Philosophie: Les métaphysiciennes sont-elles des blondes parfumées qui séduisent les extra-terrestres? (Barbarella at College de France: First woman at France’s top philosophy position faces her country’s usual parochialism and sexism)

30 juin, 2011
Pourquoi est-ce toujours le romantisme, et jamais le rationalisme, qui donne l’impression d’être plus profond et de se rapprocher davantage de l’essentiel ? Il n’est tout de même pas exclu que ce que Derrida appelle « une philosophie assurée dans son humanisme libéral et démocratique de gauche » puisse être néanmoins une grande philosophie, ni même que notre siècle en ait donné certains exemples. Il ne va pas de soi que la profondeur doive toujours être située du côté de l’inquiétant et du diabolique et que la pensée rationaliste, libérale, démocratique et humaniste soit nécessairement condamnée à en rester à une analyse superficielle des choses. L’analyse de la situation du monde contemporain qui est proposée par un rationaliste comme Musil me paraît bien supérieure, pour ce qui est de la perspicacité, de la subtilité et du sens de la complexité, à celle de Heidegger. Jacques Bouveresse
Il y a des formes de nationalisme philosophique que je ne peux considérer autrement que comme puériles et déshonorantes, en particulier celle dont la rue d’Ulm semble être devenue depuis quelque temps la représentante par excellence dans sa façon de militer pour le retour à la seule philosophie digne de ce nom – autrement dit, la philosophie française, et plus précisément la « French Theory ». Verra-t-on un jour arriver enfin une époque où on trouvera normal, pour ceux qui estiment avoir des raisons de le faire, de pouvoir critiquer certaines des gloires de la philosophie française contemporaine, comme Derrida, Deleuze, Foucault et d’autres, sans risquer d’être soupçonné immédiatement d’appartenir à une sorte de « parti de l’étranger » en philosophie ? Si la philosophie, au moins quand il s’agit de penseurs de cette sorte, est en train de se transformer en une sorte de religion dont les dogmes et les ministres sont à peu près intouchables, je préfère renoncer tout simplement, pour ma part, à la qualité de philosophe. (…) Dans les années 1960-1970, j’ai entendu moi-même à plusieurs reprises des philosophes comme Althusser, Derrida, Foucault et d’autres déplorer le provincialisme de la philosophie française et son manque d’ouverture sur l’étranger, en particulier sur le monde anglo-saxon. Même s’ils n’ont pas fait eux-mêmes grand-chose de concret pour essayer de mettre en pratique ce qu’ils prêchaient, ils trouvaient néanmoins normal d’encourager ceux qui essayaient de le faire. C’est à la demande d’Althusser – qui, s’il n’était sûrement pas un libéral en matière théorique, l’était néanmoins à coup sûr en matière d’organisation de l’enseignement -, que j’ai donné à la rue d’Ulm pendant les années 1966-1969 des cours sur la philosophie analytique. C’est bien la dernière chose qu’il pourrait me venir à l’esprit d’essayer de faire aujourd’hui. Jacques Bouveresse
La philosophie jouit en France d’un prestige singulier. Elle est enseignée en classe de terminale, ce qui est presque unique au monde. Elle fait des triomphes en librairie. Nombre de nos grands intellectuels (Sartre en étant l’archétype) sont philosophes de formation, et de vastes campagnes commémoratives confortent le public dans l’idée que la France produit un génie philosophique tous les dix ou quinze ans. Ce qui est un très bon rythme au regard de la moyenne historique mondiale. La philosophie est chez nous une véritable institution, et de celles que l’on songe le moins à suspecter. Que cette situation ne soit pas, à tout prendre, très heureuse et qu’elle repose sans doute sur un grave malentendu quant à ce que la philosophie peut offrir et ce que l’on doit attendre d’elle : voilà une idée qui a donc peu de chances de susciter l’enthousiasme au pays de Descartes. (…) Comme le signale Jean-Jacques Rosat dans son excellente préface, le ton adopté par Bouveresse est aux antipodes du « style héroïque » prisé par les tenants d’une vision légendaire de la philosophie. C’est en moraliste ironique que Bouveresse scrute les dernières décennies de notre vie intellectuelle. (…) La légende raconte une histoire tourmentée, pleine d’innovations fracassantes : nos philosophes, à la force du concept, terrassent des géants (tour à tour la morale, le pouvoir, le sujet, la métaphysique, l’objectivité, ou la « pensée 68 ») ; le public, qui n’a rien vu venir, est averti qu’une nouvelle ère vient de s’ouvrir, celle de la structure, de la déconstruction, ou plus récemment de la morale et du droit qui avaient été bannis quelques années plus tôt. Le moraliste est plutôt frappé par la morne constance des mœurs de la tribu. Elle est d’un nationalisme invétéré : pour elle, rien de vraiment sérieux, encore moins de profond, n’est à attendre, par exemple, de la philosophie de langue anglaise. Elle ignore d’ailleurs les philosophes de langue allemande dont l’unique défaut, semble-t-il, est de ne pouvoir être comptés ni parmi les précurseurs de Heidegger ni parmi ses épigones. Changeant plus facilement de dieux que de vice, elle méprise volontiers la logique. Quand on ne soupçonne pas celle-ci d’être le masque d’une autorité répressive (Bouveresse rappelle à ce propos d’accablantes déclarations de Foucault et Deleuze), on tient du moins ses exigences pour de mesquines chicanes. Un argument peut être à la fois un pur sophisme, et délivrer une vérité profonde, et d’autant plus utile qu’elle s’affranchit justement de la rationalité ordinaire (« Visiblement, même dans le monde intellectuel, les fautes contre la raison et la logique scandalisent beaucoup moins que le manque d’égard pour l’affectivité »). L’épisode des « nouveaux philosophes » ou celui des réactions françaises face à la « révélation » des sympathies durables de Heidegger pour le régime nazi inspirent à Bouveresse de salutaires réflexions sur les rapports entre nos grands philosophes et la politique. Comme on le sait, il n’est guère en ce siècle de mauvaise cause qui n’ait été soutenue avec ferveur par les intellectuels les plus adulés. Le philosophe, pourtant, ne se trompe jamais, car les raisons de ses erreurs sont encore préférables aux vérités que les autres ont atteintes au même moment par des moyens plus ordinaires. Certains en voudront peut-être à Bouveresse de revenir sur ces mésaventures passées : mais le fait que certaines options soient aujourd’hui démodées ne signifie aucunement que les dispositions qui les ont produites ont disparu, ni que l’on a tiré toutes les conséquences des égarements du passé. La satire est pour Bouveresse la façon de soulever un problème de fond, celui de la spécificité française de la philosophie. Comparant les penseurs continentaux à leurs homologues anglo-saxons, il discerne chez les premiers une tendance à penser que la philosophie doit inventer « de nouvelles façons de parler » plutôt que formuler « des propositions à propos desquelles la question de la vérité et de la justification pourrait réellement se poser ». De là, sans doute, la tendance de nos philosophes à l’obscurité, au style poétique ou grandiloquent, et le fait qu’ils « ne croient généralement pas qu’il puisse exister en philosophie quelque chose comme une erreur (ou a fortiori un non-sens)». Ce dernier trait, qui devrait être rédhibitoire, est au contraire à la source des espérances que nourrit aujourd’hui la philosophie. Vincent Aubin (Le Figaro littéraire)
Parfois, quand je les entends, j’ai l’impression d’assister à un conseil d’administration où un nouveau manager vous bombarderait de termes anglais. Russell, Popper, on pensait que c’était ça la philosophie analytique. Ce que représente quelqu’un comme Mme Tiercelin, c’est encore autre chose : des problèmes hyper pointus, exprimés dans un jargon très intérieur. C’est une philosophie qui se veut argumentative mais avec laquelle il est très difficile d’argumenter. Philosophe (ENS)
Deux ou trois livres sur le pragmatisme de Charles Peirce… et même pas de fiche Wikipédia. Consoeur philosophe
Quelles que soient les qualités de sa nouvelle collègue, sa vivacité et son intelligence, qu’il salue, le linguiste Claude Hagège, professeur honoraire du Collège, résume un sentiment assez général en voyant dans cette mise à l’honneur d’une disciple de Searle et Peirce «un symptôme certain de notre américanisation». Répétiteur à l’ENS, le philosophe Quentin Meillassoux se déclare lui aussi troublé de voir que, par une inversion spectaculaire, c’est désormais aux Etats-Unis que la French Theory est obligée de se réfugier. Plus sévère encore, Alain Badiou, star de la Rue d’Ulm, voit dans cette élection le résultat de vingt-cinq années d’abaissement qui auront abouti à faire de l’institution où enseignèrent Barthes et Foucault «une sous-préfecture attardée de la philosophie analytique américaine, favorisant le consensus conservateur au détriment du contemporain novateur». Le Nouvel Observateur
Songez qu’Alain Corbin n’y est pas ! Ni Michelle Perrot, ni Jacques Rancière, ni Badiou, ni Jean-Claude Milner… Elisabeth Roudinesco (psychanalyste)
Foucault ne serait plus élu aujourd’hui, ni Bourdieu. Disciple de Bourdieu
Vous voulez savoir qui gagnera à la fin? C’est nous qui allons gagner. Ils peuvent se faire élire où ils veulent, ils peuvent pérorer à Oxford ou Acapulco, mais ils n’ont pas d’oeuvres dignes de ce nom. Or vous savez quoi ? A la fin, c’est l’oeuvre qui gagne. Disciple de Derrida
Pour dire les choses crûment, la philosophie analytique, c’est celle qui se pratique dans le monde entier, de Taïwan jusqu’en Australie. S’ils ne veulent rien y entendre, tant pis pour eux. (…) Moi aussi j’ai dévoré Nietzsche, Deleuze, «De la grammatologie», tout ça… Mais c’est vrai qu’à un moment donné cette pensée «profonde», métaphorique, ne m’a pas suffi. J’ai commencé à suivre les cours de Bouveresse et Vuillemin [NDLR : philosophe des sciences au Collège de France, de 1962 à 1990], et je suis partie aux Etats-Unis. Claudine Tiercelin
Peirce est le fondateur du pragmatisme, souvent présenté de façon caricaturale. On lui fait dire que le vrai se réduit à l’utile, la connaissance à l’action, la réalité à ce qu’on en fait. C’est tout le contraire ! Peirce était un philosophe scientifique, un évolutionniste qui se demandait comment peuvent émerger des normes et des valeurs dans un univers soumis au hasard. Pour lui, la vérité est le but idéal de l’enquête scientifique ; la connaissance porte sur un monde réel, fait de possibles et de propriétés stables, sous forme de capacités ou de dispositions naturelles et mentales. Sa métaphysique est celle d’un logicien et d’un savant. Pour Peirce, il y a des propriétés universelles réelles, thèse qu’il emprunte à Duns Scot. Cela m’a conduite à m’intéresser à la métaphysique médiévale. J’y ai découvert un type de philosophie où l’ontologie tutoyait la logique, la théorie de la connaissance et la théorie des signes. On dira : et la théologie ? Certes, elle y est, sans cesse, mais je n’ai jamais conçu la philosophie comme une « servante de la théologie », selon la formule célèbre. Les servantes, de nos jours, se rebiffent ! (…) On tend à considérer la métaphysique comme une sorte de nacelle pour nous élever vers le ciel avec des crochets célestes. Je la vois plutôt comme un véhicule lent, roulant au ras du sol, enregistrant les propriétés réelles des choses et la manière dont elles tiennent ensemble (…) La philosophie (…) n’est pas une sagesse, elle ne protège et ne console de rien, et c’est fort bien ainsi. Elle ne doit surtout pas être oraculaire : un philosophe est un animal social, pas un animal grégaire, et il ne saurait servir de mouton de tête. Comme toute entreprise rationaliste dont le but est la connaissance, la philosophie se pratique sur le mode de l’enquête, non pas dans le silence du cabinet, mais dans un esprit de laboratoire, en testant ses hypothèses. Elle doit donc se tenir prête à jeter par-dessus bord toutes ses croyances, si des chocs avec le réel la forcent à en douter. Claudine Tercelin
Il y a quelques semaines, La pensée du discours s’est penchée sur la question de la description des intellectuelles dans la presse à travers deux articles de Libération, l’un sur la philosophe Cynthia Fleury, qui était décrite comme une « jolie blonde cheveux sagement tirés en arrière en une longue queue de cheval », l’autre sur l’écrivaine Silvia Avallone, dont on mentionnait les « gros seins, son sourire, ses cheveux bouclés en cascade, son imposant tatouage tribal sur l’épaule gauche qui date de ses 15 ans ». C’était une « réflexion sur la question potiche ». Je poursuis aujourd’hui cette enquête en proposant quelques pistes pour l’analyse d’une question autrement plus importante : les métaphysiciennes sont-elles des blondes parfumées qui séduisent les extra-terrestres ? Aude Lancelin a signé le 14 juin dans le Nouvel observateur un papier titré L’inconnue du collège de France, portrait de la philosophe Claudine Tiercelin, récemment nommée sur une chaire intitulée « Métaphysique et philosophie de la connaissance » (…). Elle cède elle aussi à cette bizarre habitude que semblent avoir les journalistes d’agrémenter leurs portraits de marqueurs physiques et de comparaisons qui, sur le plan de l’information, n’apportent rien à leur travail. Claudine Tiercelin y est en effet décrite comme un « petit personnage blond perdu derrière trois vastes tableaux noirs », porteuse d’un « parfum poudré », et, clou de la technique descriptive néo-balzacienne de la journaliste, comme une éventuelle « Barbarella du concept yankee ». Alors évidemment, l’idée même d’associer Claudine Tiercelin à quoi que ce soit de « petit » est déjà désopilante et le coup du parfum est assez bête. Mais alors, la « Barbarella du concept yankee », on en redemande… On sait bien quel est le trait dominant du personnage de Barbarella : la séduction féminine sexualisée, emblématisée par le célèbre orgasmotron. Donc on n’en sort pas : la femme philosophe ou écrivaine ne peut être décrite hors de sa composante sexuelle dont on se demande un peu ce qu’elle vient faire dans l’enseignement de la métaphysique et la recherche en philosophie de la connaissance.  Marie-Anne Paveau

« Inconnue du Collège de France », « petit personnage blond perdu derrière trois vastes tableaux noirs », « parfum poudré », « Barbarella du concept yankee », ex-shampouineuse chez L’Oréal , « encore inconnue il y a un mois, même chez les libraires les plus pointus », « même pas de fiche Wikipédia », « courant anglo-saxon épris de formalisme logique et notoirement arrogant à l’égard d’une tradition continentale plus volontiers littéraire », « nuée de patronymes anglo-saxons inconnus », « Dame de fer» du Collège », « petite Bretonne débarquée à Paris, fille de militaire brestois », « tropisme pour les concepts anglo-saxons », « symptôme certain de notre américanisation », « résultat de vingt-cinq années d’abaissement », « sous-préfecture attardée de la philosophie analytique américaine » …

En cette semaine de premières pour les femmes …

Après la nomination de la première femme (et non-économiste) à la tête du FMI (remplacée à Bercy par un ancien journaliste chiraquien) et la condamnation de la première femme pour génocide

Retour, avec la linguiste Marie-Anne Paveau, sur le petit joyau de nationalisme et de sexisme ordinaire avec lequel le Nouvel Observateur a salué l’élection le mois dernier au plus haut rang de l’enseignement supérieur français et dans la reine jusque-là exclusivement masculine des disciplines, de la première femme à la chaire de métaphysique et philosophie de la connaissance du Collège de France, Claudine Tiercelin

Et dans lequel, reprenant largement les dires de ses adversaires et multipliant à l’envi marqueurs physiques comme comparaisons les plus futiles, Aude Lancelin nous présente cettte disciple de Bouveresse et Bourdieu passé par Berkeley non seulement comme une « inconnue », incarnation de l’irrémédiable noyautage scientiste de ce dernier temple des sciences humaines qui avait déjà refusé refus d’élire Derrida (traité d’«astrologue» par les neurobiologistes!).

Mais aussi, à l’instar de son mentor pour qui « le rôle de la philosophie n’est pas d’avancer des thèses mais de dissoudre des faux problèmes », un inquiétant symbole de l’américanisation rampante de la patrie de notre Badiou national.

Censé apporter la dernière touche, à l’heure où « par une spectaculaire inversion c’est aux Etats-Unis que la French Theory est obligée de se réfugier », à la transformation de notre dernier haut « lieu de sacralisation des hérétiques » en vulgaire »sous-préfecture attardée de la philosophie analytique américaine » …

Barbarella au collège de France. Du traitement médiatique de la métaphysique et des métaphysiciennes

Marie-Anne Paveau

La pensée du discours

15/06/2011

Il y a quelques semaines, La pensée du discours s’est penchée sur la question de la description des intellectuelles [1] dans la presse à travers deux articles de Libération, l’un sur la philosophe Cynthia Fleury, qui était décrite comme une « jolie blonde cheveux sagement tirés en arrière en une longue queue de cheval », l’autre sur l’écrivaine Silvia Avallone, dont on mentionnait les « gros seins, son sourire, ses cheveux bouclés en cascade, son imposant tatouage tribal sur l’épaule gauche qui date de ses 15 ans ». C’était une « réflexion sur la question potiche ». Je poursuis aujourd’hui cette enquête en proposant quelques pistes pour l’analyse d’une question autrement plus importante : les métaphysiciennes sont-elles des blondes parfumées qui séduisent les extra-terrestres ?

Aude Lancelin a signé le 14 juin dans le Nouvel observateur un papier titré L’inconnue du collège de France [2], portrait de la philosophe Claudine Tiercelin [3], récemment nommée sur une chaire intitulée « Métaphysique et philosophie de la connaissance » (merci à Xavier Molénat @SH_lelabo [4] d’avoir twitté l’info). Elle cède elle aussi à cette bizarre habitude que semblent avoir les journalistes d’agrémenter leurs portraits de marqueurs physiques et de comparaisons qui, sur le plan de l’information, n’apportent rien à leur travail. Claudine Tiercelin y est en effet décrite comme un « petit personnage blond perdu derrière trois vastes tableaux noirs », porteuse d’un « parfum poudré », et, clou de la technique descriptive néo-balzacienne de la journaliste, comme une éventuelle « Barbarella du concept yankee ».

[5]Alors évidemment, l’idée même d’associer Claudine Tiercelin à quoi que ce soit de « petit » est déjà désopilante et le coup du parfum est assez bête. Mais alors, la « Barbarella du concept yankee », on en redemande… On sait bien quel est le trait dominant du personnage de Barbarella : la séduction féminine sexualisée, emblématisée par le célèbre orgasmotron [6]. Donc on n’en sort pas : la femme philosophe ou écrivaine ne peut être décrite hors de sa composante sexuelle dont on se demande un peu ce qu’elle vient faire dans l’enseignement de la métaphysique et la recherche en philosophie de la connaissance.

Et puis, en lisant attentivement l’article, on comprend peut-être : bien qu’elle soit elle-même agrégée de philosophie (me dit Wikipedia), Aude Lancelin (que d’aucuns surnomment la « Zaza du Nouvel Obs » [7]) semble avoir des connaissances un peu fragiles sur la philosophie analytique. Elle écorche d’ailleurs Quine en Quayle, ce que remarque un commentaire. Ne sont citées dans son article que de rares références de Claudine Tiercelin dont est curieusement absent Le doute en question [8], qui est l’un des livres importants de ces dernières années en philosophie de la connaissance (2005, Éditions de l’Éclat). Elle ignore également beaucoup du système relationnel complexe que constitue le champ philosophique en France, qu’elle réduit au triangle rue d’Ulm-Sorbonne-Collège de France, et surtout des pratiques et rituels discursifs en milieu universitaire… Du coup, elle rapporte, à tous les sens du terme, et l’article est parcouru de ces discours malveillants que l’on appelle des médisances. En ce sens il constitue presque un bon corpus d’étude pour l’hétérogénéité énonciative [9], que l’on définit comme une multiplicité des voix et des points de vue qui traversent un texte. Elle rapporte, comme elle la qualifie elle-même, la « perfidie d’une consœur » qui considère Claudine Tiercelin comme une « inconnue » (Claudine Tiercelin, la Jane Doe de la rue des Écoles ?), les commentaires très négatifs d’un « philosophe trentenaire déjà renommé » rue d’Ulm (mais qui ne se nomme pas), le sentiment protectionniste de Claude Hagège qui fait de cette nomination « un symptôme certain de notre américanisation », et les diatribes d’Alain Badiou considérant que cette élection contribue à faire du Collège de France « une sous-préfecture attardée de la philosophie analytique américaine ». Mais la journaliste rapporte aussi, sans guillemets, dans les interdiscours non questionnés qui forment la toile de fond de son propre discours, des points de vue et des jugements de valeur, en particulier issus de la fameuse querelle philosophie continentale vs philosophie analytique qui parcourt la communauté. À partir de quoi choisit-elle le camp des continentaux en attribuant autant de points négatifs à la métaphysicienne, comme le montre sa conclusion prédisant la victoire des disciples de Derrida, si ce n’est les on-dits et mé-dits qu’elle recueille, en lieu et place d’une enquête sérieuse ? Un bon corpus, cet article, également, pour l’étude des méthodes d’enquête et les pratiques journalistiques…

Claudine Tiercelin a terminé sa leçon inaugurale du 5 mai dernier par une phrase qui m’a beaucoup frappée : la moindre des choses pour un philosophe est de ne pas s’avancer masqué, a-t-elle dit en substance. Je ne sais pas s’il existe beaucoup de philosophes, hommes ou femmes, blondes ou brunes, Barbarella ou Minnie Mouse, qui assumeraient un discours de ce type. J’ai écrit il y a quelques mois [10] quels étaient pour moi les « marqueurs » de Claudine Tiercelin et j’avoue que la couleur de cheveux ou le type de parfum de la « fille de militaire brestois » (ah là là, ces filles de militaires !), m’indiffèrent. Ce qui m’intéresse, c’est sa pensée. Elle l’a magistralement, méthodiquement, pédagogiquement et fermement exposée dans Le ciment des choses [11]. Elle y est sévèrement critique avec certaines postures nécessairement constructivistes de la linguistique, et je suis parfois en profond désaccord avec elle. Mais son propos sur la réalité des choses me semble extrêmement précieux pour penser la théorie du discours et retravailler l’épistémologie des sciences du langage. La linguiste brune essaiera de rendre tout cela explicite dans un très prochain billet.

Crédits : « Barbarella poster », Michael Heilemann, 2003, galerie de l’auteur sur Flickr, CC.

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Billet imprimé depuis La pensée du discours: http://penseedudiscours.hypotheses.org

URL du billet: http://penseedudiscours.hypotheses.org/5674

URLs dans ce billet :

[1] intellectuelles: http://penseedudiscours.hypotheses.org/4698

[2] L’inconnue du collège de France: http://bibliobs.nouvelobs.com/essais/20110608.OBS4766/l-inconnue-du-college-de-france.html

[3] Claudine Tiercelin: http://sites.google.com/site/claudinetiercelin/

[4] @SH_lelabo: https://twitter.com/#!/SH_lelabo

[5] Image: http://penseedudiscours.hypotheses.org/5674/27277634_4fd37fb730

[6] orgasmotron: http://www.youtube.com/watch?v=p82DoH96yAY

[7] la « Zaza du Nouvel Obs »: http://vipere-litteraire.over-blog.com/article-28756039.html

[8] Le doute en question: http://www.lekti-ecriture.com/editeurs/Le-doute-en-question.html

[9] l’hétérogénéité énonciative: http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726x_1984_num_19_73_1167

[10] il y a quelques mois: http://penseedudiscours.hypotheses.org/2713

[11] Le ciment des choses: http://www.ithaque-editions.fr/livre/20/Le+Ciment+des+choses+-+Petit+traite+de+metaphysique+scientifique+realiste

Voir aussi :

http://blog.agone.org/post/2011/06/27/Poussee-de-nationalisme-philosophique-a-la-rue-d-Ulm#rev-pnote-616524-4

Poussée de nationalisme philosophique à la rue d’Ulm

Agone

27 juin 2011

Lettre ouverte de Jacques Bouveresse au Nouvel Observateur

Élue professeure au Collège de France, la philosophe Claudine Tiercelin y a présenté le 5 mai dernier sa leçon inaugurale, La Connaissance métaphysique. Son projet s’inscrit dans un large courant international récent, qui développe une approche rationaliste, scientifique et réaliste des questions métaphysiques. Elle s’appuie résolument sur une certaine tradition du rationalisme en France, largement ouverte aux philosophies de langue allemande et anglaise et au style de pensée analytique – tradition incarnée au Collège de France notamment par Jules Vuillemin (1962-1992) et par Jacques Bouveresse (1995-2010).

Sous la plume d’Aude Lancelin, Le Nouvel Observateur – arbitre autoproclamé des valeurs philosophiques en France – a discrédité la nouvelle élue, ironisant dans un article de quatre pages sur « L’inconnue du Collège de France ».

« Stupéfaction rue d’Ulm. Émoi place de la Sorbonne… » Le trait le plus remarquable de cet article est que les seuls cités ne sont pas seulement des adversaires de la philosophie en question : tous crient haut et fort que celle-ci n’a aucune valeur, qu’elle n’est d’ailleurs pas française, et qu’elle ne devrait donc pas avoir droit de cité dans un haut-lieu de la recherche et de la pensée comme le Collège de France.

Jacques Bouveresse n’a cessé depuis les années 1970 de dénoncer la mainmise d’un certain journalisme sur le monde philosophique français et l’utilisation des médias par certains courants philosophiques à la recherche de pouvoir. Voici la lettre qu’il vient d’adresser au Nouvel Observateur.

Puisque vous m’aviez fait l’honneur de me demander, dans un mail daté du 23 mai dernier, ma réaction à propos de l’élection de Claudine Tiercelin au Collège de France (je vous ai expliqué, je crois de façon suffisamment claire, pourquoi j’étais dans une position qui aurait rendu pour le moins étrange une intervention de ma part dans la presse sur ce point [1]), je me permets de vous faire part de l’étonnement et de l’indignation que suscite en moi l’article que vous venez de publier dans Le Nouvel Observateur. Il n’est pas seulement méprisant, mais même à bien des égards insultant, pour Claudine Tiercelin et pour tous les philosophes qui, en France, se rattachent de près ou de loin à la tradition analytique. Le titre lui-même, « L’inconnue du Collège de France », me semble déjà pour le moins contestable. Je ne suis pas surpris que Claudine Tiercelin soit inconnue du Nouvel Observateur et des médias en général, mais la présenter comme une inconnue tout court n’a pas de sens. Elle est tout à fait connue dans les milieux philosophiques et intellectuels qui ont des raisons de s’intéresser à ce qu’elle fait, et elle a même une réputation internationale que beaucoup de philosophes pourraient lui envier.

D’autre part, je trouve particulièrement inquiétante la tendance que l’on a aujourd’hui de plus en plus à oublier que la célébrité médiatique et la célébrité tout court ne constituent pas une preuve suffisante de la qualité et de l’importance, et n’en sont pas non plus une condition nécessaire. Le fait d’être inconnu ou peu connu n’a jamais constitué et ne constituera jamais par lui-même un argument sérieux à utiliser contre un intellectuel. Enfin, je remarque que votre journal se contentait jusqu’à présent d’ignorer ostensiblement à peu près tout ce qu’écrivent les philosophes qui, en France, se rattachent de près ou de loin à la tradition analytique en philosophie. Je ne pensais pas, je vous l’avoue, en être réduit à penser un jour, comme cela a été le cas lorsque j’ai lu votre article, que c’était peut-être, tout compte fait, encore ce qui pouvait leur arriver de plus supportable.

Quand j’ai reçu votre mail, je me suis imaginé naïvement qu’il s’agissait pour l’essentiel de donner à vos lecteurs une idée un peu plus précise de ce que fait Claudine Tiercelin, de l’importance de la contribution qu’elle apporte à la philosophie d’aujourd’hui et des raisons qui ont pu motiver le choix de quelqu’un comme elle pour une chaire au Collège de France. Je ne me doutais pas qu’il s’agissait en réalité avant tout de permettre à un certain nombre de gens qui sont mécontents de cette élection de régler leurs comptes à travers la presse. Votre article n’apporte malheureusement aucun des éclaircissements que l’on était en droit d’attendre sur ce que fait exactement Claudine Tiercelin, sur les raisons pour lesquelles on peut parler depuis quelque temps d’un véritable renouveau de la métaphysique, dont il était important qu’il soit représenté au Collège de France, et qui a la particularité de s’effectuer pour le moment davantage dans des pays comme l’Australie ou les États-Unis qu’en France. Les seules personnes à qui vous avez donné la parole, à peu près comme s’il n’y avait pas également des philosophes qui ont trouvé pleinement justifié le choix de Claudine Tiercelin et s’en sont réjoui, se trouvent être des gens hostiles a priori et qui, si j’en juge d’après les propos qu’ils tiennent, n’ont aucune connaissance réelle de son œuvre. Je pense que, dans les cas de cette sorte, il faudrait peut-être faire l’effort d’aller chercher des informations également dans d’autres endroits que les librairies du Quartier latin et la rue d’Ulm – dont les philosophes les plus représentatifs, ou en tout cas les plus en vue, semblent convaincus plus que jamais qu’il ne se fait rien d’intéressant en philosophie en dehors de la France [2].

Je ne reproche pas, bien entendu, aux gens auxquels vous vous êtes adressée de ne savoir manifestement pas grand-chose de philosophes aussi importants que Peirce (je parle ici de Peirce métaphysicien), Bradley, McTaggart, David Lewis, David Armstrong et d’autres, dont ils n’ont même peut-être jamais entendu parler ; mais la moindre des choses, en pareil cas, est de se montrer un peu plus prudent et un peu moins catégorique dans ses jugements ; et, pour un journal, de ne pas reproduire ceux-ci sans prendre au moins un minimum de distance par rapport à eux.

Je ne veux pas entrer dans les détails d’une discussion qui m’entraînerait beaucoup trop loin et ne servirait manifestement pas à grand-chose. Mais je me permettrai néanmoins de faire quelques remarques sur des points particuliers :

1. Dire que des gens comme Foucault ou Bourdieu ne seraient pas élus aujourd’hui au Collège de France est une affirmation gratuite et parfaitement absurde, formulée par quelqu’un qui ignore manifestement tout de la situation réelle.

2. Le comble de l’inexactitude est atteint par la déclaration de Badiou [3]. Sur les quatre philosophes qui ont enseigné au Collège de France depuis le départ à la retraite, en 1990, de Jules Vuillemin et Gilles-Gaston Granger et avant l’élection de Claudine Tiercelin, aucun ne peut être considéré, même de loin, comme un représentant de la philosophie analytique américaine. Ce n’est sûrement pas le cas d’Anne Fagot-Largeault, ni de Jon Elster, dont la formation philosophique a, du reste, été pour une part essentielle française (Jean Hyppolite, Raymond Aron, etc.), et même pas non plus de Ian Hacking, qui est un admirateur et un disciple de Foucault. Quant à moi, que Badiou a qualifié autrefois de « héraut de l’hégémonie anglo-saxonne », j’ai travaillé en fait essentiellement, comme il est facile de s’en rendre compte en regardant simplement une bibliographie, sur des philosophes et des écrivains qui sont autrichiens ou allemands ; et si j’ai effectivement une certaine proximité avec la philosophie analytique, ce n’est sûrement pas en priorité avec la philosophie analytique américaine. En dépit de tout ce que certains d’entre nous ont essayé de dire sur ce point, Badiou, depuis les années 1960, continue à répéter à peu près les mêmes clichés et les mêmes contre-vérités à propos de la philosophie analytique en général et également de Wittgenstein.

3. Il y a des formes de nationalisme philosophique que je ne peux considérer autrement que comme puériles et déshonorantes, en particulier celle dont la rue d’Ulm semble être devenue depuis quelque temps la représentante par excellence dans sa façon de militer pour le retour à la seule philosophie digne de ce nom – autrement dit, la philosophie française, et plus précisément la « French Theory ». Verra-t-on un jour arriver enfin une époque où on trouvera normal, pour ceux qui estiment avoir des raisons de le faire, de pouvoir critiquer certaines des gloires de la philosophie française contemporaine, comme Derrida, Deleuze, Foucault et d’autres, sans risquer d’être soupçonné immédiatement d’appartenir à une sorte de « parti de l’étranger » en philosophie ? Si la philosophie, au moins quand il s’agit de penseurs de cette sorte, est en train de se transformer en une sorte de religion dont les dogmes et les ministres sont à peu près intouchables, je préfère renoncer tout simplement, pour ma part, à la qualité de philosophe. Et s’il y a une régression qui est en train de s’effectuer, je crains malheureusement que ce ne soit pas dans le sens qui est suggéré par les gens que vous avez interrogés, mais plutôt dans l’autre [4]. J’ai, en effet, bien peur que ce ne soient d’abord ceux qui, comme moi, depuis le milieu des années 1960 ont essayé, dans des conditions particulièrement défavorables, d’ouvrir la philosophie française sur l’étranger et de l’internationaliser un peu plus, qui ont des raisons de s’inquiéter. Mais c’est, me semble-t-il, plutôt de leur côté que de celui des défenseurs de la philosophie essentiellement et même parfois uniquement « française » que devrait se situer un journal ayant des ambitions intellectuelles comme le vôtre.

Quand je parle de « régression », je ne compare pas simplement, bien entendu, la situation actuelle à ce que les choses étaient encore il y a une dizaine d’années. Dans les années 1960-1970, j’ai entendu moi-même à plusieurs reprises des philosophes comme Althusser, Derrida, Foucault et d’autres déplorer le provincialisme de la philosophie française et son manque d’ouverture sur l’étranger, en particulier sur le monde anglo-saxon. Même s’ils n’ont pas fait eux-mêmes grand-chose de concret pour essayer de mettre en pratique ce qu’ils prêchaient, ils trouvaient néanmoins normal d’encourager ceux qui essayaient de le faire. C’est à la demande d’Althusser – qui, s’il n’était sûrement pas un libéral en matière théorique, l’était néanmoins à coup sûr en matière d’organisation de l’enseignement -, que j’ai donné à la rue d’Ulm pendant les années 1966-1969 des cours sur la philosophie analytique. C’est bien la dernière chose qu’il pourrait me venir à l’esprit d’essayer de faire aujourd’hui. Et si j’avais eu encore des hésitations sur ce point, ce que j’ai lu dans Le Nouvel Observateur me les aurait sûrement enlevées.

4. Le nom de l’auteur du livre intitulé Ontological Relativity (1969) n’est pas « Quayle », mais « Quine » (prénom : « Willard van Orman ») (1908-2000). Il est probablement le philosophe américain le plus célèbre et le plus important du XXe siècle ; et il aurait droit, me semble-t-il, au moins à ce que son nom soit cité correctement.

5. Bien que cela puisse sembler un détail insignifiant, je tiens à vous signaler que Jules Vuillemin n’était pas, en tout cas sûrement pas uniquement ni même d’abord, un « philosophe des sciences », mais un philosophe tout court, au sens le plus classique et le plus plein du terme, et un historien de la philosophie de premier ordre (c’était un élève et un héritier de Martial Gueroult). Si je vous dis cela, c’est parce que qualifier quelqu’un de « philosophe des sciences » revient toujours à suggérer implicitement qu’il ne s’attaque pas aux « grands » problèmes philosophiques et ne peut intéresser qu’un nombre tout à fait restreint de spécialistes, ce qui, dans le cas de Vuillemin, ne correspond en aucun cas à la réalité. Je ne vois d’ailleurs pas ce qui autorise à parler, comme vous le faites dans l’article, d’un « effet de terreur garanti [5] » quand des gens qui sont de vrais savants s’efforcent de communiquer au moins une partie de leur savoir à des auditeurs qui sont venus là pour apprendre et n’ont aucune raison de se sentir terrorisés. C’est une sensation que je n’ai en tout cas jamais eue quand je me suis trouvé ou me trouve encore aujourd’hui dans une situation de cette sorte.

Après vous avoir envoyé, dans un premier temps, une version de ce message à titre personnel, j’ai décidé de le diffuser publiquement, avec quelques corrections et adjonctions : je me suis senti obligé de le faire tellement les choses sont en train de prendre une tournure désagréable (pour ne pas dire plus).

Bien cordialement à vous,

Jacques Bouveresse

——

Pour une analyse complémentaire de l’article en question, lire Marie-Anne Paveau, « Barbarella au Collège de France. Du traitement médiatique de la métaphysique et des métaphysiciennes », La Pensée du discours, 15 juin 2011. [ndlr]

Notes

[1] « En ce qui concerne l’élection de Claudine Tiercelin au Collège de France, je n’ai pas à exprimer une réaction, puisque c’est moi qui ai proposé et défendu sa candidature (toute proposition de création d’une chaire nouvelle au Collège de France doit être présentée devant l’assemblée des professeurs par l’un d’entre eux). Il serait même, je crois, assez incongru que je m’exprime dans la presse pour dire tout le bien que je pense de ce qu’elle fait (sans cela, je n’aurais évidemment pas pensé à elle pour occuper une chaire au Collège de France). De toute façon, il me semble que ce qui compte dans cette affaire et ce à quoi Le Nouvel Observateur devrait s’intéresser est essentiellement la qualité, la nouveauté et l’importance de son travail, et non l’opinion que je peux avoir sur lui. » (25 mai 2011).

[2] Dans sa réponse à Jacques Bouveresse, avec la simplicité et la bonne foi caractéristique des grands médias en général et du Nouvel Observateur en particulier, la journaliste explique avoir « recherché activement des défenseurs pour l’élection de Mme Tiercelin » et que « cette mission est quasi impossible aujourd’hui à Paris ». Il est intéressant de remarquer qu’en plus du refus de Jacques Bouveresse Le Nouvel Observateur n’aurait parfois même pas eu de réponse à ses demandes. Ce qui est une bonne nouvelle : on commencerait à se défier de l’usage que la presse officielle peut faire des propos cités ? [ndlr]

[3] « Alain Badiou, écrit la journaliste, voit dans cette élection le résultat de vingt-cinq années d’abaissement qui auront abouti à faire de l’institution où enseignèrent Barthes et Foucault “une sous-préfecture attardée de la philosophie analytique américaine, favorisant le consensus conservateur au détriment du contemporain novateur” »,  »Le Nouvel observateur », 14 juin 2011.

[4] Le Nouvel Observateur rapporte, par exemple, que « la psychanalyste Elisabeth Roudinesco évoque une grande période de déclin pour l’institution [le Collège de France] » et que « Quentin Meillassoux, répétiteur à l’ENS, se déclare troublé de voir que, par une inversion spectaculaire, c’est désormais aux États-unis que la French Theory est obligée de se réfugier ». (Ibid.)

[5] Le Nouvel Observateur écrit que le cours de Claudine Tiercelin produirait « un effet de terreur garanti pour quiconque est plutôt coutumier de l’établissement d’en face [la Sorbonne]. » (Ibid.)

Voir enfin:

L’inconnue du Collège de France

Aude Lancelin

le Nouvel Observateur

9 juin 2011.

Mais qui est donc Claudine Tiercelin? Depuis le 5 mai, elle incarne la philosophie dans la prestigieuse institution où enseignèrent Bergson et Foucault. Une élection qui déchaîne les passions. Aude Lancelin a enquêté.

«Claudine, qui ?» Stupéfaction Rue-d’Ulm. Emoi place de la Sorbonne, où la nouvelle élue au Collège de France, Claudine Tiercelin, était encore inconnue il y a un mois, même chez les libraires les plus pointus. «Deux ou trois livres sur le pragmatisme de Charles Peirce… et même pas de fiche Wikipédia», souligne perfidement une consoeur. A 58 ans, c’est pourtant elle qui vient de décrocher une chaire de métaphysique et philosophie de la connaissance dans le prestigieux établissement fondé en 1530 par François Ier, soit le plus haut rang de l’enseignement supérieur français.

Elle qui est appelée à y prendre la relève de Bergson, Merleau-Ponty, Aron ou Foucault, entre autres figures mythiques à avoir professé dans ces murs. Une seule femme l’y avait jusqu’ici précédée en philosophie : Anne Fagot-Largeault, aujourd’hui professeur honoraire. Mais il s’agissait d’une chaire de philosophie des sciences biologiques et médicales, domaine plus technique, bien moins symbolique que ce champ métaphysique au lustre notoirement masculin.

A cette première bizarrerie, forcément sympathique, viennent toutefois s’en ajouter d’autres. C’est à une mouvance montante mais très contestée en France qu’appartient en effet Claudine Tiercelin. La philosophie analytique, courant anglo-saxon épris de formalisme logique et notoirement arrogant à l’égard d’une tradition continentale plus volontiers littéraire. Une querelle à couteaux tirés, notamment illustrée en France par l’hostilité de Jacques Bouveresse, héritier de la philosophie du langage de Wittgenstein et proche des «analytiques», à l’égard des maîtres-penseurs des années 1970 comme Derrida ou Deleuze.

On se souvient d’ailleurs que celui-ci avait épaulé Sokal et Bricmont lors de la parution d’«Impostures intellectuelles», en 1997, livre qui raillait l’incompétence scientifique de certaines gloires philosophiques françaises. C’est justement à Bouveresse, son ancien directeur de thèse, désormais retraité du Collège de France, que la nouvelle recrue doit en grande partie son élection. C’est lui qui l’a proposée au suffrage des 57 autres professeurs du Collège, au détriment d’autres figures légitimes, comme Christiane Chauviré, aujourd’hui dévastées par ce choix.

Petit personnage blond perdu derrière trois vastes tableaux noirs, Claudine Tiercelin ne laisse pas d’impressionner par la fermeté de son ton. Lorsqu’on pénètre ce mercredi dans l’immense amphithéâtre Marguerit-de-Navarre, c’est le troisième cours que la philosophe dispense depuis sa leçon inaugurale, le 5 mai. Un public épars d’étudiants, de geeks et de retraités, deux cents personnes peut-être, écoute dans un silence religieux ses considérations sur «l’irréalisme pluraliste» de Goodman ou la «relativité ontologique» chez Quayle  (sic).

Effet de terreur garanti pour quiconque est plutôt coutumier de l’établissement d’en face, la Sorbonne. Renforcée par une nuée de patronymes anglo-saxons inconnus, la stupeur se dissipe à peine quand résonne une citation de Wittgenstein, nom familier : «Si un lion parlait, nous ne le comprendrions pas.» Et si c’était un philosophe analytique qui parlait?

«Parfois, quand je les entends, j’ai l’impression d’assister à un conseil d’administration où un nouveau manager vous bombarderait de termes anglais, témoigne rue d’Ulm un philosophe trentenaire déjà renommé. Russell, Popper, on pensait que c’était ça la philosophie analytique. Ce que représente quelqu’un comme Mme Tiercelin, c’est encore autre chose : des problèmes hyper pointus, exprimés dans un jargon très intérieur. C’est une philosophie qui se veut argumentative mais avec laquelle il est très difficile d’argumenter.»

Ce procès-là, Claudine Tiercelin l’écarte d’un revers de main. «Pour dire les choses crûment, la philosophie analytique, c’est celle qui se pratique dans le monde entier, de Taïwan jusqu’en Australie. S’ils ne veulent rien y entendre, tant pis pour eux.» Rire cordial et fréquent, parfum poudré, la nouvelle «Dame de fer» du Collège vous reçoit dans une splendide crypte restaurée à neuf, sous la cour d’honneur. Les polémiques, elle en a vu d’autres. Au début des années 2000 surtout, lorsque Claude Allègre en fit la première femme présidente d’un jury d’agrégation de philosophie.

Bronca, appel au boycott, déjà la fulgurante ascension de celle qui se décrit comme une «petite Bretonne débarquée à Paris» révulse le milieu. Fille de militaire brestois, Claudine Tiercelin a 9 ans quand son père meurt durant la guerre d’Indochine. Pupille de la nation, elle obtient une bourse pour le lycée français de Londres. Son tropisme pour les concepts anglo-saxons daterait-il de là ? Pas du tout.

Le premier texte de philosophie à l’avoir littéralement empoignée, à 16 ans, c’est «le Traité de la réforme de l’entendement» de Spinoza. «J’ai compris qu’il me faudrait une vie pour démêler tout ça. C’est ce qui est fascinant avec la philosophie. Vous reprenez un livre vingt ans plus tard et, subitement, les écailles vous tombent des yeux. C’est comme le vin, la philosophie, il faut la laisser mûrir, il faut y consacrer du temps, beaucoup de temps.»

Après avoir intégré l’Ecole normale supérieure de filles, elle vient souvent écouter Althusser et Derrida à Ulm. «Moi aussi j’ai dévoré Nietzsche, Deleuze, «De la grammatologie», tout ça… Mais c’est vrai qu’à un moment donné cette pensée «profonde», métaphorique, ne m’a pas suffi. J’ai commencé suivre les cours de Bouveresse et Vuillemin [NDLR : philosophe des sciences au Collège de France, de 1962 à 1990], et je suis partie aux Etats-Unis.»

Avant de rejoindre Berkeley aux côtés du philosophe Pascal Engel, aujourd’hui encore son mari, elle connaîtra une parenthèse inattendue et non dénuée de sel. Fraîchement agrégée, elle décide de s’inscrire en DEA avec Pierre Bourdieu pour tester d’autres possibles. Titre du mémoire: «les Usages sociaux des sciences sociales dans l’entreprise». Sur le conseil de l’auteur des «Héritiers», elle postule pour un stage en entreprise. Ce sera shampouineuse chez L’Oréal, où là aussi sa discipline fait merveille. Rapidement on lui propose un poste de marketing à Orléans. «Ca devenait gênant… à un moment, il a bien fallu que je me dévoile.»

Il y a deux ans, Claudine Tiercelin a failli quitter l’Hexagone. Appelée par l’université de Fordham à New York, elle a passé avec succès une redoutable batterie de tests pour y devenir professeur. Au dernier moment, la Française a renoncé à s’expatrier. Quelles que soient les qualités de sa nouvelle collègue, sa vivacité et son intelligence, qu’il salue, le linguiste Claude Hagège, professeur honoraire du Collège, résume un sentiment assez général en voyant dans cette mise à l’honneur d’une disciple de Searle et Peirce «un symptôme certain de notre américanisation».

Répétiteur à l’ENS, le philosophe Quentin Meillassoux se déclare lui aussi troublé de voir que, par une inversion spectaculaire, c’est désormais aux Etats-Unis que la French Theory est obligée de se réfugier. Plus sévère encore, Alain Badiou, star de la Rue d’Ulm, voit dans cette élection le résultat de vingt-cinq années d’abaissement qui auront abouti à faire de l’institution où enseignèrent Barthes et Foucault «une sous-préfecture attardée de la philosophie analytique américaine, favorisant le consensus conservateur au détriment du contemporain novateur».

Une Barbarella du concept yankee, elle? Claudine Tiercelin assure tout simplement qu’on ne l’a pas lue. «Mon travail se situe pleinement dans la tradition du rationalisme français. Celui d’un Etienne Gilson ou d’un Martial Guéroult, qui jusqu’à preuve du contraire furent aussi professeurs au Collège…» Son intérêt pour la spéculation métaphysique n’en fait certes pas une philosophe analytique ordinaire.

Paru en avril, son nouveau livre, «le Ciment des choses» (Editions Ithaque), montre aussi un véritable refus du jargon et un dialogue serré avec le kantisme et l’ontologie grecque, que ses pairs anglo-saxons, comme Putnam, tiennent, eux, pour un «cadavre puant». Pas davantage elle n’accepte bien sûr d’être dépeinte en continuatrice servile. «Bouveresse ne tardera pas à trouver mes audaces coupables. La métaphysique, voilà ce qui nous sépare. En grand wittgensteinien, il considère que le rôle de la philosophie n’est pas d’avancer des thèses mais de dissoudre des faux problèmes.»

Mais, bien au-delà du cas Tiercelin et des aigreurs qu’il suscite fatalement, c’est l’évolution du Collège de France qui se voit aujourd’hui impitoyablement jugée. Les élections, noyautées par les scientifiques, en effet surreprésentés au Collège, ne seraient plus capables d’y promouvoir un seul grand nom des sciences humaines. «Foucault ne serait plus élu aujourd’hui, ni Bourdieu», jure un disciple de ce dernier.

Le refus d’élire Derrida, barré par les neurobiologistes et traité d’«astrologue», était déjà un signal désastreux. Chacun ne cesse depuis lors d’égrener les oublis du Collège de France, ses injustices honteuses, ses frilosités coupables. «Songez qu’Alain Corbin n’y est pas ! Ni Michelle Perrot, ni Jacques Rancière, ni Badiou, ni Jean-Claude Milner…», s’indigne la psychanalyste Elisabeth Roudinesco, qui évoque une grande période de déclin pour l’institution, à l’exception de quelques individualités brillantes.

Passionnée par la philosophie américaine, Sandra Laugier, professeur à Paris-I, se félicite, elle, que ce courant soit honoré mais déplore également la cooptation qui prévaut au Collège de France, barrant le passage aux gens plus originaux. «Lieu de sacralisation des hérétiques», selon le mot de Bourdieu, l’institution a souvent fonctionné comme un recours pour esprits iconoclastes et grands blacklistés de la Sorbonne, à commencer par Bergson et Lévi-Strauss. Serait-elle aujourd’hui devenue le temple du conformisme?

Le problème, c’est que chacun des camps en présence se perçoit comme celui des persécutés. L’aura de la pensée française des années 1970 en Californie angoisse les amis de Claudine Tiercelin, tandis que leurs adversaires croient au contraire voir surgir des hordes de vandales scientistes dans tous les lieux de pouvoir universitaire français.

«Vous voulez savoir qui gagnera à la fin?», demande une disciple de Derrida dans un sourire féroce. «C’est nous qui allons gagner. Ils peuvent se faire élire où ils veulent, ils peuvent pérorer à Oxford ou Acapulco, mais ils n’ont pas d’oeuvres dignes de ce nom. Or vous savez quoi ? A la fin, c’est l’oeuvre qui gagne.» Le Collège de France, un western pour vrais durs.

Voir par ailleurs:

Rencontre

Claudine Tiercelin : « La philosophie ne protège et ne console de rien »

Roger-Pol Droit

LE MONDE DES LIVRES

| 30.06.11

Des femmes philosophes, il y en a un bon nombre. Celles qui se proclament ouvertement métaphysiciennes ne sont pas légion. Mais pour se réclamer à la fois des sciences contemporaines et de la métaphysique classique, de la philosophie analytique et de la tradition rationaliste française, il n’y a que Claudine Tiercelin. Elle vient d’inaugurer, au Collège de France, sa « chaire de métaphysique et de philosophie de la connaissance » et résume une partie de ses analyses actuelles dans un livre qui vient de paraître, Le Ciment des choses (voir ci-dessous).

Les collectionneurs d’anecdotes seront déçus, les amateurs d’esclandres, frustrés : le parcours de Claudine Tiercelin se confond avec son travail – solide, charpenté, plus soucieux d’arguments, de concepts et de vérité que de réseaux mondains. Née à Brest en 1952, elle entre à 20 ans à Normale Sup et à 25 se retrouve déjà à Berkeley (Etats-Unis), agrégation de philosophie en poche, diplôme de sociologie avec Bourdieu en prime. Tout en enseignant successivement à Rouen, Tours, Paris, Berkeley, New York – sans oublier quelques pérégrinations au Danemark, en Australie, en Finlande -, en présidant aussi le jury de l’agrégation, elle a commencé par explorer et faire découvrir aux autres l’oeuvre de Charles Sanders Peirce (1839- 1914). Ce « Leibniz américain » – mathématicien, logicien, philosophe – a laissé… 80 000 pages de notes manuscrites sur des sujets aussi divers que la théorie du signe, pour laquelle il est célèbre, et les vins de Bordeaux, où il est moins connu.

En s’immergeant dans cette oeuvre-fleuve, en cours d’édition en France comme aux Etats-Unis, Claudine Tiercelin a d’abord été conduite à rectifier un grand malentendu à son propos. « Peirce est le fondateur du pragmatisme, souvent présenté de façon caricaturale, souligne-t-elle. On lui fait dire que le vrai se réduit à l’utile, la connaissance à l’action, la réalité à ce qu’on en fait. C’est tout le contraire ! Peirce était un philosophe scientifique, un évolutionniste qui se demandait comment peuvent émerger des normes et des valeurs dans un univers soumis au hasard. Pour lui, la vérité est le but idéal de l’enquête scientifique ; la connaissance porte sur un monde réel, fait de possibles et de propriétés stables, sous forme de capacités ou de dispositions naturelles et mentales. Sa métaphysique est celle d’un logicien et d’un savant. »

Relisez les lignes qui précèdent, vous aurez, à peu de choses près, le cadre de la recherche poursuivie aujourd’hui par Claudine Tiercelin. Ce qu’elle a trouvé chez Peirce, ce n’est pas simplement un grand ancêtre mais un programme de travail autant qu’une armature conceptuelle. « Pour Peirce, ajoute-t-elle, il y a des propriétés universelles réelles, thèse qu’il emprunte à Duns Scot. Cela m’a conduite à m’intéresser à la métaphysique médiévale. J’y ai découvert un type de philosophie où l’ontologie tutoyait la logique, la théorie de la connaissance et la théorie des signes. On dira : et la théologie ? Certes, elle y est, sans cesse, mais je n’ai jamais conçu la philosophie comme une « servante de la théologie », selon la formule célèbre. Les servantes, de nos jours, se rebiffent ! »

Apparemment, les métaphysiciennes aussi. Car Claudine Tiercelin n’ignore pas que son programme de métaphysique scientifique peut susciter malentendus ou scepticisme. « On tend à considérer la métaphysique comme une sorte de nacelle pour nous élever vers le ciel avec des crochets célestes. Je la vois plutôt comme un véhicule lent, roulant au ras du sol, enregistrant les propriétés réelles des choses et la manière dont elles tiennent ensemble. » Son projet, en une phrase ? « Reformuler les problèmes de la métaphysique classique en tenant compte des acquis de la science. » Mais la philosophe se hâte de préciser aussitôt : « Tenir compte de la science ne signifie pas s’en laisser conter par elle. La philosophie ne doit pas devenir « silencieuse », comme si ses questions s’effaçaient derrière celles des sciences. »

Le prochain livre de Claudine Tiercelin, à paraître chez Gallimard, doit s’intituler L’Identité de la philosophie. En attendant, quelle serait une définition provisoire de la philosophie ? « Ce n’est pas une sagesse, elle ne protège et ne console de rien, et c’est fort bien ainsi. Elle ne doit surtout pas être oraculaire : un philosophe est un animal social, pas un animal grégaire, et il ne saurait servir de mouton de tête. Comme toute entreprise rationaliste dont le but est la connaissance, la philosophie se pratique sur le mode de l’enquête, non pas dans le silence du cabinet, mais dans un esprit de laboratoire, en testant ses hypothèses. Elle doit donc se tenir prête à jeter par-dessus bord toutes ses croyances, si des chocs avec le réel la forcent à en douter. »

Peut-être entrevoit-on un peu mieux, alors, ce que veut dire « métaphysique scientifique réaliste ». Pour en savoir plus, il faudra découvrir cette oeuvre exigeante. Dont on peut parier sans crainte qu’on n’a pas fini d’entendre parler.

Voir aussi:

Critique

Avoir accès à ce qui est

R.-P. D

LE MONDE DES LIVRES

30.06.11

Débutants s’abstenir. Si ce « petit traité » de plus de 400 pages est rédigé dans une langue volontairement limpide, sa lecture est souvent technique, malgré tout, réservée à des esprits aguerris, disposés à arpenter des contrées nouvelles. Ou plutôt de vieux territoires, mais dans de nouveaux équipages. Objectif final : discerner des propriétés fondamentales de la nature, connaître la structure même de la réalité, discerner les relations des choses et les lois qui les gouvernent. Bref, avoir accès à ce qui est. Par la connaissance, non par l’intuition. Rien de moins. En amont, trois étapes. D’abord, une analyse des outils logiques dont nous disposons et de leur évolution contemporaine vers la primauté des relations sur les substances. Ensuite, une mise à l’écart des pièges du scientisme comme des pièges de l’apriorisme. Enfin, une défense et illustration du réalisme en métaphysique.

L’originalité n’est pas seulement dans les références. Certes, David Lewis, David Armstrong, Saul Kripke, D. H. Mellor ou Kit Fine ne sont pas les auteurs de chevet habituels des philosophes hexagonaux. La vraie singularité de Claudine Tiercelin est de réunir ces métaphysiciens du courant analytique à des médiévaux comme Duns Scot, pour tenter de transformer la métaphysique en connaissance effective de la réalité. Les philosophes, mais aussi les scientifiques, auraient tort de s’abstenir.

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Le Ciment des choses. Petit traité de métaphysique scientifique réaliste, de Claudine Tiercelin, Les éditions d’Ithaque, « Science et métaphysique », 416 p., 25 €.


Idées reçues: Les filles sont nulles en génocide (Life imitates the Onion)

28 juin, 2011
Il n’y a plus ni homme ni femme; car tous vous êtes un en Jésus-Christ. Paul
« Où est Dieu? » cria-t-il, je vais vous le dire! Nous l’avons tué – vous et moi! Nous tous sommes ses meurtriers! Mais comment avons-nous fait cela? Comment avons-nous pu vider la mer? Qui nous a donné l’éponge pour effacer l’horizon tout entier? Qu’avons-nous fait, de désenchaîner cette terre de son soleil? Vers où roule-t-elle à présent? Vers quoi nous porte son mouvement? Loin de tous les soleils? Ne sommes-nous pas précipités dans une chute continue? Et cela en arrière, de côté, en avant, vers tous les côtés? Est-il encore un haut et un bas? N’errons-nous pas comme à travers un néant infini? Ne sentons-nous pas le souffle du vide? Ne fait-il pas plus froid? Ne fait-il pas nuit sans cesse et de plus en plus nuit? Ne faut-il pas allumer les lanternes dès le matin? N’entendons-nous rien encore du bruit des fossoyeurs qui ont enseveli Dieu? Ne sentons-nous rien encore de la putréfaction divine? – les dieux aussi se putréfient! Dieu est mort! Dieu reste mort! Et c’est nous qui l’avons tué! Comment nous consoler, nous, les meurtriers des meurtriers? Ce que le monde avait possédé jusqu’alors de plus sacré et de plus puissant a perdu son sang sous nos couteaux – qui essuira ce sang de nos mains? Quelle eau lustrale pourra jamais nous purifier? Quelles solennités expiatoires, quels jeux sacrés nous faudra-t-il inventer? La grandeur de cette action n’est-elle pas trop grande pour nous? Ne nous faut-il pas devenir nous-mêmes des dieux pour paraîtres dignes de cette action? Il n’y eut jamais d’action plus grande – et quiconque naîtra après nous appartiendra, en vertu de cette action même, à une histoire supérieure à tout ce que fut jamais l’histoire jusqu’alors! Nietzsche
Depuis que l’ordre religieux est ébranlé – comme le christianisme le fut sous la Réforme – les vices ne sont pas seuls à se trouver libérés. Certes les vices sont libérés et ils errent à l’aventure et ils font des ravages. Mais les vertus aussi sont libérées et elles errent, plus farouches encore, et elles font des ravages plus terribles encore. Le monde moderne est envahi des veilles vertus chrétiennes devenues folles. Les vertus sont devenues folles pour avoir été isolées les unes des autres, contraintes à errer chacune en sa solitude.  G.K. Chesterton
La femme serait vraiment l’égale de l’homme le jour où à un poste important on désignerait une femme incompétente. Françoise Giroud (1983)
C’est le sens de l’histoire (…) Pour la première fois en Occident, des hommes et des femmes homosexuels prétendent se passer de l’acte sexuel pour fonder une famille. Ils transgressent un ordre procréatif qui a reposé, depuis 2000 ans, sur le principe de la différence sexuelle. Evelyne Roudinesco
Je souhaite que si la gauche l’emporte, une loi soit adoptée. Je pense que ce sera le cas. Ce devra être une des premières lois emblématiques de la gauche. Jack Lang (Marche des fiertés homosexuelles 2011)
You know who’s led, like, every single genocide ever? Yup, boys. (…) there’s no way a girl would get up and make a big speech in front of thousands of Brownshirts. (…) Know how many major genocides there were in the 20th century? The encyclopedia CD-ROM in the library says seven. A whole 50 or 60 million people got killed altogether. But was even one of the genocides done by a girl? Nope. Did any of the tyrannical dictator boys have a « right-hand girl » who was carrying out his orders for him? No way! (…) You never see a genocidal dictator wearing a dress and being all afraid he’ll ruin it. He’s out there in military fatigues, getting down in the mud, making sure his orders are being carried out. (…) I bet you have to know a lot about guns if you want to make a genocide. Everyone knows boys are better gun-shooters than girls. Who knows even one girl who shoots guns? Also, I bet a big part of being one of those genocidal maniacs is designing stuff, like big camps and ovens and stuff. (…) To be good at genocide, you probably have to be really good at bossing people around. That’s something girls can’t do. (…) Unlike boys, girls just aren’t bossy or stubborn enough to eradicate a race of people from the face of the Earth. (…) Girls always want to help people. They want to take care of babies and feed them and dress them up. They don’t want to throw them into pits and cover them with dirt while they’re still alive.  (…) God, I wish I were a boy. The Onion
En tant que femme, je ne comprends pas qu’une femme qui a donné la vie ait pu inciter des gens à violer d’autres femmes. (…) Il s’agissait d’éliminer les Tutsis physiquement, mais aussi psychologiquement. Rose Burizihiza (rescapée toutsie)
Selon un autre témoin, Pauline se rendit dans un enclos où un groupe d’Interahamwe gardait 70 femmes et filles tutsies. Pauline ordonna de brûler les femmes et ajouta : « Pourquoi ne les violez-vous pas avant de les tuer ? ». « Mais nous avions tué des gens toute la journée, et nous étions fatigués. Nous avons simplement mis l’essence dans des bouteilles et l’avons versé sur les femmes, puis on a mis le feu », indique ce témoin. The NYT
Bien que la plupart des femmes aient été tuées avant de pouvoir raconter ce qui leur était arrivé, un rapport des Nations unies a conclu qu’au moins 250 000 femmes furent victimes de viol au cours du génocide. Certaines furent pénétrées avec des lances, des canons de revolver, des bouteilles ou des branches de bananier. Leurs organes sexuels furent mutilés à la machette, à l’eau bouillante et à l’acide, et certaines femmes eurent les seins coupés. Une étude montre que la province de Butare compte à elle seule plus de 30 000 survivantes de viol. Davantage de femmes encore furent tuées après avoir été violées. (…) Pis encore, les viols – la plupart commis par plusieurs hommes à la suite – furent fréquemment accompagnés d’autres formes de tortures physiques et souvent mis en scène publiquement pour augmenter l’impact de la terreur et de l’humiliation. Tant de femmes les redoutaient qu’elles suppliaient souvent qu’on les tue avant. Fréquemment, le viol précédait le meurtre. Parfois, la victime n’était pas tuée, mais violée à plusieurs reprises et laissée en vie. L’humiliation, alors, n’affectait pas seulement la femme violée, mais également son entourage. D’autres fois encore, les femmes étaient utilisées dans un autre but : à moitié morte, ou déjà sans vie, une femme était violée en public pour servir d’élément rassembleur des Interahamwe. Mais l’exhibition publique et la destruction ne s’arrêtaient pas avec le viol lui-même. Nombre de femmes étaient laissées en vie exprès pour qu’elles meurent lentement du sida. L’actuel président du Rwanda, Paul Kagame, a abordé le sujet des viols massifs dans une interview donnée au siège du gouvernement de Kigali. « Nous savions que le gouvernement faisait sortir des malades du sida des hôpitaux pour former des bataillons de violeurs », raconte-t-il. Selon une estimation, 70 % des femmes violées pendant le génocide ont contracté le sida. Le plus diabolique des objectifs des viols de Butare était de transmettre une mort lente et angoissante. « En utilisant une maladie, une peste, une terreur apocalyptique comme une arme biologique, vous annihilez les procréateurs en perpétuant la mort dans les prochaines générations », s’indigne Charles B. Strozier, psychanalyste et professeur d’histoire au John Jay College of Criminal Justice de New York. « La tuerie persiste et s’éternise. » The NYT

A quelles nouvelles aberrations l’obsession de l’égalité nous conduira-t-elle encore?

En ces temps étranges où, preuve ultime d’égalité au nom du prétendu bien public et sur fond de chômage et de déficits abyssaux, un ancien travailleur social  redouble d’efforts pour démontrer à la planète entière qu’un président noir peut être aussi nul que n’importe quel Blanc  …

Et où, confirmation de la puissance suggestive des minorités actives et des millions de dollars de propagande qu’elles peuvent mobiliser un groupe comprenant moins de 2% de la population peut apparaitre à l’ensemble comme 12, 5 fois plus important et ainsi imposer à tous les pires aberrations telles que tout récemment à New York le vote du droit au prétendu « mariage homosexuel »…

Pendant qu’avec la double aberration du prétendu droit au « mariage homosexuel » et à « l’homoparentalité » le plus ardent représentant d’une gauche caviar française suiveuse et toujours à l’affut de la dernière mode du moment vient comme prévu de nous fournir une nouvelle raison de ne pas voter pour elle …

Retour, au lendemain de la première condamnation d’une femme pour génocide qui voyait une ancienne travailleuse sociale et ministre de la Famille et de la Promotion féminine (Pauline Nyiramasuhuko) orchestrer non seulement le génocide mais la systématisation du viol comme arme de guerre, sur une nouvelle illustration de la capacité aussi étrange qu’apparemment infaillible de la réalité à rattraper la plus incroyable des fictions

A savoir, la tribune imaginaire du journal parodique en ligne américain The Onion qui, il y à peine 10 ans, imaginait une petite fille se lamentant de l’apparemment insurmontable incapacité des femmes à réaliser quoi que ce soit de conséquence dans l’histoire humaine et bien sûr le crime des crimes de génocide …

Oh, Girls Are No Good At Genocide

Alyssa Elver

The Onion

September 5, 2001

I hate being a girl. It totally stinks. Boys are better at everything. In gym class, whenever we divide up into boys against girls, the boys always win. Boys are better at PlayStation and at drawing robots. Who do you think got to go to summer science camp this year? Danny Grella. A boy. Not that I wanted to go to retarded science camp anyway, but you know what I mean.

I was thinking about this even more in Social Studies class today. We learned all about what genocide is. And you know who’s led, like, every single genocide ever? Yup, boys.

A lot of the girls in my class are smart, but most of them are too shy to say anything, so no one even notices they’re smart. Even if they know the answer, Mrs. Culver has to call on them and ask them if they know it before they’ll say it. So there’s no way a girl would get up and make a big speech in front of thousands of Brownshirts. She’d be way too embarrassed.

Know how many major genocides there were in the 20th century? The encyclopedia CD-ROM in the library says seven. A whole 50 or 60 million people got killed altogether. But was even one of the genocides done by a girl? Nope. Did any of the tyrannical dictator boys have a « right-hand girl » who was carrying out his orders for him? No way! There’s one more thing girls are no good at.

I like to get dirty and play flag football with the boys, but none of the other girls in my class want to get their stupid clothes dirty. All they care about is going to the mall and buying stupid nail polish and purses and makeup. It’s so lame. Maybe that’s why girls aren’t any good at overseeing the systematic mass murder of an entire race. It’s too messy.

You never see a genocidal dictator wearing a dress and being all afraid he’ll ruin it. He’s out there in military fatigues, getting down in the mud, making sure his orders are being carried out. This boy dictator we learned about named Suharto, I bet he wasn’t afraid to get a little blood splattered on his shirt. Girls hate blood. They run screaming from it.

I bet you have to know a lot about guns if you want to make a genocide. Everyone knows boys are better gun-shooters than girls. Who knows even one girl who shoots guns? Also, I bet a big part of being one of those genocidal maniacs is designing stuff, like big camps and ovens and stuff. And for that, you need to be really good at math. I suck at math. I just can’t figure it out. That’s because I’m a girl.

Danny Grella says girls don’t have to be smart, because they just stay home and have babies. Well, my mom had babies and a career. Still, she’s not the boss where she works. My dad is the boss where he works. My mom has to go in to work on Saturday if Mr. Nagel says so.

To be good at genocide, you probably have to be really good at bossing people around. That’s something girls can’t do. My brother Josh always gets to watch what he wants on TV, even if I really want to watch something. I usually just let him get away with it because I don’t feel like getting in a big fight about it. Unlike boys, girls just aren’t bossy or stubborn enough to eradicate a race of people from the face of the Earth. It just would never happen.

Girls always want to help people. They want to take care of babies and feed them and dress them up. They don’t want to throw them into pits and cover them with dirt while they’re still alive.

In gym class, when we divide into teams for dodgeball, the girls are always picked last. Maybe that’s what happens when a group of extremists is looking for somebody to head their regime. The Khmer Rouge picked Pol Pot because they knew he’d be good at murder and torture and all that other boy stuff. A girl probably would have planted flowers in the killing fields.

Sure, there have been a couple of evil girls, but they’re never as evil as the boys. Nothing on the level of Idi Amin, this boy who killed 300,000 Christians in Uganda during the 1970s.

All Hitler had to say was « jump » and everybody jumped. There’s no way a girl could grow a mean mustache like his. Then there was Stalin. I bet no one put stupid frilly curtains up in Stalin’s bedroom when he was away at summer camp and then told him they had to stay there because the old curtains were already in the garbage.

God, I wish I were a boy.

Voir aussi:

U.S. Adults Overestimate Homosexual Population by As Much As Tenfold

 Andrew Herzog

 CSN news

June 02, 2011

(CNSNews.com) –While a recent Gallup poll showed that U.S. adults, on average, think homosexuals make up about 25 percent of the entire population, official data reveal that gays and lesbians comprise between 2 percent and 4 percent of the population.

In a May 5-8 telephone survey, Gallup asked more than 1,000 U.S. adults in all 50 states: “Just your best guess, what percent of Americans today would you say are gay or lesbian?”

The adults polled estimated that 25 percent – one quarter of all Americans – are gay or lesbian.

According to Gallup, over half of Americans (52 percent) said that at least one in five Americans is homosexual, and 35 percent estimated more than one in four. Only 30 percent estimated under 15 percent.

However, official estimates of the homosexual population range from 2 to 4 percent – well under the 25 percent “guesstimate.”

According to the U.S. Census Bureau, which began asking questions about same-sex household information in the 1990 Census, only 581,300 individuals were part of a same-sex household in 2009. That’s less than one-half of one percent (0.5 percent) of the 307 million people living in the U.S. in 2009.

Furthermore, data from the Census Bureau’s 2010 Demographic Profile shows that “same-sex spouses” accounted for a mere 2.5 percent of the U.S. population, which is nearly 8 million people out of the total 309 million Americans.

The 2006-2008 National Survey of Family Growth found that 3.7 percent of adults aged 18 to 44 were homosexual or bisexual. The survey is administered by the National Center for Health Statistics, part of the federal Centers for Disease Control. It consists of an in-person interview in which the respondent enters his or her own answers into the computer without telling them to an interviewer.

The University of Chicago’s National Opinion Research Center, which has been conducting scientifically designed surveys on homosexuality for close to 30 years – far longer than the U.S. Census Bureau – found the percentage of gays, lesbians, and bisexuals in the United States in 2008 was 2 percent – a number that has been stable since the late ‘80s, according to Tom Smith, director of the General Social Survey at NORC. (pg. 57)

“In general, these figures have changed little from our first studies in the late 1980s through 2010,” Smith told CNSNews.com.

The Gallup poll was a random digit dial telephone interview which surveyed 1,018 adults, aged 18 and older, living in all 50 U.S. states and the District of Columbia on May 5-8, 2011. The margin of error was plus-or-minus 4 percentage points.

 Voir enfin:

LE VIOL COMME MÉTHODE DE GÉNOCIDE AU RWANDA

Pauline Nyiramasuhuko, la barbarie au féminin

En même temps que l’extermination des trois quarts de la population tutsie au Rwanda s’est déroulée une autre horreur, le viol de 250 000 femmes. Parmi les responsables figure une Hutue, aujourd’hui jugée pour incitation au viol de masse. Elle était… ministre de la Promotion féminine.

Peter Landesman

The New York Times

14.11.2002

Au printemps de 1994, l’horreur est arrivée à Butare, une ville rwandaise tranquille, brûlée par le soleil. A l’époque, des escadrons de la mort hutus, armés de machettes et de bâtons surmontés de clous, brûlaient, tuaient et pillaient dans tout le pays. Des barrages installés sur les routes piégeaient les Tutsis en fuite, qui se faisaient alors massacrer. Pendant la troisième semaine d’avril, alors que le génocide atteignait son summum, des dizaines de milliers de cadavres pourrissaient dans les rues de Kigali, la capitale. Butare – un bastion de Tutsis et de Hutus modérés qui avaient résisté aux ordres de génocide du gouvernement – était la prochaine cible. Ses habitants entendirent des coups de feu dans les collines de l’ouest ; la nuit, ils virent la lueur provenant des villages avoisinants en proie aux flammes. Des Hutus en armes ne tardèrent pas à se rassembler à la périphérie de la ville, mais les habitants paniqués de Butare ne se laissèrent pas faire.

Mis en rage par la révolte de Butare, le gouvernement par intérim de Kigali y envoya en mission Pauline Nyiramasuhuko, ministre de la Famille et de la Promotion féminine. Avant de devenir l’une des femmes les plus influentes du gouvernement, Pauline avait grandi dans une petite commune rurale juste à côté de Butare. Comme elle était l’exemple d’une réussite locale, son retour aurait sûrement un impact persuasif.

Peu après l’arrivée de Pauline en ville, des voitures surmontées de haut-parleurs parcouraient les petites routes autour de Butare en annonçant que la Croix-Rouge s’était installée dans un stade non loin de là pour fournir nourriture et asile à la population. Le 25 avril, des milliers de Tutsis se rendirent dans ce stade. C’était un piège. Au lieu de trouver nourriture et abri, les réfugiés furent encerclés par les Interahamwe, de violents maraudeurs hutus dont le nom signifie « ceux qui attaquent ensemble ». Selon un témoin, Pauline, qui avait 48 ans à l’époque, supervisait la scène. Elle encourageait les Interahamwe et donnait des ordres en ces termes : « Avant de tuer les femmes, vous devez les violer », témoigne Foster Mivumbi, qui a confessé sa participation au massacre. Des femmes tutsies furent alors sélectionnées parmi la foule du stade et emmenées dans les fourrés pour être violées, se souvient Mivumbi. Sur le stade, Pauline agitait les bras et observait sans rien dire les Interahamwe qui mitraillaient les réfugiés et leur lançaient des grenades. Les Hutus achevèrent les survivants à la machette. Cela dura une heure et se termina à midi. Pauline, raconta Mivumbi, resta jusqu’à l’arrivée d’un bulldozer qui commença à empiler les corps pour les enterrer dans une fosse voisine. Peu après, selon un autre témoin, Pauline se rendit dans un enclos où un groupe d’Interahamwe gardait 70 femmes et filles tutsies. Pauline ordonna de brûler les femmes et ajouta : « Pourquoi ne les violez-vous pas avant de les tuer ? »

« Mais nous avions tué des gens toute la journée, et nous étions fatigués. Nous avons simplement mis l’essence dans des bouteilles et l’avons versé sur les femmes, puis on a mis le feu », indique ce témoin. A peu près au même moment, des Interahamwe arrivèrent à l’hôpital local où Rose, une jeune Tutsie, avait trouvé refuge. « Ils ont dit que Pauline leur avait permis de se faire les filles tutsies, qui étaient trop orgueilleuses, raconta-t-elle. Elle était ministre ; alors, ils ont dit qu’ils en avaient le droit. » Pauline avait fait comprendre aux soldats que le viol était une récompense. A l’hôpital se trouvait le fils unique de Pauline, Arsène Shalom Ntahobali, un étudiant âgé de 24 ans qui était l’un des chefs Interahamwe. Rose raconta que Shalom, qui claironnait sans cesse qu’il avait la « permission » de sa mère de violer des Tutsies, la viola contre le mur.

Il n’y aura jamais de décompte précis du nombre de Rwandais assassinés entre avril et juillet 1994. L’organisation Human Rights Watch estime qu’ils furent au moins 500 000, et l’ONU évalue entre 800 000 et 1 million le nombre de Rwandais qui moururent durant cette période. Quel que soit le total, le volume du carnage et la concentration des assassinats leur donnent le sinistre honneur de constituer le meurtre de masse le plus féroce de l’Histoire : les trois quarts de la population tutsie furent exterminés.

Il est compréhensible que l’attention du monde se soit tournée vers les proportions du massacre rwandais. Mais, aujourd’hui, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), qui siège à Arusha, en Tanzanie, est en train de reconnaître un autre genre d’horreur, laissée dans l’ombre. Bien que la plupart des femmes aient été tuées avant de pouvoir raconter ce qui leur était arrivé, un rapport des Nations unies a conclu qu’au moins 250 000 femmes furent victimes de viol au cours du génocide. Certaines furent pénétrées avec des lances, des canons de revolver, des bouteilles ou des branches de bananier. Leurs organes sexuels furent mutilés à la machette, à l’eau bouillante et à l’acide, et certaines femmes eurent les seins coupés. Une étude montre que la province de Butare compte à elle seule plus de 30 000 survivantes de viol. Davantage de femmes encore furent tuées après avoir été violées.

Deux jeunes femmes tutsies, Mary Mukangoga, 24 ans, et Chantal Kantarama, 28 ans, avaient trouvé refuge dans la préfecture de Butare. Mais quand Pauline et Shalom vinrent à la préfecture avec les jeunes hommes de l’Interahamwe, ils sélectionnèrent des filles à violer.

En silence, Mary et Chantal retournent jusqu’aux ruines de ce qui fut autrefois une usine de plastique, dans un bosquet d’arbres à 200 mètres de la préfecture. Elles expliquent qu’elles furent entraînées hors de la préfecture, amenées ici et violées plusieurs fois. « Pauline venait et disait : ‘Je ne veux pas de cette merde ici, débarrassez-vous de cette merde' », raconte Chantal.

Les deux jeunes femmes firent partie d’un groupe de cinq esclaves sexuelles, gardées à la préfecture et violées régulièrement et ensemble, tous les soirs pendant des semaines. Puis, un jour, elles furent jetées dans une fosse pleine de cadavres. Le charnier, qui faisait à peu près 38 mètres carrés, est aujourd’hui à moitié rempli de gravats et d’herbes. « Ils ont tué à la machette celles qui résistaient, et les ont jetées dans le trou », témoigne l’une de ces femmes, qui resta dans la fosse une nuit et une journée, puis, la seconde nuit, escalada le monceau de cadavres pour sortir du trou.

En juillet 1994, Pauline a fui le Rwanda au milieu de l’exode de masse de plus de 1 million de Hutus craignant la vengeance de l’armée des rebelles tutsis, le Front patriotique rwandais, qui gagnait du terrain. Après s’être cachée dans un camp de réfugiés au Zaïre de l’époque [aujourd’hui RDC], elle a fini par se rendre au Kenya, où elle a vécu en fugitive pendant presque trois ans. Le 18 juillet 1997, elle fut interpellée à Nairobi par les autorités kenyanes et internationales. Shalom fut capturé six jours plus tard, dans une épicerie de Nairobi qu’il gérait. Ils furent tous deux livrés au Tribunal d’Arusha.

Onze charges sont retenues contre Pauline Nyiramasuhuko, dont génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre. C’est la première femme à être accusée de ces crimes dans une cour internationale, et la première à être accusée de viol en tant que crime contre l’humanité. (Son fils Shalom plaide non coupable sur les dix chefs d’accusation portés contre lui.)

Pauline et Shalom sont jugés ensemble, avec quatre autres chefs hutus de Butare également accusés de génocide. La plupart du temps, Pauline est accusée d’incitation au crime plutôt que de perpétration. Cependant, selon un document préparé par les enquêteurs du TPIR en prévision du procès, un témoin, surnommé Q. C., a vu un chef de communauté tutsi mourir « des mains de Nyiramasuhuko ». Les avocats de chacun des six accusés vont probablement débuter leur défense en 2004, après que le procès aura traîné pendant encore au moins deux ans : la justice avance avec une extrême lenteur à Arusha, avec seulement huit condamnations et un acquittement en sept ans.

Pauline Nyiramasuhuko est née en 1946 au milieu d’une forêt de bananiers et de vallées verdoyantes perdues dans les nuages. Ses parents, des paysans qui produisaient juste de quoi vivre, habitaient un village situé à 10 kilomètres à l’est de Butare. Au collège, Pauline devint l’amie d’Agathe Kanziga, qui épousa plus tard le président hutu Juvénal Habyarimana. Ce fut une rencontre décisive. Après ses études, elle quitta Butare pour Kigali et rejoignit le ministère des Affaires sociales, qui mettait en place à l’époque un réseau de centres sociaux devant enseigner aux femmes comment prendre soin de leur famille, des enfants et comment faire la cuisine. Pauline n’avait que 22 ans quand Agathe l’aida à gravir d’un coup les échelons administratifs et à devenir inspectrice nationale au ministère.

En 1968, Pauline épousa Maurice Ntahobali, qui devint président de l’Assemblée nationale rwandaise, puis ministre de l’Education supérieure et enfin recteur de l’Université nationale de Butare. Pauline fut alors l’une des rares femmes rwandaises à s’inscrire en droit. En 1992, elle était déjà l’un des leaders du Mouvement révolutionnaire national pour le développement (MRND, parti unique du président Habyarimana), et elle fut nommée ministre de la Famille et de la Promotion féminine. Soucieuse de faire ses preuves dans la structure d’un parti construit autour d’hommes au sein de la société patriarcale rwandaise, Pauline se rendit compte rapidement que le chemin du succès politique passait par son lieu de naissance. Or la ville de Butare était devenue une épine dans le pied du gouvernement. Elle comptait les citoyens les plus éclairés du pays, une université et un institut de recherche scientifique, et abritait la plus grande concentration de Tutsis du Rwanda. Elle avait été largement préservée de l’extrémisme hutu, et le MRND n’y avait jamais pris racine. Pauline tenta de changer tout cela au moyen d’un programme d’intimidation. Elle parcourait la ville avec les brutes du parti qui élevaient des barricades dans les rues, paralysaient la circulation et semaient le trouble. Les invasions régulières de Pauline vinrent à être connues sous le nom de « journées fantômes », pendant lesquelles Butare retenait son souffle.

Pauline fut vite embrigadée dans l’idéologie antitutsie de son parti. Léoncie Mukamisha, une ancienne camarade de classe de Pauline qui travaillait sous ses ordres au ministère, raconte que l’obéissance et la haine virulente des Tutsis qu’affichait Pauline gagnèrent les faveurs du président, qui lui assigna un certain nombre d’idéologues extrémistes hutus en tant que conseillers.

Il ne sera peut-être jamais possible de savoir ce qui a motivé les actes de Pauline. Peut-être a-t-elle ressenti une rage viscérale à l’encontre des Tutsis, peut-être n’était-elle qu’une opportuniste assoiffée de pouvoir. En tout cas, dès 1994, son zèle antitutsi était connu de tous. Pendant le génocide, elle prononça des discours déchaînés sur les ondes de Radio Rwanda. « Nous sommes tous membres de la milice, disait Pauline. Nous devons travailler ensemble pour traquer les membres du Front patriotique rwandais. »

Dans ses aveux de génocide et de crimes contre l’humanité, l’ancien Premier ministre hutu, Jean Kambanda, identifie les membres de son conseil privé, où fut élaboré le projet du génocide. Cinq noms seulement apparaissent, parmi lesquels figure celui de Pauline Nyiramasuhuko.

Et puis, il y a la génération des enfants nés de tous ces viols. Cinq mille d’entre eux sont enregistrés, et il semble fort probable que ceux qui ne l’ont jamais été soient bien plus nombreux. « Le viol force les victimes à vivre avec les conséquences, les dégâts, les enfants », explique Sydia Nduna, conseillère à l’International Rescue Committee Rwanda, qui collabore à un programme de Kigali visant à réduire la violence entre les sexes. L’impact des viols massifs au Rwanda, affirme-t-elle, se fera sentir pendant plusieurs générations.

Pis encore, les viols – la plupart commis par plusieurs hommes à la suite – furent fréquemment accompagnés d’autres formes de tortures physiques et souvent mis en scène publiquement pour augmenter l’impact de la terreur et de l’humiliation. Tant de femmes les redoutaient qu’elles suppliaient souvent qu’on les tue avant. Fréquemment, le viol précédait le meurtre. Parfois, la victime n’était pas tuée, mais violée à plusieurs reprises et laissée en vie. L’humiliation, alors, n’affectait pas seulement la femme violée, mais également son entourage. D’autres fois encore, les femmes étaient utilisées dans un autre but : à moitié morte, ou déjà sans vie, une femme était violée en public pour servir d’élément rassembleur des Interahamwe. Mais l’exhibition publique et la destruction ne s’arrêtaient pas avec le viol lui-même. Nombre de femmes étaient laissées en vie exprès pour qu’elles meurent lentement du sida.

L’actuel président du Rwanda, Paul Kagame, a abordé le sujet des viols massifs dans une interview donnée au siège du gouvernement de Kigali. « Nous savions que le gouvernement faisait sortir des malades du sida des hôpitaux pour former des bataillons de violeurs », raconte-t-il. Selon une estimation, 70 % des femmes violées pendant le génocide ont contracté le sida.

Le plus diabolique des objectifs des viols de Butare était de transmettre une mort lente et angoissante. « En utilisant une maladie, une peste, une terreur apocalyptique comme une arme biologique, vous annihilez les procréateurs en perpétuant la mort dans les prochaines générations », s’indigne Charles B. Strozier, psychanalyste et professeur d’histoire au John Jay College of Criminal Justice de New York. « La tuerie persiste et s’éternise. » L’utilisation du sida comme arme contre les femmes tutsies a permis aux magistrats d’Arusha de considérer le viol comme un élément principal du génocide. « L’infection par le VIH est un meurtre », a déclaré Silvana Arbia, procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda. « L’agression sexuelle est un acte de génocide au même titre que le meurtre. »

Le viol est depuis longtemps une arme de guerre. Selon la légende, la Rome antique a été unie après que Romulus et ses soldats eurent terrorisé leurs ennemis, les Sabins, en violant leurs femmes.

L’agression sexuelle à grande échelle est répétée dans des conflits qui vont des croisades aux guerres napoléoniennes.

C’est Abraham Lincoln qui a établi la notion moderne de viol en tant que crime de guerre. En 1863, il commissionna Francis Lieber, un juriste expert, pour développer un ensemble d’instructions destinées aux armées pendant la guerre de Sécession. Francis Lieber qualifia le viol de crime assez sérieux pour être passible de la peine de mort. « Le code Lieber était révolutionnaire », juge Kelly Askin, directrice de l’International Criminal Justice Institute. « Auparavant, les crimes sexuels étaient largement ignorés. »

Le droit international se montra plus réticent face au problème. « Le viol était considéré comme une sorte de dommage collatéral », explique Rhonda Copelon, professeur de droit à CUNY [Université de New York]. « C’était un des avatars inévitables de la culture de la guerre. » Après la Seconde Guerre mondiale, les viols de femmes chinoises par des soldats japonais à Nankin furent jugés comme des crimes de guerre par un tribunal international, mais uniquement s’ils étaient accompagnés d’autres violences. Le même tribunal, pourtant, ne poursuivit pas la plus institutionnalisée des formes de violence sexuelle, l’esclavage des « femmes de réconfort » par l’armée japonaise. En 1946, une loi établie par les Alliés et destinée aux tribunaux devant juger les crimes de guerre allemands qualifia le viol de crime contre l’humanité, mais elle ne fut jamais appliquée. Ce n’est qu’en 1995, au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie [TPIY], que le viol fut désigné comme crime grave équivalant à la torture.

L’accusé de ce procès de 1995 était un policier serbe appelé Dusan Tadic. Le tribunal l’inculpa de divers crimes, dont le viol d’une femme bosniaque dans un camp de prisonniers. Cet acte fut qualifié de crime contre l’humanité, ainsi qu’un autre crime perpétré contre des hommes. Tadic avait en effet torturé deux prisonniers bosniaques, forçant l’un des deux à arracher les testicules de l’autre avec ses dents. L’homme mutilé mourut d’hémorragie. La mise en accusation par le tribunal créa un important précédent. Malheureusement, les procureurs durent abandonner l’accusation de viol car la victime de Tadic refusa de témoigner, par peur des représailles. En revanche, ils eurent plus de succès avec les accusations de mutilation sexuelle. Accusé de torture, entre autres crimes, Tadic fut condamné à vingt ans de prison.

Les histoires de viol commencèrent à s’accumuler au Rwanda dès la fin du génocide, la plupart du temps à travers des interviews réalisées par des organisations comme Human Rights Watch. Mais, parce que la culture rwandaise décourage les femmes d’aborder des sujets sexuels et parce que l’idée du viol comme « dommage collatéral » restait enracinée auprès de la communauté judiciaire, les procureurs d’Arusha n’ont pas fait immédiatement le lien entre les viols et le projet de génocide hutu. Le changement décisif eut lieu en 1998 pendant le procès de Jean-Paul Akayesu, le maire de la commune rwandaise de Taba.

Au départ, Akayesu n’était inculpé que de génocide. Parmi les survivants qui témoignaient contre lui se trouvait une femme, surnommée H. « Avant d’aller à la barre, H. m’a révélé qu’elle avait été violée dans les buissons », expliqua Pierre-Richard Prosper, l’ambassadeur américain chargé de mission pour les questions de crimes de guerre qui a mené les poursuites contre Akayesu. « Elle a raconté que les Interahamwe venaient à la fin de la journée pour violer les femmes et qu’Akayesu était présent. » Pierre-Richard Prosper envoya des enquêteurs au Rwanda, chargés de trouver des femmes violées à Taba pendant les troisième et quatrième semaines d’avril. Ces enquêteurs découvrirent que presque toutes les 500 femmes qu’ils savaient avoir été retenues prisonnières avaient été tuées et jetées dans une fosse commune. Seule une douzaine d’entre elles avaient pu s’échapper, telle une femme surnommée J. J.

L’ambassadeur a fait venir J. J. à la barre. Son histoire était atrocement familière : des Interahamwe l’avaient emmenée à l’écart et violée à plusieurs reprises. Elle expliqua qu’Akayesu la regardait se faire violer depuis l’encadrement de la porte en encourageant les Interahamwe et qu’il disait en riant : « Ne me demandez plus jamais quel goût a une femme tutsie. »

La mise en accusation d’Akayesu fut modifiée pour prononcer la première accusation de viol en tant que crime contre l’humanité. Pierre-Richard Prosper affirma que la remarque désinvolte d’Akayesu aux hommes qui violaient J. J. valait ordre d’en violer d’autres.

Le 2 septembre 1998, Akayesu fut reconnu coupable de génocide et de crimes contre l’humanité, dont le viol. Il fut condamné à trois peines de perpétuité, à quatre-vingts ans d’emprisonnement et transféré dans une prison sous contrôle de l’ONU au Mali.

Le 10 août 1999, un an après la condamnation d’Akayesu, le chef d’accusation de Pauline Nyiramasuhuko fut modifié pour inclure le viol en tant que crime contre l’humanité. L’accusation portée contre Pauline renforce le précédent établi dans le procès d’Akayesu : l’incitation au viol massif constitue un crime contre l’humanité, mais le cas de Pauline dépasse la jurisprudence. Elle représente une nouvelle sorte de criminelle. « Il existe une notion, généralement partagée dans les différentes cultures, que les femmes ne font pas ce genre de choses », explique Carolyn Nordstrom, anthropologue à l’Université de Notre-Dame [dans l’Indiana]. « La société n’a pas encore trouvé le moyen d’en parler, car cela va à l’encontre de toutes nos représentations de la nature des femmes. »

Le racisme mortel du Rwanda ne pourra jamais être aussi clairement défini que l’était, par exemple, le nazisme de l’Allemagne. Le fait que les Hutus et les Tutsis constituent des groupes ethniques distincts est un sujet de débat, mais ce n’est qu’après l’arrivée des colons européens au Rwanda qu’une différence politique fut faite entre eux. Les mariages intercommunautaires étaient courants depuis longtemps, les deux groupes parlaient la même langue et pratiquaient la même religion. Au tournant du XXe siècle, cependant, les colons allemands et belges mirent en pratique une logique raciale douteuse pour désigner les Tutsis minoritaires comme classe dominante et en faire leurs fondés de pouvoir : les Tutsis auraient, d’après eux, une apparence plus « blanche ».

Dans les années 30, les Belges eurent besoin de savoir exactement qui était qui afin de limiter les postes administratifs et l’éducation supérieure aux seuls Tutsis. La procédure la plus efficace consistait à enregistrer toute la population et à la forcer à porter des cartes d’identité précisant l’appartenance de chaque individu à l’un ou l’autre des groupes : 84 % de la population se déclara hutue et 15 % tutsie. Etant donné le nombre de mariages entre les deux communautés dans l’histoire rwandaise, ce décompte pouvait difficilement passer pour scientifique. En outre, les Rwandais changeaient parfois d’identité ethnique, les riches se qualifiant de Tutsis et les pauvres de Hutus.

« L’identité finit par dépendre de la façon dont chacun s’en sortait », raconte Alison Des Forges, conseillère à la division africaine de Human Rights Watch, qui étudie le Rwanda depuis trente ans. « La moitié des gens ne sont pas clairement reconnaissables, les mariages ayant été très nombreux. Les femmes qui répondaient au stéréotype tutsi (plus grandes, la peau plus claire, les traits plus fins) sont devenues désirables. Mais cela ne signifiait pas qu’elles appartenaient à l’un ou l’autre des groupes. »

Avec le désir est arrivé son alter ego émotionnel, la rancoeur. En 1959, une révolution amena la majorité hutue au pouvoir. Alors que les tensions augmentaient au cours des années 90, les politiciens commencèrent à répandre une propagande dénonçant les femmes tutsies comme des tentatrices, des prostituées et des perverses sexuelles. Avant le début du génocide de 1994, les journaux hutus publiaient sans cesse des dessins humoristiques montrant les femmes tutsies telles des séductrices lascives.

A l’inverse des nazis, motivés par le mythe de la supériorité aryenne, les Hutus se laissaient guider par une rage accumulée provoquée par leur statut inférieur et leur ressentiment vis-à-vis de la beauté et de l’arrogance des Tutsis.

« La propagande a rendu les femmes tutsies puissantes et désirables et a fait d’elles en conséquence un objet qui devait être détruit, raconte Rhonda Copelon. Quand vous prétendez que la femme est une menace, vous renforcez l’idée que la violence envers elle est légitime. »

Cette idée pernicieuse a connu son apogée pendant le génocide. « Cela devient un désir profond et commun d’éliminer le mal. Les Tutsis doivent être tués jusqu’au dernier afin de permettre l’avènement de l’utopie. Dans un sens, ils sont considérés comme déjà morts », explique le psychiatre américain Robert Jay Lifton.

Les crimes dont Pauline Nyiramasuhuko est accusée sont monstrueux. Mais, en cherchant une explication raisonnable à sa barbarie, il faut se souvenir des mots d’Alison Des Forges, de Human Rights Watch : « Ce comportement est enfoui, pas si profondément, en chacun de nous. Les récits simplifiés des génocides permettent d’établir une distance entre nous et leurs auteurs. Ils sont si horribles que nous ne pouvons nous imaginer faisant la même chose. Mais, si vous prenez en compte la pression terrible sous laquelle ces gens agissaient, alors, leur humanité s’impose automatiquement à vous, et cela devient effrayant. Vous êtes obligé de vous projeter dans ces situations précises et de vous dire : ‘Qu’aurais-je fait ?’ Parfois, la réponse n’est pas encourageante. »


Réseaux sociaux: Attention, une émeute peut en cacher une autre (Vancouver rioters face unprecedented tyranny of social networks)

27 juin, 2011
We gonna be burning an a-looting tonight (…) burning all illusion tonight … Bob Marley
Les vrais fans ne font pas d’émeutes. Page Facebook
J’ai participé aux émeutes, j’ai renversé une voiture, fracassé la Banque de Montréal, les arrêts d’autobus… Une grosse soirée! Sienna St-Laurent (14 ans)
Je ne sais pas, je voulais me sentir cool. Sienna St-Laurent
Près d’une semaine après les émeutes de Vancouver — pour une vulgaire histoire de hockey et de défaite — la Toile s’est mise en mouvement, à l’appel de la police, pour se transformer en immense espace de délation des émeutiers. Une justice populaire, numérique, instantanée, nominative, faisant fi des cadres légaux en place qui inquiète quelques juristes, protecteurs des droits civiques et pourfendeurs des dérives contemporaines. Alors que la jeunesse branchée qui a accepté d’alimenter ce nouveau travers des réseaux sociaux ne semble pas vraiment s’en formaliser. Le Devoir

Jeune vandale contraint de se livrer aux autorités et de s’excuser publiquement, déménagement de la famille d’un vandale sous la pression publique, adolescents victime de messages haineux après s’être vantée sur son blog de sa soirée d’émeutes, émeutière perdant son emploi à temps partiel après avoir été reconnue sur des images sur l’internet, arrestations d’émeutiers reconnus par leurs voisins et amis à partir d’images diffusées sur les réseaux sociaux …

Les réseaux sociaux, en  cette véritable société orwellienne où l’on ne peut même plus casser en paix, ont encore frappé !

En ces temps étranges où, pour avoir l’aval des médias ou être élus, nos responsables politiques se félicitent comme à New York de voter des aberrations du type droit au « mariage homosexuel » …

Où le maire d’une ville de nos banlieues françaises ravagée par le trafic de drogue et prise les échanges de tirs entre gangs de trafiquants en appelle démagogiquement à la fois à l’envoi de casques bleus et à une dépénalisation de l’usage du cannabis qui ne peut que pousser les trafiquants à passer à d’autres drogues plus dures et plus lucratives …

Et où , dans la Région Centre , une rectrice se voit contrainte à la rétractation pour avoir osé évoque le secret de polichinelle du rapport entre une immigration non choisie et la baisse des résultats du système éducatif français dans les comparaisons internationales …

Véritable « émeute » de bons sentiments chez nos courageuses belles âmes …

S’inquiétant suite à la mise à sac de la ville de Vancouver (117 arrestations, 150 blessés hospitalisés, pillages de magasins, voitures brûlées, des millions de dollars de dégats dans la nuit du 14 au 15 juin) par de jeunes émeutiers en furie après la perte par leur équipe du championnat de Hockey de …

la réaction citoyenne d’internautes outrés par un tel déferlement gratuit de violence gratuite !

Émeutes : le rôle des médias sociaux et des internautes

Le Devoir

21 juin 2011

Des témoins des émeutes ont capté des images des évènements

Près d’une semaine après les émeutes qui ont suivi la finale de la Coupe Stanley à Vancouver, Internet est devenu la plaque tournante des témoignages entourant les événements. La chasse aux malfaiteurs se poursuit dans les médias sociaux, et plusieurs Vancouvérois l’apprennent à leurs dépens.

Alors que certains utilisent Internet pour excuser leurs méfaits, la majeure partie d’entre eux dénoncent et publient les photos et les identités des suspects. Depuis mercredi dernier, la police de Vancouver a reçu des centaines de photos, de vidéos et d’images des émeutes.

Le professeur de sociologie à l’Université de la Colombie-Britannique, Christopher Schneider, parle d’une tyrannie des médias sociaux sans précédent.

C’est problématique parce que la protection de l’identité des présumés délinquants mineurs n’existe plus.

— Christopher Schneider, professeur de sociologie

Par voie de communiqué, la police de Vancouver a d’ailleurs demandé aux citoyens lundi de résister à la tentation de se faire justice eux-mêmes, en raison du danger grandissant des médias sociaux.

Aucune vengeance physique n’a été rapportée pour le moment, mais les menaces sont bien réelles pour ceux qui figurent sur ces images.

En quelques heures seulement, le nom de Nathan Kotylak, 17 ans, s’est retrouvé partout sur Internet, en plus de l’adresse de sa famille et de son numéro de téléphone. L’étoile montante de l’équipe canadienne junior de Water Polo s’est livrée aux autorités vendredi et s’est excusée publiquement d’avoir commis des actes de vandalisme.

Malgré tout, les menaces se poursuivent. Craignant des représailles, la famille Kotylak a même dû quitter son domicile de Maple Ridge le week-end dernier.

Des feux brûlent sur la rue Georgia à Vancouver

De son côté, Sienna St-Laurent, 14 ans, a elle aussi appris à ses dépens l’effet pervers des médias sociaux. En rentrant chez elle le soir des émeutes, elle a publié un message sur son blogue. « J’ai participé aux émeutes, j’ai renversé une voiture, fracassé la Banque de Montréal, les arrêts d’autobus… Une grosse soirée! », a-t-elle écrit.

Des dizaines de messages haineux ont ensuite rempli sa boîte de courrier électronique. « Trouve un pont et saute en bas. […] Tu es la honte du pays », disaient certains d’entre eux. D’autres ont demandé l’adresse de sa résidence.

« Je ne sais pas, je voulais me sentir cool, dit-elle. Je sais très bien maintenant que ce ne l’était pas. » Elle se dit aujourd’hui navrée pour ses gestes.

Pour sa part, Camille Cacnio a créé un blogue pour exprimer ses regrets et reconnaître ses torts. L’étudiante en biologie à l’Université de la Colombie-Britannique a notamment été prise en photo en train de s’amuser au milieu des émeutiers et a avoué avoir volé une paire de pantalons. Ces images lui ont fait perdre son emploi à temps partiel chez un concessionnaire automobile.

Quoi qu’il en soit, les images publiées sur Internet ont grandement aidé la police de Vancouver. Cette dernière a reçu près de 3500 courriels de gens qui dénoncent des participants aux émeutes de mercredi dernier à l’adresse de courriel robbery@vpd.ca et plus de 900 autres courriels ont été envoyés à son bureau de relations publiques.

Il reste toutefois beaucoup à faire, car même s’il y a eu plus d’une centaine d’arrestations, des mises en accusation formelles ne sont toujours pas garanties.

Voir aussi :

http://blogs.hbr.org/samuel/2011/06/in-vancouver-troubling-signals.html

http://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=4122

Cyber-délation à grande échelle, après des émeutes à Vancouver

Une défaite en hockey avait provoqué pillages, affrontements et arrestations

Gilles Klein

Arrêt sur images

24/06/2011

Polémique au Canada : après les violentes émeutes qui ont choqué Vancouver (117 arrestations, 150 blessés hospitalisés, pillages de magasins, voitures brûlées, des millions $ de dégats dans la nuit du 14 au 15 juin après un match de hockey) des internautes via blogs, Twitter et Facebook se sont lancés à la chasse aux images d’émeutiers pour les identifier, répondant à l’appel lancé par la police. Certains approuvent, d’autres sont choqués par le procédé.

La page Facebook « Vancouver riot pics: post your photos » (Photos des émeutes de Vancouver : mettez en ligne vos images) illustrée par un slogan tagué sur un mur « Les vrais fans ne font pas d’émeutes » a attiré plus de 100 000 fans.

Sur son blog VanCity Justice, un internaute présente « une galerie d’images de ces salauds, ces déchets impliqués dans les émeutes de la Stanley Cup le 15 juin 2011 ».

Exemple avec « Est-ce quelqu’un peut identifier ce type ? »

On trouve de très nombreuses vidéos sur YouTube montrant les incidents.

Ici un jeune homme (chauve, sac à dos, tee-shirt noir) essaie de protéger sa camionnette entourée par la foule qui crie « brulez le camion ». Il finit par frapper celui qui vient de jeter un cocktail molotov dans son véhicule, mais il est aussitôt submergé par des manifestants qui le rouent de coups.

Les commentaires sur YouTube sous la vidéo saluent son courage et dénoncent ceux qui l’attaquent « comme un troupeau de singes sans cerveaux »

« Les médias sociaux rassemblent les images pour aider la police à épingler les émeutiers » constate le quotidien 24 Hours Vancouver qui estime que près de 70 000 personnes ont envahi les rues dans la nuit du 14 au 15 juin après la défaite de l’équipe de Vancouver, puis tout a dégénéré en émeutes pendant plusieurs heures.

Après avoir lancé un appel aux témoignages, selon l’agence La Presse Canadienne, le 20 juin, la police a déjà « reçu quelque 3500 courriels du public, qui contenaient 53 vidéos en pièce jointe, 676 liens vers YouTube, 708 images et 1011 hyperliens pour aider à identifier les émeutiers. L’émeute a fait l’objet d’une forte réprobation du public, et plusieurs casseurs ont également été identifiés par des amis et des connaissances dans des photos publiées sur divers sites web. Dans certains cas, les adresses et les informations personnelles sont également accessibles à tous. La policière Lindsey Houghton a indiqué que la police était au courant de l’existence de sites comprenant des messages de ces défendeurs de l’ordre, mais qu’elle ne les condamnait pas. »

« Nous recevons encore des centaines d’informations et d’images concernant les émeutes. Voci comment nous faire parvenir vos images et vidéos au Vancouver Police Department » (VPD) explique un Tweet sur le compte officiel de la police de Vancouver

Sur son site la VPD demande, le 20 juin, aux émeutiers de se rendre eux-mêmes à la police. Puis le 21 juin souligne le « Danger d’une justice expéditive » :

« Vu l’émotion provoquée par les émeutes dues au hockey, il y a un danger croissant que les outils du réseau social soient utilisés pour mettre en place une justice sommaire. »

« Le Vancouver Police Departement et son équipe d’enquête demandent au public de résister à la tentation de faire la justice eux-mêmes. Nous vous demandons d’être patients et de continuer à vous comporter en citoyens responsables alors que l’enquête avance »

Une « tyrannie des médias sociaux »

Le professeur de sociologie à l’Université de la Colombie-Britannique, Christopher Schneider, parle d’une tyrannie des médias sociaux sans précédent : « C’est problématique parce que la protection de l’identité des présumés délinquants mineurs n’existe plus. » souligne Radio-Canada.

« Aucune vengeance physique n’a été rapportée pour le moment, mais les menaces sont bien réelles pour ceux qui figurent sur ces images.En quelques heures seulement, le nom de Nathan Kotylak, 17 ans, s’est retrouvé partout sur Internet, en plus de l’adresse de sa famille et de son numéro de téléphone. L’étoile montante de l’équipe canadienne junior de Water Polo s’est livrée aux autorités vendredi et s’est excusée publiquement d’avoir commis des actes de vandalisme. Malgré tout, les menaces se poursuivent. Craignant des représailles, la famille Kotylak a même dû quitter son domicile de Maple Ridge le week-end dernier. »

« De son côté, Sienna St-Laurent, 14 ans, a elle aussi appris à ses dépens l’effet pervers des médias sociaux. En rentrant chez elle le soir des émeutes, elle a publié un message sur son blogue. «J’ai participé aux émeutes, j’ai renversé une voiture, fracassé la Banque de Montréal, les arrêts d’autobus… Une grosse soirée!», a-t-elle écrit. Des dizaines de messages haineux ont ensuite rempli sa boîte de courrier électronique. « 

Camille Cacnio, étudiante en biologie à l’université de Colombie-Britannique, a été brièvement filmée, joyeuse, sortant du magasin Black & Lee pillé, un pantalon volé à la main (1mn30 à 1mn33 dans cette vidéo).

Cacnio a perdu son emploi à temps partiel dans une concession automobile, Burrad Acura, dont le patron, comme il l’a expliqué à CBC News, a reçu une série d’appels téléphoniques et d’e-mails furieux et/ou menaçants évoquant la présence d’une de ses employées dans l’émeute. Elle a ouvert un blog pour publier un message d’excuse, après avoir rapporté le pantalon, et s’être présentée à la police.

Elle s’excuse auprès des habitants de Vancouver, du magasin, de son employeur, et de son université.

Certains n’apprécient pas du tout cettte chasse aux délinquants via Internet.

« « Je ne crois pas que j’ai envie de vivre dans une société qui transforme les réseaux sociaux en outil de contrôle et de surveillance sociale et collective. Ça me rend d’autant plus inconfortable quand je pense que cela pourrait être repris par le lobby pro-vie pour dénoncer les femmes sur le point d’avorter, des régimes totalitaires ou des patrons homophobes pour traquer les employés qui participent au défilé de la Gay Pride ». « écrit dans la Harvard Business Review Alexandra Samuel, directrice du Centre des médias sociaux et interactifs de l’Université Emily Carr

Sous le titre « Vancouver: après les émeutes, les réseaux sociaux livrent leur pire côté »le quotidien francophone Le Devoir s’inquiète le 21 juin : « Près d’une semaine après les émeutes de Vancouver — pour une vulgaire histoire de hockey et de défaite — la Toile s’est mise en mouvement, à l’appel de la police, pour se transformer en immense espace de délation des émeutiers. Une justice populaire, numérique, instantanée, nominative, faisant fi des cadres légaux en place qui inquiète quelques juristes, protecteurs des droits civiques et pourfendeurs des dérives contemporaines. Alors que la jeunesse branchée qui a accepté d’alimenter ce nouveau travers des réseaux sociaux ne semble pas vraiment s’en formaliser. »

Voir enfin:

After a Loss in Vancouver, Troubling Signals of Citizen Surveillance

Alexandra Samuel

Harvard Business Review

June 16, 2011

Last night’s post-Stanley Cup riots left me disappointed in my community. Not my local community in Vancouver: after a decade living here, I can no longer be surprised by the intensity of this city’s hockey madness. And to be fair, most of my fellow Vancouverites took the loss in stride. It was only a handful of drunken hooligans who turned the let-down into a crime spree.

The community that disappointed me was my community online. No sooner were the riots underway than the tweets began:

One thing. Social media should be used to arrest all the idiots being, well, idiots. #canucks #riots

So anyone going through their PVR when they get home and posting screenshots of rioters? Website idea: « Identify this Idiot »

Hey riot dummies: social media didn’t exist in ’94. You’re gonna get busted, and I hope you do #canucksriot

Dear Vancouver, #riot degenerates are still out. I hope with social media, these douchebags are identified by their own family and friends.

This enthusiastic embrace of social media’s potential role in identifying the trouble-makers immediately troubled me. I wasn’t alone. As one widely-retweeted message put it:

This is the downside of smartphones and social media: douchebags taking pics and tweeting about being in the midst of the riot.

But the worrying thing about social media users turning into riot documentarians wasn’t (just) the way they contributed to the crowding of Vancouver’s streets. I was deeply disturbed to see the community of social media enthusiasts embrace a new role: not in observation, not in citizen journalism, but in citizen surveillance.

Documentation and narration is a core part of social media culture. There’s nothing wrong with social media users snapping photos or video as part of their organic experience of an event. Whether it’s for a Facebook update now or a blog post you’re writing tomorrow, posting live images is a routine part of telling a story online.

But it’s one thing to take pictures as part of the process of telling your story, or as part of your (paid or unpaid) work as a citizen journalist. It’s another thing entirely to take and post pictures and videos with the explicit intention of identifying illegal (or potentially illegal) activity. At that moment you are no longer engaging in citizen journalism; you’re engaging in citizen surveillance.

And I don’t think we want to live in a society that turns social media into a form of crowdsourced surveillance. When social media users embrace Twitter, Facebook, YouTube and blogs as channels for curating, identifying and pursuing criminals, that is exactly what they are moving toward. It may seem constructive to post photos of someone burning a car in a hockey riot, and it certainly satisfies the online community’s craving to show that yes, social media can have a tangible impact. (See! The cops got a measurable ROI from their investment in Twitter!)

I am much less comfortable when I think about other ways that crowdsourced surveillance has been or might be put to use: By pro-life demonstrators posting photos of women going into clinics that provide abortions. By informants in authoritarian states tracking posts and tweets critical of the government. By employers that scan Facebook to see which of their employees have been tagged in photos on Pride Day or 4/20.

Social media users need to decide whether surveillance is going to be part of our collective mission and culture online. We need to distinguish between the opportunity (and perhaps even responsibility) that comes with widespread ownership of camera phones, and the decision to post what we snap or film. Beginning with Rodney King, we’ve learned that citizens with cameras may often capture the footage that is key to addressing an injustice or resolving a crime, and it’s in that spirit that the Vancouver Police wisely tweeted this request last night:

Anyone with photos of people committing criminal acts, please hold onto them. With the situation on-going we will need them later. thnx

But passing along the odd photo isn’t the same as turning yourself into a security camera. And it’s certainly not the same as tweeting, Facebooking or blogging your way to a comprehensive portfolio of public crimes and misdemeanours.

What social media is for — or what it can be for, if we use it to its fullest potential — is to create community. And there is nothing that will erode community faster, both online and off, than creating a society of mutual surveillance.


Françafrique: C’est peut-être un putschiste mais c’est notre putschiste (When democracy serves to validate putschists and ballot stuffers)

23 juin, 2011
C’est peut-être un salaud, mais c’est notre salaud. Roosevelt (ou Dulles?)
Ce rachat s’inscrit dans la politique nationale du Qatar puisque QIA, le fonds d’investissement du prince héritier, est un fonds souverain. Cette décision découle d’une stratégie sportive importante du Qatar, qui compte devenir un Etat sportif. Il y a déjà eu l’obtention de la Coupe du monde 2022 de football et d’autres événements sportifs internationaux. Il y a aussi une stratégie plus générale d' »achat » d’athlètes puisqu’on peut être naturalisé en 15 jours au Qatar, ce qui constitue le record mondial en la matière ! Cela avait d’ailleurs beaucoup inquiété le Comité international olympique (CIO) au début. Le rachat du PSG correspond complètement à cette stratégie générale. Le club de la capitale appartient d’une certaine façon à l’état du Qatar. Wladimir Andreff (économiste du sport, Sorbonne)
C’est la victoire du courant le plus religieux. On se trompe quand on présente la victoire de l’AKP comme celle de la modernité. Il ne faut pas oublier que si Erdogan envoie ses filles dans une université aux Etats-Unis, c’est parce que là-bas elles ont le droit d’être voilées. Alain Juppé (cité par Le Canard enchainé, 22.06.11)
L’un des premiers freins au développement, c’est la mauvaise gouvernance, le gaspillage des fonds publics, l’incurie de structures administratives défaillantes, la prédation de certains dirigeants. Quand le baril est à 100 dollars et que d’importants pays producteurs de pétrole ne parviennent pas à se développer, la gouvernance est en question. Quand les indicateurs sociaux de ces pays stagnent ou régressent, tandis qu’une minorité mène un train de vie luxueux, la gouvernance est en question. Que deviennent ces revenus pétroliers? Pourquoi la population n’en bénéficie-t-elle pas? Est-il légitime que notre aide au développement soit attribuée à des pays qui gaspillent leurs propres ressources?  J.-M. Bockel (ex-ministre de la Coopération débarqué à la demande du président Bongo)
Nous allons « fêter » – entre guillemets – le retour en démocratie de la Mauritanie, après ce coup d’Etat, à la suite de la demande de la France et des amis étrangers, tout l’international a fait pression sur la Mauritanie pour qu’elle revienne en démocratie. Il y a eu des élections, elles ont été validées par le conseil constitutionnel là-bas et le nouveau président va prendre ses fonctions. Il est normal que la France salue ce retour en démocratie. (…) il a fait tout ce qu’on lui a demandé. Il a démissionné de l’armée, il a démissionné justement de la haute autorité de transition, il a repris une totale indépendance, comme les autres candidats. (…) Et aujourd’hui, plus personne ne conteste cette élection. Elle s’est passée avec des règles normales et il a été élu dès le premier tour, démocratiquement, et donc, nous saluons cette élection. (…) Non, ce n’est pas la Françafrique. (…) Je revendique aussi quelque part l’influence française, l’importance pour la France d’être présente sur ce continent africain. Je vous rappelle que l’Afrique est à douze kilomètres des côtes européennes. Il faut savoir ce qu’on veut, est-ce qu’on veut que l’avenir se construise avec nous ou qu’il se construise avec des Chinois, des Américains, tout le monde sauf nous ? (…) Et partout, nous menons ce grand combat pour que la démocratie arrive en Afrique. (…) C’est grâce à nous, quelque part, que comme en Mauritanie, la démocratie revient. Donc il faut faire les deux. Il faut se battre pour le retour à la démocratie, pour la transparence, pour l’honnêteté totale dans les procédures de développement au plan international. Mais en même temps, il faut être présent, il faut positiver. (…) C’est diversement réalisé sur le terrain. Sur les 53 Etats africains, je vous assure qu’il y a dans une petite quarantaine d’entre eux beaucoup de progrès, des objectifs du millénaire pour le développement commencent à être atteints dans un certain nombre de pays. (…) Prenons le Ghana par exemple : le Ghana a une croissance a deux chiffres, où les Africains profitent de ce développement, où il y a une démocratie exemplaire. Un président vient d’être élu, il s’était déjà présenté deux fois auparavant. Le président Kufuor qui était quelqu’un de remarquable, vient finalement de passer la main à son opposant. Et c’est comme ça dans beaucoup de pays africains. Alors c’est vrai qu’il reste encore une dizaine de pays dans lesquels nous avons de véritables problèmes. A la fois de coups d’Etat, de sécurité, de problèmes culturels aussi, on le voit bien. Mais franchement, l’Afrique avance, et les jeunes générations d’Africains ont envie d’y aller. Nous, il faut que nous soyons à leur côté. Vous me parlez de la Chine ; qu’est-ce qu’on fait ? On laisse la Chine ou est-ce que la France, demain, est présente au coeur de l’Afrique ? Et moi, je veux que nous soyons présents.  Alain Joyandet (ministre de la Coopération, 03.08.09)

Quand la démocratie sert à légitimer les putschistes et les bourreurs d’urnes …

Urnes fictives ou bourrées, bulletins non comptés, violences et intimidations d’opposants, élection par 10 % de la population, résultats « chiraquiens » (80% au 2e tour, voire 65% dès le premier tour), régularisation de coups d’Etat, déclarations fracassantes de soutien ou invitations en grande pompe à Bruxelles de truqueurs notoires, observateurs peu curieux ou tenus à l’écart des tricheries, publication obligeamment différée des rapports …

A l’heure où, grâce aux pétrodollars de jihadTV, le PSG est en train de vivre son printemps arabe …

En cette année électorale record pour l’Afrique (18 scrutins présidentiels plus une multitude d’autres élections) …

Au lendemain de législatives qui viennent d’offrir un 3e mandat au premier ministre islamiste d’un pays qui, entre mise sur écoutes, arrestations ou confiscations d’entreprises de presse d’opposants, occupe depuis près de 40 ans plus d’un tiers du territoire d’un membre de l’Union européenne …

Et à la veille de présidentielles françaises qui, avec la multiplication évangélique des candidats, semble bien décidée à nous ressortir, quitte à l’inverser (le président sortant se voyant dès le 1er tour bouté par la candidate du FN), un nouveau 21 avril …

Le fameux palmipède du mercredi a beau jeu de pointer, derrière l’approche française officielle de bonne gouvernance en Afrique, les restes toujours bien vivants d’une sorte de « doctrine Eisenhower » en VF.

A savoir que, gros intérêts ou lutte antiterroriste et surout concurrence chinoise ou américaine obligent, le Pays des droits de l’homme « ne se contente pas de soutenir, sans états d’âme, certains dictateurs » mais n’hésite pas, avec Bruxelles et à grands frais (38 millions d’euros), à « jouer les vigies de la démocratie », apportant aux pouvoirs invitants, exception faite de quelques cas d’alternance pour l’instant relativement réussie (Guinée et Côte d’Ivoire), la plus bienvenue des cautions internationales.

Mais aussi, même si à l’occasion « l’arrivée d’une délégation étrangère peut être est un signe d’espoir pour les populations opprimées », combien la soupe peut être bonne (de 150 à 200 euros par jour, billet d’avion payé, plus de 10 000 euros mensuels pour les experts « de long terme ») pour des observateurs pas trop curieux ou parfois auto-déclarés qui ont l’obligeance de publier leurs éventuels rapports critiques plusieurs mois après le scrutin quand tout est oublié …

Quand Paris installe  » démocratiquement  » les chefs d’Etat africains

22 Juin 2011

Lu pour vous

L’hebdomadaire français « Le Canard Enchaîné », dans l’article ci-dessous, publié le 22 juin, n’apprend rien aux Africains sur le sujet. Ceux-ci savent de longue date que les chefs de comptoirs coloniaux que sont les hommes qui les gouvernent ne sont rien sans  » la mère patrie  » qui les a adoubés et bénis.

Sur les fraudes bénies par Paris ils n’ont besoin de personne pour le savoir : ainsi les Congolais savent-ils qu’en 2009 Sassou par exemple a été élu par 10 % de la population, ce que se sont bien gardés de rapporter les  » observateurs  » français dépêchés sur place, histoire peut-être d’avoir une chance de revenir au palais de Mpila la prochaine fois, un endroit où, paraît-il, la soupe est bonne.

Paris a béni les trucages électoraux africains

Jean-François Julliard

Le Canard Enchaîné

22/06/11

LA France ne se contente pas de soutenir, sans états d’âme, certains dictateurs africains, elle ne craint pas d’en rajouter en jouant les vigies de la démocratie sur ce continent. Des observateurs pointilleux surveillent, en son nom, la régularité des élections. Et Paris participe très activement aux « programmes de soutien à la démocratisation » supervisés par l’Union européenne. Cette année, avec 18 scrutins présidentiels – un record – plus une multitude d’autres élections, l’« observation » marche à plein régime. Bruxelles y met les moyens : 38 millions !

Peu curieuses ou tenues à l’écart des tricheries, certaines missions sont une aubaine pour les pays « invitants ». Elles leur permettent de s’offrir une caution internationale et de conforter leur pouvoir. D’autres rapports, franchement critiques, eux, sont inopérants. Leur publication intervient plusieurs mois après le scrutin. Uand tout est oublié.

Exemple : les légilsatives de février au Tchad. Un observateur français, consulté par « Le Canard », les qualifie de « mascarade ». Les remarques gênantes de la mission dont il était membre n’ont été rendues publiques… que le 27 mai.

Quelques jours après le vote, Catherine Ashton, ministre des Affaires étrangères de l’UE, a donc salué le « bon déroulement » des opérations dans un « climat apaisé et serein ». Au pouvoir depuis son coup d’Etat de 1990, le dictateur Idriss Déby en est sorti plus fort. En avril, il a été triomphalement réélu président. Cette fois sans témoins internationaux.

Pas de tintouin au Congo

Autre parodie, il y a trois mois, en Centrafrique. L’ONU et Bruxelles avaient pourtant dépensé 9,5 millions et Paris 500 000 euros pour l’organisa¬tion du scrutin présidentiel et le déplacement des observateurs. Dans leur rapport : urnes fictives ou bourrées, bulletins non comptés (25 %), violences et intimidations d’opposants. Et « réélection » (65 % au premier tour) du général Bozizé…

Les experts internationaux ont relevé des facéties du même calibre au Congo et en Mauritanie (juillet 2009) ainsi qu’au Togo (février 2010). La France, impavide, a célébré la « victoire » des présidents sortants. Alain Joyandet, à l’époque ministre de la Coopération, s’est autocongratulé au sujet de l’un d’eux, arrivé au pouvoir par un coup d’Etat quelques mois avant cette élection : « C’est grâce à nous, quelque part, qu’en Mauritanie la démocratie revient. »

Bien sûr, les observateurs ne sont pas toujours de simples faire-valoir. Leur apport a, par exemple, été reconnu lors des récentes élections en Guinée et en Côte d’Ivoire (novembre 2010), qui ont abouti à l’alternance. « Et l’arrivée d’une délégation étrangère est toujours un signe d’espoir pour les populations opprimées », constate une habituée des missions dans les ex-Républiques soviétiques.

« Le problème, renchérit un familier de l’Afrique, c’est que nos critiques — même virulentes — ne sont pas suivies de mesures de contraintes à l’égard des régimes. » Ainsi, alors que le rapport sur la présidentielle éthiopienne, en 2005, s’annonçait calamiteux, Javier Solana, haut représentant pour la politique étrangère de l’UE, avait, comme le raconte « Jeune Afrique », invité en grande pompe à Bruxelles le vainqueur et roi de la fraude, Meles Zenawi.

Pour certains « observateurs », les conditions matérielles des missions ne sont pas à négliger. Le job est dépaysant et bien rémunéré : de 150 à 200 euros par jour, billet d’avion payé. Les experts dits « de long terme », qui préparent durant des mois, sur le terrain, l’arrivée de leurs collègues « de court terme », peuvent, eux, toucher plus de 10 000 euros mensuels.

Admirateurs de Ben Ali

Mais l’appât du gain ou la sympathie pour un régime généreux suscitent d’autres vocations. Sous le couvert, parfois, d’un organisme bidon, des élus, des juristes ou des universitaires s’improvisent « observateurs indépendants ». Edmond Jouve et André Decocq méritent d’être cités en exemple. En octobre 2009, ces deux profs de droit avaient cautionné les législatives organisées par Ben Ali, dont ils sou¬lignaient « l’intégrité et la transparence ». Fallait oser…

Au Burkina (novembre 2010), l’ancien ministre Jacques Godfrain, un parlementaire UMP et un dirigeant de Bolloré, ont salué la troisième réélection (irrégulière) du président Blaise Compaoré. Au Congo- Brazzaville (juillet 2009), l’ex-ministre Jacques Toubon et les députés UMP Jean-Michel Fourgous et Jean-François Mancel ont porté la soupe à l’inoxydable Denis Sassou Nguesso.

Il s’est aussi trouvé des témoins complaisants pour juger « libre, transparente et crédible » la présidentielle de Djibouti (avril 2011). Ismaël Omar Guelleh y a été sacré avec 80 % des voix. La France, qui, avec les Etats-Unis, soutient à bout de bras cet autocrate, a envoyé le 8 mai Henri de Raincourt féliciter l’heureux élu. Ministre de la Coopération, il y a croisé – sans faire la moindre remarque – le Soudanais Omar El Bechir, poursuivi par la justice internationale pour crime contre l’humanité et génocide.

Difficile de lui en vouloir : Béchir était sûrement venu en simple « observateur »…

Voir aussi: 

Interview de M. Alain Joyandet, secrétaire d’Etat à la coopération et à la francophonie, à RMC le 3 août 2009, sur les relations entre la France et l’Afrique.

Personnalité, fonction : JOYANDET Alain.

FRANCE. Secrétaire d’Etat à la coopération et à la francophonie

Circonstances : Déplacement en Guinée, au Mali et en Mauritanie, du 3 au 5 août 2009

G. Cahour.- Nous sommes en quelque sorte, ce studio, la zone d’embarquement avant que vous preniez votre avion juste après cette émission, parce que vous partez en Guinée, au Mali et en Mauritanie. Pourquoi ce déplacement en plein été, alors que tous vos collègues au Gouvernement sont en vacances ?

Parce que nous allons « fêter » – entre guillemets – le retour en démocratie de la Mauritanie, après ce coup d’Etat, à la suite de la demande de la France et des amis étranger, tout l’international a fait pression sur la Mauritanie pour qu’elle revienne en démocratie. Il y a eu des élections, elles ont été validées par le conseil constitutionnel là-bas et le nouveau président va prendre ses fonctions. Il est normal que la France salue ce retour en démocratie.

Ce sera la dernière étape de votre voyage la Mauritanie, mais on va commencer par ça, avec cet ex-putschiste qui a été élu. Franchement, un ex-putschiste élu président, ce n’est pas très bon signe pour l’avenir démocratique d’un pays ?

Sauf qu’il a fait tout ce qu’on lui a demandé. Il a démissionné de l’armée, il a démissionné justement de la haute autorité de transition, il a repris une totale indépendance, comme les autres candidats.

Il était militaire, c’est ça ?

Il était militaire auparavant. Comme les autres candidats, il s’est soumis à la règle, à la règle démocratique…

La règle démocratique, c’est qu’on ne reste pas militaire en étant candidat ?

Voilà. Et on organise des élections qui sont surveillées par les pouvoirs internationaux. Et donc on se soumet et on rentre dans cette démarche totalement transparente. Et aujourd’hui, plus personne ne conteste cette élection. Elle s’est passée avec des règles normales et il a été élu dès le premier tour, démocratiquement, et donc, nous saluons cette élection.

Donc, un nouveau président mauritanien, et le secrétaire d’Etat chargé de la Coopération y va ?

Oui, parce que je crois qu’il faut qu’à chaque fois…

C’est la Françafrique, c’est ça ?

Non, ce n’est pas la Françafrique.

C’est pour renouer les réseaux d’influence là-bas ?

Je revendique aussi quelque part l’influence française, l’importance pour la France d’être présente sur ce continent africain. Je vous rappelle que l’Afrique est à douze kilomètres des côtes européennes. Il faut savoir ce qu’on veut, est-ce qu’on veut que l’avenir se construise avec nous ou qu’il se construise avec des Chinois, des Américains, tout le monde sauf nous ?

Pourquoi la Guinée ?

La Guinée ça va moins. Et comme je ne suis pas très loin et qu’il y a le groupe de contact international justement à la suite d’un autre coup d’Etat, celui de Guinée, les choses se passent moins bien, les engagements qui ont été pris ne sont pas totalement respectés, nous sommes inquiets. Et je vais porter le message de la France et de la communauté internationale à l’occasion de la réunion de ce groupe de contact pour dire « attention – c’est un autre militaire, capitaine Camara – lui dire, attention vous avez pris des engagements, il faut les tenir ».

Il a organisé un putsch ?

Il a organisé un putsch mais on est un peu inquiet sur l’avenir, on n’est pas sûr que les élections vont avoir lieu.

Théoriquement, elles ont lieu quand là-bas ?

Normalement, elles devraient avoir lieu avant la fin de l’année, mais…

C’est mal parti ?

C’est assez mal parti…

En clair, [inaud.], quoi ?

Les militaires prennent goût parfois au pouvoir et quand il y a des problèmes, ils ont envie de rester un peu plus longtemps et c’est ce qui se passe là-bas à Conakry. On va donc dire au capitaine Camara, avec le groupe de contact, qu’il faut respecter les engagements qui ont été pris, il faut organiser ses élections, autrement la communauté internationale va retirer son aide.

C’est déjà le cas ou pas ? Est-ce que vous avez retiré une partie de l’aide ?

Pour l’instant, non, parce que pour l’instant, on peut encore organiser les élections. Il faut faire la pression, comme cela a été fait d’ailleurs en Mauritanie. Cela ne s’est pas fait tout seul en Mauritanie. Il a fallu que nous agissions beaucoup. Et partout, nous menons ce grand combat pour que la démocratie arrive en Afrique.

Combien on verse d’aide à la Guinée, nous, Français ?

La Guinée, depuis très longtemps, ne recevait plus rien puisque vingt-six ans de régime difficile. Donc nous étions restés en retrait. Nos politiques de coopération sont prêtes à reprendre si toutefois les élections ont lieu…

Donc là on ne verse pas un centime ?

Là, on a versé quelques centaines de milliers d’euros pour aider à l’organisation des élections, pour être sûrs que ces élections soient bien organisées avant la fin de l’année.

Quand on sait que de tout façon, l’aide au développement est souvent détournée, finalement, dire « on ne vous verse plus rien », c’est un manière de dire, on vous coupe les vivres, votre argent de poche », quoi ?

Non, parce qu’on ne coupe pas tout en général. On a nos ONG sur place, on veut continuer à aider les populations et on ne veut pas, justement, que les plus pauvres subissent les conséquences de ces coups d’Etat. Donc, ce que nous faisons, c’est que nous retirons les aides directes au gouvernement, mais nous maintenons nos aides humanitaires à travers les ONG.

Avant de parler plus largement des relations de la France avec l’Afrique, le Mali est la dernière étape de votre déplacement ; qu’est-ce qui s’y passe ?

C’est un pays ami. Et puis c’est surtout, là-bas, une grande opération de coopération, c’est plus de 110 millions d’euros par an, parce que le Mali est un partenaire privilégié de la France et la France est le premier donateur pour le Mali. Le Mali qui, d’ailleurs, à une très forte communauté en France.

Quelques petites questions un peu précises, un peu tatillonnes. Qui a dit : « est-il légitime que notre aide soit attribuée à des pays qui gaspillent leurs propres ressources ? »

Joker.

C’est votre prédécesseur, c’est J.-M. Bockel qui a dit cela. C’était notamment quand il disait qu’il voulait en finir avec la Françafrique, ce qui lui a valu, d’ailleurs, dit-on, son poste. Vous vous retrouvez dans cette déclaration, dans cette interrogation ?

Je me retrouve forcément un peu dans cette interrogation, mais pas trop non plus parce que, vous savez, moi j’ai toujours dit, depuis que je suis arrivé, que je voulais construire et que je pense qu’on ne construit rien sur les avis de décès. Et on est obligé aujourd’hui, vous savez, de tenir compte de la mondialisation, de tenir de la concurrence aussi, que nous rencontrons, y compris dans les actions de coopération. Moi, je revendique cette volonté d’influence pour mon pays, pour la France parce que je veux que la France soit présente. Et en même temps, notre présence fait que nous sommes exigeants et que c’est grâce à nous, quelque part, que comme en Mauritanie, la démocratie revient. Donc il faut faire les deux. Il faut éviter se battre pour le retour à la démocratie, pour la transparence, pour l’honnêteté totale dans les procédures de développement au plan international. Mais en même temps, il faut être présent, il faut positiver. Vous savez, il faut aussi penser à toute cette jeunesse en Afrique, une jeunesse formidable ! Il faut arrêter de vouloir construire l’avenir en regardant dans le rétroviseur. Moi, j’ai envie de construire avec ces jeunes. C’est l’intérêt de la France et c’est l’intérêt de l’Europe. Si on ne le fait pas, que va-t-il se passer dans les vingt ans à venir ? Si les jeunes africains ne construisent pas avec nous, ils construiront avec d’autres. C’est donc l’intrêt de la France, et c’est l’intérêt de la jeunesse française de construire avec la jeunesse africaine.

Est-ce que vous conditionnez l’aide au développement dans tous ces pays à la bonne gouvernance ?

Bien sûr ! D’ailleurs, avec l’Europe et les accords de Cotonou, nous y sommes contraints. C’est-à-dire que dès qu’il n’y a pas bonne gouvernance, les interventions sont suspendues. On entre dans ce qu’on appelle le dialogue politique avec des exigences très fermes, et en Mauritanie, article 96, Cotonou, c’est ce que nous avons fait.

Mais là, ce que vous êtes en train de nous décrire, c’est exactement ce que disait lui-même F. Mitterrand, dans le discours de la Baule en 1990. Il prônait le conditionnement de l’aide publique à la bonne gouvernance. Donc, finalement, il n’y a pas de rupture ?

Je pense que dans tout ce qu’a dit F. Mitterrand en parlant de l’Afrique, il y a un certain nombre de choses que je fais miennes. Et je pense qu’il y a aussi une continuité française, heureusement, une continuité de la République française pour toujours faire la pression partout dans le monde. D’ailleurs, c’est la diplomatie…

Sauf qu’on a vu quand même que pendant toutes ces années, ça n’a pas fonctionné, voire ça n’a pas été fait. Il y avait les paroles et puis il y avait la réalité sur le terrain qui était la Françafrique, l »influence, les affaires, les ventes d’armes, la corruption, les aides détournées. Tout ça, c’était une réalité. Ça l’est peut-être encore aujourd’hui ; c’est ça qui est difficile aujourd’hui en vous écoutant.

Mais si je vous parle de ces jeunes africains qui entreprennent, à qui on prête de l’argent. Si je vous parle de la croissance à deux chiffres dans de nombreux pays, si je vous parle de la démocratie qui progresse en Afrique… Et je peux vous parler de beaucoup de sujets positifs. Je sais que les trains qui arrivent à l’heure intéressent beaucoup moins, c’est normal, c’est comme ça.

Non, ce n’est pas forcément les trains qui arrivent à l’heure c’est simplement que ce type de scandales de la Françafrique, on connaît les détails, disons, de l’état, et qu’aujourd’hui, vous êtes en train de nous présenter les mêmes arguments que ceux qui nous étaient présentés il y a dix ans. Donc on a du mal à savoir si aujourd’hui, c’est devenu une réalité.

Je ne suis pas certain qu’il y a dix ans, on présentait autant de choses positives que je présente moi en matière de développement économique, de création d’entreprises, de coopération. Tout cela, on en parlait beaucoup moins il y a dix. C’est ce qui est en train de se passer en ce moment. Et moi, je souhaite qu’on soit au coeur de ce développement économique.

Puisque que vous nous parlez de ce développement économique, quelle peut être la place de l’Afrique dans la mondialisation ? Parce que les pays d’Asie, l’Inde, on en parle beaucoup, on voit quelle place ils arrivent à occuper, comment ils arrivent à se développer. D’abord, en devenant une sorte d’usine du monde et puis ensuite, en montant en qualité. Mais l’Afrique, comment ?

Je pense que l’Afrique, si on s’y prend bien, ce n’est pas un problème, c’est une solution pour l’avenir. Parce que dans l’avenir, on aura besoin de croissance, on aura besoin d’endroit où entreprendre, d’endroits où il y a des richesses naturelles. Il y a beaucoup de richesses naturelles en Afrique. Je suis persuadé que ce qui s’est passé en Asie depuis vingt ans va se passer en Afrique, à condition qu’on s’y prenne bien. C’est vrai que ce n’est pas la même culture, c’est vrai qu’il faudra sans doute être beaucoup plus exigeant. Et encore. Parce que je ne veux pas non plus que systématiquement, on montre l’Afrique du doigt. Vous savez, ce qui se passe partout dans le monde, moi qui vais sur les cinq continents, si on regarde ce qui se passe même en Europe, à l’Est, si on regarde ce qui se passe en Asie, franchement, ce qui se passe en Afrique, c’est vrai que c’est un peu plus spécifique parce que ce n’est pas la même culture, mais au fond, je pense qu’on ne peut pas sans cesse, sans cesse, ne montrer que l’Afrique du doigt et ne pas regarder ce qui se passe ailleurs.

Vous parlez des ressources : les ressources, on les a bien identifiées, on les a bien exploitées aussi.

Oui, mais tout le monde les a exploitées.

Tout le monde continue de les exploiter, les Chinois aussi. Ils arrivent avec des valises entières de cash, et c’est comme ça qu’ils récupèrent les ressources. Mais comment les Africains profitent de cette mondialisation ?

C’est diversement réalisé sur le terrain. Sur les 53 Etats africains, je vous assure qu’il y a dans une petite quarantaine d’entre eux beaucoup de progrès, des objectifs du millénaire pour le développement commencent à être atteints dans un certain nombre de pays.

Est-ce qu’il y a un pays africain que vous pouvez nous citer où les Africains profitent de la richesse de leurs ressources ?

Prenons le Ghana par exemple : le Ghana a une croissance a deux chiffres, où les Africains profitent de ce développement, où il y a une démocratie exemplaire. Un président vient d’être élu, il s’était déjà présenté deux fois auparavant. Le président Kufuor qui était quelqu’un de remarquable, vient finalement de passer la main à son opposant. Et c’est comme ça dans beaucoup de pays africains. Alors c’est vrai qu’il reste encore une dizaine de pays dans lesquels nous avons de véritables problèmes. A la fois de coups d’Etat, de sécurité, de problèmes culturels aussi, on le voit bien. Mais franchement, l’Afrique avance, et les jeunes générations d’Africains ont envie d’y aller. Nous, il faut que nous soyons à leur côté. Vous me parlez de la Chine ; qu’est-ce qu’on fait ? On laisse la Chine ou est-ce que la France, demain, est présente au coeur de l’Afrique ? Et moi, je veux que nous soyons présents.

Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 3 août 2009

Voir enfin:

Omar Bongo a eu la peau de Jean-Marie Bockel

David Servenay

Rue89

20/03/2008

Les déclarations du secrétaire d’Etat à la Coopération avaient déplu au président gabonais. Elles lui ont coûté son poste.

« C’est un signe intéressant. » Le porte-parole du gouvernement gabonais a accueilli chaleureusement la « bonne nouvelle » du départ de Jean-Marie Bockel du secrétariat d’Etat à la Coopération. En clair : victoire par KO d’Omar Bongo qui, ayant demandé sa tête, a obtenu la dépouille du maire Gauche moderne de Mulhouse. Celui qui, dans ses voeux à la presse, appelait à signer « l’acte de décès de la Françafrique ». Vous avez dit « rupture » ? …

« L’un des premiers freins au développement, c’est la mauvaise gouvernance. »

L’affaire avait fait grand bruit du côté de Libreville. A peine revenu de vacances, dans la litanie monotone des vœux, Jean-Marie Bockel avait lâché un pavé dans le marigot. Bien que réécrit par les conseillers de l’Elysée, son discours entendait marquer une certaine rupture…

« L’un des premiers freins au développement, c’est la mauvaise gouvernance, le gaspillage des fonds publics, l’incurie de structures administratives défaillantes, la prédation de certains dirigeants.

“Quand le baril est à 100 dollars et que d’importants pays producteurs de pétrole ne parviennent pas à se développer, la gouvernance est en question.

‘Quand les indicateurs sociaux de ces pays stagnent ou régressent, tandis qu’une minorité mène un train de vie luxueux, la gouvernance est en question.

Que deviennent ces revenus pétroliers ? Pourquoi la population n’en bénéficie-t-elle pas ? Est-il légitime que notre aide au développement soit attribuée à des pays qui gaspillent leurs propres ressources ? ’

Devant les journalistes, Bockel avançait un message très clair : fini les liens occultes des coulisses franco-africaines, vive la transparence ! Le secrétaire d’Etat à la Coopération appelait même à renforcer les mécanismes d’évaluation des programmes d’aide, en les conditionnant à la ‘bonne gouvernance’. Une idée pas vraiment neuve (voir le discours mitterrandien de la Baule en… 1990), mais pas forcément inutile.

Dans l’après-midi de ce mardi 15 janvier, le secrétaire d’Etat fait un addendum public à son discours où -détail important- il n’a pas lâché un seul nom. Dans un entretien au Monde, Jean-Marie Bockel cite un nom, un seul, celui du ‘président du Gabon’. Badaboum ! Au Palais du bord de mer, le sang du ‘sage’ Omar Ondimba Bongo ne fait qu’un tour. A tel point qu’un communiqué officiel du conseil des ministres rappelle, le 17 janvier, à la France les règles de bienséance :

‘De tels propos ne peuvent être mus que par l’ignorance des réalités de la coopération franco-africaine. Aussi, le gouvernement gabonais marque-t-il sa surprise face au constat suivant : à savoir que, depuis l’arrivée à la tête de la France du président Nicolas Sarkozy, soient véhiculés a un tel niveau de responsabilité des clichés méprisants faisant des Etats africains de vulgaires mendiants sollicitant sans fin l’aumône de la France.

Le Gabon s’étonne de cette attitude d’autant plus inacceptable quand on sait les avantages que tirent la France et les autres Etats occidentaux de leurs rapports économiques avec notre pays depuis toujours, avantages mutuels par ailleurs.’

En coulisse, le syndicat des chefs d’Etat africains s’organise. Bongo, Sassou (président du Congo) et Biya (président du Cameroun) prennent leur téléphone pour réclamer à Nicolas Sarkozy la tête de l’impétrant. Les jeux sont faits.

‘Tuer les petites pratiques moribondes et renouveler le dialogue avec les Africains’

Deux mois plus tard, la sanction tombe, alors même que le flamboyant Bockel s’est ravisé. D’ailleurs, le secrétaire d’Etat à la Coopération faisait preuve d’une grande modération dans sa volonté de ‘rupture’, misant sur la volonté du président de la République :

‘Pour faire évoluer les choses, on peut provoquer le conflit. Ma méthode est différente, forte et pédagogique, non idéologique. Il s’agit de conditionner notre aide à une bonne gouvernance, faire comprendre à l’opinion et aux dirigeants que ce serait plus efficace.

Le moment est venu d’une piqûre de rappel pour aller plus loin dans la démarche de rupture et mettre nos principes en actes. Tuer les petites pratiques moribondes et renouveler notre manière de dialoguer avec les Africains. Le Président sera en Afrique à la fin de février : c’est le bon moment.’

Présomptueux… En Afrique du Sud, devant le Parlement réuni au Cap, Nicolas Sarkozy a bien proposé une révision des accords militaires. Mais de vraie rupture, point. Et surtout, il n’a pas précisé sa méthode.

Jean-Marie Bockel a-t-il été victime d’un reportage de France 2 ?

Un reportage diffusé sur France 2 début mars n’a sans doute pas aidé à reconduire le patron de la Coopération. Reprenant les informations mises au jour par les policiers l’été dernier, la chaîne publique montre l’étendue du patrimoine immobilier du président Bongo : 33 appartements ou maisons, un hôtel particulier de 18 millions d’euros…

Re-colère d’Omar Bongo qui, en guise de représailles, expulse deux ressortissants français. Evoquant une véritable ‘cabale’ et un ‘complot contre le Gabon et son président’, le porte-parole du gouvernement, René Ndemezo” Obiang, fustige la diffusion du reportage dans un communiqué :

“En autorisant la diffusion par les chaînes publiques de reportages divulguant l’adresse privée du président de la République gabonaise en France, mettant ainsi en danger son intégrité physique ainsi que celle de sa famille, les autorités françaises ont manqué à leurs obligations de protection d’un chef d’Etat en exercice.”

Le ton menaçant et inhabituellement peu diplomatique laisse augurer des conversations houleuses échangées entre les deux palais. Deux semaines plus tard, Bockel fait ses valises pour les Anciens combattants, où il pourra méditer sa propre réponse faite au Monde, qui l’interrogeait sur le précédent de Jean-Pierre Cot, écarté en 1982 de la Coopération par François Mitterrand pour cause de réformisme trop enthousiaste :

“C’est un vieil ami. Il s’est vite isolé et n’a pas forcément fait la bonne analyse. Moi, je suis avant tout un pragmatique. Je sais gérer les gens, les budgets, les contradictions.

‘Je sais qu’on ne décalquera pas du jour au lendemain notre morale en Afrique. Je sais aussi que l’Afrique est le continent de demain, et qu’il en va de l’intérêt de la France de mettre en œuvre cette rupture. La jeunesse africaine l’attend.’

Elle attendra encore un peu, la jeunesse africaine.


Religion/France: Attention, un indigène peut en cacher un autre (Reverse Fidei Donum : After the Polish plumber, will the African priest save France from impending doom ?)

22 juin, 2011
Mais, quand le Fils de l’homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre? Jésus
Cette affaire est très grave, car la directive Bolkestein permet à un plombier polonais ou à un architecte estonien de proposer ses services en France, au salaire et avec les règles de protection sociale de leur pays d’origine. Sur les 11 millions de personnes actives dans les services, un million d’emplois sont menacés par cette directive. Il s’agit d’un démantèlement de notre modèle économique et social. Philippe De Villiers
Ces dernières années, la reproduction de villes européennes est devenue un sport national en Chine, avec l’inauguration, entre autres en 2005, de Chengdu British Town, calquée sur la ville anglaise de Dorchester. Direct matin
Pour des touristes, ce sont peut-être des œuvres d’art. Pour nous, ce sont des monuments à la gloire de Dieu, et ils doivent le rester. Richard Czurylo (prêtre d’un petit village autrichien)
Si dans les enquêtes PISA, dans tous les pays concernés, on enlève finalement les enfants issus de l’immigration, on n’a pas du tout les mêmes résultats. Marie Reynier (rectrice de l’académie d’Orléans-Tours)
Certains ont raconté à la police qu’ils sont pourchassés dans leur pays. Ils ont si bien préparé leur histoire qu’elle est entrée dans leur ventre – même un détecteur de mensonges ne peut découvrir la vérité. Amidou (patron de cybercafé camerounais, Hong Kong)
Terre de tradition anticléricale, le Limousin (Corrèze, Creuse, Haute-Vienne) est un quasi-désert religieux. Aujourd’hui, la présence cléricale y est maintenue par des prêtres venus d’ailleurs : Europe de l’Est, Vietnam et, surtout, Afrique. Le père Auguste Coly, sénégalais, exerce dans les paroisses des beaux quartiers de Limoges. La paroisse Saint-Jean-Baptiste, que dessert le père Barthélemy Binia depuis Pierre-Buffière (1 200 habitants, chef-lieu de canton), englobe quinze «clochers». D’autres sont venus du Congo-Brazzaville, du Bénin ou du Burkina Faso. Entre planification des messes quotidiennes, baptêmes, obsèques, organisation de la catéchèse, ces prêtres sillonnent leur territoire à raison de plusieurs centaines de kilomètres par mois. Le Monde magazine
En Afrique, les églises débordent, ici elles sont presque vides ; en Afrique, leur fréquentation est jeune, ici elle est âgée. Là-bas, les messes sont joyeuses et débordantes de mouvement; ici, elles sont silencieuses, les gens ne les chantent pas et pour nous elles sont tristes. (…) Ici, vous ouvrez la messe par la contrition et l’imploration. En Afrique, on l’ouvre par la joie et la jubilation devant la beauté du monde. (…) C’est vrai que le pays et la famille me manquent ; mais j’ai des amitiés ici. Et puis, il y a du boulot. Barthélemy Binia (prêtre centrafricain)
Le statut de prêtre «Fidei Donum» (don de la foi) a été créé par une encyclique du pape Pie XII, le 21 avril 1957, pour ouvrir aux prêtres diocésains les «appels de la mission», jusqu’alors confiés à des ordres missionnaires spécialisés, aujourd’hui en manque d’effectifs. Les départs sont conclus pour trois ans renouvelables, par accords entre l’évêché d’origine et l’évêché de destination. A la promulgation de l’encyclique, 950 prêtres français sont partis en Afrique et en Amérique latine. Depuis, l’effondrement du nombre des ordinations a inversé la situation. Pour 165 prêtres français qui officient à l’étranger, 1 472 prêtres étrangers officient en France (avril 2010), soit 13 % de l’effectif national du clergé paroissial. Ils sont venus d’Afrique (793), d’Europe de l’Est (316), d’Asie (222), d’Amérique latine (104), du Moyen-Orient (37). Parfois, ces prêtres d’ailleurs emportent avec eux leurs habitudes, leurs rites. Le «rite congolais», par exemple, est né de «l’inculturation » de la liturgie catholique en Afrique, c’est-à-dire de l’adaptation de l’Evangile dans les cultures populaires. Il se caractérise par l’importance de la musique, des danses et par la transformation de l’homélie en échanges de paroles – les «palabres » – entre le prêtre officiant et les fidèles. Il modifie aussi le déroulement de la messe et célèbre les ancêtres au même titre que les saints. Un office peut durer jusqu’à trois heures et plus. Ce rituel est apparu spontanément et progressivement à partir de l’indépendance du Congo belge, en 1960. Il a été peu à peu formalisé, sous l’influence du cardinal Joseph-Albert Malula (1917- 12989), évêque de Kinshasa, et reconnu licite par le Vatican en 1998. (…) Barthélemy Binia, originaire de RDC, réfute le terme d’«animisme » et préfère parler de «religion traditionnelle». Et puis, il s’amuse : «Le Limousin a lui aussi ses pratiques animistes. Quand je suis arrivé ici, j’ai été stupéfait de voir des gens qui ne mettent jamais les pieds à l’église venir me demander d’aller bénir leurs fontaines», sourit-il. Les «bonnes f o n t a i n e s » – près de 300 recensées en Limousin – sont réputées guérisseuses, chacune pour une pathologie identifiée, et visibles dans le paysage par l’accumulation de vêtements accrochés en ex-voto dans les branchages alentour. Le père Barthélémy Binia s’est étonné, aussi, le jour où un paroissien lui a offert un couteau, de l’entendre lui réclamer en échange une pièce de monnaie parce que le don d’un couteau, «ça coupe l’amitié !». Le Monde magazine

Après le plombier polonais … le curé congolais ? Et après la cuisine et la tauromachie, va-t-il falloir, pour la sauver, inscrire la religion chrétienne en France au Patrimoine de l’UNESCO?

A l’heure où certaines de nos chères têtes blondes accourent de la planète entière pour accéder au rare privilège de passer leur bac en voile

Et où une rectrice d’Académie se voit contrainte d’abjurer pour avoir dit la vérité sur le lien évident entre la part d’enfants issus de l’immigration et la baisse du système éducatif français dans les enquêtes internationales …

Pendant que, dépopulation oblige, nos amis et maitres es contrefaçons chinois se démènent pour sauver de l’extinction nos villages pittoresques   …

Retour, avec Le Monde magazine, sur, déchristinaisation oblige, ces Africains qui après le bâtiment, l’enlèvement des ordures et le gardiennage, tentent de ressusciter un nouveau secteur en perdition de l’économie de la Fille ainée de l’Eglise … les paroisses de nos villes et villages !

Clocher. Dans le coeur rural de la France, des prêtres congolais, sénégalais ou burkinabés assurent les offices des paroisses désertées par leurs pairs français et souvent par leurs ouailles. Rencontre avec ces nouveaux propagateurs de la foi.

Missionnaires africains chez les indigènes limousins

Georges Châtain

Le Monde Magazine

Le père Barthélemy Binia, curé à Pierre- Buffière (87), s’amuse en relisant Tintin au Congo. «C’est avec les aventures de Tintin que j’ai appris le français. C’est vrai que nous autres, Congolais, n’y sommes pas gâtés, mais il n’y a pas de quoi en faire un plat. C’était le regard de l’Europe coloniale, l’histoire est comme ça.» Terre de tradition anticléricale, le Limousin (Corrèze, Creuse, Haute-Vienne) est un quasi-désert religieux. Aujourd’hui, la présence cléricale y est maintenue par des prêtres venus d’ailleurs : Europe de l’Est, Vietnam et, surtout, Afrique. Le père Auguste Coly, sénégalais, exerce dans les paroisses des beaux quartiers de Limoges. La paroisse Saint-Jean-Baptiste, que dessert le père Barthélemy Binia depuis Pierre-Buffière (1 200 habitants, chef-lieu de canton), englobe quinze «clochers». D’autres sont venus du Congo-Brazzaville, du Bénin ou du Burkina Faso. Entre planification des messes quotidiennes, baptêmes, obsèques, organisation de la catéchèse, ces prêtres sillonnent leur territoire à raison de plusieurs centaines de kilomètres par mois. Ils sont des personnages familiers de la vie sociale rurale et villageoise. «Il m’arrive même d’être invité aux repas de chasse», confesse Barthélemy Binia.

«Je suis arrivé en septembre 1997, raconte Auguste Coly. Je m’étais rendu en France dans le cadre d’échanges intercatholiques et j’avais appris que l’épiscopat français peinait à trouver des renforts saisonniers pendant les vacances. Je suis venu pour un ou deux mois, et puis, vous voyez, je suis toujours là.» Il a commencé dans une commune rurale du Quercy avant d’être nommé à Limoges en 2007. Barthélemy Binia, ordonné prêtre en 1971, a lui d’abord été secrétaire de l’évêque de Kinshasa, avant de choisir la vie missionnaire en 1989. D’abord au Cameroun. Puis «en 2005, j’ai pris une année sabbatique en France. J’étais en contact avec l’évêque de Limoges, très en prise avec l’Eglise africaine. J’ai effectué plusieurs remplacements et j’ai décidé de rester. C’est comme ça qu’en 2006 je suis devenu limousin». Barthélémy Binia ne se souvient que d’un jeune couple qui a refusé d’être marié par un Noir. «Il n’était pas question de les forcer, mais pas question non plus de céder devant ce genre de refus. Ils n’ont donc pas été mariés par un prêtre, mais par un diacre », explique-t-il. Les souvenirs d’Auguste Coly sont plus sympathiques : «Pour ma première célébration, l’église était pleine. Plusieurs villageois m’avaient apporté des champignons et des fromages, deux produits inconnus et plutôt repoussants pour un Sénégalais. Et puis cela s’est renouvelé, et je ne pouvais pas refuser des dons aussi gentiment offerts. Alors j’ai appris à aimer les champignons et le fromage.» L’effet de surprise, aux dires de Barthélemy Binia, a plutôt concerné les arrivants : «En Afrique, les églises débordent, ici elles sont presque vides ; en Afrique, leur fréquentation est jeune, ici elle est âgée. Là-bas, les messes sont joyeuses et débordantes de mouvement; ici, elles sont silencieuses, les gens ne les chantent pas et pour nous elles sont tristes.» Alors, il a décidé d’inoculer à ses célébrations un peu de l’esprit des pratiques de chez lui qui bouscule l’ordonnance et la componction de la messe. «Ici, vous ouvrez la messe par la contrition et l’imploration. En Afrique, on l’ouvre par la joie et la jubilation devant la beauté du monde.» Musicien, il chante, fait chanter et met dans ses offices une verve qui a d’abord surpris, puis séduit. A Limoges, Auguste Coly a lui aussi donné une coloration nouvelle à ses célébrations: «Je l’ai fait naturellement, sans bien m’en rendre compte. En Afrique, nous aimons animer la messe.»

N’y a-t-il pas pour autant des coups de nostalgie et des envies de retour au pays ? «C’est la famille qui manque, bien sûr, répond Auguste Coly. Je téléphone tous les dimanches.» Mais il aimerait rester encore au moins trois ou quatre ans, pour terminer, parallèlement à son ministère, un doctorat sur «le rôle des associations de parents dans la politique éducative». Barthélemy Binia, lui, est partagé : «C’est vrai que le pays et la famille me manquent ; mais j’ai des amitiés ici. Et puis, il y a du boulot.»

Voir aussi:

«Fidei Donum», la carrière des prêtres en CDD

Georges Châtain

Le Monde Magazine

Le statut de prêtre «Fidei Donum» (don de la foi) a été créé par une encyclique du pape Pie XII, le 21 avril 1957, pour ouvrir aux prêtres diocésains les «appels de la mission», jusqu’alors confiés à des ordres missionnaires spécialisés, aujourd’hui en manque d’effectifs. Les départs sont conclus pour trois ans renouvelables, par accords entre l’évêché d’origine et l’évêché de destination. A la promulgation de l’encyclique, 950 prêtres français sont partis en Afrique et en Amérique latine.

Depuis, l’effondrement du nombre des ordinations a inversé la situation. Pour 165 prêtres français qui officient à l’étranger, 1 472 prêtres étrangers officient en France (avril 2010), soit 13 % de l’effectif national du clergé paroissial. Ils sont venus d’Afrique (793), d’Europe de l’Est (316), d’Asie (222), d’Amérique latine (104), du Moyen-Orient (37). Parfois, ces prêtres d’ailleurs emportent avec eux leurs habitudes, leurs rites. Le «rite congolais», par exemple, est né de «l’inculturation » de la liturgie catholique en Afrique, c’est-à-dire de l’adaptation de l’Evangile dans les cultures populaires. Il se caractérise par l’importance de la musique, des danses et par la transformation de l’homélie en échan ges de paroles – les «palabres » – entre le prêtre officiant et les fidèles. Il modifie aussi le déroulement de la messe et célèbre les ancêtres au même titre que les saints. Un office peut durer jusqu’à trois heures et plus. Ce rituel est apparu spontanément et progressivement à partir de l’indépendance du Congo belge, en 1960. Il a été peu à peu formalisé, sous l’influence du cardinal Joseph-Albert Malula (1917- 12989), évêque de Kinshasa, et reconnu licite par le Vatican en 1998.

Barthélemy Binia, originaire de RDC, réfute le terme d’«animisme » et préfère parler de «religion traditionnelle». Et puis, il s’amuse : «Le Limousin a lui aussi ses pratiques animistes. Quand je suis arrivé ici, j’ai été stupéfait de voir des gens qui ne mettent jamais les pieds à l’église venir me demander d’aller bénir leurs fontaines», sourit-il. Les «bonnes f o n t a i n e s » – près de 300 recensées en Limousin – sont réputées guérisseuses, chacune pour une pathologie identifiée, et visibles dans le paysage par l’accumulation de vêtements accrochés en ex-voto dans les branchages alentour. Le père Barthélémy Binia s’est étonné, aussi, le jour où un paroissien lui a offert un couteau, de l’entendre lui réclamer en échange une pièce de monnaie parce que le don d’un couteau, «ça coupe l’amitié !».

Les candidates voilées peuvent passer le bac

Pierre Teiller

Le Figaro

18/06/2010

Une enseignante agacée par une consigne qui rappelle que des candidates voilées ont le droit de passer l’examen.

Coup de colère d’une professeure de lettres dans un établissement public. Elle s’apprêtait comme chaque année à faire passer les épreuves de français du bac dans un lycée de l’Oise.

En milieu de semaine, elle assiste à une réunion technique préalable aux examens du baccalauréat. Comme elle, les examinateurs sont convoqués pour connaître les modalités, s’accorder sur des barèmes de notation. Du classique. Mais, lors de cette rencontre, le représentant de l’académie d’Amiens croit bon cette année de préciser le comportement à adopter si une candidate arrive voilée. «Elle sera acceptée, dit-il, mais devra soulever son voile pour que vous puissiez vérifier son identité. Ensuite, elle sera autorisée à remettre son voile pour toute la durée de l’examen.»

De quoi agacer l’enseignante qui estime que «cette directive de l’académie d’Amiens va à l’encontre de l’oral de français pour lequel l’expression et l’engagement physique du candidat sont très importants». Si le cas se présentait, l’enseignante l’assure, elle refuserait d’entendre le candidat : «On ne peut pas refuser le voile dans le cadre de l’enseignement tout au long de l’année scolaire et l’autoriser lors du passage du baccalauréat. Pour moi, c’est hypocrite», s’insurge-t-elle.

Pourtant, si la loi interdit bel et bien le voile dans les établissements scolaires, c’est uniquement durant le temps scolaire, dans le cadre strict de l’école. Pas durant les examens.

Un porte-parole de l’académie d’Amiens justifie les conseils donnés aux correcteurs. «Nous adoptons les consignes aux populations qui sont susceptibles de se présenter. Par ailleurs, il faut faire la différence, souligne-t-elle, entre une candidate libre et une candidate scolarisée de façon classique durant l’année. Ces dernières connaissent les règles et ne décident pas de revêtir leur voile le jour de l’examen. En revanche, le cas peut se produire avec une jeune fille suivant les cours à distance du Cned.» Même son de cloche dans les Vosges où quelques cas ont été recensés sans qu’ils ne posent problème. Comme ailleurs dans l’Hexagone, les candidates qui se sont présentées voilées aux épreuves du baccalauréat suivaient généralement leur scolarité par correspondance.

Une façon pour elles d’étudier tout en restant chez elles et de ne pas avoir à retirer leur voile comme elles y seraient contraintes durant des cours dispensés dans les établissements scolaires.

Au ministère de l’Éducation nationale, on affirme d’ailleurs ne pas avoir connaissance de l’ampleur du phénomène et de conflits qui seraient nés à ce sujet. «Nous ne comptabilisons pas les cas qui, de toute façon, sont rares et conformes à la loi.»


Bacille de Yersin/117e: La peste ne meurt jamais (The plague never dies, it just lies dormant)

20 juin, 2011
 
Jésus vit, en passant, un homme aveugle de naissance. Ses disciples lui firent cette question: Rabbi, qui a péché, cet homme ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle? Jésus répondit: Ce n’est pas que lui ou ses parents aient péché … Jean (9: 1-3)
Il savait que cette foule en joie ignorait, et qu’on peut lire dans les livres, que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu’il peut rester pendant des dizaines d’années endormi dans les meubles et le linge, qu’il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses, et que, peut-être, le jour viendrait où, pour le malheur et l’enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse. Albert Camus (La Peste)
(Au XVIIIe) la catastrophe-châtiment reste bien l’idée directrice : elle est un message à déchiffrer. Une catastrophe n’est jamais dépourvue de signification. Elle est un message à déchiffrer. Un message envoyé par Dieu. La divinité utilise l’arme de la peur pour rappeler les humains à la relativité de la vie terrestre et à l’absolu du salut et de la damnation éternels.  Anne-Marie Mercier-Faivre, Chantal Thomas (L’invention de la catastrophe au XVIIIe siècle: du châtiment divin au désastre naturel, 2008)
En 1662, Colbert introduit la technique de la «ligne» en France. Un corps de médecins est spécialement chargé de détecter l’épidémie et l’armée se doit d’isoler avec rigueur les zones contaminées. C’est un succès et l’on n’entend bientôt plus parler de foyers d’infection. Mais, au fil des années, la vigilance se relâche et c’est ainsi que va survenir le drame de Marseille en 1720, dernière manifestation du fléau en Europe. André Larané
 Le 25 mai 1720, un navire, le Grand-Saint-Antoine, entre dans le port de Marseille. Il ramène de Syrie un passager clandestin, le bacille de la peste ! En deux mois, la ville de Marseille va perdre la moitié de ses 100.000 habitants et la peste va tuer dans l’ensemble de la région pas moins de 220.000 personnes !Les Français du «Siècle des Lumières», qui vivaient dans l’insouciance de la Régence (le roi Louis XV a alors 10 ans) et se croyaient à l’abri des grandes épidémies, vont devoir en catastrophe restaurer une sévère prévention. Camille Vignolle.
En définitive, si la peste portait un autre nom, il n’est pas certain que les touristes s’en seraient inquiétés. Alain Lallemand
Une gifle pour l’image de marque de l’Inde, aggravée par les rancoeurs inter-États: la province accuse Delhi d’avoir cédé à la panique, et Delhi reproche aux États du Maharashtra et du Gujarat d’avoir fait peu de cas des impératifs sanitaires. Entre les deux, la grande presse indienne entretient l’incendie, tout en accusant les médias étrangers, notamment britanniques, de porter une part de responsabilité dans ce gâchis. Si la peste ne fait plus guère de victime, le spectre de la peste, lui, n’a pas fini d’effondrer les marchés. Et c’est aujourd’hui le véritable drame de l’Inde. C’est ici que la peste pneumonique s’est déclarée le 19 septembre avec une telle rapidité qu’on a pu croire pendant dix jours aux prémices d’une épidémie continentale. Il n’en a rien été puisque les courbes de mortalité se sont effondrées dès le 28 septembre et qu’aucune souche de peste pneumonique ne sera relevée dans les autres États de la fédération. Mais la panique trouvera à s’alimenter par une accumulation d’erreurs: la première est commise par certains médecins privés de la ville qui, aux premières alertes, conseillent l’exil à leurs patients et fuient eux-mêmes la ville. La seconde erreur est publique: alors qu’un mouvement de population se dessine au départ de Surat, l’administration nationale des transports mettra plusieurs centaines de bus supplémentaires à destination des fuyards. Conséquence: au risque de propager la maladie, l’administration du Gujarat confortait un mouvement irrationnel de panique. On estime que plus de 600.000 personnes ont quitté à ce moment la ville, plusieurs dizaines de milliers ne l’ayant pas encore réintégrée à l’heure actuelle. Delhi ne s’en tirera guère mieux: alors que les médias indiens relèvent les premiers cas suspects de peste – et même au moment des premières confirmations de la maladie – le gouvernement apparaît moins bien informé que les correspondants locaux des grands journaux. Erreur fatale, la suspicion ne tardera guère: le «Times of India» et l’«Indian Express», pour ne citer que les plus réservés, se chargeront d’alimenter la chronique à satiété, provoquant une réaction politique double et contradictoire: pour conserver la confiance des tour-operateurs, Bombay prend des mesures de prévention immédiates et spectaculaires, dressant un cordon sanitaire entre la mégapole et le Gujarat d’une part, entre son aéroport et le monde extérieur d’autre part. Le Gujarat semble avoir eu un comportement inverse, tentant de rassurer la population, tout en accusant un retard technique quant aux mesures réactives face à l’épidémie. Conséquence: l’Inde a cassé son image. Arrivera-t-elle demain, sans moyens, à la reconstruire tout en relevant le niveau de ses exigences sanitaires? Cent vingt-cinq cas de peste au Gujarat dont 118 pour Su-rat, 81 dans le Maharashtra dont 46 pour le seul district de Beed, 60 à Delhi, 10 en Uttar Pradesh, en tout quelques 288 cas confirmés de peste bubonique ou pulmonaire – dont 55 étaient mortels – ont été effectivement répertoriés jusqu’au 9 octobre inclus. Selon la dernière évaluation de l’OMS, disait cette dernière le 11 octobre, la flambée actuelle [de peste] touche à sa fin, et sa propagation en dehors des zones initialement touchées (…) est très limitée. S’il est possible que la transmission locale de la peste pulmonaire se poursuive encore un peu en dehors des districts de Beed et de Su-rat, il s’agit là de toute évidence d’un phénomène qui, même s’il est confirmé, reste strictement limité et qui n’a pas de caractère épidémique. Dont acte. Ne soyons pas dupe, ce communiqué de l’OMS peut être démenti demain dans les faits, et le directeur général Hiroshi Nakajima n’a pas eu matériellement le temps, lors de sa visite éclair du 8 octobre à Surat, de réellement mesurer la situation. Il n’empêche que nous voilà fort loin des près de 200 morts pesteuses du Zaïre relevées en 1992 et 1993, et que, par ailleurs, Bombay se rappelle avoir perdu plus de 100.000 personnes, dans une «véritable» épidémie de peste cette fois, aux dernières années du 19e siècle… Ce serait un lieu commun de rappeler qu’une vie humaine n’a pas le même poids politique en Inde qu’en Occident, et cela releverait en outre d’un orientalisme presque insultant. Mais force est de constater que la peste n’est, d’un point de vue intérieur, qu’une des préoccupations sanitaires du pays. Au moment où la presse britannique faisait les gorges chaudes de la peste naissante, Bombay enregistrait – pour deux quartiers seulement de la ville – quelque 5.000 cas de malaria chaque mois. Parmi ces cas – qui ne reflètent que les statistiques des hôpitaux publics, le «rapportage» des médecins privés étant défaillant – on trouve notamment des patients souffrant de malaria cérébrale, une affection potentiellement mortelle. La malaria n’est donc pas une préoccupation mineure. (…) Cette multiplication des affections possibles a pour effet de relativiser l’importance de la peste, tout en compliquant passablement le travail des intervenants: aucun diagnostic préétabli n’est possible. On lira ailleurs comment l’hôpital de Surat a pu confondre un moment peste pulmonaire et malaria. En définitive, si la peste portait un autre nom, il n’est pas certain que les touristes s’en seraient inquiétés. (…) Alors, critiquer éventuellement l’action indienne suppose qu’on tienne compte de l’incroyable complexité de la tâche: par exemple, dans un pays où le lassi est boisson nationale, il faut expliquer à un public majoritairement illettré que les capsules de tétracycline ne peuvent se prendre avec du lait, sous peine d’annuler l’effet du médicament. Plus ardu encore: dans les jours qui ont suivi l’épidémie, le public s’est mis à chasser le rat pour le plus grand bonheur des quincaillers et droguistes. Une réaction compréhensible mais dangereuse, eu égard à la menace que constitue le corps de l’animal, même mort. Il ne suffisait pas d’expliquer que le cadavre du rat doit, pour bien faire, être désinfecté puis brûlé. Il fallait au même moment tenter de briser cette chasse au rongeur en expliquant que, si le rat disparaissait, la puce chercherait d’autres mammifères susceptibles d’être parasités, en l’occurrence les animaux domestiques et l’être humain lui-même. Comme on le voit, ces obstacles n’ont rien à voir avec un prétendu obscurantisme religieux, comme cela a pu s’écrire. D’ailleurs, le Zaïre a-t-il fait mieux? Et si le cycle de la maladie s’était inversé? Haut fonctionnaire du ministère de l’Industrie de l’État du Gujarat, K.V. Bhanujan est l’un des deux piliers de la cellule de crise nationale chargée de gérer l’épidémie. Il était début octobre à Surat: pour lui, pas de mystère, l’immigration ouvrière a été trop importante dans cette ville, les services publics n’ont pas pu suivre le rythme. Même les services de base ne sont plus assurés. D’où l’échec sanitaire qui a précédé l’épidémie. Mise en cause du pouvoir municipal? C’est de la responsabilité du corps social. La municipalité de Surat devait réagir, mais aussi la population. La grande leçon qu’il faut en tirer, c’est de demander à chacun de nettoyer son propre environnement. C’est en définitive la responsabilité de tout un chacun. Bien sur, on peut toujours charger la municipalité et ne rien faire. Mais en définitive c’est la population qui en souffrira. Durant la dernière semaine de septembre, une récolte extraordinaire de 15.000 tonnes de détritus a été réalisée au centre-ville de Surat. Et ce, bien que l’autre pilier de la cellule nationale de crise S. Jagadeesan, directeur du département financier du Gujarat, affirme pour sa part qu’aucun lien n’existe entre l’état particulièrement crasseux de la ville et l’épidémie. Ce n’est pas la seule déclaration surprenante qu’il nous fera: – Vous connaissez le cycle pesteux traditionnel: le rat sauvage transmet la puce infectée au rat «domestique», lequel en meurt. La puce se rabat alors sur l’homme, puis l’épidémie se transmet à chaque être humain notamment par les postillons, etc… La peste bubonique, elle, lorsque mal soignée, peut dégénérer en peste pulmonaire. Dans le cas de Surat, il existe deux hypothèses: soit la peste nous vient de l’extérieur. Soit le cycle classique de la maladie se serait renversé, ou à tout le moins modifié. Cela nécessite une enquête scientifique: dans ce cadre, l’OMS et le NICD (Institut national des maladies contagieuses) ont trouvé un accord pour mener une enquête conjointe. Cette théorie a le grand avantage de disculper l’État du Gujarat de toute accusation de laxisme: le mal aurait été incontrôlable, en quelque sorte. Une autre rumeur, du même tonneau, faisait dire à un grand hebdomadaire de Kerala que l’origine de la peste était peut-être due aux agents de guerre bactériologique d’une grande puissance étrangère… (…) Limitant l’importance de l’épidémie à trois quartiers particuliers de la ville, S. Jagadeesan ne peut envisager désormais autre chose qu’un éventuel isolement sanitaire de ces quartiers – en mouroirs? – et le renforcement de mesures antirats, dont on sait ce qu’il faut en penser (…). La vérité est qu’il n’y a en fait aucun moyen financier véritable. La Libre Belgique (1994)
La peste est considérée par l’OMS comme une maladie réémergente. De 1987 à 2009, 53 417 cas de peste humaine ayant causé 4 060 décès ont été notifiés à travers le monde (soit une moyenne de 2 322 cas et de 177 décès par an), 95 % des cas étant africains. Un foyer malgache est responsable de 31 % des cas mondiaux et de 37 % des décès7. Il s’agit essentiellement de peste bubonique (entre 80 et 95 % des cas) avec une mortalité comprise entre 4 et 10 % des cas (9,1 % à Madagascar) (…) D’après l’OMS, l’Afrique est le continent le plus touché (hauts plateaux du centre de l’île de Madagascar, Mozambique, Tanzanie, République démocratique du Congo), suivie de l’Asie (Inde). Ces deux continents regroupent près de 99 % des cas rapportés dans le monde en 1997. 13 cas de peste ont été détectés en Libye à la mi-juin 2009, mais l’épidémie a été enrayée immédiatement. L’Amérique du Sud et l’Ouest des États-Unis ont répertorié quelques cas en 1997. La peste est actuellement inexistante en Europe. Wikipedia
L’époque de la médecine triomphante est bel et bien derrière nous. La  révolution antibiotique nous a conduits à baisser la garde et à ne plus  enseigner les vieux principes de l’hygiène dans les écoles, en pensant qu’on  allait facilement venir à bout de toutes les maladies infectieuses. Il faut  réapprendre les gestes simples de la salubrité. (…) Et il va sans doute falloir abandonner nos  traditionnelles poignées de  main. Cette coutume fraternelle remonte aux premiers chrétiens, qui prouvaient  ainsi leur solidarité en bravant le péril oro-fécal (déjà connu). Mais  aujourd’hui, nous sommes trop nombreux, nous croisons trop de monde à longueur de journée et les maladies émergentes sont potentiellement trop graves pour ne  pas remettre notre comportement en question. D’ailleurs, ni les Américains ni les Asiatiques ne se touchent autant que les Français. Frédéric Saldmann

A l’heure où, entre la suppression de certains insecticides, la généralisation des voyages et la baisse de vigilance,  nos villes retrouvent avec les punaises de lit certains hôtes qu’on croyait à tout jamais disparus …

Retour, en ce 117e anniversaire de l’identification  du bacille qui en était responsable par le Vaudois et héros national du Vietnam Alexandre Yersin

Et avec le site d’histoire Hérodote …

Sur  la longue et terrifiante marche,  des steppes d’Asie aux ports de notre Méditerranée et à intervalles réguliers du VIe au XVIIIe siècles, d’un des pires fléaux (« pestis » en latin) de l’histoire humaine, à savoir la peste.

Longtemps terme générique pour toutes sortes d’épidémies comme le typhus mais responsable, avec la fuite des populations qui avant qu’on ne comprenne qu’il fallait au contraire isoler les zones touchées en accéléraient la diffusion,  de véritables hécatombes (jusqu’à 40% de la population de certaines zones pour un total de dizaines de millions de victimes pour la seule « Peste noire » européenne du XIVe siècle) mais aussi par contrecoup de jacqueries et de pogroms sur les habituels boucs émissaires juifs accusés d’empoisonner les puits …

Ce n’est qu’en 1894 et à Hong Kong en effet que l’on comprit finalement que Yersinia pestis (du nom de son découvreur suisse dépêché sur place par l’Institut Pasteur de Paris) était en fait une maladie de rongeurs asiatiques transmis à l’homme via les puces.

Mais  qui, comme le rappelait Camus à la toute fin de son roman éponyme et l’OMS tout récemment, nous attend toujours prête à repartir, véritable épée de Damocles au-dessus de nos têtes en ces temps de voyages de masse intercontinentaux, états faillis et oubli occidental des règles de base de l’hygiène, dans des sortes d’immenses « réservoirs naturels » entre l’Afrique, l’Amérique ou l’Asie …

Sans compter les nouvelles « pestes » modernes dites aujourd’hui « pandémies » telles que la grippe de 1918  dite « espagnole » (plus de victimes, avec quelque 60 millions – sur 1 milliard de malades soit la moitié de la population mondiale de l’époque – que la Grande Guerre, issue de Chine mais apportée vraisemblablement en Europe par les soldats américains et, censure militaire oblige, révélée d’abord dans la seule Espagne neutre) ….

Ou, plus récemment, le SIDA et autres grippes aviaire ou porcine

Des origines à 1894

Histoire d’un fléau immémorial, la peste

René Castillon

Hérodote

La peste, dont le nom vient du latin pestis (fléau), n’a été identifiée qu’en 1894 par le médecin Aexandre Yersin. Elle provient d’un microbe très résistant qui porte le nom de son découà la toute fin de vreur : le bacille de Yersin. Il existe à l’état naturel chez certains rongeurs d’Asie et peut être transmis par l’intermédiaire de puces à des rats et, de là, à l’homme. La puce en question est rebutée par l’odeur des moutons et des chevaux, de là le fait que les bergers et les palefreniers n’étaient pas contaminés par la maladie.

Signalons que la peste a souvent été confondue avec d’autres maladies. Ainsi c’est le typhus qui a emporté Périclès à Athènes en 329 avant JC et Saint Louis devant Tunis en 1270.

René Castillon.

Peste bubonique, peste pulmonaire

La peste proprement dite est de deux sortes. On distingue :

– la peste bubonique avec des pustules qui se nécrosent et des bubons dans le cou, des accès de fièvre, des vertiges et des délires, et néanmoins quelques guérisons quasi-miraculeuses,

– la peste pulmonaire, occasionnée par la présence du bacille dans la salive et entraînant une mort inéluctable dans les trois jours.

Premières apparitions du fléau

La peste apparaît pour la première fois en Europe et dans le bassin de la Méditerranée en 541-542, au temps des rois mérovingiens et de l’empereur Justinien. Chaque année, elle prélève son lot de victimes dans la population, affaiblie par la misère et l’insécurité propres aux temps barbares. Puis, à partir de 767, au temps de Charlemagne, les chroniques en perdent la trace… mais elle reste endémique en Orient, en Inde et en Chine.

La peste bubonique (avec apparition de «bubons» ou tumeurs à l’aine) fait sa réapparition en 1320 en Mongolie. De là, elle se répand alentour et atteint la mer Noire fréquentée par les Génois. Ceux-ci vont imprudemment l’amener jusqu’à Marseille.

En accostant à Marseille le 1er novembre 1347, ils vont ouvrir au fléau les portes de l’Occident.

L’épidémie se développe d’autant mieux et plus vite que la population est épuisée. Après trois siècles d’expansion démographique, l’Europe est saturée d’hommes que les sols peinent à nourrir. Les disettes, famines et «chertés» se font plus fréquentes et à ces pénuries alimentaires s’ajoute la guerre entre Français et Anglais.

Les Européens croient au début que les miasmes de la peste se répandent par voie aérienne. Aussi n’ont-ils rien de plus pressé, lorsque l’épidémie atteint une ville, que de fuir celle-ci. Le poète Boccace raconte cela dans le Décaméron, son recueil de contes écrit après que Florence ait été atteinte par la Grande Peste de 1347. Cette fuite est la pire attitude qui soit car elle a pour effet d’accélérer la diffusion de l’épidémie.

La «Grande Peste» ou «Peste noire» va ainsi tuer en quelques mois jusqu’à 40% de la population de certaines régions, ressurgissant par épisodes ici ou là. En quatre ans, 25 à 40 millions d’Européens vont en mourir. Par milliers, des villages sont désertés. Les friches, la forêt et les bêtes sauvages regagnent le terrain perdu au cours des deux siècles précédents qui avaient vu les campagnes se développer et se peupler à grande vitesse…

Mais, dès la génération suivante, la vie reprend le dessus. Paysans et manouvriers, profitant de la raréfaction de la main-d’oeuvre, imposent aux seigneurs et aux employeurs des libertés nouvelles et des augmentations de salaires. Ces revendications s’accompagnent de graves crises sociales, la plus célèbre étant la Grande Jacquerie de 1358.

Les débuts de la prévention

Au début du XVIe siècle, l’Italien Jérôme Fracastor conteste que la maladie se propage par voie aérienne et suggère une contagion d’homme à homme ou d’animal à homme.

Dans ces conditions, il importe avant tout d’isoler les villes et les régions atteintes. En 1478, en Catalogne, pour la première fois, on a l’idée d’isoler les villes contaminées par des cordons de soldats. Cette technique dite de la «ligne» est peu à peu perfectionnée par les Espagnols avec un réel succès : l’armée coupe les communications et tire à vue sur les personnes qui tentent de passer !

Cela n’empêche pas la peste de refaire son entrée en France sous le règne de Louis XIII, toujours par le port de Marseille. En 1628-1631, elle touche plusieurs dizaines de cités, de Toulouse à Dijon, et tue encore quelques centaines de milliers de victimes.

En 1662, Colbert introduit la technique de la «ligne» en France. Un corps de médecins est spécialement chargé de détecter l’épidémie et l’armée se doit d’isoler avec rigueur les zones contaminées. C’est un succès et l’on n’entend bientôt plus parler de foyers d’infection. Mais, au fil des années, la vigilance se relâche et c’est ainsi que va survenir le drame de Marseille en 1720, dernière manifestation du fléau en Europe.

La peste proprement dite est de deux sortes. On distingue :

– la peste bubonique avec des pustules qui se nécrosent et des bubons dans le cou, des accès de fièvre, des vertiges et des délires, et néanmoins quelques guérisons quasi-miraculeuses,

– la peste pulmonaire, occasionnée par la présence du bacille dans la salive et entraînant une mort inéluctable dans les trois jours.

Voir aussi :

20 juin 1894

Alexandre Yersin isole le bacille de la peste

Gabriel Vital-Durand

Hérodote

20 juin 2011

Le 20 juin 1894, Alexandre Yersin, un jeune médecin militaire formé à l’institut Pasteur, isole à Hong-Kong le bacille de la peste

Un Franco-Suisse aimé des Vietnamiens

Le jeune homme est né en 1863 dans une famille puritaine de la région de Lausanne. Il s’intéresse très jeune à la flore et à la faune, avant de se déterminer à étudier la médecine, d’abord à Marbourg, puis à Paris. Engagé comme préparateur par Roux, il effectue à l’Institut Pasteur une thèse sur la tuberculose tout en contribuant à l’isolement de la toxine diphtérique.

Faisant preuve d’une indépendance d’esprit singulière pour l’époque, il suit le cours de bactériologie de Koch à l’Institut d’hygiène de Berlin.

À partir de 1890, il profite d’un séjour en Indochine pour explorer les hauts plateaux de Cochinchine et d’Annam.

En 1894, une épidémie de peste ravage la Chine méridionale.

Alexandre Yersin se rend à Hong-Kong et, pourvu de moyens dérisoires, réussit à identifier et isoler en trois semaines le responsable de ce fléau immémorial qui terrorise les hommes de toutes conditions et de tous pays.

Il s’agit d’un microbe très résistant qui porte depuis lors le nom de son découvreur : le bacille de Yersin («Yersinia pestis»).

Il existe à l’état naturel chez certains rongeurs d’Asie et peut être transmis par l’intermédiaire de puces à des rats et, de là, à l’homme.

Le docteur teste avec succès le bacille sur des chevaux puis sur ses serviteurs, dans la paillotte ci-contre.

Revenu à Paris l’année suivante, Alexandre Yersin met au point avec Calmette et Roux un vaccin et un sérum contre la peste. De retour à Canton, il démontre l’efficacité de ces remèdes sur un séminariste promis à la mort.

Le médecin porte dès lors ses efforts sur le développement des Instituts Pasteur fondés à Hanoi, Saigon, Nha Trang et Dalat (sérums, vaccins, travaux d’hygiène). Il encourage en parallèle l’introduction dans le pays de l’arbre à caoutchouc et de l’arbre à quinine. Il élève des chevaux pour la fabrication du sérum et implante des races de vaches laitières.

Il promeut l’extraction industrielle de la quinine et choisit Dalat pour y établir des sanatoria. Yersin devient le premier doyen de la faculté de médecine de Hanoï en 1902, mais il renonce bientôt aux honneurs pour défendre les intérêts du peuple annamite fort méprisé et exploité, vivant au sein de la population dans le village de Soui Dau, près du port de Nha Trang (Annam).

Selon les termes d’une lettre écrite vers 1890, «demander de l’argent pour soigner un malade, c’est un peu lui dire la bourse ou la vie !»

Alexandre Yersin meurt en 1943, pendant l’occupation japonaise. C’est à peu près la seule figure de l’époque coloniale qui n’a pas cessé d’être vénérée au Viet-Nam, où toutes les villes ont un lycée à son nom. Paradoxalement, la Suisse et la France (dont il avait adopté la nationalité) l’ont en revanche bien délaissé…

Voir également:

1er novembre 1347

La peste entre à Marseille

Le 1er novembre 1347, les responsables du port de Marseille acceptent un bateau génois dont ils savent pourtant qu’il est porteur de la peste…

André Larané

Une si longue absence…

Après plusieurs siècles d’absence, la peste bubonique (avec apparition de «bubons» ou tumeurs à l’aine) fait sa réapparition en 1320 en Mongolie. De là, elle se répand alentour et atteint la mer Noire fréquentée par les Génois.

Comme les Mongols assiègent la ville de Caffa (aujourd’hui Féodossia, en Ukraine), ils envoient des cadavres contaminés par-dessus les murailles. Des marins génois arrivent à fuir la ville mais en emportant avec eux le terrible bacille. En accostant à Marseille, ils vont ouvrir au fléau les portes de l’Occident.

Un mois plus tard, la peste atteint la Corse et Aix-en-Provence. En janvier 1348, elle est à Arles et Avignon où, en six semaines, elle fait onze mille morts. En avril, la voilà en Auvergne, à Toulouse et Montauban. En juin à Lyon, en juillet à Bordeaux et dans le Poitou. Le 20 août 1348, on la signale à Paris. En décembre, elle atteint Metz…

Durant les premiers mois, le fléau progresse à une moyenne de 75 km par jour en profitant des circuits d’échanges, en particulier fluviaux et maritimes. Sa diffusion est favorisée par le surpeuplement des villes et aussi le goût des habitants pour les bains publics, lesquels vont devoir être fermés les uns après les autres. La peste fait 100.000 morts à Florence. À Paris, on compte 500 morts par jour.

Selon Froissart, un tiers de la population française décède mais sans doute s’agit-il d’une exagération manifeste. Les estimations varient selon les régions d’1/8 à 1/3 de la population

L’épidémie va tuer en quelques mois jusqu’à 40% de la population de certaines régions européennes, ressurgissant par épisodes ici ou là. En quatre ans, 25 à 40 millions d’Européens vont néanmoins mourir de la «Grande Peste» ou «Peste noire».

Impuissance de la médecine

Les médecins médiévaux attribuent la peste aux humeurs ou à l’empoisonnement de l’air. Ils pratiquent la saignée et les purges avec des résultats catastrophiques et récusent l’idée pourtant évidente de la contagion. Les citadins n’ont rien de plus pressé, lorsque l’épidémie atteint une ville, que de fuir celle-ci. Le poète Boccace raconte cela dans le Décaméron, son recueil de contes écrit après que Florence ait été atteinte par la Grande Peste de 1347. Cette fuite est la pire attitude qui soit car elle a pour effet d’accélérer la diffusion de l’épidémie.

La population, en de nombreux endroits, soupçonne les juifs d’empoisonner les puits ! Dès 1348, une quarantaine sont massacrés à Toulouse.

En 1349 apparaît le mouvement des flagellants ; c’est la résurgence d’un mouvement localisé en Italie au XIe siècle. Il se répand dans toute la chrétienté occidentale et ne tarde pas à se structurer. Ses membres s’engagent à se flageller pendant 33 jours et demi (autant que d’années passées sur terre par le Christ). Les flagellants finissent par s’en prendre à l’Église institutionnelle à laquelle ils reprochent son comportement indigne. Le mouvement s’éteint néanmoins en quelques mois, aussi vite qu’il est apparu.

Un ordre social boulevers

L’épidémie se développe d’autant mieux et plus vite que la population est épuisée. Après trois siècles d’expansion démographique, l’Europe est saturée d’hommes que les sols peinent à nourrir. Les disettes, famines et «chertés» se font plus fréquentes et à ces pénuries alimentaires s’ajoute la guerre entre Français et Anglais. Par milliers, des villages sont désertés. Les friches, la forêt et les bêtes sauvages regagnent le terrain perdu au cours des deux siècles précédents qui avaient vu les campagnes se développer et se peupler à grande vitesse…

Les prix des céréales qui avaient chuté dans les premiers mois de l’épidémie, du fait du manque de consommateurs, remontent très vite dans les années suivantes du fait du manque de bras !

Dès la génération suivante, la vie reprend le dessus. Paysans et manouvriers, profitant de la raréfaction de la main-d’œuvre, imposent aux seigneurs et aux employeurs des libertés nouvelles et des augmentations de salaires. Ces revendications s’accompagnent de graves crises sociales, la plus célèbre étant la Grande Jacquerie de 1358. Le servage achève de disparaître et les petites seigneuries rurales sont ruinées.

Un monde nouveau émerge suite à la Grande Peste. Après une rémission, l’épidémie revient en 1360 puis de façon erratique jusqu’en 1721. Chaque retour entraîne une hystérie collective mais aussi, après une brutale mortalité, une forte reprise de la nuptialité et de la natalité.

L’épidémie a des répercussions aussi sur l’art avec l’apparition des premières représentations de la mort dans l’art occidental. Les danses macabres se développent dès 1380. Les riches défunts sont représentés sur les sarcophages non plus dans leurs plus beaux atours mais dans l’état de décomposition qui suit la mort : ce sont les «transis».

Voir encore:

25 mai 1720

Le retour de la peste à Marseille

Le 25 mai 1720, un navire, le Grand-Saint-Antoine, entre dans le port de Marseille. Il ramène de Syrie un passager clandestin, le bacille de la peste !

En deux mois, la ville de Marseille va perdre la moitié de ses 100.000 habitants et la peste va tuer dans l’ensemble de la région pas moins de 220.000 personnes !

Les Français du «Siècle des Lumières», qui vivaient dans l’insouciance de la Régence (le roi Louis XV a alors 10 ans) et se croyaient à l’abri des grandes épidémies, vont devoir en catastrophe restaurer une sévère prévention.

Camille Vignolle.

Victimes de l’oubli et du relâchement

Parti de Marseille le 22 juillet 1719, le Grand-Saint-Antoine gagne les escales ou ports du Levant. Or la peste sévit à ce moment-là en Syrie.

Un passager turc embarqué à Tripoli le 3 avril 1720 meurt deux jours après sur des cordages. Puis, sur le chemin du retour, le voilier perd successivement sept matelots et le chirurgien de bord. Un huitième matelot tombe malade peu avant l’arrivée à Livourne, en Italie. À chaque fois, on trouve de bonnes raisons pour se dissimuler la vérité sur l’épidémie. À l’escale de Livourne (Italie), les médecins ne font rien pour retenir le navire.

Le capitaine Jean-Baptiste Chataud a lui-même hâte de livrer sa cargaison (des ballots de tissus d’une valeur de 100.000 écus) avant la foire de Beaucaire. Il amarre son voilier au Brusc, près de Marseille, et fait discrètement prévenir les armateurs ou propriétaires du navire.

Ceux-ci font jouer leurs relations. Ils en appellent aux échevins de Marseille pour éviter une quarantaine brutale qui consisterait à isoler le navire (et sa cargaison) en pleine mer pendant quarante jours. Les uns et les autres considèrent que la peste est une histoire du passé et prennent l’affaire avec détachement.

Finalement, ils demandent au capitaine de repartir à Livourne chercher une «patente nette», certificat attestant que tout va bien à bord. Les autorités de Livourne, qui n’ont pas envie de s’encombrer du navire, ne font pas de difficultés pour délivrer ledit certificat.

C’est ainsi que le Grand-Saint-Antoine est mis en quarantaine «douce» : les marins sont débarqués et enfermés dans un lazaret ou dispensaire, près de l’île de Pomègues. Mais les hommes, une fois à terre, n’entendent plus s’occuper de leur linge sale. Ils en font des ballots et le jettent à des lavandières par-dessus la palissade du lazaret…

Le retour du fléau

Le 20 juin, rue Belle-Table, dans un misérable quartier de la ville, une lavandière de 58 ans, Marie Dunplan, meurt après quelques jours d’agonie. Elle a un charbon sur les lèvres. Les médecins n’y prennent pas garde. Comment feraient-ils le rapprochement avec la Peste noire des temps médiévaux ? Le 28 juin, dans le même quartier, meurt à son tour un tailleur de 45 ans, Michel Cresp. Deux jours plus tard, c’est au tour de sa femme…

Le 9 juillet enfin, deux médecins, les Peyronnel père et fils, se rendent au chevet d’un enfant de treize ans, rue Jean-Galant. Et là, tout de suite, ils comprennent : la peste ! Ces deux excellents médecins avertissent les autorités. Il faut aller vite… Le 22 juillet, un gros orage, accompagné de chaleur et d’humidité, accélère la prolifération du bacille. Bientôt, l’épidémie fait un millier de morts par jour dans la ville. Les victimes de la contagion meurent en moins de deux jours.

On mure les maisons des victimes. On poudre les cadavres de chaux… L’évêque de Marseille, Henri-François-Xavier de Belsunce de Castelmoron, conseiller du roi et éminent personnage du royaume, se signale par son dévouement exceptionnel. Il met le palais épiscopal au service du corps médical en veillant à la propreté du linge. Lui-même parcourt les rues, assiste et secourt les malades, au mépris de la mort qui finalement l’épargnera. Le cours Belsunce et le lycée du même nom rappellent son héroïsme.

Un autre personnage, le chevalier Nicolas Roze, se détache des secouristes. Cet échevin offre la liberté à des galériens en échange de leur assistance. Sous sa conduite, les bagnards et 40 soldats volontaires s’entourent le visage de masques en tissu et enlèvent, puis incinèrent, les 8000 cadavres qui pourrissent sur la place de la Tourette et alentour.

Tâche indispensable et ô combien dangereuse ! Sur 200 bagnards libérés le 1er septembre, 12 sont encore en vie le… 6 septembre. Le chevalier Roze, renouvelant ses effectifs, poursuit inlassablement sa tâche. Lui-même est atteint par la peste mais il en réchappe par miracle (les chances de survie ne dépassent pas 1 pour mille).

Riposte et rémission

Monsieur de Langeron, chef de l’escadron des galères, est nommé commandant de la ville et, avec six compagnies de soldats, fait rapidement fermer les lieux de rassemblement (églises, tripots….) et arrêter les pilleurs. La mortalité dans la ville commence à baisser en décembre avec seulement un ou deux morts par jour. Enfin, le 29 septembre 1721, après 40 jours sans nouvelle victime, la population rend grâce à Dieu pour l’avoir enfin délivrée du fléau.

Mais on s’est décidé trop tard à boucler Marseille, début septembre, et le bacille a pu se répandre dans l’intérieur des terres de sorte qu’il faudra encore deux années de luttes pour éradiquer la peste du Languedoc et de la Provence.

Le Grand-Saint-Antoine est remorqué sur l’île Jarre, en face des calanques, et brûlé le 26 septembre 1720 sur ordre du Régent Philippe d’Orléans (on peut encore voir ses restes). Quant au capitaine Chataud, il est emprisonné sur l’île d’If.

Après cet épisode dramatique, on n’entendra plus jamais reparler de la peste en Europe… mais les sociétés prospères du continent auront hélas d’autres occasions de découvrir que l’on n’est jamais à l’abri d’une épidémie, de la grippe espagnole au sida.

Voir de plus:

Bubonic Plague in America, Part II: Undercover Science

mutantdragon

May 20, 2011

Summer in Hong Kong is often a time of high heat and torrential rain. It was no different in 1894, when colonial doctor Alexandre Yersin first arrived; a monsoon storm greeted his ship the day it docked. For Yersin, however, the inclement weather soon proved less irksome — and certainly less unexpected — than the recalcitrant English bureaucracy. He’d travelled from Saigon to hunt down a killer. And now the British bureaucrats wouldn’t even let him in the morgue.

Yersin was ill-equipped by temperament and experience to cope with this kind of problem. As a child, he was a shy introvert, and even as an adult he remained socially awkward; he never married and seemed uninterested in women. An accident during his medical training in 1886 brought him to the attention of none other than Louis Pasteur. He took up a position in Pasteur’s Institute later that year, writing an award-winning thesis and collaborating in the Institute’s famous work on diphtheria.

Despite this early success, Yersin remained dissatisfied, and in 1890, at the age of 27, he abandoned his promising career to become a ship’s doctor on a vessel bound for what is today the country of Vietnam. Pasteur and Roux tried to talk him out of it, but without success.

French colonial doctor Alexandre Yersin. Austere and dedicated, he abandoned a promising scientific career to work in Indochina instead.

Clearly this sudden departure was a momentous decision — a little like turning down a tenure-track position at Harvard to go work for a tiny nonprofit. Yersin’s reasons aren’t entirely clear. Perhaps he wanted adventure; maybe he found Paris life unbearable, or perhaps it was the idealistic streak in him. “I find great pleasure in taking care of those who come to me for help, but I do not want to make a profession of medicine,” he once wrote. “That is, I could never ask a sick human being to pay me for the care that I have given him. To ask for money for treating the sick is a bit like telling them, ‘Your money or your life!’ “

Whatever his motivations, it soon seemed he’d made the right choice; in Indochina, he turned into an unlikely hero. He quickly learned the local language and a talent for mapmaking. When his tour of duty as ship doctor ended in 1892, he secured a commission to explore the uncharted land towards the Mekong Delta and Phnom Penh. During his travels, he survived multiple adventures unlike any in Paris — a bout of dysentery, a scuffle with a band of pirates, torrential jungle rain.

Back home in Switzerland, his mother wasn’t too happy with her son’s choice of career. Really, she’d wanted him to stay at the Pasteur Institute. Yersin remained unmoved. “My firm intention is never again to work at the Pasteur Institute,” he wrote at one point. “Now that I am far away, I can judge it more objectively. Life in a laboratory would seem impossible to me after having tasted the freedom and life of the open air.”[2]

But Fate plays strange tricks, and when Yersin returned to Saigon from an expedition in 1894, he found interesting news and a cable from Paris awaiting him. An outbreak of plague was ravaging Hong Kong. And his old colleagues at the Pasteur Institute needed his help.

In through the Out Door

In June, Yersin set sail for Hong Kong on behalf of the French government and the Pasteur Institute, hoping to track down the deadly plague bacteria. Unfortunately, his British hosts proved uncooperative right from the start.

When Yersin asked Scottish hospital director James Lowson for access to cadavers of plague victims, Lowson told him it was out of the question. The Chinese were very superstitious, Lowson explained, and they believed it was sacrilegious to dissect dead bodies. Moreover, they mistrusted British colonial government, and there had already been a riot. If local Chinese people found out someone had dissected their relatives’ remains, there would be serious trouble.

This much was true, but it wasn’t the whole truth. Japanese scientist Shibasaburo Kitasato had arrived in Hong Kong 3 days before Yersin and been given everything he needed, cadavers included. To make matters worse, Lowson wouldn’t even let Yersin have any lab space of his own — and lab space had nothing to do with Chinese beliefs. So what was Lowson’s game?

Doctor and hospital director James Lowson, from [1].

No one can say for sure, but we can make a guess. Lowson had already tried to isolate the bacterium without any luck. Assisting Kitasato was an honor that might earn Lowson some credit; Kitasato was a big-name scientist with an international reputation, whereas outside French circles, Yersin was completely unknown. Besides, the British and French colonial governments were rivals at that time, so Lowson may have felt he was under no obligations to this Frenchman anyway. Whatever Lowson’s motives may have been, however, Yersin was stuck.

At this point an unlikely ally came to his aid. Yersin didn’t speak English, so an old Italian missionary named Father Vigano was acting as his interpreter. Vigano sympathized with Yersin’s predicament, and he suggested a solution that might seem a little odd coming from a priest. The hospital mortuary was guarded by British naval conscripts, Vigano pointed out. Why not bribe the sentries to let him into the morgue?

It was a dangerous gamble, but Yersin took him up on it. With Vigano as interpreter, Yersin approached the two sentries. The affable priest explained Yersin’s dilemma and offered the sentries a little money in exchange for a trivial favor. To Yersin’s surprise, they accepted.

While Vigano waited outside with the sentries, Yersin hastily searched among the corpses in the dark converted cellar that served as a morgue. He found the body of an epidemic victim, sliced out one of the buboes and hurried back to his makeshift workbench with his grisly prize. Later that day, he jotted the following in his notebook:

“June 20, 1894. The specimen is full of microbes, all looking alike, with rounded ends, staining very poorly (Gram-negative)”.[5]

Further experiments with rodents revealed that the bacteria he’d found were indeed the germs that caused plague.

Ironically, despite being denied nearly everything he needed for his research, Yersin beat his Japanese rival to the punch. True, Kitasato also claimed he’d found the plague bacteria, but the bacteria Kitasato initially described could move and were Gram-positive (definitely not Y. pestis, on both counts). Probably Kitasato’s samples were contaminated. At least one author speculates that Lowson, hoping for a share in the glory, persuaded Kitasato to rush to publication anyway.[1] In any event, even though Kitasato published first, his findings appear to have been flawed, and Yersin eventually received credit for the discovery.

Japanese scientist Shibasaburo Kitasato (from [1]) was already famous by the time he came to Hong Kong. He rushed his incomplete findings to publication — possibly on Lowson’s advice.

And Yersin had another contribution to make as well. The rats of Hong Kong were dying in large numbers. Intrigued, Yersin examined specimens from the dead rodents. When he did so, he found more of the same plague bacteria he’d isolated from human cadavers. He realized what no one else had until that time: bubonic plague was predominantly a disease of rodents, not humans.

Stowaway

Yersin had identified the bacterium that caused plague, but the Hong Kong outbreak was still far from under control. Shortly thereafter, plague bacteria embarked on a voyage halfway around the world.

No one knows for sure which boat(s) brought the plague to San Francisco. One ship, however, stands out as a prime suspect. The Japanese passenger liner Nippon Maru was carrying plague-infected rats when it arrived. It sailed from Hong Kong in 1899; two passengers died of plague during the trip, and San Fran authorities were on alert before the boat even came to port.

When it showed up in San Francisco in June, the Nippon Maru was placed in quarantine. Shortly thereafter, health officials transferred it to Angel Island, removed all the passengers and carefully inspected the whole ship. They found no fewer than 9 Japanese stowaways hidden aboard. Unfortunately, they didn’t realize that two stowaways were missing.

Several days later, the bodies of the two missing stowaways were found floating in the bay. Both of the two bodies contained plague bacteria.

San Francisco newspapers had a field day. “San Francisco is Endangered by the Federal Quarantine Officer,” headlines blared [7], and local officials blamed Federal officials for the escape of the two stowaways. In the end, owing to local mistrust, the ship was fumigated not once but twice.

Did infected rats from the Nippon Maru smuggle the plague ashore? Maybe so. Alternatively, another boat might have brought the plague to America instead; the ship Australia , for example, has been named as a possible culprit. Either way, the plague had definitely arrived by March of the following year, when a Chinese man was found dead in San Francisco’s Globe Hotel. Tests performed by Dr. Kinyoun of the Federal government’s Marine Hospital Service revealed the man had died of plague. The ensuing furore made the earlier plague scare seem tame by comparison.

Business interests, journalists and many politicians insisted the “plague death” was a hoax. Plague in San Francisco? Not possible. Besides, admitting the presence of the disease would be bad for business. The California governor, no less, accused Dr. Kinyoun of fabricating the autopsy results. Another city newspaper (this one owned by William Randolph Hurst) went to the opposite extreme, running hysterical articles that predicted impeding catastrophe. Soon, the straightforward task of controlling the outbreak bogged down into a two-party political battle.

As if this wasn’t controversial enough, racial bigotry reared its ugly head. Sinophobia was rampant in San Fran at that time, and some Americans blamed the outbreak on the Chinese. ” ‘The almond-eyed Mongolian is watching for his opportunity, waiting to assassinate you and your children with one of his many maladies,’ ” a union newspaper told its readers [6]. The authorities imposed a quarantine applying only to Asians. In response, the Chinese community filed a lawsuit alleging discrimination and won. At one point, the City Board of Health wanted to remove the entire Chinese population to Angel Island and demolish Chinatown; a judge ruled their plan was unconstitutional.

While bureaucrats, journalists, and health officials quarreled, one by one, plague victims began to die. At some point during this period, the plague quietly took root in the wild rodent populations of the Western US, where it has remained ever since.

 

Voir enfin:

QUEL SALAIRE LA PEUR ? (Si la peste ne fait plus guère de victime, le spectre de la peste, lui, n’a pas fini d’effondrer les marchés)

« En définitive, si la peste portait un autre nom, il n’est pas certain que les touristes s’en seraient inquiétés. »

Alain Lallemand

L’INDE A PAYE LE SALAIRE DE LA PEUR

Alain Lallemand

La Libre Belgique

17/10/1994

Seize heures moins dix, un rang de visiteurs de plus de deux cent cinquante mètres se presse à l’entrée du Taj Mahal (Agra, Uttar Pradesh). Signe de bonne santé touristique? Non pas: ces visiteurs-ci sont autochtones et savent que, passé seize heures, le ticket n’est plus de cent mais de… deux roupies seulement. Sur le bon millier de personnes présentes cet après-midi là sur le site le plus célèbre du continent indien, on cherchera avec peine une quinzaine d’Occidentaux: si les touristes britanniques semblent avoir très partiellement gardé leur confiance en l’ancienne colonie, les Américains, Français, Italiens, Allemands, Autrichiens, voire même les derniers visiteurs russes qui avaient survécu à la disparition des échanges culturels indo-soviétiques, ont massivement annulé leurs voyages pour cause de peste. Et encore sommes-nous en Uttar Pradesh, loin de l’épicentre: à Bombay, État du Maharashtra où ont été décelés la majorité des cas de peste bubonique, un guide nous affirme avoir perdu tout contrat jusqu’au 1er décembre; Amitabh Devendra, gérant de l’un des plus luxueux hôtels de la ville, fait état d’une activité minimale, d’une rentrée d’ores et déjà manquée sans réelle perspective de reprise. Maigre consolation: le flux ininterrompu de journalistes du monde entier venu rendre compte de la situation sanitaire. A l’Holiday Inn de Surat, quatre clients, quatre journalistes. Une gifle pour l’image de marque de l’Inde, aggravée par les rancoeurs inter-États: la province accuse Delhi d’avoir cédé à la panique, et Delhi reproche aux États du Maharashtra et du Gujarat d’avoir fait peu de cas des impératifs sanitaires. Entre les deux, la grande presse indienne entretient l’incendie, tout en accusant les médias étrangers, notamment britanniques, de porter une part de responsabilité dans ce gâchis. Si la peste ne fait plus guère de victime, le spectre de la peste, lui, n’a pas fini d’effondrer les marchés. Et c’est aujourd’hui le véritable drame de l’Inde.

C’est ici que la peste pneumonique s’est déclarée le 19 septembre avec une telle rapidité qu’on a pu croire pendant dix jours aux prémices d’une épidémie continentale. Il n’en a rien été puisque les courbes de mortalité se sont effondrées dès le 28 septembre et qu’aucune souche de peste pneumonique ne sera relevée dans les autres États de la fédération. Mais la panique trouvera à s’alimenter par une accumulation d’erreurs: la première est commise par certains médecins privés de la ville qui, aux premières alertes, conseillent l’exil à leurs patients et fuient eux-mêmes la ville. La seconde erreur est publique: alors qu’un mouvement de population se dessine au départ de Surat, l’administration nationale des transports mettra plusieurs centaines de bus supplémentaires à destination des fuyards. Conséquence: au risque de propager la maladie, l’administration du Gujarat confortait un mouvement irrationnel de panique. On estime que plus de 600.000 personnes ont quitté à ce moment la ville, plusieurs dizaines de milliers ne l’ayant pas encore réintégrée à l’heure actuelle.

Delhi ne s’en tirera guère mieux: alors que les médias indiens relèvent les premiers cas suspects de peste – et même au moment des premières confirmations de la maladie – le gouvernement apparaît moins bien informé que les correspondants locaux des grands journaux. Erreur fatale, la suspicion ne tardera guère: le «Times of India» et l’«Indian Express», pour ne citer que les plus réservés, se chargeront d’alimenter la chronique à satiété, provoquant une réaction politique double et contradictoire: pour conserver la confiance des tour-operateurs, Bombay prend des mesures de prévention immédiates et spectaculaires, dressant un cordon sanitaire entre la mégapole et le Gujarat d’une part, entre son aéroport et le monde extérieur d’autre part. Le Gujarat semble avoir eu un comportement inverse, tentant de rassurer la population, tout en accusant un retard technique quant aux mesures réactives face à l’épidémie. Conséquence: l’Inde a cassé son image. Arrivera-t-elle demain, sans moyens, à la reconstruire tout en relevant le niveau de ses exigences sanitaires?

Cent vingt-cinq cas de peste au Gujarat dont 118 pour Su-rat, 81 dans le Maharashtra dont 46 pour le seul district de Beed, 60 à Delhi, 10 en Uttar Pradesh, en tout quelques 288 cas confirmés de peste bubonique ou pulmonaire – dont 55 étaient mortels – ont été effectivement répertoriés jusqu’au 9 octobre inclus. Selon la dernière évaluation de l’OMS, disait cette dernière le 11 octobre, la flambée actuelle [de peste] touche à sa fin, et sa propagation en dehors des zones initialement touchées (…) est très limitée. S’il est possible que la transmission locale de la peste pulmonaire se poursuive encore un peu en dehors des districts de Beed et de Su-rat, il s’agit là de toute évidence d’un phénomène qui, même s’il est confirmé, reste strictement limité et qui n’a pas de caractère épidémique. Dont acte.

Ne soyons pas dupe, ce communiqué de l’OMS peut être démenti demain dans les faits, et le directeur général Hiroshi Nakajima n’a pas eu matériellement le temps, lors de sa visite éclair du 8 octobre à Surat, de réellement mesurer la situation.

Il n’empêche que nous voilà fort loin des près de 200 morts pesteuses du Zaïre relevées en 1992 et 1993, et que, par ailleurs, Bombay se rappelle avoir perdu plus de 100.000 personnes, dans une «véritable» épidémie de peste cette fois, aux dernières années du 19e siècle…

Ce serait un lieu commun de rappeler qu’une vie humaine n’a pas le même poids politique en Inde qu’en Occident, et cela releverait en outre d’un orientalisme presque insultant.

Mais force est de constater que la peste n’est, d’un point de vue intérieur, qu’une des préoccupations sanitaires du pays. Au moment où la presse britannique faisait les gorges chaudes de la peste naissante, Bombay enregistrait – pour deux quartiers seulement de la ville – quelque 5.000 cas de malaria chaque mois. Parmi ces cas – qui ne reflètent que les statistiques des hôpitaux publics, le «rapportage» des médecins privés étant défaillant – on trouve notamment des patients souffrant de malaria cérébrale, une affection potentiellement mortelle. La malaria n’est donc pas une préoccupation mineure.

Tout comme dans le cas de la peste pulmonaire, les experts indiens attribuent partiellement la responsabilité de ce problème aux coupes sombres effectuées ces dernières années dans les budgets gouvernementaux d’éradication.

Plus badin: en conférence à New Delhi, l’association médicale indienne (IMA) s’est penchée sur la montée de cas de leptospirose dans la région de Kerala, région suffisament structurée pour faire convenablement face à la maladie.

Cette multiplication des affections possibles a pour effet de relativiser l’importance de la peste, tout en compliquant passablement le travail des intervenants: aucun diagnostic préétabli n’est possible. On lira ailleurs comment l’hôpital de Surat a pu confondre un moment peste pulmonaire et malaria.

En définitive, si la peste portait un autre nom, il n’est pas certain que les touristes s’en seraient inquiétés.

Cinquante et un millions de roupies (1) à destination des conseils municipaux et intervenants locaux, 4 millions Rs consacrés par le ministère de l’Agriculture à l’achat de produits dératisants, 3 millions Rs en sur-salaire pour les équipes de désinfection et fumigation: tel est le tribut payé en quinze jours par le seul État du Maharashtra à la lutte contre la peste, chiffres arrêtés au 10 octobre. C’est cher payer, mais une excellente leçon de choses, pour avoir tenté en son temps de faire des économies: car en 1987 existait bien dans le Maharashtra une unité préventive de surveillance de la peste – endémique dans cette partie du pays – qui avait été supprimée à l’époque pour raison strictement budgétaire. L’État a annoncé la semaine dernière qu’il réactiverait en définitive cette unité, dégageant un budget de fonctionnement de 1,1 million Rs.

Pressée par les impératifs de redressement financier, l’Inde a commis un pas de trop, on peut espérer ne pas l’y reprendre de sitôt.

Bien entendu, nous confirmons («Le Soir» du 10 octobre) que la majorité des contrôles sanitaires que nous verrons dans les gares ou sur les axes routiers, que ce soit dans le Maharashtra ou le Gujarat, ne semblaient avoir aucune efficacité avérée si ce n’est le cas échéant de limiter l’effet de panique. Exception notable: seul le contrôle médical instauré aux départs internationaux de l’aéroport de New Delhi – où l’équipe se livrera effectivement à un palpage des ganglions, une prise de pouls et une auscultation au stéthoscope avant de nous laisser gagner l’avion – donnait un gage de crédibilité. Mais, à titre de comparaison, d’autres aéroports concernés comme celui de Franckfort n’ont instauré que des contrôles au jugé, vexatoires et de pure forme. Alors?

Alors, critiquer éventuellement l’action indienne suppose qu’on tienne compte de l’incroyable complexité de la tâche: par exemple, dans un pays où le lassi (2) est boisson nationale, il faut expliquer à un public majoritairement illettré que les capsules de tétracycline ne peuvent se prendre avec du lait, sous peine d’annuler l’effet du médicament.

Plus ardu encore: dans les jours qui ont suivi l’épidémie, le public s’est mis à chasser le rat pour le plus grand bonheur des quincaillers et droguistes. Une réaction compréhensible mais dangereuse, eu égard à la menace que constitue le corps de l’animal, même mort. Il ne suffisait pas d’expliquer que le cadavre du rat doit, pour bien faire, être désinfecté puis brûlé. Il fallait au même moment tenter de briser cette chasse au rongeur en expliquant que, si le rat disparaissait, la puce chercherait d’autres mammifères susceptibles d’être parasités, en l’occurrence les animaux domestiques et l’être humain lui-même.

Comme on le voit, ces obstacles n’ont rien à voir avec un prétendu obscurantisme religieux, comme cela a pu s’écrire. D’ailleurs, le Zaïre a-t-il fait mieux?

Et si le cycle de la maladie s’était inversé?

Haut fonctionnaire du ministère de l’Industrie de l’État du Gujarat, K.V. Bhanujan est l’un des deux piliers de la cellule de crise nationale chargée de gérer l’épidémie. Il était début octobre à Surat: pour lui, pas de mystère, l’immigration ouvrière a été trop importante dans cette ville, les services publics n’ont pas pu suivre le rythme. Même les services de base ne sont plus assurés. D’où l’échec sanitaire qui a précédé l’épidémie.

Mise en cause du pouvoir municipal? C’est de la responsabilité du corps social. La municipalité de Surat devait réagir, mais aussi la population. La grande leçon qu’il faut en tirer, c’est de demander à chacun de nettoyer son propre environnement. C’est en définitive la responsabilité de tout un chacun. Bien sur, on peut toujours charger la municipalité et ne rien faire. Mais en définitive c’est la population qui en souffrira.

Durant la dernière semaine de septembre, une récolte extraordinaire de 15.000 tonnes de détritus a été réalisée au centre-ville de Surat. Et ce, bien que l’autre pilier de la cellule nationale de crise S. Jagadeesan, directeur du département financier du Gujarat, affirme pour sa part qu’aucun lien n’existe entre l’état particulièrement crasseux de la ville et l’épidémie. Ce n’est pas la seule déclaration surprenante qu’il nous fera:

– Vous connaissez le cycle pesteux traditionnel: le rat sauvage transmet la puce infectée au rat «domestique», lequel en meurt. La puce se rabat alors sur l’homme, puis l’épidémie se transmet à chaque être humain notamment par les postillons, etc… La peste bubonique, elle, lorsque mal soignée, peut dégénérer en peste pulmonaire. Dans le cas de Surat, il existe deux hypothèses: soit la peste nous vient de l’extérieur. Soit le cycle classique de la maladie se serait renversé, ou à tout le moins modifié. Cela nécessite une enquête scientifique: dans ce cadre, l’OMS et le NICD (Institut national des maladies contagieuses) ont trouvé un accord pour mener une enquête conjointe.

Cette théorie a le grand avantage de disculper l’État du Gujarat de toute accusation de laxisme: le mal aurait été incontrôlable, en quelque sorte. Une autre rumeur, du même tonneau, faisait dire à un grand hebdomadaire de Kerala que l’origine de la peste était peut-être due aux agents de guerre bactériologique d’une grande puissance étrangère…

Les autres considérations de M. Jagadeesan sont moins contestables: Cette peste, c’est du jamais vu, et elle n’était pas prévisible. Pour la prévenir, il aurait fallu prendre des mesures proactives: élever le niveau d’hygiène, le niveau de santé, contrôler les rongeurs. Ce que nous avons fait, nous, est uniquement réactif. Imaginez que 800.000 personnes vivent ici dans des bidonvilles («slums conditions»), et 3 à 400.000 dans des conditions qui s’y apparentent («slums-like conditions»). Qu’est-ce que ces concepts signifient? La première catégorie vit sans infrastructure sociale, dans des conditions de vie sous-marginales. La seconde catégorie manque en tout cas de route, d’eau potable, d’égouts. L’État du Gujarat a effectivement un plan de logement destiné aux classes moyennes et inférieures. Mais à Surat, ce plan est inapproprié: il n’y a tout simplement ni revenu ni argent, à Surat…

Limitant l’importance de l’épidémie à trois quartiers particuliers de la ville, S. Jagadeesan ne peut envisager désormais autre chose qu’un éventuel isolement sanitaire de ces quartiers – en mouroirs? – et le renforcement de mesures antirats, dont on sait ce qu’il faut en penser (voir nos informations par ailleurs). La vérité est qu’il n’y a en fait aucun moyen financier véritable.

19 heures, Mansour va mieux: on peut donner l’alarme!

Tout s’est déclenché le 21 septembre avec deux patients que nous pensions atteints de malaria, se souvient le Dr B.D. Parmay, de l’hôpital civil de Surat. Bien qu’ils soient traités à la chloroquine, leur état évoluait défavorablement, ils souffraient de troubles respiratoires. Ils sont d’ailleurs morts sans qu’on puisse véritablement établir un diagnostic. Alors, en faisant ma tournée de l’hôpital, on m’a communiqué que deux patients étaient «morts de pneumonie». Mais pourquoi diable seraient-ils morts de pneumonie?

Le Dr Parmay pense bien à ce moment à une bactérie particulièrement virulente, mais le déclic lui vient de la lecture du «Times of India», lequel fait état de cas avérés de peste bubonique dans le district de Beed (Maharashtra). Comme cette variété de peste peut entraîner une peste pulmonaire, y avait-il une possibilité que tel soit le cas à Surat?

Un troisième patient, Mansour, souffrait des mêmes symptômes que les deux premiers. On a alors ciblé une pneumonie virale, et, sans certitude, nous lui avons administré de la tétracycline. Par ailleurs, le même jour à 16 h 00, j’ai convoqué à l’hôpital une réunion de mes principaux médecins, soit une dizaine de personnes. Je souhaitais qu’on examine ensemble si une série de signes ne se seraient pas manifestés indépendamment chez différents patients. C’était le cas, nous diagnostiquions à ce moment une peste pulmonaire. J’ai immédiatement averti le délégué adjoint à la santé du district.

A 18 h 00, j’appelle le laboratoire pour savoir si on aurait une confirmation par voie d’analyse. Il était trop tôt, le labo n’était pas encore certain du diagnostic. Mais à 19 h 00, le traitement à la tétracycline de Mansour avait déjà donné les premiers résultats positifs: il allait mieux. J’ai donné l’alarme.

Il était grand temps: à 20 h 30, on communique au Dr Parmay que des morts sont signalés en ville. Huit à neuf victimes. Et d’autres hôpitaux de la ville font état de cas similaires. Il a fallu alors aller très vite, prévoir l’isolement des pestiférés dès la première nuit. L’hôpital civil a été immédiatement réquisitionné pour traiter uniquement les cas de peste.

Aussi curieux que cela puisse paraître, un cordon militaire sera effectivement nécessaire pour éviter les évasions de malades: en date du 11 octobre, pas moins de 23 «évasions» avaient été signalées pour ce seul hôpital. Heureusement, la tétracycline ne fera jamais défaut et les soins auront été continus, sans défection dans les rangs de mes médecins, précise-t-il. Malgré la polémique entretenue à ce sujet dans les grandes agglomérations, nous sommes sûrs qu’il s’agit bien de peste pulmonaire. Des analyses post-mortem ont été réalisées par l’Institut national des maladies contagieuses (NICD) et sont positives. Dans les deux mois, nous arriverons à la fin totale de l’épidémie, au «zéro cas».

Si le Dr Parmay est sûr de son diagnostic, il est moins certain des conclusions et leçons qu’il faut tirer quant à l’origine de l’épidémie. Le docteur aime son pays, montre explicitement son embarras. Mais il ajoute: Notez bien que Mansour est vivant!

Alain Lallemand

(1) Au change officiel, tronqué, la roupie (Rs) équivaut grosso modo à un franc belge.

(2) Yaourt liquide rafraîchissant qui se consomme sucré ou salé.

https://www.lesoir.be/art/l-epidemie-de-peste-est-terminee-l-inde-a-paye-le-salai_t-19941017-Z08N4F.html


Présidentielle 2012: Je préfère quatre ans avec Sarkozy que douze avec Chirac (Foster daughter sets the record straight about both last and would-be next French presidents!)

19 juin, 2011
En 1979, Jacques Chirac est maire de Paris. Depuis deux ans, des milliers de réfugiés fuient le nouveau régime vietnamien et, refoulés des pays limitrophes, embarquent dans des radeaux de fortune : on les appelera les boat-people. Le nouveau maire de Paris s’émeut de leur sort et organise l’accueil d’une partie des réfugiés en France. Anh Dao a alors 18 ans et fait partie des 150 premiers exilés qui atterrissent à Orly. Le couple Chirac remarque cette jeune fille apeurée et esseulée, dont les parents sont restés au Vietnam, emprisonnés dans un camp de redressement. Ils lui proposent de l’aider et la prennent sous leur aile. Devient-elle pour autant leur « troisième fille » après Laurence l’aînée et Claude, la chef scout qui manage aujourd’hui l’image médiatique de son père ? (…) Anh Dao n’a en fait vécu que deux ans au côté de la famille Chirac, qui lui apprend le français et guide ses débuts professionnels. Elle n’est pas « adoptée » au sens légal du terme puisqu’elle n’est pas orpheline. Par la suite, Jacques Chirac réussit à faire revenir ses parents : elle s’affranchit dès lors du prestigieux parrainage. Présidentielles.net
 Je ne me souviens pas des paroles exactes, mais le sens du message de Jacques Chirac était très clair : « Il faut nous débarrasser de Giscard ! » J’en ai été très surpris. François Mitterrand
Je n’ai été élu que grâce aux 550 000 voix que m’a apportées Jacques Chirac au deuxième tour. François Mitterrand
La trahison est le gimmick des élections présidentielles, surtout à droite. En 1974, Jacques Chirac a trahi Jacques Chaban-Delmas pour faire élire Valéry Giscard d’Estaing et, en 1981, il a trahi Valéry Giscard d’Estaing pour faire élire François Mitterrand. Mais c’est quand il a lui-même été trahi par Edouard Balladur, en 1995, qu’il est enfin devenu président de la République. Pour les politiciens d’envergure, la trahison, c’est quand on en est victime qu’on en est bénéficiaire. Libération
 J’ai commencé à réfléchir au choix du nouveau Premier ministre dès le lendemain du premier tour de l’élection présidentielle. […] Nicolas Sarkozy paraît le mieux préparé à occuper cette fonction, ne serait-ce que parce qu’il en est lui-même convaincu au point, comme je l’apprendrai incidemment, d’avoir déjà entrepris de composer son cabinet ministériel. Je ne mésestime pas ses qualités : sa force de travail, son énergie, son sens tactique, ses talents médiatiques, qui font de lui, à mes yeux, l’un des hommes politiques les plus doués de sa génération. Son expérience gouvernementale, son dynamisme, son insatiable appétit d’action plaident aussi en sa faveur. Certains membres de mon entourage, tel Dominique de Villepin, sont favorables à sa nomination, l’estimant utile pour lui permettre de faire ses preuves. D’autres, plus nombreux, me la déconseillent, qui ne jugent pas Nicolas Sarkozy assez fiable par rapport à ce qu’un président de la République, conformément à l’esprit de nos institutions, est en droit d’attendre de son Premier ministre : une loyauté, une transparence totale dans leurs relations. Le risque, en effet, serait de me trouver très vite confronté à un chef de gouvernement prompt à affirmer son autonomie, voire à me disputer mes propres prérogatives, sans s’interdire de paraître déjà briguer ma succession. Bref, de subir les désagréments d’une nouvelle cohabitation… Le fait est que j’ai besoin d’un Premier ministre avec lequel je me sente en complète harmonie et sur lequel je puisse m’appuyer en toute confiance. La confiance ne se décrète pas mais c’est une nécessité impérative. Or il subsiste trop de zones d’ombre et de malentendus entre Nicolas Sarkozy et moi pour que ces conditions soient pleinement remplies. J’ajoute, et c’est le plus important, que nous ne partageons probablement pas la même vision de la France.
Le 6 mai 2007, Nicolas Sarkozy est élu président de la République. Nous sommes réunis à l’Elysée ce soir-là avec Bernadette, mon petit-fils Martin, ainsi que l’ensemble de mes collaborateurs, pour entendre la première déclaration du futur chef de l’Etat. Chacun de nous écoute avec la plus grande attention chaque phrase, chaque mot qu’il prononce, guettant secrètement le moment où il citera sans doute le nom de celui auquel il s’apprête à succéder, ou même le remerciera du soutien qu’il lui a apporté. Mais ce moment ne viendra jamais. Pour ma part, je m’abstiens de manifester la moindre réaction. Mais au fond de moi je suis touché, et je sais désormais à quoi m’en tenir. Mémoires de Chirac
J’ai beaucoup d’estime pour Francois Hollande. Je peux le dire, moi je suis le passé mais lui c’est l’avenir il va être candidat.
J’aime beaucoup Alain (Juppé) mais comme il ne sera pas candidat, je voterai pour toi. Chirac
Moi, je voterai Hollande !Chirac
Jacques Chirac savait très bien ce qu’il faisait. Il exprimait la disponibilité de beaucoup de Français qui ne veulent pas d’une solution sarkozyste en 2012. Jean-Marie Le Guen (député PS strauss-kahnien)
La référence à Jacques Chirac n’est pas pour le présent, le passé et l’avenir une référence positive. La France a besoin de changement (…) pas d’une France pépère (…) qui sent bon la naphtaline. Manuel Valls (candidat à la primaire socialiste)
Peut-être que Chirac croit que la Corrèze a pris son indépendance et que Hollande est candidat à la présidence de la République de Corrèze. Jean-Marie Le Pen
Il écrit : « Nous ne partagions pas la même vision de la France. » Le problème, c’est que c’est bien lui qui a fait de Sarkozy un dirigeant du RPR, puis un ministre d’État. On est content d’apprendre qu’il avait une divergence de fond avec celui à qui il a confié la sécurité, puis l’économie du pays – avant de soutenir sa candidature à la présidentielle. C’est le Dr Frankenstein qui critique sa créature ! (…) Au fond, Sarkozy est critiqué pour ne pas avoir réussi à faire ce que Chirac, lui, n’a même pas tenté : changer, réformer. Hervé Gattegno (Le Point)
Revoici donc Jacques Chirac : il tient deux discours concomitants et opposés, sans que ce tête-à-queue ne trouble les observateurs. « N’attendez pas de moi que je m’immisce dans le débat présidentiel à venir (…). Je ne fais plus de politique  », explique-t-il au Figaro, samedi, en appui au tome II de ses Mémoires dont la publicité vante «  la vérité d’un président ». Il insiste sur la capacité que doit avoir l’UMP, son parti, à « soutenir un candidat à la présidentielle  » dans une « exigence d’unité et de rassemblement  ». Puis le jour même, en Corrèze avec François Hollande, candidat aux primaires du PS, il martèle sous les micros et caméras : « Je peux dire que je voterai Hollande !  » Cette pratique du double langage, qui enchante le microcosme depuis des lustres, a démonétisé la parole politique. Ivan Rioufol
Depuis quatre ans, Nicolas Sarkozy a prouvé qu’il était un un grand réformateur. Lui, il a essayé de faire quelque chose, surtout pour que la France s’en sorte pendant la crise. Jacques Chirac est très populaire depuis qu’il n’est plus président, mais c’était quand même une catastrophe son second mandat. Il a rien fait ! Il a rien fait, à part de dire « non » à la guerre en Irak. Quelque part, je préfère quatre ans avec Sarkozy que douze ans avec Chirac. On ne fait rien, et comme ça on est tranquille. Je ne suis pas d’accord. Le monde change, il faut qu’on s’adapte. (…) depuis quand Hollande est un vrai homme d’Etat ? Au moment de la loi sur le voile à l’école, il n’était que premier secrétaire du PS, député socialiste. Il n’a pas porté la loi, ce n’est pas vrai… Anh-Dao Traxel

Qui avait dit que rien ne serait plus commıe avant après l’Affaire DSK?

Après une semaine où, à la veille d’une énième convocation devant ses juges, le délinquant multirécidiviste et maitre es trahisons qui, après un score africain, a squatté pendant 12 ans l’Elysée…

Fait, tout en jouant les prétendus « vieux sages de la politique française », la une de nos journaux de révérence en mal de nouvelles avec une démolition en règle de son successeur dans un livre et un pathétique appel à voter pour l’un de ses rivaux socialistes …

Petite et bienvenue remise des pendules à l’heure avec l’une des rares déclarations sensées de toute la semaine.

A savoir, en deux petites phrases sur à la fois l’ancien et le (possible) futur présidents français,  celle de la fille « adoptive » de l’ex-président Chirac, Anh Dao-Traxel.

Qui, dans un entretien avec les journalistes de France Soir et après l’avoir pourtant longtemps défendu, rappelle tant les 12 longues années de roi fainéant de son « père adoptif » que, malgré ses nombreux défauts, la réelle volonté de réforme de Nicolas Sarkozy.

Mais aussi le secret de polichinelle de l’évident manque d’envergure du candidat socialiste actuellement en tête dans les sondages, un certain François Hollande.

Et surtout, derrière tout ça (outre l’évident gâtisme sur lequel elle fait charitablement silence : on ne compte plus, entre ses dragues ouvertes de journalistes ou d’élues, ses esclandres au Conseil constitutionnel, au théâtre ou au casino!), la pitoyable petitesse d’un ancien président désormais motivé que par l’unique rancoeur de ne pas avoir été salué par son successeur le soir de la victoire de Sarkozy en 2007 …

“Chirac n’aurait pas dû écrire ça”

La “fille de cœur” de l’ancien président critique ses Mémoires.

France Soir

10 juin 2011

Anh Dao-Traxel réagit de façon à la fois amère et cruelle à la parution du second tome des mémoires de Chirac. Et défend Sarkozy.

FRANCE-SOIR Qu’avez-vous pensé du deuxième tome des Mémoires de Jacques Chirac ?

ANH DAO TRAXEL Je n’en ai lu que les extraits publiés dans la presse, mais je regrette beaucoup les critiques sur Nicolas Sarkozy. Ecrire des choses comme ça, ce n’est vraiment pas bien. Et surtout à un an de la présidentielle ! Tout ce que Jacques Chirac dit, ça joue énormément, évidemment. Ce n’est vraiment pas sympa de sa part. Il n’en sort pas grandi, et je trouve ça dommage. Ce qu’il écrit là, j’aurais préféré qu’il ne le dise pas, pour qu’il garde son image de sage. François Mitterrand, est-ce qu’il a critiqué ses successeurs ? Non. Et bien chapeau Mitterrand ! Lui, c’est un « king ».

F.-S. Il était resté discret sur son successeur jusque-là. Pourquoi sort-il ainsi de son silence ?

A. D.-T. Pour moi, ce n’est pas l’ex-président de la République qui s’exprime dans ce livre. C’est l’homme avant tout. Avec ses humeurs, ses rancœurs. Un homme blessé que Sarkozy ne l’ait pas remercié le soir de sa victoire en 2007. Jacques Chirac, c’est un homme qui a tout eu, qui a été roi, et qui, le jour où il a quitté l’Elysée, s’est sûrement dit : « C’est fini pour moi. » Quelque part, c’est très dur pour lui d’encaisser ça, malgré la popularité.

F.-S. Le fait que Nicolas Sarkozy n’ait pas eu un mot pour lui en 2007, cela ne vous choque pas, vous ?

A. D.-T. Pendant trente ans, Sarkozy en a bavé dans la vie politique pour en arriver là. Personne ne l’a aidé !… Personne !… Vous croyez que Chirac lui a fait des cadeaux ? Alors, le soir de sa victoire, il a d’abord remercié le peuple : c’est normal. Le problème, c’est que Sarkozy, il a du caractère. C’est comme si Chirac jouait le rôle de maître, avec un élève turbulent qui ne l’écoute pas. Et ça le dérange.

F.-S. Chirac écrit quand même ne pas avoir la « même vision de la France » que Sarkozy…

A. D.-T Là, moi je comprends plus rien. Ils sont quand même tous les deux de droite ! C’est de l’hypocrisie tout ça. Ce n’est quand même pas normal de faire des compliments sur Villepin, Juppé, Raffarin, tous ses anciens collaborateurs, et de ne dire que des horreurs sur Sarkozy : qu’il est nerveux, agité, excité, presque violent, qu’il n’est pas fiable… Pourtant, tout l’entourage de Jacques Chirac – François Baroin, Alain Juppé,… – est aujourd’hui autour de Sarkozy. Ça veut bien dire qu’il a des qualités ! Il a parlé du Kärcher ? Mais moi je suis pour !… Jacques Chirac reproche à Sarkozy d’avoir de l’ambition ? Mais, lui, il n’en avait pas ? Trois fois, il a été candidat à la présidentielle ! En 1995, j’étais avec lui le soir de l’élection. Il était dans son fauteuil et il a lancé : « Enfin ! C’est pas trop tôt. » C’est trop facile de critiquer Sarkozy.

F.-S. Que pensez-vous, vous, de son action ?

A. D.-T. Depuis quatre ans, Nicolas Sarkozy a prouvé qu’il était un un grand réformateur. Lui, il a essayé de faire quelque chose, surtout pour que la France s’en sorte pendant la crise. Jacques Chirac est très populaire depuis qu’il n’est plus président, mais c’était quand même une catastrophe son second mandat. Il a rien fait ! Il a rien fait, à part de dire « non » à la guerre en Irak. Quelque part, je préfère quatre ans avec Sarkozy que douze ans avec Chirac. On ne fait rien, et comme ça on est tranquille. Je ne suis pas d’accord. Le monde change, il faut qu’on s’adapte.

F.-S. Chirac qualifie aussi François Hollande d’« homme d’Etat »…

A. D.-T. C’est quand même insensé. Ils ont sympathisé en Corrèze, d’accord, mais depuis quand Hollande est un vrai homme d’Etat ? Au moment de la loi sur le voile à l’école, il n’était que premier secrétaire du PS, député socialiste. Il n’a pas porté la loi, ce n’est pas vrai…

F.-S. Vous nous avez confié avoir été reçue par Nicolas Sarkozy le 6 septembre dernier…

A. D.-T. Oui, il m’a invitée à l’Elysée pour lui parler de mon association. Il était en bras de chemise, dans son bureau, les pieds sur la table basse. J’ai parlé vingt minutes avec le Président : c’est quand même quelque chose ! Sarkozy, il s’intéresse beaucoup aux gens qui sont sur le terrain pour aider les plus démunis.

Par Propos recueillis par Gaëtane Morin et Christine Ollivier

Voir aussi :

S’agissant de mon successeur, je me suis tenu et je me tiendrai toujours à une ligne: ne jamais gêner son action par quelque commentaire que ce soit.

Dominique de Villepin est un homme de caractère et d’idées. Il a été un excellent premier ministre. Mais n’attendez pas de moi que je m’immisce dans le débat présidentiel à venir. Ce n’est pas mon rôle. Je ne fais plus de politique et je n’interviendrai pas, sauf si des circonstances exceptionnelles l’exigeaient.

Nous avons, aujourd’hui, des relations franches, cordiales et personnelles. Et plus que tout autre, je sais la difficulté de sa tâche.

Je suis fier du bilan que j’ai pu présenter aux Français. Un bilan dont Nicolas Sarkozy pouvait, malgré le thème de la rupture, revendiquer toute sa part. Un bilan dont je suis d’ailleurs convaincu qu’il a constitué un élément non négligeable de sa victoire.

En République, c’est le peuple qui choisit. Je n’ai jamais eu à l’esprit de désigner un successeur. Pour autant, tout le monde sait les relations que j’ai toujours entretenues avec Alain Juppé. J’ai pour lui estime et affection. C’est un homme de conviction et d’engagement. Il a toujours servi son pays avec rigueur. Il a chevillé au corps le sens de l’intérêt général et une très haute idée du rôle de la France dans le monde.

Je n’ai pas vocation à attribuer les bons ou les mauvais points à tel ou tel. J’ai tenu à témoigner qu’à un moment important pour notre pays, où certains, à droite comme à gauche, doutaient de la nécessité de rappeler fermement les règles de la laïcité, François Hollande a fait preuve de courage, de lucidité et d’un grand sens des responsabilités. Il a su sortir des logiques partisanes pour faire le choix de l’intérêt supérieur. Ce n’est malheureusement pas si fréquent.

À quelques mois seulement d’une échéance présidentielle capitale pour l’avenir de notre pays, prenons garde à ne pas sortir du cadre du respect de l’autre, du débat d’idées et de la confrontation des projets. Nous le devons aux Français.

Voir aussi:

Bloc-notes: pourquoi la parole politique se démonétise

Ivan Rioufol

Le Figaro

17 juin 2011

Revoici donc Jacques Chirac : il tient deux discours concomitants et opposés, sans que ce tête-à-queue ne trouble les observateurs. « N’attendez pas de moi que je m’immisce dans le débat présidentiel à venir (…). Je ne fais plus de politique  », explique-t-il au Figaro, samedi, en appui au tome II de ses Mémoires dont la publicité vante «  la vérité d’un président ». Il insiste sur la capacité que doit avoir l’UMP, son parti, à « soutenir un candidat à la présidentielle  » dans une « exigence d’unité et de rassemblement  ». Puis le jour même, en Corrèze avec François Hollande, candidat aux primaires du PS, il martèle sous les micros et caméras : « Je peux dire que je voterai Hollande !  » Cette pratique du double langage, qui enchante le microcosme depuis des lustres, a démonétisé la parole politique.

« L’humour corrézien », avancé comme excuse par les proches de l’ancien président, dissimule un évident affaiblissement de son état général. Les médias veulent ignorer ce point. Or, il mériterait un intérêt au moins identique à celui qu’ils portent ces jours-ci, dans un voyeurisme en l’occurrence déplacé, aux altérations des facultés mentales dont souffrirait Liliane Bettencourt dans la gestion de ses affaires privées. En comparaison, la résonance des propos de Chirac, qui semble s’être défait de son surmoi et de sa langue de bois, devrait inviter à s’interroger davantage sur son discernement. Il est sûrement sincère quand il soutient Hollande, en oubliant ce que son double vient de déclarer. Mais l’instrumentalisation de sa faiblesse n’en demeure pas moins déloyale.

Chirac, qui se contredit dans l’indifférence générale, dévoile néanmoins une des causes de la crise de confiance qui affecte le monde politique : sa légèreté. (…)


Magna Carta/796e: Comment voulez-vous gouverner un pays où il existe cinq drapeaux et quatre fêtes nationales? (How can you govern a country which has five flags, four national days and as many national football teams?)

15 juin, 2011
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/f/f1/Magna_Carta_(1225_version_with_seal).jpghttps://scontent-b-ams.xx.fbcdn.net/hphotos-prn1/t1/p320x320/1962871_4053137343851_292256913_n.jpgComment voulez-vous gouverner un pays où il existe plus  de 300 sortes de fromage ? Charles DeGaulle
 L’Angleterre est une ancienne colonie française qui a mal tourné. Georges Clémenceau
 Voici une loi qui est au-dessus du Roi et que même le Roi ne doit pas violer. Cette réaffirmation d’une loi suprême et son expression dans une charte générale est la grande valeur de La Grande Charte « Magna Carta ». Ce qui en soi-même justifie le respect qui lui est accordé par le peuple. Winston Churchill (1956)
We all belong — for now at least — to the United Kingdom. There is a « Team GB » British side in the Olympics. So why not in international football? Englishness is ultimately, alas, a racial brand. Britishness, on the other hand, is cultural. Most second-generation — or even, dare it be said, first-generation — foreigners who live here can comfortably consider themselves British, but less so English. I, for example, am roughly three quarters Canadian and a quarter Scottish. My Scottish descent but London upbringing makes me Anglo-Scottish, and therefore British, not English. Which is why I feel like a stranger in my own land amid the creepy mass influx of St George’s flags — by definition exclusive emblems — now prevalent in cars and house windows. And why I felt so queesy at the Prime Minister David Cameron’s populist decision to fly the red-and-white flag over Downing Street during England’s (albeit limited) « campaign ». James Macintyre
We have to face uncomfortable facts that while the British response to July 7th was remarkable, they were British citizens, British born apparently integrated into our communities, who were prepared to maim and kill ellow British citizens irrespective of their religion. We have to be clearer now about how diverse cultures which inevitably contain differences can find the essential common purpose also without which no society can flourish. (…) What is our equivalent for a national celebration of who we are and what we stand for? And what is our equivalent of the national symbolism of a flag in the United States in every garden? (…) What is our equivalent for a national celebration of who we are and what we stand for? And what is our equivalent of the national symbolism of a flag in the United States in every garden? (…) The French have it with Bastille Day, the Americans have it, most countries actually have a national day and I think it’s probably time that we do too. (…) We live in a very multi-cultural society, perhaps the most multi-cultural society in Europe. What actually binds us together? Well, interestingly the thing that binds us together is our civic identity which is Britishness. Gordon Brown (2007)

Cinq drapeaux, quatre saints patrons (Saint George, Saint David, Saint André, Saint Patrick), quatre fêtes « nationales » (honorant ces quatre saints), quatre équipes de football, une devise en langue étrangère …

En ce lendemain de l’anniversaire de la Reine qui ne tombe pas le jour de son anniversaire …

Et en ce 796e anniversaire  de la signature d’un des premiers fondements de la démocratie occidentale

A savoir la fameuse Magna  Carta (Grande Charte) que les barons anglais réussirent à imposer à un Jean Sans Terre affaibli par une défaite militaire contre l’ennemi héréditaire français …

Comment ne pas s’étonner de cette incroyable anomalie que reste pour tout Français la « perfide Albion« ?

 Qui, après avoir quasiment inventé les premières chartes des droits (Magna Carta puis Habeas corpus en 1679) ou le premier parlement occidental (the Model parliament ou Mother of parliaments, 1295) …

Et été la première, après avoir, « colonie française qui a mal tourné », parlé pendant quelque trois siècles la langue de son ennemi héréditaire (1066-1362) et conservé plus de 80% de son vocabulaire (dont ses deux devises royales!), à exécuter son roi (1649) puis à fonder une république (1649-1660)  …

Se retrouve, près de 800 ans plus tard et dans l’une des sociétés les plus multiethniques du monde ayant de surcroit été la cible d’un terrorisme islamique intérieur …

Sans  constitution,  fête nationale, équipe de football nationale ou même carte d’identité (le projet travailliste ayant été abandonné, quatre ans après, par l’actuel gouvernement conservateur)?

Magna Carta tops British day poll

The anniversary of the signing of Magna Carta has been chosen as the best date to celebrate Britishness.

The charter imposed on King John on 15 June 1215 by rebel barons limited the power of the monarch and gave ordinary people rights under common law.

Its anniversary was picked by 27% of the 5,002 people polled by BBC History magazine, with VE Day, 8 May, taking 21%, and D-Day, 6 June, attracting 14%.

Chancellor Gordon Brown recently called for a new day for national identity.

In an address to the Fabian Society in January, he suggested the UK needed a day to celebrate « who we are and what we stand for ».

‘Surprising choice’

BBC History magazine editor Dave Musgrove said the choice of the Magna Carta anniversary may indicate the UK is moving on from a « dependence on World War II as the critical point in our island story ».

« It’s fascinating, and surprising, that an event from medieval history has come out above VE Day, all the more so when you consider that it’s a constitutional rather than a militaristic moment that’s been chosen, » he said.

Dan Snow, the presenter of BBC history programmes, described Magna Carta as a worthy winner.

« The idea that the will of the king can be bound by law is as important today as it was 800 years ago, » he added.

HOW PEOPLE VOTED

• Magna Carta: 27%

• VE Day: 21%

• D-Day: 14%

• Armistice Day: 11%

• Trafalgar victory:
10%

• Slave trade
abolished: 6%

• Napoleon’s defeat: 4%

• Churchill’s birth: 3%

• Cromwellian republic:
2%

• Reform Act: 2%

• SOURCE: BBC History magazine

« It didn’t work in practice but it set a precedent. It advanced the cause of liberty, constitutionalism and parliamentarianism, which Britain in turn has passed on to the world. »

But some historians pointed out that Magna Carta took place before the union of Great Britain.

« The problem with a Magna Carta day is that this was originally very much an English, not a British significant event, » said Linda Colley, Professor of history at Princeton University.

« Though to be sure, it acquired in the 18th and 19th centuries a resonance for radical and constitutionalists across the islands. »

Other dates considered in the poll were Armistice Day, 11 November; the abolition of the slave trade, 25 March; Napoleon’s defeat at Waterloo, 18 June, and Churchill’s birth, 30 November. What do you think of this decision? Would you have chosen differently? Read a selection of comments
below:

I feel that Queen Victoria’s Birthday would be the best day, also the date on which the British used to celebrate Empire Day.

Ross Bullock, India

The anniversary date of the Magna Carta signing is a noble idea, but it is hardly inclusive as a BRITISH celebration. I doubt the Scots would support it, for instance. So how about June 20, the accession of Queen Victoria to the throne in 1837. Her reign is probably the greatest in terms of ALL aspects of Britain’s impact on the world. Victoria Day would embrace the end of slavery, the works of Dickens, the era of steam, steel ships and an economy and political power unmatched in the world for a hundred years.

Peter Almond , Esher
Surrey

My National Day would be the anniversary of the date in AD410, when the famous letter of the Emperor Honorius told the cities of Britain to look to their own defences, and as a result started a period where we have never again been occupied.

Robin Hughes,

Long melford, UK

This just highlights the mainstream ignorance of English people – to the fact that Britain is not England and vice versa. No wonder people don’t celebrate being British – there is NO SUCH THING. What you are all referring to is being ENGLISH – and I certainly am not. COME ON SWEDEN!!!

Jennifer, Glasgow,
Scotland

I think it’s a great choice, and certainly better than the other options. It signifies the best that Britain has given to the world and reflects some of the finest attributes of the British people. The fact that it occurred
before the forming of Great Britain seems immaterial and should, in fact, appeal very much to everyone as a shared legacy.

Lisa, Cambridge, UK

Why isn’t the passing of the Act of Union into law in the list? Surely the day when the UK became the UK would be the best day to celebrate being in the UK? Unfortunately it came into effect on 1st May 1707, so we wouldn’t get another Bank Holiday out of it.

Toby Lamb, Canterbury, UK

I’m sure the choice was influenced by the time of year. On the off chance this does become a public holiday, Why pick a day in November or March, at least choose a date when the weather should be nicer.

Paul, Luton / Detroit

This proves even more that, we the English demand a national identity and we are proud to be English. The same as the Scots and the Irish. Because we English still see ourselves as English and not just White British, as the Scots majority in the present government are trying to hide the English Nationality on all official government forms.

Stephen Ellis, York

In the light of this choice it is interesting to reflect that these rights are now being trampled on by our current authoritarian government.

Stephen Cavender, United
Kingdom

The Magna Carta is the right choice for an English holiday . The Scots, Welsh and Irish could chose a day too . But for Britain ,D day would be a day of remberance and unity .

Chewbacca, Farnborough

Great day for the English, not so for the Scottish and Welsh. How about the date of the Unification of Nations? That’s when Britain became Great Britain.

Richard Walls, Bahrain

Clearly the signing of the Magna Carta, is a worldwide event,as it signaled the birth of Parliamentry democracy, which we in these Islands gave to the Planet.

One of many life enhancing thoughts that the british contributed, and as such it is a marvellous idea to dedicate it to a national holiday

Richard Holmes,
Cleethorpes england

It’s a fabulous choice, nothing is as inspiring as seeing and reading the magna carta. The vision and wisdom of our ancestors is breathtaking and it is as relevant today as it was in 1215.

chris french, brisbane
australia

Space holidays throughout the year – Magna Carta Day would fall just after Easter/May Day/Spring Bank Holidays. Armistice Day in November is better, something between August Bank Hol and Christmas

Peter K, Sheffield UK

If English people want to celebrate their « Britishness », then fine. The Welsh, Scots and Irish already celebrate their heritgae on their individual Saints Day. I don’t think we need a British day at all, what about all the ethnic minorities in this country, will they celebrate being British. I doubt it.

Carole Winn, Port Talbot,
Wales

If you wish to celebrate an English date, then it can only be St George’s Day on 23 April.

Nancy Benham, Lyminge,
Kent, UK

Great decision, though there are other important constitutional flashpoints in this country’s history. The Bill of Rights, signed 13 February 1689, blocked monarchical absolutism and came 100 years before America’s.

Abraham, London, UK

Magna Carta is not and cannot ever be considered British. Surely the union of Parliaments 1st May 1707 is when Britishness was defined and if we do require to celebrate Britishness is this not it?

Keith Walter, Peebles,
Scotland

One doesn’t have to be an Anglophobe to see that Magna Carta in 1215 is wholly inappropriate for a British national day. Assuming that the idea of a national day is a good one in the first place, which may well be a big assumption, it will have to relate to something that occurred after England, Scotland, Wales and Ireland had formed a political unity, which probably takes us into the 19th century or later. Something from the Industrial Revolution or the railway era, which probably did more to
link us together socially and economically than any of the things mentioned on the BBC site.

Hector MacQueen,
Edinburgh, UK

My choice would have been Admiral Nelson’s Victory at Trafalgar – shaped the face of the nation
for 200 years!

Graham Holland,
Porthleven Cornwall

I would propose the 1st of August, when the royal assent was given to the Act of Union bill in 1800, thereby creating the United Kingdom.

Graeme Phillips,
Guildford, UK

For sure the Magna Carta is one of the greatest contributions of Britain to mankind, but I’m surprised to see that three important dates have been omitted: September 28th (1066), which is the day William the Conqueror landed to Britain, October 14th (1066), when the battle of Hastings was fought and October 25th (1415), the day of the battle at Azincourt.

Cesare, Rome, Italy

I think we should
celebrate the occasion when all persons, male and female, over 21
were given the right to vote.

Christopher Watson,
Doncaster England

Why didn’t anybody consider St. George’s Day as celebrating « Britishness »? The government’s already stated that we in the UK have fewer bank holidays than most other EU countries, and that 23 April ought to be an official national holiday to help combat this. It was certainly the first date that sprung to my mind!

Donna Bright,
Stourbridge, West Midlands, UK

An excellent choice, not least because it’s my birthday! I for one will definitely be calling for a public holiday to celebrate!

Abby, London

Brown speech promotes Britishness

Britain should have a day to celebrate its national identity, Gordon Brown has proposed in a speech portraying Labour as a modern patriotic party.

The chancellor used his first major speech of 2006 to urge Labour supporters to « embrace the Union flag ».

In an address to the Fabian Society in London, he said it is important the flag is recaptured from the far right.

Mr Brown said promoting integration had become even more important since the London bombings.

« We have to face uncomfortable facts that while the British response to July 7th was remarkable, they were British citizens, British born apparently integrated into our communities, who were prepared to maim and kill fellow British citizens irrespective of their religion.

« We have to be clearer now about how diverse cultures which inevitably contain differences can find the essential common purpose also without which no society can flourish. »

He said society should not apply a narrow « cricket test » to ethnic minorities but needed a « united shared sense of purpose ».

‘Modern expression’

In the wide-ranging speech, Mr Brown said it is time for the modern Labour party and its supporters to be unashamedly patriotic as, for too long, suchfeelings have been caricatured as being tied up with right-wing beliefs, when in fact they encompass « progressive » ideas of liberty, fairness and responsibility.

« Instead of the BNP using it as a symbol of racial division, the flag should be a symbol of unity and part of a modern expression of patriotism too, » Mr Brown said.

“ We should assert that the Union flag by definition is a flag for tolerance and inclusion ”

« All the United Kingdom should honour it, not ignore it. We should assert that the Union flag by definition is a flag for tolerance and inclusion. »

The speech to the left-of-centre think-tank included references to the July 4th celebrations in the US and the common practice of many citizens having a flag in their gardens.

« What is our equivalent for a national celebration of who we are and what we stand for? » Mr Brown said.

« And what is our equivalent of the national symbolism of a flag in the United States in every garden? »

Labour MP Michael Wills, who has been working on the idea with Mr Brown, told BBC Radio 4’s Today programme the chancellor wanted there to be a day to « focus on the things that bring us together… whatever our backgrounds ».

« The French have it with Bastille Day, the Americans have it, most countries actually have a national day and I think it’s probably time that we do too, » he said.

‘Absolutely right’

The Commission for Racial Equality welcomed Mr Brown’s comments.

« It is important to talk about and identify our shared common values and discuss ideas and find ways to celebrate being British, » a spokesman said.

Singer Billy Bragg told the BBC it was right to have a national debate about what it means to be British.

« I do think we need to talk about the issue of identity, about who we are, » he said.

“ The thing that binds us together is our civic identity which is Britishness ”

Billy Bragg

« We live in a very multi-cultural society, perhaps the most multi-cultural society in Europe. What actually binds us together? Well, interestingly the thing that binds us together is our civic identity which is
Britishness ».

Former Prime Minister Sir John Major told the Today programme the chancellor was « absolutely
right » to promote the concept of Britishness.

But he added: « He seems not to mention that many of the actions of the present Government have ruptured Britishness by their own legislation. »

American example

Mr Brown also described his drive to encourage volunteering.

The government has already allocated £50m for volunteering, but Mr Brown wants businesses to match this as part of a plan is modelled on the US’s successful GI Bill from the 1940s.

The chancellor unveiled his National Community Service scheme a year ago to encourage one
million young people into volunteering.

Shadow Chancellor George Osborne said the volunteering scheme was a « pale imitation of [Tory leader] David Cameron’s National School Leaver Programme announced in August.

« David Cameron is meeting 15 leading youth and community organisations to discuss taking this idea forward on January 24, and perhaps Gordon Brown would like to attend to learn more, » he added.

Are we subjects or citizens?

Dominic Casciani

BBC News community
affairs

Home Secretary Charles Clarke has floated the idea of citizenship ceremonies for 18-year-olds. But are British people subjects or citizens? The short answer is that we are probably both – a very British compromise – but it needs some explaining.

A subject is someone « under the dominion of a monarch », says the Oxford English Dictionary.

The subject has no say in how they are treated – although there is an excellent sketch in Monty Python and the Holy Grail on the merits of revolutionary government among the peasantry.

A citizen however is someone who does have rights. In ancient Greece and Rome that meant some citizens took part in government. So, in short, a subject does what he is told – but a citizen has the right to be heard.

Magna Carta

It was in the centuries following the Norman Conquest of 1066 that things really started to change in the British Isles.

In 1215 King John signed the Magna Carta. It was essentially a « code of conduct » for how a monarch should treat barons. But it also conceded the principle that the King’s power was not absolute.

This was the first time that the concept of the rights of an individual appears in British law. Over the next 800 years, Britain slowly developed these ideas.

One very early development was Habeas Corpus – the right not to be detained without
good reason.

As European philosophers increasingly questioned the nature of authority, more and more power was ceded to Parliament by the Monarchy: Indeed the English Civil War and the French Revolution came down to an argument over the power of the monarch.

In the last 150 years, ordinary people themselves finally got a proper say in the UK, culminating with universal suffrage of men and women by 1928 (only women over 30 got the vote in 1918).

Unwritten constitution

Each and every one of these steps created more rights for the people and more duties upon rulers – the fundamental shift from subject to citizen.

That transfer of power is not however absolute: the unwritten « social contract » declares that society only functions if citizens agree to be subject to the law made in their name – in other words we give up our right
to be absolutely free in return for the protection that society provides.

Here’s the tricky bit for the UK: When you search for the piece of paper explaining exactly when we stopped being subjects and became citizens, you won’t find it, although admittedly passports now use the word citizens (thank you to the correspondents who have pointed this out). Part of the reason for this confusion is that that our constitution is not neatly contained in a single form like other states.

Nationality laws introduced the word citizen during the break-up of the British Empire – but only as a means to differentiate UK residents from other British subjects for immigration purposes.

But if you do look what you find is a history of rights and duties flowing from Parliament, in the name of the Monarch, which create the concept of citizenship.

And it is the role of the courts in protecting these rights and duties as citizens, rather than just enforcing the state’s will, that is key to the idea of modern citizenship.

Take the 1998 Human Rights Act for example, which enforces a European-level convention: If your child cannot get a place at any school anywhere within in reasonable distance of your home, a judge may well decide the local council has breached little Johnny’s right to an education.

In other words, a public authority must consider how their decisions affect you, the citizen. If that effect is damaging without good reason, then it shouldn’t do it in the first place.

Today, the government talk is very much of « rights and responsibilities » within citizenship. Children get taught it, naturalized immigrants formally celebrate it. Home Secretaries make speeches on it and even employ lots of people to think about how to create it.

All leading politicians generally agree that citizenship is in the interests of a strong society – they just squabble over government’s role in achieving it.

So while we are legally « subjects » because there isn’t a single piece of paper that says otherwise, the sweep of history essentially finds that we are citizens, albeit in constitutionally different ways to other nations.

This, of couse, is just my interpretation of whether we are subjects or citizens – and is by no means the whole story. Some of your comments follow:

Whether I like it or not, I am a subject not a citizen. I look to an improbable scenario in which I and the Queen are trapped in a bunker, having survived a nuclear holocaust. If the Queen were to insist that she had the last tin of Spam all to herself, then as her subject, I would be committing treason if I disobeyed. However, I doubt whether she would be that unreasonable and I get my share. Does that make me a citizen, or just a belligerent subject? Fraser Irving, Sheffield UK

I have no trouble seeing myself as a subject of Her Majesty the Queen, especially as I still favour the monarchy over any alternative forms of rule. However, I am very glad to be able not only to vote for a government, but also to have freedom of speech. Andrew Beacham, England, UK

Without a constitution we merely have the liberty to do anything that is not proscribed by law and, in theory at least, we only have the right to do it until the Monarch/Government decree otherwise. This is good because I can do anything that is not against the law but bad because without a constitution there is no guarantee that this will always be the case.

Ged, UK

But I don’t live in a city. Can I have a villagership ceremony, instead? John Bainbridge,
County Durham, UK

Am I not a citizen of the European Union, irrespective of what the now obsolete British Crown
may think? Since our Sovereign no longer has sovereignty how can I be
a subject? Tom Pickering, European Union

Although British people are citizens in practice, being referred to as a subject is just a way of preserving the country’s unique cultural identity. The citizens of the UK should do what ever it takes within reason to
maintain their national identity. Jason Carter, United States

There are a significant number of long-term foreign residents (myself included) who would  quite like to become British citizens – but who refuse to swear subjection to any monarch! Sophy, Cambridge, UK

You say there isn’t a single piece of paper that says we’re citizens – but doesn’t the British Nationality Act 1981 make us citizens? Steve, Cambridge,
England

(DC writes: Yes, this Act and the 1948 British Nationality Act use the word – but for the purposes of immigration law. Neither Act concerned itself with the nature of citizenship, just its borders.)

Where does the idea come from that citizens and subjects are mutually exclusive? If people can be citizens of London and subjects of the Queen at the same time, why cannot they be citizens of the UK and subjects at the same time?

Alec Cawley, Newbury, UK

Either way, so long as people have pride in the country one way or another, then it’s all good. Peter, UK

The fact that politicians and members of the armed forces (among others) must swear allegiance to the Queen and not actually to the country speaks volumes for the argument that we are subjects, not citizens. David, Wales

I welcome the idea of still being a subject. The beauty of British democracy is the inherent right of the individual under the Monarch, which is why monarchy has survived. The Monarch should be the universal symbol that all British people can rally to and share cultural truths of identity and national unity. Lance, London UK

If former East Germany could laughably call itself a « Democratic Republic », I am more than happy to be labelled a mere subject. Regardless of the vestigial power the monarchy has, the balance of power lies de facto with Parliament and the people. Any failure to secure better rights and freedoms for ourselves these days lies entirely at our own door.

Michael Kilpatrick, Cambridge UK

I am a citizen in whatever matters I am related to a democratic government. But I am a subject in the sense that the government is still Her Majesty’s – and hence subject (for me hopefully) to her last word. George Hill

We are both citizens and subjects, that’s the beauty of the UK. The same way we are a country made of countries. And now we are more than ever EU citizens – a community of countries, made of more countries. I think I need to have a rest all this citizenship is making me dizzy… Richard, UK

With ID cards we shall revert back to being subjects again because we will have to justify our very right to be here. Being citizens via the ‘sweep of history’ does not protect us from the power of parliament to make any law it sees fit, as there is no UK constitution and no checks and balances to guard against their whim. Franchesca, Belfast

We are legally British subjects but that is overwritten by our being European citizens. The Human Rights Act’s purpose in the enforcement of European law is the dimension neglected in the article. Alan J Brown, UK

One of the reasons the British Monarchy is so good is because of Oliver Cromwell.

 John Ferguson, Ballymena, Northern Ireland

The day will pass when we are able to govern ourselves, in real democracy as opposed to being governed by so called « representatives ». Neither subject nor citizen! James, England

If it means not having to do stupid and pointless citizenship ceremonies then I’m quite happy to remain a subject. Luke A, York

Citizenship in the Roman Empire meant one who was free from slavery and knew the laws of the land. With more and more decisions taken by a small minority of modern day Roman senators, and the decision-making closed from the everyday person, I do not believe that we would fulfil the criterio of ancient citizenship: a hands-on approach to our law.

Rupert Myers, England

Charles Clarke is eleven years too late. Under the 1994 Maastricht treaty we all became ‘citizens’ of the European Union. God save José Manuel Barroso [president of the European Commission]. Justin Vogler, Briton resident in Chile

I am a citizen of my country and a subject of my Sovereign. God forbid I am ever a subject of a politician. S Moulster, UK

A written constitution does not guarantee our status but it does make it a good deal harder for our rights and freedoms to be eroded and for that reason I support the idea. Dec, UK

As a descendant of English/Scotch immigrants who came to America in the 18th century, I find it interesting that your rights are seen as flowing from Parliament. Our Founding Fathers (all good Englishman) put forth our rights as coming from God and not man. Therefore the fundamental rights of Americans are ‘unalienable’ and cannot be restricted by government because they are seen as God-granted.

Bradley Sloan, Georgia, United States

Can you pass a citizenship test?

The government is launching the citizenship test for foreigners who want to become British. If you want the passport, then you’ll have to read Life in the UK, a special book, and sit a 45-minute test on society, history and culture. But do you know what it is to be British? The following very unofficial questions are based on information in the official book – let’s see how well you do…

Question 1 Life in the UK says to be British means you should…

 A: « Respect laws, the elected political structures, traditional values of mutual tolerance
and respect for rights and mutual concern. »

B: « Share in the history and culture of an island nation with a character moulded by
many different peoples over more than two thousand years. »

C: « be part of a modern European democracy, one with a tradition of sharing our ways
with the world – and allowing the world to bring its ways to us. »

Question 2 Almost 60m people live in the UK. By what factor do the native-born English
outnumber their Scots or Welsh neighbours? A: By nine to one

B: By seven to one

C: By six to one

Question 3 « The origins of our Parliament were in the early Middle Ages. In 1215 the great barons forced rights from a tyrannical King John ». What is that document called?

A: The Mappa Mundi

B: The Magna Carta

C: The Bill of Rights

Question 4 When did all 18-year-olds get the vote?

A: 1918

B: 1928

C: 1969

Question 5 There are four national saints’ days in the UK, one for each nation. Which order do
they fall in the calendar?

A: St Andrews, St Patrick’s, St David’s and St George’s

B: St David’s, St  Patrick’s, St George’s and St Andrews

C: St George’s, St Patrick’s, St Andrews and St David’s

Question 6 According to Life in the UK, where does Father Christmas come from?

A: Lapland

B: Iceland

C: The North Pole

Question 7 According to the book, where does the myth of Father Christmas come from?

A: The Victorians

B: Pagan myths updated by Shakespeare

C: German/Swedish immigrants to the USA

Question 8 Life in the UK explains what to do if you spill someone’s pint in the pub (we’re not making this up). What, according to the book, usually happens next?

A: You would offer to buy the person another pint

B: You would offer to dry their wet shirt with your own

C: You may need to prepare for a fight in the car park

Question 9 You’ve unfortunately had that fight and are bleeding from a well-placed left hook. Which two telephone numbers can you call for an ambulance?

 A: 999 or 112

B: 999 or 111

C: 999 or any other digit
three times

Question 10 What or who
is PG (again, according to the guide)? A: One of the brand names for
the national British drink, tea

B: A Personal Guide, a
British-born mentor provided to each immigrant applying for
nationality

C: Part of the cinema
film classification system

Question 11 The British
are a nation of animal lovers, says Life in the UK. What must dog
owners do? A: Get a licence

B: Get the dog neutered

C: Get a collar with the owner’s name and address

Question 12 Back to that pub. The police turn up with the ambulance and an officer asks you to attend an interview at the station. What are your rights?

A: You don’t have to go if you are not arrested, but if you do go voluntarily you are free to leave at any time

B: You must go. Failure to attend an interview is an arrestable offence

C: You must go if you are a foreign national

Question 13 What’s the minimum time you must have been married before you can divorce?

A: Six months

B: One year

C: Two years

Question 14 And finally, what does Life in the UK tell you it is « very important » to do when engaging a solicitor? A: Ask if they have a potential conflict of interest

B: Ensure they are qualified in the area of law of concern

C: Find out how much they charge


1984/62e: Retour sur l’autre 1984 (Was Orwell’s 1984 a riposte to Chesterton?)

15 juin, 2011
George OrwellOf course, fairy-stories are not the only means of recovery, or prophylactic against loss. Humility is enough. And there is (especially for the humble) Mooreeffoc, or Chestertonian Fantasy. Mooreeffoc is a fantastic word, but it could be seen written up in every town in this land. It is Coffee-room, viewed from the inside through a glass door, as it was seen by Dickens on a dark London day; and it was used by Chesterton to denote the queerness of things that have become trite, when they are seen suddenly from a new angle. That kind of “fantasy” most people would allow to be wholesome enough; and it can never lack for material. But it has, I think, only a limited power; for the reason that recovery of freshness of vision is its only virtue. The word Mooreeffoc may cause you suddenly to realize that England is an utterly alien land, lost either in some remote past age glimpsed by history, or in some strange dim future to be reached only by a time-machine; to see the amazing oddity and interest of its inhabitants and their customs and feeding-habits; but it cannot do more than that: act as a time-telescope focused on one spot. (…) I would venture to say that approaching the Christian story from this perspective, it has long been my feeling (a joyous feeling) that God redeemed the corrupt making-creatures, men, in a way fitting to this aspect, as to others, of their strange nature. The Gospels contain a fairy-story, or a story of a larger kind which embraces all the essence of fairy-stories. …and among its marvels is the greatest and most complete conceivable eucatastrophe. The Birth of Christ is the eucatastrophe of Man’s history. The Resurrection is the eucatastrophe of the story of the Incarnation. JRR Tolkien
Le monde moderne n’est pas mauvais : à certains égards, il est bien trop bon. Il est rempli de vertus féroces et gâchées. Lorsqu’un dispositif religieux est brisé (comme le fut le christianisme pendant la Réforme), ce ne sont pas seulement les vices qui sont libérés. Les vices sont en effet libérés, et ils errent de par le monde en faisant des ravages ; mais les vertus le sont aussi, et elles errent plus férocement encore en faisant des ravages plus terribles. Le monde moderne est saturé des vieilles vertus chrétiennes virant à la folie. Elles ont viré à la folie parce qu’on les a isolées les unes des autres et qu’elles errent indépendamment dans la solitude. Ainsi des scientifiques se passionnent-ils pour la vérité, et leur vérité est impitoyable. Ainsi des « humanitaires » ne se soucient-ils que de la pitié, mais leur pitié (je regrette de le dire) est souvent mensongère. G.K. Chesterton
Tous ces hommes éminents prophétisaient, avec toutes sortes d’ingéniosités différentes, ce qui allait bientôt se passer, et ils s’y  prenaient au fond tous de la même manière, puisqu’ils choisissaient chacun quelque courant pour le prolonger aussi loin que le permettait l’imagination. (…)  Que sera Londres d’ici cent ans? Y a-t-il quelque chose à quoi nous n’ayons pas pensé? Mettre les maisons- sens dessus dessous, plus hygiéniques, peut-être? Les hommes marchant sur leurs mains – en rendant aux  pieds leur flexibilité? La lune? … Les autos? … sans tête? …. »  Et c’est ainsi qu’ils déambulaient et divaguaient, puis ils mouraient et on les enterraient gentiment. Et puis on s’en alllait et  les gens faisaient à leur guise. Ne cachons pas plus longtemps la pénible vérité. Le peuple avait démenti les prophètes du XXe siècle. Et au moment où le rideau se lève sur cette histoire, à quatre-vingts ans d’ici, Londres est à bien peu près ce qu’il est aujourd’hui. Chesterton
If you look back twenty years, you will find people like Ronald Knox, Cyril Alington, Chesterton himself and his many followers, talking as though such things as Socialism, Industrialism, the theory of evolution, psycho-therapy, universal compulsory education, radio, aeroplanes and what-not could be simply laughed out of existence. George Orwell
Le Napoléon de Notting Hill aurait pu s’intituler 1984. Publié en 1904, ce roman propose un tableau de Londres quatre-vingts ans plus tard. Mais au cauchemar futuriste de George Orwell, Chesterton préfère un rêve nostalgique. Pour fuir le monde moderne, ses personnages rétablissent les bonnes vieilles traditions du Moyen Age: corporations de métiers, hérauts, hallebardiers, bannières. Et puisque la féodalité redevient à la mode, le quartier de Notting Hill impose sa suzeraineté aux autres fiefs londoniens. Cette allégorie farfelue vaut surtout par les traits d’humour qui l’émaillent. L’Express

1984 était-il une réponse au défi de Chesterton?

Retour, en ce lendemain du 62e anniversaire de la publication de 1984, sur l’homme qui inspira son titre  sinon son sujet au chef d’oeuvre d’Orwell …

Du moins si l’on en croit l’avocat et auteur britannique David Allen Green qui montre, contre les explications habituelles et jusqu’ici peu convaincantes d’un hypothétique renversement des deux derniers chiffres de la date de sa rédaction  (1948) ou du 100e anniversaire de la Société fabienne, tant la fascination que l’hostilité d’un Orwell par ailleurs très remonté par le soutien de l’Eglise catholique au général Franco pour ce géant (dans tous les sens du terme… du haut de son 1 m 93!) qu’était alors Chesterton.

Et notammment comment, dans l’autre livre qui aurait pu lui ausssi s’intituler 1984 (Le Napoléon de Notting Hill, publié en 1904 et prétendant décrire le Londres de 80 ans plus tard) et sa fameuse préface qu’Orwell ne pouvait ne pas connaitre (Remarques préliminaires sur l’art de la prophétie), celui-ci ne se contentait pas de ridiculiser une à une, de Wells à Stead et de Tolstoy à Rhodes, chacune des options proposées par les « prophètes » de l’époque.

Mais allait, et avec quelle mordante ironie,  jusqu’à mettre au défi  ses contemporains comme ses successeurs que « lorsque le rideau se lève sur cette histoire, quatre-vingts ans après la date actuelle, Londres sera presque exactement comme ce qu’elle est aujourd’hui »…

Introductory Remarks on the Art of Prophecy

THE human race, to which so many of my readers belong, has been playing at children’s games from the beginning, and will probably do it till the end, which is a nuisance for the few people who grow up. And one of the games to which it is most attached is called, « Keep to-morrow dark, » and which is also named (by the rustics in Shropshire, I have no doubt) « Cheat the Prophet. » The players listen very carefully and respectfully to all that the clever men have to say about what is to happen in the next generation. The players then wait until all the clever men are dead, and bury them nicely. They then go and do something else. That is all. For a race of simple tastes, however, it is great fun.

For human beings, being children, have the childish wilfulness and the childish secrecy. And they never have from the beginning of the world done what the wise men have seen to be inevitable. They stoned the false prophets, it is said; but they could have stoned true prophets with a greater and juster enjoyment. Individually, men may present a more or less rational appearance, eating, sleeping, and scheming. But humanity as a whole is changeful, mystical, fickle, delightful. Men are men, but Man is a woman.

But in the beginning of the twentieth century the game of Cheat the Prophet was made far more difficult than it had ever been before. The reason was, that there were so many prophets and so many prophecies, that it was difficult to elude all their ingenuities. When a man did something free and frantic and entirely his own, a horrible thought struck him afterwards; it might have been predicted. Whenever a duke climbed a lamp-post, when a dean got drunk, he could not be really happy, he could not be certain that he was not fulfilling some prophecy. In the beginning of the twentieth century you could not see the ground for clever men. They were so common that a stupid man was quite exceptional, and when they found him, they followed him in crowds down the street and treasured him up and gave him some high post in the State. And all these clever men were at work giving accounts of what would happen in the next age, all quite clear, all quite keen-sighted and ruthless, and all quite different. And it seemed that the good old game of hoodwinking your ancestors could not really be managed this time, because the ancestors neglected meat and sleep and practical politics, so that they might meditate day and night on what their descendants would be likely to do.

But the way the prophets of the twentieth century went to work was this. They took something or other that was certainly going on in their time, and then said that it would go on more and more until something extraordinary happened. And very often they added that in some odd place that extraordinary thing had happened, and that it showed the signs of the times.

Thus, for instance, there were Mr. H. G. Wells and others, who thought that science would take charge of the future; and just as the motor-car was quicker than the coach, so some lovely thing would be quicker than the motorcar; and so on for ever. And there arose from their ashes Dr. Quilp, who said that a man could be sent on his machine so fast round the world that he could keep up a long chatty conversation in some old-world village by saying a word of a sentence each time he came round. And it was said that the experiment had been tried on an apoplectic old major, who was sent round the world so fast that there seemed to be (to the inhabitants of some other star) a continuous band round the earth of white whiskers, red complexion and tweeds…a thing like the ring of Saturn.

Then there was the opposite school. There was Mr. Edward Carpenter, who thought we should in a very short time return to Nature, and live simply and slowly as the animals do. And Edward Carpenter was followed by James Pickie, D.D. (of Pocahontas College), who said that men were immensely improved by grazing, or taking their food slowly and continuously, alter the manner of cows. And he said that he had, with the most encouraging results, turned city men out on all fours in a field covered with veal cutlets. Then Tolstoy and the Humanitarians said that the world was growing more merciful, and therefore no one would ever desire to kill. And Mr. Mick not only became a vegetarian, but at length declared vegetarianism doomed (« shedding, » as he called it finely, « the green blood of the silent animals »), and predicted that men in a better age would live on nothing but salt. And then came the pamphlet from Oregon (where the thing was tried), the pamphlet called « Why should Salt suffer? » and there was more trouble.

And on the other hand, some people were predicting that the lines of kinship would become narrower and sterner. There was Mr. Cecil Rhodes, who thought that the one thing of the future was the British Empire, and that there would be a gulf between those who were of the Empire and those who were not, between the Chinaman in Hong-Kong and the Chinaman outside, between the Spaniard on the Rock of Gibraltar and the Spaniard off it, similar to the gulf between man and the lower animals. And in the same way his impetuous friend, Dr. Zoppi (« the Paul of Anglo-Saxonism »), carried it yet further, and held that, as a result of this view, cannibalism should be held to mean eating a member of the Empire, not eating one of the subject peoples, who should, he said, be killed without needless pain. His horror at the idea of eating a man in British Guiana showed how they misunderstood his stoicism who thought him devoid of feeling. He was, however, in a hard position; as it was said that he had attempted the experiment, and, living in London, had to subsist entirely on Italian organ-grinders. And his end was terrible, for just when he had begun, Sir Paul Swiller read his great paper at the Royal Society, proving that the savages were not only quite right in eating their enemies, but right on moral and hygienic grounds, since it was true that the qualities of the enemy, when eaten, passed into the eater. The notion that the nature of an Italian organ-man was irrevocably growing and burgeoning inside him was almost more than the kindly old professor could bear.

There was Mr. Benjamin Kidd, who said that the growing note of our race would be the care for and knowledge of the future. His idea was developed more powerfully by William Borker, who wrote that passage which every schoolboy knows by heart, about men in future ages weeping by the graves of their descendants, and tourists being shown over the scene of the historic battle which was to take place some centuries afterwards.

And Mr. Stead, too, was prominent, who thought that England would in the twentieth century be united to America; and his young lieutenant, Graham Podge, who included the states of France, Germany, and Russia in the American Union, the State of Russia being abbreviated to Ra.

There was Mr. Sidney Webb, also, who said that the future would see a continuously increasing order and neatness in the life of the people, and his poor friend Fipps, who went mad and ran about the country with an axe, hacking branches off the trees whenever there were not the same number on both sides.

All these clever men were prophesying with every variety of ingenuity what would happen soon, and they all did it in the same way, by taking something they saw ‘going strong,’ as the saying is, and carrying it as far as ever their imagination could stretch. This, they said, was the true and simple way of anticipating the future. « Just as, » said Dr. Pellkins, in a fine passage, « …just as when we see a pig in a litter larger than the other pigs, we know that by an unalterable law of the Inscrutable it will some day be larger than an elephant, just as we know, when we see weeds and dandelions growing more and more thickly in a garden, that they must, in spite of all our efforts, grow taller than the chimney-pots and swallow the house from sight, so we know and reverently acknowledge, that when any power in human politics has shown for any period of time any considerable activity, it will go on until it reaches to the sky. »

And it did certainly appear that the prophets had put the people (engaged in the old game of Cheat the Prophet) in a quite unprecedented difficulty. It seemed really hard to do anything without fulfilling some of their prophecies.

But there was, nevertheless, in the eyes of labourers in the streets, of peasants in the fields, of sailors and children, and especially women, a strange look that kept the wise men in a perfect fever of doubt. They could not fathom the motionless mirth in their eyes. They still had something up their sleeve; they were still playing the game of Cheat the Prophet.

Then the wise men grew like wild things, and swayed hither and thither, crying, « What can it be? What can it be? What will London be like a century hence? Is there anything we have not thought of? Houses upside down…more hygienic, perhaps? Men walking on hands…make feet flexible, don’t you know? Moon… motor-cars… no heads… » And so they swayed and wondered until they died and were buried nicely.

Then the people went and did what they liked. Let me no longer conceal the painful truth. The people had cheated the prophets of the twentieth century. When the curtain goes up on this story, eighty years after the present date, London is almost exactly like what it is now.

Remarques préliminaires sur l’art de la prophétie

L’espèce humaine, à laquelle appartiennent tant de mes lecteurs, a joué  depuis le commencement, et continuera de le faire jusqu’à la fin, à des jeux d’enfants, ce qui est bien désagréable pour les quelques personnes qui sont devenues des grandes personnes. L’un de ces jeux favoris s’appelle « laissez le lendemain dans l’ombre », connu également (par les paysans du Shropshire, je n’en doute pas) sous le nom de « démentir le Prophète ».  Les joueurs écoutent avec beaucoup de soin et de respect tout ce que les hommes intelligents ont à leur dire sur ce qui se passera à la génération suivante.  Puis, les joueurs attendent que tous les hommes intelligents soient morts et ils les enterrent gentiment. Et puis, ils font le contraire de ce que les gens intelligents avaient prévu. Voilà tout. Mais,  pour un peuple aux goûts simples, c’est très amusant.

Car les êtres humains, étant des enfants, ont la malice de l’enfant et son mystère. Et jamais depuis le commencement du monde ils n’ont fait ce que les sages ont considéré comme inévitable. Ils lapidaient les faux prophètes, dit-on, mais ils auraient lapidé les vrais prophètes avec plus de joie encore. Individuellement, les hommes peuvent bien offrir une apparence plus ou moins rationnelles, manger, dormir, intriguer. Mais l’humanité dans son ensemble est mystique et frivole. Les hommes sont les hommes, mais l’Homme est une femme.

Mais au début du XXe siècle le jeu de « démentir le Prophète » était devenu  beaucoup plus difficile qu’auparavant. La raison en était qu’il y avait tant de prophètes et de prophéties qu’il était difficile d’échapper à toutes leurs ingéniosités.  Quelqu’un se livrait-il à un acte parfaitement  libre, excentrique et original qu’aussitôt une pensée horrible lui venait: peut-êre cet acte  avait-il été prédit. Qu’un duc escaladât un réverbère, qu’un doyen s’enivrât, il ne pouvait pas être vraiment heureux, car il ne pouvait pas être certain qu’il n’accomplissait pas quelque prophétie.  Au début du XXe siècle, il y avait  tant d’hommes intelligents qu’on n’en pouvait voir le sol.  Ils étaient si nombreux et communs qu’un homme stupide était devevu une rare exception, et quand on en trouvait un, des foules le suivaient dans les rues, s’en emparaient comme d’un trésor pour lui confier quelque haute fonction de l’État. Et tous ces gens d’esprit passaient leur temps à rendre compte de ce qui se passerait le siècle d’après et toutes keurs déductions étaient également claires, également pénétrantes, inflexibles, également différentes. Et il semblait bien que le bon vieux jeu de démentir vos ancêtres cette fois fut devenu impossible, parce que les ancêtres oubliaient de manger et de boire et négligeaient la politique courante pour méditer jour et nuit sur ce que leurs descendants seraient susceptibles de faire.

Mais voici comment s’y prenaient les prophètes du XXe siècle. Ils prenaient quelque chose qui se faisait de leur temps et il disaient que cela se ferait de plus en plus jusqu’à ce qu’il en résultât quelque chose d’extraordinaire. Et très souvent, ils ajoutaient que quelque part déjà ce résultat avait été atteint  et qu’il portait  les marques du temps.

Ainsi, par exemple, il y avait M. HG Wells et d’autres qui prétendaient que la science se chargerait de l’avenir, et tout comme l’automobile est plus rapide que la voiture, de même quelque nouvel appareil serait plus rapide que l’automobile, et ainsi de suite à l’infini. Et de leurs cendres s’éleva M. Quilp, qui disait qu’un homme pourrait être lancé sur sa machine à une telle vitesse autour du globe qu’il pourrait entretenir une conversation animée dans quelque village du vieux monde en ne disant qu’un mot d’une phrase à chaque tour. Et on disait même que l’expérience avait été tentée sur un  vieux major au teint apoplectique, qui fut envoyé autour du monde à une telle vitesse qu’il semblait y avoir tout autour (pour les habitants d’autres planètes) une bande continue de favoris blancs, de teint écarlate et de tweed – quelque chose comme l’anneau de Saturne.

Puis il y avait aussi l’école opposée.  Il y avait M. Edward Carpenter qui pensait que bientôt nous retournerions à la nature pour vivre simplement et lentement comme les animaux. Et Edward Carpenter fut suivi par James Pickie, DD (du Pocohontas College), qui enseignait que les hommes avaient tout à gagner à brouter ou du moins à prendre  leur nourriture lentement et sans interruption à la manière des vaches. Et il disait qu’il avait obtenu les résultats les plus encourageants en persuadant des hommes de la City  à prendre leur nourriture à quatre pattes dans un champ couvert de côtelettes de veau. Puis, Tolstoï et les Humanitaires proclamèrent que le monde allait vers plus de bonté et qu’un jour viendrait où plus personne ne voudrait plus tuer. Et M. Mick non seulement se fit végétarien mais condamna le végétarianisme (qui , disait-il excellemment, « verse » le sang vert des animaux silencieux»), et que  dans les temps à venir les hommes ne se nourriraient  plus que de sel. Et puis vint la brochure de l’Oregon (où la chose a été essayée), qui demandait « Pourquoi le Sel souffrirait-il? » et les difficultés n’étaient pas près de finir.

Et d’autre part, il y avait des personnes qui avaient prédit que les liens de parenté se feraient de plus en plus étroits. M. Cecil Rhodes pensait qu’il n’y avait d’avenir que pour l’Empire britannique, et qu’un fossé de plus en plus profond se creuserait entre ceux qui en seraient et ceux qui n’en seraient pas, entre le Chinois de Hong Kong et le Chinois de l’extérieur, entre l’Espagnol du Rocher de Gibraltar et l’Espagnol du dehors, un abîme tout pareil à celui qui sépare l’homme et les animaux inférieurs. Et de même son fougueux ami, le Dr Zoppi (« le Paul de l’Anglo-Saxonisme »), poussant cette doctrine plus loin encore, proclama que cannibale serait celui qui mangerait un membre de l’Empire, mais qu’on ne serait pas réputé cannibale pour manger de l’un quelconque des peuples soumis, qu’il serait bon pourtant de ne tuer qu’en évitant toute inutile cruauté. L’horreur qu’il éprouvait à l’idée de manger un indigène de la Guyane britannique montrait assez qu’on calomniait son stoïcisme en l’accusant de manquer de coeur. Il était, cependant, dans une position difficile, car on disait qu’il avait tenté l’expérience, et, comme il vivait à Londres, il ne put se nourrir que d’Italiens joueurs d’orgue de Barbarie. Et sa fin fut terrible, car comme il veait de se mettre à ce régime, Sir Paul Swiller fit sa fameuse communication à la Royal Society, où il établissait que non seulement les sauvages avaient raison de manger leurs ennemis, mais qu’ils avaient pour le faire des raisons hygiéniques et morales, les qualités de l’ennemi une fois mangé passant, il est vrai, à celui qui l »avait mangé. L’idée qu’il était en train de devenir  un Italien joueur d’orgue  était presque plus que ce que le vieux et doux professeur pouvait supporter.

 Il y avait M. Benjamin Kidd, qui enseignait que notre espèce se soucierait de plus ne plus de  l’avenir. Son idée fut développée plus fortement par William Borker, qui écrit ce page que chaque écolier sait par cœur, sur les hommes qui dans les siècles futurs pleureront sur les tombes de leurs descendants, sur les touristes qui se feront conduire sur le champ de bataille de quelque lutte historique qui devait avoir lieu dans plusieurs siècles.

Et M. Stead, lui aussi, important, qui pensait que l’Angleterre du XXe siècle serait unie aux Etats-Unis d’Amérique, et son jeune lieutenant, Graham Podge, qui y ajoutait la France, l’Allemagne et la Russie, la Russie dont il faisait par abréviation Ra.

 Et M. Sidney Webb enfin qui nous assurait que l’avenir serait témoin d’un ordre, d’une propreté sans cesse accrue dans la vie des gens, et son pauvre ami Fipps qui en devint fou et parcourait le pays une hache à la main, abattant les branches des arbres chaque fois qu’elles n’étaient pas en nombre égal des deux côtés.

Tous ces hommes éminents prophétisaient, avec toutes sortes d’ingéniosités différentes, ce qui allait bientôt se passer, et ils s’y  prenaient au fond tous de la même manière, puisqu’ils choisissaient chacun quelque courant pour le prolonger aussi loin que le premettait l’imagination. Telle était, selon eux, la manière la plus simple et la plus sûre d’anticiper sur l’avenir. «Tout de même, » écrivait le Dr Pellkins, dans une superbe page, – «tout de même qu’en voyant un porc plus gros que les autres porcs dans une litière, nous savons que, par une loi immuable de l’Inconnaissable, qu’il sera un jour plus gros qu’un éléphant, – tout de même qu’en voyant  des herbes et des pissenlits envahir un jardin, nous savons qu’en dépit de tous nos efforts, ils dépasseront les cheminées et recouvriront la maison, de sorte que savons et reconnaissons avec vénération, que si quelque puissance que ce soit s’est montrée active pendant une période donnée dans les affaires humaines, elle continuera à se développer  jusqu’à ce qu’elle atteigne le ciel. « 

Et il apparut certainement que les prophètes avaient mis le peuple (engagé dans le vieux jeu de démentir le Prophète) dans une difficulté sans précédent. Il semblait vraiment difficile de faire quoi que ce soit sans accomplir une de leurs prophéties.

Mais il y avait, néanmoins, dans les yeux des ouvriers dans la rue, des paysans aux champs, des marins et des enfants et surtout des femmes, une lueur étrange qui faisait que les sages restaient dans le doute et dans la fièvre de l’hésitation. Ils ne pouvaient pas imaginer la joie dans leurs yeux immobiles. Ils cachaient encore quelque chose, ils n’avaient pas cessé de jouer à démentir le Prophète.

Ensuite, les sages devenaient fous, ils  déambulaient de ci de là, criant: «Qu’est-ce? Qu’est-ce que cela peut-être? Que sera Londres d’ici cent ans? Y a-t-il quelque chose à quoi nous n’ayons pas pensé? Mettre les maisons- sens dessus dessous, plus hygiéniques, peut-être? Les hommes marchant sur leurs mains – en rendant aux  pieds leur flexibilité? La lune? … Les autos? … sans tête? …. »  Et c’est ainsi qu’ils déambulaient et divaguaient, puis ils mouraient et on les enterraient gentiment.

 Et puis on s’en alllait et  les gens faisaient à leur guise. Ne cachons pas plus longtemps la pénible vérité. Le peuple avait démenti les prophètes du XXe siècle. Et au moment où le rideau se lève sur cette histoire, à quatre-vingts ans d’ici, Londres est à bien peu près ce qu’il est aujourd’hui.

Voir aussi:

Why did George Orwell call his novel « Nineteen Eighty-Four »?

David Allen Green

Jack of Kent

Saturday, 28 February 2009

The usual explanation for the choice of title of Nineteen Eighty-Four is that it was a play on the last two digits of 1948, the year the manuscript was finished.

This has never convinced me. I think there may be a better explanation, which comes from George Orwell’s intellectual hostility to the Catholic writer G. K. Chesterton.

This post sets out this alternative explanation as to why Orwell did give his novel the title Nineteen Eighty-Four. It is culled from work I did some time ago when I was considering a higher degree. Although the coincidence on which it is based has been noticed before, I am not aware of any other attempt to assess the alternative explanation that I offer.

A choice of title

In autumn 1948, Orwell is uncertain as to the title of his new novel. He has two titles in mind, and he asks at least two people for their view. In a letter dated 22 October 1948, Orwell explains the dilemma to his literary agent:

“…I have not definitely decided on the title. I am inclined to call it either NINETEEN EIGHTY-FOUR or THE LAST MAN IN EUROPE, but I might just possibly think of something else in the next week or two.”

On the same day he also writes to his new publisher and makes the same unsure admission:

“…I haven’t definitely fixed on the title but I am hesitating between NINETEEN EIGHTY-FOUR and THE LAST MAN IN EUROPE.”

However, within a month, the first of these two titles appears to have stuck. At least other people had taken it up. In December 1948, the publisher had compiled a report on the novel, calling it “1984”, as did one of the professional readers.

By 17 January 1949, Orwell himself has clearly made his choice of title and was now discussing whether it should be entitled “1984” or “Nineteen Eighty-Four”.

The book was published later that year.

The conventional explanation

The conventional account is now almost an urban myth. Everybody knows it, so to speak.

This 1948 explanation, although widely adopted, is actually not that well attested. For example, I have not found it stated anywhere by Orwell or by anyone with whom he conversed.

So far, I have only been able to trace the 1948 explanation to an American publisher called Robert Giroux, who saw Nineteen Eighty-Four through the press for the US edition.

However, Orwell was not particularly close to Giroux, and there is no reason to believe that Giroux was privy to any special information about Nineteen Eighty-Four. Although there is some correspondence between Orwell and Giroux, I have not seen any mention in that correspondence of why the book had this title.

In passing, I note that Orwell complained that he did not like what Giroux was doing to the book in the US edition. Nor did he appreciate the unsolicited requests for writing blurbs.

An alternative explanation?

If the 1948 theory is possibly not correct, why did Orwell choose to set his dystopia in the year 1984? My alternative explanation brings us to G.K. Chesterton, an earlier and very different writer to Orwell.

Chesterton was, of course, the writer of the Father Brown stories, as well as a prolific poet and journalist. But it is one of his two famous novels (the other being The Man Who Was Thursday) with which I am concerned here: The Napoleon of Notting Hill.

The Napoleon of Notting Hill is a fantasy set in a future London. (As a fantasy writer, Chesterton has the deserved admiration of modern fantasy writers such as Neil Gaiman.) The hero is Auberon Quin, a well-meaning eccentric who suddenly becomes King. The political context for all this is set out when the story begins:

VERY few words are needed to explain why London, a hundred years hence, will be very like it is now, or rather, since I must slip into a prophetic past, why London, when my story opens, was very like it was in those enviable days when I was still alive.

The reason can be stated in one sentence. The people had absolutely lost faith in revolutions. All revolutions are doctrinal…such as the French one, or the one that introduced Christianity.

For it stands to common sense that you cannot upset all existing things, customs, and compromises, unless you believe in something outside them, something positive and divine. Now, England, during this century, lost all belief in this. It believed in a thing called Evolution. And it said, « All theoretic changes have ended in blood and ennui. If w change, we must change slowly and safely, as the animals do. Nature’s revolutions are the only successful ones. There has been no conservative reaction in favour of tails.”

And some things did change. Things that were not much thought of dropped out of sight. Things that had not often happened did not happen at all. Thus, for instance, the actual physical force ruling the country, the soldiers and police, grew smaller and smaller, and at last vanished almost to a point. The people combined could have swept the few policemen away in ten minutes: they did not,because they did not believe it would do them the least good. They had lost faith in revolutions.

Democracy was dead; for no one minded the governing class governing. England was now practically a despotism, but not an hereditary one. Some one in the official class was made King. No one cared how; no one cared who. He was merely an universal secretary.

In this manner it happened that everything in London was very quiet. That vague and somewhat depressed reliance upon things happening as they have always happened, which is with all Londoners a mood, had become an assumed condition. There was really no reason for any man doing anything but the thing he had done the day before.

The Napoleon of Notting Hill is, however, now more famous for its preface, entitled Introductory Remarks on the Art of Prophecy. Only a few hundred words long, it is a much-quoted source of Chestertonian wit. (It begins wonderfully with “THE human race, to which so many of my readers belong…”.)

The preface is not used to introduce the story but to undermine both modernist pretensions and radical predictions. Chesterton ridicules in turn H. G. Wells, Edward Carpenter (the early environmentalist), Leo Tolstoy, Cecil Rhodes, Benjamin Kidd ( a sociologist), W. T. Stead (a campaigning journalist), and Sidney Webb. In each instance their views are stated and then juxtaposed with an absurdly exaggerated view of an invented eccentric.

For example:

There was Mr. Sidney Webb, also, who said that the future would see a continuously increasing order and neatness in the life of the people, and his poor friend Fipps, who went mad and ran about the country with an axe, hacking branches off the trees whenever there were not the same number on both sides.

And so on. Chesterton then concludes the preface with a provocative challenge to every other forecaster or prophet. They would err as every such pundit had erred:

All these clever men were prophesying with every variety of ingenuity what would happen soon, and they all did it in the same way, by taking something they saw ‘going strong’, as the saying is, and carrying it as far as ever their imagination could stretch.

So:

When the curtain goes up on this story, eighty years after the present date, London is almost exactly like what it is now.

The Napoleon of Notting Hill was published in 1904; the curtain therefore goes up in 1984.

Orwell and Chesterton

Orwell intellectually loathed GK Chesterton and other Catholic conservative writers.

If this aspect of Orwell’s thought is less appreciated today, it is perhaps because the debates changed. However, Orwell’s criticism of the intellectual and moral dishonesty of Catholic conservatives was a common theme in Orwell’s journalism and other published writing, and he often bracketed Catholic conservatism and his other bugbear, Stalinism.

Indeed, one can often swap his comments on Stalinism and Catholic conservatism. They are almost invariably interchangeable.

Orwell wrote only one major political essay in 1945 (the year he started Nineteen Eighty-Four. This was Notes on Nationalism. This influential essay sets out how certain ideologies (or “nationalisms”) can undermine clear political and moral thinking. And only one writer or politician is examined in this context: Chesterton.

In the essay, Orwell introduces both Chesterton and his long held attitudes towards him:

Ten or twenty years ago, the form of nationalism most corresponding to Communism today was political Catholicism. Its most outstanding exponent – though he was perhaps an extreme case rather than a typical one – was G. K. Chesterton.

Orwell characterises Chesterton:

Chesterton was a master of considerable talent who chose to suppress both his sensibilities and his intellectual honesty in the cause of Roman Catholic propaganda.

And Chesterton’s method:

Every book that he wrote, every paragraph, every sentence, every incident in every story, every scrap of dialogue, had to demonstrate beyond possibility of mistake the superiority of the Catholic over the Protestant or the Pagan.

In a Tribune column in February 1944, Orwell specifically attacked Chesterton’s assertions about change over time:

It is not very difficult to see that this idea is rooted in the fear of progress. If there is nothing new under the sun, if the past in some shape or another always returns, then the future when it comes will be something familiar.

Orwell continues by contrasting Chesterton’s Catholic conservatism with his own democratic socialism:

At any rate what will never come – since it has never come before – is that hated, dreaded thing, a world of free and equal human beings.

Orwell and Catholic conservatism

Orwell’s hostility to Chesterton has to be seen in the context of his disdain for other Catholic conservative writers. In a book review as early as 1932, Orwell is dissing Catholic writers:

Our English Catholic apologists are unrivalled masters of debate, but they are on their guard against saying anything genuinely informative.

Later, a central theme of Orwell’s hostility towards ‘political Catholicism’ was its close relationship with Fascism. In 1944, he notes almost in passing,

Outside its own ranks, the Catholic Church is almost universally regarded as pro-Fascist, both objectively and subjectively.

And in a Tribune column of 1945,

The Catholics who said ‘Don’t offend Franco because it helps Hitler’ had more or less consciously helping Hitler for years beforehand.

Animosity towards ‘Catholic conservatism’ was perhaps most obvious in his weekly Tribune column. Fo example, two favourite straw-dollies were the right-wing, Roman Catholic journalists ‘Timothy Shy’ and
‘Beachcomber’. In 1944, Orwell warned readers that, their general ‘line’ will be familiar to anyone who has read Chesterton and kindred writers. Its essential note is denigration of England and of Protestant countries generally.

And therefore,

It is a mistake to regard these two as comics pure and simple. Every word they write is intended as Catholic propaganda.

In a Tribune column in October 1944, Orwell discussed the writing and broadcasting of C.S. Lewis :

[I was] reading, a week or two ago, Mr C. S. Lewis’s recently-published book, Beyond Personality…The idea, of course, is to persuade the suspicious reader, or listener, that one can be a Christian and a ‘jolly good chap’ at the same time. I don’t imagine that the attempt would have much success…but Mr. Lewis’s vogue at this moment, the time allowed to him on the air and the exaggerated praise he has received, are bad symptoms and worth noticing…

A kind of book that has been endemic in England for quite sixty years is the silly-clever religious book, which goes on the principle not of threatening the unbeliever with Hell, but of showing him up as an illogical ass, incapable of clear thought and unaware that everything he says has been says has been refuted before. This school of literature started with W. H. Mallock’s New Republic, which must have been written about 1880, and it has a long line of practitioners – R. H. Benson, Chesterton, Father Knox, ‘Beachcomber’ and others, most of them Catholics, but some, like Dr Cyril Allington and (I suspect) Mr Lewis himself, Anglicans.

The line of attack is always the same. Every heresy has been uttered before (with the implication that it has been refuted before); and theology is only understood by theologians (with the implication that you should leave your thinking to the priests)…

One reason for the extravagant boosting that these people get in the press is that their political affiliations are invariably reactionary. Some of them were frank admirers of Fascism as long as it was safe to be so. That is why I draw attention to Mr C. S. Lewis and his chummy little wireless talks, of which no doubt there will be more. They are not really so unpolitical as they are meant to look

Most relevant for the purpose of connecting Orwell to The Napoleon of Notting Hill is his 1946 book review of The Democrat at the Supper Table, where Orwell forcefully attacks the author’s conservative politics and the sophistry of the novel’s central character:

Without actually imitating Chesterton, Mr. Brogan has obviously been influenced by him, and his central character has a Father Brown-like capacity for getting the better of an argument, and also for surrounding himself with fools and scoundrels whose function is to lead up to his wisecracks.

When a clergyman wrote to complain about the tone of Orwell’s review, the reply elaborated on the initial attack:

Ever since W. H. Mallock’s ‘New Republic’ there has been a continuous stream of what one might call ‘clever Conservative’ books, opposing the current trend without being able to offer any viable programme in its place.

Orwell continued, appearing to have in mind the Preface to The Napoleon of Notting Hill:

If you look back twenty years, you will find people like Ronald Knox, Cyril Alington, Chesterton himself and his many followers, talking as though such things as Socialism, Industrialism, the theory of evolution,
psycho-therapy, universal compulsory education, radio, aeroplanes and what-not could be simply laughed out of existence.

So did Orwell take the year 1984 from The Napoleon of Notting Hill?

Taking the stories as a whole it is not too much of a strain to see Nineteen Eighty-Four as a riposte to The Napoleon of Notting Hill. There are many points of comparison. Both books show that a belief in revolution that appears to have gone wrong, and both focus on the frustrations of a sympathetic central character as he attempts to challenge the prevailing system. Both are utopian/dystopian visions, containing prophecies extrapolated from current trends.

There are also many telling contrasts. The Napoleon of Notting Hill is written from the point of view of a Catholic populist and Nineteen Eighty-Four is by an almost secular social democrat.

It is, in many ways, a plausible explanation.

However, this alternative explanation has gaps.

For example, even though Orwell has a clear disdain for Chesterton and is antipathetic to the prophetic pretensions of Chesterton and other religious conservative writers, there is actually no direct evidence that Orwell either had
read or even possessed The Napoleon of Notting Hill.

One feels he « must have done » as it is one of Chesteron’s three best-known works  and probably his most quoted, but one cannot invent convenient evidence. The best I can say is that it difficult to imagine Orwell
committing his attacks in Notes on Nationalism without being aware of Chesterton’s clearest and best known statement against « progress ».

Subject to further research, the final position on the question must be inconclusive though fascinating.

However, the possibility that the title of Nineteen Eighty-Four was derived from The Napoleon of Notting Hill does allows us to explore an often overlooked part of Orwell’s political outlook: the deep hostility of a decent and progressive liberal to the intellectual and moral dishonesty of religious conservatives.

FOOTNOTE

Below is the (rather laboured) conclusion to my original academic draft paper with the same title. So much work went into it, I think it surely deserves the light of day! :-) :

It is demonstrable that a literary preoccupation of Orwell in the mid-1940s becomes G. K. Chesterton, a writer whom he had always found fascinating and repulsive, and also associated writers. The relationship between Orwell and Chesterton has been often overlooked (and is sometimes – bizarrely – completely neglected); and there appears to still be no systematic study of Orwell’s attitudes towards writers, such as Chesterton, that he identified as being on the political Right. During this later period, Orwell’s journalism and private writing demonstrated a deep and informed hostility towards the ‘Catholic conservatism’ of Chesterton and related writers. The failure by scholars to explore the possible significance of Chesterton’s earlier use of that year is only partly because there is no major work on Orwell’s relations with the Right.

It cannot however be conclusively proved that the duplication of the date was deliberate, as Chesterton’s novel is not amongst those known to be possessed or read by Orwell, even during the period of preoccupation with Chesterton’s thinking and prophecies.

On the balance of probability, Orwell at least read the Preface. Orwell often generalises confidently about Chesterton’s (lack of) prophetic prowess and, in a 1944 Tribune column, there is perhaps a near paraphrase of Chesterton’s famous preface to the novel. Moreover, Chesterton is often attacked, criticised, quoted and mentioned in passing, as well as being the main subject of the major 1945 essay.

Chesterton was for Orwell a powerful (if negative) influence. It is therefore arguable that Orwell at least read the famous Preface outlining Chesterton’s prophetic claims. Even if this duplication of date (and setting) was a mere coincidence, it is nonetheless clear that Orwell was preoccupied with the figure of Chesterton as the exemplar of intellectual dishonesty during the conception and writing.

Indeed from around 1944 onwards, a clear theme in Orwell’s writing is the re-emergence of his earlier opposition to the politics of Chesterton and related writers: the very array of attitudes that had helped Orwell towards a form of socialism in the early to mid 1930s.

POSTSCRIPT

References and citations available on request. I acknowedge use of copyrighted material. If such quotations are actually a substantial part of the original works, they are used for the non-commercial purpose of criticism of Orwell and Chesterton’s works. Other exemptions may also apply.
Please contact me at jackofkent [at] gmail.com.

Gilbert Keith Chesterton – Le Napoléon de Notting Hill

Editeur

L’imaginaire Gallimard

Bernard Quiriny

Chronic art

A lire aussi : « Le Nommé jeudi », « La Sagesse du père Brown » (Folio) et « Le Poète et les lunatiques » (L’imaginaire, n°92). Sur le Net : le site très complet des inconditionnels de Chesterton,
sous une devise de circonstance -« a common sense for the world’s uncommon nonsense.

Ses inconditionnels disent de lui qu’il fut le plus grand écrivain du vingtième siècle, sans même prendre la peine de limiter la portée de leur compliment aux seules lettres britanniques : Gilbert Keith Chesterton, ajoutent-ils volontiers, avait une opinion sur tout et l’exprimait mieux que quiconque. L’homme s’en est d’ailleurs donné les moyens : outre trente ans de chroniques hebdomadaires dans l’Illustrated London News et treize dans le Daily News, on lui doit un nombre incalculable de romans, nouvelles, recueils de poèmes, essais, biographies, pamphlets et textes en tous genres, sur tous les tons, dans tous les domaines. De sa production invraisemblablement abondante (existe-t-il seulement une bibliographie complète de son oeuvre ?), on retient souvent les plaisantes aventures du Père Brown, prêtre détective astucieux et personnage principal d’une série de nouvelles particulièrement populaires à l’époque, c’est-à-dire au début du siècle. Cigare soudé aux lèvres et canne à la main, Chesterton aurait, dit-on, composé la meilleure partie de son œuvre dans les halls de gare londoniens, dans l’attente d’un de ces trains qu’il n’a jamais su prendre à temps. Publié en 1904 après un recueil de poèmes et une biographie de Robert Browning, le Napoléon de Notting Hill illustre avec à-propos la fantaisie et le goût de l’absurde de cet encyclopédant excentrique dont les portraits valent presque les livres.

C’est encore un iconoclaste que l’on rencontre en ouvrant ce premier roman burlesque et non-sensique où Chesterton renverse avec méthode les fondements de la civilisation britannique : Auberon Quin fait le pitre dans Westminster Garden en compagnie de quelques amis lorsqu’un couple d’officiers interrompt ses acrobaties pour lui annoncer qu’on vient de le proclamer roi d’Angleterre. L’occasion pour lui d’ériger la déraison en principe de société et de réorganiser le pays au gré de son bon plaisir, avec la loufoquerie et le refus de toute chose sérieuse comme uniques exigences. « L’humour, mes amis, c’est la seule chose sacrée qui nous reste. C’est la seule chose qui vous fasse vraiment peur ». Le roi Auberon bute cependant un jour sur plus dingue que lui : un certain Wayne, prévôt de Notting Hill, se présente à la cour pour lui présenter une bien curieuse requête. L’homme revendique l’indépendance de Pump Street et jure de la conquérir à coups d’épée si besoin est -un peu comme si les commerçants de Montmartre décidaient soudainement de faire sécession et de s’affranchir de la tutelle parisienne. Fantaisie politique à bâtons rompus, ce roman hilarant et débridé donne toute la mesure de l’imagination d’un Chesterton qui n’était alors pas encore l’intellectuel populaire connu d’un bout à l’autre de l’Angleterre et prisé par les universités du monde entier. De cette pochade géopolitique, ses admirateurs n’hésitent pas à soutenir qu’elle inspira Michael Collins dans sa conduite du mouvement pour l’indépendance irlandaise (ils racontent aussi que l’un de ses articles dans l’Illustrated London Weekly poussera Gandhi à se lancer dans la lutte contre la colonisation britannique en Inde). Admiré à plus d’un titre par Kingsley Amis, Evelyn Waugh, Anthony Burgess et Graham Greene, Chesterton reste bien, entre H.G. Wells et George Bernard Shaw, l’une des plus grandes figures de la littérature édouardienne. Trente ou quarante pages de ce roman loufoque qui cache sa philosophie hautement subversive sous une intrigue rien moins que crédible en convaincront tout un chacun. « C’est clair, à moins que nous soyons tous fous ».

Chesterton Gilbert Keith

Écrivain et journaliste
anglais (1874-1936)

Il est impossible de comparer cet écrivain à qui que ce soit. Si comme journaliste, il a signé des milliers d’articles dans les journaux de Londres, ipoésie que le théâtre, le roman, la critique littéraire, la sociologie, l’économique, l’histoire, la philosophie et la religion. Sans oublier ses romans policiers. Cette vaste production repose sur une pensée cohérente et claire, et sur une vision telle que tous les thèmes traités sont liés entre eux. À chaque paragraphe ou presque, surgit un aphorisme qui coupe le souffle, ou un lumineux paradoxe qui laisse le lecteur pantois d’admiration.

Chesterton ne s’est pas contenté de créer des caractères, il a lui-même été un caractère au sens le plus fort du mot. Lorsqu’il apparaissait quelque part, brandissant une canne en forme d’épée, sa silhouette corpulente (300 livres) enveloppée d’une cape, coiffé d’un chapeau bosselé et portant de minuscules lunettes lui tombant sur le bout du nez, sa présence provoquait l’amusement des spectateurs. Ce qui ne l’empêcha pas d’être l’un des hommes les plus aimés de son temps. Même ses adversaires lui vouaient une grande affection. Son humilité, son émerveillement devant la vie, sa bonté gracieuse et sa joie de vivre le mettaient à part non seulement des artistes et des célébrités mais de tout être humain.

Gigantesque par le corps, vaste par l’esprit, Chesterton fut un géant à tous égards. Ce géant, même s’il est encore de nos jours souvent cité, est pourtant méconnu en raison même de son envergure: nous avons sans doute intérêt à nous dissimuler à quel point il avait vu clair lorsqu’il dénonçait l’envahissement de la pensée et de la vie par le matérialisme, le relativisme de la morale, le rejet de la religion, la censure exercée par la presse (par opposition à celle exercée contre la presse), l’enlaidissement des arts, la montée de ces deux maux si liés l’un à l’autre que sont les grandes entreprises et les gouvernements mondiaux avec leurs conséquences: la dépendance à l’égard du revenu et la perte de la libertéindividuelle. Les mots de Chesterton sonnent plus vrais encore de nos jours que lorsqu’ils furent écrits, il y a plus de soixante ans. Et malgré le sérieux des sujets qu’il a traités, il ne manque jamais de le faire avec un humour, un esprit et une gaieté débordante. Ses éclats de rire nous sont plus nécessaires que jamais!

N’est-ce pas de lui-même qu’il parle quand il écrit: « He is a [sane] man who can have tragedy in his heart and comedy in his head. » [L’homme sain est celui qui a un coeur tragique et une tête comique.]

À rapprocher de cet aphorisme espagnol :

« El mundo es una tragedia para los que sienten y una comedia para los que piensan. » [Le monde est une tragédie pour ceux qui sentent et une comédiepour ceux qui pensent.]

Chesterton disait aussi:
« The mad man is the one who has lost everything but his reason. »
[Le fou est celui qui a tout perdu sauf la raison.]

Biographie

«Comme la plupart de ceux qui eurent vingt-cinq ans vers 1895, Chesterton, élevé dans l’incroyance, avait adopté successivement toutes les doctrines de son temps: il avait été, tour à tour, évolutionniste en philosophie, anarchiste en politique, ibsénien en morale. Mais sa vie intellectuelle ne devait pas tarder à s’élargir, à devenir plus vigoureuse. Doué d’une intuition merveilleuse, d’une étonnante jeunesse de regard, il allait bientôt découvrir, dans la riche substance de la réalité, ces accords admirables, ces correspondances mystérieusement apparentées qui nous relient au monde et que ceux qu’il appelle les «vagues esprits modernes» ne savent plus reconnaître. Bien décidé à jeter bas le mur maussade qui cache la splendeur de l’univers créé, Chesterton se fit aussitôt une belle réputation d’anarchiste et de démolisseur.»

HENRI MASSIS, De l’homme
à Dieu. Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1959, 480 p.

«Philippe Maxence analyse bien le point de départ de la pensée de Chesterton : « En tombant d’une vision théocentrique à une vision uniquement anthropocentrique, l’homme n’a pas seulement perdu ou faussé sa relation à Dieu. Il n’a pas seulement perdu ou faussé sa perception et sa relation à Dieu. Il n’a pas seulement perdu ou faussé sa perception de l’homme. Il a perdu la compréhension de l’univers. La modernité n’a pas rendu l’homme aveugle. Elle a rendu son regard opaque, embué, flou, morne, voilé. Elle l’a libéré de tout lien. Mais en le libérant, elle l’a emprisonné dans une vision inversée « .

Partant de là, Chesterton sera le trublion de l’intelligentsia anglaise au début du vingtième siècle. Il vitupérera, pourfendra, laminera tout l’orgueil de la philosophie moderne qui nie non seulement toute consistance à la Vérité mais aussi la possibilité de la Vérité. Il constatera avec un amusement attristé que  » Plus le temps avance, plus les hommes reculent « , par bégaiements successifs, et que les clercs qui devaient rechercher la Vérité ont conduit le monde sur la voie sans issue du désenchantement. Chesterton n’aura donc comme mission que de  » ruer dans les brancards  » à l’aide d’une plume acerbe, leste, caustique, emportée, qui défendra sans cesse l’imagination comme reine tout en la refusant comme tyran. Il dira donc adieu au négationnisme moderne qui récuse les sens et l’imagination, atrophiant ainsi l’intelligence et nous rendant orphelin du dessein initial du Créateur.»

Philippe Maxence,
Réenchantement du monde: une introduction à Chesterton, Editions Ad
solem, 2004.

Le distributisme

Dévelopée par Hilaire Belloc et Chesterton, au carrefour de pensées issues du monde rural, de certains socialistes et de la doctrine sociale de l’Eglise catholique, cette théorie est centrée sur l’hypothèse suivante : une société stable et bien ordonnée repose sur une distribution correcte de la propriété. Etant donné que la propriété est la base même de laquelle découlent tous les autres droits (qui ne servent à rien si l’on est trop pauvre ou dépendant pour les exercer), il s’ensuit qu’une société démocratique et ordonnée doit à la fois empêcher la concentration de trop de propriété entre les mains de quelques uns et empêcher la création de larges franges de citoyens pauvres (ou dépendant de l’Etat).

Oeuvres

Oeuvres traduites en français (date de la première parution en langue anglaise)

1903. — La vie de Robert Browning (Robert Browning)

1904. — Le Napoléon de Notting Hill (The Napoleon of Nothing Hill)

1905. — Le club des métiers bizarres (The Club of Queer Trades)

1905. — Hérétiques (Heretics)

1907. — Le nommé Jeudi (The Man who was Thursday)

1908. — Orthodoxie (Orthodoxy)

1911. — L’innocence du Père Brown (The Innocence of Father Brown)

1914. — La clairvoyance du Père Brown (The Wisdom of Father Brown)

1914. — L’auberge volante (The Flying Inn)

1914. — La barbarie de Berlin (The Barbarism of Berlin)

1915. — Les crimes de l’Angleterre (The Crimes of England)

1923. —Saint François d’Assise (Saint Francis of Assisi)

1925. — L’homme éternel(The Everlasting Man)

1926. — L’Église catholique et la conversion (The Catholic Church and Conversion)

1927. —Le retour de Don Quichotte (The Return of Don Quixote)

1927. —Le secret du Père Brown (The Secret of Father Brown)

1929. —Le poète et les lunatiques (The Poet and the Lunatics)

1932. —Chaucer (Chaucer. A Study)

1933. —Saint Thomas d’Aquin (St. Thomas Aquinas)

Oeuvres posthumes

1936. — L’homme à la clef d’or (Autobiography)

Textes en ligne

Antichrist, or the Reunion of Christendom: An Ode

The Ballad of the White Horse

The Battle of Lepanto

By the Babe Unborn

Chesterton Day by Day:
Selections from the Writings in Prose and Verse of G. K. Chesterton, with an Extract for every Day of the Year and for each of the Moveable Feasts

A Christmas Carol

The Club of Queer Trades

For the Creche

Greybeards at Play:
Literature and Art for Old Gentlemen

Heretics

How I Found the Superman

The Innocence of Father
Brown

The Man Who Was Thursday

The Man Who Was
Thursday: A Nightmare

Manalive

A Miscellany of Men

On American Morals

The Oracle of the Dog

Orthodoxy

A Prayer in Darkness

Selected Quotes

Tales of the Long Bow

Utopia of Usurers, and
Other Essas

The Wisdom of Father Brown

G.K. Chesterton
Concordance – « A searchable concordance for Heretics and Orthodoxy »

Documentation

En français

DE TONQUÉDEC, Joseph.
G.K. Chesterton, ses idées et son caractère. Paris, Gabriel
Beauchesne Éditeur, 1920, 116 p.

MASSIS, Henri. De l’homme à Dieu. Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1959, 480 p. Coll.
«Itinéraires». Il s’agit d’une série de monographies sur tous les auteurs que Massis a connus et fréquentés: depuis Chesterton jusqu’à Bergson, Maritain, Claudel, Péguy, Thibon (qui signe la préface de ce livre). Le livre de Chesterton Orthodoxie avait été traduit en français et suscité l’attention et l’admiration des intellectuels de cette époque, de Claudel en particulier.

En anglais

BELLOC, Hilaire. The Place of Chesterton in English Literature.

Chesterton, Cecil. G.K.
Chesterton, a Criticism.

FFINCH, Michael. G. K.
Chesterton. London, Weidenfeld and Nicolson, 1986.

SCHALL, James V. « »Haloes even in Hell »: Chesterton’s Own Private « Heresy »».
New Blackfriars, vol. 84, no 988, juin 2003, pp. 281-292.

WARD, Maisie. Gilbert
Keith Chesterton. New York, Sheed and Ward, 1943.

Textes en ligne

Chesterton and Anti-Semitism, par Ian Boyd C.S.B., S. Caldecott et A. Mackey,G.K.
Chesterton Institute

On the Place of Gilbert Chesterton in English Letters, par Hilaire Belloc. [full entry]

The Essential Chesterton, par David W. Fagerberg, First Things, mars 2000, p. 23-26

The Case of the Forgotten Detectives: The Unknown Crime Fiction of G.K. Chesterton,
par John C. Tibbetts

Chesterton Reformed: A Protestant Interpretation, par James Sauer

Voir enfin:

REMARQUES PRÉLIMINAIRES SUR L’IMPORTANCE DE L’ORTHODOXIE

Rien ne trahit plus singulièrement un mal profond et sourd de la Société moderne, que l’emploi extraordinaire que l’on fait aujourd’hui du mot « orthodoxe ». Jadis l’hérétique se flattait de n’être pas hérétique. C’étaient les royaumes de la terre, la police et les juges qui étaient hérétiques. Lui il  était orthodoxe. Il ne se glorifiait pas de s’être révolté contre eux ; c’était eux qui s’étaient révoltés contre lui.

Les armées avec leur sécurité cruelle, les rois aux visages effrontés, l’État aux procédés pompeux, la Loi aux procédés raisonnables, tous comme des moutons s’étaient égarés. L’hérétique était fier d’être orthodoxe, fier d’être dans le vrai. Seul dans un désert affreux, il était plus qu’un homme : il était une Église. Il était le centre de l’univers ; les astres gravitaient autour de lui. Toutes les tortures arrachées aux enfers oubliés n’auraient pu lui faire admettre qu il était hérétique. Or il a suffit de quelques phrases modernes pour l’en faire tirer vanité. Il dit avec un sourire satisfait : « Je crois bien que je suis hérétique », et il regarde autour de lui pour recueillir les applaudissements. Non seulement le mot « hérésie » ne signifie plus être dans l’erreur, il signifie, en fait, être clairvoyant et courageux. Non seulement le mot « orthodoxie » ne signifie plus qu’on est dans le vrai ; il signifie qu’on est dans l’erreur. Tout cela ne peut
vouloir dire qu’une chose, une seule : c’est que l’on ne s’inquiète plus autant de savoir si l’on est philosophiquement dans la vérité. Car il est bien évident qu’un homme devrait se déclarer fou plutôt que de se déclarer hérétique. Le bohème, avec sa cravate rouge, devrait se piquer d’orthodoxie. Le dynamiteur, lorsqu’il dépose une bombe, devrait sentir que, quoi qu’il puisse être par ailleurs, il est du moins orthodoxe.

Il est absurde, en général, pour un philosophe, d’en brûler un autre sur le marché de Smithfield parce qu’ils ne s’accordent pas sur la théorie cosmique. Cela se fit très fréquemment pendant la décadence du moyen âge, sans jamais atteindre son objet. Mais il est une chose infiniment plus absurde et bien moins pratique que de brûler un homme pour sa philosophie, c’est l’habitude de dire que sa philosophie n’a pas d’importance. C’est là une habitude universelle au vingtième siècle, c’est-à-dire pendant la décadence de la grande période révolutionnaire.

Les théories générales sont partout méprisées ; la doctrine des Droits de l’Homme est répudiée, d même que celle de la Chute de l’Homme. L’athéisme lui-même est trop théologique pour nous ; la révolution ressemble trop à un système et la liberté à une contrainte. Nous ne voulons pas de généralisations. M. Bernard Shaw a exprimé cette opinion dans une épigramme parfaite : « La règle d’or, c’est qu’il n’y a pas de règle d’or. » Nous sommes de plus en plus disposés à discuter des détails en
art, en politique et en littérature. Les opinions d’un homme sur les tramways nous importent, ses idées sur Botticelli nous importent. Sur l’ensemble des choses, ses opinions ne nous importent pas. Il peut aborder et explorer un million de sujets, mais il ne doit pas toucher à cet objet étrange : l’univers, car, s’il le faisait, il aurait une religion, il serait perdu. Tout importe, excepté Tout. Il est à peine nécessaire de citer des exemples de la légèreté absolue avec laquelle on traite la philosophie cosmique. Il n’en est pas besoin pour démontrer que, quelle que soit la chose que nous croyons susceptible d’influencer les affaires pratiques, nous ne pensons jamais qu’il importe qu’un homme soit pessimiste ou optimiste, cartésien ou hégélien, matérialiste ou spiritualiste. Laissez-moi cependant prendre un exemple au hasard.
Autour de la plus innocente table à thé nous entendons dire couramment que « la vie ne vaut pas d’être vécue ». Nous écoutons émettre cette opinion comme si on disait que la journée est belle. Personne ne songe que cela puisse avoir le moindre effet sur les hommes ou sur le monde. Et pourtant, si cette parole était réellement crue, le monde se trouverait renversé. Les meurtriers se verraient attribuer des médailles pour avoir sauvé des hommes de la vie ; les pompiers seraient dénoncés pour avoir arraché des hommes à la mort ; les poisons remplaceraient les remèdes ; les médecins seraient appelés auprès des personnes bien portantes et la Royal
Humane Society serait exterminée comme une horde d’assassins.

Cependant nous ne nous demandons jamais si le causeur pessimiste fortifie ou désorganise la Société, parce que nous sommes convaincus que les théories sont sans importance.

Ce n’était certes pas l’idée des initiateurs de notre liberté. Quand les vieux libéraux
arrachèrent le bâillon à toutes les hérésies, leur idée était de faciliter les découvertes religieuses et philosophiques. La vérité cosmique leur paraissait si importante, que chacun était mis en demeure d’apporter un témoignage indépendant. L’idée moderne est que la vérité cosmique est si dénuée d’intérêt que tout ce qu’on en peut dire est sans valeur. Les premiers libérèrent la recherche comme on lâche un beau dogue, les derniers comme on rejette à la mer un poisson qui ne vaut pas la peine d’être mangé. Jamais les discussions sur la nature de l’homme ne furent aussi rares qu’à présent, alors que, pour la première fois, tout le monde peut en discuter. La restriction ancienne signifiait que les orthodoxes seuls étaient admis à discuter de la religion. La liberté moderne signifie que plus personne n’est autorisé à en discuter. Le bon goût, la dernière et la plus vile des superstitions humaines, a réussi à nous imposer le silence, là où tout le reste avait échoué.

Il y a soixante ans, il était de mauvais goût d’être un athée avoué. Alors apparurent
les disciples de Bradlaugh, les derniers croyants, les derniers qui aimèrent Dieu, mais ils n’y purent rien changer. Il est toujours de mauvais goût d’être un athée,
néanmoins leurs souffrances ont gagné ceci : c’est qu’aujourd’hui il est d’aussi mauvais goût d’être un fervent chrétien.

L’émancipation n’a fait qu’ enfermer le saint dans la même tour de silence que l’hérésiarque. Et nous parlons de lord Anglesey, du beau temps, et nous appelons cela l’entière liberté de toutes les croyances. Il est cependant des gens qui pensent, et moi-même, que ce qu’il y a de plus important chez un homme, c’est tout de même sa conception de l’univers. Nous pensons qu’il est très important pour un propriétaire de connaître les revenus de son locataire, mais plus important encore de connaître sa philosophie. Nous pensons que, pour un général qui se prépare à combattre un ennemi, il est important de connaître les effectifs de l’ennemi, mais plus important encore de connaître sa philosophie. Nous pensons que la question n’est pas de savoir si la théorie cosmique influe sur les choses, mais si, dans le cours des temps, il est rien d’autre qui influe sur elles. Au quinzième siècle, on mettait un homme à la question parce qu’il prêchait une doctrine immorale ; au dix-neuvième siècle, nous avons fêté et adulé Oscar Wilde parce qu’il prêchait une doctrine semblable, et puis nous lui avons brisé le cœur aux travaux forcés parce qu’il la mettait en pratique. On peut se demander laquelle des deux méthodes était la plus cruelle, mais il ne peut y avoir de doute sur celle qui est la plus ridicule. Du moins
l’époque de l’Inquisition ne connut-elle pas la disgrâce d’avoir produit une Société susceptible de faire d’un homme une idole lorsqu’il enseigne les doctrines qui font du même homme un forçat dès qu’il les met en pratique.

Aujourd’hui, la philosophie et la religion, c’est-à-dire notre doctrine des causes finales, ont été bannies presque simultanément des deux sphères où s’exerçait leur influence. Les idées générales dominaient la littérature, elles ont été exclues au cri de « l’art pour l’art ». Les idées générales dominaient la politique, elles ont été rejetées au cri d’« efficacité », ce qui peut se traduire, à peu près, par « la politique pour la politique ».

D’une façon continue, pendant ces vingt dernières années, les idées d’ordre et de liberté se sont effacées de nos livres, les soucis d’esprit et d’éloquence ont disparu de nos parlements. La littérature est devenue volontairement moins politique, la politique moins littéraire. Les théories générales sur les relations des choses se sont ainsi trouvées exclues de toutes deux et nous pouvons nous demander : Avons-nous gagné ou perdu à cette exclusion ? La littérature et la politique sont-elles meilleures pour avoir écarté le moraliste et le philosophe ?

Quand tout s’affaiblit et se ralentit dans la vie d’un peuple, il commence à parler
d’efficacité. Il en va de même de l’homme lorsqu’il sent son corps délabré, il commence alors pour la première fois à parler de santé. Les organismes vigoureux ne parlent pas de leurs fonctions, mais de leurs fins. Un homme ne saurait donner de meilleure preuve de son efficacité physique que lorsqu’il parle gaiement d’aller au bout du monde. Et il ne peut y avoir de meilleure preuve de l’efficacité matérielle d’une nation que lorsqu’elle parle constamment d’un voyage au bout du monde, d’un voyage au Jugement dernier, à la Nouvelle Jérusalem. Il ne peut y avoir de signe plus sûr d’une santé morale robuste que la recherche des idéaux romanesques, c’est dans la première ardeur de l’enfance que nous pleurons pour avoir la lune. Aucun des hommes forts des âges forts n’eût compris ce que nous entendons par « résultat pratique ». Hildebrand nous eût dit qu’il ne travaillait pas pour l’efficacité, mais pour l’Église Catholique ; Danton, qu’il travaillait non pour
l’efficacité, mais pour la liberté, l’égalité et la fraternité. Quand bien même l’idéal de ces hommes eût été simplement d’en jeter un autre du haut de l’escalier, ils songeaient au but, comme des hommes, non aux procédés, comme des paralytiques. Ils ne disaient pas : « En levant efficacement la jambe droite, en me servant, vous pourrez le remarquer, des muscles de la cuisse et du jarret, qui sont en excellent état, je… » Leur sentiment était tout différent. Ils étaient si pénétrés de la belle vision d’un homme étendu au pied de l’escalier que, dans leur extase, l’action suivait comme l’éclair. Dans la pratique, l’habitude de généraliser et d’idéaliser ne signifiait, en aucune manière, la faiblesse. L’âge des grandes théories fut celui des grands résultats. L’ère du sentiment et du beau parler, à la fin du dix-huitième siècle, fut celle d’hommes vraiment robustes et efficaces. Les sentimentalistes vainquirent Napoléon.

Les cyniques ne réussirent pas à capturer De Wet. Il y a un siècle, nos affaires, pour le bien ou pour le mal, furent triomphalement menées par les rhétoriciens. Aujourd’hui, elles sont déplorablement brouillées par des hommes forts et silencieux. Et de même que cette répudiation des grands mots et des grandes visions a produit une race de petits hommes dans la politique, elle a produit une race de petits hommes dans les arts.

Nos politiciens modernes réclament la licence colossale de César et du Surhomme, prétendent qu’ils sont trop pratiques pour être intègres et trop patriotes pour être moraux, mais la conclusion de tout cela, c’est qu’une médiocrité est Chancelier de l’Échiquier. Nos nouveaux philosophes esthétiques réclament la même licence morale, une liberté qui permette à leur énergie de renverser le ciel et la terre et, la conclusion, c’est qu’une médiocrité est Poète Lauréat. Je ne dis pas qu’il n’y ait pas d’hommes plus forts que ceux-là, mais se trouvera-t-il quelqu’un pour prétendre qu’il y eut des hommes plus forts que les Anciens qui étaient dominés par leur philosophie et imprégnés de leur religion ? Que l’asservissement soit supérieur à la liberté, cela peut se discuter, mais que leur asservissement fût plus fécond que notre liberté, nul ne saurait le nier.

La théorie de l’amoralité de l’art s’est fermement établie dans les milieux purement artistiques. Les artistes sont libres de produire ce qu’ils veulent ; ils sont libres d’écrire un Paradis Perdu dans lequel Satan aurait vaincu Dieu ; ils sont libres d’écrire une Divine Comédie dans laquelle le Ciel serait situé au-dessous de l’Enfer. Et qu’ont-ils fait ? Ont-ils produit dans leur universalité rien de plus grand et de plus beau que les paroles proférées par le farouche catholique gibelin ou par l’austère maître d’école puritain ?

Nous savons qu’ils n’ont produit quelques rondels. Milton ne les surpasse pas seulement par sa piété, il les surpasse jusque leur irrévérence. Dans toutes leurs petites plaquettes, vous ne trouverez pas de plus beau défi à Dieu que celui de Satan. Vous n’y trouverez pas non plus un sentiment de la grandeur du paganisme pareil à celui qu’éprouvait ce fervent chrétien qui décrivit Faranata relevantla tête comme s’il méprisait l’enfer. Et la raison en est bien évidente : le blasphème est en effet artistique, parce que le blasphème dépend d’une conviction philosophique. Le blasphème dépend de la croyance et disparaît avec elle. Si quelqu’un pouvait en douter, qu’il se mette sérieusement au travail, et qu’il essaie de trouver des idées blasphématoires contre Thor. Je crois bien que sa famille le retrouvera au bout de la journée dans un état voisin de l’épuisement.

Il s’ensuit donc que, ni dans le monde de la politique ni dans celui de la littérature, le rejet des théories générales n’a été un succès. Il se peut que beaucoup d’idéaux erronés et insensés aient de temps à autre troublé l’humanité, mais, assurément, il n’y a pas eu d’idéal qui dans l’application ait été aussi insensé et aussi erroné que l’idéal pratique. Il n’est rien qui ait manqué tant de bonnes occasions que l’opportunisme de lord Rosebery. Il est vraiment le symbole vivant de son époque : l’homme qui théoriquement est un homme pratique, et, dans la pratique, moins
pratique que n’importe quel théoricien. Dans tout l’univers, il n’est rien de moins sage que cette espèce de culte de la sagesse.

L’homme qui se demande perpétuellement si telle ou telle race est forte, si telle ou telle cause promet bien, est celui qui ne croira jamais assez longtemps à quoi que ce soit pour en assurer la réussite.

Le politicien opportuniste ressemble à un homme qui abandonnerait le billard parce qu’il a été battu au billard, ou le golf parce qu’il a été battu au golf. Il n’est rien de plus nuisible à la réalisation des projets que cette importance démesurée que l’on attache à la victoire immédiate. Rien n’échoue comme le succès. Après avoir découvert que l’opportunisme échouait j’ai été amené à le considérer d’une façon plus générale et en conséquence à voir qu’il doit échouer. Je m’aperçois qu’il est beaucoup plus pratique de commencer par le commencement et de discuter les
théories. Je vois que les hommes qui s’entretuèrent pour l’orthodoxie de la Consubstantialité étaient beaucoup plus sensés que ceux qui se disputent à propos de la loi sur l’Enseignement.
Car les dogmatistes chrétiens, afin d’établir le règne de la sainteté, essayaient tout d’abord de définir ce qui était réellement saint. Nos théoriciens modernes essaient d’instituer la liberté religieuse sans se soucier d’établir ce qu’est la religion et ce qu’est la liberté. Si les prêtres d’autrefois imposaient une opinion aux humains, tout au moins avaient-ils pris quelque peine pour la rendre lucide. Il a été laissé aux foules modernes des anglicans et des non-conformistes de persécuter au nom d’une doctrine qu’elles n’ont pas même énoncée.

Pour ces raisons et pour beaucoup d’autres, moi, du moins, j’en suis arrivé à croire à la nécessité de retourner aux fondements. Telle est l’idée générale de ce livre. Je désire m’y entretenir des plus distingués de mes contemporains, non pas à un point de vue personnel ou simplement littéraire, mais par rapport aux doctrines qu’ils enseignent. Je ne m’occupe pas de M. Rudyard Kipling comme d’un grand artiste ou d’une personnalité vigoureuse, je m’intéresse à lui en tant qu’hérétique, c’est-à-dire en tant que son opinion sur les choses a la hardiesse de différer de la mienne. Je ne m’intéresse pas à M. Bernard Shaw comme à l’un des hommes les plus brillants et les plus honnêtes qui soient, je m’intéresse à lui comme à un hérétique
dont la philosophie est parfaitement solide, parfaitement cohérente, et parfaitement fausse. J’en reviens aux méthodes doctrinales du treizième siècle, dans l’espoir d’aboutir à quelque chose.

Supposons qu’un grand mouvement se produise dans la rue à propos de n’importe quoi, disons, par exemple, d’un réverbère que plusieurs personnes influentes désirent voir démolir. Un moine, vêtu de gris, qui représente l’esprit du moyen âge, est consulté sur la question et commence par dire, dans la forme aride des scolastiques : « Considérons tout d’abord, mes Frères, la valeur de la lumière. Si, prise en soi, la lumière est bonne… » A ce moment il est culbuté, ce qui est presque excusable. Tous les hommes présents se précipitent sur le réverbère qui se trouve démoli en l’espace de dix minutes, et ils s’en vont se congratulant mutuellement de leur sens pratique si peu médiéval. Mais du train où  elles vont, les choses ne se règlent pas aussi facilement.

Parmi les démolisseurs du réverbère, les uns ont agi parce qu’ils désiraient la lumière électrique, d’autres parce qu’ils désiraient du vieux fer, d’autres encore parce qu’ils désiraient l’obscurité propice à leurs actes répréhensibles. D’aucuns
trouvaient qu’un réverbère ne suffisait pas, d’autres qu’il était de trop, certains avaient été guidés par le désir de démolir le matériel municipal, d’autres par le désir de détruire quelque chose. Et l’on se bat dans la nuit, sans que personne sache qui il frappe.

Ainsi graduellement et inévitablement, aujourd’hui, demain ou le jour qui suivra, la conviction nou viendra que le moine avait raison après tout, et que tout dépend de la philosophie de la lumière. Seulement, ce dont nous pouvions discuter sous le réverbère, nous devons maintenant en discuter dans les ténèbres.

Voir par ailleurs:

To Noel Willmett

18 May 194410a Mortimer Crescent NW 6

Dear Mr Willmett,

Many thanks for your letter. You ask whether totalitarianism, leader-worship etc. are really on the up-grade and instance the fact that they are not apparently growing in this country and the USA.

I must say I believe, or fear, that taking the world as a whole these things are on the increase. Hitler, no doubt, will soon disappear, but only at the expense of strengthening (a) Stalin, (b) the Anglo-American millionaires and (c) all sorts of petty fuhrers° of the type of de Gaulle. All the national movements everywhere, even those that originate in resistance to German domination, seem to take non-democratic forms, to group themselves round some superhuman fuhrer (Hitler, Stalin, Salazar, Franco, Gandhi, De Valera are all varying examples) and to adopt the theory that the end justifies the means. Everywhere the world movement seems to be in the direction of centralised economies which can be made to ‘work’ in an economic sense but which are not democratically organised and which tend to establish a caste system. With this go the horrors of emotional nationalism and a tendency to disbelieve in the existence of objective truth because all the facts have to fit in with the words and prophecies of some infallible fuhrer. Already history has in a sense ceased to exist, ie. there is no such thing as a history of our own times which could be universally accepted, and the exact sciences are endangered as soon as military necessity ceases to keep people up to the mark. Hitler can say that the Jews started the war, and if he survives that will become official history. He can’t say that two and two are five, because for the purposes of, say, ballistics they have to make four. But if the sort of world that I am afraid of arrives, a world of two or three great superstates which are unable to conquer one another, two and two could become five if the fuhrer wished it.1 That, so far as I can see, is the direction in which we are actually moving, though, of course, the process is reversible.

As to the comparative immunity of Britain and the USA. Whatever the pacifists etc. may say, we have not gone totalitarian yet and this is a very hopeful symptom. I believe very deeply, as I explained in my book The Lion and the Unicorn, in the English people and in their capacity to centralise their economy without destroying freedom in doing so. But one must remember that Britain and the USA haven’t been really tried, they haven’t known defeat or severe suffering, and there are some bad symptoms to balance the good ones. To begin with there is the general indifference to the decay of democracy. Do you realise, for instance, that no one in England under 26 now has a vote and that so far as one can see the great mass of people of that age don’t give a damn for this? Secondly there is the fact that the intellectuals are more totalitarian in outlook than the common people. On the whole the English intelligentsia have opposed Hitler, but only at the price of accepting Stalin. Most of them are perfectly ready for dictatorial methods, secret police, systematic falsification of history2 etc. so long as they feel that it is on ‘our’ side. Indeed the statement that we haven’t a Fascist movement in England largely means that the young, at this moment, look for their fuhrer elsewhere. One can’t be sure that that won’t change, nor can one be sure that the common people won’t think ten years hence as the intellectuals do now. I hope 3 they won’t, I even trust they won’t, but if so it will be at the cost of a struggle. If one simply proclaims that all is for the best and doesn’t point to the sinister symptoms, one is merely helping to bring totalitarianism nearer.

You also ask, if I think the world tendency is towards Fascism, why do I support the war. It is a choice of evils—I fancy nearly every war is that. I know enough of British imperialism not to like it, but I would support it against Nazism or Japanese imperialism, as the lesser evil. Similarly I would support the USSR against Germany because I think the USSR cannot altogether escape its past and retains enough of the original ideas of the Revolution to make it a more hopeful phenomenon than Nazi Germany. I think, and have thought ever since the war began, in 1936 or thereabouts, that our cause is the better, but we have to keep on making it the better, which involves constant criticism.

Yours sincerely,Geo. Orwell

[XVI, 2471, pp. 190—2; typewritten]

1. and 2. Foreshadowings of Nineteen Eighty-Four.

3. Compare Nineteen Eighty-Four, p. 72, ‘If there is hope, wrote Winston, it lies in the proles.’

Voir enfin:

 

Notes on Nationalism

 The Orwell EstateSomewhere or other Byron makes use of the French word longeur, and remarks in passing that though in England we happen not to have the word, we have the thing in considerable profusion. In the same way, there is a habit of mind which is now so widespread that it affects our thinking on nearly every subject, but which has not yet been given a name. As the nearest existing equivalent I have chosen the word ‘nationalism’, but it will be seen in a moment that I am not using it in quite the ordinary sense, if only because the emotion I am speaking about does not always attach itself to what is called a nation – that is, a single race or a geographical area. It can attach itself to a church or a class, or it may work in a merely negative sense, against something or other and without the need for any positive object of loyalty.By ‘nationalism’ I mean first of all the habit of assuming that human beings can be classified like insects and that whole blocks of millions or tens of millions of people can be confidently labelled ‘good’ or ‘bad’.[1] But secondly ­– and this is much more important – I mean the habit of identifying oneself with a single nation or other unit, placing it beyond good and evil and recognizing no other duty than that of advancing its interests. Nationalism is not to be confused with patriotism. Both words are normally used in so vague a way that any definition is liable to be challenged, but one must draw a distinction between them, since two different and even opposing ideas are involved. By ‘patriotism’ I mean devotion to a particular place and a particular way of life, which one believes to be the best in the world but has no wish to force on other people. Patriotism is of its nature defensive, both militarily and culturally. Nationalism, on the other hand, is inseparable from the desire for power. The abiding purpose of every nationalist is to secure more power and more prestige, not for himself but for the nation or other unit in which he has chosen to sink his own individuality.So long as it is applied merely to the more notorious and identifiable nationalist movements in Germany, Japan, and other countries, all this is obvious enough. Confronted with a phenomenon like Nazism, which we can observe from the outside, nearly all of us would say much the same things about it. But here I must repeat what I said above, that I am only using the word ‘nationalism’ for lack of a better. Nationalism, in the extended sense in which I am using the word, includes such movements and tendencies as Communism, political Catholicism, Zionism, Antisemitism, Trotskyism and Pacifism. It does not necessarily mean loyalty to a government or a country, still less to one’s own country, and it is not even strictly necessary that the units in which it deals should actually exist. To name a few obvious examples, Jewry, Islam, Christendom, the Proletariat and the White Race are all of them objects of passionate nationalistic feeling: but their existence can be seriously questioned, and there is no definition of any one of them that would be universally accepted.It is also worth emphasizing once again that nationalist feeling can be purely negative. There are, for example, Trotskyists who have become simply enemies of the U.S.S.R. without developing a corresponding loyalty to any other unit. When one grasps the implications of this, the nature of what I mean by nationalism becomes a good deal clearer. A nationalist is one who thinks solely, or mainly, in terms of competitive prestige. He may be a positive or a negative nationalist – that is, he may use his mental energy either in boosting or in denigrating – but at any rate his thoughts always turn on victories, defeats, triumphs and humiliations. He sees history, especially contemporary history, as the endless rise and decline of great power units, and every event that happens seems to him a demonstration that his own side is on the up-grade and some hated rival is on the down-grade. But finally, it is important not to confuse nationalism with mere worship of success. The nationalist does not go on the principle of simply ganging up with the strongest side. On the contrary, having picked his side, he persuades himself that it is the strongest, and is able to stick to his belief even when the facts are overwhelmingly against him. Nationalism is power hunger tempered by self-deception. Every nationalist is capable of the most flagrant dishonesty, but he is also – since he is conscious of serving something bigger than himself – unshakeably certain of being in the right.Now that I have given this lengthy definition, I think it will be admitted that the habit of mind I am talking about is widespread among the English intelligentsia, and more widespread there than among the mass of the people. For those who feel deeply about contemporary politics, certain topics have become so infected by considerations of prestige that a genuinely rational approach to them is almost impossible. Out of the hundreds of examples that one might choose, take this question: Which of the three great allies, the U.S.S.R., Britain and the U.S.A., has contributed most to the defeat of Germany? In theory it should be possible to give a reasoned and perhaps even a conclusive answer to this question. In practice, however, the necessary calculations cannot be made, because anyone likely to bother his head about such a question would inevitably see it in terms of competitive prestige. He would therefore start by deciding in favour of Russia, Britain or America as the case might be, and only after this would begin searching for arguments that seemed to support his case. And there are whole strings of kindred questions to which you can only get an honest answer from someone who is indifferent to the whole subject involved, and whose opinion on it is probably worthless in any case. Hence, partly, the remarkable failure in our time of political and military prediction. It is curious to reflect that out of all the ‘experts’ of all the schools, there was not a single one who was able to foresee so likely an event as the Russo-German Pact of 1939.[2] And when news of the Pact broke, the most wildly divergent explanations were of it were given, and predictions were made which were falsified almost immediately, being based in nearly every case not on a study of probabilities but on a desire to make the U.S.S.R. seem good or bad, strong or weak. Political or military commentators, like astrologers, can survive almost any mistake, because their more devoted followers do not look to them for an appraisal of the facts but for the stimulation of nationalistic loyalties.[3] And aesthetic judgements, especially literary judgements, are often corrupted in the same way as political ones. It would be difficult for an Indian nationalist to enjoy reading Kipling or for a Conservative to see merit in Mayakovsky, and there is always a temptation to claim that any book whose tendency one disagrees with must be a bad book from a literary point of view. People of strongly nationalistic outlook often perform this sleight of hand without being conscious of dishonesty.In England, if one simply considers the number of people involved, it is probable that the dominant form of nationalism is old-fashioned British jingoism. It is certain that this is still widespread, and much more so than most observers would have believed a dozen years ago. However, in this essay I am concerned chiefly with the reactions of the intelligentsia, among whom jingoism and even patriotism of the old kind are almost dead, though they now seem to be reviving among a minority. Among the intelligentsia, it hardly needs saying that the dominant form of nationalism is Communism ­– using this word in a very loose sense, to include not merely Communist Party members but ‘fellow-travellers’ and russophiles generally. A Communist, for my purpose here, is one who looks upon the U.S.S.R. as his Fatherland and feels it his duty to justify Russian policy and advance Russian interests at all costs. Obviously such people abound in England today, and their direct and indirect influence is very great. But many other forms of nationalism also flourish, and it is by noticing the points of resemblance between different and even seemingly opposed currents of thought that one can best get the matter into perspective.Ten or twenty years ago, the form of nationalism most closely corresponding to Communism today was political Catholicism. Its most outstanding exponent – though he was perhaps an extreme case rather than a typical one – was G. K. Chesterton. Chesterton was a writer of considerable talent who chose to suppress both his sensibilities and his intellectual honesty in the cause of Roman Catholic propaganda. During the last twenty years or so of his life, his entire output was in reality an endless repetition of the same thing, under its laboured cleverness as simple and boring as ‘Great is Diana of the Ephesians’. Every book that he wrote, every paragraph, every sentence, every incident in every story, every scrap of dialogue, had to demonstrate beyond possibility of mistake the superiority of the Catholic over the Protestant or the pagan. But Chesterton was not content to think of this superiority as merely intellectual or spiritual: it had to be translated into terms of national prestige and military power, which entailed an ignorant idealization of the Latin countries, especially France. Chesterton had not lived long in France, and his picture of it – as a land of Catholic peasants incessantly singing the Marseillaise over glasses of red wine – had about as much relation to reality as Chu Chin Chow has to everyday life in Baghdad. And with this went not only an enormous over-estimation of French military power (both before and after 1914-18 he maintained that France, by itself, was stronger than Germany), but a silly and vulgar glorification of the actual process of war. Chesterton’s battle poems, such as ‘Lepanto’ or ‘The Ballad of Saint Barbara’, make ‘The Charge of the Light Brigade’ read like a pacifist tract: they are perhaps the most tawdry bits of bombast to be found in our language. The interesting thing is that had the romantic rubbish which he habitually wrote about France and the French army been written by somebody else about Britain and the British army, he would have been the first to jeer. In home politics he was a Little Englander, a true hater of jingoism and imperialism, and according to his lights a true friend of democracy. Yet when he looked outwards into the international field, he could forsake his principles without even noticing he was doing so. Thus, his almost mystical belief in the virtues of democracy did not prevent him from admiring Mussolini. Mussolini had destroyed the representative government and the freedom of the press for which Chesterton had struggled so hard at home, but Mussolini was an Italian and had made Italy strong, and that settled the matter. Nor did Chesterton ever find a word to say about imperialism and the conquest of coloured races when they were practised by Italians or Frenchmen. His hold on reality, his literary taste, and even to some extent his moral sense, were dislocated as soon as his nationalistic loyalties were involved.

Obviously there are considerable resemblances between political Catholicism, as exemplified by Chesterton, and Communism. So there are between either of these and for instance Scottish nationalism, Zionism, Antisemitism or Trotskyism. It would be an oversimplification to say that all forms of nationalism are the same, even in their mental atmosphere, but there are certain rules that hold good in all cases. The following are the principal characteristics of nationalist thought:

Obsession. As nearly as possible, no nationalist ever thinks, talks, or writes about anything except the superiority of his own power unit. It is difficult if not impossible for any nationalist to conceal his allegiance. The smallest slur upon his own unit, or any implied praise of a rival organization, fills him with uneasiness which he can only relieve by making some sharp retort. If the chosen unit is an actual country, such as Ireland or India, he will generally claim superiority for it not only in military power and political virtue, but in art, literature, sport, structure of the language, the physical beauty of the inhabitants, and perhaps even in climate, scenery and cooking. He will show great sensitiveness about such things as the correct display of flags, relative size of headlines and the order in which different countries are named.[4] Nomenclature plays a very important part in nationalist thought. Countries which have won their independence or gone through a nationalist revolution usually change their names, and any country or other unit round which strong feelings revolve is likely to have several names, each of them carrying a different implication. The two sides of the Spanish Civil War had between them nine or ten names expressing different degrees of love and hatred. Some of these names (e.g. ‘Patriots’ for Franco-supporters, or ‘Loyalists’ for Government-supporters) were frankly question-begging, and there was no single one of them which the two rival factions could have agreed to use. All nationalists consider it a duty to spread their own language to the detriment of rival languages, and among English-speakers this struggle reappears in subtler form as a struggle between dialects. Anglophobe Americans will refuse to use a slang phrase if they know it to be of British origin, and the conflict between Latinizers and Germanizers often has nationalist motives behind it. Scottish nationalists insist on the superiority of Lowland Scots, and Socialists whose nationalism takes the form of class hatred tirade against the B.B.C. accent and even the broad A. One could multiply instances. Nationalist thought often gives the impression of being tinged by belief in sympathetic magic – a belief which probably comes out in the widespread custom of burning political enemies in effigy, or using pictures of them as targets in shooting galleries.

Instability. The intensity with which they are held does not prevent nationalist loyalties from being transferable. To begin with, as I have pointed out already, they can be and often are fastened upon some foreign country. One quite commonly finds that great national leaders, or the founders of nationalist movements, do not even belong to the country they have glorified. Sometimes they are outright foreigners, or more often they come from peripheral areas where nationality is doubtful. Examples are Stalin, Hitler, Napoleon, de Valera, Disraeli, Poincaré, Beaverbrook. The Pan-German movement was in part the creation of an Englishman, Houston Chamberlain. For the past fifty or a hundred years, transferred nationalism has been a common phenomenon among literary intellectuals. With Lafcadio Hearne the transference was to Japan, with Carlyle and many others of his time to Germany, and in our own age it is usually to Russia. But the peculiarly interesting fact is that re-transference is also possible. A country or other unit which has been worshipped for years may suddenly become detestable, and some other object of affection may take its place with almost no interval. In the first version of H. G. Wells’s Outline of History, and others of his writings about that time, one finds the United States praised almost as extravagantly as Russia is praised by Communists today: yet within a few years this uncritical admiration had turned into hostility. The bigoted Communist who changes in a space of weeks, or even of days, into an equally bigoted Trotskyist is a common spectacle. In continental Europe Fascist movements were largely recruited from among Communists, and the opposite process may well happen within the next few years. What remains constant in the nationalist is his own state of mind: the object of his feelings is changeable, and may be imaginary.

But for an intellectual, transference has an important function which I have already mentioned shortly in connection with Chesterton. It makes it possible for him to be much more nationalistic – more vulgar, more silly, more malignant, more dishonest – than he could ever be on behalf of his native country, or any unit of which he had real knowledge. When one sees the slavish or boastful rubbish that is written about Stalin, the Red army, etc. by fairly intelligent and sensitive people, one realizes that this is only possible because some kind of dislocation has taken place. In societies such as ours, it is unusual for anyone describable as an intellectual to feel a very deep attachment to his own country. Public opinion – that is, the section of public opinion of which he as an intellectual is aware – will not allow him to do so. Most of the people surrounding him are sceptical and disaffected, and he may adopt the same attitude from imitativeness or sheer cowardice: in that case he will have abandoned the form of nationalism that lies nearest to hand without getting any closer to a genuinely internationalist outlook. He still feels the need for a Fatherland, and it is natural to look for one somewhere abroad. Having found it, he can wallow unrestrainedly in exactly those emotions from which he believes that he has emancipated himself. God, the King, the Empire, the Union Jack – all the overthrown idols can reappear under different names, and because they are not recognized for what they are they can be worshipped with a good conscience. Transferred nationalism, like the use of scapegoats, is a way of attaining salvation without altering one’s conduct.

Indifference to Reality. All nationalists have the power of not seeing resemblances between similar sets of facts. A British Tory will defend self-determination in Europe and oppose it in India with no feeling of inconsistency. Actions are held to be good or bad, not on their own merits, but according to who does them, and there is almost no kind of outrage – torture, the use of hostages, forced labour, mass deportations, imprisonment without trial, forgery, assassination, the bombing of civilians – which does not change its moral colour when it is committed by ‘our’ side. The Liberal News Chronicle published, as an example of shocking barbarity, photographs of Russians hanged by the Germans, and then a year or two later published with warm approval almost exactly similar photographs of Germans hanged by the Russians.[5] It is the same with historical events. History is thought of largely in nationalist terms, and such things as the Inquisition, the tortures of the Star Chamber, the exploits of the English buccaneers (Sir Francis Drake, for instance, who was given to sinking Spanish prisoners alive), the Reign of Terror, the heroes of the Mutiny blowing hundreds of Indians from the guns, or Cromwell’s soldiers slashing Irishwomen’s faces with razors, become morally neutral or even meritorious when it is felt that they were done in the ‘right’ cause. If one looks back over the past quarter of a century, one finds that there was hardly a single year when atrocity stories were not being reported from some part of the world: and yet in not one single case were these atrocities – in Spain, Russia, China, Hungary, Mexico, Amritsar, Smyrna – believed in and disapproved of by the English intelligentsia as a whole. Whether such deeds were reprehensible, or even whether they happened, was always decided according to political predilection.

The nationalist not only does not disapprove of atrocities committed by his own side, but he has a remarkable capacity for not even hearing about them. For quite six years the English admirers of Hitler contrived not to learn of the existence of Dachau and Buchenwald. And those who are loudest in denouncing the German concentration camps are often quite unaware, or only very dimly aware, that there are also concentration camps in Russia. Huge events like the Ukraine famine of 1933, involving the deaths of millions of people, have actually escaped the attention of the majority of English russophiles. Many English people have heard almost nothing about the extermination of German and Polish Jews during the present war. Their own antisemitism has caused this vast crime to bounce off their consciousness. In nationalist thought there are facts which are both true and untrue, known and unknown. A known fact may be so unbearable that it is habitually pushed aside and not allowed to enter into logical processes, or on the other hand it may enter into every calculation and yet never be admitted as a fact, even in one’s own mind.

Every nationalist is haunted by the belief that the past can be altered. He spends part of his time in a fantasy world in which things happen as they should – in which, for example, the Spanish Armada was a success or the Russian Revolution was crushed in 1918 – and he will transfer fragments of this world to the history books whenever possible. Much of the propagandist writing of our time amounts to plain forgery. Material facts are suppressed, dates altered, quotations removed from their context and doctored so as to change their meaning. Events which, it is felt, ought not to have happened are left unmentioned and ultimately denied.[6] In 1927 Chiang Kai-Shek boiled hundreds of Communists alive, and yet within ten years he had become one of the heroes of the Left. The re-alignment of world politics had brought him into the anti-Fascist camp, and so it was felt that the boiling of the Communists ‘didn’t count’, or perhaps had not happened. The primary aim of propaganda is, of course, to influence contemporary opinion, but those who rewrite history do probably believe with part of their minds that they are actually thrusting facts into the past. When one considers the elaborate forgeries that have been committed in order to show that Trotsky did not play a valuable part in the Russian civil war, it is difficult to feel that the people responsible are merely lying. More probably they feel that their own version was what happened in the sight of God, and that one is justified in rearranging the records accordingly.

Indifference to objective truth is encouraged by the sealing-off of one part of the world from another, which makes it harder and harder to discover what is actually happening. There can often be a genuine doubt about the most enormous events. For example, it is impossible to calculate within millions, perhaps even tens of millions, the number of deaths caused by the present war. The calamities that are constantly being reported – battles, massacres, famines, revolutions – tend to inspire in the average person a feeling of unreality. One has no way of verifying the facts, one is not even fully certain that they have happened, and one is always presented with totally different interpretations from different sources. What were the rights and wrongs of the Warsaw rising of August 1944? Is it true about the German gas ovens in Poland? Who was really to blame for the Bengal famine? Probably the truth is discoverable, but the facts will be so dishonestly set forth in almost any newspaper that the ordinary reader can be forgiven either for swallowing lies or failing to form an opinion. The general uncertainty as to what is really happening makes it easier to cling to lunatic beliefs. Since nothing is ever quite proved or disproved, the most unmistakable fact can be impudently denied. Moreover, although endlessly brooding on power, victory, defeat, revenge, the nationalist is often somewhat uninterested in what happens in the real world. What he wants is to feel that his own unit is getting the better of some other unit, and he can more easily do this by scoring off an adversary than by examining the facts to see whether they support him. All nationalist controversy is at the debating-society level. It is always entirely inconclusive, since each contestant invariably believes himself to have won the victory. Some nationalists are not far from schizophrenia, living quite happily amid dreams of power and conquest which have no connexion with the physical world.

I have examined as best as I can the mental habits which are common to all forms of nationalism. The next thing is to classify those forms, but obviously this cannot be done comprehensively. Nationalism is an enormous subject. The world is tormented by innumerable delusions and hatreds which cut across one another in an extremely complex way, and some of the most sinister of them have not yet impinged on the European consciousness. In this essay I am concerned with nationalism as it occurs among the English intelligentsia. In them, much more than in ordinary English people, it is unmixed with patriotism and can therefore can be studied pure. Below are listed the varieties of nationalism now flourishing among English intellectuals, with such comments as seem to be needed. It is convenient to use three headings, Positive, Transferred and Negative, though some varieties will fit into more than one category:

Positive Nationalism

1. Neo-Toryism. Exemplified by such people as Lord Elton, A. P. Herbert, G. M. Young, Professor Pickthorn, by the literature of the Tory Reform Committee, and by such magazines as the New English Review and the Nineteenth Century and After. The real motive force of neo-Toryism, giving it its nationalistic character and differentiating it from ordinary Conservatism, is the desire not to recognize that British power and influence have declined. Even those who are realistic enough to see that Britain’s military position is not what it was, tend to claim that ‘English ideas’ (usually left undefined) must dominate the world. All neo-Tories are anti-Russian, but sometimes the main emphasis is anti-American. The significant thing is that this school of thought seems to be gaining ground among youngish intellectual, sometimes ex-Communists, who have passed through the usual process of disillusionment and become disillusioned with that. The anglophobe who suddenly becomes violently pro-British is a fairly common figure. Writers who illustrate this tendency are F. A. Voigt, Malcolm Muggeridge, Evelyn Waugh, Hugh Kingsmill, and a psychologically similar development can be observed in T. S. Eliot, Wyndham Lewis, and various of their followers.

2. Celtic Nationalism. Welsh, Irish and Scottish nationalism have points of difference but are alike in their anti-English orientation. Members of all three movements have opposed the war while continuing to describe themselves as pro-Russian, and the lunatic fringe has even contrived to be simultaneously pro-Russian and pro-Nazi. But Celtic nationalism is not the same thing as anglophobia. Its motive force is a belief in the past and future greatness of the Celtic peoples, and it has a strong tinge of racialism. The Celt is supposed to be spiritually superior to the Saxon – simpler, more creative, less vulgar, less snobbish, etc. – but the usual power hunger is there under the surface. One symptom of it is the delusion that Eire, Scotland or even Wales could preserve its independence unaided and owes nothing to British protection. Among writers, good examples of this school of thought are Hugh McDiarmid and Sean O’Casey. No modern Irish writer, even of the stature of Yeats or Joyce, is completely free from traces of nationalism.

3. Zionism. This has the unusual characteristics of a nationalist movement, but the American variant of it seems to be more violent and malignant than the British. I classify it under Direct and not Transferred nationalism because it flourishes almost exclusively among the Jews themselves. In England, for several rather incongruous reasons, the intelligentsia are mostly pro-Jew on the Palestine issue, but they do not feel strongly about it. All English people of goodwill are also pro-Jew in the sense of disapproving of Nazi persecution. But any actual nationalistic loyalty, or belief in the innate superiority of Jews, is hardly to be found among Gentiles:

Transferred Nationalism

1. Communism

2. Political Catholicism

3. Colour Feeling. The old-style contemptuous attitude towards ‘natives’ has been much weakened in England, and various pseudo-scientific theories emphasizing the superiority of the white race have been abandoned.[7] Among the intelligentsia, colour feeling only occurs in the transposed form, that is, as a belief in the innate superiority of the coloured races. This is now increasingly common among English intellectuals, probably resulting more often from masochism and sexual frustration than from contact with the Oriental and Negro nationalist movements. Even among those who do not feel strongly on the colour question, snobbery and imitation have a powerful influence. Almost any English intellectual would be scandalized by the claim that the white races are superior to the coloured, whereas the opposite claim would seem to him unexceptionable even if he disagreed with it. Nationalistic attachment to the coloured races is usually mixed up with the belief that their sex lives are superior, and there is a large underground mythology about the sexual prowess of Negroes.

4. Class Feeling. Among upper-class and middle-class intellectuals, only in the transposed form – i.e. as a belief in the superiority of the proletariat. Here again, inside the intelligentsia, the pressure of public opinion is overwhelming. Nationalistic loyalty towards the proletariat, and most vicious theoretical hatred of the bourgeoisie, can and often do co-exist with ordinary snobbishness in everyday life.

5. Pacifism. The majority of pacifists either belong to obscure religious sects or are simply humanitarians who object to the taking of life and prefer not to follow their thoughts beyond that point. But there is a minority of intellectual pacifists whose real though unadmitted motive appears to be hatred of western democracy and admiration of totalitarianism. Pacifist propaganda usually boils down to saying that one side is as bad as the other, but if one looks closely at the writings of younger intellectual pacifists, one finds that they do not by any means express impartial disapproval but are directed almost entirely against Britain and the United States. Moreover they do not as a rule condemn violence as such, but only violence used in defence of the western countries. The Russians, unlike the British, are not blamed for defending themselves by warlike means, and indeed all pacifist propaganda of this type avoids mention of Russia or China. It is not claimed, again, that the Indians should abjure violence in their struggle against the British. Pacifist literature abounds with equivocal remarks which, if they mean anything, appear to mean that statesmen of the type of Hitler are preferable to those of the type of Churchill, and that violence is perhaps excusable if it is violent enough. After the fall of France, the French pacifists, faced by a real choice which their English colleagues have not had to make, mostly went over to the Nazis, and in England there appears to have been some small overlap of membership between the Peace Pledge Union and the Blackshirts. Pacifist writers have written in praise of Carlyle, one of the intellectual fathers of Fascism. All in all it is difficult not to feel that pacifism, as it appears among a section of the intelligentsia, is secretly inspired by an admiration for power and successful cruelty. The mistake was made of pinning this emotion to Hitler, but it could easily be retransferred.

Negative Nationalism

1. Anglophobia. Within the intelligentsia, a derisive and mildly hostile attitude towards Britain is more or less compulsory, but it is an unfaked emotion in many cases. During the war it was manifested in the defeatism of the intelligentsia, which persisted long after it had become clear that the Axis powers could not win. Many people were undisguisedly pleased when Singapore fell or when the British were driven out of Greece, and there was a remarkable unwillingness to believe in good news, e.g. el Alamein, or the number of German planes shot down in the Battle of Britain. English left-wing intellectuals did not, of course, actually want the Germans or Japanese to win the war, but many of them could not help getting a certain kick out of seeing their own country humiliated, and wanted to feel that the final victory would be due to Russia, or perhaps America, and not to Britain. In foreign politics many intellectuals follow the principle that any faction backed by Britain must be in the wrong. As a result, ‘enlightened’ opinion is quite largely a mirror-image of Conservative policy. Anglophobia is always liable to reversal, hence that fairly common spectacle, the pacifist of one war who is a bellicist in the next.

2. Anti-Semitism. There is little evidence about this at present, because the Nazi persecutions have made it necessary for any thinking person to side with the Jews against their oppressors. Anyone educated enough to have heard the word ‘antisemitism’ claims as a matter of course to be free of it, and anti-Jewish remarks are carefully eliminated from all classes of literature. Actually, antisemitism appears to be widespread, even among intellectuals, and the general conspiracy of silence probably helps exacerbate it. People of Left opinions are not immune to it, and their attitude is sometimes affected by the fact that Trotskyists and Anarchists tend to be Jews. But antisemitism comes more naturally to people of Conservative tendency, who suspect Jews of weakening national morale and diluting the national culture. Neo-Tories and political Catholics are always liable to succumb to antisemitism, at least intermittently.

3. Trotskyism. This word is used so loosely as to include Anarchists, democratic Socialists and even Liberals. I use it here to mean a doctrinaire Marxist whose main motive is hostility to the Stalin régime. Trotskyism can be better studied in obscure pamphlets or in papers like the Socialist Appeal than in the works of Trotsky himself, who was by no means a man of one idea. Although in some places, for instance in the United States, Trotskyism is able to attract a fairly large number of adherents and develop into an organized movement with a petty fuehrer of its own, its inspiration is essentially negative. The Trotskyist is against Stalin just as the Communist is for him, and, like the majority of Communists, he wants not so much to alter the external world as to feel that the battle for prestige is going in his own favour. In each case there is the same obsessive fixation on a single subject, the same inability to form a genuinely rational opinion based on probabilities. The fact that Trotskyists are everywhere a persecuted minority, and that the accusation usually made against them, i.e. of collaborating with the Fascists, is absolutely false, creates an impression that Trotskyism is intellectually and morally superior to Communism; but it is doubtful whether there is much difference. The most typical Trotskyists, in any case, are ex-Communists, and no one arrives at Trotskyism except via one of the left-wing movements. No Communist, unless tethered to his party by years of habit, is secure against a sudden lapse into Trotskyism. The opposite process does not seem to happen equally often, though there is no clear reason why it should not.

In the classification I have attempted above, it will seem that I have often exaggerated, oversimplified, made unwarranted assumptions and have left out of account the existence of ordinarily decent motives. This was inevitable, because in this essay I am trying to isolate and identify tendencies which exist in all our minds and pervert our thinking, without necessarily occurring in a pure state or operating continuously. It is important at this point to correct the over-simplified picture which I have been obliged to make. To begin with, one has no right to assume that everyone, or even every intellectual, is infected by nationalism. Secondly, nationalism can be intermittent and limited. An intelligent man may half-succumb to a belief which attracts him but which he knows to be absurd, and he may keep it out of his mind for long periods, only reverting to it in moments of anger or sentimentality, or when he is certain that no important issues are involved. Thirdly, a nationalistic creed may be adopted in good faith from non-nationalistic motives. Fourthly, several kinds of nationalism, even kinds that cancel out, can co-exist in the same person.

All the way through I have said, ‘the nationalist does this’ or ‘the nationalist does that’, using for purposes of illustration the extreme, barely sane type of nationalist who has no neutral areas in his mind and no interest in anything except the struggle for power. Actually such people are fairly common, but they are not worth the powder and shot. In real life Lord Elton, D. N. Pritt, Lady Houston, Ezra Pound, Lord Vanisttart, Father Coughlin and all the rest of their dreary tribe have to be fought against, but their intellectual deficiencies hardly need pointing out. Monomania is not interesting, and the fact that no nationalist of the more bigoted kind can write a book which still seems worth reading after a lapse of years has a certain deodorizing effect. But when one has admitted that nationalism has not triumphed everywhere, that there are still people whose judgements are not at the mercy of their desires, the fact does remain that the pressing problems – India, Poland, Palestine, the Spanish Civil War, the Moscow trials, the American Negroes, the Russo-German Pact or what have you – cannot be, or at least never are, discussed upon a reasonable level. The Eltons and Pritts and Coughlins, each of them simply an enormous mouth bellowing the same lie over and over again, are obviously extreme cases, but we deceive ourselves if we do not realize that we can all resemble them in unguarded moments. Let a certain note be struck, let this or that corn be trodden on – and it may be a corn whose very existence has been unsuspected hitherto — and the most fair-minded and sweet-tempered person may suddenly be transformed into a vicious partisan, anxious only to ‘score’ over his adversary and indifferent as to how many lies he tells or how many logical errors he commits in doing so. When Lloyd George, who was an opponent of the Boer War, announced in the House of Commons that the British communiqués, if one added them together, claimed the killing of more Boers than the whole Boer nation contained, it is recorded that Arthur Balfour rose to his feet and shouted ‘Cad!’ Very few people are proof against lapses of this type. The Negro snubbed by a white woman, the Englishman who hears England ignorantly criticized by an American, the Catholic apologist reminded of the Spanish Armada, will all react in much the same way. One prod to the nerve of nationalism, and the intellectual decencies can vanish, the past can be altered, and the plainest facts can be denied.

If one harbours anywhere in one’s mind a nationalistic loyalty or hatred, certain facts, although in a sense known to be true, are inadmissible. Here are just a few examples. I list below five types of nationalist, and against each I append a fact which it is impossible for that type of nationalist to accept, even in his secret thoughts:

British Tory: Britain will come out of this war with reduced power and prestige.

Communist: If she had not been aided by Britain and America, Russia would have been defeated by Germany.

Irish Nationalist: Eire can only remain independent because of British protection.

Trotskyist: The Stalin régime is accepted by the Russian masses.

Pacifist: Those who ‘abjure’ violence can only do so because others are committing violence on their behalf.

All of these facts are grossly obvious if one’s emotions do not happen to be involved: but to the kind of person named in each case they are also intolerable, and so they have to be denied, and false theories constructed upon their denial. I come back to the astonishing failure of military prediction in the present war. It is, I think, true to say that the intelligentsia have been more wrong about the progress of the war than the common people, and that they were more swayed by partisan feelings. The average intellectual of the Left believed, for instance, that the war was lost in 1940, that the Germans were bound to overrun Egypt in 1942, that the Japanese would never be driven out of the lands they had conquered, and that the Anglo-American bombing offensive was making no impression on Germany. He could believe these things because his hatred for the British ruling class forbade him to admit that British plans could succeed. There is no limit to the follies that can be swallowed if one is under the influence of feelings of this kind. I have heard it confidently stated, for instance, that the American troops had been brought to Europe not to fight the Germans but to crush an English revolution. One has to belong to the intelligentsia to believe things like that: no ordinary man could be such a fool. When Hitler invaded Russia, the officials of the M.O.I. issued ‘as background’ a warning that Russia might be expected to collapse in six weeks. On the other hand the Communists regarded every phase of the war as a Russian victory, even when the Russians were driven back almost to the Caspian Sea and had lost several million prisoners. There is no need to multiply instances. The point is that as soon as fear, hatred, jealousy and power worship are involved, the sense of reality becomes unhinged. And, as I have pointed out already, the sense of right and wrong becomes unhinged also. There is no crime, absolutely none, that cannot be condoned when ‘our’ side commits it. Even if one does not deny that the crime has happened, even if one knows that it is exactly the same crime as one has condemned in some other case, even if one admits in an intellectual sense that it is unjustified – still one cannot feel that it is wrong. Loyalty is involved, and so pity ceases to function.

The reason for the rise and spread of nationalism is far too big a question to be raised here. It is enough to say that, in the forms in which it appears among English intellectuals, it is a distorted reflection of the frightful battles actually happening in the external world, and that its worst follies have been made possible by the breakdown of patriotism and religious belief. If one follows up this train of thought, one is in danger of being led into a species of Conservatism, or into political quietism. It can be plausibly argued, for instance – it is even probably true – that patriotism is an inoculation against nationalism, that monarchy is a guard against dictatorship, and that organized religion is a guard against superstition. Or again, it can be argued that no unbiased outlook is possible, that all creeds and causes involve the same lies, follies, and barbarities; and this is often advanced as a reason for keeping out of politics altogether. I do not accept this argument, if only because in the modern world no one describable as an intellectual can keep out of politics in the sense of not caring about them. I think one must engage in politics – using the word in a wide sense – and that one must have preferences: that is, one must recognize that some causes are objectively better than others, even if they are advanced by equally bad means. As for the nationalistic loves and hatreds that I have spoken of, they are part of the make-up of most of us, whether we like it or not. Whether it is possible to get rid of them I do not know, but I do believe that it is possible to struggle against them, and that this is essentially a moral effort. It is a question first of all of discovering what one really is, what one’s own feelings really are, and then of making allowance for the inevitable bias. If you hate and fear Russia, if you are jealous of the wealth and power of America, if you despise Jews, if you have a sentiment of inferiority towards the British ruling class, you cannot get rid of those feelings simply by taking thought. But you can at least recognize that you have them, and prevent them from contaminating your mental processes. The emotional urges which are inescapable, and are perhaps even necessary to political action, should be able to exist side by side with an acceptance of reality. But this, I repeat, needs a moral effort, and contemporary English literature, so far as it is alive at all to the major issues of our time, shows how few of us are prepared to make it.

Author’s Notes

[1] Nations, and even vaguer entities such as the Catholic Church or the proleteriat, are commonly thought of as individuals and often referred to as ‘she’. Patently absurd remarks such as ‘Germany is naturally treacherous’ are to be found in any newspaper one opens, and reckless generalizations about national character (‘The Spaniard is a natural aristocrat’ or ‘Every Englishman is a hypocrite’) are uttered by almost everyone. Intermittently these generalizations are seen to be unfounded, but the habit of making them persists, and people of professedly international outlook, e.g. Tolstoy or Bernard Shaw, are often guilty of them.

[2] A few writers of conservative tendency, such as Peter Drucker, foretold an agreement between Germany and Russia, but they expected an actual alliance or amalgamation which would be permanent. No Marxist or other left-wing writer, of whatever colour, came anywhere near foretelling the Pact.
[3] The military commentators of the popular press can mostly be classified as pro-Russian or anti-Russian, pro-Blimp or anti-Blimp. Such errors as believing the Maginot Line impregnable, or predicting that Russia would conquer Germany in three months, have failed to shake their reputation, because they were always saying what their own particular audience wanted to hear. The two military critics most favoured by the intelligentsia are Captain Liddell Hart and Major-General Fuller, the first of whom teaches that the defence is stronger that the attack, and the second that the attack is stronger that the defence. This contradiction has not prevented both of them from being accepted as authorities by the same public. The secret reason for their vogue in left-wing circles is that both of them are at odds with the War Office.
[4] Certain Americans have expressed dissatisfaction because ‘Anglo-American’ is the normal form of combination for these two words. It has been proposed to substitute ‘Americo-British’.
[5] The News Chronicle advised its readers to visit the news film at which the entire execution could be witnessed, with close-ups. The Star published with seeming approval photographs of nearly naked female collaborationists being baited by the Paris mob. These photographs had a marked resemblance to the Nazi photographs of Jews being baited by the Berlin mob.
[6] An example is the Russo-German Pact, which is being effaced as quickly as possible from public memory. A Russian correspondent informs me that mention of the Pact is already being omitted from Russian year-books which table recent political events.
[7] A good example is the sunstroke superstition. Until recently it was believed that the white races were much more liable to sunstroke than the coloured, and that a white man could not safely walk about in tropical sunshine without a pith helmet. There was no evidence whatever for this theory, but it served the purpose of accentuating the difference between ‘natives’ and Europeans. During the present war the theory was quietly dropped and whole armies manoeuvre in the tropics without pith helmets. So long as the sunstroke superstition survived, English doctors in India appear to have believed in it as firmly as laymen.

 


1984/62e: Quand Orwell dégonflait la baudruche Sartre (Let the French keep the word, we’ll be content with the thing)

10 juin, 2011
 Si j’existe dans la littérature russe, je ne le dois qu’à la police de Saint-Pétersbourg. Evgueni Zamiatine 
All these clever men were prophesying with every variety of ingenuity what would happen soon, and they all did it in the same way, by taking something they saw ‘going strong,’ as the saying is, and carrying it as far as ever their imagination could stretch. This, they said, was the true and simple way of anticipating the future. (…) What will London be like a century hence? Is there anything we have not thought of? Houses upside down…more hygienic, perhaps? Men walking on hands…make feet flexible, don’t you know? Moon… motor-cars… no heads… And so they swayed and wondered until they died and were buried nicely. Then the people went and did what they liked. Let me no longer conceal the painful truth. The people had cheated the prophets of the twentieth century. When the curtain goes up on this story, eighty years after the present date, London is almost exactly like what it is now. Chesterton
If you look back twenty years, you will find people like Ronald Knox, Cyril Alington, Chesterton himself and his many followers, talking as though such things as Socialism, Industrialism, the theory of evolution, psycho-therapy, universal compulsory education, radio, aeroplanes and what-not could be simply laughed out of existence. George Orwell
George Orwell n’imaginait probablement pas que ce qu’il écrivait finirait par être la réalité de la Chine. Etudiant pékinois (décembre 2010)
La liberté, c’est la liberté de dire que deux et deux font quatre. Lorsque cela est accordé, le reste suit. George Orwell (1984)
Il est des idées d’une telle absurdité que seuls les intellectuels peuvent y croire. George Orwell
Les intellectuels sont portés au totalitarisme bien plus que les gens ordinaires. George Orwell
Je pense que Sartre est une baudruche et je vais lui donner un bon coup de pied. George Orwell (Lettre privée)
J’en veux, ce matin, au juge américain qui, en le livrant à la foule des chasseurs d’images qui attendaient devant le commissariat de Harlem, a fait semblant de penser qu’il était un justiciable comme un autre. J’en veux à un système judiciaire que l’on appelle pudiquement « accusatoire » pour dire que n’importe quel quidam peut venir accuser n’importe quel autre de n’importe quel crime – ce sera à l’accusé de démontrer que l’accusation était mensongère, sans fondement. (…) J’en veux, en France, à tous ceux qui se sont jetés sur l’occasion pour régler leurs comptes ou faire avancer leurs petites affaires. BHL
 On peut donc postuler un caractère totalitaire de l’utopie, corollaire quasi nécessaire — si on la pense comme une forme de postulat de réalité — à la construction d’un système clos, auto-référentiel et ahistorique. L’exacerbation de ce trait particulier, alimenté par l’histoire même de la première tranche de notre siècle, produira trois dystopies marquantes: Nous autres (1924) d’Evgeny Zamyatine, Le meilleur des mondes (1932) d’Aldous Huxley et 1984 (1949) de George Orwell. (…) En tant que récit, 1984 procède à la critique radicale du discours utopique, romanesque ou autre, et tend à montrer, comme le mentionne Bozzetto, notre champ référentiel, notre réalité, comme l’ »utopie de la dystopie ». Cependant, loin d’inciter le lecteur à la complaisance, le récit d’Orwell l’invite à réfléchir sur les utopies fondatrices de la culture occidentale, des systèmes économiques, sur le régime d’exercice du pouvoir en vigueur de nos jours, sur la relation entre contrôle, technologie et communication. Plus largement, les façons d’envisager le complexe et le problématique sont également mises en cause. Les problèmes, semble-t-il, sont souvent préférables aux solutions. Yves Breton
 Le colonialisme, c’est la première expérience politique d’Orwell, celle qui va le conduire à remettre en cause toute son éducation et sa vision du monde d’un fils de haut fonctionnaire anglais. Cette notion d’expérience vécue est très importante pour comprendre Orwell, qui présente la particularité de ne pas être un écrivain théorique. Toute la pensée politique d’Orwell s’appuie toujours sur des expériences personnelles, et il considère que tout engagement politique doit être relié à des expériences de ce genre. Une conséquence de cela, c’est qu’Orwell n’est pas un écrivain « chic » ou un virtuose du concept, ce qui explique sans doute en partie les difficultés de réception de son œuvre dans un pays comme la France. (…) Orwell a toujours manifesté un certain scepticisme à l’égard de l’idée d’internationale prolétarienne, ou, plus exactement, à l’égard des effets politiques d’une telle idée, dont il a pu apprécier les limites au moment de la révolution espagnole. (…) Partant d’une position plutôt pacifiste, Orwell va, de son côté, adresser des critiques de plus en plus virulentes à l’égard de ceux dont il considère qu’ils refusent de regarder en face le danger hitlérien au nom de leurs convictions idéologiques ou de leur opportunisme politique…(…) Mais ce qui va le faire vraiment basculer, c’est la signature du pacte germano-soviétique. Dès lors, toutes les prises de positions pacifistes seront constamment dénoncées pour leur manque de réalisme. (…) ce rejet de la théorie est probablement un handicap en ce qui concerne la réception et la compréhension de son œuvre, en particulier dans un pays comme la France, où on est plus habitué à identifier les auteurs à partir de leurs options théoriques. Mais Orwell est, en tant que penseur politique, un auteur très discuté aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, où il intéresse aussi bien les philosophes que les historiens – ce qui n’est pas le cas en France.
À l’époque, et notamment aux États-Unis, on lit ce texte comme un pamphlet anti-stalinien et un roman désenchanté sur les dérives inéluctables de la révolution. Or, il est tout à fait intéressant de voir qu’Orwell conteste très explicitement cette lecture, qui est encore largement répandue aujourd’hui. Le propos du livre, précise-t-il, consiste avant tout à mettre en lumière ce fait inattendu que les idées totalitaires naissent très souvent chez des intellectuels. 1984, c’est, au fond, le rêve secret des intellectuels de gauche britanniques !… (…) Quand on pense à 1984,  on pense d’abord à Big Brother, au télécran, aux procédures de contrôle – et c’est, bien entendu, parfaitement légitime. Mais le cœur du livre, ce sont avant tout les mécanismes intellectuels à l’œuvre dans ces procédures. (…) Bref, le totalitarisme, selon Orwell, ce n’est pas seulement la police et le contrôle, c’est d’abord l’ambition de former les consciences et de façonner les corps. Et ce fantasme est bien, selon lui, un fantasme d’intellectuel. (…) Ceux que dénonce Orwell, ce sont les intellectuels cyniques ou ceux qu’on appelle les « compagnons de route », tous ceux qui, par fascination du pouvoir, trahissent leur fonction consistant d’abord à réfléchir à partir des faits qu’on a sous les yeux. (…) Si Winston s’accroche à des vérités apparemment insignifiantes comme « 2+2=4 » ou « L’eau est mouillée », c’est parce que le totalitarisme vise justement à couper les individus de cette expérience ordinaire, de ce qu’on peut vérifier par soi-même, et qui constitue le socle de notre rapport au monde et aux autres. Ce que visent les mécanismes totalitaires, c’est l’introduction d’un écran de mots et d’images entre les individus et cette expérience du sens commun. Et il s’agit bien là d’un projet qui mobilise des intellectuels. (…) C’est aussi pourquoi je pense qu’on a tort de rabattre le propos de 1984 sur celui tenu, par exemple, par Huxley dans Le Meilleur des mondes, où il s’agit essentiellement d’une dénonciation des risques que nous font courir le progrès des technologies. Il me semble que ce que dit Orwell, c’est que les progrès technologiques ne suffisent pas pour établir un régime policier. Un tel régime suppose aussi certains mécanismes qui sont très souvent pensés et voulus par des intellectuels. (…) Parce qu’en traitant les faits de manière désinvolte on supprime toute forme d’expérience personnelle sur laquelle s’appuyer ; et on laisse alors libre cours aux purs rapports de forces et de langage, ce qui est l’assurance de voir les plus puissants et les plus habiles triompher au détriment de tous les autres. Jean-Jacques Rosat
Ce que Collini appelle la “thèse de l’absence” voudrait que contrairement aux Français, aux Polonais ou aux Autrichiens, nous n’ayons pas d’intellectuels. Les intellectuels commencent à Calais. “Intellectuel britannique” serait un oxymore, une contradiction dans les termes, au même titre que “bombe intelligente”. L’anglais parlé regorge d’épithètes un peu péjoratives ou moqueuses : egghead [tête d’œuf], highbrow [grosse tête], boffin [expert], telly don [intello médiatique]. Le qualificatif “soi-disant” accompagne le mot “intellectuel” comme un garde du corps. Les guillemets d’ironie ne sont jamais bien loin.(…) Quand les intellectuels britanniques décrient ou rejettent le terme d’intellectuel, ils ne font parfois qu’exprimer l’aversion de l’empirisme britannique pour certaines formes de théorisation plus abstraite, chères à l’Europe continentale. C’est un peu ce que voulait dire George Orwell, quand, dans une correspondance privée, il qualifiait Jean-Paul Sartre de “baudruche”. (…) Mais les faits sont là, et invoquer “les faits” est bien sûr un trope classique d’intellectuel anglais : la Grande-Bretagne a aujourd’hui l’une des cultures intellectuelles les plus riches d’Europe. Ici bien plus qu’en France, patrie des intellectuels**, les idées, la politique, les livres font naître des débats authentiques, solides, créatifs, touchant un large public. La rive sud de la Tamise est moins élégante, mais plus vivante intellectuellement que la rive gauche de la Seine. (…) Laissons le mot aux Français, nous nous contenterons de la chose. Timothy Garton Ash

A quand une fonction de reconnaissance automatique de muflerie ou d’imposture intellectuelle sur Facebook ou Google?

En ce 62e anniversaire (le 8 juin en fait, le 13 aux EU) de la sortie, en pleine guerre froide, du roman d’anticipation du britannique George Orwell (1984) …

Qui, après les dissidents soviétiques Zamiatine ou Ayn Rand et fort de son expérience  du communisme lors de la Guerre d’Espagne et pendant que ses petits camarades de Cambridge trahissaient sans le moindre srcupule leur propre patrie, décrivait en fait, dans cette version noire du Meilleur des mondes de Huxley et derrière une société totalitaire sous le regard du Grand Frère omniprésent stalinien,  le rêve secret de l’intelligentsia occidentale de l’époque

En  ces temps où, à l’instar de l’élu démocrate de New York Anthony Weiner, chacun peut mesurer les risques des possibilités chaque jour un peu plus poussées de nos réseaux dits sociaux (révélations forcées de l’identité d’usagers, injonctions) ou de nos commerçants en ligne (effacement à distance, par Amazon il y a deux ans pour des raisons de droits, de centaines de versions numériques achetées légalement de notamment La Ferme des Animaux et de 1984) …

Et où, sur fond de novlangue politiquement correcte devant le premier « printemps arabe » venu, certains se réjouissent déjà bruyamment de la désoccidentalisation du monde

Pendant que suite aux frasques de nos puissants, nos BHL nationaux  se sont à nouveau surpassés pour rappeler à la planète entière  les sommets de muflerie que peuvent atteindre nos intellectuels  …

Retour, avec l’historien et politologue britannique Tymothy  Garton Ash, sur le souci quasi-viscéral de l’expérience ordinaire, des faits et du réel des meilleurs de ses compatriotes  à la Orwell contre  l’abstraite théorisation de nos imposteurs à la Sartre ou à la BHL …

QU’EST-CE QU’UN INTELLECTUEL ?

La pensée, une manie française

Les Britanniques détestent passer pour des intellectuels et se moquent volontiers des beaux parleurs français. La culture du débat est pourtant bien plus vivante à Londres qu’à Paris, juge l’historien et politologue anglais Timothy Garton Ash.

The Guardian

traduit par Courrier international

24.05.2006

La personne assise à côté de vous est-elle un(e) intellectuel(le) ? Et vous-même ? Ou bien fuyez-vous cette étiquette comme la peste ? L’autre soir, j’ai demandé à un commentateur qui est à mes yeux le type même de l’intellectuel britannique s’il se considérait comme tel. J’ai vu passer une lueur d’inquiétude derrière ses lunettes, puis il m’a répondu : “Non, jamais de la vie !” Et pourquoi pas ? “Parce que j’ai peur d’être atteint du syndrome de l’imposteur.”

Dans son excellent livre Absent Minds : Intellectuals in Britain* [Esprits absents : les intellectuels en Grande-Bretagne], l’historien des intellectuels Stefan Collini retrace cette longue tradition britannique de déni. Des gens qui, dans d’autres pays, seraient qualifiés d’intellectuels refusent de reconnaître qu’ils le sont. Ce que Collini appelle la “thèse de l’absence” voudrait que, contrairement aux Français, aux Polonais ou aux Autrichiens, nous n’ayons pas d’intellectuels. Les intellectuels commencent à Calais. “Intellectuel britannique” serait un oxymore, une contradiction dans les termes, au même titre que “bombe intelligente”. L’anglais parlé regorge d’épithètes un peu péjoratives ou moqueuses : egghead [tête d’œuf], highbrow [grosse tête], boffin [expert], telly don [intello médiatique]. Le qualificatif “soi-disant” accompagne le mot “intellectuel” comme un garde du corps. Les guillemets d’ironie ne sont jamais bien loin.

Collini affirme à juste titre que nous nous faisons des idées fausses sur nous-mêmes. A cet égard, comme à bien d’autres, nous sommes moins exceptionnels et plus européens que nous ne voulons bien l’admettre. Mais que cela signifie-t-il d’être un intellectuel ? Collini distingue trois sens différents. Premièrement, le sens subjectif, personnel : quelqu’un qui lit beaucoup, s’intéresse aux idées, s’adonne à la vie de l’esprit. C’est ce qu’on a en tête lorsqu’on dit d’un ami ou d’un parent qu’il est “un peu intello”. (Généralement, c’est dit sans méchanceté, cela désigne une marotte, un passe-temps inoffensif.) Vient ensuite l’acception sociologique : l’intelligentsia en tant que classe, ce qui peut s’appliquer à tous les diplômés de l’université. Mais cet emploi sociologique n’a jamais vraiment pris en Grande-Bretagne, contrairement à ce qu’il en est en Europe centrale et orientale, où il s’inscrit dans la grille de lecture courante. Enfin, et c’est l’aspect le plus important, le terme d’intellectuel recouvre un rôle culturel, que Collini tente de définir très précisément. Dans ce sens, un intellectuel est d’abord quelqu’un qui a atteint un certain niveau de création, d’analyse ou de recherche, puis qui se sert des médias et autres canaux d’expression pour intervenir sur des sujets qui intéressent un large public, aux yeux duquel il devient une référence – ou du moins une figure, une voix reconnue. La définition que j’avais tenté de donner il y a quelques années lors d’un débat avec des intellectuels tchèques n’en était pas très éloignée : “Un intellectuel est un penseur ou un écrivain qui intervient dans le débat public sur des sujets politiques, au sens le plus large du terme, tout en s’abstenant délibérément de rechercher le pouvoir.” Pour moi, ce dernier critère est très important, même s’il est rejeté par des intellectuels comme Václav Havel, qui se sont lancés dans la politique avec un grand P.

Depuis les années 1980, nous désignons ces personnes sous l’appellation d’“intellectuels publics”, une expression qui nous vient des Etats-Unis. Mais, si l’on entend par “intellectuel” quelqu’un qui joue le rôle décrit plus haut, alors, “intellectuel public” est un pléonasme et “intellectuel privé” un oxymore. Quelqu’un qui vit en ermite ou en reclus peut être “un peu intello”, mais la participation au débat public est le trait caractéristique de l’intellectuel au sens culturel. Le fait que l’on puisse toucher un large public seulement après sa mort vient encore compliquer les choses. Seules onze personnes ont assisté aux obsèques de Karl Marx, ce qui ne l’a pas empêché de devenir l’un des intellectuels politiques les plus influents de tous les temps. Il y a, pour ainsi dire, des publics posthumes.

Quand les intellectuels britanniques décrient ou rejettent le terme d’intellectuel, ils ne font parfois qu’exprimer l’aversion de l’empirisme britannique pour certaines formes de théorisation plus abstraite, chères à l’Europe continentale. C’est un peu ce que voulait dire George Orwell, quand, dans une correspondance privée, il qualifiait Jean-Paul Sartre de “baudruche”. Comme le dit le poète James Fenton dans son Manila Manifesto, “nous disons à la France : Aut tace aut loquere meliora silentio – si tu n’as rien d’intéressant à dire, tais-toi.” “Où est la substance ?” se demandent les Anglo-Saxons à propos de Jacques Derrida, Louis Althusser ou Martin Heidegger. Mais ce n’est là que le choc de différentes traditions intellectuelles. Et puis, généralement, plus on est à droite sur l’échiquier politique britannique, plus on est suspicieux vis-à-vis des intellectuels. Les communistes britanniques étaient heureux d’avoir leurs “intellectuels du Parti” (ce qui explique l’hostilité d’Orwell à cette étiquette), tandis que l’historien et journaliste conservateur Paul Johnson, grand intellectuel s’il en fut, a consacré un livre entier à dire tout le mal qu’il pensait des intellectuels.

Mais les faits sont là, et invoquer “les faits” est bien sûr un trope classique d’intellectuel anglais : la Grande-Bretagne a aujourd’hui l’une des cultures intellectuelles les plus riches d’Europe. Ici bien plus qu’en France, patrie des intellectuels**, les idées, la politique, les livres font naître des débats authentiques, solides, créatifs, touchant un large public. La rive sud de la Tamise est moins élégante, mais plus vivante intellectuellement que la rive gauche de la Seine.

Aucun autre pays du monde, à part les Etats-Unis, ne compte autant de think tanks. Il ne se passe pas un mois sans qu’il y ait un nouveau festival littéraire où les gens font la queue pour écouter une cohorte d’eggheads et de boffins. Nous avons les meilleures universités d’Europe, et certains professeurs britanniques se débrouillent pour échapper aux griffes quasi soviétiques de l’horrible Research Assessment Exercise [Programme d’évaluation national de la recherche] et autres cauchemars bureaucratiques pour partager leur savoir avec un large public. Nous avons la BBC, et notamment BBC Radio, pour les y aider. En présentant ses projets pour l’avenir de la BBC à la mi-avril, son directeur général, Mark Thompson, a réaffirmé son engagement en faveur du troisième des grands principes de lord Reith [le premier directeur de la BBC] – “instruire” (les deux premiers étant “informer” et “divertir”).

Nous avons des maisons d’édition commerciales qui parviennent à faire découvrir des œuvres sérieuses à un vaste lectorat. (La situation de nos librairies n’est guère réjouissante, mais heureusement on peut toujours se rabattre sur le site d’Amazon.) Nous avons des revues intellectuelles de premier ordre : Prospect, The Times Literary Supplement, The Guardian Review, The London Review of Books, OpenDemocracy, et j’en passe. Grâce à l’anglais et à l’intensité des échanges culturels transatlantiques, nous sommes également en prise directe avec les grands débats qui ont lieu non seulement aux Etats-Unis mais dans l’ensemble du monde anglophone. Internet et la blogosphère offrent des possibilités extraordinaires à toute personne pensante qui veut faire ses premiers pas d’intellectuel (public). Si l’on a quelque chose d’intéressant à dire, on rencontrera toujours son public – et pas seulement un public britannique, mais mondial.

En somme, les intellectuels britanniques ne se sont jamais aussi bien portés. Alors, qu’importe qu’ils continuent à nier leur propre existence ? C’est peut-être même un garde-fou utile contre cette suffisance que l’on trouve parfois chez les intellectuels d’Europe continentale – contre la tentation de devenir un Bernard-Henri Lévy, pour ainsi dire. Laissons le mot aux Français, nous nous contenterons de la chose.

* Ed. Oxford University Press, 2006.

** En français dans le texte

Politique et littérature (1)

Agone

jeudi 8 avril 2010

Changement-socialImpérialismeLittératureOrwell-GeorgePacifisme

À propos de l’édition en France de George Orwell

À l’occasion de la parution des Écrits Politiques de George Orwell, cet entretien revient sur la manière dont Jean-Jacques Rosat a engagé une réflexion sur les relations entre expérience politique et littérature à partir de l’œuvre de l’auteur de 1984.

Après avoir édité, en 2006, La Politique selon Orwell de John Newsinger, puis les chroniques À ma guise (en 2008), les éditions Agone récidivent cette année avec un ensemble de textes inédits en français sous le titre Écrits Politiques. Peux-tu nous dire deux mots sur ce qui motive ce projet éditorial ?

En ce qui concerne Orwell, notre but est double. Il s’agit d’abord de rendre accessibles en français un certain nombre de textes qui ne l’étaient pas encore, c’est-à-dire de poursuivre et de compléter tout le travail déjà effectué par les éditions Champ Libre (aujourd’hui Ivréa). C’est essentiellement cet éditeur qui a permis, à partir des années 1980, de faire découvrir au public français les récits et témoignages d’Orwell comme Le Quai de Wigan ou Hommage à la Catalogne. Jusqu’alors, seuls 1984 et La Ferme des animaux étaient connus, et tout leur travail éditorial, notamment la publication des Essais, articles et lettres en quatre volumes, a permis de faire découvrir la richesse et le niveau de la réflexion politique d’Orwell – jusqu’alors étiqueté de manière un peu réductrice comme « romancier anti-totalitaire ». Notre projet éditorial se situe dans cette continuité, et c’est ce qui a motivé la publication de l’intégralité des chroniques À ma guise dans Tribune, le journal de la gauche du parti travailliste de l’époque, entre 1943 et 1947, ainsi qu’une quarantaine de textes inédits en français et, pour certains, écartés de l’édition des Essais… par la veuve d’Orwell, qui ne les trouvait pas assez « chics » ou politiquement trop militants… L’intérêt de ces écrits, c’est qu’ils permettent de se faire une idée beaucoup plus précise de la trajectoire politique d’Orwell, depuis les premiers textes publiés dans la revue de Barbusse en 1928, jusqu’aux correspondances, dans lesquelles Orwell revient sur le sens de 1984.

Ce qui m’amène à notre deuxième objectif, à savoir contribuer à faire découvrir Orwell comme un classique de la pensée politique du XXe siècle, au même titre qu’un Gramsci ou qu’une Hanna Arendt. Pour donner à ses écrits toute leur dimension, il faut d’abord un vrai travail de contextualisation, ce que nous avons essayé de faire, sous la forme de notes, de glossaires, d’un rappel des circonstances historiques de leurs publications, tout ceci nécessitant de revisiter, au passage, l’histoire politique anglaise assez largement méconnue. Cela requiert, ensuite, un travail de caractérisation de la place d’Orwell en tant que penseur et militant politique. Le livre de Newsinger permet ainsi de comprendre les liens très étroits qu’Orwell entretenait avec les milieux de la gauche radicale, qu’il s’agisse de l’ILP britannique, du POUM espagnol, des anciens communistes exilés en Grande Bretagne qui composaient la majeure partie de la rédaction d’un journal comme Tribune, mais aussi avec ce qu’il est convenu d’appeler appelle le « trotskisme littéraire » américain, c’est-à-dire notamment Partisan Review[1]. Il permet également de comprendre le soutien sans ambiguïté qu’il apporte au gouvernement travailliste en 1945 – ce dernier, faut-il le rappeler, n’ayant pas grand-chose en commun avec le New Labour que nous connaissons aujourd’hui. Au fond, Orwell se situe à la croisée de la gauche du parti travailliste et des socialistes révolutionnaires. Le tout, sans aucune forme de sectarisme ; ce qui le conduit par exemple à créer, en 1945, un comité de soutien aux prisonniers politiques du monde entier avec des militants anarchistes. L’intérêt de toutes ces connexions politiques, c’est qu’elles apportent évidemment un éclairage nouveau sur les œuvres littéraires d’Orwell et sur le sens de sa critique du totalitarisme.

Dans les Écrits Politiques, les textes retenus balaient toute un série de thèmes peu connus, depuis la critique du colonialisme, en passant par les débats sur le pacifisme de l’entre-deux-guerres, jusqu’à ses réflexions sur le patriotisme révolutionnaire et sur la critique des intellectuels. À travers tous ces thèmes se dessine une conception très originale du socialisme, ainsi qu’une analyse aïgue du rôle néfaste exercé par certains intellectuels sur le mouvement ouvrier révolutionnaire. C’est à partir de ces deux positions, spécifiquement « orweliennes », que prennent sens les textes de 1984 ou de La Ferme des animaux. J’aimerais que tu nous parles de ces thématiques et du rôle qu’elles jouent dans la trajectoire d’Orwell.

Un des textes qui ouvrent le recueil porte sur le colonialisme, plus précisément sur l’exploitation des populations birmanes par les Britanniques. Pourquoi ? Parce que le colonialisme, c’est la première expérience politique d’Orwell, celle qui va le conduire à remettre en cause toute son éducation et sa vision du monde d’un fils de haut fonctionnaire anglais. Cette notion d’expérience vécue est très importante pour comprendre Orwell, qui présente la particularité de ne pas être un écrivain théorique. Toute la pensée politique d’Orwell s’appuie toujours sur des expériences personnelles, et il considère que tout engagement politique doit être relié à des expériences de ce genre. Une conséquence de cela, c’est qu’Orwell n’est pas un écrivain « chic » ou un virtuose du concept, ce qui explique sans doute en partie les difficultés de réception de son œuvre dans un pays comme la France.

Pour revenir à l’expérience coloniale, il faut rappeler le contexte : Orwell est issu d’une famille colonialiste et, après ses études effectuées dans la prestigieuse public school d’Eton, il se destine d’abord à une carrière de policier en Birmanie. Il a alors une vingtaine d’années. Cinq ans plus tard, il quitte la Birmanie profondément écœuré par le système colonial, qu’il considère désormais comme un système pourrissant absolument tous les rapports humains, qu’il s’agisse, bien entendu, des rapports entre colons et colonisés, mais aussi des rapports entre les colons eux-mêmes. C’est cette expérience qui est racontée dans Une histoire birmane. Elle va jouer un rôle déclencheur chez Orwell, car c’est à partir de là qu’il décide de partager l’existence des vagabonds dans les capitales européennes, ce qui donnera lieu à Dans la dèche à Paris et à Londres.

Pour lui, l’expérience coloniale, c’est d’abord l’expérience de la violence. Orwell la résume par une formule sur laquelle il n’est jamais revenu : « L’un maintient l’indigène à terre pendant que l’autre lui fait les poches.[2] » Il n’y a qu’une solution pour sortir de ce système : l’indépendance des colonies. Ce programme d’indépendance est aussi assumé, de manière plus ou moins verbale, par la gauche anglaise. Mais ce que critique Orwell, c’est justement ce verbalisme, dans la mesure où aucun représentant travailliste ne prend le risque d’expliquer vraiment quelles seraient les conséquences exactes d’une telle indépendance sur le niveau de vie britannique, y compris sur celui de la classe ouvrière. À tort ou à raison, Orwell pensait que la décolonisation et la fin de l’Empire britannique auraient nécessairement des conséquences directes sur le niveau de vie du peuple britannique et il reprochait aux représentants travaillistes de manquer de courage et d’honnêteté en n’abordant la question de la décolonisation que sous l’angle très abstrait de la solidarité internationale entre les travailleurs. Ce faisant, ils esquivent bien sûr la question de savoir dans quelle mesure la classe ouvrière anglaise est elle-même impliquée dans le système colonial ; ce qui, une fois de plus, revient à déconnecter les discours politiques des actes quotidiens en se payant de mots ou d’illusions.

De ce point de vue, il faut noter qu’Orwell a toujours manifesté un certain scepticisme à l’égard de l’idée d’internationale prolétarienne, ou, plus exactement, à l’égard des effets politiques d’une telle idée, dont il a pu apprécier les limites au moment de la révolution espagnole. Mais cela vaut aussi, selon Orwell, à propos de la question coloniale : le coolie indien ne peut pas se sentir solidaire de l’ouvrier britannique et, dans une certaine mesure, il a parfaitement raison de percevoir l’ensemble du peuple britannique comme un exploiteur. Avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, Orwell signe ainsi des textes dans lesquels il dit comprendre que les nationalistes indiens soient prêts à s’allier avec le Japon contre la Grande-Bretagne. Il ne sert alors à rien d’invoquer la solidarité prolétarienne mais plutôt de montrer en quoi l’impérialisme japonais serait encore bien pire pour la cause indienne que l’impérialisme britannique[3].

Les textes publiés présentent également une critique récurrente des positions pacifistes développées par toute une frange de la gauche radicale à l’orée de la Seconde Guerre mondiale. Les motivations de ce pacifisme peuvent être diverses, soit qu’il s’agisse d’une position de conviction, comme c’est le cas chez certains anarchistes anglais, ou encore d’une position « classiste » renvoyant dos à dos l’impérialisme des « démocraties » occidentales à celui de leurs adversaires totalitaires. Cette question est également traversée par les débats qui portent sur l’antifascisme et la stratégie du Front Populaire, à l’égard de laquelle les instructions du Komintern vont varier au gré des intérêts de la politique étrangère de Staline, ce qui conduit les communistes occidentaux à louvoyer entre « pacifisme révolutionnaire » et « antifascisme belliciste ». Partant d’une position plutôt pacifiste, Orwell va, de son côté, adresser des critiques de plus en plus virulentes à l’égard de ceux dont il considère qu’ils refusent de regarder en face le danger hitlérien au nom de leurs convictions idéologiques ou de leur opportunisme politique…

Entre 1936 et 1938, Orwell est effectivement plutôt pacifiste ou, plus précisément, antimilitariste. Il partage la vision d’une guerre à venir entre impérialismes concurrents. Pour autant, cette analyse ne l’empêche pas de partir combattre en Espagne dans les milices du POUM !… De même, il est plutôt méfiant à l’égard de l’idée de Front Populaire, en particulier à l’égard de la forme qu’il pourrait prendre en Grande-Bretagne, où, contrairement à ce qui s’est passé en France, il semble se mettre en place à partir d’une alliance entre Churchill et les communistes contre l’Allemagne, le tout dans l’intérêt de Staline. Or, à cette époque, il est déjà ouvertement en désaccord avec l’opportunisme politique des communistes et leur subordination aux intérêts de l’Union Soviétique.

Ce qui va le conduire à évoluer sur la question du pacifisme, ce sont les accords de Munich, puis le pacte germano-soviétique. À la suite de Munich, il quitte l’ILP, qui a salué les accords, une organisation où il a pourtant fait sa formation politique et à laquelle il a adhéré en rentrant d’Espagne pour briser l’isolement et l’omerta dont il est victime, en tant que compagnon de route du POUM, de la part des staliniens britanniques mais aussi de la gauche institutionnelle (Orwell découvre alors la manière dont les mécanismes totalitaires de calomnie, de discrédit, et d’isolement peuvent parfaitement fonctionner à l’intérieur d’un pays « libre ».) Mais ce qui va le faire vraiment basculer, c’est la signature du pacte germano-soviétique. Dès lors, toutes les prises de positions pacifistes seront constamment dénoncées pour leur manque de réalisme.

Pour comprendre le sens que ce terme prend sous la plume d’Orwell, il faut évidemment distinguer deux sens très différents du terme de « réalisme », selon qu’il désigne l’attitude qui consiste à regarder les faits en face et à ne pas se raconter d’histoires ; ou selon qu’il désigne l’attitude qui consiste à s’incliner devant ces faits et devant les puissances qui les produisent. S’il se réclame constamment de la première, Orwell n’a, en revanche, pas de mots assez durs pour cette deuxième forme très répandue de « réalisme », celle qui soutient que la politique n’est, au fond, qu’une affaire de rapports de force. Dans ce cas, il convient plutôt de parler de cynisme ; et c’est cette attitude qu’Orwell attribue aux communistes staliniens, mais aussi à la plupart des intellectuels socialistes, profondément fascinés, selon lui, par le pouvoir. Le « réalisme » dont se réclame Orwell est ainsi opposé à toute forme de fatalisme historique, ce qui constitue une des originalités et aussi, me semble-t-il, un des intérêts de sa position. C’est sur cette base qu’il va critiquer le pacifisme de principe de certains anarchistes britanniques, qui, selon lui, ne voient pas que, si Hitler gagne la guerre, toute révolution devient rigoureusement impossible pour des années.

La guerre s’engageant, Orwell va ainsi développer une position dite du « patriotisme révolutionnaire », à travers laquelle il cherche à transposer, en Grande-Bretagne, la ligne défendue par le POUM en Espagne. Cette ligne consistait à défendre l’idée selon laquelle il ne pouvait y avoir de révolution si on perdait la guerre contre les fascistes, et qu’il ne pouvait y avoir de victoire sur les fascistes sans en passer par une révolution. Rétrospectivement, la deuxième partie du programme peut paraître évidemment un peu naïve. Mais il faut se replacer dans le contexte du désastre de Dunkerque qui, aux yeux de beaucoup d’observateurs, illustre l’incapacité foncière de la classe dirigeante britannique à gagner la guerre. Dès lors, celle-ci devient du même coup l’occasion de balayer cette classe dirigeante par un vaste mouvement populaire. C’est dans cette perspective qu’Orwell va fonder une collection de livres destinés à explorer les voies d’un socialisme à l’anglaise, qui soit à la fois radical et populaire, tout en respectant les traditions démocratiques de la Grande-Bretagne. C’est dans cette veine qu’il écrit, par exemple, Le Lion et la Licorne.

Le levier de ce mouvement révolutionnaire, Orwell le voit alors dans le corps de la Home Guard. Ce corps d’armée est constitué uniquement de volontaires accourus en masse après la défaite de Dunkerque, dans le but de constituer une sorte de milice territoriale, à l’appel du gouvernement conservateur. Cet appel avait donné lieu à un véritable raz-de-marée, dans lequel Orwell voit un enjeu politique majeur. La question est alors pour lui de savoir si on a potentiellement affaire à une sorte de milice pré-fascisante, comme le dénonce une bonne part de la gauche anglaise, ou si on affaire à une milice démocratique embryonnaire, sur le modèle de celles qui se sont constituées en Espagne au moment du coup d’État. C’est pour hâter la deuxième évolution qu’Orwell, fort de son expérience de guérilla en Espagne, s’engage résolument dans la formation militaire des volontaires, en interpellant la gauche radicale anglaise par des titres comme « La Home Guard et vous : question aux démocrates chimériques et aux vrais démocrates »[4]. Orwell reconnaîtra en 1944 avoir fait une erreur de diagnostic en estimant pré-révolutionnaire la situation britannique en 1940 et 1942, notamment par sous-estimation des capacités de la classe dirigeante et de son représentant le plus illustre, Churchill.

En dépit de cette erreur d’analyse, c’est bien cette réflexion sur le « patriotisme révolutionnaire » qui va, de manière plus générale, l’amener à préciser ses propres conceptions sur le socialisme.

Oui. C’est au cours de cette période qu’il va être amené à préciser ses propres conceptions d’un socialisme « à l’anglaise ». Ces conceptions reposent finalement sur quelques axes assez simples. Le premier consiste à définir le socialisme comme un large mouvement populaire et non comme l’intervention de quelque avant-garde que ce soit. Ce qui est ici visé, c’est évidemment la conception léniniste, mais également toutes les formes d’expertise « politique », pour le bien du peuple et à sa place, portées par les intellectuels socialistes ou socialisants, comme ceux qui forment la société fabienne en Grande-Bretagne[5]. Le deuxième axe consiste, pour Orwell, à identifier le socle social d’un tel mouvement dans une alliance entre la classe ouvrière et les nouvelles classes moyennes, qu’Orwell considère comme des acteurs indispensables pour gagner la guerre mais aussi pour faire la révolution. Le troisième point consiste, et il s’agit, aux yeux d’Orwell, d’une évidence, à collectiviser la terre et l’industrie. Il s’agit également de supprimer les public schools, justement parce que, contrairement à ce que leur nom suggère, elles ne sont absolument pas publiques et constituent une machine de reproduction sociale des élites parfaitement incompatible avec le socialisme. Orwell propose ensuite d’instituer une échelle des revenus ne dépassant pas un ratio de un à dix. Il est en effet convaincu de l’existence de seuils au-delà desquels les différences de revenus font que les individus ne vivent tout simplement plus dans le même monde, et ne partagent plus d’expérience commune. Enfin, tout avènement du socialisme en Grande-Bretagne doit accorder immédiatement l’indépendance aux colonies de l’empire.

Pour mener à bien un tel programme, profondément influencé par son expérience espagnole, Orwell espère d’abord la constitution d’un mouvement politique qui déborderait le parti travailliste. Mais ce mouvement ne verra pas le jour, et à partir de 1943-1944, Orwell se rapprochera alors de la gauche du parti travailliste.

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Propos recueillis par Jean-Mathias Fleury pour L’Émancipation syndicale et pédagogique (n° 7, mars 2010).

Politique et littérature (2)

Agone

le jeudi 8 avril 2010

Critique-des-intellectuelsLittératureOrwell-George

À propos du rôle des intellectuels selon George Orwell

Dans la deuxième partie de cet entretien, Jean-Jacques Rosat revient sur quelques-uns des thèmes principaux de l’œuvre d’Orwell, dont la soumission de la politique à la morale et la place centrale, chez lui, que prend le sens commun.

Ce qui est un peu déroutant avec les positions défendues par Orwell, c’est qu’elles échappent assez largement aux grilles d’analyse habituelles. Par certains côtés, il adopte des positions très radicales, mais par d’autres il semble plutôt défendre une forme de réformisme plus modéré. En particulier, il est assez difficile de le faire rentrer dans le débat qui oppose habituellement les partisans du réformisme à ceux de la révolution. De même, il ne consacre en définitive pas beaucoup d’analyses aux modalités de la socialisation des moyens de production proprement dite, alors qu’il s’agit d’une question très débattue dans l’histoire du mouvement ouvrier. Bref, il reste assez insaisissable. En mettant les choses au mieux, on dira qu’il s’agit d’une preuve d’indépendance intellectuelle, mais n’est-ce pas aussi le signe d’une certaine ambiguïté ?

Je ne sais pas s’il faut parler d’ambiguïté. Ce qui est sûr, c’est qu’il construit ses propres conceptions politiques à l’écart des cadres conceptuels dans lesquels se discutent habituellement les problèmes du socialisme. Il ne faut pas perdre de vue qu’Orwell met du temps avant de se dire socialiste. Il ne revendique l’étiquette qu’à partir de 1936, c’est-à-dire neuf ans après son départ de Birmanie. Et encore, c’est une adhésion qu’on pourrait dire « désenchantée » car elle ne l’empêche pas de penser que le socialisme, au fond, a échoué. Il a été défait par le fascisme, détourné et corrompu par les staliniens, édulcoré par les renoncements social-démocrates. Ce qu’Orwell revendique du socialisme, c’est une exigence fondamentale de solidarité égalitaire, c’est-à-dire une aspiration somme toute assez élémentaire, qui conduit d’emblée à une certaine forme de désenchantement (ce qui ne signifie évidemment pas pour lui une quelconque forme de découragement ou de renoncement).

Les raisons des échecs répétés du socialisme tiennent, selon Orwell, à ce qu’il se présente le plus souvent comme un programme impulsé « d’en haut » et non comme un mouvement démocratique « d’en bas ». De ce point de vue, les partis d’avant-garde sont à mettre dans le même sac que les socialistes technocratiques fabiens qui conseillent alors le parti travailliste et se pensent explicitement comme des leaders intellectuels. On trouve ainsi chez Orwell une critique des avants-gardes révolutionnaires mais aussi du réformisme technocratique et des think tanks avant l’heure. Le point commun entre les deux, qui tient, selon Orwell, à leur origine intellectualiste, consiste à présenter le socialisme comme un ensemble de mesures imposées aux classes dominées. Et c’est cette ambition programmatique autoritaire qui suscite l’hostilité constante d’Orwell, qu’il s’agisse de ses échanges avec les travaillistes anglais ou de son analyse de la révolution russe dans La Ferme des animaux.

Pour Orwell, le problème numéro un auquel se trouve confronté le socialisme, ce sont les structures de domination internes au mouvement socialiste lui-même. Et c’est ce qui explique l’organisation sociale hiérarchisée en trois classes décrite dans 1984. En bas de la hiérarchie, il y a le peuple plus ou moins laissé à lui-même, puis on trouve le Parti, qui fait tourner les rouages de la machine et, au sommet, il y a le Parti Intérieur, qui n’est pas constitué de ploutocrates ou de tyrans égocentriques mais d’intellectuels. Orwell éprouve une méfiance viscérale à l’égard du goût pour l’ordre et la hiérarchie, selon lui latent chez beaucoup d’intellectuels préoccupés de politique.

On pourrait lui répondre, c’est un argument classique, que le mouvement socialiste a toujours été conduit à se hiérarchiser et à imposer une certaine discipline sous la contrainte de pressions extérieures : la famine ou la guerre, qu’il s’agisse de la Russie ou de l’Espagne. En ce sens, les dérives pointées par Orwell résulteraient de contraintes stratégiques.

Je pense qu’Orwell aurait répondu que l’imposition de hiérarchies et d’une discipline de fer ont toujours été plutôt destinées à l’interne, plutôt qu’au combat contre les forces de la réaction… Ce qui le conduit à penser de la sorte, c’est, là encore, son expérience espagnole : ce qui sauve la République en 1936, ce n’est pas une organisation hiérarchisée ou militarisée, c’est le soulèvement du peuple contre le putsch franquiste.

Est-ce qu’on ne peut pas lui reprocher de passer un peu vite sur les questions d’organisation de la production, comme s’il s’agissait à ses yeux de questions secondaires, finalement moins importantes que le respect des aspirations morales égalitaires du socialisme ?

Il me semble que la question ne porte pas, chez lui, sur des aspirations purement morales mais bien sur le projet politique du socialisme en tant que tel. Orwell est convaincu que le socialisme ne peut pas être défini seulement par la collectivisation des moyens de production. Ou, plus exactement, il comprend très vite qu’on peut parfaitement avoir une collectivisation des moyens de production et une oligarchie. Après la crise de 1929, beaucoup pensent que le capitalisme libéral est définitivement dépassé et se tournent alors vers les différentes théories de planification économique et de collectivisation de la production. Les réserves d’Orwell ne portent alors non pas sur la planification ou sur la collectivisation en tant que telles mais sur l’approche fondamentalement théoricienne qu’elles proposent du socialisme. À ses yeux, la question n’est pas, en politique, d’avoir la bonne théorie économique ou historique, mais plutôt l’attitude juste.

C’est en ce sens qu’il y a bien une dimension morale irréductible dans le socialisme – dimension, pour le coup, occultée par le léninisme, mais aussi, plus généralement, par le marxisme. En cherchant d’abord à confirmer la théorie, le socialiste « scientifique » perd de vue les faits et l’expérience directe des phénomènes. Cela le conduit à des erreurs politiques manifestes, persuadé qu’il est de ce que le capitalisme creuse sa tombe en toutes circonstances ; et incapable, par exemple, de comprendre ce que l’émergence des nationalismes ou celle du nazisme ont de radicalement nouveau. En la matière, Orwell le répète à de nombreuses reprises, il est tout simplement erroné et naïf de croire qu’Hitler est seulement un pion de Thyssen et des capitalistes allemands. Ce que l’essor du nazisme va montrer, c’est que c’est bien plutôt l’inverse qui est vrai.

Ce souci de faire primer l’expérience ordinaire sur la théorie pour penser les questions politiques contribue à rendre Orwell inclassable. Certains interprètent sa position comme une forme de rejet radical de l’establishment mais aussi de la pensée socialiste traditionnelle, ce qui le rapprocherait d’une forme d’anarchisme tory, quelque chose comme une sorte de populisme à la fois radical dans son rejet des élites et conservateur dans sa méfiance à l’égard des grandes visions refondatrices, qu’elles soient réformistes ou révolutionnaires.

Oui, ce rejet de la théorie est probablement un handicap en ce qui concerne la réception et la compréhension de son œuvre, en particulier dans un pays comme la France, où on est plus habitué à identifier les auteurs à partir de leurs options théoriques. Mais Orwell est, en tant que penseur politique, un auteur très discuté aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, où il intéresse aussi bien les philosophes que les historiens – ce qui n’est pas le cas en France.

Le seul qui ait écrit sur Orwell en France ces dernières années, c’est Michéa, qui a popularisé cette formule d’« anarchiste tory ». Or, concernant Orwell, la formule est, à mon sens, passablement fausse. Parce qu’elle ne tient absolument pas compte de l’itinéraire politique que nous venons d’évoquer. La formule désigne à l’origine les membres, minoritaires, du parti tory opposés à l’impérialisme britannique ; et Orwell semble bien se l’être appliquée en boutade, dans la première moitié des années 1930. Dans ses écrits, il ne l’emploie qu’une fois, bien plus tard, en 1946, dans un texte consacré à Swifft, l’auteur des Voyages de Gulliver – qui est d’ailleurs une des références explicites d’Orwell dans 1984. Orwell l’utilise alors précisément pour marquer ses distances à l’égard de ceux qui, comme Swifft, sont à la fois très critiques à l’égard des élites et animés d’un profond mépris pour le peuple.

Dix ans auparavant, en 1936, dans Le Quai de Wigan, le texte où il explique pourquoi et comment il est devenu socialiste, Orwell raconte que lui-même a eu initialement une attitude de ce genre, c’est-à-dire qu’il s’est d’abord pensé comme un rebelle trouvant quand même que les ouvriers sont plutôt paresseux et sentent mauvais… Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il est assez largement revenu sur ces positions par la suite et que cette étiquette ne rend absolument pas justice à son œuvre.

Au sens propre, Orwell n’est d’ailleurs pas véritablement anarchiste ; et il ne l’a jamais été. Il n’est pas partisan de la suppression de l’État et considère qu’une société humaine ne peut pas se passer d’un appareil répressif minimum. Et on peut encore moins le considérer comme un tory, dans la mesure où, ce qu’il défend dans les traditions britanniques, c’est avant tout l’attachement populaire aux libertés individuelles, ce qui n’a pas grand-chose à voir avec le conservatisme politique. Ainsi, il suffit de lire les textes et de les remettre un tout petit peu en perspective pour voir que cette notion d’« anarchiste tory » est erronée, qu’elle ne correspond ni au propos ni aux engagements d’Orwell.

Ce qui fait, selon toi, l’originalité d’Orwell, ce n’est donc pas cette étiquette paradoxale d’anarchiste tory, finalement erronée, mais plutôt la critique qu’il adresse à une certaine forme d’intellectualisme dans laquelle il voit la racine même des pensées et doctrines totalitaires. Sans parler d’anti-intellectualisme (Orwell ne rejette jamais les intellectuels en tant que tels), on peut dire qu’il cultive une méfiance instinctive à l’égard du goût du pouvoir très répandu chez les intellectuels, et qui se traduit dans certaines manières de poser les problèmes politiques, et d’instituer certains mécanismes intellectuels de contrôle.

Il me semble, en effet, que c’est là un des aspects les plus intéressants de la pensée d’Orwell, et qu’il est indispensable à la compréhension des critiques qu’il adresse au totalitarisme. Dans le recueil que nous publions, on trouve des textes de juin-juillet 1949, dans lesquels Orwell revient sur le sens de 1984. À l’époque, et notamment aux États-Unis, on lit ce texte comme un pamphlet anti-stalinien et un roman désenchanté sur les dérives inéluctables de la révolution. Or, il est tout à fait intéressant de voir qu’Orwell conteste très explicitement cette lecture, qui est encore largement répandue aujourd’hui. Le propos du livre, précise-t-il, consiste avant tout à mettre en lumière ce fait inattendu que les idées totalitaires naissent très souvent chez des intellectuels. 1984, c’est, au fond, le rêve secret des intellectuels de gauche britanniques !…

À mon sens, ce point est tout à fait capital. Quand on pense à 1984, on pense d’abord à Big Brother, au télécran, aux procédures de contrôle – et c’est, bien entendu, parfaitement légitime. Mais le cœur du livre, ce sont avant tout les mécanismes intellectuels à l’œuvre dans ces procédures. Je pense, notamment, à ce qu’Orwell appelle le mécanisme de la « double pensée », qui permet de concevoir, avec le même degré de conviction, deux choses parfaitement contradictoires, ce qui revient à nier explicitement qu’il puisse exister des faits, indépendants de l’idéologie ou de la théorie. Je pense également à toute l’analyse qu’Orwell fait de la « novlangue », ce travail de standardisation du langage qui vise à réduire et à contrôler la pensée. Ces deux mécanismes sont, selon Orwell, beaucoup plus répandus qu’on ne le croit, y compris, bien sûr, dans des pays ou des contextes qui ne sont apparemment pas « totalitaires ».

Quiconque a fréquenté, même brièvement, une organisation politique quelconque sait à quel point la « double pensée » y est répandue. C’est même parfois presque la règle : le bon militant est celui qui est capable de nier avec conviction ce qu’il sait être vrai. Et ce qui est vrai du militant l’est aussi d’un président de la République : par exemple cette affaire, pas du tout anecdotique d’un point de vue orwellien, sur la date exacte de la présence de Sarkozy à Berlin au moment de la chute du mur. Il est possible que lui-même, ou certains membres de son entourage, soient bien convaincus qu’il était sur les lieux le jour même, tout en sachant, en réalité, que c’est complètement impossible ! Bref, le totalitarisme, selon Orwell, ce n’est pas seulement la police et le contrôle, c’est d’abord l’ambition de former les consciences et de façonner les corps. Et ce fantasme est bien, selon lui, un fantasme d’intellectuel.

En même temps, on trouve dans le recueil des Écrits politiques un texte intitulé « La révolte des intellectuels », dans lequel il discute, avec beaucoup de sérieux et de respect, toute une série d’auteurs qui vont du libéralisme à l’anarchisme, et explorent les possibilités de troisième voie entre le capitalisme du laissez-faire et le stalinisme.

Oui, et c’est pour ça qu’on ne peut pas taxer Orwell d’anti-intellectualisme. Tous les auteurs qu’il discute dans ce texte sont des intellectuels. Ceux que dénonce Orwell, ce sont les intellectuels cyniques ou ceux qu’on appelle les « compagnons de route », tous ceux qui, par fascination du pouvoir, trahissent leur fonction consistant d’abord à réfléchir à partir des faits qu’on a sous les yeux.

Dans 1984, il y a ainsi un passage dans lequel le héros s’accroche désespérément à des vérités du sens commun pour conserver sa liberté…

Oui, et à mes yeux, ce passage est décisif. Si Winston s’accroche à des vérités apparemment insignifiantes comme « 2+2=4 » ou « L’eau est mouillée », c’est parce que le totalitarisme vise justement à couper les individus de cette expérience ordinaire, de ce qu’on peut vérifier par soi-même, et qui constitue le socle de notre rapport au monde et aux autres. Ce que visent les mécanismes totalitaires, c’est l’introduction d’un écran de mots et d’images entre les individus et cette expérience du sens commun. Et il s’agit bien là d’un projet qui mobilise des intellectuels.

O’Brien, le geôlier de Winston, est bien un tortionnaire, qui exerce sur ces victimes une terreur et une coercition physique évidentes. Mais c’est aussi, et peut-être, d’abord, un philosophe. Et pas n’importe quel genre de philosophe : il défend une philosophie idéaliste et constructiviste. Quand je parle d’idéalisme, ce n’est pas au sens où il aurait de grands idéaux mais au sens où il considère que la réalité se réduit entièrement aux idées que nous formulons à son égard, qu’elle n’existe pas indépendamment de ces idées. L’enjeu consiste alors à façonner les représentations de la réalité et à convaincre que seules ces représentations existent, qu’il n’y a pas de faits indépendants. Ainsi, il soutient que le passé est entièrement construit, constructible et malléable.

Comme tous ceux qui, pour revenir à l’épisode dont on vient de parler, ont soutenu que, même si Sarkozy avait effectivement fait une « erreur » de calendrier, ce n’était au fond pas si grave, et qu’il n’y avait pas lieu d’en faire tout un plat. Ce que nous apprend Orwell, c’est, je crois, les risques gravissimes liés à ce type d’attitude, et les fantasmes démesurés qu’ils révèlent. C’est aussi pourquoi je pense qu’on a tort de rabattre le propos de 1984 sur celui tenu, par exemple, par Huxley dans Le Meilleur des mondes, où il s’agit essentiellement d’une dénonciation des risques que nous font courir le progrès des technologies. Il me semble que ce que dit Orwell, c’est que les progrès technologiques ne suffisent pas pour établir un régime policier. Un tel régime suppose aussi certains mécanismes qui sont très souvent pensés et voulus par des intellectuels.

L’autre aspect de sa critique à l’égard des intellectuels, c’est sa dimension morale. Orwell leur reproche un penchant au cynisme, auquel il oppose l’aversion de l’homme ordinaire pour les injustices, ce qu’il appelle la « décence commune ».

Oui, et c’est là, de nouveau, une conséquence de son réalisme. Au pseudo-réalisme machiavélien assumé par la plupart des intellectuels, Orwell oppose, dans de nombreux textes, le réalisme des personnages de Dickens, qui ont le plus souvent une analyse politique très pauvre mais refusent instinctivement les situations d’injustices.

Là encore, il me semble que l’expérience espagnole est très importante. Lorsqu’il raconte l’épisode des journées de mai 1937 à Barcelone (le coup de main policier, orchestré par les communistes contre les anarchistes et les affrontements violents qui ont suivi), Orwell se range instinctivement du côté des ouvriers de la CNT et du POUM sur lesquels tire la police. Pourtant, il explique ailleurs qu’il était, jusqu’à cette date, plutôt favorable à la ligne des communistes, qui consistait à dire qu’il fallait d’abord gagner la guerre avant de poursuivre la révolution. Mais lors de la liquidation du POUM et des agressions contre les anarchistes, la situation oppose avant tout des ouvriers à des flics. Et dans une situation comme celle-là, ce qui compte, c’est de s’en remettre d’abord à son propre « flair » moral plutôt qu’à des théories de RealPolitik. Pourquoi ? Parce que, comme on l’a dit précédemment, l’analyse politique est, selon Orwell, inséparable de l’analyse morale. Quitte à se faire taxer de moralisme désuet ou d’humaniste petit-bourgeois…

À ce propos, je suis retombé récemment sur le texte d’un débat qui a opposé, en 1972, Noam Chomsky et Michel Foucault[1]. À un moment, Foucault critique de manière un peu condescendante ceux qui pensent que la révolution pourrait se faire au nom de la justice, et il affirme que celle-ci ne pourra se faire qu’au nom du prolétariat. À quoi Chomsky répond que non : c’est bien la recherche de la justice qui doit est le critère, y compris par rapport à ce que font les organisations qui se réclament de la classe ouvrière. Sans entrer plus avant dans ce débat, il me semble qu’Orwell se situe très clairement du côté de Chomsky dans cette affaire. Et que c’est peut-être une des raisons pour lesquelles ils sont, l’un comme l’autre, aussi peu considérés en France…

Ta référence à des débats plus proches de nous pose la question d’une éventuelle postérité d’Orwell…

En fait, je ne suis pas si sûr que cette question de la postérité ait vraiment un sens. Dans la mesure où Orwell n’a jamais voulu laisser de doctrine, il n’est pas vraiment possible de dire qui seraient aujourd’hui ses héritiers. Il n’y a pas de théorie orwellienne. Même l’étiquette de penseur du totalitarisme colle mal. Par exemple, il n’est pas certain que le rôle des fantasmes de pouvoir des intellectuels soit aussi important dans le fascisme ou le nazisme que dans le stalinisme (même si Hitler a aussi trouvé des admirateurs chez des intellectuels comme Heidegger ou Karl Schmitt, de même que Mussolini chez les Futuristes italiens). Mais il me semble que le propos d’Orwell n’est pas de trouver un critère permettant d’identifier ou de classifier différents régimes politiques. Il n’a pas, à proprement parler, de théorie du totalitarisme ; pas plus qu’il n’a, comme on l’a vu, de véritable théorie du socialisme. Ce qui l’intéresse, c’est de travailler, de l’intérieur du mouvement, sur les faiblesses du socialisme et sur les fantasmes de pouvoir qui animent la plupart de ses théoriciens. Son travail est d’abord celui d’un militant, d’un écrivain plutôt que celui d’un théoricien. Et c’est sans doute ce type de travail qui reste d’actualité, plutôt que telle ou telle position orwellienne.

C’est un travail animé par le souci d’éviter au maximum les généralisations, pour leur préférer la recherche de tendances ou de mécanismes qui ne sont pas nécessairement très spectaculaires, un travail marqué par une très grande attention aux différents usages de la langue et aux tentatives de contrôle dont elle fait l’objet en permanence. Et c’est enfin, et peut-être surtout, un attachement inconditionnel aux faits et au réel. Parce qu’en traitant les faits de manière désinvolte on supprime toute forme d’expérience personnelle sur laquelle s’appuyer ; et on laisse alors libre cours aux purs rapports de forces et de langage, ce qui est l’assurance de voir les plus puissants et les plus habiles triompher au détriment de tous les autres.

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Propos recueillis par Jean-Mathias Fleury pour L’Émancipation syndicale et pédagogique (n° 8, avril 2010).

Notes

[1] Noam Chomsky et Michel Foucault, Sur la nature humaine [1971], Aden, 2005.

Voir également

Yves Breton : 1984 : une dystopie de la communication

Plus le mensonge est gros, plus les gens sont prêts à le croire.

Adolf Hitler

Utopie, contre-utopie et dystopie

Dans une communication intitulée La subversion du discours utopique, Roger Bozzetto définit d’abord l’utopie comme un genre littéraire spécifique: « en tant que texte, elle relève d’une analyse de la productivité littéraire, en tant que représentation d’une virtualité, présentée comme un paradigme différent de la construction du social, elle renvoie à l’analyse sociologique de l’imaginaire » (Bozetto, 1987, p. 155). En tant que récit, ses antécédents remontent aussi loin qu’à La République de Platon et à Histoire vraie de Lucien. Comme Bozzetto le fait toutefois remarquer, la spécificité de l’utopie comme genre tient dans une volonté d’inscrire l’espace utopique dans un champ référentiel commun. Ainsi, à propos de L’Utopie de Thomas More, qui peut être considéré comme le prototype du genre, Bozzetto écrit:

C’est un état idéal comme celui de Platon, mais il prend figure dans le cadre d’un récit, et accède à la représentation. C’est un lieu imaginaire, comme la Lune ou l’île des morts de Lucien, mais il est situé dans la réalité géographique de notre univers. Cette « figuration imaginaire » qu’est l’Utopie surgira en raison de l’absence d’un lieu effectif où une critique politique puisse se tenir. Elle apparaît donc comme une tentative pour communiquer, par le biais de l’imaginaire, avec la réalité sociale, en l’absence de toute autre perspective (Bozetto, 1987, p. 156-157).

De la définition de Bozzetto on peut retenir une première caractéristique importante de l’utopie, à savoir qu’elle procède d’un principe de comparaison. En fait, l’aspect critique que peut revêtir l’utopie telle qu’on la retrouve chez More ou Bacon tient précisément dans cette « coexistence » de deux univers, l’utopique et le réel, dans un même champ référentiel; l’élément temporel, futurisant des utopies, n’apparaîtra qu’au XIXe siècle avec les premières contre-utopies. Comme l’écrit Bozzetto,

cette situation [pour l’utopie], dans l’imaginaire d’un ailleurs (qui ne se présente pas comme un futur) à la fois éclaire la réalité et marque l’impossibilité d’y inscrire une action effective. Aucun modèle différent de société avec une possibilité d’être actualisé n’est alors pensable, car, et L’Utopie le montre, la base de production de la richesse demeure la même: il s’agit toujours d’agriculture, nous sommes dans l’ère préindustrielle (Bozetto, 1987, p. 157).

On retiendra, outre le principe de comparaison propre au récit utopique, deux autres caractéristiques du genre: la première concerne l’aspect idéal et clos de l’ailleurs utopique, corrélatif de la « perfection » fonctionnelle qui caractérise les relations sociales qu’on y trouve. La seconde, plus importante encore, est l’abolition de l’histoire ou, plus simplement l’idée d’un présent perpétuel où le bonheur et la satisfaction des besoins apparaissent comme des constantes. Cette abolition de l’idée de chronologie va, selon Bozzetto, jusqu’à se traduire, dans la forme même du récit utopique, par la plus ou moins grande occultation du narratif: tant que le voyageur étranger séjourne dans l’ailleurs utopique, le récit prend une structure dialogale, permettant au sage utopien d’expliquer clairement le fonctionnement de la société idéale à laquelle il appartient. Principe de comparaison donc, mais également cloisonnement géographique d’un univers — généralement difficile d’accès — et arrêt de l’histoire: ces trois caractéristiques finiront par susciter une suspicion qui s’incarnera dans la contre-utopie, mais plus encore dans ce que le XXe appellera la dystopie.

La révolution industrielle et l’avènement de la contre-utopie

L’idée de « progrès », si caractéristique de la philosophie des Lumières, trouve sa contrepartie matérielle dans la Révolution industrielle qui s’amorce au XVIIIe siècle et éclate littéralement au XIXe. La machine à vapeur devient un cheval de bataille, un cheval de fer de surcroît. L’idée de progrès prend alors la forme d’une espérance, voire dans certains cas celle de « processus inéluctable »: parce que la machine, quelle qu’elle soit, est une force de travail capable de supplanter l’homme tant en puissance qu’en rapidité d’exécution — sans compter le fait qu’elle ne nécessite, en comparaison, que peu d’entretien —, certains entrevoient le jour où personne n’aura à subir l’aliénation que représente le travail, particulièrement dans sa facture industrielle. Pour d’autres, en revanche, cette perspective est on ne peut plus incertaine et on voit donc dans la machine la possible mise au rancart de l’individu, sinon son exclusion sociale. Ainsi, concurremment à l’idée de progrès, liée au développement du capitalisme, de la société et des valeurs dites bourgeoises, se développe une alternative dont les préoccupations, outre de constituer une critique de la société bourgeoise, se situe dans une perspective historique.

Incarnée par des penseurs tels Proudhon, Marx et Engels, cette tendance prend, dans une certaine mesure, à la fois le contre-pied et le relais de l’utopisme bourgeois: contre-pied parce qu’elle postule l’implication réciproque du développement technologique et du renversement de la classe bourgeoise et relais parce qu’en tant qu’utopie, elle voit dans le succès de la révolution prolétarienne la fin de la lutte de classes et donc de l’histoire, la lutte de classes étant posée comme moteur de l’histoire: « L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de luttes de classes » (Marx et Engels, 1978, p. 33). L’utopie communiste marque par ailleurs un déplacement important au sein du registre critique propre au discours utopique: l’espace idéal se situe, non dans un axe géographique, mais dans un axe chronologique, dans le temps.

Cette innovation formelle deviendra caractéristique de ce qu’il est convenu d’appeler la contre-utopie, c’est-à-dire, l’utopie non-idéale: l’ailleurs ou le futur est présenté comme quelque chose de sombre, à tout le moins non souhaitable. Bien que l’on trouve déjà des tendances contre-utopiques dans certains récits du XVIIIe siècle, notamment dans le Candide de Voltaire ou dans Les voyages de Gulliver de Swift, Bozzetto considère Le monde tel qu’il sera, d’Emile Souvestre, publié en 1846 — deux ans avant le Manifeste de Marx et Engels — comme la première contre-utopie.

À partir de là, utopie et contre-utopie entretiendront un dialogue fécond, dont l’exemple idoine est l’utopie du futur Looking Backward (1888) d’Edward Bellamy, à laquelle répond et même renvoie When the Sleeper Awakes (1899) de H.G. Wells. Le cas de Looking Backward est particulièrement intéressant en ce sens qu’il reprend la perspective socialiste mais fait de l’idée de révolution quelque chose d’essentiellement technologique, de l’avènement d’une société égalitaire l’aboutissement inéluctable de l’atteinte d’un niveau élevé de progrès: l’oppression finit par devenir « inutile », voire « paralysante ».

Le XXe siècle a rapidement fait déchanter les plus optimistes. Au lieu du bonheur et de l’harmonie universels, l’humanité s’est commise dans des guerres et des atrocités sans précédent dans l’histoire. Même la Révolution communiste de 1917, en Russie, dont on attendait beaucoup, s’est rapidement transformée en machine d’épuration. On pourrait ici faire un rapprochement, entre cette idée d’épuration et l’idéal de perfection propre aux utopies: il semble même qu’épuration et perfection s’impliquent réciproquement. Ces constats tendent à montrer, comme le mentionne Marcuse, que la possibilité de réalisation de l’utopie serait la fin de l’utopie (Bozetto, 1987, p. 164). Ces contradictions de l’utopie, poussées à leur paroxysme, feront le principal objet de ce discours particulier qu’est la dystopie.

Définition et caractéristiques de la dystopie

La dystopie se distingue de la contre-utopie, non dans le rapport qu’elle entretient avec le futur, mais avec le discours utopique lui-même: elle tend à transformer en cauchemar ce qui fonde le rêve utopique, soit l’harmonie d’un système clos — qui devient la prison du conformisme absolu — et l’ahistoricité d’un perpétuel présent — où disparaissent, avec le passé, les diverses perspectives de changement ou de nouvelle harmonisation des relations entre les membres de la communauté. M. Keith Booker propose, dans son Dystopian Literature: A Theory and Research Guide, une définition de la dystopie située dans son rapport dialectique à l’utopie:

Briefly, dystopian literature is specifically that literature which situate itself in direct opposition to utopian thought, warning against the potential negative consequences of arrant utopianism. At the same time, dystopian literature generally also constitutes a critique of existing social conditions or political systems, either through the critical examination of the utopian premises upon which those conditions and systems are based or through the imaginative extension of those conditions and systems into different contexts that more clearly reveal their flaws and contradictions (Booker, 1994, p. 3).

Le paradis cauchemardesque serait donc déjà en germe dans le récit utopique lui-même et cela apparaît clairement lorsqu’on y considère le traitement réservé aux « déviants », à la divergence. Bozzetto résume très bien ce côté sombre des utopies (l’absence de contestation) lorsqu’il écrit:

L’absence de narration est à mettre en relation avec l’absence d’habitants: ils n’apparaissent que pour faire de la figuration. S’il existe des déviants (que les lois et le discours utopien mentionnent) ils n’ont pas droit à la parole (ils font des histoires dans un lieu où l’Histoire est bannie par définition). […] Le résultat est une information sans faille sur le code, la carte: une sorte d’abstraction, de belle machinerie (Bozetto, 1987, p. 158-159).

On peut donc postuler un caractère totalitaire de l’utopie, corollaire quasi nécessaire — si on la pense comme une forme de postulat de réalité — à la construction d’un système clos, auto-référentiel et ahistorique. L’exacerbation de ce trait particulier, alimenté par l’histoire même de la première tranche de notre siècle, produira trois dystopies marquantes: Nous autres (1924) d’Evgeny Zamyatine, Le meilleur des mondes (1932) d’Aldous Huxley et 1984 (1949) de George Orwell1.

Les deux dernières connaîtront un franc succès, auquel la fin du vingtième siècle n’a pas apporté de démenti. Dans une certaine mesure, 1984 cherche à répondre au Meilleur des mondes:

When he came to write his own novel about the future, Orwell departed in important ways from Huxley’s model. Shoddiness and scarcity replace the cleanliness, novelty, comfort, and efficiency of Brave New World. Victory Gin’s violent nastiness is what Oceania offers in place of soma [la drogue apaisante du roman de Huxley]. In 1984, everyone’s life is dominated by war and politics. Sexual frenzy expresses itself in the public rallies against the enemies of Oceania, in contrast to the meaningless copulating and easy pacifism of Huxley’s people. O’Brien as the invulnerable logician-priest, combining in one person unlimited power and fanatical dedication, comes from a world far different from that of Huxley’s benevolent despots (Steinhoff, 1983, p. 153-154).

Ce positionnement à l’égard du roman de Huxley n’est pas la seule influence littéraire de 1984. Certaines contre-utopies, telles When the Sleeper Awakes de Wells et particulièrement, dans la conception d’une oligarchie toute-puissante, une violente dystopie comme The Iron Heel de Jack London, influence également la composition du roman d’Orwell; le texte de London se retrouve même, dans 1984, sous une forme métaphorique, lorsque, s’adressant à Winston, O’Brien lui dit: « Si vous désirez une image de l’avenir, imaginez une botte piétinant un visage humain… éternellement » (Orwell, 1950, p. 377).

Mais plus encore que le champ littéraire lui-même, la conjoncture socio-historique, la chute de la possibilité de toute illusion sur une éventuelle association du pouvoir et d’une morale égalitaire, la version auschwitzienne de l’assassinat de l’humanité comme concept et également l’interprétation stalinienne de l’idée de centralisation démocratique, participent à l’élaboration du cauchemar selon Orwell.

Outre le cortège d’atrocités défilant de 1915 à 1945 — ce que George Steiner a appelé « la deuxième guerre de trente ans » —, on voit également apparaître une utilisation extensive de la propagande, de la manipulation historique, le développement accéléré des technologies relatives à la transmission, la captation et le traitement de l’information. Ainsi, faisant suite au téléphone, au phonographe, aux rayons X, on retrouve la T.S.F, la radio et les radars, les premiers systèmes de téléguidage « intelligents ». La machine pensante d’Alan Turing, en 1936, est l’ancêtre des ordinateurs modernes. Avec ces inventions se pose, avec beaucoup d’acuité, la question du contrôle de l’information et, conséquemment, de la communication: contrôle social, manipulation référentielle et imposition d’une réalité. 1984 de Orwell offre une lecture particulièrement corrosive de cette époque.

1984: une dystopie de la communication

À travers l’itinéraire de Winston Smith, employé du Ministère de la Vérité en Océania, 1984 cherche à dépeindre, sur le ton propre aux romans réalistes, une dictature absolue, celle de la philosophie de l’Angsoc, incarnée par un Parti tout-puissant. Le récit se fait en trois temps: la lente marginalisation de Winston, qui devient progressivement « criminel par la pensée », « rebelle aux politiques du Parti », son aventure amoureuse avec une jeune femme, Julia, aventure qui consacre sa criminalité et, finalement, sa destruction et sa rédemption aux mains d’O’Brien, représentant du Parti.

Ce n’est pas dans sa volonté d’éradiquer le « compromis » existant entre complexité référentielle et coordination sociale que le Parti de 1984 se distingue des différentes dictatures, réelles ou imaginaires, auxquelles on pourrait le comparer mais dans la conscience qu’il a de la nature langagière et communicationnelle de cette volonté. Cela lui permet de canaliser effectivement ses énergies, de transformer l’abolition du référentiel en coordination absolue. Abolition de la référentialité et de l’Histoire, contrôle de la pensée et particulièrement de la mémoire, individuelle et collective, imposition d’une langue, le novlangue, rendant impossible le « crime par la pensée »: tous ces éléments font de 1984 une véritable dystopie de la communication.

Les principes de l’Angsoc

L’Angsoc, mot novlangue pour « socialisme anglais », sert à désigner la philosophie et les principes du Parti; les principes fondamentaux, sacrés, en sont la mutabilité du passé, le novlangue et la double pensée. Centralisant l’effort de contrôle et de perpétuation au sein de l’activité de communication, ces principes forment également, chacun à leur manière, une sorte d’envers cauchemardesque des traits principaux de l’utopie: la perfection de l’univers de l’Océania, conjuguée à l’abolition de l’histoire, rend impossible toute comparaison entre celui-ci et un ailleurs de quelque ordre que ce soit. Le « regard en arrière » se perd dans les méandres de l’éternité du présent.

La mutabilité du passé s’inscrit dans une entreprise, plus vaste, d’abolition de l’histoire en tant que récit de situation et de comparaison. Winston travaille pour le Ministère de la Vérité et sa tâche consiste à corriger le passé, c’est-à-dire les documents appartenant au passé, de façon à les rendre conformes à l’actualité, au présent des choses.

Le poids du passé, pour ainsi dire, prend la forme d’un déterminisme absolu. Le passé, l’ »histoire » ne montrent qu’une chose: l’infaillibilité présente du Parti. Cet enfermement dans un présent perpétuel — qui évoque, de façon cruellement ironique, l’un des paradoxes inhérents à l’utopie — fait dire à Winston:

Tous les documents ont été détruits ou falsifiés, tous les livres récrits, tous les tableaux repeints. Toutes les statues, les rues, les édifices, ont changé de nom, toutes les dates ont été modifiées. Et le processus continue tous les jours, à chaque minute. L’histoire s’est arrêtée. Rien n’existe qu’un présent éternel dans lequel le Parti a toujours raison. Je sais naturellement que le passé est falsifié mais il me serait impossible de le prouver, alors même que j’ai personnellement procédé à la falsification (Orwell, 1950, p. 221).

Le concept de double pensée, tel qu’on le retrouve dans 1984, n’est pas sans rappeler (ou annoncer!) celui de « double contrainte », défini dans les théories contemporaines de la communication, notamment chez Paul Watzlawick. Dans Une logique de la communication, on retrouve une description de la double contrainte, notamment dans ses rapports avec la manipulation et le pouvoir:

Enfin le récepteur du message [paradoxal] est mis dans l’impossibilité de sortir du cadre fixé par ce message, soit par une métacommunication (critique), soit par le repli. […] Cette situation est souvent combinée à la défense plus ou moins explicite de manifester une quelconque conscience de la contradiction ou de la question qui est réellement en jeu. Un individu pris dans une situation de double contrainte risque donc de se trouver puni (ou tout au moins de se sentir coupable), lorsqu’il perçoit correctement les choses, et être dit « méchant » ou « fou » pour avoir ne serait-ce qu’insinué que, peut-être, il y a une discordance entre ce qu’il voit et ce qu’il « devrait » voir (Watzlawick, 1972, p. 213).

La double pensée cherche toutefois à aller beaucoup plus loin, bien que ses objectifs ressemblent à ceux du message paradoxal utilisé dans une intention de contrôle et de domination: elle participe d’une entreprise circulaire d’auto-référentialité ou, formulé autrement, d’abolition de l’ancrage référentiel du langage et de la réalité qu’il produit. Elle est une forme de métacommunication qui, en raison de son principe même, cherche à détruire à la fois « métacommunication » et « repli » (pour reprendre les termes de Watzlawick): elle est le principe même d’un avortement de la métacommunication.

En ce sens, la seule attitude qu’elle exige et cherche à imposer est l’oubli, permettant une circularité absolue du discours, de la réalité, du discours sur la réalité:

Retenir simultanément deux opinions qui s’annulent alors qu’on les sait contradictoires et croire à toutes les deux. Employer la logique contre la logique. Répudier la morale alors qu’on se réclame d’elle. Croire en même temps que la démocratie est impossible et que le Parti est le gardien de la démocratie. Oublier tout ce qu’il est nécessaire d’oublier, puis le rappeler à sa mémoire quand on en a besoin, pour l’oublier plus rapidement encore. Surtout, appliquer le même processus au processus lui-même. Là était l’ultime subtilité. Persuader consciemment l’inconscient de l’acte d’hypnose que l’on vient de perpétrer. La compréhension même du mot « double pensée » impliquait l’emploi de la double pensée (Orwell, 1950, p. 55).

Le novlangue, finalement, constitue la pierre la plus importante de l’édifice éternel et parfait qu’entend construire le Parti. Il s’agit d’une nouvelle langue dont l’objectif clair est de réduire, d’épurer constamment le champ du dicible afin de rendre impossible la déviance, le « crime par la pensée ». Plus précisément, tout ce qui relève de la déviance, de la divergence n’aura pas de nom, sinon « crimepensée ». Dans le temps narratif de 1984, elle coexiste avec l’ »ancilangue », c’est-à-dire l’anglais (« ancienne langue »), mais on prévoit qu’elle le supplantera vers 2050.

Les objectifs du novlangue sont emphatiquement présentés par Syme, l’un des responsables de la production du dictionnaire novlangue — qui, comme le prévoyait Winston, sera « vaporisé » parce que trop intelligent:

— Ne voyez-vous pas que le véritable but du novlangue est de restreindre les limites de la pensée? À la fin, nous rendrons littéralement impossible le crime par la pensée parce qu’il n’y aura plus de mots pour l’exprimer. […] Chaque année, de moins en moins de mots, et le champ de la conscience de plus en plus restreint. Il n’y a plus, dès maintenant, c’est certain, d’excuse ou de raison au crime par la pensée. C’est simplement une question de discipline personnelle, de maîtrise de soi-même. Mais même cette discipline sera inutile en fin de compte. La Révolution sera complète quand le langage sera parfait. Le novlangue est l’angsoc et l’angsoc est le novlangue, ajouta-t-il avec une sorte de satisfaction mystique (Orwell, 1950, p. 79-80).

Ce qui rend cette idée du novlangue singulièrement intéressante, est qu’elle établit un lien entre la quête de l’omnipotence pure — le pouvoir pour le pouvoir — et l’épuration continue du langage, sinon la création d’un langage parfait. Lié aux autres principes de l’Angsoc, le novlangue cherche à instaurer, à fonder le caractère absolu de la réalité telle qu’énoncée, construite et modifiée par le Parti. Tout motif de comparaison, qu’il renvoie à l’environnement matériel ou chronologique, est voué au néant, que l’on pourrait poser comme postulat nécessaire à toute conception holistique, à tout postulat d’une totalité close et hermétique. Dans 1984, cependant, le néant n’est pas qu’un vulgaire concept, il fait partie de l’univers tel que le conçoit le Parti: les individus dangereux sont vaporisés, au sens où l’on fait disparaître toute trace, toute information les concernant. Ils n’ont « jamais existé ».

Le contrôle de la pensée

La tangente dominante de 1984 concerne sans doute le lien entre le contrôle du réel d’une part, le contrôle de la pensée d’autre part. Ce lien en est un de réciprocité, chaque aspect du contrôle renvoyant spéculairement à l’autre dans une sorte de mimesis permanente. Ce désir d’un rapport spéculaire, identitaire dans son principe, entre l’individu et le monde fonde l’élaboration des diverses figures faisant office de « divinités », sinon le sentiment religieux lui-même. L’originalité du roman d’Orwell consiste à dépouiller ce rapport spéculaire de ces divers déguisements afin d’en faire ressortir l’essentiel, dans sa forme et ses implications.

En effet, l’arsenal technique et idéologique sur lequel repose l’emprise du Parti sur l’Océania, le comment du pouvoir, finit par devenir clair, particulièrement lorsqu’à travers les yeux de Winston, le narrateur nous fait lire l’ouvrage d’Emmanuel Goldstein, l’éternel traître du Parti: cet ouvrage expose, avec une exhaustivité scientifique et une neutralité de ton, le fonctionnement du régime politique de l’Angsoc, son histoire, ses principes, etc.2 Mais ce livre n’a pas pour seule fin de fournir une « explication »: en décrivant, sur un registre référentiel et métacommunicationnel, l’univers océanien, il fait ressortir, de façon lancinante, la question du pourquoi du pouvoir. Comment et Pourquoi deviennent les deux faces d’un inextricable affrontement.

Le support technique du contrôle de la pensée

On peut réunir en un seul concept toute la réalité technologique présente dans le récit, soit celui de guerre. Il ne s’agit pas seulement d’une guerre contre des « ennemis » — dont on sait, par ailleurs, qu’on ne les conquerra jamais: la guerre, dans 1984, oppose l’État à ses membres, le tout à ses parties. Parce qu’elle a pour fonction de détruire sciemment la production technologique afin de perpétuer la réalité du travail, et donc de rendre nécessaire le maintien de la hiérarchie sociale, la guerre doit être permanente: l’ennemi extérieur n’est ici qu’une variable dans une équation — ennemi qui ne cesse de changer — entretenant à la fois la production, la destruction et le sentiment d’opposition envers les habitants d’un état autre. Il n’est dans l’intérêt de personne que cette guerre fasse un maître: les États, dans 1984, fonctionnent de façon similaire et donc n’ont aucun intérêt à menacer réellement leur intégrité réciproque. Aussi les armes effectivement utilisées (les bombes-fusées qui tombent périodiquement sur l’Océania) sont-elles primitives, destinées à maintenir, au sein de la population, l’hystérie de guerre.

En fait, le développement technologique est même passé en phase de « régression », sauf en ce qui concerne les technologies de l’information, qu’on les utilise pour la propagande ou la surveillance:

Le monde est, dans son ensemble, plus primitif aujourd’hui qu’il ne l’était il y a cinquante ans. Certains territoires arriérés se sont civilisés et divers appareils, toujours par quelque côté en relation avec la guerre et l’espionnage policier, ont été perfectionnés, mais les expériences et les inventions se sont en grande partie arrêtées. […] Néanmoins, les dangers inhérents à la machine sont toujours présents. Dès le moment de la parution de la première machine, il fut évident, pour tous les gens qui réfléchissaient, que la nécessité du travail de l’homme et, en conséquence, dans une grande mesure, de l’inégalité humaine […] (Orwell, 1950, p. 268-269).

Machines à fabriquer des romans, versificateurs (fabriquant des chansons), production de cinéma pornographique pour les prolétaires (classe méprisée de l’Océania), phonoscript (traduisant l’oral en écrit), micros plantés jusque dans les bois, tout participe à cette guerre civile nouvelle version. Le télécran, omniprésent, possède un statut particulier: il peut servir à la fois à la diffusion de la propagande, à l’observation des individus et à accomplir certaines fonctions propres aux ordinateurs modernes. Le télécran représente la version océanienne de la transparence: celle qui va non des informants aux informés mais qui suit le trajet inverse. Dans cette perspective singulière, une plus grande transparence se traduit par un plus grand contrôle…

La vérité contre la torture

L’épisode où O’Brien torture Winston, jusqu’aux limites du supportable, afin de lui faire abjurer cette « vérité en soi » qui postule que « 2 + 2 = 4 » est peut être celui qui présente de la façon la plus aiguë le paradoxe fondamental de la communication et du pouvoir.

Pour Winston, l’énoncé « 2 + 2 = 4 » ne vaut pas simplement par sa portée référentielle ou cognitive mais également par son caractère politique: il s’agit de l’affirmation d’une liberté. Cet énoncé laisse entendre, en fait, qu’il existe un « lieu » où l’individu peut l’emporter sur le mensonge du pouvoir, une vérité référentielle éternelle pouvant s’opposer à la coordination sociale absolue incarnée par le Parti, découvrant ainsi un conflit fondamental entre deux prétentions à l’éternité.

La nature du conflit fait précisément en sorte que ce qui est visé, à travers la torture du corps de Winston (entité mortelle sans importance), est donc une idée, celle qu’il puisse exister autre chose que la réalité du Parti: ici le meurtre de Winston ne serait d’aucune utilité. O’Brien, parlant au nom du Parti, pose clairement la nécessité de la destruction de cette idée, de cette liberté:

Nous ne détruisons pas l’hérétique parce qu’il nous résiste. Tant qu’il nous résiste, nous ne le détruisons jamais. Nous le convertissons. Nous captons son âme, nous lui donnons une autre forme. Nous lui enlevons et brûlons tout mal et toute illusion. Nous l’amenons à nous, pas seulement en apparence, mais réellement, de coeur et d’âme. Avant de le tuer, nous en faisons un des nôtres. Il nous est intolérable qu’une pensée erronée puisse exister quelque part dans le monde, quelque secrète et impuissante qu’elle puisse être (Orwell, 1950, p. 360).

C’est après la destruction de l’idée de vérité (du monde ou de l’homme), par la torture, que l’on peut ensuite passer au processus de guérison, de rédemption. L’annihilation de toute autre modalité d’éternité que celle qu’incarne le Parti doit également s’accompagner de cette maladie que représente l’idée que l’éternité réelle, effective est impossible — la destruction des « éternités concurrentes » ne doit pas aller jusqu’à l’élimination du concept d’ »éternité »: il faut donc abolir la référentialité du langage, la capacité de se mettre en relation avec l’environnement: celui-ci doit être placé en relation d’égalité absolue avec la réalité du Parti, s’y réduire, se poser mimétiquement par rapport à elle comme une totalité circulaire et strictement auto-référentielle. C’est l’aspect essentiel de la « maladie mentale » qu’O’Brien cherche à guérir chez Winston :

Vous croyez que la réalité est objective, extérieure, qu’elle existe par elle-même. Vous croyez aussi que la nature de la réalité est évidente en elle-même. Quand vous vous illusionnez et croyez voir quelque chose, vous pensez que tout le monde voit la même chose que vous. Mais je vous dis, Winston, que la réalité n’est pas extérieure. La réalité existe dans l’esprit humain et nulle part ailleurs. […] Elle n’existe que dans l’esprit du Parti, qui est collectif et immortel. Ce que le Parti tient pour vrai est la vérité. Il est impossible de voir la réalité si on ne regarde avec les yeux du Parti. Voilà le fait que vous devez rapprendre, Winston. Il exige un acte de destruction personnelle, un effort de volonté. Vous devez vous humilier pour acquérir la santé mentale (Orwell, 1950, p. 352-353).

Conclusion

Pour reprendre une expression courante, on peut dire que 1984 « finit mal »: défaite du personnage, défaite de l’individu face à la société, voire même défaite de l’humain, annihilation du concept même d’humanité. Mais peut-être pire encore est cette question laissée en suspens: pourquoi? O’Brien répond « le pouvoir pour le pouvoir, la persécution pour la persécution, la torture pour la torture », ce qui revient à dire que le pouvoir consiste précisément en l’évacuation totale de la question du pourquoi. La « double pensée », dans son fonctionnement, sert précisément à désamorcer cette question.

Dans le même esprit, l’on pourrait répondre à la question Comment le Parti peut-il permettre l’existence et la circulation du « livre » de Goldstein? en disant simplement que l’existence de ce livre est sans importance, comme les mots qu’il contient. Du point de vue du Parti, seule la pensée compte, non pas celle qu’on dégagerait d’un ouvrage mais celle qui se « terre » dans les quelques centimètres cubes du cerveau. Aussi les petits crimes de Winston n’intéressent pas O’Brien: tel un grand-prêtre, il cherche à s’approprier ce que l’on pourrait, ici, appeler l’ »âme » de Winston. « Tu es », slogan du Parti, s’opposant aux formulations telles « Tu dois » ou « Tu ne dois pas » des anciennes dictatures, prend alors toute sa dimension et son ampleur.

En tant que récit, 1984 procède à la critique radicale du discours utopique, romanesque ou autre, et tend à montrer, comme le mentionne Bozzetto, notre champ référentiel, notre réalité, comme l’ »utopie de la dystopie ». Cependant, loin d’inciter le lecteur à la complaisance, le récit d’Orwell l’invite à réfléchir sur les utopies fondatrices de la culture occidentale, des systèmes économiques, sur le régime d’exercice du pouvoir en vigueur de nos jours, sur la relation entre contrôle, technologie et communication. Plus largement, les façons d’envisager le complexe et le problématique sont également mises en cause. Les problèmes, semble-t-il, sont souvent préférables aux solutions.

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Notes

1 Il y a eu beaucoup d’autres distopies, dont plusieurs très intéressantes, et pas toujours sous forme romanesque — la pièce R. U. R. de Karel Capek, qui invente le « robot », en est un bon exemple. Pour les fins de cette analyse, on se concentrera sur le cas de 1984 d’Orwell, dont la facture radicalement dystopique possède certaines caractéristiques qui en font une œuvre tout à fait saisissante et originale.

2 Cet épisode est à la fois étrange et significatif: étrange parce le lecteur s’explique mal comment un tel livre peut exister en Océania, significatif parce qu’on finit par se rendre compte que cela est sans importance — O’Brien, le tortionnaire, affirme même avoir participé à son écriture. L’enjeu n’est pas la vérité: il est ailleurs.

Voir enfin: 

Culture

Why don’t we love our intellectuals?

While France celebrates its intelligentsia, you have to go back to Orwell and Huxley to find British intellectuals at the heart of national public debate. Why did we stop caring about ideas? When did ‘braininess’ become a laughing matter?

John Naughton

The Observer

Sunday 8 May 2011

One of the distinctive aspects of British culture is that the word « intellectual » seems to be regarded as a term of abuse. WH Auden summed it up neatly when he wrote: « To the man-in-the-street, who, I’m sorry to say, / Is a keen observer of life,/ The word ‘Intellectual’ suggests right away/ A man who’s untrue to his wife. »

Auden wasn’t alone in thinking that intellectuals suffer from ethical deficiencies. The journalist and historian Paul Johnson once devoted an entire book, Intellectuals: from Marx and Tolstoy to Sartre and Chomsky (2000), to proving that some of the 20th century’s most prominent thinkers were moral cretins. And in his book The Intellectuals and the Masses (Faber, 1992) the literary critic John Carey argued that most of our culture’s esteemed thinkers over several centuries despised the masses and devoted much of their efforts to excluding the hoi-polloi from cultural life. Both Johnson and Carey were pushing at an open door. Britain is a country in which the word « intellectual » is often preceded by the sneering adjective « so-called », where smart people are put down because they are « too clever by half » and where a cerebral politician (David Willetts) was for years saddled with the soubriquet « Two Brains ». It’s a society in which creative engineers are labelled « boffins » and kids with a talent for mathematics or computer programming are « nerds ». As far as the Brits are concerned, intellectuals begin at Calais and gravitate to Paris, where the fact that they are lionised in its cafes and salons is seen as proof that the French, despite their cheese- and wine-making skills, are fundamentally unsound. Given this nasty linguistic undercurrent, a Martian anthropologist would be forgiven for thinking that Britain was a nation of knuckle-dragging troglodytes rather than a cockpit of vibrant cultural life and home to some of the world’s best universities, most creative artists, liveliest publications and greatest theatres and museums.

The fact that a nation that lives by its considerable wits should be in denial about its reliance on the life of the mind is truly weird. It’s what led the historian of ideas Stefan Collini to postulate what he calls the « absence thesis ». This has two dimensions – temporal and geographical. In the first, contemporary figures are regarded as just pale reflections of the great figures of the past: thus Christopher Hitchens and Martin Amis, say, are pygmies compared with George Orwell and Aldous Huxley. Richard Posner, another student of public intellectuals, describes this as measuring today’s average against yesterday’s peak. In either case, it conveniently ignores the fact that the heroes of the past were often undervalued by their contemporaries as mere pale reflections of the « really » great figures of an even more distant past. The geographical dimension of the absence thesis is reflected in the belief that intellectuals begin at Calais. But, as Collini observes, « the frequently encountered claim that there are no intellectuals in Britain is generally advanced by those who, were they living in certain other societies, would unhesitatingly be regarded as intellectuals ». As a historian, Collini smells an ideological rat here, and traces the odour to an ideological belief in British exceptionalism. What it amounts to is the belief that the course of British history has been so exceptionally smooth – with its adaptable aristocracy, (relatively) tolerant church, apolitical military and reformist bourgeoisie – that there was no call for the evolution of an oppositional intelligentsia. So the fact that there are no intellectuals in Britain is something to be proud of. It’s a byproduct of the Whig interpretation of history.

This strikes me as baloney, mostly derived from a comprehensive misunderstanding of other cultures – a species of what Collini calls « Dreyfus envy », after the celebrated late 19th-century affair in which intellectuals took on the French establishment and won. Intellectuals may enjoy a higher celebrity status across the Channel but I can see little evidence that France is more governed by ideas than is Britain. Part of the problem is that our stereotypical image of the public intellectual is a continental one – and largely embodied by Jean-Paul Sartre and his long-time accomplice, Simone de Beauvoir. The fact that (as we discovered after their deaths) they were devious, manipulative, hypocritical and – in Sartre’s case at least – ludicrously credulous about authoritarian regimes has tarnished their lustre somewhat. But much the same could be said of many of the other public intellectuals of yesteryear: think of Arthur Koestler, who specialised in treating people abominably while writing the sublime Darkness at Noon, or of the British intellectuals of the 1930s who so admired Stalin, even as he was slaughtering his own people.

So let us cast off the inferiority complex towards the cerebral continent and move on to more interesting questions. What, for example, is a public intellectual? In his study of the species, the American legal scholar Richard Posner defines them as « intellectuals who opine to an educated public on questions of… political or ideological concern ». It’s not just enough to be interested in ideas, therefore; to count as a public intellectual (or PI, for short) one must participate in debate to clarify issues, expose the errors of other public intellectuals, draw attention to neglected issues and generally vivify public discussion. The French polymath Pierre Bourdieu saw PIs as thinkers who are independent of those in power, critical of received ideas, demolishers of « simplistic either-ors » and respecters of « the complexity of problems ». The Palestinian literary critic Edward Said saw the public intellectual as « the scoffer whose place it is publicly to raise embarrassing questions, to confront orthodoxy and dogma, to be someone who cannot easily be co-opted by governments or corporations ».

None of these definitions is sharp enough to be very useful: any ranter with a megaphone and a mastery of rhetoric could qualify. In his book Absent Minds: Intellectuals in Britain (Oxford, 2006), Collini goes to the other extreme, arguing that a public intellectual is someone who first achieves a level of creative or scholarly achievement and then uses available media to engage with the broader concerns of wider publics. So the novelist Ian McEwan, say, would qualify but a widely read newspaper columnist might not.

What this highlights is the intrinsic imprecision of the concept of the public intellectual. Faced with this, most analysts of the phenomenon fall back on measures of the impact that individual thinkers make on the public consciousness. In his survey of American public intellectuals, Public Intellectuals: a Study of Decline (Harvard, 2003), for example, Posner had the plausible idea of trying to rank over 500 candidates who had been prominent between 1995 and 2000, using media mentions, web hits and scholarly citations. But he immediately ran into the problem that the third metric wasn’t appropriate for many of them. The Nobel laureate Gary Becker had over 5,000 scholarly citations while the New York Times columnist David Brooks had none, but who is to say that Brooks is the less influential intellectual?

But at least Posner did his own research. Most other surveys of public intellectuals seem to be done by polling readers of highbrow publications. For example in 2004 Prospect magazine conducted a poll to find « Britain’s top 100 public intellectuals ». This produced the usual suspects (Tariq Ali, Melvyn Bragg, Terry Eagleton, John Gray, Christopher Hitchens, Lisa Jardine, Roger Scruton, George Steiner) but also a few left-field candidates (the musician Brian Eno, for example, as well as TV executive David Elstein and Robert Cooper, the cerebral diplomat who was the brains behind Tony Blair’s doctrine of interventionism).

Four years later Prospect teamed up with the American magazine Foreign Affairs with the aim of identifying « the 100 most important public intellectuals that are still alive and active in public life ». The resulting list was compiled via a readers’ poll and purported to be global, so perhaps it wasn’t entirely surprising that only eight Brits (Kwame Anthony Appiah, Richard Dawkins, Salman Rushdie, Christopher Hitchens, Martin Wolf, Tony Judt, Niall Ferguson and James Lovelock) figured on it. But the more one examined the list, the wackier it seemed. For example, it suggested that the world’s greatest living public intellectual was Fethullah Gülen. Eh? Wikipedia reveals that he is « a Turkish preacher, author, educator, and Muslim scholar living in self-imposed exile in Pennsylvania ». No 3 was a guy called Yusuf al-Qaradawi, who is apparently an Egyptian Islamic theologian, while No 5 was a Pakistani barrister named Chaudhry Aitzaz Ahsan and No 7 was Abdolkarim Soroush, an Iranian Islamic scholar of whose existence I had until that point remained blissfully unaware. I could go on but you will get the point. Recognising that they had been shafted by some clever flash-mobbing, the erudite editors of Prospect and Foreign Affairs tried to salvage something from the wreckage in a later edition. Noting that the definition of public intellectual remained « satisfyingly vague », they set up what the racing fraternity would call a stewards’ inquiry to « weigh up the field on three criteria: novelty, real-world impact, and intellectual pizzazz ». The result: the world’s leading intellectual turned out to be General David Petraeus, architect of the US « surge » in Iraq, currently in charge of the fiasco in Afghanistan and scheduled to become head of the CIA in September.

This is the kind of thing that gives superficiality a bad name. How, for example, would one measure novelty, let alone « intellectual pizzazz »? But if public polling is vulnerable to the kind of ballot-stuffing that made nonsense of the Prospect/Foreign Affairs survey, and if Posner’s more rigorous metrics are inadequate, is it possible to come up with any listing of significant public intellectuals that is not, in one way or another, arbitrary?

In an attempt to answer the question, I tried a different tack by analysing the lists of contributors to serious English-language print or online publications (including the London Review of Books, the New York Review of Books, major broadsheet newspapers, some widely read blogs and other sources), looking for British thinkers. I then added to these the names of British intellectuals drawn from earlier surveys by Prospect and Posner. The result was a list of just over 300 people (grouped by their primary profession) whose ideas are deemed worthy of public attention by the gatekeepers of the publications I surveyed.

A list like this has a certain voyeuristic fascination, and will doubtless be seen as arbitrary by those who find themselves – or their favourites – excluded. It also comes with a health warning. Compiling it makes one realise how difficult it is to make an assessment of the impact that any particular individual has on the public consciousness. The philosopher Onora O’Neill has influenced the thinking of many of us with her coruscating insight. But so too has the playwright Michael Frayn. Both have had a significant impact on our culture. But who has been more influential? Impossible to say. Similarly, with his Radio 4 series In Our Time, Melvyn Bragg has done sterling service in injecting serious ideas into public consciousness. Is he therefore a more significant public intellectual than the unobtrusive editor of the London Review of Books, Mary-Kay Wilmers? Who knows?

So a list like this is a starting point for a discussion, not a conclusion. It raises some intriguing questions. Take the gender balance, for example. Only around a quarter of the intellectuals listed are women. Does this mean that British cultural life is unusually male-dominated? Actually, it suggests the opposite. Only 9% of the list of the world’s « Top 100 intellectuals » produced by Prospect and Foreign Affairs were women. And of Posner’s list of 546 public intellectuals just 10% were women. The other intriguing feature of our list is the relative importance of different professions. (Again, this comes with a caveat, because in many cases it’s not easy to determine what the « primary » profession of an individual is: many intellectuals write both fiction and non-fiction, for example – which is how Hilary Mantel and Jonathan Raban find themselves in the same category: authors.)

But if the list is anything to go by, then the dominant professions from which contemporary British public intellectuals are drawn are journalists (20%), writers (19%), historians (14%) and critics (13%).

A big surprise is the relatively poor showing of thinkers whom one would expect to be making a significant impact on public discourse – philosophers (4%), scientists (4%), economists (3%) and politicians (2%). But the main conclusion to be drawn from this survey is that the trope that intellectuals begin at Calais is simply wrong. The British aversion to the I-word seems to be at odds with the facts. This country has an impressive array of lively, creative and argumentative minds. And if you doubt that, just watch them take this thesis to pieces.

Culture

Britain’s top 300 intellectuals

John Naughton’s suggested list of public figures leading our cultural discourse, broken down by profession

John Naughton

The Observer

Sunday 8 May 2011

ACADEMICS

Gillian Beer

John Carey

Stefan Collini

Terry Eagleton

Lawrence Freedman

Caroline Humphrey

Hermione Lee

John Mullan

John Sutherland

Michael Wood

ACTIVISTS

Tariq Ali

George Monbiot

AUTHORS

Martin Amis

Julian Barnes

Brigid Brophy

AS Byatt

John Cornwell

Margaret Drabble

Elaine Feinstein

Sean French

Nicci Gerrard

Germaine Greer

Jeremy Harding

Alan Hollinghurst

Richard Holmes

Michael Holroyd

Martin Jacques

AL Kennedy

Hari Kunzru

Hanif Kureishi

John Lanchester

Charlie Leadbeater

Doris Lessing

Anatol Lieven

Penelope Lively

David Lodge

Hilary Mantel

Ian McEwan

Blake Morrison

Nicholas Mosley

VS Naipaul

Tom Nairn

Andrew O’Hagan

Tim Parks

Philip Pullman

Jonathan Raban

Matt Ridley

Salman Rushdie

Malise Ruthven

Ziauddin Sardar

Will Self

Nicholas Shakespeare

Lionel Shriver

Gitta Sereny

Simon Singh

Zadie Smith

Francis Spufford

Raymond Tallis

Paul Theroux

Colm Toibin

Claire Tomalin

Jenny Uglow

Marina Warner

Fay Weldon

AN Wilson

Jeanette Winterson

CLASSICISTS

Mary Beard

Helen King

CRITICS

Rosemary Ashton

Melissa Bennett

John Berger

Michael Billington

Rachel Bowlby

Marilyn Butler

Anne Carson

Susannah Clapp

Patricia Craig

Valentine Cunningham

Gillian Darley

Rosemary Dinnage

Jenny Diski

Geoff Dyer

William Feaver

Philip French

Kitty Hauser

Clive James

Waldemar Januszczak

Charles Jencks

Gabriel Josipovici

Martin Kemp

Declan Kiberd

Anthony Lane

Mark Lawson

Alison Light

Colin MacCabe

Robert Macfarlane

Karl Miller

Christopher Ricks

Frances Spalding

George Steiner

James Wood

ECONOMISTS

Ha-Joon Chang

Diane Coyle

Partha Dasgupta

Howard Davies

Noreena Hertz

John Kay

Mervyn King

Richard Layard

Amartya Sen

Robert Skidelsky

HISTORIANS

Perry Anderson

Anthony Beevor

Maxine Berg

Miranda Carter

David Cannadine

Peter Clarke

Linda Colley

Martin Daunton

Ruth Dudley-Edwards

Eamon Duffy

Richard J Evans

Niall Ferguson

Orlando Figes

Sheila Fitzpatrick

Roy Foster

Antonia Fraser

Timothy Garton Ash

Martin Gilbert

Peter Hennessy

Rosemary Hill

Boyd Hilton

Eric Hobsbawm

Tristram Hunt

Lisa Jardine

John Keegan

Noel Malcolm

Neil McKendrick

Ross McKibbin

Margaret MacMillan

Noel Malcolm

Keith Middlemas

Richard Overy

David Reynolds

Simon Schama

Brendan Simms

Quentin Skinner

Gavin Stamp

David Starkey

Jonathan Steinberg

Norman Stone

Charles Townshend

Theodore Zeldin

JOURNALISTS/EDITORS

Bryan Appleyard

Neal Ascherson

Jackie Ashley

Christopher Booker

Melvyn Bragg

Victoria Brittain

Samuel Brittan

Madeleine Bunting

Ian Buruma

Christopher Caldwell

Beatrix Campbell

Alexander Cockburn

Matthew D’Ancona

Matthew Engel

Daniel Finkelstein

Robert Fisk

Jonathan Freedland

John Gapper

Misha Glenny

Ben Goldacre

Robert Harris

Max Hastings

Simon Heffer

Zoe Heller

Isabel Hilton

Christopher Hitchens

Peter Hitchens

Will Hutton

Marina Hyde

Ian Jack

Simon Jenkins

Liz Jobey

Paul Johnson

Anatole Kaletsky

Martin Kettle

John Lloyd

Bronwen Maddox

Andrew Marr

Paul Mason

Seamus Milne

Charles Moore

Suzanne Moore

Caroline Moorehead

Ferdinand Mount

Fintan O’Toole

Robert Peston

Melanie Phillips

Gideon Rachman

Andrew Rawnsley

Mary Riddell

Peter Riddell

Alan Rusbridger

Karl Sabbagh

Robert Shrimsley

Andrew Sullivan

Gillian Tett

Polly Toynbee

Geoffrey Wheatcroft

Mary-Kay Wilmers

Martin Wolf

Francis Wyndham

LAWYERS

Clive Anderson

Conor Gearty

Anthony Julius

Helena Kennedy

Michael Mansfield

David Pannick

Gareth Peirce

Philippe Sands

Clive Stafford Smith

MEDIA EXECUTIVES

David Elstein

MUSEUM DIRECTORS

Neil MacGregor

MUSICIANS

Brian Eno

Peter Maxwell Davies

PHILOSOPHERS

Anthony Appiah

Julian Baggini

Simon Blackburn

Alain de Botton

AC Grayling

Mary Midgley

Onora O’Neill

Derek Parfit

Roger Scruton

Richard Sennett

Mary Warnock

PLAYWRIGHTS

Alan Bennett

Howard Brenton

Michael Frayn

Bonnie Greer

David Hare

Tom Stoppard

POETS

Kevin Crossley-Holland

Carol Ann Duffy

James Fenton

Seamus Heaney

Christopher Logue

Michael Longley

Andrew Motion

Paul Muldoon

Tom Paulin

Craig Raine

Denise Riley

Derek Walcott

POLICY ADVISERS

Anthony Adonis

Robert Cooper

Geoff Mulgan

Adair Turner

POLITICAL PHILOSOPHERS

Phillip Blond

John Dunn

John Gray

POLITICAL SCIENTISTS

Vernon Bogdanor

Mary Kaldor

Derek Marquand

David Runciman

POLITICAL THEORISTS

Stuart Hall

Julia Neuberger

POLITICIANS

Tessa Blackstone

Gordon Brown

Frank Field

Michael Gove

Rory Stewart

Shirley Williams

David Willetts

PSYCHOTHERAPISTS

Susie Orbach

Adam Phillips

RELIGIOUS LEADERS

Jonathan Sacks

Rowan Williams

SCIENTISTS

Colin Blakemore

Brian Cox

Richard Dawkins

Marcus du Sautoy

Susan Greenfield

Stephen Hawking

James Lovelock

Paul Nurse

Hugh Pennington

Roger Penrose

Steven Rose

Robert Winston

SOCIAL SCIENTISTS

Anthony Giddens

Paul Gilroy

Julian Le Grand

Julian Thompson

THEATRE DIRECTORS

Richard Eyre

Nicholas Hytner

Jonathan Miller

Katie Mitchell

Voir par ailleurs:

The masterpiece that killed George Orwell

In 1946 Observer editor David Astor lent George Orwell a remote Scottish farmhouse in which to write his new book, Nineteen Eighty-Four. It became one of the most significant novels of the 20th century. Here, Robert McCrum tells the compelling story of Orwell’s torturous stay on the island where the author, close to death and beset by creative demons, was engaged in a feverish race to finish the book

Robert McCrum

The Observer

Sunday 10 May 2009

« It was a bright cold day in April, and the clocks were striking thirteen. »

Sixty years after the publication of Orwell’s masterpiece, Nineteen Eighty-Four, that crystal first line sounds as natural and compelling as ever. But when you see the original manuscript, you find something else: not so much the ringing clarity, more the obsessive rewriting, in different inks, that betrays the extraordinary turmoil behind its composition.

Probably the definitive novel of the 20th century, a story that remains eternally fresh and contemporary, and whose terms such as « Big Brother », « doublethink » and « newspeak » have become part of everyday currency, Nineteen Eighty-Four has been translated into more than 65 languages and sold millions of copies worldwide, giving George Orwell a unique place in world literature.

« Orwellian » is now a universal shorthand for anything repressive or totalitarian, and the story of Winston Smith, an everyman for his times, continues to resonate for readers whose fears for the future are very different from those of an English writer in the mid-1940s.

The circumstances surrounding the writing of Nineteen Eighty-Four make a haunting narrative that helps to explain the bleakness of Orwell’s dystopia. Here was an English writer, desperately sick, grappling alone with the demons of his imagination in a bleak Scottish outpost in the desolate aftermath of the second world war. The idea for Nineteen Eighty-Four, alternatively, « The Last Man in Europe », had been incubating in Orwell’s mind since the Spanish civil war. His novel, which owes something to Yevgeny Zamyatin’s dystopian fiction We, probably began to acquire a definitive shape during 1943-44, around the time he and his wife, Eileen adopted their only son, Richard. Orwell himself claimed that he was partly inspired by the meeting of the Allied leaders at the Tehran Conference of 1944. Isaac Deutscher, an Observer colleague, reported that Orwell was « convinced that Stalin, Churchill and Roosevelt consciously plotted to divide the world » at Tehran.

Orwell had worked for David Astor’s Observer since 1942, first as a book reviewer and later as a correspondent. The editor professed great admiration for Orwell’s « absolute straightforwardness, his honesty and his decency », and would be his patron throughout the 1940s. The closeness of their friendship is crucial to the story of Nineteen Eighty-Four.

Orwell’s creative life had already benefited from his association with the Observer in the writing of Animal Farm. As the war drew to a close, the fruitful interaction of fiction and Sunday journalism would contribute to the much darker and more complex novel he had in mind after that celebrated « fairy tale ». It’s clear from his Observer book reviews, for example, that he was fascinated by the relationship between morality and language.

There were other influences at work. Soon after Richard was adopted, Orwell’s flat was wrecked by a doodlebug. The atmosphere of random terror in the everyday life of wartime London became integral to the mood of the novel-in-progress. Worse was to follow. In March 1945, while on assignment for the Observer in Europe, Orwell received the news that his wife, Eileen, had died under anaesthesia during a routine operation.

Suddenly he was a widower and a single parent, eking out a threadbare life in his Islington lodgings, and working incessantly to dam the flood of remorse and grief at his wife’s premature death. In 1945, for instanc e, he wrote almost 110,000 words for various publications, including 15 book reviews for the Observer.

Now Astor stepped in. His family owned an estate on the remote Scottish island of Jura, next to Islay. There was a house, Barnhill, seven miles outside Ardlussa at the remote northern tip of this rocky finger of heather in the Inner Hebrides. Initially, Astor offered it to Orwell for a holiday. Speaking to the Observer last week, Richard Blair says he believes, from family legend, that Astor was taken aback by the enthusiasm of Orwell’s response.

In May 1946 Orwell, still picking up the shattered pieces of his life, took the train for the long and arduous journey to Jura. He told his friend Arthur Koestler that it was « almost like stocking up ship for an arctic voyage ».

It was a risky move; Orwell was not in good health. The winter of 1946-47 was one of the coldest of the century. Postwar Britain was bleaker even than wartime, and he had always suffered from a bad chest. At least, cut off from the irritations of literary London, he was free to grapple unencumbered with the new novel. « Smothered under journalism, » as he put it, he told one friend, « I have become more and more like a sucked orange. »

Ironically, part of Orwell’s difficulties derived from the success of Animal Farm. After years of neglect and indifference the world was waking up to his genius. « Everyone keeps coming at me, » he complained to Koestler, « wanting me to lecture, to write commissioned booklets, to join this and that, etc – you don’t know how I pine to be free of it all and have time to think again. »

On Jura he would be liberated from these distractions but the promise of creative freedom on an island in the Hebrides came with its own price. Years before, in the essay « Why I Write », he had described the struggle to complete a book: « Writing a book is a horrible, exhausting struggle, like a long bout of some painful illness. One would never undertake such a thing if one were not driven by some demon whom one can neither resist or [sic] understand. For all one knows that demon is the same instinct that makes a baby squall for attention. And yet it is also true that one can write nothing readable unless one constantly struggles to efface one’s personality. » Then that famous Orwellian coda. « Good prose is like a window pane. »

From the spring of 1947 to his death in 1950 Orwell would re-enact every aspect of this struggle in the most painful way imaginable. Privately, perhaps, he relished the overlap between theory and practice. He had always thrived on self-inflicted adversity.

At first, after « a quite unendurable winter », he revelled in the isolation and wild beauty of Jura. « I am struggling with this book, » he wrote to his agent, « which I may finish by the end of the year – at any rate I shall have broken the back by then so long as I keep well and keep off journalistic work until the autumn. »

Barnhill, overlooking the sea at the top of a potholed track, was not large, with four small bedrooms above a spacious kitchen. Life was simple, even primitive. There was no electricity. Orwell used Calor gas to cook and to heat water. Storm lanterns burned paraffin. In the evenings he also burned peat. He was still chain-smoking black shag tobacco in roll-up cigarettes: the fug in the house was cosy but not healthy. A battery radio was the only connection with the outside world.

Orwell, a gentle, unworldly sort of man, arrived with just a camp bed, a table, a couple of chairs and a few pots and pans. It was a spartan existence but supplied the conditions under which he liked to work. He is remembered here as a spectre in the mist, a gaunt figure in oilskins.

The locals knew him by his real name of Eric Blair, a tall, cadaverous, sad-looking man worrying about how he would cope on his own. The solution, when he was joined by baby Richard and his nanny, was to recruit his highly competent sister, Avril. Richard Blair remembers that his father « could not have done it without Avril. She was an excellent cook, and very practical. None of the accounts of my father’s time on Jura recognise how essential she was. »

Once his new regime was settled, Orwell could finally make a start on the book. At the end of May 1947 he told his publisher, Fred Warburg: « I think I must have written nearly a third of the rough draft. I have not got as far as I had hoped to do by this time because I really have been in most wretched health this year ever since about January (my chest as usual) and can’t quite shake it off. »

Mindful of his publisher’s impatience for the new novel, Orwell added: « Of course the rough draft is always a ghastly mess bearing little relation to the finished result, but all the same it is the main part of the job. » Still, he pressed on, and at the end of July was predicting a completed « rough draft » by October. After that, he said, he would need another six months to polish up the text for publication. But then, disaster.

Part of the pleasure of life on Jura was that he and his young son could enjoy the outdoor life together, go fishing, explore the island, and potter about in boats. In August, during a spell of lovely summer weather, Orwell, Avril, Richard and some friends, returning from a hike up the coast in a small motor boat, were nearly drowned in the infamous Corryvreckan whirlpool.

Richard Blair remembers being « bloody cold » in the freezing water, and Orwell, whose constant coughing worried his friends, did his lungs no favours. Within two months he was seriously ill. Typically, his account to David Astor of this narrow escape was laconic, even nonchalant.

The long struggle with « The Last Man in Europe » continued. In late October 1947, oppressed with « wretched health », Orwell recognised that his novel was still « a most dreadful mess and about two-thirds of it will have to be retyped entirely ».

He was working at a feverish pace. Visitors to Barnhill recall the sound of his typewriter pounding away upstairs in his bedroom. Then, in November, tended by the faithful Avril, he collapsed with « inflammation of the lungs » and told Koestler that he was « very ill in bed ». Just before Christmas, in a letter to an Observer colleague, he broke the news he had always dreaded. Finally he had been diagnosed with TB.

A few days later, writing to Astor from Hairmyres hospital, East Kilbride, Lanarkshire, he admitted: « I still feel deadly sick, » and conceded that, when illness struck after the Corryvreckan whirlpool incident, « like a fool I decided not to go to a doctor – I wanted to get on with the book I was writing. » In 1947 there was no cure for TB – doctors prescribed fresh air and a regular diet – but there was a new, experimental drug on the market, streptomycin. Astor arranged for a shipment to Hairmyres from the US.

Richard Blair believes that his father was given excessive doses of the new wonder drug. The side effects were horrific (throat ulcers, blisters in the mouth, hair loss, peeling skin and the disintegration of toe and fingernails) but in March 1948, after a three-month course, the TB symptoms had disappeared. « It’s all over now, and evidently the drug has done its stuff, » Orwell told his publisher. « It’s rather like sinking the ship to get rid of the rats, but worth it if it works. »

As he prepared to leave hospital Orwell received the letter from his publisher which, in hindsight, would be another nail in his coffin. « It really is rather important, » wrote Warburg to his star author, « from the point of view of your literary career to get it [the new novel] by the end of the year and indeed earlier if possible. »

Just when he should have been convalescing Orwell was back at Barnhill, deep into the revision of his manuscript, promising Warburg to deliver it in « early December », and coping with « filthy weather » on autumnal Jura. Early in October he confided to Astor: « I have got so used to writing in bed that I think I prefer it, though of course it’s awkward to type there. I am just struggling with the last stages of this bloody book [which is] about the possible state of affairs if the atomic war isn’t conclusive. »

This is one of Orwell’s exceedingly rare references to the theme of his book. He believed, as many writers do, that it was bad luck to discuss work-in-progress. Later, to Anthony Powell, he described it as « a Utopia written in the form of a novel ». The typing of the fair copy of « The Last Man in Europe » became another dimension of Orwell’s battle with his book. The more he revised his « unbelievably bad » manuscript the more it became a document only he could read and interpret. It was, he told his agent, « extremely long, even 125,000 words ». With characteristic candour, he noted: « I am not pleased with the book but I am not absolutely dissatisfied… I think it is a good idea but the execution would have been better if I had not written it under the influence of TB. »

And he was still undecided about the title: « I am inclined to call it NINETEEN EIGHTY-FOUR or THE LAST MAN IN EUROPE, » he wrote, « but I might just possibly think of something else in the next week or two. » By the end of October Orwell believed he was done. Now he just needed a stenographer to help make sense of it all.

It was a desperate race against time. Orwell’s health was deteriorating, the « unbelievably bad » manuscript needed retyping, and the December deadline was looming. Warburg promised to help, and so did Orwell’s agent. At cross-purposes over possible typists, they somehow contrived to make a bad situation infinitely worse. Orwell, feeling beyond help, followed his ex-public schoolboy’s instincts: he would go it alone.

By mid-November, too weak to walk, he retired to bed to tackle « the grisly job » of typing the book on his « decrepit typewriter » by himself. Sustained by endless roll-ups, pots of coffee, strong tea and the warmth of his paraffin heater, with gales buffeting Barnhill, night and day, he struggled on. By 30 November 1948 it was virtually done.

Now Orwell, the old campaigner, protested to his agent that « it really wasn’t worth all this fuss. It’s merely that, as it tires me to sit upright for any length of time, I can’t type very neatly and can’t do many pages a day. » Besides, he added, it was « wonderful » what mistakes a professional typist could make, and « in this book there is the difficulty that it contains a lot of neologisms ».

The typescript of George Orwell’s latest novel reached London in mid December, as promised. Warburg recognised its qualities at once (« amongst the most terrifying books I have ever read ») and so did his colleagues. An in-house memo noted « if we can’t sell 15 to 20 thousand copies we ought to be shot ».

By now Orwell had left Jura and checked into a TB sanitorium high in the Cotswolds. « I ought to have done this two months ago, » he told Astor, « but I wanted to get that bloody book finished. » Once again Astor stepped in to monitor his friend’s treatment but Orwell’s specialist was privately pessimistic.

As word of Nineteen Eighty-Four began to circulate, Astor’s journalistic instincts kicked in and he began to plan an Observer Profile, a significant accolade but an idea that Orwell contemplated « with a certain alarm ». As spring came he was « having haemoptyses » (spitting blood) and « feeling ghastly most of the time » but was able to involve himself in the pre-publication rituals of the novel, registering « quite good notices » with satisfaction. He joked to Astor that it wouldn’t surprise him « if you had to change that profile into an obituary ».

Nineteen Eighty-Four was published on 8 June 1949 (five days later in the US) and was almost universally recognised as a masterpiece, even by Winston Churchill, who told his doctor that he had read it twice. Orwell’s health continued to decline. In October 1949, in his room at University College hospital, he married Sonia Brownell, with David Astor as best man. It was a fleeting moment of happiness; he lingered into the new year of 1950. In the small hours of 21 January he suffered a massive haemorrhage in hospital and died alone.

The news was broadcast on the BBC the next morning. Avril Blair and her nephew, still up on Jura, heard the report on the little battery radio in Barnhill. Richard Blair does not recall whether the day was bright or cold but remembers the shock of the news: his father was dead, aged 46.

David Astor arranged for Orwell’s burial in the churchyard at Sutton Courtenay, Oxfordshire. He lies there now, as Eric Blair, between HH Asquith and a local family of Gypsies.

Why ‘1984’?

Orwell’s title remains a mystery. Some say he was alluding to the centenary of the Fabian Society, founded in 1884. Others suggest a nod to Jack London’s novel The Iron Heel (in which a political movement comes to power in 1984), or perhaps to one of his favourite writer GK Chesterton’s story, « The Napoleon of Notting Hill », which is set in 1984.

In his edition of the Collected Works (20 volumes), Peter Davison notes that Orwell’s American publisher claimed that the title derived from reversing the date, 1948, though there’s no documentary evidence for this. Davison also argues that the date 1984 is linked to the year of Richard Blair’s birth, 1944, and notes that in the manuscript of the novel, the narrative occurs, successively, in 1980, 1982 and finally, 1984. There’s no mystery about the decision to abandon « The Last Man in Europe ». Orwell himself was always unsure of it. It was his publisher, Fred Warburg who suggested that Nineteen Eighty-Four was a more commercial title.

Freedom of speech: How ‘1984’ has entrusted our culture

The effect of Nineteen Eighty-Four on our cultural and linguistic landscape has not been limited to either the film adaptation starring John Hurt and Richard Burton, with its Nazi-esque rallies and chilling soundtrack, nor the earlier one with Michael Redgrave and Edmond O’Brien.

It is likely, however, that many people watching the Big Brother series on television (in the UK, let alone in Angola, Oman or Sweden, or any of the other countries whose TV networks broadcast programmes in the same format) have no idea where the title comes from or that Big Brother himself, whose role in the reality show is mostly to keep the peace between scrapping, swearing contestants like a wise uncle, is not so benign in his original incarnation.

Apart from pop-culture renditions of some of the novel’s themes, aspects of its language have been leapt upon by libertarians to describe the curtailment of freedom in the real world by politicians and officials – alarmingly, nowhere and never more often than in contemporary Britain.

Orwellian

George owes his own adjective to this book alone and his idea that wellbeing is crushed by restrictive, authoritarian and untruthful government.

Big Brother (is watching you)

A term in common usage for a scarily omniscient ruler long before the worldwide smash-hit reality-TV show was even a twinkle in its producers’ eyes. The irony of societal hounding of Big Brother contestants would not have been lost on George Orwell.

Room 101

Some hotels have refused to call a guest bedroom number 101 – rather like those tower blocks that don’t have a 13th floor – thanks to the ingenious Orwellian concept of a room that contains whatever its occupant finds most impossible to endure. Like Big Brother, this has spawned a modern TV show: in this case, celebrities are invited to name the people or objects they hate most in the world.

Thought Police

An accusation often levelled at the current government by those who like it least is that they are trying to tell us what we can and cannot think is right and wrong. People who believe that there are correct ways to think find themselves named after Orwell’s enforcement brigade.

Thoughtcrime

See « Thought Police » above. The act or fact of transgressing enforced wisdom.

Newspeak

For Orwell, freedom of expression was not just about freedom of thought but also linguistic freedom. This term, denoting the narrow and diminishing official vocabulary, has been used ever since to denote jargon currently in vogue with those in power.

Doublethink

Hypocrisy, but with a twist. Rather than choosing to disregard a contradiction in your opinion, if you are doublethinking, you are deliberately forgetting that the contradiction is there. This subtlety is mostly overlooked by people using the accusation of « doublethink » when trying to accuse an adversary of being hypocritical – but it is a very popular word with people who like a good debate along with their pints in the pub. Oliver Marre