Présidentielle 2022: Encore un instant, monsieur le bourreau ! (Alors que les macronistes et les mélenchonistes des centres-villes temporisent face à la menace du grand remplacement révélée par le brise-glace Zemmour, les outre-mer seraient-ils, comme les juifs de Sarcelles et les gilets jaunes avant eux, les nouveaux canaris annonciateurs du coup de grisou social qui vient ?)

25 avril, 2022
La candidate du Rassemblement national à l’élection présidentielle, Marine Le Pen, prend un bain de foule à Mamoudzou (Mayotte), le 18 décembre 2021.
CARTES - Présidentielle 2022 : Emmanuel Macron en tête dans le Grand Est, le RN se renforceD’abord ils sont venus (…) pour les Juifs, mais je n’ai rien dit parce que je n’étais pas juif … Martin Niemöller
J’ai une prémonition qui ne me quittera pas: ce qui adviendra d’Israël sera notre sort à tous. Si Israël devait périr, l’holocauste fondrait sur nous. Eric Hoffer
Le canari (…) fut longtemps élevé dans les mines où il était utilisé pour détecter le grisou. L’appareil respiratoire de l’oiseau étant fragile, le canari cessait de chanter et mourait dès l’apparition de ce gaz. Daniele
60 000 des 350 000 juifs de Paris et sa région ont déménagé ces dix dernières années. Les communautés juives de banlieues ont été complètement désertées Des synagogues sont sur le point de fermer. Comme à Saint-Denis, La Courneuve, Peyrefitte, Stains, Villepinte, Aulnay sous-bois, Bagnolet, Blanc-Mesnil. Un grand nombre de juifs sont partis en raison de l’insécurité ressentie après de multiples incidents de harcèlement, de pressions, d’agressions physiques. Sammy Gozlan
Certains sont amenés à quitter la banlieue pour habiter dans des quartiers au cadre de vie plus agréable. Généralement, au terme d’une vie bien remplie et surtout quand le statut social s’est élevé. Ce parcours résidentiel d’ascension sociale n’est pas évidemment spécifique à la population juive. Cependant, le départ de familles juives du 93 vers Paris, notamment le 17e arrondissement, ou vers des communes aisées des Hauts-de-Seine (Levallois, Neuilly) ou du Val-de-Marne que sont Vincennes et Saint-Mandé, renvoie pour partie à ce phénomène. Il en va de même, par exemple, de certains déménagements de Sarcelles ou Garges vers Saint-Brice, dans le Val d’Oise, ou de Créteil vers la ville de Saint-Maur-des Fossés. Ces mouvements de population sont souvent numériquement conséquents et parfois se voient car ils changent la physionomie de certaines villes. La sécurité a-t-elle joué un rôle majeur dans ces migrations qui ont, finalement, redessiné l’implantation juive à Paris et en Ile-de-France ? Bien sûr, mais ce n’est pas l’unique motif. Jérôme Fourquet (IFOP)
J’ai (…) depuis le début de la méfiance, et ces sondages, bien en amont de l’échéance présidentielle, m’apparaissaient trop beaux pour être vrais, surtout lorsque l’on observait sa manière de faire campagne. (…) Je suis entré, fin mars dernier, dans le comité exécutif de la pré-campagne, avec un seul objectif : faire du candidat Zemmour le successeur du candidat Sarkozy en 2007, soit l’alliance du « Kärcher » et du « travailler plus pour gagner plus » en intégrant les enjeux sociaux et économiques du dernier mandat présidentiel, principalement la crise des gilets jaunes. Il m’apparaissait possible qu’Eric Zemmour puisse faire l’alliance entre les électeurs populaires et la bourgeoisie conservatrice qu’appelait Patrick Buisson de ses voeux. La forte notoriété de ce « pré-candidat » et le nouveau souffle qu’il aurait pu donner à la campagne m’apparaissaient le meilleur moyen de casser la digue mitterrandienne et de rebâtir une droite de conviction sur les cendres d’un Rassemblement National inapte à rassembler une majorité d’électeurs depuis 30 ans. Peut-être avons-nous trop demandé à Eric Zemmour : quitter le couloir de l’intellectuel sans concession qui essentialise tout avec un pessimisme bien trop communicatif. J’attendais qu’il devienne l’homme qui dit publiquement, avec humour et foi en l’avenir : « Je vous promets qu’une fois élu, je ne dirai plus ‘c’était mieux avant' ». Sa pré-campagne est sur la forme et sur le fond aux antipodes du titre de son livre. Il a préféré rester le Cassandre d’une France qui aurait précisément dit son dernier mot. (…) Je ne soutiens pas cette candidature teintée de désespérance. Il faut proposer « du rêve » à nos concitoyens et non seulement du sang et des larmes. A défaut, je ne saurais ni avoir envie, ni même y croire. Il faudrait qu’il reprenne son narratif de campagne totalement à zéro. Mais qui sait, peut-être est-ce encore possible ? (…) Pour emporter la présidentielle, la brutalité du lanceur d’alerte ne suffit pas. Je partage ses convictions sur le danger migratoire, mais il ne convaincra pas les Français de lui apporter leurs suffrages sur un simple « votez pour moi sinon vous allez mourir ». Or, en substance, c’est son message. En six mois de pré-campagne électorale, son ton pour le moins anxiogène n’a pas évolué depuis son terrible discours à la Convention de la droite de septembre 2019. Il faut proposer un projet de civilisation, un destin commun, non se borner à identifier des menaces, même si celles-ci sont réelles. Le message que les Français veulent entendre, c’est « rendre sa fierté à la France » et « rendre leur dignité aux Français ». (…) Au-delà du ton, la campagne d’Eric Zemmour s’articule autour d’une double erreur stratégique. Il est convaincu, et ne manque pas de le dire devant son équipe de campagne et ses proches, que son adversaire principal s’appelle Jean-Luc Mélenchon, qui s’enthousiasme de la créolisation de la France. Par opposition, il rentre dans le piège d’une vision ethnique de la civilisation française, croyant que le socle des 70% de Français hostiles à l’immigration voteront majoritairement pour lui sous prétexte qu’il serait le plus cohérent et le plus clair. D’un point de vue intellectuel, cela pourrait se défendre. Mais s’il fait de Monsieur Mélenchon son adversaire principal, il contribue à faire exister politiquement ce dernier, qui n’est pas le président sortant. Veut-il gagner la présidentielle ou terminer devant Monsieur Mélenchon ? En outre, il n’est pas propriétaire de la fermeté migratoire et sécuritaire, quoi que l’on pense de la sincérité des autres offres politiques. D’Emmanuel Macron, qui mettra en avant ses lois sécuritaires et son ministre sarkozyste Gérald Darmanin, jusqu’au Rassemblement national dépositaire du sujet depuis des années, en passant par des Républicains largement « zemmourisés », tous les états-majors politiques fourbissent leurs armes pour absorber le zemmourisme. (…) Le tournant principal, c’est la « croisée des chemins ». L’occasion manquée pour Eric Zemmour d’aller voir cette France de Christophe Guilluy dont il parlait si souvent sur CNews. Malheureusement, Eric Zemmour a préféré s’exprimer devant une France qui ne vote pas pour lui, une France des grandes villes où il n’avait que des coups à prendre. J’aurais préféré qu’il aille à Vierzon, Montluçon, Firminy, Etampes, Aurillac, Macon, Auch, Carcassonne, Combourg, Lens, Vesoul… Cette France des villes moyennes dévitalisées par la mondialisation et la métropolisation. Finalement, la seule étape véritablement populaire de cette campagne fut Charvieu-Chavagneux, ville péri-urbaine de la grande couronne lyonnaise, dont j’ai été le directeur de cabinet du maire pendant trois ans, de 2015 à 2018. En réalité, le véritable tournant de cette campagne, c’est l’incapacité d’Eric Zemmour à sortir des grandes lignes TGV de la SNCF. Il dénonce depuis longtemps, à raison, le Jacques Attali mondialisé des aéroports. Il est malheureusement son miroir bourgeois des grandes gares SNCF, et je le regrette. Qu’elle est pourtant belle, cette France des routes nationales, des routes départementales et des petites communes. Elle avait tant à lui apporter. (…) C’est amusant parce que lorsque l’on dit à Eric Zemmour que la France, et notamment les classes populaires, attendent un programme complet, par exemple pour que nos villes moyennes et nos petites communes cessent d’être dévitalisées par la métropolisation, pour leur pouvoir d’achat également, il répond exactement ceci : « Je ne suis pas candidat pour faire la même campagne que Marine Le Pen ». Autrement dit, cela ne l’intéresse pas vraiment. Marine Le Pen fait certainement d’excellentes propositions concrètes pour cette France rurale et péri-urbaine. Mais je demeure persuadé que Marine Le Pen, lorsque le décrochage d’Eric Zemmour sera incontestable, risque de voir resurgir toutes les critiques sur ses faiblesses structurelles : débat raté en 2017, parti ruiné, et peut-être une affaire d’assistants parlementaires qui ressortira opportunément. Elle n’est pas, à mon avis et sous toutes réserves, en mesure de battre Emmanuel Macron. (…) Je regrette une pré-campagne qui ressemble à un acte manqué. L’ascension fulgurante dans les sondages l’a certainement conforté, lui avec son équipe, dans ses certitudes. J’appelais de mes voeux une pré-campagne de contrepied, lors de laquelle il aurait pu développer une image d’homme empathique, compétent, créatif, visionnaire et optimiste. Ce qui me choque, puisque c’est votre terme, c’est qu’il entend passer du métier de journaliste à celui de chef d’Etat sans changer sa méthode de travail ni ses habitudes. Il a fait la même tournée littéraire et médiatique que pour ses précédents ouvrages. (…) Sur le doigt d’honneur, c’est objectivement un vilain geste. Mais je trouve que c’est paradoxalement un geste très humain. Il découvre la violence d’une campagne présidentielle, et il faut bien reconnaître que les attaques qu’il subit de ses opposants sont inouïes, scandaleuses et intolérables dans une démocratie. Je me mets à sa place, et je ne communierai pas au procès en indignité qui lui est fait. Sur le Bataclan, j’ai trouvé ça déplacé, et jamais je n’aurais conseillé cela. Surtout que tirer sur François Hollande revient à tirer sur un cadavre. Il aurait dû plutôt, par exemple, et comme je lui avais conseillé avec un ami, se rendre à la messe de Noël à Saint-Etienne-du-Rouvray, paroisse du Père Hamel, sans convoquer les journalistes. Il aurait pu faire une déclaration a posteriori pour lier christianisme, symbolique de Noël, civilisation française et lutte contre l’islamisme. (…) Je disais souvent à l’époque que m’occuper à plein temps du maillage territorial, de l’opérationnel militant et même des parrainages était compliqué pour le jeune trentenaire que je suis, même si j’ai quelques expériences en termes de campagne électorale, notamment au niveau local. Je trouve que l’équipe ne s’est pas, depuis, enrichie de profils réellement expérimentés. C’est bien sûr un signal de faiblesse qui préfigurait les erreurs de ces dernières semaines. Son équipe de communication, par exemple, est plus spécialisée dans ce que l’on appelle la « riposte », la communication « d’influenceur » ou même le « trolling ». Quel communicant sérieux aurait conseillé à Eric Zemmour de se rendre au Bataclan, ou d’arriver à Marseille en accusant la ville toute entière dans un tweet d’être le royaume de la racaille ? Et je ne vous parle pas des « newsletters » des Amis d’Eric Zemmour dont les textes font lever les yeux au ciel beaucoup de monde, avec des formules infantilisantes. Le tweet un peu immature sur Rama Yade : – « Je tiens à assurer Rama Yade de tout mon micro-soutien face au micro-drame qu’elle micro-traverse » – relève du trolling, pas de la communication d’un candidat en mesure d’accéder au second tour. Je n’ai pas compris pourquoi Antoine Diers, peut-être le meilleur élément politique de cette équipe, était réduit à un rôle d’animation médiatique et n’avait aucune information sur les opérations. Je n’ai pas non plus compris pourquoi Jean-Frédéric Poisson n’avait pas intégré le dispositif, par exemple pour diriger la recherche des parrainages ou le maillage territorial. Par ailleurs, Eric Zemmour ne gère absolument pas son équipe, il délègue tout à Sarah Knafo dont il attend qu’elle lui offre l’Elysée. Il ne participait jamais aux réunions du comité exécutif lorsque j’en faisais partie. [parler à la France des « gilets jaunes »] je crois que l’exercice lui coûte. Pour l’anniversaire des gilets jaunes, il a justement publié une vidéo directement adressée à ces derniers. Pendant dix minutes, il propose la suppression du permis à points, le rétablissement général des 90 km/h et une baisse de la CSG sur les bas salaires. Dix minutes pour trois mesures, annoncées dans un appartement parisien dont je n’ose demander le prix au mètre carré. Ce n’est pas une critique de classe, mais c’est une erreur de communication révélatrice d’une importante déconnexion du réel. (…) Il faut diviser par deux la taxe sur le carburant, rétablir en effet les 90 km/h, amnistier les petites infractions routières et, surtout, lancer un grand plan de rénovation des routes secondaires en France, pour réduire les accidents et fluidifier le trafic sur les axes les plus congestionnés. Mais pour saisir ce que vit l’automobiliste quotidien, il faut être entouré de gens qui connaissent le sujet. Eric Zemmour n’est pas entouré d’élus de terrain à même de lui faire saisir cette France qui pense que « nous sommes gouvernés par des lascars qui fixent le prix de la betterave et qui ne sauraient pas faire pousser un radis », selon le bon mot de Michel Audiard. En conséquence, soit ils votent Marine Le Pen, soit ils ne votent pas. Je pense depuis longtemps qu’offrir plus de libertés et de pouvoir d’achat aux automobilistes, c’est tendre enfin la main à ceux qui ont subi la relégation sociale, économique et même identitaire lors de ces quarante dernières années. C’est le geste symbolique principal pour ouvrir à nouveau un dialogue avec cette France qui ne vote souvent plus. Mais Eric Zemmour semble avoir trop de certitudes pour présenter un programme tenant compte de la trivialité du quotidien. (…) Une campagne est une course de fond, pas un sprint. Je suis très sceptique sur ses chances de dépasser les 6-8%, s’il obtient ses 500 signatures. Mais Eric Zemmour est un OVNI politique. Il a créé une dynamique qui, spectaculairement, montre à quel point les électeurs de droite sont en quête de radicalité sur les questions régaliennes. Il faut bien sûr porter ceci à son crédit. Il est déjà producteur des thèmes de la campagne, reléguant la gauche à ses absurdités progressistes, wokistes et ses débats sur le pronom « iel ». Grâce à lui en partie, la gauche est inexistante. Au-delà des thèmes de la campagne, il pourrait être aussi faiseur de roi, ou accompagner un candidat au second tour de la présidentielle, donc pourquoi pas contribuer à faire battre Emmanuel Macron. Mais nous en sommes encore loin. Cinq mois, c’est long, tout est ouvert. Pierre Meurin (novembre 2021)
Pendant toutes les années du mitterrandisme, nous n’avons jamais été face à une menace fasciste, donc tout antifascisme n’était que du théâtre. Nous avons été face à un parti, le Front National, qui était un parti d’extrême droite, un parti populiste aussi, à sa façon, mais nous n’avons jamais été dans une situation de menace fasciste, et même pas face à un parti fasciste. D’abord le procès en fascisme à l’égard de Nicolas Sarkozy est à la fois absurde et scandaleux. Je suis profondément attaché à l’identité nationale et je crois même ressentir et savoir ce qu’elle est, en tout cas pour moi. L’identité nationale, c’est notre bien commun, c’est une langue, c’est une histoire, c’est une mémoire, ce qui n’est pas exactement la même chose, c’est une culture, c’est-à-dire une littérature, des arts, la philo, les philosophies. Et puis, c’est une organisation politique avec ses principes et ses lois. Quand on vit en France, j’ajouterai : l’identité nationale, c’est aussi un art de vivre, peut-être, que cette identité nationale. Je crois profondément que les nations existent, existent encore, et en France, ce qui est frappant, c’est que nous sommes à la fois attachés à la multiplicité des expressions qui font notre nation, et à la singularité de notre propre nation. Et donc ce que je me dis, c’est que s’il y a aujourd’hui une crise de l’identité, crise de l’identité à travers notamment des institutions qui l’exprimaient, la représentaient, c’est peut-être parce qu’il y a une crise de la tradition, une crise de la transmission. Il faut que nous rappelions les éléments essentiels de notre identité nationale parce que si nous doutons de notre identité nationale, nous aurons évidemment beaucoup plus de mal à intégrer. Lionel Jospin (France Culture, 29.09.07)
Nous sommes à un tournant identitaire, car nous sommes devenus minoritaires, nous, les Guyanais. En fait, nous payons aujourd’hui les plans de peuplement lancés dans les années 1970 pour noyer les mouvements indépendantistes d’alors et sécuriser le centre spatial. Jacques Chirac, le ministre de l’Agriculture de l’époque, a joué les apprentis sorciers.  Christiane Taubira (députée PRG de Guyane)
A Mayotte et en Guyane, par exemple, plus d’un habitant sur quatre est un étranger en situation irrégulière. En Guadeloupe, le nombre de personnes en provenance d’Haïti ayant sollicité une demande d’asile est passé de 135 en 2003 à 3 682 en 2004. La majorité des reconduites à la frontière concernent l’outre-mer. Si, en métropole, on avait le même taux d’immigration clandestine, cela ferait 15 millions de clandestins sur le sol métropolitain. Vous imaginez les tensions sociales possibles. A terme, c’est tout l’équilibre démographique qui s’en trouvera modifié. Sans parler du fait que les immigrés irréguliers sont complètement exploités, cette situation engendre bien évidemment un fort déséquilibre économique et des tensions sociales exacerbées. Le travail clandestin, qui est une forme moderne d’esclavage, est tout aussi inacceptable au XXIe siècle. (…) A situation particulière, politique particulière. En Guyane, les frontières avec le Brésil et le Surinam ont une longueur totale de près de 3 000 kilomètres. Il est impossible de les surveiller mètre par mètre. A Mayotte, la proximité avec les Comores implique une surveillance du littoral, car l’immigration se fait par la mer et sur de petites embarcations de type canots de pêche. Il faut donc des mesures radicales. Sur ma proposition, une première série de mesures a été acceptée au comité interministériel de contrôle de l’immigration du 27 juillet dernier. Une loi viendra dans les tout prochains mois compléter ce dispositif de mesures de gestion en procédant à l’indispensable adaptation de notre droit à ces situations particulières. Il s’agira, notamment à la Guadeloupe, à la Martinique et à Mayotte, de permettre le contrôle d’identité de toute personne et de faire des visites sommaires de certains véhicules dans une zone de quelques kilomètres à partir du littoral. Comme c’est déjà le cas en Guyane, nous allons, en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion supprimer le caractère suspensif des recours formés contre un arrêté de reconduite à la frontière pour accélérer les délais. Nous allons pouvoir saisir ou détruire tous les véhicules (avions, voitures, bateaux) qui auront servi à transporter des clandestins. Il va falloir aller plus loin. A Mayotte, j’étudie la possibilité de limiter à un délai d’un an après la naissance de l’enfant la période pendant laquelle un Français peut reconnaître un enfant naturel dont la mère est étrangère. On peut également envisager de modifier ou de suspendre temporairement certaines règles relatives à l’acquisition de la nationalité française à Mayotte. Par exemple, poser la règle de la régularité du séjour des parents comme condition pour l’accès ultérieur des enfants à la nationalité française. Mayotte a une surface comparable à l’île d’Oléron. La croissance de sa population (180 000 habitants, dont bientôt une majorité d’étrangers) est quasiment le fait des naissances d’immigrés clandestins. Car les mères viennent accoucher là pour que leurs enfants obtiennent la nationalité française. (…) [La remise en question le droit du sol] Il faudrait l’envisager pour certaines collectivités d’outre-mer, car nous sommes confrontés à des politiques de peuplement non maîtrisées. Si l’on ne fait rien maintenant, à terme, ce sera l’explosion sociale. Pour enrayer ce phénomène, nous devons avoir recours à des mesures à caractère exceptionnel. Une remise en question du droit du sol ne provoque pas les mêmes réticences outre-mer qu’en métropole. L’histoire, la géographie de l’outre-mer ne sont pas toujours les mêmes qu’en métropole. Le droit du sol n’a pas toujours connu la même application, et, au fur et à mesure qu’il a été étendu, il y a eu des abus. Je reviens sur la situation de Mayotte : la maternité de Mamoudzou est, avec 7 500 naissances annuelles, la plus active de France. Deux tiers des mères sont comoriennes, et environ 80% d’entre elles sont en situation irrégulière. On estime à 15% le nombre de ces mères qui retournent aux Comores après avoir accouché. Il y a aussi de nombreux cas de paternité fictive. Il est de notoriété publique qu’à Mayotte, la reconnaissance de paternité par un Français est un « service » qui s’achète. (…) La mobilisation de tous est nécessaire. (…) Surtout, il est essentiel que nos compatriotes d’outre-mer aient des attitudes responsables et civiques. On ne peut pas se plaindre de l’immigration clandestine et en même temps employer des clandestins comme jardinier, femme de ménage ou chauffeur de taxi. J’ai donné des instructions particulières pour qu’il soit fait application la plus stricte des obligations statutaires, avec procédures disciplinaires systématiques, aux fonctionnaires et agents des services de l’Etat qui seraient convaincus de telles pratiques. (…) [Pour la métropole] Nous allons voir ce qui marche le mieux, mais les situations sont différentes, il ne s’agit pas de faire un calque. Cela permet, quoi qu’il en soit, de faire bouger les lignes, de sortir des tabous. Le droit du sol ne doit plus en être un. J’ai bien conscience de l’importance de ce débat. Des problèmes peuvent se poser au regard des libertés publiques et des conditions d’acquisition de la nationalité française, auxquelles je suis personnellement attaché. Mais lorsqu’on réduit le territoire et que l’on augmente les flux, ce n’est plus simplement un problème de cohésion sociale, c’est la question de la souveraineté qui est posée. François Baroin (17.09.2005)
Je ne parle plus des « invisibles » et des « oubliés », puisqu’ils sont devenus très visibles – trop, aux yeux de certains. Un seuil a été franchi et c’est pour cela que je suis plutôt optimiste sur la suite des opérations. Une bataille culturelle a été gagnée. On peut observer l’émergence dans les médias, mais aussi dans la recherche ou dans le monde de la culture, de ces catégories dont on ne parlait absolument plus ces vingt dernières années. L’utilisation du concept de « gens ordinaires » permet d’élargir, de dépasser la seule question de la lutte des classes, même si celle-ci est encore très présente. Les gens ordinaires, c’est à peu près tout le monde. Cela suggère qu’il s’agit du groupe majoritaire. Et cette majorité de la population, on ne la découpe plus en classes sociologiques : classes moyennes supérieures, classes moyennes inférieures, classes populaires, etc. Car la bataille politique qui reste à mener est, d’abord et avant tout, une bataille de la représentation. On l’a vu avec les « gilets jaunes » et l’ensemble des derniers mouvements sociaux. Chaque fois qu’émerge politiquement ou socialement ce groupe majoritaire, on va très vite vous expliquer que, en fait, non, ce sont plutôt des marges qui s’expriment, des catégories minoritaires. Les « gens ordinaires » ont désormais émergé et, en utilisant cette expression, il s’agit de dire qu’on ne reviendra pas en arrière. (…) Vous pouvez mettre la poussière sous le tapis, nier la réalité, instrumentaliser les médias, il n’empêche : une majorité existe. Il faut donc prendre cette guerre de représentation pour ce qu’elle est : une guerre politique. La société libérale ne peut perdurer que si elle morcelle. D’où la réussite médiatique de concepts portant sur le morcellement de la société, son « archipellisation », sa complexité. Tout cela vise à imposer une seule idée : le peuple n’existe pas. Et s’il n’existe pas, alors les choses peuvent être gérées de façon segmentée, catégorielle. Ce qui ne pose en fait aucun problème au pouvoir. Mais cette stratégie n’a qu’un temps. Au Royaume-Uni, la working class était totalement invisible jusqu’au Brexit. Pourtant, ses membres, ces « déplorables » – pour reprendre le mot de Hillary Clinton lors de la présidentielle américaine de 2016 – ont utilisé le référendum sur le Brexit pour dire : « Nous existons. » D’un coup, la working class britannique n’est plus à la marge, en voie de disparition. Elle apparaît même plus forte que l’ancienne classe ouvrière. Elle a, de par son poids, la possibilité de renverser la table. Est-ce que Boris Johnson sera la bonne personne pour accomplir cette volonté des électeurs britanniques ? Est-ce qu’il ira jusqu’au bout ? Est-ce qu’il mettra en place une véritable politique de réindustrialisation du pays ? Toutes ces questions restent posées. Mais voilà une majorité capable, quand elle utilise de « bonnes marionnettes », de changer la donne. Idem avec les « gilets jaunes ».Certes, vous n’aviez pas toute la population française dans la rue, mais étaient là des représentants de l’ensemble des catégories modestes : des ouvriers, des employés, des retraités, des jeunes, des vieux, des gens issus de l’immigration. On avait la France dans toute sa diversité : des Blancs, des Noirs, des Maghrébins. Que s’est-il passé ? Majoritairement, la population s’est reconnue dans ce mouvement. Je veux bien que l’on me dise qu’à la fin ce mouvement est devenu autre chose, avec une forte récupération politique. Mais il n’empêche : pourquoi a-t-il autant inquiété nos élites ? Parce que ces dernières ont parfaitement compris que se jouait sur les ronds-points ce qu’ils cherchent à déconstruire depuis trente ans. À savoir : une réunion des catégories modestes qui, depuis toujours, portent l’économie. La période de confinement nous l’a d’ailleurs prouvé : la société repose beaucoup sur ces catégories-là. Face à ce mouvement majoritaire de facto, tout a été fait pour segmenter, morceler à nouveau. C’était le sens même de l’opération « grand débat » avec ces mille thématiques, tous les sujets étant traités les uns après les autres. (…) Des réponses à tout et pour tous, pour chaque segment de la population. Avec, en toile de fond, l’idée que les gens ne demandent que de l’argent. Logiquement, la fin de partie a été sifflée avec un chèque. Ce genre de situation est parfaitement gérable pour les libéraux. Finalement, pour eux, ce n’est pas un gros problème de faire des chèques. Car, dans leur esprit, ce qu’il faut, c’est ne surtout rien changer au système et faire perdurer l’idée que la société est morcelée, « archipellisée ». Il s’est pourtant passé quelque chose sur ces ronds-points, une vraie recomposition sociologique et politique. Les médias n’y ont vu que de la « radicalisation ». Vous savez, ce discours consistant à dire : « Ces gens-là n’écoutent pas, ils sont incapables de réaliser des diagnostics clairs. » Les journalistes interrogeaient des quidams et leur demandaient : « Quel est votre programme économique ? » Il y a là toute la perversité et toute la responsabilité des médias. (…) Pour le moment, l’idée pour le pouvoir, qu’il soit médiatique, politique ou économique, est de préserver l’essentiel. Pour eux, « jusqu’ici tout va bien », comme on dit. Sauf qu’une société n’est durable que si le modèle proposé bénéficie au plus grand nombre. Or, dans la France périphérique et dans beaucoup de territoires, précarisation sociale et désaffiliation politique vont de pair. Vous avez un lien évident entre le processus de désindustrialisation du pays et le fait que les gens n’adhèrent plus au discours politique. L’idée pour le pouvoir est donc de maintenir ce morcellement des Français car il est plus simple et préférable pour lui de gérer par segments la société plutôt que d’avoir à remettre en cause le système dans son ensemble. [Mais] bien sûr (…) si, politiquement, rien ne se passe, on va à la catastrophe. Elle sera économique, culturelle, identitaire. Il est complètement fou d’imaginer que nos représentants politiques n’aient pas comme priorité de répondre aux attentes des gens ordinaires. Cela s’appelle la démocratie. Mais, aujourd’hui, dire : « Répondez aux demandes de la majorité », c’est être immédiatement soupçonné en retour d’être contre les minorités ! En travaillant, comme je l’ai fait, dans le logement social, les quartiers dits sensibles, on se rend compte que toutes les demandes des gens ordinaires ne sont pas clivées ethniquement. En banlieue, tout le monde veut plus de sécurité. Tous : Blancs, Noirs, Maghrébins, etc. D’ailleurs, tous les « petits » – Blancs, Noirs, Maghrébins, catholiques, juifs… – ont un immense problème avec les représentants de leurs communautés respectives.Le clivage petit/gros, haut/bas marche aussi à cette échelle. Aucun ne se sent convenablement représenté. (…) Cette décélération est en train de se faire. Mais pas joyeusement. Ce que l’on voit arriver, c’est une crise sociale, qui sera évidemment plus violente dans la France périphérique que dans les grandes métropoles. Les gens ordinaires ont certes gagné la bataille culturelle, mais économiquement et socialement on est encore loin du compte. Ce qui se prépare, et qui est déjà à l’œuvre, ce sont partout des plans sociaux. Bravo, les technocrates français, d’avoir tout misé sur l’aéronautique, le tourisme, etc. ! Si Jean-Pierre Chevènement se présentait aujourd’hui, il serait élu à 60 %. Son diagnostic est absolument pertinent. Mais il est arrivé trop tôt… À un moment où tout le monde pensait que seule la classe ouvrière allait souffrir. Une classe ouvrière que la gauche avait déjà abandonnée. C’est pourquoi je commence mon livre avec la phrase de Pierre Mauroy qui constate que le mot « ouvrier » a disparu du discours des socialistes. Sauf que, après que les ouvriers ont été touchés, il y a eu les employés, puis les paysans, ensuite les indépendants, les petits retraités… C’était une fusée à plusieurs étages. De sorte que le discours de Chevènement a été perçu initialement comme une sorte d’attachement désuet à un monde industriel appartenant au passé. Tous ces gens, ce bloc qu’ils forment, iraient aujourd’hui à lui. Politiquement, il y a donc un décalage entre la prise de conscience de la population et le seul choix qui leur est proposé aujourd’hui, à savoir départager Macron et l’extrême droite… (…) [Mais] D’abord, il s’agit de ne pas sombrer dans le pessimisme. Tout est fait pour dire aux gens qu’ils ne sont rien. Par ailleurs, nous ne sommes pas dans une période de révolution, mais dans une sorte de guérilla culturelle. C’est long, la guérilla, mais les choses progressent. Même chez ceux qui dénonçaient le concept de France périphérique et qui maintenant utilisent l’expression. Même chez un Macron : il nomme un Premier ministre dont on nous vante l’accent ! Et puis, le totalitarisme, même « adouci », n’est pas durable. Quand la masse n’y croit plus, ça ne tient pas. Et là, déjà, ça craque. Le modèle économique n’est plus durable. Il ne peut perdurer longtemps grâce à ses derniers bastions que sont les métropoles et quelques secteurs d’activité. Prenons le revenu universel : donner aux gens de l’argent pour remplir leur Caddie chez Lidl, ce n’est pas répondre à leurs aspirations. Réindustrialiser, c’est évidemment faire du protectionnisme – un gros mot. Ça prendra du temps, mais ça se fera. La question de l’Europe, c’est pareil. Les choses sont en train de s’écrouler. Plus personne n’y croit. On fait porter aux catégories populaires la défiance de l’Europe. Mais c’est faux. Ils ont joué le jeu. Comme ils ont joué le jeu de la mondialisation. On pourrait même dire qu’ils ont joué le jeu du néolibéralisme, inconsciemment. Et puis, ils font le bilan : le compte n’y est pas, ça ne marche pas. Toutes les croyances anciennes ne fonctionnent plus. On peut aller plus loin : l’instrumentalisation de l’écologie, le diversity washing, les gens voient bien que ça ne repose sur rien. On est donc à la veille d’un renversement culturel. (…) Je connais les techniques de délégitimation. J’en ai été la victime avec le concept de France périphérique. Ça non plus, ça ne fonctionne plus. Les catégories populaires ont fait confiance à leurs élites, elles ont cru aux médias. Les gens sont d’ailleurs prêts à aller vers leurs élites. Il n’y a pas intrinsèquement d’anti-intellectualisme ou d’anti-élitisme, pas de rejet a priori. Il y a juste des gens qui font le constat que les élites d’aujourd’hui n’ont plus le bien commun chevillé au corps. Christophe Guilluy
La Corse est un territoire assez emblématique de la France périphérique. Son organisation économique est caractéristique de cette France-là. Il n’y a pas de grande métropole mondialisée sur l’île, mais uniquement des villes moyennes ou petites et des zones rurales. Le dynamisme économique est donc très faible, mis à part dans le tourisme ou le BTP, qui sont des industries dépendantes de l’extérieur. Cela se traduit par une importante insécurité sociale : précarité, taux de pauvreté gigantesque, chômage des jeunes, surreprésentation des retraités modestes. L’insécurité culturelle est également très forte. Avant de tomber dans le préjugé qui voudrait que « les Corses soient racistes », il convient de dire qu’il s’agit d’une des régions (avec la PACA et après l’Ile-de-France) où le taux de population immigrée est le plus élevé. Il ne faut pas l’oublier. La sensibilité des Corses à la question identitaire est liée à leur histoire et leur culture, mais aussi à des fondamentaux démographiques. D’un côté, un hiver démographique, c’est-à-dire un taux de natalité des autochtones très bas, et, de l’autre, une poussée de l’immigration notamment maghrébine depuis trente ans conjuguée à une natalité plus forte des nouveaux arrivants. Cette instabilité démographique est le principal générateur de l’insécurité culturelle sur l’île. La question qui obsède les Corses aujourd’hui est la question qui hante toute la France périphérique et toutes les classes moyennes et populaires occidentales au XXIe siècle : « Vais-je devenir minoritaire dans mon île, mon village, mon quartier ? » C’est à la lumière de cette angoisse existentielle qu’il faut comprendre l’affaire du burkini sur la plage de Sisco, en juillet 2016, ou encore les tensions dans le quartier des Jardins de l’Empereur, à Ajaccio, en décembre 2015. C’est aussi à l’aune de cette interrogation qu’il faut évaluer le vote « populiste » lors de la présidentielle ou nationaliste aujourd’hui. En Corse, il y a encore une culture très forte et des solidarités profondes. À travers ce vote, les Corses disent : « Nous allons préserver ce que nous sommes. » Il faut ajouter à cela l’achat par les continentaux de résidences secondaires qui participe de l’insécurité économique en faisant augmenter les prix de l’immobilier. Cette question se pose dans de nombreuses zones touristiques en France : littoral atlantique ou méditerranéen, Bretagne, beaux villages du Sud-Est et même dans les DOM-TOM. En Martinique aussi, les jeunes locaux ont de plus en plus de difficultés à se loger à cause de l’arrivée des métropolitains. La question du « jeune prolo » qui ne peut plus vivre là où il est né est fondamentale. Tous les jeunes prolos qui sont nés hier dans les grandes métropoles ont dû se délocaliser. Ils sont les pots cassés du rouleau compresseur de la mondialisation. La violence du marché de l’immobilier est toujours traitée par le petit bout de la lorgnette comme une question comptable. C’est aussi une question existentielle ! En Corse, elle est exacerbée par le contexte insulaire. Cela explique que, lorsqu’ils proposent la corsisation des emplois, les nationalistes font carton plein chez les jeunes. C’est leur préférence nationale à eux. (…) La condition de ce vote, comme de tous les votes populistes, est la réunion de l’insécurité sociale et culturelle. Les électeurs de Fillon, qui se sont majoritairement reportés sur Macron au second tour, étaient sensibles à la question de l’insécurité culturelle, mais étaient épargnés par l’insécurité sociale. À l’inverse, les électeurs de Mélenchon étaient sensibles à la question sociale, mais pas touchés par l’insécurité culturelle. C’est pourquoi le débat sur la ligne que doit tenir le FN, sociale ou identitaire, est stérile. De même, à droite, sur la ligne dite Buisson. L’insécurité culturelle de la bourgeoisie de droite, bien que très forte sur la question de l’islam et de l’immigration, ne débouchera jamais sur un vote « populiste » car cette bourgeoisie estime que sa meilleure protection reste son capital social et patrimonial et ne prendra pas le risque de l’entamer dans une aventure incertaine. Le ressort du vote populiste est double et mêlé. Il est à la fois social et identitaire. De ce point de vue, la Corse est un laboratoire. L’offre politique des nationalistes est pertinente car elle n’est pas seulement identitaire. Elle prend en compte la condition des plus modestes et leur propose des solutions pour rester au pays et y vivre. Au-delà de l’effacement du clivage droite/gauche et d’un rejet du clanisme historique, leur force vient du fait qu’ils représentent une élite et qu’ils prennent en charge cette double insécurité. Cette offre politique n’a jamais existé sur le continent car le FN n’a pas intégré une fraction de l’élite. C’est même tout le contraire. Ce parti n’est jamais parvenu à faire le lien entre l’électorat populaire et le monde intellectuel, médiatique ou économique. Une société, c’est une élite et un peuple, un monde d’en bas et un monde d’en haut, qui prend en charge le bien commun. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le vote nationaliste et/ou populiste arrive à un moment où la classe politique traditionnelle a déserté, aussi bien en Corse que sur le continent. L’erreur de la plupart des observateurs est de présenter Trump comme un outsider. Ce n’est pas vrai. S’il a pu gagner, c’est justement parce qu’il vient de l’élite. C’est un membre de la haute bourgeoisie new-yorkaise. Il fait partie du monde économique, médiatique et culturel depuis toujours, et il avait un pied dans le monde politique depuis des années. Il a gagné car il faisait le lien entre l’Amérique d’en haut et l’Amérique périphérique. Pour sortir de la crise, les sociétés occidentales auront besoin d’élites économiques et politiques qui voudront prendre en charge la double insécurité de ce qu’était hier la classe moyenne. C’est ce qui s’est passé en Angleterre après le Brexit, ce qui s’est passé aux Etats-Unis avec Trump, ce qui se passe en Corse avec les nationalistes. Il y a aujourd’hui, partout dans le monde occidental, un problème de représentation politique. Les électeurs se servent des indépendantismes, comme de Trump ou du Brexit, pour dire autre chose. En Corse, le vote nationaliste ne dit pas l’envie d’être indépendant par rapport à la France. C’est une lecture beaucoup trop simpliste. Si, demain, il y a un référendum, les nationalistes le perdront nettement. D’ailleurs, c’est simple, ils ne le demandent pas. Christophe Guilluy
Une des nouveautés du XXIe siècle par rapport au précédent réside dans le fait que ce que l’on appelle « le mouvement social » n’est plus exclusivement social, justement, mais aussi culturel. La lecture traditionnelle des conflits de classes, du clivage droite-gauche, des pauvres et des riches ne vaut plus. Ces trente dernières années, les classes moyennes et populaires occidentales ont subi un double choc : le déménagement de l’emploi industriel vers les pays à bas coûts (avec toute la reconfiguration géographique que cela a entraînée) d’un côté et, de l’autre, le multiculturalisme qui s’est imposé comme modèle unique mondial. C’est-à-dire un modèle où les cultures et les modes de vie, les us et coutumes coexistent au sein des sociétés. Les gens ordinaires ont été plongés dans cette nouvelle donne sans mode d’emploi, avec la promesse du progrès comme seul message et mantra : « demain, tout ira bien, tout cela c’est le mouvement ». Simplement, après trente ans de mutations, ils font valoir que le compte n’y est pas. (…) Quand j’ai ciselé la notion d’« insécurité culturelle », l’idée était de forger un concept opérationnel, concret, pour analyser les dynamiques de peuplement dans le logement social. Un bailleur social me demandait d’enquêter sur les raisons pour lesquelles dans des quartiers sans insécurité « physique », de nombreux habitants et notamment des retraités et des familles d’origine maghrébine en phase d’ascension sociale demandaient à être relogés ailleurs. Le point commun était que dans ces quartiers il y avait à ce moment-là une forte immigration subsaharienne, donc une culture différente encore. En fait, quelles que soient leurs origines, les gens perçoivent bien la logique démographique : ils ressentent parfaitement que dans un modèle multiculturel, où toutes les cultures continuent de faire valoir leurs normes, chacun se demande s’il est en voie de « minorisation » dans son quartier ou dans sa ville. C’est logique : quand l’autre ne devient pas soi, on essaie de compter « combien est l’autre ». Tout simplement parce que quand son propre mode de vie devient minoritaire, c’est plus compliqué à gérer au quotidien. Tout cela se fait la plupart du temps dans un contexte non violent : c’est un contexte de réorganisation presque anthropologique. (…) Mais, la plupart du temps, on se focalise sur la question des valeurs et des principes. Elle est fondamentale, mais il faut aussi parfois être un peu terre à terre. Concrètement, l’intégration, l’assimilation, c’est un homme ou une femme qui débarque dans un environnement un quartier, un village, une ville , qui a comme voisins des « autochtones » au niveau de vie à peu près similaire au sien, et qui se dit « c’est enviable ; j’ai envie d’avoir la même place dans la société, de projeter la même chose ». Cela fonctionnait quand les classes moyennes et populaires étaient « intégrées ». C’est-à-dire intégrées économiquement, et donc aussi intégrées culturellement et politiquement. Mais à partir du moment où ces catégories (qui forment une majorité de la population, en nombre) ont cessé d’être utiles économiquement, parce que l’industrie s’était fait la malle et que l’on pouvait désormais compter sur l’essor du tertiaire pour faire croître le PIB, eh bien, le discours politique a cessé de s’intéresser à elles. Elles n’étaient plus le socle auquel s’adressent les paroles et les décisions. J’insiste: tout cela ne relève pas du complot. Je pense que les dirigeants espéraient sincèrement que la tertiarisation de l’économie bénéficierait à tout le monde. Sauf que ça n’a pas été le cas. Les classes moyennes et populaires, qui n’étaient plus au centre du jeu économique, ont perdu dans le même temps le statut de référence culturelle pour les politiques et les médias en devenant peu à peu des « déplorables ». Les figures de losers (type Deschiens), racistes, bêtes, se sont alors imposées, y compris dans l’esprit des immigrés. La figure attractive de l’autochtone, à qui on souhaitait ressembler hier, devient alors celle dont on doit se distinguer. Qui peut avoir envie de ressembler à un déplorable Français, Suédois ou Britannique ? Personne. La machine à intégrer, à assimiler s’est donc cassée. Aujourd’hui, comment peut-on penser l’intégration des minorités quand le modèle n’intègre plus culturellement la majorité ?  (…) dans certains quartiers, je préconise un « objectif vieux ». L’un des problèmes provient du fait que ces endroits sont devenus des sas où atterrissent les nouveaux arrivants et d’où partent, dès qu’ils le peuvent, beaucoup de ceux qui sont arrivés avant. Soyons concrets. Si l’on stoppe les flux sur un quartier ou une ville donnés, il va se passer ce qui se passe dans les villages français : la population va vieillir. Et s’apaiser. Je dis souvent que quand on aura des petits vieux qui tapent le carton en bas des tours, la donne changera. C’est un peu décalé de décrire les choses ainsi, alors qu’on prend plus souvent ces maux par le biais de l’insécurité physique, notamment liée aux trafics, ou par celui de la salafisation des quartiers. Bien sûr que cela existe ; bien sûr que la grande majorité des gens ne veulent pas vivre dans de tels quartiers. Mais avez-vous vu le pouvoir régalien réussir sur ces thématiques, vous ? On peut toujours fermer trois ou quatre mosquées salafistes, mais si elles se recréent derrière, à quoi ça sert ? La réduction des flux, la politique de peuplement n’est pas une option, mais un préalable. Les premiers à le savoir sont les habitants eux-mêmes : quelles que soient leurs origines, ils réclament le contrôle des flux d’immigration. Il faut ne jamais mettre les pieds dans ces quartiers pour ignorer que c’est une demande sur place.(…) Pour moi, c’est une question de rationalité matérielle. Quand on ne peut plus accéder à la grande métropole ou aux zones d’emploi les plus actives, quand on a un revenu qui tourne autour de 1 500 euros par mois, les contraintes dictent un quotidien différent. On est obligé, par exemple, de maintenir un minimum de solidarité, notamment intergénérationnelle. Par exemple, on divorce moins, non parce que les couples seraient plus solides, plus aimants, ou moins libres, mais parce que c’est matériellement moins jouable de payer deux appartements ! On voyage peu en quelque sorte, on est décroissant , et encore moins en TGV, qui est au passage plus cher que l’avion… C’est la même chose avec la question dite identitaire : le multiculturalisme à 1 000 euros, ce n’est pas la même expérience qu’à 5 000 euros. Parce qu’on ne peut pas payer le collège privé pour ses enfants, s’acheter l’appartement dans l’immeuble où il n’y a que des propriétaires, etc. Ce sont les contraintes d’un quotidien partagé par beaucoup de Français « ordinaires » qui façonnent aujourd’hui le diagnostic majoritaire. Il y a quelques items sur lequel les citoyens sont invariablement d’accord à 70 ou 80 % : pour eux, l’Etat providence est essentiel, mais ses largesses doivent être conditionnées au travail, et il faut réduire les flux migratoires. C’est vrai en France, c’est vrai en Allemagne, en Grande-Bretagne, au Brésil (…) Ce n’est pas les lepénistes ou l’extrême droite, c’est 70 % de la population. C’est ça, la majorité. (…) Sans parler de programme, c’est pour moi le minimum qu’on puisse exiger de politiques censés représenter le bien commun de prendre en compte ces demandes. Il n’y aura pas de retour en arrière. Il n’y aura pas de démondialisation l’exemple typique de la discussion de salon ! ni de retour des classes moyennes et populaires dans les métropoles. Si les élites libérales admettent cette vérité-là, alors elles doivent en tirer les conclusions, en faisant évoluer le modèle. Si l’on s’inscrit dans une logique démocratique (donc majoritaire), si on fait une politique pour satisfaire le bien commun, il va falloir commencer de penser « contre soi » et pour les 70 % qui gagnent moins de 2 000 euros. (…) Il y a un certain mépris de classe à prétendre qu’un tel ou untel manipule le cerveau des classes moyennes et populaires, qu’on leur farcit la tête pour leur inventer des problèmes qu’ils n’ont pas. Moi je dis que c’est l’inverse: ce sont eux qui instrumentalisent untel ou untel pour se faire entendre. Ça peut s’appliquer à Zemmour même s’il n’est qu’à 17 %, donc relativisons, ou plutôt à Donald Trump, en effet, ou à Boris Johnson. C’est très intéressant, la Grande-Bretagne : Johnson cartonne dans les bastions travaillistes ! Le type est libéral, conservateur, londonien, intellectuel, il coche toutes les cases de ce que la working class devrait détester… Sauf que ce qu’il dit sur le retour des services publics, sur l’emploi dans le Yorkshire, par exemple, ça leur parle. C’est la working class britannique qui l’utilise pour changer les choses, non l’inverse. Cela prouve bien que les gens ordinaires ne s’inscrivent plus du tout dans le clivage gauche-droite. Ils se moquent bien d’utiliser un type qui est une pure émanation du conservatisme londonien. Ils le prennent. C’est tellurique. Même dans un pays où il n’y a aucun débouché politique, comme la France, cela a donné les gilets jaunes, et il y aura autre chose après. Quoi ? Je n’en sais rien. Mais cela pousse chaque fois, par exemple quand la majorité s’abstient.  (…) La majorité est de fait une puissance d’inertie, c’est un bloc. On ne peut pas penser les nations avec les catégories de Netflix, c’est-à-dire en panélisant la société, en la divisant en tribus, par affinités culturelles, comme le font les scénaristes de Netflix quand ils produisent pour des segments marketing de téléspectateurs. Cette idée que tout est morcelé, que la France serait un « archipel », empêche de généraliser, et donc de comprendre. Conceptualiser, c’est généraliser. L’approche sociologique des fractures françaises, c’est une chose : mais nier le bloc politique que constituent des gens ordinaires, c’est noyer le poisson. A un moment, il faut donner du sens. Même pour nous, pour notre santé mentale. La politique crève de l’absence de projets. Mais pour justifier l’absence de projets, il y a l’idée que, de toute façon, tout est étiolé, atomisé. C’est une vision confortable : pas besoin de penser contre soi, de se dire qu’on fait partie des gagnants et qu’il y a un bloc de perdants. Non, on se dit que chacun aspire à quelque chose de différent et que le tout forme des désirs contradictoires qu’il serait vain de contenter dans une politique majoritaire. Alors on segmente. Un jour, on parle d’islamisation, le lendemain des retraités, etc. Le mouvement woke s’inscrit parfaitement là-dedans, avec cette obsession de la segmentation par genres, par races, par religions… Le capitalisme adore ! Avant, on disait « diviser pour mieux régner ». (…) Aujourd’hui, le discours de Mélenchon s’écrit à Hollywood dans les open spaces des scénaristes de Netflix. Je veux dire par là qu’il s’adresse à des groupes identifiés, et qu’il adapte son discours pour les additionner. C’est d’ailleurs tout le problème en France aujourd’hui : avec leurs segments respectifs, les candidats peuvent espérer faire 15-20 %, donc être au second tour. Puis l’emporter. Mais quand ils arrivent au pouvoir, ils sont de moins en moins légitimes, et la déception est énorme. Il n’y a pas de projet, de mouvement, de sens. Il n’y a rien. Finalement, cette vision « netflixisée » permet d’occulter la question centrale des classes moyennes occidentales, qui demeure « l’éléphant dans la pièce ». Pour moi, la maison mère du narratif politique en Occident, c’est Netflix, à Los Angeles. D’ailleurs, après son stage de formation à la Maison-Blanche, Barack Obama a rejoint Netflix. Et peut-être un jour Emmanuel Macron ? Aujourd’hui, c’est Hollywood qui donne le la de la politique intérieure des nations occidentales. Christophe Guilluy
Présentée comme illusoire ou anachronique, la demande de régulation des flux migratoires est, sur tous les continents, une demande banale des classes populaires quelles que soient leurs origines. (…) Décrite comme l’illustration d’une dérive xénophobe des « petits blancs », on constate qu’elle concerne en réalité tous les “petits”, quelles que soient leurs origines ethniques ou religieuses. (…) comme les gens ordinaires ne peuvent ériger des frontières invisibles avec l’Autre (comme le font les classes supérieures), ils craignent évidemment plus de devenir minoritaires dans leur immeuble, leur village ou leur quartier. Car être ou devenir minoritaire, c’est dépendre de la bienveillance de la majorité. (…) C’est en cassant le rythme d’une immigration perpétuelle que les pouvoirs publics pourraient agir sur le contexte social (la réduction des arrivées de ménages précaires stopperait la spirale de la paupérisation) mais aussi sécuritaire (la stabilisation puis la baisse du nombre de jeunes assécherait le vivier dans lequel recrutent les milieux délinquants). En reprenant la main sur cet « exercice de souveraineté qui a en partie été délégué à l’échelon européen », les politiques pourraient ainsi jouer sur les flux permanents qui, comme l’explique Laurent Chalard, empêche l’assimilation. Cette politique répondrait enfin aux attentes de la population de ces quartiers qui demandent depuis des décennies une plus grande fermeté de l’Etat à l’égard de l’immigration clandestine mais aussi des dealers qui pourrissent la vie de ces territoires. Christophe Guilluy
Pour un certain nombre d’analystes, le relatif échec de l’assimilation des populations d’origine maghrébine en France par rapport aux vagues migratoires précédentes, se traduisant, entre autres, par le maintien de prénoms spécifiques au sein des deuxième et troisième générations,est relié à un facteur culturel essentiellement considéré sous sa forme religieuse, la pratique de l’islam, qui rendrait impossible à ses membres de devenir complètement des Français comme les autres. Or, si le rôle de ce facteur ne peut être totalement nié, il en existe cependant un autre, d’ordre démographique, renforçant considérablement le phénomène, qui est le non-tarissement des flux. En effet, les immigrés à l’assimilation réussie, que sont les Italiens, les Polonais, les Espagnols ou les Vietnamiens se sont totalement fondus dans la population française parce que, suite aux vagues migratoires très importantes, les flux d’arrivée se sont taris, coupant définitivement les nouveaux arrivants des évolutions récentes de leur culture d’origine. (…) En conséquence, il s’est produit une adaptation rapide à la culture du pays d’accueil puisque ces nouveaux arrivants n’avaient aucun intérêt à maintenir leur culture d’origine. Leurs enfants scolarisés avec les autres petits français, à une époque où l’école était inclusive et le niveau d’enseignement satisfaisant, s’intégraient pleinement conduisant dès la première génération à de nombreux mariages avec la population locale, puisqu’ils n’allaient pas chercher leur conjoint dans le pays de naissance de leurs parents, et à l’adoption de comportements de fécondité semblables aux « autochtones », conduisant à une stabilisation des effectifs. Pour montrer l’influence primordiale de ce facteur, il convient de citer le cas des immigrés vietnamiens et cambodgiens arrivés en une seule vague à la fin des années 1970, sans espoir de retour à l’époque, dont l’intégration dans la société française est particulièrement exemplaire, bien qu’ils ne soient pas de culture européenne, qu’ils pratiquent, en règle générale, une religion différente (le bouddhisme) et que leur apparence physique en fasse une minorité visible! Or, pour les Maghrébins, la situation apparaît différente car les flux migratoires ne se sont jamais arrêtés depuis le début des Trente Glorieuses, soit depuis 70 ans. Il n’y a jamais réellement eu de pause permettant à la population de s’assimiler, la fin de l’immigration de travail sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing laissant place à la politique de regroupement familial, qui va à la fois maintenir un niveau non négligeable du flux d’entrées chaque année et stimuler la natalité de ces populations du fait de la féminisation de l’immigration. En conséquence, pour une large part des Maghrébins, le cordon ombilical n’a pas été coupé avec le pays d’origine, ce qui sous-entend le maintien et la transmission des traditions culturelles d’une génération à l’autre, en particulier sur le plan religieux, et une politique matrimoniale non assimilationniste, privilégiant une certaine endogamie, que ce soit à travers des mariages au sein de la communauté en France ou avec des congénères du pays d’origine, un des principaux moteurs du regroupement familial à l’heure actuelle. Il convient donc de s’interroger sur ce sujet, quitte à poser une question taboue, qui risque de faire débat: l’immigration perpétuelle empêche-t-elle l’assimilation? En effet, il est légitime de se poser la question. Les Français d’origine maghrébine se seraient peut-être plus facilement assimilés et auraient probablement une situation économique meilleure, si les flux d’arrivées s’étaient taris au milieu des années 1990, leur permettant de se tourner complètement vers leur nouveau pays. Dans ce contexte, le fondamentalisme religieux aurait probablement plus difficilement pénétré notre société, puisqu’il est d’abord arrivé en France par l’Algérie. Parallèlement, la natalité serait plus basse, permettant une meilleure réussite scolaire des enfants et les quartiers d’accueil seraient moins homogènes ethniquement, favorisant l’assimilation, car les flux migratoires auraient été moins nombreux. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les jeunes Maghrébins nés en France sont peut-être les premières victimes de l’immigration continue, d’autant plus que les nouveaux arrivants viennent les concurrencer sur le marché du travail. Laurent Chalard
Il est vrai que, pendant quelques mois, à la fin de l’année dernière, on a davantage «parlé» d’immigration. A mon sens, pour deux raisons. D’une part, le temps passant et le phénomène s’amplifiant, il s’est avéré de plus en plus difficile – selon la formule de Péguy, désormais consacrée – d’empêcher les Français de «voir ce qu’ils voient». D’autre part, une personnalité de rupture a brusquement surgi dans le champ convenu de la politique pour les inciter à ouvrir leurs yeux. Pour autant, les choses n’ont pas tardé à «rentrer dans l’ordre» et tout indique qu’une fois encore, l’immigration ne tiendra pas, dans la campagne actuelle, une place à la hauteur des enjeux qu’elle porte. Dans un premier temps, les pratiques coutumières de diversion ont fait florès. La principale a consisté en la mise en avant systématique d’inquiétudes présentées comme concurrentes: le «pouvoir d’achat», la crise sanitaire, le changement climatique. Aujourd’hui, la guerre à l’Est a pris le relais. Non que ces préoccupations soient infondées, loin s’en faut, mais le fait de les opposer les unes aux autres, à coup de sondages, au sein d’une seule et même échelle de valeurs, de priorités et de temporalités, comme si elles étaient commensurables entre elles, s’apparente, je le redoute, à une énième façon de «noyer le poisson». D’ailleurs, même lorsque, presque par hasard, le sujet est mis sur la table, tous les moyens sont bons pour l’escamoter à nouveau, soit en le détournant vers des impasses sémantiques (le «Grand Remplacement»), soit en accolant à ses promoteurs les étiquettes disqualifiantes habituelles, soit en reprenant les mêmes artifices éculés (accent mis sur les courants [d’immigration] «illégaux»). Or, pour ma part, vous le savez, je tiens le type d’immigration, que nous subissons depuis un demi-siècle, pour un événement hors catégorie, sans précédent dans notre Histoire. Et, très honnêtement, j’avoue ne pas comprendre comment des esprits libres et éclairés peuvent encore sous-estimer sa gravité. (…) Il suffit pourtant d’en énumérer froidement les caractéristiques, pour mesurer l’impact de ce qui nous arrive: volume massif des flux, vocation de peuplement, absence de régulation politique et économique, majorité de civilisation extra-européenne et musulmane, esprit de revanche post-colonial, réticence à la mixité, préférence pour l’endogamie, cristallisation en diasporas, taux de fécondité supérieur à celui du peuple d’accueil, et surtout – novation inouïe – évolution non-convergente au fil des générations. A mes yeux, ce bouleversement progressif de la population française, s’il n’est pas l’unique défi auxquels nous sommes confrontés, est le seul qui menace directement la paix civile sur notre territoire. (…) au contact des milliers d’étrangers que j’ai côtoyés, j’ai pu vérifier la validité lancinante de constats, autrefois banals, aujourd’hui tabous. A savoir que, si la nature nous réunit, la culture impose entre les groupes que nous formons, une distance qui peut aller jusqu’à exclure leur cohabitation. De même, passée une masse critique, les interactions individuelles – jamais irréparables – cèdent la place à des forces collectives, qui n’obéissent en rien aux mêmes lois. Soit un effet de seuil, qui commande, entre autres, l’acculturation: possible en deçà, irréalisable au-delà. Si bien que ce que l’on dénonce avec horreur sous le nom d’amalgame n’est, au fond, que l’observation d’un fait, déterminé par le nombre. De sorte que le monde que dessinent ces «collectivités en action» n’est ni plaisant, ni souriant. D’un côté, ne nous le cachons pas, nul sentiment n’y est plus répandu que la xénophobie, en particulier au sein des pays dont nous recevons les immigrants. D’un autre côté, toutes – je dis bien toutes – les sociétés «multi» sont vouées à des déchirements plus ou moins profonds. Et dans ce cadre, il arrive que les minorités soient violentes et gagnantes, les majorités placides et perdantes, voire que les victimes n’en soient pas, car responsables de leurs malheurs. Enfin, il faut admettre que l’Occident, dont la France ne saurait s’exclure, est une exception, dont la domination écrasante sur les affaires de la planète – couronnée par la Globalisation – a partout semé envie et ressentiment. Dans ce contexte, l’islam, entré en ébullition en réaction à cet ultime avatar de notre suprématie, est devenu le porte-drapeau des «humiliés et offensés», l’emblème du refus, voire du rejet, de ce que nous sommes, alors que la Chine et l’Asie, pareillement outragées, choisissaient de nous défier sur notre créneau de la compétition économique: le fait que l’arc musulman ne compte aucune démocratie mais concentre au moins 80 % des crises «chaudes» de la planète, le fait aussi que ses formes de contestation (jihadisme, salafisme, islamisme) se retrouvent à l’identique sur notre sol, en disent long sur l’insatisfaction d’un acteur historique de première grandeur, à la fois dynamique et rétrograde, dont il est clair qu’après des siècles d’absence, il a repris – via l’immigration – sa marche en avant sur la rive nord de la Méditerranée. Dernier enseignement, franco-français celui-ci: en conversant avec nombre de personnalités politiques dans la quiétude des salons d’ambassade, j’ai pu mesurer le fossé qui séparait leurs propos publics des jugements, moins amènes, qu’ils émettaient en privé, sur les effets de l’immigration dans leurs fiefs électoraux. (…) La première est que, si la coopération entre les civilisations est désirable, elle reste moins probable que leur rivalité, proportionnelle à leurs disparités culturelles, imbrications territoriales et conflits antérieurs. La deuxième est qu’il n’y a aucune raison que les désastres observés ailleurs ne se reproduisent pas chez nous, pour peu que les mêmes ingrédients y soient réunis: ne nous prétendons pas plus intelligents que les Libanais ou les Yougoslaves. La troisième est qu’il vaut mieux prévoir le pire pour avoir une chance de le prévenir et qu’au fond telle est la fonction du régalien, auquel j’ai consacré ma vie. J’en ai conclu que, derrière la générosité des discours, personne ici-bas ne faisait de cadeau à personne, qu’en conséquence l’émotion et la compassion n’étaient pas les plus fiables des outils d’analyse, que les conseilleurs – fussent-ils le New York Times ou d’honorables ONG – n’étaient pas les payeurs et que, si nos dirigeants renonçaient à défendre nos intérêts vitaux, sur notre propre territoire, personne ne le ferait à leur place. C’est ce corpus ultra-réaliste et, je le reconnais, désenchanté – mais, vous en conviendrez, pas vraiment réfuté par les événements du moment -, qui a servi de trame à mes réflexions, non sur l’immigration en général, inévitable et parfois souhaitable, mais sur le ressac des vagues «anormales» qui s’abattent sur nous depuis les années 70 et dont seuls des rêveurs ou des hypocrites peuvent tirer un bilan «globalement positif». (…) Nous n’avons d’autre choix, si nous voulons vraiment reprendre le contrôle de notre démographie, que d’opérer un renversement de cap à 180 degrés, c’est à dire envoyer le message, urbi et orbi, «loud and clear», que la France ne sera plus, pour l’avenir prévisible, une terre d’accueil. Ce qui suppose une approche globale du problème et une intransigeance de tous les instants pour la mettre en oeuvre. Toute émigration est, en effet, activée, à la fois, par un facteur «push» (qui incite à quitter le pays d’origine) et un facteur «pull» (qui attire vers le pays de destination). N’ayant guère le moyen d’agir sur le premier – l’invocation rituelle du «co-développement» ne dupant plus personne -, nous n’avons d’autre solution que de réduire notre attractivité à zéro. Je ne perçois pas, chez nos néophytes – et, soit dit en passant, encore moins chez le Président-candidat, pour qui l’immigration reste un angle mort – la féroce inflexibilité qu’appelle l’urgence absolue. Sans compter le colossal travail de «rétropédalage» historique, qu’exige la restauration du «pouvoir de faire et d’empêcher» de l’Etat National, aux lieux et place du «laissez aller, laissez passer», que nous proposent la Société des Individus et son extension européenne. (…) il est bien tard. Car voyons les choses en face. Nous avons désormais affaire non plus à des individus dispersés, soit autant de «cas particuliers», en quête chacun d’avenir meilleur, mais à des «diasporas», c’est à dire des réalités collectives, solidement ancrées dans notre sol, fermement décidées à y persévérer dans leur être et dont la dynamique holiste dépasse et emporte la destinée particulière de leurs membres. Pour moi, c’est une circonstance a priori banale – la rencontre de football France-Algérie en 2001, déjà bien oubliée – qui a marqué symboliquement ce basculement. Pour être plus explicite, une «diaspora» est une entité, formée d’immigrés et de leurs descendants – y compris, fait capital, de nationalité française -, dont les effectifs, regroupés dans l’espace, atteignent une masse critique suffisante pour que la pression sociale y favorise la pérennisation des croyances et modes de vie des pays d’origine, avec lesquels les relations demeurent intenses: ainsi se forment spontanément des enclaves étrangères, plus ou moins fermées, tournant le dos au pays d’accueil et à ses mœurs. Maintenant que ces noyaux durs sont fermement incrustés, il est bien naïf de croire que les clivages qu’ils portent comme la nuée l’orage, soient exclusivement de nature économique et, donc, solubles dans la quantité. En fait, ces différences sont, d’abord et surtout, de type qualitatif, donc a priori non négociables. Elles recoupent même très exactement les conflits indécidables qui ont causé nos pires malheurs dans le passé: le dissentiment religieux (en l’occurrence, celui, millénaire, entre l’islam et le christianisme, de part et d’autre de la Méditerranée), l’antagonisme colonial (autrement dit, la guerre des mémoires, pas davantage monnayable que celle des croyances), le prisme racial (qui tend insidieusement à rapprocher le statut de nos immigrés de celui des descendants d’esclaves noirs américains, avec les mêmes effets calamiteux qu’outre-Atlantique). Ne nous cachons pas la vérité. Un tel triptyque est voué à provoquer des enchaînements quasi-mécaniques, dont nous voyons poindre les prémices, ainsi que je l’ai déjà indiqué: progression accélérée de la défiance sociale, séparation des ethnies (preuve par neuf de la faillite du «multi»), rivalité pour le contrôle des enclaves (en parodie des guerres coloniales), propension multiforme à la violence. (…) Ce qui s’est passé à la frontière polonaise, au cours des derniers six mois, illustre la complexité et la variété des problèmes que posent les flux de population aujourd’hui. [Avec les réfugiés ukrainiens] Nous avons à faire (…) à deux cas de figure diamétralement opposés, qui ne nous concerneraient qu’indirectement, s’ils ne mettaient, une nouvelle fois, en cause l’Union Européenne. Au cours du premier épisode, les migrants ont été l’objet d’une lutte entre États, donc sans rapport avec les flux auto-générés d’outre-Méditerranée, auxquels nous sommes abonnés. En l’occurrence, ils ont été le jouet des relations entre la Russie, la Biélorussie et la Pologne, pimentés d’un zeste d’activisme ottoman, l’Union européenne ne faisant que réagir à ces interactions. Ce qui est clair, néanmoins, à la lumière de cet exemple, c’est que l’émigration vers notre continent est aussi devenue une arme de guerre contre lui, aux mains d’Etats qui la manipulent au gré de leurs intérêts. La Turquie est passée maître dans cet art du chantage, mais d’autres (les milices libyennes, le Maroc) s’y emploient à l’occasion, tout comme, donc, en dernier lieu, la Biélorussie. Ce à quoi nous assistons depuis l’invasion de l’Ukraine, est un phénomène radicalement différent. Il s’agit là d’un afflux massif, non pas d’immigrés, ni de migrants, mais d’authentiques réfugiés de guerre, principalement de femmes, d’enfants et de vieillards, dont l’intention, semble-t-il très majoritaire, est de ne pas s’installer définitivement dans les pays qui les accueillent. Néanmoins, ces deux séries d’évènements ont en commun de se dérouler aux pseudo-frontières de l’Union Européenne, laquelle est devenue la cible privilégiée des mouvements de population, pour deux raisons: d’abord, à l’évidence, du fait de son haut niveau de revenus, mais aussi parce que les sociétés qui la composent vivent toutes, désormais, sous le régime de la «Société des Individus». (.. .) La Société des Individus présente, entre autres, deux caractéristiques. D’une part, elle fait de chaque être humain vivant, quelle que soit son origine et sa nationalité, européen ou non, l’ultime décideur de son sort, à commencer par le choix de ses déplacements et lieux d’existence, au sein d’un espace mondial indifférencié. D’autre part, en se prétendant la pointe avancée d’une émancipation humaine, gouvernée par les lois de la dialectique, elle est amenée à condamner le modèle immédiatement antérieur de l’Etat National, symbole et gardien de son antithèse, à savoir un espace cloisonné par le politique. Aussi cette configuration est-elle spontanément «immigrationiste». En premier lieu, parce que, se voulant universaliste, elle répugne à faire la différence entre l’autochtone et l’étranger, et, par extension, à admettre l’existence de limites entre un dedans et un dehors. En deuxième lieu, parce que, logiquement, elle n’interprète la matière sociale que comme une somme de relations interpersonnelles, de «cas particuliers» et de «faits divers» sans liens entre eux, ce qui réduit, de fait, la sphère du collectif aux registres folkloriques du divertissement et de l’art culinaire, et plus généralement du «tourisme», comme Nietzsche l’avait si génialement entrevu. Enfin, parce que, je l’ai dit, tout en érigeant le rempart de l’Etat National en contre-modèle, la Société des Individus porte un regard paradoxalement indulgent sur l’antépénultième strate des Communautés Naturelles, dans la mesure où, prééminente chez les immigrés, celle-ci est considérée comme la victime historique dudit État dans sa version «coloniale», lequel se retrouve pris en sandwich par cet improbable duo. Or, la superstructure bruxelloise, loin de contredire ce schéma, en est devenu l’accomplissement le plus pur, transformant notre «petit cap» de l’Asie en zone -unique au monde- d’aplatissement étatique, d’auto-désarmement politique et d’effacement frontalier. Soit ce que l’on appelle l’espace Schengen, perméable à tous les courants, alors même que la géographie l’encercle d’étendues turbulentes et vengeresses, ainsi que d’entités rapaces, prêtes à tout pour exploiter ses faiblesses. Comme si la maîtrise de l’immigration contemporaine n’était pas, en elle-même, une tâche herculéenne, nous l’avons entravée, compliquée et envenimée à plaisir, en plaquant, sur la couche des Etats, rendus à l’impuissance, un dispositif «accélérationniste». Pire, nos dirigeants semblent attendre de ce dispositif qu’il joue le rôle d’un filtre, alors qu’il a été précisément conçu, calibré et programmé pour l’inverse. Cet entêtement à creuser davantage, afin de sortir d’un trou où l’on s’est soi-même enfoui, serait comique, si les conséquences n’en étaient dramatiques. (…) Ce n’est là qu’une des très nombreuses contradictions de notre société, qui en font, à bien des égards, un voyage en Absurdistan. En effet, nous ne nous interrogerons jamais assez, non seulement sur la radicale nouveauté de la Société des Individus, mais aussi sur l’arrogance de son ambition, qui prétend transférer la souveraineté – le pouvoir du «dernier mot» – aux milliards d’individus vivant sur la planète à un instant donné, chacun d’eux étant sommé de «choisir» sa vie, que cela lui plaise ou non. Le tout en jetant un voile pudique sur l’appartenance à des groupes circonscrits, en rivalité (ou en coopération) pour leur survie, leur indépendance et leur puissance. En d’autres termes, un modèle qui refuse de faire la différence entre les aspirations du comptable suédois et du guerrier pachtoun, du geek californien et du berger sahélien, du paysan béarnais et du jeune «harrag» algérien, comme si tous étaient interchangeables et disposés à jouer le même jeu. Il va de soi que ce paradigme est frappé, d’emblée, d’une vulnérabilité à la mesure de son irréalité. En effet, même pour les tenants du système, la marge de viabilité est étroite: leur comportement ne doit à aucun prix sortir du couloir exigu défini par «l’Etat de droit», autrement dit le «politiquement correct», mais sans y être contraint par la coercition. En pratique, il s’agit pour eux, d’une part, de souscrire inconditionnellement à des valeurs «enveloppes» (tolérance, transparence, «respect») et, d’autre part, de participer à des mécanismes de conciliation de leurs «contenus» (marché, contrat, communication). A cette «ceinture» officielle, s’ajoutent les «bretelles» officieuses, plus sûres, d’un verrouillage par l’affect: d’un côté, la culpabilité (seconde guerre mondiale, colonisation, climat), de l’autre, la peur (là encore le climat, la sécurité sanitaire, la «guerre à nos portes»). Enfin, dernier rebouclage, on place le système sous le magistère moral et la surveillance active des juges et des media, devenus les chiens de garde d’un ordre social et «moral», prétendument horizontal. En bref, au nom même de leur liberté, et pour ne pas basculer dans l’anarchie qui les guette, les convaincus de la Société des Individus se doivent d’observer une discipline de tous les instants, à base de travail sur soi, d’auto-censure et d’intériorisation des interdits. Pour délivrer leurs corps, il leur faut accepter d’enfermer leurs esprit, sauf à «déraper» hors du corridor, véritable catastrophe qui met en péril tout l’édifice. On aura compris que ce modèle est réservé à une catégorie restreinte, celle du «Gentil Bobo», petit bourgeois des métropoles et de la «nouvelle ruralité», qui réussit à cumuler tout à la fois un conformisme cool, un haut degré d’ignorance ou de lassitude historique, le refus unilatéral de la culture de l’honneur, la disposition à tendre l’autre joue, la pratique généralisée de l’euphémisme, en un mot la bienveillance et la non-violence de principe envers l’Autre (aussi longtemps que les enfants de celui-ci ne fréquentent pas la même école que les siens). Or, nous sommes là en présence d’une «espèce à protéger», tellement antinomique de tout ce que l’espèce humaine a produit jusqu’ici, qu’elle ne peut survivre et prospérer que dans l’enceinte d’une sorte de zoo, coupé de tout ce qui ne lui ressemble pas. Pour faire court, une société «ouverte» qui a besoin d’être «fermée» pour rester «ouverte»: la quadrature du cercle. (…) cette approche angélique ne se rencontre nulle part ailleurs qu’en Occident, lequel n’y est parvenu qu’à la suite d’un long cheminement solitaire. De notre point de vue, ce périple modernisateur a vu se succéder, je l’ai dit, les Communautés Naturelles (présentes partout), l’Etat National Moderne (première de nos inventions, répandue par la colonisation), enfin la Société des Individus (zénith de l’occidentalisation, diffusé par la Globalisation). De fait, cette utopie est encore largement minoritaire, non seulement au loin de nos frontières, mais aussi – ce qui est plus grave – à l’intérieur. Toujours en résumant beaucoup, on peut avancer que les immigrants ont massivement réimplanté sur notre sol les Communautés Naturelles, tandis que l’imaginaire des Français, autochtones et assimilés, reste profondément attaché à l’Etat National. D’où un espace au minimum tripartite, mais en pratique infiniment plus fragmenté, où l’oligarchie qui se donne le monde pour horizon et l’Humanité pour boussole, entend formater les mentalités sans y parvenir vraiment: celles-ci, même fortement perfusées par les séductions de l’individualisme, lui résistent encore au nom de la «persistance des agrégats» et de «l’inertie des affections». Donc, c’est vrai, nous vivons dans une sorte de magasin de porcelaine, où se meuvent, avec des docilités inégales, ces vieux éléphants remuants que sont les nostalgies nationales et communautaires. Ou, si vous préférez, la Société des individus est tellement «en avance» par rapport au ressenti de la majorité de la population, qu’elle flirte en permanence avec le chaos et, à la limite, la «guerre de tous contre tous». Sans autre filet de sécurité que l’espoir de voir le virus du narcissisme finir par pénétrer suffisamment les cerveaux, pour qu’ils perdent à jamais l’idée saugrenue de fomenter des projets alternatifs. (…) Il est exact que la crise du Covid aurait pu être l’occasion théorique d’un «retour» du politique, sous un régime qui a renié sa légitimité, au point d’en oublier l’existence. On aurait, d’ailleurs, pu en attendre autant du terrorisme de masse et, maintenant, de l’invasion de l’Ukraine (quoique à un degré moindre, n’y étant pas en première ligne). De même, l’immigration aurait pu et dû offrir un champ privilégié à un telle remise en question. Au fond, qu’est-ce que le Politique? Beaucoup d’autres avant moi, infiniment plus qualifiés, se sont risqués à répondre à la question. Pour ma part, je le définirai comme l’activité qui vise à assurer la pérennité des groupes humains. Il est donc inséparable d’une aventure collective, située dans l’espace et dans le temps, dont il assume la responsabilité de la continuité. Dans notre sphère de civilisation, ce projet collectif a fini par se confondre avec l’Etat National. Par temps calme, le Politique ne fait qu’affleurer en surface. Il n’émerge en pleine lumière, dans toute sa singularité, que lorsque la tempête se lève et que la mort redevient l’enjeu déterminant. Ou encore, selon Carl Schmitt, quand l’on est obligé de distinguer entre l’ami et l’ennemi. Dans ces circonstances, foin de tergiversations, il devient impératif de prendre des décisions tranchées, c’est à dire non-juridiques, discrétionnaires et souvent négatives, la plus haute manifestation du politique étant, à mes yeux, de dire non à la facilité. La Raison et le Secret d’Etat deviennent alors des armes justifiables, dussent la morale et le sentiment en souffrir. On voit par là en quoi notre Société des Individus, en prenant le contrepied de l’Etat National, se révèle anti-politique par essence, puisqu’elle contredit tout ce que je viens d’énoncer: les appartenances, la verticalité, le discrétionnaire, et même l’éventualité de la mort, considérée comme un scandale, dès lors que, pour l’individu isolé, «né orphelin, mort célibataire», la vie est une occasion unique à prolonger le plus longtemps possible. C’est dans ce contexte que nous est «tombée dessus» l’épidémie. En fait, ce que vous appelez le retour du politique nous a été imposé par les évènements, sans qu’il y ait eu, au départ, la moindre volonté de nos dirigeants de remonter le cours du temps. Plongés dans cette situation, ces mêmes dirigeants, mais aussi, avec eux, beaucoup de nos compatriotes, se sont retrouvés comme une poule devant un couteau: les premiers avaient perdu jusqu’au souvenir du commandement, les seconds de l’obéissance. Il s’en est suivi une grande désorientation de la société, prise au dépourvu par ce «flash-back» inattendu. D’où une invraisemblable série de pataquès: d’un côté, un pouvoir, qui, loin de retrouver une authentique inspiration politique, s’est abrité derrière son contraire, c’est-à-dire la tyrannie des experts, et, de l’autre, une opinion tourneboulée, où les habituels défenseurs de la loi et l’ordre se sont révélés les plus insoumis des individus. En bref, une expérience peu concluante, pleine d’impréparation et d’improvisation, qui a confirmé la fameuse expression de Marx, selon laquelle les évènements, d’abord vécus en tragédie, se répètent en farce, ou le non moins célèbre aphorisme d’Héraclite, qui veut que l’on ne se baigne jamais deux fois dans la même eau d’un fleuve. (…) Si je refuse de perdre espoir, je ne nourris pas non plus d’illusions excessives quant à la possibilité d’une reprise en mains «politique» des courants d’immigration. Quand on constate que le programme de l’actuel chef de l’Etat, candidat à sa réélection, continue d’ignorer superbement le sujet, on se prend à réfléchir sur ce que l’Histoire peut comporter d’inéluctable et d’irréversible, même si, ce faisant, elle nous conduit droit vers les plus grands des malheurs. Pour conclure, tout en essayant d’éviter la paranoïa, j’avoue sans ambages être obsédé par la menace que l’immigration, telle que nous la connaissons, fait peser sur l’avenir de notre pays. Si rien n’est décidé pour la réduire à sa plus simple expression, toute mes expériences accumulées me font prévoir un futur sombre, et même très sombre, pour nos enfants et petits-enfants. Au mieux, s’achemineront-ils vers un effondrement insoupçonné de leur qualité de vie (l’implosion) ; au pire, c’est vers de terribles affrontements que nous les dirigeons (l’explosion). Le plus probable étant une combinaison des deux, dans une confusion croissante. Tous nos gouvernants sans exception, mais aussi beaucoup de nos compatriotes, ont préféré regarder ailleurs. Les premiers par lâcheté, puisqu’ils n’en pensaient pas moins. Les seconds par naïveté, insouciance ou idéologie. Ce comportement d’autruche m’angoisse encore davantage qu’il ne m’exaspère. Pour nos jeunes, intellectuellement désarmés par la scolarité compatissante qui leur a été servie, les réveils risquent d’être terriblement difficiles. Mais, alors, quelle responsabilité pour tous ceux qui, bien qu’ayant eu la possibilité de l’empêcher, auront laissé s’installer cette bombe à mèche lente et ne seront plus là pour en subir la déflagration. Pierre Brochand
Les outre-mer ont voté en majorité pour la candidate Le Pen contre Macron. La question qui se pose est : comment des Noirs, des afrodescendants ont pu voter pour le Rassemblement national, un parti qui renvoie au racisme, aux discriminations… On peut réduire Le Pen à l’extrême droite mais les choses sont plus complexes que cela. Il faut relativiser ce vote en évitant d’en faire un vote d’extrême droite. C’est un vote pour Le Pen, contre Macron mais pas un vote d’extrême droite au sens où les gens auraient adhéré aux valeurs du RN. Quand on interroge les gens qui ont voté Le Pen, ils répondent spontanément : « on a voté contre Macron et on a voté contre les élus locaux ». Le vote contre Macron est lié à des problèmes sociaux qui se posent dans le pays, la question vaccinale, l’insécurité, la délinquance… La critique qui est faite aux élus locaux est très forte. Pour beaucoup d’électeurs, les élus locaux ont failli et sont les principaux responsables de la situation parce qu’ils n’ont pas été en mesure de prendre en charge les demandes sociales. (…) pour analyser cela il faut partir du premier tour. Jean-Luc Mélenchon arrive largement en tête en Guadeloupe (56,16 %) et en Martinique (53,10 %). Marine Le Pen arrive en deuxième position en Guadeloupe avec près de 18 % des voix et en troisième en Martinique avec 13 %. Les électeurs ont d’abord voté Mélenchon, s’ils étaient fondamentalement lepeniste ou d’extrême droite ils auraient voté d’emblée Marine Le Pen. C’est donc par défaut qu’ils se sont prononcés pour Le Pen au deuxième tout parce que Mélenchon n’a pas été qualifié. Le vote n’a pas de consistance idéologique, c’est un vote de protestation, de colère. Je crois que les électeurs ont instrumentalisé ces candidatures pour adresser un gros message aux élus locaux et à Emmanuel Macron. [Marine Le Pen] est dédiabolisée à l’évidence. Les électeurs disent : « on a tout essayé jusque là, essayons extrême droite cela ne nous coûte rien finalement c’est une candidate comme les autres avec un discours qui nous parle. Elle va remettre dans leur droit les employés suspendus par la crise sanitaire, elle va régler le problème de l’eau, tous les thèmes qui nous intéressent elle les prend en charge dans son discours. » (…) Je ne pense pas qu’il y ait un rejet de l’État français bien au contraire, je pense qu’il y a un appel à l’État, à plus d’État. Dans le contexte de mondialisation, d’incertitude, il y a une demande de protection et de sécurité. Et le discours de Marine Le Pen qui renvoie à l’autorité, à la centralisation même puisqu’elle refuse le principe de l’autonomie, je pense que cela parle à tous ces gens. Je crois que le vote anti-Macron est un vote qui renvoie aux dossiers sociaux principalement, à tous les problèmes qui n’ont pas été réglés et que Macron avait promis de régler. Il y a le sentiment que rien n’a été fait par les représentants de Macron sur place. C’est par manque d’interventionnisme étatique qu’on a rejeté Macron. (…) Je crois que la question vaccinale est venue se greffer sur la question sociale et elle a joué comme un catalyseur. Cela a renforcé encore plus les oppositions. Il y a un élément qui intervient à la fin, c’est quand on a su que finalement la pandémie était en baisse et que le port du masque n’était plus nécessaire, qu’on allégeait les restrictions, beaucoup de gens ont cru que les employés suspendus allaient être rappelés et allaient pouvoir retrouver leur emploi mais ça n’a pas été le cas. Cela a été perçu comme une forme de mépris par beaucoup de gens. (…) Il est certain qu’il y a une prise de distance avec nos élus locaux, une majorité d’entre eux ont appelé à voter Macron lors de la présidentielle. Je suis persuadé que pour les élections législatives peu de candidats vont faire référence à Macron mais je ne suis pas sûr que l’élection présidentielle va modifier en profondeur le paysage local. Je ne pense pas que la France insoumise ait une implantation locale suffisante pour avoir des députés. Ils semblent l’avoir compris parce que la FI, à la différence du RN, est en mesure de négocier avec d’autres partis de gauche comme le PCF ou le PS, et peut-être même une frange des nationalistes. Fred Reno (Université des Antilles)
Le vote Mélenchon a davantage été un vote anti-Zemmour et anti-Le Pen qu’un vote anti-Macron. Il s’agit d’un précipité hétérogène et instable qui juxtapose, pour l’essentiel, un vote ethnique et un vote des centres-villes, les esclaves et les maîtres, les dominés et les dominants dans une convergence d’intérêts propre à toutes les villes-mondes, parfaitement analysée par Christophe Guilluy. Là encore, l’effet de loupe sur le vote communautariste des musulmans a occulté le fait que Mélenchon a obtenu plus de deux fois le score cumulé de Le Pen et de Zemmour à Paris, Lyon et Bordeaux, c’est-à-dire dans les villes où le prix du foncier est le plus élevé. L’électorat de gauche auquel rêve Marine Le Pen dans le cadre d’une grande alliance des souverainistes des deux rives n’existe pas, ou plutôt n’existe plus. On l’a bien vu avec le fiasco de la candidature d’Arnaud Montebourg.(…) Contrairement à ce qu’a voulu croire son équipe, [Zemmour] n’était pas un candidat de rassemblement mais un candidat de déblaiement. Il a pleinement rempli son office de brise-glace idéologique en acclimatant de nouveaux thèmes dans le débat comme celui, par exemple, du grand remplacement, jusque-là très conceptuel. Il n’a cessé tout au long de la campagne d’invoquer le retour du tragique dans l’Histoire et de convoquer un imaginaire anxiogène. Mais ce qui a fait sa fortune médiatique aura causé sa perte dans les urnes. Lorsque le tragique est passé de la perspective à l’imminence avec la guerre en Ukraine, supplément non prévu au programme, le décor a brusquement changé. Zemmour est alors apparu comme le cavalier de l’Apocalypse. Emprunté au grec ancien, « apocalypse » signifie dévoilement. Zemmour aura été le candidat du grand dévoilement. Celui qui levait le voile sur un paysage terrifique. Dans ces conditions, il était fatal qu’on en vînt à confondre le message et le messager et que ce dernier finît par faire figure d’épouvantail. Face aux prophètes du malheur, la majeure partie de la bourgeoisie française sera toujours du parti de Jeanne Bécu, alias la comtesse du Barry : « Encore un instant, Monsieur le bourreau ! » C’est le syndrome du Titanic, qui veut que les passagers de première classe s’accrochent jusqu’à la dernière minute à leurs privilèges. (…) À quelques rares et louables exceptions près, qui ont sauvé l’honneur de ce parti, le spectacle des Républicains au lendemain du premier tour fait irrésistiblement penser à ce qu’on appelait le bloc des « Républicains opportunistes » sous la IIIe République. Leur fonction n’était pas de défendre des idées, mais de fournir des majorités d’appoint aux gouvernements successifs dont ils ne supportaient pas de rester trop longtemps éloignés. (…) Le suffrage universel est une guerre civile mimée qui a, entre autres, pour objet de purger les « passions démocratiques » dont on sait, depuis Tocqueville, qu’elles ne sont pas sans risques. L’absence de campagne et l’esquive du président sortant au premier tour n’ont pas permis à l’élection de remplir cette fonction cathartique. Il n’est pas sûr que la campagne de l’entre-deux-tours y supplée. En 2017, le vote protestataire totalisait 45 % des voix au premier tour de l’élection présidentielle, mais n’obtenait que 4 % des sièges à l’Assemblée nationale un mois plus tard. Cette fois, il recueille 55 % des suffrages et le gouffre abyssal entre représentés et représentants ne cesse de se creuser. Notre démocratie n’exprime plus la loi du nombre, mais la loi du petit nombre. Carl Schmitt disait : « Le mythe de la représentation supprime le peuple comme l’individualisme supprime l’individu. » Nous y sommes. La question est de savoir combien de temps encore les Français se résigneront à accepter cette démocratie Potemkine, ce kratos sans démos, cette démocratie sans le peuple. Il y a tout à craindre d’une situation où la crise de la légitimité viendrait se greffer sur une crise économique et sociale. Patrick Buisson
Le profil d’Éric Zemmour et ses discours – d’abord – strictement identitaire sont plus à même de séduire une bourgeoisie classique de droite et urbaine que des classes populaires de la France périphérique. Cela s’est vérifié lors du scrutin présidentiel. L’ancien journaliste est bien représenté dans le sud-est du pays, avec de nombreuses communes riches du Var, du Vaucluse, des Alpes-Maritimes, des Bouches-du-Rhône dans lesquelles il dépasse les 10 %. Il a réalisé également 19 % à Neuilly (5,6 % pour Le Pen) et 18 % (8,5 % pour elle) à Versailles. Dans le 16e arrondissement de Paris, il a atteint 17 % contre 5,8 % pour sa rivale – et peut-être future alliée. Que disent ces chiffres ? Ils montrent par la preuve électorale que les sociologies des deux bases ont peu de choses en commun. La candidate du RN fait ses meilleurs scores dans les départements anciennement industrialisés. De l’Eure (32,2 % pour Le Pen contre 6,5 % pour Zemmour) à la Nièvre (29,6 % contre 6,5 %), en passant par la Somme (32,7 % contre 5,6 %), le Pas-de-Calais (38,6 % contre 5,1 %), les Ardennes (36 % contre 6,5 %), les Vosges (32 % contre 6,4 %) et l’Yonne (31 % contre 7 %), nous sommes dans une France reléguée, qui a perdu, ces quarante dernières années, l’essentiel de son tissu industriel avec, progressivement, la disparition de certains services publics. Et, dans tous ces départements, entre Le Pen et Zemmour, il y a toujours Jean-Luc Mélenchon, ce qui montre de fortes attentes sociales. Zemmour a fait l’erreur stratégique de minimiser la question du pouvoir d’achat, même si, peu à peu, à côté du « grand remplacement », il a voulu installer le « grand déclassement ». Mais sur ce dernier thème, le crédit de Marine Le Pen est largement supérieur au sien. Ses mesures pour le pouvoir d’achat sont apparues comme des réponses ponctuelles à une conjoncture, quand chez Le Pen son programme a paru plus sincère et à même de changer durablement la donne. La récurrence des thèmes a situé les deux candidats dans des sphères sociales aux préoccupations parfois éloignées ou à un degré d’urgence différent s’agissant de l’immigration ou de l’insécurité. Zemmour a pour espoir d’unir l’électorat de Neuilly-sur-Seine et celui de Mouterhouse en Moselle où Marine Le Pen fait plus de 70 % des voix. Dans un entretien au Point, le politologue Patrick Buisson admettait que la clé du succès résidait dans ce rassemblement, « celui de la France de Johnny Hallyday et celle de La Manif pour tous ». Si ces deux catégories de Français peuvent avoir des convergences sur le refus de l’altérité et sur la nostalgie d’une France prospère et homogène, elles divergent sur les questions économiques. Dans la France des années 2020, la possession ou non d’un capital dicte pour l’essentiel les préceptes que l’on plébiscite en économie. Ou l’État, dans un cas, est vu comme un prédateur qui ponctionne le travail d’une vie et bride les énergies entrepreneuriales ; ou il est vu comme le garant de l’égalité qui compense les pertes (chômage, niveau de vie, logement…) liées à la mondialisation. Les deux approches sont antagonistes et ne se valent aucunement. Le bon report des voix de Zemmour vers Le Pen vient tempérer cette analyse, même si la détestation de Macron transcende la défense des intérêts, comme le vote Mélenchon en faveur de Macron, donc contre Le Pen. Mais est-il acquis que les électeurs de Zemmour souhaitent une alliance durable avec le RN de Marine Le Pen, qui supposerait des compromis et donc une dénaturation du Zemmour identitaire et libéral ? L’ancien journaliste n’ignore sûrement pas ces données. Il va lui falloir bouger politiquement, être plus attentif au sort de ces Français oubliés, dont l’urgence est la fin du mois et non seulement « la fin de la France ». Sauf à considérer qu’il est un politicien comme un autre qui, pour faire l’union des droites, s’appuiera uniquement sur des accords d’appareils, en faisant fi des incompatibilités de fond. Saïd Mahrane
Depuis les années 1970, on a enjoint aux classes populaires de s’adapter à un monde qui change. Et c’est ce qu’elles ont fait, à la demande de leurs élites économiques et intellectuelles. Il leur a fallu se former pour passer d’une économie centrée sur l’industrie à une économie de service. Accepter la mobilité géographique, accepter l’instabilité salariale. Les classes moyennes et populaires ont intégré le narratif progressiste sur la désindustrialisation comme sur l’Europe. Tous ces changements, elles en ont supporté le coût social et culturel, sans bénéfice pour elles ou leurs enfants. Elles ont ainsi vécu le plus grand plan social de l’histoire qui a touché tour à tour les paysans, les ouvriers, les employés puis les cadres. Cela a nourri ce que j’ai nommé le « marronnage des classes populaires ». Cette défiance est une réaction naturelle face à des classes dominantes qui se sont enfermées dans ces métropoles hypergagnantes à la mondialisation. Recluses dans leur citadelle, ce sont elles qui ont créé les conditions de leur propre impuissance à protéger et ont procédé à un démantèlement en règle d’un État-providence jugé trop coûteux, auquel les classes moyennes et populaires étaient, elles, très attachées. Reléguée dans la France périphérique, cette majorité silencieuse de gens ordinairess’est révoltée contre son sort en novembre 2018 avec les « gilets jaunes ». Sur les ronds-points, en tout cas au début, il n’y avait pas une France archipélisée mais des gens avec des demandes politiques, des demandes de classe. Dès lors, doit-on regarder la hausse de l’abstention comme un simple je-m’en-foutisme ou plutôt comme le résultat d’une offre politique inadaptée ? À vrai dire, le détachement des classes populaires n’est que la réponse à la sécession des classes dominantes qui les ignorent. Christophe Guilluy
Il faut analyser l’électorat mélenchoniste pour comprendre. Il est à peu près le même aujourd’hui qu’il y a cinq ans, en réalité. Ses deux assises sont les classes moyennes urbaines et les classes populaires issues des minorités. C’est un vote d’attachement à la gauche, et de volonté que cette dernière survive. Le vote du réflexe, en somme, de la gauche qui ne veut pas mourir. Mais il faut voir que Mélenchon a fait un tel score en siphonnant absolument tout ce qu’il y avait à siphonner chez les autres partis de gauche. Ces 21 %, ce sont bien la gauche, mais la gauche « toute mouillée ». Il y a eu une surmobilisation en sa faveur des professions intermédiaires, des fonctionnaires des grandes métropoles et de la petite bourgeoisie métropolitaine, certes. Mais je pense donc que c’est un chant du cygne. Car il s’agit d’une construction fragile, un alliage sociologique très complexe à tenir dans le temps, tant il repose sur la force de Mélenchon, et sur sa personnalité. Je crois qu’après lui, tout cela va voler en éclats. Car Mélenchon, malgré son hold-up sur l’électorat de gauche, se retrouve dans un corner à tenter de ressusciter la gauche, au moment où droite et gauche sont des notions dépassées. Les narratifs sur le retour de la gauche, comme celui de la droite et « l’union des droites », ne font rien vibrer dans le cœur de la majorité des gens ordinaires. (…) Le vote Macron est désormais le vote des vieux, des bourgeois de gauche et de droite, et plus du tout d’une population « En Marche », dynamique, comme l’a vantée le logiciel macroniste. C’est un paradoxe. C’est, en ce sens, un vote fondamentalement conservateur. Au sens de la conservation d’intérêts de classe et d’un ordre établi. Face à cela, il y a la contestation de la France périphérique, des classes populaires et des professions intermédiaires, mais aussi désormais maintenant de certaines métropoles, avec ce vote pour Jean-Luc Mélenchon. (…) Le point commun de ces contestations est toujours le même, aux accents gilet-jaunesques : la France qui gagne moins de 2 000 euros par mois ne veut plus du modèle économique néolibéral, et renverser la table. Les tentatives de remèdes proposées par le gouvernement ont donné l’impression que les révoltes avaient disparu. Mais nous assistons toujours à la révolte des premiers de corvée qu’on a encensés pendant la crise sanitaire, et des gilets jaunes. Car rien n’a disparu depuis, précisément, les gilets jaunes. Le diagnostic des gens ordinaires est solide, bétonné, et ils n’en démordront pas. En face il y a un électorat liquide, flottant, dont la stratégie électorale de marketing consiste à convaincre des segments de la société qui ont intérêt à la garantie de l’ordre établi. Aujourd’hui, ce sont les grands bataillons de retraités, et pas du tout les forces vives de la société. (…) Il faut sortir du discours de folklorisation des classes populaires tenu par les gens d’en haut de façon parfois méprisante (« ils font des barbecues et roulent au diesel », en gros) pour comprendre qu’est réel le problème de pouvoir d’achat, chez les gens qui gagnent moins de 2 000 euros par mois. Nous avons affaire à un double mouvement, existentiel et social, des classes populaires dans les démocraties occidentales. Ce mouvement est historique, général, et il ne s’arrêtera pas. Par lui, les classes populaires exercent des coups de butoir : gilets jaunes, votes populistes, etc . Et ses coups de butoir ne vont pas s’arrêter, pour la bonne et simple raison que cette majorité a besoin de vivre. On peut dire à l’infini que la représentation métropoles/France périphérique n’existe pas, que « c’est plus compliqué que cela », qu’il n’y a pas de conflit de classes… Il demeure que le vote des Français rappelle brutalement la réalité sociale tous les cinq ans. Et tous les cinq ans, le narratif d’en haut implose. (…) contrairement à l’idée que les problèmes auraient été réglés suite aux dépenses publiques après les gilets jaunes et le Covid (…) une sorte de théorie du ruissellement, appliquée aux territoires. Sauf que la question n’est pas celle d’une dépense ponctuelle, mais du modèle économique et social défendu. Et employer la formule « France périphérique » et dire quelques banalités sur les aspects délétères des métropoles, ce n’est pas changer de modèle. (…) sur le fond, rien n’a changé et n’a été fait. Tous les problèmes sont donc toujours sur la table. La seule vraie question qui vaille est : que s’est-il passé pour que la Macronie et une partie des commentateurs médiatiques aient pu nous faire croire que, finalement, le mouvement des gilets jaunes n’était pas si important, et que la contestation populaire n’existait pas vraiment ? La France périphérique ne veut pas qu’on parle d’elle une fois par an, elle veut être au centre des représentations. Elle veut que cela se sache : « On est perdants ! Et nous ne voulons pas être à la périphérie culturelle et économique du pays, nous voulons être au centre ! ». D’ailleurs, il est intéressant de constater que les partis politiques qui n’ont pas pris en compte sa voix – LR et PS – le payent électoralement. (…) [Pour les grosses zones de vote en faveur d’Emmanuel Macron dans l’Ouest, et notamment en Bretagne] Les fondamentaux pour comprendre sont : moins de classe ouvrière, fonction publique très importante, immigration moins importante. Il y a un décalage dans le temps avec les autres régions, mais les dynamiques sont les mêmes qu’avec le reste de la France. Quand on regarde les cartes, il ne faut pas les regarder nationalement, mais voir à l’intérieur de la Bretagne, par exemple. La Bretagne intérieure ne vote pas pareil que dans les grandes villes. Même résultat dans le Sud-Ouest : la Gironde périphérique ne vote pas comme à Bordeaux. [le «barrage »] fonctionne de moins en moins, à la marge. Et c’est tout de même très compliqué de faire campagne quand on a 100 % des médias contre soi. Si Marine Le Pen atteint 40 %, ce sera réellement un choc politique majeur. Pourquoi ? Parce que cela signifie qu’une grande partie des Français est prête à voter avec un bulletin moralement inacceptable pour changer les choses. Que les Français sont prêts à tout pour dire qu’ils existent. Cela en dit long sur le niveau de ressentiment. Cette pratique du barrage prouve aussi que les élites n’ont plus rien en stock à proposer pour promouvoir leur modèle. Nous allons assister à une ethnicisation de la campagne, et il sera d’ailleurs intéressant de voir ce qui va se passer dans les DOM-TOM. Si réellement c’est l’extrême droite, cela veut-il dire qu’il y aurait presque 50 % de néonazis en France ? D’autant plus que cela se fait sur fond de défense de son petit patrimoine. Ce qui est ironique tant on fait porter aux classes populaires l’idée qu’elles seraient matérialistes, portées sur la société de consommation. Alors que la réalité, c’est que la bourgeoisie métropolitaine est dans un nihilisme consumériste complètement dépolitisé. Et que c’est le vote de classe Macron qui est un réflexe matérialiste par excellence. Christophe Guilluy
Il souffle un vent de paradoxe à Mayotte. Lors du premier tour de la présidentielle française, la candidate d’extrême droite, Marine Le Pen, y a récolté 42,6 % des voix (contre 27,2 % au premier tour en 2017), soit plus que Jean-Luc Mélenchon (La France Insoumise, 23,9 %) et Emmanuel Macron (La République en Marche, 16,9 %). Ainsi, comment expliquer que cette femme politique, “fléau pour l’Islam depuis des années”, arrive en tête des votes dans un archipel “où 95 % de la population est musulmane” ? demande ABC. Pour le quotidien conservateur espagnol, “le discours féroce sur l’immigration et la sécurité” de la leader du Rassemblement national fait la différence auprès des Mahorais. Le président sortant, Emmanuel Macron, était pourtant arrivé en tête du second tour en 2017, avec 57,1 % des voix, mais “n’a pas été à la hauteur des attentes” durant son quinquennat aux yeux des quelque 290 000 habitants de Mayotte, assure ABC. En 2018, quelques mois après la prise de fonction d’Emmanuel Macron, l’île de Mayotte avait été secouée par un mouvement de protestation alimenté par l’insécurité et l’immigration irrégulière venue des Comores. La contestation sociale avait repris en février dernier. Courrier international
Le premier bilan est celui du macronisme qui nous porte l’ « extrême droite » à 41,4 %. En 2017, j’avais parlé d’une opposition chimiquement pure. Il semble qu’en 2022, on approche de la perfection. Quelles que soient les régions, l’opposition métropoles/périphéries s’est cristallisée. Tout se passe comme si, tous les cinq ans, nous avions une piqûre de rappel, une petite dose de réel, pour nous rappeler que le modèle dans lequel nous avons plongé il y a des décennies provoquait quelques désordres sociaux, et surtout culturels. Le problème est que ce booster de réel ne sera efficace que quelques mois, disons jusqu’aux législatives. Après, on oubliera l’essentiel, la fracture entre le haut et le bas, entre haut revenus et revenus modestes, entre les métropoles et la France périphérique. La quasi-absence de représentation, et donc de défense des classes populaires et moyennes à l’Assemblée nationale, réactivera alors le narratif marketing hors sol du pouvoir. Un narratif porté par les intérêts du socle électoral de la macronie: la bourgeoisie de droite et de gauche (77 % des catégories supérieures ont voté Macron) et les bataillons de retraités (70 % ont voté Macron). Car, comme en 2017, ce sont bien les seniors qui auront fait l’élection du jeune président de la République. Il semble que le président soit moins le pilote d’une start-up nation que le directeur d’une immense maison de retraite. Le président va donc pouvoir poursuivre les réformes dures pour les actifs modestes avec la bénédiction des classes supérieures et des inactifs qui l’ont élu; une politique qui sera habillée d’un discours bienveillant, de «care», de soin, de protection, qui sera soutenue par les retraités. Dans ce narratif, le sujet central, celui du destin des classes populaires et moyennes, sera traité, mais, à la marge, à la périphérie. (…) Le concept de France périphérique ne vise pas à distinguer le vote du RN, mais à révéler la place des classes moyennes et populaires. Ces trente dernières années, les métropoles se sont vidées de ces catégories. Le problème est que, compte tenu des logiques de nouveau modèle économique et de la désindustrialisation, les métropoles concentrent depuis trente ans l’essentiel de la création d’emplois, mais n’y vivent que 30 à 40 % maximum de la population. Dit autrement, et pour la première fois dans l’histoire, la majorité des catégories modestes ne vit pas là où se crée l’emploi. Ce choc social et culturel est à l’origine de toutes les contestations politiques, sociales ou culturelles en France comme dans tous les pays européens. De Maastricht (1992) aux «gilets jaunes» en passant par le vote populiste, toutes ces contestations émanent des territoires de la France périphérique, des villes moyennes, des petites villes, des zones rurales. Cela ne signifie évidemment pas que 100 % des habitants de ces territoires soient opposés au modèle. Faut-il rappeler une évidence, il n’y a pas de déterminisme géographique. Le territoire n’est rien. Ce qui fait le territoire, ce sont les gens qui y vivent. Quand un bobo parisien s’installe sur le littoral breton ou dans le Luberon, il ne devient pas un opposant au macronisme et ne prend pas sa carte RN! Les territoires ruraux aisés (par exemple, viticoles) votent évidemment Macron, les littoraux gentrifiés votent ainsi comme les métropoles. De la même manière, les métropoles sont en moyenne de plus en plus gentrifiées mais concentrent aussi dans les quartiers de logements sociaux des catégories populaires précaires. Les dynamiques électorales sont portées par des ressorts sociaux et d’âge; la bourgeoisie, qui bénéficie du modèle, comme les retraités, dont l’espérance de vie est évidemment plus réduite, n’ont pas intérêt à renverser la table. La majorité des classes populaires vit en moyenne dans la France périphérique tandis que la majorité des classes supérieures vit dans les métropoles de plus en plus embourgeoisées. Le RN capte une part majoritaire du vote dans la France périphérique, mais évidemment pas 100 %. Rappelons à ce titre que, dans l’histoire récente, aucun parti ou mouvement populiste n’a accédé au pouvoir sans alliance ou sans le soutien d’un parti puissant. En Italie, Salvini accède au pouvoir avec le Mouvement 5 étoiles; Trump n’est pas un homme seul, il est soutenu par l’appareil des Républicains; le Brexit est majoritaire parce qu’il bénéficie du soutien d’une partie de l’intelligentsia britannique et des tories, etc. (…) Depuis au moins Maastricht, tous les pouvoirs (de gauche comme de droite) ont compris qu’une potentielle majorité pouvait se dessiner à partir du socle populaire majoritaire, qui s’est affranchi depuis très longtemps du clivage gauche/droite. Si elle vote, cette majorité ordinaire peut remettre en cause le modèle. Or, dans l’esprit des élites, il ne peut plus y avoir d’alternative au modèle. Donc, et puisqu’on ne peut plus jouer sur l’alternance droite/gauche pour diviser les classes populaires (on l’a vu pendant le mouvement des «gilets jaunes»), que les élites sécessionnistes n’ont plus pour cadre la nation ni comme objectif le bien commun, la dernière défense va consister à exclure non pas politiquement, mais moralement la majorité ordinaire. À travers la rhétorique de diabolisation de «l’extrême droite» et du nom de «Le Pen», ce que les «élites» cherchent d’abord à diaboliser (sans le dire évidemment), c’est le diagnostic social, culturel et économique des classes populaires et moyennes, leur refus maintes fois exprimé du modèle. Et, in fine, réduire la contestation populaire à celle d’une tribu perdue, celle des fameux «petits Blancs»; une représentation qui ne correspond évidemment pas à la réalité, les résultats de Marine Le Pen outre-mer (69,6 % en Guadeloupe ; 60,87 % en Martinique ; et 60,7 % en Guyane), donc dans la France périphérique, font exploser ce narratif. Ces territoires, qui avaient fortement participé au mouvement des «gilets jaunes» en 2018, sont caractéristiques de la contestation populaire, une contestation qui agrège les classes populaires de toutes origines, et qui vient contredire le récit médiatique autour d’un «vote petit-blanc». Cette diabolisation fonctionne, car elle permet de déplacer le débat du champ politique à celui de la morale. Soutenir le non au référendum en 2005, les «gilets jaunes» et évidemment tout candidat «populiste» serait évidemment «stupide» mais aussi et surtout «immoral». Les gens ordinaires sont ainsi culturellement marginalisés, rejetés dans une immoralité difficilement tenable au quotidien. C’est pourquoi, et même si, sur la plupart des thématiques, une majorité de la population est, d’après les sondages, d’accord avec les propositions «populistes (souverainisme, protectionnisme, réindustrialisation, régulation des flux migratoires), une fraction d’entre eux (de plus en plus réduite cependant) ne franchira pas la limite morale. Cette question de l’immoralité du vote agit en effet comme un rayon paralysant pour une part importante de la population, notamment âgée. Même si les limites de Marine Le Pen tant sur son programme, sa maîtrise des dossiers que la faiblesse de son entourage sont patentes, il faut insister sur le fait que le théâtre antifasciste qui s’applique aujourd’hui à elle s’appliquerait à n’importe quel candidat venu de la gauche, de la droite, du monde du spectacle ou de nulle part, qui porterait le diagnostic de la majorité ordinaire. La question du casting est donc accessoire. Si demain le dalaï-lama se présentait avec un programme souverainiste, il serait lui aussi fascisé, décrit comme la quintessence de l’intolérance, le symbole de l’exclusion de l’autre. La diabolisation ne vise pas donc pas «l’extrême droite», mais le diagnostic des classes populaires et les classes populaires elles-mêmes. Car ce diagnostic, qui exige une remise à plat du modèle, fragiliserait mécaniquement ceux qui en bénéficient aujourd’hui. (…) C’est assez amusant d’entendre depuis des années cette inversion accusatoire qui tend à réduire les classes populaires à une masse de consommateurs individualistes, indifférents au bien commun, voire en sécession. Si, comme le reste de la population, les catégories modestes baignent évidemment dans tous les travers de la société de consommation, ils restent attachés au bien commun, au service public, à leur mode de vie. Cela est d’ailleurs assez logique pour des catégories de plus en plus fragilisées et qui ont besoin de protection. Si la contestation populaire est portée par une question sociale, elle revêt aussi une dimension existentielle, c’est ce qu’on a vu avec le mouvement des «gilets jaunes», dont les ressorts étaient tout autant le pouvoir d’achat que la volonté de se rendre visibles, de dire: «Nous existons.» De la même manière, le vote combine une dimension matérielle et existentielle, qui touche au mode de vie et au bien commun. D’ailleurs, si la seule question matérielle portait exclusivement les classes populaires, Mélenchon aurait été qualifié pour le second tour et peut-être élu président. À l’inverse, on ne souligne pas assez que le vote de la bourgeoisie, de droite comme de gauche, et plus largement celui des classes supérieures, ne se détermine absolument plus sur des valeurs, mais sur le matériel, le pouvoir d’achat, la défense du patrimoine. Comme en 2017, une grande partie de la «bourgeoisie versaillaise» a oublié ses valeurs conservatrices et plébiscité un président progressiste, quand de leur côté nombre de «bobos mélenchonistes» n’ont pas hésité à apporter, au second tour, leur suffrage au «candidat de la banque». Le pouvoir d’achat, le patrimoine, le matériel résument les préoccupations du monde d’en haut, mais cela n’est pas très étonnant puisque, comme nous l’expliquait Christopher Lasch, les élites ont fait sécession et abandonné le bien commun depuis les années 1980. (…) Il n’y a pas sécession des classes populaires, mais une réaction à la sécession sociale et culturelle des classes supérieures. On assiste en fait à une autonomisation réactive des gens ordinaires qui attendent une offre politique qui ne serait pas moralement condamnée. (…) Il y a évidemment de multiples fractures françaises sociales et culturelles, elles sont multiples et mêmes très anciennes si on songe à de Gaulle qui se demandait déjà comment gouverner un pays qui possède 300 variétés de fromages. Plaisanterie mise à part, il faut rappeler qu’aucune représentation n’est neutre, elle vise au contraire à faire passer un message politique. La guerre des représentations est essentielle pour le pouvoir comme pour son opposition. On se rappelle que, avec le grand débat, Macron avait allumé un contre-feu à la représentation d’un «bloc populaire» (expression du politologue Jérôme Sainte-Marie), soutenu au départ par une majorité de l’opinion. Il fallait casser cette représentation trop visible de cette majorité ordinaire en proposant un grand débat panélisé, segmenté, bref, marginal. Cette représentation d’une société tribalisée, ou libanisée, est celle de Netflix, du marché, elle est a-politique. Cette technique marketing du panel permet d’invisibiliser le commun, le diagnostic des gens ordinaires, de marginaliser la contestation, et surtout de faire disparaître un conflit de classes porté par un bloc populaire majoritaire. (…) Les 41,4 % de Marine Le Pen (après ses 33 % de 2017 et les 18 % de Jean-Marie Le Pen en 2002) apportent un démenti à cette thèse, on observe au contraire une lente progression de la contestation (un vote d’autant plus puissant qu’il est surreprésenté chez les actifs). Il faut s’inscrire dans le temps long. En 2002, Jacques Chirac l’emporte avec 62 % des inscrits; En 2017, Emmanuel Macron avec 43,1 % des inscrits et aujourd’hui avec seulement 38,5 % des inscrits. Le mouvement de la majorité ordinaire agit comme des coups de boutoir. Il ne s’arrêtera pas, car il est existentiel. (…) la photographie est bien celle de deux France et de deux candidats qui ne se réfèrent plus au clivage droite/gauche. Mélenchon a surnagé brillamment [ou plutôt cyniquement] en associant la carpe et le lapin, les bobos et les minorités, ce qui reste de la gauche et le vote musulman. Mais cet alliage entre une petite bourgeoisie woke et des classes populaires attachées aux valeurs traditionnelles, voire hyperconservatrices, véhiculées par l’islam, est très fragile et risque d’imploser quand le leader de LFI aura pris sa retraite. Une implosion déjà en partie actée lors de ce second tour puisque la petite bourgeoisie mélenchoniste s’est mobilisée pour Macron tandis que les banlieues s’abstenaient. (…) [le surgissement d’Éric Zemmour en début de campagne] était anachronique. Il me semble que proposer l’union des droites à un moment où le clivage droite/gauche disparaît était voué à l’échec. (…) [Que le prochain quinquennat soit marqué par d’importants troubles politiques et sociaux] est une évidence et cette contestation viendra comme, c’est le cas depuis vingt ans, de la France périphérique. Christophe Guilluy

Quels nouveaux canaris jaunes dans la mine avant le coup de grisou social qui vient ?

Alors qu’après l’effondrement du « brise-glace idéologique » Zemmour

Victime à la fois de son étrange hémiplégie l’empêchant de reconnaitre la meurtrière supercherie du nouveau Führer du panrussisme

Et, le coupant des préoccupations de la France de « la fin du mois » avec son seul discours de « la fin de la France », de sa propre chambre d’écho médiatico-numérique …

Comme, ayant réduit pour la troisième fois son débat du second tour à un entretien d’embauche pour future ministre des finances

Celui de la petite boutiquière du « pouvoir d’achat »

Les premiers de cordée des centre-villes, mélenchonistes compris, se félicitent  avec leur directeur d’EPHAD de l’Elysée …

Nouvelles madame du Barry appelant le bourreau à un dernier petit répit …

Ou nouveaux première classe du Titanic s’accrochant jusqu’à la dernière minute à leurs privilèges …

D’avoir à nouveau terrassé, à coups de chèques et de subventions et surtout avec l’ultime arme de la disqualification morale, le prétendu monstre du fascisme et du racisme

Devinez qui …

Ultime pied de nez de l’histoire et infirmation définitive du cynique contresens consistant à réduire le vote national des premiers de corvée à un vote ethnique …

Entre les départements respectivement les plus noirs et le plus musulman de France …

Viennent rappeler derrière respectivement leurs quelque 70%  et 60% de voix anti-Macron  …

Après les juifs de Sarcelles avec leurs pieds ou les gilets jaunes avec leurs ronds-points …

A l’instar de ces canaris servant d’alerte dans les mines de nos arrières-grands-parents …

Le coup de grisou social qui vient ?

Christophe Guilluy: « La contestation des gens ordinaires ne s’arrêtera pas, car elle est existentielle »

Alexandre Devecchio

Le Figaro

25/04/2022

GRAND ENTRETIEN – Pour l’auteur de Fractures françaises, «on assiste à une autonomisation réactive des gens ordinaires, qui attendent une offre politique qui ne serait pas moralement condamnée».

De l’élection présidentielle, le géographe retient avant tout le score de 41,4 % de Marine Le Pen. Un score qui témoigne, selon lui, de la révolte des classes populaires et qui confirme la persistance et la centralité du clivage entre la France périphérique, regroupant les perdants de la mondialisation et celle des métropoles, où vivent la majorité des gagnants. Christophe Guilluy souligne les scores de la candidate du Rassemblement national outre-mer, qui, selon lui, contredisent la thèse d’un vote xénophobe de «petits Blancs». Il relativise la percée de Mélenchon, soulignant la fragilité de l’alliage entre le vote des bobos et celui des minorités; et ne croit pas davantage à une union des droites à l’heure de la disparition du clivage droite/gauche.

LE FIGARO – Quel bilan tirez-vous de cette campagne et de son résultat?

CHRISTOPHE GUILLUY – Le premier bilan est celui du macronisme qui nous porte l’«extrême droite» à 41,4 %. En 2017, j’avais parlé d’une opposition chimiquement pure. Il semble qu’en 2022, on approche de la perfection. Quelles que soient les régions, l’opposition métropoles/périphéries s’est cristallisée. Tout se passe comme si, tous les cinq ans, nous avions une piqûre de rappel, une petite dose de réel, pour nous rappeler que le modèle dans lequel nous avons plongé il y a des décennies provoquait quelques désordres sociaux, et surtout culturels. Le problème est que ce booster de réel ne sera efficace que quelques mois, disons jusqu’aux législatives. Après, on oubliera l’essentiel, la fracture entre le haut et le bas, entre haut revenus et revenus modestes, entre les métropoles et la France périphérique. La quasi-absence de représentation, et donc de défense des classes populaires et moyennes à l’Assemblée nationale, réactivera alors le narratif marketing hors sol du pouvoir.

Un narratif porté par les intérêts du socle électoral de la macronie: la bourgeoisie de droite et de gauche (77 % des catégories supérieures ont voté Macron) et les bataillons de retraités (70 % ont voté Macron). Car, comme en 2017, ce sont bien les seniors qui auront fait l’élection du jeune président de la République. Il semble que le président soit moins le pilote d’une start-up nation que le directeur d’une immense maison de retraite. Le président va donc pouvoir poursuivre les réformes dures pour les actifs modestes avec la bénédiction des classes supérieures et des inactifs qui l’ont élu; une politique qui sera habillée d’un discours bienveillant, de «care», de soin, de protection, qui sera soutenue par les retraités. Dans ce narratif, le sujet central, celui du destin des classes populaires et moyennes, sera traité, mais, à la marge, à la périphérie.

Vous avez écrit que «la France périphérique» est majoritaire. Dans ce cas, comment expliquez-vous les échecs répétés de Marine Le Pen, censée incarner cette France-là?

Le concept de France périphérique ne vise pas à distinguer le vote du RN, mais à révéler la place des classes moyennes et populaires. Ces trente dernières années, les métropoles se sont vidées de ces catégories. Le problème est que, compte tenu des logiques de nouveau modèle économique et de la désindustrialisation, les métropoles concentrent depuis trente ans l’essentiel de la création d’emplois, mais n’y vivent que 30 à 40 % maximum de la population. Dit autrement, et pour la première fois dans l’histoire, la majorité des catégories modestes ne vit pas là où se crée l’emploi. Ce choc social et culturel est à l’origine de toutes les contestations politiques, sociales ou culturelles en France comme dans tous les pays européens. De Maastricht (1992) aux «gilets jaunes» en passant par le vote populiste, toutes ces contestations émanent des territoires de la France périphérique, des villes moyennes, des petites villes, des zones rurales. Cela ne signifie évidemment pas que 100 % des habitants de ces territoires soient opposés au modèle. Faut-il rappeler une évidence, il n’y a pas de déterminisme géographique. Le territoire n’est rien.

Ce qui fait le territoire, ce sont les gens qui y vivent. Quand un bobo parisien s’installe sur le littoral breton ou dans le Luberon, il ne devient pas un opposant au macronisme et ne prend pas sa carte RN! Les territoires ruraux aisés (par exemple, viticoles) votent évidemment Macron, les littoraux gentrifiés votent ainsi comme les métropoles. De la même manière, les métropoles sont en moyenne de plus en plus gentrifiées mais concentrent aussi dans les quartiers de logements sociaux des catégories populaires précaires. Les dynamiques électorales sont portées par des ressorts sociaux et d’âge; la bourgeoisie, qui bénéficie du modèle, comme les retraités, dont l’espérance de vie est évidemment plus réduite, n’ont pas intérêt à renverser la table. La majorité des classes populaires vit en moyenne dans la France périphérique tandis que la majorité des classes supérieures vit dans les métropoles de plus en plus embourgeoisées. Le RN capte une part majoritaire du vote dans la France périphérique, mais évidemment pas 100 %. Rappelons à ce titre que, dans l’histoire récente, aucun parti ou mouvement populiste n’a accédé au pouvoir sans alliance ou sans le soutien d’un parti puissant. En Italie, Salvini accède au pouvoir avec le Mouvement 5 étoiles; Trump n’est pas un homme seul, il est soutenu par l’appareil des Républicains; le Brexit est majoritaire parce qu’il bénéficie du soutien d’une partie de l’intelligentsia britannique et des tories, etc.

La stratégie de dédiabolisation de Marine Le Pen a-t-elle atteint ses limites?

Bien sûr. Depuis au moins Maastricht, tous les pouvoirs (de gauche comme de droite) ont compris qu’une potentielle majorité pouvait se dessiner à partir du socle populaire majoritaire, qui s’est affranchi depuis très longtemps du clivage gauche/droite. Si elle vote, cette majorité ordinaire peut remettre en cause le modèle. Or, dans l’esprit des élites, il ne peut plus y avoir d’alternative au modèle. Donc, et puisqu’on ne peut plus jouer sur l’alternance droite/gauche pour diviser les classes populaires (on l’a vu pendant le mouvement des «gilets jaunes»), que les élites sécessionnistes n’ont plus pour cadre la nation ni comme objectif le bien commun, la dernière défense va consister à exclure non pas politiquement, mais moralement la majorité ordinaire.

À travers la rhétorique de diabolisation de «l’extrême droite» et du nom de «Le Pen», ce que les «élites» cherchent d’abord à diaboliser (sans le dire évidemment), c’est le diagnostic social, culturel et économique des classes populaires et moyennes, leur refus maintes fois exprimé du modèle. Et, in fine, réduire la contestation populaire à celle d’une tribu perdue, celle des fameux «petits Blancs»; une représentation qui ne correspond évidemment pas à la réalité, les résultats de Marine Le Pen outre-mer (69,6 % en Guadeloupe ; 60,87 % en Martinique ; et 60,7 % en Guyane), donc dans la France périphérique, font exploser ce narratif. Ces territoires, qui avaient fortement participé au mouvement des «gilets jaunes» en 2018, sont caractéristiques de la contestation populaire, une contestation qui agrège les classes populaires de toutes origines, et qui vient contredire le récit médiatique autour d’un «vote petit-blanc».

Cette diabolisation fonctionne, car elle permet de déplacer le débat du champ politique à celui de la morale. Soutenir le non au référendum en 2005, les «gilets jaunes» et évidemment tout candidat «populiste» serait évidemment «stupide» mais aussi et surtout «immoral». Les gens ordinaires sont ainsi culturellement marginalisés, rejetés dans une immoralité difficilement tenable au quotidien. C’est pourquoi, et même si, sur la plupart des thématiques, une majorité de la population est, d’après les sondages, d’accord avec les propositions «populistes (souverainisme, protectionnisme, réindustrialisation, régulation des flux migratoires), une fraction d’entre eux (de plus en plus réduite cependant) ne franchira pas la limite morale. Cette question de l’immoralité du vote agit en effet comme un rayon paralysant pour une part importante de la population, notamment âgée.

Même si les limites de Marine Le Pen tant sur son programme, sa maîtrise des dossiers que la faiblesse de son entourage sont patentes, il faut insister sur le fait que le théâtre antifasciste qui s’applique aujourd’hui à elle s’appliquerait à n’importe quel candidat venu de la gauche, de la droite, du monde du spectacle ou de nulle part, qui porterait le diagnostic de la majorité ordinaire. La question du casting est donc accessoire. Si demain le dalaï-lama se présentait avec un programme souverainiste, il serait lui aussi fascisé, décrit comme la quintessence de l’intolérance, le symbole de l’exclusion de l’autre.

La diabolisation ne vise pas donc pas «l’extrême droite», mais le diagnostic des classes populaires et les classes populaires elles-mêmes. Car ce diagnostic, qui exige une remise à plat du modèle, fragiliserait mécaniquement ceux qui en bénéficient aujourd’hui.

Marine Le Pen a axé toute sa campagne sur le pouvoir d’achat. Si l’angoisse de la fin du mois est une réalité pour beaucoup de Français, les électeurs des classes populaires sont-ils mus uniquement par leurs intérêts matériels?

C’est assez amusant d’entendre depuis des années cette inversion accusatoire qui tend à réduire les classes populaires à une masse de consommateurs individualistes, indifférents au bien commun, voire en sécession. Si, comme le reste de la population, les catégories modestes baignent évidemment dans tous les travers de la société de consommation, ils restent attachés au bien commun, au service public, à leur mode de vie. Cela est d’ailleurs assez logique pour des catégories de plus en plus fragilisées et qui ont besoin de protection. Si la contestation populaire est portée par une question sociale, elle revêt aussi une dimension existentielle, c’est ce qu’on a vu avec le mouvement des «gilets jaunes», dont les ressorts étaient tout autant le pouvoir d’achat que la volonté de se rendre visibles, de dire: «Nous existons.» De la même manière, le vote combine une dimension matérielle et existentielle, qui touche au mode de vie et au bien commun. D’ailleurs, si la seule question matérielle portait exclusivement les classes populaires, Mélenchon aurait été qualifié pour le second tour et peut-être élu président.

À l’inverse, on ne souligne pas assez que le vote de la bourgeoisie, de droite comme de gauche, et plus largement celui des classes supérieures, ne se détermine absolument plus sur des valeurs, mais sur le matériel, le pouvoir d’achat, la défense du patrimoine. Comme en 2017, une grande partie de la «bourgeoisie versaillaise» a oublié ses valeurs conservatrices et plébiscité un président progressiste, quand de leur côté nombre de «bobos mélenchonistes» n’ont pas hésité à apporter, au second tour, leur suffrage au «candidat de la banque». Le pouvoir d’achat, le patrimoine, le matériel résument les préoccupations du monde d’en haut, mais cela n’est pas très étonnant puisque, comme nous l’expliquait Christopher Lasch, les élites ont fait sécession et abandonné le bien commun depuis les années 1980.

Le parti majoritaire chez les classes populaires, c’est finalement l’abstention. Ne craignez-vous pas une forme de sécession politique des classes populaires?

Il n’y a pas sécession des classes populaires, mais une réaction à la sécession sociale et culturelle des classes supérieures. On assiste en fait à une autonomisation réactive des gens ordinaires qui attendent une offre politique qui ne serait pas moralement condamnée.

Certains observateurs évoquent une archipellisation de la société française, d’autres une décomposition du système politique français? Qu’en pensez-vous?

Il y a évidemment de multiples fractures françaises sociales et culturelles, elles sont multiples et mêmes très anciennes si on songe à de Gaulle qui se demandait déjà comment gouverner un pays qui possède 300 variétés de fromages. Plaisanterie mise à part, il faut rappeler qu’aucune représentation n’est neutre, elle vise au contraire à faire passer un message politique. La guerre des représentations est essentielle pour le pouvoir comme pour son opposition.

Il n’y a pas sécession des classes populaires, mais une réaction à la sécession sociale et culturelle des classes supérieures

On se rappelle que, avec le grand débat, Macron avait allumé un contre-feu à la représentation d’un «bloc populaire» (expression du politologue Jérôme Sainte-Marie), soutenu au départ par une majorité de l’opinion. Il fallait casser cette représentation trop visible de cette majorité ordinaire en proposant un grand débat panélisé, segmenté, bref, marginal. Cette représentation d’une société tribalisée, ou libanisée, est celle de Netflix, du marché, elle est a-politique. Cette technique marketing du panel permet d’invisibiliser le commun, le diagnostic des gens ordinaires, de marginaliser la contestation, et surtout de faire disparaître un conflit de classes porté par un bloc populaire majoritaire.

Vous croyez au «soft power» des classes populaires. La victoire d’Emmanuel Macron ne témoigne-t-elle pas, au contraire, de la difficulté des classes populaires à peser réellement sur leur destin?

Les 41,4 % de Marine Le Pen (après ses 33 % de 2017 et les 18 % de Jean-Marie Le Pen en 2002) apportent un démenti à cette thèse, on observe au contraire une lente progression de la contestation (un vote d’autant plus puissant qu’il est surreprésenté chez les actifs). Il faut s’inscrire dans le temps long. En 2002, Jacques Chirac l’emporte avec 62 % des inscrits; En 2017, Emmanuel Macron avec 43,1 % des inscrits et aujourd’hui avec seulement 38,5 % des inscrits. Le mouvement de la majorité ordinaire agit comme des coups de boutoir. Il ne s’arrêtera pas, car il est existentiel.

La percée de Jean-Luc Mélenchon au premier tour n’invalide-t-elle pas la thèse d’une fracture élite/peuple avec une France coupée en deux?

Non, la photographie est bien celle de deux France et de deux candidats qui ne se réfèrent plus au clivage droite/gauche. Mélenchon a surnagé brillamment en associant la carpe et le lapin, les bobos et les minorités, ce qui reste de la gauche et le vote musulman. Mais cet alliage entre une petite bourgeoisie woke et des classes populaires attachées aux valeurs traditionnelles, voire hyperconservatrices, véhiculées par l’islam, est très fragile et risque d’imploser quand le leader de LFI aura pris sa retraite. Une implosion déjà en partie actée lors de ce second tour puisque la petite bourgeoisie mélenchoniste s’est mobilisée pour Macron tandis que les banlieues s’abstenaient.

À la percée de Mélenchon est venu s’ajouter le surgissement d’Éric Zemmour en début de campagne…

Tout cela était anachronique. Il me semble que proposer l’union des droites à un moment où le clivage droite/gauche disparaît était voué à l’échec.

Beaucoup d’observateurs redoutent que le prochain quinquennat soit marqué par d’importants troubles politiques et sociaux…

C’est une évidence et cette contestation viendra comme, c’est le cas depuis vingt ans, de la France périphérique.

Voir aussi:

Présidentielle 2022 : Marine le Pen arrive largement en tête en Guadeloupe, Martinique et Guyane

En Martinique, en Guadeloupe et en Guyane – où les résultats sont déjà complets – Marine Le Pen, la candidate du Rassemblement national, est arrivée largement en tête devant Emmanuel Macron, ce dimanche 24 avril.

Jean-Luc Mélenchon s’y était détaché lors du premier tour. Lors du second, c’est Marine Le Pen qui est arrivée en tête des votes dans les départements d’Outre-mer, ce dimanche 24 avril. En Guadeloupe, la candidate du Rassemblement national remporte 69,60% des voix, contre 30,40% pour Emmanuel Macron. En Martinique, Marine Le Pen atteint 60,87%, des voix contre 39,13% pour le président sortant. 60,70% des voix contre 39,30 en Guyane également. À Saint-Martin et Saint-Barthélémy, Marine Le Pen arrive également en tête (55,52%) tout comme à Saint-Pierre-et-Miquelon (50,69%).

Emmanuel Macron en tête en Polynésie

Il n’y a qu’en Polynésie française que le président sortant fait mieux que sa rivale en décrochant 51,81% des voix. Ce dernier aurait également été largement plébiscité par les électeurs français vivant sur le continent américain : 89% des voix en Argentine, 86% au Bérsil, 87% au Chili, ou encore 86% au Canada.

Concernant les territoires d’Outre-mer, il semblerait donc que les électeurs de Mélenchon se sont reportés sur la candidate d’extrême droite dans ces territoires particulièrement touchés par la crise sanitaire. Avec, à chaque fois, le taux d’abstention est énorme : plus de 52% en Guadeloupe ou encore plus de 55% en Martinique.

Il s’agit d’un revirement par rapport à 2017 où, lors du second tour, Marine Le Pen n’était arrivée en tête dans aucune collectivité ultramarine. En Martinique, elle avait par exemple obtenu seulement 22,45 % des voix. En Guadeloupe, où aujourd’hui elle frôle les 70%, elle avait recueilli 24,87% des voix.

Voir aussi:

Présidentielle. Le “mystère de Mayotte”, l’archipel “pauvre et musulman” où Le Pen arrive en tête des votes
La candidate du Rassemblement national séduit les électeurs de ce département d’outre-mer, situé dans l’océan Indien, de confession très majoritairement musulmane. Sa recette ? Un discours sécuritaire et anti-immigration, selon ce journal conservateur espagnol.
Courrier international
18 avril 2022

Il souffle un vent de paradoxe à Mayotte. Lors du premier tour de la présidentielle française, la candidate d’extrême droite, Marine Le Pen, y a récolté 42,6 % des voix (contre 27,2 % au premier tour en 2017), soit plus que Jean-Luc Mélenchon (La France Insoumise, 23,9 %) et Emmanuel Macron (La République en Marche, 16,9 %). Ainsi, comment expliquer que cette femme politique, “fléau pour l’Islam depuis des années”, arrive en tête des votes dans un archipel “où 95 % de la population est musulmane” ? demande ABC.

Pour le quotidien conservateur espagnol, “le discours féroce sur l’immigration et la sécurité” de la leader du Rassemblement national fait la différence auprès des Mahorais. Le président sortant, Emmanuel Macron, était pourtant arrivé en tête du second tour en 2017, avec 57,1 % des voix, mais “n’a pas été à la hauteur des attentes” durant son quinquennat aux yeux des quelque 290 000 habitants de Mayotte, assure ABC.

En 2018, quelques mois après la prise de fonction d’Emmanuel Macron, l’île de Mayotte avait été secouée par un mouvement de protestation alimenté par l’insécurité et l’immigration irrégulière venue des Comores. La contestation sociale avait repris en février dernier.

77 % de la population sous le seuil de pauvreté

En décembre 2021, Marine Le Pen s’était rendue dans l’archipel et avait été accueillie par “des chants et des fleurs”. La cheffe du RN se disait favorable “à une position ‘très ferme’ sur l’immigration clandestine” et avait “qualifié l’insécurité à Mayotte de ‘terrifiante’”, se remémore la journaliste Susana Gaviña.

Le succès de Le Pen dans cet archipel “pauvre et musulman” repose aussi sur “le fait que le profil de ses électeurs soit beaucoup plus proche – comparé à celui des électeurs de Macron – de celui de la population de l’archipel : classe ouvrière, peu éduquée, à faible revenu et rurale”, ajoute le journal madrilène. À Mayotte, 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, selon un rapport de l’Observatoire des inégalités, publié en juin 2021. C’est plus que nulle part ailleurs sur le territoire français.

Voir également:

Résultats présidentielle 2022 : aux Antilles, Marine Le Pen surfe sur « un vote antisystème »

La candidate du Rassemblement national remporte plus de 60 % des voix en Guadeloupe et en Martinique au second tour de l’élection présidentielle, réalisant son meilleur score dans ces deux départements.

Jean-Michel Hauteville (Fort-de-France (Martinique), correspondance)

25 avril 2022

Franchissant la sortie de son bureau de vote installé dans l’école primaire du quartier de Morne-Acajou, sur les hauteurs de la commune du François, Hugues Ramanich ajuste son élégant chapeau de paille, ses lunettes de soleil et avance d’un pas digne, accroché au bras de sa fille. « J’ai voté pour Marine Le Pen : il faut essayer pour voir », bougonne le retraité ce samedi 23 avril, jour du second tour de l’élection présidentielle en Martinique. Dans ce département antillais, de même que dans les autres collectivités françaises situées dans les Amériques, le scrutin était anticipé d’une journée en raison du décalage horaire.

« Macron n’a rien fait pour nous. La retraite est trop basse : je touche 800 euros par mois ! », se lamente le septuagénaire, qui assure avoir voté à gauche toute sa vie. Magali Ramanich acquiesce. « J’ai voté Le Pen au premier tour aussi », souligne la quadragénaire. « Trop de jeunes sont dans la rue, il n’y a pas assez de travail. Il faudrait peut-être remettre le service militaire », suggère-t-elle.

« Notre président est nul ! »

A l’instar des deux résidents de ce secteur rural et verdoyant, de nombreux Martiniquais ont glissé dans l’urne un bulletin au nom de Marine Le Pen. Après un plébiscite pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour de l’élection présidentielle, la candidate du Rassemblement national (RN) a obtenu, deux semaines plus tard, 60,87 % des suffrages exprimés, soit près de trois fois son score du second tour de l’élection présidentielle de 2017 en Martinique, un département où les scores de l’extrême droite sont habituellement faibles lors des scrutins locaux et nationaux. Mme Le Pen se place en tête dans 32 des 34 communes de cette île qu’elle n’a jamais visitée depuis son accession à la tête du parti d’extrême droite, en 2011.

En contrebas de la crête venteuse de Morne-Acajou, dans le centre-bourg du François, petite ville de 16 000 habitants, la droite populiste avait battu un record au premier tour : le candidat Eric Zemmour avait recueilli 30,3 % des suffrages exprimés – dix fois plus que son score dans l’île – dans le bureau de vote no 3, affecté aux quartiers huppés de Cap-Est et de Frégate. Au second tour, le report de voix s’est effectué à l’avantage de Marine Le Pen. « Notre président est nul ! », s’afflige Faustine en sortant du bâtiment. Cette jeune femme de 23 ans fustige « la gestion de l’immigration et de la crise du Covid » par le gouvernement. Fraîchement rentrée en Martinique après avoir terminé ses études à Paris, celle qui se destine à devenir enseignante « dans le privé hors contrat », dit s’inquiéter également de la montée de l’insécurité dans le pays.

« Nous avons un président qui va malheureusement passer et va mettre des lois qui sont contre notre conscience », s’offusque Brigitte, prédisant la réélection d’Emmanuel Macron. « On avait envie de voter blanc », dit Michel, son époux, venu voter avec elle. Mais, finalement, ce couple de sexagénaires distingués a changé d’avis, notamment en raison de leurs inquiétudes au sujet des questions sociétales : euthanasie, bioéthique, avortement ou encore gestation pour autrui. « On va parler de genre à l’école, c’est du n’importe quoi », s’émeut Brigitte, ancienne directrice d’une école privée. Dans sa commune, Marine Le Pen a recueilli 66 % des voix au second tour, contre 14 % deux semaines auparavant.

Records pulvérisés

Le basculement de Jean-Luc Mélenchon vers Marine Le Pen entre les deux tours de l’élection présidentielle est encore plus spectaculaire en Guadeloupe. Dans cet archipel de 390 000 habitants, le leader de La France insoumise avait obtenu son meilleur score de France, avec 56,16 % des suffrages exprimés. Deux semaines plus tard, c’est la candidate du RN qui y pulvérise tous les records : frôlant la barre des 70 % de voix, elle se place en tête dans 31 des 32 communes du département, dépassant largement son résultat dans son fief du Pas-de-Calais. Le vote Le Pen atteint des pics de 80 % à La Désirade, pittoresque village de pêcheurs de 1 500 âmes situé sur l’île du même nom, et de 78,85 % à Capesterre-Belle-Eau, bourgade agricole de 18 000 habitants au sud de l’île de Basse-Terre.

« J’éprouve de la nausée », se désole Patricia Braflan-Trobo. « Ce qui a gagné en Guadeloupe hier, c’est le complotisme, les “antivax” et l’ivermectine [molécule présentée par certains comme un traitement miracle contre le Covid-19] », ironise cette essayiste et sociologue, qui voit dans ce succès de la députée du Pas-de-Calais « un vote antisystème ». Les Antillais « n’adhèrent pas aux thèses du RN, j’en suis convaincue », abonde Marie-Luce Penchard, vice-présidente (divers droite) du conseil régional de Guadeloupe. « Globalement, le bilan du gouvernement sur nos territoires est bon », juge l’élue, regrettant toutefois des « erreurs stratégiques » et un « manque de compassion » de la part de l’exécutif. « On ne sait plus parler aux Ultramarins », déplore l’ancienne ministre. « Quel gâchis », soupire Mme Penchard.

Voir de plus:

Christophe Guilluy : « Le vote Macron est celui des vieux, des bourgeois de gauche et de droite » 

Christophe Guilluy, théoricien de « la France périphérique », celle qui vote massivement pour Marine Le Pen, analyse pour « Marianne » les résultats de l’élection présidentielle. Qui prouve selon lui que « le diagnostic des gens ordinaires est solide », et qu’ils « n’en démordront pas ».

Etienne Campion

Marianne

11/04/2022

Sa parole est rare. Et son visage moins connu que le concept dont il est le théoricien : « la France périphérique », titre de l’un de ses essais phares. Cette France en voie de déclassement, écartée du processus de développement des grandes métropoles lié à la mondialisation, qui s’affranchit du projet politique des classes supérieures. Un concept désormais accepté de presque tous, depuis qu’élections et autres évènements politiques des dernières années – gilets jaunes en tête – ont démontré sa légitimité. Emmanuel Macron lui-même l’a employé, dans certains de ses discours et son livre Révolution (Xo Éditions, 2016). Sans, pourtant, rassurer cette France qui vote massivement pour Marine le Pen, comme lors du premier tour des élections présidentielles de ce 10 avril. Pour Marianne, Christophe Guilluy livre son analyse sur les résultats de ce dimanche, et sur la pratique du « barrage », qui prouve selon lui que « les élites n’ont plus rien en stock à proposer pour promouvoir leur modèle ».

Marianne : Jean-Luc Mélenchon est arrivé en tête dans de nombreuses métropoles (Montpellier, Rennes, Nantes, Marseille…). Quand on sait qu’Emmanuel Macron était le candidat des « métropoles mondialisées » contre la « France périphérique », cela change-t-il votre analyse sur la question ?

Christophe Guilluy : Il faut analyser l’électorat mélenchoniste pour comprendre. Il est à peu près le même aujourd’hui qu’il y a cinq ans, en réalité. Ses deux assises sont les classes moyennes urbaines et les classes populaires issues des minorités. C’est un vote d’attachement à la gauche, et de volonté que cette dernière survive. Le vote du réflexe, en somme, de la gauche qui ne veut pas mourir. Mais il faut voir que Mélenchon a fait un tel score en siphonnant absolument tout ce qu’il y avait à siphonner chez les autres partis de gauche. Ces 21 %, ce sont bien la gauche, mais la gauche « toute mouillée ».

Il y a eu une surmobilisation en sa faveur des professions intermédiaires, des fonctionnaires des grandes métropoles et de la petite bourgeoisie métropolitaine, certes. Mais je pense donc que c’est un chant du cygne. Car il s’agit d’une construction fragile, un alliage sociologique très complexe à tenir dans le temps, tant il repose sur la force de Mélenchon, et sur sa personnalité. Je crois qu’après lui, tout cela va voler en éclats. Car Mélenchon, malgré son hold-up sur l’électorat de gauche, se retrouve dans un corner à tenter de ressusciter la gauche, au moment où droite et gauche sont des notions dépassées. Les narratifs sur le retour de la gauche, comme celui de la droite et « l’union des droites », ne font rien vibrer dans le cœur de la majorité des gens ordinaires.

Justement, l’électorat de droite, âgé, a déserté la droite pour devenir le socle de l’électorat Macron…

Le vote Macron est désormais le vote des vieux, des bourgeois de gauche et de droite, et plus du tout d’une population « En Marche », dynamique, comme l’a vantée le logiciel macroniste. C’est un paradoxe. C’est, en ce sens, un vote fondamentalement conservateur. Au sens de la conservation d’intérêts de classe et d’un ordre établi. Face à cela, il y a la contestation de la France périphérique, des classes populaires et des professions intermédiaires, mais aussi désormais maintenant de certaines métropoles, avec ce vote pour Jean-Luc Mélenchon.

« La France qui gagne moins de 2 000 euros par mois ne veut plus du modèle économique néolibéral. »

Le point commun de ces contestations est toujours le même, aux accents gilet-jaunesques : la France qui gagne moins de 2 000 euros par mois ne veut plus du modèle économique néolibéral, et renverser la table. Les tentatives de remèdes proposées par le gouvernement ont donné l’impression que les révoltes avaient disparu. Mais nous assistons toujours à la révolte des premiers de cordée qu’on a encensés pendant la crise sanitaire, et des gilets jaunes. Car rien n’a disparu depuis, précisément, les gilets jaunes. Le diagnostic des gens ordinaires est solide, bétonné, et ils n’en démordront pas. En face il y a un électorat liquide, flottant, dont la stratégie électorale de marketing consiste à convaincre des segments de la société qui ont intérêt à la garantie de l’ordre établi. Aujourd’hui, ce sont les grands bataillons de retraités, et pas du tout les forces vives de la société.

Vous parlez d’une bataille de représentation, verrouillée par en haut, au profit du haut…

Il faut sortir du discours de folklorisation des classes populaires tenu par les gens d’en haut de façon parfois méprisante (« ils font des barbecues et roulent au diesel », en gros) pour comprendre qu’est réel le problème de pouvoir d’achat, chez les gens qui gagnent moins de 2 000 euros par mois. Nous avons affaire à un double mouvement, existentiel et social, des classes populaires dans les démocraties occidentales. Ce mouvement est historique, général, et il ne s’arrêtera pas. Par lui, les classes populaires exercent des coups de butoir : gilets jaunes, votes populistes, etc . Et ses coups de butoir ne vont pas s’arrêter, pour la bonne et simple raison que cette majorité a besoin de vivre.

On peut dire à l’infini que la représentation métropoles/France périphérique n’existe pas, que « c’est plus compliqué que cela », qu’il n’y a pas de conflit de classes… Il demeure que le vote des Français rappelle brutalement la réalité sociale tous les cinq ans. Et tous les cinq ans, le narratif d’en haut implose.

Emmanuel Macron n’a donc pas réglé les problèmes de la « France périphérique »…

Non, contrairement à l’idée que les problèmes auraient été réglés suite aux dépenses publiques après les gilets jaunes et le Covid. Elles ont donné lieu à une sorte de théorie du ruissellement, appliquée aux territoires. Sauf que la question n’est pas celle d’une dépense ponctuelle, mais du modèle économique et social défendu. Et employer la formule « France périphérique » et dire quelques banalités sur les aspects délétères des métropoles, ce n’est pas changer de modèle.

Le même trio de tête qu’en 2017 arrive sur la ligne d’arrivée. Est-ce étonnant ?

Non c’est logique, car, sur le fond, rien n’a changé et n’a été fait. Tous les problèmes sont donc toujours sur la table. La seule vraie question qui vaille est : que s’est-il passé pour que la Macronie et une partie des commentateurs médiatiques aient pu nous faire croire que, finalement, le mouvement des gilets jaunes n’était pas si important, et que la contestation populaire n’existait pas vraiment ?

« Si Marine Le Pen atteint 40 %, ce sera réellement un choc politique majeur. Pourquoi ? Parce que cela signifie qu’une grande partie des Français est prête à voter avec un bulletin moralement inacceptable pour changer les choses. »

La France périphérique ne veut pas qu’on parle d’elle une fois par an, elle veut être au centre des représentations. Elle veut que cela se sache : « On est perdants ! Et nous ne voulons pas être à la périphérie culturelle et économique du pays, nous voulons être au centre ! ». D’ailleurs, il est intéressant de constater que les partis politiques qui n’ont pas pris en compte sa voix – LR et PS – le payent électoralement.

Sur l’analyse géographique nationale, les grosses zones de vote en faveur d’Emmanuel Macron sont dans l’Ouest, et notamment en Bretagne.

Les fondamentaux pour comprendre sont : moins de classe ouvrière, fonction publique très importante, immigration moins importante. Il y a un décalage dans le temps avec les autres régions, mais les dynamiques sont les mêmes qu’avec le reste de la France. Quand on regarde les cartes, il ne faut pas les regarder nationalement, mais voir à l’intérieur de la Bretagne, par exemple. La Bretagne intérieure ne vote pas pareil que dans les grandes villes. Même résultat dans le Sud-Ouest : la Gironde périphérique ne vote pas comme à Bordeaux.

Concernant la pratique du « barrage », vous avez théorisé l’ « antifascisme de classe ». L’idée que la fascisation du comportement politique des classes populaires sert à conserver l’ordre établi. Celui-ci peut-il toujours fonctionner ?

Il fonctionne de moins en moins, à la marge. Et c’est tout de même très compliqué de faire campagne quand on a 100 % des médias contre soi. Si Marine Le Pen atteint 40 %, ce sera réellement un choc politique majeur. Pourquoi ? Parce que cela signifie qu’une grande partie des Français est prête à voter avec un bulletin moralement inacceptable pour changer les choses. Que les Français sont prêts à tout pour dire qu’ils existent. Cela en dit long sur le niveau de ressentiment.

Cette pratique du barrage prouve aussi que les élites n’ont plus rien en stock à proposer pour promouvoir leur modèle. Nous allons assister à une ethnicisation de la campagne, et il sera d’ailleurs intéressant de voir ce qui va se passer dans les DOM-TOM. Si réellement c’est l’extrême droite, cela veut-il dire qu’il y aurait presque 50 % de néonazis en France ?

D’autant plus que cela se fait sur fond de défense de son petit patrimoine. Ce qui est ironique tant on fait porter aux classes populaires l’idée qu’elles seraient matérialistes, portées sur la société de consommation. Alors que la réalité, c’est que la bourgeoisie métropolitaine est dans un nihilisme consumériste complètement dépolitisée. Et que c’est le vote de classe Macron qui est un réflexe matérialiste par excellence.

Voir encore:

Pierre Brochand (ex-DGSE): « Nous subissons une immigration sans précédent »

Eugénie Bastié

Le Figaro

24/03/2022

ENTRETIEN EXCLUSIF – L’immigration de masse que vit la France depuis des décennies a créé des groupes culturels distincts dans notre pays, estime Pierre Brochand. Il juge que l’Europe est la seule partie du monde à nier l’importance de l’homogénéité culturelle, et plaide pour un changement de cap complet de nos politiques publiques.

Pierre Brochand a été directeur général de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) de 2002 à 2008, ainsi qu’ambassadeur de France, notamment, en Hongrie et en Israël. Il est intervenu lors d’un colloque de la Fonation Res Publica sur le thème: «Pour une véritable politique de l’immigration».

LE FIGARO.- A l’automne dernier, l’immigration semblait prendre une place centrale dans la campagne présidentielle. Le sujet est aujourd’hui éclipsé par la guerre en Ukraine et le pouvoir d’achat. Pourquoi selon vous ce thème de l’immigration avait-il réussi à se frayer un passage dans le débat?

Pierre BROCHAND.- Il est vrai que, pendant quelques mois, à la fin de l’année dernière, on a davantage «parlé» d’immigration. A mon sens, pour deux raisons. D’une part, le temps passant et le phénomène s’amplifiant, il s’est avéré de plus en plus difficile – selon la formule de Péguy, désormais consacrée – d’empêcher les Français de «voir ce qu’ils voient». D’autre part, une personnalité de rupture a brusquement surgi dans le champ convenu de la politique pour les inciter à ouvrir leurs yeux.

Pour autant, les choses n’ont pas tardé à «rentrer dans l’ordre» et tout indique qu’une fois encore, l’immigration ne tiendra pas, dans la campagne actuelle, une place à la hauteur des enjeux qu’elle porte. Dans un premier temps, les pratiques coutumières de diversion ont fait florès. La principale a consisté en la mise en avant systématique d’inquiétudes présentées comme concurrentes: le «pouvoir d’achat», la crise sanitaire, le changement climatique. Aujourd’hui, la guerre à l’Est a pris le relais. Non que ces préoccupations soient infondées, loin s’en faut, mais le fait de les opposer les unes aux autres, à coup de sondages, au sein d’une seule et même échelle de valeurs, de priorités et de temporalités, comme si elles étaient commensurables entre elles, s’apparente, je le redoute, à une énième façon de «noyer le poisson».

D’ailleurs, même lorsque, presque par hasard, le sujet est mis sur la table, tous les moyens sont bons pour l’escamoter à nouveau, soit en le détournant vers des impasses sémantiques (le «Grand Remplacement»), soit en accolant à ses promoteurs les étiquettes disqualifiantes habituelles, soit en reprenant les mêmes artifices éculés (accent mis sur les courants [d’immigration] «illégaux»).

Or, pour ma part, vous le savez, je tiens le type d’immigration, que nous subissons depuis un demi-siècle, pour un événement hors catégorie, sans précédent dans notre Histoire. Et, très honnêtement, j’avoue ne pas comprendre comment des esprits libres et éclairés peuvent encore sous-estimer sa gravité.

Pourquoi cet enjeu est-il, à vos yeux, particulièrement grave?

Il suffit pourtant d’en énumérer froidement les caractéristiques, pour mesurer l’impact de ce qui nous arrive: volume massif des flux, vocation de peuplement, absence de régulation politique et économique, majorité de civilisation extra-européenne et musulmane, esprit de revanche post-colonial, réticence à la mixité, préférence pour l’endogamie, cristallisation en diasporas, taux de fécondité supérieur à celui du peuple d’accueil, et surtout – novation inouïe – évolution non-convergente au fil des générations.

A mes yeux, ce bouleversement progressif de la population française, s’il n’est pas l’unique défi auxquels nous sommes confrontés, est le seul qui menace directement la paix civile sur notre territoire.

Vous avez été ambassadeur, puis directeur général de la DGSE. Comment avez-vous été amené à formuler un jugement aussi sévère sur la question de l’immigration?

J’ai entièrement consacré ma vie à l’étranger. Ce qui me vaudra, je l’espère, l’indulgence du jury et, notamment, d’échapper à l’accusation – classique mais rédhibitoire – de «repli frileux sur un hexagone rabougri». D’abord, je rappelle que, dans l’exercice des deux métiers que vous avez cités, le déni du réel et son corollaire, le «wishful thinking», constituent des fautes lourdes, de nature à se voir montrer la sortie. Si, donc, je mets les «pieds dans le plat», c’est au nom de ces décennies d’expérience, qui m’ont appris à lire le monde tel qu’il est, et maintenant qu’il est entré chez nous, à regarder mon pays tel qu’il devient. Et, à ce titre, je crains de devoir tempérer quelque peu les nouvelles rassurantes, que l’on nous sert, à longueur de journée, sur la généralité humaine.

En effet, au contact des milliers d’étrangers que j’ai côtoyés, j’ai pu vérifier la validité lancinante de constats, autrefois banals, aujourd’hui tabous. A savoir que, si la nature nous réunit, la culture impose entre les groupes que nous formons, une distance qui peut aller jusqu’à exclure leur cohabitation. De même, passée une masse critique, les interactions individuelles – jamais irréparables – cèdent la place à des forces collectives, qui n’obéissent en rien aux mêmes lois. Soit un effet de seuil, qui commande, entre autres, l’acculturation: possible en deçà, irréalisable au-delà. Si bien que ce que l’on dénonce avec horreur sous le nom d’amalgame n’est, au fond, que l’observation d’un fait, déterminé par le nombre.

De sorte que le monde que dessinent ces «collectivités en action» n’est ni plaisant, ni souriant. D’un côté, ne nous le cachons pas, nul sentiment n’y est plus répandu que la xénophobie, en particulier au sein des pays dont nous recevons les immigrants. D’un autre côté, toutes – je dis bien toutes – les sociétés «multi» sont vouées à des déchirements plus ou moins profonds. Et dans ce cadre, il arrive que les minorités soient violentes et gagnantes, les majorités placides et perdantes, voire que les victimes n’en soient pas, car responsables de leurs malheurs.

Enfin, il faut admettre que l’Occident, dont la France ne saurait s’exclure, est une exception, dont la domination écrasante sur les affaires de la planète – couronnée par la Globalisation – a partout semé envie et ressentiment.

Dans ce contexte, l’islam, entré en ébullition en réaction à cet ultime avatar de notre suprématie, est devenu le porte-drapeau des «humiliés et offensés», l’emblème du refus, voire du rejet, de ce que nous sommes, alors que la Chine et l’Asie, pareillement outragées, choisissaient de nous défier sur notre créneau de la compétition économique: le fait que l’arc musulman ne compte aucune démocratie mais concentre au moins 80 % des crises «chaudes» de la planète, le fait aussi que ses formes de contestation (jihadisme, salafisme, islamisme) se retrouvent à l’identique sur notre sol, en disent long sur l’insatisfaction d’un acteur historique de première grandeur, à la fois dynamique et rétrograde, dont il est clair qu’après des siècles d’absence, il a repris – via l’immigration – sa marche en avant sur la rive nord de la Méditerranée.

Dernier enseignement, franco-français celui-ci: en conversant avec nombre de personnalités politiques dans la quiétude des salons d’ambassade, j’ai pu mesurer le fossé qui séparait leurs propos publics des jugements, moins amènes, qu’ils émettaient en privé, sur les effets de l’immigration dans leurs fiefs électoraux.

Quelles conclusions en tirez-vous?

La première est que, si la coopération entre les civilisations est désirable, elle reste moins probable que leur rivalité, proportionnelle à leurs disparités culturelles, imbrications territoriales et conflits antérieurs. La deuxième est qu’il n’y a aucune raison que les désastres observés ailleurs ne se reproduisent pas chez nous, pour peu que les mêmes ingrédients y soient réunis: ne nous prétendons pas plus intelligents que les Libanais ou les Yougoslaves. La troisième est qu’il vaut mieux prévoir le pire pour avoir une chance de le prévenir et qu’au fond telle est la fonction du régalien, auquel j’ai consacré ma vie.

J’en ai conclu que, derrière la générosité des discours, personne ici-bas ne faisait de cadeau à personne, qu’en conséquence l’émotion et la compassion n’étaient pas les plus fiables des outils d’analyse, que les conseilleurs – fussent-ils le New York Times ou d’honorables ONG – n’étaient pas les payeurs et que, si nos dirigeants renonçaient à défendre nos intérêts vitaux, sur notre propre territoire, personne ne le ferait à leur place.

C’est ce corpus ultra-réaliste et, je le reconnais, désenchanté – mais, vous en conviendrez, pas vraiment réfuté par les événements du moment -, qui a servi de trame à mes réflexions, non sur l’immigration en général, inévitable et parfois souhaitable, mais sur le ressac des vagues «anormales» qui s’abattent sur nous depuis les années 70 et dont seuls des rêveurs ou des hypocrites peuvent tirer un bilan «globalement positif».

Plusieurs candidats à la présidentielle ont avancé des solutions pour maîtriser les flux migratoires. Celles-ci sont-elles satisfaisantes?

Nous n’avons d’autre choix, si nous voulons vraiment reprendre le contrôle de notre démographie, que d’opérer un renversement de cap à 180 degrés, c’est à dire envoyer le message, urbi et orbi, «loud and clear», que la France ne sera plus, pour l’avenir prévisible, une terre d’accueil. Ce qui suppose une approche globale du problème et une intransigeance de tous les instants pour la mettre en oeuvre.

Toute émigration est, en effet, activée, à la fois, par un facteur «push» (qui incite à quitter le pays d’origine) et un facteur «pull» (qui attire vers le pays de destination). N’ayant guère le moyen d’agir sur le premier – l’invocation rituelle du «co-développement» ne dupant plus personne -, nous n’avons d’autre solution que de réduire notre attractivité à zéro.

Je ne perçois pas, chez nos néophytes – et, soit dit en passant, encore moins chez le Président-candidat, pour qui l’immigration reste un angle mort – la féroce inflexibilité qu’appelle l’urgence absolue. Sans compter le colossal travail de «rétropédalage» historique, qu’exige la restauration du «pouvoir de faire et d’empêcher» de l’Etat National, aux lieux et place du «laissez aller, laissez passer», que nous proposent la Société des Individus et son extension européenne.

Il serait donc, selon vous, trop tard?

En tous cas, il est bien tard. Car voyons les choses en face. Nous avons désormais affaire non plus à des individus dispersés, soit autant de «cas particuliers», en quête chacun d’avenir meilleur, mais à des «diasporas», c’est à dire des réalités collectives, solidement ancrées dans notre sol, fermement décidées à y persévérer dans leur être et dont la dynamique holiste dépasse et emporte la destinée particulière de leurs membres. Pour moi, c’est une circonstance a priori banale – la rencontre de football France-Algérie en 2001, déjà bien oubliée – qui a marqué symboliquement ce basculement.

Pour être plus explicite, une «diaspora» est une entité, formée d’immigrés et de leurs descendants – y compris, fait capital, de nationalité française -, dont les effectifs, regroupés dans l’espace, atteignent une masse critique suffisante pour que la pression sociale y favorise la pérennisation des croyances et modes de vie des pays d’origine, avec lesquels les relations demeurent intenses: ainsi se forment spontanément des enclaves étrangères, plus ou moins fermées, tournant le dos au pays d’accueil et à ses mœurs.

Maintenant que ces noyaux durs sont fermement incrustés, il est bien naïf de croire que les clivages qu’ils portent comme la nuée l’orage, soient exclusivement de nature économique et, donc, solubles dans la quantité. En fait, ces différences sont, d’abord et surtout, de type qualitatif, donc a priori non négociables. Elles recoupent même très exactement les conflits indécidables qui ont causé nos pires malheurs dans le passé: le dissentiment religieux (en l’occurrence, celui, millénaire, entre l’islam et le christianisme, de part et d’autre de la Méditerranée), l’antagonisme colonial (autrement dit, la guerre des mémoires, pas davantage monnayable que celle des croyances), le prisme racial (qui tend insidieusement à rapprocher le statut de nos immigrés de celui des descendants d’esclaves noirs américains, avec les mêmes effets calamiteux qu’outre-Atlantique).

Ne nous cachons pas la vérité. Un tel triptyque est voué à provoquer des enchaînements quasi-mécaniques, dont nous voyons poindre les prémices, ainsi que je l’ai déjà indiqué: progression accélérée de la défiance sociale, séparation des ethnies (preuve par neuf de la faillite du «multi»), rivalité pour le contrôle des enclaves (en parodie des guerres coloniales), propension multiforme à la violence.

Oui, il est très tard. Si l’on veut éviter qu’il ne soit trop tard, écoutons Monsieur de La Palice, quand il nous rappelle qu’il n’est pas d’effets sans causes et que, pour contrecarrer les premiers, il faut au minimum commencer par s’attaquer aux secondes.

Cet hiver à la frontière polonaise se pressaient des migrants d’origine syrienne envoyés par la Biélorusse pour faire pression sur l’Union européenne. Ce printemps, ce sont des réfugiés ukrainiens fuyant les bombes russes qui se sont rués vers les frontières européennes. Que vous inspirent ces deux évènements?

Ce qui s’est passé à la frontière polonaise, au cours des derniers six mois, illustre la complexité et la variété des problèmes que posent les flux de population aujourd’hui. Nous avons à faire, en effet, à deux cas de figure diamétralement opposés, qui ne nous concerneraient qu’indirectement, s’ils ne mettaient, une nouvelle fois, en cause l’Union Européenne.

Au cours du premier épisode, les migrants ont été l’objet d’une lutte entre États, donc sans rapport avec les flux auto-générés d’outre-Méditerranée, auxquels nous sommes abonnés. En l’occurrence, ils ont été le jouet des relations entre la Russie, la Biélorussie et la Pologne, pimentés d’un zeste d’activisme ottoman, l’Union européenne ne faisant que réagir à ces interactions. Ce qui est clair, néanmoins, à la lumière de cet exemple, c’est que l’émigration vers notre continent est aussi devenue une arme de guerre contre lui, aux mains d’Etats qui la manipulent au gré de leurs intérêts. La Turquie est passée maître dans cet art du chantage, mais d’autres (les milices libyennes, le Maroc) s’y emploient à l’occasion, tout comme, donc, en dernier lieu, la Biélorussie.

L’émigration vers notre continent est aussi devenue une arme de guerre contre lui, aux mains d’Etats qui la manipulent au gré de leurs intérêts.

Ce à quoi nous assistons depuis l’invasion de l’Ukraine, est un phénomène radicalement différent. Il s’agit là d’un afflux massif, non pas d’immigrés, ni de migrants, mais d’authentiques réfugiés de guerre, principalement de femmes, d’enfants et de vieillards, dont l’intention, semble-t-il très majoritaire, est de ne pas s’installer définitivement dans les pays qui les accueillent.

Néanmoins, ces deux séries d’évènements ont en commun de se dérouler aux pseudo-frontières de l’Union Européenne, laquelle est devenue la cible privilégiée des mouvements de population, pour deux raisons: d’abord, à l’évidence, du fait de son haut niveau de revenus, mais aussi parce que les sociétés qui la composent vivent toutes, désormais, sous le régime de la «Société des Individus».

Qu’est-ce que cette société des individus, et en quoi est-elle selon vous une particularité européenne?

La Société des Individus présente, entre autres, deux caractéristiques. D’une part, elle fait de chaque être humain vivant, quelle que soit son origine et sa nationalité, européen ou non, l’ultime décideur de son sort, à commencer par le choix de ses déplacements et lieux d’existence, au sein d’un espace mondial indifférencié. D’autre part, en se prétendant la pointe avancée d’une émancipation humaine, gouvernée par les lois de la dialectique, elle est amenée à condamner le modèle immédiatement antérieur de l’Etat National, symbole et gardien de son antithèse, à savoir un espace cloisonné par le politique.

Aussi cette configuration est-elle spontanément «immigrationiste». En premier lieu, parce que, se voulant universaliste, elle répugne à faire la différence entre l’autochtone et l’étranger, et, par extension, à admettre l’existence de limites entre un dedans et un dehors. En deuxième lieu, parce que, logiquement, elle n’interprète la matière sociale que comme une somme de relations interpersonnelles, de «cas particuliers» et de «faits divers» sans liens entre eux, ce qui réduit, de fait, la sphère du collectif aux registres folkloriques du divertissement et de l’art culinaire, et plus généralement du «tourisme», comme Nietzsche l’avait si génialement entrevu. Enfin, parce que, je l’ai dit, tout en érigeant le rempart de l’Etat National en contre-modèle, la Société des Individus porte un regard paradoxalement indulgent sur l’antépénultième strate des Communautés Naturelles, dans la mesure où, prééminente chez les immigrés, celle-ci est considérée comme la victime historique dudit État dans sa version «coloniale», lequel se retrouve pris en sandwich par cet improbable duo.

Or, la superstructure bruxelloise, loin de contredire ce schéma, en est devenu l’accomplissement le plus pur, transformant notre «petit cap» de l’Asie en zone -unique au monde- d’aplatissement étatique, d’auto-désarmement politique et d’effacement frontalier. Soit ce que l’on appelle l’espace Schengen, perméable à tous les courants, alors même que la géographie l’encercle d’étendues turbulentes et vengeresses, ainsi que d’entités rapaces, prêtes à tout pour exploiter ses faiblesses.

Comme si la maîtrise de l’immigration contemporaine n’était pas, en elle-même, une tâche herculéenne, nous l’avons entravée, compliquée et envenimée à plaisir, en plaquant, sur la couche des Etats, rendus à l’impuissance, un dispositif «accélérationniste». Pire, nos dirigeants semblent attendre de ce dispositif qu’il joue le rôle d’un filtre, alors qu’il a été précisément conçu, calibré et programmé pour l’inverse. Cet entêtement à creuser davantage, afin de sortir d’un trou où l’on s’est soi-même enfoui, serait comique, si les conséquences n’en étaient dramatiques.

Vous dites que la société des individus, qui se veut ouverte, est paradoxalement celle qui a le plus besoin de fermeture. Pouvez-vous expliquer ce paradoxe?

Ce n’est là qu’une des très nombreuses contradictions de notre société, qui en font, à bien des égards, un voyage en Absurdistan.

En effet, nous ne nous interrogerons jamais assez, non seulement sur la radicale nouveauté de la Société des Individus, mais aussi sur l’arrogance de son ambition, qui prétend transférer la souveraineté – le pouvoir du «dernier mot» – aux milliards d’individus vivant sur la planète à un instant donné, chacun d’eux étant sommé de «choisir» sa vie, que cela lui plaise ou non. Le tout en jetant un voile pudique sur l’appartenance à des groupes circonscrits, en rivalité (ou en coopération) pour leur survie, leur indépendance et leur puissance. En d’autres termes, un modèle qui refuse de faire la différence entre les aspirations du comptable suédois et du guerrier pachtoun, du geek californien et du berger sahélien, du paysan béarnais et du jeune «harrag» algérien, comme si tous étaient interchangeables et disposés à jouer le même jeu.

Il va de soi que ce paradigme est frappé, d’emblée, d’une vulnérabilité à la mesure de son irréalité.

En effet, même pour les tenants du système, la marge de viabilité est étroite: leur comportement ne doit à aucun prix sortir du couloir exigu défini par «l’Etat de droit», autrement dit le «politiquement correct», mais sans y être contraint par la coercition. En pratique, il s’agit pour eux, d’une part, de souscrire inconditionnellement à des valeurs «enveloppes» (tolérance, transparence, «respect») et, d’autre part, de participer à des mécanismes de conciliation de leurs «contenus» (marché, contrat, communication). A cette «ceinture» officielle, s’ajoutent les «bretelles» officieuses, plus sûres, d’un verrouillage par l’affect: d’un côté, la culpabilité (seconde guerre mondiale, colonisation, climat), de l’autre, la peur (là encore le climat, la sécurité sanitaire, la «guerre à nos portes»). Enfin, dernier rebouclage, on place le système sous le magistère moral et la surveillance active des juges et des media, devenus les chiens de garde d’un ordre social et «moral», prétendument horizontal. En bref, au nom même de leur liberté, et pour ne pas basculer dans l’anarchie qui les guette, les convaincus de la Société des Individus se doivent d’observer une discipline de tous les instants, à base de travail sur soi, d’auto-censure et d’intériorisation des interdits. Pour délivrer leurs corps, il leur faut accepter d’enfermer leurs esprit, sauf à «déraper» hors du corridor, véritable catastrophe qui met en péril tout l’édifice.

On aura compris que ce modèle est réservé à une catégorie restreinte, celle du «Gentil Bobo», petit bourgeois des métropoles et de la «nouvelle ruralité», qui réussit à cumuler tout à la fois un conformisme cool, un haut degré d’ignorance ou de lassitude historique, le refus unilatéral de la culture de l’honneur, la disposition à tendre l’autre joue, la pratique généralisée de l’euphémisme, en un mot la bienveillance et la non-violence de principe envers l’Autre (aussi longtemps que les enfants de celui-ci ne fréquentent pas la même école que les siens).

Or, nous sommes là en présence d’une «espèce à protéger», tellement antinomique de tout ce que l’espèce humaine a produit jusqu’ici, qu’elle ne peut survivre et prospérer que dans l’enceinte d’une sorte de zoo, coupé de tout ce qui ne lui ressemble pas. Pour faire court, une société «ouverte» qui a besoin d’être «fermée» pour rester «ouverte»: la quadrature du cercle.

Nous sommes les seuls à avoir ce modèle?

En effet, cette approche angélique ne se rencontre nulle part ailleurs qu’en Occident, lequel n’y est parvenu qu’à la suite d’un long cheminement solitaire. De notre point de vue, ce périple modernisateur a vu se succéder, je l’ai dit, les Communautés Naturelles (présentes partout), l’Etat National Moderne (première de nos inventions, répandue par la colonisation), enfin la Société des Individus (zénith de l’occidentalisation, diffusé par la Globalisation).

De fait, cette utopie est encore largement minoritaire, non seulement au loin de nos frontières, mais aussi – ce qui est plus grave – à l’intérieur. Toujours en résumant beaucoup, on peut avancer que les immigrants ont massivement réimplanté sur notre sol les Communautés Naturelles, tandis que l’imaginaire des Français, autochtones et assimilés, reste profondément attaché à l’Etat National. D’où un espace au minimum tripartite, mais en pratique infiniment plus fragmenté, où l’oligarchie qui se donne le monde pour horizon et l’Humanité pour boussole, entend formater les mentalités sans y parvenir vraiment: celles-ci, même fortement perfusées par les séductions de l’individualisme, lui résistent encore au nom de la «persistance des agrégats» et de «l’inertie des affections».

Donc, c’est vrai, nous vivons dans une sorte de magasin de porcelaine, où se meuvent, avec des docilités inégales, ces vieux éléphants remuants que sont les nostalgies nationales et communautaires. Ou, si vous préférez, la Société des individus est tellement «en avance» par rapport au ressenti de la majorité de la population, qu’elle flirte en permanence avec le chaos et, à la limite, la «guerre de tous contre tous». Sans autre filet de sécurité que l’espoir de voir le virus du narcissisme finir par pénétrer suffisamment les cerveaux, pour qu’ils perdent à jamais l’idée saugrenue de fomenter des projets alternatifs.

La crise du Covid a été l’occasion d’un retour du «politique» sur l’ ««économique» dans les démocraties libérales. Celui-ci peut-il selon vous s’avérer pérenne, et permettre de reprendre à bras-le corps les sujets régaliens comme la maitrise de nos frontières?

Il est exact que la crise du Covid aurait pu être l’occasion théorique d’un «retour» du politique, sous un régime qui a renié sa légitimité, au point d’en oublier l’existence. On aurait, d’ailleurs, pu en attendre autant du terrorisme de masse et, maintenant, de l’invasion de l’Ukraine (quoique à un degré moindre, n’y étant pas en première ligne). De même, l’immigration aurait pu et dû offrir un champ privilégié à un telle remise en question.

Au fond, qu’est-ce que le Politique? Beaucoup d’autres avant moi, infiniment plus qualifiés, se sont risqués à répondre à la question. Pour ma part, je le définirai comme l’activité qui vise à assurer la pérennité des groupes humains. Il est donc inséparable d’une aventure collective, située dans l’espace et dans le temps, dont il assume la responsabilité de la continuité. Dans notre sphère de civilisation, ce projet collectif a fini par se confondre avec l’Etat National. Par temps calme, le Politique ne fait qu’affleurer en surface. Il n’émerge en pleine lumière, dans toute sa singularité, que lorsque la tempête se lève et que la mort redevient l’enjeu déterminant. Ou encore, selon Carl Schmitt, quand l’on est obligé de distinguer entre l’ami et l’ennemi. Dans ces circonstances, foin de tergiversations, il devient impératif de prendre des décisions tranchées, c’est à dire non-juridiques, discrétionnaires et souvent négatives, la plus haute manifestation du politique étant, à mes yeux, de dire non à la facilité. La Raison et le Secret d’Etat deviennent alors des armes justifiables, dussent la morale et le sentiment en souffrir.

On voit par là en quoi notre Société des Individus, en prenant le contrepied de l’Etat National, se révèle anti-politique par essence, puisqu’elle contredit tout ce que je viens d’énoncer: les appartenances, la verticalité, le discrétionnaire, et même l’éventualité de la mort, considérée comme un scandale, dès lors que, pour l’individu isolé, «né orphelin, mort célibataire», la vie est une occasion unique à prolonger le plus longtemps possible.

C’est dans ce contexte que nous est «tombée dessus» l’épidémie. En fait, ce que vous appelez le retour du politique nous a été imposé par les évènements, sans qu’il y ait eu, au départ, la moindre volonté de nos dirigeants de remonter le cours du temps.

Plongés dans cette situation, ces mêmes dirigeants, mais aussi, avec eux, beaucoup de nos compatriotes, se sont retrouvés comme une poule devant un couteau: les premiers avaient perdu jusqu’au souvenir du commandement, les seconds de l’obéissance. Il s’en est suivi une grande désorientation de la société, prise au dépourvu par ce «flash-back» inattendu. D’où une invraisemblable série de pataquès: d’un côté, un pouvoir, qui, loin de retrouver une authentique inspiration politique, s’est abrité derrière son contraire, id est la tyrannie des experts, et, de l’autre, une opinion tourneboulée, où les habituels défenseurs de la loi et l’ordre se sont révélés les plus insoumis des individus.

En bref, une expérience peu concluante, pleine d’impréparation et d’improvisation, qui a confirmé la fameuse expression de Marx, selon laquelle les évènements, d’abord vécus en tragédie, se répètent en farce, ou le non moins célèbre aphorisme d’Héraclite, qui veut que l’on ne se baigne jamais deux fois dans la même eau d’un fleuve.

Êtes-vous optimiste?

Si je refuse de perdre espoir, je ne nourris pas non plus d’illusions excessives quant à la possibilité d’une reprise en mains «politique» des courants d’immigration. Quand on constate que le programme de l’actuel chef de l’Etat, candidat à sa réélection, continue d’ignorer superbement le sujet, on se prend à réfléchir sur ce que l’Histoire peut comporter d’inéluctable et d’irréversible, même si, ce faisant, elle nous conduit droit vers les plus grands des malheurs. Pour conclure, tout en essayant d’éviter la paranoïa, j’avoue sans ambages être obsédé par la menace que l’immigration, telle que nous la connaissons, fait peser sur l’avenir de notre pays. Si rien n’est décidé pour la réduire à sa plus simple expression, toute mes expériences accumulées me font prévoir un futur sombre, et même très sombre, pour nos enfants et petits-enfants. Au mieux, s’achemineront-ils vers un effondrement insoupçonné de leur qualité de vie (l’implosion) ; au pire, c’est vers de terribles affrontements que nous les dirigeons (l’explosion). Le plus probable étant une combinaison des deux, dans une confusion croissante.

Tous nos gouvernants sans exception, mais aussi beaucoup de nos compatriotes, ont préféré regarder ailleurs. Les premiers par lâcheté, puisqu’ils n’en pensaient pas moins. Les seconds par naïveté, insouciance ou idéologie. Ce comportement d’autruche m’angoisse encore davantage qu’il ne m’exaspère. Pour nos jeunes, intellectuellement désarmés par la scolarité compatissante qui leur a été servie, les réveils risquent d’être terriblement difficiles. Mais, alors, quelle responsabilité pour tous ceux qui, bien qu’ayant eu la possibilité de l’empêcher, auront laissé s’installer cette bombe à mèche lente et ne seront plus là pour en subir la déflagration.

COMPLEMENT:

Christophe Guilluy, Brice Teinturier… Ils analysent la sécession des classes populaires 

Cocooning et renoncement, un cocktail à trois ingrédients : la désindustrialisation, synonyme de décrochage économique, l’impuissance des politiques à agir sur le réel, et la pandémie, cause de « distance sociale ». Ensuite, à chacun son dosage.

Propos recueillis par Emmanuel Lévy , Kévin Boucaud-Victoire et Soazig QuéménerMarianne

27/11/2022

Brice Teinturier, politologue, directeur général d’Ipsos

« Dans un livre*, en 2017, j’appelais les « Plus rien à faire, plus rien à foutre » (Praf) les Français passés de déception en déception et habités par une forme de dégoût ou, du moins, de détachement grandissant à l’égard de la politique. C’était un ensemble interclassiste, avec une petite surreprésentation des milieux populaires. Je faisais la distinction entre cette catégorie-là et les coléreux que l’on retrouvait au RN ou à LFI. Parce que quand vous êtes en colère, dans la protestation, vous êtes encore en relation avec le collectif. Et j’indiquais à quel point l’enjeu d’une campagne électorale est de faire revenir des Praf. Cela vaut plus que jamais en 2022. L’évidence, c’est que ce groupe des Praf a grossi en cinq ans. Il suffit de voir les taux d’abstention colossaux qu’on a eus aux municipales et aux régionales, ce n’était pas lié uniquement au Covid.

D’ailleurs, dès 2017, on avait enregistré une abstention forte à la présidentielle (22 %) et record (plus de 50 %) aux législatives : ce n’était pas dû à un simple effet institutionnel ! Les Français se disent beaucoup moins en colère qu’auparavant. En revanche, ils se laissent gagner par une forme de lassitude, de résignation, même. Et ce n’est pas uniquement une conséquence du Covid ! Au contraire, les études le montrent, la pandémie a redonné conscience aux Français qu’il était utile que des gens prennent des décisions pour les protéger. Non, cette crise démocratique est bien plus grave, et le vrai danger, plus que jamais, c’est le détachement. »

* « Plus rien à faire, plus rien à foutre. La vraie crise de la démocratie », Robert Laffont, 2017.

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« Une névrotique « quête de soi » »

Vincent Cocquebert, journaliste

« Plusieurs raisons expliquent cette tendance lourde au repli sur soi. Les premières manifestations de ce phénomène ont été observées dès la fin des années 1980, surtout chez les classes populaires, qui, conscientes qu’elles n’avaient que peu de cartes à jouer dans cette décennie aussi bling-bling que performative, ont opéré un retour vers le foyer. C’est le début du fantasme du petit pavillon, de la cabane au fond du jardin, du marché de la déco et du jardinage. Ensuite, via la numérisation du monde, cette tendance a fini par s’élargir aux classes sociales plus favorisées, qui peuvent aujourd’hui domicilier presque l’entièreté de leur existence (consommation, culture, loisirs, travail, séduction).

Un fantasme de sécession domestique auquel la pandémie a offert une formidable justification sanitaire, mais qui a révélé, notamment avec la quasi-désertion des espaces culturels ou festifs depuis leur réouverture, la sacralisation des proches, l’usure des relations sociales et la défiance grandissante envers autrui. Comment sortir de cette posture de repli physique et psychique ? Peut-être en comprenant qu’une vie consacrée à la quête de confort et de bien-être n’est pas un but en soi. Que la santé, aussi importante soit-elle, a tendance à dangereusement prendre la place du salut. En cessant de nous perdre dans une névrotique « quête de soi » pour se frotter à l’altérité et regagner en empathie. Et, enfin, en intégrant que nous réfugier dans nos safe spaces dans une dynamique du « tous aux abris » est sans doute le meilleur moyen de laisser s’écrouler le monde commun. »

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« Une technologie numérique amoindrissante de la vie »

Éric Sadin, philosophe

« En 1987 apparaît le terme de « cocooning », qui désignait une tendance à se lover dans son confort domestique. Ce, au moment où les effets du tournant libéral se faisaient sentir, voyant la généralisation de méthodes de management implacables, la célébration de la performance et de la réussite individuelle. Chacun, dans ce monde glacial, étant comme renvoyé à soi-même. L’habitat faisant alors office d’abri réconfortant, de consolation douillette. Depuis vingt ans, les technologies numériques assurent cette dimension cathartique, donnant l’illusion aux individus d’être davantage agissants.

Récemment, la crise du Covid a réduit le domicile à un lieu de retranchement au sein duquel nombre d’actions s’effectuent en ligne… L’écran s’érigeant dorénavant comme l’instance d’interférence majeure entre les êtres. C’est comme si la société s’était dévitalisée du fait de cette pixélisation du réel, instituant un utilitarisme généralisé et un état d’isolement collectif. Ce processus d’encadrement des conduites ne pouvant qu’intensifier l’impression d’être absents à nous-mêmes, que nourrir les rancœurs et porter de redoutables périls. C’est pourquoi il nous revient de contrecarrer cette technologisation amoindrissante de la vie, pour engager des modes d’organisation faits de liens sensibles, favorisant la meilleure expression de chacun et ne lésant pas la biosphère. »

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Une réaction naturelle face aux classes dominantes”

Christophe Guilluy, auteur du Temps des gens ordinairesFlammarion (2020).

« Depuis les années 1970, on a enjoint aux classes populaires de s’adapter à un monde qui change. Et c’est ce qu’elles ont fait, à la demande de leurs élites économiques et intellectuelles. Il leur a fallu se former pour passer d’une économie centrée sur l’industrie à une économie de service. Accepter la mobilité géographique, accepter l’instabilité salariale. Les classes moyennes et populaires ont intégré le narratif progressiste sur la désindustrialisation comme sur l’Europe.

Tous ces changements, elles en ont supporté le coût social et culturel, sans bénéfice pour elles ou leurs enfants. Elles ont ainsi vécu le plus grand plan social de l’histoire qui a touché tour à tour les paysans, les ouvriers, les employés puis les cadres. Cela a nourri ce que j’ai nommé le « marronnage des classes populaires ». Cette défiance est une réaction naturelle face à des classes dominantes qui se sont enfermées dans ces métropoles hypergagnantes à la mondialisation. Recluses dans leur citadelle, ce sont elles qui ont créé les conditions de leur propre impuissance à protéger et ont procédé à un démantèlement en règle d’un État-providence jugé trop coûteux, auquel les classes moyennes et populaires étaient, elles, très attachées.

Reléguée dans la France périphérique, cette majorité silencieuse de gens ordinaires s’est révoltée contre son sort en novembre 2018 avec les « gilets jaunes ». Sur les ronds-points, en tout cas au début, il n’y avait pas une France archipélisée mais des gens avec des demandes politiques, des demandes de classe. Dès lors, doit-on regarder la hausse de l’abstention comme un simple je-m’en-foutisme ou plutôt comme le résultat d’une offre politique inadaptée ? À vrai dire, le détachement des classes populaires n’est que la réponse à la sécession des classes dominantes qui les ignorent. »

Voir de même:

ANALYSE. Alliance de la bourgeoisie et des classes populaires et union des droites, de LR au RN. Dans les deux cas, le candidat Reconquête! a échoué.
Saïd Mahrane
Le Point
27/04/2022
« Je ne suis pas un politicien, contrairement aux autres », a martelé Éric Zemmour tout au long de sa campagne présidentielle. On veut bien le croire, lui qui a renoncé à sa carrière de journaliste au Figaro pour endosser l’habit du politique. Longtemps observateur de la pratique du pouvoir, il n’ignore pourtant pas qu’il existe des passages obligés pour qui espère, comme lui, la « reconquête » du pays. Ces obligations desservent parfois la stature que se forge un candidat à la présidentielle dans cette fameuse rencontre avec le peuple. Car les législatives sont plus une affaire de famille qui supposent des investitures, des tractations, des alliances, des compromis… Soit de la bonne vieille tambouille politique à laquelle Zemmour devra s’adonner s’il veut perdurer dans le paysage.
Comment exister sérieusement sans être élu à l’Assemblée nationale ? Difficile. L’enjeu est celui de la visibilité, de l’occupation du terrain, de l’information parlementaire et, bien sûr, du financement… Ceci expliquant ses offres d’alliance à Marine Le Pen, particulièrement insistantes depuis 24 heures. La finaliste de la présidentielle rechigne, mais est-ce en raison de ces mauvaises manières ou pour des considérations plus politiques ?
« Grand remplacement » contre « grand déclassement »
Outre ce que pensent bien des marinistes de Zemmour (en somme, il est inéligible à la fonction présidentielle car trop extrémiste), il faut s’arrêter sur les résultats des premier et second tours de la présidentielle pour constater que le candidat de Reconquête ! commet une double erreur d’analyse : à la fois sur l’union des droites, mais également sur le rassemblement des classes supérieures et des classes populaires dans un même vote. « Je suis le seul », disait-il en campagne, à pouvoir faire ces jonctions. Or, comme écrit ici à plusieurs reprises, le profil d’Éric Zemmour et ses discours – d’abord – strictement identitaire sont plus à même de séduire une bourgeoisie classique de droite et urbaine que des classes populaires de la France périphérique.
Cela s’est vérifié lors du scrutin présidentiel. L’ancien journaliste est bien représenté dans le sud-est du pays, avec de nombreuses communes riches du Var, du Vaucluse, des Alpes-Maritimes, des Bouches-du-Rhône dans lesquelles il dépasse les 10 %. Il a réalisé également 19 % à Neuilly (5,6 % pour Le Pen) et 18 % (8,5 % pour elle) à Versailles. Dans le 16e arrondissement de Paris, il a atteint 17 % contre 5,8 % pour sa rivale – et peut-être future alliée. Que disent ces chiffres ? Ils montrent par la preuve électorale que les sociologies des deux bases ont peu de choses en commun.
La candidate du RN fait ses meilleurs scores dans les départements anciennement industrialisés. De l’Eure (32,2 % pour Le Pen contre 6,5 % pour Zemmour) à la Nièvre (29,6 % contre 6,5 %), en passant par la Somme (32,7 % contre 5,6 %), le Pas-de-Calais (38,6 % contre 5,1 %), les Ardennes (36 % contre 6,5 %), les Vosges (32 % contre 6,4 %) et l’Yonne (31 % contre 7 %), nous sommes dans une France reléguée, qui a perdu, ces quarante dernières années, l’essentiel de son tissu industriel avec, progressivement, la disparition de certains services publics. Et, dans tous ces départements, entre Le Pen et Zemmour, il y a toujours Jean-Luc Mélenchon, ce qui montre de fortes attentes sociales. Zemmour a fait l’erreur stratégique de minimiser la question du pouvoir d’achat, même si, peu à peu, à côté du « grand remplacement », il a voulu installer le « grand déclassement ». Mais sur ce dernier thème, le crédit de Marine Le Pen est largement supérieur au sien.
« La France de Johnny Hallyday et celle de La Manif pour tous »
Ses mesures pour le pouvoir d’achat sont apparues comme des réponses ponctuelles à une conjoncture, quand chez Le Pen son programme a paru plus sincère et à même de changer durablement la donne. La récurrence des thèmes a situé les deux candidats dans des sphères sociales aux préoccupations parfois éloignées ou à un degré d’urgence différent s’agissant de l’immigration ou de l’insécurité. Zemmour a pour espoir d’unir l’électorat de Neuilly-sur-Seine et celui de Mouterhouse en Moselle où Marine Le Pen fait plus de 70 % des voix. Dans un entretien au Point, le politologue Patrick Buisson admettait que la clé du succès résidait dans ce rassemblement, « celui de la France de Johnny Hallyday et celle de La Manif pour tous ».
Si ces deux catégories de Français peuvent avoir des convergences sur le refus de l’altérité et sur la nostalgie d’une France prospère et homogène, elles divergent sur les questions économiques. Dans la France des années 2020, la possession ou non d’un capital dicte pour l’essentiel les préceptes que l’on plébiscite en économie. Ou l’État, dans un cas, est vu comme un prédateur qui ponctionne le travail d’une vie et bride les énergies entrepreneuriales ; ou il est vu comme le garant de l’égalité qui compense les pertes (chômage, niveau de vie, logement…) liées à la mondialisation. Les deux approches sont antagonistes et ne se valent aucunement. Le bon report des voix de Zemmour vers Le Pen vient tempérer cette analyse, même si la détestation de Macron transcende la défense des intérêts, comme le vote Mélenchon en faveur de Macron, donc contre Le Pen. Mais est-il acquis que les électeurs de Zemmour souhaitent une alliance durable avec le RN de Marine Le Pen, qui supposerait des compromis et donc une dénaturation du Zemmour identitaire et libéral ?
L’ancien journaliste n’ignore sûrement pas ces données. Il va lui falloir bouger politiquement, être plus attentif au sort de ces Français oubliés, dont l’urgence est la fin du mois et non seulement « la fin de la France ». Sauf à considérer qu’il est un politicien comme un autre qui, pour faire l’union des droites, s’appuiera uniquement sur des accords d’appareils, en faisant fi des incompatibilités de fond.
COMPLEMENT:

Présidentielle aux Antilles : « Le vote d’extrême droite était lié aux problèmes sociaux »

Fred Reno 

Professeur de science politique, Université des Antilles 

2 mai 2022 

Après un plébiscite pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour de l’élection présidentielle, la candidate du Rassemblement national (RN) a obtenu, deux semaines plus tard, près de 61 % des voix en Martinique et en Guyane, et même près de 70 % en Guadeloupe, réalisant son meilleur résultat dans ces départements où les scores de l’extrême droite sont habituellement faibles lors des scrutins locaux et nationaux. Fred Reno, chercheur en sciences politiques à l’Université des Antilles décrypte les logiques qui ont conduit à ces résultats. 

The Conversation : Comment expliquer que les électeurs des régions d’outre-mer aient voté aussi massivement pour Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle ? 

Fred Reno : Les outre-mer ont voté en majorité pour la candidate Le Pen contre Macron. La question qui se pose est : comment des Noirs, des afrodescendants ont pu voter pour le Rassemblement national, un parti qui renvoie au racisme, aux discriminations… On peut réduire Le Pen à l’extrême droite mais les choses sont plus complexes que cela. Il faut relativiser ce vote en évitant d’en faire un vote d’extrême droite. C’est un vote pour Le Pen, contre Macron mais pas un vote d’extrême droite au sens où les gens auraient adhéré aux valeurs du RN. 

Quand on interroge les gens qui ont voté Le Pen, ils répondent spontanément : « on a voté contre Macron et on a voté contre les élus locaux ». Le vote contre Macron est lié à des problèmes sociaux qui se posent dans le pays, la question vaccinale, l’insécurité, la délinquance… La critique qui est faite aux élus locaux est très forte. Pour beaucoup d’électeurs, les élus locaux ont failli et sont les principaux responsables de la situation parce qu’ils n’ont pas été en mesure de prendre en charge les demandes sociales. 

TC : Les votes pour Marine Le Pen ne sont donc pas des votes d’adhésion mais plutôt des votes sanction ? 

FR : Oui, pour analyser cela il faut partir du premier tour. Jean-Luc Mélenchon arrive largement en tête en Guadeloupe (56,16 %) et en Martinique (53,10 %). Marine Le Pen arrive en deuxième position en Guadeloupe avec près de 18 % des voix et en troisième en Martinique avec 13 %. Les électeurs ont d’abord voté Mélenchon, s’ils étaient fondamentalement lepeniste ou d’extrême droite ils auraient voté d’emblée Marine Le Pen. C’est donc par défaut qu’ils se sont prononcés pour Le Pen au deuxième tout parce que Mélenchon n’a pas été qualifié. Le vote n’a pas de consistance idéologique, c’est un vote de protestation, de colère. Je crois que les électeurs ont instrumentalisé ces candidatures pour adresser un gros message aux élus locaux et à Emmanuel Macron. 

TC : Marine Le Pen est donc perçue comme une candidate antisystème, pas comme une personne d’extrême droite ? 

FR : Absolument, elle est dédiabolisée à l’évidence. Les électeurs disent : « on a tout essayé jusque là, essayons extrême droite cela ne nous coûte rien finalement c’est une candidate comme les autres avec un discours qui nous parle. Elle va remettre dans leur droit les employés suspendus par la crise sanitaire, elle va régler le problème de l’eau, tous les thèmes qui nous intéressent elle les prend en charge dans son discours. » 

TC : Le vote anti-Macron s’inscrit-il dans la continuité d’un rejet des institutions et de l’État français ? 

Je ne pense pas qu’il y ait un rejet de l’État français bien au contraire, je pense qu’il y un appel à l’État, à plus d’États. Dans le contexte de mondialisation, d’incertitude, il y a une demande de protection et de sécurité. Et le discours de Marine Le Pen qui renvoie à l’autorité, à la centralisation même puisqu’elle refuse le principe de l’autonomie, je pense que cela parle à tous ces gens. Je crois que le vote anti-Macron est un vote qui renvoie aux dossiers sociaux principalement, à tous les problèmes qui n’ont pas été réglés et que Macron avait promis de régler. Il y a le sentiment que rien n’a été fait par les représentants de Macron sur place. C’est par manque d’interventionnisme étatique qu’on a rejeté Macron. 

TC : Les mobilisations qui ont eu lieu suite à l’instauration de l’obligation vaccinale et du passe sanitaire ont aussi pu influencer ces votes de protestation ? 

FR : Je crois que la question vaccinale est venue se greffer sur la question sociale et elle a joué comme un catalyseur. Cela a renforcé encore plus les oppositions. Il y a un élément qui intervient à la fin, c’est quand on a su que finalement la pandémie était en baisse et que le port du masque n’était plus nécessaire, qu’on allégeait les restrictions, beaucoup de gens ont cru que les employés suspendus allaient être rappelés et allaient pouvoir retrouver leur emploi mais ça n’a pas été le cas. Cela a été perçu comme une forme de mépris par beaucoup de gens. 

TC : Durant sa campagne Jean-Luc Mélenchon s’est particulièrement adressé aux outre-mer. C’est ce qui explique qu’il soit arrivé en tête du scrutin au premier tour ? 

FR : Mélenchon est l’homme politique qui a été le plus actif en Guadeloupe et en Martinique. Il a pris la parole sur des sujets importants ici, comme l’eau et le chlordécone. Pas seulement lui mais aussi ses émissaires, notamment Danièle Obono et Mathilde Panot. Cette dernière a fait un rapport avec d’autres députés sur la question de l’eau. Elle eu une prise de parole qui a beaucoup plu ici, sur les réseaux sociaux notamment. Elle a été présentée comme celle qui faisait ce que ne font pas nos élus locaux. 

Il y a un élément supplémentaire qui est la question de la créolisation. Mélenchon est le seul candidat a avoir donné une dimension culturelle à ses interventions politiques. Il a érigé la créolisation en réponse à la question du multiculturalisme en France. Même si tout le monde ne partage pas cette théorie, en se référant ouvertement à Édouard Glissant, Mélenchon parle de nous et fait de nous une référence. 

TC : Pensez-vous qu’en Guadeloupe et en Martinique les électeurs vont se mobiliser pour les élections législatives ? 

FR : Il est certain qu’il y a une prise de distance avec nos élus locaux, une majorité d’entre eux ont appelé à voter Macron lors de la présidentielle. Je suis persuadé que pour les élections législatives peu de candidats vont faire référence à Macron mais je ne suis pas sûr que l’élection présidentielle va modifier en profondeur le paysage local. Je ne pense pas que la France insoumise ait une implantation locale suffisante pour avoir des députés. Ils semblent l’avoir compris parce que la FI, à la différence du RN, est en mesure de négocier avec d’autres partis de gauche comme le PCF ou le PS, et peut-être même une frange des nationalistes. 


Présidentielle 2022: Ma chambre d’écho m’a tuer (Devinez qui, avec pourtant le meilleur mais hémiplégique message sur la menace islamique, s’est hélas fait piéger et a lui-même involontairement piégé ses très souvent jeunes partisans dans une véritable chambre d’écho médiatico-numérique pour revenir aux 7% qu’il avait au départ ?)

11 avril, 2022
Le candidat Reconquête! à la présidentielle Eric Zemmour en meeting au Palais des Victoires à Cannes, le 22 janvier 2022The Allegory Of The CaveVous avez finalement un paradoxe aujourd’hui dans la politique française, qui est presque une tenaille. C’est à dire que nous sommes pris en tenaille entre d’une part une gauche qui dans son ensemble ne reconnait pas le danger de l’islamisme, ou en tout cas ne l’évalue pas à sa juste dimension. (…)  Et puis, (…) une droite qui est incapable de penser la question russe. (…) Il y a un côté, que je dirais presque tragique pour nous Français, de se dire qu’il n’y a pas vraiment sur la scène politique un homme politique qui est capable de penser de manière vraiment sérieuse ces deux menaces en même temps. Laure Mandeville
Songeons à la carence de ces avant-gardes qui nous prêchaient l’inexistence du réel ! Il nous faut entrer dans une pensée du temps où la bataille de Poitiers et les Croisades sont beaucoup plus proches de nous que la Révolution française et l’industrialisation du Second Empire. (…) Mais ce à quoi nous assistons avec l’islamisme est néanmoins beaucoup plus qu’un retour de la Conquête, c’est ce qui monte depuis que la révolution monte, après la séquence communiste qui aura fourni un intermédiaire. Le léninisme comportait en effet déjà certains de ces éléments. Mais ce qui lui manquait, c’était le religieux. La montée aux extrêmes est donc capable de se servir de tous les éléments : culture, mode, théorie de l’État, théologie, idéologie, religion. Ce qui mène l’histoire n’est pas ce qui apparaît comme essentiel aux yeux du rationaliste occidental. Dans l’invraisemblable amalgame actuel, je pense que le mimétisme est le vrai fil conducteur. Si l’on avait dit aux gens, dans les années 1980, que l’islam jouerait le rôle qu’il joue aujourd’hui, on serait passé pour dément. Or il y avait déjà dans l’idéologie diffusée par Staline des éléments para-religieux qui annonçaient des contaminations de plus en plus radicales, à mesure que le temps passerait. L’Europe était moins malléable au temps de Napoléon. Elle est redevenue, après le Communisme, cet espace infiniment vulnérable que devait être le village médiéval face aux Vikings.(…) J’ai personnellement l’impression que cette religion a pris appui sur le biblique pour refaire une religion archaïque plus puissante que toutes les autres. Elle menace de devenir un instrument apocalyptique, le nouveau visage de la montée aux extrêmes. Alors qu’il n’y a plus de religion archaïque, tout se passe comme s’il y en avait une autre qui se serait faite sur le dos du biblique, d’un biblique un peu transformé. Elle serait une religion archaïque renforcée par les apports du biblique et du chrétien. Car l’archaïque s’était évanoui devant la révélation judéo-chrétienne. Mais l’islam a résisté, au contraire. Alors que le christianisme, partout où il entre, supprime le sacrifice, l’islam semble à bien des égards se situer avant ce rejet. Certes, il y a du ressentiment dans son attitude à l’égard du judéo-christianisme et de l’Occident. Mais il s’agit aussi d’une religion nouvelle, on ne peut le nier. (…)  la montée aux extrêmes se sert aujourd’hui de l’islamisme comme elle s’est servie hier du napoléonisme ou du pangermanisme. (…) Pourquoi la révélation chrétienne a-t-elle été soumise pendant des siècles à des critiques hostiles, aussi féroces que possible, et jamais l’islam ? Il y a là une démission de la raison. Elle ressemble par certains côtés aux apories du pacifisme, dont nous avons vu à quel point elles pouvaient encourager le bellicisme. (…) Il faut donc réveiller les consciences endormies. Vouloir rassurer, c’est toujours contribuer au pire. René Girard
Nous sommes à un tournant identitaire, car nous sommes devenus minoritaires, nous, les Guyanais. En fait, nous payons aujourd’hui les plans de peuplement lancés dans les années 1970 pour noyer les mouvements indépendantistes d’alors et sécuriser le centre spatial. Jacques Chirac, le ministre de l’Agriculture de l’époque, a joué les apprentis sorciers. Christiane Taubira (députée PRG de Guyane)
A Mayotte et en Guyane, par exemple, plus d’un habitant sur quatre est un étranger en situation irrégulière. En Guadeloupe, le nombre de personnes en provenance d’Haïti ayant sollicité une demande d’asile est passé de 135 en 2003 à 3 682 en 2004. La majorité des reconduites à la frontière concernent l’outre-mer. Si, en métropole, on avait le même taux d’immigration clandestine, cela ferait 15 millions de clandestins sur le sol métropolitain. Vous imaginez les tensions sociales possibles. A terme, c’est tout l’équilibre démographique qui s’en trouvera modifié. Sans parler du fait que les immigrés irréguliers sont complètement exploités, cette situation engendre bien évidemment un fort déséquilibre économique et des tensions sociales exacerbées. Le travail clandestin, qui est une forme moderne d’esclavage, est tout aussi inacceptable au XXIe siècle. (…) [La remise en question le droit du sol] Il faudrait l’envisager pour certaines collectivités d’outre-mer, car nous sommes confrontés à des politiques de peuplement non maîtrisées. Si l’on ne fait rien maintenant, à terme, ce sera l’explosion sociale. Pour enrayer ce phénomène, nous devons avoir recours à des mesures à caractère exceptionnel. Une remise en question du droit du sol ne provoque pas les mêmes réticences outre-mer qu’en métropole. L’histoire, la géographie de l’outre-mer ne sont pas toujours les mêmes qu’en métropole. Le droit du sol n’a pas toujours connu la même application, et, au fur et à mesure qu’il a été étendu, il y a eu des abus. Je reviens sur la situation de Mayotte : la maternité de Mamoudzou est, avec 7 500 naissances annuelles, la plus active de France. Deux tiers des mères sont comoriennes, et environ 80% d’entre elles sont en situation irrégulière. On estime à 15% le nombre de ces mères qui retournent aux Comores après avoir accouché. Il y a aussi de nombreux cas de paternité fictive. Il est de notoriété publique qu’à Mayotte, la reconnaissance de paternité par un Français est un « service » qui s’achète. (…) La mobilisation de tous est nécessaire. (…) Surtout, il est essentiel que nos compatriotes d’outre-mer aient des attitudes responsables et civiques. On ne peut pas se plaindre de l’immigration clandestine et en même temps employer des clandestins comme jardinier, femme de ménage ou chauffeur de taxi. J’ai donné des instructions particulières pour qu’il soit fait application la plus stricte des obligations statutaires, avec procédures disciplinaires systématiques, aux fonctionnaires et agents des services de l’Etat qui seraient convaincus de telles pratiques. (…) [Pour la métropole] (…) Le droit du sol ne doit plus en être un. J’ai bien conscience de l’importance de ce débat. Des problèmes peuvent se poser au regard des libertés publiques et des conditions d’acquisition de la nationalité française, auxquelles je suis personnellement attaché. Mais lorsqu’on réduit le territoire et que l’on augmente les flux, ce n’est plus simplement un problème de cohésion sociale, c’est la question de la souveraineté qui est posée. François Baroin (17.09.2005)
J’ai (…) depuis le début de la méfiance, et ces sondages, bien en amont de l’échéance présidentielle, m’apparaissaient trop beaux pour être vrais, surtout lorsque l’on observait sa manière de faire campagne. (…) Je suis entré, fin mars dernier, dans le comité exécutif de la pré-campagne, avec un seul objectif : faire du candidat Zemmour le successeur du candidat Sarkozy en 2007, soit l’alliance du « Kärcher » et du « travailler plus pour gagner plus » en intégrant les enjeux sociaux et économiques du dernier mandat présidentiel, principalement la crise des gilets jaunes. Il m’apparaissait possible qu’Eric Zemmour puisse faire l’alliance entre les électeurs populaires et la bourgeoisie conservatrice qu’appelait Patrick Buisson de ses voeux. La forte notoriété de ce « pré-candidat » et le nouveau souffle qu’il aurait pu donner à la campagne m’apparaissaient le meilleur moyen de casser la digue mitterrandienne et de rebâtir une droite de conviction sur les cendres d’un Rassemblement National inapte à rassembler une majorité d’électeurs depuis 30 ans. Peut-être avons-nous trop demandé à Eric Zemmour : quitter le couloir de l’intellectuel sans concession qui essentialise tout avec un pessimisme bien trop communicatif. J’attendais qu’il devienne l’homme qui dit publiquement, avec humour et foi en l’avenir : « Je vous promets qu’une fois élu, je ne dirai plus ‘c’était mieux avant' ». Sa pré-campagne est sur la forme et sur le fond aux antipodes du titre de son livre. Il a préféré rester le Cassandre d’une France qui aurait précisément dit son dernier mot. (…) Je ne soutiens pas cette candidature teintée de désespérance. Il faut proposer « du rêve » à nos concitoyens et non seulement du sang et des larmes. A défaut, je ne saurais ni avoir envie, ni même y croire. Il faudrait qu’il reprenne son narratif de campagne totalement à zéro. Mais qui sait, peut-être est-ce encore possible ? (…) Pour emporter la présidentielle, la brutalité du lanceur d’alerte ne suffit pas. Je partage ses convictions sur le danger migratoire, mais il ne convaincra pas les Français de lui apporter leurs suffrages sur un simple « votez pour moi sinon vous allez mourir ». Or, en substance, c’est son message. En six mois de pré-campagne électorale, son ton pour le moins anxiogène n’a pas évolué depuis son terrible discours à la Convention de la droite de septembre 2019. Il faut proposer un projet de civilisation, un destin commun, non se borner à identifier des menaces, même si celles-ci sont réelles. Le message que les Français veulent entendre, c’est « rendre sa fierté à la France » et « rendre leur dignité aux Français ». (…) Au-delà du ton, la campagne d’Eric Zemmour s’articule autour d’une double erreur stratégique. Il est convaincu, et ne manque pas de le dire devant son équipe de campagne et ses proches, que son adversaire principal s’appelle Jean-Luc Mélenchon, qui s’enthousiasme de la créolisation de la France. Par opposition, il rentre dans le piège d’une vision ethnique de la civilisation française, croyant que le socle des 70% de Français hostiles à l’immigration voteront majoritairement pour lui sous prétexte qu’il serait le plus cohérent et le plus clair. D’un point de vue intellectuel, cela pourrait se défendre. Mais s’il fait de Monsieur Mélenchon son adversaire principal, il contribue à faire exister politiquement ce dernier, qui n’est pas le président sortant. Veut-il gagner la présidentielle ou terminer devant Monsieur Mélenchon ? En outre, il n’est pas propriétaire de la fermeté migratoire et sécuritaire, quoi que l’on pense de la sincérité des autres offres politiques. D’Emmanuel Macron, qui mettra en avant ses lois sécuritaires et son ministre sarkozyste Gérald Darmanin, jusqu’au Rassemblement national dépositaire du sujet depuis des années, en passant par des Républicains largement « zemmourisés », tous les états-majors politiques fourbissent leurs armes pour absorber le zemmourisme. (…) Le tournant principal, c’est la « croisée des chemins ». L’occasion manquée pour Eric Zemmour d’aller voir cette France de Christophe Guilluy dont il parlait si souvent sur CNews. Malheureusement, Eric Zemmour a préféré s’exprimer devant une France qui ne vote pas pour lui, une France des grandes villes où il n’avait que des coups à prendre. J’aurais préféré qu’il aille à Vierzon, Montluçon, Firminy, Etampes, Aurillac, Macon, Auch, Carcassonne, Combourg, Lens, Vesoul… Cette France des villes moyennes dévitalisées par la mondialisation et la métropolisation. Finalement, la seule étape véritablement populaire de cette campagne fut Charvieu-Chavagneux, ville péri-urbaine de la grande couronne lyonnaise, dont j’ai été le directeur de cabinet du maire pendant trois ans, de 2015 à 2018. En réalité, le véritable tournant de cette campagne, c’est l’incapacité d’Eric Zemmour à sortir des grandes lignes TGV de la SNCF. Il dénonce depuis longtemps, à raison, le Jacques Attali mondialisé des aéroports. Il est malheureusement son miroir bourgeois des grandes gares SNCF, et je le regrette. Qu’elle est pourtant belle, cette France des routes nationales, des routes départementales et des petites communes. Elle avait tant à lui apporter. (…) C’est amusant parce que lorsque l’on dit à Eric Zemmour que la France, et notamment les classes populaires, attendent un programme complet, par exemple pour que nos villes moyennes et nos petites communes cessent d’être dévitalisées par la métropolisation, pour leur pouvoir d’achat également, il répond exactement ceci : « Je ne suis pas candidat pour faire la même campagne que Marine Le Pen ». Autrement dit, cela ne l’intéresse pas vraiment. Marine Le Pen fait certainement d’excellentes propositions concrètes pour cette France rurale et péri-urbaine. Mais je demeure persuadé que Marine Le Pen, lorsque le décrochage d’Eric Zemmour sera incontestable, risque de voir resurgir toutes les critiques sur ses faiblesses structurelles : débat raté en 2017, parti ruiné, et peut-être une affaire d’assistants parlementaires qui ressortira opportunément. Elle n’est pas, à mon avis et sous toutes réserves, en mesure de battre Emmanuel Macron. (…) Je regrette une pré-campagne qui ressemble à un acte manqué. L’ascension fulgurante dans les sondages l’a certainement conforté, lui avec son équipe, dans ses certitudes. J’appelais de mes voeux une pré-campagne de contrepied, lors de laquelle il aurait pu développer une image d’homme empathique, compétent, créatif, visionnaire et optimiste. Ce qui me choque, puisque c’est votre terme, c’est qu’il entend passer du métier de journaliste à celui de chef d’Etat sans changer sa méthode de travail ni ses habitudes. Il a fait la même tournée littéraire et médiatique que pour ses précédents ouvrages. (…) Sur le doigt d’honneur, c’est objectivement un vilain geste. Mais je trouve que c’est paradoxalement un geste très humain. Il découvre la violence d’une campagne présidentielle, et il faut bien reconnaître que les attaques qu’il subit de ses opposants sont inouïes, scandaleuses et intolérables dans une démocratie. Je me mets à sa place, et je ne communierai pas au procès en indignité qui lui est fait. Sur le Bataclan, j’ai trouvé ça déplacé, et jamais je n’aurais conseillé cela. Surtout que tirer sur François Hollande revient à tirer sur un cadavre. Il aurait dû plutôt, par exemple, et comme je lui avais conseillé avec un ami, se rendre à la messe de Noël à Saint-Etienne-du-Rouvray, paroisse du Père Hamel, sans convoquer les journalistes. Il aurait pu faire une déclaration a posteriori pour lier christianisme, symbolique de Noël, civilisation française et lutte contre l’islamisme. (…) Je disais souvent à l’époque que m’occuper à plein temps du maillage territorial, de l’opérationnel militant et même des parrainages était compliqué pour le jeune trentenaire que je suis, même si j’ai quelques expériences en termes de campagne électorale, notamment au niveau local. Je trouve que l’équipe ne s’est pas, depuis, enrichie de profils réellement expérimentés. C’est bien sûr un signal de faiblesse qui préfigurait les erreurs de ces dernières semaines. Son équipe de communication, par exemple, est plus spécialisée dans ce que l’on appelle la « riposte », la communication « d’influenceur » ou même le « trolling ». Quel communicant sérieux aurait conseillé à Eric Zemmour de se rendre au Bataclan, ou d’arriver à Marseille en accusant la ville toute entière dans un tweet d’être le royaume de la racaille ? Et je ne vous parle pas des « newsletters » des Amis d’Eric Zemmour dont les textes font lever les yeux au ciel beaucoup de monde, avec des formules infantilisantes. Le tweet un peu immature sur Rama Yade : – « Je tiens à assurer Rama Yade de tout mon micro-soutien face au micro-drame qu’elle micro-traverse » – relève du trolling, pas de la communication d’un candidat en mesure d’accéder au second tour. Je n’ai pas compris pourquoi Antoine Diers, peut-être le meilleur élément politique de cette équipe, était réduit à un rôle d’animation médiatique et n’avait aucune information sur les opérations. Je n’ai pas non plus compris pourquoi Jean-Frédéric Poisson n’avait pas intégré le dispositif, par exemple pour diriger la recherche des parrainages ou le maillage territorial. Par ailleurs, Eric Zemmour ne gère absolument pas son équipe, il délègue tout à Sarah Knafo dont il attend qu’elle lui offre l’Elysée. Il ne participait jamais aux réunions du comité exécutif lorsque j’en faisais partie. [parler à la France des « gilets jaunes »] je crois que l’exercice lui coûte. Pour l’anniversaire des gilets jaunes, il a justement publié une vidéo directement adressée à ces derniers. Pendant dix minutes, il propose la suppression du permis à points, le rétablissement général des 90 km/h et une baisse de la CSG sur les bas salaires. Dix minutes pour trois mesures, annoncées dans un appartement parisien dont je n’ose demander le prix au mètre carré. Ce n’est pas une critique de classe, mais c’est une erreur de communication révélatrice d’une importante déconnexion du réel. (…) Il faut diviser par deux la taxe sur le carburant, rétablir en effet les 90 km/h, amnistier les petites infractions routières et, surtout, lancer un grand plan de rénovation des routes secondaires en France, pour réduire les accidents et fluidifier le trafic sur les axes les plus congestionnés. Mais pour saisir ce que vit l’automobiliste quotidien, il faut être entouré de gens qui connaissent le sujet. Eric Zemmour n’est pas entouré d’élus de terrain à même de lui faire saisir cette France qui pense que « nous sommes gouvernés par des lascars qui fixent le prix de la betterave et qui ne sauraient pas faire pousser un radis », selon le bon mot de Michel Audiard. En conséquence, soit ils votent Marine Le Pen, soit ils ne votent pas. Je pense depuis longtemps qu’offrir plus de libertés et de pouvoir d’achat aux automobilistes, c’est tendre enfin la main à ceux qui ont subi la relégation sociale, économique et même identitaire lors de ces quarante dernières années. C’est le geste symbolique principal pour ouvrir à nouveau un dialogue avec cette France qui ne vote souvent plus. Mais Eric Zemmour semble avoir trop de certitudes pour présenter un programme tenant compte de la trivialité du quotidien. (…) Une campagne est une course de fond, pas un sprint. Je suis très sceptique sur ses chances de dépasser les 6-8%, s’il obtient ses 500 signatures. Mais Eric Zemmour est un OVNI politique. Il a créé une dynamique qui, spectaculairement, montre à quel point les électeurs de droite sont en quête de radicalité sur les questions régaliennes. Il faut bien sûr porter ceci à son crédit. Il est déjà producteur des thèmes de la campagne, reléguant la gauche à ses absurdités progressistes, wokistes et ses débats sur le pronom « iel ». Grâce à lui en partie, la gauche est inexistante. Au-delà des thèmes de la campagne, il pourrait être aussi faiseur de roi, ou accompagner un candidat au second tour de la présidentielle, donc pourquoi pas contribuer à faire battre Emmanuel Macron. Mais nous en sommes encore loin. Cinq mois, c’est long, tout est ouvert. Pierre Meurin (novembre 2021)
Cependant, la pugnacité de l’ancien chroniqueur séduit davantage : près d’un Français sur deux estime qu’il veut vraiment changer les choses (51%,) et 48% le voient comme une personne dynamique… un électeur sur deux pense qu’Eric Zemmour peut se qualifier au second tour. Si les Français sont mitigés par rapport au personnage, ils s’avèrent plus nombreux à s’aligner sur ses déclarations. Lorsque l’essayiste déclare : « Il n’est plus temps de réformer la France, mais de la sauver », 51% sont d’accord. Le sondage confirme la personnalité clivante du candidat sur le volet politique. 79% des électeurs de Marine Le Pen et 56% de François Fillon sont d’accord avec Eric Zemmour sur le fait qu’ils se sentent étrangers dans leur propre pays, contre 19% d’Emmanuel Macron, 19% de Benoît Hamon et 16% de Jean-Luc Mélenchon. La semaine dernière, l’auteur de Le suicide français s’est retrouvé au coeur d’une énième controverse lors de sa visite à Marseille. A la sortie d’un restaurant où le polémiste venait de déjeuner, une passante [encartée France insoumise] lui a fait un [des plus élégants] doigt d’honneur. Le polémiste a répondu par le même geste en affirmant « et bien profond », sous le regard amusé de sa conseillère Sarah Knafo. Sur cette question, les Français sont partagés : 52% [?] estiment qu’ils ne sont pas choqués, contre 47% affirmant l’inverse. De son côté, le candidat d’extrême droite à la présidentielle a reconnu dimanche un geste « fort inélégant ». ll s’agit d’une rare concession du probable candidat depuis le lancement de la pré-campagne à Toulon mi-septembre de l’essayiste. Mais le mal était fait. « Le doigt d’honneur était le dernier geste du polémiste, aujourd’hui, c’est le premier geste du candidat », assurait Benjamin Cauchy, ancien Gilet jaune, à L’Express. Parmi les plus choqués par ce geste : les 65 ans et plus (67%)… L’Express
S’il ne fait pas l’unanimité dans les sondages, nombre de Français partagent son constat sur l’état de la France, selon un sondage publié mercredi 1er décembre par BFMTV. Sur six des principales analyses de l’éditorialiste étudiées, toutes réunissent l’approbation de plus de 40 % des sondés et quatre d’entre elles en rassemblent un sur deux ou plus. L’adhésion est encore plus claire lorsque l’on s’intéresse aux avis des sympathisants de droite. Selon ce sondage Elabe, 51% des Français sont ainsi d’accord lorsqu’Eric Zemmour déclare qu’il « n’est plus temps de réformer la France, mais de la sauver », ou quand il affirme que la droite comme la gauche sont responsables du « déclin » de la France et ont « menti, dissimulé la gravité de notre déclassement [et] caché la réalité de notre remplacement ». Ils sont 50 % à avoir « le sentiment de ne plus être dans le pays que vous connaissiez » et 49 % à juger que l’immigration « aggrave tous » les problèmes de la France. Les déclarations d’Eric Zemmour sur le fait de reprendre le pouvoir « aux minorités » et « aux juges » sont approuvées par 46 % des sondés et 41 % d’entre eux se sentent « étrangers dans leur propre pays ». Lorsque l’on interroge les soutiens de la droite et de l’extrême droite, les scores oscillent entre 56 % et 86 % selon les questions. Valeurs actuelles
La DGSI vient de cartographier les quelque 150 quartiers « tenus » selon elle par les islamistes : un document classé secret-défense, qui n’a pas été divulgué, à l’exception de l’Intérieur, même aux ministres intéressés. Lesquels se voient présenter le document oralement par un fonctionnaire assermenté, tant le sujet est sensible… Outre les banlieues de Paris, Lyon et Marseille, depuis longtemps touchées par le phénomène, y figurent plusieurs cités du Nord : entre autres Maubeuge, où l’Union des démocrates musulmans français (UDMF) a atteint 40% dans un bureau de vote et où « la situation est alarmante » ; l’agglomération de Denin ; ou encore Roubaix, où, « bien qu’historique, la situation prend des proportions inquiétantes », selon un préfet. Mais aussi des zones plus inattendues, comme en Haute-­Savoie ou dans l’Ain, à Annemasse, Bourg-en-Bresse, Oyonnax ou Bourgoin-Jallieu. Encore plus surprenante, « l’apparition de microterritoires qui se salafisent dans des zones improbables », poursuit ce préfet, comme Nogent-le-Rotrou, en Eure-et-Loir. Le JDD
Au-delà des gouffres culturels qui les séparent, le polémiste français et le milliardaire américain surfent sur la même révolte. Sans parler de leurs tempéraments indomptables. Il n’y a pas plus français qu’Éric Zemmour et pas plus américain que Donald Trump. Le premier est un intellectuel qui a lu tous les livres. C’est dans un dialogue permanent avec l’histoire de France, ses grands hommes, ses batailles, ses chutes et ses rédemptions qu’il a formé sa légitimité et son diagnostic sur la crise que traverse le pays. Homme de l’écrit et de télévision, il s’est fait connaître en plantant sa plume et son regard acérés dans les plaies du pays. Et c’est aujourd’hui par le récit qu’il propose à la France de ses maux que cet outsider part à sa conquête, même s’il n’est pas encore candidat. Il est de ce point de vue l’héritier d’une tradition très française qui veut qu’en politique, en France, on ait des lettrés, de Gaulle à Mitterrand, en passant par Giscard, Pompidou ou même Emmanuel Macron. On dit au contraire de Donald Trump qu’il n’aurait lu peu ou prou qu’un seul livre – … le sien! -, ce best-seller sur L’Art du deal qu’il fit écrire par un journaliste mais qui contribua à faire de lui, dans l’esprit de beaucoup de ses compatriotes, un exemple vivant du succès version américaine. Son monde est celui de l’immobilier new-yorkais, des chantiers de construction où il a toujours été en connexion avec les ouvriers du bâtiment, des gratte-ciel toujours plus hauts, des marchandages avec les politiques dans les coulisses sulfureuses de la mairie de New York. Un monde de l’action, de la puissance, de l’argent tape-à-l’œil, bref, du commerce, dont Alexis de Tocqueville estimait qu’il était à la base de presque tous les instincts de la société américaine. Très éloigné de celui d’Éric Zemmour, qui a toujours affiché son aversion pour le «modèle» d’outre-Atlantique. Mais au-delà des gouffres culturels qui séparent les deux hommes et de leurs différences de personnalités et de parcours évidentes, comment ne pas voir à quel point les ressorts des projets qu’ils défendent, et la dynamique de révolte contre le statu quo qui les porte, se ressemblent? Pour tous ceux qui ont suivi la campagne de Trump en 2016, le phénomène Zemmour a indiscutablement un air de déjà-vu. Par les thèmes tout d’abord, et en premier lieu celui du nationalisme,de la priorité absolue donnée à l’intérêt national. (…) Éric Zemmour surfe exactement sur le même thème, parlant même d’une France en danger de mort mais « qui n’a pas dit son dernier mot ». La place centrale qu’occupe la question de l’immigration dans les préoccupations des deux hommes découle directement de cette priorité. C’est le thème clé d’Éric Zemmour, celui du « grand remplacement » qui viendra si on ne reprend pas le contrôle des frontières. Et même si les Américains ont un rapport très différent à la question migratoire, c’est aussi le thème qui propulsa Donald Trump en tête de la primaire républicaine, en 2015 (…) Même si la question est évidemment beaucoup moins présente aux États-Unis en raison du très faible pourcentage de musulmans (0,8%), le Français et l’Américain ont aussi en commun une méfiance commune envers l’islam, la conviction que l’Occident chrétien doit être protégé comme civilisation, et l’idée qu’à Rome il faut vivre comme les Romains. Elle s’est manifestée chez Trump de manière épidermique dans son fameux décret interdisant provisoirement de visa les ressortissants de sept pays musulmans pour raisons de sécurité. Chez Zemmour, le thème est encore plus central, ce qui n’est pas étonnant, vu les défis que représentent la radicalisation d’une partie substantielle de la communauté musulmane de France et les attentats terroristes en série qui ont frappé le pays ces dernières années, jusqu’à la décapitation de Samuel Paty. Mais le polémiste français qui, contrairement à Trump, sait de quoi il parle, l’aborde de manière beaucoup plus intellectualisée et sophistiquée, puisqu’il s’agit de distinguer entre les musulmans et l’islam comme système politico-juridique, en reprenant la formule de Clermont Tonnerre sur les juifs à la Révolution: « Tout pour les musulmans en tant qu’individus, rien en tant que peuple. » Face à la révolution sociétale « woke » qui souffle sur nos sociétés, déconstruisant non seulement la nation mais l’héritage culturel occidental, la famille traditionnelle et même les différences entre les sexes, Trump et Zemmour sont également en phase, même s’ils ne sont de la même génération. Le «Donald» est dans toutes ses fibres un homme des années 1950, qui n’a jamais adhéré aux valeurs de la révolution sociétale des années 1960 et incarne même avec une forme de délectation provocatrice tous les vices de «l’homme macho». Persuadé que l’Amérique est fondamentalement «bonne», peu enclin à la culpabilité, il refuse aussi l’idée que l’esclavage aurait marqué à tel point le pays qu’il soit entaché à jamais d’un racisme systémique. Les grands mouvements étudiants de 1968, qui sont contemporains de ses années à l’université de Pennsylvanie, semblent avoir glissé sur lui. Il aime raconter qu’il n’y participait pas, préférant travailler sur les chantiers de son père. Un positionnement qui ne peut que séduire Éric Zemmour, grand critique, dans son livre Le Suicide français, de la révolution de 1968, qu’il voit comme la matrice de la déconstruction de la France. Pour eux, le patriotisme n’est pas une idée ringarde. Un diagnostic commun qui les a amenés à se dresser l’un comme l’autre contre le diktat du politiquement correct de la gauche. De ce point de vue, l’appel de Trump à continuer de dire « Joyeux Noël » au lieu de souhaiter « bonnes fêtes » (pour ne pas vexer les non-chrétiens) fait écho aux saillies de Zemmour contre l’écriture inclusive, l’un favorisant la moquerie, et l’autre la satire. Zemmour et Trump s’accordent aussi à penser que la relance de l’industrie manufacturière est essentielle au relèvement du pays et à sa souveraineté. Contrairement à ce que ses propos passés auraient pu laisser penser, le journaliste français est aussi un fervent adepte de l’allégement fiscal des entreprises, estimant que la France meurt d’une absence de création de richesse et d’un modèle social obèse. (…) Au-delà de tous ces thèmes, leur positionnement est similaire: celui de l’homme providentiel improbable surgi du peuple pour pallier les défaillances de la classe politique. Il s’agit de se dresser contre la doxa en vigueur, d’oser sortir des «limites» imposées par les élites culturelles et politiques dominantes, de dire tout haut ce que la majorité pense tout bas. Une libération de la parole qui confère aux deux personnages une image de radicalité et d’indomptabilité qui choque les élites mais devient le moteur de leur succès populaire. (…) Ces derniers jours, Éric Zemmour notait la ferveur et l’émotion intense qu’il ressentait chez les gens de toutes origines sociales qui se pressaient à ses signatures de livres. « Sauvez-nous, sauvez la France », lui lançaient-ils. Un engouement qui rappelait un peu, toutes proportions gardées, le phénomène Trump et les files d’attente gigantesques de ses fans à ses meetings. (…) Sa percée n’en révèle pas moins qu’il se passe quelque chose d’important dans les tréfonds de la France de 2021, comme ce fut le cas en 2016 dans les entrailles de l’Amérique. De plus, on peut se demander si les adversaires d’Éric Zemmour ne sont pas d’ores et déjà en train de reproduire les erreurs qui furent celles de Clinton face à Trump. Pendant des mois, l’establishment démocrate fut dans le déni absolu de l’importance du phénomène Trump, tentation qui semble présente en France, bien qu’à un moindre degré. La seconde erreur fut celle de la diabolisation délibérée, dans l’espoir de disqualifier l’adversaire. « Raciste », « fasciste », « antisémite », « virus », « peste brune »… Tous ces adjectifs utilisés contre le milliardaire de New York resurgissent en force dans l’hallali lancé contre Zemmour par une bonne partie de la classe politico-médiatique. En 2016, le procédé, au lieu d’affaiblir Trump, avait scellé son succès. Laure Mandeville
J’ai grandi dans une famille où l’amour de la France était inné, naturel, puissant, on ne rigolait pas avec ça. Éric Zemmour
Depuis toujours, dès que la France est affaiblie, les élites ont tendance à sacrifier la France et le peuple français à leurs idéaux universalistes. C’est très frappant. Vous verrez dans le livre. Je remonte le temps. Je suis remonté à l’évêque Cauchon et Jeanne d’Arc. On voit bien que cela a toujours été une tentation des élites françaises. Pour aller vite, depuis 1940, la France est très affaiblie. Et nous avons des élites qui ont décidé de jeter par-dessus bord la France et le peuple français au nom de l’Europe, des droits de l’homme et de l’universalisme. Macron est vraiment l’incarnation de ces élites-là. Il est passionnant, car c’est une espèce de quintessence chimiquement pure. Quand il dit : « Nous avons fait du mal », c’est déjà le discours de Chirac sur le Vel’ d’Hiv’ ou le discours de Hollande sur le Vel’ d’Hiv’ et en Algérie. Paul Thibaud avait écrit un très bon article qui faisait remarquer que, comme les politiques ne maîtrisaient plus rien, ils ont trouvé une posture qui consiste à dire du mal de nos ancêtres pour exister. (…) C’est la « révolte des élites » de Christopher Lasch à la fin des années 70. Il avait très bien vu cela aux États-Unis. C’est évidemment venu chez nous ensuite. (…) Je voulais montrer aux gens que tout cela était lié à une histoire millénaire et qu’il y avait des petites pierres comme dans Le Petit Poucet qu’on pouvait retrouver à chaque fois. Certaines époques nous ressemblent de plus en plus. Je retrouvais la phrase de René Girard dans son dernier livre qui disait : « Nous devons entrer dans une pensée du temps où Charles Martel et les croisades seront plus proches de nous que la Révolution française et l’industrialisation du Second Empire. » Je trouve cette phrase très frappante. Lorsque je dis cela, on dit que j’ai des obsessions et que je ne pense qu’à l’islam. Pourtant, ces paroles viennent de René Girard. Il a très bien compris que nous étions revenus dans un temps qui est celui des affrontements de civilisations entre chrétienté et islam, des guerres de religion et de la féodalité pré-étatique. (…) Ces pays de l’Est se révoltent, parce que la Hongrie a connu trois siècles d’occupation ottomane. C’est un roi polonais Jean III Sobieski , qui a arrêté les Ottomans à Vienne, en 1683. Il n’y a pas de hasard. Cette Histoire revient à une vitesse folle. Tout se remet en place pour nous rappeler à cette Histoire. (…) il y a effectivement un effet d’accumulation de toutes les crises du passé qui se concentrent aujourd’hui. C’est pour cette raison qu’il y a autant de pessimisme chez moi. L’idée même de roman national est finie. Je n’ai même pas essayé de refaire un roman national. La déconstruction des historiens qui, depuis cinquante ans, nous interdisent de parler de roman national était trop forte. Il n’en reste presque que des ruines. Si j’avais voulu faire un roman national, j’aurais fait une romance nationale. Ce n’est pas ce que j’ai fait. En revanche, j’ai voulu écrire une Histoire de France réaliste, non pas en fonction des idéaux et des populations d’aujourd’hui, mais en fonction de la réalité historique de l’époque. Aujourd’hui, les historiens ont décidé d’inventer une Histoire de France qui correspond à leurs obsessions et à leurs idéologies actuelles. Ils disent que j’ai des obsessions, mais les leurs sont : une histoire féministe, une histoire des minorités africaines et maghrébines, une histoire pacifiste, c’est-à-dire une histoire qui n’a jamais existé. Dans les livres d’histoire d’aujourd’hui, sur la Révolution française, il y a deux pages sur Olympe de Gouges, la grande militante féministe. Quand elle est guillotinée, en 93, par Robespierre, j’ai coutume de dire, pour plaisanter, que Robespierre ne sait même pas qu’il l’a fait guillotiner, tellement elle compte peu. Lors d’une émission sur France 2, mardi dernier, on a vu une grande fresque qui expliquait comment la France a été faite par les immigrés nord-africains et africains avec un grand manitou qui s’appelle de Gaulle. C’est une histoire inventée. (…) Ils sont tellement allés loin dans la diabolisation de Pétain et dans l’invention d’une histoire qui ne correspond plus à la réalité. Lorsqu’on repose le tableau de Pétain, de De Gaulle, de ce qu’était Vichy à l’époque et de ce qu’était 1940, que je dis que tout le monde se moquait, à l’époque, du statut des Juifs d’octobre 40, à Paris, à Vichy ou à Londres, et que les rats qui s’y intéressent disent « il a bien raison », car ils estiment à l’époque que les Juifs ont une responsabilité dans la défaite, j’ai l’impression de blasphémer. C’est tout simplement la réalité historique. On a tellement réinventé une histoire en disant que l’essentiel de la Seconde Guerre mondiale était la question juive qu’on tombe des nues quand je dis qu’à l’époque, personne n’en parlait. À Londres, ceux qui rejoignent le général de Gaulle sont d’accord avec Vichy là-dessus. Aujourd’hui, la réalité paraît blasphématoire. C’est extraordinaire. C’est pour dire la force inouïe de cette déconstruction historique. Pour moi, c’est le grand effacement de l’histoire pour correspondre au Grand Remplacement des populations. Eric Zemmour
Vous n’avez pas déménagé et pourtant vous avez la sensation de ne plus être chez vous. Vous n’avez pas quitté votre pays mais c’est comme si votre pays vous avait quitté. Vous vous sentez étrangers dans votre propre pays. Vous êtes des exilés de l’intérieur. Longtemps vous avez cru être le seul à voir, à entendre, à penser, à craindre. Vous avez eu peur de le dire, vous avez eu honte de vos impressions. Longtemps, vous n’avez pas osé dire ce que vous voyiez, et surtout vous n’avez pas osé voir ce que vous voyiez. Et puis, vous l’avez dit à votre femme, à votre mari, à vos enfants, à votre père, à votre mère,à vos amis, à vos collègues, à vos voisins. Et puis, vous l’avez dit à des inconnus, et vous avez compris que votre sentiment de dépossession était partagé par tous. La France n’était plus la France et tout le monde s’en était aperçu. Bien sûr, on vous a méprisé. Les puissants, les élites, les bien-pensants, les journalistes, les politiciens, les universitaires, les sociologues, les syndicalistes, les autorités religieuses, vous disaient que tout cela était un leurre, que tout cela était faux, que tout cela était mal. Mais vous avez compris avec le temps que c’étaient eux qui étaient un leurre, que c’étaient eux qui avaient tout faux – que c’étaient eux qui vous faisaient du mal. La disparition de notre civilisation n’est pas la seule question qui nous harcèle, même si elle les domine toutes. L’immigration n’est pas cause de tous nos problèmes, même si elle les aggrave tous. La tiers-mondisation de notre pays et de notre peuple l’appauvrit autant qu’elle le disloque, le ruine autant qu’elle le tourmente. C’est pourquoi (….) Nous devons reconquérir notre souveraineté, abandonnée aux technocrates et aux juges européens qui ont dépouillé le peuple français de sa capacité à décider de son sort, au nom des chimères d’une Europe qui ne sera jamais une nation. Oui, nous devons rendre le pouvoir au peuple ! Le reprendre aux minorités qui ne cessent de tyranniser la majorité, et aux juges qui substituent leur férule juridique au gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple. Depuis des décennies, nos gouvernants, de droite comme de gauche, nous ont conduit sur ce chemin funeste du déclin et de la décadence. Droite ou gauche, ils vous ont menti, vous ont dissimulé la gravité de notre déclassement, ils vous ont caché la réalité de notre remplacement. (…) C’est pourquoi j’ai décidé de (…) solliciter vos suffrages pour devenir votre président de la République. (…) Pour que les Français se sentent de nouveau chez eux et pour que les derniers arrivés s’assimilent à leur culture, s’approprient leur Histoire. (…) Le peuple français était intimidé, tétanisé, endoctriné. Culpabilisé. Mais il relève la tête, il fait tomber les masques, il dissipe les miasmes mensongers, il chasse ses mauvais bergers. (…) Nous allons transmettre le flambeau aux prochaines générations. Eric Zemmour
Je crois que la dynamique est de mon côté. Tous les éléments objectifs, les salles pleines, la ferveur, les audiences télévisées, le nombre d’adhérents, tout ça, c’est moi. Eric Zemmour (6 avril 2022)
La bulle de filtres ou bulle de filtrage (de l’anglais : filter bubble) est un concept développé par le militant d’Internet Eli Pariser. Selon Pariser, la « bulle de filtres » désigne à la fois le filtrage de l’information qui parvient à l’internaute par différents filtres ; et l’état d’« isolement intellectuel » et culturel dans lequel il se retrouve quand les informations qu’il recherche sur Internet résultent d’une personnalisation mise en place à son insu. Selon cette théorie, des algorithmes sélectionnent « discrètement » les contenus visibles par chaque internaute, en s’appuyant sur différentes données collectées sur lui. Chaque internaute accéderait à une version significativement différente du web. Il serait installé dans une « bulle » unique, optimisée pour sa personnalité supposée. Cette bulle serait in fine construite à la fois par les algorithmes et par les choix de l’internaute (« amis » sur les réseaux sociaux, sources d’informations, etc.). Eli Pariser estime que ce phénomène est devenu commun sur les réseaux sociaux et via les moteurs de recherche. Des sites tels que Google, Facebook, Twitter ou Yahoo! n’affichent pas toutes les informations, mais seulement celles sélectionnées pour l’utilisateur, et de manière hiérarchisée selon ses prédispositions supposées (y compris idéologiques et politiques). À partir de différentes données (historique, clics, interactions sociales), ces sites prédisent ce qui sera le plus pertinent pour lui. Ils lui fournissent ensuite l’information la plus pertinente (y compris du point de vue commercial et publicitaire), en omettant celle qui l’est moins selon eux. Si les algorithmes considèrent qu’une information n’est pas pertinente pour un internaute, elle ne lui sera simplement pas présentée. (…) Grâce à l’Internet l’information potentiellement disponible ne cesse de croître : elle est en théorie de plus en plus accessible, ce qui permettrait à un internaute proactif de découvrir de nombreux points de vue différents du sien. Mais paradoxalement, selon Bakshy et al. (2015) et d’autres auteurs, l’accès réel à l’information de presse, aux opinions et à l’information est de plus en plus filtré par des algorithmes de moteurs de recherche, et/ou via les réseaux sociaux. Des chercheurs ont montré qu’au sein de Facebook, le filtrage algorithmique puis le filtrage par les pairs limite le libre-arbitre de l’internaute en ne lui présentant pas une large part de l’information (et notamment en limitant son accès à des données ou interprétations qui seraient a priori plus difficiles à adopter pour lui) et en ne présentant souvent qu’une partie des facettes d’une information. Les brèves d’information partagées de pair à pair par des millions d’utilisateurs proviennent en effet très majoritairement de sources alignées sur l’idéologie ou les préférences de l’internaute. Le lecteur rencontre 15 % de contenu transversal en moins dans ses fils d’actualité (à cause du classement algorithmique) et il cliquera 70 % moins facilement sur des informations venant de sources inhabituelles pour lui. Comme dans une chambre d’écho, ce phénomène tendrait à s’auto-entretenir en reproduisant majoritairement les opinions, croyances et perspectives de l’utilisateur en formant un cercle vicieux. Un internaute d’une orientation politique donnée verrait plus de contenus favorables à cette orientation. Il serait moins soumis à des points de vue contradictoires car les algorithmes sélectionneraient pour lui les contenus les plus pertinents, ceux qui lui plaisent le plus. Par exemple, un internaute qui serait identifié comme « de gauche » par le site, se verrait alors proposer moins de contenus « de droite ». Des requêtes similaires peuvent alors donner des résultats très différents. Supposons par exemple que deux personnes, une plutôt à droite politiquement et l’autre plutôt à gauche, recherchent le terme « BP ». Les utilisateurs « de droite » trouveront des informations sur les investissements dans la British Petroleum. Les utilisateurs « de gauche » obtiendront des informations sur la marée noire dans le golfe du Mexique. Il en va de même pour la présentation des informations relatives à une guerre, par exemple la guerre d’Irak ou plus récemment les informations données aux partisans de Donald Trump aux États-Unis. La bulle de filtres peut influencer les relations sociales et les réseaux sociaux et inversement. Dans certains réseaux sociaux, la personnalisation algorithmique masquerait les messages les moins pertinents, ceux qui seraient les moins cliqués par l’utilisateur. Moins on interagit avec un « ami » Facebook, moins les messages qu’il publie nous seront visibles, moins l’on sera susceptible d’interagir avec lui. Pariser met en avant la « disparition » des messages de ses amis conservateurs de son flux d’activité Facebook. Alors qu’il avait ajouté des « amis » conservateurs pour lire leur opinion, la personnalisation ne lui suggérait plus les publications venant de ces personnes. Selon l’algorithme, cela n’était pas pertinent pour Pariser : il n’était pas censé cliquer ou lire ces opinions. La bulle de filtre réduirait donc le champ informationnel de l’internaute ; Selon A Saemmer (2017), de nombreux étudiants disent consulter la presse en ligne exclusivement ou principalement en suivant des liens postés par leurs amis sur les réseaux sociaux, c’est-à-dire sans consulter la « une » ou le sommaire des journaux. Selon Messing (2012), dans un réseau social, des appuis sociaux plus forts peuvent conduire à un buzz qui augmente la probabilité qu’un internaute choisisse de lire un contenu qui sans cela ne lui aurait pas été présenté, ce qui pourrait dans une certaine mesure contrebalancer son exposition sélective initiale. Néanmoins, en 2016 dans un long article, longuement commenté depuis, Katharine Viner, rédactrice en chef du journal The Guardian, estime que (…) si les réseaux sociaux colportent volontiers des rumeurs et des « mensonges avérés », cela tient aux bulles de filtres qui, en fonction des pages consultées, renvoient les utilisateurs à ce qu’ils ont l’habitude de consulter et qui, par conséquent tendent à les conforter dans leurs opinions au lieu de stimuler leur esprit critique. Le succès du Web social et la surcharge d’information que ce succès engendre ont rapidement provoqué le besoin de trier l’information, et de développer les capacités de filtrage des plateformes interactionnelles. Les moteurs de recherche comme Google ou les réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter sont programmés pour mettre en avant de l’information dite « pertinente », autrement dit, susceptible d’intéresser l’utilisateur et d’écarter l’information jugée moins pertinente. La popularité des réseaux sociaux réside dans cette capacité à présenter efficacement et rapidement du contenu intéressant pour l’utilisateur. Le filtrage fonctionne grâce à la mise en place d’un algorithme. (…) Sur internet, les algorithmes instaurent une hiérarchie dans l’apparition des contenus sur l’interface des utilisateurs. Ils influencent chacun à leur manière l’accès à l’information et fournissent une expérience particulière et personnalisée pour chaque utilisateur. Par exemple, sur les réseaux sociaux, ce sont les « likes » ou les « retweets » qui provoquent la mise en évidence de certains contenus par rapport à d’autres, jugés alors moins pertinents. (…) La médiatisation de la théorie de la bulle de filtres d’Eli Pariser se veut participer de l’esprit critique, mais d’autres lectures sont possibles. Pour André Gunthert dans Et si on arrêtait avec les bulles de filtre ? (…), « le système de sélection de Facebook ne modifie que de 1 % l’exposition aux contenus politiques de camps opposés » ; il donne la parole à Dominique Cardon selon qui « la bulle, c’est nous qui la créons. Par un mécanisme typique de reproduction sociale. Le vrai filtre, c’est le choix de nos amis, plus que l’algorithme de Facebook. » Wikipedia
La bulle, c’est nous qui la créons. Par un mécanisme typique de reproduction sociale. Le vrai filtre, c’est le choix de nos amis, plus que l’algorithme de Facebook. Dominique Cardon
Une semaine avant le plus grand fiasco de la presse d’information américaine, abasourdie par l’élection de Donald Trump, le quotidien Le Monde publiait une enquête à charge, dénonciation sur une double page des bulles de filtre intitulée: « Facebook, faux ami de la démocratie »1. Une fois encore, c’est un journal papier qui nous alerte sur le danger constitué par les réseaux sociaux. Sous couvert de promouvoir l’échange et de favoriser la discussion, ceux-ci nous enfermeraient en réalité dans une chambre d’écho, nouvelle caverne de Platon qui ne ferait que nous renvoyer indéfiniment notre reflet. Magie de la bulle de filtre, concept à succès inventé en 2011 par l’activiste Eli Pariser, sur la base de l’intuition apparemment logique que les algorithmes qui pilotent les moteurs de recherche ou la présentation des contenus sur les médias sociaux orientent leur réponse en fonction des préférences de l’usager. Que personne ne sache exactement quels critères retiennent ces logiciels, dont les entreprises gardent jalousement les clés, ne fait pas obstacle à leur condamnation. Au contraire, le secret est constitutif du processus classique de diabolisation de la technique, dont le statut de boîte noire était déjà dénoncé par Gilbert Simondon, qui regrettait que l’ignorance ou le rejet de la culture technique en fasse le bouc émissaire favori des sociétés développées. Ce qui frappe évidemment dans la manière de présenter la question par un journal auto-proclamé « quotidien de référence », c’est l’absence de tout élément de comparaison. Le postulat des bulles de filtre une fois déduit de la nature de l’algorithme, il ne viendrait pas à l’idée des « enquêteurs » de vérifier de quelle diversité informationnelle bénéficie un abonné du Monde ou du Nouvel Observateur. On se souvient pourtant que l’hebdomadaire de la deuxième gauche, propriété du même groupe, a récemment licencié son numéro 2, Aude Lancelin, pour motif officiel de divergence idéologique – soit le méfait d’ouvrir les colonnes du magazine à des agitateurs aussi subversifs qu’Alain Badiou ou Emmanuel Todd, plutôt qu’à BHL… La surprise créée par l’élection de Donald Trump a permis de vérifier en vraie grandeur la dimension de l’entre-soi médiatique, qui n’a pas besoin d’algorithme pour évacuer de son horizon les motifs de trouble. La gravité de cet aveuglement est évidemment d’une toute autre ampleur, car si nul n’accorde à Facebook le rôle d’un contrepoids démocratique, celui revendiqué par la presse d’information est bien d’éclairer le citoyen. Une revendication des plus étranges lorsqu’on constate les parti-pris des organes d’information, chacun attaché à une clientèle et qui lui tend complaisamment le miroir qui est la condition de l’acte d’achat. Parle-t-on de la bulle dans laquelle évolue le lecteur du Figaro ou le spectateur de BFMTV? En réalité, derrière la rhétorique pseudo-technicienne et la dénonciation stéréotypée d’un communautarisme digital, se cache la prétention objectiviste d’une presse qui se dépeint en gardienne de l’universalisme des Lumières. Pour savoir la vérité, ne discutez pas sur Facebook, achetez plutôt Le Monde, seul garant d’une opinion réellement éclairée, nous dit sournoisement un article qui ne fournit aucun élément d’évaluation des bulles. Ou plutôt si: l’article présente rapidement les conclusions d’une véritable étude, publiée par la revue Science, qui constate que le système de sélection de Facebook ne modifie que de 1% l’exposition aux contenus politiques de camps opposés. Et donne la parole au spécialiste Dominique Cardon, qui résume: « La bulle, c’est nous qui la créons. Par un mécanisme typique de reproduction sociale. Le vrai filtre, c’est le choix de nos amis, plus que l’algorithme de Facebook ». Ce qui n’empêche pas le quotidien de condamner globalement « un forum au ton virulent, géré par un algorithme qui se dit “agnostique”, mais révèle son incapacité à susciter un vrai débat, fondement de la culture démocratique. » Fermez le ban! On ne pourrait pas démontrer de façon plus évidente le biais d’un article qui contredit ses éléments d’information les plus fondés, où les mécanismes décrits comme producteurs de « bulles » sont tout simplement les mêmes que ceux qui conduisent à la formation de l’opinion – soit un ensemble de choix individuels, pesés, discutés et négociés qui déterminent l’orientation du citoyen, socle de la vie démocratique. Traduisons: il n’y a pas de bulle. Et il n’y a pas non plus d’impartialité journalistique, qui se hisserait au-dessus de la subjectivité des réseaux sociaux. N’en déplaise au « quotidien de référence », qui s’adresse à une clientèle tout aussi calibrée par sa régie de publicité, c’est la prétention à l’objectivité, à la neutralité et à un pluralisme défini d’en haut qui constitue le principal obstacle à une information honnête, c’est-à-dire signée, et qui admet son orientation, plutôt que de la nier. La grande nouveauté de la présentation de l’information sur les réseaux sociaux, c’est justement d’y arriver toujours précédée par la signature du contact qui l’a sélectionnée, autrement dit l’indication implicite d’une lecture ou d’une position, qui pourra être interrogée ou discutée. Bien sûr, comme les rédactions, qui visent des groupes sociaux et s’adressent à des opinions politiques, les médias conversationnels tendent à normaliser l’échange. Il n’en reste pas moins, pour quiconque se souvient de l’univers de l’information avant internet, que la richesse et la diversité des sources proposées par les médias sociaux est tout simplement sans comparaison avec le petit monde de la presse d’avant-hier. Plutôt que des bulles, indépendantes et forcément étanches, la dynamique des réseaux sociaux produit des essaims informationnels perméables, orientés par les préférences et les affinités, mais toujours susceptibles d’être traversés par les impulsions virales, la contagion du LOL ou la sérendipité du web. Habités par la conviction de l’universel, les vieux médias découvrent avec frayeur les îlots minoritaires et la fragmentation communautaire, sans s’apercevoir qu’ils ne sont eux-mêmes pas moins polaires, relatifs et bornés. En réalité, c’est à une nouvelle pensée du divers qu’invite la conversation en ligne, faite de mobilisations ponctuelles et de repositionnements instantanés, reflet d’une société de moins en moins fondée sur des logiques d’appartenance, avec laquelle il va bien falloir apprendre à composer. André Gunthert
Dans les médias de la communication, une chambre d’écho, ou chambre d’écho médiatique est une description métaphorique d’une situation dans laquelle l’information, les idées, ou les croyances sont amplifiées ou renforcées par la communication et la répétition dans un système défini. Il s’agit d’une analogie avec la chambre d’écho acoustique, ou chambre réverbérante, dans laquelle les sons sont réverbérés par les murs. À l’intérieur d’une chambre d’écho médiatique, les sources ne sont généralement pas remises en question et les points de vue opposés sont censurés ou sous-représentés. John Scruggs, lobbyiste chez le cigarettier Philip Morris, décrit en 1998 deux mécanismes de ce qu’il appelle les «chambres d’écho». Le premier consiste en la répétition d’un même message par différentes sources. Le second mécanisme consiste en la diffusion de messages similaires mais complémentaires par une seule source. Scruggs décrit la chambre d’écho comme stratégie pour augmenter la crédibilité de certaines informations au regard d’une audience cible. Avec la démocratisation de l’internet et l’arrivée des médias sociaux, les chambres d’écho se sont multipliées. Les algorithmes des réseaux sociaux agissent comme des filtres et engendrent ce qu’on a nommé des bulles de filtres. L’utilisateur à l’intérieur d’une telle bulle obtient de l’information triée à son insu en fonction de son activité sur un réseau. L’accessibilité accrue aux informations correspondant aux opinions des individus fait que ces derniers sont moins exposés à des opinions différentes des leurs. Dans les chambres d’échos, les opinions opposées à celles de la majorité sont peu diffusées et, lorsqu’elles le sont, sont souvent la cible d’attaques par cette majorité pour les discréditer. Lorsqu’une information est reprise par de nombreux médias, elle peut être déformée, exagérée, jusqu’à être plus ou moins dénaturée. En augmentant l’exposition à une rumeur infondée, sa crédibilité a tendance à augmenter. À l’intérieur d’une chambre d’écho, il peut ainsi arriver qu’une majorité d’individus croient en une version dénaturée d’une information véridique, ou en une information carrément fausse. Souvent, les individus isolés au sein des chambres d’échos médiatiques sont entraînés dans un enfermement intellectuel et informationnel, construit en fonction de leur vision du monde, ce qui les conforte dans leurs convictions et les amène à l’incapacité à porter un regard critique et constructif sur les opinions qu’on leur présente. Ainsi, ces personnes sont moins aptes à juger de la qualité des informations auxquelles elles sont exposées. (…) Par ailleurs, ces chambres d’échos peuvent être touchées par la mal-information ou encore par les fake news. L’impact de ces dernières et des chambres d’échos est exacerbé par l’utilisation massive des réseaux sociaux. En effet, les débats politiques, ou encore les manifestations telles que celles des Gilets jaunes sont des événements propices à la création de fake news, qui seront alors propagées par les chambres d’échos. Wikipedia
Vendredi 10 décembre 2021, Paris (…) l’heure est à l’enthousiasme. Le polémiste tutoie les 15% dans les sondages et s’apprête à obtenir le ralliement l’ex-numéro 2 des Républicains, Guillaume Peltier. Tout paraît sourire au polémiste lorsqu’il entre dans le vestibule, et que la masse de journalistes converge vers sa personne. “Je suis un mix entre le RN et LR. C’est pour ça que je serai au second tour”, affirme-t-il ce jour-là, sûr de lui. Ce dimanche 10 avril, il en est pourtant très loin. Avec environ 7% des voix, l’ancien journaliste arrive quatrième (très) largement derrière Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. (…) En moins de cinq mois, son potentiel électoral a fondu comme neige au soleil. Parti comme une flèche après une période de vrai-faux suspense autour des ses intentions présidentielles, Éric Zemmour n’a cessé de perdre des points depuis le mois de février. Une trajectoire façon “montagnes russes” due en partie, à la guerre en Ukraine et aux pronostics hasardeux qu’il faisait à l’égard d’un Vladimir Poutine qu’il jugeait “agressé” par les intentions de Kiev. Mais ce n’est pas la seule raison. Le candidat nationaliste n’a pas réussi à attirer des poids lourds venant des Républicains, à l’exception de Guillaume Peltier, lequel avait déjà eu un passé à l’extrême droite, que ce soit au MPF de Philippe de Villiers ou au Front national de Jean-Marie Le Pen. Et les nombreux ralliements venant du Rassemblement national, de Gilbert Collard à Stéphane Ravier en passant par Nicolas Bay ou Marion Maréchal, n’ont pas produit le moindre effet sur sa concurrente d’extrême droite, qui avait beau jeu de reléguer ces défections au rayon des trahisons intéressées. (…) Face à l’impasse dans laquelle se trouvait sa candidature, Éric Zemmour a ensuite tenté de reproduire la recette qui lui avait permis de percer le plafond des sondages à l’automne: marteler les références identitaires afin d’imposer l’immigration dans le débat. Objectif: “montrer qu’il est le vrai et le seul candidat de droite de cette campagne”, entonnait son entourage. Le candidat de Reconquête! a eu une fenêtre de tir: son débat face à la candidate LR. (…) Problème, la présidente de la région Ile-de-France était aussi venue pour en découdre. Résultat: les échanges ont tourné au pugilat et ont encore une fois renvoyé l’image d’un Éric Zemmour davantage à l’aise dans le costume de bateleur médiatique que dans celui d’un chef de l’État capable de prendre en main le destin d’une nation. Une confrontation qui a par ailleurs conforté Marine Le Pen dans son refus de débattre avec le polémiste ou la candidate LR et de mener campagne loin des joutes télévisuelles qu’affectionne son concurrent. L’écart commençait à se creuser. Et le doute à s’installer dans ses troupes. À la peine dans les sondages, et alors que la guerre en Ukraine sature l’espace médiatique il apparaît comme celui qui ne veut pas de réfugiés ukrainiens sur le sol national, alors que les Français soutiennent l’accueil à 80%. Éric Zemmour s’en remet encore à la transgression, et propose, en mars, un ministère de la “Remigration”. Ultime coup de communication, comme une tentative désespérée d’attirer la lumière. En réalité, la proposition marginalise encore plus le candidat à l’extrême droite et permet à Marine Le Pen d’accentuer sa dédiabolisation, malgré un programme paradoxalement similaire sur l’immigration. Au RN, on rit de ces “provocations” qui ont l’avantage de définitivement cornériser l’essayiste. Un stratégie perdante qui a mécaniquement rebuté des LR hésitants à se déporter naturellement sur sa candidature comme il l’aurait souhaité. Raison pour laquelle Éric Zemmour en a été réduit à faire d’insistants appels du pieds en meeting, en faisant, par exemple applaudir Laurent Wauquiez et Éric Ciotti au Trocadéro. Deux poids lourds des Républicains qui sont restés jusqu’au bout fidèles à Valérie Pécresse, en dépit des offres formulées par le chef de Reconquête!, qui comptait sur la force surestimée de ses meetings spectaculaires pour faire pencher la balance de son côté. “Nous sommes les seuls à faire des rassemblement de cette ampleur”, défendait Samuel Lafont, sincèrement convaincu que ces événements agiraient comme des aimants à électeurs de droite: “chez Valérie Pécresse ils ont même  arrêter d’en faire, la dynamique est chez nous”. Manifestement, ces démonstrations de force destinées à faire de jolies images n’ont pas permis au fondateur de Reconquête! de rebondir. (…) Son entourage à beau pester contre le traitement qui est réservé au candidat, ces accrocs révèlent une forme d’amateurisme et un cruel manque d’anticipation.  Les derniers jours, Éric Zemmour donne l’impression de se rattacher à tout ce qui peut, d’une façon ou d’une autre, relancer sa campagne. De l’affaire McKinsey à la mort du jeune Jérémy Cohen, quitte à prêter le flanc aux accusations en récupération. Sans résultat. “Ce qui est dingue, c’est que nos réunions publiques sont pleines, et que les gens sont surmotivés sur le terrain”, relatait, mercredi 6 avril, au HuffPost, un élu RN rallié au polémiste, avant d’ajouter, réaliste: “enfin, c’est aussi surtout encourageant pour l’après”. Le lendemain de la présidentielle, Éric Zemmour l’a évoqué publiquement sur le plateau de France 2 mercredi 5 avril, en n’écartant pas l’idée de se présenter aux élections législatives au mois de juin. Un aveu d’échec pour qui prétend à la fonction suprême, comme s’il avait acté le fait que la marche était en réalité trop haute pour lui. De toute façon, était-il vraiment à la hauteur, ce candidat entouré de profils baroques, agrégeant les différentes galaxies de l’extrême droite, et s’enfermant dans une radicalité jusqu’à la caricature? Huffpost
Juin 2021. (…) Cette fois, c’est la bonne. Les partisans de l’union d’une droite dure le sentent, les planètes sont alignées, et un espace voit le jour entre Les Républicains et le Rassemblement national. (…) Le projet est simple : transformer, en quelques mois, l’homme des plateaux de télévision en un candidat à la présidentielle qui pourra, enfin, réconcilier une droite bourgeoise et patriote avec une droite plus populaire. Cette droite en est persuadée : Marine Le Pen, victime d’un plafond de verre, ne peut pas gagner, la droite dure a donc besoin d’un nouveau héraut. Les partisans de l’union ont enfin trouvé le porte-drapeau de leur récit, et c’est avec une tournée littéraire que les proches de l’ancien éditorialiste prennent la température. Le succès est immédiat. A chaque rendez-vous signature, une foule se presse sur le parvis, dernier ouvrage d’Eric Zemmour serré entre leurs bras. Dans les rangs, on loue les idées défendues par le polémiste, on lance des « Zemmour président », auxquels l’intéressé répond d’un sourire entendu. En septembre, dans un sondage Ipsos, il est crédité de 15% des intentions de vote, un point seulement derrière Marine Le Pen. On rêve, alors, du croisement des courbes. (…) La galaxie se structure. Les orphelins de la droite hors les murs croient enfin avoir trouvé une maison commune, et nourrissent des espoirs présidentiels. Mais arrive, déjà, la première polémique. Le 11 septembre dans l’émission « On est en direct », Eric Zemmour assure que s’il était élu, il interdirait les prénoms musulmans. Parmi ses premiers soutiens, on tique. « Toucher au prénom, c’est toucher au coeur même des gens, c’est une erreur absolue pour quelqu’un qui prétend à la fonction suprême », regrette l’un d’entre eux. Quelques semaines plus tard, il dresse un parallèle entre l’auteur de l’attentat de Toulouse, Mohamed Merah, et ses quatre victimes juives, tuées le 19 mars 2012. Puis c’est devant le Bataclan qu’Éric Zemmour dérape à nouveau, en profitant de sa visite sur les lieux de l’attentat pour critiquer l’action de François Hollande. « C’est ici qu’il a perdu une partie de la droite, analyse un observateur. On ne profane pas un cimetière, c’est aussi simple que ça. » Arrive, enfin, la séquence marseillaise, où une passante dispense Eric Zemmour d’un doigt d’honneur que lui rend bien ce dernier, assorti d’un élégant : « Et bien profond. » Eric Zemmour, pourtant, veut conter son récit. « Je veux montrer qu’il y a un horizon pour la droite, confie-t-il en marge d’un déplacement. Les systèmes partisans, l’impasse entre le RN et LR empêchent de défendre une certaine idée de la France : le cul-de-sac politique a des conséquences métaphysiques. » Mais le grand récit se perd, peu à peu, dans des petites phrases. La brutalité devance la présidentialité. Au grand dam de ses soutiens. « Il s’est laissé emporter par son public littéraire, et a cru qu’il pouvait s’adresser aux électeurs comme il s’adresse à eux, analyse l’un d’entre eux, qui pointe du doigt la responsabilité du premier cercle du polémiste, « jeune et avide de radicalité ». « Ils ont un aspect romantique, ajoute un autre. Un côté terre-brûlée dans lequel ils se permettent tout avec l’idée du : ‘tant pis si on perd, on aura bien foutu le bordel’. » D’autant que, si certains individus commencent à se montrer dubitatifs, les sondages, eux, continuent de s’envoler. Début novembre, Eric Zemmour culmine à 19% des intentions de vote, avant d’entamer une redescente. Le 30 novembre, mettant fin à un suspense inexistant, il déclare sa candidature à la présidentielle dans une vidéo postée sur Youtube. (…) Il s’agit désormais de montrer que le candidat peut embrasser la fonction d’homme d’Etat, lui faire endosser le costume de présidentiable. Et cela passera par la tenue d’un grand meeting à Villepinte. Véritable démonstration de force orchestrée par Olivier Ubéda, où ses soutiens se relaient à la tribune, pour montrer qu’il est capable de rassembler. Plus de 12 000 personnes, venues de tous les horizons, sont réunies dans une salle chauffée à blanc. Villepinte agit comme un puissant psychotrope, qui fait oublier aux militants les récents déboires. La jeune équipe se félicite : le pari est réussi, le polémiste a achevé sa mue, il est enfin devenu candidat. (…) Les murs tremblent, ce 2 mars, au 10 rue Jean Goujon. Eric Zemmour a obtenu ses parrainages. Il est officiellement candidat à la présidence de la République. L’heure est à la fête. (…) une semaine après l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine. Et le champ politique n’a pas le coeur à la fête. Mais à Reconquête, on vit la campagne en chantant. Dans les déplacements, en café avec les journalistes, au QG, on vante l’ambiance chaleureuse des équipes, celle de la « droite joyeuse ». Depuis Villepinte, les rangs se sont étoffés. Reconquête a dépassé les 100 000 adhérents, du jamais vu pour un parti naissant. L’appareil siphonne les rangs du Rassemblement national, et engrange quelques soutiens venus de la droite. Jérôme Rivière, Guillaume Peltier, Sébastien Pilard, Stéphane Ravier ont rejoint Eric Zemmour. Le 19 février, c’est au Mont Saint Michel que la Zemmourie s’est réunie pour accueillir Nicolas Bay (…) Les transfuges saluent la « libération » qu’est la leur, depuis qu’ils l’ont rejoint. Les coups d’œil aux sondages leur collent un grand sourire aux lèvres. En février, Eric Zemmour est encore en tête de la primaire informelle qui se joue à droite, devant Valérie Pécresse et au coude-à-coude avec Marine Le Pen. On s’apprête donc à faire cap sur Emmanuel Macron.  Avant que la réalité ne les rattrape, une nouvelle fois, sous la forme d’une déclaration polémique. Celle d’Eric Zemmour, qui soutient, sur RTL, que la France « ne doit pas accueillir de réfugiés ukrainiens ». Là où même Marine Le Pen se prononce en faveur du respect de la Convention de Genève. Et revient, d’un coup, l’étiquette de la brutalité qui lui colle à la peau. « C’est incroyable, la teneur de son discours fait penser qu’il pourrait avoir une famille ukrainienne en train de crever sur son palier qu’il n’ouvrirait pas la porte, lâche un observateur de la droite. De tels propos, ça ne fait que ressortir son manque d’humanité. » (…) Cette fois, rien n’y fait, et les sondages entament une chute lente mais inexorable. Si officiellement, les proches d’Eric Zemmour imputent sa baisse dans les intentions de vote au « réflexe légitimiste » d’un électorat de droite traditionnelle, en interne les langues se délient. « C’était l’erreur de trop », regrette un membre du premier cercle. La campagne déchante. 21 mars. Dans un sondage paru le matin même, le candidat nationaliste est retombé sous la barre symbolique des 10%. (…) « On est coincés, on est obligés de faire comme si on y croyait encore, souffle un salarié du parti. On ne va pas aller dire à nos militants que c’est cramé. » « Je ne me rendais pas compte que d’une semaine à l’autre on pouvait passer de 17% à 10%, c’est horrible pour nous, se lamente un cadre. On a toujours envie de tout prévoir, de tout contrôler mais on ne peut pas. » Même le ralliement de Marion Maréchal, annoncée depuis des mois comme la pièce maîtresse capable de basculer l’élection, n’y fait rien. Il est temps de sortir les rames. (….) Et comme souvent, en cas de tempête, le bateau tangue. Le vernis de l’entente cordiale craquelle. Les premiers soutiens goûtent peu de se faire (grand) remplacer au compte-goutte par les nouveaux ralliés, plus capés politiquement. Privés de médias, évincés des réunions stratégiques, relégués sur des déplacements de second plan, tout un pan de Reconquête nourrit un certain ressentiment. (…) Sur la ligne, aussi, les divergences commencent à poindre. Les défenseurs d’une politique plus axée sur le pouvoir d’achat ne comprennent pas que la question soit si peu abordée. Ceux dont les préoccupations se portent sur les classes populaires ne cessent de le répéter : « On n’imprime pas dans cet électorat, et c’est ce qui nous manque, mais les têtes pensantes ne font rien pour redresser la barre. » Au contraire, le premier cercle en est convaincu : il faut marteler sur les thématiques où l’on identifie Eric Zemmour. A savoir : immigration, identité et sécurité. Des sujets qui, le répètent ses proches, font toujours partie des premières préoccupations des électeurs. A Reconquête, on a un mantra : celui qui gagne l’élection est celui qui arrive à imposer son thème. (…) Alors, on se rassure en relevant la tête : les meetings, organisés aux quatre coins de la France, continuent d’être un succès. Chaque déplacement d’un orateur siglé Zemmour fait le plein. Les réunions publiques du candidat sont toujours impressionnantes, malgré un ou deux ratés, liés à la non prise en compte des impératifs du temps de parole. Le décalage entre les sondages et la dynamique de terrain est saisissant. Erreur 404 dans les équipes. « Comment peut-on être si bas dans les intentions de vote et constater une telle ferveur auprès des militants ? », s’interroge-t-on. Certains ébauchent une réponse : « Un meeting, ce n’est pas la France. Il faut parler aux électeurs plutôt qu’aux militants. On ne peut pas faire reposer une campagne uniquement sur des prises de guerre et des meetings », confie un cadre. En interne, on commence à se passer le mot : « Il est temps de se renouveler. » Une grande réunion publique, le 27 mars, au Trocadéro devrait permettre de rebondir, comme Eric Zemmour a toujours su le faire au cours de cette campagne. (…) La place du Trocadéro est comble. Éric Zemmour, debout sur une estrade, fait face à plusieurs dizaines de milliers de personnes. Il lève les mains vers le ciel. Il l’a fait. Lui qui, un an auparavant, était encore polémiste sur CNEWS, marche aujourd’hui dans les pas de Nicolas Sarkozy et François Fillon. Et jure qu’il fera mentir les sondages, où il est désormais le quatrième homme, seulement. A deux pas de la scène, un homme seul se fond dans la masse. Il observe le tableau, un vague sourire aux lèvres. Cet homme, c’est Paul-Marie Coûteaux, figure des milieux conservateurs et chantre de l’union des droites. A Villepinte, il avait pris la parole, devant une foule électrisée, pour encenser Eric Zemmour. Jadis fervent soutien, il n’est aujourd’hui qu’un spectateur dubitatif, qui contemple de loin une opportunité ratée. « J’avais pourtant fait part de mes réserves, mais ils ont pêché dans leur positionnement de départ, ils n’auraient pas dû verser dans une telle radicalité », regrette-t-il. Loin de la foule et de la musique tonitruante, Marine Le Pen continue sa campagne à bas bruit. Elle est désormais donnée finaliste, systématiquement, dans tous les sondages. Les Zemmouristes serrent les rangs. Ils en sont désormais persuadés : les sondages ne sont pas le reflet de la vérité, et leur stratégie est la bonne.  (…) Dynamique, rythme, et radicalité. La recette du cocktail explosif que va distiller Eric Zemmour pour cette dernière ligne droite. Avec une nouvelle proposition, portée par Nicolas Bay, Guillaume Peltier et Philippe de Villiers : la mise en place d’un ministère de la Remigration. A droite, on tique, encore et toujours. Car l’expression est empruntée au lexique de la droite identitaire et groupusculaire, et revendique de renvoyer dans leur pays d’origine tous les migrants et immigrés non européens. En interne, plusieurs craquent : « Trop c’est trop. » Mais encore une fois, le buzz fonctionne. La preuve par les actes, revendique Guillaume Peltier, désignant le flot de journalistes amoncelés autour de lui pour le questionner sur cette nouvelle trouvaille. D’ailleurs, un sondage leur donne raison : Selon Opinionway, « 55% des Français se déclarent favorables à la création d’un tel ministère ». CQFD. Et le pas de plus vers une nouvelle radicalisation. Si les sondages sont de leur côté, alors ce sont les médias, et les journalistes – « profession la plus détestée des Français », comme la Zemmourie aime à le rappeler – qui mentent. Attaquer la presse, faire mentir les sondages, vanter l’existence d’un vote caché. Jouer la carte du « nous » contre « eux », et du « tous contre nous ». Et, surtout, remettre au centre du débat les questions migratoires et civilisationnelles, à force de déclarations chocs. Telle est la stratégie d’Eric Zemmour, pour mener sa dernière bataille. Elle ne fait pas l’unanimité. « Ils sont restés dans une culture de partis de minorité, critique un salarié de Reconquête, venu des Républicains. Ils sont dans la culture du coup, alors qu’il faudrait voir sur le long terme. » (…) L’épisode, d’ailleurs, aura marqué la campagne par son caractère inédit. Jamais un parti naissant n’aura réuni tant de militants, ou connu une ferveur pareille sur le terrain. Jamais la fenêtre d’Overton n’aura été autant élargie, tant Eric Zemmour a distillé ses obsessions dans la campagne, au point de réussir à installer la théorie du « grand remplacement » dans le débat public. A quelques jours du premier tour, on dresse, déjà, à droite, l’éloge funèbre d’un candidat au parcours météoritique. « Dès le départ, ils se sont enfermés dans ce qu’ils font toujours : la campagne du buzz et de la punchline. Les références de Zemmour auraient dû être François Fillon et Marine Le Pen, c’est finalement Henri de Lesquen et Renaud Camus, il s’est transformé en addition de groupuscules identitaires. »  (…)rue Jean Goujon, le 24 mars. (…) Eric Zemmour (…) revient près de trois ans en arrière, au moment de la Convention de la droite. Il évoque le discours choc qu’il y a prononcé, d’une extrême virulence sur l’islam et l’immigration. « Je n’étais pas bon sur la forme, mais sur le fond, c’était l’un de mes meilleurs discours », assure-t-il encore aujourd’hui. Il dresse un parallèle avec le célèbre Discours des fleuves du sang, prononcé en 1968 par le très à droite Enoch Powell, lors d’un rassemblement conservateur à Birmingham. L’allocution provoque alors une tempête politique et son limogeage du cabinet fantôme. « La référence est des plus symboliques, assure un ami de longue date. Car ce qu’il faut retenir d’Eric Zemmour, finalement, c’est qu’il ne rêve pas de prendre le pouvoir. Il se complait dans sa radicalité. Ne s’est il donc pas contenté d’élargir sa propre fenêtre d’Overton pour mieux y rester enfermé ? » L’Express
Les regards sont humides et les accolades appuyées, ce dimanche, à la maison de la Mutualité. Les femmes ont chaussé leurs talons et les hommes leur veste de costume, mais le coeur n’est plus à la fête. Dans le lieu qui a accueilli Benoit Hamon en 2017 et Nicolas Sarkozy en 2012, la malédiction de la défaite se poursuit. Les résultats du premier tour de l’élection présidentielle sont tombés. De même que le score d’Eric Zemmour, à 7%. Le même chiffre qu’au mois d’août 2021, au moment où celui qui était encore éditorialiste était testé dans les premières enquêtes d’opinion. La claque. Regards hagards, les militants présents dans la salle sont sonnés. « C’est pas possible, c’est pas possible », se lamente une trentenaire en s’effondrant dans les bras de son compagnon. « C’est injuste, c’est en complet décalage avec la ferveur qu’on a rencontrée sur le terrain, avec l’espoir qu’on a suscité », regrette un autre. Les zemmouristes ont la gueule de bois.  (…) L’échec, lui, est bel et bien présent. Eric Zemmour en convient, sur scène, le regard embué : « Nous sommes déçus. » Il analyse, aussi, les causes de sa chute. « Peut-être est-ce à cause de l’absence de campagne et de débat ? Du traitement qui nous a été réservé ? De la situation internationale ? Ou peut-être, aussi… de ma faute… » « Non, non, on vous aime ! », répond la salle d’une seule voix. Dans l’équipe, on explique ce résultat décevant par l’infusion de l’argument « vote utile » en faveur de Marine Le Pen. « Les électeurs de droite ont eu peur de la montée de Jean-Luc Mélenchon, et ont préféré se tourner vers Marine Le Pen », analyse un bras droit du candidat. (…) Pour l’heure, « la jeunesse de France » est sonnée. L’Express
Eric Zemmour n’a semble-t-il pas réussi à réunir « la bourgeoisie patriote », en dehors d’une partie de fillonistes de 2017 et des catholiques de La Manif pour tous, et « les classes populaires », qui sont restés pour l’essentiel fidèles à Marine Le Pen, qui dépasse les 23 %. Son parti Reconquête ! témoignait déjà de cette faiblesse : Eric Zemmour a en réalité bâti un nouveau Rassemblement national à la droite du RN, mais où les ralliés du parti Les Républicains sont rares : un obscur sénateur, Sébastien Meurant, un ancien député inconnu, Nicolas Dhuicq, et surtout Guillaume Peltier, l’ancien numéro deux de LR, qui est lui un rallié successif – ancien du Front national, du Mouvement national républicain (MNR) de Bruno Mégret, du Mouvement pour le France (MPF) de Philippe de Villiers, puis de l’UMP. Eric Zemmour a pu croire en la victoire : crédité d’à peine 7 % des voix en septembre 2021, il s’est hissé à 17 % ou 18 % des intentions de vote à mi-octobre, avant de redescendre inexorablement. Il a, à l’évidence, réussi à imposer ses thèmes de campagne, y compris à la droite classique, construit de toutes pièces un appareil qui revendique plus de 100 000 adhérents, imposé une domination quasi absolue sur les réseaux sociaux et rempli des meetings comme aucun des autres candidats. Mais la ferveur qu’il suscite chez ses sympathisants ne s’est pas traduite dans les urnes. (…) Le cercle de courtisans qui l’entoure a puissamment exacerbé l’hubris d’un homme qui n’en manquait pas, et qui ne s’est pas inquiété d’être devenu une sorte de gourou dont la seule présence électrisait les foules. Il faut enfin compter avec les outrances du candidat, qui ont marqué la campagne présidentielle : le « trait d’humour » qui lui a fait viser des journalistes avec un fusil au salon Milipol (20 octobre 2021), la conférence de presse sur les lieux même du Bataclan quant à la responsabilité de François Hollande (12 novembre 2021), le doigt d’honneur fort peu présidentiel à une militante à Marseille (27 novembre 2021), ses propos sur les handicapés et « l’obsession de leur inclusion à école », qui a fait bondir (14 janvier)… Sans compter la misogynie assumée de son passé de polémiste, qu’il a tenté de faire oublier mais qui lui vaut un déficit sévère dans l’électorat féminin. Mais c’est avec la guerre en Ukraine que le candidat a dégringolé dans les sondages. En raison, d’une part, de son admiration pour Vladimir Poutine (« Je rêve d’un Poutine français », avait-il dit en 2018), son incapacité à le qualifier de « criminel de guerre », et enfin sa répugnance à accueillir des réfugiés ukrainiens – contrairement à Marine Le Pen. Si l’on ajoute la faiblesse et la confusion de son programme [?], ses manœuvres assez politiciennes [?], lui qui se défend d’être un politicien – « supplice chinois » des ralliements du RN, minutieusement organisés, avec en point d’orgue celui de Marion Maréchal, bombardements d’informations douteuses sur le Net –, Eric Zemmour est bel et bien passé à côté de sa campagne. L’amertume l’a peu à peu porté vers le complotisme – la responsabilité des médias, les manipulations des sondages, « le vote caché » –, qui sont autant d’étapes de son échec du dimanche 10 avril. Franck Johannès
Ma chambre d’écho m’a tuer !
Devinez qui …
En ce lendemain de premier tour
Et le louable mais coûteux refus, sur l’économie, de la démagogie facile des Le Pen ou Mélenchon …
Mais une étrange hémiplégie sur la menace néo-impérialiste sino-russe …
S’est hélas fait piéger comme le débutant qu’il était …
Avec l’aide de médias au départ en manque de produits nouveaux …
Ne manquant pas de lui imposer, au moindre de ses faux pas, l’infamante étiquette d’extrême droite raciste et misogyne …
Pour finir par piéger au passage ses jeunes et eux-mêmes novices partisans pour la plupart …
Dans une véritable chambre d’écho médiatico-numérique…
Nouvelle caverne de Platon probablement amplifiée, de par la personnalisation algorithmique des moteurs de recherche et des réseaux sociaux, par l’effet de « bulle de filtrage »
Pour revenir quelque peu piteusement  avec le brutal retour du réel de l’élection elle-même …
A moins ultime pirouette de l’histoire …

Qu’en acceptant de jouer le « bad cop » en prenant comme il l’a fait  toute sa négativité sur lui …

Eric Zemmour permette au camp national …

Via la « good cop » Marine qui en a tant rajouté dans la démagogie économique …

D’arriver enfin à se glisser dans le petit trou de souris que pourrait nous offrir le sort …

Et nous débarrasser enfin de celui qui sans le putsch judiciaire contre Fillon il y a cinq ans …

N’aurait dû jamais quitter sa vraie place dans les notes de bas de page de la dite histoire … ?

Eric Zemmour : une déroute pour le polémiste d’extrême droite 
Le candidat d’extrême droite a obtenu 7 % des voix au premier tour de l’élection présidentielle du dimanche 10 avril. Il termine en quatrième position, loin derrière le trio de tête.
Franck Johannès
Le Monde
10.04.2022
Eric Zemmour a obtenu 7 % des suffrages exprimés au premier tour de l’élection présidentielle du 10 avril, selon les premières estimations Ipsos-Sopra Steria. Cette défaite s’explique sans doute par une combinaison de facteurs, que le candidat d’extrême droite a d’ailleurs vu monter lors des dernières semaines, en multipliant les appels à la mobilisation, dans toutes les couches de l’électorat.
Eric Zemmour n’a semble-t-il pas réussi à réunir « la bourgeoisie patriote », en dehors d’une partie de fillonistes de 2017 et des catholiques de La Manif pour tous, et « les classes populaires », qui sont restés pour l’essentiel fidèles à Marine Le Pen, qui dépasse les 23 %. Son parti Reconquête ! témoignait déjà de cette faiblesse : Eric Zemmour a en réalité bâti un nouveau Rassemblement national à la droite du RN, mais où les ralliés du parti Les Républicains sont rares : un obscur sénateur, Sébastien Meurant, un ancien député inconnu, Nicolas Dhuicq, et surtout Guillaume Peltier, l’ancien numéro deux de LR, qui est lui un rallié successif – ancien du Front national, du Mouvement national républicain (MNR) de Bruno Mégret, du Mouvement pour le France (MPF) de Philippe de Villiers, puis de l’UMP.
Cercle de courtisans
Eric Zemmour a pu croire en la victoire : crédité d’à peine 7 % des voix en septembre 2021, il s’est hissé à 17 % ou 18 % des intentions de vote à mi-octobre, avant de redescendre inexorablement. Il a, à l’évidence, réussi à imposer ses thèmes de campagne, y compris à la droite classique, construit de toutes pièces un appareil qui revendique plus de 100 000 adhérents, imposé une domination quasi absolue sur les réseaux sociaux et rempli des meetings comme aucun des autres candidats.
Mais la ferveur qu’il suscite chez ses sympathisants ne s’est pas traduite dans les urnes. « Je crois que la dynamique est de mon côté, a-t-il encore déclaré le 6 avril sur France Inter. Tous les éléments objectifs, les salles pleines, la ferveur, les audiences télévisées, le nombre d’adhérents, tout ça, c’est moi. » Le cercle de courtisans qui l’entoure a puissamment exacerbé l’hubris d’un homme qui n’en manquait pas, et qui ne s’est pas inquiété d’être devenu une sorte de gourou dont la seule présence électrisait les foules.
Il faut enfin compter avec les outrances du candidat, qui ont marqué la campagne présidentielle : le « trait d’humour » qui lui a fait viser des journalistes avec un fusil au salon Milipol (20 octobre 2021), la conférence de presse sur les lieux même du Bataclan quant à la responsabilité de François Hollande (12 novembre 2021), le doigt d’honneur fort peu présidentiel à une militante à Marseille (27 novembre 2021), ses propos sur les handicapés et « l’obsession de leur inclusion à école », qui a fait bondir (14 janvier)… Sans compter la misogynie assumée de son passé de polémiste, qu’il a tenté de faire oublier mais qui lui vaut un déficit sévère dans l’électorat féminin.
Dégringolade avec la guerre en Ukraine
Mais c’est avec la guerre en Ukraine que le candidat a dégringolé dans les sondages. En raison, d’une part, de son admiration pour Vladimir Poutine (« Je rêve d’un Poutine français », avait-il dit en 2018), son incapacité à le qualifier de « criminel de guerre », et enfin sa répugnance à accueillir des réfugiés ukrainiens – contrairement à Marine Le Pen.
Si l’on ajoute la faiblesse et la confusion de son programme, ses manœuvres assez politiciennes, lui qui se défend d’être un politicien – « supplice chinois » des ralliements du RN, minutieusement organisés, avec en point d’orgue celui de Marion Maréchal, bombardements d’informations douteuses sur le Net –, Eric Zemmour est bel et bien passé à côté de sa campagne. L’amertume l’a peu à peu porté vers le complotisme – la responsabilité des médias, les manipulations des sondages, « le vote caché » –, qui sont autant d’étapes de son échec du dimanche 10 avril.

Voir aussi:

L’ancien journaliste est devenu en quelques mois le phénomène surprise de cette présidentielle. Mais en politique, plus rapide est l’ascension, plus dure sera la chute.
L’Express
Marylou Magal
01/04/2022

Chapitre 1 : Le temps de l’insouciance

Juin 2021. Dans le VIe arrondissement de Paris, des passants de la rue des Saint-Père accélèrent le pas. Soudain, ils bifurquent, et poussent la porte cochère de l’un des immeubles. Dans les escaliers qui mènent à l’appartement, résonnent des chants grégoriens. Le salon, lui, abrite des livres et des bustes de Napoléon. Et il arrive, parfois, qu’Eric Zemmour y fasse irruption. Cet appartement est celui de Sarah Knafo. En juin, l’énarque de 28 ans n’a pas encore fait la Une de la presse people. Loin du bruit et de la fureur, elle active ses réseaux au sein de la « droite hors les murs ». Au coeur du Quartier latin, elle reçoit les uns, les autres. Elle consulte, interroge, apprivoise. Cette fois, c’est la bonne. Les partisans de l’union d’une droite dure le sentent, les planètes sont alignées, et un espace voit le jour entre Les Républicains et le Rassemblement national. 
Pendant un temps, le petit appartement tiendra lieu de QG de campagne officieux pour les entremetteurs de l’ombre qui composent ce qui deviendra la première équipe d’Eric Zemmour. Le projet est simple : transformer, en quelques mois, l’homme des plateaux de télévision en un candidat à la présidentielle qui pourra, enfin, réconcilier une droite bourgeoise et patriote avec une droite plus populaire. Cette droite en est persuadée : Marine Le Pen, victime d’un plafond de verre, ne peut pas gagner, la droite dure a donc besoin d’un nouveau héraut. Les partisans de l’union ont enfin trouvé le porte-drapeau de leur récit, et c’est avec une tournée littéraire que les proches de l’ancien éditorialiste prennent la température. 

Les orphelins de la droite hors les murs croient enfin avoir trouvé une maison commune

Le succès est immédiat. A chaque rendez-vous signature, une foule se presse sur le parvis, dernier ouvrage d’Eric Zemmour serré entre leurs bras. Dans les rangs, on loue les idées défendues par le polémiste, on lance des « Zemmour président », auxquels l’intéressé répond d’un sourire entendu. En septembre, dans un sondage Ipsos, il est crédité de 15% des intentions de vote, un point seulement derrière Marine Le Pen. On rêve, alors, du croisement des courbes. A Paris, entre deux déplacements, Sarah Knafo continue de rencontrer du monde, tente de draguer des soutiens. Tous se souviennent de sa pugnacité. « J’avais rencontré Sarah (Knafo, NDLR) et Eric (Zemmour, NDLR) à un dîner avec Erik Tegner (directeur de la rédaction de Livre noir, média poisson-pilote de la campagne Zemmouriste) et Marion Maréchal, se remémore Sébastien Pilard, ancienne figure de la Manif pour Tous, désormais membre de la campagne. Elle avait ensuite tenté de me convaincre de les rejoindre. Je lui ai dit de me rappeler quand elle aurait un sondage à deux chiffres, ça n’a pas manqué. » 
La galaxie se structure. Les orphelins de la droite hors les murs croient enfin avoir trouvé une maison commune, et nourrissent des espoirs présidentiels. Mais arrive, déjà, la première polémique. Le 11 septembre dans l’émission « On est en direct », Eric Zemmour assure que s’il était élu, il interdirait les prénoms musulmans. Parmi ses premiers soutiens, on tique. « Toucher au prénom, c’est toucher au coeur même des gens, c’est une erreur absolue pour quelqu’un qui prétend à la fonction suprême« , regrette l’un d’entre eux. Quelques semaines plus tard, il dresse un parallèle entre l’auteur de l’attentat de Toulouse, Mohamed Merah, et ses quatre victimes juives, tuées le 19 mars 2012. Puis c’est devant le Bataclan qu’Éric Zemmour dérape à nouveau, en profitant de sa visite sur les lieux de l’attentat pour critiquer l’action de François Hollande. « C’est ici qu’il a perdu une partie de la droite, analyse un observateur. On ne profane pas un cimetière, c’est aussi simple que ça. » Arrive, enfin, la séquence marseillaise, où une passante dispense Eric Zemmour d’un doigt d’honneur que lui rend bien ce dernier, assorti d’un élégant : « Et bien profond. » 

Démonstration de force à Villepinte

Eric Zemmour, pourtant, veut conter son récit. « Je veux montrer qu’il y a un horizon pour la droite, confie-t-il en marge d’un déplacement. Les systèmes partisans, l’impasse entre le RN et LR empêchent de défendre une certaine idée de la France : le cul-de-sac politique a des conséquences métaphysiques. » Mais le grand récit se perd, peu à peu, dans des petites phrases. La brutalité devance la présidentialité. Au grand dam de ses soutiens. « Il s’est laissé emporter par son public littéraire, et a cru qu’il pouvait s’adresser aux électeurs comme il s’adresse à eux, analyse l’un d’entre eux, qui pointe du doigt la responsabilité du premier cercle du polémiste, « jeune et avide de radicalité« . « Ils ont un aspect romantique, ajoute un autre. Un côté terre-brûlée dans lequel ils se permettent tout avec l’idée du : ‘tant pis si on perd, on aura bien foutu le bordel’. » D’autant que, si certains individus commencent à se montrer dubitatifs, les sondages, eux, continuent de s’envoler. Début novembre, Eric Zemmour culmine à 19% des intentions de vote, avant d’entamer une redescente. 
Le 30 novembre, mettant fin à un suspense inexistant, il déclare sa candidature à la présidentielle dans une vidéo postée sur Youtube. Dans l’équipe, on se passe le mot : la campagne prend une autre dimension. Il s’agit désormais de montrer que le candidat peut embrasser la fonction d’homme d’Etat, lui faire endosser le costume de présidentiable. Et cela passera par la tenue d’un grand meeting à Villepinte. Véritable démonstration de force orchestrée par Olivier Ubéda, où ses soutiens se relaient à la tribune, pour montrer qu’il est capable de rassembler. Plus de 12 000 personnes, venues de tous les horizons, sont réunies dans une salle chauffée à blanc. Villepinte agit comme un puissant psychotrope, qui fait oublier aux militants les récents déboires. La jeune équipe se félicite : le pari est réussi, le polémiste a achevé sa mue, il est enfin devenu candidat.

Chapitre 2 : La fin de l’innocence

Champagne shower ! Les murs tremblent, ce 2 mars, au 10 rue Jean Goujon. Eric Zemmour a obtenu ses parrainages. Il est officiellement candidat à la présidence de la République. L’heure est à la fête. Pour l’occasion, le QG de campagne se transforme en carré VIP sur les Champs-Élysées. Les équipes, en costume, se déhanchent sur fond de Bande organisée. Le responsable des signatures est repeint au champagne, ambiance Saint-Tropez. Heureusement que Gilbert Payet, mandataire financier de la campagne, est là pour passer la serpillère. La vidéo de la soirée circule sur les réseaux sociaux, et provoque, à droite, des réactions incrédules. « C’est absolument indécent« , lâche un élu, un temps séduit par les idées d’Eric Zemmour. Car la scène se passe une semaine après l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine. Et le champ politique n’a pas le coeur à la fête. 
Mais à Reconquête, on vit la campagne en chantant. Dans les déplacements, en café avec les journalistes, au QG, on vante l’ambiance chaleureuse des équipes, celle de la « droite joyeuse ». Depuis Villepinte, les rangs se sont étoffés. Reconquête a dépassé les 100 000 adhérents, du jamais vu pour un parti naissant. L’appareil siphonne les rangs du Rassemblement national, et engrange quelques soutiens venus de la droite. Jérôme Rivière, Guillaume Peltier, Sébastien Pilard, Stéphane Ravier ont rejoint Eric Zemmour. Le 19 février, c’est au Mont Saint Michel que la Zemmourie s’est réunie pour accueillir Nicolas Bay, entré en scène sur la musique de James Bond (car soupçonné par Marine Le Pen d’avoir été un agent double). Bottes aux pieds, la troupe nationaliste s’esclaffe, ravie de sa private joke. Les transfuges saluent la « libération » qu’est la leur, depuis qu’ils l’ont rejoint. Les coups d’œil aux sondages leur collent un grand sourire aux lèvres. En février, Eric Zemmour est encore en tête de la primaire informelle qui se joue à droite, devant Valérie Pécresse et au coude-à-coude avec Marine Le Pen. On s’apprête donc à faire cap sur Emmanuel Macron. 

La campagne déchante

Avant que la réalité ne les rattrape, une nouvelle fois, sous la forme d’une déclaration polémique. Celle d’Eric Zemmour, qui soutient, sur RTL, que la France « ne doit pas accueillir de réfugiés ukrainiens« . Là où même Marine Le Pen se prononce en faveur du respect de la Convention de Genève. Et revient, d’un coup, l’étiquette de la brutalité qui lui colle à la peau. « C’est incroyable, la teneur de son discours fait penser qu’il pourrait avoir une famille ukrainienne en train de crever sur son palier qu’il n’ouvrirait pas la porte, lâche un observateur de la droite. De tels propos, ça ne fait que ressortir son manque d’humanité. » Pourtant, ses équipes avaient tout fait, depuis décembre, pour lisser l’image du candidat d’extrême-droite. « Il faut qu’on arrive à le montrer tel qu’il est en privé, drôle et attentionné« , revendiquait un proche. Les communicants s’y sont employés pendant des semaines, à grand renfort de vidéos, montrant le candidat nationaliste hilare et entouré. Cette fois, rien n’y fait, et les sondages entament une chute lente mais inexorable. Si officiellement, les proches d’Eric Zemmour imputent sa baisse dans les intentions de vote au « réflexe légitimiste » d’un électorat de droite traditionnelle, en interne les langues se délient. « C’était l’erreur de trop« , regrette un membre du premier cercle. La campagne déchante. 
21 mars. Dans un sondage paru le matin même, le candidat nationaliste est retombé sous la barre symbolique des 10%. Un cadre se laisse lourdement tomber sur sa chaise, dépité. « Allez, on va boire« , grince-t-il, à l’évocation du chiffre. La campagne joyeuse n’est plus qu’un lointain souvenir. De même que le second tour, désormais inatteignable dans les esprits des uns et des autres. « On est coincés, on est obligés de faire comme si on y croyait encore, souffle un salarié du parti. On ne va pas aller dire à nos militants que c’est cramé. » « Je ne me rendais pas compte que d’une semaine à l’autre on pouvait passer de 17% à 10%, c’est horrible pour nous, se lamente un cadre. On a toujours envie de tout prévoir, de tout contrôler mais on ne peut pas. » Même le ralliement de Marion Maréchal, annoncée depuis des mois comme la pièce maîtresse capable de basculer l’élection, n’y fait rien. Il est temps de sortir les rames. 

Le vernis craquelle

Et comme souvent, en cas de tempête, le bateau tangue. Le vernis de l’entente cordiale craquelle. Flash-back. Dans l’Aisne, mi-janvier, la température frôle le négatif. Sous le parvis de la mairie, journalistes et salariés de la campagne attendent ensemble l’arrivée des personnalités de la journée. Eric Zemmour sort de la voiture, suivi de près par Guillaume Peltier, fraîchement nommé vice-président de Reconquête. « Ah ! Voilà votre nouveau patron« , lance, taquin, un journaliste à Antoine Diers, soutien de la première heure, pourtant directeur adjoint de la stratégie. Le sourire de ce dernier se crispe tandis que sa moustache se fige. « Mais ce n’est pas mon patron« , souffle-t-il. Ambiance. « Jusqu’ici, on gardait pour nous nos rancoeurs personnelles, parce qu’il fallait faire front commun, mais c’est terminé« , avance un cadre. Les premiers soutiens goûtent peu de se faire (grand) remplacer au compte-goutte par les nouveaux ralliés, plus capés politiquement. Privés de médias, évincés des réunions stratégiques, relégués sur des déplacements de second plan, tout un pan de Reconquête nourrit un certain ressentiment. « Ils devraient pourtant le savoir, sourit un salarié. Dans une campagne, ce n’est jamais le premier rallié le mieux récompensé, regardez Edouard Philippe. » 
Sur la ligne, aussi, les divergences commencent à poindre. Les défenseurs d’une politique plus axée sur le pouvoir d’achat ne comprennent pas que la question soit si peu abordée. Ceux dont les préoccupations se portent sur les classes populaires ne cessent de le répéter : « On n’imprime pas dans cet électorat, et c’est ce qu’il nous manque, mais les têtes pensantes ne font rien pour redresser la barre. » Au contraire, le premier cercle en est convaincu : il faut marteler sur les thématiques où l’on identifie Eric Zemmour. A savoir : immigration, identité et sécurité. Des sujets qui, le répètent ses proches, font toujours partie des premières préoccupations des électeurs. A Reconquête, on a un mantra : celui qui gagne l’élection est celui qui arrive à imposer son thème. 

Le décalage entre les sondages et la dynamique de terrain est saisissante

Alors, on se rassure en relevant la tête : les meetings, organisés aux quatre coins de la France, continuent d’être un succès. Chaque déplacement d’un orateur siglé Zemmour fait le plein. Les réunions publiques du candidat sont toujours impressionnantes, malgré un ou deux ratés, liés à la non prise en compte des impératifs du temps de parole. Le décalage entre les sondages et la dynamique de terrain est saisissant. Erreur 404 dans les équipes. « Comment peut-on être si bas dans les intentions de vote et constater une telle ferveur auprès des militants ?« , s’interroge-t-on. Certains ébauchent une réponse : « Un meeting, ce n’est pas la France. Il faut parler aux électeurs plutôt qu’aux militants. On ne peut pas faire reposer une campagne uniquement sur des prises de guerre et des meetings« , confie un cadre. En interne, on commence à se passer le mot : « Il est temps de se renouveler. » Une grande réunion publique, le 27 mars, au Trocadéro devrait permettre de rebondir, comme Eric Zemmour a toujours su le faire au cours de cette campagne. Mais le temps de la fête et des cotillons est bel et bien terminé. Et il n’y plus qu’à passer la serpillère.

Chapitre 3 : Le choix de la radicalisation

La place du Trocadéro est comble. Éric Zemmour, debout sur une estrade, fait face à plusieurs dizaines de milliers de personnes. Il lève les mains vers le ciel. Il l’a fait. Lui qui, un an auparavant, était encore polémiste sur CNEWS, marche aujourd’hui dans les pas de Nicolas Sarkozy et François Fillon. Et jure qu’il fera mentir les sondages, où il est désormais le quatrième homme, seulement. A deux pas de la scène, un homme seul se fond dans la masse. Il observe le tableau, un vague sourire aux lèvres. Cet homme, c’est Paul-Marie Coûteaux, figure des milieux conservateurs et chantre de l’union des droites. A Villepinte, il avait pris la parole, devant une foule électrisée, pour encenser Eric Zemmour. Jadis fervent soutien, il n’est aujourd’hui qu’un spectateur dubitatif, qui contemple de loin une opportunité ratée. « J’avais pourtant fait part de mes réserves, mais ils ont pêché dans leur positionnement de départ, ils n’auraient pas dû verser dans une telle radicalité« , regrette-t-il. 
Loin de la foule et de la musique tonitruante, Marine Le Pen continue sa campagne à bas bruit. Elle est désormais donnée finaliste, systématiquement, dans tous les sondages. Les Zemmouristes serrent les rangs. Ils en sont désormais persuadés : les sondages ne sont pas le reflet de la vérité, et leur stratégie est la bonne. « On est dans notre timing, assure Guillaume Peltier. On a eu une campagne en trois temps, avec la tournée littéraire qui était un test de notoriété, la précampagne de Villepinte au ralliement de Marion Maréchal, et maintenant on rentre dans le dur, avec une dynamique permanente. » Dynamique, rythme, et radicalité. La recette du cocktail explosif que va distiller Eric Zemmour pour cette dernière ligne droite. Avec une nouvelle proposition, portée par Nicolas Bay, Guillaume Peltier et Philippe de Villiers : la mise en place d’un ministère de la Remigration. A droite, on tique, encore et toujours. Car l’expression est empruntée au lexique de la droite identitaire et groupusculaire, et revendique de renvoyer dans leur pays d’origine tous les migrants et immigrés non européens. En interne, plusieurs craquent : « Trop c’est trop. » 

Attaquer la presse, faire mentir les sondages, vanter l’existence d’un vote caché

Mais encore une fois, le buzz fonctionne. La preuve par les actes, revendique Guillaume Peltier, désignant le flot de journalistes amoncelés autour de lui pour le questionner sur cette nouvelle trouvaille. D’ailleurs, un sondage leur donne raison : Selon Opinionway, « 55% des Français se déclarent favorables à la création d’un tel ministère« . CQFD. Et le pas de plus vers une nouvelle radicalisation. Si les sondages sont de leur côté, alors ce sont les médias, et les journalistes – « profession la plus détestée des Français« , comme la Zemmourie aime à le rappeler – qui mentent. Attaquer la presse, faire mentir les sondages, vanter l’existence d’un vote caché. Jouer la carte du « nous » contre « eux », et du « tous contre nous ». Et, surtout, remettre au centre du débat les questions migratoires et civilisationnelles, à force de déclarations chocs. Telle est la stratégie d’Eric Zemmour, pour mener sa dernière bataille. Elle ne fait pas l’unanimité. « Ils sont restés dans une culture de partis de minorité, critique un salarié de Reconquête, venu des Républicains. Ils sont dans la culture du coup, alors qu’il faudrait voir sur le long terme. » 
Faux, rétorque le premier cercle. « Si en septembre Eric Zemmour monte autant, c’est parce qu’il vient parler de l’identité de la France à un moment où personne ne se saisit de ce sujet, et c’est là-dessus qu’il imprime, que les gens l’attendent. » Retour aux fondamentaux, donc, pour rassembler plus largement. « Le ciment de l’union des droites, c’est ça, une seule chose relie tous nos électeurs : c’est la question de l’identité« , martèle un stratège. Le temps n’est plus à l’apaisement. Le premier cercle serre les rangs. A la barre, le duo Sarah Knafo et Guillaume Peltier. Ce sont eux qui dictent la ligne, qui entourent le candidat, qui co-écrivent et relisent ses discours. Le temps n’est plus à l’atermoiement. On réprimande sèchement ceux qui s’épanchent dans la presse, sommés de se reprendre. 
Malgré tout, les langues se délient. « On s’attendait à ce qu’il y ait une vraie démocratie interne, mais ce n’est pas le cas, regrette un engagé de la première heure. Nous ne sommes plus associés aux décisions, on a l’impression d’avoir été débarqués du bateau. » Alors les mis de côté s’organisent, et rêvent de l’après. « Il y aura forcément un congrès, et ce sera le moment de reprendre la main sur l’appareil. » La projection est devenue la plaisanterie des déçus, qui s’appellent régulièrement. « Tu fais quoi ? Je prépare le congrès« , raillent-t-ils au téléphone. Car si certains espoirs de conquête ont été enterrés, restera, après l’élection, une structure forte de plus de 100 000 adhérents, avec de nouveaux objectifs électoraux. Un butin pour lequel beaucoup sont prêts à se battre. « A ce moment-là, ce sera chacun pour soi et Dieu pour tous, prédit un cadre. Car dans le parti, beaucoup sont plus motivés par leur ambition personnelle que par leur conviction. » 
D’autres ne voient pas si loin, et se contentent d’un coup d’oeil dans le rétro. « Je ne me suis engagée que pour la campagne, après le premier tour je mets les voiles, mais on aura vécu une belle aventure« , commente une salariée. Pour plusieurs, la candidature Zemmour n’aura été qu’une parenthèse dorée de la vie politique, une sorte de quête romantique sans débouché, qui aura fait rêver, un temps, les espoirs des partisans de l’union. L’épisode, d’ailleurs, aura marqué la campagne par son caractère inédit. Jamais un parti naissant n’aura réuni tant de militants, ou connu une ferveur pareille sur le terrain. Jamais la fenêtre d’Overton n’aura été autant élargie, tant Eric Zemmour a distillé ses obsessions dans la campagne, au point de réussir à installer la théorie du « grand remplacement » dans le débat public. 

Le souvenir de la Convention de la droite

A quelques jours du premier tour, on dresse, déjà, à droite, l’éloge funèbre d’un candidat au parcours météoritique. « Dès le départ, ils se sont enfermés dans ce qu’ils font toujours : la campagne du buzz et de la punchline. Les références de Zemmour auraient dû être François Fillon et Marine Le Pen, c’est finalement Henri de Lesquen et Renaud Camus, il s’est transformé en addition de groupuscules identitaires. »  
Le soleil brille, rue Jean Goujon, le 24 mars. Un café fait l’angle, à deux pas du QG de campagne. Eric Zemmour, qui sort s’aérer, y croise quelques journalistes. Il s’arrête, pour discuter, et revient près de trois ans en arrière, au moment de la Convention de la droite. Il évoque le discours choc qu’il y a prononcé, d’une extrême virulence sur l’islam et l’immigration. « Je n’étais pas bon sur la forme, mais sur le fond, c’était l’un de mes meilleurs discours« , assure-t-il encore aujourd’hui. 
 
Il dresse un parallèle avec le célèbre Discours des fleuves du sang, prononcé en 1968 par le très à droite Enoch Powell, lors d’un rassemblement conservateur à Birmingham. L’allocution provoque alors une tempête politique et son limogeage du cabinet fantôme. « La référence est des plus symboliques, assure un ami de longue date. Car ce qu’il faut retenir d’Eric Zemmour, finalement, c’est qu’il ne rêve pas de prendre le pouvoir. Il se complait dans sa radicalité. Ne s’est il donc pas contenté d’élargir sa propre fenêtre d’Overton pour mieux y rester enfermé ? » Le premier tour se chargera de répondre à cette interrogation. Pour l’heure, escorté par ses gardes du corps, Eric Zemmour s’avance vers les Champs-Elysées, pour profiter, en solitaire, des quelques rayons de soleil.
Voir également:

Chez Zemmour, déception, pleurs… et sagesse : « C’est bien aussi la démocratie »
Le candidat qui espérait dynamiter la droite et le RN a rassemblé 7% des suffrages. Un résultat décevant pour l’ex-journaliste qui a appelé à voter pour Marine Le Pen.
Marylou Magal
L’Express
10/04/2022

Les regards sont humides et les accolades appuyées, ce dimanche, à la maison de la Mutualité. Les femmes ont chaussé leurs talons et les hommes leur veste de costume, mais le coeur n’est plus à la fête. Dans le lieu qui a accueilli Benoit Hamon en 2017 et Nicolas Sarkozy en 2012, la malédiction de la défaite se poursuit. Les résultats du premier tour de l’élection présidentielle sont tombés. De même que le score d’Eric Zemmour, à 7%. Le même chiffre qu’au mois d’août 2021, au moment où celui qui était encore éditorialiste était testé dans les premières enquêtes d’opinion.

Retour à ses débuts.

La claque. Regards hagards, les militants présents dans la salle sont sonnés. « C’est pas possible, c’est pas possible », se lamente une trentenaire en s’effondrant dans les bras de son compagnon. « C’est injuste, c’est en complet décalage avec la ferveur qu’on a rencontrée sur le terrain, avec l’espoir qu’on a suscité », regrette un autre. Les zemmouristes ont la gueule de bois. « Bon, bah, on a perdu », admet un membre du premier cercle, sourire (jaune) en coin. « Bravo quand même », lâche un soutien à un artisan de la campagne, embrassade à l’appui. « On aura fait tout ce qu’on a pu… », lui rétorque ce dernier. Et on se console comme on peut. Notamment en regardant le score de Valérie Pécresse, autour de 5%.

Eric Zemmour appelle à voter pour Marine Le Pen

Sur les écrans géants installés dans la salle, les militants écoutent Valérie Pécresse assurer qu’elle votera pour Emmanuel Macron. Ils éructent, la huent, la sifflent. « Salope ! », crie un membre de cette assemblée dont une partie est décidément toujours aussi policée. Car, malgré la déception, la plupart des participants ont déjà en tête leur vote du second tour. « Ce sera Marine Le Pen, il n’y a même pas de question à se poser », assure une membre de Reconquête. Eric Zemmour, lui aussi, choisit une ligne claire. « J’ai bien des désaccords avec Marine Le Pen, mais je ne me tromperai pas d’adversaire. C’est la raison pour laquelle j’appelle mes électeurs à voter pour Marine Le Pen », déclare-t-il à ses militants, lors de sa prise de parole. Il assure, pour autant : « Reconquête n’abandonnera rien tant que la France ne sera pas reconquise. Je suis déterminé à poursuivre le combat avec tous ceux qui nous rejoindront, et je vous dirai quelle forme cela prendra. »

L’échec, lui, est bel et bien présent. Eric Zemmour en convient, sur scène, le regard embué : « Nous sommes déçus. » Il analyse, aussi, les causes de sa chute. « Peut-être est-ce à cause de l’absence de campagne et de débat ? Du traitement qui nous a été réservé ? De la situation internationale ? Ou peut-être, aussi… de ma faute… » « Non, non, on vous aime ! », répond la salle d’une seule voix. Dans l’équipe, on explique ce résultat décevant par l’infusion de l’argument « vote utile » en faveur de Marine Le Pen. « Les électeurs de droite ont eu peur de la montée de Jean-Luc Mélenchon, et ont préféré se tourner vers Marine Le Pen », analyse un bras droit du candidat.

« C’est bien, aussi, la démocratie »

Mais tout n’est pas déception, veulent croire les zemmouristes, Eric Zemmour le premier. « Politiquement, tout a changé, parce que nous avons fait irruption dans la vie politique et dépassé les partis moribonds, revendique-t-il à la tribune. Nous avons fait, en trois mois, ce qu’aucun politicien n’a fait en 15 ans. Nous avons construit le premier parti de France. » Les équipes, elles, préfèrent enjamber l’échec, et regardent déjà vers les prochains mois. « La première récolte n’est pas si abondante qu’on l’espérait, mais les graines sont semées », résume poétiquement Philippe Schleitter, le responsable des élections législatives à Reconquête. En statique, c’est décevant, mais en dynamique, un espoir se lève, car nous avons réussi à imposer nos thèmes et à mobiliser, plus que les autres, la jeunesse de France. » Pour l’heure, « la jeunesse de France » est sonnée. La musique s’éteint lentement tandis que la salle se vide. Une jeune femme hoquette, incapable de retenir ses larmes, devant Olivier Ubéda, l’organisateur des meetings. Qui rétorque : « Il ne faut pas pleurer, c’est la démocratie. C’est bien, aussi, la démocratie. »

Voir de plus:

Éric Zemmour, à la présidentielle, une « reconquête » qui a viré à la caricature
Faute d’avoir réussi à faire la jonction entre LR et le RN, le candidat s’est obstiné dans la radicalité pour exister, quitte à sombrer dans la caricature.
Romain Herreros

Huffpost

11/04/2022

POLITIQUE – Vendredi 10 décembre 2021, Paris, huitième arrondissement. Une cinquantaine de journalistes ont été conviés au QG de Reconquête!, avec la promesse de vivre un “moment d’échange” avec Éric Zemmour. Pendant près d’une heure, ce sont ses lieutenants qui se chargent de faire la conversation avec la presse, heureuse d’avoir à couvrir un événement politique dans une campagne qui peine à prendre, marquée par un contexte sanitaire encore compliqué.

Le variant Omicron inquiète déjà, mais aucun membre du staff n’est masqué. Car l’heure est à l’enthousiasme. Le polémiste tutoie les 15% dans les sondages et s’apprête à obtenir le ralliement l’ex-numéro 2 des Républicains, Guillaume Peltier. Tout paraît sourire au polémiste lorsqu’il entre dans le vestibule, et que la masse de journalistes converge vers sa personne. “Je suis un mix entre le RN et LR. C’est pour ça que je serai au second tour”, affirme-t-il ce jour-là, sûr de lui. Ce dimanche 10 avril, il en est pourtant très loin. Avec environ 7% des voix, l’ancien journaliste arrive quatrième (très) largement derrière Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon.

“J’ai commis des erreurs, je les assume toutes. J’en assume l’entière responsabilité”, a déclaré ce dimanche Éric Zemmour dans un discours crépusculaire, avant d’appeler ses électeurs à voter pour Marine Le Pen au second tour, malgré les critiques acerbes qu’il a formulées à son encontre tout au long de la campagne.

En moins de cinq mois, son potentiel électoral a fondu comme neige au soleil. Parti comme une flèche après une période de vrai-faux suspense autour des ses intentions présidentielles, Éric Zemmour n’a cessé de perdre des points depuis le mois de février. Une trajectoire façon “montagnes russes” due en partie, à la guerre en Ukraine et aux pronostics hasardeux qu’il faisait à l’égard d’un Vladimir Poutine qu’il jugeait “agressé” par les intentions de Kiev. Mais ce n’est pas la seule raison.

Sérieusement, qui connaît Jérôme Rivière?Philippe Olivier, conseiller spécial de Marine Le Pen, en février 2022
Le candidat nationaliste n’a pas réussi à attirer des poids lourds venant des Républicains, à l’exception de Guillaume Peltier, lequel avait déjà eu un passé à l’extrême droite, que ce soit au MPF de Philippe de Villiers ou au Front national de Jean-Marie Le Pen. Et les nombreux ralliements venant du Rassemblement national, de Gilbert Collard à Stéphane Ravier en passant par Nicolas Bay ou Marion Maréchal, n’ont pas produit le moindre effet sur sa concurrente d’extrême droite, qui avait beau jeu de reléguer ces défections au rayon des trahisons intéressées.

“Sérieusement, qui connaît Jérôme Rivière ou Stéphane Ravier, en dehors des militants et des journalistes?”, ironisait auprès du HuffPost, Philippe Olivier, conseiller spécial de la candidate RN, au moment où le polémiste prenait un malin plaisir de scénariser ces prises de guerre. “Il réunit toutes les chapelles de l’extrême droite, ça intéresse qui?”.

Face à l’impasse dans laquelle se trouvait sa candidature, Éric Zemmour a ensuite tenté de reproduire la recette qui lui avait permis de percer le plafond des sondages à l’automne: marteler les références identitaires afin d’imposer l’immigration dans le débat. Objectif: “montrer qu’il est le vrai et le seul candidat de droite de cette campagne”, entonnait son entourage. Le candidat de Reconquête! a eu une fenêtre de tir: son débat face à la candidate LR.

“C’est très important, il y a des points à aller chercher chez Valérie Pécresse. On pense qu’elle va finir vraiment très bas”, fanfaronnait auprès du HuffPost le président de la Génération Z, Stanislas Rigault, en amont de l’exercice. “Pécresse, ce n’est rien, elle n’a pas d’espace, c’est fini pour elle”, savourait un rallié du RN. Problème, la présidente de la région Ile-de-France était aussi venue pour en découdre. Résultat: les échanges ont tourné au pugilat et ont encore une fois renvoyé l’image d’un Éric Zemmour davantage à l’aise dans le costume de bateleur médiatique que dans celui d’un chef de l’État capable de prendre en main le destin d’une nation.

Des provocations pour attirer la lumière
Une confrontation qui a par ailleurs conforté Marine Le Pen dans son refus de débattre avec le polémiste ou la candidate LR et de mener campagne loin des joutes télévisuelles qu’affectionne son concurrent. L’écart commençait à se creuser. Et le doute à s’installer dans ses troupes. À la peine dans les sondages, et alors que la guerre en Ukraine sature l’espace médiatique il apparaît comme celui qui ne veut pas de réfugiés ukrainiens sur le sol national, alors que les Français soutiennent l’accueil à 80%.

Éric Zemmour s’en remet encore à la transgression, et propose, en mars, un ministère de la “Remigration”. Ultime coup de communication, comme une tentative désespérée d’attirer la lumière. En réalité, la proposition marginalise encore plus le candidat à l’extrême droite et permet à Marine Le Pen d’accentuer sa dédiabolisation, malgré un programme paradoxalement similaire sur l’immigration. Au RN, on rit de ces “provocations” qui ont l’avantage de définitivement cornériser l’essayiste.

Un stratégie perdante qui a mécaniquement rebuté des LR hésitants à se déporter naturellement sur sa candidature comme il l’aurait souhaité. Raison pour laquelle Éric Zemmour en a été réduit à faire d’insistants appels du pieds en meeting, en faisant, par exemple applaudir Laurent Wauquiez et Éric Ciotti au Trocadéro. Deux poids lourds des Républicains qui sont restés jusqu’au bout fidèles à Valérie Pécresse, en dépit des offres formulées par le chef de Reconquête!, qui comptait sur la force surestimée de ses meetings spectaculaires pour faire pencher la balance de son côté. “Nous sommes les seuls à faire des rassemblement de cette ampleur”, défendait Samuel Lafont, sincèrement convaincu que ces événements agiraient comme des aimants à électeurs de droite: “chez Valérie Pécresse ils ont même  arrêter d’en faire, la dynamique est chez nous”.

Manifestement, ces démonstrations de force destinées à faire de jolies images n’ont pas permis au fondateur de Reconquête! de rebondir. En parallèle, certains de ses déplacements tournent au sketch. À Moissac, Éric Zemmour est pris en flagrant de mise en scène dans une station essence. En fin de campagne, à Aix-en-Provence, l’intéressé est refoulé d’un complexe sportif appartenant à Zinedine Zidane. Un épisode qui rappelle le fiasco de son déplacement, non loin de là, à Marseille au mois de novembre. Son entourage à beau pester contre le traitement qui est réservé au candidat, ces accrocs révèlent une forme d’amateurisme et un cruel manque d’anticipation.

Aveu d’échec
Les derniers jours, Éric Zemmour donne l’impression de se rattacher à tout ce qui peut, d’une façon ou d’une autre, relancer sa campagne. De l’affaire McKinsey à la mort du jeune Jérémy Cohen, quitte à prêter le flanc aux accusations en récupération. Sans résultat. “Ce qui est dingue, c’est que nos réunions publiques sont pleines, et que les gens sont surmotivés sur le terrain”, relatait, mercredi 6 avril, au HuffPost, un élu RN rallié au polémiste, avant d’ajouter, réaliste: “enfin, c’est aussi surtout encourageant pour l’après”.

Le lendemain de la présidentielle, Éric Zemmour l’a évoqué publiquement sur le plateau de France 2 mercredi 5 avril, en n’écartant pas l’idée de se présenter aux élections législatives au mois de juin. Un aveu d’échec pour qui prétend à la fonction suprême, comme s’il avait acté le fait que la marche était en réalité trop haute pour lui. De toute façon, était-il vraiment à la hauteur, ce candidat entouré de profils baroques, agrégeant les différentes galaxies de l’extrême droite, et s’enfermant dans une radicalité jusqu’à la caricature?

La veille de la fin de la campagne officielle, Éric Zemmour partageait sur Twitter un photomontage montrant Emmanuel Macron et Marine Le Pen caricaturés sous les traits de personnes âgées lors d’un second tour imaginaire en 2042. Du Donald Trump façon 2016 sur la forme, mais sans le succès électoral qui va avec. Quelques heures plus tard, il accusait sur ce même réseau social Emmanuel Macron de “voler l’élection”. Du Donald Trump façon 2020, mais, cette fois, avec la défaite qui va avec.

Voir par ailleurs:

Et si on arrêtait avec les bulles de filtre?
André Gunthert

L’Image sociale

13 novembre 2016

Une semaine avant le plus grand fiasco de la presse d’information américaine, abasourdie par l’élection de Donald Trump, le quotidien Le Monde publiait une enquête à charge, dénonciation sur une double page des bulles de filtre intitulée: « Facebook, faux ami de la démocratie »1. Une fois encore, c’est un journal papier qui nous alerte sur le danger constitué par les réseaux sociaux. Sous couvert de promouvoir l’échange et de favoriser la discussion, ceux-ci nous enfermeraient en réalité dans une chambre d’écho, nouvelle caverne de Platon qui ne ferait que nous renvoyer indéfiniment notre reflet.

Magie de la bulle de filtre, concept à succès inventé en 2011 par l’activiste Eli Pariser, sur la base de l’intuition apparemment logique que les algorithmes qui pilotent les moteurs de recherche ou la présentation des contenus sur les médias sociaux orientent leur réponse en fonction des préférences de l’usager2. Que personne ne sache exactement quels critères retiennent ces logiciels, dont les entreprises gardent jalousement les clés, ne fait pas obstacle à leur condamnation. Au contraire, le secret est constitutif du processus classique de diabolisation de la technique, dont le statut de boîte noire était déjà dénoncé par Gilbert Simondon, qui regrettait que l’ignorance ou le rejet de la culture technique en fasse le bouc émissaire favori des sociétés développées3.

Ce qui frappe évidemment dans la manière de présenter la question par un journal auto-proclamé « quotidien de référence », c’est l’absence de tout élément de comparaison. Le postulat des bulles de filtre une fois déduit de la nature de l’algorithme, il ne viendrait pas à l’idée des « enquêteurs » de vérifier de quelle diversité informationnelle bénéficie un abonné du Monde ou du Nouvel Observateur. On se souvient pourtant que l’hebdomadaire de la deuxième gauche, propriété du même groupe, a récemment licencié son numéro 2, Aude Lancelin, pour motif officiel de divergence idéologique – soit le méfait d’ouvrir les colonnes du magazine à des agitateurs aussi subversifs qu’Alain Badiou ou Emmanuel Todd, plutôt qu’à BHL4…

La surprise créée par l’élection de Donald Trump a permis de vérifier en vraie grandeur la dimension de l’entre-soi médiatique, qui n’a pas besoin d’algorithme pour évacuer de son horizon les motifs de trouble. La gravité de cet aveuglement est évidemment d’une toute autre ampleur, car si nul n’accorde à Facebook le rôle d’un contrepoids démocratique, celui revendiqué par la presse d’information est bien d’éclairer le citoyen.

Une revendication des plus étranges lorsqu’on constate les parti-pris des organes d’information, chacun attaché à une clientèle et qui lui tend complaisamment le miroir qui est la condition de l’acte d’achat. Parle-t-on de la bulle dans laquelle évolue le lecteur du Figaro ou le spectateur de BFMTV? En réalité, derrière la rhétorique pseudo-technicienne et la dénonciation stéréotypée d’un communautarisme digital, se cache la prétention objectiviste d’une presse qui se dépeint en gardienne de l’universalisme des Lumières. Pour savoir la vérité, ne discutez pas sur Facebook, achetez plutôt Le Monde, seul garant d’une opinion réellement éclairée, nous dit sournoisement un article qui ne fournit aucun élément d’évaluation des bulles.

Ou plutôt si: l’article présente rapidement les conclusions d’une véritable étude, publiée par la revue Science, qui constate que le système de sélection de Facebook ne modifie que de 1% l’exposition aux contenus politiques de camps opposés5. Et donne la parole au spécialiste Dominique Cardon, qui résume: « La bulle, c’est nous qui la créons. Par un mécanisme typique de reproduction sociale. Le vrai filtre, c’est le choix de nos amis, plus que l’algorithme de Facebook ». Ce qui n’empêche pas le quotidien de condamner globalement « un forum au ton virulent, géré par un algorithme qui se dit “agnostique”, mais révèle son incapacité à susciter un vrai débat, fondement de la culture démocratique. » Fermez le ban!

On ne pourrait pas démontrer de façon plus évidente le biais d’un article qui contredit ses éléments d’information les plus fondés, où les mécanismes décrits comme producteurs de « bulles » sont tout simplement les mêmes que ceux qui conduisent à la formation de l’opinion – soit un ensemble de choix individuels, pesés, discutés et négociés qui déterminent l’orientation du citoyen, socle de la vie démocratique.

Traduisons: il n’y a pas de bulle. Et il n’y a pas non plus d’impartialité journalistique, qui se hisserait au-dessus de la subjectivité des réseaux sociaux. N’en déplaise au « quotidien de référence », qui s’adresse à une clientèle tout aussi calibrée par sa régie de publicité, c’est la prétention à l’objectivité, à la neutralité et à un pluralisme défini d’en haut qui constitue le principal obstacle à une information honnête, c’est-à-dire signée, et qui admet son orientation, plutôt que de la nier.

La grande nouveauté de la présentation de l’information sur les réseaux sociaux, c’est justement d’y arriver toujours précédée par la signature du contact qui l’a sélectionnée, autrement dit l’indication implicite d’une lecture ou d’une position, qui pourra être interrogée ou discutée. Bien sûr, comme les rédactions, qui visent des groupes sociaux et s’adressent à des opinions politiques, les médias conversationnels tendent à normaliser l’échange. Il n’en reste pas moins, pour quiconque se souvient de l’univers de l’information avant internet, que la richesse et la diversité des sources proposées par les médias sociaux est tout simplement sans comparaison avec le petit monde de la presse d’avant-hier.

Plutôt que des bulles, indépendantes et forcément étanches, la dynamique des réseaux sociaux produit des essaims informationnels perméables, orientés par les préférences et les affinités, mais toujours susceptibles d’être traversés par les impulsions virales, la contagion du LOL ou la sérendipité du web. Habités par la conviction de l’universel, les vieux médias découvrent avec frayeur les îlots minoritaires et la fragmentation communautaire, sans s’apercevoir qu’ils ne sont eux-mêmes pas moins polaires, relatifs et bornés. En réalité, c’est à une nouvelle pensée du divers qu’invite la conversation en ligne, faite de mobilisations ponctuelles et de repositionnements instantanés, reflet d’une société de moins en moins fondée sur des logiques d’appartenance, avec laquelle il va bien falloir apprendre à composer.

Alexis Delcambre, Alexandre Piquard, “Facebook, faux ami de la démocratie”, Le Monde, 3 novembre 2016, p. 14-15. [ ]
Eli Pariser, The Filter Bubble. What the Internet Is Hiding from You, New York, Penguin Press, 2011. [ ]
Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Aubier, 1958. [ ]
Aude Lancelin, Le Monde libre, Paris, LLL, 2016. [ ]
Eytan Bakshy, Solomon Messing, Lada Adamic, “Exposure to ideologically diverse news and opinion on Facebook”, Science, 7 mai 2015. [ ]

Voir par ailleurs:

Zemmour lâché par un de ses premiers conseillers : « Il est déconnecté du réel »

Entourage défaillant, codes trop bourgeois, oubli de la France des « gilets jaunes »… Pierre Meurin, un des proches soutiens d’Eric Zemmour, fustige les lacunes de sa pré-campagne. Entretien choc.

Propos recueillis par Étienne Girard

L’Express

29/11/2021

Il a fait partie des lieutenants des premiers mois. Jusqu’à la fin de l’été, Pierre Meurin, âgé de 31 ans, figurait parmi les six membres du « comité exécutif » secret placé auprès d’Eric Zemmour pour préparer son entrée dans la vie politique. Cet ex-collaborateur de Marion Maréchal à l’ISSEP, également président pendant plusieurs années des Jeunes pour la France, le mouvement de jeunesse du parti de Philippe de Villiers, était chargé de structurer les forces zemmouriennes dans les territoires. C’est lui qui a coordonné, à la fin du mois de juin, la première campagne d’affichage en faveur de la candidature du polémiste. Aujourd’hui, pourtant, le voilà en retrait. Les choix stratégiques opérés depuis plusieurs semaines par Eric Zemmour ne lui conviennent pas. Au point de lui demander, dans une note d’alerte envoyée ce jeudi 25 novembre, de « réorienter radicalement (sa) campagne tant qu’il est encore temps ».

Dans ce document au ton sans concession, Meurin fustige l' »immaturité politique » du presque-candidat et de son entourage. Il lui enjoint d’élargir ses sujets d’attention, au-delà de l’immigration : « Vous adoucir est la clef de la suite de votre campagne ». A défaut, il lui prédit un score modeste le jour du premier tour, « entre 6 et 8% ». A quelques jours de la déclaration de candidature officielle d’Eric Zemmour, Pierre Meurin revient pour la première fois sur les coulisses de la pré-campagne et analyse auprès de l’Express les lacunes de sa stratégie. Il formule plusieurs recommandations d’urgence. Comme on tente d’arrêter un train qui déraille. Entretien fleuve et choc.

L’Express : Au printemps 2021, vous avez fait partie des premiers soutiens d’Eric Zemmour. Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Pierre Meurin : J’ai quitté l’équipe de campagne à contrecoeur à la fin du mois d’août, pour des raisons personnelles. J’y ai conservé plusieurs amis dont j’ai pu mesurer l’enthousiasme lorsque la dynamique semblait inexorable. J’ai toutefois depuis le début de la méfiance, et ces sondages, bien en amont de l’échéance présidentielle, m’apparaissaient trop beaux pour être vrais, surtout lorsque l’on observait sa manière de faire campagne.

Sa manière de faire campagne, c’est-à-dire ?

Je suis entré, fin mars dernier, dans le comité exécutif de la pré-campagne, avec un seul objectif : faire du candidat Zemmour le successeur du candidat Sarkozy en 2007, soit l’alliance du « Kärcher » et du « travailler plus pour gagner plus » en intégrant les enjeux sociaux et économiques du dernier mandat présidentiel, principalement la crise des gilets jaunes. Il m’apparaissait possible qu’Eric Zemmour puisse faire l’alliance entre les électeurs populaires et la bourgeoisie conservatrice qu’appelait Patrick Buisson de ses voeux. La forte notoriété de ce « pré-candidat » et le nouveau souffle qu’il aurait pu donner à la campagne m’apparaissaient le meilleur moyen de casser la digue mitterrandienne et de rebâtir une droite de conviction sur les cendres d’un Rassemblement National inapte à rassembler une majorité d’électeurs depuis 30 ans. Peut-être avons-nous trop demandé à Eric Zemmour : quitter le couloir de l’intellectuel sans concession qui essentialise tout avec un pessimisme bien trop communicatif. J’attendais qu’il devienne l’homme qui dit publiquement, avec humour et foi en l’avenir : « Je vous promets qu’une fois élu, je ne dirai plus ‘c’était mieux avant' ». Sa pré-campagne est sur la forme et sur le fond aux antipodes du titre de son livre. Il a préféré rester le Cassandre d’une France qui aurait précisément dit son dernier mot.

Soutenez-vous toujours sa candidature à l’Elysée ?

Je ne soutiens pas cette candidature teintée de désespérance. Il faut proposer « du rêve » à nos concitoyens et non seulement du sang et des larmes. A défaut, je ne saurais ni avoir envie, ni même y croire. Il faudrait qu’il reprenne son narratif de campagne totalement à zéro. Mais qui sait, peut-être est-ce encore possible ?

Eric Zemmour n’a jamais caché vouloir axer sa campagne sur une radicalité maximale en matière d’immigration et d’identité, sur l’effacement supposé des traditions françaises.

Avez-vous cessé de partager ses constats sur la France ?

Pour emporter la présidentielle, la brutalité du lanceur d’alerte ne suffit pas. Je partage ses convictions sur le danger migratoire, mais il ne convaincra pas les Français de lui apporter leurs suffrages sur un simple « votez pour moi sinon vous allez mourir ». Or, en substance, c’est son message. En six mois de pré-campagne électorale, son ton pour le moins anxiogène n’a pas évolué depuis son terrible discours à la Convention de la droite de septembre 2019. Il faut proposer un projet de civilisation, un destin commun, non se borner à identifier des menaces, même si celles-ci sont réelles. Le message que les Français veulent entendre, c’est « rendre sa fierté à la France » et « rendre leur dignité aux Français ».

Vous lui reprochez en somme un ton trop pessimiste.

Au-delà du ton, la campagne d’Eric Zemmour s’articule autour d’une double erreur stratégique. Il est convaincu, et ne manque pas de le dire devant son équipe de campagne et ses proches, que son adversaire principal s’appelle Jean-Luc Mélenchon, qui s’enthousiasme de la créolisation de la France. Par opposition, il rentre dans le piège d’une vision ethnique de la civilisation française, croyant que le socle des 70% de Français hostiles à l’immigration voteront majoritairement pour lui sous prétexte qu’il serait le plus cohérent et le plus clair. D’un point de vue intellectuel, cela pourrait se défendre. Mais s’il fait de Monsieur Mélenchon son adversaire principal, il contribue à faire exister politiquement ce dernier, qui n’est pas le président sortant. Veut-il gagner la présidentielle ou terminer devant Monsieur Mélenchon ? En outre, il n’est pas propriétaire de la fermeté migratoire et sécuritaire, quoi que l’on pense de la sincérité des autres offres politiques. D’Emmanuel Macron, qui mettra en avant ses lois sécuritaires et son ministre sarkozyste Gérald Darmanin, jusqu’au Rassemblement national dépositaire du sujet depuis des années, en passant par des Républicains largement « zemmourisés », tous les états-majors politiques fourbissent leurs armes pour absorber le zemmourisme

A quel moment avez-vous commencé à douter de sa pré-campagne présidentielle ?

Le tournant principal, c’est la « croisée des chemins ». L’occasion manquée pour Eric Zemmour d’aller voir cette France de Christophe Guilluy dont il parlait si souvent sur CNews. Malheureusement, Eric Zemmour a préféré s’exprimer devant une France qui ne vote pas pour lui, une France des grandes villes où il n’avait que des coups à prendre. J’aurais préféré qu’il aille à Vierzon, Montluçon, Firminy, Etampes, Aurillac, Macon, Auch, Carcassonne, Combourg, Lens, Vesoul… Cette France des villes moyennes dévitalisées par la mondialisation et la métropolisation. Finalement, la seule étape véritablement populaire de cette campagne fut Charvieu-Chavagneux, ville péri-urbaine de la grande couronne lyonnaise, dont j’ai été le directeur de cabinet du maire pendant trois ans, de 2015 à 2018.

En réalité, le véritable tournant de cette campagne, c’est l’incapacité d’Eric Zemmour à sortir des grandes lignes TGV de la SNCF. Il dénonce depuis longtemps, à raison, le Jacques Attali mondialisé des aéroports. Il est malheureusement son miroir bourgeois des grandes gares SNCF, et je le regrette. Qu’elle est pourtant belle, cette France des routes nationales, des routes départementales et des petites communes. Elle avait tant à lui apporter.

On vous répondra que vous vous êtes trompé de candidat : vous décrivez la France et les thèmes de Marine Le Pen…

C’est amusant parce que lorsque l’on dit à Eric Zemmour que la France, et notamment les classes populaires, attendent un programme complet, par exemple pour que nos villes moyennes et nos petites communes cessent d’être dévitalisées par la métropolisation, pour leur pouvoir d’achat également, il répond exactement ceci : « Je ne suis pas candidat pour faire la même campagne que Marine Le Pen ». Autrement dit, cela ne l’intéresse pas vraiment.

Marine Le Pen fait certainement d’excellentes propositions concrètes pour cette France rurale et péri-urbaine. Mais je demeure persuadé que Marine Le Pen, lorsque le décrochage d’Eric Zemmour sera incontestable, risque de voir resurgir toutes les critiques sur ses faiblesses structurelles : débat raté en 2017, parti ruiné, et peut-être une affaire d’assistants parlementaires qui ressortira opportunément. Elle n’est pas, à mon avis et sous toutes réserves, en mesure de battre Emmanuel Macron.

Qu’est-ce qui, au fond, vous a choqué dans la démarche d’Eric Zemmour ?

Je ne suis pas choqué au sens moral du terme. Je regrette une pré-campagne qui ressemble à un acte manqué. L’ascension fulgurante dans les sondages l’a certainement conforté, lui avec son équipe, dans ses certitudes. J’appelais de mes voeux une pré-campagne de contrepied, lors de laquelle il aurait pu développer une image d’homme empathique, compétent, créatif, visionnaire et optimiste. Ce qui me choque, puisque c’est votre terme, c’est qu’il entend passer du métier de journaliste à celui de chef d’Etat sans changer sa méthode de travail ni ses habitudes. Il a fait la même tournée littéraire et médiatique que pour ses précédents ouvrages.

Sa venue devant le Bataclan le 13 novembre ou son doigt d’honneur à une militante ce samedi à Marseille vous paraissent-ils indignes d’un chef d’Etat potentiel ?

Sur le doigt d’honneur, c’est objectivement un vilain geste. Mais je trouve que c’est paradoxalement un geste très humain. Il découvre la violence d’une campagne présidentielle, et il faut bien reconnaître que les attaques qu’il subit de ses opposants sont inouïes, scandaleuses et intolérables dans une démocratie. Je me mets à sa place, et je ne communierai pas au procès en indignité qui lui est fait.

Sur le Bataclan, j’ai trouvé ça déplacé, et jamais je n’aurais conseillé cela. Surtout que tirer sur François Hollande revient à tirer sur un cadavre. Il aurait dû plutôt, par exemple, et comme je lui avais conseillé avec un ami,se rendre à la messe de Noël à Saint-Etienne-du-Rouvray, paroisse du Père Hamel, sans convoquer les journalistes. Il aurait pu faire une déclaration a posteriori pour lier christianisme, symbolique de Noël, civilisation française et lutte contre l’islamisme.

De nombreuses critiques commencent à se faire jour sur la faiblesse de l’entourage d’Eric Zemmour. Vous qui avez côtoyé de près les cadres de la pré-campagne, les comprenez-vous ?

Oui. Je disais souvent à l’époque que m’occuper à plein temps du maillage territorial, de l’opérationnel militant et même des parrainages était compliqué pour le jeune trentenaire que je suis, même si j’ai quelques expériences en termes de campagne électorale, notamment au niveau local. Je trouve que l’équipe ne s’est pas, depuis, enrichie de profils réellement expérimentés. C’est bien sûr un signal de faiblesse qui préfigurait les erreurs de ces dernières semaines.

Son équipe de communication, par exemple, est plus spécialisée dans ce que l’on appelle la « riposte », la communication « d’influenceur » ou même le « trolling ». Quel communicant sérieux aurait conseillé à Eric Zemmour de se rendre au Bataclan, ou d’arriver à Marseille en accusant la ville toute entière dans un tweet d’être le royaume de la racaille ? Et je ne vous parle pas des « newsletters » des Amis d’Eric Zemmour dont les textes font lever les yeux au ciel beaucoup de monde, avec des formules infantilisantes. Le tweet un peu immature sur Rama Yade : – « Je tiens à assurer Rama Yade de tout mon micro-soutien face au micro-drame qu’elle micro-traverse » – relève du trolling, pas de la communication d’un candidat en mesure d’accéder au second tour.

Je n’ai pas compris pourquoi Antoine Diers, peut-être le meilleur élément politique de cette équipe, était réduit à un rôle d’animation médiatique et n’avait aucune information sur les opérations. Je n’ai pas non plus compris pourquoi Jean-Frédéric Poisson n’avait pas intégré le dispositif, par exemple pour diriger la recherche des parrainages ou le maillage territorial. Par ailleurs, Eric Zemmour ne gère absolument pas son équipe, il délègue tout à Sarah Knafo dont il attend qu’elle lui offre l’Elysée. Il ne participait jamais aux réunions du comité exécutif lorsque j’en faisais partie.

Eric Zemmour a affirmé à plusieurs reprises vouloir parler à la France des « gilets jaunes », un sujet qui vous tient à coeur. Peut-il y parvenir ?

Non seulement je suis sceptique, mais je crois que l’exercice lui coûte. Pour l’anniversaire des gilets jaunes, il a justement publié une vidéo directement adressée à ces derniers. Pendant dix minutes, il propose la suppression du permis à points, le rétablissement général des 90 km/h et une baisse de la CSG sur les bas salaires. Dix minutes pour trois mesures, annoncées dans un appartement parisien dont je n’ose demander le prix au mètre carré. Ce n’est pas une critique de classe, mais c’est une erreur de communication révélatrice d’une importante déconnexion du réel.

Avez-vous formulé des propositions en ce sens auprès d’Eric Zemmour ?

Oui, bien sûr ! Et il avait l’air véritablement intéressé, je ne doute pas de sa bonne foi. Il faut diviser par deux la taxe sur le carburant, rétablir en effet les 90 km/h, amnistier les petites infractions routières et, surtout, lancer un grand plan de rénovation des routes secondaires en France, pour réduire les accidents et fluidifier le trafic sur les axes les plus congestionnés.

Mais pour saisir ce que vit l’automobiliste quotidien, il faut être entouré de gens qui connaissent le sujet. Eric Zemmour n’est pas entouré d’élus de terrain à même de lui faire saisir cette France qui pense que « nous sommes gouvernés par des lascars qui fixent le prix de la betterave et qui ne sauraient pas faire pousser un radis », selon le bon mot de Michel Audiard. En conséquence, soit ils votent Marine Le Pen, soit ils ne votent pas. Je pense depuis longtemps qu’offrir plus de libertés et de pouvoir d’achat aux automobilistes, c’est tendre enfin la main à ceux qui ont subi la relégation sociale, économique et même identitaire lors de ces quarante dernières années. C’est le geste symbolique principal pour ouvrir à nouveau un dialogue avec cette France qui ne vote souvent plus. Mais Eric Zemmour semble avoir trop de certitudes pour présenter un programme tenant compte de la trivialité du quotidien.

Est-ce à dire que vous pensez que, comme d’autres l’ont dit, « ça finira mal » ?

Pas forcément. Une campagne est une course de fond, pas un sprint. Je suis très sceptique sur ses chances de dépasser les 6-8%, s’il obtient ses 500 signatures. Mais Eric Zemmour est un OVNI politique. Il a créé une dynamique qui, spectaculairement, montre à quel point les électeurs de droite sont en quête de radicalité sur les questions régaliennes. Il faut bien sûr porter ceci à son crédit. Il est déjà producteur des thèmes de la campagne, reléguant la gauche à ses absurdités progressistes, wokistes et ses débats sur le pronom « iel ». Grâce à lui en partie, la gauche est inexistante. Au-delà des thèmes de la campagne, il pourrait être aussi faiseur de roi, ou accompagner un candidat au second tour de la présidentielle, donc pourquoi pas contribuer à faire battre Emmanuel Macron. Mais nous en sommes encore loin. Cinq mois, c’est long, tout est ouvert.


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