Génocide rwandais: Attention, un déni peut en cacher un autre! (Will France ever come clean about its part in Rwanda’s 1994 genocide ?)

3 février, 2013

On nous dit qu’au Rwanda, la France aurait commis une “faute politique”. C’est trop ou trop peu. De quelle faute s’agit-il? Il faut l’expliquer! Aurions-nous, par exemple, pris systématiquement le parti d’un camp contre l’autre, des Hutus contre les Tutsis? C’est une contre-vérité. Pendant la période où j’ai conduit la diplomatie française (d’avril 1993 à mai 1995), nous avons fait tous les efforts possibles pour aider à la réconciliation des Rwandais. (…) l’opération Turquoise (…) a parfaitement accompli la mission qui lui avait été assignée, dans les conditions de temps et de lieu prévues. La présence de l’armée française a permis de sauver des dizaines de milliers de vie et d’arrêter le flux de plusieurs millions de personnes qui fuyaient vers le Zaïre voisin (devenu République Démocratique du Congo). Son intervention est à l’honneur de la France. Dès lors, de quelle faute nous parle-t-on? (…) La diplomatie française ne devrait pas s’écarter de la voie de la vérité et de la dignité. Alain Juppé (27.04.08)
Je ne comprends plus (…) de voir les autorités israéliennes, apparemment soutenues par l’immense majorité de leurs citoyens, se fourvoyer à ce point. Où donc l’attaque sauvage qu’elles mènent contre Gaza peut-elle les mener? Il y a d’abord la morale. Les écoles de l’ONU ou les convois humanitaires constituent-ils des objectifs militaires? Et que répondre aux responsables du Comité International de la Croix-Rouge (CICR) quand ils déclarent: “L’armée israélienne n’a pas respecté ses obligations requises par le droit international humanitaire. Le retard dans l’autorisation d’accès aux services de secours est intolérable.” Les images qui nous montrent des enfants blessés, des enfants morts ne sont pas des montages médiatiques! (…) L’isolement dans lequel Israël risque de s’enfermer est suicidaire. Le conseil de sécurité des Nations Unies vient d’adopter à l’unanimité, à l’exception des Etats-Unis qui n’ont pas voté contre mais se sont abstenus, la résolution 1860 qui demande un cessez le feu immédiat. Ce devrait être le signal, pour le gouvernement israélien, que maintenant, c’est assez. Alain Juppé
Les Israéliens se sont surarmés et en faisant cela, ils font la même faute que les Américains, celle de ne pas avoir compris les leçons de la deuxième guerre mondiale, car il n’y a jamais rien de bon à attendre d’une guerre. Et la force peut détruire, elle ne peut jamais rien construire, surtout pas la paix. Le fait d’être ivre de puissance et d’être seul à l’avoir, si vous n’êtes pas très cultivé, enfant d’une longue histoire et grande pratique, vous allez toujours croire que vous pouvez imposer votre vision. Israël vit encore cette illusion, les Israéliens sont probablement dans la période où ils sont en train de comprendre leurs limites. C’était Sharon le premier général qui s’est retiré de la bande de Gaza car il ne pouvait plus la tenir. Nous défendons absolument le droit à l’existence d’Israël et à sa sécurité, mais nous ne défendons pas son droit à se conduire en puissance occupante, cynique et brutale … Michel Rocard (Al Ahram, 2006)
C’est une stratégie de communication à l’américaine qui a été choisise. l’armée s’applique à tout contrôler. il fallait éviter un décompte macabre des morts djihadistes, comme ce fut ler cas à Gaza au moment de l’opéraion osraéelienne. Conseiller de l’Elysée (en privé, « Mali: une communication blindée », Le Canard enchainé, 30.01.13)
Il faut ouvrir les ventres de ces Tutsis que vous tuez pour qu’ils coulent et que les satellites ne les voient pas. Soldats français au Rwanda lors du génocide (cité par Andrew Wallis)
Nous livrons des munitions aux FAR en passant par Goma. Mais bien sûr nous le démentirons si vous me citez dans la presse. Philippe Jehanne (correspondant de la DGSE, à l’historien Gérard Prunier, en plein génocide rwandais, le 19 mai 1994)
On avait ordre de ne pas bouger, de ne rien faire, surtout pas bouger, rien faire. (…) Les gens nous parlaient d’une vallée, Bisesero, où il y aurait des Tutsis armés jusqu’aux dents. Un jour, on a désobéi (…) aux ordres de notre propre chef (…) le commandant Marin Gillier. Il nous avait interdit d’aller là-bas.» En allant à Bisesero, «on a découvert le pot aux roses : c’est une vallée où 10 000 victimes avaient été tuées. Il en restait 800 dans un état lamentable. Là on s’est rendu compte que c’était pas du tout les Tutsis qui tuaient les Hutus, c’étaient les Hutus qui tuaient les Tutsis, qui les massacraient carrément , tous les jours. Adjudant Thierry Prungnaud (ancien gendarme du GIGN, France Culture, le 22 avril 2005)
Monsieur,… la situation dans mon pays devient de plus en plus critique… Vu l’évolution actuelle du conflit, je vous confirme mon accord pour recruter, pour le gouvernement rwandais, 1000 hommes devant combattre aux côtés des Forces Armées Rwandaises. Augustin Bizimana (ministre de la Défense rwandais, lettre « au Capitaine Paul Barril », 27 avril 1994)
L’implication française est beaucoup plus terrible encore puisqu’elle a été un soutien logistique à l’armée d’Habyarimana. Il semble que même après le début du génocide, l’armée française – ou au moins une partie parce que ce n’est pas sûr que cela ait été décidé en haut lieu – ait continué à fournir des armes aux tueurs. (…) L’armée française a également installé la « zone turquoise ». C’était une décision politique prise dans les bureaux de François Mitterrand. Cette zone a été instaurée dans la région ouest du pays pour permettre pendant deux mois, mi-juin jusqu’à mi-août, à la communauté hutue de s’échapper et donc de protéger en son sein – toute la communauté n’était pas meurtrière – des génocidaires qui s’y cachaient. Jean Hatzfeld

Combien de temps la France pourra-t-elle encore nier la réalité de son soutien aux génocidaires rwandais il y a bientôt 20 ans?

Contrat d’assistance daté, demande signée du ministre de la Défense rwandais de centaines de mercenaires (1000), factures d’hommes, d’armes et de munitions (cartouches, obus, mortiers, grenades… pour plus de 3 millions de dollars), faux certificats de décès, fausse boîte noire, faux missiles, faux témoins, juge aux ordres

Alors qu’aux Etats-Unis, le plus rapide prix Nobel de la paix de l’histoire qui a éliminé plus de terroristes en quatre ans que n’en a incarcéré la prison toujours ouverte de Guantanamo et laissé mourir le premier ambassadeur américain en 33 ans nous sort, après sa larme du massacre de Newton et avec l’étrange indulgence de sa classe médiatique, une photo de sa prétendue longue pratique du tir aux pigeons

Pendant que, devant les menaces vides du Leader-de-derrière de Washington, Israël est bien obligé de prendre les choses en main face aux tentatives de transport d’armes de la Syrie vers le Hezbollah …

Et que, poussé par la nécessité et certes le manque de lucidité de ses prédécesseurs en Libye, un nouveau gouvernement socialiste toujours incapable de transporter ou renseigner ses troupes et qui n’a toujours pas pris la mesure de la catastrophe qui se prépare sur son propre territoire joue pour une énième fois les sauveurs de l’Afrique …

Lui aussi avec la bénédiction peu regardante d’une claque médiatique si prompte d’habitude  à dénoncer les bavures des autres, en profite, entre deux hochets au Marais et demain à Barbès, pour se refaire une santé sondagière …

Qui (merci yms), après bientôt deux décennies d’enfumage dont notamment la fausse attribution aux Toutsis de l’attentat contre l’avion du président rwandais ayant servi de déclencheur au génocide, aura le courage de reprendre les informations accablantes que vient de sortir tant Libération que Le Parisien suite aux nouvelles perquisitions au domicile de l’ancien patron du GIGN et maitre ès coups tordus de la Mitterrandie depuis recyclé dans le conseil aux financiers du jihad ?

Exclusif.

Rwanda : des pièces accablantes pour la France

Des documents saisis chez le capitaine Paul Barril apportent de nouvelles preuves sur le rôle de la France dans le génocide tutsi, en1994,auRwanda.

Le Parisien

Elisabeth Fleury (avec N.J.)

24.01.2013

C’est une lettre de quelques lignes, tapée à la machine. Signée par Augustin Bizimana, le ministre de la Défense rwandais, elle est adressée « au Capitaine Paul Barril ». « Monsieur,… la situation dans mon pays devient de plus en plus critique… Vu l’évolution actuelle du conflit, je vous confirme mon accord pour recruter, pour le gouvernement rwandais, 1000 hommes devant combattre aux côtés des Forces Armées Rwandaises.

» La missive insiste sur « l’urgence » de la requête. Elle est datée du 27 avril 1994.

A cette date, le génocide rwandais a commencé depuis trois semaines. Depuis que, le 6 avril, l’avion du président Juvénal Habyarimana a été abattu. Les Hutus, accusant les Tutsis du Front patriotique rwandais (FPR) d’avoir commis l’attentat, lancent un effroyable génocide. Hommes, femmes, vieillards, enfants : en quatre mois, essentiellement à coups de machette, ils massacrent 800000 Tutsis (évaluation de l’ONU).

3M$ de factures d’armes, de munitions et d’hommes

Quatre ans après l’attentat contre le président rwandais, une enquête est ouverte en France pour déterminer qui a abattu l’aéronef. Très rapidement, en dépit des très nombreuses contradictions et insuffisances de ses investigations, le juge Bruguière accuse le FPR.

Mais, depuis que son successeur Marc Trévidic a repris le dossier, les cartes ont été entièrement rebattues. Le rôle des autorités françaises dans le génocide apparaît particulièrement ambigu. A ce titre, la lettre au capitaine Barril, récemment versée au dossier et dont nous nous sommes procuré la copie, est saisissante.

Lorsqu’il est sollicité par le ministre de la Défense rwandais, le capitaine Barril n’est pas n’importe qui. « Paul Barril, à cette époque, c’est la France, résume une source judiciaire. Faire appel à lui, c’est faire appel à la France. » Ancien patron du GIGN, cela fait déjà plusieurs années que, avec sa société Secrets, Barril travaille dans l’ombre, à la demande de François de Grossouvre (un conseiller de Mitterrand), pour le gouvernement rwandais. Officiellement, Barril est d’abord chargé d’« une mission d’infiltration » au service du gouvernement rwandais, avant d’être sollicité par la veuve Habyarimana pour enquêter sur les auteurs de l’attentat. Officieusement, son rôle est nettement plus discutable.

L’été dernier, à la demande du juge Trévidic, une série de perquisitions menées chez Barril et auprès de son entourage ont permis de mettre la main sur des documents accablants. Outre la demande de 1000 mercenaires, les enquêteurs ont récupéré des factures d’armes, de munitions et d’hommes, liées à « un contrat d’assistance » passé entre Barril et le gouvernement rwandais et daté du 28 mai 1994. Cartouches, obus, mortiers, grenades… le montant global dépasse les 3 M$. Le 20 décembre dernier, le juge Trévidic interroge le capitaine Barril sur ces documents. Le contrat d’assistance? « Cela n’a jamais existé », prétend l’intéressé. Les factures? « Cela ne s’est jamais fait. » Paul Barril, qui se présente désormais comme conseiller auprès des autorités qatariennes, a une expression pour résumer tout cela : « C’est de la mayonnaise africaine. » Une mayonnaise de près d’un million de morts.

Voir aussi:

Rwanda : trois fantômes et un mystère

Enquête Le faux certificat de décès d’un gendarme français mort en avril 1994 à Kigali après l’attentat contre l’avion du président Habyarimana renforce les doutes sur le rôle de Paris.

Maria Malagardis

Libération

9 janvier 2013

En enquêtant sur l’attentat contre l’avion du président rwandais Juvénal Habyarimana, le juge parisien Marc Trévidic a peut-être ressuscité trois fantômes : ceux de trois Français, décédés dans des circonstances étranges, peu après cet attentat mystérieux. Alain Didot, gendarme, sa femme Gilda, et René Maier, lui aussi gendarme, sont retrouvés morts dans la villa des deux premiers à Kigali, les 12 et 13 avril 1994. Leurs corps sont rapatriés en France, via Bangui en Centrafrique.

Or, Libération est en mesure d’affirmer que le certificat de décès d’au moins une de ses trois victimes françaises est un faux. Pour quelle raison rédiger un faux en écriture ? A l’issue d’une audition qui s’est révélée capitale, le juge l’aurait découvert presque par hasard. Dans un compte rendu, reprenant l’essentiel du procès-verbal et que Libération a pu consulter à Kigali, le juge Trévidic aurait jugé ces faits «gravissimes» et de nature à réorienter sa propre enquête sur l’attentat, en s’interrogeant sur l’attitude de Paris lors de ce moment clé de l’histoire du pays, basculant aussitôt après l’attentat dans un génocide.

Le faux certificat porte la signature du docteur Michel Thomas qui, à cette époque, était effectivement basé à Bangui, devenue la plaque tournante des évacuations du Rwanda en avril 1994. Entendu fin mai par le juge parisien, l’ancien médecin militaire a été catégorique : il n’a jamais établi ce document qui évoque non pas René, mais «Jean» Maier. Bien plus, il aurait relevé plusieurs anomalies. Il ne disposait pas du tampon officiel qui figure sur le certificat et établissait toujours ses actes de façon manuscrite (contrairement au faux présenté, tapé à la machine ou à l’ordinateur). Le médecin aurait également émis des doutes sur la conclusion générale de ce curieux certificat qui évoque un décès «accidentel», causé par des «balles d’arme à feu», sans détailler ou localiser le nombre d’impacts.

«Chagrin». L’audition du docteur Thomas jette ainsi un trouble singulier sur le rôle joué par la France au moment de l’attentat. Car il est évident qu’un faux certificat de «genre de mort» concernant un militaire français n’a pu être établi sans l’aval de certains responsables à Paris. Or, ce curieux maquillage s’est accompagné à l’époque d’une volonté de faire taire les familles des victimes. Gaëtan Lana, le frère de Gilda Didot, s’en souvient encore : «Quelque temps après l’enterrement, un haut gradé est venu trouver mes parents et leur a fait signer un papier dans lequel ils s’engageaient à ne jamais entamer d’enquête sur la mort de ma sœur. A l’époque, mes parents étaient dévastés par le chagrin, ils ont signé.» Une injonction au silence qui rappelle la situation vécue par les familles françaises de l’équipage de l’avion du président Habyarimana. Me Laurent Curt, avocat de la veuve du pilote, a raconté comment sa cliente avait été «encouragée à ne pas porter plainte» au lendemain de l’attentat. Il faudra donc attendre quatre ans, en 1998, pour qu’une instruction soit ouverte, très opportunément au moment où se constitue la mission d’information parlementaire sur le rôle de la France au Rwanda. Pourquoi une telle chape de plomb ? Qu’est-ce que Paris veut cacher dans ce drame ? Et en quoi Didot et Maier peuvent-ils être concernés ou impliqués dans la tragédie rwandaise ?

Arrivé au Rwanda en 1992, l’adjudant-chef Alain Didot était conseiller technique chargé des transmissions radio : il formait l’armée rwandaise et assurait la maintenance des différents réseaux radio, de l’ambassade de France, en passant par la mission de coopération française, jusqu’à l’armée rwandaise. Il avait installé à son domicile tout un équipement qui lui permettait de suivre un large éventail de conversations. Aurait-il surpris des discussions qu’il n’aurait pas dû entendre ? Notamment entre le 6 avril, jour de l’attentat, et le 8, date de son décès supposé ? Ce n’est qu’une hypothèse. René Maier, lui, débarque au Rwanda en septembre 1993. Apparemment, il est envoyé comme conseiller technique de police judiciaire. Mais il semble s’être beaucoup occupé de transmission radio. C’est ce que laisse entendre le supérieur des deux hommes, le colonel Bernard Cussac, alors chef de la mission de coopération militaire, qui désignera Didot et Maier, comme «des transmetteurs» devant la mission d’information parlementaire.

C’est aussi ce que soutient le capitaine Zacharie Maboyi, rencontré à Kigali il y a un mois : en 1994, cet officier était incorporé aux Forces armées rwandaises et suivait des cours de transmissions radio. Il connaissait bien Didot et Maier, et affirme que les deux hommes étaient tous deux chargés des transmissions. D’après Maboyi, ils étaient également en contact régulier avec l’état-major rwandais, et même avec le colonel Theoneste Bagosora, un officier à la retraite qui sera par la suite considéré comme «le cerveau du génocide».

Que savaient-ils ? Que soupçonnaient-ils lorsque l’avion du Président est abattu, le 6 avril au soir ? Didot et sa femme sont alors chez eux, non loin de l’Assemblée nationale, le CND, où sont cantonnés les rebelles du Front patriotique rwandais (FPR) depuis la signature des accords de paix en 1993. Comme les rebelles sont immédiatement accusés d’être responsables de l’attentat par la radio officielle, le quartier est rapidement sous tension. Officiellement, René Maier quitte vite son domicile, situé dans un camp de gendarmerie tout proche, pour rejoindre les Didot et assurer «la veille radio». Mais en réalité, personne n’a certifié avoir vu Maier chez les Didot. A partir de là, tout est flou. Longtemps a prévalu la thèse d’une «bavure» du FPR, qui aurait tué les Didot et Maier en les prenant pour des espions. Mais, dans ce cas, pourquoi Paris aurait-il empêché l’enquête ? Pourquoi aurait-on établi de faux certificats de décès ? La France n’était pas l’alliée du FPR, bien au contraire. Deux jours après l’attentat, la zone est encore sous le contrôle des Forces régulières rwandaise. Tôt le matin ce 8 avril, Alain Didot appelle les parents de sa femme. «Ils ont trouvé sa voix bizarre, tendue. Et derrière lui, mes parents ont clairement entendu une voix d’homme qui répétait : « raccroche, raccroche »», se souvient Gaëtan Lana, le frère de Gilda. Didot est donc vivant le 8 au matin. Pourtant, les trois premiers certificats de décès, dont le faux concernant Maier, sont datés du 6 avril, donc du jour de l’attentat. Gaëtan Lana se souvient que, quelques mois plus tard, ses parents ont soudain reçu un nouvel «acte de décès», annoté de manière manuscrite par le procureur de Nantes, qui mentionnait un changement de date. En réalité, pendant plusieurs années, des responsables français vont, eux aussi, donner des dates différentes, entretenant cette étrange confusion. Officiellement, le décès des trois Français n’est signalé que le 10 avril, lorsque les Casques bleus belges de la Mission de l’ONU pour l’assistance au Rwanda, la Minuar, sont sollicités pour aller récupérer les corps.

«Gêne française». C’est le major belge Jean Théry, un médecin militaire, qui est chargé de l’opération. Dans des conditions difficiles, car la villa des Didot se situe alors sur la ligne de front entre FPR et armée rwandaise. Il devra se rendre à trois reprises au domicile des Didot, entre le 11 et le 13 avril, avant de trouver les corps sommairement enterrés. A chaque fois, il y retourne «sur l’insistance des Français». «On m’a suggéré de regarder aussi dans le jardin», se rappelle-t-il. Il y trouvera effectivement les corps. Mais qui est ce «on» si perspicace ? «Je ne me souviens plus, ça fait près de vingt ans ! Peut-être ce colonel français avec qui nous étions en contact ?» suggère Théry. Après tant d’années, il garde surtout l’impression vague d’une «gêne française» sur «cette drôle d’affaire, pas très claire».

Une impression partagée par les familles des trois victimes. Hier, Gaëtan Lana a retrouvé pour Libération le premier certificat de décès de sa sœur : également signé par le docteur Michel Thomas. Un faux de plus ? Ce document-là n’a pas été présenté au médecin par le juge. Dans un dossier qui, depuis l’ouverture de l’instruction en 1998, a vu se multiplier les usages de faux – fausse boîte noire, faux missiles, faux témoins -, ces certificats de décès ne sont peut-être qu’une manipulation de plus. Mais aussi certainement un nouvel indice qui pointe vers Paris pour comprendre ce qui s’est passé dans le ciel du Rwanda, ce 6 avril 1994, vers 20 h 30. A la veille d’un génocide.

Voir également:

Rwanda, le rapport qui met fin à des années de flou

Tanguy Berthemet

10/01/2012

Selon la justice française, des extrémistes hutus ont abattu l’avion présidentiel en 1994.

Le rapport des experts de plusieurs centaines de pages sur les circonstances de l’attentat contre l’avion du président rwandais Juvénal Habyarimana lève le voile sur un mystère vieux de dix-sept ans. Le récit, commandé par les juges français Marc Trévédic et Nathalie Poux et dévoilé mardi aux parties civiles, conclut que l’appareil a été abattu par deux missiles tirés depuis la colline de Kanombé, où se trouvait un camp militaire. «Cela met fin à des années de manipulations et de mensonges», s’est félicité Me Bernard Maingain, l’un des avocats de l’un des proches de l’actuel chef d’État rwandais, Paul Kagame, mis en examen.

Le camp de Kanombé étant alors un site aux mains de la garde présidentielle, cela désigne presque à coup sûr les extrémistes hutus comme les responsables de l’attentat. L’établissement des responsabilités est d’autant plus important que la mort du président rwandais le 6 avril 1994 fut le point de départ du génocide rwandais. En moins de cent jours, plus de 800.000 Tutsis et opposants hutus furent massacrés. Par une extrapolation, les mystérieux auteurs de l’attentat ont fini par endosser le rôle de premiers responsables des tueries.

Depuis ce 6 avril, deux théories s’étaient toujours affrontées autour de ce crime jamais revendiqué. Selon la première, les assassins seraient issus des rangs hutus et le crime le point de départ d’un complot plus vaste visant à mener un coup d’État et à résoudre dans le sang le «problème tutsi». La seconde faisait des hommes du Front patriotique rwandais (FPR), les rebelles majoritairement tutsis en guerre ouverte depuis quatre ans contre le régime d’Habyarimana, les responsables de l’attentat. C’est cette hypothèse qu’avait retenue le juge Jean-Louis Bruguière lors d’une première enquête très controversée diligentée par la justice française en 2006. Il avait ensuite émis six mandats d’arrêt contre des hauts cadres du FPR d’alors, le parti au pouvoir au Rwanda depuis 1994. Cette décision avait provoqué la rupture des relations diplomatiques entre Paris et Kigali. Des relations péniblement rétablies il y a deux ans.

Recours à la science

Le nouveau rapport du collège de spécialistes, voulu par les successeurs du juge Bruguière, prend totalement le contre-pied de cette idée et permet de voir plus clair dans un dossier hautement sensible qui brouille l’image de la France depuis près de deux décennies dans toute l’Afrique. Jusqu’à présent, les certitudes concernant cette attaque étaient rares. Tout juste pouvait-on affirmer que le Falcon 50, prêté par la France et piloté par un équipage français, était en approche de Kigali, la capitale rwandaise, peu après 20h30 quand il fut touché par un projectile avant de s’écraser dans le jardin du palais présidentiel.

Les magistrats, en raison du temps écoulé, ont choisi d’avoir recours à la science pour étayer leur conviction. Les experts réunis par Marc Trévidic, notamment des spécialistes en balistique, en crash aériens ainsi que des géomètres et un acousticien, ont enquêté pendant une semaine au Rwanda en 2010. Selon eux, les missiles tirés seraient des Sa-16, de fabrication russe qui ont touché l’appareil sous l’aile gauche, non loin des réservoirs. L’impact a mis immédiatement le feu au Falcon. Les techniciens en balistique qui ont étudié les trajectoires possibles ont écarté toutes les possibilités sauf deux, toutes depuis le camp de Kanombé. L’acousticien a lui aussi eu un rôle prépondérant. Il a étudié l’entourage et la diffusion des sons sur le site pour affiner deux témoignages. Le premier est celui, bien connu, du Dr Massimo Parush, un médecin militaire belge qui dit avoir entendu ce soir-là un bruit de souffle et vu une traînée orange. Le second provient d’un militaire français, le colonel de Saint-Quentin. Cet officier, qui logeait lui-même dans le camp de Kanombé, a toujours dit avoir clairement entendu les départs des tirs. Or, selon l’expert, la ferme de Massaka, l’autre site évoqué pour organiser l’attentat est trop loin pour que le son ait été aussi clair aux oreilles du colonel.

Les autorités rwandaises n’ont pas caché mardi leur satisfaction. «Les résultats présentés aujourd’hui constituent la confirmation de la position tenue de longue date par le Rwanda sur les circonstances qui entourent les événements du mois d’avril 1994», s’est félicitée la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo.

Voir encore:

Rwanda, le déni français

Ce soir sur France 2 | Une vingtaine de responsables présumés du génocide de 1994 vivraient dans l’Hexagone en toute impunité. Malgré les plaintes, la justice reste sourde. Un documentaire implacable, “Génocide du Rwanda, des tueurs parmi nous ?”, est diffusé ce mardi soir 28 juin sur France 2.

Sophie Rostain

Télérama n° 3206

Le 25/06/2011

Parrain de la drogue, roi de la cambriole, génocidaires… ils ont tous un point commun : avoir été – ou être encore – parmi les criminels les plus recherchés de leur époque. C’est ainsi que Pablo Escobar, Albert Spaggiari, Ratko Mladic ont eu, lors de précédents numéros, les honneurs de La grande traque, sur France 2. La série produite par Tony Comiti a été rattrapée par l’actualité. Programmé une première fois le 31 mai 2011, le volet sur les génocidaires rwandais toujours en liberté, diffusé mardi 28 juin, avait été remplacé par le documentaire consacré à Mladic, arrêté le 26 mai pour être jugé par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie.

Pour bâtir son enquête, le journaliste Manolo d’Arthuys s’appuie sur le travail d’Alain Gauthier qui, depuis 2001, anime, avec sa femme, ­Dafroza, dont la famille fut ­décimée, le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR). Il se souvient de son arrivée à Kigali, en novembre 2009, du choc ressenti : « Quand on parcourt ce pays, tout petit, du nord au sud, on marche partout sur des corps. Il reste de nombreux charniers qui n’ont pas été mis au jour. Le génocide est omniprésent. » Partout des stèles, des mémoriaux avec des ossuaires… pour ne pas oublier ces trois mois de 1994 qui virent l’éradication de huit cent mille Tutsi et le massacre des Hutu opposants au régime de Habyarimana. Une extermination ethnique préparée de longue date par l’entourage extrémiste hutu du président.

Dix-sept ans plus tard, nombre de tueurs ont été condamnés par les tribunaux rwandais, par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), installé à Arusha (Tanzanie), et par les tribunaux belges qui n’ont pas hésité à poursuivre les géno­cidaires réfugiés sur leur territoire. Mais le travail de la justice n’est pas fini. Le 23 mai 2011, le TPIR a commencé les auditions préalables à l’éventuel procès de Félicien Kabuga, l’argentier des Hutu, qui vivrait au Kenya. Comme lui, d’autres organisateurs du génocide vivent libres en Afrique ou en Europe.

Plaintes déposées

Le CPCR a porté plainte contre une vingtaine de responsables présumés exilés en France. L’enquête de Manolo d’Arthuys se concentre sur ces derniers : Agathe Habyarimana, veuve de l’ancien président, le Dr Charles Twagira, aujourd’hui médecin au CHU de Rouen, et l’ex-colonel Marcel Bivugabagabo, reconverti dans la sécurité privée. Les plaintes ont été déposées, mais la justice française n’a jusqu’à présent pas donné suite. Non que les témoignages manquent, comme le rappelle le film, construit en partie autour de la parole des victimes ou de leurs familles. Florence était la voisine des Habyarimana et l’amie d’Agathe : « Le dimanche, on allait à la messe, elle était très croyante mais aussi très machiavélique », raconte dans La grande traque celle qui n’a pas oublié l’arrivée, le 6 avril 1994, des gardes présidentiels, les coups de machette, ni les corps jetés aux cochons.

Et pour la première fois, face à la caméra, la veuve du président Habyarimana – qui a déposé un référé pour interdire la diffusion du documentaire mais a été déboutée de sa demande – répond à ces accusations, persistant dans sa version : cloîtrée dans sa maison, elle n’a rien vu, rien entendu, et a quitté le Rwanda le 9 avril 1994 pour la France où l’attendaient un bouquet de fleurs et l’équivalent de 30 000 euros, cadeaux du gouvernement français. « Les autres maillons de la machine hutu que j’ai rencontrés étaient dans le même déni, commente Manolo d’Arthuys. Comme si on leur avait fourni des éléments de langage pour le cas où ils devraient répondre aux questions des journalistes… » Nieront-ils avec le même cynisme le jour où la justice française se décidera enfin à ouvrir leur dossier ?

Dernier volet de La grande traque

Ce cinquième volet de La grand traque est le dernier de cette série. Initialement conçu comme un magazine d’investigation, puis diffusé tardivement comme une série documentaire, le programme n’a guère rassemblé plus de 7 % de téléspectateurs. « C’est dommage qu’on ait du mal à donner toutes ses chances au journalisme d’investigation à la française. Nous avons un vrai savoir-faire, analyse Tony Comiti. Les chaînes préfèrent des documentaires autour des “vraies gens”, moins longs à réaliser. » Génocide du Rwanda, des tueurs parmi nous ? a demandé environ six mois de travail.

Voir de même:

Paul Barril, au cœur des secrets d’Etat

Nicolas Jacquard (avec E.F.)

Le Parisien

24.01.2013

Paul Barril, c’est Christian Prouteau qui en parle le mieux. « C’est un vrai soldat, passé du côté obscur par manque d’encadrement », explique son ancien chef au GIGN. Major de sa promotion de gendarmerie en 1975, le capitaine Barril a été mis en disponibilité en 1984. Depuis, l’obscurité est son terrain de prédilection.

Dès 1989, on le retrouve au Rwanda. Officiellement, Barril conseille le président Habyarimana et réorganise les forces de sécurité. Officieusement, il est surtout un proche de la veuve du président et de son entourage, qui compte de nombreuses têtes pensantes du génocide de 1994. Fort des « contacts » qu’il se fait dans chacun des deux camps, Paul Barril affirme savoir, dès juin 1994, qui sont les auteurs de l’assassinat du président rwandais. Au journal de 20 heures, il dit détenir la boîte noire de l’avion du président, touché par un missile dont il aurait retrouvé « les tubes. » Dix-neuf ans plus tard, devant le juge Marc Trévidic chargé d’enquêter sur les causes de l’attentat, il ne se souvient plus, dit que tout était faux et qu’il a raconté ça « pour faire bouger la machine judiciaire. »

Mêlé aux plus retentissants scandales des années Mitterrand

L’homme est au cœur de multiples secrets d’Etat. Les turpitudes du pouvoir semblent le galvaniser. Il a la confiance des plus grands. Alors qu’il commande le GIGN avec Christian Prouteau, c’est à ces deux hommes que François Mitterrand demande de créer la cellule antiterroriste de l’Elysée. De l’affaire des écoutes de l’Elysée à celle des Irlandais de Vincennes, Barril se retrouve mêlé aux plus retentissants scandales des années Mitterrand. Fort de ses contacts, de ses protections et des réseaux qu’il a tissés au sein de la Françafrique, il finit par fonder la société de sécurité Secrets, mêlée à des affaires de ventes d’armes ou d’espionnage.

Ce grand-père de 67 ans est parvenu à conserver un casier judiciaire vierge. En 2008, Barril a été mis en examen pour « association de malfaiteur en vue de commission d’extorsion, corruption et assassinat » dans le dossier du Cercle Concorde. Un procès se tiendra au printemps, mais son avocate prévient : Barril, qui vit désormais en Angleterre, « souffre d’une grave maladie et ne pourra être présent au mieux qu’une journée ».

Voir par ailleurs:

The Independent révèle une bavure française au Mali

“Révélations : comment un raid français a tué 12 civils maliens,” titre en une The Independent. Selon le quotidien britannique, un hélicoptère d’assaut français a bombardé la ville de Konna, dans la région de Mopti au centre du pays, tuant douze civils et en blessant quinze. Parmi les victimes figuraient trois enfants âgés de moins de 11 ans.

La bavure aurait eu lieu « il y a deux semaines » au moment où les forces françaises essayaient de chasser les islamistes qui avaient pris la ville. Les faits n’ont été rapportés que ce week-end, après la reprise de la ville par les troupes françaises et maliennes. Depuis, la ville de Konna est accessible à la presse.

C’est lors de cet assaut que le pilote d’hélicoptère français Damien Boiteux aurait également été tué. A ce jour, c’est le seul soldat français mort dans l’opération Serval.

Voir enfin:

Revealed: how French raid killed 12 Malian villagers

Witnesses describe the moment civilians fell victim to a helicopter attack

Kim Sengupta, Daniel Howden, John Lichfield

The Independent

Monday, 28 January 2013

A father has described the moment a French attack helicopter bombed his town in Mali, killing his wife and at least three children from another family. Amadou Jallo, 57, lost his wife Aminata in the attack on Konna in which 12 civilians died and 15 more were injured.

But the couple’s one-year-old son, Saida, miraculously survived the assault despite the fact he was being carried on his mother’s back when the helicopter struck. “I thank Allah that my son is alive. It is amazing, a miracle, that he was not hurt,” he said.

The deaths – which included those of three children aged under 11 – occurred two weeks ago as French forces tried to drive out Islamists who had taken the town from government forces, but are only now being reported after Malian troops allowed reporters into Konna at the weekend.

One French helicopter pilot also died in the assault, to date the only confirmed French casualty of the war. French and Malian forces were closing in on the ancient town of Timbuktu tonight after advancing deep into the territory held by Islamist rebels. Earlier, there were ecstatic scenes in Gao as government troops entered the largest town in northern Mali for the first time in nine months.

The three allied Islamist rebel groups which conquered the north of the country last year offered only sporadic resistance. The rebels appear to have scattered into the desert to avoid relentless French air attacks and – France suspects – to launch a long guerrilla war.

French special forces were reported to have already arrived at the airfield in Timbuktu tonight to prepare for a larger airborne invasion today. The bulk of the Islamist fighters were said to have left the town.

A resident of the nearby town of Niafunke, just to the south, said that the jihadists had fled to caves in the surrounding hills. A local shepherd said that he had seen 40 vehicles hidden in the caves.

The capture of Gao on Saturday followed the same pattern as the liberation of other towns in recent days with French special forces, transported by air, doing the shooting before Malian and other French troops moved in behind them. The French forces had come under fire from “several terrorist elements” that were later “destroyed”, the French military said.

Lindsey Hilsum of Channel 4 News reported on her blog extraordinary scenes of joy when French and Malian forces entered Gao. “They rallied around us as we sped through the streets throwing Malian flags around our necks. Grabbing our hands shouting ‘Thank you’,” she wrote.

“For nine long months the people of Gao have not been allowed to sing, dance, shout or smoke. The women have not been allowed outside unveiled, let alone to ride motorbikes.”

“Now they were doing everything as loudly and chaotically as possible.”

A force from Chad and Niger is expected to cross the Nigerien border today help to garrison the Gao region. This will be the first front-line deployment by the pan-African force up to 7,500 strong which is expected eventually to take over most of the ground fighting from the French.

Despite efforts in recent days to talk up the achievements of “coalition forces”, a French army spokesman confirmed today that their troops had led all combat efforts since France intervened two weeks ago last Friday. “In the field it’s clear that it’s more efficient to send French troops with heavy equipment,” he said

French warplanes struck targets today in Kidal – the last of the three major towns held by Islamists in northern Mali. Among the reported targets was the home of Iyad Ag Ghaly – the leader of Ansar Dine, one of the trio of Islamist groups that has controlled northern Mali for the last nine months. Tensions between Paris and Washington over the French intervention appeared to have been resolved over the weekend.

After dropping its demand for payment by France for use of its transport planes, the Pentagon agreed to use of three KC-135 aerial refuelling planes based in Spain to help French fighter-bombers to attack targets in northern Mali from airfields in France.

Voir enfin:

Why France Can’t Fight

The WSJ

January 28, 2013

The French armed forces field some of the world’s most sophisticated fighter jets, nuclear submarines, attack helicopters and armored vehicles. The country spent $52 billion last year on defense, which puts it in the world’s top league in total military spending. That’s more than twice what such robust middle powers as South Korea, Turkey and Israel spend.

Yet in its commendable efforts to fight terrorists in Mali, Paris is all but begging for logistical and military support and has come up short on everything from refuelling to surveillance to heavy transport. Independently deploying a brigade-sized force to a country a mere five hours flight-time away is proving a bridge too far. How did that happen?

The question is worth asking because it tells us something about the nature of current European militaries—and perhaps the future of the U.S. military, too.

Consider personnel costs. In the U.S., military planners fret that the Pentagon spends $107 billion of its roughly $600 billion budget on salaries, another $53 billion or so on health care, and another $50 billion on retirement costs. In France, the Defense Ministry spends an astounding 50% of its total budget on personnel costs.

Some of that is the result of moving to an all-volunteer force, as France did in 1996, which has made the military smaller but more professional. But the bulk of the problem is that the Defense Ministry spends €7.6 billion ($10.2 billion) on retirees—roughly 20% of its budget, euros that are effectively taken away from war-fighting needs.

The result is an increasingly hollow military. On paper France has 230,000 men and women in uniform, but only 30,000 are estimated to be deployable on six months notice.

France does spend money on modern weaponry: Since 2009, one of the few pieces of equipment that saw an upward revision in planned inventory through 2014 is Dassault’s twin-engine Rafale fighter jet, of which France already has more than 70, with plans for nearly 160 more.

But militaries need the not-so-sexy stuff, too, and here Paris has been shortchanging its soldiers for years. French infantrymen must now deploy with barely half the number of logistical transport vehicles the military had planned four years ago. French diplomats spent the first week of the Malian intervention haggling with the U.S., Canada and Britain for American-made C-17s to transport soldiers and gear to Mali.

France has no C-17s, though for nearly a decade it has had an order in for 50 A400-M cargo planes. The A400-M (aka the Airbus « Atlas ») is a joint project of several European governments, whose inability to pay for it has delayed the program repeatedly. The A400-M can handle only about half the payload of a C-17.

France is also still hunting for more air-refueling tankers to back up its small fleet of aging KC-135s, which are the only way its Rafales can carry out attacks throughout northern Mali. The U.S. has now agreed to help on that one. Again, Paris has an order in for 14 new Airbus 330s to replace its tankers, but this purchase was postponed in 2010.

Refueling capacity is one of the many areas covered in France’s 2010 « Defense and Cooperation Treaty » with the U.K., through which the allies were meant to make up the growing holes in each other’s military capabilities should the need arise. But now that the need is there in Africa, British defense officials say they have no tankers to spare. Theirs are either busy in Afghanistan or on standby in case they need to get to the Falklands.

Given the Obama Administration’s unfortunate unwillingness to provide more than minimal help in Mali, policy makers across Europe must now reconsider their future defense-to-GDP ratios with some urgency. Meantime, France needs help to secure the Sahel from Islamist insurgents. Paris’s misguided spending priorities have compromised its ability to win on its own in Mali, but neither France nor its allies can afford to see it lose.


Liberté d’expression: Attention, une hypocrisie peut en cacher une autre (Armenian genocide row: Will France now finally come to terms with its own atrocities?)

27 décembre, 2011
Constitue un génocide le fait, en exécution d’un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux, ou d’un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire, de commettre ou de faire commettre, à l’encontre de membres de ce groupe, l’un des actes suivants : atteinte volontaire à la vie; atteinte grave à l’intégrité physique ou psychique; soumission à des conditions d’existence de nature à entraîner la destruction totale ou partielle du groupe; mesures visant à entraver les naissances;transfert forcé d’enfants. Article 211-1 (code pénal français, 7 août 2004)
Seront punis des peines prévues par le sixième alinéa de l’article 24 ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l’article 23, l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale. Le paragraphe 1er du chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est remplacé par cinq alinéas ainsi rédigés: Les peines prévues à l’article 24 bis sont applicables à ceux qui ont contesté ou minimisé de façon outrancière, par un des moyens énoncés à l’article 23, l’existence d’un ou plusieurs crimes de génocide défini à l’article 211-1 du code pénal et reconnus comme tels par la loi française. Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (Art. 24 bis. et Art. 24 ter, 7 décembre 2011)
Si la loi française sur le génocide arménien était votée, je me rendrai en France et je déclarerai en public que le génocide arménien n’a jamais existé, même si je suis absolument persuadé du contraire.  Hrant Dink (journalise turco-arménien, avant son assassinat, 2007)
Comparer, c’est différencier. (…) Selon moi, le génocide caractérise un processus spécifique de destruction qui vise à l’éradication totale d’une collectivité. (…) Dans un nettoyage ethnique, on tue les gens en partie, mais on leur dit : par ici la sortie. Dans un génocide, on ferme toutes les portes. Jacques Sémelin (2005)
Nous sommes entrés dans un mouvement qui est de l’ordre du religieux. Entrés dans la mécanique du sacrilège : la victime, dans nos sociétés, est entourée de l’aura du sacré. Du coup, l’écriture de l’histoire, la recherche universitaire, se retrouvent soumises à l’appréciation du législateur et du juge comme, autrefois, à celle de la Sorbonne ecclésiastique. Françoise Chandernagor (2007)
La voie est ouverte pour toute mise en cause de la recherche historique et scientifique par des revendications mémorielles de groupes particuliers puisque les associations sont même habilitées par le nouveau texte à se porter partie civile. La criminalisation de la guerre de Vendée était d’ailleurs sur le point d’arriver sur le bureau de l’Assemblée en 2008 lorsque la Commission d’information sur les questions mémorielles avait conclu à la nécessité pour la représentation nationale de s’abstenir de toute initiative future en ce sens. D’autres propositions de loi se pressaient : sur l’Ukraine affamée par le pouvoir stalinien en 1932-1933 et les crimes communistes dans les pays de l’Est, sur l’extermination des Tziganes par les nazis, et même sur le massacre de la Garde suisse, aux Tuileries, en 1792 ! A quand la criminalisation des historiens qui travaillent sur l’Algérie, sur la Saint-Barthélemy, sur la croisade des Albigeois ? Mesure-t-on à quel degré d’anachronisme on peut arriver en projetant ainsi sur le passé des notions qui n’ont d’existence que contemporaine, et de surcroît en se condamnant à des jugements moraux et manichéens ? D’autant plus que la loi n’incrimine plus seulement la « négation » du génocide, mais introduit un nouveau délit : sa « minimisation », charmante notion que les juristes apprécieront. La loi Gayssot avait sanctuarisé une catégorie de la population, les juifs ; la loi Taubira une autre catégorie, les descendants d’esclaves et déportés africains ; la loi actuelle en fait autant pour les Arméniens. La France est de toutes les démocraties la seule qui pratique ce sport législatif. Et le plus tragique est de voir l’invocation à la défense des droits de l’homme et au message universel de la France servir, chez les auteurs, de cache-misère à la soviétisation de l’histoire. Les responsables élus de la communauté nationale croient-ils préserver la mémoire collective en donnant à chacun des groupes qui pourraient avoir de bonnes raisons de la revendiquer la satisfaction d’une loi ?  Pierre Nora
Malgré maint témoignages oraux et écrits l’affirmant, il n’était pas possible de prouver matériellement par des documents allemands que la morgue du crématoire 1 avait fonctionné en chambre à gaz homicide. Si les résultats de Leuchter sont confirmés après des dosages toxicologiques officiels, l’ingénieur aura apporté, en dépit de ses intentions, la preuve matérielle irréfutable de l’emploi homicide qui manquait aux historiens. Jean-Claude Pressac (1998)
La France est le premier pays à avoir conçu, organisé et planifié l’anéantissement et l’extermination d’une partie d’elle-même au nom de l’idéologie de l’homme nouveau. Elle est aussi le premier pays à avoir conçu et mis en place un mémoricide dans le but d’occulter ce crime contre l’humanité. En ce sens, la France est un double laboratoire et un modèle pour les régimes génocidaires.  Reynald Secher (2011)
Ce n’est pas au parlement de faire l’histoire. Mon opposition constante à la loi Gayssot sanctionnant le négationnisme dans la contestation de la Shoah est identique pour cette autre loi mémorielle qui revient, une fois de plus, à limiter la liberté d’expression et à pénaliser un délit d’opinion. Mais il y a surtout, dans l’attitude morale de la France, une énorme hypocrisie. Car l’Etat français se comporte en fait comme l’Etat turc, en refusant de reconnaître et en contestant même la réalité du génocide vendéen de 1793. La proposition de loi du député des Alpes maritimes, Lionel Luca, invitant la République « à reconnaître le génocide vendéen de 1793-1794« , déposée en 2007, n’a jamais été examinée. Ivan Rioufol (2011)
Détruisez la Vendée et Valenciennes ne sera plus au pouvoir des Autrichiens. Détruisez la Vendée et le Rhin sera délivré des Prussiens. Détruisez la Vendée et l’Anglais ne s’occupera plus de Dunkerque. Détruisez la Vendée et l’Espagne sera morcelée et conquise par les méridionaux. Détruisez la Vendée et une partie de l’armée de l’Intérieur ira renforcer l’armée du Nord. Détruisez la Vendée et Toulon s’insurgera contre les Espagnols et les Anglais. Lyon ne résistera plus et l’esprit de Marseille se relèvera à la hauteur de la Révolution. La Vendée et encore la Vendée, voilà le chancre qui dévore le cœur de la République. C’est là qu’il faut frapper. Bertrand Barère (1793)
Tous les Français, tous les sexes, tous les âges, sont appelés par la Patrie à défendre la liberté. Toutes les facultés physiques ou morales, tous les moyens politiques ou industriels lui sont acquis ; tous les métaux, tous les éléments sont ses tributaires. Que chacun occupe son poste dans le mouvement national et militaire qui se prépare. (…) Les maisons nationales seront converties en caserne, les places publiques en ateliers (…). Il faut que la France ne soit plus qu’un vaste camp. Barère (Rapport sur la réquisition physique des jeunes citoyens. août 1792)
La Vendée doit être un cimetière national. Turreau (Général en chef de l’armée de l’Ouest)
Qu’on ne vienne pas nous parler d’humanité envers ces féroces Vendéens; ils doivent tous être exterminés. Carrier
Il n’y aurait de moyen de ramener le calme dans ce pays qu’en en faisant sortir tout ce qui n’était pas coupable et acharné, en en exterminant le reste et en le repeuplant le plus tôt possible de républicains. (…) La guerre ne sera complètement terminée que quand il n’y aura plus un habitant dans la Vendée. Hentz et Francastel (commissaires de la République)
Quand un pays révolutionnaire lutte à la fois contre les factions intérieures et contre le monde, quand la moindre hésitation ou la moindre faute peuvent compromettre pour des siècles peut-être le destin de l’ordre nouveau, ceux qui dirigent cette entreprise immense n’ont pas le temps de rallier les dissidents, de convaincre leurs adversaires. Ils ne peuvent faire une large part à l’esprit de dispute ou à l’esprit de combinaison. Il faut qu’ils abattent, il faut qu’ils agissent, et, pour garder intacte leur force d’action, pour ne pas la dissiper, ils demandent à la mort de faire autour d’eux l’unanimité immédiate dont ils ont besoin. Jean Jaurès
Nous n’avons jamais eu l’ordre écrit de Hitler concernant le génocide juif, nous possédons ceux de Barrère et de Carnot relatifs à la Vendée. (…) D’ailleurs, à chaque fois que je passe devant le lycée Carnot, je crache par terre. Pierre Chaunu
Lénine assimilait les Cosaques à la Vendée pendant la Révolution française, et souhaitait leur appliquer le traitementque Gracchus Babeuf, l’”inventeur” du communisme moderne, qualifiait dès 1795 de “populicide.” Stéphane Courtois (préface du Livre noir du communisme, 1997)
Les soldats français leur disaient ’vous devez ouvrir les ventres de ces Tutsis que vous tuez afin qu’ils coulent et que les satellites ne les voient pas. Andrew Wallis (2007)
Nous accusons Gowon de génocide pour avoir cherché à exterminer quatorze millions de Biafrais de la plus horrible manière. Nous accusons Gowon de vouloir devenir un Hitler de l’Afrique. Colonel Ojukwu chef de la rébellion biafraise, 1967)
Comment peut-on être de gauche et laisser massacrer deux millions d’individus ? Le massacre des Biafrais est le plus grand massacre de l’histoire moderne après celui des juifs, ne l’oublions pas. Est-ce que cela veut dire que le massacre de millions d’hommes n’a pas de dimension politique ? […] La gauche, s’il en existe une, a fermé les yeux […] Sa préoccupation est simple : les gens qui meurent sont-ils de gauche? Bernard Kouchner (Le Nouvel Observateur, 19 janvier 1970)
J’étais hanté par Auschwitz, pourquoi la Croix-Rouge n’avait pas parlé ? Pourquoi la Croix-Rouge ne parlait pas devant le phénomène monstrueux du Biafra ? Est-ce la même chose ? Je ne voulais pas que mes enfants ou n’importe qui d’autre m’accusent de m’être tu à ce moment-là. Bernard Kouchner
Jamais d’images plus terribles n’ont été filmées depuis celle des découvertes des camps de concentration de l’Allemagne de 1945. Des corps d’enfants squelettiques ou déformés par des oedèmes, des visages où se lit l’hébétude résignée d’une agonie prochaine […]. Un enfer. […] Mais combien faudra-t-il de documentaires encore pour réveiller les consciences ? Le Monde (1968)
Ce que tout le monde ne sait pas, c’est que le terme de « génocide » appliqué à cette affaire du Biafra a été lancé par les services. Nous voulions un mot choc pour sensibiliser l’opinion. Nous aurions pu retenir celui de massacre, ou d’écrasement, mais génocide nous a paru plus  »parlant ». Nous avons communiqué à la presse des renseignements précis sur les pertes biafraises et avons fait en sorte qu’elle reprenne rapidement l’expression  »génocide ». Le Monde a été le premier, les autres ont suivi. Colonel Maurice Robert (responsable du SDECE durant la guerre du Biafra, 2004)
La direction de la propagande s’est servie de la faim. Après avoir essayé le pogrom, le génocide, la libération de notre province…Paddy Davies (membre de la direction de la Propagande du Biafra)
Je sais parfaitement que la direction de la propagande biafraise composée de professionnels, d’intellectuels et d’universitaires, avait étudié le système de propagande de Goebbels, de la Chine et dans une certaine mesure de l’Union soviétique. Elle a du adapter ses propres systèmes à la situation particulière du Biafra. Car les systèmes allemands sous Hitler et Goebbels étaient méthodiques, et le sytèmes chinois et russe étaient idéologiques. Or le Biafra n’avait pas d’idéologie en tant que telle. Il fallait donc trouver une autre voie qui ne soit pas la méthode hitlérienne car cette propagande était dirigée contre un peuple. On a donc renversé les méthodes de propagande d’Hitler. (…) Et finalement la France nous a apporté une aide concrète en nous envoyant des armes. Ce qui nous a permis de nous battre un an et demi de plus…C’était la France qui payait notre agence de presse ‘Mark Press’. Mark Press est devenue l’unique agence chargée de diffuser à l’étranger les nouvelles du Biafra. P.E Davies (journaliste à Radio Biafra et Voice of Biafra)
Le Biafra prive son propre peuple de ce qui est nécessaire à sa subsistance, dans l’espoir évidemment que le spectacle de ses souffrances va inciter les étrangers à imposer des restrictions politiques au Nigéria…La famine ne saurait devenir une arme de guerre acceptable du simple fait qu’elle est utilisée par un leadership aux abois contre sa propre population réduite à l’impuissance. Washington Post (11.07.1969, cité par Pierre Péan)
Moi j’étais un transitaire, un transitaire particulier mais un transitaire tout de même. J’étais le bras armé de l’aide française au Biafra puisque pratiquement toute l’aide française passait par Libreville : des mitrailleuses, des fusils-mitrailleurs, des fusils, des grenades, des bazookas, des petits canons également mais pas d’armes lourdes. Pas d’armes lourdes pourquoi? Parce que tout cela était transporté par avion. Et je dois vous dire que dans cette affaire je n’ai jamais eu affaire à mon ministre de tutelle mais je n’ai obéi et je n’ai agi qu’en fonction des instructions qui m’étaient données par l’Elysée. Maurice Delaunay (ambassadeur de France au Gabon lors de la guerre du Biafra)
Tous les moyens sont bons dans cette affaire. La Croix-Rouge et les Chevaliers de Malte, qui canalisent et acheminent officiellement vivres et médicaments au Biafra, ne regardent pas de trop près les lourdes caisses qui, manifestement, ne sont pas remplies de lait en poudre. Pour simplifier les choses, le colonel Merle, conseiller militaire de l’ambassade de France au Gabon, est aussi responsable de la Croix-Rouge. Pierre Péan
Le 12 juin (1967), le conseil des ministres prononcera l’embargo sur les armes et la mise en place d’une aide humanitaire au profit du Biafra…aide humanitaire qui couvrira le trafic d’armes à destination des sécessionnistes. Colonel Maurice Robert (responsable Afrique du SDECE durant la guerre du Biafra)
Armes et aide humanitaire transitaient essentiellement par Libreville et Abidjan, les premières profitant des ponts aériens organisés pour l’autre. Bongo avait été réticent au début mais, sous la double pression française et ivoirienne, il avait fini par accepter de soutenir la lutte biafraise. Colonel Maurice Robert
La France ne reconnaît toujours pas la sécession. Pour Foccart c’est un échec mais en coulisse De Gaulle semble s’y préparer activement. Il charge Foccart de monter une vaste opération de transport d’armes vers le Biafra. Foccart choisit le Gabon comme base arrière. Il vient d’y faire élire président le jeune Albert Bongo qui ne peut rien lui refuser. Joël Calmettes
A partir du moment où l’on n’était pas décidé à soutenir véritablement le Biafra, est-ce que cela valait vraiment la peine de commencer? C’est là l’enseignement que l’on peut tirer. Est-ce que cela valait vraiment la peine de commencer, de se donner tout le mal que l’on s’est donné pour arriver à un résultat aussi misérable. Maurice Delaunay (ambassadeur de France au Gabon lors de la guerre au Biafra)
Il ne faut ni intervenir ni donner l’impression d’avoir choisi. Mais il est préférable d’avoir un Nigéria morcelé qu’un Nigéria massif. Et par conséquent Mon Dieu si le Biafra réussissait ce ne serait pas plus mauvais pour nous. De Gaulle (cité par Foccart)
De Gaulle savait que si la France s’engageait la communauté internationale allait nous critiquer de façon très sévère. D’où réticence dans l’engagement et par conséquent liberté, je dirai presque conditionnelle pour aider Ojukwu clandestinement. Là je vais être plus clair, le feu vert n’est pas donné mais c’est un feu orange. Si les choses ne tournent pas bien nous sommes désavoués. C’est la règle du jeu. Colonel Maurice Robert (responsable Afrique du SDECE lors de la guerre du Biafra)
Pour la France, soutenir le Biafra, c’est s’opposer à l’ingérence des Soviétiques sur le continent et préserver ses intérêts pétroliers. Colonel Maurice Robert (responsable Afrique du SDECE durant la guerre du Biafra)
Un de mes plus grands regrets est de ne pas avoir pu remercier personnellement le général De Gaulle. Colonel Ojukwu (leader de la sécession biafraise)
Cinq ans avant la sécession biafraise, sans prévenir qui que soit, Foccart a pris ses dispositions au Nigéria au cas où. Près d’une dizaine d’agents du SDECE sont envoyés au Nigéria. Joël Calmettes
Dès 1963, l’Elysée avait détaché du SDECE le lieutenant-colonel Bichelot au cabinet présidentiel de Côte d’Ivoire pour aider le vieux Félix à suivre l’évolution politique au Nigéria. Quand Ojukwu, quatre ans plus tard, se lance dans l’aventure sécessionniste, Paris est prêt! Pierre Péan (Affaires Africaines)
En juin 1966 des dizaines de milliers de chrétiens, des Ibos sont tués par des musulmans Aoussas dans le nord du Nigéria. Deux millions de Ibos affluent vers leur terre d’origine : le futur « Biafra ». Foccart comprend immédiatement que c’est là la carte à jouer pour affaiblir le Nigéria. Discrètement certains agents du SDECE encouragent la sécession mais Foccart va plus loin. Huit mois avant la proclamation de l’indépendance il avait envoyé des armes au Biafra. L’avion qui les transporte un DC 4 s’écrase au Cameroun, le 11 octobre 1966. L’information passe totalement inaperçue : la France ne risquait pas grand chose le pilote et l’avion étaient américains. Joël Calmettes
La guerre civile opposant les tribus nigérianes entre elles, grâce à la sécession du Biafra, ne plonge pas tout le monde dans la consternation à Paris…Les commandos qui ont fait la « révolution » et, en provoquant la guerre civile, ont mis les Anglo-Saxons dans le pétrin, ont été entraînés et conseillés par des Européens qui ressemblent à s’y méprendre à des barbouzes français dépendant de Jacques Foccart, secrétaire général de la Communauté (sic) et à l’Elysée. Fortiche, non? Le Canard Enchaîné du (23 août 1967)
Officiellement, la France n’a apporté qu’une aide humanitaire aux Biafrais, mais il est aujourd’hui admis que les sécessionnistes ont bénéficié d’une aide militaire. Pour le général de Gaulle, il fallait briser la Fédération du Nigeria qui constituait, du fait de sa force économique, une menace potentielle pour l’ensemble de l’Afrique francophone. Si ce soutien militaire a toujours été nié publiquement, Jacques Foccart exprime dans ses mémoires le souhait du chef de l’Etat de véhiculer une image positive des Biafrais à la télévision française, instrument sur lequel il exerçait un contrôle et qu’il souhaitait mettre au service de son discours. (…) Pour alimenter sa propagande de guerre et justifier son statut de victime, le pouvoir biafrais s’est servi des images de la famine, profitant ainsi des ravages du blocus économique sur sa population : « La Direction de la Propagande a donc misé sur la famine, […] elle est devenue l’arme ultime » témoigne Patrick E. Davies. Ne pouvant remporter la guerre par la force militaire, les dirigeants biafrais ont compris que les images de la famine, filmées sur le terrain, pouvaient être utilisées comme preuve du génocide et devenir une arme médiatique. Ils ont alors accueilli des journalistes étrangers, probablement avec l’aide de la France, persuadés qu’à travers ce qu’ils allaient découvrir, ils ne pourraient que soutenir la volonté sécessionniste de la province. Perçues comme garantes d’objectivité et de transparence, les images de la famine ont été instrumentalisées, utilisées comme preuve des souffrances de la population biafraise et sont devenues un enjeu politique pour le Biafra. (…) Pour les dirigeants biafrais, la famine est devenue une arme médiatique destinée à pallier une faiblesse militaire, se retournant ainsi contre le pouvoir politique qui l’avait mise en place. En effet, la diffusion des images de la famine à la télévision donna naissance à un mouvement de sympathie en France en faveur de la cause biafraise. Elles ont suscité un mouvement de conscience « humanitaire » : de nombreuses associations de soutien aux Biafrais ont été créées, telles que le Comité international de lutte contre le génocide au Biafra par les futurs fondateurs de Médecins sans frontières ou le Comité d’action pour le Biafra, par un député UDR Raymond Offroy. D’autres associations, déjà en place et de tous horizons, ont tenté d’alerter la population et ont lancé des appels à la mobilisation. Parmi elles figurent les Francs-maçons, l’Union nationale des étudiants juifs de France, le Conseil œcuménique des Églises et la CGT. Les campagnes nationales d’août 1968 et de mars 1969 ont bénéficié du soutien de nombreux intellectuels qui ont lancé des appels au cessez-le-feu ou ont signé des pétitions proclamant le droit à l’indépendance du Biafra. Ces appels ou ces créations d’organisation sont, pour la plupart, le fait de personnes déjà engagées dans un mouvement de pensée ou religieux. Leur discours s’adressait à la fois aux dirigeants politiques et à la nation. Il est intéressant de noter que ces appels interviennent aux moments où la couverture télévisée de la guerre s’accélère et où les images de la famine et de l’aide humanitaire se trouvent au centre de l’attention. Celles-ci, loin d’avoir un statut passif, détiennent donc un pouvoir de persuasion et engagent à l’action. L’argument de génocide a souvent été repris pour condamner le sort de la population civile et l’horreur de la guerre. Les images de la famine montrent des personnes ayant perdu leur humanité et leur dignité. (…) La population française qui soutenait majoritairement l’organisation des opérations de secours n’a pas pour autant montré une forte mobilisation en faveur de l’indépendance du Biafra. Un sondage IFOP publié dans Le Monde en mars 1969 indique que deux tiers des Français estiment juste ou insuffisant l’aide humanitaire française apportée au Biafra (un tiers des sondés se déclarent sans opinion). Le public français a apporté un large soutien moral et financier : treize à quinze millions de francs ont été récoltés à l’issue de la première campagne nationale de juillet 1968. Les images de la famine ont rempli leur fonction, celle de susciter l’intérêt des téléspectateurs qui pour la première fois assistent à leur retransmission. Cependant, les manifestations organisées par les différentes associations n’ont pas connu le succès espéré : les tentatives d’attirer la population française pour l’encourager à soutenir la volonté d’indépendance de la province orientale ont échoué. (…) Pour contrer ces accusations, le gouvernement fédéral a accepté l’envoi d’une équipe d’observateurs mandatés par l’ONU qui a conclu à l’impossibilité d’affirmer l’existence d’un génocide au Biafra. Le pouvoir fédéral a pris les armes, non pas pour exterminer une ethnie, mais pour préserver l’unité du pays. Barbara Jung (2007)

Attention: une hypocrisie peut en cacher une autre!

Soutien secret pour cause de pétrole (suite à la perte de l’Algérie) et de géopolitique régionale d’une sécession  que l’on sait vouée à l’échec, livraisons clandestines d’armes sous couverture humanitaire, manipulation médiatique et travestissement de la situation en génocide via des officines de propagande alors que l’on sait que la rebellion en question joue de l’arme de la faim contre sa propre population …

A l’heure où,  après des décennies de réserve contrainte par la nécessité stratégique,  le parlement israélien semble vouloir profiter de l’actuel refroidissement de ses relations diplomatiques avec son seul allié musulman pour rejoindre la quinzaine de pays qui après l’ONU en 1985 et l’UE en 1987, ont officiellement reconnu  le génocide arménien de 1915 par les Turcs …

Pendant qu’au Nigéria les islamistes profitent à nouveau des célébrations de la Nativité pour reprendre leurs massacres de chrétiens …

Et au lendemain en France d’une adoption par l’Assemblée nationale du plus pur électoralisme (vote à la va vite en toute fin d’année, moins de 10% des députés présents, rejet probablement assuré du Sénat), une proposition de loi contre les génocides  complètement inutile et liberticide (après la reconnaissance  de 2001) en pénalisant la contestation …

Exposant logiquement le Pays autoproclamé des droits de l’homme à des contre-accusations turques aussi fantaisistes que celui d’un prétendu « génocide algérien »  …

Comment ne pas voir, au-delà des possibilités de dérives dues à une extension incontrôlée de l’acception des termes et de ses aspects liberticides notamment pour la recherche comme le rappelle l’éditorialiste du Figaro Ivan Rioufol, l’immense hypocrisie d’un pays qui n’a toujours pas reconnu les dérives génocidaires de ses propres révolutionnaires contre les Vendéens?

Mais également, beaucoup plus près de nous, son très trouble appui aux génocidaires du Rwanda de 1994 …

Où  27 ans plus tôt, ainsi que le rappellent l’universitaire Barbara Jung et un dossier sur le site Pressafrique,  son soutien à l’utilisation de l’arme de la faim par les rebelles biafrais de 1967-1970 (deux ans et demi de conflit, plus d’un million de victimes) ?

Le tout, comble de l’hypocrisie, sous couvert d’une campagne de presse apparemment montée de toutes pièces et appuyée notamment par nos fameux « French doctors » (qui fonderont pour ce faire l’Organisation pour la lutte contre le génocide au Biafra, rebaptisée trois ans plus tard  MSF et dont on vient d’ailleurs de fêter le 40e anniversaire) dénonçant les forces nigérianes pour… génocide!

L’image télévisuelle comme arme de guerre. Exemple de la guerre du Biafra 1967-1970

Barbara Jung

Institut Renouvin

19 octobre 2007

Le 31 mai 1967, la province orientale de la Fédération nigériane s’autoproclame République indépendante du Biafra, déclenchant une guerre civile de trente mois, extrêmement meurtrière, qui fit l’objet d’une large couverture télévisée en France. Pour la première fois, les téléspectateurs ont vu apparaître sur leurs écrans de télévision les images d’une famine, devenues, par le rôle politique que les nouveaux dirigeants biafrais ont voulu leur faire jouer, une « arme de guerre ». Ces images de corps décharnés sont celles qui ont le plus représenté la guerre du Biafra. Comme drame humanitaire et politique, elles constituent un repère capital dans l’histoire de l’information télévisée.

Au travers de l’analyse des notices [1] de l’Institut national de l’audiovisuel décrivant les deux cent quatre-vingt-cinq reportages diffusés au journal télévisé sur la guerre du Biafra et du visionnage des onze reportages réalisés par des magazines d’information télévisés, nous verrons comment et dans quelle mesure les images de la guerre ont rempli leur fonction d’« arme de guerre ».

Nous étudierons, dans un premier temps, la mise en place de la couverture télévisée de la guerre et les enjeux politiques qui s’y rattachent. Puis nous analyserons la lecture du conflit donnée par la télévision en nous demandant si elle fut influencée par les arguments de la propagande biafraise. Enfin nous verrons si la tentative des dirigeants biafrais d’ériger les images de la famine comme une arme de guerre a été couronnée de succès.

La mise en place de la couverture télévisée de la guerre du Biafra et ses enjeux politiques

La guerre du Biafra s’est déroulée à une période de l’histoire de l’information favorable à la mise en place d’une couverture télévisée des conflits. Le pouvoir biafrais a souhaité lui faire jouer un rôle politique de premier ordre.

Les enjeux politiques de la couverture télévisée

La couverture de la guerre du Biafra à la télévision française a bénéficié du contexte favorable de l’ascension du petit écran au cours des années soixante, et de l’amélioration des techniques de tournage qui rendent possible la réalisation de reportages sur le terrain. De plus, l’information constitue l’une des priorités inscrites dans les statuts de l’ORTF (1964) et occupe une place de choix sur l’ensemble des programmes diffusés, notamment grâce au développement du genre des magazines d’information télévisés qui privilégient les sujets d’actualité internationale. Mais au-delà des aspects techniques, la couverture de la guerre du Biafra à la télévision française a fait l’objet d’enjeux politiques. Officiellement, la France n’a apporté qu’une aide humanitaire aux Biafrais, mais il est aujourd’hui admis que les sécessionnistes ont bénéficié d’une aide militaire [2]. Pour le général de Gaulle, il fallait briser la Fédération du Nigeria qui constituait, du fait de sa force économique, une menace potentielle pour l’ensemble de l’Afrique francophone. Si ce soutien militaire a toujours été nié publiquement [3], Jacques Foccart [4] exprime dans ses mémoires le souhait du chef de l’Etat de véhiculer une image positive des Biafrais à la télévision française, instrument sur lequel il exerçait un contrôle et qu’il souhaitait mettre au service de son discours.

Obtenir le soutien du public français était également l’objectif du pouvoir biafrais, espérant que celui-ci exercerait une influence décisive sur les décisions politiques de ses dirigeants. En effet, pour vivre le Biafra avait certes besoin d’un soutien militaire face à une armée fédérale plus nombreuse et mieux équipée, mais aussi d’une aide diplomatique car il ne pouvait justifier son existence à l’égard du droit international. La stratégie alors adoptée par les dirigeants biafrais reposa sur l’orchestration d’une propagande élaborée sur différents thèmes, et sur la mise en place d’outils destinés à véhiculer son discours à l’étranger et rallier l’opinion publique internationale à sa cause.

Les instruments de diffusion de la propagande biafraise

Dès l’autoproclamation d’indépendance, les dirigeants biafrais ont constitué un gouvernement incluant un ministère de l’Information et une « Direction de la Propagande » composés de l’élite intellectuelle Ibo, tribu majoritaire au Biafra. Certains pays étrangers ont accepté sur leur territoire l’installation de bureaux d’information biafrais, lesquels constituaient pour Patrick E. Davies de « véritables officines de propagande » [5]. L’influence de ces organismes sur la presse française s’est exercée par le biais de l’Agence France-Presse qui cite régulièrement dans ses dépêches Radio Biafra, alors sous le contrôle de la Direction de la Propagande. De plus, les Biafrais ont eu recours à l’agence de relations publiques Markpress, basée à Genève et chargée de diffuser des nouvelles alarmantes par le biais de communiqués de presse au Royaume-Uni, aux États-Unis et en France, d’envoyer des films ou des photographies à la presse, et d’organiser le transport de journalistes au Biafra [6]. Le journaliste Claude Brovelli, à l’époque représentant de l’AFP au Nigeria, estime que le budget dépensé par le Biafra en termes de communication fut égal voire supérieur à celui attribué à la défense [7].

Gagner la guerre par les mots et les images

Dès le milieu de l’année 1968 les dirigeants biafrais essaient de convaincre le monde que le gouvernement fédéral a mis en place un plan génocidaire à l’encontre du peuple biafrais [8]. Le colonel Ojukwu va jusqu’à comparer le chef de l’autorité nigériane, le général Gowon, à Adolf Hitler : « Nous accusons Gowon de génocide pour avoir cherché à exterminer quatorze millions de Biafrais de la plus horrible manière. Nous accusons Gowon de vouloir devenir un Hitler de l’Afrique » [9]. Pour alimenter sa propagande de guerre et justifier son statut de victime, le pouvoir biafrais s’est servi des images de la famine, profitant ainsi des ravages du blocus économique [10] sur sa population : « La Direction de la Propagande a donc misé sur la famine, […] elle est devenue l’arme ultime » témoigne Patrick E. Davies. Ne pouvant remporter la guerre par la force militaire, les dirigeants biafrais ont compris que les images de la famine, filmées sur le terrain, pouvaient être utilisées comme preuve du génocide et devenir une arme médiatique. Ils ont alors accueilli des journalistes étrangers, probablement avec l’aide de la France [11], persuadés qu’à travers ce qu’ils allaient découvrir, ils ne pourraient que soutenir la volonté sécessionniste de la province. Perçues comme garantes d’objectivité et de transparence, les images de la famine ont été instrumentalisées, utilisées comme preuve des souffrances de la population biafraise et sont devenues un enjeu politique pour le Biafra.

La couverture de la guerre du Biafra à la télévision française

L’implication de la télévision française dans la couverture médiatique de la guerre est née de la diffusion d’images, sources privilégiées de l’information, et de l’adoption d’un ton engagé au profit de la cause des sécessionnistes : images dévoilant sans détours le drame humanitaire qui se joue au Biafra dès 1968, voix-off ou même absence de commentaire sont les principaux procédés utilisés pour dénoncer l’horreur de la guerre.

Une couverture précoce et rythmée par les événements humanitaires

La télévision a couvert la guerre très tôt, un reportage sur l’autoproclamation d’indépendance du Biafra étant diffusé le 30 mai 1967 [12]. Bien avant l’apparition des premières images de la famine et de l’aide humanitaire en juillet 1968, elle rend compte des événements militaires. Si un tournant s’opère en janvier 1968, avec la chute de la ville d’Enugu et un intérêt croissant pour les souffrances des civils, la couverture télévisée du conflit civil subit de nombreuses fluctuations et connaît trois pics de diffusion. Le premier a lieu de juillet à septembre 1968 et est dû à l’arrivée des premières images de la famine, aboutissant à l’organisation en août 1968 d’une campagne nationale de collecte de fonds relayée à la télévision. Après un essoufflement, la famine et l’aide humanitaire relancent la médiatisation de la guerre en mars 1969, mois au cours duquel une seconde campagne est organisée. Enfin, la couverture télévisée de la guerre atteint son point culminant en janvier 1970, mois de la signature de l’amnistie en faveur du pouvoir fédéral. Le regain d’intérêt sans précédent que porte la télévision à la guerre ce mois-ci est lié au fait que le pouvoir fédéral bloque le fonctionnement des opérations de secours auxquelles participe la France. Au cours de ces trois périodes, la guerre du Biafra devient un sujet d’actualité majeur.

La première chaîne française a consacré davantage de reportages sur la guerre que la seconde chaîne. Elle s’est impliquée au-delà de la programmation de reportages en devenant le support de deux campagnes nationales de collecte de fonds organisées par Pierre Sabbagh, figure légendaire du petit écran. La guerre a été couverte par plusieurs émissions. Parmi celles-ci, les journaux télévisés, dotés depuis 1963 [13] d’une nouvelle formule fondée sur le primat de l’image, occupent une place hégémonique avec la diffusion de 95 % des reportages sur la guerre (soit 285) et plus de la moitié d’entre eux (61 %) ont été programmés aux actualités du soir. Le genre du magazine télévisé, mis en place dans les années soixante, se prêtait également à la couverture de la guerre du Biafra, terrain d’excellence pour le « journalisme d’enquête » [14] et une mise en scène de l’actualité de manière à susciter une émotion chez le téléspectateur. La première chaîne occupe alors à nouveau une position hégémonique en ce qui concerne les magazines d’information télévisés. Le magazine hebdomadaire Panorama [15], produit par l’Actualité Télévisée puis par Information Première dès 1969, est celui qui a le plus couvert la guerre avec un total de sept reportages sur treize. Cinq Colonnes à la Une diffuse un unique reportage sur le Biafra en mai 1968 [16] et vit ses dernières heures. Il renaît de ses cendres avec la création de De nos envoyés spéciaux par Pierre Dumayet, Pierre Desgraupes, Pierre Lazareff et Igor Barrère, magazine qui programma un reportage sur la guerre en décembre 1968 [17]. Quant à la seconde chaîne, elle diffuse trois reportages sur la guerre dont deux au cours du magazine Point contre Point [18].

Une télévision perméable aux arguments du pouvoir biafrais ?

Si les rédactions télévisées ont eu majoritairement recours aux images fournies par les agences de presse britannique Visnews, et américaine United Press, les journalistes partis sur place ont été bouleversés par le sort subi par la population civile biafraise. Tous les reportages sans exception semblent condamner ouvertement l’attitude du gouvernement fédéral vis-à-vis des civils en diffusant des images à caractère dramatique, comme celles de maisons détruites, de réfugiés, de cadavres laissés à l’abandon, de soldats en haillons et de personnes victimes de la famine. Les images s’attachent essentiellement à montrer la violence des attaques à l’encontre de la population biafraise sur le plan militaire ou humanitaire. Les rédactions télévisées ont fait le choix de la transparence, de montrer l’horreur la plus insoutenable aux téléspectateurs. Le recours au grand plan sur les cadavres est fréquent, Panorama diffuse les images d’un civil biafrais froidement abattu par l’armée fédérale dans son village [19]. Le journaliste, comme certains médecins, s’arroge un rôle de témoin et de dénonciateur de l’horreur. Pourtant, si les magazines télévisés [20] jouent sur le registre émotionnel et adoptent un ton engagé en faveur des Biafrais, ils ne font pas leur la thèse du « génocide biafrais » et suivent la position de l’Organisation des Nations unies [21]. Le mot génocide figure dans deux reportages sur les neuf réalisés par un magazine d’information télévisé que nous avons pu visionner. Le premier est prononcé par le colonel Ojukwu, chef de l’autorité biafraise, tenant un enfant blessé dans ses bras : « Les enfants sont les vrais innocents de cette guerre. Je sais que Lagos perpétue un génocide à l’encontre du peuple biafrais ». Le second est prononcé par un journaliste qui se montre prudent affirmant que « pour le monde entier la guerre du Biafra reste une question nigériane, même si elle prend des allures de véritable génocide », critiquant à demi-mot la décision de l’ONU de ne pas intervenir dans le conflit, ni de retenir l’accusation de génocide.

La mise en scène de la famine et de l’aide humanitaire à la télévision française

Les images de la famine et de l’aide humanitaire sont celles qui ont le plus caractérisé la guerre du Biafra, et sont restées dans la mémoire collective. Près d’un mois après l’autoproclamation d’indépendance du Biafra, le gouvernement fédéral instaura un blocus économique. Huit millions de personnes se sont alors retrouvées entassées dans ce qui a été appelé le « réduit biafrais », territoire d’un rayon d’à peine 150 kilomètres. Ce cloisonnement provoqua une famine qui causa la mort d’environ un million de personnes en deux ans et demi. Pour la première fois, les journalistes de la télévision ont dû traiter un événement qui n’avait encore jamais fait l’objet d’une couverture télévisée et qui a donné naissance à l’humanitaire moderne. Les images de la population civile touchée par la famine commencent à être retransmises à la télévision en juillet 1968. Leur arrivée eut une conséquence concrète avec l’organisation le mois suivant d’une campagne nationale de secours en faveur des victimes, le contenu des reportages des journaux télévisés subit alors des modifications. Ces derniers diffusent les images de corps squelettiques, d’enfants ballonnés souffrant de kwashiorkor et de femmes ne pouvant plus allaiter leur nourrisson. Le documentaliste décrit « un homme d’une extrême maigreur » en train « d’agoniser » et des « plans très pénibles » [22]. Ces images dégagent une force émotionnelle et ont pour fonction d’attirer l’attention du téléspectateur devenu un donateur potentiel.

« Jamais d’images plus terribles n’ont été filmées depuis celle des découvertes des camps de concentration de l’Allemagne de 1945. Des corps d’enfants squelettiques ou déformés par des oedèmes, des visages où se lit l’hébétude résignée d’une agonie prochaine […]. Un enfer. […] Mais combien faudra-t-il de documentaires encore pour réveiller les consciences ? » [23]

écrit un journaliste dans Le Monde à propos d’un reportage diffusé sur la seconde chaîne en août 1968.

Dans les reportages réalisés par Panorama, l’horreur de la guerre est montrée par la diffusion d’images de corps mourants et décharnés. L’image est crue, dénuée de commentaire journalistique, le bruit ambiant rend l’atmosphère pesante et contribue à accentuer la tonalité dramatique des reportages. La force émotionnelle est dégagée par l’image seule. Les enfants, symbolisant l’innocence et la fragilité, se retrouvent souvent au centre de l’attention quand il s’agit de montrer l’horreur de la guerre : les documentalistes de l’INA décrivent dans les notices des images d’« enfants squelettiques », « affreusement maigres » ayant un « regard vide » ainsi que de « nombreux plans pitoyables » [24]. La couverture télévisée de la guerre du Biafra marque l’entrée d’un nouveau phénomène médiatique centré sur la diffusion de nombreuses images de personnes aux corps décharnés, au côté desquelles figure le personnel médical occidental.

Dès le mois de juillet 1968, au moment où la situation de la population civile s’aggrave, a lieu une intensification des opérations de secours. Les images de l’aide humanitaire occupent alors une place prépondérante au sein de la couverture télévisée du conflit [25]. Au cours du mois de janvier 1970, le nombre de reportages consacrés à l’aide humanitaire augmente de manière spectaculaire : depuis le mois de juin 1969 le gouvernement fédéral a déchargé le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) de sa tâche de coordination des secours, la situation humanitaire est dramatique et le gouvernement continue de bloquer le fonctionnement des opérations de secours. Cependant, d’après le contenu descriptif des notices de l’INA, il semble que l’objectif de la télévision française fut de stimuler la générosité des téléspectateurs en mettant en valeur l’action humanitaire de la France au Biafra. Les images les plus courantes à la télévision sont celles de colis affrétés par des associations humanitaires, de camions portant les insignes d’une organisation humanitaire, d’avions transportant des secours à destination du Biafra, de malades bénéficiant de soins, etc. Quand le personnel médical français figure dans un reportage, ce dernier s’attache à montrer des enfants malades mais en voie de guérison : ils chantent, sourient, sont soignés [26]. Si la représentation de l’aide humanitaire au Biafra paraît « classique » (par la diffusion d’images présentant le matériel humanitaire, les médecins, etc.), en réalité elle ne l’est pas puisqu’elle témoigne de la mise en place d’opérations de secours d’une envergure extraordinaire, destinées à venir en aide à des millions de personnes prisonnières du réduit biafrais.

Les images de la famine ont suscité l’engagement de médecins français parmi lesquels le Dr Gréletty-Bosviel, qui figure parmi les fondateurs de Médecins sans frontières : « Fin septembre 1968, on commençait à voir à la télévision des rushes sur le Biafra. J’étais à ce moment-là à l’OMS et j’ai demandé qu’on me laisse partir au Biafra » [27]. La guerre a permis la naissance de l’humanitaire moderne : certains médecins venus avec la Croix-Rouge ont rompu le principe de neutralité en prenant position contre le pouvoir fédéral qui entravait leur action, et en manifestant leur soutien aux Biafrais qu’ils croyaient victimes d’un génocide. Sans expérience de la médecine d’urgence ou sur les cas de grave malnutrition, ils ont vécu le traumatisme du tri chirurgical sur le terrain, et ont fondé à leur retour une nouvelle forme de médecine d’urgence. Affranchie du devoir de réserve, leur association aboutira à la création de Médecins sans frontières en décembre 1971. La victime de guerre, ou de catastrophe naturelle, et le médecin occidental qui n’hésite pas à braver les principes initiaux édictés par la Croix-Rouge deviennent, au cours des années soixante-dix, le couple-clé de la représentation humanitaire moderne.

Les images de la famine comme arme de guerre : un instrument efficace ?

Les téléspectateurs ont été sensibles à la diffusion des images de la famine : ils ont soutenus financièrement et moralement l’organisation des opérations de secours. Cependant, si certains individus déjà engagés dans un mouvement de pensée, politique ou religieux ou partis sur le terrain, ont clamé le droit des Biafrais à l’indépendance, le public français n’a pas prêté d’attention à l’issue politique de la guerre.

Un soutien important…

Pour les dirigeants biafrais, la famine est devenue une arme médiatique destinée à pallier une faiblesse militaire, se retournant ainsi contre le pouvoir politique qui l’avait mise en place. En effet, la diffusion des images de la famine à la télévision donna naissance à un mouvement de sympathie en France en faveur de la cause biafraise. Elles ont suscité un mouvement de conscience « humanitaire » : de nombreuses associations de soutien aux Biafrais ont été créées, telles que le Comité international de lutte contre le génocide au Biafra par les futurs fondateurs de Médecins sans frontières ou le Comité d’action pour le Biafra, par un député UDR Raymond Offroy. D’autres associations, déjà en place et de tous horizons, ont tenté d’alerter la population et ont lancé des appels à la mobilisation. Parmi elles figurent les Francs-maçons, l’Union nationale des étudiants juifs de France, le Conseil œcuménique des Églises et la CGT. Les campagnes nationales d’août 1968 et de mars 1969 ont bénéficié du soutien de nombreux intellectuels [28] qui ont lancé des appels au cessez-le-feu ou ont signé des pétitions proclamant le droit à l’indépendance du Biafra. Ces appels ou ces créations d’organisation sont, pour la plupart, le fait de personnes déjà engagées dans un mouvement de pensée ou religieux. Leur discours s’adressait à la fois aux dirigeants politiques et à la nation. Il est intéressant de noter que ces appels interviennent aux moments où la couverture télévisée de la guerre s’accélère et où les images de la famine et de l’aide humanitaire se trouvent au centre de l’attention. Celles-ci, loin d’avoir un statut passif, détiennent donc un pouvoir de persuasion et engagent à l’action. L’argument de génocide a souvent été repris pour condamner le sort de la population civile et l’horreur de la guerre. Les images de la famine montrent des personnes ayant perdu leur humanité et leur dignité.

« J’étais hanté par Auschwitz, [se souvient Bernard Kouchner], pourquoi la Croix-Rouge n’avait pas parlé ? Pourquoi la Croix-Rouge ne parlait pas devant le phénomène monstrueux du Biafra ? Est-ce la même chose ? Je ne voulais pas que mes enfants ou n’importe qui d’autre m’accusent de m’être tu à ce moment-là » [29].

… mais une faible mobilisation

La population française qui soutenait majoritairement l’organisation des opérations de secours n’a pas pour autant montré une forte mobilisation en faveur de l’indépendance du Biafra. Un sondage IFOP publié dans Le Monde en mars 1969 indique que deux tiers des Français estiment juste ou insuffisant l’aide humanitaire française apportée au Biafra (un tiers des sondés se déclarent sans opinion) [30]. Le public français a apporté un large soutien moral et financier : treize à quinze millions de francs ont été récoltés à l’issue de la première campagne nationale de juillet 1968 [31]. Les images de la famine ont rempli leur fonction, celle de susciter l’intérêt des téléspectateurs qui pour la première fois assistent à leur retransmission. Cependant, les manifestations organisées par les différentes associations n’ont pas connu le succès espéré : les tentatives d’attirer la population française pour l’encourager à soutenir la volonté d’indépendance de la province orientale ont échoué.

Cet échec est partagé par le pouvoir biafrais puisque le public français, s’il a été ému par les images des civils victimes de la famine, n’a pas incité le gouvernement à apporter une aide diplomatique au Biafra. Le Biafra a obtenu une aide humanitaire de grande ampleur mais a été privé de reconnaissance diplomatique de la part des grandes puissances.

Les Biafrais furent extrêmement présents dans les médias français au cours de la guerre civile qui ébranla le Nigeria de 1967 à 1970. Alors que le gouvernement fédéral fut peu représenté et se montra hostile aux journalistes, les dirigeants biafrais se sont servis de la presse comme d’une tribune pour véhiculer leur propagande de guerre. Les images ont fait l’objet d’une instrumentalisation au service d’une politique destinée à rallier l’opinion internationale à sa cause. Le gouvernement français aurait aidé le pouvoir biafrais à médiatiser les souffrances de la population civile [32], mais il a refusé de reconnaître officiellement le Biafra comme un État indépendant. Les images de la famine n’ont pas influé sur les décisions des dirigeants politiques mais ont joué un rôle certain dans l’envoi d’une aide humanitaire d’une nouvelle forme. La télévision fut investie d’une nouvelle mission sur la scène publique, celle de promouvoir des campagnes humanitaires. Nouveau partenaire d’associations humanitaires, elle diffuse des images dévoilant aux téléspectateurs français la maigreur des corps de personnes résidant à des milliers de kilomètres, victimes d’un blocus économique dans un contexte de la guerre civile. L’aide apportée par les « French doctors » est également largement couverte à la télévision française, et on ne peut étudier les images de la famine séparément de celles de l’aide humanitaire. La couverture de la guerre du Biafra a bien joué un rôle dans le conflit, les bases de l’humanitaire moderne ont été jetées et une nouvelle représentation de la victime de guerre est née à la télévision.

[1] Au moment de nos recherches, aucun des reportages diffusés au journal télévisé n’a fait l’objet d’une restauration sur support vidéo. Nous n’avions à notre disposition que des notices descriptives rédigées par un chef de l’antenne de l’INA qui retranscrivent plan par plan les images diffusées. L’accès aux magazines d’information fut plus aisé grâce à la restauration complète de la collection du magazine Panorama.

[2] En procédant à un envoi constant d’armes à partir de pays amis, comme le Tchad, le Cameroun, la Côte d’Ivoire et le Gabon. Voir Jean-Louis Clergerie, La Crise du Biafra, Limoges, PUF, 1994, p. 160.

[3] Le général de Gaulle a reconnu de manière implicite la nation biafraise dans un communiqué publié le 31 juillet 1968, au moment de l’arrivée des images de la famine : « Le Gouvernement constate que le sang versé et les souffrances qu’endurent depuis plus d’un an les populations du Biafra démontrent leur volonté de s’affirmer en tant que peuple ».

[4] Depuis 1958, Jacques Foccart était chargé des Affaires africaines et des Services spéciaux français auprès du général de Gaulle. Il raconte que le chef de l’État lui a demandé de faire en sorte que les députés de sa majorité, partis au Biafra et favorables à son indépendance, passent à la télévision. Également d’empêcher ceux rangés du côté du pouvoir fédéral d’avoir accès au petit écran. Voir Jacques Foccart, Le Général en mai. Journal de l’Élysée. 1968-1969, Paris, Fayard, coll. « Jeune Afrique », t. 2, 1998.

[5] Patrick E. Davies était journaliste pour le compte de la Direction de la Propagande. Voir Joël Calmettes, Histoires secrètes du Biafra : Foccart s’en va en guerre, Paris, Point du Jour (prod.), 2001, documentaire coul., 51 mn 41 s.

[6] Les communiqués ont été rassemblés dans un ouvrage. Voir Markpress Biafra Press Division, Genève, Aba (Biafra), 21 juin 1968. D’après le témoignage de Patrick E. Davies, la France aurait financé l’emploi de l’agence Markpress.

[7] Jean Wolf, Claude Brovelli, La Guerre des rapaces. La vérité sur la guerre du Biafra, Paris, Albin-Michel, 1969, p. 63.

[8] Voir les publications officielles du gouvernement biafrais ou publiées par l’Organisation de l’unité africaine (OUA).

[9] Le conflit Nigeria-Biafra, Documents produits par le Nigeria et le Biafra à la Réunion du Comité Consultatif de l’OUA à Addis-Abeba, août 1968, p. 34-35.

[10] Le blocus fut décrété le 1er juillet 1967 par le gouvernement fédéral à l’encontre de la province sécessionniste.

[11] Joël Calmettes, op. cit.

[12] Jean-Pierre Defrain, « L’indépendance du Biafra », Vingt-quatre heures d’actualités, Deuxième chaîne, EVN (Agence Eurovision News), 30 mai 1967, 0 mn 45 s.

[13] La formule fut lancée par Alain Peyrefitte.

[14] Forme de journalisme qui a prévalu dans les années soixante. Voir Hervé Brusini, Francis James, Voir la vérité : le journalisme de télévision, Paris, PUF, 1982.

[15] Benjamin Gallepe, Panorama, le magazine hebdomadaire de la rédaction. De l’Actualité Télévisée à Information Première. 1965-1970, (sous la dir. de Pascal Ory et Marie-Françoise Lévy) Université Paris I, Septembre 1999.

[16] Michel Honorin, « Le Biafra », Cinq Colonnes à la Une, Première chaîne, ORTF, 3 mai 1968, 20 mn 43 s.

[17] « Biafra : mort d’un mercenaire », De nos envoyés spéciaux, Première chaîne, Gamma, 5 décembre 1968.

[18] François Moreuil, « Biafra », Point contre point, Deuxième chaîne, ORTF, 31 octobre 1968, 25 mn 25 s. Jean-François Chauvel, René Puissesseau, « Le Biafra », Point contre Point, ORTF, 26 décembre 1968, 09 mn 35 s.

[19] Patrick Camus, Georges Pitoeff, « Biafra : trente mois de guerre », Panorama, Information Première, ORTF, SSR, Neyrac Film, 15 janvier 1970, 21 mn 36 s.

[20] Nous n’avons pas la possibilité de vérifier les journaux télévisés.

[21] Pour contrer ces accusations, le gouvernement fédéral a accepté l’envoi d’une équipe d’observateurs mandatés par l’ONU qui a conclu à l’impossibilité d’affirmer l’existence d’un génocide au Biafra. Le pouvoir fédéral a pris les armes, non pas pour exterminer une ethnie, mais pour préserver l’unité du pays

[22] Voir la notice in Pierre Sabbagh, « Reportage sur le Biafra », Télé Soir, Première chaîne, ORTF, 2 août 1968.

[23] Jacques Siclier, « Un peuple en train de mourir de faim », Le Monde, 15 août 1968, p. 4.

[24] Notice INA du reportage commenté par Jean-François Chauvel, « Biafra : Cécile Bourbon de Parme », Information Première, ORTF, 12 janvier 1970.

[25] Les documentalistes de l’INA décrivent des images de l’aide humanitaire dans un tiers des reportages consacrés à la guerre du Biafra.

[26] Voir la notice INA in Jacques Abouchar, « Appel pour le Biafra », Télé Soir, Première chaîne, EVN, 27 décembre 1968.

[27] Témoignage diffusé dans le documentaire réalisé par Joël Calmettes, série 2, Histoire, 28 décembre 2003.

[28] On compte parmi les intellectuels qui ont manifesté leur soutien aux Biafrais les écrivains Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre, Claude Mauriac ; l’historien Pierre Vidal-Naquet ; des professeurs de droit ; des députés UDR ; des médecins et des journalistes.

[29] « De l’intervention à l’ingérence », Histoire Parallèle, ARTE, 26 février 2000.

[30] Le Monde, 18 mars 1969, p. 5.

[31] Jacques Foccart, Le Général en mai…, op. cit., p. 323.

[32] Ibid., p. 603. Général Jean Varret et Patrick E. Davies in Joël Calmettes, Histoires secrètes du Biafra, op. cit.

Voir également:

IMPLICATION FRANCAISE DANS LA GUERRE DU BIAFRA

pressafrique.com

Quelques citations d’acteurs français sur le terrain durant la guerre du Biafra

Propos de

Maurice Delaunay, Ambassadeur de France au Gabon lors de la guerre au Biafra. Entretien avec Joël Calmettes.Extrait du Documentaire. Foccart s’en va-t-en guerre, histoires secrètes du Biafra.

 » A partir du moment où l’on n’était pas décidé à soutenir véritablement le Biafra, est-ce que cela valait vraiment la peine de commencer? C’est là l’enseignement que l’on peut tirer. Est-ce que cela valait vraiment la peine de commencer, de se donner tout le mal que l’on s’est donné pour arriver à un résultat aussi misérable ».

Propos du Général Jean Varet, entretien avec Joël Calmettes.Extrait du Documentaire. Foccart s’en va-t-en guerre. Histoires secrètes du Biafra.

 »Alors ce que l’on peut regretter sur le Biafra, la seule chose que l’on peut regretter c’est que l’on a perdu. Si on avait gagné tout le monde aurait dit bravo. On a perdu pourquoi, j’en sais rien peut-être que l’on a pas été au bout de notre système peut-être que les anglais ont bien réagi, j’en sais rien. Mais moi j’étais très déçu de voir que j’étais rentré en France, qu’on annulait tout… » Propos du

Général Jean Varet, entretien avec Joël Calmettes.Extrait du Documentaire. Foccart s’en va-t-en guerre. Histoires secrètes du Biafra.

« D’aucuns diront on ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs. En tous cas on a pas fait d’omelette mais on a cassé beaucoup d’oeufs »

Les raisons d’un engagement français criminel Histoire de la guerre au Biafra et implication française. Une guerre ayant fait entre 1 et 2 millions de morts Les signes avant-coureur de l’engagement militaire et des services secrets français au Biafra de 1963 à 1967

Trois semaines après la naissance du Biafra, De Gaulle donne à Foccart, qui le note dans son journal, son opinion sur la sécession :

« Il ne faut ni intervenir ni donner l’impression d’avoir choisi. Mais il est préférable d’avoir un Nigéria morcelé qu’un Nigéria massif. Et par conséquent Mon Dieu si le Biafra réussissait ce ne serait pas plus mauvais pour nous ».

D’après Joël Calmettes dans son documentaire Foccart s’en va-t-en guerre.

Histoires secrètes du Biafra.

« De Gaulle savait que si la France s’engageait la communauté internationale allait nous critiquer de façon très sévère. D’où réticence dans l’engagement et par conséquent liberté, je dirai presque conditionnelle pour aider Ojukwu clandestinement. Là je vais être plus clair, le feu vert n’est pas donné mais c’est un feu orange. Si les choses ne tournent pas bien nous sommes désavoués. C’est la règle du jeu. »

Colonel Maurice Robert, responsable Afrique du SDECE lors de la guerre du Biafra. Interview avec Joël Calmettes, extrait, Ibid.

« Pour la France, soutenir le Biafra, c’est s’opposer à l’ingérence des Soviétiques sur le continent et préserver ses intérêts pétroliers. »

Colonel Maurice Robert, responsable Afrique du SDECE durant la guerre du Biafra in « Ministre de l’Afrique » entretien avec André Renault, Ed. Seuil, p.181.

Dossier Biafra Afrik.com

Colonel Ojukwu.

« Un de mes plus grands regrets est de ne pas avoir pu remercier personnellement le général De Gaulle ».

Colonel Ojukwu, leader de la sécession biafraise à Joël Calmettes in « Conversation à propos de la guerre du Biafra ».

FRANCE CULTURE. Emission du 29.05.2003

Trente ans après, que reste-t-il du Biafra ? 30 mai 1967, une région sud-orientale du Nigéria peuplée majoritairement par la communauté des Ibos, le  »Biafra », conduit par le charismatique colonel Ojukwu, fait sécession et proclame son indépendance.

Le Nigéria dirigé par le général Yakubu Gowon, encercle la province du Biafra et à coups de bombardements puis de blocus alimentaire parvient à mater la sécession biafraise début janvier 1970, après 2 ans et demi de guerre civile.

En fait cette sécession biafraise fut soutenue en coulisse par de Gaulle et Foccart. La France pour ses intérêts va mener une guerre secrète au Nigéria. Il s’agissait d’affaiblir ce géant anglophone qui se tournait vers l’union soviétique. Pour Foccart, son Islam pro-soviétique menaçait de s’étendre aux pays voisins des ex-colonies françaises. D’autres part la province du Biafra était une région pétrolifère qui intéressait au plus haut point une France devenue dépendante en matière d’énergie depuis la perte de l’Algérie. Huit mois avant l’indépendance proclamée par le colonel Ojukwu, Foccart qui a le « feu orange » du général, envoie des armes pour la future armée du colonel Ojukwu.

Les spécialistes (Maurice Robert, Maurice Couve De Murville) ne donnent aucune chance à la sécession compte tenu du caractère miniscule de cette province et de son absence complète d’expérience en matière de guerre alors que le Nigéria est un géant puissamment armé et soutenu par l’Angleterre.

Pourtant Foccart avec le soutien implicite du général de Gaulle va soutenir logistiquement et militairement la sécession par l’intermédiaire des services secrets du SDECE et des mercenaires français.

Cette politique dirigée par la cellule africaine de l’Elysée va soutenir et encadrer une guerre vouée à la défaite. Par ce fait elle va prolonger l’agonie d’un peuple. Ce soutien logistique (notamment les livraisons d’armes) se fera sous couverture humanitaire avec la création des  »french doctors ». Il faudra attendre le départ du Général de Gaulle et l’arrivée de Georges Pompidou pour que ce soutien s’estompe face à l’avancée des troupes nigérianes.

Une politique françafricaine qui a généré de 1 à 2 millions de morts et préfigure à bien des égards certaines méthodes françaises appliquées au Rwanda en1994 (encadrement et formation d’une armée, livraisons d’armes, organisation de la propagande, instrumentalisation de l’humanitaire et des médias…).

L’amnésie et l’impunité menant à la reconduction.

 »Cinq ans avant la sécession biafraise, sans prévenir qui que soit, Foccart a pris ses dispositions au Nigéria au cas où. Près d’une dizaine d’agents du SDECE sont envoyés au Nigéria. » Joël Calmettes, Ibid.

« Dès 1963, l’Elysée avait détaché du SDECE le lieutenant-colonel Bichelot au cabinet présidentiel de Côte d’Ivoire pour aider le vieux Félix à suivre l’évolution politique au Nigéria. Quand Ojukwu, quatre ans plus tard, se lance dans l’aventure sécessionniste, Paris est prêt! »

Pierre Péan, Affaires Africaines, Ed. Fayard, p.72.

 »En juin 1966 des dizaines de milliers de chrétiens, des Ibos sont tués par des musulmans Aoussas dans le nord du Nigéria. Deux millions de Ibos affluent vers leur terre d’origine : le futur « Biafra ». Foccart comprend immédiatement que c’est là la carte à jouer pour affaiblir le Nigéria. Discrètement certains agents du SDECE encouragent la sécession mais Foccart va plus loin. Huit mois avant la proclamation de l’indépendance il avait envoyé des armes au Biafra. L’avion qui les transporte un DC 4 s’écrase au Cameroun, le 11 octobre 1966. L’information passe totalement inapperçu : la France ne risquait pas grand chose le pilote et l’avion étaient américains. »

Joël Calmettes , Ibid.

« La guerre civile opposant les tribus nigérianes entre elles, grâce à la sécession du Biafra, ne plonge pas tout le monde dans la consternation à Paris…Les commandos qui ont fait la « révolution » et, en provoquant la guerre civile, ont mis les Anglo-Saxons dans le pétrin, ont été entraînés et conseillés par des Européens qui ressemblent à s’y méprendre à des barbouzes français dépendant de Jacques Foccart, secrétaire général de la Communauté (sic) et à l’Elysée. Fortiche, non? »

Le Canard Enchaîné du 23 août 1967.

MANIPULATION DE L’OPINION PUBLIQUE : LA CREATION DU TERME  »GENOCIDE » PAR LES SERVICES. LA PROPAGANDE FRANCO-BIAFRAISE; comment les leaders sécessionnistes du Biafra affament leur propre peuple face au blocus Nigérian.

« Ce que tout le monde ne sait pas, c’est que le terme de « génocide » appliqué à cette affaire du Biafra a été lancé par les services. Nous voulions un mot choc pour sensibiliser l’opinion. Nous aurions pu retenir celui de massacre, ou d’écrasement, mais génocide nous a paru plus  »parlant ». Nous avons communiqué à la presse des renseignement précis sur les pertes biafraises et avons fait en sorte qu’elle reprenne rapidement l’expression  »génocide ». Le Monde a été le premier, les autres ont suivi. »

Colonel Maurice Robert, responsable du SDECE durant la guerre du Biafra in ‘Ministre de l’Afrique’, entretien avec André Renault, Ed. Seuil, p.180.

P.E Davies né en 1944, travaille pour la direction de la propagande Biafraise à Radio Biafra puis comme journaliste à Voice of Biafra. Extrait d’une interview avec Joël Calmettes in « Conversations à propos de la guerre du Biafra ».

« Je sais parfaitement que la direction de la propagande biafraise composée de professionnels, d’intellectuels et d’universitaires, avait étudié le système de propagande de Goebels, de la Chine et dans une certaine mesure de l’Union soviétique. Elle a du adapter ses propres systèmes à la situation particulière du Biafra. Car les systèmes allemands sous Hitler et Goebbels étaient méthodiques, et le sytèmes chinois et russe étaient idéologiques. Or le Biafra n’avait pas d’idéologie en tant que telle. Il fallait donc trouver une autre voie qui ne soit pas la méthode hitlérienne car cette propagande était dirigée contre un peuple. On a donc renversé les méthodes de propagande d’Hitler. »

« Et finalement la France nous a apporté une aide concrète en nous envoyant des armes. Ce qui nous a permis de nous battre un an et demi de plus…C’était la France qui payait notre agence de presse ‘Mark Press’. Mark Press est devenue l’unique agence chargée de diffuser à l’étranger les nouvelles du Biafra ».

P.E Davies travaillait pour la direction de la propagande Biafraise Extrait d’une interview avec Joël Calmettes in « Conversations à propos de la guerre du Biafra ».

« Le Biafra prive son propre peuple de ce qui est nécessaire à sa subsistance, dans l’espoir évidemment que le spectacle de ses souffrances va inciter les étrangers à imposer des restrictions politiques au Nigéria…La famine ne saurait devenir une arme de guerre acceptable du simple fait qu’elle est utilisée par un leadership aux abois contre sa propre population réduite à l’impuissance. »

Washington Post du 11.07.1969 cité par Pierre Péan, Ibid, p.81.

Exemple de propagande et de manipulation de l’opinion publique et des intellectuels français durant la guerre du Biafra: NOUVEL OBSERVATEUR 19.01.1970

Un médecin accuse…par Bernard Kouchner

Bernard Kouchner rentre du Biafra où il est allé comme médecin de la Croix-Rouge internationale.

Paddy Davies, membre de la direction de la Propagande (Biafra) (extrait du Doc Joël Calmettes : ‘Foccart s’en va-t-en guerre’):

 »La direction de la propagande s’est servie de la faim. Après avoir essayé le pogrom, le génocide, la libération de notre province… »

LES VENTES D’ARMES SOUS COUVERTURE HUMANITAIRE

Entretien avec Maurice Delaunay, ambassadeur de France au Gabon lors de la guerre du Biafra (doc de Joël Calmettes, Ibid) :

 »Moi j’étais un transitaire, un transitaire particulier mais un transitaire tout de même. J’étais le bras armé de l’aide française au Biafra puisque pratiquement toute l’aide française passait par Libreville : des mitrailleuses, des fusils-mitrailleurs, des fusils, des grenades, des bazookas, des petits canons également mais pas d’armes lourdes. Pas d’armes lourdes pourquoi? Parce que tout cela était transporté par avion. Et je dois vous dire que dans cette affaire je n’ai jamais eu affaire à mon ministre de tutelle mais je n’ai obéi et je n’ai agi qu’en fonction des instructions qui m’étaient données par l’Elysée. »

« Tous les moyens sont bons dans cette affaire. La Croix-Rouge et les Chevaliers de Malte, qui canalisent et acheminent officiellement vivres et médicaments au Biafra, ne regardent pas de trop près les lourdes caisses qui, manifestement, ne sont pas remplies de lait en poudre. Pour simplifier les choses, le colonel Merle, conseiller militaire de l’ambassade de France au Gabon, est aussi responsable de la Croix-Rouge »

Pierre Péan,Ibid.

 »Le 12 juin (1967), le conseil des ministres prononcera l’embargo sur les armes et la mise en place d’une aide humanitaire au profit du Biafra…aide humanitaire qui couvrira le trafic d’armes à destination des sécessionnistes. »

Colonel Maurice Robert, responsable Afrique du SDECE durant la guerre du Biafra, Ibid, p.181.

 »Armes et aide humanitaire transitaient essentiellement par Libreville et Abidjan, les premières profitant des ponts aériens organisés pour l’autre. Bongo avait été réticent au début mais, sous la double pression française et ivoirienne, il avait fini par accepter de soutenir la lutte biafraise »

Colonel Maurice Robert, Ibid,p.181.

LA CREATION DE BONGO : « UNE MARIONNETTE » AU SERVICE DE FOCCART

« La France ne reconnaît toujours pas la sécession. Pour Foccart c’est un échec mais en coulisse De Gaulle semble s’y préparer activement. Il charge Foccart de monter une vaste opération de transport d’armes vers le Biafra. Foccart choisit le Gabon comme base arrière. Il vient d’y faire élire président le jeune Albert Bongo qui ne peut rien lui refuser. » Joël Calmettes, Ibid.

Le lendemain déclaration du Président gabonais dont le correspondant de l’AFP rend compte de la façon suivante :

 »Le président Bongo a déclaré…M. Bongo a cependant ajouté que si l’unité du Nigéria se recréait, comme il le souhaite, il serait prêt… »

Moins de deux heures après que cette dépêche fut tombée sur les télex, l’AFP diffusait le rectificatif suivant :  »Prière supprimer : comme il le souhaite et lire la phrase :  »M. Bongo a cependant ajouté que, si l’unité du Nigéria se recréait, il serait prêt », etc..le reste sans changement ».

Ces trois lignes de rectificatif montrent à quel point le Président gabonais n’est alors qu’une marionnette dépendant des services de foccart. Il croît d’abord avoir le droit de dire que la sécession est terminée, qu’il souhaite personnellement l’unité du Nigéria ; Foccart, qui est à Libreville ce jour-là et qui l’a « briefé » le matin même avant qu’il ne s’adresse aux journalistes, a dû le rappeler à l’ordre et lui demander ce rectificatif. Toujours est il que Bongo corrige son « lapsus ».

Pierre Péan, Affaires Africaines, Ed. Fayard, p.82.

GRI-GRI INTERNATIONAL 15.12.09

12 novembre 1968, Bongo sort de l’Élysée et parle du Biafra

REFERENCES

Afrikara 2006 (Assassinats de coopérants)

1967-1970 : Comment la Francafrique fabriqua plus d’un million de morts au Biafra

Réseau Voltaire 1997

Quand la Françafrique foccartienne intervenait au Biafra (1967-70)…

Documentaire de Joël Calmettes. Histoires secrètes du Biafra.

Foccart s’en va-t-en guerre. France 3. 2001. 54 MIN 19 SEC

VIDÉO, COULEUR, V.O.F. E-mail : d.weitzel@pointdujour-prod.fr

Documentaire de Joël Calmettes. Conversations à propos de la guerre du Biafra. Diffusé sur la chaîne Histoire en 2004.

Maurice Robert. Ministre de l’Afrique: Entretiens avec André Renault (2004)

Pierre Péan. Affaires africaines de Pierre Péan . Ed. Fayard.

1983.

Voir aussi:

Génocide: la France n’a pas de leçon à donner à la Turquie

Ivan Rioufol

Le Figaro

21 décembre 2011

C’est pour un mauvais prétexte que la France semble vouloir se fâcher avec la Turquie. S’il s’agit de lui refuser l’entrée en Europe, autant le lui dire clairement et tout de suite. Mais le contentieux qui risque de s’ouvrir à l’occasion de l’examen, demain à l’Assemblée nationale, d’une proposition de loi visant à réprimer pénalement (un an de prison, 45.000 euros d’amende) la négation des génocides reconnus, dont le génocide arménien commis par les Turcs en 1915, manque d’arguments sérieux. Il est certes détestable de voir la Turquie refuser ne serait-ce que d’admettre la réalité de l’épuration ethnique et religieuse qu’elle a menée contre plus d’un million d’Arméniens : ce déni devrait être un argument suffisant pour lui refuser de rejoindre l’Union européenne. Cependant, ce n’est pas au parlement de faire l’histoire. Mon opposition constante à la loi Gayssot sanctionnant le négationnisme dans la contestation de la Shoah est identique pour cette autre loi mémorielle qui revient, une fois de plus, à limiter la liberté d’expression et à pénaliser un délit d’opinion.

Mais il y a surtout, dans l’attitude morale de la France, une énorme hypocrisie. Car l’Etat français se comporte en fait comme l’Etat turc, en refusant de reconnaître et en contestant même la réalité du génocide vendéen de 1793. La proposition de loi du député des Alpes maritimes, Lionel Luca, invitant la République « à reconnaître le génocide vendéen de 1793-1794 », déposée en 2007, n’a jamais été examinée. Or, comme le rappelle l’historien Reynald Secher, qui a trouvé aux Archives nationales les éléments établissant le génocide (1) : « La France est le premier pays à avoir conçu, organisé et planifié l’anéantissement et l’extermination d’une partie d’elle-même au nom de l’idéologie de l’homme nouveau. Elle est aussi le premier pays à avoir conçu et mis en place un mémoricide dans le but d’occulter ce crime contre l’humanité. En ce sens, la France est un double laboratoire et un modèle pour les régimes génocidaires (…) ».

Non, la France n’a pas de leçon à donner aux Turcs. Si Michelet, père de l’histoire officielle de la Révolution française, a beaucoup contribué à nier le génocide vendéen, les travaux de Secher apportent les preuves écrites et incontestables d’une « extermination partielle ou totale d’un groupe humain de type ethnique, ou racial, ou politique, ou religieux », pour reprendre la définition du génocide. La Révolution s’était donnée pour objectif, après la guerre civile de mars à août 1793, de rayer de la carte la Vendée et ses plus de 800.000 habitants, en répondant aux ordres de la Convention et plus particulièrement du Comité de salut public où siégeaient Robespierre, Carnot, Barère. C’est d’une manière scientifique, centralisée, planifiée que furent menés par l’armée les incendies de villages et les massacres de masse n’épargnant ni les femmes ni les enfants. A Nantes, les victimes liées entre elles étaient noyées dans la Loire. Or, non seulement la République n’a jamais reconnu ces crimes, mais elle a réussi à faire passer les victimes pour des coupables. S’il y a une injustice à réparer, c’est bien celle des ces milliers de Vendéens assassinés par la Terreur.

(1) Reynald Secher, Vendée du génocide au mémoricide , Editions du Cerf (préface de Gilles-William Goldnadel, postfaces de Hélène Piralian et de Stéphane Courtois)


Idées reçues: Les filles sont nulles en génocide (Life imitates the Onion)

28 juin, 2011
Il n’y a plus ni homme ni femme; car tous vous êtes un en Jésus-Christ. Paul
« Où est Dieu? » cria-t-il, je vais vous le dire! Nous l’avons tué – vous et moi! Nous tous sommes ses meurtriers! Mais comment avons-nous fait cela? Comment avons-nous pu vider la mer? Qui nous a donné l’éponge pour effacer l’horizon tout entier? Qu’avons-nous fait, de désenchaîner cette terre de son soleil? Vers où roule-t-elle à présent? Vers quoi nous porte son mouvement? Loin de tous les soleils? Ne sommes-nous pas précipités dans une chute continue? Et cela en arrière, de côté, en avant, vers tous les côtés? Est-il encore un haut et un bas? N’errons-nous pas comme à travers un néant infini? Ne sentons-nous pas le souffle du vide? Ne fait-il pas plus froid? Ne fait-il pas nuit sans cesse et de plus en plus nuit? Ne faut-il pas allumer les lanternes dès le matin? N’entendons-nous rien encore du bruit des fossoyeurs qui ont enseveli Dieu? Ne sentons-nous rien encore de la putréfaction divine? – les dieux aussi se putréfient! Dieu est mort! Dieu reste mort! Et c’est nous qui l’avons tué! Comment nous consoler, nous, les meurtriers des meurtriers? Ce que le monde avait possédé jusqu’alors de plus sacré et de plus puissant a perdu son sang sous nos couteaux – qui essuira ce sang de nos mains? Quelle eau lustrale pourra jamais nous purifier? Quelles solennités expiatoires, quels jeux sacrés nous faudra-t-il inventer? La grandeur de cette action n’est-elle pas trop grande pour nous? Ne nous faut-il pas devenir nous-mêmes des dieux pour paraîtres dignes de cette action? Il n’y eut jamais d’action plus grande – et quiconque naîtra après nous appartiendra, en vertu de cette action même, à une histoire supérieure à tout ce que fut jamais l’histoire jusqu’alors! Nietzsche
Depuis que l’ordre religieux est ébranlé – comme le christianisme le fut sous la Réforme – les vices ne sont pas seuls à se trouver libérés. Certes les vices sont libérés et ils errent à l’aventure et ils font des ravages. Mais les vertus aussi sont libérées et elles errent, plus farouches encore, et elles font des ravages plus terribles encore. Le monde moderne est envahi des veilles vertus chrétiennes devenues folles. Les vertus sont devenues folles pour avoir été isolées les unes des autres, contraintes à errer chacune en sa solitude.  G.K. Chesterton
La femme serait vraiment l’égale de l’homme le jour où à un poste important on désignerait une femme incompétente. Françoise Giroud (1983)
C’est le sens de l’histoire (…) Pour la première fois en Occident, des hommes et des femmes homosexuels prétendent se passer de l’acte sexuel pour fonder une famille. Ils transgressent un ordre procréatif qui a reposé, depuis 2000 ans, sur le principe de la différence sexuelle. Evelyne Roudinesco
Je souhaite que si la gauche l’emporte, une loi soit adoptée. Je pense que ce sera le cas. Ce devra être une des premières lois emblématiques de la gauche. Jack Lang (Marche des fiertés homosexuelles 2011)
You know who’s led, like, every single genocide ever? Yup, boys. (…) there’s no way a girl would get up and make a big speech in front of thousands of Brownshirts. (…) Know how many major genocides there were in the 20th century? The encyclopedia CD-ROM in the library says seven. A whole 50 or 60 million people got killed altogether. But was even one of the genocides done by a girl? Nope. Did any of the tyrannical dictator boys have a « right-hand girl » who was carrying out his orders for him? No way! (…) You never see a genocidal dictator wearing a dress and being all afraid he’ll ruin it. He’s out there in military fatigues, getting down in the mud, making sure his orders are being carried out. (…) I bet you have to know a lot about guns if you want to make a genocide. Everyone knows boys are better gun-shooters than girls. Who knows even one girl who shoots guns? Also, I bet a big part of being one of those genocidal maniacs is designing stuff, like big camps and ovens and stuff. (…) To be good at genocide, you probably have to be really good at bossing people around. That’s something girls can’t do. (…) Unlike boys, girls just aren’t bossy or stubborn enough to eradicate a race of people from the face of the Earth. (…) Girls always want to help people. They want to take care of babies and feed them and dress them up. They don’t want to throw them into pits and cover them with dirt while they’re still alive.  (…) God, I wish I were a boy. The Onion
En tant que femme, je ne comprends pas qu’une femme qui a donné la vie ait pu inciter des gens à violer d’autres femmes. (…) Il s’agissait d’éliminer les Tutsis physiquement, mais aussi psychologiquement. Rose Burizihiza (rescapée toutsie)
Selon un autre témoin, Pauline se rendit dans un enclos où un groupe d’Interahamwe gardait 70 femmes et filles tutsies. Pauline ordonna de brûler les femmes et ajouta : « Pourquoi ne les violez-vous pas avant de les tuer ? ». « Mais nous avions tué des gens toute la journée, et nous étions fatigués. Nous avons simplement mis l’essence dans des bouteilles et l’avons versé sur les femmes, puis on a mis le feu », indique ce témoin. The NYT
Bien que la plupart des femmes aient été tuées avant de pouvoir raconter ce qui leur était arrivé, un rapport des Nations unies a conclu qu’au moins 250 000 femmes furent victimes de viol au cours du génocide. Certaines furent pénétrées avec des lances, des canons de revolver, des bouteilles ou des branches de bananier. Leurs organes sexuels furent mutilés à la machette, à l’eau bouillante et à l’acide, et certaines femmes eurent les seins coupés. Une étude montre que la province de Butare compte à elle seule plus de 30 000 survivantes de viol. Davantage de femmes encore furent tuées après avoir été violées. (…) Pis encore, les viols – la plupart commis par plusieurs hommes à la suite – furent fréquemment accompagnés d’autres formes de tortures physiques et souvent mis en scène publiquement pour augmenter l’impact de la terreur et de l’humiliation. Tant de femmes les redoutaient qu’elles suppliaient souvent qu’on les tue avant. Fréquemment, le viol précédait le meurtre. Parfois, la victime n’était pas tuée, mais violée à plusieurs reprises et laissée en vie. L’humiliation, alors, n’affectait pas seulement la femme violée, mais également son entourage. D’autres fois encore, les femmes étaient utilisées dans un autre but : à moitié morte, ou déjà sans vie, une femme était violée en public pour servir d’élément rassembleur des Interahamwe. Mais l’exhibition publique et la destruction ne s’arrêtaient pas avec le viol lui-même. Nombre de femmes étaient laissées en vie exprès pour qu’elles meurent lentement du sida. L’actuel président du Rwanda, Paul Kagame, a abordé le sujet des viols massifs dans une interview donnée au siège du gouvernement de Kigali. « Nous savions que le gouvernement faisait sortir des malades du sida des hôpitaux pour former des bataillons de violeurs », raconte-t-il. Selon une estimation, 70 % des femmes violées pendant le génocide ont contracté le sida. Le plus diabolique des objectifs des viols de Butare était de transmettre une mort lente et angoissante. « En utilisant une maladie, une peste, une terreur apocalyptique comme une arme biologique, vous annihilez les procréateurs en perpétuant la mort dans les prochaines générations », s’indigne Charles B. Strozier, psychanalyste et professeur d’histoire au John Jay College of Criminal Justice de New York. « La tuerie persiste et s’éternise. » The NYT

A quelles nouvelles aberrations l’obsession de l’égalité nous conduira-t-elle encore?

En ces temps étranges où, preuve ultime d’égalité au nom du prétendu bien public et sur fond de chômage et de déficits abyssaux, un ancien travailleur social  redouble d’efforts pour démontrer à la planète entière qu’un président noir peut être aussi nul que n’importe quel Blanc  …

Et où, confirmation de la puissance suggestive des minorités actives et des millions de dollars de propagande qu’elles peuvent mobiliser un groupe comprenant moins de 2% de la population peut apparaitre à l’ensemble comme 12, 5 fois plus important et ainsi imposer à tous les pires aberrations telles que tout récemment à New York le vote du droit au prétendu « mariage homosexuel »…

Pendant qu’avec la double aberration du prétendu droit au « mariage homosexuel » et à « l’homoparentalité » le plus ardent représentant d’une gauche caviar française suiveuse et toujours à l’affut de la dernière mode du moment vient comme prévu de nous fournir une nouvelle raison de ne pas voter pour elle …

Retour, au lendemain de la première condamnation d’une femme pour génocide qui voyait une ancienne travailleuse sociale et ministre de la Famille et de la Promotion féminine (Pauline Nyiramasuhuko) orchestrer non seulement le génocide mais la systématisation du viol comme arme de guerre, sur une nouvelle illustration de la capacité aussi étrange qu’apparemment infaillible de la réalité à rattraper la plus incroyable des fictions

A savoir, la tribune imaginaire du journal parodique en ligne américain The Onion qui, il y à peine 10 ans, imaginait une petite fille se lamentant de l’apparemment insurmontable incapacité des femmes à réaliser quoi que ce soit de conséquence dans l’histoire humaine et bien sûr le crime des crimes de génocide …

Oh, Girls Are No Good At Genocide

Alyssa Elver

The Onion

September 5, 2001

I hate being a girl. It totally stinks. Boys are better at everything. In gym class, whenever we divide up into boys against girls, the boys always win. Boys are better at PlayStation and at drawing robots. Who do you think got to go to summer science camp this year? Danny Grella. A boy. Not that I wanted to go to retarded science camp anyway, but you know what I mean.

I was thinking about this even more in Social Studies class today. We learned all about what genocide is. And you know who’s led, like, every single genocide ever? Yup, boys.

A lot of the girls in my class are smart, but most of them are too shy to say anything, so no one even notices they’re smart. Even if they know the answer, Mrs. Culver has to call on them and ask them if they know it before they’ll say it. So there’s no way a girl would get up and make a big speech in front of thousands of Brownshirts. She’d be way too embarrassed.

Know how many major genocides there were in the 20th century? The encyclopedia CD-ROM in the library says seven. A whole 50 or 60 million people got killed altogether. But was even one of the genocides done by a girl? Nope. Did any of the tyrannical dictator boys have a « right-hand girl » who was carrying out his orders for him? No way! There’s one more thing girls are no good at.

I like to get dirty and play flag football with the boys, but none of the other girls in my class want to get their stupid clothes dirty. All they care about is going to the mall and buying stupid nail polish and purses and makeup. It’s so lame. Maybe that’s why girls aren’t any good at overseeing the systematic mass murder of an entire race. It’s too messy.

You never see a genocidal dictator wearing a dress and being all afraid he’ll ruin it. He’s out there in military fatigues, getting down in the mud, making sure his orders are being carried out. This boy dictator we learned about named Suharto, I bet he wasn’t afraid to get a little blood splattered on his shirt. Girls hate blood. They run screaming from it.

I bet you have to know a lot about guns if you want to make a genocide. Everyone knows boys are better gun-shooters than girls. Who knows even one girl who shoots guns? Also, I bet a big part of being one of those genocidal maniacs is designing stuff, like big camps and ovens and stuff. And for that, you need to be really good at math. I suck at math. I just can’t figure it out. That’s because I’m a girl.

Danny Grella says girls don’t have to be smart, because they just stay home and have babies. Well, my mom had babies and a career. Still, she’s not the boss where she works. My dad is the boss where he works. My mom has to go in to work on Saturday if Mr. Nagel says so.

To be good at genocide, you probably have to be really good at bossing people around. That’s something girls can’t do. My brother Josh always gets to watch what he wants on TV, even if I really want to watch something. I usually just let him get away with it because I don’t feel like getting in a big fight about it. Unlike boys, girls just aren’t bossy or stubborn enough to eradicate a race of people from the face of the Earth. It just would never happen.

Girls always want to help people. They want to take care of babies and feed them and dress them up. They don’t want to throw them into pits and cover them with dirt while they’re still alive.

In gym class, when we divide into teams for dodgeball, the girls are always picked last. Maybe that’s what happens when a group of extremists is looking for somebody to head their regime. The Khmer Rouge picked Pol Pot because they knew he’d be good at murder and torture and all that other boy stuff. A girl probably would have planted flowers in the killing fields.

Sure, there have been a couple of evil girls, but they’re never as evil as the boys. Nothing on the level of Idi Amin, this boy who killed 300,000 Christians in Uganda during the 1970s.

All Hitler had to say was « jump » and everybody jumped. There’s no way a girl could grow a mean mustache like his. Then there was Stalin. I bet no one put stupid frilly curtains up in Stalin’s bedroom when he was away at summer camp and then told him they had to stay there because the old curtains were already in the garbage.

God, I wish I were a boy.

Voir aussi:

U.S. Adults Overestimate Homosexual Population by As Much As Tenfold

 Andrew Herzog

 CSN news

June 02, 2011

(CNSNews.com) –While a recent Gallup poll showed that U.S. adults, on average, think homosexuals make up about 25 percent of the entire population, official data reveal that gays and lesbians comprise between 2 percent and 4 percent of the population.

In a May 5-8 telephone survey, Gallup asked more than 1,000 U.S. adults in all 50 states: “Just your best guess, what percent of Americans today would you say are gay or lesbian?”

The adults polled estimated that 25 percent – one quarter of all Americans – are gay or lesbian.

According to Gallup, over half of Americans (52 percent) said that at least one in five Americans is homosexual, and 35 percent estimated more than one in four. Only 30 percent estimated under 15 percent.

However, official estimates of the homosexual population range from 2 to 4 percent – well under the 25 percent “guesstimate.”

According to the U.S. Census Bureau, which began asking questions about same-sex household information in the 1990 Census, only 581,300 individuals were part of a same-sex household in 2009. That’s less than one-half of one percent (0.5 percent) of the 307 million people living in the U.S. in 2009.

Furthermore, data from the Census Bureau’s 2010 Demographic Profile shows that “same-sex spouses” accounted for a mere 2.5 percent of the U.S. population, which is nearly 8 million people out of the total 309 million Americans.

The 2006-2008 National Survey of Family Growth found that 3.7 percent of adults aged 18 to 44 were homosexual or bisexual. The survey is administered by the National Center for Health Statistics, part of the federal Centers for Disease Control. It consists of an in-person interview in which the respondent enters his or her own answers into the computer without telling them to an interviewer.

The University of Chicago’s National Opinion Research Center, which has been conducting scientifically designed surveys on homosexuality for close to 30 years – far longer than the U.S. Census Bureau – found the percentage of gays, lesbians, and bisexuals in the United States in 2008 was 2 percent – a number that has been stable since the late ‘80s, according to Tom Smith, director of the General Social Survey at NORC. (pg. 57)

“In general, these figures have changed little from our first studies in the late 1980s through 2010,” Smith told CNSNews.com.

The Gallup poll was a random digit dial telephone interview which surveyed 1,018 adults, aged 18 and older, living in all 50 U.S. states and the District of Columbia on May 5-8, 2011. The margin of error was plus-or-minus 4 percentage points.

 Voir enfin:

LE VIOL COMME MÉTHODE DE GÉNOCIDE AU RWANDA

Pauline Nyiramasuhuko, la barbarie au féminin

En même temps que l’extermination des trois quarts de la population tutsie au Rwanda s’est déroulée une autre horreur, le viol de 250 000 femmes. Parmi les responsables figure une Hutue, aujourd’hui jugée pour incitation au viol de masse. Elle était… ministre de la Promotion féminine.

Peter Landesman

The New York Times

14.11.2002

Au printemps de 1994, l’horreur est arrivée à Butare, une ville rwandaise tranquille, brûlée par le soleil. A l’époque, des escadrons de la mort hutus, armés de machettes et de bâtons surmontés de clous, brûlaient, tuaient et pillaient dans tout le pays. Des barrages installés sur les routes piégeaient les Tutsis en fuite, qui se faisaient alors massacrer. Pendant la troisième semaine d’avril, alors que le génocide atteignait son summum, des dizaines de milliers de cadavres pourrissaient dans les rues de Kigali, la capitale. Butare – un bastion de Tutsis et de Hutus modérés qui avaient résisté aux ordres de génocide du gouvernement – était la prochaine cible. Ses habitants entendirent des coups de feu dans les collines de l’ouest ; la nuit, ils virent la lueur provenant des villages avoisinants en proie aux flammes. Des Hutus en armes ne tardèrent pas à se rassembler à la périphérie de la ville, mais les habitants paniqués de Butare ne se laissèrent pas faire.

Mis en rage par la révolte de Butare, le gouvernement par intérim de Kigali y envoya en mission Pauline Nyiramasuhuko, ministre de la Famille et de la Promotion féminine. Avant de devenir l’une des femmes les plus influentes du gouvernement, Pauline avait grandi dans une petite commune rurale juste à côté de Butare. Comme elle était l’exemple d’une réussite locale, son retour aurait sûrement un impact persuasif.

Peu après l’arrivée de Pauline en ville, des voitures surmontées de haut-parleurs parcouraient les petites routes autour de Butare en annonçant que la Croix-Rouge s’était installée dans un stade non loin de là pour fournir nourriture et asile à la population. Le 25 avril, des milliers de Tutsis se rendirent dans ce stade. C’était un piège. Au lieu de trouver nourriture et abri, les réfugiés furent encerclés par les Interahamwe, de violents maraudeurs hutus dont le nom signifie « ceux qui attaquent ensemble ». Selon un témoin, Pauline, qui avait 48 ans à l’époque, supervisait la scène. Elle encourageait les Interahamwe et donnait des ordres en ces termes : « Avant de tuer les femmes, vous devez les violer », témoigne Foster Mivumbi, qui a confessé sa participation au massacre. Des femmes tutsies furent alors sélectionnées parmi la foule du stade et emmenées dans les fourrés pour être violées, se souvient Mivumbi. Sur le stade, Pauline agitait les bras et observait sans rien dire les Interahamwe qui mitraillaient les réfugiés et leur lançaient des grenades. Les Hutus achevèrent les survivants à la machette. Cela dura une heure et se termina à midi. Pauline, raconta Mivumbi, resta jusqu’à l’arrivée d’un bulldozer qui commença à empiler les corps pour les enterrer dans une fosse voisine. Peu après, selon un autre témoin, Pauline se rendit dans un enclos où un groupe d’Interahamwe gardait 70 femmes et filles tutsies. Pauline ordonna de brûler les femmes et ajouta : « Pourquoi ne les violez-vous pas avant de les tuer ? »

« Mais nous avions tué des gens toute la journée, et nous étions fatigués. Nous avons simplement mis l’essence dans des bouteilles et l’avons versé sur les femmes, puis on a mis le feu », indique ce témoin. A peu près au même moment, des Interahamwe arrivèrent à l’hôpital local où Rose, une jeune Tutsie, avait trouvé refuge. « Ils ont dit que Pauline leur avait permis de se faire les filles tutsies, qui étaient trop orgueilleuses, raconta-t-elle. Elle était ministre ; alors, ils ont dit qu’ils en avaient le droit. » Pauline avait fait comprendre aux soldats que le viol était une récompense. A l’hôpital se trouvait le fils unique de Pauline, Arsène Shalom Ntahobali, un étudiant âgé de 24 ans qui était l’un des chefs Interahamwe. Rose raconta que Shalom, qui claironnait sans cesse qu’il avait la « permission » de sa mère de violer des Tutsies, la viola contre le mur.

Il n’y aura jamais de décompte précis du nombre de Rwandais assassinés entre avril et juillet 1994. L’organisation Human Rights Watch estime qu’ils furent au moins 500 000, et l’ONU évalue entre 800 000 et 1 million le nombre de Rwandais qui moururent durant cette période. Quel que soit le total, le volume du carnage et la concentration des assassinats leur donnent le sinistre honneur de constituer le meurtre de masse le plus féroce de l’Histoire : les trois quarts de la population tutsie furent exterminés.

Il est compréhensible que l’attention du monde se soit tournée vers les proportions du massacre rwandais. Mais, aujourd’hui, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), qui siège à Arusha, en Tanzanie, est en train de reconnaître un autre genre d’horreur, laissée dans l’ombre. Bien que la plupart des femmes aient été tuées avant de pouvoir raconter ce qui leur était arrivé, un rapport des Nations unies a conclu qu’au moins 250 000 femmes furent victimes de viol au cours du génocide. Certaines furent pénétrées avec des lances, des canons de revolver, des bouteilles ou des branches de bananier. Leurs organes sexuels furent mutilés à la machette, à l’eau bouillante et à l’acide, et certaines femmes eurent les seins coupés. Une étude montre que la province de Butare compte à elle seule plus de 30 000 survivantes de viol. Davantage de femmes encore furent tuées après avoir été violées.

Deux jeunes femmes tutsies, Mary Mukangoga, 24 ans, et Chantal Kantarama, 28 ans, avaient trouvé refuge dans la préfecture de Butare. Mais quand Pauline et Shalom vinrent à la préfecture avec les jeunes hommes de l’Interahamwe, ils sélectionnèrent des filles à violer.

En silence, Mary et Chantal retournent jusqu’aux ruines de ce qui fut autrefois une usine de plastique, dans un bosquet d’arbres à 200 mètres de la préfecture. Elles expliquent qu’elles furent entraînées hors de la préfecture, amenées ici et violées plusieurs fois. « Pauline venait et disait : ‘Je ne veux pas de cette merde ici, débarrassez-vous de cette merde' », raconte Chantal.

Les deux jeunes femmes firent partie d’un groupe de cinq esclaves sexuelles, gardées à la préfecture et violées régulièrement et ensemble, tous les soirs pendant des semaines. Puis, un jour, elles furent jetées dans une fosse pleine de cadavres. Le charnier, qui faisait à peu près 38 mètres carrés, est aujourd’hui à moitié rempli de gravats et d’herbes. « Ils ont tué à la machette celles qui résistaient, et les ont jetées dans le trou », témoigne l’une de ces femmes, qui resta dans la fosse une nuit et une journée, puis, la seconde nuit, escalada le monceau de cadavres pour sortir du trou.

En juillet 1994, Pauline a fui le Rwanda au milieu de l’exode de masse de plus de 1 million de Hutus craignant la vengeance de l’armée des rebelles tutsis, le Front patriotique rwandais, qui gagnait du terrain. Après s’être cachée dans un camp de réfugiés au Zaïre de l’époque [aujourd’hui RDC], elle a fini par se rendre au Kenya, où elle a vécu en fugitive pendant presque trois ans. Le 18 juillet 1997, elle fut interpellée à Nairobi par les autorités kenyanes et internationales. Shalom fut capturé six jours plus tard, dans une épicerie de Nairobi qu’il gérait. Ils furent tous deux livrés au Tribunal d’Arusha.

Onze charges sont retenues contre Pauline Nyiramasuhuko, dont génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre. C’est la première femme à être accusée de ces crimes dans une cour internationale, et la première à être accusée de viol en tant que crime contre l’humanité. (Son fils Shalom plaide non coupable sur les dix chefs d’accusation portés contre lui.)

Pauline et Shalom sont jugés ensemble, avec quatre autres chefs hutus de Butare également accusés de génocide. La plupart du temps, Pauline est accusée d’incitation au crime plutôt que de perpétration. Cependant, selon un document préparé par les enquêteurs du TPIR en prévision du procès, un témoin, surnommé Q. C., a vu un chef de communauté tutsi mourir « des mains de Nyiramasuhuko ». Les avocats de chacun des six accusés vont probablement débuter leur défense en 2004, après que le procès aura traîné pendant encore au moins deux ans : la justice avance avec une extrême lenteur à Arusha, avec seulement huit condamnations et un acquittement en sept ans.

Pauline Nyiramasuhuko est née en 1946 au milieu d’une forêt de bananiers et de vallées verdoyantes perdues dans les nuages. Ses parents, des paysans qui produisaient juste de quoi vivre, habitaient un village situé à 10 kilomètres à l’est de Butare. Au collège, Pauline devint l’amie d’Agathe Kanziga, qui épousa plus tard le président hutu Juvénal Habyarimana. Ce fut une rencontre décisive. Après ses études, elle quitta Butare pour Kigali et rejoignit le ministère des Affaires sociales, qui mettait en place à l’époque un réseau de centres sociaux devant enseigner aux femmes comment prendre soin de leur famille, des enfants et comment faire la cuisine. Pauline n’avait que 22 ans quand Agathe l’aida à gravir d’un coup les échelons administratifs et à devenir inspectrice nationale au ministère.

En 1968, Pauline épousa Maurice Ntahobali, qui devint président de l’Assemblée nationale rwandaise, puis ministre de l’Education supérieure et enfin recteur de l’Université nationale de Butare. Pauline fut alors l’une des rares femmes rwandaises à s’inscrire en droit. En 1992, elle était déjà l’un des leaders du Mouvement révolutionnaire national pour le développement (MRND, parti unique du président Habyarimana), et elle fut nommée ministre de la Famille et de la Promotion féminine. Soucieuse de faire ses preuves dans la structure d’un parti construit autour d’hommes au sein de la société patriarcale rwandaise, Pauline se rendit compte rapidement que le chemin du succès politique passait par son lieu de naissance. Or la ville de Butare était devenue une épine dans le pied du gouvernement. Elle comptait les citoyens les plus éclairés du pays, une université et un institut de recherche scientifique, et abritait la plus grande concentration de Tutsis du Rwanda. Elle avait été largement préservée de l’extrémisme hutu, et le MRND n’y avait jamais pris racine. Pauline tenta de changer tout cela au moyen d’un programme d’intimidation. Elle parcourait la ville avec les brutes du parti qui élevaient des barricades dans les rues, paralysaient la circulation et semaient le trouble. Les invasions régulières de Pauline vinrent à être connues sous le nom de « journées fantômes », pendant lesquelles Butare retenait son souffle.

Pauline fut vite embrigadée dans l’idéologie antitutsie de son parti. Léoncie Mukamisha, une ancienne camarade de classe de Pauline qui travaillait sous ses ordres au ministère, raconte que l’obéissance et la haine virulente des Tutsis qu’affichait Pauline gagnèrent les faveurs du président, qui lui assigna un certain nombre d’idéologues extrémistes hutus en tant que conseillers.

Il ne sera peut-être jamais possible de savoir ce qui a motivé les actes de Pauline. Peut-être a-t-elle ressenti une rage viscérale à l’encontre des Tutsis, peut-être n’était-elle qu’une opportuniste assoiffée de pouvoir. En tout cas, dès 1994, son zèle antitutsi était connu de tous. Pendant le génocide, elle prononça des discours déchaînés sur les ondes de Radio Rwanda. « Nous sommes tous membres de la milice, disait Pauline. Nous devons travailler ensemble pour traquer les membres du Front patriotique rwandais. »

Dans ses aveux de génocide et de crimes contre l’humanité, l’ancien Premier ministre hutu, Jean Kambanda, identifie les membres de son conseil privé, où fut élaboré le projet du génocide. Cinq noms seulement apparaissent, parmi lesquels figure celui de Pauline Nyiramasuhuko.

Et puis, il y a la génération des enfants nés de tous ces viols. Cinq mille d’entre eux sont enregistrés, et il semble fort probable que ceux qui ne l’ont jamais été soient bien plus nombreux. « Le viol force les victimes à vivre avec les conséquences, les dégâts, les enfants », explique Sydia Nduna, conseillère à l’International Rescue Committee Rwanda, qui collabore à un programme de Kigali visant à réduire la violence entre les sexes. L’impact des viols massifs au Rwanda, affirme-t-elle, se fera sentir pendant plusieurs générations.

Pis encore, les viols – la plupart commis par plusieurs hommes à la suite – furent fréquemment accompagnés d’autres formes de tortures physiques et souvent mis en scène publiquement pour augmenter l’impact de la terreur et de l’humiliation. Tant de femmes les redoutaient qu’elles suppliaient souvent qu’on les tue avant. Fréquemment, le viol précédait le meurtre. Parfois, la victime n’était pas tuée, mais violée à plusieurs reprises et laissée en vie. L’humiliation, alors, n’affectait pas seulement la femme violée, mais également son entourage. D’autres fois encore, les femmes étaient utilisées dans un autre but : à moitié morte, ou déjà sans vie, une femme était violée en public pour servir d’élément rassembleur des Interahamwe. Mais l’exhibition publique et la destruction ne s’arrêtaient pas avec le viol lui-même. Nombre de femmes étaient laissées en vie exprès pour qu’elles meurent lentement du sida.

L’actuel président du Rwanda, Paul Kagame, a abordé le sujet des viols massifs dans une interview donnée au siège du gouvernement de Kigali. « Nous savions que le gouvernement faisait sortir des malades du sida des hôpitaux pour former des bataillons de violeurs », raconte-t-il. Selon une estimation, 70 % des femmes violées pendant le génocide ont contracté le sida.

Le plus diabolique des objectifs des viols de Butare était de transmettre une mort lente et angoissante. « En utilisant une maladie, une peste, une terreur apocalyptique comme une arme biologique, vous annihilez les procréateurs en perpétuant la mort dans les prochaines générations », s’indigne Charles B. Strozier, psychanalyste et professeur d’histoire au John Jay College of Criminal Justice de New York. « La tuerie persiste et s’éternise. » L’utilisation du sida comme arme contre les femmes tutsies a permis aux magistrats d’Arusha de considérer le viol comme un élément principal du génocide. « L’infection par le VIH est un meurtre », a déclaré Silvana Arbia, procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda. « L’agression sexuelle est un acte de génocide au même titre que le meurtre. »

Le viol est depuis longtemps une arme de guerre. Selon la légende, la Rome antique a été unie après que Romulus et ses soldats eurent terrorisé leurs ennemis, les Sabins, en violant leurs femmes.

L’agression sexuelle à grande échelle est répétée dans des conflits qui vont des croisades aux guerres napoléoniennes.

C’est Abraham Lincoln qui a établi la notion moderne de viol en tant que crime de guerre. En 1863, il commissionna Francis Lieber, un juriste expert, pour développer un ensemble d’instructions destinées aux armées pendant la guerre de Sécession. Francis Lieber qualifia le viol de crime assez sérieux pour être passible de la peine de mort. « Le code Lieber était révolutionnaire », juge Kelly Askin, directrice de l’International Criminal Justice Institute. « Auparavant, les crimes sexuels étaient largement ignorés. »

Le droit international se montra plus réticent face au problème. « Le viol était considéré comme une sorte de dommage collatéral », explique Rhonda Copelon, professeur de droit à CUNY [Université de New York]. « C’était un des avatars inévitables de la culture de la guerre. » Après la Seconde Guerre mondiale, les viols de femmes chinoises par des soldats japonais à Nankin furent jugés comme des crimes de guerre par un tribunal international, mais uniquement s’ils étaient accompagnés d’autres violences. Le même tribunal, pourtant, ne poursuivit pas la plus institutionnalisée des formes de violence sexuelle, l’esclavage des « femmes de réconfort » par l’armée japonaise. En 1946, une loi établie par les Alliés et destinée aux tribunaux devant juger les crimes de guerre allemands qualifia le viol de crime contre l’humanité, mais elle ne fut jamais appliquée. Ce n’est qu’en 1995, au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie [TPIY], que le viol fut désigné comme crime grave équivalant à la torture.

L’accusé de ce procès de 1995 était un policier serbe appelé Dusan Tadic. Le tribunal l’inculpa de divers crimes, dont le viol d’une femme bosniaque dans un camp de prisonniers. Cet acte fut qualifié de crime contre l’humanité, ainsi qu’un autre crime perpétré contre des hommes. Tadic avait en effet torturé deux prisonniers bosniaques, forçant l’un des deux à arracher les testicules de l’autre avec ses dents. L’homme mutilé mourut d’hémorragie. La mise en accusation par le tribunal créa un important précédent. Malheureusement, les procureurs durent abandonner l’accusation de viol car la victime de Tadic refusa de témoigner, par peur des représailles. En revanche, ils eurent plus de succès avec les accusations de mutilation sexuelle. Accusé de torture, entre autres crimes, Tadic fut condamné à vingt ans de prison.

Les histoires de viol commencèrent à s’accumuler au Rwanda dès la fin du génocide, la plupart du temps à travers des interviews réalisées par des organisations comme Human Rights Watch. Mais, parce que la culture rwandaise décourage les femmes d’aborder des sujets sexuels et parce que l’idée du viol comme « dommage collatéral » restait enracinée auprès de la communauté judiciaire, les procureurs d’Arusha n’ont pas fait immédiatement le lien entre les viols et le projet de génocide hutu. Le changement décisif eut lieu en 1998 pendant le procès de Jean-Paul Akayesu, le maire de la commune rwandaise de Taba.

Au départ, Akayesu n’était inculpé que de génocide. Parmi les survivants qui témoignaient contre lui se trouvait une femme, surnommée H. « Avant d’aller à la barre, H. m’a révélé qu’elle avait été violée dans les buissons », expliqua Pierre-Richard Prosper, l’ambassadeur américain chargé de mission pour les questions de crimes de guerre qui a mené les poursuites contre Akayesu. « Elle a raconté que les Interahamwe venaient à la fin de la journée pour violer les femmes et qu’Akayesu était présent. » Pierre-Richard Prosper envoya des enquêteurs au Rwanda, chargés de trouver des femmes violées à Taba pendant les troisième et quatrième semaines d’avril. Ces enquêteurs découvrirent que presque toutes les 500 femmes qu’ils savaient avoir été retenues prisonnières avaient été tuées et jetées dans une fosse commune. Seule une douzaine d’entre elles avaient pu s’échapper, telle une femme surnommée J. J.

L’ambassadeur a fait venir J. J. à la barre. Son histoire était atrocement familière : des Interahamwe l’avaient emmenée à l’écart et violée à plusieurs reprises. Elle expliqua qu’Akayesu la regardait se faire violer depuis l’encadrement de la porte en encourageant les Interahamwe et qu’il disait en riant : « Ne me demandez plus jamais quel goût a une femme tutsie. »

La mise en accusation d’Akayesu fut modifiée pour prononcer la première accusation de viol en tant que crime contre l’humanité. Pierre-Richard Prosper affirma que la remarque désinvolte d’Akayesu aux hommes qui violaient J. J. valait ordre d’en violer d’autres.

Le 2 septembre 1998, Akayesu fut reconnu coupable de génocide et de crimes contre l’humanité, dont le viol. Il fut condamné à trois peines de perpétuité, à quatre-vingts ans d’emprisonnement et transféré dans une prison sous contrôle de l’ONU au Mali.

Le 10 août 1999, un an après la condamnation d’Akayesu, le chef d’accusation de Pauline Nyiramasuhuko fut modifié pour inclure le viol en tant que crime contre l’humanité. L’accusation portée contre Pauline renforce le précédent établi dans le procès d’Akayesu : l’incitation au viol massif constitue un crime contre l’humanité, mais le cas de Pauline dépasse la jurisprudence. Elle représente une nouvelle sorte de criminelle. « Il existe une notion, généralement partagée dans les différentes cultures, que les femmes ne font pas ce genre de choses », explique Carolyn Nordstrom, anthropologue à l’Université de Notre-Dame [dans l’Indiana]. « La société n’a pas encore trouvé le moyen d’en parler, car cela va à l’encontre de toutes nos représentations de la nature des femmes. »

Le racisme mortel du Rwanda ne pourra jamais être aussi clairement défini que l’était, par exemple, le nazisme de l’Allemagne. Le fait que les Hutus et les Tutsis constituent des groupes ethniques distincts est un sujet de débat, mais ce n’est qu’après l’arrivée des colons européens au Rwanda qu’une différence politique fut faite entre eux. Les mariages intercommunautaires étaient courants depuis longtemps, les deux groupes parlaient la même langue et pratiquaient la même religion. Au tournant du XXe siècle, cependant, les colons allemands et belges mirent en pratique une logique raciale douteuse pour désigner les Tutsis minoritaires comme classe dominante et en faire leurs fondés de pouvoir : les Tutsis auraient, d’après eux, une apparence plus « blanche ».

Dans les années 30, les Belges eurent besoin de savoir exactement qui était qui afin de limiter les postes administratifs et l’éducation supérieure aux seuls Tutsis. La procédure la plus efficace consistait à enregistrer toute la population et à la forcer à porter des cartes d’identité précisant l’appartenance de chaque individu à l’un ou l’autre des groupes : 84 % de la population se déclara hutue et 15 % tutsie. Etant donné le nombre de mariages entre les deux communautés dans l’histoire rwandaise, ce décompte pouvait difficilement passer pour scientifique. En outre, les Rwandais changeaient parfois d’identité ethnique, les riches se qualifiant de Tutsis et les pauvres de Hutus.

« L’identité finit par dépendre de la façon dont chacun s’en sortait », raconte Alison Des Forges, conseillère à la division africaine de Human Rights Watch, qui étudie le Rwanda depuis trente ans. « La moitié des gens ne sont pas clairement reconnaissables, les mariages ayant été très nombreux. Les femmes qui répondaient au stéréotype tutsi (plus grandes, la peau plus claire, les traits plus fins) sont devenues désirables. Mais cela ne signifiait pas qu’elles appartenaient à l’un ou l’autre des groupes. »

Avec le désir est arrivé son alter ego émotionnel, la rancoeur. En 1959, une révolution amena la majorité hutue au pouvoir. Alors que les tensions augmentaient au cours des années 90, les politiciens commencèrent à répandre une propagande dénonçant les femmes tutsies comme des tentatrices, des prostituées et des perverses sexuelles. Avant le début du génocide de 1994, les journaux hutus publiaient sans cesse des dessins humoristiques montrant les femmes tutsies telles des séductrices lascives.

A l’inverse des nazis, motivés par le mythe de la supériorité aryenne, les Hutus se laissaient guider par une rage accumulée provoquée par leur statut inférieur et leur ressentiment vis-à-vis de la beauté et de l’arrogance des Tutsis.

« La propagande a rendu les femmes tutsies puissantes et désirables et a fait d’elles en conséquence un objet qui devait être détruit, raconte Rhonda Copelon. Quand vous prétendez que la femme est une menace, vous renforcez l’idée que la violence envers elle est légitime. »

Cette idée pernicieuse a connu son apogée pendant le génocide. « Cela devient un désir profond et commun d’éliminer le mal. Les Tutsis doivent être tués jusqu’au dernier afin de permettre l’avènement de l’utopie. Dans un sens, ils sont considérés comme déjà morts », explique le psychiatre américain Robert Jay Lifton.

Les crimes dont Pauline Nyiramasuhuko est accusée sont monstrueux. Mais, en cherchant une explication raisonnable à sa barbarie, il faut se souvenir des mots d’Alison Des Forges, de Human Rights Watch : « Ce comportement est enfoui, pas si profondément, en chacun de nous. Les récits simplifiés des génocides permettent d’établir une distance entre nous et leurs auteurs. Ils sont si horribles que nous ne pouvons nous imaginer faisant la même chose. Mais, si vous prenez en compte la pression terrible sous laquelle ces gens agissaient, alors, leur humanité s’impose automatiquement à vous, et cela devient effrayant. Vous êtes obligé de vous projeter dans ces situations précises et de vous dire : ‘Qu’aurais-je fait ?’ Parfois, la réponse n’est pas encourageante. »


Francophonie/40e: Vers la dénationalisation du français? (Denationalizing French?)

31 mars, 2010
https://i0.wp.com/whiteafrican.com/wp-content/uploads/2008/04/francophone_map.jpgBienvenue dans le club des Etats qui ne laissent pas tomber les gens malades (…) L’idée que les plus pauvres d’entre vous ne soient pas laissés dans la rue, seuls, sans un centime face à la maladie, excusez-moi, nous, ça fait que 50 ans qu’on a résolu le problème. (…) Si vous venez en France, s’il vous arrive quelque chose sur le trottoir, on ne vous demandera pas votre carte de crédit avant de vous accepter à l’hôpital. Nicolas Sarkozy (Columbia university)
Le français a fini par devenir une langue africaine à part entière. Achille Mbembe
Bien que j’écrive en français, je me sens plus proche d’un Saint-Lucien anglophone ou d’un Cubain hispanophone. Les affinités littéraires sont avant tout celle de l’imagination et de l’espace qu’on partage. Patrick Chamoiseau
Plus d’un écrivain dit francophone est déjà parti, au moins une fois, rencontrer la presse française comme d’autres vont à l’abattoir, redoutant la question qui coupe net tout élan : « Pourquoi écrivez-vous en français ? » Et notre écrivain de ressasser : « Quel stress ! Je vais encore bafouiller des banalités sur mes origines, sur ma couleur, l’histoire des miens, l’état du monde, les griefs contre la colonisation ou sur mes rapports avec la langue… » Résultat des courses : une partie de ping-pong stérile, avec la formule de Bernard Pivot en clou final : «Formidable, vous vous exprimez fort bien dans notre belle langue. Ah si tous les Français… !» […] Il est des compliments plus lourds, à l’estomac, que sacs de sable mouillé, se remémore notre écrivain francophoniquement essoufflé. Abdourahman Wabéri
Pour renaître au monde qui se construit sous nos yeux, et qui est très différent du monde ancien, chaque grande langue est appelée à se dénationaliser ou, si vous voulez, à se vernaculariser. Or, de ce point de vue, le plus grand obstacle au développement de la langue française dans le monde aujourd’hui est ce qu’il faut bien appeler le narcissisme culturel français et son corollaire, le parisianisme. Je veux dire que la France a toujours pensé le français en relation avec une géographie imaginaire qui faisait de la France le centre du monde. Au cœur de cette géographie mythique, la langue française était supposée véhiculer, par nature et par essence, des valeurs universelles. Sa tache était de représenter la pensée qui, se mettant à distance d’elle-même, se réfléchit et se pense elle-même. Dans cet éclat lumineux devait se manifester une certaine démarche de l’esprit – celle qui, dans un mouvement ininterrompu, devait conduire au triomphe de la raison humaine. On le sait, ce rapport quasi-métaphysique à la langue s’explique par la double contradiction sur laquelle repose l’Etat-nation français. Il s’agit de la tension entre le cosmopolitisme et l’universalisme. Cette tension, je pense, est au fondement du narcissisme culturel français. Or, le triomphe de l’anglo-américain comme langue dominante du monde contemporain devrait entraîner la réalisation selon laquelle à trop nationaliser le français, on finit nécessairement par faire de cette langue un idiome local, sans grand intérêt pour le monde au large. Il est tout à fait significatif qu’à Paris, à la télévision, dans les grandes maisons d’édition et dans les grandes institutions culturelles, l’on continue de penser et d’agir comme si la France avait l’exclusive propriété d’une langue dont on sait par ailleurs qu’elle est aujourd’hui davantage parlée hors de France que dans l’Hexagone. L’on tarde donc à comprendre qu’elle est désormais une langue au pluriel qui, en se déployant hors de l’Hexagone, s’est enrichie, s’est infléchie et a pris du champ par rapport à ses origines. Je crois donc que si l’on veut aller loin et ouvrir un futur à la langue française, il faut définitivement sortir de l’illusion selon laquelle elle appartient à la France. Il faut, par exemple, ouvrir l’Académie française à des non Français. Il faut dénationaliser les instances qui accordent les grands prix littéraires aux meilleures œuvres du genre. Il faut inviter aux grandes émissions littéraires les Alain Mabanckou, Véronique Tadjo, Ken Bugul, Abdourahman Waberi, Samy Tchak, Efoui Kossi et ainsi de suite – les auteurs des banlieues, ceux et celles de la Réunion, de la Martinique, de la Guadeloupe. Il faut décloisonner non seulement les prix, mais aussi les genres artistiques francophones, favoriser les métissages et les collaborations entre créateurs français et francophones ; en matière cinématographique, donner la voix autant à un Basseck ba Kobhio qu’à une Eliane de la Tour au lieu de continuer de les opposer quand il s’agit des mécanismes de financement. Faisons donc comme les Anglais avec le Booker Prize par exemple ! Que les grands quotidiens et hebdomadaires et les grandes institutions culturelles accordent toute l’attention qu’il faut, non pas seulement à la pensée française, mais à la pensée de langue française. Achille Mbembe
Ne nous voilons pas la face (…) la persistance dans un terme d’une représentation historiquement datée va bien souvent de pair avec la persistance des jugements de valeur liés à celle-ci ; qu’on laisse plus ou moins nettement entendre que « la littérature francophone, c’est de la sous-littérature », ou qu’à l’inverse l’on se flatte de lire des écrivains qui contentent notre goût de « world culture. Tristan Leperlier
Littérature française, québécoise, francophone, ‘extra-française’, africaine, maghrébine, antillaise, wallonne suisse, « monde », « world culture » …

Au lendemain de la première visite d’Etat de notre Sarko national sous l’ère du premier président américain prétendument post-racial où, Dieu merci entre deux arrogances bien de chez nous, il nous a épargné le coup du Québec ou du Porto-Rico libres (à la présence française ou corse pourtant non négligeable) …

Et l’heure où, en ce 40e anniversaire de sa création à Nyamey, on n’entend parler de la francophonie qu’à l’occasion des frasques du détenteur du poste du moment (cette fois un voyage en jet privé à 116 000 euros pour une conférence d’un jour à la Martinique) …

c’est hors de France que l’on parle à présent le plus français dans le monde, la majeure partie de ses 250 millions de locuteurs vivant déjà ou étant amenés à vivre très bientôt sur le continent africain (le seul Congo dépassant déjà la France elle-même!) …

Mais où aussi, suite aux dérives du passé (jusqu’au soutien, syndrome de Fachoda oblige, de génocidaires !) ou d’une volonté revancharde, certains pays comme le Rwanda ou l’Algérie (2e pays francophone au monde en termes de locuteurs) quittent ou continuent à refuser le navire …

Pendant que du haut de leurs récompenses et succès, des auteurs franco-africains se paient le luxe de cracher dans la soupe et de vouer aux gémonies le pays qui les honore …

Retour, avec une intéressante tribune du site Mondes francophones, sur les « dessous d’une définition à géométrie variable » susceptible de mener à terme à une véritable « dénationalisation » du français que certains appellent déjà de leurs voeux.

Et notamment, au-delà de l’indifférence dédaigneuse ou de l’appropriation chauvine, sur la perpétuation d’une lecture en termes de centre/périphérie dans laquelle une certaine critique universitaire tend à enfermer, y compris avec les meilleurs intentions du monde, le concept et les auteurs qu’il recoupe dans une problématique exclusivement coloniale ou post-coloniale.

Produisant à son tour, sur fond d’affrontement des mémoires et par une sorte de « survalorisation paradoxale » des victimes, ses propres exclus comme par exemple une littérature québécoise en quelque sorte trop blanche ou pas assez colonisée et esclavagisée, sauvée par son seul accent nécessairement « savoureux » …

Les Français et la francophonie: Perspective postcoloniale sur la représentation des littératures francophones en France
Tristan Leperlier
Mondes francophones
15/02/2010

La manière dont les Français perçoivent la francophonie en général, et les littératures francophones en particulier, est symptomatique d’une conscience postcoloniale : le modèle centre/périphérie issu de la colonisation continue à y jouer à plein, tant chez ses détracteurs (de quelque bord politique qu’ils soient), que chez la plupart de ses promoteurs. La « littérature française », racialisée en littérature blanche européenne, est ainsi communément considérée comme essentiellement distincte du groupe imprécis « littérature francophone » ; la très faible publicité de celles-ci en France montre que cette distinction n’est pas exempte de jugements de valeur. Les « études francophones » ou les « études postcoloniales » contribuent à maintenir cet état de fait en tendant à constituer, en lieu et place d’une problématique comparatiste, par définition partielle et ponctuelle, un corpus de textes aux contours relativement précis, et des départements spécifiques dans les universités, réduisant bien souvent les œuvres à quelques clichés dont le grand public ne peut plus se déprendre. On ne peut qu’appeler à un décentrement des représentations des Français, auquel peut largement contribuer l’école par la définition d’un nouveau canon littéraire, et l’université par la création de départements de littérature francophone qui intègre la littérature française, et qui réserve au comparatisme francophone la place limitée qui lui convient.

On sait l’importance qu’a pris en quelques années le « fait colonial » en France, en particulier autour de la guerre d’Algérie, et de manière vive avec le débat autour de la loi sur le « rôle positif » de la France dans ses anciennes colonies : « retour du refoulé colonial », « crise de conscience postcoloniale » a-t-on pu dire. De fait, la publicité sérieuse des études postcoloniales en France est contemporaine de cette crise. Dans le domaine historico-politique, celles-ci cherchent à mettre en évidence les traces plus ou moins profondes laissées par l’époque coloniale dans une société donnée, et de quelle manière elle est réinvestie dans l’imaginaire collectif. Étudier la représentation que les Français ont de la « francophonie » (dans son acception la plus vague, nullement institutionnelle, puisque celle-ci est quasi inconnue) revient à s’inscrire en très grande partie dans ces interrogations : de fait, peut-être 80 % des pays dits francophones (l’acception la plus vague est là encore de rigueur) sont des pays anciennement colonisés par la France ou la Belgique. Il s’agit plus précisément d’étudier dans quelle mesure le modèle centre/périphérie, dominant à l’époque coloniale dans l’esprit des Français, constitue encore aujourd’hui une représentation très largement partagée, même dans une discipline aussi neuve et utile que les postcolonial studies, les études postcoloniales. Face au problème de méthode posé par la question de la « représentation », nous nous concentrerons sur le domaine littéraire, d’autant plus probant en France que l’on sait l’importance qu’elle y joue depuis la IIIe République dans la formation d’une culture commune, d’une Nation distincte.

« Francophone » : les dessous d’une définition

Rien n’est moins aisé à définir que le terme de « francophone ». Il ne s’agit pas ici de rentrer dans les débats plus ou moins féconds alimentant les écrits spécialisés en terme qualitatif ou quantitatif, invoquant tour à tour la linguistique, l’histoire, la politique (1) ; mais bien plutôt de constater l’écart qui s’est établi entre le dictionnaire et la langue parlée. Le premier nous renverra certes à l’étymologie, « qui parle français », ou encore à la définition qui est de mise à l’OIF : qui est capable de s’exprimer en français dans une situation de communication commune ; la seconde nous avouera qu’un francophone est « quelqu’un qui parle français, mais qui n’est pas français ». Selon cette définition beaucoup plus profondément admise que sincèrement explicitée, Proust n’est pas un écrivain francophone. À l’inverse de Senghor. Voici une des raisons de la parution dans Le Monde du « Manifeste des quarante-quatre pour une littérature-monde en français » en 2007 (2). Ces écrivains récusent, dans le nom même qu’ils ont donné à leur « Manifeste », le terme de « francophone », trop idéologisé pourrait-on dire ; qui véhicule, quoi qu’il en soit, un jugement, une évaluation a priori. On ne peut que constater en effet dans son emploi en France la persistance du schéma issu de la colonisation : centre/périphérie, France/Empire. Et ce alors même que, selon le « Manifeste », une « révolution copernicienne » a eu lieu dans les prix littéraires, puisque ceux-ci récompensent de plus en plus des écrivains francophones non français. Ne nous voilons pas la face, et le « Manifeste » en fait état à sa manière, qu’on a pu à juste titre critiquer : la persistance dans un terme d’une représentation historiquement datée va bien souvent de pair avec la persistance des jugements de valeur liés à celle-ci ; qu’on laisse plus ou moins nettement entendre que « la littérature francophone, c’est de la sous-littérature », ou qu’à l’inverse l’on se flatte de lire des écrivains qui contentent notre goût de « world culture ».

Un centre historiquement daté

La perpétuation de ce schéma mental peut être comprise à la lumière de l’histoire. À l’inverse des autres grands ensembles linguistiques d’origine coloniale (anglophonie, hispanophonie, lusophonie), le centre de gravité de la Francophonie ne s’est pas déplacé vers l’Amérique (ou un autre outre-mer). Les États-Unis ont pris le relais du Royaume-Uni sur les plans démographique, économique, politique, et culturel ; dans une moindre mesure, mais qui tend à s’accentuer, il en va de même pour l’Amérique latine face au Portugal et à l’Espagne. Or, le « grand dérangement » (3) de 1755, la perte du Canada en 1763, puis la vente de la Louisiane en 1803 ont mis un terme à la colonisation de l’Amérique par des francophones. La fuite des Européens d’Algérie après 1962 a signé définitivement l’échec d’une colonisation de peuplement que la démographie française de la fin du XIX siècle avait déjà eu bien du mal à soutenir. Aussi le centre de gravité démographique (plus de 40 % des francophones de langue maternelle), économique, politique, et culturel de la Francophonie est-il resté en France. Pour les Français, cela signifie, près de 50 ans après la fin officielle de la période coloniale, l’absence de nécessité de se remettre en question, puisque la France reste bien le centre, du monde francophone s’entend. À l’inverse de l’exemple français, les autres anciennes métropoles coloniales se sont vues subitement reléguées à la périphérie, par un nouveau centre culturellement dominant, attirant les regards. Quel Espagnol ne lit pas Garcia Marquez ? Quel Anglais ne lit pas Steinbeck ? Certes Salman Rushdie se plaint de ce que son œuvre soit toujours reléguée à l’épithète de « littératures du Commonwealth », n’hésitant pas à parler de « ghetto » (4) : les littératures anglophones sont toujours gouvernées par un modèle centre/périphérie, même si le déplacement du centre vers les États-Unis s’est accompagné d’un changement de nature de cette représentation. Nous y reviendrons.

Les trois cercles de la littérature francophone

On peut soutenir que la perception de la littérature francophone par les Français distingue trois cercles concentriques, axiologiquement hiérarchisés, qui ne recouvrent que partiellement des données d’ordre historique, linguistique, ou raciale, quoique l’on constate une troublante similitude avec cette dernière. Le centre de la littérature francophone est, on s’en doutera, la « littérature française », c’est-à-dire Molière, Rousseau, Hugo, Maeterlinck, Saint-John Perse, Beckett, Camus, Kundera. La « littérature française » s’approprie sans scrupule toutes les littératures européennes francophones : mentionne-t-on dans les anthologies de littérature française que Beckett est irlandais que cela est bien vite oublié. Réflexe assimilateur explicable par le lien pluriséculaire de la langue française à la France (ne serait-ce que dans la construction de l’État-Nation en France), et par la réalité éditoriale qui fait de Paris le centre européen quasi unique de l’édition francophone. S’étonnera-t-on de ce qu’en revanche nulle place ne fût laissée dans ce Panthéon littéraire, ce canon national, à des Césaire, Édouard Glissant ou autres Maryse Condé, plus Français que d’autres pourtant ? Car nul ne soutiendra qu’aborder la « négritude » dans ses grandes lignes, et lire des extraits du Discours sur le colonialisme en cours d’histoire revient à faire de la littérature. On observe ainsi une curieuse racialisation de la littérature nationale : assimilation de tous les Européens blancs, qui perdent toute altérité ; rejet des Français d’outre-mer qualifiés de « francophones », parfois même des écrivains « beurs », relégués au statut d’écrivains « postcoloniaux ».

Les écrivains français d’outre-mer ne font ainsi partie que du deuxième cercle d’intérêt des Français pour la littérature francophone, et ce grâce aux efforts des Nord-américains pour développer depuis trente ans les postcolonial studies. La conscience raciale aux États-Unis depuis les années 1950 est certainement à l’origine de l’attention accordée aux littératures dites « postcoloniales » : les questions du racisme et de l’esclavage se retrouvant transposées dans les combats de l’indépendance contre le colonisateur, très largement thématisés dans les textes des années 50-60, ou encore dans la question de la langue (langue maternelle du dominé/ langue d’écriture qui est celle du maître). Aussi peut-il coexister dans le monde littéraire anglophone un modèle centre/périphérie (« littératures du Commonwealth »), et une survalorisation paradoxale. En contexte francophone, en France, l’intérêt nouveau pour les littératures du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne est sensible, ne serait-ce que dans les prix littéraires attribués. Les critiques laissent toutefois souvent songeur : a-t-on jamais lu un article sur Céline ou Rabelais rabâcher à satiété le caractère « savoureux », mieux, « jubilatoire » de leur langue, comme doivent le subir celles d’un Alain Mabanckou ou d’un Ahmadou Kourouma pour ses « malinkismes » ? Ou encore de s’extasier sur la maîtrise même de la langue française, comme s’en irrite Abdourahman Waberi en parodiant Bernard Pivot (5) ? Quant aux lecteurs, serait-il exagéré de parler à leur propos, bien souvent, d’une perpétuation d’un goût pour l’exotisme ?

Le troisième cercle est le châtiment réservé à la lie de la Francophonie. Une étudiante de UCLA qui voulait travailler sur un auteur québécois s’est vue par exemple rétorquer : « Mais, un écrivain québécois, ce n’est pas un écrivain francophone ! ». Au-delà de l’anecdote plaisante, on constate bien souvent que la survalorisation en contexte états-unien du terme francophone dans son acception « qui écrit en français, mais qui n’est pas français, et qui a souffert ou souffre d’une manière ou d’une autre de la colonisation ou de l’esclavage » a conduit bien souvent à l’éviction de ceux qui commettent le péché de n’être ni Français, ni noir, ou au moins ancien « indigène ». En France, le Québec, les Québécois de manière générale, souffrent de la condescendance la plus éhontée. Pire que des Belges, on ne retient d’eux que leur accent (qu’heureusement certains trouvent « savoureux ») et leurs chemises à carreaux quand ils coupent du bois près des caribous. La crise identitaire des Français, sur fond d’appel à la crise du modèle économique et social, a certes conduit certains à voir dans le Québec les États-Unis de la France. Mais, outre le fait que l’on constate que le Québec ne peut être pris en considération qu’en perdant toute altérité (« les Français d’Amérique »), il ne s’agit que d’un engouement relatif, et qui n’a pas gagné la littérature. Quant aux Québécois eux-mêmes, blessés d’être relégués à la périphérie, leur Université s’est prise à distinguer entre littérature française, québécoise, et francophone. Là-bas aussi, le francophone c’est l’autre.

Entre dédain et rejet

Si l’on analyse plus largement les réactions habituelles des Français face à l’idée de francophonie, on constate que malgré leurs apparentes différences et oppositions, elles se rejoignent toutes dans la même reprise plus ou moins consciente du modèle centre/périphérie. On peut en établir un tableau à quatre termes, selon qu’elle est négativement ou positivement perçue ; et selon le degré d’intérêt qui lui est porté.

Rares sont ceux qui revendiquent cyniquement la francophonie comme le moyen de continuer « l’œuvre », l’exploitation coloniale d’antan. La réaction la plus largement répandue est celle de l’indifférence amusée ou dédaigneuse (qui se traduit donc par l’ironie) : les Français ont appris la leçon du général de Gaulle pour qui se détourner du passé colonial était la voie d’entrée dans la modernité de la construction européenne. Avec la conversation, ce dédain commun évolue de deux manières diamétralement opposées suivant les interlocuteurs. Cette opposition recoupe en grande partie celle, sensible dans l’affrontement des mémoires sur la colonisation, entre partisans et détracteurs de la reconnaissance du « rôle positif de la présence française outre-mer ».

Comme on l’a vu à propos de la représentation du Québec, un écrivain francophone non français peut être revendiqué quand il peut servir le chauvinisme français. On retrouve alors ce réflexe de la représentation de « La plus grande France », assimilatrice, « hétérophobe » (6), qui fait revendiquer à des Français que l’on parle, que l’on écrit en français en Tunisie pour servir les intérêts du centre, son propre chauvinisme. Le terme de « francophone » est donc à géométrie variable : il permet l’assimilation aussi bien que le rejet. Sois assimilé, ou tais-toi.

À l’opposé de cette représentation, le dédain commun peut se résoudre en rejet violent de la francophonie, précisément en réaction à ces réflexes fleurant trop son Exposition Coloniale. Analysons l’argument principal : « continuer à promouvoir le français dans les anciens pays colonisés, c’est légitimer le fait qu’il leur a été imposé par la force, au sacrifice des cultures et langues locales. Un véritable co-développement, un autre monde n’est possible que par l’abandon de nos anciens réflexes de coloniaux », pourrait-on résumer. Cette réaction a priori saine, consciente des ravages de l’acculturation et de la réalité du néo-colonialisme, entend ainsi rompre avec le passé colonial. Or, ce faisant, les tenants de cette position s’y embourbent. Car c’est croire que le français a aujourd’hui dans le monde le même statut qu’il y a 100, ou 50 ans. C’est croire que le français est aujourd’hui la langue de la seule France, quand c’est hors de France que l’on parle le plus français dans le monde. Sur 250 millions de locuteurs, la majeure partie vivra très bientôt en Afrique. Et Achille Mbembe de déclarer « Le français a fini par devenir une langue africaine à part entière » (7). Demandez à un Ivoirien pourquoi il parle français, il vous répondra, interloqué, que c’est sa langue. A l’instar de Tahar Ben Jelloun, irrité d’avoir à « passer [sa] vie à [s]‘expliquer, [à se] justifier pourquoi [il écrit] en français. » (8) Est-ce si inconcevable aujourd’hui ? C’est, paradoxalement, contester qu’un ancien colonisé puisse, voire ait le droit de parler français. Et faire le jeu de ceux qui diraient « Le français aux Français ! »… Contre toute attente, et malgré qu’ils en aient, ces nobles détracteurs gardent inscrits dans leurs discours le schéma centre/périphérie du temps qu’ils rejettent, incapables qu’ils sont de penser le français à l’international autrement que selon l’opposition entre colons dispensateurs illégitimes d’une langue et d’une culture, et colonisés. Se voulant post-coloniaux, ils promeuvent en réalité une représentation de la francophonie typiquement postcoloniale (9).

De bonnes volontés vouées à la reproduction de ces mêmes représentations

Une ‘avant-garde’ intellectuelle cependant, faisant preuve par là d’un intérêt sincère pour les littératures francophones non françaises, a pris à cœur de développer à l’Université française les études dites francophones. Qui ne s’en réjouirait ? Mais, dans ces cas encore trop rares, elle les réunit toutes ensemble dans un même département, « département de littérature francophone », distinguée ainsi de la littérature française. L’une des anthologies actuelles de référence pour les littératures francophones, l’Anthologie de Littérature francophone chez Nathan (10), n’échappe pas, quand bien même elle fait des efforts en la matière, à cette représentation centre/périphérie profondément ancrée. Ainsi, « littérature francophone » y a bien son sens étymologique. La première partie est consacrée aux littératures européennes, et en particulier françaises du XVI au XIXe siècle, considérant tout naturellement Hugo comme un écrivain francophone. Les écrivains non français (Belges…) sont cités également, quoique, remarquons-le d’emblée, à la suite des écrivains français. Mais la deuxième partie, consacrée au XXe siècle distingue deux sous parties : littérature française, puis littérature ‘extra-française’, et où en outre la distinction entre Africain, Antillais ou Wallon disparaît sous l’ordre alphabétique. Selon cette anthologie, la littérature française est donc bien une littérature francophone, mais essentiellement distincte de toutes les autres, auxquelles est conférée subrepticement une unité. Le modèle centre/périphérie continue à jouer à plein, et si la racialisation de la littérature française est moins franche que dans la perception commune, puisque les Européens non français ne sont pas annexés à elle, on persiste en revanche à l’amputer des littératures françaises d’outre-mer.

À l’Université comme dans cette anthologie, on pourra bien sûr invoquer l’argument pédagogique : il s’agit de mettre en valeur des littératures quasi inconnues du public français. On pourrait également parler de la constitution, avec les « départements d’étude francophone », « d’espace d’intéressements » qui amènent les directeurs de ceux-ci à justifier leur existence parce qu’ils en ont la charge. Quoi qu’il en soit, la représentation différentielle qu’ils transmettent ne fera que retarder la prise au sérieux de ces littératures, tant ces représentations sont aujourd’hui liées à des jugements de valeur, ou du moins à des clichés plus ou moins conscients, souvent regrettables. Cette persistance de départements séparés pour les littératures francophones non françaises peut être vue comme une première étape ; mais on ne peut se contenter désormais d’une situation qui n’accorde pas d’unité de département à la littérature francophone en son entier, accordant une juste représentation bien sûr aux séminaires de littérature française. Et qui ne réduise pas les littératures francophones non françaises à des études comparées entre elles…

De la problématique au corpus

En effet, l’un des écueils les plus graves que l’on constate actuellement dans les « études francophones » est de vouloir à tout prix comparer ces littératures entre elles, peut-être sur le modèle des postcolonial studies. Le contexte littéraire autant que politique des années 70-80 a naturellement conduit les chercheurs anglo-américains à étudier un grand nombre de textes selon une problématique postcoloniale, la critique littéraire des études postcoloniales se développant alors dans deux directions différentes. Le corpus le plus pertinent se trouvait être d’une part les textes dits « exotiques » écrits par des écrivains ‘dominants’ (11), et d’autre part les textes écrits en contexte colonial par des écrivains ‘dominés’. L’étude de ces auteurs consistait à mettre en évidence ce qui différenciaient leur écriture du modèle dominant, eux qui peuvent utiliser de manière subversive la langue du maître : « Une langue appartient à celui qui la viole, pas à celui qui la caresse » écrit Kateb Yacine. Développées à un moment où le corpus correspondant était constitué essentiellement de textes écrits pendant la période coloniale, ou par des écrivains l’ayant connue, la problématique des postcolonial studies avait toute sa pertinence, et était justifiée à étudier de manière conjointe des thématiques très politisées de l’époque et des esthétiques ou un usage « de combat » de la langue.

En trente années d’études postcoloniales, on a par malheur assisté à un glissement d’une méthode qui cherche désormais sa pertinence : en effet, d’une problématique postcoloniale on est passé à un « corpus postcolonial », progressivement autonomisé par rapport à la problématique originelle, étudié pour lui-même, et désormais possiblement en dehors de cette seule problématique (12). La comparaison de ces textes peut ainsi donner lieu à des développements esthétiques, sans que cela soit profondément justifié (quelle justification, par exemple, à comparer particulièrement entre eux des textes romanesques maghrébins, antillais et québécois francophones ?). Moins parce que l’on suppose de manière sous-jacente que les conditions historiques d’apparition de ces littératures (par ailleurs très dissemblables) ont conduit nécessairement, des années plus tard, à des esthétiques comparables (postulat en lui-même contestable) ; mais parce qu’ainsi autonomisé le corpus permet, plus que justifie, des comparaisons de toutes sortes. Et assure la raison d’être des départements mis en place pour ces études. Que les textes écrits aujourd’hui, 50 ans après la fin de la colonisation, puissent être encore étudiés de manière pertinente selon la problématique postcoloniale, cela n’est pas même questionné : les littératures des pays ex-colonisés sont-elles condamnées à rester ‘postcoloniales’ ?

Les « études francophones », de tendances souvent postcoloniales, suivent cette même tendance. Étudier les textes francophones de manière comparatiste peut, comme toute comparaison, être justifié. En faire une règle de l’étude des littératures francophones, et surtout de celles qui ne sont pas françaises, ne saurait en aucun cas l’être. Cette autonomisation du corpus par rapport à ce qui n’était qu’une problématique comparatiste conduit à des absurdités méthodologiques, au premier rang desquelles la volonté affichée de vouloir intégrer aux études comparatives postcoloniales francophones la littérature québécoise, alors que le Québec est de colonisation plus ancienne, sans guerre de décolonisation, peuplée de blancs, francophones de langue maternelle. Certes un complexe d’infériorité par rapport à l’ancienne métropole a longtemps existé au Québec ; mais voilà plusieurs décennies que la littérature québécoise s’est entièrement autonomisée par rapport à celle de la France, ne serait-ce que d’un point de vue éditorial. Cependant afin de maintenir la littérature québécoise dans la littérature ‘francophone’, c’est-à-dire de maintenir la cohérence de ce corpus, et donc en dernière analyse la distinction rassurante entre celui-ci et le corpus français, on fait appel à des lieux communs de la critique postcoloniale tels que la confrontation à la langue du maître, en ce cas l’anglais. Cet examen a un indéniable intérêt ; mais rappellera-t-on que, dans la problématique postcoloniale, l’idée de langue du maître n’est vraiment pertinente que dans la mesure où il s’agit précisément de la langue employée pour écrire ?… Si la littérature québécoise peut appartenir au « corpus postcolonial », pourquoi ne pas y faire entrer la littérature française, aux prises elle aussi depuis de nombreuses années avec la question de l’identité linguistique, à l’ère de la mondialisation ? Ou la littérature viennoise du tournant du siècle, dominée par le modèle français ?… Certes la littérature québécoise fait partie de la littérature francophone ; mais fait-elle nécessairement partie d’un « corpus francophone » recyclant sans cesse de vieilles problématiques, et surtout l’y enfermant ? Toutes ces remarques pourraient être appliquées également aux littératures belges et suisses, classées dans les départements de littérature francophone, ce que l’on tente de justifier par cette même problématique de la langue (en contexte plurilingue)…

Ce sont ces essais plus ou moins féconds qui sont à l’origine du discrédit porté à toute tentative de penser à nouveaux frais le terme de « francophone ». Patrick Chamoiseau, insupporté par l’idée que son œuvre doive en priorité et à tout prix être rapportée à celle de n’importe quel autre écrivain francophone, quel qu’il soit, déclare : « bien que j’écrive en français, je me sens plus proche d’un Saint-Lucien anglophone ou d’un Cubain hispanophone. Les affinités littéraires sont avant tout celle de l’imagination et de l’espace qu’on partage ». Voilà la raison de son refus du qualificatif « francophone », alourdi qu’il est du sens que lui donnent ces études, alors qu’il ne devrait renvoyer ici qu’au fait d’écrire en français (en effet, remarquons que P. Chamoiseau utilise le terme « anglophone » et « hispanophone », bien moins connotés, mais pas « francophone »). Du classement par la seule langue, incontestable sur le terrain de la littérature, on est passé à une problématique francophone, justifiable dans certaines limites, pour aboutir à un corpus francophone, autonome, et nécessairement réducteur.

La problématique postcoloniale décrit de quelle manière des littératures s’inscrivent et jouent avec le cadre centre/périphérie ; mais la théorie postcoloniale qui essentialise ces textes en corpus postcolonial les perpétue dans une position périphérique de manière durable dans l’inconscient collectif. D’une part en les distinguant systématiquement de la littérature française ; d’autre part en prenant le risque que ces littératures ne soient perçues que sous un angle restrictif (politique, linguistique…), les privant d’un nombre d’études esthétiques (13) centrées sur une œuvre en particulier (ou monographies…) équivalent à celui des études consacrées aux littératures du centre. Un corpus n’est légitime que dans le cadre provisoire d’une problématique ; l’essentialiser est prendre le risque de réduire les œuvres qui les constituent. Les « études francophones » pécheront par le même travers tant que les départements de littérature ne présenteront pas de manière systématique aux côtés de séminaires centrés sur Hugo leur équivalent sur Edouard Glissant ou Gaston Miron, rétablissant les études comparatistes à la place secondaire et ponctuelle qui leur convient.

Un décentrement à l’école

On ne peut ainsi que constater la permanence en France d’une représentation de la littérature francophone dominée par le modèle colonial centre/périphérie. C’est en définitive à un décentrement que nous appelons, une salutaire sortie de cette période postcoloniale qui ne nous fait nullement honneur : quelle gloire à être au centre d’un vide ? Comme le dit Achille Mbembe, « la France a toujours pensé le français en relation avec une géographie imaginaire qui faisait de la France le centre du monde » : il faut enfin « dénationaliser le français » (14). Puisqu’il ne s’est pas fait de lui-même, c’est aux pouvoirs publics d’introduire ce décentrement à l’école (car c’est par là seulement que pourra s’engager une logique éditoriale, à terme économiquement viable, et donc soutenue par des intérêts privés, à plus large publicité). On peut comprendre la nécessité, dans le cadre d’un État-Nation comme la France, de la construction d’une culture nationale commune, à laquelle la littérature a contribué depuis de longues décennies. Que cette culture commune construite de toutes pièces soit inculquée dans les petites classes par la « littérature française », voilà qui peut se justifier ; pour autant que cette culture commune accorde une juste place aux littératures des départements d’outre-mer… Il n’est toutefois plus temps au lycée, et bien moins encore en classes préparatoires et à l’université, de constituer une conscience nationale, mais bien d’étudier notre littérature dans son ensemble (15), la littérature francophone : faut-il rappeler cette banalité, que la littérature est avant tout un fait de langue, et qu’il vaut mieux, à qualité égale, lire un poème écrit dans sa propre langue, plutôt qu’une traduction ? (16)

Les arguments que l’on oppose à l’enseignement en France des littératures francophones dans leur ensemble peinent à justifier un état de fait qui correspond au désir profond de conserver la distinction rassurante centre/périphérie. La ‘culture’ de l’auteur peut-elle être un trait discriminant, surtout au XXe et XXIe siècle que les migrations internationales ont rendu ce concept moins pertinent ? Saint-John Perse, Camus, ou même Barrès n’ont pas la même ‘culture’ qu’un Parisien : la ‘culture’ de l’auteur est un trait contextuel fondamental à prendre en considération dans l’étude, mais au même titre que la perspective historique. La langue française serait-elle devenue au XX et XXIe siècles cette bien triste marâtre incapable de donner naissance à des écrivains aussi dignes d’être lus en France que ceux, anglophones, hispanophones, que l’on se plaît sans cesse, et à juste titre, à citer ? N’a-t-on pas à avoir honte que Sony Labou Tansi, Mohammed Dib, ou Réjean Ducharme ne soient pas des classiques en France, comme ils le sont ailleurs ? Par la même occasion se constituera une ‘culture’ en partie commune entre nombre de peuples dits francophones dans le monde, de manière plus forte encore qu’entre Européens (lecture de Joyce, Kafka, Primo Levi…).

La reconnaissance par la nouvelle génération de l’égalité possible entre des écrivains francophones français et non français, ou encore l’utilisation du terme de francophone (17) dans son sens étymologique, serait un signe important de ‘dépassement de l’histoire’, de sortie de l’ère postcoloniale, si cela se peut. Il ne s’agit pas de nier nombre d’aspects que l’on peut qualifier de postcoloniaux de nos sociétés ; mais de ne pas contribuer à en perpétuer les représentations malheureuses : analyser de manière postcoloniale si cela se révèle pertinent, en évitant d’être soi-même ‘postcolonial’. Par le sentiment d’appartenance à une constellation de centres, reconnus à égalité proportionnelle dans le champ littéraire, à égalité stricte sur le plan humain, nous entrons quoi qu’il en soit dans une époque « post-postcoloniale » réconciliée, avec le passé comme avec le présent, débarrassée de relents racistes et de ses taies condescendantes, ouvrant sur les autres et sur nous-mêmes. Et donnons au français une chance d’exister encore.

*****************

(1) Par exemple : quelle maîtrise du français faut-il atteindre pour être considéré comme francophone ? L’Algérie, deuxième pays francophone au monde en termes de locuteurs, est-elle un pays francophone alors qu’elle refuse officiellement d’intégrer l’Organisation Internationale de la Francophonie ?…
(2) Le Monde, 16 mars 2007
(3) Expulsion des Acadiens qui refusaient de prêter serment à la Couronne d’Angleterre.
(4) Patries Imaginaires, Paris, C. Bourgois, 10/18, 1993, p.79
(5) « Plus d’un écrivain dit francophone est déjà parti, au moins une fois, rencontrer la presse française comme d’autres vont à l’abattoir, redoutant la question qui coupe net tout élan : « Pourquoi écrivez-vous en français ? » Et notre écrivain de ressasser : « Quel stress ! Je vais encore bafouiller des banalités sur mes origines, sur ma couleur, l’histoire des miens, l’état du monde, les griefs contre la colonisation ou sur mes rapports avec la langue… » Résultat des courses : une partie de ping-pong stérile, avec la formule de Bernard Pivot en clou final : «Formidable, vous vous exprimez fort bien dans notre belle langue. Ah si tous les Français… !» […] Il est des compliments plus lourds, à l’estomac, que sacs de sable mouillé, se remémore notre écrivain francophoniquement essoufflé. » Abdourahman Wabéri, in Pour une littérature-monde, sous la direction de Michel Le Bris et Jean Rouaud Paris, Gallimard, 2007
(6) Pierre-André Taguieff, La Force du Préjugé. Essai sur le racisme et ses doubles. La Découverte, Paris, 1987.
(7) A. Mbembe, « La République désœuvrée. La France à l’ère postcoloniale », Le Débat, 137, novembre-décembre 2005, p.165
(8) La Quinzaine Littéraire, 1985.
(9) « Post-colonial désigne donc le fait d’être postérieur à la période coloniale, tandis que « postcolonial » se réfère à des pratiques de lecture et d’écriture intéressées par les phénomènes de domination, et plus précisément par les stratégies de mises en évidence, d’analyse et d’esquive du fonctionnement binaire des idéologies impérialistes. » Jean-Marc Moura, Littératures francophones et théorie postcoloniale, Quadrige/PUF, 1999, p.11.
(10) Anthologie de littérature francophone, sous la direction de Jean-Louis Joubert, Nathan, Paris, 1992
(11) Par exemple les écrits de romantiques découvrant la Méditerranée. Le texte fondateur de cette pensée critique est sans conteste L’Orientalisme d’Edward Saïd.
(12) Certains critiques, tout en reconnaissant le danger méthodologique, ne s’en détournent toutefois pas. Témoin cet extrait de la fin de l’essai par ailleurs central de Jean-Paul Moura, qui n’a cessé de convoquer le « corpus » francophone ou postcolonial : « Il est délicat de définir les éléments communs de cet ensemble d’œuvres sinon, sur le plan très général, par la polyphonie née de la multitude des registres culturels convoqués […] ». Jean-Marc Moura : Littératures francophones et théorie postcoloniale, PUF, Paris, 1999, p.155.
(13) Si la littérarité d’un texte ne peut se comprendre en dehors de son contexte ou de son ancrage énonciatif (et à ce titre, la dimension « coloniale » est tout aussi autant à prendre en ligne de compte que le contexte absolutiste pour une tragédie classique), on ne peut non plus le réduire à des problématiques générales, et généralement politisées ou linguistiques, qui sont chaque fois comme une nouvelle manière de prouver la validité de la problématique postcoloniale appliquée.
(14) « Dénationaliser la langue française », http ://multitudes.samizdat.net/article.php3 ?id_article=2330, février 2006
(15) Par exemple par région, afin de simplifier les contextualisations culturelles.
(16) Ce qui signifie que, dans l’ordre du canon (et non des choix et goûts individuels qui s’étendent, fort heureusement, bien au-delà), Joyce sera toujours à privilégier par rapport à Jean Amrouche, pourtant relativement important dans la littérature francophone (mais la place de ce dernier pourrait être revalorisée en contexte national algérien, par exemple). Mais dans un contexte où les littératures francophones non françaises sont comparativement moins lues, moins présentes dans les librairies que les autres (encore une fois, à qualité égale), et ce alors que la proximité linguistique devrait nous inviter logiquement au contraire, nous nous voyons contraints ici d’insister sur ce point. Il faut reconnaître, à l’inverse, que le système scolaire français accorde trop peu de place au « canon littéraire international ».
(17) Nous n’entendons pas en effet renoncer à ce terme pour celui, trop sec, « d’expression française », applicable au seul champ littéraire, et qui empêche de penser d’autres formes de relations avec les autres pays et nations dits francophones : dans le champ culturel, éducatif, mais aussi économique, voire politique : pourrait-on jamais parler par exemple d’un ERASMUS d’expression française ?…

Auteur: Tristan Leperlier
Tristan Leperlier est élève de l’Ecole Normale Supérieure de Paris, étudiant en littérature à la Sorbonne-Paris IV où il rédige un mémoire sur Mohammed Dib et Salim Bachi (sous la direction de Beida Chikhi), et à l’IEP de Paris (Sciences Po) où il commence un doctorat en Théorie du politique sur la question des relations entre langue et nation, dans le cadre francophone. Président de l’association « francophonie-ens » (francophonie-ens.fr), il organise la « Semaine de la francophonie à l’Ecole Normale Supérieure » (du 15 au 21 mars 2010), grâce à laquelle il entend contribuer à un décentrement des représentations des étudiants parisiens sur la francophonie, et par là-même à une véritable prise en considération de celle-ci.

Voir aussi:

Multitudes Web

Dénationaliser la langue française
Achille Mbembe
22 février 2006

Le Salon du Livre de Paris aura lieu cette année du 17 au 22 mars. Il est consacré au thème de la Francophonie. À cette occasion, Didier Jacob du Nouvel Observateur a recueilli les propos d’Achille Mbembe. Notre collaborateur a jugé utile de partager cette réflexion sur le statut du français dans le monde avec nos lecteurs. Une chronique pas comme les autres sur la forme, mais dont on appréciera sans doute le fond et la pertinence

Les écrivains francophones sont-ils, à votre avis, de plus en plus isolés, voire pénalisés, dans un monde où domine l’anglais ?

Le développement d’une langue étant fonction de la puissance politique, militaire et économique des peuples qui la parlent, les écrivains francophones et les penseurs de langue française dont les œuvres ne sont pas traduites en anglais sont, de fait, de plus en plus isolés sur la scène mondiale. Aujourd’hui, la langue des affaires multinationales, des transports, des états-majors, de la finance, de la publicité, des organisations internationales est l’anglo-américain. L’anglo-américain est également la langue des images, du cinéma, des grands médias électroniques, de la world music. Elle est le véhicule privilégié de la seule culture populaire dont le rayonnement aujourd’hui est véritablement global. C’est aussi la langue des grands sports de masse, à l’exemple du basket-ball, voire, plus près de nous, du football, du cricket ou du rugby. Mais par anglo-américain, il faut bien comprendre tous les dialectes de transaction qui, sous l’appellation générique de l’anglais, participent à la création d’un immense monde créole et cosmopolite de Mumbai en Inde à Kingston en Jamaïque, du Bronx (New York) à Lagos au Nigeria, de Karachi (Pakistan) à Toronto (Canada), de Sydney en Australie à Johannesburg (Afrique du Sud) et Nairobi (Kenya).

La francophonie, de votre point de vue, se porte-t-elle bien ? Son avenir est-il menacé ?

Pour bien appréhender les difficultés auxquelles fait face la langue française dans le monde aujourd’hui, il faut se démarquer des problématiques bureaucratico-institutionnelles. Le projet officiel francophone est une affaire de chefs d’État – et donc de politique politicienne – qui, par définition, n’intéresse personne de sérieux. Les institutions de la Francophonie sont, quant à elles, au service de petits réseaux très fermés de clients qui vivent d’une rente juteuse – la rente linguistique. La véritable interrogation est de savoir comment faire de la présence du français au monde un projet véritablement intellectuel – philosophique, artistique et esthétique. Pour renaître au monde qui se construit sous nos yeux, et qui est très différent du monde ancien, chaque grande langue est appelée à se dénationaliser ou, si vous voulez, à se vernaculariser. Or, de ce point de vue, le plus grand obstacle au développement de la langue française dans le monde aujourd’hui est ce qu’il faut bien appeler le narcissisme culturel français et son corollaire, le parisianisme. Je veux dire que la France a toujours pensé le français en relation avec une géographie imaginaire qui faisait de la France le centre du monde. Au cœur de cette géographie mythique, la langue française était supposée véhiculer, par nature et par essence, des valeurs universelles. Sa tache était de représenter la pensée qui, se mettant à distance d’elle-même, se réfléchit et se pense elle-même. Dans cet éclat lumineux devait se manifester une certaine démarche de l’esprit – celle qui, dans un mouvement ininterrompu, devait conduire au triomphe de la raison humaine. On le sait, ce rapport quasi-métaphysique à la langue s’explique par la double contradiction sur laquelle repose l’Etat-nation français. Il s’agit de la tension entre le cosmopolitisme et l’universalisme. Cette tension, je pense, est au fondement du narcissisme culturel français. Or, le triomphe de l’anglo-américain comme langue dominante du monde contemporain devrait entraîner la réalisation selon laquelle à trop nationaliser le français, on finit nécessairement par faire de cette langue un idiome local, sans grand intérêt pour le monde au large. Il est tout à fait significatif qu’à Paris, à la télévision, dans les grandes maisons d’édition et dans les grandes institutions culturelles, l’on continue de penser et d’agir comme si la France avait l’exclusive propriété d’une langue dont on sait par ailleurs qu’elle est aujourd’hui davantage parlée hors de France que dans l’Hexagone. L’on tarde donc à comprendre qu’elle est désormais une langue au pluriel qui, en se déployant hors de l’Hexagone, s’est enrichie, s’est infléchie et a pris du champ par rapport à ses origines. Je crois donc que si l’on veut aller loin et ouvrir un futur à la langue française, il faut définitivement sortir de l’illusion selon laquelle elle appartient à la France. Il faut, par exemple, ouvrir l’Académie française à des non Français. Il faut dénationaliser les instances qui accordent les grands prix littéraires aux meilleures œuvres du genre. Il faut inviter aux grandes émissions littéraires les Alain Mabanckou, Véronique Tadjo, Ken Bugul, Abdourahman Waberi, Samy Tchak, Efoui Kossi et ainsi de suite – les auteurs des banlieues, ceux et celles de la Réunion, de la Martinique, de la Guadeloupe. Il faut décloisonner non seulement les prix, mais aussi les genres artistiques francophones, favoriser les métissages et les collaborations entre créateurs français et francophones ; en matière cinématographique, donner la voix autant à un Basseck ba Kobhio qu’à une Eliane de la Tour au lieu de continuer de les opposer quand il s’agit des mécanismes de financement. Faisons donc comme les Anglais avec le Booker Prize par exemple ! Que les grands quotidiens et hebdomadaires et les grandes institutions culturelles accordent toute l’attention qu’il faut, non pas seulement à la pensée française, mais à la pensée de langue française.

Malheureusement, ce ne sont guère ces orientations qui semblent prévaloir pour l’instant. Fouettée par sa Bête (le racisme), la France semble plutôt s’engluer dans une période de glaciation culturelle. Comme on le sait, ce sont des périodes qui commencent, en général, par le déclin de la langue.

L’influence des auteurs écrivant habituellement en français serait-elle plus grande s’ils passaient à l’anglais (à supposer qu’ils parlent couramment cette langue) ? Et pensez-vous que les écrivains d’origine francophone pourraient être tentés de faire le choix d’une autre langue (je sais que vous écrivez aussi en anglais), espérant ainsi pour leur style, et leur univers, une diffusion plus large ? Chaque fois que le meilleur de la pensée de langue française est traduit en anglais ou dans d’autres langues, l’impact est immédiat. On l’a vu avec la philosophie et les humanités. Aux Etats-Unis par exemple, l’influence de Foucault, Derrida, Bourdieu, Deleuze et bien d’autres sur la pensée mondiale est immesurable. Je ne voudrais pas me citer moi-même en exemple. Mais l’impact de mon livre On the Postcolony dans le renouvellement du discours post-colonial dans les milieux anglo-saxons ne saurait être sous-estimé. Cela n’a été possible que parce que l’ouvrage a fait l’objet d’une traduction en anglais. Il y a donc quelque chose que permet la langue, et qui serait totalement perdu si nous nous mettions tous à l’anglo-américain. Mais j’insiste sur le travail interne de dé-balkanisation de la créativité de langue française, des arts et des humanités de langue française. La France porte, à ce sujet, une lourde responsabilité. Il faut qu’elle arrête de se regarder le nombril ; qu’elle s’ouvre à la diversité du monde, à sa propre diversité.

Vous-même, pensez-vous écrire toujours en français, ou bien envisagez-vous d’abandonner complètement le français dans l’avenir ?

Par la force des choses, je m’exprime en plusieurs langues – africaines et européennes. Aujourd’hui encore, mon instinct premier est d’écrire en français et de me faire traduire en anglo-américain. Mon sujet de réflexion privilégié est l’Afrique, ce signe obscur dans l’économie symbolique de notre monde. Pour arracher ce signe à la mort (surtout celle qu’une certaine violence linguistique lui fait subir) et le rendre à la vie, j’ai besoin de m’exprimer totalement, dans une langue ouverte et disposée elle-même à la réanimation. Pour moi, le français continue de jouer cette fonction. Car pour écrire l’Afrique, il est absolument nécessaire de pouvoir expérimenter avec la langue. Pas nécessairement à la manière à mes yeux bon banania, petit nègre, d’un Ahmadou Kourouma. Je veux dire qu’il faut procéder à une sorte de travail de démolition de la langue, comme s’y sont essayés les meilleurs de nos auteurs – Yambo Ouologuem, Sony Labou Tansi, et avant eux, Frantz Fanon, Aimé Césaire, Senghor. J’ai moi-même tenté un tel geste dans mon dernier ouvrage, de la postcolonie, par le biais d’une écriture faite de raccourcis, de répétitions, d’inventions – une manière de raconter qui fait usage tant de souvenirs et de digressions que de phrases qui se veulent claires. Mon écriture de l’Afrique en langue française, je la veux tantôt ouverte, tantôt hermétique, faite de rythme, de mélodies et de sonorités, d’une certaine musique, à la manière d’un chant qu’il faudrait non pas l’ouie seulement, mais tous les sens pour capter, pour entendre véritablement. Pour moi, les rapports de l’écriture et de la langue se situent donc à cette interface. Il s’agit d’une écriture et d’un usage de la langue qui cherche à conduire le lecteur à la rencontre de ses propres sens. Mais ces rencontres, elles ne m’intéressent qu’en ce qu’elles sont fragmentaires, évanescentes, hachées, quelques fois ratées. Il s’agit de rencontres avec des zones surchargées de la mémoire et du présent africains – des zones que l’on doit faire parler de manière telles qu’on puisse se faire entendre au loin, au large.

Voir enfin:

EspacesTemps
Post-Francophonie?
Olivier Milhaud

Résumé

Cet article entend élaborer une lecture postcoloniale et critique de la Francophonie. Celle-ci est envisagée au long de l’article dans ses aspects institutionnels, linguistiques, géographiques et comme espace d’appartenance. Que l’Organisation Internationale de la Francophonie vienne d’un désir né hors de France et prétende dépasser le colonialisme n’exonère pas la France de pratiques néo-coloniales en son sein. Et l’allégeance à la langue française que proclame la Francophonie s’articule mal à la quête postcoloniale d’une décolonisation de la pensée. Enfin, la signification géographique de la Francophonie — l’espace d’une universalité culturelle atteinte par la célébration de la diversité linguistique — est peu convaincante dans l’homogénéisation d’espaces trop différents, qui en découle. La Francophonie ne parvient pas à transcender la dichotomie impériale entre la France et les autres. On peut dès lors s’interroger sur le sentiment d’appartenance qu’entend promouvoir la Francophonie.

Abstract

This article intends to construct a postcolonial reading of Francophonie. Considered through its institutional, linguistic and geographical dimensions, and as a sense of belonging, Francophonie is critically evaluated throughout the paper. Even if the International Organisation of Francophonie has non-metropolitan origins and claims to go beyond colonialism, France cannot be fully acquitted of negative neo-colonial ramifications. The difficult articulation between the allegiance to the French language and the postcolonial quest for ‘decolonising the mind’ is underlined. Finally, the geographical meaning of Francophonie – as a space of cultural universality through linguistic diversity – is not convincing in its attempts to homogenise spaces that are too different. Francophonie does not fully transcend the imperial dichotomy between France and the others. One can then question the sense of belonging promoted by Francophonie.

Du même auteur, un point de vue sur l’Atlas mondial de la francophonie.

Image1Every year, on March 20th1, Francophonie is celebrated throughout the world, even if no one is able to clearly define what this institution/space/community refers to. It perhaps seems strange to raise the Francophone issue in English. Yet, it seems to me that it is the easiest way to stand back from the inevitable French bias that pervades debates about Francophonie. Furthermore, writing in English is also a way to draw the attention of some French readers, who easily denounce Anglo-American colonialism but fail to acknowledge a potential French colonialism through Francophonie.

According to Léopold Sédar Senghor,

‘Francophonie is a complete Humanism, weaving its way around the world: a symbiosis of the ‘‘latent energies’’ of all the continents, of all the races, reawaken by their complementary warmth’ (1962: 844).

This quote reveals the ‘great ambiguity’ (Léger, 1987) of Francophonie: it is almost always presented as a positive universalism, a utopian vision of a world where the French language is shared and not imposed; but this universalism is rarely questioned. Francophonie refers to a space where people speak French since colonisation and to an organisation created during decolonisation whose aim is to promote the French language and a certain culture. Thus one can question its very post-colonial nature. Is it a simple conceit, a groundless claim of turning away from colonisation? Or is it actually a witty expression, an elaborate way towards a ‘complete Humanism’? Does that notion overlook any neo-colonialist practice? In a word, how does Francophonie go beyond colonialism?

To construct a postcolonial reading of Francophonie, one has to avoid at least four traps. First, reducing present Francophonie to a mere legacy of colonial past would reassert a colonial vision and ignore contemporary rapid evolutions (Parker, 2003). The aim is to avoid ‘that all that came before colonialism becomes its own prehistory and whatever comes after can only be lived as infinite aftermath’ (Ahmad, 1995: 6-7). Secondly, the lyricism and the optimistic rhetoric of Francophonie’s advocates have to be deconstructed so as not to overlook any neo-colonial dimension. Thirdly, the adjective ‘francophone’ has to be decolonised, since it is often used in France for everything that is written in French but that is not French, reinstating an imperial dichotomy between France and ‘the rest’. Fourthly, the huge diversity of Francophone spaces needs to be taken into account to avoid any imperial homogenisation.

In order to explore the question, the four meanings of Francophonie identified by Deniau (1998) — its institutional, linguistic, geographical, and what Deniau calls ‘mystical’, dimensions — are scrutinized. The first part of the article questions the institutional meaning, Francophonie as an organisation. Historical and political lenses are adopted to evaluate the legacy of colonisation in Francophonie’s history, objectives and practices. The second part, based on linguistic lenses, focuses on the allegiance to a language promoted by Francophonie. That linguistic dimension of Francophonie raises the question of bringing together this allegiance to a language and the quest for ‘decolonising the mind’ (Ngugi, 1986). The third part scrutinizes the geographical meaning — Francophonie as the space of French speakers. Cultural lenses allow us to highlight the ambiguities of the universal space of diversity claimed by Francophone ideology. In the conclusion the mystical meaning of Francophonie, that is to say the sense of belonging it promotes, is questioned.
The Organisation of Francophonie: evaluating the legacy of colonisation.

Many reasons strengthen the idea that Francophonie is clearly post-colonial. Obviously the spread of the French language is a legacy of French colonisation in America in the sixteenth and seventeenth centuries and of Belgian and French colonisations in Africa, Indochina and Polynesia during the nineteenth and twentieth centuries. French, spoken by colonists and local elites, was quickly imposed on the rest of the population; today, 113 million people across the five continents speak French. Interestingly, it was also during colonisation that the geographer Onésime Reclus (1880) coined the very word ‘Francophonie’ to name the space where people speak French, a linguistic and geographical group (Tétu, 1988). However, the website of the French Foreign Office mentions that ‘today Francophonie is free from such a colonial connotation’ (Quai d’Orsay, 2006: 1). It recalls Boutros Boutros-Ghali’s assertion: ‘Francophonie is born from a desire felt outside France’ by former colonised themselves (Le Monde, 2 December 1995). The African presidents Léopold Sédar Senghor (Senegal), Hamani Diori (Niger) and Habib Bourguiba (Tunisia) both fought for the independence of their countries and became the main instigators of Francophonie by calling for a conference of Francophone countries in Niamey on March 20th 1970 (hence Francophonie Day every year on March 20th). At that time, France — the former coloniser — was even reluctant to promote a Francophone community. It would be unfair to reduce Francophonie to a mere colonial legacy. Moreover, among the 49 member states of the Organisation of Francophonie, all of them are not former French or Belgian colonies; Bulgaria, Canada and Egypt, for instance, are full members.

But the idea that Francophonie goes beyond colonialism can still be questioned, especially in the ways the Organisation of Francophonie works. Officially the Organisation promotes the French language, democracy and Human Rights, development and cultural diversity, and other praiseworthy intentions such as peace and education. In practice, the attitude of France has changed since 1986 with the First Francophonie International Summit in Paris. Firstly, France is the main financial backer: she provides two thirds of the Multilateral Funds (Tavernier, 2000: 91), and therefore she controls the main funds of Francophonie. Moreover France has imposed the last two Secretary-Generals against the wishes of a majority of members, even if Francophonie claims to promote democracy:

‘The imposition of Boutros-Boutros Ghali as ‘‘elected’’ Secretary-General [in 1997], and the withdrawal of the alternative candidate (former President Zinsou of Benin), provoked a near rebellion by African countries, who saw Chirac’s realisation of his personal promise to the former Secretary-General of the United Nations as one more proof of the continuing strength of the ‘‘old ways’’ ’ (Ager, 1999: 189).

In 2002, again, France imposed Abdou Diouf as the new Secretary-General in spite of the candidacy of Henri Lopes (Congo) backed by the majority of African countries. France appears to be too big a ‘partner’ for the other members, who often depend on her (Jones et alii, 1996: 37). To avoid accusations of neo-colonialism, France strongly backs the New Partnership for Africa’s Development (Nepad) since it is presented as an African initiative: ‘We are determined to contribute actively toward the implementation of the New Partnership for Africa’s Development’ (Quai d’Orsay, 2002: 6). But Nepad’s liberal framework is blurred by promoting increased global integration and rapid private sector growth as ‘the answer to overcoming poverty, and by its failure to engage with Africa’s people to transform the continent’ (South African Council of Churches, 2002: 2). Lastly, the scheme of development promoted by Francophonie strengthens the idea that the West knows best, that western countries have solutions for the countries of the South. Thus the Organisation considers that: ‘northern countries have managed to develop a rational use of energy after the oil crisis, whereas countries from the South have not reacted at all in an appropriate way’ (Agence de la Francophonie, 2002: 139, emphasis added). A French official report also concludes, about a project in Lebanon where France sends an expert to develop vineyards in Bekaa, that: ‘a developed Francophonie fosters the settling of our [sic] companies’ (Tavernier, 2000: 113)!

Thus, historical and political perspectives adopted here enable us to evaluate the legacy of colonisation in Francophonie’s history, objectives and practices. Even if the Organisation has non-metropolitan origins and claims to go beyond colonialism, France cannot be fully acquitted of negative neo-colonial ramifications. Yet Francophonie bases its claim to be post-colonial on its refusal of any allegiance to a sovereign, preferring an allegiance to a language.
Swearing allegiance to a language or ‘decolonising the mind’?

How is it possible to unite this allegiance to the French language and the postcolonial quest for ‘decolonising the mind’? On the one hand, Senghor, Césaire and Francophone writers consider the French language as ‘a marvellous tool’ (Senghor, 1962: 844) to bring together different cultures and to let them communicate. On the other hand one cannot ignore that such allegiance appears alienating.

Francophonie is sometimes presented as a French Commonwealth. Indeed, the Congolese linguist Ntole Kazadi opposes the Commonwealth, defined as ‘a community of allegiance to a sovereign’ — the British monarch — and Francophonie, considered as ‘a community of allegiance to a language’ (Kazadi, 1991: 56, quoted in Parker, 2003: 94). Others add that the Commonwealth is not based on a linguistic dimension, that economic or political issues largely overlook linguistic questions (Tétu, 1988: 246), and that the Commonwealth is composed of only former territories of the British Empire. This attractive comparison for Francophonie can be criticized in two ways. Firstly, the British monarch is more the symbolic head of the Commonwealth than the ‘sovereign’ of this association; and the organisation is no longer limited to former territories of the British Empire since the accession of Mozambique in 1997. Secondly, the advocates of Francophonie seem to forget that allegiance to a language appears alienating. During colonisation, French was used as a tool of subjection as expressed by the French socialist leader Jean Jaurès in 1884:

‘Our colonies will only be French in their understanding and their heart when they understand French… For France above all, language is the necessary instrument of colonisation… More new French schools, to which we shall invite the natives, must come to help the French settlers, in their difficult task of moral conquest and assimilation… when we take possession of a country, we should take with us the glory of France, and be sure that we will be well received, for she is pure as well as great, imbued with justice and goodness’ (quoted in Ager, 1999: 238).

This quote is particularly close to the assertion of Ngugi wa Thiong’o: ‘the domination of a people’s language by the languages of the colonizing nations was crucial to the domination of the mental universe of the colonized’ (Ngugi, 1986: 16). Today, Francophonie is criticised because of this mental domination due to the fact that the inhabitants of Francophone countries cannot define themselves as they want. The Francophonie Organisation gathers together very different countries according to their use of French, whatever the language represents to them:

‘To be considered ‘‘French-speaking’’, it suffices that you come from a country ‘‘where French is spoken’’, even if, personally, you do not use that language… Here we are, forever confined within the wall of French. No further possibility of defining ourselves in relation to ourselves. To move towards others, and to move towards ourselves, francophonie is the road we have to take. It is our present and our future… Yes, francophonie expects from each ‘‘francophone’’ in Africa that he should proclaim painlessly at all times and in all places: ‘‘My Motherland is the French language’’. As can be seen, for us Africans, it is truly a matter of denial’ (Midiohouan, 2000: 3).

Nevertheless, Senghor and Césaire celebrated French language through négritude, asserting Black identity through French. Beyond the racialist ambiguities of négritude (Ahluwalia, 2001), it must be admitted that Senghor and Césaire rejected any alienation through language. That is maybe why the question of alienation through language is strangely rarely raised in debates on Francophonie. Senghor and Césaire were able to transcend the language of the coloniser from its metropolitan origins and to appropriate it thoroughly. It is particularly clear in Return to My Native Land when Césaire claims: ‘Qui ne me comprendrait pas ne comprendrait pas davantage le rugissement du tigre’2 (Césaire, 1956: 21).

To conclude on this linguistic dimension, allegiance to French cannot be reduced to a question of alienation. Of course, it is true that language maybe is not the absolute origin of alienation, but it is a powerful support: ‘to speak is to exist absolutely for the other… The Negro of the Antilles will be proportionately whiter — that is, he will come closer to being a real human being — in direct ratio to his mastery of the French language’ (Fanon, 1967: 17-18). However, the sometimes alienating rhetoric of the Francophonie Organisation can still be distinguished from the personal freedom to adopt a language. The question of alienation through language is maybe raised less according to a metropolitan/colonial dichotomy than to a dichotomy between state membership to Francophonie and personal allegiance to a language. Moreover, Francophonie aims at promoting cultural and linguistic diversity throughout a universal and diverse world space, thus partly avoiding criticisms of linguistic imperialism.
A space of ‘francopolyphony’: universality questioned.

This section explores the geographical meaning of Francophonie. Francophonie is presented as the space of French speakers, which contributes to promoting a universal space of cultural and linguistic diversity. Such an idea is not free from ambiguities, because the very notion of a space of universality does not fit easily with the assertion of a space of diversity.

The Francophonie Organisation claims that French is a universal language, spread around the world, and carrying universal values, such as democracy and cultural diversity. Of course democracy can be promoted in English or in Wolof and, although it is often repeated that the Rights of Man were first proclaimed in French, there are notorious dictatorships among the Francophone countries. It is more difficult to disagree with the notion of a universal cultural diversity. How can one be opposed to a culturally diverse world? ‘Francophonie […] deserves to be defended; it sustains cultural diversity’ (Tavernier, 2000: 184). But France backs cultural diversity mainly to protect her own culture and language, seen as dangerously threatened by English and American culture (Ager, 1999). Against an Anglo-Saxon globalisation, France uses Francophonie to promote universality, ‘the pedigree of French’ (Parker, 2003: 98). It is a way to construct a postcolonial reading: rather than focusing on past French colonialism, let us focus on today’s American cultural imperialism and promote the French language, since it has a tactical position, ‘strong enough to gather, weak enough not to be world dominating’ (Cerquiglini et al., 2000: 396). Thus the French Foreign Office rejoices that Francophonie ‘helps the countries from the South to structure their mind [sic]’ (Quai d’Orsay, 2006: 4) to back the French position on cultural diversity!

Despite the official francophone claim for cultural and linguistic diversity in the world, that very diversity is refuted in French and especially in France. The French Academy controls the French language and refuses, for instance, words accepted in Belgium or Quebec, or words from African contexts. For example, the Academy has refused the African verb ‘girafer’ (to giraffe), which refers to a tall pupil copying the work of a smaller one by looking over him or her. Moreover, a strict unilinguism has been applied in France during decades: regional languages are not officially accepted, even in the overseas departments. Thus there is a scale conflict: linguistic diversity is proclaimed by the Francophonie Organisation throughout the world but is not fully accepted in France. An imperial dichotomy between France and other Francophone countries is reinstated. However, France has started to slightly modify her policy towards regional languages because of Francophonie, to put Francophonie arguments into practice (Parker, 2003). However, this is a work in progress.

To find the lost purity of Francophonie ambition, new concepts have emerged, such as ‘francopolyphony’ or ‘diversality’ (Parker, 2003: 100) — a mix of diversity and universality. Some writers want to promote a forthcoming and truly open French language, a ‘plural Francophonie’ (Diagne-Bonané, 2000: 384). But it may be seen as a new intellectual utopia, which overlooks neo-colonial hegemonies. To conclude, the geographical meaning of Francophonie is problematic, because it homogenises very different spaces under an ambiguous statement of cultural universality through linguistic diversity. One can then question the sense of belonging promoted by Francophonie, known as its ‘mystical’ meaning (Deniau, 1998).
Francophonie and the notion of ‘power’.

Has the sharing of a language the power to found a sense of belonging? Can a collective identity and a ‘mystical’ meaning be predicated on a notion such as Francophonie? The problem is that using language as a universally essential element of identity would reduce national identities to their past colonial experience: ‘To claim the English-speaking or French-speaking heritage, as is done in Cameroon for example, seems… absurd because one then wonders whether it is possible to define Cameroonity beyond various imperialisms’ (Kom, 2000: 4). Some authors thus propose to distinguish ‘francités’ and ‘Francophonies’ (Cahen, 1998: 128), the latter referring to spaces where French language is just a tool of communication (African countries…), the former to entities where the use of French is a strong element of national, ethnic or communal identity (Quebec, France, Brussels…). It is clear that other members of Francophonie absolutely do not share the French ideology of a coincidence of linguistic and cultural identity with political spaces. For most of them French is only one language among others and they experience diverse modalities of hybridity.

How does Francophonie go beyond colonialism? Institutionally, the Francophonie Organisation is not free from neo-colonial practices, in spite of its non-metropolitan origins and its original praiseworthy ambitions. From a linguistic point of view, the Senghorian idea of going beyond colonialism through a shared language seems to remain more an intellectual utopia than a rooted reality among the peoples. The geographical meaning of Francophonie — as a space of cultural universality through linguistic diversity — is not convincing in its attempts to homogenise spaces that are too different, and it does not fully transcend the imperial dichotomy between France and the others. The word francophone remains to be decolonised.

At the same time, Francophonie can be a spur to a postcolonial framework being ‘sensitive to its limits, its absences and to the possibility of its displacement’ (Sidaway, 2000: 606), especially concerning the notion of power used. If one considers power relations, a neo-colonial interpretation is easily adopted. Power is understood as strength, and Francophonie appears as a postcolonial conceit, a perverted pretension to go beyond colonialism. However if one focuses on the evolution of Francophonie, on a positive ideology in process, it offers an original way of going beyond colonialism if languages are freely chosen and identities freely articulated. Power is then understood as an ability to go beyond traditional dichotomies. In this sense Francophonie is a witty expression to fight cultural uniformity and to create a space of dialogue. But such a perspective fits with difficulty into a postcolonial framework. How could any attempt to go beyond colonialism — which is still spread over several continents — not be trapped by suspicions of neo-colonialism? The limitations of Francophonie reflect those of post-colonial theories.

Bibliographie

Agence de la Francophonie, Programmation de l’Agence intergouvernementale de la Francophonie 2002-2003, Paris: Aif, 2002.

Dennis Ager, Francophonie in the 1990s. Problems and Opportunities, Clevedon: Multilingual Matters, 1996.

Dennis Ager, Identity, insecurity and image. France and language, Clevedon: Multilingual Matters, 1999.

Pal Ahluwalia, Politics and Post-Colonial Theory. African Inflections, London: Routledge, 2001.

Aijaz Ahmad, ‘The Politics of Literary Postcoloniality’ in Race and Class (36) 1-20, 1995.

Michel Cahen, ‘La Francophonie contre la France’ in Politique Africaine (70) 127-130, 1998.

Bernard Cerquiglini, Jean-Claude Corbeil, Jean-Marie Klinkenberg, Benoît Peeters (eds.), « Tu parles!? Le français dans tous ses états, Paris: Flammarion, 2000.

Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, Paris: Présence Africaine, 1956.

Xavier Deniau, La Francophonie, Paris:Puf, 1998.

Andrée-Marie Diagne-Bonané, ‘Z comme Zab des monts du Zab au lac Albert: le français et l’Afrique’ in Bernard Cerquiglini, Jean-Claude Corbeil, Jean-Marie Klinkenberg, Benoît Peeters (eds.) in « Tu parles!? Le français dans tous ses états, pp. 373-390, Paris : Flammarion, 2000.

Frantz Fanon, Black Skin, White Masks, New York: Grove Press, 1967.

Charles Forsdick, David Murphy (eds.), Francophone Postcolonial Studies, London: Arnold, 2003.

Lise Gauvin, L’Écrivain francophone et les langues, Paris: Karthala, 1997.

Bridget Jones, Arnauld Miguet, Patrick Corcoran (eds.), Francophonie: Mythes, Masques et Réalités. Enjeux politiques et culturels, Paris: Publisud, 1996.

Ntole Kazadi, L’Afrique afro-francophone, Paris: Didier Erudition, 1991.

Ambroise Kom, ‘Knowledge and legitimation’, in Mots pluriels, (June) 5 p., 2000.

Jean-Marc Léger, La Francophonie: grand dessein, grande ambiguïté, Paris: Nathan, 1987.

Le Monde, ‘Une présence sur les cinq continents’, 02 December 1995.

Guy Ossito Midiohouan, ‘Knowledge and alienation in the French-speaking world’, in Mots pluriels, (June) 4 p., 2000.

Ngugi wa Thiong’o, Decolonising the Mind: The Politics of Language in African Literature, London: James Currey, 1986.

Gabrielle Parker, ‘‘‘Francophonie’’ and ‘‘universalité’’: evolution of two notions conjoined’ in Charles Forsdick and David Murphy (eds.), pp. 91-101, 2003.

Quai d’Orsay, La déclaration de Beyrouth, page Internet, 7 p., 2002.

Quai d’Orsay, Francophonie, page Internet, 5 p., 2006.

Léopold-Sédar Senghor, ‘Le français, langue de culture’ in Esprit (311) 837-844, 1962.

James Derrick Sidaway, ‘Postcolonial geographies: an exploratory essay’ in Progress in Human Geography (24) 591-612, 2000.

South African Council of Churches, Un-blurring the vision: An Assessment of the New Partnership for Africa’s Development, 22 p., 2002.

Yves Tavernier, Rapport d’information sur les moyens et les structures de diffusion de la francophonie. 2592, Paris: Librairies-Imprimeries réunies, 2000.

Michel Tétu, La Francophonie. Histoire, Problématique, Perspectives, Paris: Hachette, 1988.

Notes
1 The International Francophonie Day (Journée mondiale de la Francophonie) is organised every year, on the 20th of March, in memory of the Niamey conference. This conference, held on the 20th of March 1970, led to the creation of the Acct (Agence de coopération culturelle et technique) ancestor of the International Organisation of Francophonie. The International Francophonie Day gives the opportunity to celebrate French language and the International organisation of Francophonie throughout the world.
2 ‘Whoever would not understand me would not understand any better the roaring of tigers’ (own translation from Césaire, 1956: 21).

Olivier Milhaud

Former student at the Ens Lettres et Sciences Humaines (Lyon), he holds an agrégation in geography. He has taught at the University of Stockholm and received a M.Sc. in Society and Space from the University of Bristol. After his study of the Americano-Canadian border, he has worked on the circulation of knowledge between French-speaking and English-speaking geographies. He is currently studying at the University of Bordeaux 3 for a Ph.D. “envisioning” prisons as a geographical imagination.


Rwanda: La question du génocide finit presque par être occultée (Painting itself into a corner: How France’s political and legal dirty tricks finally backfired)

31 octobre, 2008
la France au Rwanda (Patrick de St Exupéry)Paradoxalement, dans cette surenchère, la question du génocide finit presque par être occultée. Patrick de Saint-Exupéry
La situation est évidemment bloquée, puisque nous ne pouvons rien contre les mandats d’arrêt de la justice internationale. M. Kouchner
Ce que je savais moi -et que j’étais seul à savoir, je ne pouvais pas le dire aux autres délégations parce qu’il ne fallait pas que le secret sorte- c’est qu’il y avait aussi des officiers français… enfin, au moins un et peut-être un sous-officier, on ne sait pas très bien… A la fin de l’épisode de la grotte d’Ouvea, il y a eu des blessés kanaks et deux de ces blessés ont été achevés à coups de bottes par des militaires français, dont un officier. Michel Rocard
Mandats contre mandats, procès contre procès, rapports contre rapports, génocide contre génocide …

Quatorze ans après le génocide que François Mitterrand avait un moment qualifié de « sans importance » …

Trois mois après le rapport du gouvernement rwandais impliquant, suite à un mandat international contre le président Kagamé par le juge Bruguière pour complicité dans l’attentat contre l’avion des anciens présidents rwandais et burundais ayant servi de déclencheur au génocide, la France dans le génocide de 1994 et menaçant de poursuites internationales 33 personnalités françaises membres du gouvernement Mitterrand de l’époque (dont Balladur, Juppé, Védrine) …

Un mois après une infructueuse rencontre Sarkozy-Kagamé à l’ONU …

Et à la veille, au moment où les restes des génocidaires de 94 dont la France avait protégé la fuite font encore tristement parler d’eux au Congo, de la publication des résultats de l’enquête rwandaise sur ledit attentat …

La situation entre la France et le Rwanda est on ne peut plus trouble et on ne peut plus bloquée.

Et essentiellement apparemment du fait d’une France qui, derrière les accusations ridicules de double génocide de ses anciens responsables ou thuriféraires (de Védrine, alors secrétaire général de l’Elysée, à Péan, lui-même poursuivi à son tour en justice pour incitation au racisme pour des passages de son livre de commande défendant le gouvernement français), les contre-procès et les refus d’extraditions n’arrive toujours pas à admettre sa responsabilité indirecte dans le génocide des toutsis par les houtous.

A savoir, comme le rappelle l’ancien journaliste du Figaro Patrick de Saint-Exupéry qui a longuement enquêté sur place y compris durant les faits, par un indéfectible soutien, avant, pendant et après la tragédie, du gouvernement rwandais et des « milices qui ont été le fer de lance du génocide ».

Soutien qui, au nom de la défense de sa sphère d’influence en Afrique et dans le contexte d’une invasion militaire des toutsis venus d’Ouganda, inclura l’armement et la formation puis l’appui politique et diplomatique avant, sous couvert de l’opération humanitaire Turquoise, l’exfiltration des génocidaires.

Mais qui n’exclura pas, si l’on en croit les nombreux témoins cités par le rapport rwandais, les coups tordus que les récentes révélations d’un ancien-premier ministre sur des comportements de l’armée française particulièrement douteux et brutaux (comme l’achèvement de deux prisonniers kanaks « à coups de bottes », lors de l’attaque de la grotte d’Ouvéa en Nouvelle-Calédonie en 1988) ne rendent hélas pas totalement implausibles (contrôles d’identité, viols, largages par hélicoptères, pillages, représailles, menaces ?) …

France-Rwanda : oeil pour oeil
Patrick de Saint-Exupéry, rédacteur en chef de la revue XXI

Après le réquisitoire du juge Bruguière, qui fit porter la responsabilité du génocide des Tutsis du Rwanda en 1994 sur les actuelles autorités de Kigali, voici venu le temps de la réplique. Dans un rapport rendu public le 5 août, une commission rwandaise chargée, voici près de deux ans, de «rassembler les preuves montrant l’implication de l’Etat français dans le génocide» conclut à la «responsabilité» de la France dans «la préparation et l’exécution du génocide».

Les deux thèses sont aujourd’hui sur la table. Elles sont bien sûr inconciliables. Et témoignent de la profondeur d’un différend vieux de dix-huit ans qui ne cesse de se creuser pour atteindre des extrêmes. Que deux Etats s’affrontent en se portant mutuellement des accusations aussi graves – il est question de 800 000 morts – tient de l’inédit.

Paradoxalement, dans cette surenchère, la question du génocide finit presque par être occultée. Quoi qu’il en soit des possibles responsabilités connexes, ni la France, ni l’actuel régime de Kigali ne peuvent être soupçonnés d’avoir commis le génocide. Ses responsables, ceux qui l’ont directement mis en oeuvre, ont été ou sont en voie d’être jugés. Désigné par l’accusation comme «le cerveau du génocide», le colonel Théoneste Bagosora, dont le procès au tribunal international d’Arusha est clos, attend le prononcé du verdict. Tenu comme le «financier du génocide», Félicien Kabuga est en fuite et recherché. Des condamnations ont été prononcées visant d’autres responsables de premier rang du génocide.

Ce n’est donc pas du génocide en lui-même qu’il est question. Ce qui est aujourd’hui en débat, ce qui justifie un tel déballage, ressort de la responsabilité politique.

L’instruction menée par le juge Bruguière en est le symptôme éclatant. Loin de l’habituel travail d’enquête factuel, les attendus des conclusions du magistrat instructeur se lisent comme une charge politique lancée au canon contre le régime de Kigali. Accusées par le magistrat français d’avoir commandité l’attentat du 6 avril 1994 qui servit de déclencheur au génocide, les actuelles autorités rwandaises devraient endosser, selon le juge, la responsabilité de l’entière tragédie.

Simple et efficace, l’accusation a porté malgré ses nombreuses faiblesses, ses raccourcis et ses partis pris. Que le régime de Kigali ait pu mettre en oeuvre l’attentat du 6 avril 1994 fait partie du champ du possible, comme d’autres hypothèses. Mais réduire l’explication d’un génocide qui fit 800 000 morts en cent jours à un seul attentat paraît pour le moins léger et inconséquent.

La réaction de Kigali était donc prévisible et attendue. Tenues pour responsable du génocide par la justice française, les autorités ne pouvaient pas ne pas réagir : se taire aurait été avaliser.

Le rapport tout juste rendu public sur «l’implication de l’Etat français dans le génocide» intervient dans ce cadre. Il s’agit d’une réponse du berger à la bergère. Et cette réponse est redoutable. Elle se décompose en deux parties. La première est grave, la seconde insupportable.

Dans leur rapport, les sept membres de la commission rwandaise, juristes et historiens, reprennent d’abord l’historique de l’engagement de la France – politique militaire et diplomatique – au Rwanda tout au long des années 90. Cette remise en perspective mêle des témoignages à de nombreux documents. Le travail de la mission d’information parlementaire créée en 1998 à Paris est souvent cité. Tout comme les archives de François Mitterrand et nombre de télégrammes diplomatiques.

La politique française est globalement mise en cause pour avoir «contribué à la radicalisation ethnique du conflit». La France est accusée «d’avoir formé les milices interahamwé qui ont été le fer de lance du génocide». Dès 1992, Paris aurait engagé au Rwanda des programmes de «défense civile» alliant «l’apprentissage des différentes méthodes d’assassinat» et «un endoctrinement des miliciens à la haine ethnique». Des gendarmes français, poursuit le document, «ont contribué en toute connaissance de cause au fichage informatisé des suspects politiques et ethniques qui devaient être massacrés durant le génocide». Des soldats français auraient participé aux contrôles d’identité.

Loin de s’arrêter à ces points accablants, le rapport déroule tout au long de ses plus de trois cents pages les différentes étapes d’un inaltérable engagement français auprès de ceux qui réaliseront le génocide. En 1993, alors que de nombreux massacres se sont déjà produits comme en prélude au génocide, les «exactions des extrémistes hutus» sont qualifiées au plus haut niveau à Paris d’un adjectif : elles sont «malheureuses».

Durant le génocide, Paris persévère: livraisons d’armes, recommandations diplomatiques, soutien politique. L’engagement reste entier. L’opération Turquoise est lancée en juin 1994, après trois mois de tueries ininterrompues. Elle permet, assure péremptoirement la commission rwandaise, la «prise en charge du projet génocidaire par les décideurs français».

Le rapport bascule alors dans l’insoutenable. Des troupes ayant participé à Turquoise sont accusées d’avoir commis de nombreuses exactions: viols, largages par hélicoptères, pillages, représailles, menaces. Des dizaines de témoignages – de rescapés comme de repentis – se succèdent. Les mises en cause sont circonstanciées et précises, elles se recoupent parfois, ne peuvent être ignorées.

Dans l’ensemble, la charge est violente et nourrie. Plusieurs points peuvent porter à discussion, mais la lecture du rapport laisse un sentiment amer où l’effarement se mêle au dégoût.

Réplique au réquisitoire du juge Bruguière, le travail de la commission rwandaise place Paris au pied du mur. Le simple démenti – tant les éléments sont nombreux à défaut d’être avérés – ne peut suffire. Quant à ne pas répondre, comme cela fut le cas pour Kigali mis en cause par le rapport Bruguière, ce serait courir le risque d’avaliser.

Quatorze ans après le génocide, l’épreuve de force politique est portée à son paroxysme. Ce génocide, que François Mitterrand avait un jour qualifié de «sans importance», n’a pas fini de tarauder les consciences.

Dernier ouvrage paru : l’Inavouable, la France au Rwanda (Les arènes), 2004.

Voir aussi:

Pierre Péan en flagrant délit

Racisme . Le procès du livre du journaliste « pour incitation à la discrimination » contre les Tutsi du Rwanda paraît bien loin de tourner en sa faveur. Jugement en délibéré.
L’Humanité
le 29 septembre 2008

À la fin de la semaine dernière s’est tenu devant le tribunal correctionnel de Paris le procès faisant suite à la plainte « pour diffamation raciale et incitation à la discrimination raciale » déposée en octobre 2006 par SOS Racisme – en liaison avec Ibuka (Souviens-toi, association fondée par des rescapés du génocide rwandais de 1994) – à l’encontre du livre de Pierre Péan, Noires fureurs, blancs menteurs.

Lancé à grands sons de trompe, fin 2005, cet ouvrage se voulait le point d’orgue dans la campagne négationniste relancée par Paris après que Kigali eut annoncé la création d’une commission d’enquête sur les agissements des militaires français de l’opération Turquoise (juin-juillet 1994). Pour faire contre-feu, tous les arguments furent et restent de mise. Y compris ceux issus du vieux langage sur l’inégalité des races au temps de la colonisation triomphante, de Gobineau à Jules Ferry. En témoignent les quelques citations sélectionnées dans la plainte. Vous y apprenez que la « culture du mensonge et de la dissimulation » caractérise les Tutsi, faisant de « cette race l’une des plus menteuses qui soit sous le soleil ». Changez le mot Tutsi par le terme juif et vous reconnaîtrez facilement le style de la littérature antisémite diffusée avant-guerre comme sous Pétain par l’extrême droite française. Quitte, au passage, à reprendre la propagande « ethniste » véhiculée par les pires organes du Hutu Power, idéologie qui faisait florès début des années quatre-vingt-dix sous le régime Habyarimana. Le plus célèbre, Kangura, définissait les femmes tutsi comme des prostituées espionnes de vocation et multipliait les dessins obscènes montrant le général des Casques bleus, Roméo Dallaire, en compagnie d’un nombre variable de ces dernières. Pierre Péan ne recule pas devant le procédé, assurant à son tour que l’officier canadien n’était pas insensible à leurs charmes, ce qui lui permet le rejet en bloc d’un témoignage pourtant de première main…

« Cette plainte revêt pour nous une portée symbolique importante, déclarait en octobre 2006 le président d’Ibuka, François Ngarambe. Nous savons à quel point l’idéologie peut tuer et disons que le racisme ayant inspiré le livre de Péan est celui-là même qui a conduit au génocide. » Comme dans le cas de la Shoah ou des Tsiganes exterminés par le nazisme et son relais pétainiste, la négation du génocide des Tutsi « est un moment du génocide lui-même ».

« J’ai perdu toute ma famille, comme résultat de fantasmes pareils », témoigne Esther Mujawayo devant le tribunal. Si tous les Tutsi sont des menteurs, « cela veut dire que je suis là occupée à vous mentir », ajoute-t-elle, contestant au prévenu le « droit de juger un peuple ». Péan « joue avec des mots qui tuent. Et les mots nous ont déjà tués assez ». Tout un chacun peut écrire sur tout sujet qu’il souhaite, conclut la procureure, Anne de Fontette, mais « on ne peut pas dire n’importe quoi n’importe comment »… Jugement mis en délibéré.

Jean Chatain

Voir également:

Discrète rencontre Sarkozy-Kagamé à New York
Laurent d’Ersu
La Croix
le 26-9-08

Alors que les relations diplomatiques sont rompues entre les deux pays depuis bientôt un an, Kigali menace de poursuivre de hauts responsables français si la France ne lève pas ses propres mandats d’arrêt visant l’entourage du président rwandais

Nicolas Sarkozy a rencontré son homologue rwandais Paul Kagamé en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, a appris La Croix. Au cours de cette rencontre à laquelle participaient aussi Bernard Kouchner et le secrétaire d’Etat à la coopération Alain Joyandet, les deux présidents se sont expliqués sur le contentieux politico-judiciaire qui oppose les deux pays. Selon une source proche du dossier, l’échange a été «franc», ce qui est généralement synonyme d’«orageux» en langue diplomatique.

À l’Elysée, on confirme que les deux chefs d’Etat ont fait « un point de la situation ». « Le président a dit à son homologue qu’il n’acceptait pas la qualification de « génocide » s’agissant du rôle de la France au Rwanda, a déclaré à La Croix un porte-parole de la présidence. La France considère que de mauvaises relations entre les deux pays ne sont dans l’intérêt de personne. »

Le Rwanda a rompu ses relations diplomatiques avec la France le 24 novembre 2006, après que le magistrat antiterroriste Jean-Louis Bruguière a lancé des mandats d’arrêt contre neuf proches du président Paul Kagamé, dont le chef d’état-major et le chef de l’armée de terre. Dans son ordonnance, le juge exprimait aussi le souhait que le Tribunal pénal international pour le Rwanda poursuive Paul Kagamé, protégé en France par l’immunité présidentielle.

Jean-Louis Bruguière accusait les dix hommes d’avoir planifié l’attentat contre l’avion du président Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994, qui marqua le déclenchement du génocide des Tutsis. Les poursuites par la justice française tiennent au fait qu’outre Juvénal Habyarimana, son homologue burundais, Cyprien Ntaryamira, et leurs suites, les trois membres d’équipage français de l’appareil mis à la disposition par la France avaient trouvé la mort.

Les Rwandais évoquaient des mandats d’arrêt internationaux
Le contentieux s’est envenimé avec la création par le gouvernement rwandais d’une commission « chargée de rassembler les preuves montrant l’implication de l’État français » dans le génocide, selon son intitulé officiel. Longtemps brandi comme une épée de Damoclès, finalement rendu public en août dernier, ce rapport accumule les accusations contre les militaires et les responsables politiques français pour leur rôle présumé dans la préparation et la mise en oeuvre du génocide.

Après un temps de pause, le pouvoir rwandais a fait savoir au début du mois qu’il comptait demander à la France la mise en place d’une commission rogatoire visant à enquêter sur treize personnalités françaises citées dans le rapport, parmi lesquelles Edouard Balladur, Alain Juppé, Hubert Védrine et plusieurs officiers supérieurs.

Doutant de la possibilité d’une coopération judiciaire, les responsables rwandais évoquaient déjà l’idée d’émettre des mandats d’arrêt internationaux, en demandant la collaboration d’Interpol. «Sur le plan judiciaire, les Français ont établi un précédent, notait Paul Kagamé. Si eux l’ont fait, – lancer des mandats d’arrêt contre des dirigeants rwandais – nous pouvons le faire aussi à leur égard.» Entre la France et le Rwanda, «les choses sont allées trop loin, ajoutait le président rwandais. En fait, ce sont les Français eux-mêmes, par leur attitude, qui ont rendu tout cela beaucoup plus difficile.»

Nicolas Sarkozy serait resté «ferme»
Sous l’impulsion notamment de Bernard Kouchner, qui s’est rendu à Kigali le 26 janvier, Paris s’est pourtant efforcé de désamorcer les tensions, notamment en relançant les poursuites contre des génocidaires présumés réfugiés en France.

En marge du sommet Europe-Afrique de décembre 2007, Nicolas Sarkozy avait évoqué le Rwanda et « son génocide qui nous oblige à réfléchir, France comprise, à nos faiblesses ou nos erreurs ». Cette première reconnaissance d’une possible responsabilité française n’était pas allée jusqu’à la « repentance » et ne s’était pas assortie d’une levée des mandats d’arrêt, ce qui avait déçu Kigali.

Lors de l’entretien tenu mardi à New York, Nicolas Sarkozy serait resté «ferme» sur l’impossibilité d’une intervention politique dans le dossier bouclé par le juge Bruguière. Et l’on réfléchit déjà dans les milieux diplomatiques aux moyens légaux de contrer l’émission par le Rwanda de mandats d’arrêt internationaux contre plusieurs anciens premiers ministres français.

Voir de même:

Quand les bourreaux réclament justice
5 novembre 2008, palais de Justice de Paris, 24ème chambre

PLAIGNANT : HUBERT VEDRINE, COMPLICE DANS LE GENOCIDE DES TUTSI AU RWANDA
DANS LE BOX DES ACCUSES : LE COLLECTIF GENOCIDE MADE IN FRANCE

Xavier Renou et Mariama Keïta sont jugés et risquent tous deux une peine de 5 ans de prison et 75 000 € d’amende.

Génocide Made in France diffuse à cette occasion un documentaire citoyen qui résume le rôle de la France au Rwanda, et appelle chacun à le faire connaître le plus largement possible.

Vidéo Rwanda, un génocide made in France (en flash)

Les faits

Le 28 novembre 2007, Hubert Védrine est recouvert d’un colorant alimentaire rouge. La presse, avertie, ne relaie pas l’information. Les images filmées par une équipe de M6 ce jour-là sont détruites, et le reportage annulé par la chaîne. Hubert Védrine porte plainte pour « agression avec violence », « dégradation » et « diffamation ». Estimant les tâches, pourtant délébiles, faites sur son « costume Lanvin, et son manteau en cachemire, d’une valeur de 2900 Euros » plus essentielles que les accusations publiques de complicité de génocide portées contre lui, il abandonne la diffamation au profit d’une simple « atteinte à l’honneur », moins susceptible d’entraîner un débat fâcheux sur son rôle dans le génocide.

La chasse aux images

Le même jour, les images de l’action sont diffusées sur Internet. Les conseils d’Hubert Védrine invoquent alors la législation happy slapping, adoptée pour réprimer des violences juvéniles, réelles et gratuites, pour faire censurer ces images et donc les informations qui s’y rapportent ! C’est logique : la défense des réputations mal assises a toujours nécessité beaucoup de contorsions. Toutefois, le collectif a produit depuis un documentaire de 15 minutes sur le rôle de la France au Rwanda qui reprend ces images et explique pourquoi le collectif a voulu sensibiliser ses concitoyens, Hubert Védrine compris. Génocide made in France invite donc tous ceux qui n’acceptent pas l’impunité à regarder le film, à le diffuser très largement et à le mettre en lien sur le plus de sites Internet et blogs possible avant son éventuelle interdiction. « En abandonnant sa plainte pour diffamation, Hubert Védrine cherche à éviter que la Justice ne se penche sur son rôle dans le génocide des Tutsi au Rwanda, relève Xavier Renou porte-parole du collectif Génocide Made in France. Mais nous n’avons pas l’intention de cesser notre combat contre l’impunité tant que les complices français du génocide n’auront pas tous été jugés ! »

Contacts :
Yvette, porte-parole, au 01 40 35 03 03 puis tapez 4
Xavier Renou, porte-parole, 06 64 18 34 21.
contact@genocidemadeinfrance.com
http://www.genocidemadeinfrance.com

Génocide Made in France dénonce l’impunité dont bénéficient les complices français – politiques, militaires de haut rang, ambassadeurs – du génocide des Tutsi de 1994. Après une première action au Louvre, dont les bassins avaient été teintés de faux sang, des actions furent menées au Trocadéro où fut reconstitué un charnier symbolisant ceux du Rwanda, à la Cité de l’immigration avec l’inauguration en grande pompe d’une aile dédiée aux crimes de la « Françafrique », ou encore à la vente des effets personnels de François Mitterrand pendant laquelle furent proposés aux admirateurs de l’ancien président de la république des machettes, crânes et autres souvenirs de la politique qu’il mena au Rwanda.

Voir enfin:

Rwanda: Quilès (PS) veut une nouvelle commission pour des conclusions « incontestables »
AFP
12 sept. 2008

PARIS (AFP) — Paul Quilès, ancien président (PS) de la mission parlementaire d’information sur le génocide du Rwanda, demande la création « d’une commission de personnalités indépendantes » pour établir « de manière incontestable » les responsabilités dans le génocide au Rwanda en 1994.

L’ex-député et ministre de la Défense a rendu publique vendredi une lettre en ce sens, adressée la veille au secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon.

Selon M. Quilès, « la multiplicité des travaux publiés » sur le sujet « risque de donner une image éclatée, peu cohérente des évènements et ce d’autant plus que leurs conclusions sont souvent dissemblables, voire contradictoires ».

Il cite, outre le rapport de 1998 de la mission qu’il présida, ceux de la commission d’enquête du Sénat de Belgique (1997), de la commission d’enquête indépendante instituée par Kofi Annan (1999), de la commission nationale indépendante rwandaise (2007), ainsi que « des travaux conduits souvent avec beaucoup de rigueur par des organisations non gouvernementales et des chercheurs ».

M. Quilès fait aussi valoir que « des faits mis au jour dans le cadre des procédures judiciaires consécutives au génocide sont susceptibles de remettre en cause certaines conclusions des enquêtes menées jusqu’à présent ».

« Je vous propose donc de soumettre l’ensemble des travaux conduits jusqu’à présent sur les causes, le déroulement et les conséquences du génocide du Rwanda à l’examen d’une commission constituée de personnalités indépendantes à l’expertise reconnue », écrit-il à M. Ban.

« Ainsi pourrait être établie, à l’intention des gouvernements et des opinions, une analyse impartiale et incontestable, qui apporterait, à mon sens, une contribution essentielle aux efforts de réconciliation et de reconstruction dans la région des Grands Lacs », ajoute M. Quilès.

Le génocide au Rwanda a fait selon l’ONU 800.000 morts parmi la minorité tutsie et les Hutus modérés.


Rwanda: Attention, un rapport peut en cacher un autre (More on France’s undisclosable darkest secret)

18 août, 2008
Undisclosable (France in rwanda)Il n’y a pas, à cette heure, d’éléments de preuve directe qui permettraient d’affirmer que les militaires français savaient que la formation qu’ils donnaient aux Interahamwe (…) était destinée à commettre le génocide. Rapport rwandais
Suite à la récente publication d’un rapport du gouvernement rwandais sur le rôle plus que douteux de la France lors du génocide de 1994 …Intéressante tribune du meilleur spécialiste français de la question, l’historien et créateur d’une encyclopédie en ligne des massacres et génocides Jacques Sémelin.

Où l’on découvre, au-delà des excès manifestes de la thèse de Kigali que l’on n’a toujours pas pu lire (ie. la prétendue implication française directe et intentionnelle – dès 1992 ? – dans le génocide comme dans des viols systématiques) …

L’existence du rapport que lui avait commandé le gouvernement français il y a quatre ans.

Sa recommandation, toujours non suivie d’effet, « que la France reconnaisse ouvertement ses erreurs graves dans la gestion de cette crise extrême ».

Et donc la confirmation « accablante » de « l’incapacité de Paris à prendre en compte les signes de la détérioration de 1991 à 1993 » …

Génocide, un discutable rapport rwandais
Jacques Sémelin
Le Monde
18.08.08

En septembre 2004, le Quai d’Orsay (Centre d’analyses et de prévisions) m’a demandé de préparer une note de réflexions et de propositions en vue d’un travail de mémoire entre la France et le Rwanda. Après y avoir effectué une mission, j’ai remis mon rapport en janvier 2005, lequel préconisait entre autres que la France reconnaisse ouvertement ses erreurs graves dans la gestion de cette crise extrême.

Convaincu donc de la nécessité d’un regard de vérité sur la politique française de cette époque, il m’apparaît pourtant que le rapport récemment publié par la commission rwandaise, dite « indépendante », soutient certaines thèses excessives. La violence de ses accusations ne peut guère surprendre, tant est lourd le passif entre deux Etats qui ont cessé officiellement toute relation diplomatique. Si cette commission avait été réellement indépendante, elle aurait auditionné des acteurs ou des chercheurs qui n’allaient pas nécessairement dans son sens, ce qu’elle n’a pas fait. Plus que d’un « rapport scientifique », il s’agit d’un réquisitoire politique sans nuance. Au début, le texte semble prometteur, brossant une bonne synthèse de la présence occidentale au Rwanda, spécifiquement de la France. Reprenant les travaux de la commission Quilès, il cite des archives intéressantes du régime Habyarimana. Mais plus on avance dans la lecture, plus on est saisi par un sentiment de malaise.

L’emploi du mot « génocide » reste assez flou par rapport à celui de « massacre ». En effet, tout massacre ne constitue pas nécessairement un génocide. Le texte considère cependant que des « actes de génocide » ont eu lieu bien avant 1994, notamment en 1963 et 1992. Cette incrimination aurait mérité d’être plus étayée. Comme les militaires français arrivent au Rwanda fin 1990, Paris serait donc déjà impliqué en 1992.

Le rapport présente le défaut majeur de la reconstruction interprétative : sachant comment la situation a tourné, on est toujours tenté de croire que tout avait été pensé et planifié. Ainsi le texte affirme-t-il avec insistance que les militaires français ont entraîné dès 1992 les milices Interahamwe qui, en 1994, joueront un rôle actif dans l’extermination des Tutsi. Voici donc une preuve de l’implication de la France dans le génocide. Mais les instructeurs français qui auraient formé ces jeunes au combat armé savaient-ils déjà à quoi ils allaient être destinés en 1994 ? Le rapport ne semble pas en douter, sauf… au détour d’un paragraphe : « Il n’y a pas, à cette heure, d’éléments de preuve directe qui permettraient d’affirmer que les militaires français savaient que la formation qu’ils donnaient aux Interahamwe (…) était destinée à commettre le génocide. »

Le texte souligne ensuite à juste titre l’incapacité de Paris à prendre en compte les signes de la détérioration de 1991 à 1993. Le dossier est ici accablant pour la France ; et on y découvre des éléments nouveaux. En revanche, l’opération « Turquoise » est présentée de manière trop simpliste sinon outrancière, les militaires français étant accusés de viols systématiques contre les femmes tutsi ; ce qu’aucun travail de chercheur n’est venu confirmer.

Poser la question de la responsabilité, c’est assurément s’interroger sur le rôle de la France, mais pas de manière aussi tranchée que ce texte. Paris n’a pas participé directement aux faits en 1994. La finalité de ce rapport est politique, donner au Rwanda la base d’une attaque juridique contre les dirigeants français de l’époque, pour contrecarrer l’action du juge Bruguière envers les dirigeants du Front patriotique rwandais. Il vient très sérieusement gêner les efforts de Bernard Kouchner pour renouer avec Kigali. En réalité, la guerre entre la France et le FPR n’a jamais cessé : ce rapport en constitue un nouveau développement.

Jacques Sémelin, directeur de recherches au CERI/CNRS


Rwanda: On avait ordre de ne pas bouger (France lies low as its dubious role in Rwanda’s genocide is brought up again)

7 août, 2008
Quelle était la raison du génocide rwandais ? Pour les classes dirigeantes  rwandaises ? Et pour l'impérialisme français ? - Matière et RévolutionIl faut ouvrir les ventres de ces Tutsis que vous tuez pour qu’ils coulent et que les satellites ne les voient pas. Soldats français au Rwanda lors du génocide (cité par Andrew Wallis)
Nous livrons des munitions aux FAR en passant par Goma. Mais bien sûr nous le démentirons si vous me citez dans la presse. Philippe Jehanne (correspondant de la DGSE, à l’historien Gérard Prunier, en plein génocide rwandais, le 19 mai 1994)
On avait ordre de ne pas bouger, de ne rien faire, surtout pas bouger, rien faire. (…) Les gens nous parlaient d’une vallée, Bisesero, où il y aurait des Tutsis armés jusqu’aux dents. Un jour, on a désobéi (…) aux ordres de notre propre chef (…) le commandant Marin Gillier. Il nous avait interdit d’aller là-bas.» En allant à Bisesero, «on a découvert le pot aux roses : c’est une vallée où 10 000 victimes avaient été tuées. Il en restait 800 dans un état lamentable. Là on s’est rendu compte que c’était pas du tout les Tutsis qui tuaient les Hutus, c’étaient les Hutus qui tuaient les Tutsis, qui les massacraient carrément , tous les jours. adjudant Thierry Prungnaud (ancien gendarme du GIGN, France Culture, le 22 avril 2005)

Alors qu’à la veille des Jeux de Pékin et après avoir fait croire qu’il recevrait le dalai lama, notre Sarkozy national s’est finalement (surprise!) piteusement défilé et aplati devant les arguments sonnants et trébuchants dudit Pékin (jusqu’à se laisser dicter, par l’ambassade de Chine à Paris,… les lieux même de manifestation adéquats!) …Et que, trêve estivale et veille desdits Jeux aidant, nos mêmes dirigeants comme nos médias se sont passés le mot pour faire le gros dos et le service minimum après la publication du rapport rwandais accusant la France d’avoir participé au dernier génocide du XXe siècle …

Retour, puisque, s’abritant derrière le long contentieux entre les deux pays (réponse du berger à la bergère » suite à neuf mandats d’arrêt lancés par un juge français contre plusieurs dirigeants rwandais) nos courageux journaux ne prennent même pas la peine de nous donner le détail des accusations de Kigali (13 mandats d’arrêt contre des dirigeants français aussi hauts placés qu’un Villepin ou un Védrine, sur un article d’il y a un an du journaliste du Figaro Patrick de Saint Exupéry qui donnent quelques indications.

Notamment sur une information judiciaire ouverte en décembre 2005 (et dont on n’a pus aucune nouvelle?) par le procureur du tribunal aux armées de Paris, Jacques Baillet, suite aux témoignages de deux rescapés rwandais qui avaient déposé plainte contre X en février 2005 pour « complicité de génocide et/ou complicité de crime contre l’humanité ».

Où l’on découvre ou redécouvre, sans parler du conseil et de l’armement jusqu’au bout des génocidaires comme de leur exfiltration après, « l’accueil triomphal », drapeaux bleu-blanc-rouge et portraits de Mitterrand compris, reçu par nos troupes françaises de la part des tueurs …

Comme la conclusion de la mission parlementaire d’information de 1998, relevant pudiquement (cohabitation oblige!) un rôle de la France au Rwanda des années 90 à 94, « à la limite de l’engagement direct »

Mais surtout, par delà les habituelles considérations géopolitiques (le fameux complexe de Fachoda contre l’emprise des Anglo-saxons !), le témoignage d’un ancien gendarme du GIGN alors sur place qui rappelle qu’ils avaient ordre (ce qui est un peu étrange pour une force ostensiblement d’intervention)… de ne pas intervenir!

Et, après avoir désobéi aux ordres, leur découverte du pot au rose (ie. le génocide) trois jours après que certains d’entre eux avaient promis d’intervenir et qu’il ne restait plus, sur les quelque 10 000 toutsis rassemblés, que 8 000 rescapés …

Le rôle de la France au Rwanda en question
Patrick de Saint-Exupéry
Le Figaro
15/10/2007
.
Près de douze ans après le génocide des Tutsis du Rwanda en 1994, le rôle de la France continue à susciter des questions. Le 23 décembre 2005, le procureur du tribunal aux armées de Paris, Jacques Baillet, a ouvert une information judiciaire. Il a retenu deux témoignages, parmi ceux des six rescapés rwandais qui avaient déposé plainte contre X en février 2005 pour «complicité de génocide et/ou complicité de crime contre l’humanité». L’histoire de l’opération «Turquoise», lancée en juin 1994 par François Mitterrand, va être scrutée par la justice. L’une de ces pages s’est écrite sur la colline de Bisesero. Plus de onze années se sont écoulées. Au temps du génocide, Bisesero, une montagne plantée à l’extrême ouest du Rwanda en bordure du lac Kivu, fut l’un des innombrables champs de morts qui parsemèrent le pays. Des semaines durant, on y tua, massacra, extermina. Les «voués à la mort» résistèrent. Quand trois mois plus tard, les troupes françaises de l’opération «Turquoise» – une opération militaro-humanitaire lancée par François Mitterrand qui invoqua «l’urgence» – découvrirent ces rescapés, trois jours furent nécessaires avant qu’il ne leur soit porté secours. Ces trois journées décisives sont au coeur de la plainte déposée en février 2005 au Tribunal aux armées de Paris (TAP) par six rescapés rwandais pour «complicité de génocide et/ou complicité de crime contre l’humanité».

«J’en ai assez de voir ces assassins nous acclamer»

Une information judiciaire a été ouverte le 23 décembre 2005 par le procureur Jacques Baillet, sur la base du témoignage de deux des six plaignants rwandais. L’enquête a été confiée à la juge Brigitte Raynaud, aujourd’hui remplacée par Florence Michon, ancien substitut à la section antiterroriste du parquet de Paris. La tragédie qui s’est jouée à Bisesero en juin 1994 est un révélateur des ambiguïtés de l’opération «Turquoise».

En témoignera le changement d’attitude d’un des acteurs de ce drame. Dans un récit publié en 1994 dans la revue de la Marine nationale Cols bleus, le capitaine de frégate Marin Gillier fera d’abord part de «l’accueil triomphal» reçu par «la mouvance la plus en vogue dans l’instant», c’est-à-dire les tueurs, avant de dénoncer «l’extermination», cette «boucherie insupportable» sur fond «d’acharnement inimaginable», qu’il a pu constater. Entre les deux moments de son récit, il y eut Bisesero.

Le récit de Bisesero débute le 26 juin 1994, six jours après l’annonce par François Mitterrand de l’intervention au Rwanda. Ce jour-là, le journaliste Vincent Hugeux croise dans l’ouest du pays le capitaine de frégate Marin Gillier et l’informe du «carnage en cours sur les hauteurs voisines» de Bisesero, précisera-t-il dans L’Express.

Le lendemain 27 juin, un groupe de trois journalistes essai lefigaro_BaseV4All lefigaro_BaseV4Fil lefigaro_BaseV4Get lefigaro_BaseV4Traite lefigaro_ImportGet lefigaro_ImportTraite lefigaro_PromoV4Get nohup.out README.txt trans zizi accompagne le colonel Diego (pseudonyme), responsable d’un des groupements COS (commandement des opérations spéciales), en opérations de reconnaissance vers Bisesero. Le récit de cette expédition, qui verra des soldats français brutalement immergés dans la réalité du génocide, est publié le 29 juin dans Le Figaro. Il débute sur le témoignage de tueurs qui, sans aucun remords, font part de leurs crimes. Il se poursuit avec la rage des soldats français, dégoûtés par l’accueil que leur réservent des tueurs qui encensent Paris tout en arborant drapeaux bleu-blanc-rouge et portraits de François Mitterrand : «J’en ai assez de voir ces assassins nous acclamer», lancera l’un d’eux. Le récit continue avec la découverte des rescapés de Bisesero. A ces survivants, le colonel Diego fait une promesse : «L’important pour vous, c’est de survivre encore deux ou trois jours. On reviendra.» Le soir, il transmet ses informations à l’état-major : «Si on part là-haut protéger ces milliers de gens traqués comme des animaux, on s’engage d’un côté, dit-il au Figaro. Nous, on est prêts. Nous obéirons aux ordres. Mais sont-ils prêts à Paris ?»

La montagne parsemée de morts

Tout au long de la nuit du 27 juin, le colonel Diego reste pendu à son téléphone satellite. Trois jours après, en fin de journée le 30 juin, au lendemain d’une visite de François Léotard, alors ministre de la Défense, une colonne de soldats menée par le capitaine de frégate Marin Gillier gagne les lieux. Elle enclenche les secours. Huit cents rescapés seront sauvés. La montagne est parsemée de morts.

Jusque-là, l’opération «Turquoise» semble rester dans les rails humanitaires. Le 27 juin, le colonel Diego a promis qu’une intervention se ferait dans un délai de «deux à trois jours». Trois jours plus tard, une opération est menée. L’affaire a été, en apparence, menée rondement. Durant les quatre années qui suivent, la question de la France et du Rwanda va tarauder de nombreux témoins, acteurs ou observateurs. En 1998, une mission parlementaire d’information est mise sur pied. Le rôle de la France au Rwanda des années 90 à 94, «à la limite de l’engagement direct», est relevé. Un rapport est publié. Y figure un courrier adressé aux parlementaires par Marin Gillier. Le capitaine de frégate revient sur les événements et attribue alors son intervention à Bisesero au hasard : le 30 juin, écrit-il, «je reçois un appel radio d’un des officiers sous mes ordres qui avait rebroussé chemin (…) Rapidement, il m’explique qu’il a rencontré quelques Tutsis qui ont raconté qu’ils faisaient l’objet de persécutions. Leur état général ne laisse aucun doute». Le capitaine de frégate souligne la phrase suivante : «C’est alors que nous avons été confrontés, pour la première fois, à la tragédie rwandaise.»

Témoignage d’un gendarme du GIGN

Le drame de Bisesero aurait donc été découvert par les hommes de «Turquoise» le 30 juin. Or le colonel Diego s’y est rendu le 27 juin. Pourquoi n’en est-il tenu aucun compte, dans la version présentée aux parlementaires ? En outre, pourquoi le capitaine de frégate Gillier ne fait-il pas mention de l’information qui lui fut transmise le 26 juin par Vincent Hugeux de L’Express ? Ces questions ne sont pas innocentes. Dans l’intervalle de trois jours, les bras armés du génocide – soldats rwandais et miliciens – auraient multiplié, selon les témoignages, les assauts contre les rescapés de Bisesero, avec la volonté d’en finir avec les survivants. C’est ce qui perce au travers des plaintes pour «complicité de génocide».

L’affaire ne s’arrête pas là. Dans une intervention diffusée le 22 avril 2005 sur France Culture, un ancien gendarme du GIGN a livré des précisions. Médaillé de la Légion d’honneur, l’adjudant Thierry Prungnaud, alors sous les ordres du capitaine de frégate Marin Gillier, faisait partie des troupes COS à Bisesero. «On regardait, on voyait les gens tous les soirs qui se tiraient dessus. On disait : bon, tiens, c’est les Tutsis qui zigouillent les Hutus (NDLR : cette version, inverse à la réalité, avait été livrée aux soldats avant leur départ par leur hiérarchie.) On avait ordre de ne pas bouger, de ne rien faire, surtout pas bouger, rien faire», raconte-t-il au micro.

Puis, il aborde la page Bisesero : «Les gens nous parlaient d’une vallée, Bisesero, où il y aurait des Tutsis armés jusqu’aux dents. Un jour, on a désobéi (…) aux ordres de notre propre chef (…) le commandant Marin Gillier. Il nous avait interdit d’aller là-bas.» En allant à Bisesero, «on a découvert le pot aux roses : c’est une vallée où 10 000 victimes avaient été tuées. Il en restait 800 dans un état lamentable. Là on s’est rendu compte que c’était pas du tout les Tutsis qui tuaient les Hutus, c’étaient les Hutus qui tuaient les Tutsis, qui les massacraient carrément , tous les jours».

«Les miliciens ne craignaient pas de tuer sous le regard des Français»

Eu 1992, Thierry Prungnaud fut chargé de former au Rwanda le Groupement d’intervention et de sécurité de la garde présidentielle (GISGP) : «J’ai eu des renseignements comme quoi les gars que j’avais formés avaient effectivement participé aux massacres (…) Ils étaient entraînés, vraiment bien entraînés et je pense qu’ils ont dû massacrer un maximum de personnes.» Le soldat est formel, «catégorique» : «C’étaient des militaires français qui ont formé des miliciens rwandais.» Interrogé sur leur identité, il répond : «C’étaient des gens du 1er RPIMA puisque c’était l’unité qui était là-bas.»

Ces déclarations, qui n’attireront guère l’attention en France, vont à l’appui de la plainte pour «complicité de génocide» déposée en février 2005 par six plaignants rwandais.

Dans sa décision d’ouvrir une information judiciaire, Jacques Baillet, le procureur du Tribunal aux armées (TAP), a jugé recevable deux des six plaintes. Ont été retenus les témoignages d’Innocent Gisanura et d’Auréa Mukakalisa. Tous deux s’expriment en kynyarwanda. Innocent est originaire de Bisesero et avait 14 ans à l’époque. Il affirme qu’entre le 27 et 30 juin 1994, il y eut de nombreuses attaques sur la montagne : «J’ai été touché par un coup de gourdin à la tête le 28 juin.» Il accuse : «Les miliciens ne craignaient pas de tuer sous le regard des Français.» Auréa avait 27 ans en 1994 et met en cause le comportement des troupes françaises dans le camp de Murambi. Félicien, son frère, a été tué, dit-elle, en voulant se réfugier dans ce camp. Vestine, sa soeur, a été embarquée dans un hélicoptère français, elle ne l’a jamais revue : «C’était le temps de la mort des Tutsis, dit-elle en évoquant sa soeur. Je pense qu’elle est morte.»

Deux des plaintes pour l’heure écartées par le procureur concernent Bisesero. Eric Nzabihimana avait 28 ans en 1994 et était présent quand, le 27 juin, la colonne de soldats menée par le colonel Diego a découvert le drame. Il fait état de massacres qui recommencent sitôt partie la colonne et les journalistes. Durant le mois qu’il va passer dans le camp de Bisesero, sous protection française, il relève une attitude ambiguë. Certains militaires français, dit-il, vont priver les rescapés de nourriture plusieurs jours durant, d’autres l’aideront activement à retrouver des survivants.

Bernard Kayumba, 25 ans en 1994, était également à Bisesero le 27 juin. Ancien séminariste, son histoire est étonnante. Le 5 juin 1992, affirme-t-il, il assiste à la participation directe de la France dans le conflit rwandais : «Du séminaire de Rutongo où j’étais, j’ai vu des artilleurs français tirer à Byumba.» En octobre 1993, il subit un contrôle d’identité effectué par les troupes françaises alors présentes au Rwanda. Interpellé car Tutsi, il est placé de côté. Pense qu’il va mourir s’il est transféré aux mains des soldats rwandais. Est sauvé in extremis par «l’intervention des passagers d’une voiture du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) qui passait par là par hasard». En juin 1994, à Bisesero, il assiste à la rencontre avec la colonne de Diego le 27 juin. Et témoigne, sur le mois qui suit, d’un comportement pour le moins étrange de troupes françaises empêtrées dans l’infernale l’équation : Tutsis = FPR (NDLR, la rébellion) = Ennemi.

Les militaires dans la confusion

De cette confusion, le général Jean-Claude Lafourcade, commandant en 1994 de l’opération «Turquoise», fera état lors de son audition par les parlementaires français. «Le gouvernement, dira-t-il, a successivement demandé aux mêmes officiers de contribuer à la formation de militaires rwandais contre le FPR, puis, brutalement, d’engager l’opération «Turquoise» sur des bases d’impartialité totale, dans un contexte où il n’y avait plus d’ennemis et où il fallait éventuellement discuter avec le FPR.»

L’explication est sans doute incomplète. Citées dans la plainte déposée en février 2005, deux notes établies les 3 et 6 mai 1994, en plein génocide, par le général Christian Quesnot, alors chef de l’état-major particulier de François Mitterrand, apportent des éléments. «Tous (les) efforts (du gouvernement français) resteront vains si le FPR remporte une victoire militaire sur le terrain et veut imposer la loi minoritaire du clan tutsi», écrit le général avant de préciser : «Le président (ougandais) Museveni et ses alliés auront ainsi constitué un «tutsiland» avec l’aide anglo-saxonne et la complicité objective de nos faux intellectuels, remarquables relais d’un lobby tutsi auquel est également sensible une partie de notre appareil d’État. Est-ce vraiment ce que nous voulons ?»

Ces faits sont-ils constitutifs d’une «complicité de génocide» ? La justice française devra trancher.

(*) Dont l’envoyé spécial du Figaro.

Voir aussi:

Paris ne veut pas répondre aux accusations du Rwanda
Philippe Bernard et Arnaud Leparmentier
Le Monde
07.08.08

Chacun s’est donné le mot : pas de vagues. Paris a choisi de faire le gros dos après la publication du rapport rwandais accusant la France d’avoir participé au génocide des Tutsis en 1994. L’objectif est de ne pas entraver une reprise du dialogue avec le Rwanda, alors que le président Nicolas Sarkozy a rencontré son homologue Paul Kagamé en décembre 2007.

Certes, le Quai d’Orsay a qualifié d' » inacceptables », mercredi 6 août, les accusations rwandaises et a mis en cause  » l’objectivité » de la commission d’enquête rwandaise. Mais, sur le site Internet du ministère, le communiqué est illustré par la photo de Bernard Kouchner serrant la main du président rwandais. Le Quai d’Orsay rappelle d’ailleurs que sa « détermination de construire une nouvelle relation avec le Rwanda, au-delà de ce passé difficile, reste intacte ». La trêve estivale a permis aux autorités françaises de faire le service minimum, alors que l’actualité franco-rwandaise va rapidement être atténuée par les Jeux olympiques de Pékin. L’exécutif a décidé que le Quai d’Orsay serait le seul à réagir, lors de son point presse quotidien.

Bernard Kouchner a refusé tout commentaire personnel. « On ne veut pas donner l’impression qu’on accorde trop d’importance à ce rapport et attiser la polémique », explique l’entourage du ministre. L’Elysée n’a fait aucune déclaration politique et renvoyait sur les spécialistes techniques du dossier. Seul le ministre de la défense, Hervé Morin, s’est exprimé, dénonçant sur Radio France Internationale, jeudi matin : « Un procès insupportable pour la mémoire des militaires français » qui « ont sauvé des milliers de vies humaines dans des conditions abominables ».

Soulignant la « dimension politique » du rapport rwandais où il est mis en cause, le général Jean-Claude Lafourcade, commandant de l’opération « Turquoise », qualifie ce document de  » tissu de mensonge » et dénonce « l’instrumentalisation des témoins » par le Rwanda. « 250 journalistes et un millier d’humanitaires se trouvaient dans la zone. Croyez-vous qu’ils n’auraient rien vu ? », déclare-t-il au Monde.

Les autres personnalités mises en cause, de droite comme de gauche, ont été plus discrètes. Hubert Védrine, secrétaire général de l’Elysée en 1994, a renvoyé à un texte déjà paru où il qualifie de « monstrueuses (…), absurdes (…) mais surtout fausses » les accusations de Kigali. Contacté par l’Agence France-Presse, l’ancien ministre des affaires étrangères Alain Juppé a renvoyé à une opinion déposée sur son blog… en janvier. Edouard Balladur n’a pas souhaité réagir.

« Faire croire que la France a participé à la préparation d’un génocide, c’est monstrueux », déclare Paul Quilès, président en 1998 de la Mission d’information parlementaire sur le Rwanda. Qu’il y ait eu des erreurs, on les a pointées dans notre rapport. »

Seule l’association « Survie », spécialisée dans la dénonciation de la « Françafrique », estime « indispensable que la France crée une commission d’enquête parlementaire ».

Le Rwanda a rompu ses relations diplomatiques avec la France en novembre 2006, après la décision du juge Bruguière mettant en cause le président Kagamé dans l’assassinat de son prédécesseur. Le magistrat antiterroriste avait lancé neuf mandats d’arrêt contre des dirigeants rwandais. La justice espagnole a lancé d’autres accusations, ce qui entrave la liberté de voyager de plusieurs dirigeants rwandais. Paris voit dans le rapport rwandais « une réponse du berger à la bergère », indique-t-on à l’Elysée.

A Kigali, la ministre de l’information rwandais, Louise Mushikiwabo, a indiqué que « le gouvernement a demandé aux autorités judiciaires rwandaises d’utiliser ce rapport. Nous espérons qu’un processus judiciaire va suivre ». Mais, selon Paris, « rien de tout cela n’est contraire à la volonté commune d’essayer d’arranger les choses. Les Rwandais cherchent à avoir une prise sur nous pour qu’on abaisse notre seuil d’agressivité ».

Sur le fond, les autorités françaises, qui ont refusé de recevoir les auteurs du rapport rwandais lorsqu’ils sont venus en France en février 2007, estiment qu’aucun rapport n’a étayé une participation directe des soldats français à des exactions.


Rwanda: Pourquoi les Français ne se sont-ils pas intéressés? (Acting out their own national tragedy)

23 février, 2008
Sometimes in April TV Listings and Schedule | TV Guide
Sur le Rwanda, les interprétations habituelles évoquent des guerres tribales alors que ce génocide possède les mêmes caractères que ceux qui l’ont précédé. Il sort d’une matrice universelle : tensions, déshumanisation de l’ennemi (qualifié de rat, d’insecte ou de fourmi), ce qui permet ensuite de le tuer, propagande d’un discours idéologique qui imprègne les consciences, création de milices, vote de lois qui établissent des quotas et stigmatisation des « sous-hommes ». Le génocide au Rwanda n’a pas duré 100 jours ; il a été préparé pendant des dizaines d’années. (…) [Pourquoi les Américains se sont-ils intéressés à ce projet?] La bonne question serait: Pourquoi les Français ne se sont-ils pas intéressés? Raoul Peck

Ce soir sur Arte (deux ans après sa sortie américaine) le meilleur film sur le génocide rwandais et le film est une fois de plus… américain!

Mis en scène par un réalisateur haïtien (Raoul Peck) mais produit avec des capitaux et des moyens américains par le studio de télé cablée américain HBO (l’équivalent de notre Canal+) …

Le film réussit le tour de force de présenter l’essentiel du drame.

La dimension personnelle (à travers le destin opposé de deux frères et de leurs familles).

Mais aussi toute la préparation idéologique sans laquelle un génocide n’est pas possible (propagande déshumanisante ou animalisante du groupe cible: qualifié de cafard, comme les nazis avec leur discours diaboliquement prophylactique et hygiéniste et… leur gaz insecticide Zyklon B) et pratique (création de milices, vote de lois d’exclusion avec quotas).

Pour arriver (via un long processus d’installation d’un climat d’impunité et l’instrumentalisation de l’histoire coloniale) à la mobilisation de masse et à une incroyable dimension populaire au point que les “tueries étaient commencées et terminées quotidiennement à heures fixes comme une tâche devant être exécutée”

Sans oublier l’impuissance internationale (Onu comme Etats-Unis traumatisés par leurs récentes mésaventures somaliennes) ainsi hélas que la complicité française (qui, on le sait, a formé, armé et exfiltré les génocidaires)

Qualifiée, très symptomatiquement, par la Croix, de « simplismes décevants » …

Extraits:

Le génocide rwandais n’a rien de particulier. On y retrouve exactement les mêmes mécanismes que ceux qui ont été mis en place dans tous les génocides précédents: le ciblage d’une certaine catégorie de citoyens, qu’on a cherché à déshumaniser; le vote de lois qui les discriminent; la formation de milices; les essais à petite échelle ici et là sur le territoire; le fonctionnement d’une machine de propagande idéologique, etc. Ce génocide n’a pas commencé lorsqu’un avion a été abattu, mais cinquante, soixante ans avant. Il faut replacer ce génocide dans un contexte universel.

« Replacer ce génocide dans un contexte universel »

Questions à Raoul Peck, réalisateur de Quelques jours en avril

Entretien du réalisateur

Dossier du CNDP

Comment est née l’aventure de ce film?

Elle a commencé à la chaîne américaine HBO qui, ayant acquis les droits du témoignage de Paul Rusesabagina, le directeur de l’hôtel des Mille Collines, héros du film Hôtel Rwanda, m’a demandé si j’étais intéressé par le sujet du génocide au Rwanda. J’ai d’abord décliné, pensant qu’on ne pouvait pas encore faire un film sur quelque chose d’aussi irracontable. Puis j’ai posé un certain nombre de conditions, notamment de pouvoir avant tout aller au Rwanda rencontrer des gens, essayer de comprendre. Et je ne voulais surtout pas un film avec des personnages «américains», mais avec des Rwandais. Ces conditions, inacceptables normalement pour un studio américain, ont cependant été acceptées par HBO. Et j’ai pu, sans pression, partir au Rwanda voir ce qu’on pouvait faire. Au bout de quelques jours, il m’est apparu clair qu’on ne pouvait humainement rester silencieux après ça. J’ai fait de très nombreuses rencontres, notamment avec des gens qui n’avaient que rarement raconté leur histoire depuis dix ans. Sur la base de tous ces matériaux, d’une richesse incroyable, bouleversante, j’ai construit, version après version, pendant deux ans, le film que je savais et devais faire.

Avez-vous eu des difficultés à tourner au Rwanda?

Nous avons eu tous les moyens de HBO et l’aide des autorités au Rwanda, de la société civile. On leur a fait admettre qu’on était venu là, non comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, mais pour faire un film ensemble, pour répondre aussi à leurs besoins. Nous avons formé une équipe sur place (des peintres, des charpentiers…), travaillé avec des comédiens, avec 5 ou 6000 figurants qui ont pour la plupart vécu le génocide. Il a fallu avoir une approche très longue, sur plusieurs mois, avec des psychologues qui ont non seulement suivi le tournage, mais sont restés après notre départ pour continuer à suivre certains cas qui auraient pu être problématiques. L’Église catholique, pendant et après le tournage, a été la seule institution à être un frein à ce projet. Là où j’ai eu sans problème toutes les autorisations de tournage, lorsqu’il s’est agi de tourner dans l’église Sainte-Famille, lieu d’un épouvantable drame, je n’avais pas d’autorisation le matin même. Nous avons dû faire appel aux ministres responsables pour organiser une réunion avec l’archevêque. J’ai dû aller défendre le film devant lui: «Il ne faut pas désacraliser le lieu», m’a-t-il dit… L’Église est très puissante, mais rappelons qu’elle n’a jamais fait acte de contrition par rapport à son rôle dans les événements.

Pourquoi les Américains se sont-ils intéressés à ce projet?

La bonne question serait: pourquoi les Français ne se sont-ils pas intéressés? L’opinion américaine a été très informée lors du conflit rwandais. Puis il y a eu un certain nombre de livres, dont celui de Philip Gourevitch, journaliste au New Yorker, [Nous avons le plaisir de vous informer que, demain, nous serons tués avec nos familles. Denoël, 1998], qui ont été des bestsellers. Les Églises et les universités ont fait un gros travail de vulgarisation. Et rappelons que Clinton a été un des rares présidents à être retournés au Rwanda et à demander pardon, à cause de la non-intervention des États-Unis.

Le délai pour faire un film sur un génocide n’est-il pas court?

Le besoin de parler vient d’abord des Rwandais eux-mêmes. Ce n’est pas moi qui l’ai suscité. Si les victimes de la Shoah ont mis tant d’années à parler, c’est qu’on ne voulait pas les écouter. C’était certes difficile de parler, mais c’est surtout le monde entier qui ne voulait pas les entendre parler. Au Rwanda, c’est différent. D’abord, il y a maintenant une longue histoire du génocide sur cette planète: les expériences s’échangent, les associations de survivants travaillent ensemble, des enfants de déportés juifs travaillent avec des Rwandais, avec des Cambodgiens. Dix ans après, les Rwandais commençaient à parler. Il y a une grande commémoration chaque année, en avril, au cours de laquelle des gens prennent le micro lors de manifestations publiques et parlent. Cette problématique du génocide n’a pas seulement dix ans, elle a des centaines d’années. Le génocide rwandais n’a rien de particulier. On y retrouve exactement les mêmes mécanismes que ceux qui ont été mis en place dans tous les génocides précédents: le ciblage d’une certaine catégorie de citoyens, qu’on a cherché à déshumaniser; le vote de lois qui les discriminent; la formation de milices; les essais à petite échelle ici et là sur le territoire; le fonctionnement d’une machine de propagande idéologique, etc. Ce génocide n’a pas commencé lorsqu’un avion a été abattu, mais cinquante, soixante ans avant. Il faut replacer ce génocide dans un contexte universel.
Les militaires français présents au Rwanda sont présentés sous le visage de purs complices du génocide, notamment lors d’une scène au cours de laquelle des officiers français assistent satisfaits au déballage de caisses de machettes par les futurs génocidaires, dont ils assurent naturellement la formation.

Ces simplismes décevants, qui visent aussi à un moindre degré l’Église catholique, n’enlèvent pas au film ses qualités qui le placent parmi les meilleures évocations du génocide de 1994.

Voir aussi:

Quelques jours en avril
La Croix
Laurent D’ERSU
le 21-02-2008

Dans « Quelques jours en avril », l’horreur rwandaise vue de l’intérieur

Le réalisateur haïtien Raoul Peck («Lumumba », «L’affaire Villemin») a tourné, dix ans après les faits, une fiction avec les survivants

QUELQUES JOURS EN AVRIL de Raoul Peck
Arte, vendredi à 21 heures

Kigali, avril 1994. Précédé d’une montée de la tension entre le régime à dominante hutue et la rébellion tutsie du Front patriotique rwandais (FPR), un génocide visant les Tutsis éclate.

Augustin, capitaine dans l’armée rwandaise, qui est hutu, confie ses enfants et son épouse Jeanne, tutsie, à son frère Honoré, animateur influent de la radio RTLM (Radio Télévision libre des Mille collines).

Il ne les reverra plus. Dix ans plus tard, alors qu’Honoré est poursuivi par le Tribunal pénal international d’Arusha (Tanzanie), Augustin se décide à lui rendre visite.

Le film ne cache pas la violence

Amour, haine, déchirements amoureux, amicaux et fraternels… Le scénario de Quelques jours en avril est à la hauteur de l’événement qu’il évoque par la fiction. L’usage du flash-back, loin de gêner la compréhension, permet d’évoquer avec délicatesse la question centrale de la vie «après» un tel événement.

S’il ne cache rien de la violence ambiante, il ne tombe pas dans la facilité de l’horreur gratuite. Certaines scènes sont très marquantes par leur fidélité à ce que vécurent les victimes traquées: cachées dans les marais, réfugiées dans les salles de classe et les églises, elles sont déshumanisées.

À certains moments, on est toutefois gêné par une musique insistante.

Un film a dimension internationale

Destiné à un public américain encore moins au fait du génocide que le public européen, le film évoque sa dimension internationale à travers la figure de la diplomate américaine, Prudence Bushnell.

Les militaires français présents au Rwanda sont présentés sous le visage de purs complices du génocide, notamment lors d’une scène au cours de laquelle des officiers français assistent satisfaits au déballage de caisses de machettes par les futurs génocidaires, dont ils assurent naturellement la formation.

Ces simplismes décevants, qui visent aussi à un moindre degré l’Église catholique, n’enlèvent pas au film ses qualités qui le placent parmi les meilleures évocations du génocide de 1994.

Raoul Peck : «Ce génocide, comme les autres, sort d’une matrice universelle»
La Croix
le 21-02-2008

Raoul Peck raconte comment il a fini par résoudre les questions qu’il croyait insurmontables pour tourner un film sur un génocide

TEMOIGNAGE
Raoul Peck, réalisateur de « Quelques jours en avril »

«C’est d’abord l’histoire d’un film que je croyais impossible. La compagnie américaine HBO pour laquelle je travaillais sur le doublage de mon film Lumumba m’a proposé de tourner Hôtel Rwanda (1). J’ai refusé ce projet mais ils m’ont demandé de réfléchir.

J’ai posé des conditions : aller sur place, tourner au Rwanda et dans la langue locale, disposer du final cut, choisir mon équipe. Autant d’exigences que les Américains, en général, refusent. Ils ont accepté.

Dans ma tête, un film sur le génocide était irréalisable. J’avais lu Hannah Arendt, Primo Levi. Tous mes films font référence à l’Holocauste. J’ai vécu quinze ans en Allemagne. C’est assez dire que cette question fait partie de ma formation d’adulte. Je sais aussi qu’on ne peut pas raconter un génocide.

« Génocide du Rwanda préparé pendant des années »

Sur le Rwanda, les interprétations habituelles évoquent des guerres tribales alors que ce génocide possède les mêmes caractères que ceux qui l’ont précédé. Il sort d’une matrice universelle : tensions, déshumanisation de l’ennemi (qualifié de rat, d’insecte ou de fourmi), ce qui permet ensuite de le tuer, propagande d’un discours idéologique qui imprègne les consciences, création de milices, vote de lois qui établissent des quotas et stigmatisation des « sous-hommes ». Le génocide au Rwanda n’a pas duré 100 jours ; il a été préparé pendant des dizaines d’années.

Au Rwanda, et en deux jours, tous mes raisonnements s’effondrent. Je rencontre des rescapés qui veulent témoigner. Le lendemain de mon arrivée, j’entre dans une église en dehors de Kigali, avec un jeune survivant qui veut me montrer ce qu’il a vécu.

La réalité me saute à la gorge : des os, des restes humains, des objets usuels abandonnés (brosses à dents, assiettes en plastique, couverts, missels, bonnets d’enfants). Je me sens nu, privé de tout, muet, bloqué.

Le contraste entre les traces de cette violence extrême et le calme de cette église est terrifiant. Je me trouve en face de ce qu’il y a de plus inhumain et je ressens ce qui lie les humains : la mort. Le sens même de mon existence est ébranlé. Je sais que si je ne réagis pas, plus rien n’aura de sens. C’est le moment de vérité de ma vie : je n’ai plus le choix. Je plonge.

« Société agitée par la douleur du souvenir »

Toutes les personnes que je rencontre me confient des témoignages. Je deviens un passeur, légitimé dans son projet. On me donne des destins, des pensées, des sentiments, souvent irracontables. Mais, à la différence des survivants de l’Holocauste que l’on ne voulait pas écouter et qui se sont murés dans le silence, les Rwandais ont besoin de parler. La société est agitée par la douleur du souvenir tous les mois d’avril depuis 1994. Le titre de mon film vient de là.

J’ai travaillé pendant deux ans et demi sur le scénario. J’ai beaucoup tâtonné. Comment montrer ce que peut représenter un million de morts ? Comment ne pas occulter l’horreur de la violence sans faire un film gore ? Depuis mes débuts, tout mon travail est habité par cette question : jusqu’où aller pour faire comprendre ce que signifie la violence ?

D’autres difficultés m’attendaient : le cinéma européen aussi bien qu’américain projette une vision occidentale de l’Afrique qui détermine le regard que le monde porte sur ses habitants. J’ai pris comme structure centrale l’histoire de deux frères que tout oppose, comme Caïn et Abel.

On peut dire que c’est un thème classique mais je l’ai entendu tout le temps dans les histoires que l’on me racontait. »Ce film est des Rwandais »Je voulais que les Rwandais soient les premiers à voir ce film qui est le leur. Il a été projeté dans le stade de Kigali. Huit mille spectateurs le premier soir, trente mille le lendemain. Ces projections ont agi comme une catharsis collective.

J’ai vu des spectateurs changer, leur mémoire se libérer. La plupart des Rwandais n’ont pas vécu l’ensemble du génocide. Soudain, ils le voyaient…»

Recueilli par Jean-Claude RASPIENGEAS

(1) Réalisé par Terry George, et sorti en 2005.

Voir enfin:

100 Days
Raoul Peck’s Sometimes in April
Amy Taubin
Film Comment
2005

The devil’s in the details. The most indelible moment in Sometimes in April, Raoul Peck’s real-life horror film about the Rwandan genocide, occurs when one of a straggly bunch of Hutus, out on a Tutsi killing spree, leans down without breaking step to sharpen his machete on the paving stones. You can avert your eyes from images of bloodletting or defend against them by telling yourself that these are merely actors and the red stuff a prop-person’s mixture. But this scraping sound ? like that of a butcher preparing his blade ? catches you off guard. It makes your hair stand on end even before you quite grasp what it portends. Don’t bother turning down the volume on the TV; it’s already playing back ? scrape, scrape, scrape ? in your head. The machete is the primary implement of Rwandan agriculture, but during the genocide it was used to cut down humans. Over 800,000 were murdered in 100 days beginning on April 6, 1994.

Unlike Hotel Rwanda, which focused on the extraordinary heroism of Paul Rusesabagina (Don Cheadle) and thus sent people out of the theater with a sense of uplift, Sometimes in April takes as its protagonist a well-meaning Hutu army officer with a troubling capacity for denial. Augustin Muganza (Idris Elba) refuses to believe that a bloodbath is imminent until it is too late for him to save his Tutsi wife, their two children, and his best friend from the slaughter. It doesn’t diminish the specificity of the Rwandan genocide or the vast historical, political, and cultural differences between a small, post-colonial, African country and the United States to say that Augustin’s denial is a point of identification. The question is not simply « would I have acted differently had I been in his shoes, » but « am I manifesting a similar denial right now vis-a-vis the collapse of U.S. democracy and the perhaps irreversible destruction of the planet’s ecosystem. » Not to mention that while I toy with the possibility of moving to Canada, the latest genocide continues in Darfur.

As he did in Lumumba, Peck has made a film that asks us to think about history and politics in the third world and how we, first-world subjects of filthy rich, putatively democratic regimes, are implicated in them. The HBO website (HBO produced the film and will continue to cable-cast it throughout May as well as release the DVD) has some excellent supplementary materials including a stark timeline of the genocide (with the U.N. and the U.S. quibbling, just as they are now in Darfur, about whether what is taking place is genocide or merely « acts of genocide ») and descriptions of the production process. Shot on location in Rwanda, Sometimes in April employed thousands of locals as cast and crew. Much of the film’s gravity and grace comes from the fact that the people onscreen are acting out their own national tragedy ? they are showing us what happened and trying to make sense of it themselves before our eyes. No one could mistake anyone in this film for a mere « extra. » Some had experienced the genocide firsthand. Peck explains in an interview (also on HBO’s website) that they were always pushing him to go further, to do another take. They told him, « Don’t worry, we have time to cry. But the rest of the world has to know this story. » Perhaps the most devastating scene in the film depicts the massacre of a group of schoolgirls, at a French Catholic school, left behind with their Rwandan teacher when the European nationals are evacuated. The Hutu girls refuse to betray their Tutsi classmates, so the marauders shoot all of them together.

Sometimes in April is structured as a Cain and Abel story. Augustin is the good brother, who like the « good Germans, » couldn’t believe his fellow countrymen had become murderers until they knocked on his door. His brother, Honore (Oris Erhuero) is a hate-radio DJ who agitates for the extermination of the Tutsi « insects. » Ten years after the genocide, Honore is on trial for war crimes and he asks Augustin to visit him. The film segues back and forth between the 100 days of slaughter and 2004, when the International Criminal Tribunal for Rwanda was held in Tanzania. The more reflective present-day scenes put the brakes on our emotional responses to the scenes of the genocide, and prevent the film from degenerating into exploitation. Peck is often criticized for being a didact, but the brilliance of Sometimes in April is its engagement of both hearts and minds.


Rwanda: Nous avons le plaisir de vous informer que demain nous seront tous tués avec nos familles (When an authority figure’s failure to resist amounts to participation in the crime)

21 février, 2008
Philip GourevitchIl nous faut reconnaître avec une profonde tristesse que certains de nos membres d’Église se sont retournés contre leur frères et contre leurs voisins. Ray Dabrowski (directeur de la communication au siège mondial de l’Église adventiste)
Notre cher guide, pasteur Elizaphan Ntakirutimana,
Comment allez-vous ?
Nous vous souhaitons d’être fort dans tous ces problèmes que vous affrontez, et avons le plaisir de vous informer que demain nous seront tous tués avec nos familles.
Nous vous demandons donc d’intervenir pour nous auprès du maire. Nous croyons que, avec l’aide de Dieu qui vous a confié la direction de ce troupeau qui va être détruit, votre intervention sera hautement appréciée, de la même manière que les juifs furent sauvés par Esther.
Nous vous rendons honneur.
Signée des pasteurs Ezekiel Semugeshi, Isaka Rucondon, Seth Rwanyabuto, Eliezer Seromba, Seth Sebihe, Jerome Gakwaya, et Ezekias Zigirinshuti. (Lettre de 7 pasteurs toutsis à leur supérieur, le pasteur Elizaphan Ntakirutimana, à la veille de leur extermination)

Suite à nos billets sur le génocide rwandais et sur les Justes de France

Retour sur l’un des cas les plus particuliers de ce génocide, celui de ces autorités morales qui, au contraire des Justes, lui ont apporté leur caution morale.

Notamment ce pasteur (adventiste) et son fils médecin, retrouvés par le journaliste du New Yorker Philip Gourevitch, qui ont transformé les église et hôpital dont ils avaient la charge en véritable abattoirs!

Et, répondant à la supplique que leur faisaient leurs subordonnés, pasteurs adventistes eux aussi mais toutsis (« Nous avons le plaisir de vous informer que demain nous seront tous tués avec nos familles », phrase qui inspira son titre aux chroniques de Gourevitch), leur feront cette terrible réponse :

« Samedi, seize, à exactement neuf heures du matin, vous serez attaqués. Votre problème a déjà trouvé une solution. Vous devez mourir. »

Rwanda : Le premier pasteur jugé pour génocide par le TPIR sort de prison
Elizaphan Ntakirutimana avait été arrêté en 1996

Le pasteur adventiste, Elizaphan Ntakirutimana, premier homme d’église jugé par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) pour sa participation au génocide de 1994 et premier condamné de cette juridiction onusienne, est sorti de prison mercredi en fin de matinée. Il était incarcéré au centre de détention du TPIR à Arusha, dans le nord de la Tanzanie.

jeudi 7 décembre 2006, par Panapress
Doyen d’âge des détenus du TPIR, le pasteur adventiste Elizaphan Ntakirutimana, âgé de 82 ans, avait été condamné définitivement à 10 ans de prison après avoir été reconnu coupable de massacres de Tutsis en 1994 dans le complexe adventiste de Mugonero (ouest du Rwanda) dont il était responsable.

Le complexe abritait une église, un hôpital et une école d’infirmières. Sanglé dans un costume kaki, le pasteur a été accueilli à sa sortie de prison par son épouse et un des ses fils. Affaibli par l’âge et la maladie, il a déclaré à la presse qu’il ne savait pas où aller, l’administration du tribunal n’étant pas encore parvenue à lui trouver un pays d’accueil.

Le pasteur clame toujours son innocence

Ntakirutimana qui refuse de retourner au Rwanda va être temporairement logé par le TPIR à Arusha, en attendant qu’un pays d’accueil lui soit trouvé, selon une source au greffe du tribunal. Comme il l’avait clamé lors de son procès en première instance et en appel, le pasteur a déclaré qu’il n’avait jamais tué personne de sa vie. « J’ai été condamné sur la base de fausses accusations », a-t-il réitéré d’une voix à peine audible.

Ntakirutimana avait été arrêté le 29 septembre 1996 aux Etats-Unis et transféré à Arusha le 24 mars 2000, au terme d’une longue bataille juridique contre son extradition. Il laisse à la prison du TPIR son fils, Gérard, un médecin, condamné à 25 ans de prison. Trois autres hommes d’église, les abbés catholiques Athanase Seromba, Emmanuel Rukundo et Hormisdas Nsengimana sont détenus par le TPIR pour leur rôle présumé dans le génocide de 1994 au Rwanda.

Le plus haut responsable religieux jamais arrêté par ce tribunal des Nations unies, l’évêque anglican Samuel Musabyimana, est décédé en détention en 2003 avant même l’ouverture de son procès. Depuis sa création par l’ONU en novembre 1994, le TPIR a prononcé à ce jour 26 condamnations et 5 acquittements.

Voir aussi un extrait de la chronique de Gourevitch:

« The Mean Streets of Laredo »
Philip Gourevitch
The New Yorker
October 7, 1996

Talk story about Elizaphan Ntakirutimana. Twenty-four hours before F.B.I. agents in Laredo, Texas, arrested Elizaphan Ntakirutimana last week on charges of genocide and crimes against humanity in Rwanda, the 73-yr.-old suspect’s son Eliel and Eliel’s wife, Genny, sat in their newly built mansion near the Laredo Country Club, denouncing the accusations that are made against the old man by genocide survivors.

« They see us as rich and well educated, » Eliel said, and Genny said, « The Rwandese don’t like if you are rich or in good health. »… Eliel is a cardiac anesthesiologist and a naturalized American citizen who has lived in this country since 1980 … Ntakirutimana’s voice was full of angry disbelief. « It is all 100% pure lies, » he said. « I did not kill any people. I never told anybody to kill any people… » Ntakirutimana…is a Seventh Day Adventist pastor… He did not know, as he spoke, that an indictment had already been issued against him by the United Nations’ International Criminal Tribunal for Rwanda, describing him as an organizer of the program to exterminate the Tutsi minority at 2 locations in Rwanda’s mountainous western province of Kibuye, in 1994. In Mugonero, the village where Ntakirutimana lived, thousands of Tutsis took refuge in the hospital, and survivors say that the pastor made them false promises of projection…and collaborated with local governmental authorities in preparing the attack in which all but a handful of those at the hospital were killed in a single day. According to his indictment… Ntakirutimana then strayed further afield, leading attacks against Tutsis who had taken refuge in the mountains…he insists that he had nothing to do with it and was helpless to stop it… The family’s Laredo lawyer, Lazaro Garza-Gongora, said, « What’s the evidence? Eyewitnesses? Anybody can say they saw anything. » That is true, but from listening to survivor’s accounts, it’s hard to believe that anybody could have seen as little as Ntakirutimana claims to have seen. The Rwanda tribunal is based in Tanzania, and if Ntakirutimana fights his extradition it may be some time before he faces his accusers directly… The court may then have to confront the difficult question of when an authority figure’s failure to resist genocide amounts to participation in the crime.

Voir enfin:

Journalist Philip Gourevitch was one of the first people to draw the world’s attention to the Rwandan genocide. His book, We wish to inform you that tomorrow we will be killed with our families: Stories from Rwanda, brought the genocide into living rooms, classrooms and the popular imagination. The book’s title comes from a story Gourevitch tells that takes place during the early stages of the genocide. The author tells how Tutsi sought refuge in a small hilltop village in the province of Kibuye called Mugonero. Headquarters of the Seventh-Day Adventist mission, Mugonero has a complex of buildings that include a church and hospital.

Gourevitch tells the story of what happened to those Tutsi, and the fate of their spiritual leader, Pastor Elizaphan Ntakirutimana.

Among the Tutsis at the Mugonero church and hospital complex were seven Adventist pastors who quickly assumed their accustomed role as leaders of the flock. When two policemen turned up at the hospital, and announced that their job was to protect the refugees, the Tutsi pastors took up a collection, and raised almost four hundred dollars for the policemen. For several days, all was calm. Then, toward evening on April 15, the policemen said they had to leave because the hospital was to be attacked the next morning. They drove away in in a car with Dr. Gerard [A son of Pastor Ntakirutimana], and the seven pastors in the hospital advised their fellow refugees to expect the end. Then the pastors sat down together and wrote letters to the mayor and to their boss, Pastor Elizaphan Ntakirutimana, Dr. Gerard’s father, asking them in the name of the Lord to intercede on their behalf.1

[The letter reads as follows:]

Our dear leader, Pastor Elizaphan Ntakirutimana:

How are you! We wish you to be strong in all these problems we are facing. We wish to inform you that we have heard that tomorrow we will be killed with our families. We therefore request you to intervene on our behalf and talk with the Mayor. We believe that, with the help of God who entrusted you the leadership of the flock, which is going to be destroyed, your intervention will be highly appreciated, the same ways as the Jews were saved by Esther.

We give honor to you.

The letter was signed by Pastors Ezekiel Semugeshi, Isaka Rucondon, Seth Rwanyabuto, Eliezer Seromba, Seth Sebihe, Jerome Gakwaya, and Ezekias Zigirinshuti.2

The response to their plea came within hours. Samuel Ndagijimana, a Tutsi orderly at the hospital who was now seeking refuge, recounts the events surrounding the letter:

‘And the response came,’ Samuel said. ‘It was Dr. Gerard who announced it: “Saturday, the sixteenth, at exactly nine o’clock in the morning, you will be attacked.’” But it was Pastor Ntakirutimana’s response that crushed Samuel’s spirit, and he repeated the church president’s words twice over, slowly: ‘”Your problem has already found a solution. You must die.’” One of Samuel’s colleagues, Manase Bimenyimana, remembered Ntakirutimana’s response slightly differently. He told me that the pastor’s words were “‘You must be eliminated. God no longer wants you.’”

Following the genocide, Ntakirutimana and his wife fled from Rwanda to Zaire to Zambia, and ultimately to Laredo, Texas in the United States. It was there that Philip Gourevitch interviewed him on September 25, 1996, and it was there the day after Gourevitch’s interview, that the U.S. Federal Bureau of Investigation would arrest him based on an indictment issued against Ntakirutimana by the International Criminal Tribunal for Rwanda. The indictment against Ntakirutimana included charges of genocide, complicity to commit genocide, crimes against humanity (murder). In 1997, U.S. Judge Marcel C. Notzon rejected the indictment and issued a decision saying that Ntakirutimana should be immediately freed.

The “Laredo Judgment” was eventually overturned and Ntakirutimana and his son were taken into custody and extradited to the International Criminal Tribunal for Rwanda based in Arusha, Tanzania. Over the course of several months, prosecutors brought witnesses and survivors to Tanzania to testify against Ntakirutimana and to help reconstruct that crucial period in early April, 1994. Among the evidence used against Ntakirutimana and his son was the letter given to Philip Gourevitch, a letter that Gourevitch gave to the International Criminal tribunal. In February 2003, the International Criminal Tribunal handed down the following sentences: 10 years imprisonment for Ntakirutimana, and 25 years imprisonment for his son.


Rwanda: Pour bien saisir la singularité du crime rwandais (Hearts of Darkness)

13 février, 2008
Stories from Rwanda (P. Gurevitch, 98)Pour bien saisir l’unicité du crime rwandais, il faut imaginer la quasi-totalité de la population allemande participant à la liquidation des juifs, ou les masses russes répondant massivement à la guerre de Staline contre les koulaks, s’armant de pelles et de pioches pour massacrer les koulaks village après village, au lieu simplement de les regarder embarquer pour leur ultime destination. Wole Soyinka

Contre la thèse perverse et négationniste, qui semble à nouveau relèver la tête, du « double génocide » rwandais …

Cette remarquable critique, par le prix Nobel de littérature nigérian Wole Soyinka, des centaines de témoignages recueillis par le correspondant du New Yorker Philip Gourevitch dans ses Chroniques rwandaises (« Nous avons le plaisir de vous informer que, demain, nous serons tués avec nos familles », 1998 – titre tiré d’une lettre d’un pasteur toutsi à un confrère houtsi quelques heures avant le massacre annoncé de son village) :

Extraits (traduits au babelfish) :

Aucune explication unique n’est satisfaisante. Gourevitch nous fournit utilement les antécédents du drame mais ne propose, à juste titre, aucune réponse définitive. Les facteurs qui ont contribué au cycle de tueries – avec les Toutsis très largement les victimes désignées – ne sont tout simplement pas à la hauteur de l’énormité du crime, autant les relations quasi-féodales explosives entre les Houtous et les Toutsis, que les modèles économiques inégalitaires qui séparaient les deux. Pas même la pénurie de terres du pays ne peut fournir une explication permettant de saisir par l’esprit une aberration sociale à une telle échelle. Les ordres sont venus d’en haut, oui ; l’interahamwe, la milice houtoue, a été formée, entrainée et endoctrinée dans la mission divine de liquider un Autre désigné, mais que tant de gens ordinaires puissent se retourner contre leurs voisins, leur propre sang, leurs collègues, leurs compagnons de beuveries ou de potins – c’est là où le processus de la compréhension cale, quelque soit l’éloquence des arguments des sciences économiques et de la politique, ou du rôle délétère de la mémoire.

Les Serbes et les musulmans bosniaques viennent à l’esprit. La politique de l’opportunisme qui cherche toujours des boucs émissaires a fourni le moteur pour l’idéologie meurtrière  »du  »nettoyage ethnique dans un cas,  »du  »Pouvoir houtou » dans l’autre, qui s’est traduit par – pas d’autre expression – que la Solution finale. Former des cadres, endoctriner une secte d’élite est une chose, mais engager une majorité de la population dans une orgie d’auto-mutilation ?

Un Houtou, notable d’une petite ville rwandaise que j’ai visitée, s’était senti personnellement visé après une visite d’un fonctionnaire du gouvernement, qui accusait l’ensemble des habitants d’avoir été négligents dans leur tâche de  »débroussaillage »- un des nombreux euphémismes du pouvoir pour désigner l’élimination des Toutsis.

Un jour après son départ, le notable, dont l’épouse était toutsi, convoque les villageois à une réunion d’auto-critique. Il a amené ses quatre fils avec lui. Il commence son allocution en indiquant qu’ayant pris à coeur les reproches de son visiteur, il a décidé de faire un exemple et qu’il avait ainsi abattu son épouse toutsi avant de quitter son domicile.

Mais c’était seulement une première étape, ajoute-t-il. Il ne suffit pas de tuer tous les Toutsis, il faut éliminer chaque vestige de sang toutsi qui a souillé la pureté de la race. Et pour vous le prouver, je vais vous en donner publiquement un nouvel exemple. Et d’un coup de machette, il tranche la tête de son fils ainé. Puis, l’un après l’autre, il abat ses trois autres fils qu’il se fait amener de la case dans laquelle ils les avait fait venir. Et c’est ainsi qu’un nouveau village, qui jusque-là, avait résisté au discours de haine des interahamwe, bascula la tête la première dans le bain de sang général.

Hearts of Darkness
By WOLE SOYINKA

WE WISH TO INFORM YOU THAT TOMORROW WE WILL BE KILLED
WITH OUR FAMILIES
Stories From Rwanda.
By Philip Gourevitch.
353 pp. New York:
Farrar, Straus & Giroux. $25.

Pol Pot . . . Hitler . . . Stalin . . . Idi Amin — these have become familiar names in the directory of state criminality.  »We Wish to Inform You That Tomorrow We Will Be Killed With Our Families, » Philip Gourevitch’s harrowing account of the Rwandan massacres, makes one wonder if there will ever be a name that goes down indelibly in the mind as the master architect or agent of this — even now — unbelievable crime against humanity. Dr. Gerard? His father, Pastor Elizaphan Ntakirutimana? President Habyarimana? Or the formidable Mme. Agathe Kanzinga? The candidature is spread wide, though these are not names that cling easily to memory.

The real problem with the Rwandan carnage, as Gourevitch, a staff writer for The New Yorker, makes clear, is that it was not restricted to a crime of state. True, the massacres were meticulously planned and ruthlessly executed by the state, but the instrumentation was widespread and criminality thus collectivized. To capture the uniqueness of the Rwandan crime, one must imagine that nearly the entirety of the German population participated in the liquidation of the Jews, or that the Russian masses responded to Stalin’s war against the kulaks, armed themselves with picks and shovels and massacred the kulaks in village after village, instead of merely watching them being herded off to their eventual extermination.

I traveled to Rwanda early this year, stopped at some of the more notorious killing grounds and visited a memorial to some 5,000 victims in a village not far from Kigali, the Rwandan capital. This consisted of a chamber lined with shelves on which skulls were neatly arranged and, next to it, the church where further massacres had taken place. The bodies had been left where they had fallen, flesh and skin had fallen off, leaving mere clothing on skeletons and, sometimes, the accusing instruments of death — like a knife embedded to the hilt in the skull of a child certainly no more than 5 years old. A second aspect of the memorial was the keeper himself, an elderly survivor with his own understated narrative, that sobering voice of witness that Gourevitch has vividly captured in his work. Dispassionately, the old man pointed toward the lush valleys below, where he and other Tutsi survivors had hidden for days, living on nothing but raw leaves and wild roots.

There was a third part to that memorial, however, and this was the construction of a peace park, optimistically named after Nelson Mandela. The shifting moods of Gourevitch’s meticulously researched work are sustained by such a tripod: the debasement of humanity, its heroic resistance and its rehabilitation.

A grim book this, and a burden on world conscience. It closes the habitual avenue of escape — anonymity — for collective atrocities. The Rwandan massacres are now one criminal collective that possesses faces, identifiable features, individual psychologies, and we are encouraged to peer into the souls of our fellow claimants to a human community. They have names, and they held positions of trust and responsibility within the social structure — indeed, in this hierarchy of culpability individual identities are brandished as a right of command and entitlement to obedience. Gourevitch’s examples demonstrate that the fanatical embrace of such identities continues to immunize the killers against the moral censure of the world, just as it once did against dissenting citizens. But of course the complicity of outsiders — the Belgians first, then the French — also reinforced their sense of impunity, masking crime as a process of historical necessity, even justice.

It is a familiar phenomenon that the collective should take refuge in the alibi of history. Well then, here, in this book, is that history, taken as far back as the beginning of interaction between Tutsi and Hutu. Now we can decide for ourselves just what degree of causality can be apportioned to those historical passages, including the distortive interventions of colonialism and manipulation by exterior interests. Just where, and at what point, were the seeds sown that would later erupt in such evil spores? Gourevitch permits us the luxury — if we choose — to foist responsibility even on the racial gospel that was promoted by such intruders as the 19th-century English adventurer John Speke.

No one explanation satisfies. Gourevitch assists us with antecedents but does not propose, and rightly so, any clear-cut answers. The contributory factors to the cycle of slaughter — with the Tutsi overabundantly the designated victims — simply do not match the grossness of the crime, not the explosive quasi-feudal relations between the Hutu and the Tutsi, not the unequal economic patterns that separated the two. Not even the land hunger in Rwanda offers an explanation that makes it possible mentally to accommodate such a large-scale social aberration. The orders came from above, yes; the interahamwe, the Hutu militia, was schooled and drilled and indoctrinated into the divine mission of liquidating a designated other, but that so many ordinary people turned against their neighbors, blood relations, co-workers, drinking and gossip companions — this is where the process of comprehension is stalled, no matter how eloquent the arguments of economics and politics, or of the deleterious role of memory.

The Serbs and the Bosnian Muslims come to mind. The politics of opportunism that forever seeks scapegoats provided the motor for the murderous ideology of  »ethnic cleansing » in one case, of  »Hutu Power » in the other, that translated into — no other expression — the Final Solution. To train cadres, to indoctrinate an elite sect is one thing, but to enroll a majority of the population in an orgy of self-mutilation? And self-mutilation this surely is, unless of course we conclude that claims or concepts like basic humanity are a myth, and that only a veneer of social accretions separates us from the lurking predator.

Given the levels of unrepentant participation, including the social ostracism of the dissenting or critical bystanders even till now, can the two main components of the Rwandan nation be expected to live together — that is, to bring to realization the rehabilitation that is the third leg of Gourevitch’s tripod? Reflecting upon that ever intrusive proposition, I could not fail to recall one account that was narrated to me, variations of which are abundantly supplied in Gourevitch’s book.

A Hutu, a leading citizen of a small Rwandan town that I visited, felt personally indicted after a visit from a Government official, who accused the citizenry of being lax in the task of  »bush clearing » — one of the many euphemisms for the task of eliminating the Tutsi. A day after his departure, the notable, whose wife was Tutsi, called a meeting of the villagers for some soul-searching. He took his four sons with him. He began his address by revealing that, having taken to heart the rebuke from their visitor, he had decided to set an example, and thus slaughtered his Tutsi wife before leaving home.

But that was only a first step, he said. It was not enough to kill off all Tutsi, they must eliminate every vestige of Tutsi blood that contaminated the purity of the breed. In earnest of which, he announced, I publicly set you all a further example. And with one stroke of his machete, he lopped off the head of his eldest son. One by one, his three other sons were led out of the hut in which he had kept them, and slaughtered. And with that, yet another village that, until then, had withstood the hate rhetoric of the interahamwe dived headfirst into the sump of bloodletting.

Warnings of the impending horrors are carefully documented in this book, in which the role of the international community, and of the United Nations especially, makes for dismal reading.  »We wish to inform you. . . . » Indeed, the United Nations cannot claim not to have been informed. This sobering compilation of testimonies itself constitutes yet another warning for the future, and the Congo President, Laurent Kabila, for a start, might like to take note, the Hutu solution having been imported into Zaire-Congo via the United Nations refugee camps. Fallen out with his former allies and faced with an internal rebellion, Kabila began, with or without justification, by accusing the Rwandan Government of sponsoring the rebels. But now, in a deceptively innocuous shift of language, he blames a bunch of Tutsi for his woes and speaks of the  »Tutsi menace. » Isn’t this exactly how it all began?

Wole Soyinka, the Nigerian playwright, won the Nobel Prize in Literature in 1986.

Voir aussi :

les rebelles tutsis du Front patriotique rwandais (FPR) ont abattu les chiens au fur et à mesure qu’ils se sont emparés du pays, pour une simple raison : les chiens dévoraient les cadavres. Les chiens, ultimes profiteurs du génocide, ont ainsi disparu du Rwanda, et les soldats du FPR furent aidés dans cette tâche par des  » casques bleus étrangers « . Amèrement ironique, l’auteur conclut que,  » après s’être demandé des mois durant si les troupes de l’ONU savaient tirer, puisqu’elles ne se servaient jamais de leurs excellentes armes pour empêcher le massacre des civils, les Rwandais découvrirent ainsi que c’étaient d’excellents tireurs « .

NOUS AVONS LE PLAISIR DE VOUS INFORMER QUE, DEMAIN, NOUS SERONS TUES AVEC NOS FAMILLES

Chroniques rwandaises de Philip Gourevitch. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Philippe Delamare, Denoèl, 405 p., 140 F

Rwanda de silence et de peur
Rémy Ourdan
Le Monde
Le 24.12.99

Après le génocide de 1994, Philip Gourevitch a sillonné le pays pour tenter de comprendre. Reportage exceptionnel et analyse politique

Le Rwanda est une histoire de fous, dit-on. De fous, ou de bons et de méchants, selon les interlocuteurs. Ou encore:  » Ce n’est pas une histoire de bons et de méchants. C’est une histoire de méchants. Un point c’est tout », dit un professeur d’université beige. Le Rwanda, c’est une histoire de Rwandais, qui ne sont pas forcément fous, ni bons ou méchants, rétorque Philip Gourevitch. L’auteur, journaliste au New Yorker, a sillonné ce Rwanda d’après le génocide, ce pays de silence et de peur. Il a recueilli les confidences de centaines de Rwandais, s’est entêté à comprendre et à analyser les causes et les conséquences de la tragédie. Patiemment, il a tenté de débusquer une « vérité » dans un monde où d’autres se résignent à ne voir que des luttes tribales séculaires et de la sauvagerie obscure.

Philip Gourevitch offre d’abord la parole aux survivants du génocide qui, en cent jours, d’avril à juillet 1994, a provoqué l’élimination de près d’un million de Tutsis rwandais, et des Hutus opposés à l’idéologie raciste. Il décrit là communauté tutsie traumatisée, apeurée, d’un pays singulier où  » ce n’était pas la mort mais la vie qui semblait un accident du destin « . Il étudie la montée de la haine orchestrée avant le génocide par les extrémistes entourant le président Juvénal Habyarimana, il raconte les journées dramatiques du carnage, du  » travail », comme disaient les chefs hutus, il s’arrête sur une vie brisée, un discours politique, une bataille oubliée, afin de tisser la toile de l’Histoire. Il rencontre au Zaïre et aux Etats-Unis des responsables du génocide, entend leurs dénégations et leurs justifications. Puis il revient au Rwanda, encore et toujours, durant plus de trois ans, boit des bières à Kigali et parcourt les provinces.

Il y a dans le Gourevitch de ce livre plus d’un journaliste. Si le reporter est en première ligne, le témoin engagé et l’analyste politique ne sont jamais loin. Au fil des jours et des promenades, il remarque fort justement l’absence de chiens dans les villes et les villages.  » Les Africains aiment autant les chiens que le reste de l’humanité. L’absence totale de ces animaux au Rwanda me rendait donc très perplexe.  » Il enquête et conclut que les rebelles tutsis du Front patriotique rwandais (FPR) ont abattu les chiens au fur et à mesure qu’ils se sont emparés du pays, pour une simple raison : les chiens dévoraient les cadavres. Les chiens, ultimes profiteurs du génocide, ont ainsi disparu du Rwanda, et les soldats du FPR furent aidés dans cette tâche par des  » casques bleus étrangers « . Amèrement ironique, l’auteur conclut que,  » après s’être demandé des mois durant si les troupes de l’ONU savaient tirer, puisqu’elles ne se servaient jamais de leurs excellentes armes pour empêcher le massacre des civils, les Rwandais découvrirent ainsi que c’étaient d’excellents tireurs « .

Les entretiens avec Paul Kagame, le chef du FPR devenu le maître du pays après le génocide, sont plus troublants. Passionnants, sans aucun doute, surtout parce que l’homme rencontre peu de journalistes et conserve le culte du secret de ses années de guérilla. L’auteur peine cependant à ne pas être séduit par le chef de guerre, peu réputé pour son goût pour la défense des droits de l’homme. Désireux de raconter le plus justement le génocide, le journaliste aborde sans faire preuve d’une rigueur identique les problèmes de la région des Grands Lacs, et notamment les tueries par l’armée rwandaise de réfugiés hutus en 1996 au Congo-Zaïre. Il voit en Kagame un maître d’œuvre de la réconciliation future entre Hutus et Tutsis. C’est peut-être vrai, c’est loin d’être sûr. Et il raconte par ailleurs avec humour avoir été prévenu par un visiteur du soir:  » Nous mentons. Nous vous répétons indéfiniment les mêmes petites choses, sans rien vous dire en réalité. Même entre Rwandais nous mentons. Nous avons l’habitude du secret et de la suspicion. Vous pouvez rester ici une année entière, et vous ne saurez toujours pas ce que pensent ou font les gens d’ici. « 

Sur le génocide, Philip Gourevitch traque avec talent les petits arrangements avec la réalité et retrace implacablement l’enchaînement des faits, à partir d’histoires vécues et de témoignages directs. Son livre est un sublime reportage sur le dernier génocide d’un siècle qui avait promis  » Plus jamais ça!  » et qui n’a vu personne sourciller lorsque l’enfer s’est abattu sur le Rwanda. Un récit capital pour éclairer  » une histoire de fous « .

Voir enfin :

http://www.courrierinternational.com/article.asp?obj_id=42074

RWANDA • Le fax qui accuse l’Occident
Ce que l’on soupçonnait depuis quelque temps à propos du génocide rwandais se confirme, et c’est un scandale : les Nations unies et les principaux pays occidentaux ont bien été prévenus, avec la plus grande précision, de ce qui se préparait, et ce trois mois avant le déclenchement des massacres. En effet, le 11 janvier 1994, rapporte Philip Gourevitch dans The New Yorker, le général québécois Dallaire, commandant les forces de l’ONU au Rwanda, envoya au siège des opérations de maintien de la paix à l’ONU un fax alarmiste, rapportant des informations obtenues auprès d’un membre des services de sécurité du président Habyarimana. « En désaccord avec l’extermination des Tutsis », ce « haut responsable de l’entraînement militaire des milices Interahamwe » avait été « chargé du recensement de tous les Tutsis de Kigali ». Le général poursuit : « Ce haut responsable soupçonne que c’est dans le but de les exterminer. Il m’a expliqué que sa milice pouvait tuer jusqu’à 1 000 Tutsis en vingt minutes. » « Ils espèrent provoquer une guerre civile et, si les soldats belges opposent une résistance, un certain nombre d’entre eux devront être tués, garantissant ainsi un retrait belge du Rwanda. » Le 6 juin 1994, l’assassinat d’Habyarimana donna raison point par point aux informations communiquées par Dallaire. Cet évènement servit de prétexte à la guerre civile et, le lendemain, 10 Casques bleus belges furent capturés, torturés et assassinés. La Belgique rappela le reste de ses troupes, et « le massacre, sur cent jours, de 5 Tutsis par minute » put commencer.
Quelle fut la réaction au fax de Dallaire ? Le New Yorker a mis la main sur une réponse, envoyée le jour même par l’adjoint de Kofi Annan, alors sous-secrétaire général chargé des opérations de paix. Le général recevait l’instruction expresse de n’engager aucune action préventive. S’il était « convaincu de l’absolue véracité des informations recueillies », il devait s’en ouvrir au président Habyarimana et « considérer qu’il n'[était] pas au courant de ces activités ». Il devait également en informer les représentations belge, française et américaine à Kigali. Le général fit ce qu’on lui disait… et rien d’autre. Et le New Yorker de se demander : « Que se passerait-il si un fax comme celui de Dallaire arrivait au quartier général de l’ONU aujourd’hui ? »


%d blogueurs aiment cette page :