Sacre du Printemps/110e: Quel grand retour de la sauvagerie russe ? (Looking back, as Moscow’s new Führer ressurects long-forgotten barbarity, at Stravinsky’s primal and sacrificial images of pagan Russia that, on the eve of WWI, took Paris by storm and caused, complete with a riot in the end, one of the greatest scandals in the history of Western music)

29 mai, 2023

Ígor Stravinski y el escándalo que revolucionó la música del siglo XXA Reconstruction Of 'The Rite Of Spring' As The Infamous Ballet Turns 100 | WBUR News
Le massacre du printemps
A 2002 version of The Rite Of Spring by Ballet Preljocaj

Le Sacre du printemps (Louis Barreau, 2022)

Nicholas Roerich. The Rite Of Spring. Sketch for the ballet "Spring sacred" by I. Stravinsky

Il savait que cette foule en joie ignorait, et qu’on peut lire dans les livres, que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu’il peut rester pendant des dizaines d’années endormi dans les meubles et le linge, qu’il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses, et que, peut-être, le jour viendrait où, pour le malheur et l’enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse. Albert Camus (La Peste)
Il faut se rappeler que les chefs militaires allemands jouaient un jeu désespéré. Néanmoins, ce fut avec un sentiment d’effroi qu’ils tournèrent contre la Russie la plus affreuse de toutes les armes. Ils firent transporter Lénine, de Suisse en Russie, comme un bacille de la peste, dans un wagon plombé. Winston Churchill
Ca a commencé en septembre l’an passé, puis c’est monté crescendo. Au fur et à mesure de l’année, ça a commencé à s’aggraver (…) Au mois de février, en rangeant sa chambre, j’ai trouvé une lettre de suicide sous son matelas. On a avisé l’académie, le proviseur et la police… Sans suite. On a rencontré le proviseur une seule fois, et il nous a juste conseillé de lui supprimer son téléphone. Beau-père de Lindsay
La même force culturelle et spirituelle qui a joué un rôle si décisif dans la disparition du sacrifice humain est aujourd’hui en train de provoquer la disparition des rituels de sacrifice humain qui l’ont jadis remplacé. Tout cela semble être une bonne nouvelle, mais à condition que ceux qui comptaient sur ces ressources rituelles soient en mesure de les remplacer par des ressources religieuses durables d’un autre genre. Priver une société des ressources sacrificielles rudimentaires dont elle dépend sans lui proposer d’alternatives, c’est la plonger dans une crise qui la conduira presque certainement à la violence. Gil Bailie
Les médias sociaux ont porté « l’universalisation de la médiation interne » à un nouveau niveau, tout en réduisant considérablement les « domaines de la vie qui séparaient les gens les uns des autres ». Les médias sociaux sont le miasme du désir mimétique. Si vous publiez des photos de vos vacances d’été en Grèce, vous pouvez vous attendre à ce que vos « amis » publient des photos d’une autre destination attrayante. Les photos de votre dîner seront égalées ou surpassées par les leurs. Si vous m’assurez, par le biais des médias sociaux, que vous aimez votre vie, je trouverai un moyen de dire à quel point j’aime la mienne. Lorsque je publie mes plaisirs, mes activités et mes nouvelles familiales sur une page Facebook, je cherche à susciter le désir de mes médiateurs. En ce sens, les médias sociaux fournissent une plate-forme hyperbolique pour la circulation imprudente du désir axé sur le médiateur. Alors qu’il se cache dans tous les aspects de la vie quotidienne, Facebook s’insinue précisément dans les domaines de la vie qui sépareraient les gens. Très certainement, l’énorme potentiel commercial de Facebook n’a pas échappé à Peter Thiel, l’investisseur en capital-risque et l’un de ses étudiants à Stanford à la fin des années 80 et au début des années 90. Girardien dévoué qui a fondé et financé un institut appelé Imitatio, dont le but est de « poursuivre la recherche et l’application de la théorie mimétique dans les sciences sociales et les domaines critiques du comportement humain », Thiel a été le premier investisseur extérieur de Facebook, vendant la plupart de ses actions. en 2012 pour plus d’un milliard de dollars (elles lui avaient coûté 500 000 dollars en 2004). Seul un girardien très intelligent, bien initié à la théorie mimétique, pouvait comprendre aussi tôt que Facebook était sur le point d’ouvrir un théâtre mondial de désir mimétique sur les ordinateurs personnels de ses utilisateurs. Robert Pogue Harrison
J’entrevis dans mon imagination le spectacle d’un grand rite sacral païen : les vieux sages, assis en cercle, et observant la danse à la mort d’une jeune fille, qu’ils sacrifient pour leur rendre propice le dieu du printemps. Igor Stravinsky
C’est une série de cérémonies de l’ancienne Russie. Igor Stravinsky
À la fin de la « Danse sacrale », tout le public bondit sur ses pieds et ce fut une ovation. Je suis allé sur scène saluer Monteux qui, en nage, me gratifia de l’accolade la plus salée de ma vie. Les coulisses furent prises d’assaut et, hissé sur des épaules inconnues, je fus porté en triomphe jusque sur la place de la Trinité. Igor Stravinsky
Je m’abstiendrai de décrire le scandale qu’il produisit. On en a trop parlé. La complexité de ma partition avait exigé un grand nombre de répétitions que Monteux conduisit avec le soin et l’attention qui lui sont coutumiers. Quant à ce que fut l’exécution au spectacle, j’étais dans l’impossibilité d’en juger, ayant quitté la salle dès les premières mesures du prélude, qui tout de suite soulevèrent des rires et des moqueries. J’en fus révolté. Ces manifestations, d’abord isolées, devinrent bientôt générales et, provoquant d’autre part des contre-manifestations, se transformèrent très vite en un vacarme épouvantable. Pendant toute la représentation je restai dans les coulisses à côté de Nijinski. Celui-ci était debout sur une chaise, criant éperdument aux danseurs « seize, dix-sept, dix-huit » (ils avaient leur compte à eux pour battre la mesure). Naturellement, les pauvres danseurs n’entendaient rien à cause du tumulte dans la salle et de leur propre trépignement. Je devais tenir Nijinsky par son vêtement, car il rageait, prêt à tout moment à bondir sur la scène pour faire un esclandre. Diaghilev, dans l’intention de faire cesser ce tapage, donnait aux électriciens l’ordre tantôt d’allumer, tantôt d’éteindre la lumière dans la salle. C’est tout ce que j’ai retenu de cette première. Chose bizarre, à la répétition générale, à laquelle assistaient, comme toujours, de nombreux artistes, musiciens, hommes de lettres et les représentants les plus cultivés de la société, tout se passa dans le calme et j’étais à dix lieues de prévoir que le spectacle pût provoquer un tel déchainement. Igor Stravinsky (Chroniques de ma vie, 1935)
C’est de la musique de sauvage avec tout le confort moderne. Claude Debussy
Tout ce qu’on a écrit sur la bataille du « Sacre du printemps » reste inférieur à la réalité. Ce fut comme si la salle avait été secouée par un tremblement de terre. Elle semblait vaciller dans le tumulte. Des hurlements, des injures, des hululements, des sifflets soutenus qui dominaient la musique, des gifles, voire des coups. Les mots semblent bénins lorsqu’on évoque une telle soirée. Le calme reparaissait un peu quand on donnait soudain la lumière dans la salle. Je m’amusais beaucoup de voir certaines loges vindicatives et tonitruantes dans l’obscurité, s’apaiser aussitôt dans la clarté. Je ne cacherai pas que notre calme rivière était devenue un torrent tumultueux. On y voyait entre autres Maurice Delage grenat d’indignation, Maurice Ravel combatif comme un coq furieux, Léon-Paul Fargue vociférant des épithètes vengeresses vers les loges sifflantes. Et je me demande comment cette œuvre si difficile pour 1913 put être jouée et dansée jusqu’au bout dans un tel vacarme… Valentine Gross (Hugo)
On veut nous montrer les danses de la Russie préhistorique ; on nous présente donc, pour faire primitif, des danses de sauvages, des caraïbes et de canaques… Soit, mais il est impossible de ne pas rire. Imaginez des gens affublés des couleurs les plus hurlantes, portant bonnets pointus et peignoirs de bains, peaux de bête ou tuniques pourpres, gesticulant comme des possédés, qui répètent cent fois de suite le même geste: ils piétinent sur place, ils piétinent, ils piétinent ils piétinent et ils piétinent… Ils se cassent en deux et se saluent. Et ils piétinent, ils piétinent, ils piétinent… une petite vieille tombe la tête par terre, et nous montre son troisième dessous… Et ils piétinent, ils piétinent, ils piétinent… Et puis ce sont des groupes qui évoluent en ordre ultra serré. Les danseuses sont les unes contre les autres, emboîtées comme des sardines, et toutes leurs charmantes têtes tombent sur l’épaule droite, toutes figées dans cette pose tortionnaire par un unanime torticolis. (…) Evidemment, tout cela peut se défendre ; c’est là de la danse préhistorique. Plus ce sera laid, difforme, plus ce sera préhistorique. (…) La musique de M. Stravinsky est déconcertante et désagréable. Sans doute s’est-elle proposé de ressembler à la chorégraphie « barbaresque ». On peut regretter que le compositeur de l’Oiseau de Feu se soit laissé aller à de telles erreurs. Certes, on retrouve dans le Sacre du Printemps une incontestable virtuosité de l’orchestration, une certaine puissance rythmique, une facile invention de fragments mélodiques ou d’échantillonnages sonores, combinés en vue d’accompagner, ou de situer, ou de caractériser les mouvements scéniques. Il y a là un musicien heureusement doué, ingénieux, subtil, capable de force et d’émotion, ainsi qu’il l’a déjà prouvé. Mais, dans le désir semble-t-il de faire primitif, préhistorique, il a travaillé à rapprocher sa musique du bruit. Pour cela, il s’est appliqué à détruire toute impression de tonalité. On aimerait à suivre, sur la partition (que je n’ai pas reçue), ce travail éminemment anti-musical. Adolphe Boschot (L’Echo de Paris, 1913)
J’étais placé au-dessous d’une loge remplie d’élégantes et charmantes personnes de qui les remarques plaisantes, les joyeux caquetages, les traits d’esprit lancés à voix haute et pointue, enfin les rires aigus et convulsifs formaient un tapage comparable à celui dont on est assourdi quand on entre dans une oisellerie. (…) Mais j’avais à ma gauche un groupe d’esthètes dans l’âme desquels Le Sacre du printemps suscitait un enthousiasme frénétique, une sorte de délire jaculatoire et qui ripostaient incessamment aux occupants de la loge par des interjections admiratives, par des « bravos» furibonds et par le feu roulant de leurs battements de mains ; l’un d’eux, pourvu d’une voix pareille à celle d’un cheval, hennissait de temps en temps, sans d’ailleurs s’adresser à personne, un « À la po-o-orte ! » dont les vibrations déchirantes se prolongeaient par toute la salle. Pierre Laloy (Le Temps, le 3 juin 1913)
Si M. Igor Stravinski ne nous avait pas donné un chef d’œuvre, L’oiseau de Feu, et cette œuvre pittoresque et charmante, Petrouchka, je me résignerais à être déconcerté sur ce que je viens d’entendre. Je me bornerai à constater un orchestre où tout est singulier, étrange, et ingénié, multiplié pour confondre l’ouïe et la raison. Que cet orchestre soit extraordinaire, rien n’est plus certain; je crains même qu’il ne soit que cela. Pas une fois, le quatuor ne s’y laisse entendre ; seule y dominent les instruments aux sons violents et bizarres. Et encore M. Stravinsky a-t-il pris soin, le plus souvent, de les dénaturer dans la sonorité qui leur est propre. Aussi nulle trêve, qui ne serait que simplicité, n’est-elle accordée à la stupeur de l’auditeur. (…) Je n’en ai eu que stupeur ; je vais admettre que voici l’avènement d’une nouvelle musique à l’audience de laquelle ma sensibilité et mon goût ne sont pas encore préparés. Il n’est peut-être qu’ordre, harmonie et clarté, ce sacre du Printemps, où je n’ai guère discerné que de l’incohérence, des dissonances, de la lourdeur et de l’obscurité. (…) La chorégraphie de M. Nijinski se résume, ici, à une stylisation laborieuse des liesses très lourdes, des frénésies très gauches et des extases très mornes des tous premiers Russes. Nulle beauté, nulle grâce en tout cela : mais il est probable que M. Nijinski n’en a pas eu cure ; il en est justifié par ce qu’il eut dessein de nous évoquer. Et voilà un fort mélancolique spectacle. Georges Pisch (Gil Blas, le 30 mai 1913)
Toute réflexion faite, le Sacre est encore une « œuvre fauve », une œuvre fauve organisée. Gauguin et Matisse s’inclinent devant lui. Mais si le retard de la musique sur la peinture empêchait nécessairement le Sacre d’être en coïncidence avec d’autres inquiétudes, il n’en apportait pas moins, une dynamite indispensable. De plus, n’oublions pas que la collaboration tenace de Stravinsky avec l’entreprise Diaghilev, et les soins qu’il prodigue à sa femme, en Suisse, le tenaient écarté du centre. Son audace était donc toute gratuite. Enfin, telle quelle, l’œuvre était et reste un chef-d’œuvre ; symphonie empreinte d’une tristesse sauvage, de terre en gésine, bruits de ferme et de camp, petites mélodies qui arrivent du fond des siècles, halètement de bétail, secousses profondes, géorgiques de préhistoire. Jean Cocteau (Le Coq et l’Arlequin, 1918)
Il y a quelque chose qui circule du début à la fin qui fait que cette musique draine comme une lame de fond. L’idée est une sorte de désir, de rituel sacrificiel bien sûr, qui serait là pour réactiver la fécondité de la tribu. Je trouve, cette musique le dit très bien, cela. Cette espèce de pulsion à la fois effrayante et irrésistible, qui est finalement la sexualité. Alors j’ai essayé d’évoquer le désir féminin à travers cela. Et l’idée est que cette femme qui est choisie comme étant l’élue et donc le bouc émissaire, dans ma vision, elle passe du statut de victime au statut d’héroïne. Finalement, elle va au-delà de ce qu’on lui demande. Par cette force-là, cette détermination, elle réussit à vaincre les idées préconçues de la tribu. C’est l’œuvre qui ouvre la musique du 20e siècle. C’est un peu comme on dit que le 11-Septembre a ouvert le 21e siècle, le Sacre du Printemps a ouvert le 20e siècle en termes de musique. Angelin Preljocaj (Ballet Preljocaj, Pavillon Noir, Aix-en-Provence)
1913, c’était une période de l’histoire très curieuse dans le monde de l’art et dans l’histoire de l’Europe et de la France. Toutes ces dissonances musicales, toute cette énergie de Nijinsky – beaucoup disent que c’est là que sa folie a commencé à l’envahir – tous ces excès, tout est excessif dans le Sacre du Printemps, et quand on l’entend et qu’on le réentend, tout est magnifiquement orchestré. Et en même temps, quand on pense aux œuvres musicales et chorégraphiques qui étaient appréciées à cette période-là, on n’était pas du tout prêt pour beaucoup à entendre et à voir cela. En même temps, ce qui est très important dans des œuvres qui bouleversent, c’est qu’on sait, à partir de là, on ne pourra plus jamais regarder la danse ou entendre la musique de la même manière. Brigitte Lefebvre (Opéra de Paris)
La première du Sacre du printemps de Stravinsky, c’était le 29 mai 1913. Chorégraphiée par le danseur russe Vaslav Nijinsky, la pièce avait créé un scandale au Théâtre des Champs-Élysées à Paris. (…) Le public rit, chahute, le vacarme est tel que les danseurs n’entendent plus l’orchestre et que Nijinsky doit compter dans les coulisses pour que le ballet se poursuive. Aujourd’hui considérée comme un monument de la musique classique et du ballet, cette œuvre a été si mal reçue, parce qu’elle était complètement révolutionnaire. Il y a la musique de Stravinski où le rythme est le principal élément. Le compositeur imagine un grand rite sacral païen où des vieux sages, assis en cercle, observent la danse à la mort d’une jeune fille sacrifiée au Dieu du printemps. Et il y a aussi le ballet de Nijinsky qui renversait tous les codes de la danse classique. Fi des pointes et du célèbre en-dehors des pieds. Le chorégraphe russe avant-gardiste et inspiré présente des ballerines aux chaussons tournés vers l’intérieur, les genoux pliés. La danse moderne s’impose en pleine tradition du ballet russe. Mais le public n’est pas prêt. Et pour les puristes le choc esthétique est tel et la réaction des spectateurs tellement forte que la pièce doit s’interrompre tant le vacarme est importante dans la salle. Elle ne se poursuivra qu’après l’intervention de la police. (…) Depuis la chorégraphie de Nijinsky qui a créé le scandale, de nombreux chorégraphes se sont frottés au Sacre du Printemps. C’est devenu un passage obligé, la marque de la consécration. Parmi les grands noms de la danse qui ont signé un Sacre, il y a d’abord Maurice Béjart qui a marqué les esprits avec une chorégraphie d’une énergie et d’une grande modernité à l’époque, même si aujourd’hui cette version paraît un peu datée. Il y a le Sacre de Pina Bausch, un monument de la danse contemporaine où les interprètes vêtues de robes couleurs de sable dansent dans la terre, s’en imprègnent jusqu’à l’épuisement le corps battant au rythme infernal de la musique de Stravinski. Et puis d’autres Sacre encore, celui de Jean-Claude Gallota, Martha Graham, Paul Taylor, Mats Ek et Angelin Preljocaj. Muriel Maalouf
Il recèle une force ancienne, c’est comme s’il était rempli de la puissance de la Terre. Sasha Waltz
Je dois admettre que lorsque nous arrivons au moment qui précède la dernière danse… ma pression sanguine augmente. Je ressens une sorte de poussée d’adrénaline. Le miracle de cette pièce, c’est son éternelle jeunesse. Elle est si fraîche qu’elle est toujours aussi géniale. Esa-Pekka Salonen (Philharmonia Orchestra in London)
Même au point culminant, lorsque le groupe arrache ses vêtements à l’une des femmes et lui fait danser une sorte d’orgasme sacrificiel, le mouvement ne retient pas entièrement notre attention. C’est la frénésie contrôlée de Stravinsky qui domine la scène… Judith Mackrell
C’est, semble-t-il, la laideur volontaire et la grossièreté de l’évocation par Nijinski de la préhistoire russe qui ont réellement choqué le public. (…) Le paradoxe du primitivisme dans le Sacre est qu’il peut être entendu à la fois comme une vision horrifiante de l’impitoyabilité de la nature et comme une expression de l’inhumanité de l’ère de la machine. Le destin de « l’élue » dans la Danse sacrificielle est particulièrement effrayant. Elle est prise dans un tourbillon rythmique imparable dont elle ne peut s’échapper que par la terrible dissonance qui clôt la pièce et l’accord unique qui la tue. Cette musique parvient à sonner à la fois comme mécaniste et élémentaire, ce qui rend le Sacre aussi radical en 2013 qu’il l’était il y a 100 ans. Pourtant, malgré toute sa modernité, malgré l’insistance de Stravinsky à dire que tout est venu de « ce que j’ai entendu » (et malgré le fait que Puccini l’appellera plus tard « l’œuvre d’un fou »), le Sacre est enraciné dans les traditions musicales. Comme Bela Bartók en avait eu l’intuition, et comme l’a montré le musicologue Richard Taruskin, de nombreuses mélodies du Sacre proviennent d’airs folkloriques – y compris le solo de basson d’ouverture, qui est en fait une chanson de mariage lituanienne. Les chercheurs ont identifié plus d’une douzaine de références folkloriques à ce jour, mais il existe une tradition encore plus importante derrière le Sacre. L’œuvre est l’apothéose d’une façon de concevoir la musique qui a vu le jour dans les années 1830 avec Mikhaïl Glinka, le premier grand compositeur russe, et qui a inspiré Stravinsky, dont il aimait la musique. Le mouvement du Sacre, avec ses blocs de musique juxtaposés et superposés comme une mosaïque, est préfiguré non seulement par les précédents ballets de Stravinsky pour Diaghilev (L’Oiseau de feu et Petrouchka), mais aussi par la musique de son professeur Rimski-Korsakov et même par celle de Tchaïkovski. Ces « nouveaux » sons avec toutes ces dissonances en forme de poignard ? Si vous les regardez de près, vous constaterez qu’il s’agit de versions d’accords communs empilés les uns sur les autres ou construits à partir des gammes et des harmonies que Rimski-Korsakov, Moussorgski et Debussy avaient déjà découvertes. Et tous ces rythmes saccadés ? Ils sont dérivés, quoique de loin, de la manière dont fonctionnent certains de ces airs folkloriques. Il n’y a donc rien de si vieux qu’une révolution musicale. Mais même s’il est vrai que Stravinsky a pillé des traditions anciennes et modernes pour créer le Sacre, il y a quelque chose qui, finalement, ne peut pas être expliqué, quelque chose que vous devriez ressentir dans vos tripes lorsque vous faites l’expérience de l’œuvre. Un siècle plus tard, ce qui est vraiment choquant dans Le Sacre est toujours là, à son apogée. Une bonne représentation vous pulvérisera simplement. Mais une grande représentation vous fera sentir que c’est vous – que c’est nous tous – qui sommes sacrifiés par la musique envoûtante et sauvagement cruelle de Stravinsky. Tom Service
Sifflets, hurlements, interruptions : le vacarme que suscita l’œuvre scandaleuse résonne dans toute l’histoire… Heurtant le bon goût dressé sur les barricades de l’académisme, la musique de Stravinsky autant que la chorégraphie de Nijinski ont renversé en effet toutes les lignes esthétiques de l’époque par la liberté sauvage de leur composition… avant de devenir des classiques ! Inspiré du folklore russe, le Sacre met en scène de jeunes gens, une vieille voyante et un sage qui célèbrent l’arrivée du printemps par des danses et des jeux , jusqu’à la désignation d’une Elue parmi les vierges, destinée au sacrifice. Innombrables sont les artistes qui ont depuis défié cette partition, l’une des plus puissantes de la modernité, reconstituée dans sa version originale en 1987 par deux archéologues chercheurs de la danse, Milicent Hodson et Kenneth Archer. En 1975, Pina Bausch livre sa vision, magistrale, qui exalte la force tellurique des rites anciens par un chœur tournoyant, piétinant la terre matricielle autour de l’élue. Les syncopes, le feu percussif et les notes stridentes de violon emportent les corps dans un sabbat initiatique et sensuel jusqu’à la délivrance. Aujourd’hui Sasha Waltz crée son interprétation avec le Ballet du Théâtre Mariinsky, tandis qu’Akram Khan explore la musique de Stravinsky, son impact fulgurant, sa rudesse et ses aspérités révolutionnaires. Réunies au Théâtre des Champs-Elysées, ces quatre versions témoignent de l’inépuisable richesse du Sacre. Gwénola David
Impossible de faire l’impasse sur l’un des plus célèbres scandales de l’histoire de la musique : Le Sacre du Printemps crée en 1913 au Théâtre des Champs-Elysées reste assurément le choc musical du siècle.(…) Qu’est ce qui a le plus choqué les spectateurs le soir de la première du Sacre du Printemps : la musique ou la danse ? A moins que ce ne soit l’attitude des spectateurs les plus virulents présents dans la salle et la cacophonie devenue légendaire qui y régnait ? (…) Nous sommes à l’aube de la première guerre mondiale, deux mois après l’inauguration du Théâtre des Champs-Elysées. La salle est tournée vers la musique française : celle de Debussy ou encore de Dukas. La saison musicale est conçue par Gabriel Astruc, qu’il souhaite moderne et audacieuse. C’est donc naturellement qu’il fait appel aux célèbres Ballets russes de Diaghilev, compagnie qui crée à chaque fois l’événement lors de sa venue dans la capitale. Pour ce nouveau spectacle, Diaghilev propose à Vaslav Nijinski de s’atteler à la chorégraphie, tout en confiant la musique au jeune compositeur russe Igor Stravinsky. Le jour de la première, on peut apercevoir dans la salle, Picasso, Paul Claudel, Debussy, Florent Schmitt, Ravel, Cocteau, Poulenc et tant d’autres… Le Tout-Paris est présent ! (…) Alors qu’à peine les premières notes commencent à résonner, quelques murmures se font entendre dans la salle… Rapidement, un certain désordre gagne une grande partie du théâtre, avant de laisser échapper des sifflets et des huées. La musique n’est quasiment plus dicible et est recouverte d’invectives en tout genre : « C’est la première fois en soixante ans qu’on ose se moquer de moi ! » entend-on. Les spectateurs se déplacent dans la pénombre, s’alpaguant pour tantôt défendre tantôt railler ce qui se passe sur scène et en fosse : dans une loge, une dame en vient même à gifler son voisin qui venait de siffler. Des policiers ne tardent pas à arriver pour tenter d’atténuer ce pugilat. Durant tout ce temps, le spectacle subsiste tant bien que mal : les musiciens continuent de faire vivre la rythmique enivrante de la partition de Stravinsky pendant que les danseurs poursuivent leur rite païen dans une frénésie animale qui se clôturera par le sacrifice de l’élue. Pour Stravinsky, c’est la désolation la plus totale. Pourtant Gabriel Astruc avait bien tenté de calmer les esprits en interpellant le public à plusieurs reprises : »Ecoutez d’abord, vous sifflerez après », mais pour le compositeur, l’originalité de sa partition n’a pas eu l’écho mérité, rejetant la faute à Nijinski et à sa chorégraphie… Il aura fallu attendre l’année suivante, pour que Stravinsky assiste au succès de la version de concert de ce Sacre, réhabilitant ainsi tout le génie de sa musique. Jérémie Rousseau
Imaginé initialement par Stravinsky, l’idée de mettre en scène la Russie préhistorique à travers un rite ancestral a séduit Diaghilev. La rédaction de l’argument a été confiée à Stravinsky et Roerich, qui se trouvait être aussi un spécialiste des rites slaves anciens. Cet argument, fondé sur la renaissance du printemps et la nécessité de sacrifier une jeune fille désignée par les Dieux, contribua à générer chez le public une réaction emportée. (…) Dans ses Chroniques, Stravinsky a explicité l’objet de ce prélude, où tout l’orchestre permet de recréer l’apparition du Printemps. On peut y percevoir un ensemble de courtes mélodies, isolées et indépendantes, qui apparaissent progressivement et se superposent, combinées à des éléments rythmiques, tel le réveil ancestral et le bourgeonnement de la Nature. Uneprolifération d’idées qui s’étagent et s’opposent ; le discours musical semble hétéroclite, décousu et désorganisé. Les éléments entendus se juxtaposent, se chevauchent tel un collage; certaines mélodies sont interrompues avant de réapparaître et la partition peut s’apparenter à une improvisation notée. De plus, Stravinsky use d’un langage plus archaïque, fondé sur des échelles défectives, comme un matériau originel. Les échelles musicales s’apparent aux gammes ; les gammes majeure et mineure, employées à partir de la fin du XVIIe siècle jusqu’à alors dans la musique occidentale savante, comportaient sept sons. Les échelles défectives employées par Stravinsky sont davantage tétraphoniques ou hexaphoniques. Il s’inspire des langages musicaux beaucoup plus anciens, langages que l’on retrouvait aussi dans les musiques traditionnelles et folkloriques. Le compositeur aimait en effet emprunter des thèmes populaires russes ; ainsi, la mélodie initiale jouée par le basson dans l’aigu, découle d’une chanson lituanienne. Le plus souvent cependant, Stravinsky n’imite pas mais propose une recréation de mélodies folkloriques. Là encore, ces échelles défectives sont superposées et cette surimpression peut créer des dissonances, des effets simultanés majeur/mineur et de la polymodalité. Ce passage [des Augures printaniers], l’un des plus surprenants et agressifs pour le public, repose sur une pulsation marquée sur une mesure à deux temps, un ostinato qui évoque un aspect motoriste, mais perturbé par des accentuations sonores inattendues qui déstabilisent cette organisation rythmique. Les accentuations sont placées sur des temps faibles et positionnées à des moments différents pour créer cette instabilité. Le choc musical est aussi harmonique et repose sur l’usage d’un accord nommé par Stravinsky », massif et dissonant, qui sera répété en ostinato, contribuant par cette répétition inlassable à constituer une musique incantatoire. Cet agrégat-accord, dont la nature a alimenté de nombreux débats analytiques, peut être entendu comme la superposition de deux accords consonants qui ensemble forment une masse discordante et perçue comme cacophonique, assénée dans une nuance fortissimo. Certains perçoivent cet accord comme un bloc sonore de timbres. On peut l’interpréter comme un procédé de surimpression tel un décalage de type cubiste musicalisé. La danse sacrale clôt le ballet ; le rite du sacrifice y est accompli. Construit à partir d’une forme rondo (alternance d’un refrain et de couplets différents), cette danse sacrale permet de retrouver l’ensemble des signatures musicales du ballet : la continuité-discontinuité du discours, la clarté formelle à grande échelle mais cependant noyée par la multiplicité des éléments sonores, la perturbation entre une pulsation marquée et un jeu d’accents décalés, renforcé par des changements de mesure et des cellules rythmiques asymétriques et apériodiques doublée de leurs superpositions créant de la polyrythmie, le chevauchement d’éléments hétéroclites et les innovations harmoniques (retour de « l’accord-toltchok). Dans le prélude du ballet, Stravinsky confie le premier thème au basson mais dans l’aigu, de sorte que l’instrument est à peine reconnaissable. Ce détournement de l’usage traditionnel du basson caractérise l’attitude du compositeur qui s’emploie à proposer des couleurs et des alliages davantage insolites. Si ce chatoiement orchestral n’a pas provoqué en lui-même de réactions vives et houleuses, il a contribué à façonner l’identité musicale du Sacre du printemps. La montée en puissance de la tension qui accompagne la danse de l’Élue est réalisée par l’ajout progressif des vents, des cuivres et des percussions dans un crescendo orchestral rugissant. La Belle au bois dormant (…) est un exemple emblématique du ballet romantique, avec une réelle intrigue, des péripéties, qui reposent sur un ensemble de pas, d’attitudes et de sauts qui caractérisent la danse classique, légère et aérienne. (…) Par opposition, la chorégraphie de Nijinsky abandonne ces caractéristiques ou les revisite il ne s’agit pas pour autant d’une volonté de rupture. Nijinsky a réalisé la chorégraphie après avoir pris connaissance de la musique, des décors et des costumes. Il propose de transposer les motifs géométriques des costumes en privilégiant le cercle mais aussi les ovales et des croisements de ligne. Le cercle y est valorisé car il a une signification symbolique, celle du cycle de la vie et de la Nature. Le vocabulaire de la danse classique est questionné ; Nijinsky a débuté par le solo de l’Élue à partir duquel l’ensemble de la chorégraphie a été élaborée. L’attitude des corps est en repli, courbée dans une attitude craintive, avec les pieds en dedans. Les sauts sont lourds et massifs ; on ne recherche pas la légèreté mais au contraire le trépignement et le piétinement qui s’ancre dans la Terre. Plusieurs danseurs se positionnent aussi de côté comme dans le Prélude à l’après midi d’un faune (première chorégraphie de Nijinsky signée en 1912), avec la tête penchée sur le côté. Les gestes sont saccadés et anguleux. Par ailleurs, les solos ou duos y sont rares et Nijinsky opte davantage pour des blocs et des masses. On observe aussi des moments d’exaltation où les corps sont pris de tremblements et de convulsions. Aucune expression ne transparaît sur les visages car tout passe par le corps. Ainsi, en inversant et en détournant le vocabulaire chorégraphique classique, Nijinsky a provoqué une réaction très vive de la part des spectateurs qui ont été totalement déroutés. (…) La musique du Sacre du printemps stimule d’autres chorégraphes et aujourd’hui, on compte plus d’une centaine de chorégraphies et spectacles réalisés à partir de la partition de Stravinsky. Dès 1920, Diaghilev demande à Léonide Massine de proposer une nouvelle version chorégraphique sur la musique du maître russe. Cette émulation prend un essor spécifique avec la relecture de Maurice Béjart. Donnée au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles en 1959, sa version chorégraphique détourne l’argument pour en faire un rituel amoureux qui s’achève sur le coït des couples réunis (…) Dirigée par Pierre Boulez, [la] version de Bartabas [2000] renoue avec l’argument du Sacre du printemps en proposant un spectacle qui se rapporte aux racines primitives de l’humanité. Cependant, il inverse l’argument en présentant le sacrifice d’un jeune homme. La renaissance du printemps est incarnée par l’apparition de jeunes hommes qui rampent dans l’obscurité jusqu’au centre de la piste et commencent à exécuter divers mouvements séparément dans une polyrythmie du corps. À partir des « Augures printaniers » entrent en scène des cavaliers et des amazones avec lesquels les danseurs vont s’opposer, s’observer, s’évaluer, se pourchasser et se mesurer. La chorégraphie mélange danse équestre et Kalarippayat, un art martial du sud de l’Inde très ancien, que l’on date du Ve siècle, et dont les mouvements évoquent une danse rituelle. Les danseurs empruntent tantôt des postures proches du sol, y rampent, pour marquer leur ancrage dans la Terre ; tantôt ils exécutent des mouvements et des sauts qui les élèvent vers le ciel. Les jeux de lumière contribuent à renforcer la sacralité qui émane du ballet. La couleur ocre et feu y domine dans un éclairage en clair-obscur, complété par le bronze des corps demi-nus des danseurs et contrepointé par les robes des chevaux, blancs, noirs, crème et isabelle. La piste est recouverte de terre. L’espace scénique est marqué par un double cercle, en hommage à Nijinsky.Le metteur en scène Romeo Castelluci [2014] questionne les notions de sacrifice et de rituel à notre époque où ces mots semblent oubliés ou s’incarner dans l’industrie et la chimie. Les spectateurs découvrent ainsi sur scène des machines suspendues, accrochées au plafond, qui déversent de la poussière dans un ballet rythmé par la musique de Stravinsky. Cette danse de la poussière épouse chaque élan rythmique, chaque accent, et plonge le spectateur, par les jeux de lumière bleutée, dans une atmosphère irréelle, à la fois onirique et inquiétante. Les danseurs y sont absents ou, plus exactement selon le metteur en scène, « atomisés dans l’air ». Les particules poudreuses qui s’éparpillent sous les projecteurs sont constituées de poussière d’os d’animaux, utilisée comme fertilisant actuellement pour les cultures. Les références à la mort, au sacrifice, à la nécessité de nourrir la Terre sont ici revisitées de manière symbolique. C’est une vision synthétique où la danse renvoie autant à la vie qu’à une mort céleste. Eduscol
[Le]  scandale (…) qui accompagna la création du Sacre du printemps fut si considérable que sur la scène, les quarante-six danseurs n’entendaient plus le grand orchestre symphonique de cent vingt musiciens. Vaslav Nijinski, debout sur une chaise dans la coulisse, devait leur hurler les mesures. «Étonne-moi», avait dit Serge de Diaghilev à Jean Cocteau, pour résumer sa ligne artistique. Ce 29 mai 1913, le mentor des Ballets russes s’avouait un peu dépassé par sa propre formule. Igor Stravinsky est à l’origine du Sacre du printemps. Dans la Russie qui s’ouvre alors vertigineusement vers l’Occident, il se veut, comme d’autres artistes, attentif aux racines slaves. (…) Avec le peintre et ethnographe Nicolas Roerich, qui signe les costumes et les décors, ils ébauchent un livret. Serge de Diaghilev confie la chorégraphie de ces tableaux de la Russie païenne à Nijinski. Le dieu de la danse est fatigué des grands sauts qui font pâmer le Tout-Paris. Il cherche d’autres révolutions. Stravinsky aussi, qui devine qu’elles pourraient ne pas faire l’unanimité: «Je crains que Le Sacre du printemps, où je ne fais plus appel à l’esprit des contes de fées ni à la douleur et à la joie tout humaines, mais où je m’efforce vers une abstraction un peu plus vaste, ne déroute», écrit-il, sans museler pour autant son inspiration. «Combien de temps ça va durer?», demande Diaghilev quand Stravinsky lui joue pour la première fois au piano «La danse des adolescentes». «Le temps qu’il faudra», répond le ­compositeur. Nijinski ne cherche pas davantage à plaire. Les trois complices sont immergés dans leur souci de ­donner à voir et à entendre, selon le mot de Stravinsky, «la montée totale, panique, de la sève universelle» dans la Russie primitive. Nicolas Roerich ­habille les danseurs de longues ­tuniques. En cent vingt laborieuses ­répétitions, Nijinski leur commande de marteler le sol pieds en dedans et poings sur les joues. «La chorégraphie était incomparable ; à l’exception de quelques endroits, tout était comme je le voulais», écrit en 1913 Stravinsky, qui s’en dédiera plus tard. «Un docteur!», non «Un dentiste», «Deux dentistes», hurle-t-on dans la salle le soir de la création de ce qu’on surnomme déjà «Le Massacre du printemps». (…) En vain, Diaghilev commande-t-il aux machinistes d’éteindre et de rallumer la lumière du théâtre pour calmer le public. Ravel, qui défend l’œuvre se fait traiter de sale Juif. Debussy, qui a cru perdre l’ouïe pendant les trente-trois minutes du spectacle, résume: «C’est de la musique de sauvage avec tout le confort moderne.» «Le travail d’un fou», assène Puccini, qui assiste à la seconde le 1er juin. Le scandale est si fracassant que son écho se propage encore: pourquoi tant de bruit? «La grande nouveauté du Sacre du printemps, c’est le renoncement à la sauce», analyse génialement Jacques Rivière, détaillant son propos sur la musique et la danse dans la Nouvelle Revue ­française, en 1913. «Voici une œuvre absolument pure. Aigre et dure, si vous voulez, mais dont aucun jus ne ternit l’éclat, dont aucune cuisine n’arrange ni ne salit les contours ; (….) tout est ici franc, intact, limpide et grossier. Le ­Sacre du printemps est le premier chef-d’œuvre que nous puissions opposer à l’impressionnisme.» Avant d’être repris quatre fois à ­Londres, Le Sacre sera donné quatre fois à Paris. Dans la salle, Valentine Gross Hugo saisit les danses au crayon. Ses dessins, ajoutés à quelques photos, ­témoignages, notations de Marie ­Rambert, qui a assisté Nijinski, serviront à Millicent Hodson et Kenneth ­Archer à le reconstituer en 1987, soixante-quatorze ans après sa création. Le Figaro
« Le Sacre du Printemps » naquit d’une idée du peintre Nicolas Roerich à qui Stravinsky avait demandé le livret d’un ballet. Passionné par l’antique patrimoine des peuples slaves, mais en amateur plus ou moins éclairé, un patrimoine que des artistes comme lui faisaient découvrir à leurs compatriotes russes sans nécessairement faire preuve de rigueur scientifique, Roerich conçut l’ouvrage comme un rite païen des anciens âges, un rituel barbare célébrant le retour du printemps en sacrifiant une vierge, l’Elue, aux forces de la Nature. Le thème était brutal, même si rien de ce que l’on savait des anciens Slaves ne parlait de tels sacrifices humains. Envoûté, Stravinsky composa une musique d’une puissance tellurique qui aujourd’hui encore révolutionne les sens. Et Nijinski s’engouffrera dans le projet avec toute la sauvagerie de son génie, persuadé de la nécessité d’inventer des formes nouvelles. (…) Au Théâtre des Champs-Elysées, la Saison russe confiée à Diaghilev dure du 15 mai au 21 juin avec opéras et ballets en alternance (…) la création du « Sacre » est (…) prévue pour le 29. La générale s’est déroulée sans heurts, mais Diaghilev qui a flairé ce qui pouvait advenir dès que Stravinsky lui joua « le Sacre » au piano, l’été précédent, à Venise, installe au promenoir tout un bataillon d’inconditionnels. Il y a là Maurice Ravel, premier admirateur de Stravinsky, Florent Schmitt, Maurice Delage, Jean Cocteau, Léon-Paul Fargue et Valentine Gross, future Valentine Hugo. Pour la première qui voit accourir le Tout Paris, celui du Faubourg Saint-Germain, du côté des Guermantes, comme celui des Verdurin, un Tout Paris étincelant de pierreries et de décorations, ce promenoir courant entre les loges de la corbeille et les premières loges est donc investi par des modernes prêts à en découdre. Mais alors que pour les batailles d’ »Hernani » ou de « Tannhäuser », les belligérants étaient nettement séparés, ils sont ici au coude à coude. Un plan de guerre qui annonce l’inévitable pugilat. (…) Le public élégant se déchaîne dès les premières mesures du « Sacre ». Ou plus précisément dès que les danseurs arrivent sur scène dans des attitudes voulues primitives qui font un effet désastreux. Le vacarme est tel que sur le plateau ceux-ci n’entendent plus l’orchestre dirigé par Pierre Monteux, héroïque dans la tempête, et que Nijinski, blême, juché sur une chaise, doit leur hurler des indications depuis la coulisse. Quand les danseuses apparaissent, genoux pliés, pieds en dedans, un crétin en habit lance : »Un docteur ! » et un autre : « Un dentiste ! » alors que les jeunes femmes soutiennent du poing droit leur visage incliné de côté, selon une figure des danses russes traditionnelles dont s’est inspiré le chorégraphe. Coups, gifles, invectives fusent de toutes parts. « Taisez-vous, les garces du XVIe », hurle Florent Schmitt aux hystériques des loges alors que Ravel se fait traiter de « sale juif » par des messieurs à monocle, toujours la formule élégante à la bouche. (…) Un an plus tard, « le Sacre du Printemps » est joué en concert au Casino de Paris dans un tel climat d’exaltation que le public portera Stravinsky en triomphe jusqu’à la place de la Trinité. Mais après avoir été exécutée quatre fois à Paris et autant à Londres en juillet, la chorégraphie de Nijinski, elle, est abandonnée. Borné, Stravinsky lui attribue l’échec du « Sacre », sans réaliser l’extraordinaire accord entre danse et partition, l’une et l’autre révolutionnaires. (…) Diaghilev commandera une autre version du « Sacre » à Léonide Massine qui a succédé à Vaslav dans le lit du maître et au poste de chorégraphe. Mais il n’a pas le génie de son prédécesseur, même si sa talentueuse version, dansée elle aussi aux Champs-Elysées en 1920, annonce le style que plus tard développera Maurice Béjart. La version de Massine sera la deuxième des quelque 250 chorégraphies écrites à ce jour sur « le Sacre du printemps ». Dont deux sont des chefs d’œuvre. Celle de Maurice Béjart, créée à Bruxelles en 1960 par le futur Ballet du XXe Siècle, et reprise dans ce même Théâtre des Champs Elysées en 1971 et en 1980 par le Ballet de l’Opéra de Paris. Et celle de Pina Bausch, datant de 1975, que le Tanztheater de Wuppertal vient interpréter en juin pour la saison du centenaire. Perdue, mais demeurée dans les mémoires, la chorégraphie de Nijinski était devenue un mythe. Ayant longuement travaillé avec Marie Rambert, étudié dessins, documents de toutes sortes dont les notes rédigées par Nijinski et Roerich ou celles des danseurs, guidés encore par leur instinct de savants passionnés, deux Anglo-saxons, Milicent Hodson et Kenneth Archer, parviennent miraculeusement à reconstituer la chorégraphie originale en 1987 pour les Américains du Joffrey Ballet. Personne n’en savait plus rien et moins encore les Pourtalès d’aujourd’hui. C’est une révélation. Avec la chorégraphie ressuscitée, réapparaît tout le génie sauvage, immodéré de Nijinski, ses outrances aussi, et son œuvre est aussi bouleversante aujourd’hui qu’elle le fut en 1913, pour ceux capables de la comprendre. Presque tous les danseurs des Ballets Russes avaient appartenu au Théâtre impérial Marie, à Saint-Pétersbourg, le Mariinsky. Ce sont leurs lointains successeurs qui viennent aujourd’hui danser « le Sacre du printemps » au Théâtre des Champs-Elysées dans sa chorégraphie originale. Le 29 mai 2013, cent ans, jour pour jour, après le légendaire scandale qui salua la naissance de l’art du XXe siècle. Raphaël de Gubernatis
Un an avant que la Grande Guerre de 14-18 n’embrase l’Europe entière, la musique ouvre violemment les hostilités. Le 29 mai 1913, les Ballets russes de Serge de Diaghilev lâchent sur Paris un obus orchestral de première puissance : Le Sacre du printemps, d’Igor Stravinsky. Chorégraphié par Nijinski, danseur vedette de la troupe, ce ballet transforme en champ de bataille le Théâtre des Champs-Elysées, inauguré un mois plus tôt avenue Montaigne. Chargée d’un reportage dessiné sur le spectacle et sa préparation, Valentine Hugo se souvenait : « Ce fut comme si la salle avait été secouée par un tremblement de terre, elle semblait vaciller dans le tumulte. » Mais le théâtre bâti par les frères Perret, premier édifice parisien à être construit en béton armé, repose sur des fondations solides. (…) Quant à la composition de Stravinsky, le scandale de sa création marque un tournant historique, l’avènement d’une nouvelle ère musicale, balayant l’académisme et le ronron ambiants. Le mot mi-admiratif, mi-narquois de Debussy a fait fortune : « De la musique de sauvage avec tout le confort moderne. » Musique de sauvage comme, à la même époque, Les Demoiselles d’Avignon, de Picasso, La Femme au chapeau, de Matisse, sont de la peinture de sauvage. Fatiguée des tourments égotistes du romantisme, lassée des alanguissements morbides du symbolisme, l’Europe semble vouloir se régénérer en puisant une force brute, une vigueur vierge dans l’art primitif. Recette aussi salutaire qu’efficace. Fleuron permanent des programmes symphoniques, Le Sacre du printemps témoigne d’une vitalité intacte (…) Dans ce cadre huppé, rien ne laisse prévoir le scandale qui éclate le 29 mai 1913. La veille, la générale se déroule sans incident, devant un parterre de professionnels et d’invités. Le succès incontesté de L’Oiseau de feu, en 1909, puis celui de Petrouchka, en 1911, ont confirmé la maîtrise, gagnée à pas de géant, d’un compositeur de 30 ans. « En deux ans, j’ai l’impression d’avoir bondi de vingt »,constate l’ancien élève de Rimski-Korsakov. L’oreille avertie de Debussy ne s’y trompe pas : « Il y a dans Petrouchka une sorte de magie sonore, des sûretés orchestrales que je n’ai rencontrées que dans Parsifal ; vous irez plus loin, assure l’aîné à son cadet, mais vous pouvez déjà être fier. » Avec ce Sacre, auquel il pense depuis 1910, Stravinsky fonce plus vite et plus loin, pour frapper plus fort. Ces « Images de la Russie païenne » – sous-titre de l’œuvre –, il les a d’abord visualisées avec son compatriote le peintre et ethnologue Nicolas Roerich, futur réalisateur des costumes et des décors. C’est lui qui a évoqué au compositeur ce rite très ancien, à l’arrivée du printemps, d’adoration de la terre, à laquelle les ancêtres sacrifient en gage de fertilité une jeune vierge, « l’élue ». Cette cérémonie d’une barbarie archaïque, cette sauvagerie tribale, Stravinsky les instrumente de couleurs criarde (clarinette piccolo), agressive (petite trompette en ré) ou crue (trombones, grosse caisse) ; il les rythme de martèlements brutaux, de déflagrations tonitruantes, de chocs répétés entre blocs sonores qui se heurtent de plein fouet. En imprésario avisé, Diaghilev y pressent les clés d’un succès renouvelé pour sa huitième saison parisienne. Il en confie la chorégraphie à son danseur fétiche, Vaslav Nijinski, dont les poses lascives, d’un érotisme équivoque, ont déjà choqué dans Prélude à l’après-midi d’un faune. Cette fois, le jeune félin imagine des gestes anguleux, des piétinements saccadés, qui contreviennent aux canons classiques : pieds et genoux en dedans, cou cassé, dos voûté et bras ballants. « La vraie grâce se moque du gracieux », admire Jacques Rivière, patron clairvoyant de la NRF. « Exactement ce que je voulais », se félicite Diaghilev au sortir de cette nouvelle bataille d’Hernani, qui se reproduit les soirs suivants et s’exporte même outre-Manche pour les représentations londoniennes ! Mais, l’année suivante, l’exécution symphonique seule, sans ballet, au Casino de Paris, remporte une ovation sans bémol, tandis que Stravinsky est porté en triomphe jusqu’à la place de la Trinité. Musique sans précurseurs ni descendance, même dans le catalogue du compositeur, Le Sacre du printemps – ces « Géorgiques de la préhistoire », selon Cocteau – libère et défriche l’horizon musical, loin des macérations liturgiques d’un Wagner, de l’alchimie vaporeuse d’un Debussy. Emblème de la modernité pour tout le xxe siècle, le Sacre, si radical dans l’audace et la liberté de son écriture, ne pouvait être qu’un météore unique ; mais l’exemple de son émancipation harmonique, de ses combinaisons à l’infini de timbres et de rythmes a stimulé l’imaginaire des générations ultérieures – d’Olivier Messiaen à Steve Reich, de Pierre Boulez à John Adams. Les chorégraphes n’ont pas été en reste, de Maurice Béjart à Mats Ek, de Pina Bausch à Angelin Preljocaj. Télérama
On peut parler d’une mosaïque sonore analogue au cubisme en peinture. Benoît Chantre
Quelques livres sur Le Sacre du printemps ont pressenti la relation de ce ballet avec le cubisme, le primitivisme et le commencement de la guerre. On peut dire également que le caractère mosaïque de la danse rappelle le cubisme. Chaque groupe de danseurs a simultanément des rythmes différents à suivre. Il s’agit de la simultanéité du mouvement divers de plusieurs danseurs. Il y a plusieurs points de vue dans une oeuvre. Cette idée rejoint le cubo-futurisme russe qui est marqué par le cubisme. Par exemple en 1912, Kasilir Malevich, dans sa peinture The Knife-Grinder, a commencé à repenser l’interprétation du corps humain en déplaçant l’accent sur le temps et sur le mouvement à partir de la forme, du volume. Il a montré différentes étapes du même mouvement, comme la représentation séquentielle du corps humain dans un tableau. Préhistoire et modernité
Ce Sacre du printemps, lorsque je l’ai découvert, m’a paru comme une œuvre absolument extraordinaire sur le plan de ce que j’appelle la révélation du meurtre fondateur dans la culture moderne. C’est-à-dire le véritable avènement du christianisme. La découverte du meurtre fondateur sous une forme telle qu’il rend sa reproduction impensable, impossible, trop révélatrice ! Si on regarde Le Sacre du printemps de près, on s’aperçoit que c’est un sacrifice, le sacrifice de n’importe qui, d’une jeune femme qui est là, par une espèce de tribu païenne et sauvage de la Russie archaïque, qui se termine par la mort de cette femme. (…) est-ce qu’elle meurt d’avoir trop dansé ou est-ce que c’est un euphémisme pour nous dire la vérité sur ce qui se passe, et qui est son étouffement par la foule ? À mon avis, « mourir d’avoir trop dansé » est l’euphémisme esthétique qui explique la chose. Dans une reconstitution que j’ai vue récemment de la représentation initiale du Sacre du printemps, tout commence par une dame extrêmement respectable, de l’aristocratie américaine, qui a certainement donné de l’argent pour cette reconstitution, et qui dit : « Surtout, ne vous imaginez pas qu’il s’agit d’un sacrifice. Et qu’il s’agit d’une mort religieuse », etc. Alors je pense que cet avertissement doit être pris en sens contraire et fait partie de la révélation de la chose et la rend en quelque sorte aussi comique que tragique, ce qui me paraît parfaitement justifié. (…) à mon avis c’est la danse qui a le plus scandalisé le public parisien, danse très moderne en ceci qu’elle est faite de coups sourds, de piétinements : elle rythme les piétinements de la foule, qui au fond piétine la victime. Le spectacle n’est pas très exactement reproduit sous sa forme la plus tragique, bien entendu, mais il est là et ces piétinements sont là et en même temps, il y a quelque chose qui correspond dans les costumes de la représentation originale. (…) Dans les motifs. Ces bandes parallèles les unes aux autres, parfaitement parallèles, dont on peut dire qu’elles annoncent le cubisme ou qu’elles le rappellent. Donc un refus de la joliesse, du joli. Et une entrée dans une espèce de primitivisme dont on ne peut pas dire, chez Stravinsky, qu’il soit influencé par qui que ce soit, parce que si je comprends bien, Le Sacre du printemps c’est son arrivée de Russie. Il n’a pas été en contact avec toute l’agitation de l’art moderne. Mais il pénètre dedans avec une espèce de volupté narquoise, moqueuse et très consciente de ce qu’elle fait. Les photos de Stravinsky à l’époque me semblent faire partie du spectacle. Il a quelque chose de sardonique et de diabolique qui a l’air de dire : « Je leur fiche un truc dans la figure dont ils ne soupçonnent pas la puissance. » Mais cette puissance était quand même manifeste dans l’émeute qui a eu lieu. (…) La foule a tout cassé littéralement, les chaises, etc. Et je pense que cette émeute, parce qu’on peut parler d’une véritable émeute, c’est essentiel qu’elle soit là : à partir du moment où l’art moderne ne crée plus des réactions de ce genre, il est mort. Il est devenu beaucoup plus académique que tout art académique, dans ce sens qu’il essaie de ritualiser la révolution. On peut dire que tout le monde moderne depuis très peu de temps après 1913 n’a été qu’un effort pour ritualiser la révolution. (…) On a vu sa puissance, mais enfin on est déjà en plein art moderne et le refus du public d’une certaine manière a servi l’œuvre, a accompli son triomphe. (…) [avec] Nijinski, qui tout de suite après Le Sacre du printemps, si je comprends bien, devient fou ? (…) Il y a donc (…) un parallèle très net avec la retraite de Hölderlin, à partir du moment où il a vu que la synthèse qu’il espérait entre l’archaïque et le chrétien n’était pas possible. (…) Stravinsky était un chrétien, beaucoup plus calme que ne l’était Nijinski, mais c’était quand même un chrétien, donc il y a dans Le Sacre du printemps et c’est une chose essentielle pour moi, un aspect terreur ou tout au moins j’ai cru le percevoir dans cette scène qui démentit complètement l’idée que la jeune fille meurt par abus de la danse, donc que l’œuvre est essentiellement esthétique. C’est-à-dire qu’il voit l’idée du sacrifice, qui refait sur cette scène ce que font au fond tous les sacrifices fondateurs, c’est-à-dire la cacher, la dissimuler. Mais que d’une certaine manière Stravinsky amène une conscience qui me paraît exceptionnelle et qui fait partie de ce que j’appellerais la révélation moderne du meurtre fondateur qui est essentiellement une révélation chrétienne. (…) Et les œuvres qui révèlent ne sont pas des parodies, ce sont des œuvres qui prennent le phénomène sérieusement et qui le regardent comme étant essentiellement la tragédie de l’humanité, la tragédie de l’archaïque, c’est-à-dire le rôle que joue la violence dans le religieux et qui est indispensable à l’homme pour écarter sa propre violence, c’est-à-dire le sacrifice, qui est de rejeter notre violence sur une victime innocente, mais qui est le geste principal par lequel l’humanité se distingue au départ de l’animalité, c’est-à-dire a besoin d’évacuer sa violence. Étant trop mimétique pour vivre dans la paix et étant toujours en rivalité avec ses semblables, elle a besoin de ces expériences dont Aristote dit justement qu’elles sont cathartiques et qui sont la mise à mort d’une victime solennelle, religieuse. L’archaïque c’est cela. (…) C’est-à-dire que ce qu’il y a d’extraordinaire dans le chrétien, c’est qu’il peut apparaître à tous les gens qui se sont occupés de lui, à tous les ethnologues, comme ce qu’il est apparu à Celse au IIe siècle après J.-C. : « C’est la même chose que nos mythes et vous ne voyez pas que c’est exactement pareil. » C’est tellement vrai que c’est complètement faux, dans la mesure où la victime véritable, celle qui révèle tout, nous dit son innocence et le texte des Evangiles nous répète cette innocence sur tous les tons ; alors que la victime archaïque est essentiellement coupable aux yeux de ceux qui l’accusent, coupable du parricide et de l’inceste. C’est l’opposition entre Œdipe et le Christ. (…) L’archaïque occulte le mal de l’humanité en le rejetant sur la victime. Il n’y a qu’un héros parricide et inceste, c’est Œdipe. (…) [Le chrétien] révèle le péché de l’humanité (…) [fait de l’archaïque un spectacle (…) et un spectacle accusateur. Accusateur à juste titre. René Girard
Le réchauffement climatique met au jour des restes d’humains, d’animaux et de végétaux conservés dans le permafrost, parfois depuis des centaines de milliers d’années. Les bactéries, les virus et les parasites qu’ils contiennent ne sont pas forcément morts avec leurs hôtes, ils sont pour beaucoup seulement endormis. Les virus semblent perdre en intensité avec la congélation et le temps, ce qui n’est pas le cas pour les bactéries. En 2016, une épidémie de la maladie du charbon (anthrax) a décimé les troupeaux de rennes en Sibérie. Les deux souches de ce bacille étudiées par les scientifiques remontaient au XVIIIe et au début du XXe siècle. Le risque de propagation est bien réel. Pour l’instant, la résurgence se fait de manière locale, mais elle pourrait se répandre à l’ensemble de la planète. Avec la liquéfaction du permafrost, les agents infectieux peuvent migrer dans les eaux mais aussi s’agglomérer sous les semelles des chaussures. Car si les régions du Grand Nord abritent des populations parfois très isolées, elles attirent aussi des touristes, des scientifiques, des chasseurs de fossiles… Il est indispensable que des précautions sanitaires drastiques soient prises pour éviter une éventuelle propagation. Aujourd’hui, trop peu de scientifiques s’y intéressent. Il y a pourtant une vraie urgence à prévoir l’avenir. Des épidémies peuvent toujours survenir, causées par des bactéries très résistantes, comme le charbon (anthrax), que l’on a retrouvé dans des cadavres d’animaux en Sibérie en 2016. Ces germes sont effectivement très robustes. Mais une épidémie de charbon s’arrête facilement. Les virus, eux, tels que nous les connaissons, ne sont pas très résistants. Il y a peu de risques qu’ils puissent être conservés au point d’être viables. Ils supportent difficilement les changements d’état. Pour qu’ils soient viables, il faudrait qu’il n’y ait jamais eu de décongélation et qu’ils soient récupérés à l’état congelé. En revanche, le risque pourrait venir des expériences de l’homme. Le danger serait de pouvoir reconstituer des virus disparus à partir de virus morts. Ça a déjà été le cas. Des scientifiques ont prélevé des fragments du génome du virus de la grippe espagnole sur le cadavre d’un esquimau inuit. Ces fragments, associés à des échantillons d’hôpitaux, ont permis de reconstituer la séquence de ce virus disparu qui a décimé des populations. Philippe Charlier (médecin légiste et archéo-anthropologue)
Cette découverte démontre que si on est capable de ressusciter des virus âgés de 30.000 ans, il n’y a aucune raison pour que certains virus beaucoup plus embêtants pour l’Homme, les animaux ou les plantes ne survivent pas également plus de 30.000 ans. » Pr Claverie

Le virus venait donc bien du froid…

Que le réchauffement climatique pourrait réveiller de leur sommeil de 30 000 ans …
Poutine et ses sbires nous ressuscitent sur le peuple ukrainien une barbarie que l’on croyait enterrée depuis bientot 80 ans …
Pendant que plus près de chez nous décuplé par les réseaux sociauxle mécanisme victimaire continue à faire ses ravages dans nos écoles …
Comment ne pas repenser …
En ce 110e anniversaire, jour pour jour à Paris même, de sa légendaire première …
Au fameux Sacre du printemps du compositeur lui aussi de Saint-Pétersbourg Igor Stravinsky
Qui sous l’inspiration du peintre passionné d’ethnologie qui avait fait également les dessins, décors et costumes Nicolas Roerich
Avait livré à la veille de la 1ère Guerre mondiale ces fameuses « Images de [s]a Russie païenne », rebaptisées « massacre du printemps », par ses détracteurs …
Qui avant de devenir le classique reconnu et vénéré que l’on sait …
Via, de l’entourbisation d’une Pina Bausch à la sexualisation d’un Béjart ou d’un Prejlocaj et à la cérébralisation d’un Louis Barreau , des centaines de choréographies 
Avait sous les yeux enthousiastes d’un Ravel, Debussy, Proust ou Picasso …
Mais aussi la violente et compréhensible indignation d’un public choisi mais non averti …
Provoqué avec ses rituels printaniers primitifs et le sacrifice à la fin d’une jeune femme piétinée par la troupe …
L’un des plus grands scandales, émeute comprise, de l’histoire de la musique occidentale ?
Et comment ne pas repenser en retour en effet …
En redécouvrant ce véritable « 11-Septembre » de la musique du 20e siècle comme l’avait qualifié il y a dix ans lors de son centenaire le chorégraphe franco-albanais Angelin Preljocaj
Qui avait tant impressionné aussi le René Girard d’Achever Clausewitz lors de l’exposition du Centre Pompidou de 2008 intitulée « Traces du sacré »
Parce qu’il y retrouvait dans toute sa crudité et sa brutalité de coups sourds et de piétinements …
Préparée par les découvertes de l’ethnologie qui commencaient à infuser jusque dans les masques africains de nos Braque et de nos Picasso …
La mise au jour d’une vérité presque complètement explicite et en même temps prophétique …
Comme en a témoigné sans compter peut-être la folie subséquente de son chorégraphe Nijinski …
La violence et l’indignation de sa réception pour une bonne société endormie par des siècles d’adagios vivaldiens ou de contes de fée hoffmanisés …
Mais qui devait accoucher un an plus tard d’une des pires boucheries de l’histoire de l’humanité …
A savoir le dévoilement de la vérité au fondement même de tous nos rituels que seule pouvait permettre 2000 ans de révélation chrétienne …
De l’évacuation violente et proprement cathartique sur le dos d’une victime innocente …
Du ressentiment et des tensions accumulés de toute une société …
Au nom de divinités prétendument assoiffées de sang …
Comment ne pas repenser donc …
A cette sauvagerie et cette barbarie qui semblent nous revenir …
Du fin fond d’une Russie à nouveau aussi primitive qu’archaïque ?

Le « Sacre du printemps » a 100 ans
Cent ans après sa création, la version originale du « Sacre du printemps » est retransmise sur Arte et devant l’Hôtel de Ville de Paris depuis le théâtre des Champs-Elysées.
Raphaël de Gubernatis
Le Nouvel Obs
29 mai 2013

« J’ai soixante ans, et c’est la première fois qu’on ose se moquer de moi », s’étrangle la comtesse René de Pourtalès à la première du « Sacre du Printemps ». Ses glapissements d’idiote endiamantée résonnent encore comme un prodigieux résumé de la fureur des mondains quand ils découvrent le double chef d’œuvre d’Igor Stravinsky et de Vaslav Nijinski, le 29 mai 1913, au Théâtre des Champs-Elysées. Un an plus tard éclate la Grande Guerre qui entraînera la chute des trois empires de Russie, d’Autriche-Hongrie et d’Allemagne et la multitude des royaumes, grands duchés et principautés qui en font partie. L’ancien monde va s’écrouler et le fracas du « Sacre », annonçant le XXe siècle, semble préfigurer le séisme à venir.

Une compagnie extraordinaire

A Paris, l’impresario Gabriel Astruc vient de faire édifier par Auguste Perret ce somptueux théâtre de l’avenue Montaigne qui lui aussi annonce des temps nouveaux et ce que l’on nommera Art Déco dans les années 30. Pour la brillante saison inaugurale qui débute le 31 mars 1913 avec « Benvenuto Cellini » de Berlioz, Astruc a bien entendu convié ce qu’il y a de plus extraordinaire à l’époque, ces Ballets Russes de Serge de Diaghilev apparus pour la première fois en 1909 à Paris alors capitale mondiale des arts. Les Ballets Russes ont suscité un tel bouleversement esthétique que le monde entier, c’est-à-dire en ce temps là l’Europe et les Amériques, se dispute le bonheur de les recevoir.

La séduction des Ballets Russes

Jusque-là, en admirant « Shéhérazade », « les Danses polovtsiennes », « le Pavillon d’Armide », « l’Oiseau de feu », « Petrouchka » ou le « Spectre de la Rose », gens du monde, intellectuels, artistes s’étaient enivrés de musiques souvent inconnues, de décors fabuleux, de costumes chatoyants aux teintes inouïes où le raffinement d’un chorégraphe novateur comme Michel Fokine, les scénographies de Léon Bakst, Alexandre Benois ou Nicolas Roerich, les partitions de Rimsky-Korsakov, Borodine et Stravinsky, animaient des interprètes fascinants comme Tamara Karsavina, Anna Pavlova, Ida Rubinstein, Bronislava Nijinska, Adolf Bolm et surtout, surtout, cet être sur scène irréel qui avait pour nom Vaslav Nijinski. Diaghilev en a fait son amant et admire tant ce prodige qu’il décide d’en faire un chorégraphe. Si le danseur a du génie, le créateur en aura davantage encore. Mais cela le public ne le comprendra pas. On acclame sans retenue l’interprète de « Petrouchka » ou du « Spectre de la Rose » ; on ne saura pas mesurer la stature du chorégraphe de « L’Après-midi d’un faune » (1912), et moins encore de celui du « Sacre ».

Une puissance tellurique

« Le Sacre du Printemps » naquit d’une idée du peintre Nicolas Roerich à qui Stravinsky avait demandé le livret d’un ballet. Passionné par l’antique patrimoine des peuples slaves, mais en amateur plus ou moins éclairé, un patrimoine que des artistes comme lui faisaient découvrir à leurs compatriotes russes sans nécessairement faire preuve de rigueur scientifique, Roerich conçut l’ouvrage comme un rite païen des anciens âges, un rituel barbare célébrant le retour du printemps en sacrifiant une vierge, l’Elue, aux forces de la Nature.

Le thème était brutal, même si rien de ce que l’on savait des anciens Slaves ne parlait de tels sacrifices humains.

Envoûté, Stravinsky composa une musique d’une puissance tellurique qui aujourd’hui encore révolutionne les sens. Et Nijinski s’engouffrera dans le projet avec toute la sauvagerie de son génie, persuadé de la nécessité d’inventer des formes nouvelles.

Ardeur révolutionnaire

Menées de ville en ville, au gré des « saisons », les répétitions du « Sacre » sont difficiles, épouvantables même. Pour les danseurs, confrontés à une partition d’une nature inédite, et rebelles à une gestuelle en contradiction absolue avec leur formation académique. Et plus encore pour Nijinski, orgueilleux, buté, incapable d’expliquer son dessein à ses interprètes. Assisté par Mimi Ramberg, qui deviendra Dame de l’Empire britannique sous le nom de Marie Rambert, appuyé par sa sœur Bronislava qui croit en son talent, et plus encore soutenu par Roerich, lequel a conçu les décors (d’un intérêt assez moyen) ainsi que les extraordinaires costumes du ballet, et fortifie le jeune homme de 24 ans dans son ardeur révolutionnaire, Nijinski doit lutter pied à pied pour imposer ses vues. Et quand il apprend que sa sœur, enceinte, ne pourra danser le rôle de l’Elue, il manque, de rage, de tuer le coupable qui n’est autre que son beau-frère.

Le scandale du « Sacre »

Au Théâtre des Champs-Elysées, la Saison russe confiée à Diaghilev dure du 15 mai au 21 juin avec opéras et ballets en alternance, car on donne aussi « la Khovantchina » et « Boris Godounov » avec l’inévitable Chaliapine. Après celle de « Jeux », le 15, autre chorégraphie novatrice de Nijinski qui est un semi- échec, la création du « Sacre » est donc prévue pour le 29. La générale s’est déroulée sans heurts, mais Diaghilev qui a flairé ce qui pouvait advenir dès que Stravinsky lui joua « le Sacre » au piano, l’été précédent, à Venise, installe au promenoir tout un bataillon d’inconditionnels. Il y a là Maurice Ravel, premier admirateur de Stravinsky, Florent Schmitt, Maurice Delage, Jean Cocteau, Léon-Paul Fargue et Valentine Gross, future Valentine Hugo. Pour la première qui voit accourir le Tout Paris, celui du Faubourg Saint-Germain, du côté des Guermantes, comme celui des Verdurin, un Tout Paris étincelant de pierreries et de décorations, ce promenoir courant entre les loges de la corbeille et les premières loges est donc investi par des modernes prêts à en découdre. Mais alors que pour les batailles d’ »Hernani » ou de « Tannhäuser », les belligérants étaient nettement séparés, ils sont ici au coude à coude. Un plan de guerre qui annonce l’inévitable pugilat.

La bataille

« L’orchestre commença, le rideau s’ouvrit et de la salle s’éleva soudain un cri outragé. Vaslav pâlit », se souviendra Bronislava Nijinska. Le public élégant se déchaîne dès les premières mesures du « Sacre ». Ou plus précisément dès que les danseurs arrivent sur scène dans des attitudes voulues primitives qui font un effet désastreux. Le vacarme est tel que sur le plateau ceux-ci n’entendent plus l’orchestre dirigé par Pierre Monteux, héroïque dans la tempête, et que Nijinski, blême, juché sur une chaise, doit leur hurler des indications depuis la coulisse. Quand les danseuses apparaissent, genoux pliés, pieds en dedans, un crétin en habit lance : »Un docteur ! » et un autre : « Un dentiste ! » alors que les jeunes femmes soutiennent du poing droit leur visage incliné de côté, selon une figure des danses russes traditionnelles dont s’est inspiré le chorégraphe. Coups, gifles, invectives fusent de toutes parts. « Taisez-vous, les garces du XVIe », hurle Florent Schmitt aux hystériques des loges alors que Ravel se fait traiter de « sale juif » par des messieurs à monocle, toujours la formule élégante à la bouche.

Un tremblement de terre

« Tout ce qu’on a écrit sur la bataille du « Sacre du printemps » reste inférieur à la réalité, dira Valentine Gross. Ce fut comme si la salle avait été secouée par un tremblement de terre. Elle semblait vaciller dans le tumulte. Des hurlements, des injures, des hululements, des sifflets soutenus qui dominaient la musique, des gifles, voire des coups. Les mots semblent bénins lorsqu’on évoque une telle soirée. Le calme reparaissait un peu quand on donnait soudain la lumière dans la salle. Je m’amusais beaucoup de voir certaines loges vindicatives et tonitruantes dans l’obscurité, s’apaiser aussitôt dans la clarté. Je ne cacherai pas que notre calme rivière était devenue un torrent tumultueux. On y voyait entre autres Maurice Delage grenat d’indignation, Maurice Ravel combatif comme un coq furieux, Léon-Paul Fargue vociférant des épithètes vengeresses vers les loges sifflantes. Et je me demande comment cette œuvre si difficile pour 1913 put être jouée et dansée jusqu’au bout dans un tel vacarme… »

Ravagé par tant de violence, Nijinski doit cependant courir passer son costume du « Spectre de la rose » dès l’entracte afin de faire le joli cœur devant ce public qui va l’applaudir après l’avoir conspué.

« Exactement ce que je voulais »

« A l’issue de la représentation, rappellera Igor Stravinsky, nous étions excités, furieux, dégoûtés et …heureux. J’allai au restaurant avec Diaghilev et Nijinski. Le seul commentaire de Diaghilev fut : « Exactement ce que je voulais ». Personne n’était plus prompt que lui à saisir la valeur publicitaire d’une situation. A ce point de vue ce qui était arrivé ne pouvait être qu’excellent ». Un an plus tard, « le Sacre du Printemps » est joué en concert au Casino de Paris dans un tel climat d’exaltation que le public portera Stravinsky en triomphe jusqu’à la place de la Trinité.

On abandonne la chorégraphie de Nijinski

Mais après avoir été exécutée quatre fois à Paris et autant à Londres en juillet, la chorégraphie de Nijinski, elle, est abandonnée. Borné, Stravinsky lui attribue l’échec du « Sacre », sans réaliser l’extraordinaire accord entre danse et partition, l’une et l’autre révolutionnaires. Quant à Vaslav, sur lequel la Hongroise Romola de Pulsky a jeté son dévolu en profitant de l’absence de Diaghilev lors d’une tournée des Ballets Russes au Brésil et en Argentine, il se marie dès septembre à Buenos Aires… et se voit bientôt renvoyé de la compagnie. Diaghilev commandera une autre version du « Sacre » à Léonide Massine qui a succédé à Vaslav dans le lit du maître et au poste de chorégraphe. Mais il n’a pas le génie de son prédécesseur, même si sa talentueuse version, dansée elle aussi aux Champs-Elysées en 1920, annonce le style que plus tard développera Maurice Béjart.

Plus de 250 « Sacre du printemps » en 100 ans

La version de Massine sera la deuxième des quelque 250 chorégraphies écrites à ce jour sur « le Sacre du printemps ». Dont deux sont des chefs d’œuvre. Celle de Maurice Béjart, créée à Bruxelles en 1960 par le futur Ballet du XXe Siècle, et reprise dans ce même Théâtre des Champs Elysées en 1971 et en 1980 par le Ballet de l’Opéra de Paris. Et celle de Pina Bausch, datant de 1975, que le Tanztheater de Wuppertal vient interpréter en juin pour la saison du centenaire.

La résurrection de l’original

Perdue, mais demeurée dans les mémoires, la chorégraphie de Nijinski était devenue un mythe. Ayant longuement travaillé avec Marie Rambert, étudié dessins, documents de toutes sortes dont les notes rédigées par Nijinski et Roerich ou celles des danseurs, guidés encore par leur instinct de savants passionnés, deux Anglo-saxons, Milicent Hodson et Kenneth Archer, parviennent miraculeusement à reconstituer la chorégraphie originale en 1987 pour les Américains du Joffrey Ballet. Personne n’en savait plus rien et moins encore les Pourtalès d’aujourd’hui. C’est une révélation. Avec la chorégraphie ressuscitée, réapparaît tout le génie sauvage, immodéré de Nijinski, ses outrances aussi, et son œuvre est aussi bouleversante aujourd’hui qu’elle le fut en 1913, pour ceux capables de la comprendre.

Presque tous les danseurs des Ballets Russes avaient appartenu au Théâtre impérial Marie, à Saint-Pétersbourg, le Mariinsky. Ce sont leurs lointains successeurs qui viennent aujourd’hui danser « le Sacre du printemps » au Théâtre des Champs-Elysées dans sa chorégraphie originale. Le 29 mai 2013, cent ans, jour pour jour, après le légendaire scandale qui salua la naissance de l’art du XXe siècle.

« Le Sacre du printemps » : chorégraphie de Vaslav Nijinski, Ballet du Théâtre Mariinsky, du 29 au 31 mai à 20h; chorégraphie de Pina Bausch. Tanztheater de Wuppertal, du 4 au 7 juin à 20h. Théâtre des Champs-Elysées ; 01 49 52 50 50 ou theatrechampselysees.fr.

Diffusion en direct sur Arte ce 29 mai à 20h50. Et retransmission publique sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris dès 20h50.

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« Le Sacre du printemps » de Stravinsky fête ses cent ans

Le Théâtre des Champs-Élysées à Paris célèbre le centenaire du "Sacre du printemps" ce 29 mai, le ballet et la musique sont interprétés par le Mariinsky de Saint-Pétersbourg sous la direction du chef Valery Gergiev.

Le Théâtre des Champs-Élysées à Paris célèbre le centenaire du « Sacre du printemps » ce 29 mai, le ballet et la musique sont interprétés par le Mariinsky de Saint-Pétersbourg sous la direction du chef Valery Gergiev. Bernd Uhlig

La première du Sacre du printemps de Stravinsky, c’était le 29 mai 1913. Chorégraphiée par le danseur russe Vaslav Nijinsky, la pièce avait créé un scandale au Théâtre des Champs-Élysées à Paris. Le Théâtre des Champs-Élysées à Paris célèbre l’événement avec un gala exceptionnel, la mairie de Paris diffusera la soirée ce 29 mai à partir de 21 h sur l’écran géant de l’Hôtel de Ville. Elle sera également retransmise en direct sur la chaîne Arte. Le ballet et la musique sont interprétés par le Mariinsky de Saint-Pétersbourg sous la direction du chef Valery Gergiev. Une nouvelle version de l’oeuvre par la chorégraphe Sacha Waltz est donnée après la reconstitution du ballet historique.

Le public rit, chahute, le vacarme est tel que les danseurs n’entendent plus l’orchestre et que Nijinsky doit compter dans les coulisses pour que le ballet se poursuive. Aujourd’hui considérée comme un monument de la musique classique et du ballet, cette œuvre a été si mal reçue, parce qu’elle était complètement révolutionnaire.

Stravinski et Nijinsky

Il y a la musique de Stravinski où le rythme est le principal élément. Le compositeur imagine un grand rite sacral païen où des vieux sages, assis en cercle, observent la danse à la mort d’une jeune fille sacrifiée au Dieu du printemps. Et il y a aussi le ballet de Nijinsky qui renversait tous les codes de la danse classique. Fi des pointes et du célèbre en-dehors des pieds. Le chorégraphe russe avant-gardiste et inspiré présente des ballerines aux chaussons tournés vers l’intérieur, les genoux pliés. La danse moderne s’impose en pleine tradition du ballet russe. Mais le public n’est pas prêt. Et pour les puristes le choc esthétique est tel et la réaction des spectateurs tellement forte que la pièce doit s’interrompre tant le vacarme est importante dans la salle. Elle ne se poursuivra qu’après l’intervention de la police.

1913, une période très curieuse

 1913, c’était une période de l’histoire très curieuse dans le monde de l’art et dans l’histoire de l’Europe et de la France, explique Brigitte Lefebvre, la directrice de la danse à l’Opéra de Paris. Toutes ces dissonances musicales, toute cette énergie de Nijinsky – beaucoup disent que c’est là que sa folie a commencé à l’envahir – tous ces excès, tout est excessif dans le Sacre du Printemps, et quand on l’entend et qu’on le réentend, tout est magnifiquement orchestré. Et en même temps, quand on pense aux œuvres musicales et chorégraphiques qui étaient appréciées à cette période-là, on n’était pas du tout prêt pour beaucoup à entendre et à voir cela. En même temps, ce qui est très important dans des œuvres qui bouleversent, c’est qu’on sait, à partir de là, on ne pourra plus jamais regarder la danse ou entendre la musique de la même manière. »

De Maurice Béjart à Angelin Preljocaj

Depuis la chorégraphie de Nijinsky qui a créé le scandale, de nombreux chorégraphes se sont frottés au Sacre du Printemps. C’est devenu un passage obligé, la marque de la consécration. Parmi les grands noms de la danse qui ont signé un Sacre, il y a d’abord Maurice Béjart qui a marqué les esprits avec une chorégraphie d’une énergie et d’une grande modernité à l’époque, même si aujourd’hui cette version paraît un peu datée. Il y a le Sacre de Pina Bausch, un monument de la danse contemporaine où les interprètes vêtues de robes couleurs de sable dansent dans la terre, s’en imprègnent jusqu’à l’épuisement le corps battant au rythme infernal de la musique de Stravinski. Et puis d’autres Sacre encore, celui de Jean-Claude Gallota, Martha Graham, Paul Taylor, Mats Ek et Angelin Preljocaj :

« Il y a quelque chose qui circule du début à la fin qui fait que cette musique draine comme une lame de fond, dit Angelin Preljocaj, chorégraphe et directeur artistique du Ballet Preljocaj, installé aujourd’hui au Pavillon Noir à Aix-en-Provence. L’idée est une sorte de désir, de rituel sacrificiel bien sûr, qui serait là pour réactiver la fécondité de la tribu. Je trouve cette musique le dit très bien cela. Cette espèce de pulsion à la fois effrayante et irrésistible, qui est finalement la sexualité. Alors j’ai essayé d’évoquer le désir féminin à travers cela. Et l’idée est que cette femme qui est choisie comme étant l’élue et donc le bouc émissaire, dans ma vision, elle passe du statut de victime au statut d’héroïne. Finalement, elle va au-delà de ce qu’on lui demande. Par cette force-là, cette détermination, elle réussit à vaincre les idées préconçues de la tribu. »
 
« C’est l’œuvre qui ouvre la musique du 20e siècle »
 
Pour Angelin Preljocaj, la musique du Sacre du Printemps reste une œuvre innovatrice jusqu’à aujourd’hui : « C’est l’œuvre qui ouvre la musique du 20e siècle. C’est un peu comme on dit que le 11-Septembre a ouvert le 21e siècle, le Sacre du Printemps a ouvert le 20e siècle en termes de musique. »

Dès ce 29 mai au soir et cela jusqu’au 31 mai, le Théâtre des Champs-Élysées à Paris célèbre le centenaire du Sacre du Printemps. Là où l’œuvre a fait scandale, le Ballet russe Mariinski présente la chorégraphie originale de Nijinski ainsi que celle de Sasha Waltz, en présence de la chorégraphe allemande. L’orchestre sera dirigé par le grand chef Valéri Gergiev. Le spectacle sera retransmis ce soir en direct sur Arte et sur écran géant à l’Hôtel de Ville. Et nombre de Sacre sont en tournée cette année, notamment celui d’Angelin Preljocaj.

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Deux « Sacre » pour un centenaire

Mercredi, le Théâtre des Champs-Élysées ressuscitait l’œuvre de Stravinsky et Nijinski, et donnait la version d’aujourd’hui de Sasha Waltz.

Un livre monumental comme l’histoire du Théâtre des Champs-Élysées (TCE), un faisceau doré tombant de la tour Eiffel sur la façade pour accompagner les spectateurs s’évanouissant dans la nuit, cent ans d’affiches en cartes postales, champagne à flots à l’entracte, spectacle au diapason: Michel Franck, directeur général du Théâtre des Champs-Élysées, ne s’est pas ménagé pour commémorer le centenaire de la salle.

François Hollande n’était pas là, mais la soirée, placée sous son haut patronage, rassemblait au balcon Valérie Trierweiler, Aurélie Filippetti, Manuel Valls et son épouse, Bertrand Delanoë… autour des maîtres des lieux: Raymond Soubie, président du TCE, et Jean-Pierre Jouyet, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, propriétaire du théâtre. Autant de politiques, de mécènes (ceux du passé, comme Misia Sert, ont été remplacés par Gazprom et GDF Suez), et presque autant de personnalités des arts et des lettres qu’au moment où les Ballets russes de Diaghilev créèrent Le Sacre du printemps le 29 mai 1913. Enfin, grâce à Arte, Le Sacre a réuni un million de spectateurs entre la France et l’Allemagne.

La vitalité du Sacre célébrée

Mercredi soir, aucune duchesse en proie à l’hystérie n’a voulu arracher un strapontin pour se le briser sur la tête. Mais la soirée était électrique. On n’y remuait pas la poussière de cent ans d’histoire: on célébrait la vitalité du Sacre de Nijinski et Stravinsky. Sasha Waltz créait Le Sacre du printemps de 2013, en dialogue avec celui chorégraphié en 1913. Valeri Gergiev dirigeait son orchestre et ses danseurs du Mariinski, lointains descendants de ceux des Ballets russes de 1913. Enfin, assise au premier rang d’orchestre, Tamara Nijinski, 93 ans, fille de Nijinski, assistait pour la première fois à une représentation du Sacre dans la chorégraphie somptueusement reconstituée, en 1987, par deux chercheurs anglo-saxons, Millicent Hodson et Kenneth Archer, après dix-sept ans de recherches.

«Jusqu’à présent, j’avais refusé d’assister au spectacle. Non que je conteste sa qualité mais je ne voulais pas cautionner le fait qu’une œuvre de mon père soit donnée sans que nous touchions un centime de droits d’auteur», dit la vieille dame, qui grâce à l’intervention de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) a enfin reçu pour la première fois des droits sur Le Sacre du printemps. Venue exprès de Phoenix (Arizona), où elle s’est retirée après une carrière de marionnettiste, Tamara, émue mais alerte, s’est dite impressionnée par l’œuvre d’un Nijinski de seulement 24 ans. Tandis qu’Aurélie Filippetti lui remettait les insignes de commandeur des Arts et des Lettres, elle a rappelé les liens entre Paris et son père, révélé dans ses théâtres, et qui repose au cimetière de Montmartre.

L’événement de la soirée reste Le Sacre, de Sacha Waltz. Avant de le créer, elle a demandé à Hodson et Archer d’enseigner à ses danseurs leur version d’après Nijinski. Son Sacre se souvient des cercles et des sauts de l’œuvre première. Elle en restitue aussi la puissance, perdue dans l’interprétation trop élégante que les danseurs du Mariinsky en donnent en première partie.

Chaos de relations

L’exploit de Sasha Waltz est de signer une œuvre forte, autant par sa facture que par l’hommage qu’elle rend aux deux grands Sacre du siècle. Celui de Pina Baus­ch, bien sûr, auquel elle emprunte la fluidité des mouvements, la robe remise à l’élue et la terre apportée sur le plateau. Celui de Béjart, aussi, dans les étreintes et les fentes au sol des garçons.

Mais Waltz a son propos: dans une scénographie dépouillée, elle met en scène un rituel de sacrifice dans un groupe social réel avec des enfants et des hommes et des femmes pris dans un chaos de relations bien d’aujour­d’hui. Signe que l’œil écoute: la partition du Sacre ne résonne pas pareil quand on la «voit» avec Le Sacre de 1913 ou celui de 2013.

Au TCE, Paris VIIIe, jusqu’à vendredi et à disposition sur Arte Live Web.

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Danse: cent printemps pour Le Sacre 

L’anniversaire du chef-d’œuvre de Stravinsky et Nijinski, créé en 1913 au Théâtre des Champs-Élysées, à Paris, est célébré dans le monde entier.

Le bruit est l’unité de mesure d’un scandale. Celui qui accompagna la création du Sacre du printemps fut si considérable que sur la scène, les quarante-six danseurs n’entendaient plus le grand orchestre symphonique de cent vingt musiciens. Vaslav Nijinski, debout sur une chaise dans la coulisse, devait leur hurler les mesures. «Étonne-moi», avait dit Serge de Diaghilev à Jean Cocteau, pour résumer sa ligne artistique. Ce 29 mai 1913, le mentor des Ballets russes s’avouait un peu dépassé par sa propre formule.

Igor Stravinsky est à l’origine du Sacre du printemps. Dans la Russie qui s’ouvre alors vertigineusement vers l’Occident, il se veut, comme d’autres artistes, attentif aux racines slaves. «J’entrevis dans mon imagination le spectacle d’un grand rite sacral païen: les vieux sages, assis en cercle, et observant la danse à la mort d’une jeune fille qu’ils sacrifient pour leur rendre propice le dieu du printemps», note-t-il dans ses chroniques, alors qu’il travaille sur L’Oiseau de feu, en 1910.

« Je crains que Le Sacre du printemps , où je ne fais plus appel à l’esprit des contes de fées ni à la douleur et à la joie tout humaines, mais où je m’efforce vers une abstraction un peu plus vaste, ne déroute »

Igor Stravinsky

Avec le peintre et ethnographe Nicolas Roerich, qui signe les costumes et les décors, ils ébauchent un livret. Serge de Diaghilev confie la chorégraphie de ces tableaux de la Russie païenne à Nijinski. Le dieu de la danse est fatigué des grands sauts qui font pâmer le Tout-Paris. Il cherche d’autres révolutions. Stravinsky aussi, qui devine qu’elles pourraient ne pas faire l’unanimité: «Je crains queLe Sacre du printemps, où je ne fais plus appel à l’esprit des contes de fées ni à la douleur et à la joie tout humaines, mais où je m’efforce vers une abstraction un peu plus vaste, ne déroute», écrit-il, sans museler pour autant son inspiration.

«Combien de temps ça va durer?», demande Diaghilev quand Stravinsky lui joue pour la première fois au piano «La danse des adolescentes». «Le temps qu’il faudra», répond le ­compositeur. Nijinski ne cherche pas davantage à plaire. Les trois complices sont immergés dans leur souci de ­donner à voir et à entendre, selon le mot de Stravinsky, «la montée totale, panique, de la sève universelle» dans la Russie primitive. Nicolas Roerich ­habille les danseurs de longues ­tuniques. En cent vingt laborieuses ­répétitions, Nijinski leur commande de marteler le sol pieds en dedans et poings sur les joues. «La chorégraphie était incomparable ; à l’exception de quelques endroits, tout était comme je le voulais», écrit en 1913 Stravinsky, qui s’en dédiera plus tard.

« Le travail d’un fou »

«Un docteur!», non «Un dentiste», «Deux dentistes», hurle-t-on dans la salle le soir de la création de ce qu’on surnomme déjà «Le Massacre du printemps». Pierre Lanoy, journaliste au Temps, raconte: «J’étais placé au-dessous d’une loge remplie d’élégantes et charmantes personnes de qui les remarques plaisantes, les joyeux caquetages, (…) enfin les rires aigus et convulsifs formaient un tapage comparable à celui dont on est assourdi quand on entre dans une oisellerie. (…) Mais j’avais à ma gauche un groupe d’esthètes dans l’âme desquels Le Sacre du printemps suscitait un enthousiasme frénétique, une sorte de délire jaculatoire et qui ripostaient (…). L’un d’eux, pourvu d’une voix pareille à celle d’un cheval, hennissait de temps en temps (…) un“à la poooorte!” dont les vibrations déchirantes se prolongeaient dans toutes la salle.»

« C’est de la musique de sauvage avec tout le confort moderne »

Claude Debussy

En vain, Diaghilev commande-t-il aux machinistes d’éteindre et de rallumer la lumière du théâtre pour calmer le public. Ravel, qui défend l’œuvre se fait traiter de sale Juif. Debussy, qui a cru perdre l’ouïe pendant les trente-trois minutes du spectacle, résume: «C’est de la musique de sauvage avec tout le confort moderne.» «Le travail d’un fou», assène Puccini, qui assiste à la seconde le 1er juin. Le scandale est si fracassant que son écho se propage encore: pourquoi tant de bruit? «La grande nouveauté duSacre du printemps, c’est le renoncement à la sauce», analyse génialement Jacques Rivière, détaillant son propos sur la musique et la danse dans la Nouvelle Revue ­française, en 1913. «Voici une œuvre absolument pure. Aigre et dure, si vous voulez, mais dont aucun jus ne ternit l’éclat, dont aucune cuisine n’arrange ni ne salit les contours ; (….) tout est ici franc, intact, limpide et grossier. Le ­Sacre du printemps est le premier chef-d’œuvre que nous puissions opposer à l’impressionnisme.» Avant d’être repris quatre fois à ­Londres, Le Sacre sera donné quatre fois à Paris. Dans la salle, Valentine Gross Hugo saisit les danses au crayon. Ses dessins, ajoutés à quelques photos, ­témoignages, notations de Marie ­Rambert, qui a assisté Nijinski, serviront à Millicent Hodson et Kenneth ­Archer à le reconstituer en 1987, soixante-quatorze ans après sa création.

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Le massacre du printemps

Radio France

8 août 2021

Impossible de faire l’impasse sur l’un des plus célèbres scandales de l’histoire de la musique : Le Sacre du Printemps crée en 1913 au Théâtre des Champs-Elysées reste assurément le choc musical du siècle. Mais que s’est-il véritablement passé lors de la mythique soirée du 29 mai 1913 ?

Qu’est ce qui a le plus choqué les spectateurs le soir de la première du Sacre du Printemps : la musique ou la danse ? A moins que ce ne soit l’attitude des spectateurs les plus virulents présents dans la salle et la cacophonie devenue légendaire qui y régnait ?
Pour le comprendre, revenons à ce fameux soir de mai 1913. Nous sommes à l’aube de la première guerre mondiale, deux mois après l’inauguration du Théâtre des Champs-Elysées. La salle est tournée vers la musique française : celle de Debussy ou encore de Dukas. La saison musicale est conçue par Gabriel Astruc, qu’il souhaite moderne et audacieuse. C’est donc naturellement qu’il fait appel aux célèbres Ballets russes de Diaghilev, compagnie qui crée à chaque fois l’événement lors de sa venue dans la capitale.
Pour ce nouveau spectacle, Diaghilev propose à Vaslav Nijinski de s’atteler à la chorégraphie, tout en confiant la musique au jeune compositeur russe Igor Stravinsky. Le jour de la première, on peut apercevoir dans la salle, Picasso, Paul Claudel, Debussy, Florent Schmitt, Ravel, Cocteau, Poulenc et tant d’autres… Le Tout-Paris est présent !

« Taisez-vous, les garces du XVIe »

C’est au basson d’ouvrir le bal ! Alors qu’à peine les premières notes commencent à résonner, quelques murmures se font entendre dans la salle… Rapidement, un certain désordre gagne une grande partie du théâtre, avant de laisser échapper des sifflets et des huées. La musique n’est quasiment plus dicible et est recouverte d’invectives en tout genre : « C’est la première fois en soixante ans qu’on ose se moquer de moi ! » entend-on. Les spectateurs se déplacent dans la pénombre, s’alpaguant pour tantôt défendre tantôt railler ce qui se passe sur scène et en fosse : dans une loge, une dame en vient même à gifler son voisin qui venait de siffler. Des policiers ne tardent pas à arriver pour tenter d’atténuer ce pugilat.

Durant tout ce temps, le spectacle subsiste tant bien que mal : les musiciens continuent de faire vivre la rythmique enivrante de la partition de Stravinsky pendant que les danseurs poursuivent leur rite païen dans une frénésie animale qui se clôturera par le sacrifice de l’élue.

Pour Stravinsky, c’est la désolation la plus totale. Pourtant Gabriel Astruc avait bien tenté de calmer les esprits en interpellant le public à plusieurs reprises : « Ecoutez d’abord, vous sifflerez après« , mais pour le compositeur, l’originalité de sa partition n’a pas eu l’écho mérité, rejetant la faute à Nijinski et à sa chorégraphie…
Il aura fallu attendre l’année suivante, pour que Stravinsky assiste au succès de la version de concert de ce Sacre, réhabilitant ainsi tout le génie de sa musique.

Voir encore:

“Le Sacre du printemps”, ce grand coup de ballet

29 mai 1913. Stravinsky tire un obus musical depuis un lieu tout aussi novateur : le Théâtre des Champs-Elysées flambant neuf. Scandale. 100 ans après, “Le Sacre du printemps” a été rejoué là où il a éclot. A revoir en replay sur Arte+7.

Gilles Macassar

Télérama

01 juin 2013

Un an avant que la Grande Guerre de 14-18 n’embrase l’Europe entière, la musique ouvre violemment les hostilités. Le 29 mai 1913, les Ballets russes de Serge de Diaghilev lâchent sur Paris un obus orchestral de première puissance : Le Sacre du printemps, d’Igor Stravinsky. Chorégraphié par Nijinski, danseur vedette de la troupe, ce ballet transforme en champ de bataille le Théâtre des Champs-Elysées, inauguré un mois plus tôt avenue Montaigne. Chargée d’un reportage dessiné sur le spectacle et sa préparation, Valentine Hugo se souvenait : « Ce fut comme si la salle avait été secouée par un tremblement de terre, elle semblait vaciller dans le tumulte. » Mais le théâtre bâti par les frères Perret, premier édifice parisien à être construit en béton armé, repose sur des fondations solides. Un siècle plus tard, il demeure toujours la salle de concert aux architectures – intérieure et extérieure – les plus élégantes, alliant, avec un bon goût indémodable, modernité et classicisme, esthétisme et fonctionnalité.

Quant à la composition de Stravinsky, le scandale de sa création marque un tournant historique, l’avènement d’une nouvelle ère musicale, balayant l’académisme et le ronron ambiants. Le mot mi-admiratif, mi-narquois de Debussy a fait fortune : « De la musique de sauvage avec tout le confort moderne. » Musique de sauvage comme, à la même époque, Les Demoiselles d’Avignon, de Picasso, La Femme au chapeau, de Matisse, sont de la peinture de sauvage. Fatiguée des tourments égotistes du romantisme, lassée des alanguissements morbides du symbolisme, l’Europe semble vouloir se régénérer en puisant une force brute, une vigueur vierge dans l’art primitif. Recette aussi salutaire qu’efficace. Fleuron permanent des programmes symphoniques, Le Sacre du printemps témoigne d’une vitalité intacte, comme le théâtre de l’avenue Montaigne, restauré à l’identique à la fin des années 1980. Deux centenaires jumeaux, qui s’apprêtent à souffler vaillamment les bougies de leur gâteau d’anniversaire.

Le 1er avril 1913, Gabriel Astruc inaugure le théâtre de ses rêves. Après être passé par bien des cauchemars. A commencer par celui de l’acquisition d’un terrain. En 1906, Astruc, qui a fixé son choix sur les Champs-Elysées – de préférence aux grands boulevards, qu’il juge ne plus être assez chics –, obtient du conseil municipal de Paris une promesse de concession, sur l’emplacement de l’ancien Cirque d’été, entre les Champs-Elysées et l’avenue de Marigny. Et l’ancien journaliste-éditeur de musique, devenu entrepreneur de spectacles, de déposer dans la foulée les statuts d’une société du « Théâtre des Champs-Elysées ». Le nom sonne bien, il sera gardé, même lorsque, deux ans plus tard, le conseil municipal revient sur sa promesse. D’origine israélite, ne comptant pas que des amis politiques en ces temps d’antisémitisme virulent, Gabriel Astruc doit trouver un nouveau lieu. La mise en vente de l’hôtel du marquis de Lillers, au 15 de l’avenue Montaigne, offre l’opportunité inespérée. L’acte de vente est signé en février 1910, au plus fort de la crue de la Seine, qui, à deux pas, menace d’engloutir le zouave du pont de l’Alma.

Commence alors ce que Jean-Michel Nectoux a appelé joliment, dans le précieux catalogue de l’exposition que le musée d’Orsay a consacrée à l’histoire du théâtre en 1987, « le ballet des architectes ». D’Henri Fivaz à Roger Bouvard – chargé d’un transitoire « palais philharmonique » –, du Belge Henry Van de Velde, haute figure de l’Art nouveau, aux deux frères Perret, Auguste et Gustave, les derniers concurrents à rester en lice, ce ne fut que pas de deux rivaux, entrechats assassins.

Dans ce cadre huppé, rien ne laisse prévoir le scandale qui éclate le 29 mai 1913. La veille, la générale se déroule sans incident, devant un parterre de professionnels et d’invités. Le succès incontesté de L’Oiseau de feu, en 1909, puis celui de Petrouchka, en 1911, ont confirmé la maîtrise, gagnée à pas de géant, d’un compositeur de 30 ans. « En deux ans, j’ai l’impression d’avoir bondi de vingt », constate l’ancien élève de Rimski-Korsakov. L’oreille avertie de Debussy ne s’y trompe pas : « Il y a dans Petrouchka une sorte de magie sonore, des sûretés orchestrales que je n’ai rencontrées que dans Parsifal ; vous irez plus loin, assure l’aîné à son cadet, mais vous pouvez déjà être fier. »

Avec ce Sacre, auquel il pense depuis 1910, Stravinsky fonce plus vite et plus loin, pour frapper plus fort. Ces « Images de la Russie païenne » – sous-titre de l’œuvre –, il les a d’abord visualisées avec son compatriote le peintre et ethnologue Nicolas Roerich, futur réalisateur des costumes et des décors. C’est lui qui a évoqué au compositeur ce rite très ancien, à l’arrivée du printemps, d’adoration de la terre, à laquelle les ancêtres sacrifient en gage de fertilité une jeune vierge, « l’élue ».

Cette cérémonie d’une barbarie archaïque, cette sauvagerie tribale, Stravinsky les instrumente de couleurs criarde (clarinette piccolo), agressive (petite trompette en ) ou crue (trombones, grosse caisse) ; il les rythme de martèlements brutaux, de déflagrations tonitruantes, de chocs répétés entre blocs sonores qui se heurtent de plein fouet.

En imprésario avisé, Diaghilev y pressent les clés d’un succès renouvelé pour sa huitième saison parisienne. Il en confie la chorégraphie à son danseur fétiche, Vaslav Nijinski, dont les poses lascives, d’un érotisme équivoque, ont déjà choqué dans Prélude à l’après-midi d’un faune. Cette fois, le jeune félin imagine des gestes anguleux, des piétinements saccadés, qui contreviennent aux canons classiques : pieds et genoux en dedans, cou cassé, dos voûté et bras ballants. « La vraie grâce se moque du gracieux », admire Jacques Rivière, patron clairvoyant de la NRF.

« Exactement ce que je voulais », se félicite Diaghilev au sortir de cette nouvelle bataille d’Hernani, qui se reproduit les soirs suivants et s’exporte même outre-Manche pour les représentations londoniennes ! Mais, l’année suivante, l’exécution symphonique seule, sans ballet, au Casino de Paris, remporte une ovation sans bémol, tandis que Stravinsky est porté en triomphe jusqu’à la place de la Trinité. Musique sans précurseurs ni descendance, même dans le catalogue du compositeur, Le Sacre du printemps – ces « Géorgiques de la préhistoire », selon Cocteau – libère et défriche l’horizon musical, loin des macérations liturgiques d’un Wagner, de l’alchimie vaporeuse d’un Debussy.

Emblème de la modernité pour tout le xxe siècle, le Sacre, si radical dans l’audace et la liberté de son écriture, ne pouvait être qu’un météore unique ; mais l’exemple de son émancipation harmonique, de ses combinaisons à l’infini de timbres et de rythmes a stimulé l’imaginaire des générations ultérieures – d’Olivier Messiaen à Steve Reich, de Pierre Boulez à John Adams. Les chorégraphes n’ont pas été en reste, de Maurice Béjart à Mats Ek, de Pina Bausch à Angelin Preljocaj.

Météore unique, la saison de Gabriel Astruc le sera aussi. Formé aux affaires aux Etats-Unis, l’entrepreneur de spectacles munificent ne mégotait sur rien : « Si j’ai vu grand, transporté l’Opéra de New York au Châtelet, donné à Paris six fois de suite le Salomé de Richard Strauss, construit le Théâtre des Champs-Elysées, c’est parce que j’ai compris la mentalité américaine et conçu mes projets sous le signe du dollar. »

Mais la surenchère des cachets pratiquée par Diaghilev, la défection du public mondain devant un modernisme trop radical (Jeux, de Debussy, créé deux semaines avant le Sacre, passe inaperçu) creusent un déficit galopant. Malgré le soutien de grandes fortunes privées (Rothschild, Camondo), Gabriel Astruc dépose son bilan à la mi-octobre. Sacre du printemps, déroute de l’automne. Le bal des repreneurs est ouvert, jusqu’à la stabilisation d’aujourd’hui, sous l’autorité financière de la Caisse des dépôts et consignations. A Marcel Proust revient le mot de la fin, dans une lettre émue à Astruc : « Les difficultés qu’a rencontrées votre entreprise vous donneront plus sûrement une place dans l’histoire de l’art que n’eût fait un succès immédiat. »

À revoir
Sur le site d’Arte+7, le replay de leur soirée spéciale consacrée au 100 ans du Sacre du printemps : la retransmission en direct du ballet donné au Théâtre des Champs-Elysées
À voir
Le Sacre dans tous ses états, ballets, concerts, jusqu’au 26 juin au Théâtre des Champs-Elysées, tél. : 01 49 52 50 50.À lire
Théâtre, Comédie et Studio, trois scènes et une formidable aventure, ouvrage collectif sous la direction de Nathalie Sergent, coéd. Verlhac/15.Montaigne, 660 p., 89 €.À écouter
Igor Stravinsky dirige Le Sacre, 2 CD Sony Classical.
Igor Stravinsky, Le Sacre du printemps, 100e anniversaire, coffret de 20 CD Decca/Universal (38 interprétations de référence, d’Eduard van Beinum, en 1946, à Gustavo Dudamel, en 2010).
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Rite that caused riots: celebrating 100 years of The Rite of SpringStravinsky’s work caused a scandal in 1913 but has since been recognised as one of the 20th century’s most important piecesKim Willsher in ParisThe Guardian 27 May 2013 The audience, packed into the newly-opened Théâtre des Champs-Élysées to the point of standing room only, had neither seen nor heard anything like it.As the first few bars of the orchestral work The Rite of Spring – Le Sacre du Printemps – by the young, little-known Russian composer Igor Stravinsky sounded, there was a disturbance in the audience. It was, according to some of those present – who included Marcel Proust, Pablo Picasso, Gertrude Stein, Maurice Ravel and Claude Debussy – the sound of derisive laughter.By the time the curtain rose to reveal ballet dancers stomping the stage, the protests had reached a crescendo. The orchestra and dancers, choreographed by the legendary Vaslav Nijinsky, continued but it was impossible to hear the music above what Stravinsky described as a « terrific uproar ».As a riot ensured, two factions in the audience attacked each other, then the orchestra, which kept playing under a hail of vegetables and other objects. Forty people were forcibly ejected.The reviews were merciless. « The work of a madman … sheer cacophony, » wrote the composer Puccini. « A laborious and puerile barbarity, » added Le Figaro’s critic, Henri Quittard.It was 29 May 1913. Classical music would never be the same again.On Wednesday evening at the same theatre in Paris, a 21st-century audience – hopefully without vegetables — will fill the Théâtre des Champs-Élysées for a reconstruction of the original performance to mark the 100th anniversary of the notorious premiere. It will be followed by a new version of The Rite by the Berlin-based choreographer Sasha Waltz, among a series of commemorative performances.Today, the piece has gone from rioting to rave reviews and is widely considered one of the most influential musical works of the 20th century.« It conceals some ancient force, it is as if it’s filled with the power of the Earth, » Waltz said of Stravinsky’s music.Finnish composer and conductor Esa-Pekka Salonen, currently principal conductor and artistic adviser for the Philharmonia Orchestra in London, who will conduct the Rite of Spring at the Royal Festival Hall on Thursday and at the Théâtre des Champs-Élysées shortly afterwards, said The Rite still made his spine tingle. « I have to admit that when we come to the moment just before the last dance … my blood pressure is up. I have this kind of adrenaline surge, » he told Reuters.« It’s an old caveman reaction. »Salonen added: « The miracle of the piece is the eternal youth of it. It’s so fresh, it still kicks ass. »There is still confusion and disagreement about events that night in 1913, which the theatre describes as « provoking one of the greatest scandals in the history of music » and turning The Rite into the « founding work of all modern music ».Stravinsky, was virtually unknown before Sergei Diaghilev hired him to compose for his Ballets Russes’s 1913 Paris season. His first two works, The Firebird, performed in 1910, and Petrushka, in 1911, were generally acclaimed. The Rite, subtitled « Pictures of Pagan Russia in Two Parts », begins with primitive rituals celebrating spring, and ends with a young sacrificial victim dancing herself to death.Not only was the theatre hall packed that evening in 1913, but the stairways and corridors were full to bursting with excited and jostling spectators.The Rite opened with an introductory melody adapted from a Lithuanian folk song, featuring a bassoon playing, unusually, at the top of its register, and prompting composer Camille Saint-Saëns to exclaim: « If that’s a bassoon, then I’m a baboon! » The heavy, stomping steps were a world away from the elegance of traditional ballet, as the dancers enacted the brutal plot.As the audience erupted, Diaghilev called for calm and flashed the house lights on and off, while Nijinsky was forced to call out steps to the dancers as the beat of the music was drowned out by the riotous cacophony. Even now there is debate over whether the audience reaction was spontaneous or the work of outraged traditionalists armed with vegetables who had come looking for trouble.The turbulent premiere was followed by five more relatively peaceful performances before one show in London, which received mixed reviews, but the complete ballet and orchestral work were only performed seven times before the outbreak of the first world war.After the fighting ended, Diaghilev attempted to revive The Rite of Spring, but found nobody remembered the choreography. By then Nijinsky, the greatest dancer of his generation, was in mental decline.Since then The Rite has been adapted for and included in an estimated 150 productions around the world including gangster films, a punk rock interpretation, a nightmarish vision of Aboriginal Australia by Kenneth MacMillan, and Walt Disney’s 1940s film Fantasia. A commemorative performance was staged at the Royal Albert Hall in London to mark the 50th anniversary of the premiere.To mark this year’s centenary of The Rite of Spring, described by Leonard Bernstein as the most important piece of music of the 20th century, both Sony and Universal have released box sets reprising the best versions in their back catalogues.

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The Rite of Spring: ‘The work of a madman’It is one of the great works of the 20th century, a ballet so revolutionary it is said to have caused a riot at its premiere. But is Stravinsky’s Rite of Spring all it was claimed to be? As the work’s centenary is celebrated, Tom Service separates fact from fictionTom ServiceThe Guardian12 Feb 2013‘Mild protests against the music, » wrote Stravinsky, « could be heard from the beginning. » The composer was remembering the night of 29 May 1913 at the Théâtre des Champs-Elysées in Paris. The event was the premiere of a new ballet called The Rite of Spring – and, if you believe all the stories about what happened that celebrated evening, not least the one about the riot that ensued, it’s as if the 20th century only really got going when the audience in that gilded art-nouveau auditorium started kicking off.If you know how Stravinsky’s music begins, you may not be too surprised by the audience’s reaction to The Rite, which was choreographed by the young dancer Vaslav Nijinsky and performed by Serge Diaghilev’s Ballets Russes. After the strangest, highest and most terrifyingly exposed bassoon solo ever to open an orchestral work, the music becomes a sinewy braid of teeming, complex woodwind lines. « Then, » Stravinsky told his biographer, « when the curtain opened on the group of knock-kneed and long-braided Lolitas jumping up and down, the storm broke. »That was Nijinsky’s choreography for the Dance of the Adolescents section, the music’s first and still-shocking moment of crunching dissonance and skewed rhythm. Stravinsky said that at this point, « Cries of ‘Ta gueule’ [shut up] came from behind me. I left the hall in a rage. I have never again been that angry. » Stravinsky spent the rest of the performance in the wings, holding on to Nijinksy’s tails as the choreographer shouted out cues to his dancers over the din.What really happened on that night of nights? Was this a genuine riot, as it is so often described – a shocked response to Stravinsky’s simultaneously primitivist and modernist depiction of an ancient Russian ritual devoted to the seasons? Or was it simply a publicity stunt, a wilfully orchestrated succès de scandale that has, in the years and the retelling, grown into a great musical myth? And was The Rite really such a revolution in music, a gigantic leap of faith into a terra incognita that would inspire every subsequent composer?There is still no more influential piece of music in the 20th century. The Rite is the work that invariably tops polls of the biggest and baddest of the last 100 years. From Elliott Carter to Pierre Boulez, from Steve Reich to Thomas Adès, other composers couldn’t have done what they did without it as inspiration. Talking many years after its composition, Stravinsky claimed he had to put himself in a kind of creative trance to compose it, an echo of the fate that befalls the poor girl who dances herself to death in the ballet’s climactic Sacrificial Dance: « Very little immediate tradition lies behind The Rite of Spring – and no theory. I had only my ear to help me; I heard and I wrote what I heard. I am the vessel through which The Rite passed. »Let’s deal with the riot first. For all the « heavy noises » and shouts Stravinsky says came from the auditorium, there is no evidence of mass brawling, and nobody tried to attack the dancers (although the conductor Pierre Monteux remembered that « everything available was tossed in our direction »). One critic described the whole thing as merely a « rowdy debate » between rival factions in the audience. And if the boos and hisses had been so appalling, why would Diaghilev have been as pleased as Stravinsky says he was? « After the performance, » he noted, « we were excited, disgusted, and … happy. I went with Diaghilev and Nijinsky to a restaurant. Diaghilev’s only comment was, ‘Exactly what I wanted.’ Quite probably, he had already thought about the possibility of such a scandal when I first played him the score, months before. »It would certainly be an exaggeration to say the whole thing was engineered as a publicity stunt. But how to explain the fact that the audience was protesting right from the start about something they hadn’t properly heard yet? Significantly, when the score was performed in Paris for the first time as a concert piece just a year later, there were huge ovations, with Stravinsky carried on the shoulders of his fans in triumph.It was, it seems, the wilful ugliness and lumpenness of Nijinsky’s evocation of Russian prehistory that was really shocking to audiences – the « knock-kneed Lolitas » Stravinsky wrote of. The dance offended their sense of beauty and their vision of what a ballet should be, as much as if not more than the music. Anyway, at the premiere, the radicalism of Stravinsky’s score could hardly be heard for cat-calls, although some reports suggest the boos had calmed down before the climax. Stravinsky had great praise for Monteux’s cool head, calling the conductor as « impervious and as nerveless as a crocodile ». He added: « It is still almost incredible to me that he actually brought the orchestra through to the end. »The paradox of the primitivism in The Rite is that it can be heard as both a horrifying vision of the pitilessness of nature – and as an expression of the inhumanity of the machine age. The fate of the « chosen one » in the Sacrificial Dance is particularly chilling. She is caught in an unstoppable rhythmic vortex from which there is only one way out: through the terrible dissonance that ends the piece, and the single chord that kills her. This is music that manages to sound both mechanistic and elemental, making The Rite as radical in 2013 as it was 100 years ago.Still, for all its modernity, for all Stravinsky’s insistence that the whole thing came from « what I heard » (and for all that Puccini would later call it « the work of a madman »), The Rite is rooted in musical traditions. As Bela Bartók intuited, and as musicologist Richard Taruskin has shown, many of The Rite’s melodies come from folk tunes – including that opening bassoon solo, which is actually a Lithuanian wedding song. Scholars have identified more than a dozen folk references so far, but there’s an even more significant tradition behind The Rite.The work is the apotheosis of a way of thinking about music that began in the 1830s with Mikhail Glinka, the first important Russian composer, and an inpiration to Stravinsky, whose music he loved. The way The Rite moves, with its blocks of music juxtaposed next to and on top of one another like a mosaic, is prefigured not just by Stravinsky’s previous ballets for Diaghilev (The Firebird and Petrushka), but in music by his teacher Rimsky-Korsakov and even Tchaikovsky. Those « new » sounds with all those dagger-like dissonances? If you look at them closely, you’ll find they’re all versions either of common chords stacked up on top of each other, or are built from the scales and harmonies that Rimsky-Korsakov, Mussorgsky and Debussy had already discovered. And all those jerky, jolting rhythms? They’re derived, albeit distantly, from the way some of those folk tunes work.So there’s nothing so old as a musical revolution. But even if it’s true that Stravinsky plundered traditions both ancient and modern to create The Rite, there’s something that, finally, can’t be explained away, something you should feel in your gut when you experience the piece. A century on, the truly shocking thing about The Rite is still with us, right there at its climax. A good performance will merely pulverise you. But a great one will make you feel that it’s you – that it’s all of us – being sacrificed by Stravinsky’s spellbinding and savagely cruel music.The London Philharmonic Orchestra plays The Rite of Spring on 17 February at the Royal Festival Hall, London SW1, as part of The Rest Is Noise festival. Box office: 0844 875 0073.

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Ballet PreljocajJudith MackrellThe Guardian1 May 2002 Angelin Preljocaj has already stamped his sparky revisionist ideas on three of the old Ballets Russes masterpieces, but recreating The Rite of Spring is a different kind of challenge. How do you add to the history of a ballet that’s already made legends of its most distinguished interpreters? Where do you find a choreographic idea strong enough to survive the treacherous peaks and unyielding terrain of Stravinsky’s score? Unfortunately, Preljocaj doesn’t have totally convincing answers to these questions, though he looks very hard for them in sex. Picking up from the implacable energy which propels the music, Preljocaj opts to portray the rites of modern lovers rather than the sacred rituals of a prehistoric tribe. From the moment that his six women throw down their knickers as casual gauntlets to the six watching men, the piece embarks on a trajectory from the titillation of desire through to its destruction. I like the analytic cast of Preljocaj’s mind in this piece – the way he moves from the lovers’ constrained taunting of each other, to the first blows that tighten the strings of their desire, to the aggressive seduction routines, and to the sex itself which becomes flagellatory in its efforts to sustain its own excitement. Preljocaj mocks the men as studs and forces the exhausted lovers to shuffle like a slave gang in thrall to their own libidos. Yet rarely does he find enough material to elaborate these images into substantial choreography. Even at the climax, when the group strip one of the woman naked and make her dance a kind of sacrificial orgasm, the movement doesn’t fully hold our attention. It is left to Stravinsky’s controlled frenzy to dominate the stage…

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The Fight of Spring: The score was so unlike anything heard before that, at rehearsals, the musicians wondered if there had been a printing mistake

The Fight of Spring: The score was so unlike anything heard before that, at rehearsals, the musicians wondered if there had been a printing mistake

PARIS 1913

Looking nervously through the peephole in the curtain of the Théâtre des Champs-Élysées, the young choreographer Vaslav Nijinsky could see a murmuring ocean of bejewelled ladies, and their escorts in white tie and tails, waiting for his ballet to begin.

It was the French capital, on May 29, 1913, and the audience’s mood was one of excited expectation.

They were about to witness one of the most hotly anticipated cultural events in history; the first performance of Igor Stravinsky’s Le Sacre Du Printemps (The Rite Of Spring), designed by Nicholas Roerich, choreographed by Nijinsky and produced by Sergei Diaghilev.

The people packed into the sweltering theatre represented ‘the thousand varieties of snobbism, super-snobbism, (and) anti-snobbism’.

First there were the grandes dames of French society, diamonds blazing on their powdered bosoms.

These powerful women were life models for Marcel Proust, the reclusive novelist whose ground-breaking À La Recherche Du Temps Perdu, the first section of which was published in 1913, chronicled this tiny group of aristocrats and their hangers-on.

Although they could be generous patrons, their kindness came at a price – they expected their world view to be reflected in the work they supported.

While the grandees in their red velvet boxes had paid double the usual ticket price, Diaghilev – the charismatic impresario of the Ballets Russes, the company that had bewitched Paris four years earlier – had also given out free passes to a group of rebellious intellectuals.

The young men wore soft collars and short jackets, and the women were in turbans and bright, loose dresses.

Sergei Diaghilev, left, with Igor Stravinsky

Sergei Diaghilev, left, with Igor Stravinsky

Even if they could have afforded better clothes they would have refused to wear them, as a demonstration of their rejection of outdated traditions.

Torn between his devotion to art as an ideal and his need for a hit, and devastated by the private knowledge that Nijinsky, his acknowledged lover for the past four years, was moving away from him, Diaghilev was desperate for Sacre to succeed.

He had opened the programme with Les Sylphides, his favourite piece and one of the Ballets Russes’ most popular shows.

The lonely poet dancing with ghostly maidens in long white tutus was romantic and heart-stoppingly beautiful; for most of the audience, exactly what they expected.

Others, though, had begun to hope that ballet, like literature and the visual arts, might begin to form a new, truer idea of beauty.

Even though the first strains of Sacre are hauntingly delicate, the unusually high register used by Stravinsky for the opening bassoon solo caused a commotion.

The ballet was 24-year-old Vaslav Nijinsky's first major composition

The ballet was 24-year-old Vaslav Nijinsky’s first major composition

The composer Camille Saint-Saëns hissed to his neighbour: ‘If that’s a bassoon, I’m a baboon.’

Whistles, boos and laughter broke out. The score was so unlike anything heard before that, at rehearsals, the musicians wondered if there had been a printing mistake.

Stravinsky would shout: ‘Gentlemen, you do not have to laugh, I know what I wrote!’ and would race to the piano to pound out the music as he wanted  it played.

The sweating dancers waited in their heavy costumes to begin the performance, an imagined enactment of the fertility ritual of an ancient Slavonic tribe.

The ballet was 24-year-old Nijinsky’s first major composition.

Despite his universally acknowledged genius as a dancer (since his Parisian debut in 1909, aged 20, he had been acclaimed Le Dieu De La Danse) his talents as a choreographer aroused debate.

Some found his two previous ballets – L’Après-Midi D’un Faune (1912) and Jeux, which had premiered only weeks earlier – thrillingly new, but many dismissed them as ugly, even obscene.

As the music swelled into a frenzy of dissonance, the dancers began moving, but what the audience saw bore almost no relation to the grace of Les Sylphides.

The dancers’ steps were heavy, as Nijinsky imagined the movements of ancient tribespeople. For much of the performance they faced away from the audience and there was no storyline to follow.

This was, as one critic later wrote, ‘not the usual spring sung by poets . . . [but] spring seen from inside, with its violence, its spasms and its fissions’.

The audience erupted – with some shouting in rage at having been mocked and insulted, as they saw it, by this ‘non-ballet’ and others defending it, understanding that what they were seeing and hearing was as revolutionary as the writings of Nietzsche and Freud, the discoveries of Einstein, the paintings of Cézanne and Picasso.

As one said, they were witnessing ‘an utterly new vision, something never before seen . . . art and anti-art at once’.

However, the arguments quickly descended into the visceral. Members of rival factions were observed rapping one another on the head with their canes; one tugged another’s top hat down over his face.

One of the young bohemians, a critic, cried out: ‘Down with the whores of the Sixteenth (arrondissement; Paris’s Mayfair)!’

HIGH JINKS: The Finnish National Ballet performing a reconstruction of Nijinsky's The Rite Of Spring

HIGH JINKS: The Finnish National Ballet performing a reconstruction of Nijinsky’s The Rite Of Spring

Gabriel Astruc, the theatre’s owner and a long-term supporter of the Ballets Russes, leaned out of his box and screamed: ‘First listen! Then hiss!’

Nijinsky’s mother fainted. Some people remembered seeing  policemen arriving to break up fights.

The premiere would pass into legend as one of the great moments of cultural history, but for each of the protagonists it was a personal turning point, too.

Although some critics hailed Le Sacre Du Printemps as a masterpiece it was a commercial failure. Nijinsky’s choreography was dismissed and all but forgotten until the first revival of his work more than 70 years later.

Stravinsky and Nijinsky would never work together again. Astruc was forced to close the Théâtre des Champs-Élysées because Sacre had bankrupted him.

Diaghilev was on the verge of sacking Nijinsky when the choreographer eloped with a female follower of the Ballets Russes.

After the performance, Diaghilev, Nijinsky and Stravinsky drove around the empty city.

The evening ended with Diaghilev reciting Pushkin in the Bois de Boulogne, the tears on his face lit up in the carriage lamps, while Stravinsky and Nijinsky listened intently.

They were, said Stravinsky, ‘excited, angry, disgusted and . . . happy’, convinced that it would take people years to understand what they had been shown.

Even so, they could scarcely have imagined that Nijinsky’s choreography would never be danced again after its nine performances in 1913 but would resonate throughout the century to come, while Stravinsky’s score would go on to be acclaimed the soundtrack of the 20th century.

‘Nijinsky’ by Lucy Moore is published by Profile, priced £25. To order your copy at £18 with free p&p, please call the Mail Book Shop on 0844 472 4157 or visit mailbookshop.co.uk.

THE LORD OF MODERN DANCE

Nijinsky – the journey from genius to tortured madman

Nijinsky’s parents were Polish itinerant dancers who often performed in the large theatre-circuses, such as Salamonsky’s, which were hugely popular attractions throughout the Russian empire.

His first paid role, aged seven, was as a chimney sweep.

Almost immediately after graduating from the Imperial Theatre School, Nijinsky attracted the attention of a rich patron, Prince Lvov, who seduced him by pretending that a princess who was in love with Nijinsky had asked him to act as her go-between.

Lvov introduced Nijinsky to Diaghilev and encouraged their romance, well aware of how instrumental Diaghilev could be in promoting Nijinsky’s career.

It was only dancer Anna Pavlova’s last-minute absence from the Ballets Russes’ opening two weeks in Paris in 1909 that allowed Diaghilev to present Nijinsky as his star.

In 1913, soon after the debacle in Paris, Nijinsky met a star-struck Hungarian socialite Romola de Pulszky on a month-long voyage to South America – and they married.

When he discovered Nijinsky had eloped, Diaghilev consoled himself with a debauched tour through Southern Italy before his thoughts turned to revenge.

Nijinsky’s first mental breakdown probably took place in 1914, soon after Diaghilev sacked him.

He put on a programme at a London music hall, but it was a disaster. Nijinsky was so hysterical that, on one occasion, the stage manager had to pour a jug of water over him.

As Nijinsky’s mental health declined in the mid-1910s his behaviour became increasingly erratic. Influenced by the writings of Tolstoy, he began wearing hair shirts next to his skin and refusing to eat meat.

By 1919 Nijinksy was experiencing periods of lucidity and terrifying moments of hallucination and mania.

Nijinksy, Romola and their daughter, Kyra, were living quietly in St Moritz and he took to driving their sleigh into the paths of oncoming sleighs.

He pushed Romola down the stairs and spent hundreds of francs on sweaters in a rainbow of colours.

According to the frenzied diary he began on the day of his last public performance, Nijinsky believed that he was entering into a marriage with God.

When Romola took him to a psychiatrist to be diagnosed, he was told by the doctor that he was incurably insane.

His daughter, Tamara, aged 17, seeing Nijinsky after many years’ absence in 1937, was alone with him for a moment.

She picked him a bunch of flowers, and recalled: ‘Silently, he gazed at the daisies, lifted them upward to the sky . . . like an offering, then sank back in his chair, shut his eyes, and pressed the flowers to his heart.’

Nijinsky died in a London clinic in 1950.

Voir enfin:

Le Sacre du printemps

Introduction

La danse devrait exprimer … toute l’époque à laquelle appartient le sujet du ballet» – Michel Forkin

En 1913, la danse « Le Sacre du printemps » est achevée. Avant cela, Isadora Duncan et Fokine nous avaient déjà montré le retour à la nature et aux sources grecques pour trouver le nouveau vocabulaire de la danse.

Mais aussi nous avons déjà Les Demoiselles d’Avignon de Picasso où l’on trouve la recherche des cubistes sur la forme géométrique et l’idée du primitivisme.

Également on a déjà commencé à sentir l’air de la guerre qui commence l’année suivante. Le Sacre du printemps représente le sacrifice de la Russie païenne à l’époque de la préhistoire. C’est le commencement de la danse contemporaine. Voici la photo de l’idole slave.

Sa pose évoque une pose de la danse du « Sacre du printemps » comme ce qui suit.

Est-ce qu’il y a une relation entre la chorégraphie de la danse du XX siècle et les idoles slaves en bois sculptées, typiques des communautés païennes dans le pré-christianisme russe ? Une problématique s’apparente au rapport entre préhistoire et modernité. En quoi le Sacre du printemps de 1913 recherchait-il le nouveau vocabulaire de la danse classique en consultant l’idée de préhistoire. D’abord nous voyons le contexte du retour à la préhistoire, ensuite le primitivisme dans cette danse enfin la manière dont elle reflète l’influence de l’âge de la pierre.

1.1. Un rôle important de Roerich, artiste, érudit en archéologie

Le sacre du printemps de 1913 est une collaboration parmi trois principaux artistes. On attribue la musique à Stravinsky, la chorégraphie à Nijinsky et les dessins, décors et costumes à Roerich.

Cependant il reste une question: qui a écrit ce scénario? Kenneth Archer indique la possibilité de la grande influence de Roerich non seulement sur ce scénario mais aussi sur cette danse classique totale. Car pour créer Le sacre du printemps, on a besoin d’une connaissance sûre de la Russie archaïque.

Roerich est un grand artiste, un philosophe et un érudit. Nijinska écrit dans son livre qu’au cours de ses nombreuses fouilles et explorations de grottes, il a découvert des vestiges de l’âge primordial.

1 Il semble que Roerich ait partagé des sources de rites, comme l’idole avec Nijinsky. Nous revenons à cette idole.

Kenneth indique que le geste de la figure masculine en haut est similaire à celui du danseur du Sacre du printemps. Tous les deux posent leur main droite sur l’estomac ou la poitrine et leur main gauche sur la taille en pliant les bras. Leur pose met les pointes des coudes en évidence. C’est tout à fait contraire à la tradition de la danse classique où « la courbe l’emporta sur la ligne droite »2.

1.2. La différence et l’analogie entre Isadora Duncan et Nijinsky

Duncan a essayé de libérer le corps et de retourner à la nature en s’inspirant de la danse grecque antique peinte sur le vase. Elle reste sous l’influence de la Grèce classique et de la ligne serpentine. Nous pouvons trouver son influence (à travers Folkin) dans l’Après-midi d’un Faune que Nijinsky a chorégraphié. Les attitudes des Nymphes étaient bien stylisées en continuant à nous montrer la silhouette latérale. Cela évoque une frise peinte.

Leurs gestes et attitudes se trouvent sur des vases attiques aux alentours du Vème et du IVème siècles avant J.-C.1 Cependant il semble que à l’aide de Diaghilev, Nijinsky ait pu aller plus loin. Diaghilev a parlé de « repenser le temps passé plutôt que de tenter de le faire revivre.»2 La structuration et stylisation de la nouvelle grammaire de la danse sont caractéristiques chez Nijinsky. À savoir qu’il ne retient pas le passé, il a avancé jusqu’à la modernité en restructurant le mouvement du passé.

Il a pu créer un système cohérent de la danse en s’inspirant des techniques dormantes de danse rituelle archaïque.

2.1. Roerich et le design

Les dessins du peintre, Roerich pour les costumes ont beaucoup inspiré la chorégraphie du Sacre à Nijinsky. Sa série de tableaux nommée « Slav series » traite les sites religieux d’ ancien Slave où l’on voit la disposition des idoles basées sur une géométrie rituelle. Nous voyons un tableau « The idols » de Roerich.1

Un certain nombre d’idoles forment un cercle entourant une roche au centre. Des piquets en bois aiguisés font cercle autour de ces objets rituels. Sur ces pieux, on pose les crânes blancs des bêtes. Selon Archer, nous pouvons trouver le même motif géométrique rituel dans le costume dessiné par Roerich et dans la chorégraphie de Nijinsky pour le premier Acte. Par exemple, le sarrau rouge que les jeunes filles portent au premier acte évoque une disposition religieuse.1 Voici Reconstructing Roerich’s Costumes.

Le motif circulaire est omniprésent. Il y a un cercle noir au centre qui ressemble à la roche et des cercles rouges entourent ce noir. Enfin une ligne noire fait cercle autour d’eux. Ces trois couches du cercle se trouvent dans la composition de la chorégraphie du premier acte.

Au centre de la scène un sage se tient debout comme une roche, autour de lui, huit personnes courent dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, et puis de plus grands groupes de jeunes filles courent dans le sens des aiguilles d’une montre. Le motif du cercle rituel de l’âge de pierre apparaît dans la composition géométrique du costume et de la chorégraphie du XXème siècle.

En outre, le dessin de Roerich a directement influencé sur le geste. Voici son dessin : « run away looking to the left »3 Nijinsky a introduit ce geste dans le premier Acte-Scene « Ritual of Abduction ».

3.1. Le cubisme, Cubo-Futurisme et Sacre du printemps

« On peut parler d’une mosaïque sonore analogue au cubisme en peinture. » -Benoît Chantre1

Quelques livres sur Le Sacre du printemps ont pressenti la relation de ce ballet avec le cubisme, le primitivisme et le commencement de la guerre. On peut dire également que le caractère mosaïque de la danse rappelle le cubisme. Chaque groupe de danseurs a simultanément des rythmes différents à suivre. Il s’agit de la simultanéité du mouvement divers de plusieurs danseurs. Il y a plusieurs points de vue dans une oeuvre. Cette idée rejoint le cubo-futurisme russe qui est marqué par le cubisme. Par exemple en 1912, Kasilir Malevich, dans sa peinture The Knife-Grinder, a commencé à repenser l’interprétation du corps humain en déplaçant l’accent sur le temps et sur le mouvement à partir de la forme, du volume. Il a montré différentes étapes du même mouvement, comme la représentation séquentielle du corps humain dans un tableau.

Conclusion

En conclusion, à travers les connaissances de Roerich en préhistoire, Nijinsky a trouvé le nouveau style qui est tout à fait contraire à la base du ballet traditionnel. Le Sacre du printemps reflète le sacrifice non seulement de la préhistoire mais aussi l’atmosphère des foules avant la guerre. Également serait il possible d’approfondir la question du lien du cubisme avec ce ballet appelé « Cubist Dancing »  à partir de point de vue de la déshumanisation dans le pressentiment de la guerre ?

Notes:

1. W.Beaymont, Cyril. Michel Fokine and His Ballets, Londres,1935, (cité par Eksteins, Modris. Le sacre du printemps:la Grande Guerre et la naissance de la modernité, Trans. Leroy-Battistelli, Martine. Paris : Plon, 1991, p.44.).
2. Hodson, Millicent,Nijinsky’s crime against grace : reconstruction score of the original choreography for Le Sacre du printemps, Stuyvesant (N.Y.) : Pendragon, 1996,XXVII-205 p. : voir aussi p.103, «A Slavic idol, this nine foot high obelisk reflects earlier Russian pagan beliefs. The large figures at the tops probably sky gods, with a horse at the foot of one-dwarf the tiny men below, underworld demons crouch at the idol’s base.»

1.Kisselgoff, Anna. « Introduction » in Bronislava, Nijinska. (ed.), Nijinska, Irina. Rawlinson, Jean, Early Memoire,   NewYork : Holt, Rinehart and Winston, 1981, 448p. ( cité par Archer, Kenneth. Hodson, Millicent. The lost Rite: rediscovery of the 1913 Rite of spring, London : KMS, 2014,  p. 31).
2.Eksteins, Modris. Le sacre du printemps:la Grande Guerre et la naissance de la modernité, Trans. Leroy-Battistelli, Martine. Paris : Plon, 1991, 424 p., p.55  « En 1828, dans le Code de Terpsichore, Carlo Blasis écrivait : « Veillez à ce que vos bras soient si arrondis que les pointes des coudes soient imperceptibles. »

1.Kenneth, Archer. Millicent, Hodson. The lost Rite: rediscovery of the 1913 Rite of spring, London : KMS, 2014, p.31.

2.Hodson, Millicent. Nijinsky’s crime against grace: reconstruction score of the original choreography for Le Sacre du printemps ,Stuyvesant (N.Y.) : Pendragon, 1996, p.119.

3.Hodson, Millicent.Nijinsky’s Crime against grace, ibid. p.40, « Ritual of Abduction (Act I, Scene 2 ) at 37 in the orchestral score. ».

[fig] Kenneth, Archer. Millicent, Hodson. The lost Rite: rediscovery of the 1913, op.cit. p.33, « Costume design in tempera on paper by Nichoras Roerich for an Act 1 Maiden, Le Sacre du Printemps, Paris,1913″.

1.Girard, René. « Le Religieux, vraie science de l’homme Entretien avec Benoît Chantre », in La conversion de l’art, Paris,  Carnets Nord, 2008, p.222.
2.Millicent, Hodson. Nijinsky’s crime against grace: reconstruction score of the original choreography for Le Sacre du printemps, Stuyvesant (N.Y.), Pendragon, 1996. p.114

[fig.] Malevich, Kasimir. The Knife Grinder or Principle of Glitterin, 1912-13, Oil on canvas, 79.5 x 79.5 cm (31 5/16 x 31 5/16 in.), Yale University Art Gallery.

Bibliographie

Buckle, (Richard)., Diaghilev : biographie, traduit de l’anglais par Tony Mayer, Paris: J.-C. Lattès, 1980, 717 p.

Eksteins, (Modris)., Le sacre du printemps:la Grande Guerre et la naissance de la modernité ;trad. de l’anglais par Martine Leroy-Battistelli, Paris:Plon, 1991, 424 p.

Girard, (René)., « Le religieux, vraie science de l’homme Entretien avec Benoît Chantre », in La conversion de l’art, Paris : Carnets Nord, 2008,287 p.

Kenneth,(Archer). Millicent,(Hodson)., The lost Rite: rediscovery of the 1913 Rite of spring, London : KMS, 2014, 266 p.

Millicent,(Hodson)., Nijinsky’s crime against grace: reconstruction score of the original choreography for Le Sacre du printemps, Stuyvesant (N.Y.) : Pendragon, 1996, XXVII-205 p.

Nectoux, (Jean-Michel)., Après-midi d’un Faune Mallarmé, Debussy, Nijinsky,1989, Paris : Les Dossiers du musée d’orsay,64 p.

Wilfrid Dyson, (Hambly)., Tribal dancing and social development, Binsted :Noverre, 2009,296 p.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Est-ce qu’il y a une relation entre la chorégraphie de la danse du XX siècle et les idoles slaves en bois sculptées, typiques des communautés païennes dans le pré-christianisme russe ? Une problématique s’apparente au rapport entre préhistoire et modernité. En quoi le Sacre du printemps de 1913 recherchait-il le nouveau vocabulaire de la danse classique en consultant l’idée de préhistoire. D’abord nous voyons le contexte du retour à la préhistoire, ensuite le primitivisme dans cette danse enfin la manière dont elle reflète l’influence de l’âge de la pierre.

W.Beaymont, Cyril. Michel Fokine and His Ballets, Londres,1935, ( cité par Eksteins, Modris. Le sacre du printemps:la Grande Guerre et la naissance de la modernité, Trans. Leroy-Battistelli, Martine. Paris : Plon, 1991, p.44.).
Hodson, Millicent,Nijinsky’s crime against grace : reconstruction score of the original choreography for Le Sacre du printemps, Stuyvesant (N.Y.) : Pendragon, 1996,XXVII-205 p. : voir aussi p.103, «A Slavic idol, this nine foot high obelisk reflects earlier Russian pagan beliefs. The large figures at the tops probably sky gods, with a horse at the foot of one-dwarf the tiny men below, underworld demons crouch at the idol’s base.»

Voir par ailleurs:

Faut-il craindre la résurgence de virus et de bactérie disparus, avec le dégel du permafrost ?
Les réponses de Philippe Charlier, médecin légiste et archéo-anthropologue, Jean-Claude Manuguerra, virologiste, directeur de la Cellule d’intervention biologique d’urgence (Cibu) de l’Institut Pasteur.
Recueilli par Laureline Dubuy
La Croix
02/12/2019

Faut-il craindre la résurgence de virus et de bactérie disparus, avec le dégel du permafrost ?

« Il y a un risque réel de propagation planétaire des agents infectieux »

Philippe Charlier, médecin légiste et archéo-anthropologue (1)

Le réchauffement climatique met au jour des restes d’humains, d’animaux et de végétaux conservés dans le permafrost, parfois depuis des centaines de milliers d’années. Les bactéries, les virus et les parasites qu’ils contiennent ne sont pas forcément morts avec leurs hôtes, ils sont pour beaucoup seulement endormis. Les virus semblent perdre en intensité avec la congélation et le temps, ce qui n’est pas le cas pour les bactéries. En 2016, une épidémie de la maladie du charbon (anthrax) a décimé les troupeaux de rennes en Sibérie. Les deux souches de ce bacille étudiées par les scientifiques remontaient au XVIIIe et au début du XXe siècle.

Le risque de propagation est bien réel. Pour l’instant, la résurgence se fait de manière locale, mais elle pourrait se répandre à l’ensemble de la planète. Avec la liquéfaction du permafrost, les agents infectieux peuvent migrer dans les eaux mais aussi s’agglomérer sous les semelles des chaussures. Car si les régions du Grand Nord abritent des populations parfois très isolées, elles attirent aussi des touristes, des scientifiques, des chasseurs de fossiles…

Il est indispensable que des précautions sanitaires drastiques soient prises pour éviter une éventuelle propagation. Aujourd’hui, trop peu de scientifiques s’y intéressent. Il y a pourtant une vraie urgence à prévoir l’avenir.

« Le danger serait de reconstituer des virus disparus à partir de virus morts »

Jean-Claude Manuguerra, virologiste, directeur de la Cellule d’intervention biologique d’urgence (Cibu) de l’Institut Pasteur

Des épidémies peuvent toujours survenir, causées par des bactéries très résistantes, comme le charbon (anthrax), que l’on a retrouvé dans des cadavres d’animaux en Sibérie en 2016. Ces germes sont effectivement très robustes. Mais une épidémie de charbon s’arrête facilement. Les virus, eux, tels que nous les connaissons, ne sont pas très résistants. Il y a peu de risques qu’ils puissent être conservés au point d’être viables. Ils supportent difficilement les changements d’état. Pour qu’ils soient viables, il faudrait qu’il n’y ait jamais eu de décongélation et qu’ils soient récupérés à l’état congelé.

→ VIDEO. La fonte du pergélisol, bombe à retardement pour le climat

En revanche, le risque pourrait venir des expériences de l’homme. Le danger serait de pouvoir reconstituer des virus disparus à partir de virus morts. Ça a déjà été le cas. Des scientifiques ont prélevé des fragments du génome du virus de la grippe espagnole sur le cadavre d’un esquimau inuit. Ces fragments, associés à des échantillons d’hôpitaux, ont permis de reconstituer la séquence de ce virus disparu qui a décimé des populations.

Aujourd’hui, nous avons des outils très performants pour identifier les bactéries ou les virus et réagir rapidement. Le risque microbiologique venu de l’Arctique n’est pas le plus grand danger du réchauffement climatique, selon moi. Par exemple, le virus contemporain du chikungunya étend de plus en plus sa zone géographique avec l’augmentation des températures.

(1) Auteur avec David Alliot de « Autopsies des morts célèbres », éditions Tallandier, 272 p., 19,90 €

Voir enfin:

Changement climatique
CO2 et virus oubliés : le permafrost est « une boîte de Pandore »
Boris Loumagne
Radio France
15 décembre 2018

Vue aérienne de lacs formés par le dégel du pergélisol sibérien à Yamalo-Nenets, en Russie.

Vue aérienne de lacs formés par le dégel du pergélisol sibérien à Yamalo-Nenets, en Russie.

© Getty – Asahi Shimbun

Tandis que les règles d’application de l’accord de Paris ont été adoptées lors de la COP24 en Pologne, en Sibérie ou au Canada le pergélisol (permafrost en anglais) poursuit son dégel. Cette couche de sol renferme d’énormes quantités de carbone et des virus potentiellement dangereux pour l’Homme.

Les effets du réchauffement climatique sont multiples : hausse des températures, fontes des glaciers, hausse du niveau des mers, sécheresse, changements de la biodiversité, migrations humaines, etc. Parmi toutes ces catastrophes en cours ou à venir, il en est une majeure, qui se déroule en ce moment en Alaska, au Canada et en Russie. Selon les scénarios les plus optimistes, d’ici 2100, 30% du pergélisol pourraient disparaître. Entamé depuis plusieurs années, le dégel de cette couche géologique, composée de glace et de matières organiques, menace de libérer des quantités astronomiques de CO2, entraînant potentiellement un réchauffement climatique encore plus important et rapide que prévu. Le pergélisol préserve également de nombreux virus, oubliés ou inconnus. En 2016, un enfant a ainsi été tué par de l’anthrax. Le virus de la maladie du charbon avait été libéré suite au dégel d’un cadavre de renne vieux de 70 ans !

Pour étudier les risques liés au dégel du pergélisol, nous avons sollicité l’éclairage de deux spécialistes. Florent Dominé, d’une part, est chercheur, directeur de recherche au CNRS. Il travaille à l’Unité Mixte Internationale Takuvik, issue d’un partenariat entre l’Université Laval à Québec (Canada) et le Centre National de la Recherche Scientifique. Ses activités se concentrent essentiellement dans l’Arctique canadien où il travaille sur les problématiques climatiques et en particulier sur la transformation et le dégel du pergélisol. Sur place, il étudie également l’évolution de la végétation et de la biodiversité. Par ailleurs, concernant la question des virus, nous avons fait appel à Jean-Michel Claverie, professeur de médecine de l’Université Aix-Marseille, directeur de l’institut de Microbiologie de la Méditerranée et du laboratoire Information Génomique et Structurale. En 2014, lui et son équipe ont découvert deux nouveaux virus, des virus géants, datés de 30 000 ans, dans le pergélisol sibérien.

Un réservoir de gaz à effet de serre

Le pergélisol est un vaste territoire. Sa superficie est estimée entre 10 et 15 millions de mètres carrés (entre 20 et 30 fois la superficie de la France). On trouve du pergélisol au nord du Canada et de l’Alaska, ainsi qu’au nord de la Sibérie. Selon les zones, la profondeur de cette couche varie : de quelques mètres à environ un kilomètre dans certains points de la Sibérie où le pergélisol se maintient alors depuis des millions d’années. Selon certaines études, ces couches du sol renfermeraient des milliards de tonnes de carbone. Une analyse confirmée par le chercheur Florent Dominé :

Le pergélisol contient de la glace et de la matière organique issue essentiellement de la décomposition partielle des végétaux. Cette matière organique est formée en grande partie de carbone. Il y a environ deux fois plus de carbone dans le pergélisol que dans l’atmosphère. Ce carbone, quand il est gelé, est peu accessible à la minéralisation bactérienne. Les bactéries peuvent se nourrir de cette matière organique dès lors qu’elle est dégelée. Et là, les bactéries vont pouvoir la métaboliser et la transformer en CO2. Ce dioxyde de carbone va alors s’échapper dans l’atmosphère et potentiellement faire augmenter les teneurs de ce gaz à effet de serre.

En somme, le CO2 qui s’échappe dans l’atmosphère participerait au réchauffement climatique, qui lui même accélère la fonte du pergélisol. Toutefois, difficile de prévoir exactement quelle sera la quantité réelle de ces émissions, comme le rappelle Florent Dominé : « La fourchette serait comprise entre 50 et 250 milliards de tonnes de CO2. Mais il y a tellement de rétroactions qui n’ont pas encore été découvertes et qui n’ont pas été incluses dans les modèles, que toutes ces projections sont soumises à d’énormes incertitudes. Et puis il y a des incertitudes sur le processus inverse qui est celui de la fixation de matière organique, de carbone, par la végétation. Imaginons : si il fait plus chaud, la végétation pousse. La toundra herbacée est remplacée par de la toundra arbustive. Il y a plus de biomasse dans les arbustes que dans les herbes. Donc les sols arctiques vont servir de puits de carbone quand le pergélisol servira de source de carbone. Bref, il y a encore trop d’incertitudes. Mais quoiqu’il en soit, au nom de principe de précaution, il y a lieu de faire très attention à cette libération du carbone.« 

Florent Dominé, lors d'une étude du réchauffement du pergélisol, près de Kuujjuarapik, au Canada en décembre 2014
Florent Dominé, lors d’une étude du réchauffement du pergélisol, près de Kuujjuarapik, au Canada en décembre 2014

© AFP – Clément Sabourin

De plus, le CO2 n’est pas le seul gaz à effet de serre que peut produire le pergélisol dégelé. « Quand la matière organique du pergélisol dégèle, détaille le chercheur_, et qu’il n’y a pas d’oxygène disponible parce que la zone est saturée en eau, alors à ce moment-là, on va avoir une fermentation bactérienne et donc_ une émission de méthane par le pergélisol. Le méthane est un gaz à effet de serre trente fois plus puissant que le CO2__. Toutefois, dans le pergélisol, il y a 100 fois moins de méthane que de CO2. » Du mercure a également été découvert dans certaines zones de l’Alaska mais d’après Florent Dominé, « le principal danger climatique reste le dioxyde de carbone« .

Biodiversité modifiée, infrastructures menacées

L’impact du dégel du pergélisol est donc potentiellement planétaire. Mais avant cela, les retombées négatives de ce réchauffement global se mesurent aussi localement. Dans les zones qui voient leur pergélisol dégeler, la biodiversité se modifie profondément. C’est ce qu’a constaté sur place Florent Dominé : « On a des changements phénoménaux dans les assemblages végétaux et dans les migrations d’espèces animales. Je travaille notamment près d’un village inuit, Umiujaq, au nord du Québec. Il y a 50 ans, la végétation était essentiellement composée de lichen à caribou. Désormais, c’est envahi par les bouleaux glanduleux, des bouleaux nains. Les renards arctiques ont disparu et ont été remplacés par des renards roux. Des orignaux commencent à arriver alors qu’avant ils étaient cantonnés plus au sud.« 

Ces changements d’éco-systèmes fondamentaux peuvent également s’accompagner de la disparation pure et simple d’espèces végétales. « Il y a également le danger, poursuit le chercheur, que des espèces cantonnées beaucoup plus au nord, au désert polaire  – certains types d’herbes ou de lichens – deviennent de plus en plus rares, voire même disparaissent avec le réchauffement climatique. »

A Newtok, en Alaska, des planches de bois ont été installées pour se déplacer sans s'enfoncer dans le permafrost dégelé
A Newtok, en Alaska, des planches de bois ont été installées pour se déplacer sans s’enfoncer dans le permafrost dégelé

© Getty – Andrew Burton

Localement, le dégel du pergélisol a également de lourdes conséquences sur les Hommes. Quand la glace du sol fond, cela peut conduire à un affaiblissement, voire à une destruction, des infrastructures bâties à une époque où le pergélisol était encore stable. « A Umiujaq, la route qui mène à l’aéroport s’est effondrée, se souvient Florent Dominé. A Iqaluit, la plus grande ville du territoire du Nunavut, la piste de l’aéroport a dû être refaite. A Salluit, à l’extrême nord du Québec, la caserne de pompier s’est effondrée. Et dans ce village construit quasiment entièrement sur une zone riche en glace et qui existe depuis des dizaines d’années, on parle de déménager tous les habitants. On en arrive à ces situations qui peuvent être dramatiques pour les populations locales. » L’une des missions du chercheur Florent Dominé est donc notamment d’encourager les populations locales à construire sur des zones rocheuses, parfaitement stables et sans risque.

Mines d’or et virus oubliés 

En découvrant dans une revue scientifique que des chercheurs russes étaient parvenus à faire ressusciter une espèce végétale prisonnière du pergélisol pendant 30.000 ans que le Professeur Jean-Michel Claverie s’est posé cette question : « Est-il possible de faire la même chose pour un virus ? » En 2014, le Pr Claverie et son équipe ont découvert deux virus géants, inoffensifs pour l’Homme, qu’ils ont réussi à réactiver : « Cette découverte démontre que si on est capable de ressusciter des virus âgés de 30.000 ans, il n’y a aucune raison pour que certains virus beaucoup plus embêtants pour l’Homme, les animaux ou les plantes ne survivent pas également plus de 30.000 ans.« 

Pour autant, nul besoin de replonger aussi loin dans le temps pour trouver des virus dangereux pour les espèces vivantes. En 2016 en Sibérie, des spores d’anthrax vieilles de 70 ans se sont libérées du cadavre d’un renne après le dégel d’une couche de permafrost. Cet épisode a causé la mort d’un enfant ; des milliers de rennes ont également été infectés. Un drame imputable au changement climatique selon le Pr Claverie : « On a beau dire que l’on a cloîtré un certain nombre d’agents bioterroristes comme la maladie du charbon (l’anthrax), mais l’on voit bien que chaque année, quand il y a un hiver un peu chaud en Sibérie, vous avez des épidémies gigantesques dans les troupeaux de rennes. Cela est lié au réchauffement climatique puisque ces étés chauds sont de plus en plus fréquents. Chaque été une couche du permafrost dégèle. Et cet été, en 2016, la couche dégelée a été plus profonde que les années précédentes.« 

Des centaines de soldats et de vétérinaires déployés en août 2016 pour stopper le virus de l'anthrax en Sibérie
Des centaines de soldats et de vétérinaires déployés en août 2016 pour stopper le virus de l’anthrax en Sibérie

© AFP – Maria Antonova

On éradique peut-être certains agents infectieux de la surface de la planète. Mais en profondeur, dans les endroits froids et très conservateurs comme le permafrost, il est probable qu’aucun de ces agents infectieux n’ait disparu. Pr Jean-Michel Claverie

Toutefois, aussi dramatiques que puissent être ces épidémies d’anthrax, les virus libérés par le réchauffement climatique sont ceux présents dans les couches superficielles du pergélisol. Ces agents infectieux sont donc les plus récents et ils sont par conséquence connus de la médecine moderne. C’est ce qui fait dire au Pr Claverie qu’en matière de virologie, ce dégel lent des couches superficielles n’est pas le danger le plus imminent : « A cause du réchauffement climatique, des routes maritimes sont désormais ouvertes six mois par an. Vous pouvez donc accéder assez facilement en bateau jusqu’à la Sibérie. Ces côtes et ces régions, auparavant désertiques, sont connus pour receler d’importants gisements de gaz et de pétrole ; il y a également beaucoup de métaux précieux comme l’or ou les diamants. Désormais ces zones peuvent être exploitées. Là est le danger ! Prenons les Russes. Ils installent des mines à ciel ouvert. Et ils retirent le pergélisol, parce que les minerais ne sont pas dans cette couche d’humus. Ces mines font 3 à 4 kilomètres de diamètre et jusqu’à un kilomètre de profondeur. On exhume alors du permafrost qui peut être âgé d’un million d’années. Et là on tripote des choses avec lesquelles on n’a jamais été mis en contact. C’est un peu la boîte de pandore. Et connaissant les Russes, ils ne prennent aucune précaution bactériologique, il n’y a aucun encadrement pour sécuriser au mieux ces mines. Les industriels n’extraient pas des minerais en situation de confinement biologique.« 

Une mine de diamant, dans l'est de la Sibérie. L'eau noire est la glace fondue du permafrost.
Une mine de diamant, dans l’est de la Sibérie. L’eau noire est la glace fondue du permafrost.

© Getty – Scott Peterson

Qui plus est, le danger est potentiellement partout dans le permafrost, car « même si l’on se limite à creuser jusqu’à 30 mètres de profondeur, ce qui équivaut à 30.000 ans et donc à la disparition de Neandertal, cela peut être dangereux. » Le professeur Claverie argue du fait que la cause de la disparition de Neandertal est inconnue : « Imaginons qu’il ait été tué par un virus particulier. On sait désormais que les virus peuvent survivre au moins 30.000 ans. Sauf que les médecins actuels n’ont jamais vu le type d’infections auxquelles devait faire face Neandertal. Il y a là un véritable danger, qui reste toutefois difficile à évaluer. » De plus, ce danger est renforcé par la volonté politique du président russe Vladimir Poutine d’exploiter industriellement cette région du globe. « Le changement climatique fournit des conditions plus favorables pour développer le potentiel économique de cette région » avait-il déclaré en mars 2017 à propos du nord de la Russie.

Voir enfin:

Justine Chevalier
DOCUMENT BFMTV. Lindsay, une collégienne de 13 ans scolarisée à Vendin-le-Vieil, dans le Pas-de-Calais, s’est suicidée le 12 mai dernier. Elle avait dénoncé un harcèlement, une situation pas suffisament prise en compte par l’établissement et les autorités selon ses proches.

« 13 ans pour toujours ». Le 12 mai dernier, Lindsay, une collégienne de 13 ans scolarisée à Vendin-le-Vieil dans le Pas-de-Calais, s’est suicidée à son domicile, après avoir été victime de harcèlement au collège et sur les réseaux sociaux. Sa famille dénonce aujourd’hui l’attitude de la direction de l’établissement, estimant que rien n’a été fait pour protéger leur fille.

« On veut des explications, en tant que parents, on doit avoir des réponses, on doit savoir ce qu’il s’est passé », insiste le beau-père de Lindsay sur BFMTV, appelant à ce que « justice soit faite ».

« Elle aimait s’instruire »

Lindsay était élève au collège Bracke-Desrousseaux. Ce sont ses proches qui ont découvert son corps le 12 mai.

« Lindsay, c’était une petite fille joyeuse, souriante, agréable, très serviable, qui s’occupait très très bien de ses petits frères. Toujours là pour nous donner un petit coup de main. Elle aimait s’instruire », témoigne sur BFMTV le beau-père de Lindsay.

Ce mercredi 24 mai, date de l’anniversaire de Lindsay, une marche blanche a été organisée devant le collège par la famille et les proches de l’adolescente. Ils souhaitaient alerter sur le phénomène du harcèlement scolaire dont était victime la jeune fille. « Elle avait des rêves qui sont maintenant gâchés », déplore sur BFMTV son oncle Corentin.

Harcelée depuis septembre

Selon la famille de Lindsay, l’adolescente était victime de harcèlement depuis la rentrée de septembre dernier par d’autres collégiennes, qui se matérialisait par des insultes puis un harcèlement en ligne sur les réseaux sociaux.

« Elle se faisait harceler dans la rue, à l’école, chez elle… », s’indigne l’oncle de la jeune fille.

Ce harcèlement régulier s’est accentué au mois de février, alors que le mal-être de l’adolescente semble lui aussi se renforcer. À cette époque, une bagarre de plusieurs minutes éclate au sein de l’établissement entre Lindsay et une autre jeune fille. La scène est filmée et circule sur les réseaux sociaux. Cette bagarre vaudra une sanction aux deux collégiennes.

Cette situation a été dénoncée auprès de la direction de l’établissement. La mère de Lindsay a porté plainte à deux reprises au mois de février. Sa grand-mère découvre une « lettre d’adieu » rédigée par l’adolescente à la même époque, elle décide alors de se tourner vers Emmanuel Macron pour le sensibiliser à ce que vit sa petite-fille.

« On a signalé les faits, que ce n’était pas une histoire banale, mais c’est resté sans réponse », déplore le beau-père de l’adolescente.

La veille de son suicide, Lindsay a été victime d’un malaise au collège qui avait nécessité l’intervention des pompiers.

Une adolescente « habituée aux insultes »

Alertée de la situation dans laquelle vivait Lindsay en début d’année, la direction du collège a lancé une commission « harcèlement ». Des entretiens avaient été menées avec la victime, la famille, différents élèves.

« La seule réponse qu’on a eu de la part du principal, c’était ‘confisquez le téléphone de votre fille et ça s’arrêtera’, on s’est demandé si ce n’était pas une farce », dénonce le beau-père de la collégienne, qui en appelle aux autorités pour prendre des « mesures » contre le phénomène de harcèlement scolaire.

« Des sanctions adéquates ont été prononcées » assure le ministère de l’Éducation nationale contacté par BFMTV, sans donner plus de détails et rappelant qu’une enquête judiciaire est en cours.

Lindsay, elle, n’a jamais souhaité changer de collège, se disant « habituée » aux insultes, selon son oncle. « On savait qu’elle se battait avec ces filles-là, mais après quand on la voyait elle était tout le temps en train de rigoler, elle était toujours joyeuse », témoigne une collégienne.

« Le harcèlement à l’école est un fléau que nous devons combattre collectivement: pour le bien-être de nos élèves, pour leur sécurité, pour le vivre-ensemble. En remettant aujourd’hui le prix ‘Non au Harcèlement’, je pense à Lindsay, sa famille, ses amis », a écrit Pap Ndiaye mercredi soir sur Twitter.

Une cellule de soutien a été mise en place au sein du collège depuis le décès de Lindsay.

L’émotion et la colère sur les réseaux sociaux

Sur TikTok, l’émotion est très grande. Ce jeudi matin, les douze vidéos les plus vues sur la page d’accueil du réseau social étaient liées à Lindsay. Restée jusqu’alors confidentielle, l’affaire du suicide de la jeune fille est désormais largement relayée.

« Depuis des mois, elle se plaint d’être harcelée, humiliée, torturée au quotidien et aujourd’hui à 13 ans elle a mis fin à ses jours », ne décolère pas Ramous, suivi par 1,4 million d’abonnés sur TikTok.

Le nom d’une jeune fille considérée comme l’une des harceleuses de Lindsay a été révélé sur les réseaux sociaux.

Depuis février 2022, les peines en cas de harcèlement scolaire ont été alourdies. Il peut entraîner une peine de dix ans d’emprisonnement et 150.000 euros d’amende lorsque les faits ont conduit la victime à se suicider ou à tenter de le faire.


« Inculpation » de Donald Trump: Ils ont choisi la Semaine sainte ! (Guess who of all days chose Holy Week three days before Good Friday to arrest, on dubious charges, the leading contender for the 2024 presidential election – thus possibly doing their inadvertent part for his political resurrection ?)

5 avril, 2023
https://preview.redd.it/uygmnviwr8m51.jpg?auto=webp&s=83b3276430cf37073a4bafc4d125b138e81accbbJon McNaughton on Twitter: "My New Painting - "The Impeachment Mob" "You made your mark in history With your twisted, sorted lies. Beneath the Halls of Congress You plotted to disguise . . . "Patriotic - Americana - Legacy of Hope - McNaughton Fine Art
May be an image of 7 people, people standing and text that says 'Images en DIRECT New York (Etats-Unis) DIRECT DIRECT GUERAEEE 19:24 LCI INCULPATION: TRUMP ARRIVE AU TRIBUNAL DE NEW YORK ETATS-UNIS Inculpe par la justice D. Trump va comparaitre au tribunal de New York dans une affaire de paiement a une star du Stormy Daniels'Lorsqu’un Sanhédrin s’est déclaré unanime pour condamner, l’accusé sera acquitté. Le Talmud
Tu ne suivras point la multitude pour faire le mal; et tu ne déposeras point dans un procès en te mettant du côté du grand nombre, pour violer la justice. Exode 23: 2
Suis-je vraiment intègre? Je ne saurais le dire (…) Que m’importe, après tout! C’est pourquoi j’ose dire: ‘Dieu détruit aussi bien l’innocent que l’impie.’ Quand survient un fléau qui tue soudainement, Dieu se rit des épreuves qui atteignent les justes. (…) Et si ce n’est pas lui, alors, qui est-ce donc? Job (Job 9: 20-24)
Mon Dieu! mon Dieu! Pourquoi m’as-tu abandonné, et t’éloignes-tu sans me secourir, sans écouter mes plaintes? (…) De nombreux taureaux sont autour de moi, des taureaux de Basan m’environnent. Ils ouvrent contre moi leur gueule, semblables au lion qui déchire et rugit. Psaumes 22: 2-13
Vous ne réfléchissez pas qu’il est dans votre intérêt qu’un seul homme meure pour le peuple, et que la nation entière ne périsse pas. Caïphe (Jean 11: 50)
Si les princes de ce monde avaient connu [la sagesse de Dieu] ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de gloire. Paul (première lettre aux Corinthiens 2: 8)
[Le Christ] a effacé, au détriment des commandements, l’accusation qui se retournait contre nous ; il l’a fait disparaître, il l’a clouée à la croix, il a dépouillé les Principautés et les Puissances, il les a données en spectacle à la face du monde, en les traînant dans son cortège triomphal. Paul (lettre aux Colossiens 2: 14-15)
Louis doit mourir pour que la patrie vive. Robespierre
Une nation ne se régénère que sur un monceau de cadavres. Saint-Just
Qu’un sang impur abreuve nos sillons! Air connu
L’arbre de la liberté doit être revivifié de temps en temps par le sang des patriotes et des tyrans. Jefferson
Presque aucun des fidèles ne se retenait de s’esclaffer, et ils avaient l’air d’une bande d’anthropophages chez qui une blessure faite à un blanc a réveillé le goût du sang. Car l’instinct d’imitation et l’absence de courage gouvernent les sociétés comme les foules. Et tout le monde rit de quelqu’un dont on voit se moquer, quitte à le vénérer dix ans plus tard dans un cercle où il est admiré. C’est de la même façon que le peuple chasse ou acclame les rois. Marcel Proust
Il y avait vraiment des gens qui s’agitaient devant des courts-bouillons de grenouilles et de scorpions, mais nous savons que leurs manigances n’empêcheraient pas les avions de voler (…) C’est bien pourquoi, même lorsqu’elles étaient condamnées, même lorsqu’elles étaient techniquement coupables, les sorcières étaient des boucs émissaires. René Girard 
Le roi ne règne qu’en vertu de sa mort future; il n’est rien d’autre qu’une victime en instance de sacrifice, un condamné à mort qui attend son exécution. (…) Prévoyante, la ville d’Athènes entretenait à ses frais un certain nombre de malheureux […]. En cas de besoin, c’est-à-dire quand une calamité s’abattait ou menaçait de s’abattre sur la ville, épidémie, famine, invasion étrangère, dissensions intérieures, il y avait toujours un pharmakos à la disposition de la collectivité. […] On promenait le pharmakos un peu partout, afin de drainer les impuretés et de les rassembler sur sa tête ; après quoi on chassait ou on tuait le pharmakos dans une cérémonie à laquelle toute la populace prenait part. […] D’une part, on […] [voyait] en lui un personnage lamentable, méprisable et même coupable ; il […] [était] en butte à toutes sortes de moqueries, d’insultes et bien sûr de violences ; on […] [l’entourait], d’autre part, d’une vénération quasi-religieuse ; il […] [jouait] le rôle principal dans une espèce de culte.  René Girard
Le roi a une fonction réelle et c’est la fonction de toute victime sacrificielle. Il est une machine à convertir la violence stérile et contagieuse en valeurs culturelles positives. René Girard
Pour qu’il y ait cette unanimité dans les deux sens, un mimétisme de foule doit chaque fois jouer. Les membres de la communauté s’influencent réciproquement, ils s’imitent les uns les autres dans l’adulation fanatique puis dans l’hostilité plus fanatique encore. René Girard
Le règne du roi n’est que l’entracte prolongé d’un rituel sacrificiel violent. Gil Bailie
Le Grand Jury a agi selon les faits et la loi.  Personne n’est au-dessus des lois, et chacun à droit à un procès pour prouver son innocence. Espérons que l’ancien président respectera pacifiquement le système qui lui donne ce droit. Nancy Pelosi
Le procès des sorcières de Salem ne comptait pas tant d’irrégularités. Président Trump
Ils ont choisi la semaine sainte pour persécuter le président Trump. Et vous pouvez parier que c’était intentionnel. Laura Loomer
Il n’aura pas échappé à Donald Trump que son arrestation est survenue pendant la Semaine Sainte, lorsque notre Seigneur et Sauveur a été condamné par une foule cruelle et crucifié avant sa résurrection. Trump – alias « le Jésus Mandarine » – a depuis longtemps compris le pouvoir religieux de la politique en Amérique. C’est pourquoi « Je suis votre rétribution » est son argumentaire de campagne en 2024. C’est pourquoi, se remettant du Covid à l’approche des élections de 2020, il a décrit son rétablissement comme « une bénédiction de Dieu » et s’est comporté un peu comme Lazare ramené d’entre les morts, c’est pourquoi il accuse les Démocrates de voler « nos sacrées élections ». Et c’est pourquoi Trump et son équipe orchestrent son arrestation aujourd’hui dans un spectacle médiatique géant, exploitant jusqu’à la moelle sa persécution légale avec une conférence de presse ce soir et sans aucun doute d’interminables slogans de campagne « Justice » à venir. Trump est un roi David, une figure imparfaite qui est néanmoins un vaisseau de la volonté de Dieu. Pour d’autres, Trump est déjà le vrai Messie. (…) J’entends déjà es cyniques se gausser, comme la foule se moquait du Christ : Jésus a-t-il acheté le silence de stars du porno pour les empêcher de se lâcher à propos d »une liaison éventuellement adultère? Mais c »est passer à côté de l »essentiel. Les évangéliques patriotiques américains sont toujours à la recherche d »un sens eschatologique dans les événements contemporains parce que pour eux l »histoire de l »Amérique est liée à la rédemption de l »humanité – et plus c’est improbable, mieux c’est. Les vlies du Seigneur sont mystérieuses. La théorie du complot QAnon, rappelez-vous, était basée sur une théorie selon laquelle Trump était un agent de Dieu travaillant avec des forces bienveillantes au sein de l' »État profond » diabolique pour le faire tomber. La célèbre phrase de Trump « peut-être que c’est le calme avant la tempête », qu’il a prononcée lors d’un dîner militaire en 2017, a déclenché une avalanche d’interprétations religieuses. Trump joue sur ces idées folles, republiant souvent des photos de lui avec le slogan : « La tempête arrive ! Retour à avril 2023 et l’histoire de Trump est devenue de plus en plus étrange. Même ceux qui ne suivent pas les théories les plus échevelées de la droite américaine auront le sentiment que quelque chose de très étrange est en train de se passer en Amérique lorsqu’un président et principal candidat à la présidentielle de 2024 est traduit en justice sur la base d’accusations douteuses. Cela va enflammer non seulement sa base, mais de nombreux Américains qui se sentent déprimés par l’état de leur démocratie. Trump n’est clairement pas le Retour du Christ, mais il ne manquera pas de noter que son procès à succès de cette semaine pourrait marquer le début de sa résurrection politique. Freddy Gray

Ils ont choisi la Semaine sainte !

Devinez qui …
Après le faux dossier Steele et toute la mystification sur la prétendue collusion de Trump avec la Russie …
Et entre pas moins de deux procès en destitution et une élection dévoyée, une litanie incessante d’actions en justice pour le faire tomber …
Pendant que la commanditaire dudit  faux dossier s’en est discrètement tirée avec 122 000 dollars d’amende
Le parti démocrate comme le fils du président Biden attendent toujours leur inculpation …
A comme par hasard choisi la Semaine Sainte trois jours avant le Vendredi Saint …
Reprenant une chasse aux sorcières de bientôt huit ans …
Pour « inculper » sur la base d’accusations douteuses …
(devinez pourquoi à l’instar de la députée démocrate Nancy Pelosi oubliant la présomption d’innocence
tant de nos médias semblent avoir eux aussi oublié, pour le seul Trump, le remplacement depuis 30 ans du terme « inculpation »  par  celui de « mise en examen » ?)
Le principal candidat à l’élection présidentielle de 2024 …
Apportant ainsi peut-être involontairement leur propre contribution à sa résurrection politique ?

The Passion of the Donald is upon us

The Manhattan court will be his Gethsemane. Forgive us Lord, we know not what we do
Freddy Gray
The Spectator
April 4, 2023

It won’t have escaped Donald Trump’s notice that his arrest has come during Holy Week, when our Lord and Savior was sentenced by a cruel mob and crucified only to rise again.

Trump — aka “the Tangerine Jesus” — has long understood the religious power of politics in America. That’s why “I am your retribution” is his campaign pitch in 2024. It’s why, recovering from Covid in the run-up to the 2020 election, he described his recovery as “a blessing from God” and behaved a bit like Lazarus brought back from the dead. It’s why he accuses the Democrats of stealing “our sacred elections.” And it’s why Trump and his team are orchestrating his arrest today into a giant media spectacle, milking his legal persecution for all it is worth with a press conference tonight and no doubt endless “Justice” campaign slogans to come.

The Trump story has become ever more weird

To some true American believers, Trump is a King David, a flawed figure who is nevertheless a vessel of God’s will. To others, Trump is already the actual Messiah. For instance, Helgard Müller, a South African émigré who lives in Cincinnati, in Ohio, has written a wonderfully weird book entitled President Donald J. Trump, The Son of Man — The Christ. It begins:

“President Donald J. Trump is the King of Kings, and Lord of Lords! The Son of Man who will be seen seated in the place of power at God’s right hand and coming on the clouds of heaven! You have read that correctly! President Donald J. Trump is the Christ for this age! The Son of King David! Prophecies of Jesus and all the prophets point to President Donald J. Trump as the Son of Man, the Christ.“

Müller identifies plenty of evidence to support his thesis. Donald’s father Frederick’s middle name was “Christ.” Trump decries fake news and the Lord denounced false prophets. Jesus was betrayed by Judas; Trump was betrayed by his vice president Mike Pence. Jesus was crucified between two criminals. Trump has been prosecuted along with his former advisors Michael Cohen and Roger Stone. Joseph of Arimathea felt compassion for Jesus and had him buried in fine linen; Trump is backed by the “MyPillow” CEO Mike Lindell. Müller even regards Trump’s perma-tan coloring as proof of his divinity:

“I recall the scriptures of Matthew 17: 1-3 where Jesus’s face did shine as ‘orange’ as the sun. The comparisons between Jesus, the Son of God whose face turned ‘orange as the sun’ and the Son of Man’s (President Donald J. Trump) face who is the color ‘orange’ is enormously great.“

That was all written before the Year of Our Lord 2023. What visions the author must be having now as Trump appears in court, on thirty-four charges, three days before Good Friday! And Christian nationalists who don’t go as far as Müller must be noticing the curious timing. If nothing else, it proves the demonic nature of Trump’s enemies. “They chose Holy Week to persecute President Trump,” says Laura Loomer, a prominent Trumpet. “And you can bet that was intentional.”

I hear the cynics chirrup, as the crowd mocked Christ: did Jesus pay hush-money to porn stars to stop them gassing on about a possibly adulterous affair? But that’s to miss the point. Patriotic American evangelicals are always searching for eschatological meaning in contemporary events because for them the story of America is bound up with the redemption of mankind — the more improbable the better. The Lord works in mysterious ways. The conspiracy theory QAnon, remember, was based on a theory that Trump was an agent of God working with benevolent forces within the evil “Deep State” to bring it down. Trump’s famous “maybe it’s the calm before the storm” line, which he uttered at a military dinner in 2017, triggered an avalanche of religious interpretation. Trump plays on these wild ideas, often reposting pictures of himself with the slogan: “The storm is coming!”

Fast forward to April 2023 and the Trump story has become ever more weird. Even those who do not go along with the fruitier theories of the American right will feel that something very strange is happening in America when a president and leading contender for the 2024 presidential is arraigned in court on dubious charges. It will fire up not just his base but many Americans who feel depressed about the state of their democracy. Trump is not the Second Coming, clearly, but he’ll be well aware that his blockbuster trial this week could mark the beginning of his political resurrection.

Guerre d’Ukraine: C’est le djihad final ! (After Lenin’s final struggle, Hitler’s kampf and Islam’s jihad, will Putin’s nuclear-armed pan-Slavism bring the world the ultimate holy war ?)

30 septembre, 2022

Putin listens to Russian Orthodox Patriarch Kirill during the Easter service in the Christ the Savior Cathedral in Moscow, ahead of the constitutional changes that would allow him to extend his rule until 2036 ( Apr 28, 2019)

Poutine déclare la guerre sainte au « satanisme » occidental
Gardez-vous des faux prophètes. Ils viennent à vous en vêtements de brebis, mais au dedans ce sont des loups ravisseurs. (…) C’est donc à leurs fruits que vous les reconnaîtrez. Jésus (Mat 7: 15-20)
Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. Car je suis venu mettre la division entre l’homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère; et l’homme aura pour ennemis les gens de sa maison. Jésus (Matthieu 10: 34-36)
Vous entendrez parler de guerres et de bruits de guerres: gardez-vous d’être troublés, car il faut que ces choses arrivent. (…) Une nation s’élèvera contre une nation, et un royaume contre un royaume, et il y aura, en divers lieux, des famines et des tremblements de terre. Tout cela ne sera que le commencement des douleurs. (…) Cette bonne nouvelle du royaume sera prêchée dans le monde entier, pour servir de témoignage à toutes les nations. Alors viendra la fin. Jésus (Matthieu 24 : 6-8)
Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. Jésus (Jean 15: 13-20)
Le bolchevisme ne durera pas éternellement en Russie. Un jour viendra où l’ordre s’y rétablira et où la Russie, reconstituant ses forces, regardera autour d’elle. Ce jour-là, elle se verra telle que la paix va la laisser, c’est à dire privée de l’Estonie, de la Finlande, de la Pologne, de la Lituanie, peut-être de l’Ukraine. S’en contentera-t-elle ? Nous n’en croyons rien. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on reverra la Russie reprendre sa marche vers l’Ouest et le Sud-Ouest. De quel côté la Russie recherchera-t-elle un concours pour reprendre l’œuvre de Pierre le Grand et de Catherine II ? Ne le disons pas trop haut, mais sachons-le et pensons-y : c’est du côté de l’Allemagne que fatalement elle tournera ses espérances. Voilà, Messieurs, pourquoi la France prête à la Pologne et à la Roumanie un si large concours militaire ; et voilà pourquoi nous sommes ici. […] Chacun de nos efforts en Pologne, Messieurs, c’est un peu plus de gloire pour la France éternelle. Charles de Gaulle (1919)
J’annonce au monde entier, sans la moindre hésitation, que si les dévoreurs du monde se dressent contre notre religion, nous nous dresserons contre leur monde entier et n’auront de cesse avant d’avoir annihilé la totalité d’entre eux. Ou nous tous obtiendrons la liberté, ou nous opterons pour la liberté plus grande encore du martyre. Ou nous applaudirons la victoire de l’Islam dans le monde, ou nous tous irons vers la vie éternelle et le martyre. Dans les deux cas, la victoire et le succès nous sont assurés. Ayatollah Khomeiny
Le peuple a fait son choix (…) c’est là leur droit, leur droit inaliénable, inscrit dans l’article premier de la Charte des Nations Unies, l’égalité des droits et de l’autodétermination des peuples. Je le répète  : il s’agit d’un droit inaliénable des peuples. (….) C’est ici, en Nouvelle Russie, qu’ont lutté Rumjancev, Suvorov et Ušakov. C’est ici que Catherine II et Potëmkine ont fondé de nouvelles villes. C’est ici que nos grands-pères et arrière-grands-pères se sont battus jusqu’à la mort pendant la Seconde Guerre mondiale. Nous n’oublierons jamais les héros du «  Printemps Russe  », ceux qui ont refusé le coup d’État néonazi dans l’Ukraine de 2014, ceux qui ont perdu la vie pour le droit de parler leur langue, de conserver leur culture, leurs traditions, leur foi, pour le droit même de vivre. Nous n’oublierons jamais les combattants du Donbass, les martyrs de la «  Khatyn d’Odessa  », les victimes des attentats inhumains orchestrés par le régime de Kiev. Nous commémorons les volontaires et les miliciens, les civils, les enfants, les femmes, les vieillards, les Russes, les Ukrainiens, des gens des nationalités les plus diverses  (…) Je vous demande d’observer une minute de silence en leur mémoire. (…) Derrière ce choix de millions d’habitants des Républiques populaires de Donetsk et Lougansk, des districts de Zaporojie et Kherson, se lisent à la fois notre futur commun et notre histoire millénaire. Les populations ont transmis ce lien spirituel à leurs enfants et leurs petits-enfants. Malgré toutes les épreuves, ils ont transmis leur amour de la Russie à travers les âges. Personne ne pourra détruire ce sentiment qui nous habite. C’est la raison pour laquelle les anciennes générations et les plus jeunes, ceux qui sont nés après l’effondrement tragique de l’URSS, ont voté d’une seule voix pour notre unité, pour notre avenir commun. En 1991 (…) sans aucune considération pour la volonté des citoyens ordinaires, les représentants de l’élite du parti de l’époque ont pris la décision de dissoudre l’URSS. Du jour au lendemain, les gens se sont retrouvés arrachés à leur patrie. Notre communauté nationale a été déchirée, démantelée à vif, ce qui s’est soldé par une catastrophe nationale. (…) Pendant huit longues années, les habitants du Donbass ont été soumis au génocide, aux bombardements, au blocus. (…) y compris pendant les référendums, le régime de Kiev a menacé de représailles et de mort les enseignants et les femmes qui officiaient dans les commissions électorales, intimidant des millions de personnes venues exprimer leur volonté.  (…) Nous appelons le régime de Kiev à un cessez-le-feu immédiat, à mettre fin à cette guerre qu’il a déclenchée en 2014 et à revenir à la table des négociations. Nous y sommes prêts, comme nous l’avons signalé à de nombreuses reprises. En revanche, la décision des peuples de Donetsk, Lougansk, Zaporojie et Kherson n’est pas discutable. Leur décision a été prise et la Russie ne la trahira pas. Les autorités actuelles de Kiev doivent traiter cette libre expression de la volonté d’un peuple avec respect, et pas autrement. C’est le seul chemin possible vers la paix. Nous défendrons notre terre avec toutes nos forces et par tous les moyens à notre disposition. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour garantir la sécurité de nos concitoyens. Telle est la grande mission libératrice de notre nation. (…) Je veux m’adresser aujourd’hui aux soldats et aux officiers qui participent à l’opération militaire spéciale (…) Je veux m’adresser à eux, à leur famille, à leurs épouses et à leurs enfants pour leur dire contre qui, contre quel genre d’ennemi notre peuple se bat, pour leur dire qui précipite le monde dans de nouvelles guerres et de nouvelles crises, retirant un profit sanglant de toute cette tragédie. Nos compatriotes, nos frères et nos sœurs d’Ukraine, cette partie intégrante de notre nation unie, ont vu de leurs propres yeux le sort que les sphères dirigeantes du soi-disant Occident réservent à l’humanité entière. Ici, elles ont enfin tombé les masques et révélé leur vraie nature. Après la chute de l’Union soviétique, l’Occident a décidé que le monde entier, que chacun de nous devait supporter à jamais ses diktats. En 1991, l’Occident s’imaginait que la Russie ne se relèverait jamais de ces bouleversements et s’effondrerait d’elle-même. Ils y ont presque réussi. Nous gardons en mémoire les années 1990, ces années terribles, de faim, de froid et de désespoir. Mais la Russie a survécu. Elle renaît, se renforce, réclame à nouveau la place qui lui revient dans le monde. (…) Ils ne seront pas en paix tant qu’il existera un pays si grand, si considérable, avec son territoire, ses richesses naturelles, ses ressources, son peuple qui ne sait pas et ne saura jamais vivre sous les ordres de quelqu’un d’autre. L’Occident est prêt à tout pour conserver ce système néocolonial qui lui permet de parasiter, de dépouiller le monde grâce à la puissance du dollar et de la technologie, de percevoir un véritable tribut de l’humanité tout entière, de jouir de la principale source de richesse indue  : la rente de l’hégémon. La préservation de cette rente est leur principale motivation, leur motivation réelle, fruit de la pure avidité. C’est la raison pour laquelle ils ont intérêt à la dé-souverainisation systématique. Ainsi s’expliquent leurs agressions d’États indépendants, de valeurs traditionnelles et de cultures authentiques, leurs tentatives de saper les processus internationaux et interrégionaux, les nouvelles monnaies globales et les nouveaux pôles de développement technologique qui échappent à leur contrôle. Il est capital pour eux que tous les États abandonnent leur souveraineté au profit des États-Unis. (… Je veux souligner une fois encore que ce sont leur cupidité insatiable et leur désir de maintenir leur pouvoir illimité qui sont la véritable raison de cette guerre hybride que l’«  Occident collectif  » mène contre la Russie. Ils ne veulent pas nous voir libres  ; ils rêvent que nous soyons une colonie. Ils ne veulent pas collaborer sur un pied d’égalité  ; ils rêvent de pillage. Ils ne veulent pas que nous soyons une société libre, mais une foule d’esclaves sans âme. (…) L’Occident mise sur son impunité, sur sa capacité à tout se permettre. (…) Les accords de sécurité stratégique ont filé droit à la poubelle  ; les conventions conclues au plus haut niveau politique ont été déclarées fictives  ; les promesses les plus fermes de ne pas étendre l’OTAN vers l’Est, arrachées fut un temps par nos anciens dirigeants, se sont révélées un mensonge immonde  ; les traités sur les forces nucléaires à portée intermédiaire ont été unilatéralement abrogés sous des prétextes fantaisistes. Mais de tous les côtés, on n’entend que  : «  L’Occident incarne l’état de droit, fondé sur des règles  ». D’où viennent-elles  ? Qui en a jamais vu la couleur  ? Qui y a consenti  ? Écoutez, ce ne sont que des absurdités, un mensonge absolu, des doubles ou des triples standards. Ils doivent nous prendre pour des imbéciles. La Russie est une grande puissance millénaire, un pays-civilisation qui ne vivra jamais sous le joug de ces règles truquées, faussées. C’est bien le soi-disant Occident qui a piétiné le principe de l’inviolabilité des frontières et qui décide maintenant, selon son bon vouloir, qui a le droit à l’autodétermination et qui ne l’a pas, qui en est digne et qui ne l’est pas. On ignore à quel titre ils agissent ainsi, qui leur en a donné le droit, sinon eux-mêmes. (…) L’Occident n’a aucun droit moral à distribuer les bons points, ni à prononcer le moindre mot sur la liberté de la démocratie. Ils ne l’a pas et il ne l’a jamais eu. Les élites occidentales ne se contentent pas de nier souveraineté des nations et le droit international. Leur hégémonie présente clairement les traits d’un totalitarisme, d’un despotisme, d’un apartheid. Avec insolence, ils divisent le monde entre, d’un côté, leurs vassaux, les pays soi-disant civilisés, et de l’autre le reste de la planète, ceux que des racistes occidentaux voudraient inscrire sur la liste des barbares et des sauvages. Des étiquettes mensongères comme «  État voyou  » ou «  régime autoritaire  » sont stigmatiser des peuples et des États entiers, ce qui n’est pas nouveau. Il n’y a rien de nouveau là-dedans, parce que les élites occidentales sont restées ce qu’elles étaient  : colonialistes. Elles discriminent et divisent les peuples entre la «  première classe  » et «  le reste  ». Nous n’avons jamais souscrit et ne souscrirons jamais à ces formes de nationalisme politique et de racisme. Est-ce autre chose que du racisme qui, sous la forme de la russophobie, se répand aujourd’hui dans le monde entier  ? Que peut bien être, sinon du racisme, cette conviction inébranlable de l’Occident que sa civilisation et sa culture néolibérale sont le modèle indépassable pour le reste du monde  ? «  Qui n’est pas avec nous est contre nous  ».  (…) Il n’est pas jusqu’à la responsabilité de leurs propres crimes historiques que les élites occidentales rejettent sur les autres, exigeant à la fois de leurs citoyens et des autres peuples qu’ils se repentent de ce à quoi ils n’ont jamais contribué, par exemple, la période des conquêtes coloniales. Il est bon de rappeler à l’Occident qu’il a commencé sa politique coloniale dès l’époque du Moyen Âge, avant que se développe la traite mondiale des esclaves, le génocide des tribus indiennes en Amérique, le pillage de l’Inde, de l’Afrique, les guerres de l’Angleterre et de la France contre la Chine, qui l’ont obligée à ouvrir ses ports au commerce de l’opium. Ce qu’ils ont fait, c’était de rendre des peuples entiers accros aux drogues, d’exterminer délibérément des groupes ethniques entiers pour leurs terres et leurs ressources, de pratiquer une véritable chasse à l’homme, comme on chasse des bêtes. Tout cela est contraire à la nature même de l’humain, à la vérité, à la liberté et à la justice. Pour notre part, nous sommes fiers qu’au XXe siècle, ce soit précisément notre pays qui ait pris la tête du mouvement anticolonial, lequel a offert à de nombreux peuples du monde la possibilité de se développer, de réduire la misère et les inégalités, de vaincre la faim et les maladies. Je tiens à souligner que l’un des motifs de la russophobie pluriséculaire, de l’évidente animosité de ces élites occidentales vis-à-vis de la Russie, vient justement du fait que nous ayons refusé de nous laisser dépouiller à l’époque de la conquête coloniale et que nous ayons forcé les Européens à commercer avec nous pour notre bénéfice mutuel. Nous y sommes parvenus grâce à la création en Russie d’un État centralisé, qui s’est développé et consolidé à partir des hautes valeurs morales de l’orthodoxie, de l’islam, du judaïsme et du bouddhisme, mais aussi d’une culture et d’une langue russes ouvertes à tous. D’innombrables plans d’invasion de la Russie ont été échafaudés. On a tenté de profiter du temps des troubles du début du XVIIe siècle et des bouleversements qui ont suivi la Révolution de 1917, mais sans succès. Ce n’est qu’à la fin du XXe siècle, lorsque cet État s’est effondré, qu’ils ont finalement réussi à mettre la main sur les richesses de la Russie. Ils nous qualifiaient alors d’amis et de partenaires mais, dans les faits, ils nous traitaient comme une colonie  : des milliers de milliards de dollars ont été siphonnés du pays par toutes sortes de machinations.  (…) Les pays occidentaux clament depuis des siècles qu’ils apportent la liberté et la démocratie aux autres nations. C’est exactement le contraire. Au lieu de la démocratie, ils apportent la répression et l’exploitation  ; au lieu de la liberté, l’asservissement et l’oppression. L’ordre mondial unipolaire est intrinsèquement anti-démocratique et non-libre, menteur et hypocrite de bout en bout. Les États-Unis sont le seul pays du monde à avoir fait usage par deux fois de l’arme nucléaire, lorsqu’ils ont détruit les villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki. D’ailleurs, en agissant ainsi, ils ont créé un précédent. Je rappelle que les États-Unis, avec l’aide des Britanniques, ont réduit à l’état de ruines Dresde, Hambourg, Cologne et nombre d’autres villes allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale sans aucune nécessité militaire  : ils l’ont fait ostensiblement et, je le répète, sans aucune nécessité militaire. Leur unique objectif, comme dans le cas des bombardements nucléaires au Japon, était d’intimider notre pays et le reste du monde. Les États-Unis ont laissé une trace épouvantable dans la mémoire des peuples de Corée et du Vietnam par leurs «  tapis de bombes  » barbares, l’usage du napalm et des armes chimiques. Aujourd’hui encore, ils occupent encore de facto l’Allemagne, le Japon, la République de Corée et encore d’autres pays, tout en les appelant cyniquement des égaux et des alliés. Écoutez, je me demande bien de quel genre d’alliance il peut s’agir. Le monde entier sait que les dirigeants de ces pays sont espionnés, que leurs chefs d’État sont mis sur écoute non seulement à leur bureau, mais à leur domicile. C’est une véritable honte. Une honte pour ceux qui agissent ainsi et une honte pour ceux qui, comme des esclaves, avalent ces impertinences en silence et servilement. Ils parlent de solidarité euro-atlantique pour qualifier les ordres, les cris brutaux et insultants qu’ils adressent à leurs vassaux  ; ils parlent de noble recherche médicale pour qualifier le développement d’armes biologiques et les expérimentations sur des sujets vivants, notamment en Ukraine. Ce sont bien leurs politiques dévastatrices, leurs guerres et leurs pillages qui ont provoqué le considérable essor des flux migratoires actuels. Des millions de personnes endurent les pires privations, les pires abus, et meurent par milliers en essayant de rejoindre l’Europe. Aujourd’hui, ils exportent du blé d’Ukraine. Où va ce blé, sous le prétexte de «  garantir la sécurité alimentaire des pays les plus pauvres du monde  »  ? Où va-t-il  ? Tout va dans ces mêmes pays d’Europe. Seuls 5 % sont partis dans les pays pauvres. Voilà un nouvel exemple d’escroquerie et de mensonge éhonté. Dans les faits, l’élite américaine se sert de la tragédie que vivent ces personnes pour affaiblir ses rivaux, pour détruire les États-nations. Cela vaut également pour l’Europe, pour l’identité de pays comme la France, l’Italie, l’Espagne, et d’autres nations à l’histoire multiséculaire. Washington exige toujours plus de sanctions pour la Russie, et les politiciens européens, dans leur majorité, acceptent docilement. Ils ne saisissent pas bien que les États-Unis, en poussant l’Union Européenne à renoncer entièrement aux ressources russes, notamment énergétiques, sont en réalité en train de provoquer la désindustrialisation de l’Europe et de s’emparer du marché européen. Bien sûr, elles en ont conscience, ces élites européennes, elles en ont conscience mais préfèrent servir les intérêts d’une autre nation. Ce n’est même plus une marque de servilité, mais une véritable trahison de leurs propres peuples.  (…) Cependant, les sanctions ne suffisent plus aux Anglo-Saxons. Ils recourent maintenant au sabotage – cela semble incroyable, mais c’est un fait – en faisant sauter les gazoducs internationaux de «  Nord Stream  », qui passent au fond de la mer Baltique, ruinant du même coup l’infrastructure énergétique de l’Europe tout entière. Chacun sait qui en bénéficie. (…) Le diktat américain est fondé sur la force brute, sur la loi du plus fort. Il est parfois joliment emballé, parfois sans fioriture, mais le fond est le même  : c’est la loi du plus fort. D’où le déploiement et l’entretien de centaines de bases militaires aux quatre coins du monde, l’expansion de l’OTAN et les tentatives de former de nouvelles alliances militaires comme l’AUKUS ou d’autres encore  : c’est ainsi qu’on cherche activement à créer une alliance militaire et politique entre Washington, Séoul et Tokyo. Tous les États qui possèdent ou aspirent à posséder une véritable souveraineté stratégique et qui sont en mesure de contester l’hégémonie occidentale sont automatiquement déclarés ennemis. (…) Les élites occidentales présentent leurs plans néocoloniaux d’une manière tout aussi hypocrite, en agitant des prétentions pacifistes, en parlant d’«  endiguement  », et ces mots-clefs sournois se retrouvent d’une stratégie à l’autre alors qu’en réalité ils ne signifient qu’une seule chose  : saper tous les centres de pouvoir souverains. On nous a ainsi parlé de l’endiguement de la Russie, de la Chine, de l’Iran. J’imagine que d’autres pays d’Asie, d’Amérique Latine, d’Afrique, du Proche-Orient, ainsi que des partenaires et alliés actuels des États-Unis, sont les prochains sur la liste. Nous le savons bien  : lorsque quelque chose leur déplaît, ils sont prêts à imposer des sanctions à leurs propres alliés – tantôt à telle ou telle banque  ; tantôt à telle ou telle entreprise. (…) Ils ont noyé la vérité dans un océan de mythes, d’illusions et de faux, en pratiquant une propagande extrêmement agressive, en mentant comme Goebbels. Plus le mensonge est gros, plus on y croit – c’est ainsi qu’ils fonctionnent, en suivant ce principe. Mais on ne peut pas nourrir les populations avec des dollars et des euros imprimés sur des billets de banque. On ne peut pas les nourrir avec du papier-monnaie, on ne peut pas chauffer un foyer avec la capitalisation aussi virtuelle et que surévaluée des réseaux sociaux occidentaux. Tout ce dont je vous parle est de la plus haute importance, mais il faut insister sur ce dernier point. On ne peut nourrir personne avec du papier, il faut de la nourriture  ; ces capitalisations surévaluées ne peuvent chauffer personne, il faut de l’énergie. C’est pourquoi les dirigeants européens en sont réduits à convaincre leurs concitoyens de manger moins, de se laver moins souvent, de s’habiller plus chaudement à la maison. Et ceux qui commencent à se poser les bonnes questions – «  Pourquoi en serait-il ainsi  ?  » – sont immédiatement déclarés ennemis, extrémistes et radicaux. Ils retournent la situation contre la Russie en disant  : «  Vous voyez, c’est la source de tous nos malheurs  ». Des mensonges, encore une fois. (…) Les gains de la Seconde Guerre mondiale ont permis aux États-Unis de surmonter enfin les conséquences de la Grande Dépression et de devenir la première économie mondiale, de soumettre la planète entière à la puissance du dollar en tant que monnaie de réserve globale. C’est largement en s’appropriant les restes et les ressources de l’Union soviétique en déliquescence que l’Occident a surmonté la crise qui s’est aggravée dans les années 1980.  (…) Désormais, pour sortir de ce nouveau nœud de contradictions, il leur faut à tout prix briser la Russie et les autres États qui choisissent une voie souveraine de développement, afin de piller de nouvelles richesses et de colmater ainsi leurs propres vides. Si cela ne se passe pas ainsi, je n’exclus pas l’idée qu’ils tentent de provoquer l’effondrement total du système pour se dédouaner de leurs responsabilités, ou encore, Dieu nous en garde, qu’ils décident d’employer une formule bien connue  : «  La guerre efface toutes les dettes  ». La Russie a conscience de sa responsabilité envers la communauté mondiale et fera son possible pour ramener ces têtes brûlées à la raison. À l’évidence, le modèle néocolonial actuel est condamné à disparaître. Mais, je le répète, ses maîtres réels s’y accrocheront jusqu’à la dernière seconde. Ils n’ont tout simplement rien à proposer au monde, si ce n’est la préservation de ce système de pillage et de racket. En substance, ils crachent sur le droit naturel de milliards de personnes, la majeure partie de l’humanité, à la liberté et à la justice, ainsi qu’à la détermination de leur propre destinée. Ils en viennent maintenant à nier l’ensemble des normes morales, de la religion et de la famille. (…) est-ce que nous voulons avoir, ici, dans ce pays, en Russie, au lieu d’une mère et d’un père, un «  parent numéro un  » et un «  parent numéro deux  » (ils sont devenus complètement dingues sur ce coup)  ? Est-ce que nous voulons que l’on enseigne dans nos écoles primaires des perversions qui conduisent à la dégradation et à l’extinction  ? Est-ce que nous voulons enseigner aux enfants qu’il n’existe pas que des femmes et des hommes, mais des soi-disant genres et qu’on leur propose des opérations de changement de sexe  ? Est-ce cela que nous voulons pour notre pays et pour nos enfants  ? Tout cela est tout simplement inacceptable pour nous. (…) Je le répète  : la dictature des élites occidentales vise toutes les sociétés, y compris les pays occidentaux eux-mêmes. C’est un défi adressé à tout le monde. Cette négation profonde de l’humanité, cette subversion de la foi et des valeurs traditionnelles, cet écrasement de la liberté prennent les traits d’une «  religion à l’envers  » – d’un satanisme pur et simple. Dans le sermon sur la montagne, Jésus Christ, dénonçant les faux prophètes, dit  : «  C’est donc à leurs fruits que vous les reconnaîtrez  ». Et beaucoup savent bien que ces fruits sont empoisonnés, non seulement chez nous, mais dans tous les pays, y compris en Occident. Le monde est entré dans une période de transformations fondamentales, révolutionnaires. De nouvelles puissances émergent. Elles représentent la majorité – la majorité  ! – de la communauté mondiale et sont prêtes non seulement à proclamer leurs intérêts, mais à les défendre. Elles voient dans la multipolarité un moyen de renforcer leur souveraineté et ainsi de conquérir la liberté véritable, une perspective historique, leur droit au développement indépendant, créatif, original, à un développement harmonieux. Dans le monde entier, y compris en Europe et aux États-Unis, comme je l’ai déjà souligné, de nombreuses personnes partagent nos idées et nous ressentons, nous voyons leur soutien. Au sein des pays et des sociétés les plus variés se dessine déjà un mouvement de libération anticolonial contre l’hégémonie unipolaire, et sa force ne fera que croître. C’est cette force qui déterminera le futur des réalités géopolitiques. (…) Aujourd’hui, nous combattons pour un futur juste et libre, avant tout pour nous-mêmes, pour la Russie, pour que la dictature et le despotisme deviennent à jamais un souvenir du passé. Ma conviction est que les nations et les peuples comprennent à quel point une politique fondée sur l’exceptionnalisme, sur la suppression des autres cultures et des autres peuples, est fondamentalement criminelle, que cette page honteuse de l’histoire ne demande qu’à être tournée. L’effondrement de l’hégémonie occidentale est en cours. Il est irréversible. Je le répète  : les choses ne seront plus comme avant. Le champ de bataille sur lequel nous ont convoqués le destin et l’histoire est un champ de bataille pour notre peuple, pour la grande Russie historique. (Applaudissements.) Pour une grande Russie historique, pour les générations futures, pour nos enfants, nos petits-enfants et nos arrière-petits-enfants. Nous devons les préserver de l’asservissement, des expérimentations monstrueuses qui veulent estropier leurs consciences et leurs âmes. Aujourd’hui, nous combattons pour que personne ne pense plus jamais que la Russie, notre peuple, notre langue, notre culture, puissent être rayés de l’histoire. Aujourd’hui, nous devons consolider notre société et cette solidarité ne pourra reposer que sur la souveraineté, la liberté, la création et la justice. Nos valeurs sont l’humanité, la miséricorde et la compassion. Et je voudrais conclure cette allocution sur les mots d’un véritable patriote, Ivan Aleksandrovič Il’in  : «  Si je considère la Russie comme ma patrie, cela signifie que j’aime, que je contemple et que je pense comme un Russe, que je chante et que je parle comme un Russe  ; que je crois aux forces spirituelles du peuple russe. Son esprit est mon esprit  ; sa destinée est ma destinée  ; sa souffrance est ma souffrance  ; sa prospérité est ma joie  ». Dans ces mots, on retrouve le grand chemin spirituel que de nombreuses générations de nos ancêtres ont emprunté pendant plus d’un millénaire d’existence de l’État russe. Aujourd’hui, c’est nous qui empruntons ce chemin, ce sont les habitants des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, des districts de Zaporojie et de Kherson qui ont fait ce choix. Ils ont pris la décision de vivre avec leur propre peuple, avec leur patrie, de s’associer à son destin et de vaincre avec elle. La victoire est avec nous, la Russie est avec nous  ! Vladimir Poutine
Ce qui se passe aujourd’hui.. ne relève pas uniquement de la politique… Il s’agit du Salut de l’homme, de la place qu’il occupera à droite ou à gauche de Dieu le Sauveur, qui vient dans le monde en tant que Juge et Créateur de la création.  (…) Aujourd’hui, il existe un test de loyauté envers ce pouvoir, une sorte de laissez-passer vers ce monde « heureux », un monde de consommation excessive, un monde de « liberté » apparente. Savez-vous ce qu’est ce test ? Le test est très simple et en même temps terrifiant : il s’agit d’une parade de la gay pride. La demande de nombreux pays d’organiser une gay pride est un test de loyauté envers ce monde très puissant ; et nous savons que si des personnes ou des pays rejettent ces demandes, ils ne font pas partie de ce monde, ils en deviennent des étrangers. Et donc, aujourd’hui, en ce dimanche du pardon, moi, d’une part, en tant que votre berger, j’appelle tout le monde à pardonner les péchés et les offenses, y compris là où il est très difficile de le faire, là où les gens se battent entre eux. Mais le pardon sans la justice est une capitulation et une faiblesse. Le pardon doit donc s’accompagner du droit indispensable de se placer du côté de la lumière, du côté de la vérité de Dieu, du côté des commandements divins, du côté de ce qui nous révèle la lumière du Christ, sa Parole, son Évangile, ses plus grandes alliances données au genre humain.  Patriarche Kirill
You don’t understand, George, that Ukraine is not even a state. What is Ukraine? Part of its territories is Eastern Europe, but the greater part is a gift from us. Putin (to Bush during the NATO Summit in Bucharest, Romania, May 25, 2009)
[Anton Denikin, a commander in the White Army, which fought the Bolsheviks after the revolution in 1917] has a discussion (…) about Big Russia and Little Russia — Ukraine. He says that no one should be allowed to interfere in relations between us; they have always been the business of Russia itself. Putin (May 25, 2009)
There is no historical basis for the idea of Ukrainian people as a nation separate from the Russians. Putin (Kremlin, July 12, 2021)
There will be no more Ukraine as anti-Russia. Vladimir Putin has asserted a historic responsibility by deciding not to leave the solution of the Ukrainian question to future generations. Ukraine’s return to Russia will not mean its statehood’s “liquidation”; instead, Ukraine will be reorganized, re-established and returned to its natural state of part of the Russian world. RIA Novosti (February 26, 2022)
I hate them. They are bastards and geeks. They want death for us, Russia. And as long as I’m alive, I will do everything to make them disappear. Medevedev (June 7, 2022)
As a result of Western involvement, Ukraine may lose the remnants of state sovereignty and disappear from the world map and “Ukrainian criminals will definitely be tried for the atrocities committed against the people of Ukraine and Russia. Medvedev (July 21, 2022)
Ukraine has several million people who need to be partially eliminated and partially squeezed out. « New Russia,” or the territories from Kharkov, Odessa, Zaporozhye, and Dnepropetrovsk, should be joined to the Russian regions, with full denazification, deukrainization. Russia should institute a complete ban on Ukrainian fonts, Ukrainian texts, programs on the Ukrainian language, on teaching Ukrainian – ie completely. These implementations will cause a surplus population – let the surplus population go to the Far East. Mikhail Khazin (Russian economist and pundit, December 27, 2016)
There is no Ukraine, although there is Ukrainianism – a “specific mental disorder. Surprisingly brought to the extreme degree passion for ethnography. Such bloody lore. Muddle instead of the state. There is borscht, Bandera, bandura. But there is no nation. Donbass “does not deserve such humiliation” of returning to Ukraine. Ukraine “does not deserve such honor. Vladislav Surkov (Former Putin aide, February 26, 2020)
The Ukrainian regime is not just Nazi and anti-Russian, it is anti-human. Ukrainian statehood is Moloch, to whom children are sacrificed. This filthy idol must be destroyed, it has no place in history. Sergey Aksyonov (Russian head of occupation authority in Crimea (Jul. 27, 2022)
Les dirigeants russes ont commencé par traiter les dirigeants ukrainiens de « nazis » pour dissimuler leur plan de guerre d’agression prédatrice. Maintenant, ils appellent au génocide. Le président Biden a eu raison de tirer la sonnette d’alarme sur le génocide. Le monde doit agir. À la veille de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le président russe Vladimir Poutine a lancé une campagne de désinformation visant à contester le droit du pays à exister. Il a décrit l’Ukraine comme une « création artificielle des bolcheviks » et a qualifié ses dirigeants de « nazis ». Le 24 février, Poutine a annoncé qu’il avait lancé une « opération militaire spéciale » pour « dénazifier » l’Ukraine. La semaine dernière, alors que le monde apprenait des détails horribles sur le viol, la torture et le meurtre de civils par l’armée russe, ce discours sur la « dénazification » s’est transformé dans les médias d’État russes en un appel effrayant à la « désukrainisation ». La désukrainisation est un génocide. Le monde doit agir. Un article publié par RIA-Novosti le 5 avril a répété l’affirmation de Poutine selon laquelle « les Ukrainiens sont une construction artificielle anti-russe ». Il a proclamé que « l’élite politique ukrainienne doit être éliminée ». Et il a déclaré que les Ukrainiens ordinaires sont des « nazis passifs » qui « doivent vivre toutes les horreurs de la guerre et absorber l’expérience comme une leçon historique et une expiation pour leur culpabilité ». Expliquant que « la dénazification sera inévitablement aussi une désukrainisation », l’article lançait un appel inquiétant à une « purification totale ». Ce n’est pas la première fois que des idées aussi viles sont exprimées dans les médias russes. Il y a eu une série d’articles et de vidéos en 2016 et 2017 prônant la « désukrainisation ». L’économiste et expert Mikhail Khazin a appelé à la transformation de Kyiv, Tchernihiv et Soumy en «arrière-pays agricole dépouillé d’industrie et de forces armées», avec une «population excédentaire» déportée vers l’Extrême-Orient russe. Il a en outre suggéré que « plusieurs millions » d’Ukrainiens « devraient être » soit « éliminés » soit « expulsés ». Mais l’article de RIA-Novosti est différent pour deux raisons essentielles. Il a été publié au milieu de la guerre d’agression prédatrice de la Russie – alors que des atrocités étaient commises à Bucha, Marioupol et dans d’autres villes, et que des civils ukrainiens étaient kidnappés, déportés et envoyés dans des camps de filtration. Il a été publié pendant une censure extrême de temps de guerre en Russie, indiquant son approbation par les autorités russes. Depuis la publication de l’article de RIA-Novosti, les responsables russes ont continué à signaler au peuple russe – et à l’armée russe – que le génocide était à l’ordre du jour. Le lendemain de la parution de l’article, l’ancien président russe Dmitri Medvedev, l’un des conseillers de Poutine, a déclaré que « l’identité ukrainienne est un faux grossier et le but de la dénazification est de changer la façon dont les Ukrainiens perçoivent leur identité. » Plus tard dans la semaine, la première chaîne de télévision d’État russe a présenté une « discussion » sur l’élimination de l’Ukraine. Ces appels à la « désukrainisation » sont une incitation au génocide : à « détruire, en tout ou en partie », la nation ukrainienne. Certains juristes internationaux objectent qu’il n’y a pas encore suffisamment de preuves de génocide. Et ils ont en partie raison. Nous aurons besoin de plus de preuves pour condamner les dirigeants et les soldats russes pour génocide, qui peut être poursuivi soit comme crime de guerre (comme à Nuremberg) soit comme crime contre l’humanité. Mais la Convention sur le génocide et le Statut de Rome appellent également à la prévention du génocide. Et il y a suffisamment de preuves en ce moment pour demander au monde d’agir. J’aborde cette question en tant qu’historienne des procès de Nuremberg, et non en tant qu’avocate. Et de ce point de vue, il y a plusieurs choses à garder à l’esprit. Premièrement, le génocide ne ressemble pas toujours à l’Holocauste. Dans son discours de clôture des procès de Nuremberg, le procureur en chef britannique Sir Hartley Shawcross a réexaminé les preuves concernant Auschwitz et l’extermination des Juifs. Il a ensuite rappelé au tribunal que le génocide pouvait prendre plusieurs formes. La méthode que les nazis ont appliquée à l’intelligentsia polonaise, a-t-il noté, était «l’anéantissement pur et simple», alors qu’en Alsace, la déportation était le programme de choix. Dans l’Union soviétique occupée par l’Allemagne, la technique était la mort par famine ; en Bohême et en Moravie, les nazis se sont lancés dans une politique de germanisation forcée. Deuxièmement, l’histoire nous montre que nous devons prendre les dictateurs au mot. Ceux qui incitent au génocide tentent généralement de donner suite. Il n’est pas rare qu’ils fassent connaître leurs campagnes par le biais de propagandistes et de médias. Adolf Hitler avait Joseph Goebbels, Alfred Rosenberg et d’autres pour faire ce travail. Poutine a Medvedev et les experts des médias d’État russes. Enfin, plus les soldats russes s’engageront dans la campagne de « désukrainisation », plus la guerre deviendra brutale – et plus il sera difficile pour la Russie de trouver une issue autre que la victoire ou la défaite totale. La complaisance de la société russe devient complicité au meurtre. Il ne s’agit pas simplement d’une question académique ou d’un débat sur la terminologie. Nous devons comprendre les objectifs de guerre de la Russie pour comprendre la nature de ce conflit. Biden avait raison de dire que l’objectif de Poutine était « d’éliminer même l’idée d’être Ukrainien ». La communauté internationale doit affirmer qu’il existe des valeurs universelles. Elle doit soutenir l’Ukraine et dénoncer les mensonges de Poutine. Elle doit agir pour empêcher la destruction de la nation ukrainienne. Francine Hirsch (Université du Wisconsin à Madison)
Russia has just issued a genocide handbook for its war on Ukraine.  The Russian official press agency « RIA Novosti » published last Sunday an explicit program for the complete elimination of the Ukrainian nation as such.  It is still available for viewing, and has now been translated several times into English. As I have been saying since the war began, « denazification » in official Russian usage just means the destruction of the Ukrainian state and nation.  A « Nazi, » as the genocide manual explains, is simply a human being who self-identifies as Ukrainian.  According to the handbook, the establishment of a Ukrainian state thirty years ago was the « nazification of Ukraine. »  Indeed « any attempt to build such a state » has to be a « Nazi » act.  Ukrainians are « Nazis » because they fail to accept « the necessity that the people support Russia. »  Ukrainians should suffer for believing that they exist as a separate people; only this can lead to the « redemption of guilt. » (…) Putin’s Russian regime talks of “Nazis” not because it opposes the extreme right, which it most certainly does not, but as a rhetorical device to justify unprovoked war and genocidal policies. Putin’s regime is the extreme right.  It is the world center of fascism. It supports fascists and extreme-right authoritarians around the world.  In traducing the meaning of words like « Nazi, » Putin and his propagandists are creating more rhetorical and political space for fascists in Russia and elsewhere. The genocide handbook explains that the Russian policy of « denazification » is not directed against Nazis in the sense that the word is normally used.  The handbook grants, with no hesitation, that there is no evidence that Nazism, as generally understood, is important in Ukraine.  It operates within the special Russian definition of « Nazi »: a Nazi is a Ukrainian who refuses to admit being a Russian.  The « Nazism » in question is « amorphous and ambivalent »; one must, for example, be able to see beneath the world of appearance and decode the affinity for Ukrainian culture or for the European Union as « Nazism. » (…) The Russian handbook is one of the most openly genocidal documents I have ever seen.  It calls for the liquidation of the Ukrainian state, and for abolition of any organization that has any association with Ukraine.  It postulates that the « majority of the population » of Ukraine are « Nazis, » which is to say Ukrainians. (…) Such people, « the majority of the population, » so more than twenty million people, are to be killed or sent to work in « labor camps » to expurgate their guilt for not loving Russia.  Survivors are to be subject to « re-education. »  Children will be raised to be Russian.  The name « Ukraine » will disappear. Had this genocide handbook appeared at some other time and in a more obscure outlet, it might have escaped notice.  But it was published right in the middle of the Russian media landscape during a Russian war of destruction explicitly legitimated by the Russian head of state’s claim that a neighboring nation did not exist.  It was published on a day when the world was learning of a mass murder of Ukrainians committed by Russians. Russia’s genocide handbook was published on April 3, two days after the first revelation that Russian servicemen in Ukraine had murdered hundreds of people in Bucha, and just as the story was reaching major newspapers.  The Bucha massacre was one of several cases of mass killing that emerged as Russian troops withdrew from the Kyiv region.  This means that the genocide program was knowingly published even as the physical evidence of genocide was emerging.  The writer and the editors chose this particular moment to make public a program for the elimination of the Ukrainian nation as such. As a historian of mass killing, I am hard pressed to think of many examples where states explicitly advertise the genocidal character of their own actions right at at the moment those actions become public knowledge.  From a legal perspective, the existence of such a text (in the larger context of similar statements and Vladimir Putin’s repeated denial that Ukraine exists) makes the charge of genocide far easier to make.  Legally, genocide means both actions that destroy a group in whole or in part, combined with some intention to do so.  Russia has done the deed and confessed to the intention. Timothy Snyder (Yale)
Dans l’Islam, de même que dans le Judaïsme et le Christianisme, certaines croyances portent sur une bataille cosmique marquant la fin des temps – Gog et Magog, l’Antéchrist, Armageddon et, pour les Musulmans chiites, le retour tant attendu de l’Imam caché, qui doit déboucher sur la victoire finale des forces du bien sur celles du mal, quelle qu’en soit la définition. Il est évident qu’Ahmadinejad et ses adeptes croient que ce temps est venu et que la lutte finale est déjà entamée, et même bien avancée. Bernard Lewis
Dans le vocabulaire politique, l’expression « millénarisme » peut servir à désigner, de manière métaphorique, une forme de doctrine aspirant à une révolution radicale, qui aboutirait à la mise en place définitive d’un ordre social supposé plus juste, et sans commune mesure avec ce qui a existé jusqu’à présent. Dans cette acception, le terme a pu servir à qualifier aussi bien le communisme que le nazisme. Wikipedia
Le bolchevisme (…) avait la volonté de détruire tous les autres courants politiques. Par imitation, le national-socialisme voulait de même détruire ses ennemis. On retrouve cela aussi dans le fascisme italien. On devine dans tous ces cas le même tropisme destructeur, appliqué bien entendu avec des méthodes tout à fait différentes. L’Italie exilait ses ennemis sur des îles ; Hitler les tuait. (…) J’ai tenté de définir l’islamisme comme un mouvement réactionnaire symptomatique de l’histoire de la révolution libérale ou capitaliste. Le marxisme fut une première réaction. Il ne voulait pas accepter le mélange du bon et du mauvais inhérent au pragmatisme libéral. Le marxisme visait une perfection, un monde totalement moral et bon. Ernst Nolte
Nous imaginons, parce que la Guerre froide est finie en Europe, que toute la série de luttes qui ont commencé avec la Première guerre mondiale et qui sont passées par différents mouvements totalitaires — fasciste, nazi et communiste — était finalement terminée. (…) Hors de la Première guerre mondiale est venue une série de révoltes contre la civilisation libérale. Ces révoltes accusaient la civilisation libérale d’être non seulement hypocrite ou en faillite, mais d’être en fait la grande source du mal ou de la souffrance dans le monde. (…) [Avec] une fascination pathologique pour la mort de masse [qui] était elle-même le fait principal de la Première guerre mondiale, dans laquelle 9 ou 10 millions de personnes ont été tués sur une base industrielle. Et chacun des nouveaux mouvements s’est mis à reproduire cet événement au nom de leur opposition utopique aux complexités et aux incertitudes de la civilisation libérale. Les noms de ces mouvements ont changé comme les traits qu’ils ont manifestés – l’un s’est appelé bolchévisme, et un autre s’est appelé fascisme, un autre s’est appelé nazisme. (…) À un certain niveau très profond tous ces mouvements étaient les mêmes — ils partageaient tous certaines qualités mythologiques, une fascination pour la mort de masse et tous s’inspiraient du même type de paranoïa. (…) Mon argument est que l’islamisme et un certain genre de pan-arabisme dans les mondes arabe et musulman sont vraiment d’autres branches de la même impulsion. Mussolini a mis en scène sa marche sur Rome en 1922 afin de créer une société totalitaire parfaite qui allait être la résurrection de l’empire romain. En 1928, en Egypte, de l’autre côté de la Méditerranée, s’est créée la secte des Frères musulmans afin de ressusciter le Califat antique de l’empire arabe du 7ème siècle, de même avec l’idée de créer une société parfaite des temps modernes. Bien que ces deux mouvements aient été tout à fait différents, ils étaient d’une certaine manière semblables. (…) La doctrine islamiste est que l’Islam est la réponse aux problèmes du monde, mais que l’Islam a été la victime d’une conspiration cosmique géante pour la détruire, par les Croisés et les sionistes. (le sionisme dans la doctrine de Qutb n’est pas un mouvement politique moderne, c’est une doctrine cosmique se prolongeant tout au long des siècles.) L’Islam est la victime de cette conspiration, qui est également facilitée par les faux musulmans ou hypocrites, qui feignent d’être musulmans mais sont réellement les amis des ennemis de l’Islam. D’un point de vue islamiste, donc, la conspiration la plus honteuse est celle menée par les hypocrites musulmans pour annihiler l’Islam du dedans. Ces personnes sont surtout les libéraux musulmans qui veulent établir une société libérale, autrement dit la séparation de l’église et de l’état. (…) De même que les progressistes européens et américains doutaient des menaces de Hitler et de Staline, les Occidentaux éclairés sont aujourd’hui en danger de manquer l’urgence des idéologies violentes issues du monde musulman. Paul Berman
Le 30 janvier 33, la foule n’a pas acclamé l’antisémite Hitler, mais bien plus celui qui allait diriger un nouveau gouvernement national. Les Allemands étaient avides de changement. Il s’agissait pour eux de se libérer du carcan du Traité de Versailles, de faire oublier la honte allemande. Il s’agissait de retrouver une certaine grandeur nationale et de se détacher des querelles entre partis démocratiques. Les Allemands ont acclamé Hitler, parce qu’ils voulaient un gouvernement fort, dirigé par une figure charismatique. Ils en avaient assez des beaux parleurs, ils voulaient des résultats tangibles. (…) La peur d’une révolution communiste, la peur d’une guerre civile, c’est cela qui a le plus aidé Hitler dans sa conquête du pouvoir. Wolfgang Benz (historien, spécialiste de la Shoah)
Le meilleur allié du communisme a été le nazisme et le plus utile des idiots, si l’on peut dire, fut Hitler. Les deux totalitarismes se sont entraidés avant de se combattre. Ils avaient la même haine du monde occidental, de la démocratie et leur système politique était cousin germain. Après avoir aidé Hitler à arriver au pouvoir en 1933 grâce à la lutte conjointe des communistes allemands (aux ordres de Moscou) et des nazis, contre le gouvernement social-démocrate en place à Berlin ; après avoir soutenu l’effort de guerre du Führer grâce au pacte germano-soviétique d’août 1939 ; après s’être partagé l’Europe au début de la guerre, les deux totalitarismes se sont affrontés. À partir de là, toute l’intelligence de Staline, toute la tactique communiste a consisté à se présenter comme le meilleur rempart, le seul même face à la peste brune, jusqu’à faire oublier l’alliance passée. L’antifascisme a servi de paravent au stalinisme pour accomplir ses noirs desseins, d’abord contre son peuple puis contre les peuples conquis à la faveur du conflit mondial. Communisme et nazisme sont deux variantes du totalitarisme. Être contre l’un aurait dû amener à être contre l’autre, c’est cela que dit Orwell. Or l’hémiplégie d’une partie de l’opinion publique (cela va bien au-delà des intellectuels) consiste toujours à diaboliser un totalitarisme, le brun, pour excuser ou minorer l’autre, le rouge. C’est l’un des héritages du communisme dans les têtes. La seule attitude morale qui vaille est d’être antitotalitaire et de renvoyer dos à dos toutes les idéologies qui en sont le substrat. (…) Le communisme a représenté un grand espoir de justice sociale, il a mis ses pas dans la démarche chrétienne. Cela explique en partie son succès: au message christique «les derniers seront les premiers» au paradis, l’idéologie a substitué l’idée que les prolétaires (les plus pauvres) gouverneront le monde pour instaurer l’égalité pour tous. L’échec est d’autant plus durement ressenti. La mort du communisme revient pour certains à la mort de Dieu pour les croyants: inacceptable, impensable. Le communisme n’est toujours pas sorti de cette phase de deuil, d’où le négationnisme dont je parle: on nie la réalité de ce qui fut pour ne pas souffrir des espoirs qu’il a suscité. Il est certes désormais reconnu que ces régimes ont fait des millions de morts. C’est un progrès. Il n’empêche, être anti communiste reste péjoratif, quand cela devrait être une évidence. L’intellectuel qui a eu des faiblesses envers le fascisme demeure coupable à jamais quand celui qui a idolâtré le stalinisme ou le maoïsme, ou le pol-potisme (le Cambodge des Khmers rouge) est vite pardonné. C’est aussi cela le négationnisme communiste. Il ne s’agit pas de faire des procès, mais de regarder la réalité historique en face. En outre, la complicité envers le communisme a été telle, elle a pris une telle ampleur – des militants des PC du monde entier aux intellectuels, des dirigeants politiques des démocraties aux hommes d’affaires -, qu’il existe un consensus tacite pour oublier cette face sombre de l’humanité. L’être humain n’aime pas se sentir coupable, alors il passe à autre chose. Ce ne peut être que transitoire. La dimension du drame communiste fait qu’il est impossible d’en faire l’impasse. Je fais le pari que la réflexion sur cette époque va prendre de l’ampleur pour que l’histoire se fasse enfin. Il faudra sans doute pour cela que tous les témoins (acteurs ou simples spectateurs) de cette époque disparaissent. Et avec eux ce négationnisme diffus qui sert de garde-fou à l’émergence de la mauvaise conscience. (…) Le philosophe anglais Bertrand Russell remarquait déjà au début des années 1920 une ressemblance entre communisme et islamisme, notamment la même volonté de convertir le monde. N’oublions pas que la propagande communiste, très présente au XXe siècle, a développé des thèmes anti-occidentaux au nom de la lutte contre l’abomination capitaliste, et contre l’impérialisme. Cela a façonné des esprits, y compris dans des pays musulmans influencés par l’URSS, leur allié contre l’ennemi principal, Israël. La doxa communiste contre la liberté d’être, de penser, de se mouvoir, d’entreprendre, etc., se retrouve dans le discours des islamistes, présentée comme des tentations de Satan. En tant qu’idéologie totalitaire, le communisme cherchait à atomiser les individus en les arrachant de leurs racines sociales, politiques, culturelles, voire familiales, pour mieux les dominer, les contrôler. L’islamisme, lui, propose des repères, des codes, à des individus déjà déracinés sous la poussée d’une mondialisation dont les effets ont tendance à déstructurer les sociétés traditionnelles. La démarche est différente, mais le résultat est comparable: dans les deux cas il s’agit d’unir des personnes isolées grâce à des sentiments identitaires – la communauté socialiste, la communauté des croyants -, de donner sens à leur collectif grâce à un mythe absolu et exclusif, le parti pour les communistes, l’oumma pour les islamistes, terme qui désigne à la fois la communauté des croyants et la nation. Enfin, on retrouve dans l’islamisme des marqueurs du communisme: la contre-modernité du propos, une explication globale du monde et de sa marche, une opposition radicale entre bons et mauvais – croyants/impies en lieu et place des exploités/exploiteurs -, la volonté de modeler les hommes, et un esprit de conquête planétaire. Dès lors, la substitution est possible. Thierry Wolton
Combattez, combattez, parlez, parlez. Mao
La révolution iranienne fut en quelque sorte la version islamique et tiers-mondiste de la contre-culture occidentale. Il serait intéressant de mettre en exergue les analogies et les ressemblances que l’on retrouve dans le discours anti-consommateur, anti-technologique et anti-moderne des dirigeants islamiques de celui que l’on découvre chez les protagonistes les plus exaltés de la contre-culture occidentale. Daryiush Shayegan
Il est malheureux que le Moyen-Orient ait rencontré pour la première fois la modernité occidentale à travers les échos de la Révolution française. Progressistes, égalitaristes et opposés à l’Eglise, Robespierre et les jacobins étaient des héros à même d’inspirer les radicaux arabes. Les modèles ultérieurs — Italie mussolinienne, Allemagne nazie, Union soviétique — furent encore plus désastreux …Ce qui rend l’entreprise terroriste des islamistes aussi dangereuse, ce n’est pas tant la haine religieuse qu’ils puisent dans des textes anciens — souvent au prix de distorsions grossières —, mais la synthèse qu’ils font entre fanatisme religieux et idéologie moderne. Ian Buruma et Avishai Margalit
Parler de choc des civilisations, c’est dire que c’est la différence qui l’emporte. Alors que je crois, moi, que c’est l’identité des adversaires qui sous-tend leur affrontement. J’ai lu le livre de l’historien allemand Ernst Nolte, La guerre civile européenne, où il explique que, dans le choc des idéologies issues de la Première Guerre mondiale – communisme et nazisme –, l’Allemagne n’est pas la seule responsable. Mais le plus important est ceci : Nolte montre que l’URSS et le IIIe Reich ont été l’un pour l’autre un « modèle repoussoir ». Ce qui illustre la loi selon laquelle ce à quoi nous nous heurtons, c’est ce que nous imitons. Il est frappant qu’un historien pense les rapports d’inimitié en terme d’identité, en terme de copie. Ce que Nolte appelle le modèle repoussoir, c’est ce que la théorie mimétique appelle le modèle obstacle : dans la rivalité, celui qu’on prend pour modèle, on désire ce qu’il désire et par conséquent il devient obstacle. Le rapport mimétique conduit à imiter ses adversaires, tantôt dans les compliments, tantôt dans le conflit. (…) Les islamistes tentent de rallier tout un peuple de victimes et de frustrés dans un rapport mimétique à l’Occident. René Girard
Dans la foi musulmane, il y a un aspect simple, brut, pratique qui a facilité sa diffusion et transformé la vie d’un grand nombre de peuples à l’état tribal en les ouvrant au monothéisme juif modifié par le christianisme. Mais il lui manque l’essentiel du christianisme : la croix. Comme le christianisme, l’islam réhabilite la victime innocente, mais il le fait de manière guerrière. La croix, c’est le contraire, c’est la fin des mythes violents et archaïques. René Girard
Le christianisme (…) nous a fait passer de l’archaïsme à la modernité, en nous aidant à canaliser la violence autrement que par la mort.(…) En faisant d’un supplicié son Dieu, le christianisme va dénoncer le caractère inacceptable du sacrifice. Le Christ, fils de Dieu, innocent par essence, n’a-t-il pas dit – avec les prophètes juifs : « Je veux la miséricorde et non le sacrifice » ? En échange, il a promis le royaume de Dieu qui doit inaugurer l’ère de la réconciliation et la fin de la violence. La Passion inaugure ainsi un ordre inédit qui fonde les droits de l’homme, absolument inaliénables. (…) l’islam (…) ne supporte pas l’idée d’un Dieu crucifié, et donc le sacrifice ultime. Il prône la violence au nom de la guerre sainte et certains de ses fidèles recherchent le martyre en son nom. Archaïque ? Peut-être, mais l’est-il plus que notre société moderne hostile aux rites et de plus en plus soumise à la violence ? Jésus a-t-il échoué ? L’humanité a conservé de nombreux mécanismes sacrificiels. Il lui faut toujours tuer pour fonder, détruire pour créer, ce qui explique pour une part les génocides, les goulags et les holocaustes, le recours à l’arme nucléaire, et aujourd’hui le terrorisme. René Girard
L’erreur est toujours de raisonner dans les catégories de la « différence », alors que la racine de tous les conflits, c’est plutôt la « concurrence », la rivalité mimétique entre des êtres, des pays, des cultures. La concurrence, c’est-à-dire le désir d’imiter l’autre pour obtenir la même chose que lui, au besoin par la violence. Sans doute le terrorisme est-il lié à un monde « différent » du nôtre, mais ce qui suscite le terrorisme n’est pas dans cette « différence » qui l’éloigne le plus de nous et nous le rend inconcevable. Il est au contraire dans un désir exacerbé de convergence et de ressemblance. (…) Ce qui se vit aujourd’hui est une forme de rivalité mimétique à l’échelle planétaire. (…) Ce sentiment n’est pas vrai des masses, mais des dirigeants. Sur le plan de la fortune personnelle, on sait qu’un homme comme Ben Laden n’a rien à envier à personne. Et combien de chefs de parti ou de faction sont dans cette situation intermédiaire, identique à la sienne. Regardez un Mirabeau au début de la Révolution française : il a un pied dans un camp et un pied dans l’autre, et il n’en vit que de manière plus aiguë son ressentiment. Aux Etats-Unis, des immigrés s’intègrent avec facilité, alors que d’autres, même si leur réussite est éclatante, vivent aussi dans un déchirement et un ressentiment permanents. Parce qu’ils sont ramenés à leur enfance, à des frustrations et des humiliations héritées du passé. Cette dimension est essentielle, en particulier chez des musulmans qui ont des traditions de fierté et un style de rapports individuels encore proche de la féodalité. (…) Cette concurrence mimétique, quand elle est malheureuse, ressort toujours, à un moment donné, sous une forme violente. A cet égard, c’est l’islam qui fournit aujourd’hui le ciment qu’on trouvait autrefois dans le marxisme. René Girard
Il faut se souvenir que le nazisme s’est lui-même présenté comme une lutte contre la violence: c’est en se posant en victime du traité de Versailles que Hitler a gagné son pouvoir. Et le communisme lui aussi s’est présenté comme une défense des victimes. Désormais, c’est donc seulement au nom de la lutte contre la violence qu’on peut commettre la violence. René Girard
Dans le christianisme, on ne se martyrise pas soi-même. On n’est pas volontaire pour se faire tuer. On se met dans une situation où le respect des préceptes de Dieu (tendre l’autre joue, etc.) peut nous faire tuer. Cela dit, on se fera tuer parce que les hommes veulent nous tuer, non pas parce qu’on s’est porté volontaire. Ce n’est pas comme la notion japonaise de kamikaze. La notion chrétienne signifie que l’on est prêt à mourir plutôt qu’à tuer. C’est bien l’attitude de la bonne prostituée face au jugement de Salomon. Elle dit : « Donnez l’enfant à mon ennemi plutôt que de le tuer. » Sacrifier son enfant serait comme se sacrifier elle-même, car en acceptant une sorte de mort, elle se sacrifie elle-même. Et lorsque Salomon dit qu’elle est la vraie mère, cela ne signifie pas qu’elle est la mère biologique, mais la mère selon l’esprit. Cette histoire se trouve dans le Premier Livre des Rois (3, 16-28), qui est, à certains égards, un livre assez violent. Mais il me semble qu’il n’y a pas de meilleur symbole préchrétien du sacrifice de soi par le Christ. René Girard
Le conflit avec les musulmans est bien plus considérable que ce que croient les fondamentalistes. Les fondamentalistes pensent que l’apocalypse est la violence de Dieu. Alors qu’en lisant les chapitres apocalyptiques, on voit que l’apocalypse est la violence de l’homme déchaînée par la destruction des puissants, c’est-à-dire des États, comme nous le voyons en ce moment. Lorsque les puissances seront vaincues, la violence deviendra telle que la fin arrivera. Si l’on suit les chapitres apocalyptiques, c’est bien cela qu’ils annoncent. Il y aura des révolutions et des guerres. Les États s’élèveront contre les États, les nations contre les nations. Cela reflète la violence. Voilà le pouvoir anarchique que nous avons maintenant, avec des forces capables de détruire le monde entier. On peut donc voir l’apparition de l’apocalypse d’une manière qui n’était pas possible auparavant. Au début du christianisme, l’apocalypse semblait magique : le monde va finir ; nous irons tous au paradis, et tout sera sauvé ! L’erreur des premiers chrétiens était de croire que l’apocalypse était toute proche. Les premiers textes chronologiques chrétiens sont les Lettres aux Thessaloniciens qui répondent à la question : pourquoi le monde continue-t-il alors qu’on en a annoncé la fin ? Paul dit qu’il y a quelque chose qui retient les pouvoirs, le katochos (quelque chose qui retient). L’interprétation la plus commune est qu’il s’agit de l’Empire romain. La crucifixion n’a pas encore dissous tout l’ordre. Si l’on consulte les chapitres du christianisme, ils décrivent quelque chose comme le chaos actuel, qui n’était pas présent au début de l’Empire romain. (..) le monde actuel (…) confirme vraiment toutes les prédictions. On voit l’apocalypse s’étendre tous les jours : le pouvoir de détruire le monde, les armes de plus en plus fatales, et autres menaces qui se multiplient sous nos yeux. Nous croyons toujours que tous ces problèmes sont gérables par l’homme mais, dans une vision d’ensemble, c’est impossible. Ils ont une valeur quasi surnaturelle. Comme les fondamentalistes, beaucoup de lecteurs de l’Évangile reconnaissent la situation mondiale dans ces chapitres apocalyptiques. Mais les fondamentalistes croient que la violence ultime vient de Dieu, alors ils ne voient pas vraiment le rapport avec la situation actuelle – le rapport religieux. Cela montre combien ils sont peu chrétiens. La violence humaine, qui menace aujourd’hui le monde, est plus conforme au thème apocalyptique de l’Évangile qu’ils ne le pensent. (…) La lutte se trouve entre le christianisme et l’islam, plus qu’entre l’islam et l’humanisme. Avec l’islam je pense que l’opposition est totale. Dans l’islam, si l’on est violent, on est inévitablement l’instrument de Dieu. Cela veut donc dire que la violence apocalyptique vient de Dieu. Aux États-Unis, les fondamentalistes disent cela, mais les grandes églises ne le disent pas. Néanmoins, ils ne poussent pas suffisamment leur pensée pour dire que si la violence ne vient pas de Dieu, elle vient de l’homme, et que nous en sommes responsables. René Girard
Il ne s’agit pas simplement d’un affrontement entre deux religions, entre musulmans radicaux d’un côté et protestants fondamentalistes de l’autre. Encore moins d’un choix de civilisations qui seraient opposées. Ce qui me frappe plutôt, c’est la diffusion de ce terrorisme. Partout, au Moyen-Orient, en Asie et en Asie du Sud-Est, il existe de petits groupes, des voisins, des communautés, qui se dressent les unes contre les autres, pour des raisons complexes, liées à l’économie, au mode de vie, autant qu’aux différences religieuses. (…) il faut regarder la réalité en face. Achever l’interprétation de ce traité, De la guerre, c’est lui donner son sens religieux et sa véritable dimension d’apocalypse. C’est en effet dans les textes apocalyptiques, dans les Evangiles synoptiques de Matthieu, Marc et Luc et dans les Epîtres de Paul, qu’est décrit ce que nous vivons, aujourd’hui, nous qui savons être la première civilisation susceptible de s’autodétruire de façon absolue et de disparaître. La parole divine a beau se faire entendre – et avec quelle force ! -, les hommes persistent avec acharnement à ne pas vouloir reconnaître le mécanisme de leur violence et s’accrochent frénétiquement à leurs fausses différences, à leurs erreurs et à leurs aveuglements. Cette violence extrême est, aujourd’hui, déchaînée à l’échelle de la planète entière, provoquant ce que les textes bibliques avaient annoncé il y a plus de deux mille ans, même s’ils n’avait pas forcément une valeur prédicative : une confusion générale, les dégâts de la nature mêlés aux catastrophes engendrées par la folie humaine. Une sorte de chaos universel. Si l’Histoire a vraiment un sens, alors ce sens est redoutable… (…) L’esprit humain, libéré des contraintes sacrificielles, a inventé les sciences, les techniques, tout le meilleur – et le pire ! – de la culture. Notre civilisation est la plus créative et la plus puissante qui fût jamais, mais aussi la plus fragile et la plus menacée. Mais, pour reprendre les vers de Hölderlin, « Aux lieux du péril croît/Aussi ce qui sauve »… René Girard
Nous assistons à une nouvelle étape de la montée aux extrêmes. Les terroristes ont fait savoir qu’ils avaient tout leur temps, que leur notion du temps n’était pas la nôtre. C’est un signe clair du retour de l’archaïque : un retour aux VIIe-IXe siècles, qui est important en soi. (…) Il nous faut entrer dans une pensée du temps où la bataille de Poitiers et les Croisades sont beaucoup plus proches de nous que la Révolution française et l’industrialisation du Second Empire. (…) Mais ce à quoi nous assistons avec l’islamisme est néanmoins beaucoup plus qu’un retour de la Conquête, c’est ce qui monte depuis que la révolution monte, après la séquence communiste qui aura fourni un intermédiaire. Le léninisme comportait en effet déjà certains de ces éléments. Mais ce qui lui manquait, c’était le religieux. La montée aux extrêmes est donc capable de se servir de tous les éléments : culture, mode, théorie de l’État, théologie, idéologie, religion. Ce qui mène l’histoire n’est pas ce qui apparaît comme essentiel aux yeux du rationaliste occidental. Dans l’invraisemblable amalgame actuel, je pense que le mimétisme est le vrai fil conducteur. Si l’on avait dit aux gens, dans les années 1980, que l’islam jouerait le rôle qu’il joue aujourd’hui, on serait passé pour dément. Or il y avait déjà dans l’idéologie diffusée par Staline des éléments para-religieux qui annonçaient des contaminations de plus en plus radicales, à mesure que le temps passerait. L’Europe était moins malléable au temps de Napoléon. Elle est redevenue, après le Communisme, cet espace infiniment vulnérable que devait être le village médiéval face aux Vikings. La conquête arabe a été fulgurante, alors que la contagion de la Révolution française a été freinée par le principe national qu’elle avait levé dans toute l’Europe. L’islam, dans son premier déploiement historique, a conquis religieusement. C’est ce qui a fait sa force. D’où la solidité aussi de son implantation. L’élan révolutionnaire accéléré par l’épopée napoléonienne a été contenu par l’équilibre des nations. Mais celles-ci se sont enflammées à leur tour et ont brisé le seul frein possible aux révolutions qui pointent. (…) J’ai personnellement l’impression que cette religion a pris appui sur le biblique pour refaire une religion archaïque plus puissante que toutes les autres. Elle menace de devenir un instrument apocalyptique, le nouveau visage de la montée aux extrêmes. Alors qu’il n’y a plus de religion archaïque, tout se passe comme s’il y en avait une autre qui se serait faite sur le dos du biblique, d’un biblique un peu transformé. Elle serait une religion archaïque renforcée par les apports du biblique et du chrétien. Car l’archaïque s’était évanoui devant la révélation judéo-chrétienne. Mais l’islam a résisté, au contraire. Alors que le christianisme, partout où il entre, supprime le sacrifice, l’islam semble à bien des égards se situer avant ce rejet. (…) la montée aux extrêmes se sert aujourd’hui de l’islamisme comme elle s’est servie hier du napoléonisme ou du pangermanisme. (…) Clausewitz nous l’a fait entrevoir, à travers ce que nous avons appelé sa religion guerrière, où nous avons vu apparaître quelque chose de très nouveau et de très primitif en même temps. L’islamisme est, de la même façon, une sorte d’événement interne au développement de la technique. Il faudrait pouvoir penser à la fois l’islamisme et la montée aux extrêmes, l’articulation complexe de ces deux réalités. L’unité du christianisme du Moyen Âge a donné la Croisade, permise par la papauté. Mais la Croisade n’a pas l’importance que l’islam imagine. C’était une régression archaïque sans conséquence sur l’essence du christianisme. Le Christ est mort partout et pour tout le monde. (…) Les chrétiens comprennent que la Passion a rendu le meurtre collectif inopérant. C’est pour cela que, loin de réduire la violence, la Passion la démultiplie. L’islamisme aurait très tôt compris cela, mais dans le sens du djihad. Il y a ainsi des formes d’accélération de l’histoire qui se perpétuent. On a l’impression que le terrorisme actuel est un peu l’héritier des totalitarismes, qu’il y a des formes de pensées communes, des habitudes prises. Nous avons suivi l’un des fils possibles de cette continuité, avec la construction du modèle napoléonien par un général prussien. Ce modèle a été repris ensuite par Lénine et Mao Tsé-Toung, auquel se réfère, dit-on, Al Qaida. Le génie de Clausewitz est d’avoir anticipé à son insu une loi devenue planétaire. Nous ne sommes plus dans la guerre froide, mais dans une guerre très chaude, étant donné les centaines, voire demain les milliers de victimes quotidiennes en Orient. René Girard
[Samuel Huntington] a eu raison de s’attaquer au sujet. Mais il l’a fait de manière trop classique : il ne voit pas que la tragédie moderne est aussi une comédie, dans la mesure où chacun répète l’autre identiquement. Parler de choc des civilisations, c’est dire que c’est la différence qui l’emporte. Alors que je crois, moi, que c’est l’identité des adversaires qui sous-tend leur affrontement. J’ai lu le livre de l’historien allemand Ernst Nolte, La guerre civile européenne, où il explique que, dans le choc des idéologies issues de la Première Guerre mondiale – communisme et nazisme –, l’Allemagne n’est pas la seule responsable. Mais le plus important est ceci : Nolte montre que l’URSS et le IIIe Reich ont été l’un pour l’autre un « modèle repoussoir ». Ce qui illustre la loi selon laquelle ce à quoi nous nous heurtons, c’est ce que nous imitons. Il est frappant qu’un historien pense les rapports d’inimitié en terme d’identité, en terme de copie. Ce que Nolte appelle le modèle repoussoir, c’est ce que la théorie mimétique appelle le modèle obstacle : dans la rivalité, celui qu’on prend pour modèle, on désire ce qu’il désire et par conséquent il devient obstacle. Le rapport mimétique conduit à imiter ses adversaires, tantôt dans les compliments, tantôt dans le conflit. (…) Les islamistes tentent de rallier tout un peuple de victimes et de frustrés dans un rapport mimétique à l’Occident. Les terroristes utilisent d’ailleurs à leurs fins la technologie occidentale : encore du mimétisme. Il y a du ressentiment là-dedans, au sens nietzschéen, réaction que l’Occident a favorisée par ses privilèges. Je pense néanmoins qu’il est très dangereux d’interpréter l’islam seulement par le ressentiment. Mais que faire ? Nous sommes dans une situation inextricable. (…) Benoît XVI respecte suffisamment l’islam pour ne pas lui mentir. Il ne faut pas faire semblant de croire que, dans leur conception de la violence, le christianisme et l’islam sont sur le même plan. Si on regarde le contexte, la volonté du pape était de dépasser le langage diplomatique afin de dire : est-ce qu’on ne pourrait pas essayer de s’entendre pour un refus fondamental de la violence ? (…) La Croix, c’est le retournement qui dévoile la vérité des religions révélées. Les religions archaïques, c’est le bouc émissaire vrai, c’est-à-dire le bouc émissaire caché. Et la religion chrétienne, c’est le bouc émissaire révélé. Une fois que le bouc émissaire a été révélé, il ne peut plus y en avoir, et donc nous sommes privés de violence. Ceux qui attaquent le christianisme ont raison de dire qu’il est indirectement responsable de la violence, mais ils n’oseraient pas dire pourquoi : c’est parce qu’il la rend inefficace et qu’il fait honte à ceux qui l’utilisent et se réconcilient contre une victime commune. (…) De même qu’il était impossible de ne pas croire au XIIe siècle, il est presque impossible de croire au XXIe siècle, parce que tout le monde est du même côté. (…) Il ne faut pas exagérer la religiosité de l’Amérique, pas plus que le recul de la religion en Europe. Il est cependant vrai que, aux Etats-Unis, les conventions sont favorables au religieux, alors que, en France surtout, elles tendent à lui être hostiles. La société américaine n’a pas subi l’antichristianisme de la Révolution française ou le laïcisme des anticléricaux. En France, le catholicisme pâtît de l’ancienne position dominante de l’Eglise. Aux Etats-Unis, la multiplicité s’impose : parce qu’ils sont minoritaires, les catholiques y sont d’une certaine manière favorisés. (…) [L’Apocalypse] ne signifie pas que la fin du monde est pour demain, mais que les textes apocalyptiques – spécialement les Evangiles selon saint Matthieu et saint Marc – ont quelque chose à nous dire sur notre temps, au moins autant que les sciences humaines. A mon sens, outre la menace terroriste ou la prolifération nucléaire, il existe aujourd’hui trois grandes zones de danger. En premier lieu, il y a les menaces contre l’environnement. Produisant des phénomènes que nous ne pourrons pas maîtriser, nous sommes peut-être au bord de la destruction par l’homme des possibilités de vivre sur la planète. En second lieu, avec les manipulations génétiques, nous pénétrons dans un domaine totalement inconnu. Qui peut nous certifier qu’il n’y aura pas demain un nouvel Hitler, capable de créer artificiellement des millions de soldats ? Troisièmement, nous assistons à une mise en mouvement de la terre, à travers des courants migratoires sans précédent. Les trois quarts des habitants du globe rêvent d’habiter dans le quart le plus prospère. Ces gens, nous serions à leur place, nous en ferions autant. Mais c’est un rêve sans issue. Ces trois phénomènes ne font que s’accélérer, une nouvelle fois par emballement mimétique. Et ils correspondent au climat des grands textes apocalyptiques. L’esprit moderne juge ces textes farfelus, parce qu’ils mélangent les grondements de la mer avec les heurts entre villes ou nations, qui sont des manifestations humaines. Depuis le XVIe siècle, sur un plan intellectuel, la science, c’était la distinction absolument nette, catégorique, entre la nature et la culture : appartenait à la science tout ce qui relève de la nature, et à la culture tout ce qui vient de l’homme. Si on regarde ce qui se passe de nos jours, cette distinction s’efface. Au Congrès des Etats-Unis, les parlementaires se disputent pour savoir si l’action humaine est responsable d’un ouragan de plus à la Nouvelle-Orléans : la question est devenue scientifique. Les textes apocalyptiques redeviennent donc vraisemblables, à partir du moment où la confusion de la nature et de la culture prive l’homme de ses moyens d’action. Dès lors qu’il n’y a plus de bouc émissaire possible, la seule solution est la réconciliation des hommes entre eux. C’est le sens du message chrétien. René Girard
Autrefois, les compagnons de route de la Russie communiste venaient de la gauche ; dans l’Amérique d’aujourd’hui, ils occupent les premières loges de la droite trumpiste et les avant-postes des médias populistes. Ce qui les rattache à M. Poutine, comme à Donald Trump, c’est l’apologie sans complexe de la grandeur nationale, l’aversion pour la «dictature woke», un culte assumé de la force et le goût d’une saine virilité, réfractaire à l’émasculation de l’homme blanc par les lubies progressistes. (…) Poutine savait cultiver avec méthode ces auxiliaires inespérés. Il recevait des évangélistes, des représentants du puissant lobby des armes à feu, des militants de «l’Amérique d’abord» hostiles à l’immigration. Il n’hésitait pas à se dire victime, lui et son pays, de la «cancel culture», ou à dénoncer les transgenres avec des accents qui ne pouvaient laisser insensibles ses nouveaux frères d’armes. «Ceux qui apprennent à un garçon à se transformer en fille et à une fille en un garçon commettent un crime contre l’humanité (…)». La Russie qu’il leur faisait découvrir renvoyait un miroir désolant à une Amérique en faillite morale, gangrenée par l’avortement, les mariages homosexuels, la pornographie, la libération des mœurs, la tyrannie multiculturelle… Il fallait une bonne dose d’aveuglement à ces pèlerins de l’eldorado russe pour éviter de voir ce qu’ils s’interdisaient de connaître: en Russie, comme le rappelle Anne Applebaum, le nombre des avortements est un des plus élevés du monde, le double de son niveau aux États-Unis ; la fréquentation des églises est négligeable ; seuls 15% des Russes reconnaissent à la religion un rôle important dans leur vie ; et le pays tient le record mondial du taux de suicide chez les hommes adultes. Quant à l’image unitaire de la nation, il n’est pas inutile d’observer que 20% des citoyens russes se revendiquent d’une autre nationalité, que plus de 6% sont musulmans et que, en Tchétchénie, la loi de l’État est la charia. Comment expliquer la réussite du poutinisme à rallier en Occident cette armée de «facilitateurs», d’«excuseurs», d’«indulgents»? Outre les raisons déjà évoquées, la paresse intellectuelle y entre aussi pour une part et l’ignorance volontaire pour beaucoup: elle n’est pas sans rappeler celle des voyageurs ingénus de la Russie soviétique et la cohorte des croyants cuirassés dans le déni des horreurs staliniennes. C’est un phénomène fascinant que l’impuissance des faits avérés à entrer dans la circulation des esprits et à s’imprimer au fond de la conscience publique. Pourtant, le maître du Kremlin a beaucoup œuvré à nous dessiller les yeux. Ce qui a conforté cette cécité renvoie surtout à la situation de nos démocraties. Le souvenir de la guerre froide, et des guerres en général, est trop éloigné pour alerter spontanément les esprits: nous livrons volontiers des guerres idéologiques, un luxe des temps de paix, mais hésitons, quand de vraies menaces sont à nos portes, à en apprécier la portée. Et nous baignons depuis trop longtemps dans une culture de la repentance pour ne pas donner créance à ceux qui nous inculpent de les avoir opprimés, ravalés, humiliés. Enfin, l’espoir de prévenir le pire porte parfois à consentir à l’inacceptable, comme un moindre mal, au préjudice des victimes sacrifiées à un «lâche soulagement», lequel ne dure jamais longtemps. Pour les zélateurs américains de M. Poutine, le fantasme d’une Russie citadelle de la civilisation était avant tout affaire de politique intérieure: un ressort essentiel, à condition de ne pas y regarder de près, de la guerre idéologique contre le wokisme. (…) Les trumpistes avaient d’autres priorités que l’Ukraine, le droit international, la liberté. Ce n’était pas leur guerre. On découvre là comment le wokisme est devenu le complice involontaire, le combustible, le pourvoyeur d’arguments – et d’absolutions – de l’illibéralisme. Ran Halévi
Alors que l’analyse géopolitique et les choix politiques de Vladimir Poutine semblent toujours plus intégrés à des motifs religieux et messianiques qui voient dans la guerre en Ukraine une dernière voie de salut pour la Russie (sur le thème sourkovien du « Que nous importe le monde si la Russie n’y existe plus ? »), il faut lire de près le discours développé par l’Église orthodoxe russe pour justifier la guerre et le positionnement poutinien. (…) le 6 mars 2022, le dimanche de la Saint-Jean, le dimanche de l’exil adamique (« dimanche du pardon »), le patriarche Kirill de Moscou et de toute la Russie a célébré la Divine Liturgie dans la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou. À la fin du service, le primat de l’Église orthodoxe russe a prononcé un sermon enflammé pour justifier les causes de la guerre, en endossant le discours de Poutine sur l’Ukraine. Ce discours (…) est marqué par les tonalités apocalyptiques (…) Ce n’est pas une surprise pour les personnes qui ont suivi de près l’évolution de l’Église orthodoxe russe qui, depuis plusieurs années, se pose en ultime défenseur de la morale sociale et des valeurs traditionnelles russes dans le cadre de « la guerre culturelle » menée par un Occident « décadent ». On remarquera que l’Église orthodoxe russe et les bureaucraties de sécurité (FSB) sont les seules grandes institutions centrales à avoir survécu à l’effondrement du système communiste, en se greffant organiquement au régime de Poutine. L’argument principal du sermon de Kirill sert à justifier l’invasion russe de l’Ukraine puisque l’Occident teste les lois naturelles de Dieu (…) C’est dans ce sens qu’une parole biblique paradoxalement consacrée au « pardon » sert de justification à la guerre dans la lignée de la tradition byzantine du césaro-papisme. (…) Avec ce discours nous sommes face à une vision du monde qui dépasse de très loin le storytelling politique et la définition d’un narratif auxquels nous sommes habitués dans nos espaces politiques. Au fond, et c’est ce qui rend la lecture de ce texte urgente, depuis l’invention de la bombe atomique nous n’avions peut-être jamais vécu le moment le plus intense du théologico-politique : une puissance nucléaire engagée dans une « guerre sainte ». Jean-Benoît Poulle
Le patriarche Kirill reprend des éléments traditionnels de la théologie chrétienne du sacrifice de la croix, de la justification de l’homme pécheur par la mort rédemptrice du Christ. Mais certains choix de vocabulaire interrogent : pourquoi parler d’une « exécution », qui « servait à exécuter les criminels » au détriment de l’insistance sur la mort volontaire du Christ ? L’Église, en Occident, n’est plus guère habituée depuis Vatican II à prêcher sur ces thèmes de la « colère du Père », de son « juste châtiment » destiné aux pécheurs qui retomberait sur son Fils innocent… Plus subtilement, dans ce texte, le sacrifice divin est mondanisé, ramené à des réalités terrestres : « la meilleure des qualités humaines » et « la plus haute expression de l’amour de l’homme pour ses semblables ». En théologie chrétienne, tout cela est vrai mais ne suffit pas : c’est la vie donnée sans défense qui revêt une véritable valeur rédemptrice, et constitue donc le « vrai sacrifice ». (…) Kirill entreprend un second et majeur infléchissement de la notion chrétienne du sacrifice, qui permet de l’appliquer à des soldats d’une armée d’invasion. Le patriarche mélange à dessein le fait de se sacrifier pour les autres, de donner sa vie volontairement pour sauver les siens dans un geste héroïque ou saint, et « l’accomplissement de son devoir militaire », action qui peut être vertueuse selon les conceptions de la guerre juste, mais uniquement en cas de guerre défensive. En bonne théologie, en aucun cas la mort au combat en participant à une armée d’invasion n’est équivalente à la mort pour sauver la vie des siens — même si certains soldats ressentent peut-être subjectivement cette équivalence. Le véritable sacrifice chrétien est celui des martyrs qui, par définition, exposent leur vie et n’attentent pas à celle des autres. Kirill fait au fond l’amalgame entre un « sacrifice patriotique », métaphorique, qui n’est pas toujours permis en théologie morale — il dépend de la licéité de la guerre menée — et ce véritable sacrifice chrétien, sans armes à la main. (…) Cette expression, répétée à dessein, est une ligne de force du discours de Kirill et d’autres soutiens de l’invasion : c’est la théorie du monde russe (rousky mir), d’une sorte d’unité civilisationnelle imperméable au droit international, qui justifierait donc la violation des frontières reconnues par ce même droit. C’est pourquoi, de manière frappante, et alors même que les référendums d’annexion ne sont pas achevés, Kirill se permet de dire que la guerre se déroule dans les « vastes étendues de la Russie » au moment même où elle a lieu ukrainien… Sa Sainte  Russie imaginée — ce qu’il appelle de manière étonnante dans le texte « l’espace spirituel uni de la Sainte Russie — serait au fond davantage une communauté mystique qu’un État westphalien. Selon cette logique pervertie, si donc la guerre en Ukraine est une guerre civile russe, elle ne peut opposer que des « bons Russes », partisans de l’État central, et meilleurs représentants de la russité, et ces « mauvais Russes » que seraient des Ukrainiens, adeptes d’un mouvement centrifuge par attirance de l’étranger. (…) (…) Comme si cela ne suffisait pas, Kirill insiste un peu plus : la « terre de Russie » dépasse donc largement les frontières étatiques de la Fédération de Russie, puisque la « Sainte Russie » — vieille expression de la propagande tsariste — est au fond un espace mystique plus que matériel, celui de la « chrétienté véritable », où la foi orthodoxe a été supposément gardée la plus pure, loin de toute influence néfaste, donc l’espace sous la juridiction du Patriarche Kirill. Il est piquant de voir que cette identification au christianisme orthodoxe le plus sourcilleux doit parfois composer, pour les besoins de la propagande étatique, avec d’autres affirmations nettement syncrétistes, par exemple celles affirmant l’unité de croyance entre tous les sujets de la Fédération russe,  qu’ils soient chrétiens, musulmans comme les Tchétchènes, voire chamanistes comme certains Bouriates… (…) Derrière l’appel final à la réconciliation, à la paix et à la justice, se devine surtout la raison du plus fort : c’est en définitive à une « justice »  adossée à la force, le droit du vainqueur, que s’en remet le patriarche. Jean-Benoît Poulle

C’est le djihad final !

A l’heure où reprenant en parfait « loup ravisseur en vêtements de brebis »

Face à une petite armée d’idiots utiles occidentaux que le rejet du wokisme et la hantise de la décadence …

A fait rejoindre, dans leur déni de la réalité russe, les lourds bataillons de l’apaisement et du profit à tout prix à la Chirac ou à la Merkel

Le langage et les formes de la démocratie et des droits de la personne, le nouvel Hitler de Moscou

Efface à coups de canon et de coups de force pour mieux les protéger, les frontières de ses voisins …

Et pour mieux les sauver, massacre les populations

Comme l’avait annoncé prophétiquement dès 1919 un certain capitaine de Gaulle

Comment ne pas s’inquiéter peut-être plus encore de son instrumentalisation, via le patriarche et ex-officier du FSB Kirill, de la religion orthodoxe …

Et comment ne pas repenser à ce que René Girard avait déjà pointé dans l’actuel djihad islamique …

A savoir une monstrueuse et diabolique synthèse du léninisme et du christianisme…

Qui, sur le dos d’un biblique perverti à l’instar de l’islam, tente de rallier tout un peuple de victimes et de frustrés dans un rapport mimétique à l’Occident…

Et à présent l’orthodoxie pour en faire une religion archaïque plus puissante que toutes les autres …

Et même, avec la menace nucléaire, un véritable instrument apocalyptique …

Où  reprenant la dénonciation évangélique de la violence et du sacrifice, elle la retourne en une nouvelle guerre sainte contre un Occident tombé en pleine décadence ?

Poutine déclare la guerre sainte au « satanisme » occidental

Le président russe Vladimir Poutine a invoqué Jésus, Satan et des épouvantails transsexuels lors d’une cérémonie du Kremlin pour dépecer l’Ukraine vendredi 30 septembre.
Nouvelles du jour
30.09.2022

Poutine a signé des tomes reliés en cuir avec un aigle en relief faisant de quatre régions ukrainiennes une partie de la Russie dans une salle somptueuse, pleine de VIP russes applaudissant, dont le patriarche Kirill, accompagnés de soldats en uniforme de grande tenue.

La dernière fois que cela s’est produit, lorsque la Russie a annexé la Crimée en 2014, a marqué une heure sombre pour l’ordre de sécurité de l’Europe après la Seconde Guerre mondiale.

Cette fois, c’est plus dangereux, car la Russie n’a pas le contrôle total des nouveaux territoires qu’elle a revendiqués, au milieu des menaces du Kremlin de protéger la grande Russie de Poutine avec des armes nucléaires si nécessaire.

Poutine a décrit l’annexion comme une guerre sainte contre l’Occident, utilisant une rhétorique surprenante.

« Ils [l’Occident] évoluent vers un satanisme ouvert », a-t-il déclaré dans un discours diffusé à des millions de personnes en ligne.

Les élites occidentales enseignaient la « déviation sexuelle » aux enfants qui changeaient de sexe, a-t-il dit. « Nous nous battons pour la Russie historique, pour protéger nos enfants et petits-enfants de cette expérience pour changer leur âme », a-t-il ajouté.

Poutine a invoqué Jésus par son nom pour témoigner de sa « vérité » et s’est décrit en termes messianiques.

« Je crois au pouvoir spirituel du peuple russe et mon esprit est son esprit, la souffrance du peuple est ma souffrance », a-t-il déclaré.

« La destruction de l’hégémonie occidentale est irréversible », a ajouté Poutine, alors qu’il approchait du point culminant de son discours.

Son nouveau mysticisme contrastait avec sa justification pour s’emparer de la Crimée en 2014, qu’il fondait sur des bases historiques.

Poutine a également accusé les « Anglo-Saxons », se référant au Royaume-Uni et aux États-Unis, d’avoir fait sauter deux gazoducs russes vers l’Allemagne cette semaine – dans un casus belli potentiel avec l’OTAN.

Il s’est moqué du public européen pour la flambée des prix des aliments et de l’énergie due à son invasion. « Vous avez besoin de nourriture », a déclaré Poutine. « Vous ne pouvez pas chauffer vos appartements », a-t-il déclaré.

Mais le reste de son discours a suivi des lignes bien éculées, accusant « l’Occident » d’impérialisme, de colonialisme, d’hypocrisie et de péchés historiques tels que les bombardements d’Hiroshima et de Dresde pendant la Seconde Guerre mondiale.

La fantasmagorie satanique et les discours de haine sexuelle sont également des thèmes familiers de la propagande russe.

Alors que Poutine est connu pour utiliser un langage étonnamment grossier, comme des blagues nécrophiles, lors d’événements publics, son mélange de sexe, de religion et de géopolitique vendredi était plus extrême que jamais.

De leur côté, les dirigeants européens se préparent à imposer de nouvelles sanctions à la Russie lors de leur rencontre à Prague la semaine prochaine.

Ils visent à mettre sur liste noire l’idéologue russe Alexander Dugin, qui parle de la guerre en Ukraine et de l’identité russe en des termes tout aussi toxiques, avec 28 autres personnes.

Ils doivent frapper les industries russes du pétrole, de l’acier et de la foresterie.

L’UE se prépare également à copier-coller son interdiction de voyage et d’affaires en Crimée dans les nouvelles zones annexées à la Russie, alors que la guerre s’éternise.

« Documents de voyage russes délivrés dans ces régions [the four Ukrainian areas annexed by Russia on Friday] ne sont pas reconnus par les États membres ainsi que par l’Islande, la Norvège, la Suisse et le Lichtenstein aux fins de la délivrance d’un visa et du franchissement des frontières extérieures », indique un document interne de l’UE, qui est en préparation parallèlement aux nouvelles listes noires de la Russie.

L’Ukraine a déclaré vendredi qu’elle postulait pour rejoindre l’Otan en riposte au stratagème de Poutine.

La fête de Poutine

Les solennités du Kremlin ont vu les quatre dirigeants fantoches de la Russie dans l’est de l’Ukraine serrer la main de Poutine tout en scandant « Russie ! Russie ! » à une ovation debout.

Deux d’entre eux portaient des insignes de revers avec le symbole Z, un logo devenu synonyme des atrocités russes commises en Ukraine au cours des six derniers mois.

L’annexion de la Crimée, il y a huit ans, a vu l’Arménie, la Biélorussie, la Bolivie, Cuba, le Nicaragua, la Corée du Nord, le Soudan, la Syrie, le Venezuela et le Zimbabwe soutenir Poutine à l’ONU, signe de ce à quoi il pourrait s’attendre cette fois-ci.

Cuba, le Nicaragua et la Syrie ont officiellement reconnu la Crimée comme faisant partie de la Russie, mais les plus grands amis de la Russie, comme la Chine et l’Iran, ne se sont jamais liés à la fantaisie de Poutine.

Le modèle est apparu pour la première fois lorsque la Russie a reconnu l’indépendance de deux régimes fantoches russes en Géorgie en 2008, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, et lorsque Poutine a été rejoint par Nauru, le Nicaragua, la Syrie et le Venezuela uniquement sur la scène mondiale.

Voir aussi:

Le sacrifice comme arme de guerre
On avait connu Daesh et le djihad par l’épée. Kirill, patriarche de Moscou, veut aujourd’hui faire de l’invasion de l’Ukraine par la Russie de Poutine une guerre sainte — en présentant la mort de l’envahisseur en terres ennemies comme un sacrifice chrétien.
Jean-Benoît Poulle
28.09.2022

Depuis le commencement de l’invasion russe de l’Ukraine, le patriarche Kirill de Moscou  paraît vouloir lier à la politique du Kremlin non seulement son destin personnel, mais encore celui de toute l’Eglise orthodoxe russe dont il est le chef. Après avoir déclaré en mars qu’il s’agissait d’un « combat métaphysique » contre les « forces du mal », il a ignoré les appels à la paix, à la prise de distance ou, au moins à la neutralité, qui venaient pourtant d’horizons très divers, du pape François, engagé avec lui dans un dialogue oecuménique risqué, au patriarche de Constantinople Bartholomée, primus inter pares des Églises orthodoxes. Si sa parole est, semble-t-il, encore écoutée avec respect dans la population russe, les conséquences n’ont pas tardé à se faire sentir à l’extérieur : en Ukraine, le chef des orthodoxes ukrainiens encore placés sous sa juridiction — le métropolite Onuphre — a décidé de rompre avec sa tutelle. Comme d’autres soutiens de la guerre, Kirill a été visé par les sanctions de l’Union européenne et d’autres pays de la communauté internationale qui, par exemple, lui ont interdit de voyager — interdiction dont Viktor Orban, en Hongrie, s’est désolidarisé, hostile à ce que des représailles frappent un chef spirituel.

Lorsque, au lendemain de l’annonce conjointe par Vladimir Poutine le 21 septembre des référendums de rattachement dans les territoires ukrainiens occupés et de la mobilisation partielle en Russie, sa parole était attendue : allait-il enfin s’en distancier, voire le critiquer ? Le discours que nous traduisons et commentons ci-dessous montre qu’il n’en est rien. Bien au contraire. À travers la glorification du « sacrifice » des soldats russes qui verraient ainsi leurs péchés remis, et la reprise du thème du « monde russe », Kirill endosse encore les justifications du Kremlin, en y ajoutant la tonalité apocalyptique et mystique qui lui est propre. Cette intensification correspond en fait, dans son registre propre, à l’escalade verbale de nombreux responsables politiques russes de ces derniers jours.

Sur le site du patriarcat de Moscou, le texte suivant introduit le sermon :

« Le 25 septembre 2022, la 15ème semaine après la fête de la Nativité de la Très Sainte Mère de Dieu, Sa Sainteté le Patriarche Kirill de Moscou et de toute la Russie a célébré la Divine Liturgie dans l’église du Prince Béni Alexandre Nevsky dans l’ermitage du même nom près de Peredelkin. À la fin de la liturgie, le Primat de l’Église orthodoxe russe a prononcé un sermon. »

Ce lieu et ce nom sont déjà tout un programme. Alexandre Nevski (1220-1263) est un monarque russe, grand-prince de Vladimir et de Novgorod, célèbre pour avoir vaincu en 1240, sur la Neva — d’où son surnom de Nevski —, les Suédois, puis en 1242 les chevaliers Teutoniques, mettant un terme définitif à leur poussée vers l’Est. Canonisé en 1547 par l’Église orthodoxe russe, il est devenu un héros national qui symbolise la résistance à tout envahisseur venu de l’Ouest. Un sondage de 2008 le désigne comme le  Russe le plus populaire de tous les temps. C’est également sous son règne que la ville de Moscou est mentionnée pour la première fois dans l’histoire.

Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit.

Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique (Jean 3, 16). À la mort ! Le Fils unique, le Fils divin ! Et pourquoi ce terrible Sacrifice divin était-il nécessaire, dont l’étendue et la signification ne peuvent être saisies par l’esprit humain ? Le Dieu tout-puissant s’est livré à une exécution, qui servait à exécuter des criminels, des parias de la société humaine, qui avaient effectivement commis des crimes terribles et dangereux.

Lorsque l’on considère ce sacrifice divin indescriptible, il est difficile pour l’esprit humain de saisir l’ensemble du plan divin. Mais il est clair que le Seigneur ne se donne pas, ne souffre pas et ne meurt pas de manière humaine pour quelque chose qui serait totalement incompréhensible pour nous et qui n’est inhérent qu’à Lui, qui a une immense connaissance de Lui-même. Il nous permet de comprendre que si Dieu, dans son Fils, donne sa vie humaine pour le bien des autres, pour le bien de la race humaine, alors le sacrifice est la plus haute expression de l’amour de l’homme pour ses semblables. Le sacrifice est la plus grande manifestation de la meilleure des qualités humaines.

Dans les deux paragraphes précédents, le patriarche Kirill reprend des éléments traditionnels de la théologie chrétienne du sacrifice de la croix, de la justification de l’homme pécheur par la mort rédemptrice du Christ. Mais certains choix de vocabulaire interrogent : pourquoi parler d’une « exécution », qui « servait à exécuter les criminels » au détriment de l’insistance sur la mort volontaire du Christ ? L’Église, en Occident, n’est plus guère habituée depuis Vatican II à prêcher sur ces thèmes de la « colère du Père », de son « juste châtiment » destiné aux pécheurs qui retomberait sur son Fils innocent… Plus subtilement, dans ce texte, le sacrifice divin est mondanisé, ramené à des réalités terrestres : « la meilleure des qualités humaines » et « la plus haute expression de l’amour de l’homme pour ses semblables ». En théologie chrétienne, tout cela est vrai mais ne suffit pas : c’est la vie donnée sans défense qui revêt une véritable valeur rédemptrice, et constitue donc le « vrai sacrifice ».

Nous savons qu’aujourd’hui, de nombreuses personnes meurent sur les champs de bataille des guerres intestines. L’Église prie pour que cette bataille prenne fin le plus rapidement possible, afin que le moins de frères possible s’entretuent dans cette guerre fratricide.

Est-ce ici l’amorce d’une concession ? Kirill, ou son entourage, paraissent peut-être conscients des dommages que l’invasion russe inflige au leadership du Patriarcat de Moscou dans le monde orthodoxe. Il affirme donc prier pour la fin des combats et l’arrêt d’une guerre « fratricide ». Mais cela peut aussi s’entendre comme un appel aux Ukrainiens, spécialement ceux encore placés sous sa juridiction spirituelle, à déposer les armes afin de cesser toute résistance « inutile »… L’expression de « guerre fratricide », dans la plus pure propagande, permet enfin de renvoyer dos-à-dos les belligérants, sans distinguer envahisseur ni pays envahi.

Et en même temps, l’Église est consciente que si quelqu’un, poussé par le sens du devoir, par la nécessité de remplir son serment, reste fidèle à sa vocation et meurt dans l’accomplissement de son devoir militaire, il commet sans aucun doute un acte qui équivaut à un sacrifice. Il se sacrifie pour les autres. Et nous croyons donc que ce sacrifice lave tous les péchés que l’on a commis.

Kirill entreprend un second et majeur infléchissement de la notion chrétienne du sacrifice, qui permet de l’appliquer à des soldats d’une armée d’invasion. Le patriarche mélange à dessein le fait de se sacrifier pour les autres, de donner sa vie volontairement pour sauver les siens dans un geste héroïque ou saint, et « l’accomplissement de son devoir militaire », action qui peut être vertueuse selon les conceptions de la guerre juste, mais uniquement en cas de guerre défensive. En bonne théologie, en aucun cas la mort au combat en participant à une armée d’invasion n’est équivalente à la mort pour sauver la vie des siens — même si certains soldats ressentent peut-être subjectivement cette équivalence. Le véritable sacrifice chrétien est celui des martyrs qui, par définition, exposent leur vie et n’attentent pas à celle des autres. Kirill fait au fond l’amalgame entre un « sacrifice patriotique », métaphorique, qui n’est pas toujours permis en théologie morale — il dépend de la licéité de la guerre menée — et ce véritable sacrifice chrétien, sans armes à la main.

La guerre, qui se déroule actuellement dans les vastes étendues de la Russie, est une guerre intestine.

Cette expression, répétée à dessein, est une ligne de force du discours de Kirill et d’autres soutiens de l’invasion : c’est la théorie du monde russe (rousky mir), d’une sorte d’unité civilisationnelle imperméable au droit international, qui justifierait donc la violation des frontières reconnues par ce même droit. C’est pourquoi, de manière frappante, et alors même que les référendums d’annexion ne sont pas achevés, Kirill se permet de dire que la guerre se déroule dans les « vastes étendues de la Russie » au moment même où elle a lieu ukrainien… Sa Sainte  Russie imaginée — ce qu’il appelle de manière étonnante dans le texte « l’espace spirituel uni de la Sainte Russie — serait au fond davantage une communauté mystique qu’un État westphalien. Selon cette logique pervertie, si donc la guerre en Ukraine est une guerre civile russe, elle ne peut opposer que des « bons Russes », partisans de l’État central, et meilleurs représentants de la russité, et ces « mauvais Russes » que seraient des Ukrainiens, adeptes d’un mouvement centrifuge par attirance de l’étranger

Et c’est pourquoi il est si important qu’à l’issue de cette guerre ne surgisse pas une vague d’amertume et d’aliénation, et que les peuples frères ne soient pas divisés par le mur infranchissable de la haine. Et la façon dont nous nous comportons tous les uns envers les autres aujourd’hui, ce que nous demanderons au Seigneur dans nos prières, ce que nous espérerons, déterminera dans une large mesure non seulement l’issue des batailles, mais aussi ce qui se passera à la suite de tout cela. Que Dieu fasse en sorte que les hostilités actuelles ne détruisent pas l’espace spirituel uni de la Sainte Russie et n’endurcissent pas d’autant plus nos peuples. Afin que, par la grâce de Dieu, toutes les blessures puissent être guéries. Pour que, par la grâce de Dieu, tout ce qui aujourd’hui afflige de très nombreuses personnes soit effacé de la mémoire. Pour que ce qui remplace la situation actuelle, y compris les relations entre nos peuples frères, soit lumineux, pacifique et joyeux.

Il en va de même, plus loin, pour la mention des « peuples frères », qui rappelle un thème de la propagande soviétique, au temps du pacte de Varsovie, qui a donné lieu à de multiples plaisanteries dans les pays occupés sur la conception de la « fraternité » entre peuples socialistes et souvent slaves mise en oeuvre par l’Armée Rouge…

Cette fraternité incantatoire, à laquelle Anna Colin Lebedev a récemment consacré un livre important, suppose au fond un « grand frère », le peuple « Grand Russe » — comme les ethnologues désignaient autrefois les « Russes ethniques », habitants de l’Etat issu de la Moscovie — qui contrôlerait les activités de deux « petits frères » turbulents, les « Petits Russes » — comme étaient parfois désignés les Ukrainiens au temps de l’Empire russe — et les « Russes Blancs », ou Biélorusses, eux un peu « plus sages » grâce à leur lien de vassalité avec Moscou…

Et cela ne peut se produire que si nous vivons avec la foi dans nos cœurs. Parce que la foi détruit la peur, la foi permet le pardon mutuel, la foi renforce les relations entre les peuples et peut effectivement transformer ces relations en relations fraternelles, cordiales et bonnes. Dieu fasse qu’il en soit ainsi, que tout ce qui obscurcit maintenant l’âme de beaucoup de gens prenne fin. Dieu fasse que le moins de personnes possible soient tuées ou mutilées au cours de cette lutte intestine. Dieu fasse qu’il y ait le moins possible de veuves et d’orphelins, moins de familles divisées, moins d’amitiés et de confréries brisées.

Là encore, il est permis de s’interroger sur la sincérité de ces prières pour l »arrêt des combats, certes davantage conformes à ce que l’on attendrait de la part d’un responsable spirituel. Auparavant, la mention de la « foi » censée permettre le « pardon mutuel » et « renforcer les relations entre les peuples » tait les conditions d’un tel appel : c’est une foi russe, de même qu’une paix russe dans l’ordre séculier, qui sont offertes, et signifient en définitive la soumission spirituelle au patriarcat de Moscou

L’Église, qui exerce son ministère pastoral auprès des peuples de Russie, d’Ukraine, de Biélorussie et de bien d’autres dans les étendues de la Russie historique, souffre aujourd’hui et prie tout particulièrement pour que cessent rapidement les luttes intestines, que soit célébrée la justice, que soit restaurée la communion fraternelle et que soit surmonté tout ce qui, s’étant accumulé au fil des ans, a conduit à la fin à un conflit sanglant.

Cette précision capitale va très loin : outre les trois peuples mentionnés comme constitutifs du « monde russe » (Russes, Ukrainiens, Biélorusses), Kirill  en mentionne encore « d’autres dans les étendues de la Russie historique », c’est-à-dire qu’il considère que la Russie historique, et donc ce « monde russe » intemporel et mystique, s’étend même au-delà de ces trois États. Et il est vrai que le Patriarcat de Moscou a ou prétend avoir une juridiction qui les déborde, y compris sur toute la diaspora russe : le ressort de l’Église orthodoxe russe s’étend ainsi sur tous les pays de l’ex-URSS — y compris l’Asie centrale et les pays Baltes, la Mongolie, la Chine et le Japon. Que le Patriarcat russe y exerce son « ministère pastoral » est une chose ; qu’il prétende les amalgamer aux « étendues de la Russie historique » en est une autre, grosse de velléités annexionnistes, spécialement pour des pays comme la Lettonie ou l’Estonie, qui recèlent une très importante minorité russophone : cela serait donc suffisant à en faire des composantes de cet « espace spirituel » qui a en outre l’avantage d’être suffisamment flou pour se prêter à des avancées ou des reculades…

Nous croyons que tous les saints qui ont brillé sur la terre de Russie — dans ce cas, en utilisant l’expression déjà acceptée « sur la terre de Russie », nous voulons dire la Russie, toute la terre russe, la Sainte Russie — offrent aujourd’hui avec nous leurs prières au Seigneur pour que la paix s’établisse sur la terre, pour que vienne la réconciliation des peuples frères et, surtout, pour que la justice prévale, car sans justice il ne peut y avoir de paix durable.

Comme si cela ne suffisait pas, Kirill insiste un peu plus : la « terre de Russie » dépasse donc largement les frontières étatiques de la Fédération de Russie, puisque la « Sainte Russie » — vieille expression de la propagande tsariste — est au fond un espace mystique plus que matériel, celui de la « chrétienté véritable », où la foi orthodoxe a été supposément gardée la plus pure, loin de toute influence néfaste, donc l’espace sous la juridiction du Patriarche Kirill. Il est piquant de voir que cette identification au christianisme orthodoxe le plus sourcilleux doit parfois composer, pour les besoins de la propagande étatique, avec d’autres affirmations nettement syncrétistes, par exemple celles affirmant l’unité de croyance entre tous les sujets de la Fédération russe,  qu’ils soient chrétiens, musulmans comme les Tchétchènes, voire chamanistes comme certains Bouriates…

Derrière l’appel final à la réconciliation, à la paix et à la justice, se devine surtout la raison du plus fort : c’est en définitive à une « justice »  adossée à la force, le droit du vainqueur, que s’en remet le patriarche.

Que le Seigneur nous protège tous et nous aide à parcourir dignement notre chemin chrétien, malgré les circonstances difficiles de la vie, qui est aujourd’hui la réalité de notre existence terrestre. Par les prières des saints, dont nous avons loué les noms aujourd’hui, que le Seigneur nous aide tous à être fortifiés dans la paix, l’amour, la fraternité et la pureté.

Voir également:

La guerre sainte de Poutine

Par la voix du patriarche Kirill, Poutine se projette dans une guerre de fin du monde. Voici comment l’Église orthodoxe russe justifie l’invasion de l’Ukraine.

Jean-Benoît Poulle
03.07.2022

Alors que l’analyse géopolitique et les choix politiques de Vladimir Poutine semblent toujours plus intégrés à des motifs religieux et messianiques qui voient dans la guerre en Ukraine une dernière voie de salut pour la Russie (sur le thème sourkovien du « Que nous importe le monde si la Russie n’y existe plus ? »), il faut lire de près le discours développé par l’Église orthodoxe russe pour justifier la guerre et le positionnement poutinien.

Hier, le 6 mars 2022, le dimanche de la Saint-Jean, le dimanche de l’exil adamique (« dimanche du pardon »), le patriarche Kirill de Moscou et de toute la Russie a célébré la Divine Liturgie dans la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou. À la fin du service, le primat de l’Église orthodoxe russe a prononcé un sermon enflammé pour justifier les causes de la guerre, en endossant le discours de Poutine sur l’Ukraine.

Ce discours – que nous traduisons pour la première fois en français et que nous commentons ligne à ligne ici – est marqué par les tonalités apocalyptiques (« Ce qui se passe aujourd’hui.. ne relève pas uniquement de la politique… Il s’agit du Salut de l’homme, de la place qu’il occupera à droite ou à gauche de Dieu le Sauveur, qui vient dans le monde en tant que Juge et Créateur de la création. »).

Ce n’est pas une surprise pour les personnes qui ont suivi de près l’évolution de l’Église orthodoxe russe qui, depuis plusieurs années, se pose en ultime défenseur de la morale sociale et des valeurs traditionnelles russes dans le cadre de « la guerre culturelle » menée par un Occident « décadent ». On remarquera que l’Église orthodoxe russe et les bureaucraties de sécurité (FSB) sont les seules grandes institutions centrales à avoir survécu à l’effondrement du système communiste, en se greffant organiquement au régime de Poutine.

L’argument principal du sermon de Kirill sert à justifier l’invasion russe de l’Ukraine puisque l’Occident teste les lois naturelles de Dieu : « aujourd’hui, il existe un test de loyauté envers le pouvoir [occidental], une sorte de laissez-passer vers ce monde « heureux », un monde de consommation excessive, un monde de « liberté » apparente. Savez-vous ce qu’est ce test ? Le test est très simple et en même temps terrifiant : il s’agit d’une parade de la gay pride. »  C’est dans ce sens qu’une parole biblique paradoxalement consacrée au « pardon » sert de justification à la guerre dans la lignée de la tradition byzantine du césaro-papisme : « Et donc, aujourd’hui, en ce dimanche du pardon, moi, d’une part, en tant que votre berger, j’appelle tout le monde à pardonner les péchés et les offenses, y compris là où il est très difficile de le faire, là où les gens se battent entre eux. Mais le pardon sans la justice est une capitulation et une faiblesse. Le pardon doit donc s’accompagner du droit indispensable de se placer du côté de la lumière, du côté de la vérité de Dieu, du côté des commandements divins, du côté de ce qui nous révèle la lumière du Christ, sa Parole, son Évangile, ses plus grandes alliances données au genre humain. »

Avec ce discours nous sommes face à une vision du monde qui dépasse de très loin le storytelling politique et la définition d’un narratif auxquels nous sommes habitués dans nos espaces politiques. Au fond, et c’est ce qui rend la lecture de ce texte urgente, depuis l’invention de la bombe atomique nous n’avions peut-être jamais vécu le moment le plus intense du théologico-politique : une puissance nucléaire engagée dans une « guerre sainte ».

Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

À vous tous, mes chers Seigneurs, Pères, Frères et Sœurs, je vous félicite de tout cœur en ce dimanche, dimanche du Pardon, dernier dimanche avant le début de la Quadragésime, le grand Carême

Il s’agit ici d’une fête spécifique aux orthodoxes : le Dimanche du Pardon, qui fait mémoire de l’expulsion d’Adam et Eve du Paradis (Genèse, 3, 22-24 : c’est donc le souvenir du péché originel, mais aussi de la promesse de Rédemption), est le dernier avant le passage du Petit Carême (équivalent à ce qu’on appelait autrefois le temps de la Septuagésime dans l’Eglise catholique latine) au Grand Carême, les 40 jours précédant Pâques où le jeûne est beaucoup plus strict, passant au régime végétalien intégral. C’est bien sûr un temps d’intensification des efforts spirituels.

De nombreux adeptes considèrent le carême comme un printemps spirituel. Il coïncide avec le printemps de la vie physique et est en même temps considéré par la conscience de l’Église comme un printemps spirituel. Et qu’est-ce que le printemps ? Le printemps est la renaissance de la vie, le renouveau, une nouvelle force. Nous savons que c’est au printemps que la sève puissante éclate à dix, vingt, cent pieds de haut, donnant vie à l’arbre. C’est en effet un étonnant miracle de Dieu, un miracle de la vie. Le printemps est la renaissance de la vie, un certain grand symbole de la vie. Et c’est pourquoi ce n’est pas tout à fait par hasard que la principale fête de printemps est la Pâque du Seigneur, qui est aussi un signe, un gage, un symbole de la vie éternelle. Et nous croyons qu’il en est ainsi, et cela signifie que toute la foi chrétienne, que nous partageons avec vous, est la foi qui affirme la vie, qui est contre la mort, contre la destruction, qui affirme la nécessité de suivre les lois de Dieu pour vivre, pour ne pas périr dans ce monde, ni dans l’autre.

Les analogies ici présentées entre le printemps, la renaissance et la résurrection, sont de véritables lieux communs théologiques, qu’on s’attend à voir figurer dans une homélie ; mais plus subtilement, avec l’installation de l’opposition entre « la foi qui affirme la vie » et la mort, Kirill se place déjà sur le terrain des valeurs de « défense de la vie » face aux forces de la décadence assimilées à l’Occident.

Mais nous savons que ce printemps est assombri par de graves événements liés à la détérioration de la situation politique dans le Donbass, presque le début des hostilités. Je voudrais dire quelque chose à ce sujet.

C’est là un trait frappant de ce sermon : l’Ukraine n’est jamais évoquée en tant que telle, c’est toujours le « Donbass » qui fait l’objet de la sollicitude du patriarche. Or on sait que la guerre d’invasion déborde largement cette région séparatiste. Mais la contre-information russe a tout intérêt à revenir constamment vers le terrain de l’origine du conflit, comme pour mieux en exhiber les responsables. 

Depuis huit ans, on tente de détruire ce qui existe dans le Donbass.

Il s’agit ici d’une reprise mot pour mot d’un grand thème de la propagande du Kremlin : la guerre a commencé en réalité en 2014, quand l’Ukraine a tenté de réduire militairement les Républiques séparatistes de Donetsk et Louhansk, en les bombardant. C’est une vision qui fait l’impasse sur l’origine de l’établissement de ces Républiques en les présentant comme des réalités autonomes et subsistantes, comme si elles ne provenaient pas du territoire ukrainien, et que leur séparatisme n’avait pas été provoqué par le Kremlin en réponse à la révolution de Maïdan.

Et dans le Donbass, il y a un rejet, un rejet fondamental des soi-disant valeurs qui sont proposées aujourd’hui par ceux qui prétendent au pouvoir mondial. Aujourd’hui, il existe un test de loyauté envers ce pouvoir, une sorte de laissez-passer vers ce monde « heureux », un monde de consommation excessive, un monde de « liberté » apparente. Savez-vous ce qu’est ce test ? Le test est très simple et en même temps terrifiant : il s’agit d’une parade de la gay pride. La demande de nombreux pays d’organiser une gay pride est un test de loyauté envers ce monde très puissant ; et nous savons que si des personnes ou des pays rejettent ces demandes, ils ne font pas partie de ce monde, ils en deviennent des étrangers.

Le patriarche Kirill place d’emblée le conflit sur le terrain des valeurs morales, en le réduisant à l’affrontement entre un Occident décadent et une Russie porte-étendard des valeurs traditionnelles.
Peu importe ici que la question des droits des minorités sexuelles n’ait absolument rien à voir avec la guerre du Donbass ni avec l’invasion de l’Ukraine, cela permet à Kirill de lui assigner un sens pour les Russes orthodoxes ordinaires, très conservateurs sur les questions de société. À noter également des accents complotistes dans l’évocation du « monde très puissant », le monde occidental étant présenté comme uniforme sur la question (alors qu’il n’est pas non plus facile d’organiser une gay pride en Pologne orientale…). Le terrain civilisationnel est donc investi.

Mais nous savons ce qu’est ce péché, qui est promu par les soi-disant « marches de la fierté » (gay pride). C’est un péché qui est condamné par la Parole de Dieu – tant l’Ancien que le Nouveau Testament. Et Dieu, en condamnant le péché, ne condamne pas le pécheur. Il l’appelle seulement à la repentance, mais ne fait en aucun cas du péché une norme de vie, une variation du comportement humain – respectée et tolérée – par l’homme pécheur et son comportement.

Si l’humanité accepte que le péché n’est pas une violation de la loi de Dieu, si l’humanité accepte que le péché est une variation du comportement humain, alors la civilisation humaine s’arrêtera là. Et les gay pride sont censées démontrer que le péché est une variante du comportement humain. C’est pourquoi, pour entrer dans le club de ces pays, il faut organiser une gay pride. Pas pour faire une déclaration politique « nous sommes avec vous », pas pour signer des accords, mais pour organiser une parade de la gay pride. Nous savons comment les gens résistent à ces demandes et comment cette résistance est réprimée par la force. Il s’agit donc d’imposer par la force le péché qui est condamné par la loi de Dieu, c’est-à-dire d’imposer par la force aux gens la négation de Dieu et de sa vérité.

Dans ces deux paragraphes, Kirill réinvestit le terrain religieux, en rappelant les deux condamnations bibliques explicites de l’homosexualité (Lévitique, 20, 13, et l’Epître aux Romains, 24, 32). Il fait ici appel à la volonté des fidèles orthodoxes d’éviter le péché et sa promotion, en la réinvestissant dans une mobilisation politique et guerrière. Le discours sur la gay pride comme acte d’allégeance au monde occidental n’a évidemment aucun fondement réel, mais il trouve des résonances dans des critiques russes de la décadence : pensons au discours de Harvard d’Alexandre Soljenitsyne en 1978.

Par conséquent, ce qui se passe aujourd’hui dans la sphère des relations internationales ne relève pas uniquement de la politique. Il s’agit de quelque chose d’autre et de bien plus important que la politique. Il s’agit du Salut de l’homme, de la place qu’il occupera à droite ou à gauche de Dieu le Sauveur, qui vient dans le monde en tant que Juge et Créateur de la création. Beaucoup aujourd’hui, par faiblesse, par bêtise, par ignorance, et le plus souvent parce qu’ils ne veulent pas résister, vont là, du côté gauche. Et tout ce qui a trait à la justification du péché condamné dans la Bible est aujourd’hui le test de notre fidélité au Seigneur, de notre capacité à confesser la foi en notre Sauveur.

Comme Mgr Vigano, Kirill mondanise et politise ici des réalités avant tout spirituelles : en identifiant la guerre larvée entre la Russie et l’Occident à l’affrontement du Bien et du Mal, il ne laisse aucune solution alternative aux fidèles de l’orthodoxie, semblant dire à tous les orthodoxes du monde qu’il faut choisir le camp de la Russie sous peine de damnation éternelle (ce que signifie « aller à la gauche du Sauveur », cf. Matthieu, 25, 33). Le test de loyauté politique est assimilé à l’épreuve de la tentation spirituelle.

Tout ce que je dis a plus qu’une simple signification théorique et plus qu’une simple signification spirituelle. Il y a une véritable guerre autour de ce sujet aujourd’hui. Qui s’attaque aujourd’hui à l’Ukraine, où huit années de répression et d’extermination de la population du Donbass, huit années de souffrance, et le monde entier se tait – qu’est-ce que cela signifie ?

Reprise ici d’un argument classique de la propagande du Kremlin, qui s’indigne des doubles standards de l’indignation médiatique dans le traitement de la guerre entre l’Ukraine et le Donbass, « passée sous silence » selon lui, et l’invasion de l’Ukraine, en masquant la différence d’intensité de ce qui est vécu : l’Ukraine, n’a ainsi jamais cherché à « exterminer » la population du Donbass. Kirill s’aligne ainsi sur le vocabulaire poutinien.

Mais nous savons que nos frères et sœurs souffrent réellement ; de plus, ils peuvent souffrir pour leur loyauté envers l’Église. Et donc, aujourd’hui, en ce dimanche du pardon, moi, d’une part, en tant que votre berger, j’appelle tout le monde à pardonner les péchés et les offenses, y compris là où il est très difficile de le faire, là où les gens se battent entre eux. Mais le pardon sans la justice est une capitulation et une faiblesse. Le pardon doit donc s’accompagner du droit indispensable de se placer du côté de la lumière, du côté de la vérité de Dieu, du côté des commandements divins, du côté de ce qui nous révèle la lumière du Christ, sa Parole, son Évangile, ses plus grandes alliances données au genre humain.

Kirill semble dans ce paragraphe esquisser un timide appel à l’apaisement avec l’évocation du « pardon », thème liturgique du jour, mais se reprend bien vite avec la mention de la justice, et l’appel à « se placer du côté de la lumière », qui est donc en creux un encouragement à poursuivre le combat, puisqu’on est du bon côté. Il est frappant de voir que la phrase sur « le pardon sans la justice » pourrait très bien s’appliquer à plus juste titre pour encourager la résistance du peuple ukrainien…

Tout cela dit, nous sommes engagés dans une lutte qui n’a pas une signification physique mais métaphysique. Je sais comment, malheureusement, les orthodoxes, les croyants, choisissant dans cette guerre la voie de la moindre résistance, ne réfléchissent pas à tout ce sur quoi nous réfléchissons aujourd’hui, mais suivent docilement la voie qui leur est indiquée par les pouvoirs en place.

Nous ne condamnons personne, nous n’invitons personne à monter sur la croix, nous nous disons simplement : nous serons fidèles à la parole de Dieu, nous serons fidèles à sa loi, nous serons fidèles à la loi de l’amour et de la justice, et si nous voyons des violations de cette loi, nous ne supporterons jamais ceux qui détruisent cette loi, en effaçant la ligne de démarcation entre la sainteté et le péché, et surtout ceux qui promeuvent le péché comme modèle ou comme modèle de comportement humain.

Ici encore, la rétorsion est frappante : Kirill critique ici une attitude qui pourrait très bien s’appliquer à lui-même, tant sa proximité avec le Kremlin est notoire, de même que celle de son prédécesseur Alexis.

Aujourd’hui, nos frères du Donbass, les orthodoxes, souffrent sans aucun doute, et nous ne pouvons qu’être avec eux – avant tout dans la prière. Nous devons prier pour que le Seigneur les aide à préserver leur foi orthodoxe et à ne pas succomber aux tentations. Dans le même temps, nous devons prier pour que la paix revienne au plus vite, pour que le sang de nos frères et sœurs cesse de couler, pour que le Seigneur accorde sa grâce à la terre du Donbass, qui souffre depuis huit ans et qui porte l’empreinte douloureuse du péché et de la haine humaine.

Kirill semble dire que seuls les séparatistes du Donbass (et sans doute par extension, les Ukrainiens pro-russes) sont des « frères orthodoxes » ; il oublie tous les orthodoxes d’Ukraine, y compris les très nombreux fidèles du Patriarcat de Moscou, qui sont sous sa juridiction. Il paraît donc, ce qui est assez inouï pour un chef spirituel, désigner une grande partie de ses propres ouailles comme l’ennemi à abattre…

Alors que nous entrons dans la saison du Carême, essayons de pardonner à tout le monde. Qu’est-ce que le pardon ? Lorsque vous demandez pardon à quelqu’un qui a enfreint la loi ou vous a fait du mal et injustement, vous ne justifiez pas son comportement mais vous cessez simplement de le haïr. Il cesse d’être votre ennemi, ce qui signifie que par votre pardon vous le livrez au jugement de Dieu. C’est la véritable signification du pardon mutuel pour nos péchés et nos erreurs. Nous pardonnons, nous renonçons à la haine et à l’esprit de vengeance, mais nous ne pouvons pas effacer la faute humaine au ciel ; c’est pourquoi, par notre pardon, nous remettons les fautifs entre les mains de Dieu, afin que le jugement et la miséricorde de Dieu s’exercent sur eux. Pour que notre attitude chrétienne à l’égard des péchés, des torts et des offenses des hommes ne soit pas la cause de leur ruine, mais que le juste jugement de Dieu s’accomplisse sur tous, y compris sur ceux qui prennent sur eux la plus lourde responsabilité, creusant le fossé entre les frères, le remplissant de haine, de malice et de mort.

Que le Seigneur miséricordieux exécute son juste jugement sur nous tous. Et de peur qu’à la suite de ce jugement, nous nous retrouvions du côté gauche du Sauveur venu dans le monde, nous devons nous repentir de nos propres péchés. Aborder notre vie avec une analyse très profonde et dépassionnée, se demander ce qui est bon et ce qui est mauvais, et en aucun cas se justifier en disant : « J’ai eu une dispute avec ceci ou cela, parce qu’ils avaient tort. C’est un faux argument, c’est une mauvaise approche. Vous devez toujours demander devant Dieu : Seigneur, qu’ai-je fait de mal ? Et si Dieu nous aide à prendre conscience de notre propre iniquité, nous devons nous repentir de cette iniquité.

Dans les paragraphes précédents, Kirill retourne enfin à une conception plus spirituelle de son rôle, avec en fin de compte un prêche centré sur le thème du jour, et donc l’explication de la notion, centrale pour tous les chrétiens, de Pardon, suivie d’un appel à le pratiquer dans la vie quotidienne, et à pratiquer l’examen de conscience. Tout cela est traditionnel dans un sermon de (pré-)Carême et celui de Kirill serait tout à fait normal s’il s’en était tenu à cette partie. Malgré tout, la mention que le pardon consiste aussi à abandonner le pécheur au « juste jugement de Dieu » n’en garde pas moins une tonalité menaçante, surtout   quand le patriarche l’invoque sur ceux qui « creusent le fossé entre les frères ». Il s’agit là d’une évocation de l’Eglise orthodoxe ukrainienne du patriarcat de Kiev, et de son chef, le métropolite Epiphane, accusé de diviser le monde orthodoxe en s’affranchissant de la tutelle de Moscou ; Kirill étend peut-être ce reproche jusqu’au patriarche de Constantinople, qui a reconnu l’Eglise ukrainienne autocéphale.

Aujourd’hui, à l’occasion du dimanche du Pardon, nous devons accomplir l’exploit de renoncer à nos propres péchés et injustices, l’exploit de nous remettre entre les mains de Dieu et l’acte le plus important – le pardon de ceux qui nous ont offensés.

Que le Seigneur nous aide tous à traverser les jours du Carême de telle sorte que nous puissions entrer dignement dans la joie de la Résurrection du Christ. Et prions pour que tous ceux qui combattent aujourd’hui, qui versent le sang, qui souffrent, entrent aussi dans cette joie de la Résurrection dans la paix et la tranquillité. Quelle joie y a-t-il si les uns sont dans la paix et les autres dans la puissance du mal et dans la douleur des luttes intestines ?

En conclusion, l’injonction à prier pour ceux qui combattent (pour un seul camp, bien sûr, les soldats russes), se trouve là pour masquer qu’il n’y a aucun appel à la paix et à la réconciliation dans cette homélie, alors même qu’elle a lieu le dimanche du Pardon. Pourtant le patriarche Kirill a été de nombreuses fois sollicité par des membres ukrainiens et russes de son propre clergé , pour, à défaut de s’élever contre un conflit fratricide, au moins prier pour l’apaisement ; le représentant du patriarcat de Moscou en Ukraine, le métropolite Onuphre, a lui-même condamné l’invasion. Même si elle est volontairement dissimulée dans des termes généraux et une tonalité spirituelle, cette homélie représente in fine un alignement assez net sur la rhétorique du Kremlin, comme à l’époque de l’Union soviétique.

Que le Seigneur nous aide tous à entrer dans le chemin du Saint Carême de telle manière, et pas autrement, qu’Il puisse sauver nos âmes et favoriser la multiplication du bien dans notre monde pécheur et souvent terriblement erroné, afin que la vérité de Dieu puisse régner et diriger le genre humain. Amen.

Voir enfin:

En Ukraine, les frontières confessionnelles se redéploient. L’atmosphère d’union nationale qui prévaut depuis l’invasion semble avoir réduit le clivage entre les Églises orthodoxes rivales – mais pour combien de temps ? Là comme ailleurs, la guerre semble avoir produit des effets opposés à ceux recherchés par le Kremlin. Une synthèse en 10 points.
Jean-Benoît Poulle
Le Grand continent
8 mars 2022

1 — L’invalidation de la théorie huntingtonienne du choc des civilisations
Que l’Ukraine soit étymologiquement une «  marche  », une région frontalière, se vérifie aussi dans le domaine religieux. Les fractures confessionnelles, auxquelles il ne faut certes pas accorder une importance démesurée en regard d’autres critères, peuvent tout de même fournir une clé de lecture significative du conflit en cours. Ces fractures sont complexes, et donc souvent peu analysées en profondeur, d’abord parce qu’elles mobilisent de multiples acteurs religieux, ensuite parce qu’elles ont vu des repositionnements d’ampleur au cours des dernières années, qu’il n’a pas toujours été aisé de suivre en détail. C’est pourquoi il faut se garder d’en faire une lecture uniquement civilisationnelle, et donc simpliste  ; elles ne se réduisent pas à la ligne de front entre un monde occidental identifié à la Chrétienté latine, et une orthodoxie assimilable en tout point à la civilisation russe.Du reste, chez Huntington, l’Ukraine est-elle bien incluse dans la «  civilisation orthodoxe », et l’hypothèse d’une guerre Russie-Ukraine était précisément, pour lui, un exemple qui pouvait invalider sa théorie du choc des civilisations. En fait, ces fractures  passent à l’intérieur même des deux confessions catholique et orthodoxe, qui sont les principales de ce pays officiellement laïc1, et dont les habitants se définissent comme croyants à 70 %.
2 — Quelles sont les principales confessions en Ukraine ?
Selon des chiffres du Pew Research Center de 2016 2, plus de 65 % des Ukrainiens adhèrent en effet au christianisme orthodoxe (ce que l’on appelle également les «  Églises des Sept Conciles  », qui sont séparées de Rome depuis le schisme d’Orient de 1054), et un peu moins de 9 % au catholicisme. Les autres religions sont très minoritaires  : 1,9 % pour les chrétiens protestants toutes dénominations confondues, 1,1 % pour les musulmans, dont la présence est endogène et ancienne, remontant au XIVe siècle  ; celle des juifs est résiduelle (0,2 %) depuis la Seconde Guerre mondiale, alors que l’ouest du pays formait le cœur du Yiddishland. Il est à noter que près de 7 % de la population se déclare seulement «  chrétienne  », sans appartenance confessionnelle, signe d’une religiosité plus vague, attachée sans doute à quelques croyances et rituels de passage, et que 16,2 % se dit sans religion, chiffre important (quoique moindre que dans les pays Baltes) qui représente sans doute un héritage de l’athéisme d’État de l’ère soviétique.
3 — Quelle a été l’histoire des catholiques en Ukraine ?

Tant le catholicisme que l’orthodoxie sont pluriels en Ukraine. Pour le premier, la situation est comparativement plus simple : il se répartit entre la population catholique de rite latin, assez marginale (1 % des Ukrainiens, surtout dans l’Ouest et le Centre), et en fait assimilable à la minorité d’origine polonaise, et trois Églises catholiques de rite oriental. Celles-ci sont définies par leur unité de foi et leur obédience au pape, et donc leur communion avec les autres catholiques, mais aussi par leur autonomie interne hiérarchique et liturgique, comprenant leurs rites propres.

La principale d’entre elles est l’Église gréco-catholique ukrainienne, qui rassemble 8 % de la population du pays, soit plus de 5 millions de fidèles, situés très majoritairement à l’Ouest. Sa liturgie, le rite byzantin, est quasiment identique à celle des orthodoxes du monde russophone, dont la langue liturgique est le slavon d’église. On peut en faire remonter l’origine au XVe siècle, lorsque le métropolite Isidore de Kiev se rallia au concile de Florence, qui proclama l’union des Églises latine et grecque, mais son véritable acte de naissance a été plutôt l’union de Brest (aujourd’hui en Biélorussie) de 1595-15963, quand une partie du clergé orthodoxe sous domination polono-lituanienne s’est mise sous l’obédience du pape. De là vient également le sobriquet péjoratif «  d’uniates  » accolé aux catholiques orientaux, dont le ralliement à l’autorité romaine en échange de la conservation de leurs traditions liturgiques a pu être perçu par d’autres comme une trahison de la foi «  orthodoxe  » (dans tous les sens du terme). Les autres catholiques orientaux ukrainiens forment une partie de l’Église catholique ruthène, issue d’une union plus tardive avec Rome (1646, union d’Oujohrod), concentrée à l’extrême ouest dans la région des Carpates, et devenue majoritairement diasporique4. Si les gréco-catholiques ont été encouragés et soutenus dans les territoires actuellement ukrainiens qui se trouvaient en Pologne ou dans l’Empire austro-hongrois, ils ont été assez constamment réprimés dans la Russie des tsars (jusqu’à voir leur culte interdit au XIXe siècle), puis par l’Union soviétique. La persécution antireligieuse indiscriminée a culminé pendant la Grande Terreur stalinienne des années 1930  ; puis en 1946, lors du synode de Lvov, l’Église gréco-catholique a été rattachée de force à l’Église orthodoxe russe, ou condamnée à la clandestinité d’une «  Église des catacombes  »  : ce n’est qu’à la chute du bloc soviétique qu’elle retrouve une existence légale. Le conflit avec les orthodoxes, spécialement avec le Patriarcat de Moscou, est pourtant loin d’être soldé, car l’Église gréco-catholique leur réclame la restitution des biens et lieux de culte confisqués en 1946, et jamais rendus depuis. Le transfert en 2005 du siège du primat des gréco-catholiques de Lviv (où ils représentent près de 30 % de la population) à Kiev a également été très mal perçu par beaucoup d’orthodoxes, comme une velléité expansionniste.

4 — Quelles sont les relations entre le Vatican et l’Église gréco-catholique ukrainienne ?

Contrairement à Jean-Paul II, qui avait défendu avec ténacité la cause des catholiques orientaux en Europe au prix d’un refroidissement net de ses relations avec le monde orthodoxe, Benoît XVI puis François ont privilégié le dialogue œcuménique en direction de l’orthodoxie. Le premier avait constaté une certaine convergence de vues autour des valeurs familiales conservatrices  ; le second s’est engagé plus résolument dans toutes les formes de rapprochements interconfessionnels, et a engrangé des succès symboliques  : il a ainsi pu rencontrer le patriarche de Moscou, Kirill (Cyrille) lors de son voyage à La Havane du 12 février 2016 – un lieu emblématique de la diplomatie « non-alignée  » sur l’agenda occidental–, ce qu’aucun pape n’avait fait avant lui. Mais il en a résulté un certain sentiment de relégation, voire d’abandon, pour nombre de gréco-catholiques  : dès 1993, une déclaration conjointe de responsables catholiques et orthodoxes condamnait «  l’uniatisme  » (mais entendu uniquement au sens prosélytisme) au nom de l’œcuménisme, semblant donc indiquer que la tradition catholique orientale était dépassée5 ; cette condamnation a été réitérée par le pape après une rencontre entre François et le porte-parole du Patriarcat de Moscou le 30 mai 20166. Certains signes ont été ressentis comme vexatoires par l’Église gréco-catholique  : ainsi l’archevêque majeur Sviatoslav Shevchuk, primat de l’Église gréco-catholique ukrainienne, n’a pas été créé cardinal, à la différence de son prédécesseur, le cardinal Husar, issu de l’Église des catacombes  ; Shevchuk n’a pas non plus vu sa demande ancienne d’être promu patriarche exaucée, car il s’agirait alors d’un casus belli avec le monde orthodoxe7. On a même prêté au pape le dessein de créer une grande Église ruthène transnationale pour les catholiques de rite byzantin d’Europe centrale, ce qui était vu très défavorablement par les gréco-catholiques ukrainiens8, mais ce projet été démenti par le Saint-Siège9.

5 — Quelle a été l’attitude du pape François lors de la crise ukrainienne de 2014 ?

Surtout, c’est l’attitude du Vatican lors de la crise de 2014 qui a pu interroger. Alors que les manifestations de la place Maïdan avaient été l’occasion d’un véritable élan de concorde nationale interreligieuse, les clergés de toutes les confessions s’y relayant pour prier, le pape François s’était montré d’une très grande prudence au moment de la crise du Donbass, se contentant de prononcer des appels à la paix en termes généraux, sans dénoncer la répression des catholiques dans les Républiques séparatistes de Donetsk et Louhansk, où seul le clergé orthodoxe du Patriarcat de Moscou a droit de cité10. Le Saint-Siège, pour sauvegarder son crédit international et son réseau diplomatique, a alors pu donner (sur ce dossier comme sur d’autres, ainsi de l’accord avec la Chine) l’impression de privilégier l’éthique de responsabilité par rapport à l’éthique de conviction. En somme, cette diplomatie conduite principalement par le cardinal-secrétaire d’Etat Parolin a semblé marquer un retour à l’Ostpolitik vaticane des années 1970, menée par son prédécesseur Agostino Casaroli (1914-1998)11.

Or avec la guerre ouverte, la crainte des gréco-catholiques est devenue existentielle  : comme l’a rappelé une catholique ruthène de Philadelphie, «  chaque fois que la Russie a pris dans l’Histoire, le contrôle de l’Ukraine, l’Église catholique ukrainienne a été détruite  »12. La brutalité de l’invasion, comme la répression des cultes non-alignés sur Moscou dans les Républiques séparatistes du Donbass depuis 2014 augurent mal, en effet, du respect des minorités religieuses.

6 — Les orthodoxes ukrainiens, combien de divisions  ?

Si l’Église catholique en Ukraine est marquée par des tiraillements internes et des luttes d’influence qui ont pu aller jusqu’à des scissions marginales13, la division des orthodoxes est bien plus notable. Rappelons que dans l’ecclésiologie orthodoxe, beaucoup moins centralisée que la catholique, les «  Églises-sœurs  » sont dites autocéphales, indépendantes hiérarchiquement les unes des autres, mais unies spirituellement par la même foi. En principe, chaque Église autocéphale peut-être rattachée à une réalité nationale (il y a ainsi une Église orthodoxe grecque, une serbe, une roumaine, etc.). Depuis 2019, la situation s’est clarifiée quelque peu  : le principal clivage a lieu entre l’Église orthodoxe d’Ukraine, avec à sa tête le métropolite Épiphane de Kiev (né en 1979), et la branche ukrainienne du Patriarcat de Moscou.

L’Église orthodoxe d’Ukraine est elle-même née officiellement en décembre 2018 de la fusion de deux entités précédentes, lors d’un concile tenu à la demande expresse du président Porochenko et de la Rada (Assemblée nationale)  : le Patriarcat de Kiev, créé en 1992 par le métropolite Philarète (né en 1929), dissident du Patriarcat de Moscou, et l’Église orthodoxe ukrainienne autocéphale, issue quant à elle de la première indépendance du pays (1917-1920) puis de la diaspora ou de la clandestinité. Quoique le Patriarcat de Kiev ait unilatéralement contesté cette fusion en juin 2019 (semble-t-il avant tout pour des querelles de personnes entre Philarète et son successeur désigné Épiphane), l’Église orthodoxe d’Ukraine est aujourd’hui devenue la première dénomination religieuse du pays, rassemblant 25 % de sa population, soit près de 15 millions d’habitants (contre 12 % pour le Patriarcat de Kiev en 2005), et souhaiterait unifier tous les orthodoxes ukrainiens sous la juridiction de cette Église nationale autocéphale. Cette Église unifiée a également recueilli l’assentiment relatif de la population, mais avec de très fortes disparités entre l’Ouest, où 60 % des Ukrainiens y sont favorables, et l’Est, où ils ne sont plus que 28 % à l’approuver, selon un sondage de 201814.

Or c’est toujours le Patriarcat de Moscou qui possède le clergé le plus nombreux et le plus grand nombre de paroisses dans le pays, avec 40 diocèses, 200 monastères et plus de 12 000 églises sous son contrôle  ; près de 18 % des Ukrainiens s’y rattachent encore (très majoritairement à l’est et au centre), même si ce chiffre est en nette diminution. Non seulement le Patriarcat de Moscou représente l’organisation religieuse la plus puissante en Ukraine, mais encore, à l’échelle même de son territoire russe, sa branche ukrainienne est-elle la plus riche en biens et en effectifs, regroupant 40 % de ses paroisses15. Enfin, ajoutons l’importance symbolique de Kiev, «  lieu saint  » du monde slave orthodoxe  : la conversion au christianisme de son grand-prince, Vladimir, en 988, a pour les Russes et les Ukrainiens une importance mémorielle équivalente au baptême de Clovis pour la France. Le Patriarcat de Moscou, dont la proximité avec le Kremlin est notoire depuis la Grande Guerre patriotique de 1941-1945, ne veut en aucun cas reconnaître l’autocéphalie de l’Église orthodoxe en Ukraine, car ce serait du même coup accréditer l’existence de la nation ukrainienne. Pour le patriarche Kirill et ses soutiens16, Kiev est dans l’orbite religieuse de Moscou depuis 1686, lorsque le patriarche œcuménique de Constantinople, autorité spirituelle suprême du monde orthodoxe, a délégué au patriarche moscovite le droit de nommer le métropolite de Kiev17.

7 — Pourquoi peut-on parler d’une rivalité globale entre Constantinople et Moscou à l’échelle du monde orthodoxe ?

C’est donc vers Constantinople que se sont tournés les orthodoxes ukrainiens pour obtenir la reconnaissance de leur Église nationale  : le 5 janvier 2019, son patriarche, Bartholomée, a bien accordé le tomos (décret) d’autocéphalie à l’Église orthodoxe d’Ukraine. Il en a résulté une grave crise entre Moscou et Constantinople, qui est allée jusqu’à la rupture mutuelle de la communion eucharistique, signe de schisme formel18. Toutes les Églises autocéphales ont été sommées de prendre parti pour l’un des deux grands patriarcats en reconnaissant ou non l’Église ukrainienne, et seule une minorité d’entre elles19 se sont alignées sur la décision de Bartholomée20. Derrière la question ukrainienne, se joue donc un affrontement plus global pour le leadership dans le monde orthodoxe, où les armes sont inégales21  : nul ne conteste la primauté d’honneur de Constantinople, mais son patriarche est semblable à un général sans troupes, qui a juridiction directe sur un territoire très mince et une population clairsemée, quand le Patriarcat de Moscou rassemble 90 millions de personnes sous son obédience – près du tiers des orthodoxes dans le monde. Un signe éclatant de cette rivalité a été donné à l’occasion du concile panorthodoxe de 2016 en Crète, voulu par le patriarcat de Constantinople depuis plus de 50 ans, mais qui a échoué par suite de la décision du patriarche de Moscou, et de quelques autres hiérarques dépendants de lui, de ne pas s’y rendre22.

8 — Comment Moscou présente-t-il cette rivalité pour le public occidental ?

La propagande pro-russe à destination des Européens s’est complu à déguiser cette rivalité de pouvoir derrière des prétextes idéologiques  : engagé dans les enjeux environnementaux et migratoires, résolument en faveur du dialogue œcuménique, le patriarche Bartholomée serait une sorte de pendant oriental d’un pape François «  mondialiste  », voire «  wokisé  », là où les orthodoxes russes ou pro-russes sont érigés en rempart de tout l’Occident chrétien. Or il suffit de constater la discordance entre de telles déclarations avec le discours ad intra du patriarcat moscovite, très anticatholique, pour comprendre le leurre qu’elles représentent. Il s’en faut de peu que Moscou accuse l’Église orthodoxe d’Ukraine d’une forme d’uniatisme déguisé, dans un schéma séculaire où Rome et l’Occident figurent l’ennemi par excellence de la «  Troisième Rome  », et toute velléité d’autonomie, un pas vers l’hérésie.

9 — Quelle a été l’attitude du Vatican face à l’invasion de l’Ukraine ?

L’invasion russe de l’Ukraine du 24 février dernier, sur ce point comme en bien d’autres, recompose la situation à une vitesse inconnue jusque-là. D’abord parce qu’en s’affranchissant aussi clairement du droit international, la Russie a provoqué un engagement plus net du Vatican en faveur de la paix et de la coexistence religieuse, mais aussi des droits de la minorité catholique  : le lendemain de l’invasion, l’archevêque gréco-catholique Shevchuk a été appelé par le pape, qui lui a assuré qu’il ferait tout ce qui est en son pouvoir pour mettre fin au conflit. François, qui s’est également entretenu au téléphone avec le président Zelensky, semble déterminé à prendre une part très active dans la cessation du conflit, jusqu’à proposer instamment la médiation officielle du Saint-Siège  : dans un geste inédit, et alors même qu’il a dû récemment annuler plusieurs engagements pour raisons de santé, il s’est rendu lui-même à l’ambassade de Russie près le Saint-Siège pour exhorter à la paix dès le lendemain de l’invasion. La portée de cette démarche est d’autant plus forte qu’elle semble avoit été prise par le pape personnellement, sans en avoir informé au préalable sa secrétairerie d’Etat. Dimanche 27 février, François a appelé solennellement à l’ouverture de couloirs humanitaires à l’issue de l’angélus place St-Pierre, le cardinal Parolin faisant quant à lui, selon une vieille tradition de la diplomatie vaticane, l’offre de ses bons offices23.

10 — Comment la guerre ouverte a-t-elle changé la situation des Églises orthodoxes ?

Mais la recomposition touche aussi les Églises orthodoxes  : certes, le patriarche Kirill de Moscou semble plus que jamais inféodé au Kremlin, avec un appel, lors de son homélie du 27 janvier, à préserver les «  terres russes  » – parmi lesquelles il a explicitement nommé la Biélorussie et l’Ukraine – des «  forces du mal  »  ; mais la défense d’une telle obédience en Ukraine est devenue intenable devant la réalité de l’agression  : pour la première fois, le métropolite Onuphre, plus haut hiérarque de l’Église orthodoxe russe en Ukraine, a pris ses distances avec son supérieur dès le jour de l’invasion  ; puis dans une déclaration du 28 février reprise par son saint-synode, il s’est engagé en faveur de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, et a déclaré que la guerre était «  un péché grave devant Dieu  », une «  répétition du péché de Caïn  ». Il a été imité par de nombreux membres de son clergé, jusque dans le diocèse de Soumy, pourtant frontalier avec la Russie, qui ont décidé de ne plus prononcer le nom de Kirill à l’office, ce qui entérine la rupture de la communion ecclésiale.

L’atmosphère d’union nationale qui prévaut depuis l’invasion semble ainsi avoir réduit le clivage entre les Églises orthodoxes rivales ; quant à savoir si elle ira jusqu’à le résorber, il est encore bien trop tôt pour le dire. Il reste patent que, là comme ailleurs, la guerre a produit des effets opposés à ceux recherchés par le Kremlin  ; et que la présence des troupes russes constitue à court et moyen terme une menace grave pour le pluralisme religieux, une réalité pourtant constitutive de l’Ukraine.

Sources
  1. https://mjp.univ-perp.fr/constit/ua1996.htm#2  : art. 32 de la Constitution ukrainienne.
  2. http://www.globalreligiousfutures.org/countries/ukraine#/?affiliations_religion_id=0&affiliations_year=2010&region_name=All%20Countries&restrictions_year=2016
  3. Cf. l’ouvrage récent de Laurent Tatarenko, Une réforme orientale à l’âge baroque. Les Ruthènes de la grande-principauté de Lituanie et Rome au temps de l’Union de Brest (milieu du xvie siècle – milieu du xviie siècle), Rome, École française de Rome, «  Bibliothèque des Écoles Françaises d’Athènes et de Rome  », 392, 2021, 645 p. qui relate de manière détaillée les grandes étapes de cette rupture.
  4. Au point qu’aux États-Unis, les catholiques issus de cette Église ont formé une Église orientale autonome, «  l’Église catholique byzantine  », avec son siège à Pittsburgh. L’Église catholique arménienne est quant à elle quasiment éteinte en Ukraine.
  5. https://www.cath.ch/newsf/moscou-le-patriarche-orthodoxe-russe-alexis-ii-pret-a-rencontrer-le-pape-jean-paul-ii/
  6. https://www.diakonos.be/settimo-cielo/guerres-de-religion-pourquoi-en-ukraine-les-plus-oecumeniques-sont-les-grecs-catholiques.
  7.  https://www.diakonos.be/settimo-cielo/en-coulisses-le-cadeau-rate-de-francois-aux-ukrainiens/
  8. https://www.diakonos.be/settimo-cielo/depuis-lorient-non-pas-la-lumiere-mais-les-tenebres-etranges-remplacements-dans-la-curie-romaine/
  9. https://www.diakonos.be/settimo-cielo/le-reve-irreel-dune-eglise-des-ruthenes-une-lettre-de-clarification/.
  10. Référence de Sandro Magister, diakonos.
  11.  John M. Kramer, « The Vatican’s Ostpolitik”, The Review Politics, vol. 42/3, 1980, Cambridge University Press, p. 283-308.
  12. Relayé par https://fsspx.news/fr/news-events/news/ukraine-les-cles-une-guerre-aux-dimensions-religieuses-71930
  13. Pour être complet, mentionnons l’existence de deux scissions traditionalistes  : la Fraternité Saint-Josaphat, variante de la Fraternité Saint-Pie X pour le rite byzantin, opposée à sa relative délatinisation consécutive à Vatican II, et «  l’Église grecque-catholique orthodoxe ukrainienne  », née en 2009, ultra-conservatrice et pro-russe.
  14. https://dif.org.ua/article/stvorennya-pomisnoi-avtokefalnoi-pravoslavnoi-tserkvi-v-ukraini-shcho-dumayut-ukraintsi
  15. https://www.diakonos.be/settimo-cielo/en-orient-cest-la-rupture-entre-cyrille-et-bartholomee-et-le-pape-penche-plutot-pour-le-premier/
  16. Dont le plus actif est son porte-parole pour les relations extérieures, le métropolite Hilarion de Vokolamsk.
  17. https://www.diakonos.be/settimo-cielo/en-orient-cest-la-rupture-entre-cyrille-et-bartholomee-et-le-pape-penche-plutot-pour-le-premier/
  18. https://www.diakonos.be/settimo-cielo/schisme-dans-lorthodoxie-entre-moscou-et-constantinople-et-rome-ne-sait-quel-camp-choisir/. Il faut noter que cette crise a connu une préfiguration très exacte en 2006-2007 (avec un schisme temporaire entre les deux patriarcats), du fait la reconnaissance par Constantinople de l’Église autocéphale estonienne. Moscou ne semble pas prêt à voir éclore des Églises orthodoxes autonomes a minima dans le territoire de l’ex-URSS.
  19.  Les Églises orthodoxes de Grèce, de Chypre et d’Alexandrie
  20. Bartholomée vient d’ailleurs de déclarer à la télévision turque «  je suis une cible pour Moscou  » (2 mars).
  21.  Cette rivalité a eu des conséquences jusque chez les orthodoxes de France, par exemple à l’Institut St-Serge  : https://www.la-croix.com/Religion/En-Ukraine-lecart-creuse-entre-lEglise-orthodoxe-ukrainienne-patriarche-2022-03-01-1201202769
  22. https://www.lemonde.fr/le-monde-des-religions/article/2022/03/04/l-ukraine-catalyse-une-crise-au-sein-du-monde-orthodoxe-entre-moscou-et-constantinople_6116091_6038514.html
  23. https://www.la-croix.com/Religion/Le-Vatican-pret-aider-dialogue-entre-Russie-lUkraine-2022-02-28-1201202584

Voir enfin:

QUEL AVEUGLEMENT VOLONTAIRE DES IDIOTS UTILES ET DES COMPAGNONS DE ROUTE DU NOUVEL HITLER DE MOSCOU ? (Comment entre détestation de l’Amérique et de l’Union européenne et désarroi devant la décomposition démocratique, le délitement du lien national, les revendications communautaristes, les effets délétères de l’immigration et les dérives du wokisme, nombre de souverainistes occidentaux en sont arrivés à nier la réalité du régime russe)

 

Ran Halévi: « L’aveuglement volontaire des compagnons de route occidentaux de Vladimir Poutine »

Ran Halévi

Le Figaro

30.09.2022

TRIBUNE – L’historien analyse les ressorts qui, selon lui, ont poussé certains à droite, dans les démocraties occidentales, et en particulier la droite trumpienne aux États-Unis, à l’indulgence, voire à la complaisance envers l’autocrate du Kremlin.

Ran Halévi est directeur de recherche au CNRS et professeur au Centre d’études sociologiques et politiques Raymond-Aron. Il estime que le rejet du wokisme et la hantise de la décadence les ont conduits à nier la réalité du régime russe.

S’il ne s’est jamais avisé de parader en parangon de la démocratie, Vladimir Poutine s’évertuait, non sans succès, à se poser en sentinelle morale de la tradition, des valeurs familiales, de la religion chrétienne. Son régime offre une version toute personnelle du principe de la division du travail.

D’un côté, une autocratie légale (lui au moins se dispense d’employer l’oxymore bancal de «démocratie illibérale»), des élections truquées, une Constitution courbée à l’impératif de pérenniser le mandat présidentiel, une cleptocratie systémique, des assassinats d’opposants, des violations répétées du droit international, annexions hors-la-loi, massacres de masse, déportations, crimes de guerre. Sans oublier le culte de la personnalité, les millions empochés dans des comptes personnels, enfin l’isolement graduel du président et son enfermement psychologique qui ont fini, c’est classique, par dérégler son discernement politique.

Et de l’autre, l’appel à un passé immémorial, la célébration des valeurs nationales, la poursuite des aspirations impériales: un curieux syncrétisme entre la gloire de l’époque tsariste, l’héroïsme patriotique sous l’ère soviétique et, pour compléter le narratif, la théorie – pourtant largement démentie – de l’humiliation de la Russie par l’Occident après la chute de l’URSS.

Jusqu’à l’invasion de l’Ukraine, cet attelage fonctionnait passablement. M. Poutine réussit à rallier, en France et ailleurs, une foule éclectique de sympathisants, animés des motifs les plus divers: détestation de l’Amérique, de l’Otan, des aspérités fédéralistes de l’Union européenne ; désarroi devant la décomposition démocratique, le délitement du lien national, les revendications communautaristes, les effets délétères de l’immigration… À quoi s’ajoute, péché commun de l’extrême gauche et de la droite extrême, de Le Pen à Mélenchon, une fascination jamais éteinte pour l’homme fort qui sait allier un verbe haut à une main de fer, en malmenant les principes poussiéreux de la démocratie libérale.

Les plus engagés parmi les dévots du poutinisme étaient les ultraconservateurs américains. Autrefois, les compagnons de route de la Russie communiste venaient de la gauche ; dans l’Amérique d’aujourd’hui, ils occupent les premières loges de la droite trumpiste et les avant-postes des médias populistes. Ce qui les rattache à M. Poutine, comme à Donald Trump, c’est l’apologie sans complexe de la grandeur nationale, l’aversion pour la «dictature woke», un culte assumé de la force et le goût d’une saine virilité, réfractaire à l’émasculation de l’homme blanc par les lubies progressistes.

Tucker Carlson, l’animateur sur Fox News du talk-show le plus regardé aux États-Unis, est un admirateur de longue date du président russe et son meilleur agent de relations publiques: il le tient, à l’égal de M. Trump, pour l’archétype de l’homme d’État conservateur. Carlson, comme d’autres trumpistes de choc, a fait plusieurs fois le pèlerinage de Moscou (et de Budapest) pour régaler ses auditeurs des images d’une société qui résiste à la corruption de Hollywood, de Wall Street et des théories diversitaires.

M. Poutine savait cultiver avec méthode ces auxiliaires inespérés. Il recevait des évangélistes, des représentants du puissant lobby des armes à feu, des militants de «l’Amérique d’abord» hostiles à l’immigration. Il n’hésitait pas à se dire victime, lui et son pays, de la «cancel culture», ou à dénoncer les transgenres avec des accents qui ne pouvaient laisser insensibles ses nouveaux frères d’armes. «Ceux qui apprennent à un garçon à se transformer en fille et à une fille en un garçon commettent un crime contre l’humanité (…)». La Russie qu’il leur faisait découvrir renvoyait un miroir désolant à une Amérique en faillite morale, gangrenée par l’avortement, les mariages homosexuels, la pornographie, la libération des mœurs, la tyrannie multiculturelle…

Il fallait une bonne dose d’aveuglement à ces pèlerins de l’eldorado russe pour éviter de voir ce qu’ils s’interdisaient de connaître: en Russie, comme le rappelle Anne Applebaum, le nombre des avortements est un des plus élevés du monde, le double de son niveau aux États-Unis ; la fréquentation des églises est négligeable ; seuls 15% des Russes reconnaissent à la religion un rôle important dans leur vie ; et le pays tient le record mondial du taux de suicide chez les hommes adultes. Quant à l’image unitaire de la nation, il n’est pas inutile d’observer que 20% des citoyens russes se revendiquent d’une autre nationalité, que plus de 6% sont musulmans et que, en Tchétchénie, la loi de l’État est la charia.

Comment expliquer la réussite du poutinisme à rallier en Occident cette armée de «facilitateurs», d’«excuseurs», d’«indulgents»? Outre les raisons déjà évoquées, la paresse intellectuelle y entre aussi pour une part et l’ignorance volontaire pour beaucoup: elle n’est pas sans rappeler celle des voyageurs ingénus de la Russie soviétique et la cohorte des croyants cuirassés dans le déni des horreurs staliniennes. C’est un phénomène fascinant que l’impuissance des faits avérés à entrer dans la circulation des esprits et à s’imprimer au fond de la conscience publique. Pourtant, le maître du Kremlin a beaucoup œuvré à nous dessiller les yeux.

Ce qui a conforté cette cécité renvoie surtout à la situation de nos démocraties. Le souvenir de la guerre froide, et des guerres en général, est trop éloigné pour alerter spontanément les esprits: nous livrons volontiers des guerres idéologiques, un luxe des temps de paix, mais hésitons, quand de vraies menaces sont à nos portes, à en apprécier la portée. Et nous baignons depuis trop longtemps dans une culture de la repentance pour ne pas donner créance à ceux qui nous inculpent de les avoir opprimés, ravalés, humiliés. Enfin, l’espoir de prévenir le pire porte parfois à consentir à l’inacceptable, comme un moindre mal, au préjudice des victimes sacrifiées à un «lâche soulagement», lequel ne dure jamais longtemps.

Pour les zélateurs américains de M. Poutine, le fantasme d’une Russie citadelle de la civilisation était avant tout affaire de politique intérieure: un ressort essentiel, à condition de ne pas y regarder de près, de la guerre idéologique contre le wokisme. À la veille de l’invasion russe, Tucker Carlson ne se trompait pas de combat: «Est-ce que M. Poutine m’a jamais traité de raciste? A menacé de me licencier parce que je ne pense pas comme lui? Essayé de détruire le christianisme?» Les trumpistes avaient d’autres priorités que l’Ukraine, le droit international, la liberté. Ce n’était pas leur guerre. On découvre là comment le wokisme est devenu le complice involontaire, le combustible, le pourvoyeur d’arguments – et d’absolutions – de l’illibéralisme.

Voir par ailleurs:

Discours de Vladimir Poutine

30 septembre 2022

Citoyens de Russie, citoyens des républiques populaires de Donetsk et Lougansk, habitants des districts de Zaporojie et Kherson, députés de la Douma d’État, sénateurs de la Fédération de Russie,Comme vous le savez, des référendums ont eu lieu dans les républiques populaires de Donetsk et Lougansk ainsi que dans les districts de Zaporojie et Kherson. Les bulletins ont été décomptés, les résultats ont été annoncés. Le peuple a fait son choix, un choix univoque.Nous signons aujourd’hui les accords relatifs à l’admission de la République populaire de Donetsk, de la République populaire de Lougansk, du district de Zaporojie et du district de Kherson au sein de la Fédération de Russie. Je suis certain que l’Assemblée fédérale confirmera les lois constitutionnelles sur l’intégration et la formation en Russie de quatre nouvelles régions, quatre nouvelles entités de la Fédération de Russie, parce que telle est la volonté de millions de personnes. (Applaudissements.)

Cette annonce est le résultat d’un processus complexe et longtemps incertain. Depuis des mois, le pouvoir russe s’est efforcé de s’ancrer administrativement dans ces régions occupées. D’après une enquête du média Proekt, les citoyens russes représentent 92 % des 36 personnes nommées dans les gouvernements de ces quatre régions depuis l’occupation. On compte ainsi 20 % de Russes parmi les dirigeants de la République populaire autoproclamée de Lougansk, 40 % chez ceux de Donetsk, jusqu’à 75 % du gouvernement du district de Kherson et 100 % de celui de Zaporojie. Malgré tout, au cours de ces derniers mois, les autorités russes semblent avoir hésité à organiser les référendums qu’elles voulaient originellement planifier en avril, puis en mai, avant de les reporter à septembre, novembre, et enfin «  indéfiniment  ».

 Soudainement, en l’espace de quelques jours, tout s’est accéléré ces dernières semaines. Ce qui ne devait plus être qu’un horizon lointain est devenu un impératif de toute urgence. Aussi les référendums ont-ils commencé le vendredi 23 septembre dans ces régions qui représentent environ 15 % de l’ensemble du territoire ukrainien et plus de 6 millions d’habitants avant la guerre. Les observateurs internationaux ignorent le nombre réel de votants, d’autant plus que certaines zones ont été tout à fait dépeuplées. Selon le maire de Melitopol’ Ivan Fëdorov, il ne reste plus aujourd’hui que 60 000 des 150 000 habitants que comptait sa ville au début de l’année. On connaît par ailleurs l’exemple frappant de ce village de Novotoškovskoe, à soixante kilomètres de Lougansk, où il ne restait plus, en ce mois de septembre, que dix habitants sur les 2 000 personnes qui y résidaient avant la guerre.

Sans aucun doute, c’est là leur droit, leur droit inaliénable, inscrit dans l’article premier de la Charte des Nations Unies, qui énonce explicitement le principe de l’égalité des droits et de l’autodétermination des peuples.

Je le répète  : il s’agit d’un droit inaliénable des peuples. Ce droit se fonde sur l’unité historique qui a porté à la victoire des générations entières de nos prédécesseurs, ceux qui édifié et défendu la Russie durant de nombreux siècles, depuis les origines de l’ancienne Rus’.

C’est ici, en Novorossija, qu’ont lutté Rumjancev, Suvorov et Ušakov. C’est ici que Catherine II et Potëmkin ont fondé de nouvelles villes. C’est ici que nos grands-pères et arrière-grands-pères se sont battus jusqu’à la mort pendant la Seconde Guerre mondiale.

Nous n’oublierons jamais les héros du «  Printemps Russe  », ceux qui ont refusé le coup d’État néonazi dans l’Ukraine de 2014, ceux qui ont perdu la vie pour le droit de parler leur langue, de conserver leur culture, leurs traditions, leur foi, pour le droit même de vivre. Nous n’oublierons jamais les combattants du Donbass, les martyrs de la «  Khatyn d’Odessa  », les victimes des attentats inhumains orchestrés par le régime de Kiev. Nous commémorons les volontaires et les miliciens, les civils, les enfants, les femmes, les vieillards, les Russes, les Ukrainiens, des gens des nationalités les plus diverses  : à Donetsk, le meneur d’hommes Aleksandr Zakharčenko  ; les commandants militaires Arsen Pavlov et Vladimir Žoga, Ol’ga Kočura et Aleksei Mozgovoj  ; le procureur de la République de Lougansk Sergej Gorenko  ; le parachutiste Nurmagomed Gadžimagomedov et tous les soldats et les officiers qui sont morts de la mort des braves pendant l’opération militaire spéciale. Ce sont des héros. (Applaudissements) Les héros de la Grande Russie. Je vous demande d’observer une minute de silence en leur mémoire.

(Minute de silence)

Merci.

Derrière ce choix de millions d’habitants des Républiques populaires de Donetsk et Lougansk, des districts de Zaporojie et Kherson, se lisent à la fois notre futur commun et notre histoire millénaire. Les populations ont transmis ce lien spirituel à leurs enfants et leurs petits-enfants. Malgré toutes les épreuves, ils ont transmis leur amour de la Russie à travers les âges. Personne ne pourra détruire ce sentiment qui nous habite. C’est la raison pour laquelle les anciennes générations et les plus jeunes, ceux qui sont nés après l’effondrement tragique de l’URSS, ont voté d’une seule voix pour notre unité, pour notre avenir commun.

En 1991, à Belovežskaja Pušča, sans aucune considération pour la volonté des citoyens ordinaires, les représentants de l’élite du parti de l’époque ont pris la décision de dissoudre l’URSS. Du jour au lendemain, les gens se sont retrouvés arrachés à leur patrie. Notre communauté nationale a été déchirée, démantelée à vif, ce qui s’est soldé par une catastrophe nationale. Tout comme les gouvernements avaient, en coulisse, délimité les frontières des républiques soviétiques après la Révolution de 1917, les derniers dirigeants de l’Union Soviétique ont déchiré notre grand pays, ont placé le peuple devant le fait accompli, au mépris du souhait exprimé par la majorité lors du référendum de 1991.

J’imagine qu’ils n’ont pas eu entièrement conscience de ce qu’ils étaient en train de faire et des conséquences qu’auraient inévitablement leurs actions. Mais cela n’a plus d’importance. Il n’y a plus d’Union soviétique et on ne fera pas revivre le passé. Ce n’est pas ce dont la Russie a besoin aujourd’hui, ce n’est pas ce à quoi nous aspirons. Mais il n’y a rien de plus fort que la détermination de millions de personnes qui, par leur culture, leur foi, leurs traditions, leur langue, se sentent faire partie de la Russie et dont les ancêtres ont vécu durant des siècles au sein d’un même État. Il n’y a rien de plus puissant que leur résolution à retrouver leur véritable patrie historique.

Pendant huit longues années, les habitants du Donbass ont été soumis au génocide, aux bombardements, au blocus. À Kherson et Zaporojie, une politique criminelle a tout fait pour diffuser la haine de la Russie et de tout ce qui est russe. Désormais, y compris pendant les référendums, le régime de Kiev a menacé de représailles et de mort les enseignants et les femmes qui officiaient dans les commissions électorales, intimidant des millions de personnes venues exprimer leur volonté. Mais le peuple irréductible du Donbass, de Zaporojie et de Kherson s’est prononcé.

Je veux que les autorités de Kiev et leurs véritables suzerains occidentaux m’entendent et se souviennent de ceci  : les habitants de Lougansk et de Donetsk, de Kherson et de Zaporojie, sont devenus nos concitoyens, à jamais. (Applaudissements.)

Nous appelons le régime de Kiev à un cessez-le-feu immédiat, à mettre fin à cette guerre qu’il a déclenchée en 2014 et à revenir à la table des négociations. Nous y sommes prêts, comme nous l’avons signalé à de nombreuses reprises. En revanche, la décision des peuples de Donetsk, Lougansk, Zaporojie et Kherson n’est pas discutable. Leur décision a été prise et la Russie ne la trahira pas. (Applaudissements.) Les autorités actuelles de Kiev doivent traiter cette libre expression de la volonté d’un peuple avec respect, et pas autrement. C’est le seul chemin possible vers la paix.

Nous défendrons notre terre avec toutes nos forces et par tous les moyens à notre disposition. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour garantir la sécurité de nos concitoyens. Telle est la grande mission libératrice de notre nation.

Nous nous engageons à reconstruire les villes et les villages détruits, les logements, les écoles, les hôpitaux, les théâtres et les musées, à restaurer et développer les entreprises industrielles, les usines, les infrastructures, les systèmes de protection sociale, de retraite, de santé et d’éducation.

Nous allons bien sûr travailler au renforcement de la sécurité. Ensemble, nous veillerons à ce que les citoyens des nouvelles régions russes se sentent soutenus par l’ensemble du peuple russe, par l’intégralité du pays, des républiques, des provinces et des districts de notre vaste patrie (Applaudissements.)

Chers amis, chers collègues,

Je veux m’adresser aujourd’hui aux soldats et aux officiers qui participent à l’opération militaire spéciale, aux combattants du Donbass et de Novorossija, à tous ceux qui, après le décret de mobilisation partielle, ont rejoint les rangs de nos forces armées, accomplissant ainsi leur devoir patriotique, tous ceux qui répondent aux injonctions de leur cœur et se rendent aux bureaux de recrutement militaire. Je veux m’adresser à eux, à leur famille, à leurs épouses et à leurs enfants pour leur dire contre qui, contre quel genre d’ennemi notre peuple se bat, pour leur dire qui précipite le monde dans de nouvelles guerres et de nouvelles crises, retirant un profit sanglant de toute cette tragédie.

Nos compatriotes, nos frères et nos sœurs d’Ukraine, cette partie intégrante de notre nation unie, ont vu de leurs propres yeux le sort que les sphères dirigeantes du soi-disant Occident réservent à l’humanité entière. Ici, elles ont enfin tombé les masques et révélé leur vraie nature.

Après la chute de l’Union soviétique, l’Occident a décidé que le monde entier, que chacun de nous devait supporter à jamais ses diktats. En 1991, l’Occident s’imaginait que la Russie ne se relèverait jamais de ces bouleversements et s’effondrerait d’elle-même. Ils y ont presque réussi. Nous gardons en mémoire les années 1990, ces années terribles, de faim, de froid et de désespoir. Mais la Russie a survécu. Elle renaît, se renforce, réclame à nouveau la place qui lui revient dans le monde.

Pendant ce temps, l’Occident a continué de rechercher de nouvelles occasions de nous frapper, d’affaiblir et d’écraser la Russie, comme il a toujours rêvé de le faire, de fragmenter notre État, de dresser nos peuples les uns contre les autres, de les condamner à la misère et à l’extinction. Ils ne seront pas en paix tant qu’il existera un pays si grand, si considérable, avec son territoire, ses richesses naturelles, ses ressources, son peuple qui ne sait pas et ne saura jamais vivre sous les ordres de quelqu’un d’autre.

L’Occident est prêt à tout pour conserver ce système néocolonial qui lui permet de parasiter, de dépouiller le monde grâce à la puissance du dollar et de la technologie, de percevoir un véritable tribut de l’humanité tout entière, de jouir de la principale source de richesse indue  : la rente de l’hégémon. La préservation de cette rente est leur principale motivation, leur motivation réelle, fruit de la pure avidité. C’est la raison pour laquelle ils ont intérêt à la dé-souverainisation systématique. Ainsi s’expliquent leurs agressions d’États indépendants, de valeurs traditionnelles et de cultures authentiques, leurs tentatives de saper les processus internationaux et interrégionaux, les nouvelles monnaies globales et les nouveaux pôles de développement technologique qui échappent à leur contrôle. Il est capital pour eux que tous les États abandonnent leur souveraineté au profit des États-Unis.

Dans certains États, les élites dirigeantes acceptent délibérément de s’y plier, de se laisser vassaliser  ; d’autres y sont réduites par la corruption ou l’intimidation. En cas d’échec, elles n’hésitent pas à détruire des États entiers, ne laissant derrière eux que des catastrophes humanitaires, des désastres, des ruines, des millions de destins humains détruits ou mutilés, des enclaves terroristes, des zones socialement dévastées, des protectorats, des colonies ou des semi-colonies. Peu leur importe, tant qu’ils en retirent du profit.

Je veux souligner une fois encore que ce sont leur cupidité insatiable et leur désir de maintenir leur pouvoir illimité qui sont la véritable raison de cette guerre hybride que l’«  Occident collectif  » mène contre la Russie. Ils ne veulent pas nous voir libres  ; ils rêvent que nous soyons une colonie. Ils ne veulent pas collaborer sur un pied d’égalité  ; ils rêvent de pillage. Ils ne veulent pas que nous soyons une société libre, mais une foule d’esclaves sans âme.

Ils voient notre pensée et notre philosophie comme une menace directe  : c’est pourquoi ils s’en prennent à nos philosophes. Ils pensent que notre culture et notre art représentent un péril pour eux  : c’est pourquoi ils s’efforcent de les interdire. Notre développement et notre prospérité les menacent également, parce que la concurrence s’intensifie. Ils n’ont pas besoin de la Russie, c’est nous qui en avons besoin. (Applaudissements.)

Je tiens à rappeler que, par le passé, les rêves de domination mondiale ont été brisés plus d’une foi par le courage et la résilience de notre peuple. La Russie sera toujours la Russie. Nous défendrons toujours nos valeurs et notre patrie.

L’Occident mise sur son impunité, sur sa capacité à tout se permettre. De fait, tel a été le cas jusqu’à présent. Les accords de sécurité stratégique ont filé droit à la poubelle  ; les conventions conclues au plus haut niveau politique ont été déclarées fictives  ; les promesses les plus fermes de ne pas étendre l’OTAN vers l’Est, arrachées fut un temps par nos anciens dirigeants, se sont révélées un mensonge immonde  ; les traités sur les forces nucléaires à portée intermédiaire ont été unilatéralement abrogés sous des prétextes fantaisistes.

Mais de tous les côtés, on n’entend que  : «  L’Occident incarne l’état de droit, fondé sur des règles  ». D’où viennent-elles  ? Qui en a jamais vu la couleur  ? Qui y a consenti  ? Écoutez, ce ne sont que des absurdités, un mensonge absolu, des doubles ou des triples standards. Ils doivent nous prendre pour des imbéciles.

La Russie est une grande puissance millénaire, un pays-civilisation qui ne vivra jamais sous le joug de ces règles truquées, faussées.

C’est bien le soi-disant Occident qui a piétiné le principe de l’inviolabilité des frontières et qui décide maintenant, selon son bon vouloir, qui a le droit à l’autodétermination et qui ne l’a pas, qui en est digne et qui ne l’est pas. On ignore à quel titre ils agissent ainsi, qui leur en a donné le droit, sinon eux-mêmes.

C’est pourquoi le choix des habitants de Crimée, de Sébastopol, de Donetsk, de Lougansk, de Zaporojie et de Kherson les rend fous de rage. L’Occident n’a aucun droit moral à distribuer les bons points, ni à prononcer le moindre mot sur la liberté de la démocratie. Ils ne l’a pas et il ne l’a jamais eu.

Les élites occidentales ne se contentent pas de nier souveraineté des nations et le droit international. Leur hégémonie présente clairement les traits d’un totalitarisme, d’un despotisme, d’un apartheid. Avec insolence, ils divisent le monde entre, d’un côté, leurs vassaux, les pays soi-disant civilisés, et de l’autre le reste de la planète, ceux que des racistes occidentaux voudraient inscrire sur la liste des barbares et des sauvages. Des étiquettes mensongères comme «  État voyou  » ou «  régime autoritaire  » sont assignées pour stigmatiser des peuples et des États entiers, ce qui n’est pas nouveau. Il n’y a rien de nouveau là-dedans, parce que les élites occidentales sont restées ce qu’elles étaient  : colonialistes. Elles discriminent et divisent les peuples entre la «  première classe  » et «  le reste  ».

Nous n’avons jamais souscrit et ne souscrirons jamais à ces formes de nationalisme politique et de racisme. Est-ce autre chose que du racisme qui, sous la forme de la russophobie, se répand aujourd’hui dans le monde entier  ? Que peut bien être, sinon du racisme, cette conviction inébranlable de l’Occident que sa civilisation et sa culture néolibérale sont le modèle indépassable pour le reste du monde  ? «  Qui n’est pas avec nous est contre nous  ». Ça sonne même étrangement.

Il n’est pas jusqu’à la responsabilité de leurs propres crimes historiques que les élites occidentales rejettent sur les autres, exigeant à la fois de leurs citoyens et des autres peuples qu’ils se repentent de ce à quoi ils n’ont jamais contribué, par exemple, la période des conquêtes coloniales.

Il est bon de rappeler à l’Occident qu’il a commencé sa politique coloniale dès l’époque du Moyen Âge, avant que se développe la traite mondiale des esclaves, le génocide des tribus indiennes en Amérique, le pillage de l’Inde, de l’Afrique, les guerres de l’Angleterre et de la France contre la Chine, qui l’ont obligée à ouvrir ses ports au commerce de l’opium. Ce qu’ils ont fait, c’était de rendre des peuples entiers accros aux drogues, d’exterminer délibérément des groupes ethniques entiers pour leurs terres et leurs ressources, de pratiquer une véritable chasse à l’homme, comme on chasse des bêtes. Tout cela est contraire à la nature même de l’humain, à la vérité, à la liberté et à la justice.

Pour notre part, nous sommes fiers qu’au XXe siècle, ce soit précisément notre pays qui ait pris la tête du mouvement anticolonial, lequel a offert à de nombreux peuples du monde la possibilité de se développer, de réduire la misère et les inégalités, de vaincre la faim et les maladies.

Je tiens à souligner que l’un des motifs de la russophobie pluriséculaire, de l’évidente animosité de ces élites occidentales vis-à-vis de la Russie, vient justement du fait que nous ayons refusé de nous laisser dépouiller à l’époque de la conquête coloniale et que nous ayons forcé les Européens à commercer avec nous pour notre bénéfice mutuel. Nous y sommes parvenus grâce à la création en Russie d’un État centralisé, qui s’est développé et consolidé à partir des hautes valeurs morales de l’orthodoxie, de l’islam, du judaïsme et du bouddhisme, mais aussi d’une culture et d’une langue russes ouvertes à tous.

D’innombrables plans d’invasion de la Russie ont été échafaudés. On a tenté de profiter du temps des troubles du début du XVIIe siècle et des bouleversements qui ont suivi la Révolution de 1917, mais sans succès. Ce n’est qu’à la fin du XXe siècle, lorsque cet État s’est effondré, qu’ils ont finalement réussi à mettre la main sur les richesses de la Russie. Ils nous qualifiaient alors d’amis et de partenaires mais, dans les faits, ils nous traitaient comme une colonie  : des milliers de milliards de dollars ont été siphonnés du pays par toutes sortes de machinations. Nous nous souvenons de tout cela, nous n’avons rien oublié.

Et il y a quelques jours, les habitants de Donetsk et Lougansk, de Kherson et de Zaporojie, se sont exprimés pour restaurer notre unité historique. Merci  ! (Applaudissements.)

Les pays occidentaux clament depuis des siècles qu’ils apportent la liberté et la démocratie aux autres nations. C’est exactement le contraire. Au lieu de la démocratie, ils apportent la répression et l’exploitation  ; au lieu de la liberté, l’asservissement et l’oppression. L’ordre mondial unipolaire est intrinsèquement anti-démocratique et non-libre, menteur et hypocrite de bout en bout.

Les États-Unis sont le seul pays du monde à avoir fait usage par deux fois de l’arme nucléaire, lorsqu’ils ont détruit les villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki. D’ailleurs, en agissant ainsi, ils ont créé un précédent.

Je rappelle que les États-Unis, avec l’aide des Britanniques, ont réduit à l’état de ruines Dresde, Hambourg, Cologne et nombre d’autres villes allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale sans aucune nécessité militaire  : ils l’ont fait ostensiblement et, je le répète, sans aucune nécessité militaire. Leur unique objectif, comme dans le cas des bombardements nucléaires au Japon, était d’intimider notre pays et le reste du monde.

Les États-Unis ont laissé une trace épouvantable dans la mémoire des peuples de Corée et du Vietnam par leurs «  tapis de bombes  » barbares, l’usage du napalm et des armes chimiques.

Aujourd’hui encore, ils occupent encore de facto l’Allemagne, le Japon, la République de Corée et encore d’autres pays, tout en les appelant cyniquement des égaux et des alliés. Écoutez, je me demande bien de quel genre d’alliance il peut s’agir. Le monde entier sait que les dirigeants de ces pays sont espionnés, que leurs chefs d’État sont mis sur écoute non seulement à leur bureau, mais à leur domicile. C’est une véritable honte. Une honte pour ceux qui agissent ainsi et une honte pour ceux qui, comme des esclaves, avalent ces impertinences en silence et servilement.

Ils parlent de solidarité euro-atlantique pour qualifier les ordres, les cris brutaux et insultants qu’ils adressent à leurs vassaux  ; ils parlent de noble recherche médicale pour qualifier le développement d’armes biologiques et les expérimentations sur des sujets vivants, notamment en Ukraine.

Ce sont bien leurs politiques dévastatrices, leurs guerres et leurs pillages qui ont provoqué le considérable essor des flux migratoires actuels. Des millions de personnes endurent les pires privations, les pires abus, et meurent par milliers en essayant de rejoindre l’Europe.

Aujourd’hui, ils exportent du blé d’Ukraine. Où va ce blé, sous le prétexte de «  garantir la sécurité alimentaire des pays les plus pauvres du monde  »  ? Où va-t-il  ? Tout va dans ces mêmes pays d’Europe. Seuls 5 % sont partis dans les pays pauvres. Voilà un nouvel exemple d’escroquerie et de mensonge éhonté.

Dans les faits, l’élite américaine se sert de la tragédie que vivent ces personnes pour affaiblir ses rivaux, pour détruire les États-nations. Cela vaut également pour l’Europe, pour l’identité de pays comme la France, l’Italie, l’Espagne, et d’autres nations à l’histoire multiséculaire.

Washington exige toujours plus de sanctions pour la Russie, et les politiciens européens, dans leur majorité, acceptent docilement. Ils ne saisissent pas bien que les États-Unis, en poussant l’Union Européenne à renoncer entièrement aux ressources russes, notamment énergétiques, sont en réalité en train de provoquer la désindustrialisation de l’Europe et de s’emparer du marché européen. Bien sûr, elles en ont conscience, ces élites européennes, elles en ont conscience mais préfèrent servir les intérêts d’une autre nation. Ce n’est même plus une marque de servilité, mais une véritable trahison de leurs propres peuples. Mais peu importe, c’est leur affaire.

Cependant, les sanctions ne suffisent plus aux Anglo-Saxons. Ils recourent maintenant au sabotage – cela semble incroyable, mais c’est un fait – en faisant sauter les gazoducs internationaux de «  Nord Stream  », qui passent au fond de la mer Baltique, ruinant du même coup l’infrastructure énergétique de l’Europe tout entière. Chacun sait qui en bénéficie. Et, bien sûr, ce sont ceux qui en bénéficient qui en sont responsables.

Le diktat américain est fondé sur la force brute, sur la loi du plus fort. Il est parfois joliment emballé, parfois sans fioriture, mais le fond est le même  : c’est la loi du plus fort. D’où le déploiement et l’entretien de centaines de bases militaires aux quatre coins du monde, l’expansion de l’OTAN et les tentatives de former de nouvelles alliances militaires comme l’AUKUS ou d’autres encore  : c’est ainsi qu’on cherche activement à créer une alliance militaire et politique entre Washington, Séoul et Tokyo. Tous les États qui possèdent ou aspirent à posséder une véritable souveraineté stratégique et qui sont en mesure de contester l’hégémonie occidentale sont automatiquement déclarés ennemis.

C’est sur ces mêmes principes que reposent les doctrines militaires des États-Unis et de l’OTAN, qui exigent une domination absolue. Les élites occidentales présentent leurs plans néocoloniaux d’une manière tout aussi hypocrite, en agitant des prétentions pacifistes, en parlant d’«  endiguement  », et ces mots-clefs sournois se retrouvent d’une stratégie à l’autre alors qu’en réalité ils ne signifient qu’une seule chose  : saper tous les centres de pouvoir souverains.

On nous a ainsi parlé de l’endiguement de la Russie, de la Chine, de l’Iran. J’imagine que d’autres pays d’Asie, d’Amérique Latine, d’Afrique, du Proche-Orient, ainsi que des partenaires et alliés actuels des États-Unis, sont les prochains sur la liste. Nous le savons bien  : lorsque quelque chose leur déplaît, ils sont prêts à imposer des sanctions à leurs propres alliés – tantôt à telle ou telle banque  ; tantôt à telle ou telle entreprise. C’est ainsi qu’ils agissent et qu’ils continueront d’agir. Le monde entier est dans leur ligne de mire, y compris nos voisins les plus proches, les pays de la Communauté des États Indépendants.

Dans le même temps, il est clair que l’Occident prend depuis longtemps ses désirs pour des réalités. En lançant une guerre-éclair de sanctions contre la Russie, ils s’imaginaient qu’ils pourraient une fois de plus mettre le monde entier à leurs pieds. Pourtant, il s’est avéré que cette perspective était loin d’enthousiasmer tout le monde – sauf les masochistes purs et durs et les praticiens d’autres formes non-traditionnelles de relations internationales. La plupart des États refusent ce «  salut au drapeau  » et optent plutôt pour des modalités raisonnables de coopération avec la Russie.

Par cette métaphore de sexualisation agressive des relations internationales, Vladimir Poutine entend une fois de plus dénoncer les identités de genre et les pratiques sexuelles qui ne correspondent pas au spectre de l’orthodoxie la plus traditionnelle.

L’Occident ne s’attendait pas à rencontrer une telle insubordination, tant il est habitué à agir par la force, le chantage, la corruption et l’intimidation, convaincu que ces méthodes fonctionneront toujours – comme s’il étaient figé, fossilisé dans le passé.

Cette confiance en soi est une conséquence directe de l’idée, tristement célèbre, bien qu’elle ne cesse pas d’étonner, de son propre exceptionnalisme, mais aussi de la véritable «  faim d’information  » qui sévit en Occident. Ils ont noyé la vérité dans un océan de mythes, d’illusions et de faux, en pratiquant une propagande extrêmement agressive, en mentant comme Goebbels. Plus le mensonge est gros, plus on y croit – c’est ainsi qu’ils fonctionnent, en suivant ce principe.

Mais on ne peut pas nourrir les populations avec des dollars et des euros imprimés sur des billets de banque. On ne peut pas les nourrir avec du papier-monnaie, on ne peut pas chauffer un foyer avec la capitalisation aussi virtuelle et que surévaluée des réseaux sociaux occidentaux. Tout ce dont je vous parle est de la plus haute importance, mais il faut insister sur ce dernier point. On ne peut nourrir personne avec du papier, il faut de la nourriture  ; ces capitalisations surévaluées ne peuvent chauffer personne, il faut de l’énergie.

C’est pourquoi les dirigeants européens en sont réduits à convaincre leurs concitoyens de manger moins, de se laver moins souvent, de s’habiller plus chaudement à la maison. Et ceux qui commencent à se poser les bonnes questions – «  Pourquoi en serait-il ainsi  ?  » – sont immédiatement déclarés ennemis, extrémistes et radicaux. Ils retournent la situation contre la Russie en disant  : «  Vous voyez, c’est la source de tous nos malheurs  ». Des mensonges, encore une fois.

Je voudrais tout particulièrement souligner qu’il y a toutes les raisons de croire que les élites occidentales n’ont pas l’intention de chercher des solutions constructives à la crise alimentaire et énergétique mondiale qui s’est déclarée par leur propre faute, en conséquence des politiques qu’ils mènent de longue date, bien avant notre opération spéciale en Ukraine, dans le Donbass. Ils n’ont aucune intention de résoudre les problèmes d’injustice et d’inégalité. On peut plutôt craindre qu’ils s’apprêtent à employer d’autres méthodes, qui leur sont plus familières.

Il convient de rappeler ici que l’Occident est sorti des contradictions du début du XXe siècle par la Première Guerre mondiale. Les gains de la Seconde Guerre mondiale ont permis aux États-Unis de surmonter enfin les conséquences de la Grande Dépression et de devenir la première économie mondiale, de soumettre la planète entière à la puissance du dollar en tant que monnaie de réserve globale. C’est largement en s’appropriant les restes et les ressources de l’Union soviétique en déliquescence que l’Occident a surmonté la crise qui s’est aggravée dans les années 1980. C’est un fait.

Désormais, pour sortir de ce nouveau nœud de contradictions, il leur faut à tout prix briser la Russie et les autres États qui choisissent une voie souveraine de développement, afin de piller de nouvelles richesses et de colmater ainsi leurs propres vides. Si cela ne se passe pas ainsi, je n’exclus pas l’idée qu’ils tentent de provoquer l’effondrement total du système pour se dédouaner de leurs responsabilités, ou encore, Dieu nous en garde, qu’ils décident d’employer une formule bien connue  : «  La guerre efface toutes les dettes  ».

La Russie a conscience de sa responsabilité envers la communauté mondiale et fera son possible pour ramener ces têtes brûlées à la raison.

À l’évidence, le modèle néocolonial actuel est condamné à disparaître. Mais, je le répète, ses maîtres réels s’y accrocheront jusqu’à la dernière seconde. Ils n’ont tout simplement rien à proposer au monde, si ce n’est la préservation de ce système de pillage et de racket.

En substance, ils crachent sur le droit naturel de milliards de personnes, la majeure partie de l’humanité, à la liberté et à la justice, ainsi qu’à la détermination de leur propre destinée. Ils en viennent maintenant à nier l’ensemble des normes morales, de la religion et de la famille.

Répondons ensemble à quelques questions très simples. Je veux revenir sur ce point, je veux m’adresser à tous les citoyens de notre pays – pas seulement aux collègues qui sont ici dans le public, mais à tous les citoyens russes – pour leur demander  : est-ce que nous voulons avoir, ici, dans ce pays, en Russie, au lieu d’une mère et d’un père, un «  parent numéro un  » et un «  parent numéro deux  » (ils sont devenus complètement dingues sur ce coup)  ? Est-ce que nous voulons que l’on enseigne dans nos écoles primaires des perversions qui conduisent à la dégradation et à l’extinction  ? Est-ce que nous voulons enseigner aux enfants qu’il n’existe pas que des femmes et des hommes, mais des soi-disant genres et qu’on leur propose des opérations de changement de sexe  ? Est-ce cela que nous voulons pour notre pays et pour nos enfants  ? Tout cela est tout simplement inacceptable pour nous. Nous avons notre propre avenir, et ce n’est pas celui-là.

Je le répète  : la dictature des élites occidentales vise toutes les sociétés, y compris les pays occidentaux eux-mêmes. C’est un défi adressé à tout le monde. Cette négation profonde de l’humanité, cette subversion de la foi et des valeurs traditionnelles, cet écrasement de la liberté prennent les traits d’une «  religion à l’envers  » – d’un satanisme pur et simple. Dans le sermon sur la montagne, Jésus Christ, dénonçant les faux prophètes, dit  : «  C’est dont à leurs fruits que vous les reconnaîtrez  ». Et beaucoup savent bien que ces fruits sont empoisonnés, non seulement chez nous, mais dans tous les pays, y compris en Occident.

Le monde est entré dans une période de transformations fondamentales, révolutionnaires. De nouvelles puissances émergent. Elles représentent la majorité – la majorité  ! – de la communauté mondiale et sont prêtes non seulement à proclamer leurs intérêts, mais à les défendre. Elles voient dans la multipolarité un moyen de renforcer leur souveraineté et ainsi de conquérir la liberté véritable, une perspective historique, leur droit au développement indépendant, créatif, original, à un développement harmonieux.

Dans le monde entier, y compris en Europe et aux États-Unis, comme je l’ai déjà souligné, de nombreuses personnes partagent nos idées et nous ressentons, nous voyons leur soutien. Au sein des pays et des sociétés les plus variés se dessine déjà un mouvement de libération anticolonial contre l’hégémonie unipolaire, et sa force ne fera que croître. C’est cette force qui déterminera le futur des réalités géopolitiques.

Chers amis,

Aujourd’hui, nous combattons pour un futur juste et libre, avant tout pour nous-mêmes, pour la Russie, pour que la dictature et le despotisme deviennent à jamais un souvenir du passé. Ma conviction est que les nations et les peuples comprennent à quel point une politique fondée sur l’exceptionnalisme, sur la suppression des autres cultures et des autres peuples, est fondamentalement criminelle, que cette page honteuse de l’histoire ne demande qu’à être tournée. L’effondrement de l’hégémonie occidentale est en cours. Il est irréversible. Je le répète  : les choses ne seront plus comme avant.

Le champ de bataille sur lequel nous ont convoqués le destin et l’histoire est un champ de bataille pour notre peuple, pour la grande Russie historique. (Applaudissements.) Pour une grande Russie historique, pour les générations futures, pour nos enfants, nos petits-enfants et nos arrière-petits-enfants. Nous devons les préserver de l’asservissement, des expérimentations monstrueuses qui veulent estropier leurs consciences et leurs âmes.

Aujourd’hui, nous combattons pour que personne ne pense plus jamais que la Russie, notre peuple, notre langue, notre culture, puissent être rayés de l’histoire. Aujourd’hui, nous devons consolider notre société et cette solidarité ne pourra reposer que sur la souveraineté, la liberté, la création et la justice. Nos valeurs sont l’humanité, la miséricorde et la compassion.

Et je voudrais conclure cette allocution sur les mots d’un véritable patriote, Ivan Aleksandrovič Il’in  : «  Si je considère la Russie comme ma patrie, cela signifie que j’aime, que je contemple et que je pense comme un Russe, que je chante et que je parle comme un Russe  ; que je crois aux forces spirituelles du peuple russe. Son esprit est mon esprit  ; sa destinée est ma destinée  ; sa souffrance est ma souffrance  ; sa prospérité est ma joie  ».

Sans être originale, sa citation d’un extrait ampoulé d’Ivan Ilyin, émigré russe de l’entre-deux-guerres aux idées antisémites, attiré par le fascisme et la révolution conservatrice, confirme, s’il en était besoin, l’orientation résolument réactionnaire du discours.

Dans ces mots, on retrouve le grand chemin spirituel que de nombreuses générations de nos ancêtres ont emprunté pendant plus d’un millénaire d’existence de l’État russe. Aujourd’hui, c’est nous qui empruntons ce chemin, ce sont les habitants des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, des districts de Zaporojie et de Kherson qui ont fait ce choix. Ils ont pris la décision de vivre avec leur propre peuple, avec leur patrie, de s’associer à son destin et de vaincre avec elle.

La victoire est avec nous, la Russie est avec nous  !

COMPLEMENT:

La guerre mondiale de Poutine

Le discours de Vladimir Poutine du vendredi 30 septembre inaugure une nouvelle phase du conflit. Fidèle à sa stratégie de la « désescalade par l’escalade », la Russie annexe des territoires, étend le domaine de la guerre et précise les termes de sa menace. Il faut le lire attentivement pour comprendre comment Poutine entend transformer la guerre régionale qu’il a déclenchée en conflit mondial.

Guillaume Lancereau

Le Grand Continent

01.10.2022

Comme on pouvait le redouter, Vladimir Poutine a annoncé ce vendredi 30 septembre l’incorporation à la Fédération de Russie de quatre régions ukrainiennes : celles de Donetsk et de Lougansk, ainsi que les districts de Kherson et Zaporojie. Tout l’annonçait : la veille encore, dans la nuit, le président russe avait reconnu la souveraineté et l’indépendance des régions de Kherson et Zaporojie, les arrachant ainsi à l’Ukraine pour mieux les enchaîner à la Russie.

Comme cela avait été le cas en 2014, lorsque Vladimir Poutine avait voulu officialiser l’annexion de la Crimée, la mise en scène de cette nouvelle proclamation a eu lieu, entre décorum d’État et simulacre de légalité, dans le salon Georgievskij du Kremlin, devant un parterre de députés, de ministres et de représentants religieux. Ce public a pu suivre le long discours du président russe, dont nous proposons ci-dessous la première traduction intégrale en français, encadré par quatre drapeaux de la Fédération de Russie à sa gauche et, à sa droite, par les quatre drapeaux des territoires ukrainiens concernés. Au terme de ce discours, l’accord a été signé, à la suite de Vladimir Poutine, par des « représentants » de ces quatre territoires  : Vladimir Sal’do et Evgenij Balickij pour Kherson et Zaporojie  ; Denis Pušilin et Leonid Pasečnik pour les républiques populaires autoproclamées de Donetsk et Lougansk.

Cette journée a inauguré une nouvelle phase du conflit. Après les annonces de Vladimir Poutine, l’horizon qui se découvre est celui d’une nouvelle escalade, dont le seul résultat certain est l’incertitude. Pour en saisir les enjeux essentiels, il faut tenir compte avant tout de la récente contre-attaque ukrainienne, à laquelle la Russie s’est révélée incapable d’opposer les ressources et les forces nécessaires. La récente mobilisation, qui n’a de «  partielle  » que le nom, a été décidée bien après celle de l’Ukraine qui a, elle, mobilisé officiellement dès le 23 février, mais en réalité dès le mois de décembre 2021. Cette mobilisation russe ne saurait, de surcroît, produire des effets décisifs à court terme, vu l’incompressibilité des délais de formation d’une partie des recrues. Pour sortir de cette impasse, le pouvoir russe s’est, semble-t-il, inspiré des réflexions des stratèges soviétiques et russes qui, depuis les années 1980, ont développé une véritable doctrine de la dissuasion1. Cette doctrine conçue pour lutter contre un ennemi plus puissant et mieux armé a acquis une actualité renouvelée désormais que la Russie se considère en conflit, non avec la seule Ukraine, mais avec les États-Unis et l’OTAN. Dans un contexte militaire de ce type, cette logique prescrit de cibler moins la capacité militaire de l’ennemi que sa volonté même de poursuivre le combat. Sachant que les forces russes ne vaincront pas sur le terrain, il ne leur reste qu’à passer l’envie à l’adversaire de continuer la lutte, afin d’arracher, sinon la victoire, du moins une paix dans des conditions favorables.

Dès lors, la surenchère est l’arme de choix du pouvoir russe. En proclamant l’annexion de Donetsk, Kherson, Lougansk et Zaporojie, celui-ci se donne les moyens de considérer toute opération militaire sur ces territoires comme une atteinte à la souveraineté de la Fédération de Russie – quoi qu’en disent les puissances étrangères, le Conseil de sécurité de l’ONU ou le droit international. Or Vladimir Poutine a promis de défendre cette souveraineté du territoire russe par tous les moyens possibles. L’une des conditions de possibilité de sa stratégie de surenchère était, est et restera la menace nucléaire. L’ancienne chancelière allemande Angela Merkel, dans une interview au Süddeutsche Zeitung, a récemment exhorté les Européens à prendre au sérieux le chantage nucléaire de Vladimir Poutine. Les États-Unis ne signalent pas autre chose lorsque leurs services de renseignement renforcent la surveillance des mouvements ou communications militaires qui pourraient trahir les préparatifs d’une frappe nucléaire sur le territoire ukrainien, en confessant eux-mêmes que l’armée états-unienne n’en aurait sans doute connaissance que trop tard2.

De fait, la doctrine russe de la «  désescalade par l’escalade  » (ėskalacija dlja deėskalacii) nucléaire est au point depuis des années. Dans son discours du 21 septembre, le président russe prévenait qu’il n’excluait pas l’usage de l’arme nucléaire si « la souveraineté, la sécurité et l’intégrité territoriale » de la Russie étaient en péril. Le lendemain, Dmitrij Medvedev, vice-président du Conseil de sécurité russe, précisait à son tour que « tous les types d’armes russes, y compris les armes nucléaires stratégiques », pouvaient être mis en œuvre pour défendre le territoire de la Russie et ceux qu’elle annexerait au lendemain des référendums. Aujourd’hui encore, la menace nucléaire était encore présente en trame de fond, lorsque Vladimir Poutine évoque les « précédents » posés par l’Occident lui-même à Hiroshima et Nagasaki. Notons cependant que le régime russe envisage d’autres moyens de pression. Parmi les menaces que laisse planer son discours, il faut souligner celle d’une coupure totale des livraisons de gaz. La volonté d’intimider est claire, lorsque le président russe souligne que les billets de banque et les capitalisations boursières ne nourrissent pas les populations ni ne chauffent leurs foyers  : le risque d’un hiver terrible, énergétiquement et économiquement, se précise.

Tout l’enjeu consiste désormais à savoir quelles seront les conséquences de ce discours, à la suite duquel Volodymyr Zelensky a annoncé la demande officielle d’adhésion accélérée de l’Ukraine à l’OTAN.

Citoyens de Russie, citoyens des républiques populaires de Donetsk et Lougansk, habitants des districts de Zaporojie et Kherson, députés de la Douma d’État, sénateurs de la Fédération de Russie,

Comme vous le savez, des référendums ont eu lieu dans les républiques populaires de Donetsk et Lougansk ainsi que dans les districts de Zaporojie et Kherson. Les bulletins ont été décomptés, les résultats ont été annoncés. Le peuple a fait son choix, un choix univoque.

Nous signons aujourd’hui les accords relatifs à l’admission de la République populaire de Donetsk, de la République populaire de Lougansk, du district de Zaporojie et du district de Kherson au sein de la Fédération de Russie. Je suis certain que l’Assemblée fédérale confirmera les lois constitutionnelles sur l’intégration et la formation en Russie de quatre nouvelles régions, quatre nouvelles entités de la Fédération de Russie, parce que telle est la volonté de millions de personnes. (Applaudissements.)

Cette annonce est le résultat d’un processus complexe et longtemps incertain. Depuis des mois, le pouvoir russe s’est efforcé de s’ancrer administrativement dans ces régions occupées. D’après une enquête du média Proekt, les citoyens russes représentent 92 % des 36 personnes nommées dans les gouvernements de ces quatre régions depuis l’occupation. On compte ainsi 20 % de Russes parmi les dirigeants de la République populaire autoproclamée de Lougansk, 40 % chez ceux de Donetsk, jusqu’à 75 % du gouvernement du district de Kherson et 100 % de celui de Zaporojie3. Malgré tout, au cours de ces derniers mois, les autorités russes semblent avoir hésité à organiser les référendums qu’elles voulaient originellement planifier en avril, puis en mai, avant de les reporter à septembre, novembre, et enfin «  indéfiniment  ».

 Soudainement, en l’espace de quelques jours, tout s’est accéléré ces dernières semaines. Ce qui ne devait plus être qu’un horizon lointain est devenu un impératif de toute urgence. Aussi les référendums ont-ils commencé le vendredi 23 septembre dans ces régions qui représentent environ 15 % de l’ensemble du territoire ukrainien et plus de 6 millions d’habitants avant la guerre. Les observateurs internationaux ignorent le nombre réel de votants, d’autant plus que certaines zones ont été tout à fait dépeuplées. Selon le maire de Melitopol’ Ivan Fëdorov, il ne reste plus aujourd’hui que 60 000 des 150 000 habitants que comptait sa ville au début de l’année. On connaît par ailleurs l’exemple frappant de ce village de Novotoškovskoe, à soixante kilomètres de Lougansk, où il ne restait plus, en ce mois de septembre, que dix habitants sur les 2 000 personnes qui y résidaient avant la guerre4.

Sans aucun doute, c’est là leur droit, leur droit inaliénable, inscrit dans l’article premier de la Charte des Nations Unies, qui énonce explicitement le principe de l’égalité des droits et de l’autodétermination des peuples.

Je le répète  : il s’agit d’un droit inaliénable des peuples. Ce droit se fonde sur l’unité historique qui a porté à la victoire des générations entières de nos prédécesseurs, ceux qui édifié et défendu la Russie durant de nombreux siècles, depuis les origines de l’ancienne Rus’.

C’est ici, en Novorossija, qu’ont lutté Rumjancev, Suvorov et Ušakov. C’est ici que Catherine II et Potëmkin ont fondé de nouvelles villes. C’est ici que nos grands-pères et arrière-grands-pères se sont battus jusqu’à la mort pendant la Seconde Guerre mondiale.

Les trois noms énumérés sont ceux d’un maréchal, d’un généralissime et d’un amiral au service de l’Empire Russe entre le milieu du XVIIIe et le début du XIXe siècle.

Nous n’oublierons jamais les héros du «  Printemps Russe  », ceux qui ont refusé le coup d’État néonazi dans l’Ukraine de 2014, ceux qui ont perdu la vie pour le droit de parler leur langue, de conserver leur culture, leurs traditions, leur foi, pour le droit même de vivre. Nous n’oublierons jamais les combattants du Donbass, les martyrs de la «  Khatyn d’Odessa  », les victimes des attentats inhumains orchestrés par le régime de Kiev. Nous commémorons les volontaires et les miliciens, les civils, les enfants, les femmes, les vieillards, les Russes, les Ukrainiens, des gens des nationalités les plus diverses  : à Donetsk, le meneur d’hommes Aleksandr Zakharčenko  ; les commandants militaires Arsen Pavlov et Vladimir Žoga, Ol’ga Kočura et Aleksei Mozgovoj  ; le procureur de la République de Lougansk Sergej Gorenko  ; le parachutiste Nurmagomed Gadžimagomedov et tous les soldats et les officiers qui sont morts de la mort des braves pendant l’opération militaire spéciale. Ce sont des héros. (Applaudissements) Les héros de la Grande Russie. Je vous demande d’observer une minute de silence en leur mémoire.

(Minute de silence)

Le président russe fait ici une double référence  : aux massacres de Khatyn commis par les nazis en Biélorussie en 1943 et au drame de l’incendie de la Maison des Syndicats à Odessa en 2014. Par ce rapprochement, il s’agit pour Vladimir Poutine, comme à son habitude, de dénoncer le régime de Kiev comme le successeur des massacreurs nazis.

Merci.

Derrière ce choix de millions d’habitants des Républiques populaires de Donetsk et Lougansk, des districts de Zaporojie et Kherson, se lisent à la fois notre futur commun et notre histoire millénaire. Les populations ont transmis ce lien spirituel à leurs enfants et leurs petits-enfants. Malgré toutes les épreuves, ils ont transmis leur amour de la Russie à travers les âges. Personne ne pourra détruire ce sentiment qui nous habite. C’est la raison pour laquelle les anciennes générations et les plus jeunes, ceux qui sont nés après l’effondrement tragique de l’URSS, ont voté d’une seule voix pour notre unité, pour notre avenir commun.

En 1991, à Belovežskaja Pušča, sans aucune considération pour la volonté des citoyens ordinaires, les représentants de l’élite du parti de l’époque ont pris la décision de dissoudre l’URSS. Du jour au lendemain, les gens se sont retrouvés arrachés à leur patrie. Notre communauté nationale a été déchirée, démantelée à vif, ce qui s’est soldé par une catastrophe nationale. Tout comme les gouvernements avaient, en coulisse, délimité les frontières des républiques soviétiques après la Révolution de 1917, les derniers dirigeants de l’Union Soviétique ont déchiré notre grand pays, ont placé le peuple devant le fait accompli, au mépris du souhait exprimé par la majorité lors du référendum de 1991.

J’imagine qu’ils n’ont pas eu entièrement conscience de ce qu’ils étaient en train de faire et des conséquences qu’auraient inévitablement leurs actions. Mais cela n’a plus d’importance. Il n’y a plus d’Union soviétique et on ne fera pas revivre le passé. Ce n’est pas ce dont la Russie a besoin aujourd’hui, ce n’est pas ce à quoi nous aspirons. Mais il n’y a rien de plus fort que la détermination de millions de personnes qui, par leur culture, leur foi, leurs traditions, leur langue, se sentent faire partie de la Russie et dont les ancêtres ont vécu durant des siècles au sein d’un même État. Il n’y a rien de plus puissant que leur résolution à retrouver leur véritable patrie historique.

Pendant huit longues années, les habitants du Donbass ont été soumis au génocide, aux bombardements, au blocus. À Kherson et Zaporojie, une politique criminelle a tout fait pour diffuser la haine de la Russie et de tout ce qui est russe. Désormais, y compris pendant les référendums, le régime de Kiev a menacé de représailles et de mort les enseignants et les femmes qui officiaient dans les commissions électorales, intimidant des millions de personnes venues exprimer leur volonté. Mais le peuple irréductible du Donbass, de Zaporojie et de Kherson s’est prononcé.

Je veux que les autorités de Kiev et leurs véritables suzerains occidentaux m’entendent et se souviennent de ceci  : les habitants de Lougansk et de Donetsk, de Kherson et de Zaporojie, sont devenus nos concitoyens, à jamais. (Applaudissements.)

Ces pseudo-consultations se sont déroulées dans les conditions les plus suspectes. Des adolescents âgés de 13 à 17 ans ont été appelés à s’exprimer  ; des votants ont été forcées à signer pour des parents éloignés  ; des citoyens ont dû voter par peur de perdre leur emploi ou sous la pression de membres des commissions électorales qui se présentaient à leur domicile accompagnés d’une escorte en armes. D’autre part, une portion variable de la population masculine s’est gardée d’aller voter, craignant que l’on s’empare de cette occasion pour les envoyer au combat en première ligne.

Quoi qu’il en soit, ce mardi 27 septembre ont été révélés à Moscou les résultats de cette consultation à valeur d’affligeant plébiscite, dont les chiffres viennent plus assurément d’un dossier élaboré au Kremlin que d’un décompte réel des voix. Le «  oui  » vainc sans péril, dans des proportions comprises entre 87 % dans le district de Kherson et 99 % dans la République populaire (autoproclamée) de Donetsk. Ils ont été immédiatement suivis d’une série d’annonces. Du côté des dirigeants des républiques populaires du Donbass, Denis Pušilin a averti que cette intégration de Donetsk à la Fédération de Russie inaugurait «  une nouvelle étape dans la conduite des hostilités  ». Leonid Pasečnik, pour sa part, a prononcé une allocution télévisuelle dans laquelle il demandait au président Vladimir Poutine de prendre acte du rattachement de la République populaire de Lougansk à la Russie et soulignait «  les liens historique, culturels et spirituels avec le peuple multinational de la Fédération de Russie  ».

Nous appelons le régime de Kiev à un cessez-le-feu immédiat, à mettre fin à cette guerre qu’il a déclenchée en 2014 et à revenir à la table des négociations. Nous y sommes prêts, comme nous l’avons signalé à de nombreuses reprises. En revanche, la décision des peuples de Donetsk, Lougansk, Zaporojie et Kherson n’est pas discutable. Leur décision a été prise et la Russie ne la trahira pas. (Applaudissements.) Les autorités actuelles de Kiev doivent traiter cette libre expression de la volonté d’un peuple avec respect, et pas autrement. C’est le seul chemin possible vers la paix.

Nous défendrons notre terre avec toutes nos forces et par tous les moyens à notre disposition. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour garantir la sécurité de nos concitoyens. Telle est la grande mission libératrice de notre nation.

Nous nous engageons à reconstruire les villes et les villages détruits, les logements, les écoles, les hôpitaux, les théâtres et les musées, à restaurer et développer les entreprises industrielles, les usines, les infrastructures, les systèmes de protection sociale, de retraite, de santé et d’éducation.

Nous allons bien sûr travailler au renforcement de la sécurité. Ensemble, nous veillerons à ce que les citoyens des nouvelles régions russes se sentent soutenus par l’ensemble du peuple russe, par l’intégralité du pays, des républiques, des provinces et des districts de notre vaste patrie (Applaudissements.)

Chers amis, chers collègues,

Je veux m’adresser aujourd’hui aux soldats et aux officiers qui participent à l’opération militaire spéciale, aux combattants du Donbass et de Novorossija, à tous ceux qui, après le décret de mobilisation partielle, ont rejoint les rangs de nos forces armées, accomplissant ainsi leur devoir patriotique, tous ceux qui répondent aux injonctions de leur cœur et se rendent aux bureaux de recrutement militaire. Je veux m’adresser à eux, à leur famille, à leurs épouses et à leurs enfants pour leur dire contre qui, contre quel genre d’ennemi notre peuple se bat, pour leur dire qui précipite le monde dans de nouvelles guerres et de nouvelles crises, retirant un profit sanglant de toute cette tragédie.

Nos compatriotes, nos frères et nos sœurs d’Ukraine, cette partie intégrante de notre nation unie, ont vu de leurs propres yeux le sort que les sphères dirigeantes du soi-disant Occident réservent à l’humanité entière. Ici, elles ont enfin tombé les masques et révélé leur vraie nature.

Contrairement à ce que l’on pouvait en attendre, Vladimir Poutine n’a consacré que quelques minutes de son nouveau discours-fleuve à la question de la guerre en Ukraine. L’essentiel de son propos s’est en réalité concentré sur une mise en procès agressive et caricaturale de l’«  Occident collectif  », aux accents tiers-mondistes tout droit venus des années 1960-1970. Ce qui devait être une cérémonie à caractère politique et stratégique s’est ainsi transformé en improbable leçon d’histoire, voire de théologie, qui a laissé pantois la plupart de celles et ceux qui le commentaient en direct. Tout en se défendant de vouloir faire revivre l’Union soviétique, tel est bien l’exercice rhétorique auquel s’emploie Vladimir Poutine, en évoquant la «  tragédie  » de son démantèlement et en dépeignant l’Occident comme une puissance obscure et manipulatrice, usant de la ruse et de l’argent pour imposer son hégémonie sur toute la surface du globe sous la forme du néocolonialisme le plus brutal.

Après la chute de l’Union soviétique, l’Occident a décidé que le monde entier, que chacun de nous devait supporter à jamais ses diktats. En 1991, l’Occident s’imaginait que la Russie ne se relèverait jamais de ces bouleversements et s’effondrerait d’elle-même. Ils y ont presque réussi. Nous gardons en mémoire les années 1990, ces années terribles, de faim, de froid et de désespoir. Mais la Russie a survécu. Elle renaît, se renforce, réclame à nouveau la place qui lui revient dans le monde.

Pendant ce temps, l’Occident a continué de rechercher de nouvelles occasions de nous frapper, d’affaiblir et d’écraser la Russie, comme il a toujours rêvé de le faire, de fragmenter notre État, de dresser nos peuples les uns contre les autres, de les condamner à la misère et à l’extinction. Ils ne seront pas en paix tant qu’il existera un pays si grand, si considérable, avec son territoire, ses richesses naturelles, ses ressources, son peuple qui ne sait pas et ne saura jamais vivre sous les ordres de quelqu’un d’autre.

L’Occident est prêt à tout pour conserver ce système néocolonial qui lui permet de parasiter, de dépouiller le monde grâce à la puissance du dollar et de la technologie, de percevoir un véritable tribut de l’humanité tout entière, de jouir de la principale source de richesse indue  : la rente de l’hégémon. La préservation de cette rente est leur principale motivation, leur motivation réelle, fruit de la pure avidité. C’est la raison pour laquelle ils ont intérêt à la dé-souverainisation systématique. Ainsi s’expliquent leurs agressions d’États indépendants, de valeurs traditionnelles et de cultures authentiques, leurs tentatives de saper les processus internationaux et interrégionaux, les nouvelles monnaies globales et les nouveaux pôles de développement technologique qui échappent à leur contrôle. Il est capital pour eux que tous les États abandonnent leur souveraineté au profit des États-Unis.

Dans certains États, les élites dirigeantes acceptent délibérément de s’y plier, de se laisser vassaliser  ; d’autres y sont réduites par la corruption ou l’intimidation. En cas d’échec, elles n’hésitent pas à détruire des États entiers, ne laissant derrière eux que des catastrophes humanitaires, des désastres, des ruines, des millions de destins humains détruits ou mutilés, des enclaves terroristes, des zones socialement dévastées, des protectorats, des colonies ou des semi-colonies. Peu leur importe, tant qu’ils en retirent du profit.

Je veux souligner une fois encore que ce sont leur cupidité insatiable et leur désir de maintenir leur pouvoir illimité qui sont la véritable raison de cette guerre hybride que l’«  Occident collectif  » mène contre la Russie. Ils ne veulent pas nous voir libres  ; ils rêvent que nous soyons une colonie. Ils ne veulent pas collaborer sur un pied d’égalité  ; ils rêvent de pillage. Ils ne veulent pas que nous soyons une société libre, mais une foule d’esclaves sans âme.

Ils voient notre pensée et notre philosophie comme une menace directe  : c’est pourquoi ils s’en prennent à nos philosophes. Ils pensent que notre culture et notre art représentent un péril pour eux  : c’est pourquoi ils s’efforcent de les interdire. Notre développement et notre prospérité les menacent également, parce que la concurrence s’intensifie. Ils n’ont pas besoin de la Russie, c’est nous qui en avons besoin. (Applaudissements.)

Je tiens à rappeler que, par le passé, les rêves de domination mondiale ont été brisés plus d’une foi par le courage et la résilience de notre peuple. La Russie sera toujours la Russie. Nous défendrons toujours nos valeurs et notre patrie.

L’Occident mise sur son impunité, sur sa capacité à tout se permettre. De fait, tel a été le cas jusqu’à présent. Les accords de sécurité stratégique ont filé droit à la poubelle  ; les conventions conclues au plus haut niveau politique ont été déclarées fictives  ; les promesses les plus fermes de ne pas étendre l’OTAN vers l’Est, arrachées fut un temps par nos anciens dirigeants, se sont révélées un mensonge immonde  ; les traités sur les forces nucléaires à portée intermédiaire ont été unilatéralement abrogés sous des prétextes fantaisistes.

Mais de tous les côtés, on n’entend que  : «  L’Occident incarne l’état de droit, fondé sur des règles  ». D’où viennent-elles  ? Qui en a jamais vu la couleur  ? Qui y a consenti  ? Écoutez, ce ne sont que des absurdités, un mensonge absolu, des doubles ou des triples standards. Ils doivent nous prendre pour des imbéciles.

La Russie est une grande puissance millénaire, un pays-civilisation qui ne vivra jamais sous le joug de ces règles truquées, faussées.

C’est bien le soi-disant Occident qui a piétiné le principe de l’inviolabilité des frontières et qui décide maintenant, selon son bon vouloir, qui a le droit à l’autodétermination et qui ne l’a pas, qui en est digne et qui ne l’est pas. On ignore à quel titre ils agissent ainsi, qui leur en a donné le droit, sinon eux-mêmes.

C’est pourquoi le choix des habitants de Crimée, de Sébastopol, de Donetsk, de Lougansk, de Zaporojie et de Kherson les rend fous de rage. L’Occident n’a aucun droit moral à distribuer les bons points, ni à prononcer le moindre mot sur la liberté de la démocratie. Ils ne l’a pas et il ne l’a jamais eu.

Les élites occidentales ne se contentent pas de nier souveraineté des nations et le droit international. Leur hégémonie présente clairement les traits d’un totalitarisme, d’un despotisme, d’un apartheid. Avec insolence, ils divisent le monde entre, d’un côté, leurs vassaux, les pays soi-disant civilisés, et de l’autre le reste de la planète, ceux que des racistes occidentaux voudraient inscrire sur la liste des barbares et des sauvages. Des étiquettes mensongères comme «  État voyou  » ou «  régime autoritaire  » sont assignées pour stigmatiser des peuples et des États entiers, ce qui n’est pas nouveau. Il n’y a rien de nouveau là-dedans, parce que les élites occidentales sont restées ce qu’elles étaient  : colonialistes. Elles discriminent et divisent les peuples entre la «  première classe  » et «  le reste  ».

Nous n’avons jamais souscrit et ne souscrirons jamais à ces formes de nationalisme politique et de racisme. Est-ce autre chose que du racisme qui, sous la forme de la russophobie, se répand aujourd’hui dans le monde entier  ? Que peut bien être, sinon du racisme, cette conviction inébranlable de l’Occident que sa civilisation et sa culture néolibérale sont le modèle indépassable pour le reste du monde  ? «  Qui n’est pas avec nous est contre nous  ». Ça sonne même étrangement.

Il n’est pas jusqu’à la responsabilité de leurs propres crimes historiques que les élites occidentales rejettent sur les autres, exigeant à la fois de leurs citoyens et des autres peuples qu’ils se repentent de ce à quoi ils n’ont jamais contribué, par exemple, la période des conquêtes coloniales.

Il est bon de rappeler à l’Occident qu’il a commencé sa politique coloniale dès l’époque du Moyen Âge, avant que se développe la traite mondiale des esclaves, le génocide des tribus indiennes en Amérique, le pillage de l’Inde, de l’Afrique, les guerres de l’Angleterre et de la France contre la Chine, qui l’ont obligée à ouvrir ses ports au commerce de l’opium. Ce qu’ils ont fait, c’était de rendre des peuples entiers accros aux drogues, d’exterminer délibérément des groupes ethniques entiers pour leurs terres et leurs ressources, de pratiquer une véritable chasse à l’homme, comme on chasse des bêtes. Tout cela est contraire à la nature même de l’humain, à la vérité, à la liberté et à la justice.

Pour notre part, nous sommes fiers qu’au XXe siècle, ce soit précisément notre pays qui ait pris la tête du mouvement anticolonial, lequel a offert à de nombreux peuples du monde la possibilité de se développer, de réduire la misère et les inégalités, de vaincre la faim et les maladies.

Je tiens à souligner que l’un des motifs de la russophobie pluriséculaire, de l’évidente animosité de ces élites occidentales vis-à-vis de la Russie, vient justement du fait que nous ayons refusé de nous laisser dépouiller à l’époque de la conquête coloniale et que nous ayons forcé les Européens à commercer avec nous pour notre bénéfice mutuel. Nous y sommes parvenus grâce à la création en Russie d’un État centralisé, qui s’est développé et consolidé à partir des hautes valeurs morales de l’orthodoxie, de l’islam, du judaïsme et du bouddhisme, mais aussi d’une culture et d’une langue russes ouvertes à tous.

D’innombrables plans d’invasion de la Russie ont été échafaudés. On a tenté de profiter du temps des troubles du début du XVIIe siècle et des bouleversements qui ont suivi la Révolution de 1917, mais sans succès. Ce n’est qu’à la fin du XXe siècle, lorsque cet État s’est effondré, qu’ils ont finalement réussi à mettre la main sur les richesses de la Russie. Ils nous qualifiaient alors d’amis et de partenaires mais, dans les faits, ils nous traitaient comme une colonie  : des milliers de milliards de dollars ont été siphonnés du pays par toutes sortes de machinations. Nous nous souvenons de tout cela, nous n’avons rien oublié.

Et il y a quelques jours, les habitants de Donetsk et Lougansk, de Kherson et de Zaporojie, se sont exprimés pour restaurer notre unité historique. Merci  ! (Applaudissements.)

Les pays occidentaux clament depuis des siècles qu’ils apportent la liberté et la démocratie aux autres nations. C’est exactement le contraire. Au lieu de la démocratie, ils apportent la répression et l’exploitation  ; au lieu de la liberté, l’asservissement et l’oppression. L’ordre mondial unipolaire est intrinsèquement anti-démocratique et non-libre, menteur et hypocrite de bout en bout.

Les États-Unis sont le seul pays du monde à avoir fait usage par deux fois de l’arme nucléaire, lorsqu’ils ont détruit les villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki. D’ailleurs, en agissant ainsi, ils ont créé un précédent.

Je rappelle que les États-Unis, avec l’aide des Britanniques, ont réduit à l’état de ruines Dresde, Hambourg, Cologne et nombre d’autres villes allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale sans aucune nécessité militaire  : ils l’ont fait ostensiblement et, je le répète, sans aucune nécessité militaire. Leur unique objectif, comme dans le cas des bombardements nucléaires au Japon, était d’intimider notre pays et le reste du monde.

Les États-Unis ont laissé une trace épouvantable dans la mémoire des peuples de Corée et du Vietnam par leurs «  tapis de bombes  » barbares, l’usage du napalm et des armes chimiques.

Aujourd’hui encore, ils occupent encore de facto l’Allemagne, le Japon, la République de Corée et encore d’autres pays, tout en les appelant cyniquement des égaux et des alliés. Écoutez, je me demande bien de quel genre d’alliance il peut s’agir. Le monde entier sait que les dirigeants de ces pays sont espionnés, que leurs chefs d’État sont mis sur écoute non seulement à leur bureau, mais à leur domicile. C’est une véritable honte. Une honte pour ceux qui agissent ainsi et une honte pour ceux qui, comme des esclaves, avalent ces impertinences en silence et servilement.

Ils parlent de solidarité euro-atlantique pour qualifier les ordres, les cris brutaux et insultants qu’ils adressent à leurs vassaux  ; ils parlent de noble recherche médicale pour qualifier le développement d’armes biologiques et les expérimentations sur des sujets vivants, notamment en Ukraine.

Ce sont bien leurs politiques dévastatrices, leurs guerres et leurs pillages qui ont provoqué le considérable essor des flux migratoires actuels. Des millions de personnes endurent les pires privations, les pires abus, et meurent par milliers en essayant de rejoindre l’Europe.

Aujourd’hui, ils exportent du blé d’Ukraine. Où va ce blé, sous le prétexte de «  garantir la sécurité alimentaire des pays les plus pauvres du monde  »  ? Où va-t-il  ? Tout va dans ces mêmes pays d’Europe. Seuls 5 % sont partis dans les pays pauvres. Voilà un nouvel exemple d’escroquerie et de mensonge éhonté.

Dans les faits, l’élite américaine se sert de la tragédie que vivent ces personnes pour affaiblir ses rivaux, pour détruire les États-nations. Cela vaut également pour l’Europe, pour l’identité de pays comme la France, l’Italie, l’Espagne, et d’autres nations à l’histoire multiséculaire.

Washington exige toujours plus de sanctions pour la Russie, et les politiciens européens, dans leur majorité, acceptent docilement. Ils ne saisissent pas bien que les États-Unis, en poussant l’Union Européenne à renoncer entièrement aux ressources russes, notamment énergétiques, sont en réalité en train de provoquer la désindustrialisation de l’Europe et de s’emparer du marché européen. Bien sûr, elles en ont conscience, ces élites européennes, elles en ont conscience mais préfèrent servir les intérêts d’une autre nation. Ce n’est même plus une marque de servilité, mais une véritable trahison de leurs propres peuples. Mais peu importe, c’est leur affaire.

Cependant, les sanctions ne suffisent plus aux Anglo-Saxons. Ils recourent maintenant au sabotage – cela semble incroyable, mais c’est un fait – en faisant sauter les gazoducs internationaux de «  Nord Stream  », qui passent au fond de la mer Baltique, ruinant du même coup l’infrastructure énergétique de l’Europe tout entière. Chacun sait qui en bénéficie. Et, bien sûr, ce sont ceux qui en bénéficient qui en sont responsables.

Le diktat américain est fondé sur la force brute, sur la loi du plus fort. Il est parfois joliment emballé, parfois sans fioriture, mais le fond est le même  : c’est la loi du plus fort. D’où le déploiement et l’entretien de centaines de bases militaires aux quatre coins du monde, l’expansion de l’OTAN et les tentatives de former de nouvelles alliances militaires comme l’AUKUS ou d’autres encore  : c’est ainsi qu’on cherche activement à créer une alliance militaire et politique entre Washington, Séoul et Tokyo. Tous les États qui possèdent ou aspirent à posséder une véritable souveraineté stratégique et qui sont en mesure de contester l’hégémonie occidentale sont automatiquement déclarés ennemis.

C’est sur ces mêmes principes que reposent les doctrines militaires des États-Unis et de l’OTAN, qui exigent une domination absolue. Les élites occidentales présentent leurs plans néocoloniaux d’une manière tout aussi hypocrite, en agitant des prétentions pacifistes, en parlant d’«  endiguement  », et ces mots-clefs sournois se retrouvent d’une stratégie à l’autre alors qu’en réalité ils ne signifient qu’une seule chose  : saper tous les centres de pouvoir souverains.

On nous a ainsi parlé de l’endiguement de la Russie, de la Chine, de l’Iran. J’imagine que d’autres pays d’Asie, d’Amérique Latine, d’Afrique, du Proche-Orient, ainsi que des partenaires et alliés actuels des États-Unis, sont les prochains sur la liste. Nous le savons bien  : lorsque quelque chose leur déplaît, ils sont prêts à imposer des sanctions à leurs propres alliés – tantôt à telle ou telle banque  ; tantôt à telle ou telle entreprise. C’est ainsi qu’ils agissent et qu’ils continueront d’agir. Le monde entier est dans leur ligne de mire, y compris nos voisins les plus proches, les pays de la Communauté des États Indépendants.

Dans le même temps, il est clair que l’Occident prend depuis longtemps ses désirs pour des réalités. En lançant une guerre-éclair de sanctions contre la Russie, ils s’imaginaient qu’ils pourraient une fois de plus mettre le monde entier à leurs pieds. Pourtant, il s’est avéré que cette perspective était loin d’enthousiasmer tout le monde – sauf les masochistes purs et durs et les praticiens d’autres formes non-traditionnelles de relations internationales. La plupart des États refusent ce «  salut au drapeau  » et optent plutôt pour des modalités raisonnables de coopération avec la Russie.

Par cette métaphore de sexualisation agressive des relations internationales, Vladimir Poutine entend une fois de plus dénoncer les identités de genre et les pratiques sexuelles qui ne correspondent pas au spectre de l’orthodoxie la plus traditionnelle.

L’Occident ne s’attendait pas à rencontrer une telle insubordination, tant il est habitué à agir par la force, le chantage, la corruption et l’intimidation, convaincu que ces méthodes fonctionneront toujours – comme s’il étaient figé, fossilisé dans le passé.

Cette confiance en soi est une conséquence directe de l’idée, tristement célèbre, bien qu’elle ne cesse pas d’étonner, de son propre exceptionnalisme, mais aussi de la véritable «  faim d’information  » qui sévit en Occident. Ils ont noyé la vérité dans un océan de mythes, d’illusions et de faux, en pratiquant une propagande extrêmement agressive, en mentant comme Goebbels. Plus le mensonge est gros, plus on y croit – c’est ainsi qu’ils fonctionnent, en suivant ce principe.

Mais on ne peut pas nourrir les populations avec des dollars et des euros imprimés sur des billets de banque. On ne peut pas les nourrir avec du papier-monnaie, on ne peut pas chauffer un foyer avec la capitalisation aussi virtuelle et que surévaluée des réseaux sociaux occidentaux. Tout ce dont je vous parle est de la plus haute importance, mais il faut insister sur ce dernier point. On ne peut nourrir personne avec du papier, il faut de la nourriture  ; ces capitalisations surévaluées ne peuvent chauffer personne, il faut de l’énergie.

C’est pourquoi les dirigeants européens en sont réduits à convaincre leurs concitoyens de manger moins, de se laver moins souvent, de s’habiller plus chaudement à la maison. Et ceux qui commencent à se poser les bonnes questions – «  Pourquoi en serait-il ainsi  ?  » – sont immédiatement déclarés ennemis, extrémistes et radicaux. Ils retournent la situation contre la Russie en disant  : «  Vous voyez, c’est la source de tous nos malheurs  ». Des mensonges, encore une fois.

Je voudrais tout particulièrement souligner qu’il y a toutes les raisons de croire que les élites occidentales n’ont pas l’intention de chercher des solutions constructives à la crise alimentaire et énergétique mondiale qui s’est déclarée par leur propre faute, en conséquence des politiques qu’ils mènent de longue date, bien avant notre opération spéciale en Ukraine, dans le Donbass. Ils n’ont aucune intention de résoudre les problèmes d’injustice et d’inégalité. On peut plutôt craindre qu’ils s’apprêtent à employer d’autres méthodes, qui leur sont plus familières.

Il convient de rappeler ici que l’Occident est sorti des contradictions du début du XXe siècle par la Première Guerre mondiale. Les gains de la Seconde Guerre mondiale ont permis aux États-Unis de surmonter enfin les conséquences de la Grande Dépression et de devenir la première économie mondiale, de soumettre la planète entière à la puissance du dollar en tant que monnaie de réserve globale. C’est largement en s’appropriant les restes et les ressources de l’Union soviétique en déliquescence que l’Occident a surmonté la crise qui s’est aggravée dans les années 1980. C’est un fait.

Désormais, pour sortir de ce nouveau nœud de contradictions, il leur faut à tout prix briser la Russie et les autres États qui choisissent une voie souveraine de développement, afin de piller de nouvelles richesses et de colmater ainsi leurs propres vides. Si cela ne se passe pas ainsi, je n’exclus pas l’idée qu’ils tentent de provoquer l’effondrement total du système pour se dédouaner de leurs responsabilités, ou encore, Dieu nous en garde, qu’ils décident d’employer une formule bien connue  : «  La guerre efface toutes les dettes  ».

La Russie a conscience de sa responsabilité envers la communauté mondiale et fera son possible pour ramener ces têtes brûlées à la raison.

À l’évidence, le modèle néocolonial actuel est condamné à disparaître. Mais, je le répète, ses maîtres réels s’y accrocheront jusqu’à la dernière seconde. Ils n’ont tout simplement rien à proposer au monde, si ce n’est la préservation de ce système de pillage et de racket.

En substance, ils crachent sur le droit naturel de milliards de personnes, la majeure partie de l’humanité, à la liberté et à la justice, ainsi qu’à la détermination de leur propre destinée. Ils en viennent maintenant à nier l’ensemble des normes morales, de la religion et de la famille.

Répondons ensemble à quelques questions très simples. Je veux revenir sur ce point, je veux m’adresser à tous les citoyens de notre pays – pas seulement aux collègues qui sont ici dans le public, mais à tous les citoyens russes – pour leur demander  : est-ce que nous voulons avoir, ici, dans ce pays, en Russie, au lieu d’une mère et d’un père, un «  parent numéro un  » et un «  parent numéro deux  » (ils sont devenus complètement dingues sur ce coup)  ? Est-ce que nous voulons que l’on enseigne dans nos écoles primaires des perversions qui conduisent à la dégradation et à l’extinction  ? Est-ce que nous voulons enseigner aux enfants qu’il n’existe pas que des femmes et des hommes, mais des soi-disant genres et qu’on leur propose des opérations de changement de sexe  ? Est-ce cela que nous voulons pour notre pays et pour nos enfants  ? Tout cela est tout simplement inacceptable pour nous. Nous avons notre propre avenir, et ce n’est pas celui-là.

Je le répète  : la dictature des élites occidentales vise toutes les sociétés, y compris les pays occidentaux eux-mêmes. C’est un défi adressé à tout le monde. Cette négation profonde de l’humanité, cette subversion de la foi et des valeurs traditionnelles, cet écrasement de la liberté prennent les traits d’une «  religion à l’envers  » – d’un satanisme pur et simple. Dans le sermon sur la montagne, Jésus Christ, dénonçant les faux prophètes, dit  : «  C’est dont à leurs fruits que vous les reconnaîtrez  ». Et beaucoup savent bien que ces fruits sont empoisonnés, non seulement chez nous, mais dans tous les pays, y compris en Occident.

Le président russe emprunte les éléments de langage plus spécifiques des guerres culturelles du XXIe siècle, en dénonçant les «  valeurs  » perverties que l’Occident chercherait à imposer et universaliser, au mépris de la diversité morale et spirituelle de la planète. Ce discours fait ainsi directement écho à celui des conservateurs et populistes de droite du continent européen et des États-Unis, soutien de facto de Vladimir Poutine dans une lutte à mort pour l’hégémonie culturelle. L’une des cibles principales en est la communauté LGBTQI+, accusée par le président russe de saper les valeurs morales de la civilisation russe et dépeinte comme une forme de déviance au caractère «  sataniste  ». On retrouve ici la rhétorique discriminatoire des évangélistes les plus durs et des politiques les plus agressivement traditionalistes, encore renforcée par une référence directe aux Évangiles.

Le monde est entré dans une période de transformations fondamentales, révolutionnaires. De nouvelles puissances émergent. Elles représentent la majorité – la majorité  ! – de la communauté mondiale et sont prêtes non seulement à proclamer leurs intérêts, mais à les défendre. Elles voient dans la multipolarité un moyen de renforcer leur souveraineté et ainsi de conquérir la liberté véritable, une perspective historique, leur droit au développement indépendant, créatif, original, à un développement harmonieux.

Dans le monde entier, y compris en Europe et aux États-Unis, comme je l’ai déjà souligné, de nombreuses personnes partagent nos idées et nous ressentons, nous voyons leur soutien. Au sein des pays et des sociétés les plus variés se dessine déjà un mouvement de libération anticolonial contre l’hégémonie unipolaire, et sa force ne fera que croître. C’est cette force qui déterminera le futur des réalités géopolitiques.

Chers amis,

Aujourd’hui, nous combattons pour un futur juste et libre, avant tout pour nous-mêmes, pour la Russie, pour que la dictature et le despotisme deviennent à jamais un souvenir du passé. Ma conviction est que les nations et les peuples comprennent à quel point une politique fondée sur l’exceptionnalisme, sur la suppression des autres cultures et des autres peuples, est fondamentalement criminelle, que cette page honteuse de l’histoire ne demande qu’à être tournée. L’effondrement de l’hégémonie occidentale est en cours. Il est irréversible. Je le répète  : les choses ne seront plus comme avant.

Le champ de bataille sur lequel nous ont convoqués le destin et l’histoire est un champ de bataille pour notre peuple, pour la grande Russie historique. (Applaudissements.) Pour une grande Russie historique, pour les générations futures, pour nos enfants, nos petits-enfants et nos arrière-petits-enfants. Nous devons les préserver de l’asservissement, des expérimentations monstrueuses qui veulent estropier leurs consciences et leurs âmes.

Aujourd’hui, nous combattons pour que personne ne pense plus jamais que la Russie, notre peuple, notre langue, notre culture, puissent être rayés de l’histoire. Aujourd’hui, nous devons consolider notre société et cette solidarité ne pourra reposer que sur la souveraineté, la liberté, la création et la justice. Nos valeurs sont l’humanité, la miséricorde et la compassion.

Et je voudrais conclure cette allocution sur les mots d’un véritable patriote, Ivan Aleksandrovič Il’in  : «  Si je considère la Russie comme ma patrie, cela signifie que j’aime, que je contemple et que je pense comme un Russe, que je chante et que je parle comme un Russe  ; que je crois aux forces spirituelles du peuple russe. Son esprit est mon esprit  ; sa destinée est ma destinée  ; sa souffrance est ma souffrance  ; sa prospérité est ma joie  ».

Sans être originale, sa citation d’un extrait ampoulé d’Ivan Ilyin, émigré russe de l’entre-deux-guerres aux idées antisémites, attiré par le fascisme et la révolution conservatrice, confirme, s’il en était besoin, l’orientation résolument réactionnaire du discours5.

Dans ces mots, on retrouve le grand chemin spirituel que de nombreuses générations de nos ancêtres ont emprunté pendant plus d’un millénaire d’existence de l’État russe. Aujourd’hui, c’est nous qui empruntons ce chemin, ce sont les habitants des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, des districts de Zaporojie et de Kherson qui ont fait ce choix. Ils ont pris la décision de vivre avec leur propre peuple, avec leur patrie, de s’associer à son destin et de vaincre avec elle.

La victoire est avec nous, la Russie est avec nous  !

Sources
    1. https://meduza.io/feature/2022/09/29/zachem-kremlyu-anneksiya-ukrainskih-territoriy-chem-na-eto-otvetit-kiev-i-kuda-vse-eto-nas-zavedet
    2. https://www.politico.com/news/2022/09/27/putin-nuke-russia-ukraine-intel-surveillance-00059020
    3. https://www.proekt.media/guide/kto-rukovodit-okkupirovannymi-territoriyami-ukrainy/
    4. https://www.bbc.com/russian/features-63040911
    5. Sur les risques du réductionnisme fasciste dans la lecture d’Ivan Ilyin, notamment Marlène Laruelle, Is Russia Fascist ? Unraveling Propaganda East and West, Ithaca, Cornell University Press, 2021, p. 140.

Voir par ailleurs:

Russia’s genocide handbook
The evidence of atrocity and of intent mounts
Timothy Snyder
Apr 8 2022

Russia has just issued a genocide handbook for its war on Ukraine.  The Russian official press agency « RIA Novosti » published last Sunday an explicit program for the complete elimination of the Ukrainian nation as such.  It is still available for viewing, and has now been translated several times into English.

As I have been saying since the war began, « denazification » in official Russian usage just means the destruction of the Ukrainian state and nation.  A « Nazi, » as the genocide manual explains, is simply a human being who self-identifies as Ukrainian.  According to the handbook, the establishment of a Ukrainian state thirty years ago was the « nazification of Ukraine. »  Indeed « any attempt to build such a state » has to be a « Nazi » act.  Ukrainians are « Nazis » because they fail to accept « the necessity that the people support Russia. »  Ukrainians should suffer for believing that they exist as a separate people; only this can lead to the « redemption of guilt. »

For anyone still out there who believes that Putin’s Russia opposes the extreme right in Ukraine or anywhere else, the genocide program is a chance to reconsider.  Putin’s Russian regime talks of “Nazis” not because it opposes the extreme right, which it most certainly does not, but as a rhetorical device to justify unprovoked war and genocidal policies. Putin’s regime is the extreme right.  It is the world center of fascism. It supports fascists and extreme-right authoritarians around the world.  In traducing the meaning of words like « Nazi, » Putin and his propagandists are creating more rhetorical and political space for fascists in Russia and elsewhere.

The genocide handbook explains that the Russian policy of « denazification » is not directed against Nazis in the sense that the word is normally used.  The handbook grants, with no hesitation, that there is no evidence that Nazism, as generally understood, is important in Ukraine.  It operates within the special Russian definition of « Nazi »: a Nazi is a Ukrainian who refuses to admit being a Russian.  The « Nazism » in question is « amorphous and ambivalent »; one must, for example, be able to see beneath the world of appearance and decode the affinity for Ukrainian culture or for the European Union as « Nazism. »

The actual history of actual Nazis and their actual crimes in the 1930s and 1940s is thus totally irrelevant and completely cast aside.  This is perfectly consistent with Russian warfighting in Ukraine.  No tears are shed in the Kremlin over Russian killing of Holocaust survivors or Russian destruction of Holocaust memorials, because Jews and the Holocaust have nothing to do with the Russian definition of « Nazi. »  This explains why Volodymyr Zelens’kyi, although a democratically-elected president, and a Jew with family members who fought in the Red Army and died in the Holocaust, can be called a Nazi.  Zelens’kyi is a Ukrainian, and that is all that « Nazi » means.

On this absurd definition, where Nazis have to be Ukrainians and Ukrainians have to be Nazis, Russia cannot be fascist, no matter what Russians do.  This is very convenient.  If « Nazi » has been assigned the meaning « Ukrainian who refuses to be Russian » then it follows that no Russian can be a Nazi.  Since for the Kremlin being a Nazi has nothing to do with fascist ideology, swastika-like symbols, big lies, rallies, rhetoric of cleansings, aggressive wars, abductions of elites, mass deportations, and the mass killing of civilians, Russians can do all of these things without ever having to ask if they themselves on the wrong side of the historical ledger.  And so we find Russians implementing fascist policies in the name of « denazification. »

The Russian handbook is one of the most openly genocidal documents I have ever seen.  It calls for the liquidation of the Ukrainian state, and for abolition of any organization that has any association with Ukraine.  It postulates that the « majority of the population » of Ukraine are « Nazis, » which is to say Ukrainians. (This is clearly a reaction to Ukrainian resistance; at war’s beginning the assumption was that there were only a few Ukrainians and that they would be easily eliminated.  This was clear in another text published in RIA Novosti, the victory declaration of 26 February.)  Such people, « the majority of the population, » so more than twenty million people, are to be killed or sent to work in « labor camps » to expurgate their guilt for not loving Russia.  Survivors are to be subject to « re-education. »  Children will be raised to be Russian.  The name « Ukraine » will disappear.

A girl looks back as she is being evacuated from Irpin. Many civilians who remained in that Kyiv suburb were murdered by Russian servicemen. According to local officials, their bodies were then crushed with tanks.

Had this genocide handbook appeared at some other time and in a more obscure outlet, it might have escaped notice.  But it was published right in the middle of the Russian media landscape during a Russian war of destruction explicitly legitimated by the Russian head of state’s claim that a neighboring nation did not exist.  It was published on a day when the world was learning of a mass murder of Ukrainians committed by Russians.

Russia’s genocide handbook was published on April 3, two days after the first revelation that Russian servicemen in Ukraine had murdered hundreds of people in Bucha, and just as the story was reaching major newspapers.  The Bucha massacre was one of several cases of mass killing that emerged as Russian troops withdrew from the Kyiv region.  This means that the genocide program was knowingly published even as the physical evidence of genocide was emerging.  The writer and the editors chose this particular moment to make public a program for the elimination of the Ukrainian nation as such.

As a historian of mass killing, I am hard pressed to think of many examples where states explicitly advertise the genocidal character of their own actions right at at the moment those actions become public knowledge.  From a legal perspective, the existence of such a text (in the larger context of similar statements and Vladimir Putin’s repeated denial that Ukraine exists) makes the charge of genocide far easier to make.  Legally, genocide means both actions that destroy a group in whole or in part, combined with some intention to do so.  Russia has done the deed and confessed to the intention.

Voir enfin:

‘De-Ukrainization’ is genocide — Biden was right to sound the alarm
Francine Hirsch
The Hill
04/14/22

Russian leaders began by calling Ukraine’s leaders “Nazis” to cover up their plan for a predatory war of aggression. Now they are calling for genocide. President Biden was right to sound the alarm about genocide. The world must act.

On the eve of Russia’s invasion of Ukraine, Russian President Vladimir Putin ramped up a disinformation campaign designed to challenge the country’s right to exist. He described Ukraine as an “artificial creation of the Bolsheviks” and called its leaders “Nazis.” On Feb. 24, Putin announced that he had launched a “special military operation” to “de-Nazify” Ukraine. Last week, while the world was learning horrifying details about the Russian military’s rape, torture and murder of civilians, this talk of “de-Nazification” morphed in the Russian state media into a chilling call for “de-Ukrainization.”

De-Ukrainization is genocide. The world must act.

An article published by RIA-Novosti on April 5 repeated Putin’s claim that “Ukrainians are an artificial anti-Russian construct.” It proclaimed that “Ukraine’s political elite must be eliminated.” And it declared that ordinary Ukrainians are “passive Nazis” who “must experience all the horrors of war and absorb the experience as a historical lesson and atonement for their guilt.” Explaining that “De-Nazification will inevitably also be a de-Ukrainization,” the article issued an ominous call for “total purification.”

This is not the first time such vile ideas have been expressed in the Russian media. There was a spate of articles and videos in 2016 and 2017 espousing “de-Ukrainization.” Economist and pundit Mikhail Khazin called for the transformation of Kyiv, Chernihiv and Sumy into “agricultural hinterland stripped of industry and armed forces,” with “excess population” deported to Russia’s Far East. He further suggested “several million” Ukrainians would “need to be” either “terminated” or “expelled.”

But the RIA-Novosti article is different for two critical reasons. It was published amid Russia’s predatory war of aggression — while atrocities were being committed in Bucha, Mariupol and other towns, and while Ukrainian civilians were being kidnapped, deported and sent to filtration camps. It was published during extreme wartime censorship in Russia, indicating its approval by the Russian authorities.

Since the publication of the RIA-Novosti article, Russian officials have continued to signal to the Russian people — and the Russian military — that genocide is on the agenda. The day after the article came out, former Russian President Dmitry Medvedev, one of Putin’s advisers, declared that “Ukrainian identity is one big fake and the goal of the de-Nazification is to change how Ukrainians perceive their identity. ” Later in the week, Russian State TV Channel One featured a “discussion” about the elimination of Ukraine.

These calls for “de-Ukrainization” are an incitement to genocide: to “destroy, in whole or in part,” the Ukrainian nation. Some international lawyers object that there is not yet enough evidence of genocide. And they are partly correct. We will need more evidence to convict Russia’s leaders and soldiers of genocide, which can be prosecuted either as a war crime (as at Nuremberg) or as a crime against humanity. But the Genocide Convention and the Rome Statute also call for the prevention of genocide. And there is enough evidence right now to ask the world to act.

I come at this as a historian of the Nuremberg Trials, not as a lawyer. And from this perspective there are several things to keep in mind. First, genocide does not always look like the Holocaust. In his closing speech at the Nuremberg Trials, British chief prosecutor Sir Hartley Shawcross revisited the evidence about Auschwitz and the extermination of the Jews. He then reminded the court that genocide could take many forms. The method the Nazis applied to the Polish intelligentsia, he noted, was “outright annihilation,” whereas in Alsace, deportation was the program of choice. In the German-occupied Soviet Union, the technique was death by starvation; in Bohemia and Moravia, the Nazis embarked on a policy of forced Germanization.

Second, history shows us that we should take dictators at their word. Those who incite genocide usually attempt to follow through. It is not unusual for them to publicize their campaigns through propagandists and media. Adolf Hitler had Joseph Goebbels, Alfred Rosenberg and others doing this work. Putin has Medvedev and the pundits of Russian state media. Finally, the more that Russian soldiers embrace the campaign of “de-Ukrainization,” the more brutal the war will become — and the harder it will be for Russia to find an exit short of total victory or defeat. Russian society’s complacency becomes complicity in murder.

This is not simply an academic question or a debate about terminology. We must understand Russia’s war aims to understand the nature of this conflict. Policymakers who still think that this war is about Russia’s security concerns have it wrong. Western lawyers who put forward draft peace proposals that ask Ukraine to make concessions are playing into Putin’s hands. Biden was correct that Putin’s goal is “to wipe out even the idea of being Ukrainian.”

The international community must affirm that there are universal values. It must support Ukraine and call out Putin’s lies. It must act to prevent the destruction of the Ukrainian nation.

Francine Hirsch is a professor of history at the University of Wisconsin-Madison and author of “Soviet Judgment at Nuremberg.”

Voir par ailleurs:

Ukraine : notre avenir s’y joue
Cela fait déjà plus de quatre mois que la pudiquement nommée « opération spéciale » de la Russie a commencé en Ukraine. Quatre mois de destructions, de déplacements de populations, de drames. La guerre n’est plus une possibilité, elle s’est installée sur le sol européen, pour l’heure fixée à l’est de l’Ukraine martyrisée et meurtrie. L’avenir de notre continent n’a jamais été aussi incertain depuis la Seconde Guerre mondiale.

Gabriel Robin
L’Incorrect
11 juillet 2022

Il est difficile de dresser un bilan exhaustif des combats comme des conséquences directes de la guerre pour l’économie mondiale ainsi que les équilibres géopolitiques et militaires. D’autres le font mieux que nous, à l’image de Michel Goya qui prend le temps de détailler hebdomadairement les avancées de l’armée russe et les actes de résistance de son homologue ukrainienne. Tout juste peut-on désormais affirmer avec une réserve de bon aloi que la Russie progresse dans le Donbass, but de guerre officiel du conflit. Le 14 juin dernier, les forces ukrainiennes ont ainsi annoncé avoir abandonné le centre de Sievierodonestk, suivies dans la foulée par une déclaration pessimiste de Serhiy Haïdaï, gouverneur de la région de Louhansk forcé d’admettre que 70 à 80 % de la ville étaient tombés sous le contrôle de l’armée russe.

Le 3 juillet, c’était au tour de la ville de Lysychansk de tomber, des suites d’une manœuvre d’encerclement réussie par les forces russes. La bataille du Donbass se réduit donc à la zone de Sloviansk-Kramatorsk, ce qui va pousser l’Ukraine à tenter de résister coûte que coûte en attendant un hypothétique rééquilibrage des forces. Contrairement à ce qu’affirment nombre de commentateurs français enivrés de propagande russe, le grand Satan occidental n’est pas si « va-t-en-guerre » que ça. Les envois d’armes ont été tardifs et sont trop limités pour permettre à l’Ukraine de garder le Donbass. Il semblerait même, si l’on pousse un peu, qu’une partie des Occidentaux se contenterait bien d’une prise rapide de l’est ukrainien, afin de pousser Moscou à la négociation de la paix … qui passerait donc par une partition de l’Ukraine.

L’habile chantage militaire russe produirait donc ses effets sur un ensemble occidental affaibli, mené par une Amérique partiellement déclinante qui, sous Barack Obama, avait déjà fait montre d’une certaine faiblesse à l’égard d’une Russie poutinienne qui ne recule jamais quand il s’agit de faire parler la poudre. En Tchétchénie, en Syrie, en Ossétie-du-Sud et en Ukraine, la Russie sait joindre les actes à la parole, tétanisant une Union européenne à la faible coordination militaire et dépendante de l’énergie de son encombrant voisin à l’est. Les lignes ont d’ailleurs bougé, l’invasion russe ayant provoqué les demandes d’adhésion conjointes de la Suède et de la Finlande à l’OTAN. Laquelle OTAN, longtemps invoquée pour expliquer, ou, plus sûrement, pour excuser l’invasion russe, avec une grande imprécision et des mensonges, l’Ukraine ne pouvant pas la rejoindre du fait des combats continus au Donbass depuis 2014, semble ne plus être l’obsession de Moscou.

Vladimir Poutine déclarait en personne il y a quelques jours à peine, que l’adhésion des pays scandinaves à l’OTAN n’était désormais plus un casus belli pouvant conduire à une « escalade ». De fait, il devient difficile de suivre les sinueuses inflexions du Kremlin qui peut en deux jours affirmer que « les choses sérieuses » n’ont pas commencé en Ukraine comme se dire « pacifiste ». Peut-être faudrait-il d’ailleurs ressusciter les spécialistes en kremlinologie d’autrefois, bien qu’ils aient été remplacés par d’autres, plus proches des télégraphistes de L’Humanité de la période Thorez que de véritables analystes neutres. Ces Machiavel d’opérette, prêts à toutes les instrumentalisations émotionnelles quand ça les arrange, et si peu emphatiques quand leur narration parcellaire est mise en danger, sont désormais en première ligne pour affirmer que l’Ukraine a déjà perdu et qu’il faut « chercher la paix ».

Soit. Personne ne pourra contredire le fait que la paix est la résolution de toute guerre ; et que plus tôt nous l’aurons trouvée, mieux ce sera. Mais cette paix tant souhaitée, qui nous permettrait d’éviter une cruelle « escalade », nous ne pouvons la décider unilatéralement. Si paix, il y a, elle ne se trouvera qu’au terme de la fin des combats armés. Soit par la destruction d’une des deux armées, ou son incapacité à poursuivre les combats. Soit par la proclamation d’un cessez-le-feu russe appelant à une négociation – c’en est même la condition sine qua none. Soit, et c’est bien ce que souhaitent certains sans oser le dire, par la reddition pure et simple de l’Ukraine. Nous ne pouvons pas le leur demander. Ajoutons, par suite, que nous ne sommes absolument pas co-belligérants, et moins encore la France qui en fait, il faut bien l’admettre, assez peu. Nous nous contentons d’aider l’Ukraine à se défendre, comme toute nation en a le droit. L’Ukraine veut vivre libre et souveraine, c’est un fait.

La position consistant à renvoyer dos-à-dos la Russie et l’Ukraine comme étant des « acteurs rationnels défendant leurs intérêts » n’est pas du réalisme mais du cynisme

La Russie aurait aussi pu se vivre en tant que nation, mais la nostalgie de son empire lui fait convoiter l’Ukraine et dominer autrement la Biélorussie, État qui est aujourd’hui son dominion et son factotum. Quid, donc, des suites de cette tragédie, car c’est bien à une immense tragédie que nous assistons, de celles qui peuvent à tout jamais changer nos destins collectifs et individuels ? Dans un premier temps, évoquer la morale et la notion du bien ne sera pas vain. Laissons aux schmittiens de comptoir et aux gaullistes de salon la rhétorique des « intérêts » mal comprise, elle ne sert que les intérêts d’un camp, qui, s’il n’est pas celui « du mal », encore qu’il soit à l’origine d’un mal, n’est pas le nôtre. Oui, la guerre russe est immorale. Elle le serait même si l’Ukraine avait réellement fait peser une menace sur la seconde armée du monde aux réserves nucléaires capables de détruire la moitié de la planète en quelques jours.

Elle est aussi menée de manière immorale. Dans une excellente tribune accordée au journal Le Monde, le chercheur en relations internationales Jean-Baptiste Jeangène Vilmer a bien résumé la situation : la position consistant à renvoyer dos-à-dos la Russie et l’Ukraine comme étant des « acteurs rationnels défendant leurs intérêts » n’est pas du réalisme mais du cynisme. « Avant la guerre, c’est l’absence de “réalisme” qui aurait permis l’expansion de l’OTAN, laquelle aurait “provoqué” le président Poutine, qui n’aurait fait que défendre ses intérêts en attaquant l’Ukraine, ce dont il est, par conséquent, presque excusé. Pendant la guerre, c’est encore au nom du “réalisme” qu’il faudrait ne pas trop soutenir les Ukrainiens et ménager une porte de sortie honorable aux Russes. Et, après la guerre, les mêmes “réalistes” nous inviteront à rapidement normaliser nos relations avec Moscou », ajoute-t-il avec panache.

Oui, la Russie est le diviseur du monde contemporain. Elle est la nation perturbatrice, celle qui provoque et cherche l’étincelle. Elle va plus loin et terrorise. Son premier objectif est d’ailleurs d’influencer les opinions occidentales, pour que ces dernières pensent nos nations faibles et inaptes à faire face à toute menace, même à y résister sur le simple plan de la morale. Le réalisme n’est pas contraire à la morale, il ne s’y réduit pas. C’est, vous noterez, très différent. Quand la République populaire du Donbass déclare qu’elle exécutera des soldats qui se sont rendus d’eux-mêmes, elle s’affranchit de toute morale. Il s’agit bien de crimes de guerre qui s’opposent aux principes de la Convention de Genève, et même à toutes les lois traditionnelles de la guerre, à des usages qui ont toujours eu cours en Europe. Comment ne pas le condamner ? Comment ne pas s’en émouvoir ? Si nous ne sommes plus capables de cette résistance spirituelle, que nous restera-t-il à défendre ?

Évidemment, nous devons tenir compte de tous les paramètres. Nous n’avons pas à nous précipiter dans la guerre, ni à condamner nos économies. Mais nous avons le devoir de nous y préparer, d’avoir conscience que le camp d’en face y est prêt et l’envisage sérieusement. Que les sanctions décidées contre la Russie se retournent temporairement contre nous est une réalité. Il est toutefois aussi une réalité que la Russie en souffre bien davantage, son acharnement à ironiser ou à vouloir contourner les mesures prouvant bien qu’elle est en grandes difficultés – son économie est d’ailleurs celle d’un colosse aux pieds d’argile, et sa dépendance à l’industrie chinoise augmentera exponentiellement, mais passons. Si être réaliste nous commande donc de comprendre dans quel état se trouvent réellement nos forces, cela ne doit pas nous conduire à la lâcheté ou à l’amoralité, deux conduites perdantes dans l’histoire des nations.

Nous ne faisons pas la guerre à une grande nation, nous nous opposons à la dérive d’un régime

En 1919, dans une conférence donnée sur l’alliance franco-polonaise, le futur général de Gaulle cité en modèle par tous ceux qui n’y comprennent rien, déclarait : « Le bolchevisme ne durera pas éternellement en Russie. Un jour viendra où l’ordre s’y rétablira et où la Russie, reconstituant ses forces, regardera autour d’elle. Ce jour-là, elle se verra telle que la paix va la laisser, c’est à dire privée de l’Estonie, de la Finlande, de la Pologne, de la Lituanie, peut-être de l’Ukraine. S’en contentera-t-elle ? Nous n’en croyons rien. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on reverra la Russie reprendre sa marche vers l’Ouest et le Sud-Ouest. De quel côté la Russie recherchera-t-elle un concours pour reprendre l’œuvre de Pierre le Grand et de Catherine II ? Ne le disons pas trop haut, mais sachons-le et pensons-y : c’est du côté de l’Allemagne que fatalement elle tournera ses espérances. Voilà, Messieurs, pourquoi la France prête à la Pologne et à la Roumanie un si large concours militaire ; et voilà pourquoi nous sommes ici. […] Chacun de nos efforts en Pologne, Messieurs, c’est un peu plus de gloire pour la France éternelle ».

Nul ne peut dire avec certitude de quoi l’avenir sera fait, mais celui-ci se joue aujourd’hui en Ukraine. Y construire la paix, c’est prévoir la guerre. Tout faire pour l’éviter, ce n’est pas refuser de la penser.  Les Français et les autres Européens doivent aussi entendre que c’est la Russie qui a provoqué la guerre, qui pratique un chantage énergétique, qui empêche l’Ukraine d’exporter son blé ce qui pourrait provoquer une catastrophe migratoire ; elle et elle seule. Dans ce cadre, les sanctions sont tant un impératif moral qu’une difficulté pour l’effort de guerre russe, mais pour qu’elles soient efficaces il faut que le camp occidental fasse bloc et divise celui des BRICS. La Chine et la Russie n’ont aucun intérêt à rompre brutalement avec le commerce mondial. Ne nous laissons pas embobiner par la guerre d’influence russe. Ce sont les derniers feux de l’URSS. Nous ne faisons pas la guerre à une grande nation, nous nous opposons à la dérive d’un régime.


Mort de Jean-Luc Godard: Quels dangereux attraits de l’antisémitisme lettré ? (What paradoxical form of anti-semitism’s historical resurgence when groundbreaking filmmaking and challenging conventional wisdom turn into trivializing the nazification of Israel and Jews ?)

16 septembre, 2022

 

Si toutes les valeurs sont relatives, alors le cannibalisme est une affaire de goût. Leo Strauss
Toute idée fausse finit dans le sang, mais il s’agit toujours du sang des autres. C’est ce qui explique que certains de nos philosophes se sentent à l’aise pour dire n’importe quoi. Camus
Tout au long de sa phénoménale carrière publique, il n’aura cessé d’adopter des postures consternantes. «Homme de gauche», absolument de gauche, il aura épousé toutes les mauvaises causes de sa génération sans en manquer aucune, aura approuvé toutes les révolutions sanguinaires, de Cuba à la Chine. Toujours disposé à accabler ces fascistes d’Américains, Ronald Reagan et, bien sûr, George W. Bush (c’est sans risque), l’a-t-on en revanche entendu, ne serait-ce qu’un peu, dénoncer le fascisme de Mao Zedong ? Ou celui des islamistes ? (…) comment s’interdire de songer à cette génération entière d’intellectuels et d’artistes en Europe, en France surtout, autoproclamée de gauche – au point que le mot ne fait plus sens –, qui n’ont cessé d’adopter des postures morales tout en illustrant des causes absolument immorales ? Comment ne pas voir surgir des spectres : ceux qui hier, ont aimé Staline et Mao et, bientôt, vont pleurer Castro ? Ceux qui n’ont rien vu à Moscou, Pékin, La Havane, Téhéran, Sarajevo, et Billancourt ? Ceux qui, maintenant, devinent dans l’islamisme une rédemption de l’0ccident ? Cette grande armée des spectres, de l’erreur absolue, dieu merci, elle n’a jamais cessé de se tromper d’avenir. (…) par-delà ce cas singulier, on ne se méfie pas assez du grand écrivain et de la star dès qu’ils abusent de leur séduction pour propager des opinions politiques, seulement politiques, mais déguisées autrement. (…) On se garde de l’homme politique, l’élu démocratique, beaucoup trop puisqu’il avance à découvert. On ne se garde pas assez, en revanche, de l’artiste quand son talent le dissimule, surtout quand le talent est grand : des magiciens, grimés en moralistes, on ne se méfie jamais assez. Guy Sorman
On regrette l’indifférence d’un Balzac d’avant les journées de 1848, l’incompréhension apeurée d’un Flaubert en face de la Commune ; on les regrette pour eux : il y a là quelque chose qu’ils ont manqué pour toujours. Nous ne voulons rien manquer de notre temps. Sartre (1947)
Abattre un Européen, c’est faire d’une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé ; restent un homme mort et un homme libre. Sartre (1961)
Un régime révolutionnaire doit se débarrasser d’un certain nombre d’individus qui le menacent, et je ne vois pas d’autre moyen que la mort. On peut toujours sortir d’une maison. Les révolutionnaires de 1793 n’ont probablement pas assez tué. Sartre (1973)
Ceux qui affirment la souveraineté de l’État israélien et sont en même temps convaincus que les Palestiniens ont droit à la souveraineté pour la même raison, et qui considèrent la question palestinienne comme fondamentale, doivent admettre que la politique de l’establishment israélien est littéralement insensée et vise de manière délibérée à éviter toute solution possible à ce problème. Il est par conséquent politiquement juste de dire qu’un état de guerre existe entre Israël et les Palestiniens. Dans cette guerre, la seule arme des Palestiniens est le terrorisme. C’est une arme terrible mais les opprimés n’en ont pas d’autre, et les Français qui ont approuvé le terrorisme du FLN contre des Français doivent également approuver l’action terroriste des Palestiniens. Ce peuple abandonné, trahi et exilé ne peut montrer son courage et la force de sa haine qu’en organisant des attaques mortelles. Naturellement, celles-ci devraient être considérées politiquement, en évaluant les résultats escomptés contre ceux réellement obtenus. Nous aurions également besoin de traiter la question fortement ambiguë des rapports entre les gouvernements arabes – dont aucun n’est socialiste ni n’a de tendances socialistes – et les feddayin, ce qui nous conduit à demander si les principaux ennemis des Palestiniens ne seraient pas ces dictatures féodales, dont plusieurs les ont soutenus verbalement tout en essayant en même temps de les massacrer, et si le premier effort des Palestiniens, que leur guerre voue nécessairement au socialisme, ne doit pas être de combattre au côté des peuples du Moyen-Orient contre ces États arabes qui les oppriment. Mais ces problèmes ne peuvent être traités dans un article. Pour ceux qui approuvent les attaques terroristes auxquelles l’establishment israélien et les dictatures arabes ont conduit les Palestiniens, il semble parfaitement indigne que la presse française et une partie de l’opinion jugent l’attaque de Munich un outrage intolérable, alors que l’on a souvent lu des rapports laconiques sans commentaires au sujet des frappes de Tel Aviv ayant coûté plusieurs vies humaines. Jean-Paul Sartre (La Cause du peuple, 15 octobre 1972)
Les Palestiniens n’ont pas d’autre choix, faute d’armes, de défenseurs, que le recours au terrorisme. […] L’acte de terreur commis à Munich, ai-je dit, se justifiait à deux niveaux : d’abord, parce que tous les athlètes israéliens aux Jeux olympiques étaient des soldats, et ensuite, parce qu’il s’agissait d’une action destinée à obtenir un échange de prisonniers. Quoiqu’il en soit, nous savons désormais que tous, Israéliens et Palestiniens, ont été tués par la police allemande. Jean-Paul Sartre
J’ai toujours soutenu la contre-terreur contre la terreur institutionnelle. Et j’ai toujours défini la terreur comme l’occupation, la saisie des terres, les arrestations arbitraires, ainsi de suite. Jean-Paul Sartre
Les attentats suicides des Palestiniens pour parvenir à faire exister un État palestinien ressemblent en fin de compte à ce que firent les Juifs en se laissant conduire comme des moutons et exterminer dans les chambres à gaz, se sacrifiant ainsi pour parvenir à faire exister l’État d’Israël. Jean-Luc Godard (2006)
Ils se lanceront les bombes sur les autres ! Où est le problème ? Jean-Luc Godard (sur la bombe iranienne)
Le peuple juif rejoint la fiction tandis que le peuple palestinien rejoint le documentaire. (…) Alors, on dira que les Israéliens sont sur TF1, c’est la télé-réalité. Et les autres, dans un film de Frédéric Wiseman. Jean-Luc Godard
Un catholique, je sais ce que c’est : il va à la messe. Mais un juif, je ne sais pas ce que c’est ! Je ne comprends pas ! Jean-Luc Godard
Moses is my principal enemy…Moses, when he received the commandments, he saw images and translated them. Then he brought the texts, he didn’t show what he had seen. That’s why the Jewish people are accursed. Jean-Luc Godard (1981)
What I find interesting in the cinema is that, from the beginning, there is the idea of debt. The real producer is, all the same, the image of the Central European Jew. Jean-Luc Godard
Strange thing Hollywood — Jews invented it. Jean-Luc Godard
Lanzmann et moi étions les instruments de sa cure : celle d’un antisémite qui essaye de se soigner. J’étais prêt à jouer le jeu, mais il a changé de plan. Bernard-Henri Lévy
Jean-Luc Godard n’est pas le seul à filmer comme il respire, mais c’est lui qui respire le mieux. Il est rapide comme Rossellini, malicieux comme Sacha Guitry, musical comme Orson Welles, simple comme Pagnol, blessé comme Nicholas Ray, efficace comme Hitchcock, profond, profond, profond comme Ingmar Bergman et insolent comme personne. Les années qui passent nous confirment dans la certitude que À bout de souffle aura marqué dans l’histoire du cinéma un tournant décisif comme Citizen Kane en 1940. Godard a pulvérisé le système, il a fichu la pagaille dans le cinéma, ainsi que l’a fait Picasso dans la peinture, et comme lui il a rendu tout possible. François Truffaut (1967)
Godard jams his films full of political, literary, cinematic and historical references. But they don’t seem to be organized according to any system. In « Weekend, » characters wander in and out, expressing disorganized thoughts about Mozart, the Third World, the function of the cinema and things like that. On this level, « Weekend » is a great deal like an erudite cocktail party: Lots of well-informed people drift about repeating things they learned in college survey courses and nothing gets accomplished or decided, but at the end you have a feeling of unease – as if this world, and the things said in it, were a frail shield against some approaching cataclysm. That’s on one level. On another level, Godard makes the most purely cinematic movies yet achieved. He uses his camera and his images to create a world that has no existence outside this particular movie. (…) One single Godard film seems accidental. But if you see half a dozen, you begin to get a sense of his universe. You see themes introduced, developed, worked out, discarded and then later satirized. (…) Godard is a director of the very first rank; no other director in the 1960s has had more influence on the development of the feature-length film. Like Joyce in fiction or Beckett in theater, he is a pioneer whose present work is not acceptable to present audiences. But his influence on other directors is gradually creating and educating an audience that will, perhaps in the next generation, be able to look back at his films and see that this is where their cinema began. Roger Ebert
Il joue très bien l’intellectuel français, avec un certain flou. Quand je suis arrivé pour le tournage, il portait un pyjama — haut et bas — un peignoir et des pantoufles et fumait un gros cigare. J’avais le sentiment étrange que j’étais dirigé par Rufus T. Firefly. Woody Allen
I will never forgive Godard for his anti-Semitism. Anti-Semitism brings joy to no one… I realize that from now on, you can only despise Godard on a human level. ‘Filthy Jew’ is the only insult which I cannot take… If you know what these words evoke within me, what they revive of a past which is still agonizing, you would come over to embrace me. Your Jewish friend who owes so much of his Jewish happiness to you. Braunberger (letter to Truffaut in 1968)
Reality itself becomes a relative term when Godard, as de Baecque observes, justifies every act of Arab resistance, including terrorism, by saying that “Israel is a paradoxical form of Nazism’s historical resurgence.” In a 1970 short documentary filmed for German TV, Godard brandished a tract with the slogan “NazIsrael” emblazoned on it and told the cameraman, “Write us a check from German television, which is financed by Zionists and that idiotic Social Democrat, Willy Brandt, and that will let us buy weapons for the Palestinians to attack Zionists,” as de Baecque further recounted. Godard’s fictional films also contain disquieting anti-Semitic utterances, sometimes in the guise of pseudo-humor. In 1964’s “A Married Woman” (“Une Femme Mariée”), a character states: “Today, in Germany, I said to someone, ‘How about if tomorrow, we kill all the Jews and the hairdressers?’ He replied, ‘Why the hairdressers?’” In 1967’s “Two or Three Things I Know About Her” (“Deux ou Trois Choses Que je Sais D’elle”), the director brags that ParisMatch magazine “always affixes a star to my films, as it does to Jews.” The allusion to the Nazi law forcing Jews to wear yellow stars in Occupied France is symptomatic of a sensibility, usually found among Europe’s ultra-right-wing politicians, that produces crushingly unfunny jokes about such historical tragedy. Godard’s 2010 film, “Film Socialisme” (“Socialism Film”), which premiered in May at the Cannes Film Festival, features a typical pseudo-aphorism of this ilk: “Strange thing Hollywood — Jews invented it.” While Hollywood historians know that the early studio heads were for the most part Jewish, to conclude that this explains the industry’s “strangeness” is racist, to say the least.  (…) In a 2009 article in Le Monde, “Godard and the Jewish Question” by Jean-Luc Douin, Godard is quoted as making an off-camera comment during the filming of a 2006 documentary: “Palestinians’ suicide bombings in order to bring a Palestinian State into existence ultimately resemble what the Jews did by allowing themselves to be led like sheep to be slaughtered in gas chambers, sacrificing themselves to bring into existence the State of Israel.” Godard apparently believes that Jews committed mass suicide during the Holocaust in order for Israel to be created. The same article quotes him along these lines: “Basically, there were six million kamikazes” and “Hollywood was invented by Jewish gangsters.” (…) in a single 2009 article in the English-language Canadian magazine Cinemascope (…) Bill Krohn, a Hollywood correspondent for Cahiers du Cinema (…) accused Brody of ideological simplification, biographical reductivism, guilt by association, misinterpretation, having felt snubbed by Godard and, overall, perpetrating “a hatchet job disguised as a celebration of Godard’s genius.” (…) in one concrete instance he suggests that Godard’s exclamation of “filthy Jew,” taken by Braunberger as a deadly insult, was misunderstood. Krohn unpersuasively interprets it as affectionate banter between old friends and, even more absurdly, as an allusion to Jean Renoir’s classic 1937 film “La Grande Illusion.” (…)  Perhaps film producers make the distinction between an artist of undeniable talent and an individual of extremely dubious opinions. Responding to reporters from the London Sunday Times, Jean-Luc Gaillard, a longtime neighbor of Godard, noted, “He [Godard] is on a different level from the rest of us, somewhere between genius and completely round the bend.” In proudly Anglo-dominated Los Angeles, it seems that artists whose odious statements are made in languages other than English can get a free pass and, on occasion, even a hat tip. Because Godard’s statements have been in French, there has been barely any American opposition to the Academy’s nomination. When approached to comment for this story, even staunch opponents of anti-Semitism — such as Rabbi Marvin Hier, head of the Simon Wiesenthal Center and multiple Academy Award winner; noted University of California, Los Angeles, film historian Howard Suber, and writer-producer Lionel Chetwynd — said that they had no personal knowledge of Godard’s reputed anti-Semitism. Elsewhere — and especially in France, where Godard has worked for several decades — others may agree with Braunberger, who wrote to Truffaut in 1968: “I will never forgive Godard for his anti-Semitism ». Benjamin Ivry
J’ai peur d’être à un peu contre-courant en parlant de ce Monsieur, qui est le cinéaste qu’il était – bon moi ce n’était pas ma tasse de thé – mais c’est surtout l’homme qu’il était qui n’a pas été très bienveillant pour ma communauté, pour les Juifs en général et pour Israël en particulier. Et je trouve que les propos qu’il a tenus étaient absolument inadmissibles. C’était de l’antisémitisme. C’était du négationnisme. C’était du révisionnisme. Et je pense que j’ai été plus touché par la disparition de la reine Élizabeth que par Jean-Luc Godard, pardonnez-moi. Mais je ne peux pas admirer quelqu’un qui hait à ce point les Juifs. C’est pas possible. (…) C’était le cas avec Céline. On me somme de lire Céline, je ne le ferai jamais. C’est un peu comme si j’admirais (…) les peintures d’Hitler. (…) Je m’en fous, ça ne m’intéresse pas. Donc … Paix à son âme (….), mais ce n’est pas quelqu’un que j’apprécie, que j’aime. Le Mépris, (…) je l’aime parce que j’aime beaucoup la musique de Delerue (…) C’est tout ce que j’ai à dire sur lui. Le reste je ne peux pas en parler. Je n’ai pas aimé la façon dont il a traité le peuple juif et Israël. Je n’ai pas aimé cette façon de revoir l’Histoire. Qu’il ait ses idées, qu’il soit pro-palestinien, c’est très bien. Moi je suis pour d’une certaine façon aussi, mais pas ce qu’il en a dit. Pas dire qu’en réalité, ’les Juifs de la Shoah s’étaient fait tuer exprès comme des moutons, pour que trois ans après on reconnaisse Israël ; et quand je pense qu’il y en a qui adhèrent à ce genre de propos, pardonnez-moi, je trouve ça honteux. Gérard Darmon
L’antisionisme est l’hostilité à l’installation des juifs en Israël, dans cette terre appelée Palestine par les Romains, qui fut une province de l’Empire ottoman, puis territoire sous mandat britannique. Je n’arrive pas à croire que des antisionistes comme l’amuseur public Dieudonné (qui a fait de l’antisionisme un parti politique français) préfèrent voir les juifs rester dans les pays de la diaspora… Faut-il alors expédier les juifs à Madagascar ou en Argentine, comme l’avaient envisagé les nazis ? Il faudrait poser la question aux antisionistes virulents : y a-t-il un lieu sur terre où la présence des juifs ne vous gênerait pas ? En fait, le sionisme est d’abord une question intéressant les juifs, et il y en a qui, sans être anti-israéliens, n’approuvent pas les aspirations du sionisme. (…) Cette déclaration me semble inepte et inacceptable. En estimant que les juifs attachés à l’Europe se sont laissé faire sans résistance, il donne raison aux sionistes dans leur projet de créer un Etat juif, préférant cette cause à défendre, y compris militairement, aux vexations, aux spoliations et aux crimes dont ils ont été les victimes en Europe centrale et orientale, très tôt dans le XXe siècle. Mais il est absurde de dire que les juifs d’Europe se sont sacrifiés pour une cause – le sionisme – qui n’était justement pas la leur. (…) Cette anomalie de syntaxe montre Jean-Luc Godard en flagrant délit d’une élucubration inavouable dont il découvre le piège trop tard. Evitant de justesse de dire : «Ils lanceront les bombes sur les autres», il n’arrive pas à construire correctement : «Ils se lanceront des bombes les uns sur les autres», avant d’ajouter : «Où est le problème ?» (…) Il lui arrive d’être antisémite comme un juif peut l’être, dans des accès de critique contre ses congénères. Godard s’est dit lui-même le «juif du cinéma», alors qu’il déclarait le cinéma américain entre les mains de «voyous juifs». Godard dit aussi que, s’il sait qu’un catholique est quelqu’un qui va à la messe, il ignore ce qu’est un juif. Comme il ne va pas à la messe, il n’est donc pas catholique. Il me semble qu’à choisir, il se sentirait plutôt juif et, dans ce cas, en rébellion fréquente contre les siens. Je préfère le voir ainsi, comme je suis sûr qu’il eût été un dreyfusard. (…) Je pense à ceux de ma génération qui furent jeunes en 1968 : nous admirions les inventions géniales du cinéma de Godard, nous aimions ses héros suicidaires et romantiques. L’enthousiasme qu’a suscité son œuvre à juste titre a donné à Godard un ascendant considérable sur les esprits, et le pouvoir d’imposer sans discussion des idées, des points de vue très discutables. Il est arrivé un moment où les admirateurs de Godard sont devenus des dévots, ânonnant le catéchisme d’un nouveau conformisme. (…) Jean-Luc Godard est un monteur virtuose : des images, de la musique, des mots. Dans la convocation des citations, il est comme un phénomène du calcul mental. Pour Godard – en cela proche d’Aby Warburg, tel que lui rend hommage Georges Didi-Huberman dans son exposition «Atlas», au musée Reina Sofia, à Madrid -, le monde est un montage, sans cesse «à remonter». Les effets de sens du montage – surtout lorsque les emprunts et les citations ne sont ni identifiés ni restitués dans leur contexte original – peuvent être aussi bien lumineux, c’est-à-dire révélateurs de vérité, que ravageurs, c’est-à-dire producteurs d’illusions, de confusions et de mensonges. Il y a de tout cela dans l’œuvre considérable de Jean-Luc Godard et dans son influence sur le cours des idées. Alain Fleischer

Trésor national, prophète du 7e art, légende vivante, Helvète anarchiste », « plus con des Suisses pro-Chinois », « plus con des maoïstes suisses »…

Juxtaposition des images de Golda Meir et d’Hitler, assimilation de l’Etat d’Israël à un « cancer sur la carte du Moyen-Orient, défense du massacre des JO de Münich …

Retour au lendemain de la salutaire polémique lancée par l’acteur Gérard Darmon …

Alors que pleuvent les hommagesde par le monde …

Sur la part d’ombre d’un metteur en scène qui avait littéralement révolutionné le cinéma …

Mais aussi entre deux aphorismes géniaux ou carrément négationnistes, multiplié les polémiques et les provocations …

Et épousé, lui aussi à l’instar d’un Sartre ou d’un Grass, toutes les mauvaises causes de sa génération …

Sans en manquer aucune, maoïste ou palestinienne …

Mais aussi, plus grave encore, réussi à faire de l’antisémitisme …

Comme le cannibalisme selon le mot de Léo Strauss, une simple « affaire de goût » !

« Godard est parfois antisémite, comme un juif peut l’être »
Alain Fleischer revient sur les points polémiques de son livre :
Eric Loret
Libération
8 mars 2011

De Rome, son «lieu» d’écriture, Alain Fleischer a répondu par mail à une série de questions sur la démonstration que mène Réponse du muet au parlant, à paraître au Seuil le 17 mars.
Vous écrivez que «pour un antisioniste, les juifs n’ont de place nulle part, et qu’ils sont indésirables partout»…

L’antisionisme est l’hostilité à l’installation des juifs en Israël, dans cette terre appelée Palestine par les Romains, qui fut une province de l’Empire ottoman, puis territoire sous mandat britannique. Je n’arrive pas à croire que des antisionistes comme l’amuseur public Dieudonné (qui a fait de l’antisionisme un parti politique français) préfèrent voir les juifs rester dans les pays de la diaspora… Faut-il alors expédier les juifs à Madagascar ou en Argentine, comme l’avaient envisagé les nazis ? Il faudrait poser la question aux antisionistes virulents : y a-t-il un lieu sur terre où la présence des juifs ne vous gênerait pas ? En fait, le sionisme est d’abord une question intéressant les juifs, et il y en a qui, sans être anti-israéliens, n’approuvent pas les aspirations du sionisme.

Que pensez-vous de la déclaration que vous a faite Godard hors caméra sur les Juifs «se laissant conduire comme des moutons et exterminer dans les chambres à gaz, se sacrifiant ainsi pour parvenir à faire exister l’Etat d’Israël» ?

Cette déclaration me semble inepte et inacceptable. En estimant que les juifs attachés à l’Europe se sont laissé faire sans résistance, il donne raison aux sionistes dans leur projet de créer un Etat juif, préférant cette cause à défendre, y compris militairement, aux vexations, aux spoliations et aux crimes dont ils ont été les victimes en Europe centrale et orientale, très tôt dans le XXe siècle. Mais il est absurde de dire que les juifs d’Europe se sont sacrifiés pour une cause – le sionisme – qui n’était justement pas la leur.

Favorable à la bombe atomique iranienne, Godard déclare dans Morceaux de conversation avec Jean-Luc Godard : «Ils se lanceront les bombes sur les autres ! Où est le problème ?» Comment analysez-vous ce lapsus ?

Cette anomalie de syntaxe montre Jean-Luc Godard en flagrant délit d’une élucubration inavouable dont il découvre le piège trop tard. Evitant de justesse de dire : «Ils lanceront les bombes sur les autres», il n’arrive pas à construire correctement : «Ils se lanceront des bombes les uns sur les autres», avant d’ajouter : «Où est le problème ?»

Croyez-vous que Godard soit antisémite ?

Il lui arrive d’être antisémite comme un juif peut l’être, dans des accès de critique contre ses congénères. Godard s’est dit lui-même le «juif du cinéma», alors qu’il déclarait le cinéma américain entre les mains de «voyous juifs». Godard dit aussi que, s’il sait qu’un catholique est quelqu’un qui va à la messe, il ignore ce qu’est un juif. Comme il ne va pas à la messe, il n’est donc pas catholique. Il me semble qu’à choisir, il se sentirait plutôt juif et, dans ce cas, en rébellion fréquente contre les siens. Je préfère le voir ainsi, comme je suis sûr qu’il eût été un dreyfusard.
Vous craignez que des «spectateurs sous influence» ne soient empoisonnés par les paroles de Godard. A qui pensez-vous ?

Je pense à ceux de ma génération qui furent jeunes en 1968 : nous admirions les inventions géniales du cinéma de Godard, nous aimions ses héros suicidaires et romantiques. L’enthousiasme qu’a suscité son œuvre à juste titre a donné à Godard un ascendant considérable sur les esprits, et le pouvoir d’imposer sans discussion des idées, des points de vue très discutables. Il est arrivé un moment où les admirateurs de Godard sont devenus des dévots, ânonnant le catéchisme d’un nouveau conformisme.
Analysant son style, vous écrivez que Godard «signe par le montage d’emprunts à ceux dont il fait disparaître la signature». Liez-vous théoriquement les idées politiques de Godard et une influence mortifère qu’il aurait eue sur le cinéma ?

Jean-Luc Godard est un monteur virtuose : des images, de la musique, des mots. Dans la convocation des citations, il est comme un phénomène du calcul mental. Pour Godard – en cela proche d’Aby Warburg, tel que lui rend hommage Georges Didi-Huberman dans son exposition «Atlas», au musée Reina Sofia, à Madrid -, le monde est un montage, sans cesse «à remonter». Les effets de sens du montage – surtout lorsque les emprunts et les citations ne sont ni identifiés ni restitués dans leur contexte original – peuvent être aussi bien lumineux, c’est-à-dire révélateurs de vérité, que ravageurs, c’est-à-dire producteurs d’illusions, de confusions et de mensonges. Il y a de tout cela dans l’œuvre considérable de Jean-Luc Godard et dans son influence sur le cours des idées.

Voir aussi:

Godard et la question juive
Dans son nouveau livre, l’écrivain et cinéaste Alain Fleischer accuse Jean-Luc Godard d’avoir tenu des propos antisémites. Provocation ou dérapage ?
Jean-Luc Douin
Le Monde
10 novembre 2009

Filmé en 2006 par Alain Fleischer pour un film qui s’est appelé Morceaux de conversations avec Jean-Luc Godard, le cinéaste franco-suisse aurait tenu des propos très polémiques à l’encontre des juifs, en partie écartés au montage, dont certains sur les deux films de Claude Lanzmann Shoah et Tsahal.

Dans un roman intitulé Courts-circuits, récemment édité au Cherche Midi, Alain Fleischer raconte qu’en aparté, lors d’une pause, Jean-Luc Godard aurait lâché cette phrase monstrueuse à son ami et interlocuteur Jean Narboni, ex-rédacteur en chef des Cahiers du cinéma : « Les attentats-suicides des Palestiniens pour parvenir à faire exister un Etat palestinien ressemblent en fin de compte à ce que firent les juifs en se laissant conduire comme des moutons et exterminer dans les chambres à gaz, se sacrifiant ainsi pour parvenir à faire exister l’Etat d’Israël. »

Jean-Luc Godard est coutumier de ce type de provocations. La première est survenue en 1974, lorsque, illustrant sa notion du montage comme vision comparative de l’histoire, il faisait chevaucher dans Ici et ailleurs une image de Golda Meir, premier ministre israélien, avec celle d’Adolf Hitler.

Prenant fait et cause pour la Palestine, l’auteur de Bande à part s’est maintes fois plu à rappeler, entre autres dans JLG/JLG en 1994, que, dans les camps nazis, les détenus au seuil de la mort étaient désignés sous le terme de « musulmans ». Ignorant délibérément la nature des crimes commis et subis par les uns et par les autres, il sous-entend que les victimes d’hier sont devenues les bourreaux d’aujourd’hui. Décrivant la Bible comme un « texte trop totalitaire », il a déjà lâché à propos de ces juifs qui, selon lui, auraient sauvé Israël en mourant dans les camps : « Au fond, il y a eu six millions de kamikazes. »

Dans Notre musique, film au départ duquel il voulait reprendre le schéma du Silence de la mer, de Vercors, en imaginant un officier israélien installé chez des Palestiniens, il déclare que « le peuple juif rejoint la fiction tandis que le peuple palestinien rejoint le documentaire ». Avec démonstration rhétorique, photographies à l’appui. Champ : les Israéliens marchent dans l’eau vers la Terre promise. Contrechamp : les Palestiniens marchent dans l’eau vers la noyade. Il s’en explique dans Morceaux de conversations… : « Les Israéliens sont arrivés sur un territoire qui est celui de leur fiction éternelle depuis les temps bibliques… » Jean Narboni lui fait remarquer que le mot « fiction » est choquant. « Alors, réplique-t-il, on dira que les Israéliens sont sur TF1, c’est la télé-réalité. Et les autres, dans un film de Frédéric Wiseman ».

Ces raccourcis suscitent doutes et consternation chez ses thuriféraires. Lorsque Jean Narboni lui rappelle que la juxtaposition des images de Golda Meir et d’Hitler avait même troublé Gilles Deleuze, sympathisant palestinien, lequel avait pourtant tenté de le défendre, Godard répond cinglant : « Pour moi, il n’y a rien à changer… sauf d’avocat ! »

« Juif du cinéma »

« Un catholique, je sais ce que c’est : il va à la messe, dit-il dans le film d’Alain Fleischer à Jean Narboni. Mais un juif, je ne sais pas ce que c’est ! Je ne comprends pas ! » Jean-Luc Godard s’est pourtant autoproclamé « juif du cinéma » pour signifier son destin de cinéaste persécuté. Il dit que, culpabilisé de n’avoir pas été alerté dans son enfance par l’Holocauste, choqué par les propos antisémites de son grand-père maternel qui faisait des plaisanteries sur son « médecin youpin », il n’a pas trouvé d’autre moyen de comprendre le juif qu’en se considérant « pareil ».

Dans Deux ou trois choses que je sais d’elle, lorsque son héroïne, prostituée occasionnelle, emmène un client dans un hôtel et que celui-ci lui fait remarquer que c’est un hôtel réservé aux juifs parce qu’il a une étoile, elle ne trouve pas ça drôle. Sensibilisé par la Shoah, Godard n’a de cesse de dénoncer la faute inexpiable du cinéma de n’avoir jamais filmé les camps. Le « ce qui ne peut pas être dit » de Wittgenstein devient à ses yeux un « il vaut mieux voir que s’entendre dire ». Clamant que « l’image, c’est comme une preuve dans un procès », une formule que d’aucuns trouvent à la limite du négationnisme.

Cette certitude que rien n’est infilmable, même la Shoah, l’oppose à Claude Lanzmann, qui, lui, s’insurge contre le caractère suspicieux qu’auraient des images du génocide. Persuadé de l’inadéquation de celles-ci, Lanzmann se range à l’avis d’Elie Wiesel, qui craint que le cinéma ne transforme un événement innommable en « phénomène de superficialité ». Débat qui, dans les colonnes du Monde, suscite la réaction du psychanalyste Gérard Wacjman résumant l’affrontement : « Saint Paul Godard contre Moïse Lanzmann ».

La question juive obsède Godard. Parfois à bon escient : le rappel des forfaits perpétrés dans les stades, comme le Heysel, rappelle le Vél’d’Hiv dans Soigne ta droite. Ou ce reproche adressé à Romain Goupil durant le tournage d’Allemagne neuf zéro : « Tu te dis anti-fasciste et quand tu filmes le stade des JO de Berlin, tu ne filmes qu’un stade, pas celui d’Hitler ! » Mais, en négatif, ses propos sur Hollywood « inventé par des gangsters juifs », et sur l’invention du cinéma par ces producteurs émigrés d’Europe centrale ayant compris que « faire un film, c’est produire une dette ». Son biographe américain, Richard Brody, raconte le projet d’un film où Godard débattrait avec Claude Lanzmann. Bernard-Henri Lévy étant médiateur. Ce dernier déclare : « Lanzmann et moi étions les instruments de sa cure : celle d’un antisémite qui essaye de se soigner. J’étais prêt à jouer le jeu, mais il a changé de plan. » Ici antisioniste, là carrément antisémite, Godard se heurte à quelque chose qu’il ne comprend pas, homme d’image affichant un problème avec la parole.

Voir également:

Décès du cinéaste Jean-Luc Godard, à l’origine de propos très polémiques
Le cinéaste avait – entre autres – déclenché une controverse aux États-Unis en 2010 pour ses positions passées sur Israël et les Juifs
Times of Israel
13 septembre 2022

Le réalisateur Jean-Luc Godard assiste à un débat au cinéma des Cinéastes à Paris, le 19 juin 2010. (Crédit : AFP / Miguel MEDINA)
Jean-Luc Godard, chantre de la Nouvelle Vague, militant franco-suisse engagé et controversé, est décédé ce 13 septembre en Suisse à l’âge de 91 ans. Il était notamment le réalisateur des films « À bout de souffle » (1960), du « Mépris » (1963) ou encore de « Pierrot le fou » (1965).

L’artiste, qui fuyait les honneurs, a pourtant obtenu de nombreux prix prestigieux, notamment au festival de Cannes, aux Césars, aux Oscars, au Festival de Berlin ou encore à la Mostra de Venise.

Pendant toute sa carrière, l’homme, marxiste avoué, a provoqué différentes polémiques et a eu à faire face à plusieurs reprises à des accusations d’antisémitisme.

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Habitué des polémiques, le cinéaste, depuis longtemps partisan pro-Palestinien, avait notamment déclenché une controverse aux États-Unis en 2010 pour ses positions sur Israël et les Juifs, juste avant de recevoir un Oscar d’honneur pour l’ensemble de sa carrière. « Est-ce un problème si [Godard] est antisémite ? », s’était notamment interrogé le Los Angeles Times.

Dans Courts-Circuits, un livre du cinéaste Alain Fleisher publié en 2009, l’auteur rapportait ces propos tenus par Godard à Jean Narboni, ex-rédacteur des Cahiers du Cinéma : « Les attentats-suicides des Palestiniens pour parvenir à faire exister un État palestinien ressemblent en fin de compte à ce que firent les Juifs en se laissant conduire comme des moutons et exterminer dans les chambres à gaz, se sacrifiant ainsi pour parvenir à faire exister l’État d’Israël. »

Jean-Luc Godard était ainsi coutumier de ce type de provocations.La première était survenue en 1974, lorsque, illustrant sa notion du montage comme vision comparative de l’histoire, il faisait chevaucher dans son documentaire « Ici et ailleurs » une image de Golda Meir, Premier ministre israélien, avec celle d’Adolf Hitler. Réalisé avec sa dernière compagne Anne-Marie Miéville, ce film dans lequel il comparait les Juifs aux nazis a ainsi causé un vif scandale.

En 2018, il avait signé une pétition avec des dizaines d’autres professionnels de l’industrie cinématographique française en faveur du boycott culturel d’Israël, dans le cadre de la saison France-Israël organisée par l’Institut français. L’année suivante, il avait signé un appel de 400 personnes dans le journal Libération pour défendre leur position antisioniste et pour éviter une criminalisation de ce qu’ils disent être une « opinion », ou un « courant de pensée né parmi les Juifs européens au moment où le nationalisme juif prenait son essor, qui s’oppose à l’idéologie sioniste qui préconisait (et préconise toujours) l’installation des Juifs du monde en Palestine, aujourd’hui Israël ».

Connu pour son goût de la provocation, il s’était félicité, dans un entretien au Monde publié en 2014, que l’extrême droite soit arrivée en tête des élections européennes en France, estimant que le président François Hollande devrait nommer Marine Le Pen Premier ministre.

« J’espérais que le Front national arriverait en tête. Je trouve que Hollande devrait nommer – je l’avais dit à France Inter, mais ils l’ont supprimé – Marine Le Pen Premier ministre », avait déclaré le réalisateur.

Interrogé sur les raisons de cette prise de position, il avait répondu : « Pour que ça bouge un peu ». « Pour qu’on fasse semblant de bouger, si on ne bouge pas vraiment. Ce qui est mieux que de faire semblant de ne rien faire », avait-il ajouté en riant, précisait le journal.

« Je ne suis pas pour eux », avait-il néanmoins indiqué, interrogé sur les bons scores des eurosceptiques et de l’extrême droite dans plusieurs pays d’Europe.

« Il y a longtemps, Jean-Marie Le Pen avait demandé que je sois viré de France. Mais j’ai juste envie que ça bouge un peu… », avait poursuivi le cinéaste. « Les grands vainqueurs, ce sont les abstentionnistes. J’en fais partie depuis longtemps. »

Jean-Luc Godard avait déjà tenu des propos du même ordre peu avant ces élections, alors qu’il était interrogé sur France Inter, en plein Festival de Cannes. « Autant mettre Marine Le Pen à la présidence, on regarde pendant cinq ans ce qui se passe et puis on la vire », avait-il lancé.

Provocateur né, Godard était aussi une figure importante mais inclassable pour la gauche. « L’Helvète anarchiste », selon les termes des organisateurs du Festival de Cannes qu’il contribue à faire annuler en mai 1968, était à la même époque « le plus con des Suisses pro-Chinois » pour les situationnistes.

Il se lance à cette période dans un cinéma militant avec des films-tracts de 3 minutes, renie sa production passée. Voulant « faire politiquement du cinéma politique », il abandonne la notion d’auteur.

Il fâchera aussi le pape Jean-Paul II avec « Je vous salue, Marie » et sa Vierge nue à l’écran.

En 2018, le Festival de Cannes lui délivrait une Palme d’or « spéciale » pour « Le Livre d’image », un prix qu’il n’était bien entendu par venu chercher, pas plus que son prix du Jury en 2014 pour « Adieu au langage ».

Célèbre pour ses aphorismes et bons mots, l’homme-cinéma avait de son vivant suggéré son épitaphe : « Jean-Luc Godard, au contraire ».

L’AFP a participé à la rédaction de cet article.

 Voir de même:

Jean-Luc Godard, la disparition du prophète du 7e art
Odile Tremblay
14 septembre 2022

Une tête d’intellectuel, des yeux myopes, un cigare, une vision du cinéma radicale et ardente, une grande gueule qui tonnait. Jean-Luc Godard a symbolisé le 7e art durant tant de générations… Même ses films moins rassembleurs n’auront pu ternir son aura brillante comme sur une icône. Une légende vivante vient de s’écrouler avec la mort du cinéaste emblématique de la Nouvelle Vague, le 13 septembre, dans son repaire helvète.

L’influence qu’il exerça sur les cinéastes et les cinéphiles fut inouïe, dans les années 1960 à 1980 et bien au-delà. Celui pour qui un traveling était affaire de morale considérait le cinéma comme une métaphore du monde et devint son prophète. Immense référence, par son foisonnement, sa diversité, sa faculté de penser le 7e art (comme de l’enterrer).

Sympathique, Godard ? Pas tant que ça. Avec sa propension de jeunesse à la kleptomanie, sa goujaterie envers ses pairs, sa misogynie, les relations houleuses entretenues avec les femmes de sa vie : muses, actrices et collaboratrices, d’Anna Karina à Anne-Marie Miéville en passant par Anne Wiazemsky. Sa force de frappe était ailleurs. Il sut brasser la cage, imposer des langages, innover, vénérer le cinéma comme un fou en hypnotisant ses admirateurs, qui ont cru aux temps nouveaux tirés de la pellicule.

Cette Nouvelle Vague là, qui avait poussé les « jeunes Turcs », souvent issus de la critique aux Cahiers du cinéma, à sauter dans l’arène au cours des folles années 1960, il en dominait la mouvance. Cherchant à jeter par-dessus bord le cinéma de papa aux codes poussiéreux, en 1960, son merveilleux film À bout de souffle, libéré du récit classique, sur fond d’amour et de trahison, enflammait les esprits. Tout comme Pierrot le fou (1965), inoubliable fuite en avant et road movie sur une ligne de hanche. Ajoutons le délicieux Bande à part (1964), à l’assaut d’une jeunesse qui cassait tous les moules et qui tirait la langue aux institutions.

Le dieu Godard
Réalisateur, cinéaste, souvent monteur, à la roue et au moulin de ses films, penseur de cet art en mouvement. Son oeuvre immense, charnière, protéiforme, inégale, et les nouvelles structures narratives qu’il aura apportées au cinéma, en fait le chantre du 7e art de modernité.

Assez pour qu’on proteste contre sa légende. Godard jouait les étonnés après avoir forgé sa propre couronne. Un journaliste avait lancé en 2001 avant sa conférence de presse à Cannes : « Dans le nom “Godard”, il y a le mot “God”. » C’est dire le culte…

Il tourna longtemps à pleine vitesse un film par année, touchant des thèmes collés ou pas aux questions sociales. Vivre sa vie, sur une jeune prostituée, Le mépris, avec Bardot et d’après Moravia, qui aborde l’univers du cinéma. Toujours éclectique, versant dans l’anticipation (Alphaville) et la comédie musicale (Une femme est une femme), il aura tâté de nombreux registres.

Longtemps ses oeuvres furent commentées et parfois démolies par des hordes de cinéphiles passionnés. En mai 1968, Godard aura été parmi les plus belliqueux cinéastes à faire tomber le chic rendez-vous cannois, par solidarité avec le tumulte estudiantin. Pourtant, ce Suisse de bonne famille (né à Paris, ballotté entre ses deux patries lors de l’invasion allemande), plutôt de droite, n’avait viré à gauche qu’en 1967, à partir de son film La Chinoise, qui parle d’une jeunesse maoïste. Il allait ensuite militer avec le groupe révolutionnaire Dziga Vertov, en s’éloignant de sa base.

En 1980, son Sauve qui peut (la vie), portraits croisés saisissants, lui fit retrouver la faveur du public. En outre, Prénom Carmen, adaptation contemporaine de l’opéra de Bizet, couronnée du Lion d’Or de Venise en 1983. Mais son étoile vacillait. Godard, qui en avait soupé de sa statue, se tourna pourtant très vite vers l’analyse de ses propres oeuvres comme de celles des autres, de plus en plus mémorialiste. Il ne croyait plus qu’au cinéma d’hier.

Un « cousin de l’ONF »
Dès 1988, ses essais Histoire(s) du cinéma l’ont poussé à théoriser, et souvent brillamment. Par la suite, ses oeuvres-poèmes déstructurées, de Nouvelle Vague, avec Delon, en 1990, au Livre d’image, en 2018, en irritaient plusieurs. « Comment je fais mes films, nous expliquait-il à Cannes en 2001 : je prends des bouts de phrases, des bouts de romans, des bouts de peintures, des bouts de paysages. » Ses collages nous inspiraient parfois, pas toujours. Le grand public s’en détournait. Qu’à cela ne tienne…

Dans les festivals, longtemps on s’est jeté sur les conférences de presse de ce grand tribun, qui enchaînait les sentences chocs contre la télé, Hollywood et ses leurres tout en jetant l’anathème sur les autres cinéastes, égratignés par lui jusqu’au sang. Même son ancien compagnon de combat, François Truffaut, finit de guerre lasse par lui claquer sa porte, après chapelets d’injures.

Pourtant Godard, parfois fidèle, aimait rappeler son passage au Québec, ses amitiés avec Jean-Claude Labrecque, Pierre Perrault, Gilles Groulx. « J’étais un cousin de l’ONF », confiait-il à son biographe Antoine de Baecque. Venu en Abitibi en saut de puce en 1968, dissuadé par le froid, il revint 10 ans plus tard, à l’invitation de Serge Losique. Sa série de 14 conférences sur l’histoire du cinéma et sur son propre parcours, offertes au Conservatoire d’art cinématographique de Montréal, avait fait sensation. Ça ne s’oublie pas.

Godard était à Cannes un élément du paysage comme le sable et la baie, puis coupa le cordon au cours de la dernière décennie. Sa santé, sa misanthropie, tout ça… En 2014, c’est in absentia qu’il avait récolté sur la Croisette le prix du jury pour son poétique Adieu au langage, ex aequo avec Xavier Dolan (Mommy).

Accessibles ou non, ses films des derniers temps étaient sans compromis. Dans sa tentative permanente de réinventer le langage du cinéma, « JLG » se sera toujours mis en danger. Courageux jusqu’à l’hermétisme, taxant de vendus ceux qui osaient espérer le succès commercial. Reste que lui-même ne faisait plus recette.

Vieux lion amer ou visionnaire incompris, le voici retrouvant son titre de pape du cinéma après avoir tiré sa révérence. Le président français, Emmanuel Macron, l’a qualifié mardi de trésor national, en oubliant que le disparu se voulait avant tout suisse. Chacun veut le ravoir dans sa cour. Côté légende godardienne, c’est reparti pour un grand tour !

Voir de plus:

Tributes pour in for renowned pro-Palestine French director Jean-Luc Godard
Middle East monitor
September 14, 2022

Tributes have been pouring in for the renowned French-Swiss director and pro-Palestinian activist Jean-Luc Godard. The lifelong advocate for Palestinians who revolutionised post-war cinema in Europe, died yesterday by assisted dying, his lawyer has confirmed. He died at the age of 91.

President of France, Emmanuel Macron, led the tribute: « We’ve lost a national treasure, the eye of a genius. Jean-Luc Godard, the most iconoclastic of New Wave filmmakers, » said Macron in a tweet.

British actor and broadcaster Stephen Fry was among many in the world of art and entertainment to pay their tribute. « Adieu, Jean-Luc Godard, » said Fry on Twitter. « I watched Breathless for the umpteenth time again just two weeks ago. It still leaps off the screen like few movies. That scene between them in the hotel: how many other directors could have managed that in so small a space and made it so captivating? »

The British Film Institute called Godard a « giant of cinema who ripped up the rule book » who « tested the limits of the medium, » read the BFI’s statement. BFI chief executive Ben Roberts told Variety: « Jean-Luc Godard’s death is a huge loss to cinema. The godfather of the French New Wave and one of the most influential and innovative filmmakers of the last century, his work has resonated with generations of film-lovers around the world. The BFI will continue to champion his work to new audiences, and celebrate his career. A special edition of Sight and Sound paying tribute to Godard will be available from Oct. 3. »

The Cannes Film Festival released a retrospective of his career highlights on Twitter. « Since his first appearance at the Festival in ‘Cleo de 5 à 7’ in 1962, 21 films by Jean-Luc Godard have been screened in Cannes, » the festival wrote on social media.

Toronto International Film Festival chief Cameron Bailey tweeted: « Jean-Luc Godard might have despised posthumous praise but here we are. His staggering body of work over seven decades showed him to be a rare, true genius in cinema. It was playful and punishing. It challenged every viewer, and rewarded the persistent. »

Though tribute poured in from the world of art and entertainment not much attention was given to Godard’s life as a pro-Palestine activist and a staunch critic of Israel. Unsurprisingly his criticism of the Apartheid State saw him constantly being smeared as an anti-Semite.

In 2010, the Academy of Motion Picture Arts and Sciences announced plans to award Godard an honorary Oscar. Pro-Israel groups revolted. Calling on the Academy to rescind the Oscar, the right-wing Zionist Organisation of America called Godard a « virulent anti-Semite. » Such claims of anti-Semitism were a constant throughout Godard’s long life, according to Jewish Currents, which paid tribute to the late director in an article. Godard rejected the allegations by insisting that he was an « anti-Zionist » not an anti-Semite.

Godard was an outspoken pro-Palestinian activist and endorsed the boycott of Israel. He reportedly added his name to a petition which planned for a boycott of the France-Israel Season event by the Institut Francais. « Posing as an event for cultural exchange, » the petition read, « This effort is meant to boost Israeli reparation, tarnished by its increasingly hard-handed policies vis-a-vis the Palestinians. »

In addition to Godard, the petition was also signed by Eyal Sivan, an Israel-born director who in 2001 said Jews in France were paying the price for « the colonial and murderous situation that has prevailed for more than fifty years in Israel-Palestine. »

Voir par ailleurs:

Are They Giving an Oscar to an Anti-Semite?
Benjamin Ivry
The Forward
October 08, 2010

Hollywood’s Academy of Motion Picture Arts and Sciences intends to award an honorary Oscar to iconic French-Swiss filmmaker Jean-Luc Godard on November 13. But will the academy be honoring a notoriously vocal, albeit French-speaking, anti-Semite?

Admired for avant-garde films like “Breathless” (1960); “My Life to Live” (1962) and “Contempt” (1963), Godard is one of the last survivors of French cinema’s New Wave movement, after the death in January of director Éric Rohmer and the premature 1984 demise of Godard’s colleague and ex-friend, François Truffaut. The friendship between Godard and Truffaut dissolved by the end of the 1960s because of the former’s anti-Semitism, according to two new biographies: “Godard” by film historian Antoine de Baecque, published in Paris in March, and “Everything Is Cinema: The Working Life of Jean-Luc Godard” (2008) by Richard Brody.

Both biographers recount a series of incidents expressing Godard’s unhealthy obsession with Jews, which noted French historian and journalist Pierre Assouline, on his Le Monde blog, termed “anti-Semitic.” In 1968, Godard, in the presence of Truffaut, called producer Pierre Braunberger, an early supporter of New Wave filmmakers, “sale juif” (“filthy Jew”), after which Truffaut immediately broke from Godard.

Godard’s attitude toward Jews has also come under the microscope because of his contempt for the State of Israel, which he has often called “a cancer on the map of the Middle East” —including in a famous 1991 interview with the newspaper Libération. His 1976 documentary “Ici et Ailleurs” (“Here and Elsewhere”) contrasts the lives of a French and Palestinian family and features alternatingly flickering images of Golda Meir and Adolf Hitler, proposing them as comparable tyrants. As de Baecque underlines, in “Ici et Ailleurs” Godard also defends the 1972 Munich Olympics massacre, suggesting that “before every Olympics finale, an image of Palestinian [refugee] camps should be broadcast.”

When I interviewed Godard in 1991 at his home in the Swiss city of Rolle, I asked him to explain the cancer metaphor. Keeping one eye on a muted television showing tennis, Godard languidly described hospital X-rays of malignant tumors in what he clearly saw as an exact analogy to the Middle East. He discussed the subject more recently, in a 2007 documentary, “Morceaux de Conversations,” (“Fragments of Conversations With Jean-Luc Godard”) made by film historian Jean Narboni, an editor of the influential French film magazine Cahiers du Cinema. Godard tells Narboni that Israelis currently occupy a territory that belongs to “their eternal fiction, from biblical times onward.” When Narboni states that the term “fiction” is offensive, Godard flippantly replies that Israelis live on “reality TV,” whereas Palestinians exist “in a film by Frederick Wiseman,” the starkly tragic, albeit American Jewish, documentarian.

Reality itself becomes a relative term when Godard, as de Baecque observes, justifies every act of Arab resistance, including terrorism, by saying that “Israel is a paradoxical form of Nazism’s historical resurgence.” In a 1970 short documentary filmed for German TV, Godard brandished a tract with the slogan “NazIsrael” emblazoned on it and told the cameraman, “Write us a check from German television, which is financed by Zionists and that idiotic Social Democrat, Willy Brandt, and that will let us buy weapons for the Palestinians to attack Zionists,” as de Baecque further recounted.

Godard’s fictional films also contain disquieting anti-Semitic utterances, sometimes in the guise of pseudo-humor. In 1964’s “A Married Woman” (“Une Femme Mariée”), a character states: “Today, in Germany, I said to someone, ‘How about if tomorrow, we kill all the Jews and the hairdressers?’ He replied, ‘Why the hairdressers?’” In 1967’s “Two or Three Things I Know About Her” (“Deux ou Trois Choses Que je Sais D’elle”), the director brags that ParisMatch magazine “always affixes a star to my films, as it does to Jews.” The allusion to the Nazi law forcing Jews to wear yellow stars in Occupied France is symptomatic of a sensibility, usually found among Europe’s ultra-right-wing politicians, that produces crushingly unfunny jokes about such historical tragedy. Godard’s 2010 film, “Film Socialisme” (“Socialism Film”), which premiered in May at the Cannes Film Festival, features a typical pseudo-aphorism of this ilk: “Strange thing Hollywood — Jews invented it.”

While Hollywood historians know that the early studio heads were for the most part Jewish, to conclude that this explains the industry’s “strangeness” is racist, to say the least. Godard is entitled to criticize filmmaking, and he has poured scorn on much of Hollywood’s output — especially on Steven Spielberg — but his comments are clearly not confined to that arena. Even Godard’s friends and collaborators, like the French-Jewish filmmaker Jean-Pierre Gorin, can find themselves insulted. In 1973, Gorin contacted Godard to be paid for his collaborative work on 1972’s “Tout Va Bien” (“Everything’s Fine”), to which Godard responded, “Ah, it’s always the same: Jews call you when they hear a cash register opening.”

In a 2009 article in Le Monde, “Godard and the Jewish Question” by Jean-Luc Douin, Godard is quoted as making an off-camera comment during the filming of a 2006 documentary: “Palestinians’ suicide bombings in order to bring a Palestinian State into existence ultimately resemble what the Jews did by allowing themselves to be led like sheep to be slaughtered in gas chambers, sacrificing themselves to bring into existence the State of Israel.” Godard apparently believes that Jews committed mass suicide during the Holocaust in order for Israel to be created. The same article quotes him along these lines: “Basically, there were six million kamikazes” and “Hollywood was invented by Jewish gangsters.” At least Godard cannot accuse the American film industry of being ungrateful gangsters.

When the Forward submitted some of Godard’s anti-Semitic utterances to the academy, the following written response was issued: “The Academy is aware that Jean-Luc Godard has made statements in the past that some have construed as anti-Semitic. We are also aware of detailed rebuttals to that charge. Anti-Semitism is of course deplorable, but the Academy has not found the accusations against M. Godard persuasive.”

As “detailed rebuttals,” an Academy spokesperson cited a single 2009 article in the English-language Canadian magazine Cinemascope by Bill Krohn, a Hollywood correspondent for Cahiers du Cinema, to which Godard and many of the early New Wave directors contributed. Krohn accused Brody of ideological simplification, biographical reductivism, guilt by association, misinterpretation, having felt snubbed by Godard and, overall, perpetrating “a hatchet job disguised as a celebration of Godard’s genius.” Krohn’s critique is diffuse and short on specifics, but in one concrete instance he suggests that Godard’s exclamation of “filthy Jew,” taken by Braunberger as a deadly insult, was misunderstood. Krohn unpersuasively interprets it as affectionate banter between old friends and, even more absurdly, as an allusion to Jean Renoir’s classic 1937 film “La Grande Illusion.”

Assouline expressed astonishment that after Brody’s biography appeared, revealing “with precision Godard’s anti-Semitism,” Godard was rumored to be preparing an adaptation of Daniel Mendelsohn’s “The Lost: A Search for Six of Six Million,” tracing the fate of six Holocaust victims. Perhaps film producers make the distinction between an artist of undeniable talent and an individual of extremely dubious opinions. Responding to reporters from the London Sunday Times, Jean-Luc Gaillard, a longtime neighbor of Godard, noted, “He [Godard] is on a different level from the rest of us, somewhere between genius and completely round the bend.”

In proudly Anglo-dominated Los Angeles, it seems that artists whose odious statements are made in languages other than English can get a free pass and, on occasion, even a hat tip. Because Godard’s statements have been in French, there has been barely any American opposition to the Academy’s nomination. When approached to comment for this story, even staunch opponents of anti-Semitism — such as Rabbi Marvin Hier, head of the Simon Wiesenthal Center and multiple Academy Award winner; noted University of California, Los Angeles, film historian Howard Suber, and writer-producer Lionel Chetwynd — said that they had no personal knowledge of Godard’s reputed anti-Semitism.

Elsewhere — and especially in France, where Godard has worked for several decades — others may agree with Braunberger, who wrote to Truffaut in 1968: “I will never forgive Godard for his anti-Semitism. Anti-Semitism brings joy to no one… I realize that from now on, you can only despise Godard on a human level. ‘Filthy Jew’ is the only insult which I cannot take… If you know what these words evoke within me, what they revive of a past which is still agonizing, you would come over to embrace me. (signed) Your Jewish friend who owes so much of his Jewish happiness to you.”

Benjamin Ivry is a frequent contributor to the Forward.

Tom Tugend, who provided additional reporting, is a contributing editor at the Jewish Journal of Greater Los Angeles.

Voir par encore:

Jean-Luc Godard to get honorary Oscar, questions of anti-Semitism remain
Tom Tugend
Jewish Journal
October 6, 2010

Hollywood’s Academy of Motion Picture Arts and Sciences has announced that it will bestow an honorary Oscar on iconic Swiss-French filmmaker Jean-Luc Godard on Nov. 13.

The announcement has raised a new question and revived an old one.

First, will Godard show up to accept the award?

Second, is he an anti-Semite?

Both questions can be answered with a categorical “maybe yes or maybe no.”

Godard, who will mark his 80th birthday in December, is one of the originators, and among the last survivors, of the French New Wave cinema, which he helped kick-start in 1960 with “Breathless,” still his best-known work.

He and his cohorts, among them Francois Truffaut and Eric Rohmer, rebelled against the traditional French movie, and later against all things Hollywood.

The New Wave elevated the role of the director as the sole auteur of a movie and viewed film as a fluid audiovisual language, freed of the constraints of formal story lines, plot, narration and sequence.

As Godard put it, “I believe a film should have a beginning, a middle and an end, but not necessarily in that order.”

To a small coterie of cinephiles and most professional film critics, especially in Europe, Godard is considered the ultimate cinematic genius. To others, his films often seem insufferably opaque and incomprehensible.

In the 50 years since his film debut, Godard has proven his vigor and inventiveness in 70 features and is credited with strongly influencing such American directors as Martin Scorsese, Quentin Tarantino and Steven Soderbergh.

Godard’s long career has been marked by constant artistic disputes and charges of anti-Semitism and anti-Zionism, as noted in three biographies: “Godard: A Portrait of the Artist at 70” (2003) by American professor Colin MacCabe; “Everything Is Cinema: The Working Life of Jean-Luc Godard” (2008) by Richard Brody, an editor and writer for the New Yorker; and “Godard” by film historian Antoine de Baecque.

The last was published in March in French and is not easily available. Material used in this article was drawn from reviews and analyses of the book.

The early seeds of Godard’s alleged anti-Semitism and acknowledged anti-Zionism may have been planted in the home of his affluent Swiss-French Protestant family.

In a 1978 lecture in Montreal, he spoke of his family’s own political history as World War II “collaborators” who rooted for a German victory, and of his grandfather as “ferociously not even anti-Zionist, but he was anti-Jew; whereas I am anti-Zionist, he was anti-Semitic.”

Godard validated his anti-Israel credentials in 1970 by filming “Until Victory,” depicting the “Palestinian struggle for independence,” partially bankrolled by the Arab League.

The project was eventually aborted, but Godard used some of the footage in his 1976 documentary, “Ici et ailleurs” (“Here and Elsewhere”), contrasting the lives of two families — one French and one Palestinian.

In it, Godard inserted alternating blinking images of Golda Meir and Adolf Hitler, and suggested, in reference to the 1972 Munich Olympics massacre, that “before every Olympic finale, an image of a Palestinian [refugee] camp should be broadcast.”

Biographer Brody, like the other authors, is an ardent admirer of Godard the artist, but he notes that in the filmmaker’s later work, “Godard’s obsession with living history … has brought with it a troubling set of idées fixes, notably regarding Jews and the United States.”

Godard has been able to combine both targets in his attacks on Hollywood, and, of course, the Jews who run it.

He has always been obsessed by the Holocaust, and after the 1993 release of “Schindler’s List,”  the film and its director, Steven Spielberg, became Godard’s favorite whipping boys.

As in many of his attacks on Hollywood, it is at times difficult to discern whether Godard’s hostility is based on artistic differences or anti-Semitism, or a bit of each.

The leitmotif running through Godard’s own work is the superiority of “images” as against “texts” or narratives, or, as he puts it, “the great conflict between the seen and the said.”

He faults, for instance, Claude Lanzmann’s monumental nine-hour film, “Shoah,” for its use of personal narratives by survivors and others, and proposes that the Holocaust can only be truly represented by showing the home life of one of the concentration camp guards.

Who is to blame for the Jewish preference of text over image? It is Moses, Godard’s “greatest enemy,” who “saw the bush in flames and who came down from the mountain and didn’t say, ‘This is what I saw,’ but, ‘Here are the tablets of the law.’ ”

For the untutored layman, unfamiliar with the methods and passions of movie making, this and other Godard pronouncements can take on an Alice-in-Wonderland quality.

A key may be found in a recent London Sunday Times story, in which a reporter interviewed one of Godard’s oldest friends, a retired geology professor.

“He [Godard] is on a different level from the rest of us, somewhere between genius and completely round the bend,” the professor explained.

Artistic differences aside, there are disturbing instances of Godard’s anti-Semitism, particularly directed against some of his closest collaborators. According to the three biographers, at one point Godard called producer Pierre Braunberger, an early supporter of the New Wave filmmakers, a “sale Juif ” (filthy Jew).

In another case, when longtime collaborator Jean-Pierre Gorin requested some back pay, Godard noted, “Ah, it’s always the same, Jews call you when they hear a cash register opening.”

When this reporter submitted some of Godard’s anti-Semitic utterances to the Motion Picture Academy and requested comments, the request prompted the following written response:

“The Academy is aware that Jean-Luc Godard has made statements in the past that some have construed as anti-Semitic. We are also aware of detailed rebuttals to that charge. Anti-Semitism is of course deplorable, but the Academy has not found the accusations against M. Godard persuasive.

Voir de plus:

An Honorary Oscar Revives a Controversy
Michael Cieply
The NY Times
Nov. 1, 2010

LOS ANGELES — Late last week, the Academy of Motion Picture Arts and Sciences was still coming to terms with that most deeply confounding of European filmmakers, Jean-Luc Godard.

No one had yet signed on to present an honorary Oscar to Mr. Godard, who has said he will not be on hand anyway at the academy’s awards banquet in Hollywood a week from Saturday. But there was also the touchy question of how to deal with newly highlighted claims that Mr. Godard, a master of modern film, has long harbored anti-Jewish views that threaten to widen his distance from Hollywood, even as the film industry’s leading institution is trying to close the gap.

Over the last month, articles in the Jewish press — including a cover story titled “Is Jean-Luc Godard an Anti-Semite?” in The Jewish Journal — have revived a simmering debate over whether Mr. Godard, an avowed anti-Zionist and advocate for Palestinian rights, is also anti-Jewish. And this close examination of his posture toward Jews has put a shadow over plans by the academy to honor him at the Nov. 13 banquet, along with the actor Eli Wallach, the filmmaker Francis Ford Coppola and the film historian and preservationist Kevin Brownlow. (The separate Oscar telecast is scheduled for Feb. 27, on ABC.)

The academy is doing its best to sidestep the issue. For one thing, don’t look for the touchier aspects of Mr. Godard’s work in the five-minute tribute reel being assembled around New Wave masterpieces. Probably missing will be a much-discussed sequence in the 1976 documentary “Here and There,” about the lives of two families, one French and one Palestinian. In it, alternating images of Golda Meir and Adolf Hitler have suggested to some that Mr. Godard, the narrator and one of the directors of the film, sets them up as equivalents.

“I can imagine it might not be there,” Sidney Ganis, who is producing the ceremony, said on Friday. He also said he had a prospect in mind to present the award.

Mr. Godard, 79, has inspired directors as diverse as Martin Scorsese, Woody Allen and Quentin Tarantino with his technique, sophistication and exuberant use of pop culture in 70 feature films. That work, however, had never been honored by the academy until a decision this year to present Mr. Godard with an honorary governors award, given not at the main event in February but at a separate black-tie ceremony for entertainment industry insiders.

To date, there has been no surge of opposition to match the protests that greeted a decision to give Elia Kazan an honorary Oscar in 1999, despite his having named colleagues before the House Un-American Activities Committee investigating Communist influence in Hollywood during the red baiting era.

But Mr. Ganis and others in the academy have fielded queries from members who question the propriety of an award that is drawing attention not just to Mr. Godard’s well-known disregard for Hollywood but also to positions and statements in which he has mingled his mistrust of the mainstream movie world with a wariness of traits he associates with Jews.

In one of the more striking such statements, in a 1985 interview in Le Matin quoted in Richard Brody’s 2008 biography, Mr. Godard spoke of the film industry as being bound up in Jewish usury.

“What I find interesting in the cinema is that, from the beginning, there is the idea of debt,” he is quoted as saying. “The real producer is, all the same, the image of the Central European Jew.”

In cataloguing and assessing such pronouncements, Mr. Brody, who is generally admiring in the biography, titled “Everything Is Cinema: The Working Life of Jean-Luc Godard,” attributed what he called “the hardening and sharpening of Godard’s anti-Semitic attitudes” to factors that included his childhood in war-torn Europe, a turn toward pro-Palestinian radicalism in the 1960s and a complicated view of history in which Mr. Godard has blamed Moses for having corrupted society by bringing mere text, in the form of written law, down from the mountain, after having encountered an actual image, the burning bush.

Neither Mr. Godard nor his associates could be reached for comment on Monday, which was a holiday in France.

“If Hollywood wants to honor his work, great, I’m fine with it,” said Mike Medavoy, a film producer and academy member who was born in Shanghai after his parents fled the Holocaust.

But Mr. Medavoy added that he was less than charmed by what he characterized as Mr. Godard’s “narrow mind” when it comes to Jews and the film business. “I’m not fine with that,” he said.

Mr. Godard once complained that Steven Spielberg had misused the image of Auschwitz in the making of “Schindler’s List.” In 1995, Mr. Godard turned down an honorary award from the New York Film Critics’ Circle, in part, he said, because he had personally failed “to prevent Mr. Spielberg from reconstructing Auschwitz. »

Mr. Spielberg never responded publicly to that complaint, according to Marvin Levy, his spokesman. Mr. Levy said Mr. Spielberg had not decided whether to attend the awards ceremony but that his absence, in any case, would carry no message about Mr. Godard.

For whatever reason, the gap between Mr. Godard and the academy appears to have run deeper than the occasional snub of a director, like, say, Alfred Hitchcock, who never won a directing Oscar, but was finally given the academy’s Irving G. Thalberg Award, for a lifetime of producing, in 1968.

Researchers at the academy’s Margaret Herrick Library turned up no sign that any aspect of a Godard film had ever been so much as nominated for an Oscar, despite awards and festival recognition abroad.

The absence of recognition by the academy may have less to do with Mr. Godard’s well-known antagonism toward Hollywood than with the fact that many academy members were simply looking elsewhere when his career erupted in the 1960s as a leader of the French New Wave with films like “Breathless” and “Band of Outsiders.” The producer Walter Mirisch, for example, said, “During the time of his films, I was occupied with my own.” Mr. Mirisch, 88, served a number of terms as the academy’s president and won a best picture Oscar in 1968 for “In the Heat of the Night.”

In preparing for this year’s governors awards, the second in a planned annual series separate from the televised Oscar ceremony, Phil Alden Robinson, an academy vice president and a governor, proposed Mr. Godard for recognition that was supposed to close a gap with people like Mr. Mirisch.

“Godard speaks to a generation that’s only now getting voting weight in the academy,” said Mr. Robinson, who is both a writer and a director, and had an Oscar nomination in 1990 for his “Field of Dreams” script. “The older generation didn’t have the same regard for him.”

Inadvertently, however, Mr. Robinson pried open a debate that has raged around artists as august as the poet Ezra Pound and as popular as the actor and filmmaker Mel Gibson: Is the work somehow tainted by the attitudes of the man?

Daniel S. Mariaschin, an executive vice president at B’nai B’rith International, strongly denounced the academy’s decision to honor Mr. Godard.

“They have set up standards for art, but they take a pass on standards for decency and standards for morality,” Mr. Mariaschin said on Monday. “How could one possibly derive enjoyment or pleasure from this, knowing that the individual holds these views?”

Mr. Mariaschin said he was surprised to see, based on recent news reports, that Mr. Godard had not back-pedaled when challenged regarding his view of Jews. “He’s not even contrite,” Mr. Mariaschin said.

For Mr. Robinson, the art and the artist are separate. “D. W. Griffith got an honorary Oscar in 1936,” he said, “and the man was horribly racist.”

Besides, said Mr. Robinson, whose “Field of Dreams” was a fantasy about the disgraced members of the Chicago White Sox team that threw the World Series: “You’re talking to someone who believes Shoeless Joe Jackson should be in the Hall of Fame.”

Voir encore:

Jean-Luc Godard’s Oscar rekindles antisemitism row

An honorary award for the French director has enraged some in Hollywood who say his work reveals a lifelong hostility towards Jews
Paul Harris in New York
The Guardian
4 Nov 2010

It should have been a typical acting love-in of the type the beautiful and rich elite of Hollywood do so well. At a lavish dinner last night, the acclaimed French director Jean-Luc Godard was given an honorary Oscar alongside other established greats such as Francis Ford Coppola and the actor Eli Wallach.

There was the usual banquet, mutual backslapping and enough air-kissing to inflate a zeppelin – but that was where the parallels with orthodox movie award ceremonies ended. For not only did the recipient of the gong fail to show up, but he was, in absentia, the subject of fierce debate over whether or not his long commitment to highlighting the plight of Palestinians has crossed over into antisemitism. The question on many people’s lips was: is Godard anti-Zionist or is he anti-Jewish?

In Hollywood there is no greater sin. The debate dominated the build-up banquet, which is held earlier than the globally televised event due in February.

It was a battle fought across the newspapers of America in angry editorials, as well as in the salons and offices of Hollywood movers and shakers. Richard Cohen, a Washington Post columnist, penned an outraged post on the Daily Beast website where he compared Godard’s accolade to the award of an Oscar in 1926 to the director DW Griffith, who was accused of being a racist.

« Just as no one in the film industry could look a black person in the eye after giving an award to Griffith, so it should be just as hard to honour Godard and look history in the eye, » Cohen said.

That followed on from a lengthy piece in the Jewish Journal which put the director on its cover under the headline: « Is Jean-Luc Godard an antisemite? »

The article delved deep into the French director’s body of work and scores of his interviews to examine the question. The reclusive 79-year-old certainly has a long history of supporting the Palestinians, including filming Until Victory, which told the story of the Palestinian struggle against Israel. He once admitted that his grandfather had « ferociously » disliked Jews. « He was anti-Jew; whereas I am anti-Zionist, he was antisemitic, » the director once said.

But some critics say Godard’s work and some of his statements have crossed the line from being critical of Israel and its policies and into antisemitism. In one of his films (Here and There), the director alternates images of Adolf Hitler with Israeli leader Golda Meir. He has criticised films about the Holocaust such as Schindler’s List and Shoah, though often on apparently artistic grounds.

But some other reported statements are less easy to defend, including once calling a friend a « dirty Jew » and, after being asked for back pay by a colleague, saying: « It is always the same, Jews call you when they hear a cash register opening. » In a 1985 interview Godard spoke of the « image of the central European Jew » as being part of Hollywood’s problem with being caught up in debt.

The Jewish Journal went so far as to send a list of these and others of Godard’s supposedly antisemitic statements to the Academy of Motion Picture Arts and Sciences, the organisation behind the Oscars. The academy replied that it was aware of the allegations. « Antisemitism is of course deplorable, but the academy has not found the accusations against Godard persuasive, » it said. Some Jewish groups, such as B’nai B’rith International, have condemned the decision to honour Godard.

But the biggest surprise of the controversy might just be the award itself. Godard sprang to fame at the head of the French new wave with ground-breaking works such as Breathless.

Along with other auteurs such as François Truffaut, he rebelled against conventional French cinema and later against Hollywood. They believed that a film was the director’s intellectual vision and should break out of the constraints of straightforward plots and conventional cinematography.

Such attitudes never went down well with mainstream Hollywood, which regarded new wave films as impenetrable, unmarketable and difficult for audiences. None of Godard’s 70 feature films has ever been nominated for an Oscar, despite his international acclaim. That attitude has largely been returned by Godard, whose decision not to attend the ceremony last night means the academy will have to ship the gold statuette to his home in Switzerland.

He once said: « I believe a film should have a beginning, a middle and an end, but not necessarily in that order. » In the highly commercial and brutally cynical world of Hollywood, that sort of sentiment might be more of a reason for shock than any criticism of Israel.

Voir enfin:

On Jean-Luc Godard
Roger Ebert
April 30, 1969

The films of Jean-Luc Godard have fascinated and enraged moviegoers for a decade now. The simple fact is: This most brilliant of all modern directors is heartily disliked by a great many people who pay to see his movies.

No wonder. Godard is a perverse and difficult director who is deeply into his own universe. He couldn’t care less about a making a traditional movie with a story line. His films require active participation and imagination by the audience, and most movie audiences are lazy.

The film medium, above all others, encourages a passive response. All you have to do is sit back and let the images wash across your eyeballs and listen to the words. The movie does the rest. Occasionally a movie comes along, however, that requires some thought. A « 2001, » for example, or « Weekend » (1968) or even « Bullitt. »

Godard’s « Weekend » is not a narrative film like « Bullitt, » and it makes no attempt to tell a story. But neither is it a purely visual film like « 2001, » existing within its own self-contained rationale. Godard jams his films full of political, literary, cinematic and historical references. But they don’t seem to be organized according to any system. In « Weekend, » characters wander in and out, expressing disorganized thoughts about Mozart, the Third World, the function of the cinema and things like that.

On this level, « Weekend » is a great deal like an erudite cocktail party: Lots of well-informed people drift about repeating things they learned in college survey courses and nothing gets accomplished or decided, but at the end you have a feeling of unease – as if this world, and the things said in it, were a frail shield against some approaching cataclysm.

That’s on one level. On another level, Godard makes the most purely cinematic movies yet achieved. He uses his camera and his images to create a world that has no existence outside this particular movie. He doesn’t pretend his characters are real people, or his « plots » are real, or his dialog. In « Weekend, » Godard’s hero tells the heroine: « This is a lousy movie. All you meet are sick people. » At another point, a motorist asks the hero: « Are you real life or in a movie? »

This sort of thing irritates the hell out of some audiences, who think Godard is merely being clever. But it goes beyond that. No movie characters are real. No situations or dialog are real. Then isn’t it more real to admit that? « Weekend » is about some hypothetical time and country when the barbarism of modern life is routinely accepted. Related subject matter has been covered in many movies, often of the science-fiction genre. Isn’t it more real to abandon the attempt at a story and admit that you’re a director making this movie with these actors?
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Well, maybe so and maybe not. Godard will never find a very large audience, I guess. His style and philosophy take some getting used to. You have to see all his films, or none of them. One single Godard film seems accidental. But if you see half a dozen, you begin to get a sense of his universe. You see themes introduced, developed, worked out, discarded and then later satirized.

« Weekend, » for example, steals an exact shot from « La Chinoise » – the one of the young girl dressed in peasant’s rags and pointing a gun at the head of her friend. These young people and their lives were first introduced in « Masculine Feminine, » the film that correctly predicted the French student uprising. « La Chinoise » showed us radical students who broke loose from ideology and experimented with direct action. Now, in « Weekend, » we see young people living in guerilla tribes in the countryside, and we begin to see where Godard’s investigation is taking him.

Godard is a director of the very first rank; no other director in the 1960s has had more influence on the development of the feature-length film. Like Joyce in fiction or Beckett in theater, he is a pioneer whose present work is not acceptable to present audiences. But his influence on other directors is gradually creating and educating an audience that will, perhaps in the next generation, be able to look back at his films and see that this is where their cinema began.

Roger Ebert was the film critic of the Chicago Sun-Times from 1967 until his death in 2013. In 1975, he won the Pulitzer Prize for distinguished criticism.


De la glasnost à la publicité: Retour sur l’imposture Gorbatchev (From Pizza Hut to Louis Vuitton and OBB, what better symbols than Gorbachev’s infamous ads for the massive corruption at the core of the rogue kleptocracy which has now given Russia its new Führer ?)

31 août, 2022

Annie Leibovitz - Louis Vuitton - Gorbachev (French) | AdForum Talent: The creative industry network.

Un des grands problèmes de la Russie – et plus encore de la Chine – est que, contrairement aux camps de concentration hitlériens, les leurs n’ont jamais été libérés et qu’il n’y a eu aucun tribunal de Nuremberg pour juger les crimes commis. Thérèse Delpech (2005)
Welcome Gorby, bienv’nue ici Où on est quelques-uns, je crois Un copain à moi et puis moi A espérer Qu’tu vas v’nir avec tes blindés Nous délivrer T’as fait tomber l’mur de Berlin (…) Ici y’a des chaînes à briser Commence par les chaînes de télé (…) Que tu nous débarrasses un peu De ce « Big Brother » de mes deux J’te fais confiance Tu pourras aussi liquider Les radios FM à gerber Qu’ nous balancent De nos chanteurs hydrocéphales Et de leur poésie fécale Toute l’indigence (…) Où on est quelques-uns, je crois (…) A espérer Qu’tu vas v’nir avec ton armée Tout balayer Tu peux construire, si tu t’amènes Quelques goulags au bord d’la Seine De toute urgence Ici y’a un paquet d’nuisibles Qui nous font péter les fusibles De la conscience Des BHL et des Foucault Pas l’philosophe, non, l’autre idiot Des Dorothée Fort sympathiques au demeurant Je dirais plus exactement Aux demeurés (…) Que tu vas v’nir claquer l’beignet A ces tarés On a ici, c’est bien pratique Quelques hôpitaux psychiatriques Qu’tu peux vider Pour y foutre les psychanalystes Les députés, les journalistes Et les Musclés (…) Si t’en as marre du communisme J’te raconte pas l’capitalisme Comme c’est l’panard Comment on est manipulés Intoxiqués, fichés, blousés Par ces connards Viens donc contempler nos idoles Elles sont un peu plus rock and roll Que ton Lénine Bernard Tapie et Anne Sinclair ‘Vec ça tu comprends qu’notr’misère Soit légitime (…) Qu’si tu v’nais avec tes blindés Y voudraient sur’ment pas rester. Renaud
Nous nous trompons peut-être [sur Gorbatchev], mais j’aime mieux cette erreur que l’autre, monstrueuse, qui consiste à douter. Pierre Bergé
Une glasnost franche et complète, voilà la première condition pour une société saine, la nôtre y compris. Soljénitsyne
Pendant que le régime tentait [ou peut-être ne le tentait-il pas] de rééduquer les détenus à l’aide de slogans, les détenus rééduquaient tout le pays à travers la zone bordant l’Archipel. La philosophie des truands, la ténacité apprise dans les camps, la cruauté dans les rapports humains, la carapace de l’insensibilité couvrant le cœur, la haine du travail bien fait, tout cela gagna sans peine le monde attenant aux camps et de là tout le pays. Ce fut là la vengeance de l’Archipel contre le pays qui l’avait créé. Soljénitsyne (L’Archipel du Goulag)
Il est facile de transformer l’homme en bête ; il est terriblement difficile et incroyablement long de refaire de cette bête un homme. Pavlov
Personne ne s’apprête à nous faire la guerre. Tous les discours sur les Pershing et les relations tendues sont du bavardage. Qui pourrait déclencher une guerre contre nous, alors que dans douze à quinze ans nous aurons disparu en tant qu’État souverain – un État dont plus de la moitié de la population adulte est constituée d’alcooliques et d’ivrognes n’est pas capable d’assurer sa défense. […] Dans la plupart des villages sibériens, tout le monde boit, du responsable aux vachers. Notre institut cultive la betterave pour Akademgorodok parce que le village chargé de fournir la betterave est dans un état d’hébétude alcoolique et personne n’y travaille. La conséquence la plus effrayante de ces vingt ans de folie alcoolique est la dégénérescence progressive de la nation, surtout de sa partie russe. […] Qui laissons-nous derrière nous aujourd’hui ? Cette année – 1983 – nous avons donné naissance à tant d’enfants handicapés qu’en 1990 15 % au moins de tous nos enfants seront dans des écoles spéciales. […] Dans les villages sibériens […], les gens n’atteignent pas l’âge de soixante ans, parce qu’ils boivent. Ils travaillent tant bien que mal jusqu’à l’heure du déjeuner avec une idée en tête : se saoûler après déjeuner. Le soir, on a à peu près autant de chance de rencontrer quelqu’un de sobre que de rencontrer un martien. Rapport de Novossibirsk (RLRB, 13 février 1985)
La disparition de l’URSS est la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle, celui qui ne la regrette pas n’a pas de cœur, celui qui veut la restaurer n’a pas de tête. Vladimir Poutine
In an industry where sesame seeds are hand-placed on a hamburger bun by food technicians before a shot, one would reasonably assume that this was not something that happened by chance. Ads like these get art-directed to the very millimeter and airbrushed so that the advertiser gets exactly what they want. Given that Louis Vuitton and Ogilvy are receiving precisely the kind of attention and buzz that is regarded as being the measure of success these days, it counteracts those effects if they admit to doing it. Once you declare it was an overt and planned act, it has no meaning. Robert Passikoff (Brand Keys)
The magazine turns out to be the May 28 edition of New Times, a liberal Russian weekly that regularly criticises Vladimir Putin’s Kremlin. In this article New Times contentiously alleged that its reporters were approached by Russian secret agents offering to tell them in exchange for $7,000 the whereabouts of Andrei Lugovoi. He is the chief suspect in the radiation poisoning in London of Alexander Litvinenko, and the British government wants to extradite Mr Lugovoi to stand trial. The Guardian
This symbolized the passing of communism and the triumph of the new, capitalist, and consumerist order with Gorbachev’s transformation into a commercial spokesman for powerful Western brands and the co-optation of his iconic status for marketing purposes as an ironic symbol of his irrelevance as a political figure in the post-communist context. Nadia Kaneva and Elza Ibroscheva
Failing upward into the world’s gratitude, Mikhail Gorbachev became a hero by precipitating the liquidation of the political system he had tried to preserve with reforms. He is remembered as a visionary because he was not clear-sighted about socialism’s incurable systemic disease: It cannot cope with the complexity of dispersed information in a developed nation. Like Christopher Columbus, who accidentally discovered the New World, Gorbachev stumbled into greatness by misunderstanding where he was going. (…) President Ronald Reagan, abandoning the niceties of detente, turned up the rhetorical and military temperature. In 1983, he described the Soviet Union as “the focus of evil in the modern world.” With the Strategic Defense Initiative, he launched a high-tech challenge to a Soviet Union in which 30 percent of hospitals lacked indoor plumbing. Reagan sent lethal aid to those fighting the Soviet forces in Afghanistan. When Gorbachev retreated from there, Taubman writes, it was “the first time the Soviet Union had pulled back from territories it had ‘liberated’ for Communism.” (…) Gorbachev’s lasting legacy might be in the lessons that China’s durable tyranny has chosen to learn from his and the Soviet Union’s downfall. Political scientist Graham Allison observes that “when Xi Jinping has nightmares, the apparition he sees is Mikhail Gorbachev.” According to Allison, Xi says Gorbachev’s three ruinous errors were: He relaxed political control of society before reforming the economy, he allowed the Communist Party to become corrupt, and he “nationalized” the Soviet military by allowing commanders to swear allegiance to the nation rather than to the party and its leader. (…) The Soviet Union’s brittle husk crumbled as Gorbachev struggled to preserve it. His reputation rests on the world’s amnesia about this: When elevated to general secretary of the Communist Party, Taubman says, Gorbachev claimed to have re-read all 55 volumes of Lenin’s writings, telling a friend, “If you were to read Lenin’s disputes with [the German Marxist Karl] Kautsky, you would understand that they’re far more interesting than a novel.” Of Lenin, the architect of the first totalitarian system, who let loose rivers of blood, Gorbachev said — in 2006 — “I trusted him then and I still do.” George F. Will
La Russie a augmenté d’une superficie équivalente à celle de la Hollande par an à partir du XVe siècle. Pendant les 300 ans d’existence de la dynastie des Romanov, l’empire russe s’agrandit à la vitesse de 140 km² par jour. Très tôt se fait sentir le tiraillement entre la volonté d’expansion, qui présuppose par la force des choses un contact avec le monde extérieur, et le sentiment que tout contact avec l’étranger ne peut que corrompre le peuple russe, déstabiliser le régime autocratique et détourner les Russes de la vraie foi. La Russie balance entre messianisme et volonté d’autarcie. Ce tiraillement entre cosmopolitisme expansionniste et désir d’autarcie isolationniste va se retrouver au cœur du bolchevisme. Joseph Staline résout ce dilemme et c’est bien la raison de son emprise profonde sur les esprits en Russie. Il crée une zone d’hégémonie autarcique, en déseuropéanisant les terres conquises, dans la tradition des princes de Moscou. Staline préfère une extension des frontières de l’URSS et la création d’un empire périphérique dans lequel il peut imposer son régime. Mieux que les Tsars, il a su neutraliser les effets de contagion indésirable de l’incursion des troupes soviétiques en Europe. L’expansion qu’il réalise est conforme aux vœux des slavophiles : Moscou impose son régime à toutes les régions conquises, éradique les élites européanisées et construit un bloc quasi autarcique par le fer et par le sang. Nous retrouvons le même dilemme au coeur de la Russie poutinienne, partagée entre son ambition de grande puissance et un irrésistible penchant vers le repli sur soi. La réaction maladive du Kremlin au choix européen de l’Ukraine s’explique par ce sentiment qu’un retour de l’Ukraine dans l’aire de civilisation européenne remettrait en cause l’évolution historique des cinq derniers siècles, caractérisée par une avancée continue de la Russie en Europe, culminant avec la victoire de « la Grande Guerre patriotique » qui, en 1945, a livré à Staline la moitié du continent européen, avancée que le Kremlin poutinien se promettait de poursuivre en misant sur les tendances centrifuges au sein de l’Union européenne et le désengagement américain. (…) A l’inverse de la théorie « réaliste » des relations internationales, soucieuse d’élaborer une sorte de physique newtonienne des rapports de puissance, l’analyse géopolitique doit prendre en compte les hommes, leurs représentations géopolitiques et la nature du régime politique. Après la disparition de l’URSS, la Russie semblait engagée dans une « transition » vers l’Etat de droit et l’économie de marché. Au cours des années Eltsine (1991-1999), le fonctionnement du régime était certes erratique et marqué par la corruption, mais le progrès des libertés était indéniable. Toutefois, les siloviki, ces hommes issus des organes de sécurité (KGB et autres) ont largement pris le contrôle du partage des dépouilles, via les privatisations, et la « guerre des régions », transformées en mini-URSS par les nomenklaturistes locaux. Ce qui a neutralisé les réformes économiques d’inspiration libérale. C’est dans ce contexte de « polyarchie chaotique » que Vladimir Poutine a entamé son ascension, puis mis en place ce que l’on a appelé une « verticale du pouvoir », partant du Kremlin : une recentralisation de l’organisation territoriale russe, doublée d’une prise de contrôle du champ politico-médiatique et de l’économie. La science politique définit ce mode de gouvernement comme un « autoritarisme patrimonial », l’autocrate et ses proches étant en même temps les propriétaires des richesses du pays. Cela présuppose l’absence de véritables règles de droit et d’institutions vivaces, ainsi que des luttes de clans permanentes pour le pouvoir et le contrôle des rentes économiques qui achètent les fidélités politiques. Cette confusion des genres explique les hésitations initiales des analystes sur la finalité centrale du système russe : la puissance étatico-militaire ou l’enrichissement privé ? Depuis, les faits ont démontré la force de ce que les Russes appellent la « Derjavnost », une sorte de culte de la puissance. De l’analyse des discours et représentations géopolitiques, il ressort que pour le Kremlin et la classe dirigeante russe, l’ultime partie de la Guerre froide n’est pas encore jouée. La Russie peut et doit récupérer une partie du terrain perdu en 1991 – cf. le thème de l’« étranger proche » -, et reconstituer une sorte d’URSS « new-look », voire faire payer à l’Occident l’éclatement de l’URSS en attisant les tendances centrifuges dans les Etats et les structures occidentales, notamment au sein de l’Union européenne. In fine, la Russie se pose en puissance revancharde et révisionniste, prête à remettre en cause par les armes l’architectonie géopolitique de l’Europe post-Guerre froide. Autrement dit, il est erroné de voir en la Russie un simple Etat mafieux : le Kremlin conduit une « grande stratégie » et le système est tendu vers la reconstitution de la puissance passée. (…) Vladimir Poutine considère les instances euro-atlantiques, l’Union européenne aussi bien que l’OTAN, comme de simples superstructures politiques et militaires héritées de la stratégie de containment et vouées au dépérissement, à la suite d’un hypothétique retrait américain, les Etats-Unis étant supposés se réorienter vers l’Asie-Pacifique et se désintéresser de toute autre région du monde. Schématiquement, l’OTAN exprimerait les seuls intérêts américains ; l’Union européenne et ses Etats membres seraient dépourvus de substance et de volonté propres. Si le président russe a usé de la thématique eurasiste, ses partisans vont plus loin dans ce registre : l’heure d’une vaste Eurasie, rassemblée autour du « Heartland » russo-sibérien, aurait sonné. Le « Brexit » (référendum du 23 juin 2016 au Royaume-Uni) et ses conséquences sur le système euro-atlantique sont appréhendés à travers cette grille de lecture. Si l’on se reporte aux années 2000, le discours russe sur l’OTAN et l’Union européenne était empreint de duplicité. Dans le cas ukrainien par exemple, les diplomates russes expliquaient que seule l’OTAN leur posait problème car il s’agissait d’une alliance militaire incluant la superpuissance américaine. La candidature de l’Ukraine constituait, disaient-ils, une grave menace sur la sécurité de la Russie, et l’octroi par les Etats membres de l’OTAN d’un Membership Action Plan (MAP), ultime étape avant l’adhésion pure et simple, serait un casus belli. Il en irait de même pour la Géorgie. Inversement, la candidature à l’Union européenne n’était pas censée leur poser problème, car il s’agissait d’une structure avant tout civile et économique. Ces éléments de langage ont souvent été repris dans les milieux officiels français et européens, mais du point de vue russe, il ne s’agissait que de dissocier les fléaux. Lors du sommet de l’OTAN organisé à Bucarest, au printemps 2008, le MAP a été refusé à l’Ukraine comme à la Géorgie, et ces deux pays, restés à l’extérieur du périmètre de sécurité, ont été attaqués. Dans le cas ukrainien, l’accord d’association à l’Union européenne, censé ne pas poser problème quelques années plus tôt, a été le point de départ de pressions multiformes de la part de Moscou sur Kiev, jusqu’à la guerre et à un rattachement manu militari de la Crimée. La leçon sur le plan stratégique et géopolitique est simplissime : malheur à qui reste en dehors du périmètre de sécurité. L’OTAN et l’Union européenne sont les deux piliers de l’Europe post-Guerre froide, et ces instances euro-atlantiques font obstacle au révisionnisme géopolitique russe. En leur absence, le « chacun pour soi » l’emporterait, ce qui ouvrirait de nouvelles possibilités à la politique russe, l’Europe basculant dans une nouvelle période de déchirements. (…) L’Union économique eurasienne relève d’un projet géopolitique plus vaste et plus ambitieux, mais contrarié par les faits. Dès 1993, la doctrine de l’ « étranger proche » évoquée précédemment est énoncée à la Douma et reprise au sommet de l’Etat : il s’agit de reprendre le contrôle direct ou indirect de la plus grande partie possible de l’ex-URSS. La doctrine eurasiste donne une touche historique, culturelle et civilisationnelle à un projet néo-soviétique. Cela est hors de portée de la Russie de Eltsine, mais les représentations géopolitiques et les projets de ce type doivent être analysés sur plusieurs échelles temporelles. A l’époque, l’instrumentalisation par Moscou de différents conflits ethniques et territoriaux, sur les confins de la Russie (Moldavie, Géorgie, Arménie-Azerbaïdjan), et leur « gel », permettent de poser des jalons, aussi d’installer l’idée d’un démembrement fatal, en attendant que la conjoncture géopolitique soit plus propice (voir les pseudo-indépendances de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, proclamées après la guerre russo-géorgienne d’août 2008). En revanche, les tentatives d’intégration de la Communauté des Etats indépendants (CEI) échouent. Ce cadre post-soviétique, instauré pour liquider l’URSS (1991), tout en préservant des relations techniques et fonctionnelles entre les anciennes républiques soviétiques, s’avère inadapté à un projet néo-soviétique ; un certain nombre de pays entendent conserver leur souveraineté. Les dirigeants russes privilégient donc des cadres d’action plus restreints, à l’instar de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), mais ils ne renoncent pas à institutionnaliser la sphère d’influence exclusive qu’ils revendiquent dans l’« étranger proche ». Diverses esquisses aboutissent au projet d’Union eurasienne, présenté par Poutine, en octobre 2011, comme la grande réalisation du prochain mandat présidentiel. Dans son esprit, l’Ukraine devra renoncer à ses aspirations européennes et intégrer cette union, mais l’insurrection civique de la fin 2013, en réponse aux pressions russes a modifié le cours des événements. L’Etat ukrainien a perdu le contrôle de la Crimée et d’environ un tiers du Donbass, mais il conserve les neuf dixièmes de son territoire et le nouveau gouvernement, appuyé sur une nouvelle majorité, conduit un retournement géopolitique vers l’Occident. L’Union eurasienne a officiellement été lancée au 1er janvier 2015. Elle regroupe la Russie, le Belarus, le Kazakhstan et l’Arménie, bientôt rejoints par le Kirghizstan. L’absence de l’Ukraine réduit la part des Slaves orthodoxes au sein de cette union qui, de ce fait, est plus eurasiatique qu’envisagé au départ. En son sein, le Belarus et le Kazakhstan, qui refusent de reconnaître les remaniements politico-territoriaux en Géorgie (Abkhazie et Ossétie du Sud) et en Ukraine (Crimée), se méfient de la Russie et cherchent à limiter l’union eurasienne à la sphère économique ; la percée de la Chine populaire en Asie centrale et dans le bassin de la Caspienne, bientôt renforcée par le projet des « Nouvelles routes de la Soie », assure au Kazakhstan une certaine marge de manœuvre. La récession russe limite également la portée effective de l’Union eurasienne dans la sphère économique. Il reste que la Russie représente 80 % du PIB, 85 % de la population et 85 % de la superficie de ce vaste ensemble (20 millions de km² et 170 millions d’habitants). Une étape décisive a été franchie et Poutine n’a certainement pas renoncé à ses ambitions géopolitiques, mais l’avenir est plus à une « Russie-Eurasie » qu’à une Russie slave-orthodoxe, notamment dans la sphère démographique (poids croissant des musulmans et des populations issues d’Asie centrale en Russie, et 43 millions d’Ukrainiens qui restent en dehors de cette union). Jusqu’où l’eurasisme et le « chauvinisme grand-russe », pour parler comme Lénine, sont-ils compatibles ? (…) Avec les trois quarts de son territoire au-delà de l’Oural, la Russie recouvre toute l’Asie septentrionale (Sibérie et Extrême-Orient russe), et elle est la voisine de l’ancien Turkestan occidental (l’Asie centrale russo-soviétique désormais indépendante), la Mongolie, la Chine, la Corée du Nord et le Japon. La dégradation des relations avec l’Occident – parler de « Paix froide » n’est en rien excessif -, a permis à Poutine de mettre en avant le thème d’un « pivot » russe vers la Chine populaire : la stratégie consiste à chercher des appuis en Asie, afin de peser en Europe. Le rapprochement avec Pékin s’inscrit dans le prolongement de la « doctrine Primakov », mise en œuvre sous Eltsine, mais il s’agissait alors de renforcer le pouvoir de négociation de la Russie. Désormais, la Chine populaire est présentée, du point de vue russe, comme un substitut à l’Occident. Le « partenariat stratégique » de 1996, complété cette année-là par le Groupe de Shanghaï, i.e. la future Organisation de Coopération de Shanghaï (OCS), a été le point de départ d’échanges croissants sur tous les plans. En 2011, un traité d’amitié et de coopération a été signé entre Pékin et Moscou, mais il ne s’agit pas d’une alliance à proprement parler, de même que l’OCS n’est pas une « OTAN eurasiatique ». Négocié après les sanctions occidentales qui ont suivi l’annexion de la Crimée, le « contrat du siècle » (mai 2014) sur la construction d’un grand gazoduc (« Force de Sibérie ») et l’exportation de gaz russe, depuis la Sibérie orientale vers la Chine, a surtout permis à Pékin d’imposer ses conditions. Par ailleurs, les neuf dixièmes de la production russe d’hydrocarbures sont extraits en Sibérie occidentale et ces volumes ne peuvent pas être redéployés vers la Chine (Pékin ne veut pas financer le gazoduc « Force de l’Altaï » qui permettrait d’établir un lien fixe entre Sibérie occidentale et Extrême-Orient). D’une manière générale, les dirigeants chinois considèrent leurs homologues russes comme des partenaires de second rang, et la Russie est considérée comme un réservoir de produits de base, utile également sur le plan diplomatique afin de renforcer les positions chinoises vis-à-vis des Etats-Unis, notamment dans la question des litiges maritimes en mer de Chine méridionale, cette « Méditerranée asiatique ». Bien entendu, Poutine n’ignore pas cela, mais ses priorités géopolitiques sont à l’Ouest : les Russes ont plus besoin de la Chine que la Chine de la Russie. La relation est comparable à un « dos-à-dos », et le sommet sino-russe de Pékin (25 juin 2016), organisé dans le prolongement du sommet de Tachkent (OCS), a confirmé ces convergences géopolitiques. Ces convergences sino-russes mettent Moscou en porte à faux avec les autres acteurs étatiques de la zone Asie-Pacifique et limitent la possibilité d’un retour sur la « grande scène asiatique ». Les pays de l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) s’inquiètent de l’expansion et des revendications chinoises sur la « Méditerranée asiatique », et ils cherchent des réassurances du côté des Etats-Unis. Le Vietnam lui-même, fortement lié à la Russie par des achats militaires, se rapproche de Washington, et le président américain, Barack Obama, a récemment annoncé la levée de l’embargo sur les armes à destination de ce pays. En Asie du Nord-Est, les rapports avec le Japon achoppent sur la question des Kouriles. Avec la Corée du Nord, les relations sont ambivalentes et Moscou, malgré quelques velléités dans les années 2000, ne peut jouer le rôle de « facilitateur » entre les deux Etats de la péninsule coréenne. Si l’on élargit le champ d’analyse, il faut y intégrer l’Union indienne, dont la diplomatie relance l’idée d’un « bassin Indo-Pacifique », un concept qui lie l’océan Indien et l’océan Pacifique. Héritage de la Guerre froide et du « neutralisme bienveillant » d’Indira Gandhi, la coopération russo-indienne est étroite. Cela ne va pas sans contradiction avec le rapprochement sino-russe, alors que Pékin resserre en parallèle son alliance avec Islamabad. Notons que l’Inde et le Pakistan devraient intégrer l’OCS (signature d’un mémorandum sur cette adhésion, le 24 juin 2016, à Tachkent). Plus que la Chine, la Russie a intérêt à renforcer ce forum diplomatique, de manière à encadrer la puissance chinoise et à pouvoir manœuvrer entre ses « partenariats » contradictoires. Enfin, les relations indo-russes ne sont pas exclusives et le jeu diplomatique est ouvert. (…) [A propos des des réseaux d’influences russes en France], La parution presque simultanée de ces deux livres témoigne d’une prise de conscience en France du danger représenté par l’alignement croissant sur les positions du Kremlin d’une grande partie de la classe politique, à droite surtout. Cécile Vaissié (Les Réseaux du Kremlin en France, éditions Les petits matins) et Nicolas Hénin (La France russe, éditions Fayard) ont fait un travail remarquable qui donne la mesure de l’immense effort déployé par le Kremlin pour pénétrer les milieux qui comptent en France. Il faut d’abord mentionner un impressionnant dispositif de propagande, qui fait largement appel aux réseaux sociaux. La stratégie médiatique du Kremlin est triple. Le premier volet consiste à dénigrer à travers ses réseaux tout ce qui est en Occident : la classe politique (« tous des corrompus et des incapables »), les mœurs (« tous des sodomites décadents »), la démocratie (« une hypocrisie au service des Américains »), le droit (« l’idolâtrie de l’homme qui fait oublier Dieu » selon le patriarche Kirill), le droit international (une fiction dont les Américains se servent pour camoufler leur hégémonisme), l’Europe (« en perdition »), les Etats-Unis (« en perte de vitesse »). Le deuxième volet consiste à tabler sur les peurs et à les attiser : peur du terrorisme (« causé par la politique de tolérance »), peur de l’immigration massive (idem), peur de la globalisation. Le troisième volet consiste à rapprocher les Européens des Russes en les faisant communier dans les mêmes haines et les mêmes phobies. Haine des Etats-Unis en priorité. Tous les événements négatifs qui ponctuent l’actualité – terrorisme islamique, guerre en Ukraine, crise économique – ont un coupable : les Etats-Unis et leurs vassaux européens. L’Amérique est toujours responsable, soit qu’elle agisse (intervention en Irak), soit qu’elle n’agisse pas (évacuation de l’Irak, développement de Daech). La vision manichéenne exportée de Moscou est rassurante : il y a les méchants d’un côté, qui tirent les ficelles dans les coulisses, et les vaillants résistants derrière Poutine, dressés contre l’Amérique comme Astérix contre l’Empire romain. Cet univers de BD trouve beaucoup d’adeptes, notamment grâce aux réseaux sociaux. Les principales cibles de Moscou sont les milieux politiques, les milieux économiques, les think tanks, les milieux militaires et les institutions chargées de la sécurité. C’est parmi les « souverainistes » europhobes et anti-américains que le Kremlin recrute la majorité de ses adeptes en posant au défenseur de « l’identité nationale », voire de « l’identité européenne ». Une analyse de la guerre de l’information menée par le Kremlin, de ses thèmes et de ses cibles principales, la description de sa stratégie de pénétration systématique des lieux de pouvoir dans notre société, ne peuvent laisser aucun doute : c’est la capacité d’agir indépendamment de Moscou que le Kremlin veut détruire en France (et en Europe). C’est une stratégie de pré-conquête que nous avons sous les yeux. Une des leçons principales tirées par le Kremlin du conflit ukrainien est que l’intégration de l’espace ex-soviétique dans l’Union eurasienne de Poutine, le rattachement de l’Europe occidentale à cette Union eurasienne aux conditions voulues par Moscou, ne sont concevables que si les Européens cessent de porter un projet alternatif à la « verticale du pouvoir » poutinienne. Depuis l’affrontement à propos de l’Ukraine, le Kremlin déploie des efforts décuplés pour remodeler l’Europe à son image. En insinuant qu’un « homme fort » est ce qu’il faut à l’Europe, que l’esprit de tolérance et de coopération qui caractérisaient l’Europe de l’après-guerre doivent être éradiqués au profit d’un nationalisme étroit, que seul l’emploi de la force est payant sur la scène internationale, il ambitionne de reformater la conscience européenne, d’amener les Européens à abandonner leurs institutions, à renoncer à leurs libertés, à se détourner de leur classe politique, afin de les rendre « poutino-compatibles ». Françoise Thom, Jean-Sylvestre Mongrenier et Pierre Verluise (2016)
S’il est vrai que le sursaut « gorbatchevien » a pour origine un accablant constat de faillite de l’économie socialiste, les moyens mis en oeuvre pour y remédier sont, la plupart du temps, assez éloignés de l’image que s’en font les médias et les hommes politiques occidentaux. Loin de se démocratiser sans ses structures profondes, le système soviétique tend à se « re-communiser », afin de mieux faire porter à la population le poids de son échec, tout en essayant, par une habile manipulation de l’information, de convaincre un Occident -si possible désarmé- de se laisser parasiter économiquement pour lui éviter la chute finale. Y réussira-t-il? La question est posée. Présentation de l’éditeur
Depuis l’accession au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev en mars 1985, le monde entier est resté les yeux fixés sur le fougueux secrétaire général qui a suscité les attentes les plus contradictoires : certains ont espéré qu’il réaliserait enfin les promesses du socialisme ; d’autres comme Margaret Thatcher se sont demandés s’il ne s’était pas secrètement converti à l’ultra-libéralisme ; d’autres encore ont vu en lui un disciple de la social-démocratie à la suédoise. L’écrivain américain Joyce Carol Oates admire sa « candeur désarmante » et a « la certitude viscérale que Gorbatchev est une personne d’une intégrité hors de pair, plus grande que nature peut-être » ; un militant pacifiste le compare à Jésus : « Il ne cesse de nous offrir de bonnes choses, comme des propositions de désarmement… » Tous ceux qui ne partagent pas la foi en ce nouveau messie semblent d’emblée suspects : « Nous nous trompons peut-être [sur Gorbatchev], mais j’aime mieux cette erreur que l’autre, monstrueuse, qui consiste à douter », écrit Pierre Bergé. Cet enthousiasme qui rappelle d’autres temps contraste avec les sentiments mitigés nourris par un grand nombre de Soviétiques à l’égard de leur leader, la méfiance et le désenchantement qui se font jour, surtout depuis l’automne 1988. La « gorbomania », et c’est là un de ses dangers, fait oublier que Gorbatchev n’est pas un chef d’État légitimement élu, qu’il n’est pas représentatif et que l’URSS ne se réduit pas au secrétaire général du PCUS même promu Président. (…) La « glasnost » (mot qu’on rend le mieux en français par « publicité », au sens de « publicité » d’un débat) enseigne maintenant aux citoyens soviétiques et proclame à la face du monde que l’URSS stalinienne présentait aux yeux de l’humanité un vaste décor planté de chantiers enthousiastes et de kolkhozes paradisiaques, qui recouvrait une réalité sanglante et tragique, des charniers innombrables, des paysans réduits au servage en plein XXe siècle, un prolétariat terrorisé et dépourvu de droits élémentaires, que l’URSS brejnévienne déployait un rideau de statistiques fausses faisant état de récoltes fabuleuses et de « rythmes accélérés », derrière lequel se dissimulaient la corruption, le cynisme et la dégradation économique. Qu’en est-il aujourd’hui ? Faut-il considérer que le tableau de l’URSS livré par la glasnost est complet ou doit-on penser que la loquacité nouvelle de la presse officielle cache des zones de silence plus efficacement peut-être que le mensonge surréaliste pratiqué sous Brejnev ? Les précédents incitent à la prudence. (…) L’URSS semble entrer toujours plus avant dans la période de ce que l’on peut appeler les « effets boomerang » : dans un grand nombre de domaines, la politique menée jusque-là avec un plein succès dans l’optique communiste, et sur laquelle reposait le système totalitaire, s’est peu à peu retournée contre le régime et menace maintenant jusqu’à son existence, justement parce qu’elle a trop bien réussi. Soixante-dix ans de mensonges, de terreur, d’esclavage, de purges, de revirements, de destruction des élites, ont donné naissance en URSS à un type humain particulier qui, malheureusement, ne cadre pas du tout avec l’homme idéal prévu par la doctrine : l’« homme nouveau » du projet communiste était avant tout un travailleur acharné, carburant à l’enthousiasme révolutionnaire, un être discipliné aux exigences modestes, fanatiquement dévoué au Parti. La concasseuse communiste a livré un tout autre produit. Il n’y a pas eu de NEP dans le domaine des mœurs. La fausse restauration stalinienne a supprimé quelques-uns des effets les plus choquants de la politique « libertaire » des années vingt, ce qui a fait oublier que les processus enclenchés par la révolution – destruction de la famille, sabotage des rapports humains au moyen de la peur, guerre des générations, dégradation des relations entre les sexes, remodelage de l’individu au moyen de la pénurie et du rationnement, etc. – se poursuivaient et même s’approfondissaient, comme on dirait en langue de bois. Une grande partie des contre-sens commis sur la perestroïka en Occident tient au fait qu’on se représente très mal la gravité de la crise du facteur humain dans le monde communiste. Françoise Thom (1989)

Attention: un mot peut en cacher un autre !

A l’heure où avec la disparition…

La gorbymanie –  sauf quelques rares exceptions comme la soviétologue Françoise Thom – semble être repartie pour un tour …

Quelle meilleure illustration …

Que ces fameuses publicités, de Pizza Hut à Louis Vuitton et les chemins de fer autrichiens OBB, auxquelles il avait prêté son image …

De la véritable imposture du syndic de faillite de l’Union soviétique …

Consistant à réduire, le terme de glasnost – au sens français de publicité d’un débat – à laquelle avait appelé Soljénitsyne, à la simple publicité commerciale…

Comme de la corruption massive au cœur de la kleptocratie de l’Etat voyou ….

Qui nous a donné aujourd’hui le nouveau fûhrer russe Poutine ?

Françoise Thom, le Moment Gorbatchev,1991
Marianne Gourg
La Revue russe
Année 1993
pp. 101-104

Françoise THOM, 335 pages.

Le Moment Gorbatchev, Paris, Hachette, 1991

Les changements qui affectent, ces dernières années, les ex-pays de l’Est, Гех-URSS en tout premier lieu, vont à un rythme tel qu’il est bien difficile aux chercheurs de dresser de véritables synthèses, bien plus encore de formuler des pronostics. F. Thom a eu ce courage puisque son ouvrage, le Moment Gorbatchev, dont la dernière édition date du lendemain du putsch d’août 1991 (qualifié de « putsch d’opérette ») se propose de dresser un bilan critique des « années Gorbatchev », de cerner et divulguer le caractère réel du projet idéologique qui a rendu possible des changements que la chercheuse considère, disons-le d’emblée de jeu, avec la plus grande méfiance.

Dans un premier temps, Fr. Thom décrit la crise sociale et politique qui a rendu les nouvelles orientations inéluctables. Elle rejoint sur ce point la plupart des analyses existantes : pauvreté, dégradation de la famille, abandons d’enfants, progression de l’alcoolisme y compris chez les femmes et les adolescents, perte du sens des responsabilités, recul de la productivité du travail, développement d’une mentalité d’assistés, conditions de vie et de santé désastreuses, progression catastrophique de la criminalité (Fr. Thom évoque le phénomène d’apparition de gangs organisés chez les jeunes), disparition des valeurs éthiques, en un mot, « ensauvagement » de la société, tel est le bilan d’une utopie dont la réalisation a pris le visage du cauchemar. A tout ceci vient s’ajouter le désastre écologique, avec pour conséquence la dégradation du capital génétique, le pouvoir accru des « mafias » locales, la dérive « mafieuse » du parti. Ce tableau apocalyptique, dont la catastrophe de Tchernobyl est comme l’emblème, avait été dressé par nombre d’écrivains bien avant la perestroïka d’Amalrik à Zinoviev et à Raspoutine. Les médias de la glasnost’ vont l’amplifier, le porter à la connaissance des Soviétiques et de l’opinion internationale. C’est d’ailleurs d’eux que Fr. Thom tire, et c’est bien naturel, la plus grande partie de ses informations.

Fr. Thom consacre précisément un chapitre entier à l’analyse de la glasnost’. Elle y voit principalement une arme idéologique d’un nouveau modèle. Face à l’Occident, la glasnost’ aurait essentiellement permis aux Soviétiques de reprendre l’initiative des informations concernant leur propre pays, de dicter aux étrangers, grâce à l’introduction insidieuse d’une nouvelle «langue de bois perestroïkiste», les cadres conceptuels dans lesquels ils souhaitent que ceux-ci pensent la réforme. Sur le plan intérieur, la glasnost’ présentait l’avantage de rallier les intellectuels en les portant au pinacle et en restaurant les liens privilégiés que le communisme prétendait jadis établir avec l’intelligentsia. Elle avait par ailleurs l’avantage de créer les conditions d’un contrôle social accru permettant, dans les faits, aux autorités centrales de garder un œil sur les agissements des cadres locaux. Surtout, la glasnost’ figurait une discontinuité entre l’ordre ancien et l’ère nouvelle de la perestroïka, héritière des traditions léninistes et des martyrs communistes (tels Boukharine dont la figure va être réhabilitée) de la période stalinienne. Ainsi le Parti pouvait-il avantageusement se démarquer des crimes du passé, voire transformer une histoire sanglante en vecteur de popularité. Et de fustiger la « gorbymania » occidentale. L’analyse de Fr. Thom a l’indéniable mérite de rechercher, au-delà d’un compte rendu pur et simple des faits, une interprétation globale. Il nous semble toutefois que ses ingénieuses conclusions, même si elle font apparaître les desseins secrets des dirigeants de l’époque (dont il n’y a aucune raison de sous-estimer le machiavélisme), laissent de côté un fait essentiel : la glasnost’ a eu l’immense mérite objectif de restituer à tout un peuple sa mémoire historique et culturelle créant par là-même, une fois le premier traumatisme passé, les conditions nécessaires à une reprise en main politique, intellectuelle, morale des peuples de l’ex-URSS par eux-mêmes. Les processus qui ont mené de la redécouverte de penseurs et d’écrivains du début du siècle à celle d’auteurs, de publicistes, de théoriciens contemporains, ne sont pas étudiés.

Les chapitres suivants sont consacrés à l’histoire même de la perestroïka, la première étape allant de la perestroïka andropovienne à l’élection du Congrès des députés (1985-1989), la deuxième couvrant les années précédant le putsch d’août 1991. Fr. Thom en étudie les aspects politiques et économiques (ces derniers n’étant pas abordés dans le détail). La chercheuse s’applique à mettre en lumière l’abîme qui sépare les mots des faits : aggravation de la situation des entreprises au nom d’un « autofinancement » qui aboutit de facto à une aggravation des pertes et à un contrôle renforcé des organismes locaux du parti, difficultés rencontrées par les coopérateurs, création de boucs émissaires artificiels (les soviets dont la « revalorisation » annoncée à grands cris n’aboutit qu’à leur faire jouer un rôle de « paratonnerre », le Conseil des ministres, les « bureaucrates » désignés à la vindicte publique). L’ouvrage souligne les problèmes rencontrés par la création d’un « État de droit » en l’absence (toujours actuelle !) d’une claire séparation entre les pouvoirs exécutif et législatif. Pour finir Fr. Thom crie à l’imposture : le Parti feint de répondre aux aspirations de la société civile en introduisant des mesures visant en réalité à « renforcer la direction politique et la centralisation », à « recommuniser la société en profondeur ». Les lois libérales sont vidées de leur contenu par de multiples décrets qui vont dans le sens contraire (ainsi les restrictions cruciales qui assortissent la loi sur la propriété). Là encore, nous relevons l’absence d’une véritable information historique qui aurait permis à Fr. Thom d’élucider les causes du puissant mouvement de politisation auquel on assiste après les élections de 1989, de la radicalisation de la société dont l’exemple le plus frappant est la grande grève des mineurs du Kouzbass en mai 1989. Dans le même temps se dessine un mouvement de pluripartisme. Tout ceci est pour une grande part la conséquence directe de la glasnost’, même si tel n’était pas (et, somme toute, cela importe peu) le but conscient de Gorbatchev).

L’un des chapitres les plus intéressants du livre de Fr. Thom est celui qu’elle consacre à la politique religieuse de Gorbatchev. Après avoir évoqué l’utilisation faite par le pouvoir d’une Église devenue «athée» tant au plan intérieur qu’à l’étranger, de son noyautage, du dessein qui consiste à la détruire de l’intérieur, l’A. évoque la fabrication d’une idéologie de substitution destinée à prendre le relais d’un marxisme-léninisme devenu obsolète. Cette « religion rouge », syncrétisme évocateur du New Age, mêlerait tout à la fois slavophilie, « cosmisme », bribes de marxisme, doctrines de Vernadski et Teilhard de Chardin. Ici comme ailleurs, en dépit d’un exposé intéressant, il nous semble que les conclusions auxquelles aboutit Fr. Thom manquent par trop de subtilité. Ces problèmes auraient eu intérêt à être replacés dans un questionnement global sur l’histoire de la pensée russe. Il ferait sans doute apparaître que les doctrines de cette fameuse « religion rouge » n’ont pas attendu les idéologues de la perestroïka pour séduire les esprits en Russie. Le début du siècle en offre un exemple combien éloquent ! Par ailleurs, l’Église orthodoxe officielle n’a jamais été totalement acquise au pouvoir et à son idéologie, comme en témoignent le meurtre récent du père Men, le rôle joué par G. Iakounine (voué aux gémonies par l’évêque de Saint-Pétersbourg) et surtout l’impact que connaît actuellement la religion. Autre chose est la possible collusion d’une Église potentiellement compromise mais devenue vecteur d’un puissant mouvement populaire avec les éléments extrémistes du camp nationaliste, l’utilisation que pourrait en faire Гех-KGB. De tout ceci, Fr. Thom ne parle malheureusement pas, se cantonnant à un propos schématique et plus que convenu.

Au chapitre suivant, l’auteur évoque longuement les liens privilégiés existant entre le KGB et le complexe militaro-industriel, les pouvoirs et la faculté d’adaptation de ce dernier. Si ce chapitre n’apporte guère de concepts nouveaux, le suivant propose une interprétation intéressante de la modernisation de l’empire. Ce projet qui s’inscrirait dans le prolongement de celui de la « maison européenne commune » viserait à réduire l’hétérogénéité politique existant en Europe sans que le pouvoir réel de Moscou soit compromis. D’où des tactiques de louvoiement (utilisation des « Fronts populaires », etc.).

La proclamation de souveraineté de la R.S.F.S.R. apparaît à l’A. comme une tactique de dédoublement destinée à mettre l’État à l’abri d’éventuelles sanctions économiques de l’Occident. Pour finir, l’éclatement de l’Empire devrait aboutir à sa reconstitution à long terme sur la base de traités entre les ex-républiques soviétiques devenues souveraines. Pendant ce temps, la Russie s’orienterait vers l’Europe, prioritairement vers l’Allemagne. Sur le plan international, le P.C.U.S. aurait recours à une tactique de camouflage (agir par personne, État, organisation « neutre » interposés, adopter le masque de la social-démocratie, créer et exploiter de « grandes peurs »), le but final d’une politique destinée à « faire flèche de tout bois » étant d’associer la communauté internationale à la tâche de nourrir, d’entretenir, de financer et d’équiper l’U.R.S.S. A cet effet, il conviendrait d’utiliser les organismes supranationaux où les Russes peuvent espérer s’infiltrer.

A ce jour, l’histoire n’a pas donné raison à Fr. Thom. Gorbatchev n’est plus au pouvoir ; l’empire soviétique est démantelé et nous assistons à une série d’affrontements sanglants. En proie à une crise structurelle et morale profonde, la Russie ne semble pas dans l’avenir immédiat devenir un partenaire à part entière dans l’Union européenne. Enfin, le PCUS n’existe plus. Même si une alliance de ses nostalgiques et des tendances nationalistes devait voir le jour, il est douteux que ce soit pour poursuivre ce que Fr. Thom définit comme une politique « léniniste ». Ces constatations a posteriori n’ôtent rien à l’intérêt du livre de Fr. Thom, écrit avec passion et alacrité. On peut, toutefois déplorer que le réel talent de cette chercheuse soit obéré par l’absence de vraies méthodes historiques qui lui fait préférer l’exposé de ses convictions à l’examen des faits réels. Fr. Thom ne trouve pour nous expliquer l’une des plus grandes révolutions de ce siècle que la vieille thèse du complot. C’est dommage.

Voir aussi:

Quelle géopolitique de la Russie ?
Françoise THOM, Jean-Sylvestre MONGRENIER, Pierre VERLUISE,
Diploweb
4 juillet 2016

Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur à l’Institut Français de Géopolitique (Paris-VIII) et chercheur associé à l’Institut Thomas More.
Françoise Thom, Maître de conférences à la Sorbonne. Pierre Verluise, Docteur en Géopolitique est Directeur du Diploweb.com

Dans cet entretien inédit, Jean-Sylvestre Mongrenier et François Thom dressent un vaste tableau de la géopolitique de la Russie, du temps des tsars à Vladimir Poutine. Cela permet de distinguer des ruptures et des continuités, puis de caractériser l’acteur d’aujourd’hui, notamment à l’égard de l’UE et de l’OTAN mais aussi de l’Union économique eurasienne. Les auteurs abordent également la stratégie de la Russie en Asie. Enfin, Jean-Sylvestre Mongrenier et François Thom mettent à jour la stratégie d’influence du Kremlin en France.

Jean-Sylvestre Mongrenier, François Thom viennent de publier « Géopolitique de la Russie », Coll. Que-sais-je ?, Paris, Presses universitaire de France. Ils répondent aux questions de Pierre Verluise, Directeur du Diploweb.com

Pierre Verluise (P.V.) : Entre la géopolitique de la Russie tsariste, de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (1922-1991) et celle de la Russie post-soviétique, quelles sont les ruptures et les continuités ?

Jean-Sylvestre Mongrenier (J.-S. M), François Thom (F.T.) :
Pour comprendre le rapport particulier de la Russie actuelle à la géopolitique il est indispensable de revenir sur les circonstances dans lesquelles l’État moscovite s’est développé, puis imposé au monde russe. Car la Moscovie est un fragment d’un ensemble antérieur, la grande principauté de Kiev, appelée Rus. L’Etat kiévain, une fédération de principautés liées entre elles par des attaches généalogiques, apparaît au milieu du IXe siècle. En 988, Vladimir, le grand-prince de Kiev, se convertit au christianisme et fait baptiser son peuple. A son apogée, au XIe siècle, la Russie kiévaine faisait partie du système politique de l’Europe. Elle avait juste commencé à s’imprégner de culture européenne, grâce à la christianisation, quand surviennent les invasions mongoles. En 1240, Kiev est prise par Batou, neveu de Genghis Khan. Batou fonde la Horde d’Or, la partie européenne de l’empire mongol, qui s’étend de l’Oural et de la Caspienne aux embouchures du Danube. La domination mongole dure 250 ans, entraînant une dislocation du monde slave oriental. Deux grands pôles émergent et s’affirment lorsque la Horde d’Or commence à se morceler à partir de 1430.

La Rus occidentale, l’ancien Etat kiévain, est conquise par les Lithuaniens au XIIIe-XIVe siècle. En 1386, la Lithuanie s’unit avec la Pologne par un accord dynastique et se convertit au catholicisme (le Grand-duché de Lithuanie s’unira avec la Pologne en 1569 : la Rus occidentale va alors se poloniser). Une lente renaissance a lieu dans cet espace. La noblesse hérite du pouvoir. Le roi est élu par le Sejm. La Lithuanie entre dans la zone où règne le droit de Magdebourg qui donne aux citadins l’auto-administration et les émancipe de la tutelle des princes. Le processus de développement culturel ne se prolonge qu’au Nord, à Novgorod et à Pskov.

Au Nord-Est, la principauté de Moscou monte en puissance à la fin du XVe siècle car le prince de Moscou s’est transformé en agent général des Tatares. Les princes de Moscou, écrit Karamzine, « prirent l’humble titre de serviteurs des khans, et c’est par là qu’ils devinrent de puissants monarques » [1]. La Russie moscovite s’appuie de plus en plus sur la Horde d’Or dans sa guerre contre les Slaves de l’Ouest et les princes lithuaniens. Responsables vis-à-vis du khan mongol de la perception de l’impôt et de la docilité de la population, les princes de Moscou vont anéantir l’indépendance des villes, la résistance des princes rivaux, la fronde des Boïars, la paysannerie libre. Ivan III (1462-1505) se déclare tsar et autocrate, c’est-à-dire indépendant de tout suzerain ; il dénonce son allégeance à l’égard du khan en 1480. Sous son règne se cristallise un lourd despotisme, dans lequel le peuple est un esclave, l’Eglise est une servante, les Boïars et les princes les valets du grand prince de Moscou. En conquérant Novgorod vers 1470, ville franche tournée vers la Lithuanie et les villes allemandes de la Hanse, Ivan III ferme la possibilité d’un développement du monde russe ouvert vers l’Europe de la Baltique. Désormais la Rous occidentale est considérée comme l’ennemie et le ralliement à cette Rous comme une trahison. La fenêtre polonaise vers l’Europe est fermée, tout comme l’accès au monde grec. En effet, au XVe siècle, l’Eglise russe moscovite se « nationalise ». Elle se proclame autocéphale en 1448, à la suite de son refus de l’union de Florence entre chrétiens d’Orient et chrétiens d’Occident, en 1439. Elle rompt avec les Grecs qui ne la reconnaissent pas comme autocéphale pendant 120 ans. La Russie moscovite se retrouve totalement isolée et ne voit dans l’Ouest qu’un monde abandonné à l’« hérésie latine ».

Dès cette époque apparaît le lien entre l’expansion extérieure et l’alourdissement de la tyrannie à l’intérieur. Ce lien est encore plus évident sous Ivan le Terrible, pendant la guerre de Livonie (1558-1582). Ivan voit dans ses élites des agents potentiels des puissances étrangères et il lancera contre elles la redoutable opritchnina, une police politique devenue Etat dans l’Etat. C’est alors qu’apparaît l’idée que le succès de la Moscovie, notamment dans ses guerres contre les puissances européennes, est dû à son régime autocratique, idée qui ne fera que se renforcer durant les siècles suivants et qui est toujours très présente chez les idéologues poutiniens. Car la Russie a augmenté d’une superficie équivalente à celle de la Hollande par an à partir du XVe siècle. Pendant les 300 ans d’existence de la dynastie des Romanov, l’empire russe s’agrandit à la vitesse de 140 km² par jour.

Très tôt se fait sentir le tiraillement entre la volonté d’expansion, qui présuppose par la force des choses un contact avec le monde extérieur, et le sentiment que tout contact avec l’étranger ne peut que corrompre le peuple russe, déstabiliser le régime autocratique et détourner les Russes de la vraie foi. La Russie balance entre messianisme et volonté d’autarcie. Ce tiraillement entre cosmopolitisme expansionniste et désir d’autarcie isolationniste va se retrouver au cœur du bolchevisme. Joseph Staline résout ce dilemme et c’est bien la raison de son emprise profonde sur les esprits en Russie. Il crée une zone d’hégémonie autarcique, en déseuropéanisant les terres conquises, dans la tradition des princes de Moscou. Staline préfère une extension des frontières de l’URSS et la création d’un empire périphérique dans lequel il peut imposer son régime. Mieux que les Tsars, il a su neutraliser les effets de contagion indésirable de l’incursion des troupes soviétiques en Europe. L’expansion qu’il réalise est conforme aux vœux des slavophiles : Moscou impose son régime à toutes les régions conquises, éradique les élites européanisées et construit un bloc quasi autarcique par le fer et par le sang.

Nous retrouvons le même dilemme au coeur de la Russie poutinienne, partagée entre son ambition de grande puissance et un irrésistible penchant vers le repli sur soi. La réaction maladive du Kremlin au choix européen de l’Ukraine s’explique par ce sentiment qu’un retour de l’Ukraine dans l’aire de civilisation européenne remettrait en cause l’évolution historique des cinq derniers siècles, caractérisée par une avancée continue de la Russie en Europe, culminant avec la victoire de « la Grande Guerre patriotique » qui, en 1945, a livré à Staline la moitié du continent européen, avancée que le Kremlin poutinien se promettait de poursuivre en misant sur les tendances centrifuges au sein de l’Union européenne et le désengagement américain.

P.V. : Au vu des faits, comment caractériser l’acteur géopolitique qu’est la Russie de Vladimir Poutine ?

J.-S. M et F.T. : A l’inverse de la théorie « réaliste » des relations internationales, soucieuse d’élaborer une sorte de physique newtonienne des rapports de puissance, l’analyse géopolitique doit prendre en compte les hommes, leurs représentations géopolitiques et la nature du régime politique. Après la disparition de l’URSS, la Russie semblait engagée dans une « transition » vers l’Etat de droit et l’économie de marché. Au cours des années Eltsine (1991-1999), le fonctionnement du régime était certes erratique et marqué par la corruption, mais le progrès des libertés était indéniable. Toutefois, les siloviki, ces hommes issus des organes de sécurité (KGB et autres) ont largement pris le contrôle du partage des dépouilles, via les privatisations, et la « guerre des régions », transformées en mini-URSS par les nomenklaturistes locaux. Ce qui a neutralisé les réformes économiques d’inspiration libérale.

C’est dans ce contexte de « polyarchie chaotique » que Vladimir Poutine a entamé son ascension, puis mis en place ce que l’on a appelé une « verticale du pouvoir », partant du Kremlin : une recentralisation de l’organisation territoriale russe, doublée d’une prise de contrôle du champ politico-médiatique et de l’économie. La science politique définit ce mode de gouvernement comme un « autoritarisme patrimonial », l’autocrate et ses proches étant en même temps les propriétaires des richesses du pays. Cela présuppose l’absence de véritables règles de droit et d’institutions vivaces, ainsi que des luttes de clans permanentes pour le pouvoir et le contrôle des rentes économiques qui achètent les fidélités politiques.

Cette confusion des genres explique les hésitations initiales des analystes sur la finalité centrale du système russe : la puissance étatico-militaire ou l’enrichissement privé ? Depuis, les faits ont démontré la force de ce que les Russes appellent la « Derjavnost », une sorte de culte de la puissance. De l’analyse des discours et représentations géopolitiques, il ressort que pour le Kremlin et la classe dirigeante russe, l’ultime partie de la Guerre froide n’est pas encore jouée. La Russie peut et doit récupérer une partie du terrain perdu en 1991 – cf. le thème de l’« étranger proche » -, et reconstituer une sorte d’URSS « new-look », voire faire payer à l’Occident l’éclatement de l’URSS en attisant les tendances centrifuges dans les Etats et les structures occidentales, notamment au sein de l’Union européenne. In fine, la Russie se pose en puissance revancharde et révisionniste, prête à remettre en cause par les armes l’architectonie géopolitique de l’Europe post-Guerre froide. Autrement dit, il est erroné de voir en la Russie un simple Etat mafieux : le Kremlin conduit une « grande stratégie » et le système est tendu vers la reconstitution de la puissance passée.

P. V. : Quel est le jeu de V. Poutine à l’égard de l’UE et de l’OTAN ?

J.-S. M et F.T. : Vladimir Poutine considère les instances euro-atlantiques, l’Union européenne aussi bien que l’OTAN, comme de simples superstructures politiques et militaires héritées de la stratégie de containment et vouées au dépérissement, à la suite d’un hypothétique retrait américain, les Etats-Unis étant supposés se réorienter vers l’Asie-Pacifique et se désintéresser de toute autre région du monde. Schématiquement, l’OTAN exprimerait les seuls intérêts américains ; l’Union européenne et ses Etats membres seraient dépourvus de substance et de volonté propres. Si le président russe a usé de la thématique eurasiste, ses partisans vont plus loin dans ce registre : l’heure d’une vaste Eurasie, rassemblée autour du « Heartland » russo-sibérien, aurait sonné. Le « Brexit » (référendum du 23 juin 2016 au Royaume-Uni) et ses conséquences sur le système euro-atlantique sont appréhendés à travers cette grille de lecture.


Si l’on se reporte aux années 2000, le discours russe sur l’OTAN et l’Union européenne était empreint de duplicité. Dans le cas ukrainien par exemple, les diplomates russes expliquaient que seule l’OTAN leur posait problème car il s’agissait d’une alliance militaire incluant la superpuissance américaine. La candidature de l’Ukraine constituait, disaient-ils, une grave menace sur la sécurité de la Russie, et l’octroi par les Etats membres de l’OTAN d’un Membership Action Plan (MAP), ultime étape avant l’adhésion pure et simple, serait un casus belli. Il en irait de même pour la Géorgie. Inversement, la candidature à l’Union européenne n’était pas censée leur poser problème, car il s’agissait d’une structure avant tout civile et économique. Ces éléments de langage ont souvent été repris dans les milieux officiels français et européens, mais du point de vue russe, il ne s’agissait que de dissocier les fléaux.

Lors du sommet de l’OTAN organisé à Bucarest, au printemps 2008, le MAP a été refusé à l’Ukraine comme à la Géorgie, et ces deux pays, restés à l’extérieur du périmètre de sécurité, ont été attaqués. Dans le cas ukrainien, l’accord d’association à l’Union européenne, censé ne pas poser problème quelques années plus tôt, a été le point de départ de pressions multiformes de la part de Moscou sur Kiev, jusqu’à la guerre et à un rattachement manu militari de la Crimée. La leçon sur le plan stratégique et géopolitique est simplissime : malheur à qui reste en dehors du périmètre de sécurité. L’OTAN et l’Union européenne sont les deux piliers de l’Europe post-Guerre froide, et ces instances euro-atlantiques font obstacle au révisionnisme géopolitique russe. En leur absence, le « chacun pour soi » l’emporterait, ce qui ouvrirait de nouvelles possibilités à la politique russe, l’Europe basculant dans une nouvelle période de déchirements.

P. V. : Quelle est la réalité de l’Union économique eurasienne ?

J.-S. M et F.T. : L’Union économique eurasienne relève d’un projet géopolitique plus vaste et plus ambitieux, mais contrarié par les faits. Dès 1993, la doctrine de l’ « étranger proche » évoquée précédemment est énoncée à la Douma et reprise au sommet de l’Etat : il s’agit de reprendre le contrôle direct ou indirect de la plus grande partie possible de l’ex-URSS. La doctrine eurasiste donne une touche historique, culturelle et civilisationnelle à un projet néo-soviétique. Cela est hors de portée de la Russie de Eltsine, mais les représentations géopolitiques et les projets de ce type doivent être analysés sur plusieurs échelles temporelles. A l’époque, l’instrumentalisation par Moscou de différents conflits ethniques et territoriaux, sur les confins de la Russie (Moldavie, Géorgie, Arménie-Azerbaïdjan), et leur « gel », permettent de poser des jalons, aussi d’installer l’idée d’un démembrement fatal, en attendant que la conjoncture géopolitique soit plus propice (voir les pseudo-indépendances de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, proclamées après la guerre russo-géorgienne d’août 2008).

En revanche, les tentatives d’intégration de la Communauté des Etats indépendants (CEI) échouent. Ce cadre post-soviétique, instauré pour liquider l’URSS (1991), tout en préservant des relations techniques et fonctionnelles entre les anciennes républiques soviétiques, s’avère inadapté à un projet néo-soviétique ; un certain nombre de pays entendent conserver leur souveraineté. Les dirigeants russes privilégient donc des cadres d’action plus restreints, à l’instar de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), mais ils ne renoncent pas à institutionnaliser la sphère d’influence exclusive qu’ils revendiquent dans l’« étranger proche ». Diverses esquisses aboutissent au projet d’Union eurasienne, présenté par Poutine, en octobre 2011, comme la grande réalisation du prochain mandat présidentiel. Dans son esprit, l’Ukraine devra renoncer à ses aspirations européennes et intégrer cette union, mais l’insurrection civique de la fin 2013, en réponse aux pressions russes a modifié le cours des événements. L’Etat ukrainien a perdu le contrôle de la Crimée et d’environ un tiers du Donbass, mais il conserve les neuf dixièmes de son territoire et le nouveau gouvernement, appuyé sur une nouvelle majorité, conduit un retournement géopolitique vers l’Occident.

L’Union eurasienne a officiellement été lancée au 1er janvier 2015. Elle regroupe la Russie, le Belarus, le Kazakhstan et l’Arménie, bientôt rejoints par le Kirghizstan. L’absence de l’Ukraine réduit la part des Slaves orthodoxes au sein de cette union qui, de ce fait, est plus eurasiatique qu’envisagé au départ. En son sein, le Belarus et le Kazakhstan, qui refusent de reconnaître les remaniements politico-territoriaux en Géorgie (Abkhazie et Ossétie du Sud) et en Ukraine (Crimée), se méfient de la Russie et cherchent à limiter l’union eurasienne à la sphère économique ; la percée de la Chine populaire en Asie centrale et dans le bassin de la Caspienne, bientôt renforcée par le projet des « Nouvelles routes de la Soie », assure au Kazakhstan une certaine marge de manœuvre. La récession russe limite également la portée effective de l’Union eurasienne dans la sphère économique. Il reste que la Russie représente 80 % du PIB, 85 % de la population et 85 % de la superficie de ce vaste ensemble (20 millions de km² et 170 millions d’habitants). Une étape décisive a été franchie et Poutine n’a certainement pas renoncé à ses ambitions géopolitiques, mais l’avenir est plus à une « Russie-Eurasie » qu’à une Russie slave-orthodoxe, notamment dans la sphère démographique (poids croissant des musulmans et des populations issues d’Asie centrale en Russie, et 43 millions d’Ukrainiens qui restent en dehors de cette union). Jusqu’où l’eurasisme et le « chauvinisme grand-russe », pour parler comme Lénine, sont-ils compatibles ?

P. V. : Plus largement, en Asie, quelle est la stratégie de la Russie contemporaine ?
J.-S. M et F.T. :
Avec les trois quarts de son territoire au-delà de l’Oural, la Russie recouvre toute l’Asie septentrionale (Sibérie et Extrême-Orient russe), et elle est la voisine de l’ancien Turkestan occidental (l’Asie centrale russo-soviétique désormais indépendante), la Mongolie, la Chine, la Corée du Nord et le Japon. La dégradation des relations avec l’Occident – parler de « Paix froide » n’est en rien excessif -, a permis à Poutine de mettre en avant le thème d’un « pivot » russe vers la Chine populaire : la stratégie consiste à chercher des appuis en Asie, afin de peser en Europe. Le rapprochement avec Pékin s’inscrit dans le prolongement de la « doctrine Primakov », mise en œuvre sous Eltsine, mais il s’agissait alors de renforcer le pouvoir de négociation de la Russie. Désormais, la Chine populaire est présentée, du point de vue russe, comme un substitut à l’Occident. Le « partenariat stratégique » de 1996, complété cette année-là par le Groupe de Shanghaï, i.e. la future Organisation de Coopération de Shanghaï (OCS), a été le point de départ d’échanges croissants sur tous les plans. En 2011, un traité d’amitié et de coopération a été signé entre Pékin et Moscou, mais il ne s’agit pas d’une alliance à proprement parler, de même que l’OCS n’est pas une « OTAN eurasiatique ».

Négocié après les sanctions occidentales qui ont suivi l’annexion de la Crimée, le « contrat du siècle » (mai 2014) sur la construction d’un grand gazoduc (« Force de Sibérie ») et l’exportation de gaz russe, depuis la Sibérie orientale vers la Chine, a surtout permis à Pékin d’imposer ses conditions. Par ailleurs, les neuf dixièmes de la production russe d’hydrocarbures sont extraits en Sibérie occidentale et ces volumes ne peuvent pas être redéployés vers la Chine (Pékin ne veut pas financer le gazoduc « Force de l’Altaï » qui permettrait d’établir un lien fixe entre Sibérie occidentale et Extrême-Orient). D’une manière générale, les dirigeants chinois considèrent leurs homologues russes comme des partenaires de second rang, et la Russie est considérée comme un réservoir de produits de base, utile également sur le plan diplomatique afin de renforcer les positions chinoises vis-à-vis des Etats-Unis, notamment dans la question des litiges maritimes en mer de Chine méridionale, cette « Méditerranée asiatique ». Bien entendu, Poutine n’ignore pas cela, mais ses priorités géopolitiques sont à l’Ouest : les Russes ont plus besoin de la Chine que la Chine de la Russie. La relation est comparable à un « dos-à-dos », et le sommet sino-russe de Pékin (25 juin 2016), organisé dans le prolongement du sommet de Tachkent (OCS), a confirmé ces convergences géopolitiques.

Ces convergences sino-russes mettent Moscou en porte à faux avec les autres acteurs étatiques de la zone Asie-Pacifique et limitent la possibilité d’un retour sur la « grande scène asiatique ». Les pays de l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) s’inquiètent de l’expansion et des revendications chinoises sur la « Méditerranée asiatique », et ils cherchent des réassurances du côté des Etats-Unis. Le Vietnam lui-même, fortement lié à la Russie par des achats militaires, se rapproche de Washington, et le président américain, Barack Obama, a récemment annoncé la levée de l’embargo sur les armes à destination de ce pays. En Asie du Nord-Est, les rapports avec le Japon achoppent sur la question des Kouriles. Avec la Corée du Nord, les relations sont ambivalentes et Moscou, malgré quelques velléités dans les années 2000, ne peut jouer le rôle de « facilitateur » entre les deux Etats de la péninsule coréenne. Si l’on élargit le champ d’analyse, il faut y intégrer l’Union indienne, dont la diplomatie relance l’idée d’un « bassin Indo-Pacifique », un concept qui lie l’océan Indien et l’océan Pacifique. Héritage de la Guerre froide et du « neutralisme bienveillant » d’Indira Gandhi, la coopération russo-indienne est étroite. Cela ne va pas sans contradiction avec le rapprochement sino-russe, alors que Pékin resserre en parallèle son alliance avec Islamabad. Notons que l’Inde et le Pakistan devraient intégrer l’OCS (signature d’un mémorandum sur cette adhésion, le 24 juin 2016, à Tachkent). Plus que la Chine, la Russie a intérêt à renforcer ce forum diplomatique, de manière à encadrer la puissance chinoise et à pouvoir manœuvrer entre ses « partenariats » contradictoires. Enfin, les relations indo-russes ne sont pas exclusives et le jeu diplomatique est ouvert.

P. V. : Deux livres viennent d’être publiés en France à propos des réseaux d’influences russes en France, que pensez-vous de ces travaux ?

J.-S. M et F.T. : La parution presque simultanée de ces deux livres témoigne d’une prise de conscience en France du danger représenté par l’alignement croissant sur les positions du Kremlin d’une grande partie de la classe politique, à droite surtout. Cécile Vaissié (Les Réseaux du Kremlin en France, éditions Les petits matins) et Nicolas Hénin (La France russe, éditions Fayard) ont fait un travail remarquable qui donne la mesure de l’immense effort déployé par le Kremlin pour pénétrer les milieux qui comptent en France.

Il faut d’abord mentionner un impressionnant dispositif de propagande, qui fait largement appel aux réseaux sociaux. La stratégie médiatique du Kremlin est triple.

Le premier volet consiste à dénigrer à travers ses réseaux tout ce qui est en Occident : la classe politique (« tous des corrompus et des incapables »), les mœurs (« tous des sodomites décadents »), la démocratie (« une hypocrisie au service des Américains »), le droit (« l’idolâtrie de l’homme qui fait oublier Dieu » selon le patriarche Kirill), le droit international (une fiction dont les Américains se servent pour camoufler leur hégémonisme), l’Europe (« en perdition »), les Etats-Unis (« en perte de vitesse »).

Le deuxième volet consiste à tabler sur les peurs et à les attiser : peur du terrorisme (« causé par la politique de tolérance »), peur de l’immigration massive (idem), peur de la globalisation.

Le troisième volet consiste à rapprocher les Européens des Russes en les faisant communier dans les mêmes haines et les mêmes phobies. Haine des Etats-Unis en priorité. Tous les événements négatifs qui ponctuent l’actualité – terrorisme islamique, guerre en Ukraine, crise économique – ont un coupable : les Etats-Unis et leurs vassaux européens. L’Amérique est toujours responsable, soit qu’elle agisse (intervention en Irak), soit qu’elle n’agisse pas (évacuation de l’Irak, développement de Daech). La vision manichéenne exportée de Moscou est rassurante : il y a les méchants d’un côté, qui tirent les ficelles dans les coulisses, et les vaillants résistants derrière Poutine, dressés contre l’Amérique comme Astérix contre l’Empire romain. Cet univers de BD trouve beaucoup d’adeptes, notamment grâce aux réseaux sociaux.

Les principales cibles de Moscou sont les milieux politiques, les milieux économiques, les think tanks, les milieux militaires et les institutions chargées de la sécurité. C’est parmi les « souverainistes » europhobes et anti-américains que le Kremlin recrute la majorité de ses adeptes en posant au défenseur de « l’identité nationale », voire de « l’identité européenne ».

Une analyse de la guerre de l’information menée par le Kremlin, de ses thèmes et de ses cibles principales, la description de sa stratégie de pénétration systématique des lieux de pouvoir dans notre société, ne peuvent laisser aucun doute : c’est la capacité d’agir indépendamment de Moscou que le Kremlin veut détruire en France (et en Europe). C’est une stratégie de pré-conquête que nous avons sous les yeux. Une des leçons principales tirées par le Kremlin du conflit ukrainien est que l’intégration de l’espace ex-soviétique dans l’Union eurasienne de Poutine, le rattachement de l’Europe occidentale à cette Union eurasienne aux conditions voulues par Moscou, ne sont concevables que si les Européens cessent de porter un projet alternatif à la « verticale du pouvoir » poutinienne. Depuis l’affrontement à propos de l’Ukraine, le Kremlin déploie des efforts décuplés pour remodeler l’Europe à son image. En insinuant qu’un « homme fort » est ce qu’il faut à l’Europe, que l’esprit de tolérance et de coopération qui caractérisaient l’Europe de l’après-guerre doivent être éradiqués au profit d’un nationalisme étroit, que seul l’emploi de la force est payant sur la scène internationale, il ambitionne de reformater la conscience européenne, d’amener les Européens à abandonner leurs institutions, à renoncer à leurs libertés, à se détourner de leur classe politique, afin de les rendre « poutino-compatibles ».

Copyright Juillet 2016-Mongrenier-Thom-Verluise/Diploweb.com

Plus

Jean-Sylvestre Mongrenier, François Thom, Géopolitique de la Russie , Coll. Que-sais-je ?, Paris, Presses universitaire de France

Géopolitique de la Russie et de son environnement
Presses Universitaires de France

4e de couverture

Parce qu’elle s’étend de l’Est européen à l’océan Pacifique, la Russie est à la croisée des grandes aires géopolitiques mondiales.
Au sud, le Moyen-Orient est perçu comme un arc de crise en proie à l’islamisme, dont les contrecoups se répercutent dans le Caucase, en Asie centrale et dans les républiques musulmanes de la Volga. Au nord, l’océan Arctique semble retrouver la valeur géostratégique qui était la sienne pendant la guerre froide.

À cette immensité répondent les ambitions du pouvoir russe. Son projet ? Redonner à la Russie un statut de puissance mondiale, en opposition à l’Occident.

Expliquer la géopolitique vue de Moscou, montrer son enracinement dans l’histoire, éclairer les implications de ces conceptions et leurs modalités pratiques en analysant l’évolution des politiques russes, tel est l’objectif de cet ouvrage.

Voir Jean-Sylvestre Mongrenier, François Thom, Géopolitique de la Russie , Coll. QSJ, sur le site des éditions Presses universitaire de France

Voir de plus:

Gorbachev’s reputation rests on the world’s amnesia
George F. Will
The Washington Post
August 30, 2022

Failing upward into the world’s gratitude, Mikhail Gorbachev became a hero by precipitating the liquidation of the political system he had tried to preserve with reforms. He is remembered as a visionary because he was not clear-sighted about socialism’s incurable systemic disease: It cannot cope with the complexity of dispersed information in a developed nation. Like Christopher Columbus, who accidentally discovered the New World, Gorbachev stumbled into greatness by misunderstanding where he was going.

Two of Gorbachev’s uncles and an aunt died in Joseph Stalin’s engineered famine of 1932-1933. The tortures of the Great Terror were visited upon both grandfathers. One of them remembered: An interrogator broke his arms, beat him brutally, then wrapped him in a wet sheepskin coat and put him on a hot stove. In “Gorbachev: His Life and Times,” William Taubman, an emeritus political scientist at Amherst College, quotes Gorbachev on his experience as a boy during World War II, finding the remains of Red Army soldiers: “decaying corpses, partly devoured by animals, skulls in rusted helmets, bleached bones . . . unburied, staring at us out of black, gaping eye-sockets.”

Perhaps, Taubman says, such experiences explain Gorbachev’s most noble facet, his “extraordinary reluctance” to use violence to hold the Soviet system together. Yet when Neil Kinnock, then the leader of Britain’s Labour Party, raised with Gorbachev the case of the imprisoned dissident Natan Sharansky, “Gorbachev responded with a volley of obscenities against ‘turds’ and spies like Sharansky.”

President Ronald Reagan, abandoning the niceties of detente, turned up the rhetorical and military temperature. In 1983, he described the Soviet Union as “the focus of evil in the modern world.” With the Strategic Defense Initiative, he launched a high-tech challenge to a Soviet Union in which 30 percent of hospitals lacked indoor plumbing. Reagan sent lethal aid to those fighting the Soviet forces in Afghanistan. When Gorbachev retreated from there, Taubman writes, it was “the first time the Soviet Union had pulled back from territories it had ‘liberated’ for Communism.”

Taubman, who judges Gorbachev “a tragic hero who deserves our understanding and admiration,” says the 1986 Chernobyl nuclear plant disaster and the government’s bungled response to it caused the scales to fall from Gorbachev’s eyes regarding the comprehensive rottenness of the Soviet system. A French official reported that when Gorbachev arrived late at a Kremlin reception, Gorbachev said “he had been trying to solve some urgent problem of the agriculture sector. I asked when the problem had arisen, and he replied with a sly smile: ‘In 1917.’ ” Secretary of State George P. Shultz in 1987 explained to Gorbachev the world’s transformation from the industrial to the information age, making the foundational Marxist distinction between capital and labor obsolete because “we have entered a world in which the truly important capital is human capital — what people know, how freely they exchange information and knowledge.”

Gorbachev’s lasting legacy might be in the lessons that China’s durable tyranny has chosen to learn from his and the Soviet Union’s downfall. Political scientist Graham Allison observes that “when Xi Jinping has nightmares, the apparition he sees is Mikhail Gorbachev.” According to Allison, Xi says Gorbachev’s three ruinous errors were: He relaxed political control of society before reforming the economy, he allowed the Communist Party to become corrupt, and he “nationalized” the Soviet military by allowing commanders to swear allegiance to the nation rather than to the party and its leader.

In 1988, when the French were about to celebrate and sensible people were about to regret a bicentennial, Gorbachev impertinently lectured the United Nations: “Two great revolutions, the French Revolution of 1789 and the Russian Revolution of 1917, exerted a powerful impact on the very nature of history.” Two? It was America’s revolution that unleashed the world-shaking passion for freedom grounded in respect for natural rights. The Soviet Union, hammered together by force and held together by iron hoops of bureaucracy, never achieved legitimacy as the United States has exemplified it — the consensual association of a culturally diverse population.

The Soviet Union’s brittle husk crumbled as Gorbachev struggled to preserve it. His reputation rests on the world’s amnesia about this: When elevated to general secretary of the Communist Party, Taubman says, Gorbachev claimed to have re-read all 55 volumes of Lenin’s writings, telling a friend, “If you were to read Lenin’s disputes with [the German Marxist Karl] Kautsky, you would understand that they’re far more interesting than a novel.” Of Lenin, the architect of the first totalitarian system, who let loose rivers of blood, Gorbachev said — in 2006 — “I trusted him then and I still do.”

Voir enfin:

Mikhaïl Gorbatchev : Les vibrants hommages en Occident contrastent avec les sobres « condoléances » de Poutine
REACTIONS: Joe Biden, Ursula von der Leyen, Boris Johnson ou encore Emmanuel Macron ont salué le combat pour la paix de Mikhaïl Gorbatchev
20 Minutes avec AFP
31/08/22

Nul n’est prophète en son pays : cette expression résonne particulièrement alors que Mikhaïl Gorbatchev s’est éteint mardi soir à 91 ans. Si la mort du dernier dirigeant de l’URSS a suscité de vibrants hommages en Occident, où son rôle crucial pour mettre fin à la Guerre froide et son combat pour la paix ont été salués, le contraste avec la sobriété du Kremlin est saisissant.

Le président russe Vladimir Poutine a ainsi simplement exprimé « ses profondes condoléances » et « enverra (ce mercredi) dans la matinée un télégramme de condoléances à la famille et aux proches » de l’ancien dirigeant, selon le porte-parole du Kremlin. Le président américain Joe Biden a pour sa part salué en Mikhaïl Gorbatchev un « leader rare ». Ses actes furent ceux d’un dirigeant ayant assez d’« imagination pour voir qu’un autre avenir était possible et le courage de risquer toute sa carrière pour y parvenir. Le résultat fut un monde plus sûr et davantage de liberté pour des millions de personnes ».

Le parallèle de Johnson avec l’Ukraine

Pour le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres, « le monde a perdu un immense dirigeant mondial, engagé envers le multilatéralisme, et défenseur infatigable de la paix ». Le chef de l’Onu a salué « un homme d’Etat unique qui a changé le cours de l’histoire » et fait « plus que n’importe qui pour provoquer de façon pacifique la fin de la Guerre froide ». « J’ai toujours admiré le courage et l’intégrité dont il a fait preuve pour mettre fin à la Guerre froide », a également indiqué dans un tweet le Premier ministre britannique Boris Johnson. « A l’heure de l’agression de (Vladimir) Poutine en Ukraine, son engagement inlassable pour l’ouverture de la société soviétique reste un exemple pour nous tous », a-t-il insisté.

Pour Emmanuel Macron, Mikhaïl Gorbatchev était un « homme de paix dont les choix ont ouvert un chemin de liberté aux Russes. Son engagement pour la paix en Europe a changé notre histoire commune », a souligné le président français.

La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a pour sa part salué « un dirigeant digne de confiance et respecté » qui « a joué un rôle crucial pour mettre fin à la guerre froide et faire tomber le rideau de fer. Il a ouvert la voie à une Europe libre ». Enfin, pour l’ancien président colombien et Nobel de la paix 2016, Juan Manuel Santos, Mikhaïl Gorbatchev – qui a lui-même reçu ce Nobel en 1990 – était « un champion de la paix ». « Le monde a besoin de beaucoup plus de leaders comme lui », a-t-il écrit dans un tweet.

Gorbatchev plaide pour un tribunal écologique mondial

L’ancien président de l’URSS, aujourd’hui à la tête de l’ONG Green Cross International, se prononce aussi pour l’abandon de l’énergie nucléaire.

Propos recueillis par Anne-Sophie Mercier et Martine Valo

Le Monde
13 mars 2012

 

Mikhaïl Gorbatchev, 81 ans, a été président de l’URSS de 1985 à 1991. Il a obtenu le prix Nobel de la paix en 1990 pour sa contribution à la fin de la guerre froide. Il a fondé en 1993 Green Cross International, une association de défense de l’environnement. Elle dispose d’un budget de 18 millions d’euros, financé par des donations privées et des subventions allouées par 34 Etats. M. Gorbatchev, qui la préside toujours, a pris la parole devant les délégations de 140 pays, lundi 12 mars, pour l’ouverture du sixième Forum mondial de l’eau, qui se tient à Marseille jusqu’au 17 mars. Il a répondu au Monde.

Pourquoi avoir réorienté votre vie vers la défense de l’environnement ?

Ce n’est pas du tout une nouvelle vie, c’est ma vie, voilà tout ! Je suis un paysan du nord du Caucase, fils de paysan, qui a longtemps vécu en lien étroit avec la nature, avant de connaître une vie d’intellectuel, d’homme politique, puis de chef d’Etat. Notre existence était misérable, nous avons connu la famine, les purges staliniennes et l’agression des nazis. Je n’ai pris conscience que très tardivement, quand je suis arrivé au comité central de l’ex-Union soviétique, du massacre écologique du pays : pollution de l’air, des rivières, déforestation, contamination des sols… Dire que nous étions si fiers de notre modèle… Tous ces massacres étaient répertoriés dans des documents tenus secrets ! Depuis, je ne veux plus de silence sur ces sujets, et je porte un message de défense de la planète.

Qu’est-ce qui vous différencie des autres ONG ?

On ne cherche pas particulièrement à se distinguer, on travaille dur, ce n’est pas facile. Notre marque de fabrique, en quelque sorte, c’est notre volonté d’informer et d’éduquer. Le plus important, c’est l’éducation. Nous voulons que les gens soient au courant de ce qui se passe dans ce domaine. Quand je suis arrivé à la tête de l’Union soviétique, c’était le grand silence. Je me suis dit : « Plus jamais ça ! »

Vous parlez beaucoup d’éducation, mais, depuis des années que vous tenez ce discours, l’état de la planète ne s’est pas amélioré. Faut-il en venir à une politique de coercition ?

Oui. Je serais personnellement très favorable à la création d’un tribunal international chargé de juger ceux qui sont coupables de crimes écologiques, aussi bien des chefs d’entreprise que des chefs d’Etat ou de gouvernement. Ce tribunal, il faudrait évidemment en définir avec précision le statut, les règles, les compétences.

Soutenez-vous la création d’une organisation mondiale de l’environnement, comme le réclame la France ?

Je n’y suis pas opposé, mais sceptique. Il faut faire attention à ne pas mettre sur pied une nouvelle organisation bureaucratique, qui pourrait agir, dépenser de l’argent, sans tenir compte de l’avis des gens. Cela pourrait finalement freiner l’énergie de la société civile. Le moteur, c’est elle. Même si je ne suis pas convaincu par l’idée de cette nouvelle institution, je reconnais que vous, les Français, avez été en pointe dans bien des domaines. En particulier sur le droit à l’eau, que vous avez inscrit dans votre corpus juridique, et que les Nations unies ont reconnu en juillet 2010.

Trois pays d’Europe, l’Allemagne, l’Italie et la Suisse, ont décidé de sortir du nucléaire. Ont-ils raison ?

Nous soutenons une sortie progressive du nucléaire militaire et civil. J’ai vécu l’expérience de Tchernobyl, qui tient une place énorme dans ma vie. Pour moi, il y a un avant et un après-Tchernobyl. Quatorze milliards de roubles déversés en très peu de temps pour contenir un seul réacteur dans un sarcophage ! Et pour quel résultat… On aurait pu penser que, trente-cinq ans après, le Japon, nation évoluée, confronté au désastre de Fukushima, s’en serait mieux sorti. Or, les Japonais se débattent toujours aujourd’hui dans les difficultés.

Nous soutenons les pays qui ont opté pour le désarmement et pour la fin du nucléaire civil, mais nous avons évolué dans nos prises de position. Désormais, nous pouvons comprendre que, pour certains pays comme la France, qui ont peu d’autres ressources, la transition énergétique prenne plus de temps.

Vous défendez le développement durable, ce qui implique de remettre en question un modèle basé sur la course à la croissance. Des pays émergents comme la Russie ou la Chine peuvent-ils entendre ce discours ?

Oui, bien sûr. Mais c’est aux pays développés de montrer l’exemple au reste du monde. Il leur faudra changer eux aussi et sortir de ce qu’on appelle communément « le consensus de Washington », c’est-à-dire l’orthodoxie économique libérale qui les rend incapables, dans le fond, de comprendre la nouvelle donne écologique et sociale.

L’écologie relève-t-elle des ONG ou des Etats ?

Des ONG, sans conteste, même si les gouvernements ne peuvent plus rester passifs. Quand ils ont agi, les Etats ont commis beaucoup d’erreurs.

On dit que vous pourriez laisser les rênes de votre association à Arnold Schwarzenegger ?

Non, je ne vais pas démissionner pour laisser la place à Terminator ! La rumeur vient du fait que M. Schwarzenegger a fondé lui aussi une association de défense de l’environnement, et qu’il veut travailler avec nous sur certains projets, ce que nous croyons souhaitable. Je suis un homme âgé maintenant, je n’ai plus le même dynamisme. Mais avec l’expérience, je constate que, si vous voulez résoudre un problème, vous devez avoir des femmes avec vous. Il y en a beaucoup à Green Cross, et je dis aux autres : « Bienvenue à bord. »

Propos recueillis par Anne-Sophie Mercier et Martine Valo

 

Gorbatchev : « J’ai honte pour la Russie »

L’ancien dirigeant soviétique dénonce la classe dirigeante russe « dépravée » et appelle à une renaissance du projet démocratique.


Révolte des agriculteurs aux Pays-Bas: Ce que le marxisme a fait à l’Amérique latine (What extremism when for no other reason than ideology, the « luxury beliefs »of the laptop elites demanding ever more restrictive and radical health, environmental and educational policies end up ruining the livelihood and lifestyle of the West’s middle and lower classes … without which they themselves could not survive for more than a few days ?)

11 juillet, 2022
Dutch farmers
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Le Sri Lanka au bord de l'insurrection - Le TempsPolitical Cartoons by Pat CrossLa crise consiste justement dans le fait que le vieux meure et que le neuf ne peut apparaitre. Gramsci
La souveraineté appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. Constitution française (article 3)
Le Président de la République (…) assure et est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités. Constitution française (article 5)
Un peuple connait, aime et défend toujours plus ses moeurs que ses lois. Montesquieu
L’essentiel est d’être bon aux gens avec qui l’on vit. (…) Défiez-vous de ces cosmopolites qui vont chercher au loin dans leurs livres des devoirs qu’ils dédaignent de remplir autour d’eux. Tel philosophe aime les Tartares, pour être dispensé d’aimer ses voisins. Rousseau
La thèse d’Inglehart sur la révolution silencieuse se concentre sur le changement de valeur sur le pôle gauche du spectre politique, en omettant la droite. Dans plusieurs de ses publications, Ronald Inglehart soutient qu’une nouvelle dimension matérialiste/postmatérialiste façonne les attitudes politiques en Occident et au Japon. L’émergence d’un nouvel ensemble de valeurs qui met l’accent sur des valeurs non matérialistes (telles que la liberté, la participation, la réalisation de soi) a donné naissance à la Nouvelle Politique. Pour Inglehart, ce changement du système de valeurs vers une augmentation régulière et progressive du postmatérialisme affecte les préférences partisanes. En particulier, les postmatérialistes penchent massivement en faveur des partis de gauche. En d’autres termes, le changement de valeur a produit de nouveaux alignements politiques et de nouveaux mouvements politiques sur le côté gauche du spectre politique. (…) L’incohérence de la thèse d’Inglehart avec la montée des partis d’extrême droite est encore plus déconcertante. Pourquoi, à une époque de montée du postmatérialisme et de croissance économique, trouvons-nous un nombre croissant d’électeurs de droite ? Et pourquoi l’affirmation de la nouvelle politique n’a-t-elle pas réduit l’espace de l’extrême droite ? Notre hypothèse est que, parallèlement à la diffusion du postmatérialisme, dans les pays occidentaux dans les années 1980, un climat culturel et politique différent, partiellement stimulé par la même « Nouvelle politique », a également pris racine. Ce changement de croyances et d’attitudes s’est partiellement exprimé dans le soi-disant néoconservatisme (et a été partiellement interprété par les partis conservateurs). Mais, dans une large mesure, il est resté souterrain jusqu’à la montée récente des PED. Un tel creuset souterrain d’attitudes et de sentiments comprend l’émergence de nouvelles priorités et questions non traitées par les partis établis, une désillusion à l’égard des partis en général, un manque croissant de confiance dans le système politique et ses institutions, et un pessimisme général quant à l’avenir. En un sens, on pourrait dire que les Verts et les PED sont respectivement les enfants légitimes et les enfants indésirables de la Nouvelle Politique ; comme les Verts sortent de la révolution silencieuse, les PED dérivent d’une réaction à celle-ci, une sorte de « contre-révolution silencieuse ».  Piero Ignazi (1992)
Un des grands problèmes de la Russie – et plus encore de la Chine – est que, contrairement aux camps de concentration hitlériens, les leurs n’ont jamais été libérés et qu’il n’y a eu aucun tribunal de Nuremberg pour juger les crimes commis. Thérèse Delpech (2005)
La propagande russe présente la Russie comme un État menacé qui a besoin de toute urgence de « garanties de sécurité » de la part de l’Occident. (…) [Mais] il y a actuellement plus d’ogives nucléaires stockées en Russie que dans l’ensemble des trois États membres de l’OTAN dotés d’armes nucléaires : les États-Unis, le Royaume-Uni et la France. Moscou dispose d’un large éventail de vecteurs pour ses milliers d’armes nucléaires : des missiles balistiques intercontinentaux aux bombardiers de longue portée en passant par les sous-marins nucléaires. La Russie possède l’une des trois armées conventionnelles les plus puissantes du monde, ainsi qu’un droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU. La Fédération de Russie est donc l’un des États les plus protégés du monde sur le plan militaire. Le Kremlin utilise des troupes régulières et irrégulières, ainsi que le potentiel de sa menace nucléaire, pour mener diverses guerres et occuper de manière permanente plusieurs territoires dans les anciennes Républiques soviétiques. Non seulement en Europe orientale, mais aussi en Europe occidentale et sur d’autres continents, le Kremlin revendique sans complexe des droits spéciaux pour faire valoir ses intérêts sur le territoire d’États souverains. Contournant les règles, les traités et les organisations internationales, Moscou chasse des ennemis dans le monde entier. Le Kremlin tente de saper les processus électoraux, l’État de droit et la cohésion sociale dans des pays étrangers par des campagnes de propagande, des fake news et des attaques de pirates informatiques, entre autres. Ces agissements sont réalisés en partie en secret, mais dans le but évident d’entraver ou de discréditer la prise de décision démocratique dans les États pluralistes. Il s’agit en particulier de porter atteinte à l’intégrité politique et territoriale des États post-soviétiques en voie de démocratisation. En tant que première puissance économique d’Europe, l’Allemagne observe ces activités d’un œil critique, mais reste largement passive, depuis maintenant trois décennies. (…) En outre, la politique étrangère et la politique économique de Berlin ont contribué à l’affaiblissement politique et économique des pays d’Europe orientale non dotés d’armes nucléaires et au renforcement géo-économique d’une superpuissance nucléaire de plus en plus expansive. En 2008, l’Allemagne a joué un rôle central pour empêcher la Géorgie et l’Ukraine de rejoindre l’OTAN. (…) Pour les relations ukraino-russes déjà fragiles, la mise en service du premier gazoduc Nord Stream en 2011-2012, totalement superflu en termes énergétiques et économiques, a été une catastrophe. Rétrospectivement, cela semble avoir ouvert la voie à l’invasion de l’Ukraine par la Russie deux ans plus tard. Une grande partie de la capacité existante de transport de gaz entre la Sibérie et l’UE n’a pas été utilisée en 2021. Pourtant, la République fédérale se prépare maintenant à éliminer complètement le dernier levier économique de l’Ukraine sur la Russie avec l’ouverture du gazoduc Nord Stream 2 (…) L’attaque de Poutine contre l’Ukraine en 2014 apparaît comme une conséquence presque logique de la passivité politique allemande des vingt années précédentes vis-à-vis du néo-impérialisme russe. (…) Le Kremlin remet désormais aussi en question la souveraineté politique de pays comme la Suède et la Finlande. Il demande l’interdiction d’une éventuelle adhésion à l’OTAN non seulement pour les pays post-soviétiques mais aussi pour les pays scandinaves. Le Kremlin fait peur à toute l’Europe en lui promettant des réactions « militaro-techniques » au cas où l’OTAN ne répondrait pas « immédiatement », selon Poutine, aux exigences démesurées de la Russie visant à réviser l’ordre de sécurité européen. La Russie brandit la menace d’une escalade militaire si elle n’obtient pas de « garanties de sécurité », c’est-à-dire l’autorisation pour le Kremlin de suspendre le droit international en Europe. (…) Les crimes perpétrés par l’Allemagne nazie sur le territoire de l’actuelle Russie en 1941-1944 ne peuvent justifier l’attitude réservée de l’Allemagne d’aujourd’hui face au revanchisme et au nihilisme juridique international du Kremlin. Lettre ouverte de 73 experts allemands (Die Zeit, 14 janvier 2022)La propagande russe présente la Russie comme un État menacé qui a besoin de toute urgence de « garanties de sécurité » de la part de l’Occident. (…) [Mais] il y a actuellement plus d’ogives nucléaires stockées en Russie que dans l’ensemble des trois États membres de l’OTAN dotés d’armes nucléaires : les États-Unis, le Royaume-Uni et la France. Moscou dispose d’un large éventail de vecteurs pour ses milliers d’armes nucléaires : des missiles balistiques intercontinentaux aux bombardiers de longue portée en passant par les sous-marins nucléaires. La Russie possède l’une des trois armées conventionnelles les plus puissantes du monde, ainsi qu’un droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU. La Fédération de Russie est donc l’un des États les plus protégés du monde sur le plan militaire. Le Kremlin utilise des troupes régulières et irrégulières, ainsi que le potentiel de sa menace nucléaire, pour mener diverses guerres et occuper de manière permanente plusieurs territoires dans les anciennes Républiques soviétiques. Non seulement en Europe orientale, mais aussi en Europe occidentale et sur d’autres continents, le Kremlin revendique sans complexe des droits spéciaux pour faire valoir ses intérêts sur le territoire d’États souverains. Contournant les règles, les traités et les organisations internationales, Moscou chasse des ennemis dans le monde entier. Le Kremlin tente de saper les processus électoraux, l’État de droit et la cohésion sociale dans des pays étrangers par des campagnes de propagande, des fake news et des attaques de pirates informatiques, entre autres. Ces agissements sont réalisés en partie en secret, mais dans le but évident d’entraver ou de discréditer la prise de décision démocratique dans les États pluralistes. Il s’agit en particulier de porter atteinte à l’intégrité politique et territoriale des États post-soviétiques en voie de démocratisation. En tant que première puissance économique d’Europe, l’Allemagne observe ces activités d’un œil critique, mais reste largement passive, depuis maintenant trois décennies. (…) En outre, la politique étrangère et la politique économique de Berlin ont contribué à l’affaiblissement politique et économique des pays d’Europe orientale non dotés d’armes nucléaires et au renforcement géo-économique d’une superpuissance nucléaire de plus en plus expansive. En 2008, l’Allemagne a joué un rôle central pour empêcher la Géorgie et l’Ukraine de rejoindre l’OTAN. (…) Pour les relations ukraino-russes déjà fragiles, la mise en service du premier gazoduc Nord Stream en 2011-2012, totalement superflu en termes énergétiques et économiques, a été une catastrophe. Rétrospectivement, cela semble avoir ouvert la voie à l’invasion de l’Ukraine par la Russie deux ans plus tard. Une grande partie de la capacité existante de transport de gaz entre la Sibérie et l’UE n’a pas été utilisée en 2021. Pourtant, la République fédérale se prépare maintenant à éliminer complètement le dernier levier économique de l’Ukraine sur la Russie avec l’ouverture du gazoduc Nord Stream 2 (…) L’attaque de Poutine contre l’Ukraine en 2014 apparaît comme une conséquence presque logique de la passivité politique allemande des vingt années précédentes vis-à-vis du néo-impérialisme russe. (…) Le Kremlin remet désormais aussi en question la souveraineté politique de pays comme la Suède et la Finlande. Il demande l’interdiction d’une éventuelle adhésion à l’OTAN non seulement pour les pays post-soviétiques mais aussi pour les pays scandinaves. Le Kremlin fait peur à toute l’Europe en lui promettant des réactions « militaro-techniques » au cas où l’OTAN ne répondrait pas « immédiatement », selon Poutine, aux exigences démesurées de la Russie visant à réviser l’ordre de sécurité européen. La Russie brandit la menace d’une escalade militaire si elle n’obtient pas de « garanties de sécurité », c’est-à-dire l’autorisation pour le Kremlin de suspendre le droit international en Europe. (…) Les crimes perpétrés par l’Allemagne nazie sur le territoire de l’actuelle Russie en 1941-1944 ne peuvent justifier l’attitude réservée de l’Allemagne d’aujourd’hui face au revanchisme et au nihilisme juridique international du Kremlin. Lettre ouverte de 73 experts allemands (Die Zeit, 14 janvier 2022)
Bien sûr, nous sommes résolument cosmopolites. Bien sûr, tout ce qui est terroir, béret, bourrées, binious, bref franchouillard ou cocardier, nous est étranger, voire odieux. Bernard-Henri Lévy
Je n’oublie pas d’où je viens. Je ne suis pas l’enfant naturel de temps calme de la vie politique. Je suis le fruit d’une forme de brutalité de l’histoire, d’une effraction parce que la France était malheureuse et inquiète, si j’oublie tout cela, ce sera le début de l’épreuve. Emmanuel Macron
Poutine a eu le plus de succès, paradoxalement, dans les domaines de l’économie et de la politique, où l’Occident pensait que son pouvoir était le plus fort. (…) Menés par la Chine et rejoints par l’Inde et le Brésil, les pays du monde entier choisissent le commerce avec la Russie (…) Depuis que le dirigeant russe a attaqué la Géorgie en 2008, les dirigeants occidentaux ont constamment mal interprété et sous-estimé la menace que représentent les puissances révisionnistes (Chine, Russie et Iran) [en] Géorgie, Crimée, mer de Chine méridionale et au Moyen-Orient. Tactiquement, M. Poutine veut absorber autant d’Ukraine que possible, mais cette guerre ne concerne pas vraiment quelques tranches du Donbass. Stratégiquement, MM. Poutine, Xi et leurs acolytes iraniens cherchent à détruire ce qu’ils considèrent comme une hégémonie mondiale dirigée par les Américains et dominée par l’Occident. Ils estiment que malgré ses atouts imposants (les pays du G-7 représentent 45 % du produit intérieur brut mondial et 52 % des dépenses militaires mondiales), cet ordre est décadent et vulnérable. (…) Alors que la sagesse conventionnelle occidentale croit que l’élément « basé sur les valeurs » de la politique étrangère américaine et européenne est une source vitale de force dans le monde, les révisionnistes croient que le narcissisme et l’aveuglement occidentaux ont conduit les puissances occidentales dans un piège historique. (…) Les défenseurs conventionnels de l’ordre mondial occidental répliquent en vantant son attachement à des valeurs universelles telles que les droits de l’homme et la lutte contre le changement climatique. L’ordre mondial actuel peut, reconnaissent-ils, être historiquement enraciné dans la puissance impériale occidentale, mais en tant qu’« empire de valeurs », l’ordre mondial occidental mérite le soutien de tous ceux qui se soucient de l’avenir de l’humanité. Malheureusement, le programme de valeurs de plus en plus « woke » de l’Occident n’est pas aussi crédible ou aussi populaire que l’espèrent les libéraux. (…) De nombreuses valeurs chères au cœur des leaders culturels occidentaux (droits LGBTQ, avortement à la demande, liberté d’expression comprise comme autorisant la pornographie incontrôlée sur Internet) intriguent et offensent des milliards de personnes dans le monde qui n’ont pas suivi les modes actuelles sur les campus américains. Les tentatives des institutions financières et des régulateurs occidentaux de bloquer le financement de l’extraction et du raffinage des combustibles fossiles dans les pays en développement exaspèrent à la fois les élites de là-bas et le grand public. De plus, le nouveau programme de valeurs post-judéo-chrétiennes de l’Occident libéral divise l’Occident. Les guerres culturelles chez nous ne favorisent pas l’unité à l’étranger. Si M. Biden, avec le soutien du Parlement européen, fait de l’avortement à la demande un élément clé de l’agenda des valeurs de l’ordre mondial, il est plus susceptible d’affaiblir le soutien américain à l’Ukraine que d’unir le monde contre M. Poutine. La confusion morale et politique de l’Occident contemporain est l’arme secrète qui, selon les dirigeants de la Russie et de la Chine, mettra à genoux l’ordre mondial américain. MM. Poutine et Xi pourraient avoir tort ; et on l’espère bien. Mais leur pari sur la décadence occidentale porte ses fruits depuis plus d’une décennie. La survie occidentale et l’épanouissement mondial nécessitent plus de réflexion et des changements plus profonds que ce que peuvent actuellement imaginer l’administration Biden et ses alliés européens. Walter Russell Mead
Je dis depuis quinze ans qu’il y a un éléphant malade (la classe moyenne) dans le magasin de porcelaine (l’Occident) et qu’on m’explique qu’il n’y a pas d’éléphant. Les « gilets jaunes » correspondent effectivement à la sociologie et à la géographie de la France périphérique que j’observe depuis des années. Ouvriers, employés ou petits indépendants, ils ont du mal à boucler leurs fins de mois. Socialement précarisées, ces catégories modestes vivent dans les territoires (villes, moyennes ou petites, campagnes) qui créent le moins d’emplois. Ces déclassés illustrent un mouvement enraciné sur le temps long : la fin de la classe moyenne dont ils formaient hier encore le socle. (…) Du paysan historiquement de droite à l’ouvrier historiquement de gauche, les « gilets jaunes » constatent que le modèle mondialisé ne les intègre plus. Ils roulent en diesel parce qu’on leur a dit de le faire, mais se font traiter de pollueurs par les élites des grandes métropoles. Alors que le monde d’en haut réaffirme sans cesse son identité culturelle (la ville mondialisée, le bio, le vivre-ensemble…), les « gilets jaunes » n’entendent pas se plier au modèle économique et culturel qui les exclut. (…) Plus que l’exclusion des plus modestes, c’est d’abord la sécession du monde d’en haut qui a joué. La rupture entre le haut et le bas de la société se creuse à mesure que les élites ostracisent le peuple. Macron a beau avoir fait le bon diagnostic quand il a déclaré : « Je n’ai pas réussi à réconcilier le peuple français avec ses dirigeants », son camp s’est empressé de traiter les « gilets jaunes » de racistes, d’antisémites et d’homophobes. Ça ne favorise pas la réconciliation ! Pourtant majoritaire, puisqu’elle constitue 60 % de la population, la France périphérique est rejetée par le monde d’en haut qui ne se reconnaît plus dans son propre peuple. L’importance du mouvement et surtout du soutien de l’opinion (huit Français sur dix) révèle l’isolement du monde d’en haut et des représentations sociales et territoriales totalement erronées. Ce divorce soulève un véritable problème démocratique, car les classes moyennes ont toujours été le référent culturel de la classe dirigeante. (…) Certes, il y a des manifestants de droite, de gauche, d’extrême droite et d’extrême gauche qui structurent assez mal leurs discours. Mais tous souhaitent la même chose : du travail et la préservation de ce qu’ils sont. La question du respect est fondamentale, mais le pouvoir y répond par l’insulte ! (…) Tout est possible. Il y a un tel déficit d’offre politique qu’un leader populiste pourrait surgir aussi vite que Macron a émergé. La demande existe. Dans le reste du monde, les populistes réussissent en adaptant leur idéologie à la demande. Il y a quelques années, Salvini défendait des positions sécessionnistes, libérales et racistes en s’attaquant aux Italiens du Sud. Aujourd’hui ministre, il se fait acclamer à Naples, devient étatiste, prône l’unité italienne et vote un budget quasiment de gauche. Quant à Trump, c’est un membre de l’hyperélite new-yorkaise qui a écouté les demandes de l’Amérique périphérique. Ces leaders ne se disent pas qu’il faut rééduquer le peuple. Au contraire, ce sont les demandes de la base qui leur indiquent la voie à suivre. Ainsi, un Mouvement 5 étoiles pourra émerger en France s’il répond aux demandes populaires de régulation (économique, migratoire). (…) Dans tous les pays occidentaux, la classe moyenne est en train d’exploser par le bas. Cette évolution a démarré dans les années 1970-1980 par la crise du monde ouvrier, avec les restructurations industrielles, puis a touché les paysans, les employés du secteur tertiaire, et enfin des territoires ruraux et des villes moyennes. Si on met bout à bout toutes ces catégories, cela touche le cœur de la société. Sur les décombres des classes moyennes telles qu’elles existaient pendant les Trente Glorieuses, les nouvelles classes populaires – ouvriers, employés, paysans, petits commerçants – forment partout l’immense majorité de la population. (…) Maintenant que la classe moyenne a explosé, deux grandes catégories sociales s’affrontent avec comme arrière-plan un nouveau modèle économique de polarisation de l’emploi. D’un côté, les catégories supérieures – 20 à 25 % de la population –, qui occupent des emplois extrêmement qualifiés et hyper intégrés, se concentrent dans les métropoles. De l’autre, une grosse masse de précaires dont les salaires ne suivent pas, vit dans des zones périphériques. Même dans une région riche comme la Bavière, l’électorat AfD recoupe une sociologie et une géographie plutôt populaires réparties dans des petites villes, des villes moyennes et des zones rurales. (…) La classe moyenne n’est absolument pas une catégorie ethnique. Dans mon dernier livre, je critique l’ethnicisation du concept qui, contrairement à ce qu’on croit, est venue de l’intelligentsia de gauche. Depuis quelques années, il y a un glissement sémantique : quand certains parlent des banlieues ou de la politique de la ville, ils désignent les populations issues de l’immigration récente, et quand ils évoquent la « classe moyenne », ils veulent dire « Blancs ». C’est une bêtise. La classe moyenne est le produit d’une intégration économique et culturelle qui a fonctionné pour les Antillais ainsi que pour les premières vagues d’immigration maghrébine qui en épousaient les valeurs, quelle que fût leur origine ou leur religion. Faut-il le rappeler, les DOM-TOM font partie de la France périphérique. Dans ces territoires, les demandes de régulation (économique et migratoire) émanent des mêmes catégories. Cette dynamique est aujourd’hui cassée car le modèle occidental n’intègre plus ces catégories, ni économiquement, ni socialement, ni culturellement. Même dans des régions du monde prospères comme la Scandinavie, les petites gens sont fragilisées culturellement. Cette explosion des classes moyennes entraîne la crise des valeurs culturelles qu’elles portaient, donc des systèmes d’assimilation. (…) Si les classes moyennes, socle populaire du monde d’en haut, ne sont plus les référents culturels de celui-ci, qui ne cesse de les décrire comme des déplorables, elles ne peuvent plus mécaniquement être celles à qui ont envie de ressembler les immigrés. Hier, un immigré qui débarquait s’assimilait mécaniquement en voulant ressembler au Français moyen. De même, l’American way of life était porté par l’ouvrier américain à qui l’immigré avait envie de ressembler. Dès lors que les milieux modestes sont fragilisés et perçus comme des perdants, ils perdent leur capacité d’attractivité. C’est un choc psychologique gigantesque. Cerise sur le gâteau, l’intelligentsia vomit ces gens, à l’image d’Hillary Clinton qui traitait les électeurs de Trump de « déplorables ». Personne n’a envie de ressembler à un déplorable ! (…) La dynamique populiste joue sur deux ressorts à la fois : l’insécurité sociale et l’insécurité culturelle. L’insécurité culturelle sans l’insécurité économique et sociale, cela donne l’électorat Fillon, qui a logiquement voté Macron au second tour : il n’a aucun intérêt à renverser le modèle dont il bénéficie. On l’a vu avec l’élection de Trump, aucun vote populiste n’émerge sans la conjonction de fragilités identitaire et sociale. Il est donc vain de se demander si c’est l’une ou l’autre de ces composantes qui joue. Raison pour laquelle les débats sur la prétendue influence d’Éric Zemmour sont idiots. Zemmour exprime un mouvement réel de la société, qui explique qu’avec 11 millions d’électeurs pour Marine Le Pen, le Front national ait battu son record absolu de voix au second tour en 2017. Malgré tout, la redistribution reste très forte et les protégés sont nombreux. Emmanuel Macron n’a pas seulement été élu par le monde d’en haut. Il a aussi été largement soutenu par les protégés, c’est-à-dire les retraités – notamment de la classe moyenne – et les fonctionnaires. Là est le paradoxe français : ce qui reste de l’État providence protège le monde d’en haut… (…) Cela explique son effondrement dans les sondages. Ceci dit, le niveau de pension reste relativement correct et ne pousse pas les retraités français à renverser la table, même ceux qui estiment qu’il y a des problèmes avec l’immigration. Mais cela pourrait changer aux États-Unis et en Grande-Bretagne, l’État providence étant fragilisé depuis les années 1980, les retraités ne craignent pas de bousculer le système. Ils ont voté pour le Brexit parce qu’ils n’ont rien à perdre. Si demain le gouvernement fragilise les retraités français, ils ne cautionneront pas éternellement le système. En détricotant tous les filets sociaux, comme la redistribution en faveur des retraités, on prend de très gros risques pour la suite des opérations. (…) Et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le gouvernement a fait marche arrière sur la CSG. La pension de retraite médiane en France tourne autour de 1 000, 1 100 euros par mois ! En dessous de 1 000 euros par mois, cela commence à être très compliqué. La majorité des retraités sont issus des catégories populaires. Et ils sont les seuls, au sein de celles-ci, à n’avoir pas majoritairement basculé dans l’abstention ou dans le vote populiste. Le jour où eux aussi basculeront, le choc sera comparable au Brexit. Regardez aussi la rapidité avec laquelle les populistes ont gagné en Italie. (…) Qu’on le veuille ou non, le mouvement est là et il suffit d’attendre. Partout en Occident, il y a une très forte demande de régulation : économique, sociale, migratoire. Pour toute réponse à cette demande populaire, on la traite de fasciste – je suis bien placé pour le savoir. Le résultat de cette stratégie de diversion, c’est que la fracture entre l’élite et les classes supérieures, d’une part, et le peuple d’autre part, ne cesse de se creuser. Jamais dans l’histoire ces deux mondes n’avaient été aussi étrangers l’un à l’autre. (…) Ce monde d’en haut ne tient pas seulement avec le 1 % ou les hyper riches, mais avec des catégories supérieures et une technostructure – les énarques, mais aussi les technocrates territoriaux issus de l’INET. Ses membres viennent tous des mêmes milieux et partagent exactement la même vision de la société. À l’inverse, quand je me balade en France, je rencontre des élus de gauche ou de droite qui partagent mon diagnostic. Et qui se désolent de voir qu’au sommet de leur parti, domine le modèle mondialisé structuré autour des métropoles. (…) Quand la pensée est vraiment en décalage avec le réel, les tentatives de déni et de diabolisation ne marchent plus. Cependant, avec toute la volonté politique du monde, sans l’appui de la technostructure, aucun changement n’est possible. La même question se pose dans les territoires : comment initier des politiques différentes avec la même technostructure ? Peu importe qui est maire de Paris ou Bordeaux, ces villes créent de la richesse grâce au libre jeu du marché. En revanche, il faut être sacrément doué pour sortir Guéret ou Vierzon de l’impasse. (…) Actuellement, on traite la France périphérique à coups de subventions. On redistribue un peu, beaucoup, passionnément, de façon à ce que les gens puissent remplir leur caddie au supermarché. On est arrivé au bout de ce modèle, notamment parce que l’État et les ménages sont surendettés. Mais lorsque des élus locaux et des entreprises privées se réunissent autour d’une table pour impulser un projet économique, cela réussit. Je pense par exemple à la relance des couteaux de Laguiole, dans l’Aveyron. (…) Comme le démontre l’exemple de Laguiole, on ne peut plus penser l’organisation territoriale uniquement à travers une volonté imposée d’en haut par les pouvoirs publics. C’est du bas vers le haut qu’il faut penser ces territoires. Dans des départements ruraux comme la Nièvre, les élus réclament la compétence économique pour initier des projets. Les présidents de conseils départementaux connaissent parfaitement leur territoire, les entreprises qui marchent et la raison de leur succès, la ville où il y a des pauvres et des chômeurs. Ils sont souples, inventifs, pragmatiques et ont à leur disposition des fonctionnaires départementaux issus du cru. Mais les hauts fonctionnaires qui forment l’administration régionale ou étatique cherchent à leur retirer de plus en plus de compétences économiques. Quoique majoritaire, la France des territoires n’existe pas politiquement. Les élus locaux sont marginalisés au sein de leurs partis, contrairement aux élus des grandes villes. Tout doit donc commencer par un rééquilibrage démocratique. Christophe Guilluy
Il n’y a aucun complot. Les métropoles ne sont pas un bras armé, mais simplement l’application aux territoires du modèle économique mondialisé et de la loi du marché. Et la loi du marché bénéficie, comme cela a toujours été le cas, à la bourgeoisie. La seule courbe des prix de l’immobilier suffit à le démontrer. Un ouvrier qui économiserait chaque mois 100 euros pour acheter un logement mettrait une vie entière pour acquérir 10 m2 à Paris. [« La société ouverte »] C’est l’autre nom de loi du marché. Les métropoles sont des citadelles imprenables. Elles érigent, grâce à l’argent,  des murs d’enceintes bien plus solides que ceux du moyen âge. Un discret entre soi et un grégarisme social fonctionnent aussi à plein. Cette tendance est renforcée par un mode de vie respectueux de l’environnement qui, in fine, renforce la gentrification. La fermeture des grands axes et la piétonnisation renchérissent le foncier. Déguisés en hipsters, les nouveaux Rougon-Macquart se fondent dans le décorum ouvrier des bars et restaurants des anciens quartiers populaires et se constituent des patrimoines immobiliers considérables. Mais les masques finissent par tomber… (…) Après le Brexit, dont la géographie recouvre celle de « l’Angleterre et la Grande-Bretagne périphérique » et populaire, les classes dominantes ont expliqué que ce vote devait être invalidé car porté par des gens  « peu éduqués » selon Alain Minc ou des « crétins » d’après Bernard-Henri Lévy. Anne Hidalgo et son collègue de Londres Sadiq Khan ont fait par la suite l’apologie des villes-mondes qui doivent damer le pion aux Etats-Nations, en prônant en filigrane une forme d’abandon  des périphéries populaires. Leur projet de « cités-Etats » rappelle paradoxalement les discours séparatistes de partis populistes comme celui de la Ligue du Nord italienne. (…) Les métropoles ont besoin de catégories populaires pour occuper les emplois peu qualifiés (dans les services, le BTP, la restauration). Il leur faut aussi des catégories intermédiaires, des « key workers » qui assurent la continuité du service public. Le logement social permet de maintenir ces travailleurs dans les métropoles gentrifiées. Bertrand Delanoë, tout comme Anne Hidalgo, ont construit beaucoup de logements sociaux pour répondre à ce besoin. Tout cela est rationnel.  Mais si le taux de logements sociaux est passé de 13,4 % en 2001 à 17,6 % aujourd’hui, il ne compense en rien la disparition d’un parc privé, « social de fait », qui accueillait hier les classes populaires. Or, sur le marché de l’emploi métropolitain, on a essentiellement besoin de catégories très qualifiées et, à la marge, de catégories populaires. La majorité des catégories modestes, c’est à dire de la population, n’a donc plus sa place dans ces espaces. (…) S’il reste encore des classes populaires, des ménages pauvres et des chômeurs dans les quartiers de logements sociaux des grandes métropoles, la majorité de ces catégories  vit désormais à l’écart des métropoles dans une « France périphérique », celle des petites villes, des villes moyennes et des zones rurales. Ces territoires sont, en moyenne, marqués par une plus faible création d’emplois et de richesses et sont fragiles socialement. Ce modèle n’est pas spécifique à la France, il constitue l’une des conséquences de l’application d’un modèle économique mondialisé qui repose notamment sur la division internationale du travail. Ce système marche très bien, il crée de la richesse et de l’emploi. Mais il ne fait pas société. (…) En réalité, la « boutique » tourne aujourd’hui sans les catégories populaires. Les territoires de la France périphérique, en particulier ceux de la désindustrialisation du Nord et de l’Est, sont marqués par une grande fragilité économique et sociale. Ils ont bénéficié à ce titre d’une forte redistribution. La péréquation, la création d’emplois publics ont joué le rôle d’amortisseur. La commune et l’hôpital étaient les premiers et les seuls véritables employeurs de ces communes. Mais dans un contexte de raréfaction de l’argent public et des dotations de l’Etat et de désertification de l’emploi, les champs du possible se restreignent. (…)  Le géographe Gérard-François Dumont parle d’une « idéologie de la métropolisation », une idéologie portée par l’ensemble de la classe dominante qui in fine  renforce le poids des métropoles et celui des classes supérieures. Cette idéologie interdit l’évocation d’une France populaire majoritaire comme s’il fallait laisser dans l’invisibilité les perdants de la mondialisation. Dans cette lutte des classes, on assimile sciemment cette France populaire à celle du repli, des ignares. Derrière cette fausse polémique et cette vraie guerre des représentations, il y a tout simplement une lutte des classes non dites qui révèle  la « prolophobie » selon l’expression du politologue Gaël Brustier.  Christophe Guilluy
Constitué de pas moins de douze textes, il vise à réduire les émissions de CO2 de 55% d’ici à 2030 (par rapport à 1990), avec l’objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. L’annonce de la fin des véhicules à moteur thermique en 2035 a retenu l’attention. Mais l’automobile n’est pas seule concernée. Tous les transports sont sollicités : aviation, transport maritime et transport routier. C’est en outre toute l’industrie qui sera mobilisée à travers le contrôle de ses émissions de CO2 via le SEQE-UE (Système d’échange de quotas d’émission). Un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM, Carbon Border Adjustment Mechanism) viendra en complément du SEQE-UE afin d’éviter une concurrence déloyale des industriels hors UE. Enfin, la directive sur la taxation de l’énergie fera l’objet d’une importante révision afin de rehausser les niveaux de taxation sur les combustibles fossiles. Après avoir insisté sur ce qu’il faut bien appeler l’hypocrisie du CO2 importé (la baisse des émissions de CO2 provient principalement des importations, c’est-à-dire de la désindustrialisation) et sur l’immense difficulté de l’instauration d’une taxe carbone aux frontières, notre étude tente d’évaluer l’impact de la transition énergétique sur le PIB. Analysant en détails plusieurs travaux fondés sur l’équation de Kaya, elle l’évalue à une décroissance de l’ordre de 2,5 à 3% par an d’ici 2030. Elle rappelle en outre que la Cour des comptes européenne a mesuré le besoin de financement de la transition écologique en Europe à 11 200 milliards d’euros entre 2021 et 2030 : ramené à la France, cela correspond chaque année à 6% du PIB français et à 10,6% des dépenses publiques. Notre étude s’efforce également de mesurer l’impact de ces politiques sur différents agents et secteurs économiques. En s’appuyant sur des données du Commissariat général au développement durable et du Boston Consulting Group, elle montre qu’à travers le transport (l’automobile) et le logement, le pouvoir d’achat des ménages sera très lourdement impacté. Elle analyse ensuite les conséquences sur le secteur automobile européen, dont on se demande comment il pourra survivre (le tout véhicule électrique favorisant en dernière instance le « made in China »). Elle passe également en revue les secteurs du logement, de l’électricité et même bancaire. Mais il faut aussi prendre la mesure des effets politiques de ces choix, fondés sur un discours systématiquement catastrophiste et une intolérance inquiétante. La transition énergétique comme impératif catégorique aboutit à ce que nous appelons la cancel economy, c’est-à-dire la casse de l’appareil industriel européen et le rejet de ce qui a fait la puissance de l’Occident (progrès scientifique, recherche, applications industrielles, etc.). Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, ne dit rien d’autre quand elle affirme qu’il « s’agit de changer de civilisation, de culture et de mode de vie ». Et c’est par l’action de l’État que ce bouleversement sera rendu possible : en offrant une légitimité morale aux lois, restrictions, interdictions et contraintes imposées aux personnes et aux entreprises, la cancel economy permet aux États de renforcer leur emprise sur la société. Philippe Herlin
Il y a eu les bonnets rouges, les gilets jaunes, le convoi de la liberté, et maintenant cela : nous sommes entrés dans l’ère des soulèvements. C’est la manifestation du désaccord contre une élite démocratique qui impose des règles de manière abstraite, sans concertation aucune. Ici, ce sont les normes européennes imposées de manière verticale, au service d’une écologie politique, qui sont remises en cause. Pendant des décennies, on a adopté aux Pays-Bas un modèle d’agriculture technologique et, subitement, on veut revenir à une agriculture artisanale. Michel Maffesoli
À force de mettre en œuvre une stratégie de la peur, des explosions de colère se développent. Les «gilets jaunes» en étaient une expression, les manifestations du samedi ou les rassemblements juvéniles et musicaux aussi. Nous vivons un moment de déconnexion entre le peuple et les élites, définies comme celles ayant le pouvoir de dire ou de faire. Ce n’est pas la première jacquerie de ce genre que nous connaissons. Une explosion de cet ordre se déroule, alors que certains ne se reconnaissent plus dans la gestion de l’épidémie. De ce que je constate, les manifestations qui pourraient commencer en fin de semaine ne seront pas forcément négligeables. Essentiellement, elles sont dues à ce déphasage entre le peuple et les élites. C’est un moment de déconnexion, de désaccord. (…) Dans les élites, il y a une forme d’entre-soi avec des gens qui répètent la même chose. D’une manière générale, il existe une grande méfiance à l’endroit de ce qui est dit sur les réseaux sociaux. On ne peut pas nier que les «freedom convoy» au Canada et au Québec se sont organisés sur les réseaux sociaux, c’est là que ça se passe. Les réseaux sociaux sont comparables à l’invention de l’imprimerie par Gutenberg quand les moines avaient un monopole sur les livres. Je pense qu’on ne peut pas ne pas en tenir compte. Ce sont des indices, au sens étymologique du terme : ceux qui pointent. S’ils ne sont pas la vérité, un observateur est obligé de les voir. (…) On peut voir qu’au Canada, cette colère existe. Le problème, c’est qu’elle peut prendre des formes brutales, et conduire à une forme de sécession. Ce qui apparaît à Ottawa avec le gouvernement Trudeau. Quand la parole publique ne porte plus, des explosions émotionnelles voient le jour. Ce retour des émotions, qui connaît un développement depuis de longues années, ne procède pas d’une action volontaire ou rationnelle. Je suis allé traîner mes guêtres sur des ronds-points avec les «gilets jaunes» ou les samedis. Tous ne sont pas antivax, mais beaucoup en ont marre d’une société de contrôle. Ils en ont assez des gestes barrières de la vie quotidienne, cette espèce de totalitarisme doux, de distanciation par rapport à l’autre. (…) Étymologiquement, l’apocalypse est la révélation. Avant la Réforme protestante, les indulgences permettaient de ne pas aller en enfer, dont les gens avaient très peur. Aujourd’hui, nous connaissons la peur de la mort, de la maladie et au fond de la finitude. Ces grands rassemblements sont une manière de contester la peur. Ils se multiplient dans de nombreux pays. Le problème n’est pas de nier la finitude mais de la ritualiser, de l’«homéopathiser». Or, une certaine stratégie de la peur, développée pendant la crise sanitaire, consiste à évacuer ces rituels. Si on ne permet la continuation de ces rituels, de s’accommoder avec la finitude, il y a une révolte, une insurrection, une colère. C’est exactement ce qui s’est passé au Canada. Nous verrons si nous aurons une contestation de cet ordre. Cette colère populaire s’exprimera au travers de diverses formes. Michel Maffesoli
Comme le décrivait le grand financier Warren Buffet, c’est quand la marée se retire, que l’on voit les baigneurs qui sont nus. Je m’explique : la guerre en Ukraine a mis en lumière les grandes faiblesses structurelles d’un certain nombre de pays, dont le Sri Lanka. Ces faiblesses sont ici liées à la mauvaise gouvernance du pays, il y a un accord des spécialistes sur ce point. Mais elles ne datent pas d’hier. Après la grande guerre civile de 1983-2009, s’est installé au pouvoir le clan cingalais bouddhiste, qui l’avait emporté contre la minorité tamoule indienne. S’instaure alors une sorte de populisme nationaliste religieux, derrière lequel se cache un clan, une famille – les Rajapaksa, qui va progressivement prendre tous les leviers du pouvoir, avec notamment le frère du président, Mahinda Rajapaksa, qui était devenu premier ministre. Ce clan va se surendetter, notamment vis-à-vis de la Chine, pour faire semblant de prendre de l’autonomie vis-à-vis du grand frère indien. Cela va déclencher une crise de la dette, qui se manifeste par des réserves de change complètement vides. Par ailleurs, le pouvoir va mal gérer les finances publiques, en introduisant des allongements fiscaux visant les membres du clan, de sorte que le déficit ne cesse de se creuser. Enfin, le président a joué la carte de la spécialisation internationale du Sri Lanka sur le tourisme et, ce faisant, a dégarni l’économie nationale de son autonomie alimentaire. Ainsi, le Sri Lanka a abandonné l’économie de plantation qui avait pourtant fait la richesse du pays. Dans les années 1960, le PIB par habitant était cinq fois supérieur à celui de l’Inde ! Dans ce contexte, surviennent ce que j’appellerais les trois «coups de gong». Le Covid-19 tout d’abord, fragilisant l’économie essentiellement fondée sur le tourisme. Puis, le choix d’investir dans une agriculture organique sans engrais et pesticide, sans y être du tout préparé, qui se traduit par une population rurale – majoritaire – pénalisée par des chutes très nettes de rendement. Enfin, la montée des prix des matières premières énergétiques, mais aussi par exemple, du béton. Or, une économie fondée essentiellement sur le tourisme importe énormément. (…) Dans les 18 mois à venir, on va avoir, partout dans le monde émergent, des situations extrêmement difficiles liées à l’explosion de l’inflation, notamment dans les régimes en fin de course, qui se traduiront par des crises économiques, devenant des crises sociales et politiques. On le voit en Amérique latine, par exemple en ce moment au Pérou. On a eu également le cas du Pakistan, où le premier ministre a été renvoyé en avril dernier. Mais dans ce pays, c’est l’armée qui tient d’une main de fer le pays et a décidé que la transition se ferait au profit de l’opposition. Au Sénégal, où le président actuel est tenté par un troisième mandat, il y a des mouvements de rue très importants, et rien ne dit qu’il n’y ait pas de crise politique ouverte dans les prochains mois, même si le pays, sur le plan économique, dispose d’un soutien du camp occidental bien plus fort que le Sri Lanka, qui a joué la carte de la Chine. Jean-Joseph Boillot
Assiste-t-on à la naissance des gilets jaunes néerlandais ? Depuis le 10 juin, agriculteurs et éleveurs des Pays-Bas manifestent régulièrement dans tout le pays pour protester contre l’annonce par le gouvernement d’un projet visant à réduire drastiquement les émissions d’azote. Le mouvement de contestation, d’abord tâtonnant, est monté crescendo. Ces derniers jours, des tracteurs ont bloqué plusieurs centres de distribution de supermarchés, déclenchant des pénuries dans certaines enseignes. Des agriculteurs ont également forcé un cordon de police devant le domicile de la ministre de l’Environnement, Christianne van der Wal. Surtout, dans la nuit du 5 au 6 juillet, un rassemblement a dangereusement dégénéré, et des policiers ont ouvert le feu. (…) La presse belge fait état de huit arrestations dans le cadre de l’enquête. Si les circonstances sont encore incertaines, cet événement démontre la montée en puissance d’un mouvement qui pourrait prendre encore plus d’ampleur dans les prochains jours. Aux origines de la colère, un vaste projet de réduction des rejets d’azote dans l’air, engagé par le gouvernement sous la pression de la plus haute juridiction administrative du pays. «On parle de réduire les émissions azotées jusqu’à 70% d’ici 2030 dans les zones Natura 2000, protégées par la réglementation», explique au Figaro Alessandra Kirsch, docteur en économie et politique agricole et directrice des études du think-tank Agriculture Stratégies. (…) Les principaux concernés par ces restrictions se trouvent donc être les agriculteurs et les éleveurs, qui sont pléthores aux Pays-Bas puisque le pays est le deuxième exportateur agricole mondial, derrière les États-Unis. «On y compte 53.000 exploitations, quatre millions de bovins, 12 millions de porcs et 100 millions de poulets sur une toute petite surface agricole de 1,82 million d’hectares», rappelle Alessandra Kirsch. Par conséquent, «l’élevage contribue pour 40% aux excès azotés» aux Pays-Bas, souligne-t-elle. Au total, l’agriculture est tenue pour responsable de 16% des émissions néerlandaises de gaz à effet de serre, en particulier via les engrais et le purin. Depuis plusieurs années, les éleveurs néerlandais ont utilisé un certain nombre de leviers techniques pour réduire ces émissions : «couverture des fosses à lisier (un réservoir utilisé pour rassembler les déchets animaux, NDLR), utilisation de matériel d’épandage spécifique, ajustement de la ration alimentaire des animaux pour que les besoins azotés soient couverts au plus juste, diminution du nombre d’animaux présents par hectares au pâturage», énumère la spécialiste. Cependant, «les objectifs de réduction sont très élevés à un horizon très court et ces leviers risquent de ne pas suffire. Si bien qu’on évoque la possibilité d’une réduction d’un tiers du cheptel», poursuit-elle. Les éleveurs se retrouvent donc face à un dilemme cornélien : s’adapter en utilisant ces leviers techniques et en diminuant le cheptel, se délocaliser vers des zones moins sensibles ou arrêter purement et simplement leur activité. Au pied du mur, les agriculteurs et éleveurs des Pays-Bas sont donc descendus dans la rue, formant un mouvement qui en évoque d’autres. (…) En novembre 2021, les Néerlandais s’étaient déjà révoltés de façon brutale contre la politique sanitaire imposée par le gouvernement. Des heurts avaient éclaté dans plusieurs villes entre policiers et manifestants et de nombreux blessés avaient été déplorés. Les manifestations contre le plan azote s’inscrivent dans la même idée de «décalage entre le peuple et les élites», suggère Michel Maffesoli. Au risque d’un «mécanisme de saturation», observé notamment pendant le mouvement des gilets jaunes. «Au bout d’un moment, ce genre de processus peut devenir violent», alerte le sociologue. Le fait que les syndicats d’agriculteurs et d’éleveurs se soient récemment désolidarisés des manifestants prouve d’ailleurs que le mouvement tend à se radicaliser. Il est même en train de gagner d’autres secteurs que le monde agricole. Hugues Maillot
Certains en Occident savourent les images de révolte en provenance du Sri Lanka. Les tweeteurs et les gauchistes s’émerveillent devant les images et les photos montrant des Sri Lankais en colère prenant d’assaut le palais présidentiel et se baignant dans sa somptueuse piscine. Les images sont en effet frappantes et encourageantes : cela fait toujours plaisir de voir des gens rejeter leurs dirigeants incompétents et corrompus. Et pourtant ces observateurs occidentaux pourraient bientôt être surpris, car cette révolte n’est pas seulement une mise en accusation des élites sri lankaises et de leurs légions d’erreurs de jugement. C’est aussi plus largement une mise en accusation des vanités des élites mondiales. Elle remet en question les préjugés et les politiques des establishments mondiaux sous l’emprise de l’alarmisme climatique et de l’autoritarisme Covid. Au Sri Lanka, nous assistons à une rébellion non seulement contre les responsables gouvernementaux corrompus, mais aussi contre la vision du monde dangereusement déconnectée de la technocratie internationale. (…) Le Sri Lanka nous montre ce qui se passe lorsque la politique d’un pays est déterminée par les désirs et les préjugés des nouvelles élites plutôt que par les besoins des gens ordinaires. Les confinements ont peut-être été une aubaine pour les élites du télétravail et pour certains milliardaires, mais il a été incroyablement préjudiciable pour une grande partie de la classe ouvrière occidentale et pour des millions de démunis des pays du Sud. L’idéologie verte peut donner un sens à leur vie aux nouvelles élites, flattant leur illusion narcissique selon laquelle elles sauvent la planète d’une mort provoquée par le réchauffement climatique, mais ce sont les ouvriers occidentaux qui en font les frais et qui paient au bout du compte pour la folie de la neutralité carbone, et cela attise la faim et la misère dans ces parties du monde qui ne sont pas encore aussi développées que l’Occident. Le Sri Lanka représente un cas extrême et inquiétant de ce qui se passe lorsque la politique mondiale est construite sur la peur et le narcissisme d’élites déconnectées, plutôt qu’à partir des besoins des gens pour s’épanouir et sortir de la pauvreté. Mais ce que l’on voit aussi au Sri Lanka, c’est exactement le type de réaction dont nous avons besoin contre tout cela. Les gens n’en peuvent plus. Et ils ne sont pas les seuls. Des routiers canadiens révoltés contre les mesures anti-Covid qui détruisent leurs moyens de subsistance aux agriculteurs néerlandais insurgés contre la folie des  politiques écologiques de leur gouvernement, des protestations des chauffeurs de taxi italiens contre la hausse des prix du carburant aux manifestations de masse albanaises contre la hausse des prix alimentaires et du carburant après le confinement et la guerre en Ukraine, des manifestations populaires éclatent partout à travers le monde. Le gouvernement du Sri Lanka a peut-être été le premier à tomber, mais il semble peu probable qu’il soit le dernier. Les soulèvements manquent de cohérence. Certains refusent les leaders. Les demandes ne sont pas toujours claires. Mais s’il y a une chose évidente, c’est la raison pour laquelle les gens sont en colère – l’irrationalité des décisions d’une nouvelle classe de responsables politiques qui préfèrent les mesures de répression rapides et les démonstrations de vertu à la tâche difficile de trouver comment améliorer matériellement et spirituellement la vie des gens. Ceux qui pensent que le populisme est terminé maintenant que Trump et même Boris Johnson sont partis pourraient bien avoir des surprises. Réveillez-vous, les gars ! Surveillez vos fenêtres ! Faites gaffe à vos piscines ! Brendan O’Neill
Un soulèvement populaire de la classe ouvrière contre les élites et leurs valeurs est en cours – et il traverse le monde. Il y a une résistance croissante de la part des classes moyennes et inférieures contre ce que Rob Henderson a appelé les «croyances de luxe» des élites, alors que les gens ordinaires réalisent le mal que cela leur cause, à eux et à leurs communautés. Il y a eu des premières lueurs en février dernier, lorsque le Convoi de routiers canadiens a opposé les camionneurs de la classe ouvrière à la classe des télétravailleurs exigeant des mesures COVID-19 toujours plus restrictives. On l’a légalement vu dans la victoire du gouverneur de Virginie, Glenn Youngkin, qui s’est présenté au nom des droits des parents à l’éducation et a ensuite remporté à la fois les banlieues et les zones rurales. On peut le voir dans le soutien croissant des électeurs hispaniques à un parti républicain, qui s’identifie de plus en plus comme anti-woke et pro-classe ouvrière. Et maintenant, nous assistons à sa dernière itération aux Pays-Bas sous la forme d’une manifestation d’agriculteurs contre de nouvelles réglementations environnementales qui vont les ruiner. Plus de 30 000 agriculteurs néerlandais se sont levés pour protester contre le gouvernement à la suite des nouvelles limites d’azote qui les obligent les à réduire radicalement jusqu’à 70 % leurs émissions d’azote  au cours des huit prochaines années. Cela les obligerait à utiliser moins d’engrais et même à réduire le nombre de leurs têtes de bétail. Alors que sur le papier, les grandes entreprises agricoles auraient les moyens d’atteindre ces objectifs et pourraient passer à des engrais non azotés, cela est impossible pour les petites exploitations souvent familiales. Les nouvelles réglementations environnementales sont si extrêmes qu’elles obligeraient de nombreuses personnes à mettre la clé sous la porte, y compris des familles qui sont dans l’agriculture depuis trois ou quatre générations. En signe de protestation, les agriculteurs bloquent les rues et refusent de livrer leurs produits aux chaînes de supermarchés. Cela a entraîné de graves pénuries d’œufs et de lait, entre autres produits alimentaires. Mais les effets vont être mondiaux. Les Pays-Bas sont le deuxième exportateur agricole mondial après les États-Unis, faisant du pays d’à peine 17 millions d’habitants une superpuissance alimentaire. Compte tenu des pénuries alimentaires mondiales et de la hausse des prix, le rôle des agriculteurs néerlandais dans la chaîne alimentaire mondiale n’a jamais été aussi important. Mais si vous pensiez que le gouvernement néerlandais allait en tenir compte et veiller à ce que les gens puissent mettre de la nourriture sur la table, vous auriez tort ; lorsqu’on lui a offert le choix entre la sécurité alimentaire et la lutte contre le « changement climatique », c’est cette dernière que le gouvernement néerlandais a choisi.  Ce qui est particulièrement frustrant, c’est que le gouvernement est pleinement conscient que ce qu’il demande aux agriculteurs de faire en fera disparaître un grand nombre. En fait, le gouvernement avait initialement prévu d’avancer à un rythme plus lent, jusqu’à ce qu’un procès intenté par des groupes environnementaux en 2019 le contraigne  à accélérer son calendrier. La réaction des membres du secteur agricole a été massive et continue depuis 2019, mais l’apparition de la pandémie de COVID-19 a permis au gouvernement du Premier ministre Mark Rutte d’interdire les manifestations en 2020 et 2021. Avec la reprise des manifestations cette année, les autorités sont également passés à une approche plus agressive. Il y a eu des arrestations et même des coups de semonce tirés par la police sur les agriculteurs, dont l’un a failli tuer un manifestant de 16 ans. Pourtant, les sympathies des Néerlandais ne vont pas à leur gouvernement ; ils sont solidaires de leurs agriculteurs. Les sondages actuels indiquent que le Parti politique des agriculteurs, formé il y a seulement trois ans en réponse à la nouvelle réglementation, gagnerait 11 sièges au Parlement si des élections avaient lieu aujourd’hui (il n’en détient actuellement qu’un seul). De plus, l’Union des pêcheurs néerlandais s’est publiquement jointe aux manifestations, bloquant les ports avec des équipages de pêche brandissant des pancartes indiquant « Eendracht maakt Kracht »: L’unité fait la force. Mais alors que les Néerlandais sont du côté des agriculteurs, leurs élites se comportent à peu près comme elles l’ont fait au Canada et aux États-Unis, et pas seulement celles du gouvernement. Les médias refusent même de parler des manifestations et, lorsqu’ils le font, ils qualifient les agriculteurs d’extrémistes. Pourquoi la déconnexion ? Chaque sondage fiable des salles de rédaction européennes, de l’Allemagne aux Pays-Bas, montre que le changement climatique est un sujet beaucoup plus important pour les journalistes que pour les gens ordinaires. Ce n’est pas que les citoyens ordinaires ne se soucient pas du changement climatique, mais qu’ils ont le bon sens de savoir que détruire leur ferme afin que les objectifs d’émissions du gouvernement puissent être atteints en 2030 au lieu de 2035 ne changera pas le climat de la planète. Après tout, les Pays-Bas ne représentent que 0,46 % des émissions mondiales de CO2, et bien qu’une nouvelle réduction soit souhaitable, elle ne sera pas décisive dans la lutte contre le changement climatique au cours des huit prochaines années. Cela peut aider faire les élites du pays à se sentir bien dans leur peau, mais cela se traduira également par le fait que de larges pans de la population verront leur niveau de vie baisser et leur existence économique ciblée par l’État pour des raisons idéologiques. Il y a un malaise en Occident actuellement, où les objectifs idéologiques sont poursuivis au détriment des classes moyennes et ouvrières. Qu’il s’agisse des camionneurs au Canada, des agriculteurs aux Pays-Bas, des sociétés pétrolières et gazières aux États-Unis, l’idéologie, et non la science ou les preuves objectives, domine l’ordre du jour, gratifiant les élites tout en appauvrissant la classe ouvrière. En fin de compte, il y a un risque que les politiques climatiques fassent à l’Europe ce que le marxisme a fait à l’Amérique latine. Un continent réunissant toutes les conditions d’une prospérité générale et d’un environnement sain s’appauvrissant et se ruinant pour de pures raisons idéologiques. Et à la fois les gens et le climat moins bien lotis au bout du compte. Ralph Schoellhammer

Attention: un extrémisme peut en cacher un autre !

A l’heure où après une nouvelle élection volée en France …

Et suite à des législatives catastrophiques …

L’ancien sauveur des progressistes occidentaux se voit contraint de rabattre son caquet …

Et où de l’autre côté de l’Atlantique, l’accident industriel Biden …

Se prépare, après la première invalidation du putsch judiciaire sur l’avortement, à des élections intermédiaires désastreuses …

Pendant qu’en Ukraine et peut-être bientôt à Taiwan …

Après, venue elle aussi de Chine, la nouvelle « grippe espagnole »

La planète entière est en train de payer la folie mercantiliste de décennies d’apaisement

De régimes revanchistes qui depuis bientôt 80 ans attendent toujours leurs procès de Nuremberg ou de Tokyo …

Pour leurs plus de 100 millions de victimes à eux deux …

Comment ne pas voir …

Alors qu’après la France, le Canada et les Etats-Unis …

Et déjà, avec un programme qui aurait ravi nos verts entre abandon de l’économie de plantation et choix unilatéral de l’agriculture sans engrais ni pesticide, le Sri Lanka

Démultipliée, avec l’avènement des réseaux sociaux, par la perte du monopole médiatique de nos nouveaux clercs …

Et les coups de semonce du non au référendum de 2015, du Brexit et de l’élection de Trump

Malgré les tentatives, entre accusation d’extrémisme racial, sociétal, informationnel, environnemental ou politique, de diabolisation systématique …

La giletjaunisation gagne à présent les agriculteurs néerlandais …

Où se situe vraiment l’extrémisme…

Quand sans aucune autre raison qu’idéologique …

Les « croyances de luxe » des élites du télétravail dans les universités, les médias et les gouvernements …

Qui exigent des mesures et des valeurs sanitaires, environnementales et éducatives toujours plus restrictives et radicales…

Finissent à l’instar de ce que le marxisme a fait à l’Amérique latine …

Comme le rappelle très justement le professeur autrichien Ralph Schoellhammer…

Par détruire les moyens de subsistance et le mode de vie même des classes moyennes et ouvrières occidentales…

Sans lesquelles comme l’a bien montré l’épisode du covid …

Elles ne pourraient elles-mêmes survivre plus de quelques jours ?

A Popular Uprising Against the Elites Has Gone Global
Ralph Schoellhammer, assistant professor in economics and political science at Webster University, Vienna
Newsweek
7/7/22

A popular uprising of working-class people against the elites and their values is underway—and it’s crossing the globe. There is a growing resistance by the middle and lower classes against what Rob Henderson has coined the « luxury beliefs » of the elites, as everyday folks realize the harm it causes them and their communities.

There were early glimmerings last February, when the Canadian Trucker Convoy pitched working class truck drivers against a « laptop class » demanding ever more restrictive COVID-19 policies. You saw it as well in the victory of Virginia Governor Glenn Youngkin, who ran on parents’ rights in education and went on to win both suburbs and rural areas. You can see it in the growing support of Hispanic voters for a Republican Party, which increasingly identifies as anti-woke, and pro-working class. And now we’re seeing the latest iteration in the Netherlands in the form of a farmer’s protest against new environmental rulings that will ruin them.

Over 30,000 Dutch farmers have risen in protest against the government in the wake of new nitrogen limits that require farmers to radically curb their nitrogen emissions by up to 70 percent in the next eight years. It would require farmers to use less fertilizer and even to reduce the number of their livestock. While large farming companies have the means to hypothetically meet these goals and can switch to non-nitrogen-based fertilizers, it is impossible for smaller, often family-owned farms. The new environmental regulations are so extreme that they would force many to shutter, including people whose families have been farming for three or four generations. In protest, farmers have been blockading streets and refusing to deliver their products to supermarket chains. It’s been leading to serious shortages of eggs and milk, among other food items.

But the effects will be global. The Netherlands is the world’s second largest agricultural exporter after the United States, making the country of barely 17 million inhabitants a food superpower. Given global food shortages and rising prices, the role of Dutch farmers in the global food chain has never been more important. But if you thought the Dutch government was going to take that into account and ensure that people can put food on the table, you would be wrong; when offered the choice between food security and acting against « climate change, » the Dutch government decided to pursue the latter.

What is particularly frustrating is that the government is fully aware that what it is asking farmers to do will drive many of them out of existence. In fact, the government originally planned to move at a slower pace—until a lawsuit brought by environmental groups in 2019 forced an acceleration of the timetable.

The reaction by members of the agricultural sector has been massive and ongoing since 2019, but the onset of the COVID-19 pandemic allowed the government of Prime Minister Mark Rutte to ban protests in 2020 and 2021. With the reignited demonstrations this year, the authorities have also switched to a more aggressive approach. There have been arrests and even warning shots fired by police at farmers, one almost killing a 16-year-old protestor.

Yet the sympathies of the Dutch are not with their government; they are solidly with their farmers. Current polls indicate that the Farmers Political Party, formed just three years ago in response to the new regulations, would gain a whopping 11 seats in Parliament if elections were held today (it currently holds just one seat). Moreover, the Dutch Fishermen’s Union has publicly joined the protests, blocking harbors with fishing crews holding signs that read « Eendracht maakt Kracht »: Unity Creates Strength.

But while the Dutch people are on the side of the farmers, their elites are behaving much as they did in Canada and the U.S., and not just those in government. Media outlets are refusing to even report the protests, and when they do, they cast the farmers as extremists.

Why the disconnect? Every reliable poll of European newsrooms from Germany to the Netherlands show that climate change is a much more important topic for journalists than it is for ordinary people. It’s not that average citizens don’t care about climate change, but that they have the common sense to know that destroying their farm so the government’s emission goals can be met in 2030 instead of 2035 will not change the planet’s climate.

After all, the Netherlands accounts for just 0.46 percent of the world’s CO2 emissions, and while a further reduction might be desirable, it will not be decisive in combating climate change over the next eight years. It may make the country’s elite to feel good about themselves, but it will also result in large parts of the population seeing their living standards decline and their economic existence targeted by the state for ideological reasons.

There is a malaise in the West currently, where ideological goals are pursued at the expense of the lower middle and working classes. Whether it’s truckers in Canada, farmers in the Netherlands, oil and gas companies in the United States, ideology, not science or hard evidence, is dominating the agenda, gratifying the elites while immiserating the working class.

Ultimately, there is a risk that climate policies will do to Europe what Marxism did to Latin America. A continent with all the conditions for widespread prosperity and a healthy environment will impoverish and ruin itself for ideological reasons.

In the end, both the people and the climate will be worse off.

Ralph Schoellhammer is an assistant professor in economics and political science at Webster University Vienna.

Voir aussi:

Manifestations aux Pays-Bas : les raisons d’une colère qui enfle
Hugues Maillot
Le Figaro
08/07/2022

DÉCRYPTAGE – Depuis le 10 juin, les agriculteurs néerlandais manifestent vivement leur colère face à un plan de réduction drastique des rejets d’azote. Mardi, la police a ouvert le feu sur un tracteur.

Assiste-t-on à la naissance des gilets jaunes néerlandais ? Depuis le 10 juin, agriculteurs et éleveurs des Pays-Bas manifestent régulièrement dans tout le pays pour protester contre l’annonce par le gouvernement d’un projet visant à réduire drastiquement les émissions d’azote. Le mouvement de contestation, d’abord tâtonnant, est monté crescendo. Ces derniers jours, des tracteurs ont bloqué plusieurs centres de distribution de supermarchés, déclenchant des pénuries dans certaines enseignes. Des agriculteurs ont également forcé un cordon de police devant le domicile de la ministre de l’Environnement, Christianne van der Wal.

Surtout, dans la nuit du 5 au 6 juillet, un rassemblement a dangereusement dégénéré, et des policiers ont ouvert le feu. «Vers 22h30, des conducteurs de tracteurs ont tenté de percuter des agents et des véhicules de service. (…) Une situation menaçante s’est présentée, des coups de semonce ont été tirés, ainsi que des tirs ciblés», a indiqué la police locale sur son compte Twitter. «Un tracteur a été touché. (…) Trois suspects ont été arrêtés. Personne n’a été blessé », a-t-elle ajouté.

La presse belge fait état de huit arrestations dans le cadre de l’enquête. Si les circonstances sont encore incertaines, cet événement démontre la montée en puissance d’un mouvement qui pourrait prendre encore plus d’ampleur dans les prochains jours.

Une réduction d’un tiers du cheptel à prévoir ?

Aux origines de la colère, un vaste projet de réduction des rejets d’azote dans l’air, engagé par le gouvernement sous la pression de la plus haute juridiction administrative du pays. «On parle de réduire les émissions azotées jusqu’à 70% d’ici 2030 dans les zones Natura 2000, protégées par la réglementation», explique au Figaro Alessandra Kirsch, docteur en économie et politique agricole et directrice des études du think-tank Agriculture Stratégies. L’azote prend principalement trois formes : «Le NO2, dans les gaz d’échappement des voitures, le N20, issu des engrais et des effluents d’élevage lors du pâturage et le NH3, qui vient des déjections des animaux», détaille l’ingénieure agronome. Depuis 2019, les limitations de vitesse pour les voitures sont passées de 130 à 100 km/h pour lutter contre le NO2. Désormais, le gouvernement s’attaque au N20, un gaz à effet de serre, et au NH3, l’ammoniac.

Les principaux concernés par ces restrictions se trouvent donc être les agriculteurs et les éleveurs, qui sont pléthores aux Pays-Bas puisque le pays est le deuxième exportateur agricole mondial, derrière les États-Unis. «On y compte 53.000 exploitations, quatre millions de bovins, 12 millions de porcs et 100 millions de poulets sur une toute petite surface agricole de 1,82 million d’hectares», rappelle Alessandra Kirsch. Par conséquent, «l’élevage contribue pour 40% aux excès azotés» aux Pays-Bas, souligne-t-elle. Au total, l’agriculture est tenue pour responsable de 16% des émissions néerlandaises de gaz à effet de serre, en particulier via les engrais et le purin.

Depuis plusieurs années, les éleveurs néerlandais ont utilisé un certain nombre de leviers techniques pour réduire ces émissions : «couverture des fosses à lisier (un réservoir utilisé pour rassembler les déchets animaux, NDLR), utilisation de matériel d’épandage spécifique, ajustement de la ration alimentaire des animaux pour que les besoins azotés soient couverts au plus juste, diminution du nombre d’animaux présents par hectares au pâturage», énumère la spécialiste. Cependant, «les objectifs de réduction sont très élevés à un horizon très court et ces leviers risquent de ne pas suffire. Si bien qu’on évoque la possibilité d’une réduction d’un tiers du cheptel», poursuit-elle. Les éleveurs se retrouvent donc face à un dilemme cornélien : s’adapter en utilisant ces leviers techniques et en diminuant le cheptel, se délocaliser vers des zones moins sensibles ou arrêter purement et simplement leur activité.

Dans la continuité des gilets jaunes et du convoi de la liberté

Au pied du mur, les agriculteurs et éleveurs des Pays-Bas sont donc descendus dans la rue, formant un mouvement qui en évoque d’autres. «Il y a eu les bonnets rouges, les gilets jaunes, le convoi de la liberté, et maintenant cela : nous sommes entrés dans l’ère des soulèvements», analyse pour Le Figaro Michel Maffesoli, sociologue et professeur émérite à la Sorbonne, qui a consacré un livre à cette thématique. Pour lui, tous ces mouvements ont la même cause : «C’est la manifestation du désaccord contre une élite démocratique qui impose des règles de manière abstraite, sans concertation aucune». Ici, ce sont «les normes européennes imposées de manière verticale», au service d’une «écologie politique», qui sont remises en cause. «Pendant des décennies, on a adopté aux Pays-Bas un modèle d’agriculture technologique et, subitement, on veut revenir à une agriculture artisanale», traduit-il.

En novembre 2021, les Néerlandais s’étaient déjà révoltés de façon brutale contre la politique sanitaire imposée par le gouvernement. Des heurts avaient éclaté dans plusieurs villes entre policiers et manifestants et de nombreux blessés avaient été déplorés. Les manifestations contre le plan azote s’inscrivent dans la même idée de «décalage entre le peuple et les élites», suggère Michel Maffesoli. Au risque d’un «mécanisme de saturation», observé notamment pendant le mouvement des gilets jaunes. «Au bout d’un moment, ce genre de processus peut devenir violent», alerte le sociologue.

Le fait que les syndicats d’agriculteurs et d’éleveurs se soient récemment désolidarisés des manifestants prouve d’ailleurs que le mouvement tend à se radicaliser. Il est même en train de gagner d’autres secteurs que le monde agricole, selon plusieurs anciens élèves de Michel Maffesoli, désormais installés aux Pays-Bas. Et une chose est certaine, selon eux : «Les manifestations devraient se développer et ne s’arrêteront pas du jour au lendemain, malgré l’arrivée de l’été».

Voir également:

Michel Maffesoli: « Les convois de la liberté montrent que beaucoup en ont marre d’une société de contrôle »
Amaury Coutansais Pervinquière
Le Figaro
08/02/2022

ENTRETIEN – À l’image de ceux du Canada, des rassemblements s’organisent pour converger vers Paris vendredi. Selon le sociologue, ils marquent le retour des émotions dans le débat public.

Michel Maffesoli est sociologue et professeur émérite à la Sorbonne. Il a publié l’Ère des soulèvements.

LE FIGARO. – Des mouvements s’organisent sur les réseaux sociaux pour imiter le «Freedom Convoy». Comment les qualifier ?

Michel MAFFESOLI. – À force de mettre en œuvre une stratégie de la peur, des explosions de colère se développent. Les «gilets jaunes» en étaient une expression, les manifestations du samedi ou les rassemblements juvéniles et musicaux aussi. Nous vivons un moment de déconnexion entre le peuple et les élites, définies comme celles ayant le pouvoir de dire ou de faire. Ce n’est pas la première jacquerie de ce genre que nous connaissons. Une explosion de cet ordre se déroule, alors que certains ne se reconnaissent plus dans la gestion de l’épidémie.

De ce que je constate, les manifestations qui pourraient commencer en fin de semaine ne seront pas forcément négligeables. Essentiellement, elles sont dues à ce déphasage entre le peuple et les élites. C’est un moment de déconnexion, de désaccord.

Les réseaux sociaux sont essentiels dans l’organisation de ces manifestations. Pourquoi ?

Dans les élites, il y a une forme d’entre-soi avec des gens qui répètent la même chose. D’une manière générale, il existe une grande méfiance à l’endroit de ce qui est dit sur les réseaux sociaux. On ne peut pas nier que les «freedom convoy» au Canada et au Québec se sont organisés sur les réseaux sociaux, c’est là que ça se passe. Les réseaux sociaux sont comparables à l’invention de l’imprimerie par Gutenberg quand les moines avaient un monopole sur les livres.

Je pense qu’on ne peut pas ne pas en tenir compte. Ce sont des indices, au sens étymologique du terme : ceux qui pointent. S’ils ne sont pas la vérité, un observateur est obligé de les voir.

Selon vous, les manifestations au Canada démontrent un retour de l’émotionnel. Pourquoi ?

On peut voir qu’au Canada, cette colère existe. Le problème, c’est qu’elle peut prendre des formes brutales, et conduire à une forme de sécession. Ce qui apparaît à Ottawa avec le gouvernement Trudeau. Quand la parole publique ne porte plus, des explosions émotionnelles voient le jour.

Ce retour des émotions, qui connaît un développement depuis de longues années, ne procède pas d’une action volontaire ou rationnelle. Je suis allé traîner mes guêtres sur des ronds-points avec les «gilets jaunes» ou les samedis. Tous ne sont pas antivax, mais beaucoup en ont marre d’une société de contrôle. Ils en ont assez des gestes barrières de la vie quotidienne, cette espèce de totalitarisme doux, de distanciation par rapport à l’autre.

La peur, l’émotionnel, la colère… N’est-ce pas un peu apocalyptique ?

Étymologiquement, l’apocalypse est la révélation. Avant la Réforme protestante, les indulgences permettaient de ne pas aller en enfer, dont les gens avaient très peur. Aujourd’hui, nous connaissons la peur de la mort, de la maladie et au fond de la finitude. Ces grands rassemblements sont une manière de contester la peur. Ils se multiplient dans de nombreux pays.

Le problème n’est pas de nier la finitude mais de la ritualiser, de l’«homéopathiser». Or, une certaine stratégie de la peur, développée pendant la crise sanitaire, consiste à évacuer ces rituels. Si on ne permet la continuation de ces rituels, de s’accommoder avec la finitude, il y a une révolte, une insurrection, une colère. C’est exactement ce qu’il s’est passé au Canada. Nous verrons si nous aurons une contestation de cet ordre. Cette colère populaire s’exprimera au travers de diverses formes.

Voir de plus:

Fuite du président du Sri Lanka: « Dans les 18 mois, on aura partout dans le monde émergent des crises liées à l’inflation »
Bénédicte Lutaud
Le Figaro
09/07/2022

ENTRETIEN – Le président de l’État insulaire a annoncé qu’il démissionnerait le 13 juillet, sur fond de crise économique et politique inédite. Un scénario qui risque de se répéter dans d’autres économies émergentes, selon Jean-Joseph Boillot, chercheur à l’IRIS.

Le Président du Sri Lanka, Gotabaya Rajapaksa, a fui ce samedi matin sa résidence officielle de Colombo quelques minutes avant qu’elle ne soit prise d’assaut par des milliers de manifestants en colère, puis a annoncé plus tard dans la journée qu’il démissionnerait le 13 juillet.

La nation insulaire souffre depuis plusieurs mois d’une pénurie sans précédent de produits de première nécessité (énergie, médicaments, nourriture), et ses 22 millions d’habitants subissent une inflation galopante et des coupures de courant prolongées . Le pays, en défaut de paiement pour la première fois de son histoire, préparait depuis le printemps dernier sa population à des mesures d’austérité pour obtenir l’aide du Fonds monétaire international (FMI). Une crise économique qui s’est rapidement mue en crise sociale et politique : depuis des mois, des manifestants campaient devant le siège de la présidence à Colombo pour demander la démission du Président, qu’ils accusent de mauvaise gestion.

Jean-Joseph Boillot, chercheur spécialiste de l’économie indienne et conseiller pour les pays émergents à l’IRIS, revient pour Le Figaro sur les prémices de cette crise économique, sociale et politique sans précédent. Un scénario qui pourrait, anticipe l’expert, toucher plusieurs autres économies émergentes dans le monde, fragilisées par les conséquences de la guerre en Ukraine.

LE FIGARO. – Depuis avril, le Sri Lanka est en défaut de paiement, pour la première fois de son histoire, et son économie fait face à un «effondrement total»,selon les mots du premier ministre. Quel a été l’élément déclencheur d’une telle banqueroute ?

Jean-Joseph BOILLOT. – Comme le décrivait le grand financier Warren Buffet, c’est quand la marée se retire, que l’on voit les baigneurs qui sont nus. Je m’explique : la guerre en Ukraine a mis en lumière les grandes faiblesses structurelles d’un certain nombre de pays, dont le Sri Lanka. Ces faiblesses sont ici liées à la mauvaise gouvernance du pays, il y a un accord des spécialistes sur ce point. Mais elles ne datent pas d’hier.

Après la grande guerre civile de 1983-2009, s’est installé au pouvoir le clan cingalais bouddhiste, qui l’avait emporté contre la minorité tamoule indienne. S’instaure alors une sorte de populisme nationaliste religieux, derrière lequel se cache un clan, une famille – les Rajapaksa, qui va progressivement prendre tous les leviers du pouvoir, avec notamment le frère du président, Mahinda Rajapaksa, qui était devenu premier ministre.

Ce clan va se surendetter, notamment vis-à-vis de la Chine, pour faire semblant de prendre de l’autonomie vis-à-vis du grand frère indien. Cela va déclencher une crise de la dette, qui se manifeste par des réserves de change complètement vides. Par ailleurs, le pouvoir va mal gérer les finances publiques, en introduisant des allongements fiscaux visant les membres du clan, de sorte que le déficit ne cesse de se creuser. Enfin, le président a joué la carte de la spécialisation internationale du Sri Lanka sur le tourisme et, ce faisant, a dégarni l’économie nationale de son autonomie alimentaire. Ainsi, le Sri Lanka a abandonné l’économie de plantation qui avait pourtant fait la richesse du pays. Dans les années 1960, le PIB par habitant était cinq fois supérieur à celui de l’Inde !

Dans ce contexte, surviennent ce que j’appellerais les trois «coups de gong». Le Covid-19 tout d’abord, fragilisant l’économie essentiellement fondée sur le tourisme. Puis, le choix d’investir dans une agriculture organique sans engrais et pesticide, sans y être du tout préparé, qui se traduit par une population rurale – majoritaire – pénalisée par des chutes très nettes de rendement. Enfin, la montée des prix des matières premières énergétiques, mais aussi par exemple, du béton. Or, une économie fondée essentiellement sur le tourisme importe énormément.

Face à cet effondrement économique progressif, la grogne sociale n’a fait qu’augmenter. Comment le clan Rajapaksa a-t-il réagi ces derniers mois pour tenter de la canaliser ?

Face aux manifestations d’avril-mai dernier, ce clan très rusé joue la carte du fusible, en faisant démissionner le frère du président de son poste de premier ministre, et en trouvant un autre premier ministre assez compétent. Il choisit également de négocier avec le FMI un plan d’urgence car le pays n’a plus de quoi importer : il n’y a plus du tout d’essence.

Mais cette solution politique de court terme ne satisfait pas la population, confrontée à des pénuries massives au quotidien, et qui n’a pas le temps d’attendre : on est en pleine saison touristique, de juin à septembre. Désormais, étant donné que son frère a déjà démissionné, il est normal que ce soit le président qui soit en ligne de mire.

Une alternative politique est-elle possible à court terme ?

Les experts divergent sur ce point. Mon sentiment personnel est qu’il y a un leader de l’opposition plutôt techniquement assez bon. Ce n’est pas un grand populiste, et il devrait être capable de rassembler les forces d’opposition qui pour l’instant, se retrouvent en ordre dispersé dans la rue.

Mais souvent, les gens au pouvoir au Sri Lanka s’y accrochent. Le clan Rajapaksa est là depuis longtemps et tire toutes les ficelles, du pouvoir économique aux médias. Il est donc peu probable qu’il se désiste de lui-même.

Vous l’évoquiez en début d’entretien : d’autres pays aux économies émergentes risquent-ils, avec l’explosion de l’inflation due à l’épidémie de Covid puis à la guerre en Ukraine, de se retrouver face au même scénario que le Sri Lanka ?

Oui. Dans les 18 mois à venir, on va avoir, partout dans le monde émergent, des situations extrêmement difficiles liées à l’explosion de l’inflation, notamment dans les régimes en fin de course, qui se traduiront par des crises économiques, devenant des crises sociales et politiques.

On le voit en Amérique latine, par exemple en ce moment au Pérou. On a eu également le cas du Pakistan, où le premier ministre a été renvoyé en avril dernier. Mais dans ce pays, c’est l’armée qui tient d’une main de fer le pays et a décidé que la transition se ferait au profit de l’opposition. Au Sénégal, où le président actuel est tenté par un troisième mandat, il y a des mouvements de rue très importants, et rien ne dit qu’il n’y ait pas de crise politique ouverte dans les prochains mois, même si le pays, sur le plan économique, dispose d’un soutien du camp occidental bien plus fort que le Sri Lanka, qui a joué la carte de la Chine.

Voir enfin:

Cancel economy · Pourquoi la transition énergétique est une catastrophe économique
Philippe Herlin, économiste
Institut Thomas More
Octobre 2021 • Note 51 •

Le « Paquet climat », présenté le 14 juillet 2021 par la Commission européenne, est une accélération sans précédent dans la lutte contre le réchauffement climatique

Constitué de pas moins de douze textes, il vise à réduire les émissions de CO2 de 55% d’ici à 2030 (par rapport à 1990), avec l’objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. L’annonce de la fin des véhicules à moteur thermique en 2035 a retenu l’attention. Mais l’automobile n’est pas seule concernée. Tous les transports sont sollicités : aviation, transport maritime et transport routier. C’est en outre toute l’industrie qui sera mobilisée à travers le contrôle de ses émissions de CO2 via le SEQE-UE (Système d’échange de quotas d’émission). Un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM, Carbon Border Adjustment Mechanism) viendra en complément du SEQE-UE afin d’éviter une concurrence déloyale des industriels hors UE. Enfin, la directive sur la taxation de l’énergie fera l’objet d’une importante révision afin de rehausser les niveaux de taxation sur les combustibles fossiles.

Conséquences macroéconomiques de la transition énergétique : vers la décroissance

Après avoir insisté sur ce qu’il faut bien appeler l’hypocrisie du CO2 importé (la baisse des émissions de CO2 provient principalement des importations, c’est-à-dire de la désindustrialisation) et sur l’immense difficulté de l’instauration d’une taxe carbone aux frontières, notre étude tente d’évaluer l’impact de la transition énergétique sur le PIB. Analysant en détails plusieurs travaux fondés sur l’équation de Kaya, elle l’évalue à une décroissance de l’ordre de 2,5 à 3% par an d’ici 2030. Elle rappelle en outre que la Cour des comptes européenne a mesuré le besoin de financement de la transition écologique en Europe à 11 200 milliards d’euros entre 2021 et 2030 : ramené à la France, cela correspond chaque année à 6% du PIB français et à 10,6% des dépenses publiques.

Conséquences sectorielles de la transition énergétique : les ménages et le secteur automobile en première ligne

Notre étude s’efforce également de mesurer l’impact de ces politiques sur différents agents et secteurs économiques. En s’appuyant sur des données du Commissariat général au développement durable et du Boston Consulting Group, elle montre qu’à travers le transport (l’automobile) et le logement, le pouvoir d’achat des ménages sera très lourdement impacté. Elle analyse ensuite les conséquences sur le secteur automobile européen, dont on se demande comment il pourra survivre (le tout véhicule électrique favorisant en dernière instance le « made in China »). Elle passe également en revue les secteurs du logement, de l’électricité et même bancaire.

Conséquences politiques de la transition énergétique : cancel economy et étatisation

Mais il faut aussi prendre la mesure des effets politiques de ces choix, fondés sur un discours systématiquement catastrophiste et une intolérance inquiétante. La transition énergétique comme impératif catégorique aboutit à ce que nous appelons la cancel economy, c’est-à-dire la casse de l’appareil industriel européen et le rejet de ce qui a fait la puissance de l’Occident (progrès scientifique, recherche, applications industrielles, etc.). Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, ne dit rien d’autre quand elle affirme qu’il « s’agit de changer de civilisation, de culture et de mode de vie ». Et c’est par l’action de l’État que ce bouleversement sera rendu possible : en offrant une légitimité morale aux lois, restrictions, interdictions et contraintes imposées aux personnes et aux entreprises, la cancel economy permet aux États de renforcer leur emprise sur la société.

COMPLEMENT:

Sri Lanka and the global revolt against the laptop elites
From Sri Lanka to the Netherlands, Albania to Canada, the masses are stirring.
Brendan O’Neill
12th July 2022

Some in the West are relishing the images of revolt coming out of Sri Lanka. Tweeters and leftists are marvelling at the footage and photos showing angry Sri Lankans storming the presidential palace and having a dip in its ornate pool. The imagery is indeed striking, and heartening: it’s always good to see people pushing back against their inept, corrupt rulers.

And yet these Western observers might soon be in for a surprise, for this revolt is not only an indictment of the Sri Lankan elites and their legion errors of judgement. It is also an indictment of the conceits of the global elites more broadly. It calls into question the prejudices and policies of global establishments in thrall to climate-change alarmism and Covid authoritarianism. In Sri Lanka we are witnessing a rebellion not only against corrupt government officials, but also against the dangerously out-of-touch worldview of the international technocracy.

Sri Lanka’s economic crisis is incredibly serious. The nation is bankrupt. Inflation is rampant. Food prices have risen by 80 per cent. Last month petrol prices rose by 24 per cent, diesel prices by 38 per cent. At the end of June the government announced that petrol supplies were almost at an end – it banned the sale of petrol except for essential services, essentially making driving illegal. People cannot make ends meet. Over the past year, half a million Sri Lankans have been plunged back into poverty. The UN says more than three-quarters of the population have reduced their consumption of food due to the severe food shortages.

It’s little wonder there have been months of rebellion. And huge political tumult, too, including the resignation of the cabinet in April; the resignation of the prime minister, Mahinda Rajapaksa, in May; and the fleeing of the president – Rajapaksa’s brother, Gotabaya – at the weekend. President Rajapaksa was spirited away by the army shortly before the people stormed his compound. Those images of struggling Sri Lankans lying back on luxury sofas in a palace abandoned by the petrified ruling class might just be the most iconic proof yet that a global revolt of angry working people is well and truly brewing.

The crisis in Sri Lanka is multi-faceted, for sure. But there are two important contributory factors we should be talking about. First there’s the impact of the global Covid lockdowns. They shattered Sri Lanka’s tourism industry. Tourism raked in $4.4 billion for Sri Lanka in 2018, making up 5.6 per cent of its GDP. In 2020 tourism contributed just 0.8 per cent to GDP. And things did not improve in 2021, as they had been expected to.

More importantly, the global shutdowns, and the restrictions on production and trade they entailed, impacted on Sri Lanka’s supplies of food and essentials, too. As one report says, the ‘economic turmoil and human misery’ in Sri Lanka are partially a consequence of the ‘economic fallout of the Covid-19 pandemic’. The drastic slowing down of global economic output has stored up dire consequences for poorer parts of the world. The UN Food and Agriculture Organisation says the number of people affected by hunger has risen by an astonishing 150million since the start of the pandemic. It is estimated that the inflationary consequences of mankind’s self-imposed economic torpor during the pandemic have dragged tens of millions of people around the world back into poverty.

So perhaps those who predicted that the lockdown’s unprecedented halt on economic activity would prove devastating for the less developed countries were right. Perhaps they should not have been denounced as granny-killers and No Platformed from social media after all. Perhaps we should have thought carefully, and talked seriously, about the potential consequences of suspending economic life before taking such rash, experimental action.

The other facet of Sri Lanka’s crisis we must confront is the role played by eco-ideology. It is unquestionable that Sri Lanka’s suffering has been inflamed and exacerbated by its determination to become a Net Zero nation. A nation of fertiliser-free farming. A ‘good’ environmentally responsible nation that will please the green elites in global institutions. Sri Lanka’s severe green policies have had a devastating impact on food production and on its key export industries, worsening its crisis of inflation.

In April last year, the Sri Lankan government banned the import of chemical fertilisers and pesticides. Its aim was to encourage organic farming. This was a borderline psychotic policy – 90 per cent of Sri Lanka’s farmers use fertilisers, and they predicted, rightly, that their crop yield would diminish in the absence of these modern substances. The production of rice, tea and rubber was seriously undermined by the ideological rush to organic.

Try to take this in. In 2019 Sri Lanka produced 3.5 billion kilograms of rice. In 2021, following the fertiliser ban, it is thought that rice production fell by 43 per cent. Self-imposed hunger, to appease the gods of environmentalism. Seventy per cent of Sri Lanka’s population of 22million are directly or indirectly dependent on agriculture, so the severe changes to farming predictably had severe consequences across society. They contributed to inflation hitting a 47-month high – 8.3 per cent – towards the end of last year, with food inflation reaching 11.7 per cent. The fertiliser ban was reversed in November, when its horrible impact became clear, but by then it was too late. ‘[Crop] yields may not rebound’, reported Reuters, which turned out to be right.

As with the global lockdown’s dire impact on Sri Lanka, these deranged and damaging green policies will feel to many Sri Lankans like an external imposition, something pushed on their nation by global institutions and global decisions. Yes, Sri Lanka’s own political elite feverishly embraced the organic lunacy. But as Michael Shellenberger points out, the World Economic Forum promoted organic in Sri Lanka. Many elite campaigners in the West advocated for Sri Lanka to move to full organic, some of them supported by funds from ostentatiously eco-friendly corporations like Google, Disney and JPMorgan.

If I were a Sri Lankan farmer, watching my yield deplete, seeing prices sky-rocket, seeing fuel and food running out, I would be angry primarily with my government, yes. But I would save some of my fury for the world’s influential eco-elites, who seem to view the developing world as a site for environmental experimentation rather than as a part of the world that needs more industrialisation and growth in order that it might enjoy economic equality with us in the West.

Sri Lanka shows us what happens when policy is shaped according to the desires and prejudices of the new elites rather than the needs of ordinary people. Lockdown may have been a boon for the laptop elites and for some billionaires, but it was incredibly harmful for many working-class people in the West and for millions of hard-up people in the global South. The green ideology may provide the new elites with a sense of purpose, flattering their narcissistic delusion that they are saving the planet from a man-made heat death, but it hits the pockets of workers in the West who will end up paying for the Net Zero madness, and it inflames hunger and destitution in those parts of the world not yet as developed as the West.

In Sri Lanka, we see an extreme and unsettling case study of what happens when global policy is built on the fear and narcissism of disconnected elites, rather than being informed by the question of what people need in order to flourish and become wealthier. Also in Sri Lanka we see exactly the kind of pushback we need against all this. The people have had enough. And they are not alone.

From the Canadian truckers who revolted against livelihood-destroying Covid rules to the Dutch farmers rising up against their government’s mad eco-policies, from Italian taxi drivers protesting against the rise in fuel prices to the mass protests in Albania against food and fuel price rises following the lockdown and the war in Ukraine, popular protests are breaking out across the world. The government of Sri Lanka may have been the first to fall, but it seems unlikely it will be the last.

The uprisings are inchoate. Some are leaderless. The demands are not always clear. But it’s obvious what people are generally angry about – the irrational decision-making practices of a new class of political rulers who prefer quick-fix clampdowns and displays of virtue over the tough task of working out how to materially and spiritually improve people’s lives. Those who think populism is over now that Trump and even Boris Johnson have gone are in for a shock. Wake up. Look out your windows. Check your swimming pools.

Brendan O’Neill is spiked’s chief political writer and host of the spiked podcast, The Brendan O’Neill Show


Mois des fiertés: Du passé faisons table rase ! (Devinez pourquoi, au moment où notre civilisation est de plus en plus diabolisée, de plus en plus d’entre nous nous sentons de plus en plus honteux de nous-mêmes et de notre propre pays ?)

11 juin, 2022

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Le monde moderne n’est pas mauvais : à certains égards, il est bien trop bon. Il est rempli de vertus féroces et gâchées. Lorsqu’un dispositif religieux est brisé (comme le fut le christianisme pendant la Réforme), ce ne sont pas seulement les vices qui sont libérés. Les vices sont en effet libérés, et ils errent de par le monde en faisant des ravages ; mais les vertus le sont aussi, et elles errent plus férocement encore en faisant des ravages plus terribles. Le monde moderne est saturé des vieilles vertus chrétiennes virant à la folie. Elles ont viré à la folie parce qu’on les a isolées les unes des autres et qu’elles errent indépendamment dans la solitude. Ainsi des scientifiques se passionnent-ils pour la vérité, et leur vérité est impitoyable. Ainsi des « humanitaires » ne se soucient-ils que de la pitié, mais leur pitié (je regrette de le dire) est souvent mensongère. G.K. Chesterton
FO et la CGT dans le carré de tête, je ne m’y retrouve pas … On sait déjà ce qui va faire l’ouverture du 20 Heures, ce sont les drag queens et les types avec des chaînes. Or ils ne représentent pas le gay moyen, celui qui comme moi vit normalement depuis dix ans avec son copain. Olivier Robert (ancien patron du Carré, rue du Temple à Paris)
Le mois des fiertés se situe en juin il y a plus de 50 ans aux États-Unis. Plus précisément en 1969 avec l’interruption de la police à Stonewall Inn. En effet, Stonewall Inn était un bar gay de New York. À la suite de cette interruption, un groupe de personnes composé de lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres se sont rebellées contre l’autorité. Juste un an plus tard (1979), toujours à New York, Brenda Howard (activiste américain luttant pour les droits bisexuels, entre autres luttes) organise la première marche des fiertés. En effet, Brenda devient une figure importante pour le mouvement LGBT et fait du mois de juin le mois des fiertés. Après plus de 50 ans, le mois des fiertés et la marche de la Gay Pride continue à être célébrée même si la société accepte de plus en plus l’homosexualité. Aujourd’hui, cette marche continue à se faire pour plusieurs raisons, l’une étant de continuer à lutter pour l’égalité, l’autre pour honorer les discriminations passées. Mais aussi pour soutenir les discriminations actuelles, car elles continuent malheureusement d’exister. (…) Avant la création de l’actuel drapeau LGBT, Hitler avait créé le premier symbole d’identification des homosexuels. Effectivement, c’était un triangle rose qu’ils devaient porter sur leurs vêtements, un emblème qui, à l’époque, servait aux nazis pour pouvoir distinguer les homosexuels dans les rues. À l’occasion de la huitième Gay Pride (25 juin 1978) et à seulement 27 ans, Gilbert Baker eut l’idée de coudre un drapeau composé de huit couleurs : le rose, le rouge, l’orange, le jaune, le vert, le turquoise, le bleu et le violet. Ces couleurs allaient les unes avec les autres avec une orientation horizontale. Un drapeau plein de symbolisme, puisque chaque couleur a été choisie pour une raison : le rose représentait la sexualité, le rouge faisait référence à la vie, l’orange était symbole de la guérison (en termes de santé), le jaune représentait le soleil, le vert a été choisi pour symboliser la nature, le turquoise faisait référence à l’art et à la magie, le bleu dénotait l’harmonie et la sérénité, et finalement le violet était présent pour représenter l’esprit humain. Puisque dans la Bible, l’arc-en-ciel est un symbole important, avec cette combinaison de couleurs, ce que Gilbert Baker voulait était de transmettre une promesse de paix. Mais aussi il voulait permettre aux homosexuels d’avoir un moyen de se reconnaître entre eux par un plus beau symbole qu’ils n’avaient initialement. (…) Aujourd’hui, ce drapeau créé en 1978 reste le symbole du mois des fiertés et de la communauté LGBT : lesbienne, gay, bi, trans. La même communauté que maintenant, ajoute Q de Queer, I d’Intersexo, A d’Asexual et le signe + pour tous les autres, actualisant ainsi son nom d’identification à LGBTQIA+. Revenant à l’ordre chronologique de l’histoire de ce drapeau, en 1979, soit un an après sa création,  la couleur rose et la turquoise ont disparu. Cette décision a été prise par les industries de fabrication des drapeaux. Les industries ne voyaient pas le coût du colorant de ces deux couleurs en particulier rentable. Ainsi, depuis 1979, le fameux drapeau LGBT passe de huit couleurs à seulement six couleurs horizontales : rouge, orange, jaune, vert, bleu et violet. Femivoz
Les hommes aiment les hommes. Ils nous expliquent tout le temps combien ils aiment les femmes, mais on sait toutes qu’ils nous bobardent. Ils s’aiment, entre eux (…). A force de les entendre se plaindre que les femmes ne baisent pas assez, n’aiment pas le sexe comme il faudrait, ne comprennent jamais rien, on ne peut s’empêcher de se demander : qu’est-ce qu’ils attendent pour s’enculer ? Allez-y. Si ça peut vous rendre plus souriants, c’est que c’est bien. Virginie Despentes
Coucher avec une autre femme quand on est une femme, c’est comme trouver un très bon ostéopathe. Anne Akrich
Le phénomène de contagion sociale fait référence à un type d’influence exercée spécifiquement par les «pairs», qui vous encouragent à imiter un certain comportement. Dans le cas de la dysphorie de genre, les «influenceurs» en ligne jouent un grand rôle dans la propagation du sentiment de malaise vis-à-vis de son propre corps, et encouragent l’idée selon laquelle n’importe quel symptôme d’échec à être parfaitement féminine signifie qu’une fille est probablement transgenre. Les amis jouent également un grand rôle dans la diffusion et l’encouragement de ce sentiment – à la fois la propension à s’identifier comme transgenre et l’incitation à obtenir des traitements hormonaux ou des chirurgies de réassignement sexuel. (…) Nous n’avons pas de médecine centralisée aux États-Unis et un patient n’a pas besoin d’un diagnostic de dysphorie de genre d’un professionnel de la santé psychologique pour obtenir des hormones dans une clinique de genre («gender clinic»: établissements spécialisés dans le changement de sexe, NDLR). Ces deux facteurs rendent difficile l’obtention d’une comptabilité précise de ce pic soudain. Mais voici ce que nous savons: depuis 2007, l’Amérique est passée de deux cliniques de genre à bien plus de 50. Entre 2016 et 2017, le nombre de chirurgies de genre sur des personnes nées femmes a quadruplé aux États-Unis. Historiquement, seulement 0,01% de la population américaine était atteinte de dysphorie de genre, mais en 2018, 2% des lycéens américains disaient être transgenres et la plupart d’entre eux semblent être des femmes. (…) La dysphorie de genre traditionnelle commence dans la petite enfance et a toujours été, dans une très large majorité, ressentie par des hommes. Les adultes transgenres qui souffrent véritablement de dysphorie de genre (et j’en ai interviewé beaucoup) n’ont pas choisi cette identité pour se faire des amis, et n’y sont pas non plus arrivés après avoir subi l’influence des réseaux sociaux. Ils ont simplement éprouvé un malaise sévère dans leur sexe biologique aussi longtemps qu’ils s’en souviennent. (…) Les réseaux sociaux accélèrent cette tendance de la même manière qu’ils le font avec des choses comme l’anorexie – des adolescentes en véritable souffrance partagent cette souffrance avec des amies et la diffusent. Comme je l’explique dans le livre, cela a à voir avec les modes d’amitié que les filles partagent – leur tendance à assumer la souffrance de leurs amis, à être en accord avec leurs croyances, au point même de suspendre la réalité pour se mettre de leur côté. Et ainsi, elles s’encouragent dans leur dysphorie, se poussant mutuellement aux hormones et aux chirurgies. (…) Toute procédure médicale inutile constitue un dommage irréversible. Pour autant, je ne pense pas que toute transition médicale est dommageable ; de fait, j’ai interviewé de nombreux adultes transgenres qui attestent avoir été aidés par leur transition. Mais parmi ces adolescentes prises dans une contagion sociale, encouragées à prendre des hormones et à subir des chirurgies avec peu de surveillance médicale, beaucoup ont provoqué une altération permanente de leur corps qu’elles sont susceptibles de regretter. Ce sont ces dommages irréversibles que je dénonce. (…) La liberté d’expression est difficile car un petit nombre d’activistes radicaux utilisent les réseaux pour punir les dissidents et leur faire honte. Ils poursuivent toute personne qui exprime son scepticisme quant à la possibilité d’une transition médicale pour tout le monde, à la demande, sans aucune surveillance appropriée – mais ils font de même pour d’autres questions. (…) Je ne pensais pas pouvoir admirer J. K. Rowling davantage que je ne le faisais déjà. J’avais tort. Elle ne fait pas seulement partie des rares auteurs vivants dont nous lirons certainement encore les œuvres dans cent ans, elle est aussi une femme de grands principes et de décence qui a su lever la voix quand il le fallait au nom des femmes et des jeunes filles. Le fait que les gens soient traînés dans la boue pour avoir donné une définition sensée de «la femme» entraîne des conséquences terribles – comme tous les mensonges ont tendance à le faire. Prenons les prisons pour femmes par exemple: désormais des hommes biologiques violents y ont accès à condition qu’ils s’identifient comme femmes. En Californie, là où je vis, nous l’autorisons. Il s’agit d’une grave violation des droits fondamentaux des femmes détenues, et j’espère qu’elle donnera lieu à une contestation constitutionnelle devant nos tribunaux. Si forcer des prisonnières à vivre dans des quartiers confinés avec des hommes biologiques n’est pas une punition «cruelle et inhabituelle», je ne sais pas ce que c’est. Abigail Shrier
Alors que les demandes de changement de sexe chez les mineurs sont «en très forte augmentation» en France, dans le sillage des pays anglo-saxons, l’Académie de médecine alerte sur le «nombre croissant de jeunes adultes transgenres souhaitant “détransitionner”». Pointant un «risque de surestimation diagnostique réel», la société savante a appelé fin février à une «grande prudence médicale» chez l’enfant et l’adolescent, «compte tenu de la vulnérabilité, en particulier psychologique, de cette population et des nombreux effets indésirables, voire des complications graves, que peuvent provoquer certaines des thérapeutiques disponibles». Ypomoni, un collectif de parents qui milite «pour une approche éthique des questions de genre» et qui «grossit de semaine en semaine», rapporte «des histoires qui se ressemblent toutes: ados harcelés, agressés sexuellement, haut potentiel intellectuel (HPI), autistes, consultations expédiées, certificats de complaisance…» Et dans certains cas, les familles n’hésitent plus à se tourner vers la justice. Pour étayer son propos, l’Académie de médecine s’est appuyée sur la décision de l’hôpital universitaire Karolinska de Stockholm d’interdire, l’an dernier, l’usage des bloqueurs d’hormones. En France, il est autorisé, comme les prescriptions d’hormones du sexe opposé, avec l’accord des parents et sans conditions d’âge. Quant aux traitements chirurgicaux – notamment la mastectomie (ablation des seins), autorisée en France dès l’âge de 14 ans, – et ceux portant sur l’appareil génital externe (vulve, pénis) après la majorité, elle souligne leur «caractère irréversible». Et appelle à prolonger «autant que faire se peut» la phase de prise en charge psychologique. «Il n’y a pas d’âge pour débuter une transition», estime a contrario le guide publié par l’association OUTrans. Effet de mode, inquiétant phénomène d’embrigadement ou conquête de nouvelles frontières de l’identité? Les cas d’enfants, d’adolescents et de jeunes adultes qui pensent ne pas être «nés dans le bon genre» et veulent changer socialement ou médicalement de sexe se sont multipliés ces dernières années. Le rapport «relatif à la santé et aux parcours de soins des personnes trans», remis en janvier au ministère de la Santé, confirme un «nombre croissant depuis dix ans de mineurs en interrogation de genre et en demande de transition». «Les consultations spécialisées sont saturées», indique ce document, rédigé avec l’appui de l’Igas, qui appelle «à accueillir sans a priori les questionnements d’identité de genre», mais aussi à prendre en compte «les facteurs de survulnérabilité» chez les adolescents trans comme la déscolarisation, les comportements suicidaires, les troubles psychiques et les troubles du spectre autistiques. En mai, le suicide d’un élève transgenre de 15 ans dans son lycée, au Mans, a suscité l’émotion. «Pour nous l’épidémie est là: c’est une épidémie de suicides», s’inquiète Simon Jutant, juriste de l’association Acceptess-T, spécialisée dans la défense des droits des personnes transgenres, et co-auteur du rapport. Chez les adultes, le nombre de personnes prises en charge médicalement (admises en affection longue durée) pour transidentité a été multiplié par dix en dix ans, pour atteindre environ 9000 personnes en 2020, selon des chiffres de la Caisse nationale d’assurance-maladie (Cnam), cités dans le rapport. «70% des bénéficiaires ont entre 18 et 35 ans», précise le document. Épouvantée par l’ampleur du phénomène, Blandine, une enseignante, a créé avec un groupe de militantes féministes le podcast Rebelles du genre, afin de donner la parole à des «détransitionneuses». Pour elle, le discours actuel sur le genre signe l’apparition d’une «nouvelle oppression» sur les femmes. «Le phénomène trans touche plus les jeunes filles aujourd’hui, notamment celles qui ne rentrent pas dans les stéréotypes de genre. De plus, cette volonté de changer de sexe est souvent liée à la volonté d’échapper à un passé de violences sexuelles, de harcèlement. La difficulté de s’accepter comme lesbienne, à faire face à la lesbophobie peut également jouer un rôle», pointe-t-elle. «Aujourd’hui, l’accès au parcours de transition est un peu plus ouvert qu’autrefois et moins contraignant, ce qui explique cette augmentation des demandes, considère pour sa part Simon Jutant. De même, lorsque l’on a arrêté de contrarier les gauchers, leur nombre a augmenté d’un coup.» En France, le phénomène a explosé «durant le confinement», insiste la militante de Rebelles du genre, avec un effet de «contagion» sur les réseaux sociaux. «Isolées de la vie réelle, des jeunes filles se sont convaincues en ligne, en quelques semaines, qu’elles étaient des garçons. Des adolescentes m’ont raconté qu’elles étaient en permanence connectées à des forums de communautés trans qui jouent sur la victimisation. Elles avaient l’impression de rejoindre le camp du bien, des opprimés, et se voyaient acclamées quand elles se déclaraient non-binaires». Même constat pour l’association SOS Éducation, qui demande «que l’École reste en dehors du militantisme trans-affirmatif, dans l’intérêt supérieur des enfants»: «L’emprise des idéologies militantes trans-affirmatives fait croire à de plus en plus de jeunes en questionnement que le changement de sexe est la seule solution pour échapper à la souffrance identitaire qu’ils traversent, s’effraie-t-elle. Aveuglés par les réseaux sociaux, pris dans les mailles d’un dispositif associatif sectaire, le risque est qu’ils s’engagent, en marge de leur famille, mais adoubés à l’école, dans des transitions irréversibles. Les pays qui ont pratiqué ces expériences sur des enfants font marche arrière face aux vies brisées. Pourquoi l’Éducation nationale n’en tient-elle pas compte? Qui assumera la responsabilité d’avoir laissé des enfants sous influence devenir des “regretteurs”, des femmes à barbe stériles, volontairement mutilées?» Pour Blandine, «passé la période de l’adolescence, un certain nombre de ces jeunes se rendent compte qu’ils ont fait fausse route ; mais c’est une démarche très difficile de revenir en arrière». Les études scientifiques internationales ne relèvent jusqu’à présent que de faibles pourcentages de «détransitionneurs», entre 1 et 2 %. «Une minorité parmi la minorité», commente Simon Jutant, mais «qu’il faut entendre». «La vague est à venir», prévient de son côté la militante de Rebelle du genre. «Aujourd’hui, les “détransitionneuses” sont encore peu nombreuses car il faut généralement plusieurs années avant de se rendre compte que l’on s’est trompé. » Stéphane Kovacs et Agnès Leclair
Tous les sondages sur la sexualité en France, du rapport Simon de 1972 à l’Enquête sur la sexualité en France menée en 2008 par Nathalie Bajos et Michel Bozon — la plus complète à ce jour — indiquent que le nombre d’homosexuels exclusifs est stable, aux alentours de 4,5%. Un fait de nature — et pas de culture, contrairement à ce qu’affirment tous ces ignares.  (…) Évidemment, dans le IVe arrondissement de Paris, ils sont plus nombreux, et savent trouver une oreille à l’Hôtel de ville, où le lobby LGBT a ses entrées… Et ils tentent de convaincre les adolescents qui errent — c’est de leur âge — entre des désirs contradictoires. C’est que l’homosexualité ou la transsexualité sont aujourd’hui « tendance », comme on dit, et de nombreux jeunes succombent à un effet de mode, importé d’Amérique, qui les pousse, à un âge d’incertitudes, à se revendiquer autres que ce qu’ils sont. « Oui, ma fille est lesbienne » / « Oui, mon père est gay », clame le ministère… Au point que l’école peut procéder à un changement d’état-civil sur un mineur sans en référer aux parents. Les effets à terme de cette mode peuvent être terrifiants, comme le raconte le Figaro dans un article récent. Une fois qu’une gamine s’est fait enlever les seins et l’utérus en croyant qu’au fond elle était un homme parce qu’elle préférait les femmes, il n’y a pas de retour possible. Quant aux traitements hormonaux pris pour compléter la chirurgie, eux aussi ont des effets permanents à long terme. D’autant que l’effet de mode passé, nombre de ces « trans » auto-proclamés rentrent dans le rang et dans leur sexe biologique. On appelle cela des désisteuses. Et la gamine malheureuse interviewée sur le sujet regrette franchement le « lavage de cerveau » opéré par certaines organisations. Abigail Shrier a fait paraître un ouvrage, Dommages irréversibles, sur le sujet — « un ouvrage transphobe », selon l’American Booksellers Association. Cela confirme les propos de l’auteur, qui parle dans Le Point de la « terreur » que font régner sur les campus les militants LGBT. J’avoue par ailleurs ne pas bien comprendre ce qui dans l’homosexualité mérite de générer une quelconque « fierté » — c’est le nom générique des marches organisées çà et là pour glorifier les LGBT. La dernière a eu lieu le 4 juin Saint-Denis. Les organisateurs attendaient entre 5 et 10 000 participants. Ils furent un petit millier : le LGBT n’est pas « tendance » dans les banlieues musulmanes. Mais au nom de l’intersectionnalité des luttes, on n’y fera pas attention, si on te pète la gueule à Saint-Denis, ce n’est pas la même chose qu’un fasciste qui casse du gay au faubourg Saint-Germain. À Saint-Denis, c’est culturel, mon pote… Comme les viols à Hambourg ou au Caire, probablement. Pour avoir eu quelques étudiants maghrébins homosexuels des deux sexes, je sais les contorsions et les ruses qu’ils pratiquaient pour que leur « communauté » ne sache rien de leur vie. Et si vous voulez savoir comment on traite les homosexuels dans certaines régions d’Afrique — au Mali par exemple… Je ne vois pas où est la fierté. On peut être fier de ses accomplissements — et si demain le ministère de l’Éducation lance une campagne sur le thème « Oui, ma fille est polytechnicienne » / « Oui, mon fils est docteur en Droit », j’applaudirai des deux mains. Je ne me flatte pas de ne pas attraper de coups de soleil ou d’avoir besoin de très peu de sommeil — c’est pratique, mais je n’y suis pour rien, c’est une caractéristique génétique. On vaut par ce que l’on fait — et pas par ce que l’on est, parce que l’on n’est rien, en dehors de ce que l’on fait. La vraie audace serait de lancer des affiches sur le thème « Oui, ma coloc vote Zemmour ! », « Oui, mon petit-fils aime Gérard Darmanin ! » — aussi extrême que puisse paraître cette dernière situation. Je me fiche des orientations sexuelles de mes contemporains — ou de leurs options religieuses, qui devraient être réservées elles aussi au domaine privé —, tant que je ne suis pas partie prenante. Je n’exhibe pas les miennes, étant entendu que ce qui se fait entre adultes consentants ne regarde personne en dehors des intéressés. Vouloir à toute force défiler avec une étoile rose, c’est faire du nazisme à l’envers — tout comme il existe du racisme à l’envers. Et forcer sa nature relève du crétinisme le plus profond.  Jean-Paul Brighelli

Du passé faisons table rase !

A l’heure où au nom même de la souveraineté …

Le nouveau Führer de Moscou et ses idiots utiles occidentaux tentent d’imposer à  coups de canon son nouvel impérialisme à l’ensemble de ses voisins …

Et où à la veille d’élections intermédiaires annoncées catastrophiques …

Les Démocrates américains reprennent leurs procès de Moscou …

Contre un ancien président dont ils ont non seulement systématiquement subverti l’élection et le mandat …

Mais volé la réélection …

Et en ce mois, désormais planétaire, dit « mois des fiertés »

Où entre emprise et embrigadement par des idéologies de plus en plus militantes…

Avec l’appui de plus en plus intrusif, à coup de campagnes publicitaires dans nos rues, d’un Etat de plus en plus irresponsable …

Nos jeunes les plus vulnérables se voient embarquées, mode et contagion obligent et entre ablation des seins et de l’utérus, dans des transitions sexuelles toujours plus irréversibles …

Et où  remis en cause à grand renfort d’échange de sextoys et au nom d’un répertoire sexuel plus large, plus jouissif et plus fréquemment utilisé …

Notre système se voit reprocher son obsession de sa propre reproduction …

Devinez pourquoi au moment où notre civilisation est de plus en plus diabolisée …

Sur fond d’immigration de plus en plus hors contrôle …

De plus en plus d’entre nous se sentent de plus en plus honteux …

Non seulement de nous-mêmes mais de notre propre pays ?

Oui, ma petite-fille est trans — et autres slogans officiels 

Jean-Paul Brighelli – 

Causeur 

7 juin 2022 

Chacun fait ce qu’il veut derrière la porte de son domicile. Homosexuels des deux rives et autres LGBT++ ont les mêmes droits que tous les citoyens français. De là à en faire une campagne officielle patronnée par le ministère de la Santé… 

En 1967, dans “Devine qui vient dîner”, Stanley Kramer confrontait avec humour une jeune fille blanche à ses parents, Démocrates bon teint aux idées larges, soudain confrontés au fiancé de leur fille — le magnifique Sidney Poitier, par ailleurs médecin prometteur. Katharine Hepburn et Spencer Tracy n’en revenaient pas. Et le film croula sous les récompenses — sans que personne ne s’interroge sur la probabilité infime qu’un Noir accède au statut de médecin dans l’Amérique de la Ségrégation. 

Imaginons leur tête, quand dans un remake (qui mériterait d’être tourné, cinéastes woke, à vos caméras !), ladite jeune fille (en existe-t-il encore qui se revendiquent comme telles ?) leur amènera un clone de Conchita Wurst. Comme dit l’une des affiches de la campagne du Ministère de la Santé : « Oui, ma petite-fille est trans… » 

Un effet de mode 

Il fut un temps où l’homosexualité était en France un crime puni de mort — et elle l’est toujours dans nombre de pays musulmans. Puis un délit — jusqu’en 1981. Vint un temps où, par une loi de 1993 résumée dans la formule « don’t tell / don’t ask », les homosexuels purent entrer dans les forces armées américaines, à condition de ne pas faire étalage de leurs préférences. Enfin, en 1981 en France, ce ne fut plus un délit — et c’est tant mieux : tous les sondages sur la sexualité en France, du rapport Simon de 1972 à l’Enquête sur la sexualité en France menée en 2008 par Nathalie Bajos et Michel Bozon — la plus complète à ce jour — indiquent que le nombre d’homosexuels exclusifs est stable, aux alentours de 4,5%. Un fait de nature — et pas de culture, contrairement à ce qu’affirment tous ces ignares. Les mêmes qui ont conspué J.K. Rowling quand elle a déclaré qu’une femme était une personne susceptible d’avoir des règles. Une école anglaise qui portait son nom s’est débaptisée pour ne plus rien avoir à faire avec une « transphobe ».  

4,5%. Évidemment, dans le IVe arrondissement de Paris, ils sont plus nombreux, et savent trouver une oreille à l’Hôtel de ville, où le lobby LGBT a ses entrées… Et ils tentent de convaincre les adolescents qui errent — c’est de leur âge — entre des désirs contradictoires. 

C’est que l’homosexualité ou la transsexualité sont aujourd’hui « tendance », comme on dit, et de nombreux jeunes succombent à un effet de mode, importé d’Amérique, qui les pousse, à un âge d’incertitudes, à se revendiquer autres que ce qu’ils sont. « Oui, ma fille est lesbienne » / « Oui, mon père est gay », clame le ministère… Au point que l’école peut procéder à un changement d’état-civil sur un mineur sans en référer aux parents. 

Les effets à terme de cette mode peuvent être terrifiants, comme le raconte le Figaro dans un article récent. Une fois qu’une gamine s’est fait enlever les seins et l’utérus en croyant qu’au fond elle était un homme parce qu’elle préférait les femmes, il n’y a pas de retour possible. Quant aux traitements hormonaux pris pour compléter la chirurgie, eux aussi ont des effets permanents à long terme. 

La terreur trans 

D’autant que l’effet de mode passé, nombre de ces « trans » auto-proclamés rentrent dans le rang et dans leur sexe biologique. On appelle cela des désisteuses. Et la gamine malheureuse interviewée sur le sujet regrette franchement le « lavage de cerveau » opéré par certaines organisations. Abigail Shrier a fait paraître un ouvrage, Dommages irréversibles, sur le sujet — « un ouvrage transphobe », selon l’American Booksellers Association. Cela confirme les propos de l’auteur, qui parle dans Le Point de la « terreur » que font régner sur les campus les militants LGBT. 

J’avoue par ailleurs ne pas bien comprendre ce qui dans l’homosexualité mérite de générer une quelconque « fierté » — c’est le nom générique des marches organisées çà et là pour glorifier les LGBT. La dernière a eu lieu le 4 juin Saint-Denis. Les organisateurs attendaient entre 5 et 10 000 participants. Ils furent un petit millier : le LGBT n’est pas « tendance » dans les banlieues musulmanes. Mais au nom de l’intersectionnalité des luttes, on n’y fera pas attention, si on te pète la gueule à Saint-Denis, ce n’est pas la même chose qu’un fasciste qui casse du gay au faubourg Saint-Germain. À Saint-Denis, c’est culturel, mon pote…  

Comme les viols à Hambourg ou au Caire, probablement. Pour avoir eu quelques étudiants maghrébins homosexuels des deux sexes, je sais les contorsions et les ruses qu’ils pratiquaient pour que leur « communauté » ne sache rien de leur vie. 

Et si vous voulez savoir comment on traite les homosexuels dans certaines régions d’Afrique — au Mali par exemple… 

Je ne vois pas où est la fierté. On peut être fier de ses accomplissements — et si demain le ministère de l’Éducation lance une campagne sur le thème « Oui, ma fille est polytechnicienne » / « Oui, mon fils est docteur en Droit », j’applaudirai des deux mains. Je ne me flatte pas de ne pas attraper de coups de soleil ou d’avoir besoin de très peu de sommeil — c’est pratique, mais je n’y suis pour rien, c’est une caractéristique génétique. On vaut par ce que l’on fait — et pas par ce que l’on est, parce que l’on n’est rien, en dehors de ce que l’on fait. La vraie audace serait de lancer des affiches sur le thème « Oui, ma coloc vote Zemmour ! », « Oui, mon petit-fils aime Gérard Darmanin ! » — aussi extrême que puisse paraître cette dernière situation. 

Je me fiche des orientations sexuelles de mes contemporains — ou de leurs options religieuses, qui devraient être réservées elles aussi au domaine privé —, tant que je ne suis pas partie prenante. Je n’exhibe pas les miennes, étant entendu que ce qui se fait entre adultes consentants ne regarde personne en dehors des intéressés. Vouloir à toute force défiler avec une étoile rose, c’est faire du nazisme à l’envers — tout comme il existe du racisme à l’envers. Et forcer sa nature relève du crétinisme le plus profond. 

PS. Bien sûr, les palinodies de Manuel Valls lui ont aliéné nombre de ses supporters. N’empêche que cet homme était, au pouvoir, d’une laïcité intransigeante. Et que Karim Ben Cheikh, le candidat de la NUPES arrivé en tête pour la 9ème circonscription (Maghreb et Afrique de l’Ouest), ne l’est pas forcément autant. 

Voir aussi:

Adolescents transgenres: «Il existe un vrai phénomène de mode aux États-Unis»

Eugénie Bastié

Le Figaro

15/12/2020

ENTRETIEN – Abigail Shrier, journaliste américaine au Wall Street Journal, publie une enquête sur l’engouement que suscitent les enfants et les adolescents transgenres aux États-Unis. Ce phénomène qui touche en particulier les jeunes filles est, selon elle, très préoccupant. Son livre fait l’objet d’attaques et d’appels au boycott outre-Atlantique.

LE FIGARO. – Dans votre livre, Irreversible Damage («Dommage irréversible»), vous parlez de la «contagion sociale» à l’œuvre parmi les jeunes adolescentes qui décident de commencer une transition. Qu’entendez-vous par là? Pourquoi employer le terme de «contagion sociale» ?

Abigail SHRIER. – Le phénomène de contagion sociale fait référence à un type d’influence exercée spécifiquement par les «pairs», qui vous encouragent à imiter un certain comportement. Dans le cas de la dysphorie de genre, les «influenceurs» en ligne jouent un grand rôle dans la propagation du sentiment de malaise vis-à-vis de son propre corps, et encouragent l’idée selon laquelle n’importe quel symptôme d’échec à être parfaitement féminine signifie qu’une fille est probablement transgenre. Les amis jouent également un grand rôle dans la diffusion et l’encouragement de ce sentiment – à la fois la propension à s’identifier comme transgenre et l’incitation à obtenir des traitements hormonaux ou des chirurgies de réassignement sexuel.

Quelle est l’ampleur de ce phénomène aux États-Unis?

Nous n’avons pas de médecine centralisée aux États-Unis et un patient n’a pas besoin d’un diagnostic de dysphorie de genre d’un professionnel de la santé psychologique pour obtenir des hormones dans une clinique de genre («gender clinic»: établissements spécialisés dans le changement de sexe, NDLR). Ces deux facteurs rendent difficile l’obtention d’une comptabilité précise de ce pic soudain. Mais voici ce que nous savons: depuis 2007, l’Amérique est passée de deux cliniques de genre à bien plus de 50. Entre 2016 et 2017, le nombre de chirurgies de genre sur des personnes nées femmes a quadruplé aux États-Unis. Historiquement, seulement 0,01% de la population américaine était atteinte de dysphorie de genre, mais en 2018, 2% des lycéens américains disaient être transgenres et la plupart d’entre eux semblent être des femmes.

Quelle différence faites-vous entre la dysphorie de genre, qui est une réalité, et ce phénomène que vous estimez être de «contagion sociale» ?

La dysphorie de genre traditionnelle commence dans la petite enfance et a toujours été, dans une très large majorité, ressentie par des hommes. Les adultes transgenres qui souffrent véritablement de dysphorie de genre (et j’en ai interviewé beaucoup) n’ont pas choisi cette identité pour se faire des amis, et n’y sont pas non plus arrivés après avoir subi l’influence des réseaux sociaux. Ils ont simplement éprouvé un malaise sévère dans leur sexe biologique aussi longtemps qu’ils s’en souviennent.

En quoi les réseaux sociaux accélèrent-ils cette tendance?

Les réseaux sociaux accélèrent cette tendance de la même manière qu’ils le font avec des choses comme l’anorexie – des adolescentes en véritable souffrance partagent cette souffrance avec des amies et la diffusent. Comme je l’explique dans le livre, cela a à voir avec les modes d’amitié que les filles partagent – leur tendance à assumer la souffrance de leurs amis, à être en accord avec leurs croyances, au point même de suspendre la réalité pour se mettre de leur côté. Et ainsi, elles s’encouragent dans leur dysphorie, se poussant mutuellement aux hormones et aux chirurgies.

En quoi ce phénomène a-t-il des conséquences néfastes? Pourquoi parlez-vous de dommages «irréversibles»?

Toute procédure médicale inutile constitue un dommage irréversible. Pour autant, je ne pense pas que toute transition médicale est dommageable ; de fait, j’ai interviewé de nombreux adultes transgenres qui attestent avoir été aidés par leur transition. Mais parmi ces adolescentes prises dans une contagion sociale, encouragées à prendre des hormones et à subir des chirurgies avec peu de surveillance médicale, beaucoup ont provoqué une altération permanente de leur corps qu’elles sont susceptibles de regretter. Ce sont ces dommages irréversibles que je dénonce.

Depuis que votre livre a été publié, certains militants ont tenté de vous faire taire. Une professeur de Berkeley a même encouragé à «brûler» votre livre. Comment expliquez-vous que la liberté d’expression soit si difficile à ce sujet?

La liberté d’expression est difficile car un petit nombre d’activistes radicaux utilisent les réseaux pour punir les dissidents et leur faire honte. Ils poursuivent toute personne qui exprime son scepticisme quant à la possibilité d’une transition médicale pour tout le monde, à la demande, sans aucune surveillance appropriée – mais ils font de même pour d’autres questions.

La romancière J. K. Rowling, créatrice d’Harry Potter, a été vivement critiquée pour avoir déclaré que les hommes et les femmes sont différents. Que pensez-vous de cette polémique et du fait que l’on ne peut plus définir ce qu’est une femme?

Je ne pensais pas pouvoir admirer J. K. Rowling davantage que je ne le faisais déjà. J’avais tort. Elle ne fait pas seulement partie des rares auteurs vivants dont nous lirons certainement encore les œuvres dans cent ans, elle est aussi une femme de grands principes et de décence qui a su lever la voix quand il le fallait au nom des femmes et des jeunes filles.

Le fait que les gens soient traînés dans la boue pour avoir donné une définition sensée de «la femme» entraîne des conséquences terribles – comme tous les mensonges ont tendance à le faire. Prenons les prisons pour femmes par exemple: désormais des hommes biologiques violents y ont accès à condition qu’ils s’identifient comme femmes. En Californie, là où je vis, nous l’autorisons.

Il s’agit d’une grave violation des droits fondamentaux des femmes détenues, et j’espère qu’elle donnera lieu à une contestation constitutionnelle devant nos tribunaux. Si forcer des prisonnières à vivre dans des quartiers confinés avec des hommes biologiques n’est pas une punition «cruelle et inhabituelle», je ne sais pas ce que c’est.

«Irreversible Damage: The Transgender Craze Seducing Our Daughters», Regnery Publishing, 2020.

Voir également:

La détresse de ces jeunes qui regrettent d’avoir voulu changer de sexe 

Stéphane Kovacs et Agnès Leclair 

Le Figaro 

 30/05/2022  

ENQUÊTE – Alors que les demandes de changement de sexe sont en forte augmentation, familles, enseignants et associations alertent sur son «caractère irréversible». 

Premiers regrets, premières contestations. Alors que les demandes de changement de sexe chez les mineurs sont «en très forte augmentation» en France, dans le sillage des pays anglo-saxons, l’Académie de médecine alerte sur le «nombre croissant de jeunes adultes transgenres souhaitant “détransitionner”». Pointant un «risque de surestimation diagnostique réel», la société savante a appelé fin février à une «grande prudence médicale» chez l’enfant et l’adolescent, «compte tenu de la vulnérabilité, en particulier psychologique, de cette population et des nombreux effets indésirables, voire des complications graves, que peuvent provoquer certaines des thérapeutiques disponibles». Ypomoni, un collectif de parents qui milite «pour une approche éthique des questions de genre» et qui «grossit de semaine en semaine», rapporte «des histoires qui se ressemblent toutes: ados harcelés, agressés sexuellement, haut potentiel intellectuel (HPI), autistes, consultations expédiées, certificats de complaisance…» Et dans certains cas, les familles n’hésitent plus à se tourner vers la justice. 

Pour étayer son propos, l’Académie de médecine s’est appuyée sur la décision de l’hôpital universitaire Karolinska de Stockholm d’interdire, l’an dernier, l’usage des bloqueurs d’hormones. En France, il est autorisé, comme les prescriptions d’hormones du sexe opposé, avec l’accord des parents et sans conditions d’âge. Quant aux traitements chirurgicaux – notamment la mastectomie (ablation des seins), autorisée en France dès l’âge de 14 ans, – et ceux portant sur l’appareil génital externe (vulve, pénis) après la majorité, elle souligne leur «caractère irréversible». Et appelle à prolonger «autant que faire se peut» la phase de prise en charge psychologique. «Il n’y a pas d’âge pour débuter une transition», estime a contrario le guide publié par l’association OUTrans. 

«Épidémie de suicides» 

Effet de mode, inquiétant phénomène d’embrigadement ou conquête de nouvelles frontières de l’identité? Les cas d’enfants, d’adolescents et de jeunes adultes qui pensent ne pas être «nés dans le bon genre» et veulent changer socialement ou médicalement de sexe se sont multipliés ces dernières années. Le rapport «relatif à la santé et aux parcours de soins des personnes trans», remis en janvier au ministère de la Santé, confirme un «nombre croissant depuis dix ans de mineurs en interrogation de genre et en demande de transition». «Les consultations spécialisées sont saturées», indique ce document, rédigé avec l’appui de l’Igas, qui appelle «à accueillir sans a priori les questionnements d’identité de genre», mais aussi à prendre en compte «les facteurs de survulnérabilité» chez les adolescents trans comme la déscolarisation, les comportements suicidaires, les troubles psychiques et les troubles du spectre autistiques. En mai, le suicide d’un élève transgenre de 15 ans dans son lycée, au Mans, a suscité l’émotion. «Pour nous l’épidémie est là: c’est une épidémie de suicides», s’inquiète Simon Jutant, juriste de l’association Acceptess-T, spécialisée dans la défense des droits des personnes transgenres, et co-auteur du rapport. Chez les adultes, le nombre de personnes prises en charge médicalement (admises en affection longue durée) pour transidentité a été multiplié par dix en dix ans, pour atteindre environ 9000 personnes en 2020, selon des chiffres de la Caisse nationale d’assurance-maladie (Cnam), cités dans le rapport. «70% des bénéficiaires ont entre 18 et 35 ans», précise le document. 

Épouvantée par l’ampleur du phénomène, Blandine, une enseignante, a créé avec un groupe de militantes féministes le podcast Rebelles du genre, afin de donner la parole à des «détransitionneuses». Pour elle, le discours actuel sur le genre signe l’apparition d’une «nouvelle oppression» sur les femmes. «Le phénomène trans touche plus les jeunes filles aujourd’hui, notamment celles qui ne rentrent pas dans les stéréotypes de genre. De plus, cette volonté de changer de sexe est souvent liée à la volonté d’échapper à un passé de violences sexuelles, de harcèlement. La difficulté de s’accepter comme lesbienne, à faire face à la lesbophobie peut également jouer un rôle», pointe-t-elle. «Aujourd’hui, l’accès au parcours de transition est un peu plus ouvert qu’autrefois et moins contraignant, ce qui explique cette augmentation des demandes, considère pour sa part Simon Jutant. De même, lorsque l’on a arrêté de contrarier les gauchers, leur nombre a augmenté d’un coup.» 

«L’emprise des idéologies militantes» 

En France, le phénomène a explosé «durant le confinement», insiste la militante de Rebelles du genre, avec un effet de «contagion» sur les réseaux sociaux. «Isolées de la vie réelle, des jeunes filles se sont convaincues en ligne, en quelques semaines, qu’elles étaient des garçons. Des adolescentes m’ont raconté qu’elles étaient en permanence connectées à des forums de communautés trans qui jouent sur la victimisation. Elles avaient l’impression de rejoindre le camp du bien, des opprimés, et se voyaient acclamées quand elles se déclaraient non-binaires». Même constat pour l’association SOS Éducation, qui demande «que l’École reste en dehors du militantisme trans-affirmatif, dans l’intérêt supérieur des enfants»: «L’emprise des idéologies militantes trans-affirmatives fait croire à de plus en plus de jeunes en questionnement que le changement de sexe est la seule solution pour échapper à la souffrance identitaire qu’ils traversent, s’effraie-t-elle. 

Aveuglés par les réseaux sociaux, pris dans les mailles d’un dispositif associatif sectaire, le risque est qu’ils s’engagent, en marge de leur famille, mais adoubés à l’école, dans des transitions irréversibles. Les pays qui ont pratiqué ces expériences sur des enfants font marche arrière face aux vies brisées. Pourquoi l’Éducation nationale n’en tient-elle pas compte? Qui assumera la responsabilité d’avoir laissé des enfants sous influence devenir des “regretteurs”, des femmes à barbe stériles, volontairement mutilées?» 

Pour Blandine, «passé la période de l’adolescence, un certain nombre de ces jeunes se rendent compte qu’ils ont fait fausse route ; mais c’est une démarche très difficile de revenir en arrière». Les études scientifiques internationales ne relèvent jusqu’à présent que de faibles pourcentages de «détransitionneurs», entre 1 et 2 %. «Une minorité parmi la minorité», commente Simon Jutant, mais «qu’il faut entendre». «La vague est à venir», prévient de son côté la militante de Rebelle du genre. «Aujourd’hui, les “détransitionneuses” sont encore peu nombreuses car il faut généralement plusieurs années avant de se rendre compte que l’on s’est trompé.» 

 Voir de même:

Je suis un vieux con et j’ai perdu la guerre

Ces évolutions de la société française qui choquent le vieux con que je suis – et quelques autres…

Causeur

9 juin 2022

Je suis un vieux con. Le vieux con se définit généralement comme décalé, plus très en phase avec les évolutions de la société. L’expression « vieux con » ne met pas l’accent sur « con », mais sur « vieux ». A partir d’un certain âge, le vieux lâche prise et devient con parce qu’il ne comprend pas ou n’adhère pas aux signaux que lui envoie la société.

A ma décharge, je connais des plus jeunes qui, comme moi, sont aussi des vieux cons. Comme moi, de jeunes cons s’ébahissent de la campagne de publicité menée par Santé Publique France, établissement public placé sous la tutelle du ministère de la Santé. Sur tous les abribus et sur les murs, des affiches en couleur de personnes qui se serrent chaleureusement l’une contre l’autre proclament : « Oui ma fille est lesbienne » , « Oui ma petite-fille est trans », « Oui ma coloc est lesbienne » ou « Mon père est gay », Chacune des affiches est marquée du slogan : « Face à l’intolérance, à nous de faire la différence. »

Ayant fait très tôt le choix de ne pas me soucier de ce que chacun peut bien faire dans l’intimité de son lit, le vieux con que je suis est interloqué. Pourquoi l’Etat s’acharne-t-il alors à me faire la morale ? Pourquoi cette campagne me place-t-elle en position de délinquant intolérant vis-à-vis de minorités dont le comportement sexuel m’est indifférent ? Pourquoi une succursale de l’Etat m’explique-t-elle que je ne me comporte pas correctement ? Pourquoi dois-je payer des impôts pour être morigéné dans mes trajets quotidiens ?

Le vieux con que je suis aime aussi regarder passer les jolies femmes. Mais depuis un an au moins, j’ai appris à être prudent. Les féministes affirment qu’un regard admiratif peut être considéré comme dégradant, attentatoire à l’intégrité corporelle des femmes équivalent à une tentative de viol. Ce que les jolies femmes d’autrefois prenaient pour un hommage, les jeunes connes d’aujourd’hui l’assimilent à une agression, un rapport de prédation qui rompt le principe d’égalité entre les sexes.

Le vieux con que je suis se sent aussi de plus en plus décalé dans une société qui considère l’homosexualité comme une norme. Je lis ainsi dans le journal Le Monde un article qui pose une question proprement suffocante : « Comment peut-on encore être hétérosexuel ?! Maïa Mazaurette, auteur de l’article, postule que le « vieux con » que je suis est titulaire d’une identité sexuelle factice qu’il lui serait facile de quitter s’il … était moins con. Je suis donc invité à « sortir de l’hétérosexualité » alors qu’il ne me viendrait pas à l’idée d’expliquer à un gay, à un trans ou à toute autre lettre majeure de l’alphabet qu’il ou elle serait « plus épanoui » s’il était hétéro.

Le vieux con n’aime pas du tout non plus que la société soit gouvernée par des victimes professionnelles (racisées, LGBTQ, femmes, noirs, musulmans ….) qui réclament d’entorchonner la tête des femmes au nom de leur liberté religieuse et prônent la suprématie noire au nom de la lutte contre la suprématie blanche.

Mais d’autres évolutions, plus significatives encore, choquent le vieux con que je suis. L’école et l’hôpital étaient, au temps de ma jeunesse, deux institutions fondatrices de la société française. Or aujourd’hui, j’apprends que les infirmières quittent l’hôpital en masse faute d’argent et de considération et que des services entiers ferment faute de médecins pour soigner les malades. J’apprends aussi que l’académie de Versailles compte recruter 1300 profs via un « job dating » de quatre jours ou n’importe qui a été invité à postuler. Une bonne présentation et une bonne élocution ont remplacé les diplômes qu’il était autrefois difficile de conquérir. Qu’est ce que cette école transformée en garderie ?

Le choix du nouveau ministre de l’éducation, Pap Ndiaye sidère aussi le vieux con que je suis. L’éminent Pierre-André Taguieff, historien, philosophe, sociologue s’est senti lui aussi vieux con et a reconnu dans Le Figaro qu’il avait été saisi par « un sentiment de stupéfaction, voire de sidération » à l’annonce de cette nomination. Le nouveau ministre n’est pas plus crétin qu’un autre, mais il s’inscrit dans un courant de pensée dit « décolonial » qui affirme que la société française doit être « décolonisée » parce qu’elle est « blanche », donc « structurellement raciste », que ses natifs bénéficient du « privilège blanc » et que cette « hégémonie blanche » va de pair avec l’« hétéro-patriarcat » sans oublier que pour les décoloniaux, le sionisme est un racisme qui fait d’Israël un « État d’apartheid ». Les décoloniaux – et sans doute aussi Pap Ndiaye croient aussi que les musulmans souffrent de « discriminations systémiques » et sont victimes d’une islamophobie d’État.

Les plus jeunes et moins cons que moi clament haut et fort qu’il faut « attendre » et ne pas préjuger de l’action du nouveau ministre, mais ils ne se demandent pas pourquoi un président qui a dénoncé la colonisation et institué la discrimination positive à l’orée de son premier quinquennat (emplois sans charges pour les jeunes de banlieue) choisit un tel homme-symbole pour présider aux destinées de l’Education Nationale. Moi, je leur réponds : il ne s’agit pas d’assurer la pérennité du système, mais de le communautariser.

Le « vieux con » que je suis est las aussi de voir des jeunes cons comme Alizé, 22 ans, activiste écologiste, interrompre une demi-finale de Roland Garros, et s’attacher au filet d’un court de tennis pour rappeler qu’il reste trois ans pour respecter les absurdes Accords de Paris sur le climat, Accords qui ne servent qu’à appauvrir les pays riches pour enrichir les comptes bancaires des potentats des pays pauvres. Les vieux cons ne supportent plus le pillage et la diabolisation de la civilisation occidentale par l’écologie et l’écolo-islamo-gauchisme.

En réalité, un vieux con comme moi ne souffre pas d’être devenu un vieux con, c’est-à-dire un individu qui a lâché prise et se laisse distancer par une société qui évolue naturellement, tirée par sa jeunesse et l’innovation technologique. J’aurais au contraire adoré accompagner le mouvement, expérimenter, comprendre tester des nouveautés culturelles, techniques ou sociétales. Mais ce n’est pas de cela dont il est question. Les vieux cons aujourd’hui ne perdent pas pied parce qu’ils sont vieux. Ils souffrent – comme les jeunes – de devenir étrangers dans leur pays, ils peinent face à trop d’immigration et sont malheureux qu’un communautarisme islamique mette en pièces la laïcité. Ils souffrent que la civilisation française à laquelle ils se sont assimilés au prix de tellement d’efforts et de ravissements mélangés – le vieux con que je suis est issu de la décolonisation d’un ghetto juif d’Afrique du Nord par les Français– soit dépecée, démantelée, pièce après pièce par tous ceux qui (politiques, universitaires, médias, magistrats…) devraient avoir pour métier et vocation de la défendre.

Le vieux con se sent vieux et con parce qu’il a compris trop tard qu’une guerre était menée contre lui. Il a perdu la guerre parce que ce monde qu’il croyait aussi solide que le Mont Blanc a commencé de partir en morceaux sans qu’il réagisse et qu’aujourd’hui, on ne voit pas quelle force peut enrayer le processus. Le vieux con n’est pas seulement vieux et con, il est aussi très, très triste.

Voir de plus:

Comment peut-on encore être hétérosexuel ?

L’orientation sexuelle ne conditionne pas les pratiques, souligne Maïa Mazaurette, chroniqueuse de « La Matinale », qui invite à sortir du cadre rigide de la culture hétérosexuelle et à élargir son répertoire pour une sexualité plus épanouie.

Maïa Mazaurette

Le Monde

05 juin 2022

En 2006, dans son œuvre-culte King Kong Théorie, Virginie Despentes constatait les limites de l’hétérosexualité : « Les hommes aiment les hommes. Ils nous expliquent tout le temps combien ils aiment les femmes, mais on sait toutes qu’ils nous bobardent. Ils s’aiment, entre eux (…). A force de les entendre se plaindre que les femmes ne baisent pas assez, n’aiment pas le sexe comme il faudrait, ne comprennent jamais rien, on ne peut s’empêcher de se demander : qu’est-ce qu’ils attendent pour s’enculer ? Allez-y. Si ça peut vous rendre plus souriants, c’est que c’est bien. »

Seize ans plus tard, l’actualité littéraire aborde encore plus frontalement la question d’une possible impasse des rapports hommes-femmes. Deux essais en ont récemment fait leur objet : Sortir de l’hétérosexualité, de Juliet Drouar (Binge Audio, 2021), et Comment devenir lesbienne en dix étapes, de Louise Morel (Hors d’atteinte, 226 pages, 12 euros). Le même questionnement émerge dans des ouvrages plus généralistes, comme Le Sexe des femmes, d’Anne Akrich (Gallimard, 192 pages, 18,50 euros), où on peut lire cet amusant encouragement : « Coucher avec une autre femme quand on est une femme, c’est comme trouver un très bon ostéopathe. »

Il faut mesurer le chemin écoulé : en 2009, une maison d’édition comme La Musardine proposait les Conseils d’une lesbienne pour faire l’amour à une femme (par Marie Candoe), puis en 2015 les Conseils d’un gay pour faire l’amour à un homme (par Erik Rémès). L’homosexualité était utilisée pour rassembler les hétérosexuels. Aujourd’hui, il s’agirait plutôt de faire sécession !

Satisfaction sexuelle

Sommes-nous donc face à un énième signal de la fin du vivre-ensemble (et soyons fous, de la civilisation) ? Pas si sûr. La critique du système hétérosexuel se double d’une attente immédiate et concrète : avoir une vie plus douce… et une sexualité plus épanouie. Si vous le voulez bien, je vais volontairement laisser de côté dans cette chronique les aspects sociétaux liés à l’homosexualité – et notamment la LGBTphobie – pour me concentrer uniquement sur la satisfaction sexuelle. Comme vous allez le constater, les chantres de la plénitude homosexuelle disposent de solides arguments.

Commençons par l’orgasme : si les hommes gays et hétérosexuels l’atteignent à peu près à la même fréquence, ce n’est pas le cas des femmes lesbiennes (qui y arrivent 86 % du temps) et des hétérosexuelles (66 % du temps, selon les Archives of Sex Behaviour, 2018). Un différentiel identique s’observe dans les enquêtes françaises : 19 % des femmes hétéros disent avoir « souvent » du mal à atteindre l’orgasme, mais 0 % des lesbiennes. 99 % de ces dernières trouvent leur partenaire actuelle très attentive à leur plaisir, contre 88 % des hétéros… ce qui reste, tout de même, un bon score (source : IFOP/Online Séduction, 2019).

Du côté du nombre de partenaires, les hétérosexuels sont à la traîne : à Paris par exemple, 80 % des homosexuels ont eu plus de 10 partenaires dans leur vie… mais seulement 37 % des hétérosexuels. Même écart chez les femmes : 44 % des lesbiennes ont eu plus de 10 partenaires, mais 23 % des hétérosexuelles (IFOP/Cam4, 2017).

Abordons maintenant la fréquence et l’amplitude des pratiques : en 2014, un couple hétérosexuel avait 1,4 rapport par semaine en moyenne… mais un couple homosexuel en avait 1,7. Les gays et lesbiennes ont une plus grande expérience des coups d’un soir, du sexe à plusieurs, des pratiques anales et des sextoys : victoire à plate couture, sur toute la ligne (enquête Marianne/IFOP, 2014).

Des préférences qui évoluent

Tout serait donc parfait chez les homos ? Pas vraiment. Par exemple, on trouve plus d’insatisfaction sentimentale chez les lesbiennes (37 %) que chez les hétérosexuelles (27 %, selon l’IFOP/The Poken Company, 2021). Quant aux gays, moins satisfaits sexuellement que leurs copains hétéros, ils sont plus nombreux à avoir déjà simulé un orgasme – 48 %, contre 25 % des hétéros, selon une enquête Zavamed.

Alors, bien sûr, j’entends certains mauvais esprits me rétorquer que cette avalanche de chiffres ne sert à rien, puisqu’on ne peut pas « devenir » gay ou lesbienne. Une telle « conversion », surtout par opportunisme sexuel, serait tout aussi aberrante que l’imposition forcée de l’hétérosexualité à coups de prétendues « thérapies de conversion » (qui sont désormais interdites). Cela fait des décennies que les militants de la cause LGBT nous le répètent : l’orientation sexuelle ne se décide pas.

Et pourtant, on voit ponctuellement apparaître des contre-discours (par exemple chez certaines militantes féministes) : soit d’ordre politique (on pourrait aligner son désir sur ses valeurs), soit d’ordre pratique (en essayant, on découvre que ses certitudes hétérosexuelles sont finalement très flexibles). Sans rejouer un énième match nature contre culture, on se contentera de constater que certaines préférences évoluent. Ou même que de temps en temps, elles se laissent modeler.

Remettre en cause l’hétéronormativité

Faut-il donc se débarrasser de l’hétérosexualité ? Non, et d’ailleurs, ce n’est absolument pas la position que défendent les penseuses dont j’ai cité les essais. Ce qui est remis en cause, c’est l’hétéronormativité, c’est-à-dire le cadre extrêmement rigide par lequel la culture hétérosexuelle aligne ses codes sur la reproduction – un pénis, un vagin, une pénétration. Rien n’empêche de coucher avec une personne de l’autre sexe, sans adhérer à un cadre hétéronormé – et d’ailleurs, il y a fort à parier que ça (vous ?) arrive fréquemment. Quand le cunnilingus ou le chevillage (l’acte pour une femme de pénétrer un homme avec un gode-ceinture) s’invitent dans des pratiques hétéros, quand une femme prend le dessus, quand on renonce à la pénétration obligatoire, quand on s’échange ses sextoys, c’est déjà une subversion… et c’est déjà une manière de rester hétéro dans le choix de ses partenaires, tout en sortant de l’hétérosexualité comme système.

Non seulement l’orientation sexuelle ne conditionne pas les pratiques, mais elle ne conditionne pas la communication entre les corps. On entend parfois dire qu’il est plus simple de coucher avec quelqu’un qui nous ressemble, au prétexte que l’autre fonctionnerait comme un « double ». Attention à ce genre de raccourcis, qui gomme les différences individuelles tout en rappelant certaines théories réactionnaires.

Si la remise en question de l’hétérosexualité est certainement méritée, surtout quand on la frotte aux statistiques, elle ne justifie ni l’idéalisation d’une homosexualité qui reste très malmenée dans la société ni l’auto-apitoiement hétérosexuel. Au contraire, le fait que certains et certaines d’entre nous bénéficient d’un répertoire sexuel plus large, plus jouissif et plus fréquemment utilisé devrait inspirer les personnes hétérosexuelles. Et leur donner envie de relever le défi.

La chronique de Maïa Mazaurette adopte un rythme mensuel, vous la retrouverez désormais le premier dimanche du mois.

Voir encore:

La Gay Pride divise le Marais
Emmanuelle Mougne
Le Parisien
30 juin 2007

TANDIS que Madrid célèbre l’Europride, les homosexuels défileront aujourd’hui de Montparnasse à la Bastille, pour leur traditionnelle Gay Pride, maintenant appelée Marche des fiertés homosexuelles avec pour mot d’ordre « Egalité, ne transigeons pas». Comme les années précédentes, trois minutes de silence contre le sida seront observées à 16 heures tout le long du cortège.

Mais, alors que la communauté homosexuelle est de mieux en mieux intégrée, des fissures apparaissent ici et là au sein du milieu gay et certains désertent la manifestation annuelle. Ainsi Olivier Robert, ancien patron du Carré (rue du Temple), Bernard Bousset, patron de l’Open Café (rue des Archives), et Gilles Pigot, qui possède le Tilt, un sauna de la rue Sainte-Anne, tous trois membres du Syndicat national des entreprises gays (SNEG) ne se rendront pas aujourd’hui au défilé. Pêle-mêle, ils accusent la Gay Pride d’être devenue « trop festive », « trop commerciale » ou « trop politique ».

« FO et la CGT dans le carré de tête, je ne m’y retrouve pas », lance ainsi Olivier… Qui n’adhère pas plus au côté spectacle : « On sait déjà ce qui va faire l’ouverture du 20 Heures, ce sont les drag queens et les types avec des chaînes, dit-il. Or ils ne représentent pas le gay moyen, celui qui comme moi vit normalement depuis dix ans avec son copain. »

Bruno Lalanne, qui dirige le Cud et qui participe pour la première fois à la Gay Pride avec un char au nom de son établissement, revendique au contraire cette double appartenance : « Le côté festif appartient à notre identité, dit-il.

Ce qui n’empêche pas les revendications car il reste des combats à mener, notamment autour de l’amélioration du pacs ou de la lutte contre l’homophobie. Alors comme cette année j’ai lesmoyens, j’y participe avec mon char… (NDLR : un char coûte de 10 000 à 15 000 ). »

Quant à Alain Piriou, porte-parole de l’inter-associative lesbienne, gaie, bi et transexuelle, organisatrice de la marche, il prend les critiques avec philosophie. « Le fait même qu’on nous reproche à la fois d’être trop festif ou trop politique prouve que nous avons sans doute atteint un point d’équilibre. » Et il assène : « Le succès de la marche est notre meilleure défense. Et si ce succès est lié à l’afflux d’hétérosexuels, tant mieux. Cela prouve que notre combat contre la discrimination avance. »

Voir enfin:

Le mois des fiertés se situe en juin il y a plus de 50 ans aux États-Unis. Plus précisément en 1969 avec l’interruption de la police à Stonewall Inn. En effet, Stonewall Inn était un bar gay de New York. À la suite de cette interruption, un groupe de personnes composé de lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres se sont rebellées contre l’autorité.

Juste un an plus tard (1979), toujours à New York, Brenda Howard (activiste américain luttant pour les droits bisexuels, entre autres luttes) organise la première marche des fiertés. En effet, Brenda devient une figure importante pour le mouvement LGBT et fait du mois de juin le mois des fiertés.

Après plus de 50 ans, le mois des fiertés et la marche de la Gay Pride continue à être célébrée même si la société accepte de plus en plus l’homosexualité. Aujourd’hui, cette marche continue à se faire pour plusieurs raisons, l’une étant de continuer à lutter pour l’égalité, l’autre pour honorer les discriminations passées. Mais aussi pour soutenir les discriminations actuelles, car elles continuent malheureusement d’exister.

LA COMMUNAUTÉ TRANSIDENTITAIRE

L’origine du terme trans identité remonte au début du XXe siècle. Depuis sa naissance, ce mot est utilisé quand nous voulons faire référence à la différence entre le genre que nous avons quand nous sommes nés et celui que nous voulons vraiment avoir. Par conséquent, chaque fois que ce terme était utilisé, trois questions étaient en jeu à la fois : des questions médicales, juridiques et sociales.

Si nous nous arrêtons un moment sur la première des questions ci-dessus, il faut savoir que les premiers changements de sexe se situent dans le premier tiers du XXe siècle. Moment où les progrès médicaux et chirurgicaux commencent à les rendre possibles. Notamment cela marque un avant et un après pour la communauté LGBT, autrement dit, si nous voulons parler de visibilité trans, nous devrons nous situer en 1960.

Ensuite, en Allemagne, c’est en 1910 que Magnus Hirschfield décrit les personnes transsexuelles comme celles qui ressentent une différence entre leur sexe anatomique et leur sentiment d’appartenance. En somme, selon Hirschfield, la première mastectomie en 1912 est réalisée sur une personne en pleine transition, mais ce n’est qu’en 1930 que la première vaginoplastie de la main de Félix Abraham est réalisée. En même temps, les opérations de changement de sexe commencent au Danemark.

DIFFÉRENCE ENTRE TERMES

Cependant, jusqu’en 1953, il n’y a pas de différence entre les termes “transexualité” et “homosexualité”. Cette différence est établie par Harry Benjamin avec la création officielle de la définition de la transsexualité comme “le sentiment d’appartenance au sexe opposé et le désir corrélatif d’une transformation corporelle“. Cependant, en Allemagne, ils ont préféré continuer à utiliser le terme “travesti”.

Des années plus tard, grâce aux révélations de presse d’April Ashley, le concept de “transsexualité” gagne en visibilité en France. Au contraire, le Conseil d’ordre des médecins n’a pas approuvé l’accompagnement dans les opérations pour les personnes transsexuelles.

Cependant, en 1972, la Suède et les Pays-Bas commencent à construire des Gender Clinics. Des cliniques qui avait le but d’offrir des soins payés aux personnes demandant une réassignation chirurgicale. Pour ce faire, ils s’inspirent d’un modèle déjà implanté aux États-Unis.

Ainsi, c’est à partir des années 1990, mais surtout en 2000, que naissent de nombreuses associations. Des associations qui commencent leur marche dans le but de lutter pour la reconnaissance juridique des personnes trans. Mais surtout des associations qui luttent pour un changement de mentalité vis-à-vis de la société. D’ailleurs, l’aspect juridique commence à s’améliorer avec la création des premiers droits en faveur de ces personnes.

MOIS DES FIERTÉS : ORIGINE ET EXPLICATION DU DRAPEAU LGBT

Avant la création de l’actuel drapeau LGBT, Hitler avait créé le premier symbole d’identification des homosexuels. Effectivement, c’était un triangle rose qu’ils devaient porter sur leurs vêtements, un emblème qui, à l’époque, servait aux nazis pour pouvoir distinguer les homosexuels dans les rues.

À l’occasion de la huitième Gay Pride (25 juin 1978) et à seulement 27 ans, Gilbert Baker eut l’idée de coudre un drapeau composé de huit couleurs : le rose, le rouge, l’orange, le jaune, le vert, le turquoise, le bleu et le violet. Ces couleurs allaient les unes avec les autres avec une orientation horizontale.

Un drapeau plein de symbolisme, puisque chaque couleur a été choisie pour une raison : le rose représentait la sexualité, le rouge faisait référence à la vie, l’orange était symbole de la guérison (en termes de santé), le jaune représentait le soleil, le vert a été choisi pour symboliser la nature, le turquoise faisait référence à l’art et à la magie, le bleu dénotait l’harmonie et la sérénité, et finalement le violet était présent pour représenter l’esprit humain.

Puisque dans la Bible, l’arc-en-ciel est un symbole important, avec cette combinaison de couleurs, ce que Gilbert Baker voulait était de transmettre une promesse de paix. Mais aussi il voulait permettre aux homosexuels d’avoir un moyen de se reconnaître entre eux par un plus beau symbole qu’ils n’avaient initialement

NOUVELLES VERSIONS DU DRAPEAU LGBT

Aujourd’hui, ce drapeau créé en 1978 reste le symbole du mois des fiertés et de la communauté LGBT : lesbienne, gay, bi, trans. La même communauté que maintenant, ajoute Q de Queer, I d’Intersexo, A d’Asexual et le signe + pour tous les autres, actualisant ainsi son nom d’identification à LGBTQIA+.

Revenant à l’ordre chronologique de l’histoire de ce drapeau, en 1979, soit un an après sa création,  la couleur rose et la turquoise ont disparu. Cette décision a été prise par les industries de fabrication des drapeaux. Les industries ne voyaient pas le coût du colorant de ces deux couleurs en particulier rentable. Ainsi, depuis 1979, le fameux drapeau LGBT passe de huit couleurs à seulement six couleurs horizontales : rouge, orange, jaune, vert, bleu et violet.

Enfin, au fil des ans, le drapeau arc-en-ciel de Gilbert Baker a été réutilisé pour créer d’autres drapeaux symboliques.

Pour conclure, les drapeaux plus connus sont :

  • Le drapeau de Philadelphie créé en 2017 dans le but de lutter contre les discriminations envers les bars gays de la ville.
  • Le drapeau Progress Pride flag créé en 2018 par Daniel Quasar. Celui-ci a les mêmes couleurs que la première, mais ajoute le blanc, le bleu clair et le rose.
  • La plus actuelle est la Progress Pride flag 2021. Une nouvelle variante qui comprend également un drapeau intersectoriel pour tous ceux qui sont souvent oubliés.