contre Mel Gibson qui sont en réalité des attaques contre la Passion elle-même. Des journalistes étaient présents à la sortie des premières séances du film à New-York. Et certains spectateurs disaient : « Mais nous avons changé tout cela, la Passion n’a plus la même importance qu’avant… ». C’était un révélateur prodigieux d’un certain courant dans le christianisme aujourd’hui. Il me semble que le débat sur Mel Gibson – en mettant entre parenthèses les mérites ou les démérites du film – était un débat sur l’importance de la Passion, sur la centralité de la Passion ou non.

C : Et en même temps ce film montrait bien ( par les reproches qui lui étaient faits d’être trop violent) à quel point vous avez raison en disant que le discours dénonciateur de la violence du Christ n’a pas été compris. Depuis le moment où vous avez commencé à écrire Des choses cachées depuis la fondation du monde, n’étiez-vous pas gênés par la crainte d’apparaître comme un apologiste de la religion chrétienne ?

R.G : Les personnes qui reprochent à Gibson cette violence sont celles qui d’habitude ne s’inquiètent absolument pas de la violence au cinéma ou bien en font quelque chose de bon : une victoire pour la liberté, pour la modernité. Le livre accepte un peu d’apparaître comme une apologie de la religion chrétienne. Il cherche ce lieu sacrificiel dont je n’avais pas conscience à l’époque. Cela c’est le Père Schweiger qui me l’a montré. Il y a des erreurs grossières comme l’attaque contre l’Epître aux Hébreux qui est ridicule. Il y a des éléments sur la Passion notamment dans l’Epître aux Hébreux qui me paraissent absolument essentiels par exemple l’usage qui est fait du psaume 40 : « Tu n’as voulu ni sacrifice ni oblation…Donc j’ai dit : Voici, je viens ». Que signifie ce « donc » ? Il veut dire : « Tu n’a voulu ni sacrifice ni oblation » donc il n’y a plus de sacrifice et donc les hommes sont exposés à la violence et il n’y a plus que deux choix : soit on préfère subir la violence soit on cherche à l’infliger à autrui. Le Christ veut nous dire entre autres choses : il vaut mieux subir la violence (c’est le sacrifice de soi) que de l’infliger à autrui. Si Dieu refuse le sacrifice, il est évident qu’il nous demande la non-violence qui empêchera l’Apocalypse.

C : Le Christ nous demande alors un sacrifice intérieur…

R.G : Oui, un sacrifice intérieur ou sacrifice de soi : « Voici que Je viens pour faire sa volonté ». Il faut faire référence à la bonne prostituée, dans le Jugement de Salomon que j’évoquais trop rapidement tout à l’heure : elle préfère lâcher l’enfant, elle donc est la vraie mère.

C : Vous allez jusqu’au bout d’une défense d’un christianisme augustinien finalement… L’amour don contre l’amour passion…

R.G : Augustin voit vraiment le christianisme et la mort du Christ comme l’essentiel de toute la culture. D’une certaine façon il associe Caïn et Abel et tous ces meurtres à la Passion ; il voit qu’il y a un rapport. A la fin de la Cité de Dieu, il y a des textes extraordinaires sur ce thème, mais qui me paraissent pourtant incomplets. Il y a à la fois le penseur chrétien très puissant et aussi un homme qui considère la civilisation antique de façon très inhabituelle aujourd’hui.

C : Dans Quand ces choses commenceront, livre d’entretien mené par Michel Tréguer, vous allez très loin et vous parlez de Saint Augustin en affirmant : « Tout ce que j’ai dit est dans Saint Augustin… ».

R.G : C’était une boutade de ma part mais j’y crois d’une certaine façon. On découvre dans son œuvre des éléments extraordinaires pour la définition du désir mimétique. Il y a cette formule – que je cite dans ce livre – des deux nourrissons lesquels sont déjà en pleine rivalité parce qu’ils rivalisent pour le sein de la nourrice. Cela est un peu mythique : ces deux nourrissons ne sont pas capables de comprendre que le sein de la nourrice peut s’épuiser. Mais il s’agit d’une image formidable du désir de toute l’humanité et du fait que la rivalité est présente dès l’origine. C’est ce que découvre aujourd’hui la science expérimentale : elle découvre qu’il y a imitation dès l’origine de l’humanité, dans son existence et son organisation. L’imitation est fondamentale dans les premiers mouvements réflexes de l’être humain.

C : A partir du moment où vous placez la violence au cœur de l’homme, vous n’êtes pas dans un univers irénique et hellénique.

R.G : On peut dire que cet univers irénique n’est là que partiellement chez Platon. Il a une inquiétude, une angoisse devant le mimétique. Derrida dit très justement que l’on ne peut pas systématiser le mimétique chez Platon. Il y a chez lui des contradictions qui sont insolubles. Il a ses inquiétudes devant le mimétique ou devant le fait que les hommes doivent l’éviter comme la peste. Ce qui est passionnant et absolument incompréhensible. Mais si vous regardez les interdits primitifs, les interdits mimétiques, ils sont là. Je crois que Platon est encore en contact avec des éléments du passé, qui sont présents chez les présocratiques mais qui ne le sont plus chez Aristote. Aristote est imitateur de Platon mais on a totalement changé de monde sur le plan culturel : l’alexandrin est ce qui est moderne par rapport à l’univers de la démocratie athénienne.

C : Par delà la violence des rapports humains et la rivalité mimétique n’y-a-t’il pas un désir naturel chez l’homme de vivre en société, paisiblement, en pantouflard ? Cela ne vous semble-t-il pas contradictoire avec votre thèse ?

R.G : Absolument pas. La théorie mimétique ne veut pas se présenter comme une philosophie qui ferait le tour de l’homme. Elle tend simplement à dire qu’il y a toujours assez de rivalité mimétique dans une société pour tout troubler et pour obliger à procéder à un sacrifice. Mais cela ne veut pas dire que tout le monde est coupable au même titre. Il est bien évident que dans notre société les gens sont très forts pour éviter la rivalité mimétique non seulement instinctivement mais très délibérément : il y a tout un art d’éviter la rivalité mimétique qui au fond est l’art de vivre ensemble. Et cela est absolument indispensable.

C : Dans votre dernier livre Les origines de la culture vous insistez beaucoup sur le darwinisme et volontairement vous proposez un épigraphe darwinien à chaque chapitre. Vous semblez en tirer l’idée d’un progrès fatal de l’homme…

R.G : C’est Pierpaolo Antonello qui a fait cela. Personnellement je voulais les enlever. Quant à la question du progrès, ce dernier n’est pas forcément fatal parce que les hommes y contribuent eux-mêmes. Je reconnais qu’il peut y avoir une régression. On peut penser que l’Islam est soutenu par le Coran mais quant aux islamistes « frénétiques » il est bien évident que le Coran n’a guère été interprété dans cette voie si ce n’est peut-être par la fameuse secte des assassins. Oui, il peut y avoir une régression.

C : Ce qui est très frappant, notamment dans Quand ces choses commenceront, au sein même de cette ambiance augustinienne pessimiste c’est votre optimisme foncier, votre idée qu’il y aura toujours un chemin vers le mieux. C’est sans doute la rivalité mimétique qui a pu égarer Augustin dans ses polémiques…

R.G : Mais c’est vrai aussi chez Augustin… Henri Marrou disait qu’il faudrait toujours renoncer à choisir le moment le plus polémique d’Augustin pour le définir en entier. Et si l’on regarde les textes sur la grâce qui ne sont pas dans la querelle avec Pélage, on peut se constituer un Augustin beaucoup plus modéré. La rivalité mimétique est une chose sans quoi il serait très difficile d’écrire. C’est elle qui soutient l’écrivain dans ses efforts. (rires)

La violence est au cœur de l’homme

C : Le christianisme continue à imprégner à contrecœur la société moderne. Vous êtes finalement proche de Chesterton qui parlait de « l’idée chrétienne devenue folle ». Vous affirmez que le message victimaire du christianisme imprègne la vie contemporaine et en même temps on a l’impression d’une perte complète de toute conscience de la violence. C’est très paradoxal.

R.G : Je crois qu’il y a un double mouvement. Il ne faut pas oublier qu’il y a aussi une société de la peur. Beaucoup de gens considèrent que la violence augmente dans notre univers. Les deux mouvements se chevauchent. Le catholicisme en France ou le « para-catholicisme » anglais de la première moitié du XX°siècle connaissent une espèce d’explosions de talents dans la période de l’entre-deux-guerres, que l’on ne retrouve plus aujourd’hui. Je sais que vous n’êtes pas tendres avec Maritain. Il y a des choses un peu plates dans son œuvre, mais il y a aussi des éléments absolument admirables. Des ouvrages comme Le songe de Descartes ou Les trois réformateurs sont marqués par une veine polémique qui disparaît par la suite parce qu’il est devenu presque trop officiel.

C : On constate un phénomène d’inconscience contemporaine vis-à-vis de la violence. Nos contemporains ont certes peur de la violence, mais ils en ont conscience comme une force extérieure notamment sous la forme du terrorisme. Il semble que nos contemporains aient totalement perdu le message chrétien qui enseigne que la violence est au cœur de l’homme, une violence qui nous menace et que l’on ne peut pas expulser de nous-mêmes.

R.G : Oui, on se sent toujours victime d’une violence autre. Il faudrait étudier le mimétisme sur le plan le plus fondamental qui est la réciprocité entre les hommes. Entre les animaux, il n’y a pas de réciprocité : même lorsqu’ils se battent, ils ne se regardent pas. Dans la première histoire du Livre de la jungle, les animaux ne peuvent pas soutenir le regard de Mowgli, l’enfant-loup. L’animal ne voit rien dans ses yeux qui ne retienne son regard. Ce n’est pas du tout le triomphe de l’homme sur l’animal malgré ce qu’en fait Kipling, conformément à une vision dix-neuvièmiste de l’humanisme triomphant. Dans ce livre toutes les histoires se terminent par des meurtres collectifs, derrière lesquels se cachent des mythes indiens très anciens. Ce qui m’interroge c’est cette réciprocité qui subsiste chez l’homme. Si vous avez un bon rapport avec quelqu’un, vous êtes dans la réciprocité, mais très vite la violence peut s’élever entre vous. Lorsque je vous tends la main et que vous ne la prenez pas, s’il n’y a pas réciprocité, immédiatement la main qui s’est offerte se retirera. C’est-à-dire qu’elle imitera la violence de l’autre. Le rapport de violence est un rapport de réciprocité tout comme le rapport donnant-donnant. Mais c’est un rapport de réciprocité très difficile à modifier dans le sens du retour à une bonne réciprocité. En revanche, rien n’est plus facile de passer de la bonne à la mauvaise réciprocité. Dès que les hommes ne se traitent pas bien mutuellement, ils ont l’impression que la violence vient de l’autre et, dans leur idée, eux ne font jamais que rendre à l’autre la même chose. C’est dire à l’autre : j’ai compris ce que tu veux me dire et je me conduis avec toi de semblable manière. Et pour être bien sûr que l’autre comprendra on surenchérit. L’autre va donc interpréter cela comme une agression. On peut très bien montrer ici qu’au niveau le plus élémentaire il y a toujours incompréhension de l’un par l’autre. L’escalade peut grimper sans que personne n’ait jamais conscience d’y contribuer lui-même.

C : Cependant on a vécu pendant cinquante ans sous une doctrine stratégique nucléaire qui prévoyait justement une escalade de violence…

R.G : Certainement. Mais dans ce cas précis il y a eu des gestes de prudence extraordinaires, puisque Kroutchev n’a pas maintenu à Cuba les bombes atomiques. Il y a, dans ce geste, quelque chose de décisif. Ce fut le seul moment effrayant pour les hommes d’Etat eux-mêmes. Aujourd’hui nous savons qu’il y a des pays qui essaient par tous les moyens de se procurer ces armes et nous savons aussi qu’ils sont bien décidés à les utiliser. On a donc encore franchi un pallier.

C : Une autre traduction de cette perversion des idées chrétiennes c’est le concept de victime. Dans notre société les victimes sont partout et cette surenchère victimaire est finalement devenue le moyen d’agresser l’autre. On se sert de ce que l’on sait de la personne pour dire : « je suis ta victime donc tu es un bourreau ».

R.G : Oui mais il faut aussi reconnaître que derrière cet abus du victimaire il y a un usage légitime. Nous sommes la seule société qui s’intéresse aux victimes en tranquillité. Et ça c’est une supériorité extraordinaire.

C : Vous le développiez bien dans Quand ces choses commenceront : la victimisation comme arme, comme violence…

R.G : Je crois que le moment décisif en Occident est l’invention de l’hôpital. Les primitifs s’occupent de leurs propres morts. Ce qu’il y a de caractéristique dans l’hôpital c’est bien le fait de s’occuper de tout le monde. C’est l’hôtel-Dieu donc c’est la charité. Et c’est visiblement une invention du Moyen-Age. Tout ce qu’il y a de bon dans notre société peut faire l’objet d’abus. Lorsque Voltaire a écrit Candide, il cherchait un contre-exemple, une société supérieure à l’Occident, mais il ne l’a pas trouvée. C’est la raison pour laquelle il s’est tourné vers cet Eldorado qui, en fait, n’existe pas. Il avait lui-même écrit des poèmes comme le Mondain – « Ah quel bon temps que ce siècle de fers ! ». Son idée principale est que la société moderne était la meilleure de toutes. C’était pour embêter les dames de son salon qui parlaient de Leibniz au lieu de parler de lui comme elles auraient dû le faire…(rires) Voltaire a une conscience de la rivalité mimétique tout à fait extraordinaire. Dans Candide, il y a ce personnage, Pococuranté, qui possède tout. Noble vénitien, il reçoit Candide et son serviteur Martin et méprise toutes ses richesses (chap. 25). Il a de nombreux tableaux, mais il ne les regarde plus. Par ailleurs, il affirme que les sots admirent tout dans l’œuvre d’un grand auteur ; lui, il n’aime que ce qui est à son usage. Lorsqu’ils prennent congé de ce Vénitien, Candide dit à son serviteur Martin : « voilà le plus heureux des hommes car il est au-dessus de tout ce qu’il possède ». Il veut paraître supérieur à toutes ses possessions et, au fond, il cultive une forme de désir.

C : Il y a un dernier thème que vous abordez, celui de la vérité, de la vérificabilité. Derrière ce thème de la vérité se cache celui de la figuralité : tout est figure du vrai…. Dans La voix méconnue du réel, vous proposez l’idée d’une vérité à laquelle on n’échappe pas, celle de la théorie mimétique, qui d’une certaine façon est au-dessus des preuves que l’on peut donner pour ou contre…

R.G : Le vrai problème est celui de la vérité scientifique. Popper m’oppose toujours la « vérifiabilité ». Il m’assure que ma thèse n’est pas vérifiable. Je lui réponds que la thèse de l’évolution ne l’est pas non plus indubitablement. D’autre part, il y a toutes sortes de choses dont nous sommes certains. C’est la direction que je prends maintenant. C’est ce que l’on nomme en anglais le « common knowledge », le savoir commun. Aujourd’hui vous n’avez pas besoin d’expliquer que les sorcières ne sont pas coupables, malgré la chasse aux sorcières du 15ème siècle. Il s’agit là de « common knowledge » dans la mesure où personne ne vous réfutera car cela va de soi, cela est évident. La question est de savoir si ce « common knowledge » fait partie de la science. Je réponds : oui mais c’est une science tellement certaine qu’elle n’a pas à se démontrer, une science qui a trop de vérifications qui sont là possibles pour qu’il soit nécessaire d’en épuiser la liste.

C : Notre revue s’appelle Certitudes : c’est un clin d’œil au penseur italien Vico, qui développe la théorie du « certum ». Le certum n’est pas le « verum ». Vico est d’une certaine manière, un anthropologue, il est passionné par la latinité dans toutes ses manifestations historiques. Votre éloquence fait penser à Vico. Le propos de Vico n’est pas philosophique. Sa théorie de la « science nouvelle » décrit une science qui est en opposition à celle de Descartes et en cela elle est nouvelle. Descartes, lui, prétendait au« verum » donc à une science de l’objet. Et vous dites : « Nous sommes toujours inclus dans la science fondamentale que nous développons donc ce n’est pas une vérité objective mais une vérité totale qui nous enveloppe… ».

R.G : L’idée selon laquelle on ne peut arriver au « certum » à partir des textes est une idée constamment démentie par l’existence du système judiciaire, du système de la preuve. La question est de savoir à partir de quel moment on est vraiment dans le « certum ». Dans l’anthropologie il n’y a pas de vérification immédiate puisque tout est indirect. Tout est lié à la multiplication des indices donc c’est bien une attitude scientifique. Le travail de l’ethnologue nécessite cette multiplication d’indices indirects.

C : Vous avez osé intituler l’un de vos livres : la voix méconnue du réel. Comment ce texte sur le réel et sur la vérité a-t-il été reçu ?

R.G : La voix méconnue du réel c’est le titre choisi par la traductrice. Je trouve cette traduction très bonne, mais certains la contestent. C’est tout le problème des traductions de l’anglais au français. C’est sur le mot « réel » que l’on conteste la traduction. La traduction devient impossible à cause des ressemblances entre les deux langues. C’est la question des « faux-amis ». Des termes traduits en apparence parfaitement n’ont pas de sens dans une langue, mais sont très compréhensibles dans l’autre.

C : Le fait d’avoir enseigné et publié aux Etats-Unis vous a-t-il donné une liberté de recherche et de pensée supplémentaire par rapport à ce qui se serait passé si vous étiez restés en France ? Le préjugé antireligieux était-il moins fort là-bas ?

R.G : C’est ma seule expérience anthropologique ! ( rires ). Non, le préjugé est exactement le même. Mais les proportions en chiffres sont différentes. Par exemple, l’Eglise « modernisée » a réussi à « décatholiciser » nombre de gens. Les catholiques rassemblent soixante-dix millions de personnes aux Etats-Unis. J’y suis arrivé avant le Concile et il y avait alors 75 % de pratiquants. Cela représentait beaucoup plus que toute l’Europe. Aujourd’hui on compte 30 % de pratiquants ce qui reste encore très supérieur à l’Europe. Les fondamentalistes ne sont pas les fous-furieux tels que les médias les montrent ici. Les traiter de « fondamentalistes » est d’ailleurs excessif. Ils sont attachés à l’éducation des enfants. Ils se méfient des cours de « sex education » qui ont lieu dans certaines écoles, ce qui est parfaitement légitime. Certes, les milieux les plus nationalistes récupèrent leurs votes, mais d’une certaine manière tous les partis ont une part de responsabilité. Les églises protestantes sont d’ailleurs dans un état de décomposition plus grand que l’Eglise catholique.

C : Justement, quelle est la situation des églises protestantes, des baptistes par exemple ?

R.G : Ce problème est assez complexe. Les baptistes ont toujours été un peu fondamentalistes. Il y a de nombreux pratiquants dans cette branche du protestantisme. Il y a ce qu’on appelle les « grandes dénominations » qui comprennent les épiscopaliens ( anglicans version internationale), les presbytériens d’origine écossaise et les méthodistes ainsi que les quakers. Beaucoup de ces Eglises notamment presbytériennes, souvent très rigoureuses ont connu une certaine évolution vers un relâchement de la Foi. Ainsi parler de Dieu aujourd’hui dans ces Eglises cela paraît un peu impoli…! ( rires ) Elles sont devenues des sortes de clubs humanitaires.

C : Vous dites avec une force extraordinaire que la religion est mère de tout…

R.G : Je pense qu’elle l’est. Ce qui fait la force du catholicisme américain ce sont les protestants qui se convertissent au catholicisme. Si vous leur dites que le catholicisme est en train lui aussi de se décomposer, ils vous répondent : « Oui, mais le catholicisme est la seule Eglise qui a une chance de survivre et de vivre. »

« Le débat sur le film de Mel Gibson est en réalité un débat sur la Passion elle-même »

C : Ils doivent être d’autant plus désolés de l’affadissement du catholicisme…Quelle a été, par exemple, la réaction de la hiérarchie catholique devant la Passion du Christ ?

R.G : De nombreux protestants ont affirmé sur plusieurs chaînes de télévision : « ce film montre à quel point nous avons supprimé toute imagerie ». Il y a donc eu parfois de très heureuses réactions de la part de protestants. Pour ce qui est de la hiérarchie catholique, une déclaration des évêques disait : « Nous n’avons pas d’avis ». Ils ont affirmé qu’ils ne jugeaient pas Mel Gibson, que son engagement était plutôt bon en soi mais que le film pouvait être très mal compris, comme un film justifiant la violence. Cela est vraiment faux. Le film ne justifie pas la violence. Aux Etats-Unis, nous avons une chaîne de télévision catholique qui s’appelle « The Eternal Word Television Network » (EWTN) : le réseau de télévision de la Parole éternelle. C’est magnifique ! (rires). C’est Mother Angelica qui en est la directrice. Ils disent la Messe, ils récitent le chapelet plusieurs fois par jour et les émissions culturelles sont souvent de qualité et ne sont pas la répétition interminable de celles diffusées par les autres médias.

C : En France, il y a la chaîne KTO lancée depuis trois ans. Elle s’apprêtait à défendre le film, mais, très liée à l’épiscopat, ce dernier lui a demandé de mettre un bémol dans ses analyses…

R.G : Une journaliste de KTO m’a interrogé. Je revenais à ce moment-là des Etats-Unis et j’étais donc un peu fatigué. J’ai compris tout de suite qu’elle souhaitait me lancer contre le film de Mel Gibson. Alors cela m’a réveillé ! (rires).

René Girard : “Le christianisme est le seul à désigner le caractère mimétique de la violence”

 La  Croix

11-08-2008

Cinquième commandement : « Tu ne commettras pas de meurtre. » (Ex 20, 13)

LE DECALOGUE (5/10) René Girard, de l’Académie française

La Croix : Quel sens donnez-vous au commandement : « Tu ne tueras point » ?

René Girard : Les religions archaïques se fondaient sur l’appel au meurtre et les sacrifices rituels pour résoudre le problème de la violence en rétablissant l’unité de la communauté contre une victime. C’est ce que j’ai appelé le phénomène du bouc émissaire. Lorsque ce meurtre réussit, la victime acquiert un prestige considérable, les boucs émissaires sont divinisés, à cause de leur vertu réconciliatrice. Les religions archaïques sont fondées sur l’illusion que ces boucs émissaires sont des dieux parce qu’ils installent une certaine paix entre les hommes. C’est cette paix que l’on renouvelle en immolant des victimes humaines ou animales délibérément choisies à cet effet. Le commandement de la Bible rompt catégoriquement avec cette pratique. Le christianisme nous apprend que c’est une illusion, une ruse que nous employons avec nous-mêmes. Toutes les grandes scènes de la Bible vont dans le sens de l’abolition ou de la diminution de la violence contre l’homme, à l’instar du non-sacrifice d’Isaac dans l’ancien testament, remplacé au dernier moment par un bélier. Dans la passion du Christ, c’est exactement l’inverse, le meurtre religieux est pour la première fois catégoriquement rejeté. Le Christ s’offre comme victime pour révéler la vérité aux hommes. Au lieu de sacrifier autrui – l’attitude normale des hommes –, le Christ s’offre comme victime pour se révéler aux hommes tel qu’il est, c’est-à-dire totalement étranger à la violence.

L’Ancien Testament et les Évangiles sont-ils les seuls textes fondateurs à condamner le meurtre et la vengeance ?

Je pense qu’ils sont les seuls à condamner le meurtre religieux. La condamnation du meurtre dans la Déclaration des droits de l’homme n’est pas une invention de l’humanisme occidental mais une invention chrétienne. L’humanisme s’est montré encore plus impuissant que le christianisme à la mettre en œuvre puisque nous sommes placés aujourd’hui dans un univers qui risque à chaque instant de se détruire lui-même.

L’interdit chrétien n’a pas empêché les croisades, les guerres de religion, les guerres mondiales et les génocides. Comment expliquez-vous cet échec ?

Le christianisme n’a pas eu raison du péché originel. Le péché originel, cela veut dire que l’homme est disposé au péché, qu’il est très difficile de vivre sans se heurter à son voisin, sans désirer la même chose que lui, sans devenir son rival. Des découvertes récentes en neurologie montrent que l’imitation est première et le moyen essentiel de l’apprentissage chez le nouveau-né. Nous ne pouvons échapper au mimétisme qu’en en comprenant les lois : seule la compréhension des dangers de l’imitation nous permet de penser une authentique identification à l’autre. Dès que nous imitons le modèle de nos désirs, nous désirons la même chose que lui. Cette rivalité mimétique est la cause principale et fondamentale de la violence entre les hommes. Le christianisme est le seul à désigner ce désir mimétique. Si l’homme est meurtrier, c’est parce qu’il a le meurtre en lui et qu’il y a quelque chose qui s’appelle le péché originel. Le péché originel, c’est Caïn et Abel, la rivalité qui engendre le meurtre.

Le monde globalisé d’aujourd’hui est-il prêt à entendre le message chrétien de réconciliation et de renonciation à la violence ?

La vérité devient aujourd’hui plus éclatante même si très peu d’individus se convertissent. Notre civilisation est plus créatrice et puissante que jamais mais aussi plus fragile et plus menacée car elle ne dispose plus du garde-fou du religieux archaïque. Au nom du désir de bien-être et du progrès, les hommes produisent les moyens de s’autodétruire. Notre monde est menacé et il est totalement impuissant à prendre des mesures pour éviter les périls les plus immédiats comme le réchauffement climatique, les manipulations génétiques ou la prolifération nucléaire.

Le terrorisme islamique est-il une nouvelle étape de la montée des extrêmes, un retour de l’archaïque ?

La montée aux extrêmes se sert de l’islamisme. Le terrorisme remplace la guerre qui redevient une entreprise privée sur laquelle les États n’ont plus de contrôle. La guerre n’est plus contenue par des règles institutionnelles qui en limitaient la durée et les effets. Plus l’homme est capable de produire la violence, plus il la produit. Nous sommes aujourd’hui menacés d’un vol de l’arme atomique par des individus qui n’hésiteront pas à s’en servir. La possession des moyens de destruction les plus perfectionnés est un signe du retour de l’archaïque. L’islam a tenté de réguler la violence à travers sa forte capacité d’organisation et le monde islamique ne se confond pas avec un déchaînement de la violence auquel nous serions étrangers. Pour autant, je pense que le christianisme a une vision plus profonde de la violence. Dans la Passion, la crucifixion du Christ révèle la violence. C’est la révélation du meurtre fondateur, le résultat du mécanisme victimaire et c’est Jésus qui rend cela visible en subissant cette violence injuste et en l’exposant aux regards de tous, en la privant ainsi de sa puissance fondatrice.

Pour renoncer à la violence, l’homme doit-il renoncer au désir ?

Le christianisme dit que l’homme doit désirer Dieu. Aujourd’hui, les individus intelligents et ambitieux semblent tournés vers l’accroissement de la puissance et la répétition des erreurs du passé. Les textes apocalyptiques des Évangiles annoncent précisément que les hommes succomberont à leur propre violence. C’est la fin du monde permise par les hommes. Le paradoxe, c’est que l’humanité soit plus sceptique que jamais à une époque où elle sait qu’elle a tous les moyens de se détruire. De leur côté, les chrétiens interprètent souvent le christianisme comme une simple philosophie optimiste et, sous prétexte de rassurer, n’en donnent qu’une version édulcorée. Il vaudrait mieux alerter les gens et réveiller les consciences endormies plutôt que de nier les dangers. Nous vivons à la fois dans le meilleur et le pire des mondes. Les progrès de l’humanité sont réels. Nos lois sont meilleures et nous nous tuons moins les uns les autres. En même temps, nous ne voulons pas voir notre responsabilité dans les menaces et les possibilités de destruction qui pèsent sur nous. Les textes chrétiens, en particulier les textes apocalyptiques, collent de façon étonnante à la réalité présente, à savoir une confusion entre les désastres causés par la nature et les désastres causés par les hommes, une confusion entre le naturel et l’artificiel. Dans le cyclone qui a dévasté La Nouvelle-Orléans, on ne pouvait plus distinguer la responsabilité de la nature de celle des hommes.

Il n’est pas trop tard pour bien faire ?

Nous arrivons dans un monde où nous nous trouverons placés devant l’alternative chrétienne, le royaume de Dieu ou la destruction totale, la réconciliation ou rien. Les hommes cherchent des échappatoires pour ne pas voir ce qui s’impose à eux, pour ne pas être pacifiques, pour ne pas rencontrer l’autre. Le christianisme est la seule utopie qui dise la vérité sur cette situation. Ou bien les hommes la réaliseront en renonçant à la violence, ou bien ils s’autodétruiront. Ce sera la violence absolue ou la paix.

Recueilli par François d’ALANÇON

Voir également:

textes de l’Apocalypse …

L’Apocalypse a commencé Antoine Nouis et Jean-Luc Mouton Réforme 31 juillet 2008

Mondialement connu pour sa théorie mimétique, René Girard se définit lui-même comme un anthropologue de la violence et du religieux.

Il analyse et commente ici l’actualité sombre du monde à la lumière de son dernier livre inspiré par la lecture de Clausewitz.

La pensée de René Girard, en apparence limpide, se révèle cependant complexe car paradoxale et radicalement différente des courants dominants. Encensé ou vivement contesté, René Girard fait débat aujourd’hui, notamment en raison de ses convictions chrétiennes.

Il vient pour l’heure de publier en français Achever Clausewitz (éd. Carnets Nord, 365p., 22 euros), un livre d’entretiens consacré à Carl von Clausewitz (1780-1831), stratège prussien, auteur du De la guerre. On se souvient de sa formule : « La guerre est la -continuation de la politique par d’autres moyens. » Loin de contenir la violence, la politique court derrière la guerre : les moyens guerriers sont devenus des fins. « Achever Clausewitz », c’est lever un tabou : celui qui nous empêchait de voir que l’Apocalypse a commencé. Car la violence des hommes, échappant à tout contrôle, menace aujourd’hui la planète entière.

Même s’il est un peu troublant et fort peu réconfortant de commencer une nouvelle année par une réflexion aussi pessimiste, il faut bien aussi tenter de regarder le monde en face. Nous avons atteint un point, rappelle avec force René Girard, où la disparition de l’espèce humaine devient possible – disparition qui est déjà annoncée dans la Bible – si l’homme ne renonce pas à la violence et à la rivalité.

Vous évoquez dans votre livre, en citant Clausewitz, une « montée aux extrêmes ». Pour vous, l’Apocalypse a déjà commencé…

Je pense qu’il est nécessaire de dire aujourd’hui la vérité en premier lieu sur les phénomènes liés à la dégradation de l’environnement. La fonte, par exemple, des glaces du Groenland est un phénomène très alarmant. Tous les Etats le savent. C’est un enjeu vital aujourd’hui. Les événements qui se déroulent sous nos yeux sont à la fois naturels et culturels, c’est-à-dire qu’ils sont apocalyptiques. Jusqu’à présent, les textes de l’Apocalypse faisaient rire. Tout l’effort de la pensée moderne a été de séparer le culturel du naturel. La science consiste à montrer que les phénomènes culturels ne sont pas naturels et qu’on se trompe forcément si on mélange les tremblements de terre et les rumeurs de guerre, comme le fait le texte de l’Apocalypse. Mais, tout à coup, la science prend conscience que les activités de l’homme sont en train de détruire la nature. C’est la science qui revient à l’Apocalypse.

Cette réalité-là m’impressionne profondément. Depuis trois cents ans, la science a plaidé le contraire pour retomber aujourd’hui sur cette découverte très scientifiquement au moment où on s’y attend le moins. Autrement dit, la pensée apocalyptique n’est plus folle, elle est en train d’entrer dans la vie quotidienne. Si un ouragan de plus touche La Nouvelle-Orléans dans les prochains mois, la question des liens entre ces phénomènes et les activités humaines se reposera. Lorsque l’Apocalypse mélange les deux, c’est une opération qui, sur le plan intellectuel aujourd’hui, a un intérêt prodigieux que même les chrétiens ne veulent pas voir. Ces derniers n’osent pas parler de l’Apocalypse. Des formes de pensée que nous pensions dépassées sont en train de revenir… et ce sont des formes de pensée évangéliques. Ce qui nous paraissait archaïque revient parmi nous sur les ailes de la science. Nos contemporains ne sont pas encore prêts à entendre ces paroles, mais ils vont bientôt l’être.

Pourquoi liez-vous la montée en puissance de la violence avec celle des températures à la surface du globe ?

Il existe un lien direct. Je définis la violence par la rivalité. Dans le monde actuel, beaucoup de choses correspondent au climat des grands textes apocalyptiques du Nouveau Testament, en particulier Matthieu et Marc. Il y est fait mention du phénomène principal du mimétisme, qui est la lutte des doubles : ville contre ville, province contre province… Ce sont toujours les doubles qui se battent et leur bagarre n’a aucun sens puisque c’est la même chose des deux côtés. Aujourd’hui, il ne semble rien de plus urgent à la Chine que de rattraper les Etats-Unis sur tous les plans et en particulier sur le nombre d’autoroutes ou la production de véhicules automobiles. Vous imaginez les conséquences ? Il est bien évident que la production économique et les performances des entreprises mettent en jeu la rivalité. Clausewitz le disait déjà en 1820 : il n’y a rien qui ressemble plus à la guerre que le commerce. Souvent les chrétiens s’arrêtent à une interprétation eschatologique des textes de l’Apocalypse. Il s’agirait d’un événement supranaturel… Rien n’est plus faux ! Au chapitre 16 de Matthieu, les juifs demandent à Jésus un signe. « Mais, vous savez les lire, les signes, leur répond-t-il. Vous regardez la couleur du ciel le soir et vous savez deviner le temps qu’il fera demain. » Autrement dit, l’Apocalypse, c’est naturel. L’Apocalypse n’est pas du tout divine. Ce sont les hommes qui font l’Apocalypse. Il existe aujourd’hui un moment de chambardement qui m’intéresse au plus haut point.

S’il existe une consonance entre l’évolution du monde et les textes de la Bible, quel message nous donnent-ils pour nous guider ? Ils nous avertissent contre notre violence. Ils nous disent : il faut s’en occuper. Mais ils ne disent pas que c’est Dieu qui intervient dans la montée des eaux ou dans la perte des glaces au pôle Nord. Les grands dirigeants du monde en sont cependant encore à se demander qui aura le droit d’extraire prioritairement le pétrole de cette région du Pôle ! Ce qui, évidemment, ne peut qu’accentuer les risques pour la planète. Là résident le comique et le tragique de notre temps. La bonne manière d’écouter ces textes est de faire nôtre cette inquiétude, elle n’est pas celle de Dieu. Nous en sommes seuls la cause. Nous avons mal utilisé nos pouvoirs et nous continuons de le faire. Nous lisons tout à l’envers.

Le développement continu des armements va dans le même sens, de même que les manipulations biologiques dont les hommes tireront on ne sait encore quelle nouvelle puissance pour guerroyer. Etant donné ce que les hommes ont été capables de faire jusqu’ici, peut-on vraiment leur faire confiance ? Cette folie de l’homme est prévue, annoncée par les Evangiles. Dieu n’en est aucunement responsable. Dans ces conditions, je ne vois pas de tâche plus importante que de rappeler sans cesse le réalisme de la révélation et des textes apocalyptiques. Mais même l’Eglise ne s’y réfère plus jamais.

Vous avez une vision très pessimiste de l’Histoire…

Savez-vous qu’il est courant de professer une vision optimiste à mesure que se multiplient les dangers ? Les Etats sont capables de voir un problème à la fois, et sur le court terme. Mais si on prend tous les problèmes qui assaillent notre époque en même temps, n’est-ce pas monstrueux ? Mieux, l’avenir du monde semble totalement désespéré. Et pourtant, c’est bien de cela qu’il faut s’occuper. Si on a envie que nos petits-enfants puissent vivre sur une terre où ils puissent se tenir debout. Ceux qui tentent d’avertir les hommes d’aujourd’hui arrivent dans une atmosphère totalement athée. Les hommes de notre temps n’arrivent pas à percevoir l’importance et le sens de ces textes apocalyptiques de la Bible. L’Apocalypse, c’est la durée, si ces temps n’avaient pas été abrégés, il n’y aurait plus un seul adorateur du Dieu unique. Dans les grands textes des Evangiles synoptiques, ces temps sont longs et nous y sommes pleinement entrés. Je ne suis pas pessimiste, au fond. J’attends, comme tout chrétien, l’avènement du Royaume de Dieu.

A partir de votre analyse, quelle parole recommandez-vous aux Eglises ?

Il faut d’abord que les uns et les autres lisent le chapitre 24 de Matthieu, le chapitre 13 de Marc et çà et là quelques passages dans l’Evangile de Luc ! Mais comment comprendre ces passages ? Pour moi, l’homme est foncièrement en rivalité et violent. Il entraîne un désordre de toute la communauté qui finit par un phénomène de bouc émissaire. Dans le christianisme, le phénomène du bouc émissaire ne peut plus se produire parce qu’on le comprend trop bien. Pour qu’un phénomène de bouc émissaire se produise, il faut croire que la victime est coupable. Donc avoir un bouc émissaire, c’est ne pas savoir qu’on l’a. Et, par conséquent, savoir qu’on l’a, c’est être privé de moyens sacrificiels d’arrêter la violence. Nous sommes dans cette situation-là, donc nous sommes confrontés à notre propre violence et la seule solution, c’est celle qui est là, dans le christianisme – qui vient en premier lieu d’ailleurs, bien avant toutes choses –, c’est-à-dire l’offre du Royaume et la non-représaille universelle. La logique est parfaite. De ce point de vue, je ne peux que souhaiter aux uns et autres de se tourner vers le Christ. Je ne suis qu’un chrétien très classique, au fond…

Et que dire aux autorités politiques ?

Qu’il faut tout faire pour interrompre ces processus sans fin qui nous mènent à la destruction totale. C’est-à-dire qu’il faut accepter des mesures qui sont encore impensables aujourd’hui. Diminuer la production, s’il le faut, pour sauver la planète. Nombre d’Américains rattachés au camp républicain estiment que tous ces discours apocalyptiques n’ont pour but que les empêcher de gagner tout l’argent qu’ils méritent. Les conséquences de cette insouciance sont une réelle menace pour l’humanité. Le problème est que les responsables politiques qui tiendraient un tel langage de vérité ne sont pas éligibles. Qui peut attirer les suffrages de ses concitoyens en prônant une politique de restriction dans tous les domaines ou prétendre supprimer les automobiles ? Comment déplaire à l’opinion publique et annoncer de nouvelles mauvaises ? Sans doute, l’évolution de notre planète va devenir telle que des mesures très dures et difficiles s’imposeront. Reste que la démocratie n’est pas armée pour faire face à une situation d’urgence. Nous sommes bien dans une perspective apocalyptique.

La peur, comme le suggère Hans Jonas, ne pourrait-elle pas créer cependant les conditions d’une remise en question ? La peur est pédagogique jusqu’à un certain point. Le sera-t-elle suffisamment ? Cela me paraît fort douteux. Il faut continuer à dire aux opinions publiques que tout finira mal, sans cela vous ne les réveillerez jamais. L’annonce de l’Apocalypse, c’est avant tout le seul discours qui puisse contribuer à sauver le monde. Le problème des responsables est de se situer toujours dans le court terme. Le fondement du religieux, sur le plan social et politique, apparaît à l’inverse comme la pensée de la continuité, le souci de l’avenir. Les discours des religions et celui du christianisme rappellent toutes les traditions qui demandent à être maintenues, la famille par exemple. Traditions qui ont pour fonction de maîtriser la temporalité qui nous échappe. Donc, le religieux est d’une certaine manière conservateur.

Seriez-vous d’accord avec l’affirmation selon laquelle « le christianisme serait la religion de la sortie de la religion » ?

Ceux qui l’évoquent, comme Marcel Gauchet, le disent d’une façon athée, humaniste, la fin du religieux d’une manière post-hégélienne. Alors que je dis de mon côté que c’est la fonction du christianisme depuis le début. Le christianisme n’est pas une religion comme les autres. Les religions ont des dieux, des règles, des doctrines… Le christianisme ne nous apprend pas qui est Dieu, ou plutôt, si nous le savons, ce n’est qu’à travers le Christ. Parce que la mort du Christ nous a appris ce que sont les religions en révélant le mécanisme sacrificiel qui les fonde. La prédication du Christ est la seule à avoir dévoilé l’origine violente de l’humanité et sa perpétuation culturelle. L’échec de la prédication et la Passion, qui sacrifie le plus innocent de tous, ouvrent la voie à la lente connaissance de la méconnaissance du mécanisme victimaire.

Je défends depuis de longues années l’idée que cette révélation du mécanisme de la violence, du sacrifice, est inscrite dans le texte même des Evangiles. La question est : « Mais pourquoi existe-t-il des religions ? ». A mon sens, parce que l’on s’imagine que la victime est vraiment responsable et peut donc provoquer la réconciliation. En réalité, ce phénomène purement victimaire pourrait se passer sur n’importe qui. Le Christ, justement, n’est pas n’importe qui parce qu’il accepte cette mort pour faire connaître aux hommes ce qu’est réellement le religieux. Cette fonction du Christ donne au christianisme une place qui lui permet même d’approuver l’antireligion moderne dans ce qu’elle a de vrai.

L’apparition des fondamentalismes ne serait-elle pas une manière de réintroduire de la religion ?

Oui et non. Le fondamentalisme est avant tout un combattant du religieux. Les fondamentalistes sont dans le même mouvement que des athées qui sont partisans de telle ou telle idéologie. Généralement, les fondamentalistes que l’on rencontre aux Etats-Unis sont plutôt ignorants, mais voudraient bien qu’on les laisse tranquilles et que l’on ne les attaque pas systématiquement sur leurs convictions contre le mariage homosexuel. Convictions qu’ils considèrent conformes à leur lecture traditionnelle de la Bible. Ils sont en réalité minoritaires et ne dominent en rien l’Amérique. Pourtant, j’adresse aux fondamentalistes un reproche fondamental : ils attribuent à Dieu, ou à des phénomènes surnaturels, ce qui revient en réalité aux hommes. C’est pour cette raison qu’ils sont absurdes et non pour leurs convictions que l’on a coutume de qualifier de rétrogrades.

A propos du sacrifice, comment comprendre le sacrifice de ces terroristes qui donnent leur vie pour ôter celle d’autres vivants ?

Nous ne savons pas. Nous sommes devant une culture de mort qui nous échappe. Le 11 septembre 2001 a été le début d’une nouvelle phase. Le terrorisme actuel reste à penser. On ne comprend toujours pas ce qu’est un terroriste prêt à mourir pour tuer des Américains, des Israéliens ou des Irakiens. La nouveauté par rapport à l’héroïsme occidental est qu’il s’agit d’imposer la souffrance et la mort, au besoin en les subissant soi-même. Cette « montée aux extrêmes » de la violence sort de notre univers.

Je crois que nous sommes attachés à la vie d’une manière qui ne nous permet pas d’y accéder. Le terrorisme nous dépasse, on a l’impression de ne plus pouvoir réfléchir. C’est une menace, du fait même que l’on ne comprend pas. On ne peut pas négocier. Et encore moins faire la guerre contre le terrorisme sans même savoir où sont les terroristes, s’ils existent, s’ils ont envie de négocier…

Les Américains ont commis l’erreur de « déclarer la guerre » à Al-Qaida alors qu’on ne sait même pas si Al-Qaida existe. Le président Bush a réagi avec son instinct d’Américain, comme s’il s’agissait d’un adversaire habituel. Il s’est lourdement trompé. Il pensait répondre à une attente. Mais sans réflexion. Il savait que l’Amérique attendait de l’action. D’où la guerre d’Irak… Une bêtise absolue ! L’ère des guerres est finie : désormais, la guerre est partout. Nous sommes entrés dans l’ère du passage à l’acte universel. Il n’y a plus de politique intelligente. Nous sommes près de la fin.

Vous situez le Christ au cœur de l’histoire de l’humanité, mais quelle place accordez-vous aux autres religions ?

Les autres religions sont nécessaires pour l’arrivée au christianisme. L’éducation de l’homme est faite par le religieux. Les religions non chrétiennes sont nécessaires à un certain stade de l’humanité. Elles ont permis ce passage de l’animalité jusqu’à l’homme. Mais le christianisme met fin à ces religions et nous place devant l’Apocalypse.

Le sacrifice, par exemple, personne ne peut le définir parce que c’est trop évident. Il s’agit d’une violence de substitution, nécessaire pour passer la colère des hommes. Le nom chrétien du péché capital est bien la colère, plus que le ressentiment. Le péché originel, c’est la violence, ou plutôt l’ensemble, orgueil, colère et violence. L’islam, de son côté, ne dit rien contre la violence. Il l’accepte parfois comme un des véhicules de la révélation de Dieu. Il n’y a de devoir du chrétien de conquérir quoi que ce soit par la violence. D’une certaine manière, l’islam est une idéologie religieuse qui reste plongée dans l’archaïsme. Il en va différemment du judaïsme. Dans la Bible, on trouve les premiers textes religieux où la victime est innocente. L’histoire de Joseph, par exemple, on sent bien qu’elle va vers le christianisme, elle est tout entière prophétique, au sens chrétien du terme. Précisément parce qu’elle fait de la victime la victime de ses frères. L’histoire commence par une sorte de lynchage, et ce lynchage, c’est celui de l’innocent et non pas du coupable… Déjà l’histoire du Christ.

Que répondez-vous à ceux qui, à l’exemple du philosophe Michel Onfray, considèrent que ce sont les religions qui sont sources de violences et de guerres ?

Ce sont des penseurs qui en sont encore à Auguste Comte. Un homme qui considérait que le religieux était essentiellement une réponse à la question des origines de l’univers. Le bon sauvage sous le ciel étoilé qui médite sur l’univers et se demande d’où cela vient… La religion archaïque n’a strictement rien à voir avec ce genre de préoccupation.

Pour ce qui est de la violence, sachez qu’à toutes les époques on tue au nom de ce qui importe alors. Au moment de la féodalité, on estimait que la justice royale permettrait une paix universelle. A partir des rois on a cru que les querelles dynastiques étaient à l’origine des guerres. Quand on en arrive à la république, Clausewitz voit très bien que celle-ci produit une mobilisation du peuple pour la guerre, qui jusqu’alors était le fait des princes. L’origine de la violence sera toujours cherchée ailleurs, on désignera toujours la chose la plus importante du moment… Alors que c’est l’homme, bien entendu, qui est à la source de toute violence.

Vous considérez cependant le christianisme comme une religion rejetée, sinon méprisée, aujourd’hui…

Le christianisme est radicalement méprisé. Et il est le seul dans ce cas. Il est méprisé particulièrement en Europe parce qu’il faut se défendre contre lui. Il annonce que les hommes sont violents, c’est lui qui vient troubler notre tranquillité archaïque. Le christianisme n’est pas reçu, en réalité, parce qu’il n’est pas compris. Il faut en revenir au texte et au message évangélique…

Démarche protestante, s’il en est…

Savez-vous que les catholiques ont toujours pensé que j’étais protestant ? A dire vrai, protestantisme, catholicisme…, cela n’a pas grande importance à mes yeux. Les catholiques sont aussi influencés par les protestants que les protestants peuvent l’être par les catholiques. La remarque est évidente pour ce qui est des Etats-Unis. Les protestants comprennent la valeur de l’unité. Les intellectuels, en particulier, regardent beaucoup plus aujourd’hui ce qui se passe dans l’Eglise catholique. Il se trouve que de nombreuses conversions au catholicisme ont lieu en ce moment aux Etats-Unis. Il faut dire que la vie intellectuelle dans les universités américaines est dominée par des figures catholiques. Les White Anglo-Saxons Protestants sont toujours, de leur côté, plus attirés par le business. C’est peut-être le souci de la parole d’autorité, de la parole qui se fait entendre dans le monde, qui questionne aujourd’hui la pensée américaine. D’où peut-être cette attirance nouvelle pour l’universalité du catholicisme.

Le tragique serait-il pour vous le dernier mot de l’Histoire ?

Le tragique en grec, c’est le mot trogos. C’est la mort de cette victime qui finalement réconcilie. Donc, c’est aussi la catharsis. La tragédie grecque elle-même ne fait que répéter la naissance du religieux. C’est la mort de la victime qui ramène la paix en amenant la purification de la violence. La mort de la victime ramène la paix. La tragédie respecte le schéma de la religion archaïque. Reste quand même une incertitude sur la vérité de la culpabilité de la victime. Cela va dans le sens du christianisme. Mais accepter la vérité du christianisme, c’est se débarrasser du tragique, c’est l’au-delà du tragique. Nous ne savons pas ce dont il s’agit réellement. Mais nous savons pourtant que l’Apocalypse, ce n’est pas triste, dans la mesure où si on arrive vraiment à elle, on commence à passer à autre chose. Les chapitres apocalyptiques des Evangiles annoncent cela, mais ne sont pas pour autant un happy end. La providence, c’est toujours une attente, l’Apocalypse, c’est sûr.

Reste que nous ne sommes pas appelés à la peur, mais à la confiance…

« N’ayez pas peur. » Cette parole apocalyptique se trouve dans l’Evangile. Cela ne va pas être facile, ni plaisant, mais le Christ nous dit : « Ne vous en faites pas ! » Il faut continuer jusqu’au bout, comme si de rien n’était. La vocation de l’humanité continue. Penser vraiment l’Apocalypse, c’est penser la tragédie des temps qui viennent dans une lumière chrétienne qui est fondamentalement optimiste. Ce n’est pas la fin de tout, mais l’arrivée du Royaume de Dieu. Royaume de Dieu dont nous n’avons aucune explication. Mais qu’importe, puisqu’il se rapproche de nous.

Présentation de l’éditeur

Comment ne pas être inquiet? Chaque jour, de mauvaises nouvelles sont assenées sur l’état de la planète, celui de notre civilisation ou sur notre santé. Et nous sommes abreuvés de prévisions catastrophistes. La population mondiale s’accroît trop vite; les ressources naturelles vont s’épuiser rapidement; le climat va se détériorer gravement ; les produits chimiques affectent notre santé ; le modèle capitaliste s’effondre ; le temps de la suprématie occidentale est terminé; les grandes épidémies vont revenir ; le djihadisme menace les fondements de notre civilisation; la prolifération des armes de destruction massive est incontrôlable… Sans compter que le terrorisme nucléaire n’est pas loin. Les gouvernements, les institutions internationales, les ONG et les experts ont tous une part de responsabilité dans cette politique de la peur, nombreux d’ailleurs sont ceux qui en bénéficient. Et si la planète allait bien mieux qu’on ne le croit ? Et si l’avenir de l’humanité était beaucoup moins sombre qu’on ne le dit ? Les prophètes de malheur ont beaucoup de succès, mais il s’avère qu’ils ont toujours eu tort. À l’encontre des idées reçues, Bruno Tertrais propose ici une autre lecture du monde, qui met l’accent sur des faits souvent ignorés et sur les incertitudes qui entachent les prévisions catastrophistes. En s’appuyant sur les dernières statistiques, en procédant à une analyse rigoureuse des faits et à un décryptage des études scientifiques les plus pointues, L’Apocalypse n’est pas pour demain met la compréhension des grands problèmes contemporains à la portée de tous. Ce livre est une véritable invitation à retrouver une vision plus sereine de nos sociétés et de leur avenir, et à croire au progrès au sens noble du terme – c’est-à-dire à l’amélioration de la condition humaine.

Notes de lecture

L’apocalypse n’est pas pour demain. Pour en finir avec le catastrophisme

Bruno Tertrais, Paris, Denoël, 2011, 277 p.

Yves Gounin

IRIS

« La planète et l’humanité vont bien mieux qu’on ne le croit (…) l’avenir est beaucoup moins sombre qu’on ne le dit » (p. 10). En défendant une vision plus sereine de nos sociétés et de leur avenir, Bruno Tertrais est politiquement incorrect. En refusant de céder au catastrophisme ambiant et en questionnant la pertinence du principe de précaution en passe d’être érigé en dogme, il fait aussi preuve de courage.

L’heure, dit-il, est aux Cassandres. Quand on ne prédit pas la fin du monde, on annonce la fin de notre planète, le réchauffement climatique, l’extinction des ressources énergétiques, le tarissement de la biodiversité, la multiplication des catastrophes naturelles… L’heure est à la peur et au soupçon. La médecine, la technologie, la chimie, qui permirent longtemps l’amélioration de la condition humaine sont désormais tenues en suspicion. On prête les plus noirs desseins aux firmes pharmaceutiques, aux grands groupes pétroliers, aux géants de l’agroalimentaire. L’avenir n’est plus source d’espoir, mais au contraire d’angoisse. Si la génération de nos parents croyait encore dans le progrès, nous aspirons tout au mieux à léguer à nos enfants la Terre dans le même état que celui dans lequel nous l’avons trouvée. La société construite sur ces principes est « craintive (…), minée par le sentiment de vulnérabilité, obsédée par le risque zéro » (p. 75).

Battant en brèche quelques idées reçues, B. Tertrais montre que nous n’avons jamais dans l’Histoire été aussi bien nourris, soignés, éduqués et protégés.

Il dénonce surtout l’idéologie environnementaliste et ses sombres prédictions, qui sous-estiment les capacités d’adaptation des ressources humaines. Ainsi de l’idée d’une Terre « finie » qui repose sur une vision statique des ressources et ignore que le prix constitue un facteur d’ajustement extraordinaire. Qu’il s’agisse de la surpopulation, de la déforestation, du manque d’eau, des pluies acides ou du trou dans la couche d’ozone, B. Tertrais montre, qu’à rebours d’une vision conservationniste qui relève du fétichisme de la Nature, ces problèmes dont la réalité scientifique n’est pas toujours certaine peuvent être appréhendés sans verser dans le catastrophisme.

C’est au réchauffement climatique qu’il consacre les plus longs développements. Il procède à une relecture attentive des rapports du GIEC pour en stigmatiser les erreurs méthodologiques et les résumés biaisés. Sans doute, admet-il, le climat se réchauffe mais il insiste sur les incertitudes qui entourent les causes de ce réchauffement. Surtout, dit-il, l’ampleur du réchauffement prévisible est exagéré et ses conséquences potentielles dramatisées. A titre d’exemple, le réchauffement climatique devrait permettre d’étendre les surfaces agricoles (en permettant l’exploitation des immenses pergélisols du nord du Canada et de la Sibérie) et d’augmenter leur rendement.

Mais jamais B. Tertrais n’est-il plus convaincant que lorsqu’il évoque les soi-disant « nouvelles menaces » géopolitiques du siècle naissant. Il souligne combien la fin de la Guerre froide a conduit à une pacification de la planète et à une diminution des risques. On a certes, depuis le 11-Septembre, érigé le fondamentalisme islamiste en nouvel Ennemi. Mais il a raison de rappeler l’échec de l’islamisme politique et l’impasse du terrorisme al-qaidiste. Et si la suprématie américaine sera relativisée par l’émergence de nouvelles puissances, la marginalisation du modèle occidental n’est pas pour demain.

On peut certes questionner la légitimité de B. Tertrais, expert des questions militaires et stratégiques, à mettre en cause certaines vérités scientifiques tenues pour acquises dans le domaine de l’écologie ou de la climatologie. Son réquisitoire, par son systématisme, verse parfois dans les excès qu’il dénonce : il est tout autant caricatural d’affirmer que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes que d’annoncer la Fin du Monde.

Pour autant, le livre de B. Tertrais a le mérite de souligner les dangers du catastrophisme ambiant, ses dérives autoritaristes, son coût exorbitant, sa philosophie délétère et de promouvoir, au contraire, un progressisme éclairé et confiant dans la capacité humaine à résoudre les défis sanitaires et environnementaux.

L’apocalypse n’est pas pour demain

L’Apocalypse n’est pas pour demain. Pour en finir avec le catastrophisme
.
 Bruno Tertrais
, Denoël, 2011, 288 p., 20 €.

Thierry Jobard

« Le pessimisme est d’humeur, l’optimisme est de volonté », a dit le philosophe Alain. Face à la tendance pessimiste dominante, Bruno Tertrais entend réagir contre ce qu’il juge être des lieux communs du catastrophisme : peurs sanitaires, crainte face à l’épuisement des ressources naturelles, panique du réchauffement climatique, déclin annoncé de l’Occident, nouvelles menaces de guerre et de terrorisme…
Dans le sens commun, il y a souvent confusion entre différence de nature et différence de degré. Cette disposition incite les gens à adopter des jugements tranchés, qui vont à l’opposé d’un pragmatisme expérimental qui a pourtant fait ses preuves. Ainsi, un produit alimentaire ou pharmaceutique est rarement intégralement bon ou complètement mauvais : c’est son dosage qui importe. Pour qu’une étude soit valable, il est indispensable de pouvoir la réitérer pour la confirmer. Or, bien souvent, c’est le dernier résultat en date qui fait foi, induit des mesures instantanées, avant d’être très souvent remis en cause. Ainsi, si l’on admet qu’un réchauffement climatique est en cours, aucune étude ne peut à ce jour faire vraiment la part entre facteur cyclique naturel et facteur anthropique. Et si chaque étude peut être contredite par la suivante, mieux menée, plus complète, comment établir un jugement fiable sur la réalité ? Parmi les multiples sources d’information, lesquelles sont à privilégier ? C’est ce brouillage permanent de l’information qui provoque les réflexes de repli sur la vision la plus sombre possible de l’avenir. Or, selon l’auteur, plutôt que de batailles de chiffres, les citoyens ont besoin d’un peu plus de méthode pour apprécier la situation.

Bruno Tertrais Le progressiste

La peur n’est pas bonne conseillère mais elle rapporte gros. C’est pour aller contre ce «marché de la peur» que le politologue Bruno Tertrais publie L’apocalypse n’est pas pour demain, avec ce sous-titre encore plus explicite : Pour en finir avec le catastrophisme. «Depuis vingt-cinq ans, écrit-il, c’est un déferlement d’inquiétudes», accéléré par internet. Certaines sont justifiées, d’autres « irrationnelles ». Dans l’ordre chronologique (et sans exhaustivité) : le sida, les pluies acides, les pesticides, le trou de la couche d’ozone, les migrations de l’Est, l’islamisation, la vache folle, le bug de l’an 2000, les OGM, le djihadisme, l’anthrax, le sras, le réchauffement climatique, la grippe aviaire, la crise financière, la grippe H1N1… L’auteur, spécialiste de la dissuasion nucléaire, rappelle que les apocalypses promises hier ne se sont jamais matérialisées et démonte une à une ces nouvelles terreurs. Sur le réchauffement climatique, il prend à contre-pied les théories du Giec et appelle à la plus grande prudence concernant les mesures de réduction du CO2, certains écologistes allant jusqu’à prôner la limitation des naissances ! La tragédie japonaise et sa crise nucléaire ne le font pas varier d’un pouce : «Imaginez que cela se soit produit dans un pays non-développé: le nombre de morts aurait été de 200000, répond Bruno Tertrais.Le développement et la croissance nous protègent des catastrophes naturelles.»

L’apocalypse n’est pas pour demain, publié le 11avril chez Denoël, 240p., 19€.


Polémique Vanneste: Attention, une légende peut en cacher une autre (French lawmaker expelled for debunking homosexual WWII deportation myth)

18 février, 2012
Il y a la fameuse légende de la déportation des homosexuels (…) En Allemagne, il y a eu une répression des homosexuels et la déportation qui a conduit à peu près à 30.000 déportés. Et il n’y en a pas eu ailleurs (…) Et en dehors des trois départements annexés, il n’y a pas eu de déportation homosexuelle en France. Christian Vanneste
 De France, il n’y a pas eu de déportation d’homosexuels. Un déporté homosexuel a bien témoigné, mais il est parti d’Alsace, territoire qui se trouvait régi par les lois allemandes. (…)  Les lois allemandes n’ont pas été étendues à d’autres pays. Il n’a jamais été question de déporter des homosexuels français. Je n’ai jamais entendu dire que l’on arrêtait des gens parce qu’ils étaient homosexuels. (…) Les personnes homosexuelles qui ont pu être arrêtées en France ne l’ont pas été en raison de leur homosexualité. Il y a certainement eu des homosexuels déportés mais pour d’autres raisons. Cela pouvait être pour non-respect du couvre-feu ou pour fait de résistance ou tout simplement des condamnés de droit commun. Serge Klarsfeld
 Que M. Christian Vanneste soit homophobe et même légèrement obsessionnel est bien possible, mais ce n’est pas un délit. Et force est de constater que ses déclarations, telles qu’elles sont reproduites, peuvent parfaitement être soutenues historiquement, quitte à faire l’objet d’un raisonnable débat. L’unanimité condamnatrice qui les accueille, en particulier au sein de l’UMP, n’a donc aucune espèce de raison d’être d’un point de vue moral, juridique ou historique. Elle ne peut avoir d’autre cause que la volonté de complaire à une “communauté” après tant d’autres, quitte à la prendre — à tort, il faut l’espérer — pour imbécile. Renaud Camus (ex-chroniqueur de Gai pied et candidat à la présidentielle de 2012)
C’est l’alliance des ignorants et des lâches. Des ignorants qui crient au révisionnisme historique alors que ce sont eux qui falsifient  l’histoire. Des lâches qui crient avec les loups de peur d’être accusés d’homophobie. Jamais les homosexuels français n’ont été envoyés dans des camps de concentration pour leur orientation sexuelle. En Allemagne, si. En France, non. Les seuls Français qui aient témoigné dans ce sens furent des Alsaciens, à l’époque citoyens du Grand Reich, donc allemands. (…) Serge Klarsfeld qui a consacré sa vie à l’étude des camps de concentration confirme les propos de Vanneste sans l’ombre d’une hésitation . Il y eut sûrement des homosexuels dans les camps mais parce qu’ils étaient résistants, communistes, gaullistes,  juifs ou tziganes. Le reste est manipulation, propagande, réécriture par l’idéologie d’une histoire de plus en plus ignorée, élaboration idéologique d’une fierté homosexuelle qui aurait besoin de se fonder sur une grande persécution.  Eric Zemmour
La chasse au Vanneste est relancée. L’UMP se couvre de ridicule en affirmant haut et fort qu’elle va l’exclure et lui retirer son investiture pour les futures législatives. (…) D’autant plus que Serge Klarsfeld a confirmé dans l’après-midi la validité des propos de Vanneste furieusement pourfendus le matin. Des homosexuels ont pu être arrêtés et déportés en France mais pas en tant qu’homosexuels (…) Cependant, à supposer même que Christian Vanneste, individu singulier, esprit indépendant, parlementaire iconoclaste, dise du mal de l’homosexualité s’il en a envie, où serait le scandale, sinon pour une droite stupide cherchant à compenser ses positions extrêmes sur le plan politique et social par une démagogie et une révérence culturelles, une soumission lâche à l’air du temps ? Mais contrairement à ce que répètent comme des perroquets ceux qui préfèrent détester que connaître, Christian Vanneste s’est contenté de mettre en cause le « lobby gay » – qui peut de bonne foi prétendre qu’il est sans pouvoir au sein du Pouvoir et dans les élites ? – et de souligner les incidences possibles, pour une société et un Etat, de l’homosexualité aspirant à une totale égalité institutionnelle et familiale. Philippe Bilger
Mais c’est vrai, comment défendre un député qui a déjà tenu, rappelle la meute des politiciens et des journalistes lancée à ses trousses, des propos homophobes qui lui ont valu d’être poursuivi dans le passé. Poursuivi, certes, mais aussi… blanchi de ces accusations par la Cour de cassation ! Ses procureurs se gardent bien de le rappeler… Robert Ménard
Considérer que l’arrestation de six personnes en zone occupée, sans doute parce qu’elles étaient homosexuelles, justifie de parler de « déportation des homosexuels en France », relève là d’une construction rhétorique dont la justification se situe dans les débats du présent et non dans les situations d’hier. Quand bien même on prend la précaution de préciser que cette déportation serait différente des autres, on créé une catégorie sans pertinence historique pour un usage politique, fut-il légitime. Henry Rousso (historien)
 Depuis ce colloque, nous ne pouvons plus parler impunément de déportation pour motif d’homosexualité en France sans prendre la mesure de la complexité du phénomène. Des homosexuels ont certes été déportés dans des camps de concentration mais peu l’ont été réellement pour motif d’homosexualité. Afin d’éviter les amalgames et les excès regrettables qui n’ont que trop duré, il me semble qu’il faut désormais êtres plus précis dans le vocabulaire utilisé. Un homosexuel déporté n’est pas un déporté homosexuel. Nous savons maintenant que les déportés homosexuels français sont en fait beaucoup moins nombreux que nous ne l’avions imaginé jusqu’à présent. Cela ne signifie pas pour autant que des homosexuels français n’ont pas été déportés. Mickaël Bertrand
A l’heure actuelle, on recense 7 Français arrêtés sur le territoire national. Parmi ces 7 cas, si l’homosexualité est un facteur mentionné dans l’arrestation, la plupart ne fut toutefois pas déportée exclusivement pour ce motif. (…) Entre les années 1960 et 1990, les premières approches furent essentiellement le fait de « journalistes et de militants largement préoccupés par des questions de discrimination et de conquête de droits sociaux pour une communauté en quête d’identité fédérative » (…). Leur action eut le mérite de créer le débat en produisant une représentation faussée de la déportation homosexuelle. Dans les années de l’après-guerre, dans un contexte qui restait marqué par l’homophobie, des homosexuels victimes de persécution ont préféré se taire plutôt que de réclamer une reconnaissance qui rendait publique leur préférence sexuelle. Il n’y eut ainsi que 5 demandes de titre de déporté auprès du ministère des Anciens Combattants. Toutes furent rejetées sauf celle de Pierre Seel qui a publié une autobiographie en 1994(Moi, Pierre Seel, déporté homosexuel, Paris, Calmann Lévy). De ce témoignage est née l’idée que des homosexuels alsaciens et mosellans avaient été arrêtés sur la base d’un fichier établi par les autorités françaises qui aurait été cédé à la Gestapo. Mickaël Bertrand s’est attelé à déconstruire le mythe que constitue ce fichier des homosexuels. Il s’est intéressé aux origines de cette information dans la presse militante. Une surveillance policière a bien eu lieu mais celle-ci fut ponctuelle (concernant notamment des lieux sensibles comme le port de Toulon) et ne constitua pas le support d’une traque des homosexuels. Isabelle Ernot

Surtout ne pas désespérer le Marais …

Où l’on découvre (confirmé par Klarsfeld et les historiens) non seulement l’inexistence d’aucune déportation proprement homosexuelle en France …

Mais aussi  le mythe du fichier homosexuel de Vichy …

Et même l' »évacuation » d’homosexuels en zone libre pour « affaiblir le pays » par  « la perversion et la décrépitude de la société qu’ils étaient censés représenter !

Enième illustration, après les calamiteuses lois mémorielles, du climat liberticide qui traverse actuellement nos sociétés comme de la fragilité de la candidature à sa propre réélection du président sortant …

La toute récente excommunion du député Christian Vanneste par son propre parti de l’UMP et sa condamnation explicite par Nicolas Sarkozy et même le Front national.

Pour avoir eu le mérite de lancer le débat sur le mythe, créé de toutes pièces par des militants homosexuels, d’une déportation proprement homosexuelle en France …

Comptes rendus

Mickaël Bertrand (dir.), La déportation pour motif d’homosexualité en France. Débats d’histoire et enjeux de mémoire, Dijon, Mémoire active, 2011, 176 p.

Isabelle Ernot

Genre & Histoire

Printemps 2011

Issu d’un colloque organisé à Dijon en 2007 sous l’impulsion de Mickaël Bertrand, l’ouvrage constitue une mise au point sur la question de la déportation pour motif d’homosexualité en France durant la Seconde Guerre mondiale. Cette rencontre scientifique s’inscrit dans le sillage de deux autres organisées à Lyon en 2005 et Angers en 2006. L’ouvrage présente quatre contributions dues à Mickaël Bertrand, Florence Tamagne, Arnaud Boulligny, Marc Boninchi et deux postfaces. La première est de Jean le Bitoux, fondateur de la revue Gai Pied et du Mémorial de la Déportation Homosexuelle (1989) qui, outre l’aide apportée à la rédaction de l’autobiographie de Pierre Seel (1994), a publié en 2002 Les Oubliés de la Mémoire – première synthèse sur le sujet ; la seconde postface est de Romain Chappaz, président de l’association CIGaLes, co-organisatrice de l’événement dijonnais.

Mickaël Bertrand considère que les connaissances apportées par ces actes constituent une « petite révolution » tant elles bousculent les représentations dominantes (p. 12). « Depuis ce colloque, nous ne pouvons plus parler impunément de déportation pour motif d’homosexualité en France sans prendre la mesure de la complexité du phénomène. Des homosexuels ont certes été déportés dans des camps de concentration mais peu l’ont été réellement pour motif d’homosexualité. Afin d’éviter les amalgames et les excès regrettables qui n’ont que trop duré, il me semble qu’il faut désormais êtres plus précis dans le vocabulaire utilisé. Un homosexuel déporté n’est pas un déporté homosexuel. Nous savons maintenant que les déportés homosexuels français sont en fait beaucoup moins nombreux que nous ne l’avions imaginé jusqu’à présent. Cela ne signifie pas pour autant que des homosexuels français n’ont pas été déportés », écrit-il (p. 18).

Le faible intérêt que portèrent à ce sujet, à la fois, les autorités politiques et le monde universitaire, confina celui-ci dans une négation de sa réalité historique quand, parallèlement, le mouvement associatif, s’en saisissant à des fins revendicatives, en forgeait une représentation erronée. Si l’idée d’une persécution systématique des nazis à l’encontre des homosexuels a dominé à partir des années 1970-1980, les études menées récemment tendent à corriger celle-ci. Dans le cadre français, le travail historique s’ouvre ainsi sur deux chantiers : celui de la réalité de la déportation et celui de l’histoire de l’investissement mémoriel sur le sujet de la déportation par le mouvement gay.

Une première contribution de Florence Tamagne replace le sujet dans le contexte européen. Elle s’intéresse tout d’abord aux modalités de contrôle de l’homosexualité dans la première moitié du XXe siècle, particulièrement sous le régime nazi, puis à la construction de la mémoire de la déportation homosexuelle durant la seconde moitié du XXe siècle dans différents pays européens. L’aspect juridique de la répression de l’homosexualité sous le régime de Vichy est éclairé par Marc Boninchi à travers notamment une présentation de la loi du 6 août 1942 qui instituait un « délit d’homosexualité » et des textes qui servirent de base à une politique répressive.

Arnaud Boulligny qui mène une recherche pour la Fondation pour la Mémoire de la Déportation (FMD) dresse l’état actuel des connaissances pour la France. Les recherches sont menées depuis les années 1990 : « En 1997, sous la pression toujours plus forte des militants associatifs » et « afin de pacifier les tensions récurrentes qui s’exercent autour des cérémonies commémoratives » (p.13), le ministère des Anciens Combattants avait commandé une étude à la FMD dont les résultats furent rendus publics en 2001. La première recherche a été dirigée par Claude Mercier ; son rapport évoquait alors 210 hommes arrêtés et déportés1. La recherche poursuivie par Arnaud Boulligny a affiné ces données. A l’heure actuelle, le bilan s’établit à 62 hommes de nationalité française, persécutés pour motif d’homosexualité durant la Seconde Guerre en France. Parmi les 210 hommes identifiés par la première recherche en 2001, seuls 14 étaient en fait de nationalité française, les autres, de nationalité allemande, avaient été envoyés d’Allemagne au camp de Natzweiler. Pour les 62 hommes français persécutés désormais identifiés, plusieurs situations sont à considérer en fonction du statut du territoire. Les peines varient entre emprisonnement, déportation/internement dans un camp – différence provenant ici du passage d’une frontière

22 hommes furent arrêtés dans les provinces annexées (Alsace, Lorraine, Moselle). Dans ces régions, la législation allemande fut appliquée : le dispositif répressif est incarné par le « § 175 » qui datait de 1871 et qui fut renforcé par les nazis en 19352. 4 de ces 22 hommes ont été emprisonnés, les autres furent internés à Natzweiler ou Schirmeck, camps situés sur le territoire annexé.

32 Français furent arrêtés sur le territoire du Reich : il s’agit d’hommes jeunes qui travaillaient en Allemagne, la plupart dans le cadre du STO. 30 sont condamnés à la prison en Allemagne et 2 envoyés à Natzweiler.

A l’heure actuelle, on recense 7 Français arrêtés sur le territoire national. Parmi ces 7 cas, si l’homosexualité est un facteur mentionné dans l’arrestation, la plupart ne fut toutefois pas déportée exclusivement pour ce motif. 6 d’entre eux sont déportés à Buchenwald et Neuengamme.

Français fut arrêté dans un lieu qui reste indéterminé et transféré à Natzweiler. 13 de ces 62 hommes sont morts en détention. Outre les peines de déportation, internement, emprisonnement, les nazis ont aussi « évacué » des homosexuels vers la France dite « libre ». D’une manière générale, il n’y a donc pas eu de persécution systématique. A noter qu’à ce jour, tous les dossiers de déportés ne sont pas dépouillés – 40000 des 68000 dossiers conservés au Bureau des Archives des Victimes des Conflits Contemporains (BAVCC) ont été ouverts. De nouveaux cas sont donc susceptibles d’apparaître.

Mickaël Bertrand, quant à lui, à l’image du sous-titre de l’ouvrage, s’intéresse particulièrement dans l’introduction et sa propre contribution à la rencontre entre mémoire et histoire, rencontre entre l’univers militant gay et la question de la persécution durant la Seconde Guerre mondiale. Entre les années 1960 et 1990, les premières approches furent essentiellement le fait de « journalistes et de militants largement préoccupés par des questions de discrimination et de conquête de droits sociaux pour une communauté en quête d’identité fédérative » (p. 12). Leur action eut le mérite de créer le débat en produisant une représentation faussée de la déportation homosexuelle. Dans les années de l’après-guerre, dans un contexte qui restait marqué par l’homophobie, des homosexuels victimes de persécution ont préféré se taire plutôt que de réclamer une reconnaissance qui rendait publique leur préférence sexuelle. Il n’y eut ainsi que 5 demandes de titre de déporté auprès du ministère des Anciens Combattants. Toutes furent rejetées sauf celle de Pierre Seel qui a publié une autobiographie en 1994(Moi, Pierre Seel, déporté homosexuel, Paris, Calmann Lévy).

De ce témoignage est née l’idée que des homosexuels alsaciens et mosellans avaient été arrêtés sur la base d’un fichier établi par les autorités françaises qui aurait été cédé à la Gestapo. Mickaël Bertrand s’est attelé à déconstruire le mythe que constitue ce fichier des homosexuels. Il s’est intéressé aux origines de cette information dans la presse militante. Une surveillance policière a bien eu lieu mais celle-ci fut ponctuelle (concernant notamment des lieux sensibles comme le port de Toulon) et ne constitua pas le support d’une traque des homosexuels.

Mickaël Bertrand a conscience que les conclusions de cet ouvrage « peuvent paraître à certains égard comme un revers pour les militants qui travaillent depuis des années à la reconnaissance d’une déportation homosexuelle évaluée approximativement à plusieurs milliers d’individus » (p. 23). Il souligne que la diminution des chiffres ne signifie pas une minimisation de la souffrance endurée et s’efforce d’ouvrir des axes de recherche. Retenons la voie proposée de mettre à distance la « perspective victimaire » et de « […] s’extraire maintenant de la bataille des chiffres pour s’intéresser plus sereinement à une histoire sociale et culturelle des homosexuels dans le cadre plus général de la guerre et de l’occupation » (p. 20).

Notes

1 Claude Mercier, Rapport concernant la déportation d’homosexuels à partir de la France dans les lieux de déportation nazis durant la Seconde Guerre mondiale au titre du motif d’arrestation, n°175, 15 décembre 2001. La CNIL s’était opposée à la publication des noms des personnes concernées.

2 Cette législation a survécu après la guerre : la RFA a gardé la version de 1935 jusqu’en 1969 ; la RDA revint à la version d’avant 1935 qui resta en vigueur jusqu’en 1968.

Voir aussi:

Klarsfeld défend Vanneste : « En France, il n’y a pas eu de déportation d’homosexuels »

Pierre de Bellerivele

Nouvelles de France

15 fév, 2012

EXCLUSIF ! Serge Klarsfeld, avocat de la cause des déportés en France, défend Christian Vanneste sur Nouvelles de France.

Serge Klarsfeld, une polémique est survenue suite à une déclaration de Christian Vanneste selon laquelle il n’y a pas eu de déportation d’homosexuels de France. Qu’en pensez-vous ?

De France, il n’y a pas eu de déportation d’homosexuels. Un déporté homosexuel a bien témoigné, mais il est parti d’Alsace, territoire qui se trouvait régi par les lois allemandes.

Des homosexuels ont-ils été déportés pendant la Seconde guerre mondiale ?

En Allemagne oui, mais pas en France. Les lois allemandes n’ont pas été étendues à d’autres pays. Il n’a jamais été question de déporter des homosexuels français. Je n’ai jamais entendu dire que l’on arrêtait des gens parce qu’ils étaient homosexuels.

Les personnes homosexuelles qui ont pu être arrêtées en France ne l’ont pas été en raison de leur homosexualité. Il y a certainement eu des homosexuels déportés mais pour d’autres raisons. Cela pouvait être pour non-respect du couvre-feu ou pour fait de résistance ou tout simplement des condamnés de droit commun.

S’il n’y a pas eu d’homosexuels déportés en France en raison de leur homosexualité, qu’est-ce qui pousse les lobbies homosexuels à vouloir l’imposer comme une vérité ?

Les homosexuels ont été victimes des nazis en Allemagne, peut-être imaginent-ils que cela correspondait aux prémisses de ce qui les attendait ailleurs. Ainsi ils élargissent la déportation des homosexuels alors qu’elle n’a touché que le Reich. Pour ma part je n’ai jamais vu un document faisant état de la déportation d’homosexuels en France.

Voyez-vous là une instrumentalisation du drame concentrationnaire ?

S’ils disent que la déportation d’homosexuels a eu lieu ailleurs que dans le Reich et notamment en France, soit ils se trompent de bonne foi, soit ils trompent de mauvaise foi.

On ne peut absolument pas comparer ce type de déportation avec la déportation des Juifs. La question qui est intéressante, c’est de savoir comment et pourquoi en Allemagne, alors que des nazis étaient homosexuels, on arrêtait des homosexuels.

Vous soutenez donc Christian Vanneste lorsqu’il affirme qu’en « Allemagne, il y a eu une répression des homosexuels et la déportation qui a conduit à peu près à 30.000 déportés. Et il n’y en a pas eu ailleurs (…) Il n’y a pas eu de déportation homosexuelle en France » ?

Oui absolument parce que c’est la vérité. Ceux qui soutiennent qu’il y a eu une déportation diront qu’il y en a eu 2 ou 3 mais en Alsace ! Or, l’Alsace était considérée comme allemande à l’époque !

Vous paraît-il justifié de demander l’exclusion de Christian Vanneste de l’UMP pour ces propos ?

Demander son exclusion de l’UMP pour ce motif me paraît tout à fait ridicule car ce qu’il a dit n’est pas inexact ! C’est la vérité qui m’intéresse et je dirais cela à tous les médias, qu’ils soient de gauche ou de droite.

Voir aussi:

Déportation des homosexuels, la réalité des chiffres

Diane Saint-Réquier

L’Express

15/02/2012

Le député du Nord Christian Vanneste a suscité mercredi un vif émoi par les propos homophobes qu’il tient dans une vidéo. Il affirme entre autre « en dehors des trois départements annexés, il n’y a pas eu de déportation homosexuelle en France ». Ce n’est pas tout à fait vrai…

« Il y a la fameuse légende de la déportation des homosexuels. Il faut être très clair là aussi, manifestement Himmler avait un compte personnel à régler avec les homosexuels. En Allemagne il y a eu une répression des homosexuels et la déportation qui a conduit à peu près à 30 000 déportés et il n’y en a pas eu ailleurs. Notamment en dehors des trois départements annexés, il n’y a pas eu de déportation homosexuelle en France. »

Voilà ce qu’affirme le député UMP Christian Vanneste. Depuis les années 80, le sujet de la déportation de Français en raison de leur homosexualité réelle ou supposée est l’objet d’un double tabou. D’une part, il y a ceux qui voudraient nier le fait que de tels actes ont eu lieu. En face, les associations militantes souhaitent faire reconnaître les souffrances endurées par les homosexuels, quitte à gonfler les chiffres. Quant aux historiens et universitaires, ils ont fait montre d’un certain désintérêt pour la question jusqu’aux années 2000.

Le premier rapport de référence parait en France en 2001. Il a été commandé par le ministère des Anciens Combattants à la Fondation pour la mémoire de la déportation (FMD). Ce rapport Mercier (du nom de Claude Mercier, qui dirigea les recherches) parle de 210 hommes français arrêtés et déportés au titre du motif d’arrestation n°175. Plus précisément: « 206 étaient des résidants dans les trois départements annexés du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de Moselle; 4 étaient des Français d’autres départements, volontaires pour le STO, arrêtés en Allemagne. »

Le paragraphe 175 du Code pénal allemand y est inscrit depuis 1871 puis renforcé par le régime nazi en 1935 (il ne sera adouci qu’en 1969 avant d’être abrogé qu’en 1994). Il prévoit des peines de prison pour les personnes s’adonnant à « la fornication contre nature, pratiquée entre personnes de sexe masculin ». Sous le IIIe Reich, cette loi s’applique dans l’ensemble des territoires annexés, y compris, en France, le Haut-Rhin, le Bas-Rhin et la Moselle. Pour le reste des territoires, les homosexuels sont plutôt tolérés, les nazis considérant qu’ils participent au déclin du pays ennemi.

Plus récemment, un colloque interdisciplinaire a eu lieu en 2007 à Dijon autour de la question de la déportation des homosexuels français. Elle réunissait Jean Vigreux (maître de conférence en histoire contemporaine), Florence Tamagne (maîtresse de conférence en histoire contemporaine, spécialiste de l’histoire de l’homosexualité), Marc Boninchi (chercheur post-doctorant en droit et chargé), Arnaud Boulligny (au nom de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation) et Mickaël Bertrand, qui était alors étudiant en Master d’histoire contemporaine.

A l’issue de ce colloque, Mickaël Bertrand s’attèle à la rédaction d’un livre collaboratif où sont rassemblées ses conclusions, ainsi que celles d’Arnaud Boulligny, de Marc Boninchi et de Florence Tamagne. L’ouvrage paraît en janvier 2011, et bouleverse les croyances sur ce sujet sensible. Il démonte entre autres la thèse voulant qu’une persécution systématique des homosexuels ait été mise en place grâce à des fichages préalablement établis par le régime de Vichy. Après avoir revérifié les registres examinés pour le rapport Mercier, il apparaît que le nombre de déportés français pour motif d’homosexualité n’était que 62, dont :

« 7 sont arrêtés en zones occupées (en France, ndlr)

-6 sont déportés comme « politiques » à Buchenwald et Neuengamme

-1 est incarcéré dans des prisons en Allemagne

22 sont arrêtés en Alsace-Moselle, territoires annexés au Reich

-8 sont internés à Schirmeck (dont 1 est ensuite transféré à Natzweiler)

-10 sont internés à Natzweiler

-4 sont incarcérés dans des prisons en Allemagne

32 sont arrêtés au sein du Reich (hors l’Alsace-Moselle)

-30 sont internés dans des prisons allemandes

-2 sont internés à Natzweiler

1 est arrêté dans un lieu indéterminé et transféré à Natzweiler

Au moins 13 trouvent la mort en déportation dont 12 dans un camp de concentration ou un Kommando extérieur. »

A noter que tous n’ont pas été déportés au seul motif d’homosexualité. D’autre part, le chiffre de 62 est sujet à augmenter au fur et à mesure que les archives sont ouvertes et le taux de mortalité des homosexuels dans les camps de concentration est parmi les plus élevés. Si le chiffre reste pour l’instant limité, difficile pour autant de parler de « légende »…

Voir également:

Homosexuels déportés : derrière les propos de Vanneste, un fait historique complexe

LE PLUS. Un nouveau dérapage pour Christian Vanneste. Le député UMP du Nord a évoqué la « légende » de la déportation des homosexuels pendant la Seconde Guerre mondiale en France dans un entretien accordé au site LibertéPolitique.com. Des propos qu’il faut nuancer selon Mickaël Bertrand, historien et co-auteur de « La déportation pour motif d’homosexualité en France ».

Mickaël Bertrand Historien

Edité par Sébastien Billard

Le Nouvel Observateur

15-02-2012

La question de la déportation des homosexuels pendant la Seconde Guerre mondiale est bien plus complexe que les propos de Christian Vanneste ne le laissent entendre.

Il est impossible de nier la déportation d’homosexuels par les nazis, y compris en France. Dans l’ouvrage collectif que j’ai dirigé, nous avons prouvé que ce régime avait employé tous les moyens possibles pour éliminer l’homosexualité de la société. La déportation a été l’un de ces nombreux outils. Certains ont été déportés pendant que d’autres étaient emprisonnés, envoyés en hôpital psychiatrique, soumis à des expériences médicales… ou même parfois envoyés vers la France libre pour certains Alsaciens et Mosellans. Les nazis, qui considéraient que l’homosexualité conduisait à la perversion et à la décrépitude de la société, pensaient ainsi affaiblir le pays.

En tenant des propos visant à nier la déportation de cette population, Christian Vanneste tente de tirer profit de la complexité inhérente à ce sujet pour nourrir son combat contre l’homosexualité. Or, insinuer que la déportation des homosexuels n’a jamais existé est bien historiquement faux. Nul ne peut le nier aujourd’hui.

Une question taboue

Les estimations du Mémorial de l’Holocauste des Etats-Unis sont actuellement les plus fiables et elles évoquent entre 5.000 et 15.000 homosexuels déportés en Europe même si un certain flou entoure aussi les motifs de déportation de nombreux individus.

Des résistants homosexuels ont par exemple été conduis dans des camps de concentration. Comment alors déterminer la raison exacte de leur déportation ? Ces personnes ont-elles été conduites en raison de leurs faits de résistance ou pour leur orientation sexuelle ? Difficile de le savoir. D’autres ont aussi pu par exemple être déportés après avoir entretenu une relation homosexuelle avec un officier nazi.

Ce sujet est complexe car ce fait historique a longtemps été passé sous silence par la société et par les survivants des camps eux-mêmes, en raison de blocages psychologiques, politiques et sociétaux.

Les survivants de nombreux camps (en France et en Allemagne) ont notamment longtemps rechigné à rendre hommage aux victimes homosexuelles lors des cérémonies commémoratives. Les souvenirs de promiscuité entre hommes, les rapports sexuels parfois non-consentis ont rendu cette mémoire difficile, pénible. La question est restée tabou après-guerre et la Libération n’a pas suffi à lever le déni.

Il ne faut pas oublier que l’homosexualité était jusqu’en 1981 discriminée par le législateur français lui-même. Une loi, adoptée en 1942 et reprise en 1945, différenciait la majorité sexuelle pour les homosexuels (21 ans) et les hétérosexuels (18 ans). Cette loi fut abrogée avec l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir.

Quelques déportés avaient bien tenté de faire reconnaître par l’Etat leur déportation pour fait d’homosexualité à partir des années 1950 mais ils ont généralement vu leurs dossiers retoqués.

Voir enfin: 

RAPPORT CONCERNANT LA DEPORTATION D’HOMOSEXUELS à partir de la FRANCE

DANS LES LIEUX DE DÉPORTATION NAZIS DURANT LA SECONDE GUERRE MONDIALE

au titre du motif d’arrestation n°175.

Claude Mercier,

Chargé de mission pour la réalisation du livre-Mémorial de la Déportation.

FONDATION pour la MÉMOIRE de la DÉPORTATION

ÉTABLISSEMENT RECONNU D’UTILITÉ PUBLIQUE (décret du 17 octobre 1990)

PLACÉ SOUS LE HAUT PATRONAGE DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

Le 15 novembre 2001

l/ QUEL EST LE PROBLÈME POSÉ CONCERNANT LA DÉPORTATION PARTIE DE FRANCE POUR LE MOTIF 175 ?

L’Internement par les Nazis de ressortissants du IIIème Reich pour des motifs d’homosexualité est

une réalité. Si la répression de l’homosexualité était inscrite dans le code pénal allemand, en son article

175, bien avant l’instauration du régime hitlérien, ce dernier l’utilisa systématiquement à partir d’août 1937 sous couvert de la loi de « la protection de la race » et dans le cadre de l’élimination des « éléments nuisibles à la société ». Dans les lieux d’internement, les «asociaux» portaient un triangle noir sur leurs vêtements, les « témoins de Jéhovah » un triangle violet, et les personnes arrêtées comme « homosexuels un triangle rose, voire une barrette bleue au camp de Schirmeck.

Depuis la libération des camps de concentration nazis et la fin de la seconde guerre mondiale, l’ensemble des associations de déportés était d’accord pour affirmer qu’il n’y avait pas eu de déportés partis de France au titre de ce motif. Cette affirmation s’appuyait sur deux constatations : la première étant que toutes les personnes déportées au titre des mesures de répression portaient un triangle rouge, la seconde que seul Pierre Seel avait revendiqué son homosexualité comme motif de son arrestation.

Même s’il était possible d’admettre à priori cette affirmation pour ce qui concerne l’ensemble du territoire français resté sous l’autorité, même théorique, du régime de Vichy, il pouvait paraître quelque peu contradictoire que le régime hitlérien ait réprimé l’homosexualité sur la quasi totalité du même Reich à l’exception des trois départements français annexés par lui : le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et la Moselle. Mais cette question, souvent abordée, était toujours l’occasion de prises de position de principe négatives, souvent irréfléchies et toujours passionnées.

Aussi, dans le cadre de son travail de mémoire, la Fondation pour Sa Mémoire de la Déportation avait-elle le devoir d’apporter sa contribution historique à cette question, hors de toute passion et apriorisme, à l’occasion de ses recherches devant aboutir à la publication du Livre-Mémorial de la déportation partie de France.

Le présent rapport, après avoir présenté les résultats de l’étude de la Fondation menée par son équipe de Caen placée sous l’autorité de François Perrot, vice-président, et la direction de Claude Mercier, chargé de mission ; rappelle les données de cette recherche, son environnement actuel de société comme son contexte émotionnel au sein du monde de la déportation en particulier, tout en soulignant à la fois le caractère confidentiel de ces résultats pour ce qui concerne la protection des personnes, ainsi que la nécessité d’obtenir un nihil obstat des associations de déportés ; propose les mesures qui pourraient être adoptées par le gouvernement pour ce qui concerne le cérémonial des manifestations nationales de commémoration de la déportation, les représentants des associations des homosexuels de France ayant donné leur accord de principe à leur sujet.

2/ LE BILAN DE L’ÉTUDE À LA DATE DE REMISE DE CE RAPPORT.

Le document confidentiel joint au présent rapport, et qui ne peut être communiqué qu’aux autorités du Secrétariat d’Etat à la Défense chargé des anciens combattants, donne la liste de ces personnes.

Nous ne pouvons affirmer que ce chiffre est à considérer comme définitif à partir du moment où nous ne sommes pas certains d’avoir eu accès à toutes les archives du monde combattant comme des Archives de France. Par contre, il nous paraît devoir être pris comme un chiffre minimum significatif d’une réalité, en premier lieu parce qu’il correspond, pour 206 des personnes considérées, au total des inscriptions des registres allemands du K.L.(camp de concentration) Natzweiler-Struthof et du Sicherungslager (camp de sûreté) Schirmeck, mais aussi pour les raisons qui sont développées au cours de ce rapport.

Il faut observer que les recherches faites au service des archives du monde combattant à Caen et à Val de Fontenay, ainsi que les recherches complémentaires réalisées aux Archives départementales du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle ne nous permettent pas d’avoir une vue exhaustive de cet aspect de la déportation. En effet, il n’existe que 10 dossiers-statut seulement au service des archives du monde combattant d’une part, et après consultation des directeurs des archives départementales concernées, le devenir des personnes incarcérées en maison d’arrêt pour le motif 175 n’est quasiment jamais indiqué dans les registres d’écrou.

Nous ne pouvons savoir la raison de l’inexistence des dossiers-statut des autres personnes. Il n’est pas impossible que les déportés pour motif d’homosexualité, ou leurs familles, n’aient pas voulu revendiquer cette réalité à leur retour, mais il n’est pas impossible non plus que les services compétents aient montré une attitude suffisamment hostile dans le contexte social de l’époque pour que les intéressés aient été découragés d’avance.

Par contre, en conclusion de l’étude des dossiers-statut existants nous pouvons affirmer que la déportation pour le motif d’homosexualité est un fait réel : d’une part, dans 5 dossiers il est bien confirmé par les intéressés et/ou les services de Police; d’autre part, 3 personnes ont été évacuées de Schirmeck vers Gaggenau (qui figure dans le catalogue des camps et prisons), 1 vers Buchenwald et 1 vers Dachau, et enfin 2 sont décédées à Allach pour l’une et à Natzweiler pour l’autre. Deux d’entr’elles ont obtenu le titre de déporté politique.

En l’état des documents d’archives que nous avons pu consulter, il a été relevé 210 noms de personnes ayant été arrêtées, puis déportées par les nazis, au titre du motif 175,dont : 206 étaient des résidants dans les trois départements annexés du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de Moselle; 4 étaient des Français d’autres départements, volontaires pour le STO, arrêtés en Allemagne.

Ainsi, au bout de quatre années de recherches historiques, la Fondation pour la Mémoire de la Déportation peut affirmer que la déportation pour motif officiel avancé d’homosexualité a bien existé pour un nombre relativement peu important de personnes (210 sur 161 000 environ), et que parmi les personnes concernées certaines ont bien été envoyées dans d’autres camps et y sont mortes.

3/ HISTORIQUE DE L’ÉTUDE DE LA FONDATION POUR LA MÉMOIRE DE LA DÉPORTATION.

31/ Décision d’entreprendre une étude sur la déportation possible d’homosexuels à partir de la France, dont les 3 départements annexés.

C’est en 1995, à l’occasion du cinquantenaire de la libération des camps de concentration, que la Fondation pour la Mémoire de la Déportation a pris l’initiative de réaliser un Livre-Mémorial de la déportation partie de France concernant toutes les personnes déportées dans tous les sites répertoriés comme tels par les Nazis, et non arrêtées en tant que juives, le Mémorial de Serge Klarsfeld ayant déjà pris en compte ces personnes.

D’emblée, il a été décidé que notre étude recouvrirait tous les aspects possibles de cette déportation, ne serait ce que pour faire la lumière sur l’exactitude des chiffres avancés dans les revendications catégorielles d’associations ou de communautés. L’Abbé de La Martinière avait déjà entamé cette démarche pour ce qui concernait le clergé d’une part, et les NN d’autre part. La Fondation elle même avait aussi participé à cette recherche de la vérité historique en soutenant dès 1992, avec le ministère des anciens combattants, le CNRS, l’IHTP et le Secrétariat général à l’Intégration, l’étude de Denis Peschanski sur la déportation des Tsiganes, à un moment où leur communauté française revendiquait un chiffre de plusieurs centaines de milliers et le terme de génocide. En l’état des archives qu’il avait pu consulter, Denis Peschanski avait ramené ce chiffre à 145 et publié ses résultats dans le livre. Les Tsiganes en France -1939-1946- Contrôle et exclusion.

Nous savions donc que nous devions poursuivre une démarche identique de rigueur scientifique et historique pour ce qui concernait la déportation des « témoins de Jéhovah » et des « homosexuels », alors que de façon tout à fait conjoncturelle des associations représentatives des homosexuels en France commençaient à revendiquer leur participation en tant que telles aux cérémonies de commémoration.

32/ La demande du ministère des anciens combattants.

En effet, des manifestations publiques bruyantes, voire provocatrices, de certaines de ces associations ont eu lieu en 1995 tant au Mémorial de l’île de la Cité qu’en province. Au cours des années suivantes, à la suite de dispositions prises en commun entre le ministère des anciens combattants et ces associations, les commémorations de l’Ile de la Cité n’ont plus été perturbées. En province par contre, comme c’est le cas avec l’association des « Flamands roses » à Lille, des manifestations continuent de se produire de façon épisodique provoquant chaque fois des réactions véhémentes et passionnées des déportés.

En 1997, le gouvernement, par le biais de Serge Barcellini, directeur de cabinet du Secrétaire d’Etat aux anciens combattants, avec notre accord, chargea officiellement la Fondation d’une étude concernant « la matérialisation de la déportation homosexuelle ».

L’initiative de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation devenait ainsi une « mission de service public » accomplie au nom du ministre de tutelle. La Fondation fit alors savoir au ministre que la réponse qui pourrait être proposée au gouvernement découlerait des résultats des recherches qu’elle avait entreprises sur la réalité de ce type de déportation à partir de la France.

Cette position du ministre des anciens combattants a été confirmée en 2000 par Philippe Lamy, directeur de cabinet succédant à ce poste à Serge Barcellini, lorsqu’il a demandé aux représentants des associations homosexuelles en France de prendre contact avec la Fondation qui constituait une banque de données sur la déportation partie de France.

33/ La position des associations de déportés.

Parallèlement, la Fondation pour la Mémoire de la Déportation avait entrepris une étude sur le Mémorial de l’île de la Cité afin de moderniser ce site historique de mémoire dont la symbolique disparaissait derrière le vieillissement du monument et son aspect caché au public, l’inexactitude des chiffres gravés, l’exclusivité de la matérialisation de la déportation par le triangle rouge portés par les déportés résistants.

A la suite d’une fructueuse concertation avec la Fondation, au mois de février 2001 l’ensemble des associations de déportés s’accordèrent sur les propositions à faire au gouvernement pour ce qui concernait la rénovation du Mémorial et l’actualisation du cérémonial des commémorations. Mais pour la matérialisation de la déportation des homosexuels, et des témoins de Jéhovah, elles décidaient d’attendre les résultats des études historiques entreprises par la Fondation. Dans le rapport transmis au Secrétariat d’Etat à la Défense chargé des anciens combattants (D.M.P.A.), elles lui demandaient donc de surseoir à toute décision. En effet, toute décision hâtive, quel que soit son contenu, aurait pu être contredite par les chiffres que la Fondation pourrait avancer sans crainte de contradiction. Matérialiser la déportation de témoins de Jéhovah, comme d’homosexuels, sur les monuments de mémoire de notre pays n’aurait aucun sens si l’existence de ces types de déportation à partir de la France ne pouvait être prouvée.

Compte tenu à la fois des contacts de coopération qu’elle avait déjà entrepris de mettre sur pied avec les associations représentatives des homosexuels en France et des résultats partiels obtenus dans cette recherche spécifique, la Fondation décidait dans le même temps de remettre les conclusions de cette dernière à la fin de l’année 2001 au ministre en charge des anciens combattants.

34/ Les relations de la Fondation avec les associations représentatives des homosexuels en France.

Dès l’accord unanime des associations de déportés acquis par la Fondation, la D.M.P.A. ayant donné son aval sur cette démarche, nous avons alors entrepris de nouer des relations officielles et permanentes de concertation avec les représentants de la communauté homosexuelle en France afin de la tenir informée de notre démarche et de ses modalités d’exécution dans un premier temps, puis d’engager une coopération pour la poursuite des recherches sur la base des résultats acquis par la Fondation, si cela s’avérait souhaitable et nécessaire.

C’est ainsi que des contacts suivis se sont instaurés avec messieurs Philippe Lasterle, de l’association Homosexualité et socialisme ; René Lalement, président du Conseil Lesbian et Gay Pride Ile de France ; Jean Le Bitoux, président du Mémorial de la déportation homosexuelle (MDH).

Dans un premier courrier datant du 20 octobre 2000, Philippe Lasterle nous faisait parvenir le dossier qu’il avait constitué sur « La déportation des homosexuels en Alsace-Moselle occupée (1940-1945) ». Ce dossier se divise en trois parties : les faits historiques; l’état de la question ; les objectifs à atteindre. Les premières réunions informelles de travail et d’information se sont tenues au cours du premier semestre 2001 et une réunion officielle a eu lieu au cours du mois d’octobre au siège de la Fondation. Au cours de cette réunion, le rapport intermédiaire réalisé à la date du 5 octobre 2001 par Claude Mercier, Secrétaire général chargé de mission, leur a été remis comme aux autres participants, à l’issue d’un large échange de vues cordial et approfondi concernant à la fois l’étude proprement dite, et ses prolongements ultérieurs dans le cadre d’un groupe de travail commun entre la Fondation et le MDH.

Il leur a été confirmé que le présent rapport leur serait aussi remis comme aux associations de déportés, après qu’il ait été soumis au conseil d’administration de la Fondation, et que l’auteur du présent rapport les tiendrait en permanence au courant des progrès de l’étude avant la remise de ses conclusions.

35/ La position de la Commission Nationale pour l’Informatique et les Libertés. (CNIL).

En 1996, dès la mise en place de l’équipe qui aurait à conduire les travaux de recherches historiques au sein du Service des archives du monde combattant, et parallèlement à ces travaux, la Fondation pour la Mémoire de la Déportation a créé une banque de données multimédias devant lui permettre de mettre à la disposition du plus grand nombre, et en particulier du corps enseignant, le maximum de données concernant la déportation et l’internement.

Consciente du caractère confidentiel de certaines de ces données, en total accord avec le Ministère de la Culture (Direction des Archives de France) et le Secrétariat d’Etat aux Anciens Combattants, la Fondation a soumis son projet à la CNIL dès 1997, en y incluant bien évidemment la banque de données particulière concernant le Livre-Mémorial.

Le motif d’arrestation ayant entraîné l’internement ou la déportation des personnes étant la donnée qui paraissait la plus critique, en dehors même de toute autre considération, il était nécessaire de connaître sa position de principe. Au cours de plusieurs réunions de travail, nous avons pu lui exposer notre projet et recueillir ses conseils et avis. En 1999, la Commission a fait connaître sa position favorable, tout en appelant notre attention sur cette question délicate des motifs d’arrestation dans les termes suivants :

« S’agissant de la constitution du fichier informatique, la Commission a pris note (…) qu ‘il ne serait accessible que dans les conditions prévues par la loi du 3 janvier 1979 sur les archives. Dès lors, la Commission a estimé que l’enregistrement du motif de l’arrestation des personnes, tel qu’il résulte des documents établis à l’époque, était pertinent au regard de la finalité historique du fichier.

La Commission a cependant jugé indispensable que l’attention des personnes qui pourront avoir accès à ce fichier (…) soit appelée sur le fait que ces motifs doivent être interprétés avec précaution et à la lumière de la recherche historique.

La Commission a par ailleurs relevé que plusieurs de ces motifs pouvaient révéler directement ou indirectement les appartenances religieuses, les opinons politiques, syndicales ou les moeurs, réelles ou supposées, des personnes concernées. L’enregistrement et la conservation dans le fichier projeté d’informations de cette nature sont subordonnés, en application de l’article 21 de la loi du 6 janvier 1978, à une autorisation par décret pris après avis conforme de la CNIL et du Conseil d’Etat. (…)

S’agissant enfin de la diffusion sur CD-ROM et sur Internet de la liste des personnes déportées, expurgée de certaines information et tout particulièrement du motif d’arrestation des personnes, la Commission a estimé que (…) l’intérêt que revêt votre projet justifiait pleinement le recours à ces nouveaux modes de diffusion. (…) ».

Par suite, il était évident que nous ne pouvions mettre à l’information de tous, y compris des associations représentatives des homosexuels en France, que le résultat quantitatif de nos recherches historiques à l’exclusion de toutes listes nominatives.

36/ La conduite de l’étude historique spécifique par l’équipe de la Fondation en charge du Livre-Mémorial.

Cette étude historique est une oeuvre de collaboration de l’ensemble de l’équipe en charge de la réalisation du Livre-Mémorial.

C’est en septembre 1996 que Messieurs Perrot, Mercier, Allais et Rodrigues de Oliveira, ont conçu une grille de recherche de plus de 54 champs nécessaires aux recherches historiques devant être menées pour la constitution du Livre-Mémorial. Constituant la base de données la plus complète possible de notre étude sur la déportation, en concordance avec la banque de données multimédia créée au même moment à Paris par une équipe d’ingénieurs informatique de l’EPITA effectuant leur service national, elle comporte 5 ensembles de champs concernant respectivement l’état civil de la personne concernée, son arrestation, son internement, sa déportation, enfin l’issue de cette dernière et ses conséquences. Dans cette perspective, son contenu est passé de 54 champs en 1996 à plus de 65 en 2000.

Cette grille comporte le motif d’arrestation.

Ce n’est qu’à partir de septembre 1998, à la suite de nos réunions de travail avec la CNIL, que l’équipe en place a déterminé, sous l’impulsion de Thomas Fontaine, la composition de la grille de publication, composée de 13 des 65 champs de la grille de recherche. Cette grille de publication, base du document probatoire que la Fondation a mis en lecture des déportés comme des historiens au cours de l’année 2001 dans les ONAC départementaux, en application des avis de la CNIL ne comporte donc pas la mention du motif 175 pour les personnes concernées par une arrestation pour homosexualité.

L’étude spécifique sur la déportation d’homosexuels est réalisée uniquement par Claude Mercier, Thomas Fontaine et Guillaume Quesnée.

Cette étude a pris en compte tout d’abord les documents existant sur la question : dossier de Philippe Lasterle ; mémoire de maîtrise d’Eric Sébastiani de l’université de Paris VIII- Saint-Denis d’octobre 1996, sur «Les déportés du camp de concentration de Natzweiler-Struthof (1941-1945) et communiquée par la F.N.D.I.R.P. ; note de Pierre Durand, président du comité international de Buchenwald-Dora, intitulée « Des triangles de toutes les couleurs ».

Mais l’équipe n’a centré ses recherches sur les trois départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle qu’après avoir exploité l’ensemble des documents d’archives consultables au service des archives du monde combattant à Caen pour l’ensemble du territoire français non annexé et non rattaché au IIIème Reich.

Si l’on peut être quasiment certain, comme l’écrit Maurice Voutey, qu’il n’y a pas eu de déportation pour motif invoqué d’homosexualité hors des trois départements annexés, par contre il paraissait évident que la répression au titre du motif 175 avait dû s’exercer dans ces trois départements où les lois allemandes étaient en vigueur. La Fondation a donc focalisé ses recherches sur les archives de tous les lieux de déportation créés dans ces départements, et recensés comme tels dans le document édité par le SERVICE INTERNATIONAL DES RECHERCHES D’AROLSEN. the catalogue of camps and prisons in Germany and german-occupied territories (September, lst, 1939 – May, 8 th 1945). Il s’agit des camps de  Natzweiler-Struthof et de Schirmeck.

Les listes de noms portant mention du numéro 175 sont jointes à ce rapport. Elles sont extraites des registres d’entrée de ces deux camps. La Fondation, comme nous l’avons écrit dans le préambule du document probatoire du Livre-Mémorial, n’a pas à se prononcer sur la validité d’une déportation ou d’un motif d’arrestation. Elle ne peut que s’en tenir aux mentions manuscrites portées sur les registres à l’arrivée au camp sans se prêter à une quelconque exégèse.

Il est certain que pour connaître l’ensemble de la question de la répression des Nazis à l’égard des homosexuels, en dehors même de la déportation, il restera à exploiter les archives départementales des trois départements annexés, comme les archives allemandes situées à Coblence, en République Fédérale Allemande.

4 / LES INCERTITUDES QUI NE POURRONT PROBABLEMENT PAS ÊTRE LEVÉES

S’il n’est pas certain que les travaux de la Fondation aient permis de relever la liste de la totalité des déportés arrêtés au titre du motif 175, il est certain par contre que l’examen des 10 seuls dossiersstatut existants pour les personnes déjà recensées nous permet de confirmer l’exactitude de cette mention apposée à côté de leur nom.

Certes, comme cela a été dit plus haut, pour toutes les autres personnes la véracité même du motif 175 comme motif réel d’arrestation reste à prouver. En dehors même de toute mise en garde de la CNIL comment pourrait-il en être autrement ? Pour effectuer des arrestations de personnalités irréprochables, aurait-il été concevable pour les Nazis d’avancer un autre motif que l’homosexualité dans ces trois départements très religieux, où le concordat était en vigueur, et dont il fallait à nouveau conquérir les bonnes grâces de la population ?

Que sont devenues ces personnes après leur arrestation ?

Si elles ont été déportées dans les camps de Natzweiler-Struthof ou de Schirmeck, il paraît peu probable que revenant de déportation elles aient fait état de ce motif d’arrestation pour faire valoir leurs droits à réparation dans le contexte social et moral de l’époque encore très rigoriste par rapport à celui des années actuelles. Comme nous l’avons écrit au début de ce rapport, cela peut être une explication à l’absence de dossiers-statut de cette catégorie de déportés. Par suite, l’examen de ces dossiers ne devait pas nous apporter, sauf exception, d’élément dirimant.

Comment ensuite déterminer la véracité de cette inscription pour les déportés non revenus des camps ? On ne peut, aussi dans ce cas, que s’en tenir à l’inscription des registres d’entrée.

Si nous prenons en compte le seul motif d’arrestation, la question la plus préoccupante pour nous était de savoir si ces personnes étaient bien des résidants en France avant la capitulation, et non des ressortissants du IIIème Reich envoyés dans les prisons de Colmar, Mulhouse ou Strasbourg, par calcul politique. En effet, il ne pouvait y avoir d’autre solution que l’application de la disposition retenue pour la construction du Mémorial de l’De de la Cité qui est dédié à tous les déportés partis de France, si ces personnes étaient bien des résidants en France.

La réponse ne peut qu’être affirmative. Les personnes arrêtées au titre du motif 175 étaient bien des résidants en France avant l’annexion de ces trois départements par les Nazis.

5/ LES QUESTIONS AUXQUELLES DOIVENT RÉPONDRE LES DÉPORTÉS.

Par suite, dès lors que les associations de déportés doivent se déterminer, elles ne peuvent le faire que sur la base de leur intime conviction, les questions présentées ci-après ayant pour but de leur permettre de susciter leur réflexion sur la base des conclusions du présent rapport.

Le Mémorial de la déportation de l’île de la Cité a été construit pour porter témoignage du sacrifice de tous les déportés morts dans les camps de concentration nazis sans aucune distinction. Lors de la consultation qui a été faite auprès d’elles, au début de l’année 2001, l’ensemble des associations de déportés en étaient convenues.

Elles étaient aussi convenues que tous les « types » de déportation concernant des personnes parties de France seraient matérialisés par le symbole de leur triangle au Mémorial de l’île de la Cité, dans la mesure où les travaux de la Fondation en démontrerait l’existence. Et, comme cela a été écrit plus haut, elles avaient décidé de subordonner toute prise de décision concernant la matérialisation de la déportation homosexuelle aux résultats de ces travaux.

Les réflexions qui doivent guider aujourd’hui les déportés se posent donc dans les termes ci-après

Q 1 . Peut-on estimer que le chiffre de 210 noms concernés par la déportation pour homosexualité

est suffisamment important pour être pris en considération, considérant que le nombre de tsiganes recensés jusqu’à présent n’est que de 145, et que la matérialisation de cette déportation n’a jamais été mise en cause ?

Q 2 . Ces déportés étaient tous des résidante en France, soit dans les trois départements annexés en dehors de tout consentement de la population et avant l’annexion datant du 22 juin 1940, soit dans les autres départements. Peut-on alors envisager de ne pas leur réserver le même traitement que celui de tous les autres déportés partis de France dont les déportations sont matérialisées dans les commémorations du Mémorial de l’Ile de la Cité ?

Q 3 . Si l’on considère que les déportés pour le motif 175 à partir de ces trois départements n’étaient pas des Français, ou des résidants en France, ne faut-il pas appliquer la même mesure pour tous les déportés à partir de ces départements, pour quelque motif que ce soit, y compris la résistance ?

Q 4 . Le fait que ces déportés aient porté le triangle rouge et non le triangle rose (dans la mesure où ils en aient porté un) est-il un élément qui permette de nier l’existence de ce type de déportation? Ne peut-on s’en tenir au constat de données historiques neutres et incontestables ? Ne peut-on rester objectifs sans commencer à vouloir faire un tri quelque peu indécent, non à partir du comportement de chacun dans les camps, mais sur la base d’une appréciation personnelle subjective d’une situation personnelle avant la guerre?

6 / L’INSCRIPTION DES RÉSULTATS DANS LE LIVRE-MÉMORIAL

Bien entendu, les noms des personnes arrêtées au titre du motif 175 seront portés dans les listes du Livre-Mémorial, mais le motif, comme aucun d’entre eux, n’apparaîtra pas.

Le caractère confidentiel de ce champ de recherche explique pourquoi la Fondation ne peut pas autoriser une personne extérieure à son équipe de recherche à consulter et à utiliser sa banque de données sur la déportation de répression tant que son dépôt tant aux Archives de France qu’à la D.M.P.A. n’aura pas été réalisé après publication du Livre-Mémorial.

Un abus de référence, même involontaire, à cette banque a déjà été constaté et signalé par le service des archives du monde combattant, avec justement la citation d’un motif d’arrestation. Certes il s’agit de la mention juif et cette dernière se trouve dans tous les documents publiés par Serge Klarsfeld, mais la Fondation a l’obligation pour sa part de s’en tenir à la lettre des textes en vigueur.

7 / LES CONSÉQUENCES DANS LE DOMAINE DE LA MATÉRIALISATION DE LA DÉPORTATION POUR LE MOTIF 175 DANS LE CÉRÉMONIAL DES MANIFESTATIONS DE COMMÉMORATION.

Il appartiendra au gouvernement de prendre la décision des modalités de la matérialisation de la déportation d’homosexuels à partir de la France dès lors que les associations de déportés, consultées par la Fondation pour la Mémoire de la Déportation, auront fait connaître leur position commune.

Mais d’ores et déjà il peut être affirmé que la mise en place du triangle rose, si telle était la décision, sur l’oriflamme des triangles actuels et avec les autres triangles qui seraient gravés sur le monument de l’Ile de la Cité, serait considérée par les associations d’homosexuels comme une décision de justice et d’équité. En effet, de cette façon la réalité de ce type de déportation à partir de la France serait officiellement reconnue sur le Mémorial national comme l’ont été en 2001 sur proposition de la Fondation, les triangles bleu, rouge sur jaune, marron ainsi que le double triangle jaune de l’étoile de David. Les tensions seraient apaisées dans l’union de tous et les commémorations pourraient alors se dérouler dans le recueillement nécessaire au souvenir.

Certes, le dossier remis par Philippe Lasterle évoque d’autres possibilités. Mais ce faisant il se base dans son argumentation sur des données erronées qui ne peuvent être prises en compte. Ces dernières sont retranscrites ci-dessous.

* Tout d’abord, il n’est pas exact d’écrire que « les fédérations de déportés résistants revendiquent le monopole de la mémoire de la déportation ». En effet, les deux fédérations existantes à ce jour sont multiples de par leurs adhérents qui ne sont pas tous des résistants.

Même si elles ont des sensibilités certes diverses dans l’approche de certains problèmes, elles se retrouvent dans une appréciation identique au sein de la Fondation lorsqu’il s’agit de la mémoire de la déportation.

*II n’est pas exact non plus d’avancer qu’ « à côté des hommages rendus à divers groupes de victimes de la déportation ont lieu à Paris deux cérémonies particulières. La première au Mémorial du Martyr Juif inconnu, la seconde au Mémorial de la Déportation de l’Ile de la Cité ». En effet, il existe bien deux cérémonies, qui n’ont rien de particulières, mais sont en réalité les deux seules cérémonies nationales : la première a fait l’objet d’une loi ; elle a lieu à Paris et se compose de deux parties successives et complémentaires, l’une étant dédiée aux victimes de la Shoah, l’autre à toutes les victimes de la déportation sans aucune exception. La deuxième cérémonie se déroule sur le site du camp du Struthof, seul camp de concentration installé en France ; elle est aussi dédiée à toutes les victimes du système concentrationnaire nazi. Et c’est bien pourquoi la revendication d’un dépôt de gerbes particulières n’a jamais été accepté puisque l’unique gerbe est déposée au nom du gouvernement par le ministre à la mémoire de tous les déportés et que telle est l’inscription qu’elle porte. Il n’y a pas en France de mémorial particulier pour les déportés résistants.


Idiots utiles: La tentation de Pékin (« Beijing Consensus » vs. « Washington Consensus » all over again)

15 février, 2012
Le prix de la liberté, c’est la vigilance éternelle. Thomas Jefferson
Ce n’est pas que les peuples aristocratiques refusent absolument à l’homme la faculté de se perfectionner. Ils ne la jugent point indéfinie ; ils conçoivent l’amélioration, non le changement ; ils imaginent la condition des sociétés à venir meilleure, mais non point autre ; et, tout en admettant que l’humanité a fait de grands progrès et qu’elle peut en faire quelques-uns encore, ils la renferment d’avance dans de certaines limites infranchissables. (…) C’est alors que le législateur prétend promulguer des lois éternelles, que les peuples et les rois ne veulent élever que des monuments séculaires et que la génération présente se charge d’épargner aux générations futures le soin de régler leurs destinées. (…) Je rencontre un matelot américain, et je lui demande pourquoi les vaisseaux de son pays sont construits de manière à durer peu, et il me répond sans hésiter que l’art de la navigation fait chaque jour des progrès si rapides, que le plus beau navire deviendrait bientôt presque inutile s’il prolongeait son existence au-delà de quelques années. Dans ces mots prononcés au hasard par un homme grossier et à propos d’un fait particulier, j’aperçois l’idée générale et systématique suivant laquelle un grand peuple conduit toutes choses. Les nations aristocratiques sont naturellement portées à trop resserrer les limites de la perfectibilité humaine, et les nations démocratiques les étendent quelquefois outre mesure. Tocqueville (Comment l’égalité suggère aux Américains l’idée de la perfectibilité indéfinie de l’homme, De la démocratie en Amérique, tome 2, première partie, chapitre VIII)
Un des grands problèmes de la Russie – et plus encore de la Chine – est que, contrairement aux camps de concentration hitlériens, les leurs n’ont jamais été libérés et qu’il n’y a eu aucun tribunal de Nuremberg pour juger les crimes commis. Thérèse Delpech
Les dirigeants du PS français et de la social-démocratie européenne, en effet, sont en général des personnages que je considère comme des poulets élevés en batterie.Ils sortent des grandes écoles, sans aucun passé militant dans les luttes populaires, et encore moins dans l’internationalisme politique. Ils montent les marches du pouvoir politique en croyant que leur discours de gestionnaires, c’est du socialisme. Et ils font croire que ça se résume à ça. Ces dirigeants n’ont jamais compris ce qui se passe en Amérique latine parce qu’ils ne se sentent pas concernés. Dans le meilleur des cas, ils se contentent de reproduire le discours de la propagande étasunienne, repris par la majorité des médias. (…) Le président Hugo Chavez note, comme moi : « Les gens ne veulent pas comprendre que pour redistribuer les richesses auprès des pauvres, il faut changer les institutions ». Et Chavez nous interpelle : « Parce qu’il existerait une alternative ? Et où se trouvent donc vos magnifiques modèles, vous les Européens, que l’on devrait prétendument imiter ? ». (…) C’est donc pour cela que j’ai demandé à ces dirigeants qu’ils se taisent, et qu’ils observent avec respect le chemin montré par Chavez, Evo Morales en Bolivie, Rafael Correa en Équateur ou José Mujicaen Uruguay. Non pas pour les imiter, mais pour apprendre d’euxJean-Luc Mélenchon
Je ne partage pas du tout l’enthousiasme béat pour le Dalaï-lama ni pour le régime qu’il incarne. (…) seule l’enquête « d’arrêt sur image » rapporte que les « évènements du Tibet » ont commencé par un pogrom de commerçants chinois par des « Tibétains ». (…) autant dire que le gouvernement français de l’époque a ordonné de pousser deux jeunes dans un transformateur électrique à Clichy Sous Bois au motif qu’il avait alors une politique de main dure face aux banlieues. Personne n’oserait avancer une bêtise aussi infâme. Dans les émeutes urbaines américaines la répression a aussi la main lourde. (…) Robert Ménard est un défenseur des droits de l’homme à géométrie variable. A-t-il mené une seule action, même ultra symbolique, quand les Etats-Unis d’Amérique ont légalisé la torture ? A-t-il mené une seule action pour que les détenus de Guantanamo soient assistés d’avocat ? (…) Le Tibet est chinois depuis le quatorzième siècle. (…) Parler « d’invasion » en 1959 pour qualifier un évènement à l’intérieur de la révolution chinoise est aberrant. Dit-on que la France a « envahi » la Vendée quand les armées de notre République y sont entrées contre les insurgés royalistes du cru ? (…) La version tibétaine de la Charia a pris fin avec les communistes. La révolte de 1959 fut préparée, armée, entretenue et financée par les USA dans le cadre de la guerre froide. (…) Depuis la scolarisation des enfants du Tibet concerne 81% d’entre eux là où il n’y en avait que 2% au temps bénis des traditions. Et l’espérance de vie dans l’enfer chinois contemporain prolonge la vie des esclaves de cette vallée de larmes de 35, 5 à 67 ans. Jean-Luc Mélenchon
Parler d’invasion en 1959 pour qualifier un événement à l’intérieur de la révolution chinoise est aberrant. Jean-Luc Mélenchon
Il y a entre nous une culture commune bien plus étendue et profonde qu’avec les Nord-Américains. Les Chinois, comme nous, accordent depuis des siècles une place centrale à l’Etat dans leur développement. Dans leurs relations internationales, ils ne pratiquent pas l’impérialisme aveugle des Américains. La Chine est une puissance pacifique. Il n’existe aucune base militaire chinoise dans le monde. (…) La Chine n’est pas intéressée au rapport de forces de cet ordre. Jean-Luc Mélenchon
Pour résumer, c’est attirance-répulsion. Surtout parmi les classes éduquées qui rêvent d’envoyer leurs enfants dans les universités américaines et en même temps peuvent être emplies de ressentiment à l’égard d’une Amérique qu’elles perçoivent comme hostile, pour beaucoup à cause de la propagande de leur gouvernement. Du communisme comme justificatif du pouvoir il ne reste rien. Le nouveau dogme est un nationalisme fondé sur l’exacerbation d’un sentiment victimaire vis-à-vis du Japon et des Etats-Unis. En Chine, à Singapour, en Corée du Sud, on constate une forte ambivalence typique de certaines élites, par ailleurs fortement occidentalisées, pour qui le XXIe siècle sera asiatique. Dans les années 1960, au Japon, a émergé une nouvelle droite ultranationaliste, dont les représentants les plus virulents étaient professeurs de littérature allemande ou française. Ils voulaient se sentir acceptés, légitimes en termes occidentaux, et se sentaient rejetés. C’est ce que ressentent aujourd’hui les nationalistes chinois.
L’obstacle à surmonter, en Chine, est que le confucianisme rejette la légitimité du conflit. L’harmonie est caractérisée par un ordre social ou règne l’unanimité. Donc la plus petite remise en cause apparaît instantanément menaçante.
Le plus grand obstacle est l’alliance entre les élites urbaines et le Parti communiste. Les deux ont peur de l’énorme masse paysanne ignorante. Ces élites ont une telle histoire récente de violence et une telle peur d’un retour du chaos qu’elles préfèrent un ordre qui leur assure la croissance, au risque d’avancer vers la démocratie. Pour le pouvoir, la grande faiblesse de ce système est que, le jour où l’économie cesse de croître et que l’enrichissement des élites urbaines s’arrête, l’édifice s’écroule. Dans ce cas, tout pourrait advenir, d’une alliance entre démocrates, ressortissants des nouvelles élites, et une fraction du parti, jusqu’à un coup d’Etat militaire. Ian Buruma
If Vladimir Lenin were reincarnated in 21st-century Beijing and managed to avert his eyes from the city’s glittering skyscrapers and conspicuous consumption, he would instantly recognize in the ruling Chinese Communist Party a replica of the system he designed nearly a century ago for the victors of the Bolshevik Revolution. One need only look at the party’s structure to see how communist — and Leninist — China’s political system remains. (…) for all their liberalization of the economy, Chinese leaders have been careful to keep control of the commanding heights of politics through the party’s grip on the “three Ps”: personnel, propaganda, and the People’s Liberation Army. Indeed, if you benchmark the Chinese Communist Party against a definitional checklist authored by Robert Service, the veteran historian of the Soviet Union, the similarities are remarkable. As with communism in its heyday elsewhere, the party in China has eradicated or emasculated political rivals, eliminated the autonomy of the courts and media, restricted religion and civil society, denigrated rival versions of nationhood, centralized political power, established extensive networks of security police, and dispatched dissidents to labor camps. There is a good reason why the Chinese system is often described as “market-Leninism.” (…) Powerful party organs like the Organization and Propaganda Departments do not have signs outside their offices. They have no listed phone numbers. Their low profile has been strategically smart, keeping their day-to-day doings out of public view while allowing the party to take full credit for the country’s rapid economic growth. This is how China’s grand bargain works: The party allows citizens great leeway to improve their lives, as long as they keep out of politics. Far from being a conveyor belt for Western democratic values, the Internet in China has largely done the opposite. The “Great Firewall” works well in keeping out or at least filtering Western ideas. Behind the firewall, however, hypernationalist netizens have a much freer hand. The Chinese Communist Party has always draped itself in the cloak of nationalism to secure popular support and played up the powerful narrative of China’s historical humiliation by the West. Even run-of-the-mill foreign-investment proposals are sometimes compared to the “Eight Allied Armies” that invaded and occupied Beijing in 1900. But when such views bubble up on the Internet, the government often skillfully manages to channel them to its own ends, as when Beijing used an online outburst of anti-Japanese sentiment to pressure Tokyo after a Chinese fishing-boat captain was arrested in Japanese waters. Such bullying tactics may not help China’s image abroad, but they have reinforced support at home for the party, which the state media is keen to portray as standing up to foreign powers. (…) Through its Propaganda Department, the party uses a variety of often creative tactics to ensure that its voice dominates the web. Not only does each locality have its own specially trained Internet police to keep a lid on grassroots disturbances, the department has also overseen a system for granting small cash payments to netizens who post pro-government comments on Internet bulletin boards and discussion groups. Moreover, the dominant national Internet portals know that their profitable business models depend on keeping subversive content off their sites. If they consistently flout the rules, they can simply be shut down. (…) Of course, many developing countries are envious of China’s rise. Which poor country wouldn’t want three decades of 10 percent annual growth? And which despot wouldn’t want 10 percent growth and an assurance that he or she would meanwhile stay in power for the long haul? Moreover, China has done this while consciously flouting advice from the West, using the market without being seduced by its every little charm. China’s success has given rise to the fashionable notion of a new “Beijing Consensus” that eschews the imposition of free markets and democracy that were hallmarks of the older “Washington Consensus.” In its place, the Beijing Consensus supposedly offers pragmatic economics and made-to-order authoritarian politics. (…) But look closer at the China model, and it is clear that it is not so easily replicated. Most developing countries do not have China’s bureaucratic depth and tradition, nor do they have the ability to mobilize resources and control personnel in the way that China’s party structure allows. Could the Democratic Republic of the Congo ever establish and manage an Organization Department? China’s authoritarianism works because it has the party’s resources to back it up. (…) Unlike in Taiwan and South Korea, China’s middle class has not emerged with any clear demand for Western-style democracy. There are some obvious reasons why. All three of China’s close Asian neighbors, including Japan, became democracies at different times and in different circumstances. But all were effectively U.S. protectorates, and Washington was crucial in forcing through democratic change or institutionalizing it. South Korea’s decision to announce elections ahead of the 1988 Seoul Olympics, for example, was made under direct U.S. pressure. Japan and South Korea are also smaller and more homogeneous societies, lacking the vast continental reach of China and its multitude of clashing nationalities and ethnic groups. And needless to say, none underwent a communist revolution whose founding principle was driving foreign imperialists out of the country. (…) China’s urban middle class may wish for more political freedom, but it hasn’t dared rise up en masse against the state because it has so much to lose. The freedom to consume — be it in the form of cars, real estate, or well-stocked supermarkets — is much more attractive than vague notions of democracy, especially when individuals pushing for political reform could lose their livelihoods and even their freedom. The cost of opposing the party is prohibitively high. Hence the hotbeds of unrest in recent years have mostly been rural areas, where China’s poorest, who are least invested in the country’s economic miracle, reside. (…) All this is why some analysts see splits within the party as a more likely vehicle for political change. Like any large political organization, the Chinese Communist Party is factionalized along multiple lines … But highlighting these differences can obscure the larger reality. Since 1989, when the party split at the top and almost came asunder, the cardinal rule has been no public divisions in the Politburo. (…) The idea that China would one day become a democracy was always a Western notion, born of our theories about how political systems evolve. Yet all evidence so far suggests these theories are wrong. The party means what it says: It doesn’t want China to be a Western democracy — and it seems to have all the tools it needs to ensure that it doesn’t become one. Richard McGregor
D’une certaine manière, le système chinois diffère du soviétique dans la mesure où il est encore plus intrusif : il pénètre plus profondément les rouages de l’administration et des institutions d’Etat. C’est comme si, chez vous, tous les ministres, tous les directeurs de journaux – de L’Expansion à Libération -, tous les présidents des chaînes de télévision, tous les responsables des grandes organisations – qu’il s’agisse d’universités ou de cabinets d’avocats -, tous les PDG des grandes entreprises, publiques comme privées, étaient nommés par un parti. Une fois que vous avez compris cela, vous mesurez le pouvoir du département de l’organisation centrale. (…) Lorsqu’on parle de la Chine, en Occident, c’est essentiellement en termes économiques, alors qu’il s’agit d’économie politique. Nombre de nos économistes ne l’ont pas compris. Ils savent manier les chiffres, mais ils ne sont pas formés pour penser politiquement. Or il faut penser l’économie chinoise en termes politiques, sinon il est impossible de comprendre ce qui s’y passe. Certains ont aussi intérêt à ne pas trop comprendre. Les règles du jeu que les Chinois voudraient imposer aux experts étrangers sont très claires : en aucun cas ils ne doivent exposer le vrai rôle du parti. Ceux qui acceptent de se plier à ces règles ne cherchent évidemment pas la transparence. Il est significatif qu’en Occident on présente Hu Jintao comme le « président chinois » alors que son titre le plus important est celui de secrétaire général du PC. Richard McGregor
Il va sans dire que nombre de pays en développement envient le succès de la Chine. Quel pays pauvre refuserait trois décennies de croissance à 10%? Et quel despote ne voudrait pas d’une croissance à 10%, tout en ayant l’assurance de rester au pouvoir pour longtemps? (…) Par ailleurs, la Chine est parvenue à ce résultat en ignorant délibérément les conseils de l’Occident; elle a su tirer parti des avantages du marché, sans pour autant succomber à l’ensemble de ses charmes. Pendant des années, les banquiers du monde entier se sont rendus à Pékin pour prêcher la bonne parole de la libéralisation financière, conseillant aux dirigeants chinois de laisser flotter leur monnaie et d’ouvrir leur compte de capital. Comment reprocher aux Chinois d’avoir compris que cette recommandation était évidemment motivée par des intérêts personnels? Une théorie à la mode veut que le succès de la Chine ait donné naissance à un nouveau «consensus de Pékin», qui remettrait en cause l’importance de l’économie de marché et de la démocratie —les deux marques de fabrique du «consensus de Washington». Le consensus de Pékin proposerait ainsi un système économique pragmatique et une politique autoritariste prête à l’emploi. Mais observez le modèle chinois de plus près, et vous verrez qu’il n’est pas si simple de le l’imiter. La plupart des pays en développement n’ont pas la tradition et la complexité bureaucratique de la Chine; la structure du parti lui donne une capacité à mobiliser des ressources et à diriger ses fonctionnaires qu’ils ne peuvent égaler. La République démocratique du Congo pourrait-elle établir et administrer un département de l’organisation? En Chine, l’autoritarisme ne pourrait fonctionner sans les ressources du parti. Richard McGregor
Par-delà les statistiques, le démo-capitalisme, seul, procure les biens non quantifiés que nous respirons sans nous en apercevoir tant ils nous semblent acquis, comme la liberté d’expression, la recherche de l’équité ou l’égalité des sexes. Tandis que, dans l’ordo-capitalisme, chacun retient son souffle et contrôle ses paroles. Tout ceci n’est pas suffisamment dit, ni dans les pays de l’ordre parce qu’il est imprudent de parler ni dans le monde démo-capitaliste quand les idiots utiles confisquent la parole. Guy Sorman

A l’heure où, aveuglé sur le fonctionnement réel d’un parti unique qui a littéralement colonisé tous les rouages du monde économique du pays et surtout accro au financement chinois de sa dette, le Carter noir fossoyeur de la liberté d’entreprise  s’apprête à dérouler le tapis rouge pour le futur chef du PCC   …

Pendant que, de l’autre côté de l’Oural, l’ex-chef du KGB qui n’hésite pas à menacer l’Europe dépendant de son gaz, nous prépare son dernier numéro de chaises musicales

Et qu’au pays auto-proclamé des droits de l’homme où ne travaille et ne cotise qu’un peu plus de la moitié de la population et où se confirment la surdélinquance comme le surchômage d’origine étrangère, les néo-chaveziens à la Mélenchon ou néo-corréziens à la Hollande rivalisent de lendemains qui chantent …

Piqûre de rappel avec l’essayiste Guy Sorman.

Face à la résurgence de « la tentation despotique »  incarnée aujourd’hui par l’axe Moscou-Pékin  (les deux derniers, impunis et impénitents, massacreurs en série du XXe siècle à – surprise! –  ne toujours pas avoir eu droit à leur Nuremberg), occupés à reconstituer, derrière la promesse d’ordre à des populations déboussolées et sous la forme cette fois plus présentable du capitalisme d’Etat (le fameux modèle chinois « mélange réussi de capitalisme et d’Etat fort » censé « ébranler les certitudes américaines »), la tyrannie dont ils sont issus et prêts pour ce faire à soutenir tout ce que la planète peu contenir d’Etats voyous et terroristes à l’iranienne ou à la nord-coréenne …

Comment meurent les démocraties

Guy Sorman

Le futur c’est tout de suite

14 février 2012

La Fin de l’Histoire recule. Au lendemain de la Chute du Mur de Berlin, on se rappelle que l’économiste américain Francis Fukuyama annonçait combien la démocratie libérale était devenue l’horizon indépassable de toutes sociétés. Il ne niait pas que des conflits locaux surgissent mais imposa l’hypothèse que nulle idéologie alternative à la démocratie libérale n’émergerait avant longtemps. À cette théorie souvent mal comprise de la démocratie libérale comme Fin de l’Histoire, succéda après les attentats de septembre 2001, islamistes ou qualifiés comme tels, une autre prophétie : également Made in USA, elle fut formulée par Samuel Huntington, sous le titre de Conflit des Civilisations. Lui envisageait une guerre inévitable entre l’alliance « orientale » de la Chine et des Musulmans, et le monde « occidental ». Ce modèle de Huntington résista à l’épreuve des faits moins longtemps encore que celui de Fukuyama : Huntington ne définit jamais ce qu’il entendait par civilisation, les mondes musulmans se sont divisés entre pro et anti-Occidentaux et le Japon « oriental » ou l’Inde sont solidement ancrés dans le camp de la démocratie libérale.

Voici que surgit, sans que nul ne l’ait prophétisé, un modèle de plus qui pourrait définir les temps à venir : l’affrontement entre la démocratie libérale, qui s’effrite de l’intérieur, avec la résurgence de ce que l’on appellera « la tentation despotique ». Si cette brisure est concrète, elle éclaire l’histoire qui se fait.

Dans le camp occidental, qui n’est ni une civilisation, ni une géographie, mais un territoire mental, le doute ronge les esprits. Depuis la rupture financière de 2008, le complexe jusque- là, peu contesté du marché et de la démocratie, est assailli par un front du refus ou gangrené par l’esprit de démission. Voyez la Grèce et l’Italie : les élus du peuple s’en sont remis à des technocrates, forme actualisée du despotisme éclairé, pour assumer à leur place l’impopularité de la rigueur économique. Poursuivant ce raisonnement antidémocratique et antilibéral, on voit progresser l’audience de partis autoritaires, en France et en Hongrie particulièrement. Au pourtour de l’Europe, les révolutions arabes, dont on espère encore liberté, dignité et prospérité, dégénèrent en un chaos qui – au mieux – ramènera au pouvoir des technocrates éclairés mais plus probablement de simples despotes : eux promettront de l’ordre, moral ou étatique et rétabliront le capitalisme des coquins.

Les pays phares de cet ordre nouveau sont la Chine et la Russie : hasard ou héritage, leurs dirigeants reconstituent la tyrannie dont ils sont issus mais, cette fois-ci, en forme capitaliste, un ordo-capitalisme. Au conflit d’avant 1989 entre capitalisme et communisme s’est substitué un nouveau choix historique entre capitalisme d’Etat et capitalisme de marché, ordo-capitalisme contre démo-capitalisme.

Capitalisme contre capitalisme, avait écrit Michel Albert en 1991 ; il opposait alors les rudes Américains aux socio-démocrates d’Europe du Nord. Maintenant, c’est le « consensus de Pékin » qui est posé en alternative triomphaliste fort de son taux de croissance et de sa stabilité (apparente) à un « consensus de Washington », anémique et incertain. Par-delà l’enjeu de la croissance, l’ordo-capitalisme que domine, avec quelques alliés périphériques (Colombie, Zimbabwe), l’axe Moscou-Pékin, tente aussi d’imposer une Internationale « souverainiste » qui garantit aux despotes (Syrie, Iran…) le droit de tuer leurs citoyens, plutôt que d’accepter l’ingérence humanitaire.

La montée en puissance de l’ordo-capitalisme tient aux circonstances : l’émotion qu’a suscitée la crise de 2008 n’est pas dissipée et les peuples s’impatientent. Par défaut d’explication peut-être ? En réalité, la stagnation du démo-capitalisme n’est pas insoluble (les Etats-Unis remontent), la crise de l’euro non plus, tandis que les croissances chinoise et russe restent tributaires de la demande des occidentaux. Et à y regarder de près, les sociétés russes et chinoises pourraient à tout instant, voler en éclats. L’attraction pour l’ordo-capitalisme doit à l’ignorance que l’on en a, mais aussi à celle que l’on nourrit. N’était-ce pas le cas de l’URSS quand elle était louée en Europe ? Aujourd’hui comme naguère, il se trouve, au sein du démo-capitalisme énormément « d’idiots utiles », expression de Lénine pour désigner ses alliés objectifs. À l’Ouest, suffisamment de capitalistes et d’intellectuels préfèrent l’ordre et les chefs à l’équité, la dignité et la liberté. Ces « idiots utiles » ou « cinquième colonne » constituent les troupes de choc de l’ordo-capitalisme

On n’en conclura pas que les démocraties libérales vont mourir ni que l’ordo-capitalisme va l’emporter sur le démo-capitalisme. Comme l’avait écrit Jean-François Revel en 1983, dans Comment les démocraties finissent, il s’agit ici de décrire les menaces. Les dissiper exige de développer une connaissance plus fine de cet ordo-capitalisme, par définition non transparent. On ne souligne pas assez combien celui-ci gonfle ses taux de croissance et bénéficie avant tout à des nomenclatures d’Etat indifférentes au bas de la société, la moitié de la population, en Chine ou en Russie. Pareillement, le retour à l’ordo-capitalisme dans les mondes arabes ramènerait les femmes à la vassalité et l’économie à la stagnation perpétuelle. Alors même que certains pays musulmans, parce que démo-capitalistes (Turquie, Indonésie), se développent plus vite que du temps du despotisme antérieur. On devrait observer aussi qu’en Afrique ou en Amérique latine, les régimes démo-capitalistes sont les plus prospères (Brésil, Chili ou Ghana) et deviennent les plus équitables.

Dans le monde « occidental » enfin, à ressasser nos crises, on en oublie que sur les dix dernières années, le revenu par habitant en Allemagne par exemple, a crû de 1,3% par an, ce qui est conséquent dans une société prospère, parce que l’Allemagne s’en est tenue au démo-capitalisme, sans céder à des pulsions étatistes. Enfin, par-delà les statistiques, le démo-capitalisme, seul, procure les biens non quantifiés que nous respirons sans nous en apercevoir tant ils nous semblent acquis, comme la liberté d’expression, la recherche de l’équité ou l’égalité des sexes. Tandis que, dans l’ordo-capitalisme, chacun retient son souffle et contrôle ses paroles. Tout ceci n’est pas suffisamment dit, ni dans les pays de l’ordre parce qu’il est imprudent de parler ni dans le monde démo-capitaliste quand les idiots utiles confisquent la parole.

Voir aussi:

Richard McGregor: « Le PC chinois est encore équipé d’un logiciel soviétique »

Propos recueillis par Bernard Poulet et Yveas-Michel Riols

L’Expansion

07/03/2011

Ce spécialiste de la Chine décortique la façon dont le plus puissant parti politique du monde s’est adapté à l’ouverture économique pour continuer à contrôler la société chinoise.

La Chine est de moins en moins communiste, a-t-on pris l’habitude de répéter. En réalité, le Parti communiste contrôle toujours les rouages essentiels de la société chinoise. S’il s’est fait beaucoup plus discret dans la vie quotidienne des Chinois, il garde la haute main sur les secteurs clefs – la politique, bien sûr, mais également l’économie. Ce que les investisseurs occidentaux ignorent trop souvent, explique le journaliste australien Richard McGregor. Au risque de bien mauvaises surprises.

Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à écrire un livre sur le Parti communiste chinois?

Si vous jetez un coup d’oeil sous le capot du modèle chinois, la Chine apparaît beaucoup plus communiste qu’elle n’en a l’air de prime abord. Le Parti communiste fonctionne toujours avec un logiciel soviétique qui consiste en un ensemble de structures et d’appareils permettant à un parti politique de contrôler le gouvernement, au sens large du terme, ainsi que la société civile. Il réplique presque entièrement le système conçu par Lénine. Cette machine politique est impressionnante et unique par sa taille. A la mi-2009, le PC comptait 75 millions de membres, soit un adulte chinois sur douze. Il est aussi puissant que secret. C’est l’instance de décision principale, mais la manière dont il exerce son pouvoir est généralement négligée parce qu’il sait opérer discrètement.

Est-il possible d’avoir une activité en Chine en dehors du regard du Parti communiste?

Vous vous heurtez souvent au parti, mais, la plupart du temps, c’est comme avec l’homme invisible, vous ne vous en rendez pas compte. Le PC s’est retiré de nombreuses sphères de la vie privée – ce qui donne cette impression de libéralisation de la société – pour se concentrer sur quelques domaines stratégiques : les cadres du régime et de l’économie, les forces armées, la police et la propagande. Il a conservé sa vie politique secrète, dirigeant l’Etat à l’arrière de la scène. La plupart des gens en Chine ne se heurtent donc plus directement au parti, sauf s’ils ont une fonction publique importante ou s’ils deviennent puissants et riches. « Le parti est comme Dieu, me disait un universitaire chinois, il est partout, mais vous ne pouvez pas le voir. »

Comment fonctionne le département de l’organisation centrale, qui est, dites-vous, le pilier de la nomenklatura chinoise?

C’est une sorte d’ENA géante dopée aux stéroïdes, ou encore la plus grande organisation de ressources humaines du monde, conçue pour s’assurer que toute personne qui occupe une position de responsabilité, au sein et hors du gouvernement, y compris dans l’économie, relève du parti. Celui-ci a toute latitude pour embaucher et licencier.

Beaucoup de gens qui observent la Chine aujourd’hui peuvent penser que le Parti communiste contrôle uniquement le gouvernement. Mais son influence va bien au-delà : les médias, les associations, les organismes de régulation, etc. Il met son nez dans toutes ces organisations, à tous les échelons. D’une certaine manière, le système chinois diffère du soviétique dans la mesure où il est encore plus intrusif : il pénètre plus profondément les rouages de l’administration et des institutions d’Etat. C’est comme si, chez vous, tous les ministres, tous les directeurs de journaux – de L’Expansion à Libération -, tous les présidents des chaînes de télévision, tous les responsables des grandes organisations – qu’il s’agisse d’universités ou de cabinets d’avocats -, tous les PDG des grandes entreprises, publiques comme privées, étaient nommés par un parti. Une fois que vous avez compris cela, vous mesurez le pouvoir du département de l’organisation centrale.

Vous semblez dire qu’il existe une omerta, une loi du silence, parmi nombre d’experts de la Chine, sur l’influence réelle du parti, notamment dans l’économie?

Dans certains cas, il s’agit d’une omerta, dans d’autres, d’une ignorance crasse, et parfois cela relève de la pure naïveté. Lorsqu’on parle de la Chine, en Occident, c’est essentiellement en termes économiques, alors qu’il s’agit d’économie politique. Nombre de nos économistes ne l’ont pas compris. Ils savent manier les chiffres, mais ils ne sont pas formés pour penser politiquement. Or il faut penser l’économie chinoise en termes politiques, sinon il est impossible de comprendre ce qui s’y passe. Certains ont aussi intérêt à ne pas trop comprendre. Les règles du jeu que les Chinois voudraient imposer aux experts étrangers sont très claires : en aucun cas ils ne doivent exposer le vrai rôle du parti. Ceux qui acceptent de se plier à ces règles ne cherchent évidemment pas la transparence. Il est significatif qu’en Occident on présente Hu Jintao comme le « président chinois » alors que son titre le plus important est celui de secrétaire général du PC.

Comment cela fonctionne-t-il en réalité?

Pour décrypter la politique chinoise, il faut s’intéresser au fonctionnement des institutions, c’est-à-dire des bureaucraties de l’Etat et de l’économie, en essayant de démêler leurs influences respectives. Derrière les responsables officiels des entreprises ou des banques, il y a les comités du Parti communiste. Pour saisir les luttes d’influence, il faut analyser la façon dont le PC organise la rotation des cadres au sein des grandes bureaucraties – la banque centrale, par exemple – ainsi que dans les grandes entreprises. Il est donc très difficile de comprendre comment la Chine fonctionne si l’on n’essaie pas d’abord de deviner le rôle et l’activité du Parti communiste.

Comment définissez-vous son rôle dans la gestion de l’économie et des grandes entreprises?

Le parti contrôle directement les grandes entreprises dans les secteurs qu’il juge stratégiques, tels que le transport, l’énergie et les télécommunications. En dehors de ces secteurs, tous ceux qui se rendent en Chine peuvent constater qu’il existe un secteur privé vigoureux. Le parti a tenté de séduire les entrepreneurs, mais il est décidé à garder le contrôle sur ce qu’il appelle les « hauteurs déterminantes de l’économie », en s’assurant qu’aucun mécanisme ne permet au secteur privé de jouer un rôle autre que purement économique. Le Parti communiste a appris à laisser suffisamment d’autonomie aux entrepreneurs privés pour leur permettre de réussir, tout en prenant toutes les garanties pour qu’ils n’aient aucune possibilité de devenir un centre de pouvoir rival.

A quel point le parti est-il impliqué dans la gestion des grandes entreprises, y compris celles qui sont cotées dans les Bourses étrangères?

Cela varie d’un secteur à l’autre. Prenons un exemple. Le PC a très clairement exercé son contrôle sur les grandes entreprises de télécommunications telles que China Mobile, le plus grand opérateur de téléphonie mobile du monde. Ainsi, à trois ou quatre reprises au cours de la décennie écoulée, il a permuté les cadres dirigeants des principales entreprises de ce secteur, du jour au lendemain, sans même en informer les PDG. Du coup, ces cadres se sont trouvés parachutés à la tête d’entreprises qui jusque-là avaient été leurs concurrents ! Pourquoi a-t-il fait cela ? Parce qu’il s’agit d’une nouvelle industrie, et qu’il ne veut pas qu’elle échappe à son contrôle.

Pour le parti, le premier principe est le suivant : il a toute latitude d’embauche et de licenciement dans les entreprises, même si la façon dont il exerce cette prérogative varie d’un secteur à un autre. Deuxième principe : il existe un comité du parti qui agit comme un conseil d’administration parallèle au sein de chacune de ces grandes entreprises. Le parti n’est pas forcément impliqué dans la gestion quotidienne, mais il demeure un pouvoir de réserve, autorisé à intervenir quand il le juge nécessaire.

Ce qui est certain, c’est que plus vous devenez gros, en Chine, plus vous devez avoir de liens avec le parti. Au fil du temps, celui-ci a colonisé les entreprises privées, au point qu’il y a maintenant une convergence d’intérêts entre le PC et le secteur privé. Le PC veille à ce que le secteur privé ne devienne jamais un concurrent politique.

Pourquoi arrive-t-on si mal à mesurer la taille réelle du secteur privé?

Il y a une vraie difficulté à démêler le public du privé, car beaucoup d’entreprises rechignent à s’afficher comme des sociétés entièrement privées et préfèrent rechercher la protection d’actionnaires publics. Les entreprises chinoises se sentent plus vulnérables si elles sont privées. Il leur est conseillé d’avoir un « chapeau rouge » pour bien se développer.

Je cite deux rapports dans mon livre. Le premier, du courtier CLSA, de Hongkong, estime que le secteur privé génère 70 % du produit intérieur brut. Le second, de Yasheng Huang, du Massachusetts Institute of Technology, juge que le secteur purement privé équivalait, à la fin du XXe siècle, à 20 % de la production industrielle. Je pense que l’on peut estimer sérieusement que le secteur public génère 50 % ou plus du PIB, même si le secteur privé crée davantage d’emplois que le public.

Comment voyez-vous l’évolution de ce système ?

Le système communiste chinois est certes corrompu, pourri, coûteux et souvent inefficace. La corruption joue le rôle d’un impôt qui permet une redistribution au sein de la classe dirigeante. De cette manière, elle est une espèce de ciment du système. Mais si la crise financière en Occident a exacerbé l’orgueil national, elle a aussi démontré la flexibilité du système. Et il est indéniable que, depuis la mort de Mao, les deux piliers du pouvoir du parti – la croissance économique et le nationalisme renaissant – se sont renforcés.

Lénine reconnaîtrait-il l’organisation du PC chinois?

Il reconnaîtrait la structure. La bureaucratie léniniste a survécu, même si les dirigeants chinois y ont ajouté une touche de McKinsey pour la rendre plus performante. D’un autre côté, Lénine serait peut-être horrifié de se rendre dans un restaurant élégant avec d’autres cadres et de devoir payer 500 dollars pour dîner… Une partie de Lénine adorerait le parti d’aujourd’hui, une autre le détesterait!

Profil

Richard McGregor, 52 ans, journaliste au Financial Times, a passé dix ans en Chine et a aussi été en poste au Japon, à Taïwan et à Hongkong. De son expérience en Chine, il a tiré un récit inédit sur les rouages, le pouvoir et la stratégie du Parti communiste chinois (The Party. The Secret World of China’s Communist Party, HarperCollins, 2010). Il vient de rejoindre le bureau du FT à Washington.

Voir également:

Cinq idées reçues sur le Parti communiste chinois

Le léninisme de marché est toujours d’actualité.

Décryptage des clichés qui circulent au sujet de l’Empire du Milieu…

Foreign policy

Repris par Slate

Dimanche 30 janvier 2011

«La Chine n’a plus de communiste que le nom»

Faux. Imaginons que Lénine revienne à la vie dans le Pékin de 2011; imaginons qu’il parvienne à fermer les yeux sur les gratte-ciels étincelants et sur l’ostensible consumérisme de leurs habitants. Il percevrait certainement le Parti communiste chinois comme une copie du système qu’il avait élaboré, près d’un siècle plus tôt, pour les vainqueurs de la révolution bolchevique. Il suffit en effet d’étudier la structure du parti pour comprendre à quel point le système politique chinois demeure communiste —et léniniste.

Cela fait certes bien longtemps que la Chine a tiré un trait sur les fondements du système économique communiste. Elle les a progressivement remplacés par des entreprises d’Etat ayant le sens des affaires, qui coexistent avec un secteur privé des plus dynamiques. Mais malgré cette libéralisation de l’économie, les dirigeants chinois ont bien pris soin de conserver leur mainmise sur le pouvoir; et ce à travers trois éléments contrôlés par le parti: les fonctionnaires, la propagande et l’Armée populaire de libération (APL).

L’APL n’est pas l’armée du pays; c’est celle du parti. En Occident, la politisation potentielle des militaires est souvent matière à controverse. En Chine, c’est tout le contraire: le parti est constamment sur ses gardes, de peur de voir l’armée se dépolitiser. Il n’a peur que d’une chose: perdre le contrôle des généraux et de leurs troupes. En 1989, un général avait refusé d’ordonner à ses soldats de marcher sur la capitale pour y déloger les étudiants de la place Tian’anmen; l’incident a marqué au fer rouge la mémoire collective de la classe dirigeante. Car au final, c’est la répression des manifestants par l’armée qui a permis au parti de conserver le pouvoir en 1989; depuis, ses dirigeants font de leur mieux pour conserver le soutien des généraux, au cas où il faudrait étouffer de nouvelles révoltes dans l’œuf.

Le parti contrôle les médias par l’intermédiaire du département de la propagande, tout comme le faisait l’Union soviétique. Ce département transmet des directives quotidiennes aux organes de presse, par écrit, par email ou par sms, et —plus officieusement— par téléphone. Les directives expliquent, souvent en détail, comment traiter (ou ne pas traiter du tout) les informations considérées comme sensibles par le parti; l’attribution du prix Nobel de la paix à Lu Xiaobo, par exemple.

Enfin (et c’est peut-être le plus important), c’est le parti qui alloue tous les postes de premier plan dans les ministères, dans les entreprises, dans les universités et dans les médias, par l’intermédiaire d’un organisme mystérieux et peu connu: le département de l’organisation. A travers ce département, le parti gère la quasi-totalité des nominations d’importance, quelle que soit la région et le champ d’activité. Les Chinois se souviennent manifestement de la politique de Staline, qui voulait que les cadres décident de tout.

De fait, lorsqu’on compare la liste des caractéristiques du Parti communiste chinois à celle de l’Union soviétique (telle qu’établie par Robert Service, grand historien de l’URSS), on se rend vite compte que les ressemblances sont incroyablement nombreuses. Le parti a agi comme tous les dirigeants communistes au temps de leur âge d’or: il a éradiqué ou affaibli ses opposants politiques, a éliminé l’indépendance de la justice et des médias, a limité les libertés civiles et religieuses, a dénigré les partisans d’une autre vision de la nation, et a envoyé les dissidents en camp de travail. Si le système chinois est souvent qualifié de «léninisme de marché», ce n’est pas par hasard.

«Le Parti contrôle tous les aspects de la vie des citoyens»

Plus maintenant. Sous Mao Zedong (de 1949 à sa mort, en 1976), la Chine était, de fait, un Etat totalitaire. En ces temps obscurs, les employés ordinaires ne pouvaient se marier (et emménager avec leur conjoint) sans l’autorisation de leur supérieur hiérarchique. Il leur fallait également attendre l’aval de l’administration pour commencer à fonder une famille.

Depuis, le Parti communiste a compris qu’une telle ingérence dans la vie des Chinois pouvait desservir son principal projet: la création d’une économie moderne. Durant la période des grandes réformes initiées par Den Xiaoping (à la fin des années 1970), le Parti a peu à peu relâché son emprise sur la vie privée des citoyens, à l’exception des dissidents les plus récalcitrants. Dans les années 1980 et 1990, la disparition progressive de l’ancien système de prise en charge complète des citoyens (entreprises d’Etat, services médicaux et autres aides sociales) a également mis fin à un dispositif de contrôle particulièrement complexe, construit autour des comités de quartier, et dont l’un des objectifs étaient d’espionner la population.

Cette réforme a grandement profité au Parti. Certes, de nombreux jeunes ne savent plus vraiment à quoi sert ce dernier, estimant qu’il ne joue plus aujourd’hui de rôle notable dans leurs vies. Mais les dirigeants s’en réjouissent: les citoyens ordinaires ne sont pas sensés s’intéresser aux rouages internes du parti. Ses organes les plus puissants (comme les départements de la propagande et de l’organisation) ne veulent pas se faire remarquer; on ne trouve aucune plaque à leurs noms devant leurs bureaux, et leurs numéros de téléphone ne figurent pas dans les annuaires. La stratégie de la discrétion s’est avérée payante: elle leur permet de cacher leurs opérations à la population tout en permettant au parti de récolter tous les lauriers d’une croissance économique éclair. C’est ainsi que fonctionne aujourd’hui le contrat social de la Chine: le parti permet au citoyens d’améliorer leur niveau de vie comme bon leur semble, à condition que ces derniers ne se mêlent pas de politique.

«Internet aura raison du parti»

Impossible. On se souvient de la formule prononcée il y a dix ans par Bill Clinton; il affirmait que les dirigeants chinois ne parviendraient jamais à contrôler Internet, tâche revenant, selon lui, à essayer de «clouer de la gelée à un mur». Le président avait raison —mais il ne s’attendait certainement pas à cela. En Chine, Internet n’est pas le relais des valeurs démocratiques occidentales; et à bien des égards, il est même devenu l’inverse. La «grande muraille numérique» est chargée de filtrer les idées venues de l’Occident, et elle remplit parfaitement son office. A l’intérieur des murs, en revanche, les cyber-citoyens ultranationalistes jouissent d’une liberté de parole beaucoup plus étendue.

Le Parti communiste chinois s’est toujours drapé dans le nationalisme pour s’assurer le soutien du peuple, et il a toujours su exploiter l’émotion de la population quant aux humiliations historiques infligées par l’Occident. Les propositions d’investissements étrangers les plus banales qui soient ont ainsi parfois été comparées à l’Alliance des huit nations, qui avait envahi et occupé Pékin en 1900. Mais lorsque de tels propos se propagent sur Internet, le gouvernement chinois parvient souvent à canaliser cette colère avec finesse pour servir ses propres intérêts. Pékin avait par exemple utilisé un mouvement de colère anti-japonaise pour faire pression sur Tokyo lorsque le capitaine d’un bateau de pêche avait été arrêté dans les eaux du Japon. Ces tactiques pour le moins brutales ne font rien pour améliorer l’image de la Chine à l’étranger, mais elles ont renforcé la popularité du parti dans la population; dans les médias nationaux, les Chinois entendent que leurs dirigeants tiennent tête aux puissances étrangères.

A travers son département de la propagande, le parti emploie toute une gamme de tactiques —souvent inventives— pour conserver sa mainmise sur Internet. Chaque région dispose d’une police numérique spécialement entraînée, chargée de contenir tout mouvement d’humeur local, et le département de s’arrête pas là: il a mis sur pied un système permettant d’allouer de petites sommes d’argent à tout citoyen disposé à poster des messages progouvernementaux sur divers forums et groupes de discussion. De plus, les principaux portails Internet savent que leur —très profitable— modèle économique dépend de leur capacité à éliminer tout contenu subversif de leurs sites. Et s’ils défient ces règles à maintes reprises, le gouvernement peut tout simplement les faire disparaître du web.

«Plusieurs pays souhaitent reproduire le modèle chinois»

Bon courage. Il va sans dire que nombre de pays en développement envient le succès de la Chine. Quel pays pauvre refuserait trois décennies de croissance à 10%? Et quel despote ne voudrait pas d’une croissance à 10%, tout en ayant l’assurance de rester au pouvoir pour longtemps? De fait, nombre de pays auraient beaucoup à apprendre de la Chine quant à l’administration du développement (comment affiner ses réformes en les implémentant dans différentes régions du pays; comment gérer l’urbanisation de manière à ce que les métropoles ne soient pas submergées par les quartiers pauvres et les bidonvilles…).

Par ailleurs, la Chine est parvenue à ce résultat en ignorant délibérément les conseils de l’Occident; elle a su tirer parti des avantages du marché, sans pour autant succomber à l’ensemble de ses charmes. Pendant des années, les banquiers du monde entier se sont rendus à Pékin pour prêcher la bonne parole de la libéralisation financière, conseillant aux dirigeants chinois de laisser flotter leur monnaie et d’ouvrir leur compte de capital. Comment reprocher aux Chinois d’avoir compris que cette recommandation était évidemment motivée par des intérêts personnels? Une théorie à la mode veut que le succès de la Chine ait donné naissance à un nouveau «consensus de Pékin», qui remettrait en cause l’importance de l’économie de marché et de la démocratie —les deux marques de fabrique du «consensus de Washington». Le consensus de Pékin proposerait ainsi un système économique pragmatique et une politique autoritariste prête à l’emploi.

Mais observez le modèle chinois de plus près, et vous verrez qu’il n’est pas si simple de le l’imiter. La plupart des pays en développement n’ont pas la tradition et la complexité bureaucratique de la Chine; la structure du parti lui donne une capacité à mobiliser des ressources et à diriger ses fonctionnaires qu’ils ne peuvent égaler. La République démocratique du Congo pourrait-elle établir et administrer un département de l’organisation? En Chine, l’autoritarisme ne pourrait fonctionner sans les ressources du parti.

«Le parti ne peut pas rester au pouvoir éternellement»

Faux. Du moins pas dans un avenir prévisible. Contrairement à ce que l’on a pu voir à Taiwan et en Corée du Sud, l’émergence de la classe moyenne chinoise n’a pas coïncidé avec une exigence de démocratie à l’occidentale. Et ce pour d’évidentes raisons. Ses trois plus proches voisins asiatiques, Japon y compris, sont devenus des démocraties à des moments —et dans des circonstances— différents. Mais ils étaient tous des protectorats des Etats-Unis, et Washington a joué un rôle central dans la mise en place (ou dans l’institutionnalisation) de leur démocratie. L’Amérique a ainsi fait pression sur la Corée du Sud pour qu’elle annonce la tenue d’élections avant les Jeux olympiques de Séoul de 1988. Par ailleurs, les sociétés japonaises et sud-coréennes sont plus réduites et plus homogènes; elles n’ont pas la vaste portée continentale de la Chine, et sa multitude de conflits nationaux et ethniques. Inutile d’ajouter qu’aucun de ces pays n’a connu de révolution communiste ayant pour but principal de bouter les impérialistes étrangers hors de leurs frontières.

Il est fort possible que la classe moyenne urbaine chinoise désire avoir plus de liberté politique, mais elle n’a jamais osé se soulever de concert contre l’Etat —et ce pour une simple raison: elle a bien trop à perdre. Ces trente dernières années, le parti a sévèrement réprimé toute forme d’opposition; mais il a aussi lancé une série de vastes réformes économiques. La liberté de consommer (voitures, immobilier, supermarchés bien fournis) est beaucoup plus séduisante que la vague idée de démocratie, surtout lorsque ceux qui réclament des réformes politiques peuvent perdre leur métier ou se faire emprisonner. S’opposer au parti peut coûter cher; bien trop cher. Voilà pourquoi les régions rurales ont constitué les principaux foyers d’agitation de ces dernières années; on y trouve les habitants les plus pauvres, et donc les moins touchés par les bienfaits du miracle économique national. «Prolétaires de tous les pays, unissez-vous! Vous n’avez rien à perdre que vos crédits immobiliers!» n’est pas le plus engageant des slogans révolutionnaires.

Voilà pourquoi certains analystes estiment que des divisions internes au parti seraient un vecteur de changement politique plus probable. Comme toutes les organisations politiques de grande ampleur, le Parti communiste chinois est divisé en factions diverses, qui vont des fiefs locaux (dont l’influence a été illustrée par la «clique de Shanghai», sous le président Jiang Zemin) aux réseaux internes au parti (les cadres supérieurs furent par exemple liés à la Ligue de la jeunesse communiste par Hu Jintao, le successeur de Jiang). Les cadres du parti sont clairement en désaccord sur nombre de sujets, que ce soit le rythme à donner à la libéralisation politique ou l’ampleur du rôle que doit jouer le secteur privé dans l’économie du pays.

Mais ces divergences sont souvent l’arbre qui cache la forêt. Depuis 1989, lorsque les instances dirigeantes du parti s’étaient divisées et que ce dernier avait failli s’effondrer, il existe une règle suprême: aucun conflit interne au Politburo ne doit être rendu public. Aujourd’hui, la coopération des cadres dirigeants du parti est aussi naturelle que la compétition de ses factions internes, qui ne cesse de l’affaiblir. Xi Jinping, l’héritier présomptif de Hu Jintao, prendra certainement les rênes du pouvoir en 2012, lors du prochain congrès du parti. Son vice-président sera sans doute Li Keqiang; si l’on part du principe que ce dernier lui succédera pour l’habituel mandat de cinq ans, il semble que la Chine soi fixée sur l’identité de ses dirigeants jusqu’en 2022. Lorsque les Chinois comparent leur pays à l’Amérique, ils se disent que cette dernière ressemble de plus en plus à une république bananière.

L’idée selon laquelle la Chine était destinée à devenir une démocratie a toujours été une hypothèse occidentale; hypothèse née de nos théories sur l’évolution des systèmes politiques. Et pour l’heure, tout pousse à croire que ces théories sont fausses. Le parti pense ce qu’il dit: il ne veut pas voir la Chine devenir une démocratie à l’occidentale —et il semble disposer de tous les outils nécessaires pour s’assurer que cela n’arrive jamais.

Richard McGregor

McGregor est l’ancien chef de bureau à Pékin pour the Financial Times et l’auteur de The Party: The Secret World of China’s Communist Rulers.

Traduit par Jean-Clément Nau

Voir de plus:

« Le modèle chinois ébranle les certitudes américaines »

Propos recueillis par Sylvain Cypel

Le Monde

07.01.12

New York, correspondant – Installé depuis 2005 à New York, Ian Buruma est devenu l’un des intellectuels les plus en vue aux Etats-Unis. Il collabore à la New York Review of Books, au New York Times et au New Yorker. Polyglotte (néerlandais, anglais, allemand, chinois, japonais et français, quoi qu’il en dise), il a été l’éditeur des pages culturelles de la Far Eastern Economic Review, à Hongkong, et de The Spectator, à Londres. Aujourd’hui professeur de démocratie, droits de l’homme et journalisme à l’université Bard – « façon de dire que j’enseigne ce que je veux, c’est le charme du système universitaire américain », dit-il en riant -, il est un auteur polyvalent et prolifique. Nous avons interrogé cet intellectuel à focale large, prix Erasmus 2008, sur sa spécialité initiale : la Chine et l’Extrême-Orient.

Votre itinéraire vous place au carrefour de l’Asie, de l’Europe et de l’Amérique. En quoi cela influence-t-il votre regard sur le monde ?

Mon père est néerlandais, ma mère anglaise d’origine juive allemande. L’Asie puis l’Amérique se sont ajoutées un peu par hasard. Très jeune, étudiant en langue et littérature chinoises, j’étais un cinéphile. Un jour, j’ai vu à Paris Domicile conjugal (1970), de François Truffaut. Le personnage d’Antoine Doinel y tombe amoureux de la Japonaise… et moi aussi ! A l’époque, aller en Chine était impossible. Je me suis donc tourné vers le Japon, où j’ai étudié le cinéma et participé à la troupe de danse Dairakudakan. L’Amérique est venue à moi tardivement, quand on m’a proposé d’y enseigner. Je me sens toujours plus européen qu’américain. Un Européen marié à une Japonaise et parfaitement chez lui à New York, la ville de la mixité.

Vous êtes progressiste et un produit typique du multiculturalisme. Pourquoi dénoncez-vous la « courte vue » des progressistes sur l’islam ?

Je ne suis pas « progressiste ». C’est ce pays tellement conservateur que sont les Etats-Unis qui m’a beaucoup poussé à gauche ! Je l’étais moins en Europe et en Asie. Je n’ai jamais admis les complaisances de gens de gauche pour toutes sortes de potentats sous le prétexte d’accepter les différences. Et je suis opposé à l’idéologie du multiculturalisme. Lorsque le terme décrit une réalité, il me convient. Sur le plan factuel, je suis multiculturel. Mais l’idée que les gens doivent impérativement préserver toutes leurs racines est absurde. Dans le cas célèbre d’un crime d’honneur commis en Allemagne, où le juge avait estimé que le criminel avait des circonstances atténuantes en raison de sa culture d’origine, je considère qu’il a tort.

Il y a des choses plus importantes que la culture. Je n’admets pas l’argument culturel pour justifier l’excision. En même temps, je suis plus tolérant que la loi française pour l’affichage des symboles religieux. Qu’une policière ou une enseignante soit interdite de porter le niqab dans ses fonctions, oui. Une personne dans la rue, non. Ce type d’interdiction n’est qu’une façon de dissuader des gens impopulaires d’adhérer à une religion impopulaire.

La peur des Japonais était très forte il y a vingt-cinq ans aux Etats-Unis. Comment expliquez-vous qu’un même phénomène soit aujourd’hui dirigé contre la Chine ?

Les deux phénomènes ne sont pas similaires. Ce qui faisait peur aux Américains il y a une génération, c’était la visibilité des Japonais : Mitsubishi rachetait le Rockefeller Center, Toyota déboulait, etc. Leurs marques étaient très visibles. De plus, dans l’histoire américaine, les Japonais sont suspects. Aujourd’hui, les Américains se disent que, si les Chinois parviennent à la puissance qu’avaient les Japonais, ils seront bien plus dangereux. Mais, sur le fond, la menace nipponne avait été grandement exagérée et la menace chinoise l’est tout autant. D’abord, l’absence de liberté intellectuelle en Chine reste un obstacle très important pour son développement. Ensuite, l’intérêt des deux parties à préserver des liens l’emportera sur les forces poussant au conflit.

Quelle est la part de réalité et de fantasme dans cette tension montante ?

Par fantasmes, vous entendez peur. Elle est fondée : la montée en puissance de la Chine ne pourra que réduire le pouvoir et l’influence américaine dans le monde. Après 1945, les Etats-Unis sont devenus le gendarme de l’Asie. Ce n’est plus le cas. Des peurs populistes sont également fondées sur des motifs socio-économiques. Mais je ne pense pas qu’elles atteignent le niveau des peurs antinippones de la fin des années 1980. Et les craintes de l’influence économique chinoise sont surtout concentrées dans les Etats de la vieille économie, où l’industrie lourde est en déclin.

Un sondage de l’Institut Pew a montré que les Américains croient que la Chine est devenue la première puissance économique mondiale. Or elle reste loin des Etats-Unis. C’est un fantasme typique…

C’est une combinaison d’ignorance et de peurs, exploitées par des chroniqueurs de radios dans le but de blâmer Barack Obama. Mais je le répète : le déclin des Etats-Unis est un fait, comme la montée en puissance économique de l’Asie. Ce déclin génère un choc, dont il ne faut pas s’alarmer inconsidérément. Au début du XXe siècle, l’invention du personnage de Fu Manchu (sorte de génie du Mal incarnant le « péril jaune ») avait provoqué un arrêt de l’immigration sino-nipponne en Amérique qui avait même eu un impact en Europe. A suivi la menace communiste, qui était, pour les Etats-Unis, loin d’être aussi réelle qu’on l’a présentée. Mais même la CIA y a sincèrement cru.

Les Etats-Unis sont un pays qui vit sous la peur constante de puissances extérieures qui menaceraient de faire disparaître son espace sécurisé. Ce pays a bâti et a été bâti par une société d’immigrés mais, dans le même temps, il pourchasse ces immigrés pour se protéger. Comme la France, du reste. Et, comme les Français, les Américains s’estiment porteurs d’une mission civilisatrice universelle. Or le « modèle chinois » ébranle leurs certitudes.

Est-ce parce que les Américains fondent leur économie sur l’idée que la liberté est le meilleur garant du succès, alors que les Chinois ont une croissance très supérieure avec un régime dictatorial ?

C’est exactement ça. Ce mélange chinois réussi de capitalisme et d’Etat fort est plus qu’une remise en cause, il est perçu comme une menace. Je ne vois pourtant pas monter une atmosphère très hostile à la Chine dans l’opinion. Depuis un siècle, les Américains ont toujours été plus prochinois que pronippons. Les missions chrétiennes ont toujours eu plus de succès en Chine qu’au Japon. Pour la droite fondamentaliste, ça compte. Et, dans les années 1980, des députés ont détruit des Toyota devant le Capitole ! On en reste loin.

Et le regard des Chinois sur les Etats-Unis, comment évolue-t-il ?

Tout dépend de quels Chinois on parle, mais, pour résumer, c’est attirance-répulsion. Surtout parmi les classes éduquées qui rêvent d’envoyer leurs enfants dans les universités américaines et en même temps peuvent être emplies de ressentiment à l’égard d’une Amérique qu’elles perçoivent comme hostile, pour beaucoup à cause de la propagande de leur gouvernement. Du communisme comme justificatif du pouvoir il ne reste rien. Le nouveau dogme est un nationalisme fondé sur l’exacerbation d’un sentiment victimaire vis-à-vis du Japon et des Etats-Unis. En Chine, à Singapour, en Corée du Sud, on constate une forte ambivalence typique de certaines élites, par ailleurs fortement occidentalisées, pour qui le XXIe siècle sera asiatique. Dans les années 1960, au Japon, a émergé une nouvelle droite ultranationaliste, dont les représentants les plus virulents étaient professeurs de littérature allemande ou française. Ils voulaient se sentir acceptés, légitimes en termes occidentaux, et se sentaient rejetés. C’est ce que ressentent aujourd’hui les nationalistes chinois.

En 2010, vous avez écrit que la Chine est restée identique sur un aspect essentiel : elle est menée par une conception religieuse de la politique. Serait-elle politiquement soumise à l’influence du confucianisme, comme l’espace musulman le serait par le Coran ?

Dans le cas chinois, il ne s’agit pas que de confucianisme ; le maoïsme était identique. Il n’y a aucune raison pour que les musulmans ne puissent accéder à la démocratie tout en préservant leur religion. La Turquie, l’Indonésie l’ont fait. La Chine le pourrait tout autant. Des sociétés de culture sinisante comme Taïwan ou la Corée du Sud ont montré qu’un changement est possible. L’obstacle à surmonter, en Chine, est que le confucianisme rejette la légitimité du conflit. L’harmonie est caractérisée par un ordre social ou règne l’unanimité. Donc la plus petite remise en cause apparaît instantanément menaçante.

Qu’est-ce qui pourrait déclencher un processus démocratique en Chine ?

Le plus grand obstacle est l’alliance entre les élites urbaines et le Parti communiste. Les deux ont peur de l’énorme masse paysanne ignorante. Ces élites ont une telle histoire récente de violence et une telle peur d’un retour du chaos qu’elles préfèrent un ordre qui leur assure la croissance, au risque d’avancer vers la démocratie. Pour le pouvoir, la grande faiblesse de ce système est que, le jour où l’économie cesse de croître et que l’enrichissement des élites urbaines s’arrête, l’édifice s’écroule. Dans ce cas, tout pourrait advenir, d’une alliance entre démocrates, ressortissants des nouvelles élites, et une fraction du parti, jusqu’à un coup d’Etat militaire.

Voir encore:

5 Myths About the Chinese Communist Party
Market-Leninism lives.
Richard McGregor

Foreign Policy

January 3, 2011

“China Is Communist in Name Only.”

Wrong. If Vladimir Lenin were reincarnated in 21st-century Beijing and managed to avert his eyes from the city’s glittering skyscrapers and conspicuous consumption, he would instantly recognize in the ruling Chinese Communist Party a replica of the system he designed nearly a century ago for the victors of the Bolshevik Revolution. One need only look at the party’s structure to see how communist — and Leninist — China’s political system remains.

Sure, China long ago dumped the core of the communist economic system, replacing rigid central planning with commercially minded state enterprises that coexist with a vigorous private sector. Yet for all their liberalization of the economy, Chinese leaders have been careful to keep control of the commanding heights of politics through the party’s grip on the “three Ps”: personnel, propaganda, and the People’s Liberation Army.

The PLA is the party’s military, not the country’s. Unlike in the West, where controversies often arise about the potential politicization of the military, in China the party is on constant guard for the opposite phenomenon, the depoliticization of the military. Their fear is straightforward: the loss of party control over the generals and their troops. In 1989, one senior general refused to march his soldiers into Beijing to clear students out of Tiananmen Square, an incident now seared into the ruling class’s collective memory. After all, the army’s crackdown on the demonstrations preserved the party’s hold on power in 1989, and its leaders have since worked hard to keep the generals on their side, should they be needed to put down protests again.

As in the Soviet Union, the party controls the media through its Propaganda Department, which issues daily directives, both formally on paper and in emails and text messages, and informally over the phone, to the media. The directives set out, often in detail, how news considered sensitive by the party — such as the awarding of the Nobel Peace Prize to Liu Xiaobo — should be handled or whether it should be run at all.

Perhaps most importantly, the party dictates all senior personnel appointments in ministries and companies, universities and the media, through a shadowy and little-known body called the Organization Department. Through the department, the party oversees just about every significant position in every field in the country. Clearly, the Chinese remember Stalin’s dictate that the cadres decide everything.

Indeed, if you benchmark the Chinese Communist Party against a definitional checklist authored by Robert Service, the veteran historian of the Soviet Union, the similarities are remarkable. As with communism in its heyday elsewhere, the party in China has eradicated or emasculated political rivals, eliminated the autonomy of the courts and media, restricted religion and civil society, denigrated rival versions of nationhood, centralized political power, established extensive networks of security police, and dispatched dissidents to labor camps. There is a good reason why the Chinese system is often described as “market-Leninism.”

“The Party Controls All Aspects of Life in China.”

Not anymore. No question, China was a totalitarian state under Mao Zedong’s rule from 1949 until his death in 1976. In those bad old days, ordinary workers had to ask their supervisors’ permission not only to get married, but to move in with their spouses. Even the precise timing for starting a family relied on a nod from on high.

Since then, the Chinese Communist Party has recognized that such intensive interference in people’s personal lives is a liability in building a modern economy. Under the reforms kick-started by Deng Xiaoping in the late 1970s, the party has gradually removed itself from the private lives of all but the most recalcitrant of dissidents. The waning in the 1980s and 1990s of the old cradle-to-grave system of state workplaces, health care, and other social services also dismantled an intricate system of controls centered on neighborhood committees, which among other purposes were used for snooping on ordinary citizens.

The party has benefited hugely from this shift, even if many young people these days have little knowledge of what the party does and consider it irrelevant to their lives. That suits party leaders perfectly. Ordinary people are not encouraged to take an interest in the party’s internal operations, anyway. Powerful party organs like the Organization and Propaganda Departments do not have signs outside their offices. They have no listed phone numbers. Their low profile has been strategically smart, keeping their day-to-day doings out of public view while allowing the party to take full credit for the country’s rapid economic growth. This is how China’s grand bargain works: The party allows citizens great leeway to improve their lives, as long as they keep out of politics.

“The Internet Will Topple the Party.”

Nope. Bill Clinton famously remarked a decade ago that the efforts of Chinese leaders to control the Internet were doomed, akin to “nailing Jell-O to a wall.” It turns out the former president was right, but not in the way he thought. Far from being a conveyor belt for Western democratic values, the Internet in China has largely done the opposite. The “Great Firewall” works well in keeping out or at least filtering Western ideas. Behind the firewall, however, hypernationalist netizens have a much freer hand.

The Chinese Communist Party has always draped itself in the cloak of nationalism to secure popular support and played up the powerful narrative of China’s historical humiliation by the West. Even run-of-the-mill foreign-investment proposals are sometimes compared to the “Eight Allied Armies” that invaded and occupied Beijing in 1900. But when such views bubble up on the Internet, the government often skillfully manages to channel them to its own ends, as when Beijing used an online outburst of anti-Japanese sentiment to pressure Tokyo after a Chinese fishing-boat captain was arrested in Japanese waters. Such bullying tactics may not help China’s image abroad, but they have reinforced support at home for the party, which the state media is keen to portray as standing up to foreign powers.

Through its Propaganda Department, the party uses a variety of often creative tactics to ensure that its voice dominates the web. Not only does each locality have its own specially trained Internet police to keep a lid on grassroots disturbances, the department has also overseen a system for granting small cash payments to netizens who post pro-government comments on Internet bulletin boards and discussion groups. Moreover, the dominant national Internet portals know that their profitable business models depend on keeping subversive content off their sites. If they consistently flout the rules, they can simply be shut down.

“Other Countries Want to Follow the China Model.”

Good Luck. Of course, many developing countries are envious of China’s rise. Which poor country wouldn’t want three decades of 10 percent annual growth? And which despot wouldn’t want 10 percent growth and an assurance that he or she would meanwhile stay in power for the long haul? China undoubtedly has important lessons to teach other countries about how to manage development, from fine-tuning reforms by testing them in different parts of the country to managing urbanization so that large cities are not overrun by slums and shantytowns.

Moreover, China has done this while consciously flouting advice from the West, using the market without being seduced by its every little charm. For years, foreign bankers trekked to Beijing to sell the gospel of financial liberalization, telling Chinese officials to float their currency and open their capital account. Who could blame China’s leaders for detecting the evident self-interest in such advice and rejecting it? China’s success has given rise to the fashionable notion of a new “Beijing Consensus” that eschews the imposition of free markets and democracy that were hallmarks of the older “Washington Consensus.” In its place, the Beijing Consensus supposedly offers pragmatic economics and made-to-order authoritarian politics.

But look closer at the China model, and it is clear that it is not so easily replicated. Most developing countries do not have China’s bureaucratic depth and tradition, nor do they have the ability to mobilize resources and control personnel in the way that China’s party structure allows. Could the Democratic Republic of the Congo ever establish and manage an Organization Department? China’s authoritarianism works because it has the party’s resources to back it up.

“The Party Can’t Rule Forever.”

Yes it can. Or at least for the foreseeable future. Unlike in Taiwan and South Korea, China’s middle class has not emerged with any clear demand for Western-style democracy. There are some obvious reasons why. All three of China’s close Asian neighbors, including Japan, became democracies at different times and in different circumstances. But all were effectively U.S. protectorates, and Washington was crucial in forcing through democratic change or institutionalizing it. South Korea’s decision to announce elections ahead of the 1988 Seoul Olympics, for example, was made under direct U.S. pressure. Japan and South Korea are also smaller and more homogeneous societies, lacking the vast continental reach of China and its multitude of clashing nationalities and ethnic groups. And needless to say, none underwent a communist revolution whose founding principle was driving foreign imperialists out of the country.

China’s urban middle class may wish for more political freedom, but it hasn’t dared rise up en masse against the state because it has so much to lose. Over the last three decades, the party has enacted a broad array of economic reforms, even as it has clamped down hard on dissent. The freedom to consume — be it in the form of cars, real estate, or well-stocked supermarkets — is much more attractive than vague notions of democracy, especially when individuals pushing for political reform could lose their livelihoods and even their freedom. The cost of opposing the party is prohibitively high. Hence the hotbeds of unrest in recent years have mostly been rural areas, where China’s poorest, who are least invested in the country’s economic miracle, reside. “Workers of the world unite! You have nothing to lose except your mortgages” doesn’t quite cut it as a revolutionary slogan.

All this is why some analysts see splits within the party as a more likely vehicle for political change. Like any large political organization, the Chinese Communist Party is factionalized along multiple lines, ranging from local fiefdoms (exemplified on the national stage by the “Shanghai Gang” under former President Jiang Zemin) to internal party networks (like the senior cadres tied to the Communist Youth League through Jiang’s successor Hu Jintao). There are also clear policy disputes over everything from the proper pace of political liberalization to the extent of the private sector’s role in the economy.

But highlighting these differences can obscure the larger reality. Since 1989, when the party split at the top and almost came asunder, the cardinal rule has been no public divisions in the Politburo. Today, top-level cooperation is as much the norm as debilitating factional competition. Xi Jinping, the heir apparent, is set to take over at the next party congress in 2012. Assuming his likely deputy, Li Keqiang, follows with the usual five-year term, China’s top leadership seems set until 2022. For the Chinese, the United States looks increasingly like a banana republic by comparison.

The idea that China would one day become a democracy was always a Western notion, born of our theories about how political systems evolve. Yet all evidence so far suggests these theories are wrong. The party means what it says: It doesn’t want China to be a Western democracy — and it seems to have all the tools it needs to ensure that it doesn’t become one.

Voir enfin:

Searching for Hayek in Cairo

To make democracy stick, the Arab Spring now needs an economic revolution..

Matthew Kaminski

The WSJ

April 21, 2011.

Cairo

The downsides of Mideast unrest are civil wars, Islamist takeovers and terrorism, and gasoline prices approaching $5 a gallon. Add to the list backlash against the open economy. If this persists, the grand upside of this tumultuous Arab spring—democracy—will be harder to achieve.

Egypt is the bellwether. Two months since the overthrow of the Mubarak regime, interim military rulers run the Arab world’s largest state and promise a return to civilian rule following free elections later this year. Economic populism comes naturally to its suddenly rambunctious politics. On the streets, anger over low wages and corruption extends to capitalism and business elites who worked hand-in-glove with the hated regime.

If anything unites Egyptians in this bewildering period, it’s the conviction that ousted President Hosni Mubarak, sons Gamal and Alaa, and their friends fleeced the country. Thousands have come back to Cairo’s Tahrir Square in recent weeks to demand justice.

In response, prosecutors last week put the three Mubaraks in 15-day custody for questioning. Steel oligarch Ahmed Ezz and other confidants were already in jail. Corruption indictments came down Sunday against former Prime Minister Ahmed Nazif and his finance minister, Youssef Boutros-Ghali.

All these men claimed to champion economic reform. So, not surprisingly, people are now hostile to it. Every party, from the Muslim Brotherhood to self-described liberals, puts the need for « social justice » atop its list of economic priorities. Privatization and liberalization are dirty words. A series of strikes since the regime fell demanded not just better pay, but the nationalization of industry.

Any new elected government will likely be pushed to provide jobless benefits and boost fuel, food and other subsidies—what passes for welfare in a developing country. With privatization off the table probably for years, there’s talk of building up « national champions, » large, usually state-owned companies that demand monopolies, tariff protections and other perks. There’s also talk of dropping the recently adopted 20% corporate and income flat tax and bringing back a progressive system.

Crony capitalists deserve to be rebuked, yet the backlash carries a price. It keeps investors and capital away. And it poisons the political atmosphere, pushing off already overdue changes necessary to meet the great expectations of better jobs and wages. What’s too often overlooked is that the foundations of capitalism are those of democracy as well: rule of law and an independent judiciary, a private sector able to thrive free of state favor or caprice, competition and open borders for goods, people and capital.

Reform and its advocates were early victims of Egypt’s revolution. Yet paradoxically, thanks to them, the economy was a lone not-so-dark spot of the late Mubarak years. Before 2005, Egypt was a stagnant and state-dominated economy. But after the opening that year—including the introduction of a flat tax that increased revenues four-fold—average annual growth above 6% beat similar Arab countries like Jordan or Syria. Economic activity started to come out of the shadows. The banking system was cleaned up. Red tape, while still notoriously bad, improved enough for Egypt to make a dramatic jump up to the 18th spot on the World Bank’s rankings of easiest countries in which to do business.

Four days into the January protests, President Mubarak fired the government of Mr. Nazif, who now sits in prison. Aside from appeasing public anger, he hoped to secure the military’s support. The brass didn’t like reforms or Gamal Mubarak, a banker who had his eye on daddy’s job. The privatization of state companies—often to benefit Mubarak cronies—and pledges of transparency and competition threatened the military’s opaque hold on, it is said, up to a third of Egypt’s economy. Two weeks later, after protests swelled, the generals pushed the Mubaraks out.

To the public at large, Gamal Mubarak symbolizes obscene wealth for the elites, while roughly half of Egypt lives on less than $2 a day and can’t read or write. « Egypt did very well—just for 100 people, » says protest organizer Abdullah Helmy. As Russia showed in the 1990s, privatization without proper domestic competition and rule of law enriches insiders, enrages the rest, and yields limited economic benefits.

But however flawed and limited, the reforms have helped Egypt stomach the economic blows of revolution. Tourism plummeted and Cairo’s stock market stayed shut for over a month, until late March. Gross domestic product this year is expected to grow 2.5%, less than half the pre-revolutionary forecast. The interim government is looking for funding from the International Monetary Fund and others to cover a budget hole, but there’s little sense of desperation or shortages of food or other staples. Egypt built up reserves to $36 billion; the central bank has used at least $6 billion of it to prop up the Egyptian pound since February.

« The economic developments that Egypt saw in the last five years did not filter to the masses, » says Yasser El Mallawany, the chief executive of EFG Hermes, the biggest investment bank in the Middle East. « It was not people friendly. But if the growth [in 2005-10] had not been achieved, I don’t know from where you’d feed 80 million people today. »

Mr. El Mallawany, whose bank operates in 10 countries, made the right connections in the old days. He served on the policies committee of the once-ruling National Democratic Party, which was dissolved the other day in another notch for the demonstrators of Tahrir Square. Gamal Mubarak owns an 18% stake in a small subsidiary of EFG Hermes.

Mr. El Mallawany says he worries that arrests of allegedly dirty insiders will turn into a « witch hunt » against business and destroy the economy. You might say his fear is self-interested. But the line between justice and political retribution is thin in places with weak rule of law. Corruption charges can easily become tools of illiberal regimes. (See Putin’s Russia, 2000-present.)

Egypt would be better served by focusing on modernization. The barrier isn’t Islam, the tired excuse for Arab economic malaise, but political will. The Muslim Brotherhood, the powerful Islamist group, may send mixed messages about its commitment to liberal democracy, but it isn’t averse to business. Though few in absolute numbers, the young liberals who made this revolution say they want Egypt to join the wider world economy. A new dose of state planning won’t get it there.

The U.S. and other donors can help by providing incentives for Egypt’s future rulers to liberalize—say, with preferential trade access or direct financial aid to cover the short-term pain of cutting subsidies. Elected politicians are reluctant to pursue such policies because their fruits take time to ripen.

There’s a democratic imperative to market reform. The military, secular elites, the Islamists and now Peron-style populists are no friends of political pluralism. Growing economic opportunities and middle classes can help guard against reversal. South Africa and Turkey are good examples of imperfect democracies bucked up by strong, competitive economies. As scholar Valerie Bunce noted in the context of postcommunist Eastern Europe, liberalization helps to « disentangle political power from economic resources and thereby constrain the state, empower society and create competitive political and economic hierarchies. »

Mr. El Mallawany’s apartment along the Nile looks out onto shabby office towers and a sports stadium. « They’ve made this city so ugly, » he says, shaking his salt-and-pepper head. He lights a cigar. « It should be beautiful, » he continues. « With the right policies, Egypt in 10 years can be Malaysia. »

Mr. Kaminski is a member of the Journal’s editorial board.


Polémique Guéant: Nous le croyions lepéniste et voilà qu’il est bushiste! (God help us all: Bush is back… in France!)

13 février, 2012
Certains m’appellent l’Américain. J’en suis fier … Je partage beaucoup de valeurs américaines. Nicolas Sarkozy (2004)
Le libéralisme, ce serait aussi désastreux que le communisme. Jacques Chirac (Le Figaro, 16 mars 2005)
Nous n’avons pas besoin à la tête de l’Etat de quelqu’un qui se fixe comme programme d’être le futur caniche du président des Etats-Unis. Laurent Fabius
Sarkozy couché comme un chiot devant son maître … Henri Emmanuelli
Sarkozy fait une campagne à la Hollywood. Le Pen
Sarkozy est le candidat des Etats-Unis. Il ferait mieux de ne pas trop le dire… Pierre Messmer
Nicolas Sarkozy parle avec un accent nouveau à l’Amérique. Il n’y a pas chez lui ce classique réflexe antiaméricain de la plupart des hommes politiques français. A l’inverse de Villepin, il dit qu’on ne se bâtit pas contre les Etats-Unis, mais à côté d’eux.» Sarkozy a «pris un risque réel en refusant de jouer sur les penchants antiaméricains de l’opinion publique. Dominique Moïsi
Je vais voter pour lui (M. Hollande), sauf si Juppé se présente parce que j’aime bien Juppé. Chirac
C’est un Corrézien qui avait succédé en 1995 à François Mitterrand. Je veux croire qu’en 2012, ce sera aussi un autre Corrézien qui reprendra le fil du changement. François Hollande
Mon propos ne concerne pas n’importe quelle langue, mais l’anglais. L’anglais, dont la diffusion mondiale est accompagnée d’une certaine idéologie néolibérale, dont l’ensemble du monde est à la fois l’auteur et la victime. (…) les contenus culturels véhiculés par la langue anglaise apportent avec eux une certaine conception du monde, à laquelle on n’est pas obligé d’adhérer. La musique pop, par exemple, ou bien le rock sont à mes yeux un instrument de très forte homogénéisation du monde et de stérilisation de la créativité.
Les cultures ne se greffent pas les unes aux autres ; elles s’affrontent. Et, au risque de vous décevoir, la coexistence pacifique n’est pas au programme. La Chine conçoit la diffusion de sa culture et de sa langue de manière offensive, et non pas comme un simple effort vers la sinisation du monde, en réponse à l’américanisation. Bien sûr, certains vous diront que l’affrontement des cultures est un enrichissement permanent. Lorsqu’on est adulte, peut-être. Mais les enfants ? Ont-ils les armes de la critique pour faire leurs propres choix ? Je suis contre l’idée d’imposer l’anglais comme langue unique enseignée à l’école primaire. (…) Les enfants de l’Allemagne nazie recevaient l’idéologie à l’école.  
le russe, même à l’apogée de la puissance soviétique sous Brejnev, n’a jamais eu pour vocation de devenir une langue mondiale. Naturellement, il y a eu une tentative de diffusion de la culture et de la langue russes dans les démocraties populaires, et dans les États satellites – le « glacis de l’URSS » – on enseignait le russe à l’école. Mais, pour autant, on n’a jamais empêché d’apprendre le hongrois à Budapest ou le roumain à Bucarest ! Or, la vocation de l’anglais depuis la victoire de 1945 et jusqu’aux années 80, quand le monde a commencé à remettre en question la domination américaine, était planétaire.
En dépit du déclin évident, la force de résurgence reste extrêmement puissante. Regardez le monde dans lequel on vit : nos valeurs, nos comportements, le commerce… J’ai appris récemment que certaines entreprises françaises demandaient à leurs salariés de soumettre leurs requêtes administratives en anglais ! Autrement dit, la propagation ne relève plus des États-Unis eux-mêmes, mais des pays concernés, qui deviennent demandeurs et promoteurs de la pensée unique.
Je ne fais que reprendre l’idée de Carter ou de Brzezinski : on ne doit pas sous-estimer la lutte idéologique. Ce que les Américains appellent soft power. Un pouvoir non plus fondé sur les armes, mais sur des contenus, dont les Américains se sont aperçus qu’ils étaient bien plus efficaces que l’affrontement physique. Lorsque vous diffusez les mots, vous diffusez les contenus qu’ils véhiculent. (…) le néolibéralisme, avec son vocabulaire des affaires, du commerce et son obsession du rendement et de l’argent, s’installe pleinement dans l’histoire. Claude Hagège
Souvenez-vous George W. Bush. La différence de nature et de «qualité» des civilisations est à la base de l’idéologie néoconservatrice américaine qui rejette le multiculturalisme. Les néoconservateurs sont de retour. Pas aux Etats-Unis où ils se sont faits tout petits depuis le départ de George W. Bush, le fiasco de leur croisade en Irak et la montée du tea party qui leur a disputé les faveurs des républicains. Ils sont de retour en France. (…)  le ministre de l’intérieur Claude Guéant (…)  cite mot pour mot une des thèses fondamentales du néoconservatisme. (…)  il est dans la droite ligne des penseurs qui ont inspiré les néoconservateurs américains depuis la fin des années 1960 jusqu’au deuxième mandat de George W. Bush. Daniel Vernet

Nous le croyions lepéniste et voilà qu’il est… bushiste!

A l’heure où, à trois mois d’une élection qui devrait enfin rendre au Pays des Droits de l’Homme son bon vieux bon sens corrézien qui il y a presque dix ans l’avait vu courageusement  défendre le pauvre Saddam contre le cowboy Bush, le Collège de France nous défend contre la « destruction mentale » venue vous savez d’où …

Et où, entre palme cannoise, Baftas et Oscars et sans compter les Globes et autres Césars, les premiers acteur et film français (mais avec titre anglais et en forme d’hommage au cinéma américain et… muet!) pourraient bien rafler la mise de l’ensemble des récompenses du cinéma mondial …

Retour, avec Daniel Vernet et le site Slate, sur la polémique Guéant.

Où l’on découvre que le ministre de l’Intérieur de Sarko l’Américain est en fait (mais bon sang mais c’est bien sûr!) … un sous-marin de Bush!

Claude Guéant est un néoconservateur à l’américaine

Daniel Vernet

Slate

06.02.12

Souvenez-vous George W. Bush. La différence de nature et de «qualité» des civilisations est à la base de l’idéologie néoconservatrice américaine qui rejette le multiculturalisme.

Les néoconservateurs sont de retour. Pas aux Etats-Unis où ils se sont faits tout petits depuis le départ de George W. Bush, le fiasco de leur croisade en Irak et la montée du tea party qui leur a disputé les faveurs des républicains. Ils sont de retour en France.

Quand au cours d’une réunion le 4 février en présence de l’UNI, mouvement étudiant proche de la droite populaire, le ministre de l’intérieur Claude Guéant déclare: «Contrairement à ce que dit l’idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas», il cite mot pour mot une des thèses fondamentales du néoconservatisme.

Quand il ajoute: «Celles qui défendent l’humanité nous paraissent plus avancées que celles qui la nient. Celles qui défendent la liberté, l’égalité et la fraternité nous paraissent supérieures à celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique. En tout état de cause, nous devons protéger notre civilisation», il est dans la droite ligne des penseurs qui ont inspiré les néoconservateurs américains depuis la fin des années 1960 jusqu’au deuxième mandat de George W. Bush.

Contre le multiculturalisme

Il serait toutefois un peu rapide d’accuser Claude Guéant de vouloir rallumer le conflit de civilisations. D’abord parce que le livre de Samuel Huntington (qui n’était pas à proprement parler un néoconservateur) sur le Clash of Civilisations soulignait les différences entre civilisations plus qu’il ne prévoyait, et a fortiori encourageait, une guerre entre elles.

Ensuite parce que cette récusation du relativisme par les néoconservateurs était inspirée par deux autres penseurs américains, Leo Strauss et Allan Bloom. Le premier trouvait dans l’exégèse des textes des Anciens, essentiellement les Grecs, la matière à une critique du libéralisme issu du siècle des Lumières. Non qu’il fut un adversaire du libéralisme. Mais il pensait que libéralisme se trouvait face à une contradiction.

D’un côté, il était issu de la tradition occidentale et en défendait les valeurs (qui se retrouvent dans la déclaration d’indépendance des Etats-Unis ou dans la Déclaration des droits de l’homme de 1789). De l’autre, en admettant le relativisme au nom de la liberté de pensée, le libéralisme sapait ses propres bases. Leo Strauss illustrait cette contradiction par une boutade. «Si toutes les valeurs sont relatives, disait-il, alors le cannibalisme est une affaire de goût.»

Dans The Closing of the American Mind, paru en français en 1987 sous le titre L’Âme désarmée, Essai sur le déclin de la culture générale, Allan Bloom développe cette critique du relativisme et s’en prend au multiculturalisme qui, au nom de la coexistence pacifique entre les cultures, amène les Occidentaux à taire leurs valeurs et leur caractère universel.

Ce que Claude Guéant exprime à sa manière: les civilisations «qui défendent l’humanité nous paraissent plus avancées que celles qui la nient. Celles qui défendent la liberté, l’égalité et la fraternité nous paraissent supérieures à celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique. En tout état de cause, nous devons protéger notre civilisation».

Un débat qui mérite mieux

Peut-être est-ce faire au ministre de l’Intérieur un grand honneur que de mettre son discours en relation avec des penseurs américains qui ont eu leur heure de gloire outre-Atlantique. Mais cette renommée ne s’est pas limitée aux milieux conservateurs. Elle a aussi influencé certains libéraux dits internationalistes qui ont approuvé la «guerre contre le terrorisme» islamique de George W. Bush au nom de la défense universelle des droits de l’homme.

Autant dire que ce n’est pas un débat médiocre ni simplement politicien opposant la droite et la gauche. Encore faudrait-il qu’il se tienne dans la sérénité et qu’il ne soit pas instrumentalisé pas à la veille d’une élection présidentielle dans le but tactique évident de ratisser large sur les terres de la droite et de l’extrême-droite.

Voir aussi:

Hagège : « L’anglais détruit notre pensée »

Dans « Contre la pensée unique » (Odile Jacob), Claude Hagège, professeur au Collège de France, pourfend l’anglais comme vecteur de pensée unique et en appelle au sursaut.

Le Point

19/01/2012

Le Point : Vous affirmez que la propagation d’une langue engendre une pensée unique. Pourquoi ?

Claude Hagège : Attention, la propagation d’une langue en général – et ce fut le cas du latin pendant des siècles en Europe et au-delà – n’implique pas de danger d’homogénéisation de la pensée. Elle a, bien au contraire, favorisé sa multiplicité. Mon propos ne concerne pas n’importe quelle langue, mais l’anglais. L’anglais, dont la diffusion mondiale est accompagnée d’une certaine idéologie néolibérale, dont l’ensemble du monde est à la fois l’auteur et la victime. La propagation d’une langue n’est pas nécessairement négative. Elle peut servir les besoins ou les désirs d’une population, comme ce fut le cas des langues véhiculaires de vaste diffusion.

N’est-ce pas le cas de l’anglais, justement ?

Absolument. À ceci près que les contenus culturels véhiculés par la langue anglaise apportent avec eux une certaine conception du monde, à laquelle on n’est pas obligé d’adhérer. La musique pop, par exemple, ou bien le rock sont à mes yeux un instrument de très forte homogénéisation du monde et de stérilisation de la créativité.

N’est-ce pas un peu exagéré ?

Pas du tout. Il n’y a qu’à voir la tête de mes étudiants lorsque je leur traduis les chansons à la mode en ce moment ! Il est profondément déculturant d’adhérer à un mode de pensée sans pour autant nécessairement le comprendre.

Vos craintes ne sont donc pas spécifiquement liées à l’anglais… Et si des morceaux chinois déferlaient sur nos ondes dans quelques années ?

En effet, la pensée unique n’est pas attachée par essence à une langue en particulier. Le chinois est d’ailleurs en passe de devenir une langue à diffusion mondiale, avec ses 1 200 instituts Confucius à travers le monde. À l’avenant de leur montée en puissance économique et politique, les Chinois sont en train de faire tout ce qu’ils peuvent pour répandre leur langue et leur culture. Il s’agit ni plus ni moins d’une attitude d’affrontement contre l’anglais afin d’en offrir une alternative. Le chinois pourrait donc à son tour parfaitement diffuser des contenus qui finiraient par répandre une certaine forme de pensée unique.

Est-il idéaliste de croire en une superposition des cultures ?

C’est un voeu tout à fait méritoire. Mais en partie illusoire. Les cultures ne se greffent pas les unes aux autres ; elles s’affrontent. Et, au risque de vous décevoir, la coexistence pacifique n’est pas au programme. La Chine conçoit la diffusion de sa culture et de sa langue de manière offensive, et non pas comme un simple effort vers la sinisation du monde, en réponse à l’américanisation. Bien sûr, certains vous diront que l’affrontement des cultures est un enrichissement permanent. Lorsqu’on est adulte, peut-être. Mais les enfants ? Ont-ils les armes de la critique pour faire leurs propres choix ? Je suis contre l’idée d’imposer l’anglais comme langue unique enseignée à l’école primaire. Les enfants devraient, dès l’âge de 5 ans, se familiariser avec plusieurs langues à large diffusion, comme l’italien, l’allemand, le portugais ou l’espagnol. Les enfants de l’Allemagne nazie recevaient l’idéologie à l’école.

Justement, la culture soviétique a bien été imposée aux pays de l’ex-URSS…

Mais on ne leur imposait pas de parler russe ! C’était certes la langue de l’Union, mais le lituanien, le letton, le roumain, l’ukrainien, le biélorusse étaient-ils pour autant pourchassés ? Aucun effort n’a jamais été fait pour briser l’attachement des peuples à leur langue maternelle. Avec le rejet du communisme et du marxisme, le russe a été boudé quelque temps. Mais, après cette période de désaffection consécutive à la dislocation de l’Union soviétique, il reprend peu à peu sa valeur de langue régionale, qui le caractérisait déjà à l’époque des tsars. Si vous vous rendez aujourd’hui dans les républiques musulmanes d’Asie centrale, vous vous apercevrez que ce ne sont pas forcément des gens de 30 ou 40 ans qui parlent le russe. Les enfants l’apprennent aussi à l’école. De la même manière, en Estonie, on parle, bien sûr, l’estonien, mais le russe est bien plus important en termes de diffusion. Idem au Kazakhstan ou en Ukraine. Les langues nationales ont-elles pour autant disparu ? Elles sont encore très vivaces.

Alors, pourquoi le français devrait-il se sentir menacé ?

Parce que le russe, même à l’apogée de la puissance soviétique sous Brejnev, n’a jamais eu pour vocation de devenir une langue mondiale. Naturellement, il y a eu une tentative de diffusion de la culture et de la langue russes dans les démocraties populaires, et dans les États satellites – le « glacis de l’URSS » – on enseignait le russe à l’école. Mais, pour autant, on n’a jamais empêché d’apprendre le hongrois à Budapest ou le roumain à Bucarest ! Or, la vocation de l’anglais depuis la victoire de 1945 et jusqu’aux années 80, quand le monde a commencé à remettre en question la domination américaine, était planétaire.

Mais aujourd’hui, à l’heure où l’on annonce le déclin américain, à quoi bon s’inquiéter ?

En dépit du déclin évident, la force de résurgence reste extrêmement puissante. Regardez le monde dans lequel on vit : nos valeurs, nos comportements, le commerce… J’ai appris récemment que certaines entreprises françaises demandaient à leurs salariés de soumettre leurs requêtes administratives en anglais ! Autrement dit, la propagation ne relève plus des États-Unis eux-mêmes, mais des pays concernés, qui deviennent demandeurs et promoteurs de la pensée unique. Regardez Bruxelles et les institutions européennes : tout s’effectue en anglais. Et les écoles de commerce ? Il s’est passé en France le même phénomène que pour les grandes inventions. On a créé des besoins qui n’existaient pas par les instruments mêmes qui étaient destinés à les combler. La profession de manager ne correspond en rien à une réalité française.

N’êtes-vous pas un peu réactionnaire ?

C’est incroyable que le fait de promouvoir une identité nationale s’apparente à jouer le jeu des partis de droite ! La défense des identités nationales est une idée républicaine et parfaitement démocratique. Pensez à la Révolution. La langue française n’apparaît-elle pas dans la Déclaration des droits de l’homme comme porteuse de liberté ? C’est le contraire même de la réaction. Dans mon livre, je ne défends pas une langue imposée, mais plutôt la diversité des langues.

Diffuser les mots, est-ce nécessairement en partager l’idée ?

Je ne fais que reprendre l’idée de Carter ou de Brzezinski : on ne doit pas sous-estimer la lutte idéologique. Ce que les Américains appellent soft power. Un pouvoir non plus fondé sur les armes, mais sur des contenus, dont les Américains se sont aperçus qu’ils étaient bien plus efficaces que l’affrontement physique. Lorsque vous diffusez les mots, vous diffusez les contenus qu’ils véhiculent. Ainsi, je n’emploie jamais les termes de « planning » ou de « timing », qui, même pour un Anglo-Saxon, ne signifient pas « programme ». Il vaut mieux dire schedule. De la même façon, un « dancing » n’est pas plus un mot anglais que français pour désigner un endroit pour danser. Il désigne en effet une action, et non un lieu ! Le risque est de perdre les deux langues, sa langue maternelle et celle d’emprunt. Tout cela parce qu’une expression est à la mode. Pardon, je devrais dire « tendance », comme on dit maintenant… Ce mot qu’on croit français, mais qui vient de « tendancy ». Même « mode » est démodé, vous imaginez !

Mais quel mot de notre lexique n’emprunte pas à d’autres langues ? N’est-ce pas l’essence même d’une langue d’évoluer ?

Vous avez raison. Le français est à 90 % latin. Évidemment, les langues vivent d’emprunts. Mais c’est un phénomène à évaluer en fonction d’un seuil. En deçà de 7 à 10 %, l’emprunt est vivant, alimente et enrichit. De 10 à 15 %, on est sur le chemin de l’indigestion. Au-delà de 25 %, on doit craindre une menace. À partir de 70 %, on parlera davantage de substitution.

L’invasion de l’anglais n’est peut-être qu’éphémère…

S’il s’agit d’expressions pour désigner certains comportements, oui. Les emprunts d’indices économiques pourraient parfaitement s’évaporer si ces valeurs disparaissaient. Mais, précisément, le néolibéralisme, avec son vocabulaire des affaires, du commerce et son obsession du rendement et de l’argent, s’installe pleinement dans l’histoire.

Propos recueillis par Victoria Gairin

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Repères

1955 : Entrée à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm.

1958 : Agrégation de lettres classiques.

Depuis 1966 : Enquêtes de terrain sur diverses langues des cinq continents.

1968-1972 : Diplômes d’arabe, de chinois, d’hébreu, de japonais, de russe aux Langues orientales.

1985 : L’homme de paroles (Fayard).

1987 : Le français et les siècles (Odile Jacob).

Depuis 1988 : Professeur au Collège de France.

1991 : Doctorat d’État en linguistique générale.

1992 : Le souffle de la langue  » (Odile Jacob).

1996 : Le français, histoire d’un combat (Odile Jacob).

2000 : Halte à la mort des langues (Odile Jacob).

2006 : Combat pour le français. Au nom de la diversité des langues et des cultures (Odile Jacob).

2009 : Dictionnaire amoureux des langues (Plon/Odile Jacob).


Polémique Guéant: Les musulmans votent avec leurs pieds (Ibn Warraq: It is to the West that millions of refugees from totalitarian regimes flee)

12 février, 2012
Si toutes les valeurs sont relatives, alors le cannibalisme est une affaire de goût. Leo Strauss
Toutes les civilisations ne se valent pas, ni tout dans chacune d’elles. André Comte-Sponville
Je n’en peux plus de ce mythe occidental qui distingue le barbarisme et le terrorisme de prétendus intégristes musulmans, et un soit disant islam vrai et, lui, pacifique, qui respecterait les droits de l’homme, les femmes, les non-musulmans. Cette analyse est juste bonne à soigner la conscience post-coloniale des Occidentaux. Parce que, de fait, le vrai musulman se doit de conquérir le monde et de traquer les infidèles, les juifs, les chrétiens. De considérer la femme comme un être inférieur. Tout cela figure dans les textes fondateurs. Ne vous trompez pas: il existe des musulmans modérés, mais l’islam n’est pas une religion modérée. Ainsi les musulmans qui osent émettre des critiques sont habituellement accusés d’hérésie puis décapités, crucifiés ou brûlés. Le prophète lui-même s’abaisse à l’assassinat politique, à l’élimination systématique de tout opposant. Ibn Warraq (“Pourquoi je ne suis pas musulman”, 1995, traduit en 1999)
La lâcheté des Occidentaux m’effraie autant que les islamistes. Ibn Warraq
 En défendant nos valeurs, nous aidons le Monde musulman. Ibn Warraq
C’est vers l’Occident, et non l’Arabie Saoudite ou l’Iran, que fuient des millions de réfugiés en provenance de régimes théocratiques ou d’autres régimes totalitaires, à la recherche de la tolérance et de la liberté politique. Ibn Warraq
Contrairement à ce que dit l’idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas. Celles qui défendent l’humanité nous paraissent plus avancées que celles qui la nient (…) Celles qui défendent la liberté, l’égalité et la fraternité nous paraissent supérieures à celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique. Claude Guéant

Alors que des millions de réfugiés continuent chaque année, selon le mot de Soljenytsine, à voter avec leurs pieds dans la direction que l’on sait …

Et au lendemain du rappel, par un  ministre de l’Intérieur français qui a mis nos belles âmes dans tous leurs états, d’une évidence bien trop flagrante pour être répétée tout haut  …

Petite remise des pendules à l’heure avec l’apostat musulman revendiqué Ibn Warraq …

Ibn Warraq : « Pourquoi l’Occident est le meilleur » (*)

Bernard Dick

Riposte laïque

6 février 2012

Nous ne savons pas si le Ministre de l’Intérieur, M. Claude Guéant, a pris connaissance du livre d’Ibn Warraq, « Why the West is the Best », publié en décembre 2011, mais nous devons bien reconnaître une coïncidence étonnante quand nous venons de l’entendre déclarer devant l’association d’étudiants UNI :

« Contrairement à ce que dit l’idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas. Celles qui défendent l’humanité nous paraissent plus avancées que celles qui la nient », a-t-il argumenté, ajoutant : « Celles qui défendent la liberté, l’égalité et la fraternité nous paraissent supérieures à celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique ».

Merci de soutenir notre action M. Guéant ! Un universitaire pakistanais a anticipé vos propos dans un livre audacieux où il défend sans langue de bois, sans ambiguïté, la civilisation occidentale.

Sous le titre Why the West is the Best et avec le sous-titre A Muslim Apostate’s Défense of Liberal Democracy (Pourquoi l’Occident est le meilleur – Défense de la démocratie libérale par un musulman apostat), Ibn Warraq vient en effet de publier un ouvrage qui nous offre une franche défense de l’Occident, qui plus est vu de l’extérieur.

Ibn Warraq est un universitaire indépendant. Il est une figure de proue de la critique du Coran. Il a publié Pourquoi je ne suis pas musulman, Que dit le Coran vraiment ? et Vierges ? Quelles vierges ?. Il a contribué par des articles au Wall Street Journal et au Guardian. Il vit à New York. Ibn Warraq est un apostat de l’islam. Grâce à cette religion d’amour, de tolérance et de paix …, ses déplacements sont secrets, ses apparitions en public sont extrêmement rares. Car l’apostasie est punie de mort dans l’islam. Ibn Warraq n’est pas son vrai nom. Il a choisi, par provocation, le nom attribué au Pakistan à tous les apostats et qui signifie littéralement : fils de fabricant de papier ou fils de libraire.

Dans Why the West is the Best l’auteur assène des vérités que nous feignions d’ignorer.

Il constate d’abord qu’« Au cours des vingt dernières années, nous avons assisté à une érosion latente de la confiance que nous avons dans notre civilisation. Du post-modernisme au multiculturalisme, l’Occident a perdu toute assurance en ces propres valeurs ».

Il vient nous rappeler la supériorité de la civilisation occidentale et de sa culture. Il dénonce le racisme dans la culture asiatique, l’esclavagisme des arabes, l’impérialisme islamique. Il souligne que la recherche de transparence de l’Occident qui s’oppose à l’opacité d’autres cultures :

« La liberté et l’ouverture des sociétés occidentales signifient que nos maux sont exposés publiquement alors que les pires aspects des sociétés islamiques sont cachées au monde extérieur ». Il donne des exemples : « Le Pakistan figure parmi les pays du monde où il y a le plus de dépendance à la drogue ». Aveu qu’al-Jazeera elle-même a fait en 2010. Il poursuit : « Selon le Guardian, ce pays musulman compte « 10 millions de consommateurs d’alcool ». De même, « l’Iran compte 11 millions de dépendants à la drogue et cela malgré la dose forte d’islam qui ne les éloigne pas de la drogue ». Par ailleurs, « en 2005, la presse iranienne, sous le titre La prostitution derrière le voile, évalue à 300.000 les femmes « travailleuses de rue ». Dans ce même pays, depuis l’ère des mollahs, 10.000 femmes, dont des douzaines de femmes enceintes, ont été exécutées en raison de leur opposition au régime ».

Ibn Warraq soulève aussi le relativisme des valeurs universelles. Ainsi « les États islamiques n’étaient pas heureux des articles de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de1948 et notamment de l’article 18 qui défend le droit de l’individu de changer de religion ».

Ibn Warraq critique durement l’administration Obama, qui « non seulement collabore avec l’Organisation de la Coopération Islamique (OCI) dans sa campagne mondiale contre l’islamophobie mais prend actuellement la tête d’un effort international pour faire approuver par l’ONU une résolution contre le « stéréotype » des religions, spécifiquement appliqué à l’islam. Le résultat de cette politique sera une mise hors- la-loi de la liberté d’expression dans le monde entier si celle-ci déplaît aux musulmans ».

Ibn Warraq considère que le « multiculturalisme et le relativisme constituent un assaut continu, et de l’intérieur, contre la civilisation occidentale ». « Nous devons défendre ces droits sans compromis, sans peur de heurter les sentiments des régimes islamiques supposés amis ». « Nous devons effectuer des pressions pour restructurer le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU afin qu’il ne soit plus contrôlé par les états islamiques. L’ONU est devenu un centre infect d’anti-américanisme et de haine de l’Occident ».

Ibn Warraq nous incite à nous tenir prudents et éveillés et cite volontiers Andrew Jackson, ancien président des États-Unis : « La vigilance permanente du peuple est le prix de la liberté ». Il a sans aucun doute raison. Ce n’est pas de nos hommes politiques que nous devons attendre une réaction, car ils sont pris dans l’engrenage immédiat de l’électoralisme et n’ont aucune vision de notre avenir, c’est nous qui devons êtres alertes face aux dangers qui sont déjà dans nos murs.

(*) Why the West is the Best, A Muslim Apostate’s Defense of Liberal Democracy, Encounter Books 2011, 286 pages.

 Voir également:

Pourquoi l’Occident est supérieur – Ibn Warraq répond à Tariq Ramadan

Point de Bascule

09 Février 2008

Ibq Warraq publie un condensé des arguments présentés dans un débat où il prenait la défense – à l’encontre de Tariq Ramadan – des valeurs de l’Occident : démocratie, liberté, tolérance. Il démontre l’éclatante supériorité de ces valeurs sur celles des sociétés islamiques. Les musulmans sont mal placés pour nous servir des homélies moralisatrices.

Traduction de Why the West Is Best -My response to Tariq Ramadan, par Ibn Warraq, City Journal, Winter 2008, vol. 18, No. 1

En octobre dernier, j’ai participé à un débat organisé à Londres par Intelligence Squared, pour examiner la motion, «Nous ne devrions pas hésiter à affirmer la supériorité des valeurs occidentales». L’intellectuel musulman Tariq Ramadan, entre autres, prenait la parole contre la motion. J’ai parlé en faveur de la motion, en mettant l’accent sur les vastes disparités entre les sociétés islamiques et occidentales dans les libertés, les droits humains et la tolérance. Je présente ici les arguments que j’ai avancés, de manière quelque peu condensée.

Les grandes idées de l’Occident – le rationalisme, l’auto-critique, la recherche désintéressée de la vérité, la séparation de l’Église et l’État, la primauté du droit et l’égalité devant la loi, la liberté de pensée et d’expression, les droits humains et la démocratie libérale – sont supérieures à toutes les autres idées conçues par l’humanité. C’est l’Occident qui a pris des mesures pour abolir l’esclavage, les appels à l’abolition ne résonnaient pas encore en Afrique où les tribus rivales vendaient des prisonniers noirs à l’esclavage. L’Occident a obtenu des libertés pour les femmes et les minorités raciales et autres dans une mesure inimaginable il y a 60 ans. L’Occident reconnaît et défend les droits de l’individu: nous sommes libres de penser ce que nous voulons, de lire ce que nous voulons, de pratiquer notre religion, de vivre la vie de notre choix.

Bref, la gloire de l’Occident, comme dit le philosophe Roger Scruton, c’est que la vie ici est un livre ouvert. Dans l’islam, le livre est fermé. Dans de nombreux pays non occidentaux, en particulier les pays islamiques, les citoyens ne sont pas libres de lire ce qu’ils souhaitent. En Arabie Saoudite, les musulmans ne sont pas libres de se convertir au christianisme et les chrétiens ne sont pas libres de pratiquer leur foi – des violations manifestes de l’article 18 de Déclaration universelle des droits de l’Homme de l’ONU. En contraste avec l’état d’engourdissement forcé des esprits par les certitudes et les règles de l’islam, la civilisation occidentale offre ce que Bertrand Russell a une fois appelé «la libération du doute», qui encourage le principe méthodologique de scepticisme scientifique. La politique occidentale, comme la science, procède par le biais de tâtonnements, de débats ouverts, de critiques et d’auto-correction.

On pourrait caractériser la différence entre l’Occident et le Reste comme une différence de principes épistémologiques. Le désir de connaître hérité des Grecs, peu importe où il mène, a conduit à une institution inégalée – ou très rarement égalée –en dehors de l’Occident: l’université. Avec des instituts de recherche et des bibliothèques, les universités sont, au moins idéalement, des académies indépendantes qui incorporent ces normes épistémologiques, là où nous pouvons rechercher la vérité dans un esprit désintéressé d’enquête, à l’abri des pressions politiques. En d’autres termes, derrière le succès de la société occidentale moderne, avec ses sciences, sa technologie et ses institutions ouvertes, se trouve une manière de regarder le monde, de l’interpréter, de reconnaître et de corriger les problèmes.

L’édifice de la science moderne et de la méthode scientifique est l’un des plus grands dons de l’homme occidental au monde. L’Occident nous a donné non seulement la quasi-totalité des découvertes scientifiques des 500 dernières années, de l’électricité aux ordinateurs, mais aussi, grâce à ses élans humanitaires, la Croix-Rouge, Médecins Sans Frontières, Human Rights Watch et Amnesty International. L’Occident fournit le gros de l’aide aux victimes du Darfour; les pays islamiques sont remarquables par leur manque d’aide.

Par ailleurs, d’autres parties du monde reconnaissent la supériorité occidentale. Lorsque d’autres sociétés, comme la Corée du Sud et le Japon, ont adopté les principes politiques occidentaux, leurs citoyens ont pris leur plein essor. C’est vers l’Occident, et non l’Arabie Saoudite ou l’Iran, que fuient des millions de réfugiés en provenance de régimes théocratiques ou d’autres régimes totalitaires, à la recherche de la tolérance et de la liberté politique. Pas plus que n’importe quel politicien occidental serait capable de s’en sortir avec les propos antisémites que l’ancien Premier ministre de Malaisie Mahathir Mohamad a tenus en 2003. Les excuses fournies à la diatribe de Mahathir indiquent non seulement une double norme, mais aussi une reconnaissance tacite que nous appliquons des normes éthiques plus élevées pour les dirigeants occidentaux.

Une culture qui a donné au monde le roman, la musique de Mozart, de Beethoven et de Schubert, et les peintures de Michel-Ange, Da Vinci et Rembrandt n’a pas besoin de leçons de sociétés dont l’idée du paradis, peuplé de femmes vierges, ressemble à un bordel cosmique. Pas plus que l’Occident n’a besoin de leçons sur la supériorité des sociétés dans lesquelles les femmes sont maintenues dans la soumission sous la charia, subissent des mutilations génitales, sont lapidées à mort sous l’accusation d’adultère, et sont mariées contre leur gré à l’âge de neuf ans, des sociétés qui nient les droits des prétendues basses castes, des sociétés qui exécutent les homosexuels et les apostats. L’Occident n’a pas besoin des homélies moralisatrices de sociétés qui ne peuvent fournir de l’eau potable ou des systèmes d’égoût, qui n’ont pas de services pour les handicapés, et qui laissent 40 à 50 pour cent de leurs citoyens analphabètes.

Comme l’ayatollah Khomeini a dit une fois, il n’y a pas de blagues dans l’islam. L’Occident est capable de regarder ses faiblesses et de rire, de se moquer de ses principes fondamentaux, mais il n’existe pas encore d’équivalent de Life of Brian par Monty Python en Islam. Pouvons-nous espérer, un jour, à une Life of Mo? Probablement pas – encore un petit signe que les valeurs de l’Occident restent le meilleur moyen – et peut-être le seul – pour permettre à toutes les personnes, peu importe leur race ou croyances, de réaliser leur plein potentiel et de vivre en liberté.

Depuis 1998, Ibn Warraq a publié plusieurs ouvrages de critiques coraniques et sur les origines de l’Islam, y compris Leaving Islam: Apostates Speak Out, Defending the West : A Critique of Edward Said’s Orientalism, et Which Koran (À paraître)


Classes moyennes: L’addition des tares de la société américaine et de notre vieux socialisme continental (Back in ’55 we were makin’ thunderbirds)

11 février, 2012
Image result for Thunderbird ad (1955)We were makin’ thunderbirds They were long and low and sleek and fast They were all you ever heard Back in ’55 We were makin’ thunderbirds Now the years have flown and the plants have changed And you’re lucky if you work … Bob Seger
La pièce de Patrick Süskind, La Contrebasse, fournit une image particulièrement réussie de l’expérience douloureuse que peuvent avoir tous ceux qui, comme le contrebassiste au sein de l’orchestre, occupent une position inférieure et obscure à l’intérieur d’un univers prestigieux et privilégié, expérience d’autant plus douloureuse sans doute que cet univers, auquel ils participent juste assez pour éprouver leur abaissement relatif, est situé plus haut dans l’espace social. Cette misère de position, relative au point de vue de celui qui l’éprouve en s’enfermant dans les limites du microcosme, est vouée à paraître « toute relative », comme on dit, c’est-à-dire tout à fait irréelle, si, prenant le point de vue du macrocosme, on la compare à la grande misère de condition ; référence quotidiennement utilisée à des fins de condamnation (« tu n’as pas à te plaindre ») ou de consolation (« il y a bien pire, tu sais »). Pierre Bourdieu
La difficulté est de vivre avec un revenu égalitaire de pays socialiste dans un pays qui ne l’est pas. Louis Chauvel
Ce qui frappe Caroline Ibos, c’est la « confiance fondée sur rien ». Des femmes diplômées censées être rationnelles confient « ce qu’elles ont de plus cher » (et les clés de l’appartement) à une quasi inconnue, dont elles vérifient rarement les références, le titre de séjour si elles sont étrangères ou le niveau d’études. Le fait qu’elles soient mères compte davantage : c’est sur une capacité d’amour intuitivement perçue qu’elles recrutent. Sur l’intérêt porté à l’enfant, sur une gaieté, une douceur, un corps de nourrice… Autant de stéréotypes attachés aux mères dont ces femmes actives tentent justement de s’affranchir pour elles-mêmes ! Autre surprise, pour la chercheuse : des personnes éduquées, non racistes, s’approprient à cette occasion une vulgate raciste qui circule oralement au sujet des nounous. « Les Africaines sont maternelles mais peu portées sur les tâches ménagères », « Les Asiatiques sont propres mais froides »… (…) Or il s’avère bien compliqué d’être employeuse à l’intérieur de sa propre maison. D’avoir une domestique, sans forcément disposer des codes de la grande bourgeoisie. Les employeuses ressentent un certain inconfort : elles se rendent compte de leur pouvoir quasiment sans limites, si ce n’est celles que leur impose leur propre sens moral. « Elles savent qu’elles en demandent trop, résume Mme Ibos, mais la nounou leur permet de réaliser leur rêve de réussite familiale et sociale. » (…)   Elles disent souvent : «Une bonne nounou, c’est une nounou qui ne fait pas ce travail que pour l’argent.» Malentendu fondamental ! Elle est là pour gagner sa vie, même si elle fait preuve de sollicitude et d’affection envers les enfants. » (…) Aux yeux des nourrices, le couple et la famille française ne fonctionnent pas très bien. Elles n’envient guère ces femmes qui les emploient. « Ma patronne, elle a une belle maison mais elle est malheureuse. » Leur vie est dure, elles travaillent tout le temps, sont stressées, ne savent pas se détendre. « La figure de la nounou éclaire les relations restées inégales entre sexe autour des questions domestique et familiale. Les femmes fuient l’humiliation en humiliant une tierce personne », pose l’universitaire. Au lieu d’affronter d’épuisants et humiliants conflits avec leur compagnon, les employeuses se déchargent sur elles. Les chemises ne sont pas repassées ? « La nounou ne fait plus rien… » (…) Femmes noires au service de familles blanches, effectuant des tâches dévaluées, la situation de ces employées parle aussi du fossé entre les « races », à en croire Mme Ibos. L’une voit sa patronne comme toute-puissante et riche, l’autre demeure sous l’influence de préjugés. Ce que les parents n’imaginent pas, c’est la rancoeur, profonde et douloureuse, vis-à-vis de la colonisation, chez ces migrantes qui arrivent d’une ancienne colonie française. Elles disent : « Je fais l’Antillaise », avec ce sentiment que se perpétue la domination coloniale. (…) Mais ce que le livre de Caroline Ibos raconte peut-être le mieux, c’est la confrontation, en appartement, de classes sociales distinctes. Situation exceptionnelle dans la société française, où ces deux bouts de l’échelle sociale se croisent parfois mais ne se côtoient pas. « Pour les employeuses, être confrontées à la faiblesse de l’autre est une souffrance. Les signes de pauvreté gênent – le manteau moche dans l’entrée, les sandales portées pieds nus l’hiver… Ils sont le rappel de ce qu’elles ont envie d’oublier, de tout ce dont elles ne peuvent se sentir totalement irresponsables. » De ce contre quoi est construit l’appartement familial, havre de paix dans un monde violent. (…) Avec la nounou, la bulle protectrice éclate. Arrivent le politique, la misère du monde. Au final, cette proximité des classes ne les rapproche pas, constate, pessimiste, Mme Ibos. « L’employeuse fait bien de petits cadeaux compassionnels, mais réserve sa pitié à des causes ou des victimes bien plus éloignées d’elle. Entre les deux femmes, aucune vraie relation ne se tisse. » Paradoxalement, comprend-on, cette confrontation de classes est moins douloureuse côté nounous. Elles ne la vivent pas entièrement comme une humiliation parce qu’elles ne sont pas réduites à leur condition de domestique. Elles sont aussi autre chose. En Afrique, elles ont un lieu de réussite. Elles pourront se faire construire une maison. Le Monde
Chantal, nounou, 33 ans est ivoirienne. Cela fait dix ans qu’elle garde des enfants dans des familles françaises. Elle a une fille de 16 ans au pays, rêve de devenir caissière pour ne plus avoir affaire aux parents. Pascale Kremer
Quand on embauche quelqu’un à domicile, dans son intimité, qu’on n’a jamais employé personne auparavant, on est mal à l’aise. Quelle est la bonne distance ? C’est une relation compliquée. On est dans la dépendance. Le lundi matin, j’attends la nounou comme la Madone, le bébé dans les bras, devant la porte. Elle le sait… Ma première nounou était ivoirienne, je l’ai recrutée alors qu’elle n’avait pas l’air organisée, pour sa chaleur humaine avec l’enfant. Au début, c’est toujours très bien. Puis, au bout d’une année, il y a comme une fatigue réciproque. Elle rentrait tard en plein hiver avec mon fils, il a attrapé une pneumonie, j’ai perdu confiance. J’ai embauché une nounou algérienne très professionnelle. C’était une femme intelligente, on prenait un café ensemble le matin, une proximité s’est installée. Je lui rendais des services mais elle, elle râlait quand j’avais un quart d’heure de retard. Là, j’ai compris que j’avais un problème de positionnement, qu’on peut être gentille, intellectuelle de gauche, mais qu’il faut rester dans une relation professionnelle où tout est contractualisé. Ma nounou actuelle est tibétaine. L’avantage, c’est que je ne ressens pas de ressentiment envers la France, comme avec les nounous d’origine africaine pour qui, quoi qu’on fasse, la relation est décryptée à travers le filtre exploiteur-exploité. Charlotte (chercheuse et employeuse d’une nounou tibétaine)
En caricaturant, à l’ouest, la référence serait la nurse anglaise, stricte et froide. Avoir une nounou qui garde les enfants, leur apprend l’anglais et fait le ménage: c’est un rêve de parent! Dans les quartiers nord et est, les familles disent par contre plus souvent privilégier la tendresse dans l’éducation et emploient plus souvent des nounous africaines. Caroline Ibos
Le recours à ces nurses anglaises version XXIe siècle n’est plus l’apanage des seuls Parisiens ou des plus fortunés. Avec les aides de la CAF (Caisse d’allocations familiales) pour la garde d’enfant et après déduction d’impôts, ce service coûte en moyenne 4 ou 5 euros l’heure. « Embaucher une étudiante anglophone anglaise le mercredi ou pour la sortie des classes revient moins cher que de payer une garde et des cours d’anglais en plus », souligne Catherine Leroy, créatrice de l’agence Le Répertoire de Gaspard. Quant aux traditionnelles jeunes filles au pair anglaises, logées par les familles, elles se font rares. «Confrontées à une demande forte, elles n’acceptent plus que des offres dans le centre de Paris et demandent parfois 150 euros par semaine», commente Linda Bergonzi, créatrice de la plate-forme d’annonces ABC Families. « Nous sommes sollicités par des familles franco-françaises plutôt aisées mais aux profils très variés qui estiment que leurs enfants doivent travailler leur accent dès le plus jeune âge », décrit Antoine Gentil, fondateur et directeur de Babyspeaking. Les autres demandes émanent d’expatriés de retour en France et désireux d’entretenir les acquis de leurs petits dans une autre langue. «Certains cherchent des baby-sitters qui parlent allemand, espagnol, chinois ou russe», précise Antoine Gentil. Après quatre ans passés à Madrid, Mathilde mise par exemple sur une jeune fille hispanophone pour éviter que ses filles de 6 et 9 ans «perdent» leur espagnol. Le Figaro
En France, nous avons tendance à ne traiter des problèmes qu’avec retard (…) parvenus aujourd’hui au troisième stade que constitue la découverte des « classes moyennes à la dérive », je crains qu’il ne nous faille bientôt aider des dizaines de millions de nos concitoyens. Avec l’argent de qui ? C’est là qu’est la clé du paradoxe français. D’un côté, les inégalités de rémunération ont explosé avec une polarisation des revenus salariaux aussi forte qu’aux Etats-Unis  (…) D’un autre côté, la France fait partie des très rares pays développés où les inégalités de revenu disponible après impôt n’ont quasiment pas évolué en trente ans – si l’on oublie le patrimoine, bien sûr. (…) Mais, du point de vue des classes moyennes au travail aujourd’hui – fonctionnaires, salariés du secteur privé ou chefs d’entreprise de taille intermédiaire –, ce très haut niveau de protection va de pair avec le sentiment de tenir la société à bout de bras (par les cotisations sociales, les impôts et les contributions de tous ordres) pour ne jamais, au bout du compte, jouir vraiment du système. (…) Beaucoup ont l’impression de payer à fonds perdus pour un système de santé dont on ne bénéficie jamais (…) dans un pays qui redistribue 56% de son PIB (…) Il règne, au cœur même de la société française, le sentiment obscur que personne ne bénéficie positivement du système alors que quelques-uns en abusent véritablement. (…) dans un pays où la dépense publique est si forte (…) C’est pourquoi, sans dédouaner de ses responsabilités le capitalisme conservateur qui caractérise notre pays, où il est plus facile d’être rentier qu’entrepreneur, nous devons nous interroger sur le rôle ou la responsabilité qu’ont pu avoir certains gouvernements socialistes dans leur action vis-à-vis du salariat, voire à l’égard de l’idée même de travail, en particulier vis-à-vis de la notion de « travail fier » que nous devons à Victor Hugo. (…) Dès lors, coincées entre un faux libéralisme qui ne fait de place qu’à l’initiative des héritiers et un faux socialisme qui a remplacé l’idée de justice sociale par une pensée rigide d’ayants-droit, les catégories moyennes risquent bien de subir l’addition des tares de la société américaine et des tares de notre vieux socialisme continental : société statutaire calcifiée, égalitarisme de privilégiés hypocrites, absence de professionnalisme frisant la désinvolture, identification de la pensée 1968 à l’idée d’avenir, clientélisme voire système de resquille et de fraude généralisées… Louis Chauvel

« Société statutaire calcifiée, égalitarisme de privilégiés hypocrites, absence de professionnalisme frisant la désinvolture, identification de la pensée 1968 à l’idée d’avenir, clientélisme voire système de resquille et de fraude généralisées », « deuil de ce qui faisait son identité : le travail fier » …

« Coincées entre un faux libéralisme (…) d’héritiers et un faux socialisme (…) d’ayants-droit » et  exposées à « l’addition des tares de la société américaine et de notre vieux socialisme continental »  …

Avec le « sentiment de tenir la société à bout de bras (…) pour ne jamais, au bout du compte, jouir vraiment du système (…) et le sentiment obscur que personne ne bénéficie positivement du système alors que quelques-uns en abusent véritablement » (…)

A l’heure où, fidèle à son habitude, la France ne s’est toujours pas résolue à faire les réformes que les pays nordiques comme la Nouvelle Zélande ou le Canada ont faites depuis au moins deux  décennies

Se prépare à remettre au pouvoir un parti qui, toujours pas  revenu de ses illusions socialisantes, a largement contribué à l’anomie actuelle …

Comment ne pas reconnaitre, dans le portrait ô combien ressemblant qu’en fait le spécialiste des classes moyennes Louis Chauvel dans le magazine Books, le sort particulièrement difficile de nombre d’entre nous?

Comme, dans le recours aux nounous africaines épinglé par la sociologue Caroline Ibos,  les tentatives de plus en plus désespérées des derniers rescapés qui (s’ils n’ont été – nos deux chercheurs se gardent bien d’en parler! –  définitivement rétamés par le divorce) peuvent encore se payer nos centre-villes  (ou en tout cas, à défaut de l’ouest, leurs quartiers nord ou est) pour « réaliser leur rêve de réussite familiale et sociale »?

Louis Chauvel : « Les classes moyennes françaises sont écartelées »

Malgré une polarisation des revenus aussi forte qu’aux États-Unis, les inégalités ne se sont pas creusées en France ces trente dernières années. Notre modèle, fondé sur la redistribution, est-il tenable ? Le sociologue Louis Chauvel fait le point sur la question.

Faites-vous pour l’avenir des classes moyennes françaises un diagnostic aussi lugubre que Don Peck, dans son enquête parue dans The Atlantic et traduite dans le numéro de février de Books, pour les classes moyennes américaines ?

Le problème, en France, est que les classes moyennes tombent de plus haut. Dans les années 1990 encore, aussi bien chez les sociologues Henri Mendras et Alain Touraine que dans la vision d’un Jacques Delors, la question sociale était marquée par l’opposition suivante. D’un côté, les classes moyennes – deux Français sur trois, disait Giscard D’Estaing en 1977 – incarnaient le bel équilibre d’un confort intermédiaire, modeste et harmonieux. De l’autre, les extrêmes, à l’écart de ce monde parfait : les « nouveaux pauvres », qui en étaient exclus par le bas, et les privilégiés, qui en étaient exclus par le haut. Ce beau rêve des classes moyennes stables et équilibrées, qui frise l’idéal social d’Aristote ou de Confucius, se délite et laisse place à une réalité plus inquiétante : aujourd’hui, c’est au centre même de la société que nous mesurons des tensions nouvelles, qui ne sont pas fantasmées et psychologiques, mais bien réelles.

Dans Les classes moyennes à la dérive, en 2006, j’ai utilisé la métaphore du morceau de sucre au fond de la tasse à café pour caractériser la dynamique sociale française : dans la partie haute du sucre, rien ne se passe, en apparence, alors que la déliquescence qui ronge les parties inférieures remonte progressivement par capillarité, et que tout l’édifice finira par s’écrouler si rien n’est fait.

En France, nous avons tendance à ne traiter des problèmes qu’avec retard. Il nous a fallu dix années de chômage de masse pour détecter enfin, au milieu des années 1980, la « nouvelle pauvreté », et nous avons inventé le RMI en 1989 ; il couvre aujourd’hui un million de personnes. Il a fallu attendre le milieu des années 1990, et Emmanuel Todd, pour prendre conscience de la nouvelle fracture sociale – la rupture entre les classes populaires et les classes moyennes ; pour colmater la brèche, nous avons inventé la CMU (4 millions de bénéficiaires) et la Prime pour l’emploi (9 millions). Si nous allons au bout de cette logique, parvenus aujourd’hui au troisième stade que constitue la découverte des « classes moyennes à la dérive », je crains qu’il ne nous faille bientôt aider des dizaines de millions de nos concitoyens. Avec l’argent de qui ?

C’est là qu’est la clé du paradoxe français. D’un côté, les inégalités de rémunération ont explosé avec une polarisation des revenus salariaux aussi forte qu’aux Etats-Unis, comme le montre David Autor, du MIT. Il en résulte l’apparition d’un large sous-prolétariat exclu de l’« emploi décent », si l’on veut bien désigner ainsi le travail stable de niveau intermédiaire caractéristique de la société salariale des années 1970. D’un autre côté, la France fait partie des très rares pays développés où les inégalités de revenu disponible après impôt n’ont quasiment pas évolué en trente ans – si l’on oublie le patrimoine, bien sûr. Cette stabilité serait une très bonne chose s’il s’agissait d’éviter les dégradations humaines et sociales liées à la pauvreté de masse telle qu’on peut l’observer dans des régions entières des Etats-Unis : Detroit, Baltimore ou Pittsburgh sont autant de noms qui évoquent l’horreur postindustrielle américaine. Mais, du point de vue des classes moyennes au travail aujourd’hui – fonctionnaires, salariés du secteur privé ou chefs d’entreprise de taille intermédiaire –, ce très haut niveau de protection va de pair avec le sentiment de tenir la société à bout de bras (par les cotisations sociales, les impôts et les contributions de tous ordres) pour ne jamais, au bout du compte, jouir vraiment du système. Pour ne rien dire des affres d’un monde du travail qui, dans le public comme dans le privé, apparaît comme un lieu de maltraitance systémique, où le management semble parfois vouloir dégoûter les salariés.

Beaucoup ont l’impression de payer à fonds perdus pour un système de santé dont on ne bénéficie jamais (en ville, où sont les généralistes à 23 euros disponibles hors des heures de bureau et que la mutuelle remboursera intégralement ?), pour une retraite lointaine dont l’horizon s’éloigne à mesure que l’on s’en approche, pour un parc de logements sociaux où abondent les situations d’injustice flagrante. Si les mannes célestes de l’Etat pourvoyeur de bien-être allaient réellement, en France, dans le sens de la justice sociale, dans un pays qui redistribue 56% de son PIB, il n’y aurait pas de problème. Mais les classes moyennes n’y croient plus.

Il règne, au cœur même de la société française, le sentiment obscur que personne ne bénéficie positivement du système alors que quelques-uns en abusent véritablement. Pour le salarié de niveau intermédiaire, le travail régulier, qualifié, inscrit dans le long terme, ne rapporte plus : en 1970, la seule possession d’un diplôme permettait de se loger sans l’aide de personne ; en 2012, quel que soit le milieu social, le soutien des parents reste essentiel pour les moins de 50 ans. En définitive, beaucoup peinent à comprendre comment, dans un pays où la dépense publique est si forte, les difficultés sociales peuvent être aussi prégnantes. C’est pourquoi, sans dédouaner de ses responsabilités le capitalisme conservateur qui caractérise notre pays, où il est plus facile d’être rentier qu’entrepreneur, nous devons nous interroger sur le rôle ou la responsabilité qu’ont pu avoir certains gouvernements socialistes dans leur action vis-à-vis du salariat, voire à l’égard de l’idée même de travail, en particulier vis-à-vis de la notion de « travail fier » que nous devons à Victor Hugo. Entre la retraite à 60 ans, les 35 heures, le décrochement du salaire net par rapport au vrai coût de la vie, et notamment du logement, l’explosion du coût des mutuelles, la difficulté croissante à se soigner ou accéder au logement social lorsqu’on n’a pas toute sa semaine pour soi, la figure du travailleur se rapproche de celle du martyr pour les membres concernés des classes moyennes.

Dès lors, coincées entre un faux libéralisme qui ne fait de place qu’à l’initiative des héritiers et un faux socialisme qui a remplacé l’idée de justice sociale par une pensée rigide d’ayants-droit, les catégories moyennes risquent bien de subir l’addition des tares de la société américaine et des tares de notre vieux socialisme continental : société statutaire calcifiée, égalitarisme de privilégiés hypocrites, absence de professionnalisme frisant la désinvolture, identification de la pensée 1968 à l’idée d’avenir, clientélisme voire système de resquille et de fraude généralisées… Tels sont les reproches que les classes moyennes en souffrance adressent au système social contemporain (1). La décennie sera marquée par cette prise de conscience. Les Français ne deviendront jamais des Américains, mais les membres d’une société à statut (ce que les Etats-Unis ne seront jamais) privés de protection sociale.

La désindustrialisation touche-t-elle également la France de manière redoublée ?

Depuis trente ans, face à la révolution des transports maritimes et aériens qui a mis en concurrence directe des ouvriers à 2 000 dollars par mois avec des ouvriers à 100 dollars, les pays développés ont réagi très diversement. La stratégie implicite des Etats-Unis est très simple : ce défi n’est pas si grave tant que le travail reste au centre de tout, chose possible à condition de laisser filer les inégalités ; résultat, les Etats-Unis deviennent à la fois un pays hyper développé et un pays en développement. Et l’on voit des communautés urbaines opulentes jouir d’un bien-être de niveau helvétique alors qu’à quelques kilomètres de là, il est des quartiers où l’espérance de vie peut-être comparable à celle de certains pays africains. Les meilleures universités peuvent être des ilôts géographiques cotoyant les pires difficultés sociales. Surtout, pour les classes moyennes inférieures, le travail industriel, riche et qualifiant, parti au loin, est remplacé par un travail de service pauvre. Cette équation, intenable en France, fonctionne aux Etats-Unis parce la population est convaincue qu’il n’existe pas de sot métier pour qui sait en saisir les opportunités. Pour renouveler chaque fois le rêve américain, l’exemple du balayeur devenu manager ou P-DG est sans cesse rappelé. Evidemment, cet exemple n’a pas de réalité statistique très différente de celle qu’elle a en Europe, mais chaque nouvelle génération d’immigrant (des fondateurs aux Irlandais, puis des Italiens aux Hispaniques, et maintenant des Chinois aux Indiens) a eu plus que l’espoir de se faire une place au soleil.

Cela étant, bien sûr, une partie des Américains entretient le souvenir de l’âge d’or des classes moyennes dans les années 1950, une période qui a réellement existé, quand l’ouvrier presque analphabète pouvait devenir technicien et avait la quasi-certitude de pouvoir envoyer ses enfants à l’Université. Cette mémoire d’un âge d’or perdu se transmet, en Amérique, sur plusieurs générations. Depuis les années 1970 et la mise en concurrence de l’ouvrier américain avec celui des pays à bas salaire, les Etats-Unis ont maintenu l’hypothèse que le marché permettrait spontanément la conversion du mécanicien automobile en mécanicien d’aviation ou en spécialiste de la logistique. En réalité, autour de Detroit, Flint, Cleveland, Philadelphie et tant d’autres villes industrielles, des banlieues de toutes appartenances ethniques sont devenues des déserts économiques peuplés d’une humanité en deuil de ce qui faisait son identité : le travail fier. L’anthropologue Katherine Newman, dans son livre Falling from Grace (« déchoir »), paru en 1999, décrivait ainsi fort bien l’expérience d’individus confrontés à la déchéance sociale. Une moitié de la population parvient à sortir grandie de l’épreuve, mais pas l’autre.

Voir aussi:

Les mères et leurs nounous, je t’aime moi non plus

Pascale Kremer

Le Monde

01.02.12

Pour la première fois, une sociologue décrypte les relations complexes entre les parents et leurs employées à domicile d’origine africaine

Une poignée de femmes noires, dans un square, serrées à trois ou quatre par banc, surveillent des enfants blancs. Personne ne les remarque, la scène est, à Paris, d’une absolue banalité. Caroline Ibos, elle, a pris le temps de les voir. Cette enseignante en sociologie politique à l’université Rennes-II a mené une enquête inédite sur les nounous africaines qui viennent garder à domicile les enfants des couples bi-actifs parisiens. Durant trois ans, fréquentant jour après jour le même square, elle a gagné la confiance d’une douzaine de femmes ivoiriennes qui se sont confiées, puis elle est passée de l’autre côté du miroir, rencontrant quelques dizaines d’employeurs français.

Son livre, Qui gardera nos enfants ? (Flammarion), sort le 8 février. Passionnant. Révélateur d’un état de la société française – inégalité des sexes dans la sphère domestique, étanchéité des classes sociales, persistances de préjugés raciaux… Et sans doute un rien perturbant pour les parents puisque ces nounous introduites dans l’intimité des foyers se sont transformées à cette occasion en ethnologues des familles françaises.

Tout commence par un recrutement qui tient du cérémonial. C’est en général un samedi après-midi, l’appartement est bien rangé, le ou les enfant(s) à garder et leurs parents sont installés au salon, dans une mise en scène de la famille idéale. La postulante est d’abord jugée sur sa ponctualité et sa capacité à trouver le domicile. Puis la future employeuse dirige l’entretien, le père allant et venant le plus souvent.

Ce qui frappe Caroline Ibos, c’est la « confiance fondée sur rien ». Des femmes diplômées censées être rationnelles confient « ce qu’elles ont de plus cher » (et les clés de l’appartement) à une quasi inconnue, dont elles vérifient rarement les références, le titre de séjour si elles sont étrangères ou le niveau d’études. Le fait qu’elles soient mères compte davantage : c’est sur une capacité d’amour intuitivement perçue qu’elles recrutent. Sur l’intérêt porté à l’enfant, sur une gaieté, une douceur, un corps de nourrice…

Autant de stéréotypes attachés aux mères dont ces femmes actives tentent justement de s’affranchir pour elles-mêmes ! Autre surprise, pour la chercheuse : des personnes éduquées, non racistes, s’approprient à cette occasion une vulgate raciste qui circule oralement au sujet des nounous. « Les Africaines sont maternelles mais peu portées sur les tâches ménagères », « Les Asiatiques sont propres mais froides »… Il est vrai que saisir une personne à partir de stéréotypes « permet implicitement de justifier sa subordination sociale », analyse Caroline Ibos.

Dans les faits, nous explique-t-elle, la relation employeur/domestique se résume à une relation asymétrique et difficile entre deux femmes. Très vite, le père s’éclipse, pour ne réapparaître le cas échéant qu’au moment du licenciement. Or il s’avère bien compliqué d’être employeuse à l’intérieur de sa propre maison. D’avoir une domestique, sans forcément disposer des codes de la grande bourgeoisie. Les employeuses ressentent un certain inconfort : elles se rendent compte de leur pouvoir quasiment sans limites, si ce n’est celles que leur impose leur propre sens moral. « Elles savent qu’elles en demandent trop, résume Mme Ibos, mais la nounou leur permet de réaliser leur rêve de réussite familiale et sociale. »

Corvéables à merci, les nounous ont le sentiment de n’avoir jamais de répit, de recommencer éternellement les mêmes tâches fastidieuses. Avec le temps, se rajoutent tout un tas de petites missions (« Vous passerez au pressing ? », « Vous rapporterez le pain ? »). Elles ont été embauchées pour s’occuper des enfants, mais, peu à peu, l’ordre des priorités s’inverse. Ce qui compte, c’est que l’appartement soit bien rangé le soir. D’où leur impression d’être femmes de ménage avec enfants à charge, un brin méprisées. Pas de discussion, par exemple, sur l’éducation des enfants, elles se contenteront d’appliquer les consignes.

D’où aussi une fréquente dégradation des relations employeur-employé. Tant que l’enfant est bébé, la nounou a du temps pour nettoyer et ranger. Mais quand il commence à marcher, elle joue avec lui. La mère comprend, bien sûr, mais une insatisfaction s’installe. Et quand la relation s’envenime, les nounous mettent la pédale douce sur le ménage. Elles l’ont avoué à Caroline Ibos, c’est là leur vengeance politique. Pourquoi, d’ailleurs, se donner tant de mal pour un travail qui n’est « pas reconnu comme un vrai travail » ? « Pour la patronne, disent-elles, c’est comme si c’était un plaisir de s’occuper de ses enfants… »

Il y a du vrai dans leurs propos. Les employeuses entendues par Caroline Ibos estiment souvent que cette mission, certes mal payée, précaire, ingrate, relève de la vocation naturelle pour une mère. « Ce qui apaise leur conscience. Elles disent souvent : «Une bonne nounou, c’est une nounou qui ne fait pas ce travail que pour l’argent.» Malentendu fondamental ! Elle est là pour gagner sa vie, même si elle fait preuve de sollicitude et d’affection envers les enfants. » Au parc, les nounous lui ont confié qu’elles aimaient les enfants dont elles s’occupaient, mais aussi qu’elles les oubliaient très vite une fois parties.

Le regard qu’elles portent sur eux, empreint lui aussi de stéréotypes, n’est pas toujours tendre. Elles les voient trop gâtés, mal élevés. Avec des parents qui seraient soumis aux caprices, craignant sans cesse de les voir perdre leur temps, ne leur transmettant pas de valeurs morales, les incitant à être dans l’égoïsme et la domination, trop précocement attachés à l’argent. « La patronne a tellement peur de ses enfants que quand elle fait une chose qui ne plaît pas, elle dit que c’est moi ! Elle dit : «Les enfants, Aurore veut que vous mangiez des carottes !» », lit-on dans l’enquête. Mais Caroline Ibos souligne aussi que les nounous s’inspirent finalement beaucoup de cette éducation pour leurs propres enfants, comme si elles intériorisaient un modèle de réussite à la française.

Aux yeux des nourrices, le couple et la famille française ne fonctionnent pas très bien. Elles n’envient guère ces femmes qui les emploient. « Ma patronne, elle a une belle maison mais elle est malheureuse. » Leur vie est dure, elles travaillent tout le temps, sont stressées, ne savent pas se détendre. « La figure de la nounou éclaire les relations restées inégales entre sexe autour des questions domestique et familiale. Les femmes fuient l’humiliation en humiliant une tierce personne », pose l’universitaire. Au lieu d’affronter d’épuisants et humiliants conflits avec leur compagnon, les employeuses se déchargent sur elles. Les chemises ne sont pas repassées ? « La nounou ne fait plus rien… »

Femmes noires au service de familles blanches, effectuant des tâches dévaluées, la situation de ces employées parle aussi du fossé entre les « races », à en croire Mme Ibos. L’une voit sa patronne comme toute-puissante et riche, l’autre demeure sous l’influence de préjugés. Ce que les parents n’imaginent pas, c’est la rancoeur, profonde et douloureuse, vis-à-vis de la colonisation, chez ces migrantes qui arrivent d’une ancienne colonie française. Elles disent : « Je fais l’Antillaise », avec ce sentiment que se perpétue la domination coloniale.

Mais ce que le livre de Caroline Ibos raconte peut-être le mieux, c’est la confrontation, en appartement, de classes sociales distinctes. Situation exceptionnelle dans la société française, où ces deux bouts de l’échelle sociale se croisent parfois mais ne se côtoient pas. « Pour les employeuses, être confrontées à la faiblesse de l’autre est une souffrance. Les signes de pauvreté gênent – le manteau moche dans l’entrée, les sandales portées pieds nus l’hiver… Ils sont le rappel de ce qu’elles ont envie d’oublier, de tout ce dont elles ne peuvent se sentir totalement irresponsables. » De ce contre quoi est construit l’appartement familial, havre de paix dans un monde violent.

Avec la nounou, la bulle protectrice éclate. Arrivent le politique, la misère du monde. Au final, cette proximité des classes ne les rapproche pas, constate, pessimiste, Mme Ibos. « L’employeuse fait bien de petits cadeaux compassionnels, mais réserve sa pitié à des causes ou des victimes bien plus éloignées d’elle. Entre les deux femmes, aucune vraie relation ne se tisse. » Paradoxalement, comprend-on, cette confrontation de classes est moins douloureuse côté nounous. Elles ne la vivent pas entièrement comme une humiliation parce qu’elles ne sont pas réduites à leur condition de domestique. Elles sont aussi autre chose. En Afrique, elles ont un lieu de réussite. Elles pourront se faire construire une maison

Voir également:

Les mères et leurs nounous, je t’aime moi non plus

« Les patrons sont égoïstes. Ils en veulent toujours plus »

Le Monde

01.02.12

Du côté de la patronne comme de la nounou, difficile d’échapper à la relation exploiteur-exploité

Chantal, nounou, 33 ans est Ivoirienne. Cela fait dix ans qu’elle garde des enfants dans des familles françaises. Elle a une fille de 16 ans au pays, rêve de devenir caissière pour ne plus avoir affaire aux parents.

Mes premiers employeurs, ils me faisaient travailler plus de douze heures par jour et ils ne payaient pas les heures supplémentaires. Je me sentais exploitée, on s’est très bien engueulés, ils m’ont licenciée en disant que je ne faisais pas le travail… Ensuite il y a eu deux familles, je suis restée quatre ans à chaque fois. Il y a toujours des hauts et des bas. On rend des services, on est là plus tôt, plus tard, quand ils ont besoin, mais quand nous on a besoin d’un jour de récupération pour faire un papier ou aller chez le docteur, ce n’est jamais possible. Pourtant, c’est prévu dans la convention collective [des employés de maison]. J’ai une amie qui l’a, je l’ai lue. Les patrons, ils pensent qu’on ne connaît pas nos droits, ils nous prennent pour des naïfs qui viennent d’Afrique. Une fois, j’ai demandé à arriver une demi-heure plus tard, j’avais un rendez-vous à la mairie pour un HLM, la patronne n’a pas voulu, j’étais écoeurée.

Les patrons sont égoïstes. Ils rentrent le soir, les enfants sont heureux, propres, la maison est bien rangée, ils ne font pas un compliment et ils demandent aux enfants comment ça s’est passé, pas à moi. Ça, ça m’énerve ! Ils ne vous disent jamais qu’ils sont satisfaits de votre travail, que grâce à vous, leurs enfants vont bien, qu’ils commencent à respecter, à écouter. Il n’y a pas de reconnaissance. Ils en veulent toujours plus. C’est un travail très ingrat, je suis gravement épuisée. Toutes mes copines au square en ont marre. »

Charlotte, employeuse, est chercheuse, mère de deux enfants de 2 et 11 ans gardés par une nounou tibétaine.

Quand on embauche quelqu’un à domicile, dans son intimité, qu’on n’a jamais employé personne auparavant, on est mal à l’aise. Quelle est la bonne distance ? C’est une relation compliquée. On est dans la dépendance. Le lundi matin, j’attends la nounou comme la Madone, le bébé dans les bras, devant la porte. Elle le sait… Ma première nounou était ivoirienne, je l’ai recrutée alors qu’elle n’avait pas l’air organisée, pour sa chaleur humaine avec l’enfant. Au début, c’est toujours très bien. Puis, au bout d’une année, il y a comme une fatigue réciproque. Elle rentrait tard en plein hiver avec mon fils, il a attrapé une pneumonie, j’ai perdu confiance. J’ai embauché une nounou algérienne très professionnelle. C’était une femme intelligente, on prenait un café ensemble le matin, une proximité s’est installée. Je lui rendais des services mais elle, elle râlait quand j’avais un quart d’heure de retard. Là, j’ai compris que j’avais un problème de positionnement, qu’on peut être gentille, intellectuelle de gauche, mais qu’il faut rester dans une relation professionnelle où tout est contractualisé. Ma nounou actuelle est tibétaine. L’avantage, c’est que je ne ressens pas de ressentiment envers la France, comme avec les nounous d’origine africaine pour qui, quoi qu’on fasse, la relation est décryptée à travers le filtre exploiteur-exploité. »

Propos recueillis par P. Kr.

Voir de même:

Les « nounous » dont rêvent les parents exigeants

Agnès Leclair

Le Figaro

08/02/2012

Une enquête décrypte les liens complexes qui se tissent entre les mères et les femmes qui gardent leurs enfants. (Avec une vidéo BFMTV)

De Mary Poppins à Bécassine, la figure de la «nounou» a toujours nourri l’imaginaire populaire et culturel. A l’heure de la mondialisation et des couples bi-actifs, comment sont perçues ces nounous souvent venues des pays du sud et quels liens tissent-elles avec les familles issues de la bourgeoisie des grandes capitales occidentales qui leurs confient leurs enfants?

Pour la première fois, ces rapports employeurs/employés qui se tissent au sein de l’intimité familiale sont décrits et analysés par la sociologue Caroline Ibos, professeur à l’université Rennes-II. Après trois ans d’enquête et des entretiens avec des employées ivoiriennes et leurs employeurs parisiens, elle publie aujourd’hui un essai intitulé Qui gardera nos enfants? (1).

«Les Asiatiques seraient minutieuses mais froides avec les enfants»

«Le recrutement des nounous, estime-t-elle, est encore largement influencé par des stéréotypes culturels». Une sorte de «théorie des races spontanée et orale» sur les nounous présiderait au choix des parents.

Selon ces clichés, «les Asiatiques seraient propres et minutieuses mais froides avec les enfants: les Maghrébines sévères à en être dures, susceptibles mais responsables ; les Colombiennes dociles mais sournoises ; les Africaines nonchalantes, maternelles mais peu portées sur les activités ménagères», rapporte Caroline Ibos.

La fidèle gouvernante noire du film culte Autant en emporte le vent a apparemment marqué durablement les esprits. Elle est encore citée comme référence par certains parents comme cette mère de famille qui vante les mérites des Africaines qui «s’attachent aux mômes comme la nounou de Scarlett o’Hara», raconte le sociologue.

«Les parents sont souvent perdus, démunis quand ils cherchent une garde d’enfant car il y a beaucoup d’affect qui rentre en jeu. Nounou, ce n’est pas un métier comme un autre», explique Cécile Altherr de Family Sphere, réseau d’agences spécialisées dans la garde d’enfants à domicile.

«S’ils évoquent la couleur de peau, nous leur rappelons qu’il s’agit de discrimination»

«Ceux qui s’adressent à nous ne demandent généralement pas une nationalité précise, constate la responsable du Répertoire de Gaspard, une association spécialisée dans le recrutement sur mesure de nounous. Ils veulent avant tout être rassurés. S’ils évoquent la couleur de peau, nous leur rappelons qu’il s’agit de discrimination, que c’est interdit, et qu’une nounou doit être choisie pour ses diplômes ou ses compétences».

À Paris, une typologie des familles peut être esquissée en fonction de leur préjugés et de leurs choix en matière de garde d’enfant, s’amuse cependant Caroline Ibos. «En caricaturant, à l’ouest, la référence serait la nurse anglaise, stricte et froide. Avoir une nounou qui garde les enfants, leur apprend l’anglais et fait le ménage: c’est un rêve de parent!, décrit-elle. Dans les quartiers nord et est, les familles disent par contre plus souvent privilégier la tendresse dans l’éducation et emploient plus souvent des nounous africaines».

Voir aussi:

Garde d’enfants : la mode des baby-sitters anglophones

Agnès Leclair

Le Figaro

31/08/2011

De plus en plus de parents cherchent à initier leurs petits à l’anglais à la maison, dès 12 mois.

Apprendre une seconde langue dès le berceau: beaucoup de parents en rêvent pour leur enfant. Aujourd’hui, ils sont de plus en plus nombreux à passer à l’acte en faisant appel à une baby-sitter étrangère pour s’occuper de leurs petits.

La perle rare convoitée en cette période de rentrée est une «nounou» anglophone. Anglaise, australienne ou américaine, elle étudie dans une université française pour un ou deux ans et s’est déjà occupée de bambins. À l’aise pour les surveiller au parc ou leur donner un bain, elle leur apprendra également à décliner les couleurs de l’arc-en-ciel dans la langue de Shakespeare et leur inculquera le nom des aliments en cuisinant des «chocolate chip cookies».

Jeunes filles au pair plus rares

Les sites d’annonces spécialisés regorgent de demandes: «French family looking for a native English-speaking baby sitter.» Plusieurs agences se sont lancées dans le recrutement de gardes d’enfants en langue étrangère. Créée en 2009 à Paris, la société Babyspeaking a déployé cette année une antenne à Lyon et une autre à Lille. Le recours à ces nurses anglaises version XXIe siècle n’est plus l’apanage des seuls Parisiens ou des plus fortunés. Avec les aides de la CAF (Caisse d’allocations familiales) pour la garde d’enfant et après déduction d’impôts, ce service coûte en moyenne 4 ou 5 euros l’heure.

«Embaucher une étudiante anglophone anglaise le mercredi ou pour la sortie des classes revient moins cher que de payer une garde et des cours d’anglais en plus», souligne Catherine Leroy, créatrice de l’agence Le Répertoire de Gaspard. Quant aux traditionnelles jeunes filles au pair anglaises, logées par les familles, elles se font rares. «Confrontées à une demande forte, elles n’acceptent plus que des offres dans le centre de Paris et demandent parfois 150 euros par semaine», commente Linda Bergonzi, créatrice de la plate-forme d’annonces ABC Families.

«Nous sommes sollicités par des familles franco-françaises plutôt aisées mais aux profils très variés qui estiment que leurs enfants doivent travailler leur accent dès le plus jeune âge», décrit Antoine Gentil, fondateur et directeur de Babyspeaking. Les autres demandes émanent d’expatriés de retour en France et désireux d’entretenir les acquis de leurs petits dans une autre langue. «Certains cherchent des baby-sitters qui parlent allemand, espagnol, chinois ou russe», précise Antoine Gentil. Après quatre ans passés à Madrid, Mathilde mise par exemple sur une jeune fille hispanophone pour éviter que ses filles de 6 et 9 ans «perdent» leur espagnol.

Ouverture sur le monde

Dans d’autres familles, l’initiation peut démarrer très jeune. Dès douze mois. «Certains parents cherchent des nounous qui puissent aller chercher des enfants à la crèche et former leur oreille très tôt à l’anglais. Il y a peut-être eu un effet “Chatel” car la demande est plus importante cette année», souligne Catherine Leroy. En janvier, le ministre de l’Éducation nationale, Luc Chatel, avait en effet plaidé en faveur de l’apprentissage de l’anglais en maternelle.

Soizic, maman d’une petite Morgane de deux ans et demi, ne s’attend cependant pas à des miracles. La fillette, gardée depuis l’année dernière par une Australienne quelques heures par semaine, se familiarise doucement à ces nouvelles sonorités mais ne disserte pas dans deux langues. «Elle dit des petits mots mais on ne fait pas de décompte! Tout passe par le jeu, les chansons. Nous voulons avant tout qu’elle s’amuse et lui offrir une ouverture sur le monde», décrit Soizic.

«Les parents ne s’attendent pas à ce que leur enfant devienne bilingue en quelques mois, renchérit Antoine Gentil. Il y aura cependant des résultats au bout de plusieurs mois si la garde est régulière.» Nombre de parents ayant appris une seconde langue au collège et sans beaucoup la pratiquer à l’oral espèrent avant tout que leur progéniture sera plus à l’aise qu’eux à l’étranger et moins stressés par des questions d’accents. «Ceux qui sont très ambitieux doivent faire attention de ne pas bloquer leur enfant. Après la crèche ou l’école, ils sont fatigués et la qualité du contact avec la baby-sitter doit passer avant le cours de langue» , prévient Catherine Leroy.

  Voir enfin:

L’espace des points de vue

Pierre Bourdieu, In La misère du monde, dir., Seuil, 1993, pp. 9,10 & 11.

Pour comprendre ce qui se passe dans des lieux qui, comme les « cités »ou les « grands ensembles », et aussi nombre d’établissements scolaires, rapprochent des gens que tout sépare, les obligeant à cohabiter, soit dans l’ignorance ou dans l’incompréhension mutuelle, soit dans le conflit, latent ou déclaré, avec toutes les souffrances qui en résultent, il ne suffit pas de rendre raison de chacun des points de vue saisi à l’état séparé. Il faut aussi les confronter comme ils le sont dans la réalité, non pour les relativiser, en laissant jouer à l’infini le jeu des images croisées, mais, tout au contraire, pour faire apparaître, par le simple effet de la juxtaposition, ce qui résulte de l’affrontement des visions du monde différentes ou antagonistes : c’est-à-dire, en certains cas, le tragique qui naît de l’affrontement sans concession ni compromis possible de points de vue incompatibles, parce que également fondés en raison sociale.

Si les entretiens ont été conçus et construits comme des ensembles autosuffisants, susceptibles d’être lus isolément (et dans un ordre quelconque), ils ont été distribués de manière à ce que les gens appartenant à des catégories qui ont des chances d’être rapprochées, voire confrontées, dans l’espace physique (comme les gardiens de HLM et les habitants, adultes ou adolescents, ouvriers, artisans ou commerçants, de ce genre de résidence) se trouvent aussi rapprochés dans la lecture. On espère ainsi produire deux effets : faire apparaître que les lieux dits « difficiles »(comme aujourd’hui la « cité »ou l’école) sont d’abord difficiles à décrire et à penser et qu’il faut substituer aux images simplistes, et unilatérales (celles que véhicule la presse notamment), une représentation complexe et multiple, fondée sur l’expression des mêmes réalités dans des discours différents, parfois inconciliables ; et, à la manière de romanciers tels que Faulkner, Joyce ou Virginia Woolf, abandonner le point de vue unique, central, dominant, bref quasi divin, auquel se situe volontiers l’observateur, et aussi son lecteur (aussi longtemps au moins qu’il ne se sent pas concerné), au profit de la pluralité des perspectives correspondant à la pluralité des points de vue coexistants et parfois directement concurrents. note1(1)

Ce perspectivisme n’a rien d’un relativisme subjectiviste, qui conduirait à une forme de cynisme ou de nihilisme. Il est en effet fondé dans la réalité même du monde social et il contribue à expliquer une grande part de ce qui advient dans ce monde, et, en particulier, nombre des souffrances nées de la collision des intérêts, des dispositions et des styles de vie différents que favorise la cohabitation, notamment au lieu de résidence ou au lieu de travail, de gens différant sous tous ces rapports. C’est à l’intérieur de chacun des groupes permanents (voisins de quartier ou d’immeuble, collègues de bureau, etc.), horizon vécu de toutes les expériences, que sont perçues et vécues, avec toutes les erreurs (de cible notamment) résultant de l’effet d’écran, les oppositions, en matière de style de vie surtout, qui séparent des classes, des ethnies ou des générations différentes. Même si l’on rencontre parfois des personnes que leur trajectoire, autant que leur position, incline à une vision déchirée et divisée contre elle-même (je pense à cette marchande d’articles de sport d’une cité « difficile »qui se sent fondée à se défendre avec vigueur contre les agressions des jeunes, tout en portant sur eux un regard compréhensif), la confrontation directe des différences a pour effet de favoriser la lucidité intéressée et partielle de la polémique (c’est le cas, par exemple, lorsque telle immigrée espagnole invoque la différence entre les structures des familles européennes, qui combinent un taux de fécondité faible et, souvent, une forte discipline de vie, et les familles maghrébines, très prolifiques et souvent vouées à l’anomie par la crise de l’autorité paternelle résultant de la condition de l’exilé, mal adapté et parfois placé sous la dépendance de ses propres enfants).

Il n’est pas jusqu’à l’expérience de la position occupée dans le macrocosme social qui ne soit déterminée ou, au moins, altérée par l’effet directement éprouvé des interactions sociales à l’intérieur de ces microcosmes sociaux, bureau, atelier, petite entreprise, voisinage et aussi famille étendue. La pièce de Patrick Süskind, La contrebasse, fournit une image particulièrement réussie de l’expérience douloureuse que peuvent avoir du monde social tous ceux qui, comme le contrebassiste au sein de l’orchestre, occupent une position inférieure et obscure à l’intérieur d’un univers prestigieux et privilégié, expérience d’autant plus douloureuse sans doute que cet univers, auquel ils participent juste assez pour éprouver leur abaissement relatif, est situé plus haut dans l’espace global. Cette misère de position, relative au point de vue de celui qui l’éprouve en s’enfermant dans les limites du microcosme, est vouée à paraître « toute relative », comme on dit, c’est-à-dire tout à fait irréelle, si, prenant le point de vue du macrocosme, on la compare à la grande misère de condition ; référence quotidiennement utilisée à des fins de condamnation (« tu n’as pas à te plaindre ») ou de consolation (« il y a bien pire, tu sais »). Mais, constituer la grande misère en mesure exclusive de toutes les misères, c’est s’interdire d’apercevoir et de comprendre toute une part des souffrances caractéristiques d’un ordre social qui a sans doute fait reculer la grande misère (moins toutefois qu’on ne le dit souvent) mais qui, en se différenciant, a aussi multiplié les espaces sociaux (champs et sous-champs spécialisés), qui ont offert les conditions favorables à un développement sans précédent de toutes les formes de la petite misère. Et l’on n’aurait pas donné une représentation juste d’un monde qui, comme le cosmos social, a la particularité de produire d’innombrables représentations de lui-même, si l’on n’avait pas fait leur place dans l’espace des points de vue à ces catégories particulièrement exposées à la petite misère que sont toutes les professions qui ont pour mission de traiter la grande misère ou d’en parler, avec toutes les distorsions liées à la particularité de leur point de vue.

On pourrait aussi invoquer le modèle du Don Quichotte qui, notamment en donnant des noms différents, expliqués par des justifications étymologiques diverses, aux mêmes personnages, ou en jouant sur les niveaux de langue, tente de restituer la « multivalence que les mots possèdent pour les différents esprits »et, du même coup, la pluralité des perspectives qui font la complexité et l’ambiguïté de l’existence humaine (cf. L. Spitzer, Linguistic Perspectivism in the « Don Quijote », Linguistics and Literary History : Essays in Linguistics, Princeton University Press, Princeton, 1948, p. 41-85).


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