Je suis et demeure un combattant révolutionnaire. Et la Révolution aujourd’hui est, avant tout, islamique. Illich Ramirez Sanchez (dit Carlos)
Nous avons constaté que le sport était la religion moderne du monde occidental. Nous savions que les publics anglais et américain assis devant leur poste de télévision ne regarderaient pas un programme exposant le sort des Palestiniens s’il y avait une manifestation sportive sur une autre chaîne. Nous avons donc décidé de nous servir des Jeux olympiques, cérémonie la plus sacrée de cette religion, pour obliger le monde à faire attention à nous. Nous avons offert des sacrifices humains à vos dieux du sport et de la télévision et ils ont répondu à nos prières. Terroriste palestinien (Jeux olympiques de Munich, 1972)
Il s’est mis à tirer comme dans un jeu video. Enquêteurs
L’erreur est toujours de raisonner dans les catégories de la « différence », alors que la racine de tous les conflits, c’est plutôt la « concurrence », la rivalité mimétique entre des êtres, des pays, des cultures. La concurrence, c’est-à-dire le désir d’imiter l’autre pour obtenir la même chose que lui, au besoin par la violence. Sans doute le terrorisme est-il lié à un monde « différent » du nôtre, mais ce qui suscite le terrorisme n’est pas dans cette « différence » qui l’éloigne le plus de nous et nous le rend inconcevable. Il est au contraire dans un désir exacerbé de convergence et de ressemblance. (…) Ce qui se vit aujourd’hui est une forme de rivalité mimétique à l’échelle planétaire. (…) Ce sentiment n’est pas vrai des masses, mais des dirigeants. Sur le plan de la fortune personnelle, on sait qu’un homme comme Ben Laden n’a rien à envier à personne. Et combien de chefs de parti ou de faction sont dans cette situation intermédiaire, identique à la sienne. Regardez un Mirabeau au début de la Révolution française : il a un pied dans un camp et un pied dans l’autre, et il n’en vit que de manière plus aiguë son ressentiment. Aux Etats-Unis, des immigrés s’intègrent avec facilité, alors que d’autres, même si leur réussite est éclatante, vivent aussi dans un déchirement et un ressentiment permanents. Parce qu’ils sont ramenés à leur enfance, à des frustrations et des humiliations héritées du passé. Cette dimension est essentielle, en particulier chez des musulmans qui ont des traditions de fierté et un style de rapports individuels encore proche de la féodalité. (…) Cette concurrence mimétique, quand elle est malheureuse, ressort toujours, à un moment donné, sous une forme violente. A cet égard, c’est l’islam qui fournit aujourd’hui le ciment qu’on trouvait autrefois dans le marxisme. René Girard
More ink equals more blood, newspaper coverage of terrorist incidents leads directly to more attacks. It’s a macabre example of win-win in what economists call a « common-interest game. Both the media and terrorists benefit from terrorist incidents ». Terrorists get free publicity for themselves and their cause. The media, meanwhile, make money « as reports of terror attacks increase newspaper sales and the number of television viewers ». Bruno S. Frey (University of Zurich) et Dominic Rohner (Cambridge)
Les images violentes accroissent (…) la vulnérabilité des enfants à la violence des groupes dans la mesure où ceux qui les ont vues éprouvent de sensations, des émotions et des états du corps difficiles à maîtriser et donc angoissants, et qu’ils sont donc particulièrement tentés d’adopter les repères que leur propose leur groupe d’appartenance, voire le leader de ce groupe. Serge Tisseron
Ces meurtriers sont fascinés par des jeux vidéo violents. Ces jeux consommés à haute dose provoquent une désensibilisation par rapport à l’acte criminel. Dans certains jeux, pour franchir les différents niveaux, il faut parfois tuer un policier ou une femme enceinte. Celui qui joue est par définition acteur, il n’est pas passif. Certains jeux japonais, accessibles gratuitement en ligne, permettent d’incarner un violeur en série. Le joueur devient un participant actif et exprime ses fantasmes. Là, c’est le véritable danger. (…) Le tueur de masse avance toujours de faux prétextes religieux, politiques, ce qui semble être le cas ici. Cet homme s’est défini comme un fondamentaliste chrétien. Depuis la tragédie de Columbine aux Etats-Unis en 1999, le crime de masse est devenu un crime d’imitation. Les tueurs sont souvent habillés de noir, vêtus d’un treillis ou d’un costume de l’autorité. Ils postent de nombreux messages sur des forums Internet annonçant leurs actes. Le réseau Internet où ils se mettent en scène est l’occasion pour eux de laisser un testament numérique. Stéphane Bourgoin
Le tueur de masse, et c’est important, commet un crime d’imitation. On le voit dans le cas de Breivik puisqu’il pompe des centaines de pages du manifeste de Théodor Kaczynski, Unabomber. Il se contente à certains endroits de remplacer le marxisme par multiculturalisme ou par islamisme. Il copie, c’est frappant. Pourtant, idéologiquement, ils sont à l’opposé puisque Unabomber est un terroriste écologique. Autre imitation, pour sa bombe, il utilise exactement la même recette de fabrication que Timothy McVeigh dans l’attentat de l’immeuble fédéral d’Oklahoma City, en 1995. Il a trouvé la recette sur Internet, sur des sites suprématistes blancs et de survivalistes américains. (…) J’estime à 10 % d’entre eux ceux qui manifestent des revendications idéologiques. Mais ce ne sont pas uniquement ces revendications idéologiques qui poussent Anders Breivik ou Timothy McVeigh à commettre de tels attentats meurtriers. C’est aussi une véritable haine de la société. Ils s’estiment victimes de la société parce qu’elle ne les a pas reconnus à leur juste valeur. Et ils souffrent de troubles psychologiques voire psychiatriques profond. Là, ce n’est pas le cas pour Breivik qui ne souffre pas de troubles psychiatriques, puisqu’une personne délirante et irresponsable n’est pas capable d’organiser des attentats d’une telle envergure et avec une telle minutie. (…) Il a choisi deux cibles qui cristallisent, l’une et l’autre, ses haines. Des immeubles du gouvernement norvégien qu’il juge responsable de l’immigration massive en Norvège et sa haine des marxistes avec le rassemblement des jeunes du Parti travailliste, qu’il savait sur une île isolée, où il pourrait commettre un carnage sans être dérangé. (…) C’est un long processus. Il commence à écrire son manifeste en 2002. En 2007, il quitte le Parti du progrès, parti populiste d’extrême droite norvégien, et indique dans plusieurs forums que l’action politique et démocratique mène à une impasse et qu’il est temps de créer un choc et mener une révolution au sein de la société norvégienne. Sans parler ouvertement de son acte. En 2008, voire 2007, il pense déjà à commettre un tel attentat. Il a loué cette ferme voici deux ans, uniquement pour qu’elle lui serve de couverture. Nullement pour subvenir à ses besoins, mais pour lui permettre d’acheter des engrais chimiques sans attirer l’attention. On sait par son journal intime qu’il avait terminé de fabriquer les engins explosifs vers le mois de mai. Il a alors attendu le moment favorable, cette réunion des jeunes du Parti travailliste où devait se rendre, avant finalement d’annuler, le Premier ministre. (…) Le phénomène est amplifié par les nouvelles technologies, notamment Internet. Depuis Columbine, les tueurs laissent tous un testament numérique. On a retrouvé de nombreuses vidéos où ils se mettent en scène, apprennent à tirer. Où ils tiennent un journal de bord. Idem pour le massacre de Virginia Tech, qui a fait une trentaine de victimes en 2007. Idem avec les deux tueurs allemands dans deux écoles (Erfurt en 2002, Winnenden en 2009, ndlr). Idem pour le tueur finlandais de Kauhajoki en 2008, etc. Depuis le massacre de Colombine, c’est pareil pour tous les tueurs de masse : on laisse un testament en vidéo ou un long post sur un blog. C’est assez frappant. C’est un crime d’imitation. D’ailleurs, j’ajoute que les médias sont également un peu responsables de la prolifération de ce type d’acte criminel en raison de la place qu’ils accordent à ces criminels. Si, par exemple, les médias décidaient de ne jamais publier l’identité des auteurs ni leur texte ou leur vidéo, je pense qu’on verrait une réduction de ce type d’actes criminels. Ce que veulent ces individus, c’est passer à la postérité, or si on ne publie pas leur identité, la frustration sera extrême. La mégalomanie et le narcissisme d’un personnage comme Anders Breivik est éloquent ! Il voulait apparaître en uniforme lors d’un procès public, pour montrer au monde entier sa puissance. Ils savent ce qui va se passer après les meurtres et s’en délectent à l’avance, comme se délecte Anders Breivik à l’idée de son procès, qui devrait se tenir d’ici un an et demi. (…) Une agence de presse a quelque peu exagéré et déformé mes propos. Ce que j’ai exactement dit sur le profil-type du tueur de masse, c’est que sur les 113 cas en vingt ans, 108 s’adonnaient quotidiennement voire parfois des heures entières à des jeux vidéo violents. Mais j’ajoutais, bien sûr, que ce n’est pas le fait de jouer à des jeux vidéo violents qui fait qu’on devient un tueur de masse. Comme pour les tueurs en série, on retrouve la plupart du temps des cas de maltraitances physiques ou psychologiques et d’abandon parental, mais ce n’est parce qu’on est un enfant abandonné qui subit des maltraitances qu’on est un serial killer. Il y en aurait malheureusement des milliers. J’ajoutais aussi que pour un adolescent qui souffre de troubles psychiatriques ou psychologiques, le fait de s’adonner de manière frénétique à des jeux vidéo violents pouvait le mener à une désensibilisation à la violence. Stéphane Bourgoin
On est dans le crime d’imitation. Ces tueurs savent qu’ils vont avoir une importante résonance médiatique. (…) On peut imaginer qu’ils s’estimaient persécutés et avaient des comptes à régler avec la société. En tuant des personnes qu’ils ne connaissaient pas, ils plongeaient dans un monde virtuel. Comme dans un jeu vidéo … Stéphane Bourgoin
Attention: un tueur peut en cacher beaucoup d’autres !
Au lendemain d’un nouvel épisode de fusillade meurtrière encore inexpliqué cette fois sur notre propre Côte d’azur …
Comment ne pas deviner, avec l’écrivain spécialisé Stéphane Bourgoin, cette forte dimension mimétique de la chose y compris d’ailleurs chez les pros de naguère à la Carlos?
Mais aussi hélas cette vague de tueurs de masse qui vient ou est en fait déjà (potentiellement) là …
Qui, entre ressentiment personnel, recherche de visibilité médiatique, entrainement/conditionnement quotidien et massif à la tuerie en ligne et accessibilité en ligne des matériels et modes d’emplois, n’attendent que l’occasion propice pour passer à l’acte?
D’où la double contrainte inextricable du phénomène: si on n’en parle pas, on risque de passer à côté de quelque chose de peut-être bien plus grave (voir les frères Tsarnaev) et si on en parle, on fait le jeu du tueur en question et de ses futurs imitateurs toujours prêts à raccrocher leur wagon de ressentiment personnel à tout mouvement de haine du moment à forte valeur ajoutée médiatique …
Fusillade d’Istres : le profil psy et guerrier d’un individu nommé Rose
La Provence
26 avril 2013
Le tueur se nommerait Karl Rose, son profil Facebook donne quelques indications sur sa personnalité
Il s’appelle Karl Rose. Il a 19 ans. Il est né à Istres, habite Istres et lors de sa dernière comparution en justice, il se disait « ouvrier ». Pour l’heure, il était hier encore sans profession, précise-t-on de source proche de l’enquête.
Il est connu des services de police pour port d’armes prohibées, au moins à deux reprises, ce qui témoigne à tout le moins d’un certain goût pour elles. Jusqu’aux faits qui l’ont traîné hier à la Une des gazettes, il était aussi connu pour escroquerie et falsification de documents. Il est manifestement sujet à des problèmes psychiatriques, a prétendu répondre aux « préceptes » d’al-Qaïda.
Un individu dans son univers
Quand il a été interpellé, il a fait état aussitôt d’une « connaissance » qui s’apprêterait à agir à sa manière, dans une gare, en région parisienne… Cet homme a été arrêté plus tard dans la soirée. Pour le reste, le profil Facebook de Karl Rose est aussi éloquent que crypté.
Il y dit travailler à « braqueur de fourgon ». Il aime aussi les arts martiaux, la musculation et l’informatique. Toujours selon son profil Facebook, il étudie à « Paris Tramway Ligne 3 ». Comprenne qui pourra. « La TV dirige la nation », peut-on entendre, en anglais, sur la seule chanson présente sur son profil en ligne.
Un individu manifestement dans son univers, qui, au chapitre des livres, affiche : « Le judaïsme est une escroquerie de 4 000 ans », semble faire de l’affaire Mérah un « complot » et s’autodécerne la « médaille d’honneur » du « combattant de guerre » sur un jeu vidéo qui permet, au moins virtuellement, de tuer plus facilement son prochain que de l’aimer.
Les 3 questions à Stéphane Bourgoin auteur du livre « 99 ans de serial killer » (Edition Ring)
1. La Provence a jusqu’ici été épargnée par les tueurs de masse. L’hyper médiatisation de l’affaire Merah et des attentats de Boston a-t-elle pu favoriser le passage à l’acte ?
Stéphane Bourgoin : Oui, on est dans le crime d’imitation. Ces tueurs savent qu’ils vont avoir une importante résonance médiatique.
2. Ont-ils un profil psychologique similaire ?
S.B : Ils sont souvent très jeunes et fascinés par les armes à feu. Si eux agissent sur la voie publique, les plus vieux passent généralement à l’acte sur leur lieu de travail. Dans la plupart des cas, ce sont des paranoïaques qui ont pu avoir des antécédents psychiatriques ou souffrent de troubles psychologiques.
3. Généralement, ces tueurs se suicident ou se font abattre. À Istres, il s’est rendu sans problème…
S.B : 70 % de ces tueurs ne survivent pas, c’est vrai. Mais ce n’était pas le cas du tueur d’Aurora ou de Anders Breivik en Norvège. On peut imaginer qu’ils s’estimaient persécutés et avaient des comptes à régler avec la société. En tuant des personnes qu’ils ne connaissaient pas, ils plongeaient dans un monde virtuel. Comme dans un jeu vidéo.
Denis Trossero et Frédéric Cheutin, propos recueillis par Laetitia Sariroglou
Voir aussi:
Norvège : «Ces tueurs veulent laisser une trace dans l’histoire»
Stéphane Bourgoin
Le Parisien
24.07.2011
STÉPHANE BOURGOIN spécialiste des tueurs de masse*. Ecrivain, Stéphane Bourgoin, 58 ans, est surtout un spécialiste reconnu des tueurs de masse et tueurs en série.
Peut-on considérer le suspect arrêté comme un tueur de masse?
STÉPHANE BOURGOIN. Il appartient à l’évidence à la catégorie des tueurs de masse. Il s’agit souvent d’hommes solitaires souffrant de troubles suicidaires.
Ce sont des désespérés extravertis et très narcissiques. Ils ont un désir de toute-puissance et sont souvent fascinés par les armes à feu et aussi l’autorité. Ils aiment incarner des militaires ou des policiers.
Quels sont leurs autres traits communs?
Ils ont peu de relations sociales, voire pas du tout. Leur univers amoureux est réduit à néant. Mais, surtout, ils veulent tous laisser une trace dans l’histoire pour qu’on se souvienne d’eux. Ils tuent pour qu’on ne les oublie pas. A la différence des tueurs en série, qui, eux, sont des psychopathes responsables de leurs actes qui font tout pour échapper à la police, les tueurs de masse cherchent à revendiquer leurs actes. Ils vont à la rencontre des enquêteurs, ils font face et cherchent même à se faire tuer par les policiers.
Les jeux vidéo ont-t-ils une influence dans leur passage à l’acte?
Là aussi, c’est un trait dominant chez ces meurtriers. Ils sont fascinés par des jeux vidéo violents comme World of Warcraft. Ces jeux consommés à haute dose provoquent une désensibilisation par rapport à l’acte criminel. Dans d’autres jeux, pour franchir les différents niveaux, il faut parfois tuer un policier ou une femme enceinte. Celui qui joue est par définition acteur, il n’est pas passif. Certains jeux japonais, accessibles gratuitement en ligne, permettent d’incarner un violeur en série. Le joueur devient un participant actif et exprime ses fantasmes. Là, c’est le véritable danger.
Comment analyser ce qui vient de se passer en Norvège?
Le tueur de masse avance toujours de faux prétextes religieux, politiques, ce qui semble être le cas ici. Cet homme s’est défini comme un fondamentaliste chrétien. Depuis la tragédie de Columbine aux Etats-Unis en 1999, le crime de masse est devenu un crime d’imitation. Les tueurs sont souvent habillés de noir, vêtus d’un treillis ou d’un costume de l’autorité. Ils postent de nombreux messages sur des forums Internet annonçant leurs actes. Le réseau Internet où ils se mettent en scène est l’occasion pour eux de laisser un testament numérique.
Il vient de publier « Enquête mondiale sur les tueurs en série » aux Editions Grasset.
Voir encore:
Dorothée Duchemin
Citazine
28 juill. 2011
Anders Breivik, principal suspect de la tuerie survenue en Norvège le 22 juillet dernier, possède-t-il le profil typique d’un tueur de masse ? Qui sont ces criminels ? Stéphane Bourgoin, spécialiste des tueurs en série et tueurs de masse, répond à Citazine.
Peut-on parler d’un profil-type du tueur de masse ?
Le profil d’un tueur de masse, auquel répond tout à fait Anders Breivik, est quelqu’un qui tue un grand nombre de personnes en un laps de temps très court. Peu lui importe l’âge, le sexe ou l’ethnie des victimes, contrairement au tueur en série qui tue sur des années et ne cherche pas à se faire prendre. Alors que le tueur de masse, dans 75 % des cas, va chercher soit à se suicider, soit à être abattu par les forces de l’ordre après avoir commis son acte.
Cette personne est généralement isolée de la société, marginalisée. Elle a peu d’amis, pas de relation sentimentale, est passionnée d’armes à feu et est fascinée par la chasse ainsi que par toutes formes d’autorité. Elle s’adonne à des jeux vidéo violents, est marquée par une lourde tendance suicidaire mais ne se suicidera pas seule dans son coin. Elle veut marquer l’histoire et laisser une marque indélébile en se suicidant et en emportant le plus de victimes avec elle.
Alors, puisqu’il ne s’est pas suicidé, Andres Breivik fait-il figure d’exception ?
Un gros pourcentage d’entre eux, entre 25 et 30 %, ne se suicident pas au moment où ils commettent leurs actes. Andres Breivik l’annonce, dans la partie du journal intime, à la fin de son manifeste. Il n’avait pas l’intention de se suicider et veut témoigner à son procès.
Un code, depuis Columbine
Anders Breivik est âgé de 32 ans. N’est-il pas bien plus vieux que la majorité des tueurs de masse ?
Il y a eu des tueurs de masse bien plus âgés qu’Anders Breivik. Cela n’a rien à voir avec l’âge. Les tueries de masse ont existé avant Columbine (Tuerie du lycée de Columbine, en 1999, perpétrée par Eric Harris et Dylan Klebold, ndlr). Mais depuis, un code et une imitation s’installent. Un code vestimentaire : les tueurs sont revêtus de noir, de treillis militaire ou uniforme de police. Avec ces vêtements, ils expriment le désir de toute puissance et la fascination des armes à feu. Ils s’imaginent être des héros dans une réalité virtuelle. Alors qu’ils savent que dans la réalité, ils sont des types qui n’ont jamais rien concrétisé dans leur existence. Le tueur de masse, et c’est important, commet un crime d’imitation. On le voit dans le cas de Breivik puisqu’il pompe des centaines de pages du manifeste de Théodor Kaczynski, Unabomber. Il se contente à certains endroits de remplacer le marxisme par multiculturalisme ou par islamisme. Il copie, c’est frappant. Pourtant, idéologiquement, ils sont à l’opposé puisque Unabomber est un terroriste écologique. Autre imitation, pour sa bombe, il utilise exactement la même recette de fabrication que Timothy McVeigh dans l’attentat de l’immeuble fédéral d’Oklahoma City, en 1995. Il a trouvé la recette sur Internet, sur des sites suprématistes blancs et de survivalistes américains.
Il se nourrit ça et là des tueries de masse de ses prédécesseurs.
Oui, tout à fait.
La majorité des ces tueurs agit-elle par revendications idéologiques ?
Non. Un certain nombre d’entre eux en ont, mais ils sont assez rares. J’estime à 10 % d’entre eux ceux qui manifestent des revendications idéologiques. Mais ce ne sont pas uniquement ces revendications idéologiques qui poussent Anders Breivik ou Timothy McVeigh à commettre de tels attentats meurtriers. C’est aussi une véritable haine de la société. Ils s’estiment victimes de la société parce qu’elle ne les a pas reconnus à leur juste valeur. Et ils souffrent de troubles psychologiques voire psychiatriques profond. Là, ce n’est pas le cas pour Breivik qui ne souffre pas de troubles psychiatriques, puisqu’une personne délirante et irresponsable n’est pas capable d’organiser des attentats d’une telle envergure et avec une telle minutie.
Deux lieux, deux armes
N’est-ce pas étonnant d’agir avec une bombe puis une arme à feu ?
Oui, c’est assez rare. En règle général, le crime se déroule en un lieu unique pour les tueurs de masse. Là, c’est un cas assez inhabituel. Il a choisi deux cibles qui cristallisent, l’une et l’autre, ses haines. Des immeubles du gouvernement norvégien qu’il juge responsable de l’immigration massive en Norvège et sa haine des marxistes avec le rassemblement des jeunes du Parti travailliste, qu’il savait sur une île isolée, où il pourrait commettre un carnage sans être dérangé.
Peut-il ressentir de la pitié, de la compassion et des remords ?
Absolument pas. Au moment où il commet son acte, on voit qu’il rit sur certaines images en abattant ses victimes. Il est à ce moment dans une transe et agit comme un robot. Lors de ses interrogatoires, il insiste sur le fait qu’il a effectivement commis « des actes cruels mais nécessaires » et plaide non coupable car il ne se sent pas responsable de ce qu’il a commis. Il n’éprouvera jamais de remords.
Est-il arrivé à commettre de tels actes après un long processus qui s’est mis en place petit à petit ou s’agit-il d’un déclic soudain ?
C’est un long processus. Il commence à écrire son manifeste en 2002. En 2007, il quitte le Parti du progrès, parti populiste d’extrême droite norvégien, et indique dans plusieurs forums que l’action politique et démocratique mène à une impasse et qu’il est temps de créer un choc et mener une révolution au sein de la société norvégienne. Sans parler ouvertement de son acte. En 2008, voire 2007, il pense déjà à commettre un tel attentat.
Il a loué cette ferme voici deux ans, uniquement pour qu’elle lui serve de couverture. Nullement pour subvenir à ses besoins, mais pour lui permettre d’acheter des engrais chimiques sans attirer l’attention. On sait par son journal intime qu’il avait terminé de fabriquer les engins explosifs vers le mois de mai. Il a alors attendu le moment favorable, cette réunion des jeunes du Parti travailliste où devait se rendre, avant finalement d’annuler, le Premier ministre.
Un phénomène contemporain ?
Pensez-vous que les meurtres de masse sont des phénomènes de notre époque ?
Tout à fait. Le phénomène est amplifié par les nouvelles technologies, notamment Internet. Depuis Columbine, les tueurs laissent tous un testament numérique. On a retrouvé de nombreuses vidéos où ils se mettent en scène, apprennent à tirer. Où ils tiennent un journal de bord. Idem pour le massacre de Virginia Tech, qui a fait une trentaine de victimes en 2007. Idem avec les deux tueurs allemands dans deux écoles (Erfurt en 2002, Winnenden en 2009, ndlr). Idem pour le tueur finlandais de Kauhajoki en 2008, etc.
Depuis le massacre de Colombine, c’est pareil pour tous les tueurs de masse : on laisse un testament en vidéo ou un long post sur un blog. C’est assez frappant. C’est un crime d’imitation. D’ailleurs, j’ajoute que les médias sont également un peu responsables de la prolifération de ce type d’acte criminel en raison de la place qu’ils accordent à ces criminels. Si, par exemple, les médias décidaient de ne jamais publier l’identité des auteurs ni leur texte ou leur vidéo, je pense qu’on verrait une réduction de ce type d’actes criminels. Ce que veulent ces individus, c’est passer à la postérité, or si on ne publie pas leur identité, la frustration sera extrême. La mégalomanie et le narcissisme d’un personnage comme Anders Breivik est éloquent ! Il voulait apparaître en uniforme lors d’un procès public, pour montrer au monde entier sa puissance.
Ils savent ce qui va se passer après les meurtres et s’en délectent à l’avance, comme se délecte Anders Breivik à l’idée de son procès, qui devrait se tenir d’ici un an et demi.
Ne peut-on pas y avoir une délectation d’ordre sexuel ?
Si, sans doute. J’ai interrogé quelques tueurs de masse survivants qui m’ont dit que quand ils abattaient leurs victimes, ils agissaient comme des sortes de robots et qu’ils en ressentaient une poussée d’adrénaline mais aussi une jouissance immense. Donc, on peut penser que ces meurtres peuvent avoir une connotation sexuelle. De toute façon, c’est un désir de toute puissance. Celle-ci peut s’obtenir par le sexe ou d’autres moyens.
De la même façon, les tueurs en série ne sont pas intéressés par le sexe en lui-même mais par l’envie d’humilier, de dominer leurs victimes.
Et pourquoi seuls des hommes sont-ils concernés ?
Sur 113 cas en vingt ans, il n’y a que deux femmes. Parce que les femmes ne sont pas fascinées par les armes à feu, ne vont pas ou peu s’adonner à des jeux vidéo violents, ne vont pas s’amuser à se déguiser en policier ou en soldat. Et il y a aussi fort peu de femmes tueuses en série.
Je me permets de revenir sur les jeux vidéo. La polémique rejaillit, comme à chaque fois en pareil cas, autour de la responsabilité des jeux vidéo. J’ai cru comprendre que vous les jugiez responsables ?
Une agence de presse a quelque peu exagéré et déformé mes propos. Ce que j’ai exactement dit sur le profil-type du tueur de masse, c’est que sur les 113 cas en vingt ans, 108 s’adonnaient quotidiennement voire parfois des heures entières à des jeux vidéo violents. Mais j’ajoutais, bien sûr, que ce n’est pas le fait de jouer à des jeux vidéo violents qui fait qu’on devient un tueur de masse.
Comme pour les tueurs en série, on retrouve la plupart du temps des cas de maltraitances physiques ou psychologiques et d’abandon parental, mais ce n’est parce qu’on est un enfant abandonné qui subit des maltraitances qu’on est un serial killer. Il y en aurait malheureusement des milliers. J’ajoutais aussi que pour un adolescent qui souffre de troubles psychiatriques ou psychologiques, le fait de s’adonner de manière frénétique à des jeux vidéo violents pouvait le mener à une désensibilisation à la violence. C’est exactement ce que j’ai dit.
> Stéphane Bourgoin est analyste au Centre international de sciences criminelles et pénales. Auteur de nombreux ouvrages sur les tueurs, il vient de publier aux éditions Grasset Serial Killers, enquête mondiale sur les tueurs en série. Il est également libraire et tient la librairie Au 3ème oeil.