Délinquance étrangère: Le PS, quant à lui, s’est aussitôt élevé contre cette « politique du bouc émissaire » (Grateful Champs Elysees tourists to finally get their Romanian beggars back)

26 juin, 2012
Avant, on était dans une situation de liberté totale. Maintenant, quand on entre dans un magasin, si les employés se rendent compte qu’on est des Roms, on est suivi partout dans les rayons où l’on va, jusqu’à la sortie du magasin. On ne peut plus rien voler. Elena B. (Rom de Rouen, 13.08.10)
Xénophobie: La France épinglée par la presse internationale. En multipliant les déclarations discriminatoires à l’encontre des “Français d’origine étrangère” puis des Roms, Nicolas Sarkozy et ses proches cherchent avant tout à reconquérir une partie de leurs électeurs déçus en tablant sur leurs préjugés racistes, constatent les commentateurs étrangers qui s’inquiètent de ces dérives. Courrier international
Le maire PS de Paris avait dénoncé une mesure stigmatisante. Le Figaro
Le PS, quant à lui, s’est aussitôt élevé contre cette «politique du bouc émissaire». Le Figaro
Les chefs de réseau n’hésitaient pas à se battre, parfois au couteau, pour récupérer des mendiants handicapés car ces derniers pouvaient gagner quotidiennement trois fois plus qu’un valide, soit 150 euros. Direction départementale de la sécurité publique de Haute-Savoie. Direction départementale de la sécurité publique de Haute-Savoie
On a fait des études qui montrent que le taux de paiement des amendes est proche de 0, la sanction est très peu incitative et il y a eu des évolutions juridiques qui nous poussent à repenser nos reconduites à la frontières. Par exemple un Roumain -citoyen de l’Union européenne- reconduit dans son pays « se retrouve à nouveau trois jours après sur les Champs Elysées.  M. Lerner (directeur-adjoint de cabinet du préfet de police de Paris)

A l’heure où après avoir été délivrée du néo-pétainisme sarkozyen, une France  reconnaissante s’impatiente comme ses voisins de recevoir la suite des nombreux cadeaux promis …

Et en ce jour où le préfet de Paris nouvellement nommé vient d’abroger l’une des mesures les plus « stigmatisantes » d’une véritable « politique de bouc émissaire » …

Pendant que dans nos lointaines provinces la machine stigmatisante continue à marcher à plein régime …

Retour justement sur cette ignominieuse tentative de l’ancien et néo-fasciste ministre de l’Intérieur Claude Guéant de priver nos Champs Elysées mêmes des joyeuses bandes de chérubins roumains qui égayaient  si délicieusement jusqu’alors le séjour de nos chers touristes …

Claude Guéant s’attaque à la délinquance roumaine

Jean-Marc Leclerc

Le Figaro

12/09/2011

INFOGRAPHIE – L’Intérieur annonce des mesures radicales pour éloigner les mineurs pris en flagrant délit. La mendicité est interdite sur les Champs-Élysées à compter de mardi.

Une mesure «exceptionnelle mais proportionnée». C’est en ces termes que le préfet de police de Paris, Michel Gaudin, qualifie l’arrêté antimendicité qu’il édicte à compter de ce jour sur les Champs-Élysées. Depuis lundi soir à minuit, sur «la plus belle avenue du monde», il est donc devenu interdit de se livrer tant à la mendicité qu’à ses «formes assimilées», comme la présentation aux passants de fausses pétitions en vue de récolter de l’argent.

La mesure est valable six mois, jusqu’au 6 février, pour inclure la période des fêtes de fin d’année. Et elle vise bien en priorité les groupes de Roumains, souvent mineurs, pris en charge par des réseaux mafieux qui ont mis en coupe réglée certains secteurs de la capitale, mais aussi ses transports. Le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, qui présentait lundi à Paris, son plan contre cette forme de délinquance, s’est voulu parfaitement clair: «Cela suffit, ce n’est plus possible pour nos concitoyens, il faut y mettre fin», a-t-il martelé.

D’emblée, le premier flic de France a situé les enjeux. Selon lui, 10% des personnes passant devant les tribunaux parisiens sont aujourd’hui de nationalité roumaine. La moitié de ces interpellés sont mineurs. Ces mêmes Roumains pèseraient, à eux seuls, 2% de la délinquance générale en France, s’illustrant dans le vol à la tire ou à la sortie des distributeurs de billets, dans les cambriolages ou les ventes à la sauvette.

Amende de 38 euros

Sur les sept premiers mois de l’année, la Préfecture de police a mis en cause 4.800 Roumains contre 2.500 pour la même période en 2010, soit une augmentation «de plus de 90%», s’est exclamé le ministre. Des augmentations importantes de l’activité policière ont également été constatées à Marseille et à Lyon. «Je ne stigmatise rien, ni personne, a assuré Claude Guéant. C’est une réalité judiciaire. Il y a une montée très importante de cette délinquance.» Qui appelle donc, dans son esprit, une réponse ferme et rapide. «Il faut passer à la vitesse supérieure en ce qui concerne le retour des présumés délinquants roumains dans leur pays d’origine», soit «volontaires, soit forcés», a-t-il d’abord ordonné. L’arrêté antimendicité parisien prend dès lors tout son sens, puisque son non-respect, sanctionné d’une amende de 38 euros, permet surtout un contrôle d’identité et donc des mesures d’éloignement en cas d’infraction aux règles de séjour.

Pourquoi alors ne pas l’avoir étendu à d’autres secteurs? La «P.P.» a préféré opter pour une démarche «expérimentale sur un lieu symbolique», quitte à prendre d’autres arrêtés plus tard, dans d’autres quartiers, comme autour du Sacré-Cœur, par exemple.

Lundi, Claude Guéant arguait du caractère national de son plan contre cette forme de délinquance. Il s’est félicité de la prochaine nomination d’un juge roumain à Paris pour suivre les dossiers et de la coopération des services d’aide à l’enfance roumains pour prendre en charge les mineurs renvoyés dans leurs familles. Il a aussi promis une surveillance des points d’entrée des Roumains sur le territoire français. Le PS, quant à lui, s’est aussitôt élevé contre cette «politique du bouc émissaire».

Voir aussi:

Les arrêtés anti-mendicité pas reconduits à Paris

Nouvel Observateur

 20-06-2012

Le nouveau préfet de police de Paris ne reconduira pas les arrêtés anti-mendicité pris il y a un an dans certains quartiers du centre de la capitale, estimant notamment que « la sanction associée » s’est révélée « peu dissuasive »

Le nouveau préfet de police de Paris Bernard Boucault s’est démarqué de son prédécesseur Michel Gaudin en ne reconduisant pas les arrêtés anti-mendicité, les jugeant pas assez efficaces, tout en annonçant son projet d’accélérer la lutte contre les réseaux mafieux.

Trois arrêtés anti-mendicité avaient été pris il y a un an tout juste sur les secteurs des Champs-Elysées, des Grands magasins et du Louvre.

Interrogé mercredi par des élus UMP qui ont demandé leur prolongation, Nicolas Lerner, directeur-adjoint de cabinet du préfet de police, a annoncé au Conseil de Paris qu’ils ne seraient « pas reconduits dans l’immédiat » mais que « cette décision pourra être reconsidérée en fonction de l’évolution du cadre juridique et de la situation sur le terrain ».

La préfecture de police a admis que ces arrêtés avaient –sur le moment– fait diminuer les « nuisances » et les « délits » associés à « certaines formes de mendicité » (comprendre la mendicité Rom essentiellement, ndlr), mais ils ont très vite trouvé leur limite.

Par exemple la mendicité est actuellement verbalisée 38 euros, et si le contrevenant « récidive », il peut être amené à être reconduit dans son pays pour motif de « trouble à l’ordre public ».

« On a fait des études qui montrent que le taux de paiement des amendes est proche de 0, la sanction est très peu incitative et il y a eu des évolutions juridiques qui nous poussent à repenser nos reconduites à la frontières », a ensuite expliqué à la presse M. Lerner. Par exemple un Roumain -citoyen de l’Union européenne- reconduit dans son pays « se retrouve à nouveau trois jours après sur le Champs Elysées ».

Le préfet bientôt en Roumanie Pour l’année 2011, la préfecture de police a ainsi reconduit 250 Roumains pour toute la capitale mais sur les zones des arrêtés cela n’a concerné qu’une trentaine de personnes.

Quant à celles placées en rétention avant leur expulsion, a ajouté M. Lerner, « lorsqu’elles contestent les décisions devant le tribunal administratif, celui-ci leur donne quasi-systématiquement raison ».

Le ministre de l’Intérieur de l’époque Claude Guéant avait jugé ces arrêtés « utiles » tandis que le maire PS de Paris avait dénoncé une mesure stigmatisante.

L’adjointe PS chargée de la sécurité Myriam El Khomri a ainsi demandé au préfet mercredi de ne pas renouveler ces arrêtés « non pas par dogmatisme stérile ni pas angélisme mal placé », mais « par souci constant d’efficacité ».

Elle a demandé « un bilan quantitatif et qualitatif de l’impact de ces arrêtés anti-mendicité » et reste « convaincue que la conséquences de ces arrêtés est le déplacement de la misère d’une rue à une autre », ce qu’a constaté la préfecture de police.

Le maire UMP du Ier arrondissement que couvrait partiellement un des arrêtés a souhaité que « la fin des arrêtés ne coïncide pas avec une recrudescence brutale » de la mendicité.

Le patron de la fédération UMP de Paris et maire du XVe Philippe Goujon, qui en avait réclamé un dans son arrondissement, a regretté que « le préfet de police, pour des raisons sans doute idéologiques, cédant à la pression du maire de Paris, prive la police et la justice d’un outil qui pouvait permettre de s’opposer à la mendicité agressive et contribuer au démantèlement des réseaux mafieux ».

M. Lerner a justement rappelé que « l’objectif prioritaire » est « l’accélération des affaires de démantèlement des réseaux et la mise hors d’état de nuire des bénéficiaires de ces trafics ».

M. Boucault va organiser une réunion au parquet « pour faire le point des affaires en cours », et il se rendra en Roumanie « dès la rentrée prochaine » pour y rencontrer les autorités policières.

Voir également:

Une filière de mendiants esclaves à la frontière suisse

Christophe Cornevin

Le Figaro

25/06/2012

Une cinquantaine de personnes originaires d’un même village de Roumanie ont été interpellées pour mendicité massive. Le responsable de l’organisation a été mis sous écrou.

Six mois d’investigations serrées et la collaboration policière de trois pays ont été nécessaires pour mener à bien le démantèlement d’une filière de traite des êtres humains. Elle réduisait des compatriotes à l’esclavage, les obligeant à mendier à la frontière franco-suisse. Au total, 54 Roms ont été interpellés, parmi lesquels figurent les lieutenants de l’organisation et le chef du réseau, qui a été incarcéré.

L’affaire, particulièrement sordide, a démarré dans le cadre d’une enquête préliminaire déclenchée en Haute-Savoie en décembre dernier. Les policiers de la Sécurité publique sont alertés par le déferlement de dizaines de mendiants aux pratiques agressives, installés sur la commune de Gaillard, entre Annemasse et Genève. Tous exilés de la ville de Barbulesti, village isolé des Carpates où règne la misère, ils y ont contracté contre leur gré des «dettes», des caïds locaux les forçant notamment à jouer – et bien sûr perdre – aux dés. «Ces pauvres gueux, qui devaient ensuite rembourser leurs créanciers à des taux usuraires, tombaient sous le joug absolu de l’organisation», précise une source proche du dossier.

Ils vivaient dans des épaves de voitures

En guenilles, ils vivaient dans des garages désaffectés, sur des matelas découpés posés à même la rue, dans des caves ou encore dans des épaves de voitures, moyennant une «taxe de séjour» de 150 euros par semaine exigée par une poignée de nervis les tenant sans cesse sous leur férule. « Âgés de 18 à 60 ans, ces forçats de la main tendue, dont un bon tiers de femmes, ont été envoyés à la frontière sans jamais pouvoir se rebeller, par peur des représailles», observe le commissaire principal Philippe Guffon, qui a supervisé l’enquête. Au gré des surveillances et des filatures, les policiers ont démonté un système bien huilé. Sous l’œil de cerbères qui les surveillaient, les mendiants quittaient au petit matin leurs caches sordides pour franchir la frontière en bus, en tramway, voire à pied, et rejoindre les rues de Genève pour accoster avec insistance les passants.

Chacun devait rapporter au minimum 50 euros

La ville suisse «est réputée comme l’une des plus riches d’Europe et la mendicité est devenue un tel problème que les habitants n’hésitent plus à s’organiser entre eux pour évacuer cette présence indésirable», assure un enquêteur français. Selon certaines estimations, chaque mendiant devait rapporter chaque soir au minimum 50 euros en revenant en France. «Les chefs de réseau n’hésitaient pas à se battre, parfois au couteau, pour récupérer des mendiants handicapés car ces derniers pouvaient gagner quotidiennement trois fois plus qu’un valide, soit 150 euros», précise-t-on à la Direction départementale de la sécurité publique de Haute-Savoie.


Présidentielles 2012: Le vrai mensonge éhonté de Sarkozy (The worst lies with the exception of all the others)

26 avril, 2012
Aujourd’hui, il y a seulement 10 % des chômeurs qui sont en formation. Nicolas Sarkozy
Indice de crédibilité de l’intervention: 0%. Vérification: Les derniers chiffres sur la formation professionnelle publiés par le Ministère du travail concernent l’année 2009 : il y avait alors 576 000 demandeurs d’emploi en cours de formation, soit 8% du nombre de chômeurs au sens du BIT en 2009. D’après les derniers chiffres disponibles, Nicolas Sarkozy exagère donc de 25% la proportion de « chômeurs en formation ». Véritomètre (iTélé et Owni)
Nicolas Sarkozy sur TF1 s’est livré à trois mensonges éhontés (…) Il a dit que Tarik Ramadan appelait à voter pour François Hollande, c’est faux ! Il a fait référence à un appel des 700 mosquées en faveur de François Hollande, c’est faux, cet appel a été démenti. Il a de nouveau assuré que François Hollande souhaitait régulariser les sans-papiers, c’est faux, chacun connaît les positions du candidat de la gauche : la régularisation sur la base de critères. Il s’agit de contre-vérités particulièrement graves. Dans la bouche d’un président de la République et d’un candidat, ces mensonges visent à créer un climat de tension et de haine (…) en agissant de la sorte, le candidat sortant montre son affolement, mais surtout la course-poursuite qu’il livre aux idées du FN (…) C’est indigne et il est temps que tous ceux qui ne supportent plus ces discours de haine et de provocation se rassemblent pour changer de président le 6 mai. Manuel Valls (directeur de la communication de François Hollande, 25.04.12)
J’ai vu que M. Hollande (…) parle beaucoup du Front national. Mais que dit-il, lui, quand Tariq Ramadan ose appeler à voter pour lui? Tariq Ramadan, l’homme avec qui j’ai débattu, qui proposait un moratoire sur la lapidation de la femme adultère? C’est monstrueux! Voilà un homme qui appelle à voter pour François Hollande. Nicolas Sarkozy
Aujourd’hui, je n’ai pas de consigne de vote. Franchement, je serais bien emprunté, c’est pour ça que je souris souvent en disant aux Français ‘Bonne chance’, parce que, franchement, je ne vois pas. J’aurais une position de principe qui est extrêmement claire : je suis tellement mécontent de ce que je peux voir que je regarderais pour le premier tour et voterais pour celui que je considère être le moins mauvais. Mais, au deuxième tour, je n’aurais pas un vote utile, je n’aurais qu’un vote sanction. Quelque soit celui qui est au pouvoir et bien je dirais je suis contre toi. Je ne suis pas pour toi, je suis contre toi. Moi, je prends position pour que mon vote compte au lieu de m’abstenir parce que les deux c’est la même chose. Je vais voter contre Sarkozy, mais si Hollande arrivait par la suite je serais contre lui de la même façon… Un premier tour où je chercherais le moins mauvais et un deuxième tour où je voterais contre celui qui est en charge pour manifester dans un poids une attitude de distanciation… (…) Franchement aujourd’hui, je me vois pas dire oui à l’un (…) mais par contre  je peux dire non à l’autre …  Tariq Ramadan (à partir de la 40e minute, 04.03.12)
Jamais de ma vie, je n’ai appelé à voter François Hollande. Je ne suis pas Français, je n’ai pas donné de consigne de vote. J’ai dit qu’il ne devait pas y avoir de consigne de vote musulman, que cela ne voulait rien dire. J’ai simplement appelé les citoyens français, de confesssion musulmane ou autre, à voter en conscience et à faire le bilan de la politique de Nicolas Sarkozy, qui est très mauvaise. Tariq Ramadan
Des recteurs de mosquées vont appeler à voter pour François Hollande (…) En tout, c’est un réseau de quelques 700 mosquées qui devrait se mobiliser en faveur du candidat socialiste. Ironie de l’histoire : l’organisateur de l’opération n’est autre qu’Abderrahmane Dahmane, ancien conseiller « Diversité » de Nicolas Sarkozy. Désormais conseiller à la mosquée de Paris, il avait claqué la porte de l’Elysée en mars 2011, alors que l’UMP venait d’annoncer la tenue d’une convention sur l’islam. Marianne
J’ai dit régularisation au cas par cas. C’est déjà ce qui se passe aujourd’hui, sauf que les critères seront beaucoup plus clairs, ils seront les mêmes partout dans toutes les préfectures. François Hollande
François Hollande a redit hier soir qu’il écartait toute régularisation massive de sans-papiers, contrairement à ce que prétend Nicolas Sarkozy. Mais le flou demeure sur les critères qu’il entend appliquer en la matière. (…)  En réalité (…) Cela fait bien longtemps que le PS ne prône plus de régularisations massives. Mais le programme de François Hollande en la matière n’est guère précis pour autant. « Les régularisations seront opérées au cas par cas sur la base de critères objectifs », est-il indiqué dans ses « 60 engagements pour la France ». Or, soit on pratique le « cas par cas », comme souvent dans les préfectures aujourd’hui, avec tout l’arbitraire qui peut en découler, soit on se réfère à des « critères objectifs » qui s’appliquent à tous de manière uniforme sur le territoire. Les deux méthodes sont proprement antinomiques. Est-ce à dire que la liste des critères peut évoluer suivant les situations ? Que certains critères sont incontournables, d’autres non ? Dans une interview accordée au « Point » en mai 2011, François Hollande indiquait certains des critères importants à ses yeux : « un travail de fait, même s’il est clandestin depuis longtemps, une attestation prouvée par des témoignages d’une présence continue sur le territoire et la réalité d’une famille en France. La personne concernée doit enfin faire la démonstration d’une intégration sur le territoire ». Peu ou prou, il s’agit des critères déjà appliqués par les préfets pour les 30.000 régularisations effectuées chaque année. Sur l’immigration professionnelle, là encore c’est le flou qui domine. Si François Hollande, dans l’émission « Des paroles et des actes », le mois dernier, a récusé l’appellation d’ « immigration choisie », lui préférant celle d’ « immigration intelligente », il ne s’est pas encore avancé sur les secteurs ou les métiers qui devraient s’ouvrir ou non à l’immigration professionnelle. Preuve que le PS n’est guère à l’aise sur le sujet, le think tank Terra Nova, qui publie quantité de rapports pour alimenter le débat à gauche, rechigne à sortir celui sur l’immigration professionnelle, écrit par l’économiste El Mouhoub Mouhoud. Le texte, qui prône une large ouverture à l’immigration professionnelle, ferait-il peur au PS, craignant d’effrayer un électorat fragilisé par le chômage ? Deux propositions sont en revanche très clairement assumées : celle d’abroger la circulaire du 31 mai sur les étudiants étrangers et celle de donner le droit de vote aux étrangers non communautaires pour les élections locales. Les Echos (17.02.12)
[Dans un discours à Caen, vendredi, le chef de l’Etat a assuré être allé à Fukushima avec la ministre de l’Ecologie, Nathalie Kosciusko-Morizet.] J’ai vérifié, il n’y est jamais allé. C’est la première fois dans l’histoire de la République, qu’un candidat sortant relate un voyage qu’il n’a jamais fait. Il aura été un précurseur en tout. Même en voyage qu’il n’a jamais accompli. François Hollande
Avec Nathalie Kosciusko-Morizet, nous avons été à Fukushima. Apparemment, François Hollande, non. Parce que s’il avait été à Fukushima se renseigner, il se serait rendu compte de ce qui s’est passé à Fukushima, c’est d’abord un tremblement de terre, ensuite un tsunami extravagant. […] Alors j’avoue que j’ai eu du mal à suivre la logique de M. Hollande. Alors, je suis à Fukushima au Japon, et voilà qu’il s’abat sur Fessenheim ! Nicolas Sarkozy
Je me suis rendu au Japon avec (la ministre de l’Ecologie de l’époque) Nathalie Kosciusko-Morizet, j’ai rencontré les autorités japonaises, j’ai discuté avec le premier ministre (japonais) de la situation à Fukushima et Nathalie Kosciusko-Morizet s’y est rendue. »Je ne suis pas ingénieur, je n’ai pas besoin d’aller mettre le nez dans la situation à Fukushima où par ailleurs il y a un périmètre interdit. J’ai simplement dit qu’à Fukushima, ce qui s’était produit n’était pas un incident nucléaire, c’était un tsunami avec une vague qui a atteint 42 mètres de haut, qui a démoli les systèmes de pompe qui permettaient le refroidissement de la centrale et que, dire à partir de Fukushima qu’il faut fermer Fessenheim qui se trouve dans le Haut-Rhin en Alsace, ça me semblait être une absurdité particulièrement notable. Nicolas Sarkozy
Mais personne ne va à Fukushima ! Quand on dit “je vais à Fukushima, sur les lieux de l’accident”, c’est au plus proche de l’accident, au plus proche des Japonais qui sont à ce moment-là dans la peine et la souffrance… Personne n’est allé à Fukushima. Fukushima, c’est une zone interdite […]. C’est une espèce de fausse polémique comme ceux qui n’ont rien à dire en ont le secret. Nathalie Kosciusko-Morizet
Je reviens du Japon, après trois jours entre Tokyo et Sendai, là où le tsunami a frappé il y a trois semaines. Je suis arrivée à Tokyo depuis Nankin, le 31 mars dans l’après-midi, avec le Président Sarkozy qui voulait aller en personne assurer les Japonais et leurs gouvernants de notre solidarité. Le Premier Ministre japonais, Naoto Kan, nous a dit sa satisfaction au moyen d’un proverbe : « les vrais amis sont ceux qui viennent sous la pluie ».(…) Je suis restée au Japon pour y exprimer à tous mes interlocuteurs la solidarité de la France et pour leur dire, aussi, l’admiration que nous inspire le courage d’un peuple frappé par un enchaînement de catastrophes inédit dans l’histoire de l’humanité. Le tsunami, le séisme, l’accident nucléaire, tout ce à quoi le Japon fait face est ahurissant. Mais il fait face, avec calme, dignité. Les gens se serrent les coudes, comme nous avons pu le voir dans l’un des centres d’accueil de réfugiés, installé dans un grand gymnase de la banlieue de Tokyo. Je suis restée au Japon pour leur délivrer ce message et pour mieux identifier les besoins, en voyant quel type de coopération nous devons envisager pour les semaines qui viennent. J’étais accompagnée d’une délégation qui représentait tout l’éventail de l’expertise française en matière nucléaire. (…) Nous avons quitté Tokyo pour Sendaï au petit matin. Sendaï où ont été prises les photos que nous avons tous vus dans nos journaux. Il faut cinq heures de bus pour se rendre sur place. L’expert de l’IRSN, qui nous accompagne avec son équipement et mesure la radioactivité sur la route, nous donne des informations rassurantes ; y compris lorsque nous nous trouvons à une quarantaine de km de la centrale de Fukushima. A Sendaï, je rencontre la maire, qui demande une aide de la France en matière agricole, pour désaliniser l’eau des rizières submergées par le tsunami. Je sais que des organismes de recherche agricole français disposent d’expertise en la matière. Je déjeune avec les quelques membres de la communauté française restés à Sendaï avec le directeur de l’alliance française. Je visite un centre d’accueil de réfugiés.  La ville n’a été touchée que partiellement. Il y a un contraste très fort entre les premiers quartiers que l’on traverse et ceux des deux arrondissements proches de la mer. Là, c’est la désolation absolue. Des kilomètres de côtes dévastées, des voitures par centaines, renversées, compressées, enchevêtrées, qui jonchent le sol boueux. On commence tout juste à déblayer depuis quelques jours. Mais des ouvriers sont déjà au travail : ils reconstruisent des ponts. L’espoir est là, avec la vie qui reprend au milieu des décombres. Retour à Paris, par le vol d’Air France qui fait escale à Séoul, pour changer d’équipage. Les pilotes d’Air France refusent de dormir à Tokyo. M. Ohata m’a fait remarquer à ce propos qu’il y dormait tous les soirs, comme 13 millions de ses compatriotes et plusieurs milliers de Français. Nathalie Kosciusko-Morizet
La visite de Nicolas Sarkozy au Japon est la première d’un chef d’État ou de gouvernement étranger depuis la catastrophe du 11 mars. Il avait déjà été l’un des premiers à se rendre en Haïti en février 2010, un mois après le séisme qui a fait plus de 200 000 morts dans la région de Port-au-Prince. Ce séjour de quelques heures à Tokyo fournira aussi à Nicolas Sarkozy l’occasion de combler un vide de son bilan diplomatique. S’il s’est rendu à cinq reprises en Chine, il n’a, depuis son élection, jamais visité le Japon, hormis pour le sommet du G8 à Tokyo en 2008. Le Point (31/03/2011)
Il a laissé s’organiser un système de clan, de bandes et de prébendes. Ce système a fait la promotion d’un nucléaire bas de gamme à l’international et proposé de transférer nos droits de propriété intellectuelle mondiaux aux… Chinois, et de vendre du nucléaire à des pays où ce n’est pas raisonnable. (…) Par exemple au colonel Kadhafi. Nous jouions à fronts renversés: moi, qui aurais dû pousser à la vente, je m’y opposais vigoureusement, et l’Etat, censé être plus responsable, soutenait cette folie. Imaginez, si on l’avait fait, de quoi nous aurions l’air maintenant ! La vente de nucléaire s’accompagne de la création d’une autorité de sûreté capable d’arrêter la centrale en cas de problème. Or, dans un tel régime, un président de l’autorité de sûreté qui n’obéit pas est au mieux jeté en prison, au pire exécuté ! Pourtant, quelle insistance ! A l’été 2010, j’ai encore eu, à l’Elysée, une séance à ce sujet avec Claude Guéant et Henri Proglio… Anne Sauvargeon
Le candidat sortant me dit: «Ça coûte cher, on n’a pas les moyens, 60 000 postes c’est impossible, deux milliards et demi.» J’ai fait mes comptes : lui, il a accordé le bouclier fiscal aux plus favorisés, cela représentait deux milliards et demi, l’équivalent des 60000 postes. Qu’est ce que l’on préfère, protéger les plus riches ou protéger nos enfants? J’ai choisi : protéger nos enfants! François Hollande
Cette équation est trompeuse: François Hollande compare en effet le bouclier fiscal dont le coût cumulé sur le quinquennat est d’environ 2,5 milliards (grosso modo 500 millions d’euros par an en moyenne). Alors que cette somme de 2,5 milliards d’euros correspond (plus ou moins selon les évaluations) au coût annuel des 60000 postes crées dans l’Education nationale, une fois la totalité des postes créés (à partir de la cinquième année). Si l’on veut vraiment comparer le coût cumulé de la création des postes sur cinq ans, on aboutit à 7,5 milliards d’euros (500 millions la première année pour 12 000 postes, 1 milliards la deuxième année pour les 12000 premiers plus 12000 supplémentaires , etc. jusqu’à la dernière année où les 60 000 postes représentent une charge annuelle de 2,5 milliards). Desintox
Entre 2002 et 2006, les atteintes aux personnes ont explosé de 23,8%, et les coups et blessures non mortels de 31,3%. Manuel Valls (dans son dernier livre, l’Energie du changement)
La violence progresse. Depuis dix ans, les violences aux personnes ont augmenté de 20 % (…) On nous dira que nous sommes des laxistes, alors que j’ai démontré le contraire et que la Droite a laissé les violences aux personnes progresser de 20 %! François Hollande
Les chiffres de Manuel Valls correspondent à l’évolution des faits constatés par les forces de l’ordre. On pourrait gloser sur le terme «explosion» employé par Valls. Il laisse à penser que les violences ont subitement augmenté en 2002. Alors que les atteintes aux personnes enregistrées progressaient plus fortement entre 1997 et 2002. Mais ce serait accorder trop de crédit aux chiffres sur lesquels Valls s’appuie. Car le principal problème est que l’indicateur qu’il manie dit peu de choses. Comme tant d’hommes politiques, le maire d’Evry confond les chiffres de la délinquance enregistrés par la police et la gendarmerie avec la délinquance réelle. C’est un piège contre lequel l’Observatoire national de la délinquance (OND) ne cesse de mettre en garde depuis des années, en vain. «L’évolution à court ou à moyen terme du nombre de faits constatés par la police ou la gendarmerie ne doit jamais être confondue avec la délinquance commise», écrit ainsi souvent l’organisme. Si la police décide de mettre l’accent sur la lutte contre le petit trafic de drogue, il y aura davantage de dealers arrêtés. Cela ne voudra pas dire qu’il y a une explosion des trafics en France. A l’inverse, il suffit au pouvoir politique – comme cela se fait parfois – de demander aux forces de l’ordre de mettre la pédale douce dans l’enregistrement des plaintes pour que les statistiques baissent. La délinquance n’aura pas diminué pour autant. La prudence est donc de mise concernant le sens à donner à ces chiffres. Et c’est particulièrement vrai en matière de violences. Depuis quinze ans, les atteintes aux personnes enregistrées progressent. Mais cette inflation statistique ne doit pas être confondue avec une «explosion» des faits eux-mêmes. La première raison est qu’on assiste depuis quinze ans à un élargissement du nombre des «circonstances aggravantes», qui ont fait basculer des agressions de la contravention vers le délit. Des faits apparaissent dans les statistiques de la délinquance alors qu’ils n’y figuraient pas auparavant. Depuis 1994, une agression, quelle que soit la durée de l’incapacité totale de travail de la victime, est un délit si elle est le fait du concubin ou du conjoint de la victime. Et, depuis 2006, c’est aussi le cas si elle a été commise par un ex-conjoint, un ex-concubin ou une personne liée à la victime par un Pacs. Cette modification de périmètre est une des raisons de l’augmentation du nombre de faits constatés. (…)  Le nombre de plaintes enregistrées dépend aussi de la propension des victimes à porter plainte. Les experts soulignent que la forte progression des violences – notamment intrafamiliales – dans les statistiques s’explique aussi par une modification des comportements : de la police – qui est plus sensibilisée au sujet et collecte mieux les plaintes – et des victimes – qui sont de plus en plus incitées à porter plainte (elles sont encore moins de 25% à le faire en cas d’agression, et moins de 10% quand il s’agit de violence au sein du ménage). (…) «L’augmentation des faits constatés peut être une bonne nouvelle, parce qu’elle peut signifier que de plus en plus de victimes se font connaître. Ce qui ne veut pas dire qu’il y a de plus en plus de victimes», explique-t-on à l’OND. Il importe d’ailleurs de souligner que, à rebours des statistiques des forces de l’ordre, les enquêtes de victimation, qui consistent à aller interroger des échantillons de population sur les délits dont ils ont été l’objet, ne montrent pas de progression des violences. Les enquêtes que mène l’OND depuis 2007 montrent une stagnation des atteintes aux personnes. Ces enquêtes – largement utilisées dans d’autres pays – ne sont jamais citées par les responsables politiques français, qui leur préfèrent les statistiques de l’activité policière. Quitte, comme Valls, à leur faire dire autre chose que ce qu’elles disent. Le maire d’Evry, qui se veut moderne dans le traitement de la sécurité, pourrait commencer par remettre les chiffres à l’endroit. Cédric Mathiot
La première décision que je prendrai sur cette réforme des retraites, c’est de permettre à ceux qui ont cotisé 41 années de partir. Ça veut dire, qu’on rétablira l’âge légal si c’est la question sous-entendue. Mais pour partir à taux plein, il faudra avoir fait 41 années de cotisation. François Hollande (débat Aubry-Hollande, 12.10.10)
Ceux qui ont commencé leur vie professionnelle à 18 ans, qui ont fait 41 années de cotisation, 42 ans, pourront partir à 60 ans. Ceux qui n’ont pas leur durée de cotisations ne le pourront pas. François Hollande (13.12.11)
François Hollande s’est engagé à revenir à l’âge légal à 60 ans et il le fera. Marisol Touraine (conseillère du candidat sur les questions sociales) Il n’y aura pas de départ possible avec décote avant 62 ans. Marisol Touraine (conseillère de Hollande sur les questions sociales)
Ce que dit François Hollande, c’est ce qu’il dit depuis longtemps. Pierre Moscovici
François Hollande a toujours dit ça, il n’a jamais dit autre chose, il a répété que pourraient partir à 60 ans ceux qui avaient leur durée de cotisation. Chacun en fait maintenant une interprétation. ça a toujours été la même proposition. Il n’a pas dit autre chose pendant la primaire. Stéphane le Foll
Hollande a rappelé la proposition qu’il a toujours défendue, la prise en compte pour ceux qui ont commencé à travailler tôt dans leur vie de la durée de cotisation de telle sorte que s’ils ont atteint les 41 à 41,5 années de cotisations, ils puissent partir à 60 ans. Harlem Désir
Depuis le 1er janvier 2004, les assurés qui ont commencé à travailler tôt peuvent partir à la retraite avant l’âge légal. Sous certaines conditions… Arrivés sur le marché du travail à 14, 15 ou 16 ans, ils ont aujourd’hui l’âge de songer à leur retraite. La réforme Fillon, entrée en application au 1er janvier 2004, a allongé progressivement la durée d’assurance requise pour obtenir une retraite complète. Elle a aussi offert à ceux qui ont commencé tôt un départ en retraite possible avant l’âge de 60 ans. La dernière réforme, celle de novembre 2010, a reconduit et étendu ce dispositif aux personnes ayant débuté leur activité avant 18 ans. Dossier familial

Attention: un mensonge peut en cacher un autre!

Réécriture de l’histoire, enjolivement de bilan, réinventions des propositions de l’adversaire, distorsion des chiffres, diagnostics gonflés, exagérés, ou faux, invention de comparaisons internationales, promesses de changements qui existent déjà …

A l’heure où, empêtré dans un chômage record et des déficits proprement abyssaux mais fort de 200 millions de dollars de trésor de guerre pour une campagne qui devrait dépasser  les 750 millions de la dernière, le Faiseur en chef de Kool-Aid de la Maison Blanche, nous ressort les vieilles ficelles de la « règle Buffett » (o, 3% des contribuables, gain de moins de 50 milliards sur 10 ans pour 1000 milliards de déficits annuels) …

Alors qu’un site de vérification de faits français (heureuse initiative de factchecking à la française conjointe de la chaine en continu iTélé et du site anti loi Hadopi et pro-wikileaks français Owni) reprenant le titre d’un sketch de Thierry Le Luron sur Georges Marchais (Véritomètre) qui distribue les notes de crédibilité à nos candidats (devinez qui est dernier et qui est premier?)  met un 0 à qui vous savez pour avoir sous-évalué de 25% un chiffre qu’il avait dans son raisonnement intérêt à sous-évaluer …

Et que fort de son bilan vide  (toute le monde n’a pas eu la chance, à ce niveau-là en tout cas, de n’avoir jamais participé à aucune fonction de gouvernement), notre Obama (blanc) français et son équipe ont beau jeu de multiplier les dénonciations sur le bilan désastreux et les mensonges éhontés du président sortant (qui semble certes, entre la date d’une visite au mur de Berlin et les projets de vente de centrales nucléaires à Kaddhafi, avoir toujours eu l’enjolivement facile, comme le montre bien Desintox,  un autre site apparemment plus sérieux de vérification de faits) …

Retour sur le vrai mensonge de Sarkozy.

A savoir que contrairement à ce que nous répète l’opposition et sa claque médiatique (sans compter leurs experts), notre Sarko national n’a (hélas) jamais été le libéral qu’on (a) dit.

Que, derrière les quelques vélléités libérales qu’il a eues et les quelques vraies et utiles réformes qu’il a réussi (contre probablement la pire opposition qu’un président ai jamais eue: on imagine la révolution s’il avait vraiment essayé!) à faire passer et que, du service minimum transports et école primaire et retour dans l’OTAN aux franchises médicales, non-remplacement d’un fonctionnaire partant en retraite sur deux, réforme des retraites, baisses de TVA et  bouclier fiscal) son adversaire et possible successeur va s’empresser de conserver précieusement, notre fils naturel de Thatcher et Reagan est resté largement fidèle à la tradition bien française de dirigisme et d’étatisme …

Et que mis à part la pire crise que le monde ait connue depuis peut-être les années 30, une bonne part du nécessairement mauvais bilan qui lui est universellement reproché tient tout simplement à ce modèle français, de protection des emplois à statut et à fort potentiel de nuisance (dans la rue ou les urnes) au détriment des nouveaux entrants sur le marché du travail, que ses adversaires sont comme un seul homme si pressés de relancer dans toute sa force …

Non, le quinquennat de Nicolas Sarkozy n’a pas été libéral !

Le Parisien Libéral

Contrepoints

20/04/2012

Comment peut-on sérieusement dire que Nicolas Sarkozy a mené une politique libérale ? Retour sur ce qu’aurait été une politique libérale, et ce qu’ont été les principales mesures de l’UMP.

Non : il n’y a pas eu de mesures libérales en 5 ans, ou presque. Tel est le message que les libéraux transmettent à la gauchosphère, comme Gauche de Combat, Jegoun, Dedalus Sarkononmerci (!), les privilégiés parlent aux français, Clémentine Autain et bien d’autres rouges de rage mais aussi à ces soi-disant ultra libéraux que sont Laurent Wauquiez (qui a déclaré « Une dérive ultralibérale de l’UMP serait une mauvaise idée : parce que la crise a montré les limites de cette doctrine et parce que la droite, en France, ce n’est pas cela ») ou tous les gens de la Droite Pop.

Le billet le plus comique de ces dernières heures est peut-être celui intitulé « Sarkozy, fils naturel de Reagan et Thatcher ». C’est d’un drôle.

Rappelons ce que serait une politique libérale :

une baisse et une simplification des impôts (flat tax, suppression de l’ISF)

un budget voté en équilibre (donc une forte baisse des dépenses publiques)

moins de lois votées au parlement

la dérégulation de toutes les mesures qui empêchent les marchés de fonctionner (fin du SMIC et de la taxe sur les transactions financières)

la liberté de faire gérer par qui on veut les prélèvements sociaux obligatoires (salaire complet)

un moratoire sur les mesures liberticides (arrêt de Loppsi et Hadopi) et de la généralisation de la vidéosurveillance

l’application stricte du principe de subsidiarité pour tous les services publics qui ne seraient pas gérés au niveau fédéral communautaire

le remplacement de toute l’aide sociale par le revenu universel garanti

l’alignement du droit public sur le droit privé

Il y a eu deux mesures incontestablement libérales en 5 ans : la création du statut de l’auto-entrepreneur, grâce à Hervé Novelli, et la loi sur l’autonomie des universités.

Sinon, on a eu :

51 taxes créées ou relevées depuis 2007

des budgets votés en déficit

une progression constante de la dépense publique, faute de licenciements dans la fonction publique

17 000 lois votées

hausse du SMIC

maintien des 35 heures

acharnement thérapeutique sur le système de retraites, pour lui donner quelques années de racket de plus

création de la Hadopi

extension du domaine d’application du Secret Défense

projet de loi de la carte d’identité biométrique, soutenu par les socialistes sauf Serge Blisko

maintien de l’avantage juridique qu’ont les fonctionnaires dans leurs procès contre les citoyens

et ne parlons pas de la politique étrangère (accueil de Khadafi, serrage de louche de Poutine, lachage des otages suisses en Libye, achat de listes volées en Suisse, JO de Pekin 2008, menaces contre Schenghen etc.).

Faute de réformes type Reagan Thatcher, justement, le Président de la République n’a pas su mettre fin à la République Socialiste de France, tout comme Chirac a viré Madelin en 1995 au lieu de suivre le bon sens.

Voila l’opinion des libéraux, appuyés par les faits listés ci-dessus.

C’est d’ailleurs pourquoi un certain nombre d’entre eux s’apprêtent à voter Frédéric Bastiat, car un mort ne fera pas pire que les vivants. Quel que soit le vainqueur dimanche prochain, on ne voit pas quelle politique libérale sera initiée de gré par le nouveau (ou la nouvelle) Président (e) de la République. On sait juste que la gauche socialiste et communiste prendra encore moins de gants pour enfoncer la France dans l’ultra-étatisme et l’ultra-socialisme.

Voir aussi:

Sarkozy, fils naturel de Thatcher et Reagan

Sarkononmerci

17 avril 2012

Entendons-nous bien, nous ne sommes plus au XIXème siècle et les libéraux d’aujourd’hui n’ont plus rien à voir avec les libéraux d’antan. L’appellation « libéral » a été détournée et dévoyée, récupérée tant et si bien qu’il ne s’agit plus aujourd’hui d’une philosophie politique d’émancipation de l’individu vis à vis du pouvoir politique, mais de la simple revendication économique de s’affranchir des règles sociales vues comme des entraves. Il ne s’agit plus de reconnaître l’individualité du citoyen mais de favoriser l’individualisme de l’entrepreneur. Et la seule liberté que revendique le libéral aujourd’hui est celle de « faire de l’argent ».

Ceci étant posé, je rebondis sur le billet de Nicolas, lui-même ayant rebondi sur le billet d’un blogueur nommé Pierre qui se revendique libéral et explique qu’il ne votera pas cette fois pour Sarkozy qu’il juge finalement trop socialiste. Pauvre petit bonhomme !

A quoi aspire le libéral ? Quelle est son idéologie ? Que revendique-t-il ?

Le libéralisme est une idée simple, si simple qu’elle en est un simplisme : celui qui crée la richesse c’est celui qui entreprend et investit. L’important est de le laisser faire, c’est-à-dire de ne pas l’entraver en lui imposant un salaire minimum, de ne pas l’entraver en limitant sa capacité de licencier, de ne pas l’entraver en accordant des droits aux salariés, ne pas l’entraver en imposant ses bénéfices, ne pas l’entraver en lui réclamant de payer des charges… Ne pas l’entraver, ne pas le faire chier, le laisser libre de faire du fric.

Or charges sociales et impôts sont prélevés par l’Etat et les collectivités territoriales pour payer les retraites, financer la protection sociale, assurance maladie et assurance chômage, pour financer les services publiques tels que l’éducation, la justice, l’hôpital… En conséquence de quoi, afin donc de réduire les entraves qui pèsent sur les entrepreneurs, il est nécessaire d’en finir avec ces besoins de financement.

Moins de services publics et moins de protection sociale, c’est moins d’impôts et de charges, donc plus de liberté pour les entrepreneurs, c’est-à-dire une capacité accrue à faire de l’argent.

Et pour vendre le modèle, les libéraux prétendent contre toute réalité que plus d’argent pour eux ce serait en fin de compte, à terme, plus d’argent pour tous. C’est la théorie des retombées et il est aisé de démontrer combien ces retombées promises relèvent du chimèrique. Un parfait miroir aux alouettes.

En attendant, sous prétexte donc que ça retomberait, Nicolas Sarkozy a bel et bien cassé le code du travail de manière à réduire les droits des salariés. C’est une réforme d’inspiration purement libérale.

Il a réduit les droits des chômeurs comme les droits des retraités. Deux réformes d’inspiration purement libérale.

Il a baissé les charges pour les entreprises, supprimé la taxe professionnelle, bridé la progression du salaire minimum, réduit les sur-rémunérations associées aux heures supplémentaires, facilité le licenciement… Autant de mesures d’inspiration purement libérale.

Il s’est attaqué violemment au système hospitalier, au système judiciaire, au système scolaire, au point de les rendre exangues, dans l’incapacité de fonctionner. Et l’on pourrait multiplier les exemples du libéralisme aussi forcené qu’idéologique de Nicolas Sarkozy – et plus généralement de la droite française.

Contentons-nous de nous arrêter un peu sur l’exemple de l’école. C’est un bon exemple pour décrire comment procède le libéralisme pour parvenir à ses fins.

D’abord, casser.

Supprimons quinze à vingt mille postes par an dans l’éducation nationale. Supprimons en particulier les RASED (Réseaux d’Aides Spécialisées aux Elèves en Difficulté), et aussi réduisons les postes d’infirmières scolaires, les postes de psychologues scolaires et plus généralement tout le personnel qui bénéficie le plus aux élèves en difficulté. Prenons bien soin, dans le même ordre d’idée, de répartir les suppressions de postes de manière à ce qu’elle pèse davantage sur les établissements situés dans les zones les moins favorisées.

Tout ceci est précisément ce que la droite s’est appliquée à faire depuis dix ans, un processus de casse qu’en cinq ans Nicolas Sarkozy s’est appliqué à accélérer.

Au résultat, les difficultés s’accumulent, plus rien ne fonctionne, les élèves en difficultés se retrouvent abandonnés, les professeurs sont découragés, désormais quand un professeur est absent il est impossible de lui trouver un remplaçant – dans un établissement de mon quartier, au lycée Hélène Boucher, une classe de première n’a pas eu de professeur de français de toute l’année (les élèves passent le bac dans un mois)…

Les parents sont excédés. De plus en plus d’entre eux font le choix, quand ils en ont la possibilité, de se tourner vers les établissements privées. Lesquels sont eux-mêmes au bord de la rupture et réclament des moyens supplémentaires.

Que croyez-vous que serait l’étape suivante, si Sarkozy était réélu ?

Le constat serait fait de la médiocrité crasse d’un système d’enseignement public qui coûte cher et ne fonctionne plus. Conclusion serait tirée qu’il est devenu préférable de financer le développement de l’enseignement privé – moins cher puisque financé aussi par les familles, celles qui en ont les moyens…

Un système à deux vitesses serait créé, accélérant la dégradation d’un système public dépourvu de moyens et abandonné par ses meilleurs éléments, élèves et professeurs, qui choisiraient de rejoindre le privé.

Le budget de l’Etat s’en retrouverait allégé d’autant. Les besoins en impôt en serait diminué. Ce qui était l’objectif de l’opération.

Et tant pis pour les familles qui se retrouveraient à devoir débourser des sommes considérables pour assurer la scolarité de leurs enfants. Tant pis pour les enfants dont les parents n’en auraient pas les moyens.

C’est précisément ce qui s’est produit, avec vingt ans d’avance, en Grande Bretagne sous l’impulsion de Thatcher et aux Etats-Unis sous celle de Reagan. Les résultats furent si désastreux qu’ils en sont encore aujourd’hui à chercher comment reconstruire ce qui avait alors été cassé – mais il est bien plus aisé de casser que de reconstruire.

Thatcher et Reagan dont personne ne viendrait contester qu’ils étaient de purs libéraux et dont Sarkozy s’est montré à l’évidence un élève plus qu’appliqué.

Les mauvais chiffres du premier tour

 Sylvain Lapoix

Owni

22 avril 2012

Constat d’après premier tour : durant des semaines, les candidats ont multiplié les bourdes dès qu’ils faisaient référence à des chiffres. Voici le classement de ces grosses boulettes, magistrales gamelles ou discrètes bêtises – concernant notamment les deux candidats en lice pour le second tour. Florilège réalisé par les journalistes de donnés d’OWNI en partenariat avec i>TÉLÉ.

Lancé en partenariat avec i>TÉLÉ pour vérifier les déclarations chiffrées des six principaux candidats à l’élection présidentielle, le Véritomètre a vu voltiger des centaines statistiques en deux mois de factchecking. Après ce premier tour, nous vous livrons un condensé des plus grosses erreurs des prétendants à l’Élysée, rangées par type de bourdes. Un panorama synthétique des libertés prises avec les statistiques officielles au travers duquel perce, peut-être, une certaine vision des Français et du genre de pilule que les équipes de campagne veulent leur faire avaler. Expliquant, peut-être, les surprises des résultats du suffrage de ce dimanche.

L’arrondi qui tue

Parmi les reproches les plus courants que nous ont adressés les membres des équipes de campagne des candidats, il y a la question des arrondis : selon eux, nous étions “trop sévères” avec les pauvres politiques essayant par un gros chiffre qui tombe juste de faire la démonstration que la France va mal. Une remarque étonnante, surtout venant d’un candidat comme François Bayou, lequel a fait du “discours de vérité” le point d’orgue de sa communication politique. Champion du redressement des finances publiques, c’est pourtant le même candidat du Modem qui sous-estimait de 8,7% le budget de l’Etat un matin sur Europe 1 :

L’argent que dépense l’État, les collectivités locales et la Sécu, c’est 1000 milliards, 1000 fois 1000 millions par an.

L’estimation était révisée à la hausse de 5% par le même candidat, trois semaines plus tard sur RTL cette fois-ci :

La France dépense un peu plus de 1000 milliards de dépenses publiques par an, mettons 1050 milliards.

Le vrai chiffre est encore 44 milliards au dessus : 1094 milliards d’euros en 2011 selon l’Insee. Cet arrondi serait, nous a-t-on assuré dans l’entourage du candidat, “au service d’une démonstration”. Mais pourquoi, alors, François Bayrou reproche-t-il quelques dizaines de milliards de surcoût dans le programme d’un de ses concurrents quand lui-même en oublie une centaine ?

À ce petit jeu, le président sortant lui-même a fait très fort puisque la première mesure de sa campagne, présentée en direct sur TF1 le 15 février, s’appuyait, elle-aussi, sur un chiffre incorrect mais bien rond :

Aujourd’hui, il y a seulement 10 % des chômeurs qui sont en formation.

Pointilleuse, notre équipe de data-journalists s’est penchée sur les derniers chiffres disponibles du ministère du Travail : vieux de 2009, ils indiquaient seulement 8% de demandeurs d’emplois en formation, soit 20% de moins qu’annoncés par le chef de l’État. Un arrondi, nous ont reproché de nombreux internautes, trouvant ce “0% de crédibilité” injuste pour “2%” de plus. Pourtant, ces deux points de chômeurs en formation représentent la modeste foule de 140 000 et quelques demandeurs d’emplois non inscrits à des formations, soit l’équivalent de l’agglomération de Clermont-Ferrand.

Derrière des arguments de forme, selon lesquels il serait trop long de donner “le chiffre complet”, se cache plus souvent le désir d’un “bon chiffre”, frappant l’esprit au détour d’une phrase et facile à mémoriser.

Question d’échelle

Mais il n’y a pas que dans les chiffres que la recherche du raccourci fait des ravages. À cause d’une mauvaise documentation, les candidats ont parfois énoncé des énormités y compris sur leur propre domaine d’expertise. Par exemple, ce n’est pas sur l’immigration ou la sécurité qu’Eva Joly nous a offert sur Canal + son plus gros écart, mais sur le logement, un des points phares de son programme :

Il y a 2 millions de logements vacants en région parisienne.

Le chiffre officiel le plus récent que nous ayons trouvé fait en réalité état de… 329 000 logements vides en Île-de-France ! Il existe bien deux millions de logements vides, mais dans toute la France.

De son côté, le candidat de l’UMP s’avançant sur le terrain des énergies vertes a de beaucoup surestimé les investissements dans la filière renouvelable lors de la conférence de presse de présentation de son programme :

Vous dites qu’on a bien du mal à affecter le chantier éolien. Ah bon ? Le chantier éolien c’est 12 milliards d’euros.

Avec un tel budget, les rotors auraient remplacé les réacteurs nucléaires sur les côtes normandes. Sauf que, s’il y a bien 12 milliards d’euros d’investis dans l’énergie éolienne, ce n’est pas en France, mais dans toute l’Europe ! Et le chiffre ne vient pas d’un obscur think tank mais du ministère de l’Écologie lui-même (lequel sous estimerait légèrement l’effort financier, selon le groupement des industriels européens du secteur). En réalité, c’est plutôt 1,2 milliard d’euros qui auraient été injectés par la France dans l’éolien, là où l’intégralité des investissements n’ont atteint depuis la première éolienne en 1991 que 7,164 milliards.

Derrière ces énormités, le raccourci semble évident : un gros chiffre trouvé au détour d’un rapport, mettant en valeur un atout ou une faiblesse structurelle. Las, pas le temps dans une interview ou un discours de finasser.

Sauf que ce sont généralement dans des sujets de niche que les terminologies sont les plus importantes : quand François Bayrou prétend qu’il ne subsiste que 100 000 emplois dans la “filière textile” dans Des paroles et des actes avant de parler du “sportswear”, il ne semble pas savoir que l’on ne parle de “textile” que pour les métiers de préparation du tissu et que “l’habillement” est, au sein des instances représentatives de ces industries, compté totalement à part. Et que, loin de ces 100 000 salariés, ils n’étaient déjà plus que 70 527 à travailler à la préparation des tissus en France en 2010.

Des chômeurs toujours prêts à rendre service

Mais les candidats font souvent mine de ne pas comprendre un sujet bien moins pointu et étroit que l’industrie des tissus : les questions d’emploi. Alors que le chômage est l’une des principales préoccupations des Français et qu’il constitue un sujet de débats permanents entre le sortant et les prétendants, aucun des candidats n’a pris le temps de décrire les différentes catégories de demandeurs d’emplois, à la notable exception de François Bayrou qui évoquait à Perpignan :

Un pays qui a presque 5 millions de chômeurs à temps complet ou à temps partiel.

À d’autres reprises, le candidat du Modem et ses concurrents n’ont pas eu ce soucis de précision. Entre les cinq catégories de demandeurs d’emplois, désignées par les lettres A à E (A, désignant les personnes sans aucune activité, B et C avec une activité partielle et D et E, ceux n’étant pas inscrit au début ou à la fin du mois à Pôle emploi), il leur est arrivé même de jongler dans une même intervention ! Sur TF1, le 27 février, François Hollande tire ainsi un bilan quelque peu réducteur du chômage :

dans une période de chômage, telle que nous la connaissons, trois millions de chômeurs

Par “bonne foi”, l’équipe des vérificateurs d’OWNI a considéré qu’il fallait vérifier une déclaration en supposant que le candidat se rangeait à la définition du chômage la plus proche du chiffre avancé, en l’occurrence, de la catégorie A des chômeurs à temps plein qu’il surestimait d’un peu moins de 5%… mais cinq minutes plus tard, il change de définition pour critiquer le bilan du président sortant :

Avoir eu pendant le dernier quinquennat un million de chômeurs supplémentaires, c’est un échec.

Y avait-il seulement deux millions de chômeurs sans activité en 2007 ? On en est loin : selon la Direction des études statistiques du ministère du Travail (Dares), l’augmentation n’a pas dépassé les 750 000. En revanche, ce chiffre est bien atteint pour une autre définition du chômage (catégorie A, B et C).

De l’Outre-Mer à l’oubli

Les chiffres officiels du chômage contiennent en eux-même un biais considérable : ils écartent purement et simplement les départements d’Outre-Mer ! Les chiffres de la Dares pour février 2012 recensent ainsi 4 278 600 demandeurs d’emplois de catégorie A, B et C en métropole. Mais ils sont 4,47 millions en comptant les chômeurs de Guadeloupe, Martinique, Guyane et Réunion, soit près de 270 000 de personnes ignorées par la statistique de référence !

Dans la dernière île seulement, le Pôle emploi recense 20 200 inscrits, soit plus que dans toute la région Poitou-Charentes pour une population de 60% inférieure. Épisode pittoresque par excellence des tours de France des candidats, le passage par les départements ultra-marins (notamment les Antilles) ne laisse généralement que peu de souvenirs dans les chiffres évoqués en métropole. Loin des yeux, loin du coeur, deux mois après avoir rendu visite aux Français des Caraïbes, François Hollande les oubliait déjà pour flatter les jeunes réunis autour de lui à Bondy pour son discours du 16 mars :

La Seine-Saint-Denis est le département le plus jeune de France.

Entre l’Atlantique et la Méditerranée, l’Insee donne raison au candidat socialiste : avec 440 865 habitants de moins de 20 ans en 2010 sur 1,527 million d’habitants, la Seine-Saint-Denis détient le taux record de 28,86% de jeunes. Mais seulement en métropole. Car, un océan plus loin, tous les territoires français affichent une population plus jeune encore : 29,5% de moins de 20 ans en Guadeloupe, 34% à la Réunion et, record de la France entière, 44,4% pour la Guyane. Un record auquel s’ajoute un taux de chômage de 45,1% chez les jeunes de moins de 24 ans. Une performance rarement évoquée dans les discours.

L’ivresse des records

Pour jouer aux réformateurs, en revanche, les candidats, et notamment le président sortant, stigmatisent à tout va la France comme le pays dernier de la classe, y compris en direct dans l’émission Parole de candidat face à quelques millions de téléspectateurs :

La France est le seul pays au monde où lorsqu’il y a une crise, le prix de l’immobilier augmente.

L’effet escompté est évidemment de dénoncer un archaïsme honteux ou bien un système grippé que tous les régimes précédents auraient protégé jusqu’à ce jour et que l’impétrant compte bien renverser une fois au pouvoir (quand bien même il l’est déjà). Sauf que, le monde est vaste et il y a toujours un pays pour écorner la démonstration : dans le cas de l’immobilier, il a suffi aux vérificateurs du Véritomètre de passer en revue les États européens pour en trouver trois – Suède, Finlande et Norvège – où les prix de l’immobilier avaient également augmenté ces quatre dernières années.

En dehors de la sortie de Marine Le Pen, correcte à Nice quand elle déclare que le taux de syndicalisation français est “le plus bas du monde occidental”, rares sont les tirades de ce genre qui résistent à la vérification. Spécialiste des classements en tout genre (des forêts jusqu’aux salles de classe), François Bayrou a bien essayé pour interpeller son auditoire d’exagérer la situation française :

Nous sommes le seul pays dans notre situation en Europe (…) qui soit devant un épouvantable déficit du commerce extérieur.

C’était sans compter les bases de données d’Eurostat, lesquelles nous ont appris qu’il y avait bien pire que nous. Et, cette fois-ci, nul besoin d’aller chercher en Pologne ou dans les pays scandinaves pour savoir qui surclasse Paris en matière de déficit commercial : avec 117,4 milliards d’euros de déficit commercial en 2011, c’est la Grande-Bretagne qui arrive première en UE, avec près de 50% de dépendance économique extérieure de plus que la France.

En dehors de l’efficacité de la formule, permettant d’assurer que “la France s’est mieux sortie de la crise que quiconque” et autres superlatifs, ce type de comparaison excessive a l’avantage de frapper l’esprit d’une formule sans obliger le candidat à avancer un chiffre ou à détailler les raisons expliquant un retard.

Maths

À l’extrême opposé de ces “chiffres chocs”, il arrive que le citoyen spectateur d’un meeting ou d’une interview se voit infligé une interminable démonstration bourrée de chiffres censée révéler une vérité cachée à grands coups de maths. En la matière, le champion toutes catégories reste François Bayrou, lequel s’est à plusieurs reprises (Angers, Besançon, Parole de candidat…) autoproclamé “président, trésorier et fondateur de l’association pour la défense du calcul mental”. Sa plus célèbre démonstration, restée gravée dans la mémoire de nos journalistes de données, reste la comparaison entre les voitures produites sur le territoire français par Renault et celles fabriquées en Allemagne par Volkswagen :

Je suis très frappé par ces chiffres-là : en 2005 toujours, Volkswagen produit en Allemagne 1 200 000 véhicules par an et, au même moment, Renault produit en France 1 200 000 véhicules par an, le même chiffre. Cette année, sept ans après, Volkswagen va produire en Allemagne 2 200 000 véhicules, presque le double, et chez nous Renault va produire en France 440 000 véhicules, trois fois moins que ce qu’il produisait en 2005.

À la sortie de ce tunnel, ceux qui auront réussi à suivre l’enchaînement des chiffres (malgré le débit plutôt modéré du candidat du Modem) auront saisi la question sous-jacente : pourquoi Renault produit moins sur son territoire alors que l’Allemagne produit plus ? Sauf que, dans le détail, tous les chiffres évoqués ici sont incorrects. Selon les sources officielles : en 2005, déjà, la marque allemande affichait 40% de production en plus sur son territoire que le leader français (1,913 millions de véhicules produits côté Volkswagen contre 1,318 millions chez Renault). Quant aux derniers chiffres, s’ils “renforcent le constat”, comme nous l’avait rétorqué François Bayrou sur le plateau de i>TÉLÉ où nous lui avons présenté le graphique, ils n’en étaient pas moins tout aussi éloignés de la réalité.

L’autre grand classique est le calcul “à la volée” de l’impact d’une taxe. Invitée de Radio France Politique, Eva Joly a ainsi vanté les sommes mirifiques que récupérerait l’Union européenne en imposant une “taxe Tobin” :

Un taux de 0,005% pour la taxation des transactions financières dans la zone euro produit 172 milliards

Malheureusement pour la candidate d’Europe écologie-Les Verts, le calcul avait déjà été fait et à un taux bien supérieur : avec 0,1% d’imposition sur les mêmes transactions financières, la Commission européenne n’entrevoyait ainsi que 57 milliards par an de collecte, soit trois fois moins pour un taux vingt fois supérieur.

Vieilles de 12 ans

Les candidats ne vont parfois pas chercher aussi loin. Parfois, ils se contentent d’utiliser un “vieux chiffre à la mode”, répété à tort et à travers dans les enquêtes et les études sur un sujet. Bien que candidat le plus précis de la campagne de premier tour, Jean-Luc Mélenchon n’échappe pas à la règle quand il déclare sur France info :

80% des Smicards sont des smicardes !

Cette statistique, elle circule dans toutes les directions et depuis longtemps. Très longtemps. Au moins en 2000, puisque la source première de ce chiffre (rarement citée) est l’ouvrage de la sociologue et directrice de recherche au CNRS, Margaret Maruani, “Travail et emploi des femmes”, paru en mars 2000 aux éditions La Découverte. Or, il existe des études plus récentes dont les conclusions sont différentes. La dernière en date que nous ayons pu trouver remonte à 2006, mais peint un portrait fort différent des salariés payés en Smic : elle constate également une prépondérance de “smicardes”, mais elles représentent 56,% des salariés au Smic contre 43,6% pour les hommes. Au regard de cet écart, les chiffres vieux d’une année cité par Jean-Luc Mélenchon à Marseille quant aux accidents du travail suivis d’une incapacité permanente relèvent du petit oubli de mise à jour.

Illustration par Loguy pour Owni /-)

Posters réalisés par l’équipe du Véritomètre via le Motivator.

Les vérifications des interventions sont réalisées par l’équipe du Véritomètre : Sylvain Lapoix, Nicolas Patte, Pierre Leibovici, Grégoire Normand et Marie Coussin.

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Illustrations par l’équipe design d’Owni /-)

Voir enfin:

Sécurité : Valls dans le piège des stats

DESINTOX La violence a explosé de 23,8% entre 2002 et 2006, dénonce Valls, intentant le procès de l’action de Nicolas Sarkozy en matière de délinquance. Mais que veulent dire ces chiffres?

Cédric Mathiot

Libération

26 septembre 2011

«Entre 2002 et 2006, les atteintes aux personnes ont explosé de 23,8%, et les coups et blessures non mortels de 31,3%.»

Manuel Valls, dans son dernier livre, l’Energie du changement

INTOX

Manuel Valls, qui a fait de la sécurité un de ses dadas pour bousculer le PS, ne manque jamais non plus de taper sur le bilan de Nicolas Sarkozy en matière de délinquance. Dans le dernier ouvrage du maire d’Evry (Essonne), l’Energie du changement (Cherche-Midi), on lit : «2002-2012, bientôt une décennie que la sécurité de la France se trouve concentrée dans les mains d’un homme : Nicolas Sarkozy. Quelques chiffres : entre 2002 et 2006, les atteintes aux personnes ont explosé de 23,8%, les coups et blessures non mortels de 31,3%.»

DESINTOX

Les chiffres de Manuel Valls correspondent à l’évolution des faits constatés par les forces de l’ordre. On pourrait gloser sur le terme «explosion» employé par Valls. Il laisse à penser que les violences ont subitement augmenté en 2002. Alors que les atteintes aux personnes enregistrées progressaient plus fortement entre 1997 et 2002. Mais ce serait accorder trop de crédit aux chiffres sur lesquels Valls s’appuie. Car le principal problème est que l’indicateur qu’il manie dit peu de choses.

Comme tant d’hommes politiques, le maire d’Evry confond les chiffres de la délinquance enregistrés par la police et la gendarmerie avec la délinquance réelle. C’est un piège contre lequel l’Observatoire national de la délinquance (OND) ne cesse de mettre en garde depuis des années, en vain. «L’évolution à court ou à moyen terme du nombre de faits constatés par la police ou la gendarmerie ne doit jamais être confondue avec la délinquance commise», écrit ainsi souvent l’organisme. Si la police décide de mettre l’accent sur la lutte contre le petit trafic de drogue, il y aura davantage de dealers arrêtés. Cela ne voudra pas dire qu’il y a une explosion des trafics en France. A l’inverse, il suffit au pouvoir politique – comme cela se fait parfois – de demander aux forces de l’ordre de mettre la pédale douce dans l’enregistrement des plaintes pour que les statistiques baissent. La délinquance n’aura pas diminué pour autant. La prudence est donc de mise concernant le sens à donner à ces chiffres.

Et c’est particulièrement vrai en matière de violences. Depuis quinze ans, les atteintes aux personnes enregistrées progressent. Mais cette inflation statistique ne doit pas être confondue avec une «explosion» des faits eux-mêmes.

La première raison est qu’on assiste depuis quinze ans à un élargissement du nombre des «circonstances aggravantes», qui ont fait basculer des agressions de la contravention vers le délit. Des faits apparaissent dans les statistiques de la délinquance alors qu’ils n’y figuraient pas auparavant. Depuis 1994, une agression, quelle que soit la durée de l’incapacité totale de travail de la victime, est un délit si elle est le fait du concubin ou du conjoint de la victime. Et, depuis 2006, c’est aussi le cas si elle a été commise par un ex-conjoint, un ex-concubin ou une personne liée à la victime par un Pacs. Cette modification de périmètre est une des raisons de l’augmentation du nombre de faits constatés. Ce n’est pas la seule.

Le nombre de plaintes enregistrées dépend aussi de la propension des victimes à porter plainte. Les experts soulignent que la forte progression des violences – notamment intrafamiliales – dans les statistiques s’explique aussi par une modification des comportements : de la police – qui est plus sensibilisée au sujet et collecte mieux les plaintes – et des victimes – qui sont de plus en plus incitées à porter plainte (elles sont encore moins de 25% à le faire en cas d’agression, et moins de 10% quand il s’agit de violence au sein du ménage). Dans une étude de 2008 (lire p.3), l’OND pointe l’exemple de la Seine-Saint-Denis, qui a enregistré entre 2004 et 2007 une hausse de 87% des violences par conjoint sur femme majeure. Une possible conséquence, suggère l’OND, de la politique plus active qu’ailleurs menée par le département et les associations contre la violence conjugale. Un exemple qui amène à inverser la perspective : «L’augmentation des faits constatés peut être une bonne nouvelle, parce qu’elle peut signifier que de plus en plus de victimes se font connaître. Ce qui ne veut pas dire qu’il y a de plus en plus de victimes», explique-t-on à l’OND.

Il importe d’ailleurs de souligner que, à rebours des statistiques des forces de l’ordre, les enquêtes de victimation, qui consistent à aller interroger des échantillons de population sur les délits dont ils ont été l’objet, ne montrent pas de progression des violences. Les enquêtes que mène l’OND depuis 2007 montrent une stagnation des atteintes aux personnes. Ces enquêtes – largement utilisées dans d’autres pays – ne sont jamais citées par les responsables politiques français, qui leur préfèrent les statistiques de l’activité policière. Quitte, comme Valls, à leur faire dire autre chose que ce qu’elles disent. Le maire d’Evry, qui se veut moderne dans le traitement de la sécurité, pourrait commencer par remettre les chiffres à l’endroit.

Voir enfin:

France’s election

The rather dangerous Monsieur Hollande

The Socialist who is likely to be the next French president would be bad for his country and Europe

Apr 28th 2012

IT IS half of the Franco-German motor that drives the European Union. It has been the swing country in the euro crisis, poised between a prudent north and spendthrift south, and between creditors and debtors. And it is big. If France were the next euro-zone country to get into trouble, the single currency’s very survival would be in doubt.

That is why the likely victory of the Socialist candidate, François Hollande, in France’s presidential election matters so much. In the first round on April 22nd Mr Hollande came only just ahead of the incumbent, Nicolas Sarkozy. Yet he should win the second round on May 6th, because he will hoover up all of the far-left vote that went to Jean-Luc Mélenchon and others and also win a sizeable chunk from the National Front’s Marine Le Pen and the centrist François Bayrou.

Mr Sarkozy has a mountain to climb. Many French voters seem viscerally to dislike him. Neither Ms Le Pen (who, disturbingly, did well) nor Mr Bayrou (who, regrettably, did not) is likely to endorse him, as both will gain from his defeat. So, barring a shock, such as an implosion in next week’s televised debate, Mr Hollande can be confident of winning in May, and then of seeing his party triumph in June’s legislative election.

This newspaper endorsed Mr Sarkozy in 2007, when he bravely told French voters that they had no alternative but to change. He was unlucky to be hit by the global economic crisis a year later. He has also chalked up some achievements: softening the Socialists’ 35-hour week, freeing universities, raising the retirement age. Yet Mr Sarkozy’s policies have proved as unpredictable and unreliable as the man himself. The protectionist, anti-immigrant and increasingly anti-European tone he has recently adopted may be meant for National Front voters, but he seems to believe too much of it. For all that, if we had a vote on May 6th, we would give it to Mr Sarkozy—but not on his merits, so much as to keep out Mr Hollande.

With a Socialist president, France would get one big thing right. Mr Hollande opposes the harsh German-enforced fiscal tightening which is strangling the euro zone’s chances of recovery. But he is doing this for the wrong reasons—and he looks likely to get so much else wrong that the prosperity of France (and the euro zone) would be at risk.

A Socialist from the left bank

Although you would never know it from the platforms the candidates campaigned on, France desperately needs reform. Public debt is high and rising, the government has not run a surplus in over 35 years, the banks are undercapitalised, unemployment is persistent and corrosive and, at 56% of GDP, the French state is the biggest of any euro country.

Mr Hollande’s programme seems a very poor answer to all this—especially given that France’s neighbours have been undergoing genuine reforms. He talks a lot about social justice, but barely at all about the need to create wealth. Although he pledges to cut the budget deficit, he plans to do so by raising taxes, not cutting spending. Mr Hollande has promised to hire 60,000 new teachers. By his own calculations, his proposals would splurge an extra €20 billion over five years. The state would grow even bigger.

Optimists retort that compared with the French Socialist Party, Mr Hollande is a moderate who worked with both François Mitterrand, the only previous French Socialist president in the Fifth Republic, and Jacques Delors, Mitterrand’s finance minister before he became president of the European Commission. He led the party during the 1997-2002 premiership of Lionel Jospin, who was often more reformist than the Gaullist president, Jacques Chirac. They dismiss as symbolic Mr Hollande’s flashy promises to impose a 75% top income-tax rate and to reverse Mr Sarkozy’s rise in the pension age from 60 to 62, arguing that the 75% would affect almost nobody and the pension rollback would benefit very few. They see a pragmatist who will be corralled into good behaviour by Germany and by investors worried about France’s creditworthiness.

If so, no one would be happier than this newspaper. But it seems very optimistic to presume that somehow, despite what he has said, despite even what he intends, Mr Hollande will end up doing the right thing. Mr Hollande evinces a deep anti-business attitude. He will also be hamstrung by his own unreformed Socialist Party and steered by an electorate that has not yet heard the case for reform, least of all from him. Nothing in the past few months, or in his long career as a party fixer, suggests that Mr Hollande is brave enough to rip up his manifesto and change France (see article). And France is in a much more fragile state than when Mitterand conducted his Socialist experiment in 1981-83. This time the response of the markets could be brutal—and hurt France’s neighbours too.

Goodbye to Berlin

What about the rest of Europe? Here Mr Hollande’s refusal to countenance any form of spending cut has had one fortunate short-term consequence: he wisely wants to recast the euro zone’s “fiscal compact” so that it not only constrains government deficits and public debt, but also promotes growth. This echoes a chorus of complaint against German-inspired austerity now rising across the continent, from Ireland and the Netherlands to Italy and Spain (see Charlemagne).

The trouble is that unlike, say, Italy’s Mario Monti, Mr Hollande’s objection to the compact is not just about such macroeconomic niceties as the pace of fiscal tightening. It is chiefly resistance to change and a determination to preserve the French social model at all costs. Mr Hollande is not suggesting slower fiscal adjustment to smooth the path of reform: he is proposing not to reform at all. No wonder Germany’s Angela Merkel said she would campaign against him.

Every German chancellor eventually learns to tame the president next door, and Mr Hollande would be a less mercurial partner than Mr Sarkozy. But his refusal to countenance structural reform of any sort would surely make it harder for him to persuade Mrs Merkel to tolerate more inflation or consider some form of debt mutualisation. Why should German voters accept unpalatable medicine when France’s won’t?

A rupture between France and Germany would come at a dangerous time. Until recently, voters in the euro zone seemed to have accepted the idea of austerity and reform. Technocratic prime ministers in Greece and Italy have been popular; voters in Spain, Portugal and Ireland have elected reforming governments. But nearly one in three French voters cast their first-round ballots for Ms Le Pen and Mr Mélenchon, running on anti-euro and anti-globalisation platforms. And now Geert Wilders, a far-right populist, has brought down the Dutch government over budget cuts. Although in principle the Dutch still favour austerity, in practice they have not yet been able to agree on how to do it (see article). And these revolts are now being echoed in Spain and Italy.

It is conceivable that President Hollande might tip the balance in favour of a little less austerity now. Equally, he may scare the Germans in the opposite direction. Either way one thing seems certain: a French president so hostile to change would undermine Europe’s willingness to pursue the painful reforms it must eventually embrace for the euro to survive. That makes him a rather dangerous man.


Présidentielles 2012: Aujourd’hui, le clivage n’est plus idéologique mais philosophique et moral (Why not polygamy?)

25 avril, 2012
Israël est détruit, sa semence même n’est plus. Amenhotep III (Stèle de Mérenptah, 1209 or 1208 Av. JC)
Le Front de Gauche pense lui aussi que l’accord d’association UE-Israël doit être suspendu tant que le gouvernement israélien ne se conformera aux obligations qui lui incombent en vertu de ce traité. Nous œuvrerons en ce sens au sein du Conseil européen et nous veillerons à ce qu’aucune nouvelle opportunité commerciale ne soit accordée à Israël en l’état actuel des choses. La France appuiera la mise en place d’une liste noire des entreprises israéliennes qui violent délibérément l’esprit des dispositions prises par l’UE en exportant abusivement des produits provenant des territoires occupés. Ces entreprises devront être boycottées. Elles le seront en France. En outre, la France veillera à ce que les entreprises françaises – et européennes – ne participent pas, par des investissements illégaux, à la colonisation. Une liste noire des entreprises se livrant à ce genre d’opération sera dressée, rendue publique et des sanctions appliquées. Le Front de gauche (Mélenchon)
Depuis que l’ordre religieux est ébranlé – comme le christianisme le fut sous la Réforme – les vices ne sont pas seuls à se trouver libérés. Certes les vices sont libérés et ils errent à l’aventure et ils font des ravages. Mais les vertus aussi sont libérées et elles errent, plus farouches encore, et elles font des ravages plus terribles encore. Le monde moderne est envahi des veilles vertus chrétiennes devenues folles. Les vertus sont devenues folles pour avoir été isolées les unes des autres, contraintes à errer chacune en sa solitudeChesterton
C’est le sens de l’histoire (…) Pour la première fois en Occident, des hommes et des femmes homosexuels prétendent se passer de l’acte sexuel pour fonder une famille. Ils transgressent un ordre procréatif qui a reposé, depuis 2000 ans (sic), sur le principe de la différence sexuelle. Evelyne Roudinesco
Je m’ennuie follement dans la monogamie, même si mon désir et mon temps peuvent être reliés à quelqu’un et que je ne nie pas le caractère merveilleux du développement d’une intimité. Je suis monogame de temps en temps mais je préfère la polygamie et la polyandrie. Carla Bruni
Pourquoi est-il devenu aujourd’hui impossible de prononcer le mot polygamie sans qu’aussitôt le débat s’enflamme? La polygamie serait à éradiquer, comme un fléau, si l’on écoute certains politiques. (…) La polygamie opprime la femme, entend-on dire partout, et elle est contraire à l’ordre public. En quoi la polygamie serait-elle par essence source de délinquance? Dans la monogamie, tout irait-il donc très bien, madame la marquise? Aucun délinquant dans les foyers monogamiques? (…) Ce qui pose problème, ce n’est pas la modalité matrimoniale en elle-même, mais l’inégalité entre les hommes et les femmes, l’oppression de la femme, considérée comme une propriété, comme un bien, comme une chose, scandale que la polygamie rend encore plus manifeste, plus criant, plus insupportable. Ce qui est à combattre, c’est le mariage forcé, sous quelque forme qu’il soit. (…) Or donc, pourquoi ne pas revendiquer une polygamie égalitaire plutôt que de vouloir à tout prix « faire la peau » à la polygamie? Pourquoi ne pas réfléchir à des conditions de logement et de vie adéquates pour les personnes qui souhaitent s’épanouir dans ce mode de vie? Le vrai combat de libération de la femme mariée sous le régime de la polygamie (en réalité: polygynie) ne consisterait-il pas à revendiquer le droit à la polyandrie? Pour qu’une femme puisse se marier également avec plus d’un homme. (…) les premiers Chrétiens étaient polygames. Et (…) la polygamie n’est nulle part interdite dans la Bible. Dans le cadre du catholicisme, le divorce est mille fois plus problématique que la polygamie! Il a d’ailleurs paru au XIXe siècle tout aussi scandaleux et immoral que peut paraître à certains aujourd’hui la polygamie. Et pourtant, qui s’effarouche aujourd’hui du divorce? La morale n’est pas donnée une fois pour toute et partout. Elle est une vision qui colore les situations, positivement ou négativement à un moment donné, elle n’est ni fixe ni universelle. Il fut un temps où il était, en France, hérétique de penser qu’un mariage pût être d’amour! (…) Et si une « nouvelle polygamie » était un très bon moyen de retisser du lien social au sein de notre société anémiée, déprimée, et privée de l’ampleur de l’amour? Il ne s’agit pas de vivre tous ensemble, dans un même lieu, mais, pour reprendre le terme employé par Vincent Cespedes, de « consteller » nos vies. Les familles recomposées ne seraient-elles pas les prémices de familles composées? La monogamie n’a pas le monopole du cœur. Ni le mariage non plus! Fort heureusement, l’amour est plus vaste et plus fort que toutes les constructions sociales! Il ne s’agit donc pas ici de faire une apologie du mariage, mais puisque ce lien -qui symbolise un engagement (notamment de fidélité, et non d’exclusivité, ce qui correspond à deux notions bien distinctes)- existe, il est sain de l’interroger, et de croire possibles des amours réellement « pour la vie ». Catherine Ternaux
Une telle évolution de la jurisprudence est très inquiétante au regard du droit des femmes. Il semble d’ailleurs qu’elle se fonde curieusement sur un contre-sens – à moins qu’il ne s’agisse plus vraisemblablement d’un essai de justification bien douteux… Il est d’usage en effet, de comparer l’union polygamique au concubinage, notamment adultérin, et d’indiquer que, dans le contexte actuel des mœurs occidentales, une telle situation n’a rien de choquant. Il s’agit là d’un grave contre-sens. C’est oublier qu’il y a dans la polygamie un élément fortement discriminatoire et défavorable aux femmes, puisqu’elle est imposée et non choisie par celles-ci. Comparer ainsi une situation traditionnelle à l’évolution des mœurs modernes, fondée sur la liberté de choix des femmes (et des hommes) est donc une position inacceptable. Gristi
J’ouvrirai le droit au mariage et à l’adoption aux couples homosexuels. Hollande (Programme PS)
Nous sommes cette génération de trentenaires engagés autour de Nicolas Sarkozy, secrétaires nationaux de l’UMP aux parcours et profils différents, élus ou aspirant à le devenir, qui souhaite contribuer au débat et au projet de l’UMP et dessiner la France de l’après-crise, cette France dans laquelle nous vivrons, en laquelle nous croyons, et que, certainement, nous gérerons. C’est pourquoi nous sommes favorables à l’ouverture du mariage à tous les couples, quels que soient leurs sexes. (…) Nous soutenons bien l’ouverture du mariage à tous parce que nous sommes gaullistes, centristes, libéraux, conservateurs, républicains, sociaux, progressistes et… sarkozystes! (…) Un droit qui correspond à des devoirs déjà existants (impôts, communauté de vie…), déjà assumés de facto par les couples homosexuels, désireux désormais d’une égalité totale et d’une reconnaissance pleine et entière de leur engagement par notre République. (…)  La France de l’après-crise (…) devra poser de nouveaux repères, des bases solides pour construire un avenir plus harmonieux. Nous n’avons pas vocation, sur ce sujet de société comme sur d’autres, et contrairement au PS, à ouvrir un guichet aux droits, répondant à toutes les demandes et émanant ainsi de toutes les clientèles politiques identifiées. Notre position est responsable, notre pays est désormais prêt à cette reconnaissance, il a évolué et une large majorité de Français y est favorable. Il n’en est certes pas de même sur tous les sujets – celui de l’adoption fait encore débat et il n’est donc pas utile de le lier, à ce stade, à la reconnaissance du mariage pour tous. Conscients et soucieux d’un projet de société intégrant cette légitime attente, nous souhaitons donc voir cette proposition figurer dans le programme de l’UMP et portée par notre candidat l’an prochain devant les Français. Collectif de jeunes députés UMP
Les règles de notre société, c’est que le mariage s’effectue entre un homme et une femme. Je ne pense pas qu’il soit positif de changer cette règle. Si on part de ce principe, on peut aller à la limite très loin dans la modification de notre civilisation. On peut aussi décider que, après tout, pourquoi n’a-t-on le droit que de se marier avec un homme? (…) Pourquoi pas l’autorisation de la polygamie! Il existe des familles polygames, pourquoi est-ce que demain un certain nombre de groupes politico-religieux ne demanderaient pas que la polygamie, sous prétexte d’égalité des droits, soit inscrite dans le code civil français? Eh bien, c’est une autre civilisation. (…) On dit que les homosexuels réclament le mariage homosexuel. Moi je m’élève contre ça, c’est faux. C’est une toute petite minorité qui le réclame, comme d’ailleurs c’était une toute petite minorité qui réclamait le pacs, laissant croire que l’ensemble des homosexuels réclamaient le pacs. Résultat du pacs: 5% seulement sont des pacs homosexuels. Donc ça n’était pas une demande des homosexuels mais bien une demande d’une minorité. (…) On ne se mêle pas de la vie privée des gens, on considère que cela fait partie de la sphère intime. (…) Quels droits autres que ceux obtenus par un certain nombre avec le pacs? Le droit d’adoption? Je suis également contre. Marine Le Pen (France inter)
En ces temps troublés où notre société a besoin de repères, je ne crois pas qu’il faille brouiller l’image de cette institution sociale essentielle qu’est le mariage. (…) [l’adoption par des couples de même sexe?] C’est une des raisons pour lesquelles je ne suis pas favorable au mariage homosexuel. Il ouvrirait la porte à l’adoption. Je sais qu’il existe, de fait, des situations particulières avec des hommes et des femmes qui assument parfaitement leur rôle parental. Mais elles ne m’amènent pas à penser qu’il faudrait inscrire dans la loi une nouvelle définition de la famille. Sarkozy
Aujourd’hui le clivage droite/gauche n’est plus idéologique, mais philosophique et moral. (…) Quoiqu’ils en disent, les programmes respectifs de Nicolas Sarkozy et de François Hollande ne sont pas si éloignés que cela. L’époque où la droite et la gauche proposaient deux types de sociétés diamétralement opposées est révolue. Pour des raisons de fond, qu’on analysera pas ici, mais aussi pour des motifs plus conjoncturels: les caisses de l’Etat sont vides, les marges de manœuvre fort étroites, nombre de décisions ne se prennent plus à Paris mais à Bruxelles, et la mondialisation est passée par là. Est-ce à dire pour autant qu’il n’y a plus de droite ni de gauche? La réponse est clairement non. S’il est vrai que le libéralisme social de la droite (classique) et le socialisme libéral de la gauche (réformiste) se rejoignent aujourd’hui sur l’essentiel, on voit bien, à travers la personnalité et le style de leurs deux candidats, qu’il y a derrière deux visions du monde, de l’homme et de la société. Qui renvoient à des valeurs bien distinctes. Hervé Bentégeat
Le vote juif (…) s’est rapproché de la droite traditionnelle. (…) le basculement s’est produit au début des années 2000 avec l’éclatement de la seconde Intifada dans les territoires palestiniens et la recrudescence des actes antisémites, d’origine arabe, dans une société française devenue la transposition du conflit moyen-oriental. (…) La proximité avec la droite est encore plus forte dans l’électorat catholique. (…) Cette préférence à droite de l’électorat catholique —probablement accentué par la variable de l’âge (l’électorat catholique est plus âgé que la moyenne)— remonte à loin dans l’histoire politique de la France, depuis la Révolution et les combats laïques des XIXe et XXe siècles. Elle s’identifie à des «valeurs» d’ordre, de sécurité, de légitimité. Au delà des préoccupations communes (emploi, éducation) qui sont prioritaires, les principaux «marqueurs» du vote catholique sont, selon les spécialistes, la défense de la famille, le choix de l’école privée, le refus de l’euthanasie active et de la revendication homosexuelle (mariage gay, adoption). (…)  Le vote catholique n’est plus aussi hermétique aux idées frontistes. Le passage de témoin entre Jean-Marie Le Pen et sa fille Marine explique sans doute ce glissement, l’autre raison étant probablement liée à la question de l’immigration et aux peurs provoquées dans la population catholique par l’influence grandissante de l’islam.(…) Longtemps classé à gauche, le vote protestant (entre 2 et 3% de l’électorat) a également opéré un basculement à droite, comme le montre la récente enquête de l’IFOP pour l’hebdomadaire Réforme du 31 mars 2012. Nicolas Sarkozy figure loin devant ses concurrents. Il est victorieux dans les intentions de vote des protestants au deuxième tour par 53,5% contre 46,5% à François Hollande. On peut avancer plusieurs facteurs d’explication: le vieillissement de cette population, le poids croissant des protestants évangéliques, et aussi, comme pour une partie de l’électorat catholique, le fait que «certains protestants perçoivent assez mal que l’islam tienne le haut du pavé dans le débat public» (Jerôme Fourquet). (…) Reste le vote musulman, estimé à 5% de l’électorat. Il est très marqué par l’abstention. Moins de la moitié des musulmans se déplacent pour aller voter, ce qui est la traduction électorale de leur faible niveau d’intégration dans la société française. Mais il est très homogène et très marqué à gauche. Selon les derniers sondages d’intentions de vote, 80% des électeurs musulmans s’apprêteraient à voter François Hollande au second tour de l’élection dans le cadre d’un duel avec Nicolas Sarkozy. (…) Si on ne peut nier la place du facteur religieux dans le vote des 22 avril et 6 mai prochains, on doit relever que ces électorats religieux demeurent très minoritaires. Avec 14 % de catholiques pratiquants, 2 % à 3% de protestants, 5 % à 6 % de musulmans, moins de 1% de juifs, cet électorat religieux forme à peine 30% de l’électorat. Henri Tincq

Après l’Espagne, le Portugal, la Belgique, les Pays-Bas, le Danemark,l ‘Irlande, l’Angleterre, la Suède, la Finlande, l’Islande, le Canada, l’Argentine, le Brésil ou le Mexique et bientôt l’Australie, la Norvège, l’Ecosse, la Nouvelle Zélande, l’Autriche, le Chili et  l’Afrique du sud, la France serait-elle, si l’on en croit nos sondeurs, sur le point de rejoindre les pays où les idées chrétiennes sont devenues folles?

Ordre, sécurité, légitimité, « laïcité positive », défense de la famille, choix de l’école privée, refus de l’euthanasie active et de la revendication homosexuelle (mariage, adoption), méfiance vis à vis de la diplomatie pro-arabe  …

En cette journée où, contre ses ennemis et leur kyrielle d’idiots utiles, la seule véritable démocratie du Moyen-Orient célèbre le retour il y a 64 ans à  sa terre multi-millénaire …

En ces temps où, caisses vides et mondialisation obligent, les idéologies ont bien perdu de leur superbe …

Où, dans une présidentielle qui pourrait bien se révéler beaucoup plus serrée que nos sondeurs ne veulent bien le dire, quelque 25% des électeurs revendiquant une appartenance judéo-chrétienne se rapprochent de la droite pendant que les mosquées appellent à voter socialiste …

Et face au Kool-Aid d’une gauche postmoderne prête (à l’instar de son ex-candidat coureur de clubs de échangistes) à se jeter sur la première aberration venue (ie. le mariage, après l’avoir dénoncé comme trop bourgeois, mais désormais homosexuel, s’il vous plait!) mais aussi une jeune génération de droite où « branchitude » oblige il faut s’afficher pro-mariage homo ou pro-cannabis (d’une ex-ministre de la justice en plus qui refuse par ailleurs toujours de donner un père à sa fille!) …

Comment ne pas voir, comme le rappelait récemment Hervé Bentégeat, qu’« aujourd’hui le clivage droite/gauche n’est plus idéologique, mais philosophique et moral »?

Autrement dit qu’il porte essentiellement sur les fameux enjeux de civilisation (euthanasie, mariage homosexuel, bioéthique, vote des étrangers, politique migratoire)?

Présidentielle 2012: pour qui vont voter les juifs, les catholiques, les protestants, les musulmans?

Malgré la laïcisation de la société française, la variable religieuse reste déterminante dans le vote des citoyens.

Henri Tincq

Slate

08/04/2012

Y a-t-il un vote juif? Ou catholique? Ou protestant? Ou musulman? Les politologues interrogés répondent par l’affirmative. Malgré la laïcisation de la société française, la variable religieuse reste déterminante dans le vote des citoyens. Elle renforce des tendances historiquement lourdes. Depuis quelques années, elle subit des inflexions, confirmées dans les intentions de vote pour la prochaine élection présidentielle que révèlent les enquêtes d’opinion.

Le virage à droite du vote juif

Très minoritaire (moins de 1% de l’électorat), le vote juif n’est plus spontanément identifié à la gauche émancipatrice et assimilatrice, héritière des combats révolutionnaires, adversaire de la droite antisémite et stigmatisante de l’entre-deux guerres et de Vichy.

Sous la Ve République, la position du général de Gaulle sur Israël («sûr de lui et dominateur») et la diplomatie pro-arabe de la France avaient puissamment contribué à cette méfiance pour la droite de l’électorat juif. Celui-ci avait largement participé aux victoires de François Mitterrand en 1981 et 1988.

Cette situation a changé. Le vote juif est plus hétérogène qu’autrefois. Il s’est rapproché de la droite traditionnelle. Selon Jérôme Fourquet, politologue spécialiste des études d’opinion à l’Ifop, le basculement s’est produit au début des années 2000 avec l’éclatement de la seconde Intifada dans les territoires palestiniens et la recrudescence des actes antisémites, d’origine arabe, dans une société française devenue la transposition du conflit moyen-oriental. En 2002, la communauté juive avait voté pour Jacques Chirac et même Alain Madelin, de préférence à Lionel Jospin.

Nicolas Sarkozy, par sa politique sécuritaire, par son parti-pris pro-israélien et pro-américain, a achevé de convertir à la droite cet électorat juif auquel, comme Président, il n’a cessé de donner des gages. Au premier tour de la présidentielle de 2007, il avait obtenu 45% des voix juives, soit quatorze points de plus que sa moyenne nationale. En 2012, les instituts de sondage ne donnent pas de chiffres sur les intentions de vote d’une communauté juive numériquement très faible. Mais ils s’attendent à une confirmation assez large du vote Sarkozy.

Les catholiques, à droite toute toujours

La proximité avec la droite est encore plus forte dans l’électorat catholique. De 50% à 60% d’électeurs français se définissent comme catholiques, dont 14% comme «pratiquants». Leur comportement électoral est d’autant plus frappant à étudier qu’il s’écarte de la moyenne nationale. «Plus on est catholique pratiquant, plus on vote à droite, notamment vers l’UMP, et avec une prime très nette à Nicolas Sarkozy», observe Jérôme Fourquet.

Quand il rassemble autour de 28% des intentions de vote de l’ensemble des Français au premier tour, le président sortant «monte» à 34% chez les catholiques non pratiquants et à 45% chez les pratiquants. A l’inverse, le candidat socialiste François Hollande ne recueille que 16% des intentions de vote des catholiques pratiquants (24% des non-pratiquants). La tendance s’amplifie au second tour: Nicolas Sarkozy réunirait 70% des suffrages des pratiquants et même 55% des non pratiquants.

Cette préférence à droite de l’électorat catholique —probablement accentué par la variable de l’âge (l’électorat catholique est plus âgé que la moyenne)— remonte à loin dans l’histoire politique de la France, depuis la Révolution et les combats laïques des XIXe et XXe siècles. Elle s’identifie à des «valeurs» d’ordre, de sécurité, de légitimité.

Au delà des préoccupations communes (emploi, éducation) qui sont prioritaires, les principaux «marqueurs» du vote catholique sont, selon les spécialistes, la défense de la famille, le choix de l’école privée, le refus de l’euthanasie active et de la revendication homosexuelle (mariage gay, adoption).

Ce vote Sarkozy dans l’électorat catholique justifie le discours du président sur la «laïcité positive». Il confirme la stratégie «droitière» de Patrick Buisson, son conseiller qui, il y a quelques mois encore, avait organisé un déplacement présidentiel au Puy-en-Velay, haut lieu de pèlerinage, où Nicolas Sarkozy avait exalté le patrimoine chrétien de la France.

Il reste que le candidat doit rester attentif à la façon de s’adresser à cet électorat. En juillet 2010, le discours de Grenoble sur la délinquance et les Roms avait provoqué de fortes réticences dans la hiérarchie catholique. «Sa cote de popularité n’avait toutefois pas diminué chez les catholiques en général, se rappelle Jérôme Fourquet. La baisse, dans ce segment de l’électorat, avait eu lieu bien avant, au moment de la polémique sur la nomination de Jean Sarkozy à la tête de l’Epad de la Défense et le double salaire d’Henri Proglio.»

Dans cet électorat, le candidat centriste François Bayrou ne jouit plus de la «surcote» dont il avait bénéficié en 2007, mais il reste un peu au dessus de la moyenne nationale: il est à 15% chez les catholiques pratiquants et à 12% chez les non-pratiquants. Il y a cinq ans, il était à 27% chez les pratiquants contre 20% en moyenne nationale.

Le rapport avec Marine Le Pen et le Front national bouge également. A l’époque de la montée en puissance de Jean-Marie Le Pen, il existait une corrélation forte entre la pratique catholique et le rejet du vote Front national. C’est moins vrai aujourd’hui. Le vote catholique n’est plus aussi hermétique aux idées frontistes.

Le passage de témoin entre Jean-Marie Le Pen et sa fille Marine explique sans doute ce glissement, l’autre raison étant probablement liée à la question de l’immigration et aux peurs provoquées dans la population catholique par l’influence grandissante de l’islam. Quoiqu’il en soit, Marine Le Pen est à 13% des intentions de vote chez les catholiques pratiquants —très légèrement en dessous de la moyenne nationale— et à 18% chez les catholiques non-pratiquants.

Des disparités régionales dans le vote protestant

Longtemps classé à gauche, le vote protestant (entre 2 et 3% de l’électorat) a également opéré un basculement à droite, comme le montre la récente enquête de l’IFOP pour l’hebdomadaire Réforme du 31 mars 2012. Nicolas Sarkozy figure loin devant ses concurrents. Il est victorieux dans les intentions de vote des protestants au deuxième tour par 53,5% contre 46,5% à François Hollande.

On peut avancer plusieurs facteurs d’explication: le vieillissement de cette population, le poids croissant des protestants évangéliques, et aussi, comme pour une partie de l’électorat catholique, le fait que «certains protestants perçoivent assez mal que l’islam tienne le haut du pavé dans le débat public» (Jerôme Fourquet).

Mais on doit relever, dans ce vote protestant, de fortes disparités régionales. Ainsi François Hollande ne recueille que 13% des intentions de vote du premier tour chez les protestants luthériens, plus traditionnels, de l’Est de la France (Alsace et Lorraine), mais il est à 37% dans le Sud (Drôme, Ardèche, etc) d’obédience plus réformée et plus progressiste.

Nicolas Sarkozy est respectivement à 35% dans l’Est et à 31% dans les zones protestantes du Midi cévenol. Quant à Marine Le Pen, elle rassemblerait 28% des électeurs protestants de l’Est et seulement 9% dans le Sud.

Le vota à gauche massif des musulmans

Reste le vote musulman, estimé à 5% de l’électorat. Il est très marqué par l’abstention. Moins de la moitié des musulmans se déplacent pour aller voter, ce qui est la traduction électorale de leur faible niveau d’intégration dans la société française. Mais il est très homogène et très marqué à gauche. Selon les derniers sondages d’intentions de vote, 80% des électeurs musulmans s’apprêteraient à voter François Hollande au second tour de l’élection dans le cadre d’un duel avec Nicolas Sarkozy.

Ce vote massif pour la gauche est ancien. Celle-ci bénéficie de son image émancipatrice et décolonisatrice. Le débat récurrent sur la place de l’islam dans l’espace public renforce aussi le réflexe anti-droite. L’islam reste perçu par ses membres comme une minorité marginalisée et stigmatisée et, à cet égard, la droite au pouvoir porterait une grande responsabilité. Si le Front national reste l’ennemi numéro un, l’image de Nicolas Sarkozy est très écornée.

Si on ne peut nier la place du facteur religieux dans le vote des 22 avril et 6 mai prochains, on doit relever que ces électorats religieux demeurent très minoritaires. Avec 14 % de catholiques pratiquants, 2 % à 3% de protestants, 5 % à 6 % de musulmans, moins de 1% de juifs, cet électorat religieux forme à peine 30% de l’électorat. Nous sommes bien loin des États-Unis.

Voir aussi:

La polygamie: pourquoi pas?

 Catherine Ternaux

Huffington Post

24/03/2012

Pourquoi est-il devenu aujourd’hui impossible de prononcer le mot polygamie sans qu’aussitôt le débat s’enflamme? La polygamie serait à éradiquer, comme un fléau, si l’on écoute certains politiques. En 2010, Brice Hortefeux avait proposé de faire de « la polygamie de fait » un délit pour les personnes naturalisées, puni de la déchéance de la nationalité, installant une nationalité française à deux niveaux, puisque les Français d’origine qui la pratiquent parfois aussi n’auraient pas été concernés par ce « crime ». La proposition fut abandonnée, on en fut quitte pour le ridicule.

Pourquoi donc cet acharnement contre la polygamie? Parce qu’il n’y a plus aucune once de réflexion censée sur la place publique concernant ce sujet. Ce ne sont qu’amalgames et a priori, ressassements et attaques aveugles. C’est à qui s’indignera le plus vite et le plus fort. La polygamie serait la mère de tous les vices, et la monogamie le garant de l’ordre moral et le fondement de notre société… C’est un fantasme qu’il est temps de dénoncer.

Essayons d’établir un peu de clarté sur la question en précisant d’abord ce que signifie « polygamie ». Poly=plusieurs+gamie=mariage. Marié plusieurs fois. C’est tout. Le mot ne veut dire que cela. Concevons que dans notre société où un mariage sur deux se termine par un divorce, et qu’il est souvent suivi d’un remariage, une grande partie de nos concitoyens sont déjà polygames. Ah oui, ferez-vous remarquer, mais ils ne sont pas mariés plusieurs fois en même temps! Absolument. Mais pourquoi ne le seraient-ils pas? Qu’est-ce qui ferait dommage ou offense? A partir du moment où toutes les personnes sont consentantes, trop d’amour nuirait-il?

Le divorce est un droit, conquis lors de la Révolution française, mais il est aussi, ce qui est complètement abusif, une obligation. Tu ne te remarieras pas sans avoir divorcé de ta précédente épouse ou de ton précédent époux. Et pourquoi cette limitation imposée dans notre vie amoureuse et dans notre vie de famille? Il se trouve qu’il existe des hommes et des femmes pour lesquels, aimer une nouvelle personne, ne signifie pas obligatoirement qu’elles n’aiment plus la précédente. Pourquoi la société oblige-t-elle à rompre le lien? Pourquoi n’aurions-nous pas le choix, de divorcer ou de ne pas divorcer pour se remarier? Quel argument définitif pour imposer le seul modèle monogamique?

La polygamie opprime la femme, entend-on dire partout, et elle est contraire à l’ordre public. En quoi la polygamie serait-elle par essence source de délinquance? Dans la monogamie, tout irait-il donc très bien, madame la marquise? Aucun délinquant dans les foyers monogamiques? Aucun appel de femmes mariées en détresse dans le cadre de la monogamie à S.O.S femmes battues? En France, une femme meurt tous les 2 jours et demi (estimation basse) du fait de violences conjugales, et ce dans le cadre de la monogamie…

Ce qui pose problème, ce n’est pas la modalité matrimoniale en elle-même, mais l’inégalité entre les hommes et les femmes, l’oppression de la femme, considérée comme une propriété, comme un bien, comme une chose, scandale que la polygamie rend encore plus manifeste, plus criant, plus insupportable. Ce qui est à combattre, c’est le mariage forcé, sous quelque forme qu’il soit. Mais on confond tout, et on jette le bébé avec l’eau du bain.

Or donc, pourquoi ne pas revendiquer une polygamie égalitaire plutôt que de vouloir à tout prix « faire la peau » à la polygamie? Pourquoi ne pas réfléchir à des conditions de logement et de vie adéquates pour les personnes qui souhaitent s’épanouir dans ce mode de vie? Le vrai combat de libération de la femme mariée sous le régime de la polygamie (en réalité: polygynie) ne consisterait-il pas à revendiquer le droit à la polyandrie? Pour qu’une femme puisse se marier également avec plus d’un homme.

La polyandrie? Mais c’est contre nature! Pas du tout, là encore: fantasme. Les études scientifiques sérieuses, comme celle de Pascal Picq et Philippe Brenot, ou encore celle de Frank Cézilly, montrent que cet argument n’est qu’un cliché éculé, et que cela ne correspond à aucune réalité, si ce n’est à celle d’un machisme encore trop répandu, qui verrouille non seulement les esprits mais aussi hélas, grandement les cœurs.

Autre argument évoqué: la monogamie serait liée à la religion chrétienne. Ce qui est contrariant, c’est que les premiers Chrétiens étaient polygames. Et que la polygamie n’est nulle part interdite dans la Bible. Dans le cadre du catholicisme, le divorce est mille fois plus problématique que la polygamie! Il a d’ailleurs paru au XIXe siècle tout aussi scandaleux et immoral que peut paraître à certains aujourd’hui la polygamie. Et pourtant, qui s’effarouche aujourd’hui du divorce? La morale n’est pas donnée une fois pour toute et partout. Elle est une vision qui colore les situations, positivement ou négativement à un moment donné, elle n’est ni fixe ni universelle. Il fut un temps où il était, en France, hérétique de penser qu’un mariage pût être d’amour!

L’argument d’une dispersion patrimoniale est également parfois avancé. C’est que nous ne sommes pas, malgré nos beaux discours, dans un état d’esprit de partage. Ce qui est dramatique, c’est que nous avons tendance à penser l’amour de la même façon. On ne pourrait aimer qu’une personne à la fois, car sinon chacun en aurait moins… Mais l’amour n’est pas division, il est multiplication! Simplement, nous sommes un peu handicapés de ce côté là, nous entretenons la paresse du cœur, et vivons dans la peur de l’autre, dans la peur de perdre, crispés et intolérants.

Oh, mais ce doit être compliqué la polygamie…! Oui, peut-être, mais est-ce qu’on peut interdire quelque chose sous prétexte que c’est compliqué? Beaucoup de situations sont compliquées, toutes sortes de questions se posent en permanence à l’homme, bref, vivre est un peu compliqué. Mais quelle formidable aventure, et qui ne nous arrivera qu’une fois (à mon avis)!

En matière de vivre ensemble, il y a encore beaucoup à apprendre, ayons l’humilité de le reconnaître. Brisons le cercle vicieux obligé de l’isolement et de l’exclusion. Et si une « nouvelle polygamie » était un très bon moyen de retisser du lien social au sein de notre société anémiée, déprimée, et privée de l’ampleur de l’amour? Il ne s’agit pas de vivre tous ensemble, dans un même lieu, mais, pour reprendre le terme employé par Vincent Cespedes, de « consteller » nos vies. Les familles recomposées ne seraient-elles pas les prémices de familles composées?

La monogamie n’a pas le monopole du cœur. Ni le mariage non plus! Fort heureusement, l’amour est plus vaste et plus fort que toutes les constructions sociales! Il ne s’agit donc pas ici de faire une apologie du mariage, mais puisque ce lien -qui symbolise un engagement (notamment de fidélité, et non d’exclusivité, ce qui correspond à deux notions bien distinctes)- existe, il est sain de l’interroger, et de croire possibles des amours réellement « pour la vie ».

Voir enfin:

Des responsables UMP pour le mariage homo

L’Express

le 22/11/2011

Des responsables UMP pour le mariage homo

Six secrétaires nationaux de l’UMP demandent que le droit au mariage pour les couples homosexuels figure dans le programme de Nicolas Sarkozy en 2012.

C’est un coup de tonnerre à droite: six secrétaires nationaux de l’UMP appellent à l’ouverture du mariage aux couples homosexuels. Et ils demandent que cette proposition figure dans le programme de Nicolas Sarkozy en 2012.

[Tribune] La stratégie de l’évitement ne mène à rien et il est temps aujourd’hui pour notre famille politique de mettre un terme à celle-ci et d’ouvrir le mariage aux couples du même sexe. L’actualité récente, les clins d’oeil appuyés du Front national vers l’électorat gay et les promesses électoralistes du candidat socialiste l’imposent.

Nous sommes cette génération de trentenaires engagés autour de Nicolas Sarkozy, secrétaires nationaux de l’UMP aux parcours et profils différents, élus ou aspirant à le devenir, qui souhaite contribuer au débat et au projet de l’UMP et dessiner la France de l’après-crise, cette France dans laquelle nous vivrons, en laquelle nous croyons, et que, certainement, nous gérerons.

C’est pourquoi nous sommes favorables à l’ouverture du mariage à tous les couples, quels que soient leurs sexes. A l’image du conservateur David Cameron, Premier ministre britannique, « nous croyons aux liens qui nous unissent, que la société est plus forte quand nous faisons des voeux et quand nous nous soutenons les uns les autres ».

Attachés à la famille et à l’institution du mariage, comme Cameron, nous croyons profondément qu’une société est mieux construite lorsqu’elle soutient les preuves d’engagement et les solidarités interfamiliales. Nous soutenons bien l’ouverture du mariage à tous parce que nous sommes gaullistes, centristes, libéraux, conservateurs, républicains, sociaux, progressistes et… sarkozystes! Eh oui, nous souhaitons voir notre pays et notre majorité légiférer en ce sens. La droite s’en honorerait, dans un esprit de réforme et de liberté, à l’image de Mariano Rajoy, qui, en Espagne, ne reviendra certainement pas sur cette disposition.

Ainsi, il doit s’agir ici d’un point de rencontre au sein de notre famille politique et non d’un point de rupture. Un droit qui correspond à des devoirs déjà existants (impôts, communauté de vie…), déjà assumés de facto par les couples homosexuels, désireux désormais d’une égalité totale et d’une reconnaissance pleine et entière de leur engagement par notre République.

L’ouverture du mariage aux couples homosexuels n’est ni un préalable ni un aboutissement, encore moins une question de vie privée, elle est un point de convergence entre celles et ceux qui croient en ces valeurs d’engagement, de droits et de devoirs, et la nécessaire solidarité et reconnaissance d’une société réelle et non fantasmée.

La France de l’après-crise ne ressemblera pas à celle que nous quitterons. Bousculée, elle devra poser de nouveaux repères, des bases solides pour construire un avenir plus harmonieux. Nous n’avons pas vocation, sur ce sujet de société comme sur d’autres, et contrairement au PS, à ouvrir un guichet aux droits, répondant à toutes les demandes et émanant ainsi de toutes les clientèles politiques identifiées. Notre position est responsable, notre pays est désormais prêt à cette reconnaissance, il a évolué et une large majorité de Français y est favorable. Il n’en est certes pas de même sur tous les sujets – celui de l’adoption fait encore débat et il n’est donc pas utile de le lier, à ce stade, à la reconnaissance du mariage pour tous.

Conscients et soucieux d’un projet de société intégrant cette légitime attente, nous souhaitons donc voir cette proposition figurer dans le programme de l’UMP et portée par notre candidat l’an prochain devant les Français.

Les auteurs

Sébastien Chenu, secrétaire national UMP chargé de l’exception culturelle, vice-président de l’agglomération du Beauvaisis, Samia Badat, secrétaire nationale chargée des nouveaux engagements solidaires, Frédéric Bouscarle, secrétaire national chargé de l’insertion des personnes handicapées, Nathalie Fanfant, secrétaire nationale chargée de la lutte contre les discriminations, Stéphane Jacquot, secrétaire national chargé des politiques pénitentiaires et des prisons, conseiller municipal de Châtillon (Hauts-de-Seine), David-Xavier Weiss, secrétaire national chargé des industries de la presse, conseiller municipal de Levallois-Perret.


Présidentielles 2012: La gauche serait-elle en train de nous transformer en buveurs de Kool-Aid? (Ready for another round of Yes-we-can Kool-Aid?)

23 avril, 2012
La communauté du Temple du Peuple est perçue par certains groupes communistes comme un « projet agricole communiste ».  Il est encore tenu aujourd’hui comme un modèle du genre par le Rural People’s Party qui considère le « camarade Jim Jones » comme un « martyr de la cause ». Wikipedia
President Bush didn’t just drink the Kool-Aid, he made it. Suzanne Malveaux (CNN, 2006)
I’m trying to give Obama some time. I don’t think Obama is a closet socialist I think he’s a very careful man. As a journalist, I did not drink the Obama Kool-Aid last year. I think if he walks across the Potomac, his feet will get wet. Jon Meacham (editor of Newsweek)
I see my colleague has swallowed the Kool-Aid, Madam Speaker. Keith Martin (député canadien)
Obama surfe sur cette vague d’aspiration des Blancs qui se projettent sur lui. Il parle d’espoir, de changement, d’avenir… Il se cache derrière ce discours éthéré, sans substance, pour permettre aux Blancs de projeter sur lui leurs aspirations. Il est prisonnier car à la minute où il révélera qui il est vraiment, ce en quoi il croit vraiment, son idéologie, il perdra toute sa magie et sa popularité de rock-star. (…) Il est prisonnier, car il ne peut pas être lui-même. (…) Les Blancs sont l’électorat naturel de Barack Obama. (…) C’est ça l’ironie: il a fallu que Barack Obama gagne les voix blanches pour emporter les voix noires. Shelby Steele (2008)
C’est un terrible avantage de n’avoir rien fait, mais il ne faut pas en abuser. Rivarol
Abstention, porte-à-porte: s’il gagne, Hollande devra-t-il sa victoire à Obama? François Hollande a adopté les tactiques de la campagne de 2008 d’Obama –et cela pourrait lui valoir le même succès. Slate
Le mépris dans lequel les tient la classe dirigeante a quelque chose de sidérant. Nos élites sont mues par une invraisemblable prolophobie dont elles n’ont parfois même pas conscience. (…) Les impensés de la gauche sur la sécurité et l’immigration témoignent d’un déni persévérant de celle-ci face à l’expression de certaines souffrances sociales. (…) Avant d’être une posture politique, le front républicain est d’abord un réflexe de classe et de caste. Patrick Buisson
Ce concept de “droitisation” est le plus sûr indice de la confusion mentale qui s’est emparée de certains esprits. Si la “droitisation” consiste à prendre en compte la souffrance sociale des Français les plus exposés et les plus vulnérables, c’est que les anciennes catégories politiques n’ont plus guère de sens… et que le PS est devenu – ce qui me paraît une évidence – l’expression des nouvelles classes dominantes. (…) Est-ce Nicolas Sarkozy qui se “droitise” en plaçant la maîtrise des flux migratoires au cœur de la question sociale ou la gauche qui se renie en substituant à la question sociale le combat sociétal en faveur d’un communautarisme multiculturel ? L’impensé du candidat socialiste sur l’immigration est tout sauf accidentel : il témoigne d’une contradiction à ce jour non résolue. L’idéologie du “transfrontiérisme” n’est pas celle des Français. Près de deux Français sur trois et près d’un sympathisant de gauche sur deux approuvent la proposition de Nicolas Sarkozy de réduire de moitié l’immigration légale. Le projet que porte Nicolas Sarkozy s’adresse à tout l’électorat populaire. Il est clairement le candidat d’une Europe des frontières. C’est en cela qu’il est le candidat du peuple qui souffre de l’absence de frontières et de ses conséquences en chaîne : libre-échangisme sans limites, concurrence déloyale, dumping social, délocalisation de l’emploi, déferlante migratoire. Les frontières, c’est la préoccupation des Français les plus vulnérables. Les frontières, c’est ce qui protège les plus pauvres. Les privilégiés, eux, ne comptent pas sur l’Etat pour construire des frontières. Ils n’ont eu besoin de personne pour se les acheter. Frontières spatiales et sécuritaires : ils habitent les beaux quartiers. Frontières scolaires : leurs enfants fréquentent les meilleurs établissements. Frontières sociales : leur position les met à l’abri de tous les désordres de la mondialisation et en situation d’en recueillir tous les bénéfices. Patrick Buisson
On le répète, tous les Présidents qui ont sollicité un nouveau mandat ont été réélus, à l’exception de Valéry Giscard d’Estaing. Rien ne serait plus facile que d’être reconduit à l’Elysée. A y regarder de plus près, un tout autre éclairage s’impose. Sous la Ve République, aucun Président sortant en phase avec la majorité gouvernante n’a jamais encore réussi à être réélu. (…) François Mitterrand et Jacques Chirac (…) ont été réélus (…) comme présidents de cohabitation. Ils avaient perdu le contrôle de la majorité parlementaire et ne conduisaient plus l’action gouvernementale. Si Sarkozy parvenait à se faire réélire en 2012 après avoir piloté lui-même les affaires du pays pendant cinq ans, ce serait une première. Eric Dupin
J’ouvrirai le droit au mariage et à l’adoption aux couples homosexuels. François Hollande (Programme PS)
En ces temps troublés où notre société a besoin de repères, je ne crois pas qu’il faille brouiller l’image de cette institution sociale essentielle qu’est le mariage. (…) [l’adoption par des couples de même sexe?] C’est une des raisons pour lesquelles je ne suis pas favorable au mariage homosexuel. Il ouvrirait la porte à l’adoption. Je sais qu’il existe, de fait, des situations particulières avec des hommes et des femmes qui assument parfaitement leur rôle parental. Mais elles ne m’amènent pas à penser qu’il faudrait inscrire dans la loi une nouvelle définition de la famille. Nicolas Sarkozy
Aujourd’hui le clivage droite/gauche n’est plus idéologique, mais philosophique et moral. Hervé Bentégeat
Ce refus de Sarkozy bénéficie à ceux qui de tradition lui sont le plus radicalement hostiles, communistes, trotskistes, anti capitalistes, qui rejouent le mélodrame de la révolution de 1789 et les réactionnaires, issus de la même mémoire, le Front national épicé de la rhétorique anti immigration. Ces mouvements additionnés se partagent les électeurs dans un refus commun du régime démocratique, de l’économie libérale et de la rationalité économique : ensemble, ils y substituent des mythes et constituent un front du refus énorme, sans équivalent dans les autres démocraties occidentales, soit un tiers des Français. Certes, ces refuzniks de la démocratie libérale, porteurs de piques, bonnets phrygiens et écologistes profonds se reclasseront sagement au second tour pour l’essentiel derrière le candidat socialiste et pour partie, par réflexe anti- communiste – derrière Nicolas Sarkozy. Il n’empêche que chez tous, la rancœur du premier tour restera intacte et qu’ils sauront dans l’avenir se manifester par la grève et autres mouvements sociaux de manière à rendre difficile voire impossibles les réformes rationnelles qu’exigerait la faillite imminente des finances publiques. Guy Sorman
Le chouchou des sondages, Mélenchon, s’est effondré, et le candidat de la vérité des comptes, Bayrou, aussi ; par contre Marine le Pen a récupéré le butin de 2002 (en additionnant les scores de son père et de Mégret) alors qu’elle aurait pu faire plus si elle n’avait pas fait une campagne d’extrême droite classique contre le « libéralisme » etc . Il n’empêche que le débat se déplace vers les questions de choix de société comme toujours en France puisque la politique avec un grand P est devenu la religion pour tous ; ainsi le dieu Etat (qui peut tout) reste au centre ; les trois candidats en tête sont en effet étatistes et centralisateurs puisque la politique fiscale, de protection sociale, de formation, restent dans les mains du pouvoir central ; l’UMP l’est un peu moins que les deux autres, sauf que Sarkozy a fait une politique de gauche pendant cinq ans en donnant sans cesse des gages, en refusant de libéraliser la santé, l’éducation etc, il le paye d’ailleurs en étant péniblement second ; les électeurs de Bayrou de 2007 se sont soit abstenus soit se sont diffractés entre Sarko et Marine Le Pen ; reste François Hollande qui pourrait se permettre de faire une politique centriste s’il n’était pas travaillé par les courants gauchistes et relativistes qui l’empêcheront sans doute de gagner. Lucien Oulahbib

La gauche serait-elle en train de nous transformer en buveurs de Kool-Aid?

Alors que profitant comme il y a quatre ans aux Etats-Unis du rejet du président sortant comme de l’ardoise vierge d’un candidat inconnu (sans compter le providentiel auto-sabordage de DSK),  les nouveaux imposteurs du PS se préparent à nous ressortir en VF (ce sera peut-être plus difficile cette fois, pour le défenseur des pauvres aux 100 millions, aux Etats-Unis mêmes)  la même insondable vacuité du yes-we-can …

Et qu’après avoir sous-estimé la révolte de la France profonde et surestimé les élucubrations du néo-Robespierre, nos commentateurs à la légendaire objectivité se gaussent des « éléments de langage » d’une droite accusée d’être mauvaise perdante tout en nous assénant à leur tour leurs contre-vérités (non, Messieurs-Dames, aucun président gouvernant, c’est-à-dire hors cohabitation, n’a jamais été réélu en France et si, dans toute l’Europe en crise, Pologne exceptée, tous les candidats sortants depuis 2008 n’ont pas été réélus)…

Comment ne pas repenser à la si parlante expression américaine de Kool-Aid (merci Annika) dont une journaliste de CNN avait accusé le président Bush de boire ou fabriquer?

Si parlante parce qu’à l’idée française de ligne du parti, pensée unique ou “couleuvres”, elle ajoute, en référence on s’en souvient à la boisson à l’orange que le chef de secte psychopathe Jim Jones avait fait avaler à ses fidèles de la forêt guyanaise il y a une trentaine d’années pour leur administrer son cyanure, l’idée de poison conduisant de fait au suicide assisté

Et comment ne pas voir, dans la recension qu’en faisait récemment le journaliste Hervé Bentégeat mais en creux, cette pensée unique et véritable potion euphorisante et à terme mortelle que nous présente le dernier livre de l’intellectuel de gauche Emmanuel Terray?

Sorte de succédané d’une idéologie désormais interdite par les caisses vides qui, derrière la référence à l’espoir,  au rêve et au changement comme aux grandes abstractions à majuscules (le Peuple, la Justice, l’Egalité, la Liberté), refusent en fait le réel,  le bon sens, l’intuition, l’expérience, le sens du devoir et la responsabilité individuelle

Dans la tête d’un homme de droite

Aujourd’hui le clivage droite/gauche n’est plus idéologique, mais philosophique et moral.

Hervé Bentégeat

Slate

23.04.12

Quoiqu’ils en disent, les programmes respectifs de Nicolas Sarkozy et de François Hollande ne sont pas si éloignés que cela. L’époque où la droite et la gauche proposaient deux types de sociétés diamétralement opposées est révolue. Pour des raisons de fond, qu’on analysera pas ici, mais aussi pour des motifs plus conjoncturels: les caisses de l’Etat sont vides, les marges de manœuvre fort étroites, nombre de décisions ne se prennent plus à Paris mais à Bruxelles, et la mondialisation est passée par là.

Est-ce à dire pour autant qu’il n’y a plus de droite ni de gauche? La réponse est clairement non. S’il est vrai que le libéralisme social de la droite (classique) et le socialisme libéral de la gauche (réformiste) se rejoignent aujourd’hui sur l’essentiel, on voit bien, à travers la personnalité et le style de leurs deux candidats, qu’il y a derrière deux visions du monde, de l’homme et de la société. Qui renvoient à des valeurs bien distinctes.

C’est ce qui ressort du petit essai d’Emmanuel Terray, anthropologue proche de Lévi-Strauss et de Louis Althusser. Dans Penser à droite (Editions Galilée), il décortique les croyances de cette famille d’esprit, en s’appuyant sur quelques uns de ses principaux penseurs (1). Il a sondé les idées, mais, au fond, peut-être même à son insu, tout autant les tripes… Terray est honnête: c’est un homme de gauche, qui fait le constat que beaucoup des espérances que sa génération portait dans les années 1970 ont été déçues. Il faut donc accepter, dit-il, les leçons de l’adversaire avec autant d’humilité que d’attention.

Qu’est-ce qu’il y a donc dans la tête d’un homme de droite? D’abord, nous dit Terray, c’est un réaliste, qui éprouve une méfiance profonde à l’encontre de toutes les variétés de l’idéalisme. Tout part de là: il faut s’en tenir au principe de réalité, qui s’impose à tous. Et la réalité, c’est le présent, et non pas un hypothétique avenir, dont personne ne sait de quoi il sera fait. Son culte de la modernité n’est rien d’autre qu’un hommage rendu au fait accompli.

«La crise est là, assène Sarkozy. Il est inutile de la nier, et pour en sortir, il n’y a pas trente-six solutions, ce n’est pas la peine de rêver…»

L’homme de droite estime qu’il n’y a pas d’alternative face au fait accompli. Il se méfie comme de la peste de toute imagination, surtout quand elle prétend au pouvoir: pour lui, ce n’est que spéculation, illusion, utopie. Il exalte plutôt le bon sens, l’intuition et l’expérience de chacun.

Les idées générales, comme le Peuple, la Justice, l’Egalité, la Liberté, le font fuir: à ses yeux, ce ne sont que des abstractions.

L’Egalité, c’est l’idée la plus dangereuse de toutes. L’inégalité entre les êtres humains est un fait inscrit dans la nature des choses. Aucune société n’est possible sans l’acceptation de cette inégalité. Elle est d’ailleurs intrinsèquement positive car source de progrès, en suscitant l’émulation. C’est le désir de quelques individus énergiques –les savants, les artistes, les entrepreneurs, ou les simples ambitieux…– de se distinguer de la masse qui est à l’origine des avancées, dont le bénéfice rejaillit sur tous. D’où son culte de la concurrence.

Tu n’es pas devenu riche?

Tout le monde a une chance, à condition de consentir l’effort suffisant. Admettons que sur cent pauvres, cinq deviennent riches; on serait tenté d’invoquer une panne de l’«ascenseur social». L’homme de droite voit les choses autrement: si cinq pauvres sont parvenus à devenir riches, c’est bien la preuve que l’ascension est possible. Les quatre-vingt-quinze restants ne doivent s’en prendre qu’à eux-mêmes de leur échec. Ils n’avaient qu’à travailler plus pour gagner plus. Ce n’est pas la société la responsable, mais l’individu lui-même, dont la liberté réside précisément dans sa capacité à se prendre en charge.

Lorsqu’il naît et lorsqu’il grandit, cet individu est redevable de son identité et de sa position sociale à ses parents, à ses proches et à la société. Il a plus de devoirs envers eux que de droits supplémentaires à en attendre. La gauche est le parti des droits, la droite celui des devoirs.

D’où l’importance accordée au caractère, qu’elle met avant l’intelligence. A chacun de faire fructifier ses propres talents (c’est une définition possible du caractère), et c’est la conjonction de tous les talents individuels qui fait une société harmonieuse.

A condition de privilégier l’ordre, qui seul peut assurer l’éclosion des talents. L’ordre s’oppose au hasard, au chaos, aux fléaux provoqués par les «grandes idées», dont le XXe siècle offre de sanglants exemples. Et l’ordre implique naturellement la stabilité: c’est cela, la civilisation, conquise de haute lutte au terme d’une histoire difficile et parfois tragique. Or, toute civilisation est toujours soumise à de multiples menaces. Aujourd’hui, par exemple, l’immigration en est une. Quoi qu’étant incapable de la contrôler (tout comme la gauche), la droite y voit un grave facteur de déséquilibre: économique, social et culturel.

Si l’on peut orienter le réel, on ne peut pas fondamentalement le transformer. C’est pourquoi toute action, notamment politique, ne peut être que ponctuelle et prudente. Humble et modeste. Sachant –ce n’est qu’un exemple–, que la politique n’a guère de pouvoir sur l’évolution des mœurs, qui ne se transforment que très lentement, sous l’influence de la culture, de la religion, du progrès scientifique, du niveau de vie, de l’échange entre les peuples, de la vertu de l’exemple… Elle ne change pas le monde: croire le contraire, c’est faire preuve d’une prétention démesurée, et prêter à l’homme un pouvoir de création quasi-divin. Car la nature humaine, elle, ne change pas. L’homme du XXIe siècle est le même que celui de l’Antiquité. Au-delà du progrès scientifique ou social, l’histoire n’a pas de sens: c’est un éternel retour. Il faut accepter l’être humain tel qu’il est, sans rêver à de chimériques transmutations.

On ne peut pas changer le monde

C’est pourquoi l’Etat, lui aussi, doit être modeste, et son intervention réduite au strict minimum. Dans l’idéal, il ne devrait avoir que des fonctions régaliennes –de police, de justice, d’application des lois–, tout en luttant contre les atteintes à la liberté du travail. Il n’a pas, notamment, à se mêler de morale, qui est, d’abord et avant tout, une affaire individuelle.

Il arrive que Terray caricature. L’idée de la permanence de la nature humaine ne signifie pas automatiquement l’immobilisme: le capitalisme, par exemple, est bien né à droite, et c’est à lui que nous devons les révolutions industrielles et sociales que d’autres pays connaissent à leur tour.

Le mouvement n’est pas l’apanage de la gauche, ni le conservatisme celui de la droite. Il affirme que la droite pense que l’homme est fondamentalement «méchant» –sous-entendu, la gauche est «rousseauiste» et croit que l’homme est bon.

C’est quand même un peu plus subtil: disons qu’il y a un scepticisme à droite, et un espoir à gauche. Le goût de l’ordre, qu’il attribue à la droite, peut aussi se rencontrer à gauche: Robespierre en était un farouche partisan, tout comme les communistes. Il n’évoque pas non plus d’autres différences, notamment vis-à-vis de la culture: l’homme de droite la considère d’abord comme un divertissement, qui n’est pas là pour transformer la société, alors que l’homme de gauche y voit plutôt un instrument de libération. L’homme de droite lira volontiers des polars et des biographies historiques, l’homme de gauche plutôt des romans et, éventuellement, de petits traités philosophiques.

Mais les différences de sensibilité qu’il pointe en creux sont incontestables. Il y a bien deux mentalités distinctes, qui renvoient autant à la raison qu’au cœur. Au tempérament qu’à l’expérience.

Le mérite de ce bref essai est de faire prendre conscience qu’aujourd’hui le clivage droite/gauche n’est plus idéologique, mais philosophique et moral. Tout le monde est à peu près d’accord sur les grand principes: la démocratie, la République, le capitalisme, et l’Etat social.

Si la Ve république dure depuis maintenant cinquante-quatre ans, c’est qu’il y a bien un consensus majoritaire sur le régime et le fonctionnement de la société. Malgré tout ce qui ne marche pas. Ce sont les valeurs, en revanche, qui ne sont pas les mêmes. Et qui ne le seront jamais. Et l’on voit bien qu’un jour cette opposition irréductible pourrait bien à nouveau se traduire par un antagonisme politique beaucoup plus violent que celui auquel nous sommes habitués depuis des décennies…

(1) Terray fait appel à des penseurs classiques, comme Hobbes, Tocqueville, Joseph de Maistre, Auguste Comte, Taine, Barrès…, mais aussi à des plus modernes –et plus modestes–, comme Chantal Delsol.

Voir aussi:

En attendant le troisième tour

Guy Sorman

23.04.12

Le premier tour de l’élection présidentielle française aura été un referendum contre Nicolas Sarkozy. Il est tout de même rare qu’un Président sortant qui n’a pas commis pendant son mandat, d’erreur politique majeure ou impardonnable, ne parvienne pas à atteindre un tiers des voix alors même qu’il ne se présentait contre lui aucun autre candidat dissident de la droite modérée. Ses partisans ont immédiatement attribué à la crise économique la raison première de cet échec. Certes, dans toute l’Europe occidentale, en dehors de la Pologne, tous les candidats sortant, depuis 2008, ont été évincés et remplacés par le parti opposé mais aucun n’a subi pareil affront. C’est donc la personne, le style Sarkozy qui ont été désavoués par l’immense majorité des électeurs français. Sarkozy est sans conteste victime de lui-même : élu brillamment il y a 5 ans sur le programme de réformes le plus libéral qui jamais ne fut offert aux Français ,il n’ a pas appliqué ce programme ( on pense aux 35 heures toujours présentes et à l’inflexibilité du marché du travail) ce qui a mécontenté les libéraux et les anti libéraux puisque les réformes n’ont pas été accomplies , mais que la crainte des ces réformes a subsisté. Ne pas faire ce pourquoi on a été élu est une promesse de débâcle électorale.

Ce refus de Sarkozy bénéficie à ceux qui de tradition lui sont le plus radicalement hostiles, communistes, trotskistes, anti capitalistes, qui rejouent le mélodrame de la révolution de 1789 et les réactionnaires, issus de la même mémoire, le Front national épicé de la rhétorique anti immigration. Ces mouvements additionnés se partagent les électeurs dans un refus commun du régime démocratique, de l’économie libérale et de la rationalité économique : ensemble, ils y substituent des mythes et constituent un front du refus énorme, sans équivalent dans les autres démocraties occidentales, soit un tiers des Français. Certes, ces refuzniks de la démocratie libérale, porteurs de piques, bonnets phrygiens et écologistes profonds se reclasseront sagement au second tour pour l’essentiel derrière le candidat socialiste et pour partie, par réflexe anti- communiste – derrière Nicolas Sarkozy. Il n’empêche que chez tous, la rancœur du premier tour restera intacte et qu’ils sauront dans l’avenir se manifester par la grève et autres mouvements sociaux de manière à rendre difficile voire impossibles les réformes rationnelles qu’exigerait la faillite imminente des finances publiques.

Cette faillite, il reviendra à François Hollande, vainqueur par défaut au premier tour et vainqueur probable du second tour, de la gérer. Le Non à Sarkozy du premier tour deviendra, le 6 mai, un « Moui « sans ferveur mais inévitable pour Hollande . Comment Hollande, mandaté mais guère porté par une vague enthousiaste et sans programme, saura-t-il rendre l’Etat français opérationnel et moins prédateur tout en restaurant l’esprit de compétition des entrepreneurs ? L’avantage pour Hollande sera de n’avoir rien promis en dehors de ne pas être Sarkozy. Mais a –t-il pensé la forme de l’Etat futur ? Ce n’est pas certain : ce qui laisse présager un troisième tour douloureux, dans la rue ou sur les marchés financiers, ces grands électeurs ultimes.

Voir également:

Vers la cohabitation en France

Lucien SA Oulahbib

Resiliencetv

22/4/2012

Le chouchou des sondages, Mélenchon, s’est effondré, et le candidat de la vérité des comptes, Bayrou, aussi ; par contre Marine le Pen a récupéré le butin de 2002 (en additionnant les scores de son père et de Mégret) alors qu’elle aurait pu faire plus si elle n’avait pas fait une campagne d’extrême droite classique contre le « libéralisme » etc . Il n’empêche que le débat se déplace vers les questions de choix de société comme toujours en France puisque la politique avec un grand P est devenu la religion pour tous ; ainsi le dieu Etat (qui peut tout) reste au centre ; les trois candidats en tête sont en effet étatistes et centralisateurs puisque la politique fiscale, de protection sociale, de formation, restent dans les mains du pouvoir central ; l’UMP l’est un peu moins que les deux autres, sauf que Sarkozy a fait une politique de gauche pendant cinq ans en donnant sans cesse des gages, en refusant de libéraliser la santé, l’éducation etc, il le paye d’ailleurs en étant péniblement second ; les électeurs de Bayrou de 2007 se sont soit abstenus soit se sont diffractés entre Sarko et Marine Le Pen ; reste François Hollande qui pourrait se permettre de faire une politique centriste s’il n’était pas travaillé par les courants gauchistes et relativistes qui l’empêcheront sans doute de gagner. Mais peut-être vais-je trop vite en besogne. En tout cas le recul de l’abstention, le fait que Hollande ne dépasse pas les 30% qui lui aurait permis de faire levier, et que Mélenchon n’atteigne pas le score du PC au commencement de son déclin en 1981 permet de penser que nous allons vers une cohabitation puisque si Sarkozy gagne, il perdra aux Législatives vu le haut score du FN qui promet des triangulaires féroces. A moins que la droite populaire force le trait en exigeant une alliance sauf que vu les positions extrêmes du FN elle ne se fera pas. Il se trouve que la cohabitation semble plaire à Sarkozy puisqu’il avait déjà commencé en 2007 en refusant d’ouvrir le gouvernement « jusqu’aux sarkozistes »… Tout va donc se jouer en 2017 en réalité : entre une voie étatiste et ses oscillations national/communistes, et une voie réellement libérale au sens non pas affairiste du terme mais utile pour l’intérêt du plus grand nombre. Voilà l’enjeu : ou l’étatisme ou la république réellement citoyenne qui tire vers le haut au lieu de pousser vers le bas.

Voir enfin:

Abstention, porte-à-porte: s’il gagne, Hollande devra-t-il sa victoire à Obama?

François Hollande a adopté les tactiques de la campagne de 2008 d’Obama –et cela pourrait lui valoir le même succès.

Sasha Issenberg

Traduit par Bérengère Viennot

Slate

23.04.12

Lille, le 17 avril. Les trois jeunes hommes qui surveillaient la table des inscriptions à la campagne de François Hollande devant les arènes de Lille viennent tous de Strasbourg mais datent leur éveil politique de leur passage à Cambridge, dans le Massachussetts.

Début 2008, alors étudiant à la Kennedy’s Harvard School, Guillaume Liegey apprit les rudiments de la prise de contact avec les électeurs dans un cours dispensé par le membre de l’état-major démocrate Steve Jarding et lors de rencontres avec Marshall Ganz, le légendaire organisateur syndical dont certains protégés étaient les plus hauts responsables de la campagne de Barack Obama.

Un autre étudiant de Harvard, Arthur Muller, vit leurs tactiques à l’œuvre lors de régulières incursions dans le New Hampshire pendant les dernières semaines de l’élection présidentielle de 2008, où il faisait du porte-à-porte pour la campagne d’Obama en déguisant son accent (pour ne pas heurter les sensibilités de l’ère Bush) et en se faisant passer pour un Néerlandais.

Muller était un ami d’enfance de Vincent Pons, étudiant de troisième cycle au MIT sous la tutelle d’Esther Duflo, économiste du développement de renommée internationale et spécialiste de l’expérimentation randomisée sur le terrain qui, appliquée à la propagande électorale, avait quantifié la capacité d’une seule démarche chez quelqu’un à obtenir une voix. Après les élections, les trois Français se rendirent compte de la direction prise par leur nouvel objet de curiosité. «Nous sommes devenus intéressés par tout ce qui tourne autour de la mobilisation des électeurs», explique Liegey.

Fascination pour les coulisses de la campagne Obama

Curieux objet de fascination pour trois étrangers vivant leur première rencontre avec la politique américaine. La plupart de ceux venus faire un pèlerinage transatlantique pour examiner de près la campagne d’Obama ont plutôt fait une fixette sur le côté cosmopolite du candidat ou sur les fioritures avant-gardistes de sa stratégie de communication, qu’ils ont réduits à une série de gestes facilement imitables, à l’image du site israélien dont le design avait presque entièrement été pompé sur celui d’Obama alors même que le candidat présentait l’Américain pour se mettre en valeur.

Les imitations manquant à ce point d’originalité ont fini par s’épuiser d’elles-mêmes et le slogan marketing «campagne à la Obama» par perdre de son attrait, en grande partie parce que peu de copieurs comprenaient vraiment la complexe infrastructure qui rendait les innovations d’Obama possibles.

«Beaucoup de gens, en regardant les États-Unis, voient la façade mais ne se penchent jamais sur tout ce qu’il y a derrière», déplore Julius van de Laar, un Allemand qui a dirigé la campagne des jeunes pour Obama dans le Missouri en 2008 et a depuis ouvert un cabinet de consultants spécialisé dans les nouveaux médias à Berlin.

Les différences d’une campagne à l’européenne

Van de Laar fait partie d’un ensemble disparate d’étrangers qui se sont rendus aux Etats-Unis pour voir de leurs propres yeux comment fonctionnait Obama et ont développé un jugement plus nuancé des projets réalisés.

En 2008, ce genre de pèlerins était légion; que ce soit le conseiller en politique étrangère tory quittant Londres pour mobiliser les électeurs à Philadelphie, le jeune Canadien lié au New Democratic Party travaillant en Caroline du Sud ou le stratège des médias basé à Andorre annonçant par communiqué de presse qu’il rejoignait l’équipe d’Obama.

Mais en rentrant chez eux, ils se sont souvent heurtés aux cultures politiques bien ancrées de leur pays natal. «Les campagnes ont une forme différente en Europe», explique Marietje Schaake, qui a observé la campagne d’Obama en tant que consultante aux États-Unis et s’est inspirée de sa victoire pour se présenter au Parlement européen, où elle siège depuis 2009. «L’argent n’y est pas en Europe —à l’échelle où les gens le font aux États-Unis, ce serait considéré comme de la corruption en UE.»

Un contact individuel et ciblé

Aucun membre de la diaspora d’Obama, cependant, n’a été jusqu’à réinventer la politique de son pays avec autant d’audace que les trois Français qui se sont rencontrés à Cambridge. En s’appropriant «tout ce qui tourne autour de la mobilisation des électeurs», ils sont tombés sur le changement récent le plus durable de la propagande électorale américaine, qui n’est pas propre à Obama mais que sa campagne a très bien illustré: un renouveau du contact individuel avec les électeurs, dynamisé par de nouveaux outils qui lui permettent d’être précisément ciblé et de mesurer très clairement ses effets.

Après l’investiture d’Obama, Liegey, Muller et Pons sont revenus en France, où les élections ressemblent plutôt à de fastueuses exhibitions quasiment dépourvues de touche personnelle.

Ils ont supervisé une expérimentation randomisée pendant les élections régionales de 2010 dans la région parisienne, démontrant que grâce à du porte-à-porte ciblé ils pouvaient augmenter de 4 points le taux de participation de ceux que les Français appellent les abstentionnistes.

Un conseiller de Hollande, candidat du Parti socialiste et favori dans la course pour détrôner Nicolas Sarkozy le 6 mai, s’est intéressé à leur travail et les a engagés pour organiser une campagne de mobilisation en face à face.

Ils se sont fixés comme but de démarcher 5 millions de portes d’ici la fin du second tour. Dans la salle de Lille, l’actrice qui animait le meeting de Hollande rapporte qu’au vendredi 20 avril, les militants socialistes en étaient à plus de 3 millions. Avant que les trois Alsaciens ne se rencontrent dans le Massachusetts, personne n’avait jamais mis au point un projet centralisé pour frapper à la moindre porte.

Une campagne pour les abstentionnistes

La troïka de Strasbourg, dont les membres ont tous entre 28 ans et 31 ans, est désormais surnommée les Bostoniens par la plupart des journaux émerveillés par l’exotisme de son originale initiative. «Les médias nous ont aimés», rapporte Muller dans un café près du quartier général de Hollande sur la Rive gauche. «Nous étions jeunes, parlions de méthodes modernes et mentionnions Obama à chaque phrase.» Beaucoup de ces articles, cependant, se concentrent tellement sur l’aspect porte-à-porte —ce geste provocateur qui consiste à arriver sans prévenir chez les gens, surtout dans les quartiers marginalisés, pour parler politique— qu’ils passent à côté de l’aspect le plus radical du projet de mobilisation: Liegey, Muller et Pons gèrent une opération de campagne qui cible les abstentionnistes.

En France, les élections présidentielles sont considérées presque exclusivement comme un exercice délibératif. Des taux de participation élevés —planant régulièrement autour de 80% des inscrits— signifient qu’il y a moins d’élasticité que lors des élections américaines.

Mais le paradigme délibératif est également un témoin de l’orgueil national: les débats de campagne sont organisés tous les soirs dans des émissions intellos, et le dernier numéro de Philosophie Magazine affiche en couverture un montage des deux principaux candidats en titrant «Rousseau contre Hobbes: le vrai duel de la présidentielle.»

Même le recours au verbe s’abstenir pour décrire les 20% qui restent chez eux le jour du scrutin suggère que la non-participation est une action qui découle d’une prise de position bien informée.

Un non vote par manque d’informations

Liegey, Muller et Pons sont revenus des États-Unis avec une opinion bien différente. Si les gens n’allaient pas voter, il devait forcément y avoir une autre raison qu’une désillusion bourrée de principes inspirée par le système politique. Certaines personnes ne savaient tout simplement pas comment ni dans quelle urne déposer leur bulletin. D’autres manquaient d’informations sur les candidats ou les partis.

En réalisant une analyse démographique des quartiers plutôt à gauche aux taux de participation les plus bas, les trois chercheurs ont découvert que l’âge et le niveau d’éducation contribuaient à expliquer la plus grande partie du phénomène.

Les analystes, soupçonnèrent-ils, avaient confondu désillusion et désengagement; la première peut nécessiter un candidat transcendant, le second seulement un petit peu d’attention personnelle. «Il y a des endroits où les militants ne vont jamais», explique Liegey.

Aller là où on ne va jamais

Les trois décidèrent qu’ils voulaient envoyer des militants dans ces endroits-là. Ils connaissaient bien les résultats d’une décennie d’expérimentations de terrain, mises au point pour la première fois dans le labo de Yale des spécialistes des sciences politiques Alan Gerber et Don Green, et qui avaient mesuré l’efficacité relative des tactiques d’incitation au vote spécifiques en mesurant leur impact sur la participation aux élections (Green est aujourd’hui à Columbia).

À l’automne 2009, Liegey, Muller et Pons approchèrent Maxime des Gayets, cadre socialiste de la région parisienne, pour lui demander d’utiliser les élections régionales du printemps suivant pour un essai. Au départ, des Gayets se montra plutôt sceptique, se disant dans Mediapart «assez méfiant devant l’Obamamania ambiante», mais il finit par leur attribuer 80 militants pour faire du porte-à-porte.

Ils identifièrent huit zones: sept villes de banlieue et un arrondissement de Paris [le XIe], marqués par de forts taux d’abstention mais qui laissaient de grandes marges aux candidats de gauche lors des dernières élections.

Comme les listes électorales permettent difficilement de segmenter les ménages de façon individuelle —les occupants d’appartements, y compris dans les grands complexes de logements sociaux qui jalonnent les banlieues de Paris, sont généralement tous listés à la même adresse— les trois savaient qu’ils devraient attribuer les tâches non pas au niveau individuel mais par immeuble.

Ils choisirent au hasard 675 bâtiments qui recevraient la visite d’équipes de militants au cours des semaines précédant l’élection, et 675 autres qui ne seraient pas démarchés et serviraient de groupe-témoin (les groupes représentant à eux deux environ 24.000 électeurs).

Mobilisation efficace pour les régionales

Après le scrutin, les autorités françaises ouvrent les listes électorales à la consultation pendant dix jours, et Liegey, Muller et Pons découvrirent que leurs efforts de mobilisation avaient eu l’effet escompté.

31,8% des électeurs du groupe-témoin se présentèrent aux urnes, tandis que ceux qui avaient été démarchés à domicile participèrent à hauteur de 35,9%.

Mais les effets étaient répartis de façon inégale. En utilisant les rares renseignements sur les électeurs fournis par les listes, ils découvrirent que le lieu de naissance était la clé principale pour comprendre pourquoi certains électeurs avaient réagi de façon plus positive aux incitations à aller voter que d’autres.

Parmi ceux nés en France métropolitaine, on remarquait peu de changements, mais au sein de la population des Français nés à l’étranger ou dans les territoires d’outre-mer, l’effet était significatif. Discuter de la manière dont les communautés immigrantes, notamment celles d’Afrique du Nord, sont marginalisées politiquement est un incontournable dans les conversations pré-électorales françaises, mais il s’avéra dans certains cas qu’il suffisait de frapper à la porte pour transformer des abstentionnistes en électeurs. «Personne ne leur avait jamais dit qu’il était important de voter, que leur voix comptait», explique Liegey.

Le porte-à-porte au centre de la campagne

Liegey et ses collègues poussèrent les hauts responsables du parti à faire du porte-à-porte un point central de leurs plans de campagne pour 2012.

«Pour remporter une élection, il est souvent plus efficace de mobiliser les électeurs de son propre camp risquant de s’abstenir que de d’essayer de convaincre les indécis ou les électeurs du camp adverse de voter pour vous», écrivirent-ils dans un rapport destiné au think tank interne du Parti socialiste.

Les résultats trouvèrent un partisan enthousiaste en la personne de Vincent Feltesse, coordinateur de campagne sur le Net, qui avait fait du porte-à-porte en tant que candidat lui-même et trouvait prometteur d’étendre cette pratique aux militants du parti qui passaient leur temps à bourrer au hasard les boîtes aux lettres de programmes du PS ou à distribuer des prospectus aux grands points de passage.

La Obama connection attirait tout particulièrement Feltesse: il allait engager Blue State Digital, entreprise responsable des opérations Internet d’Obama, pour organiser la présence en ligne de Hollande.

La manne de la primaire

Les leçons tirées de l’expérience d’Obama avaient déjà donné aux socialistes un avantage structurel alors qu’ils se préparaient à affronter Sarkozy en 2012.

Inspiré par la vitalité de la saison des primaires démocrates de 2008, le Parti socialiste devint le premier en France à choisir son candidat non par le biais d’une élection ouverte uniquement aux encartés mais en faisant voter tous ceux qui le souhaitaient.

Ce scrutin d’octobre se révéla une manne organisationnelle pour le parti: des 3 millions d’électeurs qui se présentèrent, environ 700.000 acceptèrent de laisser leurs coordonnées —plus de cinq fois le nombre de militants encartés à l’époque. A partir du 1er janvier, la campagne de Hollande utilisa des appels automatisés pour inviter ces participants aux primaires à s’engager dans la campagne.

5 millions de ménages à atteindre

Juste après ce succès, la troïka se vit donner une place au siège de campagne de Hollande comme équipe responsable du démarchage, et fixa de façon assez arbitraire l’ambitieux objectif de visiter 5 millions de ménages.

Ils s’attachèrent à diviser le paysage français pour obtenir un maximum d’impact, calculant un indice de potentiel de mobilisation pour Hollande qui multipliait le taux d’abstention d’un quartier par les voix obtenues par les candidats de gauche aux élections depuis 1998. Ils classèrent ensuite les plus de 60.000 bureaux de vote du pays en fonction de cet indice.

Chaque bureau de vote recouvrait environ 1.000 électeurs, ils sélectionnèrent donc les 5.000 zones principales et en firent des circonscriptions cibles pour la mobilisation (il s’agissait principalement de zones de banlieues habitées par des minorités mais aussi de certaines poches de quartiers parisiens plutôt à gauche où l’indice indiquait un potentiel de vote à recueillir).

La moitié de portes ouvertes

La troïka assigna 70.000 volontaires à ces zones prometteuses, et établit une hiérarchie de compte-rendus pour inspecter leurs progrès. Le vendredi, 3,4 millions de portes avaient été démarchées, et environ la moitié s’étaient ouvertes, ce qui, dans les comptes-rendus, qualifie l’interaction avec les électeurs.

Quand une porte s’ouvre, les volontaires font très attention à ce qu’ils disent. Interroger un inconnu sur ses intentions de vote, comme Muller faisant campagne pour Obama dans les foyers du New Hampshire, serait rédhibitoire en France, estime-t-il. Les militants pour François Hollande ont pour instruction de demander évasivement ce que leurs cibles pensent des candidats pour entamer la conversation.

Le «get out the vote» ne sera jamais français

Il y a des limites à l’espace disponible pour l’Obamamania ambiante dans la politique française. Les lois rigoureuses sur le respect de la vie privée prévalant dans le pays restreignent la possibilité de collecter le genre d’informations personnelles nécessaires pour trier les électeurs et pister leur participation individuelle, et le système politique n’a pas assez d’argent ni l’expertise statistique suffisante pour être à la hauteur de ce dont disposent les cibleurs américains (un ancien enquêteur partisan de Sarkozy, inspiré par un voyage aux États-Unis lors duquel il rencontra Karl Rove, passa une année à tenter de rassembler des ressources pour constituer un fichier électoral national rudimentaire, projet qu’il finit par abandonner après avoir échoué à trouver des soutiens financiers. Il espère que le parti pourra le reprendre à temps pour les prochaines élections présidentielles, en 2017).

Aussi fort que soit l’engagement envers les principes de mobilisation, rien ne pourra jamais traduire le concept américain «get out the vote [allez chercher les voix]» en français.

Les lois électorales exigent que cesse toute activité politique à minuit le vendredi précédant l’élection, ce qui signifie que pendant les deux derniers jours, on n’y assiste pas à la frénésie américaine de rappels pré-élections ni à la mise à disposition de camionnettes et de bus pour emmener les électeurs aux bureaux de vote.

«Il est assez parlant que la perception française du vote soit que vous obtenez toutes les informations et qu’ensuite vous disposez de 48 heures pour y réfléchir et prendre votre décision», estime Pons. La troïka avait prévu de passer le week-end à faire du sport et à se reposer, avant de repartir dès lundi pour deux semaines de sprint jusqu’au second tour et au graal des 5 millions de portes.


Présidentielles 2012: L’État, c’est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde (From Washington to Paris: back to plunder as a way of life?)

21 avril, 2012
Lorsque la Spoliation est devenue le moyen d’existence d’une agglomération d’hommes unis entre eux par le lien social, ils se font bientôt une loi qui la sanctionne, une morale qui la glorifie. Bastiat
Je n’aime pas les riches, j’en conviens. François Hollande
J’ai considéré, j’en fais ici l’annonce, qu’au-dessus d’un million d’euros par mois, le taux d’imposition devrait être de 75%. Ce n’est pas possible d’avoir ces niveaux de rémunération. (…) Un million d’euros par an, donc à peu près 100.000 euros par mois. François Hollande
Ma sensibilité a toujours été de gauche mais, être de gauche, aujourd’hui, c’est très compliqué. Ou juste triste. Ça ne veut plus dire grand chose… La gauche de ces dernières années m’a souvent déçu et peu intéressé. Mais savait-elle elle-même ce qui l’intéressait ? À part être anti-sarkozyste, quel a été son cheval de bataille ? Patrick Bruel
Je suis très content de participer à une solidarité, très content de reverser une grande partie de ce que je gagne. Là, ça atteint des proportions où ça devient limite confiscatoire et spoliateur. (…) Les gens qui ont de l’argent sont aussi des gens qui génèrent du travail, de l’emploi, qui génèrent des richesses et qui font tourner aussi une économie. (…) Ce n’est pas honteux de faire fortune, ce n’est pas honteux à partir du moment où on redistribue, et on redistribue beaucoup, parce que ne serait-ce que 50% de ce que vous gagnez c’est déjà énorme. Patrick Bruel
Et cette grande chimère, nous l’avons placée, pour l’édification du peuple, au frontispice de la Constitution. Voici les premiers mots du préambule: “La France s’est constituée en République pour… appeler tous les citoyens à un degré toujours plus élevé de moralité, de lumière et de bien-être.”  Ainsi, c’est la France ou l’abstraction, qui appelle les Français ou les réalités à la moralité, au bien-être, etc. N’est-ce pas abonder dans le sens de cette bizarre illusion qui nous porte à tout attendre d’une autre énergie que la nôtre? N’est-ce pas donner à entendre qu’il y a, à côté et en dehors des Français, un être vertueux, éclairé, riche, qui peut et doit verser sur eux ses bienfaits? N’est-ce pas supposer, et certes bien gratuitement, qu’il y a entre la France et les Français, entre la simple dénomination abrégée, abstraite, de toutes les individualités et ces individualités mêmes, des rapports de père à fils, de tuteur à pupille, de professeur à écolier?(…) Les Américains se faisaient une autre idée des relations des citoyens avec l’État, quand ils placèrent en tête de leur Constitution ces simples paroles: “Nous, le peuple des États-Unis, pour former une union plus parfaite, établir la justice, assurer la tranquillité intérieure, pourvoir à la défense commune, accroître le bien-être général et assurer les bienfaits de la liberté à nous-mêmes et à notre postérité, décrétons, etc.” Ici point de création chimérique, point d’abstraction à laquelle les citoyens demandent tout. Ils n’attendent rien que d’eux-mêmes et de leur propre énergie. Si je me suis permis de critiquer les premières paroles de notre Constitution, c’est qu’il ne s’agit pas, comme on pourrait le croire, d’une pure subtilité métaphysique. Je prétends que cette personnification de l’État a été dans le passé et sera dans l’avenir une source féconde de calamités et de révolutions. Bastiat
L’État, c’est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde. (…) Quant à nous, nous pensons que l’État, ce n’est ou ce ne devrait être autre chose que la force commune instituée, non pour être entre tous les citoyens un instrument d’oppression et de spoliation réciproque, mais, au contraire, pour garantir à chacun le sien, et faire régner la justice et la sécurité. Frédéric Bastiat
N’attendre de l’État que deux choses : liberté, sécurité. Et bien voir que l’on ne saurait, au risque de les perdre toutes deux, en demander une troisième. Bastiat
Je ne désire pas pour mon pays autant le free-trade que l’esprit du free-trade. Le free-trade, c’est un peu plus de richesse ; l’esprit du free-trade, c’est la réforme de l’intelligence même, c’est-à-dire la source de toutes les réformes. Frédéric Bastiat (Lettre à Cobden, le 20 mars 1847)
La cause que nous servons ne se renferme pas dans les limites d’une nation. Elle est universelle et ne trouvera sa solution que dans l’adhésion de tous les peuples. (…) Les difficultés s’accumulent autour de nous ; nous n’avons pas pour adversaires seulement des intérêts. L’ignorance publique se révèle maintenant dans toute sa triste étendue. En outre, les partis ont besoin de nous abattre. Par un enchaînement de circonstances, qu’il serait trop long de rapporter, ils sont tous contre nous. Tous aspirent au même but : la Tyrannie. Ils ne diffèrent que sur la question de savoir en quelles mains l’arbitraire sera déposé. Aussi, ce qu’ils redoutent le plus, c’est l’esprit de la vraie liberté. (…) Ce qui m’afflige surtout, moi qui porte au cœur le sentiment démocratique dans toute son universalité, c’est de voir la démocratie française en tête de l’opposition à la liberté du commerce. Bastiat (Lettre à Cobden, 9 novembre 1847)
De grands obstacles nous viennent aussi de votre côté de la Manche. Mon cher Cobden, il faut que je vous parle en toute franchise. En adoptant le Libre-Echange, l’Angleterre n’a pas adopté la politique qui dérive logiquement du Libre-Échange. Le fera-t-elle ? Je n’en doute pas ; mais quand ? Voilà la question.  Bastiat (Lettre à Cobden, 15 octobre 1847)
Mon ami, l’ignorance et l’indifférence dans ce pays, en matière d’économie politique, dépassent tout ce que j’aurais pu me figurer. Ce n’est pas une raison pour se décourager, au contraire, c’en est une pour nous donner le sentiment de l’utilité, de l’urgence même de nos efforts. Mais je comprends aujourd’hui une chose : c’est que la liberté commerciale est un résultat trop éloigné pour nous. Heureux si nous pouvons déblayer la route de quelques obstacles. — Le plus grand n’est pas le parti protectionniste, mais le socialisme avec ses nombreuses ramifications. — S’il n’y avait que les monopoleurs, ils ne résisteraient pas à la discussion. — Mais le socialisme leur vient en aide. Celui-ci admet la liberté en principe et renvoie l’exécution après l’époque où le monde sera constitué sur le plan de Fourier ou tout autre inventeur de société. — Et, chose singulière, pour prouver que jusque-là la liberté sera nuisible, ils reprennent tous les arguments des monopoleurs : balance du commerce, exportation du numéraire, supériorité de l’Angleterre, etc., etc. D’après cela, vous me direz que combattre les monopoleurs, c’est combattre les socialistes. — Non. — Les socialistes ont une théorie sur la nature oppressive du capital, par laquelle ils expliquent l’inégalité des conditions, et toutes les souffrances des classes pauvres. Ils parlent aux passions, aux sentiments, et même aux meilleurs instincts des hommes. Ils séduisent la jeunesse, montrant le mal et affirmant qu’ils possèdent le remède. Ce remède consiste en une organisation sociale artificielle de leur invention, qui rendra tous les hommes heureux et égaux, sans qu’ils aient besoin de lumières et de vertus. — Encore si tous les socialistes étaient d’accord sur ce plan d’organisation, on pourrait espérer de le ruiner dans les intelligences. Mais vous comprenez que, dans cet ordre d’idées, et du moment qu’il s’agit de pétrir une société, chacun fait la sienne, et tous les matins nous sommes assaillis par des inventions nouvelles. Nous avons donc à combattre une hydre à qui il repousse dix têtes quand nous lui en coupons une. Le malheur est que cette méthode a un puissant attrait pour la  (jeunesse. On lui montre des souffrances ; et par là on commence par toucher son cœur. Ensuite on lui dit que tout peut se guérir, au moyen de quelques combinaisons artificielles ; et par là on met son imagination en campagne. Bastiat (Lettre à Cobden, 5 juillet 1847)
On nous accuse, dans le parti démocratique et socialiste, d’être voués au culte des intérêts matériels et de tout ramener à des questions de richesses. J’avoue que lorsqu’il s’agit des masses, je n’ai pas ce dédain stoïque pour la richesse. Ce mot ne veut pas dire quelques écus de plus ; il signifie du pain pour ceux qui ont faim, des vêtements pour ceux qui ont froid, de l’éducation, de l’indépendance, de la dignité. — Mais, après tout, si le résultat du libre-échange devait être uniquement d’accroître la richesse publique, je ne m’en occuperais pas plus que de toute autre question agricole ou industrielle. Ce que je vois surtout dans notre agitation, c’est l’occasion de combattre quelques préjugés et de faire pénétrer dans le public quelques idées justes. C’est là un bien indirect cent fois supérieur aux avantages directs de la liberté commerciale. Bastiat (Lettre à Cobden, le 20 avril 1847)

Quand le pillage légal devient un mode de vie  …

« Espérances et promesses contradictoires qui ne se réalisent jamais », « État qui prodigue des promesses impossibles », « public qui conçoit des espérances irréalisables »,  « grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde », annonces sous prétexte de solidarité des prélèvements proprement confiscatoires

A l’heure où après une courte pause notre pays est sur le point de rebasculer dans ses pires travers étatistes  sur le dos, avec les riches comme nouveaux et commodes boucs émissaires,  du plus « américain » de nos présidents …

Et où après quatre ans d’avanies, le pays censé être le leader du Monde libre est sur le point de réélire un Confiscateur en chef  et prétendu champion des pauvres (plus de 100 millions de dollars de trésor de guerre!)  qui, pour éponger les milliards de milliards de déficits qu’il a accumulés, nous ressort la plus démagogique des règles visant moins de 0,3% des contribuables  …

Livrant de ce fait les peuples du reste du monde, de l’Iran à la Syrie et de l’Afghanistan à la Corée du nord et avec la Chine et la Russie aux manettes, aux visées des régimes les plus cyniquement liberticides …

Comment ne pas repenser,  face aux boniments de nos nouveaux Montagnards, aux avertissements prophétiques  il y a plus d’un siècle et demi du plus « américain » de nos économistes?

Lisez le dernier Manifeste des Montagnards, celui qu’ils ont émis à propos de l’élection présidentielle. Il est un peu long, mais, après tout, il se résume en deux mots: L’État doit beaucoup donner aux citoyens et peu leur prendre. C’est toujours la même tactique, ou, si l’on veut, la même erreur.(…) Ce n’est pas tout. Les Montagnards aspirent à ce que « l’impôt perde son caractère oppressif et ne soit plus qu’un acte de fraternité. » Bonté du ciel! je savais bien qu’il est de mode de fourrer la fraternité partout, mais je ne me doutais pas qu’on la pût mettre dans le bulletin du percepteur.

L’État

Frédéric Bastiat

Journal des Débats

25 septembre 1848

Je voudrais qu’on fondât, un prix, non de cinq cents francs, mais d’un million, avec couronnes, croix et rubans, en faveur de celui qui donnerait une bonne, simple et intelligible définition de ce mot: l’État.

Quel immense service ne rendrait-il pas à la société! L’État! Qu’est-ce? où est-il? que fait-il? que devrait-il faire?

Tout ce que nous en savons, c’est que c’est un personnage mystérieux, et assurément le plus sollicité, le plus tourmenté, le plus affairé, le plus conseillé, le plus accusé, le plus invoqué et le plus provoqué qu’il y ait au monde.

Car, Monsieur, je n’ai pas l’honneur de vous connaître, mais je gage dix contre un que depuis six mois vous faites des utopies; et si vous en faites, je gage dix contre un que vous chargez l’État de les réaliser.

Et vous, Madame, je suis sûr que vous désirez du fond du cœur guérir tous les maux de la triste humanité, et que vous n’y seriez nullement embarrassée si l’État voulait seulement s’y prêter.

Mais, hélas! le malheureux, comme Figaro, ne sait ni qui entendre, ni de quel côté se tourner. Les cent mille bouches de la presse et de la tribune lui crient à la fois:

« Organisez le travail et les travailleurs.

Extirpez l’égoïsme.

Réprimez l’insolence et la tyrannie du capital.

Faites des expériences sur le fumier et sur les œufs.

Sillonnez le pays de chemins de fer.

Irriguez les plaines.

Boisez les montagnes.

Fondez des fermes-modèles

Fondez des ateliers harmoniques.

Colonisez l’Algérie.

Allaitez les enfants.

Instruisez la jeunesse.

Secourez la vieillesse.

Envoyez dans les campagnes les habitants des villes.

Pondérez les profits de toutes les industries.

Prêtez de l’argent, et sans intérêt, à ceux qui en désirent.

Affranchissez l’Italie, la Pologne et la Hongrie.

Élevez et perfectionnez le cheval de selle.

Encouragez l’art, formez-nous des musiciens et des danseuses.

Prohibez le commerce et, du même coup, créez une marine marchande.

Découvrez la vérité et jetez dans nos têtes un grain de raison. L’État a pour mission d’éclairer, de développer, d’agrandir, de fortifier, de spiritualiser et de sanctifier l’âme des peuples. »

— « Eh! Messieurs, un peu de patience, répond l’État, d’un air piteux. »

« J’essaierai de vous satisfaire, mais pour cela il me faut quelques ressources. J’ai préparé des projets concernant cinq ou six impôts tout nouveaux et les plus bénins du monde. Vous verrez quel plaisir on a à les payer. »

Mais alors un grand cri s’élève: « Haro! haro! le beau mérite de faire quelque chose avec des ressources! Il ne vaudrait pas la peine de s’appeler l’État. Loin de nous frapper de nouvelles taxes, nous vous sommons de retirer les anciennes. Supprimez:

L’impôt du sel;

L’impôt des boissons;

L’impôt des lettres;

L’octroi;

Les patentes;

Les prestations. »

Au milieu de ce tumulte, et après que le pays a changé deux ou trois fois son État pour n’avoir pas satisfait à toutes ces demandes, j’ai voulu faire observer qu’elles étaient contradictoires. De quoi me suis-je avisé, bon Dieu! ne pouvais-je garder pour moi cette malencontreuse remarque?

Me voilà discrédité à tout jamais; et il est maintenant reçu que je suis un homme sans cœur et sans entrailles, un philosophe sec, un individualiste, un bourgeois, et, pour tout dire en un mot, un économiste de l’école anglaise ou américaine.

Oh! pardonnez-moi, écrivains sublimes, que rien n’arrête, pas même les contradictions. J’ai tort, sans doute, et je me rétracte de grand cœur. Je ne demande pas mieux, soyez-en sûrs, que vous ayez vraiment découvert, en dehors de nous, un être bienfaisant et inépuisable, s’appelant l’État, qui ait du pain pour toutes les bouches, du travail pour tous les bras, des capitaux pour toutes les entreprises, du crédit pour tous les projets, de l’huile pour toutes les plaies, du baume pour toutes les souffrances, des conseils pour toutes les perplexités, des solutions pour tous les doutes, des vérités pour toutes les intelligences, des distractions pour tous les ennuis, du lait pour l’enfance, du vin pour la vieillesse, qui pourvoie à tous nos besoins, prévienne tous nos désirs, satisfasse toutes nos curiosités, redresse toutes nos erreurs, toutes nos fautes, et nous dispense tous désormais de prévoyance, de prudence, de jugement, de sagacité, d’expérience, d’ordre, d’économie, de tempérance et d’activité.

Et pourquoi ne le désirerais-je pas? Dieu me pardonne, plus j’y réfléchis, plus je trouve que la chose est commode, et il me tarde d’avoir, moi aussi, à ma portée, cette source intarissable de richesses et de lumières, ce médecin universel, ce trésor sans fond, ce conseiller infaillible que vous nommez l’État.

Aussi je demande qu’on me le montre, qu’on me le définisse, et c’est pourquoi je propose la fondation d’un prix pour le premier qui découvrira ce phénix. Car enfin, on m’accordera bien que cette découverte précieuse n’a pas encore été faite, puisque, jusqu’ici, tout ce qui se présente sous le nom d’État, le peuple le renverse aussitôt, précisément parce qu’il ne remplit pas les conditions quelque peu contradictoires du programme.

Faut-il le dire? Je crains que nous ne soyons, à cet égard, dupes d’une des plus bizarres illusions qui se soient jamais emparées de l’esprit humain.

L’homme répugne à la Peine, à la Souffrance. Et cependant il est condamné par la nature à la Souffrance de la Privation, s’il ne prend pas la Peine du Travail. Il n’a donc que le choix entre ces deux maux.

Comment faire pour les éviter tous deux? Il n’a jusqu’ici trouvé et ne trouvera jamais qu’un moyen: c’est de jouir du travail d’autrui; c’est de faire en sorte que la Peine et la Satisfaction n’incombent pas à chacun selon la proportion naturelle, mais que toute la peine soit pour les uns et toutes les satisfactions pour les autres. De là l’esclavage, de là encore la spoliation, quelque forme qu’elle prenne: guerres, impostures, violences, restrictions, fraudes, etc., abus monstrueux, mais conséquents avec la pensée qui leur a donné naissance. On doit haïr et combattre les oppresseurs, on ne peut pas dire qu’ils soient absurdes.

L’esclavage s’en va, grâce au Ciel, et, d’un autre côté, cette disposition où nous sommes à défendre notre bien, fait que la Spoliation directe et naïve n’est pas facile. Une chose cependant est restée. C’est ce malheureux penchant primitif que portent en eux tous les hommes à faire deux parts du lot complexe de la vie, rejetant la Peine sur autrui et gardant la Satisfaction pour eux-mêmes. Reste à voir sous quelle forme nouvelle se manifeste cette triste tendance.

L’oppresseur n’agit plus directement par ses propres forces sur l’opprimé. Non, notre conscience est devenue trop méticuleuse pour cela. Il y a bien encore le tyran et la victime, mais entre eux se place un intermédiaire qui est l’État, c’est-à-dire la loi elle-même. Quoi de plus propre à faire taire nos scrupules et, ce qui est peut-être plus apprécié, à vaincre les résistances? Donc, tous, à un titre quelconque, sous un prétexte ou sous un autre, nous nous adressons à l’État. Nous lui disons: « Je ne trouve pas qu’il y ait, entre mes jouissances et mon travail, une proportion qui me satisfasse. Je voudrais bien, pour établir l’équilibre désiré, prendre quelque peu sur le bien d’autrui. Mais c’est dangereux. Ne pourriez-vous me faciliter la chose? Ne pourriez-vous me donner une bonne place? Ou bien gêner l’industrie de mes concurrents? Ou bien encore me prêter gratuitement des capitaux que vous aurez pris à leurs possesseurs? Ou élever mes enfants aux frais du public? Ou m’accorder des primes d’encouragement? Ou m’assurer le bien-être quand j’aurai cinquante ans? Par ce moyen, j’arriverai à mon but en toute quiétude de conscience, car la loi elle-même aura agi pour moi, et j’aurai tous les avantages de la spoliation sans en avoir ni les risques ni l’odieux! »

Comme il est certain, d’un côté, que nous adressons tous à l’État quelque requête semblable, et que, d’une autre part, il est avéré que l’État ne peut procurer satisfaction aux uns sans ajouter au travail des autres, en attendant une autre définition de l’État, je me crois autorisé à donner ici la mienne. Qui sait si elle ne remportera pas le prix? La voici:

L’État, c’est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde.

Car, aujourd’hui comme autrefois, chacun, un peu plus, un peu moins, voudrait bien profiter du travail d’autrui. Ce sentiment, on n’ose l’afficher, on se le dissimule à soi-même; et alors que fait-on? On imagine un intermédiaire, on s’adresse à l’État, et chaque classe tour à tour vient lui dire: « Vous qui pouvez prendre loyalement, honnêtement, prenez au public, et nous partagerons. » Hélas! l’État n’a que trop de pente à suivre le diabolique conseil; car il est composé de ministres, de fonctionnaires, d’hommes enfin, qui, comme tous les hommes, portent au cœur le désir et saisissent toujours avec empressement l’occasion de voir grandir leurs richesses et leur influence. L’État comprend donc bien vite le parti qu’il peut tirer du rôle que le public lui confie. Il sera l’arbitre, le maître de toutes les destinées: il prendra beaucoup, donc il lui restera beaucoup à lui-même; il multipliera le nombre de ses agents, il élargira le cercle de ses attributions; il finira par acquérir des proportions écrasantes.

Mais ce qu’il faut bien remarquer, c’est l’étonnant aveuglement du public en tout ceci. Quand des soldats heureux réduisaient les vaincus en esclavage, ils étaient barbares, mais ils n’étaient pas absurdes. Leur but, comme le nôtre, était de vivre aux dépens d’autrui; mais, comme nous, ils ne le manquaient pas. Que devons-nous penser d’un peuple où l’on ne paraît pas se douter que le pillage réciproque n’en est pas moins pillage parce qu’il est réciproque; qu’il n’en est pas moins criminel parce qu’il s’exécute légalement et avec ordre; qu’il n’ajoute rien au bien-être public; qu’il le diminue au contraire de tout ce que coûte cet intermédiaire dispendieux que nous nommons l’État?

Et cette grande chimère, nous l’avons placée, pour l’édification du peuple, au frontispice de la Constitution. Voici les premiers mots du préambule: « La France s’est constituée en République pour… appeler tous les citoyens à un degré toujours plus élevé de moralité, de lumière et de bien-être. »

Ainsi, c’est la France ou l’abstraction, qui appelle les Français ou les réalités à la moralité, au bien-être, etc. N’est-ce pas abonder dans le sens de cette bizarre illusion qui nous porte à tout attendre d’une autre énergie que la nôtre? N’est-ce pas donner à entendre qu’il y a, à côté et en dehors des Français, un être vertueux, éclairé, riche, qui peut et doit verser sur eux ses bienfaits? N’est-ce pas supposer, et certes bien gratuitement, qu’il y a entre la France et les Français, entre la simple dénomination abrégée, abstraite, de toutes les individualités et ces individualités mêmes, des rapports de père à fils, de tuteur à pupille, de professeur à écolier? Je sais bien qu’on dit quelquefois métaphoriquement: La patrie est une mère tendre. Mais pour prendre en flagrant délit d’inanité la proposition constitutionnelle, il suffit de montrer qu’elle peut être retournée, je ne dirai pas sans inconvénient, mais même avec avantage. L’exactitude souffrirait-elle si le préambule avait dit:

« Les Français se sont constitués en République pour appeler la France à un degré toujours plus élevé de moralité, de lumière et de bien-être? »

Or, quelle est la valeur d’un axiome où le sujet et l’attribut peuvent chasser-croiser sans inconvénient? Tout le monde comprend qu’on dise: la mère allaitera l’enfant. Mais il serait ridicule de dire: l’enfant allaitera la mère.

Les Américains se faisaient une autre idée des relations des citoyens avec l’État, quand ils placèrent en tête de leur Constitution ces simples paroles:

« Nous, le peuple des États-Unis, pour former une union plus parfaite, établir la justice, assurer la tranquillité intérieure, pourvoir à la défense commune, accroître le bien-être général et assurer les bienfaits de la liberté à nous-mêmes et à notre postérité, décrétons, etc. »

Ici point de création chimérique, point d’abstraction à laquelle les citoyens demandent tout. Ils n’attendent rien que d’eux-mêmes et de leur propre énergie.

Si je me suis permis de critiquer les premières paroles de notre Constitution, c’est qu’il ne s’agit pas, comme on pourrait le croire, d’une pure subtilité métaphysique. Je prétends que cette personnification de l’État a été dans le passé et sera dans l’avenir une source féconde de calamités et de révolutions.

Voilà le Public d’un côté, l’État de l’autre, considérés comme deux être distincts, celui-ci tenu d’épandre sur celui-là, celui-là ayant droit de réclamer de celui-ci le torrent des félicités humaines. Que doit-il arriver?

Au fait, l’État n’est pas manchot et ne peut l’être. Il a deux mains, l’une pour recevoir et l’autre pour donner, autrement dit, la main rude et la main douce. L’activité de la seconde est nécessairement subordonnée à l’activité de la première.

A la rigueur, l’État peut prendre et ne pas rendre. Cela s’est vu et s’explique par la nature poreuse et absorbante de ses mains, qui retiennent toujours une partie et quelquefois la totalité de ce qu’elles touchent. Mais ce qui ne s’est jamais vu, ce qui ne se verra jamais et ne se peut même concevoir, c’est que l’État rende au public plus qu’il ne lui a pris. C’est donc bien follement que nous prenons autour de lui l’humble attitude de mendiants. Il lui est radicalement impossible de conférer un avantage particulier à quelques-unes des individualités qui constituent la communauté, sans infliger un dommage supérieur à la communauté entière.

Il se trouve donc placé, par nos exigences, dans un cercle vicieux manifeste.

S’il refuse le bien qu’on exige de lui, il est accusé d’impuissance, de mauvais vouloir, d’incapacité. S’il essaie de le réaliser, il est réduit à frapper le peuple de taxes redoublées, à faire plus de mal que de bien, et à s’attirer, par un autre bout, la désaffection générale.

Ainsi, dans le public des espérances, dans le gouvernement deux promesses: beaucoup de bienfaits et pas d’impôts. Espérances et promesses qui, étant contradictoires, ne se réalisent jamais.

N’est-ce pas là la cause de toutes nos révolutions? Car entre l’État, qui prodigue les promesses impossibles, et le public, qui a conçu des espérances irréalisables, viennent s’interposer deux classes d’hommes: les ambitieux et les utopistes. Leur rôle est tout tracé par la situation. Il suffit à ces courtisans de popularité de crier aux oreilles du peuple: « Le pouvoir te trompe; si nous étions à sa place, nous te comblerions de bienfaits et t’affranchirions de taxes. »

Et le peuple croit, et le peuple espère, et le peuple fait une révolution.

Ses amis ne sont pas plus tôt aux affaires, qu’ils sont sommés de s’exécuter. « Donnez-moi donc du travail, du pain, des secours, du crédit, de l’instruction, des colonies, dit le peuple, et cependant, selon vos promesses, délivrez-moi des serres du fisc. »

L’État nouveau n’est pas moins embarrassé que l’État ancien, car, en fait d’impossible, on peut bien promettre, mais non tenir. Il cherche à gagner du temps, il lui en faut pour mûrir ses vastes projets. D’abord, il fait quelques timides essais; d’un côté, il étend quelque peu l’instruction primaire; de l’autre, il modifie quelque peu l’impôt des boissons (1830). Mais la contradiction se dresse toujours devant lui: s’il veut être philanthrope, il est forcé de rester fiscal; et s’il renonce à la fiscalité, il faut qu’il renonce aussi à la philanthropie.

Ces deux promesses s’empêchent toujours et nécessairement l’une l’autre. User du crédit, c’est-à-dire dévorer l’avenir, est bien un moyen actuel de les concilier; on essaie de faire un peu de bien dans le présent aux dépens de beaucoup de mal dans l’avenir. Mais ce procédé évoque le spectre de la banqueroute qui chasse le crédit. Que faire donc? Alors l’État nouveau prend son parti en brave; il réunit des forces pour se maintenir, il étouffe l’opinion, il a recours à l’arbitraire, il ridiculise ses anciennes maximes, il déclare qu’on ne peut administrer qu’à la condition d’être impopulaire; bref, il se proclame gouvernemental.

Et c’est là que d’autres courtisans de popularité l’attendent. Ils exploitent la même illusion, passent par la même voie, obtiennent le même succès, et vont bientôt s’engloutir dans le même gouffre. C’est ainsi que nous sommes arrivés en Février. À cette époque, l’illusion qui fait le sujet de cet article avait pénétré plus avant que jamais dans les idées du peuple, avec les doctrines socialistes. Plus que jamais, il s’attendait à ce que l’État sous la forme républicaine, ouvrirait toute grande la source des bienfaits et fermerait celle de l’impôt. « On m’a souvent trompé, disait le peuple, mais je veillerai moi-même à ce qu’on ne me trompe pas encore une fois. »

Que pouvait faire le gouvernement provisoire? Hélas! ce qu’on fait toujours en pareille conjoncture: promettre, et gagner du temps. Il n’y manque pas, et pour donner à ses promesses plus de solennité, il les fixa dans des décrets. « Augmentation de bien-être, diminution de travail, secours, crédit, instruction gratuite, colonies agricoles, défrichements, et en même temps réduction sur la taxe du sel, des boissons, des lettres, de la viande, tout sera accordé… vienne l’Assemblée nationale ».

L’Assemblée nationale est venue, et comme on ne peut réaliser deux contradictions, sa tâche, sa triste tâche, s’est bornée à retirer, le plus doucement possible, l’un après l’autre, tous les décrets du gouvernement provisoire.

Cependant, pour ne pas rendre la déception trop cruelle, il a bien fallu transiger quelque peu. Certains engagements ont été maintenus, d’autres ont reçu un tout petit commencement d’exécution. Aussi l’administration actuelle s’efforce-t-elle d’imaginer de nouvelles taxes.

Maintenant je me transporte par la pensée à quelques mois dans l’avenir, et je me demande, la tristesse dans l’âme, ce qu’il adviendra quand des agents de nouvelle création iront dans nos campagnes prélever les nouveaux impôts sur les successions, sur les revenus, sur les profits de l’exploitation agricole. Que le Ciel démente mes pressentiments, mais je vois encore là un rôle à jouer pour les courtisans de popularité.

Lisez le dernier Manifeste des Montagnards, celui qu’ils ont émis à propos de l’élection présidentielle. Il est un peu long, mais, après tout, il se résume en deux mots: L’État doit beaucoup donner aux citoyens et peu leur prendre. C’est toujours la même tactique, ou, si l’on veut, la même erreur.

« L’État doit gratuitement l’instruction et l’éducation à tous les citoyens. ».

Il doit:

« Un enseignement général et professionnel approprié autant que possible, aux besoins, aux vocations et aux capacités de chaque citoyen. »

Il doit:

« Lui apprendre ses devoirs envers Dieu, envers les hommes et envers lui-même; développer ses sentiments, ses aptitudes et ses facultés, lui donner enfin la science de son travail, l’intelligence de ses intérêts et la connaissance de ses droits. »

Il doit:

« Mettre à la portée de tous les lettres et les arts, le patrimoine de la pensée, les trésors de l’esprit, toutes les jouissances intellectuelles qui élèvent et fortifient l’âme. »

Il doit:

« Réparer tout sinistre, incendie, inondation, etc. (cet et caetera en dit plus qu’il n’est gros) éprouvé par un citoyen. »

Il doit:

« Intervenir dans les rapports du capital avec le travail et se faire le régulateur du crédit. »

Il doit:

« A l’agriculture des encouragements sérieux et une protection efficace. »

Il doit

« Racheter les chemins de fer, les canaux, les mines, » et sans doute aussi les administrer avec cette capacité industrielle qui le caractérise.

Il doit:

« provoquer les tentatives généreuses, les encourager et les aider par toutes les ressources capables de les faire triompher. Régulateur du crédit, il commanditera largement les associations industrielles et agricoles, afin d’en assurer le succès. »

L’État doit tout cela, sans préjudice des services auxquels il fait face aujourd’hui; et, par exemple, il faudra qu’il soit toujours à l’égard des étrangers dans une attitude menaçante; car, disent les signataires du programme, « liés par cette solidarité sainte et par les précédents de la France républicaine, nous portons nos vœux et nos espérances au-delà des barrières que le despotisme élève entre les nations: le droit que nous voulons pour nous, nous le voulons pour tous ceux qu’opprime le joug des tyrannies; nous voulons que notre glorieuse armée soit encore, s’il le faut, l’armée de la liberté. »

Vous voyez que la main douce de l’État, cette bonne main qui donne et qui répand, sera fort occupée sous le gouvernement des Montagnards. Vous croyez peut-être qu’il en sera de même de la main rude, de cette main qui pénètre et puise dans nos poches?

Détrompez-vous. Les courtisans de popularité ne sauraient pas leur métier, s’ils n’avaient l’art, en montrant la main douce, de cacher la main rude.

Leur règne sera assurément le jubilé du contribuable.

« C’est le superflu, disent-ils, non le nécessaire que l’impôt doit atteindre. »

Ne sera-ce pas un bon temps que celui où, pour nous accabler de bienfaits, le fisc se contentera d’écorner notre superflu?

Ce n’est pas tout. Les Montagnards aspirent à ce que « l’impôt perde son caractère oppressif et ne soit plus qu’un acte de fraternité. »

Bonté du ciel! je savais bien qu’il est de mode de fourrer la fraternité partout, mais je ne me doutais pas qu’on la pût mettre dans le bulletin du percepteur.

Arrivant aux détails, les signataires du programme disent:

« Nous voulons l’abolition immédiate des impôts qui frappent les objets de première nécessité, comme le sel, les boissons, et caetera. »

« La réforme de l’impôt foncier, des octrois, des patentes. »

« La justice gratuite, c’est-à-dire la simplification des formes et la réduction des frais. » (Ceci a sans doute trait au timbre.)

Ainsi, impôt foncier, octrois, patentes, timbre, sel, boissons, postes, tout y passe. Ces messieurs ont trouvé le secret de donner une activité brûlante à la main douce de l’État tout en paralysant sa main rude.

Eh bien, je le demande au lecteur impartial, n’est-ce pas là de l’enfantillage, et, de plus, de l’enfantillage dangereux? Comment le peuple ne ferait-il pas révolution sur révolution, s’il est une fois décidé à ne s’arrêter que lorsqu’il aura réalisé cette contradiction: « Ne rien donner à l’État et en recevoir beaucoup! »

Croit-on que si les Montagnards arrivaient au pouvoir, ils ne seraient pas les victimes des moyens qu’ils emploient pour le saisir?

Citoyens, dans tous les temps deux systèmes politiques ont été en présence, et tous les deux peuvent se soutenir par de bonnes raisons. Selon l’un, l’État doit beaucoup faire, mais aussi il doit beaucoup prendre. D’après l’autre, sa double action doit se faire peu sentir. Entre ces deux systèmes il faut opter. Mais quant au troisième système, participant des deux autres, et qui consiste à tout exiger de l’État sans lui rien donner, il est chimérique, absurde, puéril, contradictoire, dangereux. Ceux qui le mettent en avant, pour se donner le plaisir d’accuser tous les gouvernements d’impuissance et les exposer ainsi à vos coups, ceux-là vous flattent et vous trompent, ou du moins ils se trompent eux-mêmes.

Quant à nous, nous pensons que l’État, ce n’est ou ce ne devrait être autre chose que la force commune instituée, non pour être entre tous les citoyens un instrument d’oppression et de spoliation réciproque, mais, au contraire, pour garantir à chacun le sien, et faire régner la justice et la sécurité.

Extrait de l’édition originale en 7 volumes (1863) des œuvres complètes de Frédéric Bastiat, tome IV, pp. 327-341.

Numérisé, mis en hypertexte par François-René Rideau pour Bastiat.org.

Bastiat.org Le Libéralisme, le vrai Un site par François-René Rideau

Voir aussi:

Physiologie de la Spoliation

 Frédéric Bastiat

Chapitre I de la seconde série des Sophismes Économiques [1] [2] [3]

Pourquoi irais-je m’aheurter à cette science aride, l’Économie politique?

Pourquoi? — La question est judicieuse. Tout travail est assez répugnant de sa nature, pour qu’on ait le droit de demander où il mène.

Voyons, cherchons.

Je ne m’adresse pas à ces philosophes qui font profession d’adorer la misère, sinon en leur nom, du moins au nom de l’humanité.

Je parle à quiconque tient la Richesse pour quelque chose. — Entendons par ce mot, non l’opulence de quelques-uns, mais l’aisance, le bien-être, la sécurité, l’indépendance, l’instruction, la dignité de tous.

Il n’y a que deux moyens de se procurer les choses nécessaires à la conservation, à l’embellissement et au perfectionnement de la vie: la Production et la Spoliation.

Quelques personnes disent: La Spoliation est un accident, un abus local et passager, flétri par la morale, réprouvé par la loi, indigne d’occuper l’Economie politique.

Cependant, quelque bienveillance, quelque optimisme que l’on porte au cœur, on est forcé de reconnaître que la Spoliation s’exerce dans ce monde sur une trop vaste échelle, qu’elle se mêle trop universellement à tous les grands faits humains pour qu’aucune science sociale, et l’Économie politique surtout, puisse se dispenser d’en tenir compte.

Je vais plus loin. Ce qui sépare l’ordre social de la perfection (du moins de toute celle dont il est susceptible), c’est le constant effort de ses membres pour vivre et se développer aux dépens les uns des autres.

En sorte que si la Spoliation n’existait pas, la société étant parfaite, les sciences sociales seraient sans objet.

Je vais plus loin encore. Lorsque la Spoliation est devenue le moyen d’existence d’une agglomération d’hommes unis entre eux par le lien social, ils se font bientôt une loi qui la sanctionne, une morale qui la glorifie.

Il suffit de nommer quelques-unes des formes les plus tranchées de la Spoliation pour montrer quelle place elle occupe dans les transactions humaines.

C’est d’abord la Guerre. — Chez les sauvages, le vainqueur tue le vaincu pour acquérir au gibier un droit, sinon incontestable, du moins incontesté.

C’est ensuite l’Esclavage. — Quand l’homme comprend qu’il est possible de féconder la terre par le travail, il fait avec son frère ce partage: « À toi la fatigue, à moi le produit. »

Vient la Théocratie. — « Selon ce que tu me donneras ou me refuseras de ce qui t’appartient, je t’ouvrirai la porte du ciel ou de l’enfer. »

Enfin arrive le Monopole. — Son caractère distinctif est de laisser subsister la grande loi sociale: Service pour service, mais de faire intervenir la force dans le débat, et par suite, d’altérer la juste proportion entre le service reçu et le service rendu.

La Spoliation porte toujours dans son sein le germe de mort qui la tue. Rarement c’est le grand nombre qui spolie le petit nombre. En ce cas, celui-ci se réduirait promptement au point de ne pouvoir plus satisfaire la cupidité de celui-là, et la Spoliation périrait faute d’aliment.

Presque toujours c’est le grand nombre qui est opprimé, et la Spoliation n’en est pas moins frappée d’un arrêt fatal.

Car si elle a pour agent la Force, comme dans la Guerre et l’Esclavage, il est naturel que la Force à la longue passe du côté du grand nombre.

Et si c’est la Ruse, comme dans la Théocratie et le Monopole, il est naturel que le grand nombre s’éclaire, sans quoi l’intelligence ne serait pas l’intelligence.

Une autre loi providentielle dépose un second germe de mort au cœur de la Spoliation, c’est celle-ci:

La Spoliation ne déplace pas seulement la richesse, elle en détruit toujours une partie.

La Guerre anéantit bien des valeurs.

L’Esclavage paralyse bien des facultés.

La Théocratie détourne bien des efforts vers des objets puérils ou funestes.

Le Monopole aussi fait passer la richesse d’une poche à l’autre; mais il s’en perd beaucoup dans le trajet.

Cette loi est admirable. — Sans elle, pourvu qu’il y eût équilibre de force entre les oppresseurs et les opprimés, la Spoliation n’aurait pas de terme. — Grâce à elle, cet équilibre tend toujours à se rompre, soit parce que les Spoliateurs se font conscience d’une telle déperdition de richesses, soit, en l’absence de ce sentiment, parce que le mal empire sans cesse, et qu’il est dans la nature de ce qui empire toujours de finir.

Il arrive en effet un moment où, dans son accélération progressive, la déperdition des richesses est telle que le Spoliateur est moins riche qu’il n’eût été en restant honnête.

Tel est un peuple à qui les frais de guerre coûtent plus que ne vaut le butin.

Un maître qui paie plus cher le travail esclave que le travail libre.

Une Théocratie qui a tellement hébété le peuple et détruit son énergie qu’elle n’en peut plus rien tirer.

Un Monopole qui agrandit ses efforts d’absorption à mesure qu’il y a moins à absorber, comme l’effort de traire s’accroît à mesure que le pis est plus desséché.

Le Monopole, on le voit, est une Espèce du Genre Spoliation. Il a plusieurs Variétés, entre autres la Sinécure, le Privilége, la Restriction.

Parmi les formes qu’il revêt, il y en a de simples et naïves. Tels étaient les droits féodaux. Sous ce régime la masse est spoliée et le sait. Il implique l’abus de la force et tombe avec elle.

D’autres sont très compliquées. Souvent alors la masse est spoliée et ne le sait pas. Il peut même arriver qu’elle croie tout devoir à la Spoliation, et ce qu’on lui laisse, et ce qu’on lui prend, et ce qui se perd dans l’opération. Il y a plus, j’affirme que, dans la suite des temps, et grâce au mécanisme si ingénieux de la coutume, beaucoup de Spoliateurs le sont sans le savoir et sans le vouloir. Les Monopoles de cette variété sont engendrés par la Ruse et nourris par l’Erreur. Ils ne s’évanouissent que devant la Lumière.

J’en ai dit assez pour montrer que l’Économie politique a une utilité pratique évidente. C’est le flambeau qui, dévoilant la Ruse et dissipant l’Erreur, détruit ce désordre social, la Spoliation. Quelqu’un, je crois que c’est une femme, et elle avait bien raison, l’a ainsi définie: C’est la serrure de sûreté du pécule populaire.

Commentaire.

Si ce petit livre était destiné à traverser trois ou quatre mille ans, à être lu, relu, médité, étudié phrase à phrase, mot à mot, lettre à lettre, de génération en génération, comme un Koran nouveau; s’il devait attirer dans toutes les bibliothèques du monde des avalanches d’annotations, éclaircissements et paraphrases, je pourrais abandonner à leur sort, dans leur concision un peu obscure, les pensées qui précèdent. Mais puisqu’elles ont besoin de commentaire, il me paraît prudent de les commenter moi-même.

La véritable et équitable loi des hommes, c’est: Échange librement débattu de service contre service. La Spoliation consiste à bannir par force ou par ruse la liberté du débat afin de recevoir un service sans le rendre.

La Spoliation par la force s’exerce ainsi: On attend qu’un homme ait produit quelque chose, qu’on lui arrache, l’arme au poing.

Elle est formellement condamnée par le Décalogue: Tu ne prendras point.

Quand elle se passe d’individu à individu, elle se nomme vol et mène au bagne; quand c’est de nation à nation, elle prend nom conquête et conduit à la gloire.

Pourquoi cette différence? Il est bon d’en rechercher la cause. Elle nous révélera une puissance irrésistible, l’Opinion, qui, comme l’atmosphère, nous enveloppe d’une manière si absolue, que nous ne la remarquons plus. Car Rousseau n’a jamais dit une vérité plus vraie que celle-ci: « Il faut beaucoup de philosophie pour observer les faits qui sont trop près de nous. »

Le voleur, par cela même qu’il agit isolément, a contre lui l’opinion publique. Il alarme tous ceux qui l’entourent. Cependant, s’il a quelques associés, il s’enorgueillit devant eux de ses prouesses, et l’on peut commencer à remarquer ici la force de l’Opinion; car il suffit de l’approbation de ses complices pour lui ôter le sentiment de sa turpitude et même le rendre vain de son ignominie.

Le guerrier vit dans un autre milieu. L’Opinion qui le flétrit est ailleurs, chez les nations vaincues; il n’en sent pas la pression. Mais l’Opinion qui est autour de lui l’approuve et le soutient. Ses compagnons et lui sentent vivement la solidarité qui les lie. La patrie, qui s’est créé des ennemis et des dangers, a besoin d’exalter le courage de ses enfants. Elle décerne aux plus hardis, à ceux qui, élargissant ses frontières, y ont apporté le plus de butin, les honneurs, la renommée, la gloire. Les poètes chantent leurs exploits et les femmes leur tressent des couronnes. Et telle est la puissance de l’Opinion, qu’elle sépare de la Spoliation l’idée d’injustice et ôte au spoliateur jusqu’à la conscience de ses torts.

L’Opinion, qui réagit contre la spoliation militaire, placée non chez le peuple spoliateur, mais chez le peuple spolié, n’exerce que bien peu d’influence. Cependant, elle n’est pas tout à fait inefficace, et d’autant moins que les nations se fréquentent et se comprennent davantage. Sous ce rapport, on voit que l’étude des langues et la libre communication des peuples tendent à faire prédominer l’opinion contraire à ce genre de spoliation.

Malheureusement, il arrive souvent que les nations qui entourent le peuple spoliateur sont elles-mêmes spoliatrices, quand elles le peuvent, et dès lors imbues des mêmes préjugés.

Alors, il n’y a qu’un remède: le temps. Il faut que les peuples aient appris, par une rude expérience, l’énorme désavantage de se spolier les uns les autres.

On parlera d’un autre frein: la moralisation. Mais la moralisation a pour but de multiplier les actions vertueuses. Comment donc restreindrait-elle les actes spoliateurs quand ces actes sont mis par l’Opinion au rang des plus hautes vertus? Y a-t-il un moyen plus puissant de moraliser un peuple que la Religion? Y eut-il jamais Religion plus favorable à la paix et plus universellement admise que le Christianisme? Et cependant qu’a-t-on vu pendant dix-huit siècles? On a vu les hommes se battre non seulement malgré la Religion, mais au nom de la Religion même.

Un peuple conquérant ne fait pas toujours la guerre offensive. Il a aussi de mauvais jours. Alors ses soldats défendent le foyer domestique, la propriété, la famille, l’indépendance, la liberté. La guerre prend un caractère de sainteté et de grandeur. Le drapeau, bénit par les ministres du Dieu de paix, représente tout ce qu’il y a de sacré sur la terre; on s’y attache comme à la vivante image de la patrie et de l’honneur; et les vertus guerrières sont exaltées au-dessus de toutes les autres vertus. — Mais le danger passé, l’Opinion subsiste, et, par une naturelle réaction de l’esprit de vengeance qui se confond avec le patriotisme, on aime à promener le drapeau chéri de capitale en capitale. Il semble que la nature ait préparé ainsi le châtiment de l’agresseur.

C’est la crainte de ce châtiment, et non les progrès de la philosophie, qui retient les armes dans les arsenaux, car, on ne peut pas le nier, les peuples les plus avancés en civilisation font la guerre, et se préoccupent bien peu de justice quand ils n’ont pas de représailles à redouter. Témoin l’Hymalaya, l’Atlas et le Caucase.

Si la Religion a été impuissante, si la philosophie est impuissante, comment donc finira la guerre?

L’Économie politique démontre que, même à ne considérer que le peuple victorieux, la guerre se fait toujours dans l’intérêt du petit nombre et aux dépens des masses. Il suffit donc que les masses aperçoivent clairement cette vérité. Le poids de l’Opinion, qui se partage encore, pèsera tout entier du côté de la paix [4].

La Spoliation exercée par la force prend encore une autre forme. On n’attend pas qu’un homme ait produit une chose pour la lui arracher. On s’empare de l’homme lui-même; on le dépouille de sa propre personnalité; on le contraint au travail; on ne lui dit pas: Si tu prends cette peine pour moi, je prendrai cette peine pour toi, on lui dit: A toi toutes les fatigues, à moi toutes les jouissances. C’est l’Esclavage, qui implique toujours l’abus de la force.

Or, c’est une grande question de savoir s’il n’est pas dans la nature d’une force incontestablement dominante d’abuser toujours d’elle-même. Quant à moi, je ne m’y fie pas, et j’aimerais autant attendre d’une pierre qui tombe la puissance qui doit l’arrêter dans sa chute, que de confier à la force sa propre limite.

Je voudrais, au moins, qu’on me montrât un pays, une époque où l’Esclavage a été aboli par la libre et gracieuse volonté des maîtres.

L’Esclavage fournit un second et frappant exemple de l’insuffisance des sentiments religieux et philanthropiques aux prises avec l’énergique sentiment de l’intérêt. Cela peut paraître triste à quelques Écoles modernes qui cherchent dans l’abnégation le principe réformateur de la société. Qu’elles commencent donc par réformer la nature de l’homme.

Aux Antilles, les maîtres professent de père en fils, depuis l’institution de l’esclavage, la Religion chrétienne. Plusieurs fois par jour ils répètent ces paroles: « Tous les hommes sont frères; aimer son prochain, c’est accomplir toute la loi. » — Et pourtant ils ont des esclaves. Rien ne leur semble plus naturel et plus légitime. Les réformateurs modernes espèrent-ils que leur morale sera jamais aussi universellement acceptée, aussi populaire, aussi forte d’autorité, aussi souvent sur toutes les lèvres que l’Évangile? Et si l’Evangile n’a pu passer des lèvres au cœur par-dessus ou à travers la grande barrière de l’intérêt, comment espèrent-ils que leur morale fasse ce miracle?

Mais quoi! l’Esclavage est-il donc invulnérable? Non; ce qui l’a fondé le détruira, je veux dire l’Intérêt, pourvu que, pour favoriser les intérêts spéciaux qui ont créé la plaie, on ne contrarie pas les intérêts généraux qui doivent la guérir.

C’est encore une vérité démontrée par l’Économie politique, que le travail libre est essentiellement progressif et le travail esclave nécessairement stationnaire. En sorte que le triomphe du premier sur le second est inévitable. Qu’est devenue la culture de l’indigo par les noirs?

Le travail libre appliqué à la production du sucre en fera baisser de plus en plus le prix. A mesure, l’esclave sera de moins en moins lucratif pour son maître. L’esclavage serait depuis longtemps tombé de lui-même en Amérique, si, en Europe, les lois n’eussent élevé artificiellement le prix du sucre. Aussi nous voyons les maîtres, leurs créanciers et leurs délégués travailler activement à maintenir ces lois, qui sont aujourd’hui les colonnes de l’édifice.

Malheureusement, elles ont encore la sympathie des populations du sein desquelles l’esclavage a disparu; par où l’on voit qu’encore ici l’Opinion est souveraine.

Si elle est souveraine, même dans la région de la Force, elle l’est à bien plus forte raison dans le monde de la Ruse. A vrai dire, c’est là son domaine. La Ruse, c’est l’abus de l’intelligence; le progrès de l’opinion, c’est le progrès des intelligences. Les deux puissances sont au moins de même nature. Imposture chez le spoliateur implique crédulité chez le spolié, et l’antidote naturel de la crédulité c’est la vérité. Il s’ensuit qu’éclairer les esprits, c’est ôter à ce genre de spoliation son aliment.

Je passerai brièvement en revue quelques-unes des spoliations qui s’exercent par la Ruse sur une très-grande échelle.

La première qui se présente c’est la Spoliation par ruse théocratique.

De quoi s’agit-il? De se faire rendre en aliments, vêtements, luxe, considération, influence, pouvoir, des services réels contre des services fictifs.

Si je disais à un homme: — « Je vais te rendre des services immédiats, » — il faudrait bien tenir parole; faute de quoi cet homme saurait bientôt à quoi s’en tenir, et ma ruse serait promptement démasquée.

Mais si je lui dis: — « En échange de tes services, je te rendrai d’immenses services, non dans ce monde, mais dans l’autre. Après cette vie, tu peux être éternellement heureux ou malheureux, et cela dépend de moi; je suis un être intermédiaire entre Dieu et sa créature, et puis, à mon gré, t’ouvrir les portes du ciel ou de l’enfer. » — Pour peu que cet homme me croie, il est à ma discrétion.

Ce genre d’imposture a été pratiqué très en grand depuis l’origine du monde, et l’on sait à quel degré de toute-puissance étaient arrivés les prêtres égyptiens.

Il est aisé de savoir comment procèdent les imposteurs. Il suffit de se demander ce qu’on ferait à leur place.

Si j’arrivais, avec des vues de cette nature, au milieu d’une peuplade ignorante, et que je parvinsse, par quelque acte extraordinaire et d’une apparence merveilleuse, à me faire passer pour un être surnaturel, je me donnerais pour un envoyé de Dieu, ayant sur les futures destinées des hommes un empire absolu.

Ensuite, j’interdirais l’examen de mes titres; je ferais plus: comme la raison serait mon ennemi le plus dangereux, j’interdirais l’usage de la raison même, au moins appliquée à ce sujet redoutable. Je ferais de cette question, et de toutes celles qui s’y rapportent, des questions tabou, comme disent les sauvages. Les résoudre, les agiter, y penser même, serait un crime irrémissible.

Certes, ce serait le comble de l’art de mettre une barrière tabou à toutes les avenues intellectuelles qui pourraient conduire à la découverte de ma supercherie. Quelle meilleure garantie de sa durée que de rendre le doute même sacrilège?

Cependant, à cette garantie fondamentale, j’en ajouterais d’accessoires. Par exemple, pour que la lumière ne pût jamais descendre dans les masses, je m’attribuerais, ainsi qu’à mes complices, le monopole de toutes les connaissances, je les cacherais sous les voiles d’une langue morte et d’une écriture hiéroglyphique, et, pour n’être jamais surpris par aucun danger, j’aurais soin d’inventer une institution qui me ferait pénétrer, jour par jour, dans le secret de toutes les consciences.

Il ne serait pas mal non plus que je satisfisse à quelques besoins réels de mon peuple, surtout si, en le faisant, je pouvais accroître mon influence et mon autorité. Ainsi les hommes ont un grand besoin d’instruction et de morale: je m’en ferais le dispensateur. Par là je dirigerais à mon gré l’esprit et le cœur de mon peuple. J’entrelacerais dans une chaîne indissoluble la morale et mon autorité; je les représenterais comme ne pouvant exister l’une sans l’autre, en sorte que si quelque audacieux tentait enfin de remuer une question tabou, la société tout entière, qui ne peut se passer de morale, sentirait le terrain trembler sous ses pas, et se tournerait avec rage contre ce novateur téméraire.

Quand les choses en seraient là, il est clair que ce peuple m’appartiendrait plus que s’il était mon esclave. L’esclave maudit sa chaîne, mon peuple bénirait la sienne, et je serais parvenu à imprimer, non sur les fronts, mais au fond des consciences, le sceau de la servitude.

L’Opinion seule peut renverser un tel édifice d’iniquité; mais par où l’entamera-t-elle, si chaque pierre est tabou? — C’est l’affaire du temps et de l’imprimerie.

À Dieu ne plaise que je veuille ébranler ici ces croyances consolantes qui relient cette vie d’épreuves à une vie de félicités! Mais qu’on ait abusé de l’irrésistible pente qui nous entraîne vers elles, c’est ce que personne, pas même le chef de la chrétienté, ne pourrait contester. Il y a, ce me semble, un signe pour reconnaître si un peuple est dupe ou ne l’est pas. Examinez la Religion et le prêtre; examinez si le prêtre est l’instrument de la Religion, ou si la Religion est l’instrument du prêtre.

Si le prêtre est l’instrument de la Religion, s’il ne songe qu’à étendre sur la terre sa morale et ses bienfaits, il sera doux, tolérant, humble, charitable, plein de zèle; sa vie reflétera celle de son divin modèle; il prêchera la liberté et l’égalité parmi les hommes, la paix et la fraternité entre les nations; il repoussera les séductions de la puissance temporelle, ne voulant pas faire alliance avec ce qui a le plus besoin de frein en ce monde; il sera l’homme du peuple, l’homme des bons conseils et des douces consolations, l’homme de l’Opinion, l’homme de l’Evangile.

Si, au contraire, la Religion est l’instrument du prêtre, il la traitera comme on traite un instrument qu’on altère, qu’on plie, qu’on retourne en toutes façons, de manière à en tirer le plus grand avantage pour soi. Il multipliera les questions tabou; sa morale sera flexible comme les temps, les hommes et les circonstances. Il cherchera à en imposer par des gestes et des attitudes étudiés; il marmottera cent fois par jour des mots dont le sens sera évaporé, et qui ne seront plus qu’un vain conventionalisme. Il trafiquera des choses saintes, mais tout juste assez pour ne pas ébranler la foi en leur sainteté, et il aura soin que le trafic soit d’autant moins ostensiblement actif que le peuple est plus clairvoyant. Il se mêlera des intrigues de la terre; il se mettra toujours du côté des puissants à la seule condition que les puissants se mettront de son côté. En un mot, dans tous ses actes, on reconnaîtra qu’il ne veut pas faire avancer la Religion par le clergé, mais le clergé par la Religion; et comme tant d’efforts supposent un but, comme ce but, dans cette hypothèse, ne peut être autre que la puissance et la richesse, le signe définitif que le peuple est dupe, c’est quand le prêtre est riche et puissant.

Il est bien évident qu’on peut abuser d’une Religion vraie comme d’une Religion fausse. Plus même son autorité est respectable, plus il est à craindre qu’on ne pousse loin l’épreuve. Mais il y a bien de la différence dans les résultats. L’abus insurge toujours une partie saine, éclairée, indépendante d’un peuple. Il ne se peut pas que la foi n’en soit ébranlée, et l’affaiblissement d’une religion vraie est bien autrement funeste que l’ébranlement d’une Religion fausse.

La Spoliation par ce procédé et la clairvoyance d’un peuple sont toujours en proportion inverse l’une de l’autre, car il est de la nature des abus d’aller tant qu’ils trouvent du chemin. Non qu’au milieu de la population la plus ignorante, il ne se rencontre des prêtres purs et dévoués, mais comment empêcher la fourbe de revêtir la soutane et l’ambition de ceindre la mitre? Les spoliateurs obéissent à la loi malthusienne: ils multiplient comme les moyens d’existence; et les moyens d’existence des fourbes, c’est la crédulité de leurs dupes. On a beau chercher, on trouve toujours qu’il faut que l’Opinion s’éclaire. Il n’y a pas d’autre Panacée.

Une autre variété de Spoliation par la ruse s’appelle fraude commerciale, nom qui me semble beaucoup trop restreint, car ne s’en rend pas coupable seulement le marchand qui altère la denrée ou raccourcit son mètre, mais aussi le médecin qui se fait payer des conseils funestes, l’avocat qui embrouille les procès, etc. Dans l’échange entre deux services, l’un est de mauvais aloi; mais ici, le service reçu étant toujours préalablement et volontairement agréé, il est clair que la Spoliation de cette espèce doit reculer à mesure que la clairvoyance publique avance.

Vient ensuite l’abus des services publics, champ immense de Spoliation tellement immense que nous ne pouvons y jeter qu’un coup d’œil.

Si Dieu avait fait de l’homme un animal solitaire, chacun travaillerait pour soi. La richesse individuelle serait en proportion des services que chacun se rendrait à soi-même.

Mais l’homme étant sociable, les services s’échangent les uns contre les autres, proposition que vous pouvez, si cela vous convient, construire à rebours.

Il y a dans la société des besoins tellement généraux, tellement universels, que ses membres y pourvoient en organisant des services publics. Tel est le besoin de la sécurité. On se concerte, on se cotise pour rémunérer en services divers ceux qui rendent le service de veiller à la sécurité commune.

Il n’y a rien là qui soit en dehors de l’Economie politique: Fais ceci pour moi, je ferai cela pour toi. L’essence de la transaction est la même, le procédé rémunératoire seul est différent; mais cette circonstance a une grande portée.

Dans les transactions ordinaires chacun reste juge soit du service qu’il reçoit, soit du service qu’il rend. Il peut toujours ou refuser l’échange ou le faire ailleurs, d’où la nécessité de n’apporter sur le marché que des services qui se feront volontairement agréer.

Il n’en est pas ainsi avec l’État, surtout avant l’avènement des gouvernements représentatifs. Que nous ayons ou non besoin de ses services, qu’ils soient de bon ou de mauvais aloi, il nous faut toujours les accepter tels qu’il les fournit et les payer au prix qu’il y met.

Or, c’est la tendance de tous les hommes de voir par le petit bout de la lunette les services qu’ils rendent, et par le gros bout les services qu’ils reçoivent; et les choses iraient bon train si nous n’avions pas, dans les transactions privées, la garantie du prix débattu.

Cette garantie, nous ne l’avons pas ou nous ne l’avons guère dans les transactions publiques. — Et cependant, l’État, composé d’hommes (quoique de nos jours on insinue le contraire), obéit à l’universelle tendance. Il veut nous servir beaucoup, nous servir plus que nous ne voulons, et nous faire agréer comme service vrai ce qui est quelquefois loin de l’être, et cela, pour nous imposer en retour des services ou contributions.

L’État aussi est soumis à la loi malthusienne. Il tend à dépasser le niveau de ses moyens d’existence, il grossit en proportion de ces moyens, et ce qui le fait exister c’est la substance des peuples. Malheur donc aux peuples qui ne savent pas limiter la sphère d’action de l’État. Liberté, activité privée, richesse, bien-être, indépendance, dignité, tout y passera.

Car il y a une circonstance qu’il faut remarquer, c’est celle-ci: Parmi les services que nous demandons à l’État, le principal est la sécurité. Pour nous la garantir, il faut qu’il dispose d’une force capable de vaincre toutes les forces, particulières ou collectives, intérieures ou extérieures, qui pourraient la compromettre. Combinée avec cette fâcheuse disposition que nous remarquons dans les hommes à vivre aux dépens des autres, il y a là un danger qui saute aux yeux.

Aussi, voyez sur quelle immense échelle, depuis les temps historiques, s’est exercée la Spoliation par abus et excès du gouvernement? Qu’on se demande quels services ont rendus aux populations et quels services en ont retirés les pouvoirs publics chez les Assyriens, les Babyloniens, les Egyptiens, les Romains, les Persans, les Turcs, les Chinois, les Russes, les Anglais, les Espagnols, les Français? L’imagination s’effraie devant cette énorme disproportion.

Enfin, on a inventé le gouvernement représentatif et, à priori, on aurait pu croire que le désordre allait cesser comme par enchantement.

En effet, le principe de ces gouvernements est celui-ci: « La population elle-même, par ses représentants, décidera la nature et l’étendue des fonctions qu’elle juge à propos de constituer en services publics, et la quotité de la rémunération qu’elle entend attacher à ces services. »

La tendance à s’emparer du bien d’autrui et la tendance à défendre son bien étaient ainsi mises en présence. On devait penser que la seconde surmonterait la première.

Certes, je suis convaincu que la chose réussira à la longue. Mais il faut bien avouer que jusqu’ici elle n’a pas réussi.

Pourquoi? par deux motifs bien simples: les gouvernements ont eu trop, et les populations pas assez de sagacité.

Les gouvernements sont fort habiles. Ils agissent avec méthode, avec suite, sur un plan bien combiné et constamment perfectionné par la tradition et l’expérience. Ils étudient les hommes et leurs passions. S’ils reconnaissent, par exemple, qu’ils ont l’instinct de la guerre, ils attisent, ils excitent ce funeste penchant. Ils environnent la nation de dangers par l’action de la diplomatie, et tout naturellement ensuite, ils lui demandent des soldats, des marins, des arsenaux, des fortifications: souvent même ils n’ont que la peine de les laisser offrir; alors ils ont des grades, des pensions et des places à distribuer. Pour cela, il faut beaucoup d’argent; les impôts et les emprunts sont là.

Si la nation est généreuse, ils s’offrent à guérir tous les maux de l’humanité. Ils relèveront, disent-ils, le commerce, feront prospérer l’agriculture, développeront les fabriques, encourageront les lettres et les arts, extirperont la misère, etc., etc. Il ne s’agit que de créer des fonctions et payer des fonctionnaires.

En un mot, la tactique consiste à présenter comme services effectifs ce qui n’est qu’entraves; alors la nation paie non pour être servie, mais desservie. Les gouvernements, prenant des proportions gigantesques, finissent par absorber la moitié de tous les revenus. Et le peuple s’étonne de travailler autant, d’entendre annoncer des inventions merveilleuses qui doivent multiplier à l’infini les produits et… d’être toujours Gros-Jean comme devant.

C’est que, pendant que le gouvernement déploie tant d’habileté, le peuple n’en montre guère. Ainsi, appelé à choisir ses chargés de pouvoirs, ceux qui doivent déterminer la sphère et la rémunération de l’action gouvernementale, qui choisit-il? Les agents du gouvernement. Il charge le pouvoir exécutif de fixer lui-même la limite de son activité et de ses exigences. Il fait comme le Bourgeois gentilhomme, qui, pour le choix et le nombre de ses habits, s’en remet… à son tailleur [5].

Cependant les choses vont de mal en pis, et le peuple ouvre enfin les yeux, non sur le remède (il n’en est pas là encore), mais sur le mal.

Gouverner est un métier si doux que tout le monde y aspire. Aussi les conseillers du peuple ne cessent de lui dire: Nous voyons tes souffrances et nous les déplorons. Il en serait autrement si nous te gouvernions.

Cette période, qui est ordinairement fort longue, est celle des rébellions et des émeutes. Quand le peuple est vaincu, les frais de la guerre s’ajoutent à ses charges. Quand il est vainqueur, le personnel gouvernemental change et les abus restent.

Et cela dure jusqu’à ce qu’enfin le peuple apprenne à connaître et à défendre ses vrais intérêts. Nous arrivons donc toujours à ceci: Il n’y a de ressource que dans le progrès de la Raison publique.

Certaines nations paraissent merveilleusement disposées à devenir la proie de la Spoliation gouvernementale. Ce sont celles où les hommes, ne tenant aucun compte de leur propre dignité et de leur propre énergie, se croiraient perdus s’ils n’étaient administrés et gouvernés en toutes choses. Sans avoir beaucoup voyagé, j’ai vu des pays où l’on pense que l’agriculture ne peut faire aucun progrès si l’État n’entretient des fermes expérimentales; qu’il n’y aura bientôt plus de chevaux, si l’État n’a pas de haras; que les pères ne feront pas élever leurs enfants ou ne leur feront enseigner que des choses immorales, si l’État ne décide pas ce qu’il est bon d’apprendre, etc., etc. Dans un tel pays, les révolutions peuvent se succéder rapidement, les gouvernants tomber les uns sur les autres. Mais les gouvernés n’en seront pas moins gouvernés à merci et miséricorde (car la disposition que je signale ici est l’étoffe même dont les gouvernements sont faits), jusqu’à ce qu’enfin le peuple s’aperçoive qu’il vaut mieux laisser le plus grand nombre possible de services dans la catégorie de ceux que les parties intéressées échangent à prix débattu [6].

Nous avons vu que la société est échange des services. Elle ne devrait être qu’échange de bons et loyaux services. Mais nous avons constaté aussi que les hommes avaient un grand intérêt et, par suite, une pente irrésistible à exagérer la valeur relative des services qu’ils rendent. Et véritablement, je ne puis apercevoir d’autre limite à cette prétention que la libre acceptation ou le libre refus de ceux à qui ces services sont offerts.

De là il arrive que certains hommes ont recours à la loi pour qu’elle diminue chez les autres les naturelles prérogatives de cette liberté. Ce genre de spoliation s’appelle Privilége ou Monopole. Marquons-en bien l’origine et le caractère.

Chacun sait que les services qu’il apporte dans le marché général y seront d’autant plus appréciés et rémunérés qu’ils y seront plus rares. Chacun implorera donc l’intervention de la loi pour éloigner du marché tous ceux qui viennent y offrir des services analogues, — ou, ce qui revient au même, si le concours d’un instrument est indispensable pour que le service soit rendu, il en demandera à la loi la possession exclusive [7].

Cette variété de Spoliation étant l’objet principal de ce volume, j’en dirai peu de chose ici, et me bornerai à une remarque.

Quand le monopole est un fait isolé, il ne manque pas d’enrichir celui que la loi en a investi. Il peut arriver alors que chaque classe de travailleurs, au lieu de poursuivre la chute de ce monopole, réclame pour elle-même un monopole semblable. Cette nature de Spoliation, ainsi réduite en système, devient alors la plus ridicule des mystifications pour tout le monde, et le résultat définitif est que chacun croit retirer plus d’un marché général appauvri de tout.

Il n’est pas nécessaire d’ajouter que ce singulier régime introduit en outre un antagonisme universel entre toutes les classes, toutes les professions, tous les peuples; qu’il exige une interférence constante, mais toujours incertaine de l’action gouvernementale; qu’il abonde ainsi dans le sens des abus qui font l’objet du précédent paragraphe; qu’il place toutes les industries dans une insécurité irrémédiable, et qu’il accoutume les hommes à mettre sur la loi, et non sur eux-mêmes, la responsabilité de leur propre existence. Il serait difficile d’imaginer une cause plus active de perturbation sociale [8].

Justification.

On dira: « Pourquoi ce vilain mot: Spoliation? Outre qu’il est grossier, il blesse, il irrite, il tourne contre vous les hommes calmes et modérés, il envenime la lutte. »

Je le déclare hautement, je respecte les personnes; je crois à la sincérité de presque tous les partisans de la Protection; et je ne me reconnais le droit de suspecter la probité personnelle, la délicatesse, la philanthropie de qui que ce soit. Je répète encore que la Protection est l’œuvre, l’œuvre funeste, d’une commune erreur dont tout le monde, ou du moins la grande majorité, est à la fois victime et complice. — Après cela je ne puis pas empêcher que les choses ne soient ce qu’elles sont.

Qu’on se figure une espèce de Diogène mettant la tête hors de son tonneau, et disant: « Athéniens, vous vous faites servir par des esclaves. N’avez-vous jamais pensé que vous exerciez sur vos frères la plus inique des spoliations? »

Ou encore, un tribun parlant ainsi dans le Forum: « Romains, vous avez fondé tous vos moyens d’existence sur le pillage successif de tous les peuples. »

Certes, ils ne feraient qu’exprimer une vérité incontestable. Faudrait-il en conclure qu’Athènes et Rome n’étaient habitées que par de malhonnêtes gens? que Socrate et Platon, Caton et Cincinnatus étaient des personnages méprisables?

Qui pourrait avoir une telle pensée? Mais ces grands hommes vivaient dans un milieu qui leur ôtait la conscience de leur injustice. On sait qu’Aristote ne pouvait pas même se faire l’idée qu’une société pût exister sans esclavage.

Dans les temps modernes, l’esclavage a vécu jusqu’à nos jours sans exciter beaucoup de scrupules dans l’âme des planteurs. Des armées ont servi d’instrument à de grandes conquêtes, c’est-à-dire à de grandes spoliations. Est-ce à dire qu’elles ne fourmillent pas de soldats et d’officiers, personnellement aussi délicats, plus délicats peut-être qu’on ne l’est généralement dans les carrières industrielles; d’hommes à qui la pensée seule d’un vol ferait monter le rouge au front, et qui affronteraient mille morts plutôt que de descendre à une bassesse?

Ce qui est blâmable ce ne sont pas les individus, mais le mouvement général qui les entraîne et les aveugle, mouvement dont la société entière est coupable.

II en est ainsi du Monopole. J’accuse le système, et non point les individus; la société en masse, et non tel ou tel de ses membres. Si les plus grands philosophes ont pu se faire illusion sur l’iniquité de l’esclavage, à combien plus forte raison des agriculteurs et des fabricants peuvent-ils se tromper sur la nature et les effets du régime restrictif?

Notes

[1]: La seconde série des Sophismes économiques, dont plusieurs chapitres avaient figuré dans le Journal des Économistes et le journal le Libre Echange, parut à la fin de janvier 1848. (Note de l’éditeur de l’édition originale.)

[2]: La seconde série des Sophismes économiques portait en exergue avant le premier chapitre la citation suivante:

La requête de l’industrie au gouvernement est aussi modeste que celle de Diogène à Alexandre: Ote-toi de mon soleil. (Bentham.)

(Note de l’éditeur de Bastiat.org.)

[3]: Voir au tome VI, les chapitres XVIII, XIX, XXII, et XXIV pour les développements projetés et commencés par l’auteur sur les Causes perturbatrices de l’harmonie des lois naturelles. (Note de l’éditeur de l’édition originale.)

[4]: Voy., tome I, la lettre adressée au président du Congrès de la paix à Francfort. (Note de l’éditeur de l’édition originale.)

[5]: Voy., au tome 1, la lettre adressée à M. Larnac, et au tome V, les Incompatibilités parlementaires. (Note de l’éditeur de l’édition originale.)

[6]: Voir au présent tome, l’État, la Loi, et au tome VI, le chapitre XVII Services privés et services publics. (Note de l’éditeur de l’édition originale.)

[7]: Pour la distinction entre les monopoles véritables et ce qu’on a nommé les monopoles naturels, voir, au chapitre 5 du tome VI, la note qui accompagne l’exposé de la doctrine d’Adam Smith sur la valeur. (Note de l’éditeur de l’édition originale.)

[8]: Cette cause de perturbation, l’auteur devait bientôt assister à son développement et la combattre avec énergie. Voir ci-après l’État, puis, au tome II, Funestes illusions et, au tome VI, les dernières pages du chapitre 4. (Note de l’éditeur de l’édition originale.)

Extrait de l’édition originale en 7 volumes (1863) des œuvres complètes de Frédéric Bastiat, tome IV, Sophismes Économiques, seconde série, chapitre I, Physiologie de la Spoliation, pp. 127-148

Numérisé par Krylenko, relu et édité par François-René Rideau pour Bastiat.org.

Bastiat.org Le Libéralisme, le vrai Un site par François-René Rideau

Voir également:

La geste sarkozienne

P.Lefebvre & L.Messika

Primo

21-04-2012

Avec ce Président, rien n’aura été épargné au peuple français.

Le démantèlement de l’image présidentielle, du président-monarque à laquelle nous avaient habitués de Gaulle puis Mitterrand, a été sinon volontaire, du moins assumée par Sarkozy.

Il pensait le peuple mûr pour un rapport moins protocolaire au pouvoir. Il s’est trompé.

C’était sans compter sur la nostalgie française pour la monarchie : ce peuple n’aime rien tant qu’à adorer les rois pour ensuite, éventuellement, leur trancher le cou.

À l’inverse, rien n’aura été épargné non plus à l’actuel locataire de l’Élysée.

Depuis 2007, le Tout Sauf Sarkozy (TSS) aura superbement fonctionné, réunissant les extrêmes de tous bords dans une ivresse de haine à coups de bassesses que n’aurait pas renié “Je-suis-partout”.

Sa proximité idéologique avec les USA, son amitié assumée avec Israël, sa compréhension de la société civile traduite en connivence avec les grands patrons, n’auront pas été pour rien dans le rejet qu’il suscite actuellement.

Les milieux de la gauche bien pensante et simplement pensante, de l’Education Populaire et des syndicats au petit monde des journalistes militants lui auront bien fait payer ces trois défauts pour eux majeurs.

C’est à qui dénoncera le plus fort la concentration des pouvoirs aux mains d’un même homme. Mais c’est ignorer le poids réel que pèse un Président sur les réalités mondiales.

Concentration des pouvoirs ?

Le président avait la majorité absolue à l’Assemblée et au Sénat en 2007. Quand ce n’est pas la gauche qui bénéficie de cette unanimité, c’est considéré, au pays de Liberté-Egalité-Absurdité comme un crime inexpiable.

Parlons simplement du pouvoir médiatique.

Jamais président n’aura eu à affronter autant la haine, le mépris et les moqueries que Nicolas Sarkozy.

Même ceux qui, la bouche en cul-de-poule, affirmaient qu’il ne faut pas se moquer du physique, digressaient à l’envi sur sa petite taille.

Gageons que son successeur putatif n’aura pas à subir les affres de cette pratique, lui qui le dépasse de trois bons centimètres.

Des interdits ont été franchis avec allégresse. Tant mieux pour une démocratie plus éclairée, plus consciente.

Le malheur est que, dans le même temps, nous sommes parvenus au sommet d’une déliquescence citoyenne. Notre société est minée en une lente érosion par plus de 40 années de corporatismes, d’égoïsmes voulus, ardemment désirés par les Français de toutes origines sociales.

Les effets de cette déliquescence se combinent avec l’arrivée logique de la fin d’un cycle (Cf.supra).

Ce que la presse affirme n’est plus accueilli avec recul. Les opinions de nos verbeux sont considérées comme des faits avérés, les rumeurs prennent le pas sur l’information. Les tentatives d’explications passent alors pour de laborieuses tentatives de justifications a posteriori.

La nomination des présidents de chaînes de télévision a été interprétée comme une reprise en main de la presse par le pouvoir.

C’est vouloir oublier un peu vite la seule fois où un président de la télévision française avait été nommé contre la volonté du président de la République, à l’époque François Mitterrand. Ce président avait été poussé à la démission par des pratiques que la justice sanctionne aujourd’hui au titre du harcèlement moral (Philippe Guilhaume).

La presse godillot, tant moquée par les médias étrangers, aurait, dit-on, connu sous Sarkozy son heure de gloire.

La presse française, avec l’unanimité d’un corporatisme primant sur toute autre considération, s’indigne de la toute puissance de Sarkozy sur les médias. Ah bon ?

Mais s’il avait la haute main sur la presse, comment expliquer le déchaînement de critiques qu’il a subi durant cinq ans, médias publics ou hautement capitalistiques confondus ?

À moins de faire preuve d’une immense mauvaise foi, l’ère Sarkozy aura été celle d’un déchaînement de la parole. Il en aura été la victime principale.

La hargne idéologique de la presse à son encontre n’aura eu d’égale que sa complaisance vis-à-vis des secrets plus ou moins honteux d’un Mitterrand faisant vivre sa famille adultère aux frais du contribuable ou d’un Strauss-Kahn dont “tout le monde” (comprendre la jet-set journalistique) savait qu’il souffrait d’une grave addiction débouchant parfois sur des actes à la limite du répréhensible.

Cela ne peut pas avoir de rapport avec le fait que 95% des journalistes français se déclarent de gauche ou d’extrême gauche: ils sont journalistes, donc objectifs ! Ce doit donc être le fait d’une coïncidence…

Si le peu d’empressement des journalistes français à poser les questions gênantes a souvent été dénoncé, les explications à cette timidité n’ont, semble-t-il, pas mérité que l’on s’interroge plus avant.

Les correspondants américains, scandinaves et britanniques, par exemple, moquent souvent cette soumission médiatique au pouvoir en place. Ils ont tort car il s’agit d’une lâcheté générale et non d’un parti pris en faveur des puissants.

Ne pas poser de questions qui fâchent à un homme politique pour éviter de se voir interdire l’entrée aux sauteries du clan n’empêche pas de dire les pires horreurs sur son compte s’il a le malheur de ne pas être du même bord politique que le journaliste.

Les journalistes français sont d’abord des militants.

Ils ont la maîtrise absolue des canaux de diffusion de l’information et ils l’utilisent exclusivement pour diffuser les informations qui vont dans le sens de leur idéologie.

Les confrères étrangers de nos médiabobo ont l’habitude d’obtenir des réponses quand ils posent des questions. Mais ils ont aussi l’habitude de ne pas confondre faits et commentaires.

En France, il n’y a plus rien à confondre: les faits sont carrément exclus lorsqu’ils ne correspondent pas aux commentaires que souhaitent faire les journalistes !

Les petites affaires et les grandes

Reste que ce quinquennat aura été marqué par des affaires dont la société se serait bien passée. Certains scandales sont avérés, d’autres révèlent une hystérie anti-sarkozienne quasi maladive.

Le Fouquet ? Un cadre du parti Europe Ecologie-Les Verts, désormais sénateur, a ses habitudes dans un restaurant autrement plus onéreux.

Qui le relève, mis à part l’indispensable Canard Enchainé ?

L’enrichissement ? Sarkozy a déclaré son patrimoine à son entrée en fonction et il y a fort à parier qu’il n’aura pas beaucoup évolué à la hausse pendant ses cinq ans de mandat.

Pour Mélenchon, on ne sait pas: il refuse de divulguer cette information top secrète, celui qui n’aime pas les riches et envisage de leur faire rendre gorge.

Les autres challengers de Sarkozy ne sont pas vraiment à plaindre non plus. Ils sont, au contraire de la majorité des Français, à l’abri du besoin, eux et leur descendance.

Ils ont beau déclarer ne pas aimer les riches, ils en font partie, eux, leurs SCI et leurs biens immobiliers.

Et eux aussi ont voté, par une nuit sans lune, un projet de loi leur permettant de devenir avocats sans en passer le diplôme. Il ne faut jamais insulter l’avenir, surtout quand on a les moyens législatifs de l’influencer.

L’une des principales adversaires de Sarkozy, Marine Le Pen, prétend défendre le peuple. Elle s’est engagé dans ce combat moins par amour de la France que pour continuer à faire fructifier l’héritage financier de Papa.

La politique est une rente. Et une rente qui rapporte. À ce niveau-là, il n’y a plus d’honnêteté, encore moins de convictions. Il n’y a que des intérêts.

L’exemple de Karachi

Les mêmes médias qui hurlaient à la reprise en main de leurs lignes éditoriales ont fortement suggéré l’hypothèse de la responsabilité de l’actuel Président dans l’explosion du bus de Karachi.

Sans porter atteinte à la douleur des familles des ingénieurs français, est-il incorrect de dire que les coupables principaux demeurent ceux qui ont posé la bombe et non ceux qui ont stoppé ou détourné le versement de rétro commissions ?

Certes, ces pratiques de captation financière sont inacceptables dans une démocratie. Mais ce dont il est question ici est le déplacement du statut de coupable.

En cette affaire, le summum de l’indigence journalistique a été atteint.

Il est plus valorisant, et surtout moins dangereux pour la santé, d’accuser plutôt que de remettre en cause les accointances des milieux islamo-affairistes avec les services secrets pakistanais.

De piteuses interventions

Le Président a ordonné le rapatriement en France de son fils atteint d’une simple gastro-entérite.

Mais il faut avoir la mémoire courte pour oublier que le contribuable français a financé durant des années l’entretien et le logement de la fille cachée de François Mitterrand ainsi que les déplacements en hélicoptère de son père pour aller la voir ou l’emmener à Latché.

Les détestables habitudes ne sont l’apanage d’aucun camp.

Il a perdu son sang-froid et insulté quelques adversaires et syndicalistes. La belle affaire ! En sont-ils morts ?

Pour autant, un Président de la République ne dit pas à un marin pêcheur « descend me le dire en face si t’es un homme » lorsqu’il est entouré de dizaines de gardes du corps. Cela ne fait pas honneur à la fonction.

Ces petites saillies, bien peu importantes en vérité, ont jeté un voile sur un ensemble d’actions qui doivent être portées à son crédit.

Aux sociologues Bourdieuïsants qui se demandent « de quoi Sarkozy est-il le nom ? », d’autres répondent « dictature » et « fait du Prince ». L’explication est un peu trop aisée pour être crédible.

Alors, la crise ?

Toutes les nations sont soumises à des cycles prospérité-crise qui s’étendent sur plusieurs dizaines d’années et ce, quel que soit le système politique en place.

Lorsque François Hollande clame que « le changement, c’est maintenant », il a tout à fait raison.

Il oublie de dire que ce changement aurait eu lieu de toute manière. Et il ne se produira pas comme il le promet aux Français.

Notre faillite est certes le produit de gigantesques manœuvres spéculatives du capitalisme financiarisé mais cette causalité reste marginale, n’en déplaise aux idéologues, tribuns et autres prophètes professionnels.

Elle demeure surtout le résultat d’une lente évolution démographique et sociétale qui nous a amené des Trente glorieuses aux Trente Piteuses dans lesquelles nous vivons actuellement.

Cette évolution nous mènera peut-être vers un nouveau modèle de société. Mais ce ne sera pas sans soubresauts dont certains seront meurtriers.

Le scrutin de ces 15 prochains jours ne sera pas significatif. S’il est battu, Sarkozy le sera plus par rejet de sa personne que par conviction et adhésion à une autre manière de concevoir la politique.

L’immaturité politique des Français sera alors patente. Car ce qui se produit en France est le résultat de conjonctions qui dépassent amplement les simples querelles politiciennes nationales.

Sarkozy a failli à ses promesses. Il était surtout incapable de les tenir, non par manque de compétence ou de volonté, mais parce que la réalité du monde l’a rattrapé.

Aller « chercher la croissance avec les dents s’il le faut » procède certes d’une louable intention. Mais la marge de manœuvre pour la conduite d’un pays reste, droite ou gauche, d’au mieux 0.5 %.

Quel que soit le président élu le 7 mai, il n’y aura aucune période de grâce. Il faut oublier les 100 jours auxquels nous nous étions confortablement habitués.

Le temps s’accélère et la gestion politique d’un pays s’accommode mal de la précipitation.

Mais cette même recherche d’immédiateté est, paradoxalement, la principale revendication des électeurs et des spéculateurs, faisant pour une fois cause commune.

 Il faut au moins une dizaine d’années pour mesurer les effets bénéfiques d’une quelconque politique publique mais il faut moins d’une semaine pour déclarer un Etat en faillite.

Le SMIC à 1700 euros et la retraite à 60 ans, les 15 000 emplois par an dans l’Education nationale pendant 5 ans et les 150 000 « emplois d’avenir » sont autant de promesses parfaitement intenables mais dont la mise en œuvre est attendue dès juin.

L’automne sera sanglant pour cause de promesses non tenues.

Il conviendrait plutôt de considérer l’avenir en termes de génération, ce qui est impossible pour une société qui a oublié l’Histoire et le nécessaire recul en privilégiant le « Tout, tout de suite ».

Cet axiome érigé en méthode de gouvernement depuis les années soixante a définitivement vécu et conduira à une faillite encore plus douloureuse, dangereuse.

Les renonciations de Sarkozy sont à situer dans l’ivresse du pouvoir immédiat et la volonté de séduire au détriment du lien social, du « vivre ensemble » et de la solidarité. Un président de gauche ne fera pas mieux.

Si le scrutin vient confirmer les sondages, la concentration des pouvoirs sera unique dans l’Histoire de la Cinquième République. La gauche aura l’exécutif, le Parlement, et gérera la quasi totalité des collectivités territoriales. Mais il ne se trouvera aucun journaliste pour s’en indigner.

Les effets de traîne des années fastes, l’argent facile, les avantages acquis, les conventions collectives, la protection sociale éclateront comme autant de bulles sans que personne ne puisse rien y faire sinon à compter les corps.

La gestion de la dette s’imposera à tous

Les plus faibles paieront cher, comme jamais ils n’ont payé depuis la fin du 19° siècle. Ruinés, aux abois, affamés, ils confieront le pouvoir aux démagogues, d’extrême droite ou gauche.

Le populisme deviendra l’unique méthode de gouvernance, comme il a été le principal moteur de la campagne.

Avec ses effets induits, à savoir une violence intergénérationnelle de plus en plus sauvage, le repli sur soi et la recherche effrénée et hystérique de boucs émissaires.

La bulle principale, celle qui nous enserre depuis cette trop longue campagne du fait des Primaires PS, est sur le point d’éclater.

La France insouciante va devoir absorber de plein fouet un choc autrement plus violent que ceux de ces cinq dernières années.

Mais Sarkozy ne sera plus là pour servir de repoussoir.

Voir par ailleurs:

France’s Fairy-Tale Election

The candidates are debating everything but the real problems.

 The WSJ

April 19, 2012

The French head to the polls Sunday for the first round of Presidential voting, but you wouldn’t know the candidates were competing in Europe’s most important election since the start of its economic crisis. Five years ago, Nicolas Sarkozy won by telling his fellow Frenchmen rude truths about the need for growth, job creation and competition in a global economy. This time around, the contenders for the Elysée Palace—including Mr. Sarkozy—are in one way or another running on fairy tales. No wonder markets are nervous.

***

The French economy is in a severe, if not yet acute, crisis. France’s public debt, at 90% of GDP, is larger than Spain’s and approaches Ireland’s. French growth has been stagnant for five years. Unit labor costs have risen steadily for more than a decade, and high unemployment has become chronic. A quarter of French youth are jobless.

Many European governments are confronting variations on these grim themes, and the most recent elections in Spain, Portugal and Ireland have turned on candidates’ (stated) commitment to reform and recovery. Not so in France, where the Presidential contenders, when they haven’t been ignoring economic issues, sound like they’re vying to lead a version of their country that exists only in the minds of the romantic left.

Nicolas Sarkozy, the center-right incumbent, is proposing to shrink the budget deficit by raising taxes in the name of « solidarity. » On top of his already-passed hikes in corporate and personal income taxes, and his 4% surcharge on high incomes, Mr. Sarkozy also promises an « exit tax » on French citizens who move abroad, presumably to make up for the revenue that goes missing when all those new levies impel high earners to leave the country.

As for the reforms on the lips of every other policy maker in Europe, Mr. Sarkozy makes some of the right noises but won’t even go as far as the (mostly broken) promises he made in 2007. In a 32-point plan issued this month, he offers some labor reform but more proposals that are vague (creating a « youth bank » for enterprising young people) or off-point (promoting French language and the values of the Republic).

Mr. Sarkozy proposes reducing payroll charges paid by employers but would make up for it by increasing VAT and taxes on investment income. This assumes there will be investment income left in France once Mr. Sarkozy’s financial-transactions tax goes into effect in August.

Mr. Sarkozy’s campaign is particularly disappointing compared to the one five years ago. Promising a « rupture » with France’s old ways, he told voters in 2007 that they could no longer afford a sprawling state that coddled its workers and drove away entrepreneurs. Yet this year he seems content to reinforce a French model that’s even more broken than before. If Mr. Sarkozy retakes the Elysée next month, he will have done so by turning his back on the center-right resurgence that he once led to victory.

The President’s Socialist rival is a throwback of a different sort. François Hollande’s campaign has adopted a fiery old-left style that most had taken for dead after the Socialists’ 2007 defeat. All of Mr. Hollande’s major economic policy plans have roots in a punitive populism that would make U.S. Congressional class warriors blush. According to the latest polls, he leads Mr. Sarkozy 29%-24% in the first-round vote and by an even wider margin in the likely runoff.

Mr. Hollande says he’s « not dangerous » to the wealthy—he merely wants to confiscate 75% of their income over €1 million, and 45% over €150,000. He is, however, a self-avowed « enemy » of the financial industry, and he plans to impose extra penalties on oil companies and financial firms. He’d also raise the dividends tax and impose a new, higher rate of VAT on luxury goods. All of this is necessary, Mr. Hollande says, to chop the massive debt that President Sarkozy has heaped upon France.

But swiping at Mr. Sarkozy’s debt record hardly makes sense when Mr. Hollande’s own spending plans would pile on still more borrowing. The Socialist candidate is playing Santa Claus, promising lavish new goodies to French voters while other euro-zone governments are pulling back.

Inside Mr. Hollande’s gift bag: 60,000 new teaching jobs, new housing subsidies and rent controls, and increased public funding for small and medium enterprises. He would raise the minimum wage to €1,700 a month and enact a new law to prevent and fight layoffs. He also promises to reverse Mr. Sarkozy’s most important domestic-policy victory: raising the retirement age to 62 from 60.

Mr. Hollande wasn’t originally the Socialists’ top choice for this year’s race. Thrust into the role after Dominique Strauss-Kahn’s sex scandals, the mild-mannered Mr. Hollande has fought to prevent his support from migrating to the Left Party’s hot-blooded candidate, Jean-Luc Mélenchon, who wants to withdraw France from NATO and proposes a 100% tax on income above €360,000. The surrealist Mr. Mélenchon began to surge in February and currently polls at around 15%.

Both Sarkozy and Hollande claim their platforms can restore the economy. Maybe—in fantasy land.

Mr. Sarkozy has had to fight off challenges from the opposite flank. The National Front’s Marine Le Pen, daughter of five-time Presidential candidate Jean-Marie Le Pen, has shed her party’s neofascist image but upholds its hard populist stance on job outsourcing, security and immigration.

Last month’s Toulouse shootings gave Mr. Sarkozy a boost on these issues, but Ms. Le Pen has proved enduringly magnetic to the young and disgruntled. She has polled at 10%-15% for months, prompting Mr. Sarkozy to stoke anti-immigrant sentiment even as France’s low birth rate and aging population are planting a demographic bomb that could set off the next fiscal crisis. One of Mr. Sarkozy’s 32 points is to cut immigration by half.

***

Both Messrs. Sarkozy and Hollande claim their economic platforms will bring back France’s triple-A credit rating, which the country lost in January. But in the fantasy land that is the present campaign, the reasons for the downgrade—and for the country’s financial woes generally—are not to be found in France’s own growth-killing policies. Rather, the candidates blame immigrants, ratings agencies, market speculators, the European Central Bank. In other words, everything but the decades of failed leadership that have put France in its current economic crisis.

Few polls give Mr. Sarkozy much of a chance if he and Mr. Hollande go head to head in a runoff on May 6. But we’ll have an early taste of where the French electorate stands from the first-round turnout, which is expected to be low compared to 2007. Five years ago, voters came out in force to choose—they were told—between modernity and decline. They picked modernity but got decline anyway.

A high abstention rate on Sunday would confirm that French voters already know that their choices this year are dismal. Not all fairy tales have a happy ending.

Voir de même:

The State

Frederic Bastiat

I wish that someone would offer a prize, not of five hundred francs, but of a million, with crosses, crowns, and ribbons, to whoever would give a good, simple, and intelligible definition of this term: the state.

What an immense service he would render to society!

The state! What is it? Where is it? What does it do? What should it do?

5.4

All that we know about it is that it is a mysterious personage, and certainly the most solicited, the most tormented, the busiest, the most advised, the most blamed, the most invoked, and the most provoked in the world.

5.5

For, sir, I do not have the honor of knowing you, but I wager ten to one that for six months you have been making utopias; and if you have been making them, I wager ten to one that you place upon the state the responsibility of realizing them.

5.6

And you, madame, I am sure that you desire from the bottom of your heart to cure all the ills of mankind, and that you would be in no wise embarrassed if the state would only lend a hand.

5.7

But alas! The unfortunate state, like Figaro, knows neither to whom to listen nor where to turn. The hundred thousand tongues of press and rostrum all cry out to it at once:

« Organize labor and the workers. »

« Root out selfishness. »

« Repress the insolence and tyranny of capital. »

« Make experiments with manure and with eggs. »

« Furrow the countryside with railroads. »

« Irrigate the plains. »

« Plant forests on the mountains. »

« Establish model farms. »

« Establish harmonious workshops. »

« Colonize Algeria. »

« Feed the babies. »

« Instruct the young. »

« Relieve the aged. »

« Send the city folk into the country. »

« Equalize the profits of all industries. »

« Lend money, without interest, to those who desire it. »

« Liberate Italy, Poland, and Hungary. »

« Improve the breed of saddle horses. »

« Encourage art; train musicians and dancers. »

« Restrict trade, and at the same time create a merchant marine. »

« Discover truth and knock a bit of sense into our heads. »

« The function of the state is to enlighten, to develop, to increase, to fortify, to spiritualize, and to sanctify the soul of a nation. »**31

5.8

« Oh, sirs, a little patience, » replies the state with a piteous air. « I shall try to satisfy you, but for that I shall need some resources. I have prepared proposals for five or six taxes, brand new and the mildest in the world. You will see how glad people will be to pay them. »

5.9

But then a great cry is raised: « Shame! Shame! Anybody can do a thing if he has the resources! Then you would not be worthy of being called the state. Far from hitting us with new taxes, we demand that you eliminate the old ones. Abolish:

« The tax on salt;

« The tax on beverages;

« The tax on letters;

« The octroi;*62

« Licenses;

« Prestations. »

5.10

In the midst of this tumult, and after the country had changed its state two or three times for not having satisfied all these demands, I tried to point out that they were contradictory. Good Lord! What was I thinking of? Could I not keep this unfortunate remark to myself?

5.11

So here I am, discredited forever; and it is now an accepted fact that I am a heartless, pitiless man, a dry philosopher, an individualist, a bourgeois—in a word, an economist of the English or American school.

5.12

Oh, pardon me, sublime writers, whom nothing stops, not even contradictions. I am wrong, no doubt, and I retract my error with all my heart. I demand nothing better, you may be sure, than that you should really have discovered outside of us a benevolent and inexhaustible being, calling itself the state, which has bread for all mouths, work for all hands, capital for all enterprises, credit for all projects, ointment for all wounds, balm for all suffering, advice for all perplexities, solutions for all problems, truths for all minds, distractions for all varieties of boredom, milk for children and wine for old age, which provides for all our needs, foresees all our desires, satisfies all our curiosity, corrects all our errors, amends all our faults, and exempts us all henceforth from the need for foresight, prudence, judgment, sagacity, experience, order, economy, temperance, and industry.

5.13

And why should I not desire it? Heaven forgive me! The more I reflect on it, the more I find how easy the whole thing is; and I, too, long to have at hand that inexhaustible source of riches and enlightenment, that universal physician, that limitless treasure, that infallible counselor, that you call the state.

5.14

Hence, I insist that it be shown to me, that it be defined, and that is why I propose that a prize be offered to the first to discover this rare bird. For, after all, it will have to be admitted that this precious discovery has not yet been made, since the people have up to now overthrown immediately everything that has presented itself under the name of the state, precisely because it has failed to fulfill the somewhat contradictory conditions of the program.

Need it be said that we may have been, in this respect, duped by one of the most bizarre illusions that has ever taken possession of the human mind?

Man is averse to pain and suffering. And yet he is condemned by nature to the suffering of privation if he does not take the pains to work for a living. He has, then, only the choice between these two evils. How arrange matters so that both may be avoided? He has found up to now and will ever find only one means: that is, to enjoy the fruits of other men’s labor; that is, to arrange matters in such a way that the pains and the satisfactions, instead of falling to each according to their natural proportion, are divided between the exploited and their exploiters, with all the pain going to the former, and all the satisfactions to the latter. This is the principle on which slavery is based, as well as plunder of any and every form: wars, acts of violence, restraints of trade, frauds, misrepresentations, etc.—monstrous abuses, but consistent with the idea that gave rise to them. One should hate and combat oppressors, but one cannot say that they are absurd.

Slavery is on its way out, thank Heaven, and our natural inclination to defend our property makes direct and outright plunder difficult. One thing, however, has remained. It is the unfortunate primitive tendency which all men have to divide their complex lot in life into two parts, shifting the pains to others and keeping the satisfactions for themselves. It remains to be seen under what new form this deplorable tendency is manifested.

The oppressor no longer acts directly by his own force on the oppressed. No, our conscience has become too fastidious for that. There are still, to be sure, the oppressor and his victim, but between them is placed an intermediary, the state, that is, the law itself. What is better fitted to silence our scruples and—what is perhaps considered even more important—to overcome all resistance? Hence, all of us, with whatever claim, under one pretext or another, address the state. We say to it: « I do not find that there is a satisfactory proportion between my enjoyments and my labor. I should like very much to take a little from the property of others to establish the desired equilibrium. But that is dangerous. Could you not make it a little easier? Could you not find me a good job in the civil service or hinder the industry of my competitors or, still better, give me an interest-free loan of the capital you have taken from its rightful owners or educate my children at the public expense or grant me incentive subsidies or assure my well-being when I shall be fifty years old? By this means I shall reach my goal in all good conscience, for the law itself will have acted for me, and I shall have all the advantages of plunder without enduring either the risks or the odium. »

As, on the one hand, it is certain that we all address some such request to the state, and, on the other hand, it is a well-established fact that the state cannot procure satisfaction for some without adding to the labor of others, while awaiting another definition of the state, I believe myself entitled to give my own here. Who knows if it will not carry off the prize? Here it is:

The state is the great fictitious entity by which everyone seeks to live at the expense of everyone else.

For, today as in the past, each of us, more or less, would like to profit from the labor of others. One does not dare to proclaim this feeling publicly, one conceals it from oneself, and then what does one do? One imagines an intermediary; one addresses the state, and each class proceeds in turn to say to it: « You, who can take fairly and honorably, take from the public and share with us. » Alas! The state is only too ready to follow such diabolical advice; for it is composed of cabinet ministers, of bureaucrats, of men, in short, who, like all men, carry in their hearts the desire, and always enthusiastically seize the opportunity, to see their wealth and influence grow. The state understands, then, very quickly the use it can make of the role the public entrusts to it. It will be the arbiter, the master, of all destinies. It will take a great deal; hence, a great deal will remain for itself. It will multiply the number of its agents; it will enlarge the scope of its prerogatives; it will end by acquiring overwhelming proportions.

But what is most noteworthy is the astonishing blindness of the public to all this. When victorious soldiers reduced the vanquished to slavery, they were barbarous, but they were not absurd. Their object was, as ours is, to live at the expense of others; but, unlike us, they attained it. What are we to think of a people who apparently do not suspect that reciprocal pillage is no less pillage because it is reciprocal; that it is no less criminal because it is carried out legally and in an orderly manner; that it adds nothing to the public welfare; that, on the contrary, it diminishes it by all that this spendthrift intermediary that we call the state costs?

And we have placed this great myth, for the edification of the people, in the Preamble of the Constitution. Here are the first words of the Preamble:

France has been constituted as a republic in order to …. raise all its citizens to an ever higher standard of morality, enlightenment, and well-being.

Thus, it is France, or the abstraction, which is to raise Frenchmen, or the realities, to a higher standard of morality, well-being, etc. Is this not to be possessed by the bizarre illusion that leads us to expect everything from another power than our own? Is this not to imply that there is, above and beyond the French people, a virtuous, enlightened, rich being who can and ought to bestow his benefits on them? Is this not to assume, and certainly most gratuitously, that there exists between France and the people of France, that is, between the synoptic, abstract term used to designate all these individuals and the individuals themselves, a father-son, guardian-ward, teacher-pupil relationship? I am well aware of the fact that we sometimes speak metaphorically of « the fatherland » or of France as a « tender mother. » But in order to expose in its full flagrance the inanity of the proposition inserted into our Constitution, it suffices to show that it can be reversed, I will not say without disadvantage, but even to advantage. Would exactness suffer if the Preamble had said:

« The French have been constituted as a republic in order to raise France to an ever higher standard of morality, enlightenment, and well-being »?

Now, what is the value of an axiom of which the subject and the object can be interchanged without disadvantage? Everyone understands the statement: « The mother will nurse the baby. » But it would be ridiculous to say: « The baby will nurse the mother. »

The Americans formed another idea of the relations of citizens to the state when they placed at the head of their Constitution these simple words:

We, the people of the United States, in order to form a more perfect union, establish justice, insure domestic tranquillity, provide for the common defense, promote the general welfare, and secure the blessings of liberty to ourselves and our posterity, do ordain, etc.

There is no mythical creation here, no abstraction from which the citizens demand everything. They expect nothing save from themselves and their own efforts.

If I have permitted myself to criticize the first words of our Constitution, it is not, as one might think, in order to deal with a mere metaphysical subtlety. I contend that this personification of the state has been in the past, and will be in the future, a fertile source of calamities and of revolutions.

Here the public, on the one side, the state on the other, are considered as two distinct entities, the latter intent on pouring down upon the former, the former having the right to claim from the latter, a veritable shower of human felicities. What must be the inevitable result?

The fact is, the state does not and cannot have one hand only. It has two hands, one to take and the other to give—in other words, the rough hand and the gentle hand. The activity of the second is necessarily subordinated to the activity of the first. Strictly speaking, the state can take and not give. We have seen this happen, and it is to be explained by the porous and absorbent nature of its hands, which always retain a part, and sometimes the whole, of what they touch. But what has never been seen, what will never be seen and cannot even be conceived, is the state giving the public more than it has taken from it. It is therefore foolish for us to take the humble attitude of beggars when we ask anything of the state. It is fundamentally impossible for it to confer a particular advantage on some of the individuals who constitute the community without inflicting a greater damage on the entire community.

It finds itself, then, placed by our demands in an obviously vicious circle.

If it withholds the boon that is demanded of it, it is accused of impotence, of ill will, of incapacity. If it tries to meet the demand, it is reduced to levying increased taxes on the people, to doing more harm than good, and to incurring, on another account, general disaffection.

Thus, we find two expectations on the part of the public, two promises on the part of the government: many benefits and no taxes. Such expectations and promises, being contradictory, are never fulfilled.

Is this not the cause of all our revolutions? For between the state, which is lavish with impossible promises, and the public, which has conceived unrealizable expectations, two classes of men intervene: the ambitious and the utopian. Their role is completely prescribed for them by the situation. It suffices for these demagogues to cry into the ears of the people: « Those in power are deceiving you; if we were in their place, we would overwhelm you with benefits and free you from taxes. »

And the people believe, and the people hope, and the people make a revolution.

Its friends are no sooner in charge of things than they are called on to make good their promises: « Give me a job, then, bread, relief, credit, education, and colonies, » say the people, « and at the same time, in keeping with your promises, deliver me from the burden of taxation. »

The new state is no less embarrassed than the old, for, when it comes to the impossible, one can, indeed, make promises, but one cannot keep them. It tries to gain time, which it needs to bring its vast projects to fruition. At first it makes a few timid attempts; on the one hand, it extends primary education a little; on the other, it reduces somewhat the tax on beverages (1830). But it is always confronted with the same contradiction: if it wishes to be philanthropic, it must continue to levy taxes; and if it renounces taxation, it must also renounce philanthropy.

These two promises always and necessarily conflict with each other. To have recourse to borrowing, that is, to eat into the future, is indeed a means of reconciling them in the present; one tries to do a little good in the present at the expense of a great deal of harm in the future. But this procedure raises the specter of bankruptcy, which destroys credit. What is to be done, then? The new state then takes a firm stand against its critics: it regroups its forces to maintain itself, it stifles opinion, it has recourse to arbitrary decrees, it ridicules its former maxims, it declares that one can govern only on condition of being unpopular; in short, it proclaims itself the government.

And this is precisely what other demagogues are waiting for. They exploit the same illusion, take the same road, obtain the same success, and soon come to be engulfed in the same abyss.

This is the way we came to the February Revolution. At that time the illusion that is the subject of this article had made its way further than ever into popular thought, along with socialist doctrines. More than ever before, people expected that the state, in a republican form, would open wide the floodgates of its bounty and close off the stream of taxes. « I have often been deceived, » said the people, « but this time I myself will stand guard to see that I am not again deceived. »

What could the provisional government do? Alas! What is always done in such a circumstance: promise and gain time. It did not fail to do this, and, to add solemnity to its promises, it gave them definitive form in its decrees. « Increased welfare, shorter working hours, relief, credit, gratuitous education, agricultural settlements, land clearance, and, at the same time, reductions in the taxes on salt, beverages, letters, meat, all will be granted …. when the National Assembly meets. »

The National Assembly met, and, as two contradictory ideas cannot both be realized, its task, its sad task, was confined to retracting, as gently as possible, one after another, all the decrees of the provisional government.

Still, in order not to make the disappointment too cruel, it had to compromise a little. Certain commitments were kept; others were fulfilled in token form. Hence, the present administration is trying to devise new taxes.

Now, looking ahead a few months, I ask myself sadly what will happen when the newly created civil servants go out into the country to collect the new taxes on inheritances, incomes, and the profits of agriculture. May Heaven give the lie to my presentiments, but here again I see a role for the demagogues to play.

Read the last Manifesto of the Montagnards*63 which they issued in connection with the presidential election. It is rather long, but can be summed up in a few words: The state should give a great deal to the citizens and take little from them. It is always the same tactic, or, if you will, the same error.

The state owes instruction and education free of charge to all citizens.

It owes:

A general and professional education, appropriate as nearly as possible to the needs, vocations, and capacities of each citizen.

It should:

Teach each citizen his duties toward God, toward men, and toward himself; develop his feelings, his aptitudes, and his faculties; give him, in short, proficiency in his work, understanding of his best interests, and knowledge of his rights

It should:

Put within everyone’s reach literature and the arts, the heritage of human thought, the treasures of the mind, all the intellectual enjoyments which elevate and strengthen the soul.

It should:

Insure against every disaster, fire, flood, etc. [how great are the implications of this little et cetera!], suffered by a citizen.

It should:

Intervene in the relations between capital and labor and make itself the regulator of credit

It owes:

Practical encouragement and efficacious protection to agriculture.

5.53

It should:

Buy up the railroads, the canals, the mines,

5.54

and undoubtedly also administer them with that industrial expertise which is so characteristic of it.

5.55

It should:

Stimulate laudable enterprises, and encourage and aid them with all the resources capable of making them succeed. As regulator of credit, it will largely control the industrial and agricultural associations, in order to assure their success.

5.56

The state is to do all this without prejudice to the services that it performs today; and, for example, it must always adopt a threatening attitude toward foreign nations; for, say the signers of the program,

linked by that holy solidarity and by the precedents of republican France, we extend our commitments and our hopes, beyond the barriers that despotism has raised between nations, on behalf of all those whom the yoke of tyranny oppresses; we desire that our glorious army be again, if it must, the army of liberty.

5.57

You see that the gentle hand of the state, that good hand which gives and which bestows, will be very busy under the government of the Montagnards. Perhaps you believe that the same will be true of the rough hand, of the hand that reaches into our pockets and empties them?

5.58

Undeceive yourselves. The demagogues would not know their business if they had not acquired the art of hiding the rough hand while showing the gentle hand.

5.59

Their reign will surely mean a jubilee for the taxpayer.

5.60

« It is on luxuries, » they say, « not necessities, that taxes should be imposed. »

5.61

Will it not be a happy day when, in order to load us with benefits, the public treasury is content to take from us just our superfluous funds?

5.62

Nor is this all. The Montagnards intend that « taxation should lose its oppressive character and should henceforth be no more than an act of fraternity. »

5.63

Heavenly days! I am well aware of the fact that it is the vogue to get fraternity in everywhere, but I did not suspect that it could be put into the receipt of the tax collector.

5.64

Getting down to details, the signers of the manifesto say:

We demand the immediate abolition of taxes that fall on objects of primary necessity, such as salt, drinks, et cetera.

Reform of the real estate tax, the octroi, and license fees.

Justice free of charge, that is, the simplification of forms and the reduction of expenses. [This no doubt has to do with official stamps.]

5.65

Thus, real estate taxes, the octroi, license fees, taxes on stamps, salt, beverages, mail—all are to be done away with. These gentlemen have found the secret of keeping the gentle hand of the state energetic and active, while paralyzing its rough hand.

5.66

Indeed! I ask the impartial reader, is this not childish and, what is more, dangerously childish? Why would people not make one revolution after another, once they had made up their minds not to stop until this contradiction had been made a reality: « Give nothing to the state, and receive a great deal from it »?

5.67

Does anyone believe that if the Montagnards came to power, they would not themselves become the victims of the very means that they employed to seize it?

5.68

Citizens, throughout history two political systems have confronted each other, and both of them can be supported by good arguments. According to one, the state should do a great deal, but also it should take a great deal. According to the other, its double action should be barely perceptible. Between these two systems, one must choose. But as for the third system, which is a mixture of the two others, and which consists in requiring everything from the state without giving anything to it, it is chimerical, absurd, childish, contradictory, and dangerous. Those who advance it in order to give themselves the pleasure of accusing all governments of impotence and exposing them thus to your violent attacks, flatter and deceive you, or at least they deceive themselves.

5.69

As for us, we think that the state is not and should not be anything else than the common police force instituted, not to be an instrument of oppression and reciprocal plunder, but, on the contrary, to guarantee to each his own and to make justice and security prevail.**32

Notes for this chapter

30.

[To understand the form of this composition, note that it was printed in the Journal des débats, issue of September 25, 1848.—Editor.]

31.

[This last phrase is from M. de Lamartine. The author cites it also in the pamphlet (chap. 2 of this volume) entitled « The Law. »—Editor.]

62.

[A local tax on certain commodities (foodstuffs, fodder, liquids, fuels, building materials, etc.) imposed as a condition of their being brought into a town or district.—Translator]

63.

[In 1848, members of the Socialist Democrat Party. The name, of course, goes back to the militant « Mountain » Party of Danton and Robespierre during the French Revolution.—Translator.]

32.

[See chap. 17 of Economic Harmonies and, in the first volume (of the French edition), the pamphlet of 1830 entitled « To the Electors of the Department of Landes. »—Editor.]

See also:

Second Series, Chapter 1

The Physiology of Plunder1*

II.1.1

Why do I keep dwelling on that dry science, political economy?

II.1.2

Why? The question is a reasonable one. All labor by its very nature is so repugnant that one has the right to ask what purpose it serves.

II.1.3

Let us investigate and see.

II.1.4

I do not address myself to those philosophers who profess to adore poverty, if not in their own name, at least in the name of mankind.

II.1.5

I speak to whoever holds wealth in some regard; and I understand by this word, not the opulence of the few, but the comfort, the well-being, the security, the independence, the education, the dignity, of all.

II.1.6

There are only two ways of obtaining the means essential to the preservation, the adornment, and the improvement of life: production and plunder.

II.1.7

Some people say: « Plunder is a fortuitous event, a purely local and transient evil, condemned by moral philosophy, punished by law, and unworthy of the attention of political economy. »

II.1.8

Yet however well disposed or optimistic one may be, one is compelled to recognize that plunder is practiced in this world on too vast a scale, that it is too much a part of all great human events, for any social science—political economy least of all—to be able to ignore it.

II.1.9

I go further. What keeps the social order from improving (at least to the extent to which it is capable of improving) is the constant endeavor of its members to live and to prosper at one another’s expense.

II.1.10

Hence, if plunder did not exist, society would be perfect, and the social sciences would be without an object.

II.1.11

I go still further. When plunder has become a way of life for a group of men living together in society, they create for themselves in the course of time a legal system that authorizes it and a moral code that glorifies it.

II.1.12

It suffices to name some of the more obvious forms of plunder to indicate the position it holds in human affairs.

II.1.13

The first is war. Among savages, the conqueror kills the conquered in order to acquire hunting rights that, if not incontestable, are at least uncontested.

II.1.14

Next is slavery. When man learns that labor can make the earth fruitful, he arranges to share with his brother on the following terms: « Yours the toil; mine the harvest. »

II.1.15

Then comes theocracy. « According as you give me, or refuse me, what is yours, I will open to you the gates of heaven or of hell. »

II.1.16

Finally, monopoly makes its appearance. Its distinguishing characteristic is to permit the continued existence of the great law of society: service for service, but to introduce force into the negotiations, and, consequently, to upset the just balance between service received and service rendered.

II.1.17

Plunder always carries within itself the germ that ultimately kills it. It is rarely that the many plunder the few; for, in such a case, the latter would promptly be so reduced in number as no longer to be capable of satisfying the greed of the former, so that plunder would come to an end from want of sustenance.

II.1.18

Almost always it is the many that are oppressed by the few; yet plunder is none the less doomed to come to an end.

II.1.19

For if it makes use of force, as in war and slavery, in the long run force will naturally pass to the side of the many.

II.1.20

And if fraud is the means, as in theocracy and monopoly, it is natural, unless intelligence is to count for nothing, that the majority should eventually become aware of it.

II.1.21

There is, besides, another providential law whose operation is no less fatal, in the end, to the success of every system of plunder: Plunder not only redistributes wealth; it always, at the same time, destroys a part of it. War annihilates many values. Slavery paralyzes many capabilities. Theocracy diverts many energies toward childish or injurious ends. Monopoly too transfers wealth from one pocket to another, but much of it is lost in the process.

II.1.22

This is an admirable law. Without it, provided that there were a balance of power between oppressors and oppressed, plunder would have no end. Thanks to this law, the balance is always tending to be upset; either because the plunderers come to realize that too much wealth is being destroyed, or, in the absence of this realization, because the evil is constantly worsening, and it is in the nature of whatever keeps on worsening to come to an end.

II.1.23

In fact, there comes a time when the progressively accelerating destruction of wealth goes so far that the plunderer is poorer than he would have been if he had remained honest. Such is the case when a war costs a nation more than the booty is worth; when a master pays more for slave labor than for free labor; when a theocracy has so stupefied the people and so sapped their energies that it can no longer exact anything from them; when a monopoly increases its efforts to absorb in proportion as there is less to absorb, just as it takes more effort to milk a cow as the udder becomes empty.

II.1.24

Monopoly is evidently a species of the genus plunder. There are several varieties—among others, sinecures, privileges, and trade restrictions.

II.1.25

Some of the forms it may assume are simple and naive, like feudal rights. Under this system the masses were plundered and knew it. The system involved the abuse of force and fell with it.

II.1.26

Other forms are more complicated. Often the masses are plundered and do not know it. It may even happen that they believe they owe everything to plunder, not only what they are allowed to keep, but also what is taken away from them and what is lost in the operation. Moreover, I assert that, in the course of time, thanks to so ingenious a mechanism as custom, many people become plunderers without knowing it and without intending it. Monopolies of this kind are engendered by fraud and nourished on error. They flourish in the darkness of ignorance and vanish only in the light of knowledge.

II.1.27

I have said enough to show that political economy has an evident practical utility. It is the torch that, by exposing fraud and dispelling error, destroys that form of social disorder called plunder. Someone—I believe a woman—has rightly defined it as « the safety lock on the savings of the people. »

Commentary

II.1.28

If this little book were fated to last three or four thousand years, to be read and reread, pondered and studied, sentence by sentence, word by word, and letter by letter, from generation to generation, like a new Koran; if it were to fill all the libraries in the world with avalanches of annotations, explanations, and paraphrases; I might abandon the foregoing remarks to their fate, without misgivings concerning their rather obscure succinctness. But since they need a commentary, I believe the wiser course is to provide it myself.

II.1.29

The true and just rule for mankind is the voluntary exchange of service for service. Plunder consists in prohibiting, by force or fraud, freedom of exchange, in order to receive a service without rendering one in return.

II.1.30

Forcible plunder is effected by waiting until a man has produced something, and then taking it from him by violence.

II.1.31

It is specifically forbidden by the Commandment: Thou shalt not steal.

II.1.32

When practiced by one individual on another, it is called theft and is punishable by imprisonment; when practiced by one nation on another, it is called conquest and leads to glory.

II.1.33

Why this difference? It is worth while to seek for the cause. It will reveal to us an irresistible power, public opinion, which, like the atmosphere, envelops us so completely that we no longer notice it. Rousseau never spoke more truly than when he said: « It takes a great deal of scientific insight to discern the facts that are closest to us. »2*

II.1.34

The thief, precisely because he acts alone, has public opinion against him. He frightens everyone about him. However, if he has a few comrades, he boasts to them about his exploits, and here one may begin to notice the power of public opinion; for it takes merely the approval of his accomplices to relieve him of the feeling that he is doing anything wrong and even to make him proud of his dishonor.

II.1.35

The warrior lives in a different world. The public opinion that vilifies him is elsewhere, in the conquered nations; he does not feel its pressure. But the opinion of those around him approves of him and sustains him. He and his comrades have a strong sense of the common interest that unites them. The fatherland, which has created enemies and dangers for itself, finds it necessary to extol the courage of its children. It bestows honors, fame, and glory on the most intrepid among them, on those who have expanded its frontiers and brought it the most loot. Poets sing their exploits, and women braid garlands for them. And such is the power of public opinion that it separates the idea of injustice from plunder and frees the plunderer of even the consciousness of having done any wrong.

II.1.36

The public opinion that reacts against military plunder, since it arises, not in the plundering nation, but among the plundered, has very little influence. Yet it is not entirely ineffectual, and it gains in importance as nations come into contact with one another and come to understand one another better. In this connection, it is evident that the study of languages and freedom of communication among different nations tend to give the prevailing influence to the opinion that opposes this sort of plunder.

II.1.37

Unfortunately, it often happens that those who live in the vicinity of a plundering nation themselves become plunderers when they can, and thenceforth become imbued with the same prejudices.

II.1.38

When this happens, there is only one remedy: time. People have to learn, through hard experience, the enormous disadvantage there is in plundering one another.

II.1.39

Some may propose another form of restraint: moral influence. But the purpose of moral influence is to encourage virtuous actions. How, then, can it restrain acts of plunder when public opinion ranks these acts among the noblest virtues? Is there a more powerful moral influence than religion? Has there ever been a religion more favorable to peace and more widely accepted than Christianity? And yet what have we witnessed for eighteen centuries? The spectacle of men warring with one another not only in spite of religion, but in the very name of religion.

II.1.40

A conquering nation is not always waging offensive warfare. It, too, falls on evil days when its soldiers find themselves obliged to defend their homes and property, their families, their national independence, and their liberty. At such times war takes on the character of a great crusade. The flag, consecrated by the ministers of the Prince of Peace, symbolizes everything that is holy on earth; people revere it as the living image of the fatherland and of the homage due to it; and martial virtues are extolled above all others. But after the danger has passed, public opinion remains the same; and by a natural reaction of that spirit of revenge which is confused with patriotism, people love to parade their cherished flag from one capital city to another. It seems that Nature has thus prepared its punishment for the aggressor.

II.1.41

It is the fear of this punishment, and not our increased knowledge, that keeps weapons in our arsenals, for it cannot be denied that the most highly civilized nations wage war and concern themselves very little about justice when they do not have to fear any reprisals. The Himalayan, the Atlas, and the Caucasus Mountains attest to this.

II.1.42

If religion has been powerless, if knowledge is powerless, how, then, is war to cease?

II.1.43

Political economy demonstrates that, even in the case of the victors, war is always waged in the interest of the few and at the expense of the many. All that is needed, then, is that the masses should clearly perceive this truth. The weight of public opinion, which is still divided, will then fall entirely on the side of peace.3*

II.1.44

Forcible plunder also takes another form. Instead of waiting until a man has produced something in order to take it away from him, the plunderer takes possession of the man himself, deprives him of his freedom, and compels him to work. The plunderer does not say to him: « If you do this for me, I shall do that for you »; but: « Yours all the toil, mine all the enjoyment. » This is slavery, which always implies the misuse of power.

II.1.45

Now, it is an important question whether it is not in the very nature of an incontestably dominant power to be misused. For my part, I put no faith in it at all, and I might just as well expect a falling stone to contain the power that will halt its fall as to rely upon force to impose restraints upon itself.

II.1.46

I should like, at least, to be shown a country or an era in which slavery was abolished by the free and voluntary action of the masters.

II.1.47

Slavery furnishes a second and striking example of the impotence of religious and humanitarian sentiments in a conflict with the powerful force of self-interest. This may seem regrettable to certain modern schools of thought that expect self-denial to be the principle that will reform society. Let them begin, then, by reforming the nature of man.

II.1.48

In the Antilles,4* the masters, from father to son, have been professing the Christian religion ever since slavery was established there. Several times a day they repeat these words: « All men are brothers; to love thy neighbor is to fulfill the whole of the law. » And yet they have slaves, and nothing seems to them more natural or legitimate. Do the modern reformers expect that their ethical principles will ever be as universally accepted, as well-known, as authoritative, or as often on the lips of everyone, as the Gospel? And if the Gospel has been unable to pass from the lips to the heart, over or through the great barrier of self-interest, how do they expect their ethical principles to perform this miracle?

II.1.49

Is slavery, then, indestructible? No. Self-interest, which created it, will destroy it, provided that the special interests that have inflicted the wound are not protected in such a way as to nullify the general interests that tend to heal it.

II.1.50

Another truth demonstrated by political economy is that free labor is essentially progressive, whereas slave labor is necessarily static. Hence, the triumph of the first over the second is inevitable. What has become of the cultivation of indigo by the Negroes?5*

II.1.51

Free labor employed in the cultivation of sugar will lead to a continual reduction in its price. The slave will become proportionately less profitable to his master. Slavery would have collapsed of its own weight long ago in America if European laws had not kept the price of sugar artificially high. Therefore we see the masters, their creditors, and their legislative representatives making vigorous efforts to keep these laws in force, for they are today the pillars of the whole edifice of slavery.

II.1.52

Unfortunately, these laws still have the support of people among whom slavery has disappeared; from this it is clear that here, too, public opinion is sovereign.

II.1.53

If it is sovereign even in the domain of force, it is still more so in the domain of fraud. This, in fact, is the domain in which public opinion is most efficacious. Fraud consists in the misuse of the intellect; public opinion becomes progressively more enlightened as men’s intellectual attainments are enlarged. These two forces are at least of the same nature. Imposture on the part of the plunderer implies credulity on the part of the plundered, and the natural antidote for credulity is truth. It follows that by enlightening men’s minds we deprive this kind of plunder of the food that nurtures it.

II.1.54

I shall briefly review some of the kinds of plunder that are carried out by fraud on a grand scale.

II.1.55

The first is plunder by theocratic fraud.

II.1.56

In what does it consist? In inducing men to give one actual services, in the form of food, clothing, luxuries, prestige, influence, and power, in exchange for fictitious services.

II.1.57

If I tell a man, « I am going to render you an immediate service, » I am obliged to keep my word; otherwise this man would soon know what to expect, and my fraud would be quickly unmasked.

II.1.58

But suppose I say to him, « In exchange for services from you, I shall confer immense services upon you, not in this world but in the next. Whether, after this life, you are to be eternally happy or wretched depends entirely upon me; I am an intermediary between God and man, and can, as I see fit, open to you the gates of heaven or of hell. » If this man believes me, he is at my mercy.

II.1.59

This sort of imposture has been widely practiced since the beginning of the world, and the extent of the power which the Egyptian priests attained by such means is well known.

II.1.60

It is easy to understand how impostors operate. It is enough to ask yourself what you would do in their place.

II.1.61

If, with designs of this sort, I were to find myself among an ignorant people, and if, by some extraordinary and apparently miraculous deed, I were to succeed in passing myself off as a supernatural being, I should profess to be a messenger from God, with absolute power to control the future destinies of men.

II.1.62

Next, I should forbid any examination of my claims. I should go further: since reason would be my most dangerous enemy, I should forbid the use of reason itself, at least as applied to this awesome subject. I should render this question, and all questions related to it, taboo, as the savages say. To answer them, to ask them, even to think of them, would be an unpardonable crime.

II.1.63

It would certainly be the acme of ingenuity thus to set up a taboo as a barrier to all intellectual avenues that might lead to the discovery of my imposture. What could better guarantee its permanence than to make even doubt an act of sacrilege?

II.1.64

However, to this fundamental guarantee I should add some auxiliary ones. For instance, so that knowledge might never be diffused among the masses, I should confer upon myself, as well as upon my accomplices, a monopoly over all the sciences; I should hide them under the veil of a dead language and a hieroglyphic alphabet; and, in order never to be caught unawares by any danger, I should take care to devise some institution that would allow me to penetrate, by day, into the hidden recesses of every man’s conscience.

II.1.65

It would not be amiss for me to satisfy some of the real needs of my people, especially if, by doing so, I were able to increase my influence and authority. For instance, men have a great need for education and morality, and I should make myself the source of both. In that way I should guide as I wished the minds and hearts of my people. I should establish an indissoluble connection between morality and my authority by representing them as unable to exist without one another, so that if anyone dared to raise a tabooed question, the whole of society, which cannot survive without morality, would feel the earth tremble beneath its feet and would turn its wrath upon this rash innovator.

II.1.66

When things reached such a point, these people would evidently belong to me more than if they were my slaves. The slave curses his chains; my people would bless theirs, and I should have succeeded in stamping the seal of servitude, not on their brows, but on their very hearts and consciences.

II.1.67

Public opinion alone can knock down such an edifice of iniquity; but where is it to begin, if every stone is tabooed? This must be the work of time and the printing press.

II.1.68

God forbid that I should seek here to disturb those comforting beliefs that view this life of sorrows as but a prelude to a future life of happiness! But that the irresistible yearning that impels us to accept such beliefs has been shamefully exploited, no one, not even the Pope, could deny. There is, it seems to me, one sign by which it is possible to determine whether or not people have been victimized in this way. Examine the religion and the priest, and see whether the priest is the instrument of the religion, or the religion is the instrument of the priest.

II.1.69

If the priest is the instrument of the religion, if his only thought is to disseminate everywhere its ethical principles and its beneficial influence, he will be gentle, tolerant, humble, charitable, and zealous; his life will resemble that of his divine model; he will preach freedom and equality among men, and peace and brotherhood among nations; he will resist the temptations of temporal power, since he will want no ties with that which, of all things in this world, has the greatest need of restraint; he will be a man of the people, a man of good counsel and tender consolation, a man whose opinion is esteemed, and a man obedient to the Gospel.

II.1.70

If, on the contrary, the religion is the instrument of the priest, he will treat it as one does an instrument that one modifies, bends, or twists to his own purposes, so as to derive from it the greatest possible advantage for oneself. He will multiply the number of tabooed questions; he will adjust his moral principles to suit changing times, men, and circumstances. He will try to awe the populace with his studied gestures and poses; a hundred times a day he will mumble words that have long since lost all their meaning and have become mere empty conventionalities. He will traffic in relics, but only just enough not to shake people’s faith in their sanctity; and he will take care that the more perceptive the people become, the less obvious his trafficking will be. He will involve himself in worldly intrigues; and he will always side with those in power on the sole condition that those in power side with him. In brief, from every one of his acts it will be clear that what he is aiming at is, not to advance religion by means of the clergy, but to advance the clergy by means of religion; and since so much effort implies an end, and as this end, according to our hypothesis, can be nothing other than power and wealth, the conclusive proof that the people have been duped is that the priest is rich and powerful.

II.1.71

Quite clearly, one can misuse a true religion as well as a false one. Indeed, the more worthy of respect its authority is, the greater is the danger that it may be improperly employed. But there is a great deal of difference in the consequences. The abuse of such authority always outrages the sound, enlightened, self-reliant members of the population. Their faith cannot but be shaken, and the weakening of a true religion is far more lamentable than the crumbling of a false one.

II.1.72

The extent to which this method of plunder is practiced is always in inverse proportion to the perspicacity of the people, since it is in the nature of abuses to go as far as they can. Not that high-minded and dedicated priests cannot be found in the midst of the most ignorant people; but what is to stop a knave from donning the cassock and seeking to wear the miter? Plunderers conform to the Malthusian law: they multiply with the means of existence; and the means of existence of knaves is the credulity of their dupes. Seek as one will, there is no substitute for an informed and enlightened public opinion. It is the only remedy.

II.1.73

Another sort of plunder is known as commercial fraud, a term that seems to me much too restricted, for the guilty ones include not only the merchant who adulterates his goods or gives short weight, but also the quack doctor and the pettifogging lawyer. In such cases, one of the two services exchanged consists of debased coin; but since the service received was first voluntarily agreed upon, it is evident that plunder of this kind should diminish as the public becomes better informed.

II.1.74

Next comes the misuse of government services—an immense field for plunder, so immense that we can only glance at it.

II.1.75

If God had made man a solitary animal, everyone would labor for himself. Individual wealth would be in proportion to the services that each man performed for himself.

II.1.76

But, since man is a social creature, services are exchanged for services—a proposition whose terms you can transpose, if you are so minded.

II.1.77

The members of society have certain needs that are so general, so universal, that provision is made for them by organizing government services. Among these requirements is the need for security. People agree to tax themselves in order to pay, in the form of services of various kinds, those who perform the service of seeing to the common security.

II.1.78

This arrangement in no way conflicts with the principle of exchange as formulated in political economy: Do this for me, and I will do that for you. The essence of the transaction is the same; only the method of payment is different; but this fact is very important.

II.1.79

In ordinary, private transactions each party remains the sole judge both of the service he receives and of the service he performs. He can always either decline the exchange or make it elsewhere; hence the need of offering in the market only such services as will find voluntary acceptance.

II.1.80

This has not been true of the state, especially prior to the establishment of representative government. Whether or not we need its services, whether they are real or spurious, we are always obliged to accept what it provides and to pay the price that it sets.

II.1.81

Now, it is the tendency of all men to exaggerate the services that they render and to minimize the services they receive; and chaos would reign if we did not have, in private transactions, the assurance of a negotiated price.

II.1.82

This assurance is completely, or almost completely, lacking in our transactions with the government. And yet the state, which, after all, is composed of men (although nowadays this is denied, at least by implication), obeys the universal tendency. It wants to serve us a great deal—more, indeed, than we desire—and to make us accept as real services what are often far from being such, and all this for the purpose of exacting some services from us in return in the form of taxes.

II.1.83

The state too is subject to the Malthusian law. It tends to expand in proportion to its means of existence and to live beyond its means, and these are, in the last analysis, nothing but the substance of the people. Woe to the people that cannot limit the sphere of action of the state! Freedom, private enterprise, wealth, happiness, independence, personal dignity, all vanish.

II.1.84

For there is one circumstance that must be noted: Among the services that we demand of the state, the chief is security. To assure us this, it must have at its command a force capable of overcoming all individual or collective, domestic or foreign forces that might imperil it. In combination with that fatal disposition that we have observed among men to live at the expense of others, this fact makes for a situation that is obviously fraught with danger.

II.1.85

To appreciate this, one has only to consider on what a vast scale, throughout history, plunder has been practiced by way of the abuses and excesses of government. One has only to ask oneself what services were performed for the people, and what services were exacted from them, by the governments of Assyria, Babylon, Egypt, Rome, Persia, Turkey, China, Russia, England, Spain, and France. The enormous disparity between the one and the other in each case staggers the imagination.

II.1.86

At last, representative government was established, and one might have supposed, a priori, that all this would come to an end as if by magic.

II.1.87

In fact, such governments are based on the following principle:

II.1.88

« The people themselves, through their representatives, will determine the nature and extent of the functions that they regard as proper to be established as government services, and the amount they propose to pay in remuneration for these services. »

II.1.89

The tendency to appropriate the property of others was thereby placed in direct confrontation with the tendency to defend one’s own property. There was every reason to expect that the latter would overcome the former.

II.1.90

To be sure, I am convinced that in the long run the system of representative government will succeed. Yet it must be admitted that up to now it has not done so.

II.1.91

Why? For two quite simple reasons: Governments have had too much discernment, and people have had too little.

II.1.92

Governments are very adroit. They act methodically, step by step, according to a well-contrived plan that is constantly being improved by tradition and experience. They study men and their passions. If they perceive, for instance, that the people are inclined to war, they incite and inflame this calamitous propensity. By their diplomacy they surround the nation with dangers, and, as a natural consequence, they demand that it provide soldiers, sailors, arsenals, and fortifications. Often, in fact, they do not need to go to the trouble of making such demands, for everything they want is offered to them. Then they have jobs, pensions, and promotions to distribute. All this requires a great deal of money; hence, they impose taxes and float loans.

II.1.93

If the nation is open-handed, the government offers to cure all the ills of mankind. It promises to restore commerce, make agriculture prosperous, expand industry, encourage arts and letters, wipe out poverty, etc., etc. All that is needed is to create some new government agencies and to pay a few more bureaucrats.

II.1.94

In a word, the tactic consists in initiating, in the guise of actual services, what are nothing but restrictions; thereafter the nation pays, not for being served, but for being disserved. Governments, assuming gigantic proportions, end by absorbing half of the national income. The people are astonished to find that, while they hear of wonderful inventions that are to multiply goods without end, they are working as hard as ever and are still no better off than before.

II.1.95

The trouble is that, while the government has been acting with so much ability, the people have shown practically none. Thus, when called upon to choose those who are to be entrusted with the powers of government, those who are to determine the sphere of and the payment for governmental action, whom do they choose? Government officials. They entrust the executive authority itself with the power to fix the limits of its own activities and requirements. They act like Molière’s would-be gentleman, who, for the selection and the number of his suits, relied upon—his tailor.6*

II.1.96

In the meanwhile, things go from bad to worse, and at last people open their eyes, not to the remedy (for they have not yet progressed to that point), but to the evil.

II.1.97

Governing is so pleasurable a profession that everyone aspires to engage in it. Hence, the demagogues never cease telling the people: « We are aware of your sufferings, and we deplore them. Things would be different if we were governing you. »

II.1.98

This period, which is ordinarily quite long, is one of rebellions and insurrections. If the people are conquered, the costs of the war are added to their tax burden. If they are the conquerors, the government changes hands, and the abuses continue.

II.1.99

And this goes on until the people learn to recognize and defend their true interests. Thus, we always reach the same conclusion: The only remedy is in the progressive enlightenment of public opinion.

II.1.100

Certain nations seem particularly liable to fall prey to governmental plunder. They are those in which men, lacking faith in their own dignity and capability, would feel themselves lost if they were not governed and administered every step of the way. Without having traveled a great deal, I have seen countries in which the people think that agriculture can make no progress unless the government supports experimental farms; that soon there will no longer be any horses, if the government does not provide studs; that fathers will not have their children educated, or will have them taught only immorality, if the government does not decide what it is proper to learn; etc., etc. In such countries, revolutions may come in rapid succession, with governments falling one after another; but the governed are none the less governed at the discretion and the mercy of the rulers (for the propensity that I am discussing here is the very stuff of which governments are made), until the people finally come to realize that it is better to leave the greatest possible number of services to be exchanged by the interested parties at a freely negotiated price.7*

II.1.101

We have seen that society consists in the exchange of services. It should be an exchange of only good and honest services. But we have also shown that men have a great interest in, and consequently an irresistible inclination toward, exaggerating the relative value of the services they perform. I cannot, indeed, see any other limit to these pretensions than the voluntary acceptance or rejection of the exchange on the part of those to whom the services are offered.

II.1.102

Hence, certain men have recourse to the law in order to abridge the natural prerogatives of this freedom on the part of other men. This kind of plunder is called privilege or monopoly. Let us be very clear about its origin and character.

II.1.103

Everyone knows that the services that he offers in the general market will be evaluated and remunerated in proportion to their scarcity. Everyone, therefore, will seek the enactment of a law that will keep from the market all those prepared to offer services similar to his own; or, what amounts to the same thing, if the employment of some means of production is indispensable for the performance of the service, he will ask the law for exclusive possession of it.8*

II.1.104

I shall say little about this variety of plunder here, limiting myself to one comment only.

II.1.105

An isolated case of monopoly never fails to enrich those to whom the law has granted it. It may then happen that each class of producers, instead of seeking to destroy this monopoly, will demand for itself a similar monopoly. This kind of plunder, thus reduced to a system, then becomes the most ridiculous practical joke on everybody, and the ultimate result is that each person thinks he is getting more out of a general market in which the supply of everything is being lessened.

II.1.106

It is needless to add that this extraordinary system also sows the seeds of universal discord among all classes, all professions, and all nations; that it requires the constant, but always unpredictable, interference of the government; that it therefore abounds in the type of abuses described in the preceding paragraph; that it renders every industrial enterprise desperately insecure, and accustoms men to making the law, and not themselves, responsible for their livelihood. It would be difficult to imagine a more prolific source of social disturbance.9*

Justification

II.1.107

It may be asked: « Why this ugly word plunder? Besides being crude, it is offensive and irritating; it only turns calm and temperate men against you and embitters the whole controversy. »

II.1.108

I submit that I do respect individuals; I do believe in the sincerity of practically all the advocates of protectionism; and I do not arrogate to myself the right to question the personal honesty, scrupulosity, or humanitarianism of anyone. I repeat that protectionism is the consequence—the fateful consequence—of a common error of which all men, or at least the great majority of them, are at once victims and accomplices. But, after all, I cannot prevent things from being as they are.

II.1.109

Imagine a sort of Diogenes thrusting his head out of his tub and saying, « Athenians, you force slaves to serve you. Has it never occurred to you that you are practicing upon your brothers the most iniquitous kind of plunder? »

II.1.110

Or imagine a tribune speaking as follows in the Forum: « Romans, you have based your whole way of life on the successive pillaging of all other nations. »

II.1.111

To be sure, they would only have been expressing incontestable truths. Must we therefore conclude that Athens and Rome were inhabited exclusively by dishonest people, and that Socrates and Plato, Cato and Cincinnatus were despicable individuals?

II.1.112

Who could harbor such a thought? After all, these great men lived in an environment that made them unconscious of their injustice. It is well known that Aristotle could not even conceive of the idea of a society that would be capable of existing without slavery.

II.1.113

In modern times, slavery has continued to our own day without causing the plantation owners many qualms of conscience. Armies have served as instruments for large-scale conquests—in other words, for acts of plunder on a large scale. Does this mean that they are not well provided with officers and men as individually scrupulous as, and perhaps more scrupulous than, the ordinary run of men engaged in industrial pursuits—men who would blush at the very thought of theft, and who would face a thousand deaths rather than stoop to a single disgraceful action?

II.1.114

It is not individuals who are to blame, but the general tendency of public opinion that blinds and misleads them—a tendency of which the whole of society is guilty.

II.1.115

The same is true of monopoly. I accuse the system, and not individuals; society as a whole, and not any of its members in particular. If the greatest philosophers were incapable of seeing the iniquity of slavery, how much easier it is for farmers and manufacturers to deceive themselves concerning the nature and effects of protectionism!

Notes for this chapter

*

[The second series of Economic Sophisms, several chapters of which had been published in the Journal des économistes and the newspaper, Le Libre échange, appeared at the end of January 1848.—EDITOR.]

Second Series, Chapter 1

1.

[Cf., in Vol. VI (of the French edition), chaps. 18, 19, 22, and 24, for the further remarks planned and begun by the author on « Disturbing Factors » (Economic Harmonies, chap. 18) affecting the harmony of natural laws.—EDITOR.]

2.

[This quotation is from Part One of the Discourse on Inequality by J. J. Rousseau (1712-1778), a French philosopher. Bastiat was so impressed it that he referred to it five times in his Economic Harmonies.—TRANSLATOR.]

3.

[Cf., in Vol. I (of the French edition), the letter addressed to the President of the Peace Congress at Frankfort.—EDITOR.]

4.

[The reference is to such French West Indian islands as Martinique and Guadeloupe, where slavery existed until 1848 or later.—TRANSLATOR.]

5.

[More efficient (and humane) methods of production in India had resulted in a sharp drop in indigo productions by slave labor in the West Indies.—TRANSLATOR.]

6.

[Cf., in Vol. I (of the French edition), the letter addressed to M. Larnac; and in Vol. V (of the French edition), « Parliamentary Inconsistencies. »—EDITOR.]

7.

[Cf. Selected Essays on Political Economy, chap. 5, « The State, » and chap. 2, « The Law, » and Economic Harmonies, chap. 17, « Private and Public Services. »—EDITOR.]

8.

[For the distinction between true monopolies and what have been called natural monopolies, cf., in Economic Harmonies, chap. 5, note 2, accompanying the analysis of Adam Smith’s theory of value.—EDITOR.]

9.

[The author was soon to witness an increase in this source of disruption and to wage energetic war against it. Cf. Selected Essays on Political Economy, chap. 5, « The State »; Vol. II (of the French edition), « Disastrous Illusions, » and Vol. VI (of the French edition), the final pages of chap. 4.—EDITOR.]

Second Series, Chapter 2

End of Notes

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Second Series, Chapter 2

Two Systems of Ethics

II.2.1

Having arrived—if he does arrive—at the end of the preceding chapter, the reader may well exclaim:

II.2.2

« Well, was I wrong to accuse economists of being dry and cold? What a portrait of mankind! Plunder is represented as an omnipresent force, almost a normal phenomenon, assuming every guise, practiced under any pretext, legal or extralegal, perverting to its own purposes all that is most sacred, exploiting weakness and credulity by turns, and constantly growing by what it feeds on! Could any more depressing picture of the world be imagined? »

II.2.3

But the question is, not whether it is depressing, but whether it is true. History says that it is.

II.2.4

It is rather odd that those who denounce political economy (or economism, as they are pleased to call this science) for studying man and the world just as they are, take a far gloomier view, at least of the past and the present, than the economists do. The books and newspapers of the socialists are full of such bitterness and hatred toward society that the very word civilization has come to be for them synonymous with injustice, civil disorder, and anarchy. So little confidence do they have in the natural capacity of the human race to improve and progress of its own accord that they have even gone so far as to condemn freedom, which, as they see it, is every day driving mankind closer to the edge of doom.

II.2.5

It is true that they are optimists in regard to the future. For, although mankind, in itself incompetent, has been on the wrong track for six millennia, a prophet has come who has shown men the way to salvation; and if the flock will only be docile enough to follow the shepherd, he will lead it into the promised land where prosperity may be attained without effort, and where order, security, and harmony are the easy reward of improvidence.

II.2.6

All that men have to do is to permit the reformers to change, as Rousseau said, their physical and moral constitution.

II.2.7

Political economy has not been given the mission of finding out what society would be like if it had pleased God to make man different from what he is. It may be regrettable that Providence, at the beginning, neglected to seek the advice of some of our modern social reformers. And just as the celestial mechanism would have been quite different if the Creator had consulted Alfonso the Learned;10* so too, if He had not disregarded the advice of Fourier, the social order would have borne no resemblance to the one in which we are obliged to live, breathe, and move about. But, since we are in it, since we do live, move, and have our being in it, our only recourse is to study it and to understand its laws, especially if the improvement of our condition essentially depends upon such knowledge.

II.2.8

We cannot prevent an endless succession of unsatisfied desires from springing up in men’s hearts.

II.2.9

We cannot render it possible for these desires to be satisfied without labor.

II.2.10

We cannot close our eyes to the fact that labor is as repugnant to mankind as its fruits are attractive.

II.2.11

We cannot prevent men, since they are so constituted, from engaging in a constant effort to increase their share of the fruits of labor, while throwing upon one another, by force or fraud, the burden of its pains.

II.2.12

It is not within our competence to erase the whole record of human history, or to silence the voice of the past, which attests that this is the way things have been since the beginning of time. We cannot deny that war, slavery, serfdom, theocracy, the excesses of government, privileges, frauds of every kind, and monopolies have been the indisputable and terrifying manifestations of these two sentiments united in the heart of man: fondness for the fruits of toil and repugnance to its pains.

II.2.13

« In the sweat of thy face shalt thou eat bread. » But everyone wants as much bread and as little sweat as possible. History provides conclusive proof of this.

II.2.14

Thank heaven, history also shows that the distribution of the fruits and the pains among the members of the human race is approaching ever more nearly to equality.

II.2.15

Unless one is prepared to deny the obvious, it must be admitted that at least in this respect society has made some progress.

II.2.16

In that case, there must exist in society some natural and providential force, some law that causes iniquity progressively to decline and justice no less inexorably to prevail.

II.2.17

We say that this force exists within society, and that God has put it there. If it were not already there, we should be reduced, like the utopians, to resorting to artificial means for producing it, by arrangements that would require the preliminary alteration of the physical and moral constitution of man; or rather, we should consider the effort to produce such a force useless and vain, because we cannot understand how a lever can operate without a fulcrum.

II.2.18

Let us try, therefore, to identify the beneficent force that tends progressively to overcome the maleficent force which we call plunder, and whose existence is all too well demonstrated by reason and proved by experience.

II.2.19

Every maleficent action necessarily has two termini: its point of origin and its point of impact; the man who performs the action, and the man upon whom the action is performed; or, in the language of the schools, the agent and the patient.

II.2.20

There are, thus, two possible ways of preventing the maleficent action from taking effect: the agent may voluntarily abstain, or the patient may resist.

II.2.21

This fact gives rise to two systems of ethics that, far from contradicting each other, concur in their conclusions: religious or philosophical ethics and utilitarian ethics, which I shall permit myself to call economic.

II.2.22

Religious ethics, in order to prevent a maleficent action, addresses its author—man in his active role. It says to him: « Reform and purify thyself; cease to do evil; do good; subdue thy passions; sacrifice thine own interests; do not oppress thy neighbor, for it is thy duty to love and to comfort him; be first just and then charitable. » This code of ethics will always be the more beautiful and the more moving of the two, the one that displays the human race in all its majesty, that better lends itself to impassioned eloquence, and is better fitted to arouse the admiration and sympathy of mankind.

II.2.23

The economic, or utilitarian, system of ethics has the same end in view, but above all addresses itself to man in his passive role. Merely by showing him the necessary consequences of his acts, it stimulates him to oppose those that injure him, and to honor those that are useful to him. It strives to disseminate enough good sense, knowledge, and justifiable mistrust among the oppressed masses to make oppression more and more difficult and dangerous.

II.2.24

It should be noted that utilitarian ethics is not without its influence upon the oppressor as well. A maleficent action produces both good and evil effects: evil for him who is subjected to it; and good for him who performs it, or else it would not have been performed. But the good effects by no means compensate for the evil. The evil is always, and necessarily, greater than the good, because the very act of oppressing involves a waste of energy, creates dangers, provokes reprisals, and demands costly precautions. The mere demonstration of these effects not only stimulates a reaction on the part of the oppressed, but attracts to the side of justice all those whose hearts have not been corrupted and disturbs the security of the oppressors themselves.

II.2.25

But it is easy to understand that this system of ethics, which is more implicit than explicit; which, after all, is only a scientific demonstration; which would even lose some of its efficacy if it changed its character; which addresses itself, not to the heart, but to the mind; which seeks, not to persuade, but to convince; which gives, not counsel, but proofs; whose mission is, not to arouse, but to enlighten; and which wins over evil no other victory than that of denying it sustenance—it is easy to understand, I say, that this system of ethics has been accused of being dry and prosaic.

II.2.26

The reproach is true, but unfair. It amounts to saying that political economy does not tell us everything, does not include everything, is not the universal science. But who in the world has ever made so sweeping a claim for it?

II.2.27

The accusation would be justified only if political economy pretended that its procedures gave it exclusive dominion over the entire moral realm, and if it had the presumption to forbid philosophy and religion the use of their own direct methods of working for the improvement of mankind.

II.2.28

Let us welcome, then, the concurrent action of moral philosophy properly so called and political economy—the one stigmatizing the evil deed in our conscience by exposing it in all its hideousness, and the other discrediting it in our judgment by the description of its effects.

II.2.29

Let us even concede that the triumph of the religious moralist, when it occurs, is more noble, more encouraging, and more fundamental. But at the same time it is difficult not to acknowledge that the triumph of economics is more easy to secure and more certain.

II.2.30

In a few lines that are worth more than many ponderous volumes, J. B. Say some time ago observed that there are two possible ways of bringing to an end the dissensions introduced by hypocrisy into a respectable family: to reform Tartuffe or to make Orgon less of a fool.11* Molière, that great depictor of the human heart, seems to have had constantly in mind the second procedure as the more efficacious.

II.2.31

The same is true on the world’s stage.

II.2.32

Tell me what Caesar did, and I shall describe to you the Romans of his day.

II.2.33

Tell me what modern diplomacy accomplishes, and I shall describe for you the moral condition of the nations of the world.

II.2.34

We should not be paying close to two billions in taxes if we did not delegate the power of voting them to those that consume them.

II.2.35

We should not have all the difficulties and all the expenses of the African problem if we were as well convinced that two and two is four in political economy as in arithmetic.12*

II.2.36

M. Guizot would not have had occasion to say: « France is rich enough to pay for its glory, » if France had not been infatuated with false glory.13*

II.2.37

The same statesman would never have said, « Liberty is too precious for France to haggle over its price, » if France really understood that heavy government expenditures and liberty are incompatible.

II.2.38

It is not, as people think, the monopolists, but the monopolized, that sustain the monopolies.

II.2.39

And, in regard to elections, it is not because there are corrupters that people are corruptible, but the reverse; and the proof consists in the fact that the latter pay all the costs of corruption. Is it not, then, their responsibility to bring it to an end?

II.2.40

Let religious ethics soften, if it can, the hearts of the Tartuffes, the Caesars, the colonialists, the sinecurists, the monopolists, etc. The task of political economy is to enlighten their dupes.

II.2.41

Of these two methods, which is the more efficacious in promoting social progress? If this question requires any answer at all, I should say it is the second. Mankind, I fear, cannot escape the necessity of first learning a defensive system of ethics.

II.2.42

In vain have I investigated, read, observed, and inquired: nowhere do I find any abuse, practiced to any considerable extent, that has perished by voluntary renunciation on the part of those who were profiting from it.

II.2.43

I see many, on the contrary, that are yielding to the manly opposition of those who suffer from them.

II.2.44

To describe the consequences of abuses is therefore the most efficacious means of destroying them. And this is true particularly in regard to abuses that, like the system of protectionism, while inflicting real hardships on the masses, prove only an illusion and a disappointment to those who expect to profit from them.

II.2.45

Does this mean that utilitarian ethics will, of itself, bring about all the social improvement that the sympathetic nature of the human soul and of its noblest faculties leads one to hope for and expect? I am far from making such a claim. Let us assume the universal diffusion of this defensive system of ethics, which is, after all, nothing but the acknowledgment that the rightly understood interests of all men are consonant with justice and the general welfare. A society based on such principles, although certainly well regulated, might not be very attractive; for it would be one in which there would no longer be any swindlers only because there would no longer be any dupes; where vice, always latent and, so to speak, enervated by famine, would need only a little sustenance to revive; where prudence on the part of everyone would be enjoined by the vigilance of everyone else; where, in short, reform, although regulating external acts, would not have penetrated beneath the surface to the consciences of men. We sometimes see such a society typified in one of those sticklers for exact justice who are prepared to resist the slightest infringement of their rights and are skillful at warding off encroachments from any quarter. You respect and may, perhaps, even admire him; you would choose him as your deputy, but you would not choose him as your friend.

II.2.46

These two systems of ethics, instead of engaging in mutual recriminations, should be working together to attack evil at each of its poles. While the economists are doing their work—opening the eyes of the credulous, uprooting prejudices, arousing justifiable and necessary mistrust of every type of fraud, studying and describing the true nature of things and actions—let the religious moralist, on his part, perform his more agreeable, but more difficult, task. Let him engage in hand-to-hand combat with iniquity; let him pursue it into the most secret recesses of the human heart; let him depict the delights of beneficence, self-denial, and self-sacrifice; let him tap the springs of virtue where we can but dry up the springs of vice—that is his task. It is a noble and glorious one. But why should he dispute the utility of the one that has devolved upon us?

II.2.47

Would not a society that, without being intrinsically virtuous, was nevertheless well regulated by the action of the economic system of ethics (by which I mean nothing more than knowledge of political economy), offer opportunities for the progress of religious morality?

II.2.48

Habit, it has been said, is a second nature.

II.2.49

A country in which everyone has been long unaccustomed to injustice solely as a result of the resistance of enlightened public opinion might still be a sorry place to live in. But it seems to me that it would at least be ready to receive precepts of a purer and higher order. To have become unaccustomed to doing evil is already to have taken a long stride toward becoming good. Men cannot remain stationary. Turned aside from the path of vice, which would lead only to ignominy, they would feel the attraction of virtue all the more.

II.2.50

Perhaps society must pass through this prosaic stage, in which men practice virtue out of self-interest, so that they may thence rise to the more poetic sphere in which they will no longer have need of such a motive.

Notes for this chapter

10.

[Alfonso X (the Learned), ruler of Castile from 1252 until 1284, a weak king but a man of encyclopedic interests. He is supposed once to have observed, as Bartlett’s Familiar Quotations has it: « Had I been present at the Creation, I would have given some useful hints for the better ordering of the universe. »—TRANSLATOR.]

11.

[In Molière’s comedy, Tartuffe, or the Impostor, Tartuffe is the scheming hypocrite, and Orgon his well-meaning dupe.—TRANSLATOR.]

12.

[The African problem constituted a series of costly military expeditions by the French to conquer Algeria.—TRANSLATOR.]

13.

[François Pierre Guillaume Guizot (1787-1874), French statesman and historian, chief rival of Thiers for political power in the 1840’s. He urged the French people to devote themselves to making money, opposed domestic reforms, and was friendly toward Britain.—TRANSLATOR.]

Second Series, Chapter 3

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Second Series, Chapter 3

The Two Hatchets

Petition of Jacques Bonhomme,14* Carpenter,

to M. Cunin-Gridaine,15* Minister of Commerce

II.3.1

Mr. Manufacturer and Cabinet Minister:

II.3.2

I am a carpenter, as Jesus was; I wield the hatchet and the adze to serve you.

II.3.3

Now, while I was chopping and hewing from dawn to dusk on the states of our lord the king, it occurred to me that my labor is as much a part of our domestic industry as yours.

II.3.4

And ever since, I have been unable to see any reason why protection should not come to the aid of my woodyard as well as your factory.

II.3.5

For after all, if you make cloth, I make roofs. We both, in different ways, shelter our customers from the cold and the rain.

II.3.6

Yet I have to run after my customers, whereas yours run after you. You have found a way of forcing them to do so by preventing them from supplying themselves elsewhere, while my customers are free to turn to whomever they like.

II.3.7

What is so astonishing about this? M. Cunin, the cabinet minister, has not forgotten M. Cunin, the textile manufacturer: that is only natural. But, alas, my humble craft has given no cabinet minister to France, although it did give a God to the world.

II.3.8

And in the immortal code this God bequeathed to man, there is not the slightest expression that could be interpreted as authorizing carpenters to enrich themselves at the expense of others, as you do.

II.3.9

Consider my position, then. I earn thirty sous a day, except Sundays and holidays. If I offer you my services at the same time as a Flemish carpenter offers you his, and if he is prepared to work for a sou less than I, you will prefer him.

II.3.10

But suppose I want to buy myself a suit of clothes? If a Belgian textile manufacturer offers his cloth on the market in competition with yours, you drive both him and his cloth out of the country.

II.3.11

Thus, forced to enter your shop, although it is the more expensive, my poor thirty sous are really worth only twenty-eight.

II.3.12

What am I saying! They are not worth more than twenty-six, for instead of expelling the Belgian manufacturer at your expense (which would be the very least you could do), you make me pay for the people whom, in your interest, you set at his heels.

II.3.13

And since a great number of your fellow legislators, with whom you have a perfect understanding, each takes from me a sou or two—one under the pretext of protecting iron; another, coal; this one, oil; and that one, wheat—I find, when everything is taken into account, that of my thirty sous I have been able to save only fifteen from being plundered.

II.3.14

You will doubtless tell me that these little sous, which pass in this way, without compensation, from my pocket to yours, provide a livelihood for the people around your castle and enable you to live in grand style. May I point out to you in reply that if you left the money in my hands, it would have provided a livelihood for the people around me.

II.3.15

Be that as it may, Mr. Cabinet Minister and Manufacturer, knowing that I should be ill-received, I do not come to you and demand, as I have a full right to do, that you withdraw the restriction you are imposing on your customers; I prefer to follow the prevailing fashion and claim a little protection for myself.

II.3.16

At this point, you will raise a difficulty for me: « My friend, » you will tell me, « I should really like to protect you and others of your craft; but how are we to go about conferring tariff benefits upon the work of carpenters? Are we to forbid the importation of houses by land or by sea? »

II.3.17

This would quite obviously be absurd; but, by dint of much reflection on the matter, I have discovered another means of benefiting the sons of St. Joseph; and you will welcome it all the more readily, I hope, as it in no way differs from the means you employed in maintaining the privilege that you vote for yourself every year.

II.3.18

The wonderful means I have in mind consists in forbidding the use of sharp hatchets in France.

II.3.19

I maintain that this restriction would be no more illogical or more arbitrary than the one to which you subject us in the case of your cloth.

II.3.20

Why do you drive out the Belgians? Because they undersell you. And why do they undersell you? Because they are in some respect superior to you as textile manufacturers.

II.3.21

Between you and a Belgian, consequently, there is exactly the same difference as between a dull hatchet and a sharp hatchet.

II.3.22

And you are forcing me—me, a carpenter—to buy from you the product of a dull hatchet.

II.3.23

Look upon France as a workman who is trying, by his labor, to obtain everything he needs, including cloth.

II.3.24

There are two possible ways of doing this:

II.3.25

The first is to spin and weave the wool himself.

II.3.26

The second is to produce other commodities—for instance, clocks, wallpaper, or wine—and to exchange them with the Belgians for the cloth.

II.3.27

Of these two procedures the one that gives the better result may be represented by the sharp hatchet; the other, by the dull hatchet.

II.3.28

You do not deny that at present, in France, it requires more labor to obtain a piece of cloth directly from our looms (the dull hatchet) than indirectly by way of our vines (the sharp hatchet). You are so far from denying this that it is precisely because of this additional toil (which, according to you, is what wealth consists in) that you request, nay more, you impose, the use of the poorer of the two hatchets.

II.3.29

Now, at least be consistent; be impartial; and if you mean to be just, give us poor carpenters the same treatment you give yourself.

II.3.30

Enact a law to this effect:

II.3.31

« No one shall use beams or joists save those produced by dull hatchets. »

II.3.32

Consider what the immediate consequences will be.

II.3.33

Where we now strike a hundred blows with the hatchet, we shall then strike three hundred. What we now do in one hour will take three hours. What a mighty stimulus to employment! Apprentices, journeymen, and masters, there will no longer be enough of us. We shall be in demand, and therefore well paid. Whoever wants to have a roof made will be henceforth obliged to accept our demands, just as whoever wants cloth today is obliged to submit to yours.

II.3.34

And if the free-trade theorists ever dare to call into question the utility of this measure, we shall know perfectly well where to find a crushing retort. It is in your parliamentary report of 1834. We shall beat them over the head with it, for in it you have made a wonderful plea on behalf of protectionism and of dull hatchets, which are simply two names for one and the same thing.

Notes for this chapter

14.

[The nickname for French peasants as a class.—TRANSLATOR.]

15.

[Laurent Cunin-Gridaine (1778-1859), a textile manufacturer, Deputy, Minister of Commerce, and extreme advocate of protectionist policies.—TRANSLATOR.]

Second Series, Chapter 4

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Second Series, Chapter 4

Subordinate Labor Council

II.4.1

« What! You have the effrontery to demand for all citizens the right to buy, sell, barter, and exchange, to render and receive service for service, and settle on the price among themselves, on the sole condition that they carry on these transactions honestly and pay their taxes? What are you trying to do—deprive workingmen of their jobs, their wages, and their bread? »

II.4.2

This is what people say to us. I know what to think of it myself, but I wanted to know what the workers themselves think of it.

II.4.3

I had at hand an excellent instrument of inquiry.

II.4.4

It was not one of those supreme industrial councils, where big landlords who call themselves farmers, influential shipowners who think of themselves as sailors, and wealthy stockholders who pretend to be laborers, practice their well-known form of humanitarianism.

II.4.5

No; it was bona fide workingmen, real workingmen, as they say today—joiners, carpenters, masons, tailors, shoemakers, dyers, blacksmiths, innkeepers, grocers, etc., etc.—who in my village have established a mutual-aid society.

II.4.6

I transformed it, by my own personal authority, into a subordinate labor council, and I obtained from it a report that is worth quite as much as any other, though it is not crammed with figures and inflated to the dimensions of a quarto volume printed at government expense.

II.4.7

My aim was to interrogate these good people in regard to the way in which they are, or think they are, affected by the policy of protectionism. The president pointed out to me that this would violate to some extent the principles on which the association was founded. For, in France, in this land of freedom, people who associate give up their right to discuss politics—that is, to take counsel together concerning their common interests. However, after a great deal of hesitation, he agreed to put the question on the agenda.

II.4.8

The council was divided into as many committees as there were groups representing different trades. Each was given a form to be filled out after fifteen days of discussion.

II.4.9

On the designated day, the venerable president took the chair (we are adopting the official style, for in fact it was nothing more than an ordinary kitchen chair), and took from the table (official style again, for it was a table of poplar wood) about fifteen reports, which he read one after another.

II.4.10

The first one submitted was that of the tailors. Here is an exact and authentic copy of its text:

EFFECTS OF PROTECTION—REPORT OF THE TAILORS

Disadvantages

Advantages

1. As a result of the policy of protectionism, we are paying more for bread, meat, sugar, wood, needles, thread, etc., which is equivalent in our case to a considerable loss of income. None.*

2. As a result of the policy of protectionism, our customers also pay more for everything, which leaves them less to spend on clothing. This means less business for us, and therefore smaller profits.

3. As a result of the policy of protectionism, cloth is expensive, so that people put off buying clothes for a longer time and make do with what they have. This again means less business for us and compels us to offer our services at a lower price. * In spite of all our efforts, we found it impossible to discover any respect whatsoever in which the policy of protectionism is of advantage to our business.

II.4.11

Here is another report:

EFFECTS OF PROTECTION—REPORT OF THE BLACKSMITHS

Disadvantages

Advantages

1. Every time we eat, drink, heat our homes, and buy clothing, the policy of protectionism imposes on us a tax that never reaches the treasury. None.

2. It imposes a similar tax on all our fellow citizens who are not blacksmiths; and since they have that much less money, most of them use wooden pegs for nails and a piece of string for a latch, which deprives us of employment.

3. It keeps iron at such a high price that it is not used on farms for plows, gates, or balconies; and our craft, which could provide employment for so many people who need it, does not provide us even with enough for ourselves.

4. The revenue that the tax collector fails to realize from duties on foreign goods that are not imported into the country is added to the tax we pay on salt and postage.

II.4.12

As the same refrain recurs in all the other reports, I spare the reader their perusal. Gardeners, carpenters, shoemakers, clogmakers, boatmen, millers—all gave vent to the same grievances.

II.4.13

I regret that there were no farmers in our association. Their report would certainly have been very instructive.

II.4.14

But alas, in our section—the Landes16*—the poor farmers, well protected though they are, do not have a sou, and after they have insured their livestock, they themselves lack the means of joining a mutual-aid society. The alleged benefits of protection do not prevent them from being the pariahs of our social order. What shall I say of the vineyardists?

II.4.15

What I find particularly noteworthy is the good sense which our villagers showed in perceiving not only the direct injury that the policy of protectionism inflicts on them, but also the indirect injury that, after first affecting their customers, rebounds upon them.

II.4.16

This, I said to myself, is what the economists of the Moniteur industriel apparently do not understand.

II.4.17

And perhaps those—the farmers in particular—whose eyes are dazzled by a little protection would be willing to give it up if they could see this side of the question.

II.4.18

Perhaps they would say to themselves: « It is better to support oneself by one’s own efforts and have customers who are well off than to be protected and have customers who are impoverished. »

II.4.19

For to seek to enrich each industry in turn by creating a void around one after another is as futile an endeavor as trying to leap over one’s own shadow.

Notes for this chapter

16.

[A department in southwestern France.—TRANSLATOR.]

Second Series, Chapter 5

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Second Series, Chapter 5

High Prices and Low Prices17*

II.5.1

I feel it my duty to present to the reader certain—alas, theoretical—comments on the illusions to which the expressions high prices and low prices give rise. At first glance, I know, people may be inclined to consider these comments a little abstruse; but the question is, not whether they are abstruse, but whether they are true. Now, I believe that they are not only perfectly true but particularly well suited to raise some doubts in the minds of those—by no means few in number—who have a sincere faith in the efficacy of protectionism.

II.5.2

Whether we are advocates of free trade or proponents of restrictive measures, we are all obliged to make use of the expressions high prices and low prices. The former proclaim themselves in favor of low prices, with a view to the interests of the consumer; the latter declare themselves in favor of high prices, having regard for the interests of the producer. Others take a middle position and say: « The producer and the consumer are one and the same person »; thereby leaving it quite undecided whether the law should aim at high prices or at low.

II.5.3

Faced with this conflict, the law, it would seem, has only one alternative, and that is to permit price to be arrived at naturally. But then one has to meet the objections of the implacable enemies of laissez faire. They absolutely insist that the law intervene, even without knowing in what direction. Yet it is incumbent upon those who want to use the law for the purpose of creating artificially high or unnaturally low prices to explain the grounds of their preference. The burden of proof rests exclusively upon them. Hence, it follows that free trade is always to be deemed good until the contrary is proved, for free trade consists in allowing prices to be arrived at naturally.

II.5.4

But the roles have been reversed. The advocates of high prices have succeeded in making their system prevail, and it is incumbent upon the proponents of natural prices to prove the superiority of theirs. On both sides the argument turns on the meaning of two expressions, and it is therefore essential to ascertain just what these two expressions really mean.

II.5.5

But first we must call attention to a series of events that may well disconcert the champions of both camps.

II.5.6

In order to raise prices, the restrictionists have obtained protective tariffs; and, much to their surprise and disappointment, prices have fallen.

II.5.7

In order to reduce prices, the freetraders have sometimes succeeded in securing the adoption of their program, and, to their great astonishment, what followed was a rise in prices.

II.5.8

For example, in France, in order to favor agriculture, a duty of twenty-two per cent was imposed on foreign wool; and yet domestic wool has been selling at a lower price after the law than it did before.

II.5.9

In England, for the relief of the consumer, the duty on wool was reduced and finally removed entirely; and yet the price of English wool is higher than ever before.

II.5.10

And these are not isolated cases, for there is nothing unique about the price of wool that exempts it from the general law governing all prices. The same result is produced whenever the circumstances are analogous. Contrary to every expectation, a protective tariff has more often brought about a fall, and competition more often a rise, in commodity prices.

II.5.11

Then the debate reached the height of confusion with the protectionists saying to their adversaries: « It is our system that brings about these low prices of which you boast so much, » and the latter replying: « It is free trade that brings about those high prices that you find so advantageous. »18*

II.5.12

Would it not be amusing to see low prices in this way become the password in the rue Hauteville, and high prices in the rue Choiseul?19*

II.5.13

Evidently there is in all this a misunderstanding, an illusion, that needs to be dispelled, and this is what I shall now attempt to do.

II.5.14

Imagine two isolated nations, each containing a million inhabitants. Suppose that, other things being equal, one of them has twice as much of everything—wheat, meat, iron, furniture, fuel, books, clothing, etc.—as the other. Evidently, then, one is twice as rich as the other.

II.5.15

However, there is no reason to assert that money prices will differ in these two countries. They may even be higher in the richer country. It may be that in the United States everything is nominally more expensive than in Poland, and that the American people are nevertheless better provided in all respects; whence we see that what constitutes wealth is, not the money prices of goods, but their abundance. Hence, when we wish to compare protectionism and free trade, we should not ask which of the two produces low prices and which produces high prices, but which leads to abundance and which leads to scarcity.

II.5.16

For it should be noted that, when products are exchanged, a relative scarcity of everything and a relative abundance of everything leave the money prices of things at exactly the same point, but not the relative condition of the inhabitants of the two countries.

II.5.17

Let us enter a little more deeply into this subject.

II.5.18

When tariff increases and reductions are found to produce effects directly contrary to those expected of them—a fall in prices often following a higher duty, and a rise in prices sometimes accompanying the removal of a duty—it becomes the obligation of political economy to seek an explanation of phenomena that controvert all our accepted ideas; for needless to say, science—if it is to be worthy of the name—is but the faithful description and correct explanation of events.

II.5.19

Now, the one that we are examining here can be quite satisfactorily accounted for by a circumstance that must never be lost sight of, namely, that high prices have two causes, and not just one.

II.5.20

The same is true of low prices.20*

II.5.21

One of the best-established principles of political economy is that prices are determined by the relation between supply and demand.

II.5.22

There are, then, two factors that influence prices: supply and demand. These factors are inherently variable. They can work together in the same direction, or they can work in opposite directions, and in infinitely varied proportions in either case. Hence, prices are the resultant of an inexhaustible number of combinations of these two factors.

II.5.23

Prices may rise, either because the supply diminishes or because the demand increases.

II.5.24

They may fall, either because the supply increases or because the demand diminishes.

II.5.25

Hence, there are two types of high prices and two types of low prices.

II.5.26

High prices of the bad type are the results of diminution in the supply, for this implies scarcity and therefore privation (such as was experienced this year in regard to wheat); high prices of the good type result from an increase in demand, for this presupposes a rise in the general level of prosperity.

II.5.27

In the same way, low prices are desirable when they have their source in abundance, and are lamentable when they are caused by a cessation in demand resulting from the poverty of the consumer.

II.5.28

Now, please observe that a policy of protectionism tends to produce, at the same time, both the bad type of high prices and the bad type of low prices: the bad type of high prices, in that it diminishes the supply of goods—which, indeed, is its avowed purpose; and the bad type of low prices, in that it also reduces demand, since it encourages unwise investment of both capital and labor, and burdens the consumer with taxes and restrictions.

II.5.29

Hence, so far as prices are concerned, these two tendencies neutralize each other; and that is why this system, which restricts demand at the same time as supply, does not in the long run result even in the high prices that are its object.

II.5.30

But, so far as the condition of the population is concerned, these two tendencies do not neutralize each other; on the contrary, they co-operate in making it worse.

II.5.31

The effect of free trade is precisely the opposite. In its general consequences, it may likewise fail to result in the low prices it was intended to produce; for it, too, has two tendencies, the one toward a desirable reduction in prices effected by an increase in the supply, i.e., by way of abundance, and the other toward an appreciable rise in prices resulting from an increase in demand, i.e., in general wealth. These two tendencies neutralize each other in regard to money prices; but they co-operate in improving the well-being of the population.

II.5.32

In short, in so far as a policy of protectionism is put into effect, men retrogress toward a state of affairs in which both supply and demand are enfeebled; under a system of free trade, they advance toward a state of affairs in which both supply and demand increase together without necessarily affecting money prices. Such prices are not a good criterion of wealth. They may very easily remain the same, whether society sinks into the most abject poverty or advances to a high level of prosperity.

II.5.33

The following remarks may serve to illustrate this point briefly.

II.5.34

A farmer in the south of France thinks he has the treasures of Peru in his hand because he is protected by tariffs from foreign competition. It makes no difference that he is as poor as Job; he nonetheless believes that sooner or later the policy of protectionism will make him rich. In these circumstances, if the question is put to him, in the terms in which it was framed by the Odier Committee: « Do you want to be subject to foreign competition—yes or no? » his first reaction is to answer, « No, » and the Odier Committee21* proudly gives wide publicity to his answer.

II.5.35

However, one must probe a little more deeply into the matter. Unquestionably, foreign competition—and indeed, competition in general—is always irksome; and if one branch of industry alone could get rid of it, business in that branch would for some time be very profitable.

II.5.36

But protection is not an isolated privilege; it is a system. If it tends to create, to the profit of the farmer, a scarcity of grain and of meat, it tends also to create, to the profit of other producers, a scarcity of iron, of cloth, of fuel, of tools, etc. that is, a scarcity of everything.

II.5.37

Now, if the scarcity of wheat tends to raise its price on account of the diminution in the supply, the scarcity of all the other commodities for which wheat is exchanged tends to lower the price of wheat on account of the diminution in demand; so that it is by no means certain that in the long run the price of wheat will be one centime higher than under a system of free trade. All that is certain is that, since there is less of everything in the country, everyone will be less well provided in every respect.

II.5.38

The farmer really ought to ask himself whether it would not be better for him if a certain quantity of wheat and livestock were imported from abroad, so long as, on the other hand, he was surrounded by a well-to-do population, able to consume and pay for all sorts of agricultural products.

II.5.39

Suppose there were a department in France in which the inhabitants were clothed in rags, dwelt in hovels, and lived on chestnuts. How could you expect agriculture to flourish there? What could you make the earth produce with any reasonable hope of fair return? Meat? It would form no part of their diet. Milk? They would have to be content to drink water. Butter? For them it would be a luxury. Wool? They would use as little of it as possible. Is it to be supposed that all these consumers’ goods could be thus forgone by the masses without exerting a downward pressure on prices concomitantly with the upward pressure exerted by protectionism?

II.5.40

What we have said of the farmer is just as true of the manufacturer. Textile manufacturers assert that foreign competition will lower prices by increasing the supply. Granted; but will not these prices rise again as a result of an increase in demand? Is the consumption of cloth a fixed, invariable quantity? Does everyone have as much of it as he could and should have? And if the general level of prosperity was raised by the abolition of all these taxes and restrictions, would not the first use that people would make of the money be to clothe themselves better?

II.5.41

The problem—the eternal problem—then, is not whether protectionism favors this or that particular branch of industry; but whether, all things considered, restriction is, by its very nature, more productive than free trade.

II.5.42

Now, no one ventures to maintain this. Otherwise people would not always be granting that we are « right in principle. »

II.5.43

If this is the case, if restriction is advantageous to each particular branch of industry only by impairing the general well-being to an even greater extent, we must conclude that money prices in themselves express a relation between each particular branch of industry and industry in general, between supply and demand, and, accordingly, that a remunerative price, which is the object of protectionism, far from being realized by such a policy, is actually rendered impossible by it.22*

Addendum

II.5.44

The article that we published under the title, « High Prices and Low Prices, » has brought us the following two letters, which we present here, together with our replies:

II.5.45

Dear Editor:

You are upsetting all my ideas. I used to be a staunch champion of free trade and found it very persuasive to use low prices as an argument. Everywhere I went, I used to say: « Under a system of free trade, bread, meat, wool, linen, iron, and fuel are going to be cheaper. » This displeased those who sold these commodities, but pleased those who bought them. Now you are raising doubts about whether free trade will, in fact, result in low prices. If not, of what use is it? What will people gain by it, if foreign competition, which can injure them in their sales, brings them no advantage in their purchases?

II.5.46

Dear Freetrader:

II.5.47

Allow us to inform you that you only half read the article that inspired your letter. We said that free trade acts in the same way as roads, canals, railways, and everything else that facilitates communication by removing obstacles. Its first tendency is to increase the supply of the duty-free commodity, and consequently to lower its price. But, by increasing at the same time the supply of everything else for which this commodity may be exchanged, it concomitantly increases the demand for it, and its price accordingly goes up. You ask how people will gain by free trade. Suppose you have a balance consisting of several scales, in each of which there are a certain number of the items that you have enumerated. If you add a little wheat to one scale, it will tend to tip the balance; but if you add a little cloth, a little iron, and a little fuel to the other scales, the equilibrium will be restored. So far as the beam is concerned, nothing has changed. But so far as the people are concerned, they are evidently better fed, better clothed, and better housed.

II.5.48

Dear Editor:

I am a textile manufacturer and a protectionist. I confess that your article on « High Prices and Low Prices » is causing me to reconsider my position. It has a certain plausibility about it that would require only a conclusive proof to bring about a conversion.

II.5.49

Dear Protectionist:

II.5.50

We say that the object of your restrictive measures is something evil, namely, artificially high prices. But we do not say that they always realize the hopes of those who support them. It is certain that they inflict on the consumer all the evil consequences of high prices. But it is not certain that they invariably confer any of the expected benefits on the producer. Why? Because while they diminish the supply, they also diminish the demand.

II.5.51

This proves that in the economic arrangement of this world there is a moral force, a healing power, that makes unjust ambition ultimately meet with disappointment.

II.5.52

Be good enough to observe, sir, that one of the factors making for the prosperity of each individual branch of industry is the general wealth of the community. The price of a house depends not only on its original cost but also on the number and economic status of the occupants. Do two houses that are exactly similar necessarily have the same price? Certainly not, if one is situated in Paris and the other in Lower Brittany. One should never speak of price without taking all the relevant circumstances into consideration, and one should recognize quite clearly that no undertaking is more futile than that of trying to base the prosperity of the parts on the ruination of the whole. And yet this is what the policy of protectionism seeks to do.

II.5.53

Competition always has been and always will be troublesome to those who have to meet it. That is why men have always and everywhere struggled to rid themselves of it. We (and perhaps you, too) are acquainted with a municipal council in which the resident merchants wage violent war on nonresident merchants. Their projectiles are their exactions for local permits to stall animals, for licenses to set up stands for the sale of goods, for bridge-tolls, etc., etc.

II.5.54

Now, consider what would have become of Paris if this war had been waged successfully there.

II.5.55

Suppose that the first shoemaker who established himself there had succeeded in keeping out all others; that the first tailor, the first mason, the first printer, the first watchmaker, the first hairdresser, the first doctor, and the first baker had all likewise been successful in maintaining a monopoly on their services. Paris today would still be a village of from 1,200 to 1,500 inhabitants. Instead, the market has been open to everyone (save those whom you still debar), and this is precisely what has made it the great metropolis it is today. For the enemies of competition it has meant only a long series of vexations; but it has made Paris a city of a million inhabitants. No doubt it has raised the general level of prosperity; but has it been detrimental to the individual prosperity of the shoemakers and the tailors? That is the essential question you have to ask yourself. As competitors arrived, you would have said, « The price of shoes is going to fall. » But has it fallen? No; for if the supply has increased, the demand has increased as well.

II.5.56

The same will be true of cloth, sir; let it be imported duty-free. You will have more competitors, it is true; but you will also have more customers, and what is more, they will be richer. Has this never occurred to you on seeing nine-tenths of your fellow countrymen in the winter obliged to do without that cloth which you weave so well?

II.5.57

If you wish to prosper, let your customer prosper. This is a lesson it has taken you a very long time to learn.

II.5.58

When people have learned this lesson, everyone will seek his individual welfare in the general welfare. Then jealousies between man and man, city and city, province and province, nation and nation, will no longer trouble the world.

Notes for this chapter

17.

[This chapter first appeared as an article in Le Libre échange, issue of July 25, 1847.—EDITOR.]

18.

Recently M. Duchâtel,* who had formerly advocated free trade, with a view to low prices, stated in the Chamber, « It would not be difficult for me to prove that protectionism results in low prices. »

* [Charles Jacques Marie Tanneguy, Comte de Duchâtel (1803-1867), author of Considérations d’économie politique sur la bienfaisance (1836). He collaborated with Pierre Leroux and others in editing Le Globe, a political and literary review, served as a cabinet minister under the July monarchy, and was one of the promoters of the tariff reform of 1834.—TRANSLATOR.]

19.

[Bastiat himself lived for some time in the rue Choiseul, while the Odier Committee (see infra, p. 167) was established in the rue Hauteville.—TRANSLATOR.]

20.

[The author, in the speech he gave on September 29, 1846, at Montesquieu Hall, provided a striking illustration demonstrating this very principle. Cf. this speech in Vol. II (of the French edition).—EDITOR.]

21.

[The Committee for the Defense of Domestic Industry, a protectionist organization of which Antoine Odier (1766-1853), President of the Chamber of Commerce of Paris, a Deputy, and later a Peer of France, was one of the leaders.—TRANSLATOR.]

22.

[In Le Libre échange of August 1, 1847, the author presented an exposition of this topic that we deem worthy of reprinting here.—EDITOR.]


Présidentielles 2012: Bastiat-Sarkozy, même combat? (The battle of independent-minded men against the French nanny-state mentality didn’t start with Sarkozy)

20 avril, 2012
Sans doute vous m’appliquerez ce proverbe: Médecin, guéris-toi toi-même; et vous me direz: Fais ici, dans ta patrie, tout ce que nous avons appris que tu as fait à Capernaüm. Mais je vous le dis en vérité, aucun prophète n’est bien reçu dans sa patrie. Jésus (Luc 4:23-24)
Il y a plus de larmes versées sur les prières exaucées que sur celles qui ne le sont pas. Thérèse d’Avila
Au XIXe siècle, faut-il le rappeler, les libéraux étaient à gauche: ils défendaient le libre-échange contre les conservateurs, de droite.(…) Le “constructivisme” marxiste ou fasciste et, dans une moindre mesure, l’étatisme contemporain cherchent tous à changer l’homme, le libéralisme cherche au contraire à le respecter. La France poursuit la construction d’une “société de contrôle”, toujours plus soumise à la réglementation et toujours plus méfiante à l’égard de la responsabilité personnelle. Il est temps d’en prendre le contre-pied en bâtissant une “société de confiance” qui ne peut être qu’une “société de responsabilité”. (…)Notre pays est devenu une “Grande Nurserie” peuplée de citoyens de plus en plus infantilisés, croyant dur comme fer que l’Etat peut tout et n’hésitant pas à transférer une part de plus en plus grande de leurs pouvoirs et de leur liberté à la divine providence publique. Mathieu Laine
Me voilà discrédité à tout jamais; et il est maintenant reçu que je suis un homme sans cœur et sans entrailles, un philosophe sec, un individualiste, un bourgeois, et, pour tout dire en un mot, un économiste de l’école anglaise ou américaine. Frédéric Bastiat
Et cette grande chimère, nous l’avons placée, pour l’édification du peuple, au frontispice de la Constitution. Voici les premiers mots du préambule: « La France s’est constituée en République pour… appeler tous les citoyens à un degré toujours plus élevé de moralité, de lumière et de bien-être. »  Ainsi, c’est la France ou l’abstraction, qui appelle les Français ou les réalités à la moralité, au bien-être, etc. N’est-ce pas abonder dans le sens de cette bizarre illusion qui nous porte à tout attendre d’une autre énergie que la nôtre? N’est-ce pas donner à entendre qu’il y a, à côté et en dehors des Français, un être vertueux, éclairé, riche, qui peut et doit verser sur eux ses bienfaits? N’est-ce pas supposer, et certes bien gratuitement, qu’il y a entre la France et les Français, entre la simple dénomination abrégée, abstraite, de toutes les individualités et ces individualités mêmes, des rapports de père à fils, de tuteur à pupille, de professeur à écolier?(…) Les Américains se faisaient une autre idée des relations des citoyens avec l’État, quand ils placèrent en tête de leur Constitution ces simples paroles: « Nous, le peuple des États-Unis, pour former une union plus parfaite, établir la justice, assurer la tranquillité intérieure, pourvoir à la défense commune, accroître le bien-être général et assurer les bienfaits de la liberté à nous-mêmes et à notre postérité, décrétons, etc. » Ici point de création chimérique, point d’abstraction à laquelle les citoyens demandent tout. Ils n’attendent rien que d’eux-mêmes et de leur propre énergie. Si je me suis permis de critiquer les premières paroles de notre Constitution, c’est qu’il ne s’agit pas, comme on pourrait le croire, d’une pure subtilité métaphysique. Je prétends que cette personnification de l’État a été dans le passé et sera dans l’avenir une source féconde de calamités et de révolutions. Bastiat
Dans la sphère économique, un acte, une habitude, une institution, une loi n’engendrent pas seulement un effet, mais une série d’effets. De ces effets, le premier seul est immédiat; il se manifeste simultanément avec sa cause, on le voit. Les autres ne se déroulent que successivement, on ne les voit pas; heureux si on les prévoit. Entre un mauvais et un bon Économiste, voici toute la différence: l’un s’en tient à l’effet visible; l’autre tient compte et de l’effet qu’on voit et de ceux qu’il faut prévoir. Mais cette différence est énorme, car il arrive presque toujours que, lorsque la conséquence immédiate est favorable, les conséquences ultérieures sont funestes, et vice versa. — D’où il suit que le mauvais Économiste poursuit un petit bien actuel qui sera suivi d’un grand mal à venir, tandis que le vrai économiste poursuit un grand bien à venir, au risque d’une petit mal actuel. Du reste, il en est ainsi en hygiène, en morale. Souvent, plus le premier fruit d’une habitude est doux, plus les autres sont amers. Témoin: la débauche, la paresse, la prodigalité. Lors donc qu’un homme, frappé de l’effet qu’on voit, n’a pas encore appris à discerner ceux qu’on ne voit pas, il s’abandonne à des habitudes funestes, non-seulement par penchant, mais par calcul. Ceci explique l’évolution fatalement douloureuse de l’humanité. L’ignorance entoure son berceau; donc elle se détermine dans ses actes par leurs premières conséquences, les seules, à son origine, qu’elle puisse voir. Ce n’est qu’à la longue qu’elle apprend à tenir compte des autres. Deux maîtres, bien divers, lui enseignent cette leçon: l’Expérience et la Prévoyance. L’expérience régente efficacement mais brutalement. Elle nous instruit de tous les effets d’un acte en nous les faisant ressentir, et nous ne pouvons manquer de finir par savoir que le feu brûle, à force de nous brûler. À ce rude docteur, j’en voudrais, autant que possible, substituer un plus doux: la Prévoyance. C’est pourquoi je rechercherai les conséquences de quelques phénomènes économiques, opposant à celles qu’on voit celles qu’on ne voit pas. Bastiat
Je ne désire pas pour mon pays autant le free-trade que l’esprit du free-trade. Le free-trade, c’est un peu plus de richesse ; l’esprit du free-trade, c’est la réforme de l’intelligence même, c’est-à-dire la source de toutes les réformes. Frédéric Bastiat (Lettre à Cobden, le 20 mars 1847)
Malheureusement, pour qu’un livre surnage et soit lu, il doit être à la fois court, clair, précis et empreint de sentiments autant que d’idées. C’est vous dire qu’il ne doit pas contenir un mot qui ne soit pesé. Il doit se former goutte à goutte comme le cristal, et, comme lui encore, dans le silence et l’obscurité Bastiat (Lettre à Cobden, le 18 août 1848)
Le public est ainsi fait qu’il se défie autant de ce qui est simple qu’il se lasse de ce qui ne l’est pas. Bastiat
Qu’une association se forme en France; qu’elle entreprenne d’affranchir le commerce et l’industrie de tout monopole ; qu’elle se dévoue au triomphe du principe, et vous pouvez compter sur moi. De la parole, de la plume, de la bourse, Je suis à elle. S’il faut subir des poursuites judiciaires, essuyer des persécutions, braver le ridicule, je suis à elle. Quelque rôle qu’on m’y donne, quelque rang qu’on m’y assigne, sur les hustings ou dans le cabinet, je suis à elle.  Bastiat (Lettre à M. Alcide Fonteyraud, le 20 décembre 1845)
La cause que nous servons ne se renferme pas dans les limites d’une nation. Elle est universelle et ne trouvera sa solution que dans l’adhésion de tous les peuples. (…) Les difficultés s’accumulent autour de nous ; nous n’avons pas pour adversaires seulement des intérêts. L’ignorance publique se révèle maintenant dans toute sa triste étendue. En outre, les partis ont besoin de nous abattre. (…) Tous aspirent au même but : la Tyrannie. Ils ne diffèrent que sur la question de savoir en quelles mains l’arbitraire sera déposé. Aussi, ce qu’ils redoutent le plus, c’est l’esprit de la vraie liberté. (…) Ce qui m’afflige surtout, moi qui porte au cœur le sentiment démocratique dans toute son universalité, c’est de voir la démocratie française en tête de l’opposition à la liberté du commerce. Bastiat (Lettre à Cobden, 9 novembre 1847)
De grands obstacles nous viennent aussi de votre côté de la Manche. Mon cher Cobden, il faut que je vous parle en toute franchise. En adoptant le Libre-Echange, l’Angleterre n’a pas adopté la politique qui dérive logiquement du Libre-Échange. Le fera-t-elle ? Je n’en doute pas ; mais quand ? (…) On dit souvent qu’il ne faut pas confondre les nations avec leurs gouvernements. Il y a du vrai et du faux dans cette maxime ; et j’ose dire qu’elle est fausse à l’égard des peuples qui ont des moyens constitutionnels de faire prévaloir l’opinion. Considérez que la France n’a pas d’instruction économique. Lors donc qu’elle lit l’histoire, lorsqu’elle y voit les envahissements successifs de l’Angleterre, quand elle étudie les moyens diplomatiques qui ont amené ces envahissements, quand elle voit un système séculaire suivi avec persévérance, soit que les wighs ou les torys tiennent le timon de l’État, quand elle lit dans vos journaux qu’en ce moment l’Angleterre a 34,000 marins à bord des vaisseaux de guerre, comment voulez-vous qu’elle se fie, pour un changement dans votre politique, à la force d’un principe que d’ailleurs elle ne comprend pas ?  Bastiat (Lettre à Cobden, 15 octobre 1847)
Mon ami, l’ignorance et l’indifférence dans ce pays, en matière d’économie politique, dépassent tout ce que j’aurais pu me figurer. Ce n’est pas une raison pour se décourager, au contraire, c’en est une pour nous donner le sentiment de l’utilité, de l’urgence même de nos efforts. Mais je comprends aujourd’hui une chose : c’est que la liberté commerciale est un résultat trop éloigné pour nous. Heureux si nous pouvons déblayer la route de quelques obstacles. — Le plus grand n’est pas le parti protectionniste, mais le socialisme avec ses nombreuses ramifications. — S’il n’y avait que les monopoleurs, ils ne résisteraient pas à la discussion. — Mais le socialisme leur vient en aide. Celui-ci admet la liberté en principe et renvoie l’exécution après l’époque où le monde sera constitué sur le plan de Fourier ou tout autre inventeur de société. — Et, chose singulière, pour prouver que jusque-là la liberté sera nuisible, ils reprennent tous les arguments des monopoleurs : balance du commerce, exportation du numéraire, supériorité de l’Angleterre, etc., etc. D’après cela, vous me direz que combattre les monopoleurs, c’est combattre les socialistes. — Non. — Les socialistes ont une théorie sur la nature oppressive du capital, par laquelle ils expliquent l’inégalité des conditions, et toutes les souffrances des classes pauvres. Ils parlent aux passions, aux sentiments, et même aux meilleurs instincts des hommes. Ils séduisent la jeunesse, montrant le mal et affirmant qu’ils possèdent le remède. Ce remède consiste en une organisation sociale artificielle de leur invention, qui rendra tous les hommes heureux et égaux, sans qu’ils aient besoin de lumières et de vertus. — Encore si tous les socialistes étaient d’accord sur ce plan d’organisation, on pourrait espérer de le ruiner dans les intelligences. Mais vous comprenez que, dans cet ordre d’idées, et du moment qu’il s’agit de pétrir une société, chacun fait la sienne, et tous les matins nous sommes assaillis par des inventions nouvelles. Nous avons donc à combattre une hydre à qui il repousse dix têtes quand nous lui en coupons une. Le malheur est que cette méthode a un puissant attrait pour la  (jeunesse. On lui montre des souffrances ; et par là on commence par toucher son cœur. Ensuite on lui dit que tout peut se guérir, au moyen de quelques combinaisons artificielles ; et par là on met son imagination en campagne. Bastiat (Lettre à Cobden, 5 juillet 1847)
On nous accuse, dans le parti démocratique et socialiste, d’être voués au culte des intérêts matériels et de tout ramener à des questions de richesses. J’avoue que lorsqu’il s’agit des masses, je n’ai pas ce dédain stoïque pour la richesse. Ce mot ne veut pas dire quelques écus de plus ; il signifie du pain pour ceux qui ont faim, des vêtements pour ceux qui ont froid, de l’éducation, de l’indépendance, de la dignité. — Mais, après tout, si le résultat du libre-échange devait être uniquement d’accroître la richesse publique, je ne m’en occuperais pas plus que de toute autre question agricole ou industrielle. Ce que je vois surtout dans notre agitation, c’est l’occasion de combattre quelques préjugés et de faire pénétrer dans le public quelques idées justes. C’est là un bien indirect cent fois supérieur aux avantages directs de la liberté commerciale (…) Si la liberté était proclamée demain, le public resterait dans l’ornière où il est sous tous les autres rapports ; mais, au début, je suis obligé de ne toucher qu’avec un extrême ménagement à ces idées accessoires, afin de ne pas heurter nos propres collègues. Aussi je consacre mes efforts à élucider le problème économique. Ce sera le point de départ de vues plus élevées. Bastiat (Lettre à Cobden, le 20 avril 1847)
La révolution de février a été certainement plus héroïque que celle de juillet ; rien d’admirable comme le courage, l’ordre, le calme, la modération de la population parisienne. Mais quelles en seront les suites ? Depuis dix ans, de fausses doctrines, fort en vogue, nourrissent les classes laborieuses d’absurdes illusions. Elles sont maintenant convaincues que l’État est obligé de donner du pain, du travail, de l’instruction à tout le monde. Le gouvernement provisoire en a fait la promesse solennelle ; il sera donc forcé de renforcer tous les impôts pour essayer de tenir cette promesse, et, malgré cela, il ne la tiendra pas. Je n’ai pas besoin de te dire l’avenir que cela nous prépare. (…) Il est évident que toutes ces promesses aboutiront à ruiner la province pour satisfaire la population de Paris ; car le gouvernement n’entreprendra jamais de nourrir tous les métayers, ouvriers et artisans des départements, et surtout des campagnes. (…) Pauvre peuple ! que de déceptions on lui a préparées ! Il était si simple et si juste de le soulager par la diminution des taxes ; on veut le faire par la profusion, et il ne voit pas que tout le mécanisme consiste à lui prendre dix pour lui donner huit, sans compter la liberté réelle qui succombera à l’opération (…) Comment, comment lutter contre une école qui a la force en main et qui promet le bonheur parfait à tout le monde ? Ami, si l’on me disait : Tu vas faire prévaloir ton idée aujourd’hui, et demain tu mourras dans l’obscurité, j’accepterais de suite ; mais lutter sans chance, sans être même écouté, quelle rude tâche ! Adieu, les élections sont prochaines, nous nous verrons alors ; en attendant, dis-moi si tu remarques quelques bonnes dispositions en ma faveur. Bastiat (Lettre à M. Félix Coudroy, 29 février 1848)
Il faisait bien sombre hier… Ce soir, il y a de la lumière… Françaises, Français, aidez-moi ! Charles de Gaulle (le 27 juin 1958)
Françaises, Français, vous voyez où risque d’aller la France, par rapport à ce qu’elle était en train de devenir. Françaises, Français ! Aidez-moi ! De Gaulle (après le putsch d’Alger, le 22 avril 1961)
Aidez-moi, Nous avons deux mois. Deux mois pour bâtir la plus formidable aventure. Deux mois pour tout renverser. Nicolas Sarkozy (Villepinte, 11.03.12)
Aidez-moi à donner un avenir à nos enfants. Aidez-moi à faire triompher la vérité sur le mensonge, l’excellence contre la facilité.  Sarkozy (Montpellier, le 28 février 2012)
Certains m’appellent l’Américain. J’en suis fier … Je partage beaucoup de valeurs américaines. Nicolas Sarkozy (Congrès juif mondial, 24/6/04)
Le libéralisme, ce serait aussi désastreux que le communisme. Jacques Chirac (Le Figaro, 16 mars 2005)
Nous n’avons pas besoin à la tête de l’Etat de quelqu’un qui se fixe comme programme d’être le futur caniche du président des Etats-Unis. Laurent Fabius
C’est un Corrézien qui avait succédé en 1995 à François Mitterrand. Je veux croire qu’en 2012, ce sera aussi un autre Corrézien qui reprendra le fil du changement. François Hollande
L’un était convaincu que « l’homme est un loup pour l’homme » et a donc imaginé un État-Léviathan. L’autre défendait au contraire une bonté naturelle appelée à être réactivée par un « contrat social ». Les deux font date dans l’histoire de la pensée. Or, il se pourrait bien que Thomas Hobbes et Jean-Jacques Rousseau animent encore secrètement notre actualité politique. Il est en effet frappant de constater à quel point Nicolas Sarkozy est proche de la philosophie libérale et autoritaire de Hobbes, là où François Hollande rejoint l’aspiration républicaine de Rousseau. Vu sous cet angle, le débat, en apparence atone, de la présidentielle prend un relief inattendu. Et ses enjeux s’éclairent : car, comme le montre notre sondage exclusif, les Français apparaissent majoritairement rousseauistes mais aux prises avec un monde hobbesien dédié à la compétition de tous contre tousPhilosophie magazine (avril 2012)
Comme Hobbes, Rousseau pense que l’unité d’une société ne peut être que politique, et cette conviction se traduit par la position éminente du « souverain » ; simplement, chez lui, le souverain est et ne peut être que la « volonté générale », et non plus celle d’un homme ou d’une assemblée ; la structure de la théorie hobbesienne de la souveraineté est maintenue, seul change l’identité du sujet auquel celle-ci est attribuée. J.F. Kervégan (Paris I)
Comme on le voit, l’opposition entre Hobbes et Rousseau, entre Sarkozy et Hollande, est une fausse opposition idéologique qui trompe les électeurs. L’analyse de la vie politique française depuis plus de quarante ans nous le confirme : la droite et la gauche convergent de plus en plus vers un centre mou, à la fois étatiste et corporatiste, conservateur et progressiste, renonçant de plus en plus à tout ce qui pouvait encore les distinguer. La droite a renoncé au libre marché au profit d’un interventionnisme moralisateur (« moraliser le capitalisme » comme on dit) et d’une politique fiscale collectiviste. De son côté, la gauche a renoncé aux dogmes de la planification collectiviste et de la lutte des classes et se veut pragmatique. Bref, à droite comme à gauche, on rejette les doctrines, qualifiées d’ « idéologies » et on accepte tous les compromis. Résultat : la « droiche » ! Ce mouvement historique correspond en fait à l’avènement de ce qu’on appelle la social-démocratie : État-providence, justice sociale, prélèvements obligatoires, assistanat, multiculturalisme… c’est le prix de la paix sociale. Au programme donc : immobilisme et statu quo. Surtout ne changeons rien au système. Et la différence entre droite et gauche n’est en fait qu’une affaire de dosage, de nuances, car les deux principaux partis sont des clones. Nicomaque

Le naturel serait-il, comme le disait Horace (revisité par Destouches), en train de revenir au galop?

En cette veille d’un premier tour où les forces de la régression et de l’immobilisme semblent, comme pour les Etats-Unis il y a quatre ans et peut-être à nouveau dans six mois mais il n’est pas encore trop tard), avoir finalement rattrapé en un véritable hallali les meilleurs efforts du plus américain de nos présidents

Et où il est si facile, derrière les évidents défauts hobbesiens (mais, en ce pays d’indécrottables ayant droits et fraudeurs  rousseauistes  – aux deux tiers selon un récent sondage de Philosophie magazine -, la croyance au mal ne protège-t-elle pas au moins de certaines des illusions de la bien-pensance?) et les appels pathétiques du candidat sortant, de se gausser et de se voiler la face sur, l’Histoire le montrera très certainement un jour, la véritable portée de ce qui est en train de se jouer pour l’avenir d’un pays où l’on peut être exclu de son parti apparemment pour avoir favorisé la libre expression …

Comment ne pas voir, avec la journaliste canadienne et professeure de Sciences Po Rachel Madsen et au risque de choquer nos puristes, le parallèle (toutes proportions gardées) avec un autre de ces prophètes français lui aussi rejeté par son propre  pays?

A savoir le plus anglophile de nos économiste-homme politique-polémistes Frédéric Bastiat, dont, à l’instar du plus américanophile de nos sociologues, le grand Tocqueville, le combat pour la liberté d’esprit et contre la mentalité française de l’Etat-nounou ne sera redécouvert que par les Anglo-saxons dont il avait tenté d’acclimater les idées dans son pays natal …

Et à qui la nature essentiellement pamphlétaire de son oeuvre (correspondance comprise notamment avec l’industriel et homme d’Etat anglais Richard Cobden) mais probablement tout autant son inspiration largement anglaise (lisez: libérale) et la simplicité presque biblique de son style (tout, pédagogie oblige, de fables et de paraboles) vaudront d’être irrémédiablement relégué chez nous au rang d’économiste de deuxième catégorie.

A moins que ce ne soit  l’incroyable profondeur et originalité d’une pensée proprement prophétique qui mettait bien avant tout le monde le doigt sur des questions qui ne surgiront qu’un siècle après sa mort comme les questions tellement actuelles de déficits publics, désocialisation de la société, effets pervers ou vision en termes d’analyse coûts-bénéfices totale …

L’appel à l’aide de Sarkozy

Rachel Marsden

 The Chicago Tribune

21.03.2012

adapté  par Courrier international

Il y a cinq ans, Nicolas Sarkozy était élu sur la promesse de moderniser l’infrastructure de la société française et de la rapprocher du modèle américain : moins de dépendance vis-à-vis du gouvernement, plus de liberté dans la vie et le travail. C’était beaucoup demander mais il obtint une victoire écrasante, devançant Ségolène Royal, son adversaire socialiste, de plus de 6 %.

Sarkozy ne jurait que par l’énergie, la liberté du marché et la limitation du gouvernement, des idées importées directement d’outre-Atlantique. Mais quelque chose s’est mis en travers de sa route : la France. Voilà un exemple typique d’une ambition bloquée par la puissance du passé.

Sarkozy n’est pas le premier homme dont la liberté d’esprit butte sur la mentalité française de l’Etat-nounou. En 1848, l’économiste Frédéric Bastiat comparait déjà la Constitution des Etats-Unis à celle de la France : « Ce qui suit est le début du préambule de la Constitution [française] : ‘La France s’est constituée en République [dans le] but (…) de faire parvenir tous les citoyens (…) à un degré toujours plus élevé de moralité, de lumières et de bien-être.’ (…) N’est-ce pas en cédant à cette étrange illusion que nous sommes conduits à tout attendre d’une énergie qui n’est pas la nôtre ?… Les Américains ont conçu une autre idée des relations des citoyens et du gouvernement. (…) Il n’y a pas ici [dans le préambule de leur Constitution] de création chimérique, pas d’abstraction desquelles les citoyens puissent tout exiger. Ils n’attendent rien sauf d’eux-mêmes et de leur propre énergie. »

Sarkozy est épuisé par ses efforts pour réformer la France. Carla Bruni, sa femme, a d’ailleurs déclaré lors d’un entretien récent qu’elle s’inquiétait pour lui parce qu’il donnait tout à son travail et dormait à peine. Cela ne l’a pas empêché de monter sur scène il y a deux semaines à l’occasion d’une gigantesque « Sarkorgie » devant des dizaines de milliers de partisans pour lancer aux Français : « Aidez-moi. » Une allusion pas très subtile à l' »Aidez-moi » lancé par le général de Gaulle en avril 1961 lors du putsch de nationalistes français en Algérie.

Le message de Sarkozy est clair : je me suis tué à la tâche pour changer le pays et ça a été plus dur que prévu, alors s’il vous plaît, ne votez pas pour le socialiste qui risque de vous emmener dans une direction que vous n’imaginez même pas. Sauf que les Français imaginent très bien de quoi a l’air une implosion socialiste : la Grèce en constitue un exemple frappant. Il n’empêche que je tombe tous les jours à Paris sur des Français qui me disent : « Sarkozy roule pour les riches, Hollande pour les pauvres. » C’est à cette bêtise crasse que Sarkozy est confronté, et elle est aussi coriace que tout ce que de Gaulle a dû affronter en son temps, y compris les nazis.

« Aidez-moi ! », voilà un bon slogan de campagne quand il s’agit de lutter contre la toute-puissance d’un socialiste qui promet tout et n’importe quoi en pleine crise économique. De Gaulle a dirigé la minorité française qui faisait de la résistance ; Sarkozy s’efforce aujourd’hui de diriger la minorité française qui résiste à la stupidité ambiante. Une fois encore, je pense que de Gaulle a eu la tâche la plus aisée.

Sarkozy appelle aujourd’hui à isoler la France de l’Europe pour la préserver des absurdités pratiquées par les pays frontaliers – ce qui passe entre autres par la révision de tous les accords de Schengen qu’il a contribué à créer ou amender. On dirait le dernier mea culpa d’un président dont la carrière politique se dirige vers la grande lumière blanche. Il espère ainsi reprendre pied et trouver la volonté de se sacrifier pour cinq ans de plus. Sarko le Garrot, c’est quand même mieux que cinq ans de saignée socialiste.

Voir aussi:

Sarkozy’s cry for help

 Rachel Marsden

The Chicago Tribune

March 13, 2012

French President Nicolas Sarkozy was elected five years ago by promising to modernize France’s societal infrastructure and bring it more into line with America’s: less government reliance, more freedom in life and work. It was a tall order, but his mandate was overwhelming, with a six-percentage-point win over Socialist rival Segolene Royal. Sarkozy was full of vigor and free-market, limited-government ideas imported directly from across the Atlantic.

But then something got in the way: France. It’s a case of ambition being unable to surmount the overwhelming power of entrenched history.

The battle of independent-minded men against the French nanny-state mentality didn’t start with Sarkozy. In 1848, for example, economist Frederic Bastiat was already comparing the U.S. Constitution to that of France:

« The following is the beginning of the preamble to [the French] Constitution: ‘France has constituted itself a Republic for the purpose of raising all the citizens to an ever-increasing degree of morality, enlightenment, and well-being.’ … Is it not by yielding to this strange delusion that we are led to expect everything from an energy not our own? … The Americans formed another idea of the relations of the citizens with the Government when they placed these simple words at the head of their constitution: ‘We, the people of the United States, for the purpose of forming a more perfect union, of establishing justice, of securing interior tranquility, of providing for our common defense, of increasing the general well-being, and of securing the benefits of liberty to ourselves and to our posterity, decree,’ etc. Here there is no chimerical creation, no abstraction, from which the citizens may demand everything. They expect nothing except from themselves and their own energy. »

Now, facing a hard-fought re-election battle that currently predicts a marked second-round loss to Segolene Royal’s former domestic partner, Socialist Francois Hollande, Sarkozy is unrecognizable on the campaign trail as the man of five years ago.

If people didn’t already know how exhausting the effort to reform France has been for Sarkozy, his wife, Carla Bruni, claimed in a recent interview that she’s worried about him because he gives his all to his job and barely sleeps. Still, he took to the stage this week in a massive Sarkorgy in front of tens of thousands of supporters near Paris to announce that he needs the French to « help me » — a not-so-subtle reference to President/General Charles de Gaulle’s « Help Me! » speech of April 1961 amid a coup d’Etat against him by French nationalists in Algeria (the « Generals’ Putsch »), in which he pleaded with the French military and people to see where the country could be headed as compared with the positive direction it was headed under his presidency.

Sarkozy’s meaning behind the slogan is clear: I’ve busted my behind to change this place, and while it’s been harder than expected, please don’t vote for the Socialist who risks taking it in a direction you probably can’t even imagine.

Except that the French can indeed imagine what a socialist implosion looks like now, because Greece serves as a rather prominent example. Still, I run into French people every day in Paris who tell me that « Sarkozy is for the rich; Hollande is for the poor. » Sarkozy is up against that kind of bumper-sticker stupidity, and it’s about as fireproof as anything de Gaulle had to fight back in the day — including Nazis. Sarkozy must feel about as powerless as John McCain did up against Obama’s « Yes, we can! »

« Help me! » sounds about right as a French campaign slogan when up against the omnipotence of a Socialist bearing promises of freebies and salvation during an economic crisis. De Gaulle led the minority French resistance; Sarkozy is trying to lead the minority French resistance against pervasive stupidity. Again, I think de Gaulle had it easier.

Sarkozy is now calling for firewalling France off from Europe to save the country from the nonsense practiced by other nations with which France shares uncontrolled borders — including revising all the Schengen accords he helped to create or amend.

It sounds like the mea-culpa death rattle of a president as his political career careens towards the big white light. Here’s hoping he gets a grip and finds the will to live and to martyr himself for another five years. Sarko the Tourniquet would beat five years of socialist bloodletting.

(Rachel Marsden is a columnist, political strategist and former Fox News host who writes regularly for major publications in the U.S. and abroad. Her new book, « American Bombshell: A Tale of Domestic and International Invasion, » is available through Amazon.com. Her website can be found at http://www.rachelmarsden.com.

Voir également:

For Love of Laissez-Faire

James Grant

The Wall Street Journal

July 23, 2011

Because nobody else can understand them, modern economists speak to one another. They gossip in algebra and remonstrate in differential calculus. And when the pungently correct mathematical equation doesn’t occur to them, they awkwardly fall back on the English language, like a middle-aged American trying to remember his high-school Spanish. The economist Frédéric Bastiat, who lived in the first half of the 19th century, wrote in French, not symbols. But his words—forceful, clear and witty—live to this day.

The name will ring a bell. Like FEMA and the Red Cross, Bastiat is a staple of American disaster reportage. Post-cyclone, -hurricane or –tsunami, some Keynsian Pollyanna will chirp that the rebuilding will stimulate economic growth. Bastiat dealt with this fallacy in an essay published in 1850, the year of his death at the age of 49. Rebuilding does indeed set money flowing, he allowed, and the rebuilders are glad of it. This is what is seen. But purchases that would have been made in the absence of the disaster now will never occur. And that is what is unseen. « That Which Is Seen and That Which Is Not Seen, » the title of the clarifying essay, might be the wisest 10 words in economic analysis.

Bastiat’s short essays, which he grouped under the title « Economic Sophisms, » are beloved by friends of laissez-faire. Late in the 19th century, small-government Democrats quoted him on the floor of the House against the high-tariff schemes of the GOP. The Republicans groaned when they heard Bastiat’s name. Unable to answer his arguments against government economic intervention, they charged him with being French.

Familiar though Bastiat’s economic writings may be, his letters, until now, have been available only in their original language. « The Man and the Statesman, » the first in a projected English-language edition of Bastiat’s collected works, encompasses 209 letters as well as a sampler of his political essays and notes and a helpful glossary from the editors (Jacques de Guenin, Jean-Claude Paul-Dejean and David M. Hart). But the letters are the thing. Through them shines the most charming economist you have ever met.

The Man and the Statesman

By Frédéric Bastiat

Liberty Fund, 559 pages, $14.50

Born in 1801, in Bayonne, hard by the Spanish border, Bastiat lost both parents by the age of 9. He attended a progressive school but quit before his 18th birthday, without a degree, to help manage the family business. But he made his own university by reading Adam Smith and Jean-Baptiste Say. Better unfettered enterprise and peace than protectionism and war, Bastiat concluded, in accordance with the masters. He cheered the 1830 revolution from which emerged the constitutional monarchy of Louis-Philippe. Confident in the future, Bastiat took a wife, bought property (with her money) and was appointed a justice of the peace. Advocating commercial freedom and economic growth, he began to write for newspapers.

In one of these wonderful letters, Bastiat sets out the qualities of a readable and enduring book. « It has to be short, clear, accurate and as full of feeling as of ideas, all at the same time, » he writes, also disclosing his own literary MO. « This means that it must not contain a single word that has not been weighed. It has to be formed, drop by drop like crystal, and in silence and obscurity, also like crystal. »

Of silence and obscurity Bastiat had more than enough in his beautiful Pyrenees home. « There is life in Paris only, » he insisted, « and one vegetates elsewhere. » He arrived in the City of Light in 1844, a hayseed who instantly awed the sophisticates. « What fire, what verve, what conviction, what originality, what winning and witty common sense! » a witness attested of his salon performances. And what courage! Free trade was never the French cup of tea, but Bastiat was determined to import the success of Richard Cobden’s crusade against the tariffs that protected the grain-growing British squirearchy (a.k.a., the « corn laws »).

You get only Bastiat’s side of the Bastiat-Cobden correspondence here, but Cobden would have been hard-pressed to match the Frenchman’s verve and philosophical range. « I want not so much free trade as the spirit of free trade for my country, » Bastiat declared to Cobden in 1847. « Free trade means a little more wealth; the spirit of free trade is a reform of the mind itself, that is to say, the source of all reforms. »

Peace and freedom were at the top of Bastiat’s agenda, each cause being indispensable to the other, he believed. Statism was his bane. « The dominant notion, the one that has permeated every class of society, » he wrote in the wake of the Revolution of 1848, « is that the state is responsible for providing a living for everyone. »

« Poor people! » he lamented of the duped French populace in the same tumultuous year. « How much disillusionment is in store for them! It would have been so simple and so just to ease their burden by decreasing their taxes; they want to achieve this through the plentiful bounty of the state and they cannot see that the whole mechanism consists in taking away ten to give it back eight, not to mention the true freedom that will be destroyed in the operation! »

To Bastiat, the way forward was obvious. Unshackle commerce by eliminating protective tariffs; reduce taxes through national disarmament. Why, oh why, Bastiat implored Cobden, would Britain not consent to shrink its provokingly large navy? Then again, Bastiat could understand only so much of the strange tribe that lived across the English Channel. Once, while visiting London, Bastiat had gone looking for Cobden, only to be told that the free-trader was making preparations to visit Manchester. « Preparations, » Bastiat reflected, « for an Englishman consist in swallowing a steak and stuffing two shirts into a bag. »

There being no doubt what to do, Bastiat pledged his all to the cause of free trade in France. « By word, pen and purse, I will be its man, » he vowed in 1845. « If it means legal proceedings, suffering persecution, or braving ridicule, I will be its man. Whatever role I am given, whatever rank I am allocated, on the hustings or in the cabinet, I will be its man. »

He met continual frustrations. He was not rich enough, talented enough or strong enough, Bastiat fretted. Spitting up blood and beset by a chronically sore throat, he took cod liver oil. Finding no relief, he resolved anew to finish his work before he died. Just one more year was all he needed, he wrote in 1847. (He wound up with almost three more years.) Of a friend in Paris in 1848 he asked the name of the « learned pharmacist who has discovered the art of making cod-liver oil palatable. » And he added: « I would also love it if this valued alchemist could teach me the secret of producing a pared-down version of political economy; this is a remedy that our sick society is very much in need of, but it refuses to take even the smallest teaspoonful, so repulsive does it find the stuff. »

In fact, Bastiat had no need of the services of his imagined alchemist. He himself knew the secret of writing the kind of economics that goes down like ambrosia.

—Mr. Grant is the author of « Mr. Speaker: The Life and Times of Thomas B. Reed, the Man Who Broke the Filibuster » (Simon & Schuster).

Voir enfin:

Concours Bastiat 2010

Contrepoints

le 30/03/2010

/…/

L’œuvre de Bastiat est importante, elle est riche, profonde et – fait rare chez les économistes – elle est exceptionnellement agréable à lire.

Bastiat a souvent été relégué au rang d’économiste de deuxième catégorie car son œuvre est constituée de nombreux pamphlets. Pourtant il n’en n’est rien. Sa pensée est d’une profondeur rarement égalée. Son esprit pamphlétaire lui a permis bien au contraire de mettre le doigt sur des vérités que d’autres n’envisageaient pas. Il a d’ailleurs pu percevoir des problèmes qui surgiront un siècle après sa mort (déficit de la sécurité sociale nationalisée, incivisme, désocialisation de la société par ce qu’on pourrait appeler la « socialisation forcée »)… A plus d’un titre la lecture de Bastiat est formatrice pour qui cherche à développer un esprit critique économique (qui ne se réduit pas à l’économisme) et juridique.

D’abord, il systématise la prise en compte des effets pervers résultant de mesures politiques de protection. Il contribue ainsi à la vision en termes d’analyse coûts-bénéfices totale. Bien souvent les hommes politiques ou les défenseurs de protections ont une tendance naturelle à faire usage d’une rhétorique consistant à ne montrer qu’une partie de la réalité pour arguer de leur position : protéger telle industrie locale par exemple n’apportera que des bienfaits ! Mais Bastiat nous avertit : et quid de l’autre partie de la réalité, « ce qu’on ne voit pas » ? Et les coûts supportés par tout les consommateurs, avec des prix plus élevés qui signifient moins de pouvoir d’achat , une qualité moindre du fait du manque de concurrence ? Et les effets de la protection sur les producteurs extérieurs qui sont aussi des clients de nos autres industries locales ? Bref, pour être un bon économiste, il ne faut pas simplement voir « ce que l’on voit » mais être capable aussi de voir « ce qu’on ne voit pas », d’anticiper les effets pervers, les « conséquences inattendues » de telle ou telle mesure. Il faut absolument lire et relire « La vitre cassée » dans cette série « Ce qu’on voit… » qui est un tout petit essai lumineux.

Contre la démagogie du protectionnisme défendu par les producteurs, Bastiat se place donc résolument du côté des consommateurs. Il se place aussi du côté du contribuable. Il anticipe avec un siècle d’avance les analyses du fonctionnement de la démocratie redistributive qui émergeront à la fin des années 50 (A. Downs, puis J. Buchanan & G. Tullock) et à cet égard son pamphlet sur l’Etat est un monument de perspicacité. Il excelle aussi dans « La loi » où il prend une posture radicalement différente de ce que nous connaissons de nos jours par exemple : la loi pour les gens d’aujourd’hui, c’est ce que « produit » le législateur. Bastiat revient à une tradition beaucoup moins « positiviste » et tente de reposer les fondations du droit : le droit est découvert et non pas décrété par les hommes. Exactement comme on ne peut « décréter » les lois de la physique de manière fantaisiste lorsque l’on bâtit une maison sans prendre le risque qu’elle ne nous tombe sur la tête, on ne peut « décréter » des lois qui vont à l’encontre de la coopération sociale sans générer le désordre.

On l’aura compris, Bastiat n’est pas qu’un simple pamphlétaire. Comme Voltaire, un autre pamphlétaire de génie, il fait montre d’une pensée claire, cohérente et sa critique est incisive. Son œuvre participe pleinement à l’élaboration d’une vision sociale profondément humaniste, qui cherche justement à démasquer les faux humanismes. Nous espérons que nos lecteurs en tireront le plus grand profit.

Vous pouvez consulter :

Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas, une série d’essais où l’auteur s’attache à analyser « ce qu’on ne voit pas » dans les protections diverses. (version HTML ici)

Pétition des fabricants de chandelle, un pamphlet sur la logique profonde du protectionnisme (version HTML ici)

La Loi, un essai lumineux sur la nature du droit et de la justice (version HTML ici)

Propriété et loi, un autre très bel essai sur le droit.

L’Etat, un essai qui anticipe d’un siècle les analyses de l’école du public choice (version HTML ici)

Sophismes Economiques, une série de pamphlets remettant en cause de nombreuses idées reçues et autres demi-vérités populaires (ou populistes !).

L’Angleterre et le libre échange, une analyse de la mise en place des politiques de libre échange qui pourrait inspirer beaucoup de décideurs aujourd’hui.

(Ces textes ont été originellement digitalisés et mis à disposition soit par François René rideau, soit par le Liberty Fund, que nous remercions ici. Ils ont été mis en forme par Youcef Maouchi, Rhadija El Issaoui et Mathieu Bédard.)

Librairal propose également ces textes, ainsi que d’autres.


Présidentielle 2012: Pourquoi je voterai malgré tout pour Sarkozy (From the frying pan into the fire?)

18 avril, 2012
Il n’est de problème qu’une absence de solution ne finisse par résoudre. Henri Queuille (président du Conseil sous la IVe République et élu de Corrèze)
Trois pays qui ont profondément modernisé leur administration dans les vingt dernières années, le Canada, la Suède et la Nouvelle-Zélande (…) ont en commun d’avoir mis en œuvre cette réforme en réponse justement à des situations de crise économique profonde. (…) L’expérience de ces trois pays montre que plusieurs éléments doivent se conjuguer pour mener à bien ces transformations : tout d’abord la légitimité sortie des urnes pour une équipe qui place le redressement de l’économie et la défense d’un contrat social comme objectif prioritaire à atteindre, la réforme de l’État n’étant qu’un moyen d’y parvenir. Ensuite, la prise de conscience à travers une grave crise économique et budgétaire de la rareté de la ressource publique et de la nécessité d’en « avoir pour son argent ». Désormais, les exigences des citoyens sont renforcées, ce qui rend impossible le maintien de prélèvements obligatoires élevés et le blocage des réformes indispensables. Enfin, la réforme implique une attitude pragmatique des parties prenantes : c’est la recherche d’une plus grande efficacité du modèle social qui doit être mise en avant par les pouvoirs publics, plus qu’une simple logique comptable. Pour les syndicats, c’est un changement de stratégie qui passe par la négociation des réformes plutôt qu’une opposition systématique. C’est au prix de ces efforts que l’on pourra, en France, réussir la réforme de l’État et des politiques publiques. Sandrine Gorreri (2009)
Il est très commode de chercher le bouc émissaire en période de crise. La réalité est que la globalisation a permis aux pays industrialisés à construire leur prospérité depuis des décennies. Dans un monde où les ressources naturelles, les capitaux et les talents ne sont pas équitablement distribués, les surplus des uns comblent les lacunes des autres. (…) Le discours prônant la démondialisation ferait du sens s’il ne cachait pas une volonté protectionniste ou de préférence nationale. Il est fait au nom de toutes bonnes intentions sociales et environnementales, mais son objectif reste le même. C’est-à-dire maintenir le statu quo dans l’ordre économique dominant pourtant intenable à long terme. Les défenseurs du repli, ne réalisent pas que grâce à l’ouverture des marchés, des centaines de millions de personnes en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud sont sorties de la pauvreté de la même façon que les Etats-Unis et l’Europe ont réussi à améliorer leur niveau de vie dans le passé. Le Temps
Je fais partie des déçus de Nicolas Sarkozy. (…) Comme beaucoup d’autres sans doute, je pourrais m’abstenir dimanche. Je ne le ferai pas car je redoute une gauche doctrinaire ayant décroché tous les pouvoirs (Elysée, Parlement, collectivités régionales et locales), confortant au passage le conformisme de la pensée médiatique et l’oligarchie syndicale. La France a déjà trop perdu de temps pour se permettre un retour en arrière. C’est pourquoi je voterai, malgré tout, pour Sarkozy. Je le ferai pour son dynamisme, son goût pour les réformes, sa capacité à se remettre en question. Ivan Rioufol
Volontaire ou subie, la rigueur s’imposera au prochain président de la République. La rigueur passe par la baisse des dépenses publiques et non par la hausse des impôts, qui n’est jamais que la préférence pour la dépense poursuivie par d’autres moyens. (…) Elle constitue la face cachée de la campagne électorale. (..) Quel que soit l’élu, le prochain quinquennat sera celui de la rupture avec l’ère de la croissance à crédit. Le temps des déficits et de l’argent public abondant et bon marché est révolu. Voilà pourquoi le prochain président, de gré ou de force, devra s’inspirer de Gerhard Schröder et de Mario Monti. Voilà pourquoi il ne suffit pas de dire que l’on va baisser les dépenses, mais lesquelles et comment. Voilà pourquoi il faut assumer politiquement la rigueur. Dès maintenant. Nicolas Baverez
Aucun Président gouvernant n’a jamais été réélu. (…) Sous la Ve République, aucun Président sortant en phase avec la majorité gouvernante n’a jamais encore réussi à être réélu. (…) François Mitterrand et Jacques Chirac (…) ont été réélus (…) comme présidents de cohabitation. Ils avaient perdu le contrôle de la majorité parlementaire et ne conduisaient plus l’action gouvernementale. Si Sarkozy parvenait à se faire réélire en 2012 après avoir piloté lui-même les affaires du pays pendant cinq ans, ce serait une première. (…) Aucun Président n’a jamais été aussi impopulaire. C’est le lot habituel des gouvernants que d’essuyer l’impopularité. (…) Mais Sarkozy explose tous les records. Selon le baromètre historique de l’Ifop (la même question est posée pour tous les Présidents depuis 1958), il décroche haut la main le pompon de l’impopularité. L’actuel Président a réussi la prouesse de susciter plus de « mécontents » que de « satisfaits » tous les mois depuis janvier 2008 ! Déjà presque quatre ans d’impopularité continue. Eric Dupin
Au reproche essentiel que l’on adresse à Sarkozy, de n’avoir su habiter la fonction, on le remerciera plutôt d’avoir ébréché le monarchisme présidentiel. Jacques Chirac fut l’ultime souverain et Nicolas Sarkozy, le premier moderne (…) Rejeter le sarkozysme pour cette raison-là, revient – c’est permis – à ne pas aimer notre temps. (…) le sarkozysme est aussi une réaffirmation de l’Etat de droit contre la désertion antérieure des zones de non-droit : plus une société se diversifie, plus la coexistence de cultures distinctes exige le respect de la loi, comme contrat social. Sarkozy a compris cela : la sécurité est l’avers de la diversité. (…) le sarkozysme aura dit, sinon fait, que l’entrepreneur soit reconnu comme le seul vrai moteur du dynamisme économique (…) Le sarkozysme, c’est aussi le retour de la France à son espace naturel, l’Occident, plutôt que la troisième voie ou le ni-ni. De nouveau, nous voici les alliés diplomatiques et militaires des Etats-Unis. De nouveau, enfin, nous voici du côté des droits de l’homme en Géorgie, en Libye, Syrie, Tunisie, Egypte et – un peu plus que du temps de Jacques Chirac – du côté des droits de l’homme en Chine et en Russie. Guy Sorman

Alors que réveillés par l’approche possible des postes, les rats ont comme prévu commencé à quitter le navire …

Et que, comme le rappelle le conseiller de Sarkozy Patrick Buisson (Canard de ce matin), « les courbes n’auraient jamais dû se recroiser » sans la pression des belles âmes de droite qui a freiné le sortant dans sa reconquête des classes populaires et mécaniquement fait remonter Marine et partant Hollande via la redescente de Sarko qui risque à présent de se retrouver second au 1er tour …

Comment, avec Ivan Rioufol,  ne pas se désoler ce gâchis et de cette régression …

Dans un pays où la gauche du retour à l’immobilisme et des bons sentiments ne dépasse normalement pas 45% …

Et où donc, un peu unie, une droite qui avait certes trop timidement commencé certaines réformes nécessaires (certes payées au prix fort et ce d’autant plus que son représentant n’avait pas, contrairement à ses prédécesseurs, de cohabitation derrière laquelle s’abriter) devrait logiquement l’emporter (même à 50,2%)?

A moins, comme semble le laisser entendre notre décliniste national, que le mur de la dure réalité dont nous nous rapprochons à la vitesse grand V ne contraigne enfin la gauche molle à virer sa cuti et à enfin engager (15 ou 20 ans après la Suède, la Nouvelle-Zélande ou le Canada) la rigueur que son prédécesseur a eu tant de mal à assumer ?

Pourquoi je voterai, malgré tout, pour Sarkozy

Ivan Rioufol

Le Figaro

16 avril 20

Je fais partie des déçus de Nicolas Sarkozy. Je lui reproche une ouverture à gauche pour laquelle il n’avait pas reçu mandat et qui a eu pour conséquence de brouiller sa politique ; aujourd’hui, Jean-Jacques Aillagon et Martin Hirsch le remercient en rejoignant le PS. Je lui reproche, plus gravement, d’avoir joué avec l’identité nationale après s’être fait élire en promettant sa protection. J’ai en mémoire son pénible discours à l’Ecole Polytechnique, en 2008, dans lequel il disait vouloir imposer aux Français un « impératif de métissage » si besoin avec des méthodes « plus contraignantes encore ». Il ne parlait pas du métissage des sangs, qui n’est pas un problème, mais de celui qu’amène la diversité des cultures. « Je crois à l’addition des identités et au respect des différences », avait-il d’ailleurs écrit dès 2006, en saluant « une France où l’expression « Français de souche » a disparu, où la diversité est comprise comme une richesse, où chacun accepte l’autre dans son identité et le respecte ». Des Français ont vu là un mépris de ce qu’ils étaient. Je comprends les excédés qui ont alors rejoint Marine Le Pen.

Je ne suis pas de ceux qui veulent diaboliser la présidente du FN quoi qu’elle dise ou fasse. Plus exactement : je déplore le maintien d’une filiation, même si elle est devenue ténue, avec un parti dont le noyau dur est antisémite, raciste, brutal. Je conteste aussi sa conception antilibérale et son culte de l’Etat stratège, alors que la société souffre de centralisme et de bureaucratie. Ces deux raisons me tiennent à distance de ce mouvement. Cependant, je reconnais à Marine Le Pen le courage de ses utiles combats pour la défense de la nation, du peuple oublié, de sa culture commune. Je constate qu’elle a su reprendre les valeurs abandonnées par la gauche relativiste et penaude: la démocratie, la laïcité, l’égalité entre l’homme et la femme, la liberté d’expression. Comme elle, je pense que l’immigration de peuplement et la survenue de l’islam radical sont des sujets essentiels qui doivent être abordés dans le débat public.

Comme beaucoup d’autres sans doute, je pourrais m’abstenir dimanche. Je ne le ferai pas car je redoute une gauche doctrinaire ayant décroché tous les pouvoirs (Elysée, Parlement, collectivités régionales et locales), confortant au passage le conformisme de la pensée médiatique et l’oligarchie syndicale. La France a déjà trop perdu de temps pour se permettre un retour en arrière. C’est pourquoi je voterai, malgré tout, pour Sarkozy. Je le ferai pour son dynamisme, son goût pour les réformes, sa capacité à se remettre en question. J’ai trouvé excellent son discours d’hier, écrit par Henri Guaino. Alors que, la veille à Marseille, Jean-Luc Mélenchon avait redit sa détestation de la « nation occidentale », estimant qu’il n’y avait pas d’avenir pour la France « sans les Arabes et les Berbères », Sarkozy s’est fait le défenseur de la civilisation, de la nation, des frontières. « Ce qui est en jeu, c’est la survie d’une forme de civilisation, la nôtre », a-t-déclaré. Cette vision me semble plus riche que « La France tranquillou » de François Hollande, cette culture du « sympa » que louange Libération, qui voit son poulain déjà élu.

Voir aussi:

La rigueur, c’est maintenant

Quel que soit l’élu, le prochain quinquennat sera celui de la rupture avec l’ère de la croissance à crédit

Nicolas Baverez

Le Point

12/04/2012

Le déclin de la France n’a jamais été aussi marqué depuis les années 1930. La croissance potentielle se situe désormais au-dessous de 1 % compte tenu de l’euthanasie de la production privée, du retard de l’investissement et de l’innovation provoqué par la chute des profits, de l’effondrement de la compétitivité dont témoignent la diminution des parts de marché mondial de 4,7 à 3,4 % depuis 2000 et un déficit commercial record de 70 milliards d’euros en 2011. La dette atteindra 90 % du PIB en 2012, seuil à partir duquel elle détruit l’activité et l’emploi. Le chômage touche 10 % de la population active depuis trois décennies. Le blocage de la croissance et le chômage permanent entraînent la paupérisation des Français, dont le revenu par tête est désormais inférieur à celui de l’Union européenne. La nation se désintègre et ne parvient plus à intégrer ni les jeunes – 20 % d’une classe d’âge étant rejetée chaque année du système éducatif sans formation aucune – ni les immigrés et leurs descendants. La dégradation financière de la France, loin d’être anecdotique, acte la perte de la maîtrise de son destin par un pays qui se trouve désormais placé sous la tutelle des marchés financiers et de l’Allemagne.

La préférence pour la dépense publique est au fondement du modèle de croissance à crédit qui a ruiné la France et en fait l’homme malade de l’Europe. Cinq ans après le choc de 2007, notre pays n’a pas retrouvé son niveau de production d’alors. Contrairement aux autres pays développés, son décrochage a été accéléré, mais non provoqué, par la crise. Il résulte d’un modèle de croissance par la dette publique où le seul moteur de l’activité réside dans la consommation, tirée par des transferts sociaux qui atteignent 33 % du PIB. L’Etat providence a phagocyté l’Etat régalien et la redistribution évincé la production. La montée parallèle des dépenses et des recettes publiques, qui culminent à 56,6 % et 49 % du PIB, minent la production et l’emploi marchands.

La France sera l’épicentre du prochain choc sur la zone euro. En dépit du faux calme qui a prévalu depuis la dégradation de sa notation financière, le télescopage du mur de la dette se rapproche. La France doit lever 180 milliards d’euros en 2012 et 240 milliards en 2013 sur les marchés, dont 70 % auprès des investisseurs internationaux. Le ciseau entre l’ascension de la dette publique et la chute de la croissance se poursuit, tandis que le chômage frappe plus de 10 % des actifs. Notre pays est par ailleurs pris en étau entre l’Allemagne d’Angela Merkel, leader de l’Europe du Nord compétitive, et l’Italie de Mario Monti, symbole de l’Europe du Sud qui se réforme. Les investisseurs, y compris les banques françaises, ont déjà commencé à vendre massivement les titres de la dette française, avec pour conséquence une tension sur les taux d’intérêt et un écart de 125 points de base avec le Bund allemand. L’Espagne de Mariano Rajoy préfigure la situation de la France au lendemain de l’élection présidentielle. En dépit d’un effort d’économies de 27 milliards d’euros et de 12 milliards de hausses d’impôts, en dépit de la libéralisation du marché du travail au prix d’une grève générale, le dérapage du déficit budgétaire de 4,4 à 5,3 % du PIB a été violemment sanctionné par les marchés. Les taux d’intérêt sont remontés à 5,7 %, soit un niveau insoutenable pour une économie en récession où le taux de chômage atteint 23 %. La dette publique française constitue la prochaine cible. Avec à la clé un nouveau choc sur le système bancaire, dont les bilans sont intimement liés aux risques souverains, et la relance de la crise de l’euro, dont les mécanismes de secours, limités à 800 milliards, sont insuffisants pour garantir la dette française (1 700 milliards d’euros).

Volontaire ou subie, la rigueur s’imposera au prochain président de la République. La rigueur passe par la baisse des dépenses publiques et non par la hausse des impôts, qui n’est jamais que la préférence pour la dépense poursuivie par d’autres moyens. Elle s’impose autant pour sauver l’euro que pour rétablir la souveraineté de la France, casser le cycle de son déclin, refonder la nation autour de perspectives d’avenir crédibles. Elle constitue la face cachée de la campagne électorale. Les programmes de retour à l’équilibre pour 2016 ou 2017 sont biaisés par des hypothèses de croissance exagérément optimistes (2 à 2,5 %, contre 1,2 % en moyenne depuis 2000), des hausses d’impôts massives (de 14 à 50 milliards d’euros) qui porteront les recettes publiques au-delà de 50 % du PIB, des promesses de dépenses nouvelles et un flou persistant sur d’éventuelles coupes budgétaires. Quel que soit l’élu, le prochain quinquennat sera celui de la rupture avec l’ère de la croissance à crédit. Le temps des déficits et de l’argent public abondant et bon marché est révolu. Voilà pourquoi le prochain président, de gré ou de force, devra s’inspirer de Gerhard Schröder et de Mario Monti. Voilà pourquoi il ne suffit pas de dire que l’on va baisser les dépenses, mais lesquelles et comment. Voilà pourquoi il faut assumer politiquement la rigueur. Dès maintenant.

Voir également:

Sarkozysme, tout sauf insignifiant

Guy Sorman

Distinguons le sarkozysme comme mode d’action et Nicolas Sarkozy comme personnage : les deux ne se recoupent pas tout à fait. C’est le sarkozysme qui ici importe, dont le bilan est fécond : mais oui.

Au reproche essentiel que l’on adresse à Sarkozy, de n’avoir su habiter la fonction, on le remerciera plutôt d’avoir ébréché le monarchisme présidentiel. Jacques Chirac fut l’ultime souverain et Nicolas Sarkozy, le premier moderne ; le sarkozysme est de notre temps, à l’heure du téléphone portable plus que de la plume. On peut détester cette popularisation de la fonction présidentielle mais elle reflète notre époque. Rejeter le sarkozysme pour cette raison-là, revient – c’est permis – à ne pas aimer notre temps. De notre temps aussi est la transgression sarkozyste des lignes partisanes anciennes et de la monopolisation des postes par les vieux mâles blancs. Affecter des socialistes, des femmes issues de l’immigration dans des fonctions décisives aura été une révolution sarkozyste : le gouvernement et la haute fonction publique commencent à ressembler à la société toute entière.

Un repli de l’Etat s’il devenait de nouveau partisan, ethnique, sexiste et gérontocrate, par-delà le sarkozysme, sera probablement impensable, impossible. Quel chef d’Etat, dans l’avenir, osera cantonner un Français arabe à la gestion de l’immigration et une femme à l’assistance sociale ? Le sarkozysme aura donc contribué à une démocratisation du pouvoir et de ceux qui l’exercent. Significatif aussi est le droit accordé aux Français expatriés, pour la première fois, de désigner leurs députés à l’Assemblée nationale : manœuvre politique peut-être mais reconnaissance d’une évolution majeure. La nation ne coïncide plus avec ses frontières : la France n’est pas une géographie mais un territoire mental, là où vivent des Français.

A cette apologie de l’internationalisation de la France, on nous objectera le traitement odieux des Roms et des controverses absolument choquantes sur l’islamisation de la société française. Oui, mais par-delà ces débordements de campagne, le sarkozysme est aussi une réaffirmation de l’Etat de droit contre la désertion antérieure des zones de non-droit : plus une société se diversifie, plus la coexistence de cultures distinctes exige le respect de la loi, comme contrat social. Sarkozy a compris cela : la sécurité est l’avers de la diversité.

Démocratisation et puis modernisation, dans l’enseignement supérieur d’abord : il est évident que la forteresse enseignante devait évoluer vers l’autonomie et la concurrence. Le sarkozysme n’y est pas complétement parvenu mais le chemin est défriché. Modernisation économique aussi, tout juste esquissée pour cause de crise mais avec des ouvertures nécessaires dans le carcan du Droit du travail : le sarkozysme aura dit, sinon fait, que l’entrepreneur soit reconnu comme le seul vrai moteur du dynamisme économique. La crise financière de 2008 a brisé cet élan libératoire : Nicolas Sarkozy a provisoirement cédé à la mythologie keynésienne qui ne laisse jamais dans son sillage que des dettes publique et pas d’emplois. Mais la Grèce et l’Allemagne, se répartissant les rôles, la cigale et la fourmi, ont reconduit le sarkozysme au bon sens : le contrôle des dépenses publiques pour restaurer l’investissement privé.

Ressaisissement aussi et retour aux sources libérales que le rapprochement avec l’Allemagne, partenaire et modèle, puisqu’en économie c’est la rigueur qui paie. Ce qui conduit le sarkozysme vers une Europe fédérale à terme, parce que la Fédération garantira des politiques économiques cohérentes et productives. On aura compris que le sarkozysme est, non pas un anti-gaullisme mais un post-gaullisme puisque nous avons changé de siècle et de société.

Le sarkozysme, c’est aussi le retour de la France à son espace naturel, l’Occident, plutôt que la troisième voie ou le ni-ni. De nouveau, nous voici les alliés diplomatiques et militaires des Etats-Unis. De nouveau, enfin, nous voici du côté des droits de l’homme en Géorgie, en Libye, Syrie, Tunisie, Egypte et – un peu plus que du temps de Jacques Chirac – du côté des droits de l’homme en Chine et en Russie.

En conclura-t-on que le sarkozysme est une vision cohérente du monde, de la France dans le monde, de l’Etat en France ? Il n’en est sans doute que l’esquisse, une première tentative pour que notre nation rattrape son temps et le monde. Car à vouloir trop embrasser, trop vite, le sarkozysme est brouillon, reflet de l’impatience de Sarkozy, l’homme pressé de la Cinquième République : l’action parait décalée de la réflexion, quand le messager occulte le message. Le sarkozysme au total, apparaît telle une pensée forte, indiscutablement contemporaine mais parfois en quête d’auteur.

Voir enfin:

Présidentielle : pourquoi le cas Sarkozy est désespéré

Eric Dupin

 Rue 89

 22/10/2011

« Sarkozy est dans la situation de Giscard avant 1981 », juge François Hollande avec gourmandise. Le parallèle des destinées entre le troisième et le sixième président de la Ve République est, en effet, assez frappant.

Tous deux ont débuté leur règne en majesté, portés par l’espérance réformatrice et osant une magnanime ouverture, pour finir sous une pluie de critiques et d’affaires compromettantes. Nicolas Sarkozy a même curieusement fait référence à Giscard en reprenant récemment à son compte la formule du « bon choix » de 1978.

Le candidat socialiste fraîchement désigné, et investi ce samedi par son parti, se présente d’ores et déjà comme « le prochain Président ». Ce n’est peut-être pas très inspiré, tant les électeurs ne goûtent guère ceux qui semblent excessivement confiants en leur victoire.

Mais il faut bien admettre qu’en cet automne le cas du candidat Sarkozy paraît assez désespéré.

1 Aucun Président gouvernant n’a jamais été réélu

On le répète, tous les Présidents qui ont sollicité un nouveau mandat ont été réélus, à l’exception de Valéry Giscard d’Estaing. Rien ne serait plus facile que d’être reconduit à l’Elysée. A y regarder de plus près, un tout autre éclairage s’impose. Sous la Ve République, aucun Président sortant en phase avec la majorité gouvernante n’a jamais encore réussi à être réélu.

en 1965, le général de Gaulle fut le premier président à être élu au suffrage universel direct. En 1958, il avait seulement été désigné par un collège de « grands électeurs ». Et lorsqu’il a mis sa responsabilité en jeu quatre ans plus tard, lors du référendum de 1969, il a été battu et a quitté le pouvoir ;

Georges Pompidou est mort trop tôt (1974) pour tenter une quelconque réélection ;

Giscard, on le sait, a échoué en 1981 ;

quant à François Mitterrand et Jacques Chirac, ils ont été réélus (respectivement en 1988 et 2002) comme présidents de cohabitation. Ils avaient perdu le contrôle de la majorité parlementaire et ne conduisaient plus l’action gouvernementale.

Si Sarkozy parvenait à se faire réélire en 2012 après avoir piloté lui-même les affaires du pays pendant cinq ans, ce serait une première.

2 Aucun Président n’a jamais été aussi impopulaire

C’est le lot habituel des gouvernants que d’essuyer l’impopularité. Chaque Président a connu des périodes de désamour avec les Français plus ou moins longues.

De Gaulle n’a vraiment irrité le pays qu’en 1963, lors de la grande grève des mineurs. Pompidou a vécu un septennat avorté mais paisible. La cote de Giscard n’a basculé dans le rouge qu’aux alentours de 1977 puis dans les derniers mois de son septennat.

Mitterrand, lui, a été rejeté pendant une longue période, de 1983 à 1986, pour cause de « rigueur » mal digérée. Et Jacques Chirac fut impopulaire des grandes grèves de décembre 1995 à la fin 1997.

Quatre ans d’impopularité continue

Mais Sarkozy explose tous les records. Selon le baromètre historique de l’Ifop (la même question est posée pour tous les Présidents depuis 1958), il décroche haut la main le pompon de l’impopularité.

L’actuel Président a réussi la prouesse de susciter plus de « mécontents » que de « satisfaits » tous les mois depuis janvier 2008 ! Déjà presque quatre ans d’impopularité continue.

Sarkozy a même très souvent rencontré l’hostilité de deux Français sur trois. Aux dernières nouvelles, seulement 32% des sondés s’en disent « satisfaits » contre 67% de « mécontents ».

Pour mémoire, en septembre 1980, Giscard venait tout juste dans basculer dans un solde négatif avec 41% de « satisfaits » et 42% de « mécontents ».

3 Aucun Président sortant n’a jamais eu aussi peu d’intentions de vote

A sept mois d’une élection présidentielle, il ne faut évidemment pas prendre les enquêtes d’intentions de vote au pied du chiffre. La campagne n’a pas encore joué ses effets. Elles n’en indiquent pas moins un point de départ à prendre en considération. Là encore, le cas Sarkozy est de nature à susciter la compassion.

Trois sondages récents (enquête BVA, enquête CSA, enquête Ifop) le donnent largement devancé par Hollande (35 à 39% contre 23 à 25%) au premier comme au second tour (60 à 64% pour Hollande) de la présidentielle. Rien à voir avec la situation de ses devanciers.

En octobre 1980, la Sofres attribuait encore 57% des intentions de vote à Giscard pour le second tour. Mitterrand fut très tôt le favori de l’élection de 1988. Contrairement à ce que l’on prétend parfois, les enquêtes d’opinion furent très partagées sur les chances respectives de Lionel Jospin et de Jacques Chirac avant que ne s’engage la campagne de 2002.

Il est sans précédent pour un président sortant, bénéficiaire des avantages de la fonction et pouvant même prétendre à quelques succès au plan international, d’être aussi bas dans les intentions de vote à sept mois du scrutin.

Il n’est certes jamais impossible de remonter la pente. La campagne de 2012 ne manquera pas d’être riche en péripéties et rebondissements. Mais il faudra à Sarkozy une chance et un talent extraordinaires pour redresser une situation aussi compromise.

Cela tombe bien : lui-même est intimement persuadé de posséder l’une comme l’autre.

Voir enfin:

La crise hypothèque-t-elle la modernisation de l’Etat ?

Les exemples du Canada, de la Suède et de la Nouvelle-Zélande

Sandrine Gorreri

IFRAP

5 novembre 2009

A la crise économique récente qui a frappé l’économie mondiale, les Etats ont répondu par des plans de relance massifs : soutien au secteur financier et aux secteurs économiques et industriels les plus durement touchés, protection sociale accrue sur les populations les plus exposées, mesures de soutien à la consommation et de reconversion de l’emploi, etc.

Mais à la veille du débat budgétaire qui s’ouvre en France, une telle politique paraît de plus en plus difficile à poursuivre sans mettre en péril notre modèle social. En effet les marges de manœuvre se sont tendues : les déficits budgétaire et sociaux nés de ces réponses à la crise posent la question de la soutenabilité de l’intervention publique. Et pour chaque élément nouveau de notre contrat social, se pose la question du renoncement à un autre avantage. La France doit-elle en passer par une remise à plat de son modèle social et une redéfinition des contours de l’intervention publique ? Dès 2007, le Président de la République avait lancé un programme de révision générale des politiques publiques (RGPP) afin de « conduire les réformes essentielles pour les citoyens, l’administration et les finances publiques ».

Ce volontarisme affiché dans la réforme de l’Etat doit permettre de mener une large modernisation de l’administration et des services publics tout en concourant au redressement de l’équilibre budgétaire. La crise actuelle nous amène à nous interroger sur l’opportunité de poursuivre un tel chantier : une réponse est apportée par trois pays qui ont profondément modernisé leur administration dans les vingt dernières années, le Canada, la Suède et la Nouvelle-Zélande. Ces pays ont en commun d’avoir mis en œuvre cette réforme en réponse justement à des situations de crise économique profonde.

I- Contexte économique et politique de réforme

Il est frappant de constater que le contexte dans lequel s’est conduit la réforme de l’État dans ces trois pays est assez similaire et répond directement à notre question. La crise économique de 1990-91 avait déjà, rappelons-le, creusé les déficits des finances publiques et fait bondir le chômage. Obligés de réagir, ces gouvernements ont appliqué une réforme de l’Etat qui s’est imposée comme une solution pragmatique face à la situation économique dégradée, plus que comme un choix politique délibéré. Il est d’ailleurs notable que cette réforme de l’Etat ne figurait pas en tant que telle dans les programmes électoraux.

– Canada

Au début des années 1990, la situation économique du Canada s’était fortement détériorée. Les déficits publics atteignaient 8,7% du PIB, dont 6% pour le gouvernement fédéral, et la dette du seul gouvernement fédéral était de 66% du PIB. Quant au service de la dette il absorbait 37% des recettes fiscales ! La crise avait fait grimper le chômage à 11,4%. Comme l’a déclaré Paul Martin, ancien ministre des Finances qui remplaça Jean Chrétien au poste de Premier ministre : « le fait que les charges de la dette menaçaient les dépenses de nos meilleurs programmes sociaux – santé et retraites – était simplement inacceptable ». Aux élections de 1993, le parti conservateur a été battu par le parti libéral de Jean Chrétien, qui s’est fait élire sur le slogan « pour la création d’emplois, pour la relance économique », sans cacher que l’assainissement des finances publiques était « essentiel à la création d’emplois ». La réussite de cette réforme fut de démontrer que l’assainissement des finances publiques était un facteur de préservation des acquis sociaux.

– Suède

Le parallèle avec la Suède est intéressant : la réforme a été suscitée par la nécessité de préserver les fondements du généreux modèle social. Parce que de nouveaux besoins sociaux venaient augmenter le poids sur les finances publiques, la volonté de défendre le modèle de l’État-providence, particulièrement dans les secteurs de la santé, de l’éducation ou du logement, a conduit à l’adapter pour en assurer la pérennité.
La crise financière du début des années 1990 avait provoqué une explosion des dépenses publiques à 67,5% du PIB et du poids de la dette. Le gouvernement se devait de réagir en décidant une politique de plafonnement des dépenses dans différentes administrations, une réforme en profondeur de la protection sociale, et une politique active de privatisations. Cette réforme permit de réduire la dette publique et de redonner des marges de manœuvre au modèle suédois.

– Nouvelle-Zélande

Là encore, c’est une forte dégradation de la situation économique, mais cette fois au début des années 1980, qui déclencha la politique de réformes. De toutes les réformes évoquées ici, celle menée en Nouvelle-Zélande fut certainement la plus ambitieuse puisqu’elle toucha toute la politique économique : elle ne se limita pas à la restructuration du secteur public mais procéda aussi à une refonte de la réglementation économique et notamment du système de subventions aux entreprises et à l’agriculture. L’économie néo-zélandaise se définissait avant cela par une structure économique particulièrement interventionniste, interventionnisme qui s’était accru après la première crise pétrolière et la fin de l’accès privilégié au marché britannique, dans ce pays, aussi appelé le paradis des travailleurs. La situation était telle qu’elle provoqua la perte de confiance des marchés et une forte déstabilisation de l’économie. Le gouvernement travailliste arrivé au pouvoir en 1984 réagit immédiatement en menant des réformes qui ont par la suite redéfini le rôle de l’État et profondément transformé la société néo-zélandaise en quelques années.

Ces réformes de grande ampleur furent mises en œuvre non sans contestation. Elles n’ont toutefois pas empêché les équipes au pouvoir de se faire réélire. Au Canada, le parti libéral a ainsi été réélu en 1997, puis en 2000 et en 2004. En Nouvelle-Zélande, malgré la dureté des réformes, le gouvernement travailliste sera réélu en 1987. Quant aux conservateurs qui leur succéderont, ils poursuivront cette même politique. Même si la pratique du dialogue social est différente dans chacun de ces pays, ces éléments montrent que le consensus sur la situation économique du pays avait été suffisamment fort pour emporter la décision des électeurs et appuyer la volonté de réforme des équipes gouvernementales.

II- Les réformes entreprises

– Canada

Le ministre des Finances Paul Martin lança immédiatement un programme de réduction des dépenses : le nombre de ministères diminua, les salaires des fonctionnaires furent gelés et un réexamen complet de toutes les dépenses publiques, baptisé « examen des programmes », fut mené avec pour objectif de ramener en 2 ans le déficit fédéral de 6% à 3% du PIB, sans augmenter les impôts. Ce vaste chantier a conduit à une réduction de 17 milliards de dollars canadiens les dépenses publiques. L’examen des programmes devait éviter d’imposer des réductions uniformes à tous les ministères et permettre de fixer des priorités : les subventions aux entreprises furent diminuées par exemple de 60%. Des administrations furent supprimées ou regroupées. Les relations entre le gouvernement fédéral et les provinces furent simplifiées, permettant de clarifier les subventions versées par le gouvernement fédéral, dont l’affectation fut laissée à la discrétion des provinces. Plusieurs services publics furent confiés au secteur privé. L’assurance-chômage fut réformée avec une politique d’incitation au retour à l’emploi des chômeurs.

Pour faciliter la baisse de 15% des effectifs des fonctionnaires fédéraux, une administration temporaire fut mise en place, pour contrôler les recrutements des administrations, en vue de les remplacer par des reclassements de fonctionnaires dont le poste était supprimé. L’usage des nouvelles technologies fut généralisé. Des objectifs de résultats chiffrés furent demandés aux administrations concernées.

Les résultats de cette politique ont été spectaculaires : la dette publique est passée de 96% en 1993 à 64% en 2007. Dès 1997, le solde budgétaire est redevenu positif pour le rester jusqu’en 2007 (à l’exception des années 2002/2003). Malgré les baisses d’effectifs, la qualité des services publics ne s’est pas détériorée, selon l’opinion des usagers. La réforme s’est également appuyée sur des indicateurs tels que la croissance de l’emploi. Le chômage de longue durée (au sens de l’OCDE, les personnes sans emploi pendant plus de 12 mois en pourcentage du nombre de chômeurs) a baissé, atteignant 7,5% en 2007, à comparer à des taux supérieurs à 40% en France, en Italie ou en Allemagne. Le marché du travail s’est aussi davantage ouvert aux jeunes : près de 60% des 15-24 ans avaient ainsi un emploi en 2007, contre moins de 40% pour la France. La réforme a rencontré une certaine opposition, des syndicats de fonctionnaires notamment, mais aussi au niveau des provinces qui ont vu leurs compétences s’accroître, mais la négociation s’est jouée entre baisse des dépenses et baisse des prélèvements.

– Suède

C’est par réaction à la situation explosive de la dette et des dépenses publiques que la Suède a mis en place son programme de modernisation de l’action publique, avec pour objectif clair d’ « en avoir plus » pour le niveau de dépenses du pays grâce à une meilleure organisation et productivité de l’administration. Cette transformation a été opérée en simplifiant l’organisation de l’État avec 13 ministères comptant 30 000 fonctionnaires et en transférant l’essentiel des compétences opérationnelles des ministères à 250 agences comptant environ 200 000 fonctionnaires.
La réforme s’est fortement appuyée sur les directeurs de ces agences. Chaque directeur d’agence a vu ses responsabilités renforcées en matière de recrutement, de formation et de rémunération des effectifs. En contrepartie de cette autonomie, les directeurs étaient évalués et rémunérés aux résultats par leur ministère de tutelle auquel ils devaient rendre des comptes. Cette approche a été confortée par une réforme du cadre budgétaire et comptable qui a permis d’évaluer le coût complet des services publics, élément essentiel d’une gestion par résultat et d’une meilleure efficacité de la dépense publique. D’autre part, l’organisation administrative en agences a été facilitée par le rapprochement de la gestion des agents publics sur le cadre de travail des salariés du secteur privé. Cette évolution a été rendue possible par une pratique du dialogue social très poussé reposant sur un taux de syndicalisation le plus élevé d’Europe (près de 80% de la population active). Enfin, cette politique s’est appuyée sur la délocalisation des agences et services publics et, là aussi, sur une généralisation des nouvelles technologies.

L’autre point fort de la réforme a été le recours à la décentralisation : les compétences en matière d’enseignement ont été transférées aux communes et les compétences en matière de santé ont été transférées aux régions. De très nombreux hôpitaux ont aussi été privatisés et confiés à des entreprises, notamment une partie de ceux de la ville de Stockholm. Les résultats se sont mesurés en matière de coût, de qualité et de délai d’attente : 2 ans après les réformes, les infirmières de Stockholm ont été augmentées en moyenne de 17% et les files d’attente ont été raccourcies de moitié. Les syndicats ont été parties prenantes dans cette mutation et le changement a largement été négocié. Pour les écoles, elles sont restées publiques mais autonomes. Enfin, le fonctionnement des entreprises publiques a été aligné sur celui du privé. Toutes ces restructurations, menées pour des motifs de rigueur budgétaire, ont été comprises et acceptées par les dirigeants syndicaux à condition qu’un volet d’accompagnement social soit mis en place. C’est en s’appuyant sur un dialogue social très développé que le pays a pu mener à bien sa réorganisation administrative et préserver son modèle social.

– Nouvelle-Zélande

C’est à partir de 1984 et sous l’incitation du ministre travailliste des finances, Roger Douglas, que le pays soumet ses structures économiques à de profondes transformations. Ces réformes (statut de la fonction publique, mais aussi réforme du droit du travail, fin des subventions aux agriculteurs, réduction du budget de fonctionnement de l’administration…) furent menées par un gouvernement travailliste élu sur un programme clairement libéral. Le gouvernement commença par ouvrir le plus possible l’économie. En parallèle, il mena une baisse des effectifs, les administrations centrales passant de 88.000 à 35.000 employés. La suppression du statut de la fonction publique entamé en 1986 avec le « State Sector Act » signifie concrètement que les employés du secteur public sont devenus des employés comme les autres.

Le système fiscal a été simplifié et le secteur public privatisé. Sur le plan social, l’âge du départ à la retraite a été fixé à 65 ans, les indemnités de licenciement réduites et les prestations de santé tarifées en fonction du revenu des usagers (la concurrence entre caisses a été généralisée). La loi « Employment Contract Act » de 1990 a mis fin à la pratique du syndicat obligatoire et introduit un régime de contrats individuels ou par groupes qui ouvre la voie à des négociations salariales décentralisées et non plus tenues au niveau national entre patronat et syndicats.

Entre 1993 et 2008, la Nouvelle-Zélande a connu une croissance de 3,5% en moyenne et une baisse du chômage de 9,5 à 3,6%. Les dépenses publiques sont tombées de 59% en 1987 à moins de 35% en 2007. Pour la Nouvelle-Zélande, le contenu idéologique s’est largement inspiré des réformes britanniques mises en œuvre par Margaret Thatcher. Un exemple qui illustre la diffusion des pratiques de politiques publiques au sein du Commonwealth. La Nouvelle-Zélande est sans doute le pays qui est allé le plus loin avec sa « thérapie de choc » et l’alignement de la gestion publique sur la gestion privée : gestion comptable, gestion des ressources humaines, privatisations, etc. Cette réforme a sans doute été facilitée dans un pays jeune, petit et isolé qui avait besoin d’accomplir un redressement économique considérable. Même s’il y a eu une forte opposition, l’opinion publique était convaincue de la nécessité de réformer le système.

France Canada Suède Nouvelle-Zélande
Population (en milliers d’habitants) 2008 61 840 33 095 9 195 4 268
Taux de prélèvements obligatoires (en % du PIB) 2007 43,5 33,3 48,2 36
Dette publique (en % PIB) 2007 70,1 64 46,9 25,3
Taux de chômage (en % de la population active) 2007 8,3 6 6,2 3.6
Taux d’emploi (en % de la population active) 2007 63,98 73,61 75,65 75,43
PIB par habitant (au prix du marché, en USD) 2007 32 686 38 500 36 603 27 431
Source : OCDE

Au travers de ces exemples, la conclusion est claire : oui, la réponse à la crise est compatible avec la modernisation de l’État. Elle a même été dans ces trois cas le déclencheur nécessaire à des transformations profondes de l’organisation administrative et des politiques publiques. Ces réformes ne se sont pas faites sans difficultés mais leurs effets sur les finances publiques a été à la hauteur des attentes qui étaient nées face à des situations de crise. Elles ont de surcroît rencontré la satisfaction des citoyens et des usagers. Cela n’empêche pas ces pays d’être frappés par la crise actuelle mais il est évident que cela leur accorde de meilleures marges de manœuvre. Pendant ce temps, en France, de nombreux rapports et commissions se sont préoccupés de la modernisation de l’Etat, mais le poids de la sphère publique reste toujours aussi élevé. C’est d’ailleurs dans le secteur public que sont cantonnés l’essentiel des effectifs syndicaux, ce qui rend l’exercice encore plus difficile malgré un volontarisme politique de longue date.

L’expérience de ces trois pays montre que plusieurs éléments doivent se conjuguer pour mener à bien ces transformations : tout d’abord la légitimité sortie des urnes pour une équipe qui place le redressement de l’économie et la défense d’un contrat social comme objectif prioritaire à atteindre, la réforme de l’État n’étant qu’un moyen d’y parvenir.
Ensuite, la prise de conscience à travers une grave crise économique et budgétaire de la rareté de la ressource publique et de la nécessité d’en « avoir pour son argent ». Désormais, les exigences des citoyens sont renforcées, ce qui rend impossible le maintien de prélèvements obligatoires élevés et le blocage des réformes indispensables.
Enfin, la réforme implique une attitude pragmatique des parties prenantes : c’est la recherche d’une plus grande efficacité du modèle social qui doit être mise en avant par les pouvoirs publics, plus qu’une simple logique comptable. Pour les syndicats, c’est un changement de stratégie qui passe par la négociation des réformes plutôt qu’une opposition systématique. C’est au prix de ces efforts que l’on pourra, en France, réussir la réforme de l’État et des politiques publiques.

Cet article était initialement publié dans la revue de l’association des anciens élèves de Sciences-Po « Rue Saint-Guillaume ».


Présidentielles 2012: La France est-elle encore une démocratie? (What happens to a government by judges when the judges are corrupt?)

16 avril, 2012
L’Amérique est-elle encore une démocratie ? Le Monde (13.09.03)
Si cette loi est jugée constitutionnelle, le gouvernement fédéral, qui vous oblige aujourd’hui à souscrire une assurance maladie, pourra vous obliger demain à acheter des brocolis. Opposants à Obamacare
Nous pensons que le ‘mandat individuel’ qui impose que tout Américain se dote d’une assurance-santé est contraire à la Constitution. Le gouvernement fédéral n’avait jamais obligé des individus à acheter un produit. Jean Card (Fédération des petites entreprises américaines)
Le système de gouvernement, qui est sorti aux Etats-Unis de l’association de plus en plus étroite des tribunaux à la direction de la marche de la législation, a été qualifié gouvernement par le judiciaire. Govermnent by judiciary: c’est le titre d’une remarquable étude de droit constitutionnel publié en 1911 dans l’organe peut-être le plus réputé de la science politique américaine. (…) L’étude, si solidement documentée, de L.-B. Boudin (…), a été écrite sous l’influence de la campagne de protestation de l’ex-président Roosevelt contre les obstacles apportés par le contrôle judiciaire au développement de la législation sociale et ouvrière et, de ce chef, a pris une certaine allure de combativité. Mais c’est l »oeuvre d’un juriste qui ne critique pas le principe même de ce contrôle, mais seulement son extension de l’examen de la compétence législative à celui de l’opportunité des lois. C’est à peu près sous le même titre, Government by Judges, que l »un des hauts dignitaires de la magistrature, M. Walter Clark, président de la Cour suprême de North Carolina, publiait un discours fait à Cooper Union le 27 janvier 1914, dans lequel il dénonçait les directions nouvelles qu’avait prises le contrôle judiciaire de constitutionnalité des lois comme une perversion de la constitution. (…) L’exemple des Etats-Unis d’Amérique, dont la Constitution avait développé le dogme constitutionnel de Montesquieu jusqu’à ses dernières conséquences logiques, est l’une des démonstrations les plus décisives de l’impuissance du principe de la séparation des pouvoirs à tenir longtemps ses promesses. Tôt ou tard, l’équilibre égalitaire, qu’il prétend établir entre les pouvoirs constitués s’inflécllit SOUS la poussée d’un besoin d’unité de vues et d’unité d’action dans le développement de la politique nationale. En Angleterre et en France, la rupture d’équilibre s’est opérée au profit du pouvoir législatif, qui a plié sous sa norme les pouvoirs coordonnés et instauré ainsi le gouvernement parlementaire. Aux Etats-Unis le renversement d’équilibre s’est produit au profit du pouvoir judiciaire, qui a soumis les deux autres à son contrôle et établi, par là, un régime de gouvernement par les juges. Edouard Lambert (Le gouvernement des juges et la lutte contre la législation sociale aux États-Unis, 1921)
La cour suprême, c’est le peuple. De Gaulle
Ce qu’il nous faut, c’est une arme contre la déviation du régime parlementaire. Michel Debré
En France, plus qu’ailleurs, le juge constitutionnel est proche de l’arène politique dès lors que l’usage du contrôle de constitutionnalité est étroitement lié à la compétition politique. Du fait du système du contrôle a priori, le juge semble, à son corps défendant, faire en quelque sorte office de  » tuteur  » vis à vis du législateur. Tout se passe comme si le Conseil constitutionnel, tout en étant juge, était chargé d’une mission de service public consistant à parfaire les lois soumises à son examen en les débarrassant de leurs dispositions inconstitutionnelles. Le juge français a vraiment un positionnement original. [Cette originalité] s’inscrit en droite ligne de notre culture politique. Le concept majeur de la démocratie, en France, c’est la volonté générale. Jusqu’à 1958, la loi votée par le Parlement en tant qu’expression de la volonté générale était réputée  » infaillible « . Le contrôle de la constitutionnalité des lois en France a mis fin à cette infaillibilité, sans cependant altérer la doctrine de la primauté de la volonté générale, c’est à dire du politique. Ce contrôle vise à assurer le respect d’une autre volonté générale exprimée, non par le législateur, mais par le pouvoir constituant. A travers la Constitution, le peuple souverain s’est donné des règles du jeu que le Conseil constitutionnel a pour mission de faire respecter. C’est à la lumière de ces considérations qu’il faut, me semble-t-il, interpréter le sens du contrôle de la constitutionnalité des lois « à la française ». La garantie de l’Etat de droit en France est étroitement liée au respect de la souveraineté du peuple. C’est ce qu’exprime le Conseil constitutionnel lorsque, par exemple, il relève dans une décision de 1991 que  » le pouvoir constituant est souverain  » et  » qu’il lui est donc loisible d’abroger, de modifier ou de compléter des dispositions de valeur constitutionnelle… « . (…) En France, c’est la notion de hiérarchie des normes qui prévaut, la volonté générale du législateur étant tenue de céder devant la volonté générale supérieure du constituant. (…) Comme son nom l’indique, le Conseil constitutionnel n’a pas été conçu pour être une cour. Le général De Gaulle, mais aussi René Cassin l’un des inspirateurs de la Constitution de 1958, étaient opposés à la création d’une cour constitutionnelle en France. De Gaulle estimait qu’en France,  » La cour suprême, c’est le peuple « . Le Conseil constitutionnel a donc été institué comme outil du  » parlementarisme rationalisé « . Il devait veiller à ce que le Parlement ne déborde pas du champ de compétence que lui assigne la Constitution de 1958 en empiétant sur les attributions de l’Exécutif. (…) Ces activités ont en effet considérablement évolué. Je reste toujours aussi étonnée de la rapidité avec laquelle a joué la dynamique institutionnelle. Le Conseil est en effet devenu de lui-même une cour constitutionnelle, ce qui rend le débat sur sa qualification – juridictionnelle ou non – sans objet. Quand et comment s’est opérée cette métamorphose ? Le tournant est connu. Il date très exactement de la décision du 16 juillet 1971 sur la liberté d’association faisant suite à un recours du président du Sénat contre une loi modifiant le régime juridique des associations. Cette décision a transformé le rôle du Conseil. Garant de la répartition des compétences entre le Législatif et l’Exécutif, le Conseil a en effet étendu sa mission à celle de garant des droits fondamentaux. Il a de façon prétorienne décidé d’appliquer, non seulement la Constitution de 1958 elle-même qui précise essentiellement l’organisation des pouvoirs publics, mais aussi la Déclaration de 1789 et le préambule de 1946, qui établissent les droits et les libertés garantis en France. C’est maintenant sur ce  » bloc de constitutionnalité « , suivant l’expression du Doyen Favoreu, que le Conseil construit sa jurisprudence. Le Conseil Constitutionnel n’est pas la seule juridiction à s’être ainsi  » autoproclamée  » cour constitutionnelle. La Cour Suprême des Etats Unis, s’est elle aussi de sa propre initiative déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois, à l’occasion de son fameux arrêt  » Marbury versus Madison  » de 1803.  (…) Ce qui peut surprendre, compte tenu notamment de notre tradition qui n’accorde pas au juge la place qu’il occupe dans d’autres pays, c’est l’audace inégalée dont a fait preuve le Conseil constitutionnel pour étendre son contrôle. Comment expliquer la décision de 1971 ? Le contexte a sans doute joué un rôle important : notons que la décision intervient quelques mois après la mort du général De Gaulle. Par ailleurs, la loi annulée par le Conseil était symboliquement très marquée par les événements de mai 68, en même temps qu’elle portait sur un domaine très sensible pour un large courant de l’opinion française, la liberté d’association. En deux mots, dans le cadre du maintien de l’ordre face à ce qu’il considérait être les menées subversives des groupes gauchistes et de leurs alliés intellectuels, le gouvernement de l’époque tentait d’établir un contrôle préalable des associations, et avait donc fait adopter une législation en ce sens. La décision du Conseil s’articule en deux temps. D’une part, elle consacre la liberté d’association en tant que principe constitutionnel ; d’autre part, elle considère qu’en instaurant un contrôle préalable des associations, la loi a violé ce principe. (…) L’indépendance, comme l’honnêteté intellectuelle, est une condition de la légitimité morale de la fonction. C’est une exigence qu’il faut cultiver en permanence. Sans avoir établi de statistiques, je peux indiquer qu’il m’est arrivé souvent de me prononcer dans un sens différent de ce que j’aurais fait si j’avais été parlementaire, abstraction faite de la discipline de parti. Noëlle Lenoir
Le Conseil constitutionnel est une institution française créée par la Constitution de la Cinquième République du 4 octobre 1958. Il veille à la régularité des élections nationales et référendums. Il se prononce sur la conformité à la Constitution des lois et de certains règlements dont il est saisi. Il intervient également dans certaines circonstances de la vie parlementaire et publique. Contrairement à d’autres tribunaux compétents en matière constitutionnelle tels que la Cour suprême des États-Unis, le Conseil constitutionnel français ne se situe au sommet d’aucune hiérarchie de tribunaux, ni judiciaires ni administratifs. Ces deux hiérarchies sont dominées respectivement par la Cour de cassation et le Conseil d’État. Ses décisions s’imposent toutefois ‘aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles’. Le Conseil constitutionnel français a donc une grande autorité sur l’ensemble des institutions françaises, mais cette autorité est limitée au champ du contrôle de constitutionnalité. Wikipedia
En ce qui concerne le train de vie de l’Etat, je suis un peu inquiet quand je vois celui de la campagne de Jacques Chirac. Il ne donne pas l’exemple ! Il a été affirmé à plusieurs reprises, y compris par des gens qui vous soutiennent, que vous aviez dépassé largement, et même très largement, votre plafond de dépenses de campagne qui est fixé à 90 millions. Vous l’avez vous-même évalué à 87 millions. Je n’en ai dépensé que 42. C’est un vrai problème parce qu’on sait que le Conseil constitutionnel doit vérifier ensuite les comptes de campagne. J’ai de bonnes raisons de penser que votre compte de campagne, Monsieur Chirac, est très largement dépassé. Donc vous avez un train de vie, en campagne en tout cas, qui ne laisse pas bien augurer de l’avenir. Lionel Jospin (débat télévisé du second tour de l’élection présidentielle, 2 mai 1995)
Pour le train de vie de ma campagne, Monsieur Jospin, je puis vous dire que conformément à la loi, mes comptes sont et seront publics. C’est la loi. Et que, par conséquent, le Conseil constitutionnel pourra juger, de même qu’il jugera les vôtres. N’accusez pas sans savoir, ou à partir de on-dit. Jacques Chirac
Jacques Cheminade était plutôt maladroit. Les autres étaient adroits…  Roland Dumas (plateau de télévision en mai 2011)
Le 11 octobre 1995, le Conseil constitutionnel rejette les comptes de campagne de Jacques Cheminade pour l’élection présidentielle de 1995, le privant entièrement du remboursement des frais de campagne. Jacques Cheminade saisit la Cour européenne des droits de l’homme. La Cour rejette à l’unanimité son pourvoi, considérant que « l’éventuelle incidence patrimoniale d’une procédure portant sur les conditions d’exercice d’un droit de caractère politique ne confère pas pour autant à celle-ci une nature « civile » » et que « la décision du Conseil Constitutionnel n’a aucunement privé le requérant de la propriété d’une somme quelconque, mais a seulement entraîné l’obligation pour le requérant de rembourser à l’Etat l’avance d’un million de francs, parce qu’il ne remplissait pas les conditions légales pour pouvoir prétendre au remboursement forfaitaire de ses dépenses de campagne »79. Il fut soupçonné par le Trésor public d’avoir organisé son insolvabilité en ayant hypothéqué son appartement parisien, ainsi qu’une ferme et une part de forêt qu’il possédait dans le Puy-de-Dôme. Son parti, la Fédération pour un nouvelle solidarité est alors renommé en Solidarité et Progrès et domicilié dans les vestiges d’une ancienne usine de Clichy-la-Garenne73. En août 1996, ses biens sont saisis et en 1998 son appartement est placé sous hypothèque légale par les services de l’État ; cette mise sous hypothèque sera renouvelée puis étendue en février 2010[réf. nécessaire]. Pour Jacques Cheminade, cette procédure relève de l’« acharnement »80. Le 31 juillet 2006, un huissier requis par l’État procède à la saisie-attribution du compte bancaire de Jacques Cheminade, destiné à alimenter son compte de campagne pour 2007. Le Trésor public réclame le remboursement des 171 525,46 €, représentant le remboursement de l’avance consentie par l’État en sa faveur (un million de francs, plus des frais antérieurs) au titre de l’élection présidentielle de 1995, suite à l’invalidation des comptes de campagne. Cheminade y voit « le regain d’une campagne d’acharnement en raison de ses prises de position et de sa dénonciation sans ambiguïté d’initiatives visant à démanteler les moyens de l’État-nation France ». Wikipedia
Ce n’est pas un bon souvenir. Je vis très mal la façon dont le droit, à cette occasion, a été tordu.(…) Vous savez, le Conseil constitutionnel, c’est un peu un club. On est entre gens de bonne compagnie, on se tutoie. Claquer la porte, donner des leçons aux collègues, ça ne se fait pas. Une chose est sûre : nous n’étions pas très fiers. Nous venions de passer trois jours à huis clos. Nous étions épuisés, mal à l’aise. Nous nous sommes dispersés sans un mot, avec le sentiment que la raison d’Etat l’avait emporté sur le droit. (…) Nous avions la certitude que leur origine était douteuse, mais nous penchions plutôt pour un potentat africain, une grosse fortune française ou les fonds secrets de Matignon. A l’époque, personne ne parlait de Karachi, du Pakistan ou de l’Arabie saoudite. Je ne me souviens pas que l’hypothèse de rétrocommissions liées à des contrats d’armement ait été évoquée. (…) Juste avant notre vote, Roland Dumas a passé une heure à l’Elysée avec Jacques Chirac. Sans doute lui a-t-il dit que la situation était délicate et qu’il avait dû manœuvrer pour faire régulariser les comptes. Mon impression, c’est que Roland Dumas, Jacques Chirac et Edouard Balladur se tenaient à l’époque par la barbichette. Et que nous avons servi de caution à une belle entourloupe. Jacques Robert (ancien membre du Conseil constitutionnel, 01.12.2011)
Pour moi, cela a été un déchirement intérieur. J’ai eu l’impression qu’on me prenait en otage dans une affaire politique. Nous avons présenté devant la nation des comptes réguliers alors que nous savions tous qu’ils étaient irréguliers : une tache sur l’indépendance du Conseil constitutionnel. L’institution s’est fait manoeuvrer. S’il n’y avait eu que des professeurs de droit autour de la table, ils auraient tous annulé l’élection. (…) Chirac et Balladur avaient commis tous les deux des irrégularités. Mais l’un était élu et pas l’autre. On ne pouvait pas invalider les comptes de Balladur, le ruiner et laisser gambader Chirac à l’Elysée ! Roland Dumas ne voulait pas faire de vagues. Il mesurait les conséquences politiques avant l’application du droit. Il disait que nous n’étions pas là pour mettre des bâtons dans les roues du gouvernement (RPR, dirigé par Alain Juppé – ndlr). Il a habilement louvoyé, comme toujours. Nous étions dans une situation impossible. Si nous avions annulé l’élection, tout le monde aurait hurlé. Il n’y avait que deux solutions : aller au clash ou maquiller les comptes. (…) A priori, vous ne pouvez pas accepter que soit élu président un candidat qui a commis une irrégularité dans ses comptes de campagne. Impensable ! C’est pourtant ce qui s’est passé. Il fallait donc maquiller les comptes. (…) [Les rapporteurs ] sont revenus nous voir une dernière fois avec les comptes qui dépassaient symboliquement de 1 franc ! Ils nous signifiaient ainsi qu’ils n’étaient pas dupes. Moi, à leur place, j’aurais balancé le dossier à la figure de Dumas ! (…) Pour montrer que nous étions indépendants, nous avons invalidé Jacques Cheminade, alors qu’il n’avait commis que de légères erreurs. Pour lui, nous n’avons eu aucun problème de conscience : il a eu tous ses biens hypothéqués. Jacques Robert
Nous ne voulions pas provoquer une révolution ! Si nous avions invalidé les comptes de Chirac, comment aurait réagi l’opinion ? Certains auraient peut-être pensé que nous étions courageux. Mais d’autres se seraient demandé si nous avions vraiment appliqué le droit. Maurice Faure,
Question cruciale : si le Conseil avait imposé la loi, comme sa mission et son serment le lui commandaient, s’il avait rejeté les comptes de Chirac et de Balladur, que se serait-il passé ? Cela aurait-il, ainsi que le prétendait Roland Dumas, entraîné mécaniquement l’annulation de l’élection et provoqué une grave crise de régime ? En vérité, pas du tout. Cela n’aurait pas remis en cause le suffrage universel. Elu face à Jospin avec presque 53 % des voix, Chirac serait évidemment resté à l’Elysée. (…) En revanche, Chirac et Balladur auraient dû rembourser beaucoup d’argent et peut-être donner des explications sur son origine suspecte. Balladur se serait probablement retrouvé sur la paille. Pour les Sages du Conseil, le choix n’était guère d’ordre juridique ou constitutionnel : il était politique. Il fallait maintenir à tout prix la confiance entre le peuple et son élu. Retoquer Balladur obligeait à retoquer aussi Chirac.  (…) Les membres du Conseil constitutionnel ferment donc les yeux pour sauver deux grands candidats. Et pour ne pas passer pour des incompétents, pour montrer qu’ils remplissent leur mission de vérificateurs des comptes, ils prennent la décision de sanctionner un petit candidat indépendant. (…) La farce démocratique trouve alors son dindon. Il s’appelle Jacques Cheminade. L’ennemi de la finance, le candidat du groupuscule Nouvelle solidarité qui rêve de concilier le socialisme jaurésien, le christianisme social et le gaullisme de rupture. 0,27 % des voix. Les Sages trouvent dans ses comptes de campagne une petite anomalie. Ils estiment que 1,7 million de francs de prêts sans intérêts, offerts par des particuliers, sont des dons déguisés qui « constituent pour le candidat un avantage ». Conséquence : Cheminade doit rembourser l’avance d’un million de francs accordée par l’Etat pour ses frais de campagne ! Pour lui, pas de négociation. En août 1996, l’Etat saisit ses biens. Seize ans plus tard, il lui réclame encore 170 000 euros alors qu’il est à nouveau candidat à la présidentielle de 2012. Jacques Cheminade juge la procédure abusive, puisque même la jurisprudence de la Commission des comptes de campagne recommande qu’en matière politique, les taux d’intérêts peuvent être nuls… Nos deux anciens du Conseil constitutionnel, Jacques Robert et Maurice Faure, ne sont pas fiers du traitement infligé à ce petit candidat. Ils reconnaissent que, honteux du cadeau fait à Chirac et Balladur, ils se sont refait une virginité sur son dos. Un appartement de 60 mètres carrés à Paris et une vieille maison de famille en Auvergne. Les Inrocks
Je souhaiterais plus de transparence. Il me semblerait beaucoup plus sain que le Conseil constitutionnel ne soit pas aussi le juge électoral. Dans cette instance très politique, tout le monde se connaît. Je trouve gênant de statuer sur la situation de personnes que vous retrouvez le lendemain au cours d’une réception, avec qui vous avez siégé dans un gouvernement ou qui ont été vos opposants politiques.  Le Conseil constitutionnel doit devenir une Cour suprême, avec des membres qui ne seraient pas des politiques mais plutôt des juges. Noëlle Lenoir
Il faudra probablement réunir une commission composée de professeurs de droit. Le système existant n’est pas si mauvais mais il n’est pas parfait. Il faut l’améliorer. La grande réforme serait de s’orienter vers une Cour constitutionnelle composée de magistrats et de juristes, comme cela existe dans les pays anglo-saxons.  Roland Dumas
Dix-sept ans après, Jacques Robert se repasse encore le film de ces longues journées d’octobre 1995 autour de la table du Conseil constitutionnel. Trois jours qui ont fait basculer la Ve République dans une autre dimension, celle d’une République bananière qui viole les règles qui la fondent et auxquelles chaque citoyen est censé obéir sous peine d’emprisonnement. (…) Aujourd’hui, de graves questions se posent sur le rôle et le pouvoir du Conseil constitutionnel. Après avoir violé son serment en 1995, peut-il encore se prévaloir d’être un conseil des Sages ? Reste-t-il légitime pour vérifier les comptes des candidats de l’élection présidentielle qui vient ? Les Inrocks

Vous avez dit république bananière?

Prenez la haute juridiction du pays, présidée alors par un repris de justice, accessoirement avocat du principal journal satirique du pays et nommé par un président qui avait menti pendant ses deux mandats sur son passé comme sur son état de santé …

Faites lui valider les comptes de campagne irréguliers tant du président délinquant multi-récidiviste dont elle allait plus tard voter l’immunité que de son rival malheureux du premier tour issu du même parti  pour leur éviter de perdre le remboursement de leurs dépenses de campagne mais surtout éviter de jeter le discrédit sur tout le système …

Refaites vous une virginité à bon compte (il faut bien un dindon de la farce) sur le dos du plus petit candidat qui lui en ressortira ruiné

Et vous avez tous les ingrédients d’une parfaite république bananière.

Retour …

Au moment même où, en une sorte de remake du conflit avec le New Deal de Roosevelt des années 1930 et à quelques mois de l’élection de novembre, la Cour suprême américaine examine ou s’apprête à examiner la constitutionnalité de la réforme de la santé, de la loi sur l’immigration et de l’affirmative action dans les universités…

Et à une semaine du premier tour de l’élection présidentielle française …

Sur ces trois jours qui, comme le rappelait dernièrement Les Inrocks, »ont fait basculer la Ve République dans une autre dimension ».

Scandale qui d’ailleurs, sans la pression d’une enquête judiciaire sur l’affaire de l’attentat de Karachi n’aurait probablement jamais été révélé.

Mais qui, comme le reconnaissent aujourd’hui certains de ses anciens membres (mais lequel des actuels candidats à moins d’une semaine du premier tout, y compris un certain Bayrou dont on oublie qu’au côté de l’actuel président sortant, il faisait partie du comité politique du candidat Balladur de 1995?), pose la question de l’instance censée fonder et valider le choix le  plus fondamental des citoyens que nous sommes.

Contraints, nous qui nous étions tant gaussés (avant notre propre farce deux ans plus tard du 21 avril) de l’embarras d’une Cour suprême américaine lors de l’élection très serrée de novembre 2000, d’évoquer la création… d’une « sorte de Cour suprême à l’américaine » ?

Campagnes de Chirac et de Balladur en 1995: souvenirs d’une arnaque

Benoît Collombat et David Servenay

Les Inrocks

23/02/2012

En 1995, Balladur et Chirac financent leur campagne électorale avec des millions à l’origine douteuse. Le Conseil constitutionnel cache l’information pour éviter un scandale. Aujourd’hui, ceux qui ont participé à la dissimulation reviennent sur leur malaise.

Tempête sous un crâne. Dix-sept ans après, Jacques Robert se repasse encore le film de ces longues journées d’octobre 1995 autour de la table du Conseil constitutionnel. Trois jours qui ont fait basculer la Ve République dans une autre dimension, celle d’une République bananière qui viole les règles qui la fondent et auxquelles chaque citoyen est censé obéir sous peine d’emprisonnement. Le crâne est dégarni, le regard aigu sous les lunettes. Cet éminent juriste de 84 ans, agrégé de droit public, ne digère toujours pas la façon dont lui et ses collègues ont validé les comptes de campagne d’Edouard Balladur et de Jacques Chirac au lendemain de la présidentielle du 7 mai 1995 alors qu’ils étaient illégaux.

« Une belle entourloupe »

La première fois que Jacques Robert est sorti de son silence, c’était dans Le Parisien du 1er décembre 2011 :

« Nous n’étions pas très fiers, expliquait-il. La raison d’Etat l’avait emporté sur le droit. Nous avons servi de caution à une belle entourloupe. »

Aujourd’hui, il nous reçoit chez lui, assis dans le fauteuil de son bureau de style bourgeois empli de livres et d’archives bien rangées. Il en dit plus sur le profond malaise que cette « entourloupe » lui a laissé.

« Pour moi, commence-t-il, cela a été un déchirement intérieur. J’ai eu l’impression qu’on me prenait en otage dans une affaire politique. Nous avons présenté devant la nation des comptes réguliers alors que nous savions tous qu’ils étaient irréguliers : une tache sur l’indépendance du Conseil constitutionnel. L’institution s’est fait manoeuvrer. S’il n’y avait eu que des professeurs de droit autour de la table, ils auraient tous annulé l’élection. »

Replongeons-nous dans la « prise d’otage ». Elle s’est déroulée le 11 octobre 1995 à Paris, dans une aile du Palais-Royal où siègent la vieille institution et ses neuf membres, nommés par le chef de l’Etat et les présidents des chambres parlementaires. Le rôle de ces neuf Sages, comme la tradition les appelle, est de veiller au respect de la Constitution et à la régularité des élections. Ils valident les dépenses de chaque candidat.

Ce jour-là, dans la salle du Conseil, se déroule un rituel courtois. Trois rapporteurs, membres du Conseil d’Etat, présentent aux Sages le résultat de leur enquête sur les comptes de Balladur, Chirac, Jospin, Le Pen, Hue, Laguiller, de Villiers, Voynet et Cheminade : les neuf candidats à l’élection présidentielle. Problème : les comptes de campagne d’Edouard Balladur dépassent le plafond légal et ont été maquillés pour masquer de grosses sommes d’argent à l’origine douteuse. Quant aux comptes de Jacques Chirac, élu six mois plus tôt président de la République, ils sont eux aussi hors la loi. Jacques Robert se souvient : « Les membres du Conseil étaient affreusement gênés. »

D’un coup, au centre de la table, le président de l’institution, Roland Dumas, rompt le silence.

« Il a immédiatement dit que si les comptes de Balladur et Chirac étaient irréguliers, il fallait les modifier, raconte Jacques Robert. L’idée qui s’est imposée, c’est que l’on ne pouvait pas provoquer une crise de régime pour une affaire financière. »

Ce que Roland Dumas demande aux Sages, c’est de  » fermer les yeux » sur les anomalies des comptes de Balladur. Jacques Robert : « Chirac et Balladur avaient commis tous les deux des irrégularités. Mais l’un était élu et pas l’autre. On ne pouvait pas invalider les comptes de Balladur, le ruiner et laisser gambader Chirac à l’Elysée ! Roland Dumas ne voulait pas faire de vagues. Il mesurait les conséquences politiques avant l’application du droit. Il disait que nous n’étions pas là pour mettre des bâtons dans les roues du gouvernement (RPR, dirigé par Alain Juppé – ndlr). Il a habilement louvoyé, comme toujours. Nous étions dans une situation impossible. Si nous avions annulé l’élection, tout le monde aurait hurlé. Il n’y avait que deux solutions : aller au clash ou maquiller les comptes. »

Un autre membre du Conseil, qui ne s’est jamais exprimé sur cette affaire, nous confirme le déroulement des événements. C’est Maurice Faure, ancien résistant, deux fois ministre, de la Justice puis de l’Equipement, sous François Mitterrand.

« Nous ne voulions pas provoquer une révolution !, dit-il avec un accent rocailleux. Si nous avions invalidé les comptes de Chirac, comment aurait réagi l’opinion ? Certains auraient peut-être pensé que nous étions courageux. Mais d’autres se seraient demandé si nous avions vraiment appliqué le droit. »

Question cruciale : si le Conseil avait imposé la loi, comme sa mission et son serment le lui commandaient, s’il avait rejeté les comptes de Chirac et de Balladur, que se serait-il passé ? Cela aurait-il, ainsi que le prétendait Roland Dumas, entraîné mécaniquement l’annulation de l’élection et provoqué une grave crise de régime ? En vérité, pas du tout. Cela n’aurait pas remis en cause le suffrage universel. Elu face à Jospin avec presque 53 % des voix, Chirac serait évidemment resté à l’Elysée.

Un choix politique

En revanche, Chirac et Balladur auraient dû rembourser beaucoup d’argent et peut-être donner des explications sur son origine suspecte. Balladur se serait probablement retrouvé sur la paille. Pour les Sages du Conseil, le choix n’était guère d’ordre juridique ou constitutionnel : il était politique. Il fallait maintenir à tout prix la confiance entre le peuple et son élu. Retoquer Balladur obligeait à retoquer aussi Chirac. « A priori, vous ne pouvez pas accepter que soit élu président un candidat qui a commis une irrégularité dans ses comptes de campagne. Impensable ! C’est pourtant ce qui s’est passé. Il fallait donc maquiller les comptes », confirme Jacques Robert.

En fermant les yeux sur de l’argent à la provenance douteuse, les Sages prenaient le risque que l’affaire leur revienne un jour en boomerang dans la figure. C’est ce qui va se produire quinze ans plus tard grâce à l’enquête des juges d’instruction Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire sur le volet financier de l’attentat de Karachi (14 morts dont 11 Français, le 8 mai 2002).

En octobre 2010, les deux magistrats soupçonnent les balladuriens d’avoir financé leur campagne électorale avec de l’argent sale issu des rétrocommissions touchées sur de gros contrats d’armement au Pakistan et en Arabie Saoudite. Ils envoient les policiers de la Division nationale des investigations financières fouiller les comptes de campagne du candidat. Et aux archives du Conseil constitutionnel, rue Montpensier, ils saisissent un document explosif dans lequel trois rapporteurs du Conseil d’Etat et de la Cour des comptes demandaient aux neuf Sages le rejet des comptes de campagne d’Edouard Balladur.

Dans ce document confidentiel, les rapporteurs établissent que Balladur, qui déclare avoir dépensé 83 millions, en a en réalité dépensé 97, dépassant de 7 millions le plafond légal, fixé à 90 millions. Ils calculent que 14 millions de francs ne sont justifiés ni par des factures ni par des dons réguliers. Ils découvrent aussi, sur le compte bancaire de l’Association de financement de la campagne d’Edouard Balladur, un dépôt en liquide de 10 millions de francs, en grosses coupures, trois jours après le premier tour du 23 avril 1995.

Les rapporteurs interrogent les responsables de l’équipe Balladur. Ces derniers répondent que ces 10 millions en liquide proviennent de « ventes diverses de gadgets et de T-shirts » et de « collectes au drapeau » lors des meetings de campagne. Des T-shirts et des pins achetés avec des grosses coupures ? Les rapporteurs ne sont guère convaincus. Ils l’expliquent aux membres du Conseil constitutionnel. Eux aussi sont perplexes.

« Personne n’y a cru !, se souvient Jacques Robert. On a tous rigolé. Balladur nous a pris pour des imbéciles ! »

Maurice Faure, vif malgré ses 89 ans : « C’était quand même un peu gros, ces 10 millions ! Une somme en liquide si importante, déposée si tardivement, ça paraissait anormal. » D’où Balladur sortait-il ces millions ? Le Conseil s’était interrogé sur l’origine de ces billets : « Nous avons pensé à la piste des fonds secrets, se souvient Jacques Robert. Puis nous l’avons abandonnée. »

Les balladuriens, à l’époque, juraient qu’aucun fonds secret n’avait financé leur campagne. Les Sages avaient alors posé d’autres hypothèses : « Cela pouvait aussi provenir de l’argent de la Françafrique, confie Jacques Robert. De certains chefs d’Etat comme Omar Bongo, le président du Gabon… » Mais les neuf Sages n’ayant aucun pouvoir d’enquête, il leur fut impossible d’en savoir plus. « Nous n’étions pas des juges d’instruction, souligne Jacques Robert, nous ne pouvions pas perquisitionner. C’est pour cette raison que, à la suite de cette affaire, nous avons fait une note demandant l’augmentation des pouvoirs d’investigation du Conseil constitutionnel. » Une note qui sommeille encore dans un tiroir.

Aux membres du Conseil, les rapporteurs expliquent que ces mystérieux 10 millions, intraçables, suffisent à invalider les comptes de Balladur. Mais Roland Dumas s’y oppose fermement : « Non ! Ce n’est pas possible, réplique-t-il aux rapporteurs. Puis-je vous demander de revoir vos comptes, en minorant certaines dépenses ? Je suis sûr que vous allez trouver une solution. » Jacques Robert se souvient de ce moment. Les rapporteurs se regardent d’un air affligé mais obéissent. Ils modifient des chiffres mais les comptes rabotés dépassent toujours le plafond légal. « Mieux, mais pas suffisant ! », tranche Dumas.

« A leur place, j’aurais balancé le dossier à la figure de Dumas ! »

Les rapporteurs comprennent que le président du Conseil constitutionnel ne souhaite « ni sanction ni annulation » des comptes de campagne de Balladur. Jacques Robert : « Ils sont revenus nous voir une dernière fois avec les comptes qui dépassaient symboliquement de 1 franc ! Ils nous signifiaient ainsi qu’ils n’étaient pas dupes. Moi, à leur place, j’aurais balancé le dossier à la figure de Dumas ! »

Contacté par Les Inrocks, Roland Dumas, revenu aujourd’hui au métier d’avocat, ne souhaite plus aborder publiquement le fond de cette affaire. Pour lui, les délibérations du Conseil constitutionnel auraient dû rester secrètes. « Jacques Robert a tort de parler ainsi. Nous sommes tous tenus par un serment de respect du secret. » Il ajoute, sibyllin :

« Ce que dit Jacques Robert n’est pas exact. – Pas exact ? Mais comment ? – Vous le saurez à l’ouverture des archives du Conseil constitutionnel, dans quelques années… » Puis il met poliment fin à la conversation.

Après le maquillage demandé par Roland Dumas, le Conseil passe au vote. La volonté de Dumas l’emporte : les neuf Sages votent majoritairement la validation des comptes de Chirac et de Balladur. Mais, parmi eux, plusieurs ont voté contre. Dans Le Monde du 26 novembre 2010, les journalistes Raphaëlle Bacqué et Pascale Robert-Diard lèvent le mystère sur l’identité de ces résistants : il s’agirait des quatre conseillers nommés par la gauche.

L’un d’eux était une femme. C’est l’avocate Noëlle Lenoir, nommée en 1992 au Conseil constitutionnel par le président de l’Assemblée nationale, le socialiste Henri Emmanuelli. Considèrant qu’elle est soumise au devoir de réserve, elle ne veut pas répondre à nos questions mais lâche un indice : « Je ne vous dis pas ce que j’ai voté mais je suis en paix avec ma conscience. » Quant à ceux qui auraient voté pour la validation, il s’agirait des quatre conseillers nommés par la droite. Si cela se révèle exact, la voix de Roland Dumas aurait donc fait la différence, Seules les archives permettront de trancher cette question avec certitude.

N’oublions pas les comptes de Jacques Chirac. Comme pour Balladur, de mystérieux millions sont apparus dans sa campagne. Le 2 mai 1995, ils se sont même invités de façon spectaculaire dans le débat télévisé Chirac-Jospin précédant le second tour de l’élection présidentielle.

Le candidat socialiste avait lancé à son adversaire : « En ce qui concerne le train de vie de l’Etat, je suis un peu inquiet quand je vois celui de la campagne de Jacques Chirac. Il ne donne pas l’exemple ! Il a été affirmé à plusieurs reprises, y compris par des gens qui vous soutiennent, que vous aviez dépassé largement, et même très largement, votre plafond de dépenses de campagne qui est fixé à 90 millions. Vous l’avez vous-même évalué à 87 millions. Je n’en ai dépensé que 42. C’est un vrai problème parce qu’on sait que le Conseil constitutionnel doit vérifier ensuite les comptes de campagne. J’ai de bonnes raisons de penser que votre compte de campagne, Monsieur Chirac, est très largement dépassé. Donc vous avez un train de vie, en campagne en tout cas, qui ne laisse pas bien augurer de l’avenir. »

Rire crispé puis raclement de gorge de Jacques Chirac, qui répond à Lionel Jospin dans son inimitable tempo : « Pour le train de vie de ma campagne, Monsieur Jospin, je puis vous dire que conformément à la loi, mes comptes sont et seront publics. C’est la loi. Et que, par conséquent, le Conseil constitutionnel pourra juger, de même qu’il jugera les vôtres. N’accusez pas sans savoir, ou à partir de on-dit. » Mi-cordial, mi-pincé, Chirac semblait quand même bien sûr que ses comptes seraient validés par le Conseil constitutionnel.

Comment pouvait-il être si confiant avec un Conseil à moitié socialiste et présidé par un adversaire politique présumé, Roland Dumas ? Jacques Robert l’avait révélé en décembre : avant le vote du Conseil constitutionnel, « Roland Dumas a passé une heure à l’Elysée avec Jacques Chirac. » Quels mots sont échangés ? Les deux hommes conviennent-ils d’un arrangement ? Aucun, soutient Dumas. Négocient-ils quelque chose ? Un pacte pour l’avenir ? Dumas dément. L’important, pour lui et pour Chirac, est de trouver le moyen de ne pas jeter le discrédit sur un homme élu à la plus haute fonction. Les membres du Conseil constitutionnel ferment donc les yeux pour sauver deux grands candidats. Et pour ne pas passer pour des incompétents, pour montrer qu’ils remplissent leur mission de vérificateurs des comptes, ils prennent la décision de sanctionner un petit candidat indépendant.

Jacques Cheminade, parfait bouc émissaire

La farce démocratique trouve alors son dindon. Il s’appelle Jacques Cheminade. L’ennemi de la finance, le candidat du groupuscule Nouvelle solidarité qui rêve de concilier le socialisme jaurésien, le christianisme social et le gaullisme de rupture. 0,27 % des voix. Les Sages trouvent dans ses comptes de campagne une petite anomalie. Ils estiment que 1,7 million de francs de prêts sans intérêts, offerts par des particuliers, sont des dons déguisés qui « constituent pour le candidat un avantage ».

Conséquence : Cheminade doit rembourser l’avance d’un million de francs accordée par l’Etat pour ses frais de campagne ! Pour lui, pas de négociation. En août 1996, l’Etat saisit ses biens. Seize ans plus tard, il lui réclame encore 170 000 euros alors qu’il est à nouveau candidat à la présidentielle de 2012.

Jacques Cheminade juge la procédure abusive, puisque même la jurisprudence de la Commission des comptes de campagne recommande qu’en matière politique, les taux d’intérêts peuvent être nuls… Nos deux anciens du Conseil constitutionnel, Jacques Robert et Maurice Faure, ne sont pas fiers du traitement infligé à ce petit candidat. Ils reconnaissent que, honteux du cadeau fait à Chirac et Balladur, ils se sont refait une virginité sur son dos.

Jacques Robert : « Pour montrer que nous étions indépendants, nous avons invalidé Jacques Cheminade, alors qu’il n’avait commis que de légères erreurs. Pour lui, nous n’avons eu aucun problème de conscience : il a eu tous ses biens hypothéqués. »

Un appartement de 60 mètres carrés à Paris et une vieille maison de famille en Auvergne. « Bien sûr qu’il y a eu inégalité de traitement ! », reconnaît aussi Maurice Faure. Quant à Roland Dumas, il s’en défaussera sur un plateau de télévision en mai 2011, avec cette phrase cruelle mais tellement révélatrice du fonctionnement réel de l’institution : « Jacques Cheminade était plutôt maladroit. Les autres étaient adroits… » Au téléphone, nous lui demandons le sens de cette remarque, ce qu’elle implique dans la conception qu’on peut avoir du droit appliqué aux puissants. Il nous répond ceci : « J’ai voulu dire ce que j’ai dit. » Rien de plus.

En 1995, ces longues journées de débats et le sacrifice d’un « maladroit » ont blessé la conscience du Conseil constitutionnel. Le dernier jour des délibérations, un déjeuner est organisé avec les neuf membres du Conseil et les trois rapporteurs qui demandaient l’invalidation des comptes. Ces derniers refusent l’invitation. Comment s’est déroulé ce déjeuner ? Jacques Robert le résume en souriant : « Nous avons parlé d’autre chose… »

Aujourd’hui, de graves questions se posent sur le rôle et le pouvoir du Conseil constitutionnel. Après avoir violé son serment en 1995, peut-il encore se prévaloir d’être un conseil des Sages ? Reste-t-il légitime pour vérifier les comptes des candidats de l’élection présidentielle qui vient ? Noëlle Lenoir pense que cette institution, trop politique, devrait totalement changer son mode de fonctionnement. « Je souhaiterais plus de transparence. Il me semblerait beaucoup plus sain que le Conseil constitutionnel ne soit pas aussi le juge électoral. Dans cette instance très politique, tout le monde se connaît. Je trouve gênant de statuer sur la situation de personnes que vous retrouvez le lendemain au cours d’une réception, avec qui vous avez siégé dans un gouvernement ou qui ont été vos opposants politiques. »

Notons que Jacques Cheminade avait tenté, à l’époque, d’invoquer la partialité de Roland Dumas : ce dernier était l’avocat du Canard enchaîné et il avait dans les années 1980 plaidé contre Cheminade dans un procès en diffamation. L’argument n’avait pas porté. Jacques Robert : « Il faudrait enlever au Conseil le contentieux électoral. Pourquoi ne pas confier l’examen des comptes de campagne à la Cour des comptes ? Ou alors créer un organisme indépendant ? » Noëlle Lenoir va plus loin :

« Le Conseil constitutionnel doit devenir une Cour suprême, avec des membres qui ne seraient pas des politiques mais plutôt des juges. »

Une sorte de Cour suprême, à l’américaine ? C’est ce que propose Roland Dumas, qui se dit « partisan d’une réforme » après la présidentielle de mai 2012. « Il faudra probablement réunir une commission composée de professeurs de droit. Le système existant n’est pas si mauvais mais il n’est pas parfait. Il faut l’améliorer. La grande réforme serait de s’orienter vers une Cour constitutionnelle composée de magistrats et de juristes, comme cela existe dans les pays anglo-saxons. » Dumas cite la vieille blague du père de la Déclaration d’indépendance américaine, Thomas Jefferson : « Un juge à la Cour suprême ne prend jamais sa retraite et meurt rarement. » Traduction : ces gardiens de la loi y seront pour toujours. Est-ce le bon modèle pour un conseil plus juste et plus transparent ?

Voir aussi:

Jacques Robert : «On s’est tous dit qu’il se fichait de nous»

 Le Parisien

01.12.2011

 Professeur de droit et président honoraire de l’université Panthéon-Assas, Jacques Robert, 83 ans, a été membre du Conseil constitutionnel de 1989 à 1998. A ce titre, il a examiné, en octobre 1995, dans la foulée de l’élection de Jacques Chirac à l’Elysée, les comptes de campagne des candidats, notamment ceux d’Edouard Balladur. Pour « le Parisien » – « Aujourd’hui en France », il détaille les manœuvres qui ont conduit les Sages à « blanchir » 10 millions de francs (1,5 M€) à l’origine douteuse.

Vous souvenez-vous du délibéré portant sur les comptes de campagne d’Edouard Balladur?

JACQUES ROBERT. Parfaitement. Et ce n’est pas un bon souvenir. Je vis très mal la façon dont le droit, à cette occasion, a été tordu.

C’est-à-dire?

Comme tous les dossiers électoraux, celui d’Edouard Balladur a été examiné par trois conseillers rapporteurs détachés auprès de nous par la Cour des comptes et le Conseil d’Etat. Leur rapport, présenté en séance pleinière, était sans équivoque : les comptes du candidat Balladur accusaient 10 millions de francs de recettes d’origine inconnue. Ils étaient donc irréguliers.

Ont-ils tenté d’obtenir une explication de l’ex-candidat?

Oui. Ils lui ont écrit à trois reprises, par lettre recommandée, mais Edouard Balladur ne leur a jamais répondu. L’explication selon laquelle ces 10 millions provenaient de la vente de tee-shirts, esquissée par son trésorier, ne tenait pas la route. C’était une somme énorme. On s’est tous dit que Balladur se fichait de nous.

Les comptes de Jacques Chirac, eux, étaient corrects?

Non. Mais les irrégularités n’avaient pas une telle ampleur.

Comment les Sages du Conseil constitutionnel ont-ils réagi?

Nous étions tous très ennuyés. Roland Dumas, président du Conseil, a alors pris la parole. « Nous ne sommes pas là pour flanquer la pagaille, a-t-il dit. Les Français ne comprendraient pas qu’on annule l’élection pour une affaire de dépassement de crédits. Il faut trouver une solution. » Il s’est tourné vers les rapporteurs. « Des postes ont peut-être été majorés? Si vous baissiez cette somme, ce serait pas mal… » La séance a été suspendue. Les trois rapporteurs se sont retirés pour travailler. Au bout de cinq ou six heures, quand ils sont revenus, le montant avait été réduit, mais les comptes étaient encore largement dépassés. Roland Dumas leur a demandé de faire un effort supplémentaire. Les rapporteurs se sont retirés à nouveau. Ils ont fini par présenter des comptes exacts… à 1 franc près. Sans doute pour montrer qu’ils n’appréciaient pas d’être pris pour des imbéciles.

En ce qui concerne Chirac?

Cela s’est passé quasiment de la même manière.

Avez-vous accepté de valider ces comptes?

Je sais que je ne voulais pas le faire, mais, après toutes ces années, je ne me souviens pas de mon vote. Peut-être ai-je, finalement, rallié les arguments de Roland Dumas… Vous savez, le Conseil constitutionnel, c’est un peu un club. On est entre gens de bonne compagnie, on se tutoie. Claquer la porte, donner des leçons aux collègues, ça ne se fait pas. Une chose est sûre : nous n’étions pas très fiers. Nous venions de passer trois jours à huis clos. Nous étions épuisés, mal à l’aise. Nous nous sommes dispersés sans un mot, avec le sentiment que la raison d’Etat l’avait emporté sur le droit.

Vous êtes-vous demandé d’où pouvaient provenir les fonds de Balladur? Nous avions la certitude que leur origine était douteuse, mais nous penchions plutôt pour un potentat africain, une grosse fortune française ou les fonds secrets de Matignon. A l’époque, personne ne parlait de Karachi, du Pakistan ou de l’Arabie saoudite. Je ne me souviens pas que l’hypothèse de rétrocommissions liées à des contrats d’armement ait été évoquée.

Aujourd’hui, qu’en pensez-vous?

Juste avant notre vote, Roland Dumas a passé une heure à l’Elysée avec Jacques Chirac. Sans doute lui a-t-il dit que la situation était délicate et qu’il avait dû manœuvrer pour faire régulariser les comptes. Mon impression, c’est que Roland Dumas, Jacques Chirac et Edouard Balladur se tenaient à l’époque par la barbichette. Et que nous avons servi de caution à une belle entourloupe.

Voir enfin:

Petits comptes entre « sages »

Raphaëlle Bacqué et Pascale Robert-Diard

Le Monde

26.11.10

Octobre 1995. Les rapporteurs du Conseil constitutionnel proposent le rejet des finances de la campagne d’Edouard Balladur. Ils ne sont pas suivis.

Les débats ont duré cinq jours. Autour de la table ovale du Conseil constitutionnel, en ce mois d’octobre 1995, l’atmosphère est tendue. Roland Dumas et les huit autres membres doivent trancher une question brûlante : peuvent-ils ou non invalider les comptes de campagne des deux principaux candidats de la droite, le vainqueur de l’élection présidentielle, Jacques Chirac, et son adversaire, éliminé dès le premier tour, Edouard Balladur ?

Depuis la mi-juillet, dix rapporteurs, tous hauts fonctionnaires du Conseil d’Etat et de la Cour des comptes, ont épluché, facture après facture, les dépenses et les recettes des neuf candidats du premier tour. Jacques Chirac et Edouard Balladur posent de sérieux problèmes. Des versements en liquide figurent sur les comptes de campagne sans aucune justification. Tout l’été, les rapporteurs ont réclamé des explications.

Une demi-douzaine de lettres recommandées ont été adressées à M. Balladur, dont l’association de financement a été notamment créditée de 10,25 millions de francs en espèces (1,56 million d’euros) le 26 avril 1995. Son trésorier, René Galy-Dejean, donne des explications fluctuantes : des ventes de gadgets, explique-t-il d’abord, des tee-shirts, indique-t-il ensuite. « Le candidat ne sait manifestement pas quelle argumentation opposer aux questions », écrivent les trois rapporteurs, Martine Denis-Linton, Rémi Frentz et Laurent Touvet.

Pour Roland Dumas, c’est la première occasion d’exercer son savoir-faire politique. Nommé en mars 1995 par François Mitterrand, juste avant que celui-ci ne quitte l’Elysée, son arrivée a fait grincer des dents. Autant son prédécesseur, Robert Badinter, était incontesté, autant l’ancien ministre des affaires étrangères suscite l’hostilité de certains membres. « Il lui manque une case, celle de la morale », confie alors un des « sages ». Les premières semaines, il a dû déployer tout son charme pour apprivoiser ce Conseil, dont quatre membres ont pourtant été nommés par la gauche.

Recettes en espèces injustifiées

C’est peu dire que l’exposé des rapporteurs jette un froid sur le Conseil. Le 3 octobre, devant les neuf membres, ils proposent le rejet des comptes d’Edouard Balladur, ce qui revient à le priver du remboursement par l’Etat des dépenses de campagne qu’il a engagées. Il est d’usage, au Conseil, de suivre leur avis. Selon notre enquête, dès l’ouverture des débats, Roland Dumas met en garde ses collègues. Les comptes de Jacques Chirac, leur rappelle-t-il, présentent, eux aussi, des recettes injustifiées et une sous-estimation des dépenses. Roland Dumas insiste : si on annule les comptes de l’ancien premier ministre, il faudra aussi annuler ceux du président élu. Il observe que les dépassements chez celui-ci sont « beaucoup plus sérieux ». « Peut-on prendre le risque d’annuler l’élection présidentielle et de s’opposer, nous, Conseil constitutionnel, à des millions d’électeurs et ainsi remettre en cause la démocratie ? », fait-il valoir.

Maurice Faure, éphémère ministre de la justice de François Mitterrand en 1981, rechigne pourtant. « Je n’accepte pas cette solution », dit-il. Il est l’un des seuls à s’émouvoir publiquement. Les rapporteurs, eux, continuent de batailler. A quoi donc ont servi leurs investigations si c’est pour capituler ?

Roland Dumas décide alors de suspendre la séance. Il demande aux rapporteurs de revoir leur copie et de modifier les modes de calcul qu’ils ont retenus. Pour les recettes en espèces injustifiées, le président du Conseil constitutionnel donne lui-même l’explication que lui a fournie Jacques Chirac : « Savez-vous que les militants du RPR ont une imagination débordante et que, à la fin de chaque meeting, ils font circuler une sorte de gros boudin dans lequel chacun verse son obole, et cela fait des sommes extraordinaires ! » L’argument ne dupe personne mais les rapporteurs, eux, sont obligés de reprendre leurs calculs.

Pressés par Roland Dumas, ils « oublient » la provenance incertaine des 10,25 millions de francs d’Edouard Balladur, réintègrent dans ses dépenses 5 929 628 francs, ce qui le laisse opportunément juste en dessous du plafond de 90 millions de francs autorisé pour les candidats du premier tour. La même opération est menée pour Jacques Chirac, qui en tant que candidat du second tour, a droit, pour sa part, à 120 millions de francs de dépenses. Les rapporteurs réintègrent 3 334 295 francs dans ses comptes.

Pour l’un et l’autre, l’addition est désormais officiellement orthodoxe : Edouard Balladur est à 0,25 % du plafond autorisé. Jacques Chirac fait encore mieux : ses dépenses s’établissent à 0,034 % en dessous du seuil légal.

Il faut maintenant voter. Mais la bataille des rapporteurs a laissé des traces. Quatre conseillers refusent d’approuver les comptes. Quatre les valident. Quatre voix contre quatre. La cinquième qui fait basculer la majorité en faveur de l’adoption des comptes est celle de Roland Dumas. « Ce n’était pas très glorieux », reconnaît aujourd’hui le professeur de droit Jacques Robert. Il sera le seul, cinq ans après cette décision, à exprimer ses états d’âme dans un livre, La Garde de la République (Plon, 2000) : « La jurisprudence électorale est plus pragmatique que morale, écrit-il alors. Cette mission de contrôle des dépenses pour l’élection présidentielle est quasiment impossible à remplir. Le Conseil est une caution. »

Ce jour-là, la rigueur des gardiens de la Constitution fera tout de même une victime. Jacques Cheminade, qui a obtenu 0,28 % des voix au premier tour, voit ses comptes invalidés : il a obtenu un prêt sans intérêts. Ne pouvant bénéficier du remboursement partiel de l’Etat, il est ruiné.

Après cette séance houleuse, Roland Dumas convie tout le monde à déjeuner. Les rapporteurs, écoeurés, déclinent l’invitation.

Voir enfin:

DOCUMENTAIRE 19.20 Planète Joan Sekler, Richard Ray Perez… (EU, 2002).

EU 2000 Chronique d’une fraude électorale

Alain Baudou

Le Monde

13.09.03

L’Amérique est-elle encore une démocratie ? Fin 2000, lors de la dernière présidentielle, le candidat démocrate Al Gore déclarait : ‘ C’est l’intégrité de notre démocratie qui est en jeu. ‘ Dénonçant ainsi les pratiques électorales de son adversaire républicain, George W. Bush.

EU 2000-Chronique d’une fraude électorale, diffusé dans le cadre d’une semaine spéciale intitulée ‘ Le cauchemar américain ‘, revient sur cette élection dont le sort fut scellé après trente-cinq jours de bataille juridique qui prit fin sur décision de la Cour suprême des Etats-Unis. Dans ce film engagé, des avocats, des journalistes et des électeurs dénoncent une violation flagrante des droits civils orchestrée à tous les niveaux de l’Etat : failles du système électoral, procédures illégales, manipulation des bulletins…

L’issue de cette présidentielle s’est jouée en Floride, Etat gouverné par Jeb Bush, frère de ‘ W ‘ qui arrive en tête. Mais les deux candidats sont au coude-à-coude. Des milliers d’Afro-Américains, en grande majorité démocrates, ont été radiés des listes électorales en vertu d’une loi de 1868 ôtant le droit de vote à toutes personnes ayant un casier judiciaire. 15 % d ‘ entre eux affirment pourtant n’avoir jamais eu affaire à la justice. ‘ Rien n’est fait au hasard. (…) Le gouverneur républicain décide combien de voix virtuellement acquises aux démocrates seront supprimées ‘, explique un membre du bureau des élections. Par ailleurs, Katherine Harris, secrétaire d’Etat mais aussi directrice de campagne de Bush, s’oppose au recomptage manuel des voix, en jouant la montre. Finalement, George W. Bush remporte la présidentielle grâce à ces 537 voix d’avance, soit 0,0009 % des suffrages.

 Voir enfin:

CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Les témoignages d’anciens membres

Noëlle LENOIR : Le métier de juge constitutionnel

 avec l’aimable autorisation des Editions Gallimard

Extrait de « Le débat » n° 114 (mars-avril 2001)

Le Débat. – Vous venez de quitter le Conseil constitutionnel où vous aviez été nommée en 1992. En quoi consiste, sur la base de votre expérience, ce métier très particulier de juge constitutionnel ?

Noëlle Lenoir. – Etre juge constitutionnel est un métier très particulier en effet. Sa spécificité est d’autant plus marquée en France que le Conseil constitutionnel répond à un modèle original. Sans doute le plus original dans un monde où pourtant le contrôle de constitutionnalité ne cesse de gagner du terrain. Pendant près d’un siècle et demi, les Etats Unis ont été les seuls à posséder un organe juridictionnel apte à assurer la suprématie de la Constitution. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Depuis la fin de la dernière guerre mondiale, on ne compte plus les pays, au Sud comme au Nord, à l’Est comme à l’Ouest, qui se dotent d’une cour constitutionnelle.

Le Conseil constitutionnel est néanmoins un peu à part compte tenu de ses règles de saisine qui limitent son champ d’intervention. En particulier seules les autorités politiques peuvent saisir le Conseil d’un recours contre une loi.

Apprécier si une loi méconnaît ou non la Constitution est déjà en soi un exercice délicat ne serait-ce qu’en raison de la formulation très générale des principes constitutionnels à appliquer. Liberté, Egalité, Solidarité, voilà le type de principes dont il faut déterminer le sens et la portée. Or en France, je viens de le rappeler, cet exercice est soumis à des contraintes particulières. D’abord, il doit se dérouler dans un délai extrêmement bref. Le Conseil constitutionnel a au maximum un mois pour statuer, ou même éventuellement huit jours en cas d’urgence demandée par le Gouvernement. Cette particularité française suscite souvent l’étonnement, notamment chez certains membres des autres cours. Examiner les nuances d’une argumentation juridique en faveur ou à l’encontre d’une loi dans un laps de temps aussi bref est une gageure, font ils observer. Car le Conseil doit juger en quelques semaines de la constitutionnalité d’une loi, alors qu’il a fallu plusieurs mois, sinon même plusieurs années, à l’administration pour la préparer, puis au Parlement pour la voter. Les membres du Conseil, et le service juridique qui les assiste, anticipent il est vrai parfois les saisines en suivant les discussions parlementaires sur certains textes. Imaginez cependant qu’au mois de décembre de chaque année, le Conseil est en général saisi concomitamment de trois lois d’une extrême complexité. A savoir la loi de finances de l’année à venir, le collectif budgétaire et la loi de financement de la sécurité sociale (c’est à dire le budget social de la Nation) !

A cette première difficulté s’en ajoute une deuxième, tout autant technique que politique, liée au caractère  » préventif  » du contrôle de la loi. En France, la constitutionnalité d’une loi ne peut être mise en cause qu’avant son entrée en vigueur. Une fois promulguée, la loi est en principe inattaquable du point de vue de sa constitutionnalité. Le juge constitutionnel français est donc amené à contrôler des lois qui sont l’expression juridique de choix politiques du moment, des choix qui peuvent porter sur un élément essentiel du programme de la majorité en place. La confrontation avec le monde politique est d’autant plus directe que le Conseil constitutionnel ne peut être saisi que par des autorités politiques : le Président de la République, le Premier Ministre, le Président de l’une ou l’autre Assemblée ainsi que, depuis la révision constitutionnelle de 1974, soixante députés ou soixante sénateurs, c’est à dire en pratique l’opposition. Les autres juridictions constitutionnelles, de manière générale, apprécient la constitutionnalité de lois déjà entrées dans l’ordre juridique. Le Doyen Vedel, qui fut membre du Conseil Constitutionnel entre 1980 et 1989, fait justement valoir dans une chronique publiée dans les  » Mélanges en l’honneur de Roger Perrot  » que  » la rusticité, sinon la brutalité du système français  » qui oblige à régler  » à chaud  » une question de constitutionnalité, n’a pas que des désavantages. Ce système assure – écrit-il –  » une exécution imparable  » des décisions du Conseil Constitutionnel dans la mesure où toute disposition déclarée inconstitutionnelle est interdite de promulgation. Annulée en totalité, la loi est censée n’avoir jamais existé. Censurée en partie, elle est publiée au Journal Officiel amputée des dispositions annulées. L’efficacité du système est évidente. Il reste que le contrôle a priori de la loi conjugué avec l’obligation de statuer dans le mois contraint le juge français à interférer dans un processus de décision politique plus directement qu’ailleurs.

La troisième contrainte est inhérente au contrôle a priori. Elle réside dans le fait que le juge constitutionnel français ne peut contrôler la loi qu’in abstracto, en dehors de toute application à un cas déterminé : au contraire, dans le cadre du contrôle a posteriori, le juge est le plus souvent saisi en dernier ressort, d’un litige concret, alors qu’un débat judiciaire a pu déjà avoir lieu en première instance, puis en appel. Il a donc la possibilité d’avoir du recul face aux problèmes juridiques posés, ce que ne permet pas toujours le contrôle in abstracto. Tout dépend de la nature des dispositions soumises à l’appréciation du juge. Prenons l’exemple d’une loi de 1993 qui, pour la première fois en France, a prévu la présence de l’avocat lors de la garde à vue. Le Conseil constitutionnel n’a pas eu de difficulté particulière pour en apprécier la portée et juger que cette présence constituait un droit de la défense constitutionnellement garanti. L’appréciation des incidences d’une loi n’est pas toujours aussi aisée, notamment en matière économique ou financière. Même dans le cadre du contrôle a posteriori, la législation fiscale en particulier suscite en raison de sa complexité des difficultés de compréhension. Madame Sandra O’Connor, juge à la Cour Suprême des Etats Unis, indique dans une interview publiée dans les Cahiers du Conseil Constitutionnel qu’en matière fiscale, la Cour Suprême fait appel à des amicus curiae. Il convient d’éviter au juge, souligne-t-elle, de devoir se  » prononcer, en toute innocence, dans un sens risquant d’engendrer de grandes incertitudes chez les experts fiscalistes « . Quant au juge constitutionnel français, il est contraint de se livrer parfois de délicates projections mathématiques pour pouvoir de mesurer les implications de dispositions économiques ou fiscales qui n’ont jamais encore été appliquées.

En France, comme ailleurs, le métier de juge constitutionnel est passionnant car il confère le privilège d’avoir à s’intéresser à tous les grands choix de société en les rapportant aux valeurs exprimées par la Constitution.

Je veux simplement souligner qu’en France, plus qu’ailleurs, le juge constitutionnel est proche de l’arène politique dès lors que l’usage du contrôle de constitutionnalité est étroitement lié à la compétition politique. Du fait du système du contrôle a priori, le juge semble, à son corps défendant, faire en quelque sorte office de  » tuteur  » vis à vis du législateur. Tout se passe comme si le Conseil constitutionnel, tout en étant juge, était chargé d’une mission de service public consistant à parfaire les lois soumises à son examen en les débarrassant de leurs dispositions inconstitutionnelles. Le juge français a vraiment un positionnement original.

Le Débat. – À quoi attribuez-vous cette originalité ?

N. L. – Elle s’inscrit en droite ligne de notre culture politique. Le concept majeur de la démocratie, en France, c’est la volonté générale. Jusqu’à 1958, la loi votée par le Parlement en tant qu’expression de la volonté générale était réputée  » infaillible « . Le contrôle de la constitutionnalité des lois en France a mis fin à cette infaillibilité, sans cependant altérer la doctrine de la primauté de la volonté générale, c’est à dire du politique. Ce contrôle vise à assurer le respect d’une autre volonté générale exprimée, non par le législateur, mais par le pouvoir constituant. A travers la Constitution, le peuple souverain s’est donné des règles du jeu que le Conseil constitutionnel a pour mission de faire respecter. C’est à la lumière de ces considérations qu’il faut, me semble-t-il, interpréter le sens du contrôle de la constitutionnalité des lois « à la française ». La garantie de l’Etat de droit en France est étroitement liée au respect de la souveraineté du peuple. C’est ce qu’exprime le Conseil constitutionnel lorsque, par exemple, il relève dans une décision de 1991 que  » le pouvoir constituant est souverain  » et  » qu’il lui est donc loisible d’abroger, de modifier ou de compléter des dispositions de valeur constitutionnelle… « . L’approche semble différente dans les autres pays dotés d’une cour constitutionnelle. Prenons l’exemple de l’Allemagne ou encore de l’Afrique du Sud, dont la toute récente cour constitutionnelle est particulièrement active. Certes dans ces deux pays, la Constitution se définit comme la loi fondamentale adoptée par et pour le peuple souverain. Mais l’idée de base du contrôle de constitutionnalité est de garantir aux citoyens la protection de leurs droits fondamentaux. D’où, dans la Constitution allemande, la prohibition de toute révision des principales dispositions constitutionnelles sur les droits fondamentaux. La Cour Constitutionnelle d’Afrique du Sud n’hésite pas quant à elle à évoquer, à propos des droits et libertés établis par la Constitution,  » les valeurs qui doivent guider le peuple « . En France, c’est la notion de hiérarchie des normes qui prévaut, la volonté générale du législateur étant tenue de céder devant la volonté générale supérieure du constituant.

Le Débat. – Les circonstances sont pour beaucoup dans la spécificité de l’approche française.

N. L. – En effet. Comme son nom l’indique, le Conseil constitutionnel n’a pas été conçu pour être une cour. Le général De Gaulle, mais aussi René Cassin l’un des inspirateurs de la Constitution de 1958, étaient opposés à la création d’une cour constitutionnelle en France. De Gaulle estimait qu’en France,  » La cour suprême, c’est le peuple « . Le Conseil constitutionnel a donc été institué comme outil du  » parlementarisme rationalisé « . Il devait veiller à ce que le Parlement ne déborde pas du champ de compétence que lui assigne la Constitution de 1958 en empiétant sur les attributions de l’Exécutif. Sous la Ve République, l’Exécutif a en effet un rôle prédominant dans l’élaboration et l’adoption de la loi. Dans leur grande majorité , les lois sont issues de projets gouvernementaux et le gouvernement dispose des armes de procédure nécessaires pour faire voter ces projets. Le Conseil Constitutionnel avait pour vocation unique de préserver ce nouvel équilibre des pouvoirs entre le Législatif et l’Exécutif. C’est ainsi qu’il lui incombe de vérifier automatiquement le règlement intérieur de l’une ou l’autre assemblée parlementaire, de manière à éviter que des modifications apportées à ce texte ne remettent en cause la prééminence de l’Exécutif. Dès 1959, le Conseil a ainsi censuré une disposition du règlement de l’Assemblée Nationale apparemment bénigne sur l’organisation éventuelle d’un vote en fin de débat sur une question orale, jugeant qu’elle dotait l’Assemblée d’un moyen de contrôle de l’activité gouvernementale non prévu par la Constitution. Gardien de l’orthodoxie de la procédure parlementaire, le Conseil était également chargé d’assurer que le Parlement reste dans les limites de l’article 34 de la Constitution qui énumère les domaines où il est fondé à intervenir. Depuis une décision de 1982, le Conseil ne procède pratiquement plus à cette vérification, bien que le principe d’un tel contrôle demeure. D’ailleurs, le contrôle de la conformité à la Constitution des règlements des assemblées n’occupe plus lui-même aujourd’hui qu’une part également très limitée des activités juridictionnelles du Conseil.

Ces activités ont en effet considérablement évolué. Je reste toujours aussi étonnée de la rapidité avec laquelle a joué la dynamique institutionnelle. Le Conseil est en effet devenu de lui-même une cour constitutionnelle, ce qui rend le débat sur sa qualification – juridictionnelle ou non – sans objet. Quand et comment s’est opérée cette métamorphose ? Le tournant est connu. Il date très exactement de la décision du 16 juillet 1971 sur la liberté d’association faisant suite à un recours du président du Sénat contre une loi modifiant le régime juridique des associations. Cette décision a transformé le rôle du Conseil. Garant de la répartition des compétences entre le Législatif et l’Exécutif, le Conseil a en effet étendu sa mission à celle de garant des droits fondamentaux. Il a de façon prétorienne décidé d’appliquer, non seulement la Constitution de 1958 elle-même qui précise essentiellement l’organisation des pouvoirs publics, mais aussi la Déclaration de 1789 et le préambule de 1946, qui établissent les droits et les libertés garantis en France. C’est maintenant sur ce  » bloc de constitutionnalité « , suivant l’expression du Doyen Favoreu, que le Conseil construit sa jurisprudence. Le Conseil Constitutionnel n’est pas la seule juridiction à s’être ainsi  » autoproclamée  » cour constitutionnelle. La Cour Suprême des Etats Unis, s’est elle aussi de sa propre initiative déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois, à l’occasion de son fameux arrêt  » Marbury versus Madison  » de 1803. La Cour Constitutionnelle italienne a fait de même, dès son premier jugement rendu en 1956. Elle s’est reconnue compétente pour appliquer l’ensemble des dispositions de la Constitution en contredisant alors la jurisprudence de la Cour de cassation suivant laquelle les articles de la Constitution relatifs aux libertés étaient seulement « programmatiques » et ne créaient pas de droits dont puissent se prévaloir directement les citoyens. Dernier exemple : celui de la Cour Suprême israélienne qui, en l’absence de Constitution écrite, a décidé en 1995 que deux lois – sur la dignité humaine et sur les libertés – avaient valeur de lois fondamentales s’imposant au législateur.

Ce qui peut surprendre, compte tenu notamment de notre tradition qui n’accorde pas au juge la place qu’il occupe dans d’autres pays, c’est l’audace inégalée dont a fait preuve le Conseil constitutionnel pour étendre son contrôle. Comment expliquer la décision de 1971 ? Le contexte a sans doute joué un rôle important : notons que la décision intervient quelques mois après la mort du général De Gaulle. Par ailleurs, la loi annulée par le Conseil était symboliquement très marquée par les événements de mai 68, en même temps qu’elle portait sur un domaine très sensible pour un large courant de l’opinion française, la liberté d’association. En deux mots, dans le cadre du maintien de l’ordre face à ce qu’il considérait être les menées subversives des groupes gauchistes et de leurs alliés intellectuels, le gouvernement de l’époque tentait d’établir un contrôle préalable des associations, et avait donc fait adopter une législation en ce sens. La décision du Conseil s’articule en deux temps. D’une part, elle consacre la liberté d’association en tant que principe constitutionnel ; d’autre part, elle considère qu’en instaurant un contrôle préalable des associations, la loi a violé ce principe.

Ce jugement a fait faire en une fois plusieurs pas décisifs à la jurisprudence. Tout d’abord, il est incontestable que la décision de 1971 est véritablement fondatrice du contrôle de constitutionnalité des lois.  » La loi est l’expression de la volonté générale, sous réserve du respect de la Constitution  » soulignera plus tard le Conseil Constitutionnel dans une autre décision. La décision de 1971 révèle ensuite le caractère créatif du contentieux constitutionnel. Le Conseil constitutionnel a dégagé le principe de la liberté d’association alors que celle-ci n’est pas même mentionnée dans la Constitution. C’est parce que cette liberté avait bénéficié sans discontinuité d’une consécration législative sous toutes les Républiques antérieures à la Quatrième République, qu’il a estimé qu’elle représentait l’un des  » principes fondamentaux reconnus par les lois de la République  » au sens du préambule de la Constitution de 1946. C’est donc de lui-même que le Conseil a fixé les critères de définition de cette catégorie de principes.

La seconde étape dans la transformation du Conseil a été franchie lors de la révision constitutionnelle de 1974 ouvrant le droit de recours aux parlementaires. Les chiffres sont éloquents. Rappelons nous que de 1959 à 1974, le Conseil n’a pas examiné plus de dix lois suivant la procédure du contrôle a priori. Tandis que ce contrôle donne lieu aujourd’hui à une vingtaine de décisions annuelles. La réforme de 1974 a constitué une seconde naissance ; pourtant sa portée est ambiguë car elle enferme le Conseil dans sa particularité française. Si le constituant à l’époque avait fait du Conseil une cour  » comme les autres  » dont l’accès par exemple est ouvert aux citoyens à travers l’exception d’inconstitutionnalité – probablement cette étape était-elle plus facile alors à franchir – on aurait pu parer à la fragilité d’un système qui met face à face une cour constitutionnelle et le pouvoir politique. Etre appelé à jouer de facto un rôle d’arbitre entre la majorité et l’opposition est une position qui n’est pas toujours très confortable pour un juge.

Le Débat. – En pratique, comment se passe le travail du conseil ?

N. L. – Permettez-moi deux observations liminaires. Premièrement, en dépit de la particularité du système français, il n’y a pas grande différence entre les modes de raisonnement et les techniques d’interprétation utilisés par le Conseil constitutionnel et ses homologues à l’ étranger. Deuxièmement, en revanche, c’est au niveau des méthodes de travail, en France et à l’étranger, que se manifeste les différences les plus sensibles ; l’une de ces différences résidant dans le secret qui entoure les travaux du Conseil constitutionnel.

J’évoquerais ici les méthodes du Conseil telles que je les ai personnellement éprouvées, notamment comme rapporteur d’un texte, au cours des deux phases principales que sont l’instruction des recours, d’une part, et le délibéré en séance plénière, d’autre part. Héritage de nos traditions, c’est au président du Conseil Constitutionnel qu’incombe l’attribution de chaque dossier ; dans certaines autres cours, les dossiers sont attribués aux juges sur une base chronologique, voire par tirage au sort. En principe les membres du Conseil n’ont pas de spécialité. Seuls les recours contre les lois de finances dont la complexité est sans pareille sont en général traité par le même rapporteur régulièrement désigné à cet effet. Par deux fois, à ma connaissance, le président du Conseil a exceptionnellement rapporté lui-même un dossier. Je ne puis vous en préciser la nature, car le nom du rapporteur de chaque dossier reste secret. Le rapporteur est assisté du service juridique du Conseil dont la compétence hors pair pallie le caractère peu étoffé. Ce service est dirigé par le secrétaire général du Conseil lui-même juriste de toute première catégorie, issu en général de la maison voisine qu’est le Conseil d’Etat. Quels que soient les inconvénients attachés au système qui prévaut à l’étranger consistant à affecter des assistants ou des  » clerks  » personnellement à chaque juge, cette dernière formule me paraît devoir s’imposer à terme en parallèle du service juridique, en raison de la charge croissante de travail du Conseil constitutionnel. Quel est ce travail ? Au niveau de l’instruction, il consiste d’abord pour le juge désigné comme rapporteur à étudier les mémoires écrits (députés et/ou sénateurs, en général), tout en se référant aux débats parlementaires publiés au Journal Officiel qui éclairent la portée de la loi et le sens des controverses auxquelles elle donne lieu. Puis le rapporteur organise une réunion d’information avec les représentants du secrétariat général du gouvernement et des ministères concernés. Dans notre pays en effet, c’est le secrétariat général du gouvernement qui, au nom de ce dernier, est chargé de défendre la loi. Cela illustre, par parenthèse, la prédominance de l’Exécutif dans la législation. J’ai longtemps pensé que des parlementaires requérants manifesteraient le désir d’ être associés à la procédure ; mais aucun d’entre eux ne l’a jamais à ma connaissance demandé. A la suite de la réunion avec le secrétariat général du gouvernement, qui est un temps fort de l’instruction, le Gouvernement transmet au Conseil son mémoire en défense, lequel est communiqué aux requérants qui peuvent répondre. Et ainsi s’échangent, par écrit seulement, les arguments des uns et des autres. Ce contradictoire s’est considérablement développé devant le Conseil Constitutionnel. Il s’est même enrichi. Outre les mémoires des  » plaignants  » auteurs du recours et ceux du secrétariat général du gouvernement qui intervient en défense, le Conseil reçoit de plus en plus souvent des contributions émanant de groupes d’intérêt sous la forme notamment de consultations demandées à d’éminents représentants de la doctrine. Cette pratique, qui se généralise, reflète les enjeux économiques et financiers de législations inscrites dans une logique de marché ou qui, au contraire, la contredisent. Telle industrie pharmaceutique, par exemple, conteste la constitutionnalité d’un prélèvement imposé sur le chiffre d’affaires ou les bénéfices des entreprises du secteur, à titre de contribution au financement de la sécurité sociale. Tel opérateur dans le secteur des télécommunications met en cause le caractère excessif du montant des licences de téléphonie mobile au regard du principe d’égalité. Les exemples pourraient être multipliés. Dans une société ouverte comme l’est la nôtre, dans laquelle l’État n’est plus l’acteur principal d’un marché dont la dimension est européenne, voire mondiale, la loi touche à toutes sortes d’intérêts qu’il faut concilier avec l’intérêt général. D’où l’importance pour le juge d’aller quérir l’information là où elle se trouve pour être en mesure d’apprécier le contexte dans lequel se situe la loi. Il m’est arrivé, comme à mes collègues, d’auditionner des experts, professeurs de droit notamment, de même que des représentants professionnels, associatifs ou syndicaux. L’absence de formalisme de la procédure d’instruction devant le Conseil Constitutionnel autorise une grande liberté dont ne bénéficient pas les juges des cours étrangères. D’autant que les auditions qui ont lieu dans ces cours devant la formation collégiale et en audience publique – entendre par exemple des amicus curiae – se pratique au Conseil dans le secret du Palais Royal.

Une fois la phase d’instruction terminée – elle est courte, puisque le Conseil n’a qu’un mois pour statuer – le rapporteur arrête son projet de décision. La procédure est calquée sur celle du Conseil d’État en ce sens que le projet de décision est rédigé à l’avance. Dans ces conditions, la séance consiste, après un débat général, à amender, éventuellement mot par mot, par des votes à la majorité (avec voix prépondérante du président, en cas de partage) le projet présenté par le rapporteur. Les séances ont représenté pour le juge constitutionnel que j’étais les moments les plus gratifiants. C’est au cours de la séance que s’élabore collégialement la décision qui fera jurisprudence. De plus, les débats y sont toujours animés et la liberté d’expression est totale. Ces débats sont d’autant plus riches que la composition du Conseil est très pluraliste. Partout, les nominations de juges constitutionnels sont comme en France le fait d’autorités politiques. Mais le choix se porte à l’étranger sur des juristes qui appartiennent à un milieu plus homogène de professionnels, professeurs, magistrats ou avocats. Chez nous, le spectre est plus vaste. Aussi Conseil rassemble-t-il des personnalités dont l’expérience professionnelle, voire politique, est particulièrement variée et qui sont soucieuses de faire valoir leurs positions et la spécificité de leur approche.

C’est au cours de la séance que s’opère une étonnante alchimie qui à partir de positions contrastées, rapproche les points de vue au fur et à mesure de la discussion. La séance est en effet un moment important d’écoute et d’échanges, très argumentés. Résultat : Alors que des divergences ont pu se faire jour lors des votes sur différents points d’un projet, in fine le vote sur l’ensemble de la décision est assez souvent unanime. La solution n’est pas acquise d’avance. Il arrive que le rapporteur se rallie lui-même à une solution distincte de celle qu’il avait envisagée. Cela n’est nullement surprenant car une inconstitutionnalité est rarement absolument évidente. Aharon Barak, actuel président de la Cour Suprême israélienne estime, dans le livre qu’il a écrit à propos de la fonction de juge constitutionnel, qu’il n’y a jamais une seule et unique solution juridiquement valable. J’ai éprouvé le même sentiment. Malgré cela, en raison sans doute du caractère très collégial de la prise de décision, chaque juge se trouve conduit à adhérer aux décisions de sa cour, même celles qu’il n’a pas approuvées. Le reproche est de temps en temps adressé au Conseil (plus encore qu’à d’autres cours), de laisser transparaître dans ses jugements certaines options politiques. Plus précisément, j’ai entendu évoqué le fait que tel membre  » de droite  » se serait rallié à la majorité de gauche du Conseil constitutionnel ou plus récemment que tel membre  » de gauche  » du Conseil aurait commis l’incongruité de voter avec « la droite ». Ce type d’allégation est absurde. A quoi servirait une cour constitutionnelle qui reproduirait des schémas politiques ? Imposer à des juges constitutionnels d’apprécier la constitutionnalité d’une loi en votant pour ou contre celle-ci en fonction de l’appartenance politique de leur autorité de nomination serait la négation de la fonction.

L’indépendance, comme l’honnêteté intellectuelle, est une condition de la légitimité morale de la fonction. C’est une exigence qu’il faut cultiver en permanence. Sans avoir établi de statistiques, je peux indiquer qu’il m’est arrivé souvent de me prononcer dans un sens différent de ce que j’aurais fait si j’avais été parlementaire, abstraction faite de la discipline de parti.

Le Débat. – Mais au-delà de cette légitimité morale, à partir de quoi le Conseil construit-il ses décisions en droit ?

N. L. – Le socle de ces décisions est le  » bloc de constitutionnalité « , lequel comprend, on l’a vu, la Constitution de 1958 elle-même, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 d’inspiration libérale et le préambule de la Constitution de 1946 qui définit les droits économiques et sociaux. Ces textes sont plus ou moins anciens et donc plus ou moins adaptés aux défis actuels. Ceci n’empêche pas le Conseil constitutionnel d’en tirer les principes  » nécessaires à notre temps  » pour reprendre la formule du préambule de 1946. Par exemple, dans sa décision de 1994 sur les lois de bioéthique, le Conseil a dégagé le principe de la dignité de la personne humaine à partir d’une simple phrase du préambule de 1946. Or cette phrase ne parle pas de la dignité qu’elle suggère seulement en évoquant – c’était après la guerre –  » les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine… « . Identifier ainsi les normes de référence applicables correspond à la première étape du raisonnement du juge constitutionnel français. Ensuite, il s’attache à confronter les dispositions de la loi à ces normes constitutionnelles.

Fonder une décision en droit répond à trois impératifs.. La première obligation que s’assigne le juge constitutionnel qu’il soit d’ailleurs français ou non, est de se reporter à sa jurisprudence, c’est à dire aux précédents. Dans l’intitulé d’une chronique publiée il y a dix ans, Bruno Genevois, ancien secrétaire général du Conseil, se demandait :  » La jurisprudence du Conseil constitutionnel est-elle imprévisible ? « . La réponse est nuancée. D’un côté, la décision finale n’est pas donnée d’avance. En particulier, le choix entre la censure et la réserve d’interprétation dite neutralisante reste dans la majorité des cas toujours ouvert. D’un autre côté, les concepts et les modes de raisonnement sur lesquels s’appuie la jurisprudence sont la plupart du temps les mêmes. Je ne suis pas loin de voir dans le  » culte du précédent  » un impératif kantien pour le juge constitutionnel. Le respect du précédent est une garantie pour le législateur dont les actes sont contrôlés, une sécurité pour les citoyens dont les droits fondamentaux sont protégés et un facteur de légitimité pour le juge mis ainsi à l’abri du reproche d’arbitraire . Les revirements de jurisprudence ne sont bien sûr pas interdits et même parfois souhaitables, à mes yeux ; mais ils sont peu nombreux. Ils interviennent en pratique moins souvent sur le fond qu’en matière de procédure. Un exemple récent en témoigne. En 1999, le Conseil est revenu sur sa jurisprudence pour limiter la possibilité d’amender un texte de loi adopté au Parlement en commission mixte paritaire afin d’empêcher le gouvernement de remettre en cause l’accord intervenu entre les assemblées. J’ajoute que le Conseil constitutionnel procède rarement par ruptures. Il infléchit plutôt sa jurisprudence.

La deuxième règle d’or est plus spécifique à la France et à un moindre degré à l’Italie. Elle est que le juge doit s’abstenir de créer du droit. La conception du rôle du juge n’est plus tout à fait celle qui prévalait du temps de Montesquieu, pour qui que le juge était la  » bouche de la loi « . Pour autant le juge français est l’un des rares à ne pouvoir avouer qu’appliquer la loi, c’est l’interpréter et donc contribuer à créer la norme. Pour ce qui est du Conseil constitutionnel, cela se traduit par l’affirmation d’un respect scrupuleux des sources écrites de la Constitution. Et ce, même si, en se fondant sur ces dispositions écrites, le juge dispose en fait d’une grande latitude pour faire émerger de nouveaux principes, (la liberté contractuelle ou le droit à un recours juridictionnel effectif pour citer deux exemples récents).

Le troisième impératif est commun à toutes les cours constitutionnelles. C’est ce que l’on désigne habituellement comme le « self restraint » que l’on peut traduire par le mot « autolimitation ». Le juge constitutionnel apprécie en droit les lois, et n’est en effet pas habilité à porter sur elles un jugement en opportunité politique. En rappelant dans certaines décisions qu’il n’a pas  » un pouvoir de décision et d’appréciation de même nature que celui du Parlement « , le Conseil ne cherche pas seulement à se protéger. Il entend se positionner en juge alors même que le contrôle de constitutionnalité peut l’amener à interférer dans l’action gouvernementale. Ainsi, lorsqu’il procède à un  » test de proportionnalité  » entre les mesures prévues par la loi et les objectifs poursuivis par le législateur, le Conseil constitutionnel mentionne-t-il qu’il  » ne saurait rechercher si les objectifs que s’est assignés le législateur auraient pu être atteints par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées « . D’autres cours, comme la Cour suprême du Canada, sont bien plus directives. Le Conseil constitutionnel s’abstient en revanche d’indiquer au législateur les moyens de remédier à une inconstitutionnalité. Est-ce pour atténuer la brutalité d’un contrôle de constitutionnalité exercée  » à chaud  » ?

Le Débat. – Vous avez souligné à plusieurs reprises l’évolution du contentieux soumis au Conseil constitutionnel. Pourriez-vous préciser les contours de cette évolution de la jurisprudence ?

N. L. – Au cours des neuf années de mon mandat, entre 1992 et 2001, plusieurs facteurs semblent avoir influencé cette évolution : le contexte politique lié aux changements de majorités; mais surtout l’infléchissement du rôle de l’État et donc de la loi ; les transformations dans le paysage international ; enfin les renouvellements dans la composition du Conseil lui-même. Force est de constater que les problèmes sur lesquels le Conseil a du se pencher n’ont plus été les mêmes à quelques années d’intervalle. Au début, les recours qui émanaient alors de l’opposition de gauche, étaient dirigés principalement contre des lois à tendance sécuritaire : contrôles d’identité, maîtrise de l’immigration, garde à vue des mineurs, restriction des conditions d’accès à la nationalité française , par exemple. Les censures du Conseil consistaient alors à limiter les restrictions pesant sur les libertés. Les décisions étaient parfois vivement critiquées, mais elles s’inscrivaient dans le droit fil de ce qu’on attend d’une Cour constitutionnelle chargée de protéger les droits fondamentaux. La décision du 13 août 1993 sur l’immigration est célèbre parce qu’elle a provoqué une crise politique à cause de son interprétation libérale du droit d’asile. Mais cette décision est à mon avis surtout marquante en ce qu’elle a créé un véritable droit constitutionnel des libertés publiques pour les étrangers, alors que la Constitution ne garantit expressément que les  » libertés fondamentales des citoyens « . A partir de 1997, la matière des lois soumises au Conseil a changé. Leur caractère économique, fiscal ou social rend la tâche du Conseil plus compliquée. D’une part, et notamment dans le cadre du contrôle a priori, les subtilités de la législation sociale ou fiscale en France ne facilitent guère leur compréhension par le juge même s’il prend soin de consulter des experts chevronnés D’autre part et surtout, une censure, peut sembler retirer des droits sociaux alors que ce n’est ni l’intention du Conseil, ni la réalité de la décision. Je songe par exemple aux décisions en matière de réquisition de logements pour les sans abri ou d’exonération fiscale pour les plus démunis, qui ont pu s’avérer moins facilement compréhensibles par le public par rapport à la vocation d’une cour constitutionnelle.

La jurisprudence du Conseil a elle-même sensiblement évolué. Sans doute tient-elle compte de la libéralisation de l’économie. Elle fait valoir en tous les cas des principes qui imposent à l’Etat de nouvelles règles de comportement. Le principe constitutionnel d’intelligibilité de la loi en particulier, inspiré du droit allemand et du droit communautaire, repose sur l’idée que les acteurs de la société doivent pouvoir se déterminer par rapport aux droits et obligations découlant de la législation. Pour que ce droit à l’autodétermination puisse s’exercer, encore faut-il que l’Etat fixe des règles du jeu claires et que la loi soit accessible. Dans le même esprit, le Conseil constitutionnel a reconnu récemment la valeur constitutionnelle de la liberté contractuelle. C’est une nouveauté. Désormais, le juge français a les mêmes outils conceptuels que les autres juges constitutionnels. La liberté contractuelle est par exemple l’un des quatre grands piliers du droit constitutionnel américain, à côté de l’equal protection (principe d’égalité), le due process of law (ingérence limitée de l’Etat dans le domaine des droits et libertés des citoyens), et de la reasonableness (destinée à éviter l’arbitraire). Affirmée dans son principe par le Conseil Constitutionnel en 1998, dans la décision sur la loi Aubry I, la liberté contractuelle a été dans la loi Aubry II le fondement de l’annulation de dispositions qui remettaient en cause des conventions sur la réduction du temps de travail conclues sous l’empire de la loi précédente. Le Conseil a ainsi fait primer la négociation sur la loi. Autre signe d’une sensibilisation accrue aux nécessités économiques, le Conseil a renforcé la portée de la liberté d’entreprendre en tant que liberté constitutionnellement protégée. Il ne se contente plus de s’assurer que la loi n’a pas pour effet de la  » dénaturer « , c’est à dire de l’anéantir ; il veille à présent à ce que la liberté d’entreprendre ne fasse pas l’objet d’atteintes excessives. Cette jurisprudence tient compte de la nouvelle donne d’une société ouverte à la concurrence, dont les acteurs sont plus autonomes et où il revient en premier lieu au droit d’apporter une forme de stabilité à l’organisation des rapports que peuvent librement entretenir ces acteurs entre eux, et avec l’Etat.

Parallèlement, le Conseil se montre plus rigoureux en ce qui concerne la gestion de l’État. Certes l’intérêt général incarné par l’Etat induit des prérogatives de puissance publique, mais sans que cela justifie des privilèges exorbitants, en d’autres termes disproportionnés par rapport aux missions conférées à l’Etat. Telle est l’idée qui sous-tend l’exigence de sincérité budgétaire. En consacrant ce principe constitutionnel, le Conseil a aussi cherché à renforcer les pouvoirs de contrôle du Parlement, en tant que représentation élue de la Nation. L’article 15 de la Déclaration de 1789 ne précise-t-il pas que  » la société a droit de demander compte à tout agent public de son administration  » ? Dans la même façon, le Conseil s’en est pris à la pratique bien française des  » validations législatives « . Celles-ci étaient à l’origine destinées à permettre de valider des opérations de concours dans la fonction publique pour éviter de porter préjudice aux candidats déjà nommés. Mais elles servent de plus en plus à légaliser rétroactivement des dispositions dont l’application risque de faire condamner en justice l’Etat pour le contraindre à verser des sommes dues ou à rembourser des sommes indûment perçues. Depuis 1995, le seul intérêt de ménager les deniers de l’État ne justifie plus que la loi interfère ainsi dans le déroulement de procédures juridictionnelles en cours.

On peut rattacher au même souci de recentrage du rôle de l’Etat une plus grande ouverture aux aspirations décentralisatrices. A ce sujet, la décision de 1991 sur le statut de la Corse, dont on a surtout retenu la censure de la notion de  » peuple corse comme composante du peuple français « , donne souvent lieu à une interprétation inexacte. Cette décision réaffirme l’indivisibilité de la République et pour les mêmes motifs que ceux fondant la décision de 1999 sur la Charte des langues régionales du Conseil de l’Europe, elle regarde comme incompatible avec nos fondements constitutionnels, toute organisation communautaire accordant des droits propres à des groupes d’appartenance ethnique ou linguistique. Pour autant, la décision de 1991 sur la Corse renforce la signification de l’autonomie locale. En admettant la particularité de la collectivité de Corse qui est sans équivalent sur le plan national, elle ouvre la voie à la diversité des modes de gestion territoriale en renonçant à l’idée que l’unité de la République impliquerait une uniformité administrative. La portée du principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales établi par la Constitution se trouve encore élargie de par l’incorporation récente de la notion d’autonomie fiscale. Cette notion, validée au niveau constitutionnel par une décision rendue en l’an 2000, interdit désormais au législateur de diminuer la part des ressources propres – notamment fiscales- des collectivités locales dans leurs recettes au point de porter atteinte à leur libre administration.

Dans un autre ordre d’idées, le Conseil a traité des questions de responsabilité qui sont au coeur des débats de notre société : notamment dans trois décisions toutes datées de 1999, il a précisé la procédure de mise en jeu éventuelle de la responsabilité pénale du chef de l’Etat – devant la Haute Cour de Justice- , les conditions générales de la responsabilité pénale – en posant en principe que  » nul n’est responsable que de son propre fait  » -, érigé en principe constitutionnel le droit à réparation des dommages dans le cadre de la responsabilité civile.

Le Débat. – Compte tenu de ces évolutions importantes, quel vous semble pouvoir être l’avenir du Conseil constitutionnel ? À l’heure de la banalisation du principe des cours constitutionnelles, sa particularité historique vous paraît-elle destinée à durer ?

N. L. – Depuis son installation en 1959, le Conseil a constamment évolué et il continuera de le faire. Il y a l’étape majeure de 1971-1974. Puis sur l’initiative du Président Daniel Mayer en 1986, il est décidé de publier les recours des requérants au Journal Officiel en même temps que la décision du Conseil. La publicité de la procédure est parachevée en 1994 lorsque sur demande du Président Robert Badinter, il est fait de même des mémoires en défense de la loi par le gouvernement. Cette publicité donnée aux mémoires des parties constitue un progrès important. Elle atténue, certes après coup, mais elle atténue tout de même, le secret des débats devant le juge constitutionnel français. C’est sous l’impulsion du président Roland Dumas que le Conseil décide en 1995 de mentionner dans chacune de ses décisions les noms de ses membres ayant siégé et délibéré, ce qui est un signe de judiciarisation. Dans la même direction, le président Yves Guéna fait créer pour suivre la procédure du contentieux constitutionnel et non pas seulement électoral, la fonction de greffier assuré par un fonctionnaire de haut niveau attaché au Conseil. La judiciarisation de la procédure n’est pas prête de s’arrêter car elle répond à une tendance naturelle de l’institution. Le Conseil n’a pas adopté de règlement intérieur de procédure en matière de contrôle de constitutionnalité des lois, comme l’y invite l’ordonnance organique le concernant. La question n’en a pas moins été discutée. Le Conseil constitutionnel, outre la modernisation de ses procédures, a étendu certaines de ses compétences, ce qui est encore plus notable. La décision de 1971 sur la liberté d’association par laquelle le Conseil s’estime habilité à appliquer l’ensemble des normes contenues dans  » le bloc de constitutionnalité « , est l’événement le plus spectaculaire dans la vie de l’institution. Il y a eu cependant d’autres avancées ; notamment celle permettant dorénavant au Conseil de contrôler des lois déjà promulguées. En principe, une loi entrée en vigueur devient, on l’a vu, inattaquable quant à sa constitutionnalité. C’est une faille de notre procédure : elle confère une immunité constitutionnelle ad vitam aeternam aux lois non déférées au Conseil et même aux dispositions d’une loi déférée qui n’ont pas été critiquées et dont le Conseil n’a pas cru bon d’examiner la conformité à la Constitution., Cette immunité est maintenant atténuée, mais légèrement. Depuis une décision de 1985 sur la Nouvelle Calédonie, le Conseil se donne la possibilité d’apprécier la constitutionnalité d’une loi en vigueur dans le cas où une loi soumise à son examen  » la modifie, la complète ou affecte son domaine « . L’application extensive de cette jurisprudence ferait glisser le système vers le contrôle a posteriori. Aussi par prudence – et par crainte aussi peut-être d’être débordé – le Conseil n’y recourt-il que parcimonieusement. Jusqu’ici cette jurisprudence n’a été en effet appliquée positivement qu’une seule fois, en 1995, pour annuler un dispositif de sanction automatique (il s’agissait de la peine de la déchéance des droits civiques et civils, entraînée de plein droit par toute condamnation pour faillite).

Cela dit, de telles évolutions du Conseil pourront-elles continuer à se faire de l’intérieur, par la pratique et la jurisprudence ? Le monde dans lequel nous vivons est celui du changement. La communication et l’information en sont les vecteurs indispensables. De plus, même une institution publique n’a pas seulement une légitimité provenant de son statut, fût-il constitutionnel. Cette légitimité dépend aussi de la fonction sociale qu’elle remplit et du regard des autres. L’époque actuelle est ainsi propice à la réflexion sur ce qu’est et doit être la place du Conseil constitutionnel, au sein des institutions de la République, et comme juridiction.

Premier sujet de réflexion : les rapports entre le Conseil et les citoyens, qui touchent aux modalités de la mission impartie au Conseil de protection des droits fondamentaux. Ce rôle peut-il s’accommoder de l’éloignement de la société qu’induit la procédure du contrôle abstrait de la loi tel que pratiqué dans notre pays ? L’ouverture de l’accès du Conseil aux citoyens à travers le filtre étroit de l’exception d’inconstitutionnalité est une solution qui a été sérieusement envisagée. Un tel mécanisme, dans le cadre communautaire, permet un dialogue fructueux entre les juges judiciaires et administratifs français et les juges à Luxembourg. L’exception d’inconstitutionnalité en France permettrait pareil dialogue entre le Conseil et les autres juridictions nationales. Ne revenons pas sur les débats qui ont eu lieu voici une dizaine d’années au Parlement à l’occasion de la réforme constitutionnelle proposée sous l’impulsion du président Robert Badinter et refusée par le Sénat. Cette réforme tendait à instaurer un contrôle a posteriori de la loi par voie d’exception ; elle reste d’actualité. Quant au contrôle a priori, dont l’intérêt propre n’est pas contestable, la vertu qui est censée être la sienne de favoriser, dès le stade des débats parlementaires, la prévention des inconstitutionnalités, n’est plus aussi probante. La complexité croissante du droit rend en effet aléatoire toute prédiction sur la constitutionnalité de telle ou telle disposition en discussion.

Le deuxième thème qui, à mon avis, doit retenir l’attention porte sur la présentation des décisions du Conseil constitutionnel. Leur rédaction influence la façon dont elles sont reçues par la classe politique et par les médias. Je persiste à penser qu’il n’est pas vain de chercher à mieux faire comprendre au public la mission d’une institution comme le Conseil, et partant la nature de ses décisions. Or la difficulté provient du caractère abstrait de celles-ci alors que les jugements rendus par les autres cours dans le cadre du contrôle a posteriori sont bien plus narratifs puisqu’ils concernent des situations humaines concrètes. Je ne l’ai jamais caché. Je suis favorable à la pratique des opinions dissidentes ou concurrentes que l’on peut du reste transposer au Conseil constitutionnel dans le contexte actuel du contrôle a priori. Cette pratique offre aux juges qui le souhaitent la possibilité de faire valoir leur approche et leur raisonnement, en annexant à la décision leur propre argumentaire. Le droit n’est en effet jamais ni blanc ni noir ; il est le fruit d’un arbitrage dont il peut être utile de mieux faire entrevoir les termes et les enjeux.

Le troisième défi s’adresse au Conseil comme à toutes les cours constitutionnelles en Europe. Il a trait aux rapports entre le droit constitutionnel et le droit international. Le droit international est devenu omniprésent ; le droit communautaire en particulier imprègne de plus en plus les législations nationales ; les cours européennes, que sont la Cour de Justice des Communautés à Luxembourg et la Cour européenne des Droits de l’Homme à Strasbourg, ont une influence directe ou indirecte sur les contentieux nationaux ; enfin, la Charte des droits fondamentaux des citoyens – déclaratoire aujourd’hui, mais probablement obligatoire demain – dote l’Union Européenne d’un corpus constitutionnel appelé à concurrencer le droit interne. Dans un tel contexte qui n’a plus rien à voir avec la situation de l’Europe à ses débuts, éluder, comme le fait le Conseil constitutionnel depuis sa décision de 1975 sur l’interruption volontaire de la grossesse, les problèmes juridiques soulevés par la conciliation du droit interne avec le droit européen, relève de l’équilibrisme. La question n’est pas simple. La situation actuelle est néanmoins par trop confuse. Que constate-t-on ? Premièrement, la Cour de cassation et le Conseil d’Etat viennent d’aborder la question de front, estimant que le respect des engagements internationaux devait être écarté au bénéfice de l’application de la Constitution. Deuxièmement, cette jurisprudence contredit celle de la Cour de justice de Luxembourg en particulier pour qui la primauté du droit communautaire opère même vis à vis de la Constitution. Enfin, bien qu’au coeur du dispositif, le Conseil constitutionnel demeure le seul à se tenir à l’écart du débat sur la hiérarchie entre les normes internes et internationales.

Faire primer la souveraineté nationale sur les engagements internationaux est problématique. Cela fait coexister deux hiérarchies de normes fonctionnant sur la base de principes différents du côté international d’une part, et du côté national, d’autre part. Certes, les systèmes juridiques, à l’image des systèmes politiques, sont multipolaires. Encore faut-il qu’il existe entre eux une certaine cohérence. Et que pour les citoyens, en particulier européens, les règles du jeu entre les différentes expressions de la souveraineté soient clairement posées. Mais ce défi, répétons-le, n’est pas propre à la France ; il concerne tous les Etats de l’Europe.

Je veux simplement souligner qu’en France, plus qu’ailleurs, le juge constitutionnel est proche de l’arène politique dès lors que l’usage du contrôle de constitutionnalité est étroitement lié à la compétition politique. Du fait du système du contrôle a priori, le juge semble, à son corps défendant, faire en quelque sorte office de  » tuteur  » vis à vis du législateur. Tout se passe comme si le Conseil constitutionnel, tout en étant juge, était chargé d’une mission de service public consistant à parfaire les lois soumises à son examen en les débarrassant de leurs dispositions inconstitutionnelles. Le juge français a vraiment un positionnement original.

Le Débat. – À quoi attribuez-vous cette originalité ?

N. L. – Elle s’inscrit en droite ligne de notre culture politique. Le concept majeur de la démocratie, en France, c’est la volonté générale. Jusqu’à 1958, la loi votée par le Parlement en tant qu’expression de la volonté générale était réputée  » infaillible « . Le contrôle de la constitutionnalité des lois en France a mis fin à cette infaillibilité, sans cependant altérer la doctrine de la primauté de la volonté générale, c’est à dire du politique. Ce contrôle vise à assurer le respect d’une autre volonté générale exprimée, non par le législateur, mais par le pouvoir constituant. A travers la Constitution, le peuple souverain s’est donné des règles du jeu que le Conseil constitutionnel a pour mission de faire respecter. C’est à la lumière de ces considérations qu’il faut, me semble-t-il, interpréter le sens du contrôle de la constitutionnalité des lois « à la française ». La garantie de l’Etat de droit en France est étroitement liée au respect de la souveraineté du peuple. C’est ce qu’exprime le Conseil constitutionnel lorsque, par exemple, il relève dans une décision de 1991 que  » le pouvoir constituant est souverain  » et  » qu’il lui est donc loisible d’abroger, de modifier ou de compléter des dispositions de valeur constitutionnelle… « . L’approche semble différente dans les autres pays dotés d’une cour constitutionnelle. Prenons l’exemple de l’Allemagne ou encore de l’Afrique du Sud, dont la toute récente cour constitutionnelle est particulièrement active. Certes dans ces deux pays, la Constitution se définit comme la loi fondamentale adoptée par et pour le peuple souverain. Mais l’idée de base du contrôle de constitutionnalité est de garantir aux citoyens la protection de leurs droits fondamentaux. D’où, dans la Constitution allemande, la prohibition de toute révision des principales dispositions constitutionnelles sur les droits fondamentaux. La Cour Constitutionnelle d’Afrique du Sud n’hésite pas quant à elle à évoquer, à propos des droits et libertés établis par la Constitution,  » les valeurs qui doivent guider le peuple « . En France, c’est la notion de hiérarchie des normes qui prévaut, la volonté générale du législateur étant tenue de céder devant la volonté générale supérieure du constituant.

Le Débat. – Les circonstances sont pour beaucoup dans la spécificité de l’approche française.

N. L. – En effet. Comme son nom l’indique, le Conseil constitutionnel n’a pas été conçu pour être une cour. Le général De Gaulle, mais aussi René Cassin l’un des inspirateurs de la Constitution de 1958, étaient opposés à la création d’une cour constitutionnelle en France. De Gaulle estimait qu’en France,  » La cour suprême, c’est le peuple « . Le Conseil constitutionnel a donc été institué comme outil du  » parlementarisme rationalisé « . Il devait veiller à ce que le Parlement ne déborde pas du champ de compétence que lui assigne la Constitution de 1958 en empiétant sur les attributions de l’Exécutif. Sous la Ve République, l’Exécutif a en effet un rôle prédominant dans l’élaboration et l’adoption de la loi. Dans leur grande majorité , les lois sont issues de projets gouvernementaux et le gouvernement dispose des armes de procédure nécessaires pour faire voter ces projets. Le Conseil Constitutionnel avait pour vocation unique de préserver ce nouvel équilibre des pouvoirs entre le Législatif et l’Exécutif. C’est ainsi qu’il lui incombe de vérifier automatiquement le règlement intérieur de l’une ou l’autre assemblée parlementaire, de manière à éviter que des modifications apportées à ce texte ne remettent en cause la prééminence de l’Exécutif. Dès 1959, le Conseil a ainsi censuré une disposition du règlement de l’Assemblée Nationale apparemment bénigne sur l’organisation éventuelle d’un vote en fin de débat sur une question orale, jugeant qu’elle dotait l’Assemblée d’un moyen de contrôle de l’activité gouvernementale non prévu par la Constitution. Gardien de l’orthodoxie de la procédure parlementaire, le Conseil était également chargé d’assurer que le Parlement reste dans les limites de l’article 34 de la Constitution qui énumère les domaines où il est fondé à intervenir. Depuis une décision de 1982, le Conseil ne procède pratiquement plus à cette vérification, bien que le principe d’un tel contrôle demeure. D’ailleurs, le contrôle de la conformité à la Constitution des règlements des assemblées n’occupe plus lui-même aujourd’hui qu’une part également très limitée des activités juridictionnelles du Conseil.

Ces activités ont en effet considérablement évolué. Je reste toujours aussi étonnée de la rapidité avec laquelle a joué la dynamique institutionnelle. Le Conseil est en effet devenu de lui-même une cour constitutionnelle, ce qui rend le débat sur sa qualification – juridictionnelle ou non – sans objet. Quand et comment s’est opérée cette métamorphose ? Le tournant est connu. Il date très exactement de la décision du 16 juillet 1971 sur la liberté d’association faisant suite à un recours du président du Sénat contre une loi modifiant le régime juridique des associations. Cette décision a transformé le rôle du Conseil. Garant de la répartition des compétences entre le Législatif et l’Exécutif, le Conseil a en effet étendu sa mission à celle de garant des droits fondamentaux. Il a de façon prétorienne décidé d’appliquer, non seulement la Constitution de 1958 elle-même qui précise essentiellement l’organisation des pouvoirs publics, mais aussi la Déclaration de 1789 et le préambule de 1946, qui établissent les droits et les libertés garantis en France. C’est maintenant sur ce  » bloc de constitutionnalité « , suivant l’expression du Doyen Favoreu, que le Conseil construit sa jurisprudence. Le Conseil Constitutionnel n’est pas la seule juridiction à s’être ainsi  » autoproclamée  » cour constitutionnelle. La Cour Suprême des Etats Unis, s’est elle aussi de sa propre initiative déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois, à l’occasion de son fameux arrêt  » Marbury versus Madison  » de 1803. La Cour Constitutionnelle italienne a fait de même, dès son premier jugement rendu en 1956. Elle s’est reconnue compétente pour appliquer l’ensemble des dispositions de la Constitution en contredisant alors la jurisprudence de la Cour de cassation suivant laquelle les articles de la Constitution relatifs aux libertés étaient seulement « programmatiques » et ne créaient pas de droits dont puissent se prévaloir directement les citoyens. Dernier exemple : celui de la Cour Suprême israélienne qui, en l’absence de Constitution écrite, a décidé en 1995 que deux lois – sur la dignité humaine et sur les libertés – avaient valeur de lois fondamentales s’imposant au législateur.

Ce qui peut surprendre, compte tenu notamment de notre tradition qui n’accorde pas au juge la place qu’il occupe dans d’autres pays, c’est l’audace inégalée dont a fait preuve le Conseil constitutionnel pour étendre son contrôle. Comment expliquer la décision de 1971 ? Le contexte a sans doute joué un rôle important : notons que la décision intervient quelques mois après la mort du général De Gaulle. Par ailleurs, la loi annulée par le Conseil était symboliquement très marquée par les événements de mai 68, en même temps qu’elle portait sur un domaine très sensible pour un large courant de l’opinion française, la liberté d’association. En deux mots, dans le cadre du maintien de l’ordre face à ce qu’il considérait être les menées subversives des groupes gauchistes et de leurs alliés intellectuels, le gouvernement de l’époque tentait d’établir un contrôle préalable des associations, et avait donc fait adopter une législation en ce sens. La décision du Conseil s’articule en deux temps. D’une part, elle consacre la liberté d’association en tant que principe constitutionnel ; d’autre part, elle considère qu’en instaurant un contrôle préalable des associations, la loi a violé ce principe.

Liste des membres du Conseil constitutionnel (1995-2010):

– Maurice FAURE (nommé par président  François MITTERRAND,  mars 1989 – mars 1998)

– Jean CABANNES (nommé par Président du Sénat Alain POHER, mars 1989 – mars 1998)

– Jacques ROBERT (nommé par Président de l’Assemblée nationale Laurent FABIUS, mars 1989 – mars 1998)

– Georges ABADIE (nommé par Président de la République François MITTERRAND, mars 1992 – mars 2001)

– Marcel RUDLOFF (nommé par Président du Sénat Alain POHER, mars 1992 – mars 1996)

– Noëlle LENOIR (nommée par Président de l’Assemblée nationale Henri EMMANUELLI, mars 1992 – mars 2001)

– Roland DUMAS (nommé par Président de la République François MITTERRAND, mars 1995 – février 2000, président jusqu’à sa démission le 29 février 2000)

– Etienne DAILLY (nommé par Président du Sénat René MONORY,mars 1995 – décembre 1996)

– Michel AMELLER (nommé par Président de l’Assemblée nationale Philippe SEGUIN, mars 1995 – mars 2004)

 – Alain LANCELOT (nommé par Président du Sénat René MONORY, avril 1996 – mars 2001)

– Yves GUÉNA (nommé par Président du Sénat René MONORY janvier 1997 – mars 2004,

remplace M. Dailly, décédé ; puis Président du 1er mars 2000 (démission de R.Dumas) à 2004)

– Pierre MAZEAUD (nommé par Président de la République Jacques CHIRAC, nommé Président en 2004, mars 1998 – mars 2007)

– Simone VEIL (nommée par Président du Sénat René MONORY, mars 1998 – mars 2007)

– Jean-Claude COLLIARD (nommé par Président de l’Assemblée nationale Laurent FABIUS,

mars 1998 – mars 2007)

– Monique PELLETIER ( Président de la République par Jacques CHIRAC, mars 2000 – mars 2004)

– Olivier DUTHEILLET de LAMOTHE (nommé par  Président de la République Jacques CHIRAC,

 mars 2001 – mars 2010)

– Dominique SCHNAPPER (nommée par Président du Sénat Christian PONCELET, mars 2001 – mars 2010)

 – Pierre JOXE (nommé par Président de l’Assemblée nationale Raymond FORNI, mars 2001 – mars 2010)

– Jean-Louis PEZANT (nommé par Président de l’Assemblée nationale Jean-Louis DEBRÉ, mars 2004 – juillet 2010)

Liste actuelle:

Jean-Louis Debré (président, nommé par président Chirac, 23 février 2007)

Pierre Steinmetz (nommé par président février 2004)

Jacqueline de Guillenchmidt (nommée par président, février 2004)

Renaud Denoix de Saint Marc (nommé par président du Sénat, février 2007)

Guy Canivet (nommé par président de l’Assemblée nationale, février 2007)

Michel Charasse (nommé par président Sarkozy, mars 2010)

Hubert Haenel (nommé par président du Sénat, mars 2010)

Jacques Barrot (nommé par président de l’Assemblée nationale, mars 2010)

Claire Bazy-Malaurie (nommée par président Sarkozy, août 2010)

Valéry Giscard d’Estaing (ancien président)

Jacques Chirac (ancien président)


Présidentielles 2012: L’ennui avec le socialisme, c’est qu’éventuellement l’argent des autres finit par manquer (It’s milking time again!)

15 avril, 2012
On considère le chef d’entreprise comme un loup à abattre, ou une vache à traire. Peu voient en lui le cheval qui tire le char. Churchill
On ne multiplie pas la richesse en la divisant.  Gerald L. K. Smith
Vous ne pouvez pas apporter la liberté au pauvre en la retirant au riche. Tout ce qu’un individu reçoit sans rien faire pour l’obtenir, un autre individu a dû travailler pour le produire sans en tirer profit. Tout pouvoir ne peut distribuer aux uns que ce qu’il a préalablement confisqué à d’autres. Quand la moitié d’un peuple croit qu’il ne sert à rien de faire des efforts car l’autre moitié les fera pour elle, et quand cette dernière moitié se dit qu’il ne sert à rien d’en faire car ils bénéficieront à d’autres, cela mes amis, s’appelle le déclin et la fin d’une nation. On ne multiplie pas la richesse en la divisant. Adrian Rogers (1931)
L’ennui avec le socialisme, c’est qu’éventuellement l’argent des autres finit par manquer. Margaret Thatcher (1976)
Depuis la récession, les Américains riches sont à la recherche de nouveaux symboles de prestige, Les yachts, jets privés et villas au bord de la mer sont tellement 2007. Etre assez riche et généreux pour avoir son nom dans la liste “Giving Pledge” pourrait rapidement devenir l’ultime badge de prestige. Robert Franck (Wealth Report)
Je n’aime pas les riches, j’en conviens. François Hollande
J’ai considéré, j’en fais ici l’annonce, qu’au-dessus d’un million d’euros par mois, le taux d’imposition devrait être de 75%. Ce n’est pas possible d’avoir ces niveaux de rémunération. (…) Un million d’euros par an, donc à peu près 100.000 euros par mois. François Hollande
[L’impôt est, au terme de la Déclaration des droits de l’homme de 1789,) une « contribution commune » pour « l’entretien de la force publique et les dépenses d’administration », qui doit « être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés ». (…) cette exigence ne serait pas respectée si l’impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives. Conseil constitutionnel
Ma sensibilité a toujours été de gauche mais, être de gauche, aujourd’hui, c’est très compliqué. Ou juste triste. Ça ne veut plus dire grand chose… La gauche de ces dernières années m’a souvent déçu et peu intéressé. Mais savait-elle elle-même ce qui l’intéressait ? À part être anti-sarkozyste, quel a été son cheval de bataille ? Patrick Bruel
Je suis très content de participer à une solidarité, très content de reverser une grande partie de ce que je gagne. Là, ça atteint des proportions où ça devient limite confiscatoire et spoliateur. (…) Les gens qui ont de l’argent sont aussi des gens qui génèrent du travail, de l’emploi, qui génèrent des richesses et qui font tourner aussi une économie. (…) Ce n’est pas honteux de faire fortune, ce n’est pas honteux à partir du moment où on redistribue, et on redistribue beaucoup, parce que ne serait-ce que 50% de ce que vous gagnez c’est déjà énorme. Patrick Bruel
J’ai le coeur à gauche. J’aimerais que Léon Blum se présente (rires). Moi, mon boulot, ça n’est pas de militer. Le socialisme, oui, j’y adhère. Après, je pense que la politique reste un peu bloquée. Personne ne propose une idée pour que les gens vivent mieux les uns avec les autres. (…) Notre taxe à 75 % sur les riches, c’est ridicule. (…) Aujourd’hui, voilà ce que je dirais concrètement : “Votez François Hollande, directement au premier tour”. Voilà ce que je dirais, et je le dis d’ailleurs (rires) : “Votez Hollande, cherchez pas”. Djamel Debbouze
Un bon impôt a une assiette large et un taux modéré. L’histoire montre que lorsqu’on monte les taux à des niveaux trop élevés, on est obligé de créer des niches fiscales ! Elie Cohen (économiste proche du PS)
La moitié des Américains les moins riches ne paye pas du tout d’impôt sur le revenu. (…) Le taux EFFECTIF moyen d’imposition fédérale sur le revenu de l’américain moyen est de 11%. Le taux effectif moyen de ceux qui déclarent un million ou plus en revenu est de 25%. Le taux effectif moyen de ceux qui déclarent entre 200.000 et 500.000 dollars est de 19%. (…) Le système fédéral de taxation est DÉJÀ très progressif 40% des recettes de l’impôt sur le revenu provient des contribuables parmi le 1% plus riche. Près de 100% des recettes provient des 20% les plus riches. (…) La « règle Buffett » rapporterait à l’Internal Revenue Service (fisc fédéral) 47 milliards de dollars sur 10 ans… (…) Pour mémoire, le déficit budgétaire fédéral sur UN AN dépasse 1000 milliards de dollars ! Pierre-Yves Dugua
L’évasion fiscale concernerait en France 150 à 200 000 personnes pour un montant de 590 milliards d’euros, dont 108 rien qu’en Suisse. UBS, sa filiale française créée en 1999, représenterait, selon l’auteur, à peu près un vingtième de ce marché. Un marché, comme le démontre bien son enquête, qui ne s’embarrasse guère de la législation. Tout le jeu de la banque consiste à cibler les clients fortunés – 10 millions d’euros au moins de patrimoine – puis à les cotoyer dans des manifestations conviviales. Objectif : convaincre ces Français d’ouvrir des comptes non déclarés, vis, par exemple, une création de société dans un paradis offshore, ou des facturations indues. Marianne
Dans l’avant-dernier chapitre de son livre, « les jeux et le cirque », Antoine Peillon cite des sportifs (des footballeurs majoritairement) qui font partie de la liste de « clients off », c’est-à-dire soupçonnés d’évasion fiscale : Antoine Sibierski, Marcel Desailly, David Bellion, Christian Karembeu, Patrick Vieira, Claude Makélélé, Laurent Blanc. Cette liste, extraite de la note de l’ACP de la Banque de France, n’est pas exhaustive, on s’en doute. Arrêt sur images

A l’heure où, du côté de Washington et pour donner le change d’un bilan pour le moins peu glorieux, le président-candidat du Très Grand Capital (800 000 dollars annuels, logé, nourri, blanchi) nous ressort pour prétendument éponger des déficits de plusieurs milliards de milliards (1000 milliards annuels) la plus démagogique des règles visant moins de 0,3% des contribuables (soit un gain de moins de 50 milliards sur 10 ans)  et qu’il ne s’applique même pas à lui-même, à savoir la fameuse règle (de la secrétaire de) Buffet (qui donne combien de millions à ses fondations déjà pour faire baisser ses impôts?)…

Et que les derniers chiffres sur la philanthropie mondiale confirment qu’avec 39 milliards de dollars annuels, les Etats-Unis restent proportionnellement près de six fois plus généreux qu’une France si volontiers donneuse de leçons …

Pendant qu’après les avoir si violemment dénoncés et combattus (service minimum transports et école primaire, retour dans l’OTAN, franchises médicales, non-remplacement d’un fonctionnaire partant en retraite sur deux, réforme des retraites, baisses de TVA, bouclier fiscal) tout en prétendant taxer les millionnaires à 75%, le  futur président français annoncé, fils d’un médecin d’extrême-droite qui « n’aime pas les riches » (8 300 euros mensuels, 100 000 annuels, 1,17 millions de patrimoine) s’apprête à discrètement avaliser l’essentiel des mesures prises par son prédécesseur …

Et que, plus de 15 ans après, la plus haute juridiction du pays (présidée alors par un repris de justice, accessoirement avocat du Canard enchaîné et nommé par un président qui avait menti pendant ses deux mandats sur son passé comme sur son état de santé) reconnait que pour leur éviter de perdre le remboursement de leurs dépenses de campagne (sur le dos du plus petit candidat qui lui en ressortira ruiné), elle a validé des comptes de campagne irréguliers tant pour le président délinquant multi-récidiviste dont elle allait plus tard voter l’immunité que pour son adversaire malheureux du premier tour (dont on oublie qu’un certain Bayrou, au côté de l’actuel président sortant, faisait partie du comité politique) …

Retour, autre grand secret de polichinelle de la République, sur l’inévitable envers d’une politique fiscale aussi injuste que confiscatoire, du moins pour ceux qui ne peuvent y échapper ou voter avec leurs pieds ou leurs  cerveaux.

A savoir, comme le rappelle le site Arrêts sur images,  la fraude fiscale dont le journaliste de La Croix Antoine Peillon vient de révéler …

Non seulement l’étendue (quelque, excusez du peu, 600 milliards d’euros soit annuellement cinq fois les recettes de l’impôt sur le revenu), et, nos donneurs de leçons du sport et du cinéma compris, nécessairement la crème de la crème de notre vie économique et culturelle).

Mais, via entre autres la même banque suisse qui avait déjà été épinglée il y a  quatre ans par le fisc américain et sans compter les rétrocommissions alimentant les campagnes électorales des uns et des autres, la quasi-institutionnalisation

Un livre dénonce l’impunité de l’évasion fiscale en France

Anne-Sophie Jacques

Arrêt sur images

12/04/2012

« Ces 600 milliards qui manquent à la France »

Et si l’évasion fiscale industrialisée était le prochain gros scandale à faire trembler le pouvoir ? La lecture du livre d’Antoine Peillon, journaliste de la Croix, donne sacrément envie de mettre la lumière sur ces pratiques frauduleuses jusqu’alors restées dans l’ombre de Bernard Squarcini, patron de la DCRI, ou dans les placards du procureur du parquet de Nanterre, Philippe Bourion. A la clé: 600 milliards d’euros.

Livre Peillon

En refermant le livre d’Antoine Peillon, on reste médusés : comment ? Alors que manifestement la filiale française de la banque Suisse UBS organise quasi industriellement l’évasion fiscale, aucune instruction judiciaire n’a encore été ouverte ? Comment ? Nous, pères la morale montrant du doigt les vilains Grecs fraudeurs, on laisse s’évader ainsi l’équivalent de cinq fois les recettes annuelles de l’impôt sur le revenu ? En pleine crise de la dette publique, mère des plans d’austérité, rien n’est fait pour retenir ne serait-ce qu’une petite partie des grosses fortunes qui partent travailler pour espérer des rendements grassouillets ?

Tout donne le tournis dans l’enquête de Peillon. Les chiffres d’abord, à commencer par le plus gros, celui de la couverture : 600 milliards d’euros. Ce chiffre est la somme de toutes les recettes qui ont échappé au fisc français du fait de l’évasion fiscale. Par an, selon l’auteur, ce sont 30 milliards qui manquent à l’appel. Il s’appuie sur les estimations des cadres de la banque UBS qui avancent également le chiffre de 850 millions (en dix ans) soustraits au fisc français par leur seule banque. Et encore, nous dit Peillon, c’est la fourchette basse. Basse peut-être, mais bien plus élevée que les chiffres officiels repris tels quels dans la presse. Le syndicat SNUI-SUD Trésor évalue la fraude entre 15 et 20 milliards. Toute fraude confondue (sur la TVA, le travail au noir, les prélèvements sociaux évités, plus l’évasion fiscale) la Cour des comptes penchait, en 2007, pour une perte comprise entre 29 et 40 milliards d’euros.

Mais ce n’est pas tant les sommes sous-évaluées qui provoquent le vertige que les pratiques d’évasion fiscale organisées par la banque UBS. Pourquoi cette banque-là et pas les autres ? Après tout, Peillon estime que la banque suisse, premier groupe mondial dans la gestion de patrimoine, gère « seulement » un vingtième de l’évasion fiscale en France. BNP Paribas, la Société générale, les Banques populaires, toutes ont un don pour l’évasion. Mais l’auteur ne s’est pas intéressé à UBS par hasard.

UBS et les riches américains

Déjà, il y a un précédent aux Etats-Unis. Le fisc américain a mis au jour un manège d’évasion fiscale à grande échelle organisé par UBS. Rien qu’en 2004, la banque suisse avait créé 900 sociétés écrans pour garantir l’anonymat des grosses fortunes et ouvert 52 000 comptes non déclarés. L’année 2008 signe la fin de récré : la banque est lourdement condamnée, des têtes tombent, les Etats-Unis menacent UBS de retirer sa licence bancaire et décident coûte que coûte de récupérer l’argent évadé.

Ces pratiques ne se sont pas limitées aux frontières des Etats-Unis. Pour Peillon, la création de la filiale UBS France en décembre 1998 n’avait pas d’autres buts que de capter des gros clients français pour les inviter à placer leur argent au chaud, dans les paradis fiscaux. La preuve ? UBS France enregistre un déficit comptable structurel de 560 millions. C’est-à-dire qu’avec sa seule activité de banque en France, UBS perd de l’argent. Un comble non ? Ce déficit ne cache-t-il pas un loup ? Non, il cache des vaches. Plus exactement, des « fichiers vaches » et des « carnets du lait », noms donnés à la comptabilité parallèle. Dans ces fichiers se cachent les coordonnées des clients ainsi harponnés. En résumé, UBS France pratique non pas l’évasion fiscale style court séjour au soleil mais l’évasion massive, industrialisée, et totalement illégale.

Vache

Des vaches, des carnets de lait, on peut se dire que l’auteur a abusé du chocolat suisse. Même pas. Ces pratiques sont dénoncées par une multitude de témoins. Le récit s’appuie sur trois témoignages centraux et anonymes : un ex-commissaire divisionnaire de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI née de la fusion de la DST et des renseignements généraux, le FBI à la française), une dirigeante du groupe bancaire suisse UBS et un cadre de la filiale française. Tous sont d’accord : oui la fraude est massive, oui elle est organisée, oui elle est étouffée. Etouffée par qui ? Tout d’abord par la banque elle-même. Le livre de Peillon est parsemé de batailles en interne qui déchirent le personnel. Beaucoup sont scandalisés par ces pratiques. Beaucoup ont aujourd’hui envie d’en parler. Cependant, le livre montre bien que la situation n’est pas manichéenne: on ne trouve pas les méchants banquiers fraudeurs d’un côté et les gentils banquiers innocents de l’autre.

Prenons le cas de John Cusach, dirigeant suisse du groupe UBS et plus précisément « patron de la Conformité » du secteur Gestion de fortune et banque d’affaires. Quand, en 2002, un juriste lui fait part de ses interrogations sur les pratiques d’évasion fiscale aux Etats-Unis, il ne bronche pas. Ceci est normal, c’est le modèle économique de la banque. En revanche, l’année suivante, quand il met le nez dans les locaux d’UBS France et se penche sur la liste des comptes soupçonnés d’être liés à des activités dites sensibles (entendez le terrorisme, la drogue, le grand banditisme), il devient tout rouge. Pas question de ternir l’image du groupe en abritant des fortunes peu recommandables. L’évasion fiscale oui, l’argent du terrorisme, non. Cette ambivalence se retrouve également dans l’adoption récente – certes anecdotique – d’un « dresscode » qui suggère aux salariés, hommes et femmes, de porter des sous-vêtements discrets. Comme le souligne la dirigeante du groupe, on y voit « le fond de la culture UBS, dans sa forme la plus pure: une volonté de contrôle moral absolu totalement contradictoire avec la réalité des pratiques. »

Les pratiques sont connues, et quand bien même UBS tente de les étouffer, elles se sont ébruitées. Une plainte a été déposée fin 2009 par une salariée d’UBS, plainte transmise au parquet de Paris qui, à cette heure, n’a toujours pas jugé bon d’ouvrir une instruction judiciaire. La salariée, quant a elle, a été licenciée cette année. De même, l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP) de la Banque de France a été alertée à plusieurs reprises. Même si cette dernière a fait preuve, selon Peillon, d’un relatif immobilisme, elle a néanmoins transmis une note au parquet de Paris pour ouverture d’une enquête préliminaire. Cette enquête a été confiée au Service national de douane judiciaire (SNDJ). Et puis? Et puis rien. Ce qui ne manque pas d’étonner l’auteur : « l’investigation du SNDJ n’a toujours pas conduit le parquet, en la personne du vice-procureur de Paris [aujourd’hui à Nanterre], Philippe Bourion, à transformer l’enquête préliminaire en véritable instruction judiciaire. »

K comme kapital (ou comme koi ? kelle évasion fiscale ?)

Ce n’est pas la seule consternation : on peut en effet se demander pourquoi le ministère des finances ne réagit pas non plus. Pour l’auteur, il est impossible qu’il ne soit pas au courant. Alors ? Là, le témoignage de l’ex-commissaire de la DCRI est confondant. Le renseignement intérieur, dirigé par Bernard Squarcini, abrite un département consacré à la sécurité de l’économie française, qui répond au doux nom de K (comme Das Kapital, le livre de Marx). Selon le témoin, « Squarcini, Gilles Gray et son équipe de la sous-direction K de la DCRI ont fait preuve «d’incurie» voire de «contre-performance volontaire». Autrement dit: ils ont permis l’étouffement du scandale de l’évasion fiscale. Dans quel but ? A qui profite cette évasion massive, excepté évidemment aux grosses fortunes ? Peillon y va franco : l’évasion fiscale a servi au financement politique illégal du parti de Nicolas Sarkozy et au trafic d’influence. Ce scandale en rejoint un autre : celui de l’affaire Bettencourt. Car la vieille dame de L’Oréal possède de nombreux comptes en Suisse, dont certains chez UBS. Il est avéré que les mouvements suspects sur ces comptes, entre 2005 et 2008, sont carastéristiques de l’évasion fiscale. 20 millions ont ainsi pu être dissimulés au fisc français. Une somme qui a pu finir dans de petites enveloppes en papier kraft à destination des hommes politiques. Conclusion de Peillon : « les générosités de la milliardaire vis-à-vis des champions politiques expliqueraient-elles cette timidité judiciaire ? »

A ce stade se pose une question médiatique : comment faire émerger le scandale de l’évasion fiscale dans le débat, qui plus est en pleine présidentielle ? Comment lui faire prendre l’ampleur qu’a connue l’affaire Bettencourt initiée et portée par Mediapart puis relayée ensuite par de très nombreux médias ? Soyons honnête : l’enquête de Peillon n’a pas été ostracisée. Si l’auteur n’a pas couru les plateaux des JT ou celui du Grand Journal, il a été l’invité de France 3 et de France Info. On le retrouve aussi sur Mediapart, un blog du Monde, Challenges, Marianne, Alternatives économiques… et bientôt sur @rrêt sur images ( Peillon sera l’invité de notre émission de vendredi). Malgré tout, le scandale n’a pas encore pris l’allure d’une vague qui emporte tout sur son passage. Pourtant, Peillon se dit prêt – voire impatient – de livrer sa brouette de documents à un juge d’instruction, et il affirme qu’aujourd’hui un grand nombre de ses témoins accepteraient d’être auditionnés à visage découvert. Mais comment réagir contre l’inertie des parquets de Paris et Nanterre ?

Je propose une option : pourquoi ne pas balancer des noms ? Dans l’avant-dernier chapitre de son livre, « les jeux et le cirque », Antoine Peillon cite des sportifs (des footballeurs majoritairement) qui font partie de la liste de « clients off », c’est-à-dire soupçonnés d’évasion fiscale : Antoine Sibierski, Marcel Desailly, David Bellion, Christian Karembeu, Patrick Vieira, Claude Makélélé, Laurent Blanc. Cette liste, extraite de la note de l’ACP de la Banque de France, n’est pas exhaustive, on s’en doute.

D’accord, ça s’appelle de la dénonciation, ou de la délation. Et ce n’est pas joli-joli. Peut-être qu’on peut juste faire peur : c’est ce qu’a fait le fisc américain qui, pour faire pression sur la Suisse, a très vite menacé de rendre publique la liste des 52 000 clients fraudeurs. Faut-il en passer par là ? Je vous laisse juges.

Voir aussi:

L’évasion fiscale, une cagnotte de 590 milliards !

Philippe Cohen

Marianne

29 Mars 2012

Un livre-enquête d’Antoine Peillon révèle les agissements suspects de la banque suisse UBS aboutissant à faciliter, voire organiser l’evasion fiscale de milliers de citoyens français. Le même scandale avait abouti aux Etats-Unis à de lourdes sanctions contre la banque. Qui, pour le moment, ne réagit guère…

L’évasion fiscale pèse sur l’économie de nos pays développés dans des proportions insoupçonnées par les responsables politiques. Telle est, après quelques mois d’enquête sur le cas, très peu particulier sans doute, de la banque suisse UBS, la conviction du journaliste Antoine Peillon, grand reporter à la Croix.

L’évasion fiscale concernerait en France 150 à 200 000 personnes pour un montant de 590 milliards d’euros, dont 108 rien qu’en Suisse. UBS, sa filiale française créée en 1999, représenterait, selon l’auteur, à peu près un vingtième de ce marché. Un marché, comme le démontre bien son enquête, qui ne s’embarrasse guère de la législation. Tout le jeu de la banque consiste à cibler les clients fortunés – 10 millions d’euros au moins de patrimoine – puis à les cotoyer dans des manifestations conviviales. Objectif : convaincre ces Français d’ouvrir des comptes non déclarés, vis, par exemple, une création de société dans un paradis offshore, ou des facturations indues.

Le scandale de l’évasion fiscale aux Etats-Unis a révélé que l’UBS, qui rappelons-le, est la première banque mondiale de gestion de patrimoine, avait permis l’ouverture de quelques 52 000 comptes non déclarés de citoyens américains aboutissant, après un conflit avec le fisc américain, à une mega-amende. C’est cette histoire qui décide Antoine Peillon d’enquêter sur UBS-France. Bingo : il constate que la filiale française accueille les mêmes responsables que la filiale américaine, pour conduire, finalement, le même genre d’opération. Peu à peu il découvre que les manoeuvres de la banque ont été critiquées et repérées non seulement par certaines autorités de contrôle comme l’Autorité de contrôle prudentiel de la Banque de France, la douane financière ou même les enquêteurs de la DCRI, mais qu’elles ont sucité des conflits entre certains cadres et la direction de la banque. Cerise avariée sur ce pudding pourri, le livre de Peillon se conclut par l’exposition à la lumière de quelques opérations de transfert financier entre différents compte de Liliane Bettencourt qui le conduisent à subodorer, là encore, une opération d’évasion fiscale, via UBS et la compagnie italienne Generali.

Le plus étonnant dans cette affaire est l’extrême lenteur de l’Etat. On se rappelle que, dès le début de la crise, en 2008, le président Sarkozy a annoncé la fin des paradis fiscaux. Apparemment, non seulement le temps des listes noires ou grises est révolue, mais la gestion de patrimoine permet aux citoyens français les plus riches de contourner allègrement la législation sans encourir les foudres des autorités. Quant au gouvernement suisse, déjà échaudé par le scandale UBS aux Etats-Unis, on attend avec impatience sa réaction à l’enquête d’Antoine Peillon. Contacté par Marianne, l’ambassade n’a pas donné suite…

Ces 600 milliards qui manquent à la France, par Antoine Peillon, 185 p, Seuil, 15 €.

Antoine Peillon : des plaintes ont été déposées contre l’UBS, sans suite

Comment les commerciaux de la banque UBS abordent-ils leurs clients ? Quelle différence faites-vous entre l’optimisation fiscale et l’évasion fiscale ?

Antoine Peillon : Au départ, il s’agit toujours d’optimisation fiscale. Il existe d’ailleurs tout un lexique adapté à ce marché. On parle de transferts transfrontaliers pour euphémiser des opérations qui ne sont pas toujours légales. Mais le plus souvent, la clientèle qui peut être constituée par des gens peu diplômés, des commerçants très riches ou des joueurs de football, impose de tenir un langage non technique; Alors on dit à ces clients des phrases du genre « Vous serez bien chez nous », comme pour dire que la législation français n’est pas « optimale » par rapport à leurs intérêts.

Quel type de rémunération l’UBS propose-t-elle à ces clients ultra-riches ?

Pour devenir un client de ces prestations un peu spéciales, il faut disposer en général d’au moins 10 millions d’euros. Il existe différents niveaux de rémunération Selon le risque pris par le client, les rémunérations proposées varient de 4%, pour les contrats les plus sécures, à 10% pour les plus risqués. Ce qui fait que le capital déposé peut rapidement augmenter : avec un gain de 10% sur dix ans le capital déposé fait plus que doubler !

Comment la banque se rémunère-t-elle ?

Il y a la rémunération classique de la gestion de patrimoine, qui est de 1% par an sur les sommes déposées. Ensuite, certaines prestations donnent lieu à des commissions, comme la création d’entreprise offshore ou les conseils d’un avocat spécialisé. La place des intermédiaires est importante dans le système. Ainsi un jeune joueur de foot débarquant dans un club peut être « parrainé » par un aîné… D’ailleurs, l’attrait des clients n’est pas uniquement pécunier. Au fond, UBS leur propose une sorte de passeport pour entrer dans le club des ultrariches. La banque créée sans cesse des évènements conviviaux pour conforter ce sentiment : tournois de golf, déjeuners littéraires, concerts, etc.

Votre enquête met-elle en cause les institutions françaises et lesquelles ?

Les enquêteurs de l’Autorité de contrôle prudentiel de la Banque de France ont fait leur travail, tout comme la douane financière et les officiers de renseignement de la DCRI. En revanche on peut se demander pourquoi tous ces rapports n’ont rien déclenché du côté du Parquet de Paris. Des plaintes ont même été déposées par des cadres de l’UBS qui n’ont donné lieu, pour le moment, à aucune poursuite.

Le porte parole de l’UBS, interrogé par la télévision romande, a déclaré que votre enquête exploitait quelques conflits du travail existant au sein de la banque. Que répondez-vous ?

J’estime qu’il y a au moins une quinzaine de cadres et commerciaux sont dans une procédure prud’hommale contre la direction d’UBS-France. Mais ces conflits sont nés, justement de leur dénonciation de l’évasion fiscale. Et puis les sources de mon enquête sont très loin de se limiter à ces personnes.

Voir de même:

Ces 600 milliards qui manquent à la France. Enquête au coeur de l’évasion fiscale

Ces 600 milliards qui manquent à la France. Enquête au coeur de l’évasion fiscale, par Antoine Peillon

Le Seuil, 2012, 187 p., 15 euros.

Christian Chavagneux

Alternatives Economiques

avril 2012

C’est un livre explosif que met sur la place publique Antoine Peillon, grand reporter au journal La Croix. Bénéficiant d’informations de toute première main, il montre comment la banque suisse UBS organise depuis la France un système massif d’évasion fiscale.

Afin de mettre en contexte les informations incroyables auxquelles il a eu accès, le journaliste a croisé différentes sources pour estimer à 590 milliards d’euros l’ensemble des avoirs français dissimulés dans les paradis fiscaux, dont 220 milliards appartenant aux Français les plus riches (le reste étant le fait d’entreprises). Environ la moitié de ce total (108 milliards) serait dissimulée en Suisse, la dernière décennie voyant fuir environ 2,5 milliards d’avoirs par an. Depuis 2000, UBS France aurait privé le fisc français de 85 millions d’euros en moyenne chaque année, ce qui montre son importance, mais souligne également combien d’autres établissements bancaires participent à ce genre d’activités.

 » Fichier vache « 

Comment fait la banque pour mener ses opérations ? Environ 120 chargés d’affaires suisses seraient présents clandestinement en France pour démarcher les grosses fortunes hexagonales, ce qui est rigoureusement interdit par la loi mais réalisé, d’après Antoine Peillon, en toute connaissance de cause par la maison mère en Suisse. Chaque commercial est muni d’un document, le manuel du Private Banking,  » véritable guide en évasion fiscale « . Afin d’être rémunéré en proportion du chiffre d’affaires qu’ils rapportent, les commerciaux sont bien obligés d’enregistrer à un moment ou un autre leurs transactions. Ils le font dans une comptabilité cachée baptisée  » carnets du lait  » que l’on peut trouver dissimulés dans des fichiers Excel intitulés  » fichier vache « . On aura compris l’analogie : la France est une vache fiscale dont il faut traire le lait…

Les commerciaux présents en France utilisent les mêmes techniques que celles mises en évidence par la justice américaine : UBS organise des événements mondains auxquels ils invitent clients et prospects. Dans les documents récupérés par Antoine Peillon, on trouve parmi les clients les noms de footballeurs connus, et même d’un haut responsable du football international pour lequel une commerciale note, après un rendez-vous à Monaco en 2002, que l’entretien fut « long et difficile, mais fructueux « , ou encore un navigateur, un auteur réalisateur de cinéma et… Liliane Bettencourt. Celle-ci est tout bonnement accusée d’avoir enfoui 20 millions d’euros entre 2005 et 2008, à l’occasion de transferts entre la France, la Suisse et l’Italie par l’intermédiaire de comptes UBS et BNP Paribas, avant de finir, affirme l’auteur, dans des enveloppes remises à des personnalités de droite.

Impunité

Antoine Peillon lance de nombreuses et graves accusations mais il est sûr de ses sources : des cadres écoeurés d’UBS en France, en Suisse, mais aussi les services secrets français. Les preuves dont ces informateurs disposent ont été transmises à plusieurs autorités de régulation. Le parquet a été saisi, mais il ne bouge pas, assurant une forme de protection aux gros fraudeurs. C’est pour lever cette impunité que le journaliste a décidé d’écrire ce livre.

Ces 600 milliards qui manquent à la France. Enquête au coeur de l’évasion fiscale, par Antoine Peillon

Le Seuil, 2012, 187 p., 15 euros.

Voir encore:

Evasion fiscale : ouverture d’une information judiciaire sur UBS en France

Après un an d’enquête préliminaire, les juges ont décidé l’ouverture d’une information judiciaire pour « démarchage bancaire et financier par personne non habilitée et blanchiment (de fraude fiscale et de fonds obtenus à l’aide de démarchage illicite) commis en bande organisée ».

Valerie de Senneville

13/04 | 12

Reuters

L’étau judiciaire se resserre autours d’UBS France. Selon nos informations, les juges viennent de décider de l’ouverture d’une information judiciaire pour « démarchage bancaire et financier par personne non habilitée et blanchiment (de fraude fiscale et de fonds obtenus à l’aide de démarchage illicite) commis en bande organisée ». Des délits passibles de cinq ans d’emprisonnement et de 750.000 euros d’amende. L’enquête a été confiée au juge d’instruction parisien Guillaume Daieff. Contactés, ni la banque ni ses conseils n’ont souhaité faire de commentaires pour l’instant.

Cela fait déjà quelque temps qu’UBS est observée de près par la justice et les autorités bancaires. En mars 2011, le parquet avait ouvert une enquête préliminaire à la suite d’un signalement fait par l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP) sur les actes et les procédures de contrôle interne de la banque. L’autorité prudentielle avait plus précisément dans sa ligne de mire le démarchage de clients en France par des commerciaux de la banque venus de Suisse. Cela fait donc un an que concomitamment le parquet et l’ACP fouillent les techniques de la banque. Il y a un mois, l’autorité bancaire a d’ailleurs transmis au parquet son rapport définitif sur le contrôle interne de la gestion privée d’UBS en France. Confirmant le travail fait par le parquet et conduisant logiquement à l’ouverture de cette information judiciaire.

A l’origine des soupçons des autorités, l’affaire dite des « carnets du lait » et révélée par plusieurs hebdomadaires sur la base de témoignages anonymes. Derrière ce nom bucolique (à l’origine nom de la comptabilité manuscrite des fermiers du canton de Vaud en Suisse), se cacherait une liste secrète tenue par la banque sur les mouvements entre les comptes bancaires français légaux et des comptes suisses non déclarés aux services fiscaux français. A l’époque, UBS avait souligné n’avoir « ni mis en oeuvre, ni participé d’aucune manière à un quelconque système d’aide à l’évasion fiscale ». Dernièrement, elle déclarait avoir « renforcé son cadre juridique » à la suite de l’affaire d’évasion fiscale qui avait mis fin à l’activité transfrontalière avec les Etats-Unis. Le « Nouvel observateur » révélait cependant le 22 mars que la banque avait reçu une lettre de mise en demeure de l’ACP sur ses méthodes de contrôle.

Voir aussi:

« Ces 600 milliards qui manquent à la France », le livre qui accuse « le système UBS »

La filiale française de la banque suisse UBS a mis en place un mécanisme bien organisé d’évasion, raconte notre confrère Antoine Peillon.

« Ces 600 milliards qui manquent à la France » d’Antoine Peillon

Seuil, 192 p., 15 €

Des voitures franchissant nuitamment un poste frontière alpin, le coffre bourré de lingots d’or ou de valises de billets. Cela fait presque partie de l’imagerie populaire. L’évasion fiscale reste toujours d’actualité, mais avec d’autres méthodes qui permettent de transférer discrètement et en quelques clics d’importantes sommes d’argent. C’est ce que raconte Antoine Peillon, grand reporter à La Croix , dans un ouvrage extrêmement bien documenté, au titre à lui seul éclairant : Ces 600 milliards d’euros qui manquent à la France. Enquête au cœur de l’évasion fiscale .

Pour étayer sa thèse, l’auteur s’est penché sur les étranges pratiques de l’Union des banques suisses (UBS), l’un des plus importants et des plus anciens établissements helvétiques. Il se fonde sur des témoignages accablants d’employés de la banque en France qui ont accepté de parler, sous couvert d’anonymat. Des informations de première main, corroborées par plusieurs autres sources provenant des services de renseignement et de la lutte contre le blanchiment d’argent.

Un sytème quasiment institutionnalisé

Au sein de la filiale française d’UBS, le système d’évasion fiscale pour les grandes fortunes était quasiment institutionnalisé, raconte Antoine Peillon, qui décrit par exemple le manuel pratique fourni aux employés, leur livrant conseils et astuces pour rester discrets et ne pas se faire prendre par le fisc. Selon les cadres d’UBS, 850 millions d’euros auraient ainsi été sortis illégalement de l’Hexagone par la banque suisse.

Pour parvenir au montant de 600 milliards d’euros évoqués dans le titre de son livre, Antoine Peillon additionne notamment « les 100 milliards d’avoirs de Français fortunés dissimulés en Suisse », les « 220 autres milliards qui se cachent dans l’ensemble des paradis fiscaux », ainsi que les 370 milliards de placements des grandes entreprises dans ces mêmes places offshore.

Cette « nouvelle affaire » n’est pas une première pour UBS, qui a déjà eu maille à partir avec les autorités américaines. Antoine Peillon dit tenir l’ensemble des documents qu’il possède à la disposition d’un juge d’instruction.

Voir par ailleurs:

Malgré la crise, les dons privés ne cessent d’augmenter

Nicolas Lecaussin

IREF

12 apr 2012

Malgré la crise, les dons privés ne cessent d’augmenter

Le Hudson Institute a établi la statistique des dons privés aux pays pauvres. Ils sont plus importants que l’aide publique. Les Américains sont les premiers donateurs du monde. Infâme capitalisme, misérables entrepreneurs !

En France, nous pratiquons en grands champions un sport qui consiste à critiquer les entreprises, les patrons ou les riches en général. Ailleurs, on vante les mérites des entrepreneurs et on souligne l’importance du secteur privé et des individus dans l’exercice de la philanthropie. Le dernier Index de la Philanthropie privée publié par le Hudson Institute montre que, malgré la crise, les dons et les envois de fonds privés vers les pays en développement ont représenté environ 246 Milliards de dollars en 2010, presque le double que les aides publiques (128 Milliards de dollars).

Les Etats-Unis sont le premier pays donateur avec 39 Milliards de dollars en dons privés (individus, sociétés et legs) et 95 Milliards en argent envoyé vers les pays en développement. Par rapport à ces sommes, l’aide gouvernementale américaine aux pays pauvres a représenté 30 Milliards de dollars en 2010. Par comparaison, les autres pays sont loin derrière : le Royaume Uni est deuxième avec presque 5 Milliards de dons privés, suivi par le Japon (3.3) et le Canada (2). Les Etats-Unis restent, de loin, les principaux pourvoyeurs d’argent à d’autres pays car même pour ce qui est de l’aide publique, ils sont les premiers : 30 Milliards de dollars d’aides publiques en 2010 contre 13 Milliards pour le Royaume Uni, 12.99 pour l’Allemagne et 12.92 pour la France. Voilà sans doute des raisons tout à fait valables pour condamner l’Amérique.

Dons privés (individus, sociétés, legs) aux pays pauvres

(en Milliards de dollars, 2010)

Etats-Unis 39

Royaume Uni 5

Japon 3.3

Canada 2

Allemagne 1.46

France 1

Voir enfin:

Obama Fails to Apply the Buffett Rule to Himself

Keith Koffler

White House dossier

April 13, 2012

President Obama chose not to subject himself to his own proposed Buffett Rule, paying only a 20.5 percent federal tax rate instead of the 30 percent rate called for under the proposal he has been talking about all week.

The Buffett rule would apply to those making $1 million, and Obama did not quite make $1 million last year – he clocked in at $789,674. But he made enough to be considered comparably rich to those making a million, and still paid a rate ten points below the threshold he is proposing.

What’s more, he paid a lower rate than Vice President Biden, who made less than half what Obama did. Biden paid a 23.2 percent rate on $379,035 in income.

Some of the difference is due to deductions for charitable contributions – the Obamas contributed substantially more last year than the Bidens.

Did Obama Pay a Lower Rate Than His Secretary?

Keith Koffler

White House dossier

April 13, 2012

President Obama paid a total federal tax rate in 2011 on adjusted income of $789,674 that may be lower than that of his secretary, even though she earned substantially less.

Obama has spent the past week touting the Buffett Rule, which calls on those who make $1 million – just a little more than Obama made – to pay at federal tax rate of at least 30 percent. The rule was inspired by Buffett’s comment that he paid a lower tax rate than his secretary.

The most recent information about salary regarding Obama’s secretary is for his former secretary, Katie Johnson, who is listed by the White House as having made $90,000 in 2010.

According to Wikipedia, Johnson is 31 years old and now attends Harvard Law School. I don’t know about her personal life or what her deductions would be, so I can’t assume any children or extra deductions.

On a $90,000 salary, she would pay $16,578 in federal taxes, $3,780 to Social Security, and $1,305 in Medicare taxes.

That adds up to a total federal tax burden of $21,663 on $90,000 in adjusted gross income, or a tax rate of 24 percent.

Obama’s federal income tax rate was 20.5 percent. If you include the Medicare and Social Security taxes paid by Obama, his total federal tax liability is 21.8 percent, fully two percent less than that of his secretary even though his adjusted gross income was nearly nine times hers.

Voir encore:

Petits comptes entre « sages »

Raphaëlle Bacqué et Pascale Robert-Diard

Le Monde

26.11.10

Octobre 1995. Les rapporteurs du Conseil constitutionnel proposent le rejet des finances de la campagne d’Edouard Balladur. Ils ne sont pas suivis.

Les débats ont duré cinq jours. Autour de la table ovale du Conseil constitutionnel, en ce mois d’octobre 1995, l’atmosphère est tendue. Roland Dumas et les huit autres membres doivent trancher une question brûlante : peuvent-ils ou non invalider les comptes de campagne des deux principaux candidats de la droite, le vainqueur de l’élection présidentielle, Jacques Chirac, et son adversaire, éliminé dès le premier tour, Edouard Balladur ?

Depuis la mi-juillet, dix rapporteurs, tous hauts fonctionnaires du Conseil d’Etat et de la Cour des comptes, ont épluché, facture après facture, les dépenses et les recettes des neuf candidats du premier tour. Jacques Chirac et Edouard Balladur posent de sérieux problèmes. Des versements en liquide figurent sur les comptes de campagne sans aucune justification. Tout l’été, les rapporteurs ont réclamé des explications.Une demi-douzaine de lettres recommandées ont été adressées à M. Balladur, dont l’association de financement a été notamment créditée de 10,25 millions de francs en espèces (1,56 million d’euros) le 26 avril 1995. Son trésorier, René Galy-Dejean, donne des explications fluctuantes : des ventes de gadgets, explique-t-il d’abord, des tee-shirts, indique-t-il ensuite. « Le candidat ne sait manifestement pas quelle argumentation opposer aux questions », écrivent les trois rapporteurs, Martine Denis-Linton, Rémi Frentz et Laurent Touvet.

Pour Roland Dumas, c’est la première occasion d’exercer son savoir-faire politique. Nommé en mars 1995 par François Mitterrand, juste avant que celui-ci ne quitte l’Elysée, son arrivée a fait grincer des dents. Autant son prédécesseur, Robert Badinter, était incontesté, autant l’ancien ministre des affaires étrangères suscite l’hostilité de certains membres. « Il lui manque une case, celle de la morale », confie alors un des « sages ». Les premières semaines, il a dû déployer tout son charme pour apprivoiser ce Conseil, dont quatre membres ont pourtant été nommés par la gauche.Recettes en espèces injustifiéesC’est peu dire que l’exposé des rapporteurs jette un froid sur le Conseil. Le 3 octobre, devant les neuf membres, ils proposent le rejet des comptes d’Edouard Balladur, ce qui revient à le priver du remboursement par l’Etat des dépenses de campagne qu’il a engagées. Il est d’usage, au Conseil, de suivre leur avis.

Selon notre enquête, dès l’ouverture des débats, Roland Dumas met en garde ses collègues. Les comptes de Jacques Chirac, leur rappelle-t-il, présentent, eux aussi, des recettes injustifiées et une sous-estimation des dépenses. Roland Dumas insiste : si on annule les comptes de l’ancien premier ministre, il faudra aussi annuler ceux du président élu. Il observe que les dépassements chez celui-ci sont « beaucoup plus sérieux ». « Peut-on prendre le risque d’annuler l’élection présidentielle et de s’opposer, nous, Conseil constitutionnel, à des millions d’électeurs et ainsi remettre en cause la démocratie ? », fait-il valoir.Maurice Faure, éphémère ministre de la justice de François Mitterrand en 1981, rechigne pourtant. « Je n’accepte pas cette solution », dit-il. Il est l’un des seuls à s’émouvoir publiquement. Les rapporteurs, eux, continuent de batailler. A quoi donc ont servi leurs investigations si c’est pour capituler ?

Roland Dumas décide alors de suspendre la séance. Il demande aux rapporteurs de revoir leur copie et de modifier les modes de calcul qu’ils ont retenus. Pour les recettes en espèces injustifiées, le président du Conseil constitutionnel donne lui-même l’explication que lui a fournie Jacques Chirac : « Savez-vous que les militants du RPR ont une imagination débordante et que, à la fin de chaque meeting, ils font circuler une sorte de gros boudin dans lequel chacun verse son obole, et cela fait des sommes extraordinaires ! »L’argument ne dupe personne mais les rapporteurs, eux, sont obligés de reprendre leurs calculs.Pressés par Roland Dumas, ils « oublient » la provenance incertaine des 10,25 millions de francs d’Edouard Balladur, réintègrent dans ses dépenses 5 929 628 francs, ce qui le laisse opportunément juste en dessous du plafond de 90 millions de francs autorisé pour les candidats du premier tour. La même opération est menée pour Jacques Chirac, qui en tant que candidat du second tour, a droit, pour sa part, à 120 millions de francs de dépenses. Les rapporteurs réintègrent 3 334 295 francs dans ses comptes.Pour l’un et l’autre, l’addition est désormais officiellement orthodoxe : Edouard Balladur est à 0,25 % du plafond autorisé. Jacques Chirac fait encore mieux : ses dépenses s’établissent à 0,034 % en dessous du seuil légal.Il faut maintenant voter.

Mais la bataille des rapporteurs a laissé des traces. Quatre conseillers refusent d’approuver les comptes. Quatre les valident. Quatre voix contre quatre. La cinquième qui fait basculer la majorité en faveur de l’adoption des comptes est celle de Roland Dumas. « Ce n’était pas très glorieux », reconnaît aujourd’hui le professeur de droit Jacques Robert. Il sera le seul, cinq ans après cette décision, à exprimer ses états d’âme dans un livre, La Garde de la République (Plon, 2000) : « La jurisprudence électorale est plus pragmatique que morale, écrit-il alors. Cette mission de contrôle des dépenses pour l’élection présidentielle est quasiment impossible à remplir. Le Conseil est une caution. »Ce jour-là, la rigueur des gardiens de la Constitution fera tout de même une victime. Jacques Cheminade, qui a obtenu 0,28 % des voix au premier tour, voit ses comptes invalidés : il a obtenu un prêt sans intérêts. Ne pouvant bénéficier du remboursement partiel de l’Etat, il est ruiné.Après cette séance houleuse, Roland Dumas convie tout le monde à déjeuner. Les rapporteurs, écoeurés, déclinent l’invitation.

Voir de même:

Jacques Robert : «On s’est tous dit qu’il se fichait de nous»

Le Monde

01.12.2011

Professeur de droit et président honoraire de l’université Panthéon-Assas, Jacques Robert, 83 ans, a été membre du Conseil constitutionnel de 1989 à 1998. A ce titre, il a examiné, en octobre 1995, dans la foulée de l’élection de Jacques Chirac à l’Elysée, les comptes de campagne des candidats, notamment ceux d’Edouard Balladur. Pour « le Parisien » – « Aujourd’hui en France », il détaille les manœuvres qui ont conduit les Sages à « blanchir » 10 millions de francs (1,5 M€) à l’origine douteuse.

Vous souvenez-vous du délibéré portant sur les comptes de campagne d’Edouard Balladur?

JACQUES ROBERT. Parfaitement. Et ce n’est pas un bon souvenir. Je vis très mal la façon dont le droit, à cette occasion, a été tordu.

C’est-à-dire?

Comme tous les dossiers électoraux, celui d’Edouard Balladur a été examiné par trois conseillers rapporteurs détachés auprès de nous par la Cour des comptes et le Conseil d’Etat. Leur rapport, présenté en séance pleinière, était sans équivoque : les comptes du candidat Balladur accusaient 10 millions de francs de recettes d’origine inconnue. Ils étaient donc irréguliers.

Ont-ils tenté d’obtenir une explication de l’ex-candidat?

Oui. Ils lui ont écrit à trois reprises, par lettre recommandée, mais Edouard Balladur ne leur a jamais répondu. L’explication selon laquelle ces 10 millions provenaient de la vente de tee-shirts, esquissée par son trésorier, ne tenait pas la route. C’était une somme énorme. On s’est tous dit que Balladur se fichait de nous.

Les comptes de Jacques Chirac, eux, étaient corrects?

Non. Mais les irrégularités n’avaient pas une telle ampleur.

Comment les Sages du Conseil constitutionnel ont-ils réagi?

Nous étions tous très ennuyés. Roland Dumas, président du Conseil, a alors pris la parole. « Nous ne sommes pas là pour flanquer la pagaille, a-t-il dit. Les Français ne comprendraient pas qu’on annule l’élection pour une affaire de dépassement de crédits. Il faut trouver une solution. » Il s’est tourné vers les rapporteurs. « Des postes ont peut-être été majorés? Si vous baissiez cette somme, ce serait pas mal… » La séance a été suspendue. Les trois rapporteurs se sont retirés pour travailler. Au bout de cinq ou six heures, quand ils sont revenus, le montant avait été réduit, mais les comptes étaient encore largement dépassés. Roland Dumas leur a demandé de faire un effort supplémentaire. Les rapporteurs se sont retirés à nouveau. Ils ont fini par présenter des comptes exacts… à 1 franc près. Sans doute pour montrer qu’ils n’appréciaient pas d’être pris pour des imbéciles.

En ce qui concerne Chirac?

Cela s’est passé quasiment de la même manière.

Avez-vous accepté de valider ces comptes?

Je sais que je ne voulais pas le faire, mais, après toutes ces années, je ne me souviens pas de mon vote. Peut-être ai-je, finalement, rallié les arguments de Roland Dumas… Vous savez, le Conseil constitutionnel, c’est un peu un club. On est entre gens de bonne compagnie, on se tutoie. Claquer la porte, donner des leçons aux collègues, ça ne se fait pas. Une chose est sûre : nous n’étions pas très fiers. Nous venions de passer trois jours à huis clos. Nous étions épuisés, mal à l’aise. Nous nous sommes dispersés sans un mot, avec le sentiment que la raison d’Etat l’avait emporté sur le droit.

Vous êtes-vous demandé d’où pouvaient provenir les fonds de Balladur?

Nous avions la certitude que leur origine était douteuse, mais nous penchions plutôt pour un potentat africain, une grosse fortune française ou les fonds secrets de Matignon. A l’époque, personne ne parlait de Karachi, du Pakistan ou de l’Arabie saoudite. Je ne me souviens pas que l’hypothèse de rétrocommissions liées à des contrats d’armement ait été évoquée.

Aujourd’hui, qu’en pensez-vous?

Juste avant notre vote, Roland Dumas a passé une heure à l’Elysée avec Jacques Chirac. Sans doute lui a-t-il dit que la situation était délicate et qu’il avait dû manœuvrer pour faire régulariser les comptes. Mon impression, c’est que Roland Dumas, Jacques Chirac et Edouard Balladur se tenaient à l’époque par la barbichette. Et que nous avons servi de caution à une belle entourloupe.

Voir enfin:

La solution fausse mais séduisante de Barack Obama

Pierre-Yves Dugua

American business & co

Le Figaro

10 avril 2012

Aux États-Unis aussi, il ne faut pas chercher de logique politique (au sens noble du terme) derrière les propositions des candidats.

L’important n’est pas de proposer des solutions aux problèmes alarmants du moment.

L’important est de faire croire aux électeurs que des mesures symboliques, simples à comprendre, vont résoudre sans douleur pour eux les difficultés qui les inquiètent.

Le meilleur exemple américain de cette maladie qui fausse le jeu démocratique, est l’acharnement de Barack Obama pour augmenter le taux marginal d’imposition des américains qui dérivent une part importante de leurs revenus de plus values.

On commence par provoquer la colère de l’électeur moyen en lui expliquant qu’il paye plus d’impôts que les super-riches.

C’est faux, mais peu importe.

Pour faire passer cette énormité, Barack Obama explique avec le talent et la décontraction souriante qu’on lui connaît, que le taux effectif d’imposition des 22.000 foyers ont déclaré au moins un million de dollars de revenus en 2009 était inférieur à 15%.

Deuxième argument, destiné à choquer l’électeur naïf: on explique que les classes moyennes sont taxées à des taux supérieurs.

Pour illustrer cet argument et le rendre encore plus crédible, le Président cite Warren Buffett. L’investisseur richissime qui finance la campagne de Barack Obama, répète depuis des années que son taux d’imposition est inférieur à celui de sa secrétaire.

Conclusion: Barack Obama propose la « règle Buffett »: que tous les millionnaires soient obligés de payer au moins 30% de leurs revenus au fisc.

Naturellement ceux qui s’opposent à cette régle en apparence simple, équitable et raisonnable ne peuvent être que des horribles capitalistes, ennemis de la classe moyenne, assoiffés de profits, méprisants de la condition difficile dans laquelle se trouve les américains d’en bas.

Et surtout, toute personne qui s’oppose à la « Buffet Rule » ne serait pas un vrai patriote. En effet pour réduire le déficit budgétaire, n’est-il pas urgent que les riches payent plus ?

Voilà. La démonstration est faite. Obama = gentil Président raisonnable. Républicains = méchants profiteurs, insensibles aux principes élémentaires de la justice sociale.

Problème: la réalité n’est pas du tout conforme à ce que décrit la Maison blanche.

1) La moitié des américains les moins riches ne paye pas du tout d’impôt sur le revenu.

Barack Obama ne veut surtout pas rappeller ce fait incontournable dans toute discussion relative à l’équité fiscale.

2) Le taux EFFECTIF moyen d’imposition fédérale sur le revenu de l’américain moyen est de 11%.

Le taux effectif moyen de ceux qui déclarent un million ou plus en revenu est de 25%.

Le taux effectif moyen de ceux qui déclarent entre 200.000 et 500.000 dollars est de 19%.

En mélangeant taux d’imposition et tranche d’imposition, on crée une illusion d’inégalité insupportable.

3) Le système fédéral de taxation est DÉJÀ très progressif

40% des recettes de l’impôt sur le revenu provient des contribuables parmi le 1% plus riche.

Près de 100% des recettes provient des 20% les plus riches.

4) La « règle Buffett » rapporterait à l’Internal Revenue Service (fisc fédéral) 47 milliards de dollars sur 10 ans…Cette estimation n’est pas contestée par le Président.

En fait les millionnaires payent déjà pour la plupart bien plus que les classes moyennes, en proportion de leurs revenus. La règle défendue par Barack Obama n’augmenterait guère la taxation effective des riches.

Pour mémoire, le déficit budgétaire fédéral sur UN AN dépasse 1000 milliards de dollars !

La lutte contre le déficit et l’endettement suppose donc des mesures bien plus sérieuses que celle qui rapporterait 47 milliards de dollars sur 10 ans…

La solution n’est pas dans la taxation des riches proposée par le Président sortant. Ou alors il faudrait que cette imposition atteigne des niveaux « européens » de 50% et plus.

Comme personne n’ose le proposer, même au sein du Parti Démocrate, la solution est, hélas, dans la taxation plus forte des classes moyennes. Ce sont les classes moyennes qui sont les plus nombreuses. C’est là que se trouve l’argent.

Taxer les riches est bien plus un magnifique slogan électoral, qu’une solution pratique au problème de sur-endettement des États-Unis.

Cette solution passera aussi par la réduction des dépenses publiques, y compris des prestations sociales (retraites + santé) qui sont totalement incontrôlées et même automatiques (c’est à dire qu’elles ne sont pas votées par le Congrès).


Présidentielle 2012: Vous avez dit bobos? (How France’s bobos fell out of paradise)

1 avril, 2012
J’appelle bourgeois quiconque pense bassement. Flaubert
Toutes les stratégies que les intellectuels et les artistes produisent contre les « bourgeois » tendent inévitablement, en dehors de toute intention expresse et en vertu même de la structure de l’espace dans lequel elles s’engendrent, à être à double effet et dirigées indistinctement contre toutes les formes de soumission aux intérêts matériels, populaires aussi bien que bourgeoises.  Bourdieu
On ne s’en rend pas toujours compte en Occident mais nous vivons à bien des égards une époque formidable. Des centaines de millions de personnes sortent de la pauvreté. L’Internet permet à tout un chacun d’avoir accès à l’information dont l’universitaire le plus privilégié ne pouvait rêver il y a seulement quelques années. The Economist (2010)
Vous allez dans certaines petites villes de Pennsylvanie où, comme dans beaucoup de petites villes du Middle West, les emplois ont disparu depuis maintenant 25 ans et n’ont été remplacés par rien d’autre (…) Et il n’est pas surprenant qu’ils deviennent pleins d’amertume, qu’ils s’accrochent aux armes à feu ou à la religion, ou à leur antipathie pour ceux qui ne sont pas comme eux, ou encore à un sentiment d’hostilité envers les immigrants. Barack Obama
Nous qui vivons dans les régions côtières des villes bleues, nous lisons plus de livres et nous allons plus souvent au théâtre que ceux qui vivent au fin fond du pays. Nous sommes à la fois plus sophistiqués et plus cosmopolites – parlez-nous de nos voyages scolaires en Chine et en Provence ou, par exemple, de notre intérêt pour le bouddhisme. Mais par pitié, ne nous demandez pas à quoi ressemble la vie dans l’Amérique rouge. Nous n’en savons rien. Nous ne savons pas qui sont Tim LaHaye et Jerry B. Jenkins. […] Nous ne savons pas ce que peut bien dire James Dobson dans son émission de radio écoutée par des millions d’auditeurs. Nous ne savons rien de Reba et Travis. […] Nous sommes très peu nombreux à savoir ce qu’il se passe à Branson dans le Missouri, même si cette ville reçoit quelque sept millions de touristes par an; pas plus que nous ne pouvons nommer ne serait-ce que cinq pilotes de stock-car. […] Nous ne savons pas tirer au fusil ni même en nettoyer un, ni reconnaître le grade d’un officier rien qu’à son insigne. Quant à savoir à quoi ressemble une graine de soja poussée dans un champ… David Brooks
Well, my joke is that I consider myself a bobo with bad grades. If I’d studied more, I would have gotten into Harvard and I could afford the big kitchen and all that. But I am a bobo in some sense. You know, the essence of bobo life is people who consider themselves sort of artistic or writers or intellectuals but find themselves in the world of making money, in the world of commerce. And so I certainly am in that. You know, I consider myself a writer, and I live for ideas and things like that. But I also want a big house, so I’m caught between money and spirituality. David Brooks
On les appelle bourgeois bohèmes Ou bien bobos pour les intimes Dans les chanson d’Vincent Delerm On les retrouve à chaque rime Ils sont une nouvelle classe Après les bourges et les prolos Pas loin des beaufs, quoique plus classe Je vais vous en dresser le tableau Sont un peu artistes c’est déjà ça Mais leur passion c’est leur boulot Dans l’informatique, les médias Sont fiers d’payer beaucoup d’impôts Ils vivent dans les beaux quartiers ou en banlieue mais dans un loft Ateliers d’artistes branchés, Bien plus tendance que l’avenue Foch ont des enfants bien élevés, qui ont lu le Petit Prince à 6 ans Qui vont dans des écoles privées Privées de racaille, je me comprends ils fument un joint de temps en temps, font leurs courses dans les marchés bios Roulent en 4×4, mais l’plus souvent, préfèrent s’déplacer à vélo Ils lisent Houellebecq ou Philippe Djian,les Inrocks et Télérama, Leur livre de chevet c’est Surand Près du catalogue Ikea. Ils aiment les restos japonais et le cinéma coréen passent leurs vacances au cap Ferret La côte d’azur, franchement ça craint Ils regardent surtout ARTE Canal plus, c’est pour les blaireaux Sauf pour les matchs du PSG et d’temps en temps un p’tit porno Ils écoutent sur leur chaîne hi fi France-info toute la journée Alain Bashung Françoise Hardy Et forcement Gérard Manset Ils aiment Desproges sans même savoir que Desproges les détestait Bedos et Jean Marie Bigard, même s’ils ont honte de l’avouer Ils aiment Jack Lang et Sarkozy Mais votent toujours écolo Ils adorent le Maire de Paris, Ardisson et son pote Marco La femme se fringue chez Diesel Et l’homme a des prix chez Kenzo Pour leur cachemire toujours nickel Zadig & Voltaire je dis bravo Ils fréquentent beaucoup les musées, les galeries d’art, les vieux bistrots boivent de la manzana glacée en écoutant Manu chao Ma plume est un peu assassine pour ces gens que je n’aime pas trop par certains côtés j’imagine que je fais aussi partie du lot. Renaud (2006)
Les bobos rêvent des quartiers populaires, les jeunes rêvent d’en sortir et les plus vieux qui ont ici leurs racines ne se retrouvent plus dans ces quartiers qui se transforment. Arte (2006)
Les Bobos, contraction de «bourgeois» et de «bohème», cultivent une passion pour les légumes bio et les gadgets techno. Ils engrangent les stock-options et soutiennent José Bové à Millau. Ces bohémiens chic veulent avoir les pieds dans la terre et la tête dans le cyberespace. (…) Caché derrière ses lunettes de glacier en pleine ville, planqué sous un bonnet tibétain griffé, invisible sous son look écolo-ethnico-pratique, le bourgeois nouveau est là. Bohème, pétrie de contradictions, de bons sentiments et d’égoïsme, d’éthique et de culte du bien-être, la nouvelle élite reprend à son compte les valeurs de 68, digère la vague bio-écolo, se préoccupe des excès de la mondialisation. N’empêche, même bohème, le bourgeois cultive ambition et succès social, distinction de classe et singularité du comportement. L’anticonformisme le guide. L’obsession d’être pris pour un beauf lui fera se précipiter pour acquérir ce petit quelque chose qui le différenciera du lot, bol à soja japonais, couverts à salade africains, bob rapporté de Millau… L’Américain David Brooks croque et moque dans Bobos in Paradise (Bobos pour «bourgeois bohèmes»), cette classe dirigeante directement issue de la société de l’information. Brooks décrit cette élite rajeunie (entre 30 et 40 ans) qui s’épanouit dans la nouvelle économie, les médias, le cinéma. Plus généralement, cette génération de «méritocrates» surdiplômés fait son lit dans toutes les professions intello-artistiques.  (…) Bobo fait du vélo et surfe sur le Net. Car l’ambition majeure du Bobo, c’est la contradiction réconciliée : argent et conscience sociale, esprit critique et hédonisme, culte du corps et sexualité débridée, anticonformisme et management, multiculturalisme et consommation de masse… Il peut faire fortune en Bourse avec ses stock-options, mais répugner à l’achat d’une voiture de sport. Non pas qu’il soit pingre : il dépense sans compter pour une cuisine ultra-équipée et designée, préférant l’acier au blanc, la vitro-céramique au gaz, du moment que c’est pour son bien. Il s’acharne à planter des graines aromatiques sur son balcon pollué, se rue aux conférences de l’Université de tous les savoirs pour «s’enrichir», part en vacances dans une ferme retapée du Poitou, adopte le look Chiapas, s’encanaille chez Gap ou H & M tout en portant un petit haut Jil Sander, cher mais invisible. Il fait du vélo et entretient son corps «de l’intérieur» à l’aide de bains aux huiles essentielles, il préfère le gicong, la gym «réénergisante» chinoise à l’aérobic. Le Bobo aime les homos, rejette les racistes et les matérialistes, jongle avec les accessoires technoïdes (organiseur de poche, téléphone portable miniature…) et fait ses courses sur le Net. Libération (juillet 2000)
Comparé au bourgeois dédaigneux ou au militant de gauche donneur de leçons, le bobo est ce que le petit-suisse est au roquefort. Il incarne la désintégration du politique, car il place ses ‘émotions vraies’ et son bien-être avant toute réflexion sur le destin de la collectivité nationale. Le Figaro
Les bobos gagnent confortablement leur vie, mais évitent de l’afficher. Les voitures de luxe et les chemises de soie ne font pas partie de leur univers. Le négligé chic serait davantage leur genre. Pour eux, l’argent ne pose pas de problème tant qu’il permet de manger bio, de faire des excursions dans des régions toniques et de signer des chèques en faveur d’associations caritatives. S’ils critiquent la culture capitaliste, ils s’autorisent tout de même à dépenser des fortunes pour rester à la pointe de la haute technologie, avec ordinateurs et téléphones portables sophistiqués. Partant en vacances, les bobos choisissent de préférence des endroits reculés et des modes de transports rudimentaires… « Les dollars dépensés pour notre voyage sont des investissements dans notre propre capital humain… Nous voulons percer d’autres cultures, essayer d’autres modes de vie », écrit M. Brooks. En lançant les bobos, David Brooks aimerait avoir donné son nom à une nouvelle génération. Mais pour que celle-ci existe vraiment des fondements politiques ou religieux mieux établis seront sans doute nécessaires. Après tout, écrit Debra Galant dans le New York Times, il s’agit simplement de personnes qui « pensent à gauche et vivent à droite ». Avec leur goût prononcé pour la conciliation, leur rejet de toutes révoltes et démarches radicales (orthodoxie religieuse, remise en cause de l’Etat), les bobos manquent encore un peu d’épaisseur, y compris en France, où l’appellation commence à être connue. Le Monde
Municipales 2001. Radiographie d’une élection. Le bourgeois bohème a un revenu élevé, des diplômes, et s’installe dans les quartiers populaires. Selon notre sondage, il a massivement voté à gauche. Libération (mars 2001)
Madelin est la meilleure incarnation sur l’échiquier politique de l’électorat « bobo », ces « bourgeois bohème » issus de Mai 68, libéraux-libertaires, pour qui fumer un joint de marijuana n’est pas criminel, qui passent tout aux minorités, homosexuelles ou ethniques. L’ennui est que ces gens-là se croient de gauche.  Eric Zemmour (décembre 2001)
Pour qualifier le retour des catégories intellectuelles plus ou moins fortunées dans les espaces populaires des centres villes, […] ce terme de bobo (pour bourgeois bohème) qui arrive aussi des Etats-Unis nous plaît parce qu’il décrit de manière assez juste la spécificité de ces habitants : de jeunes adultes en phase avec le libéralisme économique, mais qui affichent des modes de vie très différents de ceux de la bourgeoisie traditionnelle. On est dans la famille recomposée, les droits de l’homme, l’écologie, la liberté culturelle et le vote socialiste. Et surtout, c’est essentiel, ils se reconnaissent dans les cours pavées de la Bastille, dans les lofts et les ateliers de la rue Oberkampf, et investissent les quartiers populaires de l’Est parisien. Libération (janvier 2005)
Célibataire, homosexuel, noctambule, à la fois droit-de-l’hommiste et individualiste, puisque très attaché à sa liberté personnelle, Bertrand Delanoë cumule les critères du bourgeois bohème parisien contre lequel l’UMP sonne la charge dans le Livre noir qu’elle a publié début 2005.  Le Figaro (mai 2005)
Les médias les raillent à longueur de pages, la publicité les caricature : glorifiés il y a encore peu de temps, les bobos ne sont plus en odeur de sainteté. Mais que leur reproche-t-on, au juste? Dans la galerie des épouvantails médiatiques, les bobos auraient-ils supplanté les BCBG ou les yuppies des années quatre-vingt, après avoir été portés au pinacle ? Avant la publicité, la presse s’était déjà fait l’écho d’un certain agacement. […] Lancé [sic] en 1999 par le journaliste américain David Brooks dans le livre Bobos in Paradise, l’expression, gentiment régressive, semble bien être devenue la dernière insulte à la mode. Stratégies (octobre 2005)
[Ce sont] les nouveaux maîtres de Paris, stars des gazettes et chouchous des pubards, leaders d’opinion et des dîners en ville, nouvelle volaille qui, comme dans la chanson de Souchon, fait l’opinion. [ … ] Ce sont quelques poignées de vrais bourgeois mais faux bohèmes, connus ou inconnus, fricotant dans la pub, la presse, la musique ou le cinéma, bref, dans des métiers bien, qui prônent leurs idées et prêchent leurs discours avec d’autant plus de légèreté mondaine qu’ils n’en subiront jamais les conséquences, planqués qu’ils sont dans leurs donjons bardés de digicodes. [ … ] Ce sont les nouveaux gardiens de la Pensée unique qui déversent sur le moindre assaillant l’huile tiède d’une soupe idéologique ressassée, entre deux flèches trempées dans le fiel mortel de leurs propres erreurs. François d’Épenoux (écrivain)
Incarnation vivante des métiers de l’information et d’une société post-moderne où les élites refusent de se concevoir comme telles, les « bourgeois-bohèmes » théorisés par David Brooks – « Les Bobos me font mal », de François d’Epenoux, éd. Anne Carrière – revisitent la figure de la bourgeoisie pour en ringardiser définitivement l’inspiration aristocratique et la vision anti-prolétarienne. (…) Contrairement à une idée reçue, le bobo n’est pas la nouvelle figure, plus branchée et plus sympathique, de la gauche caviar mais bel et bien un nouvel acteur social. Né pendant la crise, le bobo rompt définitivement les amarres avec la vieille bourgeoisie progressiste, cette gauche caviar militant en faveur d’un meilleur partage de la croissance. (…) Ne se sentant pas investi d’une mission qui consisterait à lutter contre cette « réalité économique », il témoigne néanmoins de son ouverture d’esprit sur le plan de la tolérance et de son sens de la solidarité en se félicitant régulièrement de payer beaucoup d’impôts. Faute de vouloir changer la société, il entend agir quotidiennement pour un monde meilleur, notamment à travers sa consommation courante. Le bobo prête ainsi une grande attention au « juste prix » – voire, à la bonne affaire –, à l’authenticité, au bio, au vélo et plus largement à l’environnement tandis qu’il exècre le luxe, symbole par excellence de l’inutilité et d’une réussite aussi arrogante qu’agressive. (…) Mais si le bobo déteste les riches qui s’affichent de façon ostentatoire, il tolère à peine ceux qui cultivent un chic et une élégance conformistes. Pour une raison simple : le bobo n’aime pas les riches trop fiers de leur réussite, soit pour afficher leur supériorité vis-à-vis du reste de la société, soit pour vivre en vase clos. (…) Pas plus que la bourgeoisie « bling-bling » » (celle des nouveaux riches), il n’apprécie l’élitisme, le snobisme et la froideur d’une bourgeoisie plus classique. Ainsi que le souligne David Brooks – « Les Bobos », éd. Florent Massot –, le bobo ne se caractérise pas par une haine de soi (ce serait même plutôt l’inverse) mais – la nuance est importante – par un rapport distancié à la réussite sociale. (…) Pour intégrer l’univers des bobos, « vous devez non seulement montrer que vous gagnez bien votre vie mais vous devez aussi avoir recours à une série de feintes pour montrer que votre réussite matérielle vous importe peu […]. Lors de conversations, vous passerez votre temps à ridiculiser votre propre réussite en parlant simultanément des projets que vous avez réalisés et de la distance ironique que vous gardez par rapport à eux ». (…) Premier marqueur social, le plus visible et sans doute le plus révélateur, le logement. Le bobo aime la ville. La vraie. Celle qui offre de l’animation, des cafés, de la vie. Pour lui, le monde s’articule entre la ville centre et la campagne. L’entre-deux, la banlieue, n’a aucun intérêt. Il n’est pas disposé à quitter son quartier pour s’agrandir ou maintenir son standing dans une ville dortoir de banlieue. Et s’il faut aller dans des quartiers qui ne sont ni forcément évidents, ni toujours très sûrs, et bien tant pis, ou plus exactement tant mieux. Si la bohème se revendique comme telle, c’est dans la mixité ou plus exactement dans la cohabitation (surtout pas dans l’éducation des enfants). (…) Deux conceptions de la ville et de la vie. Le bobo aime la ville socialement mélangée (quoi que jusqu’à un certain point et dans certaines limites), croit en une société pacifiée, où le politique se donne pour objectif « d’équilibrer le budget sans être obligé d’appliquer des restrictions, de réformer l’aide sociale sans porter préjudice à quiconque, de renforcer la lutte contre la drogue en proposant plus de crédits aux centres de réinsertion… » (…) Ces conceptions trouvent logiquement des traductions politiques différentes. Le bobo est de gauche mais il peut également se reconnaître dans un candidat ambitionnant de réconcilier les deux camps. Franck Gintrand
On ne rappelle pas assez que la  la gauche doit d’abord son retour à Paris à une modification profonde de la population, et notamment à l’apparition au début des années 90 d’une nouvelle bourgeoisie. Plus généralement d’ailleurs, l’influence croissante de la gauche plurielle à Paris et dans les villes-centres des grandes métropoles révèle d’abord la capacité des socialistes et des Verts à répondre aux attentes de cette «bourgeoisie bohème» des centres urbains… Ces bourgeois bohèmes, que l’Américain David Brooks (les Bobos, Ed. Massot, 2000) définit comme le produit d’une fusion entre le monde artistique et intellectuel et le monde de l’entreprise, investissent depuis près de dix ans l’ensemble des quartiers et arrondissements populaires de la capitale. Individualisme, multiculturalisme, intérêt pour les questions environnementales, adhésion aux valeurs libérales, absence de référence à la lutte des classes, les «bobos» adhèrent fortement aux idéaux portés par la gauche socialiste et écologiste. Cette évolution sociologique n’est pas propre à Paris, elle s’inscrit dans un vaste mouvement d’accentuation des fractures spatiales dont bénéficient prioritairement les centres des grandes métropoles. Ainsi l’homogénéité sociale des villes-centres n’a cessé de se renforcer depuis le début des années 80. Lieu de pouvoir économique et politique, ces espaces concentrent aussi une part croissante des couches sociales les plus privilégiées, les «cadres et professions intellectuelles supérieures» étant toujours plus nombreux. Paris, Lyon, Bordeaux, Toulouse, Strasbourg, Lille (demain Marseille), aucune grande ville n’échappe au phénomène. Cette évolution montre d’ailleurs que, contrairement aux idées reçues, la recomposition territoriale se réalise plus par une ghettoïsation par le haut de la société que par le décrochage de zones dites sensibles. A Paris, jusqu’au début des années 80, le clivage droite-gauche était marqué par une grande bipolarité sociale. Les catégories moyennes et supérieures votaient majoritairement à droite, tandis que la gauche ralliait une bonne part de l’électorat ouvrier et populaire. La géographie politique de Paris voyait ainsi s’opposer des arrondissements bourgeois de l’Ouest aux arrondissements populaires de l’Est. Jusqu’au début des années 90, les changements sociodémographiques ont favorisé la droite, notamment dans les quartiers les plus populaires, aucun arrondissement n’échappant alors à l’hégémonie du RPR. Depuis, l’arrivée des «bobos» dans ces mêmes quartiers (rénovés ou en cours de réhabilitation) constitue au contraire un point d’ancrage pour la gauche plurielle. Paradoxalement, le basculement à gauche des arrondissements de l’Est parisien est d’abord la conséquence de leur embourgeoisement. Loin de figer la carte politique, le départ des couches populaires a ainsi ranimé le clivage droite-gauche sous une forme inédite. Ce réveil d’une bipolarisation droite-gauche à Paris, n’est cependant pas la résurgence du traditionnel affrontement droite bourgeoise/gauche populaire mais bien celui de deux bourgeoisies. Une bourgeoisie traditionnelle et huppée s’oppose alors à une nouvelle bourgeoisie moins aisée, plus jeune et plus intellectuelle. Si la gauche a le vent en poupe à Paris, et dans de nombreuses villes-centres, c’est d’abord parce que la droite n’a pas su répondre aux attentes d’une nouvelle bourgeoisie ni accompagner, comme le souhaite Patrick Devedjian, une «société en mouvement». La clé des élections municipales à Paris réside pourtant dans la capacité qu’auront les partis à répondre aux aspirations de cette population dont le poids politique, dans des centres urbains débarrassés des couches populaires, est considérable. A ce petit jeu, la gauche socialiste et écologiste semble mieux placé. Cependant, il ne tient qu’aux partis de droite de répondre aux attentes d’une nouvelle bourgeoisie qui, pour une large part, a évacué la question sociale, et se détermine prioritairement sur des questions ayant trait à la qualité de la vie et au bien-être individuel. D’autre part, les «bobos» se montrent aussi très sensibles à certaines thématiques de droite, comme la pression fiscale ou l’insécurité. Les valeurs de cette bourgeoisie peuvent parfois rejoindre celles de la droite ou évoluer au gré des circonstances. Le multiculturalisme, souvent affiché, trouve ainsi ses limites dans des arrondissements à forte population immigrée où les pratiques d’évitement et de contournement de la carte scolaire n’ont jamais été si fortes. Christophe Guilluy
Ce qui est drôle, c’est que le détournement a fait que d’un descriptif sociologique qui aurait dû rester dans les pages des magazines féminins, on est arrivé à un sujet qui a finalement desservi la gauche. Christophe Guilluy
En 2000, David Brooks, rédacteur en chef du Weekly Standard et éditorialiste à Newsweek, publie un livre intitulé Bobos in paradise. Les « bobos » sont selon lui des « bourgeois-bohèmes », « qui ont suivi des études supérieures et qui ont un pied dans le monde bohème de la créati­vité et un autre dans le royaume bourgeois de l’ambition et de la réussite matérielle ». Ils forment une « nouvelle élite de l’ère de l’information », un « nouvel establishment». S’il cherche bien à identifier et décrire une nouvelle catégorie sociale, le livre « contient peu de statistiques. Peu de théorie. Max Weber peut dormir sur ses deux oreilles ! Je me suis contenté de décrire comment vivent ces gens en utilisant une méthode qui pourrait être qualifiée de “sociologie comique” ». De fait, le ton est enlevé, drôle et moqueur (même si Brooks l’annonce d’entrée : « J’appartiens à cette catégorie. Nous ne sommes pas si méchants que ça. »). La population décrite est typiquement américaine, le parangon du « bobo » est le couple Clinton « faisant partie des pacifistes des années 1960 et des fanatiques des échanges boursiers des années 1980. Ils sont arrivés à la Maison-Blanche chargés à bloc d’idéaux bohèmes et d’ambitions bourgeoises ». Avant même la traduction française du livre de Brooks, et malgré l’arrière-plan très américain, la catégorie fait une entrée fracassante dans l’espace médiatique français. À la base, la traduction d’un compte rendu du livre dans Courrier International du 15-21 juin 2000. Un mois plus tard, Libération consacre la rubrique « Tendance mode de vie » de son numéro du week-end aux « bobos ». La journaliste, Annick Rivoire, ancre la caté­gorie dans un contexte français : « [ils] cultivent une passion pour les légumes bio et les gadgets techno. Ils engrangent les stocks options et sou­tiennent José Bové à Millau. Ces bohémiens chics veulent avoir les pieds dans la terre et la tête dans le cyberspace. » Bien que se référant au livre de Brooks, l’article décrit sur le mode du « ils sont comme ci… ils font comme ça… » une catégorie sociale très éloi­gnée des « bobos » américains. C’est la naissance des « bobos » à la fran­çaise. Un mois plus tard, le magazine Elle, sous la plume d’Alix Girod de l’Ain, consacre à son tour un article aux « bobos ». La journaliste évoque une « nouvelle catégorie sociale » et précise que « l’expression est déjà sur toutes les lèvres ». Peu après, c’est le tour du Parisien, qui parle d’une « nouvelle catégorie socioculturelle», puis de France Soir et du Monde. Mi-novembre 2000 – délai exceptionnellement court dans l’édition -, paraît la traduction française du livre de Brooks. L’« événement » offre l’occasion d’une nouvelle salve d’articles (Libération, Le Nouvel Obser­vateur, Le Monde, Elle, etc.). Un tournant s’opère avec un article publié dans les pages « Rebonds » de Libération le 8 janvier 2001. Sous le titre « Municipales : les bobos vont faire mal », le géographe Christophe Guilluy utilise le terme de « bobos » pour décrire la nouvelle bourgeoisie de gauche qui s’installe massive­ment dans les quartiers populaires de l’Est parisien. Il précise que cette population « a évacué la question sociale, et se détermine prioritairement sur des questions ayant trait à la qualité de la vie au bien-être individuel ». Il conclut qu’elle sera un enjeu important de la campagne parisienne. (…) Une terminologie scientifique préexistait à la « boboïsation » des quartiers populaires : la « gentrification ». Mais « ce qui est intéres­sant dans le “bobo”, c’est l’introduction d’une dimension culturelle », dit Christophe Guilluy. C’est l’idée d’une catégorie qui se construit moins sur des niveaux de revenus (même si apparaît un jour dans la presse l’idée que les bobos « gagnent entre 50 000 et 140 000 francs par mois[7] »), que sur un partage de goût. (…) C’est peut-être là l’une des raisons principales du succès des « bobos ». En un seul mot, il devient possible de parler de populations qui n’entrent dans aucune catégorie statistique mais partagent des comportements : vivre dans les quartiers anciennement populaires, voter plutôt à gauche, avoir un souci de l’écologie, des goûts vestimentaires et culinaires néo­hippie et proches du terroir. Mais, derrière ce mode de vie qualifié de « bobo », ce sont des popula­tions très différentes qui sont concernées : des cadres et professions intellectuelles supérieures certes, mais aussi des intellectuels précaires, des intermittents de l’emploi et des chômeurs en fin de droit ; des classes moyennes précarisées chassées des centres-ville par les hausse des loyers ; un électorat pluriel allant de la sensibilité social-démocrate à l’extrême gauche, et même l’abstentionnisme. Le problème, c’est donc que « bobo », ça ne veut rien dire. Ou plus exactement, qu’il y a un monde entre le sens, politique, que lui accorde Christophe Guilluy et la percep­tion qu’en garde le sens commun, plutôt péjorative, en tout cas moqueuse, d’une population assimilée à la « gauche caviar » et aux privilèges. Ceci n’aurait aucune importance si l’hypervisibilisation de la catégorie ne jouait pas comme un masque. Pendant que le terme de « bobo » est uti­lisé pour railler les contradictions des bénéficiaires du « nouvel esprit du capitalisme » – sans doute réelles chez certains mais tellement minori­taires -, les pages sociales des journaux perdent de vue l’apparition mas­sive de phénomènes à l’œuvre à l’intérieur de cette catégorie fourre-tout : précarisation croissante des professions intellectuelles et, plus générale­ment, appauvrissement général des classes moyennes. Au-delà, le glisse­ment qui s’est opéré entre le « bobo » à l’américaine et le « bobo » à la française et la connotation très péjorative du terme dans le langage cou­rant (qui explique en partie que personne ne veuille s’y reconnaître) parti­cipent à un usage conservateur qui disqualifie d’emblée toute une série de velléités (écologiques, sociales, etc.) immédiatement considérées comme naïves, un peu affectées et de mauvaise foi. Xavier de la Porte
Les promoteurs de ces prophéties sociales ont toujours eu un ordre du jour politique. […] leurs prophéties sur le futur étaient en premier lieu des prescriptions à l’attention du présent. Savoir ce qui va advenir revient à revendiquer de contrôler ce qui se passe.  [Autrement dit, elles] « promeuvent leurs programmes idéologiques sous l’apparence d’analyses sociologiques. Barbrook (2006)
La notion ne fait toutefois pas l’unanimité chez les sociologues. Camille Peugny juge qu’elle n’est « pas du tout utilisée » et que « le terme est devenu une caricature » désignant « une personne qui a des revenus sans qu’ils soient faramineux, plutôt diplômée, qui profite des opportunités culturelles et vote à gauche ». En gros, une grande partie de la classe moyenne. Camille Peugny y voit même une connotation « un peu méprisante », « utilisée par la droite pour disqualifier une partie de la population qui ne connaitrait pas les difficultés du peuple et donc ne pourrait pas donner son avis ». Louis Maurin, journaliste à Alternatives Economiques et directeur de l’Observatoire des inégalités, constate lui aussi un concept « un peu flou ». Deux interprétations sont possibles selon lui : « la version haut de gamme », des « personnes cultivées qui gagnent beaucoup d’argent (architectes, artistes) » ou une analyse un peu plus large, incluant toute une partie de la population « qui n’a pas forcément des niveaux de vie très élevés mais un capital culturel et un niveau d’études supérieur à la moyenne » sans en être consciente. « Quand vous leur dites que seulement 10% de la population a dépassé le niveau Bac +2, ils tombent des nues. »Les Inrocks
La mixité sociale, comme le précise Michel Pinçon, c’est le mélange des catégories sociales définies selon le revenu, le niveau de scolarisation, etc. Toutefois, on s’intéresse souvent à la mixité sociale de l’habitat, c’est-à-dire à une vision nocturne de Paris (où est-ce que les différents groupes sociaux dorment la nuit ?). Il faudrait tenir compte du million de banlieusards qui viennent chaque jour travailler dans Paris ; cette image diurne de Paris se fait alors plus mixte. On peut aussi se demander quelle est l’échelle pertinente pour apprécier la mixité sociale : est-ce l’immeuble ? l’îlot urbain ? le quartier ? la ville ? l’agglomération ? Pour les Pinçon – Charlot, Paris est une capitale assez petite en Europe (seulement 87 km2 sans les bois), une ville qu’on peut traverser à pied (aucun point de la ville est à moins d’une heure de marche du centre-ville), et une ville bien identifiée par ses boulevards périphériques : aussi ont-ils choisi l’aire de la ville pour évaluer cette mixité sociale. Alors qu’à la Libération, Paris comptait 65% d’ouvriers et d’employés pour 35% de cadres et de patrons, les proportions se sont aujourd’hui inversées, la mixité a changé. On est passé d’une ville populaire à une ville bourgeoise. Quel changement par rapport à l’après-guerre, où Paris était plus populaire que la moyenne nationale !
Monique Pinçon-Charlot insiste alors sur le terme de gentrification, à préférer au terme d’embourgeoisement. Les bourgeois bohèmes, ou bobos, sont très différents des bourgeois traditionnels de l’Ouest de Paris. La gentrification est un processus culturel et géographique qui transforme les quartiers populaires du centre et de l’est de Paris au bénéfice de cette nouvelle petite bourgeoisie émergente. Son mode de vie est très différent de celui des petits bourgeois traditionnels. Les bobos vivent de leur travail, non pas de leur patrimoine, ils se disent volontiers écolo et anti-racistes, favorables au PACS et à la parité, ou adeptes de la nourriture bio. Les Pinçon – Charlot ont un passage savoureux dans leur livre sur l’épicerie « Aux produits d’Auvergne », rue de Lappe, échoppe si appréciée par les bobos du Faubourg Saint-Antoine. Puisque le saucisson ou les fromages gras ne convenaient pas à ceux et celles qui veulent garder la ligne, le commerçant a dû s’adapter à la nouvelle clientèle et proposer du saucisson maigre et de la tomme maigre ! Peu représentatif de l’ensemble national à cet égard, Paris concentre énormément de métiers artistiques, de la mode, du cinéma, de la presse. Or, les « bobos » sont justement nés du développement de secteurs économiques comme les nouvelles technologies, la grande distribution, l’enseignement ou les médias, qui ont produit une nouvelle élite, des actifs plus jeunes que la moyenne, des diplômés assez à l’aise dans des familles recomposées avec une idéologie libertaire, menant des modes de vie très différents de la bourgeoisie de l’Ouest. Les bobos Faubourg Saint-Antoine n’ont rien à voir avec les bourgeois de l’Avenue Henri Martin. Parlons donc de gentrification plutôt que d’embourgeoisement, pour éviter les confusions. Les bobos profitent des espaces libérés à la faveur de la désindustrialisation de la capitale. Le parc André-Citroën laisse difficilement imaginer aujourd’hui les 17000 salariés de la marque automobile éponyme qui travaillaient sur les lieux mêmes en 1968. Aujourd’hui la verdure et les grands immeubles modernes ont biffé l’occupation ouvrière des lieux. Ironiquement, Paris a basculé à gauche au moment où elle devenait moins populaire que jamais.
Eric Maurin montre justement dans Le ghetto français que le phénomène de ségrégation commence par le haut de l’échelle sociale : les très riches ne veulent pas vivre avec les riches, les riches ne veulent pas vivre avec les moyennement riches, et ainsi de suite jusqu’aux chômeurs qui ne veulent pas vivre à côté des immigrés les plus récents… Tout en bas, les très pauvres n’ont plus que la possibilité de se loger là où il leur reste de la place. Sa recherche révèle donc en chacun de nous un complice plus ou moins actif de la ségrégation urbaine. On peut expliquer la concentration des plus riches par la recherche du contexte social le plus propice pour la réussite scolaire. Le milieu dans lequel on vit est ce qui fait la différence dans la réussite scolaire. En somme, si les enfants de votre voisinage réussissent à l’école, vos enfants réussiront aussi, quelles que soient les ressources de votre famille. Avec la démocratisation de l’enseignement, la compétition scolaire se fait plus importante. Comme les familles ont moins de pouvoir prescriptif aujourd’hui, elles comptent à présent sur le contexte favorable à la réussite scolaire pour assurer l’avenir de leurs enfants. Le contexte dans lequel on vit devient alors absolument crucial.
Monique Pinçon-Charlot souligne que les bobos de l’Est parisien ont un rapport assez particulier à l’école. Dans les interviews, ils se déclarent heureux de la mixité sociale, de vivre dans un quartier qui a des apparences populaires, mais quand on demande où ils scolarisent leurs enfants, leurs visages se ferment immédiatement ! Ils ne scolarisent pas les enfants dans leurs quartiers, mais contournent la carte scolaire et cherchent à bénéficier de dérogations. A contrario, les bourgeois traditionnels revendiquent explicitement de ne surtout pas scolariser leurs enfants avec des jeunes de milieux populaires.
Michel Sivignon s’étonne que l’on n’ait jamais autant parlé de mixité sociale – tout le monde semble pour ! – au moment où elle est la moins mise en pratique. Monique Pinçon – Charlot souligne que les grands bourgeois ne veulent pas de la mixité sociale. Ils habitent les beaux quartiers de l’Ouest, envoient leurs enfants dans des rallyes, tandis que les parents fréquentent des cercles fondés sur la cooptation sociale. En revanche, quand on a des responsabilités politiques, on ne peut pas se permettre de se proclamer contre la mixité sociale.
En fait, comme le précise Michel Pinçon, ceux qui prônent la mixité sociale sont simplement ceux qui ont la parole, notamment les bobos des milieux artistiques ou médiatiques. A cet égard, l’ouvrage des Pinçon – Charlot, Sociologie de Paris, relate les showrooms, magasins de mode et ateliers de la Goutte d’Or qui ont bousculé l’ambiance urbaine. Lors d’une inauguration, « le contraste était violent entre les journalistes (…) minces et légèrement vêtues de tenues estivales, et les femmes maghrébines portant, malgré la chaleur, voiles et djellabas. Dans les vitrines des mannequins présentaient des vêtements tout aussi peu gourmands en tissu, rendant leurs prix encore plus étonnants pour la population locale. Les jeunes créateurs disent apprécier ’’l’environnement pluri-ethnique, très favorable pour l’inspiration’’ » … (…) Les milieux populaires ne veulent pas forcément de la mixité sociale. Beaucoup d’anciens résidents du quartier de l’Horloge ont préféré quitter leur quartier après sa rénovation : il ne correspondait plus du tout à leur milieu de vie, la rénovation a mené à une gentrification fatale à son ambiance populaire. La ségrégation sociale est donc bien plus complexe que ce que l’on imagine.
L’idée de mixité sociale est née dans les milieux politiques, mais il y a un danger à mêler dans une même école des enfants d’origine sociale trop différente : les enfants de milieu populaire risquent de prendre en pleine face leur infériorité sociale et d’intérioriser leur situation de dominés et se persuader qu’ils sont mauvais. Monique Pinçon-Charlot rappelle l’expérience d’échanges d’élèves un jour par mois entre le lycée Janson de Sailly et le lycée de Goussainville. Les élèves favorisés de Janson ont beaucoup apprécié l’expérience, tandis que les élèves de Goussainville ont trouvé l’expérience beaucoup trop difficile pour eux. Tout y était question de violence symbolique : ce déplacement dans l’espace social leur faisait prendre conscience de leur infériorité… Le thème de la mixité sociale doit donc être manié avec des pincettes !D’autant que notre langage est remarquablement ambigu : quand un quartier populaire accueille des plus riches, donc quand la mixité sociale augmente, on parle positivement de gentrification ; quand un quartier riche accueille des plus pauvres, donc quand la mixité sociale augmente tout autant, on parle négativement de paupérisation ! Olivier Milhaud
Peu de termes se sont diffusés avec autant de facilité pour décrire un groupe et un « style de vie » : celui de « nouveaux bourgeois », jouissant de positions socio-économiques « très favorisées », mais ayant troqué les valeurs traditionnelles des classes supérieures contre celles de la « bohème » artiste et de la contre-culture des années 60 et 70. Les « bobos », écrit D. Brooks, ce sont ces « avocats branchés (…) qui préfèrent ressembler à F. Kafka plutôt qu’à P. Newman ». Le succès du concept tient à plusieurs phénomènes. Il décrit certes une réalité qui a bouleversé le paysage urbain de ces dernières décennies : la gentrification des centres villes progressivement colonisés par les catégories supérieures repoussant les classes populaires vers de toujours plus lointaines banlieues. Mais la diffusion de l’expression tient ensuite tant à son flou qu’à sa portée critique. Mot valise que chacun emplit à sa guise, « bobo » ravit à droite en raillant la facticité d’une pensée dénoncée comme dominante et privilégiant la créativité au profit, l’autonomie individuelle à l’ordre, la jouissance à la morale. Cependant le terme charme aussi une fraction de « la gauche de la gauche » pour laquelle les « bobos » incarnent le nouveau groupe de référence d’un Parti socialiste plus occupé à construire des pistes à vélo dans les centres villes « embourgeoisés » qu’à défendre la classe ouvrière. Les « bobos » d’aujourd’hui seraient les héritiers de la « gauche caviar » des années 1980, mais moins tentés par l’œuf d’esturgeon que par le bio… Le label semble enfin même susceptible de séduire ceux qu’il est censé (dis)qualifier, parfois tentés d’en user pour revendiquer une distance critique et ironique à leurs supposés travers. (…) ces électeurs ne sont pas « sociologiquement de droite » mais relèvent des groupes qui donnent leurs voix à la gauche socialiste, au moins depuis les années 1970. Employés du public, actifs exerçant dans les secteurs de l’enseignement ou de la culture, rejetant la pratique religieuse, ils ne manifestent en aucun cas la fin du vote de classe, mais bien ses continuités (le clivage religieux) et ses recompositions autour de clivages devenus saillants (salariés du public vs indépendants, secteur « à profit » vs secteur culturel) qui ne sont en rien révolutionnaires. Si la catégorie ne permet que de conclure qu’en France les enseignants et les artistes sont tendanciellement de gauche, on ne se trouve donc pas face à une innovation sociologique majeure… Le terme de « bobos » ne fait en ce sens que parer d’une illusoire nouveauté la description d’un phénomène ancien (le PS n’est pas le parti de la « classe ouvrière » mais plutôt celui des catégories moyennes et supérieures, athées et à fort capital culturel) en lui conférant néanmoins une efficacité politique nouvelle. (…) ces deux illusions d’optique —individualisation du vote et disparition des bourgeois— ne sont jamais aussi dangereuses que lorsqu’elles convergent pour laisser penser que si la gauche socialiste est devenue le parti des « bobos », il est alors bien naturel que la droite et l’extrême droite puissent prétendre être ceux du peuple. Éric Agrikoliansky (sociologue)
La notion de « bourgeois-bohèmes », ou « bobos » a été forgée par un éditorialiste conservateur au New York Times, David Brooks (2000), dans un essai paru en 2000, Bobos in Paradise, the New Upper Class and how They Got there. Cet essai se présente comme la description mi-satirique mi-affectueuse du mode de vie d’une nouvelle classe supérieure, fondée sur le diplôme et la culture cosmopolite, mise en contraste avec l’ancienne élite WASP, puritaine, raciste et fondée sur l’hérédité familiale. Déclinant thématiquement différentes facettes du mode de vie de cette nouvelle classe (consommation, business, sexualité, vie spirituelle, etc), Brooks nous invite à y voir une fusion entre la position de l’ancienne élite et les idéaux de la contre-culture des années 60-70 (…) Le mode de connaissance revendiqué par Brooks n’est pas celui de la science (…), mais la familiarité d’un observateur lui-même partie prenante de la synthèse sociale et idéologique qu’il décrit. D’où une écriture narrative et descriptive plus qu’explicitement argumentative, partagée entre des références éclectiques à la littérature sur les élites, et des anecdotes et détails pittoresques. Cette façon de procéder laisse très indéterminée l’extension de l’unité sociale visée par Brooks. Tout en tirant ses exemples nominaux de célébrités extrêmement élitistes (le couple Clinton, Bill Gates, les stars de la musique et du cinéma), Brooks décrit des transformations dont on peut penser qu’elles concernent une fraction beaucoup plus large de la société américaine, comme la sensibilité écologiste, l’éclectisme religieux ou l’adhésion à un multiculturalisme méritocratique. Le chercheur américain Andrew Ross relève à juste raison que Brooks décrit les « bobos » avant tout en tant que consommateurs (…). On aurait pourtant tort de ne retenir de cette insistance sur la consommation que le portrait exagérément radieux d’une nouvelle élite. L’insistance divertissante de Brooks sur les « bobos » comme consommateurs paradoxaux dissimule d’autres enjeux. En effet, l’un des principaux traits stylistiques du livre est l’ironie reposant sur la mise en tension des deux termes que le titre accouple. La cible de l’ironie n’est pas la classe des bourgeois-bohèmes en tant que nouvelle élite, puisque Brooks insiste sur la légitimité de sa domination fondée sur l’excellence universitaire, mais plus précisément le fait que les individus qui servent à Brooks pour illustrer les « bobos » réalisent leurs valeurs « bohèmes », c’est-à-dire enracinées dans les mouvements de contestation des années 60-70, à travers des consommations de luxe. Rien de plus facile, dès lors, que de dénoncer comme inauthentiques les valeurs critiques et contestatrices associées à cette figure sociale. On peut donc comprendre le livre comme un rappel à l’ordre, dirigé aussi bien vers les membres des classes supérieures qui, oubliant leurs plaisirs consuméristes, prendraient les idéaux contestataires trop au sérieux, qu’en direction de tous ceux, économiquement moins favorisés, qui risqueraient d’accorder du crédit aux porte-parole d’idées subversives. L’insistance sur la consommation joue donc un rôle éminent dans le potentiel politique de la catégorie. (…) Cette disqualification a pu devenir de plus en plus prononcée en raison de l’appropriation de la notion par les luttes de partis. Le terme est en effet devenu la cible récurrente des critiques que s’attire la politique de Bertrand Delanoë à Paris, accusée de ruiner les petits commerces par une répression anti-automobile voulue par l’électorat « bobo » (…). Mais en réalité, les éléments que l’article de Stratégies présente comme les raisons de cette disgrâce tardive (futilité, contradictions, éloignement de la réalité, puisqu' »ils ne mettent pas souvent les mains dans le cambouis. », etc.) correspondent à la disqualification contenue dans le sens originel de la notion. Les explications que les journalistes présentent comme des caractéristiques puisées dans un référent (la population des « bobos ») ne sont rien d’autre qu’un déploiement des significations comprises dans le livre de Brooks. (…) Ainsi, entre les rubriques consommation et marketing (…) et les pages politique de Libération ou du Figaro, les « bobos » suivent une double carrière médiatique conforme au principe de l’essai de Brooks : associer les licences « bohèmes » ainsi que les thèmes des mouvements contestataires des années 1960-70 à un profil de consommation pittoresque et privilégié. Cyprien Tasset

Suite à notre billet sur le déni, par la gauche et au profit de Boboland, de cette France majoritaire et populaire (près de 60% de la population), marginalisée par la flambée immobilière, les délocalisations et les fermetures d’usines …

En ce monde fou fou fou globalisé où des dizaines de millions de joueurs de loto viennent de se cotiser pour offrir à trois d’entre eux (et au fisc de leur pays) la bagatelle de 640 millions de dollars

Et où le même monde reconnaissant contraint, à coup de dizaines de milliards de dollars, l’homme le plus riche du monde et l’un des créateurs de la plus formidable invention du siècle à faire don de quelque 95% de sa fortune …

Retour sur les bobos.

A savoir ces classes intellectuelles et supérieures des centre-villes, sorte d’extension de la « gauche caviar » des années 80 qui « pensent à gauche et vivent à droite » et qui, ayant fait l’élection de Delanoë à Paris, pourraient à nouveau défaire celle du candidat PS à la prochaine présidentielle…

Mais surtout, via l’intéressante analyse de Cyprien Tasset, la singulière  destinée du concept en France.

Importé (au prix d’une  notable extension du terme: « pour Brooks, les ‘bobos’ sont les cadres dirigeants des grandes firmes, formés dans les prestigieuses universités de la côte Est et issus de la bourgeoisie WASP ») de l’ouvrage du chroniqueur conservateur américain David Brooks presque dès sa sortie en l’an 2000, il fera en effet vite les beaux jours de la presse en commençant par Libération en un mélange d’auto-moquerie et d’autocélébration dans laquelle ne pouvaient manquer de se reconnaitre nombre des journalistes qui l’utilisaient.

Avant de retrouver, via sa récupération par des sociologues en quête d’un terme commode pour vulgariser leurs analyses de la gentrification (pendant que leurs collègues lui reprochaient son manque de scientificité et son flou conceptuel) ou des opposants à la politique du maire PS de Paris et à l’instar de l’ambivalence inhérente de sa dénomination, non seulement la dimension critique originelle que lui avait donné Brooks …

Mais de passer, en quelques années chanson de Renaud et docu d’Arte compris, du statut de modèle gentiment moqué mais sur le fond largement envié d’une nouvelle classe de nantis éthiquement corrects à celui de symbole honni de la plus grande futilité et de l’éloignement de la réalité …

Municipales: les bobos vont faire mal
Christophe Guilluy
Libération
8 janvier 2001

Si nous observons tous avec intérêt, et le plus souvent amusement, l’agonie du système chiraquien dans la capitale, on peut regretter que cette fin de règne politique de la droite occulte toute analyse des mutations sociologiques de la population parisienne.

Ainsi, on ne rappelle pas assez que la gauche doit d’abord son retour à Paris à une modification profonde de la population, et notamment à l’apparition au début des années 90 d’une nouvelle bourgeoisie. Plus généralement d’ailleurs, l’influence croissante de la gauche plurielle à Paris et dans les villes-centres des grandes métropoles révèle d’abord la capacité des socialistes et des Verts à répondre aux attentes de cette «bourgeoisie bohème» des centres urbains…

Ces bourgeois bohèmes, que l’américain David Brooks (les Bobos, Ed. Massot, 2000) définit comme le produit d’une fusion entre le monde artistique et intellectuel et le monde de l’entreprise, investissent depuis près de dix ans l’ensemble des quartiers et arrondissements populaires de la capitale. Individualisme, multiculturalisme, intérêt pour les questions environnementales, adhésion aux valeurs libérales, absence de référence à la lutte des classes, les «bobos» adhèrent fortement aux idéaux portés par la gauche socialiste et écologiste.

Cette évolution sociologique n’est pas propre à Paris, elle s’inscrit dans un vaste mouvement d’accentuation des fractures spatiales dont bénéficient prioritairement les centres des grandes métropoles.

Ainsi l’homogénéité sociale des villes-centres n’a cessé de se renforcer depuis le début des années 80. Lieu de pouvoir économique et politique, ces espaces concentrent aussi une part croissante des couches sociales les plus privilégiées, les «cadres et professions intellectuelles supérieures» étant toujours plus nombreux. Paris, Lyon, Bordeaux, Toulouse, Strasbourg, Lille (demain Marseille), aucune grande ville n’échappe au phénomène. Cette évolution montre d’ailleurs que, contrairement aux idées reçues, la recomposition territoriale se réalise plus par une ghettoïsation par le haut de la société que par le décrochage de zones dites sensibles.

A Paris, jusqu’au début des années 80, le clivage droite-gauche était marqué par une grande bipolarité sociale. Les catégories moyennes et supérieures votaient majoritairement à droite, tandis que la gauche ralliait une bonne part de l’électorat ouvrier et populaire. La géographie politique de Paris voyait ainsi s’opposer des arrondissements bourgeois de l’Ouest aux arrondissements populaires de l’Est.

Jusqu’au début des années 90, les changements sociodémographiques ont favorisé la droite, notamment dans les quartiers les plus populaires, aucun arrondissement n’échappant alors à l’hégémonie du RPR. Depuis, l’arrivée des «bobos» dans ces mêmes quartiers (rénovés ou en cours de réhabilitation) constitue au contraire un point d’ancrage pour la gauche plurielle. Paradoxalement, le basculement à gauche des arrondissements de l’Est parisien est d’abord la conséquence de leur embourgeoisement.

Loin de figer la carte politique, le départ des couches populaires a ainsi ranimé le clivage droite-gauche sous une forme inédite. Ce réveil d’une bipolarisation droite-gauche à Paris, n’est cependant pas la résurgence du traditionnel affrontement droite bourgeoise/gauche populaire mais bien celui de deux bourgeoisies. Une bourgeoisie traditionnelle et huppée s’oppose alors à une nouvelle bourgeoisie moins aisée, plus jeune et plus intellectuelle.

Si la gauche a le vent en poupe à Paris, et dans de nombreuses villes-centres, c’est d’abord parce que la droite n’a pas su répondre aux attentes d’une nouvelle bourgeoisie ni accompagner, comme le souhaite Patrick Devedjian, une «société en mouvement». La clé des élections municipales à Paris réside pourtant dans la capacité qu’auront les partis à répondre aux aspirations de cette population dont le poids politique, dans des centres urbains débarrassés des couches populaires, est considérable.

A ce petit jeu, la gauche socialiste et écologiste semble mieux placé. Cependant, il ne tient qu’aux partis de droite de répondre aux attentes d’une nouvelle bourgeoisie qui, pour une large part, a évacué la question sociale, et se détermine prioritairement sur des questions ayant trait à la qualité de la vie et au bien-être individuel. D’autre part, les «bobos» se montrent aussi très sensibles à certaines thématiques de droite, comme la pression fiscale ou l’insécurité. Les valeurs de cette bourgeoisie peuvent parfois rejoindre celles de la droite ou évoluer au gré des circonstances. Le multiculturalisme, souvent affiché, trouve ainsi ses limites dans des arrondissements à forte population immigrée où les pratiques d’évitement et de contournement de la carte scolaire n’ont jamais été si fortes.

De là à faire de Séguin ou de Balladur le prochain «Bobo Ier»….
Christophe GUILLUY Dernier ouvrage paru: «l’Atlas des fractures françaises», L’Harmattan, 2000.

Entre sciences sociales, journalisme et manifestes. la représentation de groupes sociaux réputés émergents dans la France des années 2000

Cyprien Tasset

27 janvier 2012-

.: Cyprien Tasset, doctorant en sociologie à l’Ehess, mène depuis 2007, sous la direction de Luc Boltanski, une thèse sur les conflits autour de la représentation des fractions précarisées des professions intellectuelles. Cette recherche l’a notamment amené à s’intéresser à la bohème littéraire (« Construction d’enquête et définition des groupes sociaux », SociologieS, 2010) et à l’histoire de la prévention de la formation d’un prolétariat intellectuel.

Introduction : des prophéties sociales dans la presse

À en croire certains articles de la presse française des années 2000, la société française comporte désormais, entre autres nouveautés, des groupes sociaux totalement inconnus dans la décennie précédente : les fameux « bourgeois-bohème », ou « bobos », mais aussi les « intellos précaires », les plus discrets « créatifs culturels », et peut-être même une « classe créative ». Au sein de l’ensemble plus vaste des transformations de la représentation de la société portée par les médias, ces quelques propositions de groupes sociaux constituent un sous-ensemble pertinent pour plusieurs raisons.

D’abord, elles ont en commun d’avoir pour support un ou plusieurs livres, qui peuvent être qualifiés de véritables manifestes tant leurs auteurs, chacun à sa façon, s’incluent dans le groupe dont ils annoncent l’avènement. De plus, tous ces manifestes bénéficient sur la période d’une certaine présence dans la presse française. Par ailleurs, il n’est pas rare que ceux qui les mentionnent les opposent les uns aux autres, comme s’ils prétendaient recouvrir les mêmes zones de l’espace social.

Enfin, à un moment où les représentations de l’avenir prises en charge par les pouvoirs publics se réfèrent de plus en plus souvent aux différentes variantes, plus ou moins « immatérielles » ou « créatives », de l’avènement d’une société de la connaissance, les propositions de groupes sociaux que nous venons d’énumérer peuvent se présenter comme différentes incarnations ou avant-gardes de cette version hégémonique de l’avenir.

Dès lors, elles s’inscrivent pleinement dans le champ de lutte pour la définition et l’action sur le futur(1), décrit par Richard Barbrook dans The Class of the New (2006). Pour Barbrook, le changement social dans les sociétés capitalistes a été accompagné, depuis deux siècles, par une production incessante de prophéties sociales, consistant en la désignation et la description du groupe censé préfigurer les évolutions à venir. De telles prophéties visent à agir sur ce qu’elles décrivent : « les promoteurs de ces prophéties sociales ont toujours eu un agenda politique. […] leurs prophéties sur le futur étaient en premier lieu des prescriptions à l’attention du présent. Savoir ce qui va advenir revient à revendiquer de contrôler ce qui se passe » (Barbrook 2006, 47, notre traduction). Autrement dit, les prophéties sociales « promeuvent leurs programmes idéologiques sous l’apparence d’analyses sociologiques » (Barbrook 2006, 47, notre traduction).

En plus de s’opposer les uns aux autres, ces différents manifestes de la société de la connaissance, ou « prophéties sociales », comme dit Barbrook, empiètent sur une prérogative revendiquée par les chercheurs en sciences sociales : celle d’avoir autorité pour dire de quoi la société est faite. Il n’est donc pas étonnant qu’elles aient essuyé des critiques sévères de la part d’universitaires. Ces critiques sont révélatrices d’un enjeu du traitement journalistique des prophéties sociales, à savoir la distribution de l’autorité entre journalistes, professionnels des sciences sociales, et essayistes promouvant de nouveaux groupes sociaux.

C’est par ces critiques que nous allons aborder le destin médiatique de notre poignée de manifestes. Cependant, nous accorderons moins d’importance qu’elles ne le font à les dénoncer comme de la fausse monnaie scientifique. Il nous semble plus important de mettre en lumière les enjeux politiques des jeux de la presse avec ces instruments de classement. C’est ce que nous tenterons de faire dans une seconde partie, où nous présenterons tour à tour le contenu de ces quatre propositions de groupes sociaux(2), avant d’analyser leurs carrières médiatiques. Pour ce faire, nous prenons le parti méthodologique de suspendre le fonctionnement référentiel des manifestes : cet article porte uniquement sur leurs significations ainsi que celles de leurs relais médiatiques ; nous nous garderons de passer du signe à la chose, en l’occurrence des groupes nominaux aux groupes réels.

Les manifestes sous le feu de la critique universitaire

La défense du territoire des sciences sociales

Si les « créatifs culturels » mènent une carrière médiatique mitigée dans la quasi-indifférence des chercheurs en SHS(3), les « intellos précaires », la « classe créative » et surtout les « bobos », ont suscité de la part de certains chercheurs des prises de position relevant d’une logique que l’on peut qualifier de défense du domaine professionnel. Les arguments des textes critiques que nous avons identifiés présentent suffisamment de points de convergence pour être présentés de façon thématique.

Un premier point est celui d’une disqualification scientifique radicale des ouvrages qui promeuvent ces nouvelles catégories. C’est bien ce qu’opère la géographe Elsa Vivant, lorsqu’elle reproche à Richard Florida le fait que « ses principales références sont des essayistes et non pas des travaux scientifiques ou des textes s’appuyant sur un travail empirique ». Vivant relève également les « lacunes méthodologiques » de l’ouvrage de Florida, ainsi que son usage « simpliste » de la notion de classe sociale (Vivant 2006). En effet, peut-on parler d’une classe créative sans s’être assuré que les personnes que l’on entend ainsi subsumer partagent bien la conscience de classe correspondante ? De son côté, Anne Clerval, elle aussi géographe, souligne clairement la non-scientificité de l’essai de Brooks sur les « bobos » : « cet ouvrage n’est pas le fruit d’une démarche scientifique. […] [ce] n’est donc qu’un essai ne prétendant à aucune scientificité malgré les apparences, et se l’interdisant d’emblée en revendiquant sa subjectivité et sa partialité » (§6). De même, le sociologue Patrick Champagne expulse la notion d' »intellos précaires » de la science vers politique : « si la notion d’intello précaire a une efficacité politique, comme revendication contre la précarité des intellectuels, il ne faut pas en faire une notion « scientifique » » (Cassandre, n°44, 2001), tandis que Xavier de la Porte(4), comparant le traitement médiatique des « bobos » à celui des « working-poors », décrit « deux trajectoires médiatiques inversement proportionnelles au crédit scientifique des deux notions » (De la Porte, 2006, p. 510).

L’une des faiblesses scientifiquement rédhibitoires relevées par ces critiques universitaires est le flou conceptuel des nouvelles propositions de groupes sociaux. Cette dénonciation du « flou » des catégories discutées correspond en fait à deux reproches logiquement distincts. Le premier est celui de l’indétermination conceptuelle. Ainsi, la « classe créative », dont Florida « donne une définition très large » est un « concept flou » (Vivant 2006). C’est également ce que reproche De la Porte à la catégorie inventée par Brooks : « Le problème, c’est donc que « bobo », ça ne veut rien dire », c’est une « catégorie fourre-tout » (De la Porte, 2006, p. 518). De même, chez Clerval, l’expression forgée par Brooks « désigne une catégorie assez floue de personnes (Clerval, §1).

Le second reproche adressé à ces catégories est d’agréger des ensembles en réalité hétérogènes. Elsa Vivant insiste particulièrement sur cette critique : « Aucune étude ne permet de rassembler la diversité des catégories composant la classe créative, que ce soit sous l’angle des trajectoires individuelles, celui des revenus et des positions sociales, ou encore celui d’une conscience d’appartenance à une même entité sociale, fût-elle vaste » (Vivant, 2009, p. 9-10). L’auteur y revient à plusieurs reprises : « Le flou du qualificatif « créatif » permet donc d’agréger dans une même catégorie des individus aux profils socio-éconnomiques et professionnels très variés » pour y mettre 30% des actifs des pays riches (Vivant 2009, p. 3), et l’applique à la créature de Brooks aussi bien qu’à celle de Florida : « Ce mélange des genres [la diffusion de la posture artiste] explique également l’accueil réservé au qualificatif « bourgeois-bohème », qui, comme la classe créative, amalgame des populations différentes aux intérêts souvent divergents.» (Vivant 2009, p. 13). Le même argument est développé par Xavier De la Porte : «derrière ce mode de vie qualifié de « bobo », ce sont des populations très différentes qui sont concernées : des cadres et professions intellectuelles supérieures certes, mais aussi des intellectuels précaires, des intermittents de l’emploi et des chômeurs en fin de droit ; des classes moyennes précarisées chassées des centres-ville par les hausse des loyers ; un électorat pluriel allant de la sensibilité social-démocrate à l’extrême gauche, et même l’abstentionnisme » (De la Porte, 2006, p. 517-8).

Les deux sociologues qui ont publiquement critiqué la notion d' »intello précaire » lui adressent un reproche identique : Bernard Lahire reproche aux Rambach de « range[r] dans la même catégorie des cas qu’il faudrait pourtant s’efforcer de distinguer, et notamment des cas de précaires exploités par de grandes entreprises culturelles qui sont de véritables entreprises commerciales (télévision, grande presse, etc.) et des cas de précaires travaillant dans des secteurs culturels ou artistiques beaucoup moins commerciaux et très indépendants, qui sont soit politiquement très critiques soit esthétiquement très « purs », voire avant-gardistes » (Lahire, 2006 note p. 468). Patrick Champagne, quant à lui, réaffirme, face aux « intellos précaires », la pertinence d’une échelle d’analyse classique en sociologie, celle des professions : « La catégorie « intellos précaires » regroupe des professions n’obéissant pas aux mêmes logiques, par exemple dans l’Université et dans le journalisme » (Champagne, 2001) En croisant ce quadrillage sectoriel avec des causes structurales, (« les effets différents de la montée du taux de scolarisation »), le sociologue disloque l’unité synthétique d’une condition et d’un mode de vie, que décrivent les Rambach, et leur retire l’initiative qu’elles prétendaient prendre aux dépends des professionnels dans le domaine de la représentation de la société.

La mise en accusation de la sphère médiatique

C’est au sujet des « bobos » que la critique universitaire va le plus loin. En effet, elle ne s’arrête pas après avoir récusé à la catégorie toute pertinence scientifique, et se tourne vers la sphère médiatique, à laquelle elle reproche de l’avoir accueilli favorablement. Le texte de Xavier De la Porte souligne le contraste entre la fortune médiocre des « travailleurs pauvres » dans l’espace médiatique français, et « L’attrait immédiat des journaux pour les ‘bobos' » (De la Porte, 2006, p. 513). De même, la géographe Elsa Vivant ne manque pas de souligner « le succès médiatique » de Brooks, auquel « [i]l est difficile d’échapper » (Vivant 2006, p. 4). Sa collège Anne Clerval s’interroge sur « le succès qu’a connu le terme [« bobos »] en France » et les raisons de « l’étonnante véracité qu’on lui accorde » (Clerval, § 2), puisque l' »on est inévitablement confronté à ce terme envahissant quand on étudie la gentrification(5) » (§1).

Une fois que les prétentions scientifiques des notions de « classe créative » et de « bobos » ont été récusées, il reste à rendre compte de l’attrait qu’elles exercent sur les journalistes par autre chose que le désir du vrai. De tels attraits pourraient être, selon Vivant, les « anecdotes » dont le livre de Florida est « bourré » (Vivant 2006), ou encore, selon Clerval, les « séductions » des « descriptions hautes en couleur » peintes par Brooks (Clerval, §9). On peut rapprocher ces remarques du compliment à double tranchant de Patrick Champagne félicitant les Rambach pour leurs « descriptions très fines sur les intérieur, les rapports avec la famille et les astuces pour vivre au-dessus de ses moyens » (Champagne, 2001). Xavier de la Porte, qui défend ici les valeurs universitaires contre ses confrères journalistes, explique la vogue des « bobos » par les contraintes de l’activité journalistique : « Certes, l’analyse d’une colonne de chiffres sera toujours plus complexe et moins vendeuse qu’un brillant portrait » (De la Porte, 2006, p. 518) ; il est plus attrayant de décrire des « comportements » que de se fonder sur des analyses de « revenus » (De la Porte, 2006, p. 518). Ces critiques reviennent à décrire un espace médiatique futile, où journalistes et prophètes sociaux seraient aux véritables scientifiques ce que les cuisiniers sont aux médecins dans le Gorgias de Platon : des flatteurs trompant un public d’enfants.

Au delà de ce reproche adressé aux médias, une des raisons avancées par Anne Clerval pour regretter que cet attrait du pittoresque ait si bien fonctionné auprès « des journalistes et, à travers eux, [du] citoyen lambda » (Clerval, 2005, §2) réside dans les conséquences de ce succès sur les conditions du travail scientifique. En effet, Clerval (2005, §2) redoute que l' »effet de réalité » dû à la réception médiatique enthousiaste des « bobos » ne « complique l’étude de la gentrification » (2005, §3), puisqu’elle est appropriée par le public : « des gens s’identifi[ent] à cette peinture ou y reconnaiss[ent] d’autres » (2005, §21). Même inquiétude chez Elsa Vivant, pour qui « le succès médiatique du terme « bobo » biaise les débats et les interprétations » (Vivant 2006). Autrement dit, c’est au monde social lui-même que les deux géographes reprochent de se parer d’apparences rétives au travail scientifique.

Ainsi, les verdicts des chercheurs à propos des manifestes comportent deux étapes. D’une part un avertissement, adressé aux collègues et au public, contre l’acquiescement à des notions dépourvues de fondement scientifique. D’autre part, une dénonciation du rôle des médias dans la propagation de représentations illusoires, critique qui peut glisser vers une mise en cause de la tendance du monde social à donner de lui-même une représentation peu propice au travail scientifique.

Bien que l’attitude du monde scientifique à l’égard des manifestes soit loin d’être unanime, nous souscrivons à la prudence qui anime la première de ces deux démarches. Nous sommes moins convaincus par la seconde, qui revient à considérer négativement le monde médiatique du point de vue des normes du monde savant. Or, on peut penser que la critique savante de la diffusion médiatique des prophéties sociales pourrait gagner davantage de force en faisant le détour par une analyse des acteurs et des logiques de la promotion médiatique de ces projets de groupes sociaux (Lemieux, 2000). C’est dans cet esprit que nous allons maintenant retracer les carrières médiatiques des prophéties sociales ainsi prises à partie

Les carrières médiatiques de quatre manifestes

Les « bobos » : une condamnation éthique par des voies ludiques

Le plus ancien et le plus célèbre des manifestes retenus ici est celui des « bobos ». Leur notoriété dès le début de la décennie est telle qu’ils servent de point de comparaison lors du baptême médiatique des trois autres propositions de groupes sociaux :

Ainsi, le premier article relatant dans la presse la parution des Intellos précaires précise qu’ils « ne partage[nt] guère avec les plus récents « bobos » ou bourgeois bohèmes que le second épithète » (Le Monde, sept 2001). De même, l’article du Monde, consacré aux « créatifs-culturels » est titré : « Après les « bobos », voici les « créatifs culturels » » (Le Monde, 23 mai 2007). Quant à l’article du Temps sur « L’émergence de la classe créative helvétique », il dit de ses membres qu’ils « ont comme modèle les «bobos» » (Le Temps, le 30 septembre 2002).

Le volume des coupures de presse recensées par Factiva, qui peut faire fonction d’une mesure grossière de la notoriété relative des différents manifestes, confirme la prépondérance écrasante des « bourgeois bohèmes »(6), puisque le total des articles où ils sont cités entre 2000 et 2011 occupe pas moins de 500 pages, contre seulement 147 pour la « classe créative », 99 pour les « intellos précaires » et à peine 85 pour les « créatifs-culturels ». Il vaut donc la peine de se pencher de plus près sur la proposition de groupe social qui semble détenir une telle position dominante.

La notion de « bourgeois-bohèmes », ou « bobos » a été forgée par un éditorialiste conservateur au New York Times, David Brooks (2000), dans un essai paru en 2000, Bobos in Paradise, the New Upper Class and how They Got there. Cet essai se présente comme la description mi-satirique mi-affectueuse du mode de vie d’une nouvelle classe supérieure, fondée sur le diplôme et la culture cosmopolite, mise en contraste avec l’ancienne élite WASP, puritaine, raciste et fondée sur l’hérédité familiale. Déclinant thématiquement différentes facettes du mode de vie de cette nouvelle classe (consommation, business, sexualité, vie spirituelle, etc), Brooks nous invite à y voir une fusion entre la position de l’ancienne élite et les idéaux de la contre-culture des années 60-70 : «  »Ce sont ceux qui ont suivi des études supérieures et qui ont ont un pied dans le monde bohème de la créativité et un autre dans le royaume bourgeois de l’ambition et de la réussite matérielle » (Brooks, 2000, p. 14).

Le mode de connaissance revendiqué par Brooks n’est pas celui de la science (« Max Weber peut dormir sur ses deux oreilles », plaisante-t-il p. 16), mais la familiarité d’un observateur lui-même partie prenante de la synthèse sociale et idéologique qu’il décrit. D’où une écriture narrative et descriptive plus qu’explicitement argumentative, partagée entre des références éclectiques à la littérature sur les élites, et des anecdotes et détails pittoresques. Cette façon de procéder laisse très indéterminée l’extension de l’unité sociale visée par Brooks. Tout en tirant ses exemples nominaux de célébrités extrêmement élitistes (le couple Clinton, Bill Gates, les stars de la musique et du cinéma), Brooks décrit des transformations dont on peut penser qu’elles concernent une fraction beaucoup plus large de la société américaine, comme la sensibilité écologiste, l’éclectisme religieux ou l’adhésion à un multiculturalisme méritocratique.

Le chercheur américain Andrew Ross relève à juste raison que Brooks décrit les « bobos » avant tout en tant que consommateurs : « Brooks’s cheerful depiction of the bobo is basically an elaborate market profile of an upscale consumer » (Ross, 2004, p. 124). On aurait pourtant tort de ne retenir de cette insistance sur la consommation que le portrait exagérément radieux d’une nouvelle élite. L’insistance divertissante de Brooks sur les « bobos » comme consommateurs paradoxaux dissimule d’autres enjeux. En effet, l’un des principaux traits stylistiques du livre est l’ironie reposant sur la mise en tension des deux termes que le titre accouple. La cible de l’ironie n’est pas la classe des bourgeois-bohèmes en tant que nouvelle élite, puisque Brooks insiste sur la légitimité de sa domination fondée sur l’excellence universitaire, mais plus précisément le fait que les individus qui servent à Brooks pour illustrer les « bobos » réalisent leurs valeurs « bohèmes », c’est-à-dire enracinées dans les mouvements de contestation des années 60-70, à travers des consommations de luxe.

Rien de plus facile, dès lors, que de dénoncer comme inauthentiques(7) les valeurs critiques et contestatrices associées à cette figure sociale. On peut donc comprendre le livre comme un rappel à l’ordre, dirigé aussi bien vers les membres des classes supérieures qui, oubliant leurs plaisirs consuméristes, prendraient les idéaux contestataires trop au sérieux, qu’en direction de tous ceux, économiquement moins favorisés, qui risqueraient d’accorder du crédit aux porte-parole d’idées subversives. L’insistance sur la consommation joue donc un rôle éminent dans le potentiel politique de la catégorie. Nous allons voir si cette analyse du manifeste des « bobos » peut éclairer leur destinée médiatique en France.

Selon Factiva, les « bourgeois-bohèmes » passent d’une quinzaine de citations annuelles en début de décennie à un sommet de près de 50 occurrences en 2007, pour redescendre vers la vingtaine en 2010. Quelles sont les étapes de cette trajectoire ? L’apparition des « bobos » dans la presse française a eu lieu dans un article de Libération, « L’été de tous les bobos » (15 juillet 2000), construit, dans la continuité du style de Brooks, sur deux principes : des descriptions émaillées de détails visuels, et un balancement déclinant l’oxymore entre bohème et bourgeoisie :

« Les Bobos, contraction de «bourgeois» et de «bohème», cultivent une passion pour les légumes bio et les gadgets techno. Ils engrangent les stock-options et soutiennent José Bové à Millau. Ces bohémiens chic veulent avoir les pieds dans la terre et la tête dans le cyberespace. »

Pendant près d’un an (juillet 2000-Mai 2001), les citations des « bobos » dans la presse française appartiennent essentiellement à Libération. Cette floraison contient notamment un sondage électoral (« Municipales 2001. Radiographie d’une élection. Le bourgeois bohème a un revenu élevé, des diplômes, et s’installe dans les quartiers populaires. Selon notre sondage, il a massivement voté à gauche. » : le 23 mars 2001), plusieurs variations sur l’article d’Annick Rivoire, et surtout une tribune du géographe Christophe Guilly prédisant que les « bobos » seront un appui décisif pour le PS lors des municipales parisiennes. Puis, après quelques articles dans la presse économique spéculant, par exemple, sur les chances des derniers modèles de Renault auprès des « bobos » (Les Echos, 1er septembre 2001), l’usage de la notion passe aux chroniques politiques du Figaro :

« Madelin est la meilleure incarnation sur l’échiquier politique de l’électorat « bobo », ces « bourgeois bohème » issus de Mai 68, libéraux-libertaires, pour qui fumer un joint de marijuana n’est pas criminel, qui passent tout aux minorités, homosexuelles ou ethniques. L’ennui est que ces gens-là se croient de gauche » écrit ainsi Eric Zemmour le 27 décembre 2001.

L’abondance du traitement médiatique des « bobos » permet progressivement des articles adoptant un angle, si l’on peut dire, métajournalistique, autrement dit faisant retour sur l’usage du terme dans la presse(8). Ainsi, « Les bobos, du pinacle au pilori » (Stratégies, 13 octobre 2005) se penche sur une disgrâce médiatique des « bobos » :

« Les médias les raillent à longueur de pages, la publicité les caricature : glorifiés il y a encore peu de temps, les bobos ne sont plus en odeur de sainteté. Mais que leur reproche-t-on, au juste? »

« Dans la galerie des épouvantails médiatiques, les bobos auraient-ils supplanté les BCBG ou les yuppies des années quatre-vingt, après avoir été portés au pinacle ? Avant la publicité, la presse s’était déjà fait l’écho d’un certain agacement. […] Lancé [sic] en 1999 par le journaliste américain David Brooks dans le livre Bobos in Paradise, l’expression, gentiment régressive, semble bien être devenue la dernière insulte à la mode »

Cette disqualification a pu devenir de plus en plus prononcée en raison de l’appropriation de la notion par les luttes de partis. Le terme est en effet devenu la cible récurrente des critiques que s’attire la politique de Bertrand Delanoë à Paris, accusée de ruiner les petits commerces par une répression anti-automobile voulue par l’électorat « bobo » (« L’irrésistible invasion des bobos », Le Figaro, 29 octobre 2003 ; « Célibataire, homosexuel, noctambule, à la fois droit-de-l’hommiste et individualiste, puisque très attaché à sa liberté personnelle, Bertrand Delanoë cumule les critères du bourgeois bohème parisien contre lequel l’UMP sonne la charge dans le Livre noir qu’elle a publié début 2005″, Le Figaro, 5 mai 2005). Mais en réalité, les éléments que l’article de Stratégies présente comme les raisons de cette disgrâce tardive (futilité, contradictions, éloignement de la réalité, puisqu' »ils ne mettent pas souvent les mains dans le cambouis. », etc.) correspondent à la disqualification contenue dans le sens originel de la notion. Les explications que les journalistes présentent comme des caractéristiques puisées dans un référent (la population des « bobos ») ne sont rien d’autre qu’un déploiement des significations comprises dans le livre de Brooks.

On pourrait s’attendre à ce que de telles démarches journalistiques soient absolument coupées des sciences sociales. Pourtant, l’article de Stratégies cité ci-dessus est assorti d’une interview du sociologue Michel Pinçon, interrogé sur la légitimité scientifique des « bobos » (« Comment, en tant que sociologue, considérez-vous la population des bobos ? »), l’origine du « rejet que l’on ressent dans les médias » à leur égard, et même leur mérite politique (« Pensez-vous que les bobos soient porteurs de progrès ? »). Les Pinçon-Charlot, qui utilisent la notion dans leur Sociologie de Paris (Pinçon, 2008), sont les experts les plus souvent sollicités par les journalistes pour nourrir le discours sur les « bobos ». Ils revendiquent de se servir de la notion pour vulgariser les analyses sociologiques de la gentrification :

« A l’est, en revanche, on trouve les bobos. Qu’y a-t-il de spécifique dans la manière dont ils occupent l’espace ? »

« Pour qualifier le retour des catégories intellectuelles plus ou moins fortunées dans les espaces populaires des centres villes, […] ce terme de bobo (pour bourgeois bohème) qui arrive aussi des Etats-Unis nous plaît parce qu’il décrit de manière assez juste la spécificité de ces habitants : de jeunes adultes en phase avec le libéralisme économique, mais qui affichent des modes de vie très différents de ceux de la bourgeoisie traditionnelle. On est dans la famille recomposée, les droits de l’homme, l’écologie, la liberté culturelle et le vote socialiste. Et surtout, c’est essentiel, ils se reconnaissent dans les cours pavées de la Bastille, dans les lofts et les ateliers de la rue Oberkampf, et investissent les quartiers populaires de l’Est parisien. » (Libération, le 1 janvier 2005)

Ainsi, entre les rubriques consommation et marketing (« Ben & Jerry’s suit le « bobo » à la trace », dans La Tribune, le 13 septembre 2004) et les pages politique de Libération ou du Figaro, les « bobos » suivent une double carrière médiatique conforme au principe de l’essai de Brooks : associer les licences « bohèmes » ainsi que les thèmes des mouvements contestataires des années 1960-70 à un profil de consommation pittoresque et privilégié.

Les Intellos précaires entre sociologie et mouvements sociaux

Alors que les « intellos précaires » ont reçu de la part de Champagne et Lahire les mêmes critiques que celles adressées aux « bobos », leur carrière médiatique est très différente. Les Intellos précaires est un essai, paru en 2001, qui, en s’appuyant sur de nombreux témoignages, vise à mettre en lumière la condition commune des travailleurs précaires des métiers intellectuels. Ce sont les « pigistes, auteurs, salariés en contrat à durée déterminée, en contrat emploi-solidarité, chercheurs indépendants, vacataires, ils travaillent au noir partiellement ou complètement » (Rambach et Rambach, 2001, p. 15). Sur un ton à la fois humoristique et revendicateur, les Rambach, couple homosexuel d’éditrices et d’écrivaines précaires, tentent de dénombrer ces « intellos précaires », qu’elles avaient hésité à nommer « nouvelle bohème ». Elles décrivent leurs techniques pour vivre avec peu, le contraste entre leur rapport passionnel à leur travail et leur rejet de l’entreprise. Elles mettent en valeur à la fois la contribution des « intellos précaires » à des productions d’avant-garde dans leurs domaines, et l’exploitation qu’ils subissent de la part de leurs employeurs (« Exploitation en secteur culturel », p. 223). Pour expliquer ce peu de « prix du travail intellectuel » (p. 254), elles pointent, entre autres, le « système de gratifications symboliques dont le rôle consiste à pallier et dissimuler l’absence de rémunération et de statuts réels » (p. 276). Ainsi, la notion d' »intello précaire » réalise une opération symbolique inverse de celle qui se joue chez les « bobos », puisqu’elle repose sur le découplement entre d’une part la mobilité inventive ainsi que les penchants subversifs des « bohèmes » et d’autre part le succès économique. Le rôle de l’humour est ici très différent de ce qu’il est chez Brooks : il ne s’agit pas d’opérer une disqualification éthique de façon euphémisée, mais de tenir ensemble la mise en lumière d’un tort et la constitution d’une figure charismatique, capable de relativiser par la plaisanterie les angoisses et les contraintes de sa condition, de sorte qu’il ne soit pas dévalorisant de s’y identifier. Ce dernier point est important puisque le but déclaré des auteures est de favoriser une mobilisation des « intellos précaires » pour la défense de leurs droits.

Introduits par un compte-rendu très favorable dans le supplément Livres du Monde (« La génération des intermittents de l’intellect. », le 31 Août 2001) qui salue l’ouvrage comme un « remarquable essai […] entre l’enquête et la chronique d’une génération », les « intellos précaires » passent à Libération, qui leur accorde également un article long et favorable.

Après avoir fait le tour de la presse économique (notamment dans un grand dossier de La Tribune sur le portage salarial), la notion réapparaît dans Le Monde en 2004 dans un article autour du mouvement des chercheurs (« Travail au noir, dépression, frustration professionnelle – quatre post-doctorants racontent leur galère. », le 19 mars 2004), qui offre le « Témoignages de quelques-uns de ces « intellectuels précaires » ». Si la fréquence de ses usages diminue jusqu’à la parution des Nouveaux Intellos précaires en 2009, la catégorie ne disparaît pas du lexique de la presse. Elle reste évoquée à l’occasion de mouvements sociaux sectoriels (journalisme, artistes), à propos des conditions d’emploi dans l’édition, ou pour de grands articles sur le malaise générationnel ou le déclassement. D’autres articles proposent des variations sur le thème des « intellos précaires ». Ainsi, « Pauvres esprits », dans la rubrique « emploi » de Libération, en 2006, se présente comme la vérification, à partir de témoignages recueillis par la journaliste, d’une hypothèse : « Surqualifié et bosseur, l’intellectuel précaire est pourtant fauché : sa « noble » tâche se satisferait d’une gratification morale. Vérification. » Le premier témoin est un auteur, au parcours accidenté et aux rémunérations faibles. Le second un chercheur en archéologie « Entré à 40 ans au CNRS, après vingt années de galère ». La journaliste résume : « Des cours non rémunérés, des mois de recherche et de travail pour un livre payé 5 000 euros à Pierre, qui s’estime chanceux… », et l’article se conclut par une citation des Intellos précaires sur la négligence économique où sont tenus les auteurs de livres.

En parallèle, malgré les deux critiques sévères que nous avons mentionnées (en 1.2), Les Intellos précaires bénéficient d’une réception favorable en sociologie. Le milieu des années 2000 a ainsi vu la notion d' »intellos précaires » passer, toujours pourvue de guillemets, sous la plume de sociologues, comme dans l’échange entre d’une part François Dubet et Marie Duru-Bellat, (parlant du déclassement dans une série d’articles de fond pour Le Monde : « la qualité des emplois que l’on propose à ces jeunes plus instruits a souvent de quoi les rendre amers. Pensons aux « intellos précaires » qui se multiplient. ») et Tristan Poullaouec (dans Libération). Ces usages par des sociologues dans la presse reflètent la grande fortune des « intellos précaires » dans les publications universitaires. Sans que le statut scientifique de la notion soit toujours explicité, elle est reprise par exemple dans des travaux sur les classes moyennes (Bosc, 2008, 94), les intermittents du spectacle (Menger, 2005, p. 219), la précarité (Cingolani, 2005, 76), le déclassement (Maurin, 2009, 61) ou la gentrification (Bacque et Fijalkow, 2006, p. 63). L’intérêt du milieu sociologique pour les « intellos précaires » répond à l’intérêt respectueux d’Anne et Marine Rambach pour les sociologues. En effet, elles se sont appuyées sur les travaux d’Alain Accardo sur les journalistes précaires, et indiquent sur leur site internet quelques recherches qui rejoignent leur essai. Plus généralement, leur insistance sur les formes d’emploi, les professions et les conditions économiques les rapprochent de thèmes de recherches sociologiques.

C’est peut-être en raison de ce crédit sociologique non négligeable que l’une des rares références négatives aux Intellos précaires dans la presse leur oppose une autre recherche. Ainsi, en 2005, l’Express consacre un long article optimiste au travail indépendant, dans sa rubrique « Réussir, L’hebdo de l’emploi » : « Indépendants, free-lance, entrepreneurs individuels… – Solitaires sans galère » (le 28 mars 2005). S’appuyant sur une syndicaliste CFDT, la journaliste relaie une estimation du nombre de ceux qui exercent « une profession intellectuelle en solo », puis donne la parole à une sociologue du CNRS (Emmanuelle Reynaud), qu’elle oppose au « misérabilis[me] » des « intellos précaires » :

« Autre surprise de son enquête, la sérénité dont font preuve les solos : « Même ceux qui n’ont pas choisi l’indépendance, mais y ont été contraints par un licenciement, le vivent finalement très bien. Ils ont le sentiment que leur valeur professionnelle est plus reconnue et gagnent plutôt mieux leur vie qu’avant. » On est loin de l’image misérabiliste des chercheurs smicards et des artistes logés dans des taudis décrits par Anne et Marine Rambach dans leur livre Les Intellos précaires, paru en 2001! »

On peut voir ce passage comme une lutte entre deux interprétations de la signification sociale de la sortie hors de l’emploi stable : injuste précarité ou indépendance heureuse ? En réalité, cette ambiguïté traverse la notion, puisque le livre des Rambach associe à la dénonciation du tort subi par les « intellos précaires » la mise en valeur de leurs traits innovants, voire héroïques : ce sont des « Wonder (wo)men », (p. 91). Néanmoins, en intégrant la notion de précarité, dont la signification politique est fortement marquée par les mouvements de chômeurs et précaires des années 1990 (Perrin, 2001), la proposition de groupe forgée par les Rambach endosse une interprétation nettement critique de la diversification des formes d’emploi, souvent développée par des sociologues ou des mouvements sociaux, mais aussi recevable par les grands quotidiens.

Les « créatifs-culturels », critique de la société de consommation et marketing

A l’opposé des « intellos précaires » qui sont salués dans la presse généraliste, les « créatifs-culturels » apparaissent principalement dans la presse d’affaires. L’importation de la notion de « créatifs culturels » en France est liée à l’activité d’un éditeur provincial, Yves Michel, qui, ayant édité en 2001 une traduction française (2001) de l’ouvrage américain de Paul Ray et Sue Anderson annonçant l’apparition des « cultural creatives », entreprit de mesurer la présence en France de ce « courant ». À partir d’un sondage par questionnaire portant sur les valeurs, Michel et quelques coauteurs, dont le sociologue et parlementaire socialiste Jean-Pierre Worms, évaluent à 17% la part de « créatifs-culturels » dans la société française (2007). La « communauté virtuelle » (J-P. Worms, p. 13) des « créatifs-culturels » est avant tout construite par la voie statistique. Sur ce plan, la méthode employée s’apparente à celle des « socio-styles » promus par Bernard Cathelat dans les années 1970-80 (Georgakakis, 1997), et reste fortement associée à l’univers de la publicité (« [l’expression] ne nous satisfaisait pas vraiment, évoquant à certains le milieu de la publicité », écrit Yves Michel p. 37.

Les valeurs qui distinguent les « créatifs-culturels » seraient l’écologie, la féminité, l’être opposé au paraître ou à l’avoir, l’intérêt pour le développement personnel et la spiritualité, l’implication sociétale et l’ouverture multi-culturelle. Ces valeurs sont illustrées par une série de six portraits qui apprêtent le traitement journalistique de la catégorie. C’est le cas par exemple du portrait de « Muriel, femme de confiance », une femme de 42 ans, « complètement dans le présent » (p. 85). « Comme beaucoup de créatifs culturels, Muriel est en rupture par rapport à ce qu’elle aurait pu être, de façon conventionnelle, dans sa vie » (p. 85). Docteur en informatique, anciennement salariée d’une entreprise d’aéronautique, « son besoin de liberté » (p. 86) l’a fait sortir du salariat vers le statut de « correspondante de presse » en Normandie. Elle travaille par ailleurs à temps partiel pour « une association de finance solidaire ». Divorcée, célibataire, elle consomme bio et « appartient aussi à un système d’échange local (SEL) » (p. 86).

Cependant, à en croire, notamment, la contribution d’Éric Seuillet, « consultant », sur « Les créatifs culturels et le monde de l’entreprise » (p. 105), les « ruptures » prêtées aux « CC » par les auteurs sont autolimitées. Seuillet démarque les « créatifs-culturels » d’une « caricature », illustrée par un article de Libération sur des « technos-écolos » qui tentent un « retour radical à la nature ». « Loin de ces clichés décrivant les « tentations » d’enfants de soixante-huitards ou de nouveaux « bobos », les créatifs culturels ont largement dépassé ces postures caricaturales », puisqu’ils « savent que les entreprises ont une position centrale et déterminante. » (p. 106) et admettent de ne peser sur elles qu’en tant que « consommateurs », « collaborateurs », ou « [e]n s’impliquant dans la gouvernance des entreprises » (p. 106). Ainsi, la catégorie de « créatifs-culturels » semble profilée pour permettre au marketing de se représenter certaines critiques virulentes à l’encontre du « monde de l’entreprise » sous la forme relativement maîtrisable d’un profil de consommateur.

Quelle a été la réception médiatique des « créatifs-culturels » ? Yves Michel se félicite en 2007 sur son site de la couverture de presse dont ils ont bénéficié, et invoque à cette occasion le succès médiatique comme une véritable confirmation de la réalité du groupe :

« Le livre donnant la synthèse de l’enquête menée en France, et paru en février 2007, a obtenu une bonne couverture de presse : une quarantaine d’articles, la grand presse et France Culture ! C’est encourageant et cela montre que les valeurs que portent les créatifs culturels sont partagées par de plus en plus de citoyens, à tous les niveaux de la société. » (http://www.yvesmichel.org/yves-michel/espace-societe/reatifs-culturels-dans-la-presse)

En réalité, les apparitions des « créatifs culturels » dans la presse tiennent moins à la pression d’un public impatient et convaincu qu’à la mobilisation de journalistes et de spécialistes de marketing, dès avant 2007. Ainsi, un article du Nouvel Observateur (« Vive la nouvelle conso! » le 28 octobre 2004) introduit la notion sur un ton humoristique : « Dernier-né des barbarismes importés des Etats-Unis : les  »créatifs culturels » », comme un courant de consommation contraignant les entreprises à se montrer plus écologiques. De même, dans les Echos (6 janvier 2005), une consultante en marketing cite l’enquête de Ray et Anderson comme annonciatrice des prochaines évolutions de la demande. Si l’angle (évolution de la consommation) est similaire chez Sud Ouest Dimanche, les « créatifs-culturels » y apparaissent sous les traits moqueurs de la radinerie plutôt que de l’écologie, et voisinent de façon significative avec les « bobos » :

« Les nouveaux radins sont plutôt des gens qui gagnent bien leur vie. C’est bien connu : plus on est riche… On les retrouve parmi ces nouveaux acteurs sociaux que l’on qualifie, sans trop savoir ce que cela recouvre, de bobos, nonos, momos, nimby, créatifs culturels, néoruraux, alternatifs. » (« Moi, radin ? Et alors ? » le 20 février 2005).

La notion est suffisamment indéterminée du point de vue économique pour être appliquée dans le Figaro, par un chroniqueur « coach et conseil de dirigeants », au milliardaire américain Warren Buffet : « A sa façon, bien que différente de tous les cadres et « bobos » qui prennent leurs distances avec le capitalisme de consommation, Warren Buffett nous propose une voie de création culturelle qui n’est pas incompatible avec la création de richesse » (Figaro, 21 mars 2005).

C’est en 2006 qu’a lieu la première référence à une recherche menée en France sur le modèle de celle de Ray et Anderson. L’article « Créatifs culturels contre communautaristes » (Les Echos, le 28 février 2006) présente avec déférence le travail des chercheurs américains (« le livre, devenu l’une des bibles des « planners » stratégiques en agence et des traqueurs de tendances »), et prend soin de le différencier de manifestes rivaux : ce n’est « pas la énième décalcomanie des « bobos » de David Brooks, ou des « nonos » de Naomi Klein ».

La presse économique (La Tribune, Les Echos, Stratégies) salue Les créatifs culturels en France lors de leur parution en début 2007. L’un des articles du printemps 2007 (L’Express, 3 mai 2007) est particulièrement affirmatif. La journaliste promet la notion à un avenir brillant : « une espèce en voie d’apparition, repérée par quelques sociologues et déjà disséquée dans un livre qui vient de paraître. Une tribu encore méconnue, mais qui risque fort de ringardiser cruellement les bobos et autres nonos, néologismes devenus si marketing qu’ils ne tarderont pas à faire pschitt!… ». L’article donne la parole à un lecteur enthousiaste (« Quand j’ai découvert ce livre, je me suis dit avec soulagement que je n’étais pas le seul à vouloir changer le monde sans pour autant renoncer à la consommation – et au plaisir qu’elle procure – et sans me reconnaître dans le mouvement altermondialiste», confie Tristan Lecomte, 33 ans, diplômé d’HEC et fondateur d’Alter Eco »). Après Jean-Pierre Worms, le sociologue Michel Maffesoli exprime son adhésion à la notion (« Les CC constituent un laboratoire de ce que j’appelle la postmodernité »). L’article se poursuit par les témoignages de trois entrepreneurs « créatifs culturels » : la « créatrice d’une école alternative » ; un « comédien et directeur d’ONG » ; et la « fondatrice d’une agence de conseil en développement durable ».

Ce faisant, l’article reproduit le dispositif du livre de 2007 (propos généraux, sondage commenté, paroles d’experts, puis témoignages de plusieurs pages, recueillis par une journaliste indépendante). Il montre comment le journalisme peut s’approprier la notion en donnant la parole à ses adeptes autodéclarés. À cela, l’Express ajoute une liste de « lieux à fréquenter », de « revues à lire », et de « sites où surfer » pour « devenir un parfait CC ». On voit ainsi que les « créatifs culturels » circulent moins comme une catégorie descriptive, en troisième personne, que comme une interpellation, un appel à la conversion adressé au lecteur avant tout en tant que consommateur.

À l’occasion d’une intervention d’Yves Michel lors du « Salon zen », l’AFP consacre un papier d’angle aux « créatifs culturels » : « Les créatifs culturels appelés à faire leur « coming out » » (le 6 octobre 2007), qui reprend de façon plus concise l’organisation de l’article de l’Express, et commente favorablement : « La publication de cette étude a permis à une série de personnes de comprendre qu’elles formaient un groupe sociologique ».

Si la presse économique célèbre avec enthousiasme l’avènement des « CC » en 2007, la notion ne s’installe pas pour autant de façon régulière dans la presse, et décline d’une douzaine d’occurrences en 2007, à 8 citations en 2008 et 2009, puis à seulement 4 en 2010. La froideur de la presse quotidienne nationale peut en partie expliquer cet effacement. Ainsi, l’unique apparition de la notion dans Le Monde est marquée par une distance critique, puisque l’article convoque la notion concurrente dont les promoteurs des « créatifs-culturels » s’efforcent de se démarquer : « Après les « bobos », voici les « créatifs culturels » » (le 23 mai 2007). L’article prend d’ailleurs prudemment pour angle le ciblage marketing en cours. La notion fait un passage discret dans Libération, en couverture d’une manifestation contre le Président Sarkozy : « Ils ont entre 30 et 40 ans, vivent à Paris, et cette manif, cela fait des mois qu’ils l’attendent. Ni fonctionnaires ni salariés en péril, « bobos » pour les uns, créatifs culturels pour les autres, ils sont souvent travailleurs indépendants. Acteurs, journalistes, réalisateurs, ils en ont juste marre de la politique déployée par l’omniprésident. » La seconde occurrence des « créatifs-culturels » dans Libération figure dans une interview du penseur écologiste Patrick Viveret. Les citations les plus récentes des « créatifs-culturels » sont uniquement le fait de la presse régionale. Tout se passe comme si, concurrencés dans la capitale par des notions mettant en avant de façon plus spécifique et pittoresque le mode de vie urbain, les « créatifs-culturels » pouvaient cependant mobiliser dans les villes moyennes et à la campagne. C’est d’ailleurs le seul des trois manifestes à ne pas mentionner la bohème, étroitement associée à la ville de Paris (Brisette et Glinoer, 2010). Au contraire, on a vu que les promoteurs des « créatifs-culturels » prenaient soin de différencier la catégorie de celle des « bobos », réinterprétée, à rebours du sens originel de la notion, comme une forme excessive et déraisonnable de critique du capitalisme.

La « classe créative » : discrétion médiatique d’une catégorie de gouvernance internationale

À la différence des autres manifestes, initialement relayés par des journalistes, c’est via un sociologue que la notion de « classe créative » aborde la presse française. Interviewé dans le supplément Emploi de Libération à l’occasion de la parution de son livre Portrait de l’artiste en travailleur (2002), Pierre-Michel Menger l’utilise pour décrire comment « La notion de créateur s’élargit » :

« Je pense que les activités de la création artistique ne sont plus l’envers frivole du travail, mais sont au contraire de plus en plus revendiquées comme l’expression la plus avancée de nouvelles organisations de travail. Aux côtés des scientifiques, les artistes passent pour le noyau dur de cette «classe créative». » (Libération Emploi, le 17 mars 2003).

Il cite « L’économiste américain Richard Florida » comme un de ceux qui « veulent élargir le cercle des créateurs », lorsqu’il « invente une creative class, qui comprendrait les ingénieurs, les architectes, les scientifiques, l’enseignement et la formation, les médias, le sport, les loisirs, le design, les arts. » Qu’en est-il ?

En effet, le livre de Florida, publié en 2002 (sans traduction française), annonce l’apparition d’une nouvelle classe de travailleurs créatifs rassemblant près du tiers des actifs américains. L’auteur interpelle ses lecteurs : « If you are a scientist or engineer, an architect or designer, a writer, artist or musician, or if you use your creativity as a key factor in your work in business, education, health care, law or some other profession, you are a member » (Florida, 2002, p. xxvii). La nouvelle classe est divisée entre un noyau très élitiste (« I define the core of the Creative Class to include people in science and engineering, architecture and design, arts, music and entertainment, whose economic function is to create new ideas, new technology, and/or new creative content », Florida 2002, p. 8) et une large frange partageant, à un moindre degré, les caractéristiques du noyau : « Around the core, the Creative Class also includes a broader group of creative professionals in business and finance, law, health care and related fields » (Florida 2002, p. 8). Florida insiste sur la sensibilité de cette nouvelle classe, extrêmement mobile, à la qualité « bohème » de la vie urbaine (il parle de « creativity climate » ou « people climate », p. 7). Or, la créativité devenant « the fundamental source of economic growth » (Florida, xxix), la tâche des municipalités soucieuses de leur développement est donc de rendre la ville hospitalière pour la classe créative, notamment en favorisant la vie culturelle. Cet ouvrage a eu un écho considérable autant dans le domaine de la recherche que du côté des modes de gouvernement des villes (Vivant, 2009).

Après une éclipse (seul un article des Echos en 2003 mobilisant la théorie de Florida sur l’attractivité des territoires pour légitimer le mouvement des intermittents, puis un article, toujours dans les Echos en 2004, sur la crise de l’université italienne), la « classe créative » bondit à dix occurrences en 2006. Elles se partagent de façon équilibrée entre les échos d’une polémique autour d’un sondage, en Suisse, qui délimite une « classe créative » et taxe une autre partie de la population de racisme, les atouts de la Bretagne dans la « Société de la connaissance » (Ouest-France) et les comptes-rendus d’Une brève histoire de l’avenir, de Jacques Attali qui reprennent, sans toujours en citer l’origine, la prophétie sociale de Florida.

Dans les années qui suivent, la « classe créative » est portée par une nouvelle voix, celle de Frédéric Martel, qui plaide pour un renouvellement des politiques culturelles françaises. Martel intervient dans Sud Ouest, le 7 octobre 2010, dans CBS News le 14 juin 2010, et surtout, il signe dans La Tribune, le 14 avril 2010, un grand article d' »opinion » avertissant le public français de « L’émergence de la classe créative ». L’identité de Martel, ancien attaché culturel aux États-Unis, enseignant en école de commerce, et animateur sur France-Culture, incarne de façon suggestive le remaniement des rapports entre l’État, l’économie, la culture et la mondialisation que porte la notion qu’il promeut.

Par contre, le projet de groupe social lancé par Florida reçoit le même accueil distancié et critique que les « créatifs-culturels » de la part du Monde. Ainsi, le seul article spécifiquement dédié à Florida et à sa nouvelle classe par Le Monde, « Richard Florida, le gourou controversé de l’urbanisme » survient tardivement (11 avril 2009) par rapport au succès international du concept. De plus, il met en avant « les critiques qui dénoncent sa fascination aveugle pour les élites et les « bobos «  », et présente une tonalité de distance amusée.

Cette maigre couverture journalistique (un point culminant à 15 occurrences en 2010) dissimule le fait que la promotion de la « classe créative » se déroule ailleurs que dans l’espace public. Par exemple, le concept est utilisé dans les rapports de la commission européenne, ainsi que dans ceux d’institutions publiques (Voir Culture et Médias 2030, ou Camors et Soulard, 2010). Il fait par ailleurs l’objet de premières tentatives de quantification en France (Chantelot, 2009 et 2010). La « classe créative » s’affirme pour le moment, en France, comme un concept pour gouvernants et experts plutôt que destiné au grand public. Il est significatif à cet égard que l’ouvrage de Florida ne soit pas traduit en français à ce jour.

Ainsi, le traitement médiatique de la « classe créative » en France reste désincarné. La catégorie est utilisée par des décideurs pour avoir prise sur la réalité sociale, mais n’est pas proposée pour servir de repère à tout un chacun dans l’interprétation des changements de la vie quotidienne.

Conclusion : le traitement journalistique de catégories morales et politiques

Nous avons donc vu que les articles de presse consacrés aux quatre propositions de groupes sociaux étudiées ici engagent des configurations différentes entre les rôles des universitaires, des journalistes, des témoins et des essayistes, issus d’horizon variés, qui tentent de rendre certains changements sociaux lisibles en décrivant un groupe nouveau. En particulier, « bobos » et « classe créative », qui essuient des critiques très similaires, se révèlent très différents sous ce rapport.

Trois des quatre manifestes étudiés ici (la « classe créative » fait exception) donnent lieu à un produit journalistique spécifique : l’annonce de l’avènement d’un groupe social nouveau, étayée sur le témoignage de quelques représentants typiques. Nous rejoignons sur ce point la remarque de Xavier de la Porte qui pointe le faible coût, en terme de travail journalistique, des gloses des « bobos » : la notion, commodément paradoxale, se prête à l’enchaînement, de traits typiques et au recueil de témoignages de gens socialement proches des journalistes, et de ce fait accessibles et « bons clients ». Pour cette raison, l’usage des manifestes dans la presse devient facilement un exercice purement illustratif.

Quelles voies d’accès à des réalités extérieures les variations rhétoriques sur les groupes sociaux inédits se donnent-elles, hormis les manifestes eux-mêmes ? Pour une part, cette fonction est déléguée à des experts. Pour une autre part, le traitement médiatique des manifestes (surtout pour les « bobos » et les « créatifs-culturels »), repose sur la possibilité ou non de repérer des représentants pourvus des attributs typiques de la notion, l’expressivité de leur témoignage suffisant pour attester la réalité du groupe qu’ils incarnent. Le journaliste joue alors un rôle de relai, ou bien d’une expression stylisée de soi (« créatifs culturels »), ou bien d’une présentation de soi dans l’horizon de la défense d’une cause (« intellos précaires »).

Les catégories étudiées sont moins utilisées par la presse comme des instruments de classement à proprement parler que comme les supports de certaines valeurs : mérites mal rétribués des « intellos précaires », compétences économiquement décisives de la « classe créative », authenticité et modération des « créatifs culturels », et inversement inauthenticité, égoïsme et élitisme des « bobos ». Cette remarque peut contribuer à éclairer les contrastes entre la réception des manifestes dans la presse et dans le monde scientifique. Alors que la critique scientifique a principalement objecté aux manifestes leur inconsistance conceptuelle, ce qui frappe, à la lecture de notre corpus journalistique, c’est la surdétermination typologique, et surtout morale, prêtée à ces figures sociales. Les « bobos », en particulier, sont une entité au contenu moral aussi surdéterminé que leur contenu social reste impossible à délimiter.

En menant ce repérage sur les usages de manifestes de groupes sociaux dans la presse, nous ne défendons pas l’utopie sinistre d’un monopole scientifique sur la représentation de la société. Nous espérons simplement avoir montré que ces représentations ont des enjeux plus importants que ce qu’elles mêmes et surtout leur traitement journalistique parfois euphémisant ont tendance à indiquer.

Références bibliographiques

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Notes

(1) On pourrait comparer cette conjoncture à la « crise de représentation » de la fin du 19ès, d’où est issue la figure de l’intellectuel selon Christophe Charle (1990) – en précisant que l’intellectuel fait plutôt partie aujourd’hui des figures que les nouvelles propositions de groupes sociaux démantèlent.

(2) Les sources utilisées sont : les quatre « manifestes » ainsi que les publications en sciences sociales qui s’y réfèrent (voir bibliographie) ; et enfin leurs occurrences dans la presse écrite française. Sur ce dernier point, nous avons utilisé le portail Factiva, qui permet de disposer d’articles de presse in extenso à partir de mots-clés. Les recherches portaient sur les expressions « bourgeois-bohèmes » (nous avons préféré l’expression entière à sa contraction en « bobo » afin d’éviter la confusion avec les petites plaies enfantines), « intellos précaires », « créatifs-culturels » et « classe créative ». Le champ couvert est la presse généraliste française entre début 2000 et fin 2010. C’est sur le dépouillement de ce corpus que repose notre article.

(3) Une explication à cette indifférence peut être cherchée du côté de la position très affaiblie des « socio-styles », dont relève techniquement la catégorie des « créatifs-culturels », dans le champ des sciences sociales (Georgakakis, 1998). La sociologue Monique Dagnaud est à notre connaissance une des rares exceptions à cette règle. Dans un article sur un site d’information, elle avance en effet que la « mouvance » des « créatifs culturels » est l’une des composantes du mouvement des « Indignés » (Monique Dagnaud, « Le temps du populisme culturel », Slate.fr, le 24 novembre 2011, http://www.slate.fr/story/46649/jeunesse-indignes-creatifs-justiciers-populisme-culturel).

(4) Le statut de la prise de position de Xavier de la Porte est ambigu. En effet, l’auteur est journaliste, mais son texte figure dans un ouvrage co-dirigé par le sociologue Stéphane Beaud, et sa démarche le rapproche des universitaires.

(5) La gentrification peut être définie comme « un processus graduel de transformation des quartiers populaires par l’investissement de groupes sociaux appartenant aux couches moyennes et supérieures » (Bacque et Fijalkow, 2006, p. 63).

(6) Pour éviter les confusions induites par le terme de « bobo », nous avons entré dans Factiva « Bourgeois-bohème » en toutes lettres.

(7) Sur le rapport entre l’authenticité, la critique et sa dénonciation, voir L. Boltanski, La souffrance à distance, en particulier p. 137.

(8) Autre exemple : « Qui sont les bobos », dans Les inrockuptibles, le 9 avril 2010, consulte cinq sociologues, dont les avis sur la pertinence de la notion s’avèrent partagés.

Anne Clerval, « David BROOKS, 2000, Les Bobos, Les bourgeois bohèmes , trad. par M. Thirioux et A. Nabet, Paris, Florent Massot, coll. Le livre de poche, 314 p. », Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne], Revue de livres, mis en ligne le 17 mars 2005, consulté le 31 mars 2012. URL : http://cybergeo.revues.org/766

Au secours, la lutte des classes revient à Paris ! Des bourgeois bohèmes à la ségrégation

Avec Michel et Monique Pinçon – Charlot, sociologues, auteur de Sociologie de Paris (La Découverte) et Eric Maurin, économiste, auteur du Ghetto français. Enquête sur le séparatisme social (Le Seuil). Débat animé par Michel Sivignon.

Vox geographi

Le Flore, 22 février 2005

Parler de l’embourgeoisement de Paris au café de Flore, en plein cœur du quartier Saint-Germain, n’est géographiquement pas anodin. Mais attention, les mots ont des sens précis et Paris vit peut-être moins un épisode d’embourgeoisement que de gentrification. Les bourgeois bohèmes ont en effet peu de chose à voir avec la bourgeoisie traditionnelle, et nous avons plutôt parlé durant le café-géo de stratégies d’évitement, de mixité sociale menacée ou de quête de l’entre soi, pour saisir les dynamiques sociales de la capitale.

Comme le précise Michel Sivignon en introduction, alors que la ségrégation sociale se fait de plus en plus frappante, notre société refuse de la dire ou de la reconnaître. Les cartes tirées de l’ouvrage des Pinçon-Charlot sont pourtant éloquentes : en 1954, 15 arrondissements sur 20 comptaient moins de 40% de cadres et de patrons (un large croissant centré sur l’Est et allant du Nord-ouest au Sud-ouest) ; en 1999, tous ont dépassé ce seuil et 13 arrondissements dépassent les 55% de cadres et patrons (toute la partie Sud-ouest de la ville, du XIII° au XVII°). Seuls les 6 arrondissements périphériques à l’Est de la ville, du XVIII° au XIV° comptent plus de 20% de logements sociaux. Partout ailleurs, les prix des loyers font fuir les plus pauvres.

Une nouvelle géographie sociale de Paris

Pour bien définir les termes, Monique Pinçon-Charlot précise que la quête de l’entre soi est un phénomène essentiel chez les grands bourgeois. Alors que la grande bourgeoisie a les moyens de s’installer où elle le souhaite dans Paris, elle privilégie essentiellement le nord du XVI°, le sud du XVII°, et parfois un peu le VII° et le VI°. En d’autres termes, quand on n’a pas de contraintes économiques, on choisit son semblable.

La mixité sociale, comme le précise Michel Pinçon, c’est le mélange des catégories sociales définies selon le revenu, le niveau de scolarisation, etc. Toutefois, on s’intéresse souvent à la mixité sociale de l’habitat, c’est-à-dire à une vision nocturne de Paris (où est-ce que les différents groupes sociaux dorment la nuit ?). Il faudrait tenir compte du million de banlieusards qui viennent chaque jour travailler dans Paris ; cette image diurne de Paris se fait alors plus mixte. On peut aussi se demander quelle est l’échelle pertinente pour apprécier la mixité sociale : est-ce l’immeuble ? l’îlot urbain ? le quartier ? la ville ? l’agglomération ? Pour les Pinçon-Charlot, Paris est une capitale assez petite en Europe (seulement 87 km2 sans les bois), une ville qu’on peut traverser à pied (aucun point de la ville est à moins d’une heure de marche du centre-ville), et une ville bien identifiée par ses boulevards périphériques : aussi ont-ils choisi l’aire de la ville pour évaluer cette mixité sociale. Alors qu’à la Libération, Paris comptait 65% d’ouvriers et d’employés pour 35% de cadres et de patrons, les proportions se sont aujourd’hui inversées, la mixité a changé. On est passé d’une ville populaire à une ville bourgeoise. Quel changement par rapport à l’après-guerre, où Paris était plus populaire que la moyenne nationale !

Monique Pinçon – Charlot insiste alors sur le terme de gentrification, à préférer au terme d’embourgeoisement. Les bourgeois bohèmes, ou bobos, sont très différents des bourgeois traditionnels de l’Ouest de Paris. La gentrification est un processus culturel et géographique qui transforme les quartiers populaires du centre et de l’est de Paris au bénéfice de cette nouvelle petite bourgeoisie émergente. Son mode de vie est très différent de celui des petits bourgeois traditionnels. Les bobos vivent de leur travail, non pas de leur patrimoine, ils se disent volontiers écolo et anti-racistes, favorables au PACS et à la parité, ou adeptes de la nourriture bio. Les Pinçon – Charlot ont un passage savoureux dans leur livre sur l’épicerie « Aux produits d’Auvergne », rue de Lappe, échoppe si appréciée par les bobos du Faubourg Saint-Antoine. Puisque le saucisson ou les fromages gras ne convenaient pas à ceux et celles qui veulent garder la ligne, le commerçant a dû s’adapter à la nouvelle clientèle et proposer du saucisson maigre et de la tomme maigre !

Peu représentatif de l’ensemble national à cet égard, Paris concentre énormément de métiers artistiques, de la mode, du cinéma, de la presse. Or, les « bobos » sont justement nés du développement de secteurs économiques comme les nouvelles technologies, la grande distribution, l’enseignement ou les médias, qui ont produit une nouvelle élite, des actifs plus jeunes que la moyenne, des diplômés assez à l’aise dans des familles recomposées avec une idéologie libertaire, menant des modes de vie très différents de la bourgeoisie de l’Ouest. Les bobos Faubourg Saint-Antoine n’ont rien à voir avec les bourgeois de l’Avenue Henri Martin. Parlons donc de gentrification plutôt que d’embourgeoisement, pour éviter les confusions. Les bobos profitent des espaces libérés à la faveur de la désindustrialisation de la capitale. Le parc André-Citroën laisse difficilement imaginer aujourd’hui les 17000 salariés de la marque automobile éponyme qui travaillaient sur les lieux mêmes en 1968. Aujourd’hui la verdure et les grands immeubles modernes ont biffé l’occupation ouvrière des lieux. Ironiquement, Paris a basculé à gauche au moment où elle devenait moins populaire que jamais.

De la stratégie d’évitement à la ségrégation spatiale

Eric Maurin a mené une analyse fine de l’enquête emploi de l’INSEE. Cette enquête annuelle porte sur un certain nombre de voisinages caractéristiques, des groupes de 30 à 40 logements adjacents, environ 60 personnes donc. Faite chaque année avec un protocole constant, l’enquête révèle beaucoup de choses pour comprendre les logiques de la ségrégation.

Premier constat, et première surprise : la ségrégation sociale n’est pas si récente. Depuis 20 à 30 ans, elle est restée stable. Ce qui est nouveau en revanche, c’est le degré avec lequel les fractions les plus riches de la population se concentrent dans quelques endroits seulement. Les enclaves qui n’ont jamais été aussi fermées sont celles des plus riches. Eric Maurin montre justement dans Le ghetto français que le phénomène de ségrégation commence par le haut de l’échelle sociale : les très riches ne veulent pas vivre avec les riches, les riches ne veulent pas vivre avec les moyennement riches, et ainsi de suite jusqu’aux chômeurs qui ne veulent pas vivre à côté des immigrés les plus récents… Tout en bas, les très pauvres n’ont plus que la possibilité de se loger là où il leur reste de la place. Sa recherche révèle donc en chacun de nous un complice plus ou moins actif de la ségrégation urbaine.

On peut expliquer la concentration des plus riches par la recherche du contexte social le plus propice pour la réussite scolaire. Le milieu dans lequel on vit est ce qui fait la différence dans la réussite scolaire. En somme, si les enfants de votre voisinage réussissent à l’école, vos enfants réussiront aussi, quelles que soient les ressources de votre famille. Avec la démocratisation de l’enseignement, la compétition scolaire se fait plus importante. Comme les familles ont moins de pouvoir prescriptif aujourd’hui, elles comptent à présent sur le contexte favorable à la réussite scolaire pour assurer l’avenir de leurs enfants. Le contexte dans lequel on vit devient alors absolument crucial. D’où la quête d’être entre soi quand on est d’un milieu favorisé. Des études américaines, britanniques et suédoises ont d’ailleurs comparé les prix des logements aux limites des rues définissant les aires scolaires : elles ont montré que le contexte scolaire pouvait faire varier les loyers de manière très importante d’une aire scolaire à l’autre, donc – à échelle plus fine – d’un côté de la rue à l’autre ! L’entre soi est choisi par les riches, les classes moyennes le subissent en s’installant en périphérie des enclaves chics, et l’entre soi est imposé aux classes populaires.

Michel Pinçon rappelle qu’aux yeux des milieux ouvriers, l’école ne fournit plus la possibilité de mobilité sociale. La montée du chômage a sapé leur confiance dans l’institution scolaire. Monique Pinçon – Charlot souligne que les bobos de l’Est parisien ont un rapport assez particulier à l’école. Dans les interviews, ils se déclarent heureux de la mixité sociale, de vivre dans un quartier qui a des apparences populaires, mais quand on demande où ils scolarisent leurs enfants, leurs visages se ferment immédiatement ! Ils ne scolarisent pas les enfants dans leurs quartiers, mais contournent la carte scolaire et cherchent à bénéficier de dérogations. A contrario, les bourgeois traditionnels revendiquent explicitement de ne surtout pas scolariser leurs enfants avec des jeunes de milieux populaires.

Faut-il vouloir la mixité sociale ?

Michel Sivignon s’étonne que l’on n’ait jamais autant parlé de mixité sociale – tout le monde semble pour ! – au moment où elle est la moins mise en pratique. Monique Pinçon – Charlot souligne que les grands bourgeois ne veulent pas de la mixité sociale. Ils habitent les beaux quartiers de l’Ouest, envoient leurs enfants dans des rallyes, tandis que les parents fréquentent des cercles fondés sur la cooptation sociale. En revanche, quand on a des responsabilités politiques, on ne peut pas se permettre de se proclamer contre la mixité sociale.

En fait, comme le précise Michel Pinçon, ceux qui prônent la mixité sociale sont simplement ceux qui ont la parole, notamment les bobos des milieux artistiques ou médiatiques. A cet égard, l’ouvrage des Pinçon-Charlot, Sociologie de Paris, relate les showrooms, magasins de mode et ateliers de la Goutte d’Or qui ont bousculé l’ambiance urbaine. Lors d’une inauguration, « le contraste était violent entre les journalistes (…) minces et légèrement vêtues de tenues estivales, et les femmes maghrébines portant, malgré la chaleur, voiles et djellabas. Dans les vitrines des mannequins présentaient des vêtements tout aussi peu gourmands en tissu, rendant leurs prix encore plus étonnants pour la population locale. Les jeunes créateurs disent apprécier ’’l’environnement pluri-ethnique, très favorable pour l’inspiration’’ » (p. 93)…

Les milieux populaires ne veulent pas forcément de la mixité sociale. Beaucoup d’anciens résidents du quartier de l’Horloge ont préféré quitter leur quartier après sa rénovation : il ne correspondait plus du tout à leur milieu de vie, la rénovation a mené à une gentrification fatale à son ambiance populaire. La ségrégation sociale est donc bien plus complexe que ce que l’on imagine. Sans parler des processus d’agrégation communautaire qu’on retrouve chez les Chinois dans le XIII°, chez les Tamouls entre Gare du Nord et Gare de l’Est, ou les Maghrébins à Barbès, même si les études fines révèlent que ce sont des fois plus les commerces qui sont tenus par des étrangers, les étages étant peuplés de Français.

Pour Eric Maurin, le communautarisme se développe en réaction à la ségrégation. Qui plus est, son étude révèle non seulement que le contexte social est en soi source d’échec scolaire, mais aussi que les effets de contexte sont beaucoup plus forts chez ceux qui ont peu de moyens.

Certes, l’objectif de mixité sociale est louable, dans la mesure où les enfants de milieu protégé ont bien peu à perdre à être avec des enfants de milieu défavorisé, par rapport à ce que ces derniers ont à gagner à côtoyer des enfants plus protégés. Mais il y a peu d’incitations d’ordre privé à aller, chacun à son niveau, vers plus de mixité, ou à scolariser ses enfants avec des jeunes moins favorisés (au risque d’être traité de mauvais parent !)

L’idée de mixité sociale est née dans les milieux politiques, mais il y a un danger à mêler dans une même école des enfants d’origine sociale trop différente : les enfants de milieu populaire risque de prendre en pleine face leur infériorité sociale et d’intérioriser leur situation de dominés et se persuader qu’ils sont mauvais. Monique Pinçon – Charlot rappelle l’expérience d’échanges d’élèves un jour par mois entre le lycée Janson de Sailly et le lycée de Goussainville. Les élèves favorisés de Janson ont beaucoup apprécié l’expérience, tandis que les élèves de Goussainville ont trouvé l’expérience beaucoup trop difficile pour eux. Tout y était question de violence symbolique : ce déplacement dans l’espace social leur faisait prendre conscience de leur infériorité… Le thème de la mixité sociale doit donc être manié avec des pincettes !

D’autant que notre langage est remarquablement ambigu : quand un quartier populaire accueille des plus riches, donc quand la mixité sociale augmente, on parle positivement de gentrification ; quand un quartier riche accueille des plus pauvres, donc quand la mixité sociale augmente tout autant, on parle négativement de paupérisation !

L’école, ses élus et ses damnés

L’école française produit nécessairement de l’échec dans la mesure où elle est avant tout faite pour sélectionner [à quoi d’autre servent les notes ? s’il s’agissait de transmettre une culture générale, on aurait recours à une échelle binaire : acquis / non acquis, plutôt qu’une échelle de 0 à 20].

Eric Maurin rappelle la faillite des politiques territoriales type ZEP (zones d’éducation prioritaire). Chaque année, 500 millions d’euros sont consacrés aux ZEP. Ces zones identifiées par les recteurs (avec autorisation des maires des communes concernées) disposent d’heures supplémentaires et de primes diverses aux enseignants. Or les évaluations sont très décevantes. La progression des enfants n’est pas plus rapide qu’ailleurs. En fait, c’est dû au très médiocre ciblage territorial : le profil sociologique des élèves moyens dans les ZEP n’est pas si différent du profil sociologique des élèves moyens qui ne sont pas en ZEP. Qui plus est, on n’arrive pas à réallouer les ressources : un établissement classé ZEP fera tout pour garder son classement, si bien qu’il y a toujours plus de ZEP en France, ce qui mène au saupoudrage des moyens. L’effet de stigmatisation des ZEP dessert les communes, dans la mesure où les classes moyennes et supérieures ne viennent plus s’installer dans ces zones.

Eric Maurin propose d’adopter un ciblage beaucoup plus adéquat : non en fonction de l’espace, mais en fonction du public qui fréquente l’école. Une fois ce ciblage beaucoup plus restreint adopté, il ne faudrait pas offrir un surplus de 8% de moyens comme on le fait en France, mais plutôt diviser les classes par deux comme on le fait en Hollande.

Eric Maurin n’oublie pas non plus que le système de sélection précoce qui a lieu à l’école s’avère un échec total. L’Angleterre a supprimé le redoublement en primaire et au collège, et dépasse la France dans les évaluations internationales. La réussite scolaire a acquis un sens quasi religieux, qui donne sa place dans la hiérarchie des êtres. Quand on compare avec les autres systèmes éducatifs, le système français apparaît comme redoutablement sélectif. D’où une école très anxiogène où la compétition commence dès la maternelle.

Comme le résumait Eric Maurin dans Le Monde (23 Octobre 2004) « on a peu de chance de désamorcer les processus de sécession territoriale sans s’attaquer au principal facteur d’anxiété sociale qui les sous-tend : la précocité et l’irréversibilité des mécanismes d’enfermement des individus dans des destins écrits d’avance. Car, en cloîtrant le présent dans des territoires, c’est aussi l’avenir que l’on enferme ou que l’on sécurise. Si le territoire est l’enjeu d’une compétition aussi âpre, c’est que le lieu de résidence et les interactions sociales qu’il conditionne comptent parmi les ressources essentielles d’une concurrence généralisée pour les meilleurs destins, laquelle s’engage désormais dès l’enfance ».

Comme l’ajoute Michel Pinçon, le système scolaire français fabrique des élus et des damnés, avec une hypervalorisation du diplôme et de la compétence abstraite. En France, le diplôme ou le rang de sortie d’une grande école peut déterminer la totalité d’une carrière. Mais une auditrice précise que l’école ne fait pas tout, les réseaux familiaux et amicaux jouent un rôle important dans les trajectoires sociales.

Michel Sivignon conclut ce café fort animé sur l’importance de désosser les problèmes, de scruter les idées reçues, pour faire apparaître tous les enjeux géographiques de la mixité sociale ou de la ségrégation, qui révèlent tant de fonctionnements de notre société.

Bibliographie :

– MAURIN E. (2004) Le ghetto français. Essai sur le séparatisme social (Paris, Le Seuil, collection La République des Idées)

– PINCON – CHARLOT M. et M. (2004) Sociologie de Paris (Paris, La Découverte, collection Repères)

– GUILLY C. et NOYER C. (2004) Atlas des nouvelles fractures sociales (Paris, Autrement)

Compte-rendu : Olivier Milhaud, Université de Paris 1

Voir aussi:

Les « bobos » : une catégorie… journalistique

Lunatic

10/30/09

« A Paris, l’UMP envoie Jouanno séduire les bobos écolos » (L’Express)… « le graffiti se “boboïse” » (20minutes)… « L’identité nationale ne doitpas être un sujet d’affrontement entre les intellos et les bobos et l’extrême droite. » (Eric Besson, LeJDD)… « Ce marché est tiré par des bobos qui font le maillot jaune, qui lancent les marchés. » (Michel-Edouart Leclerc, sur BFMRadio)

La « notion » de « bobo » va avoir 10 ans, 10 ans qu’elle est toujours abondamment utilisée, comme les résultats de cette rapide recherche sur Google Actualités le laisse apercevoir. 10 ans qu’elle pique les yeux et écorche les oreilles, qu’elle est utilisée à tort et à travers, oh, certes, parfois entourée de jolis guillemets feignant la distanciation critique.

L’occasion, donc de revenir sur ce terme en reprenant de (larges) extraits du texte « “Bobos” et “travailleurs pauvres”. Petits arrangements de la presse avec le monde » signé Xavier de la Porte et publié dans l’ouvrage collectif La France Invisible (dans une partie intitulée « Fausses représentations et imaginaires biaisés »…)

« Bobos » et « travailleurs pauvres ». Petits arrangements de la presse avec le monde, Xavier de la Porte (extraits)

En 2000, David Brooks, rédacteur en chef du Weekly Standard et éditorialiste à Newsweek, publie un livre intitulé Bobos in paradise. Les « bobos » sont selon lui des « bourgeois-bohèmes », « qui ont suivi des études supérieures et qui ont un pied dans le monde bohème de la créati­vité et un autre dans le royaume bourgeois de l’ambition et de la réussite matérielle ». Ils forment une « nouvelle élite de l’ère de l’information », un « nouvel establishment[1]».

S’il cherche bien à identifier et décrire une nouvelle catégorie sociale, le livre « contient peu de statistiques. Peu de théorie. Max Weber peut dormir sur ses deux oreilles ! Je me suis contenté de décrire comment vivent ces gens en utilisant une méthode qui pourrait être qualifiée de “sociologie comique” ». De fait, le ton est enlevé, drôle et moqueur (même si Brooks l’annonce d’entrée : « J’appartiens à cette catégorie. Nous ne sommes pas si méchants que ça. »). La population décrite est typiquement américaine, le parangon du « bobo » est le couple Clinton « faisant partie des pacifistes des années 1960 et des fanatiques des échanges boursiers des années 1980. Ils sont arrivés à la Maison-Blanche chargés à bloc d’idéaux bohèmes et d’ambitions bourgeoises ».

Avant même la traduction française du livre de Brooks, et malgré l’arrière-plan très américain, la catégorie fait une entrée fracassante dans l’espace médiatique français. À la base, la traduction d’un compte rendu du livre dans Courrier International du 15-21 juin 2000. Un mois plus tard, Libération consacre la rubrique « Tendance mode de vie » de son numéro du week-end aux « bobos »[2]. La journaliste, Annick Rivoire, ancre la caté­gorie dans un contexte français : « [ils] cultivent une passion pour les légumes bio et les gadgets techno. Ils engrangent les stocks options et sou­tiennent José Bové à Millau. Ces bohémiens chics veulent avoir les pieds dans la terre et la tête dans le cyberspace. »

Bien que se référant au livre de Brooks, l’article décrit sur le mode du « ils sont comme ci… ils font comme ça… » une catégorie sociale très éloi­gnée des « bobos » américains. C’est la naissance des « bobos » à la fran­çaise. Un mois plus tard, le magazine Elle, sous la plume d’Alix Girod de l’Ain, consacre à son tour un article aux « bobos »[3]. La journaliste évoque une « nouvelle catégorie sociale » et précise que « l’expression est déjà sur toutes les lèvres ». Peu après, c’est le tour du Parisien, qui parle d’une « nouvelle catégorie socioculturelle[4] », puis de France Soir[5] et du Monde[6]. Mi-novembre 2000 – délai exceptionnellement court dans l’édition -, paraît la traduction française du livre de Brooks. L’« événement » offre l’occasion d’une nouvelle salve d’articles (Libération, Le Nouvel Obser­vateur, Le Monde, Elle, etc.).

Un tournant s’opère avec un article publié dans les pages « Rebonds » de Libération le 8 janvier 2001. Sous le titre « Municipales : les bobos vont faire mal », le géographe Christophe Guilluy utilise le terme de « bobos » pour décrire la nouvelle bourgeoisie de gauche qui s’installe massive­ment dans les quartiers populaires de l’Est parisien. Il précise que cette population « a évacué la question sociale, et se détermine prioritairement sur des questions ayant trait à la qualité de la vie au bien-être individuel ». Il conclut qu’elle sera un enjeu important de la campagne parisienne.

Cet article, outre qu’il constitue les « bobos » en catégorie politique, offre une caution scientifique à leur existence et élève Christophe Guilluy au rang de spécialiste des « bobos ». Il est interrogé très régulièrement dans les articles qui suivent et pendant toute la campagne des élections municipales parisiennes. Dès lors, la catégorie des « bobos » existe de manière autonome (peu à peu, la référence à Brooks et à son origine amé­ricaine disparaît), n’a plus besoin d’être expliquée et s’impose dans des champs qui vont de la consommation (les « produits bobos ») à la poli­tique (les municipales de 2001 consacrent la victoire des « bobos » dans les principales grandes villes de France) en passant par le langage commun.

Une catégorie créée par un journaliste pour les journalistes

Créée par un journaliste, la catégorie « bobo » arrive en France sous la plume des journalistes. Alix Girod de l’Ain, de Elle, se souvient avoir lu le papier de Courrier International. Annick Rivoire, de Libération, est plus précise : « Un jour, avant l’été, une documentaliste m’apporte un entrefilet paru dans Courrier International et me dit : “Toi qui es à l’affût des tendances, ça devrait t’intéresser.” J’ai lu le papier, et j’en ai parlé à mon chef de service qui a tout de suite vu le truc. » De fait, le succès est immé­diat. « C’est un des papiers sur lesquels j’ai eu le plus de réactions, se sou­vient Annick Rivoire. J’ai été très surprise parce que je trouvais le sujet rigolo mais pas fondamental. J’ai reçu des coups de fil de la presse fémi­nine, de télés, de radios, même d’une radio québécoise. C’était invraisem­blable. » Le géographe Christophe Guilluy raconte la même histoire : « Le lendemain de mon Rebonds dans Libé, j’étais sur Europe 1 pour expliquer ce que c’était. Et c’est parti très, très vite. J’ai donné énormément d’inter­views très rapidement. C’est marrant, parce que c’était une prédiction de la fille qui m’avait interviewé sur Europe 1 : “Vous êtes sur un truc qui va plaire aux journalistes.” »

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Une terminologie scientifique préexistait à la « boboïsation » des quartiers populaires : la « gentrification ». Mais « ce qui est intéres­sant dans le “bobo”, c’est l’introduction d’une dimension culturelle », dit Christophe Guilluy. C’est l’idée d’une catégorie qui se construit moins sur des niveaux de revenus (même si apparaît un jour dans la presse l’idée que les bobos « gagnent entre 50 000 et 140 000 francs par mois[7] »), que sur un partage de goût. « J’aime beaucoup le travail du sociologue Bernard Lahire, explique Annick Rivoire, qui a bien montré que les anciennes catégories ne fonctionnaient plus. » Elle ajoute : « En France on est encore dans les anciennes catégories. Pour faire mon papier, j’ai appelé Monique et Michel Pinçon-Chariot : ils n’étaient pas très convaincants car, eux, tra­va