L’opprobre me brise le coeur et je suis malade. Psaumes 69: 21
J’étais incapable de voir ce dont le désir n’avait pas été éveillé en moi par quelque lecture (…) Que de fois, je le savais bien, même si cette page de Goncourt ne me l’eût pas appris, je suis resté incapable d’accorder mon attention à des choses ou à des gens qu’ensuite, une fois que leur image m’avait été présentée dans la solitude par un artiste, j’aurais fait des lieues, risqué la mort pour retrouver. Marcel Proust
La violence collective passa, jadis, de l’homme à l’animal et, maintenant, de la bête, absente de nos villes, à des objets techniques. Parmi ces révoltes fument des chevaux-vapeur. Michel Serres
Plus d’un siècle après que Charcot a démontré que les hystériques n’étaient pas des simulateurs et que Freud a découvert l’inconscient, il nous est difficile d’accepter que nos souffrances puissent être à la fois réelles et sans cause matérielle. Georges Saline (responsable du département santé environnement de l’INVS)
Chacun a bien compris que « syndrome du bâtiment malsain » est la traduction politiquement correcte d’ »hystérie collective ». Le Monde
J’étais dans une sorte d’extase, par l’idée d’être à Florence, et le voisinage des grands hommes dont je venais de voir les tombeaux. Absorbé dans la contemplation de la beauté sublime, je la voyais de près, je la touchais pour ainsi dire. J’étais arrivé à ce point d’émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les Beaux Arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j’avais un battement de cœur, la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber. Stendhal (1817)
Devant tant de beauté et de spiritualité, je me suis effondré en pleurs. J’avais des tremblements nerveux. C’était une douleur jouissive. Je ne sais pas combien de temps je suis resté là, peut-être un quart d’heure. Pierre Josse (Guide du routard)
Jérusalem attire toutes sortes de gens. Des fanatiques religieux et des excentriques dérangés mentalement à divers degrés, qui semblent être attirés comme par un aimant dans la ville sainte. Certains d’entre-eux […] étaient des hommes et des femmes qui se prenaient pour des saints, des prophètes, des prêtres, des messies et des rois. Bertha Spafford-Vester
Au rythme où l’on va, toutes les capitales auront bientôt leur syndrome. Pourquoi pas le syndrome de Ouagadougou? Youcef Mahmoudia (psychiatre, Hôtel-Dieu)
C’est une fumisterie. Ils s’inscrivent dans deux contextes particuliers. Soit les patients sont déjà atteints d’un trouble psychiatrique et sont dans un processus délirant à thématique persécutive, messianique ou politique. Soit ce sont des sujets qui sont pré-délirants, qui présentent des troubles minimes qui pour l’œil non avisé passent pour un état dépressif, une angoisse, un ras-le-bol, alors que le délire commence à s’élaborer progressivement. Quand ils arrivent à destination, il s’installe au bout de 24 ou 48 heures. Youcef Mahmoudia (Hôtel-Dieu, Paris)
Ce n’est pas le lieu qui est pathogène. Croire qu’un endroit fait qu’on décompense, ce serait nous ramener à la psychiatrie du 19ème, où l’on croyait aux miasmes. Federico A. Caro (psychiatre, Pôle Paris Centre)
Il s’agit d’un petit nombre de touristes, dont la plupart ont des antécédents psychiatriques importants, qui viennent chaque année à Jérusalem et se prennent pour des personnages bibliques ou des messies. Ils utilisent Jérusalem comme une scène ou une arène pour jouer leur rôle. Moshe Kalian
C’est très difficile de poser l’étiquette de « syndrome du voyageur », on ne le reconnaît pas de façon formelle. Des pétages de plombs, on en a partout, dans le monde entier. On en a eu dernièrement en Chine, au Maroc et en Turquie. Il y a des gens qui, dans un contexte hors habitudes, peuvent déclencher un épisode délirant. Catherine Port-Arondelle (Mondial Assistance)
Ils comptent parmi les curiosités locales de Jérusalem. On les croise dans la vieille ville, aux abords du Mur des lamentations et du dôme du Rocher. Certains sont accoutrés comme Jésus ou Abraham, portant une toge ou enroulés dans des draps piqués à l’hôtel, traînent parfois une croix, tandis que d’autres courent nus dans les rues, sur un mode Adam et Ève. Ils errent en prêchant au milieu des touristes et se lancent dans de grands sermons rarement intelligibles, persuadés qu’ils sont investis d’une mission divine. Chaque année, une trentaine de touristes en visite dans la ville trois fois sainte sont hospitalisés au Centre psychiatrique de Kfar Shaul, situé dans la vieille ville. Le «syndrome de Jérusalem» a été identifié dans les années 1930 par le psychiatre Heinz Herman, après avoir vu défiler plusieurs patients en proie au même délire. Deux tiers des victimes sont de confession juive, les autres sont chrétiennes. (…) Contrairement aux psychiatres Graziella Magherini et Régis Airault, qui affirment respectivement que le syndrome de Stendhal et le syndrome indien frapperaient des voyageurs en bonne santé mentale, Yaïr Bar-El considère qu’il touche à la fois des personnes avec et sans antécédents psychiatriques. Il a établi une typologie précise distinguant trois grands profils de victimes: les psychotiques, les personnes présentant divers troubles mentaux —le voyage de ces deux catégories de personnes étant motivé par une conviction délirante ou bizarre—, et enfin celles qui n’avaient pas de pathologie déclarée. Ces dernières sont rares: selon les résultats de l’étude, sur les 470 victimes recensées entre 1979 et 1993, seules 42 n’avaient pas d’antécédents psychiatriques. La plupart venaient de l’Amérique rurale et avaient reçu une éducation protestante très stricte. Le psychiatre a donc émis l’hypothèse que ces personnes auraient eu un choc en arrivant à Jérusalem car la ville ne correspondait pas à la représentation idéalisée qu’elles en avaient. Sept étapes cliniques ont par ailleurs été identifiées, telles que, par exemple, «l’expression du désir de se détacher du groupe ou de la famille et de visiter Jérusalem seul», «l’obsession d’être pur et propre, avec prise de bains et douches, taille compulsive des ongles de mains et de pieds» ou encore «le besoin de crier, de hurler ou de chanter à haute voix des psaumes, des versets de la Bible, des hymnes religieux ou des negro spirituals». Après une à deux semaines de traitement, les patients sont en général capables de rentrer chez eux. (…) Mais certains refusent de quitter la ville. (…) Au cours de ses recherches, Moshe Kalian a trouvé des premières descriptions du syndrome remontant au 19ème siècle, extraites des mémoires d’habitants de Jérusalem et de récits de pèlerins. (…) La «capitale éternelle» d’Israël semble donc condamnée à continuer d’attirer année après année, parmi le flot ininterrompu de pèlerins, une poignée d’illuminés à la recherche d’un décor à la hauteur de leur démesure. Annabelle Georgen
J’ai craqué dans le Palais des Doges. J’étais dans la salle du Grand Conseil, dont les murs et les plafonds sont entièrement recouverts de peintures. Je me suis sentie submergée par la beauté des lieux. Le décalage avec les autres visiteurs, qui passaient dans la salle en regardant à peine les murs, m’a frappée. J’ai fondu en larmes. C’était comme si je devais porter toute cette beauté à moi toute seule. Séverine (hypnothérapeute, 31 ans)
J’applique ce terme à une série d’attaques soudaines de souffrance mentale aiguë, qui peuvent durer quelques heures ou quelques jours. Les crises vont de l’attaque de panique à l’inconfort physique, comme la peur de s’évanouir, de suffoquer, de mourir ou de devenir fou, avec des vertiges ou de la tachycardie, et dans certains cas la sensation extrêmement désagréable de se trouver dans un environnement hostile. Graziella Magherini
Magherini a choisi le terme de syndrome de Stendhal en référence à l’écrivain français, qui fut l’un des premiers à décrire la vive émotion que peut provoquer la contemplation d’une œuvre d’art lorsqu’il partit à la découverte du berceau de la Renaissance en 1816 (…) Après avoir vu défiler à l’hôpital de Florence une centaine de touristes «en bonne condition mentale» et qui étaient pourtant pris d’une bouffée délirante alors qu’ils visitaient un musée, une église ou un monument, Graziella Magherini a élaboré l’hypothèse que ces crises seraient provoquées par la confrontation à la beauté des œuvres d’art. La majorité de ses patients étant européens, la psychiatre est arrivée à la conclusion qu’ils étaient plus susceptibles d’être victimes du syndrome car ils maîtrisaient les références culturelles permettant d’apprécier les œuvres et de percevoir leurs significations cachées, contrairement à d’autres touristes venus de régions éloignées, comme l’Amérique du Nord ou l’Asie, et aux Italiens eux-mêmes, en quelque sorte «immunisés» à force de vivre entourés d’œuvres d’art. Ce syndrome frapperait surtout les touristes qui visitent Florence en raison de sa concentration exceptionnelle de chefs-d’œuvre artistiques, mais aurait aussi été observé à Ravenne et à Venise. (…) La définition du syndrome de Stendhal proposée par Magherini va à l’encontre de celle du voyage pathologique en cela qu’elle considère que ses victimes ne souffraient pas de troubles psychiatriques avant leur voyage. Communément admise en psychiatrie, la notion de voyage pathologique est considérée comme un trouble du comportement. Au regard de cette définition, l’existence du syndrome de Stendhal est vivement contestée par de nombreux psychiatres pour qui les voyages ne peuvent pas rendre fou. «C’est une fumisterie», lance Youcef Mahmoudia, psychiatre à l’Hôtel-Dieu à Paris. Selon lui, seul le concept de voyages pathologiques est pertinent (…) Au-delà du débat, reste une certitude, à voir les foules qui se pressent devant le David à Florence ou devant la Joconde à Paris: l’art peut éblouir et provoquer une émotion intense même chez les plus sceptiques. Annabelle Georgen
Très souvent, cette déception concerne des étudiantes qui viennent avec une vision de la France assez liée aux films de Godard. Philippe Adam
Il y a pas mal de grèves, les gens peuvent être un peu agressifs verbalement, on peut se faire voler son porte-feuille dans le métro, le taxi peut arriver avec un quart d’heure de retard. C’est quelque chose d’inconcevable au Japon car c’est un pays où tout fonctionne dans la vie quotidienne. On peut par exemple se donner rendez-vous à 13h01 sur le quai et être sûr d’arriver à l’heure. Les Japonais qui sont fragiles peuvent donc devenir très dépressifs à Paris, avoir le sentiment d’être rejetés, ignorés. Eriko Thibierge-Nasu (psychanalyste japonaise)
Identifié dans les années 1980 par le psychiatre japonais Hiroaki Ota, ce syndrome frapperait des Japonais choqués par le décalage entre le Paris romantique et raffiné qu’ils pensaient découvrir et la réalité qu’ils arpentent. (…) Qualité de service laissant à désirer, insécurité et impolitesse sont les principaux griefs des Japonais qui séjournent dans la Ville-Lumière. (…) Difficile d’obtenir des informations précises sur les observations d’Hiroaki Ota, ancien médecin-conseil auprès de l’ambassade du Japon à Paris et attaché à l’hôpital Saint-Anne: il se refuse à toute interview depuis plusieurs années et son livre consacré au sujet n’a été publié qu’en japonais. Ses travaux parallèles sur les voyages pathologiques de Japonais à Paris, qui sont le fait de patients souffrant d’un trouble psychiatrique antérieur au voyage, sont en revanche consultables dans la revue psychiatrique Nervure. Une étude publiée en 2004, et dont Ota est co-auteur, indique que 63 patients japonais ont été admis à l’Hôpital Sainte-Anne «dans un état aigu» entre 1988 et 2004. Il s’agissait de personnalités fragiles «en quête d’une liberté ou d’une libération illusoires» ou de personnes souffrant d’une psychose et dont la venue était motivée par des convictions délirantes. La plupart des patients avaient moins de 30 ans, près d’un sur trois était schizophrène. À l’instar d’une Japonaise de 39 ans, qui s’était rendue à Paris après avoir vu une affiche touristique dans le métro de Tokyo avec pour slogan «La France vous attend», persuadée que cette injonction lui était personnellement destinée. L’étude pointe les obstacles auxquels sont confrontés les Japonais qui viennent s’installer à Paris, au-delà de la déception liée à la ville, telles que la barrière de la langue et les différences de comportements en société. «Ces difficultés, qui peuvent créer très vite une incapacité de communication ou être sources d’erreurs grossières, entraînent sentiment d’étrangeté, angoisse, isolement», notent les chercheurs. (…) Le syndrome de Paris continue d’être le sujet de nombreux reportages dans les journaux du monde entier, mais il est largement remis en cause par la communauté psychiatrique française. «Ça n’existe pas», laisse choir avec une pointe de lassitude dans la voix Youcef Mahmoudia, psychiatre à l’Hôtel-Dieu, pour qui «il ne faut pas confondre un état d’angoisse passager qui peut survenir chez quelqu’un qui est en voyage et n’arrive pas à s’adapter et un état délirant entraînant des troubles du comportement sur la voie publique». Sur la cinquantaine de «voyageurs pathologiques» qui sont hospitalisés chaque année à l’Hôtel-Dieu, à deux pas des principaux sites touristiques, la majorité ne sont d’ailleurs pas des Japonais mais des provinciaux, fait remarquer Youcef Mahmoudia: «Il y a aussi des Italiens, des Belges, des Allemands… Seuls 3 à 5 % sont des Japonais. » Annabelle Georgen
Je n’avais plus aucun repères, tout ce que je regardais était différent, les odeurs et les goûts aussi. Je n’étais jamais seule, il se passait toujours quelque chose autour de moi. L’absence d’hygiène m’a aussi rendu dingue car je n’arrivais plus à aller aux toilettes. J’étais saoulée, hypnotisée, je ne me rendais plus compte de la réalité, je me laissais aller. (…) J’étais au bout du rouleau… Je pensais que j’allais mourir, alors j’ai écrit un journal au cas où ma famille retrouverait mon corps… Claire Kaczynski (artiste)
Le syndrome indien peut toucher tout le monde, j’ai vu des gens qui ne prenaient pas de drogue et qui étaient délirants, qui avaient essayé de partir à la nage pour rentrer chez leurs parents. Heureusement que les proches les avaient entendu hurler au téléphone, sinon on aurait pu croire que je me faisais payer un voyage aux frais de la princesse! Chaque culture semble désigner à ses membres des lieux où il est plus facile de « vaciller ». Pour les Occidentaux, c’est l’axe oriental, avec le grand tour en Italie, Jérusalem, les îles et enfin le syndrome indien, sur les traces de Marco Polo. Ce sera la France pour les Japonais, les pays du Nord pour d’autres ou les lieux chargés de mysticisme… Régis Ayraut
L’évocation de l’Inde fait jaillir une ribambelle de clichés hauts en couleur mêlant le merveilleux à l’affreux, des temples somptueux du Rajasthan aux bûchers de Bénarès, des énigmatiques sadous drapés d’orange aux lépreux endormis sur les trottoirs de Bombay. Dans l’imagerie occidentale, l’Inde est aussi associée aux hippies qui s’y installèrent à partir des années 1960, ce qui fait d’elle le décor idéal du voyage initiatique qu’entreprennent chaque année des milliers de jeunes à travers le monde. Le psychiatre Régis Airault la compare au monde enchanté d’Alice au pays des merveilles ou de Peter Pan dans l’imaginaire des jeunes. Ils ont la vingtaine et c’est souvent leur premier grand trip. Et leur premier choc, à en voir les témoignages qui abondent sur les forums de voyage, évoquant «des regards intenses voire un peu effrayants», «une sensation d’insécurité permanente due à un manque de repères» ou encore «un mal-être devant la misère et le harcèlement perpétuel»… Confrontés à la spiritualité qui imprègne le quotidien, à la foule et à la misère, de nombreux touristes sont victimes d’un choc culturel: ils sont angoissés, certains vont jusqu’à ne plus quitter leur chambre d’hôtel. (…) Certains voyageurs seraient eux victimes du «syndrome indien», décrit par le psychiatre Régis Airault comme une «bouffée délirante avec des mécanismes interprétatifs, hallucinatoires, à thématique persécutive, mystique, qui apparaît après un séjour de quelques semaines». Les principales personnes concernées seraient des jeunes d’une vingtaine d’années. Les histoires de touristes persuadés d’entendre la voix de Kali ou Shiva et qui jettent leurs billets dans la rue en faisant vœu de pauvreté sont légion dans les ambassades en Inde. Lorsqu’il travaillait au consulat de France à Bombay dans les années 1980, Airault a rencontré de nombreux illuminés du bord des routes de l’Inde et procédé à plusieurs rapatriements. Une expérience surprenante qu’il raconte dans un livre passionnant, Fous de l’Inde. Comme la psychiatre italienne Graziella Magherini lorsqu’elle décrit le syndrome de Stendhal, il fait l’hypothèse que le voyage n’est pas pathologique mais pathogène, c’est-à-dire que le syndrome indien frappe des personnes qui n’ont pas d’antécédents psychiatriques. L’Inde rendrait donc fou. Une position contestée par de nombreux psychiatres qui considèrent que les pétages de plombs fréquemment observés chez les touristes circulant en Inde sont à imputer à des pathologies préexistantes ou à une fragilité psychologique favorable à l’éclosion d’un délire, ou encore, dans bien des cas, à la prise de drogues, comme à Goa ou Manali. Annabelle Georgen
Il s’agit de gens qui sont en errance, qui débarquent avec un sac à dos et sont souvent en rupture de traitement. Ils viennent sur un nom qui fait rêver, sur un mythe. Ils se disent: « Pourquoi pas essayer de recommencer ailleurs? » Ils espèrent mettre une aussi grande distance entre eux et leurs problèmes que la distance kilométrique qu’il y a entre la métropole et Tahiti. Michel Mardina (infirmier psychiatrique)
L’île telle qu’on la voit représentée sur les dépliants touristiques, avec ses plages de sable blanc et ses eaux turquoises, est un mythe à elle seule. Dans l’imaginaire de ceux qui vivent sur un continent, elle est la destination de rêve par excellence, le symbole absolu du dépaysement. Ce «fantasme occidental» dont parle le psychiatre Régis Airault, qui a lui-même vécu plusieurs années sur une île, à Mayotte, convoque une imagerie assez naïve et désuète. Dans une étude consacrée aux voyages pathologiques à Tahiti, co-écrite en 1993 par des psychiatres du Centre hospitalier de Polynésie française, trois mythes «qui sous-tendent les velléités des voyageurs en partance pour la Polynésie» ont été dégagés. Le mythe du Robinson, tout d’abord, concerne les «exilés volontaires à la recherche de l’île déserte, où ils pourront se retrouver et mesurer l’essentiel de leur être dans un grand face-à-face avec une nature vierge et rebelle». Le mythe du bout du monde fait lui appel aux «lieux mystérieux et lointains, en général difficiles d’accès, qui apparaissent en communication par des canaux, plus ou moins mystérieux, avec les forces vives du cosmos, où se situent les restes de civilisations disparues, civilisations « mères » détentrices du grand secret». Les auteurs citent l’île de Pâques ou celle de Rapa en exemple. Enfin, le mythe de la Nouvelle Cythère, «le plus connu et le plus galvaudé», notent les auteurs, s’inscrit lui dans la pensée rousseauiste: «C’est le mythe de « l’île de Félicité, où règne la volupté », chère à la pensée du XVIIIème siècle; celui du bon sauvage sans vice parce qu’innocent, et encore à l' »état de nature »: l’enfance de l’humanité.» Les auteurs donnent l’exemple d’un Belge en proie à un état délirant qui s’était rendu sur l’île de Rapa pour «redresser l’axe de la Terre» et «conduire le peuple d’Israël sur le continent Antarctique», puis d’un jeune métropolitain sans antécédents psychiatriques qui était venu à Tahiti pour y refaire sa vie, et qui, face à une «désillusion totale», avait sombré dans la dépression et fait une tentative de suicide. «Il s’agit d’un voyage non pathologique chez un sujet ayant développé par la suite une pathologie […] suite à la confrontation avec la réalité des antipodes», estime l’étude. Pour autant, aucun terme spécifique n’a été établi à ce jour pour désigner les voyageurs en proie à un état délirant lors d’un séjour sur une île tropicale. Régis Airault parle ainsi à la fois de «syndrome des îles ou insulaire, d’Hawaï, de Tahiti, de la Réunion et de Mayotte». Au Centre hospitalier de Polynésie française, «environ quatre ou cinq voyageurs ont été admis ces dernières années», estime Michel Mardina, infirmier psychiatrique. Tous avaient un profil semblable: des jeunes métropolitains âgés de 18 à 35 ans, présentant des troubles psychiatriques, instables sur le plan affectif et souvent sans emploi. (…) Des rêves de vie facile et d’abondance plein la tête, ces jeunes routards sont vite confrontés à la réalité à leur arrivée: un marché de l’emploi saturé et un coût de la vie très élevé. «La pathologie refait alors surface parce qu’ils ne trouvent pas ce qu’ils cherchaient. Ils décompensent et arrivent à l’hôpital en état de crise, sur un mode qui ressemble à une bouffée délirante», poursuit l’infirmier. Déprime et sentiment de solitude attendraient aussi souvent au tournant les métropolitains sans antécédents psychiatriques qui plaquent tout pour aller vivre au soleil, dans les Dom-Tom. (…) Les forums de métropolitains expatriés sous les tropiques évoquent souvent ce spleen, et il existe même un guide pratique destiné à ceux qui partent s’installer aux Antilles. Là encore, la carte postale s’avère trompeuse. (…) Au terme de ce voyage dans les folies touristiques, de l‘Italie à l’Inde en passant par la France et Israël, une question demeure: sommes-nous donc prédisposés à décompenser dans certains endroits plus qu’ailleurs? Dans des lieux chargés d’histoire, de spiritualité ou tout simplement idéalisés quand on les contemple de loin, depuis chez soi? La communauté psychiatrique est divisée à ce sujet et peu de travaux actuels tentent de l’aborder d’un point de vue global. La classification de «syndrome du voyageur» n’est d’ailleurs pas utilisée aujourd’hui chez les assureurs. (…) L’utilisation du terme de syndrome est considérée comme abusive par de nombreux psychiatres, et son rattachement à des lieux spécifiques fait craindre une surenchère de son emploi. Annabelle Georgen
Après les syndromes de Jérusalem, Florence, Paris, Goa et Tahiti…
Voici, entre le syndrome de La Havane !
A l’heure où après les diplomates américains à Cuba …
Et entre troubles auditifs et douleurs cérébrales …
C’est à présent aux touristes d’être touchés …
Comment ne pas repenser …
A ces fameux syndromes du voyageur …
Dont Anabelle Georgen avait fait il y a quelques années une intéressante recension sur Slate …
Avec naturellement comme pour les bâtiments qui tombent malades …
Et derrière les termes médicaux qui se multiplient (hystérie collective ou de masse, contagion comportementale, psychose collective, réaction collective au stress, dérangement psychique transitoire, contextuel et épidémique réaction de conversion collective, psychopathologie de groupe, panique de masse, épidémie de symptômes psychiatriques, malaises de masse sociogéniques ou psychogéniques) …
Les manifestations de somatisation étrangement récurrentes voire stéréotypées (douleurs et malaises musculo-squelettiques, difficultés à respirer, nausées, faiblesses, étourdissements, maux de tête, embrouillement de la vision) …
Le même mode de déroulement: convergence (plusieurs personnes développent des symptômes indépendamment les unes des autres), déclencheur (l’occurrence ou la perception d’un événement précis et inhabituel ou souvent une odeur étrange) et la contagion (propagation soit par rayonnement via les travailleurs-euses voisins soit par le réseau des individus intimement liés, compliqué à nouveau par l’accès à l’internet) …
Et le contexte de tension sociale ou internationale (crises sociales ou économiques, guerres, bouleversement sociaux ou religieux, etc.) …
Depuis les « maladies dansantes » de l’Europe médiévale (danse de Saint-Guy, intoxications ergotées, « feu Saint-Antoine » ou « mal des ardents »), les épidémies de couvents (manie de morsure dans des couvents allemands au moment de l’éclatement du monde religieux de la Réforme), les renouveaux protestants américains (phénomènes collectifs extatiques), ou européens (sainte Bernadette, sainte Thérèse) …
Les hystéries collectives des établissement d’enseignement et des usines et manufactures (Hodder Bridge, écoles de garçons 1860, réactions de panique dans l’armée, évanouissements en chaîne des campagnes de collecte de sang, suicides collectifs, poussées de violence, émeutes raciales …
Tous les ingrédients des crises mimétiques si bien décrites par René Girard …
A partir de la nature notoirement mimétique des animaux supérieurs que nous sommes (« monkey see monkey do »), comme on le voit quotidiennement autour de nous que ce soit les épidémies de quintes de toux dans les concerts ou de fous rires en classe de nos enfants ou de nos enfances ou, plus contrôlés, pendant les spectacles des humoristes, mais aussi les « épidémies » de symptômes des maladies étudiées dans les écoles de médecine …
Mais surtout sur ce besoin d’exutoire et d’externalisation des surcharges de stress, au niveau individuel comme de tout un groupe social, que l’on retrouve dans toutes les sociétés sacrificielles mais qui, avec la disparition desdits sacrifices ou de leurs substituts sociaux (les pogroms de juifs et autres cagots servant de boucs émissaires) tendraient à s’internaliser et à se somatiser?
Cuba : des touristes se plaignent du même mal que les diplomates américain
Le département d’État des États-Unis a reçu « une poignée » de plaintes de touristes américains à Cuba qui disent avoir souffert de symptômes similaires à ceux des diplomates affectés à La Havane par de mystérieuses « attaques », a annoncé un responsable. Le gouvernement américain n’est cependant pas en mesure de vérifier les informations communiquées par ces ressortissants.
L’administration Trump a ordonné mardi l’expulsion de 15 diplomates de l’ambassade de Cuba à Washington après le rapatriement de la moitié du personnel diplomatique américain en poste à La Havane la semaine passée, en raison de ces « attaques » auditives.
La semaine dernière, le département d’Etat avait émis un avertissement, déconseillant aux touristes américains de se rendre à Cuba en raison de ces attaques inexpliquées, sources de pertes d’audition, de vertiges et de fatigue chez 22 diplomates américains.
Cuba dément toute implication. Les enquêtes lancées sur place n’ont pour le moment donné aucun résultat.
Voir aussi:
[FOLIES DE VOYAGE 4/5] Chaque année, quelques centaines de touristes craquent à l’étranger, incitant certains spécialistes à parler de «syndromes du voyageur» très contestés. Quatrième étape de notre cartographie de ce phénomène avec les crises mystiques observées en Israël.
Touristes pris d’un étrange accès de folie face à un tableau de maître, routards en plein délire mystique sur les routes de l’Inde, Japonais qui dépriment à Paris, vagabonds se prenant pour le Messie à Jérusalem, Robinsons occidentaux échoués sur les plages de Tahiti… Quelques centaines de voyageurs «décompensent» chaque année à divers points du globe au cours de ce que les psychiatres appellent «voyages pathologiques», la grande majorité de ces touristes ou expatriés souffrant déjà d’un trouble psychiatrique avant leur départ. Certains spécialistes font eux l’hypothèse de l’existence d’un «syndrome du voyageur». Au-delà des définitions, une cartographie culturelle se dessine en pointillés, comme si «là où l’on allait» délirer dépendait aussi de «là d’où l’on venait». Tour du monde en cinq étapes.
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Ils comptent parmi les curiosités locales de Jérusalem. On les croise dans la vieille ville, aux abords du Mur des lamentations et du dôme du Rocher. Certains sont accoutrés comme Jésus ou Abraham, portant une toge ou enroulés dans des draps piqués à l’hôtel, traînent parfois une croix, tandis que d’autres courent nus dans les rues, sur un mode Adam et Ève. Ils errent en prêchant au milieu des touristes et se lancent dans de grands sermons rarement intelligibles, persuadés qu’ils sont investis d’une mission divine.
Chaque année, une trentaine de touristes en visite dans la ville trois fois sainte sont hospitalisés au Centre psychiatrique de Kfar Shaul, situé dans la vieille ville. Le «syndrome de Jérusalem» a été identifié dans les années 1930 par le psychiatre Heinz Herman, après avoir vu défiler plusieurs patients en proie au même délire. «Il s’agit d’un petit nombre de touristes, dont la plupart ont des antécédents psychiatriques importants, qui viennent chaque année à Jérusalem et se prennent pour des personnages bibliques ou des messies. Ils utilisent Jérusalem comme une scène ou une arène pour jouer leur rôle», explique le docteur Moshe Kalian, psychiatre au ministère de la Santé israélienne et spécialiste du syndrome de Jérusalem.
Deux tiers des victimes sont de confession juive, les autres sont chrétiennes. Contacté afin de savoir si des ressortissants français avaient été touchés par ce syndrome ces dernières années, le consulat général de France à Jérusalem n’a pas souhaité répondre à nos questions.
«Besoin de chanter des psaumes»
Contrairement aux psychiatres Graziella Magherini et Régis Airault, qui affirment respectivement que le syndrome de Stendhal et le syndrome indien frapperaient des voyageurs en bonne santé mentale, Yaïr Bar-El considère qu’il touche à la fois des personnes avec et sans antécédents psychiatriques. Il a établi une typologie précise distinguant trois grands profils de victimes: les psychotiques, les personnes présentant divers troubles mentaux —le voyage de ces deux catégories de personnes étant motivé par une conviction délirante ou bizarre—, et enfin celles qui n’avaient pas de pathologie déclarée.
Ces dernières sont rares: selon les résultats de l’étude, sur les 470 victimes recensées entre 1979 et 1993, seules 42 n’avaient pas d’antécédents psychiatriques. La plupart venaient de l’Amérique rurale et avaient reçu une éducation protestante très stricte. Le psychiatre a donc émis l’hypothèse que ces personnes auraient eu un choc en arrivant à Jérusalem car la ville ne correspondait pas à la représentation idéalisée qu’elles en avaient.
Sept étapes cliniques ont par ailleurs été identifiées, telles que, par exemple, «l’expression du désir de se détacher du groupe ou de la famille et de visiter Jérusalem seul», «l’obsession d’être pur et propre, avec prise de bains et douches, taille compulsive des ongles de mains et de pieds» ou encore «le besoin de crier, de hurler ou de chanter à haute voix des psaumes, des versets de la Bible, des hymnes religieux ou des negro spirituals».
Après une à deux semaines de traitement, les patients sont en général capables de rentrer chez eux. «Le traitement dépend de l’état du patient, de son passé psychiatrique et de la capacité d’établir un contact verbal avec lui», explique Moshe Kalian. «Lorsque ceci est possible, nous essayons toujours de l’aider à comprendre le contexte ou la raison de ce qu’il lui est arrivé».
Aimant à fanatiques et excentriques
Mais certains refusent de quitter la ville. Dans un reportage paru dans la revue israélienne Ariel, Leah Abramowitz décrit quelques illuminés qui se sont installés à Jérusalem et qu’on croise aux heures tardive aux abords du Mur des lamentations, à l’instar de Motelé, «toujours de blanc vêtu, portant barbe fleurie et grisonnante»:
«Des fois, pour la frime, il se tient sur le toit du grand rabbinat pour vociférer une prière. Les non-initiés s’imaginent que c’est une voix céleste et on en a vu même qui s’engagent au repentir, du moins pour la demi-heure qui suit.»
Au cours de ses recherches, Moshe Kalian a trouvé des premières descriptions du syndrome remontant au 19ème siècle, extraites des mémoires d’habitants de Jérusalem et de récits de pèlerins. Bertha Spafford-Vester, fille de colons américains établis en Israël à la fin du 19ème siècle, raconte ainsi dans ses mémoires:
«Jérusalem attire toutes sortes de gens. Des fanatiques religieux et des excentriques dérangés mentalement à divers degrés, qui semblent être attirés comme par un aimant dans la ville sainte. Certains d’entre-eux […] étaient des hommes et des femmes qui se prenaient pour des saints, des prophètes, des prêtes, des messies et des rois.»
La «capitale éternelle» d’Israël semble donc condamnée à continuer d’attirer année après année, parmi le flot ininterrompu de pèlerins, une poignée d’illuminés à la recherche d’un décor à la hauteur de leur démesure.
Voir également:
Florence ou le choc esthétique
[FOLIES DE VOYAGE 1/5] Chaque année, quelques centaines de touristes craquent à l’étranger, incitant certains spécialistes à parler de «syndromes du voyageur» très contestés. Première étape de notre cartographie de ce phénomène en Italie.
Touristes pris d’un étrange accès de folie face à un tableau de maître, routards en plein délire mystique sur les routes de l’Inde, Japonais qui dépriment à Paris, vagabonds se prenant pour le Messie à Jérusalem, Robinsons occidentaux échoués sur les plages de Tahiti… Quelques centaines de voyageurs «décompensent» chaque année à divers points du globe au cours de ce que les psychiatres appellent «voyages pathologiques», la grande majorité de ces touristes ou expatriés souffrant déjà d’un trouble psychiatrique avant leur départ. Certains spécialistes font eux l’hypothèse de l’existence d’un «syndrome du voyageur». Au-delà des définitions, une cartographie culturelle se dessine en pointillés, comme si «là où l’on allait» délirer dépendait aussi de «là d’où l’on venait». Tour du monde en cinq étapes.
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Il s’en souvient comme si c’était hier:
«Les couleurs se sont mises à éclater, à exploser!»
Pierre Josse, rédacteur en chef du Routard, le célèbre guide de voyage, a été submergé par une émotion intense lors d’un voyage à Florence il y a vingt-cinq ans, alors qu’il contemplait une vierge à l’enfant peinte par Fra Angelico:
«Devant tant de beauté et de spiritualité, je me suis effondré en pleurs. J’avais des tremblements nerveux. C’était une douleur jouissive. Je ne sais pas combien de temps je suis resté là, peut-être un quart d’heure.»
A-t-il été victime du «syndrome de Stendhal» identifié à la fin des années 1980 par la psychiatre italienne Graziella Magherini? «Je l’ai effectivement vécu. C’est mieux « vécu » plutôt que victime, car j’en garde un souvenir ému!»
«Attaques soudaines»
Sa description est en effet assez éloignée des symptômes signalés par Magherini: «J’applique ce terme à une série d’attaques soudaines de souffrance mentale aiguë, qui peuvent durer quelques heures ou quelques jours», explique la psychiatre. «Les crises vont de l’attaque de panique à l’inconfort physique, comme la peur de s’évanouir, de suffoquer, de mourir ou de devenir fou, avec des vertiges ou de la tachycardie, et dans certains cas la sensation extrêmement désagréable de se trouver dans un environnement hostile.» Dans son livre La Sindrome di Stendhal, elle décrit entre autres le cas d’une jeune femme en état de grande confusion mentale, qui errait dans le jardin de Boboli deux dessins à la main, inspirés par des peintures de Botticelli.
Magherini a choisi le terme de syndrome de Stendhal en référence à l’écrivain français, qui fut l’un des premiers à décrire la vive émotion que peut provoquer la contemplation d’une œuvre d’art lorsqu’il partit à la découverte du berceau de la Renaissance en 1816:
«J’étais dans une sorte d’extase par l’idée d’être à Florence et le voisinage des grands hommes dont je venais de voir les tombeaux. Absorbé dans la contemplation de la beauté sublime, je la voyais de près, je la touchais pour ainsi dire. J’étais arrivé à ce point d’émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les Beaux Arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j’avais un battement de cœur, la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber.»
Les Européens en première ligne
Après avoir vu défiler à l’hôpital de Florence une centaine de touristes «en bonne condition mentale» et qui étaient pourtant pris d’une bouffée délirante alors qu’ils visitaient un musée, une église ou un monument, Graziella Magherini a élaboré l’hypothèse que ces crises seraient provoquées par la confrontation à la beauté des œuvres d’art.
La majorité de ses patients étant européens, la psychiatre est arrivée à la conclusion qu’ils étaient plus susceptibles d’être victimes du syndrome car ils maîtrisaient les références culturelles permettant d’apprécier les œuvres et de percevoir leurs significations cachées, contrairement à d’autres touristes venus de régions éloignées, comme l’Amérique du Nord ou l’Asie, et aux Italiens eux-mêmes, en quelque sorte «immunisés» à force de vivre entourés d’œuvres d’art.
Ce syndrome frapperait surtout les touristes qui visitent Florence en raison de sa concentration exceptionnelle de chefs-d’œuvre artistiques, mais aurait aussi été observé à Ravenne et à Venise. C’est ainsi que Séverine, hypnothérapeute de 31 ans, a succombé à la beauté de la Sérénissime il y a quatre ans, lors d’un séjour en amoureux:
«J’ai craqué dans le Palais des Doges. J’étais dans la salle du Grand Conseil, dont les murs et les plafonds sont entièrement recouverts de peintures. Je me suis sentie submergée par la beauté des lieux. Le décalage avec les autres visiteurs, qui passaient dans la salle en regardant à peine les murs, m’a frappée. J’ai fondu en larmes. C’était comme si je devais porter toute cette beauté à moi toute seule.»
Mais comme Pierre Josse, elle n’a ni fini à l’hôpital ni été rapatriée en France. Elle préfère parler d’un «choc émotionnel».
Vivement contesté
La définition du syndrome de Stendhal proposée par Magherini va à l’encontre de celle du voyage pathologique en cela qu’elle considère que ses victimes ne souffraient pas de troubles psychiatriques avant leur voyage. Communément admise en psychiatrie, la notion de voyage pathologique est considérée comme un trouble du comportement.
Au regard de cette définition, l’existence du syndrome de Stendhal est vivement contestée par de nombreux psychiatres pour qui les voyages ne peuvent pas rendre fou. «C’est une fumisterie», lance Youcef Mahmoudia, psychiatre à l’Hôtel-Dieu à Paris. Selon lui, seul le concept de voyages pathologiques est pertinent:
«Ils s’inscrivent dans deux contextes particuliers. Soit les patients sont déjà atteints d’un trouble psychiatrique et sont dans un processus délirant à thématique persécutive, messianique ou politique. Soit ce sont des sujets qui sont pré-délirants, qui présentent des troubles minimes qui pour l’œil non avisé passent pour un état dépressif, une angoisse, un ras-le-bol, alors que le délire commence à s’élaborer progressivement. Quand ils arrivent à destination, il s’installe au bout de 24 ou 48 heures.»
Federico A. Caro, psychiatre au Pôle Paris Centre et auteur d’un mémoire consacré au voyage pathologique, enfonce le clou:
«Ce n’est pas le lieu qui est pathogène. Croire qu’un endroit fait qu’on décompense, ce serait nous ramener à la psychiatrie du 19ème, où l’on croyait aux miasmes.»
Au-delà du débat, reste une certitude, à voir les foules qui se pressent devant le David à Florence ou devant la Joconde à Paris: l’art peut éblouir et provoquer une émotion intense même chez les plus sceptiques.
Voir de même:
[FOLIES DE VOYAGE 3/5] Chaque année, quelques centaines de touristes craquent à l’étranger, incitant certains spécialistes à parler de «syndromes du voyageur» très contestés. Troisième étape de notre cartographie de ce phénomène avec le supposé «syndrome japonais».
Touristes pris d’un étrange accès de folie face à un tableau de maître, routards en plein délire mystique sur les routes de l’Inde, Japonais qui dépriment à Paris, vagabonds se prenant pour le Messie à Jérusalem, Robinsons occidentaux échoués sur les plages de Tahiti… Quelques centaines de voyageurs «décompensent» chaque année à divers points du globe au cours de ce que les psychiatres appellent «voyages pathologiques», la grande majorité de ces touristes ou expatriés souffrant déjà d’un trouble psychiatrique avant leur départ. Certains spécialistes font eux l’hypothèse de l’existence d’un «syndrome du voyageur». Au-delà des définitions, une cartographie culturelle se dessine en pointillés, comme si «là où l’on allait» délirer dépendait aussi de «là d’où l’on venait». Tour du monde en cinq étapes.
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«Arrêtez de croire que tout le monde vous regarde. Arrêtez de croire que tout le monde vous juge et que tout le monde vous en veut. Vous êtes à Paris, vous avez de la chance», s’entend répéter chaque fois qu’elle se rend à l’ambassade du Japon l’étudiante japonaise déprimée qu’imagine l’écrivain français Philippe Adam dans sa nouvelle Le Syndrome de Paris.
Identifié dans les années 1980 par le psychiatre japonais Hiroaki Ota, ce syndrome frapperait des Japonais choqués par le décalage entre le Paris romantique et raffiné qu’ils pensaient découvrir et la réalité qu’ils arpentent. «Très souvent, cette déception concerne des étudiantes qui viennent avec une vision de la France assez liée aux films de Godard», estime Philippe Adam, qui a séjourné au Japon et rencontré des Japonaises vivant à Paris avant d’écrire sa nouvelle consacrée au sujet. Qualité de service laissant à désirer, insécurité et impolitesse sont les principaux griefs des Japonais qui séjournent dans la Ville-Lumière.
«Il y a pas mal de grèves, les gens peuvent être un peu agressifs verbalement, on peut se faire voler son porte-feuille dans le métro, le taxi peut arriver avec un quart d’heure de retard», indique la psychanalyste japonaise Eriko Thibierge-Nasu. «C’est quelque chose d’inconcevable au Japon car c’est un pays où tout fonctionne dans la vie quotidienne. On peut par exemple se donner rendez-vous à 13h01 sur le quai et être sûr d’arriver à l’heure. Les Japonais qui sont fragiles peuvent donc devenir très dépressifs à Paris, avoir le sentiment d’être rejetés, ignorés», ajoute la psychanalyste, qui trouve le terme de «syndrome» exagéré et lui préfère celui de «malaise».
Différences de comportement
Difficile d’obtenir des informations précises sur les observations d’Hiroaki Ota, ancien médecin-conseil auprès de l’ambassade du Japon à Paris et attaché à l’hôpital Saint-Anne: il se refuse à toute interview depuis plusieurs années et son livre consacré au sujet n’a été publié qu’en japonais. Ses travaux parallèles sur les voyages pathologiques de Japonais à Paris, qui sont le fait de patients souffrant d’un trouble psychiatrique antérieur au voyage, sont en revanche consultables dans la revue psychiatrique Nervure.
Une étude publiée en 2004, et dont Ota est co-auteur, indique que 63 patients japonais ont été admis à l’Hôpital Sainte-Anne «dans un état aigu» entre 1988 et 2004. Il s’agissait de personnalités fragiles «en quête d’une liberté ou d’une libération illusoires» ou de personnes souffrant d’une psychose et dont la venue était motivée par des convictions délirantes. La plupart des patients avaient moins de 30 ans, près d’un sur trois était schizophrène. À l’instar d’une Japonaise de 39 ans, qui s’était rendue à Paris après avoir vu une affiche touristique dans le métro de Tokyo avec pour slogan «La France vous attend», persuadée que cette injonction lui était personnellement destinée.
L’étude pointe les obstacles auxquels sont confrontés les Japonais qui viennent s’installer à Paris, au-delà de la déception liée à la ville, telles que la barrière de la langue et les différences de comportements en société. «Ces difficultés, qui peuvent créer très vite une incapacité de communication ou être sources d’erreurs grossières, entraînent sentiment d’étrangeté, angoisse, isolement», notent les chercheurs.
Le suivi du patient par un psychiatre de langue japonaise et une médication adaptée aux troubles permettent de calmer la crise. La plupart des patients n’étant pas en état de rentrer seuls au Japon, ils sont généralement accompagnés par un proche dépêché à Paris ou bien rapatriés. Contactée à ce sujet, l’ambassade du Japon à Paris indique ne pas avoir «procédé à des rapatriements de ressortissants japonais touchés par ce type de syndrome» en 2011, contrairement à ce qu’affirmait récemment le magazine américain The Atlantic, sans citer ses sources.
«Ça n’existe pas»
Le syndrome de Paris continue d’être le sujet de nombreux reportages dans les journaux du monde entier, mais il est largement remis en cause par la communauté psychiatrique française. «Ça n’existe pas», laisse choir avec une pointe de lassitude dans la voix Youcef Mahmoudia, psychiatre à l’Hôtel-Dieu, pour qui «il ne faut pas confondre un état d’angoisse passager qui peut survenir chez quelqu’un qui est en voyage et n’arrive pas à s’adapter et un état délirant entraînant des troubles du comportement sur la voie publique».
Sur la cinquantaine de «voyageurs pathologiques» qui sont hospitalisés chaque année à l’Hôtel-Dieu, à deux pas des principaux sites touristiques, la majorité ne sont d’ailleurs pas des Japonais mais des provinciaux, fait remarquer Youcef Mahmoudia:
«Il y a aussi des Italiens, des Belges, des Allemands… Seuls 3 à 5 % sont des Japonais.»
Ce phénomène ne semble en tout cas pas décourager les Japonais: 700.000 d’entre eux se sont rendus en France en 2010 et la plupart sont bien informés de la réalité parisienne avant le départ, et munis de plans de Paris mentionnant les quartiers dans lesquels Amélie Poulain n’irait jamais se perdre.
[FOLIES DE VOYAGE 2/5] Chaque année, quelques centaines de touristes craquent à l’étranger, incitant certains spécialistes à parler de «syndromes du voyageur» très contestés. Deuxième étape de notre cartographie de ce phénomène en Inde.
Touristes pris d’un étrange accès de folie face à un tableau de maître, routards en plein délire mystique sur les routes de l’Inde, Japonais qui dépriment à Paris, vagabonds se prenant pour le Messie à Jérusalem, Robinsons occidentaux échoués sur les plages de Tahiti… Quelques centaines de voyageurs «décompensent» chaque année à divers points du globe au cours de ce que les psychiatres appellent «voyages pathologiques», la grande majorité de ces touristes ou expatriés souffrant déjà d’un trouble psychiatrique avant leur départ. Certains spécialistes font eux l’hypothèse de l’existence d’un «syndrome du voyageur». Au-delà des définitions, une cartographie culturelle se dessine en pointillés, comme si «là où l’on allait» délirer dépendait aussi de «là d’où l’on venait». Tour du monde en cinq étapes.
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L’évocation de l’Inde fait jaillir une ribambelle de clichés hauts en couleur mêlant le merveilleux à l’affreux, des temples somptueux du Rajasthan aux bûchers de Bénarès, des énigmatiques sadous drapés d’orange aux lépreux endormis sur les trottoirs de Bombay. Dans l’imagerie occidentale, l’Inde est aussi associée aux hippies qui s’y installèrent à partir des années 1960, ce qui fait d’elle le décor idéal du voyage initiatique qu’entreprennent chaque année des milliers de jeunes à travers le monde.
Le psychiatre Régis Airault la compare au monde enchanté d’Alice au pays des merveilles ou de Peter Pan dans l’imaginaire des jeunes. Ils ont la vingtaine et c’est souvent leur premier grand trip. Et leur premier choc, à en voir les témoignages qui abondent sur les forums de voyage, évoquant «des regards intenses voire un peu effrayants», «une sensation d’insécurité permanente due à un manque de repères» ou encore «un mal-être devant la misère et le harcèlement perpétuel»…
Confrontés à la spiritualité qui imprègne le quotidien, à la foule et à la misère, de nombreux touristes sont victimes d’un choc culturel: ils sont angoissés, certains vont jusqu’à ne plus quitter leur chambre d’hôtel. L’écrivain anglais William Sutcliffe décrit ce choc d’une façon hilarante dans le roman Vacances indiennes, carnet d’anti-voyage initiatique d’un étudiant cynique, coincé en Inde en compagnie de backpackers en mal de spiritualité.
«Le syndrome peut toucher tout le monde»
Certains voyageurs seraient eux victimes du «syndrome indien», décrit par le psychiatre Régis Airault comme une «bouffée délirante avec des mécanismes interprétatifs, hallucinatoires, à thématique persécutive, mystique, qui apparaît après un séjour de quelques semaines». Les principales personnes concernées seraient des jeunes d’une vingtaine d’années.
Les histoires de touristes persuadés d’entendre la voix de Kali ou Shiva et qui jettent leurs billets dans la rue en faisant vœu de pauvreté sont légion dans les ambassades en Inde. Lorsqu’il travaillait au consulat de France à Bombay dans les années 1980, Airault a rencontré de nombreux illuminés du bord des routes de l’Inde et procédé à plusieurs rapatriements. Une expérience surprenante qu’il raconte dans un livre passionnant, Fous de l’Inde.
Comme la psychiatre italienne Graziella Magherini lorsqu’elle décrit le syndrome de Stendhal, il fait l’hypothèse que le voyage n’est pas pathologique mais pathogène, c’est-à-dire que le syndrome indien frappe des personnes qui n’ont pas d’antécédents psychiatriques. L’Inde rendrait donc fou. Une position contestée par de nombreux psychiatres qui considèrent que les pétages de plombs fréquemment observés chez les touristes circulant en Inde sont à imputer à des pathologies préexistantes ou à une fragilité psychologique favorable à l’éclosion d’un délire, ou encore, dans bien des cas, à la prise de drogues, comme à Goa ou Manali.
«Le syndrome indien peut toucher tout le monde, j’ai vu des gens qui ne prenaient pas de drogue et qui étaient délirants, qui avaient essayé de partir à la nage pour rentrer chez leurs parents», affirme Airault, qui a constaté que les troubles disparaissaient subitement dès que les gens étaient rentrés chez eux, dans leur culture d’origine. «Heureusement que les proches les avaient entendu hurler au téléphone, sinon on aurait pu croire que je me faisais payer un voyage aux frais de la princesse!»
«Des lieux où il est plus facile de « vaciller »»
Le psychiatre va plus loin en émettant l’hypothèse que «chaque culture semble désigner à ses membres des lieux où il est plus facile de « vaciller ». Pour les Occidentaux, c’est l’axe oriental, avec le grand tour en Italie, Jérusalem, les îles et enfin le syndrome indien, sur les traces de Marco Polo. Ce sera la France pour les Japonais, les pays du Nord pour d’autres ou les lieux chargés de mysticisme… »
Amoureuse de l’Inde, Claire Kaczynski, artiste, considère qu’elle n’est plus la même depuis son premier séjour là-bas, en 2007. Elle avait 26 ans:
«Je n’avais plus aucun repères, tout ce que je regardais était différent, les odeurs et les goûts aussi. Je n’étais jamais seule, il se passait toujours quelque chose autour de moi. L’absence d’hygiène m’a aussi rendu dingue car je n’arrivais plus à aller aux toilettes. J’étais saoulée, hypnotisée, je ne me rendais plus compte de la réalité, je me laissais aller».
De cette expérience traumatisante, elle a ramené un livre, Journal d’une parisienne à Jaïpur, qu’elle a commencé à écrire après que sa compagnie d’assurance a refusé de la rapatrier en France. Elle était alors effrayée par l’idée de devoir rester encore plusieurs semaines en Inde, jusqu’à la date de retour inscrite sur son billet:
«J’étais au bout du rouleau… Je pensais que j’allais mourir, alors j’ai écrit un journal au cas où ma famille retrouverait mon corps…»
Étrangement, comme Claire, qui est repartie en Inde six mois à peine après son retour en France, la plupart des voyageurs soumis à «l’épreuve de l’Inde» dont parle Airault n’ont qu’une idée en tête une fois rentrés chez eux: y retourner. Bien que leur voyage ait tourné au cauchemar, l’Inde ne semble pas à leurs yeux avoir perdu de sa force d’attraction.
Voir encore:
[FOLIES DE VOYAGE 5/5] Chaque année, quelques centaines de touristes craquent à l’étranger, incitant certains spécialistes à parler de «syndromes du voyageur» très contestés. Cinquième et dernière étape de notre cartographie de ce phénomène avec les crises observées sous les tropiques.
Touristes pris d’un étrange accès de folie face à un tableau de maître, routards en plein délire mystique sur les routes de l’Inde, Japonais qui dépriment à Paris, vagabonds se prenant pour le Messie à Jérusalem, Robinsons occidentaux échoués sur les plages de Tahiti… Quelques centaines de voyageurs «décompensent» chaque année à divers points du globe au cours de ce que les psychiatres appellent «voyages pathologiques», la grande majorité de ces touristes ou expatriés souffrant déjà d’un trouble psychiatrique avant leur départ. Certains spécialistes font eux l’hypothèse de l’existence d’un «syndrome du voyageur». Au-delà des définitions, une cartographie culturelle se dessine en pointillés, comme si «là où l’on allait» délirer dépendait aussi de «là d’où l’on venait». Tour du monde en cinq étapes.
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L‘île telle qu’on la voit représentée sur les dépliants touristiques, avec ses plages de sable blanc et ses eaux turquoises, est un mythe à elle seule. Dans l’imaginaire de ceux qui vivent sur un continent, elle est la destination de rêve par excellence, le symbole absolu du dépaysement. Ce «fantasme occidental» dont parle le psychiatre Régis Airault, qui a lui-même vécu plusieurs années sur une île, à Mayotte, convoque une imagerie assez naïve et désuète.
Dans une étude consacrée aux voyages pathologiques à Tahiti, co-écrite en 1993 par des psychiatres du Centre hospitalier de Polynésie française, trois mythes «qui sous-tendent les velléités des voyageurs en partance pour la Polynésie» ont été dégagés. Le mythe du Robinson, tout d’abord, concerne les «exilés volontaires à la recherche de l’île déserte, où ils pourront se retrouver et mesurer l’essentiel de leur être dans un grand face-à-face avec une nature vierge et rebelle».
Le mythe du bout du monde fait lui appel aux «lieux mystérieux et lointains, en général difficiles d’accès, qui apparaissent en communication par des canaux, plus ou moins mystérieux, avec les forces vives du cosmos, où se situent les restes de civilisations disparues, civilisations « mères » détentrices du grand secret». Les auteurs citent l’île de Pâques ou celle de Rapa en exemple.
Enfin, le mythe de la Nouvelle Cythère, «le plus connu et le plus galvaudé», notent les auteurs, s’inscrit lui dans la pensée rousseauiste: «C’est le mythe de « l’île de Félicité, où règne la volupté », chère à la pensée du XVIIIème siècle; celui du bon sauvage sans vice parce qu’innocent, et encore à l' »état de nature »: l’enfance de l’humanité.»
Distance kilométrique
Les auteurs donnent l’exemple d’un Belge en proie à un état délirant qui s’était rendu sur l’île de Rapa pour «redresser l’axe de la Terre» et «conduire le peuple d’Israël sur le continent Antarctique», puis d’un jeune métropolitain sans antécédents psychiatriques qui était venu à Tahiti pour y refaire sa vie, et qui, face à une «désillusion totale», avait sombré dans la dépression et fait une tentative de suicide. «Il s’agit d’un voyage non pathologique chez un sujet ayant développé par la suite une pathologie […] suite à la confrontation avec la réalité des antipodes», estime l’étude.
Pour autant, aucun terme spécifique n’a été établi à ce jour pour désigner les voyageurs en proie à un état délirant lors d’un séjour sur une île tropicale. Régis Airault parle ainsi à la fois de «syndrome des îles ou insulaire, d’Hawaï, de Tahiti, de la Réunion et de Mayotte».
Au Centre hospitalier de Polynésie française, «environ quatre ou cinq voyageurs ont été admis ces dernières années», estime Michel Mardina, infirmier psychiatrique. Tous avaient un profil semblable: des jeunes métropolitains âgés de 18 à 35 ans, présentant des troubles psychiatriques, instables sur le plan affectif et souvent sans emploi. «Il s’agit de gens qui sont en errance, qui débarquent avec un sac à dos et sont souvent en rupture de traitement», note l’infirmier. «Ils viennent sur un nom qui fait rêver, sur un mythe. Ils se disent: « Pourquoi pas essayer de recommencer ailleurs? » Ils espèrent mettre une aussi grande distance entre eux et leurs problèmes que la distance kilométrique qu’il y a entre la métropole et Tahiti.»
Absence d’échappatoire
Des rêves de vie facile et d’abondance plein la tête, ces jeunes routards sont vite confrontés à la réalité à leur arrivée: un marché de l’emploi saturé et un coût de la vie très élevé. «La pathologie refait alors surface parce qu’ils ne trouvent pas ce qu’ils cherchaient. Ils décompensent et arrivent à l’hôpital en état de crise, sur un mode qui ressemble à une bouffée délirante», poursuit l’infirmier.
Déprime et sentiment de solitude attendraient aussi souvent au tournant les métropolitains sans antécédents psychiatriques qui plaquent tout pour aller vivre au soleil, dans les Dom-Tom. «Si l’on devait identifier un syndrome insulaire, ce serait plutôt un syndrome dépressif réactionnel à l’isolement, le sentiment d’absence d’échappatoire, d’étouffement communautaire, d’impossibilité de communiquer», estime à Tahiti le psychiatre Stéphane Amadeo, co-auteur de l’étude précitée. Les forums de métropolitains expatriés sous les tropiques évoquent souvent ce spleen, et il existe même un guide pratique destiné à ceux qui partent s’installer aux Antilles. Là encore, la carte postale s’avère trompeuse.
«Des pétages de plombs, on en a partout»
Au terme de ce voyage dans les folies touristiques, de l’Italie à l’Inde en passant par la France et Israël, une question demeure: sommes-nous donc prédisposés à décompenser dans certains endroits plus qu’ailleurs? Dans des lieux chargés d’histoire, de spiritualité ou tout simplement idéalisés quand on les contemple de loin, depuis chez soi? La communauté psychiatrique est divisée à ce sujet et peu de travaux actuels tentent de l’aborder d’un point de vue global.
La classification de «syndrome du voyageur» n’est d’ailleurs pas utilisée aujourd’hui chez les assureurs. Catherine Port-Arondelle, directrice médicale adjointe chez Mondial Assistance, utilise les termes d’«épisodes délirants» pour désigner les voyageurs qui sont rapatriés après avoir craqué lors d’un séjour à l’étranger:
«C’est très difficile de poser l’étiquette de « syndrome du voyageur », on ne le reconnaît pas de façon formelle. Des pétages de plombs, on en a partout, dans le monde entier. On en a eu dernièrement en Chine, au Maroc et en Turquie. Il y a des gens qui, dans un contexte hors habitudes, peuvent déclencher un épisode délirant.»
L’utilisation du terme de syndrome est considérée comme abusive par de nombreux psychiatres, et son rattachement à des lieux spécifiques fait craindre une surenchère de son emploi. Comme le dit avec humour Youcef Mahmoudia, psychiatre à l’Hôtel-Dieu:
«Au rythme où l’on va, toutes les capitales auront bientôt leur syndrome. Pourquoi pas le syndrome de Ouagadougou?»
Voir par ailleurs:
American tourists suffered same strange symptoms as diplomats after visiting Cuba
Almost two dozen Americans who traveled to Cuba have reported experiencing similar symptoms to those suffered by US diplomats serving at the American Embassy.
“Since September 29, the Department of State has been contacted by 19 US citizens who reported experiencing symptoms similar to those listed in the Travel Warning after visiting Cuba,” a spokesperson for the State Department’s Bureau of Western Hemisphere Affairs told the Miami Herald via email.
At least 24 US Embassy officials in Cuba had reported hearing loud, grating noises before experiencing ear issues, hearing loss, dizziness, headache, fatigue, cognitive issues and difficulty sleeping.
Doctors reportedly discovered the diplomats suffered from brain abnormalities, as the white matter in their brains had “developed changes.”
The US has stood by their allegations that Cuba in some way deliberately attacked the American officials — which Cuba has adamantly denied — and earlier this month raised the possibility that a virus was deployed intentionally to infect workers.
Voir aussi:
Nineteen American citizens have reported symptoms similar to those suffered by U.S. diplomats who had been identified as victims of alleged attacks in Cuba.
“Since September 29, the Department of State has been contacted by 19 U.S. citizens who reported experiencing symptoms similar to those listed in the Travel Warning after visiting Cuba,” a spokesperson for the State Department’s Bureau of Western Hemisphere Affairs told the Miami Herald in an email.
“We continue to urge U.S. citizens to reconsider travel to Cuba,” she added.
In late September, the State Department issued a travel warning advising Americans not to travel to Cuba because they could become victims of mysterious attacks such as those suffered by 24 diplomats and their families while they were stationed in Havana. The U.S. also removed most of the staff at its embassy in the Cuban capital.
Among the symptoms described in the travel warning are: “ear complaints and hearing loss, dizziness, headache, fatigue, cognitive issues, and difficulty sleeping.”
In January, the State Department changed the wording and currently recommends “reconsidering” traveling to Cuba. However, officials stressed that the situation on the island had not changed, nor their message to American travelers. The list of possible symptoms remained unchanged in the new travel advisory.
“Because our personnel’s safety is at risk, and we are unable to identify the source of the attacks, we believe U.S. citizens may also be at risk,” the latest advisory says. “Attacks have occurred in U.S. diplomatic residences and at Hotel Nacional and Hotel Capri in Havana.”
Voir enfin:
Michael Weissenstein
AP News
Jan. 06, 2018
HAVANA (AP) — Republican Sen. Jeff Flake says the U.S. has found no evidence that American diplomats in Havana were the victims of attacks with an unknown weapon.
Flake, a Senae Foreign Relations Committee member and a longtime leading advocate of detente with Cuba, met Friday with high-ranking Cuban officials including Foreign Minister Bruno Rodriguez and officials from the Interior Ministry, which oversees domestic security and works with foreign law-enforcement agencies.
The Cubans told Flake the FBI has told them that, after four trips to Cuba, its agents have found no evidence that mysterious illnesses suffered by U.S. diplomats were the result of attacks.
Flake told The Associated Press on Saturday morning that classified briefings from U.S. officials have left him with no reason to doubt the Cuban account, although he declined to discuss the contents of those briefings.
Cuban and FBI officials did not immediately respond to requests for comment on Saturday.
Washington says 24 U.S. government officials and spouses fell ill in Havana in their homes and some hotels starting in 2016.
Secretary of State Rex Tillerson has said he’s “convinced these were targeted attacks,” but the U.S. doesn’t know who’s behind them. The U.S. has withdrawn most of its diplomats from Havana, citing a health risk, and forced many Cuban diplomats to leave Washington.
Cuba has decried the reductions as an unjustified blow to U.S.-Cuban relations that were restored under President Barack Obama.
“The Cuban Interior Ministry is saying the FBI has told them there is no evidence of a sonic attack, even though that term is being used, attack, there is no evidence of it,” Flake told the AP. “There’s no evidence that somebody purposefully tried to harm somebody. Nobody is saying that these people didn’t experience some event, but there’s no evidence that that was a deliberate attack by somebody, either the Cubans or anybody else.
“As I said, I won’t talk about what I have seen in a classified setting, but nothing is inconsistent with what the Cubans have said, and I think the FBI would say that.”
Flake, one of President Donald Trump’s toughest Republican critics, announced last year that he would not seek re-election as Senator from Arizona. He has not ruled out running against Trump in 2020.
Several of the 24 U.S. diplomats and spouses reported hearing loud, mysterious sounds followed by hearing loss and ear-ringing, leading some U.S. officials to describe the incidents as “sonic attacks.” But officials are now carefully avoiding that m.
Medical testing has revealed that some embassy workers had apparent abnormalities in their white matter tracts that let different parts of the brain communicate, several U.S. officials said, and acoustic waves have never been shown to alter those tracts
Cuba’s defenders have argued the US can’t be certain anyone was harmed intentionally because no proof has been publicly presented.
It was earlier reported that officials believed the Americans were the victims of “sonic attacks,” but an FBI report, revealed by The Associated Press, said the US has found no evidence that sonic waves were used to harm Americans in Havana.
The State Department’s latest Cuba travel advisory is at a “level 3,” which advises US citizens to avoid traveling to the Caribbean nation “due to serious risks to safety and security.”
The Associated Press contributed to this report.