Exposition Boltanski: Le monde est atroce mais il y a bien pire c’est Dieu (Is contemporary art anti-Christian?)

22 février, 2010
Treblinka grab (1943)News of the world (Queen, 1977)https://s-media-cache-ak0.pinimg.com/736x/28/b3/a3/28b3a3228bd79ccab3244cf9a6ca7372.jpgEt l’Éternel dit: J’exterminerai de la face de la terre l’homme que j’ai créé, depuis l’homme jusqu’au bétail, aux reptiles, et aux oiseaux du ciel; car je me repens de les avoir faits. Genèse 6: 7
Je suis l’Éternel, et il n’y en a point d’autre. Je forme la lumière, et je crée les ténèbres, Je donne la prospérité, et je crée l’adversité; Moi, l’Éternel, je fais toutes ces choses. Esaïe 45: 6-7
Ses disciples lui firent cette question: Rabbi, qui a péché, cet homme ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle? Jésus répondit: Ce n’est pas que lui ou ses parents aient péché. Jean 9: 2-3
Quelques personnes qui se trouvaient là racontaient à Jésus ce qui était arrivé à des Galiléens dont Pilate avait mêlé le sang avec celui de leurs sacrifices. Il leur répondit: Croyez-vous que ces Galiléens fussent de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens, parce qu’ils ont souffert de la sorte? (…) Ou bien, ces dix-huit personnes sur qui est tombée la tour de Siloé et qu’elle a tuées, croyez-vous qu’elles fussent plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem? Non, je vous le dis. Jésus (Luc 3: 1-5)
Après Auschwitz, nous pouvons affirmer, plus résolument que jamais auparavant, qu’une divinité toute-puissante ou bien ne serait pas toute bonne, ou bien resterait entièrement incompréhensible (dans son gouvernement du monde, qui seul nous permet de la saisir). Mais si Dieu, d’une certaine manière et à un certain degré, doit être intelligible (et nous sommes obligés de nous y tenir), alors il faut que sa bonté soit compatible avec l’existence du mal, et il n’en va de la sorte que s’il n’est pas tout-puissant. C’est alors seulement que nous pouvons maintenir qu’il est compréhensible et bon, malgré le mal qu’il y a dans le monde. Hans Jonas
Christs, Vierges, Pietàs, Crucifixions, enfers, paradis, offrandes, chutes, dons, échanges: la vision chrétienne du monde semble revenir en force. Où? Dans le domaine de l’art le plus contemporain. (…) L’homme y est réinterprété comme corps incarné, faible, en échec. Cette religion insiste sur l’ordinaire et l’accessible, elle est hantée par la dérision, la mort et le deuil. Après une modernité désincarnée proposant ses icônes majestueuses, on en revient à une image incarnée, une image d’après la chute. En profondeur, il se dit là un renversement des modèles de l’art lui-même: A Prométhée succède Sisyphe ou mieux le Christ souffrant, un homme sans modèle, sans lien, inscrit dans une condition humaine à laquelle il ne peut échapper. Yves Michaud (4e de couverture, L’art contemporain est-il chrétien, Catherine Grenier)
C’est comme une fête foraine, les jeux avec les pinces… Le monde est atroce, mais il y a bien pire : c’est Dieu. On ne peut pas comprendre Haïti. On ne peut même pas dire que Dieu est méchant, aucun méchant n’aurait fait cela. Christian Boltanski
Depuis quelques temps, je m’intéresse au doigt de Dieu, au hasard. Sous la nef s’élèvera une montagne de vêtements, haute d’environ dix mètres. Une grande pince au bout d’une grue prendra ces vêtements, les amènera jusqu’au ciel et les relâcher. Quand je marche dans une forêt, j’écrase sans le vouloir des fourmis à l’égard desquelles je ne nourris aucune animosité. Aujourd’hui je pense que Dieu, de la même manière, est indifférent. De temps en temps il écrase des choses en dessous de lui, mais sans désir de méchanceté. Christian Boltanski
Vous savez ce qu’on dit : le Russe bat le Polonais, le Polonais bat le Juif, le Juif bat son chien. On bat toujours plus bas que soi. Cet homme pourrait être nous, ou ne pas l’être. Ou pas encore. C’est le pouvoir sur l’homme qui est terrible. La loi française avait interdit aux Juifs d’avoir un chat. Notre voisin, un homme extrêmement sympathique, est venu un jour : si votre chat continue à m’embêter, je vous dénonce. Il n’était pas mauvais, mais on lui avait donné ce pouvoir. Christian Boltanski
Au musée, tout est sacré. Chez moi, il n’y a rien de sacré. Pour rouiller mes boîtes, je pissais dessus. Après, je les ai arrosées de Coca. Un conservateur pour une exposition les faisait installer avec des gants blancs. Cela n’a aucun sens!
Je ne cesse de penser au hasard, avec cette question, absurde, inexpliquée : pourquoi, moi, je suis encore vivant ? Et pourquoi mon voisin est-il mort ? Il n’y a aucune règle à tout ça, et cette chose m’obsède. Ma vie et mon oeuvre ont été très marqués par la Shoah – à ma naissance, en 1944, mes parents ont volontairement effacé leurs traces, et nous avons vécu dans un appartement parisien dissimulés sous le plancher de la maison -, et je crois que tous les survivants de la Shoah n’ont cessé de se poser la question: pourquoi j’ai survécu? Christian Boltanski
Elle est bien là, la mort estampillée XXe siècle, la mort hitlérienne, celle des industriels et des scientifiques qui se regroupaient autour d’une table pour discuter des moyens de rendre leur industrie rentable : comment tuer, à moindre coût et sans trop salir, le plus de monde possible, prisonniers des camps amenés par trains entiers. Une première dans l’histoire de la guerre ; ici l’horreur n’est plus barbarie, mais annihile l’émotion pour laisser place à un esprit logique, au sens de l’organisation. Lorraine Alexandre
Né dans une famille juive originaire de Russie, le père, médecin, s’est converti au christianisme. La mère, née dans une famille bourgeoise désargentée, atteinte de la polio à 22 ans, a abandonné ses études. La guerre survient et ses lois antijuives. Dans l’appartement du 7e arrondissement, une dispute éclate. Hurlements, claquements de porte. A la concierge, on explique que le père a abandonné le domicile familial. A Luc, 2 ans, que papa est parti. Le divorce est prononcé. A la Libération, l’enfant assiste « avec effroi » au retour du père. L’homme était caché dans un réduit, aménagé sous le plancher. « Il sortait la nuit, c’est même comme ça que j’ai été conçu », raconte Christian, né en 1944. Le Monde

Après Auschwitz, l’art doit-il nécessairement être anti-chrétien?

Au lendemain de la fermeture de la monumentale et quelque peu mégalo exposition Boltanski au Grand Palais (« Personnes ») …

Comment, inversant le titre d’un récent ouvrage de la directrice du centre Pompidou et justement commissaire de l‘exposition et après les sempiternels « Piss Christ » qui nous sont imposés, ne pas se poser la question de l’anti-christianisme de cette surenchère et course à l’effroi que semble devenu, Auschwitz oblige, l’art contemporain?

Comment, dans cette monstrueuse usine de mort volontairement non chauffée au coeur de l’hiver et oppressé par un insupportable et incessant vacarme de battements de cœur amplifiés devant cette odieuse « mâchoire de Dieu » qui ressemble comme deux gouttes d’eau à l’excavatrice de Treblinka tentant d’ensevelir les traces des forfaits de ses mandants, ne pas entendre cette insidueuse condamnation de la Divinité qui a permis cela?

Et ce, par un artiste qui, porté par l’inconsolable syndrome du survivant de nombre des enfants juifs de sa génération, semble par ailleurs véritablement possédé par ce si judéo-chrétien souci souci de la victime?


Christian Boltanski : “Emouvoir et évoquer le drame de la vie”

LE FIL ARTS ET SCèNES – Pour la série d’expositions Monumenta au Grand Palais (Paris), Christian Boltanski signe “Personnes”, une installation qui évoque la vie, la mort, l’absence… et la Shoah, obsession de l’artiste.

Après l’œuvre crépusculaire de l’artiste allemand Anselm Kiefer (2007), puis les stèles d’acier cisterciennes du sculpteur américain Richard Serra (2008), le Grand Palais accueille l’artiste français Christian Boltanski dans le cadre de Monumenta. En plein hiver, en plein froid, on découvre Personnes, une œuvre forte, visuelle et sonore, entièrement composée de vêtements. Certains gisent au sol, d’autres sont entassés et forment une montagne de tissus, dont quelques pièces sont saisies par une pince mécanique montée sur une grue, puis relâchées au hasard. Simultanément, une autre installation de Boltanski est présentée au Mac/Val, à Vitry : Après, qui offre une déambulation parmi des cubes noirs et des mannequins. Rencontre.

Comment avez-vous imaginé votre Monumenta au titre ambigu, Personnes ?
Christian Boltanski : Les deux expositions sont liées. Pour moi, elles sont un peu comme les cercles de l’enfer chez Dante : au Grand Palais, il y a la mort, l’absence et la destinée humaine symbolisée par la pince qui saisit, au hasard, des tas de vêtements usagés. Cette scénographie renvoie à « la main de Dieu », qui dispose de la vie, et est accompagnée par le son puissant de battements de cœur amplifiés sous la nef du Grand Palais. Je veux que cette exposition, ouverte à tous, et non aux spécialistes de l’art contemporain, puisse émouvoir et évoquer le drame de la vie qui inclut la mort dans son chemin. Au Mac/Val, c’est plus doux – il fait plus chaud –, avec un labyrinthe de blocs noirs, que l’on découvre, et des personnages que j’ai fabriqués et qui posent des questions aux visiteurs : « Comment es-tu mort ? », « Est-ce que tu as beaucoup souffert ? », « As-tu laissé un amour ? »…

Le Grand Palais est-il difficile à occuper ?
Le bâtiment ressemble à un hangar ou à une usine. Le premier nom de l’exposition était « No man’s land » parce que je me disais qu’ici on est un peu nulle part. Finalement, même si le corps n’est jamais à proprement montré, on voit tous ces vêtements étalés par terre, éclairés par des néons positionnés volontairement assez bas, qui évoquent beaucoup de monde ! Le mot « Personnes », au pluriel, désigne à la fois tout le monde, l’humanité et quelqu’un en particulier, un parent, un proche du visiteur ou de moi-même… Je vois le Grand Palais comme une église dédiée à l’errance des âmes.

Il y est question de deuil ou de disparition ?
Le vêtement dit : il y a eu. Sans doute avec l’âge – j’ai aujourd’hui 65 ans -, la mort imprime mon temps et mes pensées. Et je ne cesse de penser au hasard, avec cette question, absurde, inexpliquée : pourquoi, moi, je suis encore vivant ? Et pourquoi mon voisin est-il mort ? Il n’y a aucune règle à tout ça, et cette chose m’obsède. Ma vie et mon oeuvre ont été très marqués par la Shoah – à ma naissance, en 1944, mes parents ont volontairement effacé leurs traces, et nous avons vécu dans un appartement parisien dissimulés sous le plancher de la maison -, et je crois que tous les survivants de la Shoah n’ont cessé de se poser la question : pourquoi j’ai survécu ?
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Propos recueillis par Laurent Boudier
Télérama n° 3132

Voir aussi:
Monumenta 2010 – Boltanski
13 Janvier 2010
Lorraine Alexandre
Artistik rezo
Jusqu’au 21 février 2010

Après Anselm Kiefer et Richard Serra, c’est au tour de Christian Boltanski d’investir la Nef du Grand Palais pour le projet Monumenta. Personnes est une création, une seule pièce donc chargée d’emplir cet immense espace dont l’architecture est si particulière.

En arts plastiques, un bon artiste est celui qui trouve, à travers sa création, le moyen de planter sa main dans votre ventre, ou dans votre tête. Peu importe vraiment, mais c’est celui qui vous meut physiquement dans une pénétration émotionnelle. Peu importe, également, la nature de votre émotion. Notre esthétique vit encore à la lueur des pensées des Lumières et plus encore celles de l’Aufklärung (Kant en particulier) le double Allemand. Cette structure de pensée philosophique qui dirige toujours la conception de l’art dans notre pensée occidentale nous a appris, pour résumer, à distinguer le Beau, le Bon, le Bien et l’Agréable. Ajoutons à cela un tournant décisif de l’art en rappelant, comme l’avait souligné Paul Valéry, qu’en 1900, la beauté en art a fait place au concept de vie. C’est pourquoi, en art, peu importe la nature de nos émotions pourvu qu’il y en ait au moins une.

Travail de mémoire

Christian Boltanski travaille sur la mémoire, la mort et la force inéluctable du temps. Sa nouvelle création, Personnes, est éphémère et disparaîtra à la fin de l’exposition dans la logique implacable de l’artiste et du thème qu’il aborde. Boltanski considère ce travail comme un Memento Mori, une Vanité contemporaine. L’artiste est né pendant la seconde Guerre Mondiale et tout son travail en est hanté. Personne ne fait exception et nous plonge dans l’angoisse d’une vision de la mort qui demeure la trouble spécificité du XXe siècle. Ainsi Boltanski pose au sol un grand nombre de vêtements (pour homme, femme ou enfant pêle-mêle) méticuleusement agencés afin de dessiner des allées, des blocs éclairés au néon. Il installe aussi un immense monticule de vêtements sans cesse agrippés puis relâchés par une grue, matériel de chantier. Les visiteurs sont donc confrontés à ces objets si familiers, devenus dérisoires puisque inusités, sous ce dôme de la Nef du Grand Palais qui ressemble tant à une gare, un lieu froid, non chauffé.

Boltanski_Monumenta 2010Elle est bien là, la mort estampillée XXe siècle, la mort hitlérienne, celle des industriels et des scientifiques qui se regroupaient autour d’une table pour discuter des moyens de rendre leur industrie rentable : comment tuer, à moindre coût et sans trop salir, le plus de monde possible, prisonniers des camps amenés par trains entiers. Une première dans l’histoire de la guerre ; ici l’horreur n’est plus barbarie, mais annihile l’émotion pour laisser place à un esprit logique, au sens de l’organisation.

Le son de la déshumanisation

Toute l’exposition vibre au rythme d’un son aussi insupportable qu’envoûtant. Est-ce un cœur qui bat en écho ou le son d’une machine ? Les deux, nous l’avons compris, sont ici liés. Tout le projet de Christian Boltanski repose sur un paradoxe. Personne, tout en nous plongeant dans l’horreur d’une Histoire qui change la raison en arme de guerre, parvient à toucher notre sens du vivant, notre amour pour lui et un soudain besoin de le ressentir, le retrouver, pour fuir cette œuvre insupportable à laquelle nous devons pourtant ce regain de vie. Mais remarquons qu’il faut rester longtemps dans l’exposition pour atteindre le stade de cette sensation. Il faut l’accepter comme une expérience à vivre ; pénétrer l’œuvre pour lui donner une chance de nous pénétrer, marcher longtemps dans ces oppressantes allées et beaucoup penser pour les fuir, les apprivoiser et alors, les rencontrer. L’artiste explique que « l’art consiste à poser des questions sans avoir de réponse ». Son travail s’impose, en effet, comme un espace qui nous interroge, qui nous oblige à devenir acteur de l’œuvre, un spectateur capable de penser.

Personne, l’exposition de Christian Boltanski pour le Monumenta 2010, est une œuvre laide, désagréable, insupportable… et toute sa puissance est là. Une exposition à ne surtout pas manquer pour se souvenir que l’art n’est pas un objet de décoration comme trop de galeries semblent le croire. Non, l’art est un lieu d’expérimentation, un espace d’interrogation où le spectateur ne peut pas se permettre d’être passif, un espace d’où il se doit de ressortir plus riche émotionnellement et intellectuellement. Merci donc à Boltanski pour la force et l’intelligence de sa cruauté.

Voir également:

CHRISTIAN BOLTANSKI AU GRAND PALAIS

12 Janvier 2010
Catégorie : EXPO’TIN

Le Grand Palais rend hommage à l’artiste Christian Boltanski du 13 janvier au 21 février 2010 dans le cadre d’une exposition intitulée « Monumenta 2010, Christian Boltanski, Personnes»

Âgé de 65 ans, Christian Boltanski est un artiste vraiment à part dans l’univers de la création française qui explore le hasard à travers des questionnements sur la nature humaine et l’envie répétée de décortiquer les meurtrissures de l’âme sur fond de mort.

Né durant l’occupation d’un père juif d’origine russe et d’une mère corse chrétienne, Boltanski a vécu sa jeunesse avec la peur vissée au ventre et la difficulté d’exister pleinement face au destin de la famille de son père décimée par les persécutions nazies et des quolibets subis lorsqu’il était à l’école primaire.

Ayant vite eu conscience du mal absolu après avoir vécu son enfance parmi des survivants des camps de la mort qui évoquaient souvent le souvenir des épreuves endurées, la Shoah a fini par le hanter jusqu’à devenir un thème récurrent dans son œuvre empreinte de métaphores frappantes, Boltanski a eu la chance d’être aidé à 24 ans par Ileana Sonnabend, l’ex-femme du grand galeriste Leo Castelli pour exposer rapidement aux Etats-Unis et devenir un artiste d’envergure internationale.

Succédant au Grand Palais à l’Allemand Anselm Kiefer et au sculpteur américain Richard Serra, Boltanski a pris possession de l’impressionnante cathédrale de verre de l’Art Nouveau pour transmettre un message digne d’un terrible uppercut sur la condition humaine à travers la représentation d’une montagne de manteaux étalés sur le sol froid des lieux rappelant l’atmosphère des camps avec l’idée de recréer une sorte de grand entrepôt servant de point de chute final à des êtres innocents condamnés sans raison histoire d’émouvoir, d’effrayer et de faire réfléchir les visiteurs sur l’absurdité de la guerre. Inutile de dire que son propos est plus qu’exemplaire alors que la planète reste confrontée à d’autres horreurs souvent nées de l’obscurantisme.

Voir de plus:

« La légèreté est la plus belle chose »
Interview
Libération
30/01/2010

A l’occasion de son exposition «Personnes», au Grand Palais, à Paris, le plasticien Christian Boltanski a reçu «Libération» dans son atelier, à Malakoff, autour de deux bouteilles de vodka cerise.
Vincent Noce

Sous la nef du Grand Palais qui abrite son exposition «Personnes», le plasticien français Christian Boltanski a lancé : «Retrouvez-moi dans l’atelier, pour un entretien éthylique, on prendra deux bouteilles de vodka, et on ne s’arrêtera pas de parler. On ne corrigera rien. Le journal publiera tout, en petits caractères, à lire à la loupe s’il le faut.»

L’atelier de Malakoff est vide, quelques papiers épars, des photos de Suisses morts, une pancarte marquée «1907-1989» en caractères noirs, et dans l’escalier, un chauffe-eau qui fuit, ploc-ploc, marqué de rigoles de rouille.

Lui, chauve, souriant, entouré de ses livres comme des talismans. La vodka polonaise à la cerise, sur la table. Avec l’alcool pour loupiote, pour entrer dans l’univers mental qu’il semble occuper avec densité. Il approuve ce désir d’immersion, «la tête vide». «C’est le problème de l’art contemporain, que les spectateurs viennent voir avec une image dans la tête. Ce besoin de coller des étiquettes ! Quand j’entends dire de moi : un artiste postconceptuel de la fin du XXe siècle, c’est de la merde. Un artiste qu’on peut situer n’est jamais bon. Poussin était conceptuel. J’ai honte de l’artiste qui parle de l’art. J’aime bien l’art pour la vie. Je n’ai pas une passion pour Duchamp, je préfère Picabia. L’art français, c’est Matisse et Duchamp, c’est l’intéressant, le bon goût… Je ne devrais pas dire ça, parce que ça m’énerve qu’on parle d’art français. C’est totalement idiot… Je suis pas plus européen qu’américain. Pour moi, la plus grande artiste conceptuelle s’appelle Anne Darboven, totalement givrée, elle a laissé un millier de pages d’écritures. C’est de l’art brut, elle ne savait pas ce qu’elle écrivait. Même l’art conceptuel est toujours décalé. Mon grand truc, c’est la phrase du général Giap, à Diên Biên Phu : « Plus on prend de l’espace, moins on a de la force. Plus on a gagné sa force, moins on a d’espace ».» Pas d’effroi, vraiment ? «C’est avant, au Grand Palais… Un ami irlandais m’a dit : « La mort, c’est comme prendre l’avion. Avant, on a peur, quand on retire le ticket, on monte sur la passerelle. Quand il part, on n’a plus peur. Quelquefois, il n’atterrit pas. Mais enfin, il part ».»

Au photographe, il dit : «La photographie, c’est un grand ratage, c’est garder la vie, et rater, puisque c’est déjà passé. Vous ne montrez que des images, vous ne pouvez rendre la vie. C’est déjà passé, c’est déjà mort.»

Il ouvre un de ses opus, «Scratch». Toutes les pages argentées sont vierges. Si on les gratte, elles laissent apparaître un cadavre espagnol en décomposition. Chaque exemplaire diffère donc de l’autre, selon que tout a été gratté, ou rien, ou des bouts. Mais justement Boltanski ne s’est-il pas lui-même élevé contre l’utilisation de cadavres dans une œuvre ? «Mais moi, je ne fais rien. Participer au crime, commettre le crime, c’est gratter. Chacun prend sa responsabilité. Je suis le tentateur, peut-être, mais je ne commets pas le crime.» Tout comme le passant qui voit un accident dans la rue. «On regarde toujours. Cela fait du mal, et, tout de même, on regarde. On a toujours de l’intérêt pour les cadavres, c’est tellement bizarre, tout le monde est fasciné par quelqu’un qui devient un tas de merde.» Ce que Warhol cherchait aussi dans ses séries photographiques sur les accidents de la route.

L’art contemporain ne s’est-il pas perdu dans cette course à l’effroi ? «Mais le Louvre n’est que sexe et violence ! Pourquoi allais-je au Louvre, adolescent ? Pour voir toutes ces femmes nues, aux prises avec des vieux barbus !» Quand les Vénitiens ont demandé à Titien de peindre l’histoire de David pour l’église de la Salute, c’est atroce, la tête du géant coupée, mais, dans le ciel, il a ménagé une trouée… Dans l’art classique, il y a toujours un espoir. A côté, sur la Pointe de la Douane, occupée par la Fondation Pinault, quelle place reste-t-il à l’espérance ? On ne sort pas indemne de l’Holocauste mis en scène par les frères Chapman comme un Jardin des supplices. «Ah, mais cette œuvre est ignoble. C’est vraiment la lie ! C’est ce qu’on peut faire de plus bas. C’est honteux de la montrer.»

Mais, lui-même, enfin, Boltanski, l’Holocauste ne le hante-t-il pas ? «Il y a une décence ! La Shoah, c’est une histoire qui m’est proche, qui me touche. Mais, chez moi, il y a du dérisoire, et, je l’espère, une lecture plus diffuse. Il n’y a pas une vérité, mais des vérités. Il y a une beauté de l’art qui est forcément dans la confusion : c’est un chapeau, et c’est un chameau. Il y a plein de sorties. Chez les Chapman, il n’y a pas beaucoup de sorties.»

Au Grand Palais, la grue s’empare des vêtements comme le doigt de Dieu envoie à la mort. «C’est comme une fête foraine, les jeux avec les pinces… Le monde est atroce, mais il y a bien pire : c’est Dieu. On ne peut pas comprendre Haïti. On ne peut même pas dire que Dieu est méchant, aucun méchant n’aurait fait cela.» Comme Voltaire revenu du séisme de Lisbonne, il a lu dans Proust l’histoire qui lui est «la plus proche», celle d’une femme qui perd son homme, «elle est vraiment malheureuse, terriblement malheureuse, mais elle va dans le jardin, les fleurs sont belles, elle voit combien les fleurs sont belles…»

«Je n’ai jamais connu de vernissage aussi heureux qu’à Sarajevo, je ne suis pas courageux, mais je suis allé à Sarajevo… Il y avait ce désir de vie, les filles étaient belles. Primo Levi le dit presque, on ne peut pas le dire, mais, même dans les camps, il y a la vie. Je suis un homme assez léger. La légèreté est la plus belle chose.»

Je lui dis mon étonnement de lire tant de fadaises sur son compte : ah, mais il est léger justement, si agréable, un bon vivant. Comme si nous n’étions pas des êtres multiples. «On arrive toujours à trouver une petite noirceur dans le bonheur», acquiesce-t-il. La vodka descend. «J’ai spécialement un amour de la vie ; depuis l’âge de 3 mois, je sais que la vie est atroce. En même temps, j’ai un énorme amour de la vie.»
Bric-à-brac

Venise, nous revenons à Venise, où Boltanski est invité à représenter la France lors de la prochaine biennale. Où nous nous trouvions, chacun de son côté, cet automne, à l’ouverture de la dernière. «Ce qui m’a beaucoup frappé, c’est de voir ces deux modes de la bourgeoisie, complémentaires. La Fondation Pinault, les cocktails, tout cela. Et l’envers, le Palazzo Fortuny, les bronzes chinois, Fontana.» Allusion à un bric-à-brac assez génial, exposé sur le thème de l’infini. «L’un est l’envers de l’autre : la bourgeoisie bling-bling, et celle éclairée, ceux qui savent. Rien ne change et tout change, Venise c’est cela.» Il ouvre un livre dans lequel il a publié de ravissantes photos de famille d’officiers SS, avec leurs petites filles en nattes blondes : «Ce sont les plus jolies images que je connaisse.» Il a aussi montré des photos de la biennale, en 1937 : les chefs fascistes, Hitler est là… «Et, sur les murs, des nus, des fleurs. La biennale s’est tenue en pleine guerre de Yougoslavie, c’était la fête, et à quelques kilomètres, l’horreur. Venise, c’est la ville la plus belle au monde, et c’est une horreur. L’univers s’effondrerait en une guerre totale, on y ferait encore la fête. Enfin, j’aime la morue à l’huile, dans un petit bar en face de la Giudecca.» A l’exposition du Palazzo Fortuny, l’an dernier, il y avait une vague d’Anselm Kiefer. «Kiefer est un artiste très important. J’ai toujours rêvé d’un travail, Kantor, Kiefer et moi. Kantor [dramaturge polonais, comme la vodka, ndlr], c’est le paysan qui résiste ; Kiefer, le type qui avance ; moi, je suis le Juif qui fuit. Lui est la force, moi la faiblesse. Nous avons le même âge, nous parlons du même endroit, de la même histoire, mais pas du même côté. Kantor, c’est du bricolage. J’ai passé du temps avec lui, en tournée, en soûlerie tous les soirs. Un soir son épouse est entrée dans ma chambre : sauve-moi de ce monstre. Un coup de vodka, elle est repartie. J’aime beaucoup la Pologne. C’est Ubu roi. Une grande plaine vide, nulle part, une tristesse… Tout est gris. A Cracovie, je vois tous ces sushi-bars, avec plein de couleurs, cela ne va pas du tout ! La Pologne c’est le gris.»
«Les Juifs et les coiffeurs»

Et l’antisémitisme des Polonais ? «Le pardon est absolu ! La vie reprend, la vie doit reprendre… Vous savez ce qu’on dit : le Russe bat le Polonais, le Polonais bat le Juif, le Juif bat son chien. On bat toujours plus bas que soi. Cet homme pourrait être nous, ou ne pas l’être. Ou pas encore. C’est le pouvoir sur l’homme qui est terrible. La loi française avait interdit aux Juifs d’avoir un chat. Notre voisin, un homme extrêmement sympathique, est venu un jour : si votre chat continue à m’embêter, je vous dénonce. Il n’était pas mauvais, mais on lui avait donné ce pouvoir. Avez-vous déjà dit : «Il faut tuer tous les Juifs et les coiffeurs». On vous répond : «Pourquoi les coiffeurs ?» Moi, je vois plein de raisons, ils ne sont pas propres, ils sont bavards, il y en a qui sont gays. Mais pour les Juifs, c’est évident, n’est-ce pas ? C’est un miracle de n’avoir pas eu de pogrom antimusulman après le 11-Septembre…»

«Ce pouvoir, je l’ai exercé quand j’étais professeur aux Beaux-Arts, c’était une grande joie de ma vie, mais dans les jurys il fallait bien éliminer, je ne savais que dire, mais je me souviens de la cruauté de mes collègues… voir chuter devant eux… Quand un étudiant voulait s’inscrire à mon atelier, je disais : je ne vous le conseille pas. C’était vraiment méchant, je rejetais la faute sur l’autre. Souvent, on manquait de joie de vivre, d’optimisme, on appelait mon atelier « la secte ». Annette [Messager, son épouse artiste, ndlr], elle, créait une vraie ambiance. Moi, je leur disais : je n’ai rien à enseigner, vous n’avez rien à apprendre. C’est la seule chose à dire à un artiste.»

Le dessin dans l’enseignement, lui qui s’avoue si mauvais dessinateur ? «Quand Orson Welles a fait Citizen Kane, il a appris le cinéma. Si l’on a du talent, le dessin vient en cinq minutes. C’est de la petite technicité.» Son propos est donc de l’ordre du récit. «Si vous voulez, mais pas avec les mots. En me vantant, je tâche d’être un rabbin hassidique. J’essaie de poser des questions, et que les gens se posent des questions. Mon travail est, avant tout, formel… Peut-être un récit qui passe par la forme. Il y a des gens qui savent trouver la forme, et d’autres pas, c’est comme d’avoir un grand ou un petit nez, cela ne s’explique pas. Etre artiste implique une force de caractère, trouver la force de ne pas se marier, ou de ne pas avoir d’enfant…» Il parle de son père caché sous le plancher sous l’Occupation, des enfants dormant jusqu’à l’âge adulte dans des sacs de couchage sur le plancher autour du lit parental, dans un grand appartement bourgeois… Il dit n’avoir jamais lu les romans écrits par sa mère. «Je ne peux pas les lire, je ne peux pas juger. On ne peut pas juger sa mère.» Il affiche une photo de lui et son frère, ce n’est pas lui ni son frère. Mais lui et son frère peuvent se retrouver un peu plus loin, sur une autre photo. L’autofiction fait-elle l’artiste ? Pourquoi raconter qu’il a des origines corses ? «Ah, cela, c’est un journaliste américain, qui m’a dit : vous êtes un artiste juif ! Cela m’a tellement énervé. « Mais pas du tout », ai-je rétorqué, « je suis corse ! » Vous avez raison, je suis un menteur ! Tout ce qui est dit n’est pas de la même personne, je veux dire Christian Boltanski, c’est l’autre. Un artiste a une chance inouïe : il parle de son village, et tout le monde est de ce village. Durand est Durand, mais Durand est tous. Je n’ai jamais parlé de l’Holocauste. « Que cette maison brûle » [appuyant cette expression de grand-mère juive, il fait un geste sec de la main] « Que cette maison brûle », si je parle de l’Holocauste. Je suis après l’Holocauste, c’est différent. Dans Quai des brumes, il y a un peintre médiocre, qui dit : quand je vois un nageur, moi, je vois un noyé. Nous avons cela. J’ai cela. J’ai cette connaissance. Mais, l’holocauste, non, Kundera disait : « Que les vieux morts laissent la place aux jeunes morts ». L’horreur de l’Holocauste, ce n’est pas le meurtre, c’est la disparition de l’individu, la pire des choses. Et en même temps, c’est le suicide de l’Allemagne. L’Allemagne, c’était le mariage des cultures allemande et juive. Dans la culture juive, on se demande : faut-il se gratter le nez ou l’oreille ? Il faut se gratter le nez ou l’oreille. Quand les Juifs ont appliqué cette pensée non plus seulement à la religion, mais à la science, à la philosophie, le résultat a été prodigieux, Freud, Marx… L’Allemagne a tué tout cela, et mis du temps à s’en remettre.»

«Etre artiste c’est être exemplaire, pas dans le sens d’être bien, mais exemplaire. Tout ceci, c’est ma vie exemplaire. Giacometti finit par ressembler à Giacometti, Bach à Bach, et moi à ma boîte de biscuits.»
Pacte de Faust

Tout de même, ce contrat avec un collectionneur en Tasmanie : son œuvre en viager pendant huit ans, durant lesquels son atelier sera filmé jour et nuit, et les images retransmises dans une grotte d’Océanie ? Ayant fait sa fortune au casino, l’homme, David Walsh, autiste et mathématicien de génie, aurait parié que Boltanski allait mourir avant huit ans, assurant qu’il n’avait jamais perdu de pari. La presse, ravie, glose beaucoup sur le pacte de Faust… «J’espère de toute mon âme vivre au-delà de huit ans [il a 65 ans]. Dire : j’ai vendu mon âme au diable, oui, c’est simplet. On ne peut pas parler de la mort, ce n’est pas possible. C’est une chose tellement honteuse. Etant jeune, je refusais la mort, ce n’est pas bien. Le cérémonial, toutes ces cérémonies funèbres, sont importants. Elles font se rencontrer des gens qui ne se seraient peut-être jamais croisés. Patrice Chéreau en parle très bien dans Ceux qui m’aiment prendront le train.»

Il reprend le fil. « Un jour, à Jérusalem, j’ai vu une petite fille en pleurs, son chat était mort en sautant de la terrasse, je n’ai pas osé m’approcher. Je n’ai pas réagi… Mon frère Luc serait allé lui parler. On s’engueule toujours, lui et moi, même à propos de l’art contemporain, mais j’ai appris tellement de choses de lui… Et, aujourd’hui, de ma sœur, elle a été très malade, elle me montre des choses nouvelles. On ne sait jamais ce qu’on ferait en telle ou telle circonstance, mais je ne suis pas sûr d’être très brave.» Il exagère. Je lui fais remarquer que Michel Leiris, aussi, parlait constamment de sa lâcheté physique. Ce qui ne l’avait pas empêché de traverser l’Afrique.

«Faut-il se consacrer à une personne, plus qu’au monde ? On dirait : il aimait tout le monde, cela l’empêchait d’aimer quelqu’un. Se consacrer au monde est un si grand engagement… Alors, on se rend forcément très égoïste… On n’est plus que son art. C’est bien. Et en même temps, c’est rassurant, c’est plus facile à vivre. Ceux qui changent la vie sont peut-être plus dignes. Ou alors ils se mentent à eux-mêmes. Eux aussi, ils pensent : encore une minute Monsieur le bourreau. C’est la plus belle phrase d’un être humain. Aimer la vie. Dieu est un vieux salaud. Moi, je dirai cette phrase. Je veux vivre d’une mort lente, je suis trop jouisseur, j’ai trop d’amour pour cela. Je m’amuse bien, je mange bien.» Il déchire une gomme en petits bouts.
Trou d’épingle et boule de marbre

«J’aime beaucoup le bricolage, j’ai fait au moins 3 000 cadres, j’y prends beaucoup de joie. J’écoute France Culture toute la journée, mais je suis occupé. C’est mon grand problème. Je passe ma vie à ne rien faire. J’aime cuisiner, là, au moins, on fait quelque chose, et c’est utile. On fait attention, c’est important… Les vernissages, les cocktails, passer son temps à voir des gens, il faut le faire, mais c’est extrêmement négatif. Je suis un si jeune retraité, quelle vacuité! Je reste des heures dans cet atelier, à ne rien faire, face à un mur.» Le peintre Zoran Music, dans son atelier à Venise, disait aussi qu’il ne faisait rien à longueur de journée, mais c’est ainsi que l’œuvre se fait. «Rien n’avance, mais c’est cela qui fait avancer. Il n’y a rien à faire qu’attendre…»

Au Grand Palais, il voudrait que son œuvre «entre dans un répertoire, et qu’elle revive dans cinquante ans, avec un autre metteur en scène. Ce devrait être une obligation liée à Monumenta. On aurait dû faire signer à Kiefer, à Serra [les deux artistes qui ont précédé Boltanski dans cette manifestation], un papier inscrivant leur œuvre sur un répertoire. Ce qui est joué est réincarné… Comme de la musique, un ballet. C’est le contraire du musée. Au Centre Pompidou, il y a un piano-éléphant de Joseph Beuys [artiste et professeur considéré comme le père de l’art conceptuel, qui a formé toute une génération], et le feutre qui le couvrait s’est abîmé. On a demandé à Beuys ce qu’il fallait faire. Il a dit : changez le feutre, et accrochez l’ancien au mur, et ainsi de suite… Aujourd’hui, il y aurait une dizaine de peaux de cet éléphant, ce serait splendide. Evidemment, ils ne l’ont pas fait. Beuys est un de mes pères. Il n’a pas laissé de trace. Autour des artistes, il y a tellement de secrétaires, de marchands, de maîtresses… Alors, en plus, si on ne laisse pas de trace. Au musée, tout est sacré. Chez moi, il n’y a rien de sacré. Pour rouiller mes boîtes, je pissais dessus. Après, je les ai arrosées de Coca. Un conservateur pour une exposition les faisait installer avec des gants blancs. Cela n’a aucun sens!»

«Toujours j’ai bricolé, je suis très près de mes sous. J’adore le théâtre, mais, aller au théâtre, c’est trop cher. J’ai essayé de faire une pièce avec mon frère Luc. Je ne comprenais pas la pièce, mais je voyais l’espace. Luc, c’est un homme des mots. Moi je suis un homme de l’espace. »

A Venise, il y avait aussi, dans un palais un peu éloigné, un hommage à James Lee Byars. «Voilà un artiste qui a fait de son œuvre sa vie, et de sa vie son œuvre. En costume lamé or, avec un haut-de-forme. Dans le restau le plus merdeux, toujours en représentation. Un homme très méchant. Lors d’un dîner, toute la soirée, il a jeté des kleenex sur moi, en disant à chaque fois : « French perfume for French artist… » Il adorait emmerder le monde. Au musée d’Art moderne, il a séquestré la directrice, Suzanne Pagé, parce qu’il n’était pas d’accord avec l’arrangement d’une exposition. Pour une autre, on avait amené une magnifique boule en marbre de Grèce. Il y avait un trou d’épingle. Il l’a refusée. Elle valait une fortune, scandale. Il l’a couverte d’un voile noir, elle a été exposée comme cela… Il m’appelait au milieu de la nuit, j’ai horreur de la sonnerie du téléphone, j’ai horreur qu’on m’appelle tard, je ne savais jamais où il était, aux Indes ou ailleurs. Une nuit, à 5 heures, il m’a appelé du Caire pour me demander la taille de mon crâne, fait chier, il est mort deux jours plus tard, je ne sais pas du tout ce qu’il voulait en faire, sa tombe ou quoi.»

«Je vois des choses que je n’ai pas vécues, tellement mélangées qu’on ne peut les définir. Gauguin disait : on croit ce qu’on ne sait jamais. Vous êtes faits de ceux qui vous ont précédés, l’oreille du grand-père, le nez de l’arrière-grand-père… Alors pourquoi ne serais-je pas corse ? J’ai appris récemment que les Juifs d’Odessa étaient des descendants des Mongols. Alors, moi qui en serais bien incapable, je suis fier d’être descendu de mon cheval. Si je suis différent de mon chat, c’est que, avant moi, il y a des gens et, après moi, il y a des gens. Chacun a une clé à donner. Et ma clé, ce sont des questions. Il n’y a pas une bonne clé, l’important c’est de chercher la clé. L’horreur de l’utopie, c’est d’avoir des réponses. L’utopie de Pol Pot était une très belle utopie ; celle du christianisme, celle du communisme ne sont pas négatives. Combien de morts ? Ma mère était communiste, je vote communiste dans ma ville, mais le communisme a tellement mal fini, dans les camps et les banques suisses… Nous avions des amis communistes, des gens formidables, je me demande toujours : que savaient-ils ? Se disaient-ils : l’avenir est tellement radieux, cinq innocents morts sur le bord de la route, cela ne compte pas… On ne peut jamais se permettre d’arrêter la vie de quelqu’un. A la biennale de La Havane, j’ai vu la fausse bonne conscience, la langue de bois du Parti, une ode à la jeunesse, mais la jeunesse, elle est là, dans les rues, droguée, vendant son corps pour 2 dollars. En même temps, sans utopie, on n’est pas humains… La seule issue c’est de poser les questions.»

L’argent ? « Je viens d’un temps qui n’est pas celui d’aujourd’hui. L’idée d’argent n’existait pas. Les artistes aujourd’hui qui mettent toute cette énergie pour financer la production, c’était impensable. De l’argent, je suis content si j’en ai, mais enfin… J’ai connu Sonabend [galeriste de référence à New York] grâce à Sarkis ; un galeriste à l’époque représentait vingt collectionneurs, c’était un tout petit club. A Bram Van Velde, la police a demandé un jour : « Comment vivez-vous ? » Il a répondu : « Je ne vis pas, j’ai des amis. »»

Mais la crise a laissé percer de nouveaux espoirs, des balbutiements dans l’art vivant, des retours en grâce… «Je suis très déçu, j’étais enthousiaste, j’espérais beaucoup, mais les petites galeries ont souffert, les grosses structures ont survécu. J’aurais voulu que Chelsea [quartier des galeries à New York] disparaisse de la carte, ce n’est pas du tout cela. L’argent, bien sûr, est lié à l’art, mais… Je voudrais croire en de nouvelles utopies, des expositions où l’on dirait : tout est à jeter, rien n’est à vendre… En France, de toute manière… L’art est ailleurs, il y a dix artistes aujourd’hui : cinq toujours connus, cinq disparus, et trois, on ne sait pas ce qu’ils sont devenus… Vous voyez, ce n’est pas une science exacte.»
«Avec amour»

Dans les expositions, Christian Boltanski n’utilise que des vêtements d’occasion, pas des loques, mais pas non plus des neufs. Et, bien sûr, par respect, il ne faut pas marcher dessus. «J’achetais souvent des vêtements aux puces, je les portais, on les refait vivre. Aux objets perdus, vous avez des tas de clés. Elles n’ouvrent rien, c’est terrible, elles ne sont qu’un peu de métal, elles n’ont plus d’histoire. Un objet n’existe que parce qu’il porte un récit, un regard. Votre fille est, parce que vous l’avez regardée. La seule chose à faire, c’est regarder. Avec amour. Et dire : tu es.»

«J’ai fait un travail sur les boutons, tous étaient des survivants, nous ne sommes que des survivants, la meilleure amie de ma mère était médecin à Auschwitz, comment s’est-elle sortie de là ? A 5 ou 6 ans, on comprend tout cela… Ma mère m’emmerde… Mais les dernières années, j’allais déjeuner avec elle tous les jours, jusqu’à ce qu’elle meure. Elle disait : « mes enfants, ce sont mes cannes. » C’est impossible d’abandonner quelqu’un… J’ai fait un travail sur les listes, la liste, c’est le plus grand changement du monde, nous appartenons à 3 500 listes, mon père juif, moi catho, je vote communiste, j’aime pas les communistes, le fascisme c’est de vous mettre dans la liste.»

Il ouvre un livre. L’horloge parlante parle. «On m’a appelé, je fumais la pipe. Mon père était mort. Ma pipe est tombée. J’ai cassé ma pipe. Vous avez de la chance d’avoir encore votre père, quand son père meurt, on est le prochain sur la liste.» On échange encore deux ou trois blagues juives. L’impasse, nuit tombée. Dans la voiture, sur France Culture, Serge Daney interviewe Eric Rohmer. Nous dansons avec les esprits.

Voir de plus:

Le mythe de la caverne
Les Boltanski Christian, 63 ans, plasticien, Luc, 68 ans, sociologue
Nathaniel Herzberg
Le monde
17.07.08

Histoire inouïe que celle de Luc et Christian Boltanski, arrivés de façon si différente dans le monde intelligible et dans le monde sensibleHistoire inouïe que celle de Luc et Christian Boltanski, arrivés de façon si différente dans le monde intelligible et dans le monde sensible

L’un explique, l’autre pas. L’un s’obstine à vouloir comprendre le monde, l’autre se contente de le sentir. L’un choisit ses mots, le débit lent et régulier, en tirant sur sa pipe dans un bureau de 8 m2 au coeur du Quartier latin ; l’autre alterne silences, accélérations verbales et éclats de rire, dans une ancienne menuiserie de Malakoff, où cohabitent tours de cartons, sacs de couchage et autres morceaux d’installations à venir. Le scientifique et l’artiste. Le cérébral et l’intuitif. Bienvenue dans le joli monde de Luc et Christian Boltanski.

C’est Christian, figure internationale de l’art contemporain, seul Français systématiquement classé dans le top 20 mondial, qui le dit : « Un artiste est quelqu’un qui affirme. Quand je dis le ciel est rouge, il est rouge. Pour Luc, ça ne marche pas comme ça. Il faut tenir compte de tel penseur du XIIe siècle qui l’a déjà dit et de tel autre qui a rétorqué qu’il tirait sur le violet. Il me conseille de les lire avant de parler. Je lui conseille de brûler ses livres et de penser par lui-même. » Luc, directeur d’étude à l’EHESS et père de la « sociologie pragmatique », précise : « Christian prétend ne jamais ouvrir un livre et détester le texte, ce qui n’est sans doute pas complètement vrai. Je suis censé me désintéresser des arts plastiques et ne rien voir dans l’espace, ce qui n’est pas complètement faux. Nous sommes face à la question assez classique et assez compliquée de la différenciation. »

Pour l’approcher, un détour par la lignée Boltanski s’impose. Né dans une famille juive originaire de Russie, le père, médecin, s’est converti au christianisme. La mère, née dans une famille bourgeoise désargentée, atteinte de la polio à 22 ans, a abandonné ses études. La guerre survient et ses lois antijuives. Dans l’appartement du 7e arrondissement, une dispute éclate. Hurlements, claquements de porte. A la concierge, on explique que le père a abandonné le domicile familial. A Luc, 2 ans, que papa est parti. Le divorce est prononcé. A la Libération, l’enfant assiste « avec effroi » au retour du père. L’homme était caché dans un réduit, aménagé sous le plancher. « Il sortait la nuit, c’est même comme ça que j’ai été conçu », raconte Christian, né en 1944.

Commence une vie de rescapés, marquée par la peur, la trahison, la honte. La mère s’est détournée de sa propre famille, largement pétainiste. Désormais écrivain, elle a embrassé les idées révolutionnaires du « parti des résistants ». « A la maison, elle faisait cohabiter quelques familles catholiques, beaucoup de communistes juifs et une poignée d’artistes homo, se souvient Luc. Je sentais évidemment des tensions entre tout ça. Les sciences sociales m’ont donné l’espoir d’éliminer ces tensions. Jusqu’à ce que je comprenne que c’était justement ça, le monde. Mais c’était beaucoup plus tard. »

En ce début des années 1950, la joyeuse constellation qui gravite rue de Grenelle cache un noyau autrement plus traumatique. Pour éviter tout accident, la famille a choisi la fusion. Dans le grand appartement, les enfants dorment par terre, au pied du lit des parents. Idem pendant les vacances : on se lave le moins possible et on dort à cinq dans la voiture. Même lorsque le père part travailler, sa femme et Christian l’accompagnent et attendent des heures dans la voiture qu’il ressorte de l’hôpital Laënnec. « J’y ai acquis une grande capacité d’observation, sourit l’artiste. Mais aussi une grande peur du monde. Je n’allais pas à l’école, je savais à peine lire, je ne parlais à personne, sauf à mes frères. Je suis sorti de chez moi seul pour la première fois à 20 ans, pour aller suivre un cours de dessin. Et ça s’est très mal passé. Sans l’art et sans mes frères, j’aurais fini dans un asile. »

Le « vieux frère », Jean-Elie, futur linguiste et déjà puits de science, lui raconte le monde. Luc, catalogué artiste de la famille pour son amour des vers et des pinceaux, l’entraîne derrière lui. « J’avais fait un petit objet en pâte à modeler, il m’a dit que c’était bien. J’avais 12 ou 13 ans. Le mythe familial en a fait le moment-clé. Je me suis mis à peindre, beaucoup, tout le temps. » Quelques années plus tard, c’est encore Luc qui lui achètera ses premiers tableaux, Luc qui lui fera découvrir le Musée de l’homme et ses vitrines : « On y voyait des gens qui n’étaient pas des héros et des mondes disparus. L’influence a été décisive. » Luc, encore, qui avec son maître d’alors, Pierre Bourdieu, plaidera pour Un art moyen (Editions de Minuit, 1965), leur essai sur les usages sociaux de la photographie. Dans la foulée, Christian adoptera la photo amateur comme support principal d’une oeuvre consacrée à la mémoire.

Luc le révolté, militant pro-FLN pendant la guerre d’Algérie, qui poussera l’audace jusqu’à quitter la maison à 20 ans, quand Christian y conservera son atelier jusqu’à 37 ans. « Enfants, nous avions un jeu tous les trois, se souvient-il. Luc était révolutionnaire et confectionnait des bombes ; moi j’étais un général putschiste, Jean-Elie tenait le Sénat. Le jeu de rôles continue. Il me traite de réactionnaire, moi je me moque de ses histoires de Parti socialiste. » A distance, Luc corrige : « Il n’a aucune conscience politique et c’est lui qui croit au PS, moi plus du tout. Je me sens de plus en plus proche des communistes libertaires. »

Ce genre de joute leur tient lieu de boussole. Chaque dimanche, quand toute la famille se retrouve rue de Grenelle, où habite toujours Jean-Elie et où s’est réinstallé Luc, ou encore au cours de leur déjeuner hebdomadaire en tête à tête, chacun retrouve sa place. « Je lui passe des livres, je lui en parle, il n’est pas obligé de les lire », sourit Luc. « Récemment, il m’a fait découvrir L’Esclave, de Singer, confie Christian, et une tribu incroyable de Nouvelle-Guinée, les… Boutafor. » « Les Arapesh », corrige Luc. Au cours de ces repas, ils rejouent aussi l’éternel affrontement entre théâtre de texte et théâtre d’image, ou encore entre art du temps et de l’espace. Avec son lot habituel d’incompréhension. « Je crois qu’il voit l’art contemporain comme un truc pour épater les bourgeois et que, au fond, il a toujours pensé que j’étais un escroc », attaque Christian. « C’est un très grand créateur, rectifie Luc, et j’aime beaucoup ce qu’il fait. Il a l’oeil, il découpe le monde. Mais, de même qu’il ne voit rien dans un texte, il me manque parfois certaines clés, notamment celle du temps. Combien de temps doit-on rester devant une oeuvre pour en percevoir le sens ? »

« Tout nous sépare, poursuit Christian. Il croit au mal, moi je pense que le mal est en chacun de nous. Il n’est jamais aussi heureux que lorsqu’il prépare à manger pour une tablée d’enfants ; moi je n’aime ni les enfants ni les chiens. Je suis plus juif ; lui catholique et mystique. » Cette fois, Luc Boltanski proteste. « Mystique, sûrement pas. Je n’ai pas de vie intérieure, c’est le monde qui m’intéresse. Mais je ne vois pas pourquoi la modernité devrait nous couper de toute une partie de l’humanité, des démons, des rituels, des fantômes. » Catholique, au moins ? « Je refuse d’être affecté à une identité. J’ai tout de suite envie de trahir. Toute ma vie, j’ai fui et trahi. Ma famille, ma première femme, Bourdieu. L’identité unique c’est la pureté, le pire des pêchés, le vitriol de l’âme. »

« Rester vivant », clame Luc. « Préparer sa mort et transmettre », rétorque Christian. Comme si, peu à peu, l’inversion des rôles faisait mentir les clichés. L’intellectuel amoureux de poésie et assoiffé de liberté. L’artiste obsédé par l’Histoire et le récit du monde. A moins, comme le dit leur ami commun le compositeur Franck Krawczyk, qu’il ne s’agisse de « la même histoire, l’une en plein, l’autre en creux ». Une histoire d’hommes, de présence, de disparition. Avec ou sans mots.

Voir enfin:

Boltanski ou l’imposture de l’art contemporain
Nouvel Hermes
20 février 2010

Quand l’artiste dévoile à son insu les ficelles d’un art usé jusqu’à la corde…

Mieux vaut parfois évoquer un événement à l’instant où il se termine ce qui aura l’avantage de ne pas inciter quelques gogos bobos à y participer.

Ainsi les pigeons retrouveront-ils le toit du Grand Palais à Paris tandis qu’ils en déserteront la nef, là où se déroulait l’exposition de Christian Boltanski.

Une exposition ? Non, plutôt – puisqu’il s’agit d’art contemporain – le rituel d’une secte, une cérémonie à laquelle, bien sûr, nous sommes conviés à participer pour la justifier.

Quelques extraits de la présentation de ce Monumenta 2010 sont particulièrement éclairants :

« L’installation inédite qu’il a créée pour MONUMENTA 2010 est conçue comme une expérience frappante, à la fois physique et psychologique, un moment d’émotion spectaculaire qui questionne la nature et le sens de l’humanité. Investissant l’ensemble de la grande nef, il crée un lieu de commémoration visuel et sonore d’une densité exceptionnelle. L’œuvre engage une réflexion sociale, religieuse et humaine sur la vie, la mémoire, la singularité irréductible de chaque existence, mais aussi la présence de la mort, la déshumanisation des corps, le hasard de la destinée. A cette installation il donne le nom évocateur de Personnes. (…)
Les œuvres de Christian Boltanski sont adressées à tous, elles interpellent et ébranlent. Sous la Nef du Grand Palais, le visiteur oublie toute référence muséale, il fait corps avec la scène vivante de l’art et de la mémoire. L’artiste, selon Boltanski, est celui qui dévoile au spectateur « une chose qui était déjà en lui, qu’il sait profondément ; il la fait venir à hauteur de la conscience ». Théâtre de la remémoration, MONUMENTA 2010 questionne le sens de la destinée humaine et affirme la place faite à chacun dans la mémoire collective. (…)
Christian Boltanski poursuit la collecte d’enregistrements de battements de cœurs qu’il a engagée pour réaliser les Archives du cœur : les visiteurs sont invités à enregistrer le son des battements de leur cœur et à en faire don à l’artiste. »

Cette cérémonie est d’autant plus intéressante qu’elle révèle ce qu’est devenu l’Art Contemporain : une métaphysique floue à l’image de celle que répandent les sectes et les accusations d’intolérance voire de blasphème pour ceux qui les dénoncent.

Attaquer l’Art Contemporain c’est immédiatement s’exposer à la condamnation : « réactionnaire, imbécile, ignare, intolérant » et j’en passe.
Car l’Art Contemporain est une secte riche avec ses appuis politiques, quelques richissimes « collectionneurs » ou « mécènes », ses relais médiatiques qui font la police dans le domaine des Arts, ses « curators », et son public de fidèles qui viennent communier pour y chercher ce qui lui fait défaut : intelligence et pouvoir.

Or, à son insu, Christian Boltansky dévoile la nullité de son oeuvre comme de celles qui jouent sur ce même registre :

– Se saisir d’un lieu prestigieux, le détourner de sa signification historique. Faire dans l’énorme, l’étouffement (cf. Koons au Palais de Versailles ou Christo pour le Pont Neuf.)

– Jouer sur le temps, la mémoire, l’oubli, .

– S’inscrire dans le sociétal : les « minorités » ethniques ou sexuelles.

– L’effacement de l’esthétique (Et pour cause !) par l’éthique : un message simpliste qui ne s’impose donc que par l’émotionnel et l’écrasement de la visibilité.

– Le jeu entre les limites : le grave, le sacré, la transgression, le sexe, la religion, la dérision, le détournement, les jeux de mots.
– L’accumulation qui souligne la redondance, la répétition d’un thème décliné à l’infini.
– Le politiquement correct sous toutes ses formes puisqu’il en est en réalité l’étendard.

Remuez tous ces ingrédients et vous obtiendrez de l’Art Contemporain dont le terme même suffit à désigner le ridicule : Un art qui n’en finit plus d’être « contemporain », qui se désigne ainsi contemporain pour l’éternité !

Un art qui, donc, fait recette mais qui ne repose donc que sur des recettes.

Mais, pour déjouer toute attaque, j’annonce que ce texte comme le blog dont il est issu est une œuvre d’ART CONTEMPORAIN !
Et à celui qui osera me critiquer, je lui répondrai qu’on ne comprenait pas Van Gogh lorsqu’il peignait et que j’en appelle à tous pour me défendre face à ceux qui veulent me censurer!


Polémique Haenel: Une falsification très précisément historique (A form of dumbing down Karski)

22 février, 2010

Racist darwinism (Kimmo Palikko)

Par ma mort, je voudrais, pour la dernière fois, protester contre la passivité d’un monde qui assiste à l’extermination du peuple juif et l’admet. Samuel Zygelbojm (lettre de suicide, après la fin de l’insurrection du ghetto de Varsovie, Londres, le 12 mai 1943)
Le procès de Nuremberg, savamment orchestré par les Américains, n’a jamais été qu’un masquage pour ne pas évoquer la question de la complicité des Alliés dans l’extermination des Juifs d’Europe. (…) La culpabilité des Allemands a servi à fabriquer l’innocence des Alliés. (…) Car l’extermination des Juifs d’Europe n’est pas un crime commis contre l’humanité, c’est un crime commis par l’humanité -par ce qui, dès lors, ne peut plus s’appeler l’humanité. Propos attribué à Jan Karski par Haenel
Pour moi, si Jan Karski est le témoin de quelque chose, c’est moins, si j’ose dire, de la Shoah que de l’organisation d’une surdité liée à la passivité des Alliés, qui sans doute est allée jusqu’à la complicité. Il y a chez lui une expérience immédiate et incontestable de ce qu’il en a été à un moment – documentation à l’appui – d’un pacte implicite entre les Alliés de laisser faire, pour toutes sortes de raisons. Yannick Haenel (le Nouvel Observateur, le 27 août 2009)
Si Yannick Haenel souhaite (…) romancer Karski, il devrait au moins avoir la décence d’être fidèle à l’histoire quand l’histoire est connue. Nul doute que la littérature ne doive nous provoquer et nous inciter à penser de grandes pensées, mais une provocation vide fait plus de mal que de bien. Michael Szporer (University of Maryland)
Contrairement à ce qu’ont dit trop d’intervenants dans ce débat (ouvert surtout depuis la fin de janvier 2010 à la suite d’un article d’Annette Wieviorka, après un semestre de critiques presque uniquement laudatives), il ne s’agit pas ici, pour les historiens, ou pour n’importe quelle personne moyennement compétente sur la période évoquée, de contester les droits de l’imagination littéraire. Il s’agit de dénoncer une falsification très précisément historique. François Delpla
Au nom des droits souverains de la fiction, Haenel commence par déplacer, sans le dire, la conversation d’une dizaine d’heures. Elle suit de près le dîner, qui avait rendu le président somnolent et transformé cette visite, dont on ne sait qui l’avait demandée, en une corvée. Le fait de situer l’entretien après un repas permet non seulement de mettre lourdement en doute l’attention du président des Etats-Unis, mais de métaphoriser l’impression qu’il donne au narrateur, d’être en train de « digérer » le sort des Juifs. François Delpla
C’est en 1933 qu’il fallait « faire quelque chose » : la non-reconnaissance d’un gouvernement dirigé par l’auteur de « Mein Kampf », du moins tant qu’il ne donnait pas des garanties sonnantes et trébuchantes d’assagissement. Ce qui supposait d’associer Staline à un cordon sanitaire. Ne pas faire cela, c’était dire aux Allemands eux-mêmes que leur chancelier revanchard était accepté par la communauté internationale, et lui donner une fatale marge de manoeuvre. Car dès lors il pouvait mettre en oeuvre à pas comptés sa politique, notamment antisémite, et il n’y aurait plus jamais d’occasion aussi nette de le stopper. Personne n’était alors son complice. Mais tout le monde attendait patiemment que cet inculte politique, propulsé à la tête d’une grande puissance sans avoir jamais exercé la moindre fonction, se prît les pieds dans le tapis. C’est bien la sous-estimation de son habileté qui pécha dès l’origine. Et qui pèche encore dans bien des analyses. A commencer par celles de Wyman et de Haenel. François Delpla

Suite à la polémique Haenel

Intéressantes interventions de l’historien François Delpla qui revient sur le livre à thèse et la série de déformations de l’histoire (jusqu’à « faire un bout de route avec les négationnistes » sur « l’amont » et « l’aval » de la question) du Prix Interrallié 2009.

Rappelant notamment l’ignorance et l’impuissance dans lesquelles étaient les Alliés face à la proprement « diabolique habileté manœuvrière » d’un Hitler qui tenait bien en main la situation interne de son pays comme les effets contre-productifs qu’auraient pu avoir une intervention directe en faveur des juifs qui aurait surtout « nourri la propagande nazie identifiant les Juifs à l’ennemi ».

Et resituant la démarche d’Haenel dans la longue histoire de la thèse de l’abandon des Juifs par les Alliés et comme « symptôme des maux de notre époque, par son succès public comme par la bienveillance de la critique et des jurys littéraires (à quelques exceptions près) » …

L’instrumentalisation de Jan Karski

François Delpla
le 29 janvier 2010

La scène se passe à Washington, le 28 juillet 1943, à 10h 30 du matin. Roosevelt reçoit dans son bureau l’ambassadeur de Pologne, Jan Ciechanowski, accompagné d’un homme de trente ans arrivé un mois plus tôt d’Europe, Jan Karski. L’initiative de la rencontre vient du président, qui a eu vent des récits de Karski sur le sort de la Pologne occupée et veut à présent les entendre lui-même. Il le presse de questions sur les souffrances du pays et l’organisation de sa résistance. Puis il s’enquiert du sort des Juifs et Karski rend compte de ses entretiens avec deux dirigeants juifs polonais, ainsi que de ses visites clandestines dans certains lieux d’extermination. Karski demande alors, de la part des dirigeants de la résistance polonaise, et de celle des dirigeants juifs rencontrés, que les Alliés entreprennent une action spécifique de sauvetage, consistant à bombarder les grandes villes allemandes après avoir averti leurs habitants par tracts que c’était en représailles du sort infligé aux Juifs. Il est enfin question du sort futur de la Pologne et de ses rapports avec l’Union soviétique. Roosevelt est toujours aussi curieux et réactif.

En 2009, un texte de fiction prend pour point de départ cette conversation. Le romancier Yannick Haenel commence par résumer le long témoignage de Karski sur le judéocide dans le film Shoah de Claude Lanzmann (1985), puis l’ouvrage Histoire d’un Etat secret publié par lui en 1944, et, dans une troisième et dernière partie, imagine une réflexion de Karski, en forme de testament adressé à l’humanité (il avait fait après la guerre aux Etats-Unis une carrière de professeur de sciences politiques, avant d’y mourir en 2000). Au nom des droits souverains de la fiction, Haenel commence par déplacer, sans le dire, la conversation d’une dizaine d’heures. Elle suit de près le dîner, qui avait rendu le président somnolent et transformé cette visite, dont on ne sait qui l’avait demandée, en une corvée. Le fait de situer l’entretien après un repas permet non seulement de mettre lourdement en doute l’attention du président des Etats-Unis, mais de métaphoriser l’impression qu’il donne au narrateur, d’être en train de « digérer » le sort des Juifs. Karski monologue longuement sur l’horreur, on le censure (sic) en le laissant parler, de même que l’année suivante le public va faire un triomphe à son livre pour mieux en mépriser le message. Le décor, pourtant baptisé « bureau ovale », ressemble moins à un lieu de travail qu’à quelque salon fréquenté par un nombre indéterminé de civils et de militaires qui « assistent à la scène », en sus d’une secrétaire qui prend des notes. Les jambes de cette personne polarisent plus l’attention présidentielle que les récits du voyageur.

Ces déformations nourrissent un propos que l’auteur lui-même résume ainsi, quelques jours avant la sortie du livre, dans le Nouvel Observateur du 27 août 2009 :

Pour moi, si Jan Karski est le témoin de quelque chose, c’est moins, si j’ose dire, de la Shoah que de l’organisation d’une surdité liée à la passivité des Alliés, qui sans doute est allée jusqu’à la complicité. Il y a chez lui une expérience immédiate et incontestable de ce qu’il en a été à un moment – documentation à l’appui – d’un pacte implicite entre les Alliés de laisser faire, pour toutes sortes de raisons.

Il s’agit donc d’un livre à thèse, dont la leçon principale est énoncée p. 166-67 par le professeur Karski à ses étudiants (le monologue censé combler par la fiction son « silence de trente-cinq ans » donne alors dans l’évocation de ses cours d’université !) : « Le procès de Nuremberg, savamment orchestré par les Américains, n’a jamais été qu’un masquage pour ne pas évoquer la question de la complicité des Alliés dans l’extermination des Juifs d’Europe. (…) La culpabilité des Allemands a servi à fabriquer l’innocence des Alliés. (…) Car l’extermination des Juifs d’Europe n’est pas un crime commis contre l’humanité, c’est un crime commis par l’humanité -par ce qui, dès lors, ne peut plus s’appeler l’humanité. » (souligné par FD)

Il y a là quelques attentats contre la vérité historique, dont hélas l’individu Haenel n’est pas seul responsable. Sans étendre, pour ma part, la faute jusqu’à la terre entière, je dirai que ce livre est un symptôme des maux de notre époque, par son succès public comme par la bienveillance de la critique et des jurys littéraires (à quelques exceptions près comme Marc Riglet et surtout Florent Georgesco ). Je passe mon temps ici à dire que l’histoire est utile, mais je n’en avais pas exposé depuis longtemps une preuve aussi flagrante.

La thèse de l’abandon des Juifs par les Alliés est un serpent de mer qui a pointé son museau pour la première fois à la fin des années 60, et vu en 1984 son profil précisé par un livre de David Wyman, The Abandonment of the Jews. Cet écrit et sa postérité (dont le livre d’Haenel s’honore de faire partie, nonobstant ses fictionnelles prétentions) sont plus riches en cris d’effroi qu’en propositions de solutions rétrospectives convaincantes, et la solution-miracle du bombardement des voies menant à Auschwitz n’a guère convaincu. C’est de surcroît un livre médiocre, un de ces ouvrages où un spécialiste s’abandonne soudain à une verve militante à la limite de ses compétences : bon connaisseur des questions migratoires, il l’est moins de la vie interne du Reich en guerre et de ce qu’on en pouvait connaître à l’étranger ; ainsi spécule-t-il sur le temps qu’aurait demandé la reconstruction d’une chambre à gaz bombardée, à partir du temps qu’avait demandé sa construction, pour conclure que les Allemands n’auraient pas pu la mener à bien ; or à l’époque les Alliés, totalement ignorants du temps de la construction d’une chambre à gaz et d’un crématoire, faisaient face aux surprenantes capacités d’adaptation de l’industrie allemande sous leurs tapis de bombes et n’avaient pas de raisons de penser que les usines de mort n’auraient pu pareillement s’enterrer et se disperser.

Mais l’argument décisif, corroboré par les recherches les plus récentes, porte sur la politique intérieure et extérieure du régime nazi. D’une part, Hitler avait assez la situation en main pour infliger aux populations qu’il dominait le sort qu’il voulait et on n’y pouvait changer grand-chose depuis l’étranger ; d’autre part, si les Alliés avaient pris fait et cause pour les Juifs en alertant la population allemande elle-même sur leur sort, alors que la lecture des tracts étrangers était sévèrement interdite, voilà qui aurait plus sûrement nourri la propagande nazie identifiant les Juifs à l’ennemi et leur attribuant la volonté de détruire l’Allemagne, que déclenché une rapide prise de conscience, de nature à rendre le massacre politiquement plus difficile.

La solution simple prônée par les organisations juives et polonaises sous le joug était à la fois inefficace et contre-productive. Les Alliés avaient de bonnes raisons de ne pas retenir cette suggestion et si, dans l’après guerre, notamment lorsque le génocide fut largement étalé à Nuremberg, les messagers qui l’avaient transmise ne se sont pas répandus en accablants reproches, l’historien est tenté d’expliquer leur silence par la prise de conscience des difficultés de son application et de l’incertitude de son rendement, plutôt que par une sidération durable devant l’inhumanité des humains.

Montigny, le 28 janvier 2010

Voir aussi son commentaire de François Delpla sur le site Stalker de Juan Asensio:

L’affaire Haenel-Karski (2009-2010)LA THÈSE DE « L’ABANDON DES JUIFS » A-T-ELLE UN SENS ?

Le 15 février 2010, Laurent Lemire interroge Jorge Semprun, qui lui répond entre autres:, qui lui répond entre autres  : A-t-on le droit de parler de la Shoah dans un roman ? Oui. A-t-on le droit de parler de la Shoah si on n’est pas Claude Lanzmann ? Oui.

L’échange prend place dans un débat ouvert en juillet précédent, quand ont commencé à circuler les épreuves d’un roman de la rentrée sur lequel Gallimard et son employé Philippe Sollers comptaient beaucoup : Jan Karski, de Yannick Haenel.

Le personnage dont le nom sert de titre au roman a vécu entre 1914 et 2000. Il était né Jan Kozielewski, et Karski était un pseudonyme adopté pendant la guerre. Diplomate de formation, il était devenu résistant dans la Pologne occupée et avait connu une certaine notoriété en tant qu’émissaire de la résistance en Occident, à partir de 1942. Il avait été chargé en particulier d’alerter le monde sur le massacre des Juifs polonais et avait, à cet effet, visité clandestinement le ghetto de Varsovie et le camp de transit d’Izbica-Lubelska. Avec une poignée d’autres informateurs, il a permis à l’humanité de comprendre progressivement, à partir de 1942, que le Troisième Reich était en train de la priver de sa composante juive, partout où il pouvait l’atteindre.

Karski transmit le message à Londres, où il fut reçu par le ministre des Affaires étrangères Anthony Eden, puis à Washington, où il eut la joie, alors qu’il s’employait à informer les milieux polonais, d’être invité par le président en personne. Il sortit de cette rencontre du 28 juillet 1943, connue par un compte rendu de l’ambassadeur Ciechanowski, avec une excellente impression : Roosevelt avait posé force questions sur la situation de la Pologne en général, et des Juifs en particulier.

Karski se fixa alors aux Etats-Unis, où il publia en 1944 un livre intitulé Histoire d’un État secret, sur l’appareil clandestin mis en place par la résistance polonaise à la barbe de l’occupant. L’ouvrage, qui présentait en détail le sort des Juifs, connut un grand succès international.

L’auteur avait rencontré en Pologne deux responsables d’associations juives et avait accepté d’eux une mission, en accord avec ses dirigeants : adjurer les Alliés d’entreprendre une action spécifique pour faire obstacle au massacre en cours. Ils devaient bombarder des grandes villes allemandes en représailles, en expliquant cette motivation par des lancers préalables de tracts.

Les données actuellement disponibles ne permettent pas de connaître le sort précis de cette proposition et les raisons pour lesquelles elle n’a pas été suivie d’effet. On peut cependant remarquer que, si elle reflète bien l’indignation et le sentiment d’urgence des Polonais, juifs ou non, devant le sort des victimes, elle était d’une application difficile et aurait eu sans doute, à supposer que les difficultés fussent surmontées, des conséquences néfastes.

Il n’est guère orthodoxe d’annoncer à l’avance une action militaire contre un objectif précis. Quant aux tracts lancés depuis des avions, la législation nazie faisait obligation à tout individu de les remettre à la police sans les lire. Le bruit se serait néanmoins répandu que les bombes étaient larguées dans l’intérêt des Juifs, au nom d’un massacre allégué par l’ennemi dont le citoyen allemand moyen avait lui-même vaguement entendu parler, mais était incapable de mesurer l’ampleur et les motifs. Dans ces conditions, la propagande de Goebbels, résumant les tracts à sa manière, y aurait trouvé matière à développer l’idée que la « Juiverie » était dans cette guerre l’ennemi par excellence, et sa mise hors d’état de nuire un impératif militaire. Sans doute quelques citoyens auraient pris conscience de la souillure nationale et rejoint eux-mêmes des équipes de distributeurs de tracts comme la Rose blanche, mais cela avait bien peu de chances de déboucher sur une lame de fond rendant politiquement difficile la poursuite du massacre.

Il serait fort intéressant de savoir si la non-application de la supplique résulte d’une prise de conscience de son caractère contre-productif, et si c’est le cas, à quelle époque et à quel niveau : un champ de recherches pour l’avenir.

Il y eut cependant des propositions alternatives, dont le sort a commencé d’être étudié. Certaines organisations juives implantées aux Etats-Unis, notamment, demandèrent qu’on bombardât les installations de mise à mort ou les voies ferrées qui y conduisaient. Les militaires anglais et américains chargés des bombardements émirent des objections et rien ne se fit. D’où, à partir des années 60, une polémique sur « l’abandon des Juifs ». Une tendance à le reprocher à la planète entière et aux Alliés de l’ouest (Etats-Unis et Angleterre principalement) en particulier, sans même épargner les sionistes, trouva son expression la plus aboutie dans le livre du professeur américain David S. Wyman, un historien spécialiste des questions migratoires, The Abandonment of the Jews, en 1984. Un livre invoqué comme une Bible par le « Karski » de Haenel.

Or le vrai Karski, qui à l’époque enseignait lui-même dans une université américaine, est curieusement passé sous silence dans cet ouvrage d’une belle épaisseur, dont l’auteur, peu enclin peut-être aux voyages, fouille essentiellement le versant américain des choses, en négligeant fort les conditions européennes et moyen-orientales des solutions envisagées : il s’étend longuement sur les rencontres de Roosevelt concernant la persécution des Juifs. Si Haenel avait là une leçon à puiser, c’était de laisser lui aussi Karski en dehors du débat et de choisir quelque autre héros, par exemple Zygielbojm, l’un des deux informateurs juifs de l’émissaire, qui, lui, s’immole en laissant une lettre pour protester contre la passivité occidentale, en juin 1943 : un mois environ avant la rencontre Karski-Roosevelt. Et cette lettre, citée par Wyman (p. 167 de l’édition française), est beaucoup plus conforme aux sentiments du faux Karski que du vrai, d’après tout ce nous pouvons en connaître, et tout d’abord sa survie dans la peau d’un universitaire américain.

Contrairement à ce qu’ont dit trop d’intervenants dans ce débat (ouvert surtout depuis la fin de janvier 2010 à la suite d’un article d’Annette Wieviorka, après un semestre de critiques presque uniquement laudatives), il ne s’agit pas ici, pour les historiens, ou pour n’importe quelle personne moyennement compétente sur la période évoquée, de contester les droits de l’imagination littéraire. Il s’agit de dénoncer une falsification très précisément historique. Broder sur le désespoir de Zygielbojm qui, lui, dénonçait noir sur blanc la complicité de l’humanité dans le judéocide, voilà qui serait honnête, et pourrait fournir l’occasion d’un travail littéraire intéressant. Exciper du silence de Karski, censé avoir duré tout l’après-guerre, pour lui prêter des pensées invérifiables (et en outre, comme il ne s’est pas tu tant que cela, invraisemblables), en mettant brusquement sous les projecteurs ce personnage mal connu, voilà une démarche qui prête le flanc à une accusation de faux en écriture.

Car il y a bel et bien télescopage d’époques. Le désespoir de ne rien pouvoir faire pour les Juifs est un fait historique des années 1942-44, précieusement documenté par Wyman. Mais on peut lui reprocher de faire de la mauvaise histoire quand, en 1984, il en tire un livre sans recul, mettant bout à bout, au premier degré, les plaintes de l’époque. Il n’a pas convaincu beaucoup de savants (préfacé par l’écrivain Elie Wiesel, il est postfacé dans l’édition française par l’historien sorbonnien André Kaspi, qui prend de grandes distances !) et c’est justice.

Au moins Wyman ne pousse-t-il pas lui-même trop loin la thèse de la complicité. Haenel s’affranchit de tels scrupules et son Jan Karski fait un bout de route avec les négationnistes, non point certes sur la question des chambres à gaz, mais sur celles qui se trouvent en amont (qui a voulu cela ? pour lui ce n’est point Hitler, peu nommé, mais un antisémitisme diachronique et sans rivages)) et en aval (comment l’affaire s’est-elle terminée ? -et s’est-elle terminée ?). Mentant effrontément sur la rencontre Karski-Roosevelt (que le président aurait acceptée comme une corvée alors qu’il l’a demandée, et a manifesté tout au long l’intérêt le plus vif), le livre affirme que les Etats-Unis, et même l’humanité entière, étaient bien aise que Hitler tuât les Juifs. D’où une caractérisation du procès de Nuremberg qui rejoint celle de Maurice Bardèche, point de départ du courant négationniste (en dehors du parti nazi, qui avait lui-même donné le branle) : à Nuremberg les Alliés se sont lavés de leurs fautes aux dépens des nazis, boucs émissaires.

Pour en revenir brièvement à Jorge Semprun, son refus d’entrer dans le débat suggère qu’il n’a pas pris la moindre conscience des enjeux historiques, et qu’il se laisse intoxiquer par une doxa suivant laquelle il s’agit d’une querelle de boutiquiers.

A quelque chose, cependant, malheur est bon. L’impossibilité de sauver les Juifs, la grande pertinence du raisonnement suivant lequel il n’y avait plus qu’à gagner la guerre au plus vite, souvent émis par des responsables anglais et américains, mais aussi (là-dessus également les informations collectées par Wyman sont précieuses) par des militants qui avaient essayé de « faire quelque chose », peuvent et doivent déboucher aujourd’hui sur une meilleure analyse du nazisme, mettant enfin Hitler à sa place, dans ses criminelles propensions, mais aussi dans son habileté manoeuvrière, qu’il ne faut pas hésiter à qualifier de diabolique.

C’est en 1933 qu’il fallait « faire quelque chose » : la non-reconnaissance d’un gouvernement dirigé par l’auteur de Mein Kampf, du moins tant qu’il ne donnait pas des garanties sonnantes et trébuchantes d’assagissement. Ce qui supposait d’associer Staline à un cordon sanitaire. Ne pas faire cela, c’était dire aux Allemands eux-mêmes que leur chancelier revanchard était accepté par la communauté internationale, et lui donner une fatale marge de manoeuvre. Car dès lors il pouvait mettre en oeuvre à pas comptés sa politique, notamment antisémite, et il n’y aurait plus jamais d’occasion aussi nette de le stopper. Personne n’était alors son complice. Mais tout le monde attendait patiemment que cet inculte politique, propulsé à la tête d’une grande puissance sans avoir jamais exercé la moindre fonction, se prît les pieds dans le tapis. C’est bien la sous-estimation de son habileté qui pécha dès l’origine. Et qui pèche encore dans bien des analyses. A commencer par celles de Wyman et de Haenel.

Le blog vigilant de Stalker

Voir également:

Stèle pour Jan Karski
Bernard Loupias
27/08/2009

L’auteur de «Cercle» [1] célèbre, avec une justesse bouleversante, le patriote polonais catholique qui a tenté d’alerter le monde sur l’extermination des juifs d’Europe par les nazis

C’est un livre inoubliable. Ecrit à la mémoire d’un homme d’une noblesse et d’un courage exceptionnels, par Yannick Haenel, cofondateur de la revue «Ligne de risque» et auteur, notamment, de «Cercle». Le nom de cet homme, Jan Karski, est le titre de ce nouveau roman: «J’y tenais, dit-il. C’est un geste philosophique. Il s’agissait pour moi de faire advenir son nom propre, ce que sa délicatesse l’a empêché de faire. Jan Karski pouvait pousser cette délicatesse jusqu’à une réserve quasi masochiste. Une évidence pour qui l’a vu dans «Shoah» ou a lu son livre (1).

Jan Kozielewski, né en 1914 à Lodz, en Pologne, est mort en 2000 à Washington sous le nom de Jan Karski, son pseudonyme dans la Résistance polonaise. Résistance qu’il a rejoint immédiatement après s’être battu lors de l’invasion allemande en septembre 1939, avoir été déporté un temps par les Soviétiques (merci le pacte germano-soviétique) et s’être s’évade. De janvier 1940 à août 1942, Karski, patriote intransigeant, démocrate radical et catholique fervent, sera l’émissaire de la Résistance auprès du gouvernement polonais en exil du général Sikorski, réfugié à Angers puis à Londres. Il prend des risques insensés. Arrêté et torturé par la Gestapo en mai 1940, il tente de se suicider. La Résistance réussit à l’arracher in extremis à ses tortionnaires, et il replonge dans la lutte.

Fin août 1942, Jan Karski va faire la rencontre qui va changer sa vie à jamais. Deux chefs de la résistance juive de Varsovie, un responsable du Bund, l’Union socialiste juive, et un leader sioniste, lui demandent de transmettre aux Alliés et aux responsables juifs du monde entier un message affreusement simple: faites quelque chose, tout de suite. L’Allemagne nazie, lui disent-ils, sera défaite, la Pologne revivra, mais, «nous, les juifs, nous ne serons plus là. Notre peuple tout entier aura disparu».

Par l’intermédiaire de ces hommes, Jan Karski entrera par deux fois dans le ghetto de Varsovie, puis dans un camp d’extermination qu’il croit alors être celui de Belzec (en fait, il s’agissait du camp proche d’Izbica Lubelska). L’horreur qu’il découvre dépasse l’entendement. Dès lors, Karski n’a plus qu’une idée: transmettre le message qui lui a été confié. A Londres, à Washington, à New York, les plus hauts responsables politiques, notamment le président Roosevelt, les dignitaires des communautés juives l’écoutent, sans vraiment arriver à le croire. Karski comprend vite que, sur l’échiquier mondial où les Occidentaux et l’URSS sont provisoirement alliés pour vaincre Hitler, la Pologne et les juifs d’Europe ne pèsent pas lourd. De mars à août 1944, alors que l’industrie de mort nazie s’accélère, à New York Jan Karski dicte son livre et raconte ce qu’il a vu (l’ouvrage connaîtra un immense succès). Mais rien ne change dans la stratégie des Alliés, tandis que de l’autre côté de la Vistule les Russes assistent au massacre sans bouger: «Mes paroles avaient échoué à transmettre le message, mon livre aussi.»

Dès lors, «l’Homme qui avait voulu empêcher l’Holocauste», pour reprendre le titre d’une biographie américaine, se taira, poursuivant une carrière d’enseignant dans une université américaine, jusqu’à son entretien avec Claude Lanzmann [2] dans «Shoah». Comme Jan Karski s’était effacé devant le message dont il était le porteur, Yannick Haenel s’est à son tour effacé devant Karski, pour devenir, dit-il, «le messager du messager», dont le nom figure désormais parmi ceux des Justes des nations, au mémorial de Yad Vashem à Jérusalem.

Le Nouvel Observateur. – Quand vous est venue l’idée de ce livre?

Yannick Haenel. – Quand j’ai vu «Shoah», il y a sept ou huit ans avec, au bout de huit heures de film, l’apparition de Jan Karski. Et de sa solitude. Dans ce film, il y a des témoins et il y a un messager. Qui délivrait l’impossibilité d’un message.

N. O. – C’est-à-dire?

Y. Haenel. – Pour moi, si Jan Karski est le témoin de quelque chose, c’est moins, si j’ose dire, de la Shoah que de l’organisation d’une surdité liée à la passivité des Alliés, qui sans doute est allée jusqu’à la complicité. Il y a chez lui une expérience immédiate et incontestable de ce qu’il en a été à un moment – documentation à l’appui – d’un pacte implicite entre les Alliés de laisser faire, pour toutes sortes de raisons. Quand j’ai vu Jan Karski, je me suis tout de suite posé la vieille question de Sartre au début de «l’Idiot de la famille» : «Que peut-on savoir d’un homme ?» Ce qui a immédiatement activé une immense curiosité pour sa vie, dont le réel événement, à mes yeux, est le mutisme dans lequel il s’est enfermé de la fin de la guerre jusqu’à son entretien avec Lanzmann. A l’évidence, le sujet était là. Comment cet homme a-t-il pu vivre de 1945 jusqu’à sa mort, en 2000, avec un tel savoir sur la criminalité inhérente à l’espèce ? Pour moi, Jan Karski avait en lui la boîte noire de l’histoire du XXe siècle, quelque chose qui nous force encore à penser que l’extermination des juifs d’Europe ne concerne évidemment pas seulement les juifs, mais met en cause l’idée même d’humanité.

N. O. – Votre livre est en trois parties. Seule la dernière, où vous imaginez ce que Karski a pu vivre pendant son silence, explique que vous le qualifiez de roman. Pourquoi cette structure?

Y. Haenel. – C’était la seule façon d’être à la hauteur de l’intégrité du personnage. J’estimais qu’il fallait présenter Jan Karski tel que lui-même l’avait fait, d’abord dans «Shoah» – c’est le premier chapitre – puis à travers ce qu’il a écrit. A partir de là, le lecteur pouvait recevoir ce que j’appelle ma «fiction intuitive». Il y avait là une question d’éthique narrative, de justesse, ou de justice. Ce saut dans la fiction n’avait qu’un but : tenter de trouver un équivalent au silence de Karski. Il ne s’agissait pas pour moi de me mettre à sa place, ni même de le faire parler. Dans cette dernière partie, c’est sa nuit blanche qui parle. Quand je l’ai vu dans «Shoah», je me suis dit : «Cet homme n’a plus dormi depuis 1945.»

N. O. – Vous rapportez cette phrase extraordinaire qu’il a dite un jour à Elie Wiesel: «Je suis un catholique juif»…

Y. Haenel. – Phrase infinie…

N. O. – La pensée juive était déjà présente dans «Cercle», dont le narrateur finissait sa quête spirituelle en Pologne, dans la région de Lublin, terre des grands maîtres du hassidisme…

Y. Haenel. – Le projet de «Ligne de risque» est sous-tendu par un souci spirituel qui pourrait se dire ainsi: «Comment passer de la position catholique à la position juive ?» Ce qui nous intéresse, pour parler en termes deleuziens, c’est le devenir juif de l’écriture.

Il ne s’agit pas de s’efforcer vers ça, mais de comprendre comment, dès qu’on est confronté à une expérience de langage, de parole, on est forcément déjà travaillé par cette question. Les nazis ont non seulement voulu exterminer les corps juifs, mais aussi transformer en fosse commune la spiritualité dont ils étaient porteurs, que ce lieu de parole n’existe plus. Pour moi, qui suis de culture catholique, ce que j’appelle le devenir juif, c’est le saut vers la conscience de ça.

N. O. – Contrairement à nombre de résistants polonais, souvent antisémites, Karski ne distingue jamais les juifs des Polonais dans leur ensemble. Mais il comprend très vite la spécificité de l’extermination dont ils sont l’objet…

Y. Haenel. – Jan Karski est une singularité. Quelqu’un dont le sillage est celui d’un Juste, de quelque chose que je ne pensais même pas possible. C’est-à-dire un innocent, quelqu’un qui vit dans l’indemne : il n’est pas avili. Mais je veux être clair sur ce point : il ne s’agit pas pour moi d’indemniser les Polonais d’un antisémitisme réel et effroyable. Mais comme Karski, je pense que non seulement on ne peut pas réduire les Polonais à ce qu’il y a eu de plus honteux en eux, mais en plus que le faire a servi à blanchir d’autres responsabilités.

N. O. – Celles des Alliés, par exemple

Y. Haenel. – Exactement.

N. O. – Jan Karski dit qu’il a échoué…

Y. Haenel. – L’essentiel pour moi dans ce que je n’en finis pas d’apprendre de Karski, c’est que la seule véritable question est celle de la transmission d’une expérience. Des amis m’ont dit : finalement, tu racontes l’histoire d’un échec. Mais pour moi, Jan Karski est l’autre nom de la victoire. Dans les sephirot de la Kabbale, il y en a une qui s’appelle netza’h, la Victoire. Pour moi, Karski est l’histoire d’une netza’h.

Propos recueillis par Bernard Loupias

«Jan Karski», par Yannick Haenel [3], L’Infini/Gallimard, 188 p., 16,50 euros.

(1) «Mon témoignage devant le monde. Histoire d’un Etat secret», son autobiographie parue en 1944 aux Etats-Unis, Editions Point de mire, 466 p., 26 euros.

Voir enfin:

Reviews »

Quayling Jan Karski
Michael Szporer
05-02-2010

Yannick Haenel’s « Jan Karski » is an odd concoction–not really novel, but a compilation of two rudimentary summaries and a monologue, Yannick Haenel as Jan Karski. I have no problem with first person monologues, which may or may not resemble the author, and understand that first person, even in an autobiography, can be treated as a literary persona, or mask.

However Haenel’s first person is nothing like Norman Mailer, or less adept literary biographers who try to popularize historical figures.

Leaving historical inaccuracies aside, beginning with the book cover [Did anyone at Gallimard notice that Operation Barbarossa began on 22 June 1941 and that Poland was devastated in September 1939?], the book is seriously flawed. It is difficult for me to understand from the point of view of historical literature why this particular work–a kind of Que Je Sais about Jan Karski–received such instant recognition in Paris as “groundbreaking.” Perhaps it was the sudden discovery of Jan Karski in a country with a troubled past of collaboration with the Nazis?

Jan Karski’s heroism is well known outside of France, surely in America, in Israel–where he has been recognized as one of the Righteous– and in his native Poland. If Karski isn’t better known around the world, it is only because Professor Karski was a remarkably humble man, who would not like to be transformed into something he was not. He genuinely believed he had done what any honest individual should have done. Of course he did more, because he could never forget the corpses his eyes saw in the streets of the Warsaw Ghetto and that “quivering cargo of flesh” at the transit camp Izbica, the last stop before extermination camps in Belzec and Sobibor.

Haenel exaggerates when he says Karski was unknown, or had to be rediscovered. Jan Karski taught at the School of Foreign Service of Georgetown University, wrote several books, beginning with the best-seller, Story of a Secret State [1944], which Haenel summarizes even though it is available in French; he advised US government officials, his students went on to be very influential, among them president Bill Clinton. He had a distinguished academic career that included a Fulbright in 1974 to his native Poland to write The Great Powers and Poland 1919-45; evidence in the Institute of National Remembrance archives indicates that communist security forces were keenly aware of his activities. Karski archives were collected at the Hoover Institution. Forgotten were other heroes of Polish resistance, notably Jan Karski’s brother, Colonel Marian Kozielewski.

Yannick Haenel probably meant well, even if his true intentions are a mystery. He wanted to immortalize Karski, and show that during the dark days of Nazi-occupied Europe and horrendous atrocities, humanity thrived in individual acts of courage. One should note that Jan Karski had quite a remarkable war career, not only as a messenger who first reported the horrors of the Holocaust.

However, Haenel’s perplexities as a French intellectual strike me as mightier than his pen. Why didn’t Haenel do basic historical research if, as he claims, he wished to restore a remarkable historical figure to his rightful place in history, and challenge existing interpretations of who was really responsible for the Holocaust? Oddly missing is a reference to Elie Wiesel, a francophone writer and Nobel Prize laureate, who reminded the world of Jan Karski’s mission to save the Jews at the International Liberators Conference in October 26-28, 1981 held in Washington D.C.

Haenel’s Jan Karski is a book about Haenel—and perhaps the generation he represents–not about Jan Karski. It would have been best to introduce Karski and let him speak for himself, as Claude Lanzmann did in Shoah, or as Waldemar Piasecki did in My Mission.

Unfortunately, Haenel’s Jan Karski is nothing like the Jan Karski I knew in the later years of his life. Karski had no patience with silly and unsubstantiated divagations about the Holocaust, like Haenel’s, and rightly so. Such thinking distorts history and dishonors the people that perished. Karski saw the tragedy of the Jews as not fitting in with Allied strategic aims to put an end to Hitler and Nazi Germany as quickly as possible with minimal losses.

Haenel’s Karski is tormented by what strike me as uniquely French guilt feelings about the Jews and collaboration with the Nazis during WWII; and uniquely French pangs about cultural inadequacy steeped in oddball provincialism. These are all too obvious in the book even when masked by Haenel’s blaming America and England for abandoning the Jews, and disregarding the plight of war-scarred Poland and its forgotten heroes.

I admit to deconstructing Haenel’s argument, but I am only “un-reading” his misreading. He has aspired to do nothing less to post-war Europe and America. Haenel boldly claims that the free world of post-war period was built on the hidden guilt of Allied complicity in the Holocaust. Much said—very provocative; one could go out on the limb and nod with a “perhaps.” Nonetheless, there is little in Haenel’s mediocre misrepresentation of Jan Karski to substantiate such a robust claim.

If Yannick Haenel wishes to write about himself, he should write an autobiography. If he wishes to fictionalize Karski, he should at least have the decency to be faithful to history where history is known. No doubt literature should provoke and make us think big thoughts, but an empty provocation does more damage than good. My problem with Haenel’s Jan Karski is that it is neither a fresh look at a historical figure nor inventive as literature—it is a form of Quayling,*or “dumbing” down, of Jan Karski. “Cher, Yannick, I knew Jan Karski. Jan Karski was a friend of mine. You’re no Jan Karski!”

*Quayling or “dumbing down” is a reference to the former Vice President of the United States Dan Quayle.

Yannick Haenel « Jan Karski », Gallimard, Paris 2009

Michael Szporer is a Professor of Communications at University of Maryland and a member of the Jan Karski Society


Retraites: Attention, une dépendance peut en cacher bien d’autres! (Path dependence: when policies make politics)

19 février, 2010
Qwerty Path dependenceLorsqu’une institution est mise en place il est difficile voire impossible de la démanteler, elles engagent des sentiers de dépendance (path dependence). Ceci vaut pour le mieux comme pour le pire. CW
Le ratio de dépendance démographique – qui désigne le nombre de personnes à l’âge de la retraite par rapport au nombre de personnes en âge de travailler – va quasi atteindre un cotisant pour un retraité vers 2020, alors qu’il était de quatre cotisants pour un retraité dans les années 1980 et de quinze cotisants pour un retraité en 1945. (…) A législation inchangée, pour assurer le financement des régimes de retraite, il faudrait doubler l’impôt sur le revenu d’ici à 2020 ou doubler la TVA d’ici à 2040.
Ne rien faire, comme l’exigent les fantassins de l’immobilisme, c’est porter à la charge de la génération née après 1970, moins nombreuse, plus soumise qu’autrefois au risque du chômage et de la précarité, et qui devra en outre supporter les intérêts et le capital d’une dette que ses aînés ont laissée filer, le soin de payer la santé et les retraites d’une génération qui a bénéficié de carrières longues, s’est voulue volontairement moins féconde, a connu des conditions de travail moins pénibles et a décidé, cerise suprême sur le gâteau, de fixer l’âge de la retraite à 60 ans alors que tous les autres Etats européens,
confrontés aux mêmes problèmes, ont relevé à 65 ans (voire 67 ans au Danemark) l’âge légal de départ à la retraite.


A cette inéquité intergénérationnelle qui est une insulte à l’avenir se superpose une incroyable inéquité entre retraités eux-mêmes : des injustices liées à la multiplicité et à l’opacité des régimes de retraite. On ne compte pas moins de 538 régimes concourant à la gestion du risque vieillesse : autant de régimes qui multiplient les réflexes corporatistes et sanctuarisent les injustices.
Là où une ouvrière de 60 ans, à la carrière incomplète pour avoir élevé deux enfants, touchera 1,04 euro pour 1 euro cotisé, un employé modeste à la Banque de France, pouvant prendre sa retraite à 55 ans, touchera 2,42 euros pour 1 euro cotisé. Là où un cadre multicarrières ayant commencé par être ingénieur agronome avant de se lancer dans une activité libérale de conseil percevra à partir de 64 ans 0,87 euro pour 1 euro cotisé, un cadre de la SNCF ayant accumulé trente-deux années validées et prenant sa retraite à 55 ans percevra 3,16 euros. Là où une infirmière à la carrière incomplète percevra 1,83 euro pour 1 euro cotisé, un sous-officier prenant sa retraite après quinze années de service, dont cinq de campagne simple, et jouissant de sa pension immédiate à 35 ans percevra – c’est le meilleur rapport – 4,78 euros pour 1 euro cotisé. François de Closets
La répartition, c’est un peu un système Madoff, elle tient tant que les derniers acceptent de payer pour les premiers. S’ils ne sont plus assez nombreux ou s’ils refusent de payer, le système s’écroule. L’équation des retraites est connue : d’ici à 2030, le nombre de plus de 60 ans augmente de 6 millions alors que la tranche des 20-60 ans stagne. Ce qui était facile en 1970 quand il y avait 2,5 actifs pour un retraité est intenable en 2030, quand il y aura 1,5 actif pour un retraité! Michel Godet
La France a surtout un problème de chômage et d’inactivité : ses habitants ont une des espérances de vie les plus longues de l’Union européenne et la durée d’activité professionnelle la plus courte. La solution au problème du financement des retraites passe d’abord par une réduction du chômage et par une augmentation des taux d’emploi, en particulier des jeunes et des seniors. L’exemple de la Finlande l’atteste : en aménageant les conditions de travail et en valorisant les compétences de ses seniors, elle a fait reculer en dix ans l’âge effectif de départ à la retraite de 59 à 62,5 ans. M. Palier

38 régimes obligatoires et régimes spéciaux impossibles à compter, réforme Fillon de 2003 pas financée », « survivances » des régimes spéciaux suite à la réforme de 2007, erreurs de programmation dans le calcul des retraites (jusqu’à 2,5 milliards d’euros suite à une surévaluation des trimestres pour certains chômeurs depuis 1984), près de 400 milliards à trouver pour les retraites des fonctionnaires d’ici 2050, détournements massifs (jusqu’à 10% sur 520.000) de la loi Fillon sur les retraites des carrières longues (validation frauduleuse de trimestres douteux, notamment dans les professions agricoles, via de simples déclarations sur l’honneur de témoins) qui par ailleurs a surtout encouragé les départs précoces et creusé presque la moitié du déficit du régime général constaté en 2007 (soit 2,2 milliards d’euros pour un déficit total de l’assurance-vieillesse de plus de 10 milliards d’euros en 2010), pillage en règle par l’Etat des caisses complémentaires des salariés du privé au profit des fonctionnaires non titulaires et des élus (plusieurs milliards d’euros), menaces sur les retraites des professions libérales suite au succès du statut d’auto-entrepreneur, revenu moyen des pensionnés (pension et patrimoine compris de 21 540 € par an en 2007, soit 5 % de plus que celui de l’ensemble de la population, tous âges confondus et très légèrement inférieur comparé au revenu des seuls actifs), inégalités face à la mort (9 ans de moins pour les ouvriers du privé que les cadres et les employés du secteur public) …

Attention: une dépendance peut en cacher bien d’autres!

A l’heure où les économies en faillite virtuelle du sud de l’Europe subissent, après en avoir profité pour maquiller leurs comptes, les assauts du même complexe financiaro-industriel qui nous a valu il y a un peu plus d’un an le holdup du siècle à Washington …

Et où, entre la crise, la baisse de la démographie et le vieillissement des populations, dans le reste de l’Europe comme en France les caisses sont censées être vides depuis au moins la dernière élection …

Retour, à la veille des potentiellement explosives discussions de la réforme du régime des retraites prudemment reportées pour après les élections régionales de mars, sur le fameux effet ou dépendance de sentier que nous avions récemment évoqué pour Haïti.

Qui, derrière la traditionnelle dépendance intergénérationnelle (le fameux « ratio de dépendance démographique ») sur laquelle est fondé notre système de retraites par répartition et à l’image du fameux clavier de nos ordinateurs toujours vaillant et aussi peu pratique après plus de 50 ans alors qu’ils avaient été conçus, on s’en souvient, pour ralentir la vitesse de frappe des dactylos pour éviter qu’elles démolissent les machines à écrire, nous rappelle combien nos choix du passé continuent à déterminer nos choix présents.

Et comment, avec plus de 600 caisses de retraite gérées par les partenaires sociaux et non par l’Etat, ses 38 régimes obligatoires et ses innombrables régimes spéciaux, il va nécessairement y avoir du sport (même Reagan et thatcher réunis s’y sont cassé les dents!).

Sans compter, cerise sur le gâteau, que l’horizon politique des responsables appelés à gérer la question ne dépasse généralement pas leur prochaine réélection, soit quelques années au plus, alors qu’ils sont censés lancer des réformes qui vont engager leur pays et leur population pour des générations.

Et que, comme le rappelle très justement le site libertés réelles, contrairement à « la mise en place d’un système qui relève d’une logique de ’credit claiming’ où les acteurs politiques pourront se targuer de la nouvelle politique (disons Jack Lang pour la fête de la musique ou Jospin pour les 35h), le démantèlement d’un système en place relève plutôt d’une logique de ’blame avoidance’, c’est-à-dire qu’on cherche à faire le moins de mécontents et le plus discrètement possible (d’où la pratique devenue courante des réformes lancées pendant l’été) »…

Les sentiers de dépendance

CW
Libertés réelles
5 juillet 2007

Pendant les campagnes politiques on s’énerve, on s’emporte, on manifeste, on envoie des dizaines de mails à tout son répertoire et voici à mon avis quelques bonnes raisons pour maintenir le cap si on pense qu’une réforme est véritablement mauvaise : l’idée des sentiers de dépendance.

L’idée est assez simple et sort toute droite de la science politique, du courant dit néo-institutionnaliste [1] : lorsqu’une institution est mise en place il est difficile voire impossible de la démanteler, elles engagent des sentiers de dépendance (path dependence). Ceci vaut pour le mieux comme pour le pire et constitue un bon argument pour défendre ses idées.

Ces sentiers de dépendance ont été mis en évidence par Paul Pierson au début des années 1990 avec un fantastique ouvrage : Dismantling the Welfare State ? : Reagan, Thatcher, and the politics of retrenchment (1994). Le constat est simple : alors que Thatcher et Reagan disposaient de ressources institutionnelles importantes, alors que les oppositions étaient faibles, alors qu’ils étaient arrivés avec un discours extrêmement radical de démantèlement des Etats-Providence et spécialement des systèmes de retraite publics, ils ne sont pas parvenus au moment où ils étaient au pouvoir à mener à bien leur programme. Les systèmes de protection sociale sont toujours en place. De façon encore plus surprenante encore, alors que Thatcher a connu une opposition plus importante (spécialement de la part des syndicats) et qu’elle disposait de moins de pouvoir au sein de l’appareil politique, elle a réussi à aller plus loin que Reagan. Il semble donc que les théories en termes de ressources politiques et de concentration des pouvoirs institutionnels ne soirent pas des explications suffisantes. La solution se trouve d’après Pierson dans les institutions en place dans les deux pays. Pour montrer cela il s’intéresse particulièrement aux réformes des systèmes de retraite. D’une façon plus large, il reconnnaît que des politiques d’austérité ont bien été mises en place mais qu’en revanche les systèmes de protection sociale eux se sont maintenus dans les grandes lignes.
Qu’est-ce qui explique l’existence des sentiers de dépendence ?

Les coûts de mise en place et les rendements croissants D’abord on pourra se rappeler d’un vieil article de PA David (très court et facile à lire) : « Clio and the economics of QWERTY » (AER 84). L’idée était bien là : alors que les claviers que nous utilisons maintenant ont été conçus pour ralentir (si ! si !) la vitesse de frappe des dactylos pour éviter qu’elles démolissent les machines à écrire et donc ne sont plus adaptés, ils sont toujours utilisés.. Ceci s’explique par les coûts d’apprentissage et donc les rendements croissants de ce type d’innovations. Il y a bien un coût à mettre en place des institutions mais également un coût à les changer. L’idée de Pierson se place bien là : la logique d’expansion d’un système est radicalement différente de celle de son démantèlement. La différence vient bien du fait qu’une fois qu’une politique est mise en place, il faut en tenir compte et dans ce sens « policies make politics » et non l’inverse !

Les policy feedbacks et autres aspects cognitifs D’abord, une institution créé une forme de précédent : les policy feedbacks. Les choix passés déterminent nos choix présents puisque généralement en politique ce n’est pas à partir d’un panel de choix in abstracto que l’on choisira mais bien en fonction des choix précédents. Dans un certain sens il s’agit là d’un sentier de dépendance cognitif [2].

La modification de la structure des opportunités politiques Par ailleurs et de manière au moins aussi importante, les institutions structurent le champ politique dans lequel les acteurs politiques (ou tout acteur cherchant à réformer) vont évoluer, non seulement sur le plan cognitif mais dans les options possibles. C’est ainsi que Thatcher avait pour elle un système de retraites mis en place par Beveridge qui n’était pas arrivé à maturation (ce qui évitait le problème de la double cotisation). Il était fragmenté et était en concurrence avec un secteur privé. A l’inverse Reagan lui est arrivé à un moment où le système mis en place par Roosevelt était déjà bien en place. Il était plus unifié donc pouvait soulever une opposition plus importante et la privatisation aurait constitué une réforme trop radicale. Pour lui rendre la tâche plus difficile, l’Etat n’était intervenu que sur les deficits [3] alors qu’en Angleterre l’Etat intervenait plus directement dans le système ce qui lui donnait une plus grande marge au moment de la réforme.Le fait que Reagan ait fait face à un système unifié a renforcé les effets de blocage interne (lock-in) liés institutions.

Ces sentiers de dépendance sont donc également différents selon les systèmes en place. C’est pour cela que Pierson plus récemment dans The New Politics of the Welfare State, 2001 [4] en reprenant la grille de G. Esping-Andersen sur les Etats-Providence a pris en compte différents mondes des réformes des Etats-Providence, qui témoigne d’une différence dans même dans les types de changements possibles ce qui est un prolongement intéressant de l’idée de sentier de dépendance.

Les stratégies politiques face au démantèlement Alors que la mise en place d’un système relève d’une logique de ’credit claiming’ où les acteurs politiques pourront se targuer de la nouvelle politique (disons Jack Lang pour la fête de la musique ou Jospin pour les 35h), le démantèlement d’un système en place relève plutôt d’une logique de ’blame avoidance’, c’est-à-dire qu’on cherche à faire le moins de mécontents et le plus discrètement possible (d’où la pratique devenue courante des réformes lancées pendant l’été)…

D’autres exemples

Dans son fameux ouvrage Outsiders, Howard Becker donne un autre bon exemple d’effet de cliquet à travers son étude sur l’interdiction de la Marijuana. Il explique bien comment dans les années 30, les membres du bureau fédéral des drogues ont réussi à mobiliser l’opinion sur le problème de la Marijuana et obtenu des moyens financiers pour augmenter la taille de leur département et faire de la consommation de Marijuana un problème public alors que cela n’en était pas un auparavant. Selon lui, et son explication paraît assez convaincante, il s’agit simplement d’une stratégie des membres de ce bureau pour obtenir plus d’importance.

La réforme des 35 heures constitue également une bonne illustration de ce phénomène. Alors que la droite était radicalement opposé à cette réforme, elle n’est pas revenue et ne reviendra pas sur cette mesure. En revanche, pour réhabiliter la valeur travail, elle engage des réformes qu’elle n’aurait sûrement pas engagé si les 35 heures n’avaient pas été mises en place, telle que la défiscalisation et l’exonération de charges des heures supplémentaires. Que s’est-il passé ? La réforme des 35 heures a très clairement posé la question de la place du travail et du partage du travail dans la société et a incité la droite à prendre le contrepieds du gouvernement Jospin sur ce sujet. En ce sens, le discours sur le travail de la droite actuelle apparaît comme une conséquence de la réforme des 35 heures.

Le cas français pour les retraites illustre aussi très bien le problème des sentiers de dépendance. Le fait qu’il existe plus de 600 caisses de retraite gérées par les partenaires sociaux et non par l’Etat rend une réforme très difficile : il faut réunir tous les partenaires sociaux pour qu’ils se mettent d’accord. En dehors du fait qu’il est impensable (économiquement) de privatiser un tel système du jour au lendemain, politiquement ce serait de l’ordre du suicide tant la question est épineuse et polémique. Pourtant une réforme a bien eu lieu et à en croire à l’extension actuelle des plans de retraite privées, il est probable que des changements soient plus envisageables dans l’avenir étant donné qu’il y a une conviction croissante dans l’opinion dans le fait que le système n’est pas soutenable à terme [5].

Conclusion

Cette idée de dépendance au sentier implique que lorsqu’un gouvernement engage une réforme, il n’engage pas le pays simplement pour la durée de son mandat mais à beaucoup plus long terme.

Voir aussi:

RÉFORME DES RETRAITES : POURQUOI, COMMENT ?
L’équation est connue: il y aura demain 1,5 actif pour 1 retraité. Qui va payer?
Michel Godet
Le Monde
12.02.10

Chaque réforme annoncée du système de retraite est l’occasion de grandes démonstrations de défense des acquis sociaux et de rapports de force où les gouvernements hésitent à s’engager. En effet, les électeurs, dont l’âge moyen ne cesse d’augmenter, sont aussi des citoyens consommateurs prompts à défendre les réformes d’intérêt général pour corriger les inégalités, sauf celles dont ils profitent. Pour faire avancer le débat, il faut bien mettre sur la table les données du problème.

1. Dans le système de retraites par répartition, ce sont les enfants qui paieront les retraites de demain. La répartition, c’est un peu un système Madoff, elle tient tant que les derniers acceptent de payer pour les premiers. S’ils ne sont plus assez nombreux ou s’ils refusent de payer, le système s’écroule. L’équation des retraites est connue : d’ici à 2030, le nombre de plus de 60 ans augmente de 6 millions alors que la tranche des 20-60 ans stagne. Ce qui était facile en 1970 quand il y avait 2,5 actifs pour un retraité est intenable en 2030, quand il y aura 1,5 actif pour un retraité !

2. La relève n’est pas assurée par les générations 20 % moins nombreuses nées après 1975. Il faut donc rallonger la durée de la vie active, ce qui est une rupture. Depuis 1970, la durée moyenne de vie active a baissé de plus 7 ans. Dans le même temps, nous avons gagné 8 ans d’espérance de vie et de retraite en plus, et ce n’est pas fini puisque l’on s’attend à un gain d’au moins 4 années d’ici à 2030. C’est dire qu’une femme de 60 ans aurait alors 31 ans d’espérance de vie et un homme 26 ans.

3. Sauf recours massif à une immigration d’actifs, le gouvernement et les partenaires sociaux disposent de trois leviers pour sauver la répartition : augmenter les cotisations, baisser les pensions et allonger la durée de vie active. Les marges de manoeuvre sont faibles. En effet, les actifs, moins nombreux sur le marché du travail, seront en position de force pour négocier leur salaire net et peu enclin à payer plus pour des générations qui leur ont transmis une dette qui s’élève déjà à 150 000 euros par actif, si l’on tient compte des engagements de l’Etat. En ce qui concerne les pensions, depuis 2003, elles sont indexées sur le coût de la vie et non plus sur les salaires et, chaque année, le pouvoir d’achat des retraités baisse d’un demi-point par rapport à celui des actifs. Il reste à agir sur le troisième levier. Notre pays devra bientôt, comme ses voisins, repousser l’âge moyen de départ à la retraite bien au-delà de 60 ans et se rapprocher progressivement des 70 ans.

4. La retraite par capitalisation est une solution individuelle pour ceux qui peuvent épargner mais ne résout pas le problème collectif. Elle présente par ailleurs des risques pour l’épargnant eu égard à l’évolution des valeurs boursières. C’est aussi une illusion. En effet, la capitalisation, comme la répartition, est d’abord un système de « droits de tirage sur la production future ». La valeur de chaque droit de tirage dépend enfin du nombre de droits distribués.

5. Le débat sur les retraites est focalisé sur la durée de cotisation : il fait du même coup oublier que la plus grande des inégalités réside dans le nombre d’années où l’on va en profiter. Les inégalités face à la mort sont telles que les ouvriers du privé vivent 9 ans de moins que les cadres et les employés du secteur public. Les ouvriers devraient partir plus tôt et toucher plus puisqu’ils en profiteront moins longtemps. Leurs épouses toucheront une faible pension de réversion et auront des droits d’autant plus faibles qu’elles auront eu des enfants et une carrière incomplète (61 % des femmes et 15 % des hommes sont dans ce cas). 40 % des familles très nombreuses (quatre enfants et plus) sont de référence ouvrière. Aucun groupe de pression ne les défend, pas même la CGT.

Inégalités face à la mort

Les inégalités de la répartition en fonction des régimes de retraites (privés, publics, spéciaux, agricole) sont particulièrement criantes. Le privé, avec plus de la moitié des ayants droit (54 %), ne profite que de moins de la moitié des prestations légales vieillesse et veuvage. Cet écart (6 %) est d’autant plus significatif que cette catégorie représente plus des deux tiers des cotisants. Les moins bien lotis sont les bénéficiaires du régime vieillesse agricole (19 % des ayants droit mais seulement 8 % des pensions versées), soit autant que les régimes spéciaux qui sont quatre fois moins nombreux. Le plus inquiétant pour l’avenir étant le régime des fonctionnaires, qui avec 12 % des ayants droit compte pour 31 % des pensions versées. Les fonctionnaires vont partir massivement à la retraite et les montants ne sont pas provisionnés.

La solidarité intergénérationnelle justifie les écarts en proportion entre cotisants et ayants droit : il est normal que les régimes spéciaux, qui ne représentent que 2 % des cotisants pour 5 % des ayants droit, perçoivent plus que 2 % des pensions (en réalité 8 %), mais rien ne justifie de tels écarts entre les bénéficiaires de chaque catégorie. Il est vrai que les artisans ou les paysans d’hier ont moins cotisé que ceux d’aujourd’hui, mais ce n’est généralement plus le cas de leurs enfants.

Puisque ce n’est pas le courage et le bon sens qui dominent dans ce pays, on va réformer les retraites en fonction des rapports de force et au mieux rogner sur les avantages du secteur public en faisant passer l’idée d’un allongement de la durée de cotisations avec un système de retraite à points et à la carte. Ce sera déjà un énorme progrès que d’avoir fait comprendre aux Français qu’ils ont acquis des points par leur travail, mais que la valeur de ces points dépendra de la capacité contributive des générations futures. Cette réforme est inévitable pour sauver la retraite par répartition, sinon on finira par la mettre sous conditions de ressources !

Michel Godet est professeur de prospective industrielle au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), dernier ouvrage paru « Le Courage du bon sens » (Odile Jacob, 2009).

Voir également:

M. Palier : « Toucher aux retraites est aussi difficile en France qu’en Europe »
Le Monde
14.02.10

Pour ce chercheur, rien ne sera réglé en France sans un profond changement du marché de l’emploi

Les retraites sont au coeur de l’agenda social 2010, que Nicolas Sarkozy soumet, lundi 15 février à l’Elysée, aux partenaires sociaux. Il y sera question de la méthode et du calendrier de discussion d’une réforme jugée urgente compte tenu des déficits du système. Bruno Palier en présente les enjeux. Chercheur CNRS au Centre d’études européennes de Sciences Po, spécialiste de la Sécurité sociale, M. Palier a écrit, notamment, La Réforme des retraites (PUF), dont une version réactualisée doit sortir en mars.

– José Luis Rodriguez Zapatero veut repousser l’âge légal de départ à la retraite, Silvio Berlusconi en parle aussi, François Fillon y songe. Est-ce un effet de la crise ?

La récession a, bien sûr, aggravé la situation financière des régimes de retraite : le chômage et le ralentissement de la croissance en réduisent les ressources. Mais les déséquilibres des régimes de retraite européens ne sont pas seulement conjoncturels. Ils sont aussi liés à la démographie, au vieillissement des populations, et à l’état des marchés du travail dans chaque pays.

En France, l’assurance-vieillesse devrait afficher plus 10 milliards d’euros de déficit en 2010. Une partie de ce « trou » s’explique par la crise. L’autre, par les conséquences de la réforme Fillon de 2003. Au lieu de retarder l’âge moyen de départ en retraite, elle l’a avancé d’environ une année, selon la Caisse nationale d’assurance-vieillesse (CNAV), en ouvrant une possibilité de départ anticipé pour les carrières longues.

– Beaucoup d’Etats européens ont réformé leurs systèmes de retraite. Pourquoi est-ce si difficile en France ?

Toucher aux retraites est aussi difficile en Europe qu’en France. Les réformes n’y ont pas été plus faciles. En 1995, le chef du gouvernement italien Silvio Berlusconi a dû quitter le pouvoir sur cette question. Deux ans plus tard, son homologue allemand Helmut Kohl a en partie perdu les élections [législatives] de 1997 sur son projet de réforme.

Toucher aux retraites n’est jamais facile. Mais les pays qui ont mené à bien une ou plusieurs réformes importantes ont pris le temps de négocier (quatorze ans en Suède pour la réforme de 1998). Ils ont proposé des compensations pour les perdants potentiels, notamment les personnes ayant des carrières atypiques (principalement des femmes et les personnes les moins qualifiées). Et ils ont clairement posé la question de la solidarité entre les générations qui appelle un effort des plus jeunes retraités, relativement aisés.

– Le recul de l’âge de la retraite est-il incontournable ?

L’âge légal de départ à la retraite est quasiment partout fixé à 65 ans en Europe. Certains pays ont décidé de le repousser à 67 ans : l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas, l’Espagne. Quant à la Grande-Bretagne, elle prévoit de passer à 68 ans d’ici à 2046. A cet égard, la France fait figure d’exception.

– Faut-il absolument s’attaquer au symbole de la retraite à 60 ans ?

Pour ne pas toucher à la retraite à 60 ans, c’est-à-dire à l’âge légal auquel tout individu peut partir, que sa carrière soit ou non complète, les gouvernements français ont joué sur un autre paramètre : la durée de cotisation nécessaire pour toucher une pension complète (41 annuités en 2010). Sur ce point, la France se rapproche des autres pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Cette solution a le mérite d’ajuster les conditions d’accès à la retraite aux profils de carrière différents des individus : les personnes diplômées commencent et partent plus tard, l’inverse étant vrai pour les moins diplômés. Mais elle pénalise aussi les classes populaires, les personnes pas ou peu qualifiées, dont l’espérance de vie en France est inférieure de sept ans à celle des cadres et dont les carrières sont marquées du sceau de la précarité. Allonger la durée de cotisation sans contrepartie, c’est amplifier à la retraite les difficultés rencontrées sur le marché du travail.

– La France a déjà fait deux réformes. Pourquoi faut-il y revenir ?

Le gouvernement met en avant les difficultés persistantes de financement de notre système. Il les explique, entre autres, par la stagnation de la population active d’un côté et l’augmentation du nombre et de l’espérance de vie des retraités de l’autre.

Mais la France a surtout un problème de chômage et d’inactivité : ses habitants ont une des espérances de vie les plus longues de l’Union européenne et la durée d’activité professionnelle la plus courte. La solution au problème du financement des retraites passe d’abord par une réduction du chômage et par une augmentation des taux d’emploi, en particulier des jeunes et des seniors.

L’exemple de la Finlande l’atteste : en aménageant les conditions de travail et en valorisant les compétences de ses seniors, elle a fait reculer en dix ans l’âge effectif de départ à la retraite de 59 à 62,5 ans.

– Pourquoi les syndicats de salariés s’opposent-ils à l’allongement de la durée du travail ?

Les syndicats observent qu’en France les salariés ne peuvent pas travailler plus longtemps compte tenu de ce que sont les pratiques des entreprises. Allonger la durée de cotisation dans un tel contexte est une façon déguisée de baisser les pensions. L’âge moyen d’entrée dans la vie active est de 22 ans actuellement contre 20 ans pour la génération née en 1950, alors que l’on quitte le marché du travail toujours plus tôt (58,5 ans pour les hommes, 59 ans pour les femmes.) Il risque de manquer une ou plusieurs années de cotisation pour faire une carrière complète, ce qui entraîne une décote (- 5 % par année manquante pour les personnes nées après 1952).

Les syndicats représentent les salariés, or, ceux-ci sont majoritairement hostiles au report de l’âge du départ à la retraite. La question est bien de savoir pourquoi plus des deux tiers des salariés, selon les sondages publiés récemment, ne souhaitent pas travailler plus longtemps. Une enquête de la CNAV, menée en 2008, montre que ceux qui désirent partir plus tôt souffrent de mauvaises conditions de travail, de manque de reconnaissance, voire d’une « chasse aux seniors ».

– Le rapprochement des règles public-privé est-il légitime ?

Longtemps, on a justifié des règles différentes par le fait que les salariés du public étaient moins payés que ceux du privé. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Mais si l’on souhaite remettre en question les privilèges, alors parlons de tous les privilèges : des retraites chapeaux phénoménales comme celle d’Henri Proglio à Veolia, des inégalités hommes-femmes, du fait que les jeunes retraités actuels ne sont quasiment pas touchés par les réformes en cours et à venir alors qu’ils représentent la génération la plus riche, ou du développement injuste de la capitalisation.

– A quoi pensez-vous ?

Pour inciter les Français à épargner pour leurs retraites, les sommes versées dans les plans d’épargne retraite [populaire et collectif] PERP et Perco sont déductibles du revenu imposable, à concurrence d’un plafond de plus de 26 000 euros sur l’année en 2010. Ces aides ne bénéficient en France qu’à ceux qui payent des impôts, soit, à peu près, la moitié la plus riche des ménages, alors qu’en Allemagne les aides de l’Etat abondent les placements des plus modestes.

L’argent public français aide les plus aisés à maintenir leur niveau de revenus à la retraite, et l’on annonce aux autres la baisse à venir de leurs pensions sans qu’ils puissent vraiment travailler plus ou épargner.
Propos recueillis par Rémi Barroux et Claire Guélaud

Voir de même:

« Les Retraites en France et dans le monde. Nouvelles problématiques », de François Charpentier : papy-boom et badaboum!
Le Monde
20.11.09

Avant le rendez-vous national annoncé par Nicolas Sarkozy en 2010, François Charpentier livre des clefs pour comprendre la question des retraites en France et dans le monde. Jamais un tel travail, aussi complet, aussi pédagogique, aussi clair – l’auteur s’adresse à des « non-spécialistes » – n’avait été entrepris. Il tombe à pic.

L’art de François Charpentier, qui a déjà livré, en 2000, une Encyclopédie de la protection sociale, c’est de rendre simple ce qui paraît inabordable. Tel un anthropologue à l’affût des évolutions du système, il entreprend son voyage planétaire « sans tabou, sans a priori ».

L’ouvrage montre plus qu’il ne propose, avec comme fil rouge « l’impact du vieillissement » au quotidien. En France, on a vu venir l’arrivée à l’âge de la retraite des « baby-boomers » de l’après-guerre en oubliant que la génération précédente serait toujours là. Résultat : « papy-boom, octoboom et badaboum ! »

D’emblée, François Charpentier met donc l’accent sur la nécessité de « sécuriser » la retraite alors que grandit « un risque réel de paupérisation ». Il s’appesantit sur la France avec ses 38 régimes obligatoires et ses régimes spéciaux impossibles à compter. Sans la balayer, il relève que la réforme Fillon de 2003 « n’est pas financée » et que celle de 2007 sur les régimes spéciaux bute sur les « survivances » des spécificités des fonctionnaires qui perdurent.

A l’arrivée, de profondes inégalités subsistent. « On ne voit ni comment ni pourquoi, écrit l’auteur, des salariés accepteraient de relever l’âge de la retraite actuellement fixé à 60 ans aussi longtemps que des dizaines, voire des centaines, de milliers d’agents du secteur public peuvent continuer à partir en retraite en toute légalité à 50 ans. » Constat imparable.

L’ouvrage de François Charpentier n’est pas conçu pour être lu d’une traite. Il faut piocher dans cette encyclopédie, se laisser guider par le talent d’un anthropologue qui travaille depuis trente ans sur le sujet et récuse tout modèle, réaliser qu’aux Etats-Unis, contrairement aux idées reçues, existe, depuis Franklin Roosevelt, « un vrai régime en répartition », ou qu’en Chine 900 millions de paysans ne peuvent compter que sur « l’entraide familiale ».

Au final, l’auteur expose quinze problématiques : l’âge de la retraite, la dépendance, les fonds de pension, les seniors, etc. Il n’en tranche aucune, mais le lecteur a en main un excellent outil pour tenter d’y répondre.

LES RETRAITES EN FRANCE ET DANS LE MONDE. NOUVELLES PROBLÉMATIQUES de François Charpentier. Economica, 532 p., 29 €.

Michel Noblecourt

Voir par ailleurs:

RETRAITES
Un hold-up d’État
Patrick Bonazza
Le Point
le 20/01/2010

Le gouvernement s’apprête à réaliser un casse sur les retraites des 20 millions de salariés du privé dans la plus grande discrétion, révèle l’association Sauvegarde Retraites. Il profite du changement de statut de La Poste pour remplir les caisses de l’Ircantec, régime de retraite bénéficiant aux élus et fonctionnaires non titulaires. Et ce sont les cotisants de l’Arrco et de l’Agirc, c’est-à-dire les salariés et cadres du privé, qui sont détroussés. Le tour de passe-passe au profit du public orchestré par Christian Estrosi, ministre de l’Industrie, est une première.

Quelles en sont les (grosses) ficelles ? Pour comprendre, il faut savoir que les employés de La Poste embauchés avant 1990 ont un statut de fonctionnaire et la retraite qui va avec. Depuis 1990, les pensions des postiers relèvent de l’Ircantec et, à partir de cette année, les nouveaux embauchés tomberont dans le régime commun (Sécurité sociale plus Arrco-Agirc). À l’occasion de ce changement, le Sénat a fait passer un amendement accepté par Christian Estrosi qui prévoit que l’Ircantec recevra une soulte du régime Arrco-Agirc. On parle de 5 à 6 milliards d’euros, rien à voir donc avec un pourboire ! L’argument avancé pour justifier la soulte est spécieux, estime Sauvegarde Retraites.

L’Ircantec, en effet, considère que, les nouveaux embauchés de La Poste relevant désormais d’un autre régime, cela lui occasionnera des pertes de cotisations futures. Et comme ses responsables ne font pas dans la dentelle, ils exigent une indemnisation calculée sur cinquante ans. Autrement dit, l’Ircantec réclame des cotisations sur des employés dont certains ne sont même pas encore nés et, pour cela, « pompe » sans scrupule le régime Arrco-Agirc, dont les finances sont menacées de déficit à très court terme (dès 2013).

Robin des Bois à l’envers

C’est Robin des Bois, mais à l’envers, car on vole les pauvres pour donner aux riches. Passons sur le fait que le régime de l’Ircantec est plus généreux (on cotise moins pour un meilleur rendement) que celui de l’Agirc-Arrco. On retient surtout que les finances de l’Ircantec sont plus saines. C’est que le nombre d’élus et de contractuels (collectivités locales, fonction publique d’État, hôpitaux) ne cesse d’augmenter, ce qui fournit une armée de nouveaux cotisants (643.000 en 10 ans) qui font terriblement défaut au privé à cause des ravages du chômage.

Après les élections régionales de mars, le gouvernement a promis une nouvelle réforme des retraites. Étrangement, pour l’heure, il déploie son zèle pour défendre l’Ircantec, dont les 2,6 millions de cotisants ne sont en fait que des oiseaux de passage : soit parce que des élus perdent leurs mandats soit parce que des non-titulaires vont dans le privé ou deviennent fonctionnaires (la durée moyenne de cotisation à l’Ircantec est de seulement 8 ans et 11 mois). Ce régime spécial n’a, certes, pas échappé à la réforme des retraites, mais restera plus avantageux que celui du privé.

Comment pareil hold-up peut-il se produire dans le plus grand silence ? Les sénateurs, en votant l’amendement, ont défendu les intérêts des élus auxquels ils doivent leur mandat. L’État employeur, en soutirant de l’argent à l’Agirc-Arrco, fait des économies. Quant aux syndicats, s’ils ne pipent mot, c’est parce qu’ils sont surreprésentés dans le public. Même la CGC, dont on pourrait s’attendre qu’elle défende la retraite des cadres (Agirc), reste en retrait. Et pour cause, elle assure la présidence de l’Ircantec… Tout le monde y trouve donc son compte, conclut Sauvegarde Retraites. Tout le monde sauf l’énorme masse des salariés du privé qui va se faire plumer. Voilà qui augure mal des discussions sur la réforme du régime des retraites prévues après les élections régionales de mars.

Voir enfin:

DÉCRYPTAGE
10 questions autour de la réforme des retraites
Marc Vignaud
Le Point
le 14/02/2010

Elle pourrait bien marquer à elle seule le quinquennat de Nicolas Sarkozy. La réforme des retraites, rendue nécessaire par l’évolution démographique, s’annonce d’une ampleur inédite. Alors que les négociations entre gouvernement et partenaires sociaux débutent lundi, Nicolas Sarkozy souhaiterait boucler la réforme avant l’été.

lepoint.fr dresse l’état des lieux d’un dossier explosif.

Comment le système fonctionne-t-il en France ?
Construit à partir de 1945, le régime des retraites est dit « par répartition ». Ce système se fonde sur la solidarité entre les générations. Chaque année, le total des cotisations versées – par les actifs et par leurs employeurs – est réparti entre les retraités. Les cotisants acquièrent eux-mêmes des droits sur les générations futures, qui financeront à leur tour leur retraite lorsqu’ils cesseront de travailler.

Comment les pensions françaises sont-elles calculées ?
La retraite à la liquidation dépend du nombre de trimestres cotisés et du salaire de référence calculé sur les 25 meilleures années pour le régime général. Le taux de liquidation appliqué est le « taux plein » (50 % du salaire annuel, dans la limite du plafond de la Sécurité sociale) si l’assuré a acquis le nombre de trimestres requis. Sinon, il est minoré (décote) ou majoré (surcote). Depuis la réforme de 2003, le nombre de trimestre requis varie en fonction de la date de naissance. Le but étant d’imposer 41 années de cotisation à partir des départs à la retraite de 2012. L’âge légal de la retraite reste fixé à 60 ans.

La réforme est-elle indispensable ?
En 2010, le déficit du régime général pourrait dépasser les 10 milliards d’euros. Sur le long terme, l’équilibre financier du système par répartition est menacé, principalement à cause de l’évolution démographique. Selon des projections remontant à 2006, le rapport entre le nombre de cotisants et le nombre de retraités devrait diminuer très sensiblement, passant de 182 à 121 cotisants pour 100 retraités, d’ici à 2050. En retenant un scénario de base plutôt optimiste, avec un taux de chômage stable à 4,5 % à compter de 2015, le besoin de financement des retraites s’élèverait à près de 25 milliards d’euros en 2020, soit 1 point de PIB… François Fillon avance des chiffres encore plus alarmants : il manquerait pas moins de 100 milliards en 2050 !

Comment sauver le système par répartition ?
Il existe trois paramètres principaux sur lesquels le gouvernement peut jouer : la durée de la vie active, le montant des cotisations à verser et celui des pensions distribuées aux retraités. François Fillon a exclu la baisse des droits des futurs retraités.

Faut-il allonger la période d’activité ?
Alors que six Français sur dix déclarent que la retraite à 60 ans est un acquis social, le gouvernement semble faire de l’allongement de la vie active sa piste favorite. Il peut alors explorer deux voies : soit un nouvel allongement de la durée de cotisation (après celui adopté en 2003), soit un recul de l’âge légal de départ à la retraite. C’est cette dernière mesure qui réduirait le plus fortement le déficit. Selon des projections, un report à 62 ans générerait 6,6 milliards d’euros de recettes en 2020. Problème : les Français cessent effectivement leur activité vers 59 ans et le taux d’emploi des 55-64 ans stagne autour de 38 %, ce qui signifie que la facture sera réglée par les nombreux seniors qui ne parviennent pas à rester en emploi. Du coup, les syndicats s’opposent fermement au recul de l’âge légal de départ à la retraite, à l’exception de la CFE-CGC qui accepte de discuter, sous conditions. Les syndicats n’acceptent pas plus l’allongement de la durée de cotisation. Le Parti socialiste, par la voix de Martine Aubry, s’est dit ouvert à la négociation avec le gouvernement. La première secrétaire du PS a même publiquement envisagé un report de l’âge de départ vers 61 ou 62 ans avant de se raviser. Le Medef plaide de son côté pour un recul de l’âge l’égal à 63,5 ans.

Les cotisations patronales doivent-elles augmenter ?
Nicolas Sarkozy semble exclure une augmentation du coût du travail. Évidemment, la patronne du Medef, Laurence Parisot, refuse cette idée car, selon elle, cela « affaiblirait la compétitivité des entreprises ». La gauche estime, elle, que des marges de manoeuvre existent. « Nous voulons que les stock-options et les bonus paient les mêmes cotisations [que sur les profits des investissements], cela fera 5 millions par an rien que pour cette simple réforme », explique Martine Aubry. La CFTC estime aussi qu’une hausse de la CSG et de la CRDS, assises aussi sur les revenus non salariaux, est « inéluctable ».

Les règles entre le public et le privé seront-elles harmonisées ?
Le gouvernement pourrait s’engager dans cette voie car, malgré l’application de la réforme de 2003 au secteur public, des différences persistent. Dans le secteur public, les pensions sont calculées sur les six derniers mois et non pas sur les 25 meilleures années comme dans le privé. Pour François Fillon, la question « du calcul de la pension sur les six derniers mois de salaire dans la fonction publique se pose évidemment ». Par ailleurs, le « taux plein » atteint 75 % du revenu salarial contre 50 % dans le privé.

Existe-t-il des solutions alternatives au système par répartition ?
Nous pourrions basculer vers un régime par point ou en « comptes notionnels ». Dans le premier cas (comme celui des complémentaires Agirc et Arrco, ou le système allemand), l’assuré acquiert, à mesure qu’il cotise, des points dont la somme sera multipliée par la valeur du point à la date où il prend sa retraite. Ce qui en fait un système plus souple et permet plus facilement de prévoir sa retraite selon son âge de départ. Dans le second cas – en vigueur en Suède -, l’assuré acquiert un capital virtuel constitué de ses cotisations qui sera divisé par un coefficient lié à l’espérance de vie de sa génération et fixé de façon à ce que la somme des pensions perçues par chaque génération soit égale à la somme des cotisations versées. Ce qui permet de piloter plus aisément l’équilibre du régime en fonction des différents paramètres économiques.

Un changement de système permettra-t-il d’atteindre l’équilibre financier ?
Quel que soit le système retenu, il ne réglera pas à lui seul la question de son équilibre financier, compte tenu de l’évolution démographique. Même si la CFDT a plaidé pour l’étude de tels systèmes, au motif que le système français est trop complexe avec une coexistence de plusieurs régimes – salariés, fonctionnaires, non salariés, salariés de l’agriculture – avec, à chaque fois, des systèmes de base et complémentaires différents.

Plus efficace serait l’introduction d’une dose de capitalisation, plaide le Medef. Dans un tel système, chaque assuré met de l’argent de côté pour sa future retraite, même dans un cadre collectif. Ses cotisations restent acquises et lui sont reversées à l’âge de la retraite sous la forme d’une rente ou d’un capital. Jusqu’à cette date, les cotisations salariales et, le cas échéant, patronales sont immobilisées sous forme de placements produisant des intérêts qui doivent au moins couvrir les effets de l’inflation.

Un système par capitalisation est-il envisageable ?
Le gouvernement l’a exclu malgré les demandes répétées du patronat.


Affaire Haenel: La vérité est importante (Truth matters)

18 février, 2010
Fragments (Wilomirski)La vérité est importante en ce qui concerne l’Holocauste. J’ai passé des années à interroger des rescapés de l’Holocauste. Si les gens commencent à raconter des histoires, ça peut les faire douter de leurs propres souvenirs. Ca donne des munitions aux sceptiques, que chacun exagère. Mais ce n’est pas vrai. Lawrence L. Langer
La parole vraie d’un bourreau n’existe pas. (…) La vérité romanesque est d’un autre ordre que la vérité historique ou sociologique. Jonathan Littell
Le recours à la fiction n’est pas seulement un droit; il est ici nécessaire parce qu’on ne sait quasiment rien de la vie de Karski après 1945, sinon qu’il se tait pendant trente-cinq ans. Les historiens sont impuissants face au silence : redonner vie à Karski implique donc une approche intuitive. Contrairement à ce tribunal de l’Histoire d’où parle Lanzmann, la littérature est un espace libre où la « vérité » n’existe pas, où les incertitudes, les ambiguïtés, les métamorphoses tissent un univers dont le sens n’est jamais fermé. Yannick Haenel
J’avais affronté la violence nazie, j’avais subi la violence des Soviétiques, et voici que de manière inattendue, je faisais connaissance avec l’insidieuse violence américaine (…) En sortant ce soir-là (…), j’ai pensé qu’à la violence du totalitarisme allait se substituer cette violence-là, une violence diffuse, civilisée, une violence si propre qu’en toutes circonstances, le beau mot de démocratie saurait la maquiller. Yannick Haenel (pensées attribuées à Karski à la sortie de sa rencontre avec Roosevelt de juillet 1943)
Personne ne témoigne pour le témoin. Paul Celan
Qui témoigne pour le témoin? Exergue du roman de Yannick Haenel
En 2010, réfléchissant sur la transmission du témoignage, je choisis d’entendre, dans les vers de Paul Celan, non pas une fermeture (comme si la question était réglée), mais ce qui, dans le regret, relance la question sur le mode de l’attente (…) Ce “Personne” n’a en aucune façon le sens d’une interdiction, mais celui d’un regret, d’un appel désespéré, d’une attente pour l’avenir. C’est pourquoi, en exergue d’un livre qui a pour sujet l’expérience de Jan Karski, c’est-à-dire d’un messager devenant témoin, j’ai traduit “Niemand” par “Qui” à la forme interrogative. Haenel
Comment se fait-il qu’aujourd’hui on se laisse bercer, berner, intimider par de telles manœuvres d’écriture de fiction, en usant du piège de l’effet-document ? On préfère ignorer la règle d’or de la gravité du document, utiliser le mot « roman » pour couvrir un manque de rigueur sur la vérité de l’expérience. Marie-Magdeleine Lessana
On sait à quel prix les témoins sont « retournés » dans la réalité psychotique des ghettos et des camps pour nous rendre ce qu’ils y ont vu. Terrible mission qui leur vaut aujourd’hui une « gloire de cendre » comme le dit le titre du poème de Paul Celan qui se termine avec ces vers, célèbres: « Niemand/zeugt für den/Zeugen » (« Personne/ne témoigne pour le/témoin »). Un constat qui se retrouve étrangement modifié en « Qui témoigne pour le témoin? » dans l’exergue du roman de Yannick Haenel. Ce truquage, censé placer le livre sous l’autorité du témoin, alors même qu’il inverse et défigure gravement la parole de Celan, nous renseigne d’entrée sur l’orientation douteuse du projet.
L’emphase naturelle des premiers témoins de la Shoah et leur rhétorique involontaire ne peuvent être imitées sans basculer dans le kitsch. Ruth Klüger, dans Fakten und Fiktionen (2000), l’a montré en parlant du roman Fragments du faux témoin Binjamin Wilkomirski : la brutalité naïve de tel passage est bouleversante quand on la lit comme l’expression nécessaire d’une souffrance vécue ; sans la caution de l’expérience, le même passage singeant la souffrance devient indécent, et se transforme en conformisme gratuit. (…) L’identification au témoin ou la prise de parole en son nom cannibalisent l’Histoire en cherchant à se débarrasser de son poids. (…) Ce serait une éthique du roman qui prendrait fait et cause pour le témoin sans témoigner en son lieu. Andréa Lauterwein
Ces personnes [qui mentent gratuitement] sont, à vrai dire, beaucoup plus nombreuses qu’on ne le suppose généralement, et un domaine comme celui du monde concentrationnaire– bien fait, hélas, pour stimuler les imaginations sado-masochistes– leur a offert un champ d’action exceptionnel. Nous avons connu nombreux tarés mentaux, mi-escrocs, mi-fous, exploitant une déportation imaginaire; nous en avons connu d’autres– déportés authentiques– dont l’esprit malade s’est efforcé de dépasser encore les monstruosités qu’ils avaient vues ou dont on leur avait parlé et qui y sont parvenus. Il y a même eu des éditeurs pour imprimer certaines de ces élucubrations, et des compilations plus ou moins officielles pour les utiliser, mais éditeurs et compilateurs sont absolument inexcusables, car l’enquête la plus élémentaire leur aurait suffi pour éventer l’imposture. Germaine Tillion
Le rabbin Kahane, cet extrémiste juif […] est moins dangereux qu’un homme comme Elie Wiesel qui raconte n’importe quoi… Il suffit de lire certaine description de La Nuit pour savoir que certaines de ses descriptions ne sont pas exactes et qu’il finit par se transformer en marchand de Shoah… Eh bien lui aussi porte un tort, et un tort immense, à la vérité historique. Pierre Vidal-Naquet (Zéro, avril 1987)
Le premier livre qui m’ait vraiment appris ce qu’était le camp d’Auschwitz fut La Nuit, d’Elie Wiesel, livre publié en 1958 aux Éditions de Minuit. J’avais déjà vingt-huit ans. Il se trouve que je déteste l’oeuvre d’Elie Wiesel, à la seule exception de ce livre. C’était pour moi une raison supplémentaire de le mentionner. Huit ans plus tard était publié chez Fayard, à grand lancement et à grand scandale le livre exécrable de Jean-François Steiner, Treblinka, et c’est pourtant ce livre qui m’a fait comprendre ce qu’était un camp de pure extermination. La formation d’un historien ne se fait pas seulement à coup d’études documentées. P. Vidal-Naquet
Il y a quelques années, M. Max Gallo a réécrit (en franglais rewrité) un pseudo-témoignage de M. Martin Gray, qui, exploitant un drame familial, a inventé de toutes pièces un séjour dans un camp d’extermination où il n’a jamais mis les pieds. Dans le Sunday Times, il y a déjà plusieurs années, la journaliste anglaise Gitta Sereny avait démasqué cette imposture, qui fut publiée sous ce titre menteur: Au nom de tous les miens, en mettant en cause personnellement M. Max Gallo. Celui-ci aurait-il voulu rendre service à l’abjecte petite bande de ceux qui nient le grand massacre et qui se sont naturellement rués sur cette trop belle occasion, qu’il n’aurait pas agi autrement. Pierre Vidal-Naquet (Le Monde, 27-28 novembre 1983)
Quand on se trompe, il est d’une élémentaire loyauté de le reconnaître. J’ai vu à deux reprises M. Martin Gray. Il m’a fourni un nombre important d’attestations qui, à moins d’être à leur tour mises en doute, établissent, sans conteste, la réalité de son séjour à Treblinka et de sa présence au ghetto de Varsovie. Je présente donc sur ce point mes excuses à M. Martin Gray et aux lecteurs du Monde. Vidal-Naquet

Et si nos nouveaux littérateurs se révèlaient un jour aussi nocifs à la réalité historique qu’ils prétendent servir que les véritables faussaires à la Wilkomirski ou Defonseca?

Suite à la polémique Haenel …

Et surtout à la révélation de l’irresponsable désinvolture avec les faits et la vérité historique dont font preuve certains romanciers à la Littell ou à la Haenel qui prétendent en remontrer aux historiens …

Comment ne pas repenser à ces faux témoins de la Shoah comme le célèbre cas de Binjamin Wilkomirski, ce musicien suisse – de son vrai nom Bruno Dössekker – dont les prétendus souvenirs d’enfant déporté (« Fragments : une enfance 1939-1948 ») devinrent rapidement en 1995 un bestseller traduit en neuf langues et objet de nombreux prix littéraires avant d’être démasqué comme affabulateur quelques années plus tard?

Ou plus récemment en 2004 de l’Australien Bernard Holstein – de son vrai nom Bernard Brougham – qui avait été jusqu’à se faire un faux tatouage d’Auschwitz?

Ou encore plus récemment de Misha Defonseca, la soi-disant petite déportée qui, avant d’être elle aussi démasquée, avait fait pleurer la France et le monde entier avec le récit puis le film (« Survivre avec les loups ») de sa soi-disant rocambolesque épopée à travers toute l’Europe ?

Ou plus précisément, à l’heure où 70 ans après les faits les derniers témoins commencent à disparaitre (dont on sait la difficulté qu’à l’instar d’une Anne Frank, d’un Elie Wiesel ou d’un Martin Gray, ils ou leurs témoignages ont eu à être reconnus) et les négationnistes à reprendre du poil de la bête, à tout le mal qu’ils ont pu faire pour la crédibilité historique de la Shoah, jusqu’à, comme le rappelle l’historien Langer, faire douter de leur propre mémoire les rescapés eux-mêmes?

Non bien sûr que le romancier se prenne pour un rescapé de la Shoah mais pour les conséquences que pourrait avoir, en ces temps de surenchère médiatico-littéraire et d’équivalence morale, cette ambiguë volonté de prise en charge des témoignages par la fiction et ce par des gens aussi peu soucieux des faits historiques.

Comment en effet ne pas être inquiet, comme le rappelait récemment dans le Monde Andréa Lauterwein, devant cette sorte de « cannibalisation » du témoignage de la victime absolue où, libérée de l’exigence éthique de la vérité historique, l’imagination littéraire serait vouée à l’indécente « singerie de la souffrance », « basculant dans le mensonge ou le plus pur kitsch« ?

Ou, comme le suggère une très intéressante analyse du cas Wilkomirski par la psychanalyste Renata Salecl, le romancier apparaitrait comme un « représentant typique de notre culture de la plainte » cherchant ainsi par ce biais, en ces temps de « dissolution générale des structures d’autorité », « non plus à dissimuler l’impuissance des autorités » (incarnés par les Etats-Unis dans le cas d’Haenel), « mais à l’exposer plus loin »?

Why One Would Pretend to be a Victim of the Holocaust

Renata Salecl
Other Voices, v.2, n.1
February 2000

Extraits:

Dans les études sur l’Holocauste, on a souvent noté que les survivants ont de grandes difficultés à rendre compte de leur expérience dans les camps de concentration. Les survivants se sentent souvent comme s’ils avaient deux identités: une reliée à leurs vies actuelles, et l’autre à l’expérience traumatique passée. Et cependant elles ont beau essayer de mettre de l’ordre dans leurs vies, elles n’arrivent pas à se débarrasser de ce clivage. Les survivants rapportent ainsi souvent qu’ils vivent d’une certaine façon à côté » de leur expérience de l’Holocauste. Un survivant, par exemple, dit : « j’ai le sentiment… que le ‘moi’ qui était dans le camp n’est pas moi, n’est pas la personne qui est ici. »

Alors que Wilkomirski sait que la mémoire de la petite enfance doit ressembler à des fragments dans lesquels des événements de divers périodes et endroits sont mélangés, il n’a néanmoins aucun doute sur l’authenticité de sa mémoire. Il ne souffre non seulement pas d’une identité clivée, mais il ne montre pas non plus de sentiment d’aliénation du ‘moi’ traumatique du passé comme souvent les autres survivants de l’Holocauste. Mais il y a une plus grande différence encore entre Wilkomirski et les survivants de l’Holocauste, à savoir dans leurs relations à ceux qui sont censés écouter leurs témoignages.

Dori Laub souligne que les survivants ne sont pas des témoins authentiques d’eux-mêmes, c.-à-d. qu’ils n’arrivent pas à raconter leurs histoires, parce que l’Holocauste était un événement qui n’a en fait produit aucun témoin, parce que « le fait même d’être à l’intérieur de l’événement… rendait impensable la notion même qu’un témoin puisse exister, c.-à-d., quelqu’un qui aurait pu sortir du cadre de référence coercitivement totalitaire et de déshumanisation dans lequel l’événement avait lieu, et fournir un cadre de référence indépendant à travers lequel l’événement pourrait être observé. »

Laub explique de plus ce manque de témoin en précisant que « l’on doit concevoir le monde de l’Holocauste comme un monde dans lequel l’imagination même de l’autre n’était plus possible. Il n’y avait même plus un autre auquel on pouvait dire`tu ‘dans l’espoir d’être entendu, d’être reconnu comme sujet, d’avoir une réponse. La réalité historique de l’Holocauste était ainsi une réalité dans laquelle s’était philosophiquement éteinte la possibilité même d’adresse, la possibilité d’en appeler ou de se tourner vers un autre. Mais quand on ne peut pas se tourner vers un ‘vous », on ne peut pas non plus s’adresser à un ‘tu’, même à soi-même. L’Holocauste a créé de cette façon un monde dans lequel on ne pouvait pas témoigner de soi-même.

Les survivants de l’Holocauste ont souvent de grands problèmes à raconter leurs histoires justement parce que la perception du grand Autre comme espace symbolique logique dans lequel leur adresse pouvait s’inscrire s’est effondré dans l’expérience même de l’Holocauste. Ainsi même aujourd’hui, les survivants sentent le manque de l’Autre qui doit témoigner de leurs témoignages.

Mais pour Wilkomirski, le problème n’est pas l’effondrement du grand Autre. Son problème principal est comment régler ses comptes avec les autres individuels (les divers adultes qui ont représenté des autorités dans sa vie). Avec cette obsession de contrer les autorités qui l’ont trahi dans sa jeunesse, Wilkomirski apparaît beaucoup plus comme un représentant typique de notre culture de la plainte que comme un survivant de l’Holocauste pour qui le point même à partir duquel on pourrait adresser une plainte s’est effondré. Quand on se plaint, on présuppose qu’il y a encore un Autre qui peut répondre, tandis que dans l’Holocauste, cette présupposition a cessé d’exister.

Il semble difficile d’imaginer qu’une personne s’invente une mémoire de survivant de l’Holocauste, alors que de nombreuses preuves contestent cette revendication. Néanmoins, on doit préciser que la personne dotée d’une telle mémoire retrouvée trouve dans son histoire une jouissance particulière. Le fait que la thérapie de mémoire retrouvée expose les dessous obscènes des autorités est habituellement perçu comme la révélation de la vérité cachée, qui apporte la libération au sujet. Cependant, c’est justement le sujet lui-même qui trouve une jouissance particulière dans cette recherche de la jouissance des autorités. La thérapie de mémoire retrouvée prend la jouissance comme vérité de libération, qui peut servir de base à la moralité, mais le résultat de cet effort n’est rien de plus que la promotion de la violence.

Le sujet fantasme au sujet de la jouissance de l’Autre, parce qu’il ou elle essaye réellement de compenser les insuffisances dans le fonctionnement du grand Autre. De même, le sujet prend souvent sur lui-même la culpabilité afin de préserver l’Autre comme ordre cohérent. Le sujet s’attribue ainsi souvent la responsabilité pour un crime qu’il ou elle n’a jamais commis de sorte que, par exemple, les autorités (père, chef, etc…) ne soient pas exposés dans leur impuissance.

Que dire du problème de Wilkomirski avec le grand Autre? L’énigme ultime de son livre est la suivante: habituellement, nous produisons des fantasmes comme une sorte de bouclier pour nous protéger contre les traumatismes insupportables; ici, cependant, l’expérience traumatique ultime, celle de l’Holocauste, est fantasmée comme bouclier. Mais un bouclier contre quoi ? Peut-être, une comparaison inattendue avec les X-Files peut nous aider ici. Comme il a été signalé par Darian Leader dans son » Promesses que font les amoureux quand il se fait tard », le fait que, dans les X-Files, tant de choses se produisent « là-bas » (où la vérité demeure : les étrangers nous menacent) est strictement corrélatif au fait que rien (rien de sexuel) ne se produit « ici » entre les deux héros (Gillian Anderson et David Duchovny). La loi paternelle suspendue (qui rendrait le sexe possible entre les deux héros) « retourne dans le vrai, » sous le couvert de la multitude d’apparitions spectrales de « vampires » qui interviennent dans nos vies ordinaires. Et il en va de même pour Wilkomirski : ici aussi, l’échec de la fonction paternelle a comme conséquence l’imagination de l’événement horrible le plus violent – l’Holocauste.

Ainsi, nous pouvons conclure que le sujet s’invente une mémoire traumatique à cause de la contradiction nécessaire de l’ordre symbolique et, en particulier, en raison de l’impuissance inhérente aux figures d’autorité. Alors que certains prennent sur eux-mêmes la culpabilité de crimes qu’ils n’ont jamais commis afin d’empêcher que l’angoissante impuissance des autorités soit exposée, l’exemple de Wilkomirski et d’autres cas de mémoire retrouvée prouvent que la dissolution générale des structures d’autorité dans la société d’aujourd’hui a eu comme conséquence l’idée que le sujet est essentiellement une victime. Ici, la tentative ne doit plus dissimuler l’impuissance des autorités, mais l’exposer plus loin. Mais, dans un tel effort, nous nous retrouvons souvent avec rien d’autre que la violence et l’obscénité, qui émergent dans les figures de nouvelles autorités comme des gourous, ainsi que certains thérapeutes de la mémoire retrouvée.

Voir aussi:

Shoah: le romancier est-il un passeur de témoin?
Andréa Lauterwein
Le Monde
14.02.10

Le récit de l’Histoire suppose une éthique de l’écriture

Tout événement historique peut-il, tôt ou tard, devenir le sujet d’une fiction ? Plus d’un demi-siècle de recherches, de réflexions et de débats n’a semble-t-il pas suffi à faire accepter que la Shoah n’est pas un événement historique comme un autre. La singularité de cette tragédie universelle appelle une mémoire qui exclut une historisation conventionnelle. Cette mémoire se présente aujourd’hui comme un chantier chaotique, contenant en germe une « réserve morale incommensurable » (Imre Kertész).

L’historien moderne, à la différence de l’écrivain, souscrit à un code de déontologie scientifique. Il recherche et vérifie des faits. Que se passe-t-il quand le romancier s’empare des faits de l’historien ? Dans le meilleur des cas, le pouvoir de révélation de la fiction peut transformer des chiffres en destinées individuelles, donner âme et corps aux documents, porter un point de vue différent sur l’écriture de l’Histoire. Si le romancier parvient à inventer un monde sans pour autant corrompre les faits historiques, il produit de la mémoire.

Les premiers témoignages écrits de la Shoah, outre qu’ils ont contribué à la connaissance historique, jusqu’à intervenir dans sa méthodologie, sont à l’origine de toute littérature sur la Shoah. Parmi d’autres, les écrits de Primo Levi, Jean Améry, Elie Wiesel, Paul Celan, Nelly Sachs, Ilse Aichinger sont aujourd’hui des textes canoniques. Peu de temps après la catastrophe, l’objectif des premiers témoins était de restituer les faits ; leur intention était d’énoncer et de rendre crédible une réalité qui repousse les limites de l’imagination.

Par leur souci d’authenticité, par l’énonciation à la première personne du singulier, certains textes se rapprochent de la déposition juridique (absente dans l’espace public jusqu’au procès Eichmann). D’autres recourent à l’essai ou à la poésie. Mais quel que soit leur genre, les écrits des premiers témoins traduisent l’impossibilité de partager un savoir obscur, ils désignent les nombreuses résistances morales et psychiques, la pudeur à l’égard des morts. L’émergence de cette parole a créé une forme d’expression unique, manifestant une crise du langage que la critique a nommé la « poétique de l’incommunicable » ou encore la « rhétorique de l’indicible ».

L’emphase naturelle des premiers témoins de la Shoah et leur rhétorique involontaire ne peuvent être imitées sans basculer dans le kitsch. Ruth Klüger, dans Fakten und Fiktionen (2000), l’a montré en parlant du roman Fragments du faux témoin Binjamin Wilkomirski : la brutalité naïve de tel passage est bouleversante quand on la lit comme l’expression nécessaire d’une souffrance vécue ; sans la caution de l’expérience, le même passage singeant la souffrance devient indécent, et se transforme en conformisme gratuit. Car reproduire l’incommunicabilité des témoins, c’est nier la situation existentielle précise (de la mort à la vie et retour) qui l’a engendrée, c’est nier le rapport spéculaire du témoin aux morts.

Il en est de même pour toute velléité de remédier à l’incommunicabilité. Le tarissement de la parole du témoin est constitutif de son témoignage, il est l’indice authentique d’un retrait du sens – d’une béance qui n’appelle pas à être comblée rétrospectivement par les élans rédempteurs d’une postérité biographiquement indemne. L’identification au témoin ou la prise de parole en son nom cannibalisent l’Histoire en cherchant à se débarrasser de son poids.

On sait à quel prix les témoins sont « retournés » dans la réalité psychotique des ghettos et des camps pour nous rendre ce qu’ils y ont vu. Terrible mission qui leur vaut aujourd’hui une « gloire de cendre » comme le dit le titre du poème de Paul Celan qui se termine avec ces vers, célèbres : « Niemand/zeugt für den/Zeugen » (« Personne/ne témoigne pour le/témoin »). Un constat qui se retrouve étrangement modifié en « Qui témoigne pour le témoin ? » dans l’exergue du roman de Yannick Haenel. Ce truquage, censé placer le livre sous l’autorité du témoin, alors même qu’il inverse et défigure gravement la parole de Celan, nous renseigne d’entrée sur l’orientation douteuse du projet.

Il peut être utile de se pencher sur les textes de certains témoins qui, par souci d’objectivité, ont « refusé » le genre du témoignage et ont fait oeuvre de fiction. Parmi d’autres, Edgar Hilsenrath ( Nuit, 1966), Jurek Becker ( Jakob le menteur, 1969), Imre Kertész ( Etre sans destin, 1975), Ruth Klüger ( Refus de témoigner, 1992). Déportés alors qu’ils étaient enfants ou adolescents, ils ont écrit et publié plus de vingt ans après. Cette distance a rendu le trauma communicable.

Elle les a conduits à se méfier de leurs propres souvenirs, altérés par le temps et la mémoire culturelle, et à anticiper leurs propres mécanismes de refoulement comme ceux du public. Le sujet de leurs récits fluides n’est donc pas en premier lieu la réalité historique des camps, mais le décalage entre leur expérience et celle des contemporains. En inscrivant le trauma dans le contexte civil de l’après-guerre, ils ont développé une forme d’écriture qui réduit l’abîme entre la mémoire du témoin et la conscience du contemporain sans souvenirs.

Les romans de ces « passeurs de témoin » produisent de la mémoire parce qu’ils réfléchissent la Shoah en termes d’aporie irréductible qui engage activement le lecteur. Comment s’y prennent-ils ? La communicabilité de leurs fictions aide à la compréhension du désastre tout en portant des corrections à la catharsis du lecteur : complice apostrophé et mis à contribution quand il s’agit de repenser la Shoah, le lecteur est dérouté, notamment par l’ironie, ou renvoyé à sa singularité lorsque ses désirs d’identification s’éveillent. Ces écrivains témoins nous apprennent que le seul témoignage envisageable pour les générations suivantes a pour point de départ leur propre place dans et face à l’Histoire.

De l’ère du deuil infini, nous passerions à l’exigence d’une problématisation éthique. En partant des techniques d’écriture et des réflexions des « passeurs de témoin », on pourrait commencer à imaginer les limites d’une fiction sur la Shoah : l’imagination serait orientée par une parfaite connaissance des faits historiques, le narrateur adopterait une perspective artificielle, extérieure aux porteurs de mémoire, où l’autodérision pourrait jouer un rôle de distanciation important. Le contrat passé avec le lecteur – témoignage ou roman, mémoires ou autofiction – serait respecté pour éviter le mensonge et le kitsch. Et la motivation de l’auteur serait altruiste. Ce serait une éthique du roman qui prendrait fait et cause pour le témoin sans témoigner en son lieu.


Affaire BHL: Attention, un plantage peut en cacher bien d’autres! (My publisher just can’t say no to me)

17 février, 2010
Une imposture si française (BHL)
BHL.jpgC’est le classique Phénomènes de Foire Obèses Fanatiques & Excursion de Fausse Culture des journalistes européens des 50 dernières années, avec des arrêts à Las Vegas pour visiter un club de lap-dance et un bordel ; Beverly Hills ; Dealey Plaza à Dallas ; la Rue Bourbon à La Nouvelle-Orléans ; Graceland ; une salon d’armes à feu à Fort Worth ; un club écnangiste à San Francisco avec une drag queen aux méga-seins siliconés ; la Foire de l’Iowa (« un festival de kitsch américain »); Sun City (« ségrégation dorée pour vieux »); une course de stock cars; le Mall of America; le Mont Rushmore ; deux ou trois méga-églises évangéliques; les Mormons de Salt Lake ; quelques Amish ; les conventions politiques nationales de 2004; Alcatraz – vous voyez le topo. (Pour une raison ou une autre il a raté le rassemblement de moto de Sturgis, les Prix des vidéos X, la tombe de Warren G. Harding et la plus grande bobine de ficelle du monde). Vous rencontrez Sharon Stone et John Kerry et une femme qui avait dépassé les 100 kilos et un couple obèse portant des armes à feu, mais personne que vous n’ayez jamais connu. En plus de 300 pages, personne ne dit une blague. Personne ne semble beaucoup travailler. Personne ne prend le temps de manger et d’apprécier ce qu’il mange. Vous avez vécu toute votre vie en Amérique, jamais été à une méga-église ou à un bordel, ne possédez pas d’armes, n’êtes pas Amish, et d’un seul coup vous réalisez que c’est un livre sur les Français. Qu’il n’a aucune raison d’exister en anglais, excepté comme preuve que les voyages ne forment pas forcément la jeunesse et qu’il faut toujours se méfier des livres avec Tocqueville dans le titre. (…) Comme toujours avec les écrivains français, Lévy est court sur les faits, long sur les conclusions. (…) Et qu’est-ce que c’est que ces rafales de questions rhétoriques ? C’est comme ça que s’expriment les Français ou c’est quelque chose qu’ils se gardent pour leurs livres sur l’Amérique? Garnison Keillor
Il faut, en effet, un fantastique mépris de son propre métier, de la vérité certes aussi mais tout autant des lecteurs, pour inventer des faits et des citations. Il faut ce mépris du public au carré pour faire mine, lorsque ces bourdes sont relevées, de retourner l’accusation d’ignorance contre celui qui les a signalées. Cornelius Castoriadis
[Vous refuse-t-on des livres écrits ? demande une jeune femme.] Non, malheureusement pour moi. Mon éditeur ne me refuse rien. Il me faut deviner si le livre est mauvais ou non, parce qu’il ne me le dira pas. Beigbeder (réponse à une admiratrice)
(…) Kant, le prétendu sage de Königsberg, le philosophe sans vie et sans corps par excellence, dont Jean-Baptiste Botul a montré au lendemain de la Seconde guerre mondiale, dans sa série de conférences aux néo-kantiens du Paraguay que leur héros était un faux abstrait, un pur esprit de pure apparence -et cela à deux titres au moins : le concept de monde nouménal où s’entend l’écho d’une jeunesse spirite, vécue parmi les ombres et les limbes dans un royaume d’êtres énigmatiques et accessibles par la seule télépathie… BHL
Quand je lis un livre, je clique pas sur Wikipédia. BHL
Qui aujourd’hui est chiche d’allonger mine de rien quelques petites lignes de cet acabit, genre drôle et méchant, sur nos grands penseurs d’aujourd’hui ? Je ne sais pas. Des noms ! des noms ! Voyons… un peu de retenue. Botul, Jean-Baptiste de son prénom, écrit ses bouts de trucs, je lis, je ris. Etrange bonhomme que ce Botul qui a une prédilection pour le « mou ». 1896-1947. Inclassable. Aux amitiés louches. Aux humeurs crétines. Philosophe qui ne veut plus publier et choisit donc d’écrire des « bouts », entassés à qui mieux mieux. Manque de bol, La Métaphysique du mou (c’est du sérieux) en regroupe quelques-uns. C’est un must, un best-of… des meilleurs « bouts »… sur le fromage, l’être, le néant, la saucisse, et autres problèmes de société. A lire chez Mille et Une Nuits (www.1001nuits.com/) Martine Laval (Télérama)
Je le savais depuis quelques jours. J’avais reçu les épreuves du bouquin, mais je pensais qu’une maison sérieuse comme Grasset allait évidemment corriger ces choses. J’ai attendu que le livre soit imprimé, mais pour des raisons éditoriales, c’est le Nouvel Obs qui en a parlé en premier. Évidemment, il y aura un encart spécial dans le Canard, je suis en train de le boucler. Frédéric Pagès
Avec Botul, nous ne cherchons même pas à piéger les gens, c’est juste un auteur collectif. Ce qui est étonnant, c’est qu’il n’ait pas senti qu’il s’agissait d’une fable. La vie sexuelle d’Emmanuel Kant raconte l’histoire farfelue d’une communauté d’Allemands de Königsberg (devenu Kaliningrad) ayant fui au Paraguay pour constituer une colonie strictement régie par la philosophie kantienne. Cela aurait dû l’alerter. Cela pose une question sur sa façon de travailler. Frédéric Pagès
Ayant reçu les épreuves de son livre début janvier, je suis bien entendu immédiatement tombée sur le passage effarant où Bernard-Henri Lévy se réfère avec sérieux à un texte bouffon qu’il s’efforce aujourd’hui de présenter partout comme « très crédible ». L’œuvre d’un certain Jean-Baptiste Botul, que j’avais déjà personnellement évoquée en tant que canular à plusieurs reprises dans « le Nouvel Observateur », notamment dans un papier du 18 janvier 2007. Une fois encore, Bernard-Henri Lévy aurait dû vérifier ses sources. La charité la plus élémentaire incitait à ne pas évoquer ce ratage lors du débat organisé avec Slavoj Zizek. L’adversaire de Bernard-Henri Lévy, un des penseurs radicaux auxquels celui-ci s’en prend nommément dans son livre, en eût été pour le moins amusé. A cela il faut ajouter que lors de cette entrevue, le 13 janvier, je n’avais encore nullement prévu d’évoquer la bévue en question, ni sur BibliObs.com ni dans les pages du « Nouvel Observateur ». Seul le matraquage promotionnel invraisemblable dont Bernard-Henri Lévy a par la suite bénéficié dans la presse, et qui se poursuit aujourd’hui à un rythme effréné sur tous les écrans, dans tous les journaux et toutes les stations de radio, m’a convaincue de la nécessité de le faire. Aude Lancelin (NO)
Le monde vu par l’ancien boursier du Béarn devenu l’Homo academicus le plus respecté en même temps que le plus controversé de France ? Un monde d’airain, un monde de luttes inexpiables, implacables, permanentes, sans issue. Un monde pascalien sous ses faux airs néo-marxistes, vie éternelle exceptée. Aude Lancelin (Le hussard noir de la sociologie, NO, 2002)
Attention: un plantage peut en cacher bien d’autres!
Où l’on (re)découvre …Que, derrière le tout récent piégeage de notre BHL national et comme le reconnaissait récemment notre Beigbeider national, nos éditeurs ne relisent apparemment même plus les épreuves de leurs monstres sacrés (et poules aux œufs d’or) !Qu’avec ses compères dits nouveaux philosophes, ladite poule aux œufs d’or n’en était pourtant pas à sa première bourde, ayant été épinglé par nos Deleuze (« marketing littéraire», « pensée nulle »), Bourdieu (« fast thinkers ») ou Vidal-Naquet nationaux (« erreurs grossières », « médiocre candidat au baccalauréat », « déposition d’Himmler » au procès de Nuremberg, alors que le chef de la Gestapo s’était suicidé six mois avant son ouverture) ou même la veuve de Daniel Pearl (homme dont « l’ego détruit l’intelligence »), sans parler de tout un livre par un journaliste du Canard (« Une imposture française »).

Et qu’enfin nombre de nos auteurs comme de nos journalistes (on ne parlera pas des normaliens auxquels la conférence devenue livre était originellement destinée) ne prennent même pas non plus la peine de vérifier leurs sources sur wikipedia ou Google.

Ainsi, comme le rappelait le journaliste Pascal Riché du site Rue 89 (auteur lui-même en son temps d’un remarquable morceau de désinformation sur l’ouragan Katrina, l’auteur collectif de potacheries autour du journaliste du Canard enchainé Frédéric Pagès dit Jean-Baptiste Botul (« Landru, Précurseur du Féminisme : la correspondance inédite, 1919-1922 », « Nietzsche ou le démon de midi » (plaidoirie que Botul, accusé d’avoir détourné une jeune fille dans son taxi, aurait faite devant le tribunal professionnel des taxis parisiens), « Métaphysique du mou »), aurait aussi piégé une critique de Télérama …

Mais on sera peut-être rassuré d’apprendre que la charité chrétienne règne en ces milieux que l’on croyait sans pitié.

Puisque la lanceuse d’alerte sur la bourde BHL Aude Lancelin (ancienne élève d’H4 dument agrégée de philo), qui avait justement rendu compte de l’ouvrage de Botul en question il y a 3 ans, avoue que ce n’est que contrainte et forcée, devant « le matraquage promotionnel invraisemblable dont Bernard-Henri Lévy a par la suite bénéficié dans la presse, et qui se poursuit aujourd’hui à un rythme effréné sur tous les écrans, dans tous les journaux et toutes les stations de radio », qu’elle s’est résignée à lever le lièvre.

La cireuse de pompes attitrée du Nouvel Obs pour les si tendances grandes pointures stals à la Badiou, Sloterdijk ou Zilek (officiant aussi sur les plateaux télé de Culture et dépendances et Postface) et co-auteure elle-même remarquée il y a 2 ans d’un brillant ouvrage (mais pas sous la marque Botul) sur la vie sexuelle (pardon: « amoureuse ») de nos philosophes (« Les Philosophes et l’amour: de Socrate à Simone de Beauvoir ») aura en effet « la charité la plus élémentaire » d’interviewer tranquillement son futur pigeon avec justement l’un des stals du jour (un certain Ziliek) sans rien lui dire de sa mégabourde dans un livre dont elle venait pourtant de recevoir les épreuves …

L’affaire « Botul » pointe les dérives d’un système qui n’a rien à voir avec la philosophie .
Lionel Chiuch
La Tribune de Genève
13.02.2010

Depuis plus de trente ans, la France dispose d’une sorte de chevalier blanc. Un «penseur» multicartes qui s’élance sur tous les fronts de l’indignation, de la Bosnie au Pakistan en passant par le Bangladesh. Bernard-Henri Lévy, puisqu’il s’agit de lui, le reconnaît volontiers: l’actualité sociale locale n’est pas vraiment sa tasse de thé.

C’est pourtant à domicile que le compagnon d’Arielle Dombasle s’est fait péter une mine dans les pieds. En s’en prenant, à la page 122 de son essai De la guerre en philosophie, à Kant, «le philosophe sans vie et sans corps par excellence, dont Jean-Baptiste Botul a montré (…) dans sa série de conférences aux néokantiens du Paraguay que leur héros était un faux abstrait».

Las, c’est Botul qui est «sans vie et sans corps», puisqu’il s’agit d’un personnage fictif créé par le journaliste Frédéric Pagès.

Des «erreurs grossières»

Les réactions à cette incroyable bévue ont été aussi disproportionnées que le matraquage médiatique saluant la sortie des nouveaux ouvrages – il y en a deux – du «philosophe». Il y a pourtant longtemps que sa rigueur méthodologique fait l’objet de critiques. Dès 1977, le philosophe Gilles Deleuze comparait l’œuvre des nouveaux philosophes à du «marketing littéraire», parlant d’une «pensée nulle».

Deux ans plus tard, l’historien Pierre-Vidal Naquet relevait les «erreurs grossières» qui émaillent Le testament de Dieu, qualifiant son auteur d’un «médiocre candidat au baccalauréat». Parmi les perles relevées, une «déposition d’Himmler» au procès de Nuremberg, alors que le chef de la Gestapo s’était suicidé six mois avant son ouverture. Il y eut aussi le «roman-enquête» Qui a tué Daniel Pearl ?, qui fit dire à la veuve du journaliste américain décapité par des fanatiques que BHL est un homme dont «l’ego détruit l’intelligence».

Yann Moix, l’allié fidèle

Sur l’affaire Botul, on remarquera que BHL a cité le faux philosophe dans le cadre d’une leçon à l’Ecole normale supérieure de la rue d’ulm (Paris). Sachant que chaque intervention de notre homme est tarifée entre 12 500 euros et 50 000 euros (source : Speakers Academy), cela fait cher le canular. Le plus surprenant pour un observateur étranger, c’est le soutien dont jouit BHL dans les médias parisiens. Au point que Marianne, qui lui a consacré plusieurs pages dans son dernier numéro, n’aborde même pas l’affaire sur son site (à l’exception de quelques lignes sur le blog de Jean-François Khan).

Jean Daniel, du Nouvel Observateur, lui réitère son amitié, tout en laissant entendre qu’il voyait venir la catastrophe. Sur le site de Libé, on a carrément fermé aux commentaires l’article (gentil) consacré à l’affaire Botul, en précisant que BHL est «actionnaire et membre du conseil de surveillance» du journal.

Le pompon revient à L’Express qui, non content de trouver toutes les excuses au «philosophe», n’hésite pas à ajouter le ridicule au ridicule. En brandissant une interview dans laquelle BHL déclare qu’après l’éreintement de son film Le jour et la nui t, il avait vu apparaître dans ses mains des «sillons de sang».

Oui, vous avez bien lu. BHL frappé de stigmates. Même s’il s’agit d’une métaphore, elle est un peu raide. C’est tout de même sur le site de la revue de ce messie, La règle du jeu, qu’est paru le pamphlet haineux de Yann Moix consacré à la Suisse.

Voir aussi:

Poilade
BHL piégé, les amis de Botul « consternés et allègres »
Pascal Riché
Rue89
08/02/2010

C’est le site Bibliobs (Nouvel Obs) qui a levé le lièvre. Dans un de ses deux derniers livres (il a publié une paire), l’essayiste Bernard-Henri Lévy s’en prend à Kant « ce fou furieux de la pensée, cet enragé du concept ». A la page 122 de « De la guerre en philosophie » (Grasset) BHL cite les recherches sur Kant de Jean-Baptiste Botul. Problème : Botul n’a jamais existé.

BHL rappelle ainsi dans son petit ouvrage que Botul aurait définitivement démontré « au lendemain de la seconde guerre mondiale, dans sa série de conférences aux néokantiens du Paraguay, que leur héros était un faux abstrait, un pur esprit de pure apparence ».
Qui est Jean-Baptiste Botul ?

De la guerre en philosophieDommage que BHL n’ait pas pris six secondes pour « googler » le nom de cet auteur sur internet. Il aurait découvert en moins de deux clics qu’il s’agit d’une créature fantasmatique et potachière sortie du cerveau de Frédéric Pagès, agrégé de philo et journaliste au Canard Enchaîné.

Une créature qui a pris vie grâce aux efforts d’un groupe d’amis d’horizons divers, dont le noyau dur est baptisé « NoDuBo ». Lévy serait par exemple tombé sur leur blog qui présente leur héros comme un « philosophe de tradition orale dont on ne connaît exactement ni la vie ni l’œuvre ».

Botul est apparu en 2004, avec la publication d’un livre choc : « La vie sexuelle d’Emmanuel Kant » chez Mille et Une nuits (il faut savoir que Kant est réputé puceau). C’est Pagès qui en est l’auteur. Chez le même éditeur d’autres botuliens ont poursuivi l’œuvre.

On doit ainsi à Jean-Baptiste Botul « Landru, Précurseur du Féminisme : la correspondance inédite, 1919-1922 », « Nietzsche ou le démon de midi » (plaidoirie que Botul, accusé d’avoir détourné une jeune fille dans son taxi, aurait faite devant le tribunal professionnel des taxis parisiens), « Métaphysique du mou »…
Des questions sur la façon de travailler de Bernard-Henri Lévy

Ce lundi soir, Frédéric Pagès s’amuse au téléphone de toute cette affaire : « Nous avons été consternés… et allègres » :

« Avec Botul, nous ne cherchons même pas à piéger les gens, c’est juste un auteur collectif. Ce qui est étonnant, c’est qu’il n’ait pas senti qu’il s’agissait d’une fable.

La vie sexuelle d’Emmanuel Kant raconte l’histoire farfelue d’une communauté d’Allemands de Königsberg (devenu Kaliningrad) ayant fui au Paraguay pour constituer une colonie strictement régie par la philosophie kantienne. Cela aurait dû l’alerter. Cela pose une question sur sa façon de travailler. »

Les « Botuliens », me raconte Pagès, se réunissent chaque mois en « salon ». Je lui ai demandé s’ils inviteraient BHL. « Pourquoi pas, on pourrait parler de Kant, par exemple ! »

J’ai laissé un message à Bernard-Henri Lévy, nous attendons sa réponse. Il a déjà réagi sur Parismatch.com :

« Bernard-Henri Levy a reconnu son erreur de bonne grâce, affirmant s’être laissé piéger et ne pas avoir deviné le canular. BHL entend cependant réserver l’ensemble de ses explications à son “Bloc-Notes” dans le prochain numéro du Point, à paraître jeudi de cette semaine. »

Bon, si cela peut consoler l’ancien-nouveau philosophe, il n’est visiblement pas le seul à s’être laissé prendre aux fruits botuliens, comme on peut le constater ici.

Voir également:

BHL en flagrant délire: l’affaire Botul
Aude Lancelin
Le Nouvel observateur
08/02/2010

Ce devait être le grand retour philosophique de Bernard-Henri Lévy [1]. Patatras ! L’opération semble compromise par une énorme bourde contenue dans « De la guerre en philosophie », livre à paraître le 10 février. Une boulette atomique qui soulève pas mal de questions sur les méthodes de travail béhachéliennes

Nul ne peut plus l’ignorer, Bernard-Henri Lévy, « ennemi public » ainsi qu’il se présentait à l’automne 2008 dans sa correspondance avec Michel Houellebecq, est de retour dans les magazines. Tous les magazines. Lorsque nous l’avions invité à débattre au « Nouvel Observateur », le 13 janvier dernier, avec le philosophe Slavoj Zizek [2], un de ses adversaires, nous étions encore loin de deviner l’ampleur de la tornade à venir. Grand entretien dans « l’Express », portrait d’ouverture dans « Paris Match », couverture de « Transfuge », panégyrique dans « le Point » signé Christine Angot, interview de six pages dans « Marianne ». On en oublierait presque une chose. La cause occasionnelle, le détail à l’origine d’une telle profusion : la parution de deux livres, le 10 février prochain chez Grasset. Un épais « Pièces d’identité », recueil de textes et d’entretiens déjà parus sur toutes sortes de supports, et « De la guerre en philosophie », version remaniée d’une conférence prononcée en 2009 à l’ENS de la rue d’Ulm.

Plaidoyer pro domo en faveur d’une œuvre injustement décriée, la sienne, ce second opus d’environ 130 pages, « De la guerre en philosophie », se présente comme le « livre-programme » de la pensée béhachélienne. Un « manuel pour âges obscurs, où l’auteur « abat son jeu » et dispose, chemin faisant, les pierres d’angle d’une métaphysique à venir » – rien de moins, trompette l’éditeur au dos de la couverture. On l’aura compris, ce livre devait signer le grand retour de BHL sur la scène conceptuelle dite sérieuse. Son ultime plaidoirie face à une caste philosophique qui l’a depuis toujours tourné en dérision, de Deleuze à Bourdieu, en passant par Castoriadis [3]. Une lecture attentive dudit opuscule révèle cependant que l’affaire est assez mal engagée.

« La vraie question pour une philosophie, c’est de savoir où sont vos adversaires, et non où sont vos alliés.» Ainsi l’auteur se lance-t-il, chemise au vent et sans crampons, à l’assaut de quelques contemporains gauchistes renommés, mais aussi de Hegel ou de Marx, « cet autre penseur inutile, cette autre source d’aveuglement », notamment reconnu coupable de ne pas donner les moyens de penser le nazisme. A la décharge, l’idéalisme et le matérialisme allemands, toutes ces conneries superflues ! Bernard-Henri Lévy ne s’est jamais laissé intimider par les auteurs mineurs.

Il s’en prend tout aussi fougueusement à Kant, « ce fou furieux de la pensée, cet enragé du concept ». Un peu audacieux de la part d’un penseur qui ne peut, somme toute, revendiquer à son actif qu’un brelan de concepts pour news magazines comme le « fascislamisme » ? Même pas peur. BHL a des billes. Le vieux puceau de Königsberg n’a qu’à bien se tenir. A la page 122, il dégaine l’arme fatale. Les recherches sur Kant d’un certain Jean-Baptiste Botul, qui aurait définitivement démontré « au lendemain de la seconde guerre mondiale, dans sa série de conférences aux néokantiens du Paraguay, que leur héros était un faux abstrait, un pur esprit de pure apparence ». Et BHL de poursuivre son implacable diatribe contre l’auteur de « la Critique de la raison pure », « le philosophe sans corps et sans vie par excellence ».

Il en sait des choses, Bernard-Henri Lévy. Le néo-kantisme d’après-guerre. La vie culturelle paraguayenne. Seul problème, Jean-Baptiste Botul n’a jamais existé. Pas plus que ses conférences dans la pampa, auxquelles BHL se réfère avec l’autorité du cuistre. Ce penseur méconnu est même un canular fameux. Le fruit de l’imagination fertile de Frédéric Pagès [4], agrégé de philo et plume du « Canard enchaîné », où il rédige notamment chaque semaine « Le journal de Carla B.». Un traquenard au demeurant déjà bien éventé depuis la parution de « la Vie sexuelle d’Emmanuel Kant » [5], pochade aussi érudite qu’hilarante, publiée en 1999 et rééditée en 2004 aux éditions Mille et une nuits, sous le pseudonyme de Botul. Une simple vérification sur Google aurait d’ailleurs pu alerter le malheureux BHL. Le même Botul y est en effet aussi répertorié pour avoir commis une œuvre au titre prometteur : « Landru, précurseur du féminisme ».

Renseignement pris, personne ne s’était encore jamais pris sans airbag cet énorme platane. C’est désormais chose faite. Toutes proportions gardées, c’est un peu comme si Michel Foucault s’était appuyé sur les travaux de Fernand Raynaud pour sa leçon inaugurale au « Collège de France ». Mais alors, qu’a-t-il bien pu se passer dans le cerveau infaillible de notre vedette philosophique nationale ? Une fiche mal digérée ? Un coup de sirocco à Marrakech? « C’est sans le moindre état d’âme que j’ai, depuis 30 ans et plus, choisi le rôle du renégat, endossé l’habit du disciple indocile, et déserté ce mouroir de toute pensée qu’est devenue l’Université », écrit Bernard-Henri Lévy. Un peu trop, sans doute.

Ainsi se sera-t-il toujours trouvé un importun, un pédagogue indiscret et pointilleux, pour venir s’interposer entre sa personne et la gloire philosophique. Il y a trente ans, c’était l’historien Pierre Vidal-Naquet, qui avait recensé dans un texte mémorable publié par « le Nouvel Observateur » [6]les nombreuses perles d’écolier contenues dans son essai, « le Testament de Dieu ». Cette fois-ci, c’est un philosophe burlesque qui n’existe même pas.

Voir enfin:

L’industrie du vide
Nouvel Obs
15/02/2010

C’était en 1979, dans les colonnes du « Nouvel Observateur ». Dans une lettre publiée le 18 juin [1], consacrée au « Testament de Dieu » de Bernard-Henri Lévy [2], l’historien Pierre Vidal-Naquet s’indignait d’avoir pu établir, au cours de sa lecture, une « simple anthologie de « perles » dignes d’un médiocre candidat au baccalauréat ». Dans ce même numéro, l’auteur mis en cause [1] répliquait à Vidal-Naquet qu’il venait « d’inventer un genre inédit dans la République des Lettres : le rapport de police philosophique ». Trois semaines plus tard, le 9 juillet, c’était au tour du philosophe Cornelius Castoriadis de prendre part à cette polémique, dans une grande tribune introduite par Jean Daniel. La voici

***

Helléniste connu, historien confirmé, ami sûr, compagnon des luttes anticolonialistes, Pierre Vidal-Naquet avait adressé à plusieurs journaux et agences de presse une lettre s’indignant du sort, bien trop favorable à ses yeux, fait à l’ouvrage de Bernard-Henri Lévy « le Testament de Dieu ».

Pour respecter les droits de la critique, et favoriser l’instauration d’un débat, « le Nouvel Observateur », seul de toute la presse, a cru devoir publier cette lettre [1]. Qu’en ont retenu les « amis » de Pierre Vidal-Naquet ? Non pas notre éventuel mérite mais le fait que nous ayons ôté quelques lignes d’un texte sacré.

Nous avons donné – évidemment – la parole à Bernard-Henri Lévy pour qu’il puisse se défendre. Il l’a fait avec violence. Pierre Vidal-Naquet a répondu au moins aussi violemment. Contrairement aux usages, nous lui avons laissé le dernier mot. Réaction des mêmes « amis » : nous n’aurions pas dû accepter le texte « injurieux » de Bernard-Henri Lévy. Enfin, crime des crimes, nous avons mis deux semaines au lieu d’une pour publier la longue diatribe qu’on va lire de Cornelius Castoriadis…

Que se passe-t-il dans le Landerneau littéraire et universitaire ? Il y a trois mois, Bernard-Henri Lévy ne trouvait que des laudateurs. Il ne s’en trouve plus un seul aujourd’hui pour le défendre – ni en somme pour le défendre. Or les laudateurs sont bien plus attaqués que l’auteur. Quelle est cette terreur qui répond à la terreur et qui s’exerce de tout côté ? Si nous publions le texte de Castoriadis, ce n’est pas que nous en approuvions ses inutiles outrances et son acharnement destructeur. Nous négligeons toute espèce d’intimidation et un certain ton finirait par nous rapprocher de celui dont on voudrait faire un maudit après l’avoir porté au pinacle. C’est parce qu’il nous importe de contribuer à redonner à la fonction critique sa dignité et son rôle. De ce point de vue, les passages de Cornelius Castoriadis sont essentiels. Pour notre part, nous en tiendrons compte.

J.D.

Voir par ailleurs:

Philosopher Left to Muse on Ridicule Over a Hoax
Doreen Carvajal
The NYT
February 10, 2010

PARIS — For the debut of his latest weighty title, “On War in Philosophy,” the French philosopher Bernard-Henri Lévy made the glossy spreads of French magazines with his trademark panache: crisp, unbuttoned white Charvet shirts, golden tan and a windswept silvery mane of hair.

But this glamorous literary campaign was suddenly marred by an absolute philosophical truth: Mr. Lévy backed up the book’s theories by citing the thought of a fake philosopher. In fact, the sham philosopher has never been a secret, and even has his own Wikipedia entry.

In the uproar that followed over the rigors of his research, Mr. Lévy on Tuesday summed up his situation with one e-mailed sentence: “My source of information is books, not Wikipedia.”

Despite his celebrity as a philosopher, Mr. Lévy has a long history of fending off critics who have attacked his research. In the United States, where Mr. Lévy published “American Vertigo,” his version of traveling in the footsteps of Alexis de Tocqueville, Garrison Keillor wrote a scorching critique in The New York Times Book Review in 2006 citing “the grandiosity of a college sophomore, a student padding out a term paper.”

The blunder particularly resonated in Paris, where Mr. Lévy is a ubiquitous presence on talk shows and in magazines, and is known simply as B.H.L.

In his newest book, Mr. Lévy attacked the 18th-century German philosopher Immanuel Kant as a madman, and in support cited the Paraguayan lectures of Jean-Baptiste Botul to his 20th-century followers.

In fact Mr. Botul is the longtime creature of Frédéric Pagès, a journalist with the satirical weekly Le Canard Enchaîné. “We’ve had a big laugh, obviously,” Mr. Pagès said of Mr. Lévy. “This one was an error that was really simple that the media immediately understood.”

Mr. Pagès has never made a secret of his fictional philosopher, who has a fan club that meets monthly in salons throughout Paris.

Mr. Botul’s school of thought is called Botulism, his followers are botuliennes and they debate such weighty theories as the metaphysics of flab. As they describe it, Mr. Botul’s astonishing ideas ranged from phenomenology to cheese, sausages, women’s breasts and the transport of valises during the 1930s.

Mr. Pagès said there was a distinct possibility that Mr. Lévy could become contender for the group’s annual literary honor, “Le Prix Botul.”

It appears that Mr. Pagès and Mr. Lévy could end up forming some sort of mutual admiration society. “It was a truly brilliant and very believable hoax from the mind of a Canard Enchaîné journalist who remains a good philosopher all the same,” Mr. Lévy wrote in an opinion piece. “So I was caught, as were the critics who reviewed the book when it came out. The only thing left to say, with no hard feelings, is kudos to the artist.”

Voir de plus:

Bernard-Henri Lévy a laughing stock for quoting fictional philosopher
Charles Bremner in Paris
The Times
February 9, 2010

When France’s most dashing philosopher took aim at Immanuel Kant in his latest book, calling him “raving mad” and a “fake”, his observations were greeted with the usual adulation. To support his attack, Bernard-Henri Lévy — a showman-penseur known simply by his initials, BHL — cited the little-known 20th-century thinker Jean-Baptiste Botul.

There was one problem: Botul was invented by a journalist in 1999 as an elaborate joke, and BHL has become the laughing stock of the Left Bank.

There were clues. One supposed work by Botul — from which BHL quoted — was entitled The Sex Life of Immanuel Kant. The philosopher’s school is known as Botulism and subscribes to his theory of “La Metaphysique du Mou” — the Metaphysics of the Flabby. Botul even has a Wikipedia entry that explains that he is a “fictional French philosopher”.

But Mr Lévy, a leader among the nouveaux philosophes school of the 1970s, was unaware. In On War in Philosophy, he writes that Botul had proved once and for all “just after the Second World War, in his series of lectures to the neo-Kantians of Paraguay, that their hero was an abstract fake, a pure spirit of pure appearance”.

The blunder was seized on with glee by a literary world fiercely jealous of BHL’s success. His credulity was spotted by Aude Lancelin, a journalist with the Le Nouvel Observateur, the left-leaning weekly that is de rigueur for the thinking classes. The Botul quotes were “a nuclear gaffe that raises questions on the Lévy method”, she wrote.

Mr Lévy admitted last night that he had been fooled by Botul, the creation of a literary journalist, Frédéric Pages, but he was not exactly contrite.

Appearing on Canal+ television, he said he had always admired The Sex Life of Immanuel Kant and that its arguments were solid, whether written by Botul or Pages. “I salute the artist [Pages],” he said, adding with a philosophical flourish: “Hats off for this invented-but-more-real-than-real Kant, whose portrait, whether signed Botul, Pages or John Smith, seems to be in harmony with my idea of a Kant who was tormented by demons that were less theoretical than it seemed.”

Ms Lancelin told The Times she was surprised that none of the journalists who had been giving Mr Lévy the celebrity treatment had noted that he spent two pages using a non-existent philosopher to prove his argument. “I came across the quotes from Botul and burst out laughing,” she said.

On the internet, where the affair took off yesterday afternoon, many others questioned why the reviewers and interviewers who have been filling pages and air time with Mr Lévy’s new book had failed to spot the blunder.

Mr Lévy’s slip was far from his first. His career as writer, moralist, occasional war correspondent and media commentator has been punctuated by claims that he cuts corners.

In his television interview last night he called philosophy a combat sport, insisting: “It’s the role of the philosopher to land blows.”

Voir enfin:

‘American Vertigo: Traveling America in the Footsteps of Tocqueville,’ by Bernard-Henri Lévy
On the Road Avec M. Lévy
Review by GARRISON KEILLOR
The New York Times
January 29, 2006

Any American with a big urge to write a book explaining France to the French should read this book first, to get a sense of the hazards involved. Bernard-Henri Lévy is a French writer with a spatter-paint prose style and the grandiosity of a college sophomore; he rambled around this country at the behest of The Atlantic Monthly and now has worked up his notes into a sort of book. It is the classic Freaks, Fatties, Fanatics & Faux Culture Excursion beloved of European journalists for the past 50 years, with stops at Las Vegas to visit a lap-dancing club and a brothel; Beverly Hills; Dealey Plaza in Dallas; Bourbon Street in New Orleans; Graceland; a gun show in Fort Worth; a « partner-swapping club » in San Francisco with a drag queen with mammoth silicone breasts; the Iowa State Fair (« a festival of American kitsch »); Sun City (« gilded apartheid for the old »);a stock car race; the Mall of America; Mount Rushmore; a couple of evangelical megachurches; the Mormons of Salt Lake; some Amish; the 2004 national political conventions; Alcatraz – you get the idea. (For some reason he missed the Sturgis Motorcycle Rally, the adult video awards, the grave site of Warren G. Harding and the World’s Largest Ball of Twine.) You meet Sharon Stone and John Kerry and a woman who once weighed 488 pounds and an obese couple carrying rifles, but there’s nobody here whom you recognize. In more than 300 pages, nobody tells a joke. Nobody does much work. Nobody sits and eats and enjoys their food. You’ve lived all your life in America, never attended a megachurch or a brothel, don’t own guns, are non-Amish, and it dawns on you that this is a book about the French. There’s no reason for it to exist in English, except as evidence that travel need not be broadening and one should be wary of books with Tocqueville in the title.

In New Orleans, a young woman takes off her clothes on a balcony as young men throw Mardi Gras beads up at her. We learn that much of the city is below sea level. At the stock car race, Lévy senses that the spectators « both dread and hope for an accident. » We learn that Los Angeles has no center and is one of the most polluted cities in the country. « Headed for Virginia, and for Norfolk, which is, if I’m not mistaken, one of the oldest towns in a state that was one of the original 13 in the union, » Lévy writes. Yes, indeed. He likes Savannah and gets delirious about Seattle, especially the Space Needle, which represents for him « everything that America has always made me dream of: poetry and modernity, precariousness and technical challenge, lightness of form meshed with a Babel syndrome, city lights, the haunting quality of darkness, tall trees of steel. » O.K., fine. The Eiffel Tower is quite the deal, too.

But every 10 pages or so, Lévy walks into a wall. About Old Glory, for example. Someone has told him about the rules for proper handling of the flag, and from these (the flag must not be allowed to touch the ground, must be disposed of by burning) he has invented an American flag fetish, a national obsession, a cult of flag worship. Somebody forgot to tell him that to those of us not currently enrolled in the Boy Scouts, these rules aren’t a big part of everyday life. He blows a radiator writing about baseball – « this sport that contributes to establishing people’s identities and that has truly become part of their civic and patriotic religion, which is baseball » – and when, visiting Cooperstown (« this new Nazareth »), he finds out that Commissioner Bud Selig once laid a wreath at the tomb of the Unknown Soldier at Arlington, where Abner Doubleday is also buried, Lévy goes out of his mind. An event important only to Selig and his immediate family becomes, to Lévy, an official proclamation « before the eyes of America and the world » of Abner as « the pope of the national religion . . . that day not just the town but the entire United States joined in a celebration that had the twofold merit of associating the national pastime with the traditional rural values that Fenimore Cooper’s town embodies and also with the patriotic grandeur that the name Doubleday bears. » Uh, actually not. Negatory on « pope » and « national » and « entire » and « most » and « embodies » and « Doubleday. »

He worships Woody Allen and Charlie Rose in terms that would make Donald Trump cringe with embarrassment. He admires Warren Beatty, though he sees Beatty at a public event « among these rich and beautiful who, as always in America . . . form a masquerade of the living dead, each one more facelifted and mummified than the next, fierce, a little mutant-looking, inhuman, ultimately disappointing. » Lévy is quite comfortable with phrases like « as always in America. » Bombast comes naturally to him. Rain falls on the crowd gathered for the dedication of the Clinton library in Little Rock, and to Lévy, it signifies the demise of the Democratic Party. As always with French writers, Lévy is short on the facts, long on conclusions. He has a brief encounter with a young man outside of Montgomery, Ala. (« I listen to him tell me, as if he were justifying himself, about his attachment to this region »), and suddenly sees that the young man has « all the reflexes of Southern culture » and the « studied nonchalance . . . so characteristic of the region. » With his X-ray vision, Lévy is able to reach tall conclusions with a single bound.

And good Lord, the childlike love of paradox – America is magnificent but mad, greedy and modest, drunk with materialism and religiosity, puritan and outrageous, facing toward the future and yet obsessed with its memories. Americans’ party loyalty is « very strong and very pliable, extremely tenacious and in the end somewhat empty. » Existential and yet devoid of all content and direction. The partner-swapping club is both « libertine » and « conventional, » « depraved » and « proper. » And so the reader is fascinated and exhausted by Lévy’s tedious and original thinking: « A strong bond holds America together, but a minimal one. An attachment of great force, but not fiercely resolute. A place of high – extremely high – symbolic tension, but a neutral one, a nearly empty one. » And what’s with the flurries of rhetorical questions? Is this how the French talk or is it something they save for books about America? « What is a Republican? What distinguishes a Republican in the America of today from a Democrat? » Lévy writes, like a student padding out a term paper. « What does this experience tell us? » he writes about the Mall of America. « What do we learn about American civilization from this mausoleum of merchandise, this funeral accumulation of false goods and nondesires in this end-of-the-world setting? What is the effect on the Americans of today of this confined space, this aquarium, where only a semblance of life seems to subsist? » And what is one to make of the series of questions – 20 in a row – about Hillary Clinton, in which Lévy implies she is seeking the White House to erase the shame of the Lewinsky affair? Was Lévy aware of the game 20 Questions, commonly played on long car trips in America? Are we to read this passage as a metaphor of American restlessness? Does he understand how irritating this is? Does he? Do you? May I stop now?

America is changing, he concludes, but America will endure. « I still don’t think there’s reason to despair of this country. No matter how many derangements, dysfunctions, driftings there may be . . . no matter how fragmented the political and social space may be; despite this nihilist hypertrophy of petty antiquarian memory; despite this hyperobesity – increasingly less metaphorical – of the great social bodies that form the invisible edifice of the country; despite the utter misery of the ghettos . . . I can’t manage to convince myself of the collapse, heralded in Europe, of the American model. »

Thanks, pal. I don’t imagine France collapsing anytime soon either. Thanks for coming. Don’t let the door hit you on the way out. For your next book, tell us about those riots in France, the cars burning in the suburbs of Paris. What was that all about? Were fat people involved?

Garrison Keillor is the host and writer of « A Prairie Home Companion » and the author of 16 books. He is the editor, most recently, of an anthology titled « Good Poems for Hard Times. »


Société: Vous avez dit cartésiens? (Descartes’ skull and bones: A skeletal history of the conflict between faith and reason)

16 février, 2010
Crâne et buste de Descartes de Richer (1921)
Denon remettant dans leurs tombeaux les crânes du Cid et de Chimène (Fragonard)
Descartes between Cro Magnon & Thuram
D’un côté, j’ai une claire et distincte D’un côté, j’ai une claire et distincte idée de moi-même, en tant que je suis seulement une chose qui pense et non étendue, et (…) d’un autre j’ai une idée distincte du corps, en tant qu’il est seulement une chose étendue et qui ne pense point, il est certain que ce moi, c’est-à-dire mon âme, par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement et véritablement distincte de mon corps, et qu’elle peut être ou exister sans lui. Descartes (Méditations métaphysiques)
Pour moi, je doute que l’homme puisse jamais supporter à la fois une complète indépendance religieuse et une entière liberté politique ; et je suis porté à penser que, s’il n’a pas de foi, il faut qu’il serve, et, s’il est libre, qu’il croie. Tocqueville
Quand la Convention, après avoir tué le roi, après avoir tué la reine, après avoir tué les girondins, après avoir tué les jacobins, après avoir tué les montagnards, après s’être tuée elle-même, n’eut plus rien de vivant à tuer, elle se mit à tuer les morts. Alexandre Dumas (sur la dépanthéonisation de Mirabeau suite à la découverte de sa tentative de libération de la reine)
La Révolution aurait pu se contenter à la rigueur d’un catholicisme réformé, c’est-à-dire du protestantisme qui se rapprochait de son idéal par son indépendance à l’égard de Rome, son laïcisme qu’affirmait le mariage des pasteurs et ses tendances rationalistes: mais ç’eut été rester à mi-chemin. Il fallait aller plus outre, réformer la Réforme, et par conséquent créer une religion nouvelle. Louis Réau
Un décret de 1792 avait prévu que les cendres des grands hommes devaient être recueillies et transportées à la Monnaie. Là, elles devaient être transformées en plâtre pour fabriquer des coupes où les patriotes boiraient au triomphe de la Révolution. Clémentine Portier-Kaltenbach
La France a travaillé à laïciser l’espace public et politique. Mais avec cette invocation des symboles, on remet du religieux dans la République. C’est dangereux. M. Duclert
[Le crâne de René Descartes est aujourd’hui exposé au musée de l’Homme, à Paris] entre celui de l’homme de Cro-Magnon et un moulage de celui du footballeur Lilian Thuram. Je ne suis pas sûr que cela soit sa place. Jean Petit (président des Amis de la bibliothèque du Prytanée de La Flèche)
Alors certes, l’auteur du Discours de la Méthode a séjourné au Collège royal Henri-le-Grand (aujourd’hui le Prytanée militaire) de 11 ans à 18 ans (un moment essentiel, on n’en doute aucunement, dans la formation de l’illustre penseur même si celui-ci y dénonce précisément la scolastique enseignée). Mais René n’est pas particulièrement ancré dans la région des rillettes. Né en Touraine, Descartes a passé sa licence de droit à Poitiers, puis est parti vivre à Paris. Le scientifique est resté une vingtaine d’années en Hollande, et a fini ses jours à Stockholm en 1650. L’Express
En 1666, le chevalier de Terlon, chargé de négocier l’exhumation et le convoiement de la dépouille, y prélève un doigt, « instrument aux écrits immortels du défunt ». Alexandre Lenoir, qui, après la Révolution, est chargé de retrouver les restes de Descartes pour un musée des monuments français, récupère un os plat, afin d’y faire des bagues pour ses amis. Au total, une dizaine de propriétaires du crâne enfermé au Musée de l’Homme y ont inscrit leurs noms, comme si le génie était contagieux. Guillemette Faure
On n’est même pas sûr de l’authenticité de ce crâne, car il existe au total cinq crânes attribués à Descartes. Il faudrait au minimum une expertise scientifique. Sans compter que le reste de sa dépouille est inhumé à l’église Saint-Germain-des-Prés à Paris ! (…) Nous serions collectivement responsables d’un outrage aux mânes de Descartes si nous prenions la décision de transférer son seul crâne, là où le respect dû aux morts impose au contraire de réunir l’intégralité de ses restes mortels. Clémentine Portier-Kaltenbach
Il sera malheureusement impossible de donner suite à un dépôt de longue durée dans une institution qui ne serait pas un autre Musée de France. La raison de droit s’imposant à moi, j’ai le regret de vous faire savoir qu’il ne sera pas possible de procéder à ce transfert dans l’immédiat. François Fillon (Premier ministre, lettre adressée à l’Association des amis de la bibliothèque du Prytanée militaire de La Flèche, Sarthe)

Chassez le religieux, il revient au galop!

Dernière péripétie, à l’heure où même l’Amérique redécouvre ses racines judéo-chrétiennes, de la longue et sanglante histoire qui a vu en France la Révolution se dégager d’une religion pour la remplacer par une autre …

Et exemplaire métaphore, comme le montre l’auteur américain Russell Shorto (« Descartes’ Bones: A Skeletal History of the Conflict between Faith and Reason« ), du conflit entre la foi et la raison dont est issue notre modernité …

Que l’incroyable manière dont les restes du philosophe ayant le plus donné de sa personne pour incarner l’esprit national français (y laissant doigt, bras, jambe et bassin pour faire des chevalières et à présent écartelé entre un coffre du Musée de l’Homme et une crypte de St Germain des près) ont tour à tour été instrumentalisés comme une véritable relique religieuse au nom de la nouvelle religion du rationalisme.

D’abord par la Révolution qui, impatiente de remplacer l’ancien culte des saints par celui de ses grands hommes, a fait rapatrier ses restes de Suède pour le panthéoniser.

Puis, par la Science elle-même, avec l’Académie des sciences du maitre de l’anatomie comparée Cuvier, dans son débat, entre deux comparaisons avec les crânes de l’assassin Lacernaire et le bandit Cartouche ou le pervers Sade, sur la taille du cerveau et la mesure de l’intelligence (le cerveau cartésien était hélas trop petit).

Et enfin aujourd’hui avec cette bataille censément politique qui, jusqu’au plus haut niveau de l’Etat, voit sa région de naissance (la Touraine) et celle de son éducation (la Sarthe de François Fillon) disputer son crâne à la Science (le Muséum d’histoire naturelle de Paris).

Où il semble qu’il doive jusqu’à nouvel ordre rester, exposé (ou du moins sa copie) au côté de celui d’un australopithèque et d’un moulage du crâne du footballeur Lilian Thuram …

Descartes’ Bones: An Interview With Russell Shorto
Donald A. Yerxa
Historically Speaking
January 2009

RUSSELL SHORTO, THE BESTSELLING AUTHOR OF THE Island at the Center of the World, has recently written an engaging intellectual detective story that uses of the curious history of René Descartes’ remains as a metaphor for the rise of modernity and the conflict between faith and reason: Descartes’ Bones: A Skeletal History of the Conflict between Faith and Reason (Doubleday, 2008). Historically Speaking senior editor Donald A. Yerxa interviewed Shorto on October 23, 2008.

Donald A. Yerxa: Why is Descartes important in understanding the trajectory of modern Western thought?

Russell Shorto: First, a word of clarification because one or two reviewers have claimed that the book argues for Descartes—as opposed to someone else—as the grand figure in the birth of modernity. The real point is to trace the very exotic path of the bones of Descartes, and then to use that path as a metaphor for understanding the creation of the modern mind. Some people in the past thought enough about his role in modernity to treat his bones as relics of one sort or another, and I follow that path. This is not to say that Descartes is not important. Of course he is.

Descartes’ dates are 1596-1650, which very neatly correspond with all the activity that we associate with the birth of modernity. His contemporaries Francis Bacon, Galileo, and William Harvey were engaged in an exuberant outburst of effort to explore the natural world with microscopes and telescopes and dissecting corpses and so on. When you read material of the time, it’s striking how much people felt that something new was going on.

Some found it very exciting, while others viewed it as frightening. In any case, the new activity posed a challenge to the whole framework of knowledge that had been built up over the previous thousand years or so, especially scholasticism, that blend of Christian teaching with ideas from Aristotle and other ancient thinkers. Scholasticism worked for a very long period of time, and it satisfied people and explained a lot of things. But by Descartes’ time it was coming under attack, and there was a kind of crisis of meaning. Descartes addressed this crisis in his little 58-page essay called Discourse on the Method of Rightly Conducting Reason. A short expression of it is « I think therefore I am. » By systematically casting off all knowledge whose substance he can doubt, he reaches a point where he feels he can’t trust the soundness of the basic tenets that he had been taught. Famously, he comes to the idea that he is at that moment thinking these things and that as a logician he can’t deny that. So that humble, very simple thing becomes the foundation: the mind and its good sense become the basis around which a new modern framework can be built.

Yerxa: The spine of your book—forgive the pun—is a fascinating detective story about the rather convoluted history of Descartes’ remains. Could you give our readers a brief sketch of what happened to his remains?

Shorto: Well, very briefly, Queen Christina invited Descartes to come to Sweden to be the jewel of the court that she was assembling. He didn’t like winter, and he didn’t like getting up early, but he arrived in Sweden in the winter of 1650, and she made him get up at five in the morning to teach her philosophy. After a few days of trudging through this Scandinavian winter of darkness, he caught pneumonia and died. He was buried quickly and quietly in a small cemetery on the outskirts of Stockholm. After his death, Descartes’ followers, the Cartesians, grew in number all over Europe and particularly in Paris. They functioned, especially in Paris, like the Christians in the Catacombs in ancient Rome. They were something of a semi-persecuted sect, though some of them were high officials in the church and the state. The Cartesians wanted legitimacy, and it hit them that they could try to use the bones of Descartes for that purpose. In 1666 they requested that Descartes’ remains be dug up and moved to France so that they could be reburied with ceremony. The French ambassador at the time asked the Catholic Church for permission to take the right index finger bone as a relic—seemingly a religious relic. He was a very devout man. He appreciated the work Descartes and others were doing to get at the heart of nature, but he could still view that exploration as a spiritual undertaking. For me, the strange and ambiguous relationship between faith and reason is the central aspect of modernity. With the taking of a piece of Descartes’ finger bone, you see the whole conflict playing out.

There was another notable piece that was taken, but most of the bones were brought to Paris, and the Cartesians held a procession across Paris that mimicked, in all of its features, the medieval procession of the saints’ relics. And they buried the bones in a church and held a series of banquets all over Paris to which they invited important people within the church and the state to win approval for their cause. And again, the interesting and tantalizing thing about it was the combination of the religious and secular. They were using religious trappings to promote this new church of secularism. It didn’t end there. The bones were put to a striking use during the French Revolution, and in the 19th century the skull figured in the early debates about the brain and brain science.

Yerxa: How symbolic is it that Descartes’ skull was separated from the rest of his body?

Shorto: The skull is in the Musée de l’homme, the great anthropology museum in Paris, and it’s believed that most of the rest of the bones are in the church of St.-Germain-des-Prés. The division of the remains [End Page 39] itself is quite ironic in that Descartes is seen as the father of the mind-body split. And he literally suffered a mind-body split himself. The religion-secularism theme carries into what happened to his bones as well, with the skull being in a science museum and the other bones in a church. In my view, though, the bones of René Descartes are not in the church of St.-Germain-des-Prés. I believe that the skull is quite well documented, but the ashes of Descartes’ bones are scattered.

Yerxa: Could you speak to how some attempted to enlist Descartes’ skull in what we now know to be bad science?

Shorto: Around 1820 it was brought to the attention of the members of the French Academy of Sciences that ever since the French Revolution the remains of Descartes had been sitting in a corner of a garden somewhere. And by this point they considered him their intellectual godfather. They thought something had to be done about this, so they sent a team out, opened the sarcophagus, and discovered that in fact the skull was missing. It happened that there was a Swedish scientist who was visiting at the time. He then went back to Sweden, and about two years later he opened a newspaper and read that someone had died, and his personal effects were auctioned off, including the skull of René Descartes. He thought this was an amazing coincidence, so he tracked it down, bought it, and sent it back to Paris to the French Academy. The skull then took part in a couple of different episodes involving the development of comparative anatomy and attempts by Georges Cuvier, who was at the head of the academy and an important figure in science, to advance the theory that skull size and shape were indicators of intelligence. Cuvier believed that the slope of the front of the skull and the face was correlated with intelligence. He argued that African skull shapes denoted less intelligence than Caucasian skull shapes. And there was also an idea that the larger the brain or the larger the skull, the more intelligent the person. A couple of decades later, anthropologists used the skulls of great thinkers to argue that a larger skull size indicates more intelligence. Cuvier himself was dead, and his skull now joined others in defense of this theory. Apparently, he had an enormous skull. But someone at this time discovered that they had Descartes’ skull sitting around. Well, Descartes was a small man with a very small skull. I’ve seen it. So the tiny skull of this great French thinker rebuked the notion.

Yerxa: How did you become interested in looking at modernity through the story of Descartes’ remains?

Shorto: My previous book, The Island at the Center of the World, was about the Dutch founding of New York. A central person in that narrative is Adriaen van der Donck, who studied at Leiden University in the 1630s. And while reading about Leiden University, I discovered that Descartes was the intellectual celebrity on campus at the time. I read Stephen Gaukroger’s Descartes: An Intellectual Biography, Gaukroger’s Descartes: An Intellectual Biography, and his last chapter, « Death and Dismemberment, » is only one page long. In one page he covers the whole story of Descartes and Queen Christina and Descartes’ remains. This intrigued me and stayed with me. I wrote a piece for the New York Times Magazine about conservative Christian activists in the U.S. working to oppose gay marriage. And as I spent time with these conservative Christians, it dawned on me what it means to have a theological worldview. Somehow that sort of thinking merged with the bones of Descartes, and I started to realize that the bones of Descartes were a vivid metaphor for a clash or contrast of worldviews.

Yerxa: What do you wish the reader would take away from your book?

Shorto: How wild and wonderful and weird the world is. And since 9/11 was an attack in some way on Western culture, I think there has been a yearning to understand or reconnect with what Western culture is. What are its roots? And what are its flaws? Maybe this very small exotic story helps nudge people in that direction.

Voir aussi:

François Fillon veut transférer le crâne de Descartes
Sabine GIGNOUX
La Croix
Janvier 2010

La proposition de transférer le crâne de Descartes au Prytanée militaire de La Flèche (Sarthe) s’annonce d’emblée controversée. Elle doit pourtant être examinée à Matignon le 13 janvier, lors d’une réunion interministérielle à la demande de François Fillon, qui avait évoqué ce transfert dans son fief électoral dès 1996, à l’occasion d’un colloque organisé à La Flèche pour le 400e anniversaire de la naissance du philosophe.

Mais pour la conservatrice de la bibliothèque du Prytanée de La Flèche, Sylvie Tisserand, par ailleurs conseillère municipale (PS), cette idée est tout simplement « gothique ». « Je n’en vois pas le sens, ni d’un point de vue archéologique, ni intellectuel », tranche-t-elle.

Consternation au Musée de l’homme

Philippe Mennecier, responsable des collections du Musée de l’homme, qui abrite le crâne de Descartes, se dit, lui, « consterné » par cette nouvelle qu’il a « découverte dans la presse, sans recevoir aucune demande officielle ».

« L’idée a été lancée par plusieurs universitaires : Geneviève Rodis-Lewis, auteur d’une biographie de Descartes, le professeur Pierre Lefebvre, ancien élève du Prytanée et membre de l’Académie de médecine, et le professeur Émile Aron, doyen de l’Institut de France », souligne Jean Petit, président de l’Association des amis de la bibliothèque du Prytanée, qui a écrit en novembre dernier à Matignon pour relancer cette proposition.

René Descartes ayant été formé au Prytanée, alors collège Henri-le-Grand, entre 1607 et 1615, « il y aurait une logique à ce que son crâne retrouve ainsi le lieu de formation de son esprit, estime-t-il. Le rayonnement de ce philosophe, qui note dans le Discours de la méthode : “J’étais dans une des plus célèbres écoles de l’Europe”, pourrait ainsi bénéficier au Prytanée et à toute la région », ajoute-t-il, souhaitant « profiter de la réorganisation en cours du Musée de l’homme ».

« On n’est même pas sûr de l’authenticité de ce crâne »

Sauf que, pour Philippe Mennecier, ce crâne, après des pérégrinations rocambolesques, « a été donné en 1821 par le savant suédois Berzelius à Cuvier. C’est pour cela qu’il se trouve dans les collections publiques, où de nombreux savants sont venus l’examiner. Cette histoire a aussi sa logique. »

Plus ennuyeux encore, souligne la journaliste Clémentine Portier-Kaltenbach, auteur d’Histoires d’os (Lattès), « on n’est même pas sûr de l’authenticité de ce crâne, car il existe au total cinq crânes attribués à Descartes. Il faudrait au minimum une expertise scientifique. Sans compter que le reste de sa dépouille est inhumé à l’église Saint-Germain-des-Prés à Paris ! »

« Nous serions collectivement responsables d’un outrage aux mânes de Descartes si nous prenions la décision de transférer son seul crâne, là où le respect dû aux morts impose au contraire de réunir l’intégralité de ses restes mortels », a-t-elle donc écrit à la ministre de la culture, le 19 décembre dernier. La tempête sur un crâne ne fait que commencer.

Voir également:

Pourquoi Fillon veut-il le crâne de René Descartes chez lui ?
Guillemette Faure
Rue89
12/30/2008

François Fillon aimerait que le crâne de Descartes soit transféré au Prytanée de la Flèche [1] (un lycée militaire) dans la Sarthe, son fief électoral.

L’idée a émergé lors d’un discours prononcé par François Fillon « il y a un an ou deux », se souvient son conseiller Jean de Boishue, que le Premier ministre a chargé du dossier, « François Fillon avait fait cette proposition. »

(Selon le responsable des relations publiques du Prytanée, François Fillon en a parlé en 1996 lors d’un colloque universitaire à l’occasion du quatrième centenaire de la naissance de Descartes et la demande a été formulée cette année par l’association des amis de la bibliothèque du Prytanée).

« Au Prytanée, il sera chez lui », assure Jean de Boishue à propos de René Descartes. Certes, l’auteur du « Discours de la méthode » a séjourné au collège Henri IV de la Flèche de 1607 à 1615 (aujourd’hui le Prytanée militaire). Mais il n’est pas particulièrement ancré dans la région. Né en Touraine, Descartes a passé une vingtaine d’années en Hollande, et est mort à Stockholm.

Et le crâne qu’on dit être le sien (nous y reviendrons) est actuellement caché dans un coffre-fort du musée de l’Homme à Paris, tandis qu’un moulage est présenté au public (entre celui d’un homme de Cro-Magnon et celui du footballeur Lilian Thuram).

Un transfert dans la Sarthe ne serait pas le premier zig-zag post-mortem du corps de Descartes. Bien d’autres, avant François Fillon, ont tenté de s’associer aux ossements de Descartes.

Des bagues sculptées dans un os de Descartes

En 1666, le chevalier de Terlon, chargé de négocier l’exhumation et le convoiement de la dépouille, y prélève un doigt, « instrument aux écrits immortels du défunt ». Alexandre Lenoir, qui, après la Révolution, est chargé de retrouver les restes de Descartes pour un musée des monuments français, récupère un os plat, afin d’y faire des bagues pour ses amis.

Au total, une dizaine de propriétaires du crâne enfermé au Musée de l’Homme y ont inscrit leurs noms, comme si le génie était contagieux.

« C’est un projet qui suscite la sympathie », nous dit Jean de Boishue, à propos de l’idée d’un transfert du crâne dans la Sarthe. Il n’a pas dû encore solliciter celles des médecins légistes et historiens qui ont suivi les voyages de Descartes.

« Ça ne se fait plus aujourd’hui ! »

« Ça me semble scandaleux », s’exclame Clémentine Portier-Kaltenbach, journaliste historienne auteur d’« Histoires d’os et autres illustres abattis », qui a déjà écrit à la ministre de la Culture Christine Albanel pour l’alerter.

Le reste des ossements du philosophe et mathématicien sont aujourd’hui conservés en l’église Saint-Germain-des-Prés, à Paris.

Clémentine Portier-Kaltenbach trouve l’idée de François Fillon saugrenue :

« On a été mis devant le fait accompli dans l’histoire, avec par exemple le crâne de Charlotte Corday (chez les descendants du prince Radzivill, le squelette étant probablement aux catacombes). Au XIXe, Gambetta s’est retrouvé avec son cœur au Panthéon alors que son œil (il était borgne) est à Cahors et que le reste de sa dépouille est à Nice.

Mais aujourd’hui on ne fait plus ça : exposer, séparer… C’est une question de respect dû aux morts. Un crâne, ce n’est pas un objet quelconque. Ce n’est pas un encrier ou un tableau. »

Elle n’est pas contre l’inhumation au Prytanée, mais après l’avoir « réuni » avec le reste de sa dépouille, s’être assuré qu’il s’agit bien de la même personne et que cette dernière est bien Descartes.

Du propriétaire d’un tripot à Cuvier

Car au-delà des interrogations éthiques, les critiques sont aussi scientifiques. Un gros point d’interrogation pèse sur l’authenticité du crâne.

« Les restes de Descartes se sont beaucoup baladés », résume Clémentine Portier-Kaltenbach. Enterré au cimetière des innocents à Stockholm en 1650, la France veut le faire rapatrier en 1666. Le voyage du corps prend huit mois, trimballé dans une caisse aux allures de malle de voyage, apprend-on encore dans son livre.

La dépouille sera déplacée plusieurs fois pendant et après la Révolution jusqu’à son arrivée dans une chapelle de l’église de Saint-Germain-des-Prés.

Quant au crâne marqué des noms d’une dizaine de propriétaires, il atterrit chez le naturaliste Georges Cuvier en 1821. Son avant-dernier propriétaire tenait un tripot à Stockholm. Jacob Berzlius, chimiste suédois, l’a vu en vente dans une gazette pour 37 francs et l’a envoyé à Cuvier.

De là, il rejoindra la collection anatomique du Jardin des plantes, sera confié à Paul Richer de l’académie de médecine et des Beaux-Arts avant d’être rangé dans une armoire blindée lors de la création du Musée de l’Homme à la fin des années 1930.

Au moins cinq crânes prétendument de Descartes

En fait, d’après Philippe Charlier, un médecin légiste dont le laboratoire est spécialiste de l’expertise de restes humains anciens, il y aurait au moins cinq crânes potentiellement de Descartes, dont un à Stockholm et trois autres dans des collections privées.

« Sur le plan archéologique ça n’a aucun sens », dit-il à propos de l’idée de transfert dans la Sarthe. « Ce qu’il faut faire d’abord, c’est relier le crâne à Descartes », recommande Philippe Charlier.

Quand le conseil général d’Indre-et-Loire a fait transporter la dépouille d’Agnès Sorel, il en a vérifié l’authenticité. Même chose pour les reliques de Jeanne d’Arc à Chinon, qui se révélèrent être des fragments de momie égyptienne. Il recommande une analyse générale anthropologique scientifique complète menée avec les restes de l’église de Saint-Germain-des-Près.

Prochaine étape à Matignon mi-janvier

A l’évocation des doutes sur l’authenticité du crâne de Descartes, Jean de Boishue répond qu’il n’en avait jamais entendu parler. Il coordonnera une réunion interministérielle le 13 janvier « pour voir qui a compétence à décider ou pas décider, transférer ou pas transférer et comment on peut faire ça concrètement ».

Dans son livre, Clémentine Portier-Kaltenbach raconte qu’à son arrivée à Paris au XVIIe siècle, Descartes a été « transporté sans la moindre oraison funèbre jusqu’à l’église Sainte-Geneviève aujourd’hui Saint-Etienne-du-Mont » et se demande pourquoi la France s’était donnée tant de mal pour récupérer la dépouille si elle devait être traitée avec autant de désinvolture à l’arrivée. « Probablement à rien d’autre qu’à donner au roi de France la satisfaction de s’en savoir “propriétaire’”. La logique semble encore d’actualité.

Voir enfin:

PATRIMOINE
Le crâne de Descartes ne sera pas transféré dans la Sarthe
Le Nouvel Obs
09.01.2009

François Fillon avait envisagé de déplacer le crâne dans son département, au Prytanée de La Flèche où le philosophe travailla quelques années.

Le crâne de Descartes

Le crâne du philosophe René Descartes, dont François Fillon avait envisagé le transfert dans la Sarthe, restera finalement au Musée de l’Homme à Paris, a-t-on appris, vendredi 9 janvier, dans un communiqué.
« Il sera malheureusement impossible de donner suite à un dépôt de longue durée dans une institution qui ne serait pas un autre Musée de France », écrit le Premier ministre dans une lettre adressée à l’Association des amis de la bibliothèque du Prytanée militaire de La Flèche (Sarthe), qui avait formulé la demande il y a quelques mois.
« La raison de droit s’imposant à moi, j’ai le regret de vous faire savoir qu’il ne sera pas possible de procéder à ce transfert dans l’immédiat », poursuit-il dans ce courrier transmis aux agences de presse.
Le Prytanée de La Flèche, où Descartes (1596-1650) travailla pendant quelques années, abrite une partie de la bibliothèque de l’auteur du « Discours de la méthode ».

Près de Thuram

Le crâne du penseur est actuellement exposé au côté de celui d’un australopithèque et d’un moulage du crâne du footballeur Lilian Thuram.
Dans sa lettre, le chef du gouvernement dit souhaiter que l’ossement soit mieux mis en valeur, « étant donné l’intérêt scientifique et muséologique de cette pièce ».

Le Muséum national d’histoire naturelle, dont dépend le Musée de l’Homme, « m’a confirmé ses intentions dans ce sens », écrit-il.
La Flèche est située dans la 3e circonscription de la Sarthe. François Fillon a été élu député de la 4e (Sablé, Le Mans-Ouest).


Education: Même l’Amérique redécouvre ses racines judéo-chrétiennes (Even America is rediscovering its Judeo-Christian roots)

14 février, 2010
Declaration montageDeclaration of independence (John Trumbull, 1817)
Jewish Decalogue parchment (Jekuthiel Sofer, 1768)
French declaration of rights (1789)
Un court-métrage d’animation poétique pour aborder les relations amoureuses entre personnes du même sexe à l’intention des enfants de CM1/CM2. Site du Baiser de la Lune
Il n’est pas nécessaire de demander une autorisation aux parents d’élèves pour aborder ces sujets en classe. Il est toutefois possible de les informer qu’ils le seront au cours de l’année scolaire. Des parents ne sauraient soustraire leur enfant aux enseignements obligatoires: la lutte contre les discriminations racistes, antisémites, sexistes et homophobes fait partie des missions de l’école républicaine au même titre que l’apprentissage de la lecture et du calcul. (…)Tout comme parler du fait religieux n’implique pas de faire la promotion du judaïsme, du christianisme ou de l’islam, évoquer l’homosexualité en classe ne peut s’apparenter à du prosélytisme et ne saurait influencer de manière néfaste le développement de l’enfant. Gaël Pasquier (directeur d’une école maternelle)
Au nom de Dieu, amen. Nous soussignés, loyaux sujets de notre respecté souverain Jacques, par la grâce de Dieu Roi de Grande-Bretagne, de France et d’Irlande, défenseur de la foi, etc. Ayant entrepris, pour la gloire de Dieu, pour la propagation de la foi chrétienne, et l’honneur de notre roi et de notre pays, un voyage pour implanter la Première Colonie dans les régions septentrionales de Virginie, par la présente, nous convenons solennellement ensemble, devant Dieu et devant chacun d’entre nous, de nous constituer en un corps politique civil, pour notre administration et sauvegarde et par delà, aux fins susdites ; et en vertu de cela de nous conformer, de décider et de concevoir à l’occasion des lois, ordonnances, actes, décrets et obligations, aussi justes et équitables qu’il semblera à propos et convenable d’adopter pour le bien public de la Colonie, et auxquelles nous promettons toute la soumission et l’obéissance requises. Contrat du Mayflower (11 novembre 1620)
For we must Consider that we shall be as a City upon a Hill, the eyes of all people are upon us; so that if we shall deal falsely with our god in this work we have undertaken and so cause him to withdraw his present help from us, we shall be made a story and a byword through the world, we shall open the mouths of enemies to speak evil of the ways of god and all professors for Gods sake; we shall shame the faces of many of gods worthy servants, and cause their prayers to be turned into Curses upon us till we be consumed out of the good land whether we are going: And to shut up this discourse with that exhortation of Moses that faithful servant of the Lord in his last farewell to Israel Deut. 30. Beloved there is now set before us life, and good, death and evil in that we are Commanded this day to love the Lord our God, and to love one another to walk in his ways and to keep his Commandments and his Ordinance, and his laws, and the Articles of our Covenant with him that we may live and be multiplied, and that the Lord our God may bless us in the land whether we go to possess it: But if our hearts shall turn away so that we will not obey, but shall be seduced and worship other Gods our pleasures, and profits, and serve them, it is propounded unto us this day, we shall surely perish out of the good Land whether we pass over this vast Sea to possess it. John Winthrop (A Model of Christian charity, 1630)
Now, God makes room for a people three ways: First when He casts out the enemies of a people before them by lawful war with the inhabitants, which God calls them unto, as in Ps. 44:2: “Thou didst drive out the heathen before them.” But this course of warring against others and driving them out without provocation depends upon special commission from God, or else it is not imitable. Second, when He gives a foreign people favor in the eyes of any native people to come and sit down with them, either by way of purchase, as Abraham did obtain the field of Machpelah; or else when they give it in courtesy, as Pharaoh did the land of Goshen unto the sons of Jacob. Third, when He makes a country, though not altogether void of inhabitants, yet void in the place where they reside. Where there is a vacant place, there is liberty for the sons of Adam or Noah to come and inhabit, though they neither buy it nor ask their leaves. So that it is free from that common grant for any to take possession of vacant countries. Indeed, no nation is to drive out another without special commission from Heaven, such as the Israelites had, and will not recompense the wrongs done in a peaceable way. And then they may right themselves by lawful war and subdue the country unto themselves. (…) What hee hath planted he will maintain … his owne plantation shall prosper, & flourish. (…) Have speciall care that you have had the ordinances planted amongst you (because) As soon as God’s ordinances cease, yor security ceaseth likewise. John Cotton (God’s promise to his plantation, 1630)
Lorsque dans le cours des événements humains, il devient nécessaire pour un peuple de dissoudre les liens politiques qui l’ont attaché à un autre et de prendre, parmi les puissances de la Terre, la place séparée et égale à laquelle les lois de la nature et du Dieu de la nature lui donnent droit, le respect dû à l’opinion de l’humanité oblige à déclarer les causes qui le déterminent à la séparation. Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Déclaration unanime des Treize Etats-Unis d’Amérique (introduction, 4 juillet 1776 à Boston)
Les Représentans du Peuple François, constitués en Assemblée Nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernemens, ont résolu d’exposer, dans une Déclaration solemnelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’Homme, afin que cette Déclaration, constamment présente à tous les Membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif pouvant à chaque instant être comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des Citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution, et au bonheur de tous. En conséquence, l’Assemblée Nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être Suprême, les droits suivants de l’Homme et du Citoyen. Déclaration des Droits de l’Homme en Société (Extrait des procès verbaux de l’Assemblée nationale, des 20, 21, 23, 24 et 26 août & premier Octobre 1789)
I have been guided by the standard John Winthrop set before his shipmates on the flagship Arbella three hundred and thirty-one years ago, as they, too, faced the task of building a new government on a perilous frontier. « We must always consider », he said, « that we shall be as a city upon a hill—the eyes of all people are upon us ». Today the eyes of all people are truly upon us—and our governments, in every branch, at every level, national, state and local, must be as a city upon a hill — constructed and inhabited by men aware of their great trust and their great responsibilities. For we are setting out upon a voyage in 1961 no less hazardous than that undertaken by the Arbella in 1630. We are committing ourselves to tasks of statecraft no less fantastic than that of governing the Massachusetts Bay Colony, beset as it was then by terror without and disorder within. History will not judge our endeavors—and a government cannot be selected—merely on the basis of color or creed or even party affiliation. Neither will competence and loyalty and stature, while essential to the utmost, suffice in times such as these. For of those to whom much is given, much is required…  John F. Kennedy (address to the General Court of Massachusetts, January 9 1961)
I’ve spoken of the shining city all my political life, but I don’t know if I ever quite communicated what I saw when I said it. But in my mind it was a tall proud city built on rocks stronger than oceans, wind-swept, God-blessed, and teeming with people of all kinds living in harmony and peace, a city with free ports that hummed with commerce and creativity, and if there had to be city walls, the walls had doors and the doors were open to anyone with the will and the heart to get here. That’s how I saw it and see it still. Ronald Reagan (farewell speech to the nation, January 11, 1989)
Quand on voit les efforts pour chasser la croix des lieux publics, pour interdire les crèches (…) il y a un certain nombre d’endroits en Amérique maintenant où il y a plus de parti pris pour enseigner l’Islam que pour enseigner le christianisme aux enfants. Vous avez réellement des écoles aujourd’hui qui auront un cours sur l’Islam mais qui refuseront d’en avoir un sur le christianisme. Je vous laisse décider si ce n’est pas du parti pris. (…) Notre document de base, la Déclaration d’indépendance, dit que nous sommes dotés par notre Créateur de certains droites inaliénables, dont la vie, la liberté et la poursuite du bonheur. Pourtant, combien d’écoles enseignent aujourd’hui aux enfants ce que ‘notre Créateur’ veut dire et pourquoi nos Pères fondateurs ont écrit cela? Newt Gingrich
On le voit partout. On le voit dans nos écoles, qui refusent d’enseigner précisément le rôle de Dieu en Amérique. On le voit dans certains médias, qui refusent de couvrir notre héritage religieux. Et on le voit dans beaucoup de nos cours de justice, qui ont un vrai mépris pour Dieu sur la place publique. Callista Gingrich
On veut des histoires avec des morales pas des histoires politiquement correctes. Don McLeroy (directeur du Bureau du Texas sur l’éducation)
Les fondateurs n’étaient pas aussi chrétiens que ces gens le voudraient, bien qu’ils n’aient pas non plus été aussi matérialistes que Christopher Hitchens le voudrait. Richard Brookhiser
Dans les manuels, on s’éloigne d’une laïcité inconsidérée. (…) Dans l’histoire américaine, la religion est partout, et partout où elle apparaît, il faut en rendre compte et le faire convenablement. Le but qu’on devrait avoir, c’est de tout inclure le plus naturellement possible. On ne peut pas raconter l’histoire des Pélerins ou des Puritains ou des Hollandais à New York sans évoquer la religion. Martin Marty
Je ne pense pas que la religion ait été délibérément exclue de l’histoire américaine mais je pense que des éditeurs de manuels ont voulu être prudents par rapport aux croyances religieuses et probablement subi des pressions de certains groupes. James Kracht
Il y avait un élément religieux dans la révolution américaine qui était si prononcé qu’on pourrait en rendre compte en termes aussi bien religieux que politiques. La révolte de plusieurs des fondateurs, particulièrementceux du Sud, visait autant l’oppression d’une église d’Etat que la domination anglaise. Les Pères fondateurs ont délibérément exclu le mot Dieu de la constitution – mais pas parce qu’ils étaient une bande d’athées et de déistes. Pour eux, mélanger religion et gouvernement ne pouvait apporter que des ennuis. Susan Jacoby
Ce qui est curieux, c’est qu’en essayant d’introduire Dieu dans la Constitution, les conservateurs – qui disent que leur but est de suivre l’intention originale des fondateurs – ignorent le fait que les fondateurs ont explicitement évité la langue religieuse dans ce document. Russell Shorto
A l’heure où une Europe qui a depuis longtemps évacué ses racines judéo-chrétiennes s’en invente à présent des musulmanes

Et où, derrière un court-métrage d’animation contre l’homophobie parrainé notamment par Bergé et Tétu et sous prétexte de la présence dans une population donnée de 5 % à 10 % de victimes des réactions hormonales et immunologiques de leur mère, nos belles âmes voudraient dès l’école primaire « questionner l’injonction à l’hétérosexualité » et « banaliser dès le plus jeune âge » des « agencements familiaux, sexuels et sentimentaux nombreux et complexes » …

Retour sur une Amérique où respectivement 65% et 55% des personnes interrogées croient que « les fondateurs de leur nation voulaient en faire une nation chrétienne » et que leur Constitution « établissait leur pays comme nation chrétienne » …

Et qui voit, à l’occcasion d’une commission annuelle de révision des manuels du Texas dirigée par des conservateurs mais si importante qu’elle est suivie par 46 ou 47 états, ses belles âmes du multiculturalisme redécouvrir la dimension résolument judéo-chrétienne des Pères fondateurs de leur nation que la vogue récente du politiquement correct et de l’athéisme à la Hitchens ou Dawkins tente d’occulter.

Comme les plus acharnés de ses conservateurs prendre conscience des limites de leur pouvoir et de la réalité d’un non moins important mouvement de libre pensée au sein même des architectes de leur nation et Constitution

How Christian Were the Founders?
Russell Shorto
The New York Times
February 14, 2010

LAST MONTH, A WEEK before the Senate seat of the liberal icon Edward M. Kennedy fell into Republican hands, his legacy suffered another blow that was perhaps just as damaging, if less noticed. It happened during what has become an annual spectacle in the culture wars.

Over two days, more than a hundred people — Christians, Jews, housewives, naval officers, professors; people outfitted in everything from business suits to military fatigues to turbans to baseball caps — streamed through the halls of the William B. Travis Building in Austin, Tex., waiting for a chance to stand before the semicircle of 15 high-backed chairs whose occupants made up the Texas State Board of Education. Each petitioner had three minutes to say his or her piece.

“Please keep César Chávez” was the message of an elderly Hispanic man with a floppy gray mustache.

“Sikhism is the fifth-largest religion in the world and should be included in the curriculum,” a woman declared.

the most influential state board of education in the country, and one of the most politically conservative, submitted their own proposed changes to the new social-studies curriculum guidelines, whose adoption was the subject of all the attention — guidelines that will affect students around the country, from kindergarten to 12th grade, for the next 10 years. Gail Lowe — who publishes a twice-a-week newspaper when she is not grappling with divisive education issues — is the official chairwoman, but the meeting was dominated by another member. Don McLeroy, a small, vigorous man with a shiny pate and bristling mustache, proposed amendment after amendment on social issues to the document that teams of professional educators had drawn up over 12 months, in what would have to be described as a single-handed display of archconservative political strong-arming.

Margaret Sanger, the birth-control pioneer, be included because she “and her followers promoted eugenics,” that language be inserted about Ronald Reagan’s “leadership in restoring national confidence” following Jimmy Carter’s presidency and that students be instructed to “describe the causes and key organizations and individuals of the conservative resurgence of the 1980s and 1990s, including Phyllis Schlafly, the Contract With America, the Heritage Foundation, the Moral Majority and the National Rifle Association.”

“Guys, you’re rewriting history now!”

Finally, the board considered an amendment to require students to evaluate the contributions of significant Americans. The names proposed included Thurgood Marshall, Billy Graham, Newt Gingrich, William F. Buckley Jr., Hillary Rodham Clinton and Edward Kennedy. All passed muster except Kennedy, who was voted down.

This is how history is made

Texas’ school-board members find themselves at the very center of the battlefield is, not surprisingly, money. The state’s $22 billion education fund is among the largest educational endowments in the country.

. California is the largest textbook market, but besides being bankrupt, it tends to be so specific about what kinds of information its students should learn that few other states follow its lead. Texas, on the other hand, was one of the first states to adopt statewide curriculum guidelines, back in 1998, and the guidelines it came up with (which are referred to as TEKS — pronounced “teaks” — for Texas Essential Knowledge and Skills) were clear, broad and inclusive enough that many other states used them as a model in devising their own. And while technology is changing things, textbooks — printed or online —are still the backbone of education.

The cultural roots of the Texas showdown may be said to date to the late 1980s, when, in the wake of his failed presidential effort, the Rev. Pat Robertson founded the Christian Coalition partly on the logic that conservative Christians should focus their energies at the grass-roots level. One strategy was to put candidates forward for state and local school-board elections — Robertson’s protégé, Ralph Reed, once said, “I would rather have a thousand school-board members than one president and no school-board members” — and Texas was a beachhead. Since the election of two Christian conservatives in 2006, there are now seven on the Texas state board who are quite open about the fact that they vote in concert to advance a Christian agenda. “They do vote as a bloc,” Pat Hardy, a board member who considers herself a conservative Republican but who stands apart from the Christian faction, told me. “They work consciously to pull one more vote in with them on an issue so they’ll have a majority.”

This year’s social-studies review has drawn the most attention for the battles over what names should be included in the roll call of history. But while ignoring Kennedy and upgrading Gingrich are significant moves, something more fundamental is on the agenda. The one thing that underlies the entire program of the nation’s Christian conservative activists is, naturally, religion. But it isn’t merely the case that their Christian orientation shapes their opinions on gay marriage, abortion and government spending.

More elementally, they hold that the United States was founded by devout Christians and according to biblical precepts. This belief provides what they consider not only a theological but also, ultimately, a judicial grounding to their positions on social questions. When they proclaim that the United States is a “Christian nation,” they are not referring to the percentage of the population that ticks a certain box in a survey or census but to the country’s roots and the intent of the founders.

The Christian “truth” about America’s founding has long been taught in Christian schools, but not beyond. Recently, however — perhaps out of ire at what they see as an aggressive, secular, liberal agenda in Washington and perhaps also because they sense an opening in the battle, a sudden weakness in the lines of the secularists — some activists decided that the time was right to try to reshape the history that children in public schools study. Succeeding at this would help them toward their ultimate goal of reshaping American society.

As Cynthia Dunbar, another Christian activist on the Texas board, put it, “The philosophy of the classroom in one generation will be the philosophy of the government in the next.”

Indeed, dentistry is only a job for McLeroy; his real passions are his faith and the state board of education. He has been a member of the board since 1999 and served as its chairman from 2007 until he was demoted from that role by the State Senate last May because of concerns over his religious views. Until now those views have stood McLeroy in good stead with the constituents of his district, which meanders from Houston to Dallas and beyond, but he is currently in a heated re-election battle in the Republican primary, which takes place March 2.

McLeroy is a robust, cheerful and inexorable man, whose personality is perhaps typified by the framed letter T on the wall of his office, which he earned as a “yell leader” (Texas A&M nomenclature for cheerleader) in his undergraduate days in the late 1960s. “I consider myself a Christian fundamentalist,” he announced almost as soon as we sat down. He also identifies himself as a young-earth creationist who believes that the earth was created in six days, as the book of Genesis has it, less than 10,000 years ago.

He went on to explain how his Christian perspective both governs his work on the state board and guides him in the current effort to adjust American-history textbooks to highlight the role of Christianity. “Textbooks are mostly the product of the liberal establishment, and they’re written with the idea that our religion and our liberty are in conflict,” he said. “But Christianity has had a deep impact on our system. The men who wrote the Constitution were Christians who knew the Bible. Our idea of individual rights comes from the Bible. The Western development of the free-market system owes a lot to biblical principles.”

For McLeroy, separation of church and state is a myth perpetrated by secular liberals. “There are two basic facts about man,” he said. “He was created in the image of God, and he is fallen. You can’t appreciate the founding of our country without realizing that the founders understood that. For our kids to not know our history, that could kill a society. That’s why to me this is a huge thing.”

bring Jesus into American history — has drawn anger in places far removed from the board members’ constituencies. (Samples of recent blog headlines on the topic: “Don McLeroy Wants Your Children to Be Stupid” and “Can We Please Mess With Texas?”)

“Texas governs 46 or 47 states.”

Every year for the last few years, Texas has put one subject area in its TEKS up for revision. Each year has brought a different controversy, and Don McLeroy has been at the center of most of them. Last year, in its science re-evaluation, the board lunged into the evolution/creationism/intelligent-design debate. The conservative Christian bloc wanted to require science teachers to cover the “strengths and weaknesses” of the theory of evolution,

The fallout from that fight cost McLeroy his position as chairman. “It’s the 21st century, and the rest of the known world accepts the teaching of evolution as science and creationism as religion, yet we continue to have this debate here,” Kathy Miller, president of the Texas Freedom Network, a watchdog group, says. “So the eyes of the nation were on this body, and people saw how ridiculous they appeared.” The State Legislature felt the ridicule. “You have a point of view, and you’re using this bully pulpit to take the rest of the state there,” Eliot Shapleigh, a Democratic state senator, admonished McLeroy during the hearing that led to his ouster. McLeroy remains unbowed and talked cheerfully to me about how, confronted with a statement supporting the validity of evolution that was signed by 800 scientists, he had proudly been able to “stand up to the experts.”

The idea behind standing up to experts is that the scientific establishment has been withholding information from the public that would show flaws in the theory of evolution and that it is guilty of what McLeroy called an “intentional neglect of other scientific possibilities.” Similarly, the Christian bloc’s notion this year to bring Christianity into the coverage of American history is not, from their perspective, revisionism but rather an uncovering of truths that have been suppressed.

“I don’t know that what we’re doing is redefining the role of religion in America,” says Gail Lowe, who became chairwoman of the board after McLeroy was ousted and who is one of the seven conservative Christians. “Many of us recognize that Judeo-Christian principles were the basis of our country and that many of our founding documents had a basis in Scripture. As we try to promote a better understanding of the Constitution, federalism, the separation of the branches of government, the basic rights guaranteed in the Bill of Rights, I think it will become evident to students that the founders had a religious motivation.”

Plenty of people disagree with this characterization of the founders, including some who are close to the process in Texas. “I think the evidence indicates that the founding fathers did not intend this to be a Christian nation,” says James Kracht, who served as an expert adviser to the board in the textbook-review process. “They definitely believed in some form of separation of church and state.”

There is, however, one slightly awkward issue for hard-core secularists who would combat what they see as a Christian whitewashing of American history: the Christian activists have a certain amount of history on their side.

IN 1801, A GROUP of Baptist ministers in Danbury, Conn., wrote a letter to the new president, Thomas Jefferson, congratulating him on his victory. They also had a favor to ask. Baptists were a minority group, and they felt insecure. In the colonial period, there were two major Christian factions, both of which derived from England. The Congregationalists, in New England, had evolved from the Puritan settlers, and in the South and middle colonies, the Anglicans came from the Church of England. Nine colonies developed state churches, which were supported financially by the colonial governments and whose power was woven in with that of the governments. Other Christians — Lutherans, Baptists, Quakers — and, of course, those of other faiths were made unwelcome, if not persecuted outright.

There was a religious element to the American Revolution, which was so pronounced that you could just as well view the event in religious as in political terms. Many of the founders, especially the Southerners, were rebelling simultaneously against state-church oppression and English rule. The Connecticut Baptists saw Jefferson — an anti-Federalist who was bitterly opposed to the idea of establishment churches — as a friend. “Our constitution of government,” they wrote, “is not specific” with regard to a guarantee of religious freedoms that would protect them. Might the president offer some thoughts that, “like the radiant beams of the sun,” would shed light on the intent of the framers? In his reply, Jefferson said it was not the place of the president to involve himself in religion, and he expressed his belief that the First Amendment’s clauses — that the government must not establish a state religion (the so-called establishment clause) but also that it must ensure the free exercise of religion (what became known as the free-exercise clause) — meant, as far as he was concerned, that there was “a wall of separation between Church & State.”

This little episode, culminating in the famous “wall of separation” metaphor, highlights a number of points about teaching religion in American history. For one, it suggests — as the Christian activists maintain — how thoroughly the colonies were shot through with religion and how basic religion was to the cause of the revolutionaries. The period in the early- to mid-1700s, called the Great Awakening, in which populist evangelical preachers challenged the major denominations, is considered a spark for the Revolution. And if religion influenced democracy then, in the Second Great Awakening, decades later, the democratic fervor of the Revolution spread through the two mainline denominations and resulted in a massive growth of the sort of populist churches that typify American Christianity to this day.

Christian activists argue that American-history textbooks basically ignore religion — to the point that they distort history outright — and mainline religious historians tend to agree with them on this.

“In American history, religion is all over the place, and wherever it appears, you should tell the story and do it appropriately,” says Martin Marty, emeritus professor at the University of Chicago, past president of the American Academy of Religion and the American Society of Church History and perhaps the unofficial dean of American religious historians. “The goal should be natural inclusion. You couldn’t tell the story of the Pilgrims or the Puritans or the Dutch in New York without religion.” Though conservatives would argue otherwise, James Kracht said the absence of religion is not part of a secularist agenda: “I don’t think religion has been purposely taken out of U.S. history, but I do think textbook companies have been cautious in discussing religious beliefs and possibly getting in trouble with some groups.”

Some conservatives claim that earlier generations of textbooks were frank in promoting America as a Christian nation. It might be more accurate to say that textbooks of previous eras portrayed leaders as generally noble, with strong personal narratives, undergirded by faith and patriotism. As Frances FitzGerald showed in her groundbreaking 1979 book “America Revised,” if there is one thing to be said about American-history textbooks through the ages it is that the narrative of the past is consistently reshaped by present-day forces. Maybe the most striking thing about current history textbooks is that they have lost a controlling narrative. America is no longer portrayed as one thing, one people, but rather a hodgepodge of issues and minorities, forces and struggles. If it were possible to cast the concerns of the Christian conservatives into secular terms, it might be said that they find this lack of a through line and purpose to be disturbing and dangerous. Many others do as well, of course. But the Christians have an answer.

importance of the Mayflower Compact, the Fundamental Orders of Connecticut and the Virginia House of Burgesses to the growth of representative government.”

Such early colonial texts have long been included in survey courses, but why focus on these in particular? The Fundamental Orders of Connecticut declare that the state was founded “to maintain and preserve the liberty and purity of the Gospel of our Lord Jesus.” The language in the Mayflower Compact — a document that McLeroy and several others involved in the Texas process are especially fond of — describes the Pilgrims’ journey as being “for the Glory of God and advancement of the Christian Faith” and thus instills the idea that America was founded as a project for the spread of Christianity.

In the new guidelines, students taking classes in U.S. government are asked to identify traditions that informed America’s founding, “including Judeo-Christian (especially biblical law),” and to “identify the individuals whose principles of law and government institutions informed the American founding documents,” among whom they include Moses. The idea that the Bible and Mosaic law provided foundations for American law has taken root in Christian teaching about American history. So when Steven K. Green, director of the Center for Religion, Law and Democracy at Willamette University in Salem, Ore., testified at the board meeting last month in opposition to the board’s approach to bringing religion into history, warning that

the Supreme Court has forbidden public schools from “seeking to impress upon students the importance of particular religious values through the curriculum,” and in the process said that the founders “did not draw on Mosaic law, as is mentioned in the standards,” several of the board members seemed dumbstruck.

Don McLeroy insisted it was a legitimate claim, since the Enlightenment took place in Europe, in a Christian context. Green countered that the Enlightenment had in fact developed in opposition to reliance on biblical law and said he had done a lengthy study in search of American court cases that referenced Mosaic law. “The record is basically bereft,” he said. Nevertheless, biblical law and Moses remain in the TEKS.

American exceptionalism, and the Christian bloc has repeatedly emphasized that Christianity should be portrayed as the driving force behind what makes America great.

In his recommendations to the Texas school board, Barton wrote that students should be taught the following principles which, in his reading, derive directly from the Declaration of Independence: “1. There is a fixed moral law derived from God and nature. 2. There is a Creator. 3. The Creator gives to man certain unalienable rights. 4. Government exists primarily to protect God-given rights to every individual. 5. Below God-given rights and moral laws, government is directed by the consent of the governed.”

Daniel L. Dreisbach, a professor of justice, law and society at American University who has written extensively on First Amendment issues, stressed, in his recommendations to the guideline writers about how to frame the revolutionary period for students, that the founders were overwhelmingly Christian; that the deistic tendencies of a few — like Jefferson — were an anomaly; and that most Americans in the era were not just Christians but that “98 percent or more of Americans of European descent identified with Protestantism.”

If the fight between the “Christian nation” advocates and mainstream thinkers could be focused onto a single element, it would be the “wall of separation” phrase. Christian thinkers like to point out that it does not appear in the Constitution, nor in any other legal document — letters that presidents write to their supporters are not legal decrees. Besides which, after the phrase left Jefferson’s pen it more or less disappeared for a century and a half — until Justice Hugo Black of the Supreme Court dug it out of history’s dustbin in 1947. It then slowly worked its way into the American lexicon and American life, helping to subtly mold the way we think about religion in society. To conservative Christians, there is no separation of church and state, and there never was. The concept, they say, is a modern secular fiction. There is no legal justification, therefore, for disallowing

crucifixes in government buildings or school prayer.

David Barton reads the “church and state” letter to mean that Jefferson “believed, along with the other founders, that the First Amendment had been enacted only to prevent the federal establishment of a national denomination.” Barton goes on to claim, “ ‘Separation of church and state’ currently means almost exactly the opposite of what it originally meant.” That is to say, the founders were all Christians who conceived of a nation of Christians, and the purpose of the First Amendment was merely to ensure that no single Christian denomination be elevated to the role of state church.

In what amounts to an in-between perspective, Daniel Dreisbach — who wrote a book called “Thomas Jefferson and the Wall of Separation Between Church and State” — argues that the phrase “wall of separation” has been misapplied in recent decades to unfairly restrict religion from entering the public sphere. Martin Marty, the University of Chicago emeritus professor, agrees. “I think ‘wall’ is too heavy a metaphor,” Marty says. “There’s a trend now away from it, and I go along with that. In textbooks, we’re moving away from an unthinking secularity.”

Then too, the “Christian nation” position tries to trump the whole debate about separation of church and state by portraying the era of the nation’s founding as awash in Christianity. David Barton and others pepper their arguments with quotations, like one in which John Adams, in a letter to Jefferson, refers to American independence as having been achieved on “the general Principles of Christianity.” But others find just as many instances in which one or another of the founders seems clearly wary of religion.

In fact, the founders were rooted in Christianity — they were inheritors of the entire European Christian tradition — and at the same time they were steeped in an Enlightenment rationalism that was, if not opposed to religion, determined to establish separate spheres for faith and reason. “I don’t think the founders would have said they were applying Christian principles to government,” says Richard Brookhiser, the conservative columnist and author of books on Alexander Hamilton, Gouverneur Morris and George Washington. “What they said was ‘the laws of nature and nature’s God.’ They didn’t say, ‘We put our faith in Jesus Christ.’ ” Martin Marty says: “They had to invent a new, broad way. Washington, in his writings, makes scores of different references to God, but not one is biblical. He talks instead about a ‘Grand Architect,’ deliberately avoiding the Christian terms, because it had to be a religious language that was accessible to all people.”

Or, as Brookhiser rather succinctly summarizes the point: “The founders were not as Christian as those people would like them to be, though they weren’t as secularist as Christopher Hitchens would like them to be.”

Dunbar began the lecture by discussing a national day of thanksgiving that Gen. George Washington called for after the defeat of the British at Saratoga in 1777 — showing, in her reckoning, a religious base in the thinking of the country’s founders.

the Declaration famously refers to a Creator and grounds itself in “the Laws of Nature and of Nature’s God.”

“The founders deliberately left the word ‘God’ out of the Constitution — but not because they were a bunch of atheists and deists,” says Susan Jacoby, author of “Freethinkers: A History of American
“One Nation Under God,”

“The underlying authority for our constitutional form of government stems directly from biblical precedents,” she writes. “Hence, the only accurate method of ascertaining the intent of the Founding Fathers at the time of our government’s inception comes from a biblical worldview. We as a nation were intended by God to be a light set on a hill to serve as a beacon of hope and Christian charity to a lost and dying world.” But the true picture of America’s Christian founding has been whitewashed by “the liberal agenda” — in order for liberals to succeed “they must first rewrite our nation’s history” and obscure the Christian intentions of the founders. Therefore, she wrote, “this battle for our nation’s children and who will control their education and training is crucial to our success for reclaiming our nation.”

the most influential public-education system in the country, she said that public schools are a battlefield for competing ideologies and that it’s important to combat the “religion” of secularism that holds sway in public education.

Ask Christian activists what they really want — what the goal is behind the effort to bring Christianity into American history — and they say they merely want “the truth.” “The main thing I’m looking for as a state board member is to make sure we have good standards,” Don McLeroy said. But the actual ambition is vast. Americans tell pollsters they support separation of church and state, but then again

What we witnessed in January was a textbook example of how not to develop textbook standards.”

Our job is not to take a viewpoint. It’s to present sides fairly. I thought we had done that. Judy Brodigan

enough code words sprinkled throughout the guidelines,” Kathy Miller says. The laws of Nature and Nature’s God. Moses and the Bible “informing” the American founding. “The Glory of God and advancement of the Christian Faith” as America’s original purpose. “We’ve seen in the past how one word here or there in the curriculum standards gets seized upon by the far-right members at adoption time,” Miller says. “In the science debate, the words ‘intelligent design’ did not appear, but they used ‘strengths and weaknesses’ as an excuse to pitch a battle. The phrase became a wedge to try to weaken the theory of evolution, to suggest that scientists had serious problems with it. We’ve seen the board use these tiny fragments to wage war on publishers.”

“The process of reviewing the guidelines in Texas is very open, but what happens behind the scenes after that is quite different. cLeroy is kind of the spokesman for the social conservatives, and publishers will work with him throughout. The publishers just want to make sure they get their books listed. Tom Barber (texbook executive)

To give an illustration simultaneously of the power of ideology and Texas’ influence, Barber told me that when he led the social-studies division at Prentice Hall, one conservative member of the board told him that the 12th-grade book, “Magruder’s American Government,” would not be approved because it repeatedly referred to the U.S. Constitution as a “living” document. “That book is probably the most famous textbook in American history,” Barber says. “It’s been around since World War I, is updated every year and it had invented the term ‘living Constitution,’ which has been there since the 1950s. But the social conservatives didn’t like its sense of flexibility. They insisted at the last minute that the wording change to ‘enduring.’ ” Prentice Hall agreed to the change, and ever since the book — which Barber estimates controlled 60 or 65 percent of the market nationally — calls it the “enduring Constitution.”

Last fall, McLeroy was frank in talking about how he applies direct pressure to textbook companies. In the language-arts re-evaluation, the members of the Christian bloc wanted books to include classic myths and fables rather than newly written stories whose messages they didn’t agree with. They didn’t get what they wanted from the writing teams, so they did an end run around them once the public battles were over. “I met with all the publishers,” McLeroy said. “We went out for Mexican food. I told them this is what we want. We want stories with morals, not P.C. stories.” He then showed me an e-mail message from an executive at Pearson, a major educational publisher, indicating the results of his effort: “Hi Don. Thanks for the impact that you have had on the development of Pearson’s Scott Foresman Reading Street series. Attached is a list of some of the Fairy Tales and Fables that we included in the series.”

If there has been a shift in strategy, politics may have brought it about. The Christian bloc may have determined it would be wiser to work for this kind of transformational change out of the public gaze. Of the seven members of the Christian bloc, Ken Mercer is in a battle to keep his seat, Cynthia Dunbar recently announced she won’t run for re-election and after 11 years of forceful advocacy for fundamentalist causes on the Texas state board, during which time he was steadfastly supported by everyone from Gov. Rick Perry — who originally picked him as chairman — to tea-party organizers, Don McLeroy is now facing the stiffest opposition of his career. Thomas Ratliff, a well-connected lobbyist, has squared off against McLeroy in the Republican primary and is running an aggressive campaign, positioning himself as a practical, moderate Republican. “I’m not trying to out-conservative anyone,” Ratliff told me. “I think the state board of education has lost its way, and the social-studies thing is a prime example. They keep wanting to talk about this being a Christian nation. My attitude is this country was founded by a group of men who were Christians but who didn’t want the government dictating religion, and that’s exactly what McLeroy and his colleagues are trying to do.”

Ratliff has received prominent endorsements and has outraised McLeroy in the neighborhood of 10 to 1. But hard-core conservatives tend to vote in primaries. Anyone looking for signs of where the Republican Party is headed might scan the results of the Texas school-board District 9 Republican primary on the morning of March 3. If Don McLeroy loses, it could signal that the Christian right’s recent power surge has begun to wane. But it probably won’t affect the next generation of schoolbooks. The current board remains in place until next January. By then, decisions on what goes in the Texas curriculum guidelines will be history.

Russell Shorto is a contributing writer for the magazine. His most recent book is ‘‘Descartes’ Bones: A Skeletal History of the Conflict Between Faith and Reason.’’

http://www.nytimes.com/2010/02/14/magazine/14texbooks-t.html?em

The New York Times

February 14, 2010
How Christian Were the Founders?
By RUSSELL SHORTO

LAST MONTH, A WEEK before the Senate seat of the liberal icon Edward M. Kennedy fell into Republican hands, his legacy suffered another blow that was perhaps just as damaging, if less noticed. It happened during what has become an annual spectacle in the culture wars.

Over two days, more than a hundred people — Christians, Jews, housewives, naval officers, professors; people outfitted in everything from business suits to military fatigues to turbans to baseball caps — streamed through the halls of the William B. Travis Building in Austin, Tex., waiting for a chance to stand before the semicircle of 15 high-backed chairs whose occupants made up the Texas State Board of Education. Each petitioner had three minutes to say his or her piece.

“Please keep César Chávez” was the message of an elderly Hispanic man with a floppy gray mustache.

“Sikhism is the fifth-largest religion in the world and should be included in the curriculum,” a woman declared.

Following the appeals from the public, the members of what is the most influential state board of education in the country, and one of the most politically conservative, submitted their own proposed changes to the new social-studies curriculum guidelines, whose adoption was the subject of all the attention — guidelines that will affect students around the country, from kindergarten to 12th grade, for the next 10 years. Gail Lowe — who publishes a twice-a-week newspaper when she is not grappling with divisive education issues — is the official chairwoman, but the meeting was dominated by another member. Don McLeroy, a small, vigorous man with a shiny pate and bristling mustache, proposed amendment after amendment on social issues to the document that teams of professional educators had drawn up over 12 months, in what would have to be described as a single-handed display of archconservative political strong-arming.

McLeroy moved that Margaret Sanger, the birth-control pioneer, be included because she “and her followers promoted eugenics,” that language be inserted about Ronald Reagan’s “leadership in restoring national confidence” following Jimmy Carter’s presidency and that students be instructed to “describe the causes and key organizations and individuals of the conservative resurgence of the 1980s and 1990s, including Phyllis Schlafly, the Contract With America, the Heritage Foundation, the Moral Majority and the National Rifle Association.” The injection of partisan politics into education went so far that at one point another Republican board member burst out in seemingly embarrassed exasperation, “Guys, you’re rewriting history now!” Nevertheless, most of McLeroy’s proposed amendments passed by a show of hands.

Finally, the board considered an amendment to require students to evaluate the contributions of significant Americans. The names proposed included Thurgood Marshall, Billy Graham, Newt Gingrich, William F. Buckley Jr., Hillary Rodham Clinton and Edward Kennedy. All passed muster except Kennedy, who was voted down.

This is how history is made — or rather, how the hue and cry of the present and near past gets lodged into the long-term cultural memory or else is allowed to quietly fade into an inaudible whisper. Public education has always been a battleground between cultural forces; one reason that Texas’ school-board members find themselves at the very center of the battlefield is, not surprisingly, money. The state’s $22 billion education fund is among the largest educational endowments in the country. Texas uses some of that money to buy or distribute a staggering 48 million textbooks annually — which rather strongly inclines educational publishers to tailor their products to fit the standards dictated by the Lone Star State. California is the largest textbook market, but besides being bankrupt, it tends to be so specific about what kinds of information its students should learn that few other states follow its lead. Texas, on the other hand, was one of the first states to adopt statewide curriculum guidelines, back in 1998, and the guidelines it came up with (which are referred to as TEKS — pronounced “teaks” — for Texas Essential Knowledge and Skills) were clear, broad and inclusive enough that many other states used them as a model in devising their own. And while technology is changing things, textbooks — printed or online —are still the backbone of education.

The cultural roots of the Texas showdown may be said to date to the late 1980s, when, in the wake of his failed presidential effort, the Rev. Pat Robertson founded the Christian Coalition partly on the logic that conservative Christians should focus their energies at the grass-roots level. One strategy was to put candidates forward for state and local school-board elections — Robertson’s protégé, Ralph Reed, once said, “I would rather have a thousand school-board members than one president and no school-board members” — and Texas was a beachhead. Since the election of two Christian conservatives in 2006, there are now seven on the Texas state board who are quite open about the fact that they vote in concert to advance a Christian agenda. “They do vote as a bloc,” Pat Hardy, a board member who considers herself a conservative Republican but who stands apart from the Christian faction, told me. “They work consciously to pull one more vote in with them on an issue so they’ll have a majority.”

This year’s social-studies review has drawn the most attention for the battles over what names should be included in the roll call of history. But while ignoring Kennedy and upgrading Gingrich are significant moves, something more fundamental is on the agenda. The one thing that underlies the entire program of the nation’s Christian conservative activists is, naturally, religion. But it isn’t merely the case that their Christian orientation shapes their opinions on gay marriage, abortion and government spending. More elementally, they hold that the United States was founded by devout Christians and according to biblical precepts. This belief provides what they consider not only a theological but also, ultimately, a judicial grounding to their positions on social questions. When they proclaim that the United States is a “Christian nation,” they are not referring to the percentage of the population that ticks a certain box in a survey or census but to the country’s roots and the intent of the founders.

The Christian “truth” about America’s founding has long been taught in Christian schools, but not beyond. Recently, however — perhaps out of ire at what they see as an aggressive, secular, liberal agenda in Washington and perhaps also because they sense an opening in the battle, a sudden weakness in the lines of the secularists — some activists decided that the time was right to try to reshape the history that children in public schools study. Succeeding at this would help them toward their ultimate goal of reshaping American society. As Cynthia Dunbar, another Christian activist on the Texas board, put it, “The philosophy of the classroom in one generation will be the philosophy of the government in the next.”

Imet Don McLeroy last November in a dental office — that is to say, his dental office — in a professional complex in the Brazos Valley city of Bryan, not far from the sprawling campus of Texas A&M University. The buzz of his hygienist at work sounded through the thin wall separating his office from the rest of the suite. McLeroy makes no bones about the fact that his professional qualifications have nothing to do with education. “I’m a dentist, not a historian,” he said. “But I’m fascinated by history, so I’ve read a lot.”

Indeed, dentistry is only a job for McLeroy; his real passions are his faith and the state board of education. He has been a member of the board since 1999 and served as its chairman from 2007 until he was demoted from that role by the State Senate last May because of concerns over his religious views. Until now those views have stood McLeroy in good stead with the constituents of his district, which meanders from Houston to Dallas and beyond, but he is currently in a heated re-election battle in the Republican primary, which takes place March 2.

McLeroy is a robust, cheerful and inexorable man, whose personality is perhaps typified by the framed letter T on the wall of his office, which he earned as a “yell leader” (Texas A&M nomenclature for cheerleader) in his undergraduate days in the late 1960s. “I consider myself a Christian fundamentalist,” he announced almost as soon as we sat down. He also identifies himself as a young-earth creationist who believes that the earth was created in six days, as the book of Genesis has it, less than 10,000 years ago. He went on to explain how his Christian perspective both governs his work on the state board and guides him in the current effort to adjust American-history textbooks to highlight the role of Christianity. “Textbooks are mostly the product of the liberal establishment, and they’re written with the idea that our religion and our liberty are in conflict,” he said. “But Christianity has had a deep impact on our system. The men who wrote the Constitution were Christians who knew the Bible. Our idea of individual rights comes from the Bible. The Western development of the free-market system owes a lot to biblical principles.”

For McLeroy, separation of church and state is a myth perpetrated by secular liberals. “There are two basic facts about man,” he said. “He was created in the image of God, and he is fallen. You can’t appreciate the founding of our country without realizing that the founders understood that. For our kids to not know our history, that could kill a society. That’s why to me this is a huge thing.”

“This” — the Texas board’s moves to bring Jesus into American history — has drawn anger in places far removed from the board members’ constituencies. (Samples of recent blog headlines on the topic: “Don McLeroy Wants Your Children to Be Stupid” and “Can We Please Mess With Texas?”) The issue of Texas’ influence is a touchy one in education circles. With some parents and educators elsewhere leery of a right-wing fifth column invading their schools, people in the multibillion textbook industry try to play down the state’s sway. “It’s not a given that Texas’ curriculum translates into other states,” says Jay Diskey, executive director of the school division for the Association of American Publishers, which represents most of the major companies. But Tom Barber, who worked as the head of social studies at the three biggest textbook publishers before running his own editorial company, says, “Texas was and still is the most important and most influential state in the country.” And James Kracht, a professor at Texas A&M’s college of education and a longtime player in the state’s textbook process, told me flatly, “Texas governs 46 or 47 states.”

Every year for the last few years, Texas has put one subject area in its TEKS up for revision. Each year has brought a different controversy, and Don McLeroy has been at the center of most of them. Last year, in its science re-evaluation, the board lunged into the evolution/creationism/intelligent-design debate. The conservative Christian bloc wanted to require science teachers to cover the “strengths and weaknesses” of the theory of evolution, language they used in the past as a tool to weaken the rationale for teaching evolution. The battle made headlines across the country; ultimately, the seven Christian conservatives were unable to pull another vote their way on that specific point, but the finished document nonetheless allows inroads to creationism.

The fallout from that fight cost McLeroy his position as chairman. “It’s the 21st century, and the rest of the known world accepts the teaching of evolution as science and creationism as religion, yet we continue to have this debate here,” Kathy Miller, president of the Texas Freedom Network, a watchdog group, says. “So the eyes of the nation were on this body, and people saw how ridiculous they appeared.” The State Legislature felt the ridicule. “You have a point of view, and you’re using this bully pulpit to take the rest of the state there,” Eliot Shapleigh, a Democratic state senator, admonished McLeroy during the hearing that led to his ouster. McLeroy remains unbowed and talked cheerfully to me about how, confronted with a statement supporting the validity of evolution that was signed by 800 scientists, he had proudly been able to “stand up to the experts.”

The idea behind standing up to experts is that the scientific establishment has been withholding information from the public that would show flaws in the theory of evolution and that it is guilty of what McLeroy called an “intentional neglect of other scientific possibilities.” Similarly, the Christian bloc’s notion this year to bring Christianity into the coverage of American history is not, from their perspective, revisionism but rather an uncovering of truths that have been suppressed. “I don’t know that what we’re doing is redefining the role of religion in America,” says Gail Lowe, who became chairwoman of the board after McLeroy was ousted and who is one of the seven conservative Christians. “Many of us recognize that Judeo-Christian principles were the basis of our country and that many of our founding documents had a basis in Scripture. As we try to promote a better understanding of the Constitution, federalism, the separation of the branches of government, the basic rights guaranteed in the Bill of Rights, I think it will become evident to students that the founders had a religious motivation.”

Plenty of people disagree with this characterization of the founders, including some who are close to the process in Texas. “I think the evidence indicates that the founding fathers did not intend this to be a Christian nation,” says James Kracht, who served as an expert adviser to the board in the textbook-review process. “They definitely believed in some form of separation of church and state.”

There is, however, one slightly awkward issue for hard-core secularists who would combat what they see as a Christian whitewashing of American history: the Christian activists have a certain amount of history on their side.

IN 1801, A GROUP of Baptist ministers in Danbury, Conn., wrote a letter to the new president, Thomas Jefferson, congratulating him on his victory. They also had a favor to ask. Baptists were a minority group, and they felt insecure. In the colonial period, there were two major Christian factions, both of which derived from England. The Congregationalists, in New England, had evolved from the Puritan settlers, and in the South and middle colonies, the Anglicans came from the Church of England. Nine colonies developed state churches, which were supported financially by the colonial governments and whose power was woven in with that of the governments. Other Christians — Lutherans, Baptists, Quakers — and, of course, those of other faiths were made unwelcome, if not persecuted outright.

There was a religious element to the American Revolution, which was so pronounced that you could just as well view the event in religious as in political terms. Many of the founders, especially the Southerners, were rebelling simultaneously against state-church oppression and English rule. The Connecticut Baptists saw Jefferson — an anti-Federalist who was bitterly opposed to the idea of establishment churches — as a friend. “Our constitution of government,” they wrote, “is not specific” with regard to a guarantee of religious freedoms that would protect them. Might the president offer some thoughts that, “like the radiant beams of the sun,” would shed light on the intent of the framers? In his reply, Jefferson said it was not the place of the president to involve himself in religion, and he expressed his belief that the First Amendment’s clauses — that the government must not establish a state religion (the so-called establishment clause) but also that it must ensure the free exercise of religion (what became known as the free-exercise clause) — meant, as far as he was concerned, that there was “a wall of separation between Church & State.”

This little episode, culminating in the famous “wall of separation” metaphor, highlights a number of points about teaching religion in American history. For one, it suggests — as the Christian activists maintain — how thoroughly the colonies were shot through with religion and how basic religion was to the cause of the revolutionaries. The period in the early- to mid-1700s, called the Great Awakening, in which populist evangelical preachers challenged the major denominations, is considered a spark for the Revolution. And if religion influenced democracy then, in the Second Great Awakening, decades later, the democratic fervor of the Revolution spread through the two mainline denominations and resulted in a massive growth of the sort of populist churches that typify American Christianity to this day.

Christian activists argue that American-history textbooks basically ignore religion — to the point that they distort history outright — and mainline religious historians tend to agree with them on this. “In American history, religion is all over the place, and wherever it appears, you should tell the story and do it appropriately,” says Martin Marty, emeritus professor at the University of Chicago, past president of the American Academy of Religion and the American Society of Church History and perhaps the unofficial dean of American religious historians. “The goal should be natural inclusion. You couldn’t tell the story of the Pilgrims or the Puritans or the Dutch in New York without religion.” Though conservatives would argue otherwise, James Kracht said the absence of religion is not part of a secularist agenda: “I don’t think religion has been purposely taken out of U.S. history, but I do think textbook companies have been cautious in discussing religious beliefs and possibly getting in trouble with some groups.”

Some conservatives claim that earlier generations of textbooks were frank in promoting America as a Christian nation. It might be more accurate to say that textbooks of previous eras portrayed leaders as generally noble, with strong personal narratives, undergirded by faith and patriotism. As Frances FitzGerald showed in her groundbreaking 1979 book “America Revised,” if there is one thing to be said about American-history textbooks through the ages it is that the narrative of the past is consistently reshaped by present-day forces. Maybe the most striking thing about current history textbooks is that they have lost a controlling narrative. America is no longer portrayed as one thing, one people, but rather a hodgepodge of issues and minorities, forces and struggles. If it were possible to cast the concerns of the Christian conservatives into secular terms, it might be said that they find this lack of a through line and purpose to be disturbing and dangerous. Many others do as well, of course. But the Christians have an answer.

Their answer is rather specific. Merely weaving important religious trends and events into the narrative of American history is not what the Christian bloc on the Texas board has pushed for in revising its guidelines. Many of the points that have been incorporated into the guidelines or that have been advanced by board members and their expert advisers slant toward portraying America as having a divinely preordained mission. In the guidelines — which will be subjected to further amendments in March and then in May — eighth-grade history students are asked to “analyze the importance of the Mayflower Compact, the Fundamental Orders of Connecticut and the Virginia House of Burgesses to the growth of representative government.” Such early colonial texts have long been included in survey courses, but why focus on these in particular? The Fundamental Orders of Connecticut declare that the state was founded “to maintain and preserve the liberty and purity of the Gospel of our Lord Jesus.” The language in the Mayflower Compact — a document that McLeroy and several others involved in the Texas process are especially fond of — describes the Pilgrims’ journey as being “for the Glory of God and advancement of the Christian Faith” and thus instills the idea that America was founded as a project for the spread of Christianity. In a book she wrote two years ago, Cynthia Dunbar, a board member, could not have been more explicit about this being the reason for the Mayflower Compact’s inclusion in textbooks; she quoted the document and then said, “This is undeniably our past, and it clearly delineates us as a nation intended to be emphatically Christian.”

In the new guidelines, students taking classes in U.S. government are asked to identify traditions that informed America’s founding, “including Judeo-Christian (especially biblical law),” and to “identify the individuals whose principles of law and government institutions informed the American founding documents,” among whom they include Moses. The idea that the Bible and Mosaic law provided foundations for American law has taken root in Christian teaching about American history. So when Steven K. Green, director of the Center for Religion, Law and Democracy at Willamette University in Salem, Ore., testified at the board meeting last month in opposition to the board’s approach to bringing religion into history, warning that the Supreme Court has forbidden public schools from “seeking to impress upon students the importance of particular religious values through the curriculum,” and in the process said that the founders “did not draw on Mosaic law, as is mentioned in the standards,” several of the board members seemed dumbstruck. Don McLeroy insisted it was a legitimate claim, since the Enlightenment took place in Europe, in a Christian context. Green countered that the Enlightenment had in fact developed in opposition to reliance on biblical law and said he had done a lengthy study in search of American court cases that referenced Mosaic law. “The record is basically bereft,” he said. Nevertheless, biblical law and Moses remain in the TEKS.

The process in Texas required that writing teams, made up mostly of teachers, do the actual work of revising the curriculum, with the aid of experts who were appointed by the board. Two of the six experts the board chose are well-known advocates for conservative Christian causes. One of them, the Rev. Peter Marshall, says on the Web site of his organization, Peter Marshall Ministries, that his work is “dedicated to helping to restore America to its Bible-based foundations through preaching, teaching and writing on America’s Christian heritage and on Christian discipleship and revival.”

“The guidelines in Texas were seriously deficient in bringing out the role of the Christian faith in the founding of America,” Marshall told me. In a document he prepared for the team that was writing the new guidelines, he urged that new textbooks mold children’s impressions of the founders in particular ways: “The Founding Fathers’ biblical worldview taught them that human beings were by nature self-centered, so they believed that the supernatural influence of the Spirit of God was needed to free us from ourselves so that we can care for our neighbors.”

Marshall also proposed that children be taught that the separation-of-powers notion is “rooted in the Founding Fathers’ clear understanding of the sinfulness of man,” so that it was not safe for one person to exercise unlimited power, and that “the discovery, settling and founding of the colonies happened because of the biblical worldviews of those involved.” Marshall recommended that textbooks present America’s founding and history in terms of motivational stories on themes like the Pilgrims’ zeal to bring the Gospel of Jesus Christ to the natives.

One recurring theme during the process of revising the social-studies guidelines was the desire of the board to stress the concept of American exceptionalism, and the Christian bloc has repeatedly emphasized that Christianity should be portrayed as the driving force behind what makes America great. Peter Marshall is himself the author of a series of books that recount American history with a strong Christian focus and that have been staples in Christian schools since the first one was published in 1977. (He told me that they have sold more than a million copies.) In these history books, he employs a decidedly unhistorical tone in which the guiding hand of Providence shapes America’s story, starting with the voyage of Christopher Columbus. “Columbus’s heart belonged to God,” he assures his readers, and he notes that a particular event in the explorer’s life “marked the turning point of God’s plan to use Columbus to raise the curtain on His new Promised Land.”

The other nonacademic expert, David Barton, is the nationally known leader of WallBuilders, which describes itself as dedicated to “presenting America’s forgotten history and heroes, with an emphasis on our moral, religious and constitutional heritage.” Barton has written and lectured on the First Amendment and against separation of church and state. He is a controversial figure who has argued that the U.S. income tax and the capital-gains tax should be abolished because they violate Scripture (for the Bible says, in Barton’s reading, “the more profit you make the more you are rewarded”) and who pushes a Christianity-first rhetoric. When the U.S. Senate invited a Hindu leader to open a 2007 session with a prayer, he objected, saying: “In Hindu [sic], you have not one God, but many, many, many, many, many gods. And certainly that was never in the minds of those who did the Constitution, did the Declaration when they talked about Creator.”

In his recommendations to the Texas school board, Barton wrote that students should be taught the following principles which, in his reading, derive directly from the Declaration of Independence: “1. There is a fixed moral law derived from God and nature. 2. There is a Creator. 3. The Creator gives to man certain unalienable rights. 4. Government exists primarily to protect God-given rights to every individual. 5. Below God-given rights and moral laws, government is directed by the consent of the governed.”

A third expert, Daniel L. Dreisbach, a professor of justice, law and society at American University who has written extensively on First Amendment issues, stressed, in his recommendations to the guideline writers about how to frame the revolutionary period for students, that the founders were overwhelmingly Christian; that the deistic tendencies of a few — like Jefferson — were an anomaly; and that most Americans in the era were not just Christians but that “98 percent or more of Americans of European descent identified with Protestantism.”

If the fight between the “Christian nation” advocates and mainstream thinkers could be focused onto a single element, it would be the “wall of separation” phrase. Christian thinkers like to point out that it does not appear in the Constitution, nor in any other legal document — letters that presidents write to their supporters are not legal decrees. Besides which, after the phrase left Jefferson’s pen it more or less disappeared for a century and a half — until Justice Hugo Black of the Supreme Court dug it out of history’s dustbin in 1947. It then slowly worked its way into the American lexicon and American life, helping to subtly mold the way we think about religion in society. To conservative Christians, there is no separation of church and state, and there never was. The concept, they say, is a modern secular fiction. There is no legal justification, therefore, for disallowing crucifixes in government buildings or school prayer.

David Barton reads the “church and state” letter to mean that Jefferson “believed, along with the other founders, that the First Amendment had been enacted only to prevent the federal establishment of a national denomination.” Barton goes on to claim, “ ‘Separation of church and state’ currently means almost exactly the opposite of what it originally meant.” That is to say, the founders were all Christians who conceived of a nation of Christians, and the purpose of the First Amendment was merely to ensure that no single Christian denomination be elevated to the role of state church.

Mainstream scholars disagree, sometimes vehemently. Randall Balmer, a professor of American religious history at Barnard College and writer of the documentary “Crusade: The Life of Billy Graham,” told me: “David Barton has been out there spreading this lie, frankly, that the founders intended America to be a Christian nation. He’s been very effective. But the logic is utterly screwy. He says the phrase ‘separation of church and state’ is not in the Constitution. He’s right about that. But to make that argument work you would have to argue that the phrase is not an accurate summation of the First Amendment. And Thomas Jefferson, who penned it, thought it was.” (David Barton declined to be interviewed for this article.) In his testimony in Austin, Steven Green was challenged by a board member with the fact that the phrase does not appear in the Constitution. In response, Green pointed out that many constitutional concepts — like judicial review and separation of powers — are not found verbatim in the Constitution.

In what amounts to an in-between perspective, Daniel Dreisbach — who wrote a book called “Thomas Jefferson and the Wall of Separation Between Church and State” — argues that the phrase “wall of separation” has been misapplied in recent decades to unfairly restrict religion from entering the public sphere. Martin Marty, the University of Chicago emeritus professor, agrees. “I think ‘wall’ is too heavy a metaphor,” Marty says. “There’s a trend now away from it, and I go along with that. In textbooks, we’re moving away from an unthinking secularity.” The public seems to agree. Polls on some specific church-state issues — government financing for faith-based organizations and voluntary prayer in public schools — consistently show majorities in favor of those positions.

Then too, the “Christian nation” position tries to trump the whole debate about separation of church and state by portraying the era of the nation’s founding as awash in Christianity. David Barton and others pepper their arguments with quotations, like one in which John Adams, in a letter to Jefferson, refers to American independence as having been achieved on “the general Principles of Christianity.” But others find just as many instances in which one or another of the founders seems clearly wary of religion.

In fact, the founders were rooted in Christianity — they were inheritors of the entire European Christian tradition — and at the same time they were steeped in an Enlightenment rationalism that was, if not opposed to religion, determined to establish separate spheres for faith and reason. “I don’t think the founders would have said they were applying Christian principles to government,” says Richard Brookhiser, the conservative columnist and author of books on Alexander Hamilton, Gouverneur Morris and George Washington. “What they said was ‘the laws of nature and nature’s God.’ They didn’t say, ‘We put our faith in Jesus Christ.’ ” Martin Marty says: “They had to invent a new, broad way. Washington, in his writings, makes scores of different references to God, but not one is biblical. He talks instead about a ‘Grand Architect,’ deliberately avoiding the Christian terms, because it had to be a religious language that was accessible to all people.”

Or, as Brookhiser rather succinctly summarizes the point: “The founders were not as Christian as those people would like them to be, though they weren’t as secularist as Christopher Hitchens would like them to be.”

THE TOWN OF Lynchburg, Va., was founded in 1786 at the site of a ferry crossing on what would later be called the James River. During the Civil War, it was a Confederate supply post, and in 1864 it was the site of one of the last Confederate victories. In 1933, Jerry Falwell was born in Lynchburg, the son of a sometime bootlegger. In 1971 — in an era of pot smoking and war protests — the Rev. Jerry Falwell inaugurated Liberty University on one of the city’s seven hills. It was to be a training ground for Christians and a bulwark against moral relativism. In 2004, three years before his death, Falwell completed another dream by founding the Liberty University School of Law, whose objective, in the words of the university’s current chancellor, Jerry Falwell Jr., is “to transform legislatures, courts, commerce and civil government at all levels.”

I visited the law-school building in late fall, with the remnants of Hurricane Ida turning the Blue Ridge Mountains skyline into a series of smudges. The building’s crisp, almost militaristic atmosphere bespeaks a seriousness of purpose; and the fact that it houses, as one of its training facilities, the only full-scale replica of the U.S. Supreme Court chamber points to the school’s ambitions.

I had come to sit in on a guest lecture by Cynthia Dunbar, an assistant law professor who commutes to Lynchburg once a week from her home in Richmond, Tex., where she is a practicing lawyer as well as a member of the Texas board of education. Her presence in both worlds — public schools and the courts — suggests the connection between them that Christian activists would like to deepen. The First Amendment class for third-year law students that I watched Dunbar lead neatly merged the two components of the school’s program: “lawyering skills” and “the integration of a Christian worldview.”

Dunbar began the lecture by discussing a national day of thanksgiving that Gen. George Washington called for after the defeat of the British at Saratoga in 1777 — showing, in her reckoning, a religious base in the thinking of the country’s founders. In developing a line of legal reasoning that the future lawyers in her class might use, she wove her way to two Supreme Court cases in the 1960s, in both of which the court ruled that prayer in public schools was unconstitutional. A student questioned the relevance of the 1777 event to the court rulings, because in 1777 the country did not yet have a Constitution. “And what did we have at that time?” Dunbar asked. Answer: “The Declaration of Independence.” She then discussed a legal practice called “incorporation by reference.” “When you have in one legal document reference to another, it pulls them together, so that they can’t be viewed as separate and distinct,” she said. “So you cannot read the Constitution distinct from the Declaration.” And the Declaration famously refers to a Creator and grounds itself in “the Laws of Nature and of Nature’s God.” Therefore, she said, the religiosity of the founders is not only established and rooted in a foundational document but linked to the Constitution. From there she moved to “judicial construction and how you should go forward with that,” i.e., how these soon-to-be lawyers might work to overturn rulings like that against prayer in schools by using the founding documents.

Jay Sekulow, chief counsel of the American Center for Law and Justice, a Christian legal center, told me that the notion of connecting the Declaration of Independence and the Constitution is “part of a strategy to give a clear historical understanding of the role of religion in American public life” that organizations like his have been pursuing for the last 10 or 15 years.

Besides the fact that incorporation by reference is usually used for technical purposes rather than for such grandiose purposes as the reinterpretation of foundational texts, there is an oddity to this tactic. “The founders deliberately left the word ‘God’ out of the Constitution — but not because they were a bunch of atheists and deists,” says Susan Jacoby, author of “Freethinkers: A History of American Secularism.” “To them, mixing religion and government meant trouble.” The curious thing is that in trying to bring God into the Constitution, the activists — who say their goal is to follow the original intent of the founders — are ignoring the fact that the founders explicitly avoided religious language in that document.

And here again there is a link to Texas. David Barton specifically advised the writers of the Texas guidelines that textbooks “should stipulate (but currently do not) that the Declaration of Independence is symbiotic with the Constitution rather than a separate unrelated document.”

In 2008, Cynthia Dunbar published a book called “One Nation Under God,” in which she stated more openly than most of her colleagues have done the argument that the founding of America was an overtly Christian undertaking and laid out what she and others hope to achieve in public schools. “The underlying authority for our constitutional form of government stems directly from biblical precedents,” she writes. “Hence, the only accurate method of ascertaining the intent of the Founding Fathers at the time of our government’s inception comes from a biblical worldview.”

Then she pushes forward: “We as a nation were intended by God to be a light set on a hill to serve as a beacon of hope and Christian charity to a lost and dying world.” But the true picture of America’s Christian founding has been whitewashed by “the liberal agenda” — in order for liberals to succeed “they must first rewrite our nation’s history” and obscure the Christian intentions of the founders. Therefore, she wrote, “this battle for our nation’s children and who will control their education and training is crucial to our success for reclaiming our nation.”

After the book came out, Dunbar was derided in blogs and newspapers for a section in which she writes of “the inappropriateness of a state-created, taxpayer-supported school system” and likens sending children to public school to “throwing them into the enemy’s flames, even as the children of Israel threw their children to Moloch.” (Her own children were either home-schooled or educated in private Christian schools.) When I asked, over dinner in a honky-tonk steakhouse down the road from the university, why someone who felt that way would choose to become an overseer of arguably the most influential public-education system in the country, she said that public schools are a battlefield for competing ideologies and that it’s important to combat the “religion” of secularism that holds sway in public education.

Ask Christian activists what they really want — what the goal is behind the effort to bring Christianity into American history — and they say they merely want “the truth.” “The main thing I’m looking for as a state board member is to make sure we have good standards,” Don McLeroy said. But the actual ambition is vast. Americans tell pollsters they support separation of church and state, but then again 65 percent of respondents to a 2007 survey by the First Amendment Center agreed with the statement that “the nation’s founders intended the United States to be a Christian nation,” and 55 percent said they believed the Constitution actually established the country as a Christian nation. The Christian activists are aware of such statistics and want to build on them, as Dunbar made clear. She told me she looks to John Jay’s statement that it is the duty of the people “of our Christian nation to select and prefer Christians for their rulers” and has herself called for a preference for selecting Christians for positions of leadership.

Dunbar’s book lays out the goal: using courts and public schools to fuse Christianity into the nation’s founding. It may be unlikely that it will be attained any time soon, in which case the seeding of Texas’ history-textbook guidelines with “Christian nation” concepts may be mostly symbolic. But symbols can accumulate weight over time, and the Christian activists are in it for the long haul. Some observers say that over time their effort could have far-reaching consequences. “The more you can associate Christianity with the founding, the more you can sway the future Supreme Court,” Martin Marty says. “That is what Pat Robertson was about years ago. Establish the founders as Christians, and you have it made.”

“BROWN BEAR, BROWN BEAR, What Do You See?” It’s not an especially subversive-sounding title, but the author of this 1967 children’s picture book, Bill Martin Jr., lost his place in the Texas social-studies guidelines at last month’s board meeting due to what was thought to be un-American activity — to be precise, “very strong critiques of capitalism and the American system.” Martin, the creator of 300 children’s books, was removed from the list of cultural figures approved for study by third graders in the blizzard of amendments offered by board members.

Over all, the TEKS guidelines make for impressive reading. They are thoughtful and deep; you can almost feel the effort at achieving balance. Poring down the long columns and knowing that the 1998 version of these guidelines served as the basis for textbooks in most U.S. states, you even begin to feel some hope for the future.

What is wrong with the Texas process, according to many observers, is illustrated by the fate of Bill Martin Jr. The board has the power to accept, reject or rewrite the TEKS, and over the past few years, in language arts, science and now social studies, the members have done all of the above. Yet few of these elected overseers are trained in the fields they are reviewing. “In general, the board members don’t know anything at all about content,” Tom Barber, the textbook executive, says. Kathy Miller, the watchdog, who has been monitoring the board for 15 years, says, referring to Don McLeroy and another board member: “It is the most crazy-making thing to sit there and watch a dentist and an insurance salesman rewrite curriculum standards in science and history. Last year, Don McLeroy believed he was smarter than the National Academy of Sciences, and he now believes he’s smarter than professors of American history.” In this case, one board member sent an e-mail message with a reference to “Ethical Marxism,” by Bill Martin, to another board member, who suggested that anyone who wrote a book with such a title did not belong in the TEKS. As it turned out, Bill Martin and Bill Martin Jr. are two different people. But by that time, the author of “Brown Bear, Brown Bear” was out. “That’s a perfect example of these people’s lack of knowledge,” Miller says. “They’re coming forward with hundreds of amendments at the last minute. Don McLeroy had a four-inch stack of amendments, and they all just voted on them, whether or not they actually knew the content. What we witnessed in January was a textbook example of how not to develop textbook standards.”

Before the January board meeting, one of the social-studies curriculum writers, Judy Brodigan, told me that she was very pleased with the guidelines her team produced. After the meeting, with its 10-hour marathon of amendments by board members, she spoke very differently. “I think they took a very, very good document and weakened it,” she said. “The teachers take their work seriously. I do believe there are board members on the ultraright who have an agenda. They want to make our standards very conservative and fit their viewpoint. Our job is not to take a viewpoint. It’s to present sides fairly. I thought we had done that.”

Regarding religion, the writing teams had included in their guidelines some of the recommendations of the experts appointed by the Christian bloc but had chosen to ignore most. I was led to expect that the January meeting would see a torrent of religion amendments, in which Don McLeroy would reinsert items that the team failed to include, just as he did with other subjects in the past. Last November, over dinner at a Tex-Mex restaurant across the street from the Texas A&M campus, McLeroy vowed to do so, saying, “I’ll get the details in there.” At that time, he and others were full of information and bravado as they pushed toward the “Christian nation” goal. But at the January meeting, while there were many conservative political amendments, there were only a few religion amendments. When I talked to him afterward, he shrugged it off in an uncharacteristically vague way. “We’re basically happy with things,” he said.

It’s possible a wave of religion amendments will come in the next meeting, in March, when American government will still be among the subjects under review. But the change of tone could signal a shift in strategy. “It could be that they feel they’ve already got enough code words sprinkled throughout the guidelines,” Kathy Miller says. The laws of Nature and Nature’s God. Moses and the Bible “informing” the American founding. “The Glory of God and advancement of the Christian Faith” as America’s original purpose. “We’ve seen in the past how one word here or there in the curriculum standards gets seized upon by the far-right members at adoption time,” Miller says. “In the science debate, the words ‘intelligent design’ did not appear, but they used ‘strengths and weaknesses’ as an excuse to pitch a battle. The phrase became a wedge to try to weaken the theory of evolution, to suggest that scientists had serious problems with it. We’ve seen the board use these tiny fragments to wage war on publishers.”

This squares with what Tom Barber, the textbook executive, told me: that in the next stage in the Texas process, general guidelines are chiseled into fact-size chunks in crisp columns of print via backroom cajoling. “The process of reviewing the guidelines in Texas is very open, but what happens behind the scenes after that is quite different,” Barber says. “McLeroy is kind of the spokesman for the social conservatives, and publishers will work with him throughout. The publishers just want to make sure they get their books listed.”

To give an illustration simultaneously of the power of ideology and Texas’ influence, Barber told me that when he led the social-studies division at Prentice Hall, one conservative member of the board told him that the 12th-grade book, “Magruder’s American Government,” would not be approved because it repeatedly referred to the U.S. Constitution as a “living” document. “That book is probably the most famous textbook in American history,” Barber says. “It’s been around since World War I, is updated every year and it had invented the term ‘living Constitution,’ which has been there since the 1950s. But the social conservatives didn’t like its sense of flexibility. They insisted at the last minute that the wording change to ‘enduring.’ ” Prentice Hall agreed to the change, and ever since the book — which Barber estimates controlled 60 or 65 percent of the market nationally — calls it the “enduring Constitution.”

Last fall, McLeroy was frank in talking about how he applies direct pressure to textbook companies. In the language-arts re-evaluation, the members of the Christian bloc wanted books to include classic myths and fables rather than newly written stories whose messages they didn’t agree with. They didn’t get what they wanted from the writing teams, so they did an end run around them once the public battles were over. “I met with all the publishers,” McLeroy said. “We went out for Mexican food. I told them this is what we want. We want stories with morals, not P.C. stories.” He then showed me an e-mail message from an executive at Pearson, a major educational publisher, indicating the results of his effort: “Hi Don. Thanks for the impact that you have had on the development of Pearson’s Scott Foresman Reading Street series. Attached is a list of some of the Fairy Tales and Fables that we included in the series.”

If there has been a shift in strategy, politics may have brought it about. The Christian bloc may have determined it would be wiser to work for this kind of transformational change out of the public gaze. Of the seven members of the Christian bloc, Ken Mercer is in a battle to keep his seat, Cynthia Dunbar recently announced she won’t run for re-election and after 11 years of forceful advocacy for fundamentalist causes on the Texas state board, during which time he was steadfastly supported by everyone from Gov. Rick Perry — who originally picked him as chairman — to tea-party organizers, Don McLeroy is now facing the stiffest opposition of his career. Thomas Ratliff, a well-connected lobbyist, has squared off against McLeroy in the Republican primary and is running an aggressive campaign, positioning himself as a practical, moderate Republican. “I’m not trying to out-conservative anyone,” Ratliff told me. “I think the state board of education has lost its way, and the social-studies thing is a prime example. They keep wanting to talk about this being a Christian nation. My attitude is this country was founded by a group of men who were Christians but who didn’t want the government dictating religion, and that’s exactly what McLeroy and his colleagues are trying to do.”

Ratliff has received prominent endorsements and has outraised McLeroy in the neighborhood of 10 to 1. But hard-core conservatives tend to vote in primaries. Anyone looking for signs of where the Republican Party is headed might scan the results of the Texas school-board District 9 Republican primary on the morning of March 3. If Don McLeroy loses, it could signal that the Christian right’s recent power surge has begun to wane. But it probably won’t affect the next generation of schoolbooks. The current board remains in place until next January. By then, decisions on what goes in the Texas curriculum guidelines will be history.

Russell Shorto is a contributing writer for the magazine. His most recent book is ‘‘Descartes’ Bones: A Skeletal History of the Conflict Between Faith and Reason.’’

Voir aussi:

Quakerism was a very different sect at that time. It was Protestant, but it was very different from the other sects. In fact, the first generation of Quakers had no hierarchical structure at all. And that was seen by all the traditional churches, particularly the hierarchical churches like the Church of England and the Catholic Church, as a very strange and radical doctrine. Penn actually went to Pennsylvania — Penn’s wood as it was called — to seek religious refuge. And many Americans did: It’s amazing how many Americans came to this country seeking the right to worship God in their own way. (…) I think the whole sense of religious belief led them to be prepared to stand separately from the British Empire. It was very telling to me for example that when you see the famous scene where Patrick Henry says, ‘As for me, give me liberty or give me death,’ he’s actually speaking in a church in Richmond, because that’s where people came. In that period, it was very common to have public meetings in churches. [the Second Great Awakening that began in the 1790s] represents a very uniquely American dedication to God. This has been historically a country of people who really do believe in a Supreme Being, who really do believe in the importance of religion in their lives and that culture, and overwhelmingly — much more than in Europe — we remained a country dedicated to the idea that our rights come from God, and that we have obligations to God.

Newt Gingrich: Americans Must Fight Hostility to Christianity Growing in Schools

Newsmax
October 4, 2009

A virulent hostility toward religion is threatening the very fabric of American liberty and prosperity: That’s the alarm former House Speaker Newt Gingrich and his wife, Callista, are sounding in their thought-provoking new documentary, “Rediscovering God in America II: Our Heritage. »

In an exclusive Newsmax.TV interview, the former House speaker contends that American culture has been marked by « a steady increase in hostility to religion over the last 70 or 80 years, in ways that are a profound challenge, both to Western Civilization and to America as we know it. »

Christianity appears to be the primary target of the attacks, Gingrich says.

Gingrich says, « When you look at efforts to drive the cross off of public lands, efforts to drive [out] Nativity scenes. . . there are a number of places in America now where there is a great bias in favor of teaching children about Islam than there is about Christianity. You actually have schools today that will have a class on Islam but refuse to have a class on Christianity. I’ll let you decide whether that’s a bias. »

With top-drawer cinematography complementing the real story of democracy’s birth pangs, the DVD manages to avoid sounding the drumbeat of religiosity or politics.

« What we try to do is really put America in a historic setting, » says Gingrich, himself a former college history professor. « These movies are not theological, they’re not ideological. »

The new DVD takes off where Gingrich’s New York Times best-selling book “Rediscovering God in America” and its companion DVD by the same name left off.

That earlier effort presented a walking tour of the nation’s capital. Much to the ire of hard-core secularists intent on driving faith out of the public square, it documented the Judeo-Christian underpinnings of the nation that are so clearly evident in the tableau of monuments, memorials, and federal buildings seen throughout Washington, D.C.

The new DVD uses the same concepts and techniques. But this time, they follow the birth of democracy across the entire United States, from the spot where the first English settlers landed near Jamestown in 1607, to the cradles of liberty in Philadelphia and Boston, to George Washington’s Mount Vernon plantation manse on the shores of the Potomac, to the Gettysburg battlefield where Lincoln honored the men who gave « the last full measure of devotion, » and pledged « that this nation, under God, shall have a new birth of freedom. »

The narrative begins with the landing of the first permanent English settlers in 1607.

Speaker Gingrich explains: « Rediscovering God in America II: Our Heritage begins with the first English-speaking settlers at Cape Henry, Virginia raising a cross, and thanking God for getting them across the Atlantic — their very first act.

« I would challenge any viewer to go check your child’s textbook, and see whether or not that is in the textbook at the beginning of English-speaking colonization, » he says.

« Our very basic document, the Declaration of Independence, said that we are endowed by our Creator with certain unalienable rights, including life, liberty, and the pursuit of happiness, » Gingrich says. « Yet how many schools today teach children what ‘our Creator’ means, and why our Founding Fathers wrote that? »

Highlights of the DVD include:

# The struggles of many religions to find a home on America’s shores. « We do talk about the various religious groups that settled in early America, » wife and DVD co-host Callista Gingrich tells Newsmax. « The Catholics did have a difficult time because the Church of England had no time for them initially. They lived in Maryland and Philadelphia, and we do talk about that in our movie. »

# The historical impact of pacifist Quaker and Pennsylvania founder William Penn. « Quakerism was a very different sect at that time, » Newt Gingrich says. « It was Protestant, but it was very different from the other sects. In fact, the first generation of Quakers had no hierarchical structure at all. And that was seen by all the traditional churches, particularly the hierarchical churches like the Church of England and the Catholic Church, as a very strange and radical doctrine. Penn actually went to Pennsylvania — Penn’s wood as it was called — to seek religious refuge. And many Americans did: It’s amazing how many Americans came to this country seeking the right to worship God in their own way. »

# The influence of Christianity on the American Revolution. « I think the whole sense of religious belief led them to be prepared to stand separately from the British Empire, » the former House speaker, often mentioned as a leading GOP presidential candidate, tells Newsmax. « It was very telling to me for example that when you see the famous scene where Patrick Henry says, ‘As for me, give me liberty or give me death,’ he’s actually speaking in a church in Richmond, because that’s where people came. In that period, it was very common to have public meetings in churches. »

# The enduring effect of America’s great revivals. Speaking of the Second Great Awakening that began in the 1790s, which spread evangelical Christianity across the nation, Gingrich says: « It represents a very uniquely American dedication to God, » Newt Gingrich says. « This has been historically a country of people who really do believe in a Supreme Being, who really do believe in the importance of religion in their lives and that culture, and overwhelmingly — much more than in Europe — we remained a country dedicated to the idea that our rights come from God, and that we have obligations to God. »

Produced in association with David N. Bossie’s Citizens United Productions, “Rediscovering God in America II: Our Heritage” brings to mind the words: « We hold these truths to be self-evident, that all men are created equal, that they are endowed by their Creator with certain unalienable rights. . . « 

The American Revolution also involved a revolutionary change in man’s relationship to Providence, Gingrich suggests.

« It becomes very clear they relied very heavily on God, and consistently praised God for their survival and their freedom, » says the former Georgia congressman.

The Gingriches tell Newsmax that America’s Judeo-Christian traditions are in danger of being redacted from its textbooks and media.

« You see it everywhere, » Callista says. « You see it in our schools, which refuse to teach accurately the role of God in America. You see it in some of the media, who refuse to cover our religious heritage. And you see it in many of our courts, who have real contempt for God in the public square. »

The good news, Newt says, is that America remains a place where revivals can occur — religious as well as political.

« Citizens can complain to their congressmen, » he says. « They can replace the congressmen, if they don’t get it. They can insist on changing the courts. The American people in the end are sovereign. They have every right to take back power, and to insist on changes in things that are fundamentally destroying America. »


Education: Bienvenue au meilleur des mondes où Billancourt finance Neuilly! (Welcome to France’s high ed brave new world: Do we really want to drive Neuilly to despair?)

13 février, 2010
We must not drive Billancourt to despair (Sartre)Personne n’aspirerait à la culture si l’on savait à quel point le nombre des hommes vraiment cultivés est finalement et ne peut être qu’incroyablement petit; et que cependant ce petit nombre d’hommes vraiment cultivés n’était possible que si une grande masse, déterminée au fond contre sa nature et uniquement par des illusions séduisantes, s’adonnait à la culture; qu’on ne devait donc rien trahir publiquement de cette ridicule disproportion entre le nombre des hommes vraiment cultivés et l’énorme appareil de la culture; que le vrai secret de la culture était là: des hommes innombrables luttent pour acquérir la culture, travaillent pour la culture, apparemment dans leur propre intérêt, mais au fond seulement pour permettre l’existence d’un petit nombre. Nietzsche
On considère le chef d’entreprise comme un loup à abattre, ou une vache à traire. Peu voient en lui le cheval qui tire le char. Churchill
La Révolution abolit les privilèges et crée immédiatement ensuite l’Ecole polytechnique et l’Ecole normale supérieure, pour offrir à la nation ses cadres « naturels », en bref sa propre aristocratie. Daniel Cohen
L’université est un service public. C’est l’Etat qui doit payer. Etudiant (Nanterre)
Entre 1951 et 1955, les jeunes d’origine modeste y étaient 29 %, contre 9 % trente ans plus tard. Ils ont aujourd’hui 24 fois moins de chances d’intégrer une grande école que des enfants de cadres ou d’enseignants. Libération
Un rapport de la Banque mondiale explique la mauvaise position des universités françaises dans les classements internationaux par l’absence de sélection à l’entrée. Cette question reste taboue mais la sélection existe de façon larvée puisque seuls 64 % des inscrits obtiennent une licence, souvent après avoir redoublé. Un échec en partie lié à l’afflux des bacheliers professionnels et technologiques qui s’inscrivent à la fac, même s’ils n’y sont pas préparés. Aujourd’hui, 40 % des 25-34 ans ont un diplôme de l’enseignement supérieur, contre 20 % il y a vingt ans. Aux États-Unis c’était déjà 40 % il y a vingt ans. «La France a rattrapé son retard mais doit s’atteler aux problèmes que les autres pays ont résolus, comme l’efficacité des formations universitaires et leurs débouchés», affirme Éric Charbonnier, expert auprès de l’OCDE. Le Figaro
En France les moins favorisés financent les études des plus favorisés. Gilbert Béréziat

A l’heure où, devant la concurrence internationale, nos universités se décident enfin à se regrouper pendant que la contestation gagne à nouveau l’Education nationale …

Et où, à la veille du renouvellement de sa convention de financement, un établissement d’enseignement supérieur se sent contraint de faire son kowtow en censurant l’une de ses élèves pour crime supposé de lèse-majesté

Enfin un universitaire qui se décide à cracher le morceau sur le système universitaire français!

Et, derrière les beaux discours et la stigmatisation du système américain, la véritable inégalité d’un système …

Où, comme pour les retraites ou la culture, « les moins favorisés financent les études des plus favorisés » jusqu’à leur « payer un salaire pendant leurs études » et leur « procurer un emploi quasiment à vie derrière » …

Où, en frais de scolarité comme en débouchés, les études du plus grand nombre ne valent littéralement rien …

Où « les dix vraies grandes écoles fournissent l’essentiel des hauts cadres de la nation, c’est-à-dire, mettons, pas plus de trois mille à quatre mille diplômés par an, soit un bassin de cent vingt mille personnes, sur une nation de 60 millions d’habitants et quelque six cent mille jeunes qui finissent chaque année la scolarité obligatoire » …

Où, contrairement au système anglo-saxon, il n’y aucun « dispositif de prêts à intérêts quasiment nuls ou à très bas taux d’intérêt, dont certains ne sont remboursés que lorsque l’étudiant commence à travailler » …

Où, contrairement à ailleurs, « il est très difficile d’obtenir des syndicats d’étudiants et de personnel que l’on crée des jobs à l’intérieur de l’université destinés aux étudiants [qui pourraient ainsi financer tout seuls leurs études] comme l’ouverture des bibliothèques le soir tard, sous la surveillance d’étudiants » …

Où les universités n’ont pour se financer ni « les revenus de la capitalisation qu’elles ont réalisée depuis plus d’une centaine d’années qui financent l’université ni leur activité de recherche financée par les différentes agences de l’Etat »

Et où, faute d’un réseau d’anciens élèves et d’un faible sentiment d’appartenance à une université quasiment gratuite, les grands donateurs potentiels (mécènes, grosses firmes du CAC 40, etc.) tous issus du système des grandes et des petites écoles donnent en priorité à leurs établissements d’origine …

Où enfin « les plus doués sont orientés vers des filières de management, de business, etc. », privant de candidats les filières scientifiques et la recherche

Et le pays des innovations et du potentiel industriel sans lesquels n’est tout simplement pas viable un système éducatif digne de ce nom et véritablement égalitaire et méritocratique!

Extraits:

Actuellement, c’est la nation qui s’endette pour payer les études des riches. Donc la question est trop simple. On n’est absolument pas dans le système américain, pour une raison très simple, c’est que le système américain est une organisation en pyramide : il y a une base très large, avec les Community Colleges de deux ans et les Colleges habituels de quatre ans, et c’est à partir de ces collèges que se fait la sélection vers les formations plus longues. En France, la sélection se fait à 14 ans, j’exagère. Mais en tout cas, elle se fait avant le bac. Donc quelles que soient les tares du système américain, il est moins inégalitaire que le nôtre.

Pourquoi, dans les écoles de management et de commerce, peut-on imposer des frais d’inscription ? Tout simplement parce que le pays considère que ces écoles donnent des débouchés sur le marché du travail, alors que les diplômes nationaux traditionnels ne donneraient pas de tels débouchés. Donc en quelque sorte Dauphine fait jouer le marché. Mais il faut aussi trouver des arguments positifs pour Dauphine. Certains considèrent – et ils n’ont pas forcément tort – que dès lors qu’une formation est payante, l’établissement se doit de donner le diplôme qui suit. Donc les étudiants vont être plus exigeants vis-à-vis de leurs enseignants. Mais encore une fois, c’est dans un secteur où, à tort ou à raison, la population pense qu’il y a des débouchés importants. La question qui peut se poser est : la France va-t-elle devenir une nation de commerçants et plus une nation d’inventeurs, et une nation avec un potentiel industriel donnant des biens d’exportation, en particulier. (…)

Je pense qu’en France l’élitisme existe déjà, car on peut considérer que les dix vraies grandes écoles fournissent l’essentiel des hauts cadres de la nation, c’est-à-dire, mettons, pas plus de trois mille à quatre mille diplômés par an. Si vous comptez qu’un diplômé formé dans ces conditions a une activité professionnelle pendant trente ans, cela fait un bassin de cent vingt mille personnes, sur une nation de 60 millions d’habitants. Si vous comparez cela à la génération des six cent mille jeunes qui finissent chaque année la scolarité obligatoire, on est plutôt dans une monarchie que dans un système républicain.

Le système français est incroyable, puisque les élèves les plus doués pour les sciences sont orientés vers des filières de management, de business, etc., et que les filières scientifiques, conduisant à la recherche, manquent de candidats.

Je prends un exemple, celui du Canada. Dans ce pays, dans certaines grandes universités, on fait payer les étudiants assez fortement dans le cycle licence. Mais on les subventionne lorsqu’ils entrent en master dans les filières scientifiques. Aucune université en France n’a les moyens de faire cela. Deuxième chose : dans le système anglo-saxon, il y a tout un dispositif de prêts à intérêts quasiment nuls ou à très bas taux d’intérêt, dont certains ne sont remboursés que lorsque l’étudiant commence à travailler.

C’est très difficilement comparable avec le système français où, sous couvert d’égalitarisme, en réalité, l’Etat subventionne les études de tout le monde mais, comme nous savons très bien que les couches les moins favorisées accèdent le plus difficilement à l’enseignement supérieur et acquittent l’impôt sous forme de taxe (TVA), puisqu’en France l’impôt direct ne représente pas les revenus principaux de l’Etat, sans trop de risque de se tromper, on peut dire qu’en France les moins favorisés financent les études des plus favorisés.

Et je rappelle que les élèves de Polytechnique sont payés, et que les élèves normaliens sont payés. Et, cerise sur le gâteau, on leur procure un emploi quasiment à vie derrière.

Il est évident qu’en France, ce qui coûte cher pour un étudiant, c’est ce que les Anglo-Saxons appellent le « housing ». Comparons avec Manchester : l’université de Manchester, trente-cinq mille étudiants, six mille logements pour étudiants, 42e au classement de Shanghaï. L’Université Pierre-et-Marie-Curie : trente mille étudiants, aucun logement d’étudiant à sa disposition. Tout dépend du Crous, dont je ne suis pas sûr qu’il ait le meilleur rapport qualité-prix en matière de logement.

Par ailleurs, il est très difficile en France d’obtenir des syndicats d’étudiants et de personnel que l’on crée des jobs à l’intérieur de l’université destinés aux étudiants. Exemple : cela fait six ans qu’à l’UPMC nous bataillons pour obtenir que les bibliothèques soient ouvertes le soir tard, sous la surveillance d’étudiants. Ce qui se pratique couramment partout ailleurs dans le monde.

Il faut bien comprendre que dans les plus onéreuses, pour les étudiants, des grandes universités américaines, le revenu généré par les droits d’inscription ne dépasse pas 20 % du budget de l’université. Pourquoi ? Parce que dans ces universités, c’est d’une part les revenus de la capitalisation qu’elles ont réalisée depuis plus d’une centaine d’années qui financent l’université, et d’autre part, l’activité de recherche financée à presque 80 %, voire 90 %, par les différentes agences de l’Etat américain.

Enfin, le problème des Fondations dans notre pays est très compliqué. Parce que les grands donateurs potentiels (mécènes, grosses firmes du CAC 40, etc.) sont issus du système des grandes et des petites écoles. Donc ils donneront en priorité à Polytechnique. (…) Il nous faut d’abord recréer un réseau d’anciens de l’université, qui n’existe pas en France. Et d’une certaine manière, cela nous ramène à la question de départ : l’université étant gratuite, le sentiment d’appartenance à cette université est faible. Les étudiants pensent que l’Etat leur a donné l’éducation supérieure et n’ont qu’une reconnaissance modérée pour l’université qui a fait le business. Et c’est le problème majeur de l’université française aujourd’hui.

« Le système universitaire américain est moins inégalitaire que le nôtre »
Le Monde
02.02.10
L’intégralité du débat avec Gilbert Béréziat, vice-président de l’université Pierre-et-Marie-Curie (Paris VI), mercredi 3 février, à 16 h .

Jocelyn : Le système universitaire est-il en train de s’américaniser et de nous obliger à nous endetter pour payer les études de nos enfants ?

Gilbert Béréziat : Actuellement, c’est la nation qui s’endette pour payer les études des riches. Donc la question est trop simple. On n’est absolument pas dans le système américain, pour une raison très simple, c’est que le système américain est une organisation en pyramide : il y a une base très large, avec les Community Colleges de deux ans et les Colleges habituels de quatre ans, et c’est à partir de ces collèges que se fait la sélection vers les formations plus longues.

En France, la sélection se fait à 14 ans, j’exagère. Mais en tout cas, elle se fait avant le bac. Donc quelles que soient les tares du système américain, il est moins inégalitaire que le nôtre.

Mirko : Indexer les frais de scolarité sur le revenu des parents, comme le fait Sciences Po Paris, qui exonère totalement les personnes les plus défavorisées, me paraît juste. Qu’en pensez-vous?

Gilbert Béréziat : Sciences Po fait mieux que cela, puisque non seulement il exonère les enfants d’origines les plus modestes, mais il fait des bourses aussi, de manière qu’ils aient des conditions de travail qui se rapprochent des autres. Dauphine, contrairement à Sciences Po, n’est pas une université autonome, ne dispose pas à ma connaissance d’une fondation bien financée. Et je ne pense pas qu’il ait aujourd’hui les moyens de faire des bourses pour les étudiants issus de milieux dont on dit aujourd’hui qu’ils sont des « quartiers difficiles ».

Simon : Ce qui a créé le débat, c’est l’augmentation des frais d’inscription d’un diplôme d’université, mais cela reste impossible pour un diplôme national. La question est donc : combien de temps avant que les universités passent massivement aux diplômes non nationaux pour pouvoir augmenter leurs frais ? Qu’est-ce qui les en empêche ou les freine ?

Gilbert Béréziat : Pourquoi, dans les écoles de management et de commerce, peut-on imposer des frais d’inscription ? Tout simplement parce que le pays considère que ces écoles donnent des débouchés sur le marché du travail, alors que les diplômes nationaux traditionnels ne donneraient pas de tels débouchés. Donc en quelque sorte Dauphine fait jouer le marché.

Mais il faut aussi trouver des arguments positifs pour Dauphine. Certains considèrent – et ils n’ont pas forcément tort – que dès lors qu’une formation est payante, l’établissement se doit de donner le diplôme qui suit. Donc les étudiants vont être plus exigeants vis-à-vis de leurs enseignants.

Mais encore une fois, c’est dans un secteur où, à tort ou à raison, la population pense qu’il y a des débouchés importants. La question qui peut se poser est : la France va-t-elle devenir une nation de commerçants et plus une nation d’inventeurs, et une nation avec un potentiel industriel donnant des biens d’exportation, en particulier.

Joan.UK : Bonjour, je suis actuellement étudiant à la London School of Economics et ancien de l’EHESS à Paris. J’ai dû quitter Paris car rien n’est fait en France pour promouvoir la recherche en sciences humaines. Ni bourse ni création de postes. En Angleterre, je suis certain de pouvoir trouver un emploi décent en tant que chercheur, mais pour cela je dois payer 11000 euros de frais d’inscription par an… Selon vous, la France devrait-elle suivre un modèle identique, basé sur un élitisme injuste mais réaliste ?

Gilbert Béréziat : Je pense qu’en France l’élitisme existe déjà, car on peut considérer que les dix vraies grandes écoles fournissent l’essentiel des hauts cadres de la nation, c’est-à-dire, mettons, pas plus de trois mille à quatre mille diplômés par an. Si vous comptez qu’un diplômé formé dans ces conditions a une activité professionnelle pendant trente ans, cela fait un bassin de cent vingt mille personnes, sur une nation de 60 millions d’habitants. Si vous comparez cela à la génération des six cent mille jeunes qui finissent chaque année la scolarité obligatoire, on est plutôt dans une monarchie que dans un système républicain.

Jérémy : On sait qu’un bon nombre d’étudiants en fac sont là un peu par défaut, ou parce qu’ils ont été mal orientés. Pensez-vous qu’élever les frais de scolarité peut réduire la part de ces élèves à la fac ? De plus ne faudrait-il pas offrir plus de bourses au mérite pour les élèves réellement motivés à suivre une formation à la fac mais qui n’en auraient pas les moyens ?

Gilbert Béréziat : Ce sont des questions de gens qui sont dans les secteurs sciences humaines et sociales. Le système français est incroyable, puisque les élèves les plus doués pour les sciences sont orientés vers des filières de management, de business, etc., et que les filières scientifiques, conduisant à la recherche, manquent de candidats. Donc on ne peut pas répondre à cette question de manière globale.

Je prends un exemple, celui du Canada. Dans ce pays, dans certaines grandes universités, on fait payer les étudiants assez fortement dans le cycle licence. Mais on les subventionne lorsqu’ils entrent en master dans les filières scientifiques. Aucune université en France n’a les moyens de faire cela.

Deuxième chose : dans le système anglo-saxon, il y a tout un dispositif de prêts à intérêts quasiment nuls ou à très bas taux d’intérêt, dont certains ne sont remboursés que lorsque l’étudiant commence à travailler.

C’est très difficilement comparable avec le système français où, sous couvert d’égalitarisme, en réalité, l’Etat subventionne les études de tout le monde mais, comme nous savons très bien que les couches les moins favorisées accèdent le plus difficilement à l’enseignement supérieur et acquittent l’impôt sous forme de taxe (TVA), puisqu’en France l’impôt direct ne représente pas les revenus principaux de l’Etat, sans trop de risque de se tromper, on peut dire qu’en France les moins favorisés financent les études des plus favorisés.

Et je rappelle que les élèves de polytechnique sont payés, et que les élèves normaliens sont payés. Et, cerise sur le gâteau, on leur procure un emploi quasiment à vie derrière.

Hako : De plus en plus d’étudiants se voient contraints de trouver un job étudiant pour payer les frais de logement, de nourriture… ce qui contribue beaucoup à leur échec. Ne pensez-vous pas qu’une augmentation des frais d’inscription aggraverait cela alors qu’il faut faire en sorte de limiter les jobs étudiants pénibles ?

Gilbert Béréziat : Il est évident qu’en France, ce qui coûte cher pour un étudiant, c’est ce que les Anglo-Saxons appellent le « housing ». Comparons avec Manchester : l’université de Manchester, trente-cinq mille étudiants, six mille logements pour étudiants, 42e au classement de Shanghaï. L’Université Pierre-et-Marie-Curie : trente mille étudiants, aucun logement d’étudiant à sa disposition. Tout dépend du Crous, dont je ne suis pas sûr qu’il ait le meilleur rapport qualité-prix en matière de logement.

Par ailleurs, il est très difficile en France d’obtenir des syndicats d’étudiants et de personnel que l’on crée des jobs à l’intérieur de l’université destinés aux étudiants. Exemple : cela fait six ans qu’à l’UPMC nous bataillons pour obtenir que les bibliothèques soient ouvertes le soir tard, sous la surveillance d’étudiants. Ce qui se pratique couramment partout ailleurs dans le monde.

Julien : L’université Paris 6 a-t-elle prévu d’augmenter les frais d’inscription des Masters ? Si oui quel serait le montant ?

Gilbert Béréziat : La réponse est non. Pourquoi ? Parce que nous, nous voulons avoir des étudiants dans nos masters. D’ailleurs je vous signale qu’à l’UPMC, les stages dans les laboratoires sont rémunérés. Certes, modestement, mais au même niveau que les externes des hôpitaux de la faculté de médecine.

Marc : Doit-on craindre que certains établissements (gros consortiums technologiques et management qui sont en train de se constituer) prennent les filières rentables et laissent à l’université le « reste » ? N’est-ce pas ce que les fusions-acquisitions en cours suggèrent ?

Gilbert Béréziat : Bien sûr, on peut faire ça. Mais ce n’est pas la voie que nous avons suivie à l’UPMC, puisque nous sommes en train de nous fédérer avec l’université Panthéon-Assas (droit) et l’université Paris-Sorbonne (sciences humaines et sociales). Pourquoi ? Parce que dans l’avenir, nous pensons que les jeunes qui auront eu une double formation en sciences pures, bonnes, excellentes, et aussi une formation dans les disciplines qui donnent une ouverture culturelle plus large, auront plus d’opportunités d’affronter les difficultés à venir.

Donc nous ne voulons pas du tout devenir une super-université technologique comme celle de Zurich ou de Lausanne. Je rappelle que le MIT possède un département de sciences humaines extrêmement riche et qui n’est pas destiné à former des businessmen ou businesswomen.

Thomas : Pourquoi ne pas réformer en profondeur le système CPGE + grandes écoles en l’intégrant aux universités pour en finir avec cette dualité franco-française ?

Gilbert Béréziat : Je suis plus radical que vous : pourquoi ne pas supprimer les classes préparatoires, qui ne sont que des lieux de training intense, de coaching intense, de dopage intellectuel destinés à faire réussir des élèves à un concours ? Je pense que le cycle licence devrait être un cycle d’orientation, et évidemment d’orientation sélective, permettant tout à la fois l’orientation vers des écoles d’ingénieurs, de management, etc. et vers les filières plus traditionnelles d’érudition ainsi que des filières de formation par la recherche et à la recherche. Je pense qu’à l’âge de 17-18 ans, les élèves doivent s’épanouir, et pas être formatés.

M.Siebert : Pourquoi ne pas faire payer uniquement les redoublements universitaires pour encourager l’investissement des étudiants ?

Gilbert Béréziat : Pour faire réussir des étudiants, il faut qu’ils comprennent que, inscrits dans un cycle, ils doivent faire le travail nécessaire pour avoir le minimum requis par le diplôme. L’Etat et les institutions doivent pouvoir leur en donner les moyens (bourses, prêts à taux zéro, etc.).

Certains n’auront pas la capacité d’aller dans le cycle master, il faut le reconnaître et les aider à s’insérer sur le marché du travail. C’est ce que beaucoup d’universités ont fait ces dernières années en développant les licences professionnelles. Dans beaucoup de disciplines, il est impensable d’avoir une formation à la recherche et de la cumuler avec un travail à temps complet ou même à mi-temps.

C’est pourquoi, par exemple, à l’UPMC, nous n’acceptons pas d’étudiants en doctorat si celui-ci n’est pas financé, c’est-à-dire s’ils n’ont pas une bourse, privée ou publique, leur permettant de consacrer tout leur temps à la recherche et à la préparation de leur doctorat. Il est vrai que de ce point de vue les sciences humaines et sociales sont défavorisées. C’est lié au fait que dans les disciplines littéraires, beaucoup de thésards se recrutent parmi les professeurs du second degré. Et on peut difficilement faire une thèse en trois ans et avoir une activité salariée à plein temps.

On pourrait peut-être s’interroger aussi sur la nécessité de fabriquer autant de thésards dans ce secteur.

Guest : Est-ce que les montants doivent être fixés par la loi de l’offre et de la demande? Quelle régulation mettre en place pour s’assurer d’une certaine justice?

Gilbert Béréziat : Ce que je n’ai pas très bien compris dans la décision de Dauphine, c’est si l’argent dégagé par le paiement des droits d’inscription par les plus « fortunés » était destiné entièrement à subventionner les moins fortunés. Si c’était le cas, je ne pourrais que m’en réjouir. Mais j’ai bien peur que ce soit aussi pour compenser la faiblesse du financement par l’Etat des universités.

JR : Si les frais universitaires n’augmentent pas, de quelle manière l’université peut-elle se procurer des revenus plus importants qu’actuellement ?

Gilbert Béréziat : Il faut bien comprendre que dans les plus onéreuses, pour les étudiants, des grandes universités américaines, le revenu généré par les droits d’inscription ne dépasse pas 20 % du budget de l’université. Pourquoi ? Parce que dans ces universités, c’est d’une part les revenus de la capitalisation qu’elles ont réalisée depuis plus d’une centaine d’années qui financent l’université, et d’autre part, l’activité de recherche financée à presque 80 %, voire 90 %, par les différentes agences de l’Etat américain.

Si vous prenez l’UPMC, 80 % de son budget sont liés à son activité de recherche, d’une manière ou d’une autre. Donc ce problème des droits d’inscription se pose d’abord dans les universités qui n’ont pas la force de frappe que procure la recherche scientifique dans les sciences dures.

Enfin, le problème des Fondations dans notre pays est très compliqué. Parce que les grands donateurs potentiels (mécènes, grosses firmes du CAC 40, etc.) sont issus du système des grandes et des petites écoles. Donc ils donneront en priorité à Polytechnique. Certes, cela peut changer. Mais c’est un très long chemin. Nous y travaillons depuis trois ans à l’UPMC. Nous avons mis deux ans avant de créer notre Fondation partenariale, et nous n’avons pas encore pu déclencher de campagne de levée de fonds d’un niveau comparable aux universités étrangères.

Il nous faut d’abord recréer un réseau d’anciens de l’université, qui n’existe pas en France. Et d’une certaine manière, cela nous ramène à la question de départ : l’université étant gratuite, le sentiment d’appartenance à cette université est faible.

Les étudiants pensent que l’Etat leur a donné l’éducation supérieure et n’ont qu’une reconnaissance modérée pour l’université qui a fait le business. Et c’est le problème majeur de l’université française aujourd’hui.

Modéré par Philippe Jacqué


Présidence Obama: C’est pas moi, c’est Bush qui m’a poussé! (Obama’s war on terror: Bush made me do it)

10 février, 2010
Evil BushMiss me yet? (Bush billboard, Wyoming, Minn., Feb. 2010)
La décision que j’ai prise – et franchement je la prendrais à nouveau – c’était que s’il existait une quelconque possibilité qu’il puisse développer des armes de destruction massive (ADM), nous devions l’arrêter. (…) Je n’aurais pas fait l’Irak si je n’avais pas pensé que c’était juste. (…) (J’ai) une responsabilité oui, mais je n’ai aucun regret d’avoir renversé Saddam Hussein. (…) C’était un « monstre », qui « menaçait non seulement la région mais le monde entier. Même rétrospectivement, il était préférable de régler cette menace, de la régler en le renversant et je crois vraiment que le résultat en est que le monde est plus en sécurité. (…) Les renseignements étaient certes « fragmentaires », mais il était « difficile d’en arriver à une conclusion autre que celle » que Saddam continuait son programme d’ADM. (…) Quand vous relisez la (résolution de l’ONU) 1441, il est assez évident que vous pouvez argumenter » qu’elle légitimait la guerre. Tony Blair (devant la commission Chilcot sur l’engagement britannique en Irak, 29.01.10)
De 100 000 à 500 000 Irakiens, personne ne sait, ont été tués pendant et après l’invasion de 2003. De même, 4 500 GI américains et 179 soldats britanniques ont péri en Irak. Le pays le plus développé du monde arabe a été ramené au Moyen Age. Une guerre civile dont les cendres sont encore tièdes a provoqué une hécatombe sans précédent. L’insécurité règne. La corruption est partout, l’avenir, incertain. Patrice Claude (désinformateur en chef du Monde sur l’Irak)
La commission Chilcot doit faire face à l’attente déraisonnable d’un courant particulièrement actif dans les médias, pour lequel une seule conclusion est acceptable: Tony Blair a menti, l’engagement britannique était contraire au droit international, l’intervention en Irak était pire qu’un crime, une faute. Peut leur chaut que, loin d’avoir agi avec dissimulation, Tony Blair a proclamé dans un discours à Chicago le 24 avril 1999 la « doctrine de la communauté internationale » fondant un engagement internationaliste démocratique pour renverser tant Slobodan Milosevic que Saddam Hussein. Que loin d’être étouffée, la discussion en 2002 et 2003 a été vive et contradictoire, et que la décision n’a pas été prise par ukase de l’exécutif mais par un vote du Parlement nullement gagné d’avance (et Blair était prêt à démissionner s’il l’avait perdu), à l’issue d’un impressionnant débat qui a vu toute la palette des objections représentées avec force, de l’isolationnisme à l’anti-impérialisme, l’ancien ministre des affaires étrangères Robin Cook menant par exemple la charge après une spectaculaire démission du gouvernement Blair. Que pendant que des centaines de milliers de pacifistes égarés manifestaient à l’appel des apologistes des dictateurs du tiers-monde et des habituels tenant de la haine de soi comme Occidental libre et prospère, les sondages d’opinion confirmaient qu’une solide majorité de la population soutenait la position du gouvernement. La désinformation contemporaine sur l’intervention en Irak confine au False Memory Syndrome ou au révisionnisme de la pire espèce: ignorance ou oubli du fait que Saddam Hussein avait bel et bien disposé d’armes de destruction massive qu’il avait d’ailleurs utilisées dans la guerre contre l’Iran et contre son propre peuple; refus de voir la cohérence stratégique qu’il y avait à ne pas tolérer le potentiel destabilisateur de ce régime après avoir libéré l’Afghanistan des Talibans; occultation de la duplicité chiraco-villepinienne après le vote en 2002 de la résolution 1141 du Conseil de sécurité en refusant le vote d’une seconde résolution en 2003 (et dès lors de se joindre à la coalition après l’avoir laissé espérer; Mitterrand, lui, n’avait pas failli lors de l’intervention pour la libération du Koweit) alors que Saddam Hussein ne se conformait nullement à ses obligations; ahurissante incapacité à se représenter ce qu’aurait signifié « l’autre politique »: le maintien au pouvoir de Saddam Hussein, l’encouragement donné partout dans le monde aux ennemis de la liberté, de la démocratie et du progrès. François Brutsch
Pour moi, c’est un signe de maturité, de force et d’intellect. Si quelqu’un propose une meilleure idée – si le monde change – il faut changer. Michael Bloomberg (maire démocrate puis républicain et aujourd’hui indépendant de New York)
Je crois qu’il est important de prendre en considération les problèmes pratiques et logistiques que cela implique. Je veux dire, si vous avez une ville qui dit non, une police qui dit non et un maire qui dit non, ça rend les choses difficiles. Mais, pour moi, le plus important, c’est que les gens comprennent que nous ne traitons aucun de ces cas différemment que ne l’a fait l’Administration Bush pour tout le dossier du 11/9. Barack Obama (Interview du Superbowl, 07.02.10)

C’est pas moi, c’est le diable qui m’a poussé!

Report indéfini de la fermeture de Guantanamo, maintien des tribunaux militaires, accentuation des éliminations ciblées, abandon du projet cauchemardesque de juger le cerveau du 11/9 à New York …

A l’heure où, avec le fiasco du terroriste au caleçon explosif de Noël et le redépart de feu d’Al Qaeda au Yemen, la fameuse promesse d’investiture du Pleurnicheur en chef de fermeture de Guantanamo « d’ici un an » semble de plus en plus compromise …

Et après une année d’attaques quasiment ininterrompues dudit Pleurnicheur en chef contre son prédécesseur et notamment sa politique anti-terroriste …

Pendant que le « caniche de Bush » continue lui à défendre courageusement l’invasion d’un Irak qui se permet à présent le luxe d’injecter 600 millions dans l’économie délabrée de ses mollahs de voisins …

Retour, avec le WSJ, sur la jusqu’ici peu remarquée dernière défense en date de la Dream Team Obama.

A savoir que si, contre toutes ses déclarations précédentes et à l’instar de ses mégadéficits, la politique anti-terroriste de la nouvelle administration ressemble de plus en plus à celle de son prédécesseur honni, c’est tout simplement… la faute à Bush!

Bush Was Right, Says Obama
‘We’re not handling any of these cases any different from the Bush administration.’
William Mcgurn
The Wall Street Journal
February 9, 2010

This weekend, Americans were treated to something new: Barack Obama defending his war policies by suggesting they merely continue his predecessor’s practices. The defense is illuminating, not least for its implicit recognition that George W. Bush has more credibility on fighting terrorists than does the sitting president.

Mr. Obama’s explanation came in an interview with Katie Couric just before the Super Bowl. Ms. Couric asked about trying Khalid Sheikh Mohammed in New York. After listing some of the difficulties, the president offered a startling defense for civilian trials:

« I think that the most important thing for the public to understand, » he told Ms. Couric, « is we’re not handling any of these cases any different than the Bush administration handled them all through 9/11. » Mr. Obama went on to add that « 190 folks »—folks presumably just like the mastermind of the Sept. 11 attacks—had been tried and convicted in civilian court during Mr. Bush’s tenure.

Leave aside, for just a moment, the substance. Far more arresting is that Mr. Obama now defends himself by invoking a man he has spent the past year blaming for al Qaeda’s growth. You know—all those Niebuhrian speeches about how America had gone « off course, » « shown arrogance and been dismissive, » and « made decisions based on fear rather than foresight, » thus handing al Qaeda a valuable recruiting tool.

Others have happily piled on. John Brennan, a career CIA holdover, used his first public appearance last August as Mr. Obama’s counterterrorism chief to declare a new dawn. No longer would America’s policies serve as « a recruitment bonanza for terrorists. » No longer would we be « defining and indeed distorting our entire national security apparatus » because of terrorism. Henceforth, Mr. Obama would abandon the « global war » mindset, and take care not to « validate al Qaeda’s twisted worldview. »

Like Mr. Obama, Mr. Brennan was singing a different tune this weekend. On NBC’s « Meet the Press, » a testy Mr. Brennan defended the decision that allowed Christmas bomber Umar Farouk Abdulmutallab to lawyer up by invoking—you guessed it—the Bush administration. Mr. Brennan claimed the process for reading Abdulmutallab his Miranda rights was « the same process that we have used for every other terrorist who has been captured on our soil. » The FBI, he asserted, was simply following guidelines put in place by Bush Attorney General Michael Mukasey.

Mr. Mukasey begs to differ. « First, the guidelines Mr. Brennan refers to involve intelligence gathering, » he told me. « They do not deal with whether someone in custody is to be treated as a criminal defendant or as an intelligence asset. »

« Second, as for gathering intelligence, it begs the whole question about whether he [Abdulmutallab] should have been designated a criminal suspect. And there is nothing—zero, zilch, nada—in those guidelines that makes that choice. It is a decision that ought to be made at the highest level, and the heads of our security agencies have testified that it was made without consulting them. »

Ditto for the « 190 folks » Mr. Obama invoked in his interview with Ms. Couric. The figure comes from a report by Human Rights First (they actually claim 195), which ransacked the federal files to find any cases even remotely connected with terrorism. Most charges, the report concedes, involve not acts of terrorism but charges of material support. These 190 men and women may be guilty of bad things, but to suggest they are comparable with KSM is highly misleading.

Here’s the bigger picture: When Mr. Obama arrived in the Oval Office his first official act was to order the closing of Guantanamo in the manner of Christ cleansing the temple. Attorney General Eric Holder soon followed by opening a criminal investigation of the CIA’s interrogators. And everywhere he went, Mr. Obama told anyone who would listen that when it came to terror, he would be the anti-Bush.

Abdulmutallab’s foiled attempt to blow up a Northwest flight has changed everything. The administration’s misstatements and mishandling are provoking questions about its competence. The debate over Miranda rights feeds worries that Mr. Obama’s security decisions have more to do with protecting terrorists’ legal rights than protecting Americans. And the bomber’s connections with Islamic extremists in Yemen will make it even more difficult to close Guantanamo, given the significant population of Yemenis held there.

In other words, we have what Team Obama would define as a messaging problem. So expect more presidential speeches sprinkled with tough-sounding words such as « war » and « terrorist. » Maybe Robert Gibbs promising a review of policies that were themselves supposed to be revisions. And when they realize they cannot close it, perhaps a renaming of Guantanamo as our new « Caribbean House of Constitutional Correction. »

William McGurn is a Vice President at News Corporation who writes speeches for CEO Rupert Murdoch. Previously he served as Chief Speechwriter for President George W. Bush.

Mr. McGurn has served as chief editorial writer for The Wall Street Journal in New York. He spent more than a decade overseas — in Brussels for The Wall Street Journal/Europe and in Hong Kong with both the Asian Wall Street Journal and the Far Eastern Economic Review. And in the mid-1990s, he was Washington Bureau Chief for National Review.

Bill is author of a book on Hong Kong (« Perfidious Albion ») and a monograph on terrorism (« Terrorist or Freedom Fighter »). He is a member of the Council on Foreign Relations, holds a BA in philosophy from Notre Dame and an MS in Communications from Boston University.

Voir aussi:

Cheney’s Revenge
The Obama Administration is vindicating Bush antiterror policy.
The WSJ
February 9, 2010

Dick Cheney is not the most popular of politicians, but when he offered a harsh assessment of the Obama Administration’s approach to terrorism last May, his criticism stung—so much that the President gave a speech the same day that was widely seen as a direct response. Though neither man would admit it, eight months later political and security realities are forcing Mr. Obama’s antiterror policies ever-closer to the former Vice President’s.
In fact, the President’s changes in antiterror policy have never been as dramatic as he or his critics have advertised. His supporters on the left have repeatedly howled when the Justice Department quietly went to court and offered the same legal arguments the Bush Administration made, among them that the President has the power to detain enemy combatants indefinitely without charge. He has also ramped up drone strikes against al Qaeda and Taliban operatives in Pakistan.

However, the Administration has tried to break from its predecessors on several big antiterror issues, and it is on those that it is suffering the humiliation of having to walk back from its own righteous declarations. This is Dick Cheney’s revenge.

Begin with Mr. Obama’s executive order, two days after his inauguration, to shut the detention facility at Guantanamo Bay within one year. The President issued this command before undertaking a study to determine how or even whether his goal was feasible. In his May speech, Mr. Obama declared, « The record is clear: Rather than keep us safer, the prison at Guantanamo has weakened American national security. »

Mr. Obama’s deadline has come and gone, and Guantanamo remains open. In part this is the result of political opposition from Americans—including many Congressional Democrats—who understandably do not want terrorists in their backyards. Another problem is that European allies, while pressing for Guantanamo’s closure, have been reluctant to accept more than a handful of detainees who are deemed suitable for release. The upshot is that Congress may never appropriate the money to close Gitmo, and Mr. Obama never mentioned the prison in his State of the Union address.

The Administration similarly has been backing away from its intention, announced in November, to try 9/11 mastermind Khalid Sheikh Mohammed and four other enemy combatants in civilian court a few blocks from Ground Zero. New York Mayor Michael Bloomberg, who at first endorsed the trials, has since reversed himself and urged the Administration to « do the right thing » and move the trials somewhere else, preferably to a military base.

The same day, New York’s Senator Chuck Schumer asked officials to find another venue. Within hours, Mr. Obama ordered the Justice Department to do just that, and Mr. Schumer has since said any trial shouldn’t be held anywhere in New York state. Meanwhile, bipartisan support is growing in Congress to block money from being spent on any civilian trial for KSM, anywhere.

The Administration seems to have thought no more deeply about the potential legal pitfalls of civilian trials than about the security and logistical problems. Mr. Obama himself responded to criticism by suggesting that what he had in mind was a series of show trials, in which the verdict and punishment were foreordained.

When NBC’s Chuck Todd asked him in November to respond to those who took offense at granting KSM the full constitutional protections due a civilian defendant, the President replied: « I don’t think it will be offensive at all when he’s convicted and when the death penalty is applied to him. » Mr. Obama later claimed he meant « if, » not « when, » but he undercut his own pretense of showcasing the fairness of American justice.

There is a real possibility, too, that convictions would be overturned on technicalities. KSM and other prospective defendants were subjected to interrogation techniques that, while justifiable in irregular war, would be forbidden in an ordinary criminal investigation. When Senator Herb Kohl, a Wisconsin Democrat, asked Attorney General Eric Holder what the Administration would do if a conviction were thrown out, Mr. Holder said: « Failure is not an option. » A judge may not feel the same way, and the Administration is derelict if it is as unprepared for the contingency as Mr. Holder indicated.

In the event of an acquittal or an overturned conviction, it would be entirely legitimate under the laws of war to continue holding KSM and the others as enemy combatants. But this would defeat the moral rationale of a trial and require the Administration to explain why it was continuing to detain men whose guilt it had failed to establish in court.

A third policy under increasing criticism is the Administration’s approach to interrogation. In August, Mr. Holder announced that he had appointed a special prosecutor to investigate—or rather re-investigate—allegations of abuse by CIA interrogators. At the same time, Mr. Obama declared that responsibility for interrogating detainees would shift from the CIA to a new, FBI-led High Value Detainee Interrogation Group, which would employ only tactics that are « noncoercive » or approved by the Army Field manual.

Then came the attempted Christmas bombing and the revelation that the new interrogation group is not fully operational and won’t be for months. Not that it would have had a chance to question Umar Farouk Abdulmutallab. On Mr. Holder’s order, investigators immediately classified him as a criminal defendant. After interrogating him for just 50 minutes, they advised him of his right to remain silent, which he promptly exercised.

Fifty minutes was plenty of time, White House Press Secretary Robert Gibbs assured « Fox News Sunday » viewers last month: « Abdulmutallab was interrogated, and valuable intelligence was gotten as a result of that interrogation. » Mr. Holder told Senate Minority Leader Mitch McConnell in a letter last week that Abdulmutallab « more recently . . . has provided additional intelligence to the FBI »—which is encouraging if true, but makes Mr. Gibbs’s earlier assurance look empty.

Meanwhile, one of Scott Brown’s most potent campaign themes in Massachusetts was his line that « Some people believe our Constitution exists to grant rights to terrorists who want to harm us. I disagree. » Mr. Brown even endorsed waterboarding.

As long as George W. Bush and Dick Cheney were responsible for keeping Americans safe, Democrats could pander to the U.S. and European left’s anti-antiterror views at little political cost. But now that they are responsible, American voters are able to see what the left really has in mind, and they are saying loud and clear that they prefer the Cheney method.

Mr. Holder has nonetheless begun a campaign to defend his decisions on Abdulmutallab and KSM, telling the New Yorker last week that « I don’t apologize for what I’ve done » and that trying KSM in a civilian court will be « the defining event of my time as Attorney General. »

Given that he still can’t find a venue and that even Democrats are having second thoughts about the spectacle, Mr. Holder may well be right that the trial will define his tenure. Before this debate is over, he may have to explain why he’s decided that the best place to try KSM really is a military tribunal—in Guantanamo.

Voir également:

Bay what? Guantanamo eyed for 9/11 trial
John Doyle and David Seifman in NY and Charles Hurt in DC
New York Post
January 30, 2010

The trial of 9/11 mastermind Khalid Sheik Mohammed won’t be held in lower Manhattan and could take place in a military tribunal at Guantanamo Bay, sources said last night.

Administration officials said that no final decision had been made but that officials of the Department of Justice and the White House were working feverishly to find a venue that would be less expensive and less of a security risk than New York City.

The back-to-the-future Gitmo option was reported yesterday by Fox News and was not disputed by White House officials.

Such a move would likely bring howls of protest from liberals already frustrated that President Obama has failed to meet his deadline for closing the prison at Guantanamo Bay.

It would also indicate that after years of attacking the Bush administration for its handling of the war on terror, Obama officials are embracing one of the most controversial aspects of it.

The administration is likely considering Gitmo because Congress is moving to cut off funding for holding the expensive trials in civilians courts.

Rep. Peter King (R-LI) has introduced a bill that would prohibit the use of Justice Department funds to try Guantanamo detainees in federal civilian courts, and Sen. Lindsey Graham (R-SC) said he would introduce a similar bill in the Senate next week.

The Washington Post, meanwhile, reports that wherever the terror trials are eventually held, it is virtually certain that they will not take place in New York City.

Police Commissioner Ray Kelly yesterday credited Mayor Bloomberg, who spoke out against the holding the trials in New York, with spurring the Obama administration to reconsider.

« I think the president responded to, certainly, the mayor’s statement yesterday and community concerns, and it, quite frankly, gives us a little more room in the Police Department, » he said.

« The mayor’s position is the right position, and I think the mayor was the reason it was moved.

« There was a lot of concern in the community. A lot of other political leaders were worried about it, but it wasn’t until the mayor made the statement that the White House reacted. It’s the right decision. »

But the administration insisted that Justice officials had been reviewing other options well before Bloomberg changed his mind and voiced his opposition.

It was not until word leaked out that the DOJ was reconsidering that Bloomberg spoke up, one official said.

Other domestic sites mentioned for the trials include a former military base in New York Harbor that welcomes summertime picnickers and bike riders, the US Military Academy at West Point, and Stewart Air National Guard Base in upstate Newburgh.

Bloomberg said yesterday that he would not brand Obama a flip-flopper over his turnabout.

« To me, it’s a sign of maturity, strength and intellect, » Bloomberg said on WOR radio yesterday.

« If somebody comes up with a better idea — if the world changes — you change. »

Gov. Paterson said he was « elated that our concerns are being considered by the president and the federal government. »

The effort to nix New York as the venue for the « terror trial of the century » also got a boost yesterday when Senate Intelligence Committee Chairwoman Dianne Feinstein (D-Calif.) urged Obama to hold the trial elsewhere.

She cited the high threat of terrorist strikes, especially for a city like New York.

« Without getting into classified details, I believe we should view the attempted Christmas Day plot as a continuation, not an end, of plots to strike the United States by al Qaeda affiliates, » she wrote.

« Moreover, New York City has been a high-priority target since at least the first World Trade Center bombing, in 1993. The trial of the most significant terrorist in custody would add to the threat. »

Voir enfin:

Intervention en Irak: la commission Chilcot va-t-elle trouver l’arme du crime?
François Brutsch
Un Swiss roll
26 janvier 2010

Si vous ne le savez pas déjà, vous pourrez difficilement l’ignorer vendredi quand le processus atteindra son point d’orgue: Tony Blair sera entendu toute la journée, en séance publique et télévisée notamment sur le web, par la commission indépendante chargée de faire rapport sur la participation britannique à l’intervention en Irak (The Iraq Inquiry). Présidée par sir John Chilcot, un haut fonctionnaire retraité, elle a été nommée par Gordon Brown en consultation avec les leaders des partis d’opposition quant à sa mission et à sa composition[1]. Une telle procédure est usuelle au Royaume-Uni pour tirer à froid les leçons de toute affaire sensible et elle obéit à des règles quasi-judiciaires. Il ne me paraît pas y avoir d’équivalent en France[2] où il faut tout en plus s’en remettre à des commissions d’enquête parlementaires aux moyens et au recul discutables; en Suisse on peut probablement faire l’analogie avec la commission Bergier constituée par le Conseil fédéral après le scandale des fonds en déshérence pour faire la lumière sur l’attitude de la Suisse durant la deuxième guerre mondiale, mais qui était justement exceptionnelle.

Sur l’intervention en Irak, il y a d’ailleurs déjà eu deux rapports de même nature sur des sujets particuliers: celui de la commission Butler sur le travail des services secrets et les éléments de renseignements remis aux autorités à l’époque[3], et celui du juge Hutton sur les circonstances ayant entouré la mort de David Kelly, le scientifique invoqué par la BBC comme source de l’accusation, au printemps 2003, que le gouvernement avait menti dans son rapport au Parlement sur la menace que représentait le gouvernement de Saddam Hussein en 2002[4]. La commission Chilcot a plus de recul et un mandat plus large. Elle est cependant confrontée à deux difficultés:

* Réclamée à corps et à cris pratiquement dès le déclenchement de l’intervention, il était pourtant évident qu’elle n’aurait un sens qu’ultérieurement. Mais fallait-il vraiment la nommer sitôt le dernier contingent combattant retiré (alors que des conseillers militaires britanniques restent cependant engagés et le pays toujours partie prenante du soutien international aux autorités démocratiques irakiennes)? Il est en tout cas propice à la légitimité des conclusions de la commission Chilcot que son rapport ne sera rendu que dans la législature suivante. Mais la tenue de ses travaux en pleine campagne électorale nuit à la sérénité nécessaire, et d’autant plus qu’il est apparu souhaitable que la commission procède à un grand nombre de hearings publics et télévisés (et pas seulement à du travail sur documents ou à des auditions non publiques).

* Mais surtout la commission Chilcot doit faire face à l’attente déraisonnable d’un courant particulièrement actif dans les médias, pour lequel une seule conclusion est acceptable: Tony Blair a menti, l’engagement britannique était contraire au droit international[5], l’intervention en Irak était pire qu’un crime, une faute. Peut leur chaut que, loin d’avoir agi avec dissimulation, Tony Blair a proclamé dans un discours à Chicago le 24 avril 1999[6] la « doctrine de la communauté internationale » fondant un engagement internationaliste démocratique pour renverser tant Slobodan Milosevic que Saddam Hussein. Que loin d’être étouffée, la discussion en 2002 et 2003 a été vive et contradictoire, et que la décision n’a pas été prise par ukase de l’exécutif mais par un vote du Parlement nullement gagné d’avance (et Blair était prêt à démissionner s’il l’avait perdu), à l’issue d’un impressionnant débat qui a vu toute la palette des objections représentées avec force, de l’isolationnisme à l’anti-impérialisme, l’ancien ministre des affaires étrangères Robin Cook menant par exemple la charge après une spectaculaire démission du gouvernement Blair. Que pendant que des centaines de milliers de pacifistes égarés manifestaient à l’appel des apologistes des dictateurs du tiers-monde et des habituels tenant de la haine de soi comme Occidental libre et prospère, les sondages d’opinion confirmaient qu’une solide majorité de la population soutenait la position du gouvernement.

La désinformation contemporaine sur l’intervention en Irak confine au False Memory Syndrome ou au révisionnisme de la pire espèce: ignorance ou oubli du fait que Saddam Hussein avait bel et bien disposé d’armes de destruction massive qu’il avait d’ailleurs utilisées dans la guerre contre l’Iran et contre son propre peuple; refus de voir la cohérence stratégique qu’il y avait à ne pas tolérer le potentiel destabilisateur de ce régime après avoir libéré l’Afghanistan des Talibans; occultation de la duplicité chiraco-villepinienne[7] après le vote en 2002 de la résolution 1141 du Conseil de sécurité en refusant le vote d’une seconde résolution en 2003 (et dès lors de se joindre à la coalition après l’avoir laissé espérer; Mitterrand, lui, n’avait pas failli lors de l’intervention pour la libération du Koweit) alors que Saddam Hussein ne se conformait nullement à ses obligations[8]; ahurissante incapacité à se représenter ce qu’aurait signifié « l’autre politique »: le maintien au pouvoir de Saddam Hussein, l’encouragement donné partout dans le monde aux ennemis de la liberté, de la démocratie et du progrès.

Comme avant lui son porte-parole, Alastair Campbell, et son secrétaire général à Downing Street, Jonathan Powell, je ne doute pas que Tony Blair illustrera brillamment devant la commission Chilcot pourquoi l’engagement britannique et l’intervention internationale en Irak furent justes et nécessaires. Loin d’avoir à les regretter, c’est un motif de fierté. Mais je suis bien persuadé que cela ne convaincra pas tout le monde[9]. Et j’espère que la commission Chilcot évitera de sombrer dans ce psychodrame pour se consacrer ensuite aux vraies leçons à tirer de l’intervention, touchant plus particulièrement à la planification des opérations et la mise en oeuvre de la transition une fois l’Irak libéré.

P.S. J’ai renoncé à renvoyer aux nombreux billets de ce blog qui documentent le point de vue des auteurs sur ce sujet, mais ils sont faciles à trouver. Dans la blogosphère britannique de gauche, il est en particulier partagé par Norman Geras, Harry’s Place, Oliver Kamm ou Nick Cohen qui en tiennent une chronique évidemment plus serrée (souvent reprise dans le fil de mes lectures)
Notes

[1] Ce qui n’a pas empêché d’aucuns de dénoncer l’absence d’un juriste parmi les membres (comme si cela devait les rendre incapables de comprendre une argumentation juridique), ou la présence de deux Juifs (comme si cela devait les récuser).

[2] Je n’ai pas souvenir d’un rapport officiel indépendant, et encore moins d’audiences publiques, sur l’engagement au Rwanda, le sang contaminé ou encore le Concorde.

[3] Qui a conclu que le gouvernement avait agi en toute bonne foi sur la base des données dont il disposait.

[4] Qui a conclu que la BBC avait violé sa mission d’information en manipulant les propos de David Kelly, qui s’est par la suite suicidé, et en refusant toute rectification. Le journaliste a été licencié et le directeur de la BBC a démissionné.

[5] Les juristes partagent avec les scientifiques l’honneur douteux d’être promus chamans, alors qu’ils ne sont que des donneurs d’avis, par ceux qui refusent la responsabilité de ce qui est pourtant l’essence de la politique (par opposition à l’administration): la décision discrétionnaire (que le vulgaire tend à appeler arbitraire quand elle lui déplaît mais qui est pourtant parfaitement légitime lorsqu’un processus démocratique la confie à une autorité élue plutôt qu’elle appartienne un monarque absolu ou autre dictateur).

[6] C’était donc sous Clinton, plus de 18 mois avant l’élection de George W. Bush, près de 30 mois avant le 11 septembre 2001.

[7] Dont la politique n’était, elle, nullement conduite par l’idéalisme.

[8] Car il faut rappeler que c’était à Saddam Hussein de prouver qu’il n’avait plus d’armes de destruction massives comme tout le monde alors le croyait, ce qu’il se gardait bien de faire puisque la terreur qu’il inspirait tant à l’intérieur qu’à l’extérieur reposait sur elles. A dire vrai, cet épisode de faux semblant rocambolesque est digne de l’affaire de « l’homme qui n’a jamais existé »: encore pendant la bataille, les combattants tant irakiens qu’alliés attendaient à tout moment leur emploi. La découverte qu’elles n’existaient plus priva la coalition d’un argument décisif pour faire taire les critiques, et nourrit au contraire chez ces derniers les théories de la conspiration les plus échevelées.

[9] Et ce n’est après tout pas indispensable. Mais il serait bon que les adversaires de l’intervention en finissent avec l’illusion qu’ils sont seuls détenteurs d’une vérité que tous doivent impérativement reconnaître, après s’être repentis.

Voir par ailleurs le petit joyau de désinformation et de mauvaise foi du premier croisé du Monde Patrice Claude:

Tony Blair Le dernier croisé
Patrice Claude
Le Monde
02.02.10

Pour Tony Blair, cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Saddam Hussein était « un monstre ». Le dictateur irakien incarnait « le mal ». Puisque la conjoncture internationale, tétanisée par les attaques d’Al-Qaida du 11 septembre 2001 le permettait, il fallait, même s’il n’avait rien à y voir, l’éliminer et renverser son régime pour imposer ensuite, à l’ensemble du Moyen-Orient, la « démocratisation générale » dont rêvaient les néoconservateurs américains, avec la sécurité d’Israël en tête.

Au fond, ni les six heures d’audition de Tony Blair, vendredi 29 janvier à Londres, ni les milliers de pages de témoignages noircies depuis novembre 2009 par la commission Chilcot chargée de faire la lumière sur les motivations et les conditions de l’entrée en guerre du Royaume-Uni en 2003, n’autorisent d’autre conclusion que celle-ci : pétri de religion, pratiquant austère tout récemment passé de l’anglicanisme au catholicisme, l’ancien premier ministre britannique est convaincu depuis toujours, « même si ce n’est plus à la mode de l’affirmer tout haut », écrivait-il en 1994, que le monde se divise entre « le bien et le mal », entre « le juste et l’injuste ». La motivation fondamentale de l’invasion anglo-américaine amorcée le 20 mars 2003 est là.

Le reste, la manipulation de l’opinion, l’exagération délibérée du « danger continu et croissant » censément posé par le dictateur, la mise en avant d’une prétendue complicité entre lui et Oussama Ben Laden, la croyance « au-delà du doute » en un programme d’armes de destruction massive (ADM) qui s’avéra inexistant, la non-prise en compte des éléments contradictoires émis ici et là sur la réalité de la menace, voire la légalité de l’invasion, oui, tout le reste a découlé de cette certitude d’avoir raison contre tous. Et d’avoir fait « le bien » d’une humanité aveugle et sourde aux dangers.

Quand Tony Blair, sombre et tendu comme un ressort entre dans la petite salle silencieuse de la commission Chilcot le 29 janvier, « on dirait un fantôme », remarque Patrick Wintour, journaliste au Guardian. Costume sombre, cravate rouge, cheveux gris tirés vers l’arrière, teint hâlé, Tony Blair s’assoit face à des « juges » qui n’en sont pas. Quatre hommes et une femme. Deux sont hauts fonctionnaires à la retraite, un autre est ancien diplomate, deux sont des historiens spécialisés en politique intérieure. Zéro magistrat, zéro juriste, zéro militaire, zéro connaisseur de l’Irak.

Aucun n’y a jamais mis les pieds, plusieurs ont approuvé l’invasion, aucun n’a désapprouvé. Tous ont été choisis par le vieux frère rival de Tony Blair, l’actuel premier ministre Gordon Brown, qui sera lui-même entendu à la mi-février. Toute la presse locale dénonce la composition du panel depuis des mois et fustige « la mollesse et l’ignorance » de ses questionneurs.

Face à eux, l’homme qui a dirigé le pays pendant dix ans, avocat brillant, orateur hors pair et champion universel de la « com ». Derrière, soixante personnes silencieuses, vingt membres des familles de soldats tués en Irak, deux dizaines de journalistes et des badauds passionnés venus assister au spectacle. Chacun se dit que « King Tony » va dévorer tout cru ces pauvres pairs fatigués.

Mais l’intéressé se montre courtois, patient, accepte, à la demande, d’interrompre les citations qu’il fait de lui-même. Le « leader » a perdu de sa superbe et de son charme, mais il reste un grand professionnel. En regardant les auditions de ses anciens ministres et conseillers à la BBC, il a compris qu’il ne fallait pas, une réponse précise pouvant entraîner une question gênante, se montrer trop pointu.

Plus de 52 % des Britanniques, selon un sondage, estiment aujourd’hui que l’ex- premier ministre a « délibérément menti » pour les emmener dans une guerre dont ils ne voulaient pas. Menti ? Pas plus qu’un général qui, estimant sa patrie en danger, ravive l’ardeur des troupes en leur racontant que l’ennemi a des cornes et mange les enfants.

« Saddam Hussein a causé la mort de 1 million de personnes dans la région en utilisant des armes de destruction massive pour défaire ses ennemis », rappelle donc M. Blair. Nul ne relève que l’allusion concerne la guerre que se sont livrée l’Iran et l’Irak dans les années 1980, une guerre désirée et soutenue par la Grande-Bretagne, la France, les Etats-Unis et l’Allemagne qui aida l’Irak, via ses industriels, à obtenir les gaz – « ADM », dans la terminologie du XXIe siècle – qui feront des dizaines de milliers de morts du côté de la partie attaquée, l’Iran khomeiniste.

« Il a fait tuer des dizaines de milliers de Kurdes et de chiites », dit encore l’orateur. Personne ne rappelle que les 60 000 chiites massacrés par l’armée du dictateur irakien s’étaient soulevés contre le régime, en 1991, à l’appel du président Bush senior. L’armée américaine, qui venait de libérer le Koweït et occupait alors l’extrême Sud irakien, avait ensuite autorisé Saddam Hussein à utiliser ses derniers hélicoptères pour mater la rébellion à coups de mitrailleuses. A l’époque, ni Washington, ni Londres, ni Paris ne voulaient renverser le régime, il n’y avait pas de solution de rechange.

En 2001, peu après la tragédie du 11-Septembre, George W. Bush, le fils, avait maladroitement évoqué la « croisade » qu’il fallait lancer de toute urgence contre « l’axe du Mal ». Tony Blair, qui n’ignorait pas la connotation ultranégative de ce concept dans le monde judéo-arabe, ne l’a jamais fait. Son approche en noir et blanc des relations internationales, vaut bien, à ses yeux, cette autre école de pensée qu’on appelle la realpolitik et qui s’appuie, avant tout, sur la prise en compte des intérêts concrets d’une nation.

Le Royaume-Uni n’avait aucun intérêt national patent de choisir, parmi tant d’autres dictatures, d’attaquer précisément celle de Saddam Hussein. En 2003, le régime était à genoux, ses défenses et industries militaires étaient régulièrement bombardées par la Royal Air Force et l’US Air Force depuis 1998. Des dizaines d’inspecteurs des Nations unies fouillaient partout, à la recherche des fameuses ADM. Cadenassée depuis l’invasion du Koweït, par le régime de sanctions internationales le plus dur – et le plus meurtrier pour les civils – qui se soit jamais vu dans l’histoire des Nations unies, son économie était en lambeaux.

« Pour moi, a martelé Tony Blair devant la commission Chilcot, il continuait de représenter une menace. Non seulement pour ses voisins, mais pour le monde entier. » Un jour, a-t-il ajouté, « si on l’avait laissé au pouvoir avec ses fils », il aurait « sans doute repris sa quête d’ADM ». Pire, « il aurait pu » en fournir « aux fanatiques religieux » d’Al-Qaida. « Dans le monde d’aujourd’hui, il n’est plus possible de prendre ce genre de risques. »

Dix fois, au cours de son audition, il l’a répété : « J’étais le chef du gouvernement, je croyais, et je crois toujours, qu’il était juste de renverser ce régime. » Il croit aussi que « les dirigeants d’aujourd’hui » vont devoir « s’occuper » de l’Iran aussi tôt que possible. Tony Blair n’est plus aux affaires mais il sait toujours mieux. « L’habitude du triomphe amoindrit le doute », disait Balzac. Tony Blair a vécu pas mal de triomphes et ignore le doute. Brillamment élu en 1997, réélu deux fois par la suite, il voulait faire du Royaume-Uni, « le phare de l’univers ». Il est à présent traité comme un paria. Un paria richissime, notez. En trente mois d’activité, depuis son départ de Downing Street, Tony Blair Associates, sa société, affiche un chiffre d’affaires supérieur à 20 millions d’euros.

Au pouvoir, « ce qui compte, c’est ce qui marche », répétait-il. Il a traité les prémices de la guerre d’Irak avec la même méthode. Une fois la décision prise de traiter la question Saddam, et les historiens retiendront qu’elle le fut lors d’un dîner en tête-à-tête avec George W. Bush le 6 avril 2002 dans son ranch de Crawford au Texas, il ne restait plus qu’à la faire avaliser. Par les Nations unies si possible – mais la France et la Russie s’y opposèrent -, par l’opinion publique si cela se révélait nécessaire. Ce qui fut fait avec célérité.

« Ce qui compte, c’est ce qui marche. » Comme son ami George W. Bush, de qui il est plus proche que d’un Bill Clinton, politicien brillant mais réputé cynique et époux volage, « King Tony » monnaye aujourd’hui sa gloire passée. A la tête de sa Fondation de la Foi et de Tony Blair Associates, il convoque désormais moins à l’esprit l’homme d’Etat que le télé-prêcheur version américaine ou égyptienne, fidèle à Dieu et dur en affaires.

Il prononce des conférences à 200 000 euros les 90 minutes. En échange de petites fortunes, il conseille les rois d’Arabie saoudite, du Koweït et d’Abou Dhabi. Il est en affaires avec des milliardaires d’Azerbaïdjan, de Chine et d’ailleurs. Il pratique le lobbying pour la banque JP Morgan et, bientôt, pour son ami Bernard Arnault. Il vient de s’offrir un hôtel particulier à Londres, il n’a rien contre l’idée de représenter le luxe de LVMH. Il est également l’émissaire du Quartet (Etats-Unis, Union européenne, Russie, Nations unies) au Proche-Orient.

Mais sur l’Irak, quand même, « avez-vous des regrets ? », lui demande un membre de la commission Chilcot. De 100 000 à 500 000 Irakiens, personne ne sait, ont été tués pendant et après l’invasion de 2003. De même, 4 500 GI américains et 179 soldats britanniques ont péri en Irak. Le pays le plus développé du monde arabe a été ramené au Moyen Age. Une guerre civile dont les cendres sont encore tièdes a provoqué une hécatombe sans précédent. L’insécurité règne. La corruption est partout, l’avenir, incertain.

Des regrets, des remords, des doutes ? « Non. » Héraut et supplétif d’une invasion qui a coûté 7 milliards de livres au contribuable britannique, Tony Blair n’en a pas. Qui est sûr d’avoir sauvé le monde ne peut en avoir.


Idiots utiles: Howard Zinn nous rappelle que la gauche n’est pas une idée folle (No nation-state please, we’re Jews!)

6 février, 2010
Ilhem Moussaid
Le monde moderne est plein d’idées chrétiennes devenues folles. G. K. Chesterton
Militante féministe, internationaliste et anticapitaliste, je lutte contre les discriminations, le racisme dans les quartiers populaires, contre l’apartheid et l’injustice en Palestine. Ilham Moussaïd (candidate NPA dans le Vaucluse)
En son temps, le combat du MLF a, lui aussi, été jugé « petit-bourgeois » et « secondaire ». En 1976, une militante féministe, qui venait de dénoncer le viol commis par un « camarade » immigré, a connu un véritable procès de Moscou. Ses « camarades » gauchistes l’accusaient de stigmatiser les classes populaires. Caroline Fourest
Il ne m’était pas venu à l’esprit – tant était grande mon ignorance sur le Moyen-Orient – que l’établissement d’un Etat juif impliquait la dépossession de la majorité arabe qui vivait sur cette terre. Je n’en savais pas plus que quand j’étais écolier et que, devant une carte de géographie de l’Expansion américaine vers l’Ouest, j’assumais que les colons blancs s’installaient dans un territoire vide. Dans un cas comme dans l’autre je ne réalisais pas que l’avance de la « Civilisation » impliquait ce que nous appellerions aujourd’hui du « nettoyage ethnique. (….) C’est seulement après la  » Guerre des de six jours » de 1967 et l’occupation par Israël des territoires saisis dans cette guerre (Cisjordanie, bande de Gaza, Hauteurs du Golan, péninsule du Sinaï) que j’ai commencé à voir Israël non pas seulement comme un petite nation entourée d’Etats arabes hostiles mais comme une puissance expansionniste. En 1967, j’étais totalement engagé dans le mouvement contre la guerre au Vietnam. J’avais compris depuis longtemps que les expressions « securité nationale » et  » défense nationale » étaient employés par le gouvernement américain pour justifier la violence agressive contre d’autres pays. En fait, il y avait un lien clair entre Israël et les Etats-Unis dans leur politique étrangère respective, illustré par le soutien militaire et économique que les Etats-Unis apportaient à Israël et l’approbation tacite d’Israël à la guerre américaine au Vietnam.
J’ai longtemps considéré l’Etat-nation comme une abomination de notre temps – la fierté nationale menant à la haine nationale, menant à la guerre. Il m’a toujours semblé que les juifs, sans territoire national, étaient une influence d’humanisation dans le monde. L’accusation contre eux par Staline, selon laquelle les juifs étaient « cosmopolites », est exactement pour moi la grande vertu des juifs. Ainsi le fait que les juifs deviennent juste un autre Etat-nation, avec toutes les caractéristiques de l’Etat-nation – xénophobie, militarisme, expansionisme – n’a jamais été pour moi une évolution bienvenue. Et les politiques de l’Etat d’Israël depuis sa naissance ont confirmé mes craintes. Howard Zinn
A l’heure où le centrisme résigné de Barack Obama semble déboucher sur une impasse démocratique, la voix d’Howard Zinn nous rappelle que la gauche n’est pas une idée folle en Amérique. Sylvie Laurent
C’est le rôle des Églises qu’il faut combattre, pas les croyances individuelles. Raoul Marc Jennar (militant NPA altermondialiste, porte-parole de José Bové à la présidentielle de 2007)
La capitulation gagne ceux qui, au nom de l’apaisement, refusent de résister à l’islam politique qui en appelle à la tolérance démocratique quand cela l’arrange et la refuse au nom de ses propres règles. Les Chrétiens ne se disent pas humiliés quand par la République quand celle-ci dresse ses listes noires de sectes issues de leur religion ; pourquoi faudrait-il que les musulmans se sentent victimes de haine quand de semblables dérives, autrement plus dangereuses que la Scientologie, mobilisent le législateur? Ivan Rioufol

On se lève tous pour la Palestine! (air connu)

A l’heure où, pour ne pas désespérer Billancourt et ses sondages en chute libre, notre facteur de Neuilly nous ressort pour les prochaines régionales une candidate avec foulard et keffyeh de rigueur contre l’apartheid et l’injustice en Palestine (les PS-PC ayant apparemment leur propre perle rare conseillère municipale à Echirolles dans l’Isère) .…

Et où un PS étrangement silencieux quand ses amis défilaient encore l’an dernier pour soutenir, entre les étoiles de David brulées et les vociférations antisémites, les islamistes du Hamas s’excite sur une petite phrase sortie de son contexte (un mois après mais à la veille d’élections régionales contestées) d’un Frêche connu pour ses liens avec la communauté juive et Israël …

Pendant qu’une actrice franco-algérienne un peu trop ouvertement féministe se voit menacée et aspergée d’essence et un iman opposé au voile intégral (dont nos encagoulés ont eux bien compris tout l’intérêt) chassé de sa mosquée de Drancy par les intégristes …

Et que nos magistrats offrent un séjour tous frais payés à une centaine de clandestins syriens débarqués sur nos plages par leurs négriers à 10 000 dollars pièce et qu’une auxiliaire de police qui insiste depuis bientôt six ans à porter le voile sur son uniforme (jusqu’à refuser de serrer la main aux agents masculins de son service !) est « payée à rester chez elle »

Sans parler de nos chercheurs qui ici continuent à refuser les statistiques ethniques mais outre-quievrain à apporter leur soutien théorique au remaniement de toute notre législation matrimoniale pour attribuer le mariage comme l’adoption d’enfants aux victimes des réactions hormonales et immunologiques de leur mère …

Retour sur deux textes d’un des maitres à penser, tout récemment décédé, qui ont rendu possible l’actuelle Obamania (ou ce qu’il en reste) où, derrière la même stigmatisation de l’abomination de l’Etat-nation (pour le seul Israël!) et entre deux appels à une intifada américaine sur Al Jazeera, l’on retrouve (surprise !) le même soutien des nouveaux damnés de la terre en keffyeh …

The poisons of nationalism
Howard Zinn
Tikkun Magazine
June 13 2009

I was not long out of the Air Force when in 1947 the U.N. adopted a partition plan for Palestine, and in 1948, Israel, fighting off Arab attacks, declared its independence. Though not a religious Jew at all, indeed hostile to all organized religions, I had an indefinable feeling of satisfaction that the Jews, so long victims and wanderers, would now have a « homeland. »

It did not occur to me–so little did I know about the Middle East–that the establishment of a Jewish state meant the dispossession of the Arab majority that lived on that land. I was as ignorant of that as, when in school, I was shown a classroom map of American « Western Expansion » and assumed the white settlers were moving into empty territory. In neither case did I grasp that the advance of « civilization » involved what we would today call « ethnic cleansing. »

It was only after the « Six-Day War » of 1967 and Israel’s occupation of territories seized in that war (the West Bank, the Gaza Strip, the Golan Heights, the Sinai peninsula) that I began to see Israel not simply as a beleaguered little nation surrounded by hostile Arab states, but as an expansionist power.

In 1967 I was totally engaged in the movement against the war in Vietnam. I had long since understood that the phrases « national security » and « national defense » were used by the United States government to justify aggressive violence against other countries. Indeed, there was a clear bond between Israel and the United States in their respective foreign polices, illustrated by the military and economic support the United States was giving to Israel, and by Israel’s tacit approval of the U.S. war in Vietnam.

True, Israel’s claim of « security, » given its geographical position, seemed to have more substance than the one made by the U.S. government, but it seemed clear to me that the occupation and subjugation of several million Palestinians in the occupied territories did not enhance Israel’s security but endangered it.

I was reinforced in my view during a spirited discussion of the Israel-Palestine conflict I was having with my large lecture class at Boston University. A number of Jewish students were fervently defending the Occupation, whereupon two young women who had been silent up to that point rose, one after the other, to say something like the following: « We are from Israel. We served in the Israeli army. We want to say to you who love Israel that the occupation of the West Bank and Gaza will lead to the destruction of Israel, if not physically, then morally and spiritually. »

As the years of the Occupation went on, the cycle of violence seemed endless–a rock-throwing intifada met by over-reaction in the form of broken bones and destroyed homes, suicide bombers killing innocent Jews followed by bombings which killed ten times as many innocent Arabs.

The invasion of Lebanon in 1982 was a particularly horrifying episode in that cycle: rocket fire from the Lebanese side into Israel brought a full scale invasion and ruthless bombing, in which perhaps 16,000 Lebanese civilians were killed. The culmination was the massacre of hundreds, perhaps thousands of Palestinians in the Sabra and Shatila refugee camps. An Israeli commission put the responsibility on General Ariel Sharon.

I have for a long time considered the nation-state as an abomination of our time–national pride leading to national hatred, leading to war. It always seemed to me that Jews, without a national territory, were a humanizing influence in the world. The charge against them by Stalin, that Jews were « cosmopolitans » was exactly what I thought the great virtue of Jews.

So for Jews to become just another nation-state, with all the characteristics of the nation-state–xenophobia, militarism, expansionism–never seemed to me a welcome development. And the policies of the State of Israel since its birth have borne out my fears. Some of the wisest Jews of our time–Einstein, Martin Buber–warned of the consequences of a Jewish state. Einstein wrote, at the very inception of Israel:

« My awareness of the essential nature of Judaism resists the idea of
a Jewish state with borders, an army, and a measure of temporal
power, no matter how modest. I am afraid of the inner damage Judaism will sustain…. »

Of course, there is no turning back the clock and it may be that an independent Palestine alongside an independent Jewish state is the best interim solution, but since the poison of nationalism will undoubtedly infect both states, the ideal of a democratic, secular community of Jews and Palestinians should remain a goal of all who desire lasting peace and justice.

Howard Zinn is a historian, playwright, and social activist. His best-known work is A People’s History of the United States.

Voir aussi:

Les Etats-Unis ont besoin d’un esprit révolutionnaire
Howard Zinn
Al Jazeera s’entretient avec Howard Zinn, écrivain, historien de l’Amérique, critique social et activiste, de la manière dont la guerre en Irak a changé le regard des autres sur les Etats-Unis et des raisons pour lesquelles « l’Empire » serait près de l’effondrement.

9 septembre 2008

Howard Zinn: Depuis un certain temps, et à coup sûr aujourd’hui, l’Amérique évolue vers moins de pouvoir et moins d’influence dans le monde.

Manifestement, depuis la guerre en Irak, le reste du monde s’est détourné des Etats-Unis et, si la politique étrangère américaine persiste dans cette voie agressive, violente et indifférente aux sentiments et réflexions des autres peuples, alors oui, l’influence des Etats-Unis va poursuivre son déclin.

C ‘est l’empire le plus puissant qui ait jamais existé tout en étant en train de s’écrouler, un empire qui n’a pas d’avenir… parce que le reste du monde lui devient étranger et tout simplement aussi parce qu’il croule sous les engagements militaires, avec des bases partout dans le monde alors qu’il est à bout de ressources sur son propre territoire.

Cette situation entraîne un mécontentement croissant au pays et je pense que l’empire américain va dès lors suivre le chemin des autres empires avant lui, c’est ce qui est en train de se produire.

Question : Y a-t-il un espoir de voir les Etats-Unis aborder sous un autre angle le reste du monde ?

HZ : s’il y a un espoir, il ne peut être porté que par le peuple américain.

Par un peuple américain suffisamment révolté et indigné par ce qui est arrivé à son pays, par la dégradation de son image aux yeux du monde, par l’épuisement de ses ressources humaines, les carences en éducation et dans le domaine de la santé ainsi que par la mainmise du monde des affaires sur la politique, avec les répercussions que cela entraîne sur la vie au quotidien du peuple américain.

Sans compter les prix à la hausse de la nourriture, l’insécurité croissante et la mobilisation des jeunes pour la guerre. Je pense que tout cela peut faire naître un mouvement de révolte.

Nous avons assisté à des soulèvements dans le passé : le mouvement ouvrier, les droits civils, la mobilisation contre la guerre au Vietnam. Je pense que si les Etats-Unis poursuivent dans la même direction, nous pourrions assister à la naissance d’un nouveau mouvement populaire. C’est le seul espoir pour les Etats-Unis.

Q : Comment les Etats-Unis en sont-ils arrivés là ?

HZ : Si nous en sommes arrivés là, je présume que c’est parce que la population américaine a laissé les choses se dégrader à ce point, c’est-à-dire qu’il s’est trouvé assez d’Américains pour s’estimer satisfaits de leur situation, juste assez.

Bien sûr, beaucoup d’Américains ne le sont pas, c’est pourquoi la moitié de la population ne vote pas, elle se sent exclue.

Mais il y a juste assez d’Américains qui sont satisfaits, qui estiment recevoir assez de petits cadeaux de l’Empire, juste assez de personnes suffisamment satisfaites pour perpétuer le système. Nous en sommes arrivés là grâce à l’aptitude du système à se maintenir en satisfaisant juste assez de monde pour maintenir sa légitimité. Mais je pense que cette époque sera bientôt révolue.

Q : Que devrait savoir le monde à propos des Etats-Unis ?

HZ : Je pense que beaucoup dans le monde ignorent qu’il existe une opposition aux Etats-Unis.

Très souvent, les gens dans le monde croient que Bush est populaire chez nous, ils pensent : « oh, il a été élu à deux reprises » ; ils ne comprennent pas la perversité du système politique américain qui a permis à Bush de l’emporter deux fois. Ils ne comprennent pas la nature fondamentalement anti-démocratique d’un système dans lequel tout le pouvoir est aux mains de deux partis qui ne diffèrent guère l’un de l’autre et dont les gens ne peuvent saisir les différences.

Dès lors, nous sommes dans une situation où il va falloir des changements fondamentaux de la société américaine si nous voulons que la population soit à nouveau en harmonie avec elle.

Q : Pensez vous que les Etats-Unis puissent se remettre de leur situation actuelle ?

HZ : Et bien, j’espère en un rétablissement mais à ce jour, nous n’avons rien vu venir.

Vous m’avez interrogé au sujet de ce que le reste du monde ignore à propos des Etats-Unis et, comme je vous l’ai dit, il ignore l’existence d’une vraie opposition. Il y a toujours eu une opposition, mais elle a toujours été écrasée ou anesthésiée, maintenue à l’ombre ou marginalisée en sorte que sa voix ne puisse être entendue.

Les gens dans le monde n’entendent que les voix des dirigeants américains. Ils n’entendent pas les voix de tous ceux qui dans ce pays n’approuvent pas les dirigeants et veulent des politiques différentes.

Je pense aussi que le reste du monde devrait savoir que ce qui se passe en Irak n’est que le prolongement d’une longue politique impériale d’expansion dans le monde.

Je pense aussi que beaucoup croient que cette guerre en Irak n’est qu’une aberration ponctuelle et qu’avant cette guerre les Etats-Unis étaient un pouvoir inoffensif. Ils n’ont jamais été un pouvoir inoffensif et cela depuis le tout début, dès la révolution américaine, depuis la confiscation des terres des Indiens, la guerre du Mexique, la guerre hispano-américaine… C’est embarrassant à dire, mais nous avons dans ce pays une longue histoire d’expansion violente et je pense que non seulement beaucoup d’étrangers l’ignorent, mais aussi beaucoup d’Américains.

Q : Peut-on améliorer cette situation ?

HZ : Vous savez, cet espoir, s’il existe, réside dans ce grand nombre de citoyens américains qui sont corrects, ne veulent pas la guerre, ne veulent pas tuer d’autres peuples.

Il est difficile d’entrevoir cette espérance parce que les Américains qui pensent ainsi sont exclus des médias, leurs voix ne sont pas entendues et on ne les voit jamais à la TV. J’ai participé dans ma vie à nombre de mouvements sociaux et j’ai pu voir qu’au début ou juste avant le développement de ces mouvements, il semblait n’y avoir aucun espoir.
J’ai vécu dans le Sud pendant sept ans, pendant les années du mouvement des droits civils, et la situation semblait désespérée mais il y avait de l’espoir en profondeur. Quand les personnes s’organisent, commencent à agir, commencent à travailler ensemble, alors elles osent prendre des risques, s’opposer à l’ordre établi et commettre des actes de désobéissance civile.

Alors l’espoir devient évident et se concrétise en changement.

Q : Pensez vous qu’il existe une façon pour les Etats-Unis de retrouver une influence positive sur la marche du monde ?

HZ : Oui mais pour cela nous avons besoin d’une nouvelle direction politique qui soit sensible aux vrais besoins des Américains et ni la guerre ni l’agression ne font partie de ces besoins. Elle devra être également sensible aux besoins des autres peuples et comprendre que les ressources américaines, au lieu de financer les guerres, pourraient contribuer à aider ceux qui souffrent. Il y a eu des tremblements de terre et des catastrophes naturelles partout dans le monde et aux Etats-Unis aussi, mais cela a entraîné bien peu de réactions, voyez l’ouragan Katrina. Les gens dans ce pays, particulièrement les pauvres et les gens de couleur ont été victimes du pouvoir américain comme d’autres peuples ailleurs dans le monde.

Q : Pourriez-vous nous faire une synthèse de ce dont nous venons de débattre, le pouvoir et l’influence des Etats-Unis ?

HZ : Le pouvoir et l’influence des Etats-Unis ont décliné rapidement depuis la guerre en Irak parce que cette guerre a exposé, comme cela n’avait jamais été le cas dans l’Histoire, la manière dont s’exerçait le pouvoir américain dans ce type de situation et dans d’autres. Dès lors que l’influence US décroît, son pouvoir décroît aussi. Si forte que soit la machine de guerre, le pouvoir ne dépend pas que d’elle. Au total, le pouvoir décroît. À terme, le pouvoir repose sur la légitimité morale du système et les Etats-unis ont perdu cette légitimité morale. Mon espoir est que le peuple américain se soulève spontanément et change cette situation pour son plus grand bénéfice et celui du reste du monde.

Traduit par Oscar GROSJEAN pour Investig’Action – michelcollon.info

Source: Al Jazeera

Voir enfin:

Howard Zinn et les damnés de l’Amérique
Sylvie Laurent
Le Monde
04.02.10

La mort, il y a quelques jours, de l’historien Howard Zinn nous prive, chercheurs, américanophiles, esprits curieux, d’une des plus belles paroles américaines, celle d’un intellectuel qui fut également un héros de l’histoire des Etats-Unis du XXe siècle. Ouvrier avant de devenir soldat puis professeur, il aura été de toutes les luttes pour une Amérique plus juste : pour les droits civiques, contre la guerre du Vietnam, contre les ravages du capitalisme, contre les discriminations raciales et sexistes, contre la guerre d’Irak. Intellectuel et activiste, il incarna par son existence une forme de courage, d’intégrité et de clairvoyance que l’on a eu trop tendance à caricaturer en gauchisme suranné et vain.

Dans la préface de son étude Le Peuple, Jules Michelet s’adresse à Edgar Quinet en ces termes : « Ce livre, je l’ai fait de moi-même, de ma vie et de mon cœur. Il est sorti de mon expérience, bien plus que de mon étude. Je l’ai tiré de mon observation, de mes rapports d’amitié, de voisinage ; je l’ai ramassé sur les routes… Enfin pour connaître la vie du peuple, ses travaux, ses souffrances, il me suffisait d’interroger mes souvenirs. » Bien avant d’écrire son histoire du peuple des Etats-Unis, Hower Zinn a lui aussi fait l’expérience de l’histoire. Après s’être ouvert aux brutalités sociales dans le New York prolétaire des sourdes luttes de classes observées par Dos Passos, c’est dans le Sud ségrégationniste qu’il s’engage et qu’il devient un radical. A ce moment-là, dans ce pays-là, seul un héros pouvait quitter le confort du monde blanc pour s’engager dans ce combat. Révolté par le racisme institutionnalisé qui interdit aux Africains-Américains de manger au même comptoir que les Blancs, il devient leur compagnon de lutte.

Non seulement s’engagea-t-il dans le mouvement des droits civiques le plus radical de l’époque, le Student Non-Violent Coordinating Comittee, participant physiquement aux confrontations sanglantes avec la police et les Blancs hostiles, mais il s’imprégna de la pensée noire la plus forte et la plus révolutionnaire. De la lecture de Dickens, il passe à celle de W.E.B. Du Bois, de Martin Luther King Jr pour s’attarder plus tard sur la pensée de Malcolm X dont il tirera un chapitre remarquable de son histoire du peuple américain. Dépassant la vulgate marxiste qui n’est jamais véritablement parvenue à articuler conscience de classe et conscience de race, Zinn se convertit à une pensée de gauche complexe dans laquelle on ne peut penser la question des discriminations raciales sans les lier au capitalisme et à l’impérialisme, une même rhétorique nationale les reliant.

Comme Jean-Pierre Vernant après son engagement dans la Résistance, il puise dans la lutte avec les camarades l’inspiration d’un travail qui cherchera avant tout la remémoration et le témoignage des acteurs afin de raconter une histoire « vraisemblable » à défaut d’être vraie. Il s’indigne en effet de l’absence des voix du peuple dans les textes canoniques de la démocratie américaine. Bien avant le travail de Bourdieu sur les pratiques de contrôle social et les formes de domination discursives et bien avant la conversion des campus américains aux études minoritaires (Chicano Studies, Gender Studies, Subaltern Studies….) qui institutionnalisent à la fin des années 1970 la relecture des textes-maîtres dans une perspective dissidente, Zinn interrogeait : « Nous le peuple ? » De quel peuple parle-t-on, raille-t-il, lorsque l’on récite la Constitution américaine, la main sur le cœur ? Intégrons-nous ceux à qui l’on refuse la citoyenneté de droit et les milliers d’oubliés des manuels scolaires, Amérindiens, pauvres, immigrés ? Les héros américains sont-ils ceux dont on nous dit qu’il est de notre devoir de les vénérer ?

Aujourd’hui, les livres abondent qui soulignent les incohérences de Lincoln ou les mensonges de Jefferson. Mais lorsque Zinn commence à publier dans les années 1960, l’intelligentsia le taxe de propagandiste « communiste » et sa parole est disqualifiée comme « anti-américaine ». Il refuse, il est vrai, toutes les entourloupes du contrat social américain d’alors, au premier rang desquels la guerre du Vietnam et toutes celles, ultérieures, qui prétendront que l’Amérique est impériale parce qu’elle est bonne. Il n’a pas attendu qu’il soit de bon aloi de critiquer le bellicisme viscéral de l’administration de George W. Bush. Pas plus qu’il ne cacha ses inquiétude face à la politique de Barack Obama en Afghanistan, quelques mois à peine après l’élection euphorisante de ce dernier.

C’est aussi dans la salle de classe qu’il vivait son engagement, d’abord dans le collège pour jeunes filles noires de Spellman à Atlanta, où l’on envoyait les professeurs juifs privés de postes ailleurs, puis à New York et enfin à Boston. Sans jamais abandonner la lutte contre les inégalités et les injustices qu’il voyait miner l’idéal démocratique du pays, il enseigna à des milliers d’étudiants à regarder l’histoire de façon oblique, à renoncer à la prétentieuse vérité officielle pour choisir une « intrigue » (pour reprendre le mot de Paul Veyne) : la force historique des humiliati, par les yeux desquels le grand récit national nous apparaît moins glorieux, mais aussi plus riche. Craignant plus que tout la neutralité qui rend complice, il forma et soutint nombre d’historiens critiques qui revisitent l’histoire du monde avec une attention particulière au point de vue des insatisfaits. La romancière Alice Walker dit qu’elle n’eut jamais meilleur professeur. Sans doute le million et demi d’Américains qui ont acheté Une histoire populaire des Etats-Unis depuis sa parution en 1980 sont-ils également à compter parmi ses élèves.

A l’heure où le centrisme résigné de Barack Obama semble déboucher sur une impasse démocratique, la voix d’Howard Zinn nous rappelle que la gauche n’est pas une idée folle en Amérique.

Sylvie Laurent, américaniste à Sciences-po et Fellow au W.E.B Du Bois Institute de l’université Harvard


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