Old Twitter deplatformed President Trump, accusing him of inciting violence.
Meanwhile, these same activist Twitter employees supported and enabled @TheDemocrats stoking the flames of destruction, death, and chaos during the 2020 Summer of Love.pic.twitter.com/ADL2jxgmse
D’une certaine manière, Trump avait raison. Il y avait un complot dans les coulisses, qui a à la fois mis fin aux manifestations et coordonné la résistance des PDG. Les deux surprises sont le résultat d’une alliance informelle entre des militants de gauche et des titans du monde des affaires. (…) [C’était] une cabale bien financée de personnes puissantes, issues de différents secteurs et idéologies, travaillant ensemble dans les coulisses pour influencer les perceptions, changer les règles et les lois, diriger la couverture médiatique et contrôler le flux d’informations. Ils ne truquaient pas l’élection; ils la fortifiaient. (…) En fin de compte, près de la moitié des électeurs ont voté par correspondance en 2020, pratiquement une révolution dans la façon dont les gens votent. Environ un quart ont voté tôt en personne. Seul un quart des électeurs ont voté de manière traditionnelle: en personne le jour du scrutin. (…) La philanthropie privée est entrée en lice. Un assortiment de fondations a contribué des dizaines de millions de dollars en financement de l’administration électorale. L’initiative Chan Zuckerberg a apporté 300 millions de dollars (…) Le soulèvement pour la justice raciale déclenché par l’assassinat de George Floyd en mai n’était pas avant tout un mouvement politique. Les organisateurs qui ont contribué à sa direction voulaient tirer parti de son élan pour les élections sans lui permettre d’être coopté par les politiciens. Nombre de ces organisateurs faisaient partie du réseau de Podhorzer, des militants des États du champ de bataille qui s’est associé à la Democracy Defence Coalition pour des organisations ayant des rôles de premier plan dans le Mouvement pour les vies noires. (…) Le soulèvement de l’été avait montré que le pouvoir du peuple pouvait avoir un impact énorme. Les militants ont commencé à se préparer à reprendre les manifestations si Trump tentait de voler les élections. «Les Américains prévoient des manifestations généralisées si Trump interfère avec les élections», annonçait Reuters en octobre, l’une des nombreuses nouvelles de ce genre. Plus de 150 groupes de gauche, de la Marche des femmes au Sierra Club en passant par Colour of Change, de Democrats.com aux Socialistes démocrates d’Amérique, ont rejoint la coalition «Protégez les résultats». Le site Web du groupe, aujourd’hui disparu, contenait une carte répertoriant 400 manifestations postélectorales prévues, qui devaient être activées par SMS dès le 4 novembre. (…) Fox News a surpris tout le monde en appelant l’Arizona pour Biden. La campagne de sensibilisation du public avait fonctionné: les présentateurs de télévision se mettaient en quatre pour conseiller la prudence et encadrer le décompte des voix avec précision. Time
Quand on supprime quelque chose que l’on n’est pas censé supprimer, c’est le pire. C’est nul (…) On a pris un chemin différent de Twitter. (…) Le contexte ici est que le FBI est venu nous voir – certaines personnes de notre équipe – et nous a dit « Hé, juste pour information, il faudrait que vous soyez en alerte maximale. Nous pensons qu’il y a eu beaucoup de propagande russe lors des élections de 2016 et qu’en gros il va y avoir à nouveau une sorte de déversement similaire. » (…) donc notre protocole est différent de celui de Twitter. Ce que Twitter a fait, c’est qu’ils ont dit qu’on ne peut pas partager ceci du tout. Ce n’est pas ce que nous avons fait. Ce que nous faisons, c’est si quelque chose est nous est signalé comme potentiellement de la désinformation, de la désinformation importante, nous avons également ce programme de vérification des faits par un tiers parce que nous ne voulons pas décider ce qui est vrai et faux et je pense que c’était cinq ou sept jours quand il a été essentiellement déterminé si c’était faux la distribution sur Facebook a été réduite mais les gens étaient toujours autorisés à le partager afin que vous puissiez toujours le partager, vous pouviez encore le consommer (..) Fondamentalement, le classement et le fil d’actualité étaient un peu moins nombreux, donc moins de gens l’ont vu qu’autrement. Je ne sais pas par quel pourcentage comme ça au jugé, mais c’était significatif. (…) C’est une question hyper-politique, donc selon votre position sur le spectre politique, vous pensez soit que nous n’avons pas assez censuré, soit que nous avons beaucoup trop censuré. (…) Nous avons juste pensé : Hé, écoutez, si le FBI, que je considère toujours comme une institution légitime dans ce pays, c’est une application de la loi très professionnelle — ils viennent nous voir et nous disent que nous devons être sur nos gardes à propos de quelque chose, alors je veux prendre cela au sérieux. (…) Je ne me souviens pas si c’était précisément cela, mais cela correspondait essentiellement à ce modèle. (…) Quand on retire quelque chose qu’on n’est pas censé faire, c’est le pire. C’est nul. (…) Il s’est avéré après coup, les vérificateurs des faits se sont penchés dessus, personne n’a pu dire que c’était faux. (…) Je pense que le processus était assez raisonnable. Vous savez, nous laissons toujours les gens le partager, mais évidemment vous ne voulez pas de situations comme ça. Mark Zuckerberg
We recognize it as a mistake that we made, both in terms of the intention of the policy and also the enforcement action of not allowing people to share it publicly or privately. . . . We made a quick interpretation, using no other evidence, that the materials in the article were obtained through hacking and, according to our policy, we blocked them from being spread. Jack Dorsey
Notre mission est de fournir un forum qui permette aux gens d’être informés et d’engager le dialogue directement avec leurs dirigeants. (…) Notre objectif est d’appliquer nos règles de manière judicieuse et impartiale (…) et de protéger le droit du public à entendre ses dirigeants et leur demander des comptes. Twitter (2019)
We must examine Twitter’s complicity in what President-Elect Biden has rightly termed insurrection. Those acts jeopardize the wellbeing of the United States, our company, and our employees. (…) we request that @realDonaldTrump’s account be suspended permanently, before he can further harm using our platform. The Undersigned (Letter to Jack Dorsey, Jan. 8, 2021)
Les plateformes seraient justifiées si elles étendaient leurs restrictions sur Trump ou les rendaient permanentes. Le gros problème est de traiter les candidats comme s’ils appartenaient à une catégorie spéciale et méritaient un traitement spécial. Si vous avez un ensemble de règles, elles devraient s’appliquer à tout le monde. La décision ne devrait pas être une lutte. Heidi Beirich (Projet mondial contre la haine et l’extrémisme et membre du Real Facebook Oversight Board)
They’re treating my Twitter account with more scrutiny and censorship than the prime minister of Iran, than Hamas, than people who do actual terroristic type damage. Now we have evidence to show that’s exactly why my Twitter account the last couple years has been down 95 percent in engagement. Charlie Kirk
The arrival on the US political scene of emails purportedly belonging to Vice President Biden’s son Hunter, much of it related to his serving on the Board of the Ukrainian gas company Burisma, has all the classic earmarks of a Russian informaion operation. We want to emphasize that we do not know if the emails, provided to the New York Post by President Trump’s personal attorney Rudy Giuliani, are genuine or not and that we do not have evidence of Russian involvement — just that our experience makes us deeply suspicious that the Russian government played a significant role in this case. Russ Travers, Glenn Gerstell, Rick Ledgett, Marc Polymeropoulos, Cynthia Strand, John Brennan, Leon Panetta, Gen. Michael Hayden, John McLaughlin and Michael Morell et al (US Intelligence officials)
Twitter connects you with the people you’re interested in — whether that’s someone across the world who shares your love for science-fiction, your friends and family, a politician, or your local sports team. Twitter (2016)
Think about visibility filtering as being a way for us to suppress what people see to different levels. It’s a very powerful tool. senior Senior Twitter employee
We control visibility quite a bit. And we control the amplification of your content quite a bit. And normal people do not know how much we do. Twitter engineer
The hypothesis underlying much of what we’ve implemented is that if exposure to, e.g., misinformation directly causes harm, we should use remediations that reduce exposure, and limiting the spread/virality of content is a good way to do that. We got Jack on board with implementing this for civic integrity in the near term, but we’re going to need to make a more robust case to get this into our repertoire of policy remediations – especially for other policy domains. Yoel Roth
Versement du FBI de 3,5 millions de dollars à Twitter pour censurer les conservateurs…
Pression du FBI sur Twitter pour leur donner des informations qui nécessiteraient légalement des mandats, bien qu’ils n’aient pas de mandats…
Réunions hebdomadaires du FBI avec Twitter avant les élections de 2020 pour leur dire quels tweets étouffer et quels comptes ils suspendre…
Etouffement pa rle FBI FBI de l’histoire de l’ordinateur portable de Hunter Biden était réelle, ils savaient qu’elle sortirait – des semaines avant les élections de 2020 …
Sur-représentation d’anciens employés du FBI sur Twitter …
Quelles caractéristiques classiques d’une opération de désinformation ?
Comme viennent de le confirmer la publication sur Twitter …
D’une série d’échanges entre différents officiels du réseau social au petit oiseau bleu …
Quand après la mise sur écoute de la campagne Trump …
Le faux dossier Steele …
Quatre ans de procédures pour pas moins de deux tentatives de destitution …
Et le bannissement, toujours effectif à l’exception de Twitter récemment racheté par Elon Musk, du président et nouveau candidat déclaré Trump lui-même…
Big Tech s’immisce dans les élections américaines …
Ou même le débat sur l’épidémie de Covid …
Avec la complicité de responsables du renseignement..
Elon Musk promettait une révélation « incroyable ». Samedi 3 décembre, le milliardaire, qui a racheté le réseau social à la fin octobre, a permis la publication des « Twitter Files ». Derrière ce nom se cache un ensemble de documents internes diffusés pour faire la lumière, selon le milliardaire, sur la politique de modération du réseau dans le cadre de la suppression d’un article visant Hunter Biden, le fils de Joe Biden. Cette censure d’un papier du New York Post, intervenue en pleine campagne électorale pour la présidentielle de 2020, avait scandalisé le camp républicain, le sénateur du Texas Ted Cruz dénonçant un « biais anticonservateur » sur Twitter. Mais que révèlent vraiment les « Twitter Files » ? Franceinfo fait le point sur cette affaire qui enflamme le réseau social.
D’où viennent ces « Twitter Files »?
Diffusés dans un long fil sur Twitter par le journaliste américain Matt Taibbi, les « Twitter Files » exposent le contenu d’e-mails et de discussions internes censés illustrer, selon Elon Musk, la politique de « suppression de la liberté d’expression » en vigueur par le passé sur le réseau social. La première partie de ces révélations revient donc sur l’épisode controversé de la censure sur Twitter d’un article du New York Post* publié en octobre 2020, trois semaines avant la présidentielle américaine. Sur la base d’e-mails présentés comme provenant de l’ordinateur portable d’Hunter Biden, le tabloïd accusait le fils du président américain d’avoir tiré profit de la position de son père pour ses relations d’affaires avec Burisma, un géant de l’énergie ukrainien.
Les circonstances à l’origine de cette fuite sont rocambolesques : les informations ont d’abord été recueillies par un réparateur informatique qui a pu accéder au portable d’Hunter Biden, avant d’être transmises à l’avocat de Rudolf Giulani, l’ancien maire de New York, puis à Steve Bannon, l’ex-conseiller de Donald Trump. De quoi, à l’époque, laisser craindre que les documents présentés par le New York Post aient été manipulés ou acquis de manière illégale. Dans un document officiel diffusé par Politico le 19 octobre 2020, plusieurs anciens hauts responsables du renseignement américain indiquaient que ces courriels présentaient « toutes les caractéristiques classiques d’une opération de désinformation russe » . Depuis, ces fameux documents ont fini par être authentifiés, en mars 2022, par le Washington Post* et le New York Times*mais à ce jour, selon Le Point, aucun conflit d’intérêts impliquant directement Joe Biden n’a pu être démontré. Reste que les soupçons sur la véracité de l’information avaient poussé Twitter, mais aussi Facebook, à restreindre la diffusion de l’article. Les « Twitter Files » décrivent les coulisses de cette décision.
Que révèlent ces documents?
Sur Twitter, le journaliste Matt Taibbi révèle que Twitter a pris des « mesures extraordinaires » pour empêcher la diffusion de l’article du New York Post, telles que la suppression des liens, la publication d’avertissements indiquant que la publication pourrait être « dangereuse » et le blocage de sa transmission par messages directs, « unoutil jusqu’alors réservé aux cas extrêmes, comme la pédopornographie ». La décision est alors justifiée par la politique de modération de Twitter qui proscrit la diffusion de contenus issus d’un piratage informatique – ce dont était soupçonné le New York Post – et pouvant être utilisés, d’après le règlement du réseau*, à des fins de « manipulation du débat public ».
Mais cette procédure est loin de faire l’unanimité au sein du groupe, assure Matt Taibbi. Plusieurs employés soulignent ainsi l’absence de certitudes quant à la réalité du piratage. « J’ai du mal à comprendre sur la base de quelle disposition de notre politique, nous pouvons signaler cela comme ‘non sûr’. Je pense que le meilleur argument [pour expliquer] cette affaire en externe serait que nous attendons de comprendre si cette histoire est le résultat de contenus piratés », écrit Trenton Kennedy, responsable de la communication, dans un mail interne publié par Matt Taibbi. Nous ferons face à des questions difficiles à ce sujet, si nous ne disposons pas d’une argumentation solide. »
Plus largement, Matt Taibbi révèle que les demandes de modération du réseau social étaient devenues « routinières », émanant aussi bien du parti républicain que du parti démocrate. En 2020, des requêtes provenant de la Maison Blanche, occupée alors par Donald Trump, comme de l’équipe de campagne de Joe Biden ont ainsi été honorées, remarque le journaliste. Sans en apporter la preuve, Matt Taibbi affirme toutefois que le système était « déséquilibré » en faveur des démocrates en raison des orientations politiques « à gauche » des employés de Twitter.
S’agit-il de nouvelles révélations ?
Non, pas vraiment, car les « Twitter Files » ne font en fait que corroborer des éléments déjà rendus publics à l’époque de l’affaire. Devant la bronca des républicains, le réseau social était revenu sur sa décision de bloquer l’article du New York Post au bout de deux jours. Par ailleurs, en novembre 2020, Jack Dorsey, l’ancien patron de Twitter, avait dû s’expliquer lors d’une audition devant le Sénat(PDF, en anglais) sur les dysfonctionnements de la politique de modération du réseau social et le contexte de la censure de l’article sur le fils de Joe Biden.
Quelles sont les réactions?
Sur Truth Social*, le réseau social alternatif fondé par Donald Trump après avoir été banni de Twitter, l’ancien président des Etats-Unis a réagi en dénonçant une « fraude massive » pendant l’élection présidentielle, accusant les « Big Tech » de collusion avec les démocrates. La Maison Blanche*, quant à elle, a commenté la publication des « Twitter Files » en considérant que ces derniers ne représentaient qu’une « distraction » ne révélant que de « vieilles histoires ».
« Ce n’est pas vraiment la preuve irréfutable, que nous espérions », a reconnu Miranda Devine, éditorialiste au New York Post, sur Fox News*. « J’ai le sentiment qu’Elon Musk a retenu certains documents » a-t-elle ajouté, suggérant (sans les apporter) que des preuves existeraient sur l’implication du FBI et des services de sécurité dans la censure de l’article du New York Post. Elon Musk a promis la publication d’un second volet des « Twitter Files », sans préciser s’ils seront en lien avec l’affaire Hunter Biden.
* Les liens signalés par un astérisque renvoient vers des contenus en anglais.
‘I’m treated worse than Hamas’: Fury at Twitter’s ‘secret blacklist’ and ‘visibility filtering’ as new tranche of files reveal conservatives were marked ‘do not amplify’ and COVID lockdown skeptics ‘shadow banned’
Journalist Bari Weiss revealed Thursday night that conservatives and lockdown skeptics were deliberately down-ranked by Twitter
Fox News’s Dan Bongino, youth activist Charlie Kirk, and Stanford CDC critic Dr Jay Bhattacharya were targeted to stop their accounts from gaining prominence
Weiss and journalist Matt Taibbi have been handed a trove of documents from Twitter, detailing why the company censored the story of Hunter Biden’s laptop
The documents from Taibbi showed panic among senior Twitter staff in October 2020 when the New York Post reported on the contents of Hunter’s computer
Jack Dorsey and his head of legal, Vijaya Gadde, both denied that Twitter ever deliberately downgraded or ‘shadow banned’ any accounts
Harriet Alexander
The Daily Mail
9 December 2022
Twitter kept a ‘secret blacklist’ of topics and accounts to prevent them from trending, according to data obtained by journalist Bari Weiss – with conservative commentators deliberately downplayed in what one called ‘Soviet-style bulls***’,’ while another said he was treated ‘with more censorship than Hamas’.
Specialist teams were put to work dealing with 200 cases a day.
Conservative commentators, including Dan Bongino and Charlie Kirk, were deliberately put on a ‘search blacklist’ in Bongino’s case or tabbed ‘do not amplify,’ in the case of Kirk.
‘They’re treating my Twitter account with more scrutiny and censorship than the prime minister of Iran, than Hamas, than people who do actual terroristic type damage,’ said Kirk. ‘Now we have evidence to show that’s exactly why my Twitter account the last couple years has been down 95 percent in engagement.’
Bongino said it was ‘Soviet-style bulls***.’
Those who questioned the prevailing COVID orthodoxy of lockdowns and mask mandates, such as Stanford’s Dr Jay Bhattacharya who argued that lockdowns harmed children, were also placed on a ‘search blacklist.’
Weiss made the revelations on Twitter Thursday night in the second tranche of what has been termed The Twitter Files.
She reported that Twitter used what was termed ‘visibility filtering’ to downplay accounts they objected to, and had teams of people working to reduce the traction gained by individuals or their tweets.
The teams working to minimize certain accounts or topics were backed up by a top-level ‘Site Integrity Policy, Policy Escalation Support’ team – where the CEO and top legal advisors would decide sensitive cases of censorship. Jack Dorsey and his successor as CEO, Parag Agrawal, were on the team.
Top officials such as Yoel Roth, the global head of trust and safety, wrote in internal messages that he wanted more creative ways of censoring and muffling specific accounts and content.
Elon Musk, who bought Twitter in October for $44 billion, was gleeful about the revelations regarding the company he now owns – retweeting Weiss’ thread, with a popcorn emoji.
Dr Jay Bhattacharya, who argued that COVID lockdowns harmed children, was also placed on a ‘search blacklist’ by Twitter, according to Weiss
‘The inmates were running the asylum’: Elon Musk calls out former safety czar Yoel Roth and confirms right-wing accounts were suspended
Elon Musk confirmed that conservatives were banned from Twitter despite not violating any policies.
The latest installment of the Twitter Files showed the scale of censorship and ‘visibility filtering’ on the social media platform.
Musk, who bought Twitter in October for $44 billion, vowed to end the practice of ‘shadow banning’ – secretly downgrading a person’s tweets or trending themes to minimize their reach.
Musk, 51, singled out Yoel Roth, the global head of trust and safety, who wrote in internal messages that he wanted more creative ways of censoring and muffling specific accounts and content.
Yoel Roth was the global head of trust and safety at Twitter. Musk on Thursday highlighted a 2017 tweet in which Roth referred to the Trump White House as being full of ‘actual Nazis
‘As @bariweiss clearly describes, the rules were enforced against the right, but not against the left,’ he said, adding that the company was ‘working on a software update that will show your true account status, so you know clearly if you’ve been shadowbanned, the reason why and how to appeal.’
He added: ‘Truth brings reconciliation.’
Within Twitter, the practice was termed ‘visibility filtering’, Weiss reported.
‘Think about visibility filtering as being a way for us to suppress what people see to different levels. It’s a very powerful tool,’ one senior Twitter employee told her.
Twitter would block searches of individual users, make a specific tweet less easy to find, block posts from the ‘trending’ page, and remove them from hashtag searches.
Another source, a Twitter engineer, told Weiss: ‘We control visibility quite a bit. And we control the amplification of your content quite a bit. And normal people do not know how much we do.’
Weiss said that the matter was dealt with by Twitter’s Strategic Response Team – Global Escalation Team, known as SRT-GET – a group that handled 200 cases a day.
A higher-level team, known as SIP-PES, ‘Site Integrity Policy, Policy Escalation Support,’ dealt with more complex and high-profile cases.
Dorsey and his replacement as CEO, Parag Agrawal, sat on the group, as did Gadde and Yoel Roth, the global head of trust and safety.
Roth messaged colleagues on Slack to say that ‘spam enforcements’ had been used as a way of circumventing the safety team ‘under-enforcing their policies’.
The group would need to intervene if any action was taken to limit the popular account @LibsofTiktok – whose account was tabbed internally: ‘Do Not Take Action on User Without Consulting With SIP-PES.’
Weiss said that account was suspended six times in 2022, and the author, Chaya Raichik, blocked from her account for at least a week each time.
Her account was suspended, they told Raichik, due to violations of Twitter’s ‘hateful conduct’ policy – but internally, Twitter admitted there was no violation.
In an October 2022 memo from SIP-PES obtained by Weiss, the committee concluded that the account ‘has not directly engaged in behavior violative of the Hateful Conduct policy.’
They justified the suspension by saying her posts encouraged online harassment of ‘hospitals and medical providers’ by insinuating ‘that gender-affirming healthcare is equivalent to child abuse or grooming.’
Weiss said that their response was in sharp contrast to that when Raichik was doxxed, with her home addressed published online. Raichik complained, but Twitter refused to take the tweet down, and it remains on the site to this day.
Raichik tweeted: ‘They suspended me multiple times knowing I never violated any policies. This is what happens when you talk about things that they don’t want you to talk about. So glad those days on Twitter are over. Thank you @elonmusk.’
Musk replied: ‘You’re welcome. Twitter won’t be perfect in the future, but it will be *much* better.’
2.5k
Are you surprised Twitter muffled conservative voices?
Have your say in the comments now
Weiss also singled out Roth for criticism, saying he was active in censoring accounts.
She noted that he had written to an employee on the Health, Misinformation, Privacy, and Identity research team wanting to improve ‘non-removal policy interventions like disabling engagements and deamplification/visibility filtering.’
Roth wrote: ‘The hypothesis underlying much of what we’ve implemented is that if exposure to, e.g., misinformation directly causes harm, we should use remediations that reduce exposure, and limiting the spread/virality of content is a good way to do that.’
He said that Dorsey was supportive of the censorship.
‘We got Jack on board with implementing this for civic integrity in the near term, but we’re going to need to make a more robust case to get this into our repertoire of policy remediations – especially for other policy domains,’ Roth wrote.
Musk defended Dorsey, however.
‘Controversial decisions were often made without getting Jack’s approval and he was unaware of systemic bias. The inmates were running the asylum,’ he said on Thursday night.
‘Jack has a pure heart imo.’
In October 2020, journalist Dave Rubin asked then-CEO Jack Dorsey: ‘Do you shadow ban based on political beliefs? Simple yes or no will do.’
Dorsey replied: ‘No.’
Vijaya Gadde, Twitter’s head of legal, policy, and trust, also denied that Twitter operated such blacklists.
‘We do not shadow ban,’ she said in 2018, according to Weiss – speaking alongside Kayvon Beykpour, Twitter’s head of product.
They added: ‘And we certainly don’t shadow ban based on political viewpoints or ideology.’
Tucker Carlson, Fox News host, immediately seized on Weiss’ report, saying it ‘confirms what many suspected but none knew for certain – which is that Twitter routinely censored prominent critics of the Biden administration, with no factual justification whatsoever.’
He noted the example of the Stanford doctor who was vocal against COVID lockdowns and was blacklisted, saying it was ‘doubtless at the request of the authorities’.
Carlson continued: ‘They prevented his tweets from trending which meant most of his tweets couldn’t be seen.
‘According to Weiss, at one point they slapped him with a search ban. That made it impossible for users to find tweets by him, because they were inaccurate?
‘No, because they were accurate. That was the crime. That’s always the crime. They never punish you for lying, they only punish you for telling the truth.’
He added: ‘It was strategic. They weren’t censoring people because they were annoying, they were censoring people because they were providing factual information that might have stopped certain policies or election results from happening.
‘So, you know, this was sophisticated – and had an effect on American society, I would say.’
Kirk told Carlson on Thursday night that the report confirmed his long-held suspicions, but said he was angry.
He says he was averaging 115,000 retweets a day at their peak – questioning COVID lockdowns, for example.
‘I was called a conspiracy theorist, I was smeared,’ Kirk told Carlson, adding that he complained and met Dorsey personally. Dorsey assured him that shadow banning was not happening.
Kirk said the social media company was censoring him because ‘they saw what I had to say as a direct threat to the regime.’
He said: ‘They’re treating my Twitter account with more scrutiny and censorship than the prime minister of Iran, than Hamas, than people who do actual terroristic type damage.
‘Now we evidence to show that’s exactly why my Twitter account the last couple years has been down 95 percent in engagement.
‘Were they told to do this by the federal government?’ he asked, describing how he watched the Twitter change from a social media platform into a ‘Democrat super PAC.’
He added: ‘Apparently asking questions about the lockdown policy was a threat. Were they told to do this by Anthony Fauci, by the federal government?
‘We may never know – but Twitter at its best was a place where heterodox ideas were able to spread. Twitter went out of its way to censor it and suffocate our account.’
He said: ‘I’ve been told forever, so weird that I can’t find you on Twitter, you’re a verified account, your name’s not usual, how come you don’t come up?
‘When I spoke about this on my show I was called a conspiracy theorist and a wacko.
‘My website has been banned by Google Ads; I was banned by YouTube for suggesting that cloth masks don’t work, which is now scientifically proven.
‘Now I find I am on a ‘not safe for work’ shadow ban list on Twitter, because I’ve committed the thought crime of being a conservative.’
He added: ‘Tell me again how we live in a free country.’
Raichik, the @LibsOfTikTok founder, told Carlson by phone that she ‘absolutely sensed I was being censored.’
‘I had a very large account. I never was able to trend, and now we find out I was on the trend blacklist.
‘There were sometimes days or weeks at a time where I felt like my tweets were getting much less engagement than usual, than they should.
‘Now it’s clear that there was suppression and shadow banning.’
Raichik added: ‘The craziest part of this whole thing is that they admitted that I’m not even violating the policies, and they still suspended me seven times. Seven times, three of which were for a week at a time.
‘So I was suspended for probably a month altogether – and for what?
‘Not even violating their policies – just because they don’t like their own views. They don’t want you to see it.’
The first tranche of documents, posted by Matt Taibbi last week, detail how Twitter in October 2020 decided to censor the New York Post’s reporting on the contents of Hunter Biden’s laptop.
They feared the contents were obtained through hacking, but had no evidence to prove it, and it quickly emerged that the laptop had simply been left at a repair store.
Jack Dorsey, the then-CEO of Twitter, admitted that censoring the legitimate reporting was a significant error.
Elon Musk, 51, has vowed that ‘everything we find will be released’ as Twitter continues to release the files surrounding Hunter Biden’s laptop scandal
‘If the goal is transparency to build trust, why not just release everything without filter and let people judge for themselves?’ Dorsey wrote on Twitter
Twitter’s new owner and ‘Chief Twit’ Elon Musk on Wednesday claimed the ‘most important’ Twitter data was ‘deleted’ and ‘hidden’ from the Dorsey.
Musk, 51, has vowed that ‘everything we find will be released’ as his newly acquired company continues to release the Twitter Files.
On Wednesday, Dorsey, 46, replied to Musk’s tweet about delaying the second batch of the Twitter Files, calling for the new CEO to ‘release everything’ at once.
‘If the goal is transparency to build trust, why not just release everything without filter and let people judge for themselves? Including all discussions around current and future actions?’ Dorsey wrote.
‘Make everything public now.’
Musk replied that everything would be released, but even the ‘most important data was hidden (from [Dorsey] too) and some may have been deleted.’
Twitter’s general counsel James Baker FIRED for ‘vetting internal files on Hunter Biden laptop scandal and DELAYING release of the second tranche’: Ex-FBI lawyer was James Comey’s deputy and involved in Russian collusion investigation
The delay of the second tranche of Twitter files came after Elon Musk fired James Baker – Twitter’s general counsel and former FBI general counsel – after discovering he vetted the first installment of the Files, which were sent to journalist Matt Taibbi, from Substack, and Common Sense Editor Bari Weiss.
Musk fired Baker ‘in light of concerns about Baker’s possible role in suppressing information important to the public dialogue.’
Taibbi revealed that Baker’s involvement in the first batch of files was ‘without knowledge of new management.’
‘The process for producing the ‘Twitter Files’ involved delivery to two journalists (Bari Weiss and me) via a lawyer close to new management. However, after the initial batch, things became complicated,’ Taibbi wrote on Twitter.
‘Over the weekend, while we both dealt with obstacles to new searches, it was @BariWeiss who discovered that the person in charge of releasing the files was someone named Jim. When she called to ask ‘Jim’s’ last name, the answer came back: ‘Jim Baker.’
Weiss said her ‘jaw hit the floor’ when she found out.
The first batch of files the two journalists received was titled the Spectra Baker Emails.
The first batch of internal documents showed Baker and other executives discussing Twitter’s October 2020 ban on a news report about Hunter’s foreign business deals, based on emails from his abandoned laptop.
Baker, Musk, and the trial of the Democrat lawyer accused of lying to the FBI
James Baker has long been in the crosshairs of Elon Musk.
Baker played a key role in a series of events that led to Democrat lawyer Michael Sussmann going on trial in May, accused of lying to the FBI.
He was not accused of giving the FBI false information, but rather lying about who he worked for.
Elon Musk fired Twitter’s general counsel James Baker (pictured) after discovering he vetted the first installment of the Twitter Files
The saga began when Sussmann was given information from a group of data scientists who analyzed odd internet data they thought might suggest clandestine communications between a server for the Trump Organization and a server for Alfa Bank, a Kremlin-linked Russian financial institution.
Sussmann then texted Baker, at the time the bureau’s general counsel, to say he had information the FBI should be aware of.
‘I’m coming on my own — not on behalf of a client or company — want to help the bureau,’ Sussmann wrote in his text to Baker.
Baker testified that he was certain Sussmann was acting as an individual, and would likely not have met him were he working for the Clinton campaign.
Sussmann, a cybersecurity specialist, had worked for the Democratic Party in the context of Russia’s hacking of its servers, and Russia publishing emails from the servers.
Sussmann was also connected to the Democrats via one of his partners at the law firm Perkins Coie, Marc Elias, who was representing the Clinton campaign and hired Fusion GPS.
Yet multiple people – including Elias – testified that Sussmann was indeed acting on his own accord, and argued that actually going to the FBI was not in the interests of the Clinton campaign, which would have preferred a New York Times story drawing attention to the assertions.
The FBI later decided the allegations of links between the Trump campaign and the Russian bank were unfounded.
Musk tweeted during the trial that he thought Sussmann had ‘created an elaborate hoax’ about Russia, in a bid to help Clinton.
On May 16, staunchly pro-Trump Congressman Jim Jordan tweeted: ‘Christopher Steele created the dossier. Glenn Simpson sold it to the press.
‘Michael Sussman took it to the FBI. And Democrats and the media lied to you about it all.’
Musk then replied in agreement. ‘All true,’ he tweeted on May 20.
‘Bet most people still don’t know that a Clinton campaign lawyer, using campaign funds, created an elaborate hoax about Trump and Russia.
‘Makes you wonder what else is fake.’
On May 31, the jury concluded that Sussmann had not lied to the FBI and cleared him.
On Friday, Taibbi published the batch of internal documents, calling them the ‘Twitter Files,’ which included an exchange between Baker and former VP of Global Comms Brandon Borrman.
Borrman asks, regarding banning an article about Hunter Biden under Twitter’s ‘hacked materials’ policy: ‘Can we truthfully claim that this is part of the policy?’
Baker responded, appearing to argue in favor of maintaining the ban, because ‘caution is warranted.’
At the time, the files were determined to have broken Twitter’s hacked materials policy, but Dorsey has since said the call was a mistake.
Critics accused Twitter of swaying the presidential election toward Biden by covering up the data.
Weiss and Matt Taibbi were tapped by Musk to report on the ‘Twitter Files’
Joseph A. Wulfsohn
Fox News
December 9, 2022
A report highlighting the unprecedented Twitter access Elon Musk is apparently granting to independent journalist Bari Weiss has sparked fury among their critics.
Insider reported Wednesday that Weiss « has been given access to Twitter’s employee systems, added to its Slack, and given a company laptop, » according to sources.
« The level of access to Twitter systems given to Weiss is typically given only to employees, one of the people familiar said, though it doesn’t seem she is actually working at the company, » Insider wrote.
Weiss shared the second installment of the « Twitter Files » on Thursday, which revealed that Twitter took measures to shadow-ban users like Stanford University’s Dr. Jay Bhattacharya, a longstanding opponent of COVID groupthink during the pandemic who expressed opposition to lockdowns, as well as prominent conservatives like Fox News host Dan Bongino and Turning Point USA’s Charlie Kirk.
She also reported that Twitter internally acknowledged that Libs of TikTok, whose account was repeatedly suspended for allegedly violating its « hateful conduct » policy, « has not directly engaged in behavior violative of the Hateful Conduct policy. »
The Insider report noted that Weiss’ Twitter access appears to have gone beyond that given to Matt Taibbi, the Substack journalist who reported on the first installment of the so-called « Twitter Files » last week.
Liberal media critics on Twitter lambasted Musk’s reported move to bring in Weiss while leveling the same public relations accusation against her that they used on Taibbi last week.
« This is all normal stuff if you’re onboarding a new hire to your comms team, » Washington Post tech columnist Taylor Lorenz reacted.
« The most obvious and hilarious PR campaign masquerading as investigative journalism you will ever see, » Vice News correspondent Roberto Aram Ferdman tweeted.
MSNBC columnist Marisa Kabas wrote, « sure sounds like bari weiss is twitter’s new publicist. »
« [S]o bari weiss is doing: a.) an internal witch-hunt for a private company and b.) external PR for said company, » Smithsonian Magazine senior editor Ted Scheinman wrote, adding « no real journalist would agree to this unholy amalgamation. the basest hackery. »
« Weiss is an opinion writer/activist, not an investigative journalist. Her whole MO is to look for stories that might be generally unrepresentative, but reflect her worldview, and not do any additional digging that challenges that worldview. View the scoops that follow accordingly, » Georgetown Professor Don Moynihan slammed the journalist.
Bari Weiss left The New York Times in 2020 to launch her own Substack and podcast, accusing the paper of allowing Twitter to become its « ultimate editor. » (Getty Images/Bari Weiss)
« Hope media folks don’t get duped by this and refer to anything Weiss or Taibbi are doing as journalism or that they are acting in a capacity as journalists, » Yahoo senior editor Steve Mullis tweeted. « It’s extra ironic considering [Elon Musk] rails against ‘unethical journalism’ and yet this is as unethical as it comes. »
Neither Weiss nor Twitter responded to Fox News’ requests for comment.
Weiss is the founder of new media company « The Free Press » and host of the « Honestly » podcast, which she launched following her dramatic exit from The New York Times in 2020 as its opinion page editor.
Musk announced on Tuesday that he had terminated Deputy General Counsel Jim Baker « in light of concerns about Baker’s possible role in suppression of information important to the public dialogue. »
Taibbi subsequently revealed that Baker had vetted the first batch of the « Twitter Files » without Musk’s knowledge.
Taibbi explained, « The process for producing the ‘Twitter Files’ involved delivery to two journalists (Bari Weiss and me) via a lawyer close to new management. However, after the initial batch, things became complicated. Over the weekend, while we both dealt with obstacles to new searches, it was @BariWeiss who discovered that the person in charge of releasing the files was someone named Jim. When she called to ask ‘Jim’s’ last name, the answer came back: ‘Jim Baker.’
« ‘My jaw hit the floor,’ says Weiss, » Taibbi wrote.
Journalist Matt Taibbi revealed the « Twitter Files » revelations one tweet at a time on Friday. (Daniel Zuchnik/WireImage/Getty Images)
The Substack writer then shared a screenshot of first batch of files both he and Weiss received, which were labeled « Spectra Baker Emails. »
« Baker is a controversial figure. He has been something of a Zelig of FBI controversies dating back to 2016, from the Steele Dossier to the Alfa-Server mess. He resigned in 2018 after an investigation into leaks to the press, » Taibbi told his followers. « The news that Baker was reviewing the ‘Twitter files’ surprised everyone involved, to say the least. New Twitter chief Elon Musk acted quickly to ‘exit’ Baker Tuesday. »
Baker did surface in the first installment of the so-called « Twitter Files » shared by Taibbi Friday night.
While revealing internal discussions over how to explain Twitter’s suppression of the Hunter Biden laptop story during the 2020 election, Baker told his colleagues, « I support the conclusion that we need more facts to assess whether the materials were hacked » but added « it’s reasonable for us to assume that they may have been and that caution is warranted. »
Additionally, Taibbi initially reported, « Although several sources recalled hearing about a ‘general’ warning from federal law enforcement that summer about possible foreign hacks, there’s no evidence – that I’ve seen – of any government involvement in the laptop story. »
It is unclear whether Baker’s involvement in vetting the « Twitter Files » led Taibbi to draw that conclusion and whether Baker omitted files that would have shown the federal government intervening in Twitter’s suppression of the Hunter Biden laptop story.
Musk had been vocal about being transparent when it comes to Twitter’s past and present actions when it comes to curating content on the platform, including censored content.
Twitter infamously blocked its users from sharing the New York Post’s reporting of Hunter Biden’s laptop in tweets and in direct messages.
At the time, Twitter Safety alleged that the articles were in violation of its « hacked materials policy. » Twitter’s then-CEO Jack Dorsey admitted his companies actions were a mistake.
Some critics believe the suppression of the Hunter Biden scandal by Big Tech and the media at large was enough to sway the election in favor of his father.
The mistaken claims in 2020 by former spooks about Hunter Biden’s emails framed the social-media site’s decision to block the news.
The Editorial Board
The Wall Street Journal
Dec. 4, 2022
Elon Musk’s release of internal emails relating to Twitter’s 2020 censorship is news by any definition, even if the mainstream media dismiss it. There will be many threads to unspool as more is released, but a couple of points are already worth making.
The first is that Mr. Musk would do the country a favor by releasing the documents all at once for everyone to inspect. So far he’s dribbled them out piecemeal through journalist Matt Taibbi’s Twitter feed, which makes it easier for the media to claim they can’t report on documents because they can’t independently confirm them.
A second point is an huzzah for Rep. Ro Khanna, the California progressive Democrat, who warned Twitter in 2020 about the free-speech implications and political backlash of censoring the New York Post story about Hunter Biden’s laptop. That was good advice, even if Twitter didn’t take it.
A third point is the confirmation of the central role that former spies played in October 2020 in framing the Hunter Biden story in a way that made it easier for Twitter and Facebook to justify their censorship.
Recall that former Democratic intelligence officials James Clapper and John Brennan led the spooks in issuing a public statement suggesting that the laptop may have been hacked and its content was Russian disinformation. On Oct. 16, 2020, Mr. Clapper told CNN that “to me, this is just classic textbook Soviet Russian tradecraft at work.” On Oct. 19, 51 former spooks released their statement claiming that the arrival of the emails “has all the classic earmarks of a Russian information operation.” (The statement and signers are published nearby.)
We now know that the Clapper-Brennan claims were themselves disinformation and that the laptop was genuine and not part of a Russian operation. CBS News recently waddled in two years later with a forensic analysis of its own and concluded it is real.
But the claims by the spies gave an excuse for the media to ignore the Hunter Biden story and even to dismiss Hunter’s former business partner, Tony Bobulinski, who went on the record before the election to confirm much of the content on the laptop with documentation in the form of voluminous text messages.
We examined those messages ourselves at the time, and our Kimberley Strassel spoke with Mr. Bobulinski and put it all on the record before the election. We also wrote an editorial. But nearly all of the rest of the press ignored or trashed the story.
The Twitter documents published by Mr. Taibbi include part of what appears to be a memo from James Baker, the Twitter deputy general counsel. “I support the conclusion that we need more facts to assess whether the materials were hacked. At this stage, however, it is reasonable for us to assume that they may have been and that caution is warranted,” Mr. Baker wrote.
He continued that “there are some facts that indicate that the materials may have been hacked, while there are others indicating that the computer was either abandoned and/or the owner consented to allow the repair shop to access it for at least some purposes. We simply need more information.”
With an election so close, any delay helped the Biden campaign, which was trying to squelch the Hunter Biden story that raised questions about what Joe Biden knew about Hunter’s foreign business dealings. Twitter went ahead and suppressed the story across its platform, going so far as to suspend the New York Post’s Twitter account.
Readers may recall that Mr. Baker was director Jim Comey’s general counsel at the Federal Bureau of Investigation during the Russia collusion fiasco in 2016. He was the main FBI contact for Michael Sussmann, the Clinton campaign lawyer who spread falsehoods about the Trump campaign regarding Alfa Bank, among other things.
Mr. Baker’s ties to the former intelligence officials who signed the “Russian information operation” statement may have influenced his Twitter memo and the censorship decision. All of this is likely to be fodder for House Republican hearings into the FBI’s role in the Hunter Biden story.
The partisan foray by current and former U.S. intelligence officials in the last two elections should be deeply troubling to Americans on the left and right. They have authority by dint of access to information that isn’t confirmable by the press, which takes their spin as gospel. This is a form of political corruption that needs to be exposed, and perhaps the Twitter documents will help to unlock the story.
On the menu today: Elon Musk and Matt Taibbi team up to offer the “Twitter files,” a look inside the internal deliberations at Twitter when it decided to block access to a New York Post story which revealed all kinds of embarrassing and scandalous information found on Hunter Biden’s laptop. You can quibble with Taibbi’s decisions here and there, but overall, the files paint an ugly portrait of a social-media company’s management unilaterally deciding that its role was to keep breaking news away from the public instead of letting people see the reporting and drawing their own conclusions.
Opening the ‘Twitter Files’
The revelations of the “Twitter Files” paint an ugly portrait of the individuals who made decisions about standards of content on Twitter during the 2020 presidential campaign. The company’s senior management — oddly, without consulting or involving CEO Jack Dorsey — basically decided unilaterally that people shouldn’t be allowed to read the New York Post’s article, which laid out emails indicating that Hunter Biden introduced his father, then-Vice President Joe Biden, to a top executive at a Ukrainian energy firm, “less than a year before the elder Biden pressured government officials in Ukraine to fire a prosecutor who was investigating the company.”
Twitter’s new owner, Elon Musk, gave reporter Matt Taibbi access to internal company emails and records, and Taibbi laid out in a series of tweets how the company “took extraordinary steps to suppress the story, removing links and posting warnings that it may be ‘unsafe.’ They even blocked its transmission via direct message, a tool hitherto reserved for extreme cases, e.g. child pornography.”
The reasoning behind the ban of the article was the contention that it included “hacked materials,” even though there was no evidence of hacking. The Post said the information was obtained from a computer that was dropped off at a repair shop in Biden’s home state of Delaware in April 2019 and never reclaimed. This was not electronic theft; this was old-fashioned reporting — and exceptionally bad judgment on Hunter Biden’s part, which at this point shouldn’t seem implausible to anyone.
Note that Twitter made its decision to restrict access to and distribution of the Post story before more than 50 former senior intelligence officials signed a letter contending that the trove of emails from Hunter Biden “has all the classic earmarks of a Russian information operation.” (In retrospect, the characterization of it as an “information operation” instead of a “disinformation operation” was a revealing admission.)
That letter was an extraordinarily irresponsible act by the likes of Jim Clapper, Michael Hayden, Leon Panetta, John Brennan, et. al., because it assumed facts not in evidence, and effectively cashed in on the reputations of those former intelligence officials to persuade the American public to believe something that wasn’t true. Many Americans likely believed that former CIA staff would know something about Russian operations that the rest of us didn’t.
But Twitter’s management can’t pass the buck to those former intelligence officials, because the company made its decision to block access to the Post’s story five days before their letter was published.
I suppose the revelations of the Twitter Files could have been even worse if the Biden campaign or someone in the government had somehow “ordered” Twitter’s management to take these drastic measures. But it’s still atrocious that just about all of Twitter’s management believed its role was to keep news away from the public instead of letting people see the Post’s reporting and draw their own conclusions.
Recall how Twitter touted its purpose back in 2016: “Twitter connects you with the people you’re interested in — whether that’s someone across the world who shares your love for science-fiction, your friends and family, a politician, or your local sports team.”
If, from the beginning, Twitter had declared that, “We are a progressive company, and we are only interested in connecting progressives with other progressives, and we will suspend the accounts of conservative users with little warning and with vague explanations, and we will block the public’s ability to see news that we think might make them want to vote against Democrats,” well, at least then it would have been honest, and most conservatives never would have bothered to set up accounts on Twitter.
You notice that you don’t see many conservatives complaining that they’re being shut out of Mastodon, the social-media network that many progressives flocked to after Elon Musk purchased Twitter. If progressives want to set up their own online community that conservatives can’t join, that’s their right.
This was one of the complications of the “Twitter is a private company, so they can set whatever rules they like” argument. Twitter changed the deal, so to speak, after it had obtained significant authority over a chunk of online public discourse. Twitter attracted its large user base by being seeming politically neutral, and then gradually ratcheted up its attitudes of limiting and suppressing conservative speech.
Perhaps the lone pleasant surprise in the Twitter Files is Democratic congressman Ro Khanna of California, who reached out to Twitter’s head of legal, policy, and trust, Vijaya Gadde, and tried to gently nudge the company away from its censorious actions. Khanna described himself as a “total Biden partisan,” said he was convinced that Joe Biden had done nothing wrong, and characterized the New York Post as “far right.” (Eh, right of center, pugnacious, populist, tabloid, yes. Far-right, no.)
But credit Khanna for being the only figure to point out that, “This seems a violation of the First Amendment principles. . . . A journalist should not be held accountable for the illegal actions of the source unless they actively aided the hack. So, to restrict the distribution of that material, especially regarding a presidential candidate, seems not in the keeping of [the Supreme Court case] New York Times vs. Sullivan.” Khanna added that, “In the heat of a presidential campaign, restricting dissemination of newspaper articles (even if NY Post is far right) seems like it will invite more backlash than it will do good.”
You can find quibbles and beefs with the way Musk and Taibbi handled the story. There was no need to post the email addresses of figures such as Khanna. There are one or two spots where Taibbi’s characterization isn’t as clear as it ought to be, such as when he wrote, “By 2020, requests from connected actors to delete tweets were routine. One executive would write to another: ‘More to review from the Biden team.’ The reply would come back: ‘Handled.’” Apparently, four of the five tweets in the example Taibbi pointed to included nude photos, which seems like an important detail. Most of us would agree there is a substantive difference between “please remove these nude photos of my son that he did not consent to have released or published” and “please remove this information about my son’s business deals with shady foreign figures that is embarrassing to me and my campaign.”
It would have been helpful to have all of this laid out in one document instead of a long series of tweets, and links to source documents also would have helped paint the fullest picture possible.
Yesterday, Howard Kurtz was kind enough to have me appear on his MediaBuzz program on Fox News Channel, and my co-panelist insisted that there was nothing significant in the Twitter files. Curiously, this is a defense — “None of this matters!” — that not even Twitter CEO Jack Dorsey was willing to attempt, either in November 2020 or in hearings the following March. Dorsey said after the election that his team made the wrong decision:
We recognize it as a mistake that we made, both in terms of the intention of the policy and also the enforcement action of not allowing people to share it publicly or privately. . . . We made a quick interpretation, using no other evidence, that the materials in the article were obtained through hacking and, according to our policy, we blocked them from being spread.
When a social-media company decides to block access to a news article out of ideological and political loyalties, that’s newsworthy and consequential, and it’s worth asking, “How did this happen? Who made the decisions that led to this point?”
Former New York Times columnist Bari Weiss released the second installment of the “Twitter Files” on Thursday night, sharing images of accounts that Twitter allegedly placed on various types of “blacklists.”
Weiss posted several images of what appears to be an internal Twitter system that marked certain accounts as being under various kinds of “blacklists,” in addition to flagging other information about the accounts.
Jay Bhattacharya, a health policy professor from Stanford University who opposed COVID-19 lockdowns, appeared to have been placed on a “Trends Blacklist,” as was the right-wing Libs of TikTok account, according to the photos.
The account of conservative commentator Dan Bongino was apparently placed on a “Search Blacklist,” while the photos seemed to show Turning Point USA President Charlie Kirk had his account marked as “Do Not Amplify.”
The images also appeared to show that several of the accounts had been flagged with “Recent Abuse Strike” and that more basic information, such as when the accounts were “Twitter Blue Verified” or “High Profile,” had also been noted.
Weiss also shared purported screenshots of internal messages from Yoel Roth, Twitter’s former head of safety and integrity, including one in which he appeared to ask for research on “non-removal policy interventions like disabling engagements and deamplification/visibility filtering.”
Weiss’s Twitter thread is the second installment in what Twitter CEO Elon Musk has dubbed the “Twitter Files.” The first installment, released by independent journalist Matt Taibbi, appeared to show an internal debate at the social media company over how to handle a New York Post story about Hunter Biden.
While the first installment of the “Twitter Files” sparked outrage across right-wing outlets, it seemed to fall flat otherwise, with some criticizing the release for failing to deliver groundbreaking revelations.
The release of the “Twitter Files” comes just over a month after Musk acquired the social media company. The billionaire, who promised to reshape Twitter into a “free speech” platform, shared the trove of internal documents with Weiss and Taibbi in an apparent effort to show that content moderation under the previous management was biased against the political right.
We are disturbed by the day’s events in Washington, D.C. and request three actions of Staff: 1. Permanently suspend @realDonaldTrump over his actions on January 62. Provide a clear account of the day’s decision making process regarding the President’s tweets 3. An investigation into the last several years of corporate actions that led to Twitter’s role in today’s insurrection
For the last four years, we have watched right wing extremists grow on our platform, nurtured by @realDonaldTrump. We have seen Twitter leadership struggle to deal with the violent, hateful rhetoric shared by @realDonaldTrump. We have respected those decisions and had faith in those who make them, knowing that settling policy around hate speech and misinformation is nuanced and difficult. We appreciate stronger measures, like the interstitials recently used on his account and his Jan. 6 timeout.
We do not believe these actions are sufficient. Trump is no longer a legitimate democratic actor. In a video posted on Twitter, he called the election “fraudulent” and a “landslide” in his favor, while referring to his loyalists as “very special” even as they broke into the Capitol building and clashed with police. At no point did the outgoing President unambiguously denounce their actions.
We must examine Twitter’s complicity in what President-Elect Biden has rightly termed insurrection. Those acts jeopardize the wellbeing of the United States, our company, and our employees.
First, we request that @realDonaldTrump’s account be suspended permanently, before he can further harm using our platform.
Second, we request more transparent internal communications around Twitter’s civic integrity policy and how it applied.
Third, we request an independent investigation into Twitter’s role in these events. Despite our efforts to serve the public conversation, as Trump’s megaphone, we helped fuel the deadly events of January 6th. We request an investigation into how our public policy decisions led to the amplification of serious anti-democratic threats. We must learn from our mistakes in order to avoid causing future harm.
We play an unprecedented role in civil society and the world’s eyes are upon us. Our decisions this week will cement our place in history, for better or worse.
We do not claim to speak for any other Tweeps than those who add their names here.
The Undersigned
Twitter bans Trump’s account, citing risk of further violence
The suspension amounted to a historic rebuke for a president who had used the social media site to rise to political prominence
Nitasha Tiku, Tony Romm and Craig Timberg
The Washington Post
January 8, 2021
Twitter on Friday banned President Trump from its site, a punishment for his role in inciting violence at the U.S. Capitol this week, robbing him of the megaphone he used to communicate directly with more than 88 million supporters and critics.
The move amounted to a historic rebuke for a president who had used the social-networking site to fuel his rise to political prominence. Twitter has been Trump’s primary communication tool to push policies, drive news cycles, fire officials, spread falsehoods, savage opponents and praise allies.
A defiant Trump lashed out in response late Friday, accusing Twitter in a statement of having “coordinated with the Democrats and the Radical Left” to remove his account. He threatened regulation, promising a “big announcement” to come, and said he is looking “at the possibilities of building out our own platform in the near future!” The official account for the presidency, @POTUS, also tweeted that message, although the posts were quickly taken down by Twitter.
Twitter had resisted taking action against Trump for years, even as critics called on the company to suspend him, arguing that a world leader should be able to speak to his or her citizens unfettered. But Trump’s escalating tweets casting doubt on the 2020 election — and the riot at the U.S. Capitol his comments helped inspire — led the company to reverse course.
Twitter specifically raised the possibility that Trump’s recent tweets could mobilize his supporters to commit acts of violence around President-elect Joe Biden’s inauguration, an analysis that experts saw as a major expansion in the company’s approach to moderating harmful content online. Its action meant Trump’s tweets disappeared from the site, removing the catalogue of his thoughts except for those preserved by researchers and other documentarians.
The move was especially remarkable for a company that once called itself “the free speech wing of the free speech party.” Many observers noted that this most aggressive enforcement action in Twitter’s history came in the week that political power shifted decisively in Washington, toward Democrats who long have demanded greater policing of hate speech and violent talk on social media — and away from a president and party who long had made effective use of the more freewheeling policies of the past.
“It took blood and glass in the halls of Congress — and a change in the political winds — for the most powerful tech companies in the world to recognize, at the last possible moment, the profound threat of Donald Trump,” said Sen. Richard Blumenthal (D-Conn.), a longtime critic of tech company policies.
Twitter cited two Trump tweets. One stated that the 75 million who voted for him were “American Patriots” who will “not be disrespected or treated unfairly in any way, shape or form!!!” He then announced he would not go to Biden’s swearing-in ceremony later this month.
In a blog post, the company said the two messages violated its policy against glorification of violence since they “could inspire others to replicate violent acts” that took place at the U.S. Capitol on Wednesday. According to Twitter, his second tweet could be read by followers as an encouragement to commit violence during the inauguration, which “would be a ‘safe,’ target as he will not be attending.”
After close review of recent Tweets from the @realDonaldTrump account and the context around them we have permanently suspended the account due to the risk of further incitement of violence.https://t.co/CBpE1I6j8Y
In doing so, Twitter joined Facebook in punishing the president in the waning hours of his first term. Facebook said Thursday its suspension is indefinite, lasting at least the next two weeks, citing a similar belief that the risks are “simply too great” at a moment of transition for the country. Both tech giants previously joined Google-owned YouTube in removing or limiting access to Trump’s posts, including a video he shared earlier this week that once again advanced widely disproved falsehoods about the validity of the 2020 vote.
The White House did not immediately respond to a request for comment. But Trump appeared to try to defy Twitter’s ban by using @POTUS, and later his @TeamTrump campaign account, both of which were suspended.
“We will not be SILENCED!” @POTUS tweeted before it was taken down. The president also charged that in a statement.
Twitter’s punishment is the harshest judgment the site has at its disposal. It appeared to be the first time the company had taken such an action since instituting a broad policy around world leaders last year, illustrating the slow shift in Silicon Valley as the country’s most popular, prominent platforms grew more comfortable in taking on Trump.
Facebook, for example, had its first of many furious internal debates over how to handle Trump in December 2015, when as a presidential candidate he posted a video in which he said he wanted to ban all Muslims from entering the United States. Many employees called it obvious hate speech, but top executives chose to defer, by creating an exemption for content they deemed “newsworthy.”
The challenges kept coming as Trump’s presidency and rhetoric brought to mainstream attention right-wing ideas once considered beyond the fringe of appropriate political rhetoric. A particularly explosive flash point for both Twitter and Facebook came in May, when Trump called protesters after the killing of unarmed Black man George Floyd “THUGS” in social media posts. In response, Twitter opted to label Trump’s tweet as harmful and hide it from public view — and Facebook petitioned for Trump to change his tone in private.
The shift within Silicon Valley began even before that as the coronavirus swept through the world last year, and the stakes of the rampant lies and misinformation on social media platforms were underscored by a rising body count as Trump and others denied the severity of the pandemic. Facebook, Twitter, YouTube and others all took action against viral falsehoods that were clearly contrary to science. Not long after, they dramatically stiffened policies against conspiracy theories, such as QAnon, and the rise of dangerous armed groups, such as the boogaloo, born of largely unrestricted online worlds.
As the national election approached last fall, disinformation researchers, Democrats and civil rights activists demanded tougher action from tech companies whose platforms hosted and spread falsehoods. They gained some traction, but at a time when Trump and other Republicans were loudly claiming that they were being discriminated against by Silicon Valley, critics said it was not nearly enough.
Rashad Robinson, the president of Color of Change, a civil rights group that has been pushing social media companies to police Trump’s behavior more aggressively, fretted on Friday that it took too long for Twitter and its peers to act given the president’s past missteps — and their potential to have touched off real-world violence.
“But kicking him off of Twitter, so he can’t spread disinformation and incite the public, is huge,” he said. “This is way too late, but I do not underestimate or undersell the significance of what this means moving forward without him having a direct line to reach an audience any time that he wanted to.”
In considering how his supporters might read and interpret his messages, Twitter also potentially opened the door for the company to take a more aggressive approach on other content, including tweets from political leaders in the future, experts said.
“That’s a standard that’s never existed,” said Alex Stamos, a former Facebook chief security officer, now head of the Stanford Internet Observatory, a disinformation research group. “The ‘impact’ standard has never existed.”
Stamos added that Twitter’s action — and Facebook’s recent enforcement efforts — meant that “the right-wing social media ecosystem in America has been shattered.”
The move comes amid a wave of criticism from Democratic lawmakers and Twitter’s own employees, who demanded in a letter written this week that the company’s leaders permanently suspend Trump’s account. In an internal letter addressed to chief executive Jack Dorsey and his top executives viewed by The Washington Post, roughly 350 Twitter employees requested an investigation into the past several years of corporate actions that led to Twitter’s role in the riot.
“Despite our efforts to serve the public conversation, as Trump’s megaphone, we helped fuel the deadly events of January 6th,” the employees wrote. “We request an investigation into how our public policy decisions led to the amplification of serious anti-democratic threats. We must learn from our mistakes in order to avoid causing future harm.”
“We play an unprecedented role in civil society and the world’s eyes are upon us. Our decisions this week will cement our place in history, for better or worse,” the employees added.
In a statement earlier Friday, Twitter spokesperson Brandon Borrman wrote, “Twitter encourages an open dialogue between our leadership and employees, and we welcome our employees expressing their thoughts and concerns in whichever manner feels right to them.”
The letter from the Twitter employees is addressed to “Staff,” company lingo for C-suite executives who report directly to Dorsey, including Vijaya Gadde, who leads the company’s legal, policy, and trust and safety divisions. During a virtual meeting on Friday afternoon, Dorsey and Gadde shared their thoughts on Twitter’s response, according to an employee, who spoke on the condition of anonymity for fear of retaliation.
Silicon Valley also took fresh aim Friday at a bevy of other sites and services where Trump’s supporters have congregated. That includes the new social media service Parler, which became popular with the president’s allies in the wake of the 2020 election.
Amid a flood of misinformation — and threats of violence in the wake of the Capitol riot — Google on Friday removed the app from its hub for downloads, called the Play Store. Apple also warned Parler that it could be removed from its App Store, the sole portal through which iPhone and iPad users can obtain such software, if it didn’t remove posts inciting violence and put in place a stronger content moderation system, according to an email obtained by BuzzFeed News.
Parler prides itself on only loosely policing posts on its site, saying it removes only what is illegal or not protected by the First Amendment. After the attack on the Capitol this week, posts on the site voiced support for the rioters and calls to keep fighting. Trump, however, does not currently have an account on Parler.
Parler chief executive John Matze appeared to address the Apple news on his Parler page Friday, writing “We will not cave to pressure from anti-competitive actors!”
Twitter’s move did cause unease in another quarter: Researchers have long complained that when the company suspends a user, valuable records of online conversations essentially vanish into thin air, making it nearly impossible to later reconstruct them — something particularly consequential when a platform is the primary means of communication for a U.S. president.
“It has implications from a historical point of view,” said Darren Linvill, lead researcher for the Clemson University Media Forensics Hub. “If you are the national conversation, they just sucked a big part of the national conversation away.”
Rachel Lerman and Gerrit De Vynck contributed to this report.
There continues to be meaningful public conversation about how we think about Tweets from world leaders on our service. We welcome the conversation and want to share more context on our principles and process for reviewing reported Tweets from these accounts.
Context
When it comes to the actions of world leaders on Twitter, we recognize that this is largely new ground and unprecedented. We understand the desire for our decisions to be “yes/no” binaries, but it’s not that simple. The actions we take and policies we develop will set precedent around online speech and we owe it to the people we serve to be deliberate and considered in what we do.
Our mission is to provide a forum that enables people to be informed and to engage their leaders directly. We also have a responsibility to the people who use Twitter to better explain why we make the decisions we make, which we will do here.
Our approach
Everything we do starts with an understanding of our purpose and of the service we provide: a place where people can participate in public conversation and get informed about the world around them.
We assess reported Tweets from world leaders against the Twitter Rules, which are designed to ensure people can participate in the public conversation freely and safely.
We focus on the language of reported Tweets and do not attempt to determine all potential interpretations of the content or its intent.
Presently, direct interactions with fellow public figures, comments on political issues of the day, or foreign policy saber-rattling on economic or military issues are generally not in violation of the Twitter Rules.
However, if a Tweet from a world leader does violate the Twitter Rules but there is a clear public interest value to keeping the Tweet on the service, we may place it behind a notice that provides context about the violation and allows people to click through should they wish to see the content. We announced this in June.
Enforcement scenarios
We want to make it clear today that the accounts of world leaders are not above our policies entirely. The below areas will result in enforcement action for any account on our service (without consideration of the potential public interest value in allowing the Tweet to remain visible behind a notice):
Clear and direct threats of violence against an individual (context matters: as noted above, direct interactions with fellow public figures and/or commentary on political and foreign policy issues would likely not result in enforcement);
Posting private information, such as a home address or non-public personal phone number;
In other cases involving a world leader, we will err on the side of leaving the content up if there is a clear public interest in doing so.
With critical elections and shifting political dynamics around the world, we recognize that we’re operating in an increasingly complex and polarized political culture. These are constantly evolving challenges and we’ll keep our policies and approach under advisement, particularly as we learn more about the relationship between Tweets from world leaders and the potential for offline harm.
This post seeks to provide clear insight into how we address content from world leaders on Twitter today, and will serve as our statement on the decisions we make, rather than our teams providing feedback on individual Tweets and decisions. We’ve also updated our dedicated Help Center page to provide a significantly more detailed breakdown of how we make decisions regarding the use of the public interest notice.
Our goal is to enforce our rules judiciously and impartially. In doing so, we aim to provide direct insight into our enforcement decision-making, to serve public conversation, and protect the public’s right to hear from their leaders and to hold them to account.
La crise consiste justement dans le fait que le vieux meure et que le neuf ne peut apparaitre. Gramsci
La souveraineté appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice.Constitution française (article 3)
Le Président de la République (…) assure et est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités. Constitution française (article 5)
Un peuple connait, aime et défend toujours plus ses moeurs que ses lois. Montesquieu
L’essentiel est d’être bon aux gens avec qui l’on vit. (…) Défiez-vous de ces cosmopolites qui vont chercher au loin dans leurs livres des devoirs qu’ils dédaignent de remplir autour d’eux. Tel philosophe aime les Tartares, pour être dispensé d’aimer ses voisins. Rousseau
La thèse d’Inglehart sur la révolution silencieuse se concentre sur le changement de valeur sur le pôle gauche du spectre politique, en omettant la droite. Dans plusieurs de ses publications, Ronald Inglehart soutient qu’une nouvelle dimension matérialiste/postmatérialiste façonne les attitudes politiques en Occident et au Japon. L’émergence d’un nouvel ensemble de valeurs qui met l’accent sur des valeurs non matérialistes (telles que la liberté, la participation, la réalisation de soi) a donné naissance à la Nouvelle Politique. Pour Inglehart, ce changement du système de valeurs vers une augmentation régulière et progressive du postmatérialisme affecte les préférences partisanes. En particulier, les postmatérialistes penchent massivement en faveur des partis de gauche. En d’autres termes, le changement de valeur a produit de nouveaux alignements politiques et de nouveaux mouvements politiques sur le côté gauche du spectre politique. (…) L’incohérence de la thèse d’Inglehart avec la montée des partis d’extrême droite est encore plus déconcertante. Pourquoi, à une époque de montée du postmatérialisme et de croissance économique, trouvons-nous un nombre croissant d’électeurs de droite ? Et pourquoi l’affirmation de la nouvelle politique n’a-t-elle pas réduit l’espace de l’extrême droite ? Notre hypothèse est que, parallèlement à la diffusion du postmatérialisme, dans les pays occidentaux dans les années 1980, un climat culturel et politique différent, partiellement stimulé par la même « Nouvelle politique », a également pris racine. Ce changement de croyances et d’attitudes s’est partiellement exprimé dans le soi-disant néoconservatisme (et a été partiellement interprété par les partis conservateurs). Mais, dans une large mesure, il est resté souterrain jusqu’à la montée récente des PED. Un tel creuset souterrain d’attitudes et de sentiments comprend l’émergence de nouvelles priorités et questions non traitées par les partis établis, une désillusion à l’égard des partis en général, un manque croissant de confiance dans le système politique et ses institutions, et un pessimisme général quant à l’avenir. En un sens, on pourrait dire que les Verts et les PED sont respectivement les enfants légitimes et les enfants indésirables de la Nouvelle Politique ; comme les Verts sortent de la révolution silencieuse, les PED dérivent d’une réaction à celle-ci, une sorte de « contre-révolution silencieuse ».Piero Ignazi (1992)
Un des grands problèmes de la Russie – et plus encore de la Chine – est que, contrairement aux camps de concentration hitlériens, les leurs n’ont jamais été libérés et qu’il n’y a eu aucun tribunal de Nuremberg pour juger les crimes commis. Thérèse Delpech (2005)
La propagande russe présente la Russie comme un État menacé qui a besoin de toute urgence de « garanties de sécurité » de la part de l’Occident. (…) [Mais] il y a actuellement plus d’ogives nucléaires stockées en Russie que dans l’ensemble des trois États membres de l’OTAN dotés d’armes nucléaires : les États-Unis, le Royaume-Uni et la France. Moscou dispose d’un large éventail de vecteurs pour ses milliers d’armes nucléaires : des missiles balistiques intercontinentaux aux bombardiers de longue portée en passant par les sous-marins nucléaires. La Russie possède l’une des trois armées conventionnelles les plus puissantes du monde, ainsi qu’un droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU. La Fédération de Russie est donc l’un des États les plus protégés du monde sur le plan militaire. Le Kremlin utilise des troupes régulières et irrégulières, ainsi que le potentiel de sa menace nucléaire, pour mener diverses guerres et occuper de manière permanente plusieurs territoires dans les anciennes Républiques soviétiques. Non seulement en Europe orientale, mais aussi en Europe occidentale et sur d’autres continents, le Kremlin revendique sans complexe des droits spéciaux pour faire valoir ses intérêts sur le territoire d’États souverains. Contournant les règles, les traités et les organisations internationales, Moscou chasse des ennemis dans le monde entier. Le Kremlin tente de saper les processus électoraux, l’État de droit et la cohésion sociale dans des pays étrangers par des campagnes de propagande, des fake news et des attaques de pirates informatiques, entre autres. Ces agissements sont réalisés en partie en secret, mais dans le but évident d’entraver ou de discréditer la prise de décision démocratique dans les États pluralistes. Il s’agit en particulier de porter atteinte à l’intégrité politique et territoriale des États post-soviétiques en voie de démocratisation. En tant que première puissance économique d’Europe, l’Allemagne observe ces activités d’un œil critique, mais reste largement passive, depuis maintenant trois décennies. (…) En outre, la politique étrangère et la politique économique de Berlin ont contribué à l’affaiblissement politique et économique des pays d’Europe orientale non dotés d’armes nucléaires et au renforcement géo-économique d’une superpuissance nucléaire de plus en plus expansive. En 2008, l’Allemagne a joué un rôle central pour empêcher la Géorgie et l’Ukraine de rejoindre l’OTAN. (…) Pour les relations ukraino-russes déjà fragiles, la mise en service du premier gazoduc Nord Stream en 2011-2012, totalement superflu en termes énergétiques et économiques, a été une catastrophe. Rétrospectivement, cela semble avoir ouvert la voie à l’invasion de l’Ukraine par la Russie deux ans plus tard. Une grande partie de la capacité existante de transport de gaz entre la Sibérie et l’UE n’a pas été utilisée en 2021. Pourtant, la République fédérale se prépare maintenant à éliminer complètement le dernier levier économique de l’Ukraine sur la Russie avec l’ouverture du gazoduc Nord Stream 2 (…) L’attaque de Poutine contre l’Ukraine en 2014 apparaît comme une conséquence presque logique de la passivité politique allemande des vingt années précédentes vis-à-vis du néo-impérialisme russe. (…) Le Kremlin remet désormais aussi en question la souveraineté politique de pays comme la Suède et la Finlande. Il demande l’interdiction d’une éventuelle adhésion à l’OTAN non seulement pour les pays post-soviétiques mais aussi pour les pays scandinaves. Le Kremlin fait peur à toute l’Europe en lui promettant des réactions « militaro-techniques » au cas où l’OTAN ne répondrait pas « immédiatement », selon Poutine, aux exigences démesurées de la Russie visant à réviser l’ordre de sécurité européen. La Russie brandit la menace d’une escalade militaire si elle n’obtient pas de « garanties de sécurité », c’est-à-dire l’autorisation pour le Kremlin de suspendre le droit international en Europe. (…) Les crimes perpétrés par l’Allemagne nazie sur le territoire de l’actuelle Russie en 1941-1944 ne peuvent justifier l’attitude réservée de l’Allemagne d’aujourd’hui face au revanchisme et au nihilisme juridique international du Kremlin. Lettre ouverte de 73 experts allemands (Die Zeit, 14 janvier 2022)La propagande russe présente la Russie comme un État menacé qui a besoin de toute urgence de « garanties de sécurité » de la part de l’Occident. (…) [Mais] il y a actuellement plus d’ogives nucléaires stockées en Russie que dans l’ensemble des trois États membres de l’OTAN dotés d’armes nucléaires : les États-Unis, le Royaume-Uni et la France. Moscou dispose d’un large éventail de vecteurs pour ses milliers d’armes nucléaires : des missiles balistiques intercontinentaux aux bombardiers de longue portée en passant par les sous-marins nucléaires. La Russie possède l’une des trois armées conventionnelles les plus puissantes du monde, ainsi qu’un droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU. La Fédération de Russie est donc l’un des États les plus protégés du monde sur le plan militaire. Le Kremlin utilise des troupes régulières et irrégulières, ainsi que le potentiel de sa menace nucléaire, pour mener diverses guerres et occuper de manière permanente plusieurs territoires dans les anciennes Républiques soviétiques. Non seulement en Europe orientale, mais aussi en Europe occidentale et sur d’autres continents, le Kremlin revendique sans complexe des droits spéciaux pour faire valoir ses intérêts sur le territoire d’États souverains. Contournant les règles, les traités et les organisations internationales, Moscou chasse des ennemis dans le monde entier. Le Kremlin tente de saper les processus électoraux, l’État de droit et la cohésion sociale dans des pays étrangers par des campagnes de propagande, des fake news et des attaques de pirates informatiques, entre autres. Ces agissements sont réalisés en partie en secret, mais dans le but évident d’entraver ou de discréditer la prise de décision démocratique dans les États pluralistes. Il s’agit en particulier de porter atteinte à l’intégrité politique et territoriale des États post-soviétiques en voie de démocratisation. En tant que première puissance économique d’Europe, l’Allemagne observe ces activités d’un œil critique, mais reste largement passive, depuis maintenant trois décennies. (…) En outre, la politique étrangère et la politique économique de Berlin ont contribué à l’affaiblissement politique et économique des pays d’Europe orientale non dotés d’armes nucléaires et au renforcement géo-économique d’une superpuissance nucléaire de plus en plus expansive. En 2008, l’Allemagne a joué un rôle central pour empêcher la Géorgie et l’Ukraine de rejoindre l’OTAN. (…) Pour les relations ukraino-russes déjà fragiles, la mise en service du premier gazoduc Nord Stream en 2011-2012, totalement superflu en termes énergétiques et économiques, a été une catastrophe. Rétrospectivement, cela semble avoir ouvert la voie à l’invasion de l’Ukraine par la Russie deux ans plus tard. Une grande partie de la capacité existante de transport de gaz entre la Sibérie et l’UE n’a pas été utilisée en 2021. Pourtant, la République fédérale se prépare maintenant à éliminer complètement le dernier levier économique de l’Ukraine sur la Russie avec l’ouverture du gazoduc Nord Stream 2 (…) L’attaque de Poutine contre l’Ukraine en 2014 apparaît comme une conséquence presque logique de la passivité politique allemande des vingt années précédentes vis-à-vis du néo-impérialisme russe. (…) Le Kremlin remet désormais aussi en question la souveraineté politique de pays comme la Suède et la Finlande. Il demande l’interdiction d’une éventuelle adhésion à l’OTAN non seulement pour les pays post-soviétiques mais aussi pour les pays scandinaves. Le Kremlin fait peur à toute l’Europe en lui promettant des réactions « militaro-techniques » au cas où l’OTAN ne répondrait pas « immédiatement », selon Poutine, aux exigences démesurées de la Russie visant à réviser l’ordre de sécurité européen. La Russie brandit la menace d’une escalade militaire si elle n’obtient pas de « garanties de sécurité », c’est-à-dire l’autorisation pour le Kremlin de suspendre le droit international en Europe. (…) Les crimes perpétrés par l’Allemagne nazie sur le territoire de l’actuelle Russie en 1941-1944 ne peuvent justifier l’attitude réservée de l’Allemagne d’aujourd’hui face au revanchisme et au nihilisme juridique international du Kremlin. Lettre ouverte de 73 experts allemands (Die Zeit, 14 janvier 2022)
Bien sûr, nous sommes résolument cosmopolites. Bien sûr, tout ce qui est terroir, béret, bourrées, binious, bref franchouillard ou cocardier, nous est étranger, voire odieux. Bernard-Henri Lévy
Je n’oublie pas d’où je viens. Je ne suis pas l’enfant naturel de temps calme de la vie politique. Je suis le fruit d’une forme de brutalité de l’histoire, d’une effraction parce que la France était malheureuse et inquiète, si j’oublie tout cela, ce sera le début de l’épreuve. Emmanuel Macron
Poutine a eu le plus de succès, paradoxalement, dans les domaines de l’économie et de la politique, où l’Occident pensait que son pouvoir était le plus fort. (…) Menés par la Chine et rejoints par l’Inde et le Brésil, les pays du monde entier choisissent le commerce avec la Russie (…) Depuis que le dirigeant russe a attaqué la Géorgie en 2008, les dirigeants occidentaux ont constamment mal interprété et sous-estimé la menace que représentent les puissances révisionnistes (Chine, Russie et Iran) [en] Géorgie, Crimée, mer de Chine méridionale et au Moyen-Orient. Tactiquement, M. Poutine veut absorber autant d’Ukraine que possible, mais cette guerre ne concerne pas vraiment quelques tranches du Donbass. Stratégiquement, MM. Poutine, Xi et leurs acolytes iraniens cherchent à détruire ce qu’ils considèrent comme une hégémonie mondiale dirigée par les Américains et dominée par l’Occident. Ils estiment que malgré ses atouts imposants (les pays du G-7 représentent 45 % du produit intérieur brut mondial et 52 % des dépenses militaires mondiales), cet ordre est décadent et vulnérable. (…) Alors que la sagesse conventionnelle occidentale croit que l’élément « basé sur les valeurs » de la politique étrangère américaine et européenne est une source vitale de force dans le monde, les révisionnistes croient que le narcissisme et l’aveuglement occidentaux ont conduit les puissances occidentales dans un piège historique. (…) Les défenseurs conventionnels de l’ordre mondial occidental répliquent en vantant son attachement à des valeurs universelles telles que les droits de l’homme et la lutte contre le changement climatique. L’ordre mondial actuel peut, reconnaissent-ils, être historiquement enraciné dans la puissance impériale occidentale, mais en tant qu’« empire de valeurs », l’ordre mondial occidental mérite le soutien de tous ceux qui se soucient de l’avenir de l’humanité. Malheureusement, le programme de valeurs de plus en plus « woke » de l’Occident n’est pas aussi crédible ou aussi populaire que l’espèrent les libéraux. (…) De nombreuses valeurs chères au cœur des leaders culturels occidentaux (droits LGBTQ, avortement à la demande, liberté d’expression comprise comme autorisant la pornographie incontrôlée sur Internet) intriguent et offensent des milliards de personnes dans le monde qui n’ont pas suivi les modes actuelles sur les campus américains. Les tentatives des institutions financières et des régulateurs occidentaux de bloquer le financement de l’extraction et du raffinage des combustibles fossiles dans les pays en développement exaspèrent à la fois les élites de là-bas et le grand public. De plus, le nouveau programme de valeurs post-judéo-chrétiennes de l’Occident libéral divise l’Occident. Les guerres culturelles chez nous ne favorisent pas l’unité à l’étranger. Si M. Biden, avec le soutien du Parlement européen, fait de l’avortement à la demande un élément clé de l’agenda des valeurs de l’ordre mondial, il est plus susceptible d’affaiblir le soutien américain à l’Ukraine que d’unir le monde contre M. Poutine. La confusion morale et politique de l’Occident contemporain est l’arme secrète qui, selon les dirigeants de la Russie et de la Chine, mettra à genoux l’ordre mondial américain. MM. Poutine et Xi pourraient avoir tort ; et on l’espère bien. Mais leur pari sur la décadence occidentale porte ses fruits depuis plus d’une décennie. La survie occidentale et l’épanouissement mondial nécessitent plus de réflexion et des changements plus profonds que ce que peuvent actuellement imaginer l’administration Biden et ses alliés européens. Walter Russell Mead
Je dis depuis quinze ans qu’il y a un éléphant malade (la classe moyenne) dans le magasin de porcelaine (l’Occident) et qu’on m’explique qu’il n’y a pas d’éléphant. Les « gilets jaunes » correspondent effectivement à la sociologie et à la géographie de la France périphérique que j’observe depuis des années. Ouvriers, employés ou petits indépendants, ils ont du mal à boucler leurs fins de mois. Socialement précarisées, ces catégories modestes vivent dans les territoires (villes, moyennes ou petites, campagnes) qui créent le moins d’emplois. Ces déclassés illustrent un mouvement enraciné sur le temps long : la fin de la classe moyenne dont ils formaient hier encore le socle. (…) Du paysan historiquement de droite à l’ouvrier historiquement de gauche, les « gilets jaunes » constatent que le modèle mondialisé ne les intègre plus. Ils roulent en diesel parce qu’on leur a dit de le faire, mais se font traiter de pollueurs par les élites des grandes métropoles. Alors que le monde d’en haut réaffirme sans cesse son identité culturelle (la ville mondialisée, le bio, le vivre-ensemble…), les « gilets jaunes » n’entendent pas se plier au modèle économique et culturel qui les exclut. (…) Plus que l’exclusion des plus modestes, c’est d’abord la sécession du monde d’en haut qui a joué. La rupture entre le haut et le bas de la société se creuse à mesure que les élites ostracisent le peuple. Macron a beau avoir fait le bon diagnostic quand il a déclaré : « Je n’ai pas réussi à réconcilier le peuple français avec ses dirigeants », son camp s’est empressé de traiter les « gilets jaunes » de racistes, d’antisémites et d’homophobes. Ça ne favorise pas la réconciliation ! Pourtant majoritaire, puisqu’elle constitue 60 % de la population, la France périphérique est rejetée par le monde d’en haut qui ne se reconnaît plus dans son propre peuple. L’importance du mouvement et surtout du soutien de l’opinion (huit Français sur dix) révèle l’isolement du monde d’en haut et des représentations sociales et territoriales totalement erronées. Ce divorce soulève un véritable problème démocratique, car les classes moyennes ont toujours été le référent culturel de la classe dirigeante. (…) Certes, il y a des manifestants de droite, de gauche, d’extrême droite et d’extrême gauche qui structurent assez mal leurs discours. Mais tous souhaitent la même chose : du travail et la préservation de ce qu’ils sont. La question du respect est fondamentale, mais le pouvoir y répond par l’insulte ! (…) Tout est possible. Il y a un tel déficit d’offre politique qu’un leader populiste pourrait surgir aussi vite que Macron a émergé. La demande existe. Dans le reste du monde, les populistes réussissent en adaptant leur idéologie à la demande. Il y a quelques années, Salvini défendait des positions sécessionnistes, libérales et racistes en s’attaquant aux Italiens du Sud. Aujourd’hui ministre, il se fait acclamer à Naples, devient étatiste, prône l’unité italienne et vote un budget quasiment de gauche. Quant à Trump, c’est un membre de l’hyperélite new-yorkaise qui a écouté les demandes de l’Amérique périphérique. Ces leaders ne se disent pas qu’il faut rééduquer le peuple. Au contraire, ce sont les demandes de la base qui leur indiquent la voie à suivre. Ainsi, un Mouvement 5 étoiles pourra émerger en France s’il répond aux demandes populaires de régulation (économique, migratoire). (…) Dans tous les pays occidentaux, la classe moyenne est en train d’exploser par le bas. Cette évolution a démarré dans les années 1970-1980 par la crise du monde ouvrier, avec les restructurations industrielles, puis a touché les paysans, les employés du secteur tertiaire, et enfin des territoires ruraux et des villes moyennes. Si on met bout à bout toutes ces catégories, cela touche le cœur de la société. Sur les décombres des classes moyennes telles qu’elles existaient pendant les Trente Glorieuses, les nouvelles classes populaires – ouvriers, employés, paysans, petits commerçants – forment partout l’immense majorité de la population. (…) Maintenant que la classe moyenne a explosé, deux grandes catégories sociales s’affrontent avec comme arrière-plan un nouveau modèle économique de polarisation de l’emploi. D’un côté, les catégories supérieures – 20 à 25 % de la population –, qui occupent des emplois extrêmement qualifiés et hyper intégrés, se concentrent dans les métropoles. De l’autre, une grosse masse de précaires dont les salaires ne suivent pas, vit dans des zones périphériques. Même dans une région riche comme la Bavière, l’électorat AfD recoupe une sociologie et une géographie plutôt populaires réparties dans des petites villes, des villes moyennes et des zones rurales. (…) La classe moyenne n’est absolument pas une catégorie ethnique. Dans mon dernier livre, je critique l’ethnicisation du concept qui, contrairement à ce qu’on croit, est venue de l’intelligentsia de gauche. Depuis quelques années, il y a un glissement sémantique : quand certains parlent des banlieues ou de la politique de la ville, ils désignent les populations issues de l’immigration récente, et quand ils évoquent la « classe moyenne », ils veulent dire « Blancs ». C’est une bêtise. La classe moyenne est le produit d’une intégration économique et culturelle qui a fonctionné pour les Antillais ainsi que pour les premières vagues d’immigration maghrébine qui en épousaient les valeurs, quelle que fût leur origine ou leur religion. Faut-il le rappeler, les DOM-TOM font partie de la France périphérique. Dans ces territoires, les demandes de régulation (économique et migratoire) émanent des mêmes catégories. Cette dynamique est aujourd’hui cassée car le modèle occidental n’intègre plus ces catégories, ni économiquement, ni socialement, ni culturellement. Même dans des régions du monde prospères comme la Scandinavie, les petites gens sont fragilisées culturellement. Cette explosion des classes moyennes entraîne la crise des valeurs culturelles qu’elles portaient, donc des systèmes d’assimilation. (…) Si les classes moyennes, socle populaire du monde d’en haut, ne sont plus les référents culturels de celui-ci, qui ne cesse de les décrire comme des déplorables, elles ne peuvent plus mécaniquement être celles à qui ont envie de ressembler les immigrés. Hier, un immigré qui débarquait s’assimilait mécaniquement en voulant ressembler au Français moyen. De même, l’American way of life était porté par l’ouvrier américain à qui l’immigré avait envie de ressembler. Dès lors que les milieux modestes sont fragilisés et perçus comme des perdants, ils perdent leur capacité d’attractivité. C’est un choc psychologique gigantesque. Cerise sur le gâteau, l’intelligentsia vomit ces gens, à l’image d’Hillary Clinton qui traitait les électeurs de Trump de « déplorables ». Personne n’a envie de ressembler à un déplorable ! (…) La dynamique populiste joue sur deux ressorts à la fois : l’insécurité sociale et l’insécurité culturelle. L’insécurité culturelle sans l’insécurité économique et sociale, cela donne l’électorat Fillon, qui a logiquement voté Macron au second tour : il n’a aucun intérêt à renverser le modèle dont il bénéficie. On l’a vu avec l’élection de Trump, aucun vote populiste n’émerge sans la conjonction de fragilités identitaire et sociale. Il est donc vain de se demander si c’est l’une ou l’autre de ces composantes qui joue. Raison pour laquelle les débats sur la prétendue influence d’Éric Zemmour sont idiots. Zemmour exprime un mouvement réel de la société, qui explique qu’avec 11 millions d’électeurs pour Marine Le Pen, le Front national ait battu son record absolu de voix au second tour en 2017. Malgré tout, la redistribution reste très forte et les protégés sont nombreux. Emmanuel Macron n’a pas seulement été élu par le monde d’en haut. Il a aussi été largement soutenu par les protégés, c’est-à-dire les retraités – notamment de la classe moyenne – et les fonctionnaires. Là est le paradoxe français : ce qui reste de l’État providence protège le monde d’en haut… (…) Cela explique son effondrement dans les sondages. Ceci dit, le niveau de pension reste relativement correct et ne pousse pas les retraités français à renverser la table, même ceux qui estiment qu’il y a des problèmes avec l’immigration. Mais cela pourrait changer aux États-Unis et en Grande-Bretagne, l’État providence étant fragilisé depuis les années 1980, les retraités ne craignent pas de bousculer le système. Ils ont voté pour le Brexit parce qu’ils n’ont rien à perdre. Si demain le gouvernement fragilise les retraités français, ils ne cautionneront pas éternellement le système. En détricotant tous les filets sociaux, comme la redistribution en faveur des retraités, on prend de très gros risques pour la suite des opérations. (…) Et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le gouvernement a fait marche arrière sur la CSG. La pension de retraite médiane en France tourne autour de 1 000, 1 100 euros par mois ! En dessous de 1 000 euros par mois, cela commence à être très compliqué. La majorité des retraités sont issus des catégories populaires. Et ils sont les seuls, au sein de celles-ci, à n’avoir pas majoritairement basculé dans l’abstention ou dans le vote populiste. Le jour où eux aussi basculeront, le choc sera comparable au Brexit. Regardez aussi la rapidité avec laquelle les populistes ont gagné en Italie. (…) Qu’on le veuille ou non, le mouvement est là et il suffit d’attendre. Partout en Occident, il y a une très forte demande de régulation : économique, sociale, migratoire. Pour toute réponse à cette demande populaire, on la traite de fasciste – je suis bien placé pour le savoir. Le résultat de cette stratégie de diversion, c’est que la fracture entre l’élite et les classes supérieures, d’une part, et le peuple d’autre part, ne cesse de se creuser. Jamais dans l’histoire ces deux mondes n’avaient été aussi étrangers l’un à l’autre. (…) Ce monde d’en haut ne tient pas seulement avec le 1 % ou les hyper riches, mais avec des catégories supérieures et une technostructure – les énarques, mais aussi les technocrates territoriaux issus de l’INET. Ses membres viennent tous des mêmes milieux et partagent exactement la même vision de la société. À l’inverse, quand je me balade en France, je rencontre des élus de gauche ou de droite qui partagent mon diagnostic. Et qui se désolent de voir qu’au sommet de leur parti, domine le modèle mondialisé structuré autour des métropoles. (…) Quand la pensée est vraiment en décalage avec le réel, les tentatives de déni et de diabolisation ne marchent plus. Cependant, avec toute la volonté politique du monde, sans l’appui de la technostructure, aucun changement n’est possible. La même question se pose dans les territoires : comment initier des politiques différentes avec la même technostructure ? Peu importe qui est maire de Paris ou Bordeaux, ces villes créent de la richesse grâce au libre jeu du marché. En revanche, il faut être sacrément doué pour sortir Guéret ou Vierzon de l’impasse. (…) Actuellement, on traite la France périphérique à coups de subventions. On redistribue un peu, beaucoup, passionnément, de façon à ce que les gens puissent remplir leur caddie au supermarché. On est arrivé au bout de ce modèle, notamment parce que l’État et les ménages sont surendettés. Mais lorsque des élus locaux et des entreprises privées se réunissent autour d’une table pour impulser un projet économique, cela réussit. Je pense par exemple à la relance des couteaux de Laguiole, dans l’Aveyron. (…) Comme le démontre l’exemple de Laguiole, on ne peut plus penser l’organisation territoriale uniquement à travers une volonté imposée d’en haut par les pouvoirs publics. C’est du bas vers le haut qu’il faut penser ces territoires. Dans des départements ruraux comme la Nièvre, les élus réclament la compétence économique pour initier des projets. Les présidents de conseils départementaux connaissent parfaitement leur territoire, les entreprises qui marchent et la raison de leur succès, la ville où il y a des pauvres et des chômeurs. Ils sont souples, inventifs, pragmatiques et ont à leur disposition des fonctionnaires départementaux issus du cru. Mais les hauts fonctionnaires qui forment l’administration régionale ou étatique cherchent à leur retirer de plus en plus de compétences économiques. Quoique majoritaire, la France des territoires n’existe pas politiquement. Les élus locaux sont marginalisés au sein de leurs partis, contrairement aux élus des grandes villes. Tout doit donc commencer par un rééquilibrage démocratique. Christophe Guilluy
Il n’y a aucun complot. Les métropoles ne sont pas un bras armé, mais simplement l’application aux territoires du modèle économique mondialisé et de la loi du marché. Et la loi du marché bénéficie, comme cela a toujours été le cas, à la bourgeoisie. La seule courbe des prix de l’immobilier suffit à le démontrer. Un ouvrier qui économiserait chaque mois 100 euros pour acheter un logement mettrait une vie entière pour acquérir 10 m2 à Paris. [« La société ouverte »] C’est l’autre nom de loi du marché. Les métropoles sont des citadelles imprenables. Elles érigent, grâce à l’argent, des murs d’enceintes bien plus solides que ceux du moyen âge. Un discret entre soi et un grégarisme social fonctionnent aussi à plein. Cette tendance est renforcée par un mode de vie respectueux de l’environnement qui, in fine, renforce la gentrification. La fermeture des grands axes et la piétonnisation renchérissent le foncier. Déguisés en hipsters, les nouveaux Rougon-Macquart se fondent dans le décorum ouvrier des bars et restaurants des anciens quartiers populaires et se constituent des patrimoines immobiliers considérables. Mais les masques finissent par tomber… (…) Après le Brexit, dont la géographie recouvre celle de « l’Angleterre et la Grande-Bretagne périphérique » et populaire, les classes dominantes ont expliqué que ce vote devait être invalidé car porté par des gens « peu éduqués » selon Alain Minc ou des « crétins » d’après Bernard-Henri Lévy. Anne Hidalgo et son collègue de Londres Sadiq Khan ont fait par la suite l’apologie des villes-mondes qui doivent damer le pion aux Etats-Nations, en prônant en filigrane une forme d’abandon des périphéries populaires. Leur projet de « cités-Etats » rappelle paradoxalement les discours séparatistes de partis populistes comme celui de la Ligue du Nord italienne. (…) Les métropoles ont besoin de catégories populaires pour occuper les emplois peu qualifiés (dans les services, le BTP, la restauration). Il leur faut aussi des catégories intermédiaires, des « key workers » qui assurent la continuité du service public. Le logement social permet de maintenir ces travailleurs dans les métropoles gentrifiées. Bertrand Delanoë, tout comme Anne Hidalgo, ont construit beaucoup de logements sociaux pour répondre à ce besoin. Tout cela est rationnel. Mais si le taux de logements sociaux est passé de 13,4 % en 2001 à 17,6 % aujourd’hui, il ne compense en rien la disparition d’un parc privé, « social de fait », qui accueillait hier les classes populaires. Or, sur le marché de l’emploi métropolitain, on a essentiellement besoin de catégories très qualifiées et, à la marge, de catégories populaires. La majorité des catégories modestes, c’est à dire de la population, n’a donc plus sa place dans ces espaces. (…) S’il reste encore des classes populaires, des ménages pauvres et des chômeurs dans les quartiers de logements sociaux des grandes métropoles, la majorité de ces catégories vit désormais à l’écart des métropoles dans une « France périphérique », celle des petites villes, des villes moyennes et des zones rurales. Ces territoires sont, en moyenne, marqués par une plus faible création d’emplois et de richesses et sont fragiles socialement. Ce modèle n’est pas spécifique à la France, il constitue l’une des conséquences de l’application d’un modèle économique mondialisé qui repose notamment sur la division internationale du travail. Ce système marche très bien, il crée de la richesse et de l’emploi. Mais il ne fait pas société. (…) En réalité, la « boutique » tourne aujourd’hui sans les catégories populaires. Les territoires de la France périphérique, en particulier ceux de la désindustrialisation du Nord et de l’Est, sont marqués par une grande fragilité économique et sociale. Ils ont bénéficié à ce titre d’une forte redistribution. La péréquation, la création d’emplois publics ont joué le rôle d’amortisseur. La commune et l’hôpital étaient les premiers et les seuls véritables employeurs de ces communes. Mais dans un contexte de raréfaction de l’argent public et des dotations de l’Etat et de désertification de l’emploi, les champs du possible se restreignent. (…) Le géographe Gérard-François Dumont parle d’une « idéologie de la métropolisation », une idéologie portée par l’ensemble de la classe dominante qui in fine renforce le poids des métropoles et celui des classes supérieures. Cette idéologie interdit l’évocation d’une France populaire majoritaire comme s’il fallait laisser dans l’invisibilité les perdants de la mondialisation. Dans cette lutte des classes, on assimile sciemment cette France populaire à celle du repli, des ignares. Derrière cette fausse polémique et cette vraie guerre des représentations, il y a tout simplement une lutte des classes non dites qui révèle la « prolophobie » selon l’expression du politologue Gaël Brustier. Christophe Guilluy
Constitué de pas moins de douze textes, il vise à réduire les émissions de CO2 de 55% d’ici à 2030 (par rapport à 1990), avec l’objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. L’annonce de la fin des véhicules à moteur thermique en 2035 a retenu l’attention. Mais l’automobile n’est pas seule concernée. Tous les transports sont sollicités : aviation, transport maritime et transport routier. C’est en outre toute l’industrie qui sera mobilisée à travers le contrôle de ses émissions de CO2 via le SEQE-UE (Système d’échange de quotas d’émission). Un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM, Carbon Border Adjustment Mechanism) viendra en complément du SEQE-UE afin d’éviter une concurrence déloyale des industriels hors UE. Enfin, la directive sur la taxation de l’énergie fera l’objet d’une importante révision afin de rehausser les niveaux de taxation sur les combustibles fossiles. Après avoir insisté sur ce qu’il faut bien appeler l’hypocrisie du CO2 importé (la baisse des émissions de CO2 provient principalement des importations, c’est-à-dire de la désindustrialisation) et sur l’immense difficulté de l’instauration d’une taxe carbone aux frontières, notre étude tente d’évaluer l’impact de la transition énergétique sur le PIB. Analysant en détails plusieurs travaux fondés sur l’équation de Kaya, elle l’évalue à une décroissance de l’ordre de 2,5 à 3% par an d’ici 2030. Elle rappelle en outre que la Cour des comptes européenne a mesuré le besoin de financement de la transition écologique en Europe à 11 200 milliards d’euros entre 2021 et 2030 : ramené à la France, cela correspond chaque année à 6% du PIB français et à 10,6% des dépenses publiques. Notre étude s’efforce également de mesurer l’impact de ces politiques sur différents agents et secteurs économiques. En s’appuyant sur des données du Commissariat général au développement durable et du Boston Consulting Group, elle montre qu’à travers le transport (l’automobile) et le logement, le pouvoir d’achat des ménages sera très lourdement impacté. Elle analyse ensuite les conséquences sur le secteur automobile européen, dont on se demande comment il pourra survivre (le tout véhicule électrique favorisant en dernière instance le « made in China »). Elle passe également en revue les secteurs du logement, de l’électricité et même bancaire. Mais il faut aussi prendre la mesure des effets politiques de ces choix, fondés sur un discours systématiquement catastrophiste et une intolérance inquiétante. La transition énergétique comme impératif catégorique aboutit à ce que nous appelons la cancel economy, c’est-à-dire la casse de l’appareil industriel européen et le rejet de ce qui a fait la puissance de l’Occident (progrès scientifique, recherche, applications industrielles, etc.). Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, ne dit rien d’autre quand elle affirme qu’il « s’agit de changer de civilisation, de culture et de mode de vie ». Et c’est par l’action de l’État que ce bouleversement sera rendu possible : en offrant une légitimité morale aux lois, restrictions, interdictions et contraintes imposées aux personnes et aux entreprises, la cancel economy permet aux États de renforcer leur emprise sur la société.Philippe Herlin
Il y a eu les bonnets rouges, les gilets jaunes, le convoi de la liberté, et maintenant cela : nous sommes entrés dans l’ère des soulèvements. C’est la manifestation du désaccord contre une élite démocratique qui impose des règles de manière abstraite, sans concertation aucune. Ici, ce sont les normes européennes imposées de manière verticale, au service d’une écologie politique, qui sont remises en cause. Pendant des décennies, on a adopté aux Pays-Bas un modèle d’agriculture technologique et, subitement, on veut revenir à une agriculture artisanale. Michel Maffesoli
À force de mettre en œuvre une stratégie de la peur, des explosions de colère se développent. Les «gilets jaunes» en étaient une expression, les manifestations du samedi ou les rassemblements juvéniles et musicaux aussi. Nous vivons un moment de déconnexion entre le peuple et les élites, définies comme celles ayant le pouvoir de dire ou de faire. Ce n’est pas la première jacquerie de ce genre que nous connaissons. Une explosion de cet ordre se déroule, alors que certains ne se reconnaissent plus dans la gestion de l’épidémie. De ce que je constate, les manifestations qui pourraient commencer en fin de semaine ne seront pas forcément négligeables. Essentiellement, elles sont dues à ce déphasage entre le peuple et les élites. C’est un moment de déconnexion, de désaccord. (…) Dans les élites, il y a une forme d’entre-soi avec des gens qui répètent la même chose. D’une manière générale, il existe une grande méfiance à l’endroit de ce qui est dit sur les réseaux sociaux. On ne peut pas nier que les «freedom convoy» au Canada et au Québec se sont organisés sur les réseaux sociaux, c’est là que ça se passe. Les réseaux sociaux sont comparables à l’invention de l’imprimerie par Gutenberg quand les moines avaient un monopole sur les livres. Je pense qu’on ne peut pas ne pas en tenir compte. Ce sont des indices, au sens étymologique du terme : ceux qui pointent. S’ils ne sont pas la vérité, un observateur est obligé de les voir. (…) On peut voir qu’au Canada, cette colère existe. Le problème, c’est qu’elle peut prendre des formes brutales, et conduire à une forme de sécession. Ce qui apparaît à Ottawa avec le gouvernement Trudeau. Quand la parole publique ne porte plus, des explosions émotionnelles voient le jour. Ce retour des émotions, qui connaît un développement depuis de longues années, ne procède pas d’une action volontaire ou rationnelle. Je suis allé traîner mes guêtres sur des ronds-points avec les «gilets jaunes» ou les samedis. Tous ne sont pas antivax, mais beaucoup en ont marre d’une société de contrôle. Ils en ont assez des gestes barrières de la vie quotidienne, cette espèce de totalitarisme doux, de distanciation par rapport à l’autre. (…) Étymologiquement, l’apocalypse est la révélation. Avant la Réforme protestante, les indulgences permettaient de ne pas aller en enfer, dont les gens avaient très peur. Aujourd’hui, nous connaissons la peur de la mort, de la maladie et au fond de la finitude. Ces grands rassemblements sont une manière de contester la peur. Ils se multiplient dans de nombreux pays. Le problème n’est pas de nier la finitude mais de la ritualiser, de l’«homéopathiser». Or, une certaine stratégie de la peur, développée pendant la crise sanitaire, consiste à évacuer ces rituels. Si on ne permet la continuation de ces rituels, de s’accommoder avec la finitude, il y a une révolte, une insurrection, une colère. C’est exactement ce qui s’est passé au Canada. Nous verrons si nous aurons une contestation de cet ordre. Cette colère populaire s’exprimera au travers de diverses formes. Michel Maffesoli
Comme le décrivait le grand financier Warren Buffet, c’est quand la marée se retire, que l’on voit les baigneurs qui sont nus. Je m’explique : la guerre en Ukraine a mis en lumière les grandes faiblesses structurelles d’un certain nombre de pays, dont le Sri Lanka. Ces faiblesses sont ici liées à la mauvaise gouvernance du pays,il y a un accord des spécialistes sur ce point. Mais elles ne datent pas d’hier. Après la grande guerre civile de 1983-2009, s’est installé au pouvoir le clan cingalais bouddhiste, qui l’avait emporté contre la minorité tamoule indienne. S’instaure alors une sorte de populisme nationaliste religieux, derrière lequel se cache un clan, une famille – les Rajapaksa, qui va progressivement prendre tous les leviers du pouvoir, avec notamment le frère du président, Mahinda Rajapaksa, qui était devenu premier ministre. Ce clan va se surendetter, notamment vis-à-vis de la Chine, pour faire semblant de prendre de l’autonomie vis-à-vis du grand frère indien. Cela va déclencher une crise de la dette, qui se manifeste par des réserves de change complètement vides. Par ailleurs, le pouvoir va mal gérer les finances publiques, en introduisant des allongements fiscaux visant les membres du clan, de sorte que le déficit ne cesse de se creuser. Enfin, le président a joué la carte de la spécialisation internationale du Sri Lanka sur le tourisme et, ce faisant, a dégarni l’économie nationale de son autonomie alimentaire. Ainsi, le Sri Lanka a abandonné l’économie de plantation qui avait pourtant fait la richesse du pays. Dans les années 1960, le PIB par habitant était cinq fois supérieur à celui de l’Inde ! Dans ce contexte, surviennent ce que j’appellerais les trois «coups de gong». Le Covid-19 tout d’abord, fragilisant l’économie essentiellement fondée sur le tourisme. Puis, le choix d’investir dans une agriculture organique sans engrais et pesticide, sans y être du tout préparé, qui se traduit par une population rurale – majoritaire – pénalisée par des chutes très nettes de rendement. Enfin, la montée des prix des matières premières énergétiques, mais aussi par exemple, du béton. Or, une économie fondée essentiellement sur le tourisme importe énormément.(…) Dans les 18 mois à venir, on va avoir, partout dans le monde émergent, des situations extrêmement difficiles liées à l’explosion de l’inflation, notamment dans les régimes en fin de course, qui se traduiront par des crises économiques, devenant des crises sociales et politiques. On le voit en Amérique latine, par exemple en ce moment au Pérou. On a eu également le cas du Pakistan, où le premier ministre a été renvoyé en avril dernier. Mais dans ce pays, c’est l’armée qui tient d’une main de fer le pays et a décidé que la transition se ferait au profit de l’opposition. Au Sénégal, où le président actuel est tenté par un troisième mandat, il y a des mouvements de rue très importants, et rien ne dit qu’il n’y ait pas de crise politique ouverte dans les prochains mois, même si le pays, sur le plan économique, dispose d’un soutien du camp occidental bien plus fort que le Sri Lanka, qui a joué la carte de la Chine. Jean-Joseph Boillot
Assiste-t-on à la naissance des gilets jaunes néerlandais ? Depuis le 10 juin, agriculteurs et éleveurs des Pays-Bas manifestent régulièrement dans tout le pays pour protester contre l’annonce par le gouvernement d’un projet visant à réduire drastiquement les émissions d’azote. Le mouvement de contestation, d’abord tâtonnant, est monté crescendo. Ces derniers jours, des tracteurs ont bloqué plusieurs centres de distribution de supermarchés, déclenchant des pénuries dans certaines enseignes. Des agriculteurs ont également forcé un cordon de police devant le domicile de la ministre de l’Environnement, Christianne van der Wal. Surtout, dans la nuit du 5 au 6 juillet, un rassemblement a dangereusement dégénéré, et des policiers ont ouvert le feu. (…) La presse belge fait état de huit arrestations dans le cadre de l’enquête. Si les circonstances sont encore incertaines, cet événement démontre la montée en puissance d’un mouvement qui pourrait prendre encore plus d’ampleur dans les prochains jours. Aux origines de la colère, un vaste projet de réduction des rejets d’azote dans l’air, engagé par le gouvernement sous la pression de la plus haute juridiction administrative du pays. «On parle de réduire les émissions azotées jusqu’à 70% d’ici 2030 dans les zones Natura 2000, protégées par la réglementation», explique au Figaro Alessandra Kirsch, docteur en économie et politique agricole et directrice des études du think-tank Agriculture Stratégies. (…) Les principaux concernés par ces restrictions se trouvent donc être les agriculteurs et les éleveurs, qui sont pléthores aux Pays-Bas puisque le pays est le deuxième exportateur agricole mondial, derrière les États-Unis. «On y compte 53.000 exploitations, quatre millions de bovins, 12 millions de porcs et 100 millions de poulets sur une toute petite surface agricole de 1,82 million d’hectares», rappelle Alessandra Kirsch. Par conséquent, «l’élevage contribue pour 40% aux excès azotés» aux Pays-Bas, souligne-t-elle. Au total, l’agriculture est tenue pour responsable de 16% des émissions néerlandaises de gaz à effet de serre, en particulier via les engrais et le purin. Depuis plusieurs années, les éleveurs néerlandais ont utilisé un certain nombre de leviers techniques pour réduire ces émissions : «couverture des fosses à lisier (un réservoir utilisé pour rassembler les déchets animaux, NDLR), utilisation de matériel d’épandage spécifique, ajustement de la ration alimentaire des animaux pour que les besoins azotés soient couverts au plus juste, diminution du nombre d’animaux présents par hectares au pâturage», énumère la spécialiste. Cependant, «les objectifs de réduction sont très élevés à un horizon très court et ces leviers risquent de ne pas suffire. Si bien qu’on évoque la possibilité d’une réduction d’un tiers du cheptel», poursuit-elle. Les éleveurs se retrouvent donc face à un dilemme cornélien : s’adapter en utilisant ces leviers techniques et en diminuant le cheptel, se délocaliser vers des zones moins sensibles ou arrêter purement et simplement leur activité. Au pied du mur, les agriculteurs et éleveurs des Pays-Bas sont donc descendus dans la rue, formant un mouvement qui en évoque d’autres. (…) En novembre 2021, les Néerlandais s’étaient déjà révoltés de façon brutale contre la politique sanitaire imposée par le gouvernement. Des heurts avaient éclaté dans plusieurs villes entre policiers et manifestants et de nombreux blessés avaient été déplorés. Les manifestations contre le plan azote s’inscrivent dans la même idée de «décalage entre le peuple et les élites», suggère Michel Maffesoli. Au risque d’un «mécanisme de saturation», observé notamment pendant le mouvement des gilets jaunes. «Au bout d’un moment, ce genre de processus peut devenir violent», alerte le sociologue. Le fait que les syndicats d’agriculteurs et d’éleveurs se soient récemment désolidarisés des manifestants prouve d’ailleurs que le mouvement tend à se radicaliser. Il est même en train de gagner d’autres secteurs que le monde agricole. Hugues Maillot
Certains en Occident savourent les images de révolte en provenance du Sri Lanka. Les tweeteurs et les gauchistes s’émerveillent devant les images et les photos montrant des Sri Lankais en colère prenant d’assaut le palais présidentiel et se baignant dans sa somptueuse piscine. Les images sont en effet frappantes et encourageantes : cela fait toujours plaisir de voir des gens rejeter leurs dirigeants incompétents et corrompus. Et pourtant ces observateurs occidentaux pourraient bientôt être surpris, car cette révolte n’est pas seulement une mise en accusation des élites sri lankaises et de leurs légions d’erreurs de jugement. C’est aussi plus largement une mise en accusation des vanités des élites mondiales. Elle remet en question les préjugés et les politiques des establishments mondiaux sous l’emprise de l’alarmisme climatique et de l’autoritarisme Covid. Au Sri Lanka, nous assistons à une rébellion non seulement contre les responsables gouvernementaux corrompus, mais aussi contre la vision du monde dangereusement déconnectée de la technocratie internationale. (…) Le Sri Lanka nous montre ce qui se passe lorsque la politique d’un pays est déterminée par les désirs et les préjugés des nouvelles élites plutôt que par les besoins des gens ordinaires. Les confinements ont peut-être été une aubaine pour les élites du télétravail et pour certains milliardaires, mais il a été incroyablement préjudiciable pour une grande partie de la classe ouvrière occidentale et pour des millions de démunis des pays du Sud. L’idéologie verte peut donner un sens à leur vie aux nouvelles élites, flattant leur illusion narcissique selon laquelle elles sauvent la planète d’une mort provoquée par le réchauffement climatique, mais ce sont les ouvriers occidentaux qui en font les frais et qui paient au bout du compte pour la folie de la neutralité carbone, et cela attise la faim et la misère dans ces parties du monde qui ne sont pas encore aussi développées que l’Occident. Le Sri Lanka représente un cas extrême et inquiétant de ce qui se passe lorsque la politique mondiale est construite sur la peur et le narcissisme d’élites déconnectées, plutôt qu’à partir des besoins des gens pour s’épanouir et sortir de la pauvreté. Mais ce que l’on voit aussi au Sri Lanka, c’est exactement le type de réaction dont nous avons besoin contre tout cela. Les gens n’en peuvent plus. Et ils ne sont pas les seuls. Des routiers canadiens révoltés contre les mesures anti-Covid qui détruisent leurs moyens de subsistance aux agriculteurs néerlandais insurgés contre la folie des politiques écologiques de leur gouvernement, des protestations des chauffeurs de taxi italiens contre la hausse des prix du carburant aux manifestations de masse albanaises contre la hausse des prix alimentaires et du carburant après le confinement et la guerre en Ukraine, des manifestations populaires éclatent partout à travers le monde. Le gouvernement du Sri Lanka a peut-être été le premier à tomber, mais il semble peu probable qu’il soit le dernier. Les soulèvements manquent de cohérence. Certains refusent les leaders. Les demandes ne sont pas toujours claires. Mais s’il y a une chose évidente, c’est la raison pour laquelle les gens sont en colère – l’irrationalité des décisions d’une nouvelle classe de responsables politiques qui préfèrent les mesures de répression rapides et les démonstrations de vertu à la tâche difficile de trouver comment améliorer matériellement et spirituellement la vie des gens. Ceux qui pensent que le populisme est terminé maintenant que Trump et même Boris Johnson sont partis pourraient bien avoir des surprises. Réveillez-vous, les gars ! Surveillez vos fenêtres ! Faites gaffe à vos piscines !Brendan O’Neill
Un soulèvement populaire de la classe ouvrière contre les élites et leurs valeurs est en cours – et il traverse le monde. Il y a une résistance croissante de la part des classes moyennes et inférieures contre ce que Rob Henderson a appelé les «croyances de luxe» des élites, alors que les gens ordinaires réalisent le mal que cela leur cause, à eux et à leurs communautés. Il y a eu des premières lueurs en février dernier, lorsque le Convoi de routiers canadiens a opposé les camionneurs de la classe ouvrière à la classe des télétravailleurs exigeant des mesures COVID-19 toujours plus restrictives. On l’a légalement vu dans la victoire du gouverneur de Virginie, Glenn Youngkin, qui s’est présenté au nom des droits des parents à l’éducation et a ensuite remporté à la fois les banlieues et les zones rurales. On peut le voir dans le soutien croissant des électeurs hispaniques à un parti républicain, qui s’identifie de plus en plus comme anti-woke et pro-classe ouvrière. Et maintenant, nous assistons à sa dernière itération aux Pays-Bas sous la forme d’une manifestation d’agriculteurs contre de nouvelles réglementations environnementales qui vont les ruiner. Plus de 30 000 agriculteurs néerlandais se sont levés pour protester contre le gouvernement à la suite des nouvelles limites d’azote qui les obligent les à réduire radicalement jusqu’à 70 % leurs émissions d’azote au cours des huit prochaines années. Cela les obligerait à utiliser moins d’engrais et même à réduire le nombre de leurs têtes de bétail. Alors que sur le papier, les grandes entreprises agricoles auraient les moyens d’atteindre ces objectifs et pourraient passer à des engrais non azotés, cela est impossible pour les petites exploitations souvent familiales. Les nouvelles réglementations environnementales sont si extrêmes qu’elles obligeraient de nombreuses personnes à mettre la clé sous la porte, y compris des familles qui sont dans l’agriculture depuis trois ou quatre générations. En signe de protestation, les agriculteurs bloquent les rues et refusent de livrer leurs produits aux chaînes de supermarchés. Cela a entraîné de graves pénuries d’œufs et de lait, entre autres produits alimentaires. Mais les effets vont être mondiaux. Les Pays-Bas sont le deuxième exportateur agricole mondial après les États-Unis, faisant du pays d’à peine 17 millions d’habitants une superpuissance alimentaire. Compte tenu des pénuries alimentaires mondiales et de la hausse des prix, le rôle des agriculteurs néerlandais dans la chaîne alimentaire mondiale n’a jamais été aussi important. Mais si vous pensiez que le gouvernement néerlandais allait en tenir compte et veiller à ce que les gens puissent mettre de la nourriture sur la table, vous auriez tort ; lorsqu’on lui a offert le choix entre la sécurité alimentaire et la lutte contre le « changement climatique », c’est cette dernière que le gouvernement néerlandais a choisi. Ce qui est particulièrement frustrant, c’est que le gouvernement est pleinement conscient que ce qu’il demande aux agriculteurs de faire en fera disparaître un grand nombre. En fait, le gouvernement avait initialement prévu d’avancer à un rythme plus lent, jusqu’à ce qu’un procès intenté par des groupes environnementaux en 2019 le contraigne à accélérer son calendrier. La réaction des membres du secteur agricole a été massive et continue depuis 2019, mais l’apparition de la pandémie de COVID-19 a permis au gouvernement du Premier ministre Mark Rutte d’interdire les manifestations en 2020 et 2021. Avec la reprise des manifestations cette année, les autorités sont également passés à une approche plus agressive. Il y a eu des arrestations et même des coups de semonce tirés par la police sur les agriculteurs, dont l’un a failli tuer un manifestant de 16 ans. Pourtant, les sympathies des Néerlandais ne vont pas à leur gouvernement ; ils sont solidaires de leurs agriculteurs. Les sondages actuels indiquent que le Parti politique des agriculteurs, formé il y a seulement trois ans en réponse à la nouvelle réglementation, gagnerait 11 sièges au Parlement si des élections avaient lieu aujourd’hui (il n’en détient actuellement qu’un seul). De plus, l’Union des pêcheurs néerlandais s’est publiquement jointe aux manifestations, bloquant les ports avec des équipages de pêche brandissant des pancartes indiquant « Eendracht maakt Kracht »: L’unité fait la force. Mais alors que les Néerlandais sont du côté des agriculteurs, leurs élites se comportent à peu près comme elles l’ont fait au Canada et aux États-Unis, et pas seulement celles du gouvernement. Les médias refusent même de parler des manifestations et, lorsqu’ils le font, ils qualifient les agriculteurs d’extrémistes. Pourquoi la déconnexion ? Chaque sondage fiable des salles de rédaction européennes, de l’Allemagne aux Pays-Bas, montre que le changement climatique est un sujet beaucoup plus important pour les journalistes que pour les gens ordinaires. Ce n’est pas que les citoyens ordinaires ne se soucient pas du changement climatique, mais qu’ils ont le bon sens de savoir que détruire leur ferme afin que les objectifs d’émissions du gouvernement puissent être atteints en 2030 au lieu de 2035 ne changera pas le climat de la planète. Après tout, les Pays-Bas ne représentent que 0,46 % des émissions mondiales de CO2, et bien qu’une nouvelle réduction soit souhaitable, elle ne sera pas décisive dans la lutte contre le changement climatique au cours des huit prochaines années. Cela peut aider faire les élites du pays à se sentir bien dans leur peau, mais cela se traduira également par le fait que de larges pans de la population verront leur niveau de vie baisser et leur existence économique ciblée par l’État pour des raisons idéologiques. Il y a un malaise en Occident actuellement, où les objectifs idéologiques sont poursuivis au détriment des classes moyennes et ouvrières. Qu’il s’agisse des camionneurs au Canada, des agriculteurs aux Pays-Bas, des sociétés pétrolières et gazières aux États-Unis, l’idéologie, et non la science ou les preuves objectives, domine l’ordre du jour, gratifiant les élites tout en appauvrissant la classe ouvrière. En fin de compte, il y a un risque que les politiques climatiques fassent à l’Europe ce que le marxisme a fait à l’Amérique latine. Un continent réunissant toutes les conditions d’une prospérité générale et d’un environnement sain s’appauvrissant et se ruinant pour de pures raisons idéologiques. Et à la fois les gens et le climat moins bien lotis au bout du compte. Ralph Schoellhammer
Attention: un extrémisme peut en cacher un autre !
A l’heure où après une nouvelle élection volée en France …
A popular uprising of working-class people against the elites and their values is underway—and it’s crossing the globe. There is a growing resistance by the middle and lower classes against what Rob Henderson has coined the « luxury beliefs » of the elites, as everyday folks realize the harm it causes them and their communities.
There were early glimmerings last February, when the Canadian Trucker Convoy pitched working class truck drivers against a « laptop class » demanding ever more restrictive COVID-19 policies. You saw it as well in the victory of Virginia Governor Glenn Youngkin, who ran on parents’ rights in education and went on to win both suburbs and rural areas. You can see it in the growing support of Hispanic voters for a Republican Party, which increasingly identifies as anti-woke, and pro-working class. And now we’re seeing the latest iteration in the Netherlands in the form of a farmer’s protest against new environmental rulings that will ruin them.
Over 30,000 Dutch farmers have risen in protest against the government in the wake of new nitrogen limits that require farmers to radically curb their nitrogen emissions by up to 70 percent in the next eight years. It would require farmers to use less fertilizer and even to reduce the number of their livestock. While large farming companies have the means to hypothetically meet these goals and can switch to non-nitrogen-based fertilizers, it is impossible for smaller, often family-owned farms. The new environmental regulations are so extreme that they would force many to shutter, including people whose families have been farming for three or four generations. In protest, farmers have been blockading streets and refusing to deliver their products to supermarket chains. It’s been leading to serious shortages of eggs and milk, among other food items.
But the effects will be global. The Netherlands is the world’s second largest agricultural exporter after the United States, making the country of barely 17 million inhabitants a food superpower. Given global food shortages and rising prices, the role of Dutch farmers in the global food chain has never been more important. But if you thought the Dutch government was going to take that into account and ensure that people can put food on the table, you would be wrong; when offered the choice between food security and acting against « climate change, » the Dutch government decided to pursue the latter.
What is particularly frustrating is that the government is fully aware that what it is asking farmers to do will drive many of them out of existence. In fact, the government originally planned to move at a slower pace—until a lawsuit brought by environmental groups in 2019 forced an acceleration of the timetable.
The reaction by members of the agricultural sector has been massive and ongoing since 2019, but the onset of the COVID-19 pandemic allowed the government of Prime Minister Mark Rutte to ban protests in 2020 and 2021. With the reignited demonstrations this year, the authorities have also switched to a more aggressive approach. There have been arrests and even warning shots fired by police at farmers, one almost killing a 16-year-old protestor.
Yet the sympathies of the Dutch are not with their government; they are solidly with their farmers. Current polls indicate that the Farmers Political Party, formed just three years ago in response to the new regulations, would gain a whopping 11 seats in Parliament if elections were held today (it currently holds just one seat). Moreover, the Dutch Fishermen’s Union has publicly joined the protests, blocking harbors with fishing crews holding signs that read « Eendracht maakt Kracht »: Unity Creates Strength.
But while the Dutch people are on the side of the farmers, their elites are behaving much as they did in Canada and the U.S., and not just those in government. Media outlets are refusing to even report the protests, and when they do, they cast the farmers as extremists.
Why the disconnect? Every reliable poll of European newsrooms from Germany to the Netherlands show that climate change is a much more important topic for journalists than it is for ordinary people. It’s not that average citizens don’t care about climate change, but that they have the common sense to know that destroying their farm so the government’s emission goals can be met in 2030 instead of 2035 will not change the planet’s climate.
After all, the Netherlands accounts for just 0.46 percent of the world’s CO2 emissions, and while a further reduction might be desirable, it will not be decisive in combating climate change over the next eight years. It may make the country’s elite to feel good about themselves, but it will also result in large parts of the population seeing their living standards decline and their economic existence targeted by the state for ideological reasons.
There is a malaise in the West currently, where ideological goals are pursued at the expense of the lower middle and working classes. Whether it’s truckers in Canada, farmers in the Netherlands, oil and gas companies in the United States, ideology, not science or hard evidence, is dominating the agenda, gratifying the elites while immiserating the working class.
Ultimately, there is a risk that climate policies will do to Europe what Marxism did to Latin America. A continent with all the conditions for widespread prosperity and a healthy environment will impoverish and ruin itself for ideological reasons.
In the end, both the people and the climate will be worse off.
Ralph Schoellhammer is an assistant professor in economics and political science at Webster University Vienna.
DÉCRYPTAGE – Depuis le 10 juin, les agriculteurs néerlandais manifestent vivement leur colère face à un plan de réduction drastique des rejets d’azote. Mardi, la police a ouvert le feu sur un tracteur.
Assiste-t-on à la naissance des gilets jaunes néerlandais ? Depuis le 10 juin, agriculteurs et éleveurs des Pays-Bas manifestent régulièrement dans tout le pays pour protester contre l’annonce par le gouvernement d’un projet visant à réduire drastiquement les émissions d’azote. Le mouvement de contestation, d’abord tâtonnant, est monté crescendo. Ces derniers jours, des tracteurs ont bloqué plusieurs centres de distribution de supermarchés, déclenchant des pénuries dans certaines enseignes. Des agriculteurs ont également forcé un cordon de police devant le domicile de la ministre de l’Environnement, Christianne van der Wal.
Surtout, dans la nuit du 5 au 6 juillet, un rassemblement a dangereusement dégénéré, et des policiers ont ouvert le feu. «Vers 22h30, des conducteurs de tracteurs ont tenté de percuter des agents et des véhicules de service. (…) Une situation menaçante s’est présentée, des coups de semonce ont été tirés, ainsi que des tirs ciblés», a indiqué la police locale sur son compte Twitter. «Un tracteur a été touché. (…) Trois suspects ont été arrêtés. Personne n’a été blessé », a-t-elle ajouté.
La presse belge fait état de huit arrestations dans le cadre de l’enquête. Si les circonstances sont encore incertaines, cet événement démontre la montée en puissance d’un mouvement qui pourrait prendre encore plus d’ampleur dans les prochains jours.
Une réduction d’un tiers du cheptel à prévoir ?
Aux origines de la colère, un vaste projet de réduction des rejets d’azote dans l’air, engagé par le gouvernement sous la pression de la plus haute juridiction administrative du pays. «On parle de réduire les émissions azotées jusqu’à 70% d’ici 2030 dans les zones Natura 2000, protégées par la réglementation», explique au Figaro Alessandra Kirsch, docteur en économie et politique agricole et directrice des études du think-tank Agriculture Stratégies. L’azote prend principalement trois formes : «Le NO2, dans les gaz d’échappement des voitures, le N20, issu des engrais et des effluents d’élevage lors du pâturage et le NH3, qui vient des déjections des animaux», détaille l’ingénieure agronome. Depuis 2019, les limitations de vitesse pour les voitures sont passées de 130 à 100 km/h pour lutter contre le NO2. Désormais, le gouvernement s’attaque au N20, un gaz à effet de serre, et au NH3, l’ammoniac.
Les principaux concernés par ces restrictions se trouvent donc être les agriculteurs et les éleveurs, qui sont pléthores aux Pays-Bas puisque le pays est le deuxième exportateur agricole mondial, derrière les États-Unis. «On y compte 53.000 exploitations, quatre millions de bovins, 12 millions de porcs et 100 millions de poulets sur une toute petite surface agricole de 1,82 million d’hectares», rappelle Alessandra Kirsch. Par conséquent, «l’élevage contribue pour 40% aux excès azotés» aux Pays-Bas, souligne-t-elle. Au total, l’agriculture est tenue pour responsable de 16% des émissions néerlandaises de gaz à effet de serre, en particulier via les engrais et le purin.
Depuis plusieurs années, les éleveurs néerlandais ont utilisé un certain nombre de leviers techniques pour réduire ces émissions : «couverture des fosses à lisier (un réservoir utilisé pour rassembler les déchets animaux, NDLR), utilisation de matériel d’épandage spécifique, ajustement de la ration alimentaire des animaux pour que les besoins azotés soient couverts au plus juste, diminution du nombre d’animaux présents par hectares au pâturage», énumère la spécialiste. Cependant, «les objectifs de réduction sont très élevés à un horizon très court et ces leviers risquent de ne pas suffire. Si bien qu’on évoque la possibilité d’une réduction d’un tiers du cheptel», poursuit-elle. Les éleveurs se retrouvent donc face à un dilemme cornélien : s’adapter en utilisant ces leviers techniques et en diminuant le cheptel, se délocaliser vers des zones moins sensibles ou arrêter purement et simplement leur activité.
Dans la continuité des gilets jaunes et du convoi de la liberté
Au pied du mur, les agriculteurs et éleveurs des Pays-Bas sont donc descendus dans la rue, formant un mouvement qui en évoque d’autres. «Il y a eu les bonnets rouges, les gilets jaunes, le convoi de la liberté, et maintenant cela : nous sommes entrés dans l’ère des soulèvements», analyse pour Le Figaro Michel Maffesoli, sociologue et professeur émérite à la Sorbonne, qui a consacré un livre à cette thématique. Pour lui, tous ces mouvements ont la même cause : «C’est la manifestation du désaccord contre une élite démocratique qui impose des règles de manière abstraite, sans concertation aucune». Ici, ce sont «les normes européennes imposées de manière verticale», au service d’une «écologie politique», qui sont remises en cause. «Pendant des décennies, on a adopté aux Pays-Bas un modèle d’agriculture technologique et, subitement, on veut revenir à une agriculture artisanale», traduit-il.
En novembre 2021, les Néerlandais s’étaient déjà révoltés de façon brutale contre la politique sanitaire imposée par le gouvernement. Des heurts avaient éclaté dans plusieurs villes entre policiers et manifestants et de nombreux blessés avaient été déplorés. Les manifestations contre le plan azote s’inscrivent dans la même idée de «décalage entre le peuple et les élites», suggère Michel Maffesoli. Au risque d’un «mécanisme de saturation», observé notamment pendant le mouvement des gilets jaunes. «Au bout d’un moment, ce genre de processus peut devenir violent», alerte le sociologue.
Le fait que les syndicats d’agriculteurs et d’éleveurs se soient récemment désolidarisés des manifestants prouve d’ailleurs que le mouvement tend à se radicaliser. Il est même en train de gagner d’autres secteurs que le monde agricole, selon plusieurs anciens élèves de Michel Maffesoli, désormais installés aux Pays-Bas. Et une chose est certaine, selon eux : «Les manifestations devraient se développer et ne s’arrêteront pas du jour au lendemain, malgré l’arrivée de l’été».
ENTRETIEN – À l’image de ceux du Canada, des rassemblements s’organisent pour converger vers Paris vendredi. Selon le sociologue, ils marquent le retour des émotions dans le débat public.
Michel Maffesoli est sociologue et professeur émérite à la Sorbonne. Il a publié l’Ère des soulèvements.
LE FIGARO. – Des mouvements s’organisent sur les réseaux sociaux pour imiter le «Freedom Convoy». Comment les qualifier ?
Michel MAFFESOLI. – À force de mettre en œuvre une stratégie de la peur, des explosions de colère se développent. Les «gilets jaunes» en étaient une expression, les manifestations du samedi ou les rassemblements juvéniles et musicaux aussi. Nous vivons un moment de déconnexion entre le peuple et les élites, définies comme celles ayant le pouvoir de dire ou de faire. Ce n’est pas la première jacquerie de ce genre que nous connaissons. Une explosion de cet ordre se déroule, alors que certains ne se reconnaissent plus dans la gestion de l’épidémie.
De ce que je constate, les manifestations qui pourraient commencer en fin de semaine ne seront pas forcément négligeables. Essentiellement, elles sont dues à ce déphasage entre le peuple et les élites. C’est un moment de déconnexion, de désaccord.
Les réseaux sociaux sont essentiels dans l’organisation de ces manifestations. Pourquoi ?
Dans les élites, il y a une forme d’entre-soi avec des gens qui répètent la même chose. D’une manière générale, il existe une grande méfiance à l’endroit de ce qui est dit sur les réseaux sociaux. On ne peut pas nier que les «freedom convoy» au Canada et au Québec se sont organisés sur les réseaux sociaux, c’est là que ça se passe. Les réseaux sociaux sont comparables à l’invention de l’imprimerie par Gutenberg quand les moines avaient un monopole sur les livres.
Je pense qu’on ne peut pas ne pas en tenir compte. Ce sont des indices, au sens étymologique du terme : ceux qui pointent. S’ils ne sont pas la vérité, un observateur est obligé de les voir.
Selon vous, les manifestations au Canada démontrent un retour de l’émotionnel. Pourquoi ?
On peut voir qu’au Canada, cette colère existe. Le problème, c’est qu’elle peut prendre des formes brutales, et conduire à une forme de sécession. Ce qui apparaît à Ottawa avec le gouvernement Trudeau. Quand la parole publique ne porte plus, des explosions émotionnelles voient le jour.
Ce retour des émotions, qui connaît un développement depuis de longues années, ne procède pas d’une action volontaire ou rationnelle. Je suis allé traîner mes guêtres sur des ronds-points avec les «gilets jaunes» ou les samedis. Tous ne sont pas antivax, mais beaucoup en ont marre d’une société de contrôle. Ils en ont assez des gestes barrières de la vie quotidienne, cette espèce de totalitarisme doux, de distanciation par rapport à l’autre.
La peur, l’émotionnel, la colère… N’est-ce pas un peu apocalyptique ?
Étymologiquement, l’apocalypse est la révélation. Avant la Réforme protestante, les indulgences permettaient de ne pas aller en enfer, dont les gens avaient très peur. Aujourd’hui, nous connaissons la peur de la mort, de la maladie et au fond de la finitude. Ces grands rassemblements sont une manière de contester la peur. Ils se multiplient dans de nombreux pays.
Le problème n’est pas de nier la finitude mais de la ritualiser, de l’«homéopathiser». Or, une certaine stratégie de la peur, développée pendant la crise sanitaire, consiste à évacuer ces rituels. Si on ne permet la continuation de ces rituels, de s’accommoder avec la finitude, il y a une révolte, une insurrection, une colère. C’est exactement ce qu’il s’est passé au Canada. Nous verrons si nous aurons une contestation de cet ordre. Cette colère populaire s’exprimera au travers de diverses formes.
ENTRETIEN – Le président de l’État insulaire a annoncé qu’il démissionnerait le 13 juillet, sur fond de crise économique et politique inédite. Un scénario qui risque de se répéter dans d’autres économies émergentes, selon Jean-Joseph Boillot, chercheur à l’IRIS.
Le Président du Sri Lanka, Gotabaya Rajapaksa, a fui ce samedi matin sa résidence officielle de Colombo quelques minutes avant qu’elle ne soit prise d’assaut par des milliers de manifestants en colère, puis a annoncé plus tard dans la journée qu’il démissionnerait le 13 juillet.
La nation insulaire souffre depuis plusieurs mois d’une pénurie sans précédent de produits de première nécessité (énergie, médicaments, nourriture), et ses 22 millions d’habitants subissent une inflation galopante et des coupures de courant prolongées . Le pays, en défaut de paiement pour la première fois de son histoire, préparait depuis le printemps dernier sa population à des mesures d’austérité pour obtenir l’aide du Fonds monétaire international (FMI). Une crise économique qui s’est rapidement mue en crise sociale et politique : depuis des mois, des manifestants campaient devant le siège de la présidence à Colombo pour demander la démission du Président, qu’ils accusent de mauvaise gestion.
Jean-Joseph Boillot, chercheur spécialiste de l’économie indienne et conseiller pour les pays émergents à l’IRIS, revient pour Le Figaro sur les prémices de cette crise économique, sociale et politique sans précédent. Un scénario qui pourrait, anticipe l’expert, toucher plusieurs autres économies émergentes dans le monde, fragilisées par les conséquences de la guerre en Ukraine.
LE FIGARO. – Depuis avril, le Sri Lanka est en défaut de paiement, pour la première fois de son histoire, et son économie fait face à un «effondrement total»,selon les mots du premier ministre. Quel a été l’élément déclencheur d’une telle banqueroute ?
Jean-Joseph BOILLOT. – Comme le décrivait le grand financier Warren Buffet, c’est quand la marée se retire, que l’on voit les baigneurs qui sont nus. Je m’explique : la guerre en Ukraine a mis en lumière les grandes faiblesses structurelles d’un certain nombre de pays, dont le Sri Lanka. Ces faiblesses sont ici liées à la mauvaise gouvernance du pays, il y a un accord des spécialistes sur ce point. Mais elles ne datent pas d’hier.
Après la grande guerre civile de 1983-2009, s’est installé au pouvoir le clan cingalais bouddhiste, qui l’avait emporté contre la minorité tamoule indienne. S’instaure alors une sorte de populisme nationaliste religieux, derrière lequel se cache un clan, une famille – les Rajapaksa, qui va progressivement prendre tous les leviers du pouvoir, avec notamment le frère du président, Mahinda Rajapaksa, qui était devenu premier ministre.
Ce clan va se surendetter, notamment vis-à-vis de la Chine, pour faire semblant de prendre de l’autonomie vis-à-vis du grand frère indien. Cela va déclencher une crise de la dette, qui se manifeste par des réserves de change complètement vides. Par ailleurs, le pouvoir va mal gérer les finances publiques, en introduisant des allongements fiscaux visant les membres du clan, de sorte que le déficit ne cesse de se creuser. Enfin, le président a joué la carte de la spécialisation internationale du Sri Lanka sur le tourisme et, ce faisant, a dégarni l’économie nationale de son autonomie alimentaire. Ainsi, le Sri Lanka a abandonné l’économie de plantation qui avait pourtant fait la richesse du pays. Dans les années 1960, le PIB par habitant était cinq fois supérieur à celui de l’Inde !
Dans ce contexte, surviennent ce que j’appellerais les trois «coups de gong». Le Covid-19 tout d’abord, fragilisant l’économie essentiellement fondée sur le tourisme. Puis, le choix d’investir dans une agriculture organique sans engrais et pesticide, sans y être du tout préparé, qui se traduit par une population rurale – majoritaire – pénalisée par des chutes très nettes de rendement. Enfin, la montée des prix des matières premières énergétiques, mais aussi par exemple, du béton. Or, une économie fondée essentiellement sur le tourisme importe énormément.
Face à cet effondrement économique progressif, la grogne sociale n’a fait qu’augmenter. Comment le clan Rajapaksa a-t-il réagi ces derniers mois pour tenter de la canaliser ?
Face aux manifestations d’avril-mai dernier, ce clan très rusé joue la carte du fusible, en faisant démissionner le frère du président de son poste de premier ministre, et en trouvant un autre premier ministre assez compétent. Il choisit également de négocier avec le FMI un plan d’urgence car le pays n’a plus de quoi importer : il n’y a plus du tout d’essence.
Mais cette solution politique de court terme ne satisfait pas la population, confrontée à des pénuries massives au quotidien, et qui n’a pas le temps d’attendre : on est en pleine saison touristique, de juin à septembre. Désormais, étant donné que son frère a déjà démissionné, il est normal que ce soit le président qui soit en ligne de mire.
Une alternative politique est-elle possible à court terme ?
Les experts divergent sur ce point. Mon sentiment personnel est qu’il y a un leader de l’opposition plutôt techniquement assez bon. Ce n’est pas un grand populiste, et il devrait être capable de rassembler les forces d’opposition qui pour l’instant, se retrouvent en ordre dispersé dans la rue.
Mais souvent, les gens au pouvoir au Sri Lanka s’y accrochent. Le clan Rajapaksa est là depuis longtemps et tire toutes les ficelles, du pouvoir économique aux médias. Il est donc peu probable qu’il se désiste de lui-même.
Vous l’évoquiez en début d’entretien : d’autres pays aux économies émergentes risquent-ils, avec l’explosion de l’inflation due à l’épidémie de Covid puis à la guerre en Ukraine, de se retrouver face au même scénario que le Sri Lanka ?
Oui. Dans les 18 mois à venir, on va avoir, partout dans le monde émergent, des situations extrêmement difficiles liées à l’explosion de l’inflation, notamment dans les régimes en fin de course, qui se traduiront par des crises économiques, devenant des crises sociales et politiques.
On le voit en Amérique latine, par exemple en ce moment au Pérou. On a eu également le cas du Pakistan, où le premier ministre a été renvoyé en avril dernier. Mais dans ce pays, c’est l’armée qui tient d’une main de fer le pays et a décidé que la transition se ferait au profit de l’opposition. Au Sénégal, où le président actuel est tenté par un troisième mandat, il y a des mouvements de rue très importants, et rien ne dit qu’il n’y ait pas de crise politique ouverte dans les prochains mois, même si le pays, sur le plan économique, dispose d’un soutien du camp occidental bien plus fort que le Sri Lanka, qui a joué la carte de la Chine.
Le « Paquet climat », présenté le 14 juillet 2021 par la Commission européenne, est une accélération sans précédent dans la lutte contre le réchauffement climatique
Constitué de pas moins de douze textes, il vise à réduire les émissions de CO2 de 55% d’ici à 2030 (par rapport à 1990), avec l’objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. L’annonce de la fin des véhicules à moteur thermique en 2035 a retenu l’attention. Mais l’automobile n’est pas seule concernée. Tous les transports sont sollicités : aviation, transport maritime et transport routier. C’est en outre toute l’industrie qui sera mobilisée à travers le contrôle de ses émissions de CO2 via le SEQE-UE (Système d’échange de quotas d’émission). Un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM, Carbon Border Adjustment Mechanism) viendra en complément du SEQE-UE afin d’éviter une concurrence déloyale des industriels hors UE. Enfin, la directive sur la taxation de l’énergie fera l’objet d’une importante révision afin de rehausser les niveaux de taxation sur les combustibles fossiles.
Conséquences macroéconomiques de la transition énergétique : vers la décroissance
Après avoir insisté sur ce qu’il faut bien appeler l’hypocrisie du CO2 importé (la baisse des émissions de CO2 provient principalement des importations, c’est-à-dire de la désindustrialisation) et sur l’immense difficulté de l’instauration d’une taxe carbone aux frontières, notre étude tente d’évaluer l’impact de la transition énergétique sur le PIB. Analysant en détails plusieurs travaux fondés sur l’équation de Kaya, elle l’évalue à une décroissance de l’ordre de 2,5 à 3% par an d’ici 2030. Elle rappelle en outre que la Cour des comptes européenne a mesuré le besoin de financement de la transition écologique en Europe à 11 200 milliards d’euros entre 2021 et 2030 : ramené à la France, cela correspond chaque année à 6% du PIB français et à 10,6% des dépenses publiques.
Conséquences sectorielles de la transition énergétique : les ménages et le secteur automobile en première ligne
Notre étude s’efforce également de mesurer l’impact de ces politiques sur différents agents et secteurs économiques. En s’appuyant sur des données du Commissariat général au développement durable et du Boston Consulting Group, elle montre qu’à travers le transport (l’automobile) et le logement, le pouvoir d’achat des ménages sera très lourdement impacté. Elle analyse ensuite les conséquences sur le secteur automobile européen, dont on se demande comment il pourra survivre (le tout véhicule électrique favorisant en dernière instance le « made in China »). Elle passe également en revue les secteurs du logement, de l’électricité et même bancaire.
Conséquences politiques de la transition énergétique : cancel economy et étatisation
Mais il faut aussi prendre la mesure des effets politiques de ces choix, fondés sur un discours systématiquement catastrophiste et une intolérance inquiétante. La transition énergétique comme impératif catégorique aboutit à ce que nous appelons la cancel economy, c’est-à-dire la casse de l’appareil industriel européen et le rejet de ce qui a fait la puissance de l’Occident (progrès scientifique, recherche, applications industrielles, etc.). Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, ne dit rien d’autre quand elle affirme qu’il « s’agit de changer de civilisation, de culture et de mode de vie ». Et c’est par l’action de l’État que ce bouleversement sera rendu possible : en offrant une légitimité morale aux lois, restrictions, interdictions et contraintes imposées aux personnes et aux entreprises, la cancel economy permet aux États de renforcer leur emprise sur la société.
Some in the West are relishing the images of revolt coming out of Sri Lanka. Tweeters and leftists are marvelling at the footage and photos showing angry Sri Lankans storming the presidential palace and having a dip in its ornate pool. The imagery is indeed striking, and heartening: it’s always good to see people pushing back against their inept, corrupt rulers.
And yet these Western observers might soon be in for a surprise, for this revolt is not only an indictment of the Sri Lankan elites and their legion errors of judgement. It is also an indictment of the conceits of the global elites more broadly. It calls into question the prejudices and policies of global establishments in thrall to climate-change alarmism and Covid authoritarianism. In Sri Lanka we are witnessing a rebellion not only against corrupt government officials, but also against the dangerously out-of-touch worldview of the international technocracy.
Sri Lanka’s economic crisis is incredibly serious. The nation is bankrupt. Inflation is rampant. Food prices have risen by 80 per cent. Last month petrol prices rose by 24 per cent, diesel prices by 38 per cent. At the end of June the government announced that petrol supplies were almost at an end – it banned the sale of petrol except for essential services, essentially making driving illegal. People cannot make ends meet. Over the past year, half a million Sri Lankans have been plunged back into poverty. The UN says more than three-quarters of the population have reduced their consumption of food due to the severe food shortages.
It’s little wonder there have been months of rebellion. And huge political tumult, too, including the resignation of the cabinet in April; the resignation of the prime minister, Mahinda Rajapaksa, in May; and the fleeing of the president – Rajapaksa’s brother, Gotabaya – at the weekend. President Rajapaksa was spirited away by the army shortly before the people stormed his compound. Those images of struggling Sri Lankans lying back on luxury sofas in a palace abandoned by the petrified ruling class might just be the most iconic proof yet that a global revolt of angry working people is well and truly brewing.
The crisis in Sri Lanka is multi-faceted, for sure. But there are two important contributory factors we should be talking about. First there’s the impact of the global Covid lockdowns. They shattered Sri Lanka’s tourism industry. Tourism raked in $4.4 billion for Sri Lanka in 2018, making up 5.6 per cent of its GDP. In 2020 tourism contributed just 0.8 per cent to GDP. And things did not improve in 2021, as they had been expected to.
More importantly, the global shutdowns, and the restrictions on production and trade they entailed, impacted on Sri Lanka’s supplies of food and essentials, too. As one report says, the ‘economic turmoil and human misery’ in Sri Lanka are partially a consequence of the ‘economic fallout of the Covid-19 pandemic’. The drastic slowing down of global economic output has stored up dire consequences for poorer parts of the world. The UN Food and Agriculture Organisation says the number of people affected by hunger has risen by an astonishing 150million since the start of the pandemic. It is estimated that the inflationary consequences of mankind’s self-imposed economic torpor during the pandemic have dragged tens of millions of people around the world back into poverty.
So perhaps those who predicted that the lockdown’s unprecedented halt on economic activity would prove devastating for the less developed countries were right. Perhaps they should not have been denounced as granny-killers and No Platformed from social media after all. Perhaps we should have thought carefully, and talked seriously, about the potential consequences of suspending economic life before taking such rash, experimental action.
The other facet of Sri Lanka’s crisis we must confront is the role played by eco-ideology. It is unquestionable that Sri Lanka’s suffering has been inflamed and exacerbated by its determination to become a Net Zero nation. A nation of fertiliser-free farming. A ‘good’ environmentally responsible nation that will please the green elites in global institutions. Sri Lanka’s severe green policies have had a devastating impact on food production and on its key export industries, worsening its crisis of inflation.
In April last year, the Sri Lankan government banned the import of chemical fertilisers and pesticides. Its aim was to encourage organic farming. This was a borderline psychotic policy – 90 per cent of Sri Lanka’s farmers use fertilisers, and they predicted, rightly, that their crop yield would diminish in the absence of these modern substances. The production of rice, tea and rubber was seriously undermined by the ideological rush to organic.
Try to take this in. In 2019 Sri Lanka produced 3.5 billion kilograms of rice. In 2021, following the fertiliser ban, it is thought that rice production fell by 43 per cent. Self-imposed hunger, to appease the gods of environmentalism. Seventy per cent of Sri Lanka’s population of 22million are directly or indirectly dependent on agriculture, so the severe changes to farming predictably had severe consequences across society. They contributed to inflation hitting a 47-month high – 8.3 per cent – towards the end of last year, with food inflation reaching 11.7 per cent. The fertiliser ban was reversed in November, when its horrible impact became clear, but by then it was too late. ‘[Crop] yields may not rebound’, reported Reuters, which turned out to be right.
As with the global lockdown’s dire impact on Sri Lanka, these deranged and damaging green policies will feel to many Sri Lankans like an external imposition, something pushed on their nation by global institutions and global decisions. Yes, Sri Lanka’s own political elite feverishly embraced the organic lunacy. But as Michael Shellenberger points out, the World Economic Forum promoted organic in Sri Lanka. Many elite campaigners in the West advocated for Sri Lanka to move to full organic, some of them supported by funds from ostentatiously eco-friendly corporations like Google, Disney and JPMorgan.
If I were a Sri Lankan farmer, watching my yield deplete, seeing prices sky-rocket, seeing fuel and food running out, I would be angry primarily with my government, yes. But I would save some of my fury for the world’s influential eco-elites, who seem to view the developing world as a site for environmental experimentation rather than as a part of the world that needs more industrialisation and growth in order that it might enjoy economic equality with us in the West.
Sri Lanka shows us what happens when policy is shaped according to the desires and prejudices of the new elites rather than the needs of ordinary people. Lockdown may have been a boon for the laptop elites and for some billionaires, but it was incredibly harmful for many working-class people in the West and for millions of hard-up people in the global South. The green ideology may provide the new elites with a sense of purpose, flattering their narcissistic delusion that they are saving the planet from a man-made heat death, but it hits the pockets of workers in the West who will end up paying for the Net Zero madness, and it inflames hunger and destitution in those parts of the world not yet as developed as the West.
In Sri Lanka, we see an extreme and unsettling case study of what happens when global policy is built on the fear and narcissism of disconnected elites, rather than being informed by the question of what people need in order to flourish and become wealthier. Also in Sri Lanka we see exactly the kind of pushback we need against all this. The people have had enough. And they are not alone.
From the Canadian truckers who revolted against livelihood-destroying Covid rules to the Dutch farmers rising up against their government’s mad eco-policies, from Italian taxi drivers protesting against the rise in fuel prices to the mass protests in Albania against food and fuel price rises following the lockdown and the war in Ukraine, popular protests are breaking out across the world. The government of Sri Lanka may have been the first to fall, but it seems unlikely it will be the last.
The uprisings are inchoate. Some are leaderless. The demands are not always clear. But it’s obvious what people are generally angry about – the irrational decision-making practices of a new class of political rulers who prefer quick-fix clampdowns and displays of virtue over the tough task of working out how to materially and spiritually improve people’s lives. Those who think populism is over now that Trump and even Boris Johnson have gone are in for a shock. Wake up. Look out your windows. Check your swimming pools.
Brendan O’Neill is spiked’s chief political writer and host of the spiked podcast, The Brendan O’Neill Show
Les âmes perverties se corrigent difficilement, et le nombre des insensés est infini. Ecclésiaste 1: 15
Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. Car je suis venu mettre la division entre l’homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère; et l’homme aura pour ennemis les gens de sa maison.Jésus (Matthieu 10 : 34-36)
Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus ni homme ni femme; car tous vous êtes un en Jésus-Christ.Paul (Galates 3: 28)
Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie. Blaise Pascal
Dieu est mort! (…) Et c’est nous qui l’avons tué ! (…) Ce que le monde avait possédé jusqu’alors de plus sacré et de plus puissant a perdu son sang sous nos couteaux (…) Quelles solennités expiatoires, quels jeux sacrés nous faudra-t-il inventer? Nietzsche
Dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives matérielles. (…) Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être ; c’est inversement leur être social qui détermine leur conscience. (…) Pas plus qu’on ne juge un individu sur l’idée qu’il se fait de lui-même, on ne saurait juger une (…) époque (…) sur sa conscience de soi. Marx (1859)
Le moi n’est pas maitre dans sa propre maison. Freud
Depuis deux siècles environ, les seules pensées vigoureuses sont exclusivement critiques et destructrices. Elles accomplissent, je pense, mais jamais jusqu’au bout, contre le sens mythologique, une certaine lutte dont le premier et le plus essentiel témoignage, dans notre monde, reste ce que nous avons appelé « le texte de persécution ». Ces pensées sont donc inséparables de la domination qu’exerce sur notre univers le texte judéo-chrétien. Ces pensées se dirigent toutes vers la révélation du mécanisme fondateur; elles tendent toutes, mais sans le savoir, à rejoindre ce qui est déjà formulé dans ce texte et à le rendre manifeste. René Girard
Les événements qui se déroulent sous nos yeux sont à la fois naturels et culturels, c’est-à-dire qu’ils sont apocalyptiques. Jusqu’à présent, les textes de l’Apocalypse faisaient rire. Tout l’effort de la pensée moderne a été de séparer le culturel du naturel. La science consiste à montrer que les phénomènes culturels ne sont pas naturels et qu’on se trompe forcément si on mélange les tremblements de terre et les rumeurs de guerre, comme le fait le texte de l’Apocalypse. Mais, tout à coup, la science prend conscience que les activités de l’homme sont en train de détruire la nature. C’est la science qui revient à l’Apocalypse. René Girard
La vérité biblique sur le penchant universel à la violence a été tenue à l’écart par un puissant processus de refoulement. (…) La vérité fut reportée sur les juifs, sur Adam et la génération de la fin du monde. (…) La représentation théologique de l’adoucissement de la colère de Dieu par l’acte d’expiation du Fils constituait un compromis entre les assertions du Nouveau Testament sur l’amour divin sans limites et celles sur les fantasmes présents en chacun. (…) Même si la vérité biblique a été de nouveau obscurcie sur de nombreux points, (…) dénaturée en partie, elle n’a jamais été totalement falsifiée par les Églises. Elle a traversé l’histoire et agit comme un levain. Même l’Aufklärung critique contre le christianisme qui a pris ses armes et les prend toujours en grande partie dans le sombre arsenal de l’histoire de l’Eglise, n’a jamais pu se détacher entièrement de l’inspiration chrétienne véritable, et par des détours embrouillés et compliqués, elle a porté la critique originelle des prophètes dans les domaines sans cesse nouveaux de l’existence humaine. Les critiques d’un Kant, d’un Feuerbach, d’un Marx, d’un Nietzsche et d’un Freud – pour ne prendre que quelques uns parmi les plus importants – se situent dans une dépendance non dite par rapport à l’impulsion prophétique. Raymund Schwager
Dans le cours des siècles, la science a infligé à l’égoïsme naïf de l’humanité deux graves démentis. La première fois, ce fut lorsqu’elle a montré que la terre, loin d’être le centre de l’univers, ne forme qu’une parcelle insignifiante du système cosmique dont nous pouvons à peine nous représenter la grandeur. Cette première démonstration se rattache pour nous au nom de Copernic, bien que la science alexandrine ait déjà annoncé quelque chose de semblable. Le second démenti fut infligé à l’humanité par la recherche biologique, lorsqu’elle a réduit à rien les prétentions de l’homme à une place privilégiée dans l’ordre de la création, en établissant sa descendance du règne animal et en montrant l’indestructibilité de sa nature animale. Cette dernière révolution s’est accomplie de nos jours, à la suite des travaux de Ch. Darwin, de Wallace et de leurs prédécesseurs, travaux qui ont provoqué la résistance la plus acharnée des contemporains. Un troisième démenti sera infligé à la mégalomanie humaine par la recherche psychologique de nos jours qui se propose de montrer au moi qu’il n’est seulement pas maître dans sa propre maison, qu’il en est réduit à se contenter de renseignements rares et fragmentaires sur ce qui se passe, en dehors de sa conscience, dans sa vie psychique. Les psychanalystes ne sont ni les premiers ni les seuls qui aient lancé cet appel à la modestie et au recueillement, mais c’est à eux que semble échoir la mission d’étendre cette manière de voir avec le plus d’ardeur et de produire à son appui des matériaux empruntés à l’expérience et accessibles à tous. D’où la levée générale de boucliers contre notre science, l’oubli de toutes les règles de politesse académique, le déchaînement d’une opposition qui secoue toutes les entraves d’une logique impartiale. Sigmund Freud (Introduction à la psychanalyse, 1916)
Freud a décrit trois grandes blessures historiques au narcissisme primaire du sujet humain égocentrique, qui essaie de tenir la panique à distance par le fantasme de l’exceptionnalisme humain. La première est la blessure copernicienne qui a enlevé la Terre elle-même, le monde natal de l’homme, du centre du cosmos et a en effet ouvert la voie à ce cosmos pour s’ouvrir dans un univers de temps et d’espaces inhumains et non-mélodiques. La science a fait cette coupe décentrée. La deuxième blessure est la darwinienne, qui a mis l’Homo sapiens fermement dans le monde des autres bestioles, essayant tous de gagner leur vie terrestre et évoluant ainsi les uns par rapport aux autres sans les garanties de panneaux directionnels qui culminent dans l’Homme. La science a également influé sur cette coupure cruelle. La troisième blessure est la freudienne, qui posait un inconscient qui annulait la primauté des processus conscients, y compris la raison qui réconfortait l’homme avec son excellence unique, avec de terribles conséquences pour la téléologie une fois de plus. La science semble aussi tenir cette lame. Je veux ajouter une quatrième blessure, l’informatique ou cyborgienne, qui imprègne la chair organique et technologique et fusionne également ce Grand Partage. Donna J. Haraway
Il est peu probable que les nouvelles religions émergeront des grottes d’Afghanistan ou des madrasas du Moyen-Orient. Elles sortiront plutôt des laboratoires de recherche. De même que le socialisme s’est emparé du monde en lui promettant le salut par la vapeur et l’électricité, dans les prochaines décennies les nouvelles techno-religions conquerront peut-être le monde en promettant le salut par les algorithmes et les gènes. Yuval Harari
Que feront les humains conscients le jour où nous aurons des algorithmes non conscients, capables de presque tout faire mieux que nous ? (…) Ces dernières décennies, les pays ont connu une autre révolution, le déclin des emplois industriels, accompagné d’un essor des services. En 2010, 2 % seulement des Américains travaillaient dans l’agriculture, 20 % dans l’industrie, et 78 % comme enseignants, médecins, web designers, etc. Que ferons-nous quand des algorithmes stupides seront capables d’enseigner, de diagnostiquer et de dessiner mieux que des êtres humains ? (…) Tandis que les algorithmes chassent les hommes du marché du travail, la richesse et le pouvoir pourraient bien se concentrer entre les mains de la minuscule élite qui possède les algorithmes tout-puissants, ce qui créerait une inégalité sociale et politique sans précédent. (…) L’aubaine technologique à venir permettra probablement de nourrir et d’entretenir ces masses inutiles sans qu’elles aient même à lever le petit doigt. Mais qu’est-ce qui pourra les tenir occupées et les satisfaire ? Les gens ont besoin de faire quelque chose, sous peine de devenir fous. Que feront-ils de leurs journées ? La drogue ou les jeux vidéo pourraient être une des réponses. Les inutiles pourraient passer toujours plus de temps dans les mondes de la réalité virtuelle en 3D, qui leur procurerait bien plus d’excitation et d’intensité émotionnelle que la glauque réalité extérieure. Une telle évolution porterait cependant un coup mortel à la croyance libérale au caractère sacré de la vie et des expériences humaines. Qu’y a-t-il de sacré dans des clochards qui passent leurs journées à se gaver d’expériences artificielles dans La La Land ? (…) Google nous conseillera quel film voir, où aller en vacances, quelle matière étudier à la fac, quelle offre d’emploi accepter, voire avec qui sortir et qui épouser. (…) En échange de conseils aussi précieux, il nous faudra simplement renoncer à l’idée que les êtres humains sont des individus, que chaque humain a son libre arbitre pour déterminer ce qui est bien, ce qui est beau, et le sens de la vie. (…) Des coutumes libérales comme les élections démocratiques vont devenir obsolètes : Google saura même représenter mes opinions politiques mieux que moi. (…) Comment Facebook pourrait-il obtenir ces données politiques d’une valeur inestimable ? C’est nous qui les lui donnons gratuitement. À l’apogée de l’impérialisme européen, conquistadors et marchands achetaient des îles et des contrées entières contre des perles de couleur. Au XXIe siècle, nos données personnelles sont probablement la ressource la plus précieuse que la plupart des humains puissent encore offrir, et nous les donnons aux géants de la technologie en échange de services de messagerie et de vidéos de chats. Yuval Hariri
La surmodernité, c’est un peu la démocratisation de l’angoisse pascalienne (…) chaque individu face à l’étendue de la planète, sans le secours des anciennes médiations. Marc Augé
Il y a plus faux que le faux, c’est le mélange du vrai et du faux. Paul Valéry
Il y a deux Histoires : l’Histoire officielle, menteuse qu’on enseigne, l’Histoire ad usum delphini puis l’Histoire secrète, où sont les véritables causes des événements, une histoire honteuse. Balzac (Illusions perdues)
Selon la théorie de la conspiration, tout ce qui arrive a été voulu par ceux à qui cela profite. (…) On ne croit plus aux machinations des divinités homériques, auxquelles on imputait les péripéties de la Guerre de Troie. Mais ce sont les Sages de Sion, les monopoles, les capitalistes ou les impérialistes qui ont pris la place des dieux de l’Olympe homérique. Karl Popper (1948)
Ne jamais attribuer à la malveillance ce que la bêtise suffit à expliquer. Robert J. Hanlon
Toujours préférer l’hypothèse de la connerie à celle du complot. La connerie est courante. Le complot exige un esprit rare. Michel Rocard
Selon le sociologisme — cette perversion de la sociologie — l’individu étant le jouet des structures et des institutions, la seule question intéressante et pertinente est celle de savoir à qui profitent ces structures et ces institutions ? Plus familièrement, qui tire les ficelles ? Par définition, la classe dominante, bien entendu. La popularité de ce schéma a été si grande dans les années 60 et 70 que beaucoup de livres ont porté ou auraient pu porter un titre de type : A qui profite… ? A qui profite l’Ecole ? A qui profite la Justice ? A qui profite la Culture ? A qui profite la Langue ? Bref, le sociologisme utilise toujours de façon plus ou moins subtile, le schéma explicatif familier que Popper appelle la « théorie de la conspiration ». Raymond Boudon (1983)
[Ceux qui votent FN] sont des gens qui sont en bas de l’échelle des revenus mais aussi de l ‘échelle des savoirs. Plus le niveau de culture est élevé, plus on est à l’abri d’un vote Le Pen. Pascal Perrineau
Cette place du système des grandes écoles dans la production des élites économiques, politiques, intellectuelles, mais aussi dans les médias, au détriment des diplômés « ordinaires » des universités ou des non-diplômés explique le phénomène souvent dénoncé de « connivence des élites ». Nul besoin de supposer complots et conspirations. Le fait de provenir des mêmes familles de la bourgeoisie, souvent parisienne, d’être passé par les mêmes formations et d’avoir toujours vécu dans le même environnement et avec les mêmes cadres de référence (d’être entre hommes aussi, car les femmes sont quasiment absentes de ces milieux de pouvoirs…) suffit à expliquer l’uniformité des visions du monde et le sens d’un destin partagé. Un travail intensif de sociabilité, au sein des cercles, clubs et autres lieux d’interconnaissance renforce cette cohésion : les relations mobilisables, fortes des ressources diversifiées des membres du réseau, permettent de décupler les pouvoirs de chacun. L’internationalisation des lieux de pouvoir économiques et politiques peut-il être un facteur de renouvellement des élites hexagonales ? (…) En outre, la mondialisation, loin d’ouvrir l’accès aux cercles dirigeants, tend plutôt à en renforcer la sélectivité. (…) Les résultats des élections sur les enjeux européens marquent bien ces clivages : les membres des classes populaires expriment leur refus d’un processus qui les fragilise et les éloigne des lieux de pouvoir, alors que les membres des classes supérieures sont massivement favorables à un élargissement de leur champ d’action. Anne-Catherine Wagner (université de Paris 1-Sorbonne, Centre de sociologie européenne)
Depuis le début des années 1990, articles, ouvrages et prises de position se sont multipliés en effet sur la progression inquiétante du « virus populiste ». Les interprétations se focalisent sur les élections et les scores inattendus obtenus par des forces au « nationalisme rétrograde » emmenées par un leader « charismatique ». Elles insistent, quels que soient les contextes historiques et nationaux, sur le ralliement massif des « exclus » et notamment des fractions populaires, les plus durement touchées par la « crise sociale », à des démagogues anti-démocrates dont les talents de tribun savent gagner les plus crédules aux solutions simplistes qu’ils proposent. (…) Être trop démocratique en voulant s’appuyer sur le peuple, c’est jouer contre la démocratie. C’est que le peuple, à l’inverse des élites, ne comprend pas bien l’importance des élections et n’est pas protégé grâce à une véritable compétence des tentations pour des solutions à courte vue et dangereuses (...) L’équation entre électorat populaire et démagogie frontiste s’est ainsi banalisée. Elle n’en soulève pas moins quelques paradoxes. Alors qu’il prétend être une catégorie d’analyse, le populisme est d’abord une injure politique. Les multiples commentaires indignés et inquiets qu’il autorise en témoignent : « croisés de la société fermée », « largués, paumés, incultes », « archaïques et rétrogrades » selon les jugements prononcés lors du référendum européen de 2004. Plus surprenant encore : alors qu’elle propose une nouvelle classification du FN bien plus floue et bien moins stigmatisante que les précédentes labellisations de fascisme ou d’extrême droite auxquelles elle se substitue, la désignation rend licites des verdicts d’une extrême violence contre les groupes populaires ayant apporté leur voix à ce parti. Le populisme ouvre sur un blâme du « peuple », tout en retenant la charge du discrédit contre l’organisation frontiste. Un blâme particulier dans lequel alternent cependant mépris et crainte. Les groupes populaires seraient en effet responsables de la survie politique d’une organisation indigne moralement et politiquement ; en même temps, ils auraient des excuses. Leur crédulité, liée à leur manque d’éducation, serait renforcée par la « crise sociale » qui aurait suscité chez eux une anomie et une insatisfaction politique nouvelle et durable les rendant disponibles pour les partis les plus extrêmes (exploitant leurs « malaises sociaux » contre la démocratie). On ne peut que s’étonner devant cette insistance générale à situer dans les classes populaires la source principale de la menace frontiste, à moins de voir en elle une forme de réassurance morale. Il est plus rassurant en effet (mais aussi plus économe scientifiquement et plus médiatiquement spectaculaire) d’affirmer que ce sont les individus ou les groupes les moins légitimes socialement qui se retrouvent dans le programme d’une organisation indigne moralement et politiquement, que de commencer une enquête sur les raisons toujours locales et hétérogènes d’un vote. On découvrirait pourtant par exemple que dans le Sud Est existent un vote idéologiquement constitué pour l’extrême droite (depuis les années 1960 et Tixier-Vignacourt) et un « vote de villas » accompli par des retraités très aisés. De même s’apercevrait-on qu’en Alsace le vote FN l’emporte souvent dans des bourgs où les ouvriers sont aux abonnés absents. (…)Changement de conjoncture politique et intellectuelle sans doute qui, d’abandons en revirements, invite à voir désormais dans le peuple (et les fractions les plus démunies) le principal problème à résoudre pour la démocratie et non plus une cause à défendre et dans « l’appel au peuple » une véritable anomalie mettant en péril l’ordre démocratique installé par les élites compétentes. Autre façon de réaffirmer la supériorité morale de ces dernières.Annie Collovald
La notion de « populisme» a connu un bien étrange voyage qui lui a fait accomplir une totale révolution sur elle-même au point d’en changer complètement la signification et les enjeux intellectuels et politiques qu’elle recouvrait initialement. Valorisant hier le populaire, elle le stigmatise aujourd’hui. Rien n’en témoigne mieux que les usages savants et politiques actuels du « populisme du FN » qui s’imposent, en faisant oublier les autres définitions du populisme qui ont eu cours et l’existence de rapports du populaire au politique fort différents de celui mis désormais en exergue. Sous l’apparente filiation du mot dont l’histoire remonte à la fin du xixe siècle, des ruptures de signification et un renversement de perspective se sont ainsi opérés. Cette reconversion des points de vue signe alors pour les groupes populaires la perte du sens des causes qu’ils ont défendues et porte à méconnaître le rôle de « l’appel au peuple » dans l’histoire sociale de la construction des démocraties. Le « populisme » occupe désormais une place prédominante dans les commentaires politiques et savants pour désigner le Front National et des phénomènes qui, à son instar, ont été longtemps pensés comme relevant de l’extrême droite. (…) Alors qu’il prétend être une catégorie d’analyse, le « populisme » est pourtant également une injure politique. Les multiples commentaires indignés et inquiets qu’il autorise en témoignent : « croisés de la société fermée » (Perrineau, 2001), « largués, paumés, incultes », « archaïques et rétrogrades » selon les jugements prononcés au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle de 2002. Déjà étonnamment double dans son statut, à la fois notion savante et insulte politique, la dénomination de « populisme » surprend encore autrement. Alors même qu’elle propose une nouvelle classification du FN bien plus floue et bien moins stigmatisante que les précédentes labellisations de fascisme ou d’extrême droite auxquelles elle se substitue, la désignation rend licites des verdicts d’une extrême violence contre les groupes populaires ayant apporté leur voix à ce parti. Le « populisme du FN » ouvre sur un blâme du « peuple », tout en retenant la charge du discrédit contre l’organisation frontiste. Un blâme particulier cependant dans lequel alternent mépris et crainte. Les groupes populaires seraient en effet responsables de la survie politique d’une organisation indigne moralement et politiquement ; en même temps, ils auraient des excuses. Leur crédulité, liée à leur manque d’éducation, serait renforcée par la crise sociale qui aurait suscité chez eux une anomie et une insatisfaction politique nouvelle et durable les rendant disponibles pour les partis les plus extrêmes (exploitant leurs « malaises sociaux » contre la démocratie). (…) Le déplacement opéré sur ces derniers n’est pas innocent pour la compréhension des conditions de réussite politique du FN. Celles-ci ne sont plus recherchées dans le capital politique collectif du parti, dans les pratiques militantes de ses représentants ou encore dans l’offre politique actuelle et la concurrence entre élites politiques, mais dans la seule relation nouée entre Jean-Marie Le Pen et ses troupes électorales et plus précisément encore dans les dispositions préalablement ajustées des électeurs aux thèses idéologiquement autoritaires portées par le FN. En ce sens, l’explication se ferme et, en se simplifiant, se fait tautologique : seuls des électeurs illégitimes socialement peuvent se retrouver dans les idées illégitimes de ce parti. En exonérant d’emblée les élites sociales de tout penchant pour le FN puisque, protégées par leur diplôme et leur niveau de vie, elles sont insoupçonnables de toute crédulité pour des thèses « simplistes » et racistes, l’explication rejoue ainsi sur un plan apparemment descriptif (les résultats de sondages électoraux, (Mayer, 2002) l’idée de la supériorité morale des élites sociales. (…) Il en est ainsi de l’explication des mobilisations électorales dont bénéficie le parti lepéniste par l’anomie et la frustration engendrée par la « crise sociale » et qui frapperait naturellement les plus démunis, principales victimes de la dégradation des conditions de vie. Ou encore de l’explication par l’adhésion naïve aux discours de Jean-Marie Le Pen dont les performances médiatiques de démagogue susciteraient l’engouement des moins « cultivés ». Ces explications qui font presque consensus dans les mondes intellectuels, journalistiques et politiques, justifient et confortent la thèse hautement conservatrice de « l’ingouvernabilité des démocraties lorsqu’elles sont soumises à une surcharge de demandes populaires ». Inventée dans les années 1970 dans un rapport fourni à la Trilatérale et visant explicitement à lutter contes les « excès de démocratie » (grèves, manifestations, droits syndicaux, liberté d’opinion) (Hermet, 1986), cette thèse était restée confinée dans le huis clos des dirigeants. Elle ressurgit désormais sous des formes renouvelées dans les discours politiques soit pour affirmer que les responsables politiques ne peuvent répondre à toutes les « émotions populaires » (Lionel Jospin en 1997 face aux mobilisations des chômeurs) soit pour vanter la « démocratie pacifiée » (Jacques Chirac face au taux d’abstention record lors du référendum sur l’Europe). Ressurgit également la thèse de « l’autoritarisme des classes populaires » qui place d’emblée sous un signe négatif toutes les mobilisations populaires. Elles deviennent même « irrationnelles » en préférant des acteurs politiques hors système et non les partis de gouvernement (confortant la « crise de légitimité » politique supposée frapper et fragiliser la démocratie). (…)Le passage sur la scène publique du « populisme » dans le milieu des années 1980 conserve cette première acception tout en mêlant dans une même dénonciation des représentants de la gauche et de la droite : Edith Cresson, Bernard Tapie, Jacques Chirac en ont chacun fait les frais. En était la cause leur « style » réputé mettre en avant leur personne et non les idées défendues, jouer contre les élites installées en flattant les peurs ou les instincts populaires sans en appeler aux capacités de réflexion des citoyens. Leur vocabulaire « cru » et « grossier » devenait le meilleur indicateur de la dégradation morale du jeu politique qu’ils impulsaient. En désignant maintenant le FN, le mot projette désormais les traits « vulgaires » et « dégradants » prêtés avant aux leaders « populistes » sur les groupes populaires réputés les suivre aveuglément. Cette projection naturalise dans le comportement des groupes populaires, ce qui auparavant était situé dans les rapports que les élites intellectuelles et politiques nouaient avec le peuple et souvent contre lui. Elle trouve une illustration exemplaire dans « l’autoritarisme » prêté aux classes populaires et expliquant leurs rapports subjugués à J.-M. Le Pen alors que cette notion qualifiait précédemment un régime politique accaparé par une collégialité d’élites en concurrence entre elles.L’essentialisme qui en découle empêche alors de percevoir que le « populisme du FN » provient d’une définition importée de débats politiques très localisés idéologiquement aux États-Unis. La notion telle qu’elle est construite par P.-A. Taguieff et reprise par les autres savants français est directement issue des débats portant sur la « nouvelle droite américaine ». Le « populisme » se définit ici contre d’autres définitions en cours aux États-Unis tant dans l’univers savant qu’à gauche de l’échiquier politique. Il vise à donner une apparence populaire et d’éthique philanthropique à une entreprise néo-conservatrice sur le plan économique et politique, pour mieux la présenter comme révolutionnaire et déstabiliser les conservateurs jugés dépassés. L’enjeu n’est pas, on le comprend, de bouleverser l’ordre établi au profit des groupes les plus démunis ; il est de le bouleverser au profit de ces nouveaux prétendants, au profil social décalé par rapport aux membres de la haute bourgeoisie qui tiennent les places fortes de l’économie et de la décision politique, et bien plus radicaux dans le libéralisme économique que l’ancienne élite néo-libérale. Faire du « populisme » pour cette avant-garde radicale ne consiste pas à valoriser le peuple, mais à se servir de lui pour conférer un semblant de légitimité sociale à une cause qui lui est étrangère. C’est dire combien les usages actuels de « populisme » brouillent idéologiquement l’histoire politique de la notion. Elle brouille également l’enjeu politique qu’a constitué initialement « l’appel au peuple ». (...) L’appel au peuple était alors une stratégie visant à donner position, autorité et dignité à des groupes sociaux exclus de toute représentation politique et, avec eux, à faire entendre les causes sociales et politiques qu’ils défendaient et desquelles se désintéressaient ceux qui monopolisaient les postes de pouvoir. Sous cet angle, les « populistes » d’alors, ceux qui « font appel au peuple », ont des positions de gauche remettant en cause le conservatisme dominant. Il en est de même en France où les premiers à tenter de mobiliser les groupes relégués aux marges de l’espace social et politique sont les organisations ouvrières socialisantes. Ce qui était ainsi en jeu c’était une transformation du mode de domination politique reposant sur l’émancipation sociale et politique des groupes populaires. Retournant l’illégitimité sociale en source de légitimation politique, ces entreprises posaient la représentativité sociale en fondement du droit à intervenir en politique, promouvaient, sélectionnaient, formaient, encadraient les membres de la classe ouvrière pour en faire de nouvelles élites politiques (Pudal, 1988). En oubliant cet enjeu politique de démocratisation du jeu politique, se trouvent également oubliées les réactions politiques qu’il a suscitées. Pourtant les contre-offensives des conservateurs ont été nombreuses. Surtout, elles ont contribué, comme l’ont montré S. Barrows (1990) et A. Hirschman (1991) à transformer en pathologie et en menace (les « foules hystériques et criminelles ») ces mouvements voulant rendre la démocratie du moment plus démocratique qu’elle ne l’était : voulant en quelque sorte la « peupler » alors qu’elle était réservée à une étroite élite sociale, et la conformer ainsi aux idéaux professés. La stigmatisation du populaire aujourd’hui via le « populisme du FN » ne serait-elle pas le signe d’une nouvelle conjoncture intellectuelle et politique dans laquelle les élites politiques d’aujourd’hui (et leurs auxiliaires et conseillers) ne voient plus dans les groupes populaires une cause à défendre, mais un « peuple sans classe » devenu un problème à résoudre ? Annie Collovald
Le populisme ressemble aujourd’hui à un inventaire à la Prévert, la poésie en moins. Chirac, Berlusconi, Sarkozy, Tapie, Cresson, Chávez, Le Pen, Haider, Fortuyn, Bové, Lula, Mélenchon ont été rejoints par Orbán, Salvini, Corbyn, Trump, Kaczyński, Strache, Iglesias, dans la longue et multicolore liste des « qualifiés » de populistes. En France, quand son usage s’impose dans les années 1990, le mot renvoie au Front national (FN), considéré comme un « appel au peuple » rassemblant des « mécontents » dressés contre les élites établies et séduits par le charisme de Jean-Marie Le Pen, la magie de son verbe et ses idées xénophobes. (…) Le mot « populisme » attise surtout l’inquiétude pour la démocratie et la suspicion à l’égard des classes populaires, notamment sur leur prédilection supposée pour les hommes politiques aux idées courtes et au racisme affiché. Prétendant expliquer, le mot disqualifie d’emblée en rendant infréquentables ceux qu’il caractérise ; il autorise alors le renvoi au rang de notion vintage le clivage droite/gauche au profit d’un nouveau clivage distinguant les gens raisonnables, ouverts, progressistes vis-à-vis des radicaux, nationalistes, fermés (songeons aux discours de Merkel ou Macron) ; bref, vis-à-vis de tous les « incompatibles » supposés (du fait de leurs « valeurs » et de leurs « attitudes ») avec la démocratie et le progrès. Le mouvement des Gilets jaunes fait aujourd’hui les frais d’une telle stigmatisation et donne involontairement du crédit à de tels jugements. Mais le plus étonnant dans ces usages intempestifs d’un tel label « chamallow » est l’étroite imbrication de la lutte politique et des controverses apparemment savantes. Historiens, philosophes, politistes se mobilisent et prennent explicitement position pour ou contre l’existence d’un populisme de gauche, ou bien sur la filiation populisme-fascisme, et concernant l’instauration de « démocraties illibérales » (comme en Pologne, en Hongrie)… (…) Le « populisme » attire d’abord le populaire. Son étymologie ne renvoie-t-elle pas au « peuple » ? Rien d’étonnant à ce qu’un parti indigne subjugue surtout les fractions sociales les plus illégitimes socialement : par manque de ressources culturelles et économiques, elles ont une crédulité réceptive aux thèses frustes et simplistes du FN, à l’inverse des plus éduqués et des plus riches, protégés par leur culture de toute adhésion à des idées xénophobes ou intolérantes. Le FN devient alors le premier parti ouvrier en France et le substitut du Parti communiste. Que dire ? Sinon que cette « évidence » confond analyse et préjugés, et que, mêlant injure et explication, elle lève des censures ouvrant sur l’affichage sans fard d’un racisme social sous l’apparence de constats « simplement » descriptifs. « Qui a inventé le terme de bougnoule, si ce n’est les classes populaires ? » s’interrogeait plaisamment un politologue réputé en 2005, lorsque les catégories populaires, au grand scandale des « élites éclairées », ont voté « non » au référendum sur le traité constitutionnel européen. Les usages du « populisme » ignorent droite et gauche, amalgament des partis aux pratiques et idéologies opposées, confèrent à un parti indigne politiquement et moralement une identité bien moins injurieuse que ses précédentes appellations (ce que le FN va s’empresser de reprendre à son compte à partir du milieu des années 1990, en se déclarant « populiste d’abord »). Ils brouillent également les notions de peuple et de populaire, et font opérer au mot lui-même une complète révolution idéologique entre hier et aujourd’hui. Longtemps absent du vocabulaire public de la polémique politique, où lui étaient préférés des termes comme « démagogie » ou « poujadisme », le « populisme » servait, selon la définition de Lénine, à dénoncer une stratégie dévoyée de mobilisation du peuple contre ses propres intérêts et contre ses principaux défenseurs. S’il stigmatisait, c’était ainsi pour insister moins sur la dangerosité d’une mobilisation politique « directe » du peuple que sur le danger que représentaient pour le peuple des prétentions à le défendre, venues d’intellectuels ou d’hommes politiques ne faisant que projeter sur lui leurs propres aspirations et leurs propres intérêts. En désignant maintenant le FN (ou d’autres extrêmes droites), le mot change de perspectives. Le danger n’est plus dans le jeu des élites ; il est dans les groupes populaires qui, xénophobes et incultes, ne cessent de se rallier à des causes détestables et de démontrer ainsi leurs indispositions pour la démocratie. Le populaire, hier valorisé, est aujourd’hui disqualifié au point d’être passé du statut de cause à défendre à celui de seul vrai « problème » pour la démocratie. À l’inverse, les élites sociales en ressortent tout auréolées de supériorité morale (même si les scandales à répétition les ébranlent un peu ces derniers temps…). La distance morale alors créée avec les plus démunis est telle que, pour les uns, elle justifie tous les abandons passés et futurs quand, pour les autres, elle incite à la récupération bruyante d’un peuple enfin réduit à leur propre image : « sans classe » et sans éthique politique. Mot cynique, injurieux, le « populisme » est triplement trompeur. Sur les partis qu’il désigne, bien moins sensibles idéologiquement aux classes populaires que défenseurs de politiques qui leur sont contraires. Sur le clivage libéraux/populistes, comme si n’existaient plus ni droite ni gauche, ni domination sociale et politique, et que les appétences autoritaires ne concernaient que les seconds et épargnaient les premiers. Sur ce qui menace réellement la démocratie, enfin. En classant les élites sociales à l’écart du « populisme », le mot les exonère du retournement autoritaire que connaît la démocratie dans ses règles pratiques et juridiques ; elle les disculpe de la montée des intolérances et des inégalités dont témoignent les politiques mises en œuvre : contrôle des « mauvais pauvres », licenciements à la pelle, fermetures d’usines qui font pourtant des bénéfices, maltraitance des populations « migrantes » toujours vues comme délinquantes, chasse aux enfants autour des écoles, criminalisation de leurs défenseurs syndicaux, associatifs… Rien n’interdit pourtant de penser que le destin de la démocratie se joue là, dans le cours ordinaire de la compétition et des décisions politiques des acteurs centraux, et non lors des élections ou de la montée d’« extrêmes ». Prétendant expliquer, le mot « populisme » disqualifie d’emblée en rendant infréquentables ceux qu’il caractérise. Le mot attise surtout la suspicion à l’égard des classes populaires, notamment sur leur prédilection supposée pour les hommes politiques aux idées courtes et au racisme affiché.Annie Collovald
S’il convient de pas sous-estimer le rôle joué par les réseaux sociaux, il ne faut pas non plus les surestimer, comme nous y incitent ceux qui croient tout expliquer par l’évolution des technologies de l’information et de la communication. Les réseaux sociaux contribuent puissamment à la propagation des théories du complot, mais dans des contextes où ces dernières satisfont des demandes sociales qu’ils n’ont pas suscitées. Ces demandes dérivent principalement de besoins cognitifs, qui sont des besoins d’ordre, d’intelligibilité et de sens. Or, les réponses trouvées et sélectionnées sont marquées par différents biais cognitifs: de confirmation, d’hypothèse, d’intentionnalité, de disponibilité, etc. On peut y voir autant de façons de réduire la dissonance cognitive suscitée par la coprésence de représentations contradictoires des évènements. Pierre-André Taguieff
Les récits conspirationnistes accusatoires sont structurés selon cinq principes, ou règles d’interprétation des événements. De ces règles et d’un certain nombre de biais cognitifs dérivent les représentations et les croyances composant l’imaginaire conspirationniste. (…) Cet ensemble de règles constitue un modèle d’intelligibilité de la pensée conspirationniste en tant que forme de pensée sociale, tel que je l’ai présenté dans mes travaux récents. Énumérons-les. (1) Rien n’arrive par accident. Rien, dans les séries événementielles qui suscitent de la surprise et de l’anxiété, n’est accidentel ou insensé, ce qui implique une négation du hasard, de la contingence, des coïncidences fortuites. On connaît la formule : « Ce n’est pas un hasard si… » (…) (2) Tout ce qui arrive est le résultat d’intentions ou de volontés cachées. Il s’agit, plus précisément, d’intentions mauvaises ou de volontés malveillantes, les seules qui intéressent les esprits conspirationnistes, qui privilégient les événements malheureux et inquiétants : crises, bouleversements, catastrophes, attentats terroristes, assassinats politiques. Ces événements sont expliqués en répondant à la question magique : « À qui profite le crime ? » D’où la question : « Qui est derrière ? » (3) Rien n’est tel qu’il paraît être. Tout se passe dans les « coulisses » ou les « souterrains » de l’histoire. Les apparences sont donc toujours trompeuses, elles se réduisent à des mises en scène. La vérité historique est dans la « face cachée » des phénomènes. La vérité ne peut être qu’« ailleurs », sa découverte impliquant de déjouer les pièges tendus par les manipulateurs, les experts en « faire-croire ». L’axiome est ici : « On nous manipule. » (…) (4) Tout est lié ou connecté, mais de façon occulte. « Tout se tient », dit le complotiste, prenant la posture de l’initié, incarnant à la fois le contre-expert, l’alter-expert et le super-expert, susceptible de jouer le rôle du voyant, du visionnaire ou du prophète. On rencontre ici le biais de conjonction qui, largement répandu dans la pensée sociale ou le savoir populaire, consiste à percevoir la probabilité de la conjonction de deux événements. (…) (5) Tout ce qui est officiellement tenu pour vrai doit faire l’objet d’un impitoyable examen critique, visant à le réduire à des croyances fausses ou à des mensonges. C’est la règle de la critique dérivant du soupçon systématique, ou plus exactement celle de l’hypercritique s’appliquant à tout discours officiel. (…) Il faut souligner le fait (…) que, pour les complotistes, tout ne doit pas être passé au crible de la critique, mais seulement la version « officielle », perçue comme telle, qui est donnée de l’événement. Il y a donc une frappante « asymétrie cognitive » chez les complotistes qui, surtout depuis le 11 Septembre, font preuve d’un extrême esprit critique envers la version « officielle » d’un quelconque événement en même temps que d’une extrême crédulité à l’égard des « théories du complot » qui se présentent comme des explications « alternatives ». Pierre-André Taguieff
A l’endroit où j’ai pris ma photo, dans la ville de Bucha, j’ai rencontré plusieurs citoyens et tout le monde m’a dit que les voitures avaient été renversées par des Russes avec des chars, mais ils ne savaient pas pourquoi les Russes avaient fait cela. Emanuele Satolli (photographe italien)
[C’était] une cabale bien financée de personnes puissantes, issues de différents secteurs et idéologies, travaillant ensemble dans les coulisses pour influencer les perceptions, changer les règles et les lois, diriger la couverture médiatique et contrôler le flux d’informations. Ils ne truquaient pas les élections; ils la fortifiaient. (…) En fin de compte, près de la moitié des électeurs ont voté par correspondance en 2020, pratiquement une révolution dans la façon dont les gens votent. Environ un quart ont voté tôt en personne. Seul un quart des électeurs ont voté de manière traditionnelle: en personne le jour du scrutin. (…) La philanthropie privée est entrée en lice. Un assortiment de fondations a contribué des dizaines de millions de dollars en financement de l’administration électorale. L’initiative Chan Zuckerberg a apporté 300 millions de dollars (…) Le soulèvement pour la justice raciale déclenché par l’assassinat de George Floyd en mai n’était pas avant tout un mouvement politique. Les organisateurs qui ont contribué à sa direction voulaient tirer parti de son élan pour les élections sans lui permettre d’être coopté par les politiciens. Nombre de ces organisateurs faisaient partie du réseau de Podhorzer, des militants des États du champ de bataille qui s’est associé à la Democracy Defence Coalition pour des organisations ayant des rôles de premier plan dans le Mouvement pour les vies noires. (…) Le soulèvement de l’été avait montré que le pouvoir du peuple pouvait avoir un impact énorme. Les militants ont commencé à se préparer à reprendre les manifestations si Trump tentait de voler les élections. «Les Américains prévoient des manifestations généralisées si Trump interfère avec les élections», annonçait Reuters en octobre, l’une des nombreuses nouvelles de ce genre. Plus de 150 groupes de gauche, de la Marche des femmes au Sierra Club en passant par Colour of Change, de Democrats.com aux Socialistes démocrates d’Amérique, ont rejoint la coalition «Protégez les résultats». Le site Web du groupe, aujourd’hui disparu, contenait une carte répertoriant 400 manifestations postélectorales prévues, qui devaient être activées par SMS dès le 4 novembre. (…) Fox News a surpris tout le monde en appelant l’Arizona pour Biden. La campagne de sensibilisation du public avait fonctionné: les présentateurs de télévision se mettaient en quatre pour conseiller la prudence et encadrer le décompte des voix avec précision. Time
Toutes les stratégies que les intellectuels et les artistes produisent contre les « bourgeois » tendent inévitablement, en dehors de toute intention expresse et en vertu même de la structure de l’espace dans lequel elles s’engendrent, à être à double effet et dirigées indistinctement contre toutes les formes de soumission aux intérêts matériels, populaires aussi bien que bourgeoises. Pierre Bourdieu
Il y a autant de racismes qu’il y a de groupes qui ont besoin de se justifier d’exister comme ils existent, ce qui constitue la fonction invariante des racismes. Il me semble très important de porter l’analyse sur les formes du racisme qui sont sans doute les plus subtiles, les plus méconnaissables, donc les plus rarement dénoncées, peut-être parce que les dénonciateurs ordinaires du racisme possèdent certaines des propriétés qui inclinent à cette forme de racisme. Je pense au racisme de l’intelligence. (…) Ce racisme est propre à une classe dominante dont la reproduction dépend, pour une part, de la transmission du capital culturel, capital hérité qui a pour propriété d’être un capital incorporé, donc apparemment naturel, inné. Le racisme de l’intelligence est ce par quoi les dominants visent à produire une « théodicée de leur propre privilège », comme dit Weber, c’est-à-dire une justification de l’ordre social qu’ils dominent. (…) Tout racisme est un essentialisme et le racisme de l’intelligence est la forme de sociodicée caractéristique d’une classe dominante dont le pouvoir repose en partie sur la possession de titres qui, comme les titres scolaires, sont censés être des garanties d’intelligence et qui ont pris la place, dans beaucoup de sociétés, et pour l’accès même aux positions de pouvoir économique, des titres anciens comme les titres de propriété et les titres de noblesse.Bourdieu
Les privilégiés, prisonniers des filets qu’ils se jetaient réciproquement, se maintenaient pour ainsi dire les uns les autres dans leurs positions, même s’ils ne supportaient qu’à contre-cœur le système. La pression que les inférieurs ou les moins privilégiés exerçaient sur eux les forçait à défendre leurs privilèges. Et vice versa : la pression d’en haut engageait les désavantagés à s’en affranchir en imitant ceux qui avaient accédé à une position plus favorable ; en d’autres termes, ils entraient dans le cercle vicieux de la rivalité de rang. Celui qui avait le droit d’être de la première ‘entrée’, de tendre la chemise au roi, méprisait celui qui ne bénéficiait que de la troisième, ne voulait sous aucun prétexte lui céder, le prince se sentait supérieur au duc, le duc supérieur au marquis, et tous ensemble, en tant que membres de la ‘noblesse’, ne voulaient et ne pouvaient céder le pas aux roturiers soumis à l’impôt. Une attitude en produisait une autre ; grâce aux effets de l’action et de la réaction, le mécanisme social s’équilibrait, se stabilisait dans une sorte d’équilibre instable. Norbert Elias (La société de cour)
Louis XIV est si complètement identifié à la position qu’il occupe dans le champ de gravitation dont il est le soleil qu’il serait aussi vain d’essayer de déterminer ce qui, entre toutes les actions survenant dans le champ, est ou n’est pas le produit de sa volonté que de faire la part, dans une musique, de ce qui est produit par le chef d’orchestre et de ce qui est le fait des musiciens. Sa volonté de dominer elle-même est le produit du champ qu’elle domine et qui fait tourner toute chose à son profit. (…) Ainsi, un «Etat» qui est devenu le symbole. (…) Le roi ne s’en tient pas simplement à l’ordre hiérarchique transmis par ses prédécesseurs. L’étiquette lui laisse une certaine marge de manœuvre, dont il se sert pour déterminer la part de prestige de chacun, même dans les affaires de peu d’importance. Il tire profit des aménagements psychologiques qui reflètent les structures hiérarchiques et aristocratiques de la société ; il tire profit de la rivalité des hommes de cour, toujours en quête de prestige et de faveurs, pour modifier, grâce à un dosage savant de ses marques de faveur, le rang et la considération des membres de la société de cour en fonction des nécessités de son pouvoir, pour créer des tensions internes et déplacer à son gré les centres d’équilibre» de l’absolutisme et qui présente au plus haut degré, pour le monarque absolu lui-même («L’Etat, c’est moi»), le plus directement intéressé à cette représentation, les apparences de l’Appareil, dissimule en réalité un champ de luttes dans lequel le détenteur du «pouvoir absolu» doit lui- même s’engager au moins assez pour entretenir les divisions et les tensions, c’est-à-dire le champ lui-même, et pour mobiliser l’énergie engendrée par l’équilibre des tensions. Le principe du mouvement perpétuel qui agite le champ ne réside pas dans quelque premier moteur immobile, -ici le Roi Soleil-, mais dans la lutte même qui, produite par les structures constitutives du champ, en reproduit les structures, les hiérarchies. Il est dans les actions et les réactions des agents qui, à moins de s’exclure du jeu, et de tomber dans le néant, n’ont pas d’autre choix que de lutter pour maintenir ou améliorer leur position dans le champ, c’est-à-dire pour conserver ou augmenter le capital spécifique qui ne s’engendre que dans le champ, contribuant ainsi à faire peser sur tous les autres les contraintes, souvent vécues comme insupportables, qui naissent de la concurrence. Bref, nul ne peut tirer profit du jeu, pas même ceux qui le dominent, sans s’engager dans le jeu, sans se prendre au jeu : c’est dire qu’il n’y aurait pas de jeu sans la croyance au jeu et sans les volontés, les intentions, les aspirations qui animent les agents et qui, produites par le jeu, dépendent de leur position dans le jeu, et plus précisément de leur pouvoir sur les titres objectivés du capital spécifique -cela même que le roi contrôle et manipule, en jouant de la marge de jeu que lui laisse le jeu. En imputant, comme le fonctionnalisme du pire, les effets de domination à une volonté unique et centrale, on s’interdit d’apercevoir la contribution propre que les agents (dominés inclus) apportent, qu’ils le veuillent ou non, qu’ils le sachent ou non, à l’exercice de la domination au travers de la relation qui s’établit entre leurs dispositions, liées à leurs conditions sociales de production, et les attentes et les intérêts inscrits dans leurs positions au sein de ces champs de luttes que désignent sténographiquement des mots comme Etat, Eglise ou Parti. En imputant, comme le fonctionnalisme du pire, les effets de domination à une volonté unique et centrale, on s’interdit d’apercevoir la contribution propre que les agents (dominés inclus) apportent, qu’ils le veuillent ou non, qu’ils le sachent ou non, à l’exercice de la domination au travers de la relation qui s’établit entre leurs dispositions, liées à leurs conditions sociales de production, et les attentes et les intérêts inscrits dans leurs positions au sein de ces champs de luttes que désignent sténographiquement des mots comme Etat, Eglise ou Parti. La soumission à des fins, des significations ou des intérêts transcendants, c’est-à-dire supérieurs et extérieurs aux intérêts individuels, n’est pratiquement jamais l’effet d’une imposition impérative et d’une soumission consciente. Cela parce que les fins dites objectives, qui ne se dévoilent, dans le meilleur des cas, qu’après coup et du dehors, ne sont pratiquement jamais appréhendées et posées comme telles sur le champ, dans la pratique même, par aucun des agents concernés, s’agirait-il des premiers intéressés, c’est-à-dire de ceux qui auraient le plus intérêt à en faire leurs fins conscientes, les dominants. La subordination de l’ensemble des pratiques à une même intention objective, sorte d’orchestration sans chef d’orchestre, ne s’accomplit que par l’intermédiaire de l’accord qui s’instaure comme en dehors des agents et par-dessus leur tête entre ce qu’ils sont et ce qu’ils font, entre leur «vocation» subjective (ce pour quoi ils se sentent «faits») et leur «mission» objective (ce que l’on attend d’eux), entre ce que l’histoire a fait d’eux et ce que l’histoire leur demande de faire, accord qui peut s’exprimer dans le sentiment d’être bien «à leur place», de faire ce qu’ils ont à faire, et de le faire avec bonheur -au sens objectif et subjectif- ou dans la conviction résignée de ne pouvoir pas faire autre chose qui est aussi une manière, moins heureuse, bien sûr, de se sentir fait pour ce qu’on fait. Pierre Bourdieu
Les conditionnements associés a une classe particulière de conditions d`existence produisent des habitus, systèmes de dispositions durables et transposables, structures structurées prédisposées à fonctionner comme structures structurantes, c’est-à-dire en tant que principes générateurs et organisateurs de pratiques et de représentations qui peuvent être objectivement adaptées à leur but sans supposer la visée consciente de fins et la maîtrise expresse des opérations nécessaires pour les atteindre, objectivement « réglées » et « régulières » sans être en rien le produit de l’obéissance à des règles, et, étant tout cela, collectivement orchestrées sans être le produit de l’action organisatrice d’un chef d’orchestre.Pierre Bourdieu
Dans la tradition marxiste, il y a une lutte permanente entre une tendance objectiviste qui cherche les classes dans la réalité (d’où l’éternel problème : «Combien y a-t-il de classes ? ») et une théorie volontariste ou spontanéiste selon laquelle les classes sont quelque chose que l’on fait. D’un côté, on parlera de condition de classe et de l’autre plutôt de conscience de classe. D’un côté, on parlera de position dans les rapports de production. De l’autre, on parlera de « lutte des classes », d’action, de mobilisation. La vision objectiviste sera plutôt une vision de savant. La vision spontanéiste sera plutôt une vision de militant. Pierre Bourdieu
Un des principes de la sociologie est de récuser le fonctionnalisme du pire : les mécanismes sociaux ne sont pas le produit d’une intention machiavélique ; ils sont beaucoup plus intelligents que les plus intelligents des dominants. Pierre Bourdieu
Des leurres bien faits pour détourner des lieux du gouvernement invisible des puissants … Des textes produits dans le plus grand secret, délibérément obscurs et édictant des mesures à effet retard, pareil à des virus informatiques, préparent l’avènement d’une sorte de gouvernement mondial invisible au service des puissances économiques dominantes …. Pierre Bourdieu
Les grandes firmes multinationales et leurs conseils d’administrations internationaux, les grandes organisations internationales, OMC, FMI et Banque mondiale aux multiples subdivisions désignées par des sigles et des acronymes compliqués et souvent imprononçables, et toutes les réalités correspondantes, commissions et comités de technocrates non élus, peu connus du grand public, bref, tout ce gouvernement mondial qui s’est en quelques années institué et dont le pouvoir s’exerce sur les gouvernements nationaux eux-mêmes, est une instance inaperçue et inconnue du plus grand nombre. Cette sorte de Big Brother invisible, qui s’est doté de fichiers interconnectés sur toutes les institutions économiques et culturelles, est déjà là, agissant, efficient, décidant de ce que nous pourrons manger ou ne pas manger, lire ou ne pas lire, voir ou ne pas voir à la télévision et au cinéma, et ainsi de suite (…). A travers la maîtrise quasi absolue qu’ils détiennent sur les nouveaux instruments de communication, les nouveaux maîtres du monde tendent à concentrer tous les pouvoirs, économiques, culturels et symboliques, et ils sont ainsi en mesure d’imposer très largement une vision du monde conforme à leurs intérêts. Pierre Bourdieu
Un véritable gouvernement mondial invisible, inaperçu et inconnu en tout cas du plus grand nombre, dont le pouvoir s’exerce sur les gouvernements nationaux eux-mêmes. Cette sorte de Big Brother, qui s’est doté de fichiers interconnectés sur toutes les institutions économiques et culturelles, est déjà là, agissant, efficient, décidant de ce que nous pourrons manger ou ne pas manger, lire ou ne pas lire, voir ou ne pas voir à la télévision ou au cinéma, et ainsi de suite. (…) A travers le pouvoir presque absolu qu’ils détiennent sur les grands groupes de communication, c’est-à-dire l’ensemble des instruments de production et de diffusion des biens culturels, les nouveaux maîtres du monde tendent à concentrer tous les pouvoirs, économiques, culturels et symboliques qui, dans la plupart des sociétés, étaient restés distincts, voire opposés, et ils sont ainsi en mesure d’imposer très largement une vision du monde conforme à leurs intérêts. Pierre Bourdieu (« La culture est en danger », 2000)
Dans les années 1990, en France, l’air du temps a entretenu – Taguieff l’a bien montré – une forte disposition au conspirationnisme. C’est aussi l’époque où Bourdieu est devenu un maître à penser pour une gauche radicale qui, souvent, l’a peu ou mal lu, et n’en retient que ce qui la caresse dans le sens du poil. Le motif conspirationniste – il faut insister sur ce point – est finalement très marginal dans l’œuvre de Bourdieu, n’apparaissant que rarement et tardivement, dans des textes d’intervention politique. Ses travaux les plus tardifs et les plus politisés sont aussi, à l’évidence, les plus faibles dans son œuvre de sociologue qui, heureusement, possède une force que ne soupçonnent guère, semble-t-il, ceux qui ne connaissent – si tant est qu’ils le connaissent – que le Bourdieu ‘‘militant’’. Ce n’est bien sûr pas un hasard si le conspirationnisme apparaît dans ces travaux-là : car c’est avant tout une grosse faiblesse, à la fois intellectuelle et psychique. Ne réduisons donc pas Bourdieu à ce moment d’égarement. Nathalie Heinich
Le dérèglement climatique dont les capitalistes, qui ont pillé les ressources naturelles pour s’enrichir, sont les seuls responsables, constitue leur ultime arme pour éliminer la partie la plus pauvre de l’humanité devenue inutile à l’heure des robots et de l’automatisation généralisée. L’intelligence artificielle régnera alors sur une planète au service des riches survivants, une fois que les ouragans, tempêtes, inondations et incendies gigantesques auront fait le sale boulot. C’est ce qui explique que les émissions de gaz à effet de serre augmentent toujours plus et que les milliardaires du monde entier se construisent des bunkers hautement sécurisés. Nous ne sommes pas dans le même bateau ! Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon (CNRS, 2019)
Mon curseur politique est simple, c’est celui de la révolution. Celui qui soutient le peuple qui veut se soulever contre ses maîtres est à gauche. A droite, il y a la défense des privilèges. Etienne Chouard
De grands médias et des politiciens de métier sont en train d’essayer de faire de moi un « Soralien », ce qui leur permettrait de discréditer d’un coup, sans argument de fond, la proposition ultra-démocratique de processus constituant populaire que je défends depuis dix ans. (…) Un jour, il y a trois ans je pense, je suis tombé sur une vidéo de Soral, que je ne connaissais pas, qui m’a intéressé : il y dénonçait le colonialisme raciste du gouvernement israélien et le sionisme comme idéologie de conquête, aux États-Unis mais aussi en France (en s’appuyant sur les livres — bouleversants — d’Israël Shahak, de Shlomo Sand, de Gilad Atzmon et d’autres que nous devrions tous lire, je pense). Pour moi qui travaille sur les abus de pouvoir, il est naturel d’être intéressé par toute étude d’un projet de domination, quel qu’il soit. En regardant un peu son site, j’ai vu qu’il étudiait, condamnait et résistait (comme moi), entre autres, à l’Union européenne, au capitalisme, à l’impérialisme, au colonialisme, au racisme, aux communautarismes, aux multinationales, aux complexes militaro-industriels et aux grandes banques d’affaires, à la prise de contrôle des grands médias par les banques et par les marchands d’armes, au libre-échange et au sabotage monétaire, aux innombrables et scandaleuses trahisons des élites, à toutes les guerres, à toutes les réductions des libertés publiques justifiées par la « lutte contre le terrorisme », etc. Bref, tous ces fronts de résistance étant, à mon avis, des fronts de gauche, et même de gauche radicale et vraie, j’ai ajouté naturellement un lien sur ma page d’accueil vers le site de Soral. Un lien, parmi des milliers — je ne savais pas encore que cela allait faire de moi, en quelques années, un homme à abattre. Je n’ai pas fait l’exégèse de l’auteur et du site signalés : j’ai juste cité le lien déniché, comptant comme d’habitude sur l’intelligence des gens — que je considère comme des adultes — pour distinguer ce qui y est pertinent de ce qui ne l’est pas, ce qui est bon de ce qui est mauvais. Et puis, je suis passé à autre chose, évidemment ; ma vie est une course permanente d’une idée à l’autre. À partir de ce moment, j’ai reçu des accusations violentes et des injonctions — souvent anonymes — à retirer ce lien, jugé diabolique. Or, j’ai horreur qu’on m’impose ce que je dois penser ou dire ; je veux bien changer d’avis (j’aime découvrir que je me trompe et progresser en changeant d’opinion), mais il ne suffit pas d’affirmer que je me trompe, même en criant que je suis un fasciste (sic), il faut me le prouver. Et si on veut me forcer à retirer un lien, il y a toutes les chances pour que je m’obstine (bêtement, je sais). (…) Pour revenir à Soral, j’ai rapidement compris qu’il n’est pas du tout un démocrate, évidemment : il est autoritaire et il défend une idéologie autoritaire, au strict opposé de ce que je défends moi. Je ne veux pas plus de sa « dictature éclairée » que de n’importe quelle dictature, évidemment. Mais malgré cela, une partie de son analyse du monde actuel (et non pas ses projets de société) me semble utile, objectivement, pour mon projet à moi, de compréhension des abus de pouvoir et de constituante populaire. Donc, pour ma part, je ne monte pas en épingle ce qui me déplaît chez Soral, je prends ce qui m’intéresse (les infos sur les fronts de gauche et sur la résistance au sionisme) et je laisse le reste, comme l’adulte libre de penser et de parler que je suis. On reproche à Soral un antisémitisme intense et assumé. Pourtant, quand on lui demande « êtes-vous antisémite ? », Soral répond « NON, dans le vrai sens du mot c’est-à-dire raciste ». Et il souligne aussitôt que le mot « antisémite », avec des guillemets, a progressivement changé de sens pour servir aujourd’hui de bouclier anti-critiques (ce que Mélenchon dénonce lui aussi, amèrement, avec raison et courage, je trouve, en appelant cette calomnie systématique « le rayon paralysant du CRIF ») : dans ce nouveau sens, complètement dévoyé, « antisémite » sert à qualifier tous ceux (même ceux qui ne sont ABSOLUMENT PAS racistes) qui critiquent et condamnent la politique — elle, officiellement raciste et criminelle — du gouvernement israélien (critiques d’un racisme qui sont donc un antiracisme). C’est ce nouveau sens seulement que Soral assumait, en martelant, en substance : « j’en ai marre de ce chantage à « l’antisémitisme » et de ces intimidations permanentes de la part d’ultra-racistes qui osent accuser de racisme des résistants à leur racisme ». Je trouve que ça se défend très bien, si on arrive à tenir le cap de l’humanisme, c’est-à-dire à ne pas devenir soi-même raciste en réaction à un racisme premier : il est essentiel, je pense, de ne pas devenir antisémite en réaction au sionisme : il ne faut surtout pas s’en prendre à tous les juifs au motif que certains sionistes seraient odieux et dangereux. Or, tout récemment, j’ai découvert dans une publication de Soral des propos terribles et dangereux qui me conduisent à changer d’avis sur la portée du lien que j’ai mis sur mon site. Dans une vidéo en direct de juin 2014 (1 minute, à partir de 47:54), Soral dit les mots suivants, que je n’avais jamais entendus de lui avant, et qui me choquent tous profondément : [Bon, j’ai commencé à transcrire, mais j’ai honte de seulement écrire des trucs pareils… Donc, j’arrête. Je vous laisse lire le lien si ça vous chante.] Je ne peux évidemment pas valider une parole pareille, froidement raciste, sexiste, autoritaire. Je n’avais jamais vu Soral parler comme ça. C’est un peu comme un désaveu, parce que je l’ai entendu maintes fois jurer qu’il n’était pas antisémite. Alors, je cède, je reconnais que me suis trompé, en publiant un lien sans mise en garde : il y a un risque d’escalade des racismes. Ce mélange de lutte légitime et courageuse contre de redoutables projets de domination (résistance qui m’intéresse toujours et dont je ne me désolidarise pas), avec un sexisme, une homophobie, et maintenant un antisémitisme assumés (qui me hérissent vraiment), ce mélange est toxique. Stop. Et puis, je n’arrive plus à m’occuper de nos ateliers constituants : on nous interpelle sans arrêt sur notre prétendue identification à Soral, et la violence des échanges qui s’en suivent partout me désespère ; j’en ai assez, il faut faire quelque chose pour marquer une différence, une limite : je supprime le lien de mon site vers Soral. Désormais, je ferai le filtre, en évoquant moi-même les auteurs que je trouve utiles, comme Shlomo Sand, Jacob Cohen, Bernard Lazare, Israël Shahak, Gilad Atzmon, Norman Finkelstein, Gideon Levy, Mearsheimer et Walt, Éric Hazan, etc. En conclusion, j’insisterai sur l’essentiel : à mon avis, tous ces reproches sont montés en épingle de mauvaise foi par les professionnels de la politique pour entretenir une CONFUSION entre les vrais démocrates et « l’extrême droite » ; confusion qui leur permet de se débarrasser des vrais démocrates à bon compte, sans avoir à argumenter.Étienne Chouard (28.11.2014)
Je vais donc remettre un lien, différent, commenté, vers E&R, que je considère comme un portail utile pour comprendre et résister à certains abus de pouvoir terribles, même s’il est évidemment très critiquable par certains côtés (comme tout le monde) ; je reviens donc à ma position ouverte d’avant-hier, que je tiens depuis des années : il faut que chacun se forge une opinion en adulte, et une vraie démocratie doit laisser une place aux non démocrates. Et pour les ulcérés, faut quand même pas charrier, ce n’est qu’un lien suggéré, pas du tout une identité, une allégeance ou une caution : je ne suis pas « soralien », je cherche à RENDRE POSSIBLE UN MONDE VRAIMENT COMMUN, je ne suis pas « complaisant avec le fascisme » que je combats du mieux que je peux, en conscience, librement, à ma façon, et je vous pense tous libres de penser. Soyez gentils de ne pas tout surinterpréter, tâchez de modérer. Vous savez maintenant ce que je pense de l’antisémitisme et du racisme : je les considère comme des fléaux, une honte pour l’humanité. Mais je pense que les combattre en traitant les gens de « racistes » comme si c’était leur nature, et en leur coupant la parole (comme on coupe une tête), c’est croire éteindre un incendie en jetant de l’essence sur les flammes. Etienne Chouard (29.11.2014)
Inconnu de la plupart des Français, le militant politique est devenu en une grosse dizaine d’années une des étoiles de la contre-culture politique sur Internet. Sa notoriété remonte à 2005, au moment de la campagne référendaire sur le Traité constitutionnel européen (TCE). Âgé de 48 ans, Etienne Chouard est alors un anonyme prof de lycée à Marseille, électeur sans grande conviction du Parti socialiste (PS). Happé par les débats autour du TCE, il se décide à analyser de près le projet de nouveau traité européen, et en tire une tribune percutante, publiée sur son blog, qui dénonce le projet comme un « secret cancer de notre démocratie ». Fouillé, argumenté, offensif voire excessif, le texte est partagé en masse et se répand comme la poudre. Etienne Chouard devient, à sa propre surprise, un des chefs de file discrets du camp du « non », qui triomphe au référendum. Il change de dimension. Le professeur se fait penseur et militant : lui qui ne s’y était jamais intéressé dévore des milliers de livres sur la politique et économique, partage ses réflexions sur son blog, donne des conférences. Il forme autour de lui une communauté de fidèles qui répandent ses idées, surnommés les « gentils virus ». Chantre de l’éducation populaire, Etienne Chouard élabore de bric et de broc sa propre doctrine politique. Au centre de sa réflexion, la nécessité d’un « processus constituant ». D’après lui, l’origine des maux de nos sociétés est inscrite dans la Constitution : en laissant le soin aux « responsables politiques, aux mains des grands marchands », de « l’écrire à notre place », nous (c’est-à-dire les 99% de moins riches) leur (les 1%) avons cédé le pouvoir. Dans la pensée de Chouard, toutes les dérives du capitalisme financier (inégalités, pauvreté, disparition des services publics, destruction de l’écosystème) sont reliées à ce péché originel : confier le pouvoir à des représentants, acte qui équivaudrait immanquablement à en priver le peuple. (…) Afin d’y remédier, le blogueur exclut logiquement toute élection : il veut former une assemblée constituante tirée au sort, qui définirait par la discussion collective des nouvelles institutions. Celles-ci devraient faire la part belle à la démocratie directe : les responsables seraient tirés au sort, pourraient être révoqués à tout moment, et le peuple prendrait lui-même l’initiative d’écrire les lois… grâce au RIC, évidemment. (…) En attendant cette révolution pacifique, le blogueur s’est attaché à appliquer ses principes au niveau local, en organisant des « ateliers constituants » destinés à faire de simples citoyens des « adultes politiques », souverains et capables de penser le bien commun. Influencé par la pensée anarchiste, il se définit comme un démocrate radical, persuadé que le peuple est « capable de mener lui-même ses affaires » ; convaincu de la nature intrinsèquement bonne des humains, Etienne Chouard est convaincu que « si on prend les décisions ensemble à la majorité, ce ne seront pas les quelques affreux, égoïstes, violents, méchants, qui sont minoritaires, qui vont faire la loi. » A cette pensée politique, le sexagénaire adjoint des idées économiques radicalement opposées au libéralisme de l’Union Européenne. Dénonçant le statut de la Banque centrale européenne, Chouard affirme que « le premier privilège est celui pour un petit nombre de créer la monnaie », et que « les peuples qui ont perdu, renoncé à la création monétaire publique ont perdu en même temps leur souveraineté politique. La création monétaire est actuellement entre les mains des banquiers. » Invité de l’émission de Frédéric Taddeï Ce soir ou jamais en 2014, Etienne Chouard s’y livre à une longue tirade, très partagée sur Internet, qui synthétise ses idées. Elle lui permet d’accroître encore sa notoriété (…) Détournement de la démocratie, désir de représentation des idées populaires, impuissance du politique face aux grands intérêts économiques : les thèmes développés par Etienne Chouard depuis 13 ans sont en parfaite concordance avec le mouvement des gilets jaunes. Il n’est donc pas très étonnant de voir le blogueur, abondamment cité sur les rond-points par des gilets jaunes ayant formé leur réflexion politique sur Internet, soutenir le mouvement et s’afficher à ses côtés. Jacline Mourand, l’une des têtes d’affiches, l’a spontanément mentionné comme influence clé auprès de Marianne. Le 4 décembre, à Saint-Claire du Rhône (Isère), il a tenu une réunion publique sur le RIC en compagnie de plusieurs gilets jaunes, dont Maxime Nicolle, alias « Fly Rider », un autre leader. Mais Etienne Chouard, ce n’est pas que la démocratie directe et la critique des banques. Entre 2005 et aujourd’hui, dans sa volonté effrénée de dialogue avec tous les pans de la société, le professeur a frayé avec de nombreuses figures controversées… sans s’en détacher clairement, et parfois en les soutenant ouvertement. Ainsi, le 9 décembre 2007, Etienne Chouard conseille sur son blog le visionnage d’un « entretien passionnant » entre Thierry Meyssan (écrivain et diffuseur privilégié de théories du complot concernant le 11 septembre 2001) et l’essayiste Alain Soral, connu pour sa vision conspirationniste et violemment antisémite du monde. Ce dernier, qu’il rencontre en chair et en os dans les années 2010, ne va plus cesser d’empoisonner la réputation d’Etienne Chouard : incapable de s’en détacher clairement, le blogueur s’est longtemps montré d’une complaisance incompréhensible avec ce pamphlétaire virulent, condamné par la justice à de multiples reprises pour injures antisémites ou incitation à la haine raciale. Récusant les propos de Soral concernant les homosexuels et les féministes, Chouard ne le situe pas moins dans L’Express en 2014 comme « à gauche parce qu’il se bat contre les privilèges », et indique qu’il l’a « rendu sensible » à la problématique du sionisme. Les qualificatifs élogieux pleuvent : « courageux », « résistant », « lanceur d’alerte qui proteste contre l’ordre établi »… Comme un renvoi d’ascenseur, Etienne Chouard est alors mis régulièrement en valeur sur Egalité et Réconciliation (E&R), le site internet qui promeut les idées d’Alain Soral. Culture libre, une association dont l’animateur est un responsable local d’E&R, diffuse et commercialise même certaines des conférences de Chouard. Iconoclaste ou sulfureux, Etienne Chouard brouille en tout cas tous les repères politiques traditionnels : originellement identifié dans les rangs de la gauche radicale, il s’affiche avec des personnalités de l’autre versant : conférence commune sur les Lumières avec Marion Sigaut, militante d’E&R, en novembre 2012. Proximité avec François Asselineau, candidat souverainiste à la présidentielle de 2017 (Chouard a finalement voté pour Jean-Luc Mélenchon) et fondateur de l’Union populaire républicaine (UPR). Il conseille aussi des lectures pour le moins curieuses aux visiteurs de son blog – notamment les ouvrages du conspirationnistes Antony C. Sutton et du négationniste Eustace Mullins. Chouard défend son éthique politique : la volonté de se situer en dehors des clivages partisans et des critères de respectabilité édictés par le mainstream. « Cela fait douze ans que je travaille, parle en public, réfléchis aux pouvoirs et abus de pouvoir ; que je cherche à mettre un processus constituant qui, à mon avis, doit intégrer tout le monde », argumente le prof de gestion, bien décidé à n’exclure personne tout en enjambant le clivage gauche-droite. Mais il ne s’est pas contenté de discuter : au fil des années, les contacts avec la sphère « dissidente » ont semblé infuser dans les analyses d’Etienne Chouard. Dans un entretien vidéo en 2014, il qualifie l’Union européenne de « projet fasciste », et applaudit la manière dont Alain Soral « dénonce le colonialisme guerrier du sionisme, explique que le sionisme est un projet colonial, raciste, militaire (…) ». Ses développements s’apparentent fréquemment au complotisme : on y trouve les mêmes méthodes d’analyse, trouvant dans un grand complot ourdi par les plus riches l’unique explication des malheurs du monde, élaborant des chaînes d’équivalence bancales mais définitives, faisant référence à des faits historiques parfois obscurs (notamment la création de la banque d’Angleterre en 1694) mais considérés comme capitaux… Etienne Chouard a également une manière bien à lui de définir le fascisme : dans un entretien avec le média Internet La Mutinerie, il explique refuser de « lyncher untel ou untel parce qu’il est fasciste, parce qu’il est d’extrême droite ». D’après lui, on commet une erreur en utilisant le vocable ‘fasciste’ pour « désigner ceux qui ont un avis non conforme sur les étrangers, sur la peine de mort, sur l’avortement, sur la religion catholique, sur la nation. » Les vrais fascistes ? Ce sont « les grands propriétaires, les possédants, les ultra-privilégiés, qui veulent bien de la République quand les élections leur donnent tout le pouvoir. Ils se montrent comme fascistes et d’extrême droite quand ils sentent qu’ils vont perdre les élections. C’est les 1% contre les 99%. C’est ça l’extrême droite. » Une classification qui permet notamment à Chouard de ranger le Parti socialiste dans le camp du fascisme… A sa manière, Etienne Chouard est parfaitement représentatif des « gentils virus » qui le soutiennent : comme eux, il a construit sa culture politique sur le tas. Sur Internet et dans les livres plutôt que par l’intermédiaire de professeurs dispensant un savoir officiel. (…) Résultat : les constructions idéologiques traditionnelles sont totalement brouillées. Dans cette « culture YouTube », faite de liberté et de désordre, on a parfois l’impression que tout ce qui se situe en dehors du mainstream est adoubé par principe comme faisant partie du combat pour la démocratie. (…) Dans une longue analyse publiée en 2013, où il était déjà accusé de complaisances avec Etienne Chouard, François Ruffin livrait une lecture similaire, qualifiant la « construction idéologique » du blogueur, bâtie « en accéléré, de bric et de broc, comme tout le monde », de « bien récente, bien fragile, bien confuse ». Ces errances ont valu de nombreuses excommunications à Chouard, faisant souvent suite à des pressions exercées par des groupes antifascistes. Comme en novembre 2012, où les cinémas Utopia et le Front de gauche annulent la venue du blogueur à une projection, après avoir découvert que le site de Chouard mentionnait dans sa liste de liens le Réseau Voltaire ainsi qu’Egalité & Réconciliation. Un an plus tard survient la première explication avec François Ruffin, que le fondateur de Fakir a donc relatée sur le site de son journal, qui venait alors de faire la promotion de la pièce de théâtre d’Etienne Chouard, La dette expliquée à mon banquier. Après une première rencontre peu productive en 2009, Ruffin aborde frontalement la question de l’antisémitisme d’Alain Soral avec Chouard, qui se borne alors à répondre que l’auteur de Comprendre l’empire évoque l’antisionisme, refuse de « trier selon les appartenances politiques » et affirme sa volonté de « toucher tout le monde de gauche à droite ». Finalement, Ruffin tiendra encore un dialogue avec Etienne Chouard, sans parvenir à se mettre tout à fait d’accord avec lui, mais indiquant qu’il se sent « davantage son ‘ami’, un peu, pas trop mais un peu, après ces échanges. » (…) En novembre 2014, Etienne Chouard s’est nettement éloigné du penseur d’extrême droite. Faisant le constat des « accusations violentes » reçues après avoir posté le lien d’E&R sur son blog, le militant écrivait avoir « rapidement compris que [Soral] n’est pas du tout un démocrate », mais estimait que « une partie de son analyse du monde actuel » lui semblait « utile ». Abordant enfin la question de l’antisémitisme, Chouard regrette que l’injure « antisémite » serve trop souvent « à qualifier tous ceux (même ceux qui ne sont absolument racistes) qui critiquent et condamnent la politique — elle, officiellement raciste et criminelle — du gouvernement israélien ». Mais il se rend enfin à l’évidence, après avoir découvert une vidéo accablante datée de juin 2014, dans laquelle Soral tient « des propos terribles et dangereux ». Reconnaissant s’être « trompé en publiant un lien sans mise en garde », Chouard retire le lien d’E&R de son site, dénonçant un « mélange toxique » entre une « lutte légitime et courageuse contre de redoutables projets de domination » et « un sexisme, une homophobie, et maintenant un antisémitisme assumés ». Et aujourd’hui ? A franceinfo, il assure qu’il refuse désormais les invitations d’E&R et a coupé tous les liens avec son leader, tout en objectant : « Le danger pour la société humaine, ça n’est pas Soral ! On n’en a rien à foutre de ces mecs-là, ils ne représentent que des groupuscules ». Il a également publié une nouvelle note de blog ce jeudi 20 décembre, dans laquelle il assure que depuis son billet de 2014, il « ne parle jamais de Soral, absolument jamais, et que, par contre, tous ceux qui [l’]accusent de le fréquenter (ce qui n’est pas vrai), eux, en parlent tout le temps… » Populaire et controversée, la figure d’Etienne Chouard illustre à sa manière les clivages qui minent la France insoumise en interne. Certains, adeptes d’une stratégie « populiste », estiment que LFI a vocation a s’adresser à des figures qui transcendent son électorat traditionnel de gauche radicale, devenu très minoritaire – sans forcément aller jusqu’à prôner un dialogue régulier avec Etienne Chouard. D’autres, qui défendent plutôt une union de la gauche, sont partisans d’un strict « cordon sanitaire » et jugent que LFI se compromettrait en approchant des figures n’étant pas clairement identifiées sur le spectre politique. Les deux conceptions ont leurs raisons d’être, et également leurs dérives. A vouloir ratisser trop large pour ne pas s’enfermer à gauche, on court ainsi le risque de s’acoquiner avec des personnalités a priori peu compatibles avec le « nouvel humanisme » défendu par Jean-Luc Mélenchon ; de l’autre côté, en cherchant à excommunier tous ceux qui ne s’identifient pas à la gauche, la base se rétrécit, et ceux qui cherchent à dialoguer avec d’autres reçoivent des anathèmes insensés. Autre lecture possible : François Ruffin, qui donne des gages à l’une ou l’autre des deux options à intervalles réguliers, a tout simplement pris acte du fait que s’agissant du référendum d’initiative citoyenne, Etienne Chouard est devenu en France une référence incontournable. Qu’on l’apprécie ou non. Hadrien Mathoux (Marianne)
Pendant toutes les années du mitterrandisme, nous n’avons jamais été face à une menace fasciste, donc tout antifascisme n’était que du théâtre. Nous avons été face à un parti, le Front National, qui était un parti d’extrême droite, un parti populiste aussi, à sa façon, mais nous n’avons jamais été dans une situation de menace fasciste, et même pas face à un parti fasciste. D’abord le procès en fascisme à l’égard de Nicolas Sarkozy est à la fois absurde et scandaleux. Je suis profondément attaché à l’identité nationale et je crois même ressentir et savoir ce qu’elle est, en tout cas pour moi. L’identité nationale, c’est notre bien commun, c’est une langue, c’est une histoire, c’est une mémoire, ce qui n’est pas exactement la même chose, c’est une culture, c’est-à-dire une littérature, des arts, la philo, les philosophies. Et puis, c’est une organisation politique avec ses principes et ses lois. Quand on vit en France, j’ajouterai : l’identité nationale, c’est aussi un art de vivre, peut-être, que cette identité nationale. Je crois profondément que les nations existent, existent encore, et en France, ce qui est frappant, c’est que nous sommes à la fois attachés à la multiplicité des expressions qui font notre nation, et à la singularité de notre propre nation. Et donc ce que je me dis, c’est que s’il y a aujourd’hui une crise de l’identité, crise de l’identité à travers notamment des institutions qui l’exprimaient, la représentaient, c’est peut-être parce qu’il y a une crise de la tradition, une crise de la transmission. Il faut que nous rappelions les éléments essentiels de notre identité nationale parce que si nous doutons de notre identité nationale, nous aurons évidemment beaucoup plus de mal à intégrer.Lionel Jospin (France Culture, 29.09.07)
Les territoires populistes sont toujours les mêmes, l’Amérique périphérique, l’Europe périphérique. Ce sont toujours ces territoires où l’on créé le moins d’emplois qui produisent ces résultats : les petites villes, les villes moyennes désindustrialisées et les zones rurales. La difficulté est intellectuelle pour ce monde d’en haut ; les politiques, les journalistes, les universitaires etc… Il faut penser deux choses à la fois. Objectivement, nous avons une économie qui créée de la richesse, mais ce modèle fonctionne sur un marché de l’emploi très polarisé, et qui intègre de moins en moins et créé toujours plus d’inégalités sociales et territoriales C’est ce qui a fait exploser ce clivage droite gauche qui était parfait, aussi longtemps que 2 Français sur 3 faisaient partie de la classe moyenne. Si on n’intègre pas les gens économiquement, ils se désaffilient politiquement. (…) C’est là où il y a le plus de chômage, de pauvreté, d’ouvriers, et le plus de gens qui votent FN. (…) Aujourd’hui les classes populaires ne vivent plus aux endroits où se créent les emplois et la richesse. Le marché de l’immobilier s’est chargé, non pas dans une logique de complot, évidemment, mais dans une simple logique de marché, de chasser les catégories dont le marché de l’emploi n’avait pas besoin. Ces gens se trouvent déportés vers les territoires où il ne se passe rien. Or, les élites n’ont de cesse de parier sur la métropolisation, il est donc nécessaire que s’opère une révolution intellectuelle. Il serait peut-être temps de penser aux gens qui ne bénéficient pas de ces dynamiques, si on ne veut pas finir avec un parti populiste en 2022. (…) Tout le bas ne peut pas être représenté que par le Front national. Il faut que les partis aillent sur ces thématiques. Il y a toujours eu un haut et un bas, et des inégalités, la question est qu’il faut que le haut soit exemplaire pour le bas, et qu’il puisse se connecter avec le bas. Il faut que le « haut » intègre les problématiques du « bas » de façon sincère. C’est exactement ce qui s’était passé avec le parti communiste, qui était composé d’une base ouvrière, mais aussi avec des intellectuels, des gens qui parlaient « au nom de ». Aujourd’hui c’est la grande différence, il n’y a pas de haut qui est exemplaire pour le bas. La conséquence se lit dans le processus de désaffiliation et de défiance des milieux populaires dans la France périphérique mais aussi en banlieue. Plus personne n’y croit et c’est cela l’immense problème de la classe politique, des journalistes etc. et plus généralement de la France d’en haut. Ces gens-là considèrent que le diagnostic des gens d’en bas n’est pas légitime. Ce qui est appelé « populisme ». Et cela est hyper fort dans les milieux académiques, et cela pèse énormément. On ne prend pas au sérieux ce que disent les gens. Et là, toute la machinerie se met en place. Parce que l’aveuglement face aux revendications des classes populaires se double d’une volonté de se protéger en ostracisant ces mêmes classes populaires. La posture de supériorité morale de la France d’en haut permet en réalité de disqualifier tout diagnostic social. La nouvelle bourgeoisie protège ainsi efficacement son modèle grâce à la posture antifasciste et antiraciste. L’antifascisme est devenu une arme de classe, car elle permet de dire que ce racontent les gens n’est de toute façon pas légitime puisque fasciste, puisque raciste. La bien-pensance est vraiment devenue une arme de classe. Notons à ce titre que dans les milieux populaires, dans la vie réelle les gens, quels que soient leurs origines ne se parlent pas de fascisme ou d’antifascistes, ça, ce n’est qu’un truc de la bourgeoisie. Dans la vie, les gens savent que tout est compliqué, et les gens sont en réalité d’une hyper subtilité et cherchent depuis des décennies à préserver leur capital social et culturel sans recourir à la violence. Le niveau de violence raciste en France reste très bas par rapport à la situation aux États Unis ou au Royaume Uni. Cette posture antifasciste, à la fin, c’est un assèchement complet de la pensée. Plus personne ne pense la question sociale, la question des flux migratoires, la question de l’insécurité culturelle, celle du modèle économique et territorial. Mais le haut ne pourra se régénérer et survivre que s’il parvient à parler et à se connecter avec le bas. (…) Cela implique que les partis intègrent toutes ces questions ; mondialisation, protectionnisme, identité, migrations etc… On ne peut pas traiter ces questions derrière le masque du fascisme ou de l’antifascisme. Christophe Guilluy
Faire passer les classes moyennes et populaires pour « réactionnaires », « fascisées », « pétinisées » est très pratique. Cela permet d’éviter de se poser des questions cruciales. Lorsque l’on diagnostique quelqu’un comme fasciste, la priorité devient de le rééduquer, pas de s’interroger sur l’organisation économique du territoire où il vit. L’antifascisme est une arme de classe. Pasolini expliquait déjà dans ses Écrits corsaires que depuis que la gauche a adopté l’économie de marché, il ne lui reste qu’une chose à faire pour garder sa posture de gauche : lutter contre un fascisme qui n’existe pas. C’est exactement ce qui est en train de se passer. (…) Il y a un mépris de classe presque inconscient véhiculé par les médias, le cinéma, les politiques, c’est énorme. On l’a vu pour l’élection de Trump comme pour le Brexit, seule une opinion est présentée comme bonne ou souhaitable. On disait que gagner une élection sans relais politique ou médiatique était impossible, Trump nous a prouvé qu’au contraire, c’était faux. Ce qui compte, c’est la réalité des gens depuis leur point de vue à eux. Nous sommes à un moment très particulier de désaffiliation politique et culturel des classes populaires, c’est vrai dans la France périphérique, mais aussi dans les banlieues où les milieux populaires cherchent à préserver ce qui leur reste : un capital social et culturel protecteur qui permet l’entraide et le lien social. Cette volonté explique les logiques séparatistes au sein même des milieux modestes. Une dynamique, qui n’interdit pas la cohabitation, et qui répond à la volonté de ne pas devenir minoritaire. (…) La bourgeoisie d’aujourd’hui a bien compris qu’il était inutile de s’opposer frontalement au peuple. C’est là qu’intervient le « brouillage de classe », un phénomène, qui permet de ne pas avoir à assumer sa position. Entretenue du bobo à Steve Jobs, l’idéologie du cool encourage l’ouverture et la diversité, en apparence. Le discours de l’ouverture à l’autre permet de maintenir la bourgeoisie dans une posture de supériorité morale sans remettre en cause sa position de classe (ce qui permet au bobo qui contourne la carte scolaire, et qui a donc la même demande de mise à distance de l’autre que le prolétaire qui vote FN, de condamner le rejet de l’autre). Le discours de bienveillance avec les minorités offre ainsi une caution sociale à la nouvelle bourgeoisie qui n’est en réalité ni diverse ni ouverte : les milieux sociaux qui prônent le plus d’ouverture à l’autre font parallèlement preuve d’un grégarisme social et d’un entre-soi inégalé. (…) Nous, terre des lumières et patrie des droits de l’homme, avons choisi le modèle libéral mondialisé sans ses effets sociétaux : multiculturalisme et renforcement des communautarismes. Or, en la matière, nous n’avons pas fait mieux que les autres pays. (…) Le FN n’est pas le bon indicateur, les gens n’attendent pas les discours politiques ou les analyses d’en haut pour se déterminer. Les classes populaires font un diagnostic des effets de plusieurs décennies d’adaptation aux normes de l’économie mondiale et utilisent des candidats ou des référendums, ce fut le cas en 2005, pour l’exprimer. Christophe Guilluy
La question qui obsède les Corses aujourd’hui est la question qui hante toute la France périphérique et toutes les classes moyennes et populaires occidentales au XXIe siècle : « Vais-je devenir minoritaire dans mon île, mon village, mon quartier ? » C’est à la lumière de cette angoisse existentielle qu’il faut comprendre l’affaire du burkini sur la plage de Sisco, en juillet 2016, ou encore les tensions dans le quartier des Jardins de l’Empereur, à Ajaccio, en décembre 2015. C’est aussi à l’aune de cette interrogation qu’il faut évaluer le vote « populiste » lors de la présidentielle ou nationaliste aujourd’hui. En Corse, il y a encore une culture très forte et des solidarités profondes. À travers ce vote, les Corses disent : « Nous allons préserver ce que nous sommes. » Il faut ajouter à cela l’achat par les continentaux de résidences secondaires qui participe de l’insécurité économique en faisant augmenter les prix de l’immobilier. Cette question se pose dans de nombreuses zones touristiques en France : littoral atlantique ou méditerranéen, Bretagne, beaux villages du Sud-Est et même dans les DOM-TOM. En Martinique aussi, les jeunes locaux ont de plus en plus de difficultés à se loger à cause de l’arrivée des métropolitains. La question du « jeune prolo » qui ne peut plus vivre là où il est né est fondamentale. Tous les jeunes prolos qui sont nés hier dans les grandes métropoles ont dû se délocaliser. Ils sont les pots cassés du rouleau compresseur de la mondialisation. La violence du marché de l’immobilier est toujours traitée par le petit bout de la lorgnette comme une question comptable. C’est aussi une question existentielle ! En Corse, elle est exacerbée par le contexte insulaire. Cela explique que, lorsqu’ils proposent la corsisation des emplois, les nationalistes font carton plein chez les jeunes. C’est leur préférence nationale à eux. (…) La condition de ce vote, comme de tous les votes populistes, est la réunion de l’insécurité sociale et culturelle. (…) Le ressort du vote populiste est double et mêlé. Il est à la fois social et identitaire. De ce point de vue, la Corse est un laboratoire. L’offre politique des nationalistes est pertinente car elle n’est pas seulement identitaire. Elle prend en compte la condition des plus modestes et leur propose des solutions pour rester au pays et y vivre. Au-delà de l’effacement du clivage droite/gauche et d’un rejet du clanisme historique, leur force vient du fait qu’ils représentent une élite et qu’ils prennent en charge cette double insécurité. Cette offre politique n’a jamais existé sur le continent car le FN n’a pas intégré une fraction de l’élite. C’est même tout le contraire. Ce parti n’est jamais parvenu à faire le lien entre l’électorat populaire et le monde intellectuel, médiatique ou économique. Une société, c’est une élite et un peuple, un monde d’en bas et un monde d’en haut, qui prend en charge le bien commun. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le vote nationaliste et/ou populiste arrive à un moment où la classe politique traditionnelle a déserté, aussi bien en Corse que sur le continent. L’erreur de la plupart des observateurs est de présenter Trump comme un outsider. Ce n’est pas vrai. S’il a pu gagner, c’est justement parce qu’il vient de l’élite. C’est un membre de la haute bourgeoisie new-yorkaise. Il fait partie du monde économique, médiatique et culturel depuis toujours, et il avait un pied dans le monde politique depuis des années. Il a gagné car il faisait le lien entre l’Amérique d’en haut et l’Amérique périphérique. Pour sortir de la crise, les sociétés occidentales auront besoin d’élites économiques et politiques qui voudront prendre en charge la double insécurité de ce qu’était hier la classe moyenne. C’est ce qui s’est passé en Angleterre après le Brexit, ce qui s’est passé aux Etats-Unis avec Trump, ce qui se passe en Corse avec les nationalistes. Il y a aujourd’hui, partout dans le monde occidental, un problème de représentation politique. Les électeurs se servent des indépendantismes, comme de Trump ou du Brexit, pour dire autre chose.Christophe Guilluy
Il faut arrêter le discours du magistère des prétentieux. Cette idée de rééducation du peuple, en lui montrant la voie, n’est pas possible. Une société, c’est une majorité de catégories modestes et l’objectif d’une démocratie, c’est de servir prioritairement ces catégories. C’est dans ce sens là qu’il faut aller. Il faut prendre ces gens au sérieux, il faut prendre en compte les diagnostics des classes populaires sur leurs souhaits d’être protégés, ce qui ne veut pas dire être assistés. Ces catégories veulent du travail, elles veulent qu’on les respecte culturellement, et ne pas se faire traiter de « déplorables » ou de sans dents » – ce qui fait partie intégrante du problème identitaire que nous avons aujourd’hui qui est le produit de ces attaques là -. (…) Les gens veulent de la protection, du travail, de la régulation économique mais aussi une régulation des flux migratoires. Je parle ici de tout le monde d’en bas, parce que la demande de régulation des flux migratoires vient de toutes les catégories modestes quelles que soient les origines. Tout le monde veut la même chose alors que lorsque les gens parlent de la question migratoire, on les place sur la question raciale, non. C’est anthropologiquement vrai pour toutes les catégories modestes, et cela est vrai partout. Dans tous les pays, les catégories modestes veulent vivre tranquillement, ce qui ne veut pas dire vivre derrière des murs, mais vivre dans un environnement que l’on connaît avec des valeurs communes. (…) Ce qui est amusant aujourd’hui, c’est qu’il y a une ethnicisation des classes moyennes – on pense blanc – cela montre bien la fin du concept qui était censé être intégrateur pour le plus grand nombre. (…) Les autoritaires ne sont pas ceux que l’on croit. Sauver les démocraties occidentales, c’est faire entendre le plus grand nombre. Christophe Guilluy
Les gens aux Etats-Unis ou ailleurs ne se sont pas réveillés un beau matin pour se tourner vers le populisme. Non, ils ont fait un diagnostic, une analyse rationnelle : est-ce que ça marche pour eux ou pas. Et, rationnellement, ils n’ont pas trouvé leur compte. Et pas que du point de vue économique. S’il y a une exception française, c’est la victoire d’Emmanuel Macron, quand partout ailleurs les populistes semblent devoir l’emporter. (…) Si Emmanuel Macron l’a emporté, c’est qu’il a reçu le soutien de la frange encore protégée de la société française que sont les retraités et les fonctionnaires. Deux populations qui ont lourdement souffert au Royaume-Uni par exemple, comme l’a traduit leur vote pro-Brexit. Et c’est bien là le drame qui se noue en France. Car, parmi les derniers recours dont dispose la technocratie au pouvoir pour aller toujours plus avant vers cette fameuse adaptation, c’est bien de faire les poches des retraités et des fonctionnaires. Emmanuel Macron applique donc méticuleusement ce programme. (…) Un autre levier, déjà mis en branle par Margaret Thatcher puis par les gouvernements du New Labour de Tony Blair, est la fin de l’universalité de la redistribution et la concentration de la redistribution. Sous couvert de faire plus juste, et surtout de réduire les transferts sociaux, on réduit encore le nombre de professeurs, mais on divise les classes de ZEP en deux, on limite l’accès des classes populaires aux HLM pour concentrer ce patrimoine vers les franges les plus pauvres, et parfois non solvables. De quoi fragiliser le modèle de financement du logement social en France, déjà mis à mal par les dernières réformes, et ouvrir la porte à sa privatisation, comme ce fut le cas dans l’Angleterre thatchérienne. (…) Partout en Europe, dans un contexte de flux migratoire intensifié, ce ciblage des politiques publiques vers les plus pauvres – mais qui est le plus pauvre justement, si ce n’est celui qui vient d’arriver d’un territoire 10 fois moins riche ? – provoque inexorablement un rejet de ce qui reste encore du modèle social redistributif par ceux qui en ont le plus besoin et pour le plus grand intérêt de la classe dominante. C’est là que se noue la double insécurité économique et culturelle. Face au démantèlement de l’Etat-providence, à la volonté de privatiser, les classes populaires mettent en avant leur demande de préserver le bien commun comme les services publics. Face à la dérégulation, la dénationalisation, elles réclament un cadre national, plus sûr moyen de défendre le bien commun. Face à l’injonction de l’hypermobilité, à laquelle elles n’ont de toute façon pas accès, elles ont inventé un monde populaire sédentaire, ce qui se traduit également par une économie plus durable. Face à la constitution d’un monde où s’impose l’indistinction culturelle, elles aspirent à la préservation d’un capital culturel protecteur. Souverainisme, protectionnisme, préservation des services publics, sensibilité aux inégalités, régulation des flux migratoires, sont autant de thématiques qui, de Tel-Aviv à Alger, de Detroit à Milan, dessinent un commun des classes populaires dans le monde. Ce soft power des classes populaires fait parfois sortir de leurs gonds les parangons de la mondialisation heureuse. Hillary Clinton en sait quelque chose. Elle n’a non seulement pas compris la demande de protection des classes populaires de la Rust Belt, mais, en plus, elle les a traités de « déplorables ». Qui veut être traité de déplorable ou, de ce côté-ci de l’Atlantique, de Dupont Lajoie ? L’appartenance à la classe moyenne n’est pas seulement définie par un seuil de revenus ou un travail d’entomologiste des populations de l’Insee. C’est aussi et avant tout un sentiment de porter les valeurs majoritaires et d’être dans la roue des classes dominantes du point de vue culturel et économique. Placées au centre de l’échiquier, ces catégories étaient des références culturelles pour les classes dominantes, comme pour les nouveaux arrivants, les classes populaires immigrées. En trente ans, les classes moyennes sont passées du modèle à suivre, l’American ou l’European way of life, au statut de losers. Il y a mieux comme référents pour servir de modèle d’assimilation. Qui veut ressembler à un plouc, un déplorable… ? Personne. Pas même les nouveaux arrivants. L’ostracisation des classes populaires par la classe dominante occidentale, pensée pour discréditer toute contestation du modèle économique mondialisé – être contre, c’est ne pas être sérieux – a, en outre, largement participé à l’effondrement des modèles d’intégration et in fine à la paranoïa identitaire. L’asociété s’est ainsi imposée partout : crise de la représentation politique, citadéllisation de la bourgeoisie, communautarisation. Qui peut dès lors s’étonner que nos systèmes d’organisation politique, la démocratie, soient en danger ?Christophe Guilluy
Qui pourrait avoir envie d’intégrer une catégorie sociale condamnée par l’histoire économique et présentée par les médias comme une sous-classe faible, raciste, aigrie et inculte ? (…) On peut débattre sans fin de la pertinence des modèles, de la crise identitaire, de la nécessité de réaffirmer les valeurs républicaines, de définir un commun: tous ces débats sont vains si les modèles ne sont plus incarnés. On ne s’assimile pas, on ne se marie pas, on ne tombe pas amoureux d’un système de valeurs, mais d’individus et d’un mode de vie que l’on souhaite adopter. Christophe Guilluy
En 2016, Hillary Clinton traitait les électeurs de son opposant républicain, c’est-à-dire l’ancienne classe moyenne américaine déclassée, de « déplorables ». Au-delà du mépris de classe que sous-tend une expression qui rappelle celle de l’ancien président français François Hollande qui traitait de « sans-dents » les ouvriers ou employés précarisés, ces insultes (d’autant plus symboliques qu’elles étaient de la gauche) illustrent un long processus d’ostracisation d’une classe moyenne devenue inutile. (…) Depuis des décennies, la représentation d’une classe moyenne triomphante laisse peu à peu la place à des représentations toujours plus négatives des catégories populaires et l’ensemble du monde d’en haut participe à cette entreprise. Le monde du cinéma, de la télévision, de la presse et de l’université se charge efficacement de ce travail de déconstruction pour produire en seulement quelques décennies la figure répulsive de catégories populaires inadaptées, racistes et souvent proches de la débilité. (…) Des rednecks dégénérés du film « Deliverance » au beauf raciste de Dupont Lajoie, la figure du « déplorable » s’est imposée dès les années 1970 dans le cinéma. La télévision n’est pas en reste. En France, les années 1980 seront marquées par l’émergence de Canal +, quintessence de l’idéologie libérale-libertaire dominante. (…) De la série « Les Deschiens », à la marionnette débilitante de Johnny Hallyday des Guignols de l’info, c’est en réalité toute la production audiovisuelle qui donne libre cours à son mépris de classe. Christophe Guilluy
La diabolisation vise moins les partis populistes ou leur électorat (considéré comme définitivement « perdu » aux yeux de la classe dominante) que la fraction des classes supérieures et intellectuelles qui pourrait être tentée par cette solidarité de classe et ainsi créer les conditions du changement. (…) Si l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis a provoqué autant de réactions violentes dans l’élite mondialisée, ce n’est pas parce qu’il parle comme un « white trash » mais parce que au contraire il est issu de l’hyper-classe. En évoquant le protectionnisme ou la régulation des flux migratoires, Donald Trump brise le consensus idéologique à l’intérieur même de la classe dominante. Il contribue ainsi à un basculement d’une fraction des classes supérieures qui assurent la survie du système. Le 45e président n’a pas gagné parce qu’il a fait le plein de voix dans la « white working class » mais parce qu’il a réalisé l’alliance improbable entre une fraction du monde d’en haut et celui de l’Amérique périphérique. La prise de conscience des réalités populaires par une fraction de l’élite est un vrai risque, elle peut se réaliser à tout moment, dans n’importe quel pays ou région.Christophe Guilluy
Il n’y a aucun complot. Les métropoles ne sont pas un bras armé, mais simplement l’application aux territoires du modèle économique mondialisé et de la loi du marché. Et la loi du marché bénéficie, comme cela a toujours été le cas, à la bourgeoisie. La seule courbe des prix de l’immobilier suffit à le démontrer. Un ouvrier qui économiserait chaque mois 100 euros pour acheter un logement mettrait une vie entière pour acquérir 10 m2 à Paris. [« La société ouverte »] C’est l’autre nom de loi du marché. Les métropoles sont des citadelles imprenables. Elles érigent, grâce à l’argent, des murs d’enceintes bien plus solides que ceux du moyen âge. Un discret entre soi et un grégarisme social fonctionnent aussi à plein. Cette tendance est renforcée par un mode de vie respectueux de l’environnement qui, in fine, renforce la gentrification. La fermeture des grands axes et la piétonnisation renchérissent le foncier. Déguisés en hipsters, les nouveaux Rougon-Macquart se fondent dans le décorum ouvrier des bars et restaurants des anciens quartiers populaires et se constituent des patrimoines immobiliers considérables. Mais les masques finissent par tomber… (…) Après le Brexit, dont la géographie recouvre celle de « l’Angleterre et la Grande-Bretagne périphérique » et populaire, les classes dominantes ont expliqué que ce vote devait être invalidé car porté par des gens « peu éduqués » selon Alain Minc ou des « crétins » d’après Bernard-Henri Lévy. Anne Hidalgo et son collègue de Londres Sadiq Khan ont fait par la suite l’apologie des villes-mondes qui doivent damer le pion aux Etats-Nations, en prônant en filigrane une forme d’abandon des périphéries populaires. Leur projet de « cités-Etats » rappelle paradoxalement les discours séparatistes de partis populistes comme celui de la Ligue du Nord italienne. (…) Les métropoles ont besoin de catégories populaires pour occuper les emplois peu qualifiés (dans les services, le BTP, la restauration). Il leur faut aussi des catégories intermédiaires, des « key workers » qui assurent la continuité du service public. Le logement social permet de maintenir ces travailleurs dans les métropoles gentrifiées. Bertrand Delanoë, tout comme Anne Hidalgo, ont construit beaucoup de logements sociaux pour répondre à ce besoin. Tout cela est rationnel. Mais si le taux de logements sociaux est passé de 13,4 % en 2001 à 17,6 % aujourd’hui, il ne compense en rien la disparition d’un parc privé, « social de fait », qui accueillait hier les classes populaires. Or, sur le marché de l’emploi métropolitain, on a essentiellement besoin de catégories très qualifiées et, à la marge, de catégories populaires. La majorité des catégories modestes, c’est à dire de la population, n’a donc plus sa place dans ces espaces. (…) S’il reste encore des classes populaires, des ménages pauvres et des chômeurs dans les quartiers de logements sociaux des grandes métropoles, la majorité de ces catégories vit désormais à l’écart des métropoles dans une « France périphérique », celle des petites villes, des villes moyennes et des zones rurales. Ces territoires sont, en moyenne, marqués par une plus faible création d’emplois et de richesses et sont fragiles socialement. Ce modèle n’est pas spécifique à la France, il constitue l’une des conséquences de l’application d’un modèle économique mondialisé qui repose notamment sur la division internationale du travail. Ce système marche très bien, il crée de la richesse et de l’emploi. Mais il ne fait pas société. (…) En réalité, la « boutique » tourne aujourd’hui sans les catégories populaires. Les territoires de la France périphérique, en particulier ceux de la désindustrialisation du Nord et de l’Est, sont marqués par une grande fragilité économique et sociale. Ils ont bénéficié à ce titre d’une forte redistribution. La péréquation, la création d’emplois publics ont joué le rôle d’amortisseur. La commune et l’hôpital étaient les premiers et les seuls véritables employeurs de ces communes. Mais dans un contexte de raréfaction de l’argent public et des dotations de l’Etat et de désertification de l’emploi, les champs du possible se restreignent. (…) Le géographe Gérard-François Dumont parle d’une « idéologie de la métropolisation », une idéologie portée par l’ensemble de la classe dominante qui in fine renforce le poids des métropoles et celui des classes supérieures. Cette idéologie interdit l’évocation d’une France populaire majoritaire comme s’il fallait laisser dans l’invisibilité les perdants de la mondialisation. Dans cette lutte des classes, on assimile sciemment cette France populaire à celle du repli, des ignares. Derrière cette fausse polémique et cette vraie guerre des représentations, il y a tout simplement une lutte des classes non dites qui révèle la « prolophobie » selon l’expression du politologue Gaël Brustier. Christophe Guilluy
Un des grands problèmes de la Russie – et plus encore de la Chine – est que, contrairement aux camps de concentration hitlériens, les leurs n’ont jamais été libérés et qu’il n’y a eu aucun tribunal de Nuremberg pour juger les crimes commis. Thérèse Delpech
De manière cruelle et brutale, le monde entier – et en particulier les Européens –, se retrouve plongé dans les guerres froides et chaudes du siècle passé, avec ce qui se passe en Ukraine. La vieille théorie politique est reconfirmée : un dirigeant disposant d’un pouvoir sans barrière est toujours une menace pour la paix. (…) Au moment où Poutine s’enfonce dans son propre piège, son allié et ami Xi Jinping s’enlise dans une guerre contre le Covid-19, selon la même logique. (…) il ne s’agit désormais plus d’une affaire concernant la santé publique, cela devient, aux yeux de Xi, le symbole du modèle chinois, voire la preuve civilisationnelle de « l’ascension de l’Est et du déclin de l’Occident », caractéristique de notre monde actuel (…) Tout comme dans la Russie actuelle, où Poutine est confondu avec la nation, en Chine, Xi est identifié au Parti communiste chinois (PCC) et à ce modèle anti-Covid. Ce modèle s’inscrit dans la même logique que le « zéro critique », le « zéro dissident »… que Xi met en pratique depuis des années. (…) Des signes d’impatience et d’incompréhension, de contestation sous formes diverses éclatent partout dans de nombreux endroits du pays, des Chinois brisant l’interdit. (…) La tentative de Poutine et de Xi d’imposer un néototalitarisme, pour contrôler les sociétés et les individus, ne peut que se solder par un échec final, cela malgré de probables réussites temporaires. L’histoire du XXe siècle l’a attesté, et l’histoire de notre siècle le démontrera à son tour. L’enlisement en Ukraine et en Chine de ces deux dirigeants n’en est que la première étape. Lun Zhang (Cergy-Paris-Université)
Vous avez finalement un paradoxe aujourd’hui dans la politique française, qui est presque une tenaille. C’est à dire que nous sommes pris en tenaille entre d’une part une gauche qui dans son ensemble ne reconnait pas le danger de l’islamisme, ou en tout cas ne l’évalue pas à sa juste dimension. (…) Et puis, (…) une droite qui est incapable de penser la question russe. (…) Il y a un côté, que je dirais presque tragique pour nous Français, de se dire qu’il n’y a pas vraiment sur la scène politique un homme politique qui est capable de penser de manière vraiment sérieuse ces deux menaces en même temps. Laure Mandeville
Quand [Trump] fait de telles affirmations, la presse le prend au pied de la lettre, mais pas au sérieux alors que ses partisans le prennent au sérieux, mais pas au pied de la lettre.Salena Zito
J’ai retiré de cette expérience ces deux certitudes qui me semblent essentielles : n’importe qui peut tomber dans le piège du complotisme ; et il est heureusement possible d’en sortir. Pour ce faire, encore faut-il guérir de la maladie du soupçon. On réduit souvent la question du complotisme à un problème de croyances, de représentations intellectuelles et de biais cognitifs. Comme si les non-complotistes en étaient exempts ! Ils sont en réalité confrontés aux mêmes biais de confirmation, aux mêmes logiques de groupe, au même besoin de trouver un sens à sa vie que les conspirationnistes. William Audureau
On crée une vérité, une aisance cognitive sur le fait que Poutine est un dictateur, que Bachar el-Assad est un monstre, qu’Omar el-Béchir est un génocidaire. […] Plus personne ne se pose de questions sur des chiffres comme 200 000, 400 000 morts au Darfour. […] Moi-même à la tête du renseignement au Darfour pendant deux ans je me suis attaché à compter ces morts, on n’est jamais arrivé à 200 000, on est arrivé au maximum à 2 500 morts. Jacques Baud
Les attaques chimiques […] ne sont certainement pas le fait de Bachar el-Assad. […] [En 2013 à la Ghouta], les services de renseignement militaire américains ont déconseillé à Obama d’intervenir parce que les éléments qu’ils avaient […] indiquaient que c’étaient en fait les rebelles qui avaient utilisé ces armes de destruction massive. [Dans la Ghouta en 2013, à Khan Cheikhoun en 2017 et à Douma en 2018], il n’y a pas eu d’engagement des armes [chimiques] par l’armée syrienne en revanche il y a eu dans le premier cas [la Ghouta] un engagement par les rebelles. Dans le deuxième cas (Khan Cheikhoun) […] il n’y a pas eu d’armes chimiques utilisées mais des toxiques chimiques libérés par un bombardement ciblé des Syriens. Et dans le cas de Douma, […] il n’y a rien eu du tout, simplement un bombardement « normal », si j’ose dire, d’artillerie et les rebelles ont habilement utilisé les poussières, les effets de ce bombardement pour faire croire qu’il y avait eu un engagement chimique. Il y a eu de nombreux lanceurs d’alerte au sein de l’OIAC qui ont confirmé que les rapports occidentaux ont été falsifiés en quelque sorte pour justifier des frappes. (…) A l’époque des massacres de Homs en 2011, les services de renseignement allemands avaient établi qu’il n’y avait pas eu de massacre causé par l’armée de Bachar el-Assad. (…) Les organisations humanitaires qui ont vérifié ces photos [d’un déserteur de l’armée syrienne] se sont aperçues que pratiquement toutes les photos en question sont des photos de soldats syriens et non pas d’opposants, il y a déjà quand même quelque chose qui cloche. (…) La fausse vérité, c’est qu’on a un gouvernement qui est une dictature […] et l’idée que Bachar el-Assad tente de massacrer son peuple. Jacques Baud
On n’a pas d’histoire d’empoisonnement de la part des services secrets russes contrairement à ce qu’on dit. […] En réalité, tout porte à croire [que, dans l’affaire Skripal,] on est parti plutôt d’une intoxication alimentaire car toutes les analyses qui ont été faites par la suite n’ont jamais démontré que la Russie était impliquée. […] Dans le meilleur des cas, si des toxiques de combats ont été utilisés, on ne sait même pas s’ils sont originaires de Russie. (…) Navalny, on sait qu’il s’est attaqué à la mafia, à des gens corrompus. […] Navalny dirige des mouvements d’opposition dont les rivalités sont connues, on peut aussi imaginer que quelqu’un de son entourage ait tenté de l’assassiner. […] L’utilisation de poison en Russie dans l’histoire récente est plutôt le fait de la mafia que de l’État russe. Jacques Baud
L’abâtardissement du doute méthodique le transforme dans l’espace public en doute systématique, mécanisme sur lequel toutes les formes de complotisme (qui sont un hyper-criticisme), prolifèrent. Olivier Schmitt
Interviewé par Frédéric Taddéï, l’essayiste, ancien officier des services de renseignement suisses, dénonce ce qu’il présente comme « le gouvernement par les fake news »… mais multiplie lui-même les contre-vérités. La thèse centrale de son nouveau livre est la suivante : les gouvernements occidentaux déforment les réalités géopolitiques pour déclencher des guerres et défendre leurs intérêts. De la Syrie à l’Ukraine, de la Russie à l’Iran, on nous mentirait et la vérité serait ailleurs. (…) Suite à la publication de cet article, Jacques Baud a réagi dans des interviews données à Hélène Richard-Favre (déboutée en première instance de sa plainte en diffamation contre la chercheuse Cécile Vaissié qui avait évoqué sa proximité avec les réseaux du Kremlin) et à Sputnik France, média contrôlé par Moscou. Sa ligne de défense tient en deux arguments principaux. Premièrement, nous n’aurions pas lu son livre. Ce qui est vrai. [ ?] Mais M. Baud est responsable de ses propos en interview, et nous sommes libres de les critiquer. N’assume-t-il donc pas ce qu’il a raconté pendant une heure à la télévision d’Etat russe ? Si ce qu’il dit en interview ne reflète pas le contenu de son livre (ce dont il est permis de douter) M. Baud ne devrait peut-être pas donner d’interviews – ou mieux les préparer. Deuxièmement, M. Baud ne ferait que poser des questions, il n’affirmerait rien. Cette ligne de défense ne tient pas, car durant son passage sur RT France, M. Baud ne s’est pas contenté de s’interroger, il a affirmé des contre-vérités à de multiples reprises : le pouvoir syrien ne serait pas responsable des principales attaques chimiques en Syrie ; le nombre de victimes « réelles » au Darfour serait cent fois inférieur aux chiffres avancés par l’ONU ; les photos du rapport César montreraient principalement des cadavres de soldats syriens ; les services secrets russes ne pratiqueraient pas l’empoisonnement d’opposants… Nous avons déjà montré dans l’article, citations à l’appui, que cela n’était pas conforme aux faits tels qu’ils avaient pu être établis par les sources les plus fiables. D’ailleurs, la posture consistant à dire « je ne fais que poser des questions » n’est pas innocente. Lorsque des faits sont établis par un faisceau de preuves concordantes, on peut effectivement les remettre en question si l’on remarque de véritables incohérences et à condition d’apporter de nouvelles preuves suffisamment solides pour ce faire. Cela, c’est le doute méthodique cher à Descartes. C’est ce qui se passe quand la justice rouvre une enquête déjà clôturée. En revanche, remettre en question des faits établis sur la seule base d’un « est-on vraiment sûr que ça s’est passé comme ça ? », en mettant en avant des incohérences mineures dans la version établie (méthode hypercritique), sans apporter de preuves suffisamment solides pour étayer ses affirmations, est une démarche qui n’a plus grand chose à voir avec la scepticisme rationnel, mais relève de la méthodologie complotiste.Antoine Hasday (Conspiracy watch)
Le texte d’Henri Guaino nous invite à prendre du recul sur les événements d’Ukraine. Il a le mérite de convoquer l’histoire tragique du XXe siècle pour nous inciter à réfléchir aux conséquences de nos actions et de nos choix stratégiques. Ce faisant, toutefois, il se trompe d’analogie historique, tire des enseignements erronés de la guerre froide, méconnaît la stratégie américaine, prend peu de distance vis-à-vis du récit russe et établit une fausse symétrie entre deux camps. (…) L’enthousiasme pour la guerre n’existe plus guère en Occident, où les leçons du siècle passé ont été apprises. Du côté russe, tout indique que M. Poutine comprend très bien ce qu’est la «ligne rouge» à ne pas franchir, celle de l’article 5 du traité de Washington. Le système d’alliances n’est plus le même. La Chine, deuxième puissance mondiale, poussera Moscou davantage à la retenue qu’à l’escalade. Enfin, la dynamique des schémas rigides de mobilisation des années 1910 n’a aucune pertinence aujourd’hui. S’il fallait à tout prix trouver une analogie utile dans la première moitié du siècle précédent, ce serait hélas plutôt la fin des années 1930. Se font bel et bien face en Ukraine un agresseur et un agressé, une puissance expansionniste voulant rassembler les «Russes» comme hier une autre les «Allemands», et un État aux frontières reconnues – y compris par Moscou – brutalement envahi. Et le premier avertissement avait été donné en 2014 avec la Crimée, dont les modalités d’annexion ne pouvaient manquer de faire penser à l’Anschluss. Mais avec une différence majeure: il n’y a guère de risque immédiat, aujourd’hui, d’attaque des pays alliés. Le texte de M. Guaino tire des enseignements erronés de la guerre froide, qui vit les deux grands s’affronter indirectement en Corée, au Vietnam ou en Afghanistan: il omet le rôle de la dissuasion nucléaire, qui a tant fait pour qu’ils aient peur de l’affrontement direct. Or cette dissuasion existe encore aujourd’hui, et la Russie en respecte les règles essentielles. En outre, ce que la guerre froide nous a aussi appris, de la crise de Berlin à celle de Cuba, c’est que la fermeté paye. Le partenariat conclu fin 2021 par l’Amérique avec l’Ukraine serait «dirigé explicitement contre la Russie» ? S’il mentionnait Moscou, c’était pour rappeler que Washington soutiendrait les efforts de Kyiv pour recouvrer sa souveraineté, à un moment où l’Ukraine était déjà partiellement occupée et où M. Poutine massait près de 200.000 hommes à ses frontières. Aujourd’hui, il ne s’agit nullement d’«acculer» la Russie, que personne ne souhaite envahir, mais de la faire reculer. Nuance majeure. Le sens de la déclaration malvenue mais spontanée de M. Biden fin mars («M. Poutine doit partir») a été clarifié: Washington n’a pas une politique de «changement de régime». Quant à celle du secrétaire à la Défense, M. Austin, fin avril, selon laquelle les États-Unis souhaitent «voir la Russie affaiblie au point de ne plus pouvoir le genre de choses qu’elle a fait en envahissant l’Ukraine», elle était maladroite mais guère contestable à la lettre, et cohérente avec l’idée maîtresse de Washington de souhaiter que la guerre soit un «échec stratégique» pour M. Poutine. Sans compter que M. Austin appelait quelques jours plus tard son homologue russe à un «cessez-le-feu immédiat»… Une bonne référence est sans doute l’Afghanistan, que l’Union soviétique craignait de voir s’éloigner alors que tout recul du communisme était considéré comme inacceptable par Moscou. L’assistance à la résistance contribua à ce que l’Armée rouge abandonne le pays. Comment peut-on renvoyer dos à dos l’agresseur et ceux qui aident l’État envahi à se défendre? Il ne s’agit pas d’idéaliser l’Ukraine. Comme le disait Arthur Koestler, «nous nous battons contre un mensonge absolu au nom d’une demi-vérité». (…) Mais l’Europe n’est pas [plus] somnambule. Sortie de son long sommeil stratégique, elle a compris le tragique de l’histoire. Réveillée, elle voit la Russie de M. Poutine pour ce qu’elle est et pour ce qu’elle fait. Le temps n’est pas venu de trouver la «porte de sortie» que M. Guaino appelle de ses vœux: rien n’indique en effet que M. Poutine ait aujourd’hui un quelconque intérêt pour cette idée. Il est temps en revanche de se souvenir des enseignements du gaullisme: ne pas céder à l’agression ; refuser les politiques d’«apaisement» tout autant que les «sphères d’influence» ; soutenir la liberté des peuples et la souveraineté des nations. Bruno Tertrais
Qui peut vouloir cinq ans de plus comme ça ? Je ne comprends pas. Autour de nous, tout le monde vote Marine. Electrice de Marine Le Pen (Saint-Pierre-sur-Dives, Calvados)
Ça va être une boucherie, les gens vont s’abstenir puisque, ici, personne ne vote Macron. Electeur de Jean-Luc Mélenchon (Boboland, Paris)
Le seul sondage auquel je crois c’est ce que me disent les gens (…) : je n’en rencontre aucun qui ait envie de voter Macron ou Hidalgo ou Jadot, j’en connais un grand nombre en revanche qui a envie de voter Zemmour, Le Pen ou Mélenchon. Et un bien plus grand nombre qui ne votera pas. Michel Onfray
Dans une société où les univers se mélangent peu, où les citoyens ont tendance à s’enfermer – et sans doute encore plus depuis le confinement – dans leurs cercles familiaux et amicaux, certains en viennent à ne plus croire que ce qu’ils connaissent. Ils ne se confrontent plus aux idées des autres et se confortent dans leurs certitudes auprès de gens qui pensent de la même manière qu’eux ou auprès de sources d’information qui ne contredisent jamais leur vision du monde. En découle une « vérité du quotidien » que Michel Onfray reprend à son compte dans un récent entretien à Causeur (…) A limiter le vrai au vécu, le risque est pourtant grand de glisser vers la défiance, le soupçon de fraude électorale, voire le complotisme. Dans un contexte où avant même le scrutin, 14 % des Français estimaient que l’élection pourrait être truquée, selon un sondage Ifop pour la fondation Reboot, le terrain est propice. Et il est entretenu par des apprentis sorciers qui espèrent tirer profit du doute semé. Agnès Laurent
Je prends des gens différents de la doxa médiatique. 95 % des médias disent que Poutine, c’est Hitler, et que Zelensky, c’est Jean Moulin. Cette indignation a sens unique me gêne. Le travail de mise en perspective n’est pas fait. Je suis très frappé que personne ne rappelle un certain nombre de traités, d’accords. André Bercoff
C’est toujours le même petit récit que l’on recycle, tel un disque rayé reprenant la propagande russe. La vérité, c’est que la Russie n’est pas là pour se défendre, mais pour prendre l’Ukraine. Jean-Sylvestre Mongrenier (chercheur en géopolitique)
Ces gens sont obsédés par les Etats-Unis, l’OTAN et nourrissent une forme de détestation vis-à-vis de tout ce qui vient d’outre-Atlantique. Jean-Yves Camus
C’est vrai que j’ai évolué, je déteste le deux poids deux mesures de cette gauche de gouvernement qui a oublié les ouvriers, les artisans, les agriculteurs. (…) Je suis plus sévère avec la gauche parce qu’elle est censée être plus éthique. François Mitterrand était un grand artiste, François Hollande est un artisan. (…) A partir des années Mitterrand, j’ai compris que la gauche a adopté l’économie de marché tout en gardant la vulgate révolutionnaire. L’incohérence ne m’a pas plu. (…) Je suis allé voir Assad parce que cela m’intéressait. Il n’est pas de mon bord politique mais il faut aller le voir. (…) Marine Le Pen est trop protectionniste. Sortir de l’Euro serait une véritable aberration. André Bercoff
On l’avait quitté mitterrandien, on le retrouve vingt ans plus tard à s’acoquiner avec Riposte laïque et à rencontrer Bashar el-Assad. André Bercoff était l’une des figures du journalisme des années 1980, proche de François Mitterrand et de Jacques Attali. A 75 ans, le journaliste, devenu polémiste avec le temps, collabore maintenant presque exclusivement avec des publications de droite, voire très à droite comme Valeurs Actuelles ou le site Boulevard Voltaire, qui a été lancé par Robert Ménard, maire de Béziers. (…) Avant d’être un débateur, André Bercoff, la crinière blanche mais l’oeil toujours alerte, fut un auteur prolifique. Il a publié près d’une quarantaine de livres (sous pseudonyme ou sous son vrai nom). C’est notamment lui qui avait monté avec Jacques Attali en 1983, l’opération Caton, du nom de ce faux « grand dirigeant de la droite » qui estimait que pour « vaincre la gauche, il fallait se débarrasser de la droite ». L’opération de déstabilisation visait à faire écrire un essai par ce faux ténor de la droite qui critiquerait la gauche tout en sulfatant son propre camp. L’ouvrage intitulé De la reconquête (Fayard) s’était extrêmement bien vendu en librairie et avait enflammé le tout-Paris. Pendant des mois, le monde politico-médiatique avait bruissé de rumeurs pour découvrir l’auteur de ce livre qui avait chamboulé la droite (et ravi la gauche). Pour parfaire la manipulation, André Bercoff et l’Elysée avaient même convaincu un jeune conseiller du château, François Hollande, d’aller défendre l’ouvrage à la radio et de se faire passer pour Caton. Lui, au moins, ne serait pas reconnu par les auditeurs, contrairement à André Bercoff, plus connu à l’époque. « Ceux qui pensent que, nous la droite, pouvons revenir au pouvoir se trompent », disait alors le jeune diplômé de l’ENA. Les relations avec François Hollande se sont depuis un peu distendues. « On a été très proches entre 1982 et 1992. Mais je ne l’ai pas revu depuis qu’il est Président ». « C’est quelqu’un de très sympathique et très drôle ». Cela ne l’empêche pas de mitrailler sa politique : « Je suis plus sévère avec la gauche parce qu’elle est censée être plus éthique », justifie-t-il. « François Mitterrand était un grand artiste, François Hollande est un artisan ». S’il ne se revendique pas comme étant de droite, André Bercoff a pourtant beaucoup de choses à reprocher à la gauche : « A partir des années Mitterrand, j’ai compris que la gauche a adopté l’économie de marché tout en gardant la vulgate révolutionnaire. L’incohérence ne m’a pas plu. » Il ne comprend pas aussi qu’on ait « laissé les problèmes d’identité à la droite » même s’il convient que Manuel Valls fait preuve de « bon sens » sur le sujet. « C’est encore l’exception », se lamente-t-il. L’identité, c’est d’ailleurs un sujet qui l’a taraudé toute sa vie. Né au Liban en pleine Seconde Guerre mondiale, il immigre en France avant la guerre civile qui ensanglantera le pays pendant 15 ans, opposant chiites, sunnites et chrétiens. « J’ai baigné dans un Liban pacifié », raconte-t-il, un brin nostalgique. A son arrivée dans la capitale, André Bercoff ne veut pourtant pas s’enfermer dans le sujet des tensions moyen-orientales. Il collabore avec plusieurs grand journaux au fil des ans dont l’Express, France Soir, Actuel, l’Evenement du Jeudi, Libération ou encore Le Monde. Il tâte un peu de la télévision, écrit beaucoup, se fait un nom au milieu de ces années 1980 baignées de mitterrandisme où le politique pensait encore pouvoir “changer la vie”. A 75 ans, André Bercoff continue à faire irruption de temps en temps dans l’actualité. C’est lui qui a interrogé à deux reprises le président syrien Bashar-el-Assad à Damas en Syrie pour Valeurs Actuelles. Malgré les réticences de la diplomatie française ou de certains de ses confrères. « Je suis allé voir Assad parce que cela m’intéressait. Il n’est pas de mon bord politique mais il faut aller le voir », clame-t-il. Avec le recul, il se désole que le Quai d’Orsay ait coupé tout lien avec le régime Assad, au risque de se priver d’informations primordiales sur les djihadistes français présents en Syrie. Il prend l’exemple de Churchill allant voir Staline durant la seconde guerre mondiale. « Vous croyez qu’il ne savait pas ce qu’il se passait en URSS? », interroge-t-il à haute-voix. Il ne la cite pas, mais on croirait entendre la fameuse citation du Premier ministre anglais avant l’invasion de l’URSS par l’Allemagne nazie : « Si Hitler avait envahi l’enfer, je me serais débrouillé pour avoir un mot gentil pour le Diable à la Chambre des communes. » Lui, a du mal à imaginer quel « diable » il n’irait pas voir. Peut-être Abou Bakr al-Baghdadi, le « calife » de l’Etat islamique : « C’est un fanatique, on ne peut pas discuter avec lui ». Il interroge alors : « Et vous, vous iriez voir par exemple le leader de la Corée du Nord Kim-Jong-Un? ». Manière habile d’obliger son interlocuteur à se positionner. Embarrassé, on réfléchit deux secondes : « Oui bien sûr, si je suis persuadé que je pourrais poser toutes les questions que je souhaite. » André Bercoff n’est pas le seul à avoir interrogé le dictateur syrien ces dernières années. L’AFP et France 2 s’y sont aussi frottées. Mais André Bercoff et l’hebdomadaire droitier Valeurs Actuelles dégagent dorénavant une odeur de souffre qui peut rendre suspicieux sur la démarche. Lors de son dernier voyage en Syrie pour rencontrer Assad, une photo d’André Bercoff avait circulé sur les réseaux sociaux aux côtés de Julien Rochedy, ancien président du Front national de la Jeunesse (FNJ). André Bercoff assure qu’il ne soutient pas le parti d’extrême-droite. « Marine Le Pen est trop protectionniste. Sortir de l’Euro serait une véritable aberration », explique-t-il. Sa solution pour la France? Enfermer toutes les tendances politiques dans une salle pendant plusieurs jours et les obliger à trouver un compromis. En 2012, il avait signé une série d’entretiens entre Pierre Cassen (Riposte Laïque), Christine Tasin (Riposte Laique) et Fabrice Robert (Bloc identitaire). Un livre qui lui valut un article peu amène sur Rue 89. Lui dit « refuser les étiquettes ». « Dès qu’on creuse, ça ne correspond à rien ». Au bout d’une heure de conversation, on repart tout de même beaucoup moins sûr que l’homme soit aussi à droite qu’on ne le dit. Peut-être est-ce dû à l’époque où on ne parvient plus très bien à distinguer la droite et la gauche sur le plan économique? Peut-être est-il sincère quand il clame sa volonté de penser comme un esprit libre? Peut-être, a-t-on simplement été berné par un homme qui a gardé sa force de conviction malgré l’âge et ses cheveux blancs… Michaël Bloch
Je vais vous dire… d’abord je pense que, hélas, ça se reproduira, je le déplore complètement. Je pense qu’il y a un problème de recherche, il y a un problème de vérification, mais il y a un problème, vous l’avez dit très bien, de concurrence, et la chose la plus terrible, c’est effectivement de savoir faire silence devant tel ou tel événement, de tel ou tel fait, si on n’en est pas sûr, et je crois que faire silence est devenu aujourd’hui la vertu la moins partagée. Je pense qu’il faut effectivement faire silence quand on n’est pas sûr de telle ou telle information. Mais alors ça demande vraiment une espèce de vertu que, à ma connaissance, aucun journal, je dis bien aucun journal, n’a aujourd’hui. André Bercoff
Depuis 2016, André Bercoff distille à longueur d’ondes les thèses favorites de l’extrême droite. Collaborateur des sites fachosphériques Boulevard Voltaire, Riposte laïque, Figarovox et de l’hebdomadaire Valeurs actuelles, il est imprenable en matière d’inversion de la relation dominants/dominés, notamment lorsqu’il enchaîne les insinuations sur la menace du « grand remplacement » et dénonce le racisme « anti-blanc ». Pas une semaine non plus sans qu’il ne relaye l’ » Obamagate » et les autres théories du complot de Donald Trump. Ce polémiste constitue le noyau dur d’une radio qui brandit le « parlons vrai » pour justifier des polémiques sur des « thèmes de société » propres à occulter tout le reste, notamment les enjeux de justice sociale. En 2013, en faillite, Sud-Radio est rachetée par Fiducial SA, un poids lourd de l’expertise comptable. (…) Le nouveau propriétaire, Christian Latouche, 58e fortune française selon l’hebdomadaire Challenges, côtoyait dans les années 2000 le Mouvement national républicain de Bruno Mégret1. À Sud Radio, sous couvert de « non politiquement correct », on dénonce surtout les « idiots utiles », les « bobos » et autres « islamo-gauchistes ». Mal camouflée derrière une obsession « souverainiste », l’accointance de la radio avec l’extrême droite est évidente : le directeur de Valeurs actuelles, Geoffroy Lejeune, y a longtemps réalisé des chroniques ; Élisabeth Lévy du magazine Causeur, intervient dans la matinale. Quant à l’émission quotidienne « Les Incorrectibles », elle est réalisée en partenariat avec L’Incorrect, magazine dans le sillage « conservateur » et « identitaire » de Marion Maréchal Le Pen. Comme l’a analysé l’historien Gérard Noiriel, dans un contexte de concurrence acharnée entre les médias, le scandale et la provocation apparaissent comme un moyen sûr d’acquérir de la visibilité dans l’espace public. Didier Maïsto, le patron de la radio, s’en amuse : « On est traités de populistes et complotistes, mais ça ne me dérange pas ! » Pour preuve, le 30 mars, le professeur Luc Montagnier déballait ses thèses extravagantes sur l’origine de la Covid-19. Le 6 juin, un « grand » débat sur l’efficacité de l’hydroxychloroquine opposait Idriss Aberkane, pseudo scientifique au CV dopé, et Laurent Alexandre, fondateur de Doctissimo et climatosceptique acharné. En dépit d’une audience limitée (moins de 1 % selon Médiamétrie), l’extrême droite et une fraction de la droite française en perdition savent qu’à Sud Radio, elles bénéficient toujours d’entretiens complaisants : les réacs prétendument anticonformistes comme Éric Zemmour, Michel Onfray, Gilles-William Goldnadel ; des représentants de la Manif pour tous ; les plus coriaces des RN comme Marion Maréchal Le Pen et Jean Messiha ; des souverainistes comme François Asselineau, Paul-Marie Coûteaux, Nicolas Dupont-Aignan et Florian Philippot ; des essayistes amoureux du « passé glorieux » de la France comme Dimitri Casali, ou Laurent Obertone, journaliste pourfendeur du multiculturalisme. Sans oublier l’identitaire Damien Rieu et même des allumés virtuels de la fachosphère comme Papacito. Didier Maïsto justifie la diffusion de ces discours identitaires féroces au nom du « pluralisme », en arguant que quelques figures classées à gauche, notamment Juan Branco et Thomas Porcher, se sont déjà égarées à l’antenne. Très actif sur le réseau social Twitter, le patron de Sud Radio surjoue l’indignation dès que l’on évoque le ton ultra droitier de son antenne, au point de menacer de « saisir le CSA ». C’est pourtant lui qui publiait en 2018 une tribune dans Valeurs actuelles intitulée « La chasse à l’homme blanc au CSA : quand un racisme peut en cacher un autre ». Depuis le 30 mars, Didier Maisto anime sa propre émission, intitulée « Toute vérité est bonne à dire », où il recycle le vieux refrain de la censure prétendument exercée par les « bien-pensants ». Déjà, au micro du site Boulevard Voltaire en février 2019, il justifiait son combat pour « permettre au débat d’exister en dehors du politiquement correct » en estimant que « le droit à la différence est l’arme de l’Anti-France qui veut morceler la société française ». Après avoir rencontré fin 2018 ses premiers Gilets jaunes, trémolo dans la voix, le directeur de Sud Radio s’est autoproclamé journaliste de référence du mouvement. Dans Passager clandestin, ouvrage paru en mars, Didier Maïsto alterne récit autobiographique archiromancé et dénonciation des « communautarismes, encouragés par des politiciens sans scrupules venant y cultiver des clientèles in vitro ». Usant et abusant du « nous », il s’y affiche comme le porte-parole de la population française. Mais laquelle ? Vraisemblablement pas celle de la « diversité, minorités visibles, #balancetonporc, covoiturage, transition énergétique… Ces mots sont vides de sens pour cette France, LA France », peut-on y lire. Sa France éternelle, ayant perdu sa « souveraineté », souffrirait d’une « oligarchie corrompue » et des « médias mainstream ». Mais bien entendu, rien de « corrompu » quand Maïsto célèbre son propre patron, Christian Latouche, en des termes équivoques : un « mâle dominant » et un « chef de guerre » qui « dégage des phéromones ». Le « parlons vrai » ou la reconnaissance du ventre ? Jean-Sébastien Mora
Comme pour tout, il y a des effets de mode et de fortes différences d’un pays à l’autre. La France est un vieux pays cartésien, par exemple, et les théories basées sur des faits réels — les grandes affaires criminelles, les attentats, les histoires politiques — ont plus de succès que celles liées à des sujets moins factuels (la Terre plate, Roswell). Le poids de la foi, des croyances, est moins important en France qu’aux États-Unis, et les grandes connaissances scientifiques (la Terre, l’espace, etc.) sont, pour une écrasante majorité de Français, considérées comme acquises. En France, si vous parlez d’un complot à propos de la mort de Coluche, vous allez susciter un peu de curiosité, si vous parlez de complot à propos de la forme de la Lune, vous allez susciter le rire ou la gêne. (…) Je crois que, traditionnellement, les médias français souffrent, dans leur ensemble, d’une trop grande déférence envers le pouvoir et font naître du coup des besoins de contre-feux, de remises en cause, de refus de la parole officielle. L’ampleur des réactions face au film « Hold-up » est de ce point de vue symbolique. Un petit documentaire diffusé sur Internet semblait soudain plus menaçant que les mensonges répétés de l’Exécutif. Cela nourrit bien évidemment le complotisme. (…) Il est salutaire de douter, de vérifier les infos, de remettre en cause le discours gouvernemental, ça c’est la vitalité démocratique. Ce qui l’est moins, c’est quand ces doutes cachent des affirmations insidieusement énoncées reposant, pour la plupart, sur la déformation ou la négation des faits. Le complotisme commence quand les doutes laissent place aux certitudes et que la dénonciation des mensonges engendre la construction de vérités de substitution. (…) l’idée d’un complot dans l’assassinat de Kennedy (…) est l’exemple d’une théorie qui a réussi à s’imposer. Les raisons sont multiples. Elles sont le reflet d’une époque qui voit le développement de la télévision comme média d’info instantané, populaire et mondial et donne ainsi à tous le sentiment d’avoir tous les éléments pour juger et analyser. La période est marquée aussi par de grands mouvements de contestation du pouvoir, qui entraînent une volonté de transparence et la découverte, par ce biais, des turpitudes du FBI et de la CIA, notamment. L’affaire elle-même prête le flanc à ce genre de théories puisque l’assassin, Lee Harvey Oswald, aux motivations assez floues, est abattu dans les locaux de la police par un personnage lui aussi assez mystérieux (Jack Ruby). Il y a là tous les ingrédients propres à créer des théories à succès. Les médias traditionnels — télé, radio, presse écrite et édition — ont joué (et jouent encore) le rôle que l’on attribue aujourd’hui à Internet et aux réseaux sociaux… En manquant de discernement, en refusant de prendre parti au nom de « l’objectivité », en relayant sans cesse des hypothèses douteuses par goût du sensationnel, ils ont contribué à persuader l’opinion de l’existence d’un complot. Cette masse accumulée depuis plus de cinquante ans finit par se nourrir d’elle-même : l’existence de tous ces articles, ces livres, ces reportages, ces films « prouvent » qu’il y a bien un mystère… sinon comment expliquer toute cette littérature ? Aujourd’hui, celui qui défend la thèse du complot peut s’appuyer sur des centaines d’ouvrages et revendiquer des milliers de références allant dans son sens. Vincent Quivy
À travers plusieurs enquêtes et stratégies de mesure, nous avons trouvé plus de preuves de symétrie partisane et idéologique dans le complotisme, quelle que soit son opérationnalisation, que d’asymétrie. Premièrement, nous avons constaté que la relation entre les orientations politiques et les croyances dans des théories du complot spécifiques variait considérablement à travers 52 théories du complot spécifiques. Les théories du complot contenant un contenu partisan / idéologique ou qui ont été approuvées par des élites partisanes / idéologiques de premier plan trouveront plus de soutien parmi ceux d’un camp politique ou de l’autre, tandis que les théories sans un tel contenu ou approbation ont tendance à être sans rapport avec l’esprit partisan et l’idéologie. Nous avons également observé une variabilité considérable dans la relation entre l’idéologie gauche-droite et 11 croyances en théorie du complot dans 20 pays supplémentaires couvrant six continents ; cette variabilité suggère que la relation entre l’idéologie gauche-droite et la croyance en théorie du complot est également affectée par le contexte politique dans quelles théories du complot sont interrogées. (…) Nous avons constaté que les Démocrates/libéraux et les Républicains/conservateurs s’engagent dans l’approbation motivée du complot à des taux similaires, les Démocrates/libéraux affichant parfois des motivations plus fortes que les Républicains/conservateurs. Enfin, nous n’avons observé que des preuves incohérentes d’une relation asymétrique entre la pensée complotiste et l’esprit partisan, l’idéologie symbolique ou l’idéologie opérationnelle dans 18 sondages administrés entre 2012 et 2021. Même si les corrélations moyennes entre les études étaient positives, indiquant une relation avec le conservatisme/républicanisme (principalement en raison des données collectées en 2016), leur ampleur était négligeable et les corrélations individuelles variaient en signe et en signification statistique au fil du temps. Adam Enders, Christina Farhart, Joanne Miller, Joseph Uscinski, Kyle Saunders & Hugo Drochon
Une passionnante étude publiée l’an dernier démontre que le complotisme n’est la chasse gardée ni de la gauche ni de la droite. Exploitant une vingtaine d’enquêtes menées aux États-Unis entre 2012 et 2021, les auteurs constatent que les théories du complot se répartissent ainsi : un tiers, grosso modo, attire en priorité les républicains, un autre tiers est plus attractif pour les démocrates et le reste n’a pas d’ancrage partisan particulier. En l’espèce, les Américains de droite sont particulièrement vulnérables aux théories du complot sur le Covid-19, tandis que ceux de gauche goûtent celles sur Donald Trump. À droite, on est antivax avec le Covid-19, mais pas la rougeole, les oreillons et la rubéole, et on croit le réchauffement climatique bidon. À gauche, c’est plutôt la réalité de la mission Apollo 11 que l’on remet en question, et on est sûr qu’O. J. Simpson a été piégé. Certaines des théories du complot les plus connues – l’assassinat de JFK, la négation de la Shoah et l’idée que les attentats du 11 Septembre ont été perpétrés par le gouvernement américain – ne sont plus associées à un camp politique spécifique, alors qu’elles l’ont été par le passé. Comme le font remarquer les auteurs de l’étude, certaines théories du complot populaires naissent parfois d’un côté ou de l’autre de l’échiquier politique pour ensuite devenir bipartisanes au fil du temps. Ni le mouvement pour la « vérité » sur le 11 Septembre ni la croyance en un complot pour assassiner JFK ne sont nés à l’extrême droite. C’est même tout l’inverse : au départ, ces théories avaient surtout séduit les gens qui, respectivement, détestaient George W. Bush ou qui pensaient impossible que JFK ait été abattu par un marxiste. Sans surprise, quand cette étude est sortie, les commentaires sur les réseaux sociaux sont partis dans deux directions. D’un côté, certains ont fait valoir que certaines des théories examinées n’auraient pas dû être considérées comme telles – parce qu’elles étaient vraies – tandis que d’autres ont accusé les chercheurs de ne pas avoir cité les balivernes qu’ils associaient à leurs adversaires politiques. Le problème, c’est qu’aucun adepte d’une théorie farfelue sur le fonctionnement du monde n’y voit une théorie du complot. Si c’était le cas, ils cesseraient immédiatement d’y croire. Les théories du complot sont bonnes pour les autres, les crédules, les débiles, les exclus. Eux ? Ce sont des complotistes. Nous ? Nous sommes de libres penseurs sachant faire nos propres recherches et marcher notre esprit critique. En général, les théories du complot ont une valeur statutaire basse. Comme le développe David Aaronovitch dans Voodoo Histories, elles permettent aux individus marginalisés et au faible niveau d’études de se sentir supérieurs et perspicaces. Reste que bien des théories du complot semblent aller de soi au sein des élites. En Grande-Bretagne, vous ne serez pas conspué si vous affirmez que les conservateurs prévoient de privatiser le système de santé publique (NHS). Et vous n’aurez rien à craindre non plus si vous êtes persuadé que le gouvernement russe a, d’une manière ou d’une autre, provoqué le Brexit. (…) L’ironie est mordante, car l’ingérence russe dans les élections figure en bonne place des théories du complot respectables. En Grande-Bretagne, sa plus glorieuse émissaire s’appelle Carole Cadwalladr, une journaliste devenue célèbre après le Brexit en 2016 pour révéler… quoi, exactement ? Sept ans et de multiples récompenses plus tard, on ne sait toujours pas sur quoi elle enquête. Aujourd’hui, Cadwalladr est une complotiste sans théorie. Pendant des années, elle aura placé ses espoirs dans la National Crime Agency, la commission électorale, le commissaire à l’Information du Royaume-Uni et, aux États-Unis, en Robert Mueller, procureur spécial dans l’affaire du Russiagate. Sauf qu’aucune de ces différentes enquêtes n’a pu prouver ce qu’elle avançait, notamment sur les liens entre le Brexit, Trump, la Russie et Cambridge Analytica. Si la commission électorale a infligé des amendes aux militants du Leave pour avoir enfreint les règles relatives aux dépenses électorales, elle en a également infligé aux militants du Remain pour la même raison. Et, plus dommageable encore pour Cadwalladr, elle a conclu que Cambridge Analytica n’avait pas travaillé sur la campagne de Leave. EU Facebook fut certes condamné à une amende pour avoir partagé les données de certains de ses utilisateurs avec Cambridge Analytica, mais le commissaire à l’Information, l’équivalent britannique de la Cnil, n’a trouvé aucune preuve établissant que des citoyens britanniques en avaient fait partie. Arron Banks, homme d’affaires et cofondateur de Leave. EU, a intenté un procès en diffamation contre Cadwalladr pour l’avoir accusé d’avoir menti sur ses relations avec le gouvernement russe. Banks a beau avoir gagné en appel, ses poursuites ont été qualifiées d’« action judiciaire ratée » par le Guardian et, sur Twitter, Cadwalladr s’est fait passer pour victorieuse en déclarant : « Tout ce que j’ai fait, mes processus journalistiques, l’intérêt public de mon enquête, la dénonciation des liens de Banks avec le Kremlin, a été catégoriquement confirmé par ce jugement. » Cadwalladr avait déjà présenté des excuses publiques à Banks pour l’allégation concernant la Russie et d’autres contre-vérités, mais ni cette amende honorable ni même le fait qu’elle a perdu un procès en diffamation et dû payer des dommages et intérêts n’auront fait changer d’avis ses partisans. (…) La plupart des théories du complot classiques naissent d’un sentiment d’incrédulité. Un simple accident de voiture ne pouvait pas mettre un point final au soap opera qu’était la vie de la princesse Diana. JFK était trop important pour être assassiné par un type aussi médiocre que Lee Harvey Oswald. Les attentats du 11 Septembre étaient trop énormes pour n’avoir impliqué qu’une dizaine de terroristes. La logistique pour envoyer des hommes sur la Lune était trop époustouflante pour avoir été possible en 1969. Le Covid-19 et les confinements ont provoqué un choc psychique d’une ampleur encore plus grande que n’importe lequel de ces événements. Que des politiciens faillibles aient été confrontés au problème, extraordinaire, d’avoir à gérer un nouveau virus mortel avait tout d’une explication trop simple, inadéquate. Pourquoi ne pas y voir une justification bien commode pour vendre des vaccins et installer un gouvernement mondial ? Ou, à l’inverse, croire que le gouvernement cherchait à se débarrasser de vieux coûtant un pognon de dingue à la société ? De même, le Brexit et l’élection de Donald Trump ont choqué tous ceux qui les considéraient comme impensables. À l’heure où nous nous retranchons dans nos chambres d’écho, nous sommes de plus en plus incapables d’admettre l’existence de points de vue opposés et, encore moins, de les juger valables. Quand tous ceux que vous connaissez sont d’accord avec vous, comment ne pas être abasourdi de voir, une fois tous les votes comptabilisés, votre camp mis en minorité par un panier de déplorables ? Quand quelque chose semble incroyable, la tentation est grande de ne pas y croire et de chercher d’autres explications. Les théories du complot sont, dans tous les sens du terme, pour les perdants. Quand votre camp perd de manière inexplicable, les explications extraordinaires deviennent d’un coup séduisantes. Les centristes et les raisonnables, aux opinions statutairement élevées, sont demeurés longtemps sans perdre, mais, au cours de la dernière décennie, ils ont subi plusieurs défaites majeures. Dans le même temps, la pensée complotiste n’aura jamais été aussi visible. Faut-il y voir une coïncidence ? Un complotiste dirait qu’il n’y a pas de coïncidence et, dans ce cas, il aurait raison. Christopher J. Snowdon
Chargé de combattre les fausses informations au sein des Décodeurs, la rubrique de factchecking du Monde, je vois chaque jour enfler de nouvelles théories délirantes sur Facebook et Twitter. (…) Cette réalité fait désormais partie de nos vies : qu’on le veuille ou non, il nous faut apprendre à cohabiter avec elle. Mais il nous manque encore un mode d’emploi. Au niveau collectif, les pouvoirs publics comme les médias n’ont toujours pas trouvé le moyen de freiner le développement de ce phénomène. Au niveau individuel, nous sommes nombreux à avoir éprouvé la difficulté à maintenir le fil du dialogue avec des personnes tenant des propos conspirationnistes. Comment se comporter face à elles ? Le premier réflexe consiste à opposer des arguments à leurs théories souvent bancales. Je le sais : j’ai commis cette erreur mille fois, et il m’arrive encore de le faire. (…) J’ai pris de haut des amis antivaccins en méprisant leur manque de maîtrise et de compréhension des études scientifiques, j’ai renvoyé dans leurs cordes des dizaines d’internautes en leur balançant à la figure un lien vers un article de vérification, j’ai comparé une communauté complotiste pro-Trump dont il sera beaucoup question dans ce livre, Les DéQodeurs, à une secte. (…) Choisir la voie du rejet est tentant mais contre-productif. En s’opposant frontalement aux convictions des complotistes, ou, pire, en se moquant de leurs idées, on ne fait que creuser un peu plus le fossé entre eux et nous, et les renforcer dans leurs croyances manichéennes. Pour combattre ce phénomène, il faut commencer par le comprendre. Le complotisme, c’est-à-dire l’explication systématique des événements historiques par l’action consciente, coordonnée et malveillante d’une minorité, n’est pas né avec la crise sanitaire, et il a déjà été largement étudié par le monde académique. Il a ainsi fait l’objet de brillantes analyses de la part du philosophe d’origine autrichienne Karl Popper, qui a popularisé dans les années 1950 l’expression de conspiracy theory, en français « théorie du complot » ; la philosophe germano-américaine Hannah Arendt a éclairé le mode de pensée conspirationniste en déconstruisant les mécanismes de l’antisémitisme ; plus récemment, le politologue français Pierre-André Taguieff a notamment montré comment le complotisme contemporain perpétue des stéréotypes apparus au xixe siècle. Reste que tout ce savoir ne prépare pas vraiment à la difficile épreuve d’une discussion avec un covidosceptique, un antivaccin ou un obsédé des récits « alternatifs » du 11-Septembre, sans parler d’un « platiste », persuadé que la Terre n’a pas la forme d’une sphère mais d’un disque. Si l’on veut maintenir un lien avec eux, et retrouver un même socle de réalité, l’important est de comprendre la mécanique de pensée des complotistes. Telle a été ma démarche dans ce livre. (…) Nombre de complotistes décrivent leur vision du monde en recourant à une métaphore empruntée à la série de films Matrix. Quand Neo, le héros de cette saga de science-fiction, découvre que le monde dans lequel il vit n’est qu’un simulacre de réalité, un choix se présente à lui. S’il avale une pilule bleue, il se rendort et accepte le consensus et le mensonge. Pilule rouge, il se réveille et voit la vérité crue : c’est la voie qu’assurent avoir choisie les complotistes. Ce livre se veut un entre-deux, une sorte de pilule violette, qui offrirait un voyage dans l’univers mental et le mode de pensée des complotistes. Sans le promouvoir, ni nier sa dangerosité, bien sûr. Mais sans rejeter celles et ceux qui véhiculent ces théories. Avec l’ambition première de décrire, raconter, comprendre. William Audureau
Au nihilisme de la célèbre déclamation de Macbeth, « La vie est un conte raconté par un fou, plein de bruit et de fureur, qui ne signifie rien », les chercheurs de vérité opposent l’idée que la vie obéit à un plan, fomenté par une puissance supérieure, fait de signes et d’indices, qui, une fois rapprochés les uns des autres, ont tous une signification.William Audureau
Début 2019, un sondage réalisé par l’Ifop auprès de 1506 personnes pour le compte de la Fondation Jean-Jaurès et de Conspiracy Watch, un site web français qui étudie le conspirationnisme contemporain, établissait encore que le profil type du complotiste était un jeune de 18 à 24 ans, peu ou pas diplômé. Or, un an plus tard, les défenseurs de l’hydroxychloroquine sont loin de se résumer à ce portrait-robot. La crise du Covid-19 a ouvert des brèches au sein d’une population jusqu’alors hermétique à ce type de théories, notamment chez les baby-boomers. Sur Internet, Stéphane se découvre des alliés qui sont docteur en économie, comme Xavier Azalbert, le directeur du site France-Soir ; chercheur en sociologie, comme Laurent Mucchielli ; ou généticienne, comme Alexandra Henrion-Claude. Dans les groupes Facebook des pro-Raoult, on trouve aussi des médecins, des entrepreneurs ou des responsables de communication, au niveau d’éducation a priori inattaquable. Parmi les militants antimasques, une enquête a dénombré un tiers de cadres et professions intellectuelles supérieures, soit le double de leur poids statistique dans la population française. En projetant des milliards d’individus dans le rôle de victimes impuissantes, le Covid-19 a en effet exposé un public très large aux théories du complot. Privation de libertés et de vie sociale, chômage forcé et gel de l’activité professionnelle, enfermement des seniors, mariages et enterrements escamotés… Face à un confinement national, les catégories populaires ont perdu le monopole des frustrations. Soudain, des milliards d’yeux incrédules se sont ouverts, en demande de réponses, même irrationnelles. Le complotisme est moins une affaire de catégorie socio-professionnelle que de situation de vie. Il est l’arme de ceux qui se retrouvent en position d’impuissance. L’explication est connue : les situations de stress psychologique intense accentuent le réflexe de la pensée magique, c’est-à-dire le recours à des explications simplistes relevant de l’occulte, du paranormal et du religieux. (…) Ce phénomène est encore plus prononcé en temps d’épidémie, lorsque n’importe qui peut se sentir menacé par la maladie, non pas seulement des civils vivant près d’un front armé. Il s’agit d’ailleurs d’un invariant de l’histoire humaine : les grands épisodes épidémiques ont presque toujours été associés à une résurgence de la pensée magique, comme s’il fallait coûte que coûte obvier l’angoissante incertitude de la situation en identifiant des coupables. Dans l’Europe médiévale, c’est le juif accusé de répandre la lèpre puis la peste noire en empoisonnant les puits. Dans l’Afrique des années 2000, ce sont les laboratoires occidentaux suspectés d’avoir créé le virus Ebola pour enrayer la croissance démographique de l’Afrique. Et dans l’Occident confronté au coronavirus, c’est au choix « Big Pharma », Bill Gates ou la Chine qui sont soupçonnés de vouloir réduire la population mondiale ; ou bien, pour mieux la contrôler, de lui implanter des puces électroniques par le biais de vaccins ; ou encore, a minima, de faire fortune sur le dos du peuple qu’on prive de son hydroxychloroquine providentielle. William Audureau
Ce dégoût pour l’iniquité, constitutif de l’émotion complotiste, se nourrit prioritairement de scandales et de dérives authentiques. Mensonges d’État, excès du capitalisme financier, entre-soi des élites bourgeoises… Toutes ces entorses à l’idéal démocratique permettent à la maladie du soupçon de se nourrir au goulot de la réalité. Pour Terry, les réponses coercitives à la crise du Covid-19 sont d’autant plus inacceptables qu’elles occultent la part de responsabilité des gouvernements français successifs, qui ont supprimé 70 000 lits d’hôpital en vingt ans. (…) Cette défiance vis-à-vis d’une classe politique accusée de jouer contre les intérêts de la population est profondément répandue en France. Elle a sa blessure originelle, le référendum de 2005 sur le traité établissant une constitution européenne. À la surprise générale, le « non » l’emporte alors par 54,67 % des suffrages exprimés. Mais deux ans plus tard, le texte est finalement ratifié pour l’essentiel par le traité de Lisbonne, signé par les gouvernements européens en dépit du vote du peuple français. L’épisode est régulièrement cité par les complotistes parmi les grands événements fondateurs “de leur « éveil » personnel.” (…) Ces dernières années, l’idée que l’élite gouvernante joue contre les intérêts du peuple s’est encore un peu plus ancrée dans les esprits avec le mouvement des Gilets jaunes, et la répression autoritariste et sanglante de plusieurs manifestations par les forces de l’ordre. Les violences policières contre des citoyens exerçant leur droit de manifester, parmi lesquels des pompiers et des infirmières, ont figé dans de nombreuses rétines médusées l’image d’un État dystopique et dangereux, dont il faudrait désormais craindre les actions autant que les intentions. (…) Le complotisme est directement indexé sur la crédibilité de la parole publique : le rejet que suscitent les personnalités politiques rend la moindre explication alternative plus plausible qu’une parole institutionnelle dévaluée. William Audureau
C’est la fameuse théorie du complot de « Big Pharma ». Un discours d’autant plus insidieux que les scandales pharmaceutiques existent bel et bien, depuis les publicités mensongères réalisées au début des années 2000 par Pfizer pour plusieurs de ses médicaments jusqu’à celui du Médiator, le coupe-faim commercialisé par les laboratoires Servier jusqu’en 2009 malgré la connaissance depuis 1997 de ses effets secondaires parfois mortels. Mais s’il se fonde en partie sur des événements réels, un tel discours finit par s’empêtrer dans sa propre défiance, au point de refuser de faire confiance à la pneumologue Irène Frachon, la lanceuse d’alerte qui a révélé le scandale Mediator, lorsque celle-ci qualifie les études sur les vaccins anti-Covid-19 de « sérieuses » et appelle à se faire vacciner. William Audureau
Pour moi, dont le factchecking est le métier, ces entretiens avec des complotistes ont été une leçon d’humilité. Littéralement. « Sois humble », m’a prié à plusieurs reprises Leonardo, arguant que les factcheckeurs sont trop définitifs. Il est vrai que certains de nos articles ont pu mal vieillir. En février 2020, j’ai ainsi écrit, citant les recommandations de l’OMS de l’époque, que le port du masque n’était pas conseillé pour se protéger du coronavirus. Raté : avec l’évolution du savoir scientifique, et notamment la découverte des contaminations aéroportées, les autorités sanitaires ont fait machine arrière quelques semaines plus tard. Dans le même esprit, une analyse que j’ai signée en avril 2020 sur « l’étrange obsession pour la thèse complotiste du virus créé en laboratoire », qui énumérait plusieurs infox loufoques comme l’idée que le coronavirus aurait été créé à partir du VIH, m’a été renvoyée à la figure au début de 2021, quand des experts ont relancé la piste d’une possible fuite accidentelle au sein d’un laboratoire de Wuhan. Tant pis si ces deux explications n’ont en réalité rien à voir : pour mes contradicteurs, c’était la preuve définitive que les complotistes avaient raison depuis le départ. William Audureau
Quand je converse avec une personne complotiste, il m’arrive ainsi souvent de parler des contradictions du gouvernement français sur le port du masque, des pratiques commerciales malhonnêtes de certains laboratoires ou encore des violences policières contre les Gilets jaunes. Le fait que nous déplorons tous les deux ces ratés et ces dérives aide à établir un dialogue. William Audureau
Le complotisme est un phénomène complexe. Au niveau individuel, il naît de la rencontre entre un tempérament – souvent idéaliste, indépendant ou encore provocateur –, un écosystème – qu’il s’agisse de « bulles de filtre » exposant à des contenus conspirationnistes sur Internet ou d’un environnement social sensible aux contre-récits – et un moment de vulnérabilité, qu’il soit personnel ou collectif. C’est la conjonction de tous ces facteurs qui peut pousser un individu à recourir à la pensée magique pour donner du sens à son quotidien. Le complotisme présente en effet de nombreux avantages. Il met de la simplicité sur le chaos du monde, offre le sentiment de posséder des clés pour comprendre ou, au moins, enquêter. Il permet de se sentir à la fois moins seul et plus fort. Surtout, il offre des outils narratifs capables de repousser indéfiniment la contradiction, voire, si le besoin s’en fait sentir, de révoquer le réel. Mais il a vite fait, aussi, de se transformer en une méfiance généralisée, potentiellement invivable, ou en une crédulité aveugle, qui peut se révéler extrêmement dangereuse. Reste qu’il n’existe pas deux complotistes identiques. Le caractère stéréotypé et souvent mimétique des propos tenus en public par les conspirationnistes cache des parcours et des motivations hétérogènes. La foi, le besoin de reconnaissance, un drame personnel, l’attirance pour le merveilleux sont autant de portes d’entrée différentes vers le monde des contre-récits. Si l’on veut lutter contre ce phénomène, il faut donc cesser de l’envisager sous le seul angle des idées. Dans l’univers mental d’un complotiste, il existe peu de croyances qui soient fondamentales : toutes ou presque se rapportent à un vouloir-croire central, une thèse primordiale et constitutrice, qui vient répondre à un mal-être. Le reste n’est que feuillage. Pour combattre le complotisme, c’est à ce mal-être qu’il faut s’adresser. Et, pour cela, commencer par l’entendre. Au niveau collectif, le caractère fantasque des contre-récits des chercheurs de vérité ne doit pas occulter le fait que certaines de leurs frustrations fondatrices sont légitimes. Le lobbying des grandes compagnies pharmaceutiques, l’affairisme politicien, les violences policières et autres dénis de démocratie sont d’authentiques problèmes de société. On ne peut pas reprocher aux conspirationnistes de demander plus de respect, de justice, de démocratie. Dans son geste initial, le complotisme est une tentative d’opposer à un État jugé défaillant un contre-État artisanal, populaire, fonctionnel et, surtout, plus juste. La meilleure manière de ne pas laisser se développer un terreau favorable à un populisme aveugle, crédule et potentiellement haineux est donc encore de s’efforcer d’améliorer les fondements de la démocratie, de redonner de l’assise au contrat social, de restaurer la confiance dans les institutions, qu’elles soient politiques, sociales ou sanitaires. William Audureau
Riche de portraits éclairants et nourri d’analyses des meilleurs spécialistes, ce livre dévoile les nombreux chemins qui mènent au complotisme. Et ceux qui permettent d’en sortir. Une plongée fascinante au cœur de la mécanique de pensée conspirationniste et de son pouvoir d’attraction. Pourquoi les théories complotistes séduisent-elles autant ? Collègues, amis, parents… Les discours conspirationnistes progressent dans tous les milieux et entrent aujourd’hui dans notre sphère intime. Notre premier réflexe : contredire. Or cela ne fait que renforcer les croyances de notre interlocuteur. Mais qui peut se résigner à voir certains de ses proches basculer dans le complotisme ? Comment réagir sans rompre le fil du dialogue ? Cela passe par l’écoute. Une gageure, tant la discussion est viciée, mais c’est à la portée de chacun. La preuve : William Audureau, journaliste au Monde, média honni des complotistes, a réussi à gagner la confiance de stars et d’anonymes de la complosphère pour nouer avec eux un dialogue au long cours. Antivax, « spécialistes » du 11-Septembre et des sociétés secrètes, adeptes de la naturopathie en lutte contre Big Pharma ou sympathisants du mouvement QAnon : ils lui ont tous parlé à coeur ouvert. Le résultat est une plongée fascinante au coeur de la mécanique de pensée conspirationniste et de son pouvoir d’attraction. Babelio
Et si le complotisme était au sociologisme, ce que la pornographie était à l’érotisme ?
Qui face certes à une manifeste connivence favorisée par la consanguinité toujours plus flagrante …
D’élites issues des mêmes familles de la bourgeoisie, souvent parisienne, passées par les mêmes formations et ayant vécu dans le même environnement avec les mêmes cadres de référence le plus souvent entre hommes …
Et partageant ainsi la même vision du monde, le même sens d’un destin partagé et, cerise sur le gâteau, la mondialisation qui élargit encore plus leur champ d’action …
Voit au nom d’une hyper-critique aussi systématique qu’à sens unique …
Tandis que les dictateurs avérés ont droit eux, tout aussi systématiquement, au bénéfice du doute …
Retour sur le remarquable ouvrage, sorti l’an dernier, d’un vérificateur du Monde (William Audureau, « Dans la tête des complotistes ») …
Qui a l’immense mérite d’avoir accepté de quitter enfin la casquette de « distributeur de bons et de mauvais points » ….
Et l’interminable pinaillage auquel ressemblent tant de vérifications, consistant à assigner pour la moindre erreur factuelle l’infamante étiquette « fake news » ou « théorie du complot » …
William Audureau, du journal « Le Monde », est spécialiste de la lutte contre la désinformation. Il publie « Dans la tête des complotistes », aux éditions Allary.
L’enquête dont nous parlons ce matin n’aboutit ni à une énième cartographie des théories complotistes, ni à un portrait-robot des femmes et des hommes qui y adhèrent. Il s’agit d’un voyage intime, fondé sur la rencontre, le dialogue, la compréhension, plutôt que sur le rejet et le combat. Un journaliste chargé de la lutte contre les fausses informations au « Monde » passe du temps avec celles et ceux qui s’avèrent complètement immunisés contre la vérité, plus rien n’a de prise sur eux, ils voient des ennemis partout, même là, surtout là où ils sont invisibles.
Avec la pandémie, vous et moi commençons à connaître, dans nos entourages, des gens qui ont d’abord douté du vaccin et qui, maintenant, semblent douter de tout. Les conversations deviennent impossibles.
Justement, le livre de William Audureau constitue un petit manuel pour recréer du lien, un plaidoyer pour tendre la main, car du complotisme, parfois, on revient.
Il n’y a pas un complotisme qui ressemble à l’autre. Il n’y a pas un complotiste qui ressemble à l’autre. Ils ont cependant en commun, qu’ils rejettent en bloc le mot de complotiste. Alors comment se qualifient-ils ? Voilà une liste non exhaustive établie par William Audureau : « Ils ont toute une variété d’expression pour se qualifier : Les questionnistes, les dubitatifs, les éveillés, les chercheurs de vérité, les lanceurs d’alerte, les résistants. Il y en a une dizaine, une quinzaine qui leur permettent de se donner le beau rôle.
Dans le récit qu’on se fait quand on est complotiste, on est un défenseur de la vérité et de la liberté, etc.
Et le terme de complotiste effectivement, ils sont très nombreux à le rejeter. »
Ce geste de la main tendue de la part d’un journaliste qui est souvent une cible, William Audureau l’a tenté. Mais, ils sont d’autant plus difficiles à approcher que, justement, ils ont la sensation de s’être éveillés. Ils ont fait l’effort de se renseigner, de comprendre, de travailler, de se prendre en main. Ils sont fiers de cela et c’est là qu’il est très difficile d’aller les chercher.
« Dans le complotisme, souligne le journaliste, au delà d’avoir l’impression d’avoir découvert la vérité, on s’imagine s’être débarrassé de tout un ensemble de représentations qui seraient fausses et surtout mensongères. Et c’est extrêmement flatteur d’un point de vue narcissique. C’est quelque chose que tous disent, notamment ceux qui en sont sortis. C’est que finalement, ça permet de se sentir meilleur. Et souvent, ça panse des plaies. C’est souvent des personnes qui ont besoin de reconnaissance.
Ces théories du complot, ces contre-récits, comme je les appelle souvent, ce sont des totems qu’on peut brandir en disant ‘Regardez moi, j’ai compris quelque chose que vous n’avez pas compris’.
C’est extrêmement satisfaisant.
Portrait d’un complotiste
Il n’y a pas un seul modèle de complotistes, ils sont tous très différents avec des histoires souvent complexes. Mais c’est vrai qu’il y a certains éléments qui reviennent :
Ce sont tous des idéalistes, des idéalistes qui sont un peu drogués à la déception, drogués à voir le monde en noir.
Ce sont très souvent des personnes qui se vantent d’être rebelle ou qui ont un besoin de s’affirmer dans l’opposition.
Un certain nombre ont besoin de se rassurer, ne supportent pas les périodes d’incertitude, les moments où ils ont du mal à comprendre ce qui se passe.
Le trou du lapin
« C’est ce moment où l’on commence à entrer en contact avec des théories du complot et où l’on se dit ‘jusqu’à présent, tout ce que je croyais savoir était un mensonge’. C’est une métaphore qui vient de Lewis Carroll, d’Alice au pays des merveilles.
Une fois qu’on est de l’autre côté du terrier, on voit la réalité d’une manière complètement différente. Ce qui paraissait vrai devient un mensonge qui paraissait faux commence à devenir vrai. »
L’effet de groupe, cocon protecteur
« Il y a une idéalisation du ‘nous’ qui est extrêmement importante confirme William Audureau. Aujourd’hui, la plupart des personnes qui sont dans des théories du complot et qui ont pu dériver, par exemple, vers des idées anti-vaccin alors qu’ils n’étaient pas du tout anti-vaccins au départ, c’est en suivant le groupe. C’est pour cela qu’il est très, très dur d’en sortir, parce qu’on se crée des amis.
Si on en revient à la question de la pandémie, à un moment où tout le monde s’est retrouvé isolé, ce collectif là a permis de donner l’impression à beaucoup de monde de ne plus être isolé du tout. Et quand on écoute leur discours le ‘nous’ est omniprésent.
Le complotisme repose fondamentalement sur une opposition entre nous et eux
Jamais ‘nous contre vous’ parce que cet ennemi, il n’est jamais tout à fait présent. Il est un peu flou, très changeant. Ils admettent qu’ils ne savent pas exactement qui est l’ennemi. Et quand ils utilisent ces termes ils le font un peu faute de mieux. »
Tendre la main
Le livre de William Audureau est une sorte de manuel pour recréer du lien dans la sphère intime. Le journaliste y raconte des trajectoires ou des gens plus ou moins atteints, voire même programmés pour être totalement phagocités par ce qu’il appelle un « parasite mental » qui protège de tout et notamment de la vérité, en reviennent dans des moments de colère, de déception contre eux mêmes. Et il ajoute :
On en revient parce qu’on a une main qui nous est tendue
« Chaque fois que vous traitez quelqu’un de complotiste, il le vit très mal et ça pousse à une forme de rupture. Cette rupture-là, elle peut être sans retour. Au contraire, il faut réussir à faire fi de cette colère qu’on peut avoir contre un proche qui tombe dans des idées intolérantes. Mais ce qui marche, c’est la bienveillance. »
Il est important d’avoir toujours un lien avec ses proches parce que c’est là qui permet souvent d’éviter de dériver complètement.
« Il faut réussir à dépassionner le débat, voire même à quitter le champ du débat, essayer de revenir à du quotidien, revenir à des souvenirs, juste trouver ce qui nous relie. Dans un premier temps, vraiment faire en sorte qu’il y ait pas de rupture.
Dans un deuxième temps, éventuellement, si on se sent suffisamment armé, essayer d’aller questionner ces croyances, mais il faut réussir à ne pas le faire au niveau idéologique. Il faut essayer de dire : ‘on va voir une affirmation très précise et ensemble, on va essayer de regarder s’il est vrai ou pas.’
Mais ce qui est certain, c’est qu’il faut beaucoup de patience. Il faut réussir à se maîtriser. »
Dans la tête des complotistes de William Audureau (Edition Allary)
Depuis que RT et Sputnik ont été interdits par l’Europe au titre des sanctions économiques, l’argumentaire prorusse se fait plus rare dans les médias traditionnels français. Sauf dans certains supports ou émissions très à droite.
Sandrine Cassini
Le Monde
16 mars 2022
« Cela sert les intérêts des Etats-Unis, qui ont voulu cette guerre, qui l’ont préparée en humiliant la Russie. » Le 8 mars, au micro d’André Bercoff sur Sud Radio, Paul-Marie Coûteaux développait sa vision de la guerre menée en Ukraine par le Kremlin. « Poutine ne veut pas envahir l’Ukraine. L’Ukraine n’est pas vraiment une nation. Il n’y a qu’à regarder l’histoire », appuyait l’ancien conseiller de Marine Le Pen, désormais rallié à Eric Zemmour. Il n’y a pas si longtemps, cette rhétorique n’aurait pas dépareillé sur RT ou sur Sputnik, les deux médias financés par la Russie.
Mais, depuis qu’ils ont été interdits par l’Europe au titre des sanctions économiques, l’argumentaire prorusse se fait plus rare dans les médias traditionnels français. Sauf dans certains supports ou émissions très à droite. Comme chez André Bercoff, où une foule de personnalités se presse depuis le 24 février pour rappeler le « contexte » de cette guerre, et relativiser la responsabilité de Vladimir Poutine tout en rejetant la faute sur l’OTAN, ou les Etats-Unis. Le 3 mars, par exemple, Jean-Pierre Fabre-Bernadac, l’ancien capitaine de gendarmerie à l’origine de la sulfureuse tribune des officiers qui appelait à la guerre civile, affirmait ainsi que « dans l’euphorie, on a décidé qu’il y avait les méchants d’un côté, les Russes, et les bons de l’autre, les Ukrainiens ».
Le « même petit récit que l’on recycle »
« Je prends des gens différents de la doxa médiatique. 95 % des médias disent que Poutine, c’est Hitler, et que Zelensky, c’est Jean Moulin. Cette indignation a sens unique me gêne. Le travail de mise en perspective n’est pas fait. Je suis très frappé que personne ne rappelle un certain nombre de traités, d’accords », justifie André Bercoff, se défendant de « renvoyer dos à dos l’Ukraine et la Russie ». « C’est toujours le même petit récit que l’on recycle, tel un disque rayé reprenant la propagande russe, corrige le chercheur en géopolitique Jean-Sylvestre Mongrenier. La vérité, c’est que la Russie n’est pas là pour se défendre, mais pour prendre l’Ukraine. » Biberonnés à l’anti-occidentalisme, « ces gens sont obsédés par les Etats-Unis, l’OTAN et nourrissent une forme de détestation vis-à-vis de tout ce qui vient d’outre-Atlantique », analyse Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite.
A la tête de Sud Radio, Patrick Roger tente de garder le contrôle sur cet îlot prorusse : « J’ai bien dit à André [Bercoff] que, même s’il y avait eu des erreurs [en Occident] il y en a un qui est l’agresseur, et l’autre qui est agressé, et qu’il ne s’agissait pas de propager mais de comprendre », explique celui qui a tout de même fait le ménage au sein de sa radio. A la rentrée dernière, il n’a pas renouvelé l’émission « Les Incorrectibles », jugée trop incontrôlable. Transférée sur YouTube, son producteur Eric Morillot a reçu, le 6 mars, Kemi Séba : « Zelensky est objectivement au mieux une marionnette, au pire un outil consentant de l’élite néolibérale (…), un agent d’influence de l’impérialisme occidental dans cette région, a lancé l’activiste franco-béninois antisémite. Il a fait partie de ceux qui ont contribué à faire monter ces tensions. »
« Notre part de responsabilité »
Une journaliste fait l’unanimité dans ces cercles restreints. Anne-Laure Bonnel se présente comme une spécialiste du Donbass, territoire où s’affrontent depuis 2014 gouvernement ukrainien et séparatistes prorusses, soutenus par le Kremlin. Cette indépendante prétend dénoncer « les exactions » de Kiev à l’égard de la population locale, sans jamais rappeler que ce conflit a été « déclenché par les Russes en y envoyant leurs hommes », précise Jean-Sylvestre Mongrenier. Ce qui n’a pas empêché André Bercoff, ou Pascal Praud, de CNews, de lui tendre le micro. Ni l’hebdomadaire Valeurs actuelles de publier l’un de ses reportages le 2 mars. L’ancien « gilet jaune » Oliv Oliv l’a même citée en exemple sur le plateau de Cyril Hanouna sur C8, le 4 mars. Auprès du Monde, elle se défend de cautionner « les bombardements de Poutine », mais souligne « notre part de responsabilité ».
Sur Internet, des médias de niche prennent encore moins de gants. Sur TV Libertés, François Asselineau a pointé du doigt « les infos totalement manichéennes sur BFM-TV », traitant Volodymyr Zelensky d’« escroc », « en cheville avec la pègre ». Après quelques jours passés en Ukraine, le cofondateur du média en ligne Livre noir, Erik Tegnér, a fait sensation le 2 mars dans une vidéo résumant ses impressions. « J’ai été dérangé par la distorsion entre ce que l’on entend à la télévision où [est évoquée] une guerre totale en Ukraine alors que, nous, sur 1 600 km, on n’a pas vu la guerre », dit-il au Monde le samedi 12 mars, évoquant une possible « manipulation de la part du gouvernement ukrainien ». « La première semaine, les médias ont exagéré le conflit, assume le directeur de la rédaction du site. Le jour où Poutine exagérera, on le dira. Mais on a la plus grande vague migratoire depuis 1945 alors qu’elle repose sur un conflit qui a fait 600 morts à ce jour. »
Une autre vidéo intitulée « Zelensky vous manipule-t-il ? », et décortiquant trois « fake news » a fait un carton d’audience. « J’essaie d’équilibrer. Je n’ai aucune sympathie pour le régime russe, il y a une complaisance des médias à prendre pour argent comptant tout ce qui vient d’Ukraine », précise le cofondateur François de Voyer. Le duo rétorque que Livre noir a beaucoup donné la parole aux Ukrainiens, à travers des reportages réalisés sur place ou dans des interviews. « On s’est aussi fait attaquer par les pro-Poutine », relativise Erik Tegnér.
Voir également:
Vincent Quivy : « Le complotisme commence quand les doutes laissent place aux certitudes »
Conspiracy watch
7 décembre 2020
Vincent Quivy signe au Seuil un ouvrage, Incroyables mais… faux !*, proposant un panorama de plusieurs dizaines d’« histoires de complots », de JFK au Covid-19 en passant par la mort de Coluche, l’explosion de l’usine AZF, Roswell, « la Terre plate » ou encore « l’État profond ». Entretien.
Conspiracy Watch : Selon vous, les gens croient-ils réellement à ces théories du complot ?
Vincent Quivy : Disons que l’adhésion à ces théories est assez fluctuante… Certaines sont très populaires d’autres moins. Comme pour tout, il y a des effets de mode et de fortes différences d’un pays à l’autre. La France est un vieux pays cartésien, par exemple, et les théories basées sur des faits réels — les grandes affaires criminelles, les attentats, les histoires politiques — ont plus de succès que celles liées à des sujets moins factuels (la Terre plate, Roswell). Le poids de la foi, des croyances, est moins important en France qu’aux États-Unis, et les grandes connaissances scientifiques (la Terre, l’espace, etc.) sont, pour une écrasante majorité de Français, considérées comme acquises. En France, si vous parlez d’un complot à propos de la mort de Coluche, vous allez susciter un peu de curiosité, si vous parlez de complot à propos de la forme de la Lune, vous allez susciter le rire ou la gêne.
CW : Certains voient dans le succès d’une vidéo comme « Hold-up » un signe de vitalité démocratique et appellent à ne surtout pas stigmatiser comme « complotistes » ceux qui adhèrent à des théories du complot. Qu’en pensez-vous ?
V. Q. : Je crois que, traditionnellement, les médias français souffrent, dans leur ensemble, d’une trop grande déférence envers le pouvoir et font naître du coup des besoins de contre-feux, de remises en cause, de refus de la parole officielle. L’ampleur des réactions face au film « Hold-up » est de ce point de vue symbolique. Un petit documentaire diffusé sur Internet semblait soudain plus menaçant que les mensonges répétés de l’Exécutif. Cela nourrit bien évidemment le complotisme. Pour autant, est-ce que ce genre de film est un signe de vitalité démocratique ? Je crois plutôt qu’il est le symptôme d’une démocratie affaiblie. Il est salutaire de douter, de vérifier les infos, de remettre en cause le discours gouvernemental, ça c’est la vitalité démocratique. Ce qui l’est moins, c’est quand ces doutes cachent des affirmations insidieusement énoncées reposant, pour la plupart, sur la déformation ou la négation des faits. Le complotisme commence quand les doutes laissent place aux certitudes et que la dénonciation des mensonges engendre la construction de vérités de substitution. Certes, on peut monter ce genre de démonstration sans adhérer à une idéologie précise mais on ne peut ignorer, comme Monsieur Jourdain, qu’on tombe dans ce qu’il est convenu d’appeler le complotisme.
CW : Le complotisme, est-ce si grave, si préoccupant ?
V. Q. : Oui, pour moi, le complotisme est un phénomène inquiétant. D’abord parce qu’il fonctionne comme une réelle idéologie, offrant, souvent mine de rien, tout un cadre et un schéma de pensées. Adhérer à l’une ou l’autre de ces théories, ce n’est pas simplement se montrer réceptif à une histoire particulière, c’est, forcément, accepter de remettre en cause tout un lot de faits et de connaissances, ainsi que ceux qui les diffusent, c’est-à-dire, bien souvent les autorités, les institutions, les savants, les scientifiques, les dirigeants, les médias, etc. C’est une idéologie qui repose par conséquent sur une défiance de ce qui fonde l’essence des démocraties. De plus, elle oppose le « bon sens », c’est-à-dire l’instinct, à la connaissance et la réflexion. Elle est de ce point de vue extrêmement dangereuse puisqu’elle peut permettre de manipuler l’opinion à partir de fausses informations.
CW : Est-ce que ce n’est pas le pouvoir qui, par ses errements, ses manipulations parfois, porte la véritable responsabilité de la situation dans la montée du complotisme aujourd’hui ?
V. Q. : Oui, pour ma part, je suis assez atterré. Quand j’ai commencé à travailler sur les complots (il y a dix ans), mon argument principal était de dire : faire confiance, croire à l’efficacité de nos institutions et de nos dirigeants est essentiel. Or les premiers à dénigrer, à remettre en cause nos institutions, ce sont ceux, pour paraphraser de Gaulle, dont c’est « le devoir, l’honneur, la raison d’être » de les servir et de les protéger. L’arrivée d’Emmanuel Macron, notamment, en renforçant le refus d’un État-providence tel qu’on l’a connu sous la Ve République, c’est-à-dire fort, centralisé, puissant et donc rassurant, pérenne, sinon infaillible du moins digne de confiance, a accéléré le processus. L’État vu comme une start-up a des conséquences sur la confiance qu’on peut avoir dans les institutions — autant que dans Amazon… D’autant que le Président n’a cessé de remettre en cause les institutions en s’en prenant à l’ENA et aux énarques, par exemple, éléments essentiels de l’organisation de l’État ou en nommant à la Justice un avocat qui a fait sa renommée et sa carrière en attaquant l’institution judiciaire. Et que dire de la façon dont l’Exécutif a géré la crise sanitaire sinon que gouverner, ce n’est plus prévoir mais mentir ? C’est un formidable cadeau fait aux complotistes…
CW : En matière de complotisme, les médias, les professionnels de l’information en général, doivent-ils selon vous balayer devant leurs portes ?
V. Q. : Oui, j’aurais tendance à faire un peu la même réponse que pour nos dirigeants à cette nuance près que le traitement médiatique des complots est quand même complexe. Ne pas en parler ou en parler, c’est faire le jeu des complotistes. Jouer aux donneurs de leçon est contre-productif mais leur donner la parole l’est aussi. Il ne faut pas nier cependant que le comportement des médias est le reflet de l’importance qu’a prise l’info-spectacle. Une bonne théorie du complot attire la curiosité et fait de l’audience. J’ai constaté, en travaillant sur les complots de l’affaire Kennedy, le peu d’intérêt que suscitait un livre (ou un intervenant) démontant les théories les plus incongrues. « Quel ennui ! » semblaient dire les journalistes. « Vous êtes sûr que la CIA, Marilyn Monroe ou la Mafia n’ont rien à voir là-dedans ? » Pour contrer cela, on a essayé, avec mon éditeur, pour ce livre, d’insuffler un peu d’humour et de légèreté afin d’intéresser les médias tout en démontant les théories les plus séduisantes. Je vous laisse juge du résultat, sachant que le livre est sorti quasiment en même temps que le documentaire complotiste « Hold-up »…
CW : Vous êtes l’auteur d’un livre, Qui n’a pas tué John Kennedy ? (Seuil, 2013), qui bat en brèche la thèse selon laquelle l’assassinat du président américain en 1963 à Dallas serait le résultat d’un complot d’État. Or cette idée est majoritaire dans l’opinion publique si l’on en croit l’enquête d’opinion Ifop que nous avons réalisée en décembre 2017 en partenariat avec la Fondation Jean-Jaurès. Comment expliquez-vous la persistance de cette théorie du complot ? Y a-t-il des théories du complot dont on peut dire qu’elles ont triomphé ?
V. Q. : Il est vrai que l’idée d’un complot dans l’assassinat de Kennedy est très largement répandue dans l’opinion mais il faut signaler qu’elle décroit au fil du temps. On peut dire malgré tout que c’est l’exemple d’une théorie qui a réussi à s’imposer. Les raisons sont multiples. Elles sont le reflet d’une époque qui voit le développement de la télévision comme média d’info instantané, populaire et mondial et donne ainsi à tous le sentiment d’avoir tous les éléments pour juger et analyser. La période est marquée aussi par de grands mouvements de contestation du pouvoir, qui entraînent une volonté de transparence et la découverte, par ce biais, des turpitudes du FBI et de la CIA, notamment. L’affaire elle-même prête le flanc à ce genre de théories puisque l’assassin, Lee Harvey Oswald, aux motivations assez floues, est abattu dans les locaux de la police par un personnage lui aussi assez mystérieux (Jack Ruby). Il y a là tous les ingrédients propres à créer des théories à succès. Les médias traditionnels — télé, radio, presse écrite et édition — ont joué (et jouent encore) le rôle que l’on attribue aujourd’hui à Internet et aux réseaux sociaux… En manquant de discernement, en refusant de prendre parti au nom de « l’objectivité », en relayant sans cesse des hypothèses douteuses par goût du sensationnel, ils ont contribué à persuader l’opinion de l’existence d’un complot. Cette masse accumulée depuis plus de cinquante ans finit par se nourrir d’elle-même : l’existence de tous ces articles, ces livres, ces reportages, ces films « prouvent » qu’il y a bien un mystère… sinon comment expliquer toute cette littérature ? Aujourd’hui, celui qui défend la thèse du complot peut s’appuyer sur des centaines d’ouvrages et revendiquer des milliers de références allant dans son sens.
* Vincent Quivy, Incroyables mais… faux ! Histoires de complots de JFK au Covid-19, Seuil, 2020, 348 pages.
Fondateur d’un think tank remarqué pour son tropisme pro-Kremlin, l’ancien officier de renseignement fait le bonheur de la complosphère qui veut voir une manipulation médiatique derrière la guerre en Ukraine.
« On doit se défier de l’information, sans sombrer dans le conspirationnisme » : c’est la mise en garde d’Éric Denécé devant son auditoire, le 28 avril dernier. L’ancien officier-analyste au Secrétariat Général de la Défense Nationale (SGDN) est ce jour-là l’invité du Dialogue Franco-Russe, une association pro-Kremlin dirigée par l’eurodéputé RN Thierry Mariani et l’ex-député de la Douma russe Sergueï Katasonov, pour une conférence intitulée « Comment s’informer en temps de guerre ». En compagnie de François-Bernard Huyghe et Slobodan Despot, fondateur du site Antipresse, Éric Denécé jette rapidement ses propres recommandations par la fenêtre. Au sujet du massacre de Boutcha en Ukraine, il déclare qu’en attendant une enquête « vraiment indépendante », l’hypothèse d’un « montage ukrainien » serait un « scénario possible ».
Dix jours plus tôt, le Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R), le think tank qu’il dirige depuis 2000, est justement épinglé par Challenges pour ses analyses sur la guerre en Ukraine toujours très favorables à Moscou. L’un de ses membres, le général Christophe Gomart, patron de la Direction du renseignement militaire (DRM) de 2013 à 2017, claque alors la porte.Le casting du CF2R n’en reste pas moins bien fourni. On y retrouve pèle-mêle Claude Revel, déléguée interministérielle à l’intelligence économique de 2013 à 2015 et membre du Think Tank Geopragama (dont la fondatrice Caroline Galactéros avait rejoint la campagne d’Éric Zemmour) ; Alain Juillet, également membre de Geopragma, ancien de la DGSE et animateur pour la chaîne du Kremlin RT France jusqu’à sa fermeture ; Jacques Myard, ex-député LR qui a rendu visite à Bachar el-Assad en 2015 ; ou encore Jacques Baud, ancien colonel de l’armée suisse et désormais essayiste conspirationniste.
« Quand Poutine dit qu’il va dénazifier l’Ukraine, il a raison »
Pour le fondateur du CF2R, le conflit en Ukraine serait le fruit des provocations des États-Unis et du président ukrainien Volodomyr Zelensky contre la Russie, présentée en victime exerçant son droit à se défendre. Une analyse que les médias occidentaux refuseraient de prendre en compte. La complosphère, forcément, adore.
Le 25 mars, Éric Denécé est l’invité d’André Bercoff sur Sud Radio : « On devrait attendre de Zelensky […] qu’il présente des excuses à sa population pour l’avoir entraînée dans cette crise ». Et d’ajouter que l’Ukraine « dispose depuis 2014 en son sein de néo-nazis qui sont présents au plus haut de l’État-Major », sans citer un seul exemple.
Louant sa « valeur ajoutée analytique importante », le site conspirationniste FranceSoir lui accorde quelques jours plus tard un entretien mené par Corinne Reverbel, membre fondatrice du collectif covido-sceptique Bon Sens. Denécé y qualifie la révolution de Maidan de « coup d’État illégitime soutenu par l’Occident ». Pour lui, ce sont « les États-Unis [qui] ont amené Poutine dans ce piège » puisque « beaucoup d’éléments laissent penser qu’il ne voulait pas envahir l’Ukraine », toujours sans préciser la nature de ces « éléments ». Et « quand Poutine dit qu’il va dénazifier l’Ukraine, il a raison ».
L’interview est reprise par des site antisémites et complotistes comme Moutons rebelles, Wikistrike, l’OJIM (fondé par les militants d’extrême droite Jean-Yves Le Gallou et Claude Chollet), ou encore Étienne Chouard. Tous relaient l’accusation d’Éric Denécé selon laquelle la présidente de la Commission européenne aurait profité du conflit ukrainien pour livrer les données personnelles des Européens aux États-Unis. Un gros raccourci, Joe Biden et Ursula von der Leyen n’ayant en fait conclu pour le moment qu’un « accord de principe » concernant un nouveau cadre pour les flux de données transatlantiques.
Mais c’est surtout la chaîne CNews qui a permis à Éric Denécé de trouver son public. Face à Ivan Rioufol, qui le présente comme « un des grands spécialistes de ce genre de conflit », il lâche : « Aujourd’hui on est dans un narratif complètement manichéen […] et ce qui est dangereux c’est que ça exonère de leur responsabilité majeure deux acteurs principaux que sont le régime ukrainien et les États-Unis », ces derniers ayant « poussé l’Ukraine a provoquer la Russie », tandis que « nous sommes tous devenus des auxiliaires des Américains ».
Éric Denécé prévoit aussi que « Poutine va très probablement atteindre ses buts de guerre dans les semaines qui viennent ». Nous sommes alors le 27 mars, et la Russie vient d’annoncer son « redéploiement » vers le Donbass, renonçant de facto à prendre Kiyv. Déjà le 21 février 2022, il avait publié sur le site du CF2R un article dans lequel il accusait les « spins doctors américains » de « mettre en scène une menace et une agression russe qui n’existent pas » (sic)… quelques jours avant que les chars russes ne fondent sur la capitale ukrainienne.
Un bruit de fond suffisamment puissant pour que l’Ambassade de Russie en France ne finisse elle aussi par relayer la vidéo sur son propre compte Twitter, le 31 mars. Suite à quoi l’ex sénateur centriste et covido-sceptique Yves Pozzo di Borgo souligne lui aussi une « excellente intervention ». La figure antivax Richard Boutry en fera même sa « minute de Ricardo », estimant qu’il s’agit « de la meilleure interview jamais vue sur ce sujet ». Contacté via le CF2R pour discuter de son succès chez les plus importants relais de la propagande russe en France, Éric Denécé n’a pas donné suite.
Il trouve pourtant toujours des micros ouverts, comme sur Radio Courtoisie le 10 mai dernier, où il accuse les États-Unis d’utiliser cette guerre pour « affaiblir et vassaliser l’Europe », ou le 5 mai sur Putsch Media, site fondé par Nicolas Vidal, ex-éditorialiste chez RT France et qui diffuse sur sa chaîne YouTube des entretiens avec des figures antivax et d’extrême droite. ÉricDenécé y assure que le CF2R n’est « ni pro-russe ni anti-russe, nous analysons le conflit en Ukraine avec la plus grande indépendance et impartialité possibles ».
Comme le notait Challenges, Éric Denécé s’était déjà fait remarquer par le passé, notamment pour « des thèses peu consensuelles concernant le « Printemps arabe », avec encore une fois l’Otan dans sa ligne de mire ».
Il passe à l’époque dans des médias pourtant tout sauf confidentiels. Comme chez Yves Calvi sur RTL, où il assure en 2014 que « les milices d’extrême-droite qui sont à l’origine de la révolution Maïdan en Ukraine sont venuess’entraîner à Notre-Dame-des-Landes ». Ou encore sur LCI, en 2016, toujours face à Yves Calvi et alors que la ville syrienne d’Alep est en train de s’écrouler sous les bombardements indiscriminés des forces russes et syriennes : « le focus qui est mis sur la Syrie d’une part et sur Alep avec les désinformations qui les accompagnent est une falsification complète de la réalité ». Des propos alors repris par le blog pro-Kremlin Les-Crises.
La complosphère et l’extrême droite n’ont en effet pas attendu l’invasion de l’Ukraine pour faire d’Éric Denécé un de ses porte-voix favoris. À titre d’exemple, le site d’Alain Soral l’a mentionné à lui seul dans une vingtaine d’articles depuis 2008.
Le jeudi 15 juillet, à 19h20, le « Téléphone sonne » est consacré à « l’affaire du RER D » [1].
L’autocritique en temps réel des médias dans les médias est un produit médiatique comme les autres. Ici, on répond sans répondre, on s’emballe sur un « emballement », on s’explique sans expliquer, on bat (légèrement) sa coulpe… jusqu’à la prochaine fois. Toutes les tentatives d’aller plus loin (il y en eut…) semblent vouées à l’échec.
En l’absence d’Alain Bédouet, l’émission, intitulée « Quand l’information s’emballe » est présentée par Denis Astagneau et Serge Martin [2]. Avec quatre invités et deux journalistes en studio, il restera, comme souvent, moins de cinq minutes pour laisser s’exprimer une poignée d’auditeurs (voir le post scriptum). La “libre antenne” va être vampirisée par le discours des “spécialistes”. Voyons ce qu’ils ont à nous dire.
Les médias sur la sellette ?
Dès le départ, le terme « d’emballement » choisi pour le titre n’est pas de bon augure. S’agit-il de décrire ou d’expliquer ? Le risque est grand de voir l’emballement expliqué par l’emballement : un processus qui emporte ses acteurs malgré eux.
Surtout, si l’on commence par exonérer les médias des premiers faux pas, comme semble le faire Denis Astagneau sous couvert de présenter une chronologie : 1. « Samedi dernier », la « dépêche de l’AFP […] tombée sur les ordinateurs de tous les médias français » ; 2. le « communiqué de Dominique de Villepin » ; 3. le communiqué « de l’Elysée ».
Puis vient « l’emballement » – « Et à partir de là, tout le monde emboîte le pas de l’indignation » – qui s’effectue sans que la contribution spécifique des journalistes soit mise en évidence. On le pressent : ils ne seraient que les victimes d’un piège qu’ils n’auraient pas contribué à tendre. [3]
C’est ce que tend encore à confirmer Serge Martin quand, prenant la suite de Denis Astagneau, il souligne que l’on assiste alors – et alors seulement – à « une cascade de réactions ».
Englobant l’ensemble des médias dans un seul et même sac, Serge Martin se borne à affirmer que « l’affaire fait la Une des journaux qui prennent ainsi le relais des radios et des télévisions » [4]. Puis, le lundi soir, « le doute commence à s’installer ». C’est alors que « des responsables de la police expriment leur scepticisme. » Une telle présentation atténue encore un peu plus le rôle des médias, puisqu’elle suggère qu’avant le lundi les policiers n’avaient pas de doutes : comment dans ce cas, « les médias » auraient-ils pu en rendre compte plus tôt !
Ces esquives en cascade se poursuivent quand Serge Martin entreprend de répartir les responsabilités : « Les médias sont mis en cause, la gauche accuse le Chef de l’Etat d’avoir parlé trop rapidement. » Mais si « le Président de la République, parle d’un “incident regrettable” », précise l’animateur, « lui ne regrette pas de s’être précipité pour dénoncer une agression qu’on croyait alors de nature antisémite. » [c’est nous qui soulignons]. Faut-il comprendre que les médias, eux, regrettent ? Question pour l’instant sans réponse, car Denis Atagneau a déjà « complété », la présentation : « Ce soir nous allons nous interroger avec nos invités sur cet emballement, voire : certains d’entre vous parlent même de dérapage. » et suggéré d’ores et déjà d’autres pistes : « Est-ce les médias qui sont en cause, est-ce les politiques, est-ce la police, est-ce la jeune femme elle-même ? »
Et comme pour achever de nous convaincre que la cause est entendue avant même que l’émission proprement dite ne commence, le « hasard » s’en mêle… et ce « hasard » fait bien les choses [5] : le premier auditeur commence par souligner qu’« il est assez intéressant que France Inter fasse une émission suite à cet événement qui s’est passé il y a deux jours… il est des fois arrivé des informations qui étaient complètement fausses, qui sont parues dans la presse, et personne n’a fait de mea culpa dessus… »
Denis Astagneau ne cache pas sa satisfaction : « Bien, ben euh… En tous cas, merci de ce… de ce… de ce début de satisfecit (…) ».
Vient alors le moment de donner la parole aux « invités ».
Parmi eux, au téléphone, André Bercoff, directeur de la rédaction de « France-Soir ». Et en studio, le journaliste Ivan Levaï et Jean-René Doco, secrétaire national du syndicat national des officiers de police, ainsi que Daniel Schneidermann, présenté comme « spécialiste » des médias et auteur du « Cauchemar médiatique ».
Est-ce la faute de l’AFP ?
Avant de donner la parole à André Bercoff, Denis Astagneau lui rappelle que l’emballement a été gé-né-ral : « Vous faites partie de la presse écrite, évidemment, vous êtes un peu moins rapide que la radio, on va pas dire le contraire [ton amusé], mais vous avez participé à l’emballage… »
Les choses étant bien cadrées, le directeur de la rédaction de France Soir a la permission d’entrer en scène :
« En deux mots, il ne faut pas oublier quelque chose, vous l’avez très bien rappelé dans votre historique de cette affaire, c’est que ça a commencé par une dépêche AFP, et cette dépêche AFP, il faut le dire, on l’a tous lue, était au présent de l’indicatif. Il n’y avait même pas un conditionnel ! Il n’y avait même pas “selon les déclarations de la jeune femme”, etc. C’était “six maghrébins armés de couteaux ONT…” Tout était au présent, c’est-à-dire que déjà il y avait une espèce d’affirmation totale de l’AFP.. »
Il rappelle, lui aussi, que c’est alors seulement que « tout le monde s’est emballé sans prendre le temps de vérifier, et sans prendre le temps de vérifier si véritablement il y avait d’autres témoins que cette personne, que la protagoniste de l’affaire… » [6]
Pourtant, Bercoff reconnaît lui-même que « l’AFP n’est pas la Bible, il s’agit pas de la suivre comme ça ». Pourquoi, dans ce cas, la plupart des médias ont-ils malgré tout épousé sans aucun recul la version de l’AFP ? A ce stade, la question reste entière.
Et si c’était la faute de la police ?
Denis Astagneau décide alors d’explorer une autre piste, en introduisant son deuxième invité : « Alors Jean-René Doco, vous êtes secrétaire national du syndicat national des officiers de police, comment est-ce que cette information est arrivée jusqu’à l’Agence France Presse ? »
Le policier commence à raconter le déroulement de l’enquête. Mais il est vite interrompu par Denis Astagneau, qui s’intéresse avant tout à un point très précis : « A partir de quel moment est-ce que la police s’est rendue compte qu’il y avait quelque chose qui clochait ? »
Jean-René Doco tente de reprendre le fil : « Alors là… on peut y revenir, justement… ». Mais il est aussitôt coupé par Astagneau qui conclut déjà « c’est difficile, hein… »
Mais M. Doco ne se laisse pas impressionner. « Non, non », réplique-t-il tranquillement avant d’expliquer que si en effet, « le travail des policiers est de recouper les renseignements, de chercher des témoins », il faut leur en laisser le temps. Car, en l’occurrence, la victime présumée – ayant laissé ses propres coordonnées mais dormi chez son compagnon – a été difficile à joindre, les vérifications auprès de la SNCF difficiles à faire pendant le Week-end…
La faute des services de police ne saute pas aux yeux… alors on change d’invité.
La « sagesse » d’Yvan Levaï
Cela tombe bien : Yvan Levai semble disposé à convenir de la responsabilité des médias :
« Puisqu’un peu de temps est passé, il serait sage… aujourd’hui de… de s’excuser. Ça se faisait autrefois… quand on faisait une erreur dans un journal, on faisait un encadré, on présentait ses excuses au lecteur (…) ».
Yvan Levaï est donc disposé à faire preuve de « sagesse »… mais à condition que tout le monde s’excuse : « Et je crois que non seulement les journalistes doivent s’excuser, mais les politiques devraient s’excuser eux aussi, parce que les deux classes, puisqu’il est convenu de parler de “classe politique” et de “classe médiatique”, dans cette affaire, les deux classes ont failli, et ont failli pour la même raison, qui était évoquée par l’auditeur tout à l’heure : vitesse, précipitation, pas de recul. »
Mais d’excuses, il n’y en aura pas vraiment car Yvan Levaï lui-même est déjà passé à un problème plus grave. « On peut se demander, nous dit-il, pourquoi les filtres de l’information, qui vont jusqu’au pouvoir exécutif, ont si mal fonctionné… ça, c’est une question qui est posée à l’ensemble de nos concitoyens et pas seulement aux journalistes. ». Réponse d’Yvan Levaï : si « on y [a] tous cru », c’est « sur la foi d’une dépêche d’agence, pas au conditionnel… […] vérifiée ! Et, pardon de dire ça : moi, je crois à l’AFP ! Quand je lis une dépêche d’agence, je fais confiance à l’AFP ! »
Denis Astagneau opine aussitôt d’un ton résigné. « On est bien obligés… ».
« De la même manière, poursuit Yvan Levai, je fais confiance au Ministre de l’Intérieur, et je fais confiance au Président de la République parce que je me dis : “Ils ont des sources et des canaux d’information que je n’ai pas”. Voilà. »
« On fait confiance et on est bien obligés » confessent en substance les deux journalistes. Voilà qui mériterait sans doute quelques explications et éclaircissements…
« Il serait sage de s’excuser », « on pourrait se poser des questions »… mais on s’emploie surtout à transformer toutes les maigres explications en illusoires justifications.
Un grand vent d’autocritique ?
Daniel Schneidermann ne semble pourtant pas satisfait par ces justifications résignées. Il commence donc par rapporter les fautes qu’il constatait régulièrement dans les dépêches AFP lorsqu’il les relisait pour le Monde [7]. Puis il se fend d’une longue tirade.
« Ça veut dire quoi ? Ca veut dire que le travail d’un journaliste dans une rédaction, n’importe laquelle, à n’importe quelle place, ça devrait toujours être de tout vérifier […] de vérifier évidemment ce que disent les confrères, parce que les confrères, ils sont comme vous : ils se trompent, ils sont comme nous, ils sont comme tout le monde … ça devrait être de vérifier … ce que disent les officiels, le Ministre de l’Intérieur, le Président de la République.
J’entends aujourd’hui les journalistes qui disent : “Ah oui, mais à partir du moment où le Ministre de l’Intérieur a fait un communiqué et où le Président de la République a fait un communiqué, on ne pouvait pas supposer qu’ils ne savaient pas.” Eh ben, si ! Il faut toujours supposer que tout le monde ne sait pas. Il faut toujours le supposer, et… parfois il arrive que le Ministre de l’Intérieur parle en connaissance de cause – heureusement pour la République – il arrive que le Président de la République parle en connaissance de cause, mais pas forcément ! Et notre boulot à nous, ça doit être de nous dire en permanence : “Bon, ils ont dit ça, c’est la parole du Ministre de l’Intérieur, c’est la parole du Président de la République, c’est important, c’est pas rien, mais au fond, qu’est-ce qu’ils savent ?”
Et au fond, ce samedi soir-là, même après le communiqué du Ministre de l’Intérieur, même après le communiqué du Président de la République, au fond, quelles sources on avait ? On avait encore que la source de la victime elle-même, ou la pseudo-victime, qui racontait une agression, et on n’avait aucune autre source, puisqu’on n’avait retrouvé – et pour cause – aucun témoin de l’agression dans le wagon, on n’avait aucune autre source, on n’en avait qu’une, aucun élément matériel : la prudence s’imposait. »
Il fallait le dire : c’est dit. Retenons notre souffle : l’émission va peut-être aborder les véritables questions. Par exemple, celle-ci : pourquoi les journalistes n’ont-ils pas pu ou voulu faire leur travail et s’imposer la prudence ?
Leçon élémentaire de journalisme …
Après un deuxième appel d’auditeur et une intervention d’André Bercoff, Yvan Levai se lance, sans doute encouragé par le vent d’autocritique qui souffle sur le studio…
« Au fond, le nombre de journalistes qui ont écrit des choses sur ce qui se passait dans le RER et la lâcheté supposée des passagers, et le nombre d’hommes politiques qui en ont parlé aussi, moi j’ai envie de poser la question : est-ce que tous ceux qui ont écrit peuvent dire en se regardant dans la glace : “Je sais ce qui se passe dans le RER et les trains de banlieue parce que je les utilise” ? Voilà. Je voudrais quand même que quand on parle de quelqu’un dans un journal […] je voudrais qu’on respecte un tout petit peu plus la personne. Et ça on ne peut le faire que si on a dans les médias une attitude plus responsable vis-à-vis de la manière dont on parle des gens… […] les “gens d’en bas” mériteraient de la part des médias une attitude de respect que, après tout, nous accordons… hein… plutôt bien aux gens d’en haut… »
Et Daniel Schneidermann de surenchérir en soulignant que les journalistes ont « des devoirs que les autres citoyens n’ont pas ».
Cette fois, ça y est. On va s’expliquer vraiment ! Mais non, car Denis Astagneau ne l’entend pas de cette oreille. « Quand ça s’appuie en plus sur un terreau… où y’a déjà l’action d’une institution, évidemment les médias ont tendance à embrayer davantage… », lance-t-il à Daniel Schneidermann qui heureusement, entend cet appel à la raison : « Voilà. Parce que […] qu’est-ce qui se passe dans cette affaire ? Il se passe qu’à tous les niveaux de la chaîne, et là je parle des policiers, je parle des journalistes, je parle des hommes politiques, à tous les niveaux de la chaîne on s’emballe […] ça vaut pour le gardien de la paix qui recueille le témoignage dans le commissariat […] ça vaut pour le rubricard de l’AFP qui rédige sa dépêche […] ça vaut pour le cabinet de… du Ministre de l’Intérieur, ça vaut pour le cabinet du Président de la République (…) ».
L’emballement s’explique… par l’emballement : CQFD.
Et quand Yvan Levai commence à débattre avec Daniel Schneidermann, il est aussitôt interrompu par la phrase fétiche du présentateur qui souhaite réduire arbitrairement un invité au silence – « on a bien compris ce que vous vouliez dire » – sentence doublée ici d’un argument imparable : « N’oublions pas les auditeurs qui ont beaucoup de questions à poser ». Denis Astagneau reprend les choses en main. Il profite même de l’intervention de l’auditrice suivante pour recadrer un peu le débat :
« Bénédicte » explique qu’elle est « un petit peu étonnée », car lorsqu’elle a entendu « dès dimanche matin […] le récit de cette agression » et que « tout de suite, la journaliste a annoncé les détails […] ça ne paraissait pas du tout vraisemblable… »
Denis Astagneau réussit une pirouette magistrale. L’auditrice met en cause la vraisemblance des informations que les journalistes ont choisit de rapporter à leur auditeurs ? Il rebondit aussitôt : « Oui, effectivement… euh… Est-ce que… les policiers ont bien fait leur travail de vérification Jean-René Doco, dans cette histoire ? »
Retour à la case départ : le tour de force de l’animateur est époustouflant.
Vous avez demandé la police ? Ne quittez pas…
Jean-René Doco, à nouveau sur la sellette tente donc une fois encore de se défendre :
« S’il y a une responsabilité collective au niveau des politiques, au niveau des associatifs, au niveau des journalistes, en tout état de cause, là dans cette affaire, les services de police n’ont absolument rien à se reprocher […] La plainte a été enregistrée dans des conditions tout à fait normales […] Je vous ai expliqué tout à l’heure toutes les difficultés qu’ont eu mes collègues pour recueillir les informations, et c’est la raison pour laquelle je vous dis que dès le départ les policiers ont effectué leur travail […] Bien évidemment, comme la hiérarchie ne communique pas forcément sur une affaire, les journalistes s’adressent à nous, syndicalistes, mais nous avons quand même une certaine déontologie […] nous prenons toujours un certain recul avant de s’adresser à la presse ou avant de communiquer quoi que ce soit. »
C’en est trop. Yvan Levaï lui coupe la parole :
« Non mais là on a tous été abusés … Monsieur, pardonnez-moi, là nous avons tous été abusés, vous l’avez été comme nous (…) », et il enchaîne aussitôt (indiquant ainsi clairement qu’il vient de décréter une vérité qui n’a pas à être discutée…) : « (…) Moi je voudrais dire une chose (…) »
Mais Jean-René Doco s’accroche pour lui reprendre la parole :
– Oui, on a été abusés, M. Levaï…
– On a tort, nous journalistes…
– On a pris du recul… Il faut savoir que les journalistes…
– Oui…
– …étaient présents ; la presse télé, la presse… la radio, étaient présents, et… ça a gêné beaucoup… et… et sur des… les affaires dont on vient de parler, ça gêne quand même, les investigations, et il faut laisser travailler les policiers en toute sérénité. »
Devant l’insistance du policier, Yvan Levaï commence à concéder : « Et là on a eu tort de pas vous laisser(…) », puis il se reprend aussitôt en rappelant la hiérarchie des responsabilités, « (…) les politiques ont eu tort de pas vous laisser travailler en toute sérénité, les journalistes ont eu tort de pas vous laisser travailler en toute sérénité (…) »
Sur sa lancée, il tente de couper court au débat en proposant une autre piste, susceptible de satisfaire tout le monde « (…) Mais si on a été abusés, c’est parce qu’encore une fois, il y a un climat (…) »
Cette hypothèse remporte un franc succès… Denis Astagneau surenchérit : « Oui, parce que cette agression venait trois jours après le discours de Chambon-sur-Lignon ». Et Jean-René Docco, complète : « Voilà ! […] imaginez-vous un instant si… parce que le doute, mes collègues l’ont eu assez rapidement quand ils ont eu la bande vidéo, quand ils ont eu quand même quelques éléments, mais imaginez-vous un instant… […] on ne peut pas mettre en doute la parole d’une victime, elle a un statut de victime… »
Malheureusement, il vient de commettre un faux pas en rappelant que ses collègues ont eu rapidement des doutes. Trop tard, Denis Astagneau revient à la charge : « Juste une précision… attendez… Quand cette jeune femme est venue dans le commissariat, qu’elle a déposé plainte, vous n’aviez pas la possibilité sur l’ordinateur de vérifier qu’elle avait déjà déposé d’autres plaintes avant, etc. ? »
Une nouvelle fois mis en question, Jean René Doco reprend donc son explication. « Si mais ce n’était pas instantané […] le policier est chargé de tout vérifier et… et c’est pour ça que je vous dis qu’il fallait lui laisser le temps (…) »
C’est alors qu’il a une idée de génie pour se sortir de ce guêpier : flatter les journalistes, en les dédouanant. « (…) Bon, les journalistes ont fait leur boulot, on peut par le leur reprocher (…) »
Le stratagème fonctionne parfaitement. Yvan Levaï, attendri, se laisse amadouer. « Mais c’est nous qui sommes coupables » se met-il à concéder, « coupables de trop utiliser les sources policières […] les policiers, ils ont une déontologie, mais euh … j’allais dire, ils sont comme les juges et comme les journalistes, ils ne sont pas infaillibles, et pas totalement purs… »
Une cloche sonne, sonne…
Une belle harmonie s’installe, interrompue par l’intervention d’un autre auditeur. Et c’est le retour remarqué d’André Bercoff :
« Moi je voudrais quand même apporter peut-être une note d’optimisme dans tout ça. Ça va être paradoxal, enfin écoutez… franchement : ça a été dégonflé au bout de trois jours, c’est quand même pas mal, excusez-moi ! Je… ça a duré combien de temps, cette histoire ? Ça a été dégonflé en trois jours, Aberrazak Besseghir, ça a été dégonflé en quinze jours, heureusement […] Je crois quand même que, sans se féliciter, c’est quand même pas mal qu’en trois jours on ait dégonflé la baudruche. Et alors, qu’on se soit emballés… bien sûr, c’est le temps médiatique, vous l’avez tous dit et on le sait, bien sûr que les gens réagissent très fortement… Eh bien, écoutez, ça s’est dégonflé, est-ce que c’est ça le plus grave ? Le grave, c’est pas ça, le… la gravité, c’est vraiment qu’on puisse imaginer, encore une fois, que cette chose-là puisse arriver. Autrement, franchement, je suis pas mécontent que ça s’est dégonflé… que ça se soit dégonflé »
Une vision plutôt désinvolte de la désinformation, et pour le moins indécente de la part de quelqu’un qui n’a probablement jamais (comme Besseghir) enduré dix jours de prison et de lynchage médiatique…
Quelqu’un va-t-il tout de même s’indigner ? Oui, Daniel Schneidermann :
« Bon, ben ça s’est … on n’est pas venus pour rien, hein… on a quand même entendu un de nos confrères nous expliquer que c’est très bien, que la presse pouvait raconter n’importe quel bobard, à partir du moment où trois jours plus tard, ça se dégonflait. D’ailleurs… [André Bercoff tente de protester au téléphone, mais le son est manifestement aussitôt étouffé par la régie] André Bercoff est en cela le digne héritier de Pierre Lazareff, qui était le fondateur de France-Soir, et dont une des phrases légendaires était “Une info, plus un démenti, ça fait deux infos” ! […] Il faut quand même dire sérieusement que ce qui s’est passé est catastrophique pour la crédibilité des médias et des journalistes ! On peut quand même pas … on peut quand même pas laisser dire : “Youkaïdi ! En trois jours on a dégonflé l’affaire” ! (…) »
Yvan Levai renchérit, en lui coupant la parole :
« Outreau, ça c’est… Outreau ! Je plains… moi je plains les gens qui, à Outreau, qui viennent d’entendre notre camarade, confrère et ami, Bercoff, les gens d’Outreau qui se… “Ben écoutez, tout va bien, ça se dégonfle.” Vous avez vu le temps que ça a pris, eux, pour que ça se dégonfle en prison (…) » et, n’oublions pas : pourquoi ces débordements ? « parce qu’il y a un climat » nous rappelle à nouveau Yvan, qui a manifestement une grande expérience de la météo…
Cause, toujours…
Puis Serge Martin revient sur les causes de l’affaire. Il s’adresse au Patron de France Soir :
« C’est pas la première fois que ce genre d’affaire arrive, ce n’est pas la première fois non plus que des engagements, voire des bonnes résolutions sont prises, et parfois adoptées par la presse […] Mais, lorsque l’on constate que la concurrence est féroce entre les médias, que la surenchère politique est devenue un phénomène qui ne permette plus, on l’a entendu à l’instant, de pouvoir travailler librement, est-ce vous pensez pas que c’est un petit peu utopiste et que ça se reproduira par la force des choses ? »
André Bercoff signalait en effet un peu plus tôt, comme une fatalité, que « des Marie L., pardon, mais y’en aura encore, hélas, beaucoup, parce que les causes qui créent les Marie L., elles disparaîtront pas demain ». Il développe cette fois un peu plus :
« Je vais vous dire… d’abord je pense que, hélas, ça se reproduira, je le déplore complètement. Je pense qu’il y a un problème de recherche, il y a un problème de vérification, mais il y a un problème, vous l’avez dit très bien, de concurrence, et la chose la plus terrible, c’est effectivement de savoir faire silence devant tel ou tel événement, de tel ou tel fait, si on n’en est pas sûr, et je crois que faire silence est devenu aujourd’hui la vertu la moins partagée. Je pense qu’il faut effectivement faire silence quand on n’est pas sûr de telle ou telle information. Mais alors ça demande vraiment une espèce de vertu que, à ma connaissance, aucun journal, je dis bien aucun journal, n’a aujourd’hui. »
On frôle une ébauche d’explication les effets de la concurrence commerciale. Mais c’est aussitôt pour se réfugier derrière la fatalité. Comme s’il n’existait comme seule alternative que le traitement outrancier ou le silence, la désinformation ou la mort commerciale. Comme c’est commode.
Une dernière intervention d’auditeur (il n’y en aura eu que cinq…) et Denis Astagneau reprend la parole, souhaitant visiblement conclure. Au mépris de ce qui a été dit auparavant, notamment sur les responsabilités des journalistes, il lance :
« Voilà, alors je reprendrai le mot du billettiste du Monde, Eric Fottorino, qui hier écrivait en dernière page qu’“après tout, se tromper, être trompé, ce sont les risques du métier”, et ça peut rejoindre un peu… euh, ce que… ce que disait… Jacques Chirac hier, qui estimait que l’erreur était « regrettable », mais qui regrettait pas d’avoir réagi. »
Manque de chance, il est coupé par Daniel Schneidermann qui prend l’exact contre-pied :
« En conclusion de cette émission, au lieu d’accuser on ne sait quelle fatalité, “on pouvait rien faire”, et la prochaine fois on replongera comme si de rien n’était, y’a des garde-fous, les garde-fous s’appellent le conditionnel, Levaï le disait, les garde-fous s’appellent la vérification, et à partir du moment où y’a qu’une seule source, qui est la victime elle-même, on dit pas : “elle a été agressée”, on dit : “elle affirme avoir été agressée”… c’est deux mots de plus, c’est deux mots de plus… (…) »
L’émission touche cette fois définitivement à sa fin. Denis Astagneau sent qu’il serait temps de faire preuve d’un peu de bonne volonté : « Ben écoutez, maintenant nous… euh… on sera d’autant plus vigilants, et en tous cas cette émission était aussi une sorte… peut-être de… d’excuse envers les auditeurs. Il est vingt heures sur France Inter… »
« Peut-être » une « sorte » d’excuse ? Il n’en est même pas sûr…
Ironie mise à part – car il faut bien en rire, pour ne pas désespérer… – il est navrant de constater qu’en dépit de quelques rares passages légèrement autocritiques, nous en sommes toujours au même point : les journalistes nous expliquent pourquoi ils ont fait une erreur, mais ne se sentent comptables d’aucune réflexion sur la façon dont ils traitent l’information, puisque les responsabilités incombent toujours principalement, de leur point de vue, à des sources extérieures.
Et si le lecteur-auditeur-téléspectateur n’est pas content, il peut toujours en faire part aux standardistes du « Téléphone sonne ». Il n’est pas exclu que ceux-ci (ou celles-ci) leur témoignent plus d’intérêt que certains “spécialistes”…
Arnaud Rindel
Post Scriptum : « N’oublions pas les auditeurs qui ont beaucoup de questions à poser ».
L’objet du « Téléphone sonne », d’après sa présentation sur le site de France Inter, est de permettre aux auditeurs de « réagir sur un thème de l’actualité » et de « poser [leurs] questions aux invités ».
Denis Astagneau ne manque d’ailleurs pas de rappeler à ses invités – et en particulier lorsqu’il souhaite les interrompre – de « [ne pas oublier] les auditeurs qui ont beaucoup de questions à poser ».
Pourtant, lors de cette émission consacrée à « l’emballement », cinq auditeurs seulement seront pris en ligne. Ils disposeront, en cumulant leurs interventions, de 4’48’’ (soit 288 s) d’antenne sur 38’38’’ (soit 2318 s) d’émission, générique compris, soit 12,4 % du temps total de l’émission.
Trois de ces auditeurs interviendront durant environ 30s. Un quatrième, 1’23’’. La dernière, qui dépassera les 1’30, sera interrompue par l’animateur. Denis Astagneau lui coupera la parole – avec une cuistrerie remarquable – d’un « merci » répété et sans appel.
Il faut dire que non contente de dépasser la minute trente de temps de parole, elle avait en outre commencé son intervention par « déjà je voudrais dire merci à Internet pour me donner de véritables informations »…
Un double enseignement à tirer de tout cela. Pour s’exprimer sur l’antenne de France Inter, il est préférable d’éviter de contrarier la mise en scène des contrôleurs d’antenne et être capable de résumer l’ensemble de sa pensée à moins d’une minute trente de parole (en tenant compte des interruptions inévitables des animateurs).
Et pour parler plus librement dans une émission qui s’enorgueillit de donner la parole aux auditeurs, mieux vaut, manifestement être l’un des “spécialistes” invités…
Conséquence de son rachat par la société Fiducial, mastodonte de l’expertise comptable, « la radio du Sud » est désormais entièrement réalisée à Paris. Sans le moindre accent méridional mais avec la prétention de « parler vrai », ses dirigeants ont ouvert les micros en grand à la « polémique ». Entendez : à la banalisation des idées d’extrême droite.
Gautier Ducatez
« Vous devez aimer votre mère. Vous êtes en France, c’est notre mère, la France, notre famille », martèle Philippe de Villiers dans les studios de Sud Radio. Ce 10 juin, invité de l’émission « Bercoff dans tous ses états », l’ex-président du Mouvement pour la France assure la promotion de son dernier ouvrage, aussi consistant que plein de fraîcheur : Les Gaulois réfractaires demandent des comptes au Nouveau Monde. Furieux à l’égard des manifestants dénonçant les violences policières, De Villiers lance une ritournelle nationaliste bien identifiable : « Si vous n’aimez pas cette famille, cette mère, cette civilisation, si vous n’aimez pas Victor Hugo, Montaigne, Pascal, Péguy et les autres… » Il n’a pas le temps de finir sa phrase, que le journaliste André Bercoff la conclut lui-même :
« Quittez-là ! »
Un dérapage ? La veille, Bercoff entamait son émission ainsi : » Il y a des petits groupes qui essayent de faire basculer tout le monde dans l’assignation à résidence ethnique, communautariste, religieuse ou autre… » Du velours pour son invité Verlaine Djeni, cadre du parti Les Républicains et proche de Laurent Wauquiez, qui n’eut pas trop à se contenir : « La France a tout donné à plusieurs générations d’Africains […]. Le totalitarisme ne vient pas des Blancs, il vient des minorités. Une minorité qui contrôle et décide ce que tu dois dire… »
Depuis 2016, André Bercoff distille à longueur d’ondes les thèses favorites de l’extrême droite. Collaborateur des sites fachosphériques Boulevard Voltaire, Riposte laïque, Figarovox et de l’hebdomadaire Valeurs actuelles, il est imprenable en matière d’inversion de la relation dominants/dominés, notamment lorsqu’il enchaîne les insinuations sur la menace du « grand remplacement » et dénonce le racisme « anti-blanc ». Pas une semaine non plus sans qu’il ne relaye l’ » Obamagate » et les autres théories du complot de Donald Trump.
Ce polémiste constitue le noyau dur d’une radio qui brandit le « parlons vrai » pour justifier des polémiques sur des « thèmes de société » propres à occulter tout le reste, notamment les enjeux de justice sociale.
Le troupeau du « politiquement incorrect »
En 2013, en faillite, Sud-Radio est rachetée par Fiducial SA, un poids lourd de l’expertise comptable. Première conséquence : si cette radio est principalement diffusée dans le sud de l’Hexagone – du Pays basque jusqu’à Marseille –, les émissions ne sont plus préparées à Toulouse. Depuis 2017, véritable caricature du centralisme français, c’est à Courbevoie, en région parisienne, que son antenne est entièrement réalisée. À Sud Radio, plus rien n’incarne le Sud, ni le contenu des talk-shows entrecoupés de publicités criardes, ni l’accent pointu de ses animateurs.
Deuxième effet, et non des moindres : une dérive très à droite de la ligne éditoriale. Le nouveau propriétaire, Christian Latouche, 58e fortune française selon l’hebdomadaire Challenges, côtoyait dans les années 2000 le Mouvement national républicain de Bruno Mégret1. À Sud Radio, sous couvert de « non politiquement correct », on dénonce surtout les « idiots utiles », les « bobos » et autres « islamo-gauchistes ». Mal camouflée derrière une obsession « souverainiste », l’accointance de la radio avec l’extrême droite est évidente : le directeur de Valeurs actuelles, Geoffroy Lejeune2, y a longtemps réalisé des chroniques ; Élisabeth Lévy du magazine Causeur, intervient dans la matinale. Quant à l’émission quotidienne « Les Incorrectibles », elle est réalisée en partenariat avec L’Incorrect, magazine dans le sillage « conservateur » et « identitaire » de Marion Maréchal Le Pen.
Comme l’a analysé l’historien Gérard Noiriel3, dans un contexte de concurrence acharnée entre les médias, le scandale et la provocation apparaissent comme un moyen sûr d’acquérir de la visibilité dans l’espace public. Didier Maïsto, le patron de la radio, s’en amuse : « On est traités de populistes et complotistes, mais ça ne me dérange pas ! » Pour preuve, le 30 mars, le professeur Luc Montagnier déballait ses thèses extravagantes sur l’origine de la Covid-19. Le 6 juin, un « grand » débat sur l’efficacité de l’hydroxychloroquine opposait Idriss Aberkane, pseudo scientifique au CV dopé, et Laurent Alexandre, fondateur de Doctissimo et climatosceptique acharné.
En dépit d’une audience limitée (moins de 1 % selon Médiamétrie), l’extrême droite et une fraction de la droite française en perdition savent qu’à Sud Radio, elles bénéficient toujours d’entretiens complaisants : les réacs prétendument anticonformistes comme Éric Zemmour, Michel Onfray, Gilles-William Goldnadel ; des représentants de la Manif pour tous ; les plus coriaces des RN comme Marion Maréchal Le Pen et Jean Messiha ; des souverainistes comme François Asselineau, Paul-Marie Coûteaux, Nicolas Dupont-Aignan et Florian Philippot ; des essayistes amoureux du « passé glorieux » de la France comme Dimitri Casali, ou Laurent Obertone, journaliste pourfendeur du multiculturalisme. Sans oublier l’identitaire Damien Rieu et même des allumés virtuels de la fachosphère comme Papacito.
L’ode au « mâle dominant »
Didier Maïsto justifie la diffusion de ces discours identitaires féroces au nom du « pluralisme », en arguant que quelques figures classées à gauche, notamment Juan Branco et Thomas Porcher, se sont déjà égarées à l’antenne.
Très actif sur le réseau social Twitter, le patron de Sud Radio surjoue l’indignation dès que l’on évoque le ton ultra droitier de son antenne, au point de menacer de « saisir le CSA ». C’est pourtant lui qui publiait en 2018 une tribune dans Valeurs actuelles intitulée « La chasse à l’homme blanc au CSA : quand un racisme peut en cacher un autre ». Depuis le 30 mars, Didier Maisto anime sa propre émission, intitulée « Toute vérité est bonne à dire », où il recycle le vieux refrain de la censure prétendument exercée par les « bien-pensants ». Déjà, au micro du site Boulevard Voltaire en février 2019, il justifiait son combat pour « permettre au débat d’exister en dehors du politiquement correct » en estimant que « le droit à la différence est l’arme de l’Anti-France qui veut morceler la société française ».
Après avoir rencontré fin 2018 ses premiers Gilets jaunes, trémolo dans la voix, le directeur de Sud Radio s’est autoproclamé journaliste de référence du mouvement. Dans Passager clan destin, ouvrage paru en mars, Didier Maïsto alterne récit autobiographique archiromancé et dénonciation des « communautarismes, encouragés par des politiciens sans scrupules venant y cultiver des clientèles in vitro ».
Usant et abusant du « nous », il s’y affiche comme le porte-parole de la population française. Mais laquelle ? Vraisemblablement pas celle de la « diversité, minorités visibles, #balancetonporc, covoiturage, transition énergétique… Ces mots sont vides de sens pour cette France, LA France », peut-on y lire.
Sa France éternelle, ayant perdu sa « souveraineté », souffrirait d’une « oligarchie corrompue » et des « médias mainstream ». Mais bien entendu, rien de « corrompu » quand Maïsto célèbre son propre patron, Christian Latouche, en des termes équivoques : un « mâle dominant » et un « chef de guerre » qui « dégage des phéromones ». Le « parlons vrai » ou la reconnaissance du ventre ?
Jean-Sébastien Mora
1 « Christian Latouche, un videur de boîtes qui ne verse pas dans le bling-bling », L’Humanité (13/08/2012).
2 Il est l’auteur d’un roman de politique-fic tion imaginant une candidature d’union des droites autour d’Éric Zemmour à la présidentielle de 2017.
3 Le venin dans la plume : Édouard Drumont, Éric Zemmour et la part sombre de la République, La Découverte, 2019.
PORTRAIT – Le polémiste André Bercoff, 75 ans, collabore avec plusieurs revues de droite, voire très à droite comme Valeurs Actuelles. Pourtant, il a commencé son parcours à gauche. Rencontre.
On l’avait quitté mitterrandien, on le retrouve vingt ans plus tard à s’acoquiner avec Riposte laïque et à rencontrer Bashar el-Assad. André Bercoff était l’une des figures du journalisme des années 1980, proche de François Mitterrand et de Jacques Attali.
A 75 ans, le journaliste, devenu polémiste avec le temps, collabore maintenant presque exclusivement avec des publications de droite, voire très à droite comme Valeurs Actuelles ou le site Boulevard Voltaire, qui a été lancé par Robert Ménard, maire de Béziers.
La manipulation Caton
Alors, a-t-il changé? « Je considère que ce n’est pas le cas », répond André Bercoff au JDD. « Mais, c’est vrai que j’ai évolué, je déteste le deux poids deux mesures de cette gauche de gouvernement qui a oublié les ouvriers, les artisans, les agriculteurs », explique-t-il dans un café situé près de la radio Europe 1 où il vient de participer à un débat sur le sexisme en politique dans l’émission de Jean-Marc Morandini.
Avant d’être un débateur, André Bercoff, la crinière blanche mais l’oeil toujours alerte, fut un auteur prolifique. Il a publié près d’une quarantaine de livres (sous pseudonyme ou sous son vrai nom). C’est notamment lui qui avait monté avec Jacques Attali en 1983, l’opération Caton, du nom de ce faux « grand dirigeant de la droite » qui estimait que pour « vaincre la gauche, il fallait se débarrasser de la droite ». L’opération de déstabilisation visait à faire écrire un essai par ce faux ténor de la droite qui critiquerait la gauche tout en sulfatant son propre camp.
L’ouvrage intitulé De la reconquête (Fayard) s’était extrêmement bien vendu en librairie et avait enflammé le tout-Paris. Pendant des mois, le monde politico-médiatique avait bruissé de rumeurs pour découvrir l’auteur de ce livre qui avait chamboulé la droite (et ravi la gauche). Pour parfaire la manipulation, André Bercoff et l’Elysée avaient même convaincu un jeune conseiller du château, François Hollande, d’aller défendre l’ouvrage à la radio et de se faire passer pour Caton. Lui, au moins, ne serait pas reconnu par les auditeurs, contrairement à André Bercoff, plus connu à l’époque. « Ceux qui pensent que, nous la droite, pouvons revenir au pouvoir se trompent », disait alors le jeune diplômé de l’ENA.
« Je n’ai pas revu Hollande depuis qu’il est Président »
Les relations avec François Hollande se sont depuis un peu distendues. « On a été très proches entre 1982 et 1992. Mais je ne l’ai pas revu depuis qu’il est Président ». « C’est quelqu’un de très sympathique et très drôle ». Cela ne l’empêche pas de mitrailler sa politique : « Je suis plus sévère avec la gauche parce qu’elle est censée être plus éthique », justifie-t-il. « François Mitterrand était un grand artiste, François Hollande est un artisan ».
S’il ne se revendique pas comme étant de droite, André Bercoff a pourtant beaucoup de choses à reprocher à la gauche : « A partir des années Mitterrand, j’ai compris que la gauche a adopté l’économie de marché tout en gardant la vulgate révolutionnaire. L’incohérence ne m’a pas plu. » Il ne comprend pas aussi qu’on ait « laissé les problèmes d’identité à la droite » même s’il convient que Manuel Valls fait preuve de « bon sens » sur le sujet. « C’est encore l’exception », se lamente-t-il.
L’identité, c’est d’ailleurs un sujet qui l’a taraudé toute sa vie. Né au Liban en pleine Seconde Guerre mondiale, il immigre en France avant la guerre civile qui ensanglantera le pays pendant 15 ans, opposant chiites, sunnites et chrétiens. « J’ai baigné dans un Liban pacifié », raconte-t-il, un brin nostalgique.
A son arrivée dans la capitale, André Bercoff ne veut pourtant pas s’enfermer dans le sujet des tensions moyen-orientales. Il collabore avec plusieurs grand journaux au fil des ans dont l’Express, France Soir, Actuel, l’Evenement du Jeudi, Libération ou encore Le Monde. Il tâte un peu de la télévision, écrit beaucoup, se fait un nom au milieu de ces années 1980 baignées de mitterrandisme où le politique pensait encore pouvoir “changer la vie”.
« Il faut aller voir Assad »
A 75 ans, André Bercoff continue à faire irruption de temps en temps dans l’actualité. C’est lui qui a interrogé à deux reprises le président syrien Bashar-el-Assad à Damas en Syrie pour Valeurs Actuelles. Malgré les réticences de la diplomatie française ou de certains de ses confrères. « Je suis allé voir Assad parce que cela m’intéressait. Il n’est pas de mon bord politique mais il faut aller le voir », clame-t-il.
Avec le recul, il se désole que le Quai d’Orsay ait coupé tout lien avec le régime Assad, au risque de se priver d’informations primordiales sur les djihadistes français présents en Syrie. Il prend l’exemple de Churchill allant voir Staline durant la seconde guerre mondiale. « Vous croyez qu’il ne savait pas ce qu’il se passait en URSS? », interroge-t-il à haute-voix. Il ne la cite pas, mais on croirait entendre la fameuse citation du Premier ministre anglais avant l’invasion de l’URSS par l’Allemagne nazie : « Si Hitler avait envahi l’enfer, je me serais débrouillé pour avoir un mot gentil pour le Diable à la Chambre des communes. »
« Marine Le Pen est trop protectionniste »
Lui, a du mal à imaginer quel « diable » il n’irait pas voir. Peut-être Abou Bakr al-Baghdadi, le « calife » de l’Etat islamique : « C’est un fanatique, on ne peut pas discuter avec lui ». Il interroge alors : « Et vous, vous iriez voir par exemple le leader de la Corée du Nord Kim-Jong-Un? ». Manière habile d’obliger son interlocuteur à se positionner. Embarrassé, on réfléchit deux secondes : « Oui bien sûr, si je suis persuadé que je pourrais poser toutes les questions que je souhaite. »
André Bercoff n’est pas le seul à avoir interrogé le dictateur syrien ces dernières années. L’AFP et France 2 s’y sont aussi frottées. Mais André Bercoff et l’hebdomadaire droitier Valeurs Actuelles dégagent dorénavant une odeur de souffre qui peut rendre suspicieux sur la démarche.
Lors de son dernier voyage en Syrie pour rencontrer Assad, une photo d’André Bercoff avait circulé sur les réseaux sociaux aux côtés de Julien Rochedy, ancien président du Front national de la Jeunesse (FNJ). André Bercoff assure qu’il ne soutient pas le parti d’extrême-droite. « Marine Le Pen est trop protectionniste. Sortir de l’Euro serait une véritable aberration », explique-t-il. Sa solution pour la France? Enfermer toutes les tendances politiques dans une salle pendant plusieurs jours et les obliger à trouver un compromis.
En 2012, il avait signé une série d’entretiens entre Pierre Cassen (Riposte Laïque), Christine Tasin (Riposte Laique) et Fabrice Robert (Bloc identitaire). Un livre qui lui valut un article peu amène sur Rue 89. Lui dit « refuser les étiquettes ». « Dès qu’on creuse, ça ne correspond à rien ». Au bout d’une heure de conversation, on repart tout de même beaucoup moins sûr que l’homme soit aussi à droite qu’on ne le dit. Peut-être est-ce dû à l’époque où on ne parvient plus très bien à distinguer la droite et la gauche sur le plan économique? Peut-être est-il sincère quand il clame sa volonté de penser comme un esprit libre? Peut-être, a-t-on simplement été berné par un homme qui a gardé sa force de conviction malgré l’âge et ses cheveux blancs…
Loin du chaos des élections américaines de 2020, Emmanuel Macron et Marine Le Pen ont reconnu le résultat des urnes, mais tout un front poreux aux théories du complot s’enflamme pour la thèse d’une vaste machination.
William Audureau, Samuel Laurent et Damien Leloup
Le Monde
26 avril 2022
« Macron a volé l’élection. Creusez plus en profondeur, camarades patriotes français ! » Dans la nuit du dimanche 24 au lundi 25 avril, alors que la plupart des chefs d’Etat étrangers félicitent Emmanuel Macron pour sa réélection, l’élue trumpiste de l’Arizona au Sénat, Wendy Rogers, casse l’ambiance : il y aurait eu fraude. Un message qui ne passe pas inaperçu. Alors que Marine Le Pen a annoncé la veille qu’elle « respect[ait] » le sort des urnes, tout un front antisystème, anti-Macron et poreux aux théories du complot, s’enflamme aussitôt pour la thèse d’une grande manipulation.
Encore faut-il pouvoir l’étayer. Lundi, la capture vidéo d’un bug technique sur France 2 lors de la soirée électorale se répand comme une traînée de poudre. A rebours de tous les résultats égrenés depuis 20 heures, et en contradiction avec le score de 58,5 % pour Emmanuel Macron affiché en même temps par la chaîne, la candidate d’extrême droite apparaît fugacement en tête au total des suffrages exprimés. L’erreur technique, reconnue par la chaîne auprès du Monde, est rapidement rectifiée, mais le mal est fait.
« A 21 h 10 Le Pen a 13 899 494 voix. A 22 h 45 Le Pen a 11 558 051 voix. Où sont passées les 2 341 443 voix ? », questionne un certain « Patriote Info », parmi de nombreuses publications suspicieuses. C’est la « preuve » qu’attendaient tant de militants pour accuser la Macronie de fraude. Déjà, en milieu d’après-midi, un sondage dans le canal Telegram conspirationniste « Rester libre ! » (11 000 abonnés) voyait 81 % des 2 500 participants prédire que « le pouvoir va frauder pour imposer une victoire de Macron ». Entre sarcasmes et triomphalisme, ils sont nombreux, depuis, à s’être convaincus eux-mêmes d’avoir vu juste.
Inspiration du côté des Etats-Unis
Loin des plateaux de télévision, la petite musique du complotisme électoral était en gestation depuis des mois sur les réseaux sociaux, dans les sphères conspirationnistes comme d’extrême droite. Dès le début d’année, c’est une petite phrase de Brigitte Macron, semblant se demander dans un contexte de reprise du Covid-19 « s’il y [aurait]des élections », qui avait alimentée la rumeur d’un vol électoral dans les sphères antisystème. Cette vigilance exacerbée a été méthodiquement entretenue par certains acteurs politiques antisystème, comme Florian Philippot (Les Patriotes), qui en novembre 2021, déjà, criait sur Twitter à la « fraude et tricherie en marche », ou encore Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France), qui condamnait d’avance une élection « truquée de A à Z », fin mars sur RTL. « On peut le voir comme une manière de préparer le terrain idéologique. C’est presque leur intérêt d’aller sur ce terrain-là, ils savent que ça ne leur coûtera pas d’électeurs », observait alors le fondateur et directeur de Conspiracy Watch, l’observatoire du complotisme, Rudy Reichstadt.
Si cette rhétorique n’est pas nouvelle – on se souvient que François Fillon s’est plaint d’un « cabinet noir » en 2017 –, elle trouve cette fois son inspiration du côté des Etats-Unis. L’idée, très populaire au printemps, de fraudes passant par un piratage ou un détournement des machines à voter, voire d’un complot orchestré par l’éditeur de systèmes de vote Dominion, objet aux Etats-Unis de multiples rumeurs infondées, a ainsi été copiée-collée quasiment mot pour mot par des figures complotistes françaises.
Donald Trump lui-même avait accusé Dominion d’avoir effacé près de trois millions de votes en sa faveur, sans le début d’une preuve. Un « audit » mené en Arizona par ses partisans, qui pensaient mettre au jour un vaste complot, a finalement dû se résoudre à constater une légère erreur de décompte, en faveur de Donald Trump. En France, les machines Dominion ne sont tout simplement pas utilisées. « Le ministère de l’intérieur ne fait pas et n’a jamais fait appel aux services de la société Dominion dans le cadre de l’organisation des élections », nie formellement Beauvau auprès du Monde. Rien qui ait empêché l’argument trumpiste de s’exporter en France, et même de donner naissance à un début de structuration inédit.
Sceptiques convaincus
Contrôle citoyen, Contrôle citoyen élection, Association d’observation des élections par les citoyens, Reciproc.org… Une petite demi-douzaine de collectifs d’apparence citoyenne se montent au printemps pour surveiller la bonne tenue des élections. Derrière eux, le plus souvent, des mouvements contestataires, comme l’organisation BonSens de Xavier Azalbert – patron du site FranceSoir et leader de la lutte contre la politique sanitaire – à l’origine de Contrôle citoyen ou de Réciproc.org. Ils bénéficient également d’importants relais sur les chaînes conspirationnistes, comme celle de l’entrepreneur Silvano Trotta.
Dès le mois de mars, M. Azalbert propose aux militants anti-passe sanitaire de réaliser un « comptage citoyen » pour vérifier les résultats électoraux. Un vœu pieux : avec un peu plus de 4 500 participants au recomptage lors du premier tour, le site est très loin de pouvoir vérifier les 70 000 bureaux de vote français. D’autant que l’expérience du dépouillement a convaincu un certain nombre de sceptiques. « Il y a peut-être fraude mais dans mon bureau de vote, j’étais présente pour assister au dépouillement, Macron était en tête », écrit, au lendemain du premier tour, une internaute dans un canal Telegram conspirationniste proche de la mouvance Qanon. Et de désespérer des résultats : « Il n’y a pas fraude partout… les gens sont justes cons. »
Dans la plupart des espaces de discussion en ligne consacrés aux « fraudes », on jugeait impossible qu’Emmanuel Macron, unanimement détesté, puisse recueillir autant de votes que ce que prévoyaient les sondages. Mais lorsqu’ils participent aux opérations de dépouillement et constatent que tout est en règle, les militants tombent de haut. « J’ai dépouillé moi-même, je n’ai lu que des Macron, Macron, Macron… Il était en tête loin loin loin devant MLP et JLM », constate, encore incrédule, une internaute. « Le scrutin à l’ancienne, c’est ce qui fait la force du suffrage en France, se félicite Anne Jadot, maîtresse de conférences en science politique à l’université de Lorraine. Les gens sont attachés à ce rituel, notamment les votants réguliers, qui sont les plus âgés, pour qui il s’agit d’un devoir de bon citoyen. C’est à la fois la faiblesse du système électoral américain et la force du système français. »
Soupçons fantaisistes
Le lendemain du scrutin, le collectif Reciproc.org publie un communiqué reconnaissant que « des analyses partielles ne montrent pas, à ce jour d’écart significatif avec les résultats officiels », tout en envoyant un courrier à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe relevant des soucis très mineurs, comme des problématiques de radiations indues, largement rapportées dans la presse dite « mainstream ». Même conclusion pour Contrôle citoyen, qui aboutit à « des chiffres conformes aux chiffres officiels ».
Ce qui n’empêche pas d’autres acteurs de la sphère anti-passe, comme l’avocat Carlo Alberto Brusa, animateur de l’association Réaction19, d’évoquer la possibilité de « recours », sur la foi de soupçons fantaisistes autour de l’hébergement aux Etats-Unis des données électorales… tout en annonçant déjà son « prochain combat », celui des législatives. Au-delà de la relative inutilité de ces actions, il s’agit surtout pour ces structures de montrer à leurs membres leur activité. Dimanche 24 avril à 20 heures, Silvano Trotta, qui a très largement promu ces initiatives de recompte des voix, se couche et reconnaît la victoire du président sortant. Sans pouvoir s’empêcher, dès le lendemain, de relayer chacune des nouvelles rumeurs de fraude.
Interviewé par Frédéric Taddéï, l’essayiste, ancien officier des services de renseignement suisses, dénonce ce qu’il présente comme « le gouvernement par les fake news »… mais multiplie lui-même les contre-vérités.
Un véritable inventaire à la Prévert des théories du complot. Le 3 septembre dernier, Frédéric Taddeï recevait sur RT France, dans son émission « Interdit d’interdire », Jacques Baud, auteur du livre Gouverner par les fake news – conflits internationaux, 30 ans d’infox par les pays occidentaux (Max Milo, 2020) pour une longue interview. Sans contradicteur et pas sans concession.
« Jacques Baud est colonel d’état-major général, ancien analyste des services de renseignement stratégique suisses, spécialiste du renseignement et du terrorisme [et] engagé auprès des Nations unies dans de nombreux conflits », présente son éditeur.
Auteur de plusieurs essais, l’homme est parfois invité par les médias traditionnels pour évoquer les questions de renseignement et de terrorisme – qu’il interprète comme une réponse à « nos interventions au Moyen-Orient ». Mais on l’a récemment vu sur la web-télévision d’extrême droite TV Libertés [archive]. Il était en outre déjà intervenu sur RT France [archive].
La thèse centrale de son nouveau livre est la suivante : les gouvernements occidentaux déforment les réalités géopolitiques pour déclencher des guerres et défendre leurs intérêts. De la Syrie à l’Ukraine, de la Russie à l’Iran, on nous mentirait et la vérité serait ailleurs.
Cette petite musique avait déjà de forts accents de théorie du complot. Et de fait, pendant près d’une heure d’émission, sur de nombreux sujets (terrorisme, Syrie, Poutine, Iran…), Jacques Baud a effectivement coché la plupart des cases du bingo conspirationniste géopolitique.
Une comptabilité révisionniste des victimes au Darfour
L’un des premiers thèmes abordés est la diabolisation (supposée) des dictateurs et l’invention (encore supposée) de faux crimes de masse. Baud n’hésite pas à prétendre que le nombre de civils massacrés au Darfour serait cent fois inférieur aux chiffres communément admis.
« On crée une vérité, une aisance cognitive sur le fait que Poutine est un dictateur, que Bachar el-Assad est un monstre, qu’Omar el-Béchir est un génocidaire. […] Plus personne ne se pose de questions sur des chiffres comme 200 000, 400 000 morts au Darfour. […] Moi-même à la tête du renseignement au Darfour pendant deux ans je me suis attaché à compter ces morts, on n’est jamais arrivé à 200 000, on est arrivé au maximum à 2 500 morts », assène-t-il.
Le chiffre avancé par Jacques Baud est quatre fois inférieur à celui que le gouvernement soudanais de l’époque – responsable du « nettoyage ethnique » au Darfour pour reprendre la terminologie des Nations unies ou de Human Rights Watch – admettait lui-même en 2008, soit environ 10 000 victimes. Un chiffre déjà considéré par les experts de la région comme largement sous-estimé.
Les autres estimations varient ainsi de 100 000 à 500 000 morts. Gérard Prunier, auteur de Darfour : un génocide ambigu (éd. La Table ronde, 2005) retient par exemple le chiffre de 400 000 victimes. Les Nations unies citent le plus souvent le chiffre de 300 000 morts et trois millions de déplacés de force. Il n’y a aucune raison valable de remettre ces données officielles de l’ONU en question pour adhérer aux affirmations de Jacques Baud. La conversation dévie ensuite sur la Syrie.
Foire aux complots sur les attaques chimiques en Syrie
Le conflit syrien a été massivement investi par les conspirationnistes : affirmant que sa couverture médiatique vise à justifier une nouvelle guerre occidentale, ils nient la responsabilité du régime Assad dans les attaques chimiques qu’il perpètre, accusent les « Casques blancs » de complicité avec les djihadistes et contestent ou minimisent les crimes de masse commis par le pouvoir syrien.
« Les attaques chimiques […] ne sont certainement pas le fait de Bachar el-Assad. […] [En 2013 à la Ghouta], les services de renseignement militaire américains ont déconseillé à Obama d’intervenir parce que les éléments qu’ils avaient […] indiquaient que c’étaient en fait les rebelles qui avaient utilisé ces armes de destruction massive », claironne l’invité de Frédéric Taddéï.
Outre la fausseté de cette accusation portée à l’encontre des rebelles syriens et le caractère invérifiable de cette affirmation sur ce qu’auraient dit ses services de renseignement à Barack Obama, il est de notoriété publique que le président américain a surtout fui un nouvel engagement militaire direct des États-Unis au Moyen-Orient, redoutant que la Syrie devienne son Vietnam ou sa guerre d’Irak.
Par ailleurs, selon le Wall Street Journal, Téhéran aurait joué un rôle dans cette décision, en menaçant d’interrompre les négociations – alors en cours – pour l’obtention d’un accord sur le nucléaire iranien si jamais Washington s’attaquait directement au régime syrien.
« [Dans la Ghouta en 2013, à Khan Cheikhoun en 2017 et à Douma en 2018], il n’y a pas eu d’engagement des armes [chimiques] par l’armée syrienne en revanche il y a eu dans le premier cas [la Ghouta] un engagement par les rebelles », poursuit Baud.
Le bombardement chimique de la Ghouta par le régime syrien le 21 août 2013 a donné lieu à un véritable cas d’école de la désinformation conspirationniste. Plusieurs personnalités, généralement proches de la sphère complotiste, ont tenté de démontrer que le lieu de l’attaque était trop éloigné des positions du régime pour que l’armée régulière syrienne puisse l’atteindre et que ce bombardement n’était donc rien d’autre qu’une opération sous faux drapeau orchestrée par les rebelles.
Ces affirmations ont été battues en brèche depuis longtemps. Restent les faits : une zone tenue par les rebelles syriens a été bombardée au sarin à l’aide d’une arme chimique correspondant à l’arsenal du régime syrien, alors que cette zone se trouvait bel et bien à portée des positions du régime syrien. Tout porte donc à penser que le régime syrien est responsable de cette attaque.
« Dans le deuxième cas (Khan Cheikhoun) […] il n’y a pas eu d’armes chimiques utilisées mais des toxiques chimiques libérés [accidentellement] par un bombardement ciblé des Syriens », poursuit-il.
Faux aussi : cette affirmation fantaisiste mise en avant par le journaliste Seymour Hersh a été invalidée par le Mécanisme d’enquête conjoint (MEC ou JIM en anglais) mis en place par l’ONU et l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) pour identifier les auteurs des attaques chimiques en Syrie. En octobre 2017, suite à leurs investigations, les enquêteurs ont conclu à un bombardement au sarin effectué par l’armée de Bachar el-Assad.
« Et dans le cas de Douma, […] il n’y a rien eu du tout, simplement un bombardement « normal », si j’ose dire, d’artillerie et les rebelles ont habilement utilisé les poussières, les effets de ce bombardement pour faire croire qu’il y avait eu un engagement chimique », termine-t-il.
Faux encore : selon l’OIAC, un bombardement chimique, probablement au chlore, a bien eu lieu à Douma. Par ailleurs, plusieurs enquêtes open source, réalisées par Bellingcat et le New York Times (avec Forensic Architecture) ont démontré que les munitions retrouvées étaient utilisées par le régime syrien, et qu’elles avaient été larguées depuis le ciel (les rebelles syriens ne disposent pas de force aérienne).
« Il y a eu de nombreux lanceurs d’alerte au sein de l’OIAC qui ont confirmé que les rapports occidentaux ont été falsifiés en quelque sorte pour justifier des frappes », continue Baud.
Ces « révélations » de « lanceurs d’alerte » de l’OIAC sont pourtant bien peu probantes comme l’expliquait il y a quelques mois Conspiracy Watch. En revanche, elles ont été abondamment relayées par des personnalités connues pour diffuser la propagande du Kremlin, notamment sur la question syrienne.
La dénégation des autres crimes de masse du régime syrien
« A l’époque des massacres de Homs en 2011, les services de renseignement allemands avaient établi qu’il n’y avait pas eu de massacre causé par l’armée de Bachar el-Assad », prétend-il. Une fois de plus on ignore d’où sort cette affirmation, la réalité du massacre de la place de l’Horloge (17 morts) le 19 avril 2011 étant par exemple solidement documentée.
Plus tard dans l’émission, Jacques Baud remet en question l’authenticité des photos de « César ». Après avoir déserté, ce photographe militaire syrien a dévoilé en 2013, au moyen des milliers de clichés qu’il avait lui-même pris dans le cadre de ses fonctions dans l’armée gouvernementale, les massacres et la torture dans les prisons du régime Assad. « Les organisations humanitaires qui ont vérifié ces photos se sont aperçues que pratiquement toutes les photos en question sont des photos de soldats syriens et non pas d’opposants, il y a déjà quand même quelque chose qui cloche », assène l’ancien des renseignements suisses.
En réalité, il ne fait que reprendre à son compte l’argumentaire officiel du régime syrien : en plus de « terroristes », les photos montreraient surtout « des civils et des militaires morts sous la torture aux mains de groupes terroristes armés parce qu’ils étaient accusés d’être pro-gouvernement », selon lui. On se demande d’ailleurs quelles sont les « organisations humanitaires » à avoir repris à leur compte cette version comme le prétend Baud. Plusieurs ONG comme Human Rights Watch ont confirmé la validité du document.
« La fausse vérité c’est qu’on a un gouvernement [syrien] qui est une dictature […] et l’idée que Bachar el-Assad tente de massacrer son peuple », affirme aussi l’auteur de Gouverner par les fake news dans l’émission.
Nous sommes ici obligés de rappeler que la grande majorité des 100 à 200 000 civils tués dans le conflit l’ont été par le régime syrien ; que celui-ci les cible intentionnellement ; qu’il a recours à la faim et aux sièges comme stratégie militaire ; qu’il utilise aussi les viols comme arme de guerre ; que 100 000 personnes ont disparu, été enlevées ou emprisonnées, mises au secret dans des prisons où des milliers d’autres sont mortes exécutées ou sous la torture.
Baud évoque ensuite les empoisonnements d’opposants politiques en Russie.
Le Novitchok qui ne venait pas du GRU
« On n’a pas d’histoire d’empoisonnement de la part des services secrets russes contrairement à ce qu’on dit. […] En réalité tout porte à croire [que, dans l’affaire Skripal,] on est parti plutôt d’une intoxication alimentaire car toutes les analyses qui ont été faites par la suite n’ont jamais démontré que la Russie était impliquée. […] Dans le meilleur des cas, si des toxiques de combats ont été utilisés, on ne sait même pas s’ils sont originaires de Russie », assure Baud.
Ce n’est pas tellement la question : le site d’investigation Bellingcat, en partenariat avec le média russe The Insider, a démontré que les principaux suspects de cette affaire étaient des agents du GRU, le renseignement militaire russe. Ce qui tranche a priori la question de l’implication de Moscou.
« Navalny, on sait qu’il s’est attaqué à la mafia, à des gens corrompus. […] Navalny dirige des mouvements d’opposition dont les rivalités sont connues, on peut aussi imaginer que quelqu’un de son entourage ait tenté de l’assassiner. […] L’utilisation de poison en Russie dans l’histoire récente est plutôt le fait de la mafia que de l’État russe », croit-il savoir.
On sait pourtant désormais qu’Alexeï Navalny a été empoisonné au Novitchok, une arme chimique plutôt associée aux services secrets russes (même si l’on ne dispose d’aucune preuve que Vladimir Poutine ait lui-même commandité l’opération). A notre connaissance, l’utilisation de Novitchok par la mafia russe n’a jusqu’à présent pas été constatée ; en revanche, cette substance mortelle apparaît désormais dans trois tentatives d’assassinat où le GRU est très fortement soupçonné.
Ainsi, dans une démarche pour le moins paradoxale, Jacques Baud n’a cessé, pendant près d’une heure d’émission et sans jamais être contredit, d’aligner une sorte de best-of des théories conspirationnistes géopolitiques des dix dernières années pour dénoncer de prétendues manipulations médiatiques des États occidentaux – nous vous avons épargné ses digressions sur la Libye, l’Ukraine et l’Iran. Ne tenterait-il pas lui-même de gouverner ses lecteurs par les fake news ?
Mise à jour (11/09/2020) :
Suite à la publication de cet article, Jacques Baud a réagi dans des interviews données à Hélène Richard-Favre (déboutée en première instance de sa plainte en diffamation contre la chercheuse Cécile Vaissié qui avait évoqué sa proximité avec les réseaux du Kremlin) et à Sputnik France, média contrôlé par Moscou. Sa ligne de défense tient en deux arguments principaux.
Premièrement, nous n’aurions pas lu son livre. Ce qui est vrai. Mais M. Baud est responsable de ses propos en interview, et nous sommes libres de les critiquer. N’assume-t-il donc pas ce qu’il a raconté pendant une heure à la télévision d’Etat russe ? Si ce qu’il dit en interview ne reflète pas le contenu de son livre (ce dont il est permis de douter) M. Baud ne devrait peut-être pas donner d’interviews – ou mieux les préparer.
Deuxièmement, M. Baud ne ferait que poser des questions, il n’affirmerait rien. Cette ligne de défense ne tient pas, car durant son passage sur RT France, M. Baud ne s’est pas contenté de s’interroger, il a affirmé des contre-vérités à de multiples reprises : le pouvoir syrien ne serait pas responsable des principales attaques chimiques en Syrie ; le nombre de victimes « réelles » au Darfour serait cent fois inférieur aux chiffres avancés par l’ONU ; les photos du rapport César montreraient principalement des cadavres de soldats syriens ; les services secrets russes ne pratiqueraient pas l’empoisonnement d’opposants… Nous avons déjà montré dans l’article, citations à l’appui, que cela n’était pas conforme aux faits tels qu’ils avaient pu être établis par les sources les plus fiables.
D’ailleurs, la posture consistant à dire « je ne fais que poser des questions » n’est pas innocente. Lorsque des faits sont établis par un faisceau de preuves concordantes, on peut effectivement les remettre en question si l’on remarque de véritables incohérences et à condition d’apporter de nouvelles preuves suffisamment solides pour ce faire. Cela, c’est le doute méthodique cher à Descartes. C’est ce qui se passe quand la justice rouvre une enquête déjà clôturée.
En revanche, remettre en question des faits établis sur la seule base d’un « est-on vraiment sûr que ça s’est passé comme ça ? », en mettant en avant des incohérences mineures dans la version établie (méthode hypercritique), sans apporter de preuves suffisamment solides pour étayer ses affirmations, est une démarche qui n’a plus grand chose à voir avec la scepticisme rationnel, mais relève de la méthodologie complotiste.
Comme l’écrit le chercheur Olivier Schmitt, « L’abâtardissement du doute méthodique le transforme dans l’espace public en doute systématique, mécanisme sur lequel toutes les formes de complotisme (qui sont un hyper-criticisme), prolifèrent. » A bon entendeur.
A. H.
Voir par ailleurs:
EXTRAITS (William Audureau. “Dans la tête des complotistes »)
“La première technique employée par ce genre de documentaires est généralement celle du pied dans la porte : dans le premier tiers du film, des éléments relativement inoffensifs amadouent le spectateur, afin de le préparer aux thèses plus subversives à venir. « Ces arguments sont faibles, mais une fois que vous êtes embarqué, engagé dans le documentaire pendant plus de deux heures, vous êtes prêt à entendre des théories complètement fantastiques, qui, si elles vous avaient été présentées dès le début, vous auraient fait arrêter le visionnage », observe Olivier Klein, professeur de psychologie sociale à l’Université libre de Bruxelles.
Deuxième ingrédient : une densité argumentative volontiers décourageante. C’est le fameux « mille-feuille » propre aux théories du complot, ou « conglobation », pour reprendre le terme employé par le politologue Pierre-André Taguieff : une accumulation exténuante de pseudo-preuves, qui, bien souvent, ne résistent pas à l’examen prises individuellement, mais qui, lâchées en masse, submergent la vigilance cognitive du spectateur. Jusqu’à ce que celui-ci s’abandonne de guerre lasse à une posture de spectateur passif.
Le troisième stratagème est enfin « l’argument d’autorité », qui consiste à faire intervenir des experts au CV ou au titre souvent ronflants, en se gardant bien de préciser qu’ils sont aujourd’hui ainsi sur des figures d’autorité supposées telles que Louis Fouché, un médecin réanimateur en réalité dépourvu de références et rejeté par ses confrères, Alexandra Henrion-Claude, une ancienne chercheuse de l’Inserm répudiée par son directeur de thèse, ou encore Luc Montagnier, biologiste français crédité pour avoir co-découvert le virus du sida, devenu un Nobel vieillissant s’oubliant dans des thèses farfelues. Mais lorsque de telles « sommités » lui sont présentées, le spectateur ignore généralement ces éléments biographiques.
Grâce à toutes ces techniques, ces documentaires excellent à diffuser le doute. Ce n’est pas tant qu’ils convainquent, mais ils ébranlent les certitudes. Cela remonte à une dizaine d’années, mais Romain se souvient encore d’avoir eu l’impression de se laisser happer lorsqu’il a visionné Dark Secrets inside Bohemian Grove. La présentation du documentaire, qui mime les codes télévisuels, lui avait donné l’impression d’un travail professionnel sérieux. L’accumulation de références, de citations, d’extraits, d’illustrations, les déclarations péremptoires enchaînées sur un rythme trop rapide pour qu’il ait le temps de les questionner, tout avait contribué à le désarçonner. Dans le même temps, l’atmosphère mystérieuse du film, truffé d’images dérobées d’une cérémonie nocturne fascinante, donnait la valeur d’une vérité secrète à ces séquences en immersion sur les rites satanistes supposément pratiqués par un club occulte.”
– Les six règles de l’échange
Une chose est certaine : chercher à clouer le bec de Karine en la prenant de haut était la pire idée possible. C’est ce que me confirme le Belge Samuel Buisseret, ancien passionné d’ésotérisme qui démonte désormais les rumeurs complotistes sur YouTube, sous le pseudo de Mr. Sam : « Il faut opérer un distinguo entre ce qu’on a envie de faire par pulsion – dire “tais-toi”, fermer le clapet de son interlocuteur avec deux-trois arguments – et ce qu’on a envie de faire après y avoir réfléchi. Le grand tort qu’on a tous, c’est de se fier à notre envie de départ, qui n’est pas toujours la meilleure. »
Face à un proche complotiste, plusieurs postures sont ainsi considérées comme étant à proscrire : l’invective, le – mépris et la condescendance figurent tout en haut de cette liste. Samuel Buisseret en sait quelque chose : il a subi durant des années l’attitude des premiers « zététiciens » de France. Au début des années 2000, ces défenseurs de la rationalité en lutte contre la pensée magique, souvent des étudiants en sciences ou en sciences humaines, pouvaient glisser dans la moquerie et l’humiliation face aux croyants comme lui. « C’était très douloureux, et on a prouvé que cela ne fait que renforcer les croyances », témoigne-t-il. Le Marseillais Stéphane, qui, après sa prise de conscience, a fait le yoyo entre les deux camps durant quelques mois, prône la posture inverse : « Dites juste : “je te respecte”. »
Se placer dans une position d’égal à égal est en effet la meilleure solution pour éviter de tomber dans une impasse. Après tout, comment convaincre quelqu’un qu’il est enfermé dans des idées sectaires si l’on se pose soi-même en prosélyte détenant la vérité ? « Dire “faire entendre raison”, c’est déjà postuler qu’on a raison et que [les complotistes] ont tort, relève le chercheur belge en psychologie Olivier Klein. L’espoir, c’est de faire bouger le curseur. Ce que vous pouvez espérer, c’est qu’après avoir discuté avec vous ils croient un peu moins à leur version des faits et que la version communément admise leur semble un peu plus plausible qu’avant206. »
S’il n’est pas question de cautionner les récits complotistes, il importe donc de respecter la personne qui y croit. Et, en même temps, de ne pas se surestimer, ni de se bercer d’illusions quant à l’issue d’un éventuel débat. C’est la grande leçon du psychologue serbe Jovan Byford, qui travaille depuis deux décennies sur les théories du complot et a régulièrement échangé avec des adeptes de celles-ci. Il s’est fixé six règles pour dialoguer avec un complotiste207 :
1) Ne pas s’attendre à renverser aisément ses croyances, car celles-ci, on l’a vu, sont par nature immunes à la critique.
2) Ne pas rentrer dans la confrontation frontale et le choc d’ego, mais au contraire veiller à maintenir un dialogue apaisé.
3) Cartographier avec précision les théories auxquelles adhère ou n’adhère pas son interlocuteur, tout en mesurant l’intensité de sa croyance. En effet, rares sont ceux qui adhèrent à toutes les théories du complot, et certains sont bien moins convaincus de ce qu’ils affirment qu’ils ne le laissent paraître.
4) Établir un terrain d’entente, en évoquant par exemple des dysfonctionnements avérés de la société208.
5) Dresser un parallèle entre les théories du complot auxquelles il croit et d’anciennes théories similaires. Par exemple, nombre des rumeurs entourant le Covid-19 existaient déjà à l’identique il y a plusieurs décennies au sujet du sida (concernant la création supposée du virus en laboratoire) ou du vaccin contre la polio (concernant la stérilité que pourrait provoquer le vaccin anti-Covid).
6) Rester réaliste et modeste quant à ses attentes : parfois, instiller un peu de doute constitue déjà une belle avancée.
En cas de débat, Jovan Byford recommande également de se concentrer toujours sur des points précis, factuels et vérifiables, et de se référer pour cela à des articles de vérification (il place manifestement plus d’espoir dans le factchecking que je ne le fais moi-même).”
– La méthode socratique
Certains spécialistes recommandent de recourir à la discussion, davantage qu’au débat, pour tenter de guider un complotiste vers la décroyance. Pas n’importe quel type de discussion : l’entretien épistémique, la méthode employée par Socrate dans la plupart des dialogues de Platon. L’idée ? Ne pas s’escrimer à déployer des arguments, mais se contenter de poser des questions à son interlocuteur, avec une forme de naïveté assumée, pour l’amener à remonter aux sources de ses croyances. Le vidéaste américain Anthony Magnabosco s’en est fait une spécialité, filmant ses entretiens avec de parfaits inconnus rencontrés dans la rue. Rassurez-vous : il dialogue en anglais, pas en grec ancien.
Cette technique a été théorisée par un philosophe américain spécialiste des dialogues socratiques, Peter Boghossian. Athée militant, ce dernier se donne pour mission d’offrir des clés pour lutter contre le « virus de la foi » en amenant son interlocuteur à accepter l’aporie, c’est-à-dire le fait qu’il existe des questions irrésolues. Sa méthode n’a donc pas été inventée spécifiquement pour dialoguer avec les théoriciens du complot, et elle demande une certaine disponibilité de la part de son interlocuteur. Néanmoins, si celui-ci joue le jeu, elle peut s’avérer efficace. « Au lieu de s’opposer aux arguments de quelqu’un, on va revisiter avec lui ce qui est à la base de ses croyances, et comparer ces bases avec d’autres croyances qu’il considère comme erronées, détaille Samuel Buisseret, l’ésotériste repenti qui recourt lui-même à cette méthode. Cela conduit au minimum au doute, et parfois à la déconversion. »”
– Conclusion
“Le complotisme est un phénomène complexe. Au niveau individuel, il naît de la rencontre entre un tempérament – sount idéaliste, indépendant ou encore provocateur –, un écosystème – qu’il s’agisse de « bulles de filtre » exposant à des contenus conspirationnistes sur Internet ou d’un environnement social sensible aux contre-récits – et un moment de vulnérabilité, qu’il soit personnel ou collectif. C’est la conjonction de tous ces facteurs qui peut pousser un individu à recourir à la pensée magique pour donner du sens à son quotidien.
Le complotisme présente en effet de nombreux avantages. Il met de la simplicité sur le chaos du monde, offre le sentiment de posséder des clés pour comprendre ou, au moins, enquêter. Il permet de se sentir à la fois moins seul et plus fort. Surtout, il offre des outils narratifs capables de repousser indéfiniment la contradiction, voire, si le besoin s’en fait sentir, de révoquer le réel. Mais il a vite fait, aussi, de se transformer en une méfiance généralisée, potentiellement invivable, ou en une crédulité aveugle, qui peut se révéler extrêmement dangereuse.
Reste qu’il n’existe pas deux complotistes identiques. Le caractère stéréotypé et souvent mimétique des propos tenus en public par les conspirationnistes cache des parcours et des motivations hétérogènes. La foi, le besoin de reconnaissance, un drame personnel, l’attirance pour le merveilleux sont autant de portes d’entrée différentes vers le monde des contre-récits.
Si l’on veut lutter contre ce phénomène, il faut donc cesser de l’envisager sous le seul angle des idées. Dans l’univers mental d’un complotiste, il existe peu de croyances qui soient fondamentales : toutes ou presque se rapportent à un vouloir-croire central, une thèse primordiale et constitutrice, qui vient répondre à un mal-être. Le reste n’est que feuillage.
Pour combattre le complotisme, c’est à ce mal-être qu’il faut s’adresser. Et, pour cela, commencer par l’entendre. Au niveau collectif, le caractère fantasque des contre-récits des chercheurs de vérité ne doit pas occulter le fait que certaines de leurs frustrations fondatrices sont légitimes. Le lobbying des grandes compagnies pharmaceutiques, l’affairisme politicien, les violences policières et autres dénis de démocratie sont d’authentiques problèmes de société. On ne peut pas reprocher aux conspirationnistes de demander plus de respect, de justice, de démocratie.
Dans son geste initial, le complotisme est une tentative d’opposer à un État jugé défaillant un contre-État artisanal, populaire, fonctionnel et, surtout, plus juste. La meilleure manière de ne pas laisser se développer un terreau favorable à un populisme aveugle, crédule et potentiellement haineux est donc encore de s’efforcer d’améliorer les fondements de la démocratie, de redonner de l’assise au contrat social, de restaurer la confiance dans les institutions, qu’elles soient politiques, sociales ou sanitaires. Sans quoi la lutte contre les contre-récits les plus dangereux se réduira toujours à ce qu’elle est déjà, et dont chacun perçoit depuis longtemps les limites : une chasse sisyphéenne aux racontars monstrueux par les journalistes spécialisés dans le fact-checking, et la suppression toujours brutale, tardive et polémique de comptes complotistes par les propriétaires des réseaux sociaux.
Au niveau individuel, le complotisme pose d’autres questions, à commencer par celle du vivre-ensemble. Il n’est pas évident d’accorder de son temps à un interlocuteur à la suspicion insultante. Mais il est encore moins évident d’accepter de voir des proches sombrer dans des contre-discours irréels, hystériques et dangereux, jusqu’à l’enfermement et la rupture. Alors, il faut réussir à restaurer du lien. En commençant peut-être par mettre ces contre-discours de côté. Non parce qu’ils sont tolérables ; ils ne le sont pas. Mais parce qu’ils sont invulnérables au débat et que la critique frontale ne fait au contraire que les renforcer.
Il faut parvenir à recréer un autre terrain d’échange, qui n’est pas celui de l’idéologie ou des faits. Revenir aux souvenirs, aux projets, aux choses simples – passer du temps ensemble, retrouver un peu de gaieté de vivre et de partager. Cela pourrait ressembler à une boutade mais, face au complotisme, je crois plus au pouvoir de la raclette qu’à celui du factcheck. Changer les idées de son interlocuteur, restaurer un terrain de paix, savourer ensemble, donneront toujours de meilleurs résultats que l’affrontement ou le dénigrement – et permettront de retrouver assez de confiance pour, ensuite, si la personne y est prête, parler de ses croyances.”
“Contre-intuitive et paradoxale, la réponse au complotisme doit donc consister à traiter de manière symétriquement opposée le complotisme en tant que phénomène de société et en tant que dérive personnelle. Au niveau collectif, il faut se mettre à l’écoute de ses revendications entendables, tout en le marginalisant. C’est le travail de l’État, des médias, des propriétaires des réseaux sociaux. Au niveau individuel, il faut au contraire faire la sourde oreille aux discours, mais être présent physiquement et émotionnellement. C’est le rôle des collègues, des amis, de la famille. Isoler d’un côté, accompagner de l’autre, exclure du débat public mais réintégrer socialement, tel est le défi ardu que nous lance le complotisme.”
Voir par ailleurs:
« Au moment où Poutine s’enfonce dans son propre piège en Ukraine, Xi Jinping s’enlise dans une guerre anti-Covid »
Lun Zhang
Professeur d’études chinoises à Cergy-Paris-Université
La tentative des dirigeants russe et chinois d’imposer un néototalitarisme pour contrôler les sociétés et les individus ne peut que se solder par un échec, dans une tendance mondiale à la « subjectivisation collective et individuelle », estime le sinologue Lun Zhang, dans une tribune au « Monde ».
Le Monde
18 avril 2022
De manière cruelle et brutale, le monde entier – et en particulier les Européens –, se retrouve plongé dans les guerres froides et chaudes du siècle passé, avec ce qui se passe en Ukraine. La vieille théorie politique est reconfirmée : un dirigeant disposant d’un pouvoir sans barrière est toujours une menace pour la paix. Les décisions qu’il prend selon sa propre logique, irrationnelle pour beaucoup, ne peuvent qu’engendrer des catastrophes humaines.
L’enlisement des troupes russes en Ukraine, comme en Afghanistan, était prévisible, sauf aux yeux de Vladimir Poutine. Il peut, aujourd’hui, se retourner contre les généraux, les ministres qui l’avaient mal renseigné et lui avaient menti dans la réalisation de son projet impérial. Les observateurs étrangers partagent cette analyse pour expliquer le fiasco de la campagne militaire russe.
Mais la raison du présent revers, et même d’un très probable échec final de Poutine, est à chercher ailleurs. Elle se trouve dans sa tentative d’imposer sa vision totalitaire à la nation ukrainienne en construction. Depuis des années, il met en place une politique totalitaire dans sa propre société russe, et l’applique maintenant aux Ukrainiens.
Cette vision totalitaire poutinienne consiste à dire qu’il n’y a pas d’autre possibilité qu’accepter d’être des sujets subordonnés au nouveau tsar du XXIe siècle. Il n’existe aucune différence identitaire entre Russes et Ukrainiens. Alors, quand ces derniers s’opposent, la solution est de mener une « opération spéciale » pour les ramener dans la case préconstruite, comme une opération chirurgicale. A la différence des actions coercitives similaires menées par l’ex-URSS à l’encontre des pays satellites désobéissants, elle ne se fait plus au nom d’un paradis terrestre à venir, mais d’un empire passé.
Si cette tentative totalitaire poutinienne connaît un certain succès en Russie, avec des méthodes staliniennes et mafieuses de gouvernance et une propagande mensongère nationaliste, elle se heurte à une forte résistance des Ukrainiens, qui veulent défendre leur culture et leur liberté individuelle et collective. L’image de la destruction des tanks, ces machines symboliques du totalitarisme du XXe siècle, l’atteste parfaitement.
Depuis deux ans, la Chine de Xi applique la méthode zéro Covid à tout prix. Si, en France, le « quoi qu’il en coûte » consiste à sauver les emplois et les vies humaines, et à protéger des dégâts causés par la pandémie, la politique du zéro Covid en Chine ne prend pas en compte ses conséquences. Par exemple, la mort des patients atteints d’autres maux s’explique par la priorité donnée au Covid-19. Malgré le contrôle extrême de l’information, de nombreuses tragédies sont rapportées, témoignant de la gravité de la situation : ainsi, une femme enceinte, sans attestation prouvant qu’elle était négative au Covid-19, a perdu son bébé après avoir attendu des soins pendant des heures ; une infirmière est décédée d’une crise d’asthme à cause du manque de soignants.
Pour Xi, le pouvoir est magique et tout-puissant, s’appuyant sur une organisation de type militaire et sur une sévérité extrême envers les contaminés, visant à éradiquer le virus et à rendre la société « saine » et « purifiée » sans Covid-19.
Malgré la réserve de certains épidémiologistes chinois sur cette méthode, face à la mutation du virus et en particulier le variant Omicron, le modèle du zéro Covid est maintenu. Car il ne s’agit désormais plus d’une affaire concernant la santé publique, cela devient, aux yeux de Xi, le symbole du modèle chinois, voire la preuve civilisationnelle de « l’ascension de l’Est et du déclin de l’Occident », caractéristique de notre monde actuel, vision qu’il a adoptée depuis un certain temps.
La propagande chinoise ne cesse de faire l’éloge de ce modèle, en le comparant à la situation en Occident, en particulier aux Etats-Unis, depuis deux ans. Elle insiste sur le fait que c’est le président lui-même qui « commande personnellement », comme un chef de guerre, vers la victoire. Tout comme dans la Russie actuelle, où Poutine est confondu avec la nation, en Chine, Xi est identifié au Parti communiste chinois (PCC) et à ce modèle anti-Covid. Ce modèle s’inscrit dans la même logique que le « zéro critique », le « zéro dissident »… que Xi met en pratique depuis des années.
Grogne grandissante
A un moment politiquement très sensible – le XXe congrès du PCC aura lieu en fin d’année –, Xi tentera de briguer son troisième quinquennat après avoir aboli la limite des mandats[avant 2018, elle était de deux fois cinq ans]. Il ne peut tolérer la moindre critique. Il utilise l’éradication du Covid-19 pour triompher de ses adversaires potentiels, devant le peuple chinois et le monde entier, et justifier un nouveau mandat.
Même si cette méthode connaît un certain succès temporaire face à la pandémie, elle ne peut pas être un remède permanent et ne peut qu’échouer au final, face à la propagation de nouveaux variants, la pression économique et la grogne sociale grandissante. Des signes d’impatience et d’incompréhension, de contestation sous formes diverses éclatent partout dans de nombreux endroits du pays, des Chinois brisant l’interdit.
La pluralité et le désir de liberté font partie de la vie, incarnent la vie. Une vision totalitaire s’écarte toujours de la vie, de la réalité. La grande tendance mondiale de notre temps, malgré des contre-courants, est une subjectivisation collective et individuelle.
La tentative de Poutine et de Xi d’imposer un néototalitarisme, pour contrôler les sociétés et les individus, ne peut que se solder par un échec final, cela malgré de probables réussites temporaires. L’histoire du XXe siècle l’a attesté, et l’histoire de notre siècle le démontrera à son tour. L’enlisement en Ukraine et en Chine de ces deux dirigeants n’en est que la première étape.
Lun Zhang est professeur d’études chinoises à Cergy-Paris-Université, chercheur au laboratoire Agora (centre de recherche multidisciplinaire en sciences humaines et sociales) et chercheur associé à la Fondation Maison des sciences de l’homme, rédacteur en chef du site intellectuel en chinois « La Chine : histoire et futur ».
Récit Après un mois de confinement drastique, les autorités de la mégalopole chinoise sont prêtes à tout pour faire baisser le nombre de nouveaux cas. L’application aléatoire de mesures extrêmes épuise les habitants, dont la seule sortie quotidienne autorisée est pour faire un test PCR.
Mme Ren, 34 ans, ne s’attendait pas à recevoir la visite de la police le 22 avril : « Ils sont arrivés à minuit pour nous dire que, parce qu’il y avait beaucoup de cas dans notre résidence, nous serions tous envoyés à l’isolement, témoigne la jeune femme. Dimanche, nous avons tous dû enfiler des combinaisons intégrales et nous avons été mis dans un bus avec une quarantaine de voisins, vers 16 heures. On est arrivés à destination sept heures plus tard, sans la moindre pause. Pour faire nos besoins, on nous avait distribué des couches. Dans le bus, il y avait une femme enceinte de sept mois, une personne âgée de plus de 80 ans et un enfant de 5 ans », raconte-t-elle.
Enfin arrivés à destination, ils apprennent qu’ils se trouvent à Bengbu, dans la province chinoise Anhui, à 500 kilomètres au nord-ouest de Shanghaï. Ils posent leurs valises dans un ancien hôtel transformé en centre de quarantaine deux ans plus tôt, au début de la pandémie de Covid-19. Ses photos montrent des murs rongés par l’humidité, un mobilier couvert de traces de chlore et des cafards qui parcourent la chambre. « Après que j’ai publié des photos sur Weibo, mon comité de quartier m’a appelée pour me dire qu’il n’y avait pas mieux, mais qu’ils pourraient nous distribuer des lingettes désinfectantes pour nettoyer un peu… je suis résignée », dit-elle en soupirant au téléphone.
Après un mois de confinement drastique, les autorités de Shanghaï sont prêtes à tout pour faire baisser le nombre de nouveaux cas de Covid-19. L’objectif est simple : que 100 % des cas contacts se trouvent à l’isolement, de sorte que le virus ne circule plus au sein de la communauté. Pour ce faire, les responsables n’hésitent pas à envoyer des quartiers entiers en quarantaine, parfois dans des provinces voisines. Shanghaï dispose de plus de 300 000 places d’isolement collectif. Mercredi, 12 309 nouveaux cas ont été recensés, après un pic à plus de 27 000 cas mi-avril. Mais la route pour revenir à un niveau acceptable est encore longue, car les autorités centrales le martèlent ces dernières semaines : la Chine n’est pas prête à vivre avec le virus, et seule la politique zéro Covid est correcte. Ces dernières semaines, des villes sont mises sous cloche pour quelques cas seulement.
Barrières métalliques
A Shanghaï, les autorités emploient le slogan d’« embarquer tous ceux qui doivent être embarqués » (« yingshou jinshou »), utilisé également dans le cadre de campagnes contre le terrorisme au Xinjiang. Plusieurs séries de mesures ont été annoncées depuis dix jours : renforcement des contrôles routiers, désinfection des résidences et installation de détecteurs sur les portes des personnes positives, en attendant de les envoyer en centres d’isolement. Samedi 23 avril, la pression est encore montée d’un cran, avec l’apparition de barrières métalliques autour de certaines résidences et bâtiments ayant enregistré des cas depuis moins de sept jours. Une directive du nouveau district de Pudong, dans l’est de la ville, précisait samedi que les barrières doivent utiliser un grillage assez large pour permettre d’effectuer les tests en passant les écouvillons au travers, pour éviter d’avoir à ouvrir les grilles, et que des agents de sécurité devraient monter la garder 24 h sur 24 autour de ces bâtiments.
Dans la ville, la frustration grandit : « Je refuse de descendre faire les tests depuis qu’ils ont mis ces grillages en bas de chez moi », témoigne une habitante du district de Pudong. De plus en plus d’habitants tentent ainsi de désobéir, à la fois par crainte que les tests soient des vecteurs de transmission du virus, et par colère contre les restrictions sans fin dont ils sont victimes. Au point que les autorités diffusent des menaces par SMS : « Rappel amical : les personnes qui ne se soumettent pas aux tests verront leur code de santé changer au jaune », ont été avertis mardi les habitants du district de Huangpu. Les codes QR de santé sont verts quand tout va bien, jaunes pour les cas suspects, et rouges pour les cas confirmés. Perdre son code vert peut avoir des conséquences lourdes, notamment en cas de demande d’accès à des hôpitaux.
Gabrielle Gaillard est une jeune Française installée dans le centre de Shanghaï depuis deux ans. Mardi, vers minuit, elle a reçu un message de son comité de résidents lui demandant son numéro de passeport, en prévision du déplacement de tous les habitants de sa ruelle dans un hôtel pour une période de cinq jours. « Après le départ des habitants négatifs, la ruelle sera entièrement désinfectée », indique le message. Gabrielle hésite, sa résidence de 80 habitants compte déjà une dizaine de cas : « Ce n’est pas une solution de transférer tout le monde, on risque de s’infecter entre nous ! Ce matin à 8 heures, ils ont commencé à emmener les voisins. Quand j’ai demandé plus d’information sur l’hôtel où ce serait situé, on m’a dit que ce ne serait sans doute même pas à Shanghaï », témoigne cette créatrice de vidéos de voyages.
« Allez faire le PCR ! »
Outre les mesures extrêmes, c’est le caractère aléatoire de leur application qui épuise les habitants, maintenus dans une incertitude permanente. Début avril, Gabrielle Gaillard a tout fait pour envoyer son chien chez un ami à Pékin, parce qu’une habitante de sa ruelle placée en centre d’isolement avait dû abandonner ses deux chats chez elle. Vingt jours plus tard, elle n’est toujours pas revenue à son domicile : « Les voisins ont cherché à porter assistance aux deux animaux, mais il y a un scellé sur sa porte, nous avons interdiction formelle de rentrer, et ses fenêtres ne sont pas accessibles. On ne sait pas dans quel état sont les chats », déplore-t-elle. Dans d’autres communautés, les comités de quartier sont plus compréhensifs et laissent les voisins intervenir. De même, certains patients positifs peuvent rester à l’isolement chez eux, alors que la plupart sont envoyés dans des centres d’isolement aux conditions spartiates.
Pour la plupart des habitants de Shanghaï, les tests sont la seule sortie autorisée chaque jour. Dans la matinée, à partir de 7 heures, des volontaires viennent tambouriner aux portes de notre quartier de petites maisons accolées dans le centre ancien de Shanghaï. « Numéro 33, allez faire le PCR », crient les volontaires à plein poumon pour réveiller les habitants jusqu’au deuxième étage. Mardi, Shanghaï avait décidé de nouveau de tester toute la ville en une journée. Le système informatique n’a pas suivi : faute de pouvoir scanner les codes QR des personnes pour les identifier, les employés en combinaison blanche ont prié les habitants qui patientaient sous la pluie de revenir plus tard.
Cette courte sortie donne un aperçu du climat qui règne dans la ville. Si la plupart des habitants sont résignés, certains craquent : enfermé derrière une grille érigée deux jours plus tôt, un quadragénaire trapu, armé d’un tuyau en plastique, frappe tout ce qui passe à sa portée en hurlant : « Je n’ai plus un sou pour vivre ! Et tout ce que vous faites pour nous, c’est de nous envoyer faire des tests. » Sur le chemin du retour, on croise un homme, la cinquantaine, réfugié avec quelques couvertures sous le porche d’un restaurant pour s’abriter de la pluie. Il fait partie des milliers de gardiens placés en faction à l’entrée de chaque ensemble résidentiel de la ville. Mais son dortoir a connu plusieurs cas, alors lui et ses camarades dorment dehors en ce moment : « Mei banfa, dit-il en soupirant (On n’y peut rien). »
Voir également:
Xi Jinping face à l’échec de la stratégie « zéro Covid »
Depuis un mois de Shanghaï, et bientôt peut-être de Pékin, le confinement remet en cause la stratégie zéro Covid imposée par le dirigeant. D’autant que la croissance économique n’est pas au rendez-vous en Chine, à quelques mois du 20e congrès du Parti communiste chinois.
Frédéric Lemaître (Pékin, correspondant)
Challenges
27 avril 2022
Le président chinois Xi Jinping, à Pékin, le 11 mars 2022. LEO RAMIREZ / AFP
Rien ne se passe comme prévu pour Xi Jinping. Depuis environ un an, le président chinois misait sur la croissance économique et la stabilité sociale pour s’assurer une réélection de maréchal lors du 20e congrès du Parti communiste chinois (PCC), qui aura lieu à l’automne.
La réussite des Jeux olympiques d’hiver, en février, était de bon augure. Mais, depuis, rien ne va plus. La guerre lancée par son ami Vladimir Poutine en Ukraine le 24 février s’enlise. Pis, le confinement de Shanghaï depuis un mois et peut-être demain de Pékin remet en cause, aux yeux mêmes de nombreux Chinois, le bien-fondé de sa stratégie zéro Covid. La croissance économique est en berne, tout comme le moral d’une population confinée depuis maintenant plus de deux ans. Malgré la censure, les Shanghaïens n’hésitent plus à crier leur colère et leur désespoir, et nombre d’hommes d’affaires occidentaux installés dans le pays, longtemps thuriféraires du régime, n’aspirent plus qu’à plier bagage.
Or, le 20e congrès du PCC approche. Il se tiendra « au second semestre », selon les autorités. Sans doute en novembre. Les provinces sont en train de désigner les 2 300 délégués. Xi Jinping a été « élu » délégué du Guangxi, une province rurale du sud-ouest du pays, vendredi 22 avril. Ce congrès ne ressemblera pas aux précédents. Ayant obtenu, en 2018, une modification de la Constitution qui lui permet de rester président de la République durant plus de dix ans, Xi Jinping va très vraisemblablement être réélu secrétaire général du PCC puis président de la République.
Mais qu’en est-il des autres dirigeants ? Comment va évoluer le véritable cœur du pouvoir, le comité permanent du bureau politique, qui compte aujourd’hui sept membres mais en a longtemps compté neuf ? Qui va remplacer le premier ministre Li Keqiang, qui quitte son poste en 2023 ? A l’échelon inférieur, qui va intégrer le bureau politique ? Continuera-t-il à comprendre vingt-cinq personnes ? Parmi ses membres actuels, qui sont ceux qui vont intégrer le comité permanent ? Question annexe : la gestion contestée du Covid-19 à Shanghaï va-t-elle avoir des conséquences sur la carrière des dirigeants de la ville, traditionnellement promis aux plus hautes fonctions nationales ?
Climat délétère
Pour le moment, personne n’a de réponse à ces questions essentielles. Le climat est délétère. Il se murmure qu’à Pékin tout le monde ne voit pas d’un mauvais œil les difficultés de Shanghaï l’insolente. Début avril, Pékin a non seulement dépêché dans la deuxième ville du pays 38 000 personnels de santé supplémentaires, mais également plus de deux mille soldats. « Parce que Pékin ne fait pas confiance aux unités de police de Shanghaï – pour des raisons assez évidentes –, les forces de police armées spéciales de [la province de] Shandong ont été envoyées en “renfort” depuis le 31 mars environ. Elles ne répondent pas au bureau de la sécurité publique de Shanghaï », explique Alex Payette, un consultant canadien spécialiste de la Chine, dans un article publié sur le site Asialyst mi-avril.
Episode du 20 avril 2022
Face à ces difficultés, Xi Jinping ne donne aucune indication sur ses intentions, mais reste inébranlable et accuse Washington de tous les maux. Pas un jour ne passe sans que la propagande rappelle que les Etats-Unis et l’OTAN sont à l’origine de la guerre en Ukraine. Selon celle-ci, l’Alliance atlantique n’est plus une alliance défensive mais offensive, dont la Chine risque, si elle n’y prend garde, d’être la prochaine victime.
La « sécurité nationale » est mise à toutes les sauces pour faire taire la moindre voix dissonante. Des Chinois publient, le 22 avril, une vidéo de six minutes reprenant quelques témoignages de Shanghaïens désespérés par le confinement auquel ils sont soumis ? Les censeurs qualifient immédiatement celle-ci de « révolution de couleurs ». Se plaindre qu’un vieillard ne soit pas admis à l’hôpital pour recevoir des soins vitaux, qu’une femme sur le point d’accoucher ne puisse pas accéder à une maternité ou encore qu’une famille manque de nourriture, c’est ourdir un complot et, sous-entendu, être manipulé par les Occidentaux.
Pas de débat possible
En visite à la mi-avril sur l’île de Hainan, Xi Jinping a rappelé qu’il fallait « persévérer pour réussir » et qu’il ne saurait être question de relâcher l’effort dans la lutte contre le Covid-19. Il n’y a donc pas de débat possible, ni sur la politique sanitaire, ni sur l’efficacité des vaccins chinois, ni sur le refus de Pékin d’importer des vaccins à ARN messager, ni sur le faible taux de vaccination des personnes âgées. Seuls 20 % des plus de 80 ans ont reçu trois doses.
Zhong Nanshan, le pape des épidémiologistes chinois, l’a appris à ses dépens. Celui qui avait reçu des mains de Xi Jinping la médaille de la République en 2020 pour son rôle éminent contre le Covid-19 se fait désormais censurer sur Internet parce qu’il a osé écrire qu’à long terme la politique zéro Covid n’était pas viable. « Pékin devrait pourtant savoir à présent que l’isolement total ne fonctionne pas. Pourtant, le pouvoir central demeure, pour ainsi dire, prisonnier de ce modèle : l’abandonner reviendrait à reconnaître que le PCC se trompe depuis le début. Cette option n’est pas envisageable – encore moins à quelques mois du 20e congrès », analyse M. Payette.
Pas davantage que les diplomates ou les experts en politique internationale, les scientifiques n’ont le droit d’interroger la ligne officielle. « Ça me rappelle ce que j’ai connu avant la chute du mur de Berlin. Des diplomates rédigeaient des rapports critiques, mais, parallèlement, les responsables du Parti indiquaient dans leurs notes que tout allait bien, et les dirigeants ne prenaient en compte que ce dernier point de vue. C’est pareil à Pékin », confie un ambassadeur d’un pays d’Europe centrale.
En ces temps de difficulté, le culte de la personnalité atteint des sommets. Lundi 25 avril, Xi Jinping s’est rendu à l’université du Peuple de Chine, à Pékin, pour expliquer que le pays devait « développer des universités de classe mondiale ». Le dernier paragraphe du compte rendu officiel de la visite donne une idée de l’ambiance : « Lorsque Xi a quitté l’université, les deux côtés de la route étaient bondés d’enseignants et d’étudiants qui ont salué le secrétaire général avec excitation. Ils ont acclamé d’une seule voix : “Nous resterons fidèles au Parti et nous serons à la hauteur de la confiance du peuple. Nous travaillerons dur pour devenir les piliers du renouveau national et l’avant-garde d’un grand pays.” Xi les a salués au milieu des applaudissements et des acclamations. »
La relance de l’économie, une priorité
De son côté, le gouverneur du Guangdong, Wang Weizhong, a exprimé sa « gratitude éternelle au secrétaire général » à plus de dix reprises dans son discours d’investiture pour le congrès du PCC. Dans le Guangxi, le numéro un chinois a été qualifié de « pilote du grand renouveau ». Certains parlent de « nord-coréanisation » de la politique chinoise.
Mais le pilote est sans doute plus inquiet que son air bonhomme le laisse supposer. Alors que le taux de chômage des jeunes urbains (16-24 ans) atteint 16 % de la population active, que les ventes au détail ont plongé de 3,5 % à la fin du premier trimestre et que la croissance du pays continue de dépendre en grande partie de ses exportations, Xi Jinping fait de la relance de l’économie une priorité.
Présidant, mardi 26 avril, une réunion du comité central pour les affaires financières et économiques, le secrétaire général du PCC a ordonné d’investir massivement dans les infrastructures. « Nous devons reconnaître qu’elles ne répondent pas aux besoins du développement et de la sécurité nationale. Renforcer la construction d’infrastructures sur tous les plans est d’une grande importance pour assurer la sécurité nationale (…) développer la demande intérieure et promouvoir un développement de haute qualité », indique le compte rendu diffusé par la chaîne CCTV. Transports, énergie bas carbone, cloud computing, intelligence artificielle…, la liste des secteurs concernés semble infinie, mais aucune enveloppe financière n’a été affectée.
Alors que le pays tourne au ralenti – environ soixante-dix des plus grandes villes chinoises restreignent les déplacements en raison de la politique zéro Covid –, cette relance des investissements publics est aussi politique qu’économique. Xi Jinping entend faire taire toute contestation.
Selon le Wall Street Journal, Xi Jinping a clairement indiqué à son entourage qu’il fallait absolument que la Chine atteigne cette année les 5,5 % de croissance comme prévu, car elle doit dépasser le taux de croissance des Etats-Unis afin de prouver la supériorité du modèle économique chinois. « Il [Xi Jinping ] est très franc avec moi. Il ne croit pas que la démocratie puisse fonctionner au XXIe siècle, et [même] dans le second quart de siècle. Parce que les choses vont trop vite », a confié, le 21 avril, le président américain, Joe Biden, devant une assemblée démocrate.
Le 20e congrès du PCC devrait se tenir à peu près au même moment que les élections de mi-mandat américaines – elles se dérouleront en novembre –, qui pourraient mettre Joe Biden en difficulté. Il est essentiel pour Xi Jinping d’en sortir triomphant. C’est peut-être maintenant qu’en coulisse tout se joue.
Les récits conspirationnistes accusatoires sont structurés selon cinq principes, ou règles d’interprétation des événements. De ces règles et d’un certain nombre de biais cognitifs dérivent les représentations et les croyances composant l’imaginaire conspirationniste. Certaines d’entre elles ont déjà été identifiées par divers auteurs. Cet ensemble de règles constitue un modèle d’intelligibilité de la pensée conspirationniste en tant que forme de pensée sociale, tel que je l’ai présenté dans mes travaux récents. Énumérons-les.
(1) Rien n’arrive par accident. Rien, dans les séries événementielles qui suscitent de la surprise et de l’anxiété, n’est accidentel ou insensé, ce qui implique une négation du hasard, de la contingence, des coïncidences fortuites. On connaît la formule : « Ce n’est pas un hasard si… » Pour les adeptes du grand récit complotiste, tout s’explique par les complots et les mégacomplots. Ce savoir alternatif confère à celui qui le possède la conviction que la marche du monde est intelligible, et qu’il peut la contrôler dans une certaine mesure. Cette maîtrise imaginaire donnée par les croyances complotistes répond à un besoin d’ordre, à la fois cognitif et affectivo-imaginaire.
(2) Tout ce qui arrive est le résultat d’intentions ou de volontés cachées. Il s’agit, plus précisément, d’intentions mauvaises ou de volontés malveillantes, les seules qui intéressent les esprits conspirationnistes, qui privilégient les événements malheureux et inquiétants : crises, bouleversements, catastrophes, attentats terroristes, assassinats politiques. Ces événements sont expliqués en répondant à la question magique : « À qui profite le crime ? » D’où la question : « Qui est derrière ? »
(3) Rien n’est tel qu’il paraît être. Tout se passe dans les « coulisses » ou les « souterrains » de l’histoire. Les apparences sont donc toujours trompeuses, elles se réduisent à des mises en scène. La vérité historique est dans la « face cachée » des phénomènes. La vérité ne peut être qu’« ailleurs », sa découverte impliquant de déjouer les pièges tendus par les manipulateurs, les experts en « faire-croire ». L’axiome est ici : « On nous manipule. » Dans la perspective conspirationniste, l’historien devient un contre-historien, l’expert un contre-expert ou un alter-expert, un spécialiste des causes invisibles des événements visibles. Il fait du démasquage son opération cognitive principale. Dès lors, l’histoire « officielle » ne peut être qu’une histoire superficielle. La véritable histoire est l’histoire secrète. Les auteurs conspirationnistes « classiques » – par exemple Julius Evola, qui incite à « rechercher les causes secrètes de l’histoire » – se réfèrent volontiers à ce passage de Balzac, extrait d’Illusions perdues : « Il y a deux Histoires : l’Histoire officielle, menteuse qu’on enseigne, l’Histoire ad usum Delphini. ; puis l’Histoire secrète, où sont les véritables causes des événements, une histoire honteuse. »
(4) Tout est lié ou connecté, mais de façon occulte. « Tout se tient », dit le complotiste, prenant la posture de l’initié, incarnant à la fois le contre-expert, l’alter-expert et le super-expert, susceptible de jouer le rôle du voyant, du visionnaire ou du prophète. On rencontre ici le biais de conjonction qui, largement répandu dans la pensée sociale ou le savoir populaire, consiste à percevoir la probabilité de la conjonction de deux événements. Les complotistes semblent commettre ce genre d’erreur plus souvent que la moyenne de la population.
(5) Tout ce qui est officiellement tenu pour vrai doit faire l’objet d’un impitoyable examen critique, visant à le réduire à des croyances fausses ou à des mensonges. C’est la règle de la critique dérivant du soupçon systématique, ou plus exactement celle de l’hypercritique s’appliquant à tout discours officiel. Si « tout doit être minutieusement passé au crible de la critique», l’application de cette règle aboutit ordinairement à un dévoilement du vrai occulté ou du réel caché, pour se conclure par l’énoncé : « Au début, je n’y croyais pas mais j’ai dû me rendre à l’évidence. » Il y a là un simulacre de la joie de découvrir une vérité jusque-là dissimulée, rejoignant celles qui circulent dans la complosphère, servant de nourritures psychiques aux addicts des réseaux sociaux.
Il faut souligner le fait, selon une suggestion du psychologue social Pascal Wagner-Egger, que, pour les complotistes, tout ne doit pas être passé au crible de la critique, mais seulement la version « officielle », perçue comme telle, qui est donnée de l’événement. Il y a donc une frappante « asymétrie cognitive » chez les complotistes qui, surtout depuis le 11 Septembre, font preuve d’un extrême esprit critique envers la version « officielle » d’un quelconque événement en même temps que d’une extrême crédulité à l’égard des « théories du complot » qui se présentent comme des explications « alternatives ».
La cinquième règle d’interprétation est donc celle de l’hypercritique du savoir « officiel », tel qu’il est reconnu par le pouvoir étatique et le système médiatique – qui forment, avec le pouvoir financier, « le Système », comme disent désormais la plupart des idéologues complotistes. C’est là une règle interprétative caractérisant plus particulièrement la rhétorique néocomplotiste qui s’est élaborée après le 11 Septembre, et qu’on peut définir comme « sceptico-dogmatique », oxymore soulignant la manière dont l’esprit d’examen et le sens critique sont phagocytés par les tendances paranoïaques qui installent un dogmatisme de second degré. Le nouveau complotiste collectionne des détails « troublants » supposés conduire à une vérité cachée que débusque la question magique : « À qui profite le crime ? » Si la posture dubitative est mise en scène au commencement du raisonnement néocomplotiste, c’est pour conclure sur des croyances dogmatiques. Les événements perturbateurs sont ainsi intégrés dans un ordre du monde qui ne contredit pas les croyances dogmatiques ni les attentes fondamentales des sujets, dont la vision du monde est purifiée de tous les éléments qui pourraient la contredire.
Nouveaux fascismes ? enquête sur les droites en Europe
Vacarme 55
15 avril 2011
Le fascisme, antithèse de la démocratie ? Malheureusement, rien n’est moins sûr. S’il y a indiscutablement une vieille haine de la démocratie du côté des droites radicales, haine que leur acclimatation au jeu électoral n’a pas éteinte, il y a aussi — c’est plus inquiétant encore — une porosité accrue des démocraties libérales à des discours et à des pratiques qui ne sont plus le propre de l’extrême droite. Le loup est désormais dans la bergerie. Annie Collovald examine les portes par lesquelles on l’a laissé entrer.
En France, en Italie ou dans des pays de l’Est de l’Europe se développent des pratiques politiques et des comportements qui ne sont pas sans rappeler les années 1930 : dégradation et violence du langage politique, désignation de l’étranger comme bouc émissaire, pratiques autoritaires… Cette comparaison avec les années 1930 vous semble-t-elle pertinente ?
La comparaison avec les années 1930 s’impose en effet d’emblée ; elle a, me semble-t-il, quelque pertinence, mais sous plusieurs conditions. Parler de « renouveau du fascisme » ou qualifier de fasciste le FN (ou certains élus de droite) est problématique pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui. En tant qu’étiquette, la qualification de fasciste peut avoir une certaine efficacité dans la lutte politique : d’abord parce qu’elle est véritablement disqualifiante ; ensuite parce qu’elle n’est guère réappropriable (du moins pour le moment) par ceux qu’elle désigne. Se déclarer fasciste n’est guère envisageable à l’inverse de ce qui s’est produit avec le terme de populisme par exemple. Le FN a revendiqué très vite, dès le milieu des années 1990, l’identité de populisme et a trouvé là un très bon moyen de reclassement pour redorer son blason et faire oublier l’identité beaucoup plus insupportable de fasciste et d’extrême droite qui le qualifiait précédemment. Il a d’ailleurs pu d’autant mieux opérer ce retournement symbolique visant à se désigner comme le « parti du peuple » que les groupes populaires étaient montrés comme voués à tous les errements politiques et moraux et qu’ils trouvaient de moins en moins (à la différence des années 1960-1970) de structures collectives assurant leur défense, qu’ils étaient délaissés jusque dans le vocabulaire employé par les hommes politiques. Le FN est alors l’une des seules organisations à oser proclamer haut et fort qu’elle parle au peuple, à utiliser des mots vieillis et archaïques comme « ouvriers » ou « chômeurs ». Si l’on veut stigmatiser, susciter l’indignation, alerter sur les dérives que connaît la démocratie, le mot de fascisme peut être utile.
Il risque cependant de fonctionner comme un concept écran si l’on veut comprendre la situation présente. On pourrait dire en effet (et la comparaison sert à faire apparaître les différences) qu’à la différence de la conjoncture des années 1930, il n’y a plus besoin de la solution fasciste pour faire advenir des idées et des pratiques contraires aux idéaux de la démocratie : la justice, la tolérance, l’égalité, le pluralisme. Comme le rappelait Georges Orwell au sortir de la Seconde Guerre mondiale, « lorsque les fascistes reviendront, ils auront le parapluie bien roulé sous le bras et le chapeau melon ». Il indiquait par là, me semble-t-il, que le déloyalisme à l’égard de la démocratie peut prendre des visages différents selon les conjonctures et peut être porté par des acteurs respectant les convenances de façade. Sous cet angle, le recours à la violence de rue, l’affichage de marques distinctives (crâne rasé, chemise noire, croix gammée) et d’un racisme brutal dans les discours et les pratiques n’a plus besoin d’avoir cours et d’être promu par des acteurs « marginaux ». Il suffit de laisser faire les acteurs centraux de la politique, les délibérations parlementaires et gouvernementales — de laisser faire, en quelque sorte, la compétition politique telle qu’elle se joue depuis une vingtaine d’années. Un des apports de l’analyse de Michel Dobry, dans l’ouvrage qu’il a dirigé sur le « mythe de l’allergie française au fascisme » [1], est d’avoir attiré l’attention sur ce point. La réussite du fascisme ne dépend pas des seuls fascistes (les plus visibles et les plus reconnaissables), mais des compromis, transactions, relations établis avec les autres compétiteurs politiques. Du coup, il invite à penser qu’il peut y avoir des transformations qui s’opèrent dans le cours même de la lutte politique et du jeu ordinaire des concurrences politiques et qui, en modifiant l’offre politique, entraînent une dégradation des idéaux et des principes démocratiques. Les sociétés les plus formellement démocratiques peuvent se détourner des valeurs dans lesquelles elles se reconnaissent sous l’effet de la dynamique de compétition propre aux élites politiques : elles peuvent ainsi se révéler autoritaires sans emprunter la forme convenue de l’autoritarisme prêté au FN par exemple, et en se conformant aux procédures officiellement démocratiques.
Doit-on parler d’un renouveau du fascisme, ou de sa continuité ?
La différence majeure avec les années 1930 est qu’il n’est plus besoin d’une montée des « extrêmes » pour qu’une radicalisation aux extrêmes se produise. En témoigne le travail d’inculcation idéologique opéré non seulement par le FN depuis 1984 et son entrée sur la scène politique nationale, mais aussi par les autres partis politiques de gauche et de droite quand, chacun à sa façon, ils ont repris dans leurs programmes et dans leurs prises de positions publiques les thèmes défendus par le FN — sécurité, lutte contre l’immigration — et les ont inscrits en préoccupations centrales de la lutte politique. Les politiques actuelles en sont certes l’illustration : néolibéralisme à tout crin se traduisant par des licenciements, fermetures d’usines, délocalisations, humiliations ; lutte contre les « flux migratoires » avec son lot de camps de rétention, renvois forcés par charters (et par bateaux maintenant ?), criminalisation de l’action collective et de l’action syndicale… La liste pourrait être continuée encore notamment dans ces jeux de contournement du droit ou de « déjudiciarisation » des règles démocratiques opérés aux sommets de l’État. Mais ces politiques ne sont possibles et pensables que parce que la configuration et les règles du jeu politique ont changé sous l’effet d’un glissement à droite de l’ensemble du champ politique, d’une forte réorientation sur les enjeux électoraux et d’une modification dans les discours politiques.
Les intérêts sociaux concrets tendent, par exemple, à devenir invisibles dans les débats et discours politiques. On parle ainsi du chômage et non des chômeurs, de l’emploi et non du travail, de la sécurité sociale — et de son « gouffre » — et non des malades ou des accidentés du travail et de la vie. En quelque sorte, les catégories de pensée politiques et bureaucratiques sont prises pour les réalités qui concernent tout un chacun (et plus encore les groupes sociaux les plus défavorisés) dans la vie de tous les jours. Une telle « abstraction » de la réalité sociale renvoie pour une part aux formes actuelles du jeu politique telles que les a mises en évidence l’élection présidentielle de 2007. Les hommes politiques (et leur entourage) sont désormais persuadés qu’une campagne électorale doit d’abord mobiliser les commentateurs et non les électeurs — leur opinion ou les « opinions manifestantes » comptant moins que celle de ceux qui « font l’opinion ». Leur principal « terrain » à travailler est un « terrain de papier » : faire la Une, dépasser dans les sondages le concurrent le plus proche. Vivant cette continuelle « course de chevaux » sur le mode de la prouesse personnelle, ils voient dans les enquêtes d’opinion autant de victoires électives, et dans l’élection un sondage grandeur nature. Plutôt que de chercher des solutions aux problèmes sociaux qui composent la trame des vies ordinaires, ils se réfugient dans un « entre-soi » réconfortant : relations étroites avec les professionnels de la représentation (hommes politiques, conseillers, sondeurs, journalistes) recrutés dans les classes supérieures ; conception commune de ce que doivent être un « bon cheval politique » et une bonne campagne. Un tel type de compétition politique ouvre sur un zapping programmatique incessant et sur des rhétoriques qui confinent au cynisme dès lors que la seule réalité sociale qui mérite d’être prise en charge et retraduite est celle qui occupe les Unes des sondages ou de la presse, et les conversations en ville. Les sujets de société défendus le sont moins pour eux-mêmes (et pour les projets qu’ils véhiculent) que pour le bruit médiatique qu’ils vont déclencher et par lequel se fera la différence.
Le thème de l’identité nationale et de l’immigration (ou celui aujourd’hui de « l’islam » ou de la laïcité) fournit un triste exemple, justement, de cette mise en avant d’un thème entrevu comme rentable électoralement. Énième avatar d’un nationalisme de droite et d’extrême droite apparu dans les années 1930, il a constitué une stratégie de scandalisation mûrement réfléchie par M. Sarkozy – à l’instar de M. Le Pen, modèle en la matière — au mépris des conséquences qu’elle pouvait avoir, notamment en termes de légitimation de discours racistes : ceux que l’on a entendu sans grand étonnement et bien plutôt dans la bouche plutôt d’élus — locaux et nationaux — que dans la bouche des membres des groupes populaires puisqu’ils ont été, sans grand étonnement non plus, absents de ces « débats ». Seules comptent ainsi les « reprises » escomptées qui, en encombrant tous les espaces de discussion, font parler de l’homme politique avec cette particularité de montrer la droite comme ayant simultanément du cœur et du « pragmatisme » : la chasse aux clandestins viserait ainsi à défendre les immigrés eux-mêmes contre les « marchands de sommeil » et contre les passeurs qui « exploitent la détresse » des malheureux. À ce stade, les mots deviennent détachés non seulement de la réalité qu’ils devraient traduire, mais aussi des convictions de ceux qui les disent. On a affaire ainsi à une sorte de novlangue continuellement électorale, qui rejoint ce que décrivent Victor Klemperer ou Jean-Paul Faye à propos de la langue du totalitarisme : le pouvoir des mots à créer l’injustice en travestissant leur sens ordinaire et en colonisant les mentalités. Pour preuve, un ministère de l’Identité nationale a été créé, mais visiblement ceux qui l’ont créé ne savaient pas à quoi il correspondait puisqu’ils ont lancé ensuite des « débats » devant selon eux apporter des lumières sur ce qu’est l’identité nationale ! Si je comprends bien, ils ont donné une existence officielle et institutionnelle à quelque chose qui, même à leurs yeux, était un « truc » sans grande consistance. C’est pour le moins inquiétant comme mode de fonctionnement puisque cela suggère qu’ils ne réussissent plus à distinguer leurs fantasmes et la réalité et qu’il n’y a aucune raison de supposer qu’il n’en est pas de même pour d’autres ministères et d’autres politiques publiques… C’est aussi inquiétant en termes de levée des censures et d’autorisation à tenir des propos qui hier auraient été impensables dans la bouche de responsables de l’État.
L’une des caractéristiques de la configuration politique des années 1930 était le flou des frontières entre les courants politiques d’extrême droite et de droite. Les individus pouvaient passer de l’un à l’autre assez facilement ; il en était de même pour les thèmes idéologiques. On a le sentiment que le principe, hérité du gaullisme que vous avez étudié, d’une frontière étanche entre la droite et l’extrême droite, a de nouveau disparu…
La nouveauté ne réside pas dans le fait que la frontière qui était établie entre droite et extrême droite est en train de s’abaisser. Cela fait quand même longtemps que c’est le cas : les Longuet, Villiers, Madelin, sont passés au parti républicain dans les années 1970, sous Giscard. Le Club de l’horloge s’est crée dans ces mêmes années 1970 comme lieu de rencontre entre droite et extrême droite. Les passages d’un parti à l’autre et la circulation des idées n’ont donc rien de neuf. Mais il y avait une barrière symbolique qui empêchait de l’afficher de manière visible et revendiquée. Il y avait des discours de principe refusant les alliances ou connivences avec le FN. Ces prises de position, même symboliques, étaient très importantes (songeons à Jacques Chirac refusant hautement toute relation avec le Front national). Reste que sur le plan local des alliances étaient possibles : ce fut le cas, par exemple, à Dreux en 1983, ou lors des régionales de 1998. Mais elles étaient désavouées officiellement par les responsables nationaux et souvent entraînaient l’exclusion du parti.
La donne a changé de ce point de vue ; s’il y a rappels à l’ordre, ils sont prononcés du bout des lèvres et sans effet pratique… C’est sans doute lié à ce que j’ai dit plus haut sur le jeu de zapping électoral qui défait tous les principes idéologiques et programmatiques. C’est lié aussi à la transformation qui s’est opérée dans le recrutement du personnel parlementaire et des responsables de l’UMP. Il faudrait faire des analyses plus précises, mais il y a, me semble-t-il, une montée des cadres du privé et un étiolement des hauts fonctionnaires ou des cadres du public (qui formaient le vivier principal de recrutement des gaullistes). Quoi qu’on pense de l’ENA et de l’évolution des formations au sein de cette école, elle n’en était pas moins une instance de socialisation à l’État et au service public. Que Sarkozy soit un avocat d’affaires n’est pas je crois sans importance (et marque une différence avec Villepin). Il incarne parfaitement la recomposition sociale de la droite et sa distance au service public et aux institutions aussi bien dans les manières de penser que dans les façons de faire : les règles de droit sont faites pour être contournées, l’État et ses fonctionnaires sont encombrants, la rationalité de l’action publique est celle du « coup d’éclat » ou du désir du prince, ce qui se traduit par le démantèlement des services publics et la suppression de tous les services de proximité (poste, écoles, hôpitaux, services sociaux, police). Pas sûr, ensuite, que le parler et le penser vulgaires, sans compter le vaudeville comme storytelling, le « fait du prince » comme conduite politique et les considérations pour les « importants », manifestent un sens de l’institution présidentielle !
Selon l’historiographie classique, la participation à la compétition électorale, particulièrement quand elle se solde par des succès, affadirait la radicalité anti-système : plus on gagnerait des voix, moins on serait d’extrême droite. Cette thèse résiste-t-elle à l’étude du Front national que vous avez menée ?
Cette thèse manifeste une vision très rassurante des choses qui d’une certaine façon disculpe le jeu démocratique (et ceux qui y participent) de la production du pire ou d’un monstre. Elle repose sur une conception purement formelle ou normative de la démocratie et fait des élections le moment central et unique où se joue son avenir : la définition de la démocratie ne se jouerait pas dès lors dans les transactions et compromis politiques, dans les réappropriations par des acteurs centraux de manières de dire, de penser et de faire venues de secteurs quelque peu réfractaires aux règles du jeu démocratique. Elle incite aussi à chercher l’explication des comportements ou des phénomènes politiques dans les « valeurs » ou les « idées politiques » proclamées, et non dans les pratiques sociales et politiques concrètes.
Il y aurait pourtant des profits de connaissance à examiner ces pratiques : l’image du FN en ressortirait moins « pacifiée ». À l’inverse des poujadistes par exemple, les porte-parole frontistes sont des professionnels de la politique, aguerris aux règles du jeu démocratique et experts en pratiques anti-démocratiques. Les mêmes qui ont candidaté aux élections et réussi, pour certains, à être élus, ont un long passé de militants dans des groupes radicaux. Les représentants de la nouvelle génération (Marine Le Pen en tête) sont eux aussi des « vieux » militants au sein du FN dont ils maîtrisent à la fois la ligne idéologique et l’orientation tactique. Ils ont appris à participer aux luttes internes dont le règlement se joue sur le terrain idéologique et tactique. Dans l’histoire de l’extrême droite depuis les années 1950 et celle du FN depuis 1972, les débats internes ont toujours porté sur la meilleure façon de réussir à diffuser, dans le champ politique, des idées radicales. L’enjeu n’a jamais été d’atténuer ou d’abandonner le projet hostile à la démocratie, mais de définir une ligne tactique permettant de le faire passer et accepter le plus largement possible, quitte à user de faux semblants. La voie électorale était par exemple défendue par J.M. Le Pen en 1972… Elle n’était pas chez lui un signe d’apaisement d’une hostilité ancienne à la démocratie, mais une contrainte tactique imposée par le ratage passé de certaines solutions (comme les attentats violents de l’OAS, épisode vécu personnellement par un certain nombre de dirigeants du FN).
Il n’y a pas de raisons de penser que cela ait changé aujourd’hui. Ils sont habitués à faire « de la politique une lutte sémantique », comme le déclarait B. Gollnisch en 1996, et sont spécialisés dans le jeu sur le dicible et l’indicible mêlant l’efficacité de la parole avec l’innocence du non-dit : lorsque B. Mégret, par exemple, en appelait à la « libre recherche historique » il fallait entendre la liberté d’expression pour les négationnistes…. S’arrêter à la « façade » présentée par les dirigeants frontistes est ainsi très périlleux, mieux vaut examiner ses pratiques plutôt que ses discours (ou sa participation aux élections). Contrairement aux conclusion hâtives qui le montrent « populaire » à la base (ce qui est faux) et « notabilisé » aux sommets au prétexte qu’il a accepté de se plier au jeu électoral, le FN continue à travailler une radicalité dont il n’a pas refusé l’héritage (voir les prises de positions extrêmistes de ses députés de 1986 à 1988 : la « croisade anti-sida » du médecin François Bachelot ; « l’accouplement des pervers de l’Éducation nationale et des ratés de l’enseignement » de l’universitaire Jean-Claude Martinez). Le FN n’est pas ainsi notable ou bien radical : il est les deux à la fois. Cela lui permet un double jeu sur et avec les règles démocratiques. Et cela lui offre aussi un répertoire d’action et de justification bien plus ouvert qu’il n’y paraît et surtout bien plus corrosif sur les croyances démocratiques selon lesquelles le recours au suffrage universel apprivoiserait à la démocratie. Le précédent du nazisme suffirait pourtant à rappeler qu’il n’en est rien. Son arrivée au pouvoir s’est faite par la voie légale et s’il a maintenu quelque temps les élections, cela n’a pas altéré sa radicalité, bien au contraire.
Post-scriptum
Annie Collovald est professeure de sociologie politique à l’Université de Nantes/CENS. Elle est l’auteure, notamment de Le « populisme du FN » : un dangereux contresens, Bellecombe-en-Bauge, Ed. du Croquant, 2004. Jacques Chirac et le gaullisme. Biographie d’un héritier à histoires, Paris, Belin, en poche, 2010.
Notes
[1] Michel Dobry (dir.), Le Mythe de l’allergie française au fascisme, Paris, Albin Michel, 2003.
Le populisme ressemble aujourd’hui à un inventaire à la Prévert, la poésie en moins. Chirac, Berlusconi, Sarkozy, Tapie, Cresson, Chávez, Le Pen, Haider, Fortuyn, Bové, Lula, Mélenchon ont été rejoints par Orbán, Salvini, Corbyn, Trump, Kaczyński, Strache, Iglesias, dans la longue et multicolore liste des « qualifiés » de populistes.
En France, quand son usage s’impose dans les années 1990, le mot renvoie au Front national (FN), considéré comme un « appel au peuple » rassemblant des « mécontents » dressés contre les élites établies et séduits par le charisme de Jean-Marie Le Pen, la magie de son verbe et ses idées xénophobes. Depuis, succès oblige peut-être, son emploi s’est propagé tel un « virus » ou une « épidémie », selon le lexique pathologique en cours à propos des partis auxquels il est censé renvoyer ; il désigne aussi bien les extrêmes droites que les gauches, il encourage les papiers sensationnels (« Mélenchon-Le Pen : le match des populismes »), les prises de position indignées, les colloques, articles, ouvrages donnant dans la comparaison internationale et appelant à la réaction de l’Union européenne [1]
Des usages disqualifiants
Le mot « populisme » attise surtout l’inquiétude pour la démocratie et la suspicion à l’égard des classes populaires, notamment sur leur prédilection supposée pour les hommes politiques aux idées courtes et au racisme affiché. Prétendant expliquer, le mot disqualifie d’emblée en rendant infréquentables ceux qu’il caractérise ; il autorise alors le renvoi au rang de notion vintage le clivage droite/gauche au profit d’un nouveau clivage distinguant les gens raisonnables, ouverts, progressistes vis-à-vis des radicaux, nationalistes, fermés (songeons aux discours de Merkel ou Macron) ; bref, vis-à-vis de tous les « incompatibles » supposés (du fait de leurs « valeurs » et de leurs « attitudes ») avec la démocratie et le progrès.
Le mouvement des Gilets jaunes fait aujourd’hui les frais d’une telle stigmatisation et donne involontairement du crédit à de tels jugements. Mais le plus étonnant dans ces usages intempestifs d’un tel label « chamallow » est l’étroite imbrication de la lutte politique et des controverses apparemment savantes. Historiens, philosophes, politistes se mobilisent et prennent explicitement position pour ou contre l’existence d’un populisme de gauche, ou bien sur la filiation populisme-fascisme, et concernant l’instauration de « démocraties illibérales » (comme en Pologne, en Hongrie)… Sociologiquement, que faire ? Retracer l’histoire du mot en révèle l’étrange voyage et les préjugés trompeurs qui l’alimentent.
Les méprises des filiations
Les entreprises en filiation ont tort de faire remonter l’origine du populisme aux premières expériences politiques du début du xxe siècle qui s’en revendiquaient (populistes russes, People’s Party américain) pour en suivre logiquement les autres destinations (les régimes latino-américains comme celui de Perón en Argentine, par exemple). Sa signification actuelle est récente et politiquement située. Elle a créé une véritable rupture avec les usages qui la précédaient. Elle vient des débats qui animaient, à la fin des années 1970, l’extrême droite américaine cherchant à se démarquer des libéraux (recrutés dans la grande bourgeoisie WASP), qui se qualifiait elle-même de populiste. Nul « appel au peuple » ou sensibilité populaire ici : simple usage cynique du peuple pour conférer un semblant d’éthique philanthropique à une entreprise ultra-conservatrice sur les plans économique et politique.
C’est cette fiction intéressée qui est importée en France dans les années 1980 pour désigner le FN. Il s’agit alors, pour ses nouveaux utilisateurs (philosophes, historiens surtout), de se distinguer des commentaires alors dominants, voyant dans ce parti un fascisme ou une extrême droite, en lui inventant une nouvelle identité : le FN ne serait qu’une nouvelle droite, certes radicale, mais peu dangereuse, et surtout une droite populaire. Peu plausible les premiers temps, la fiction gagne son (pauvre) réalisme quand, à partir des années 1990, des politologues découvrent, sur la foi des sondages électoraux, un « fait » extraordinaire : ce seraient les classes populaires (ouvriers, employés, chômeurs) qui voteraient Le Pen. Que cette affirmation reçoive de multiples démentis n’empêche rien. La boucle est bouclée, le mot a trouvé sa recette.
Un racisme social
Le « populisme » attire d’abord le populaire. Son étymologie ne renvoie-t-elle pas au « peuple » ? Rien d’étonnant à ce qu’un parti indigne subjugue surtout les fractions sociales les plus illégitimes socialement : par manque de ressources culturelles et économiques, elles ont une crédulité réceptive aux thèses frustes et simplistes du FN, à l’inverse des plus éduqués et des plus riches, protégés par leur culture de toute adhésion à des idées xénophobes ou intolérantes. Le FN devient alors le premier parti ouvrier en France et le substitut du Parti communiste. Que dire ? Sinon que cette « évidence » confond analyse et préjugés, et que, mêlant injure et explication, elle lève des censures ouvrant sur l’affichage sans fard d’un racisme social sous l’apparence de constats « simplement » descriptifs.
« Qui a inventé le terme de bougnoule, si ce n’est les classes populaires ? » s’interrogeait plaisamment un politologue réputé en 2005, lorsque les catégories populaires, au grand scandale des « élites éclairées », ont voté « non » au référendum sur le traité constitutionnel européen.
Le peuple, ennemi de la démocratie
Les usages du « populisme » ignorent droite et gauche, amalgament des partis aux pratiques et idéologies opposées, confèrent à un parti indigne politiquement et moralement une identité bien moins injurieuse que ses précédentes appellations (ce que le FN va s’empresser de reprendre à son compte à partir du milieu des années 1990, en se déclarant « populiste d’abord »). Ils brouillent également les notions de peuple et de populaire, et font opérer au mot lui-même une complète révolution idéologique entre hier et aujourd’hui. Longtemps absent du vocabulaire public de la polémique politique, où lui étaient préférés des termes comme « démagogie » ou « poujadisme », le « populisme » servait, selon la définition de Lénine, à dénoncer une stratégie dévoyée de mobilisation du peuple contre ses propres intérêts et contre ses principaux défenseurs. S’il stigmatisait, c’était ainsi pour insister moins sur la dangerosité d’une mobilisation politique « directe » du peuple que sur le danger que représentaient pour le peuple des prétentions à le défendre, venues d’intellectuels ou d’hommes politiques ne faisant que projeter sur lui leurs propres aspirations et leurs propres intérêts. En désignant maintenant le FN (ou d’autres extrêmes droites), le mot change de perspectives. Le danger n’est plus dans le jeu des élites ; il est dans les groupes populaires qui, xénophobes et incultes, ne cessent de se rallier à des causes détestables et de démontrer ainsi leurs indispositions pour la démocratie. Le populaire, hier valorisé, est aujourd’hui disqualifié au point d’être passé du statut de cause à défendre à celui de seul vrai « problème » pour la démocratie. À l’inverse, les élites sociales en ressortent tout auréolées de supériorité morale (même si les scandales à répétition les ébranlent un peu ces derniers temps…).
La distance morale alors créée avec les plus démunis est telle que, pour les uns, elle justifie tous les abandons passés et futurs quand, pour les autres, elle incite à la récupération bruyante d’un peuple enfin réduit à leur propre image : « sans classe » et sans éthique politique.
Un terme qui disculpe les élites
Mot cynique, injurieux, le « populisme » est triplement trompeur.
Sur les partis qu’il désigne, bien moins sensibles idéologiquement aux classes populaires que défenseurs de politiques qui leur sont contraires.
Sur le clivage libéraux/populistes, comme si n’existaient plus ni droite ni gauche, ni domination sociale et politique, et que les appétences autoritaires ne concernaient que les seconds et épargnaient les premiers.
Sur ce qui menace réellement la démocratie, enfin. En classant les élites sociales à l’écart du « populisme », le mot les exonère du retournement autoritaire que connaît la démocratie dans ses règles pratiques et juridiques ; elle les disculpe de la montée des intolérances et des inégalités dont témoignent les politiques mises en œuvre : contrôle des « mauvais pauvres », licenciements à la pelle, fermetures d’usines qui font pourtant des bénéfices, maltraitance des populations « migrantes » toujours vues comme délinquantes, chasse aux enfants autour des écoles, criminalisation de leurs défenseurs syndicaux, associatifs… Rien n’interdit pourtant de penser que le destin de la démocratie se joue là, dans le cours ordinaire de la compétition et des décisions politiques des acteurs centraux, et non lors des élections ou de la montée d’« extrêmes ».
Morale de l’histoire
Prétendant expliquer, le mot « populisme » disqualifie d’emblée en rendant infréquentables ceux qu’il caractérise. Le mot attise surtout la suspicion à l’égard des classes populaires, notamment sur leur prédilection supposée pour les hommes politiques aux idées courtes et au racisme affiché.
Pas aussi heureux qu’Ulysse, le mot de populisme a fait un bien étrange voyage. Apparu à la fin du XIXe siècle à la fois en Russie avec des intellectuels « faisant un retour au peuple » pour tenter de mobiliser les masses paysannes contre l’autoritarisme tzariste et aux États-Unis où les petits fermiers du People ‘s Party tentaient de se rebeller contre les impôts trop lourds et l’emprise des grands propriétaires, le terme va se diffuser lentement dans le vocabulaire politique, s’éclipser parfois, et réapparaître aujourd’hui avec éclat pour désigner non seulement le Front national et les extrêmes droites européennes (Vlaams Belong, FPO de Haider, Ligue du Nord, etc.), mais aussi tous ceux qui, de droite ou de gauche, invoquent les classes populaires ou s’opposent aux discours des élites établies.
Depuis le début des années 1990, articles, ouvrages et prises de position se sont multipliés en effet sur la progression inquiétante du « virus populiste ». Les interprétations se focalisent sur les élections et les scores inattendus obtenus par des forces au « nationalisme rétrograde » emmenées par un leader « charismatique ». Elles insistent, quels que soient les contextes historiques et nationaux, sur le ralliement massif des « exclus » et notamment des fractions populaires, les plus durement touchées par la « crise sociale », à des démagogues anti-démocrates dont les talents de tribun savent gagner les plus crédules aux solutions simplistes qu’ils proposent.
Quand les regards se portent sur d’autres régions du monde et le maintien au pouvoir de leaders « anti-mondialisation » grâce aux élections, les conclusions sont tout autant à l ’emporte-pièce : « Sous couleur de modernité, il ne s ‘agit ici de rien d’autre que de l’association classique de l’historicisme marxiste-léniniste, qui croit aux lois tendancielles des rapports économiques et sociaux, et du populisme gauchiste, qui exalte le peuple comme détenteur de la vérité. C’est le nouvel opium des intellectuels, dont le parfum ne vient plus de l ‘Est – Russie et Asie, mais du Sud – Moyen-Orient, Afrique et Amérique latine » (A.-G. Slama, Le Figaro, 30/01/2006). Être trop démocratique en voulant s’appuyer sur le peuple, c’est jouer contre la démocratie. C’est que le peuple, à l’inverse des élites, ne comprend pas bien l’importance des élections et n’est pas protégé grâce à une véritable compétence des tentations pour des solutions à courte vue et dangereuses : « Le Pen fait un tabac chez les couches populaires. Un quart des ouvriers qui sont allés voter ont voté pour Jean-Marie Le Pen. C ‘est le premier électorat ouvrier, mieux que Chirac et Jospin. En revanche c ‘est dans la catégorie des cadres supérieurs et des professions libérales que Le Pen fait ses plus mauvais scores… [Ceux qui votent FN] sont des gens qui sont en bas de l ‘échelle des revenus mais aussi de l ‘échelle des savoirs. Plus le niveau de culture est élevé, plus on est à l’abri d’un vote Le Pen » (P. Perrineau, Le Monde, 2002).
L’équation entre électorat populaire et démagogie frontiste s’est ainsi banalisée. Elle n’en soulève pas moins quelques paradoxes. Alors qu’il prétend être une catégorie d’analyse, le populisme est d’abord une injure politique. Les multiples commentaires indignés et inquiets qu’il autorise en témoignent : « croisés de la société fermée », « largués, paumés, incultes », « archaïques et rétrogrades » selon les jugements prononcés lors du référendum européen de 2004. Plus surprenant encore : alors qu’elle propose une nouvelle classification du FN bien plus floue et bien moins stigmatisante que les précédentes labellisations de fascisme ou d’extrême droite auxquelles elle se substitue, la désignation rend licites des verdicts d’une extrême violence contre les groupes populaires ayant apporté leur voix à ce parti. Le populisme ouvre sur un blâme du « peuple », tout en retenant la charge du discrédit contre l’organisation frontiste. Un blâme particulier dans lequel alternent cependant mépris et crainte. Les groupes populaires seraient en effet responsables de la survie politique d’une organisation indigne moralement et politiquement ; en même temps, ils auraient des excuses. Leur crédulité, liée à leur manque d’éducation, serait renforcée par la « crise sociale » qui aurait suscité chez eux une anomie et une insatisfaction politique nouvelle et durable les rendant disponibles pour les partis les plus extrêmes (exploitant leurs « malaises sociaux » contre la démocratie). On ne peut que s’étonner devant cette insistance générale à situer dans les classes populaires la source principale de la menace frontiste, à moins de voir en elle une forme de réassurance morale. Il est plus rassurant en effet (mais aussi plus économe scientifiquement et plus médiatiquement spectaculaire) d’affirmer que ce sont les individus ou les groupes les moins légitimes socialement qui se retrouvent dans le programme d’une organisation indigne moralement et politiquement, que de commencer une enquête sur les raisons toujours locales et hétérogènes d’un vote. On découvrirait pourtant
par exemple que dans le Sud Est existent un vote idéologiquement constitué pour l’extrême droite (depuis les années 1960 et Tixier-Vignacourt) et un « vote de villas » accompli par des retraités très aisés. De même s’apercevrait-on qu’en Alsace le vote FN l’emporte souvent dans des bourgs où les ouvriers sont aux abonnés absents.
On mesure l’ampleur de la redéfinition de la notion de populisme opérée en se reportant aux usages à la fois politiques et savants qui avaient cours avant que le mot ne devienne une catégorie dominante d’interprétation du parti frontiste. Le terme oscillait alors dans l’univers politique entre valorisation de la culture populaire (il existait ainsi des prix de littérature « populiste », des éloges pour le meilleur porte-parole «populiste ») et stigmatisation des élites cherchant à mobiliser le peuple contre ses propres intérêts ou contre ses principaux défenseurs et dans l’univers savant entre simple description d’une pratique ordinaire de mobilisation du plus grand nombre et qualification des régimes « hybrides » des années 1950-1960 venant tout juste d’accéder à l’indépendance. C’est dire que le mot a accompli une complète révolution. Changement de conjoncture politique et intellectuelle sans doute qui, d’abandons en revirements, invite à voir désormais dans le peuple (et les fractions les plus démunies) le principal problème à résoudre pour la démocratie et non plus une cause à défendre et dans « l’appel au peuple » une véritable anomalie mettant en péril l’ordre démocratique installé par les élites compétentes. Autre façon de réaffirmer la supériorité morale de ces dernières.
La notion de « populisme* » a connu un bien étrange voyage qui lui a fait accomplir une totale révolution sur elle-même au point d’en changer complètement la signification et les enjeux intellectuels et politiques qu’elle recouvrait initialement. Valorisant hier le populaire, elle le stigmatise aujourd’hui. Rien n’en témoigne mieux que les usages savants et politiques actuels du « populisme du FN » qui s’imposent, en faisant oublier les autres définitions du populisme qui ont eu cours et l’existence de rapports du populaire au politique fort différents de celui mis désormais en exergue. Sous l’apparente filiation du mot dont l’histoire remonte à la fin du xixe siècle, des ruptures de signification et un renversement de perspective se sont ainsi opérés. Cette reconversion des points de vue signe alors pour les groupes populaires la perte du sens des causes qu’ils ont défendues et porte à méconnaître le rôle de « l’appel au peuple* » dans l’histoire sociale de la construction des démocraties.
Le « populisme » occupe désormais une place prédominante dans les commentaires politiques et savants pour désigner le Front National et des phénomènes qui, à son instar, ont été longtemps pensés comme relevant de l’extrême droite. Depuis le début des années 1990, les articles, les ouvrages et les prises de position se sont multipliés pour présenter des enquêtes et des analyses de journalistes mais aussi d’historiens, de politologues, de philosophes sur la progression inquiétante du « virus populiste » (selon les mots de Libération, 17/05/02).
Les interprétations, presque toutes à l’identique, se focalisent sur les élections et les scores inattendus obtenus par des forces au « nationalisme rétrograde » emmenées par un leader « charismatique » pour mesurer le danger imminent qu’elles font peser sur la démocratie. Elles insistent, quels que soient les contextes historiques et nationaux, sur le ralliement massif des « exclus » et notamment des groupes populaires, les plus durement touchés par la « crise sociale », à des démagogues dont les talents de tribun savent gagner les plus crédules aux solutions simplistes et frustres qu’ils proposent. Comme l’affirme ainsi en 2002 le politologue Pascal Perrineau : « Le Pen fait un tabac chez les couches populaires. Un quart des ouvriers qui sont allés voter ont voté pour Jean-Marie Le Pen. C’est le premier électorat ouvrier, mieux que Chirac et Jospin. En revanche c’est dans la catégorie des cadres supérieurs et des professions libérales que Le Pen fait ses plus mauvais scores… [Ceux qui votent FN] sont des gens qui sont en bas de l’échelle des revenus mais aussi de l’échelle des savoirs. Plus le niveau de culture est élevé, plus on est à l’abri d’un vote Le Pen. » Le 25 avril 2002, une pleine page « Horizons » du Monde est consacrée aux « Enfants perdus de la classe ouvrière », à partir d’une enquête menée à « Calais, municipalité communiste, où le chef du FN est arrivé en tête et Robert Hue, cinquième ».
Les interprétations faisant du FN un « appel au peuple » rassemblant des « mécontents » séduits par le charisme de Jean-Marie Le Pen, la magie de son verbe et ses idées xénophobes et dressés contre les élites établies se sont ainsi banalisées. On a montré ailleurs (Collovald, 2004) qu’elles n’en soulevaient pas moins quelques paradoxes. Alors qu’il prétend être une catégorie d’analyse, le « populisme » est pourtant également une injure politique. Les multiples commentaires indignés et inquiets qu’il autorise en témoignent : « croisés de la société fermée » (Perrineau, 2001), « largués, paumés, incultes », « archaïques et rétrogrades » selon les jugements prononcés au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle de 2002. Déjà étonnamment double dans son statut, à la fois notion savante et insulte politique, la dénomination de « populisme » surprend encore autrement. Alors même qu’elle propose une nouvelle classification du FN bien plus floue et bien moins stigmatisante que les précédentes labellisations de fascisme ou d’extrême droite* auxquelles elle se substitue, la désignation rend licites des verdicts d’une extrême violence contre les groupes populaires ayant apporté leur voix à ce parti.
Le « populisme du FN » ouvre sur un blâme du « peuple », tout en retenant la charge du discrédit contre l’organisation frontiste. Un blâme particulier cependant dans lequel alternent mépris et crainte. Les groupes populaires seraient en effet responsables de la survie politique d’une organisation indigne moralement et politiquement ; en même temps, ils auraient des excuses. Leur crédulité, liée à leur manque d’éducation, serait renforcée par la crise sociale qui aurait suscité chez eux une anomie et une insatisfaction politique nouvelle et durable les rendant disponibles pour les partis les plus extrêmes (exploitant leurs « malaises sociaux » contre la démocratie). Pourtant une telle dénomination du FN et de telles interprétations ne se sont pas imposées d’emblée lors de l’apparition du parti frontiste en 1983. Leur évidence d’aujourd’hui a été progressivement construite au prix d’une réorientation des analyses originelles.
Lancée en 1984 par le philosophe politique Pierre-André Taguieff qui la réimportait des débats américains sur la « nouvelle droite »1, (Taguieff, 1985) la notion était alors un simple label du FN parmi d’autres (« national-capitalisme », « national-libéralisme ») ; elle insistait sur un aspect des idées et des valeurs nationalistes du parti frontiste destiné à distinguer la nouveauté de cette « droite radicale » du fascisme et des extrêmes droites passées. Ces autres étiquettes n’en étaient pas moins alors prédominantes dans le débat public. Elles avaient pour particularité d’attirer l’attention sur les dirigeants et militants frontistes (leur passé, leur carrière, leurs ressources politiques) et non sur les électeurs. Le déplacement opéré sur ces derniers n’est pas innocent pour la compréhension des conditions de réussite politique du FN. Celles-ci ne sont plus recherchées dans le capital politique collectif du parti, dans les pratiques militantes de ses représentants ou encore dans l’offre politique actuelle et la concurrence entre élites politiques, mais dans la seule relation nouée entre Jean-Marie Le Pen et ses troupes électorales et plus précisément encore dans les dispositions préalablement ajustées des électeurs aux thèses idéologiquement autoritaires portées par le FN.
En ce sens, l’explication se ferme et, en se simplifiant, se fait tautologique : seuls des électeurs illégitimes socialement peuvent se retrouver dans les idées illégitimes de ce parti. En exonérant d’emblée les élites sociales de tout penchant pour le FN puisque, protégées par leur diplôme et leur niveau de vie, elles sont insoupçonnables de toute crédulité pour des thèses « simplistes » et racistes, l’explication rejoue ainsi sur un plan apparemment descriptif (les résultats de sondages électoraux, (Mayer, 2002) l’idée de la supériorité morale des élites sociales.
Ce n’est que progressivement cependant que de telles constatations sont devenues possibles et plausibles. Successivement, en effet, différents scientifiques de l’analyse politique (historiens, politologues, intellectuels politiques) vont, pour des raisons tenant à leurs enjeux disciplinaires respectifs, s’emparer du terme et créer entre eux une situation d’échanges intellectuels et de reconnaissance croisée. La circulation de savoirs et de manières de penser la politique qui s’opère alors tend à valider à la fois l’existence du populisme du FN et le cadrage interprétatif qu’il convient d’adopter à son égard. Tous partagent, en effet, la même posture intellectuelle cherchant dans les « idées politiques » ou les « valeurs » proclamées et non dans les pratiques sociales et politiques, l’explication des comportements ou des phénomènes politiques. Tous acceptent également, comme grille de compréhension des luttes et des contestations politiques, le même présupposé du postulat démocratique qui veut que la légitimité en démocratie vienne « d’en bas », du « peuple », des élections. C’est pour cet ensemble de raisons que leurs analyses s’entremêlent et se confortent mutuellement.
Leurs points de vue se rejoignent sur un certain nombre de schèmes explicatifs contestables et contestés par les sociologues politiques et les historiens spécialisés dans la question du nazisme, mais qui regagnent un crédit scientifique à la faveur des interprétations populistes du FN. Il en est ainsi de l’explication des mobilisations électorales dont bénéficie le parti lepéniste par l’anomie et la frustration engendrée par la « crise sociale » et qui frapperait naturellement les plus démunis, principales victimes de la dégradation des conditions de vie. Ou encore de l’explication par l’adhésion naïve aux discours de Jean-Marie Le Pen dont les performances médiatiques de démagogue susciteraient l’engouement des moins « cultivés ».
Ces explications qui font presque consensus dans les mondes intellectuels, journalistiques et politiques, justifient et confortent la thèse hautement conservatrice de « l’ingouvernabilité des démocraties lorsqu’elles sont soumises à une surcharge de demandes populaires ». Inventée dans les années 1970 dans un rapport fourni à la Trilatérale et visant explicitement à lutter contes les « excès de démocratie » (grèves, manifestations, droits syndicaux, liberté d’opinion) (Hermet, 1986), cette thèse était restée confinée dans le huis clos des dirigeants. Elle ressurgit désormais sous des formes renouvelées dans les discours politiques soit pour affirmer que les responsables politiques ne peuvent répondre à toutes les « émotions populaires » (Lionel Jospin en 1997 face aux mobilisations des chômeurs) soit pour vanter la « démocratie pacifiée » (Jacques Chirac face au taux d’abstention record lors du référendum sur l’Europe). Ressurgit également la thèse de « l’autoritarisme des classes populaires » qui place d’emblée sous un signe négatif toutes les mobilisations populaires. Elles deviennent même « irrationnelles » en préférant des acteurs politiques hors système et non les partis de gouvernement (confortant la « crise de légitimité » politique supposée frapper et fragiliser la démocratie).
On mesure l’ampleur de la redéfinition de la notion de « populisme » opérée en se reportant aux usages à la fois politiques et savants qui avaient cours avant que le mot ne devienne une catégorie dominante d’interprétation du parti frontiste. S’il a été longtemps absent du vocabulaire public de la polémique politique où étaient préférés des termes comme « démagogie » ou « poujadisme », le « populisme » n’en fonctionnait pas moins comme principe d’accusation dans les débats internes aux organisations de gauche voire d’extrême gauche où, selon la définition que Lénine lui avait conférée en son temps contre les intellectuels russes partis conquérir les masses paysannes, il dénonçait une stratégie dévoyée de mobilisation du peuple contre ses propres intérêts et contre ses principaux défenseurs.
Dans l’univers scientifique traitant de la vie politique, il était essentiellement cantonné dans des travaux anglo-saxons prévalant sur les pays en voie d’accession à la démocratie ou sur les États-Unis ; en France, on en trouvait des occurrences chez des spécialistes du monde communiste pour critiquer son rapport au peuple ou chez d’anciens spécialistes de l’histoire politique latino-américaine pour éreinter, sous ce même angle, la « droite populaire ». Si le mot stigmatisait, c’était moins pour insister sur la dangerosité d’une mobilisation politique « directe » du peuple que sur le danger que représentaient pour le peuple des prétentions à le défendre venues d’intellectuels ou d’hommes politiques ne faisant que projeter sur lui leurs propres aspirations et leurs propres intérêts. Le « populisme » avait pris ainsi une consistance scientifique surtout dans le secteur de la sociologie des intellectuels ou de la culture. Là aussi, la notion (et son versant conjoint, le misérabilisme) visait à montrer combien les écrits des intellectuels sur le peuple étaient des formes de rationalisations de leurs propres rapports au peuple et, qu’à ce titre, elles constituaient autant d’obstacles à un accès véritable à la culture populaire*. Le sociologue, en tant qu’intellectuel, devait s’obliger à se dépendre de ces visions schématiques qui hantaient son regard sur les groupes populaires.
Le passage sur la scène publique du « populisme » dans le milieu des années 1980 conserve cette première acception tout en mêlant dans une même dénonciation des représentants de la gauche et de la droite : Edith Cresson, Bernard Tapie, Jacques Chirac en ont chacun fait les frais. En était la cause leur « style » réputé mettre en avant leur personne et non les idées défendues, jouer contre les élites installées en flattant les peurs ou les instincts populaires sans en appeler aux capacités de réflexion des citoyens. Leur vocabulaire « cru » et « grossier » devenait le meilleur indicateur de la dégradation morale du jeu politique qu’ils impulsaient. En désignant maintenant le FN, le mot projette désormais les traits « vulgaires » et « dégradants » prêtés avant aux leaders « populistes » sur les groupes populaires réputés les suivre aveuglément. Cette projection naturalise dans le comportement des groupes populaires, ce qui auparavant était situé dans les rapports que les élites intellectuelles et politiques nouaient avec le peuple et souvent contre lui.
Elle trouve une illustration exemplaire dans « l’autoritarisme » prêté aux classes populaires et expliquant leurs rapports subjugués à J.-M. Le Pen alors que cette notion qualifiait précédemment un régime politique accaparé par une collégialité d’élites en concurrence entre elles. L’essentialisme qui en découle empêche alors de percevoir que le « populisme du FN » provient d’une définition importée de débats politiques très localisés idéologiquement aux États-Unis. La notion telle qu’elle est construite par P.-A. Taguieff2 et reprise par les autres savants français est directement issue des débats portant sur la « nouvelle droite américaine ». Le « populisme » se définit ici contre d’autres définitions en cours aux États-Unis tant dans l’univers savant qu’à gauche de l’échiquier politique. Il vise à donner une apparence populaire et d’éthique philanthropique à une entreprise néo-conservatrice sur le plan économique et politique, pour mieux la présenter comme révolutionnaire et déstabiliser les conservateurs jugés dépassés.
L’enjeu n’est pas, on le comprend, de bouleverser l’ordre établi au profit des groupes les plus démunis ; il est de le bouleverser au profit de ces nouveaux prétendants, au profil social décalé par rapport aux membres de la haute bourgeoisie qui tiennent les places fortes de l’économie et de la décision politique, et bien plus radicaux dans le libéralisme économique que l’ancienne élite néo-libérale. Faire du « populisme » pour cette avant-garde radicale ne consiste pas à valoriser le peuple, mais à se servir de lui pour conférer un semblant de légitimité sociale à une cause qui lui est étrangère. C’est dire combien les usages actuels de « populisme » brouillent idéologiquement l’histoire politique de la notion. Elle brouille également l’enjeu politique qu’a constitué initialement « l’appel au peuple ».
Il faut d’abord réfuter l’idée couramment admise aujourd’hui que le populisme s’applique aussi bien à gauche qu’à droite de l’espace politique (venant accréditer l’idée que le clivage droite/gauche est obsolète pour comprendre les phénomènes politiques nouveaux). Les seules expériences historiques ayant ouvertement revendiqué le label populiste et ouvertement combattu en son nom sont apparues au xixe siècle et ont été promues soit par des intellectuels russes soit par les petits fermiers et ouvriers agricoles américains du People’s Party. Or ces premières incarnations du populisme, d’une part, possédaient une idéologie et une idéologie se voulant progressiste, clairement articulée, cherchant à modifier des situations jugées profondément inégalitaires et injustes et à promouvoir la « cause du peuple » dans un système politique qui l’opprimait ; d’autre part, elles ne jouaient pas sur le charisme d’un leader (Zinn, 2002), mais pratiquaient la mobilisation collective des groupes situés du mauvais côté des rapports de force sociaux et politiques. En clair, « l’appel au peuple » était à la fois une pratique de mobilisation des groupes défavorisés par le système de domination sociale et politique existant et une entreprise (qu’on la juge rétrospectivement erronée, faillie ou illusoire peu importe ici) entendant donner une voix politique à ceux qui n’en avaient pas.
L’appel au peuple était alors une stratégie visant à donner position, autorité et dignité à des groupes sociaux exclus de toute représentation politique et, avec eux, à faire entendre les causes sociales et politiques qu’ils défendaient et desquelles se désintéressaient ceux qui monopolisaient les postes de pouvoir. Sous cet angle, les « populistes » d’alors, ceux qui « font appel au peuple », ont des positions de gauche remettant en cause le conservatisme dominant. Il en est de même en France où les premiers à tenter de mobiliser les groupes relégués aux marges de l’espace social et politique sont les organisations ouvrières socialisantes. Ce qui était ainsi en jeu c’était une transformation du mode de domination politique reposant sur l’émancipation sociale et politique des groupes populaires.
Retournant l’illégitimité sociale en source de légitimation politique, ces entreprises posaient la représentativité sociale en fondement du droit à intervenir en politique, promouvaient, sélectionnaient, formaient, encadraient les membres de la classe ouvrière pour en faire de nouvelles élites politiques3 (Pudal, 1988). En oubliant cet enjeu politique de démocratisation du jeu politique, se trouvent également oubliées les réactions politiques qu’il a suscitées. Pourtant les contre-offensives des conservateurs ont été nombreuses. Surtout, elles ont contribué, comme l’ont montré S. Barrows (1990) et A. Hirschman (1991) à transformer en pathologie et en menace (les « foules hystériques et criminelles ») ces mouvements voulant rendre la démocratie du moment plus démocratique qu’elle ne l’était : voulant en quelque sorte la « peupler » alors qu’elle était réservée à une étroite élite sociale, et la conformer ainsi aux idéaux professés. La stigmatisation du populaire aujourd’hui via le « populisme du FN » ne serait-elle pas le signe d’une nouvelle conjoncture intellectuelle et politique dans laquelle les élites politiques d’aujourd’hui (et leurs auxiliaires et conseillers) ne voient plus dans les groupes populaires une cause à défendre, mais un « peuple sans classe » devenu un problème à résoudre ?
Références bibliographiques
Barrows, S., Miroirs déformants. Réflexions sur la foule en France à la fin du xixe siècle, Paris, Aubier, 1990.
Collovald, A., Le « Populisme du FN » : un dangereux contresens, Broissieux, Ed. du Croquant, 2004.
Hermet, G., Sociologie de la construction démocratique, Paris, Economica, 1986.
Hirschman, A. O., Deux siècles de rhétorique réactionnaire, Paris, Fayard, 1991.
Mayer, N., Ces Français qui votent Le Pen, Paris, Flammarion, 2002.
Perrineau, P. (dir.), Les Croisés de la société fermée, Paris, Ed. de l’Aube, 2001.
Pudal, B., Prendre parti, Paris, Presses de Science Po, 1989.
Zinn, H., Une histoire populaire des États-Unis. De 1492 à nos jours, Marseille, Agone, 2002.
DOI : 10.3917/agon.zinn.2002.01
Notes
1 Taguieff, P.-A., « Les droites radicales en France », Les Temps modernes, 465, 1985.
2 Taguieff, P.-A., « Le populisme et la science politique. Du mirage conceptuel aux vrais problèmes », Vingtième siècle, 56, 1997, p. 4-33.
3 Voir aussi Offerlé, M., « Illégitimité et légitimation du personnel ouvrier en France avant 1914 », Annales ESC, 4, juillet-août 1984, p. 681-716.
Voir par ailleurs:
Viral ‘Ukraine Windows’ Photo Didn’t Show Whole PictureMore than 400 Ukrainians civilians were massacred in Bucha by the Russian military, regardless of whether one building still had windows.
Dan Evon
Snopes
Apr 22, 2022src= »https://mediaproxy.snopes.com/width/1200/https://media.snopes.com/2022/04/GettyImages-1389943528-bucha-ukraine.jpg » alt= »BUCHA, UKRAINE – APRIL 06: A man pushes his bike through debris and destroyed Russian military vehicles on a street on April 06, 2022 in Bucha, Ukraine. The Ukrainian government has accused Russian forces of committing a « deliberate massacre » as they occupied and eventually retreated from Bucha, 25km northwest of Kyiv. Hundreds of bodies have been found in the days since Ukrainian forces regained control of the town. (Photo by Chris McGrath/Getty Images) (Chris McGrath/Getty Images) » />
Image Via Chris McGrath/Getty Images
Since the start of Russia’s attack on Ukraine in February 2022, numerous rumors have circulated in an attempt to downplay the horrors of the conflict. A behind-the-scenes video from a movie being filmed in England in 2013, for example, was shared with the false claim that it showed Ukrainians « staging » an attack.In April 2022, shortly after the details of the Bucha massacre were revealed, another specious rumor was circulated to claim that this tragic event, in which more than 400 Ukrainian citizens were killed, had been staged. The evidence for this claim? A photograph that supposedly showed impossibly strong « Ukrainian windows » next to the site of an explosion that overturned three vehicles:While this photograph is real, the vehicles pictured were not overturned by an explosion. Furthermore, while the picture shows a building with intact windows, this is not the only image showing the aftermath of Russia’s attack on Bucha. Additional ones show mass destruction in the city where entire buildings (windows and all) were destroyed.
A Ukrainian soldier walks with children passing destroyed cars due to the war against Russia, in Bucha, on the outskirts of Kyiv, Ukraine, Monday, April 4, 2022. Local authorities told The Associated Press that at least 16 children were among the hundreds of people killed in Bucha.
Were the Cars Flipped Over by An Explosion?
This claim that the Bucha Massacre was staged is based on the notion that the building’s windows should have been shattered because this was allegedly the site of a powerful explosion that overturned cars. However, these cars were not overturned by an explosion.
While some may be under the impression that the Bucha Massacre was the result of a single bombing, this Ukrainian town was occupied by Russian forces for weeks. During this occupation, Ukrainian civilians were tortured, raped, and murdered.
Eyewitness reports state that the Russian military used tanks and trucks to overturn some vehicles throughout Bucha. This may have been done in an attempt to hide Russia’s equipment, to create barricades, or to simply prevent Ukrainian citizens from fleeing the area.
Emanuele Satolli, a photographer in Ukraine, told the Greek fact-checking site Ellinika Hoaxes:
« At the place where I took my photo, in the town of Bucha [sic], I met several citizens and everyone told me that the cars had been overturned by Russians with tanks, but they did not know why the Russians did this. »
Other Photographs of Bucha Destruction
The viral picture of « Ukrainian windows » is not the only image to show the death and destruction that took place in Bucha. Even if some believe this specific photograph to be suspicious for some reason, dozens of other photographs and videos from Bucha show the streets lined with the dead bodies of Ukrainian civilians and buildings that were destroyed.
This isn’t the first time that claims have circulated that the Bucha massacre had been staged. In fact, after reports were first circulated about a mass killing in Ukraine, Russia’s Ministry of Defense suggested that the bodies on the ground were placed there after Russian forces left the area. This claim has been debunked by satellite images and first-person accounts.
When images emerged over the weekend of the bodies of dead civilians lying on the streets of Bucha — some with their hands bound, some with gunshot wounds to the head — Russia’s Ministry of Defense denied responsibility. In a Telegram post on Sunday, the ministry suggested that the bodies had been recently placed on the streets after “all Russian units withdrew completely from Bucha” around March 30.
Russia claimed that the images were “another hoax” and called for an emergency U.N. Security Council meeting on what it called “provocations of Ukrainian radicals” in Bucha.
But a review of videos and satellite imagery by The Times shows that many of the civilians were killed more than three weeks ago, when Russia’s military was in control of the town.
A sizable literature tracing back to Richard Hofstadter’s The Paranoid Style (1964) argues that Republicans and conservatives are more likely to believe conspiracy theories than Democrats and liberals. However, the evidence for this proposition is mixed. Since conspiracy theory beliefs are associated with dangerous orientations and behaviors, it is imperative that social scientists better understand the connection between conspiracy theories and political orientations. Employing 20 surveys of Americans from 2012 to 2021 (total n = 37,776), as well as surveys of 20 additional countries spanning six continents (total n = 26,416), we undertake an expansive investigation of the asymmetry thesis. First, we examine the relationship between beliefs in 52 conspiracy theories and both partisanship and ideology in the U.S.; this analysis is buttressed by an examination of beliefs in 11 conspiracy theories across 20 more countries. In our second test, we hold constant the content of the conspiracy theories investigated—manipulating only the partisanship of the theorized villains—to decipher whether those on the left or right are more likely to accuse political out-groups of conspiring. Finally, we inspect correlations between political orientations and the general predisposition to believe in conspiracy theories over the span of a decade. In no instance do we observe systematic evidence of a political asymmetry. Instead, the strength and direction of the relationship between political orientations and conspiricism is dependent on the characteristics of the specific conspiracy beliefs employed by researchers and the socio-political context in which those ideas are considered.
Polls show that many Americans, occasionally majorities, believe in various conspiracy theories (Enders et al., 2021). These beliefs are associated with numerous counterproductive behavioral tendencies (Jolley, Mari, et al. 2020a), including poor health practices (Romer & Jamieson, 2020), nonnormative political engagement (Sternisko et al., 2020), and discrimination against racial and ethnic minority groups (Jolley, Meleady, et al. 2020b). Conspiracy theory beliefs are also associated with political violence (Greenhill & Oppenheim, 2017), such as that which occurred on January 6, 2021 at the U.S. Capitol Building.
While an emerging research agenda has identified many psychological factors associated with beliefs in conspiracy theories (Douglas et al., 2019), the literature remains divided about the political characteristics associated with those beliefs. Are, for example, partisanship or political ideology related to conspiracy theorizing? One argument, dating back at least to Richard Hofstadter’s The Paranoid Style (1964), holds that Republicans and conservatives are more likely to believe conspiracy theories than Democrats and liberals. On the one hand, several studies find supportive evidence for this asymmetry thesis in the form of correlations between Republican/conservative self-identification and various operationalizations of conspiricism (e.g., van der Linden et al., 2021). On the other hand, some studies fail to identify such asymmetries, instead concluding that conspiracy theorizing is a “widespread tendency across the entire ideological spectrum” (Oliver & Wood, 2014; see also Enders et al., 2021). As this impasse persists, much hangs in the balance, including the development of strategies for combating the spread of conspiracy theories (Wittenberg & Berinsky, 2020).
We argue that contradictory findings are the result of researchers’ choices and assumptions. For example, most studies center their test of the asymmetry thesis on only a small number of conspiracy beliefs (e.g., van der Linden et al., 2021). This is potentially problematic because conspiracy theories are not created equally––they exhibit qualities (e.g., villains, schemes, victims) that make them differentially attractive depending on one’s psychological, political, and social characteristics and motivations (Miller, 2020). Indeed, conspiracy theory beliefs are frequently the product of motivated reasoning and elite influence (Miller et al., 2016). While both forces influence people regardless of political orientations (Guay & Johnston, 2021), they can also impact the relationship between conspiracy beliefs and political orientations depending on the theories queried.
Previous work also shows that the political context (both temporal and geographic) in which conspiratorial views are polled can affect who is most likely to believe specific conspiracy theories (Uscinski & Parent, 2014). Thus, findings of left–right asymmetries (or lack thereof) may be an artifact of which conspiracy theories researchers investigate, as well as when, where, and how they are investigated (Enders & Uscinski, 2021). One way to address these concerns is to conduct additional tests of the asymmetry thesis using multiple datasets, varying assumptions, conditions, and operationalizations. This is our goal.
First, we examine correlations between partisanship/ideology and beliefs in 52 conspiracy theories in the U.S. We buttress this analysis with an examination of the relationship between left–right ideology and belief in 11 conspiracy theories across 20 additional countries. In our second analysis, we provide an alternative test of the asymmetry thesis by examining beliefs in five “content-controlled” conspiracy theories in the U.S. for which we varied only the partisanship of the accused conspirators. In our final analysis, we examine the relationship between political orientations and conspiracy thinking––the general predisposition to interpret events and circumstances as the product of conspiracies (Uscinski & Parent, 2014)––in 18 datasets collected over the span of a decade (2012–2021). Across all studies, we fail to observe consistent evidence that the right exhibits higher levels of conspiricism––however operationalized––than the left. While some specific conspiracy theories find more support among Republicans/conservatives, others find greater support among Democrats/liberals. Moreover, many conspiracy theories appeal equally to the left and the right. Overall, we find that the strength and nature of the relationships between various operationalizations of conspiricism and partisanship/ideology depend on the conspiracy theories under examination and the political context in which those theories are examined.
Conspiracy Theories and Asymmetry
Since the development of Hofstadter’s “paranoid style” (1964), many researchers and journalists have argued that Republicans and conservatives are more prone to believing in conspiracy theories than Democrats and liberals (e.g., Bump, 2021). This perspective generally assumes, or surmises, that there are “bottom-up” psychological processes differentially affecting individuals on the right (Carney et al., 2008; Jost et al., 2009) that predispose them to believe conspiracy theories at higher rates and with greater intensity (e.g., van der Linden et al., 2021; for outside the U.S., see Walter & Drochon, 2020).
A considerable body of evidence has been harnessed to support this conclusion. First, researchers have identified numerous conspiracy theories that garner more support among the right than left, including those calling into question the scientific consensus on climate change (Miller et al., 2016), the authenticity of Barack Obama’s birth certificate (Pasek et al., 2014), COVID-19 (Miller, 2020), and the election of Joe Biden (Pennycook & Rand, 2021). Second, some researchers show that conservatives display higher levels of generalized conspiracy thinking than liberals (van der Linden et al., 2021); similarly, others show that “extreme” conservatives are more likely to believe conspiracy theories than “extreme” liberals (Imhoff et al., 2022; van Prooijen et al., 2015). Third, conspiracy theory beliefs are sometimes found to be associated with psychological tendencies more prevalent among conservatives, such as authoritarianism, need for cognitive closure, and threat perception (e.g., Dyrendal et al., 2021). Finally, several studies find evidence that those on the right are more likely than the left to engage with fake news and misinformation online (Garrett & Bond, 2021; Grinberg et al., 2019; Guess et al., 2019).
That said, not all investigations produce evidence for this form of partisan or ideological asymmetry and some studies even suggest that the left is more prone to conspiracy theorizing than the right. For example, Democrats/liberals are more likely than Republicans/conservatives to believe in conspiracy theories that identify Republicans, conservatives, corporations, and the rich as conspirators (Enders et al., 2021; Miller et al., 2016; Oliver & Wood, 2014; Uscinski & Parent, 2014). There are also many conspiracy theories finding equal support among the left and right, including theories involving “chem-trails”, the moon landing, fluoridated water, Freemasons, lizard people, and television mind control, to name a few (Jenson, 2013; Smallpage et al., 2017). Moreover, the asymmetries identified in studies of online behavior are often due to small numbers of Republicans/conservatives who are not representative of the right as a whole (Lawson & Kakkar, 2021) or idiosyncratic socio-political circumstances (Garrett & Bond, 2021). Finally, several studies find that the general predisposition toward conspiracy theorizing is balanced between the right and left (e.g., Enders et al., 2021; Uscinski et al., 2016, 2021). For every investigation demonstrating asymmetry there is a counterweight showing the opposite.
We posit that inconsistencies across findings are partially due to the concept of conspiracy theory itself. A conspiracy theory is an explanation of an event or circumstance that accuses powerful actors of working in secret for their own benefit, against the common good, and in a way that undermines bedrock societal norms, rules, or laws (Uscinski, 2020). Conspiracy theories are not likely to be “true”––i.e., no even-handed burden of empirical proof has been satisfied––according to appropriate epistemological authorities (Levy, 2007). The concept of “conspiracy theory” can refer to an infinite number of ideas that vary in myriad ways, including who they accuse, what the supposed scheme entails, and what the theory seeks to explain (Sternisko et al., 2020). In this light, scholars should not expect “a single ‘style’ of conspiricism, a uniform embrace of all conspiracy theories, or for conspiricism to be limited to one side of the ideological spectrum” (Oliver & Wood, 2014).
When researchers focus on conspiracy theories that are explicitly partisan (i.e., those accusing the out-party or its coalition, or otherwise bolstering the image of the in-party) or are championed by elites in government or media, they are likely to observe relationships between beliefs in such theories and political orientations. But this is so for reasons unrelated to political orientations themselves. First, since the mass public takes cues from co-partisan political and media elites (Zaller, 1992), mass opinions—even those involving conspiracy theories—are often a reaction to elite political discourse (Berinsky, 2015). Second, motivated reasoning, a ubiquitous psychological process by which individuals accept (reject) information congruent (incongruent) with their previously held beliefs and dispositions (Lodge & Taber, 2013), oftentimes leads individuals to adopt accusatory perceptions (Zell et al., 2021), including conspiracy theories about political out-groups (Miller et al., 2016). Given that elite cues and motivated reasoning appear to similarly affect both Republicans/conservatives and Democrats/liberals (Bolsen et al., 2014; Clark et al., 2019; Ditto et al., 2019; Guay & Johnston, 2021), beliefs in conspiracy theories born of these processes signal little about an innate connection between such beliefs and partisanship/ideology.Footnote 1
Conspiracy theories, like other ideas, can also attract different adherents as political and cultural circumstances shift over time. For instance, belief in conspiracy theories about election fraud are tightly tethered to the electoral fortunes of one’s preferred party and that party’s messaging (Edelson et al., 2017; Pennycook & Rand, 2021). Whereas 9/11 “truther” theories found more support among Democrats/liberals in the years immediately following the attacks, likely due to both partisan motivated reasoning and elite cueing, support for these theories has become symmetrical as the 9/11 attack faded from partisan political discussion (Enders et al., 2020). In cases such as these, researchers’ choices of when to poll the public leads to different observed relationships between conspiracy theory beliefs and political orientations. Similarly, the choice of where to poll can affect observed relationships. For example, climate change conspiracy theories find more support in socio-political contexts (e.g., the United States, Australia) where elites have politicized climate change (Dunlap et al., 2016) than other contexts where the subject is less politicized.
Simply put, making generalizable claims about the nature, scope, and correlates of conspiracy theory beliefs is no easy task. We surmise that many of the observed disagreements in the literature are due to a combination of limitations regarding the operationalizations of conspiracy theorizing employed and the context––both temporal and socio-political––in which beliefs are assessed. Our contribution is to provide a comprehensive set of tests of the asymmetry thesis using dozens of specific conspiracy theories and different measurement strategies across time in the U.S. and other countries. In the following three sections, we assemble an expansive body of survey evidence to answer the question: Are those on the political right (e.g., Republicans and conservatives) more likely than those on the left (e.g., Democrats and liberals) to believe in conspiracy theories?
Finding 1: The Relationship between Conspiracy Theory Beliefs and Political Orientations Depends on the Conspiracy Theory
Much of the evidence provided for the asymmetry thesis comes in the form of correlations between partisanship/ideology and beliefs in one or a few conspiracy theories. However, the relationships identified may be due to the specific conspiracy theories under investigation rather than “bottom-up” psychological asymmetries between left and right. To interrogate the asymmetry thesis, we examine the relationship between political orientations and a wides range of conspiracy theory beliefs. Figure 1 displays Pearson correlations between beliefs in 52 conspiracy theories and both partisanship and ideological self-identifications.
Fig. 1
Pearson correlations between beliefs in conspiracy theories and partisan and ideological self-identification. Horizontal bands represent 95% confidence intervals, two-tailed tests
These data were collected across eight national surveys fielded between October 2016 and May 2021.Footnote 2 All surveys were fielded by either YouGov, as part of the annual Cooperative Congressional Election Study, or Qualtrics, and all samples, which vary in size from 1,000 to 2,023 respondents, were designed to be representative of the U.S. population based on age, sex, race, and educational attainment; see the online appendix for additional information about the sociodemographic composition of each sample, sampling procedures, and other details.
We compiled a set of conspiracy theories that vary in their topical domains (e.g., health, science, politics), accused conspirators (e.g., partisan and non-partisan groups and figures, “the government”), alleged activities (e.g., causing direct harm, undermining democracy, covering-up vital information), salience (e.g., the activities of the Rothschild family versus the current COVID-19 pandemic), and level of specificity (e.g., explicitly identifying the conspirator versus positing a more ambiguous conspirator or group). All items meet the standard definition of “conspiracy theory” described above. Both partisanship and ideological self-identification are operationalized using the familiar seven-point measures coded such that greater values correspond to stronger Republican/conservative identification.Footnote 3 If individuals on the right are asymmetrically predisposed to adopting conspiracy theory beliefs, then we should consistently observe positive, statistically significant correlations between conspiracy theory beliefs and partisan and ideological identities across Fig. 1.
Figure 1 reveals that both the direction and magnitude of the correlations between conspiracy theory beliefs and partisanship/ideology vary considerably across conspiracy theories. When the conspiracy theory implicates actors associated with the political left in wrongdoing (e.g., Birther), or are endorsed by Republican and conservative elites (e.g., Global Warming Hoax), Republicans/conservatives exhibit greater levels of belief than Democrats/liberals (see upper third of Fig. 1). Likewise, when the conspiracy theory implicates actors associated with the political right (e.g., Koch Brothers World Control), or are endorsed by Democratic and liberal elites (e.g., Trump is a Russian Asset), Democrats/liberals exhibit greater levels of belief than Republicans/conservatives (lower third of Fig. 1). We also observe that many conspiracy theories find equal support among the left and right. Online appendix Figure A1, which shows the percentages of respondents on the right and left believing in each conspiracy theory shown in Fig. 1, also reveals parity in the proportion of believers across the political spectrum.
Our results regarding two specific conspiracy theories deserve additional emphasis. First, those on the left and right equally express belief in the general theory that “Regardless of who is officially in charge of governments and other organizations, there is a single group of people who secretly control events and rule the world together.” This question captures a sentiment that is presumably foundational to many specific conspiracy theory beliefs; that we observe no difference between left and right may suggest that the psychological bedrock for conspiricism traverses mainstream political orientations. Second, we find political balance in the belief that “The U.S. government is mandating the switch to compact fluorescent light bulbs because such lights make people more obedient and easier to control,” which was fabricated by researchers (Oliver & Wood, 2014). That the right does not exhibit greater levels of belief in this conspiracy theory prompts us to further question whether there is an innate connection between right-wing identification and conspiracy theory beliefs.
While our intention is to test the asymmetry thesis, specifically, we note that other research has found that extremists––those who identify with the most extreme left/right categories of political identity measures––are more likely than moderates to exhibit conspiracy beliefs (Imhoff et al., 2022). Such a pattern would manifest as a nonlinear, parabolic relationship between political orientations and conspiracy beliefs. Of course, correlations (like the ones presented in Fig. 1) are only capable of deciphering linear relationships. Whereas some nonlinear functional form may be the “correct” model—although this, too, is in contention, (Enders & Uscinski, 2021; van der Linden et al., 2021)—our goal is not to provide the “best” model of each conspiracy belief, but to detect asymmetries. Even if some nonlinearity was present, correlation coefficients would still capture left–right asymmetries should they exist (this applies to all analyses presented below). Regardless, an investigation of potential nonlinear relationships suggests that our empirical strategy is appropriate; in the appendix, we provide evidence that the relationships we are interested in tend to be linear.
Moving Beyond the US
Thus far, we found that the observed relationship between beliefs in various conspiracy theories and political orientations in the U.S. is dependent on the specific conspiracy theories in question. Still, an examination of the relationship between political orientations and conspiracy theory beliefs across a wide range of socio-political contexts can provide further clarity and demonstrate the role of political context. If there is an innate connection between right-wing ideology and conspiracy theory beliefs, we should observe greater support for conspiracy theories among those on the right across countries, regardless of variation in political and economic systems, social (in)equality, racial and ethnic composition of the populace, and many other factors.
To extend our test of the asymmetry thesis in this way, we examine the correlations between a seven-point measure of left–right ideologyFootnote 4 and 11 conspiracy theory beliefs across 20 countries that span six continents (total n = 26,416), which are presented in Fig. 2.Footnote 5 All surveys were conducted by YouGov between July 30–August 24, 2020, who constructed the samples to be representative of each country’s population based on available census records. Questions were approved of and translated by YouGov and their partners in each country. Additional details about each survey, including sociodemographic information, appear in the appendix. Asking about the same 11 conspiracy theories that address topics traversing socio-political contexts (e.g., AIDS, COVID-19) allows us to examine the impact of context on the relationship between ideology and conspiracy theory beliefs, providing additional tests of the asymmetry thesis under different conditions.
Fig. 2
Pearson’s correlations between beliefs in conspiracy theories and left–right ideological self-identification across 20 countries. Horizontal bands represent 95% confidence intervals, two-tailed tests
Remarkably, not a single conspiracy theory investigated in Fig. 2 exhibits correlations with consistently positive or negative signs (regardless of statistical significance) across all 20 countries. For example, the 9/11 conspiracy theory finds significantly more support among those on the left in 8 of the 20 countries and is not significantly related to ideology in the remaining 12. Even the Global Warming Hoax belief, a feature of the political right in the U.S., finds significantly more support among the left in 5 countries (Egypt, Mexico, Nigeria, Saudi Arabia, and Turkey) and exhibits no correlation with ideology in 2 others (Hungary and South Africa). Despite some ideological “balance” across Fig. 2, most correlations are quite weak, suggesting a lack of ideological discrepancy altogether. Indeed, the average correlation––across all conspiracy theory beliefs and countries––is a meager 0.03 (ranging from − 0.05 for 9/11 Truther to 0.10 for Global Warming Hoax).
To be sure, there are many possible explanations for the variability we observe across conspiracy theories and countries. Our goal, however, is not to provide post-hoc explanations for this variation, but rather to leverage it towards additional tests of the asymmetry thesis. While some countries (e.g., France, Germany, Italy) and some conspiracy theories (e.g., Global Warming Hoax, COVID is a Myth) provide more support for the asymmetry thesis, others exhibit the opposite pattern. The relationship between political ideology and conspiracy theory beliefs appears to be dependent on both the details of the conspiracy theories and socio-political context.
Altogether, we find that symmetry comes in two forms. First, there are conspiracy theories that prove to be systematically attractive to those on either the left or right. Second, many conspiracy theories find similar levels of support (or lack thereof) across the political aisle. We do not argue, nor do our data demonstrate, that beliefs in any given conspiracy theory are or should be symmetric across political predispositions––this is entirely dependent on the details of the conspiracy theory, and perhaps the context in which beliefs were assessed.
Of course, one might protest that the patterns depicted in Figs. 1 and 2 are artifacts of the conspiracy theories we chose to examine and, indeed, they would be correct! However, as much would be the case for any study of specific conspiracy theories. This critically important point explains the discrepancies among previous studies: substantive inferences are heavily dependent on which conspiracy theories are considered. Inferences about the fundamental nature of conspiracism should not be made from patterns in a single or small number of conspiracy beliefs, even though precisely such generalizations are commonplace in the conspiracy belief literature.
Decisions about which conspiracy theories to poll and analyze are always fraught with challenges. For example, one could criticize Finding 1 by claiming that some of the conspiracy theories we employed are more plausible (e.g., believable, evidenced, or rational) than others, and that this variability in plausibility is correlated with ideology or partisanship. However, judgements of this nature (Douglas et al., 2022), even among otherwise discerning researchers, are colored by motivated reasoning. It should not be a surprise that a Democrat, for example, would believe that the conspiracy theories that other Democrats believe in are more plausible than the conspiracy theories that Republicans believe in. Nevertheless, the conspiracy theories at the top and bottom of Fig. 1 are different from each other and not necessarily comparable (though, this is again a matter of subjective judgment). We, therefore, point readers to the conspiracy theories in the middle of Fig. 1. These are particularly important because the correlations with partisanship and ideology––or the lack thereof––are inconsistent with the asymmetry thesis (i.e., the right should be more likely than the left to believe these conspiracy theories should the asymmetry thesis be correct). For example, partisanship and ideology are not correlated with beliefs in conspiracy theories about the JFK assassination, the MMR vaccine, the Holocaust, GMO’s, Fluoride, cellphones, AIDS, pharmaceutical companies, government mind control, and lightbulbs.
Furthermore, even though Finding 1 involves more conspiracy theory beliefs than previous studies, our findings remain an artifact of which conspiracy theories researchers investigate because there is no “correct” or “representative” set of conspiracy theories that researchers should employ. This problem motivates the analyses that follow: an experiment which holds constant all but the partisanship of the accused conspirators in a set of conspiracy theories, as well as an analysis of the general predisposition toward conspiracy thinking. These analyses are attempts to avoid the trappings of individual conspiracy theories.
Finding 2: The Political Left and Right Both Accuse the Out-Party of Conspiring
Even though we considered a larger group of conspiracy theories above than any study we are aware of, one might still wonder how the idiosyncrasies of the conspiracy theories we examined may affect our inferences about partisan and ideological (a)symmetry. To address this concern, we present an alternative strategy for exploring the relationship between conspiracy theory beliefs and political orientations that is not subject to alternative explanations owing to the idiosyncrasies of the conspiracy theories themselves. Specifically, we hold the details of the conspiracy theory constant, varying only the political orientations of the presumed conspirators. This approach enables a test of a more nuanced version of the asymmetry thesis—that people on the right engage in partisan/ideologically motivated conspiracy theory endorsement to a greater extent than people on the left. A finding of asymmetry in this circumstance would show that Republicans/conservatives are more likely than Democrats/liberals to endorse conspiracy theories that impugn political out-groups.
To this end, on two surveys––one fielded by MTurk in 2017 (n = 2,041) and the other by Lucid in 2020 (n = 3,994)––we randomly assigned half of our respondents to receive the “Republicans are conspirators” versions of five conspiracy theory questions, and the other half to receive the “Democrats are conspirators” versions. To hold the content of the conspiracy theory constant, we created five general conspiracy theories on the topics of election fraud, political extremism, the economy, health policy, and crime. For example, the “economy” conspiracy theory question asked:
Do you think that Democratic [Republican] political elites are…
definitely secretly plotting with large banks to lie about the health of the economy to gain support for their economic policy proposals (coded 4)
probably secretly plotting with large banks to lie about the health of the economy to gain support for their economic policy proposals (3)
probably not secretly plotting with large banks to lie about the health of the economy to gain support for their economic policy proposals (2)
definitely not secretly plotting with large banks to lie about the health of the economy to gain support for their economic policy proposals (1)
Full question wordings for the election fraud, political extremism, economy, health policy, and crime questions appear in the online appendix. Partisanship was measured via the standard seven-point branched question, and ranges from “strong Democrat” to “strong Republican.” Symbolic ideology was measured via a seven-point scale ranging from “extremely liberal” to “extremely conservative.”
Because of motivated reasoning (and consistent with the general pattern depicted in Fig. 1), we expect that Republican/conservative respondents would be more likely to endorse the “Democrats are conspirators” version of the questions (as indicated by positive correlations with partisanship and symbolic ideology), and Democratic/liberal respondents would be more likely to endorse the “Republicans are conspirators” version (as indicated by negative correlations with partisanship and symbolic ideology). For our purposes, the more pertinent question is whether partisan/ideologically motivated conspiracy theory endorsement is asymmetrical. Does the relative size of the relationship between motivated conspiracy theory endorsement and political orientations vary depending on whether the purported conspirators are Democrats or Republicans?
Figure 3 displays the absolute value of the correlations between political orientations and both partisan versions of the conspiracy theory questions described above. First, we should always observe correlations that are significantly distinguishable from 0 (i.e., p < 0.05, two-tailed test); this would indicate that some level of partisan motivated reasoning is behind the endorsement of conspiracy theories that involve partisan groups/figures, consistent with findings presented above. Second, we should observe significantly larger correlations between political orientations and beliefs in conspiracy theories that malign Democrats (the red points) compared to those that malign Republicans (blue points) if Republicans and conservatives are asymmetrically motivated to believe in conspiracy theories about the left.
Fig. 3
Pearson’s correlations between beliefs in specific content-controlled conspiracy theories and partisan and ideological self-identification. Horizontal bands represent 95% confidence intervals, two-tailed tests. Data from the following surveys: Lucid February 2020 (nRepublican Conspirator = 2,009; nDemocratic Conspirator = 1,985), MTurk October 2017 (nRepublican Conspirator = 992; nDemocratic Conspirator = 1,023). See online appendix for sample characteristics
While we observe evidence of partisan motivated conspiracy theory endorsement in all instances, we do not observe a tendency for Republicans or conservatives to engage in such reasoning to a greater extent than Democrats and liberals. Regarding partisanship, in five of the 10 tests, the correlations are not significantly different from one another, indicating symmetry (i.e., p > 0.05). In the other five, Democrats evidence a greater propensity for partisan motivated conspiracy endorsement than Republicans. A similar pattern emerges for ideology. In four of the 10 tests, the correlations are not statistically significantly different from one another. In the remaining six, liberals engage in greater motivated conspiracy theory endorsement than conservatives.
In sum, we find no support for the hypothesis that those on the right are more likely to endorse conspiracy theories that impugn liberals than liberals are to endorse the exact same conspiracy theories when they impugn conservatives. This finding has an important implication for the asymmetry thesis: many individuals accept the opportunity to derogate the opposing political side, regardless of the specific factual details of the charge and even if the charge alludes to a conspiracy. These results explain the patterns in Fig. 1 and lead to our final analysis: an examination of potential partisan/ideological asymmetries in conspiracy thinking, the general predisposition. Despite our findings thus far, this predisposition may be asymmetric across partisan/ideological lines.
Finding 3: Conspiracy Thinking is Unsystematically Related to Political Orientations
A final analytical strategy for assessing the relationship between political orientations and conspiracy theory beliefs entails shifting focus from belief in specific conspiracy theories to the general predisposition to engage in conspiracy theorizing (e.g., Bruder et al., 2013). This predisposition, conspiracy thinking (sometimes referred to as conspiracy ideation, conspiratorial predispositions, or conspiracy mentality), can be thought of as a bias toward interpreting events and circumstances as the products of conspiracies carried out by powerful, malign actors (Cassese et al., 2020; Uscinski et al., 2016). Empirical measures of conspiracy thinking are specifically designed to transcend the trappings of individual conspiracy theories; in other words, an examination of the relationship between political orientations and conspiracy thinking has the advantage of avoiding the complications of substantive interpretation inherently posed by the idiosyncrasies of beliefs in particular conspiracy theories.
To measure this predisposition, we seek to measure general conspiratorial sentiments in which abstract nefarious groups are subverting norms, rules, and laws by secretly engaging in harmful actions or by covering-up such actions. Here, we employ the 4-item American Conspiracy Thinking Scale (ACTS), first developed by Uscinski and Parent (2014) and based on items from McClosky and Chong (1985). This scale is very similar in content and construction to other scales intended to capture the disposition to believe conspiracy theories, such as the five-item Conspiracy Mentality Questionnaire (Bruder et al., 2013) and the 15-item Generic Conspiracist Beliefs Scale (Brotherton et al., 2013). Subjects responded, using five-point response options ranging from “strongly disagree” (1) to “strongly agree” (5), to each of the following items:
1.Even though we live in a democracy, a few people will always run things anyway.
2.The people who really “run” the country are not known to the voters.
3.Big events like wars, the recent recession, and the outcomes of elections are controlled by small groups of people who are working in secret against the rest of us.
4.Much of our lives are being controlled by plots hatched in secret places.
The resultant additive scale has been used in numerous studies, consistently accounting for variation in beliefs in a wide range of conspiracy theories (Cassese et al., 2020; Miller, 2020; Uscinski et al., 2016). Cronbach’s alpha reliability estimates range from 0.76 to 0.86 across the 18 datasets employed in this analysis, suggesting high reliability; the proportion of variance explained by the first factor of an exploratory factor analysis ranges from 0.86 to 0.94, suggesting unidimensionality. See the online appendix for detailed information about each individual dataset, including the measurement properties of the ACTS (Figure A2).
To validate this measure in the context of the current investigation, Fig. 4 presents the correlations between the ACTS and beliefs in each of the specific conspiracy theories examined in Fig. 1. Our intention here is to show that the ACTS measure is a predictively valid indicator of the general tendency to believe in conspiracy theories. We should expect all correlations to be positive and statistically significant. Figure 4 shows universal support for this expectation. Moreover, we observe a pattern consistent with our earlier arguments about the impact of partisan/ideological motivated reasoning and opinion leadership on beliefs in some conspiracy theories: there is a weaker correlation between the ACTS and beliefs in the specific conspiracy theories exhibiting the strongest political asymmetries in Fig. 1 (i.e., those listed at the very top and very bottom of the vertical axis).
Fig. 4
Pearson correlations between beliefs in specific conspiracy theories from Fig. 1 and conspiracy thinking scale. Horizontal bands represent 95% confidence intervals, two-tailed tests. Qualtrics May 2021 (n = 2,021), Qualtrics October 2020 (n = 2,015), Qualtrics June 2020 (n = 1,040), Qualtrics March 2020 (n = 2,023), Qualtrics July 2019 (n = 2,000), CCES October 2018 (1, n = 1,000), CCES October 2018 (3, n = 1,000), CCES October 2016 (2, n = 1,000); see online appendix for sample characteristics
Having established the criterion validity of the ACTS, we now turn to the empirical test of central concern: the relationship between political orientations and conspiracy thinking. Figure 5 depicts the correlations between conspiracy thinking and ideological self-identification, partisanship, and operational ideology. This analysis includes a total of 18 datasets (n = 31,741) spanning 10 years (2012–2021). Details about all datasets appear in the appendix.
Fig. 5
Pearson’s correlations between conspiracy thinking scale and partisanship, symbolic ideology, and operational ideology across studies and time. Horizontal bands represent 95% confidence intervals, two-tailed tests. Data sources listed along vertical axis. Individual sample sizes and sample characteristics appear in the appendix
Beginning with symbolic ideology (measured via a seven-point scale ranging from “extremely liberal” to “extremely conservative”), no consistent pattern emerges (see the first panel of Fig. 5). In some surveys the correlation is positive (indicating higher levels of conspiracy thinking on the right than left), in others it is negative (indicating the opposite). In others still, correlations are statistically indistinguishable from 0. Moreover, those correlations that are statistically significant tend to be small, rarely exceeding an absolute value of 0.10 and never exceeding an absolute value of 0.25. The average correlation between conspiratorial thinking and ideological self-identification across all 18 national surveys is 0.04. The relationship between conspiratorial thinking and partisanship (a seven-point scale ranging from “strong Democrat” to “strong Republican) is similarly inconsistent and weak across surveys/time (middle panel of Fig. 5); the average correlation is 0.03.
Eight of our surveys contained multiple questions measuring issue attitudes, such as those regarding healthcare reform. For each survey we generated summary scales of these attitudes, a common method for measuring operational ideology (Ansolabehere et al., 2008; see online appendix for question wordings). Thus, we can investigate whether measures of ideology based on policy preferences rather than on identity reveal relationships between ideology and conspiracy thinking. The third panel of Fig. 5 demonstrates that the relationship between conspiratorial thinking and operational ideology is also inconsistent (ranging from 0.00 to 0.23), with an average correlation of 0.09. Although these correlations are slightly stronger than the averages we observe for symbolic ideology or partisanship, we note that we have fewer data points; moreover, the positive relationship is substantially driven by the same three 2016 data points for which we observed the largest correlations with respect to symbolic ideology and partisanship in the first two panels of Fig. 5.
We suspect that this spike––observed across all three panels of Fig. 5 in 2016––owes to the political context in which the surveys were fielded: 2016 was a presidential election year during which Donald Trump openly and frequently trafficked in conspiracy theories, sharply deviating from past norms. While conspiracy thinking is conceived of as a largely stable predisposition (Uscinski & Parent, 2014), emerging scholarship suggests that conspiracy thinking can be temporarily heightened or diminished in some groups by situational political factors (Einstein & Glick, 2013; Farhart et al., 2020). This is not unlike how other predispositions like partisanship, for example, operate: salient stimuli cause short-term fluctuations around an otherwise stable mean (Smidt, 2018; West & Iyengar, 2020). The data offer suggestive evidence for our proposition. In October 2012, the mean score on the ACTS (range: 1–5) was 3.19 for Democrats and 3.13 for Republicans. In October 2016 (average of both CCES datapoints), this average increased to 3.51 for Republicans, but remained stable for Democrats at 3.19. By October 2018 (average of all 3 CCES datapoints), it had returned to 2012 levels––3.17––for both parties.
Regardless of the changing political circumstances and a potential Trump effect, the totality of the evidence presented above is simply not indicative of a systematic left–right asymmetry in conspiracy thinking. As an additional check, we also examined each bivariate relationship between ideology/partisanship and conspiracy thinking separately, looking for evidence that political extremity, rather than valence (i.e., left/right), is related to conspiracy thinking. We found only mixed evidence for the proposition that strong partisans or extreme ideological identifiers exhibit higher levels of conspiracy theorizing than weak identifiers or moderates/independents. Details about these analyses appear in the appendix.
Discussion and Conclusion
Are those on the political right (Republicans/conservatives) more prone to conspiracy theorizing than those on the left (Democrats/liberals)? The smattering of evidence across the literature provides conflicting answers to this question. We surmise that disagreement in the literature is substantially the product of limitations regarding both the operationalizations of conspiracy theorizing and the context––both temporal and socio-political––in which beliefs are assessed in previous work. Given the imperative of better understanding conspiracy theories and the people who believe them, we compiled a robust body of evidence for testing the asymmetry thesis. Across multiple surveys and measurement strategies, we found more evidence for partisan and ideological symmetry in conspiricism, however operationalized, than for asymmetry.
First, we found that the relationship between political orientations and beliefs in specific conspiracy theories varied considerably across 52 specific conspiracy theories. Conspiracy theories containing partisan/ideological content or that have been endorsed by prominent partisan/ideological elites will find more support among those in one political camp or the other, while theories without such content or endorsements tend to be unrelated to partisanship and ideology in the U.S. We also observed considerable variability in the relationship between left–right ideology and 11 conspiracy theory beliefs across 20 additional countries spanning six continents; this variability suggests that the relationship between left–right ideology and conspiracy theory belief is also affected by the political context in which conspiracy theories are polled. To account for the potential impact of idiosyncratic factors associated with specific conspiracy theories, we next examined the relationship between beliefs in “content-controlled” conspiracy theories and political orientations. We found that both Democrats/liberals and Republicans/conservatives engage in motivated conspiracy endorsement at similar rates, with Democrats/liberals occasionally exhibiting stronger motivations than Republicans/conservatives. Finally, we observed only inconsistent evidence for an asymmetric relationship between conspiracy thinking and either partisanship, symbolic ideology, or operational ideology across 18 polls administered between 2012 and 2021. Even though the average correlations across studies were positive, indicating a relationship with conservatism/Republicanism (owing mostly to data collected in 2016), they were negligible in magnitude and individual correlations varied in sign and statistical significance over time.
Equally important as our substantive conclusions is an exploration of why we reached them, which can shed light on existing inconsistencies in the literature. While the core inferences we make from our investigation may deviate from the conclusions of others, empirical patterns are not irreconcilable. Take, for example, the study conducted by van der Linden and colleagues (2021). They infer from a strong, positive correlation between beliefs that “climate change is a hoax” and conservatism that conservatives are inherently more conspiratorial than liberals. However, we demonstrate that such conclusions cannot be made using beliefs in a single conspiracy theory. As can be seen in Fig. 1, climate change conspiracy theories show one of the highest levels of asymmetry; therefore, exclusive examination of almost any other conspiracy theory would lead to a result less supportive of the asymmetry argument.
Van der Linden et al. (2021) also find a positive, albeit weak, correlation between conservatism and generalized conspiracy thinking. While this relationship is statistically significant, liberals still exhibit high levels of conspiracism. Indeed, even strong liberals score above the 50-point midpoint on their 101-point measure (between 60 and 65, on average), whereas strong conservatives typically score about 10 points higher (see Figs. 1b and 3b). In other words, liberals, like conservatives, are more conspiratorial than not. Moreover, van der Linden et al.’s data hail from 2016 and 2018––years in which we also observed relatively elevated levels of conspiracy thinking among conservatives. However, this was not the case in other years and samples we examined. This is exactly what we might expect of a disposition that is not inherently connected to partisanship and ideology, but which may be sporadically activated by political circumstances. We do not question the veracity of van der Linden et al.’s empirical findings or those of any other study with conclusions that disagree with ours; rather, we argue that differences largely stem from the inferences made from empirical relationships, which are frequently more general than the data allows.
Despite the magnitude of data we employ, our study is not without limitations, and we wish to emphasize that ours should not be the final word on this topic. Although our data spans a decade, it was collected over the course of only three U.S. presidential administrations. As political culture changes so, too, might the relationship between political orientations and conspiracy theories. Unfortunately, measures of general conspiracy thinking (to our knowledge) were not deployed on national surveys until 2012 and specific conspiracy beliefs were only intermittently polled in the past 70 years, severely limiting how much we can know about conspiracy theorizing in the past. We encourage researchers to track multiple operationalizations of conspiracy theorizing into the future so that we may better understand their political dynamics and consequences.
We also recognize that, while an investigation of the asymmetry thesis across 21 countries constitutes a robust test, the more tests the asymmetry thesis undergoes the more confident we can be about its (lack of) veracity. We encourage an examination of more conspiracy theory beliefs across socio-political contexts, especially those that are closely tethered to each country’s political culture. We also recommend more robust examinations of the asymmetry thesis in regions that have been understudied, such as South America, Africa, and Asia. Even though we included countries from each of these continents, very little is known about the basic nature and scope of conspiracy theorizing outside of North America and Europe.
In a similar vein, conspiracy theories differ not only in who believes them, where, and when, but in their consequences and dangers. As such, it may be useful for researchers to consider categorizing conspiracy beliefs by various attributes, such as their consequences, just as they do for political attitudes (e.g., issue attitudes, affective versus ideological attitudes, etc.)––perhaps the asymmetry thesis finds stronger evidence among certain “classes” of conspiracy theories. Recent events in American politics are suggestive of this possibility. Donald Trump and his allies in government and media fostered election fraud conspiracy theory beliefs to the point of the violent intimidation of elected representatives attempting to certify the 2020 election. In this way, election fraud conspiracy theories––at least under the particular circumstances that Trump and colleagues nurtured––are of more consequence than, for example, conspiracy theories regarding the moon landing or lizard people. While forecasting which conspiracy theories will result in tangible consequences and when is surely difficult, we nevertheless note that symmetry of tendency to believe in conspiracy theories need not equal symmetry in consequence of conspiracy theories, along political lines or otherwise.
Finally, we believe it is critical that work on beliefs, like that presented here, be reconciled with related research examining political asymmetries in the tendency to interact with or “spread” conspiracy theories on social media. Related work by Guess, Nagler and Tucker (2019), Garrett and Bond (2021), and Grinberg et al. (2019), for example, finds evidence for minor asymmetries in the extent to which Democrats/liberals and Republicans/conservatives share misinformation or distinguish between fake and true news stories online. By fusing social media data with survey data researchers can gain greater leverage over questions about the conditions under which online behaviors are reflective of, or even impact, beliefs and offline behaviors. For now, we simply note that findings of asymmetries online may not generalize to the broader population, as politically active social media users are not representative of average Americans when it comes to various political and psychological characteristics (Lawson & Kakkar, 2021). Just as social media data can be fused with survey data, so, too, can top-down data on conspiratorial rhetorical strategies employed by political elites. Few studies of this sort have been undertaken, particularly in the U.S. (see Oliver & Rahn, 2016 for an example), but they are sorely needed––especially to test earlier studies on the rhetoric of conspiratorial elites (Adorno, 2000; Lowenthal & Guterman, 1948).
The last five years have witnessed Republican elites in government and media (most notably Donald Trump) utilizing conspiracy theories in a way unprecedented in the last half century of American politics, and with severe, deleterious consequences for democratic institutions. This alone has encouraged renewed conjecture about an asymmetry in conspiracy theory beliefs. However, elites are an imperfect reflection of the public––they have different goals, incentives, and knowledge about politics. Moreover, elite rhetoric rarely changes predispositions, such as conspiracy thinking, so much as it activates predispositions and connects them to salient political choices (Leeper & Slothuus, 2014). In other words, while Republican elites may have recently activated conspiratorial predispositions among supporters in the mass public––where they exist––in a way that Democratic elites did not, they are unlikely to be able to cause once non-conspiratorial supporters to become highly conspiratorial.
That we find little difference in conspiracy theorizing between the right and left among the mass public does not indicate that there are no differences between partisan elites on this score, nor does it imply that there will not be asymmetries in beliefs in specific conspiracy theories at any given point in time. Specific conspiracy theories can find more support among one partisan/ideological side than the other even though partisan/ideological motivated reasoning and conspiratorial predispositions operate, on balance, in a symmetric fashion. Likewise, the content of those theories and the way they are deployed, particularly by elites, can result in asymmetrical consequences, such as political violence and the undermining of democratic institutions. We encourage future work to integrate the conspiratorial rhetoric of elites with studies of mass beliefs and investigate elite conspiratorial rhetoric from actors including and beyond Donald Trump.
These same mechanisms may also lead partisan subgroups (e.g., racial or religious groups comprising a party’s coalition) to adopt specific conspiracy theories (e.g., Bird and Bogart 2003); in such cases, the observed relationships are a spurious alignment of political orientations and the idiosyncratic characteristics of a given conspiracy theory in a particular context. Reported asymmetries in conspiracy theory beliefs can also be affected by measurement strategies, such as question wording (Krosnick et al., 2014; Sutton and Douglas 2020).
Data are from the following surveys: Qualtrics May 2021 (n = 2,021), Qualtrics October 2020 (n = 2,015), Qualtrics June 2020 (n = 1,040), Qualtrics March 2020 (n = 2,023), Qualtrics July 2019 (n = 2,000), CCES October 2018 (1, n = 1,000), CCES October 2018 (3, n = 1,000), CCES October 2016 (2, n = 1,000).
In Figure A1 of the appendix, we also present the proportion of Democrats, Republicans, and Independents who express belief in each conspiracy theory; this analysis demonstrates that it is proper to treat Independents as falling between Democrats and Republicans on a single left-right continuum, as the measure itself implies.
Categories (coding) are as follows: “very left-wing” (1), “fairly left-wing” (2), “slightly left-of-centre” (3), “centre” (4), “slightly right-of-centre” (5), “fairly right-wing” (6), “very right-wing” (7). “Left-wing” and “right-wing” are understood to mean the same thing––i.e., social equality and egalitarianism versus social hierarchies and order––across each of the countries we examine.
The Holocaust Denial question was not asked in Germany.
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COVID, Trump, Brexit, tout le monde a eu quelque casse-tête ces dernières années et certaines personnes pourraient ne jamais s’en remettre.
Christopher J. Snowdon
Quillette
Dans le Guardian, le journaliste George Monbiot détaillait récemment toute la déception que lui inspirait [/tags/russell-brand]Russell Brand, un acteur salement parti en vrille ces dernières années et qu’on retrouve aujourd’hui sur Rumble, un concurrent de YouTube [bloqué en [/tags/france]France], à pester sur [/tags/bill-gates]Bill Gates, le Forum économique mondial, Big Pharma, [/tags/monsanto]Monsanto et autres croquemitaines dont raffolent les complotistes. Ce qui, à juste titre, consterne Monbiot, d’autant plus qu’il a longtemps tenu Brand en haute estime.
Dans cet article, en plus de tailler un beau costard à son ancienne idole, Monbiot affirme que « quasiment toutes les théories du complot les plus populaires naissent ou grandissent à l’extrême droite ». Ce qui n’est tout simplement pas vrai. Une passionnante étude publiée l’an dernier démontre que le complotisme n’est la chasse gardée ni de la gauche ni de la droite. Exploitant une vingtaine d’enquêtes menées aux [/tags/etats-unis]États-Unis entre 2012 et 2021, les auteurs constatent que les théories du complot se répartissent ainsi : un tiers, grosso modo, attire en priorité les républicains, un autre tiers est plus attractif pour les démocrates et le reste n’a pas d’ancrage partisan particulier. En l’espèce, les Américains de droite sont particulièrement vulnérables aux théories du complot sur le Covid-19, tandis que ceux de gauche goûtent celles sur Donald Trump. À droite, on est antivax avec le Covid-19, mais pas la rougeole, les oreillons et la rubéole, et on croit le réchauffement climatique bidon. À gauche, c’est plutôt la réalité de la mission Apollo 11 que l’on remet en question, et on est sûr qu’O. J. Simpson a été piégé.
Des complotistes aussi bien de gauche que de droite
Certaines des théories du complot les plus connues – l’assassinat de JFK, la négation de la Shoah et l’idée que les attentats du 11 Septembre ont été perpétrés par le gouvernement américain – ne sont plus associées à un camp politique spécifique, alors qu’elles l’ont été par le passé. Comme le font remarquer les auteurs de l’étude, certaines théories du complot populaires naissent parfois d’un côté ou de l’autre de l’échiquier politique pour ensuite devenir bipartisanes au fil du temps. Ni le mouvement pour la « vérité » sur le 11 Septembre ni la croyance en un complot pour assassiner JFK ne sont nés à l’extrême droite. C’est même tout l’inverse : au départ, ces théories avaient surtout séduit les gens qui, respectivement, détestaient George W. Bush ou qui pensaient impossible que JFK ait été abattu par un marxiste.
Sans surprise, quand cette étude est sortie, les commentaires sur les réseaux sociaux sont partis dans deux directions. D’un côté, certains ont fait valoir que certaines des théories examinées n’auraient pas dû être considérées comme telles – parce qu’elles étaient vraies – tandis que d’autres ont accusé les chercheurs de ne pas avoir cité les balivernes qu’ils associaient à leurs adversaires politiques. Le problème, c’est qu’aucun adepte d’une théorie farfelue sur le fonctionnement du monde n’y voit une théorie du complot. Si c’était le cas, ils cesseraient immédiatement d’y croire. Les théories du complot sont bonnes pour les autres, les crédules, les débiles, les exclus. Eux ? Ce sont des complotistes. Nous ? Nous sommes de libres penseurs sachant faire nos propres recherches et marcher notre esprit critique.
En général, les théories du complot ont une valeur statutaire basse. Comme le développe David Aaronovitch dans Voodoo Histories, elles permettent aux individus marginalisés et au faible niveau d’études de se sentir supérieurs et perspicaces. Reste que bien des théories du complot semblent aller de soi au sein des élites. En Grande-Bretagne, vous ne serez pas conspué si vous affirmez que les conservateurs prévoient de privatiser le système de santé publique (NHS). Et vous n’aurez rien à craindre non plus si vous êtes persuadé que le gouvernement russe a, d’une manière ou d’une autre, provoqué le Brexit.
Des théories du complot plus respectables que d’autres
Certaines de ces théories du complot sont si éphémères qu’elles peinent à s’accrocher dans les mémoires. Qui se souvient, par exemple, que le 16 mars 2020, en pleine croissance exponentielle des cas de Covid-19, Boris Johnson avait conseillé à la population britannique d’éviter les pubs, les boîtes de nuit, les restaurants, les cinémas et les théâtres, mais sans pour autant en ordonner la fermeture par voie légale. Et pourquoi donc ? Pour de fins limiers de gauche, la solution de l’énigme sautait aux yeux : à cause des assurances ! Si Johnson avait ordonné un confinement, le milieu des assurances, de même que tous les petits potes du Premier ministre en son sein, aurait dû mettre la main à la poche. Qu’est-ce que vous dites de ça : la déclaration d’intérêts de Johnson consigne 25 540 livres sterling, plus la TVA, perçue pour une intervention devant une association de courtiers d’assurances. Coïncidence ?
Cette histoire, bien sûr, était une absurdité sans nom, ce qui ne l’a pas empêchée de devenir virale. Rishi Sunak travaillait déjà sur un ambitieux programme de soutien aux entreprises et, par voie légale, Johnson allait ordonner l’arrêt de l’industrie hôtelière quatre jours plus tard. Dans tous les cas, les courtiers ne sont que des intermédiaires qui ne perdent rien quand les compagnies d’assurances sortent le chéquier.
De telles théories du complot « respectables » vont et viennent sans que quiconque voie sa réputation entachée pour les avoir propagées. Le député travailliste Tom Watson, récemment élevé à la Chambre des lords, fut ainsi la figure de proue d’un mouvement parfaitement dément visant à « exposer » un réseau pédophile inexistant au cœur du gouvernement britannique dans lequel auraient été mouillés l’ancien député Harvey Proctor et l’ancien ministre de l’Intérieur Leon Brittan. En réalité, tout n’était qu’un tissu de mensonges venant d’un véritable pédocriminel, Carl Beech. Watson n’hésitera d’ailleurs pas à faire valoir son immunité parlementaire pour désigner Brittan comme « l’être le plus maléfique qui soit ». Brittan mourra d’un cancer avant de pouvoir laver son nom.
La privatisation du NHS : un cas d’école
De toutes les théories du complot britanniques bon teint, l’idée d’une privatisation imminente du NHS est la plus répandue. Peut-être êtes-vous déjà en train de vous étouffer de rage à me voir qualifier la chose en ces termes, mais quelle meilleure désignation pour une croyance hautement invraisemblable, qui ne repose sur aucune preuve et qui nécessiterait, pour être mise en œuvre, une conjuration au sommet de l’État ? Si on remonte l’histoire du NHS depuis ses origines, on voit que le Parti conservateur a été au pouvoir pendant ses deux tiers, sans jamais manifester la moindre intention de le vendre. Certes, il arrive que des députés de droite estiment, comme moi et d’autres, que des soins de santé gérés par un Léviathan étatique sont la garantie de mauvais résultats. Sauf qu’ils ne passeront jamais de la théorie à la pratique parce qu’ils sont des politiciens et que leur priorité absolue dans la vie est d’être réélus. Si la chose peut sembler incroyable, le NHS est l’institution la plus adorée du pays. Le privatiser empêcherait non seulement les conservateurs de gagner les prochaines élections, mais cela les priverait aussi du pouvoir à tout jamais.
En tant que théorie, elle est à peu près aussi crédible que la 5G causant le Covid-19, ce qui ne l’empêche pas de tenir de l’évidence dans bien des cercles. Elle fut au cœur même des élections générales de 2019. Depuis la lettre de Zinoviev en 1924, jamais les fake news n’allaient jouer de rôle aussi important dans une élection britannique que lorsque Jeremy Corbyn affirma détenir des preuves accablantes d’un « complot » visant à vendre le NHS dans le cadre d’un accord commercial avec Donald Trump. Brandissant un document gouvernemental confidentiel, il déclara avoir découvert le « programme secret » des conservateurs.
Sauf que ce document ne disait rien de tel – le NHS n’y était cité que quatre fois dans ses 451 pages, uniquement en relation avec des produits pharmaceutiques et sans jamais vouloir le libérer de sa propriété de l’État. Ce qui n’allait pas empêcher les libéraux-démocrates et les Verts britanniques (Green Party) de se ranger derrière cette théorie du complot. Le document non expurgé avait fuité sur Reddit plusieurs semaines auparavant, dans ce qui eut tout l’air d’être une campagne de déstabilisation originaire de Russie.
Une ironie mordante
L’ironie est mordante, car l’ingérence russe dans les élections figure en bonne place des théories du complot respectables. En Grande-Bretagne, sa plus glorieuse émissaire s’appelle Carole Cadwalladr, une journaliste devenue célèbre après le Brexit en 2016 pour révéler… quoi, exactement ? Sept ans et de multiples récompenses plus tard, on ne sait toujours pas sur quoi elle enquête.
Aujourd’hui, Cadwalladr est une complotiste sans théorie. Pendant des années, elle aura placé ses espoirs dans la National Crime Agency, la commission électorale, le commissaire à l’Information du Royaume-Uni et, aux États-Unis, en Robert Mueller, procureur spécial dans l’affaire du Russiagate. Sauf qu’aucune de ces différentes enquêtes n’a pu prouver ce qu’elle avançait, notamment sur les liens entre le Brexit, Trump, la Russie et Cambridge Analytica. Si la commission électorale a infligé des amendes aux militants du Leave pour avoir enfreint les règles relatives aux dépenses électorales, elle en a également infligé aux militants du Remain pour la même raison. Et, plus dommageable encore pour Cadwalladr, elle a conclu que Cambridge Analytica n’avait pas travaillé sur la campagne de Leave. EU Facebook fut certes condamné à une amende pour avoir partagé les données de certains de ses utilisateurs avec Cambridge Analytica, mais le commissaire à l’Information, l’équivalent britannique de la Cnil, n’a trouvé aucune preuve établissant que des citoyens britanniques en avaient fait partie.
Arron Banks, homme d’affaires et cofondateur de Leave. EU, a intenté un procès en diffamation contre Cadwalladr pour l’avoir accusé d’avoir menti sur ses relations avec le gouvernement russe. Banks a beau avoir gagné en appel, ses poursuites ont été qualifiées d’« action judiciaire ratée » par le Guardian et, sur Twitter, Cadwalladr s’est fait passer pour victorieuse en déclarant : « Tout ce que j’ai fait, mes processus journalistiques, l’intérêt public de mon enquête, la dénonciation des liens de Banks avec le Kremlin, a été catégoriquement confirmé par ce jugement. » Cadwalladr avait déjà présenté des excuses publiques à Banks pour l’allégation concernant la Russie et d’autres contre-vérités, mais ni cette amende honorable ni même le fait qu’elle a perdu un procès en diffamation et dû payer des dommages et intérêts n’auront fait changer d’avis ses partisans.
« Quand quelque chose semble incroyable, la tentation est grande de ne pas y croire »
La plupart des théories du complot classiques naissent d’un sentiment d’incrédulité. Un simple accident de voiture ne pouvait pas mettre un point final au soap opera qu’était la vie de la princesse Diana. JFK était trop important pour être assassiné par un type aussi médiocre que Lee Harvey Oswald. Les attentats du 11 Septembre étaient trop énormes pour n’avoir impliqué qu’une dizaine de terroristes. La logistique pour envoyer des hommes sur la Lune était trop époustouflante pour avoir été possible en 1969.
Le Covid-19 et les confinements ont provoqué un choc psychique d’une ampleur encore plus grande que n’importe lequel de ces événements. Que des politiciens faillibles aient été confrontés au problème, extraordinaire, d’avoir à gérer un nouveau virus mortel avait tout d’une explication trop simple, inadéquate. Pourquoi ne pas y voir une justification bien commode pour vendre des vaccins et installer un gouvernement mondial ? Ou, à l’inverse, croire que le gouvernement cherchait à se débarrasser de vieux coûtant un pognon de dingue à la société ?
De même, le Brexit et l’élection de Donald Trump ont choqué tous ceux qui les considéraient comme impensables. À l’heure où nous nous retranchons dans nos chambres d’écho, nous sommes de plus en plus incapables d’admettre l’existence de points de vue opposés et, encore moins, de les juger valables. Quand tous ceux que vous connaissez sont d’accord avec vous, comment ne pas être abasourdi de voir, une fois tous les votes comptabilisés, votre camp mis en minorité par un panier de déplorables ? Quand quelque chose semble incroyable, la tentation est grande de ne pas y croire et de chercher d’autres explications.
Les théories du complot sont, dans tous les sens du terme, pour les perdants. Quand votre camp perd de manière inexplicable, les explications extraordinaires deviennent d’un coup séduisantes. Les centristes et les raisonnables, aux opinions statutairement élevées, sont demeurés longtemps sans perdre, mais, au cours de la dernière décennie, ils ont subi plusieurs défaites majeures. Dans le même temps, la pensée complotiste n’aura jamais été aussi visible. Faut-il y voir une coïncidence ? Un complotiste dirait qu’il n’y a pas de coïncidence et, dans ce cas, il aurait raison.
*Christopher J. Snowdon est directeur du département Lifestyle Economics à l’Institute of Economic Affairs, un think tank londonien.
Pour Anne-Catherine Wagner, l’étroitesse du recrutement, l’homogénéité sociale et culturelle et la cohésion interne sont les traits qui font la spécificité du modèle français de production des élites.
Constructif
Juin 2006Qui fait partie de l’ « élite » en France aujourd’hui ? La réponse à cette question passe par une réflexion sur le terme.
Étymologiquement, il vient d’une forme ancienne du participe passé du terme « élire », et désigne ceux qui sont « élus », « choisis », « distingués ». L’élite se définit donc d’emblée relationnellement : elle se pose en s’opposant à la masse. Les contours de la population sont dès lors flous et à géométrie variable. De toute évidence, on ne peut définir « une » élite selon un critère unique. On parle des élites politiques, économiques, intellectuelles, médiatiques, syndicales, sportives, ouvrières… Il y a autant d’élites que de domaines de compétences, de concur rence et de légitimation. L’élite est composée par ceux qui sont reconnus comme les « meilleurs » dans un domaine.
Dans quelle mesure cette première définition est-elle appropriée pour rendre compte de la situation de ceux qui se trouvent au sommet de la hiérarchie sociale ? Comment sont formés et sélectionnés ceux qui sont couramment désignés comme les élites du pays, ceux qui exercent le pouvoir économique ou politique ?
L’homogénéité croissante de l’élite économique
Pour approcher les élites économiques, on dispose de données sur les plus hauts dirigeants des plus grandes entreprises françaises. Les enquêtes mettent en évidence l’homogénéité croissante du recrutement du grand patronat français. Une partie des dirigeants doit directement sa position à l’héritage familial : il s’agit des patrons familiaux issus des familles des affaires. Les patrons « d’État », quant à eux, s’ils sont souvent aussi des héritiers, doivent leur légitimité à l’école, ou plus précisément au passage par un petit nombre de grandes écoles et de lieux du pouvoir politique. Cette filière de recrutement qui émerge dans les années 1920-1930 est devenue prépondérante. Les pratiques de pantouflage n’ont jamais été aussi importantes que durant la dernière période. La moitié des 200 plus hauts patrons français est issue de l’École polytechnique ou de l’ENA ; un tiers des grands patrons appartient à l’un des cinq grands corps de l’État (Mines, Ponts, Inspection des Finances, Cour des Comptes et Conseil d’État) ; et le passage par un cabinet ministériel parachève la voie royale d’accès au grand patronat. En revanche, l’accès au sommet de ceux qui sont démunis de ces capitaux familiaux ou scolaires, qui doivent leur réussite uniquement à leurs performances dans l’entreprise ou dans le monde des affaires, reste exceptionnel et tend plutôt à se raréfier.
Un monde politique fermé
Le même mouvement de rétrécissement du recrutement touche les élites politiques. Le processus actuel de professionnalisation de la politique rend nécessaire la détention de ressources, de savoirs et de savoir-faire spécialisés de plus en plus sélectifs socialement. Le monde politique se ferme aux classes populaires, comme en témoigne par exemple la baisse constante de la part des ouvriers à l’Assemblée nationale : 20 % des députés étaient ouvriers en 1945, 0,7 % en 2002 (rappelons que les ouvriers représentent toujours 27 % de la population active française). L’appartenance à l’élite politique va de plus en plus de pair avec, d’une part, la naissance dans une famille des classes supérieures et, d’autre part, le passage par l’ENA, qui joue un rôle prépondérant dans les gouvernements de gauche comme de droite, mais aussi dans les instances dirigeantes des partis ou dans les collectivités locales. Ce phénomène est paradoxal quand on se souvient que l’ENA a justement été créée, après 1945, pour élargir le recrutement des hauts fonctionnaires en province et affaiblir les grands corps.
Grandes écoles et connivence
L’étroitesse du vivier des élites ne se retrouve dans aucun autre pays industrialisé à ce degré, sauf peut-être en Grande-Bretagne. Comment expliquer cette fermeture sociale et scolaire ? Il faut revenir aux caractéristiques historiques du système d’enseignement français, qui a été d’emblée conçu, sous l’influence notamment des Jésuites, pour former des élites. Le baccalauréat, institué dans les années 1840 en France, devait servir de « barrière » pour séparer l’élite cultivée de la masse cantonnée à l’enseignement de base. Au début du XXe siècle, quand l’enseignement secondaire, payant, marque l’appar tenance à la bourgeoisie, les élites économiques, administratives, politiques ou universitaires se recrutent dans un cercle étroit d’individus issus, au mieux, de 2 % d’une classe d’âge. Aujourd’hui, l’accès à l’enseignement s’est généralisé sous l’effet de deux grandes vagues de massification scolaire (au début des années 1960, puis après 1985). Mais cet accroissement de la population scolaire n’a pas élargi le recrutement de l’élite. Il s’est traduit, d’une part, par un déplacement sur des segments plus élevés de la hiérarchie scolaire, de la « barrière » qui sépare l’élite de la masse et, d’autre part, dans le même mouvement, par une quasi-fermeture des grandes écoles aux enfants issus de milieux défavorisés. Au début des années 1950, l’École polytechnique et l’École normale supérieure recrutaient 67 % de leurs élèves dans les classes supérieures et 22 % dans les classes populaires (dans les années 1930, les élèves issus des classes populaires représentaient le tiers des effectifs de ces deux écoles). Aujourd’hui 90 % des élèves des trois grandes écoles de pouvoirs (ENS, Polytechnique, ENA) sont originaires de familles de cadres supérieurs, de patrons ou d’enseignants.
Cette place du système des grandes écoles dans la production des élites économiques, politiques, intellectuelles, mais aussi dans les médias, au détriment des diplômés « ordinaires » des universités ou des non-diplômés explique le phénomène souvent dénoncé de « connivence des élites ». Nul besoin de supposer complots et conspirations. Le fait de provenir des mêmes familles de la bourgeoisie, souvent parisienne, d’être passé par les mêmes formations et d’avoir toujours vécu dans le même environnement et avec les mêmes cadres de référence (d’être entre hommes aussi, car les femmes sont quasiment absentes de ces milieux de pouvoirs…) suffit à expliquer l’uniformité des visions du monde et le sens d’un destin partagé. Un travail intensif de sociabilité, au sein des cercles, clubs et autres lieux d’interconnaissance renforce cette cohésion : les relations mobilisables, fortes des ressources diversifiées des membres du réseau, permettent de décupler les pouvoirs de chacun.
Le discours de la mondialisation
L’internationalisation des lieux de pouvoir économiques et politiques peut-il être un facteur de renouvellement des élites hexagonales ? La mondialisation a aussi ses élites, hauts dirigeants d’entreprises ou de banques multinationales, consultants, experts et juristes internationaux. Ceux-ci portent des jugements sévères sur le mode de recrutement des dirigeants français, jugé archaïque, dominé par l’État, et trop étroitement cantonné au niveau national. Les dirigeants politiques ne peuvent plus ignorer ces nouveaux pouvoirs mondiaux : une partie croissante de la législation française est directement issue de Bruxelles ; du côté des entreprises, la mondialisation financière a accru la dépendance à l’égard d’un marché financier dominé par les investisseurs internationaux. On assiste ainsi à un renouvellement du discours de l’élite sur elle-même. Les grands patrons français se présentent désormais comme des hérauts de la mondialisation, les hommes politiques de tous bords s’accordent aujourd’hui sur la nécessité de tenir compte du reste du monde. Les grandes écoles de pouvoir elles-mêmes s’internationalisent : elles s’ouvrent aux étrangers, encouragent les élites nationales à découvrir d’autres systèmes de formation et entrent dans des réseaux d’échanges et de reconnaissance réciproque avec des institutions prestigieuses d’autres pays.
Il n’est pas certain néanmoins que ce mouvement signifie un réel renouvellement des élites. Il n’infléchit pas, en tout cas pour l’instant, les modes de recrutement des dirigeants économiques ou politiques français. En outre, la mondialisation, loin d’ouvrir l’accès aux cercles dirigeants, tend plutôt à en renforcer la sélectivité. Le cosmopolitisme est un attribut ancien des classes dominantes. Parler les langues, avoir l’habitude de voyager et de travailler avec des étrangers sont des compétences précieuses qui contribuent à accroître encore l’écart entre les élites et les nonqualifiés. Les résultats des élections sur les enjeux européens marquent bien ces clivages : les membres des classes populaires expriment leur refus d’un processus qui les fragilise et les éloigne des lieux de pouvoir, alors que les membres des classes supérieures sont massivement favorables à un élargissement de leur champ d’action.
L’étroitesse numérique, l’homogénéité sociale et culturelle et la cohésion interne sont les traits qui font la spécificité du modèle français de production des élites. Celui-ci est suffisamment solide pour s’ajuster à un déplacement des lieux de pouvoirs : la capacité à perdurer, à travers les changements, est en effet consubstantielle des positions dominantes.
Un problème d’image
Mais l’image des élites a changé, et notamment les représentations du rapport entre les élites et la « masse ». La notion a longtemps renvoyé à celle de « mérite » : les élites étaient composées des « meilleurs », des plus reconnus. Aujourd’hui elles se voient reprocher, à l’inverse, d’être coupées de ceux qu’elles doivent représenter ou diriger. L’élite apparaît moins comme une sélection des plus compétents issus de la masse dont ils se seraient extraits par leurs qualités, que comme un groupe fermé au reste de la société, fonctionnant sur le modèle de la noblesse (où la supériorité est une supériorité d’essence et non de mérite). La crise actuelle des élites est sans doute d’abord une crise de légitimité, d’autant plus sérieuse que le concept même d’élite ne se dissocie pas du projet de légitimer des positions dominantes.
De son poste d’observation, Winston pouvait encore déchiffrer sur la façade l’inscription artistique des trois slogans du Parti : LA GUERRE C’EST LA PAIX, LA LIBERTE C’EST L’ESCLAVAGE, L’IGNORANCE C’EST LA FORCE. George Orwell (1984)
Dans des temps de tromperie généralisée, le seul fait de dire la vérité est un acte révolutionnaire. Orwell
Le pacifisme est objectivement pro-fasciste. C’est du bon sens élémentaire.George Orwell
Il faut constamment se battre pour voir ce qui se trouve au bout de son nez. Orwell
Le plus difficile n’est pas de dire ce que l’on voit mais d’accepter de voir ce que l’on voit. Péguy
Le Parti vous disait de rejeter le témoignage de vos yeux et de vos oreilles. C’était son commandement ultime, et le plus essentiel. Le cœur de Winston défaillit quand il pensa à l’énorme puissance déployée contre lui, à la facilité avec laquelle n’importe quel intellectuel du Parti le vaincrait dans une discussion, aux arguments qu’il serait incapable de comprendre et auxquels il pourrait encore moins répondre. Et cependant, c’était lui qui avait raison ! Ils avaient tort, et il avait raison. Il fallait défendre l’évident, le bêta et le vrai. Les truismes sont vrais, cramponne-toi à cela. Le monde matériel existe, ses lois ne changent pas. Les pierres sont dures, l’eau est humide, et les objets qu’on lâche tombent vers le centre de la terre. Avec le sentiment […] qu’il posait un axiome important, il écrivit : “La liberté, c’est la liberté de dire que deux et deux font quatre. Si cela est accordé, tout le reste suit. George Orwell (1984)
Ce qui me tracasse en ce moment, c’est qu’on ne sait pas très bien si dans des pays comme l’Angleterre les gens ordinaires font suffisamment la différence entre démocratie et despotisme pour avoir envie de défendre leurs libertés. […] Les intellectuels qui affirment aujourd’hui que démocratie et fascisme, c’est blanc bonnet et bonnet blanc, etc., me dépriment au plus haut point. Mais il se peut qu’au moment de l’épreuve de vérité les gens ordinaires s’avèrent être plus intelligents que les intellectuels. George Orwell
L’Amérique est une nation de musulmans, de chrétiens et de juifs.Barack Hussein Obama (Entretien à la télévision saoudienne Al-Arabiya, 27 janvier, 2009)
Les Etats-Unis et le monde occidental doivent apprendre à mieux connaître l’islam. D’ailleurs, si l’on compte le nombre d’Américains musulmans, on voit que les Etats-Unis sont l’un des plus grands pays musulmans de la planète. Barack Hussein Obama (entretien pour Canal +, le 2 juin 2009)
Les racines de l’Europe sont autant musulmanes que chrétiennes.Jacques Chirac
La France est un pays musulman, l’islam est la seconde religion en France, nous avons entre 4 et 8 millions de musulmans qui ont un héritage musulman. Étienne de Gonneville (ambassadeur de France en Suède)
A quand les camps de rééducation woke pour nos enfants ?
A l’heure où après cet ambassadeur français en Suède qui l’an passé qualifiait la France de « pays musulman » …
“On ne sait ce qui est le plus révoltant de la part de @France2tv et du service public: l’ampleur du déni face à la réalité, ou la haine de la France et des Français qu’ils cultivent auprès de jeunes téléspectateurs qui sont aussi nos élèves? #lecoledelavie https://t.co/8rdkL9kU2d”
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Quelle wokisation de nos enfants ?
« L’Education nationale en a rien à foutre de nos individualités. Leurs programmes ont été créés par et pour des hommes cis blancs hétéros qui nient nos différences…
“@SanglierSympa L’autre jour je suis tombé par hasard sur cette même série, et en particulier sur cette pépite… c’est fabuleux, tout y est !! https://t.co/v8RSHbE5GF”
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On veut des noirs, des gays des non-binaires et du métissage ! (Quel bourrage de crânes woke de nos enfants ?)
« Je sais que certains parmi vous n’osent pas s’affirmer : des gays, des lesbiennes, des non-binaires qui comptent chaque jour les séparant du bac pour enfin se sentir libres d’être qui ils sont. Sauf qu’aujourd’hui, la diversité, c’est la norme et je refuse que des vieux boomers nous invisibilisent. On veut étudier des auteurs noirs, gays, non binaires, des femmes issues de l’immigration ou du métissage. Bref, des gens qui nous ressemblent. »
“Les séries de la télévision française sont de pures machines de propagande aujourd’hui. Écoutez cet extrait sur @TF1 , c’est à pleurer de rire tellement c’est caricatural. Ces gens vivent dans une galaxie parallèle. https://t.co/J5cW8CK2HQ”
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Quel Cercle des poètes disparus woke ? (Demain nous appartient, 4′ 38 et 13′ 22)
Une jeune femme a disparu. Guidées par leur instinct, Sara et Victoire se lancent à corps perdu dans l’enquête. D’étranges coïncidences ne cessent de s’enchaîner. Martin perd patience quand il surprend l’un de ses collègues en plein strip-tease. Jordan s’en prend à Angie et Jahia le gifle pour défendre sa petite sœur.
“L’école de la vie”, série France 2 sur les radicalisés d’extrême-droite, et « Demain nous appartient » sur TF1 sur l’idéologie multiculturaliste et intersectionnelle : les chaines sont-elles idéologues ? André Bercoff reçoit Anne-Sophie Chazaud, Essayiste, auteur de “Liberté d’inexpression” aux éditions de l …
Le retour à la normale, c’est peut-être 2022, 2023, mais nous aurons probablement un autre variant qui arrivera dans le courant de l’hiver, car le SARS-CoV-2 a des capacités de mutation hors norme. (…) On aurait pu tout fermer ou tout rouvrir, ça n’aurait rien changé, à cause des particularités du virus Delta. Jean-François Delfraissy (président du Conseil scientifique)
Comme dans toute controverse en science, il faut identifier les points de consensus afin de pouvoir étudier les désaccords. Côté consensus, toute la communauté scientifique reconnaît qu’il existe des Sars coronavirus circulant chez les chauves-souris apparentés au Sars-CoV-2 : ces virus sont des cousins. On trouve une petite dizaine d’entre eux, mais ils sont tous trop distants, génétiquement, pour être le parent direct de l’épidémie. Ces virus circulent majoritairement dans la province du Yunnan, au sud de la Chine, mais également dans des régions limitrophes de la province du Yunnan colonisées par les mêmes espèces de chauves-souris. Il est également établi que l’émergence de cas de pneumonie sévère traduisant la flambée épidémique du virus ont d’abord été détectés dans la ville de Wuhan, début janvier 2020, dans la province du Hubei. Des premiers cas sont décrits en décembre de manière absolument claire et incontestable, ce qui suggère une origine d’épidémie un peu plus précoce – et donc les experts datent le début de l’épidémie entre début septembre et fin octobre 2019. Voilà pour les points d’accord. En revanche, les points de divergence portent sur la succession d’évènements qui ont permis à des virus de chauves-souris d’acquérir, d’une part, la capacité de reconnaître efficacement les récepteurs présents sur les cellules humaines, et d’autre part, la capacité de transmission interhumaine, donc d’homme à homme. On sait que ces deux étapes constituent un goulot d’étranglement important mais, lorsque qu’un virus passe ces barrières successives, il peut alors se propager largement dans les populations humaines, donc devenir éventuellement épidémique ou pandémique. Le débat porte sur les mécanismes ayant permis ce franchissement de la barrière des espèces. Certains l’expliquent par la thèse zoonotique que j’ai évoquée précédemment. Mais d’autres suggèrent que l’épidémie pourrait être liée à la collecte d’échantillons de ces coronavirus dans les grottes du Yunnan où ils circulent. En effet, plusieurs laboratoires chinois travaillaient sur ce virus, afin de comprendre les mécanismes moléculaires permettant à ces derniers des franchissements de la barrière des espèces pour devenir des pathogènes humains. D’où l’hypothèse d’un accident de laboratoire contaminant éventuellement des personnels… et donnant les premiers patients. Cette hypothèse est sous-tendue par plusieurs arguments : d’abord, cette ville concentre les plus gros centres d’étude des coronavirus dans le monde. Par ailleurs, il est paradoxal de voir émerger une épidémie dans une ville de onze millions d’habitants environ, dont les experts chinois sur les coronavirus affirmaient depuis des années que celle-ci, Wuhan, était typiquement une ville où ce type d’émergence zoonotique ne pourrait pas avoir lieu parce qu’il n’y a pas ces contacts indispensables entre espèces sauvages, espèces domestiques et l’homme. (…) [L’hypothèse de l’accident de laboratoire] est basée, entre autres, sur le fait que le virus le plus proche actuellement connu, donc le RaTG13, a été échantillonné par un laboratoire de virologie localisé dans la zone où les premiers cas de Sars-CoV-2 ont été détectés, et où des travaux sur ces coronavirus émergents sont conduits. Des projets de recherche importants visaient à comprendre le mécanisme de franchissement de barrières d’espèces, c’est-à-dire justement à collecter des virus chez les chauves-souris, récolter des échantillons de manière à séquencer ces virus, essayer de mettre en culture ces virus dans des cellules et essayer de comprendre comment ces virus sont potentiellement capables d’infecter des cellules d’autres mammifères, incluant des cellules humaines. (…) Quand on fait de la construction moléculaire, on part évidemment de séquences naturelles dans un premier temps. Une fois qu’on a construit l’existant, on peut éventuellement, modifier une partie du génome ou échanger des morceaux de génome d’un virus avec le génome d’un autre virus, donc faire ce qu’on appelle des chimères – ou virus recombinant – pour essayer de comprendre quelles sont les fonctions spécifiques de tel ou tel fragment de génome, ou comment tel ou tel morceau de génome confère ou ne confère pas la capacité à infecter d’autres types cellulaires. Chez les coronavirus, par exemple, il y a une protéine qui joue un rôle majeur dans le franchissement de la barrière des espèces, c’est la protéine Spike qui est à la surface de la particule virale et donne l’aspect en couronne des virus. Il se trouve que les laboratoires de virologie de Wuhan ont démontré, à partir de 2016, qu’il existe chez certaines chauves-souris des virus avec des protéines Spike potentiellement capables d’infecter directement des cellules humaines sans nécessiter pour autant de passer par des hôtes intermédiaires. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui, quand on parle de zoonose, les deux possibilités sont explorées par les scientifiques : soit une infection directe de l’homme par des virus de chauve-souris, qui donnent naissance à l’épidémie, soit une zoonose qui est liée à un mécanisme de débordement via l’infection d’une espèce intermédiaire. (…) Bien sûr, c’est compliqué. De tels travaux ne sont pas à la portée de n’importe quel laboratoire. Cela réclame d’abord de travailler dans des conditions de sécurité suffisantes. Les recommandations européennes sur les coronavirus (Sars-CoV-1 & 2 et Mers-CoV) imposent de travailler en laboratoire de type L3. Mais les méthodologies de modification des génomes avancent à une vitesse tout à fait incroyable, ce qui fait que des expériences qui duraient des mois, il y a encore dix ans, sont réalisables aujourd’hui en moins d’un mois par les laboratoires qui ont l’expertise – d’ailleurs, les autorités chinoises ont publié les premières séquences du Sars-CoV-2 vers le 12 janvier 2020, et un mois plus tard, un laboratoire suisse avait reconstruit un Sars-CoV-2 rigoureusement identique, juste sur la base de ces séquences récupérées dans une base de donnée… (…) Il est crucial, de mon point de vue, de comprendre l’origine de cette pandémie, parce qu’il y a des décisions collectives et mondiales à prendre qui seront complètement différentes si l’origine est zoonotique ou accidentelle. S’il y a eu passage par tel ou tel hôte intermédiaire, il faudra prendre des mesures de surveillance chez les animaux potentiellement infectés, donc potentiellement vecteurs de ces virus, avec à la clef des abattages systématiques, comme c’est le cas régulièrement pour la grippe aviaire. Et s’il s’avère que c’est un accident dû à des manipulations, alors il faut mieux encadrer les conditions expérimentales dans lesquelles sont faites les expériences dont on vient de parler. Par ailleurs, quelle que soit l’origine du virus, avec l’avancée rapide des nouveaux outils de biologie moléculaires, il est peut-être urgent de réfléchir de manière collective aux expériences qu’il est nécessaire de faire dans les laboratoires et à celles qu’il ne faut pas faire parce qu’elles sont trop dangereuses. Est-il raisonnable de construire dans des laboratoires, des virus potentiellement pandémiques chez l’homme qui, au départ, n’existent pas naturellement ? Ce débat éthique existe depuis les années 2010-12, quand des équipes américaines et hollandaises ont cherché à construire des virus de la grippe, potentiellement pandémiques, et cette fois-ci à partir d’un virus qui n’était pas particulièrement adapté à la transmission par aérosol. Le bénéfice qu’on escomptait de ces expériences était-il si important qu’on pouvait s’affranchir du risque de sa diffusion ? Ou, est-ce que, éthiquement, ces travaux devaient être considérés comme trop dangereux et donc interdits ? Voilà ce qui a conduit les États-Unis à décréter à partir de 2014 un moratoire sur ce type d’expérience. Ces arbitrages sont complexes, et il est nécessaire d ’évaluer les risques et les bénéfices potentiels des expériences, afin de définir des limites sans stériliser la recherche. (…) Le cœur du débat est là : les scientifiques sont peu habitués aux limitations a priori de leur domaine de recherche, et encore moins à ce que la société civile scrute leurs travaux. Cette manière de faire change progressivement, car il y a de plus en plus de comités d’éthique – en tout cas, pour tout ce qui concerne le domaine d’expérimentation humain et, désormais, les expérimentations animales. Mais il y a d’autres domaines de la science qui devraient être considérés comme critiques du point de vue éthique, c’est-à-dire dans lesquels on renoncerait éventuellement à la conduite de certaines expériences, ou alors où l’on favoriserait des stratégies alternatives moins dangereuses. Les virus n’ont pas de passeports ! Et donc, la gestion des risques biologiques ne peut plus être envisagée uniquement au niveau national. Cette question doit se traiter de manière internationale, si l’on veut la traiter correctement. Regardez le moratoire américain que j’évoquais : l’une des conséquences de cette nouvelle politique a été l’arrêt des expériences sur les coronavirus par les grands laboratoires sur le territoire américain. Ce qui a conduit, à la place, à l’intensification de ces recherches dans les laboratoires de Wuhan, par exemple, avec des financements américains… notamment, entre autres, via la EcoHealth Alliance ! Paradoxalement, le moratoire américain, qui pourrait être jugé comme une décision limitant les risques biologiques, a donc peut-être eu des effets pervers, en favorisant le déploiement de recherche dans des pays ou le contrôle des risque biologiques est moindre… (…) via l’association que je viens de mentionner. Il y a eu financement d’abord des collectes de virus, pour essayer d’échantillonner davantage les virus présents chez les chauves-souris, entre autres dans le Sud asiatique, mais il y a également eu financement d’expériences visant à être en capacité de cultiver ces virus, en cellules et dans des modèles animaux, pour comprendre les mécanismes de transfert zoonotique et pour essayer concevoir des vaccins permettant de protéger des futures zoonoses. L’intention de telles recherches est donc de prévoir les nouveaux virus potentiellement pandémiques pour mieux s’en prémunir… Sauf que justement, les expériences réalisées comportent des risques potentiels. Quand on réfléchit aux problèmes de pandémies et aux études sur les virus émergents, on ne peut, je le répète, pas envisager la problématique du seul point de vue national ou même continental – il faut nécessairement une vision globale et mondiale. Dans son Destin des maladies infectieuses, le microbiologiste Charles Nicolle écrivait en 1933 que « la connaissance des maladies infectieuses enseigne aux hommes qu’ils sont frères et solidaires. Nous sommes frères parce que le même danger nous menace, solidaires parce que la contagion nous vient le plus souvent de nos semblables. » Cette analyse reste étonnamment d’actualité – et l’avenir ne manquera pas de nous rappeler cette vérité dans le contexte du déploiement des vaccins, avec les variants du Covid-19 qui se multiplient actuellement… Sans une stratégie globale et mondiale, on court après le virus avec des vaccinations éventuellement successives permettant de protéger une partie de la population, alors même que l’autre partie de la population, qui serait incorrectement vaccinée, constituerait finalement un réservoir de nouveaux variants. (…) Évidemment, la surpopulation mondiale a des conséquences… La pression sur les écosystèmes et la densification de la population aussi, avec pour répercussions l’augmentation des élevages d’animaux industriels, sources potentielles également de zoonose. On sait aussi que l’évolution des moyens de transport et de communication favorise la dissémination des épidémies, et nous avons vu la dissémination mondiale du Sars-CoV-2 en quelque mois. Donc l’ensemble de ces facteurs favorise l’intensification des zoonoses et la diffusion des maladies infectieuses nouvelles. On peut agir en régulant mieux les élevages industriels et les voyages internationaux. Mais il est également nécessaire d’interroger les pratiques de la biologie moléculaire moderne, qui nous permet de mieux lutter contres les maladies mais qui comporte, comme on vient de le voir, également des risques biologiques. On peut conclure à ce stade que même si l’origine de l’épidémie n’est pas encore élucidée – et même si l’identification risque de prendre du temps –, nous disposons déjà d’informations importantes sur des mécanismes potentiels d’émergence de pandémies. Il est par conséquent possible, dès aujourd’hui, de limiter ces risques en adaptant nos pratiques. Étienne Decroly
Devinez pourquoi le super virus de l’Armée chinoise conçu dans le laboratoire français de Wuhan et financé par les Américains est si virulent ?
Pour le virologue spécialiste du VIH, directeur de recherche au CNRS et membre de la Société française de virologie Étienne Decroly, la question de l’origine du Covid-19 n’est pas résolue. Et la thèse de la transmission par les chauves-souris (ou par un hôte intermédiaire, tel que le désormais tristement fameux pangolin) souffre de plusieurs incohérences. Le virus se serait-il bel et bien échappé d’un laboratoire de Wuhan ? Entretien sur un mystère toujours non résolu.
L’Organisation mondiale de la santé a rendu son rapport sur l’origine de la pandémie. Qu’en pensez-vous ? Que dit ce rapport – et que ne dit-il pas ?
Étienne Decroly : C’est une bonne nouvelle qu’un premier rapport soit enfin disponible. En un an de pandémie, l’OMS a pu envoyer une équipe en Chine pour essayer de comprendre ce qui s’est passé et découvrir les origines du virus. 17 experts mandatés par l’OMS ont rejoint 17 experts chinois pour analyser les résultats de l’enquête chinoise. La commission conclut que le mystère reste entier… et suggère que l’origine zoonotique – c’est-à-dire liée à la transmission d’un virus existant dans des espèces animales à l’espèce humaine – est la plus probable. Le virus se serait transmis à l’espèce humaine soit à partir des chauves-souris, qui sont un réservoir important de ces virus, soit en passant par une espèce intermédiaire (chat, lapin, vison, pangolin, civette, etc.). Toutefois, il faut noter que l’échantillonnage massif réalisé par les autorités chinoises n’a pas permis de confirmer cette présomption, ce qui a conduit le directeur de l’OMS à rappeler que toutes les hypothèses restaient sur la table – incluant celle d’un accident de laboratoire – et à proposer de constituer une nouvelle commission dont le pouvoir d’enquête serait élargi. Le processus d’enquête doit donc se poursuivre.
Concernant l’espèce primordiale, on a immédiatement pensé aux chauves-souris ?
L’analyse des émergences précédentes de coronavirus a permis d’identifier les chauves-souris comme un réservoir jouant un rôle clé dans l’origine zoonotique des coronavirus. Dans la nature, des populations importantes de chauves-souris (dont il existe plus de 1 400 espèces) partagent les mêmes grottes, et différentes souches de coronavirus peuvent alors infecter simultanément le même animal, ce qui favorise les recombinaisons génétiques entre virus et décuple les possibilités d’évolution. Certaines souches ainsi générées sont parfois aptes à franchir la barrière des espèces et infectent d’autres espèces animales davantage au contact des population humaines. La transmission ultérieure aux humains est facilitée car ces « hôtes intermédiaires » sont d’une part génétiquement plus proche de l’homme, et d’autre part souvent des animaux d’élevage en contact direct avec les humains. Les virologistes sont capables de comprendre les mécanismes de transmission zoonotique par des analyses « phylogéniques » permettant de reconstruire l’arbre généalogique des virus. En comparant les séquences génomiques d’échantillons viraux de malades infectés par le Sars-CoV-2 [la dénomination officielle du Covid-19] au début de l’épidémie, on a observé un taux d’identité de 99,98 % entre les différents échantillons, ce qui signifiait que le virus avait récemment émergé chez l’humain. On a également constaté que ce génome était à 96 % identique à celui d’un virus de chauve-souris (RaTG13) collecté en 2013 à partir de fèces de l’animal et dont les séquences ne sont connues que depuis le mois de mars 2020. Le virus RaTG13, un cousin du Sars-CoV-2 (mais pas son parent direct) provient d’une mine de la province du Yunnan, où trois mineurs avaient succombé à une pneumonie sévère en 2012. Pour faire bref, le Sars-CoV-2 est génétiquement plus proche de souches virales qui ne se transmettaient jusqu’alors qu’entre chauves-souris. Il ne descend pas de souches humaines connues et n’a acquis que récemment la capacité de sortir de son réservoir animal naturel, donc, en l’occurrence, très probablement de la chauve-souris.
Alors pourquoi est-ce que le rapport n’écarte pas d’autres hypothèses ?
Le rapport évoque en mode mineur la possibilité d’une transmission via de la viande surgelée, infectée on ne sait trop comment, mais qui aurait l’avantage, vu de Chine, d’exonérer l’origine locale. Enfin, il considère l’hypothèse d’un accident de laboratoire comme très improbable. Toutefois, comme mentionné à l’instant, c’est le directeur général de l’OMS lui-même qui a pris le contrepied de la mission OMS-Chine, en déclarant à deux reprises que toutes les hypothèses restaient sur la table, y compris celle d’un virus échappé d’un labo.
Que traduit cette contradiction ?
Elle est le reflet d’une controverse géopolitique, bien sûr, mais également scientifique. Lorsque l’épidémie a émergé, la communauté scientifique a rapidement penché vers l’hypothèse d’une zoonose passant par un intermédiaire animal entre la chauve-souris et l’homme. D’abord, parce qu’aucune épidémie liée à une transmission directe de la chauve-souris à l’homme n’a jamais été démontrée. Ensuite, parce que l’histoire de l’interaction entre l’espèce humaine et les animaux témoigne de nombreux cas de transmissions de virus de certaines espèces animales vers l’espèce humaine en passant par des hôtes intermédiaires – à savoir, des animaux d’élevage ou des animaux sauvages en contact avec les populations. D’où l’hypothèse principale d’une transmission à l’humain via une espèce d’un hôte intermédiaire dans laquelle les virus peuvent évoluer puis être sélectionnés vers des formes susceptibles d’infecter des cellules humaines.
Comment fait-on pour identifier l’hôte et son espèce?
Habituellement, on analyse les relations phylogénétiques entre le nouveau virus et ceux provenant d’espèces animales vivant dans les régions proches de l’émergence ; cette méthode a permis d’établir que la civette, une sorte de petit félin, a été l’hôte intermédiaire du Sars-CoV en 2002, et que le dromadaire a été celui du Mers-CoV dix ans plus tard en Arabie Saoudite. Il était donc logique de supposer des mécanismes similaires pour le Sars-CoV-2.
Alors, où se situe la controverse que vous évoquiez ?
Comme dans toute controverse en science, il faut identifier les points de consensus afin de pouvoir étudier les désaccords. Côté consensus, toute la communauté scientifique reconnaît qu’il existe des Sars coronavirus circulant chez les chauves-souris apparentés au Sars-CoV-2 : ces virus sont des cousins. On trouve une petite dizaine d’entre eux, mais ils sont tous trop distants, génétiquement, pour être le parent direct de l’épidémie. Ces virus circulent majoritairement dans la province du Yunnan, au sud de la Chine, mais également dans des régions limitrophes de la province du Yunnan colonisées par les mêmes espèces de chauves-souris. Il est également établi que l’émergence de cas de pneumonie sévère traduisant la flambée épidémique du virus ont d’abord été détectés dans la ville de Wuhan, début janvier 2020, dans la province du Hubei. Des premiers cas sont décrits en décembre de manière absolument claire et incontestable, ce qui suggère une origine d’épidémie un peu plus précoce – et donc les experts datent le début de l’épidémie entre début septembre et fin octobre 2019. Voilà pour les points d’accord. En revanche, les points de divergence portent sur la succession d’évènements qui ont permis à des virus de chauves-souris d’acquérir, d’une part, la capacité de reconnaître efficacement les récepteurs présents sur les cellules humaines, et d’autre part, la capacité de transmission interhumaine, donc d’homme à homme. On sait que ces deux étapes constituent un goulot d’étranglement important mais, lorsque qu’un virus passe ces barrières successives, il peut alors se propager largement dans les populations humaines, donc devenir éventuellement épidémique ou pandémique. Le débat porte sur les mécanismes ayant permis ce franchissement de la barrière des espèces. Certains l’expliquent par la thèse zoonotique que j’ai évoquée précédemment. Mais d’autres suggèrent que l’épidémie pourrait être liée à la collecte d’échantillons de ces coronavirus dans les grottes du Yunnan où ils circulent. En effet, plusieurs laboratoires chinois travaillaient sur ce virus, afin de comprendre les mécanismes moléculaires permettant à ces derniers des franchissements de la barrière des espèces pour devenir des pathogènes humains. D’où l’hypothèse d’un accident de laboratoire contaminant éventuellement des personnels… et donnant les premiers patients. Cette hypothèse est sous-tendue par plusieurs arguments : d’abord, cette ville concentre les plus gros centres d’étude des coronavirus dans le monde. Par ailleurs, il est paradoxal de voir émerger une épidémie dans une ville de onze millions d’habitants environ, dont les experts chinois sur les coronavirus affirmaient depuis des années que celle-ci, Wuhan, était typiquement une ville où ce type d’émergence zoonotique ne pourrait pas avoir lieu parce qu’il n’y a pas ces contacts indispensables entre espèces sauvages, espèces domestiques et l’homme.
Y compris sur les marchés ?
Le marché de Wuhan n’est pas un marché où l’on trouve beaucoup d’animaux sauvages. Mais au-delà de ce constat, on a comparé le sérum de personnes habitant à Wuhan avec d’autres dans la province du Yunnan, à 1 500 km de là, pour comparer la présence ou non d’anticorps capables de reconnaître des coronavirus tels que le Sars-CoV-1 [le « premier Sras », soit le syndrome respiratoire aigu sévère de 2002]. Ces études ont montré l’absence d’anticorps contre les Sars-CoV dans les sérums prélevés dans la région de Wuhan – alors que dans la province de Yunnan, on trouve selon les endroits entre 0,6% et 2,7% de sérums positifs. Cette observation indique qu’il y a des franchissements réguliers de la barrière d’espèce dans la province de Yunnan, mais pas à Wuhan. C’est d’ailleurs logique, puisque le Yunnan est une région agricole où les populations sont au contact des animaux sauvages et des chauves-souris. Et pour autant, ces franchissements réguliers de la barrière des espèces ne donnent pas lieu à des épidémies, probablement parce que ces virus ne sont pas adaptés à la transmission interhumaine : c’est le goulot d’étranglement que j’évoquais précédemment. D’où le mystère de cette naissance de l’épidémie à Wuhan puisque, primo, il n’y a pas de chauve-souris porteuses de coronavirus à Wuhan, et secundo, on ne trouve pas l’animal intermédiaire.
Et le pangolin, alors ?
Il est vrai que la découverte dans le génome de coronavirus infectant des pangolins d’une courte séquence génétique apparentée à celle qui permet au Sars-CoV-2 de reconnaître spécifiquement le récepteur ACE2 [l’enzyme de conversion de l’angiotensine 2] afin pénétrer les cellules humaines (mécanisme dit de clé-serrure), a un temps fait penser qu’on tenait un possible hôte intermédiaire… mais le restant de son génome est trop distant du Sars-CoV-2 pour être un ancêtre direct. En effet, le taux d’identité entre les séquences de Sars-CoV-2 et celles issues du pangolin n’atteint que 90,3 %, ce qui est très inférieur aux taux habituellement observés entre les souches infectant l’humain et celles infectant l’hôte intermédiaire. En d’autres termes, le virus parental de l’épidémie pourrait être une sorte de chimère entre le virus de pangolin et les virus proches du RaTG13 présent dans les provinces du sud de la chine. Mais ces virus n’ont pas été identifiés à ce jour. Par ailleurs, il y a des inconsistances géographiques : les échantillons viraux de chauves-souris ont été recueillis dans le Yunnan, à près de 1 500 km de Wuhan, où a éclaté la pandémie, donc. Et des inconsistances écologiques : chauves-souris et pangolins évoluent dans des écosystèmes différents. Et l’on se demande bien à quelle occasion leurs virus auraient pu se recombiner.
Exit le pangolin, donc. D’autres espèces pourraient-elles donc constituer le chaînon manquant ?
En tout cas, on ne l’a pas identifiée jusqu’ici, malgré un échantillonnage assez important ! Pour vous donner une idée, le rapport de l’OMS évoque environ 80 000 prélèvements faits entre octobre 2019 et février 2020. Sur l’ensemble de ces prélèvements, aucun n’a été positif au Sars-CoV-2. Ce qui, évidemment, questionne l’hypothèse de l’origine zoonotique, parce qu’on s’attendrait à trouver quelques échantillons positifs au Sars-CoV-2 et soutenant cette hypothèse. Or pour l’instant, ce n’est pas le cas. L’absence de preuve n’est pas une preuve, mais cela invite à regarder avec plus d’attention d’autres hypothèses qui, au départ, étaient considérées comme moins favorables.
Dont le passage par de la viande congelée ?
En effet, il y a cette hypothèse dans le rapport de la Commission OMS-Chine, mais il y a peu d’arguments scientifiques « raisonnables » qui la soutiennent, dans la mesure où, à ma connaissance, il n’y a pas d’épidémie documentée de CoV passant par de la viande congelée. Disons qu’elle permet d’expliquer l’énigme d’une épidémie dans une ville de onze millions d’habitants dans laquelle les animaux infectés potentiellement ne sont pas particulièrement présents… Cela suggère que le virus a été « gelé » à un endroit, éventuellement en dehors de la Chine, avant d’être transporté jusqu’à Wuhan. Cette hypothèse est toutefois étayée par le fait qu’au moment où le CoV-2 circulait très largement dans la population humaine en 2020, des traces de CoV-2 ont été retrouvées sur des emballages de viande congelée… C’est une hypothèse politiquement satisfaisante, vue de Chine, mais scientifiquement, nous manquons d’éléments probants.
Reste l’hypothèse d’un accident ?
Cette hypothèse est basée, entre autres, sur le fait que le virus le plus proche actuellement connu, donc le RaTG13, a été échantillonné par un laboratoire de virologie localisé dans la zone où les premiers cas de Sars-CoV-2 ont été détectés, et où des travaux sur ces coronavirus émergents sont conduits. Des projets de recherche importants visaient à comprendre le mécanisme de franchissement de barrières d’espèces, c’est-à-dire justement à collecter des virus chez les chauves-souris, récolter des échantillons de manière à séquencer ces virus, essayer de mettre en culture ces virus dans des cellules et essayer de comprendre comment ces virus sont potentiellement capables d’infecter des cellules d’autres mammifères, incluant des cellules humaines.
On peut en quelque sorte, passez-moi l’expression, bâtir un virus de toutes pièces ?
Quand on fait de la construction moléculaire, on part évidemment de séquences naturelles dans un premier temps. Une fois qu’on a construit l’existant, on peut éventuellement, modifier une partie du génome ou échanger des morceaux de génome d’un virus avec le génome d’un autre virus, donc faire ce qu’on appelle des chimères – ou virus recombinant – pour essayer de comprendre quelles sont les fonctions spécifiques de tel ou tel fragment de génome, ou comment tel ou tel morceau de génome confère ou ne confère pas la capacité à infecter d’autres types cellulaires. Chez les coronavirus, par exemple, il y a une protéine qui joue un rôle majeur dans le franchissement de la barrière des espèces, c’est la protéine Spike qui est à la surface de la particule virale et donne l’aspect en couronne des virus. Il se trouve que les laboratoires de virologie de Wuhan ont démontré, à partir de 2016, qu’il existe chez certaines chauves-souris des virus avec des protéines Spike potentiellement capables d’infecter directement des cellules humaines sans nécessiter pour autant de passer par des hôtes intermédiaires. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui, quand on parle de zoonose, les deux possibilités sont explorées par les scientifiques : soit une infection directe de l’homme par des virus de chauve-souris, qui donnent naissance à l’épidémie, soit une zoonose qui est liée à un mécanisme de débordement via l’infection d’une espèce intermédiaire.
C’est compliqué, en labo, de transformer un virus pour qu’il puisse franchir des barrières ?
Oui, bien sûr, c’est compliqué. De tels travaux ne sont pas à la portée de n’importe quel laboratoire. Cela réclame d’abord de travailler dans des conditions de sécurité suffisantes. Les recommandations européennes sur les coronavirus (Sars-CoV-1 & 2 et Mers-CoV) imposent de travailler en laboratoire de type L3. Mais les méthodologies de modification des génomes avancent à une vitesse tout à fait incroyable, ce qui fait que des expériences qui duraient des mois, il y a encore dix ans, sont réalisables aujourd’hui en moins d’un mois par les laboratoires qui ont l’expertise – d’ailleurs, les autorités chinoises ont publié les premières séquences du Sars-CoV-2 vers le 12 janvier 2020, et un mois plus tard, un laboratoire suisse avait reconstruit un Sars-CoV-2 rigoureusement identique, juste sur la base de ces séquences récupérées dans une base de donnée…
Est-ce si important de déterminer l’origine du virus ?
Il est crucial, de mon point de vue, de comprendre l’origine de cette pandémie, parce qu’il y a des décisions collectives et mondiales à prendre qui seront complètement différentes si l’origine est zoonotique ou accidentelle. S’il y a eu passage par tel ou tel hôte intermédiaire, il faudra prendre des mesures de surveillance chez les animaux potentiellement infectés, donc potentiellement vecteurs de ces virus, avec à la clef des abattages systématiques, comme c’est le cas régulièrement pour la grippe aviaire. Et s’il s’avère que c’est un accident dû à des manipulations, alors il faut mieux encadrer les conditions expérimentales dans lesquelles sont faites les expériences dont on vient de parler. Par ailleurs, quelle que soit l’origine du virus, avec l’avancée rapide des nouveaux outils de biologie moléculaires, il est peut-être urgent de réfléchir de manière collective aux expériences qu’il est nécessaire de faire dans les laboratoires et à celles qu’il ne faut pas faire parce qu’elles sont trop dangereuses. Est-il raisonnable de construire dans des laboratoires, des virus potentiellement pandémiques chez l’homme qui, au départ, n’existent pas naturellement ? Ce débat éthique existe depuis les années 2010-12, quand des équipes américaines et hollandaises ont cherché à construire des virus de la grippe, potentiellement pandémiques, et cette fois-ci à partir d’un virus qui n’était pas particulièrement adapté à la transmission par aérosol. Le bénéfice qu’on escomptait de ces expériences était-il si important qu’on pouvait s’affranchir du risque de sa diffusion ? Ou, est-ce que, éthiquement, ces travaux devaient être considérés comme trop dangereux et donc interdits ? Voilà ce qui a conduit les États-Unis à décréter à partir de 2014 un moratoire sur ce type d’expérience. Ces arbitrages sont complexes, et il est nécessaire d ’évaluer les risques et les bénéfices potentiels des expériences, afin de définir des limites sans stériliser la recherche.
D’où la nécessité d’une autorité transnationale ?
Le cœur du débat est là : les scientifiques sont peu habitués aux limitations a priori de leur domaine de recherche, et encore moins à ce que la société civile scrute leurs travaux. Cette manière de faire change progressivement, car il y a de plus en plus de comités d’éthique – en tout cas, pour tout ce qui concerne le domaine d’expérimentation humain et, désormais, les expérimentations animales. Mais il y a d’autres domaines de la science qui devraient être considérés comme critiques du point de vue éthique, c’est-à-dire dans lesquels on renoncerait éventuellement à la conduite de certaines expériences, ou alors où l’on favoriserait des stratégies alternatives moins dangereuses. Les virus n’ont pas de passeports ! Et donc, la gestion des risques biologiques ne peut plus être envisagée uniquement au niveau national. Cette question doit se traiter de manière internationale, si l’on veut la traiter correctement. Regardez le moratoire américain que j’évoquais : l’une des conséquences de cette nouvelle politique a été l’arrêt des expériences sur les coronavirus par les grands laboratoires sur le territoire américain. Ce qui a conduit, à la place, à l’intensification de ces recherches dans les laboratoires de Wuhan, par exemple, avec des financements américains… notamment, entre autres, via la EcoHealth Alliance ! Paradoxalement, le moratoire américain, qui pourrait être jugé comme une décision limitant les risques biologiques, a donc peut-être eu des effets pervers, en favorisant le déploiement de recherche dans des pays ou le contrôle des risque biologiques est moindre…
Les recherches dans les laboratoires de Wuhan étaient soutenues par des fonds américains ?
Oui, via l’association que je viens de mentionner. Il y a eu financement d’abord des collectes de virus, pour essayer d’échantillonner davantage les virus présents chez les chauves-souris, entre autres dans le Sud asiatique, mais il y a également eu financement d’expériences visant à être en capacité de cultiver ces virus, en cellules et dans des modèles animaux, pour comprendre les mécanismes de transfert zoonotique et pour essayer concevoir des vaccins permettant de protéger des futures zoonoses. L’intention de telles recherches est donc de prévoir les nouveaux virus potentiellement pandémiques pour mieux s’en prémunir… Sauf que justement, les expériences réalisées comportent des risques potentiels. Quand on réfléchit aux problèmes de pandémies et aux études sur les virus émergents, on ne peut, je le répète, pas envisager la problématique du seul point de vue national ou même continental – il faut nécessairement une vision globale et mondiale. Dans son Destin des maladies infectieuses, le microbiologiste Charles Nicolle écrivait en 1933 que « la connaissance des maladies infectieuses enseigne aux hommes qu’ils sont frères et solidaires. Nous sommes frères parce que le même danger nous menace, solidaires parce que la contagion nous vient le plus souvent de nos semblables. » Cette analyse reste étonnamment d’actualité – et l’avenir ne manquera pas de nous rappeler cette vérité dans le contexte du déploiement des vaccins, avec les variants du Covid-19 qui se multiplient actuellement… Sans une stratégie globale et mondiale, on court après le virus avec des vaccinations éventuellement successives permettant de protéger une partie de la populatio, alors même que l’autre partie de la population, qui serait incorrectement vaccinée, constituerait finalement un réservoir de nouveaux variants.
Et d’ailleurs – cataloguez-vous le virus dans le règne du vivant ?
C’est, effectivement, aussi un débat scientifique actuel, et la réponse à la question dépend de la définition du vivant. Personnellement, je considère les virus comme vivants, parce qu’ils font partie de l’ensemble des processus biologiques qui sont soumis aux contraintes évolutives de la sélection naturelle. Et donc, ils sont capables d’évoluer sous contrainte.
Quand vous pensez aux dix, vingt ans à venir, comment imaginez-vous la coexistence avec les virus ?
L’espèce humaine a toujours coexisté avec des zoonoses et avec des pathogènes, et nous allons continuer à coexister. Cela fait partie des grands équilibres. Évidemment, la surpopulation mondiale a des conséquences… La pression sur les écosystèmes et la densification de la population aussi, avec pour répercussions l’augmentation des élevages d’animaux industriels, sources potentielles également de zoonose. On sait aussi que l’évolution des moyens de transport et de communication favorise la dissémination des épidémies, et nous avons vu la dissémination mondiale du Sars-CoV-2 en quelque mois. Donc l’ensemble de ces facteurs favorise l’intensification des zoonoses et la diffusion des maladies infectieuses nouvelles. On peut agir en régulant mieux les élevages industriels et les voyages internationaux. Mais il est également nécessaire d’interroger les pratiques de la biologie moléculaire moderne, qui nous permet de mieux lutter contres les maladies mais qui comporte, comme on vient de le voir, également des risques biologiques. On peut conclure à ce stade que même si l’origine de l’épidémie n’est pas encore élucidée – et même si l’identification risque de prendre du temps –, nous disposons déjà d’informations importantes sur des mécanismes potentiels d’émergence de pandémies. Il est par conséquent possible, dès aujourd’hui, de limiter ces risques en adaptant nos pratiques.
Ces femmes qui s’avancent, en tenant au bout de leurs bras, ces enfants qui lancent, des pierres vers les soldats, c’est perdu d’avance, les cailloux sur des casques lourds, tout ça pour des billets retour, d’amour, d’amour, d’amour, d’amour… Francis Cabrel (« Tout le monde y pense », 1989)
Alors, pour m’sentir appartenir A un peuple, à une patrie J’porte autour de mon cou sur mon cuir Le keffieh noir et blanc et gris Je m’suis inventé des frangins Des amis qui crèvent aussi. Renaud (1983)
Monsieur Dubois demanda à Madame Nozière quel était le jour le plus funeste de l’Histoire de France. Madame Nozière ne le savait pas. C’est, lui dit Monsieur Dubois, le jour de la bataille de Poitiers, quand, en 732, la science, l’art et la civilisation arabes reculèrent devant la barbarie franque. Anatole France (1922)
Si à Poitiers Charles Martel avait été battu, le monde aurait changé de face. Puisque le monde était déjà condamné à l’influence judaïque (et son sous-produit le christianisme est une chose si insipide !), il aurait mieux valu que l’islam triomphe. Cette religion récompense l’héroïsme, promet au guerrier les joies du septième ciel… Animé d’un esprit semblable, les Germains auraient conquis le monde. Ils en ont été empêchés par le christianisme. Hitler (1942)
Nous ne savons pas si Hitler est sur le point de fonder un nouvel islam. Il est d’ores et déjà sur la voie; il ressemble à Mahomet. L’émotion en Allemagne est islamique, guerrière et islamique. Ils sont tous ivres d’un dieu farouche. Jung (1939)
Mein Kamp (…) Tel était le nouveau Coran de la foi et de la guerre: emphatique, fastidieux, sans forme, mais empli de son propre message.Churchill
Les organisations humanitaires et une partie de la gauche occidentale, l’extrême gauche surtout, souffrent d’un complexe post-colonial. Les anciens colonisés sont perçus comme des victimes absolues, pour les uns, comme la force motrice de l’histoire, pour les autres. Ils jouissent d’un droit intangible à la bienveillance morale et au soutien politique, quoi qu’ils disent et quoi qu’ils fassent. Le fanatisme est permis, pourvu qu’il soit tiers-mondiste. La discrimination est justifiée, à condition qu’elle soit pratiquée dans un pays d’Afrique ou d’Asie. Le massacre est excusable, quand il est commis par des États non-européens. On a déjà assisté à cette même veulerie face aux haines, à cette même incapacité à voir le Mal, dans d’autres contextes historiques. Qu’on se souvienne de la complaisance des communistes européens, et notamment français, face à la terreur stalinienne et au goulag. Qu’on se souvienne aussi de l’indulgence de la gauche pacifiste française face à l’Allemagne nazie des années 1930. L’Allemagne était perçue comme victime du militarisme français et du traité de Versailles… Sous l’Occupation, de nombreux collaborateurs enthousiastes, et de très haut rang, proviendront de cette gauche pacifiste et humanitaire. La politique d’apaisement vis-à-vis de l’Iran d’Ahmadinejad est fondée sur la même incompréhension que celle qui fut menée face à Hitler à la fin des années 1930, par l’Angleterre et la France. Ce prétendu réalisme, au nom duquel il faut faire des concessions et pratiquer l’ouverture, procède certes d’un réflexe très humain. Mais il témoigne d’une méconnaissance profonde de l’adversaire. On est en face, dans les deux cas, d’une machine de guerre très habile et très bien organisée, qui connaît et qui exploite fort bien les faiblesses de l’Occident démocratique. (…) Il est des carnavals de rage et d’absurdité auxquels un pays démocratique se doit de rester étranger. Samuel Epstein
Si le Reich allemand s’impose comme protecteur de tous ceux dont le sang allemand coule dans les veines, et bien la foi musulmane impose à chaque Musulman de se considérer comme protecteur de toute personne ayant été imprégnée de l’apprentissage coranique.Hassan el Banna (fondateur des Frères musulmans et grand-père de Tariq et Hani Ramadan)
Depuis les premiers jours de l’islam, le monde musulman a toujours dû affronter des problèmes issus de complots juifs. (…) Leurs intrigues ont continué jusqu’à aujourd’hui et ils continuent à en ourdir de nouvelles.Sayd Qutb (membre des Frères musulmans, Notre combat contre les Juifs)
La libération de la Palestine a pour but de “purifier” le pays de toute présence sioniste. (…) Le partage de la Palestine en 1947 et la création de l’État d’Israël sont des événements nuls et non avenus. (…) La Charte ne peut être amendée que par une majorité des deux tiers de tous les membres du Conseil national de l’Organisation de libération de la Palestine réunis en session extraordinaire convoquée à cet effet. Charte de l’OLP (articles 15, 19 et 33, 1964)
Je mentirais si je vous disais que je vais l’abroger. Personne ne peut le faire.Yasser Arafat (Harvard, octobre 1995)
Nous devons combattre le Mal à sa source, et la principale racine du Mal c’est l’Amérique. (…) L’imam Khomeyni, notre chef, a assuré à maintes reprises que l’Amérique est la source de tous nos maux et qu’elle est la mère des intrigues. (…) Les enfants de la nation du Hezbollah au Liban sont en confrontation avec [leurs ennemis] afin d’atteindre les objectifs suivants : un retrait israélien définitif du Liban comme premier pas vers la destruction totale d’Israël et la libération de la Sainte Jérusalem de la souillure de l’occupation …Charte du Hezbollah (1985)
Les enfants de la nation du Hezbollah au Liban sont en confrontation avec [leurs ennemis] afin d’atteindre les objectifs suivants : un retrait israélien définitif du Liban comme premier pas vers la destruction totale d’Israël et la libération de la Sainte Jérusalem de la souillure de l’occupation …Charte du Hezbollah (1985)
Israël existe et continuera à exister jusqu’à ce que l’islam l’abroge comme il a abrogé ce qui l’a précédé. (…) Le Mouvement de la Résistance Islamique est un mouvement palestinien honorable qui fait allégeance à Allah et à sa voie, l’islam. Il lutte pour hisser la bannière de l’islam sur chaque pouce de la Palestine. (…) Avec leur argent, ils ont mis la main sur les médias du monde entier : presse, maisons d’édition, stations de radio etc… Avec leur argent, ils ont soulevé des révolutions dans plusieurs parties du monde afin de servir leurs intérêts et réaliser leur objectif. Ils sont derrière la Révolution Française, la Révolution Communiste et toutes les révolutions dont nous avons entendu parler. (…) Il n’existe aucune guerre dans n’importe quelle partie du monde dont ils ne soient les instigateurs.Charte du Hamas (préambule, articles 6 et 22, 1988)
Obama (in whose administration I served) had in mind the United States’ extrication from what he considered the broader Middle Eastern quagmire (…) But Obama was a gradualist; he was persuaded that the United States could neither abruptly nor radically shift gears and imperil regional relationships that had been decades in the making. As he once put it to some of us working in the White House, conducting U.S. policy was akin to steering a large vessel: a course correction of a few degrees might not seem like much in the moment, but over time, the destination would differ drastically. What he did, he did in moderation. (…) In a sense, his administration was an experiment that got suspended halfway through. At least when it came to his approach to the Middle East, Obama’s presidency was premised on the belief that someone else would pick up where he left off. It was premised on his being succeeded by someone like him, maybe a Hillary Clinton, but certainly not a Donald Trump. Robert Malley (Nov. 2019)
A better approach requires clarity about U.S. interests and a plan for securing them, changing the United States’ role in a regional order it helped create without leaving behind yet more chaos, suffering, and insecurity. (…) A better strategy would be simultaneously less ambitious and more ambitious than traditional U.S. statecraft in the Middle East: less ambitious in terms of the military ends the United States seeks and in its efforts to remake nations from within, but more ambitious in using U.S. leverage and diplomacy to press for a de-escalation in tensions and eventually a new modus vivendi among the key regional actors. The United States has repeatedly tried using military means to produce unachievable outcomes in the Middle East. Now it’s time to try using aggressive diplomacy to produce more sustainable results. Daniel Benaim and Jake Sullivan (May 22, 2020)
On Sunday, National Security Adviser Jake Sullivan phoned his Israeli counterpart and turned back the hands of time. (…) Sullivan called “to express the United States’ serious concerns” about (…) the pending eviction, by court order, of a number of Palestinian families from their homes in the Sheikh Jarrah neighborhood of Jerusalem, and the weekend’s violent clashes on the Temple Mount between Israeli police and Palestinian rioters. (…) just as Hamas was sending rockets and incendiary devices into Israel with the same message (…) This (…) marked a clear return to the approach of President Barack Obama. (…) In a revealing Foreign Affairs article, written in 2019, Malley expressed regret that Obama failed to arrive at more such accommodations. The direction of Obama’s policy was praiseworthy (…) but his “moderation” was the enemy of his project. Being “a gradualist,” he presided over “an experiment that got suspended halfway through.” Malley, the article leads one to assume, is now advising Biden to go all the way—and fast. (…) The president’s “ultimate goal,” Malley wrote, was “to help the [Middle East] find a more stable balance of power that would make it less dependent on direct U.S. interference or protection.” (…) a roundabout way of saying that Obama dreamed of a new Middle Eastern order—one that relies more on partnership with Iran. (…) Obama, it seems clear, felt his project would advance best with stealth and misdirection, not aggressive salesmanship. Biden, while keeping Obama’s second-term foreign policy team nearly intact, is using the same playbook. He and his aides recognize that confusion about the “ultimate goal” makes achieving it easier. (…) The deceptions surrounding the JCPOA have a clear purpose: to make the administration appear supportive of containment when, in fact, it is ending it. (…) The presentation of the JCPOA as a narrow arms control agreement is the most important of these tactics, but two others are particularly noteworthy. The first is the bear hug: a squeeze that can be presented to the outside world as a gesture of love, but which immobilizes its recipient. (…) But if Iron Dome was the seemingly loving aspect of the bear hug, the immobilizing part was the strong discouragement of Israeli military and intelligence operations against Iran’s nuclear program and its regional military network. (…) The bear hug is also a tool for gaslighting critics who accurately claim that the Realignment guts the policy of containment. (…) The second tactic is the values feint. When Washington tilts toward Iran, it disguises its true motivations with pronouncements of high-minded humanitarianism—ceasing to be a superpower and instead becoming a Florence Nightingale among the nations, decrying human suffering (…) Domestic politics partially explains the hold that this empty theory exercises over otherwise bright minds. (…) Biden won the electoral college by only 45,000 votes spread over three states—a razor thin margin. (…) The political heft of the Realignment derives not just from Obama’s personal support but also from the support of progressives whose cosmology it affirms. It equates a policy of containing Iran with a path to endless war, and transforms a policy of accommodating Iran into the path to peace. It reduces the complexities of the Middle East to a Manichean morality tale that pits the progressives against their mythological foes—Evangelical Christians, “neoconservatives,” and Zionists. The Realignment depicts these foes as co-conspirators with Saudi Crown Prince Mohammed bin Salman and Israeli Prime Minister Benjamin Netanyahu, plotting to keep America mired in the Middle East. (…) The same (…) toward Trump’s “maximum pressure” campaign, which it derides as reckless, incoherent, and ineffective. On Trump’s watch, the Iranian economy suffered catastrophic losses. Not only did anti-regime demonstrations break out in every major Iranian city in 2019, but corresponding protests erupted in Iraq, aimed directly or indirectly at Iran’s proxies there. (…) Trump ended the fiction, which had greatly benefited Iran, that its proxies were independent actors rather than direct arms of the IRGC (…) culminated in the killing of Qassem Soleimani, the head of the IRGC’s Quds Force and the second most powerful man in Iran. Meanwhile, (…) By penetrating Iran’s defenses, Israel—with the support of the Trump administration—shredded Obama’s major justification for the JCPOA by demonstrating that the United States can manage the Iran challenge, including its nuclear dimension, with a relatively light American military commitment. (…) “Maximum pressure” (…) a form of collective security (…) encouraged closer cooperation between American allies, and therefore played a major role in the Abraham Accords [with countries] close to Saudi Arabia. (…) the most powerful Arab country and, thanks to its guardianship of Mecca and Medina, one of the most influential countries in the entire Muslim world. (…) Yet the Biden administration has forbidden its officials from even using the term “Abraham Accords,” which, under the influence of the Realignment, it abhors. (…) [because] It refutes the dogma preached by the Obama administration that peace between Israel and the Arab world must begin with a Palestinian-Israeli agreement. More importantly, the accords are also a threat to the Realignment itself.(…) When Biden took office, he faced a fork in the road. On one path stood a multilateral alliance designed to contain Iran. It had a proven track record of success and plans of even better things to come, as the recent act of sabotage at Natanz demonstrated. (…) On the other path stood the Islamic Republic, hated by its own people and, indeed, by most people in the Middle East. It offered nothing but the same vile message it had always espoused. (…) Biden chose Iran, fracturing the U.S. alliance system and setting back the cause of peace. His choice also delivered a victory to China and Russia, who are working with Iran, each in its own way, toward America’s undoing. In a perverse effort to liberate itself from its allies, the United States is soiling its own nest. Michael Doran and Tony Badran
Israël a le droit de se défendre. » sont les mots que nous entendons des gouvernements démocrates et républicains chaque fois que le gouvernement israélien, avec son énorme puissance militaire, réagit aux tirs de roquette de Gaza. Soyons clairs. Personne ne soutient qu’Israël, ou aucun gouvernement, n’a pas le droit de se défendre ou de protéger son peuple. Alors pourquoi ces mots se répètent-ils année après année, guerre après guerre ? Et pourquoi la question n’est-elle presque jamais posée : ′′ Quels sont les droits du peuple palestinien ? ′′Et pourquoi semblons-nous prendre note de la violence en Israël et en Palestine uniquement lorsque des roquettes tombent sur Israël ? (…) même si le Hamas tire des roquettes sur les communautés israéliennes est absolument inacceptable, le conflit d’aujourd’hui n’a pas commencé avec ces roquettes. Les familles palestiniennes dans le quartier de Jérusalem de Sheikh Jarrah vivent sous la menace d’expulsion depuis de nombreuses années, naviguant dans un système juridique conçu pour faciliter leur déplacement forcé. Et au cours des dernières semaines, les colons extrémistes ont intensifié leurs efforts pour les expulser. Et, tragiquement, ces expulsions ne sont qu’une partie d’un système plus large d’oppression politique et économique. Depuis des années, nous avons assisté à une aggravation de l’occupation israélienne en Cisjordanie et à Jérusalem-Est et à un blocus continu sur Gaza qui rend la vie de plus en plus intolérable À Gaza, qui compte environ deux millions d’habitants, 70 % des jeunes sont au chômage et n’ont guère d’espoir pour l’avenir. En outre, nous avons vu le gouvernement de Benjamin Netanyahu travailler à marginaliser et diaboliser les citoyens palestiniens d’Israël, à mener des politiques de colonisation conçues pour exclure la possibilité d’une solution à deux États et adopter des lois qui engendrent les inégalités systémiques entre les citoyens juifs et palestiniens israéliens. (…) Israël reste la seule autorité souveraine au pays d’Israël et de Palestine, et plutôt que de se préparer à la paix et à la justice, il a enraciné son contrôle inégal et antidémocratique. Plus d’une décennie de sa règle de droite en Israël, M. Netanyahu a cultivé un nationalisme raciste de plus en plus intolérant et autoritaire. Dans son effort effréné pour rester au pouvoir et éviter les poursuites judiciaires pour corruption, M. Netanyahu a légitimé ces forces, dont Itamar Ben Gvir et son parti extrémiste du pouvoir juif, en les faisant entrer dans le gouvernement. C’est choquant et attristant que les mensonges racistes qui attaquent les Palestiniens dans les rues de Jérusalem soient maintenant représentés à la Knesset. Ces tendances dangereuses ne sont pas propres à Israël. Partout dans le monde, en Europe, en Asie, en Amérique du Sud et ici aux États-Unis, nous avons vu la montée de mouvements nationalistes autoritaires similaires. Ces mouvements exploitent la haine ethnique et raciale pour construire le pouvoir pour une minorité de corrompus plutôt que la prospérité, la justice et la paix pour le plus grand nombre. Ces quatre dernières années, ces mouvements avaient un ami à la Maison Blanche. En même temps, nous assistons à la montée d’une nouvelle génération d’activistes qui veulent construire des sociétés basées sur les besoins humains et l’égalité politique. Nous avons vu ces militants dans les rues américaines l’été dernier à la suite du meurtre de George Floyd. Nous les voyons en Israël. Nous les voyons dans les territoires palestiniens. Avec un nouveau président, les États-Unis ont maintenant la possibilité de développer une nouvelle approche du monde – fondée sur la justice et la démocratie. (…) Au Moyen-Orient, où nous fournissons une aide de près de 4 milliards de dollars par an à Israël, nous ne pouvons plus être des apologistes du gouvernement de droite de Netanyahu et son comportement antidémocratique et raciste. Nous devons changer de cap et adopter une approche impartiale, une approche qui respecte et renforce le droit international concernant la protection des civils, ainsi que la législation américaine actuelle en vigueur, selon laquelle la fourniture d’aide militaire américaine ne doit pas permettre de respecter les droits de l’homme. Cette approche doit reconnaître qu’Israël a le droit absolu de vivre dans la paix et la sécurité, tout comme les Palestiniens.(…) Nous devons reconnaître que les droits palestiniens sont importants. Les vies palestiniennes comptent.Bernie Sanders
Le combat pour la vie des noirs et le combat pour la libération palestinienne sont interconnectés. Nous nous opposons à ce que notre argent serve à financer la police militarisée, l’occupation et les systèmes d’oppression violente et de traumatisme. Nous sommes contre la guerre, nous sommes contre l’occupation et nous sommes contre l’apartheid. Un point, c’est tout.Congresswoman Cori Bush (Dem., Cal., May 12 2021)
Ce qu’ils font aux Palestiniens, c’est ce qu’ils font à nos frères et sœurs noirs ici. Rep. Rashida Tlaib (Dem., Mich., May 13 2021)
>Nous devons avoir le même niveau de responsabilité et de justice pour toutes les victimes de crimes contre l’humanité. Nous avons vu des atrocités impensables commises par les États-Unis, le Hamas, Israël, l’Afghanistan et les talibans. J’ai demandé à @SecBlinken où les gens sont censés aller pour demander justice. Rep. Alexandria Ocasio-Cortez (Dem., NY, May 13, 2021)
Nous apprécions les positions de Mme Ilhan Omar dans la défense de la justice et des droits des opprimés dans le monde, au premier rang desquels se trouvent les justes droits de notre peuple palestinien, mais nous déplorons cette combinaison injuste qui est contraire à la justice et au droit international. Dr. Basem Naim (Bureau des relations internationales du Hamas)
I rise today to recognize the deep trauma and loss of life perpetuated by systems of oppression here in the United States and globally. Many times I have stood at this dais and affirmed that our destinies are tied. That was clear when protestors took to the streets in the face of police murders, seeking to build a nation where Black Lives Matter. That was clear when our democracy and our lives were put at risk by violent white supremacists who shattered glass and broke doors, while wearing anti-Semitic phrases on their chest, carrying the confederate flag, erecting a noose on the west lawn. That was clear when students protesting to end poverty and oppression in the streets of Bogota were shot dead. That was clear when families kneeling during this holy month, at the third holiest site in Islam, were met with tear gas, rubber bullets and hand grenades. (…) Last summer, when Black Lives Matter protestors took to the streets to demand justice, they were met with force. They faced tear gas, rubber bullets, and a militarized police just as our Palestinian brothers and sisters are facing in Jerusalem today. Palestinians are being told the same thing as Black folks in America—there is no acceptable form of resistance. We are bearing witness to egregious human rights violations. The pain, trauma, and terror that Palestinians are facing is not just the result of this week’s escalation, but the consequence of years of military occupation. In Sheikh Jarrah, the Israeli government is violently dispossessing yet another neighborhood of Palestinian families from homes they have lived in for decades. We cannot stand idly and complicitly by and allow the occupation and oppression of the Palestinian people to continue. We cannot remain silent when our government sends $3.8 billion of military aid to Israel that is used to demolish Palestinian homes, imprison Palestinian children, and displace Palestinian families. (…) The question at hand is should our taxpayer dollars create conditions for justice, healing and repair, or should those dollars create conditions for oppression and apartheid? (…) Whose lives do we value? We have seen footage of Israeli and Palestinian children, huddled fearfully while rockets blanket their homeland. No child should live in fear. No child should grow up in the midst of a conflict that robs them of a childhood. And Palestinian children do not have the same protections afforded to them (…) Following forceful violence against the Palestinians simply seeking to remain in their family homes, militant groups in Gaza have launched rockets at Israeli cities, resulting in seven deaths, including a child. In response, the Israeli military has launched severe attacks on Gaza, killing 83 people, 17 of whom are children. This is devastating. (…) From Jerusalem to Boston. From Randolph to Gaza. From Colombia to Yemen, our destinies are tied. And everyone deserves to live free from fear and to know peace. Rep. Ayanna Pressley (Dem., Mass., May 13, 2021)
The shift is dramatic; it’s tectonic. There is a non-white population, particularly among Democrats, who are very sensitive to the treatment of fellow non-whites. They see Israel as an aggressor. They don’t know Israel’s early history and odds-defying triumph over adversity. They know post-Intifada; they know the various wars, the asymmetrical bombing that have taken place, the innocent civilians that have been killed. We’ve seen a steady growth in support for Palestinians, but it’s never really been a high-intensity issue. It’s becoming that. It’s becoming a major wedge issue, particularly among Democrats, driven by non-white voters and younger voters, by progressives in general. John Zogby
On May 10, after years of relative quiet between Israel and Gaza, the Hamas terrorists who rule that enclave exploited a long-running legal dispute in Jerusalem as a pretext to launch a barrage of rockets at Israel, unprecedented in its size. The Israel Defense Forces responded with air strikes to knock out terror targets, and one of those micro-wars that periodically spring up in this conflict ensued. As of Thursday night, May 20, a ceasefire had begun; the worst of the fighting is hopefully over. At least, it was in Israel and Gaza. But around the world, Jews were paying the price. (…) Synagogues across the country have been vandalized. Rallies in support of the Palestinian cause in Michigan, Florida, Washington, D.C., and elsewhere have turned anti-Semitic. (…) And almost as bad as the violence is the silence around it from major publications. The New York Times hasn’t deemed news of these attacks on New York Jews « fit to print, » though it did run a short story about the similarly horrific spate of attacks across Europe (…) While anti-Zionist gangs beat up Jews in her city, Rep. Alexandria Ocasio-Cortez was providing a quasi-intellectual basis for their actions, defaming Israel as an apartheid state employing indiscriminate force in what she seems to think is a capricious quest to murder as many Palestinian children as possible, instead of a highly restrained military operation tightly targeted on terrorists. Rep. Ocasio-Cortez didn’t call for violence, but she carved out an area of respectability for a certain type of anti-Semitism, and others were only too happy to rush in, fists flying. (…) Sen. Bernie Sanders published his own dangerous anti-Israel harangue in an Op-Ed which began, « No one is arguing that Israel… does not have the right to self-defense or to protect its people, » even as his own supporters were arguing just that on social media. Comedians John Oliver and Trevor Noah made the same case into their media megaphones, arguing that Israel was wrong to attack the terrorists aiming for Israeli civilians because Israel’s Iron Dome missile defense system can prevent most (but not all) civilian deaths from Hamas rockets. (…) Rep. Mark Pocan and Rep. Betty McCollum are laser-focused on spreading the contemporary blood libel that Israel indiscriminately murders children. And in the same week that the Pew Research Center found that 80 percent of Jews believe caring about Israel to be an « important » or « essential » part of being Jewish, Rep. Ilhan Omar called support for Israel « disgusting and immoral. » Seffi Kogen
When the New York Times finally reported on the plague of nationwide street violence against Jews in the spring of 2021, more than a week after the attacks began in the wake of Hamas using rockets to strike Israel, the tone it took was less one of outrage than of bewilderment. “Until the latest surge,” read a May 26 story, “anti-Semitic violence in recent years was largely considereda right-wing phenomenon, driven by a white supremacist movement emboldened by rhetoric from former President Donald J. Trump, who often trafficked in stereotypes.” This was nonsense: The most common street violence against Jews took place in New York and New Jersey, and it had nothing at all to do with Trump or “right-wing” politics. Par for the course for the Gray Lady, perhaps, but far more concerning was where the reporters seemed to be getting the misinformation. “This is why Jews feel so terrified in this moment,” Anti-Defamation League CEO Jonathan Greenblatt told the paper. “For four years it seemed to be stimulated from the political right, with devastating consequences.” At the scenes of Jew-hunting that began in May, during the war between Israel and Hamas, Greenblatt lamented, “No one is wearing MAGA hats.” If there’s one organization whose responsibility it is to prepare not just the Jewish community but the wider United States public and its government for emerging anti-Semitic threats, it’s the ADL. Instead, the head of the ADL has been spreading a cynical left-wing myth about anti-Semitism while threats to the Jewish community fester. And it’s even worse than it looks, because while there’s long been a willful blindness toward anti-Semitism from the left, the ADL and other partisan groups aren’t the ones experiencing this blindness. They’re the blinders. The ADL (…) issued a list during the latest flare-up with Hamas on May 20 titled “Prominent Voices Demonize Israel Regarding the Conflict.” Demonizing rhetoric, the ADL warned, can “enable an environment whereby hateful actions against Jews and supporters of Israel are accepted more freely, and where anti-Jewish tropes may be normalized.” One category the list featured was of those “Accusing Israel of ‘Attacking al-Aqsa,’” a hoary libel falsely claiming that Jews want to destroy the central Mosque in Jerusalem. It has been used to incite anti-Jewish riots for a century. What was notable here was one name missing from the list, and arguably the worst offender. On May 12, Representative Alexandria Ocasio-Cortez had castigated President Joe Biden on Twitter for expressing Israel’s right to defend itself while noting what supposedly was to blame for the violence: “the expulsions of Palestinians and the attacks on Al Aqsa.” (…) A day later, on May 13, came a chilling session of the House of Representatives, with dark echoes of Jewish history. Several Democratic members of the House took turns standing next to blown-up photos of bloodied Palestinian children and gave fiery speeches denouncing Zionist perfidy—the sorts of words and charges that, since the age of the czars, have been followed by the spilling of Jewish blood. This time was no different, except it wasn’t a Russian backwater or a Munich beer hall. It was on the floor of the United States Congress. One by one, these members of Congress, Democrats all, sought to make the Jewish state the stand-in for “systems of oppression here in the United States and globally,” as Representative Ayanna Pressley of Massachusetts put it. (…) In the days and weeks that followed, even after an Israel–Hamas cease-fire was in place, Jews in America were physically attacked with abandon—diners at restaurants in Los Angeles and Manhattan, Jews on the streets of New York, families in Florida attending synagogue services. The ADL saw a 75 percent uptick in reported incidents. (…) When called out for their silence, progressive Democratic lawmakers condemned “anti-Semitism and Islamophobia” as one, knowing that their audience would interpret any specific denunciation of anti-Semitism as a statement in support of Israel. (…) Throughout this whole affair, not a single congressional Democrat would criticize any of his colleagues by name. (…) Neither the ADL nor the JDCA uttered a peep. (…) On June 7, Omar tweeted a summary of a question she had for Secretary of State Antony Blinken: “We must have the same level of accountability and justice for all victims of crimes against humanity. We have seen unthinkable atrocities committed by the U.S., Hamas, Israel, Afghanistan, and the Taliban. I asked @SecBlinken where people are supposed to go for justice.” (…) The ADL was silent. JDCA was silent. The Democratic Party sided with the Squad. The Jewish community had been abandoned to the rise of the dominant left-of-center ideology according to which Jews are part of a white power structure of which Israel is a prime example. (…) The New Yorker’s Helen Rosner suggested it would be a good tactic not to beat up Jews, as part of an overall strategy to undermine Israel’s legitimacy. (This after the New Yorker’s union put out a statement of solidarity with the Palestinians that included the phrase “from the river to the sea.”) Michelle Goldberg of the New York Times wrote a column with a headline so instantly infamous that the Times eventually and quietly changed it: “Attacks on Jews Over Israel Are a Gift to the Right.” Meanwhile, the comedian Sarah Silverman objected to attacks on Jews in Los Angeles not on the grounds that they were evil acts of anti-Semitic violence but rather because “WE ARE NOT ISRAEL.” For his part, Kenneth Roth, the obsessively anti-Israel executive director of Human Rights Watch, declared, “It is WRONG to equate the Jewish people with the apartheid and deadly bombardment of Prime Minister Netanyahu’s government. » Seth Mandel
You can’t walk very far on an American or European university campus these days without encountering some version of the “Palestinian Land Loss” maps. This series of four—occasionally five—maps purports to show how rapacious Zionists have steadily encroached upon Palestinian land. (…) Taking each map in turn, it is easy to demonstrate that the first one is by far the most dishonest of the lot. (…) It deliberately conflates private property with political control. (…) The next map (…) represents the partition plan adopted by the United Nations General Assembly in 1947 as UN Resolution 181. It called for two independent states to be formed after the end of the British Mandate, one Jewish and one Arab. Needless to say, the resolution was never implemented. It was rejected by a Palestinian Arab leadership that just two years before had still been allied with Nazi Germany. (…) At this point, with partition rejected by the Arabs and no help from the international community in sight, the Jews declared independence and formed what would become the Israel Defense Forces. The Arab states promptly launched a full-scale invasion, whose aims—depending on which Arab leader you choose to quote—ranged from expulsion to outright genocide. And the Arabs lost. At war’s end in 1949, the situation looked roughly like the third map in the series—the first of the lot that even comes close to describing the political reality on the ground. (…) But (…) What it shows are the so-called “armistice lines,” i.e., the borders where the Israeli and Arab armies stopped fighting in 1949. These lines held more or less until 1967. (…) But (…) on the other side of the line, (…) the territories that are today called the West Bank and the Gaza Strip (…) were not—not before, during, or after 1967—“Palestinian” in the sense of being controlled by a Palestinian Arab political entity. Both territories were occupied by invading Arab armies when the armistice was declared in 1949, the Gaza Strip by Egypt and the West Bank by Jordan. The latter was soon annexed, while the former remained under Egyptian military administration. This status quo lasted until 1967, when both were captured by Israel. In the 1967 Six Day War, which was marked by Arab rhetoric that was sometimes even more genocidal than 1948, Israel also took the Golan Heights from Syria and the Sinai Peninsula from Egypt, more than trebling the amount of land under its control. Israel has since withdrawn from more than 90 percent of the land it occupied—mostly in the Sinai withdrawal that led to peace with Egypt. The first three maps, then, confuse ethnic and national categories (Jewish and Israeli, Arab and Palestinian), property and sovereignty, and the Palestinian national movement with Arab states that ruled over occupied territory for a generation. (…) As (…) to the fourth map (…) usually labeled either 2005 or “present,” purports to show the distribution of political control following the Oslo process and the Israeli withdrawal from Gaza. The patches of Palestinian land in the West Bank are areas handed over to the Palestinian Authority in the 1990s, mostly under the 1995 Oslo II agreement. Expanding upon the autonomy put in place after previous agreements in the Oslo process since 1993, this agreement created a complex patchwork of administrative and security zones, splitting the West Bank into areas of exclusive Palestinian control, joint control, and Israeli control. It was meant as a five-year interim arrangement, after which a final status agreement would be negotiated. (….) But no agreement was reached. As in 1947, the principal reason was Palestinian rejectionism. This time, the Palestinian leadership rejected a state on over 90 percent of the West Bank and 100 percent of the Gaza Strip. They then broke their pledge not to return to the “armed struggle” and embarked on a campaign of suicide bombings and other terrorist atrocities that were not only morally indefensible but lost them the trappings of sovereignty they had gained over the previous decade. After tamping down the worst of the violence, Israel decided to leave the areas of the Gaza Strip it had not evacuated a decade before. The withdrawal took place in 2005. Two years later, the Islamist group Hamas took over the Strip in a violent coup d’etat. Since then, there have been two Palestinian governments—the Hamas regime in Gaza and the Fatah-led regime in the West Bank. Both of these regimes are marked with the same color on this fourth map, thus failing to acknowledge the split between the two regimes, though it is the first map in the series to correctly label areas under Palestinian Arab political control. Nonetheless, it does not distinguish between the sovereign territory of the State of Israel—or, in the case of East Jerusalem, territory that Israel claims as sovereign without international recognition—and territories in the West Bank that, according to agreements endorsed by both sides, are under Israeli control until a final status agreement. Taken together, what we have is not four maps in a chronological series, but four different categories of territorial control presented with varying degrees of inaccuracy. Those categories are private property (“1946”), political control (“1967” and “2005”), and international partition plans (“1947”). They are presented in a fashion that is either tendentiously inaccurate (“2005”), essentially mendacious (“1947” and “1967”), or radically untrue (“1946”). (…) Perhaps the best way to illustrate the bankruptcy of the “Palestinian Land Loss” myth is to compare it to a similar situation elsewhere. An equally absurd set of maps could be drawn up of the Indian subcontinent before and after the end of British rule. It could start with a 1946 map of the entire subcontinent, labeling any private property owned by Hindus as “Indian” and the rest as “Pakistani.” Hindus, after all, are 80 percent of India’s population today, just as Jews are 80 percent of Israel’s. It is absurd to consider anything not privately owned by Hindus under British rule as “Pakistani” when the state of Pakistan did not yet exist, but that is roughly the same as labeling anything not privately owned by Jews under the Mandate as “Palestinian.” We could then put up a partition map from 1947, with West and East Pakistan next to a much larger India; as well as a post-partition map—perhaps from 1955—showing the land losses along the Radcliffe Line. Finally, we could draw a map from 1971 with East Pakistan shorn off into Bangladesh. A fervently dishonest person might call this series “Pakistani Land Loss,” but it would be such an obvious piece of fiction that no one could possibly take it seriously. Shany Mor
Pour la première fois, on a pu constater une conflictualité dans les localités israéliennes. Les communautés se sont affrontées. Le risque d’apartheid est fort si on continue à aller dans une logique à un État ou du statu quo. L’hypothèse commençait à disparaître. Il faut engager une politique de petits pas. Il faut faire en sorte qu’il y ait une logique de confiance qui puisse s’instaurer. L’Europe est puissante. Pendant cinq ans, l’Europe a dû assumer toute seule le multilatéralisme. Elle joue sa partition au Proche orient. Jean-Yves Le Drian (ministre français des affaires étrangères)
Le ministre a déclaré qu’Israël pourrait devenir un Etat d’apartheid – une affirmation éhontée, fausse et sans fondement. Nous n’accepterons aucune leçon de morale hypocrite et mensongère sur cette question. Dans l’État d’Israël, tous les citoyens sont égaux devant la loi, quelle que soit leur origine ethnique. Israël est un phare de la démocratie et des droits de l’homme dans notre région… Nous ne subirons aucune réprimande morale hypocrite et fausse sur cette question. Benjamin Netanyahu
For those who periodically tune in and tune out of the Israel-Palestine situation, the events of recent days and weeks might seem like a replay of a movie they have seen before: Palestinians are being forced from their homes; Israel drops bombs on Gaza; Palestinians fire rockets from Gaza; Israel destroys most of the rockets with an air defense system that is largely paid for by American taxpayers. All familiar. But the truth is, this moment is different. And it may prove a transformational one in the Palestinian struggle for freedom. Before the world’s attention shifted toward pushing for a cease-fire, Palestinians in Gaza, the West Bank, Jerusalem, inside Israel and in the diaspora had all mobilized simultaneously in a way unseen for decades. They are all working toward the same goal: breaking free from the shackles of Israel’s system of oppression. Reacting to growing Israeli restrictions in Jerusalem and the impending expulsion of Palestinians from their homes in the Jerusalem neighborhood of Sheikh Jarrah, Palestinians across the land who identified with the experience of being dispossessed by Israel rose up, together. Even now, as bombs fall on Gaza, they continue to do so. Palestinians are protesting in huge numbers in cities and towns throughout the land; hundreds of thousands took part in a general strike. With this unified movement, Palestinians have shown Israel that they cannot be ignored. (…) The energy of this moment represents an opportunity to wed Palestinian aspirations with a growing global consensus. According to a 2018 poll by the University of Maryland, 64 percent of Americans would support equal rights in a single state if the two-state solution fails. That number climbs to 78 percent among Democrats. Among scholars and experts on the Middle East, one recent poll found, 66 percent say there is a one-state reality. There is also a growing shift in mainstream organizations that have been hesitant to call for greater change: The Carnegie Endowment for International Peace recently released a report calling for a break from the two-state approach. Many diplomats and analysts around the world I have spoken to in recent years understand that the two-state solution is dead. Israel has killed it. When I ask why they don’t call for equal rights for Palestinians to end what is increasingly obviously a de facto apartheid system, they point out the official Palestinian position remains for a separate state. (…) The Palestinians have moved on, and many people in America and around the world are ready to do so, too. Yousef Munayyer (Arab Center Washington DC)
The fault lines in Israeli society have never been clearer and Jerusalem remains the tinder box that could ignite another catastrophic fire unless the underlying causes — Israel’s occupation of the Palestinian territories and its highly discriminatory policies — are dealt with. (…) The truth is that the Palestinian citizens of Israel and the Jewish majority of the country have never coexisted. We Palestinians living in Israel “sub-exist,” living under a system of discrimination and racism with laws that enshrine our second-class status and with policies that ensure we are never equals. This is not by accident but by design. The violence against Palestinians in Israel, with the backing of the Israeli state, that we witnessed in the past few weeks was only to be expected. Palestinian citizens make up about 20 percent of the Israel’s population. We are those who survived the “nakba,” the ethnic cleansing of Palestine in 1948, when more than 75 percent of the Palestinian population was expelled from their homes to make way for Jewish immigrants during the founding of Israel. (…) When military rule ended in 1966, Israel propagated the myth that Palestinian citizens of Israelis were now full citizens, noting that we can vote for members of the Knesset and that we have representatives there too. But since its establishment, Israel has enacted more than 60 laws entrenching our second-class status. One law makes it possible for Jewish Israelis in many towns to deny me and other Palestinians the right to live alongside them because we are not “socially suitable.” Courts routinely uphold such discriminatory laws and lawmakers have year after year blocked attempts to pass legislation enshrining the equality of Palestinians and Jews. The institutionalized racism and discrimination against Palestinian citizens have pushed almost half of us into poverty and our unemployment rate has soared to 25 percent. Racism against Palestinians is incited and exploited by virtually all major Israeli politicians and parties. (The Labor Party, which has a mere seven seats in the Knesset, is the only exception.) Even “moderates” like the Yesh Atid leader Yair Lapid, who has been tasked with forming a government in the wake of inconclusive parliamentary elections in March, declared that he wants to be “rid of Arabs” and that his most important priority is “to maintain a Jewish majority in the land of Israel.” Politicians call for our citizenship to be revoked, or worse — like the former foreign minister Avigdor Lieberman, who said our heads should be chopped off, or the former education minister Naftali Bennett, who declared that he had killed many Palestinians and had no problem with it. Since 2019, Prime Minister Benjamin Netanyahu has twice made electoral pacts with the overtly racist Jewish Power party, which is made up of followers of the notorious Meir Kahane, whose Kach party and offshoots were labeled terrorist organizations by the United States. Jewish Power is led by Itamar Ben Gvir, who says his hero is Baruch Goldstein, who gunned down 29 Palestinians as they prayed in Hebron in 1994. All of this does not merely garner votes for Mr. Netanyahu, it also normalizes hatred of Palestinians. Young Jews are more radicalized than their parents, with polls showing that they do not want to live next to Palestinians and support revoking our citizenship. This prejudice, racism and violence directed at Palestinians is not limited to the fringe in society — it has become mainstream. In May alone, Mr. Netanyahu’s government allowed marches by violent Jewish supremacists through Palestinian neighborhoods of Jerusalem and into the Aqsa mosque compound. Israeli police officers and Jewish citizens have been offered de facto immunity for attacking Palestinians. Indeed, our mere existence nettles Israel’s ruling elites, who insist on preserving the Jewishness of the state. My father, who is 82, still waits for the day when he does not have to live in fear that we will be evicted from our homeland. To be a Palestinian in Israel is to wait for the day when Israel will decide to forever rid itself of you. How do I explain to my 7-year-old son what being a Palestinian citizen of Israel means? What future can he look toward, when the leaders of the government incite hatred against him? What audacious hope can he have when he is bound to face racism and discrimination in education, employment and housing? For now, I try to shield him from the images on television and on our phones, but there will soon come a time when I cannot shield him from the reality that he is surrounded by people who consider him a second-class citizen. Diana Buttu
En excluant ostensiblement le Hamas, l’administration Biden ne fait que perpétuer le mythe selon lequel le Hamas est le problème central (…) Nous savions que les roquettes décrépites tirées de Gaza étaient tout ce dont les Forces de défense israéliennes et le Premier ministre Benjamin Netanyahu avaient besoin pour rediriger l’attention du public sur la légitime défense d’Israël et loin des préjudices infligés aux Palestiniens. (…) Le conflit concerne l’occupation israélienne. Se concentrer sur le Hamas, c’est aussi aseptiser le conflit, et ainsi en devenir complice. Cela permet aux gens d’exprimer leur sympathie pour les Palestiniens ordinaires tout en blâmant quelques personnes au sommet de la direction palestinienne. Mais le droit à la légitime défense contre l’agression continue d’Israël appartient à tous les Palestiniens; la résistance légitime ne peut être un droit que pour les Palestiniens qui croient exclusivement à la légitime défense non violente – pas face à la violence que nous endurons. (…) Qu’attendre d’une personne qui se fait tirer dessus alors qu’elle était enfant et qu’on ne lui donne qu’une prison ou un camp pour vivre en tant qu’adultes, plutôt que chez eux? C’est pas compliqué. Basma Ghalayini
There are two groups that attend anti-Israel rallies. One group styles themselves as being liberal, open-minded, very concerned about human rights, only wanting peace and so, so concerned over Palestinians who are killed during a war their side started. These people swear up and down that they are non-violent, against antisemitism and that they want Israel to go away quietly and peacefully as a result of world pressure and boycotts. The other are young Arab men who grew up with pure Jew-hatred. They are intolerant of women, of gays, they don’t care about the environment. They share none of the supposed principles of the kumbaya crowd, with the exception of wanting to see the Jewish state destroyed and of the role they take of eternal victims with no agency. The latter group is behind the torrent of antisemitic attacks we see happening every day in the West. They are the ones who are driving around in gangs, looking for Jews to intimidate or attack. They are directly threatening Jews on social media thousands of times a day. This is unprecedented. For decades, Jews have been able to walk around safely in most major cities without fear, without even considering hiding their kippot or Star of David necklaces. Jews used to be most afraid of being attacked by blacks, but over time that has become much less of an issue with the exception of the recent uptick of attacks in Brooklyn. Antisemitism has always been there but it definitely lessened. ADL statistics has seen it go down steadily since the 90s. But this is different than even the ’60s. Now Jews have to worry about gangs who are targeting them because they are Jews. Why have these Arab gangs suddenly become so emboldened to form posses to attack Jews? Because of the first group. The fine distinctions that Leftist Israel haters try to make between anti-Zionism and antisemitism are completely invisible to Arabs. They hate Israel because, not despite the fact, it is filled with Jews. Antisemitism is the entire source of the conflict. Their parents and preachers don’t teach them to hate Zionists but Jews. They look at their Jewish allies as tools and as dhimmis, not as role models. The attackers find strength in numbers, they see that they have the Left on their side, they are riled up by thousands of lies about Israel by speaker after speaker and tweet after tweet, they get validation from members of Congress and other liars and bigots who say that Israel is guilty of genocide and apartheid and ethnic cleansing, they are primed to violence from lurid and often faked photos of dead kids, they are whipped up into a frenzy from the hypnotic anti-Israel and antisemitic chants. And they are in large cities with lots of identifiable Jews all around, who must pay for these crimes. It is a recipe for violence. The Arab gangs are engaged in what they know best: terrorism. After all, the point of terrorism isn’t the attacks themselves but the feat that the attacks create among the targets. These Arabs are importing terror from their Middle Eastern cousins, doing everything they can to frighten Jews. They feel, correctly, that they have reached a critical mass with fellow Arabs in their respective Western countries. Crucially, they are being given cover by the secular Left, publishing articles that justify terror and the idea that Palestinians are justified in doing anything they want to Jews because all’s fair in « resistance. » Arabs are sensitive to being shamed. They have not acted like this before in America because the idea of wanton violence against Jews was shameful. Now, and their Leftist allies give them intellectual cover – and they will never, ever shame them. The Leftist anti-Zionists could shame them into stopping their attacks. They could make it clear that they want nothing to do with the antisemites. They could stand up and say that they will not be allies with Jew-haters and will not march with bigots. They could demand that mosques and Muslim leaders clearly denounce the attacks (they certainly will not do that on their own.) But these people who claim to speak truth to power will never, ever call out violence by Arabs They refuse to do that, because they are all about solidarity and allyship and, let’s face it, they don’t want to say anything negative about people of color who want to attack Jews. The Leftist enablers also know that the Arabs would turn on them next if they say anything negative about their antisemitism. Instead, the « progressives » issue weak statements against antisemitism and then return to their « From the river to the sea » chants to incite the next round of attacks. The only solution is to shame the attackers. The only people who can do that are tacitly condoning the attacks. This is a nearly perfect storm that is bringing up an entirely new class of Jew-hatred to America. Elder of zion
Aside from putting forward a peace proposal that was dead on arrival, we don’t think they did anything constructive, really, to bring an end to the longstanding conflict in the Middle East. Jen Psaki (Biden’s spokeswoman)
In the minds of the Iranian leadership and those of their Hamas proxies, the Abraham Accords represent the single greatest military and political threat to Iran’s nuclear and hegemonic ambitions. Destroying them is their strategic goal. The Abraham Accords provide a formal framework for the operational partnership that developed since 2006 between Israel and the Sunni Arab states that, like Israel, are threatened by Iran. In formalizing those ties, the Abraham Accords split the Arab/Islamic world into two camps. The first camp includes Iran and the states and terror groups Iran supports, controls and is allied with. Political forces hostile to Israel in the West support this camp. Members of the Iran camp and its supporters in the West insist the Jewish state is the greatest source of instability and the primary obstacle to peace in the Middle East. The second camp is comprised of Israel and the Arab states that understand that Iran is the greatest threat to peace and security in the Middle East. Arab members of this camp include Saudi Arabia, the UAE, Bahrain, Egypt, Sudan and Morocco. These Arab states believe that in alliance with Israel they will be able to contain and eventually defeat the Iranian regime. Until the Abraham Accords were formalized, only the Iranian camp had an international presence. The anti-Israel, pro-Iran narrative, which claims that Israel is the greatest threat to regional and world peace, had the stage to itself from Tehran to California. Since the Abraham Accords were signed last September, the Iranian camp has been on the defensive. In a press briefing on Tuesday, President Joe Biden’s spokeswoman Jen Psaki indicated that the administration is just as unhappy with the Abraham Accords as the Iranians and Palestinians are. In response to a reporter’s question about the Trump administration’s peace efforts, Psaki pretended that the Abraham Accords don’t exist. “Aside from putting forward a peace proposal that was dead on arrival,” she said derisively, “we don’t think they did anything constructive, really, to bring an end to the longstanding conflict in the Middle East.” This asinine statement put paid the notion that Biden will ever opt for an alliance with the Abraham Accords member nations over the Iran/Hamas axis. Just as the administration refuses to even utter the term “Abraham Accords,” so it insists on ignoring their political significance for the states of the region and their military capacity to contain Iran. Despite the massive pressure that has been exerted against Abraham Accords member states to disavow their ties with Israel since Hamas opened its offensive last week, so far they have not wavered. The UAE, Bahrain and Morocco have put out mild statements on the Hamas war. Morocco sent humanitarian aid to Gaza. There have been no anti-Israel demonstrations in the streets of any of the Abraham Accords member states. Sudan’s leader, Abdel Fattah Al-Burhan discussed the issue in an interview with France 24 in Arabic earlier this week. (…) In his words, “The normalization [of relations between Sudan and Israel] has nothing to do with the Palestinians’ right to establish their own state. The normalization is reconciliation with the international community, and with Israel as part of the international community.” (…) Since it is clear that Israel made clear from the outset that it had no interest in conquering Gaza, Hamas will declare victory no matter how much damage it sustained from Israeli airstrikes. So too, after the Biden administration placed the threat of condemning Israel at the UN Security Council on the table in the first days of the conflict, it was clear that Israel wouldn’t dare defy Biden for long once he publicly demanded a ceasefire. Caroline Glick
Ce que nous voulons, nous autres Arabes, c’est être, or nous ne pouvons être que si l’autre n’est pas. S’il n’y a pas d’autre solution, alors que cette guerre nucléaire ait lieu et qu’on en finisse une fois