Vous avez finalement un paradoxe aujourd’hui dans la politique française, qui est presque une tenaille. C’est à dire que nous sommes pris en tenaille entre d’une part une gauche qui dans son ensemble ne reconnait pas le danger de l’islamisme, ou en tout cas ne l’évalue pas à sa juste dimension. (…) Et puis, (…) une droite qui est incapable de penser la question russe. (…) Il y a un côté, que je dirais presque tragique pour nous Français, de se dire qu’il n’y a pas vraiment sur la scène politique un homme politique qui est capable de penser de manière vraiment sérieuse ces deux menaces en même temps. Laure Mandeville
Un des grands problèmes de la Russie – et plus encore de la Chine – est que, contrairement aux camps de concentration hitlériens, les leurs n’ont jamais été libérés et qu’il n’y a eu aucun tribunal de Nuremberg pour juger les crimes commis. Thérèse Delpech (2005)
L’erreur est toujours de raisonner dans les catégories de la « différence », alors que la racine de tous les conflits, c’est plutôt la « concurrence », la rivalité mimétique entre des êtres, des pays, des cultures. La concurrence, c’est-à-dire le désir d’imiter l’autre pour obtenir la même chose que lui, au besoin par la violence. Sans doute le terrorisme est-il lié à un monde « différent » du nôtre, mais ce qui suscite le terrorisme n’est pas dans cette « différence » qui l’éloigne le plus de nous et nous le rend inconcevable. Il est au contraire dans un désir exacerbé de convergence et de ressemblance. (…) Ce qui se vit aujourd’hui est une forme de rivalité mimétique à l’échelle planétaire. (…) Ce sentiment n’est pas vrai des masses, mais des dirigeants. Sur le plan de la fortune personnelle, on sait qu’un homme comme Ben Laden n’a rien à envier à personne. Et combien de chefs de parti ou de faction sont dans cette situation intermédiaire, identique à la sienne. Regardez un Mirabeau au début de la Révolution française : il a un pied dans un camp et un pied dans l’autre, et il n’en vit que de manière plus aiguë son ressentiment. Aux Etats-Unis, des immigrés s’intègrent avec facilité, alors que d’autres, même si leur réussite est éclatante, vivent aussi dans un déchirement et un ressentiment permanents. Parce qu’ils sont ramenés à leur enfance, à des frustrations et des humiliations héritées du passé. Cette dimension est essentielle, en particulier chez des musulmans qui ont des traditions de fierté et un style de rapports individuels encore proche de la féodalité. (…) Cette concurrence mimétique, quand elle est malheureuse, ressort toujours, à un moment donné, sous une forme violente. A cet égard, c’est l’islam qui fournit aujourd’hui le ciment qu’on trouvait autrefois dans le marxisme.René Girard
Présentée comme illusoire ou anachronique, la demande de régulation des flux migratoires est, sur tous les continents, une demande banale des classes populaires quelles que soient leurs origines. (…) Décrite comme l’illustration d’une dérive xénophobe des « petits blancs », on constate qu’elle concerne en réalité tous les “petits”, quelles que soient leurs origines ethniques ou religieuses. (…) comme les gens ordinaires ne peuvent ériger des frontières invisibles avec l’Autre (comme le font les classes supérieures), ils craignent évidemment plus de devenir minoritaires dans leur immeuble, leur village ou leur quartier. Car être ou devenir minoritaire, c’est dépendre de la bienveillance de la majorité. (…) C’est en cassant le rythme d’une immigration perpétuelle que les pouvoirs publics pourraient agir sur le contexte social (la réduction des arrivées de ménages précaires stopperait la spirale de la paupérisation) mais aussi sécuritaire (la stabilisation puis la baisse du nombre de jeunes assécherait le vivier dans lequel recrutent les milieux délinquants). En reprenant la main sur cet « exercice de souveraineté qui a en partie été délégué à l’échelon européen », les politiques pourraient ainsi jouer sur les flux permanents qui, comme l’explique Laurent Chalard, empêche l’assimilation. Cette politique répondrait enfin aux attentes de la population de ces quartiers qui demandent depuis des décennies une plus grande fermeté de l’Etat à l’égard de l’immigration clandestine mais aussi des dealers qui pourrissent la vie de ces territoires. Christophe Guilluy
Pour un certain nombre d’analystes, le relatif échec de l’assimilation des populations d’origine maghrébine en France par rapport aux vagues migratoires précédentes, se traduisant, entre autres, par le maintien de prénoms spécifiques au sein des deuxième et troisième générations, est relié à un facteur culturel essentiellement considéré sous sa forme religieuse, la pratique de l’islam, qui rendrait impossible à ses membres de devenir complètement des Français comme les autres. Or, si le rôle de ce facteur ne peut être totalement nié, il en existe cependant un autre, d’ordre démographique, renforçant considérablement le phénomène, qui est le non-tarissement des flux. En effet, les immigrés à l’assimilation réussie, que sont les Italiens, les Polonais, les Espagnols ou les Vietnamiens se sont totalement fondus dans la population française parce que, suite aux vagues migratoires très importantes, les flux d’arrivée se sont taris, coupant définitivement les nouveaux arrivants des évolutions récentes de leur culture d’origine. (…) En conséquence, il s’est produit une adaptation rapide à la culture du pays d’accueil puisque ces nouveaux arrivants n’avaient aucun intérêt à maintenir leur culture d’origine. Leurs enfants scolarisés avec les autres petits français, à une époque où l’école était inclusive et le niveau d’enseignement satisfaisant, s’intégraient pleinement conduisant dès la première génération à de nombreux mariages avec la population locale, puisqu’ils n’allaient pas chercher leur conjoint dans le pays de naissance de leurs parents, et à l’adoption de comportements de fécondité semblables aux « autochtones », conduisant à une stabilisation des effectifs. Pour montrer l’influence primordiale de ce facteur, il convient de citer le cas des immigrés vietnamiens et cambodgiens arrivés en une seule vague à la fin des années 1970, sans espoir de retour à l’époque, dont l’intégration dans la société française est particulièrement exemplaire, bien qu’ils ne soient pas de culture européenne, qu’ils pratiquent, en règle générale, une religion différente (le bouddhisme) et que leur apparence physique en fasse une minorité visible! Or, pour les Maghrébins, la situation apparaît différente car les flux migratoires ne se sont jamais arrêtés depuis le début des Trente Glorieuses, soit depuis 70 ans. Il n’y a jamais réellement eu de pause permettant à la population de s’assimiler, la fin de l’immigration de travail sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing laissant place à la politique de regroupement familial, qui va à la fois maintenir un niveau non négligeable du flux d’entrées chaque année et stimuler la natalité de ces populations du fait de la féminisation de l’immigration. En conséquence, pour une large part des Maghrébins, le cordon ombilical n’a pas été coupé avec le pays d’origine, ce qui sous-entend le maintien et la transmission des traditions culturelles d’une génération à l’autre, en particulier sur le plan religieux, et une politique matrimoniale non assimilationniste, privilégiant une certaine endogamie, que ce soit à travers des mariages au sein de la communauté en France ou avec des congénères du pays d’origine, un des principaux moteurs du regroupement familial à l’heure actuelle. Il convient donc de s’interroger sur ce sujet, quitte à poser une question taboue, qui risque de faire débat: l’immigration perpétuelle empêche-t-elle l’assimilation ? En effet, il est légitime de se poser la question. Les Français d’origine maghrébine se seraient peut-être plus facilement assimilés et auraient probablement une situation économique meilleure, si les flux d’arrivées s’étaient taris au milieu des années 1990, leur permettant de se tourner complètement vers leur nouveau pays. Dans ce contexte, le fondamentalisme religieux aurait probablement plus difficilement pénétré notre société, puisqu’il est d’abord arrivé en France par l’Algérie. Parallèlement, la natalité serait plus basse, permettant une meilleure réussite scolaire des enfants et les quartiers d’accueil seraient moins homogènes ethniquement, favorisant l’assimilation, car les flux migratoires auraient été moins nombreux. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les jeunes Maghrébins nés en France sont peut-être les premières victimes de l’immigration continue, d’autant plus que les nouveaux arrivants viennent les concurrencer sur le marché du travail. Laurent Chalard
J’ai (…) depuis le début de la méfiance, et ces sondages, bien en amont de l’échéance présidentielle, m’apparaissaient trop beaux pour être vrais, surtout lorsque l’on observait sa manière de faire campagne. (…) Je suis entré, fin mars dernier, dans le comité exécutif de la pré-campagne, avec un seul objectif : faire du candidat Zemmour le successeur du candidat Sarkozy en 2007, soit l’alliance du « Kärcher » et du « travailler plus pour gagner plus » en intégrant les enjeux sociaux et économiques du dernier mandat présidentiel, principalement la crise des gilets jaunes. Il m’apparaissait possible qu’Eric Zemmour puisse faire l’alliance entre les électeurs populaires et la bourgeoisie conservatrice qu’appelait Patrick Buisson de ses voeux. La forte notoriété de ce « pré-candidat » et le nouveau souffle qu’il aurait pu donner à la campagne m’apparaissaient le meilleur moyen de casser la digue mitterrandienne et de rebâtir une droite de conviction sur les cendres d’un Rassemblement National inapte à rassembler une majorité d’électeurs depuis 30 ans. Peut-être avons-nous trop demandé à Eric Zemmour : quitter le couloir de l’intellectuel sans concession qui essentialise tout avec un pessimisme bien trop communicatif. J’attendais qu’il devienne l’homme qui dit publiquement, avec humour et foi en l’avenir : « Je vous promets qu’une fois élu, je ne dirai plus ‘c’était mieux avant' ». Sa pré-campagne est sur la forme et sur le fond aux antipodes du titre de son livre. Il a préféré rester le Cassandre d’une France qui aurait précisément dit son dernier mot. (…) Je ne soutiens pas cette candidature teintée de désespérance. Il faut proposer « du rêve » à nos concitoyens et non seulement du sang et des larmes. A défaut, je ne saurais ni avoir envie, ni même y croire. Il faudrait qu’il reprenne son narratif de campagne totalement à zéro. Mais qui sait, peut-être est-ce encore possible ? (…) Pour emporter la présidentielle, la brutalité du lanceur d’alerte ne suffit pas. Je partage ses convictions sur le danger migratoire, mais il ne convaincra pas les Français de lui apporter leurs suffrages sur un simple « votez pour moi sinon vous allez mourir ». Or, en substance, c’est son message. En six mois de pré-campagne électorale, son ton pour le moins anxiogène n’a pas évolué depuis son terrible discours à la Convention de la droite de septembre 2019. Il faut proposer un projet de civilisation, un destin commun, non se borner à identifier des menaces, même si celles-ci sont réelles. Le message que les Français veulent entendre, c’est « rendre sa fierté à la France » et « rendre leur dignité aux Français ». (…) Au-delà du ton, la campagne d’Eric Zemmour s’articule autour d’une double erreur stratégique. Il est convaincu, et ne manque pas de le dire devant son équipe de campagne et ses proches, que son adversaire principal s’appelle Jean-Luc Mélenchon, qui s’enthousiasme de la créolisation de la France. Par opposition, il rentre dans le piège d’une vision ethnique de la civilisation française, croyant que le socle des 70% de Français hostiles à l’immigration voteront majoritairement pour lui sous prétexte qu’il serait le plus cohérent et le plus clair. D’un point de vue intellectuel, cela pourrait se défendre. Mais s’il fait de Monsieur Mélenchon son adversaire principal, il contribue à faire exister politiquement ce dernier, qui n’est pas le président sortant. Veut-il gagner la présidentielle ou terminer devant Monsieur Mélenchon ? En outre, il n’est pas propriétaire de la fermeté migratoire et sécuritaire, quoi que l’on pense de la sincérité des autres offres politiques. D’Emmanuel Macron, qui mettra en avant ses lois sécuritaires et son ministre sarkozyste Gérald Darmanin, jusqu’au Rassemblement national dépositaire du sujet depuis des années, en passant par des Républicains largement « zemmourisés », tous les états-majors politiques fourbissent leurs armes pour absorber le zemmourisme. (…) Le tournant principal, c’est la « croisée des chemins ». L’occasion manquée pour Eric Zemmour d’aller voir cette France de Christophe Guilluy dont il parlait si souvent sur CNews. Malheureusement, Eric Zemmour a préféré s’exprimer devant une France qui ne vote pas pour lui, une France des grandes villes où il n’avait que des coups à prendre. J’aurais préféré qu’il aille à Vierzon, Montluçon, Firminy, Etampes, Aurillac, Macon, Auch, Carcassonne, Combourg, Lens, Vesoul… Cette France des villes moyennes dévitalisées par la mondialisation et la métropolisation. Finalement, la seule étape véritablement populaire de cette campagne fut Charvieu-Chavagneux, ville péri-urbaine de la grande couronne lyonnaise, dont j’ai été le directeur de cabinet du maire pendant trois ans, de 2015 à 2018. En réalité, le véritable tournant de cette campagne, c’est l’incapacité d’Eric Zemmour à sortir des grandes lignes TGV de la SNCF. Il dénonce depuis longtemps, à raison, le Jacques Attali mondialisé des aéroports. Il est malheureusement son miroir bourgeois des grandes gares SNCF, et je le regrette. Qu’elle est pourtant belle, cette France des routes nationales, des routes départementales et des petites communes. Elle avait tant à lui apporter. (…) C’est amusant parce que lorsque l’on dit à Eric Zemmour que la France, et notamment les classes populaires, attendent un programme complet, par exemple pour que nos villes moyennes et nos petites communes cessent d’être dévitalisées par la métropolisation, pour leur pouvoir d’achat également, il répond exactement ceci : « Je ne suis pas candidat pour faire la même campagne que Marine Le Pen ». Autrement dit, cela ne l’intéresse pas vraiment. Marine Le Pen fait certainement d’excellentes propositions concrètes pour cette France rurale et péri-urbaine. Mais je demeure persuadé que Marine Le Pen, lorsque le décrochage d’Eric Zemmour sera incontestable, risque de voir resurgir toutes les critiques sur ses faiblesses structurelles : débat raté en 2017, parti ruiné, et peut-être une affaire d’assistants parlementaires qui ressortira opportunément. Elle n’est pas, à mon avis et sous toutes réserves, en mesure de battre Emmanuel Macron. (…) Je regrette une pré-campagne qui ressemble à un acte manqué. L’ascension fulgurante dans les sondages l’a certainement conforté, lui avec son équipe, dans ses certitudes. J’appelais de mes voeux une pré-campagne de contrepied, lors de laquelle il aurait pu développer une image d’homme empathique, compétent, créatif, visionnaire et optimiste. Ce qui me choque, puisque c’est votre terme, c’est qu’il entend passer du métier de journaliste à celui de chef d’Etat sans changer sa méthode de travail ni ses habitudes. Il a fait la même tournée littéraire et médiatique que pour ses précédents ouvrages. (…) Sur le doigt d’honneur, c’est objectivement un vilain geste. Mais je trouve que c’est paradoxalement un geste très humain. Il découvre la violence d’une campagne présidentielle, et il faut bien reconnaître que les attaques qu’il subit de ses opposants sont inouïes, scandaleuses et intolérables dans une démocratie. Je me mets à sa place, et je ne communierai pas au procès en indignité qui lui est fait. Sur le Bataclan, j’ai trouvé ça déplacé, et jamais je n’aurais conseillé cela. Surtout que tirer sur François Hollande revient à tirer sur un cadavre. Il aurait dû plutôt, par exemple, et comme je lui avais conseillé avec un ami, se rendre à la messe de Noël à Saint-Etienne-du-Rouvray, paroisse du Père Hamel, sans convoquer les journalistes. Il aurait pu faire une déclaration a posteriori pour lier christianisme, symbolique de Noël, civilisation française et lutte contre l’islamisme. (…) Je disais souvent à l’époque que m’occuper à plein temps du maillage territorial, de l’opérationnel militant et même des parrainages était compliqué pour le jeune trentenaire que je suis, même si j’ai quelques expériences en termes de campagne électorale, notamment au niveau local. Je trouve que l’équipe ne s’est pas, depuis, enrichie de profils réellement expérimentés. C’est bien sûr un signal de faiblesse qui préfigurait les erreurs de ces dernières semaines. Son équipe de communication, par exemple, est plus spécialisée dans ce que l’on appelle la « riposte », la communication « d’influenceur » ou même le « trolling ». Quel communicant sérieux aurait conseillé à Eric Zemmour de se rendre au Bataclan, ou d’arriver à Marseille en accusant la ville toute entière dans un tweet d’être le royaume de la racaille ? Et je ne vous parle pas des « newsletters » des Amis d’Eric Zemmour dont les textes font lever les yeux au ciel beaucoup de monde, avec des formules infantilisantes. Le tweet un peu immature sur Rama Yade : – « Je tiens à assurer Rama Yade de tout mon micro-soutien face au micro-drame qu’elle micro-traverse » – relève du trolling, pas de la communication d’un candidat en mesure d’accéder au second tour. Je n’ai pas compris pourquoi Antoine Diers, peut-être le meilleur élément politique de cette équipe, était réduit à un rôle d’animation médiatique et n’avait aucune information sur les opérations. Je n’ai pas non plus compris pourquoi Jean-Frédéric Poisson n’avait pas intégré le dispositif, par exemple pour diriger la recherche des parrainages ou le maillage territorial. Par ailleurs, Eric Zemmour ne gère absolument pas son équipe, il délègue tout à Sarah Knafo dont il attend qu’elle lui offre l’Elysée. Il ne participait jamais aux réunions du comité exécutif lorsque j’en faisais partie. [parler à la France des « gilets jaunes »] je crois que l’exercice lui coûte. Pour l’anniversaire des gilets jaunes, il a justement publié une vidéo directement adressée à ces derniers. Pendant dix minutes, il propose la suppression du permis à points, le rétablissement général des 90 km/h et une baisse de la CSG sur les bas salaires. Dix minutes pour trois mesures, annoncées dans un appartement parisien dont je n’ose demander le prix au mètre carré. Ce n’est pas une critique de classe, mais c’est une erreur de communication révélatrice d’une importante déconnexion du réel. (…) Il faut diviser par deux la taxe sur le carburant, rétablir en effet les 90 km/h, amnistier les petites infractions routières et, surtout, lancer un grand plan de rénovation des routes secondaires en France, pour réduire les accidents et fluidifier le trafic sur les axes les plus congestionnés. Mais pour saisir ce que vit l’automobiliste quotidien, il faut être entouré de gens qui connaissent le sujet. Eric Zemmour n’est pas entouré d’élus de terrain à même de lui faire saisir cette France qui pense que « nous sommes gouvernés par des lascars qui fixent le prix de la betterave et qui ne sauraient pas faire pousser un radis », selon le bon mot de Michel Audiard. En conséquence, soit ils votent Marine Le Pen, soit ils ne votent pas. Je pense depuis longtemps qu’offrir plus de libertés et de pouvoir d’achat aux automobilistes, c’est tendre enfin la main à ceux qui ont subi la relégation sociale, économique et même identitaire lors de ces quarante dernières années. C’est le geste symbolique principal pour ouvrir à nouveau un dialogue avec cette France qui ne vote souvent plus. Mais Eric Zemmour semble avoir trop de certitudes pour présenter un programme tenant compte de la trivialité du quotidien. (…) Une campagne est une course de fond, pas un sprint. Je suis très sceptique sur ses chances de dépasser les 6-8%, s’il obtient ses 500 signatures. Mais Eric Zemmour est un OVNI politique. Il a créé une dynamique qui, spectaculairement, montre à quel point les électeurs de droite sont en quête de radicalité sur les questions régaliennes. Il faut bien sûr porter ceci à son crédit. Il est déjà producteur des thèmes de la campagne, reléguant la gauche à ses absurdités progressistes, wokistes et ses débats sur le pronom « iel ». Grâce à lui en partie, la gauche est inexistante. Au-delà des thèmes de la campagne, il pourrait être aussi faiseur de roi, ou accompagner un candidat au second tour de la présidentielle, donc pourquoi pas contribuer à faire battre Emmanuel Macron. Mais nous en sommes encore loin. Cinq mois, c’est long, tout est ouvert. Pierre Meurin (novembre 2021)
Finalement, j’ai réalisé que j’aimais les gens plus que les idées. (…) J’ai réalisé que ça ne servait à rien de rajouter du malheur au malheur. Parfois, mes excès couvraient des attitudes ou des propos dont je ne suis pas très fier : je pense à cette affiche où on voyait des migrants qui semblaient s’en prendre à notre cathédrale et dont la légende était « Vous n’êtes pas les bienvenus ». (…) les migrants n’arrivent pas massivement avec la volonté d’islamiser le pays. Récemment, pendant une visite d’un quartier dit « difficile », une maman musulmane m’a expliqué qu’elle avait inscrit sa fille à l’école Notre-Dame et que ça lui coûtait 200 euros par mois. Je lui ai fait remarquer qu’il y avait, près de chez elle, une école publique gratuite mais, m’a-t-elle répondu, elle voulait du « mélange », elle voulait « des Français ». Quand on me dit ça, je réponds systématiquement : « Mais vous êtes Français vous aussi ! » Et dans 99 % des cas, ils le sont ! Bien sûr, on comprend ce qu’ils veulent dire. Mais on n’ose plus employer les mots justes… Pour revenir à cette fameuse affiche, elle donnait l’impression qu’on pointait du doigt l’islam au risque d’attiser une guerre de religion. Évidemment, je ne fais pas une guerre à l’islam, mais à l’islamisme radical et ce n’est pas la même chose. Aujourd’hui, je n’ai pas envie de faire de la peine à cette dame. Elle est sympathique, et nous aurions mille choses à nous raconter. Je préfère désormais ce genre de dialogue aux coups médiatiques du passé. (…) Pour reprendre l’exemple de cette dame, je ne pense pas qu’elle ait envie de reproduire l’Arabie saoudite à Béziers. Le problème, c’est le nombre ! Quand, dans une école, 90 % des élèves ou plus sont issus de l’immigration, ils peuvent être très sympathiques individuellement, on n’a pas les moyens de les intégrer et encore moins de les assimiler. Et cela à leur détriment. Seulement, la façon dont je disais ce genre de choses paraissait se résumer à : « Ouh, il y a trop d’Arabes ici ! » Or, je n’ai jamais pensé dans ces termes et j’ai toujours cherché à mettre en place des solutions pour faciliter cette assimilation. Il faut réduire le flux migratoire, oui, mais sans blesser ou aliéner ceux qui sont là. (…) Je ne cesse de rappeler que Mélenchon est allé manifester avec des islamistes au cri de « Allah Akbar ! » mais je ne choisirais jamais le mot collabo ! (…) Lorsque je passe à la télé, on me fait souvent le crédit d’exprimer ce que beaucoup de gens pensent. Je crois que c’est parce que j’affiche mes convictions. Aujourd’hui ma conviction est que notre pays a besoin de se réconcilier. (…) entre division et guerre civile, il y a une nuance. Je suis pour la controverse, je ne l’ai jamais fuie. Mais quand je vois certaines personnes, dans nos mouvances, assumer le risque d’une guerre civile pour, disent-ils, « sauver la France », je me demande s’ils savent de quoi ils parlent. La guerre civile, c’est la pire des choses ! Il faut ne jamais avoir bougé de son fauteuil pour supporter cette idée-là ! Comme journaliste puis comme patron de Reporters sans frontières, j’ai connu nombre de pays en guerre civile : c’est le plus grand malheur qui puisse arriver à un peuple. Je préfère cinquante ans de Macron à un an de guerre civile. (…) on peut s’opposer à l’islamisation sans faire la guerre aux musulmans ! Allez-vous faire la guerre aux petits cons qui font l’apologie des Palestiniens, alors qu’ils ne savent même pas où ça se situe sur une carte ? C’est du fantasme, de la bêtise ! Ce qu’il nous faut combattre, c’est cette ignorance abyssale. Et ce combat se mène par la politique et par l’éducation. (…) j’étais seul à soutenir Marine Le Pen quand tout le monde lui tournait le dos, y compris bon nombre de mes copains ! Si j’ai voté Le Pen, c’est aussi par fidélité à la parole donnée. Dès le mois d’août, j’ai expliqué mes désaccords à Éric Zemmour et je lui ai dit que je ne ferais pas campagne avec lui. J’ai même écrit un texte pour expliquer mon vote Le Pen. C’est Éric qui est d’une violence insupportable. Il nous faisait revenir au temps de Jean-Marie Le Pen. Vingt ans en arrière ! En réalité, il n’a jamais su quitter le terrain des idées. Il s’est moqué de Marine Le Pen en disant : « Elle aime les chats, et moi j’aime les livres. » Son problème, c’est qu’il n’aime que les livres. Or pour faire de la politique, il faut aimer les gens. [Parler d’immigration, d’islamisme, d’identité] Je n’ai cessé de dire que je lui reconnaissais ce mérite-là ! Le RN parle de ces sujets depuis quarante ans ! Pourtant, il a fallu que Zemmour s’en empare pour que la bourgeoisie se sente concernée. Que vous le vouliez ou pas, entre Le Pen et Zemmour, c’est une affaire de lutte des classes. Éric est du côté de la bourgeoisie de droite, dont certains représentants sont horrifiés à l’idée de voter comme leur femme de ménage. Ça saute aux yeux ! Donc Éric Zemmour a bien eu ce mérite-là, mais avec quels mots ! J’ose à peine employer le terme « bienveillance » car il a été accaparé par Macron, mais oui, il faut être bienveillant avec les gens. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai changé sur des sujets importants. J’étais pour l’interdiction du voile islamique dans l’espace public, aujourd’hui je crois que c’est une bêtise, non seulement parce que c’est infaisable, mais parce que cela revient à faire fi d’une motivation d’une partie des femmes. Toutes ne sont pas contraintes de porter le voile. [que le voile est contraire aux mœurs française et un instrument de conquête des Frères musulmans] Je suis d’accord (…), mais comment l’expliquer aux gens ? Certainement pas à coups d’interdictions. [Zemmour a dit qu’il tendait la main aux musulmans et qu’ils étaient ses frères] Et puis il a dit que certes, il condamnait ce slogan [Macron assassin !] mais « en même temps » qu’il le comprenait. Eh bien, non ! Ce n’est pas compréhensible. [Quant à Marine Le Pen] elle a évolué sur beaucoup de choses, même si ce n’est pas assez à mon goût. Sur l’Europe, elle est au milieu du gué. Sur Poutine, heureusement que Zemmour lui a servi de paratonnerre, car elle avait à peu près les mêmes positions que lui. Il y a ce tropisme pour cette espèce de nationalisme un peu viril qui plaît tellement à la droite de la droite, mais elle a été suffisamment raisonnable pour dire immédiatement qu’il fallait accueillir les réfugiés. Marine a besoin de parler avec des gens qui ne lui doivent rien. Je suis l’un des rares à ne rien attendre d’elle, donc à n’avoir aucune prudence quand je lui parle. [Concernant Emmanuel Macron] D’abord, je suis spontanément respectueux du chef de l’État quel qu’il soit. Ensuite, il a un vrai bon contact avec les gens. Sur les réseaux sociaux, on m’a reproché de lui avoir serré la main chaleureusement. Il aurait fallu que je la prenne comme les gens de la France insoumise ou les communistes prennent la mienne, en donnant l’impression qu’ils touchent un truc un peu répugnant. Cela dit, à Béziers, à part trois pingouins proches de Zemmour, personne ne m’en a fait le reproche. Macron a eu la bonne idée, pour lui et pour moi, de m’inviter à l’Élysée lors de son hommage aux pieds-noirs. Ses mots m’ont touché, et je l’ai dit. Je lui ai dit à quel point mon père aurait été fier de me voir là et d’entendre ces paroles-là pour les pieds-noirs que nous sommes. [Le problème, c’est qu’il rend hommage aux pieds-noirs et il fait des salamalecs aux Algériens] C’est vrai et je lui en ai parlé ! Je lui ai dit aussi que le 19 mars, comme tous les ans, je mettrais les drapeaux en berne, ce que j’ai fait. On peut être respectueux du chef de l’État et avoir avec lui des désaccords. Peut-être que je deviens trop vieux pour l’opposition systématique… (…) Je discute avec tout le monde, y compris des gens très proches du président qui me savent gré de ne pas être toujours dans la critique. J’ai été le premier élu de droite à approuver le passe sanitaire, alors que j’avais beaucoup critiqué la gestion de la crise sanitaire l’année précédente. De même, sur l’Ukraine, je n’ai pas hésité à affirmer qu’il avait raison et que mes amis avaient tort. Il y a peut-être des gens qui regrettent que je ne sois pas le facho qu’ils imaginaient, mais c’est tant mieux pour moi et surtout pour ma ville. (…) Si demain Macron vous appelle et discute avec vous, vous n’allez pas lui raccrocher au nez. [que Macron est capable de mener à l’apaisement] Je l’espère. Et je ne lui fais aucun procès d’intention. Robert Ménard
Une fois établie, les modèles de mobilisation politique, les règles du jeu institutionnel et même les façons de voir le monde politique vont souvent auto-générer des dynamiques auto-renforçantes. Paul Pierson
Le problème, c’est le nombre ! Quand, dans une école, 90 % des élèves ou plus sont issus de l’immigration, ils peuvent être très sympathiques individuellement, on n’a pas les moyens de les intégrer et encore moins de les assimiler. Et cela à leur détriment. (…) Le RN parle de ces sujets depuis quarante ans ! Pourtant, il a fallu que Zemmour s’en empare pour que la bourgeoisie se sente concernée. Que vous le vouliez ou pas, entre Le Pen et Zemmour, c’est une affaire de lutte des classes. Éric est du côté de la bourgeoisie de droite, dont certains représentants sont horrifiés à l’idée de voter comme leur femme de ménage. Ça saute aux yeux ! Donc Éric Zemmour a bien eu ce mérite-là, mais avec quels mots ! Robert Ménard
Comment expliquer le « phénomène Zemmour » ? Est-il un feu de paille idéologique, ou l’incarnation en France de ces « révoltés d’Occident » qui fleurissent un peu partout en Europe ? Dans ce voyage au cœur de la révolte occidentale qui tient autant de l’enquête de terrain que de l’analyse politique, et qui mène de l’Ohio trumpiste aux Pays-Bas de Pim Fortuyn, en passant par la Hongrie d’Orbán, Laure Mandeville s’attache à comprendre l’apparition fulgurante d’Éric Zemmour dans la campagne présidentielle, les combats qu’il porte, les soutiens qu’il engrange, les erreurs qu’il commet parfois. Elle inscrit cette ascension dans un contexte plus large, le désir d’un retour à la nation qui traverse tout l’Occident, où une partie croissante des peuples refuse le multiculturalisme et l’immigration massive, se méfie de l’islam et s’inquiète de son propre déclassement. C’est cette même révolte qui a mené au Brexit, à l’élection de Donald Trump, et à l’accession au pouvoir d’hommes politiques d’un genre nouveau un peu partout en Europe. Face à des élites politiques déconnectées, qui refuseraient de voir le réel, ces « révoltés d’Occident », en France comme ailleurs, comptent bien renverser la table pour empêcher ce qu’ils perçoivent comme le risque de la disparition de leur civilisation. Les Editions de l’Observatoire
Je ne sais pas combien de temps Éric Zemmour restera en politique. Mais ce dont je suis convaincue, c’est que le mouvement d’espoir et d’enthousiasme bien réel qu’il a réveillé est la manifestation d’une révolte populaire profonde, qui n’a rien d’une bulle. Cette révolte cherche désespérément un leader, et a vu en lui un possible véhicule de ses revendications de renforcement du cadre national, comme protection contre les grands vents de la globalisation. Éric Zemmour a réveillé un patriotisme français à la fois raisonné et émotionnel qui n’osait plus s’exprimer de manière ouverte de peur d’être qualifié de nationalisme raciste et dangereux. L’épisode du vieux militaire qui lui a offert ses décorations de guerre en pleurant, pendant un meeting, n’a rien d’anecdotique. Une partie croissante de la société considère, même si elle est divisée sur les solutions, que le pays est dans une impasse stratégique dangereuse, qui mènera à la disparition de la France en tant que civilisation, si rien n’est fait pour arrêter l’immigration massive et pour favoriser l’intégration des nouveaux arrivants, et notamment celle de communautés musulmanes qui sont soumises à la pression de l’islamisme, et aux particularités politiques de l’islam qui ne fait pas de distinction entre le politique et le religieux. La réalité est que Zemmour a donné voix à une angoisse existentielle sur la transformation démographique et culturelle de notre pays. Le phénomène est transoccidental. Les peuples d’Occident réclament des frontières et sonnent partout l’alarme contre le piège globaliste et multiculturaliste que les élites ont refermé sur eux, avec un mélange d’irénisme et d’aveuglement. Ils ont peur d’une désagrégation du tissu économique et politique national au profit d’intérêts chinois ou autres susceptible d’accélérer notre perte de souveraineté, et d’une communautarisation accélérée qui rendra la vie en commun de plus en plus difficile. En France, il y a aussi une énorme préoccupation due à l’apparition d’une insécurité chronique, d’une grande violence. Le phénomène Zemmour ou ses variantes ne sont pas près selon moi de disparaître, parce que les élites répondent à l’inquiétude en érigeant une grande muraille du déni et de l’excommunication, peignant leurs revendications comme la marque d’un nouveau fascisme au lieu d’y répondre. (…) La révolte zemmouriste et la révolte trumpiste portaient maintes similitudes, dans leurs ressorts antimondialisation et anti-immigration, leur credo conservateur, leur défense de l’Occident chrétien et leur méfiance de l’islam, leur volonté de réalisme en politique étrangère. Toutes ces ressemblances n’empêchent pas les différences de personnalités et de culture abyssales entre les deux. Donald Trump est un fils de famille, héritier d’un promoteur immobilier de Brooklyn, qui a forgé sa personnalité sur les chantiers de construction paternels dans la banlieue de Big Apple, puis fait son chemin dans un monde capitaliste new-yorkais brutal et sans pitié. Éric Zemmour, issu d’un milieu très simple, a fait sa vie dans les livres, le journalisme, l’exploration passionnée de l’histoire et l’observation d’un monde politique dont il connaissait les tours et détours. C’est un intellectuel, qui tend à tout théoriser, quand Trump est un pur intuitif. Mais on trouve aussi des points communs entre les deux hommes: le caractère indomptable, le sens de la formule et la capacité à exprimer, de manière cathartique, ce que pense le peuple. Ce sont de ce point de vue deux hommes de la petite lucarne qu’ils ont utilisée avec maestria pour faire leur célébrité et nouer une relation intime avec le peuple. Tous deux partagent aussi une allergie à l’idéologie du genre et une vision assez macho des relations hommes-femmes, ainsi qu’une conception hobbésienne du monde, basée sur les rapports de force. Leur fascination pour les hommes forts, qui s’est d’ailleurs exprimée dans leur admiration troublante pour Vladimir Poutine, est un autre point commun très frappant. (…) Éric Zemmour n’a pu asseoir sa popularité sur un parti de l’establishment déjà installé contrairement à Trump qui a pris d’assaut le parti républicain. Il n’a pas réussi non plus à séduire les classes populaires, peut-être parce qu’il n’a pas su complètement leur parler, contrairement à Trump et à Marine Le Pen, qui ont su parler de l’insécurité économique et du pouvoir d’achat du «pays périphérique» alors que Zemmour mettait l’accent sur la question de l’immigration et de la survie de la nation. Sans doute a-t-il sous-estimé l’angoisse de «la guerre civile» des Français, qui partagent son inquiétude sur l’avenir de la France, mais craignent sans doute encore plus la menace d’un clash entre communautés. Ils partagent son diagnostic, mais sont terrifiés par ses solutions, ou pas assez convaincus de sa capacité à gérer l’immensité du défi. Au-delà de tous ces points clés, je suis pour ma part persuadée que c’est la guerre de Poutine qui a percuté et détruit la candidature d’Éric Zemmour. Quand celle-ci éclate, le 24 février, il est en ascension, atteignant quelque 16% des intentions de vote, à égalité avec Le Pen, qui semble, elle, sur une pente descendante. Mais la guerre chamboule tout. Ayant répété depuis des années que Poutine est un grand patriote, voire un modèle dont la France devrait s’inspirer pour remettre son pays en ordre, Éric Zemmour est frappé de plein fouet. Sa condamnation trop faible de la guerre, son incapacité à qualifier Poutine de dictateur et sa persistance à dénoncer les responsabilités de l’Occident, au lieu de prendre la mesure de l’impérialisme brutal de Poutine et de la dangerosité d’un pouvoir russe basé sur la violence et le mensonge, ont, je pense, créé un doute béant dans la bourgeoisie qui l’avait soutenu jusque-là, doute dans lequel se sont engouffrés ses adversaires. Les classes populaires, qui soutenaient Le Pen, elles, ont moins réagi à la guerre. Son absence d’empathie vis-à-vis des réfugiés ukrainiens, dont il a jugé la présence peu opportune en France, a également beaucoup choqué. Marine Le Pen, qui avait pourtant un lourd passif sur le sujet, vu sa proximité ancienne et totale avec Poutine, a mieux géré cette situation embarrassante, détournant le tir en parlant «pouvoir d’achat» et révélant une habileté politique que n’a pas su montrer Zemmour, resté très idéologique. Lui qui avait voulu se placer dans le sillage de De Gaulle s’est retrouvé pris à contre-pied, compromis avec un dictateur impérial impitoyable, alors que l’Ukraine incarnait l’esprit de résistance gaullien et churchillien. Cette fascination pour Poutine de la droite national-populiste et de l’extrême droite s’explique par l’habileté avec laquelle l’homme fort de la Russie a instrumentalisé les révoltes national-populistes. Voyant là une opportunité de se constituer une «armée» de partis amis, il les a courtisés, se posant en souverainiste, en rempart de la chrétienté contre l’islamisme et la décadence des mœurs de l’Occident. Il s’agissait d’un trompe-l’œil bien sûr, d’un village Potemkine cachant la déliquescence et l’anomie d’une société russe où domine la loi du plus fort la plus brutale, pas le conservatisme. Mais les voix des experts qui avertissaient contre l’entourloupe ont été ignorées, et les nationalistes de tout poil sont tombés en plein dans le piège. Zemmour comme les autres. (…) Le réveil des nations d’Occident s’exprime de multiples façons, souvent brouillonnes et éphémères, avec un succès très relatif en effet. Ces phénomènes témoignent de la volonté instinctive des peuples d’empêcher des processus de désintégration des nations extrêmement puissants et peut-être irréversibles, liés à l’affaiblissement des États au profit de forces transnationales très puissantes, à la révolution technologique en cours, à l’affaiblissement des classes moyennes, qui, comme le rappelle le politologue Andrew Michta, forment le «demos», l’âme des nations démocratiques. S’agit-il d’un baroud d’honneur? Je ne l’espère pas. L’idéal serait que les revendications des partis populistes entrent peu à peu dans les réflexions des élites gouvernantes, que ces partis contribuent à la solution des problèmes qu’ils pointent. Mais si les élites s’avèrent incapables de faire face, il faut s’attendre à ce que Yascha Mounk appelle un scénario de «guerre civile complexe». Je crains une montée en puissance de tensions communautaires inextricables, d’un scénario de radicalisation des revendications, d’un glissement vers une forme de racialisation et exacerbation des conflits subnationaux si le niveau national devient défaillant ; bref, d’un affaiblissement simultané de la démocratie et de la nation si les élites gouvernantes échouent à intégrer les révoltes actuelles dans le paysage. Un despote pourrait-il alors surgir pour ramasser la mise? Dans mon livre, j’invite à méditer l’évolution américaine. Car l’éviction politique de Trump et l’arrivée de Biden n’ont nullement débouché sur une normalisation de la scène politique. On a vu émerger une véritable sécession mentale et politique d’une partie du camp Trump, sur fond de radicalisation de la gauche identitaire woke. Deux Amérique qui ne se parlent plus et ne se font plus confiance, se sont solidifiées, dans un état de guerre civile tiède. Il faut tout faire pour éviter un tel scénario en France. (….) Car la crise de l’Occident appelle les tempêtes. Nous avons été tellement occupés à nous diviser et à repousser la solution des problèmes posés, tellement obsédés par notre culpabilité historique, tellement absorbés par nos interrogations sur la fluidité du genre et autres débats postmodernes sur le sexe des anges, que nous avons fermé les yeux face aux défis qui fondaient sur nous. Mais nous venons d’être ramenés à la brutalité du réel par la guerre de Poutine en Ukraine. Depuis des années, Vladimir Poutine a constaté nos lâchetés, nos renoncements face à ses agressions, et notre incapacité à nous rassembler. Il a vu dans la faiblesse occidentale, dans sa déliquescence spirituelle et sa sortie de l’Histoire nihiliste et infantile, une occasion rêvée d’avancer ses pions en Ukraine, pour réaliser son grand projet néoimpérial de rassemblement des terres russes et de révolution mondiale anti-occidentale. Il a décidé que nous étions si décadents, si divisés, si vénaux que nous ne bougerions pas. Il s’est en partie trompé puisque nous avons réagi collectivement et entrepris d’aider l’Ukraine. Mais cette crise doit être l’occasion d’une introspection bien plus sérieuse sur la manière dont nous devons viser à reconstruire nos démocraties et l’Europe. Nous devons travailler d’urgence à réconcilier les élites et le peuple, car la guerre civile à petit feu qui gronde est le terreau sur lequel tous nos ennemis s’engouffreront. Nous devons également réarmer nos nations, revenir à la notion de puissance. Nous devons aussi méditer la leçon de la résistance patriotique ukrainienne, qui montre que nous avons besoin de la force et de l’esprit des nations, pour construire une Europe forte et solidaire. Nous avons besoin aussi d’apprendre à garder les yeux ouverts, au lieu de nous concentrer sur «le réel» qui arrange nos postulats idéologiques. En France notamment, la droite nationale doit reconnaître son aveuglement dans l’appréciation du danger russe, et s’interroger sur les raisons pour lesquelles elle s’est laissée abuser. La gauche doit, de son côté, absolument prendre acte du danger stratégique que constitue l’islamisation croissante de notre pays, sujet sur lequel elle reste plongée dans un déni suicidaire. Sinon, dans vingt ans, nous aurons à l’intérieur de nos murs une catastrophe tout aussi grave que celle qui a surgi à l’est de l’Europe. Laure Mandeville
Qui malgré la réélection par défaut d’un président français au programme aussi vide que sa non-campagne …
Suite à la diabolisation unanime de ses principaux opposants …
Dont un Eric Zemmour piégé par son étrange aveuglement face au néo-impérialisme de Poutine …
Mais qui surtout n’a pas su trouver les mots, comme le rappelle Robert Ménard, pour gagner les esprits des principaux bénéficiaires de ses propositions, à savoir les classes populaires et les immigrés eux-mêmes …
Même s’il a eu l’immense mérite de « faire voter les bourgeois comme leur femme de ménage » …
Et pourrait bien ne pas avoir dit son dernier mot …
Face au défaitisme et au fatalisme des tenants de l’institutionnalisme historique et de leur fameuse « dépendance du sentier » …
Prêts à abandonner en poursuivant la déconstruction méthodique de l’Etat-nation ….
Des quartiers et bientôt des villes entières au chaos et à l’insécurité physique, économique, sociale et culturelle ..
Ou entre un égorgement et une décapitation, les ravages du terrorisme islamiste interne …
La nouvelle tryrannie, au niveau du marché du travail et des libertés d’expression, des nouveaux « maitres du monde » du numérique et de l’ubérisation (les nouveaux barons voleurs des GAFAM) …
GRAND ENTRETIEN – Dans son nouvel essai, Les Révoltés d’Occident, Laure Mandeville, grand reporter au Figaro, dissèque le «phénomène» Zemmour. Malgré un score de 7%, elle reste persuadée que le mouvement qu’a fait naître Éric Zemmour n’a rien d’une bulle car il s’inscrit, selon elle, dans un contexte plus large: celui du réveil des nations occidentales.
LE FIGARO MAGAZINE. – Votre livre peut se lire comme une analyse à chaud du phénomène. Après son score de 7% au premier tour, que répondez-vous à ceux qui qualifient sa candidature de bulle médiatique?
Laure MANDEVILLE. – Je ne sais pas combien de temps Éric Zemmour restera en politique. Mais ce dont je suis convaincue, c’est que le mouvement d’espoir et d’enthousiasme bien réel qu’il a réveillé est la manifestation d’une révolte populaire profonde, qui n’a rien d’une bulle. Cette révolte cherche désespérément un leader, et a vu en lui un possible véhicule de ses revendications de renforcement du cadre national, comme protection contre les grands vents de la globalisation. Éric Zemmour a réveillé un patriotisme français à la fois raisonné et émotionnel qui n’osait plus s’exprimer de manière ouverte de peur d’être qualifié de nationalisme raciste et dangereux. L’épisode du vieux militaire qui lui a offert ses décorations de guerre en pleurant, pendant un meeting, n’a rien d’anecdotique.
Une partie croissante de la société considère, même si elle est divisée sur les solutions, que le pays est dans une impasse stratégique dangereuse, qui mènera à la disparition de la France en tant que civilisation, si rien n’est fait pour arrêter l’immigration massive et pour favoriser l’intégration des nouveaux arrivants, et notamment celle de communautés musulmanes qui sont soumises à la pression de l’islamisme, et aux particularités politiques de l’islam qui ne fait pas de distinction entre le politique et le religieux.
La réalité est que Zemmour a donné voix à une angoisse existentielle sur la transformation démographique et culturelle de notre pays. Le phénomène est transoccidental. Les peuples d’Occident réclament des frontières et sonnent partout l’alarme contre le piège globaliste et multiculturaliste que les élites ont refermé sur eux, avec un mélange d’irénisme et d’aveuglement. Ils ont peur d’une désagrégation du tissu économique et politique national au profit d’intérêts chinois ou autres susceptible d’accélérer notre perte de souveraineté, et d’une communautarisation accélérée qui rendra la vie en commun de plus en plus difficile.
En France, il y a aussi une énorme préoccupation due à l’apparition d’une insécurité chronique, d’une grande violence. Le phénomène Zemmour ou ses variantes ne sont pas près selon moi de disparaître, parce que les élites répondent à l’inquiétude en érigeant une grande muraille du déni et de l’excommunication, peignant leurs revendications comme la marque d’un nouveau fascisme au lieu d’y répondre.
Vous aviez également suivi la campagne victorieuse de Trump… Quels sont les points communs et les différences entre Zemmour et Trump?
La révolte zemmouriste et la révolte trumpiste portaient maintes similitudes, dans leurs ressorts antimondialisation et anti-immigration, leur credo conservateur, leur défense de l’Occident chrétien et leur méfiance de l’islam, leur volonté de réalisme en politique étrangère.
Toutes ces ressemblances n’empêchent pas les différences de personnalités et de culture abyssales entre les deux. Donald Trump est un fils de famille, héritier d’un promoteur immobilier de Brooklyn, qui a forgé sa personnalité sur les chantiers de construction paternels dans la banlieue de Big Apple, puis fait son chemin dans un monde capitaliste new-yorkais brutal et sans pitié. Éric Zemmour, issu d’un milieu très simple, a fait sa vie dans les livres, le journalisme, l’exploration passionnée de l’histoire et l’observation d’un monde politique dont il connaissait les tours et détours. C’est un intellectuel, qui tend à tout théoriser, quand Trump est un pur intuitif.
Mais on trouve aussi des points communs entre les deux hommes: le caractère indomptable, le sens de la formule et la capacité à exprimer, de manière cathartique, ce que pense le peuple. Ce sont de ce point de vue deux hommes de la petite lucarne qu’ils ont utilisée avec maestria pour faire leur célébrité et nouer une relation intime avec le peuple. Tous deux partagent aussi une allergie à l’idéologie du genre et une vision assez macho des relations hommes-femmes, ainsi qu’une conception hobbésienne du monde, basée sur les rapports de force. Leur fascination pour les hommes forts, qui s’est d’ailleurs exprimée dans leur admiration troublante pour Vladimir Poutine, est un autre point commun très frappant.
Qu’a-t-il manqué à Éric Zemmour pour être réellement le Trump français qu’il rêvait d’être?
Éric Zemmour n’a pu asseoir sa popularité sur un parti de l’establishment déjà installé contrairement à Trump qui a pris d’assaut le parti républicain. Il n’a pas réussi non plus à séduire les classes populaires, peut-être parce qu’il n’a pas su complètement leur parler, contrairement à Trump et à Marine Le Pen, qui ont su parler de l’insécurité économique et du pouvoir d’achat du «pays périphérique» alors que Zemmour mettait l’accent sur la question de l’immigration et de la survie de la nation. Sans doute a-t-il sous-estimé l’angoisse de «la guerre civile» des Français, qui partagent son inquiétude sur l’avenir de la France, mais craignent sans doute encore plus la menace d’un clash entre communautés. Ils partagent son diagnostic, mais sont terrifiés par ses solutions, ou pas assez convaincus de sa capacité à gérer l’immensité du défi.
Au-delà de tous ces points clés, je suis pour ma part persuadée que c’est la guerre de Poutine qui a percuté et détruit la candidature d’Éric Zemmour. Quand celle-ci éclate, le 24 février, il est en ascension, atteignant quelque 16% des intentions de vote, à égalité avec Le Pen, qui semble, elle, sur une pente descendante. Mais la guerre chamboule tout. Ayant répété depuis des années que Poutine est un grand patriote, voire un modèle dont la France devrait s’inspirer pour remettre son pays en ordre, Éric Zemmour est frappé de plein fouet. Sa condamnation trop faible de la guerre, son incapacité à qualifier Poutine de dictateur et sa persistance à dénoncer les responsabilités de l’Occident, au lieu de prendre la mesure de l’impérialisme brutal de Poutine et de la dangerosité d’un pouvoir russe basé sur la violence et le mensonge, ont, je pense, créé un doute béant dans la bourgeoisie qui l’avait soutenu jusque-là, doute dans lequel se sont engouffrés ses adversaires.
Les classes populaires, qui soutenaient Le Pen, elles, ont moins réagi à la guerre. Son absence d’empathie vis-à-vis des réfugiés ukrainiens, dont il a jugé la présence peu opportune en France, a également beaucoup choqué. Marine Le Pen, qui avait pourtant un lourd passif sur le sujet, vu sa proximité ancienne et totale avec Poutine, a mieux géré cette situation embarrassante, détournant le tir en parlant «pouvoir d’achat» et révélant une habileté politique que n’a pas su montrer Zemmour, resté très idéologique. Lui qui avait voulu se placer dans le sillage de De Gaulle s’est retrouvé pris à contre-pied, compromis avec un dictateur impérial impitoyable, alors que l’Ukraine incarnait l’esprit de résistance gaullien et churchillien.
Cette fascination pour Poutine de la droite national-populiste et de l’extrême droite s’explique par l’habileté avec laquelle l’homme fort de la Russie a instrumentalisé les révoltes national-populistes. Voyant là une opportunité de se constituer une «armée» de partis amis, il les a courtisés, se posant en souverainiste, en rempart de la chrétienté contre l’islamisme et la décadence des mœurs de l’Occident. Il s’agissait d’un trompe-l’œil bien sûr, d’un village Potemkine cachant la déliquescence et l’anomie d’une société russe où domine la loi du plus fort la plus brutale, pas le conservatisme. Mais les voix des experts qui avertissaient contre l’entourloupe ont été ignorées, et les nationalistes de tout poil sont tombés en plein dans le piège. Zemmour comme les autres.
Au-delà du cas Zemmour, votre livre est une réflexion plus large sur le réveil des nations en Occident. Mis à part Orbán, la plupart des «populistes» ont été défaits. Dans ces conditions, ce réveil est-il vraiment durable? N’était-ce pas une parenthèse ou un baroud d’honneur?
Le réveil des nations d’Occident s’exprime de multiples façons, souvent brouillonnes et éphémères, avec un succès très relatif en effet. Ces phénomènes témoignent de la volonté instinctive des peuples d’empêcher des processus de désintégration des nations extrêmement puissants et peut-être irréversibles, liés à l’affaiblissement des États au profit de forces transnationales très puissantes, à la révolution technologique en cours, à l’affaiblissement des classes moyennes, qui, comme le rappelle le politologue Andrew Michta, forment le «demos», l’âme des nations démocratiques.
S’agit-il d’un baroud d’honneur? Je ne l’espère pas. L’idéal serait que les revendications des partis populistes entrent peu à peu dans les réflexions des élites gouvernantes, que ces partis contribuent à la solution des problèmes qu’ils pointent. Mais si les élites s’avèrent incapables de faire face, il faut s’attendre à ce que Yascha Mounk appelle un scénario de «guerre civile complexe». Je crains une montée en puissance de tensions communautaires inextricables, d’un scénario de radicalisation des revendications, d’un glissement vers une forme de racialisation et exacerbation des conflits subnationaux si le niveau national devient défaillant ; bref, d’un affaiblissement simultané de la démocratie et de la nation si les élites gouvernantes échouent à intégrer les révoltes actuelles dans le paysage.
Un despote pourrait-il alors surgir pour ramasser la mise? Dans mon livre, j’invite à méditer l’évolution américaine. Car l’éviction politique de Trump et l’arrivée de Biden n’ont nullement débouché sur une normalisation de la scène politique. On a vu émerger une véritable sécession mentale et politique d’une partie du camp Trump, sur fond de radicalisation de la gauche identitaire woke. Deux Amérique qui ne se parlent plus et ne se font plus confiance, se sont solidifiées, dans un état de guerre civile tiède. Il faut tout faire pour éviter un tel scénario en France.
Vous voyez l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine comme un signe de la faiblesse des nations occidentales. Cette crise peut-elle mener à une forme de sursaut?
Je l’espère. Car la crise de l’Occident appelle les tempêtes. Nous avons été tellement occupés à nous diviser et à repousser la solution des problèmes posés, tellement obsédés par notre culpabilité historique, tellement absorbés par nos interrogations sur la fluidité du genre et autres débats postmodernes sur le sexe des anges, que nous avons fermé les yeux face aux défis qui fondaient sur nous. Mais nous venons d’être ramenés à la brutalité du réel par la guerre de Poutine en Ukraine.
Depuis des années, Vladimir Poutine a constaté nos lâchetés, nos renoncements face à ses agressions, et notre incapacité à nous rassembler. Il a vu dans la faiblesse occidentale, dans sa déliquescence spirituelle et sa sortie de l’Histoire nihiliste et infantile, une occasion rêvée d’avancer ses pions en Ukraine, pour réaliser son grand projet néoimpérial de rassemblement des terres russes et de révolution mondiale anti-occidentale. Il a décidé que nous étions si décadents, si divisés, si vénaux que nous ne bougerions pas. Il s’est en partie trompé puisque nous avons réagi collectivement et entrepris d’aider l’Ukraine. Mais cette crise doit être l’occasion d’une introspection bien plus sérieuse sur la manière dont nous devons viser à reconstruire nos démocraties et l’Europe.
Nous devons travailler d’urgence à réconcilier les élites et le peuple, car la guerre civile à petit feu qui gronde est le terreau sur lequel tous nos ennemis s’engouffreront. Nous devons également réarmer nos nations, revenir à la notion de puissance. Nous devons aussi méditer la leçon de la résistance patriotique ukrainienne, qui montre que nous avons besoin de la force et de l’esprit des nations, pour construire une Europe forte et solidaire. Nous avons besoin aussi d’apprendre à garder les yeux ouverts, au lieu de nous concentrer sur «le réel» qui arrange nos postulats idéologiques. En France notamment, la droite nationale doit reconnaître son aveuglement dans l’appréciation du danger russe, et s’interroger sur les raisons pour lesquelles elle s’est laissée abuser. La gauche doit, de son côté, absolument prendre acte du danger stratégique que constitue l’islamisation croissante de notre pays, sujet sur lequel elle reste plongée dans un déni suicidaire. Sinon, dans vingt ans, nous aurons à l’intérieur de nos murs une catastrophe tout aussi grave que celle qui a surgi à l’est de l’Europe.
Finis les excès verbaux, les slogans et les affiches chocs. Le maire de Béziers a changé. S’il a soutenu Marine Le Pen, par fidélité, cela ne l’empêche pas de saluer certaines actions d’Emmanuel Macron. Soucieux de montrer le chemin de la réconciliation nationale, Robert Ménard s’arme de sagesse et de bienveillance.
Causeur. À en juger par vos récentes déclarations, vous avez changé. Pouvez-vous expliquer cette évolution ?
Robert Ménard. Je me « gargarise » un peu moins ! J’ai été journaliste pendant plus de trente ans et, quand on est journaliste, on aime les mots, et plus encore les bons mots, parfois au détriment de ce qu’on voit et pense réellement. Je suis arrivé à la mairie avec le goût du slogan et de l’affiche choc. Et je me suis aperçu que ça blessait des gens. Or quand on est journaliste, on n’a pas affaire aux gens ! Quand on a envoyé son article, neuf fois sur dix, on ne revoit plus jamais les personnes dont on parle. Au contraire, un maire vit au jour le jour avec les gens, il les croise en bas de chez lui. Et puis être maire vous confronte à la complexité des choses, on voit que c’est difficile d’agir sur le réel. Finalement, j’ai réalisé que j’aimais les gens plus que les idées.
En somme votre évolution porterait seulement sur la forme ? On a tout de même le sentiment que sur les sujets comme l’immigration, vous vous êtes un peu déplacé. Vos idées ont-elles changé ou les exprimez-vous moins brutalement ?
J’ai réalisé que ça ne servait à rien de rajouter du malheur au malheur. Parfois, mes excès couvraient des attitudes ou des propos dont je ne suis pas très fier : je pense à cette affiche où on voyait des migrants qui semblaient s’en prendre à notre cathédrale et dont la légende était « Vous n’êtes pas les bienvenus ». Je mesure à quel point la tentation d’être applaudi fait dire de mauvaises choses, que l’on peut toujours justifier intellectuellement mais dont on sent que ce n’est pas bien. Je ne cherche pas à faire de la poésie, mais pris dans une espèce de plaisir à provoquer, à être repris par mes ex-confrères, j’ai sans doute oublié une certaine prudence qui n’est pas forcément synonyme de lâcheté ou de compromission, mais peut-être d’un peu de sagesse.
Certes, il y a les phénomènes que l’on peut dénoncer et les individus qui en sont les agents inconscients. Considérez-vous encore que l’immigration et l’islam identitaire sont un combat prioritaire pour notre pays ?
Oui, mais je sais aussi que les migrants n’arrivent pas massivement avec la volonté d’islamiser le pays. Récemment, pendant une visite d’un quartier dit « difficile », une maman musulmane m’a expliqué qu’elle avait inscrit sa fille à l’école Notre-Dame et que ça lui coûtait 200 euros par mois. Je lui ai fait remarquer qu’il y avait, près de chez elle, une école publique gratuite mais, m’a-t-elle répondu, elle voulait du « mélange », elle voulait « des Français ». Quand on me dit ça, je réponds systématiquement : « Mais vous êtes Français vous aussi ! » Et dans 99 % des cas, ils le sont ! Bien sûr, on comprend ce qu’ils veulent dire. Mais on n’ose plus employer les mots justes… Pour revenir à cette fameuse affiche, elle donnait l’impression qu’on pointait du doigt l’islam au risque d’attiser une guerre de religion. Évidemment, je ne fais pas une guerre à l’islam, mais à l’islamisme radical et ce n’est pas la même chose. Aujourd’hui, je n’ai pas envie de faire de la peine à cette dame. Elle est sympathique, et nous aurions mille choses à nous raconter. Je préfère désormais ce genre de dialogue aux coups médiatiques du passé.
Vous disiez alors qu’il y avait, sur notre territoire, une autre civilisation qui voulait s’installer. Le pensez-vous toujours ?
Pour reprendre l’exemple de cette dame, je ne pense pas qu’elle ait envie de reproduire l’Arabie saoudite à Béziers. Le problème, c’est le nombre ! Quand, dans une école, 90 % des élèves ou plus sont issus de l’immigration, ils peuvent être très sympathiques individuellement, on n’a pas les moyens de les intégrer et encore moins de les assimiler. Et cela à leur détriment. Seulement, la façon dont je disais ce genre de choses paraissait se résumer à : « Ouh, il y a trop d’Arabes ici ! » Or, je n’ai jamais pensé dans ces termes et j’ai toujours cherché à mettre en place des solutions pour faciliter cette assimilation. Il faut réduire le flux migratoire, oui, mais sans blesser ou aliéner ceux qui sont là.
Votre expérience de maire vous a fait changer, et peut-être le contact avec vos enfants, qui sont plutôt gauchistes…
Ah ça, le dialogue est parfois vif ! Mais mes enfants m’apprennent des choses. Et même s’ils votaient Mélenchon, je ne dirais jamais qu’ils sont des « collabos », comme l’a dit Thierry Mariani à propos des Insoumis.
Mariani a eu tort de se livrer à cette instrumentalisation de l’histoire. Reste que, s’il y a un fascisme islamique, la complaisance de Mélenchon à son endroit est indéniable.
Je ne cesse de rappeler que Mélenchon est allé manifester avec des islamistes au cri de « Allah Akbar ! » mais je ne choisirais jamais le mot collabo !
En politique, il faut aussi marquer les esprits. N’avez-vous pas peur qu’un discours trop raisonnable n’imprime pas ?
Lorsque je passe à la télé, on me fait souvent le crédit d’exprimer ce que beaucoup de gens pensent. Je crois que c’est parce que j’affiche mes convictions. Aujourd’hui ma conviction est que notre pays a besoin de se réconcilier.
Il faut faire attention avec la réconciliation, parce que la division, la controverse, le désaccord sont l’état naturel des sociétés humaines.
Oui, mais entre division et guerre civile, il y a une nuance. Je suis pour la controverse, je ne l’ai jamais fuie. Mais quand je vois certaines personnes, dans nos mouvances, assumer le risque d’une guerre civile pour, disent-ils, « sauver la France », je me demande s’ils savent de quoi ils parlent. La guerre civile, c’est la pire des choses ! Il faut ne jamais avoir bougé de son fauteuil pour supporter cette idée-là ! Comme journaliste puis comme patron de Reporters sans frontières, j’ai connu nombre de pays en guerre civile : c’est le plus grand malheur qui puisse arriver à un peuple. Je préfère cinquante ans de Macron à un an de guerre civile.
Vous préférez aussi cinquante ans d’islamisation à un an de guerre civile ?
Mais on peut s’opposer à l’islamisation sans faire la guerre aux musulmans ! Allez-vous faire la guerre aux petits cons qui font l’apologie des Palestiniens, alors qu’ils ne savent même pas où ça se situe sur une carte ? C’est du fantasme, de la bêtise ! Ce qu’il nous faut combattre, c’est cette ignorance abyssale. Et ce combat se mène par la politique et par l’éducation.
Selon vous, on peut dire les choses sans blesser. Vous aviez avec Zemmour une vieille amitié, mais vous l’avez attaqué, y compris quand ça allait mal dans son camp. N’avez-vous pas failli à votre devoir d’amitié ?
Je pourrais inverser la question : j’étais seul à soutenir Marine Le Pen quand tout le monde lui tournait le dos, y compris bon nombre de mes copains ! Si j’ai voté Le Pen, c’est aussi par fidélité à la parole donnée. Dès le mois d’août, j’ai expliqué mes désaccords à Éric Zemmour et je lui ai dit que je ne ferais pas campagne avec lui. J’ai même écrit un texte pour expliquer mon vote Le Pen. C’est Éric qui est d’une violence insupportable. Il nous faisait revenir au temps de Jean-Marie Le Pen. Vingt ans en arrière ! En réalité, il n’a jamais su quitter le terrain des idées. Il s’est moqué de Marine Le Pen en disant : « Elle aime les chats, et moi j’aime les livres. » Son problème, c’est qu’il n’aime que les livres. Or pour faire de la politique, il faut aimer les gens.
Mais Jean-Marie Le Pen a mis certains sujets sur la table à une époque où personne n’en parlait. Vous pouvez admettre que si Zemmour n’avait pas parlé d’immigration, d’islamisme, d’identité, ces thèmes auraient été totalement absents de la présidentielle.
Je n’ai cessé de dire que je lui reconnaissais ce mérite-là ! Le RN parle de ces sujets depuis quarante ans ! Pourtant, il a fallu que Zemmour s’en empare pour que la bourgeoisie se sente concernée. Que vous le vouliez ou pas, entre Le Pen et Zemmour, c’est une affaire de lutte des classes. Éric est du côté de la bourgeoisie de droite, dont certains représentants sont horrifiés à l’idée de voter comme leur femme de ménage. Ça saute aux yeux !
Donc Éric Zemmour a bien eu ce mérite-là, mais avec quels mots ! J’ose à peine employer le terme « bienveillance » car il a été accaparé par Macron, mais oui, il faut être bienveillant avec les gens. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai changé sur des sujets importants. J’étais pour l’interdiction du voile islamique dans l’espace public, aujourd’hui je crois que c’est une bêtise, non seulement parce que c’est infaisable, mais parce que cela revient à faire fi d’une motivation d’une partie des femmes. Toutes ne sont pas contraintes de porter le voile.
Certes, mais on a le droit de penser que le voile est contraire aux mœurs françaises. De plus, c’est un instrument de conquête des Frères musulmans.
Je suis d’accord avec vous, mais comment l’expliquer aux gens ? Certainement pas à coups d’interdictions.
Dans son discours du Trocadéro, Zemmour tendait la main aux musulmans et leur a dit, « Vous êtes mes frères ». Personne n’en a parlé ; on a préféré en faire des caisses sur les « Macron assassin » scandés par quelques manifestants.
Vous savez comment fonctionnent les médias. Et puis il a dit que certes, il condamnait ce slogan mais « en même temps » qu’il le comprenait. Eh bien, non ! Ce n’est pas compréhensible.
Vous êtes donc resté loyal à Marine Le Pen, même si économiquement vous êtes plus à droite qu’elle…
Oui, elle a évolué sur beaucoup de choses, même si ce n’est pas assez à mon goût. Sur l’Europe, elle est au milieu du gué. Sur Poutine, heureusement que Zemmour lui a servi de paratonnerre, car elle avait à peu près les mêmes positions que lui. Il y a ce tropisme pour cette espèce de nationalisme un peu viril qui plaît tellement à la droite de la droite, mais elle a été suffisamment raisonnable pour dire immédiatement qu’il fallait accueillir les réfugiés. Marine a besoin de parler avec des gens qui ne lui doivent rien. Je suis l’un des rares à ne rien attendre d’elle, donc à n’avoir aucune prudence quand je lui parle.
Venons-en à Emmanuel Macron et à son incroyable capacité de séduction. Lors de sa visite à Béziers, elle semble avoir fait effet sur vous.
D’abord, je suis spontanément respectueux du chef de l’État quel qu’il soit. Ensuite, il a un vrai bon contact avec les gens. Sur les réseaux sociaux, on m’a reproché de lui avoir serré la main chaleureusement. Il aurait fallu que je la prenne comme les gens de la France insoumise ou les communistes prennent la mienne, en donnant l’impression qu’ils touchent un truc un peu répugnant. Cela dit, à Béziers, à part trois pingouins proches de Zemmour, personne ne m’en a fait le reproche. Macron a eu la bonne idée, pour lui et pour moi, de m’inviter à l’Élysée lors de son hommage aux pieds-noirs. Ses mots m’ont touché, et je l’ai dit. Je lui ai dit à quel point mon père aurait été fier de me voir là et d’entendre ces paroles-là pour les pieds-noirs que nous sommes.
Le problème c’est qu’il y en a pour tout le monde. Il rend hommage aux pieds-noirs et il fait des salamalecs aux Algériens…
C’est vrai et je lui en ai parlé ! Je lui ai dit aussi que le 19 mars, comme tous les ans, je mettrais les drapeaux en berne, ce que j’ai fait. On peut être respectueux du chef de l’État et avoir avec lui des désaccords. Peut-être que je deviens trop vieux pour l’opposition systématique…
Vous n’allez pas commencer à 70 ans une carrière de courtisan.
Ce n’est pas vraiment mon genre… Je suis un maire heureux. Je n’attends rien de personne.
Vous êtes sincèrement admiratif des qualités de Macron. Envisagez-vous de travailler avec lui ? Vous l’a-t-il proposé ?
Je discute avec tout le monde, y compris des gens très proches du président qui me savent gré de ne pas être toujours dans la critique. J’ai été le premier élu de droite à approuver le passe sanitaire, alors que j’avais beaucoup critiqué la gestion de la crise sanitaire l’année précédente. De même, sur l’Ukraine, je n’ai pas hésité à affirmer qu’il avait raison et que mes amis avaient tort. Il y a peut-être des gens qui regrettent que je ne sois pas le facho qu’ils imaginaient, mais c’est tant mieux pour moi et surtout pour ma ville.
Si on vous propose d’entrer au gouvernement, étudierez-vous cette proposition ?
La seule question que je me poserais, c’est : pour quoi faire ? Si demain Macron vous appelle et discute avec vous, vous n’allez pas lui raccrocher au nez.
Pensez-vous que Macron est capable de mener à l’apaisement que vous appelez de vos vœux ?
Je l’espère. Et je ne lui fais aucun procès d’intention.
Éric Zemmour n’est pas seul à avoir fait preuve d’une coupable mansuétude à l’égard du Kremlin. L’un des traits récurrents des « révoltes nationales-conservatrices » qui se multiplient à travers l’Occident, est précisément le mélange de fascination et d’aveuglement total dont leurs leaders ont fait preuve sur le dossier russe. De Donald Trump à Thierry Baudet, en passant par Matteo Salvini, Viktor Orbán, Sebastian Kurz, Éric Zemmour ou Marine Le Pen, la similitude d’approche est même tout à fait frappante, même si Trump a finalement fini par renoncer à ses ouvertures vers Moscou, une fois confronté, en tant que président, à la réalité brutale du comportement géopolitique de la Russie.
La raison de cette passion poutinienne est avant tout idéologique, psychologique ou liée à des intérêts de realpolitik, en Hongrie par exemple, où la dépendance à l’énergie russe est très forte. Dans un monde occidental dont les démocraties apparaissent aujourd’hui impuissantes et velléitaires, persistant dans leur attachement au multiculturalisme malgré le péril islamiste, beaucoup au sein de l’extrême droite ou de la droite nationaliste rêvent d’un « homme fort » charismatique qui sauverait la patrie. Cet attrait est partagé par une partie de la gauche – mélenchoniste, par exemple –, probablement par nostalgie du « paradis communiste » perdu et par anti-atlantisme. « Il faudrait un homme d’État comme Poutine, qui s’élève au-dessus des pâquerettes », jugeait par exemple l’homme politique de droite Claude Goasguen. « Vladimir Poutine est un homme respectable, un patriote qui défend les intérêts de son pays », a répété, pour sa part, Éric Zemmour pendant tout le début de sa campagne. Il avait aussi, en tant qu’éditorialiste, vanté sans réserve l’action du Kremlin, allant même jusqu’à souhaiter à la France « un Poutine français ». Explication : ce dernier défendait les intérêts de son pays et avait remis de l’ordre chez lui. Une méconnaissance de la réalité russe absolument stupéfiante, qui a gravement percuté sa campagne. Quatre des cinq principaux candidats à l’élection présidentielle française – Éric Zemmour, Marine Le Pen, Valérie Pécresse, Jean-Luc Mélenchon – ont marqué au moins une déférence, sinon une sympathie prononcée pour Vladimir Poutine jusqu’à la crise ouverte par l’invasion russe. Emmanuel Macron a lui aussi misé sur le dialogue bilatéral avec Poutine. L’attrait du maître du Kremlin est venu largement pour les autres de son profil savamment cultivé de contre-modèle culturel et de chef de file d’un « conservatisme modéré », censé défendre la
“défendre la civilisation chrétienne et privilégier le bon sens. Il en avait plusieurs fois théorisé les grandes lignes, en se moquant habilement des dérives postmodernes des sociétés occidentales, sur la question du genre notamment, pour attirer à lui les conservateurs.
En se posant en pourfendeur de la « pensée unique » et du déconstructivisme, Poutine a capté « par effet miroir », « tous ceux qui stigmatisent la décadence des mœurs, l’islamisation, la bureaucratie de Bruxelles et l’abandon des chrétiens d’Orient », décrypte la russologue française Françoise Thom dans un article du site spécialisé Desk Russie. Il s’agit là, bien sûr, « d’une vision manichéenne » très faussée, qui oppose les méchants Américains mondialistes et leurs multinationales, aux vaillants résistants ; bref, une version moderne « d’Astérix contre l’Empire romain » sans rapport avec la réalité, note-t-elle. Le projet de rempart contre l’islamisme ressemble en fait beaucoup à un village Potemkine, comme le montre la fragilité du « consensus » que Poutine a arraché en Tchétchénie, où il a donné les clés du pouvoir à Ramzan Kadyrov – ce dernier installant un régime de fer, tout en laissant s’insinuer une réislamisation rampante des mœurs.
Mais, faute d’une connaissance approfondie de la dynamique interne russe, le subterfuge a fonctionné à plein, alimenté par la réalité indéniable de la crise occidentale et par les nombreux relais dont bénéficie la machine de propagande du Kremlin à travers l’Occident. Jusqu’à la guerre ouverte lancée contre l’Ukraine par le Kremlin, près d’un tiers des Français jugeaient Vladimir Poutine positivement.
Comme le montre une intéressante enquête de la correspondante du Monde Isabelle Mandraud, publiée en 201945, la Russie a tissé depuis des années des relations particulières avec toute une mouvance d’extrême droite, qui a ensuite répandu ce tropisme russe à travers un spectre politique européen beaucoup plus large. Les liens existent en réalité depuis la fin de l’URSS46, mais se sont intensifiés depuis les années 2000, la Russie devenant le lieu de deux grandes réunions de mouvements d’extrême droite européens – l’une tenue en 2015 à Saint-Pétersbourg notamment ; et l’autre, le Congrès mondial des partis de la paix, organisé à la Douma par le député russe Vladimir Jirinovski, en juin 2018. « En 2005, après l’échec du référendum sur la Constitution européenne, Poutine a très bien vu venir le mouvement souverainiste et le retour au nationalisme en Europe ; il a fait alors le choix stratégique d’investir dans cette tendance », note Thomas Gomart, directeur de l’Institut français des relations internationales ; soulignant par ailleurs le mépris du dirigeant russe pour l’Union européenne. Des partis comme la Ligue italienne, l’Alternative pour l’Allemagne, le Rassemblement national en France, Jobbik en Hongrie, le FPÖ en Autriche, le Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (Ukip), le parti de Thierry Baudet aux Pays-Bas, font partie de cette mouvance prorusse… À partir de l’annexion de la Crimée en 2014, Vladimir Poutine, isolé par les sanctions, les a considérés avec une attention toute particulière, rencontrant notamment Matteo Salvini, patron de la Ligue italienne, dès le mois d’octobre 2014, comme l’a révélé plus tard une photo des deux hommes publiée sur le compte Twitter du politique italien. Dans un livre paru en février 2019, Le Livre noir de la Ligue, les journalistes italiens Giovanni Tizian et Stefano Vergine ont d’ailleurs accusé le parti du « capitaine » d’avoir reçu de l’argent de Moscou, sous la forme d’une opération commerciale d’achat-vente de carburant, pour financer sa campagne pour les européennes. L’affaire aurait été négociée par son fidèle conseiller, Gianluca Savoini, à l’hôtel moscovite Metropol, pendant une rencontre de Salvini avec la représentation locale du patronat italien. Des enregistrements de la conversation ont circulé, mais les deux reporters n’ont cependant jamais pu confirmer la réalité de la transaction – qui a été démentie par la Ligue. Une sombre affaire de corruption, liée à la Russie, a aussi entraîné la démission du dirigeant d’extrême droite du Parti de la liberté (FPÖ), Heinz-Christian Strache, qui était le vice-chancelier d’Autriche, aux côtés de Sebastian Kurz, en 2019. En France, Marine Le Pen, reçue au Kremlin en pleine campagne pour les européennes de 2019, a pour sa part, reconnu avoir touché un prêt de neuf millions d’euros de la banque russe First Czech-Russian Bank en 2011, « parce qu’aucune banque en Europe » n’avait répondu à ses demandes. Une décision qui cadre mal avec son ardent attachement rhétorique à la « souveraineté ». D’après des câbles diplomatiques révélés par le site d’information bulgare Bivol et le site WikiLeaks, une formation politique bulgare, Ataka, connue pour ses positions extrémistes, aurait aussi perçu des fonds de Moscou. On a assisté parallèlement à une vague de recrutement de personnalités politiques européennes d’envergure par les grandes entreprises d’État russes, tel l’ancien chancelier allemand Gerhard Schröder à la tête du consortium du gazoduc Nord Stream, l’ancien Premier ministre français François Fillon au conseil d’administration de la compagnie Sibour – il vient néanmoins de claquer la porte pour marquer son opposition à l’invasion de l’Ukraine – ou l’ex-ministre des Affaires étrangères autrichienne Karin Kneissl, restée célèbre pour avoir invité Vladimir Poutine à son mariage. C’est l’idéologue de Poutine, Vladislav Sourkov, qui avait le mieux résumé cette situation : « Les politiciens étrangers attribuent à la Russie l’ingérence dans les élections et les référendums du monde entier. En réalité, le problème est encore plus sérieux : la Russie s’immisce dans leurs cerveaux et ils ne savent pas quoi faire avec leur propre conscience altérée », ironisait-il en 2019 dans une tribune parue dans le quotidien russe Nezavissimaïa Gazeta, sous le titre : « Le long règne de Poutine ».
Bien sûr, les politiques qui ont affiché un tropisme prorusse, notamment sur la question du conflit ukrainien, ne sont pas tous nécessairement liés au Kremlin par des liens financiers47. Dans le cas d’Éric Zemmour, un anti-américanisme viscéral, le poids de l’exemple gaulliste et tout l’imaginaire puissant de la relation historique et littéraire franco-russe – ces mille liens intimes que nous partageons depuis le XIXe siècle et qui ont poussé le général de Gaulle à voir le visage de la Russie éternelle derrière la face effrayante de l’URSS stalinienne – ont contribué à forger sa vision géopolitique. Dans ce qu’il avait imaginé être la filiation du général de Gaulle, Éric Zemmour propose d’ailleurs de sortir de l’organisation militaire de l’Otan pour « s’affranchir des logiques américaines », rendre à la France le rôle de puissance d’équilibre qui fut jadis le sien, et construire ses relations avec la Russie, la Chine et d’autres puissances de manière autonome. Dans ses interventions, il affirme que l’Otan est devenue « essentiellement une machine d’assujettissement des alliés européens par l’Amérique et de promotion de son industrie de défense », qui n’a plus lieu d’être et aurait dû être dissoute en 1991, après la fin de l’URSS. Sa formule sur l’assujettissement est évidemment caricaturale et le diagnostic sur l’inutilité de l’Otan a été démenti de manière éclatante par l’attaque lancée par la Russie pour soumettre l’Ukraine. Dissoudre l’Alliance atlantique dans le contexte de guerre qui prévaut aujourd’hui entre la Russie et l’Occident serait tout simplement suicidaire – la question de la sortie de l’organisation militaire, très symbolique, est une autre affaire. Mais le moment apparaît bien mal choisi.
Quand nous nous appelons pour en parler, après une émission « C dans l’air », en janvier 2022 – donc avant la guerre d’Ukraine –, Éric Zemmour explique qu’il n’a jamais avalé la « perfidie américaine » et notamment ce que les États-Unis « ont fait en 1919 », en dictant les bases d’une paix catastrophique pour la France48. Il faut cesser de « tomber dans le panneau des Américains, qui est de faire de la Russie un ennemi », m’explique-t-il. « Ils font tout pour casser la Russie. C’était déjà la volonté de Wilson, en 1916 ; il faut relire son discours de cette époque. Il dit : nous serons l’empire et depuis, les États-Unis mettent tous les pays d’Europe derrière eux… Tout est fait pour séparer l’Europe, et notamment la France et l’Allemagne, de la Russie, affirme le candidat. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas être méfiant, cela ne veut pas dire que Poutine est un saint, loin de là ; mais la Russie n’est pas notre ennemi, insiste-t-il. Elle est sortie du communisme. L’Otan n’a plus de raison d’être, en vérité, depuis trente ans. »
Ce qui frappe dans sa réponse d’alors, c’est sa déconnexion de la réalité du terrain, et surtout l’incompréhension totale de la nature concrète du pouvoir poutinien actuel – qui n’est en fait pas sorti des ruines du communisme, par sa mentalité comme par ses méthodes. Derrière le grand discours sur les valeurs conservatrices et chrétiennes, la Russie est en réalité un pays dans un dangereux état « d’anomie », où règne la loi du plus fort et l’absence de toutes règles autres que celles du pouvoir. « Un pouvoir voyou », affirme l’écrivain russe Viktor Erofeev. La société civile y a été largement écrasée, jusqu’à l’organisation Memorial, qui maintenait vivante la mémoire des victimes du communisme – mission fondamentale pour réconcilier les Russes avec leur histoire. Le comportement de la Russie en Ukraine ne fait, de ce point de vue, que refléter son comportement à l’intérieur du pays. Après la guerre intérieure, est venue la guerre au-delà des frontières, pour rassembler les terres supposément « russes », quoi qu’il en coûte. Mais, comme c’est le cas de Marine Le Pen, le candidat de Reconquête ! néglige totalement ces facteurs internes clés pour comprendre les ressorts de la politique étrangère russe, pensant que c’est essentiellement l’expansion constante de
“ l’Alliance militaire atlantique vers les frontières de la Russie qui a provoqué les ultimatums de Moscou. Jugeant que la Russie a des intérêts géopolitiques légitimes – ce que personne ne conteste –, le candidat journaliste a occulté l’extraordinaire échec de Poutine dans son ex-empire, où son attitude agressive a fait fuir tous ses voisins vers l’ouest. Et surtout son insatiable volonté de puissance et de domination, qui ne peut que rappeler Hitler dans les années 1930. Sur l’arrogance américaine à la chute de l’URSS, il n’a pas totalement tort, même si les accusations proférées contre Washington sont totalement caricaturales et s’il faut rappeler que les Américains n’ont jamais souhaité l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan – plutôt l’inverse. Mais il n’a pas dialogué avec des diplomates et ministres géorgiens et ukrainiens pour comprendre le sentiment de peur qu’ils éprouvent. Au cours des années 2000, ces derniers racontaient avoir souvent mis cartes sur table avec les Russes, se disant prêts à renoncer à toute adhésion à l’Otan en échange d’un compromis. « Les Russes nous renvoyaient brutalement à notre vulnérabilité et affirmaient qu’ils ne céderaient rien. Ils nous expliquaient qu’ils étaient chez eux. Ils voulaient une reddition pure et simple », m’avait confié un responsable géorgien, en 200850. « L’Ukraine doit apprendre à vivre dans sa géographie, et sa géographie, c’est la Russie. Cela veut dire qu’elle ne peut pas entrer dans l’Otan, ni s’armer d’armes américaines, répondait Éric Zemmour à ces arguments avant l’invasion. « Je suis sûr que le général de Gaulle aurait renoué avec Moscou, s’il était vivant ; il l’a fait en pleine guerre froide, en 1966 », rappelait le candidat. Aujourd’hui, dans ses interventions, il se dit persuadé qu’il aurait fait bien mieux qu’Emmanuel Macron face à Poutine, en se situant à égale distance des États-Unis et de la Russie, par une sortie de l’organisation militaire de l’Otan. Mais cette conviction révèle une absolue naïveté sur les intentions du Kremlin. Éric Zemmour s’était d’ailleurs dit « persuadé » que « jamais la Russie n’envahira[it] l’Ukraine ». Il n’a pas compris que Poutine veut se venger de l’histoire, l’Otan n’étant qu’un élément du tableau. Il ne réalise pas que la réalité du sentiment anti-ukrainien que chevauche le leader russe, et qui a transformé Kiev en cible d’un nationalisme russe à la rhétorique enragée, ne laisse aucun doute sur le fait que Poutine tentera de reprendre l’Ukraine dans son giron, puis d’accroître sa pression sur l’Europe. Zemmour n’a pas compris que le dirigeant russe, un homme du KGB qui vécut la fin de l’URSS comme une catastrophe géopolitique et non une libération du monstre totalitaire, n’a en réalité jamais accepté l’indépendance ukrainienne et que le possible effet de contagion des aspirations démocratiques ukrainiennes vers les cousins russes est l’une des clés de son obsession.
Alors quand, brusquement, en plein mois de février, Poutine a lancé ses troupes par les airs, par les terres et par les mers pour soumettre l’Ukraine, c’est toute la vision du candidat qui a été remise en cause. Éric Zemmour a réagi très vite pour condamner l’invasion. Mais il a montré son incompréhension en appelant à des négociations immédiates pour construire un nouvel ordre de sécurité en Europe, alors que Poutine entamait par la force la construction d’un ordre à sa main. Sa formule reste la « finlandisation » de l’Ukraine ; ce concept qu’avait sorti le politologue américain d’origine polonaise Zbigniew Brzeziński des tiroirs de la guerre froide, en 2014, après l’annexion de la Crimée, et qui reviendrait à arracher un statut de neutralité en échange d’un renoncement de l’Ukraine à entrer dans l’Otan. Mais, je le répète, penser qu’un tel scénario est encore possible, alors que les troupes russes fondent sur Kiev, sous-estime totalement la nature de ce qui est en train de se jouer. Vladimir Poutine veut la soumission de l’Ukraine et la constitution d’une zone d’influence russe élargie qu’il entend définir à la pointe de ses baïonnettes. Seules une résistance militaire acharnée des Ukrainiens, comme celle qu’opposèrent les Finlandais à Staline, et la mobilisation massive de l’Occident pourront permettre de le contenir ou de le forcer à une négociation acceptable par l’autre camp, s’il ne s’effondre pas sous l’effet de son aventure guerrière.
Mais il y a plus. La Russie, qui se considère en guerre contre l’Occident depuis 2014, compte bien utiliser tous les moyens à sa disposition pour hâter l’effondrement moral et politique du monde occidental, décrypte l’intellectuel russe Vladimir Pastoukhov, persuadé que Poutine ambitionne de créer un effet « guerre des étoiles » reaganienne à l’envers, en essayant notamment d’utiliser « les dissidents d’Occident » comme Zemmour ou d’autres mouvements nationalistes et d’extrême droite pour enfoncer un coin entre les États-Unis et l’Europe, et affaiblir ainsi le camp démocratique. En réalité, la Russie a testé en permanence les failles des Américains et des Européens, et a cru discerner dans leur grande faiblesse interne actuelle une opportunité qu’il fallait exploiter pour changer l’ordre européen et international à son avantage. Ainsi les experts de la Russie s’attendent-ils à une guerre de propagande massive de Moscou à travers l’Europe, une fois que l’effet de sidération de l’attaque sera passé, pour fissurer le front anti-Poutine.
C’est là un tableau redoutablement compliqué qui se dessine : la révolte nationale-conservatrice qui gagne en ampleur à travers l’Europe, émerge pour apporter des réponses à des problèmes d’immigration, d’islamisation et de délitement qui se sont accumulés depuis trois décennies sur fond de déni des élites. Mais la Russie, qui a ses objectifs propres, voit là une formidable opportunité de déstabilisation à son profit. On peut dire qu’une effroyable et tragique tenaille s’installe dans le paysage européen : la gauche y est incapable de penser la menace de l’islamisme ; la droite inapte à penser le danger poutinien.
Vous avez finalement un paradoxe aujourd’hui dans la politique française, qui est presque une tenaille. C’est à dire que nous sommes pris en tenaille entre d’une part une gauche qui dans son ensemble ne reconnait pas le danger de l’islamisme, ou en tout cas ne l’évalue pas à sa juste dimension. (…) Et puis, (…) une droite qui est incapable de penser la question russe. (…) Il y a un côté, que je dirais presque tragique pour nous Français, de se dire qu’il n’y a pas vraiment sur la scène politique un homme politique qui est capable de penser de manière vraiment sérieuse ces deux menaces en même temps. Laure Mandeville
S’il a fallu repenser de fond en comble la sociologie des intellectuels, c’est que, du fait de l’importance des intérêts en jeu et des investissements consentis, il est suprêmement difficile, pour un intellectuel, d’échapper à la logique de la lutte dans laquelle chacun se fait volontiers le sociologue — au sens le plus brutalement sociologiste — de ses adversaires, en même temps que son propre idéologue, selon la loi des cécités et des lucidités croisées qui règle toutes les luttes sociales pour la vérité. Pierre Bourdieu
Nous n’avons point trouvé d’autres moyens de garantir nos frontières que de les étendre. Catherine II (lettre à Voltaire, 1772)
Messieurs, charbonnier est maître chez soi. Nous sommes un Etat souverain. Tout ce qu’a dit cet individu ne nous regarde pas. Nous faisons ce que nous voulons de nos socialistes, de nos pacifistes et de nos juifs, et nous n’avons à subir de contrôle ni de l’humanité ni de la SDN. Joseph Goebbels (SDN, Genève, 1933)
L’erreur est toujours de raisonner dans les catégories de la « différence », alors que la racine de tous les conflits, c’est plutôt la « concurrence », la rivalité mimétique entre des êtres, des pays, des cultures. La concurrence, c’est-à-dire le désir d’imiter l’autre pour obtenir la même chose que lui, au besoin par la violence. Sans doute le terrorisme est-il lié à un monde « différent » du nôtre, mais ce qui suscite le terrorisme n’est pas dans cette « différence » qui l’éloigne le plus de nous et nous le rend inconcevable. Il est au contraire dans un désir exacerbé de convergence et de ressemblance. (…) Ce qui se vit aujourd’hui est une forme de rivalité mimétique à l’échelle planétaire. (…) Ce sentiment n’est pas vrai des masses, mais des dirigeants. Sur le plan de la fortune personnelle, on sait qu’un homme comme Ben Laden n’a rien à envier à personne. Et combien de chefs de parti ou de faction sont dans cette situation intermédiaire, identique à la sienne. Regardez un Mirabeau au début de la Révolution française : il a un pied dans un camp et un pied dans l’autre, et il n’en vit que de manière plus aiguë son ressentiment. Aux Etats-Unis, des immigrés s’intègrent avec facilité, alors que d’autres, même si leur réussite est éclatante, vivent aussi dans un déchirement et un ressentiment permanents. Parce qu’ils sont ramenés à leur enfance, à des frustrations et des humiliations héritées du passé. Cette dimension est essentielle, en particulier chez des musulmans qui ont des traditions de fierté et un style de rapports individuels encore proche de la féodalité. (…) Cette concurrence mimétique, quand elle est malheureuse, ressort toujours, à un moment donné, sous une forme violente. A cet égard, c’est l’islam qui fournit aujourd’hui le ciment qu’on trouvait autrefois dans le marxisme. René Girard
Un des grands problèmes de la Russie – et plus encore de la Chine – est que, contrairement aux camps de concentration hitlériens, les leurs n’ont jamais été libérés et qu’il n’y a eu aucun tribunal de Nuremberg pour juger les crimes commis. Thérèse Delpech (2005)
Taiwan est un des rares problèmes stratégiques qui puisse provoquer une guerre mondiale aussi sûrement que l’Alsace-Lorraine au début du siècle dernier. Thérèse Delpech
Le XXe siècle n’est pas encore terminé en Asie et ni la guerre froide ni même la Seconde Guerre mondiale n’ont dit leur dernier mot dans cette région. Thérèse Delpech
Le bolchevisme ne durera pas éternellement en Russie. Un jour viendra où l’ordre s’y rétablira et où la Russie, reconstituant ses forces, regardera autour d’elle. Ce jour-là, elle se verra telle que la paix va la laisser, c’est à dire privée de l’Estonie, de la Finlande, de la Pologne, de la Lituanie, peut-être de l’Ukraine. S’en contentera-t-elle ? Nous n’en croyons rien. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on reverra la Russie reprendre sa marche vers l’Ouest et le Sud-Ouest. De quel côté la Russie recherchera-t-elle un concours pour reprendre l’œuvre de Pierre le Grand et de Catherine II ? Ne le disons pas trop haut, mais sachons-le et pensons-y : c’est du côté de l’Allemagne que fatalement elle tournera ses espérances. Voilà, Messieurs, pourquoi la France prête à la Pologne et à la Roumanie un si large concours militaire ; et voilà pourquoi nous sommes ici. (…) Chacun de nos efforts en Pologne, Messieurs, c’est un peu plus de gloire pour la France éternelle. Charles de Gaulle (1919)
Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire (…) Pour Moscou, en revanche, rétablir le contrôle sur l’Ukraine ― un pays de cinquante-deux millions d’habitants doté de ressources nombreuses et d’un accès à la mer Noire –, c’est s’assurer les moyens de redevenir un État impérial puissant, s’étendant sur l’Europe et l’Asie. La fin de l’indépendance ukrainienne aurait des conséquences immédiates pour l’Europe centrale. (…) La Russie peut-elle, dans le même mouvement, être forte et démocratique ? Si elle accroît sa puissance, ne cherchera-t-elle pas à restaurer son domaine impérial ? Peut-elle prospérer en tant qu’empire et en tant que démocratie ? (…) Et la « réintégration » de l’Ukraine reste, à ce jour, une position de principe qui recueille le consensus de la classe politique. Le refus russe d’entériner le statut d’indépendance de l’Ukraine, pour des raisons historiques et politiques, se heurte frontalement aux vues américaines, selon lesquelles la Russie ne peut être à la fois impériale et démocratique. (…) D’autant que la Russie postsoviétique n’a accompli qu’une rupture partielle avec son passé. Presque tous ses dirigeants « démocratiques », bien que conscients du passif et sans illusions sur la valeur du système, en sont eux-mêmes le produit et y ont accompli leur carrière jusqu’au sommet de la hiérarchie. Ce n’étaient pas des anciens dissidents comme en Pologne ou en République tchèque. Les institutions clés du pouvoir soviétique ― même affaiblies et frappées par la démoralisation et la corruption ― n’ont pas disparu. À Moscou, sur la place Rouge, le mausolée de Lénine, toujours en place, symbolise cette résistance de l’ordre soviétique. Imaginons un instant une Allemagne gouvernée par d’anciens gauleiters nazis, se gargarisant de slogans démocratiques et entretenant le mausolée d’Hitler au centre de Berlin. Zbigniew Brzezinski (“Le Grand Echiquier”, 1997)
C’est toujours la même chose. (…) La Russie se présente comme faible: il faut l’aider, se garder de l’humilier, consolider ses progrès. Elle se présente en même temps comme redoutable par son immensité, son armée, son arsenal atomique, son pétrole. Elle fait planer une vague menace. Elle pourrait être encore pire. Apaisons-la. (…) Que veut la Russie de Poutine ? Pour commencer, reconstituer l’URSS. Elle est en contentieux de frontières avec l’Ukraine, l’Estonie, la Lettonie, la Moldavie, le Kazakhstan, la Géorgie. Elle a soin d’entretenir ce contentieux, de le faire suppurer et quand l’occasion se présente, de l’enflammer, comme aujourd’hui. Au lieu de s’occuper de l’épouvantable niveau sanitaire, de l’école à la dérive, elle construit des sous-marins, des porte-avions, développe des systèmes d’armes, pratique la menace et le chantage tous azimuts. Nous saluons : «La Russie a retrouvé sa fierté.» En fait elle court à sa ruine. Elle ne peut concevoir la négociation qu’en termes de victoire. (…) À force de répétition, de crise en crise, cet appétit pour l’agrandissement finit par nous paraître naturel. C’est comme un vieux travers de la Russie, presque un élément du folklore, comme le samovar. C’est leur habitude et nous nous y habituons. Notre jobardise, notre crédulité, notre naïveté sont, avec la domination, l’autre grande satisfaction de l’État russe.Alain Besançon
La Russie a su nous instiller une culpabilité corrosive pour avoir gagné la guerre froide. Elle s’est constamment posée en victime, au point que le refrain de la diplomatie française a été pendant des années qu’ »il ne fallait pas humilier la Russie ». Au nom de ce principe, cette dernière a bénéficié d’une indulgence exceptionnelle, dont elle a usé et abusé. Quel autre pays au monde peut en effet se permettre de raser des villes, de spolier les étrangers, d’assassiner les opposants hors de ses frontières, de harceler les diplomates étrangers, de menacer ses voisins, sans provoquer autre chose que de faibles protestations ? La raison en est que la Russie se pose constamment en victime, et elle a réussi à persuader les Occidentaux qu’ils étaient responsables de la débâcle des premières années de l’après-communisme, alors que la cause de ce fiasco tenait à l’héritage du communisme et aux caractéristiques de la nouvelle élite qui a émergé sur les ruines de l’Etat soviétique. De même que Hitler jouait à fond sur la culpabilité suscitée en Europe par le traité de Versailles, de même les Russes paralysent notre volonté en nous faisant endosser la faute de leurs déboires pendant les années Eltsine. Ainsi tout est bon : nous avons élargi l’OTAN, nous avons fait la guerre à la Yougoslavie, nous avons proclamé l’indépendance du Kosovo. En réalité, le tournant de la Russie vers ce qui allait devenir la dictature poutinienne a été pris avant ces événements. Il remonte à la crise de l’automne 1993, lorsque Boris Eltsine a donné la troupe contre la Douma et fait adopter une nouvelle Constitution qui mettait un terme à la séparation des pouvoirs et fermait à la Russie la voie de la démocratie libérale à l’européenne, – et cela, dès cette époque, au nom d’un renouveau impérial. Les propagandistes du Kremlin ont parfaitement assimilé la phraséologie occidentale et ils la manipulent en maîtres. Encore une fois, le précédent de Hitler, qui sut jusqu’en 1938 dissimuler ses projets de conquêtes sous le slogan du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » et du « droit du peuple allemand à l’autodétermination », est particulièrement instructif : les régimes autoritaires savent concentrer le mensonge en un rayon laser dévastateur qu’ils braquent sur les centres nerveux des démocraties pétrifiées. Aussi devons-nous avant tout nous débarrasser de cette culpabilité débilitante, à tous les sens du terme. Nous devons nous rappeler comment Vladimir Poutine est arrivé au pouvoir, par la provocation et une guerre menée contre des citoyens russes. Nous devons nous rappeler ce qu’il a réalisé en quelques années : la mise au pas totale du pays, la redistribution de la propriété au profit de son clan, l’organisation d’une propagande systématique de haine contre les Occidentaux, l’occultation des crimes du communisme, la réhabilitation de Staline, un lavage de cerveau quotidien des citoyens russes visant à leur inculquer la paranoïa, le culte de la force et l’esprit de revanche. (…) C’est devant cette Russie dangereuse que nous nous trouvons. Cessons de nous accuser et de trouver à la Russie mille excuses, qui ne servent qu’à justifier notre lâcheté. Elle nous dit qu’elle défend ses intérêts légitimes en envahissant un pays indépendant. Et dans les chancelleries occidentales, nombreux sont ceux qui sont prêts à lui reconnaître implicitement une « sphère d’influence », pour la « rassurer, apaiser » son complexe d’encerclement (c’est par les mêmes arguments que les Anglo-Saxons ont justifié l’abandon de la Pologne à Staline en 1944-1945). A ceux-là il faut rappeler que, une semaine avant de lancer l’opération d’annexion de la Géorgie, la Russie avait discrètement cédé à la Chine les territoires contestés qui avaient failli mener à une guerre entre les deux pays en 1969. (…) La conclusion est simple : la Russie poursuit de sa vindicte les Occidentaux et les pays qui s’orientent vers l’Europe et les Etats-Unis. Elle se prétend encerclée par l’OTAN et ne se soucie nullement d’une Chine autrement agressive, dynamique et dangereuse pour sa « sphère d’influence ». Ce qu’elle hait et redoute, c’est la liberté. Elle guette avidement chez nous les signes de faiblesse, d’aveuglement, de corruption et de capitulation préventive – et elle n’a que trop d’occasions de se réjouir. Or chaque démission en appellera d’autres plus grandes. Tant que demeurera une Europe indépendante alliée aux Etats-Unis, la Russie se sentira encerclée. La réalisation des prétendus intérêts de sécurité russes passe par l’asservissement par cercles successifs de tous ses voisins occidentaux et méridionaux. Françoise Thom (2008)
Les intellectuels et le communisme étaient faits pour se rencontrer depuis que Lénine a compris que le prolétariat n’allait pas briser ses chaînes d’exploité, comme le croyait Marx, et qu’il fallait un parti de révolutionnaires professionnels pour prendre le pouvoir, comme il l’écrit dans Que faire? en 1902. La révolution, devenait du coup une affaire d’intellectuels éclairés, chargés de faire le bonheur du peuple malgré lui. Être au centre du pouvoir, en tant que conseiller ou comme acteur, est un vieux rêve de l’élite pensante depuis Platon. De plus, le déterminisme historique qui caractérise la théorie marxiste, avec la lutte des classes comme moteur de l’histoire et l’inéluctable avènement du communisme, stade suprême de l’humanité, offrait aux intellectuels la feuille de route dont ils rêvaient. Les voilà au cœur de l’action avec la boussole pour les diriger. Le communisme une fois instauré, tous les régimes en question ont éliminé les intellectuels qui n’étaient pas dans la ligne, mais tant qu’il s’est agi du sang des autres là-bas, au loin, de ceux qui subissaient, la plupart des intellectuels occidentaux sympathisants ont continué à croire en l’avenir radieux. (…) L’expression «opium des intellectuels» est de Raymond Aron, l’un de nos rares intellectuels à avoir échappé à l’attraction communiste. L’appétence particulière de nos «penseurs» pour cette idéologie tient à plusieurs facteurs. Pour l’essentiel, disons que le rapport de l’intellectuel français au pouvoir est singulier, au phénomène de cour mis en place sous la royauté: être proche, avoir l’oreille du prince a toujours été une marque de reconnaissance. En France le pouvoir attire, jusqu’à aveugler souvent. D’autre part, la philosophie des Lumières qui a annoncé la Révolution française a démontré comment la pensée pouvait préparer les esprits aux bouleversements politiques et sociaux, ce que le communisme systématise avec le parti de Lénine justement. Le facteur révolution joue aussi son rôle, toute la culture post 1789 a magnifié ce moment, c’est seulement récemment que nous avons pris conscience que l’instrumentalisation idéologique pouvait conduire à la Terreur, comme en 1793. L’expression populaire «on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs» présente les excès révolutionnaires comme nécessaires, donc acceptables. En réalité, il n’y a jamais eu de révolution communiste, c’est l’une des impostures de cette histoire. Dans les faits, le pouvoir n’a jamais été conquis à la suite d’une révolte populaire: le coup d’État de Lénine en octobre 1917, la guerre civile gagnée par Mao en 1949, la guerre de libération nationale conduite par Ho Chi Minh au Vietnam en sont quelques exemples. Le terme de «révolution communiste» est un oxymore que nos intellectuels ont vénéré. (…) L’expression [« compagnon de route »] est due à Trotski, en 1922. Elle désigne l’intellectuel qui est prêt à faire un bout de chemin avec les communistes sans pour autant adhérer au parti. (…) Dans à peu près tous les pays du monde il y a eu des compagnons de route: GB Shaw en Grande Bretagne, Dashiell Hammett aux Etats Unis, Bertolt Brecht en Allemagne, Alberto Moravia en Italie, etc. Il serait plus court de citer les intellectuels restés lucides. (…) Lénine désignait par ce terme [« idiot utile »] l’homme politique, l’homme d’affaires qui pouvaient être utilisés pour promouvoir tel ou tel aspect du communisme, par orgueil (se rendre intéressant), par ignorance, par cupidité, bref en usant de tous les ressorts humains. Le plus connu des « idiots utiles » est l’ancien président du Conseil français, sous la IIIe République, Edouard Herriot, invité en Ukraine au début des années 1930 alors que la famine, instrumentalisée par Staline pour liquider les paysans récalcitrants à la collectivisation, battait son plein. Il en a nié la réalité, soit plusieurs millions de morts. Plus près de nous, François Mitterrand s’est prêté à la même opération pour le compte de Mao. Reçu par le Grand Timonier alors que la famine décimait le pays à cause du Grand bond en avant, il en a contesté l’ampleur comme Mao lui avait dit. De 30 à 50 millions de Chinois sont morts à cette époque. On ne compte pas les hommes d’affaires capitalistes qui ont aidé les régimes communistes à survivre par des crédits ou en livrant du matériel, de la technologie jusque et y compris à l’usage des travailleurs forcés des camps de concentration. Tout ce passé est douloureux pour nos consciences, voilà pourquoi aussi il est tentant de l’oublier, voire de l’escamoter. (…) La fameuse phrase de Sartre sur « il ne faut pas désespérer Billancourt », peut-être une explication de cette cécité. Le communisme a représenté un tel espoir que peu importait la réalité. Pour beaucoup il était préférable de croire que de voir, donc ils se sont aveuglés d’eux-mêmes car la vérité sur le communisme a été connue dès les premiers mois, les témoignages n’ont jamais cessé de s’accumuler: qui voulait savoir pouvait savoir. C’est bien ce qui rend cet aveuglement coupable, autant, quitte à choquer, que ceux qui savaient sur la Shoah avant la découverte des camps d’extermination en 1945 mais qui se sont tus pour raison d’État, dans un contexte de guerre mondiale. L’indifférence, pis les mensonges qui ont couvert la réalité communiste, ne bénéficient même pas d’une telle excuse. C’est ainsi que des dizaines de millions de personnes ont disparu dans ces régimes que la doxa intellectuelle présentait comme LE modèle pour l’humanité. La culpabilité est immense ce qui rend ce passé si douloureux pour la conscience universelle. Certains sont toutefois plus coupables que d’autres. Un Aragon, apparatchik communiste jusqu’à ses derniers jours, est cent fois plus blâmable qu’un Sartre qui a fait des allers-retours avec l’idéologie. (…) En exergue à l’un de mes chapitres je cite cette phrase de Camus: «Toute idée fausse finit dans le sang mais il s’agit toujours du sang des autres». Le communisme a été une idée fausse, des hectolitres de sang ont été versés en son nom, mais qu’importe…. L’intellectuel, d’une manière générale, s’embarrasse peu de la réalité surtout s’il n’y est pas confronté directement. Cette indifférence, voire cet amour du sang des autres a des ressorts profonds dont l’une des sources est probablement la haine de soi éprouvée en tant que profiteur d’un monde que l’on abhorre. L’adhésion au communisme a été d’autant plus forte que le rejet du capitalisme a été profond, un système vu, jugé comme l’exploitation du plus grand nombre, l’enrichissement d’une minorité, et le fourrier de la guerre (celle de 1914-1918) qui venait de meurtrir le monde. La charge était telle que s’en débarrasser devenait une libération pour l’humanité, quel qu’en soit le coût humain puisque le capitalisme ne pouvait en ce domaine donner de leçon. La violence est devenue une nécessité pour s’arracher de ce monde. L’enchaînement capitalisme – haine – égalité – révolution – violence annonçait l’indifférence à venir. Les intellectuels s’y sont complus tant qu’ils n’en étaient pas les victimes. (…) Avoir été maoïste est à la fois plus grave et moins grave qu’avoir été stalinien. Plus grave puisqu’intervenant après, quand on pouvait tout savoir des dégâts provoqués par l’aveuglement sur Staline. Plus grave encore car Mao est responsable de bien plus de morts que Staline. La complicité est donc moralement plus grave. En même temps, l’aveuglement a duré moins longtemps et certains maoïstes occidentaux s’en sont repentis. Moins grave aussi parce que le maoïsme a pris en Occident un côté folklorique qui lui conférait un aspect ridicule: voir des intellectuels brandir le Petit livre rouge en ânonnant les slogans du Grand Timonier pouvait difficilement être pris aux sérieux. Le maoïsme a démontré de manière éclatante combien l’aveuglement idéologique abêtit, en cela il a été utile si j’ose dire. Maintenant, que Mao garde une stature de commandeur quand Staline a été déboulonné, la responsabilité en revient en premier lieu au régime chinois qui en est l’héritage. Que tous les billets de banque de la République populaire de Chine soient encore à l’effigie du Grand Timonier est aussi scandaleux que si les Deutsche Marks d’après guerre avaient mis le Führer en emblème. (…) Le meilleur allié du communisme a été le nazisme et le plus utile des idiots, si l’on peut dire, fut Hitler. Les deux totalitarismes se sont entraidés avant de se combattre. Ils avaient la même haine du monde occidental, de la démocratie et leur système politique était cousin germain. Après avoir aidé Hitler à arriver au pouvoir en 1933 grâce à la lutte conjointe des communistes allemands (aux ordres de Moscou) et des nazis, contre le gouvernement social-démocrate en place à Berlin ; après avoir soutenu l’effort de guerre du Führer grâce au pacte germano-soviétique d’août 1939 ; après s’être partagé l’Europe au début de la guerre, les deux totalitarismes se sont affrontés. À partir de là, toute l’intelligence de Staline, toute la tactique communiste a consisté à se présenter comme le meilleur rempart, le seul même face à la peste brune, jusqu’à faire oublier l’alliance passée. L’antifascisme a servi de paravent au stalinisme pour accomplir ses noirs desseins, d’abord contre son peuple puis contre les peuples conquis à la faveur du conflit mondial. Communisme et nazisme sont deux variantes du totalitarisme. Être contre l’un aurait dû amener à être contre l’autre, c’est cela que dit Orwell. Or l’hémiplégie d’une partie de l’opinion publique (cela va bien au-delà des intellectuels) consiste toujours à diaboliser un totalitarisme, le brun, pour excuser ou minorer l’autre, le rouge. C’est l’un des héritages du communisme dans les têtes. La seule attitude morale qui vaille est d’être antitotalitaire et de renvoyer dos à dos toutes les idéologies qui en sont le substrat. (…) Le communisme a représenté un grand espoir de justice sociale, il a mis ses pas dans la démarche chrétienne. Cela explique en partie son succès: au message christique «les derniers seront les premiers» au paradis, l’idéologie a substitué l’idée que les prolétaires (les plus pauvres) gouverneront le monde pour instaurer l’égalité pour tous. L’échec est d’autant plus durement ressenti. La mort du communisme revient pour certains à la mort de Dieu pour les croyants: inacceptable, impensable. Le communisme n’est toujours pas sorti de cette phase de deuil, d’où le négationnisme dont je parle: on nie la réalité de ce qui fut pour ne pas souffrir des espoirs qu’il a suscité. Il est certes désormais reconnu que ces régimes ont fait des millions de morts. C’est un progrès. Il n’empêche, être anti communiste reste péjoratif, quand cela devrait être une évidence. L’intellectuel qui a eu des faiblesses envers le fascisme demeure coupable à jamais quand celui qui a idolâtré le stalinisme ou le maoïsme, ou le pol-potisme (le Cambodge des Khmers rouge) est vite pardonné. C’est aussi cela le négationnisme communiste. Il ne s’agit pas de faire des procès, mais de regarder la réalité historique en face. En outre, la complicité envers le communisme a été telle, elle a pris une telle ampleur – des militants des PC du monde entier aux intellectuels, des dirigeants politiques des démocraties aux hommes d’affaires -, qu’il existe un consensus tacite pour oublier cette face sombre de l’humanité. L’être humain n’aime pas se sentir coupable, alors il passe à autre chose. Ce ne peut être que transitoire. La dimension du drame communiste fait qu’il est impossible d’en faire l’impasse. Je fais le pari que la réflexion sur cette époque va prendre de l’ampleur pour que l’histoire se fasse enfin. Il faudra sans doute pour cela que tous les témoins (acteurs ou simples spectateurs) de cette époque disparaissent. Et avec eux ce négationnisme diffus qui sert de garde-fou à l’émergence de la mauvaise conscience. Il est évident que l’étude approfondie de cette époque est indispensable pour la compréhension de notre monde actuel, l’héritage somme toute du XXe siècle communiste. (…) En premier lieu, il reste encore des régimes communistes: outre la Chine, la Corée du Nord, le Laos, le Vietnam, Cuba, l’Erythrée notamment. Ces pays fonctionnent sous l’égide d’un parti unique qui se réclame de l’idéologie marxiste-léniniste, avec tout ce que cela comporte d’atteinte aux libertés et de drames humains. Maintenant, l’échec du bloc soviétique a discrédité ce type de système politique. Je doute que des régimes communistes nouveaux apparaissent. En fait, il n’y a plus le terreau nécessaire pour cela. L’idéal, comme les régimes qui s’en réclament, sont apparus dans un contexte idéologico-politico-économique particulier, fait à la fois de scientisme, de guerres, de massification des individus, de crises sociales, toutes choses que je développe largement dans mon livre, qui ne sont plus. J’ajoute que la mondialisation, l’ouverture obligée des frontières pour y participer, est antinomique avec l’esprit totalitaire qui oblige à l’enfermement des êtres comme des esprits. On peut d’ailleurs constater que les pays qui restent communistes s’ouvrent économiquement tout en restant fermés politiquement. La Chine en est le meilleur exemple. Or, à terme, cette schizophrénie politico-économique n’est pas viable. Non seulement le contexte mondial a changé pour que de nouveaux pays tombent dans la nasse communisme, mais ceux qui y restent sont condamnés à terme à disparaître, en tout cas tels qu’ils existent. Dans nos contrées démocratiques, seul un quarteron d’idéologues se réclame encore du communisme marxiste-léniniste vieille manière, celui qui a brillé au XXe siècle. Mais ils n’ont plus d’influence. La page est tournée. La protestation sociale née des inégalités, qui elles ne cesseront sans doute jamais, prend et prendra d’autres chemins, mais pas celui emprunté tout au long du XXe siècle. (…) Le philosophe anglais Bertrand Russel remarquait déjà au début des années 1920 une ressemblance entre communisme et islamisme, notamment la même volonté de convertir le monde. N’oublions pas que la propagande communiste, très présente au XXe siècle, a développé des thèmes anti-occidentaux au nom de la lutte contre l’abomination capitaliste, et contre l’impérialisme. Cela a façonné des esprits, y compris dans des pays musulmans influencés par l’URSS, leur allié contre l’ennemi principal, Israël. La doxa communiste contre la liberté d’être, de penser, de se mouvoir, d’entreprendre, etc., se retrouve dans le discours des islamistes, présentée comme des tentations de Satan. En tant qu’idéologie totalitaire, le communisme cherchait à atomiser les individus en les arrachant de leurs racines sociales, politiques, culturelles, voire familiales, pour mieux les dominer, les contrôler. L’islamisme, lui, propose des repères, des codes, à des individus déjà déracinés sous la poussée d’une mondialisation dont les effets ont tendance à déstructurer les sociétés traditionnelles. La démarche est différente, mais le résultat est comparable: dans les deux cas il s’agit d’unir des personnes isolées grâce à des sentiments identitaires – la communauté socialiste, la communauté des croyants -, de donner sens à leur collectif grâce à un mythe absolu et exclusif, le parti pour les communistes, l’oumma pour les islamistes, terme qui désigne à la fois la communauté des croyants et la nation. Enfin, on retrouve dans l’islamisme des marqueurs du communisme: la contre-modernité du propos, une explication globale du monde et de sa marche, une opposition radicale entre bons et mauvais – croyants/impies en lieu et place des exploités/exploiteurs -, la volonté de modeler les hommes, et un esprit de conquête planétaire. Dès lors, la substitution est possible. Thierry Wolton
Poutine a eu le plus de succès, paradoxalement, dans les domaines de l’économie et de la politique, où l’Occident pensait que son pouvoir était le plus fort. (…) Menés par la Chine et rejoints par l’Inde et le Brésil, les pays du monde entier choisissent le commerce avec la Russie (…) Depuis que le dirigeant russe a attaqué la Géorgie en 2008, les dirigeants occidentaux ont constamment mal interprété et sous-estimé la menace que représentent les puissances révisionnistes (Chine, Russie et Iran) [en] Géorgie, Crimée, mer de Chine méridionale et au Moyen-Orient. Tactiquement, M. Poutine veut absorber autant d’Ukraine que possible, mais cette guerre ne concerne pas vraiment quelques tranches du Donbass. Stratégiquement, MM. Poutine, Xi et leurs acolytes iraniens cherchent à détruire ce qu’ils considèrent comme une hégémonie mondiale dirigée par les Américains et dominée par l’Occident. Ils estiment que malgré ses atouts imposants (les pays du G-7 représentent 45 % du produit intérieur brut mondial et 52 % des dépenses militaires mondiales), cet ordre est décadent et vulnérable. (…) Alors que la sagesse conventionnelle occidentale croit que l’élément « basé sur les valeurs » de la politique étrangère américaine et européenne est une source vitale de force dans le monde, les révisionnistes croient que le narcissisme et l’aveuglement occidentaux ont conduit les puissances occidentales dans un piège historique. (…) Les défenseurs conventionnels de l’ordre mondial occidental répliquent en vantant son attachement à des valeurs universelles telles que les droits de l’homme et la lutte contre le changement climatique. L’ordre mondial actuel peut, reconnaissent-ils, être historiquement enraciné dans la puissance impériale occidentale, mais en tant qu’« empire de valeurs », l’ordre mondial occidental mérite le soutien de tous ceux qui se soucient de l’avenir de l’humanité. Malheureusement, le programme de valeurs de plus en plus « woke » de l’Occident n’est pas aussi crédible ou aussi populaire que l’espèrent les libéraux. (…) De nombreuses valeurs chères au cœur des leaders culturels occidentaux (droits LGBTQ, avortement à la demande, liberté d’expression comprise comme autorisant la pornographie incontrôlée sur Internet) intriguent et offensent des milliards de personnes dans le monde qui n’ont pas suivi les modes actuelles sur les campus américains. Les tentatives des institutions financières et des régulateurs occidentaux de bloquer le financement de l’extraction et du raffinage des combustibles fossiles dans les pays en développement exaspèrent à la fois les élites de là-bas et le grand public. De plus, le nouveau programme de valeurs post-judéo-chrétiennes de l’Occident libéral divise l’Occident. Les guerres culturelles chez nous ne favorisent pas l’unité à l’étranger. Si M. Biden, avec le soutien du Parlement européen, fait de l’avortement à la demande un élément clé de l’agenda des valeurs de l’ordre mondial, il est plus susceptible d’affaiblir le soutien américain à l’Ukraine que d’unir le monde contre M. Poutine. La confusion morale et politique de l’Occident contemporain est l’arme secrète qui, selon les dirigeants de la Russie et de la Chine, mettra à genoux l’ordre mondial américain. MM. Poutine et Xi pourraient avoir tort ; et on l’espère bien. Mais leur pari sur la décadence occidentale porte ses fruits depuis plus d’une décennie. La survie occidentale et l’épanouissement mondial nécessitent plus de réflexion et des changements plus profonds que ce que peuvent actuellement imaginer l’administration Biden et ses alliés européens. Walter Russell Mead
Sur fond de grave crise aux confins orientaux de l’Ukraine, où le bruit des bottes fait redouter une nouvelle offensive militaire russe, le Kremlin a ordonné le tir d’une salve de missiles hypersoniques « Zircon », et ce la veille de Noël (selon le calendrier grégorien). Vladimir Poutine s’est félicité de ce succès : « un grand événement pour le pays et une étape significative pour renforcer la sécurité de la Russie et ses capacités de défense ». Au vrai, il ne s’agit pas du premier essai mais il intervient dans un contexte particulier, quand le Kremlin pose de manière claire et explicite un ultimatum qui exige des Occidentaux qu’ils signent deux traités ordonnant le repli de l’OTAN et donc, à brève échéance, son sabordage. Dans l’esprit des dirigeants russes et de nombreux commentateurs à Moscou, enthousiasmés par la possibilité d’une grande guerre à visée hégémonique, il ne s’agit pas tant de démontrer l’avance acquise dans la gamme des armes dites « nouvelles » que d’intimider et de menacer l’Europe et les États-Unis. Et la discrétion des dirigeants occidentaux quant à ces essais répétés laisse dubitatif. Dès lors se pose la question des possibles effets produits par ces « armes nouvelles ». S’agirait-il là d’une rupture technologique, vecteur d’une révolution stratégique ? En d’autres termes, le problème est de savoir si la Russie, posée par ses dirigeants comme puissance révisionniste, prête à recourir aux armes pour modifier le statu quo international, aligne son discours géopolitique, son système militaire et sa stratégie. On se souvient du discours prononcé par Vladimir Poutine au Parlement, le 1er mars 2018, le président russe ayant alors présenté un programme de nouveaux missiles qui impressionna la classe dirigeante russe et nombre d’observateurs internationaux. Ces armes dites de rupture sont hypersoniques (soit une vitesse supérieure à Mach 5), sur une partie de leur trajectoire à tout le moins. Elles sont présentées comme étant capables d’effectuer des manœuvres qui permettent de déjouer les capacités d’interception adverses, c’est-à-dire les défenses antimissiles des États-Unis et de l’OTAN. Parmi ces « super-missiles », citons le « Kinjal » (un missile lancé par un avion), l’« Avangard » (un planeur hypersonique lancé par une fusée « Sarmat ») et le « Zircon » (un missile antinavire déployé sur des bâtiments de surface, des sous-marins ainsi que des batteries côtières). Curieusement, le « Zircon » dont il est désormais question ne fut pas mentionné lors de la prestation du 1er mars 2018. En revanche, d’autres armes furent présentées, à l’instar de la torpille « Poséidon », capable de déclencher un tsunami radioactif de l’autre côté de l’Atlantique, le drone sous-marin « Peresvet », à propulsion nucléaire et à charge atomique, et le missile « Bourevestnik » qualifié d’« invincible » par Vladimir Poutine. Il existe des interrogations sur le degré réel d’avancement de ces programmes et leur opérationnalité effective. Ainsi l’accident survenu le 8 août 2019, sur une base septentrionale russe, serait-il lié à un nouvel échec du « Bourevestnik » (l’explosion a fait plusieurs morts et provoqué une hausse de la radioactivité). Nonobstant des imprécisions et des effets d’annonce parfois trop hâtifs, le programme d’armes nouvelles illustre la réalité du réarmement russe, plus axé sur la qualité des technologies que sur le volume des arsenaux. Les optimistes veulent voir dans la posture russe une forme contre-intuitive de « dialogue stratégique » avec les États-Unis, en vue d’un renouvellement de l’arms control (la maîtrise des armements). Le sort du traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI), violé par la Russie, dénoncé en conséquence par Washington (Moscou suivit), ainsi que les incertitudes autour des négociations nucléaires stratégiques ne sont pas de bon augure. Faut-il voir dans ces armes une rupture technologique et stratégique ? D’aucuns soulignent le fait que l’hypervélocité et la capacité à manœuvrer de ces « armes nouvelles » ne font pas une révolution stratégique. D’une part, les fusées balistiques outrepassent l’hypervélocité de ces engins. S’il est vrai, d’autre part, que leur capacité à manœuvrer permettrait de contourner les défenses antimissiles des Alliés (États-Unis et OTAN), il en serait de même avec un missile balistique intercontinental. Au demeurant, les défenses antimissiles n’ont pas été pensées pour intercepter les missiles balistiques intercontinentaux de la Russie ou de la Chine populaire mais pour contrer une puissance proliférante, du type de l’Iran ou de la Corée du Nord, détentrice d’un nombre réduit d’engins. Soulignons ici la mauvaise foi russe qui, tout en développant ses propres défenses antimissiles, ne cesse de dénoncer les effets prétendument déstabilisateurs du dispositif américano-otanien. En première analyse, le déploiement d’« armes nouvelles » russes ne changerait donc pas l’équation stratégique ; quand bien même leur hypervélocité réduirait le délai de réaction, les puissances nucléaires occidentales conserveraient une capacité de frappe en second, pour exercer des représailles sur l’État agresseur. Théoriquement, une telle perspective devrait le détourner de la tentation d’une première frappe désarmante, « dissuader » signifiant « empêcher de passer à l’acte ». Pourtant, la Russie, ces dernières années, a amplement modernisé ce que les spécialistes nomment la « triade stratégique », ses armes nucléaires stratégiques terrestres (missiles intercontinentaux), aériennes (missiles lancés depuis un bombardier) et sous-marines (missiles lancés par des sous-marins nucléaires lance-engins). Aussi le développement et le déploiement d’engins « exotiques » (les « armes nouvelles ») posent question : à quelles fins et selon quels scénarios ? (…) Sur le plan de la réflexion stratégique, rappelons l’important article de l’Américain Albert Wohlstetter sur le « fragile équilibre de la terreur » (« The Delicate Balance of Terror », Rand Corporation, 6 novembre 1958). Selon l’analyse de ce stratège, l’équilibre de la terreur est instable et la dissuasion de l’adversaire potentiel n’est en rien automatique, la symétrie des arsenaux pouvant coexister avec l’asymétrie morale. (…) Dès lors, le développement et le déploiement par la Russie d’« armes nouvelles », hors du cadre de l’« arms control », ne viserait-il pas à sortir de la parité pour acquérir une position de supériorité nucléaire ? Dans une telle perspective, les armes nucléaires ne seraient plus au seul service de la dissuasion, pour préserver le territoire national et ses approches de toute entreprise guerrière ; elles pourraient être le moyen d’une stratégie d’action et de coercition visant des buts d’acquisition. (…) Il suffit d’ailleurs de se reporter à la présente situation, nombre d’officiels russes n’hésitant pas à menacer l’Europe d’une frappe préventive s’ils n’obtiennent pas une sphère d’influence exclusive dans l’« étranger proche » (l’espace post-soviétique), élargie à toute l’Europe si les États-Unis se retiraient de l’OTAN. (…) Ainsi une « escalade pour la désescalade », c’est-à-dire une frappe nucléaire théoriquement destinée à interdire l’intensification d’une guerre classique (conventionnelle), n’est pas exclue. En d’autres termes, cela signifierait la volonté de vaincre en ayant recours à l’arme nucléaire. Sur ce point, ajoutons que Vladimir Poutine, à la différence du secrétaire général du parti communiste soviétique autrefois, n’est pas limité par un Politburo. À tout le moins, il importe d’envisager le fait que la Russie mette son arsenal au service d’une stratégie de « sanctuarisation agressive » : lancer une offensive armée classique sur les espaces géographiques convoités (l’Ukraine, en tout ou en partie, ainsi que d’autres républiques post-soviétiques refusant un statut d’État croupion, privées de leur souveraineté), les puissances extérieures étant dissuadées de leur porter secours en les menaçant d’une escalade nucléaire. Si l’on considère l’Ukraine, n’est-ce pas déjà le cas ? La lecture attentive des projets de traité que Moscou prétend imposer aux États-Unis laisse penser qu’outre les trois États baltes, seules ex-républiques soviétiques intégrées dans l’OTAN, les anciens satellites d’« Europe de l’Est » — le syntagme d’« Europe médiane », entre Baltique, mer Noire et Adriatique, est aujourd’hui plus approprié — seraient également l’objet de cette grande manœuvre. C’est ici que certaines des « armes nouvelles » russes, notamment le « Zircon », si elles n’apportent rien à la dissuasion russe, trouvent leur place. Qu’elles soient déployées au sol, en mer ou dans les airs, ces armes sont duales : elles peuvent tout aussi bien être dotées de charges conventionnelles que de têtes nucléaires. D’ores et déjà, le « Zircon » et d’autres systèmes d’armes pourraient servir à verrouiller la Baltique et la mer Noire (mise en place d’une « bulle stratégique » sur ces mers et leur pourtour), l’objectif étant d’écarter les alliés occidentaux des pays riverains. Alors, ces derniers seraient à la merci d’une agression militaire russe. Le seul poing levé pourrait convaincre les récalcitrants. (…) Ainsi placée sous la menace d’une première frappe désarmante, avec un temps de réaction de quelques minutes (insuffisant pour disperser les cibles), l’Europe serait prise en otage. Certes, la France et le Royaume-Uni, a fortiori les États-Unis, conserveraient leur capacité de frappe en second, mais ces puissances occidentales, possiblement épargnées par cette première frappe, non nucléaire de surcroît, porteraient alors la responsabilité de l’escalade nucléaire. Gageons qu’il ne manquerait pas dans ces pays de politiques et de publicistes pour poser la question fatidique : « Mourir pour Dantzig ? » et plaider qui le « grand retranchement », qui la cause d’une « grande Europe, de Lisbonne à Vladivostok ». À l’évidence, un tel scénario n’est pas sans rappeler la configuration géostratégique générée par le déploiement par les Soviétiques des missiles SS-20 (1977), une arme jugée alors déstabilisante du fait de sa précision. L’objectif de ces armes de théâtre, ensuite baptisées « forces nucléaires intermédiaires », était de provoquer de prendre en otage l’Europe occidentale et de provoquer un découplage géostratégique entre les deux rives de l’Atlantique Nord. S’ensuivit la « bataille des euromissiles », l’OTAN exigeant le retrait des SS-20 et, à défaut, menaçant de déployer des missiles encore plus précis et véloces (missiles balistiques Pershing-II et missiles de croisière Tomahawk). (…) En 1987, Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev signèrent un traité portant sur le retrait de toutes les forces nucléaires intermédiaires, d’une portée de 500 à 5 500 kilomètres. Peu après, l’armée soviétique devrait évacuer l’Afghanistan puis, après la chute du mur de Berlin, la réunification de l’Allemagne et la « révolution de velours », mettre à bas les régimes communistes d’Europe médiane : l’URSS implosait (1991). Mutatis mutandis, la situation actuelle semble mener à une nouvelle bataille des euromissiles, si tant est que les Occidentaux se montrent unis et déterminés à résister aux ambitions de Vladimir Poutine et, il faut en convenir, d’une partie des Russes qui semblent considérer la fin de la précédente guerre froide comme une simple trêve, nécessaire pour reconstituer le potentiel russe de puissance et de nuisance. (…) le discours géopolitique révisionniste du Kremlin et le positionnement de la Russie comme « État perturbateur » est difficilement conciliable avec la vision classique de la dissuasion et du nucléaire comme arme de statu quo. Quitte à se répéter, il nous faut donc envisager le pire et s’y préparer, politiquement, intellectuellement et moralement. Jean-Sylvestre Mongrenier
Alors que l’extrême droite et les néonazis tirent parti des échecs des politiques européennes, comparer le communisme au nazisme est historiquement faux, dangereux et inacceptable. En outre, le fait que le gouvernement estonien décide de se concentrer sur les ‘crimes communistes’ montre clairement son intention d’utiliser la présidence tournante de l’UE à des fins idéologiques. Groupe de la Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique
En cette période où les valeurs fondamentales de l’UE sont ouvertement remises en question par la montée des mouvements d’extrême droite et des partis néonazis en Europe, cette initiative est très maladroite. L’organisation d’une conférence sur ce thème spécifique, avec ce titre spécifique, envoie un message politique faussé et dangereux […] ranime l’esprit de la Guerre froide, qui a tant fait souffrir l’Europe, contredit les valeurs de l’UE et ne reflète certainement pas les vues du gouvernement et du peuple grecs : le nazisme et le communisme ne devraient jamais être considérés comme similaires. Les horreurs vécues durant la période nazie n’ont qu’une version, terrible, alors que le communisme, au contraire, a donné naissance à des dizaines de tendances idéologiques, dont l’eurocommunisme. Stavros Kontonis (ministre de la Justice du gouvernement de gauche de Syriza)
La conférence qui a lieu le 23 août à Tallinn est dédiée à l’enquête sur l’héritage laissé par les crimes commis par le régime communiste. Il s’agit de l’expérience estonienne, partagée par les autres pays baltes et certains autres États d’Europe de l’Est. Du point de vue estonien, cette période ne s’est terminée qu’il y a 26 ans. Katrin Lunt (ministère estonien de la Justice)
Le groupe GUE/NGL a appelé les ministres de la Justice des États membres, surtout ceux qui appartiennent à des gouvernements progressistes, à boycotter l’événement, comme l’a fait le gouvernement grec. Il souligne que les « horreurs » vécues durant la période nazie n’ont qu’une version, terrible, alors que « le communisme, au contraire, a donné naissance à des dizaines de tendances idéologiques, dont l’eurocommunisme ». Faudrait-il exacerber les divisions de nos sociétés en vilipendant les anciens régimes ? Sur ce point, les États membres qui ont connu le communisme sont divisés. L’an dernier, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne et la Roumanie ont publié une critique des nations qui célébraient leur Histoire communiste. En Bulgarie, à l’inverse, un monument a été récemment érigé en l’honneur de Todor Zhivkov, personnalité forte de l’ère communiste, dans sa ville natale de Pravets, et est régulièrement visité par des dirigeants socialistes. Contactée par Euractiv, Katrin Lunt, porte-parole du ministère estonien de la Justice, a rappelé que dans le pays, le régime stalinien avait fait des dizaines de milliers de victimes, même après la fin de la guerre. Les crimes commis par le régime soviétique ont laissé des traces encore visibles dans le pays, a-t-elle assuré. La porte-parole a également indiqué que Tallinn avait déjà organisé une conférence sur le sujet en 2015. Euractiv
En 1989, lors de la chute des « démocraties populaires », l’Europe de l’Est s’est tournée vers la démocratie et l’économie de marché, l’intégration dans l’Otan et l’Union européenne. Le tournant s’accompagna du processus de lustration (transparence sur les responsabilités individuelles sous le régime défunt et sanctions éventuelles, NDLR) qui variait d’un pays à l’autre. (…) Si la « lustration » a touché des milliers d’individus dans chaque pays concerné, les procès de ceux qui avaient donné ou exécuté des ordres criminels du régime communiste ont été bien plus rares. (…) Cependant, le Nuremberg de l’Est n’a jamais eu lieu, qui aurait condamné non seulement des criminels, mais la nature criminelle des régimes communistes, plus ou moins meurtriers, selon les époques, malgré la résolution n° 1481 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur la «Nécessité d’une condamnation internationale des crimes des régimes communistes totalitaires», adoptée en janvier 2006 ; et celle adoptée par le Parlement européen le 2 avril 2009, qui instaure, en tant que Journée européenne du souvenir, la date du 23 août: l’anniversaire de l’infâme pacte Molotov-Ribbentrop ayant partagé l’Europe de l’Est entre deux alliés totalitaires, Hitler et Staline. L’unique proposition d’organiser un tribunal international pour enquêter sur les « crimes du communisme » a été faite à la conférence internationale « Héritage criminel du communisme et du nazisme », à Tallinn, en 2017. Cette initiative du ministre de la Justice estonien de l’époque fut soutenue par les ministères de la Justice de Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie et Croatie, mais rien n’est concrétisé à ce jour. C’est probablement la réticence fréquente de comparer nazisme et communisme qui bloque de telles initiatives, comme l’a bien démontré la critique acharnée contre le directeur de l’ouvrage Le Livre noir du communisme (Robert Laffont, 1997), Stéphane Courtois, pour son rapprochement du génocide nazi et de la répression stalinienne, et plus largement, contre l’ensemble de l’ouvrage qui met en cause l’idéologie communiste elle-même. Or, pour les peuples qui avaient vécu sous l’occupation soviétique, comme les pays baltes, ou sous la domination soviétique, comme l’ensemble de l’Europe de l’Est, le traumatisme reste extrêmement vif. En témoignent les musées du KGB à Riga, à Vilnius et à Tallinn et dans d’autres capitales ; la création d’Instituts de mémoire nationale dans plusieurs pays dont la Pologne et l’Ukraine, chargés non seulement d’étudier et de rendre accessibles, au public général, les archives des services secrets communistes, mais aussi d’élaborer les narratifs historiques nationaux indépendants ; les procédures de décommunisation, à savoir le démantèlement de l’héritage idéologique de l’État communiste, y compris ses symboles et sa toponymie ; un flot de livres et de films, comme Purge de Sofi Oksanen (Stock, 2008) ou Katyn (2007) et Les Fleurs bleues (2016) de Wajda. Il est d’autant plus regrettable que la Russie postcommuniste ait adopté, au cours des dernières années, une attitude opposée en justifiant et en glorifiant son passé soviétique, y compris la période stalinienne, au nom de sa « fierté retrouvée ». Galia Ackerman
Si vous écoutez les médias russes, ce que disent les officiels russes, y compris le président Poutine, cela semble tout à fait plausible. Je ne dit pas qu’il y aura une guerre. Mais tous les préparatifs pour la guerre sont là : il y a une concentration de troupes, il y a un discours extrêmement agressif et des ultimatums qui ne peuvent pas être satisfaits car totalement irréalistes. On a l’impression qu’ils ne sont qu’un prétexte pour envahir l’Ukraine. [Et ce] Parce qu’il y a une haine de l’Ukraine depuis plusieurs années. Cette haine a très fortement augmenté à la suite de la révolution ukrainienne : je rappelle qu’à ce jour, on parle non pas de Maïdan, non pas d’une révolution populaire mais d’un coup d’Etat, on parle de nazis au pouvoir, on exige que les accords de Minsk soient réalisés à 100% mais surtout dans l’interprétation de Moscou et il est tout à fait clair que la Russie ne veut pas tolérer que son proche étranger prenne une orientation qui ne lui plaît pas, celle de sortir totalement de la sphère d’influence russe. (…) Ils disent tout le temps que l’Ukraine en soi n’a aucune importance, que c’est un terrain que l’OTAN, les Etats-Unis, l’Union européenne, utilisent pour rapprocher les équipements militaires dirigés contre la Russie, pour l’assaut du pays. C’est totalement faux. 73 experts allemands de la Russie ont publié une lettre dans le journal allemand « Die Zeit », ils disent que tout ce que la Russie dit sur sa sécurité menacée est faux : la Russie a la 3e armée au monde, qu’elle est un pays nucléarisé qui a plus de nucléaire que les Etats-Unis, la France et la Grande Bretagne réunis. Personne ne peut menacer la Russie, mais elle prend une pose de personne offensée et demande à ce que ses exigences soient satisfaites : c’est à dire non pas seulement la démilitarisation de l’Ukraine, mais la démilitarisation de toute l’Europe de l’est. Galia Ackerman
La propagande russe présente la Russie comme un État menacé qui a besoin de toute urgence de « garanties de sécurité » de la part de l’Occident. (…) [Mais] il y a actuellement plus d’ogives nucléaires stockées en Russie que dans l’ensemble des trois États membres de l’OTAN dotés d’armes nucléaires : les États-Unis, le Royaume-Uni et la France. Moscou dispose d’un large éventail de vecteurs pour ses milliers d’armes nucléaires : des missiles balistiques intercontinentaux aux bombardiers de longue portée en passant par les sous-marins nucléaires. La Russie possède l’une des trois armées conventionnelles les plus puissantes du monde, ainsi qu’un droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU. La Fédération de Russie est donc l’un des États les plus protégés du monde sur le plan militaire. Le Kremlin utilise des troupes régulières et irrégulières, ainsi que le potentiel de sa menace nucléaire, pour mener diverses guerres et occuper de manière permanente plusieurs territoires dans les anciennes Républiques soviétiques. Non seulement en Europe orientale, mais aussi en Europe occidentale et sur d’autres continents, le Kremlin revendique sans complexe des droits spéciaux pour faire valoir ses intérêts sur le territoire d’États souverains. Contournant les règles, les traités et les organisations internationales, Moscou chasse des ennemis dans le monde entier. Le Kremlin tente de saper les processus électoraux, l’État de droit et la cohésion sociale dans des pays étrangers par des campagnes de propagande, des fake news et des attaques de pirates informatiques, entre autres. Ces agissements sont réalisés en partie en secret, mais dans le but évident d’entraver ou de discréditer la prise de décision démocratique dans les États pluralistes. Il s’agit en particulier de porter atteinte à l’intégrité politique et territoriale des États post-soviétiques en voie de démocratisation. En tant que première puissance économique d’Europe, l’Allemagne observe ces activités d’un œil critique, mais reste largement passive, depuis maintenant trois décennies. (…) En outre, la politique étrangère et la politique économique de Berlin ont contribué à l’affaiblissement politique et économique des pays d’Europe orientale non dotés d’armes nucléaires et au renforcement géo-économique d’une superpuissance nucléaire de plus en plus expansive. En 2008, l’Allemagne a joué un rôle central pour empêcher la Géorgie et l’Ukraine de rejoindre l’OTAN. (…) Pour les relations ukraino-russes déjà fragiles, la mise en service du premier gazoduc Nord Stream en 2011-2012, totalement superflu en termes énergétiques et économiques, a été une catastrophe. Rétrospectivement, cela semble avoir ouvert la voie à l’invasion de l’Ukraine par la Russie deux ans plus tard. Une grande partie de la capacité existante de transport de gaz entre la Sibérie et l’UE n’a pas été utilisée en 2021. Pourtant, la République fédérale se prépare maintenant à éliminer complètement le dernier levier économique de l’Ukraine sur la Russie avec l’ouverture du gazoduc Nord Stream 2 (…) L’attaque de Poutine contre l’Ukraine en 2014 apparaît comme une conséquence presque logique de la passivité politique allemande des vingt années précédentes vis-à-vis du néo-impérialisme russe. (…) Le Kremlin remet désormais aussi en question la souveraineté politique de pays comme la Suède et la Finlande. Il demande l’interdiction d’une éventuelle adhésion à l’OTAN non seulement pour les pays post-soviétiques mais aussi pour les pays scandinaves. Le Kremlin fait peur à toute l’Europe en lui promettant des réactions « militaro-techniques » au cas où l’OTAN ne répondrait pas « immédiatement », selon Poutine, aux exigences démesurées de la Russie visant à réviser l’ordre de sécurité européen. La Russie brandit la menace d’une escalade militaire si elle n’obtient pas de « garanties de sécurité », c’est-à-dire l’autorisation pour le Kremlin de suspendre le droit international en Europe. (…) Les crimes perpétrés par l’Allemagne nazie sur le territoire de l’actuelle Russie en 1941-1944 ne peuvent justifier l’attitude réservée de l’Allemagne d’aujourd’hui face au revanchisme et au nihilisme juridique international du Kremlin.Lettre ouverte de 73 experts allemands (Die Zeit, 14 janvier 2022)
Nous n’allons pas demander pardon… il n’y a aucune raison de demander pardon. Viktor Tchernomyrdine (ambassadeur de Russie en Ukraine, août 2003)
L’URSS a connu en 1932-1933 une sérieuse disette conduisant à un strict renforcement du rationnement, pas une famine et en tout cas pas une famine à « six millions de morts. » Annie Lacroix-Riz
Ils ont fait plus fort que Hitler: parce qu’il y avait réellement des Allemands sur le territoire des Sudètes, tandis que Poutine a dû inventer de toutes pièces sa “minorité russe opprimée” en Géorgie. Stuart Koehl
Le gouvernement russe actuel n’est pas communiste ou stalinien. Ce sont plutôt des gens intéressés par l’argent. Ils inscrivent leurs enfants dans les écoles occidentales, ils vont passer leurs vacances en Occident. Ils ont donc tout intérêt à entretenir de bonnes relations avec l’Ouest. Mais ils sont aussi très cyniques vis-à-vis de cet Occident qu’ils aiment tant. Ils pensent qu’ils peuvent manipuler à leur guise les Européens. Poutine a proféré à plusieurs reprises des menaces contre la Géorgie en nous disant :«Vous croyez que vos amis occidentaux vont venir se battre dans le Caucase ? » (…) Nous n’avions pas d’autre choix que d’intervenir. Les Russes avaient mobilisé les irréguliers ossètes. Ils avaient massé des troupes en Ossétie du Nord. Ils avaient remplacé les gardes frontières ossètes par leurs propres soldats à l’entrée du tunnel de Roki. Nous avons prévenu les Américains que quelque chose se préparait pour qu’ils disent aux Russes d’arrêter. Et les Russes ont jugé que le mois d’août, en pleine campagne électorale américaine, d’un côté, et pendant les Jeux olympiques, de l’autre, était la meilleure période pour agir. Ils ne nous ont pas laissé le choix. Mikheïl Saakachvili
Ce qui est incompréhensible, c’est l’incapacité des démocraties de réaliser que la Russie, une fois requinquée par ses exportations de pétrole, gaz et autres métaux, une fois débarrassée, avec l’argent américain, d’une partie de ses cimetières de sous-marins nucléaires et de moult missiles qui rouillaient sans entretien, fait ce qu’elle veut et ne fera rien de ce que l’Occident attend. Sur tous les fronts d’aujourd’hui : Afghanistan, Irak, Liban, Hezbollah, Gaza, Hamas, Soudan, Somalie, la Russie se trouve toujours du côté adverse à l’Occident : en fournissant des armes, en s’opposant aux sanctions contre l’Iran pour arrêter son programme nucléaire militaire, bref, en s’opposant à tout ce qui pourrait atténuer ou faire disparaître les menaces «extrémistes» (pour ne pas dire islamistes, pour ne fâcher personne…). Michel Poirier
Grâce à la déclassification des comptes-rendus de réunions provenant aussi bien des archives allemandes qu’américaines et russes, Mark Kramer, chercheur à Harvard, démontre dans un article publié par The Washington Quarterly que le non-élargissement de l’OTAN n’a même pas été un sujet de discussion en 1990. Et pour cause: à cette époque, personne n’imagine encore que l’URSS va s’effondrer avec le pacte de Varsovie. L’enjeu principal est alors de savoir si l’Allemagne, dont la partie ouest faisait déjà partie de l’alliance, resterait ou non au sein de l’OTAN en tant que nation réunifiée, et à quelles conditions. Les Occidentaux s’engagent alors sur trois points. Premièrement: ne déployer en Allemagne de l’Est que des troupes allemandes ne faisant pas partie de l’OTAN tant que le retrait soviétique n’est pas fini. Deuxièmement: des troupes allemandes de l’OTAN pourront être déployées en Allemagne de l’Est après le retrait soviétique, mais aucune force étrangère ni installation nucléaire. Et enfin, troisièmement: ne pas augmenter la présence militaire française, britannique et américaine à Berlin. Après d’âpres négociations, ces conditions ont finalement été acceptées par Gorbatchev et inscrites dans le traité concernant les aspects internationaux de la réunification, signée par toutes les parties en septembre 1990. Nulle part, y compris dans les archives russes, n’est fait mention d’une quelconque promesse formelle de ne pas inclure d’autres pays d’Europe de l’Est dans l’OTAN à l’avenir. Même après 2009, l’accusation a pourtant continué à prospérer. Et ce en dépit des dénégations de Mikhaïl Gorbatchev en personne, pourtant assez bien placé pour savoir ce qui s’est vraiment dit à l’époque. Dans une interview accordée en 2014 à Russia Beyond the Headlines, l’ancien président de l’URSS se montre catégorique: «Le sujet de l’expansion de l’OTAN n’a pas du tout été abordé et n’a pas été abordé au cours de ces années.» Gorbatchev précise que l’URSS voulait surtout «s’assurer que les structures militaires de l’OTAN n’avanceraient pas, et que des forces armées supplémentaires ne seraient pas déployées sur le territoire de l’ex-RDA après la réunification allemande». Et d’ajouter: «Tout ce qui aurait pu être et devait être fait pour consolider cette obligation politique a été fait.» Gorbatchev y affirme bien que l’élargissement de l’OTAN constituerait une trahison de ce qu’était selon lui «l’esprit» des discussions de l’époque, mais réaffirme qu’aucun engagement formel n’avait été pris. Les Russes continuent d’affirmer que les Occidentaux auraient néanmoins offert des garanties informelles. Une théorie qui a l’avantage d’être par nature impossible à vérifier. La pertinence de l’expansion de l’OTAN continue cependant de faire débat, y compris au sein des experts occidentaux. Comme le notait le chercheur Olivier Schmitt en 2018, la question a repris de l’importance à partir de 1993 sous l’impulsion du président américain Bill Clinton, alors même qu’une bonne partie de l’administration américaine y était défavorable par crainte des perceptions russes. Mais pour rassurer la Russie, l’OTAN avait justement fait le choix en 1993 de l’intégrer dans son Partenariat pour la paix. Le but: «bâtir un partenariat avec la Russie, en instaurant un dialogue et une coopération pratique dans des domaines d’intérêt commun». Cette coopération n’a été suspendue qu’en 2014, quand la Russie a décidé d’annexer la Crimée. Ce que les supporters de Vladimir Poutine prennent bien soin de ne pas préciser, c’est qu’au moment de l’invasion de la Crimée, c’est bien la Russie qui bafouait une promesse, réelle celle-là. Signé par la Russie, les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et la Chine en 1994, le mémorandum de Budapest garantissait à l’Ukraine le respect de sa souveraineté et de son intégrité territoriale, en échange de son adhésion au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires et de l’abandon des stocks d’armes nucléaires héritées de l’URSS. Surtout, outre leur passé douloureux avec l’URSS, c’est la politique agressive de la Russie vis-à-vis des anciennes républiques soviétiques, et leur volonté de s’arrimer à un espace démocratique, qui ont en partie poussé celles-ci dans les bras de l’OTAN. Ainsi, alors qu’une majorité d’Ukrainiens s’opposaient à une adhésion à l’alliance transatlantique avant 2014, l’opinion publique a totalement basculé dans le sens inverse depuis le début de la guerre: 58% des Ukrainiens souhaitent désormais rejoindre l’alliance. Le mythe de la Russie assiégée a tout d’une prophétie autoréalisatrice. Slate
La question de savoir s’il y a eu une promesse de la part de responsables politiques occidentaux de ne pas élargir l’Otan vers l’Est post-chute du mur, notamment dans le contexte de l’unification des deux Allemagne, continue d’être débattue. Certains assurent qu’une telle promesse avait été donnée, mais le sens exact des propos tenus à l’époque ne semble pas faire consensus. Certains pensent que [les occidentaux] se référaient uniquement à la partie “Est” de l’Allemagne, donc au-delà de l’Elbe, d’autres le comprennent comme ayant trait également aux pays à l’Est de la ligne «Oder-Neisse», la frontière avec la Pologne entérinée par les accords 2+4. Mais il faut souligner qu’au moment de ces négociations, un élargissement de l’Otan pour inclure des pays anciennement du Pacte de Varsovie ne figurait nullement à l’agenda, et qu’il s’agissait du règlement du statut de l’Allemagne unifié, ses frontières, et de la question des troupes et d’armes de l’Otan dont l’Allemagne fédérale était déjà membre. En revanche, il semble avéré qu’aucun engagement formel de la part ni de l’Otan, ni des Etats-Unis, ni du Royaume-Uni, ni de la France n’ait été formulé. Johanna Möhring (Université de Bonn)
Il n’y a pas eu de traité formel garantissant à l’URSS que l’OTAN ne s’élargira pas. Il y a eu des discussions en février 1990 entre le secrétaire d’Etat des Etats-Unis, James Baker et Mikhaïl Gorbatchev, notamment à propos du statut de l’Allemagne réunifiée et de l’inclusion de la RDA au sein de l’Otan. L’expression «pas d’un pouce» fait référence à une déclaration du secrétaire d’Etat James Baker à Mikhaïl Gorbatchev, lors de ces échanges. Effectivement, la question d’un élargissement plus à l’Est de l’Otan n’est alors pas envisagée tout simplement parce que cela est inconcevable dans le contexte de l’époque. L’URSS existe encore, les pays d’Europe de l’Est font toujours partie des structures de coercition soviétiques (Pacte de Varsovie et Conseil d’assistance économique mutuelle [CAEM], ndlr). Le Pacte ne sera officiellement dissous qu’en juillet 1991. Il est donc inconcevable d’évoquer alors un élargissement de l’Otan aux pays d’Europe centrale et orientale. Il est difficile de parler de trahison car il va y avoir en peu de temps un enchaînement d’événements imprévisibles qui fera entrer l’Europe dans une nouvelle configuration de sécurité. Amélie Zima (chercheuse en relations internationales)
Ce que [Poutine] craint énormément aussi, et ça, il ne le dit absolument pas, c’est qu’il craint la progression démocratique. Quand vous vous promenez à Kiev et que vous voyez toute cette proximité, culturelle, architecturale avec la Russie, vous comprenez que là un pouvoir autoritaire russe se sent menacé parce que si ça se passe à Kiev, pourquoi est-ce que ça ne se passerait pas à Moscou ? Sylvie Kauffmann
Le fait que l’OTAN exerce une grande influence sur l’Ukraine et la Géorgie ne nous indispose pas. (…) Cela dit, si d’autres républiques de l’ex-URSS adhèrent à l’OTAN, nous respecterons leur choix. C’est leur droit souverain en matière de défense. Vladimir Poutine (2005)
Ce qui suscite chez nous une préoccupation et une inquiétude particulières, de ces menaces fondamentales pour la sécurité de notre pays que des hommes politiques irresponsables à l’Occident créent pas à pas, sans détours et brutalement, depuis des années. Je fais allusion à l’élargissement de l’OTAN vers l’est, au rapprochement de son infrastructure militaire vers les frontières russes. (…) Ce que j’évoque ne concerne pas uniquement la Russie, et nous ne sommes pas seuls à nous inquiéter. Cela concerne tout le système des relations internationales, et parfois même les propres alliés des Etats-Unis. (…) D’abord, sans aucune autorisation du Conseil de Sécurité de l’ONU, une opération militaire sanglante a été menée contre Belgrade. On a utilisé l’aviation, des missiles au centre même de l’Europe. Plusieurs semaines de bombardements incessants sur des villes pacifiques, sur des infrastructures vitales. (…) Après, cela a été le tour de l’Irak, de la Lybie, de la Syrie. (…) La promesse faite à notre pays de ne pas élargir d’un pouce l’Otan vers l’est en fait partie. Je le répète: on nous a trompés (…) dans les années 1990 et au début des années 2000, quand ce qu’on appelle l’Occident a soutenu de la manière la plus active le séparatisme et des bandes de mercenaires dans le sud de la Russie. Quelles pertes, combien de victimes cela nous a coûté avant de briser définitivement le terrorisme international dans le Caucase. (…) Du reste, jusqu’à encore récemment on n’a cessé de tenter de nous utiliser à profit, de détruire nos valeurs traditionnelles et de nous imposer des prétendues valeurs qui auraient détruit notre peuple de l’intérieur, les principes qu’ils imposent déjà de manière agressive dans leurs propres pays et qui mènent directement à la dégradation et à la dégénérescence puisqu’elles vont à l’encontre de la nature humaine elle-même. (…) Pour ce qui concerne le domaine militaire, la Russie, même après l’effondrement de l’URSS et la perte d’une part significative de son potentiel, est aujourd’hui une des plus grandes puissances nucléaires au monde, et dispose en outre d’avantages certains dans une série de nouveaux types d’armements. En ce sens, personne ne doit avoir de doutes sur le fait qu’une attaque directe contre notre pays mènera à la destruction et à d’épouvantables conséquences pour tout agresseur potentiel. (…) Le problème est que, sur des territoires voisins des nôtres – je souligne qu’il s’agit de nos propres territoires historiques – se crée une « anti-Russie » qui nous est hostile et qui est placée entièrement sous contrôle extérieur, où les forces armées de pays de l’Otan prennent leurs aises et où sont introduits les armements les plus modernes. (…) sur la situation dans le Donbass. Nous voyons que les forces qui ont effectué en 2014 un coup d’Etat en Ukraine se sont emparées du pouvoir et le conservent grâce à ce qui est en fait des procédures électorales décoratives, ont définitivement renoncé à un règlement pacifique du conflit. Durant huit ans, d’interminables huit années (…) on ne peut pas regarder sans compassion ce qui se passe là-bas. Il n’était simplement plus possible de rester sans rien faire. Il fallait mettre fin sans délai à ce cauchemar – un génocide à l’égard des millions de personnes qui vivent là-bas et qui ne fondent leurs espoirs que sur la Russie. (…) Les principaux pays de l’Otan, pour parvenir à leurs fins, soutiennent en Ukraine les ultra-nationalistes et des néonazis, qui à leur tour ne pardonneront jamais le choix libre des habitants de la Crimée et de Sebastopol, la réunification avec la Russie. Ils vont bien entendu s’attaquer à la Crimée, comme au Donbass, pour tuer, comme les bandes de nationalistes ukrainiens, complices d’Hitler au moment de la Seconde guerre mondiale, tuaient des gens sans défense. Et ils déclarent ouvertement qu’ils ont des vues sur toute une série d’autres territoires russes. (…) Maintenant ils ambitionnent même d’acquérir l’arme nucléaire. (…) Les républiques populaires du Donbass ont demandé l’aide de la Russie. Par conséquent, conformément à l’article 51 alinea 7 de la Charte de l’ONU, avec l’accord du Conseil de sécurité russe et dans le cadre des accords d’Amitié et d’assistance mutuelle avec la République populaire de Donetsk et la la République populaire de Lougansk, ratifiés le 22 février par le Conseil de la Fédération, j’ai pris la décision d’une opération armée spéciale. Son objectif – défendre les gens qui depuis huit ans sont soumis à des brimades et à un génocide de la part du régime de Kiev. Dans ce but nous allons nous efforcer de parvenir à la démilitarisation et à la dénazification de l’Ukraine, ainsi que de traduire devant la justice ceux qui ont commis de nombreux crimes sanglants contre des civils, y compris contre des citoyens de la Fédération de Russie. (…) Les résultats de la Seconde guerre mondiale, tout comme les pertes apportées par notre peuple sur l’autel de la victoire sur le nazisme, sont sacrés. Mais cela ne contredit pas les hautes valeurs des droits et libertés de l’homme, si l’on part des réalités qui se sont établies depuis la fin de la guerre. Cela n’annule pas davantage le droit des nations à l’autodétermination, inscrit à l’article 1 de la Charte de l’ONU. (…) Au fondement de notre politique, la liberté, la liberté de choix pour chacun de déterminer librement son avenir et l’avenir de ses enfants. Et nous jugeons important que ce droit – le droit à choisir – puisse être exercé par tous les peuples qui vivent sur le territoire de l’actuelle Ukraine, tous ceux qui le voudront. En ce sens je m’adresse aux citoyens ukrainiens. En 2014 la Russie a été dans l’obligation de défendre les habitants de la Crimée et de Sebastopol face à ceux que vous appelez vous-mêmes les « naziki ». Les habitants de la Crimée et de Sebastopol ont fait leur choix – être avec leur patrie historique, avec la Russie, et nous les avons soutenus. Je le répète, nous ne pouvions nous comporter autrement. (…) Je le répète, nos actes sont une autodéfense contre des menaces créées contre nous et contre des malheurs encore plus grands que ceux qui surviennent aujourd’hui. (…) Maintenant quelques mots importants, très importants pour ceux qui peuvent avoir la tentation de s’immiscer depuis l’extérieur dans les événements en cours. Quiconque tentera de nous gêner, a fortiori de créer une menace pour notre pays pour notre peuple, doit savoir que la réponse de la Russie sera immédiate et infligera des conséquences telles que vous n’en avez jamais connu dans votre histoire. Nous sommes prêts à tout développement de la situation. Toutes les décisions en ce sens ont déjà été prises. J’espère que je serai entendu. Vladimir Poutine (24.02.2022)
La question de l’élargissement de l’OTAN n’a dans l’ensemble pas été discutée et ne se posait pas au cours de ces années-là. Je dis cela en toute responsabilité. Aucun pays d’Europe de l’Est n’a soulevé cette question, y compris après la dissolution du pacte de Varsovie en 1991. Elle n’a pas non plus été soulevée par les dirigeants occidentaux. Une autre question a en revanche été abordée : le fait qu’après la réunification de l’Allemagne, aucune extension des structures militaires de l’OTAN ni aucun déploiement de forces militaires supplémentaires de l’alliance ne devait avoir lieu sur le territoire de l’ancienne RDA. C’est dans ce contexte que M. Baker a prononcé les paroles mentionnées dans votre question. Des déclarations similaires ont été faites par M. Kohl et M. Genscher. Tout ce qui pouvait et devait être fait pour consolider ce règlement politique a été fait. Et respecté. Mikhaïl Gorbatchev (04.11.2014)
Chrobog said we needed new ideas on how to provide for the Security of Central and East European Countries. We had made it clear during the 2+4 negotiations that we would not extend Nato beyond the Elbe (sic). We could not therefor offer membership of Nato to Poland and the others. British memo (March 6, 1991)
The term NATO eastward expansion is a term of a later epoch. Vladislav Petrovich Terekhov (first Soviet and later Russian ambassador in Bonn from 1990 to 1997)
Gorbachev never spoke to me about the eastward expansion of NATO. Dimitri Yasov (Former Marshal of the Soviet Union)
This is a “myth. There couldn’t be such an agreement, it was only about the territory of the GDR. There was no trickery. Everything else is inventions, with which one wants to pin something on us, the Germans or anyone else. Gorbachev
There was never a discussion about NATO expansion in the general sense. During the two-plus-four negotiations, NATO was only discussed in connection with the GDR. James Baker (US Secretary of State)
A la chute du mur de Berlin fin 1989, on s’interroge sur le statut de la future Allemagne réunifiée. Doit-elle être neutre ou intégrer l’Otan ? A l’époque, c’était logique. L’URSS et ses alliances ne s’effondreraient qu’à partir de 1991. L’idée d’élargir l’Otan à l’Europe centrale et orientale était hors de propos, on parlait uniquement de la RDA. Jean-Sylvestre Mongrenier
Vladimir Poutine a admis lui-même qu’il n’y avait pas eu d’engagement contraignant. Il l’utilise plutôt comme un argument moral. David Teurtrie
Cette assurance faite par Baker à Gorbatchev de ne pas s’étendre à l’Est a été faite dans le cadre d’une discussion sur l’Allemagne et la RDA et seulement dans ce cadre-là. Le texte final, le Traité de Moscou signé le 12 septembre 1990, mentionne effectivement “l’interdiction du déploiement de forces armées autres que les forces allemandes sur le territoire de l’ex-RDA”. Cette promesse ne pouvait pas concerner les pays de l’Est, puisqu’ils auraient pu difficilement prévoir à l’époque la chute de l’URSS et l’éparpillement des pays du Bloc soviétique. (…) Enfin, et c’est surtout là que le bât blesse pour la Russie: cette promesse de ne pas “avancer d’un pouce vers l’Est”, ne figure sur aucun texte officiel. Elle est seulement visible sur des “mémorandums”, c’est-à-dire des comptes rendus de discussions entre les Soviétiques et leurs principaux interlocuteurs occidentaux. Huffington post
Rien n’avait été couché sur le papier. Ce fut une erreur de Gorbatchev. En politique, tout doit être écrit, même si une garantie sur papier est aussi souvent violée. Gorbatchev a seulement discuté avec eux et a considéré que cette parole était suffisante. Mais les choses ne se passent pas comme cela!Vladimir Poutine
Dans le discours qu’il a prononcé devant le Parlement russe, le 18 avril 2014, et dans lequel il justifiait l’annexion de la Crimée, le président Poutine a insisté sur l’humiliation subie par la Russie du fait des nombreuses promesses non tenues par l’Ouest, et notamment la prétendue promesse de ne pas élargir l’OTAN au-delà des frontières d’une Allemagne réunifiée. Poutine touchait là, chez ses auditeurs, une corde sensible. Pendant plus de 20 ans, le récit de la prétendue « promesse non tenue » de ne pas élargir l’OTAN vers l’est a fait partie intégrante de l’identité post-soviétique. Il n’est guère surprenant, par conséquent, que ce récit ait refait surface dans le contexte de la crise ukrainienne. S’appesantir sur le passé demeure le moyen le plus commode pour nous distraire du présent. (…) Au cours des dernières années, d’innombrables documents et autres matériaux d’archives ont été rendus publics, permettant aux historiens d’aller au-delà des interviews ou des autobiographies des dirigeants politiques qui étaient au pouvoir lors des évènements décisifs qui se sont produits entre la chute du mur de Berlin, en novembre 1989, et l’acceptation par les soviétiques, en juillet 1990, d’une appartenance à l’OTAN de l’Allemagne réunifiée. Pourtant, même ces nouvelles sources ne modifient pas la conclusion fondamentale: il n’y a jamais eu, de la part de l’Ouest, d’engagement politique ou juridiquement contraignant de ne pas élargir l’OTAN au-delà des frontières d’une Allemagne réunifiée. (…) Le mythe de la « promesse non tenue » tire ses origines de la situation politique sans précédent dans laquelle se sont trouvés en 1990 les acteurs politiques clés, et qui a façonné leurs idées sur le futur ordre européen. Les politiques de réforme entreprises par l’ancien dirigeant de l’URSS, Mikhaïl Gorbatchev, avaient depuis longtemps échappé à tout contrôle, les États baltes réclamaient leur indépendance, et des signes de bouleversements commençaient à apparaître dans les pays d’Europe centrale et orientale. Le mur de Berlin était tombé; l’Allemagne avait entamé son chemin vers la réunification. Toutefois, l’Union soviétique existait encore, tout comme le Pacte de Varsovie, dont les pays membres d’Europe centrale et orientale n’évoquaient pas une adhésion à l’OTAN, mais plutôt la « dissolution des deux blocs ». Ainsi, le débat autour de l’élargissement de l’OTAN s’est déroulé exclusivement dans le contexte de la réunification allemande. Au cours de ces négociations, Bonn et Washington ont réussi à assouplir les réserves soviétiques quant au maintien dans l’OTAN d’une Allemagne réunifiée. Une aide financière généreuse et la conclusion du Traité « 2+4 » excluant le stationnement de forces OTAN étrangères sur le territoire de l’ex-Allemagne de l’Est ont contribué à ce résultat. Cette réussite a toutefois été, aussi, le résultat d’innombrables conversations personnelles au cours desquelles Gorbatchev et d’autres dirigeants soviétiques ont été assurés que l’Ouest ne profiterait pas de la faiblesse de l’Union soviétique et de sa volonté de retirer ses forces armées d’Europe centrale et orientale. Ce sont peut-être ces conversations qui ont pu donner à certains politiciens soviétiques l’impression que l’élargissement de l’OTAN, dont le premier acte fut l’admission de la République tchèque, la Hongrie et la Pologne en 1999, avait constitué un manquement à ces engagements occidentaux. Certaines déclarations d’hommes politiques occidentaux – et en particulier du ministre allemand des Affaires étrangères, Hans Dietrich Genscher, et de son homologue américain, James A. Baker – peuvent en fait être interprétées comme un rejet général de tout élargissement de l’OTAN au-delà de l’Allemagne de l’Est. Toutefois, ces déclarations ont été faites dans le contexte des négociations sur la réunification allemande, et leurs interlocuteurs soviétiques n’ont jamais exprimé clairement leurs préoccupations. Au cours des négociations décisives à « 2+4 », qui ont finalement conduit Gorbatchev à accepter, en juillet 1990, que l’Allemagne réunifiée demeure au sein de l’OTAN, la question n’a jamais été soulevée. L’ancien ministre soviétique des affaires étrangères, Édouard Chevardnadze, devait déclarer plus tard que les protagonistes de cette époque ne pouvaient même pas imaginer une dissolution de l’Union soviétique et du Pacte de Varsovie et l’admission au sein de l’OTAN des anciens membres de ce Pacte. Mais, même si l’on devait supposer que Genscher et d’autres auraient en effet cherché à prévenir un futur élargissement de l’OTAN afin de respecter les intérêts de sécurité de l’URSS, ils n’auraient jamais pu le faire. La dissolution du Pacte de Varsovie et la fin de l’Union soviétique, en 1991, ont ensuite créé une situation complètement nouvelle, puisque les pays d’Europe centrale et orientale se trouvaient finalement en mesure d’affirmer leur souveraineté et de définir leurs propres objectifs de politique étrangère et de sécurité. Ces objectifs étant centrés sur l’intégration à l’Ouest, tout refus catégorique de l’OTAN aurait signifié une continuation de facto de la division de l’Europe suivant les lignes établies précédemment au cours de la guerre froide. Le droit de choisir sa propre alliance, garanti par la Charte d’Helsinki de 1975, en aurait été nié – une approche que l’Ouest n’aurait jamais pu soutenir, ni politiquement, ni moralement. (…) Lorsque le débat sur l’élargissement de l’OTAN a débuté sérieusement, vers 1993, sous la pression croissante des pays d’Europe centrale et orientale, il s’est accompagné de sérieuses controverses. Dans les milieux universitaires, en particulier, certains observateurs ont exprimé leur opposition à l’admission de nouveaux membres au sein de l’OTAN, car elle aurait inévitablement pour effet de contrarier la Russie et pourrait compromettre les résultats positifs ayant suivi la fin de la guerre froide. En fait, dès le début du processus d’élargissement de l’OTAN entamé après la fin de la guerre froide, le souci premier des occidentaux a été de trouver les moyens de concilier ce processus et les intérêts de la Russie. C’est pourquoi l’OTAN a rapidement cherché à créer un contexte de coopération propice à l’élargissement et à développer, dans le même temps, des relations spéciales avec la Russie. En 1994, le programme de « Partenariat pour la paix » a instauré une coopération militaire avec pratiquement tous les pays de la zone euro-atlantique. En 1997, l’Acte fondateur OTAN-Russie créait le Conseil conjoint permanent, un cadre spécialement consacré à la consultation et à la coopération. L’année 2002, au cours de laquelle les Alliés ont préparé la nouvelle grande phase d’élargissement, a été aussi celle de la création du Conseil OTAN-Russie, donnant à cette relation une focalisation et une structure renforcées. Ces diverses mesures s’inscrivaient dans le cadre d’autres efforts déployés par la communauté internationale pour attribuer à la Russie la place qui lui revient, en l’admettant au sein du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale, du G7 et de l’Organisation mondiale du commerce. La nécessité d’éviter de contrarier la Russie a également été évidente dans la manière dont l’élargissement de l’OTAN est intervenu dans le domaine militaire. En 1996, les Alliés déclaraient que, dans les circonstances actuelles, ils n’avaient « aucune intention, aucun projet et aucune raison de déployer des armes nucléaires sur le territoire de nouveaux membres ». Cette déclaration a été intégrée, en 1997, à l’Acte fondateur OTAN-Russie, ainsi que des références du même ordre à d’importantes forces de combat et à l’infrastructure. Cette approche militaire « douce » du processus d’élargissement devait envoyer à la Russie le signal suivant: le but de l’élargissement de l’OTAN n’est pas « l’encerclement » militaire de la Russie, mais l’intégration de l’Europe centrale et orientale dans un espace atlantique de sécurité. (…) L’intervention militaire de l’OTAN dans la crise du Kosovo a été interprétée comme un coup de force géopolitique mené par un camp occidental déterminé à marginaliser la Russie et son statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies. L’approche de l’OTAN en matière de défense antimissile, bien que dirigée contre des pays tiers, a été interprétée par la Russie comme une tentative de compromettre sa capacité de seconde frappe nucléaire. Pire encore, la « Révolution orange » en Ukraine et la « Révolution des roses » en Géorgie ont porté au pouvoir des élites qui envisageaient l’avenir de leurs pays respectifs au sein de l’UE et de l’OTAN. Dans un tel contexte, les arguments des occidentaux quant au caractère bienveillant de l’élargissement de l’OTAN n’ont jamais eu – et n’auront probablement jamais – un très grand poids. Demander à la Russie de reconnaître le caractère inoffensif de l’élargissement de l’OTAN néglige un point tout à fait essentiel: l’élargissement de l’OTAN – tout comme celui de l’Union européenne – est conçu comme un projet d’unification du continent. Il ne comporte par conséquent pas de « point final » susceptible d’une définition convaincante, que le point de vue adopté soit intellectuel ou moral. Autrement dit, et précisément parce que les processus respectifs d’élargissement des deux organisations ne sont pas conçus comme des projets antirusses, ils n’ont pas de limites et – paradoxalement – sont inévitablement perçus par la Russie comme un assaut permanent contre son statut et son influence. Tant que la Russie se dérobera à un débat honnête sur les raisons pour lesquelles un si grand nombre de ses voisins cherchent à se rapprocher de l’Ouest, cela ne changera pas – et la relation OTAN-Russie demeurera hantée par les mythes du passé au lieu de se tourner vers l’avenir. Michael Rühle
Qu’est-ce qui menace l’existence de la Russie elle-même aujourd’hui ? (…) Tous les domaines vitaux, y compris la démographie, ne cessent de se détériorer, et le taux d’extinction de la population bat des records mondiaux. Et la dégradation est systémique, et dans tout système complexe, la destruction d’un des éléments peut conduire à l’effondrement de tout le système. Et cela, à notre avis, est la principale menace pour la Fédération de Russie. Mais il s’agit d’une menace de nature interne, fondée sur le modèle de l’État, la qualité du pouvoir et l’état de la société. Et les raisons de sa formation sont internes : l’inviabilité du modèle étatique, l’incapacité totale et le manque de professionnalisme du système de pouvoir et de gestion, la passivité et la désorganisation de la société. Aucun pays ne vit dans cet état pendant longtemps. Quant aux menaces extérieures, elles sont bien présentes. Mais, selon notre évaluation d’expert, elles ne sont pas pour le moment critiques, menaçant directement l’existence de l’État russe, ses intérêts vitaux. En général, la stabilité stratégique persiste, les armes nucléaires sont sous contrôle fiable, les groupes de forces de l’OTAN n’augmentent pas, il n’y a pas d’activité menaçante. Par conséquent, la situation qui s’est aggravée autour de l’Ukraine est, avant tout, de nature artificielle et égoïste pour certaines forces internes, dont la Fédération de Russie. À la suite de l’effondrement de l’URSS, dans lequel la Russie (Eltsine) a joué un rôle décisif, l’Ukraine est devenue un État indépendant, membre de l’ONU et, conformément à l’article 51 de la Charte des Nations Unies, a le droit à la liberté individuelle et à la défense collective. (…) Naturellement, pour que l’Ukraine reste une voisine amie de la Russie, il fallait qu’elle démontre l’attractivité du modèle russe d’Etat et de système de pouvoir. Mais la Fédération de Russie en est très loin, son modèle de développement et son mécanisme de politique étrangère de coopération internationale repoussent presque tous ses voisins, et pas seulement eux. L’acquisition de la Crimée et de Sébastopol par la Russie et leur non-reconnaissance par la communauté internationale (et, par conséquent, la grande majorité des pays du monde les considèrent toujours comme appartenant à l’Ukraine) montre de manière convaincante l’échec de la politique étrangère russe et le manque d’attrait de la politique intérieure. Les tentatives par le biais d’un ultimatum et de menaces de recours à la force pour « aimer » la Fédération de Russie et ses dirigeants sont dénuées de sens et extrêmement dangereuses. L’utilisation de la force militaire contre l’Ukraine, premièrement, remettra en question l’existence même de la Russie en tant qu’État ; deuxièmement, cela fera à jamais des Russes et des Ukrainiens des ennemis mortels. Troisièmement, il y aura d’une part des milliers (des dizaines de milliers) d’enfants jeunes et en bonne santé morts, ce qui aura certainement une incidence sur la situation démographique future de nos pays en voie de disparition. (…) Le président de la République de Turquie, Recep Erdogan, a clairement indiqué de quel côté la Turquie combattra. Et on peut supposer que deux armées de campagne et la flotte turque recevront l’ordre de « libérer » la Crimée et Sébastopol et éventuellement d’envahir le Caucase. De plus, la Russie sera définitivement classée parmi les pays menaçant la paix et la sécurité internationale, soumise aux sanctions les plus sévères, se transformera en paria de la communauté mondiale, et risquera d’être privée du statut d’État indépendant. (…) La question se pose : quels sont les véritables objectifs de provoquer ainsi des tensions qui nous précipitent au bord de la guerre, et le possible déclenchement d’hostilités généralisées ? (…) A notre avis, la direction du pays, se rendant compte qu’elle n’est pas en mesure de sortir le pays d’une crise systémique, et cela peut conduire à un soulèvement du peuple et à un changement de pouvoir dans le pays, avec le soutien de l’oligarchie, les fonctionnaires corrompus, nourris des médias et des forces de sécurité, ont décidé d’intensifier la ligne politique pour la destruction définitive de l’État russe et l’extermination de la population indigène du pays. Et la guerre est le moyen qui résoudra ce problème afin de conserver un temps son pouvoir anti-national et de préserver les richesses pillées au peuple. Nous ne pouvons supposer aucune autre explication. Au président de la Fédération de Russie, nous sommes des officiers russes, nous exigeons l’abandon de l’actuelle politique criminelle et va-t-en-guerre, dans laquelle la Fédération de Russie sera seule contre les forces combinées de l’Occident, pour créer les conditions de la mise en œuvre de l’art. 3 des Constitutions de la Fédération de Russie et démissionner. Colonel-général Leonid Grigorievich Ivashov (président de « l’Assemblée panrusse des officiers »)
La Russie ainsi que la Chine et d’autres puissances œuvrant à la transformation du système mondial (…) disposent d’une fenêtre d’opportunité pour accélérer l’expulsion des États-Unis du trône mondial en augmentant la pression sur eux. Car si l’affaiblissement de l’Occident est en cours depuis un certain temps, les phénomènes de crise actuels indiquent que le processus est passé à un niveau qualitativement nouveau, et il serait donc insensé de ne pas saisir cette chance. D’autant plus que, pour notre part, nous avons achevé de nous donner nos propres mécanismes et outils stratégiques — alternatifs ceux de l’Occident — nécessaires au bon fonctionnement de l’économie nationale et des relations avec les autres pays, qu’il s’agisse de la production de biens, des règlements monétaires, de la diffusion d’informations, etc… (…) Il ne s’agit pas de propositions de discussion, mais bien d’un ultimatum — d’une demande de reddition inconditionnelle. L’Occident n’a pas d’autre choix que de perdre la face — à moins de tenir fièrement bon et d’entrer en guerre avec la Russie. À en juger par la façon dont les Occidentaux ont commencé à s’agiter de l’autre côté, ils en sont bien conscients. (…)En brandissant la menace d’une guerre, Moscou souligne que la Russie est prête — moralement, techniquement et dans tous les autres sens du terme — à toute évolution des événements. Et la réputation qu’elle a acquise au cours des années précédentes confirme que les Russes seront effectivement prêts à recourir à la force s’ils l’estiment nécessaire. Il convient de rappeler les propos de Vladimir Poutine, qui a déclaré sans ambages cet été que si la Russie coulait le destroyer britannique responsable d’une provocation au large des côtes de Crimée, il n’y aurait pas de conséquences majeures : le tollé de la presse mondiale ne doit pas être compté comme tel.[…] Non, cette fois-ci, l’Occident va payer de sa personne. (…) De hauts responsables américains ont effectué de fréquentes visites à Moscou. La venue en novembre du directeur de la CIA, William Burns, était à l’époque la quatrième visite d’un haut responsable de l’administration de la Maison Blanche depuis la réunion de Genève. Il n’est pas difficile de deviner que le but de la visite personnelle du directeur de la CIA n’était pas du tout de présenter des demandes à propos de l’Ukraine, comme les médias occidentaux ont essayé de le présenter, mais de tenter de trouver un compromis. Face à la chute de l’autorité internationale due au retrait infructueux d’Afghanistan, la Maison Blanche souhaitait vivement trouver un accord avec le Kremlin. Irina Alksnis (RIA Novosti)
Pour amener les États-Unis et l’OTAN à la table des négociations, une sorte de super arme est nécessaire. Pour le moment, la Russie ne montre pas ce potentiel à ses adversaires. Mais il existe. La Russie a la capacité d’utiliser des munitions super puissantes d’une capacité allant jusqu’à 100 mégatonnes. […] Nous devons répéter que nous ne sommes pas intéressés par un monde sans la Russie, comme Poutine l’a dit un jour, et démontrer notre détermination à frapper si l’OTAN s’élargit. Après cela, je peux vous assurer qu’ils [les Occidentaux] auront peur. Rien d’autre ne peut les arrêter. […] Il est naïf de compter sur des procédés diplomatiques. […] La démarche de la Russie est un signal indiquant que des mesures déjà radicales vont être prises. Vous avez refusé, alors tant pis… (…) Nous ne pouvons résoudre le problème de la neutralisation de l’Europe et des États-Unis qu’en les éliminant physiquement avec notre potentiel nucléaire. […] Les USA et l’Europe disparaîtront physiquement. Il n’y aura presque pas de survivants. Mais nous aussi, nous serons détruits. A moins que le sort de la Russie ne soit meilleur, car nous avons un grand territoire. Nos adversaires ne pourront pas tout détruire avec des frappes nucléaires. Par conséquent, le pourcentage de la population survivante sera plus élevé. Cependant la Russie en tant qu’État peut disparaître après une guerre nucléaire à grande échelle. Elle risque de se fragmenter. Konstantin Sivkov (expert militaire)
En plus de l’espace post-soviétique, l’initiative de Moscou englobe un large éventail de pays situés entre l’Europe occidentale et la Russie. Mais ce sont principalement la Pologne et les États baltes qui sont visés car des forces supplémentaires de l’Alliance de l’Atlantique Nord y ont été déployées comme il a été décidé lors du sommet de l’OTAN de Varsovie en 2016. La Russie a maintenant on ne peut plus nettement tracé ses lignes rouges, non seulement le refus d’étendre l’OTAN à l’Est, mais aussi, comme indiqué dans le projet d’accord avec l’alliance, le refus « de mener toute activité militaire sur le territoire de l’Ukraine, ainsi que d’autres États d’Europe de l’Est, de Transcaucasie et d’Asie centrale. Il est clair que les États-Unis ne rapatrieront leurs armes nucléaires que lorsque le projet anglo-saxon de domination mondiale s’effondrera enfin, mais il est bon de préparer le terrain… Si l’Occident ne veut pas remarquer nos lignes rouges (plus précisément, s’il fait semblant de ne pas vouloir les remarquer), alors c’est avant tout son problème, pas le nôtre. Piotr Akopov
L’initiative russe pourrait aider les Américains à quitter tranquillement l’Europe centrale et orientale. (…) Bien sûr, la Pologne et les pays baltes seront mécontents. Mais ils seront probablement les seuls à s’opposer au retrait américain d’Europe centrale et orientale. Après tout, le reste des « Jeunes Européens » est guidé par la position du « noyau » de l’Union européenne, et ils n’ont pas de complexes anti-russes stables. (…) Au cours de la prochaine année et demie, la Russie modifiera considérablement l’équilibre du pouvoir planétaire. (…) La situation historique actuelle de la Russie est unique. L’État s’est préparé aux défis majeurs qui peuvent survenir sous une pression critique. D’énormes réserves ont été accumulées, y compris en or. Des plans nationaux d’infrastructure financière et d’information ont été créés et lancés. La numérisation a commencé à englober l’ensemble de l’économie, l’amenant à un nouveau niveau de compétitivité. L’expansion de notre propre base industrielle, y compris dans des domaines high-tech très sensibles, se fait à pas de géant, le « fossé technologique » se comble. Nous sommes sortis de la dépendance critique dans le domaine de la sécurité alimentaire. (…) L’armée est depuis cinq ans la première de la planète. Dans ce domaine, le « fossé technologique » est en notre faveur et ne fait que s’élargir… De plus, l’explosion de l’inflation planétaire entraîne une crise énergétique, ce qui rend les Européens, pour la plupart, beaucoup plus accommodants et exclut un blocus de nos approvisionnements énergétiques, QUOI QUE NOUS FASSIONS. […] » Si la Russie et la Chine coordonnent leurs actions à l’encontre de l’Ukraine et de Taïwan respectivement, « tout deviendra beaucoup plus simple pour nous. Et pour la Chine aussi, de laquelle nous détournerons l’attention, ce qui nous libérera encore davantage les mains…» Bref, la Russie a restauré son poids dans l’arène internationale au point qu’elle est capable de dicter ses propres conditions dans l’élaboration de la sécurité internationale. Quant à l’empire décrépit des Stars and Stripes, affaibli par les LGBT, BLM, etc., il est clair qu’il ne survivra pas à une guerre sur deux fronts. Russtrat
Le monde d’avant et le monde d’après le 17 décembre 2021 sont des mondes complètement différents… Si jusqu’à présent les États-Unis tenaient le monde entier sous la menace des armes, ils se retrouvent désormais eux-mêmes sous la menace des forces militaires russes… Une nouvelle ère s’ouvre, de nouveaux héros arrivent, et un nouveau Danila Bagrov [personnage du truand patriotique dans le film populaire Brat], levant sa lourde poigne et regardant dans les yeux son interlocuteur, demande à nouveau doucement : quelle est ta force, l’Américain ? Vzgliad
Les Européens doivent aussi réfléchir s’ils veulent éviter de faire de leur continent le théâtre d’un affrontement militaire. Ils ont le choix. Soit prendre au sérieux ce que l’on met sur la table, soit faire face à une alternative militaro-technique. Alexandre Grouchko (vice-ministre des Affaires étrangères)
Nos partenaires doivent comprendre que plus ils feront traîner l’examen de nos propositions et l’adoption de vraies mesures pour créer ces garanties, plus grande est la probabilité qu’ils subissent une frappe préventive. Andrei Kartapolov (ancien vice-ministre de la Défense)
Eh bien, j’espère que les notes [du 17 décembre] seront ainsi plus convaincantes. Dmitri Peskov (porte-parole du Kremlin, commentant une salve de missiles hypersoniques tueurs de porte-avions, 24/12/2021)
Quels sont nos arguments ? Ce sont, bien sûr, avant tout nos alliés les plus fiables — l’armée et la marine. Pour être plus précis, le missile hypersonique Zircon (« tueur de porte-avions », comme on l’appelle affectueusement en Occident), qui rend absurde pour les États-Unis d’avoir une flotte de porte-avions. L’impact du Zircon fend un destroyer comme une noix. Plusieurs Zircons coulent immanquablement un porte-avions. Le Zircon fait simplement son travail : il tire méthodiquement sur d’énormes porte-avions maladroits, comme un revolver sur des canettes. Vladimir Mojegov
L’ultimatum de Poutine : la Russie, si vous voulez, enterrera toute l’Europe et les deux tiers des États-Unis en 30 minutes (…) Le Kremlin devra prouver par des actes le bien-fondé de sa position. Il n’est probablement possible de forcer les « partenaires » à s’asseoir à la table des négociations que par la contrainte. Économiquement, la Fédération de Russie ne peut rivaliser avec l’Occident. Il reste la guerre. Svpressa
Vladimir Poutine a sonné l’heure de la revanche. L’heure de régler enfin ses comptes avec l’Histoire. Avec l’Ukraine. Et avec l’Occident. Rien ne peut être compris de la folle aventure qui a commencé ce jeudi au petit jour avec l’attaque massive par la terre et par l’air lancée par l’armée russe à travers tout le territoire ukrainien, si on n’a pas en tête que l’homme tout-puissant qui est aux commandes de la Russie veut se venger. Avec un grand V. «Nous allons démilitariser et dénazifier l’Ukraine», a-t-il lancé à la face du monde, en annonçant «une opération spéciale», utilisant – ce qui est loin d’être un hasard – un vocable propre aux tchékistes de l’époque soviétique pour désigner la guerre qu’il a déclaré à l’Ukraine. Il s’agit d’une reconquête. Où s’arrêtera-t-elle? Pour comprendre cette obsession de vengeance, il faut remonter des années en arrière à cette journée historique du 8 au 9 novembre 1989, qui soudain voit des milliers d’Allemands escalader le mur de Berlin en train de tomber. À l’époque, le lieutenant-colonel du KGB Vladimir Poutine, 39 ans, est basé à Dresde, en RDA, avant-poste de la présence militaire soviétique. Mais son cœur n’est pas à l’unisson des foules en liesse qui dansent et pleurent à travers le pays pour célébrer les retrouvailles émues des deux Allemagnes et la réunification en marche de l’Europe. Il est du côté des vaincus. Son monde, celui de la superpuissance soviétique invincible qui tenait dans ses griffes la moitié de l’Europe, est en train de s’écrouler comme un château de cartes, sous ses yeux stupéfiés. (…) Pour cet espion, dont l’enfance a été baignée par la propagande des films d’espionnage sur la grandeur de la mère patrie, c’est l’heure de la retraite, humiliante. Tandis que des centaines de milliers de soldats soviétiques plient bagage dans une ambiance de déroute, Vladimir Poutine quitte Dresde à son tour en février 1990, emportant la machine à laver qu’il a acquise et quelques leçons de haute politique… (…) Pour Vladimir Poutine commence alors ce qu’il faut bien appeler la reconquête. En dix ans, elle va le mener au Kremlin, en trois temps. Le temps de l’infiltration/intégration des nouvelles structures démocratiques qui émergent avant et surtout après le putsch raté d’août ; le temps de l’installation au pouvoir qui commence en 2000, après sa nomination en 1999 au poste de premier ministre d’un Boris Eltsine chancelant qui cherche un successeur ; et le temps de la reconquête extérieure, qui s’affirme à partir de l’invasion militaire de la Géorgie en 2008. (…) Au départ, l’Occident hésite sur la nature de Poutine. Sa capacité à jouer sur tous les tableaux, à alterner tous les visages qu’il a appris à adopter pendant sa montée éclair vers le pouvoir – celui du réformateur, celui du guerrier, celui du législateur – déconcerte ses interlocuteurs, qui s’interrogent sur la nature de ses intentions, modernisatrices ou impériales. Mais peu à peu, la reconquête va déborder vers l’empire. Cela commence en réalité dès le début des années 2000 avec toutes les opérations hybrides de déstabilisation et d’infiltration qu’il déclenche, des pays Baltes, à la Géorgie et l’Ukraine. La rage que provoquent les révolutions de couleur qui balaient les régimes pro-russes installés en Ukraine et en Géorgie va accroître son désir de revanche. Convaincu d’être encerclé par un Occident qui cherche à déstabiliser son propre pouvoir, Poutine va dès lors, contre-attaquer par la guerre hybride: désinformation, cyber-attaques, achat d’élites, et finalement la force militaire. Il est frappant de constater que de 2000 à 2022 Vladimir Poutine a finalement peu hésité à utiliser la force, de la Tchétchénie, à la Géorgie, en passant par la Syrie et aujourd’hui l’Ukraine. Il a aussi beaucoup utilisé la violence, allant éliminer ses adversaires là où ils se trouvaient comme on le vit avec les anciens espions Litvinenko et Skripal, assassinés avec des poisons. Il est aussi à l’offensive à l’Ouest, où il a multiplié les offensives de charme et de propagande et les attaques contre les élections. Il y a cultivé des alliés politiques. Et chaque nouvelle crise l’a convaincu de la pusillanimité de l’Occident, de sa décadence et de ses divisions. L’intellectuel Vladimir Pastoukhov, très inquiet, est persuadé que l’invasion actuelle de l’Ukraine cache en réalité un projet beaucoup plus vaste, visant à défaire l’Occident, avec une pression maximale, pour le faire imploser de l’intérieur par une guerre d’usure tous azimuts, allant de l’effet de la sidération à l’intimidation. Pourrait-il tenter sa chance vers les pays Baltes pour détruire la légitimité de l’article 5 de l’Otan? À Moscou, les opposants abasourdis par l’audace de l’attaque disent se demander si leur «tsar» «de ténèbres», ivre de toute-puissance, n’a pas perdu la tête. Le journaliste Alexandre Nevzorov estime par exemple que « l’on assiste aux obsèques de la Russie », pas à celles de l’Ukraine. «Il n’y a personne qui puisse l’arrêter», note le rédacteur en chef de Novaya Gazeta, Dmitri Mouratov, qui dit sa « honte ». Laure Mandeville
Auprès de Besançon, j’ai appris l’importance de l’éthique, et compris qu’on ne pouvait pas considérer le régime communiste comme un autre, car c’était un régime criminel. Evidemment, ce n’était pas très à la mode. Françoise Thom
Quel autre pays au monde peut en effet se permettre de raser des villes, de spolier les étrangers, d’assassiner les opposants hors de ses frontières, de harceler les diplomates étrangers, de menacer ses voisins, sans provoquer autre chose que de faibles protestations? Françoise Thom
Quel intérêt y a-t-il à introniser à nouveau un pays dont le but avoué est la destruction de l’ordre international et le ralliement de toute l’Europe à son régime militaro-policier ? (…) L’initiative Macron, sans avoir consulté les partenaires européens, est extrêmement risquée à un moment où les Etats-Unis sont totalement paralysés. Le premier service qu’on puisse rendre à la Russie est de lui tenir un discours de vérité, or le président français ne le fait pas quand il cite tous les poncifs, il la conforte au contraire dans une voie calamiteuse. Françoise Thom
Il n’aurait pas fallu, en Occident, approuver la destruction du Parlement en octobre 1993 [en butte au Congrès des députés du peuple, Boris Eltsine fit intervenir l’armée et prononça sa dissolution au terme de plusieurs jours d’affrontements meurtriers dans les rues de Moscou] car c’était une violation gravissime du droit. Les germes du poutinisme sont là, dans cette liquidation du Parlement par la force, et l’impossible séparation des pouvoirs. C’était la fin de l’espérance d’une démocratie libérale. Françoise Thom
Moscou mise sur l’effet démoralisant sur l’Europe de cette négociation russo-américaine sur son sort dont elle est exclue et sur la faiblesse de la partie américaine en l’absence des alliés européens. (…) Le pacte Ribbentrop-Molotov n’est jamais loin dans la tête des dirigeants du Kremlin. C’est aussi une question de statut, et le reflet de l’obsession de Poutine d’effacer l’effondrement de l’URSS. (…) En négociant d’égal à égal avec le président des Etats-Unis Poutine démontre en même temps aux Russes que sa position de capo est reconnue par les maudits Occidentaux. Le sentiment d’avilissement qu’ils éprouvent au fond d’eux-mêmes en se pliant au despotisme se dissipe au spectacle de l’humiliation des Occidentaux : eux aussi courbent l’échine devant Poutine. La propagande du régime sait admirablement jouer de ces cordes sensibles. Il est important de comprendre quelles motivations ont poussé Poutine à lancer ce défi aux pays occidentaux. Comme toujours le comportement russe est dicté par une analyse soigneuse de la « corrélation des forces », qui, selon les experts du Kremlin, vient de basculer en faveur des puissances révisionnistes anti-occidentales. Après 20 ans de préparation à la guerre, la position russe est jugée forte comme jamais, à en croire le think tank Russtrat (…) Car en face, les Etats-Unis affrontent une crise sans précédent, avec une inflation galopante, des pénuries d’approvisionnement, un président faible, une société plus divisée que jamais. D’où la démarche du Kremlin : « Il ne s’agit pas de propositions de discussion, mais bien d’un ultimatum — d’une demande de reddition inconditionnelle. L’Occident n’a pas d’autre choix que de perdre la face — à moins de tenir fièrement bon et d’entrer en guerre avec la Russie. À en juger par la façon dont les Occidentaux ont commencé à s’agiter de l’autre côté, ils en sont bien conscients. » En brandissant la menace d’une guerre, fait remarquer RIA Novosti, « Moscou souligne que la Russie est prête — moralement, techniquement et dans tous les autres sens du terme — à toute évolution des événements. (…) Évidemment la guerre n’est pas sans risques, ce dont, espérons-le, les militaires russes essaient de persuader Poutine. (…) Mais (…) il ressort des analyses de Russtrat (entre autres) que le déclic pour le Kremlin a été la politique malencontreuse de la Maison Blanche qui, après la débandade en Afghanistan, a multiplié cet automne les émissaires à Moscou, rendant encore plus manifeste aux yeux de Poutine la faiblesse des Etats-Unis : (…) Le 2 novembre 2021, Burns a effectivement rencontré le secrétaire du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie Nikolaï Patrouchev et, probablement, le président Poutine. C’est un personnage apprécié du Kremlin : en 2005-2008, il a été ambassadeur en Russie et « a trouvé un langage commun avec Poutine. Sobre et pragmatique, totalement dépourvu du complexe messianique caractéristique des Américains, Burns a toujours prôné le refus d’élargir l’OTAN vers l’Est. » La visite de Burns a été interprétée à Moscou comme l’indice du choix d’une politique d’appeasement à Washington et donc un encouragement à faire monter les enchères et à « s’emparer de l’initiative stratégique ». Au fond, nous retrouvons dans ces considérations un substrat léniniste. Les États-Unis et leurs alliés européens étaient les nantis de l’ordre international, les principaux bénéficiaires du système existant, qui leur apportait des avantages disproportionnés par rapport à leur contribution. Grâce à la crise, leur hégémonie est sur le déclin. Les Etats autrefois « prolétaires » sont en train de l’emporter, sous le leadership russe. Là encore Poutine est en train de rejouer la guerre froide, avec un happy end cette fois. (…) Les Occidentaux doivent d’abord percevoir la situation telle qu’elle est, si désagréable fût-elle pour nos Etats démocratiques plus habitués à des entreprises futiles qu’à assurer leur préservation. Pour cela nous devons nous extraire du mensonge russe. Le premier mensonge concerne les prétendues inquiétudes de Moscou pour la sécurité russe, le danger que représenterait pour elle des missiles de l’OTAN déployés dans les pays frontaliers. Il suffit de prendre connaissance des textes cités plus haut pour constater que les préoccupations de « sécurité » mises en avant par Moscou ne sont qu’un rideau de fumée, que l’OTAN même est considéré comme un tigre en papier (…) Quand Moscou parle de « sécurité » il faut entendre « domination russe » et « impunité », car c’est de cela qu’il s’agit. Le Kremlin considère en effet que tout ce qu’il ne contrôle pas peut mettre le régime en péril. On le voit à la politique intérieure russe, où depuis des années les oasis de liberté sont asséchées une à une. Ce que Moscou craint en Ukraine, ce ne sont pas les quelques instructeurs de l’OTAN, ce sont les libertés. Elle veut une Ukraine désarmée de manière à pouvoir intimider les rebelles de Kiev et mettre en place un régime haï par son peuple, donc dépendant totalement du Kremlin. On se souvient que la Russie a laissé faire Aliev en Arménie justement parce que le président Pachinian avait été choisi par le peuple arménien contre les marionnettes du Kremlin. Si la Russie parvient à chasser les Etats-Unis d’Europe, elle ne tardera pas à se sentir menacée par les libertés des pays d’Europe de l’Ouest, et sous prétexte d’assurer sa « sécurité », elle mettra le même acharnement chez nous que chez elle à asservir les media, à éradiquer les institutions démocratiques et les partis indépendants. Aujourd’hui déjà, Lavrov se permet de réclamer la démission de Stoltenberg, secrétaire de l’OTAN, qui selon lui « n’est pas à la hauteur de sa tâche ». Autre illusion dont il faut se défaire, l’idée d’une société civile bouillonnante en Russie qui pourrait freiner les aspirations belliqueuses du président Poutine. Les sondages montrent que le lavage de cerveau effectué par la propagande officielle est fort efficace : 50 pour cent des Russes interrogés considèrent que l’OTAN et l’Occident en général sont responsables de la tension actuelle. 16 pour cent incriminent l’Ukraine. Les rares opposants qui subsistent critiquent très rarement la politique étrangère et ne dénoncent guère le chauvinisme nauséabond qui émane du régime de Poutine. Enfin, mentionnons cette vache sacrée démocratique qui doit être sacrifiée : la foi absolue dans la vertu du « dialogue », que la plupart des responsables occidentaux, de Florence Parly à Mario Draghi, continuent à préconiser face à Moscou. Or rien n’est plus dangereux que ces échanges au sommet, qui, quoi qu’on dise, alimentent immanquablement soit la paranoïa, soit la folie des grandeurs et l’ivresse de puissance russes. Si les Occidentaux se montrent fermes, le Kremlin en tire la conclusion qu’ils veulent détruire la Russie ; si les Occidentaux offrent des concessions, le Kremlin en conclut qu’ils sont faibles et qu’il faut foncer. Très souvent avec la Russie la meilleure politique est celle du silence et de la distance : ne rien faire, ne rien dire et tenir bon l’arme au pied. S’accrocher au dialogue à tout prix, surtout quand Moscou nous tient en joue comme un forcené détenant un otage, ne fait qu’étaler notre faiblesse et encourager le Kremlin à l’escalade. Surtout nous devons cesser de donner à la guerre froide la connotation péjorative qu’elle ne mérite nullement. La ministre de la Défense Florence Parly vient de déclarer que les pays occidentaux doivent éviter l’escalade avec la Russie afin de ne pas provoquer une nouvelle guerre froide. Tant que nous restons dans ces cadres conceptuels la Russie sera gagnante. Il faut se rappeler que la guerre froide a commencé en 1946, lorsque les Occidentaux ont cessé de céder à Staline, après lui avoir laissé en pâture les pays d’Europe centrale et orientale. C’est grâce à la guerre froide que les pays de l’Europe occidentale ont conservé leur liberté. Les leçons des années 1946-7 sont d’actualité aujourd’hui. Les pionniers de la guerre froide furent les Britanniques, qui constituèrent un bloc occidental autour du noyau anglo-français et persuadèrent les Américains tentés par l’isolationnisme de rester en Europe. Au printemps 1947, les gouvernements français, italien et belge expulsèrent les ministres communistes, conscients du danger que représentait la cinquième colonne de Moscou en Europe. Cette volonté manifeste de résister à Staline acheva de persuader Washington de s’engager dans la sécurité européenne. Il s’agissait de tout un programme d’action dont nous pourrions nous inspirer aujourd’hui, au lieu de nous livrer à une puérile guerre des boutons avec la Grande-Bretagne. Mais pour cela nous devons réapprendre à voir les choses en face, à raisonner en termes politiques, au lieu de flotter au gré des passions médiatiques et des sondages. En 1946-7 on savait que la liberté valait la peine qu’on meure pour elle, ce qui visiblement est oublié aujourd’hui. Après Munich, en 1938, les Occidentaux éprouvèrent une grande honte d’avoir abandonné la Tchécoslovaquie dans les griffes d’Hitler. Aujourd’hui nous sommes en train de laisser tomber lâchement l’Ukraine, mais nous ne nous rendons même pas compte de notre déshonneur, ni du péril qu’il y a à céder à un agresseur. Nous discutons du sexe des anges, comme les Byzantins lorsque les forces ottomanes étaient en train de détruire les remparts de la ville. Françoise Thom
Ceux qui préconisent le « dialogue » ne voient pas que toute main tendue de l’Occident est perçue en Russie soit comme une agression camouflée – l’expression du projet prêté à l’Occident de « démembrer la Russie » pour mettre le grappin sur ses richesses –, soit comme le signal d’une disposition à la capitulation de « l’adversaire » (car le Kremlin considère comme des adversaires tous les pays qui ne sont pas des dictatures). Il résulte de ceci que toute démarche des Occidentaux à l’égard de la Russie se retournera contre eux. Une bonne politique russe est une politique où on en fait le moins possible, où l’on parle le moins possible, une politique d’isolement, sans les déclarations fracassantes, sans les menaces creuses, qui nourrissent à la fois la paranoïa et l’arrogance des occupants du Kremlin. Ceci ne veut pas dire qu’il ne faille pas marquer le coup quand Moscou pratique le fait accompli, agresse ses voisins ou se livre à des répressions. Toutefois ce n’est pas en paroles qu’il faut réagir, mais en actes, et en actes mis en place sans crier gare, à la manière des opérations spéciales qu’affectionne le président Poutine. Si nous nous donnons le luxe d’être imprévisibles, Poutine cessera de jouer sur le velours. Ceci concerne avant tout les sanctions. On nous dit que les sanctions sont inutiles, qu’elles permettent au régime de provoquer un sursaut patriotique autour du pouvoir ; on laisse entendre que les sanctions sont imposées par les Etats-Unis à une Europe qui ne demanderait pas mieux que de manifester son « indépendance » en pratiquant une politique accommodante avec Moscou, bref que les Européens doivent être « réalistes », privilégier leurs « intérêts », assurer leur « sécurité énergétique » en soutenant le Nord Stream 2 [projet de gazoduc entre la Russie et l’Allemagne]. Justement, soyons « réalistes » et réfléchissons où sont nos vrais « intérêts », sans que le Kremlin nous dicte le sens qu’il faut attribuer à ces termes. D’abord, contrairement à ce qu’on ne cesse de prétendre, les sanctions marchent, et c’était déjà le cas à l’époque soviétique. Les archives montrent qu’elles ont dissuadé Khrouchtchev de pratiquer l’escalade au moment de la crise de Berlin [entre 1958 et 1962], qu’elles ont dissuadé Brejnev et Andropov d’intervenir en Pologne en 1981 [au moment des grèves massives conduites par le mouvement Solidarnosc]. Si des sanctions sérieuses avaient été adoptées après le démembrement de la Géorgie en 2008, au lieu du pathétique « reset » [la relance des relations russo-américaines voulue par le président Obama], on aurait évité l’annexion de la Crimée, en 2014. Mais venons-en aux relations économiques, dont on nous assure qu’elles vont permettre un rapprochement entre l’Europe et la Russie. C’est oublier que pour Moscou, les relations d’affaires sont avant tout un instrument de projection de la puissance et de l’influence russe. En devenant le fournisseur de pétrole et de gaz de l’Europe, le Kremlin se crée de puissants oligarques au sein des élites politiques occidentales, qui, comme les oligarques russes, sont autorisés à s’enrichir à condition de servir Moscou. Les grandes sociétés faisant des affaires en Russie deviennent les vecteurs de la politique russe en Europe. Quant à la « sécurité énergétique » qu’assurerait le Nord Stream 2, souvenons-nous de la manière dont le Kremlin ferme les robinets du gaz aux pays de « l’étranger proche » qui ont le malheur de lui déplaire. L’Europe a-t-elle vraiment « intérêt » à se passer la corde au cou ? A-t-elle « intérêt » à augmenter les flux financiers vers la Russie, quand on sait que ces ressources vont alimenter la guerre hybride menée contre les Occidentaux, acheter notre classe politique, nos médias et nos think tanks, financer le déploiement de nouveaux missiles braqués contre l’Europe ? Les sanctions sont un outil efficace, surtout si elles visent les oligarques et les siloviki [soit « les hommes en uniforme », issus des services de sécurité russes – le KGB, puis le FSB] proches du pouvoir, ou si elles entravent le développement des secteurs de puissance de la Russie (énergétique et armement), les seuls qui comptent aux yeux du Kremlin. Une politique résolue de sanctions dures obligerait les hommes du Kremlin à se demander si la politique de confrontation voulue par le président Poutine est vraiment conforme aux intérêts nationaux russes. La claque infligée à Josep Borrell (…) jette une lumière crue sur un aspect essentiel de la stratégie du Kremlin. Il s’agit de faire une démonstration éclatante de la faiblesse des Occidentaux, pour hâter l’avènement d’un ordre, ou plutôt, d’un désordre international postoccidental. C’est un signal lancé à Xi Jingping, Erdogan et consorts : voyez, nous pouvons impunément nous essuyer les pieds sur l’UE et elle passera par nos volontés. C’est pourquoi, si nous voulons éviter que Poutine fasse des émules, la première règle que les Européens doivent adopter est de ne plus faire étalage de leur faiblesse et de leur désunion, de riposter sans tarder aux humiliations publiques et aux provocations. Mieux vaut agir sans parler que parler sans agir. Dans le monde de voyous qui nous entoure, il est temps que l’UE apprenne à se faire craindre. Françoise Thom
Désespérons Billancourt ! Désespérons Billancourt ! Désespérons Billancourt ! Georges de Valera (escroc qui se fait passer pour un ministre soviétique ayant choisi la liberté », Nekrassov, Sartre, 1955)
Je me rappelle votre belle enquête : « La Guerre, demain ! » On transpirait d’angoisse. Et vos montages photographiques : Staline entrant à cheval dans Notre-Dame en flammes ! De purs chefs-d’œuvre. Mais voici plus d’un an que je note un relâchement suspect, des oublis criminels. Vous parliez de famine en URSS et vous n’en parlez plus. Pourquoi ? Prétendez-vous que les Russes mangent à leur faim ? Mouton (Nekrassov, Sartre)
Depuis Kravtchenko, sais-tu combien j’en ai vu défiler, moi, de fonctionnaires soviétiques ayant choisi la liberté ? Cent vingt-deux, mon ami, vrais ou faux. Nous avons reçu des chauffeurs d’ambassade, des bonnes d’enfants, un plombier, dix-sept coiffeurs et j’ai pris l’habitude de les refiler à mon confrère Robinet du Figaro, qui ne dédaigne pas la petite information. Résultat : baisse générale sur le Kravtchenko. […] Ah ! monsieur a choisi la liberté ! Eh bien ! fais-lui donner une soupe et envoie-le, de ma part, à l’Armée du salut. Sibilot (Nekrassov, Sartre)
Je décidai qu’en cette occurrence, l’URSS fût innocente et que le scandale vînt essentiellement de la presse française. Sartre (1978)
Nekrassov (…) est jouée huit ans après le procès Kravtchenko qu’elle évoque explicitement. On s’en souvient, Kravtchenko, haut fonctionnaire soviétique envoyé aux États-Unis en 1943 dans une commission d’achat, a décidé d’y rester et écrit un livre, J’ai choisi la liberté, dans lequel il racontait ce qu’il avait vu en URSS : la collectivisation, les famines, les purges, les camps, la terreur, la surveillance généralisée. Ce livre a été un succès mondial et a entraîné un procès qui s’est tenu à Paris en 1949 et dans lequel Kravtchenko affrontait le journal communiste Les Lettres françaises et ses partisans. Simone de Beauvoir a assisté avec Sartre à une audience et, si elle parle en termes peu amènes de Kravtchenko et de ses témoins, elle admet dans ses Mémoires qu’« une réalité ressortait de leurs dépositions : l’existence des camps de travail » en URSS. Dès 1949, la question n’était donc plus de savoir s’il existait des camps et des répressions en URSS, mais si ces camps et ces répressions justifiaient de ne pas soutenir l’URSS et l’espoir révolutionnaire que celle-ci était censée incarner. Pour Sartre, non, cela ne le justifiait pas, comme en témoignent ses interviews de 1954 et sa pièce de 1955. L’intrigue de Nekrassov est basée sur un quiproquo volontairement créé. Un escroc recherché par la police, Georges de Valera, se cache chez la fille du journaliste Sibilot, qui travaille pour Soir à Paris. Jules Palotin dirige ce journal et semble inspiré par Pierre Lazareff, le directeur de France-Soir, qui a lui aussi visité l’URSS au printemps 1954 avec son épouse russophone et qui, dans une polémique publique, a reproché à Sartre d’idéaliser ce pays. Palotin a chargé Sibilot de lutter contre « la propagande communiste », et ce dernier, qui reconnaît être « un professionnel de l’anticommunisme », se plaint de ses conditions matérielles : l’argent est sa motivation première. De même, Palotin veut avant tout que son journal se vende. Or Mouton, directeur du conseil d’administration, lui ordonne de renforcer les attaques contre les communistes avant des élections locales (…) Le danger de guerre, les famines et le niveau de vie soviétique, très bas, ne seraient donc que des thématiques caricaturales, destinées à effrayer, à faire vendre le journal et à influer sur la politique intérieure française. Dès lors, selon Sartre, les articles sur ces sujets devraient susciter l’ironie de ceux qui, comme lui, ne seraient pas dupes. (…) L’URSS avait commandité des attaques contre Kravtchenko, et la pièce apparemment si légère de Sartre était aussi une tentative pour donner un second souffle à ces attaques. Consciemment ou pas, l’intellectuel n° 1 d’Occident était utile à ses nouveaux amis : il ridiculisait les opposants à l’URSS, réduisait toute critique de l’URSS à des motivations matérielles et mettait en doute les crimes, les oppressions et les difficultés matérielles dont le pouvoir soviétique était directement responsable. Cécile Vaissié
Welcome Gorby, bienv’nue ici Où on est quelques-uns, je crois Un copain à moi et puis moi A espérer Qu’tu vas v’nir avec tes blindés Nous délivrer T’as fait tomber l’mur de Berlin (…) Ici y’a des chaînes à briser Commence par les chaînes de télé (…) Que tu nous débarrasses un peu De ce « Big Brother » de mes deux J’te fais confiance Tu pourras aussi liquider Les radios FM à gerber Qu’ nous balancent De nos chanteurs hydrocéphales Et de leur poésie fécale Toute l’indigence (…) Où on est quelques-uns, je crois (…) A espérer Qu’tu vas v’nir avec ton armée Tout balayer Tu peux construire, si tu t’amènes Quelques goulags au bord d’la Seine De toute urgence Ici y’a un paquet d’nuisibles Qui nous font péter les fusibles De la conscience Des BHL et des Foucault Pas l’philosophe, non, l’autre idiot Des Dorothée Fort sympathiques au demeurant Je dirais plus exactement Aux demeurés (…) Que tu vas v’nir claquer l’beignet A ces tares On a ici, c’est bien pratique Quelques hôpitaux psychiatriques Qu’tu peux vider Pour y foutre les psychanalystes Les députés, les journalistes Et les Musclés (…) Si t’en as marre du communisme J’te raconte pas l’capitalisme Comme c’est l’panard Comment on est manipulés Intoxiqués, fichés, blousés Par ces connards Viens donc contempler nos idoles Elles sont un peu plus rock and roll Que ton Lénine Bernard Tapie et Anne Sinclair ‘Vec ça tu comprends qu’notr’misère Soit légitime (…) Qu’si tu v’nais avec tes blindés Y voudraient sur’ment pas rester.Renaud (1991)
Au lieu de recevoir Poutine avec des pincettes, au lieu de l’humilier en bloquant la construction du centre orthodoxe du quai Branly et de bouder l’inauguration du monument à la mémoire des soldats russes morts pour la France durant la Grande Guerre, le gouvernement français devrait faire preuve de réalisme et d’un peu de courage pour construire une relation de confiance avec la Russie! Ce n’est pas à New York que la crise syrienne se dénouera, c’est à Moscou. Que Poutine lâche le régime syrien, et il tombera comme le fruit pourri qu’il est. Si j’étais François Hollande, je prendrais l’avion maintenant pour Moscou, si possible avec Angela Merkel, et je chercherais à offrir à la Russie de véritables garanties sur sa sécurité et sur une relation de confiance avec l’Otan, qui doit inclure la question de la défense antimissile à laquelle les Russes doivent être réellement associés. L’ours russe n’est dangereux que quand il a peur. Offrons-lui sans détour la perspective d’un accord historique d’association avec l’Europe. Ce que François Hollande ne comprend pas, c’est qu’il faut ancrer la Russie à l’espace européen. Je sais bien que les diplomates trouveront dix mille raisons qui empêchent cette avancée historique: l’insuffisance de l’État de droit en Russie, l’instabilité des règles juridiques et commerciales, la corruption… Tout cela est vrai mais tout cela ne peut justifier que nous restions inactifs face au piège infernal qui est en train de s’armer aux confins de la Perse, de la Mésopotamie et l’Assyrie. Que notre président normal comprenne qu’il n’y a rien de normal dans le monde dont il est désormais l’un des principaux responsables. Qu’il prenne des risques, qu’il abandonne ses postures bourgeoises et atlantistes version guerre froide. Qu’il parle avec la Russie. François Fillon (2012)
On sait que la Russie n’est pas une démocratie, on sait que la Russie est un régime instable et dangereux. La question posée c’est : ‘est-ce qu’on doit continuer à provoquer les Russes, à refuser toute espèce de dialogue avec eux en les poussant à être de plus en plus violents, agressifs, et de moins en moins européens?’ François Fillon (2016)
La Russie, c’est le plus grand pays du monde par sa superficie. C’est un pays dangereux car c’est un pays instable, qui n’a jamais connu la démocratie. (…) Traiter ce pays comme si c’était le Luxembourg ou le Panama, c’est juste une énorme bêtise. (…) Il n’y a jamais eu de démocrate à la tête de la Russie. Vouloir faire de Poutine un monstre aux mains pleines de sang, c’est juste ridicule par rapport à l’histoire de la Russie. François Fillon (2016)
Pour moi, l’homme de l’année est Vladimir Poutine. Il (…) fut le seul à oser donner l’asile politique à Snowden, l’homme qui révéla la folle réalité de l’espionnage américain. Mais cette année restera avant tout celle où le chef de l’Etat russe est sorti vainqueur du grand bras de fer diplomatique autour de la Syrie. Poutine tient dans cette histoire le rôle glorieux d’un Chirac qui aurait réussi à empêcher la guerre en Irak. (…) Poutine a remis le couvert avec l’Iran, servant d’honnête courtier avec les Américains. Et il a parachevé son triomphe diplomatique en empêchant le ralliement de l’Ukraine à l’Europe. (…) Poutine n’est pas en odeur de sainteté ni dans les médias français ni au Quai d’Orsay. On évoque non sans raisons ses penchants autoritaires, ses accointances avec certains cercles plus ou moins mafieux, son incapacité à couper l’économie de sa rente pétrolière et gazière. Mais personne ne peut contester qu’il été élu démocratiquement. (…) La bourgeoisie occidentalisée conteste ses manières, mais la majorité du peuple lui sait gré d’avoir restauré l’Etat. (…) Poutine a mis au pas les oligarques qui dépeçaient la Russie et rétabli la souveraineté de la Russie face à la pression impériale de l’Amérique. Poutine a peu à peu endossé les habits de nouveau tsar dans la grande tradition russe. Il reste le dernier résistant à l’ouragan politiquement correct qui, parti d’Amérique, détruit toutes les structures traditionnelles, famille, religion, patrie.Eric Zemmour (20.12.2013)
Poutine a eu des mots très justes, il y a déjà bien longtemps, sur la colonisation de l’Europe par ses anciens colonisés. À ce propos, je rejoins mot pour mot ses analyses : il a décrit à l’avance, et avec tout le mépris qui convenait, ce qui est en train de se produire. Mais je ne le vois pas comme un ami : plutôt comme un joueur très doué qui sert à merveille ses propres intérêts et, dans une certaine mesure, ceux de son pays (plus que de son peuple). On peut s’inspirer de sa détermination, de son talent diplomatique, de son patriotisme. On peut même les admirer, et les envier pour nos propres nations. Mais on ne saurait oublier qu’il ne s’agit nullement d’un ami, et que ses intérêts ne sont pas les nôtres. Renaud Camus (2017)
Qu’ont en commun François Fillon, Jean-Luc Mélenchon, Nadine Morano et Jean-Pierre Chevènement ? Pas grand-chose, sauf l’admiration qu’ils portent à Vladimir Poutine. Chapeau l’artiste : non content d’être devenu la vedette du théâtre stratégique international, dont on se demande tous les mois quel sera le prochain tour, Poutine est applaudi à gauche (un peu) et à droite (surtout). Nicolas Sarkozy a bien senti le vent : depuis 2015, il justifie l’annexion de la Crimée – au motif que ses habitants auraient librement choisi leur sort – et adopte le tropisme moscovite d’une grande partie de ses électeurs potentiels. Cette vision de Poutine résulte d’une convergence exceptionnelle : admiration pour le « défenseur des valeurs chrétiennes », qui a surfé sur la vague de l’opposition au « mariage pour tous » ; respect pour un pouvoir fort et viril, antithèse à la fois de François Hollande et de Barack Obama ; applaudissements saluant la maestria diplomatique de Moscou au Moyen-Orient, qui contraste avec la pusillanimité de Washington ; vision romantique de la relation franco-russe, qui a toujours existé chez les gaullistes, mais qui séduit aussi par son anti-américanisme ; fierté de quelques vieux communistes pour le révisionnisme historique aujourd’hui à l’œuvre au Kremlin… Que les extrêmes communient dans cette « panthéonisation », cela n’a rien de très surprenant. Mais qu’une large frange des Républicains y participe, c’est plus ennuyeux, car cela révèle un aveuglement sur la nature du pouvoir russe actuel. La défense des « valeurs traditionnelles » par le Kremlin est, au mieux, un malentendu. Il est vrai qu’elle est entretenue par une propagande habile : moderne, affûtée, non dénuée de sens de l’humour. Avec un investissement considérable dans les réseaux sociaux et les blogs, et l’entretien d’une cohorte de propagandistes rémunérés pour répandre la bonne parole dans les médias, sans compter les idiots utiles. Mais un régime dont les principaux ressorts sont la corruption, la manipulation, la répression et l’élimination physique des opposants incarne-t-il dignement les « valeurs conservatrices » ? La répression de la différence sexuelle relève-t-elle des leçons de l’Évangile ? La criminalisation du « blasphème » mérite-t-elle les applaudissements des catholiques ? L’intimidation des Églises non affiliées au patriarcat est-elle une preuve d’amour de son prochain ? La relation de co-dépendance qu’entretient Moscou avec la satrapie néo-wahhabite de Tchétchénie, dont les hommes de main sont les exécuteurs des basses œuvres du Kremlin, est-elle d’essence chrétienne ? Le bombardement délibéré d’hôpitaux en Syrie est-il un témoignage de charité ? Quant à la « défense des chrétiens d’Orient », dont Poutine est crédité à travers son soutien à Damas, elle relève d’un mythe : Bachar el-Assad n’a aucune sympathie particulière pour les chrétiens, qui ont tout autant souffert de son régime que les autres et ne sont qu’un pion dans sa stratégie. Le pouvoir fort admiré par les thuriféraires de Moscou ? Une clique cynique et affairiste composée d’anciens des services de sécurité dans le premier cercle, et de potentats mafieux dans le second. Une caste dirigeante qui a, depuis 2012, achevé sa mue autoritaire entamée en 1999 au prix d’une série de coups tordus, et réalisé une habile synthèse de néo-tsarisme et de néo-stalinisme. Avec la bénédiction d’une grande partie de sa propre population, dont la capacité à exercer librement ses choix démocratiques est, il est vrai, aujourd’hui sujette à caution. (…) Écouter les arguments de la Russie au motif que c’est une « grande civilisation » ? L’Iran a beau être une « civilisation bimillénaire » et la Grèce « le berceau de l’Occident », cela n’éteint pas la critique des mollahs révolutionnaires ou des gauchistes impécunieux. (…) Accepter que le Kremlin fasse des pays limitrophes une « sphère d’influence » ? Ce serait bénir une logique impérialiste et se moquer de l’autodétermination des peuples. Et si la Crimée avait « toujours été russe », pourquoi ne pas « rendre » Kaliningrad (Königsberg) à l’Allemagne ? (…) « Quand vous trouvez un accord avec la Russie, elle le respecte », prétendait François Fillon début avril. Que Moscou ait foulé aux pieds tous les traités sur la sécurité européenne signés depuis 1975 et tous les textes régissant sa relation avec l’Ukraine indépendante depuis 1994 ne semble pas troubler l’ancien Premier ministre. (…) l’admiration pour Poutine rappelle décidément, à droite, l’attitude d’une partie de la bourgeoisie européenne entre 1933 et 1939. La posture diplomatique recommandée par certains néogaullistes relève ainsi de l’imposture politique. La nostalgie pour « l’Europe de l’Atlantique à l’Oural » concerne la reconstruction à posteriori : derrière une rhétorique habile, des gestes à portée symbolique forte et une certaine admiration pour la culture russe, le général ne s’est jamais fourvoyé dans une fausse équivalence entre Washington et Moscou. (…) Mais « tendre la main » à Moscou ? Cela relève de l’illusion tant le pouvoir russe raisonne aujourd’hui en termes de jeu à somme nulle, et sur le mode « ce qui est à moi est à moi, ce qui est à toi est négociable. » « Tenir compte des intérêts de Moscou » ? Pas au détriment des nôtres. Comme souvent, les Français sont plus lucides que leurs dirigeants et leurs intellectuels. Si l’on en croit une enquête menée en 2015 dans huit pays occidentaux, ils sont les plus nombreux (30 %) à avoir une image positive de la Russie, mais les moins nombreux (15 %) à faire confiance à Vladimir Poutine. C’est une bonne réponse aux poutinolâtres qui reprochent à leurs adversaires une supposée « russophobie ». Bruno Tertrais
Nos souverainistes, si sourcilleux de notre indépendance quand il s’agit des États-Unis, s’alignent sans états d’âme sur les positions du Kremlin, même les plus scandaleuses, comme on l’a vu à droite et à gauche au moment de la guerre hybride contre l’Ukraine (…). Poutine a imposé une propagande ahurissante charriant la haine et le mensonge. Et c’est dans ce pays que notre droite cherche son inspiration. Françoise Thom
Comme Nicolas Tenzer et Garry Kasparov l’ont déjà relevé dans Desk Russie, François Fillon n’a eu aucun scrupule à se faire récemment recruter par une entreprise étatique russe, Zaroubejneft, dès lors que ce « personnage sournois, arrogant et corrompu », pour reprendre le portrait qu’en a dressé Jean-Louis Bourlanges en février 2017, peut en tirer profit. L’annexion de la Crimée, l’affaire Navalny, les atteintes systématiques aux libertés, les ingérences dans les affaires de l’Occident, le soutien inconditionnel au sanguinaire el-Assad ne paraissent guère émouvoir l’ancien Premier ministre. Un membre distingué de l’Institut, éminent spécialiste de la Russie, a démenti le propos que lui prêtait Le Figaro du 28 février 2017, à savoir que Fillon était « un agent des Russes » (Commentaire, n°158, 2017, p. 471). Peut-être pas agent, mais pour le moins « prorusse et antiaméricain » selon Le Monde du 11 novembre 2016. En effet, il paraît comme « fasciné » (Le Point, 3 déc. 2015) par son ami Poutine, s’en prend systématiquement à l’Amérique, coupable de tous les maux de la terre ou presque, sans parler d’une écoute attentive de la CGT lorsqu’il était ministre du Travail, position dénoncée avec vigueur à l’époque par Marc Blondel, le secrétaire général de Force ouvrière (Chronique économique, syndicale et sociale, sept. 2004). L’ancien élu de la Sarthe, qui, comme son ancien soutien Mariani, n’a jamais exercé d’autre métier que la politique, partage, au fond, les convictions d’un Chevènement, notamment son hostilité au traité de Maastricht, tout en se prononçant pour l’entrée de la Turquie au sein de l’Europe, afin de « jouer un rôle d’équilibre face aux États-Unis » (Libération, 10 déc. 2004). Déjà, en 1989, le ministre de la Défense, en déplacement officiel à Moscou, avait invité Fillon à faire partie de la délégation française. En 1991, ils déjeunent ensemble (Le Maine libre, 21 fév. 1991). Vingt-six ans plus tard, dans le cadre de la campagne présidentielle, le candidat Fillon, lors d’un meeting à Besançon, plaçait sur le même plan de Gaulle, Séguin et Chevènement Bien avant, Fillon admettait qu’il y avait avec ce dernier « convergence mais pas identité » (Le Quotidien de Paris, 27 oct. 1990). Par ailleurs, s’il rend hommage à Régis Debray, il se dit en désaccord avec Finkielkraut sur la Russie (Le Point, 7 janv. 2016). En sa qualité de Premier ministre, on le voit déplorer, en septembre 2008, à propos de l’offensive russe en Géorgie, la condamnation par l’Europe de cette Russie « humiliée », ce qui pourrait rappeler la formule du Führer au lendemain du traité de Versailles. Il s’en prend à ceux qui « continuent à piétiner la Russie », laquelle, annonce-t-il, ne fera pas l’objet, comme déjà soumis à celle-ci, de sanctions (Le Figaro, 5 sept. 2008) Au cours de son règne à Matignon, il rencontre Poutine deux à trois fois par an mais refusera de recevoir Hervé Mariton, président du groupe parlementaire d’amitié franco-russe, qui, lui, ne fait pas partie des affidés de Moscou (L’Express, 29 janv. 2014). Dans son livre Faire (Albin Michel, 2015), Fillon déclare avoir « aimé nos rencontres [avec Poutine] parce qu’elles étaient utiles, parce qu’on pouvait y nouer à l’improviste des accords qui n’étaient pas préparés à l’avance ». Il le définit comme « patriote » (Valeurs actuelles, 20 oct. 2016). Son alignement sur le régime russe ne fait que s’accentuer après l’élection de François Hollande à l’Élysée : « Au lieu de recevoir Poutine avec des pincettes, déplorait Fillon dans Le Figaro du 13 août 2012, au lieu de l’humilier 1 […] le gouvernement français devrait faire preuve de réalisme et d’un peu de courage pour construire une relation de confiance avec la Russie ! […] Si j’étais François Hollande, je prendrais maintenant l’avion pour Moscou […] et je chercherais à offrir à la Russie de véritables garanties sur sa sécurité et sur une relation de confiance avec l’OTAN. […] Qu’il prenne des risques, qu’il abandonne ses postures bourgeoises et atlantistes, version guerre froide. » (…) Concernant la perspective d’une intervention des Occidentaux en Syrie, Fillon — devenu député de Paris — exhorte, avec Villepin, la présidence Hollande à la prudence, surtout si la France doit agir avec ses alliés ; le préalable, c’est d’« informer nos partenaires russes. Nous devons tenter une dernière fois d’essayer de les convaincre d’agir avec les moyens qui sont les leurs sur le régime d’Assad » (Le Monde, 30 août 2013). En septembre 2013, il est de nouveau en Russie où, en violation des usages, il critique, avec véhémence, la position française, lui faisant grief de s’aligner sur l’Amérique : « Je souhaiterais, proclame-t-il, que la France retrouve cette indépendance et cette liberté de jugement et d’action qui seules lui confèrent une autorité dans cette crise », à la grande jubilation, souligne Le Monde du 21 septembre, de l’élite russe venue entendre la bonne parole. Le socialiste Arnaud Leroy voit en Fillon « le laquais de la Volga » tandis que le porte-parole du parti dénonce cette « dérive », laquelle fait l’objet d’un éditorial plus que sévère du Monde du 22, déplorant « la faute de ce voyage ». Sur sa lancée, Fillon séjourne, en octobre 2013, au Kazakhstan, pas gêné par ses atteintes systématiques à la liberté ; sa prestation, « truffé de banalités », lui aurait rapporté, si l’on se réfère au Nouvel Observateur du 31 octobre, 30 000 €. S’agissant de ses émoluments, Le Canard enchaîné du 22 mars 2017 titre « Fillon a fait le plein chez Poutine » et sous-titre « Pour jouer les entremetteurs entre le président russe, un milliardaire libanais et le pédégé de Total, le candidat, alors député de Paris, a palpé 50 000 dollars en 2015. Avec promesse d’intéressement aux bénéfices ». « Récemment, relève Le Monde du 13 juin 2018, il aurait œuvré au rapprochement de Tikehau avec le fonds Mubadala d’Abou Dhabi, et le fonds russe d’investissement direct. » Toujours aussi désintéressé ! À l’issue de la primaire qu’il a remportée pour la présidentielle de 2017, Fillon paraît être le candidat préféré des Russes, à l’instar de de Gaulle en 1965, Pompidou en 1969, Giscard en 1974 et 1981… Mariani s’en félicite : « En politique étrangère, il est le plus constant et le plus régulier dans ses choix, notamment sur la Russie. » Fillon se prononce, comme il se doit, pour la levée des sanctions à l’encontre de Moscou, qui salue sa présence à la future élection (Le Monde, 23 nov. 2016), notamment par un Poutine célébrant « cet homme intègre, qui se distingue fortement des hommes politiques de la planète », pas moins (ibid., 25 nov.). Selon lui, la Russie respecte les accords lorsqu’elle les signe, ce qui lui vaut cette réplique cinglante de Bruno Tertrais dans Causeur de juin 2016 : « Que Moscou ait foulé aux pieds tous les traités sur la sécurité européenne signés depuis 1975 et tous les textes régissant sa relation avec l’Ukraine indépendante depuis 1994 ne semble pas troubler l’ancien Premier ministre. » Poursuivant sur la même lancée, son programme officiel de 2017 annonce que la France sera « un allié loyal et indépendant des États-Unis». La France serait-elle indépendante de Moscou ? Voilà qui est moins sûr lorsque Fillon appelle à « rétablir le dialogue et des relations de confiance avec la Russie, qui doit redevenir un grand partenaire », en levant les sanctions. (…) [Sur l’Ukraine] Là encore, l’ex-chef du gouvernement ne verse pas vraiment dans la nuance, exonérant la Russie de toute implication ou presque : « On doit tout faire, estime-t-il, pour empêcher l’intervention russe. […] Et en même temps, on ne peut pas désigner les Russes comme les seuls fauteurs de troubles, il y a aussi des erreurs qui ont été commises par le nouveau pouvoir de Kiev », lequel n’est pourtant pas celui ayant déclenché les hostilités… Son conseil ne varie pas, revenant comme des litanies, mettant même en accusation la France, surtout pas la Russie : « Il faut parler avec les Russes […]. La France n’a cessé de traiter la Russie d’une manière assez légère » (Le Nouvel Obs, 3 avril 2016) ; cette position suscite une vigoureuse réaction d’indignation de la part du philosophe Alain Laurent dans Le Point du 10 juillet 2014. La faute incombe, comme de bien entendu, aux Américains, estimant qu’une « erreur historique a été commise en repoussant les frontières de l’OTAN juste sous le nez des Russes » (Le Point, 24 avril 2014). « On ne peut pas laisser s’installer, s’indigne-t-il, la guerre à l’est de l’Europe. Surtout quand les États-Unis risquent d’attiser un conflit qui est très loin de chez eux, en proposant notamment d’armer les Ukrainiens » (Le Figaro, 6 fév. 2015). L’Amérique, pour lui, « n’est pas qualifiée pour continuer à discuter avec la Russie ». Ce même 6 février, sur LCI-Radio classique, il estime que « l’agresseur n’est pas Poutine ». Pas un mot sur les aspirations du peuple ukrainien ; s’il consent à reconnaître que Moscou viole le droit international en Crimée, c’est pour aussitôt tempérer son propos, estimant qu’il a des droits historiques sur ce territoire, et de prétendre que « la responsabilité la plus élevée incombe aux États-Unis » (Valeurs actuelles, 18 juin 2015). Dans une lettre ouverte au chef de l’État, Fillon préconise la création d’« une véritable alliance internationale, intégrant l’Iran et la Russie, contre l’État islamique » (JDD, 12 juil. 2015), semblant considérer — il est bien le seul — que l’Iran est étranger au terrorisme. Dans son ouvrage, Faire, il appelle aussi à discuter avec Bachar al-Assad, thème qu’il développe dans une interview accordée au Figaro du 14 novembre 2015 : « La seule voie, c’est de stopper l’effondrement du régime syrien […]. Les Russes l’ont compris depuis longtemps. » Et de les féliciter dans Valeurs actuelles du 19 novembre : « Heureusement que Poutine l’a fait, sinon nous aurions sans doute en face de nous un État islamique. […] Il faut donc se féliciter que la Russie soit intervenue. Maintenant, il faut engager le dialogue avec Moscou pour bâtir une stratégie de reconquête du territoire syrien. » (…) Ignore-t-il que le dirigeant syrien a élargi de ses prisons nombre de dirigeants djihadistes et qu’il n’a pas bombardé les quartiers généraux islamistes (Commentaire, n° 144, hiver 2013/2014, p. 795) ? Ignore-t-il que l’intervention russe n’a visé Daech que de façon marginale (France Inter, 28 nov. 2016) ? Comme l’a justement remarqué Alain Frachon dans Le Monde du 21 octobre 2016, sous le titre « La Syrie de M. Fillon », « choisir al-Assad comme rempart contre le djihadisme […], c’est faire équipe avec Al Capone pour démanteler la Mafia. Ou, si l’on préfère, s’appuyer sur un pompier pyromane pour éteindre l’incendie djihadiste ». (…) À la tribune de l’Assemblée nationale, le 25 novembre 2015, il va jusqu’à suggérer d’associer le Hezbollah, organisation terroriste, à la recherche d’une solution en Syrie, insistant sur la nécessité de réintégrer l’Iran dans les discussions (Le Figaro, 26 nov. 2015). (…) Selon lui, « la Russie est la seule puissance à faire preuve de réalisme en Syrie » (Marianne, 1er avril 2016) (…) Déjà, au Mans, en décembre 1998, il participe à un colloque de trois jours dont l’objet porte sur « les États-Unis, maîtres du monde ? », en compagnie de toute la fine fleur de l’antiaméricanisme : Alain Gresh et Serge Halimi, du Monde diplomatique, Pascal Boniface, Paul-Marie de La Gorce. Fillon s’en prend, pour sa part, à la « fragilité » du président Clinton (Ouest-France, 14 déc. 1998). Lors du conflit opposant Israël au Hamas, à l’été 2014, il dénonce la culpabilité de l’Occident, « et, premièrement, des États-Unis » (Le Monde, 20 juil. 2014). « L’Europe, confie-t-il au Point du 16 avril 2015, est trop dépendante pour sa sécurité et son économie. C’est flagrant concernant […] la nouvelle guerre froide avec la Russie », pauvre victime ! La solution ? Sortir de la domination du dollar contre laquelle l’Europe doit, pas moins, « se révolter » (Valeurs actuelles, 18 juin 2015). Dans son programme présidentiel, le dollar est présenté comme une « nouvelle forme d’impérialisme » (Le Monde, 16 déc. 2016). Dans un tweet, révélé par Nicolas Hénin dans La France russe (Fayard, 2016, p. 117), Fillon place, sur le même pied, en tant qu’ennemis de l’Europe, « totalitarisme islamique, impérialisme américain, dynamique du continent asiatique » ; on appréciera le parallèle ! Si la France, d’après lui, est hostile à la Russie, c’est qu’on « est influencé par l’administration américaine, le Congrès américain et ce que pensent les journaux américains » (Le Point, 25 août 2016). Il pense — mais pense-t-il ? — que « c’est une erreur de la traiter à la fois comme un adversaire et un pays sous-développé » (Le Monde, 14 sept. 2016). Un mois plus tard, il déplore que « la France coure après les États-Unis » (Valeurs actuelles, 20 oct. 2016) (…) Il récidive dans Le Progrès du 11 novembre 2016, où il préconise de « renforcer l’Europe face à la menace du totalitarisme islamique mais aussi face à la mainmise économique américaine, demain chinoise » : singulière juxtaposition, encore une fois, que de placer le terrorisme sur le même plan que l’Amérique. C’est quasiment obsessionnel chez lui : dans L’Opinion du 27 octobre 2016, il insiste « pour sortir un jour de cette dépendance très forte vis-à-vis des États-Unis […]. Ainsi, je suis choqué par les discours des responsables de l’OTAN sur la Russie. Cela relève de la provocation verbale. On ne peut pas considérer Moscou comme l’ennemi n° 1 alors que le totalitarisme islamique nous menace directement ». Il va même jusqu’à proposer, au début 2017, une conférence Europe-Russie sans les Américains (Le Monde, 26 janv. 2017). Le problème, pour lui, ce n’est pas la Russie, allant jusqu’à mettre en cause voire en accusation Washington : « Dans beaucoup de cas, la politique américaine qui pilote l’OTAN n’est pas la solution contre le totalitarisme islamique, elle est plutôt le problème. Nous avons commis des erreurs par le passé en poussant la Russie dans ses travers ». Vincent Laloy
C’est, jusqu’au bout, un aveuglement. (…) [Eric Zemmour] « condamne sans réserve l’intervention militaire », qu’il qualifie d’ « injustifiable ». Mais [il] accuse aussi, peu après, dans une déclaration filmée en direct, les Occidentaux d’avoir envenimé la situation « depuis des années, avec l’expansion ininterrompue de l’OTAN ». Il appelle toujours à signer un traité pour garantir que l’Ukraine n’entrera « jamais » dans l’Alliance atlantique. « Comme ça, monsieur Poutine sera rassuré », ajoutait-il dimanche. (…) Depuis plusieurs mois, Eric Zemmour et Marine Le Pen minimisaient les menaces lancées par Moscou, tout en reprenant la propagande du Kremlin sur de prétendues prétentions américaines. (…) Des positions constantes, mais qui comportent leurs contradictions. Si les deux candidats s’affirment souverainistes, Eric Zemmour et Marine Le Pen faisaient peu de cas de la souveraineté de l’Ukraine, Etat indépendant depuis 1991, membre de l’ONU, ayant inscrit légalement dans sa constitution, en 2019, son aspiration à adhérer un jour à l’Union européenne et à l’OTAN. Ce pays, déclarait Marine Le Pen en décembre 2021, dans un entretien au média polonais Rzeczpospolita, « appartient à la sphère d’influence russe ». Pour Eric Zemmour, « l’Ukraine n’existe pas », comme il le développe dans Un quinquennat pour rien (Albin Michel, 2016), puisque Kiev est, écrit-il, « le berceau de la civilisation russe ». Patriotes autoproclamés, tous deux se sont évertués à affaiblir Emmanuel Macron, Marine Le Pen en le traitant de « petit télégraphiste » de Joe Biden ; Eric Zemmour en l’accusant d’être « impuissant », et même « le néant ». Jeudi 24 février, le candidat d’extrême droite a appelé le chef de l’Etat à se rendre de nouveau à Moscou et à Kiev pour « s’interposer » et réclamer un cessez-le-feu immédiat. Une position en totale contradiction avec ce qu’il soutenait quatre jours auparavant, en citant le « porte-parole de Vladimir Poutine qui a tout dit en une phrase : “Emmanuel Macron est membre de deux organisations, l’Union européenne et l’OTAN, dont il n’est pas le chef.” C’est tout notre problème. Nous sommes vus par les Russes comme les petits télégraphistes de Washington. (…) Notre parole ne vaut rien, en vérité. » En écho, Marine Le Pen a déclaré jeudi que « la France devrait prendre l’initiative d’une réunion diplomatique », oubliant qu’elle avait deux jours avant étrillé « l’échec diplomatique » français. (…) Les deux candidats vouent une profonde admiration à Poutine. En mars 2017, Marine Le Pen s’était rendue auprès du dirigeant russe à Moscou et avait vanté un « point de vue sur l’Ukraine qui coïncide avec celui de la Russie ». En septembre 2018, Eric Zemmour avait déclaré qu’il « rêv[ait] d’un Poutine français » puis, en septembre 2020, sur CNews, qu’il voyait en Poutine « l’allié qui serait le plus fiable, plus que les Etats-Unis, l’Allemagne ou la Grande-Bretagne ». Dimanche, il discourait au pied du Mont-Saint-Michel (Manche) en agitant le spectre de « la prochaine guerre » et clamait qu’être président de la République, « c’est savoir regarder le pire en face, justement pour l’éviter ». Les deux candidats n’ont pas su regarder. Ivanne Trippenbach
Comme ça, Monsieur Poutine sera rassuré !
A l’heure où l’injustifiable agression contre le peuple ukrainien aurait dû nous ouvrir les yeux …
Sur le cynique et proprement dément (jusqu’à pousser à rejoindre l’OTAN des petits pays jusque là neutres comme la Suède ou la Finlande ?) projet de l’actuel régime kleptocratique et revanchiste russe …
Contraint à l’instar de son illustre prédécesseuse la Grande Catherine d’absorber ses voisins pour « garantir ses frontières » …
Pour un pays dont la superficie atteint à peine celles de la première et de la deuxième puissance mondiale – cumulées !
Et appuyé sur un nouveau chantage stratégique à base de nouvelles armes de théâtre hypersoniques pour s’assurer une « bulle stratégique » pour verrouiller la Baltique et la mer Noire …
De profiter, comme il y a huit ans sous l’Administration Obama/Biden, de la fenêtre d’opportunité d’une présidence américaine proprement cacochyme …
Mais aussi de plus de 20 ans de passivité européenne et notamment allemande …
Pour tout simplement tenter de bouter hors d’Europe et du monde via ses clones et complices chinois la seule garantie de stabilité et de protection pour les prochaines victimes …
Après la Géorgie et la Crimée ou Hong Kong et peut-être bientôt Taiwan …
Et sans parler des famines fabriquées d’Ukraine ou de Chine …
C’est, jusqu’au bout, un aveuglement. Dimanche 20 février, l’un des principaux candidats à l’élection présidentielle, Eric Zemmour, livre sa vision de la crise ukrainienne.« Je suis sceptique, dit-il sur Europe 1,je pense qu’il y a beaucoup de propagande, d’agitation des services américains pour hystériser cette histoire. »Vingt-quatre heures plus tard, Vladimir Poutine déclare reconnaître l’indépendance des zones séparatistes prorusses, puis ordonne à son armée d’entrer en Ukraine. Interrogée à son tour, mardi 22 février sur RTL, Marine Le Pen regrette une« escalade claire », mais se prononce contre les sanctions visant Moscou et accuse Emmanuel Macron d’avoir« essayé de jouer un rôle et de se servir » de cette crise.
Ce n’est qu’une fois la guerre déclarée par Poutine au nom d’une « dénazification de l’Ukraine », les frappes russes tombées sur Kiev comme dans tout le pays, les premières morts civiles annoncées, jeudi 24 février, que Le Pen et Zemmour se sont empressés de rétropédaler par voie de communiqués. La première y appelle à la « cessation immédiate des opérations militaires russes en Ukraine ». Le second y« condamne sans réserve l’intervention militaire », qu’il qualifie d’« injustifiable ». Mais Eric Zemmour accuse aussi, peu après, dans une déclaration filmée en direct, les Occidentaux d’avoir envenimé la situation« depuis des années, avec l’expansion ininterrompue de l’OTAN ». Il appelle toujours à signer un traité pour garantir que l’Ukraine n’entrera« jamais »dans l’Alliance atlantique.« Comme ça, monsieur Poutine sera rassuré », ajoutait-il dimanche.
« C’est Poutine l’agressé ! »
Depuis plusieurs mois, Eric Zemmour et Marine Le Pen minimisaient les menaces lancées par Moscou,tout en reprenant la propagande du Kremlinsur de prétendues prétentions américaines.« Les Américains n’ont pas respecté leur parole et ont avancé, avancé[et] mangé petit à petit ce glacis », justifiait Zemmour sur France 5, il y a un mois, en comparant l’adhésion à l’OTAN à des annexions territoriales. Un discours en cohérence avec celui qu’il tenait sur CNews, en juin 2021 :« Il faut arrêter de faire de Poutine l’agresseur, c’est Poutine l’agressé ! Evidemment, après, il se défend. »« Le problème de l’Ukraine n’est pas une invasion, je n’y crois pas, assénait encore le candidat avec assurance, le 9 décembre sur France 2.La Russie, j’en prends le pari, n’envahira pas l’Ukraine. »
Marine Le Pen n’était pas en reste.« Je ne le crois pas du tout, je ne vois vraiment pas ce que les Russes feraient en Ukraine », martelait-elle le 7 février, sur Franceinfo. La candidate du Rassemblement national (RN) répétait ce qu’elle nomme elle-même les« éléments de langage »du Kremlin, en soutenant que« les Etats-Unis veulent absolument faire entrer l’Ukraine dans l’OTAN, donc on est en train de créer un conflit qui n’a pas lieu d’être ». Mardi 22 février, elle estimait que« la France s’est soumise à une forme de guerre froide imposée par l’Union européenne, à l’écoute des Américains ».
Des positions constantes, mais qui comportent leurs contradictions. Si les deux candidats s’affirment souverainistes, Eric Zemmour et Marine Le Pen faisaient peu de cas de la souveraineté de l’Ukraine, Etat indépendant depuis 1991, membre de l’ONU, ayant inscrit légalement dans sa constitution, en 2019, son aspiration à adhérer un jour à l’Union européenne et à l’OTAN. Ce pays, déclarait Marine Le Pen en décembre 2021, dans un entretien au média polonaisRzeczpospolita,«appartient à la sphère d’influence russe ».Pour Eric Zemmour,« l’Ukraine n’existe pas », comme il le développe dansUn quinquennat pour rien(Albin Michel, 2016), puisque Kiev est, écrit-il,« le berceau de la civilisation russe ».
Profonde admiration pour Poutine
Patriotes autoproclamés, tous deux se sont évertués à affaiblir Emmanuel Macron, Marine Le Pen en le traitant de« petit télégraphiste »de Joe Biden ; Eric Zemmour en l’accusant d’être« impuissant », et même« le néant ». Jeudi 24 février, le candidat d’extrême droite a appelé le chef de l’Etat à se rendre de nouveau à Moscou et à Kiev pour« s’interposer »et réclamer un cessez-le-feu immédiat. Une position en totale contradiction avec ce qu’il soutenait quatre jours auparavant, en citant le« porte-parole de Vladimir Poutine qui a tout dit en une phrase : “Emmanuel Macron est membre de deux organisations, l’Union européenne et l’OTAN, dont il n’est pas le chef.” C’est tout notre problème. Nous sommes vus par les Russes comme les petits télégraphistes de Washington.(…)Notre parole ne vaut rien, en vérité. »En écho, Marine Le Pen a déclaré jeudi que« la France devrait prendre l’initiative d’une réunion diplomatique », oubliant qu’elle avait deux jours avant étrillé« l’échec diplomatique »français.
A la place d’Emmanuel Macron,« j’essaierais de trouver une issue diplomatique à cette crise, à cette violation massive, évidente du droit international », a-t-elle réitéré, dans la soirée sur France 2. Elle s’est dit« tout à fait opposée à ce qu’on envoie des troupes françaises en Ukraine », sans évoquer les victimes ni l’inquiétude des pays européens proches de la Russie. Elle a tenté d’expliquer son opposition aux sanctions par le risque d’une baisse du pouvoir d’achat, jugeant« si ça entraîne une explosion des prix de l’énergie, alors ce sera un véritable drame pour la population française », malgré le bouclier tarifaire bloquant les tarifs réglementés de vente du gaz.
Les deux candidats vouent une profonde admiration à Poutine. En mars 2017, Marine Le Pen s’était rendue auprès du dirigeant russe à Moscou et avait vanté un« point de vue sur l’Ukraine qui coïncide avec celui de la Russie ». En septembre 2018, Eric Zemmour avait déclaré qu’il« rêv[ait] d’un Poutine français »puis, en septembre 2020, sur CNews, qu’il voyait en Poutine« l’allié qui serait le plus fiable, plus que les Etats-Unis, l’Allemagne ou la Grande-Bretagne ». Dimanche, il discourait au pied du Mont-Saint-Michel (Manche)en agitant le spectre de« la prochaine guerre »et clamait qu’être président de la République,« c’est savoir regarder le pire en face, justement pour l’éviter ». Les deux candidats n’ont pas su regarder.
RÉCIT – L’ancien lieutenant-colonel du KGB, marqué par la chute du mur de Berlin, a autorisé une opération militaire en Ukraine. Une forme de revanche.
Vladimir Poutine a sonné l’heure de la revanche. L’heure de régler enfin ses comptes avec l’Histoire. Avec l’Ukraine. Et avec l’Occident. Rien ne peut être compris de la folle aventure qui a commencé ce jeudi au petit jour avec l’attaque massive par la terre et par l’air lancée par l’armée russe à travers tout le territoire ukrainien, si on n’a pas en tête que l’homme tout-puissant qui est aux commandes de la Russie veut se venger. Avec un grand V.
«Nous allons démilitariser et dénazifier l’Ukraine», a-t-il lancé à la face du monde, en annonçant «une opération spéciale», utilisant – ce qui est loin d’être un hasard – un vocable propre aux tchékistes de l’époque soviétique pour désigner la guerre qu’il a déclaré à l’Ukraine. Il s’agit d’une reconquête. Où s’arrêtera-t-elle?
La chute du mur de Berlin
Pour comprendre cette obsession de vengeance, il faut remonter des années en arrière à cette journée historique du 8 au 9 novembre 1989, qui soudain voit des milliers d’Allemands escalader le mur de Berlin en train de tomber. À l’époque, le lieutenant-colonel du KGB Vladimir Poutine, 39 ans, est basé à Dresde, en RDA, avant-poste de la présence militaire soviétique. Mais son cœur n’est pas à l’unisson des foules en liesse qui dansent et pleurent à travers le pays pour célébrer les retrouvailles émues des deux Allemagnes et la réunification en marche de l’Europe. Il est du côté des vaincus. Son monde, celui de la superpuissance soviétique invincible qui tenait dans ses griffes la moitié de l’Europe, est en train de s’écrouler comme un château de cartes, sous ses yeux stupéfiés.
Le 5 novembre, il a vu des foules prendre d’assaut et investir le siège de la redoutée police politique allemande, la Stasi, à quelques rues seulement de la grosse maison blanche où se trouve le siège des services spéciaux soviétiques, au 4, rue Angelika. Et voilà que dans la nuit du 8 au 9 novembre, une foule de quelques centaines de personnes pénètre dans le jardin du propre QG du KGB. C’est Vladimir Poutine qui sort avec un pistolet pour leur faire face et les prévenir de ne pas forcer le passage, d’après ce qu’il en racontera dans ses Conversations à la première personne. «Qui êtes-vous? Vous parlez trop bien allemand», lui lancent les manifestants. «Un interprète», répond-il sans perdre son sang-froid, tirant apparemment en l’air pour qu’ils se dispersent. «La situation était sérieuse… Les gens étaient agressifs. J’ai téléphoné à notre base militaire… Mais on m’a répondu: nous ne pouvons rien faire sans ordre de Moscou. Et Moscou se tait», raconte Poutine dans son livre.
Ce «Moscou se tait», une phrase capitale pour comprendre la suite. Elle explique 2022. «J’ai eu alors le sentiment que le pays n’existait plus. Il était clair que l’Union soviétique était très malade. Cette maladie mortelle avait un nom: la paralysie du pouvoir», ajoutera-t-il, avant d’évoquer les journées suivantes passées à «brûler tous les documents secrets dans la chaudière» de la maison, à une cadence telle qu’elle «explosera».
Un retour rude
Pour cet espion, dont l’enfance a été baignée par la propagande des films d’espionnage sur la grandeur de la mère patrie, c’est l’heure de la retraite, humiliante. Tandis que des centaines de milliers de soldats soviétiques plient bagage dans une ambiance de déroute, Vladimir Poutine quitte Dresde à son tour en février 1990, emportant la machine à laver qu’il a acquise et quelques leçons de haute politique…
Direction Leningrad, la ville où il a grandi, dans un appartement communautaire d’une pièce, élevé par des parents largement absents, sous l’influence de petits caïds de rue avant d’intégrer le KGB. «J’étais une petite frappe», explique-t-il dans À la première personne, un milieu dont il a conservé l’art de l’intimidation et du rapport de force, ainsi qu’un langage parfois ordurier et brutal. Un naturel qui vient de ressurgir.
Le retour est rude, après des années d’une vie privilégiée en RDA. Tandis que le pays se lance dans une véritable frénésie d’ouverture pour secouer les fondements idéologiques du système communiste, Vladimir Poutine doit faire un temps le taxi dans la Volga qu’il a payée avec ses économies allemandes. «J’avais l’impression que Volodia avait perdu le sens de sa vie», racontera sa femme Lioudmilla. Cette situation, et les attaques répétées dont le KGB (organisation criminelle qui a terrorisé son peuple) est l’objet, le fait enrager. Pourtant, dans la tourmente, les agents s’organisent, créant des réseaux, investissant les nouveaux partis et les entreprises qui se créent, préparant en secret leurs arrières et leur reconversion. Recruté comme vice-recteur par l’université de Leningrad, Poutine va lui aussi se raccrocher aux branches. Faire sa route dans un monde auquel il n’est pas préparé, tout en restant solidement arrimé à sa maison d’origine (avec laquelle il maintiendra son affiliation jusqu’au putsch d’août 1991). «Je suis spécialiste des relations avec les gens», dit-il mystérieusement à ceux qui l’interrogent. En 1990, Anatoli Sobtchak, figure du mouvement démocratique et brillant professeur de droit dont il a été l’élève, l’appelle à la mairie pour en faire son collaborateur, quand il remporte les élections municipales de 1990.
La reconquête
Pour Vladimir Poutine commence alors ce qu’il faut bien appeler la reconquête. En dix ans, elle va le mener au Kremlin, en trois temps. Le temps de l’infiltration/intégration des nouvelles structures démocratiques qui émergent avant et surtout après le putsch raté d’août ; le temps de l’installation au pouvoir qui commence en 2000, après sa nomination en 1999 au poste de premier ministre d’un Boris Eltsine chancelant qui cherche un successeur ; et le temps de la reconquête extérieure, qui s’affirme à partir de l’invasion militaire de la Géorgie en 2008.
Sur la première période, tous ceux qui ont étudié sa biographie savent à quel point ses années au poste de président du Comité pour les relations extérieures de la mairie de Saint-Pétersbourg sont importantes pour comprendre les entrelacs et les réseaux de la planète Poutine. C’est là dans le séisme de la fin de l’URSS et les décombres du communisme, qu’il apprend à naviguer dans les eaux sulfureuses et corrompues du capitalisme sauvage qui relie souterrainement pouvoir, structures de sécurité, business et réseaux mafieux. Là qu’il noue ses amitiés solides avec toute une série de personnages liés au KGB et au monde des affaires, regroupé autour d’un coopératif de datchas, la «coopérative Ozero». Ils deviendront les nouveaux «princes» de la Russie poutinienne.
C’est aussi dans ces années saint-pétersbourgeoises qu’il devient «l’allié» du démocrate Anatoli Sobtchak, gagnant sa confiance, tissant sa toile dans l’ombre avec discrétion, avant d’être propulsé en 1997, en remerciement de ses loyaux services, au Kremlin, à la direction des biens de la présidence, un immense empire quasi occulte couvrant tous les biens mobiliers et immobiliers relevant du chef de l’État. Poutine, un tchékiste qui a appris à l’école du KGB à renvoyer à ses interlocuteurs l’image qu’ils affectionnent, gagne peu à peu du galon. Mais que pense-t-il vraiment? La famille Eltsine et le petit groupe d’oligarques qui gravite autour du pouvoir comme des vautours, le juge en tout cas suffisamment «sûr» pour le nommer chef du KGB. C’est là qu’il montrera sa loyauté en orchestrant sans ciller la destruction du clan du maire de Moscou et de son allié Evgueni Primakov, qui est alors premier ministre.
L’empoignade entre clans russes va finalement propulser cet inconnu du KGB au poste de premier ministre de Russie en 1999, sur fond de petite guerre au Caucase et d’attentats terroristes à travers la Russie. Les attentats sont attribués sans preuve aux Tchétchènes et l’invasion de la Tchétchénie lancée. C’est la première opération militaire supervisée par Poutine et elle est massive et impitoyable, faisant plus de 100.000 morts. En quelques mois, la popularité du nouveau premier ministre grimpe en flèche dans une population qui rêve de vengeance. Dès lors, la passation de pouvoirs anticipée qui est orchestrée dans la soirée du 31 décembre 1999 entre Eltsine et lui.
Un compromis historique
Beaucoup sont persuadés que ces attaques ont été précisément organisées pour lui tailler un habit de sauveur. Ce sera l’accusation formulée par le général Alexandre Lebed, avant qu’il ne périsse dans un accident d’hélicoptère. C’est aussi la thèse du russologue américain David Satter. «Nous remettrons de l’ordre», lance sobrement le petit homme discret aux yeux transparents, devant les députés stupéfiés quand il surgit sur la scène politique. Personne, sur le moment, ne croit que Poutine puisse durer. Ils ont tort. Dans les coulisses, un accord a été conclu entre les structures de force qui veulent leur revanche et les oligarques qui contrôlent les richesses. Tchékiste, mais proche des «libéraux», Poutine semble incarner un compromis historique. Mais seuls ceux qui l’ont promu croient à ce fameux compromis. Pas lui! «Il est malléable», nous confie l’influent oligarque Boris Berezovski. Comme il se trompe! La Russie ne sait pas encore qu’elle s’est donné un maître. Et que 22 ans plus tard, il sera toujours là…
Car d’emblée, dans la deuxième phase de la reconquête, Poutine va s’en prendre sans hésiter à ceux qui l’ont «fait». En quelques années, tous les oligarques dominants sont chassés à l’étranger, ou matés, par le nouvel homme fort au nom de la «dictature de la loi». C’est en réalité une logique de contrôle systématique, que choisit le nouveau président. Il s’en prend aussi avec brutalité à la presse, puis aux gouverneurs, aux partis d’opposition, à la Douma, mettant peu à peu en coupe réglée tous les contre-pouvoirs. Loin d’agir en arbitre, il installe son clan de Saint-Pétersbourg aux commandes. La supposée remise en ordre cache en réalité une nouvelle étape du pillage organisé, mais cette fois sous contrôle des tchékistes.
Capacité à jouer sur tous les tableaux
Au départ, l’Occident hésite sur la nature de Poutine. Sa capacité à jouer sur tous les tableaux, à alterner tous les visages qu’il a appris à adopter pendant sa montée éclair vers le pouvoir – celui du réformateur, celui du guerrier, celui du législateur – déconcerte ses interlocuteurs, qui s’interrogent sur la nature de ses intentions, modernisatrices ou impériales. Mais peu à peu, la reconquête va déborder vers l’empire. Cela commence en réalité dès le début des années 2000 avec toutes les opérations hybrides de déstabilisation et d’infiltration qu’il déclenche, des pays Baltes, à la Géorgie et l’Ukraine. La rage que provoquent les révolutions de couleur qui balaient les régimes pro-russes installés en Ukraine et en Géorgie va accroître son désir de revanche. Convaincu d’être encerclé par un Occident qui cherche à déstabiliser son propre pouvoir, Poutine va dès lors, contre-attaquer par la guerre hybride: désinformation, cyber-attaques, achat d’élites, et finalement la force militaire.
Il est frappant de constater que de 2000 à 2022 Vladimir Poutine a finalement peu hésité à utiliser la force, de la Tchétchénie, à la Géorgie, en passant par la Syrie et aujourd’hui l’Ukraine. Il a aussi beaucoup utilisé la violence, allant éliminer ses adversaires là où ils se trouvaient comme on le vit avec les anciens espions Litvinenko et Skripal, assassinés avec des poisons. Il est aussi à l’offensive à l’Ouest, où il a multiplié les offensives de charme et de propagande et les attaques contre les élections. Il y a cultivé des alliés politiques. Et chaque nouvelle crise l’a convaincu de la pusillanimité de l’Occident, de sa décadence et de ses divisions. L’intellectuel Vladimir Pastoukhov, très inquiet, est persuadé que l’invasion actuelle de l’Ukraine cache en réalité un projet beaucoup plus vaste, visant à défaire l’Occident, avec une pression maximale, pour le faire imploser de l’intérieur par une guerre d’usure tous azimuts, allant de l’effet de la sidération à l’intimidation. Pourrait-il tenter sa chance vers les pays Baltes pour détruire la légitimité de l’article 5 de l’Otan? À Moscou, les opposants abasourdis par l’audace de l’attaque disent se demander si leur «tsar» «de ténèbres», ivre de toute-puissance, n’a pas perdu la tête. Le journaliste Alexandre Nevzorov estime par exemple que «l’on assiste aux obsèques de la Russie», pas à celles de l’Ukraine. «Il n’y a personne qui puisse l’arrêter», note le rédacteur en chef de Novaya Gazeta, Dmitri Mouratov, qui dit sa «honte».
Voir également:
« Face à Poutine, ce n’est pas en paroles qu’il faut réagir, mais en actes mis en place sans crier gare »
Après la « claque » infligée au chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, à Moscou, le 5 février, l’universitaire spécialiste de la Russie Françoise Thom préconise, dans une tribune au « Monde », que l’Union européenne adopte une politique « résolue de sanctions dures » et de riposte aux provocations.
Françoise Thom
Le Monde
21 février 2021
S’il est une leçon que l’on peut tirer de la visite calamiteuse du chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, à Moscou, c’est qu’il est temps pour l’Union européenne (UE) de repenser de fond en comble sa politique russe. Car le comportement de Moscou à cette occasion a révélé une chose : le Kremlin considère désormais que l’UE est moribonde et qu’on peut impunément rouer de coups le lion devenu vieux. Mais ce n’est pas parce qu’il se tournerait vers la Chine, comme le ressasse l’orchestre de Moscou. C’est parce qu’une autre structure européenne, patiemment construite par la Russie depuis des années, est prête à prendre la relève.
Il s’agit du réseau des relations bilatérales tissé par le Kremlin avec les principaux pays européens, grâce auquel la Russie espère acquérir une place centrale et prépondérante en Europe. La France ne cesse d’appeler à un « partenariat stratégique » avec Moscou ; les successeurs présumés d’Angela Merkel ont les yeux fixés sur les juteux contrats que le Kremlin fait miroiter devant eux.
L’Angleterre, seul pays considéré comme réfractaire par la Russie, est maintenant hors jeu grâce au Brexit. Le traitement humiliant démonstrativement infligé à Josep Borrell montre que le Kremlin entend désormais faire de la question russe un « boutoir » contre ce qu’il reste de l’UE.
Se débarrasser des clichés
Il est par conséquent urgent pour l’Union de formuler une politique russe cohérente qui permette de resserrer les rangs et d’éviter à l’avenir les désastres comme celui auquel nous venons d’assister. Pour cela, il faut d’abord se débarrasser des clichés qui nous collent à la peau et qui défilent déjà de nouveau, quelques jours après la volée de bois vert infligée à M. Borrell : « Il faut maintenir le dialogue », « le mur du silence n’est pas une option », il faut « trouver des domaines où la coopération est possible », les Occidentaux ont « humilié la Russie », etc.
Ce genre de rhétorique a persuadé Moscou qu’on peut souffleter les Européens, et qu’ils tendront l’autre joue. Ceux qui préconisent le « dialogue » ne voient pas que toute main tendue de l’Occident est perçue en Russie soit comme une agression camouflée – l’expression du projet prêté à l’Occident de « démembrer la Russie » pour mettre le grappin sur ses richesses –, soit comme le signal d’une disposition à la capitulation de « l’adversaire » (car le Kremlin considère comme des adversaires tous les pays qui ne sont pas des dictatures).
« Une bonne politique russe est une politique où on en fait le moins possible, où l’on parle le moins possible, une politique d’isolement »
Il résulte de ceci que toute démarche des Occidentaux à l’égard de la Russie se retournera contre eux. Une bonne politique russe est une politique où on en fait le moins possible, où l’on parle le moins possible, une politique d’isolement, sans les déclarations fracassantes, sans les menaces creuses, qui nourrissent à la fois la paranoïa et l’arrogance des occupants du Kremlin.
Ceci ne veut pas dire qu’il ne faille pas marquer le coup quand Moscou pratique le fait accompli, agresse ses voisins ou se livre à des répressions. Toutefois ce n’est pas en paroles qu’il faut réagir, mais en actes, et en actes mis en place sans crier gare, à la manière des opérations spéciales qu’affectionne le président Poutine. Si nous nous donnons le luxe d’être imprévisibles, Poutine cessera de jouer sur le velours. Ceci concerne avant tout les sanctions.
Soyons « réalistes »
On nous dit que les sanctions sont inutiles, qu’elles permettent au régime de provoquer un sursaut patriotique autour du pouvoir ; on laisse entendre que les sanctions sont imposées par les Etats-Unis à une Europe qui ne demanderait pas mieux que de manifester son « indépendance » en pratiquant une politique accommodante avec Moscou, bref que les Européens doivent être « réalistes », privilégier leurs « intérêts », assurer leur « sécurité énergétique » en soutenant le Nord Stream 2 [projet de gazoduc entre la Russie et l’Allemagne].
Justement, soyons « réalistes » et réfléchissons où sont nos vrais « intérêts », sans que le Kremlin nous dicte le sens qu’il faut attribuer à ces termes. D’abord, contrairement à ce qu’on ne cesse de prétendre, les sanctions marchent, et c’était déjà le cas à l’époque soviétique. Les archives montrent qu’elles ont dissuadé Khrouchtchev de pratiquer l’escalade au moment de la crise de Berlin [entre 1958 et 1962], qu’elles ont dissuadé Brejnev et Andropov d’intervenir en Pologne en 1981 [au moment des grèves massives conduites par le mouvement Solidarnosc].
Si des sanctions sérieuses avaient été adoptées après le démembrement de la Géorgie en 2008, au lieu du pathétique « reset » [la relance des relations russo-américaines voulue par le président Obama], on aurait évité l’annexion de la Crimée, en 2014.
Mais venons-en aux relations économiques, dont on nous assure qu’elles vont permettre un rapprochement entre l’Europe et la Russie. C’est oublier que pour Moscou, les relations d’affaires sont avant tout un instrument de projection de la puissance et de l’influence russe. En devenant le fournisseur de pétrole et de gaz de l’Europe, le Kremlin se crée de puissants oligarques au sein des élites politiques occidentales, qui, comme les oligarques russes, sont autorisés à s’enrichir à condition de servir Moscou. Les grandes sociétés faisant des affaires en Russie deviennent les vecteurs de la politique russe en Europe.
Viser les oligarques
Quant à la « sécurité énergétique » qu’assurerait le Nord Stream 2, souvenons-nous de la manière dont le Kremlin ferme les robinets du gaz aux pays de « l’étranger proche » qui ont le malheur de lui déplaire. L’Europe a-t-elle vraiment « intérêt » à se passer la corde au cou ? A-t-elle « intérêt » à augmenter les flux financiers vers la Russie, quand on sait que ces ressources vont alimenter la guerre hybride menée contre les Occidentaux, acheter notre classe politique, nos médias et nos think tanks, financer le déploiement de nouveaux missiles braqués contre l’Europe ?
Les sanctions sont un outil efficace, surtout si elles visent les oligarques et les siloviki [soit « les hommes en uniforme », issus des services de sécurité russes – le KGB, puis le FSB] proches du pouvoir, ou si elles entravent le développement des secteurs de puissance de la Russie (énergétique et armement), les seuls qui comptent aux yeux du Kremlin. Une politique résolue de sanctions dures obligerait les hommes du Kremlin à se demander si la politique de confrontation voulue par le président Poutine est vraiment conforme aux intérêts nationaux russes.
La claque infligée à Josep Borrell n’est pas seulement l’expression d’un mouvement d’humeur du Kremlin mécontent du soutien étranger à l’opposant Alexeï Navalny. Elle jette une lumière crue sur un aspect essentiel de la stratégie du Kremlin. Il s’agit de faire une démonstration éclatante de la faiblesse des Occidentaux, pour hâter l’avènement d’un ordre, ou plutôt, d’un désordre international postoccidental. C’est un signal lancé à Xi Jingping, Erdogan et consorts : voyez, nous pouvons impunément nous essuyer les pieds sur l’UE et elle passera par nos volontés.
C’est pourquoi, si nous voulons éviter que Poutine fasse des émules, la première règle que les Européens doivent adopter est de ne plus faire étalage de leur faiblesse et de leur désunion, de riposter sans tarder aux humiliations publiques et aux provocations. Mieux vaut agir sans parler que parler sans agir. Dans le monde de voyous qui nous entoure, il est temps que l’UE apprenne à se faire craindre.
Françoise Thom est historienne spécialiste de la Russie et autrice de « Comprendre le poutinisme » (Desclée de Brouwer, 2018).
Le 17 décembre, le ministère des Affaires étrangères russe a dévoilé deux projets de textes — un « Traité entre les États-Unis et la Fédération de Russie sur les garanties de sécurité » et un « Accord sur les mesures pour assurer la sécurité de la Fédération de Russie et des États membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord [OTAN] ». L’objectif déclaré de Moscou est d’obtenir « des garanties juridiques de sécurité de la part des États-Unis et de l’OTAN ». Moscou a mis en demeure les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN de satisfaire sans tarder les revendications russes.
« Les deux textes ne sont pas rédigés selon le principe d’un menu, où l’on peut choisir l’un ou l’autre, ils se complètent et doivent être considérés comme un ensemble », a déclaré le vice-ministre des Affaires étrangères Sergueï Riabkov. Le deuxième texte constitue en quelque sorte une garantie parallèle car « le ministère russe des Affaires étrangères est pleinement conscient que la Maison Blanche peut ne pas faire face à ses obligations, et il existe donc un projet de traité distinct pour les pays de l’OTAN ». La manœuvre russe consiste à lier l’OTAN par les Etats-Unis, les Etats-Unis par l’OTAN. Il n’y a rien à négocier, il faut tout accepter en bloc.
Certains médias russes, comme le journal numérique Vzgliad, triomphent déjà : « Le monde d’avant et le monde d’après le 17 décembre 2021 sont des mondes complètement différents… Si jusqu’à présent les États-Unis tenaient le monde entier sous la menace des armes, ils se retrouvent désormais eux-mêmes sous la menace des forces militaires russes… Une nouvelle ère s’ouvre, de nouveaux héros arrivent, et un nouveau Danila Bagrov [personnage du truand patriotique dans le film populaire Brat], levant sa lourde poigne et regardant dans les yeux son interlocuteur, demande à nouveau doucement : quelle est ta force, l’Américain ? »
Un chantage orchestré
Le chantage russe est explicite et s’adresse à la fois aux Américains et aux Européens. Si les Occidentaux n’acceptent pas l’ultimatum russe, ils devront faire face « à une alternative militaire et technique », a déclaré le vice-ministre des Affaires étrangères Alexandre Grouchko : « les Européens doivent aussi réfléchir s’ils veulent éviter de faire de leur continent le théâtre d’un affrontement militaire. Ils ont le choix. Soit prendre au sérieux ce que l’on met sur la table, soit faire face à une alternative militaro-technique ». Après la publication du projet de traité, la possibilité d’une frappe préventive contre des cibles de l’OTAN (similaires à celles qu’Israël a infligées à l’Iran), a été confirmée par l’ancien vice-ministre de la Défense Andrei Kartapolov (Comité de défense de la Douma) : « Nos partenaires doivent comprendre que plus ils feront traîner l’examen de nos propositions et l’adoption de vraies mesures pour créer ces garanties, plus grande est la probabilité qu’ils subissent une frappe préventive. »
Pour que les choses soient claires, la Russie a procédé le 24 décembre au tir d’une «salve» de missiles hypersoniques Zircon. Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin, a ainsi commenté cet événement : « Eh bien, j’espère que les notes [du 17 décembre] seront ainsi plus convaincantes ». L’éditorialiste Vladimir Mojegov renchérit : « Quels sont nos arguments ? Ce sont, bien sûr, avant tout nos alliés les plus fiables — l’armée et la marine. Pour être plus précis, le missile hypersonique Zircon (« tueur de porte-avions », comme on l’appelle affectueusement en Occident), qui rend absurde pour les États-Unis d’avoir une flotte de porte-avions. L’impact du Zircon fend un destroyer comme une noix. Plusieurs Zircons coulent immanquablement un porte-avions. Le Zircon fait simplement son travail : il tire méthodiquement sur d’énormes porte-avions maladroits, comme un revolver sur des canettes.»
Un article de Svpressa éloquemment intitulé « L’ultimatum de Poutine : la Russie, si vous voulez, enterrera toute l’Europe et les deux tiers des États-Unis en 30 minutes » met les points sur les i : « Le Kremlin devra prouver par des actes le bien-fondé de sa position. Il n’est probablement possible de forcer les « partenaires » à s’asseoir à la table des négociations que par la contrainte. Économiquement, la Fédération de Russie ne peut rivaliser avec l’Occident. Il reste la guerre. » L’expert militaire Konstantin Sivkov cité dans le même article estime que « pour amener les États-Unis et l’OTAN à la table des négociations, une sorte de super arme est nécessaire. Pour le moment, la Russie ne montre pas ce potentiel à ses adversaires. Mais il existe. La Russie a la capacité d’utiliser des munitions super puissantes d’une capacité allant jusqu’à 100 mégatonnes. […] Nous devons répéter que nous ne sommes pas intéressés par un monde sans la Russie, comme Poutine l’a dit un jour, et démontrer notre détermination à frapper si l’OTAN s’élargit. Après cela, je peux vous assurer qu’ils [les Occidentaux] auront peur. Rien d’autre ne peut les arrêter. […] Il est naïf de compter sur des procédés diplomatiques. […] La démarche de la Russie est un signal indiquant que des mesures déjà radicales vont être prises. Vous avez refusé, alors tant pis… »
Ce qui est en jeu
A lire la presse occidentale, on a l’impression que rien ne se passe. Les Occidentaux semblent ne pas comprendre ce qui est en jeu. Ils s’imaginent que seul se décide le sort de l’Ukraine, qui les préoccupe moins que celui de l’Arménie, à en juger par les pèlerinages de nos candidats à la présidentielle. En France nombre de responsables trouvent normal que la Russie réclame une sphère d’influence. Ils ressemblent à ceux qui en 1939 croyaient que les revendications d’Hitler se bornaient à Dantzig. Or il suffit de jeter un coup d’œil aux textes proposés par Moscou pour comprendre que les enjeux sont tout autres.
L’ultimatum russe exige que soient « juridiquement fixés : le renoncement à tout élargissement de l’OTAN [vers l’est], l’arrêt de la coopération militaire avec les pays postsoviétiques, le retrait des armes nucléaires américaines de l’Europe et le retrait des forces armées de l’OTAN aux frontières de 1997 ». La Russie et les États-Unis s’engagent à ne pas déployer d’armes nucléaires à l’étranger et à retirer celles déjà déployées, ainsi qu’à éliminer les infrastructures de déploiement d’armes nucléaires en dehors de leur territoire. L’article 4 stipule notamment que « la Fédération de Russie et tous les participants qui étaient, au 27 mai 1997, des États membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, ne déploient pas leurs forces armées et leurs armements sur le territoire de tous les autres États européens en plus des forces postées sur ce territoire au 27 mai 1997 ». Et l’article 7 précise que « les participants, qui sont des États membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, renoncent à mener toute activité militaire sur le territoire de l’Ukraine, ainsi que des autres États d’Europe orientale, de Transcaucasie et d’Asie centrale ».
Sont concernés les quatorze États d’Europe orientale et des Balkans devenus membres de l’OTAN ces vingt-quatre dernières années : « Ainsi en plus de l’espace post-soviétique, l’initiative de Moscou englobe un large éventail de pays situés entre l’Europe occidentale et la Russie. Mais ce sont principalement la Pologne et les États baltes qui sont visés car des forces supplémentaires de l’Alliance de l’Atlantique Nord y ont été déployées comme il a été décidé lors du sommet de l’OTAN de Varsovie en 2016. » Bref, « l’initiative russe pourrait aider les Américains à quitter tranquillement l’Europe centrale et orientale », titre le très officiel think tank Russtrat. Mais il ne s’agit pas que de cela : « le lien établi entre la notion d’« intérêts fondamentaux de sécurité » (qui est introduite pour la première fois) et la portée des missiles oblige les États-Unis à s’abstenir d’entrer dans nos mers (principalement la mer Noire, mais aussi celles du nord : la Baltique, Barents, Okhotsk), et de mettre fin aux vols de bombardiers américains (compte tenu de la portée réelle des « Tomahawks » d’environ 1800 km), pratiquement sur toute l’Europe et la majeure partie de l’Asie. Il en est de même du Japon, pour lequel l’acceptation des clauses du Traité signifie la désoccupation et la liquidation des bases américaines… »
En résumé, « les parties excluent le déploiement d’armes nucléaires en dehors du territoire national et ramènent sur le territoire national les armes déjà déployées en dehors du territoire national au moment de l’entrée en vigueur du présent Traité. » Le commentateur Piotr Akopov souligne : « La Russie a maintenant on ne peut plus nettement tracé ses lignes rouges. [Elles supposent] non seulement le refus d’étendre l’OTAN à l’Est, mais aussi, comme indiqué dans le projet d’accord avec l’alliance, le refus « de mener toute activité militaire sur le territoire de l’Ukraine, ainsi que d’autres États d’Europe de l’Est, de Transcaucasie et d’Asie centrale». En précisant: « Il est clair que les États-Unis ne rapatrieront leurs armes nucléaires que lorsque le projet anglo-saxon de domination mondiale s’effondrera enfin, mais il est bon de préparer le terrain… Si l’Occident ne veut pas remarquer nos lignes rouges (plus précisément, s’il fait semblant de ne pas vouloir les remarquer), alors c’est avant tout son problème, pas le nôtre ».
Et qu’offre la Russie en échange de toutes les concessions exigées des Occidentaux ? Propose-t-elle d’évacuer l’Abkhazie, l’Ossétie du Sud, la Crimée, le Donbass, puisqu’elle parle de revenir à la situation de 1997 ? Que nenni. En retour elle se dit prête… à s’engager à ne pas menacer la sécurité américaine. On se souvient d’une boutade en cours au moment de la guerre froide : « Ce qui est à nous est à nous, ce qui est à vous est négociable ».
En un mot la Russie exige que l’OTAN se fasse harakiri, et que les Etats-Unis soient ramenés au rôle d’une puissance régionale. Vzgliadinvite l’Amérique« à se mettre derrière ses colonnes d’Hercule et à se tenir à carreau sur ses « îles ». Et cela veut dire que de facto (quelle que soit la réponse à ces propositions) le « monde américain » en tant que tel pour la Russie a cessé d’exister ». Du coup la Russie aura la haute main en Europe. Les pays d’Europe de l’Ouest sont déjà considérés comme acquis, Moscou comptant sur le vivier de collaborateurs qu’elle a cultivés pendant des années au sein des élites dirigeantes européennes : elle vient d’envoyer à ceux-ci un signal fort en nommant François Fillon administrateur du géant de la pétrochimie Sibur. Privés du soutien américain, les pays « russophobes » qui cristallisent la résistance à l’hégémonie de Moscou n’auront plus qu’à se plier à l’inévitable : toujours selon Russtrat, « Bien sûr, la Pologne et les pays baltes seront mécontents. Mais ils seront probablement les seuls à s’opposer au retrait américain d’Europe centrale et orientale. Après tout, le reste des « Jeunes Européens » est guidé par la position du « noyau » de l’Union européenne [les pays d’Europe occidentale], et ils n’ont pas de complexes anti-russes stables. »
Ce « noyau » « ne partage pas les sentiments russophobes et antirusses [des pays d’Europe centrale et orientale], est conscient du retrait inévitable des Américains d’Europe centrale et orientale et ne veut pas s’en mêler. […] Il vaut mieux que les États-Unis s’entendent avec Moscou, tout en se déchargeant du problème d’assurer la sécurité de l’Europe centrale et orientale sur le « noyau » de l’Union européenne, la France et l’Allemagne, qui sont en faveur de « l’autonomie stratégique » de l’UE. » Ce n’est pas sans raison que Riabkov a fait remarquer que l’initiative russe a « un potentiel puissant pour la formation de la sécurité européenne ». Le 18 décembre, il précise: « Nous proposons des négociations sur une base bilatérale avec les États-Unis. Si nous y impliquons d’autres pays, nous allons tout simplement noyer tout cela dans les parlotes et le verbiage. J’espère que les Américains ne sous-estiment pas à quel point tout a changé, et pas pour le mieux ».
Moscou mise sur l’effet démoralisant sur l’Europe de cette négociation russo-américaine sur son sort dont elle est exclue et sur la faiblesse de la partie américaine en l’absence des alliés européens. L’Union européenne voulait participer. Mais Moscou a imposé mordicus le format bilatéral avec Washington. Le sénateur russe Alexeï Pouchkov explique pourquoi : à ses yeux les pays européens s’efforcent de participer aux négociations pour les saboter. Or « la perspective d’accords ne dépend que des relations entre la Russie et les Etats-Unis ». Seules les autorités américaines contrôlent le vol de leurs bombardiers près des frontières de la Russie, et sont également capables de déployer des systèmes de missiles américains sur le territoire de l’Ukraine. Alors que les pays européens ne possèdent pas d’armes qui pourraient menacer la Russie et ne sont pas indépendants pour ce qui est du déploiement de ces armes sur leur territoire.
Le pacte Ribbentrop-Molotov n’est jamais loin dans la tête des dirigeants du Kremlin. C’est aussi une question de statut, et le reflet de l’obsession de Poutine d’effacer l’effondrement de l’URSS. Comme le souligne Nezavisimaya Gazeta, « La Russie a agi comme l’héritière de l’URSS, la deuxième superpuissance, qui se considère en droit de négocier avec l’Occident sur un pied d’égalité. » En négociant d’égal à égal avec le président des Etats-Unis Poutine démontre en même temps aux Russes que sa position de capo est reconnue par les maudits Occidentaux. Le sentiment d’avilissement qu’ils éprouvent au fond d’eux-mêmes en se pliant au despotisme se dissipe au spectacle de l’humiliation des Occidentaux : eux aussi courbent l’échine devant Poutine. La propagande du régime sait admirablement jouer de ces cordes sensibles.
Pourquoi cet ultimatum russe ?
Il est important de comprendre quelles motivations ont poussé Poutine à lancer ce défi aux pays occidentaux. Comme toujours le comportement russe est dicté par une analyse soigneuse de la « corrélation des forces », qui, selon les experts du Kremlin, vient de basculer en faveur des puissances révisionnistes anti-occidentales. Après 20 ans de préparation à la guerre, la position russe est jugée forte comme jamais, à en croire le think tank Russtrat : « Au cours de la prochaine année et demie, la Russie modifiera considérablement l’équilibre du pouvoir planétaire. […] La situation historique actuelle de la Russie est unique. L’État s’est préparé aux défis majeurs qui peuvent survenir sous une pression critique. D’énormes réserves ont été accumulées, y compris en or. Des plans nationaux d’infrastructure financière et d’information ont été créés et lancés. La numérisation a commencé à englober l’ensemble de l’économie, l’amenant à un nouveau niveau de compétitivité. L’expansion de notre propre base industrielle, y compris dans des domaines high-tech très sensibles, se fait à pas de géant, le « fossé technologique » se comble. Nous sommes sortis de la dépendance critique dans le domaine de la sécurité alimentaire. […] L’armée est depuis cinq ans la première de la planète. Dans ce domaine, le « fossé technologique » est en notre faveur et ne fait que s’élargir… De plus, l’explosion de l’inflation planétaire entraîne une crise énergétique, ce qui rend les Européens, pour la plupart, beaucoup plus accommodants et exclut un blocus de nos approvisionnements énergétiques, QUOI QUE NOUS FASSIONS. […] » Si la Russie et la Chine coordonnent leurs actions à l’encontre de l’Ukraine et de Taïwan respectivement, « tout deviendra beaucoup plus simple pour nous. Et pour la Chine aussi, de laquelle nous détournerons l’attention, ce qui nous libérera encore davantage les mains…» Bref,« la Russie a restauré son poids dans l’arène internationale au point qu’elle est capable de dicter ses propres conditions dans l’élaboration de la sécurité internationale. » Quant à « l’empire décrépit des Stars and Stripes, affaibli par les LGBT, BLM, etc., il est clair qu’il ne survivra pas à une guerre sur deux fronts. »
Car en face, les Etats-Unis affrontent une crise sans précédent, avec une inflation galopante, des pénuries d’approvisionnement, un président faible, une société plus divisée que jamais. Du coup, comme le note Irina Alksnis dans RIA Novosti, « la Russie ainsi que la Chine et d’autres puissances œuvrant à la transformation du système mondial […] disposent d’une fenêtre d’opportunité pour accélérer l’expulsion des États-Unis du trône mondial en augmentant la pression sur eux. Car si l’affaiblissement de l’Occident est en cours depuis un certain temps, les phénomènes de crise actuels indiquent que le processus est passé à un niveau qualitativement nouveau, et il serait donc insensé de ne pas saisir cette chance. D’autant plus que, pour notre part, nous avons achevé de nous donner nos propres mécanismes et outils stratégiques — alternatifs à ceux de l’Occident — nécessaires au bon fonctionnement de l’économie nationale et des relations avec les autres pays, qu’il s’agisse de la production de biens, des règlements monétaires, de la diffusion d’informations, etc…»
D’où la démarche du Kremlin : « Il ne s’agit pas de propositions de discussion, mais bien d’un ultimatum — d’une demande de reddition inconditionnelle. L’Occident n’a pas d’autre choix que de perdre la face — à moins de tenir fièrement bon et d’entrer en guerre avec la Russie. À en juger par la façon dont les Occidentaux ont commencé à s’agiter de l’autre côté, ils en sont bien conscients. » En brandissant la menace d’une guerre, fait remarquer RIA Novosti, « Moscou souligne que la Russie est prête — moralement, techniquement et dans tous les autres sens du terme — à toute évolution des événements. Et la réputation qu’elle a acquise au cours des années précédentes confirme que les Russes seront effectivement prêts à recourir à la force s’ils l’estiment nécessaire. Il convient de rappeler les propos de Vladimir Poutine, qui a déclaré sans ambages cet été que si la Russie coulait le destroyer britannique responsable d’une provocation au large des côtes de Crimée, il n’y aurait pas de conséquences majeures : le tollé de la presse mondiale ne doit pas être compté comme tel.[…] Non, cette fois-ci, l’Occident va payer de sa personne.»
Évidemment la guerre n’est pas sans risques, ce dont, espérons-le, les militaires russes essaient de persuader Poutine. Revenons à l’analyse de l’expert militaire Konstantin Sivkov citée plus haut : les forces conventionnelles russes étant insuffisantes, « nous ne pouvons résoudre le problème de la neutralisation de l’Europe et des États-Unis qu’en les éliminant physiquement avec notre potentiel nucléaire. […] Les USA et l’Europe disparaîtront physiquement. Il n’y aura presque pas de survivants. Mais nous aussi, nous serons détruits. A moins que le sort de la Russie ne soit meilleur, car nous avons un grand territoire. Nos adversaires ne pourront pas tout détruire avec des frappes nucléaires. Par conséquent, le pourcentage de la population survivante sera plus élevé. Cependant la Russie en tant qu’État peut disparaître après une guerre nucléaire à grande échelle. Elle risque de se fragmenter. »
Mais revenons au tournant du 17 décembre. Il ressort des analyses de Russtrat (entre autres) que le déclic pour le Kremlin a été la politique malencontreuse de la Maison Blanche qui, après la débandade en Afghanistan, a multiplié cet automne les émissaires à Moscou, rendant encore plus manifeste aux yeux de Poutine la faiblesse des Etats-Unis : « De hauts responsables américains ont effectué de fréquentes visites à Moscou. La venue en novembre du directeur de la CIA, William Burns, était à l’époque la quatrième visite d’un haut responsable de l’administration de la Maison Blanche depuis la réunion de Genève. Il n’est pas difficile de deviner que le but de la visite personnelle du directeur de la CIA n’était pas du tout de présenter des demandes à propos de l’Ukraine, comme les médias occidentaux ont essayé de le présenter, mais de tenter de trouver un compromis. Face à la chute de l’autorité internationale due au retrait infructueux d’Afghanistan, la Maison Blanche souhaitait vivement trouver un accord avec le Kremlin. »
Le 2 novembre 2021, Burns a effectivement rencontré le secrétaire du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie Nikolaï Patrouchev et, probablement, le président Poutine. C’est un personnage apprécié du Kremlin : en 2005-2008, il a été ambassadeur en Russie et « a trouvé un langage commun avec Poutine. Sobre et pragmatique, totalement dépourvu du complexe messianique caractéristique des Américains, Burns a toujours prôné le refus d’élargir l’OTAN vers l’Est. » La visite de Burns a été interprétée à Moscou comme l’indice du choix d’une politique d’appeasement à Washington et donc un encouragement à faire monter les enchères et à « s’emparer de l’initiative stratégique ».
Au fond, nous retrouvons dans ces considérations un substrat léniniste. Les États-Unis et leurs alliés européens étaient les nantis de l’ordre international, les principaux bénéficiaires du système existant, qui leur apportait des avantages disproportionnés par rapport à leur contribution. Grâce à la crise, leur hégémonie est sur le déclin. Les Etats autrefois « prolétaires » sont en train de l’emporter, sous le leadership russe. Là encore Poutine est en train de rejouer la guerre froide, avec un happy end cette fois.
Que faire ?
Les Occidentaux doivent d’abord percevoir la situation telle qu’elle est, si désagréable fût-elle pour nos Etats démocratiques plus habitués à des entreprises futiles qu’à assurer leur préservation. Pour cela nous devons nous extraire du mensonge russe.
Le premier mensonge concerne les prétendues inquiétudes de Moscou pour la sécurité russe, le danger que représenterait pour elle des missiles de l’OTAN déployés dans les pays frontaliers. Il suffit de prendre connaissance des textes cités plus haut pour constater que les préoccupations de « sécurité » mises en avant par Moscou ne sont qu’un rideau de fumée, que l’OTAN même est considéré comme un tigre en papier, c’est RIA qui le constate : « Les atlantistes, malgré tous leurs appétits, n’entreront pas en conflit ouvert avec la Russie, ils n’en veulent pas et en ont peur. Même les stratèges anglo-saxons raisonnables comprennent que l’Occident n’a pas la force de maintenir l’Ukraine dans son orbite pendant longtemps, les lois de l’histoire russe (comme les lois de la géopolitique) fonctionneront toujours. »
Quand Moscou parle de « sécurité » il faut entendre « domination russe » et « impunité », car c’est de cela qu’il s’agit. Le Kremlin considère en effet que tout ce qu’il ne contrôle pas peut mettre le régime en péril. On le voit à la politique intérieure russe, où depuis des années les oasis de liberté sont asséchées une à une. Ce que Moscou craint en Ukraine, ce ne sont pas les quelques instructeurs de l’OTAN, ce sont les libertés. Elle veut une Ukraine désarmée de manière à pouvoir intimider les rebelles de Kiev et mettre en place un régime haï par son peuple, donc dépendant totalement du Kremlin. On se souvient que la Russie a laissé faire Aliev en Arménie justement parce que le président Pachinian avait été choisi par le peuple arménien contre les marionnettes du Kremlin. Si la Russie parvient à chasser les Etats-Unis d’Europe, elle ne tardera pas à se sentir menacée par les libertés des pays d’Europe de l’Ouest, et sous prétexte d’assurer sa « sécurité », elle mettra le même acharnement chez nous que chez elle à asservir les media, à éradiquer les institutions démocratiques et les partis indépendants. Aujourd’hui déjà, Lavrov se permet de réclamer la démission de Stoltenberg, secrétaire de l’OTAN, qui selon lui « n’est pas à la hauteur de sa tâche ».
Autre illusion dont il faut se défaire, l’idée d’une société civile bouillonnante en Russie qui pourrait freiner les aspirations belliqueuses du président Poutine. Les sondages montrent que le lavage de cerveau effectué par la propagande officielle est fort efficace : 50 pour cent des Russes interrogés considèrent que l’OTAN et l’Occident en général sont responsables de la tension actuelle. 16 pour cent incriminent l’Ukraine. Les rares opposants qui subsistent critiquent très rarement la politique étrangère et ne dénoncent guère le chauvinisme nauséabond qui émane du régime de Poutine.
Enfin, mentionnons cette vache sacrée démocratique qui doit être sacrifiée : la foi absolue dans la vertu du « dialogue », que la plupart des responsables occidentaux, de Florence Parly à Mario Draghi, continuent à préconiser face à Moscou. Or rien n’est plus dangereux que ces échanges au sommet, qui, quoi qu’on dise, alimentent immanquablement soit la paranoïa, soit la folie des grandeurs et l’ivresse de puissance russes. Si les Occidentaux se montrent fermes, le Kremlin en tire la conclusion qu’ils veulent détruire la Russie ; si les Occidentaux offrent des concessions, le Kremlin en conclut qu’ils sont faibles et qu’il faut foncer.
Très souvent avec la Russie la meilleure politique est celle du silence et de la distance : ne rien faire, ne rien dire et tenir bon l’arme au pied. S’accrocher au dialogue à tout prix, surtout quand Moscou nous tient en joue comme un forcené détenant un otage, ne fait qu’étaler notre faiblesse et encourager le Kremlin à l’escalade.
Surtout nous devons cesser de donner à la guerre froide la connotation péjorative qu’elle ne mérite nullement. La ministre de la Défense Florence Parly vient de déclarer que les pays occidentaux doivent éviter l’escalade avec la Russie afin de ne pas provoquer une nouvelle guerre froide. Tant que nous restons dans ces cadres conceptuels la Russie sera gagnante. Il faut se rappeler que la guerre froide a commencé en 1946, lorsque les Occidentaux ont cessé de céder à Staline, après lui avoir laissé en pâture les pays d’Europe centrale et orientale. C’est grâce à la guerre froide que les pays de l’Europe occidentale ont conservé leur liberté.
Les leçons des années 1946-7 sont d’actualité aujourd’hui. Les pionniers de la guerre froide furent les Britanniques, qui constituèrent un bloc occidental autour du noyau anglo-français et persuadèrent les Américains tentés par l’isolationnisme de rester en Europe. Au printemps 1947, les gouvernements français, italien et belge expulsèrent les ministres communistes, conscients du danger que représentait la cinquième colonne de Moscou en Europe. Cette volonté manifeste de résister à Staline acheva de persuader Washington de s’engager dans la sécurité européenne. Il s’agissait de tout un programme d’action dont nous pourrions nous inspirer aujourd’hui, au lieu de nous livrer à une puérile guerre des boutons avec la Grande-Bretagne. Mais pour cela nous devons réapprendre à voir les choses en face, à raisonner en termes politiques, au lieu de flotter au gré des passions médiatiques et des sondages. En 1946-7 on savait que la liberté valait la peine qu’on meure pour elle, ce qui visiblement est oublié aujourd’hui. Après Munich, en 1938, les Occidentaux éprouvèrent une grande honte d’avoir abandonné la Tchécoslovaquie dans les griffes d’Hitler. Aujourd’hui nous sommes en train de laisser tomber lâchement l’Ukraine, mais nous ne nous rendons même pas compte de notre déshonneur, ni du péril qu’il y a à céder à un agresseur. Nous discutons du sexe des anges, comme les Byzantins lorsque les forces ottomanes étaient en train de détruire les remparts de la ville.
Voir de plus:
Françoise Thom, la procureure de Poutine
Formée à l’école d’Alain Besançon, l’historienne française est l’une des voix les plus critiques, et les plus haïes, du Kremlin.
Isabelle Mandraud
Le Monde
21 octobre 2019
Rencontre. Assurément, la langue de bois, objet de sa thèse en 1987, lui est étrangère. Comme ce samedi 5 octobre, lorsqu’un journaliste de RT (ex-Russia Today) lui tend le micro à l’issue d’un débat sur les « Ingérences de Poutine » organisé par Le Monde Festival à l’Opéra Bastille. « Vous feriez mieux d’aller chercher un travail honnête », lui répond Françoise Thom, laissant sans voix son interlocuteur dépêché par le canal français de la télévision pro-poutinienne.
L’universitaire, spécialiste de l’URSS et de la Russie, ne prend guère de détour, non plus, lorsqu’elle présente le Kremlin comme « un régime prédateur ». Françoise Thom est l’une des voix françaises les plus critiques du poutinisme, à l’opposé de celles qui, à l’instar de l’ancien ministre des affaires étrangères Hubert Védrine, prônent la réconciliation avec Moscou au nom du « réalisme ».
En août, elle cosignait avec son amie écrivaine Galia Ackerman une tribune cinglante dans Le Monde pour dénoncer la réception de Vladimir Poutine par Emmanuel Macron au fort de Brégançon à la veille du G7 organisé à Biarritz : « Quel intérêt y a-t-il à introniser à nouveau un pays dont le but avoué est la destruction de l’ordre international et le ralliement de toute l’Europe à son régime militaro-policier ? » Plus tôt, en décembre 2018, elle publiait Comprendre le poutinisme (éd. Desclée de Brouwer), dans lequel elle décortiquait au scalpel la propagande du pouvoir russe et le profil « kagébiste » de son président, issu des rangs du KGB, non sans s’attarder sur l’influence concentrationnaire encore présente dans les mentalités et les réseaux. Un essai devenu une Bible pour certains ; un brûlot pour d’autres.
Au même moment, le ministère russe des affaires étrangères se déchaînait sur Twitter en faisant tourner ce message via ses ambassades : « Il semble que les textes français signés Françoise Thom sur la “propagande russe” sont bien payés par Londres, Royaume-Uni ». Bête noire du Kremlin et de ses supporteurs, elle fut aussi traitée de « pute sioniste » ou d’« intellectuelle haineuse » sur les réseaux sociaux. Classée en tête de gondole des « russophobes », selon l’étiquette accolée par les thuriféraires du régime à tous ceux qui osent émettre une critique. L’intéressée s’en moque.
Tout juste retraitée de l’université Paris-Sorbonne, où elle enseignait l’histoire contemporaine, Françoise Thom, 68 ans, le regard vif et les cheveux courts en bataille, ne désarme pas. « L’initiative Macron, sans avoir consulté les partenaires européens, est extrêmement risquée à un moment où les Etats-Unis sont totalement paralysés, dit-elle. Le premier service qu’on puisse rendre à la Russie est de lui tenir un discours de vérité, or le président français ne le fait pas quand il cite tous les poncifs, il la conforte au contraire dans une voie calamiteuse ». Les références littéraires du chef de l’Etat français citant Dostoïevski face à son homologue russe l’ont laissé de marbre.
C’est pourtant par la littérature, et Dostoïevski en particulier, que Françoise Thom est arrivée au russe, une langue qu’elle a d’abord enseignée comme professeure agrégée. « C’est un excellent auteur mais je le vois un peu différemment aujourd’hui, en tout cas je suis sortie du mysticisme. En Occident, on donne dans le kitsch slavophile. Pour moi, la grande force de la littérature russe, outre la poésie, c’est la satire », affirme-t-elle en nommant en tête de ses préférences – outre Dostoïevski – Mikhaïl Saltykov-Chtchedrine, Mikhaïl Zochtchenko, Andreï Platonov, ou Alexandre Zinoviev.
Né à Strasbourg dans une famille « profondément européenne », d’un père mathématicien, récompensé par la médaille Fields, l’équivalent d’un prix Nobel dans cette discipline, et d’une mère institutrice, Françoise Thom a passé quatre années aux Etats-Unis durant son enfance, après que son père a été appelé dans de prestigieuses universités comme Berkeley. Mais toujours éprise de la langue russe, c’est à Moscou qu’elle débarque seule et enthousiaste, à l’âge de 23 ans. Quatre années, ici aussi, entre 1973 et 1978, afin de parfaire son apprentissage à l’université MGU et dans les éditions Mir, réputées pour faire connaître à l’étranger les réalisations scientifiques soviétiques.
C’est une catastrophe. Sous Brejnev, l’URSS est plongée dans la stagnation. Les signes du déclin de l’empire rouge apparaissent, les pénuries s’étendent. L’étudiante est choquée. « Sur place, cela a été une révélation progressive qui a infusé surtout dans le domaine moral, explique-t-elle. Ce que je voyais, en plus de la laideur extérieure, c’était le côté sordide des relations humaines, la peur, l’espionnite, le mensonge en pleine figure, le côté intéressé… » Rentrée en France, Françoise Thom se sent plus isolée que jamais. Ses relations dans le milieu universitaire « où le marxisme battait son plein » s’effritent. Jusqu’à ce qu’elle lise Les Origines intellectuelles du léninisme, (éd. Gallimard, 1996), d’Alain Besançon. Un « éblouissement ».
Communiste repenti en 1956 après la publication du rapport Khrouchtchev sur les crimes staliniens et le soulèvement réprimé de Budapest, l’historien Alain Besançon a réorienté tous ses travaux sur le totalitarisme. Françoise Thom va le trouver et commence sous sa direction sa thèse sur la langue de bois. C’est l’histoire désormais qui la passionne. « Auprès de Besançon, j’ai appris l’importance de l’éthique, et compris qu’on ne pouvait pas considérer le régime communiste comme un autre, car c’était un régime criminel », souligne-t-elle, ajoutant dans un rire : « Evidemment, ce n’était pas très à la mode. »
Suit une véritable « traversée du désert » dans un milieu universitaire encore empreint des idéaux communistes au sein duquel le maître et ses élèves « fonctionnent en petit groupe, comme des dissidents ». Des dissidents, justement, que Françoise Thom fréquente parmi les Russes exilés, auprès de cette « dissidence humble qui passait ses nuits à taper des samizdats à la machine ». L’effondrement de l’URSS la surprend, les prémices de la nouvelle Russie sous Eltsine l’inquiètent, l’arrivée au pouvoir de Poutine « et sa bande de killers formée dans la jungle de l’après-communisme » la glace.
« Il n’aurait pas fallu, en Occident, approuver la destruction du Parlement en octobre 1993 [en butte au Congrès des députés du peuple, Boris Eltsine fit intervenir l’armée et prononça sa dissolution au terme de plusieurs jours d’affrontements meurtriers dans les rues de Moscou] car c’était une violation gravissime du droit. Les germes du poutinisme sont là, dans cette liquidation du Parlement par la force, et l’impossible séparation des pouvoirs. C’était la fin de l’espérance d’une démocratie libérale. »
Françoise Thom va souvent à contre-courant de la pensée dominante. Elle est aussi l’auteure d’une somme décoiffante de près de 1 000 pages sur Béria, Le Janus du Kremlin (Ed. du Cerf, 2013) dans lequel elle décrit le bourreau de Staline d’origine géorgienne comme ce dernier sous les traits… d’un précurseur de la perestroïka. Dans ce livre d’une lecture ardue, elle développe la thèse d’un homme ambivalent, à la fois serviteur zélé d’un régime totalitaire (à la tête du NKVD, ancêtre du KGB, il a développé à une échelle industrielle le goulag), mais aussi comme un réformateur caressant le projet de desserrer l’étau du parti.
« Je suis partie du plénum de 1953 et des accusations inhabituelles portées contre lui comme celle d’avoir donné l’ordre de cesser le brouillage des radios occidentales, expose-t-elle. C’était quelqu’un d’antipathique évidemment, mais l’idée qu’il ait pu jouer un double jeu, qu’il soit parvenu au sommet d’un système tout en étant un adversaire de ce système m’a fascinée ». C’est au cours de cette enquête hors norme que Françoise Thom rencontra son mari, géorgien lui aussi, dans un colloque.
Mais la voici qui s’attelle désormais à une autre entreprise colossale, une étude sur la façon dont sont vécues les grandes catastrophes historiques par leurs contemporains, de la fin d’Athènes, avec la guerre du Péloponnèse, en passant par la fin de Rome ou celle de Byzance, jusqu’à la révolution communiste. Sans pour autant abandonner son œil critique ni son franc-parler sur l’actualité poutinienne, bien sûr.
Aujourd’hui je trouve indispensable de revenir sur les événements tragiques qui se produisent au Donbass, et aux questions clés qui concernent la sécurité de la Russie.
Je commencerai par ce que j’ai déjà évoqué dans mon allocution du 21 février de cette année. Il est question de ce qui suscite chez nous une préoccupation et une inquiétude particulières, de ces menaces fondamentales pour la sécurité de notre pays que des hommes politiques irresponsables à l’Occident créent pas à pas, sans détours et brutalement, depuis des années. Je fais allusion à l’élargissement de l’OTAN vers l’est, au rapprochement de son infrastructure militaire vers les frontières russes.
Nous savons bien que 30 ans durant nous avons tenté patiemment et obstinément de nous entendre avec les principaux pays de l’OTAN sur les principes d’une sécurité également partagée et indivisible en Europe. En réponse à nos propositions, nous nous sommes heurtés à chaque fois soit à des mensonges et des tromperies cyniques, soit à des tentatives de pression et de chantage, tandis que l’Alliance nord-atlantique dans le même temps ne cessait de s’élargir en dépit de toutes nos protestations et inquiétudes. La machine militaire avance et, je le répète, s’approche au plus près de nos frontières.
Pourquoi tout cela se produit-il ? D’où vient cette manière arrogante de nous traiter depuis une position d’élus, d’irréprochables, à qui tout est permis ? D’où vient ce mépris, ce je-m’en-foutisme envers nos intérêts et nos exigences absolument légitimes ?
La réponse est claire, évidente et facile à expliquer. L’URSS à la fin des années 80 s’est affaiblie, et s’est finalement totalement écroulée. Tout le cours des évènements de cette époque constitue une bonne leçon pour nous également aujourd’hui. Il a montré clairement que la paralysie du pouvoir, de la volonté, sont le premier pas vers la dégradation totale et la relégation. Il nous a suffi à cette époque de perdre pour quelque temps notre confiance en nous, et voilà: l’équilibre des forces dans le monde a été rompu.
La conséquence en a été que les accords, les traités existants ont de facto perdu effet. Les tentatives de convaincre et les demandes sont sans effet. Tout ce qui n’arrange pas l’hégémon, les tenants du pouvoir, est déclaré archaïque, obsolète, inutile. Et au contraire, ce qui leur paraît bénéfique est proclamé vérité absolue, imposé de force à tout prix, avec arrogance, par tous les moyens. Ceux qui ne sont pas d’accord sont brisés.
Ce que j’évoque ne concerne pas uniquement la Russie, et nous ne sommes pas seuls à nous inquiéter. Cela concerne tout le système des relations internationales, et parfois même les propres alliés des Etats-Unis.
Après la chute de l’URSS, c’est dans les faits une recomposition du monde qui a commencé, et les normes jusqu’alors établies du droit international – dont les principales avaient été adoptés à l’issue de la Deuxième guerre mondiale et en grande partie en pérennisaient les résultats – ont commencé à gêner ceux qui s’étaient déclarés vainqueurs de la Guerre froide.
Bien sûr, dans la vie pratique, dans les relations internationales et dans leurs règles, il fallait prendre en compte les changements de la situation mondiale et de l’équilibre des forces. Mais il fallait le faire de manière professionnelle, progressivement, patiemment, en tenant compte et en respectant les intérêts de tous les pays et avec le sens de la responsabilité. Mais non, (on a vu) l’euphorie de la suprématie absolue, une sorte d’absolutisme de notre temps, en outre sur fond de faible culture générale et d’arrogance de ceux qui préparaient, adoptaient et imposaient des décisions qui ne profitaient qu’à eux-mêmes. La situation a commencé à se développer suivant un scénario différent.
Inutile de chercher loin pour trouver des exemples. D’abord, sans aucune autorisation du Conseil de Sécurité de l’ONU, une opération militaire sanglante a été menée contre Belgrade. On a utilisé l’aviation, des missiles au centre même de l’Europe. Plusieurs semaines de bombardements incessants sur des villes pacifiques, sur des infrastructures vitales. On est forcé de rappeler ces faits, car certains de nos collègues occidentaux n’aiment pas se souvenir de ces événements, et quand nous en parlons, préfèrent non pas se référer aux normes du droit international, mais à des circonstances qu’ils interprètent comme ils le jugent nécessaire.
Après, cela a été le tour de l’Irak, de la Lybie, de la Syrie. Le recours illégitime à la force militaire contre la Libye, la déformation de toutes les décisions du Conseil de Sécurité de l’Onu sur la question libyenne ont mené à la destruction totale de l’Etat, à l’apparition d’un foyer énorme de terrorisme international, à ce que le pays a sombré dans une catastrophe humanitaire, dans l’abîme d’une guerre civile qui perdure jusqu’à présent. La tragédie à laquelle ont été condamnées des centaines de milliers, des millions de personnes en Libye et dans toute la région a provoqué un exode massif de l’Afrique du Nord et du Proche Orient vers l’Europe.
On préparait le même sort pour la Syrie. Les opérations militaires de la coalition occidentale sur le territoire de ce pays, sans accord du gouvernement syrien et sans autorisation du conseil de Sécurité de l’ONU, ce n’est rien d’autre qu’une agression, une intervention.
Mais une place à part dans ce rang est due sans doute à l’invasion en Irak, également dénuée de tout fondement légal. Comme prétexte on a choisi une information sûre que les Etats Unis prétendaient avoir sur les armes d’extermination massive en Irak. Pour le prouver, le secrétaire d’Etat américain, aux yeux du monde entier, a agité une sorte de fiole avec une poudre blanche, assurant à tout le monde que c’était une arme chimique élaborée en Irak. Et puis il s’est avéré que tout cela était de la tricherie, du bluff : qu’il n’y avait aucun arme chimique en Irak. C’est incroyable, étonnant, mais un fait reste un fait. Il y a eu mensonge au plus haut niveau de l’Etat et depuis la haute tribune de l’ONU. Et pour résultat, une quantité énorme de victimes, de destructions, une flambée incroyable de terrorisme.
On a d’une manière générale l’impression que pratiquement partout, dans de nombreuses régions du monde où l’Occident arrive pour instaurer son ordre, ne restent à la fin que des plaies sanglantes qui ne cicatrisent pas, les ulcères du terrorisme international et de l’extrémisme. Tout ce dont j’ai parlé, ce n’est que les exemples les plus flagrants mais c’est loin d’être les seuls exemples du mépris pour le droit international.
La promesse faite à notre pays de ne pas élargir d’un pouce l’Otan vers l’est en fait partie. Je le répète: on nous a trompés, et pour utiliser un langage populaire, on nous a roulés. Certes, on dit souvent que la politique est quelque chose de sale. C’est possible, mais pas à ce point. Une telle roublardise va à l’encontre non seulement des principes des relations internationales mais avant tout des normes de la morale. Où sont la justice et le droit ? On n’a ici que du mensonge et de l’hypocrisie.
D’ailleurs les hommes politiques, politologues et les journalistes américains eux-mêmes écrivent et disent que c’est un véritable « empire du mensonge » qui a été créé ces dernières années aux Etats-Unis. Il est difficile de les contredire: c’est le cas. Mais ne soyons pas trop modestes: les Etats-Unis sont tout de même un grand pays, une puissance déterminante. Tous ses satellites non seulement lui chantent des louanges et lui font écho fidèlement et invariablement à tout propos, mais aussi copient son comportement, et adoptent avec enthousiasme les règles qu’il propose. C’est pourquoi on peut dire avec certitude et assurance que c’est ce qu’on appelle le bloc occidental dans son ensemble, formé par les Etats-Unis à leur image et sur leur modèle, qui est « l’empire du mensonge ».
Pour ce qui concerne notre pays, après l’effondrement de l’URSS, malgré l’ouverture sans précédent de la nouvelle Russie, sa disposition à travailler honnêtement avec les Etats-Unis et les autres partenaires occidentaux, et dans un contexte de désarmement pratiquement unilatéral, on a aussitôt essayé de nous achever et de nous détruire cette fois définitivement. C’est exactement ce qui s’est produit dans les années 1990 et au début des années 2000, quand ce qu’on appelle l’Occident a soutenu de la manière la plus active le séparatisme et des bandes de mercenaires dans le sud de la Russie. Quelles pertes, combien de victimes cela nous a coûté avant de briser définitivement le terrorisme international dans le Caucase. Nous nous en souvenons et n’oublierons jamais.
Du reste, jusqu’à encore récemment on n’a cessé de tenter de nous utiliser à profit, de détruire nos valeurs traditionnelles et de nous imposer des prétendues valeurs qui auraient détruit notre peuple de l’intérieur, les principes qu’ils imposent déjà de manière agressive dans leurs propres pays et qui mènent directement à la dégradation et à la dégénérescence puisqu’elles vont à l’encontre de la nature humaine elle-même. Cela ne se fera jamais, et personne n’a réussi jusqu’à présent. Cela ne se fera pas davantage maintenant.
En dépit de tout cela, en décembre 2021 nous avons malgré tout encore une fois entrepris une tentative de nous entendre avec les Etats-Unis et leurs alliés sur des principes de sécurité en Europe et sur le non-élargissement de l’Otan. Tout est clair. La position des Etats-Unis ne change pas. Ils ne jugent pas nécessaire de s’entendre avec la Russie sur cette question clé pour nous, poursuivant leurs objectif et négligeant nos intérêts.
Et bien sûr dans cette situation se pose une question : mais que faire maintenant, que doit-on attendre ? L’Histoire nous enseigne bien, comment en 1940 et au début de 1941 quand l’Union soviétique s’efforçait d’empêcher ou au moins de repousser le début de la guerre, et pour cela, jusqu’au dernier moment, essayait de ne pas provoquer l’agresseur potentiel, n’entreprenait pas ou reportait les mesures les plus indispensables et les plus évidentes pour se préparer à faire face à une agression inévitable. Et les mesures qui ont finalement été prises, arrivaient avec un retard catastrophique.
Le résultat en a été que le pays n’a pas été prêt à faire face pleinement à l’invasion par l’Allemagne nazie, qui a attaqué notre patrie sans déclaration de guerre le 22 juin 1941. On a réussi à arrêter l’ennemi et ensuite à le vaincre, mais à un prix colossal. La tentative d’amadouer l’agresseur à la veille de la Seconde guerre mondiale a été une erreur qui a coûté cher à notre peuple. Dans les premiers mois de combats nous avons perdu des territoires gigantesques et d’une importance stratégique, et des millions de vies humaines. Nous ne ferons pas une telle erreur une seconde fois, nous n’en avons pas le droit.
Ceux qui prétendent à la domination du monde, publiquement, dans l’impunité et, je le souligne, sans aucun fondement, nous déclarent, nous, la Russie, leur ennemi. Ils ont effectivement aujourd’hui des capacités financières, scientifiques et technologiques, militaires, supérieures. Nous le savons et évaluons objectivement les menaces proférées à notre adresse de manière permanente dans le domaine de l’économie – tout comme nos capacités à résister à ce chantage permanent et arrogant. Je le répète, nous les évaluons sans illusion, de manière extrêmement réaliste.
Pour ce qui concerne le domaine militaire, la Russie, même après l’effondrement de l’URSS et la perte d’une part significative de son potentiel, est aujourd’hui une des plus grandes puissances nucléaires au monde, et dispose en outre d’avantages certains dans une série de nouveaux types d’armements. En ce sens, personne ne doit avoir de doutes sur le fait qu’une attaque directe contre notre pays mènera à la destruction et à d’épouvantables conséquences pour tout agresseur potentiel.
Dans le même temps, les technologies, y compris de défense, changent vite. Le leadership dans ce domaine change de mains et va continuer de le faire, alors que la prise de contrôle militaire de territoires voisins de nos frontières, si nous le laissons faire, perdurera pour des décennies, voire pour toujours, et constituera pour la Russie une inacceptable menace en croissance permanente.
Dès maintenant, au fur et à mesure de l’élargissement de l’Otan vers l’est, la situation pour notre pays devient chaque année pire et plus dangereuse. En outre, ces derniers jours la direction de l’Otan parle sans détours de la nécessité d’accélérer et de renforcer la progression des infrastructures de l’Alliance vers les frontières de la Russie. En d’autres termes, ils durcissent leur position. Nous ne pouvons pas continuer d’observer simplement le cours des événements. Ce serait de notre part absolument irresponsable.
La poursuite de l’élargissement des infrastructures de l’Alliance nord-atlantique, la prise de contrôle militaire du territoire de l’Ukraine sont pour nous inacceptables. Ce n’est bien entendu pas l’Otan elle-même qui est en jeu – c’est simplement un instrument de politique étrangère des Etats-Unis. Le problème est que, sur des territoires voisins des nôtres – je souligne qu’il s’agit de nos propres territoires historiques – se crée une « anti-Russie » qui nous est hostile et qui est placée entièrement sous contrôle extérieur, où les forces armées de pays de l’Otan prennent leurs aises et où sont introduits les armements les plus modernes.
Pour les Etats-Unis et leurs alliés c’est la prétendue politique d’endiguement de la Russie, des dividendes géopolitiques évidents. Mais pour notre pays c’est en fin de compte une question de vie ou de mort, la question de notre avenir historique comme peuple. Et ce n’est pas une exagération, c’est la vérité. C’est une menace réelle non seulement pour nos intérêts mais pour l’existence même de notre Etat, pour sa souveraineté. C’est la fameuse ligne rouge dont on a parlé nombre de fois. Ils l’ont franchie.
A ce propos – sur la situation dans le Donbass. Nous voyons que les forces qui ont effectué en 2014 un coup d’Etat en Ukraine se sont emparées du pouvoir et le conservent grâce à ce qui est en fait des procédures électorales décoratives, ont définitivement renoncé à un règlement pacifique du conflit. Durant huit ans, d’interminables huit années, nous avons fait tout ce qui était possible pour que la situation soit réglée par des moyens pacifiques et politiques. En vain.
Comme je l’ai déjà dit dans ma précédente allocution, on ne peut pas regarder sans compassion ce qui se passe là-bas. Il n’était simplement plus possible de rester sans rien faire. Il fallait mettre fin sans délai à ce cauchemar – un génocide à l’égard des millions de personnes qui vivent là-bas et qui ne fondent leurs espoirs que sur la Russie. Ce sont précisément ce désir, ces sentiments, la douleur des gens qui ont été pour nous le principal motif pour prendre la décision de reconnaître les républiques populaires du Donbass.
Ce que je souhaite en outre souligner. Les principaux pays de l’Otan, pour parvenir à leurs fins, soutiennent en Ukraine les ultra-nationalistes et des néonazis, qui à leur tour ne pardonneront jamais le choix libre des habitants de la Crimée et de Sebastopol, la réunification avec la Russie.
Ils vont bien entendu s’attaquer à la Crimée, comme au Donbass, pour tuer, comme les bandes de nationalistes ukrainiens, complices d’Hitler au moment de la Seconde guerre mondiale, tuaient des gens sans défense. Et ils déclarent ouvertement qu’ils ont des vues sur toute une série d’autres territoires russes.
Toute l’évolution de la situation et l’analyse des informations qui nous arrivent montrent que l’affrontement de la Russie avec ces forces est inévitable. Ce n’est qu’une question de temps: ils se préparent, ils attendent le moment favorable. Maintenant ils ambitionnent même d’acquérir l’arme nucléaire. Nous ne laisserons pas faire.
Comme je l’ai déjà dit précédemment, la Russie, après l’effondrement de l’URSS, a pris en compte les nouvelles réalités géopolitiques. Nous considérons avec respect tous les pays apparus dans l’espace postsoviétique. Nous respectons et respecterons leur souveraineté, et l’exemple en est l’aide que nous avons apportée au Kazakhstan qui s’est trouvé confronté à des événements tragiques mettant en jeu l’Etat et son intégrité. Mais la Russie ne peut pas se sentir en sécurité, se développer, exister avec une menace permanente émanant du territoire de l’Ukraine.
Je rappelle qu’en 2000-2005 nous avons répondu militairement aux terroristes dans le Caucase, avons défendu l’intégrité de notre pays, et préservé la Russie. En 2014 nous avons défendu les habitants de la Crimée et de Sebastopol. En 2015 nous avons eu recours aux forces armées pour empêcher l’entrée de terroristes en Russie depuis la Syrie. Nous n’avions pas d’autre moyen de nous protéger.
C’est la même chose qui se produit aujourd’hui. On ne nous a pas laissé d’autre possibilité de défendre la Russie, nos gens, que celle que nous allons être obligés d’utiliser aujourd’hui. Les circonstances exigent de nous des actes rapides et fermes. Les républiques populaires du Donbass ont demandé l’aide de la Russie.
Par conséquent, conformément à l’article 51 alinea 7 de la Charte de l’ONU, avec l’accord du Conseil de sécurité russe et dans le cadre des accords d’Amitié et d’assistance mutuelle avec la République populaire de Donetsk et la la République populaire de Lougansk, ratifiés le 22 février par le Conseil de la Fédération, j’ai pris la décision d’une opération armée spéciale.
Son objectif – défendre les gens qui depuis huit ans sont soumis à des brimades et à un génocide de la part du régime de Kiev. Dans ce but nous allons nous efforcer de parvenir à la démilitarisation et à la dénazification de l’Ukraine, ainsi que de traduire devant la justice ceux qui ont commis de nombreux crimes sanglants contre des civils, y compris contre des citoyens de la Fédération de Russie.
Mais l’occupation de territoires ukrainiens ne fait pas partie de nos plans. Nous n’avons pas l’intention d’imposer quoi que ce soit par la force, à quiconque. Dans le même temps nous entendons de plus en plus souvent en Occident qu’il n’est plus nécessaire de respecter les documents signés par le régime totalitaire soviétique, qui fixaient les résultats de la Seconde guerre mondiale. Que répondre à cela ?
Les résultats de la Seconde guerre mondiale, tout comme les pertes apportées par notre peuple sur l’autel de la victoire sur le nazisme, sont sacrés. Mais cela ne contredit pas les hautes valeurs des droits et libertés de l’homme, si l’on part des réalités qui se sont établies depuis la fin de la guerre. Cela n’annule pas davantage le droit des nations à l’autodétermination, inscrit à l’article 1 de la Charte de l’ONU.
Je rappelle que ni lors de la fondation de l’URSS, ni après la Seconde guerre mondiale, personne n’a jamais demandé aux gens qui vivaient sur tel ou tel territoire entrant dans l’actuelle Ukraine, comment ils comptaient eux-mêmes construire leur vie. Au fondement de notre politique, la liberté, la liberté de choix pour chacun de déterminer librement son avenir et l’avenir de ses enfants. Et nous jugeons important que ce droit – le droit à choisir – puisse être exercé par tous les peuples qui vivent sur le territoire de l’actuelle Ukraine, tous ceux qui le voudront.
En ce sens je m’adresse aux citoyens ukrainiens. En 2014 la Russie a été dans l’obligation de défendre les habitants de la Crimée et de Sebastopol face à ceux que vous appelez vous-mêmes les « naziki ». Les habitants de la Crimée et de Sebastopol ont fait leur choix – être avec leur patrie historique, avec la Russie, et nous les avons soutenus. Je le répète, nous ne pouvions nous comporter autrement.
Les événements d’aujourd’hui sont liés non à une volonté de porter atteinte aux intérêts de l’Ukraine et du peuple ukrainien. Ils sont liés à la défense de la Russie elle-même contre ceux qui ont pris l’Ukraine en otage et tentent de l’utiliser contre notre pays et son peuple.
Je le répète, nos actes sont une autodéfense contre des menaces créées contre nous et contre des malheurs encore plus grands que ceux qui surviennent aujourd’hui. Quelle qu’en soit la difficulté, je vous demande de le comprendre et j’appelle à coopérer pour tourner le plus vite possible cette page tragique et, ensemble, aller de l’avant en ne laissant personne se mêler de nos affaires, de nos relations, mais en les construisant nous-mêmes de manière à permettre de surmonter tous les problèmes et, malgré la présence de frontières, à nous renforcer de l’intérieur comme un tout. Je crois en cela, précisément en un tel avenir commun.
Je dois m’adresser aux militaires des forces armées ukrainiennes.
Chers camarades ! Vos pères, grand-pères, arrière-grand-pères n’ont pas combattu les nazis, défendant notre patrie commune, pour que les néonazis d’aujourd’hui s’emparent du pouvoir en Ukraine. Vous avez prêté serment envers le peuple ukrainien, et non envers la junte qui aujourd’hui pille l’Ukraine et se moque de son peuple.
N’exécutez pas ses ordres criminels. Je vous appelle à déposer immédiatement les armes et à rentrer chez vous. Je précise : tous les militaires de l’armée ukrainienne qui rempliront cette exigence pourront quitter sans encombre la zone de combats et rejoindre leur famille.
Je souligne encore une fois avec force : toute la responsabilité de l’éventuelle effusion de sang reposera entièrement sur la conscience du régime en place sur le territoire de l’Ukraine.
Maintenant quelques mots importants, très importants pour ceux qui peuvent avoir la tentation de s’immiscer depuis l’extérieur dans les événements en cours. Quiconque tentera de nous gêner, a fortiori de créer une menace pour notre pays pour notre peuple, doit savoir que la réponse de la Russie sera immédiate et infligera des conséquences telles que vous n’en avez jamais connu dans votre histoire. Nous sommes prêts à tout développement de la situation. Toutes les décisions en ce sens ont déjà été prises. J’espère que je serai entendu.
Chers citoyens russes !
La prospérité, et l’existence même d’Etats et de peuples entiers, leur succès et leur vitalité prennent toujours leur source dans de fortes racines culturelles, dans un système de valeurs, d’expérience et de traditions des ancêtres, et bien entendu dépendent directement des capacités à s’adapter rapidement aux changements perpétuels de la vie, de la cohésion de la société, de sa disposition à s’unir, unir toutes ses forces pour aller de l’avant.
La force est toujours nécessaire – toujours, mais la force peut-être de différentes qualités. Au fondement de la politique de « l’empire du mensonge » dont je parlais au début de mon allocution, repose avant tout la force brute. Dans ce cas on a coutume de dire chez nous « La force est là, pas besoin d’intelligence ».
Mais vous et moi savons que la véritable force est dans la justice et la vérité, qui est de notre côté. Et s’il en est ainsi, il est difficile de ne pas admettre que ce sont précisément la force et la disposition au combat qui fondent l’indépendance et la souveraineté, constituent l’indispensable base sur laquelle on peut construire sûrement son avenir, bâtir sa maison, sa famille, sa patrie.
Chers concitoyens !
Je suis certain que les soldats et officiers des forces armées russes, fidèles à leur pays, vont remplir leur devoir avec professionnalisme et courage. Je ne doute pas que les pouvoirs de tous niveaux, les spécialistes qui répondent de la stabilité de notre économie, de notre système financier, du secteur social, les dirigeants de nos entreprises et tout le milieu d’affaires russe vont agir de manière coordonnée et efficace. Je compte sur l’attitude unie et patriotique de tous les partis parlementaires et des forces de la société.
En fin de compte, comme cela a toujours été le cas dans l’Histoire, le destin de la Russie est entre les mains de notre peuple aux nombreuses nationalités. Et cela signifie que les décisions prises seront exécutées, les objectifs fixés seront atteints, que la sécurité de notre patrie sera garantie.
Je crois en votre soutien, dans la force invincible que nous donne notre amour de la patrie.
Chairman of the “All-Russian Officer’s Assembly” Colonel-General Leonid Grigorievich Ivashov wrote an Address to the President and citizens of the Russian Federation “Chanle of War”:
Today humanity lives in anticipation of war. And war is the inevitable human sacrifices, destruction, suffering of large masses of people, destruction of habitual lifestyles, violation of the systems of life of states and peoples.
The big war is a huge tragedy, whose serious crime is. It so happened that Russia was at the center of this threatening catastrophe. And perhaps this is the first time in her history.
Previously, Russia (USSR) waged forced (just) wars, and, as a rule, when there was no other way out, when the vital interests of the state and society were threatened.
And what threatens the existence of Russia itself today, and are there such threats? It can be argued that there are really threats – the country is on the verge of completing its history.
All vital areas, including demography, are steadily deteriorating, and the rate of extinction of the population is breaking world records. And degradation is systemic, and in any complex system, the destruction of one of the elements can lead to the collapse of the entire system.
And this, in our opinion, is the main threat to the Russian Federation. But this is a threat of an internal nature, based on the model of the state, the quality of power and the state of society.
And the reasons for its formation are internal: the inviability of the state model, complete incapacity and unprofessionalism of the system of power and management, passivity and disorganization of society. Any country does not live in this state for a long time.
As for external threats, they are certainly present. But, according to our expert assessment, they are not at the moment critical, directly threatening the existence of Russian statehood, its vital interests.
In general, strategic stability persists, nuclear weapons are under reliable control, NATO force groups are not increasing, there is no threatening activity.
Therefore, the situation escalated around Ukraine is, first of all, artificial, selfish in nature for some internal forces, including the Russian Federation.
As a result of the collapse of the USSR, in which Russia (Yeltsin) took a decisive part, Ukraine became an independent state, a member of the UN, and in accordance with Article 51 of the UN Charter has the right to individual and collective defense.
The leadership of the Russian Federation has not yet recognized the results of the referendum on the independence of the DPR and LPR, while at the official level more than once, including during the Minsk negotiation process, stressed the belonging of their territories and population to Ukraine.
It has also been repeatedly said at a high level about the desire to maintain normal relations with Kiev, without distinguishing it into special relations with the DPR and LPR.
The issue of genocide committed by Kiev in the south-eastern regions was not raised either in the UN or in the OSCE. Naturally, in order for Ukraine to remain a friendly neighbor for Russia, it was necessary for it to demonstrate the attractiveness of the Russian model of the state and the system of power.
But the Russian Federation has not become so, its development model and foreign policy mechanism of international cooperation repels almost all neighbors, and not only.
Russia’s acquisition of Crimea and Sevastopol and their non-recognition by the international community (and, therefore the vast majority of countries in the world still consider them belonging to Ukraine) convincingly shows the failure of Russian foreign policy, and the unattractiveness of domestic policy.
Attempts through an ultimatum and threats of use of force to “love” the Russian Federation and its leadership are meaningless and extremely dangerous.
The use of military force against Ukraine, firstly, will call into question the existence of Russia itself as a state; secondly, it will forever make Russians and Ukrainians deadly enemies. Thirdly, there will be thousands (tens of thousands) dead young, healthy children on the one hand, which will certainly affect the future demographic situation in our endangered countries.
On the battlefield, if this happens, Russian troops will face not only Ukrainian servicemen, among whom there will be many Russian guys, but also with servicemen and equipment of many NATO countries, and member states of the alliance will be obliged to declare war on Russia.
President of the Republic of Turkey R. Erdogan clearly stated on whose side Turkey will fight. And it can be assumed that two field armies and the Turkish fleet will be ordered to “liberate” Crimea and Sevastopol and possibly invade the Caucasus.
In addition, Russia will definitely be classified as countries threatening peace and international security, subject to the most severe sanctions, turn into an outcast of the world community, and is likely to be deprived of the status of an independent state.
The president and government cannot understand such consequences, the Ministry of Defense cannot, they are not so stupid.
The question arises: what are the true goals of provoking tension on the verge of war, and the possible unleashing of widespread hostilities? And what will be, says the number and combat composition of the groups of troops formed by the parties – at least one hundred thousand servicemen on each side. Russia, bare the eastern borders, is transferring connections to the borders of Ukraine.
In our opinion, the country’s leadership, realizing that it is not able to lead the country out of a systemic crisis, and this can lead to an uprising of the people and a change of power in the country, with the support of the oligarchate, corrupt officials, fed media and security forces, decided to intensify the political line for the final destruction of Russian statehood and the extermination of the country’s indigenous population.
And war is the means that will solve this problem in order to retain its anti-national power for a while and preserve the wealth looted from the people. We can’t assume any other explanation.
From the President of the Russian Federation, we are Russian officers, we demand to abandon the criminal policy of provoking war, in which the Russian Federation will be alone against the combined forces of the West, to create conditions for the implementation in practice of Art. 3 Constitutions of the Russian Federation and resign.
We appeal to all reserve and retired servicemen, Russian citizens with a recommendation to show vigilance, organization, support the requirements of the Council of the All-Russian Officers’ Assembly, actively oppose propaganda and the outbreak of war, prevent internal civil conflict with the use of military force.
Un entretien exclusif de RBTH avec Mikhaïl Gorbatchev, à l’approche du 25e anniversaire de la chute du mur de Berlin et avec comme question centrale : un nouveau mur s’érige-t-il entre l’Est et l’Ouest ?
L’année 1989 est celle de la chute du mur de Berlin. Mais celle-ci n’est intervenue qu’au mois de novembre. Durant l’été précédent, au cours d’une conférence de presse à l’issue des négociations de Bonn avec le chancelier Kohl, une personne vous a interpellé en demandant : « Et que va-t-il se passer avec le mur ? » Vous avez alors répondu : « Sous la Lune, rien n’est éternel. Le mur pourra disparaître lorsque les conditions ayant conduit à sa création ne seront plus en place. Je ne vois pas ici de difficulté majeure ». A quel déroulement des événements vous attendiez-vous alors ?
À l’été 1989, ni moi-même ni le chancelier Kohl ne nous attendions bien évidemment à ce que tout se déroule aussi rapidement, je ne m’attendais pas à ce que le mur tombe au mois de novembre. Nous l’avons d’ailleurs tous deux reconnu par la suite. Je ne prétends pas être un prophète.Il arrive que l’histoire accélère sa course. Elle punit alors tous ceux qui se trouvent en retard. Mais elle punit encore plus sévèrement tous ceux qui prétendent se mettre en travers de son chemin. Cela aurait été une grave erreur que de rester derrière le « rideau de fer ». C’est pourquoi il n’y a eu aucune pression de notre part sur le gouvernement de la RDA.Lorsque le déroulement des événements a commencé à s’accélérer de façon inattendue, les dirigeants soviétiques ont pris la décision unanime – je tiens à souligner ce fait – de ne pas interférer dans les processus internes à l’œuvre en RDA, et donc de faire en sorte que nos troupes ne sortent sous aucun prétexte de leurs garnisons. Je suis aujourd’hui convaincu que cela était la bonne décision.Quels sont les éléments ayant, au final, permis de mettre un terme à la partition de l’Allemagne et qui, selon vous, a joué un rôle décisif dans la réalisation de cette réunification pacifique ?Ce sont les Allemands eux-mêmes qui ont joué le rôle décisif dans la réunification de l’Allemagne. Je ne parle pas ici seulement des manifestations de masse en faveur de l’unité, mais également du fait qu’au cours des décennies d’après-guerre, les Allemands de l’Est comme de l’Ouest ont apporté la preuve qu’ils avaient tiré les leçons du passé et que l’on pouvait leur accorder notre confiance.En ce qui concerne le déroulement pacifique de la réunification et le fait que ce processus n’a pas débouché sur une dangereuse crise internationale, je pense qu’un rôle décisif a ici été joué par l’Union soviétique. Nous autres au sein de la direction soviétique, nous savions que de tous les peuples de l’Union soviétique, les Russes étaient sensibles aux aspirations des Allemands à vivre au sein d’un État démocratique unifié.Je voudrais également souligner qu’au-delà de l’URSS, les autres acteurs du processus de règlement final de la question allemande ont également fait preuve de mesure et de sens des responsabilités. Je parle ici des pays de l’Alliance atlantique : les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France. Ce n’est aujourd’hui un secret pour personne que François Mitterrand comme Margaret Thatcher avaient de sérieux doutes sur le rythme de la réunification. La guerre avait tout de même laissé une marque profonde. Mais lorsque tous les aspects ayant trait à ce processus ont été résolus, ils ont signé les documents mettant fin à la guerre froide.Il vous a incombé de résoudre un problème crucial touchant aux évolutions mondiales. Le règlement international de la question allemande, avec la participation des grandes puissances et d’autres États, constitue un exemple de la grande responsabilité et de la grande « qualité » des responsables politiques de cette génération. Vous avez démontré qu’une telle chose était possible en fondant votre action sur ce que vous avez qualifié de « nouvelle pensée ». Dans quelle mesure les dirigeants contemporains sont-ils capables de résoudre de manière pacifique les problèmes actuels et qu’est ce qui a changé au cours des vingt-cinq dernières années en termes de méthodes visant à trouver des réponses aux défis géopolitiques ?
La réunification allemande n’était pas un développement isolé mais une partie du processus d’achèvement de la guerre froide. Le chemin en avait été ouvert par la Perestroïka et la démocratisation de notre pays. Sans cela, l’Europe aurait pu rester divisée et « gelée » pendant encore des décennies. Et la sortie d’une telle situation aurait pu être, j’en suis convaincu, bien plus difficile. Qu’est-ce que la nouvelle pensée ? C’est la reconnaissance du fait qu’il existe des menaces globales, il s’agissait à cette époque principalement de la menace d’une guerre nucléaire, qui ne pouvait être résolue que dans le cadre d’efforts conjoints. Cela signifie qu’il était nécessaire de bâtir une nouvelle relation, un dialogue, de rechercher un moyen de mettre un terme à la course aux armements. Cela signifiait qu’il fallait reconnaître la liberté de choix de tous les peuples et en même temps prendre en considération les intérêts de chacun, bâtir un partenariat, développer les relations pour faire en sorte que les conflits et les guerres deviennent impossibles en Europe.
Ce sont ces principes qui ont formé la base de la Charte de Paris (1990) pour une nouvelle Europe, un document politique de la plus haute importance, ratifié par l’ensemble des pays d’Europe, des Etats-Unis et du Canada. Il a ensuite fallu développer, concrétiser ces dispositions, créer de véritables structures, des mécanismes de prévention, des mécanismes de coopération. C’est par exemple à ce moment qu’a été proposée la création du Conseil pour la sécurité de l’Europe. Je ne souhaite pas opposer la génération des dirigeants d’hier à celle d’aujourd’hui. Mais le fait demeure que cela n’a pas été fait. Le développement de l’Europe s’est ensuite poursuivi de manière unilatérale, ce à quoi, je dois bien le dire, a contribué l’affaiblissement de la Russie au cours des années 1990.
Nous devons aujourd’hui admettre que nous nous trouvons face à une crise politique européenne et mondiale. L’une de ses causes, bien qu’elle ne soit pas la seule, tient à la réticence de nos partenaires occidentaux à prendre en compte le point de vue de la Russie et les intérêts légitimes touchant à sa sécurité. Dans leurs paroles, ils applaudissaient la Russie, en particulier durant la période Eltsine, mais dans les faits, notre voix n’était pas entendue.
Je fais ici en particulier référence à l’élargissement de l’OTAN, aux plans de déploiement du bouclier antimissile, aux agissements de l’Occident dans plusieurs régions de grande importance pour la Russie (la Yougoslavie, l’Irak, la Géorgie, l’Ukraine). Ils nous disaient alors littéralement : cela ne vous regarde pas. Cette situation a créé un abcès, qui a ensuite éclaté. Je conseillerais aux dirigeants occidentaux d’analyser attentivement tout cela, au lieu de blâmer la Russie en toutes circonstances. Souvenez-vous du type d’Europe que nous sommes parvenus à créer au début des années 1990 et de sa transformation malheureuse au cours des dernières années.
L’une des questions centrales qui se trouve aujourd’hui liée au déroulement des événements en Ukraine concerne l’élargissement de l’OTAN vers l’Est. Vous n’avez pas le sentiment d’avoir été trompé par vos partenaires occidentaux dans le cadre de l’élaboration des plans pour l’avenir de l’Europe de l’Est ?
Pourquoi n’avez-vous pas insisté sur une formalisation juridique des promesses faites en particulier par le secrétaire d’État américain James Baker relatives à l’absence d’expansion vers l’Est de l’OTAN ? Je le cite : « Il n’y aura aucun élargissement de la juridiction ou de la présence militaire de l’OTAN d’un seul pouce vers l’Est ».
La question de l’élargissement de l’OTAN n’a dans l’ensemble pas été discutée et ne se posait pas au cours de ces années-là. Je dis cela en toute responsabilité. Aucun pays d’Europe de l’Est n’a soulevé cette question, y compris après la dissolution du pacte de Varsovie en 1991. Elle n’a pas non plus été soulevée par les dirigeants occidentaux.
Une autre question a en revanche été abordée : le fait qu’après la réunification de l’Allemagne, aucune extension des structures militaires de l’OTAN ni aucun déploiement de forces militaires supplémentaires de l’alliance ne devait avoir lieu sur le territoire de l’ancienne RDA. C’est dans ce contexte que M. Baker a prononcé les paroles mentionnées dans votre question. Des déclarations similaires ont été faites par M. Kohl et M. Genscher.
Tout ce qui pouvait et devait être fait pour consolider ce règlement politique a été fait. Et respecté. L’accord de règlement final avec l’Allemagne mentionnait qu’aucune structure militaire supplémentaire ne serait implantée dans la partie Est du pays et qu’aucune troupe additionnelle ni arme de destruction massive n’y seraient déployées.
Toutes ces dispositions ont été respectées jusqu’à ce jour. Nul besoin donc de prétendre que Gorbatchev et les dirigeants soviétiques de l’époque étaient des naïfs qui se sont laissés abuser. S’il y a eu de la naïveté, elle est intervenue plus tard, lorsque cette question a été soulevée et que la Russie a dans un premier temps répondu « pas d’objections ».
La décision d’élargir l’OTAN vers l’Est a finalement été prise par les USA et leurs alliés en 1993. Je l’ai dès l’origine qualifié d’erreur majeure. Cela constituait bien évidemment une violation de l’esprit des déclarations et assurances qui nous avaient été données en 1990. En ce qui concerne l’Allemagne, ces assurances ont été formalisées juridiquement et respectées.
Pour tous les Russes, l’Ukraine et la question de notre relation avec ce pays constitue un sujet sensible. Vous êtes vous-même à 50% Russe et à 50% Ukrainien. Sur la quatrième de couvertur de votre livre Après le Kremlin, vous indiquez que vous ressentez aujourd’hui une profonde douleur du fait des événements survenus dans ce pays. Quelles options voyez-vous pour une sortie de crise en Ukraine et à la lumière des événements récents, comment vont se développer les relations de la Russie avec l’Ukraine, l’Europe et les USA au cours des prochaines années ?
En ce qui concerne l’avenir immédiat, tout est plus ou moins clair : il est indispensable de se conformer intégralement aux dispositions arrêtées lors des négociations de Minsk du 5 et du 19 septembre dernier. La situation sur le terrain est encore très fragile. Le cessez-le-feu est violé en permanence. Mais au cours des derniers jours, l’impression qu’un processus s’est enclenché est devenue plus tangible. Une zone tampon a été créée, les armes lourdes en ont été retirées. Des observateurs de l’OSCE, dont des Russes, sont arrivés. Si l’on parvient à consolider tout cela, il s’agira d’une grande réussite, mais uniquement d’une première étape.
Il faut admettre que les relations entre la Russie et l’Ukraine ont subi d’immenses dommages. Il faut à tout prix éviter que cela ne se transforme en une aliénation mutuelle entre nos deux peuples. Une immense responsabilité incombe à ce titre aux dirigeants : les présidents Poutine et Porochenko. Ils doivent donner l’exemple. Il est indispensable de faire baisser la tension émotionnelle. Nous verrons plus tard qui a raison et qui est coupable. Aujourd’hui, l’essentiel est d’entamer un dialogue sur des questions concrètes. La normalisation des conditions de vie dans les zones les plus affectées, en laissant de côté pour l’instant la question de leur statut, etc. Ici, l’Ukraine comme la Russie et l’Occident peuvent apporter leur aide : séparément et collectivement.
Les Ukrainiens ont beaucoup à faire pour assurer la réconciliation, afin que chaque personne puisse se considérer comme un citoyen à part entière, dont les droits et les intérêts sont garantis et sécurisés. Il ne s’agit ici pas tant de garanties constitutionnelles et juridiques que de la vie de tous les jours. C’est pourquoi je recommanderais en plus des élections de mettre en place aussi rapidement que possible une « table ronde » représentant l’ensemble des régions ainsi que toutes les catégories de la population et dans le cadre de laquelle il serait possible d’aborder et de discuter de toutes les questions.
En ce qui concerne les relations de la Russie avec les pays d’Europe occidentale et les USA, la première étape consisterait à sortir de la logique des accusations mutuelles et des sanctions. D’après moi, la Russie a déjà fait le premier pas en se refusant à répondre à la dernière vague de sanctions occidentales. La parole est maintenant à nos partenaires. Je pense qu’il est nécessaire qu’ils abandonnent les sanctions dites « personnelles ». Comment établir un dialogue si vous « punissez » les personnes en charge de la prise des décisions qui influencent les politiques ? Il est nécessaire que nous puissions nous parler. C’est un axiome qui a été complètement oublié. A tort.
Je suis convaincu que dès que le dialogue sera restauré, nous trouverons des points de contact. Il suffit de regarder autour de nous ! Le monde est sous tension, nous faisons face à des défis communs, des problèmes globaux qui ne peuvent être résolus qu’au moyen d’efforts collectifs. Ce fossé entre la Russie et l’UE nuit à tout le monde, il affaiblit l’Europe au moment où la concurrence globale s’intensifie, au moment où d’autres « centres de gravité » de la politique mondiale se renforcent. Il est hors de question d’abandonner. Il ne faut pas nous laisser entraîner dans une nouvelle guerre froide.
Les menaces communes pesant sur notre sécurité n’ont pas disparues. Au cours de la période récente, de nouveaux mouvements extrémistes extrêmement dangereux sont apparus, en particulier le soi-disant « Etat islamique ». Il s’agit également de l’aggravation des problèmes écologiques, de la pauvreté, des migrations, des épidémies. Face à des menaces communes, nous pouvons à nouveau trouver un langage commun. Cela ne sera pas facile, mais il n’y a pas d’autre chemin.
L’Ukraine évoque la construction d’un mur le long de sa frontière avec la Russie. Comment expliquez-vous que nos peuples, frères depuis toujours, ayant appartenu à un seul et même État, se soient soudainement brouillés à tel point que la séparation pourrait ne pas être seulement politique mais également se matérialiser par un mur ?
La réponse à cette question est très simple : je m’oppose à tous les murs. Que ceux qui envisagent de « construire » un tel ouvrage y réfléchissent à deux fois. Je pense que nos peuples ne se brouilleront pas. Nous sommes trop proches à bien des égards. Il n’y a pas entre nous de problèmes et de différences insurmontables. Mais beaucoup de choses dépendront de l’intelligentsia et des médias. S’ils décident de travailler à notre désunion, en initiant et exacerbant les querelles et les conflits, cela sera catastrophique. De tels exemples nous sont connus. C’est pourquoi j’appelle l’intelligentsia à se comporter de manière responsable.
D’après Vladimir Poutine et ses soutiens en France, la Russie ne ferait que se défendre face à l’OTAN qui n’aurait pas tenu sa promesse de non extension à l’Est après la chute du mur de Berlin. Une contre-vérité historique.
Elie Guckert
Slate
14 décembre 2021
«Il y a un bon adage qui dit que la première victime de toute guerre est la vérité», professe Jean-Luc Mélenchon sur France 24, le 7 décembre dernier. Interrogé au sujet de l’escalade de tensions à la frontière ukrainienne, où la Russie amasse des troupes depuis plusieurs mois, le leader de La France insoumise va pourtant asséner une contrevérité historique: «Il faut bien que nous nous rendions compte que nous avons manqué de parole aux Russes. On leur avait dit: “Si vous laissez tomber le mur [de Berlin], nous on n’ira pas mettre l’OTAN à leur porte.” Bon, ils ont laissé tomber le mur, et qu’est-ce qu’on a fait: on a mis l’OTAN à leur porte.»
Éric Zemmour a répété la même chose sur France 2, le 9 décembre. Jean-Luc Mélenchon et lui s’accordent d’ailleurs sur un point: la France devrait simplement quitter l’alliance. Cette supposée promesse trahie par l’OTAN à la fin de la guerre froide est invoquée par les soutiens de Vladimir Poutine dès que les tensions avec la Russie repartent. Elle permet de remettre en cause l’existence même de l’OTAN, qui n’aurait plus de raison d’être depuis la chute de l’URSS et la dissolution du pacte de Varsovie.
Ce discours, c’est d’abord celui de Vladimir Poutine lui-même. En 2007, le président russe avait ainsi déclaré: «Nous avons le droit de poser la question: contre qui cette expansion [de l’OTAN] est-elle dirigée? Et qu’est-il advenu des assurances données par nos partenaires occidentaux après la dissolution du pacte de Varsovie?» En 2014 encore, pour justifier l’annexion illégale de la Crimée par la Russie, il affirmait: «Les Occidentaux nous ont menti à maintes reprises. Ils ont pris des décisions dans notre dos et présenté devant nous un fait accompli. Cela s’est produit avec l’expansion de l’OTAN à l’Est, ainsi qu’avec le déploiement d’infrastructures militaires à nos frontières.»
Un mythe démenti par les archives
La plupart des dirigeants occidentaux de l’époque ont démenti, mais la Russie n’a cessé de formuler cette accusation. Le débat avait été lancé en 1998 par un analyste britannique, Michael MccGwire. Dans un article publié par la Review of International Studies, il critiquait la décision d’inviter la République tchèque à rejoindre l’alliance transatlantique, affirmant qu’en 1990, «Mikhaïl Gorbatchev a reçu des garanties de haut niveau que l’Occident n’élargirait pas l’OTAN, promettant une zone tampon non alignée entre la frontière orientale de l’OTAN et la Russie».
Le non-élargissement de l’OTAN n’a même pas été un sujet de discussion en 1990.
L’analyste estimait à l’époque que l’OTAN «viole le marché conclu en 1990 permettant à une Allemagne réunifiée de faire partie de l’OTAN». Une référence aux négociations diplomatiques qui se sont tenues cette année-là entre l’Allemagne de l’Ouest, la France, la Grande-Bretagne, les États-Unis et l’URSS au sujet de la réunification de l’Allemagne.
Il faudra attendre 2009 pour que l’affaire soit finalement tirée au clair. Grâce à la déclassification des comptes-rendus de réunions provenant aussi bien des archives allemandes qu’américaines et russes, Mark Kramer, chercheur à Harvard, démontre dans un article publié par The Washington Quarterly que le non-élargissement de l’OTAN n’a même pas été un sujet de discussion en 1990.
Et pour cause: à cette époque, personne n’imagine encore que l’URSS va s’effondrer avec le pacte de Varsovie. L’enjeu principal est alors de savoir si l’Allemagne, dont la partie ouest faisait déjà partie de l’alliance, resterait ou non au sein de l’OTAN en tant que nation réunifiée, et à quelles conditions.
Les Occidentaux s’engagent alors sur trois points. Premièrement: ne déployer en Allemagne de l’Est que des troupes allemandes ne faisant pas partie de l’OTAN tant que le retrait soviétique n’est pas fini. Deuxièmement: des troupes allemandes de l’OTAN pourront être déployées en Allemagne de l’Est après le retrait soviétique, mais aucune force étrangère ni installation nucléaire. Et enfin, troisièmement: ne pas augmenter la présence militaire française, britannique et américaine à Berlin.
Et c’est Gorby qui le dit
Après d’âpres négociations, ces conditions ont finalement été acceptées par Gorbatchev et inscrites dans le traité concernant les aspects internationaux de la réunification, signée par toutes les parties en septembre 1990. Nulle part, y compris dans les archives russes, n’est fait mention d’une quelconque promesse formelle de ne pas inclure d’autres pays d’Europe de l’Est dans l’OTAN à l’avenir.
Les Russes continuent d’affirmer que les Occidentaux auraient néanmoins offert des garanties informelles.
Même après 2009, l’accusation a pourtant continué à prospérer. Et ce en dépit des dénégations de Mikhaïl Gorbatchev en personne, pourtant assez bien placé pour savoir ce qui s’est vraiment dit à l’époque. Dans une interview accordée en 2014 à Russia Beyond the Headlines, l’ancien président de l’URSS se montre catégorique: «Le sujet de l’expansion de l’OTAN n’a pas du tout été abordé et n’a pas été abordé au cours de ces années.»
Gorbatchev précise que l’URSS voulait surtout «s’assurer que les structures militaires de l’OTAN n’avanceraient pas, et que des forces armées supplémentaires ne seraient pas déployées sur le territoire de l’ex-RDA après la réunification allemande». Et d’ajouter: «Tout ce qui aurait pu être et devait être fait pour consolider cette obligation politique a été fait.»
Gorbatchev y affirme bien que l’élargissement de l’OTAN constituerait une trahison de ce qu’était selon lui «l’esprit» des discussions de l’époque, mais réaffirme qu’aucun engagement formel n’avait été pris. Les Russes continuent d’affirmer que les Occidentaux auraient néanmoins offert des garanties informelles. Une théorie qui a l’avantage d’être par nature impossible à vérifier.
Un traité violé… par la Russie
La pertinence de l’expansion de l’OTAN continue cependant de faire débat, y compris au sein des experts occidentaux. Comme le notait le chercheur Olivier Schmitt en 2018, la question a repris de l’importance à partir de 1993 sous l’impulsion du président américain Bill Clinton, alors même qu’une bonne partie de l’administration américaine y était défavorable par crainte des perceptions russes.
Mais pour rassurer la Russie, l’OTAN avait justement fait le choix en 1993 de l’intégrer dans son Partenariat pour la paix. Le but: «bâtir un partenariat avec la Russie, en instaurant un dialogue et une coopération pratique dans des domaines d’intérêt commun». Cette coopération n’a été suspendue qu’en 2014, quand la Russie a décidé d’annexer la Crimée.
Ce que les supporters de Vladimir Poutine prennent bien soin de ne pas préciser, c’est qu’au moment de l’invasion de la Crimée, c’est bien la Russie qui bafouait une promesse, réelle celle-là. Signé par la Russie, les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et la Chine en 1994, le mémorandum de Budapest garantissait à l’Ukraine le respect de sa souveraineté et de son intégrité territoriale, en échange de son adhésion au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires et de l’abandon des stocks d’armes nucléaires héritées de l’URSS.
Surtout, outre leur passé douloureux avec l’URSS, c’est la politique agressive de la Russie vis-à-vis des anciennes républiques soviétiques, et leur volonté de s’arrimer à un espace démocratique, qui ont en partie poussé celles-ci dans les bras de l’OTAN. Ainsi, alors qu’une majorité d’Ukrainiens s’opposaient à une adhésion à l’alliance transatlantique avant 2014, l’opinion publique a totalement basculé dans le sens inverse depuis le début de la guerre: 58% des Ukrainiens souhaitent désormais rejoindre l’alliance. Le mythe de la Russie assiégée a tout d’une prophétie autoréalisatrice.
Sur fond de grave crise aux confins orientaux de l’Ukraine, où le bruit des bottes fait redouter une nouvelle offensive militaire russe, le Kremlin a ordonné le tir d’une salve de missiles hypersoniques « Zircon », et ce la veille de Noël (selon le calendrier grégorien). Vladimir Poutine s’est félicité de ce succès : « un grand événement pour le pays et une étape significative pour renforcer la sécurité de la Russie et ses capacités de défense ».
Au vrai, il ne s’agit pas du premier essai mais il intervient dans un contexte particulier, quand le Kremlin pose de manière claire et explicite un ultimatum qui exige des Occidentaux qu’ils signent deux traités ordonnant le repli de l’OTAN et donc, à brève échéance, son sabordage (cf. Françoise Thom).
Des armes hypersoniques et ultra-précises
Dans l’esprit des dirigeants russes et de nombreux commentateurs à Moscou, enthousiasmés par la possibilité d’une grande guerre à visée hégémonique, il ne s’agit pas tant de démontrer l’avance acquise dans la gamme des armes dites « nouvelles » que d’intimider et de menacer l’Europe et les États-Unis. Et la discrétion des dirigeants occidentaux quant à ces essais répétés laisse dubitatif.
Dès lors se pose la question des possibles effets produits par ces « armes nouvelles ». S’agirait-il là d’une rupture technologique, vecteur d’une révolution stratégique ? En d’autres termes, le problème est de savoir si la Russie, posée par ses dirigeants comme puissance révisionniste, prête à recourir aux armes pour modifier le statu quo international, aligne son discours géopolitique, son système militaire et sa stratégie.
On se souvient du discours prononcé par Vladimir Poutine au Parlement, le 1er mars 2018, le président russe ayant alors présenté un programme de nouveaux missiles qui impressionna la classe dirigeante russe et nombre d’observateurs internationaux. Ces armes dites de rupture sont hypersoniques (soit une vitesse supérieure à Mach 5), sur une partie de leur trajectoire à tout le moins. Elles sont présentées comme étant capables d’effectuer des manœuvres qui permettent de déjouer les capacités d’interception adverses, c’est-à-dire les défenses antimissiles des États-Unis et de l’OTAN.
Parmi ces « super-missiles », citons le « Kinjal » (un missile lancé par un avion), l’« Avangard » (un planeur hypersonique lancé par une fusée « Sarmat ») et le « Zircon » (un missile antinavire déployé sur des bâtiments de surface, des sous-marins ainsi que des batteries côtières). Curieusement, le « Zircon » dont il est désormais question ne fut pas mentionné lors de la prestation du 1er mars 2018.
En revanche, d’autres armes furent présentées, à l’instar de la torpille « Poséidon », capable de déclencher un tsunami radioactif de l’autre côté de l’Atlantique, le drone sous-marin « Peresvet », à propulsion nucléaire et à charge atomique, et le missile « Bourevestnik » qualifié d’« invincible » par Vladimir Poutine.
Rodomontades ? Nenni
Il existe des interrogations sur le degré réel d’avancement de ces programmes et leur opérationnalité effective. Ainsi l’accident survenu le 8 août 2019, sur une base septentrionale russe, serait-il lié à un nouvel échec du « Bourevestnik » (l’explosion a fait plusieurs morts et provoqué une hausse de la radioactivité). Nonobstant des imprécisions et des effets d’annonce parfois trop hâtifs, le programme d’armes nouvelles illustre la réalité du réarmement russe, plus axé sur la qualité des technologies que sur le volume des arsenaux.
Les optimistes veulent voir dans la posture russe une forme contre-intuitive de « dialogue stratégique » avec les États-Unis, en vue d’un renouvellement de l’arms control (la maîtrise des armements). Le sort du traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI), violé par la Russie, dénoncé en conséquence par Washington (Moscou suivit), ainsi que les incertitudes autour des négociations nucléaires stratégiques ne sont pas de bon augure.
Faut-il voir dans ces armes une rupture technologique et stratégique ? D’aucuns soulignent le fait que l’hypervélocité et la capacité à manœuvrer de ces « armes nouvelles » ne font pas une révolution stratégique. D’une part, les fusées balistiques outrepassent l’hypervélocité de ces engins. S’il est vrai, d’autre part, que leur capacité à manœuvrer permettrait de contourner les défenses antimissiles des Alliés (États-Unis et OTAN), il en serait de même avec un missile balistique intercontinental.
Au demeurant, les défenses antimissiles n’ont pas été pensées pour intercepter les missiles balistiques intercontinentaux de la Russie ou de la Chine populaire mais pour contrer une puissance proliférante, du type de l’Iran ou de la Corée du Nord, détentrice d’un nombre réduit d’engins. Soulignons ici la mauvaise foi russe qui, tout en développant ses propres défenses antimissiles, ne cesse de dénoncer les effets prétendument déstabilisateurs du dispositif américano-otanien.
En première analyse, le déploiement d’« armes nouvelles » russes ne changerait donc pas l’équation stratégique ; quand bien même leur hypervélocité réduirait le délai de réaction, les puissances nucléaires occidentales conserveraient une capacité de frappe en second, pour exercer des représailles sur l’État agresseur. Théoriquement, une telle perspective devrait le détourner de la tentation d’une première frappe désarmante, « dissuader » signifiant « empêcher de passer à l’acte ».
Quelle place dans l’arsenal russe ?
Pourtant, la Russie, ces dernières années, a amplement modernisé ce que les spécialistes nomment la « triade stratégique », ses armes nucléaires stratégiques terrestres (missiles intercontinentaux), aériennes (missiles lancés depuis un bombardier) et sous-marines (missiles lancés par des sous-marins nucléaires lance-engins). Aussi le développement et le déploiement d’engins « exotiques » (les « armes nouvelles ») posent question : à quelles fins et selon quels scénarios ?
Rappelons l’idée, évoquée plus haut, selon laquelle ces armes ne seraient qu’une monnaie d’échange dans les négociations américano-russes relatives aux armes nucléaires stratégiques. In extremis, l’Administration Biden a proposé la prorogation du traité post-START et le « dialogue stratégique » en cours permettra de tester cette hypothèse.
Il reste que la politique, comprise dans son essence, consiste à envisager le pire afin qu’il n’advienne pas. En l’occurrence, il importe de comprendre que la dissuasion n’est pas une loi physique qui, telle la loi de gravité mise au jour par Newton, s’imposerait à toutes les puissances nucléaires.
Sur le plan de la réflexion stratégique, rappelons l’important article de l’Américain Albert Wohlstetter sur le « fragile équilibre de la terreur » (« The Delicate Balance of Terror », Rand Corporation, 6 novembre 1958). Selon l’analyse de ce stratège, l’équilibre de la terreur est instable et la dissuasion de l’adversaire potentiel n’est en rien automatique, la symétrie des arsenaux pouvant coexister avec l’asymétrie morale. Dès lors, les questions essentielles sont : qui dissuade qui, de quoi et dans quel contexte ?
De fait, les « armes nouvelles » tant vantées par le Kremlin ne semblent pas apporter de valeur additionnelle à la force de dissuasion russe, assurée par une « triade stratégique » constamment modernisée. Et, nonobstant l’affirmation surréaliste selon laquelle les États-Unis et l’OTAN prépareraient une offensive multiforme, il est difficile d’imaginer les démocraties occidentales, en proie au doute et absorbées par les questions intérieures, fourbir leurs armes pour mener une guerre préventive contre la Russie.
Dès lors, le développement et le déploiement par la Russie d’« armes nouvelles », hors du cadre de l’« arms control », ne viserait-il pas à sortir de la parité pour acquérir une position de supériorité nucléaire ? Dans une telle perspective, les armes nucléaires ne seraient plus au seul service de la dissuasion, pour préserver le territoire national et ses approches de toute entreprise guerrière ; elles pourraient être le moyen d’une stratégie d’action et de coercition visant des buts d’acquisition.
Depuis plusieurs années, les signaux nucléaires dont Vladimir Poutine use et abuse, pour étayer sa politique extérieure et renforcer sa main sur la scène stratégique mondiale, laissent redouter la transformation de la Russie en une puissance nucléaire révisionniste qui utiliserait son arsenal pour contraindre et obtenir des gains stratégiques. Il suffit d’ailleurs de se reporter à la présente situation, nombre d’officiels russes n’hésitant pas à menacer l’Europe d’une frappe préventive s’ils n’obtiennent pas une sphère d’influence exclusive dans l’« étranger proche » (l’espace post-soviétique), élargie à toute l’Europe si les États-Unis se retiraient de l’OTAN.
Certains spécialistes de ces questions se réfèrent aux documents politico-stratégiques officiels pour écarter un scénario de coercition nucléaire (voir « Les fondements de la politique d’État de la Fédération de Russie dans le domaine de la dissuasion nucléaire », oukaze présidentiel n° 5, 2 juin 2020). Il reste que ledit document élargit la gamme des options dans lesquelles l’emploi de l’arme nucléaire serait envisagé.
Ainsi une « escalade pour la désescalade », c’est-à-dire une frappe nucléaire théoriquement destinée à interdire l’intensification d’une guerre classique (conventionnelle), n’est pas exclue. En d’autres termes, cela signifierait la volonté de vaincre en ayant recours à l’arme nucléaire. Sur ce point, ajoutons que Vladimir Poutine, à la différence du secrétaire général du parti communiste soviétique autrefois, n’est pas limité par un Politburo.
Une capacité de frappe chirurgicale
À tout le moins, il importe d’envisager le fait que la Russie mette son arsenal au service d’une stratégie de « sanctuarisation agressive » : lancer une offensive armée classique sur les espaces géographiques convoités (l’Ukraine, en tout ou en partie, ainsi que d’autres républiques post-soviétiques refusant un statut d’État croupion, privées de leur souveraineté), les puissances extérieures étant dissuadées de leur porter secours en les menaçant d’une escalade nucléaire.
Si l’on considère l’Ukraine, n’est-ce pas déjà le cas ? La lecture attentive des projets de traité que Moscou prétend imposer aux États-Unis laisse penser qu’outre les trois États baltes, seules ex-républiques soviétiques intégrées dans l’OTAN, les anciens satellites d’« Europe de l’Est » — le syntagme d’« Europe médiane », entre Baltique, mer Noire et Adriatique, est aujourd’hui plus approprié — seraient également l’objet de cette grande manœuvre.
C’est ici que certaines des « armes nouvelles » russes, notamment le « Zircon », si elles n’apportent rien à la dissuasion russe, trouvent leur place. Qu’elles soient déployées au sol, en mer ou dans les airs, ces armes sont duales : elles peuvent tout aussi bien être dotées de charges conventionnelles que de têtes nucléaires. D’ores et déjà, le « Zircon » et d’autres systèmes d’armes pourraient servir à verrouiller la Baltique et la mer Noire (mise en place d’une « bulle stratégique » sur ces mers et leur pourtour), l’objectif étant d’écarter les alliés occidentaux des pays riverains. Alors, ces derniers seraient à la merci d’une agression militaire russe. Le seul poing levé pourrait convaincre les récalcitrants.
Au-delà de ces mers, et peut-être du bassin Levantin (Méditerranée orientale), les « mesures militaro-techniques » brandies par Moscou, dans le cas d’un refus des projets de traité, pourraient consister en un déploiement en nombre de « Zircon » et d’autres engins de mort (missiles balistiques de portée intermédiaire « Iskander » et missiles de croisière « Kalibr »), et ce à l’échelle du théâtre européen. Ainsi placée sous la menace d’une première frappe désarmante, avec un temps de réaction de quelques minutes (insuffisant pour disperser les cibles), l’Europe serait prise en otage.
Certes, la France et le Royaume-Uni, a fortiori les États-Unis, conserveraient leur capacité de frappe en second, mais ces puissances occidentales, possiblement épargnées par cette première frappe, non nucléaire de surcroît, porteraient alors la responsabilité de l’escalade nucléaire. Gageons qu’il ne manquerait pas dans ces pays de politiques et de publicistes pour poser la question fatidique : « Mourir pour Dantzig ? » et plaider qui le « grand retranchement », qui la cause d’une « grande Europe, de Lisbonne à Vladivostok ».
Le retour du même
À l’évidence, un tel scénario n’est pas sans rappeler la configuration géostratégique générée par le déploiement par les Soviétiques des missiles SS-20 (1977), une arme jugée alors déstabilisante du fait de sa précision. L’objectif de ces armes de théâtre, ensuite baptisées « forces nucléaires intermédiaires », était de provoquer de prendre en otage l’Europe occidentale et de provoquer un découplage géostratégique entre les deux rives de l’Atlantique Nord.
S’ensuivit la « bataille des euromissiles », l’OTAN exigeant le retrait des SS-20 et, à défaut, menaçant de déployer des missiles encore plus précis et véloces (missiles balistiques Pershing-II et missiles de croisière Tomahawk). Le réarmement intellectuel et moral de l’Occident produisant ses effets sur le système soviétique, préalablement épuisé par les maux inhérents à l’économie planifiée et l’hyperextension stratégique induite par l’impérialisme rouge, Mikhaïl Gorbatchev fut acculé.
En 1987, Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev signèrent un traité portant sur le retrait de toutes les forces nucléaires intermédiaires, d’une portée de 500 à 5 500 kilomètres. Peu après, l’armée soviétique devrait évacuer l’Afghanistan puis, après la chute du mur de Berlin, la réunification de l’Allemagne et la « révolution de velours », mettre à bas les régimes communistes d’Europe médiane : l’URSS implosait (1991).
Mutatis mutandis, la situation actuelle semble mener à une nouvelle bataille des euromissiles, si tant est que les Occidentaux se montrent unis et déterminés à résister aux ambitions de Vladimir Poutine et, il faut en convenir, d’une partie des Russes qui semblent considérer la fin de la précédente guerre froide comme une simple trêve, nécessaire pour reconstituer le potentiel russe de puissance et de nuisance. Une différence de taille sur le plan technico-stratégique : les spécificités et capacités du « Zircon », précis et hypervéloce, sont sans commune mesure avec le SS-20. Le scénario d’une frappe chirurgicale est donc plus réaliste.
En guise de conclusion : se préparer au pire
Précisons enfin que ce scénario tient de l’hypothèse. L’exercice consiste à comprendre ce que Vladimir Poutine et les siens concoctent, à anticiper ce que signifierait de nouvelles mesures « militaro-techniques », à baliser le champ des possibles.
Une certitude toutefois : le discours géopolitique révisionniste du Kremlin et le positionnement de la Russie comme « État perturbateur » est difficilement conciliable avec la vision classique de la dissuasion et du nucléaire comme arme de statu quo. Quitte à se répéter, il nous faut donc envisager le pire et s’y préparer, politiquement, intellectuellement et moralement.
D’après le ministère biélorusse de la Défense, la Russie va déployer des troupes en février pour des exercices de préparation au combat.
Franceinfo
Alors que de nouvelles manoeuvres militaires russes vont débuter en Biélorussie, au nord de l’Ukraine, « tous les préparatifs pour la guerre sont là », estime mardi 18 janvier sur franceinfo Galia Ackerman, historienne et journaliste, spécialiste de la Russie et de l’espace post-soviétique. « Nous sommes à un stade où la Russie peut lancer à tout moment une attaque en Ukraine », a estimé la porte-parole de la Maison Blanche, en parlant d’une « situation extrêmement dangereuse ».
franceinfo : La menace d’une attaque russe sur l’Ukraine est-elle réelle ?
Galia Ackerman : Si vous écoutez les médias russes, ce que disent les officiels russes, y compris le président Poutine, cela semble tout à fait plausible. Je ne dit pas qu’il y aura une guerre. Mais tous les préparatifs pour la guerre sont là : il y a une concentration de troupes, il y a un discours extrêmement agressifs et des ultimatums qui ne peuvent pas être satisfaits car totalement irréalistes. On a l’impression qu’ils ne sont qu’un prétexte pour envahir l’Ukraine.
Pourquoi la Russie voudrait-elle envahir l’Ukraine ?
Parce qu’il y a une haine de l’Ukraine depuis plusieurs années. Cette haine a très fortement augmenté à la suite de la révolution ukrainienne : je rappelle qu’à ce jour, on parle non pas de Maïdan, non pas d’une révolution populaire mais d’un coup d’Etat, on parle de nazis au pouvoir, on exige que les accords de Minsk soient réalisés à 100% mais surtout dans l’interprétation de Moscou et il est tout à fait clair que la Russie ne veut pas tolérer que son proche étranger prenne une orientation qui ne lui plaît pas, celle de sortir totalement de la sphère d’influence russe.
Ça veut dire que l’Ukraine devient une sorte de pion aujourd’hui, de pays qui sert d’affrontement entre l’OTAN et les Etats-Unis d’un côté et Moscou de l’autre ?
C’est l’explication russe. Ils disent tout le temps que l’Ukraine en soi n’a aucune importance, que c’est un terrain que l’OTAN, les Etats-Unis, l’Union européenne, utilisent pour rapprocher les équipements militaires dirigés contre la Russie, pour l’assaut du pays. C’est totalement faux. 73 experts allemands de la russie ont publié une lettre dans le journal allemand « Die Zeit », ils disent que tout ce que la Russie dit sur sa sécurité menacée est faux : la Russie a 3e armée au monde, qu’elle est un pays nucléarisé qui a plus de nucléaire que les Etats-Uni, la France et la Grande Bretagne réunis. Personne ne peut menacer la Russie, mais elle prend une pose de personne offensée et demande à ce que ses exigeances soient satisfaites : c’est à dire non pas seulement la démilitarisation de l’Ukraine, mais la démilitarisation de toute l’Europe de l’est.
Desk Russie publie la lettre ouverte de 73 spécialistes allemands de l’Europe orientale et de la sécurité internationale, diffusée par Zeit Online le 14 janvier 2022. Des universitaires de renom s’adressent au gouvernement et aux partis politiques. Mettant en évidence une politique russe destructrice et agressive, ce document important pourrait enfin inciter le gouvernement et les milieux d’affaires allemands à réévaluer la menace que le Kremlin représente pour l’ensemble du monde occidental.
Desk Russie
Des concentrations massives et menaçantes de troupes russes aux frontières orientale et méridionale de l’Ukraine, d’intenses opérations de propagande anti-occidentale qui ne reculent devant aucun mensonge, ainsi que des exigences clairement inacceptables pour l’OTAN et ses États membres : aujourd’hui, la Russie remet fondamentalement en question le système de sécurité qui est en vigueur en Europe depuis la fin de la guerre froide. En même temps, la propagande russe présente la Russie comme un État menacé qui a besoin de toute urgence de « garanties de sécurité » de la part de l’Occident. Le Kremlin défigure délibérément le concept de garanties de sécurité. La nécessité de telles garanties a été débattue depuis la négociation du traité de non-prolifération nucléaire en 1968, mais elles concernent en premier lieu la protection des États non dotés d’armes nucléaires.
Il y a actuellement plus d’ogives nucléaires stockées en Russie que dans l’ensemble des trois États membres de l’OTAN dotés d’armes nucléaires : les États-Unis, le Royaume-Uni et la France. Moscou dispose d’un large éventail de vecteurs pour ses milliers d’armes nucléaires : des missiles balistiques intercontinentaux aux bombardiers de longue portée en passant par les sous-marins nucléaires. La Russie possède l’une des trois armées conventionnelles les plus puissantes du monde, ainsi qu’un droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU. La Fédération de Russie est donc l’un des États les plus protégés du monde sur le plan militaire.
Le Kremlin utilise des troupes régulières et irrégulières, ainsi que le potentiel de sa menace nucléaire, pour mener diverses guerres et occuper de manière permanente plusieurs territoires dans les anciennes Républiques soviétiques. Non seulement en Europe orientale, mais aussi en Europe occidentale et sur d’autres continents, le Kremlin revendique sans complexe des droits spéciaux pour faire valoir ses intérêts sur le territoire d’États souverains. Contournant les règles, les traités et les organisations internationales, Moscou chasse des ennemis dans le monde entier. Le Kremlin tente de saper les processus électoraux, l’État de droit et la cohésion sociale dans des pays étrangers par des campagnes de propagande, des fake news et des attaques de pirates informatiques, entre autres. Ces agissements sont réalisés en partie en secret, mais dans le but évident d’entraver ou de discréditer la prise de décision démocratique dans les États pluralistes. Il s’agit en particulier de porter atteinte à l’intégrité politique et territoriale des États post-soviétiques en voie de démocratisation.
En tant que première puissance économique d’Europe, l’Allemagne observe ces activités d’un œil critique, mais reste largement passive, depuis maintenant trois décennies. En Moldavie, la revanche impériale de Moscou a commencé dès 1992, immédiatement après l’effondrement de l’URSS, avec une intervention de la 14e armée russe. Un groupe opérationnel de troupes russes se trouve encore officiellement en Transnistrie aujourd’hui, malgré les demandes répétées des gouvernements moldaves successifs, démocratiquement élus, de les voir retirer, et malgré les promesses correspondantes du Kremlin. La République fédérale n’a réagi de manière adéquate ni à cet événement ni aux nombreuses aventures revanchistes de la Russie dans l’espace post-soviétique et au-delà.
En outre, la politique étrangère et la politique économique de Berlin ont contribué à l’affaiblissement politique et économique des pays d’Europe orientale non dotés d’armes nucléaires et au renforcement géo-économique d’une superpuissance nucléaire de plus en plus expansive. En 2008, l’Allemagne a joué un rôle central pour empêcher la Géorgie et l’Ukraine de rejoindre l’OTAN. D’un autre côté, en 2019, le gouvernement allemand s’est efforcé de faire réadmettre la délégation russe à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, alors que Moscou n’avait rempli, ni ne remplit aujourd’hui, aucune des conditions pour ce geste hautement symbolique.
Pour les relations ukraino-russes déjà fragiles, la mise en service du premier gazoduc Nord Stream en 2011-2012, totalement superflu en termes énergétiques et économiques, a été une catastrophe. Rétrospectivement, cela semble avoir ouvert la voie à l’invasion de l’Ukraine par la Russie deux ans plus tard. Une grande partie de la capacité existante de transport de gaz entre la Sibérie et l’UE n’a pas été utilisée en 2021. Pourtant, la République fédérale se prépare maintenant à éliminer complètement le dernier levier économique de l’Ukraine sur la Russie avec l’ouverture du gazoduc Nord Stream 2.
Les sanctions économiques de l’UE contre Moscou depuis 2014, trop légères, ne constituent pas une réponse suffisante au parcours de plus en plus agressif du Kremlin. Dans le contexte de la poursuite des relations spéciales germano-russes, la coopération allemande en matière de développement, de culture et d’éducation avec l’Ukraine, la Géorgie ou la Moldavie apparaît comme le simple achat d’indulgences par la politique orientale allemande. Cela n’excuse en rien les faux pas graves de la politique allemande à l’égard de la Russie, comme l’invitation faite à Poutine de s’exprimer devant le Bundestag en 2001 ou le partenariat pour la modernisation à partir de 2008. De telles mesures allemandes, alors que des troupes russes, indésirables, restent en Moldavie et en Géorgie, ont été perçues comme une confirmation des droits spéciaux de Moscou dans l’espace post-soviétique.
L’attaque de Poutine contre l’Ukraine en 2014 apparaît comme une conséquence presque logique de la passivité politique allemande des vingt années précédentes vis-à-vis du néo-impérialisme russe. La formule allemande bien connue d’« Annäherung durch Verflechtung » [la convergence par l’interconnexion], à savoir l’approche coopérative de Berlin envers Moscou, a ainsi acquis une signification tragi-comique. Elle signifie désormais plutôt le rapprochement de la sphère d’influence de la Russie aux frontières orientales de l’UE.
Le Kremlin remet désormais aussi en question la souveraineté politique de pays comme la Suède et la Finlande. Il demande l’interdiction d’une éventuelle adhésion à l’OTAN non seulement pour les pays post-soviétiques mais aussi pour les pays scandinaves. Le Kremlin fait peur à toute l’Europe en lui promettant des réactions « militaro-techniques » au cas où l’OTAN ne répondrait pas « immédiatement », selon Poutine, aux exigences démesurées de la Russie visant à réviser l’ordre de sécurité européen. La Russie brandit la menace d’une escalade militaire si elle n’obtient pas de « garanties de sécurité », c’est-à-dire l’autorisation pour le Kremlin de suspendre le droit international en Europe.
Face à de telles distorsions, l’Allemagne devrait enfin abandonner sa politique orientale spéciale, perçue comme singulière en Europe centrale et orientale, mais pas seulement. Les crimes perpétrés par l’Allemagne nazie sur le territoire de l’actuelle Russie en 1941-1944 ne peuvent justifier l’attitude réservée de l’Allemagne d’aujourd’hui face au revanchisme et au nihilisme juridique international du Kremlin. Cela est particulièrement vrai lorsque, comme dans le cas de l’Ukraine, il s’agit d’une invasion russe du territoire d’une autre nation victime de l’ancien expansionnisme allemand. La violation continue et manifeste par la Russie des principes fondamentaux de l’ONU, de l’OSCE et du Conseil de l’Europe, pourtant officiellement acceptés par Moscou, en Europe orientale et maintenant aussi en Europe du Nord, ne doit pas être tolérée.
La politique russe de l’Allemagne fédérale doit être totalement changée. De nouvelles réactions purement verbales ou symboliques de Berlin aux aventures révisionnistes russes ne feront, comme par le passé, qu’inciter le Kremlin à de nouvelles aventures. L’Allemagne porte une responsabilité particulière en tant que pays clé de l’UE, de l’OTAN et de la communauté occidentale dans son ensemble.
Dans l’intérêt de la sécurité internationale, de l’intégration européenne et des normes communes, Berlin doit enfin combler le fossé entre sa rhétorique publique et son action réelle en Europe orientale. Cela devrait se traduire par une série de mesures parallèles et concrètes de nature politique, juridique, diplomatique, civique, sociétale, technique et économique. L’Allemagne est un partenaire majeur de la Russie et des États du Partenariat oriental de l’UE en matière de commerce, de recherche et d’investissement, ainsi qu’une puissance de premier plan de l’Union européenne. Elle est beaucoup plus en mesure de faire avancer les choses que la plupart des autres pays occidentaux. C’est vrai tant pour ce qui est de contenir et de sanctionner la Russie que pour ce qui est de soutenir les États démembrés et harcelés par Moscou. Berlin doit faire en sorte que ses bonnes paroles soient suivies d’actions plus nombreuses et plus efficaces que celles entreprises à ce jour.
Hannes Adomeit, chercheur à l’Institut de politique de sécurité de l’Université de Kiel (ISPK).
Dr. Vera Ammer, membre du conseil d’administration de Memorial International et de l’Initiative pour une Ukraine démocratique, Euskirchen.
Oesten Baller, juriste, professeur et président de l’ONG German-Ukrainian School of Governance, Berlin.
Volker Beck, député de 1994 à 2017, maître de conférences associé au Centre d’études religieuses (CERES) de l’université de Bochum.
Carl Bethke, chercheur à la chaire d’histoire de l’Europe de l’Est et du Sud-Est, Université de Leipzig.
Florian Bieber, professeur et directeur du Centre d’études de l’Europe du Sud-Est, Université de Graz.
Katrin Boeckh, professeur et chercheur à l’Institut Leibniz d’études de l’Europe de l’Est et du Sud-Est (IOS), Regensburg.
Falk Bomsdorf, juriste, chef du bureau de Moscou de la Fondation Friedrich Naumann de 1993 à 2009, Munich.
Karsten Brüggemann, professeur d’histoire générale et d’histoire estonienne, Université de Tallinn, Estonie.
Dr. Martin Dietze, publiciste et premier président de l’Association culturelle germano-ukrainienne, Hambourg
Dr. Jörg Forbrig, directeur pour l’Europe centrale et orientale, German Marshall Fund of the United States, Berlin
Dr. Annette Freyberg-Inan, Professeur de théorie des relations internationales, Université d’Amsterdam
Dr. Anke Giesen, membre des conseils d’administration de Memorial International et de Memorial Deutschland, Berlin
Witold Gnauck, historien, directeur général de la Fondation scientifique germano-polonaise, Francfort (Oder)
Gustav C. Gressel, Senior Policy Fellow au Wider Europe Program, Conseil européen des relations étrangères, Berlin
Irene Hahn-Fuhr, politologue, membre du conseil d’administration du Centre pour la modernité libérale (LibMod), Berlin
Ralph Hälbig, spécialiste des sciences culturelles, journaliste indépendant pour ARTE et MDR, et opérateur du site Internet “Géorgie et Caucase du Sud”, Leipzig.
Aage Ansgar Hansen-Löve, jusqu’en 2013, professeur de philologie slave à l’université Ludwig-Maximilian de Munich.
Rebecca Harms, députée européenne en 2004-2019, ancienne présidente de la délégation de l’UE à l’Assemblée parlementaire EURO-NEST, Wendland
Ralf Haska, pasteur étranger de l’Église luthérienne allemande (EKD) à Kiev 2009-2015, Marktleuthen
Guido Hausmann, professeur et directeur du département d’histoire de l’Institut Leibniz de recherche sur l’Europe de l’Est et du Sud-Est (IOS), Regensburg.
Jakob Hauter, politologue, doctorant à la School of Slavonic and East European Studies (SSEES), University College London
Dr. Richard Herzinger, publiciste indépendant, auteur de livres et opérateur du site web “hold these truths”, Berlin
Maren Hofius, chargée de recherche au département des sciences sociales de l’université de Hambourg.
Mieste Hotopp-Riecke, directrice de l’Institut d’études caucasiennes, tatares et turques (ICATAT), Magdebourg.
Hubertus F. Jahn, professeur d’histoire de la Russie et du Caucase, Université de Cambridge, Angleterre.
Dr. Kerstin Susanne Jobst, professeur d’histoire de l’Europe de l’Est, Université de Vienne
Markus Kaiser, spécialiste des sciences sociales, président de l’Université germano-kazakh (DKU) d’Almaty de 2015 à 2018, Constance, Allemagne.
Dr. Christian Kaunert, professeur de sécurité internationale et titulaire de la chaire Jean Monnet, Dublin City University, Irlande
Dr. Sarah Kirchberger, Chef de département à l’Institut de politique de sécurité de l’Université de Kiel (ISPK)
Nikolai Klimeniouk, journaliste et responsable du programme Initiative Quorum à l’ONG European Exchange, Berlin
Gerald Knaus, lauréat du prix Karl Carstens de l’Académie fédérale de politique de sécurité (BAKS) et président de l’Initiative européenne pour la stabilité, Berlin
Gerd Koenen, historien, publiciste et auteur de livres dont “The Russia Complex : The Germans and the East 1900-1945”, Francfort (Main)
Peter Koller, directeur général de la Bahnagentur Schöneberg et auteur de livres tels que “Ukraine : Handbook for Individual Discoveries”, Berlin.
Joachim Krause, professeur et directeur de l’Institut de politique de sécurité de l’université de Kiel (ISPK)
Cornelius Ochmann, politologue, directeur général de la Fondation pour la coopération germano-polonaise, Varsovie/Berlin
Dr. Otto Luchterhandt, ancien professeur de droit public et de droit de l’Europe de l’Est, Université de Hambourg
Carlo Masala, professeur de politique internationale à l’université des forces armées fédérales de Munich.
Markus Meckel, ministre des Affaires étrangères de la RDA en 1990, député de 1990 à 2009, et président du Conseil allemand de la Fondation pour la coopération germano-polonaise, Berlin
Johanna Möhring, chargée de recherche à la chaire Henry Kissinger pour la sécurité et les études stratégiques, Université de Bonn
Michael Moser, professeur de linguistique slave et de philologie textuelle, Université de Vienne
Andrej Novak, politologue, cofondateur de l’Alliance pour une Russie démocratique et libre ainsi que de “Russia Uncensored Deutsch”, Nuremberg.
Barbara von Ow-Freytag, politologue, membre du conseil d’administration du Centre de la société civile de Prague.
Susanne Pocai, historienne, auteur de livres et membre du personnel de la faculté des sciences de la vie de l’université Humboldt de Berlin.
Ruprecht Polenz, député de 1994 à 2013, depuis 2013 président de l’Association allemande pour les études est-européennes (DGO), Münster
Detlev Preusse, politologue, auteur de livres et ancien chef du programme de soutien aux étrangers de la Fondation Konrad Adenauer, Hambourg.
Manfred Quiring, auteur de livres et ancien correspondant en Russie du “Berliner Zeitung”, “Die Welt” et “Zürcher Sonntagszeitung”, Hohen Neuendorf.
Waleria Radziejowska-Hahn, membre du conseil consultatif et ancienne directrice générale du Forum Lew Kopelew, Cologne
Dr. Oliver Reisner, professeur d’études européennes et caucasiennes, Ilia State University, Tbilissi, Géorgie
Felix Riefer, politologue, auteur de livres et membre du conseil consultatif du Forum Lew Kopelew, Bonn.
Christina Riek, traductrice-interprète, coordinatrice du projet et membre du conseil d’administration de Memorial Deutschland, Berlin.
Stefan Rohdewald, professeur d’histoire de l’Europe de l’Est et du Sud-Est, Université de Leipzig.
Grzegorz Rossoliński-Liebe, chercheur au département d’histoire et d’études culturelles de l’Université libre de Berlin.
Sebastian Schäffer, politologue, auteur de livres et directeur général de l’Institut pour la région du Danube et l’Europe centrale (IDM), Vienne.
Stefanie Schiffer, directrice générale de l’ONG European Exchange et présidente de la Plate-forme européenne pour les élections démocratiques (EPDE), Berlin.
Frank Schimmelfennig, professeur de politique européenne, École polytechnique fédérale de Zurich (ETH), Zurich
Karl Schlögel, jusqu’en 2013, professeur d’histoire de l’Europe de l’Est, Université européenne Viadrina, Francfort (Oder).
Winfried Schneider-Deters, économiste, auteur de livres, et chef du bureau de Kiev de la Fondation Friedrich Ebert en 1995-2000, Heidelberg
Werner Schulz, député en 1990-2005, député européen en 2009-2014, ancien vice-président de la commission parlementaire de coopération UE-Russie, Kuhz
Dr. Gerhard Simon, ancien professeur au département d’histoire de l’Europe de l’Est, Université de Cologne
Susanne Spahn, historienne de l’Europe de l’Est, publiciste et chercheuse associée au Vilnius Institute of Policy Analysis (VIPA), Berlin.
Kai Struve, professeur associé et chercheur à l’Institut d’histoire de l’université de Halle-Wittenberg.
Ernst-Jörg von Studnitz, ambassadeur de la République fédérale d’Allemagne auprès de la Fédération de Russie de 1995 à 2002, Königswinter.
Sergej Sumlenny, politologue, auteur de livres et chef du bureau de Kiev de la Fondation Heinrich Böll de 2015 à 2021, Berlin.
Dr. Maximilian Terhalle, lieutenant-colonel (res.), professeur invité à LSE IDEAS, London School of Economics and Political Science.
Dr. Stefan Troebst, jusqu’en 2021, professeur d’histoire culturelle de l’Europe de l’Est, Université de Leipzig
Frank Umbach, chef de la recherche au Pôle européen pour le climat, l’énergie et la sécurité des ressources (EUCERS), Université de Bonn.
Dr. Andreas Umland (initiateur/rédacteur), analyste au Stockholm Centre for Eastern European Studies, Institut suédois des affaires internationales (UI)
Elisabeth Weber, spécialiste de la littérature et du théâtre, membre du conseil consultatif du Forum Lew Kopelew, Cologne.
Anna Veronika Wendland, chargée de recherche à l’Institut Herder de recherche historique sur l’Europe centrale et orientale, Marbourg.
Alexander Wöll, professeur de culture et de littérature d’Europe centrale et orientale, Université de Potsdam.
Susann Worschech, chargée de recherche à l’Institut d’études européennes, Université européenne Viadrina, Francfort (Oder).
Dans le discours qu’il a prononcé devant le Parlement russe, le 18 avril 2014, et dans lequel il justifiait l’annexion de la Crimée, le président Poutine a insisté sur l’humiliation subie par la Russie du fait des nombreuses promesses non tenues par l’Ouest, et notamment la prétendue promesse de ne pas élargir l’OTAN au-delà des frontières d’une Allemagne réunifiée. Poutine touchait là, chez ses auditeurs, une corde sensible. Pendant plus de 20 ans, le récit de la prétendue « promesse non tenue » de ne pas élargir l’OTAN vers l’est a fait partie intégrante de l’identité post-soviétique. Il n’est guère surprenant, par conséquent, que ce récit ait refait surface dans le contexte de la crise ukrainienne. S’appesantir sur le passé demeure le moyen le plus commode pour nous distraire du présent.
Mais, y a-t-il quelque vérité dans ces affirmations? Au cours des dernières années, d’innombrables documents et autres matériaux d’archives ont été rendus publics, permettant aux historiens d’aller au-delà des interviews ou des autobiographies des dirigeants politiques qui étaient au pouvoir lors des évènements décisifs qui se sont produits entre la chute du mur de Berlin, en novembre 1989, et l’acceptation par les soviétiques, en juillet 1990, d’une appartenance à l’OTAN de l’Allemagne réunifiée. Pourtant, même ces nouvelles sources ne modifient pas la conclusion fondamentale: il n’y a jamais eu, de la part de l’Ouest, d’engagement politique ou juridiquement contraignant de ne pas élargir l’OTAN au-delà des frontières d’une Allemagne réunifiée. Qu’un tel mythe puisse néanmoins apparaître ne devrait toutefois pas surprendre. La rapidité des changements politiques à la fin de la guerre froide a produit une forte dose de confusion. Ce fut une époque propice à l’émergence des légendes.
Le mythe de la « promesse non tenue » tire ses origines de la situation politique sans précédent dans laquelle se sont trouvés en 1990 les acteurs politiques clés, et qui a façonné leurs idées sur le futur ordre européen. Les politiques de réforme entreprises par l’ancien dirigeant de l’URSS, Mikhaïl Gorbatchev, avaient depuis longtemps échappé à tout contrôle, les États baltes réclamaient leur indépendance, et des signes de bouleversements commençaient à apparaître dans les pays d’Europe centrale et orientale. Le mur de Berlin était tombé; l’Allemagne avait entamé son chemin vers la réunification. Toutefois, l’Union soviétique existait encore, tout comme le Pacte de Varsovie, dont les pays membres d’Europe centrale et orientale n’évoquaient pas une adhésion à l’OTAN, mais plutôt la « dissolution des deux blocs ».
Ainsi, le débat autour de l’élargissement de l’OTAN s’est déroulé exclusivement dans le contexte de la réunification allemande. Au cours de ces négociations, Bonn et Washington ont réussi à assouplir les réserves soviétiques quant au maintien dans l’OTAN d’une Allemagne réunifiée. Une aide financière généreuse et la conclusion du Traité « 2+4 » excluant le stationnement de forces OTAN étrangères sur le territoire de l’ex-Allemagne de l’Est ont contribué à ce résultat. Cette réussite a toutefois été, aussi, le résultat d’innombrables conversations personnelles au cours desquelles Gorbatchev et d’autres dirigeants soviétiques ont été assurés que l’Ouest ne profiterait pas de la faiblesse de l’Union soviétique et de sa volonté de retirer ses forces armées d’Europe centrale et orientale.
Ce sont peut-être ces conversations qui ont pu donner à certains politiciens soviétiques l’impression que l’élargissement de l’OTAN, dont le premier acte fut l’admission de la République tchèque, la Hongrie et la Pologne en 1999, avait constitué un manquement à ces engagements occidentaux. Certaines déclarations d’hommes politiques occidentaux – et en particulier du ministre allemand des Affaires étrangères, Hans Dietrich Genscher, et de son homologue américain, James A. Baker – peuvent en fait être interprétées comme un rejet général de tout élargissement de l’OTAN au-delà de l’Allemagne de l’Est. Toutefois, ces déclarations ont été faites dans le contexte des négociations sur la réunification allemande, et leurs interlocuteurs soviétiques n’ont jamais exprimé clairement leurs préoccupations. Au cours des négociations décisives à « 2+4 », qui ont finalement conduit Gorbatchev à accepter, en juillet 1990, que l’Allemagne réunifiée demeure au sein de l’OTAN, la question n’a jamais été soulevée. L’ancien ministre soviétique des affaires étrangères, Édouard Chevardnadze, devait déclarer plus tard que les protagonistes de cette époque ne pouvaient même pas imaginer une dissolution de l’Union soviétique et du Pacte de Varsovie et l’admission au sein de l’OTAN des anciens membres de ce Pacte.
Mais, même si l’on devait supposer que Genscher et d’autres auraient en effet cherché à prévenir un futur élargissement de l’OTAN afin de respecter les intérêts de sécurité de l’URSS, ils n’auraient jamais pu le faire. La dissolution du Pacte de Varsovie et la fin de l’Union soviétique, en 1991, ont ensuite créé une situation complètement nouvelle, puisque les pays d’Europe centrale et orientale se trouvaient finalement en mesure d’affirmer leur souveraineté et de définir leurs propres objectifs de politique étrangère et de sécurité. Ces objectifs étant centrés sur l’intégration à l’Ouest, tout refus catégorique de l’OTAN aurait signifié une continuation de facto de la division de l’Europe suivant les lignes établies précédemment au cours de la guerre froide. Le droit de choisir sa propre alliance, garanti par la Charte d’Helsinki de 1975, en aurait été nié – une approche que l’Ouest n’aurait jamais pu soutenir, ni politiquement, ni moralement.
Le casse-tête de l’élargissement de l’OTAN
L’absence d’une promesse de ne pas élargir l’OTAN signifie-t-elle que l’Ouest n’a jamais eu aucune obligation vis-à-vis de la Russie? La politique d’élargissement des institutions occidentales s’est-elle poursuivie sans aucune prise en compte des intérêts de la Russie? Ici encore, les faits racontent une autre histoire. Ils démontrent aussi, toutefois, que les deux objectifs parallèles – admission des pays d’Europe centrale et orientale au sein de l’OTAN et développement d’un « partenariat stratégique » avec la Russie – étaient beaucoup moins compatibles en pratique qu’en théorie.
Lorsque le débat sur l’élargissement de l’OTAN a débuté sérieusement, vers 1993, sous la pression croissante des pays d’Europe centrale et orientale, il s’est accompagné de sérieuses controverses. Dans les milieux universitaires, en particulier, certains observateurs ont exprimé leur opposition à l’admission de nouveaux membres au sein de l’OTAN, car elle aurait inévitablement pour effet de contrarier la Russie et pourrait compromettre les résultats positifs ayant suivi la fin de la guerre froide. En fait, dès le début du processus d’élargissement de l’OTAN entamé après la fin de la guerre froide, le souci premier des occidentaux a été de trouver les moyens de concilier ce processus et les intérêts de la Russie. C’est pourquoi l’OTAN a rapidement cherché à créer un contexte de coopération propice à l’élargissement et à développer, dans le même temps, des relations spéciales avec la Russie. En 1994, le programme de « Partenariat pour la paix » a instauré une coopération militaire avec pratiquement tous les pays de la zone euro-atlantique. En 1997, l’Acte fondateur OTAN-Russie créait le Conseil conjoint permanent, un cadre spécialement consacré à la consultation et à la coopération. L’année 2002, au cours de laquelle les Alliés ont préparé la nouvelle grande phase d’élargissement, a été aussi celle de la création du Conseil OTAN-Russie, donnant à cette relation une focalisation et une structure renforcées. Ces diverses mesures s’inscrivaient dans le cadre d’autres efforts déployés par la communauté internationale pour attribuer à la Russie la place qui lui revient, en l’admettant au sein du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale, du G7 et de l’Organisation mondiale du commerce.
La nécessité d’éviter de contrarier la Russie a également été évidente dans la manière dont l’élargissement de l’OTAN est intervenu dans le domaine militaire. En 1996, les Alliés déclaraient que, dans les circonstances actuelles, ils n’avaient « aucune intention, aucun projet et aucune raison de déployer des armes nucléaires sur le territoire de nouveaux membres ». Cette déclaration a été intégrée, en 1997, à l’Acte fondateur OTAN-Russie, ainsi que des références du même ordre à d’importantes forces de combat et à l’infrastructure. Cette approche militaire « douce » du processus d’élargissement devait envoyer à la Russie le signal suivant: le but de l’élargissement de l’OTAN n’est pas « l’encerclement » militaire de la Russie, mais l’intégration de l’Europe centrale et orientale dans un espace atlantique de sécurité. Autrement dit, la méthode était le message.
La Russie n’a jamais interprété ces faits nouveaux avec autant de bienveillance que l’espérait l’OTAN. Pour le ministre russe des Affaires étrangères, M. Primakov, la signature de l’Acte fondateur OTAN-Russie en 1997 servait simplement à « limiter les dégâts »: la Russie n’ayant aucun moyen de faire obstacle à l’élargissement de l’OTAN, elle pouvait aussi bien prendre ce que les Alliés étaient disposés à offrir, même au risque de sembler donner son acquiescement au processus d’élargissement. La contradiction fondamentale de toutes les instances OTAN-Russie – où la Russie siège et peut participer à la décision sur les questions clés mais ne peut pas exercer de véto – n’a pas pu être surmontée.
Ces faiblesses institutionnelles paraissaient dérisoires par rapport aux véritables conflits politiques. L’intervention militaire de l’OTAN dans la crise du Kosovo a été interprétée comme un coup de force géopolitique mené par un camp occidental déterminé à marginaliser la Russie et son statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies. L’approche de l’OTAN en matière de défense antimissile, bien que dirigée contre des pays tiers, a été interprétée par la Russie comme une tentative de compromettre sa capacité de seconde frappe nucléaire. Pire encore, la « Révolution orange » en Ukraine et la « Révolution des roses » en Géorgie ont porté au pouvoir des élites qui envisageaient l’avenir de leurs pays respectifs au sein de l’UE et de l’OTAN.
Dans un tel contexte, les arguments des occidentaux quant au caractère bienveillant de l’élargissement de l’OTAN n’ont jamais eu – et n’auront probablement jamais – un très grand poids. Demander à la Russie de reconnaître le caractère inoffensif de l’élargissement de l’OTAN néglige un point tout à fait essentiel: l’élargissement de l’OTAN – tout comme celui de l’Union européenne – est conçu comme un projet d’unification du continent. Il ne comporte par conséquent pas de « point final » susceptible d’une définition convaincante, que le point de vue adopté soit intellectuel ou moral. Autrement dit, et précisément parce que les processus respectifs d’élargissement des deux organisations ne sont pas conçus comme des projets antirusses, ils n’ont pas de limites et – paradoxalement – sont inévitablement perçus par la Russie comme un assaut permanent contre son statut et son influence. Tant que la Russie se dérobera à un débat honnête sur les raisons pour lesquelles un si grand nombre de ses voisins cherchent à se rapprocher de l’Ouest, cela ne changera pas – et la relation OTAN-Russie demeurera hantée par les mythes du passé au lieu de se tourner vers l’avenir.
«Ils nous ont menti à plusieurs reprises, ils ont pris des décisions dans notre dos, ils nous ont mis devant le fait accompli. Cela s’est produit avec l’expansion de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord [OTAN] vers l’est, ainsi qu’avec le déploiement d’infrastructures militaires à nos frontières.» Dans son discours justifiant l’annexion de la Crimée par la Fédération de Russie, le 18 mars 2014, le président Vladimir Poutine étale sa rancœur envers les dirigeants occidentaux.
Peu après, la Revue de l’OTAN lui répond par un plaidoyer visant à démonter ce «mythe» et cette «prétendue promesse» : «Il n’y a jamais eu, de la part de l’Ouest, d’engagement politique ou juridiquement contraignant de ne pas élargir l’OTAN au-delà des frontières d’une Allemagne réunifiée», écrit M. Michael Rühle, chef de la section sécurité énergétique (1). En précisant «juridiquement contraignant», il révèle le pot aux roses. Des documents récemment déclassifiés (2) permettent de reconstituer les discussions de l’époque et de prendre la mesure des engagements politiques occidentaux envers M. Mikhaïl Gorbatchev en échange de ses initiatives pour mettre fin à la guerre froide.
Dès son arrivée à la tête de l’Union soviétique, en 1985, M. Gorbatchev encourage les pays du pacte de Varsovie à entreprendre des réformes et renonce à la menace d’un recours à la force (lire «Quand la Russie rêvait d’Europe»). Le 13 juin 1989, il signe même avec Helmut Kohl, le chancelier de la République fédérale d’Allemagne (RFA), une déclaration commune affirmant le droit des peuples et des États à l’autodétermination. Le 9 novembre, le mur de Berlin tombe. Une fois l’euphorie passée, les questions économiques deviennent pressantes dans toute l’Europe centrale. Les habitants de la République démocratique allemande (RDA) aspirent à la prospérité de l’Ouest, et un exode menace la stabilité de la région. Le débat sur les réformes économiques devient très rapidement un débat sur l’union des deux Allemagnes, puis sur l’adhésion de l’ensemble à l’OTAN. Le président français François Mitterrand accepte l’évolution, pourvu qu’elle se fasse dans le respect des frontières, de manière démocratique, pacifique, dans un cadre européen (3)… et que l’Allemagne approuve son projet d’union monétaire. Tous les dirigeants européens se disent avant tout soucieux de ménager M. Gorbatchev.
L’administration américaine soutient le chancelier allemand, qui avance à marche forcée. À Moscou, le 9 février 1990, le secrétaire d’État américain James Baker multiplie les promesses devant Édouard Chevardnadze, le ministre des affaires étrangères soviétique, et M. Gorbatchev. Ce dernier explique que l’intégration d’une Allemagne unie dans l’OTAN bouleverserait l’équilibre militaire et stratégique en Europe. Il préconise une Allemagne neutre ou participant aux deux alliances — OTAN et pacte de Varsovie —, qui deviendraient des structures plus politiques que militaires. En réponse, M. Baker agite l’épouvantail d’une Allemagne livrée à elle-même et capable de se doter de l’arme atomique, tout en affirmant que les discussions entre les deux Allemagnes et les quatre forces d’occupation (États-Unis, Royaume-Uni, France et URSS) doivent garantir que l’OTAN n’ira pas plus loin : «La juridiction militaire actuelle de l’OTAN ne s’étendra pas d’un pouce vers l’est», affirme-t-il à trois reprises.
«En supposant que l’unification ait lieu, que préférez-vous?, interroge le secrétaire d’État. Une Allemagne unie en dehors de l’OTAN, absolument indépendante et sans troupes américaines? Ou une Allemagne unie gardant ses liens avec l’OTAN, mais avec la garantie que les institutions ou les troupes de l’OTAN ne s’étendront pas à l’est de la frontière actuelle?» «Notre direction a l’intention de discuter de toutes ces questions en profondeur, lui répond M. Gorbatchev. Il va sans dire qu’un élargissement de la zone OTAN n’est pas acceptable.» «Nous sommes d’accord avec cela», conclut M. Baker.
Le lendemain, 10 février 1990, c’est au tour de Kohl de venir à Moscou pour rassurer M. Gorbatchev : «Nous pensons que l’OTAN ne devrait pas élargir sa portée, assure le chancelier d’Allemagne occidentale. Nous devons trouver une résolution raisonnable. Je comprends bien les intérêts de l’Union soviétique en matière de sécurité.» M. Gorbatchev lui répond : «C’est une question sérieuse. Il ne devrait y avoir aucune divergence en matière militaire. Ils disent que l’OTAN va s’effondrer sans la RFA. Mais, sans la RDA, ce serait aussi la fin du pacte de Varsovie…»
Face au réalisateur américain Oliver Stone, en juillet 2015, M. Poutine esquisse un rictus en évoquant cet épisode majeur de l’histoire des relations internationales : «Rien n’avait été couché sur le papier. Ce fut une erreur de Gorbatchev. En politique, tout doit être écrit, même si une garantie sur papier est aussi souvent violée. Gorbatchev a seulement discuté avec eux et a considéré que cette parole était suffisante. Mais les choses ne se passent pas comme cela (4)!»
L’histoire galope. Tous les régimes d’Europe centrale sont tombés. Les seuls gages solides qui restent à l’URSS dans les négociations sont les accords de Potsdam d’août 1945 et la présence de 350 000 soldats soviétiques sur le sol allemand. M. Baker se rend à nouveau à Moscou le 18 mai 1990 pour démontrer à M. Gorbatchev que ses positions sont prises en compte : «L’OTAN va évoluer pour devenir davantage une organisation politique. (…) Nous nous efforçons, dans divers forums, de transformer la CSCE [Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, future OSCE] en une institution permanente qui deviendrait une pierre angulaire d’une nouvelle Europe.» M. Gorbatchev le prend au mot : «Vous dites que l’OTAN n’est pas dirigée contre nous, qu’il s’agit seulement d’une structure de sécurité qui s’adapte à la nouvelle réalité. Nous allons donc proposer de la rejoindre.»
Mitterrand rencontre M. Gorbatchev le 25 mai 1990 à Moscou et lui déclare : «Je tiens à vous rappeler que je suis personnellement favorable au démantèlement progressif des blocs militaires.» Il ajoute : «Je l’ai toujours dit : la sécurité européenne est impossible sans l’URSS. Non parce que l’URSS serait un adversaire doté d’une armée puissante, mais parce que c’est notre partenaire.» Le président français écrit dans la foulée à son homologue américain que l’hostilité de M. Gorbatchev à la présence de l’Allemagne unifiée dans l’OTAN ne lui paraît «ni feinte ni tactique», en précisant que le dirigeant soviétique «n’a plus guère de marge de manœuvre».
Malgré la dégradation économique, M. Gorbatchev raffermit son pouvoir. Ayant été élu président de l’URSS en mars, il écarte les conservateurs lors du Congrès du Parti communiste de l’Union soviétique qui se tient début juillet. Le dernier acte politique se joue le 16 juillet, dans le village montagnard d’Arhiz, dans le nord du Caucase. En échange du retrait des troupes soviétiques de la future Allemagne unie et membre de l’OTAN, Kohl s’engage devant M. Gorbatchev à accepter les frontières de 1945 (ligne Oder-Neisse), à n’avoir aucune revendication territoriale, à diminuer presque de moitié les effectifs de la Bundeswehr, à renoncer à toute arme ABC (atomique, bactériologique ou chimique) et à verser une substantielle «aide au départ».
L’accord est scellé dans le traité sur la réunification de l’Allemagne signé le 12 septembre 1990 à Moscou. Mais ce texte n’aborde la question de l’extension de l’OTAN qu’à propos du territoire de l’ancienne RDA après le retrait des troupes soviétiques : «Des forces armées et des armes nucléaires ou des vecteurs d’armes nucléaires étrangers ne seront pas stationnés dans cette partie de l’Allemagne et n’y seront pas déployés (5). » À la dernière minute, les Soviétiques renâclent. Pour obtenir leur signature, les Allemands ajoutent un avenant précisant que «toutes les questions concernant l’application du mot “déployés” (…) seront tranchées par le gouvernement de l’Allemagne unie d’une manière raisonnable et responsable prenant en compte les intérêts de sécurité de chaque partie contractante.» Aucun texte ne fixe le sort des autres pays du pacte de Varsovie.
Début 1991, les premières demandes d’adhésion à l’OTAN arrivent de Hongrie, de Tchécoslovaquie, de Pologne et de Roumanie. Une délégation du Parlement russe rencontre le secrétaire général de l’OTAN. Manfred Wörner lui affirme que treize membres du conseil de l’OTAN sur seize se prononcent contre un élargissement, et ajoute : «Nous ne devrions pas permettre l’isolement de l’URSS.»
Ancien conseiller de M. Gorbatchev, M. Andreï Gratchev comprend les motivations des pays d’Europe centrale «tout juste affranchis de la domination soviétique» et ayant toujours en mémoire les «ingérences» de la Russie tsariste. En revanche, il déplore la «vieille politique du “cordon sanitaire”» qui conduira par la suite à un élargissement de l’OTAN à tous les anciens pays du pacte de Varsovie, et même aux trois anciennes républiques soviétiques baltes : «La position des faucons américains est bien moins admissible, révélant une profonde ignorance de la réalité et une incapacité à sortir des carcans idéologiques de la guerre froide (6). «
La présidence estonienne du Conseil organise une conférence sur « l’héritage dans l’Europe du 21e siècle des crimes commis par les régimes communistes ». La gauche européenne dénonce un amalgame politique.
La conférence organisée par Tallinn sur les régimes communistes n’est pas passée inaperçue. Le groupe parlementaire de gauche GUE/NGL accuse l’Estonie de politiser sa présidence, et le ministre grec de la Justice a indiqué qu’il boycotterait l’événement.
La présidence estonienne a annoncé que l’événement, auquel participeront les ministres de la Justice ou leurs représentants, sera dédié à la journée européenne du souvenir des victimes de tous les régimes totalitaires et autoritaires, instaurée en 2009 lors de l’adoption d’une résolution sur la conscience européenne et le totalitarisme.
Le groupe de la Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique (GUE/NGL) a fermement condamné l’événement, considéré comme manipulateur et d’« insulte à la mémoire historique européenne ».
« Alors que l’extrême droite et les néonazis tirent parti des échecs des politiques européennes, comparer le communisme au nazisme est historiquement faux, dangereux et inacceptable », estiment les députés. « En outre, le fait que le gouvernement estonien décide de se concentrer sur les ‘crimes communistes’ montre clairement son intention d’utiliser la présidence tournante de l’UE à des fins idéologiques. »
Durant la Deuxième Guerre mondiale, les communistes de nombreux pays européens se sont retrouvés en tête de la lutte contre le fascisme et le nazisme. Si le régime totalitaire installé dans l’ex-URSS est appelé « communiste », la justesse de cette appellation est mise en cause. C’est même Staline, auteur d’innombrables crimes lui-même, qui a fourni le plus grand effort militaire contre l’Allemagne nazie.
Le groupe GUE/NGL a appelé les ministres de la Justice des États membres, surtout ceux qui appartiennent à des gouvernements progressistes, à boycotter l’événement, comme l’a fait le gouvernement grec.
« En cette période où les valeurs fondamentales de l’UE sont ouvertement remises en question par la montée des mouvements d’extrême droite et des partis néonazis en Europe, cette initiative est très maladroite », aurait déclaré Stavros Kontonis, ministre de la Justice du gouvernement de gauche de Syriza, qui ne participera pas à la conférence.
« L’organisation d’une conférence sur ce thème spécifique, avec ce titre spécifique, envoie un message politique faussé et dangereux […] ranime l’esprit de la Guerre froide, qui a tant fait souffrir l’Europe, contredit les valeurs de l’UE et ne reflète certainement pas les vues du gouvernement et du peuple grecs : le nazisme et le communisme ne devraient jamais être considérés comme similaires », a-t-il renchéri.
Il souligne que les « horreurs » vécues durant la période nazie n’ont qu’une version, terrible, alors que « le communisme, au contraire, a donné naissance à des dizaines de tendances idéologiques, dont l’eurocommunisme ».
Faudrait-il exacerber les divisions de nos sociétés en vilipendant les anciens régimes ? Sur ce point, les États membres qui ont connu le communisme sont divisés.
L’an dernier, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne et la Roumanie ont publié une critique des nations qui célébraient leur Histoire communiste. En Bulgarie, à l’inverse, un monument a été récemment érigé en l’honneur de Todor Zhivkov, personnalité forte de l’ère communiste, dans sa ville natale de Pravets, et est régulièrement visité par des dirigeants socialistes.
Contactée par Euractiv, Katrin Lunt, porte-parole du ministère estonien de la Justice, a rappelé que dans le pays, le régime stalinien avait fait des dizaines de milliers de victimes, même après la fin de la guerre. Les crimes commis par le régime soviétique ont laissé des traces encore visibles dans le pays, a-t-elle assuré.
La porte-parole a également indiqué que Tallinn avait déjà organisé une conférence sur le sujet en 2015. « La conférence qui a lieu le 23 août à Tallinn est dédiée à l’enquête sur l’héritage laissé par les crimes commis par le régime communiste. Il s’agit de l’expérience estonienne, partagée par les autres pays baltes et certains autres États d’Europe de l’Est. Du point de vue estonien, cette période ne s’est terminée qu’il y a 26 ans », a-t-elle expliqué.
Comme Nicolas Tenzer et Garry Kasparov l’ont déjà relevé dans Desk Russie, François Fillon n’a eu aucun scrupule à se faire récemment recruter par une entreprise étatique russe, Zaroubejneft, dès lors que ce « personnage sournois, arrogant et corrompu », pour reprendre le portrait qu’en a dressé Jean-Louis Bourlanges en février 2017, peut en tirer profit. L’annexion de la Crimée, l’affaire Navalny, les atteintes systématiques aux libertés, les ingérences dans les affaires de l’Occident, le soutien inconditionnel au sanguinaire el-Assad ne paraissent guère émouvoir l’ancien Premier ministre.
Un membre distingué de l’Institut, éminent spécialiste de la Russie, a démenti le propos que lui prêtait Le Figaro du 28 février 2017, à savoir que Fillon était « un agent des Russes » (Commentaire, n°158, 2017, p. 471). Peut-être pas agent, mais pour le moins « prorusse et antiaméricain » selon Le Monde du 11 novembre 2016. En effet, il paraît comme « fasciné » (Le Point, 3 déc. 2015) par son ami Poutine, s’en prend systématiquement à l’Amérique, coupable de tous les maux de la terre ou presque, sans parler d’une écoute attentive de la CGT lorsqu’il était ministre du Travail, position dénoncée avec vigueur à l’époque par Marc Blondel, le secrétaire général de Force ouvrière (Chronique économique, syndicale et sociale, sept. 2004).
L’ancien élu de la Sarthe, qui, comme son ancien soutien Mariani, n’a jamais exercé d’autre métier que la politique, partage, au fond, les convictions d’un Chevènement, notamment son hostilité au traité de Maastricht, tout en se prononçant pour l’entrée de la Turquie au sein de l’Europe, afin de « jouer un rôle d’équilibre face aux États-Unis » (Libération, 10 déc. 2004). Déjà, en 1989, le ministre de la Défense, en déplacement officiel à Moscou, avait invité Fillon à faire partie de la délégation française. En 1991, ils déjeunent ensemble (Le Maine libre, 21 fév. 1991). Vingt-six ans plus tard, dans le cadre de la campagne présidentielle, le candidat Fillon, lors d’un meeting à Besançon, plaçait sur le même plan de Gaulle, Séguin et Chevènement Bien avant, Fillon admettait qu’il y avait avec ce dernier « convergence mais pas identité » (Le Quotidien de Paris, 27 oct. 1990). Par ailleurs, s’il rend hommage à Régis Debray, il se dit en désaccord avec Finkielkraut sur la Russie (Le Point, 7 janv. 2016).
« Poutinophile » ou « poutinolâtre » ?
En sa qualité de Premier ministre, on le voit déplorer, en septembre 2008, à propos de l’offensive russe en Géorgie, la condamnation par l’Europe de cette Russie « humiliée », ce qui pourrait rappeler la formule du Führer au lendemain du traité de Versailles. Il s’en prend à ceux qui « continuent à piétiner la Russie », laquelle, annonce-t-il, ne fera pas l’objet, comme déjà soumis à celle-ci, de sanctions (Le Figaro, 5 sept. 2008).
Au cours de son règne à Matignon, il rencontre Poutine deux à trois fois par an mais refusera de recevoir Hervé Mariton, président du groupe parlementaire d’amitié franco-russe, qui, lui, ne fait pas partie des affidés de Moscou (L’Express, 29 janv. 2014). Dans son livre Faire (Albin Michel, 2015), Fillon déclare avoir « aimé nos rencontres [avec Poutine] parce qu’elles étaient utiles, parce qu’on pouvait y nouer à l’improviste des accords qui n’étaient pas préparés à l’avance ». Il le définit comme « patriote » (Valeurs actuelles, 20 oct. 2016).
Son alignement sur le régime russe ne fait que s’accentuer après l’élection de François Hollande à l’Élysée : « Au lieu de recevoir Poutine avec des pincettes, déplorait Fillon dans Le Figaro du 13 août 2012, au lieu de l’humilier 1 […] le gouvernement français devrait faire preuve de réalisme et d’un peu de courage pour construire une relation de confiance avec la Russie ! […] Si j’étais François Hollande, je prendrais maintenant l’avion pour Moscou […] et je chercherais à offrir à la Russie de véritables garanties sur sa sécurité et sur une relation de confiance avec l’OTAN. […] Qu’il prenne des risques, qu’il abandonne ses postures bourgeoises et atlantistes, version guerre froide. »
Quoi que fasse la Russie, Fillon s’en tient à comprendre, à excuser, voire à justifier la politique poursuivie par celle-ci. Il y séjourne en mars 2013, reçu par Poutine — qu’il tutoie — en tête à tête avant un dîner officiel.
Concernant la perspective d’une intervention des Occidentaux en Syrie, Fillon — devenu député de Paris — exhorte, avec Villepin, la présidence Hollande à la prudence, surtout si la France doit agir avec ses alliés ; le préalable, c’est d’« informer nos partenaires russes. Nous devons tenter une dernière fois d’essayer de les convaincre d’agir avec les moyens qui sont les leurs sur le régime d’Assad » (Le Monde, 30 août 2013).
En septembre 2013, il est de nouveau en Russie où, en violation des usages, il critique, avec véhémence, la position française, lui faisant grief de s’aligner sur l’Amérique : « Je souhaiterais, proclame-t-il, que la France retrouve cette indépendance et cette liberté de jugement et d’action qui seules lui confèrent une autorité dans cette crise », à la grande jubilation, souligne Le Monde du 21 septembre, de l’élite russe venue entendre la bonne parole. Le socialiste Arnaud Leroy voit en Fillon « le laquais de la Volga » tandis que le porte-parole du parti dénonce cette « dérive », laquelle fait l’objet d’un éditorial plus que sévère du Monde du 22, déplorant « la faute de ce voyage ».
Sur sa lancée, Fillon séjourne, en octobre 2013, au Kazakhstan, pas gêné par ses atteintes systématiques à la liberté ; sa prestation, « truffé de banalités », lui aurait rapporté, si l’on se réfère au Nouvel Observateur du 31 octobre, 30 000 €. S’agissant de ses émoluments, Le Canard enchaîné du 22 mars 2017 titre « Fillon a fait le plein chez Poutine » et sous-titre « Pour jouer les entremetteurs entre le président russe, un milliardaire libanais et le pédégé de Total, le candidat, alors député de Paris, a palpé 50 000 dollars en 2015. Avec promesse d’intéressement aux bénéfices ». « Récemment, relève Le Monde du 13 juin 2018, il aurait œuvré au rapprochement de Tikehau avec le fonds Mubadala d’Abou Dhabi, et le fonds russe d’investissement direct. » Toujours aussi désintéressé !
À l’issue de la primaire qu’il a remportée pour la présidentielle de 2017, Fillon paraît être le candidat préféré des Russes, à l’instar de de Gaulle en 1965, Pompidou en 1969, Giscard en 1974 et 1981… Mariani s’en félicite : « En politique étrangère, il est le plus constant et le plus régulier dans ses choix, notamment sur la Russie. » Fillon se prononce, comme il se doit, pour la levée des sanctions à l’encontre de Moscou, qui salue sa présence à la future élection (Le Monde, 23 nov. 2016), notamment par un Poutine célébrant « cet homme intègre, qui se distingue fortement des hommes politiques de la planète », pas moins (ibid., 25 nov.). Selon lui, la Russie respecte les accords lorsqu’elle les signe, ce qui lui vaut cette réplique cinglante de Bruno Tertrais dans Causeur de juin 2016 : « Que Moscou ait foulé aux pieds tous les traités sur la sécurité européenne signés depuis 1975 et tous les textes régissant sa relation avec l’Ukraine indépendante depuis 1994 ne semble pas troubler l’ancien Premier ministre. »
Poursuivant sur la même lancée, son programme officiel de 2017 annonce que la France sera « un allié loyal et indépendant des États-Unis ». La France serait-elle indépendante de Moscou ? Voilà qui est moins sûr lorsque Fillon appelle à « rétablir le dialogue et des relations de confiance avec la Russie, qui doit redevenir un grand partenaire », en levant les sanctions.
Fillon est de nouveau accueilli par Poutine le 5 décembre 2018. L’ex-représentant russe à Paris, Orlov, souligne dans son livre Un ambassadeur à Paris (Fayard, 2021, p. 207) que « François Fillon aurait été un partenaire idéal pour la Russie. C’est pourquoi son effondrement a suscité à Moscou une profonde amertume ». On ne saurait mieux dire.
L’Ukraine coupable
Là encore, l’ex-chef du gouvernement ne verse pas vraiment dans la nuance, exonérant la Russie de toute implication ou presque : « On doit tout faire, estime-t-il, pour empêcher l’intervention russe. […] Et en même temps, on ne peut pas désigner les Russes comme les seuls fauteurs de troubles, il y a aussi des erreurs qui ont été commises par le nouveau pouvoir de Kiev », lequel n’est pourtant pas celui ayant déclenché les hostilités…
Son conseil ne varie pas, revenant comme des litanies, mettant même en accusation la France, surtout pas la Russie : « Il faut parler avec les Russes […]. La France n’a cessé de traiter la Russie d’une manière assez légère » (Le Nouvel Obs, 3 avril 2016) ; cette position suscite une vigoureuse réaction d’indignation de la part du philosophe Alain Laurent dans Le Point du 10 juillet 2014.
La faute incombe, comme de bien entendu, aux Américains, estimant qu’une « erreur historique a été commise en repoussant les frontières de l’OTAN juste sous le nez des Russes » (Le Point, 24 avril 2014). « On ne peut pas laisser s’installer, s’indigne-t-il, la guerre à l’est de l’Europe. Surtout quand les États-Unis risquent d’attiser un conflit qui est très loin de chez eux, en proposant notamment d’armer les Ukrainiens » (Le Figaro, 6 fév. 2015). L’Amérique, pour lui, « n’est pas qualifiée pour continuer à discuter avec la Russie ». Ce même 6 février, sur LCI-Radio classique, il estime que « l’agresseur n’est pas Poutine ». Pas un mot sur les aspirations du peuple ukrainien ; s’il consent à reconnaître que Moscou viole le droit international en Crimée, c’est pour aussitôt tempérer son propos, estimant qu’il a des droits historiques sur ce territoire, et de prétendre que « la responsabilité la plus élevée incombe aux États-Unis » (Valeurs actuelles, 18 juin 2015). Ce qui inspirera à Françoise Thom, dans Le Monde du 26 novembre 2016, ces justes remarques : « Nos souverainistes, si sourcilleux de notre indépendance quand il s’agit des États-Unis, s’alignent sans états d’âme sur les positions du Kremlin, même les plus scandaleuses, comme on l’a vu à droite et à gauche au moment de la guerre hybride contre l’Ukraine […]. Poutine a imposé une propagande ahurissante charriant la haine et le mensonge. Et c’est dans ce pays que notre droite cherche son inspiration. »
La Syrie, sauvée par Poutine
Dans une lettre ouverte au chef de l’État, Fillon préconise la création d’« une véritable alliance internationale, intégrant l’Iran et la Russie, contre l’État islamique » (JDD, 12 juil. 2015), semblant considérer — il est bien le seul — que l’Iran est étranger au terrorisme.
Dans son ouvrage, Faire, il appelle aussi à discuter avec Bachar al-Assad, thème qu’il développe dans une interview accordée au Figaro du 14 novembre 2015 : « La seule voie, c’est de stopper l’effondrement du régime syrien […]. Les Russes l’ont compris depuis longtemps. » Et de les féliciter dans Valeurs actuelles du 19 novembre : « Heureusement que Poutine l’a fait, sinon nous aurions sans doute en face de nous un État islamique. […] Il faut donc se féliciter que la Russie soit intervenue. Maintenant, il faut engager le dialogue avec Moscou pour bâtir une stratégie de reconquête du territoire syrien. »
On n’a pas vu Fillon déplorer — ne parlons pas de condamner — les quelque 500 000 morts civils d’Assad, allant jusqu’à récuser le terme « massacre » (France Inter, 28 nov. 2016), non plus que les bombardements d’écoles ou d’hôpitaux. Ignore-t-il que le dirigeant syrien a élargi de ses prisons nombre de dirigeants djihadistes et qu’il n’a pas bombardé les quartiers généraux islamistes (Commentaire, n° 144, hiver 2013/2014, p. 795) ? Ignore-t-il que l’intervention russe n’a visé Daech que de façon marginale (France Inter, 28 nov. 2016) ? Comme l’a justement remarqué Alain Frachon dans Le Monde du 21 octobre 2016, sous le titre « La Syrie de M. Fillon », « choisir al-Assad comme rempart contre le djihadisme […], c’est faire équipe avec Al Capone pour démanteler la Mafia. Ou, si l’on préfère, s’appuyer sur un pompier pyromane pour éteindre l’incendie djihadiste ».
Quand on sait que c’est sous son gouvernement qu’a été démantelé, dès 2008, le renseignement territorial, quand on sait qu’il était opposé à l’interdiction du voile à l’université (Le Monde, 26 oct. 2016), quand on sait que, ministre de l’Éducation nationale, il a enterré le rapport Obin sur les atteintes à la laïcité dans les établissements, son livre Vaincre le totalitarisme islamique (Albin Michel, 2016) semble vraiment incongru.
À la tribune de l’Assemblée nationale, le 25 novembre 2015, il va jusqu’à suggérer d’associer le Hezbollah, organisation terroriste, à la recherche d’une solution en Syrie, insistant sur la nécessité de réintégrer l’Iran dans les discussions (Le Figaro, 26 nov. 2015). Est-il influencé par Fabienne Blineau, militante pro-Fillon au Liban, alors mariée à un député libanais, dont le parti, pro-syrien, est allié au Hezbollah (Le Monde, 19 avril 2017) ? Selon lui, « la Russie est la seule puissance à faire preuve de réalisme en Syrie » (Marianne, 1er avril 2016), au point que Nicolas Hénin déplore que « Fillon soit totalement aligné sur la position russe en Syrie ».
Son alignement va jusqu’à être dénoncé par un ancien ministre communiste, Jack Ralite, qui met aussi en cause, à cet égard, Mme Le Pen et M. Mélenchon (Le Monde, 7 déc. 2016), suivi par Raphaël Glucksmann et Yannick Jadot (ibid., 15 déc.) : « Alep crève et Fillon a dit “choisir Assad“ avant de justifier Poutine. Alep crève et Mélenchon a affirmé : “Je pense que Poutine va régler le problème de la Syrie.“ »
Assad bien sûr approuve le soutien de Fillon ; interrogé par RTL, il se réjouit de la « rhétorique de Fillon […] qui est la bienvenue » (Bulletin quotidien, 10 janv. 2017). À la suite des révélations des attaques chimiques — pour lesquelles Fillon exige que soient apportées des preuves ! —, il pense, fidèle à sa rengaine, que le départ éventuel d’Assad passe par le dialogue avec Moscou (Le Monde, 8 avril 2017)…
L’ennemi, c’est l’Amérique
Déjà, au Mans, en décembre 1998, il participe à un colloque de trois jours dont l’objet porte sur « les États-Unis, maîtres du monde ? », en compagnie de toute la fine fleur de l’antiaméricanisme : Alain Gresh et Serge Halimi, du Monde diplomatique, Pascal Boniface, Paul-Marie de La Gorce. Fillon s’en prend, pour sa part, à la « fragilité » du président Clinton (Ouest-France, 14 déc. 1998).
Lors du conflit opposant Israël au Hamas, à l’été 2014, il dénonce la culpabilité de l’Occident, « et, premièrement, des États-Unis » (Le Monde, 20 juil. 2014). « L’Europe, confie-t-il au Point du 16 avril 2015, est trop dépendante pour sa sécurité et son économie. C’est flagrant concernant […] la nouvelle guerre froide avec la Russie », pauvre victime ! La solution ? Sortir de la domination du dollar contre laquelle l’Europe doit, pas moins, « se révolter » (Valeurs actuelles, 18 juin 2015). Dans son programme présidentiel, le dollar est présenté comme une « nouvelle forme d’impérialisme » (Le Monde, 16 déc. 2016).
Dans un tweet, révélé par Nicolas Hénin dans La France russe (Fayard, 2016, p. 117), Fillon place, sur le même pied, en tant qu’ennemis de l’Europe, « totalitarisme islamique, impérialisme américain, dynamique du continent asiatique » ; on appréciera le parallèle ! Si la France, d’après lui, est hostile à la Russie, c’est qu’on « est influencé par l’administration américaine, le Congrès américain et ce que pensent les journaux américains » (Le Point, 25 août 2016). Il pense — mais pense-t-il ? — que « c’est une erreur de la traiter à la fois comme un adversaire et un pays sous-développé » (Le Monde, 14 sept. 2016). Un mois plus tard, il déplore que « la France coure après les États-Unis » (Valeurs actuelles, 20 oct. 2016), oubliant qu’on ne l’avait guère entendu lorsqu’elle a réintégré le commandement militaire de l’OTAN, en 2009.
Il récidive dans Le Progrès du 11 novembre 2016, où il préconise de « renforcer l’Europe face à la menace du totalitarisme islamique mais aussi face à la mainmise économique américaine, demain chinoise » : singulière juxtaposition, encore une fois, que de placer le terrorisme sur le même plan que l’Amérique. C’est quasiment obsessionnel chez lui : dans L’Opinion du 27 octobre 2016, il insiste « pour sortir un jour de cette dépendance très forte vis-à-vis des États-Unis […]. Ainsi, je suis choqué par les discours des responsables de l’OTAN sur la Russie. Cela relève de la provocation verbale. On ne peut pas considérer Moscou comme l’ennemi n° 1 alors que le totalitarisme islamique nous menace directement ».
Il va même jusqu’à proposer, au début 2017, une conférence Europe-Russie sans les Américains (Le Monde, 26 janv. 2017). Le problème, pour lui, ce n’est pas la Russie, allant jusqu’à mettre en cause voire en accusation Washington : « Dans beaucoup de cas, la politique américaine qui pilote l’OTAN n’est pas la solution contre le totalitarisme islamique, elle est plutôt le problème. Nous avons commis des erreurs par le passé en poussant la Russie dans ses travers » (ibid., 24 janv. 2017).
On tremble en songeant qu’il aurait pu régner à l’Élysée cinq ans, voire une décennie !
COMPLEMENT:
Wokeness Is Putin’s Weapon
Russia and China capitalize on the West’s moral and political confusion.
Walter Russell Mead
The Wall Street Journal
July 11, 2022
Five months into the war in Ukraine, Vladimir Putin’s army continues to flounder. Kyiv’s defenders are making up for their smaller numbers and artillery shortages with better commanders, smarter tactics, higher morale and, increasingly, better weapons as Western high-tech arms reach the battlefield.
Mr. Putin has had the most success, paradoxically, in the domains of economics and politics, where the West thought its power was strongest. Fears that a Russian gas embargo could cripple European economies and leave comfortable German burghers freezing in the dark next winter have replaced hopes that Western sanctions would bring Moscow to its knees. Thoroughly intimidated by the consequences of an economic war with Russia, Germany is beginning to weasel out of its pledges to increase defense spending.
Similarly, the early Western optimism that values would unite the world against Russian aggression has fizzled. Led by China and joined by India and Brazil, countries around the world are choosing trade with Russia over solidarity with the Group of Seven.
To counter Mr. Putin and Xi Jinping, the West must recalibrate. Since the Russian leader attacked Georgia in 2008, Western leaders have consistently mischaracterized and underestimated the threat that the revisionist powers (China, Russia and Iran) pose. In Georgia, Crimea, the South China Sea and the Middle East, the result has been one unexpected setback after another. To prevent another major setback from this latest and most blatant attack, the West needs to rethink assumptions and conventional doctrines that have demonstrably failed.
First, we need to be clear about the revisionists’ goal. Tactically, Mr. Putin wants to absorb as much of Ukraine as he can, but this war isn’t really about a few slices of the Donbas. Strategically, Messrs. Putin, Xi and their Iranian sidekicks seek the destruction of what they see as an American-led, West-dominated global hegemony. They believe that despite its imposing strengths (G-7 countries account for 45% of global gross domestic product and 52% of global military spending), this order is decadent and vulnerable.
Three vulnerabilities in the Western system give them hope. One is the trend toward protectionism in Europe and the U.S., which reduces the economic attraction of the Western system for developing countries. The others involve values. While Western conventional wisdom believes that the “values based” element of American and European foreign policy is a vital source of strength around the world, the revisionists believe that Western narcissism and blindness have led the Western powers into a historical trap.
For many postcolonial countries, the current world order is the latest embodiment of Western hegemony, with its origins in the age of European imperialism. Why else, people ask, are Britain and France permanent members of the United Nations Security Council, while there is only one permanent member from Asia, and none from Africa, the Islamic world or Latin America? What possible justification is there for including Italy and Canada in the exclusive G-7?
Conventional defenders of the Western world order respond by touting its commitment to universal values such as human rights and the fight against climate change. The current world order may, they acknowledge, be historically rooted in Western imperial power, but as an “empire of values,” the Western world order deserves the support of everyone who cares about humanity’s future.
Unfortunately, the West’s increasingly “woke” values agenda is not as credible or as popular as liberals hope. President Biden’s visit to Saudi Arabia this week reminds the world of the limits on Western commitments to human rights. Many values dear to the hearts of Western cultural leaders (LGBTQ rights, abortion on demand, freedom of speech understood as allowing unchecked Internet pornography) puzzle and offend billions of people around the world who haven’t kept up with the latest hot trends on American campuses. Attempts by Western financial institutions and regulators to block financing for fossil-fuel extraction and refining in developing countries enrage both elites there and the public at large.
Moreover, the liberal West’s new, post-Judeo-Christian values agenda divides the West. Culture wars at home don’t promote unity overseas. If Mr. Biden, with the support of the European Parliament, makes abortion on demand a key element of the values agenda of the world order, he is more likely to weaken American support for Ukraine than to unite the world against Mr. Putin.
The moral and political confusion of the contemporary West is the secret weapon that the leaders of Russia and China believe will bring the American world order to its knees. Messrs. Putin and Xi might be wrong; one certainly hopes that they are. But their bet on Western decadence has been paying off handsomely for more than a decade. Western survival and global flourishing require more thought and deeper change than the Biden administration and its European allies can currently imagine.
Olga Robinson, Shayan Sardarizadeh and Jake Horton
BBC Reality Check and BBC Monitoring
Russia has claimed without any evidence that biological weapons are being developed in laboratories in Ukraine with support from the United States.
It says material is being destroyed to conceal the country’s weapons programme, but the US says this is « total nonsense » and that Russia is inventing false narratives to justify its actions in Ukraine.
No evidence: US funds biological weapons research in Ukraine
Russia has accused the US and Ukraine of working with « pathogens of dangerous infections » in 30 laboratories across the country. Pathogens are microorganisms that can cause disease.
Ukraine has dozens of public health laboratories that work to research and mitigate the threats of dangerous diseases.
Some of these labs receive financial and other support from the US, the European Union and the World Health Organization (WHO) – as is the case in many other countries.
Despite Russian claims that these are « secret » labs, details of US involvement can be found on the US embassy’s website.
Additionally, the US set up its « Biological Threat Reduction Program » in the 1990s following the fall of the Soviet Union to reduce the risk from biological weapons that had been left behind in countries including Ukraine.
Under this programme certain labs receive funding from the US for modernisation and equipment, but are managed locally, not by the US.
The US provides technical support and, according to the US Embassy in Ukraine, « works with partner countries to counter the threat of outbreaks (intentional, accidental or natural) of the world’s most dangerous infectious diseases ».
There is no evidence that they work to produce biological weapons. In January, the US said its programme does the opposite and in fact aims to « reduce the threat of biological weapons proliferation ».
No evidence: Ukraine destroyed pathogens to hide illegal research
Russian officials have also claimed Ukraine has tried to conceal evidence of prohibited activities.
Gen Igor Kirillov said documents uncovered by the Russian military in Ukraine on 24 February – the day the Russian invasion started – « show that the Ministry of Health of Ukraine has set the task of completely destroying bio-agents in laboratories ».
« The Pentagon knows that if these documents fall into the hands of Russian experts, then it’s highly likely that Ukraine and the United States will be found to have violated the Convention on the Prohibition of Biological and Toxin Weapons, » he said.
Image source, Rossiya 1 TV
BBC News has been unable to independently verify the documents cited by General Kirillov.
The WHO has told BBC News that it had advised Ukraine to destroy high-threat pathogens stored at the country’s public health labs to prevent « any potential spills » that would spread disease among the population.
The agency said it had collaborated with Ukrainian public health labs for several years to enhance biosafety and biosecurity and help prevent « accidental or deliberate release of pathogens ».
The WHO did not say when the recommendation had been made nor whether it was followed. It also did not provide details of the kind of pathogens stored at Ukrainian labs. However, the US said Ukraine’s health ministry had ordered the « safe and secure disposal of samples » after Russia’s invasion to limit the risk in the event of a Russian military attack.
« There are no indications that Ukrainian labs have been involved in any nefarious activity, or any research or development in contravention of the Biological Weapons Convention, » says Filippa Lentzos, a biosecurity expert at King’s College London.
She adds that pathogens stored at biological labs are simply bacteria and viruses, and « not blueprints or components of biological weapons ».
« The reason they are kept in secure facilities is for bio-safety, so people don’t make themselves sick by getting access to them. »
The documents listing destroyed pathogens which Russian officials have presented as evidence of nefarious activity at several Ukrainian labs contain no highly dangerous pathogens, microbiologist Yevgeny Levitin told Sibir Realii, a regional outlet of Radio Liberty.
« Everything listed in the published documents are only notional pathogens, with the exception of Clostridium diphtheriae, but even that is not considered highly hazardous ».
False: A high number of pathogens indicates weapons research
Gen Kirillov also claimed that the highly militarised nature of the work at Ukrainian bio-labs is confirmed by « excess number of bio-pathogens » stored there.
But Dr Lentzos says this argument does not follow any logical science. « The numbers don’t really matter, you can easily grow pathogens in a lab » starting from a small sample.
« These labs publish in openly available literature. They collaborate on many public health projects with global partners, » says Brett Edwards, a senior lecturer in security and public policy at the University of Bath.
« Devoting considerable sums of money and significant resources to conducting bioweapons research makes no strategic sense for Ukraine given the difficulty in using them in a conflict, » argues Dan Kaszeta, a former US serviceman and expert on defence against biological weapons.
« Conventional warfare weapons are much easier and more effective to use for countries like Ukraine, » he said.
Where else have these claims been repeated?
Moscow’s claims about the Ukrainian labs were echoed by China this week, with foreign ministry spokesperson Zhao Lijian accusing the US of using the facilities to « conduct bio-military plans ».
Similar accusations have also been made by Iranian and Syrian officials.
Although the allegations have been echoed elsewhere, « most of the Russian messaging is meant to target their own population », according to Milton Leitenberg, a senior research associate at the Center for International and Security Studies at the University of Maryland (CISSM).
He said the claims were meant to « muddy up the minds of Russian citizens » who did not know they were false and had no access to alternative information.
La pièce de Sartre Nekrassov fut jouée au théâtre Antoine à partir de juin 1955, mais est un échec auprès des critiques comme des spectateurs. Elle mérite toutefois d’être (re)lue aujourd’hui : parce que, si elle reflète un certain contexte historique, elle illustre aussi l’un des rôles d’un « idiot utile » et a recours à des procédés de propagande, dont certains sont de nouveau en vigueur aujourd’hui.
Le contexte de rédaction
Cette pièce a été rédigée après le premier voyage de Sartre en URSS au printemps 1954. Invité par les Soviétiques et parti sans Simone de Beauvoir, le philosophe a multiplié les déplacements, les visites et les rencontres organisés par ses hôtes, et, quand il est rentré en France, épuisé, il a accordé une longue interview à Libération pour chanter les louanges de l’URSS. Il y assurait, par exemple, que le « contact » avec les Soviétiques était « aussi large, aussi ouvert et aussi facile que possible », et que, « vers 1960, […] si la France continu[ait] à stagner, le niveau de vie moyen en URSS ser[ait] de 30 à 40 % supérieur au nôtre ». Il fallait donc « fortifier et […] créer des relations amicales avec l’URSS ». Avec cette recommandation, le but des hôtes soviétiques de Sartre était atteint. Avec Nekrassov, plus encore.
La pièce est jouée huit ans après le procès Kravtchenko qu’elle évoque explicitement. On s’en souvient, Kravtchenko, haut fonctionnaire soviétique envoyé aux États-Unis en 1943 dans une commission d’achat, a décidé d’y rester et écrit un livre, J’ai choisi la liberté, dans lequel il racontait ce qu’il avait vu en URSS : la collectivisation, les famines, les purges, les camps, la terreur, la surveillance généralisée. Ce livre a été un succès mondial et a entraîné un procès qui s’est tenu à Paris en 1949 et dans lequel Kravtchenko affrontait le journal communiste Les Lettres françaises et ses partisans. Simone de Beauvoir a assisté avec Sartre à une audience et, si elle parle en termes peu amènes de Kravtchenko et de ses témoins, elle admet dans ses Mémoires qu’« une réalité ressortait de leurs dépositions : l’existence des camps de travail » en URSS.
Dès 1949, la question n’était donc plus de savoir s’il existait des camps et des répressions en URSS, mais si ces camps et ces répressions justifiaient de ne pas soutenir l’URSS et l’espoir révolutionnaire que celle-ci était censée incarner. Pour Sartre, non, cela ne le justifiait pas, comme en témoignent ses interviews de 1954 et sa pièce de 1955.
Nekrassov : une pièce contre la « propagande anticommuniste »
L’intrigue de Nekrassov est basée sur un quiproquo volontairement créé. Un escroc recherché par la police, Georges de Valera, se cache chez la fille du journaliste Sibilot, qui travaille pour Soir à Paris. Jules Palotin dirige ce journal et semble inspiré par Pierre Lazareff, le directeur de France-Soir, qui a lui aussi visité l’URSS au printemps 1954 avec son épouse russophone et qui, dans une polémique publique, a reproché à Sartre d’idéaliser ce pays. Palotin a chargé Sibilot de lutter contre « la propagande communiste », et ce dernier, qui reconnaît être « un professionnel de l’anticommunisme », se plaint de ses conditions matérielles : l’argent est sa motivation première. De même, Palotin veut avant tout que son journal se vende. Or Mouton, directeur du conseil d’administration, lui ordonne de renforcer les attaques contre les communistes avant des élections locales :
« Je me rappelle votre belle enquête : « La Guerre, demain ! » On transpirait d’angoisse. Et vos montages photographiques : Staline entrant à cheval dans Notre-Dame en flammes ! De purs chefs-d’œuvre. Mais voici plus d’un an que je note un relâchement suspect, des oublis criminels. Vous parliez de famine en URSS et vous n’en parlez plus. Pourquoi ? Prétendez-vous que les Russes mangent à leur faim ? »
Le danger de guerre, les famines et le niveau de vie soviétique, très bas, ne seraient donc que des thématiques caricaturales, destinées à effrayer, à faire vendre le journal et à influer sur la politique intérieure française. Dès lors, selon Sartre, les articles sur ces sujets devraient susciter l’ironie de ceux qui, comme lui, ne seraient pas dupes.
Mouton exige que Palotin lance une campagne contre l’URSS, mais aussi en soutien à la « suprématie américaine » et au réarmement de la RFA, qui fait alors débat et contre lequel l’URSS s’élève. Cherchant désespérément une idée, Sibilot présente Valera comme « un fonctionnaire soviétique qui a franchi le Rideau de fer », ce qui n’intéresse guère Palotin, et la référence à Kravtchenko est explicite :
« Depuis Kravtchenko, sais-tu combien j’en ai vu défiler, moi, de fonctionnaires soviétiques ayant choisi la liberté ? Cent vingt-deux, mon ami, vrais ou faux. Nous avons reçu des chauffeurs d’ambassade, des bonnes d’enfants, un plombier, dix-sept coiffeurs et j’ai pris l’habitude de les refiler à mon confrère Robinet du Figaro, qui ne dédaigne pas la petite information. Résultat : baisse générale sur le Kravtchenko. […] Ah ! monsieur a choisi la liberté ! Eh bien ! fais-lui donner une soupe et envoie-le, de ma part, à l’Armée du salut. »
Le destin de Kravtchenko serait donc drôle ? Il devrait faire rire ? Des dizaines de Kravtchenko n’ont pourtant pas envahi Paris… L’escroc Valera reprend les choses en main et suggère qu’il est Nekrassov, un ministre soviétique qui a disparu et dont on affirme, sans preuve, qu’il a « choisi la liberté » — une autre allusion à Kravtchenko. Cette fois, Palotin est ravi, même s’il ne croit pas vraiment à cette histoire. Les conditions de Valera sont aussitôt acceptées : « Un appartement au George-V, deux gardes du corps, des habits décents et de l’argent de poche. » Là encore, les motivations seraient avant tout matérielles et l’argent coulerait à flots pour diffamer l’URSS.
Certes, Sartre concède qu’il puisse y avoir des Soviétiques ayant réellement fui en Occident : c’est le cas, dans la pièce, de Demidoff, « un vrai Kravchenko, celui-là, authentifié par l’agence Tass ». Mais Demidoff est ridiculisé et, séduit par les promesses de Valera, accepte de proclamer que celui-ci est bien Nekrassov, tout en sachant que ce n’est pas vrai. D’ailleurs, presque tout le monde sait que Valera n’est pas Nekrassov, mais chacun a intérêt à se taire, parce que cette histoire fait exploser les ventes de Soir à Paris et les actions des fabriques d’armement, et que le gouvernement apprécie cette flambée d’antisoviétisme.
La fille de Sibilot est le seul personnage réellement honnête et généreux de la pièce, et elle est communiste ou proche de communistes. Or elle reproche à Valera de « désespérer les pauvres » en critiquant l’URSS et, resté seul, l’escroc lance trois fois : « Désespérons Billancourt ! » Une expression est née, qui ne figure pas telle quelle dans la pièce : il ne faudrait pas « désespérer Billancourt » en disant la vérité sur l’URSS et le communisme. Sartre se retrouve ainsi, paradoxalement, dans la situation de ceux qui couvrent les mensonges de Valera au nom de leurs intérêts : lui couvre les mensonges soviétiques, car la fin révolutionnaire justifierait les moyens. Et parce qu’il est assez crédule.
Un « idiot utile », publié et joué en URSS
Sartre le concèdera en 1978 : « Je décidai qu’en cette occurrence, l’URSS fût innocente et que le scandale vînt essentiellement de la presse française. » Ce qui n’est pas sans annoncer d’autres tentatives ultérieures pour dénoncer « les médias de la bien-pensance » et pour « réinformer », mais aussi pour justifier la Russie, envers et contre tout. Un intellectuel peut-il « décider » qu’un pays dont il a découvert les camps et les répressions est « innocent » ? Peut-il traiter avec un ton aussi léger et moqueur de problèmes, politiques et humains, aussi graves que la défection de hauts fonctionnaires et leurs révélations sur les crimes commis par les dirigeants soviétiques contre leurs populations ?
Ces procédés discréditeront Sartre auprès de contestataires d’Europe centrale et orientale : le philosophe agit là en « idiot utile » du Kremlin. Cela porte ses fruits : la pièce traduite est publiée en URSS dès août 1955 sous le titre Rien que la vérité ; elle a toutefois été raccourcie d’un quart, de nouvelles répliques ont été ajoutées, et des noms supprimés, à commencer par celui de Kravtchenko1. La première de cette pièce, encore remaniée par son metteur en scène, a lieu à Moscou le 11 mars 1956. Grâce à ces parutions et ces mises en scène, Sartre percevra de l’argent en URSS, qu’il ne pourra dépenser qu’en URSS, ce qui l’incitera à y revenir. Un processus a été enclenché.
Retour à l’affaire Kravtchenko
Quant à l’affaire Kravtchenko, au cœur de Nekrassov, deux points méritent d’être rappelés. Un article publié par Les Lettres françaises en novembre 1947 et diffamant le transfuge est à l’origine du procès ; il était signé par un certain Sim Thomas et « traduit par Jean Dumoulin ». Sauf que Sim Thomas n’a jamais existé. L’article avait été apporté à la rédaction par André Ulmann, admettra Claude Morgan, alors directeur de la publication, et, d’après l’avocat communiste Joë Nordmann, il aurait été écrit par Ulmann lui-même. Ce dernier avait été recruté en 1946 par les services de renseignements soviétiques, et il dirigeait un hebdomadaire d’informations internationales, La Tribune des nations, que finançait le KGB et qui devait influencer des décideurs occidentaux. Aujourd’hui, ce serait un site internet. Joë Nordmann reconnaîtra aussi, mais en 1996, que, pendant le procès, lui et d’autres défenseurs des Lettres françaises avaient « fréquemment des réunions tardives avec un membre de l’ambassade soviétique, pour recevoir des documents et en discuter ». Sans compter que l’URSS avait envoyé des « témoins » qui, chargés d’attaquer Kravtchenko, « venaient le plus souvent chaperonnés par un représentant de leur ambassade ».
L’URSS avait commandité des attaques contre Kravtchenko, et la pièce apparemment si légère de Sartre était aussi une tentative pour donner un second souffle à ces attaques. Consciemment ou pas, l’intellectuel n° 1 d’Occident était utile à ses nouveaux amis : il ridiculisait les opposants à l’URSS, réduisait toute critique de l’URSS à des motivations matérielles et mettait en doute les crimes, les oppressions et les difficultés matérielles dont le pouvoir soviétique était directement responsable.
Jacques Lecarme, « Notice de Nekrassov », in Jean-Paul Sartre, Théâtre complet, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2005, p. 1481. ↩
Paris c’est une ville-monde. Maîtriser l’anglais à la fin du collège, c’est indispensable dans sa vie professionnelle, pour voyager, pour être pleinement intégré dans le monde. Benjamin Griveaux (candidat LREM à la mairie de Paris, 2019)
J’ai souhaité entamer cette rentrée politique par l’éducation car c’est la pierre angulaire qui permet à l’enfant de construire sa vie. C’est la clé de l’émancipation et de la liberté. J’ai demandé à Carole Diamant de présider un Conseil de l’éducation composé de spécialistes, de Parisiens et de jeunes qui pourront nous éclairer sur les choix à faire. J’ai un projet qui me tient particulièrement à cœur : permettre aux enfants de devenir parfaitement bilingues en anglais à la fin du collège. (…) Tous les linguistes disent que l’apprentissage doit se faire avant 11 ans, notamment pour l’oral. Notre idée est de proposer une immersion dans les crèches et dans les écoles sur le temps périscolaire en s’appuyant sur des ressortissants étrangers ou des professeurs d’anglais. Pour que le bilinguisme ne soit réservé pas aux plus prestigieuses institutions parisiennes. (…) L’amélioration de la qualité de l’air à Paris passe par des mobilités plus propres évidemment. Mais on peut agir demain très concrètement dans les salles de classe où nos enfants passent cinq à six heures par jour. Changer les systèmes de ventilation, les fameuses VMC, dans les 8 000 salles de classe parisiennes représentera 10 M€ par an pendant six ans. Pour une ville qui investit 1,5 milliard par an, consacrer 10 millions à la santé des élèves parisiens cela semble raisonnable et possible et je m’étonne que cela n’ait pas encore été fait. Enfin, je propose qu’il y ait trois examens respiratoires : l’un à l’entrée en maternelle à 3 ans, l’autre à l’entrée en CP à 6 ans et le dernier à l’entrée en collège à 11 ans. (…) Il y a ceux qui promettent la révolution et qui ne tiennent pas leurs promesses. Moi je préfère le petit matin au grand soir. C’est en additionnant les petits pas qu’on y arrivera. (…) Les enfants en situation de handicap ne doivent plus être à part mais intégrés au sein de la communauté éducative comme au Canada ou en Belgique. Il faut commencer par rendre accessibles les écoles et les stations de métro les desservant. Benjamin Griveaux
Les jeunes enfants apprennent très vite et très bien les langues étrangères. Benjamin Griveaux m’a chargée de piloter ce Conseil de l’éducation composé d’une dizaine de spécialistes et de gens de bonne volonté qui seront chargés de faire émerger des propositions, la première concernant l’apprentissage de l’anglais. Ce conseil réfléchira aussi à la façon de sensibiliser les enfants dès le plus jeune âge aux questions d’environnement, aux dépenses énergétiques ou au recyclage des déchets et du papier qui sont les enjeux de demain. Carole Diamant
65 % des jeunes de dix-sept à vingt-trois ans dont les parents sont CSP+ sont déjà allés plusieurs fois en vacances ou en voyage à l’étranger contre 46 % des jeunes issus des classes moyennes et seulement 38 % de ceux dont les parents sont employés ou ouvriers. Ce clivage social se double d’une fracture territoriale. La proportion de jeunes ayant eu l’occasion de partir plusieurs fois à l’étranger décline linéairement avec le gradient d’urbanité : 58 % dans l’agglomération parisienne, 48 % dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants, 43 % dans celles de 20 000 à 100 000 habitants, 39 % dans celles de moins de 20 000 habitants et seulement 30 % au sein des communes rurales. L’habitus international ne s’acquiert pas qu’au travers de voyages et de séjours à l’étranger mais aussi, bien entendu, grâce à la maîtrise de la langue internationale reine : l’anglais. Forts de ce constat, 34 % des jeunes ayant des parents CSP+ ont bénéficié à un moment ou à un autre de leur scolarité de cours de langues extra-scolaires payés par leurs parents contre 21 % des enfants de la classe moyenne et 23 % des enfants issus des milieux populaires. En la matière, le clivage géographique entre Franciliens et provinciaux est encore plus marqué que le critère social, comme si le fait d’habiter dans une métropole pleinement mondialisée rendait encore plus évidente la nécessaire maîtrise des langues étrangères. Seulement 23 % des jeunes provinciaux ont ainsi eu droit à des cours de langues étrangères payés par leurs parents contre 42 % des Franciliens. Cet écart quasiment du simple au double met en évidence une nouvelle inégalité en train de fausser très profondément la compétition scolaire. La sélection sur les mathématiques, jusqu’alors pratiquée, était censitairement beaucoup moins violente qu’une sélection sur la maîtrise de l’anglais et d’autres langues étrangères, capacité bien plus liée aux origines sociales et au capital culturel hérité que le niveau en mathématiques. Ces chiffres montrent, par ailleurs, que l’acquisition d’une langue étrangère est devenue un enjeu majeur pour toute une partie de la population de la métropole parisienne. Cette demande sociétale d’un nouveau genre n’a pas échappé à Benjamin Griveaux, candidat LREM à la mairie de Paris, qui a intégré en bonne place dans son programme de campagne l’objectif que tous les adolescents parisiens soient bilingues anglais à la sortie du collège. (…) À notre connaissance, c’est la première fois que dans une campagne municipale la maîtrise de l’anglais est affichée comme un objectif politique. Il n’est pas anodin que ce soit un représentant de LREM qui se soit emparé de ce sujet car l’électorat macronien comprend, notamment à Paris, une très forte population de cadres et de diplômés du supérieur, catégories très ouvertes sur l’international. Ces électeurs macroniens correspondent en tout point aux « people from anywhere » (ceux de partout) que l’essayiste David Goodhart oppose dans son analyse brillante sur la société britannique aux « people from somewhere » (ceux de quelque part). David Goodhart insiste à juste titre sur l’ampleur de la fracture séparant ces deux populations tant en termes de niveau éducatif, de rapport à l’immigration et à la globalisation, de goûts culturels, d’attitude face au changement ou de degré d’attachement au cadre national. Si tout les oppose donc, ces deux groupes ont néanmoins quelque chose en commun : l’anglais, qui est à la fois leur langue maternelle mais également la langue internationale par excellence.De ce point de vue, et au regard des chiffres évoqués précédemment, le clivage entre « Somewhere » et « Anywhere » pourrait bien à terme, en France, se creuser davantage qu’en Grande-Bretagne ou aux États-Unis. Du fait de la tertiairisation des économies occidentales, les secteurs de la logistique (en lien avec l’import/export) et du tourisme fournissent de nombreux emplois peu qualifiés mais nécessitant souvent un minimum de maîtrise de l’anglais. En Grande-Bretagne ou aux États-Unis, ces jobs peuvent être occupés par les « people from somewhere » locaux. En France, c’est moins évident. De la même manière, un jeune Britannique ayant grandi dans une famille ouvrière du Yorkshire ou des Midlands aura moins de difficultés culturelles et linguistiques à s’expatrier pour trouver un emploi dans l’anglosphère (États-Unis, Canada, Australie…) qu’un fils d’ouvrier de Lens ou d’Alès. Les enfants des « Somewhere » français n’ont, en effet, contrairement à leurs homologues britanniques et américains, pas hérités de la maîtrise de l’anglais à la naissance. Ce capital, les enfants des « Anywhere » tricolores sont en train de l’acquérir à marche forcée pour ressembler à leurs alter ego d’outre-Manche et d’outre-Atlantique avec qui ils ont vocation à être en compétition dans un marché du travail des cadres supérieurs qui s’internationalise de plus en plus. Jérome Fourquet
TRAVAILLE TON ANGLAIS ! (La sélection sur les mathématiques, jusqu’alors pratiquée, était censitairement beaucoup moins violente qu’une sélection sur la maîtrise de l’anglais et d’autres langues étrangères, capacité bien plus liée aux origines sociales et au capital culturel hérité)
Directeur du département Opinion et Stratégies d’entreprise de l’Ifop.
Dernier ouvrage paru : L’Archipel français, Paris, Seuil, 2019.
Le front de la compétition scolaire la plus aiguë s’est déployé sur un nouveau terrain ces dernières années. Dans un contexte de globalisation et de concurrence accrue entre des diplômés de plus en plus nombreux, maîtriser l’anglais devient un atout décisif. Dotés d’une vision stratégique particulièrement aiguisée des champs scolaire et professionnel, les cadres, les professions intellectuelles et les habitants de l’agglomération francilienne investissent massivement pour que leurs enfants acquièrent ce précieux capital linguistique. Moins au fait de l’« upgradation » – pour reprendre un terme en vogue dans ces milieux très prompts à adopter des anglicismes – des règles de cette compétition acharnée, les autres milieux sociaux et les provinciaux ne déploient manifestement pas les mêmes efforts et les écarts se creusent très nettement.Ainsi, 65 % des jeunes de dix-sept à vingt-trois ans dont les parents sont CSP+ sont déjà allés plusieurs fois en vacances ou en voyage à l’étranger contre 46 % des jeunes issus des classes moyennes et seulement 38 % de ceux dont les parents sont employés ou ouvriers.
Ce clivage social se double d’une fracture territoriale. La proportion de jeunes ayant eu l’occasion de partir plusieurs fois à l’étranger décline linéairement avec le gradient d’urbanité : 58 % dans l’agglomération parisienne, 48 % dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants, 43 % dans celles de 20 000 à 100 000 habitants, 39 % dans celles de moins de 20 000 habitants et seulement 30 % au sein des communes rurales. L’habitus international ne s’acquiert pas qu’au travers de voyages et de séjours à l’étranger mais aussi, bien entendu, grâce à la maîtrise de la langue internationale reine : l’anglais. Forts de ce constat, 34 % des jeunes ayant des parents CSP+ ont bénéficié à un moment ou à un autre de leur scolarité de cours de langues extra-scolaires payés par leurs parents contre 21 % des enfants de la classe moyenne et 23 % des enfants issus des milieux populaires. En la matière, le clivage géographique entre Franciliens et provinciaux est encore plus marqué que le critère social, comme si le fait d’habiter dans une métropole pleinement mondialisée rendait encore plus évidente la nécessaire maîtrise des langues étrangères. Seulement 23 % des jeunes provinciaux ont ainsi eu droit à des cours de langues étrangères payés par leurs parents contre 42 % des Franciliens. Cet écart quasiment du simple au double met en évidence une nouvelle inégalité en train de fausser très profondément la compétition scolaire. La sélection sur les mathématiques, jusqu’alors pratiquée, était censitairement beaucoup moins violente qu’une sélection sur la maîtrise de l’anglais et d’autres langues étrangères, capacité bien plus liée aux origines sociales et au capital culturel hérité que le niveau en mathématiques.
L’APPRENTISSAGE DE L’ANGLAIS AU PROGRAMME DES MUNICIPALES
Ces chiffres montrent, par ailleurs, que l’acquisition d’une langue étrangère est devenue un enjeu majeur pour toute une partie de la population de la métropole parisienne. Cette demande sociétale d’un nouveau genre n’a pas échappé à Benjamin Griveaux, candidat LREM à la mairie de Paris, qui a intégré en bonne place dans son programme de campagne l’objectif que tous les adolescents parisiens soient bilingues anglais à la sortie du collège : « Paris c’est une ville-monde. Maîtriser l’anglais à la fin du collège, c’est indispensable dans sa vie professionnelle, pour voyager, pour être pleinement intégré dans le monde1. »À notre connaissance, c’est la première fois que dans une campagne municipale la maîtrise de l’anglais est affichée comme un objectif poli-tique. Il n’est pas anodin que ce soit un représentant de LREM qui se soit emparé de ce sujet car l’électorat macronien comprend, notam-ment à Paris, une très forte population de cadres et de diplômés du supérieur, catégories très ouvertes sur l’international. Ces élec-teurs macroniens correspondent en tout point aux « people from anywhere » (ceux de partout) que l’essayiste David Goodhart oppose dans son analyse brillante2 sur la société britannique aux « people from somewhere » (ceux de quelque part). David Goodhart insiste à juste titre sur l’ampleur de la fracture séparant ces deux populations tant en termes de niveau éducatif, de rapport à l’immigration et à la globalisation, de goûts culturels, d’attitude face au changement ou de degré d’attachement au cadre national3. Si tout les oppose donc, ces deux groupes ont néanmoins quelque chose en commun : l’anglais, qui est à la fois leur langue maternelle mais également la langue inter-nationale par excellence.De ce point de vue, et au regard des chiffres évoqués précédem-ment, le clivage entre « Somewhere » et « Anywhere » pourrait bien à terme, en France, se creuser davantage qu’en Grande-Bretagne ou aux États-Unis. Du fait de la tertiairisation des économies occidentales, les secteurs de la logistique (en lien avec l’import/export) et du tourisme fournissent de nombreux emplois peu qualifiés mais nécessitant souvent un minimum de maîtrise de l’anglais. En Grande-Bretagne ou aux États-Unis, ces jobs peuvent être occupés par les « people from somewhere » locaux. En France, c’est moins évident. De la même manière, un jeune Britannique ayant grandi dans une famille ouvrière du Yorkshire ou des Midlands aura moins de difficultés culturelles et linguistiques à s’expatrier pour trouver un emploi dans l’anglosphère (États-Unis, Canada, Australie…) qu’un fils d’ouvrier de Lens ou d’Alès. Les enfants des « Somewhere » français n’ont, en effet, contrairement à leurs homologues britanniques et américains, pas hérités de la maîtrise de l’anglais à la naissance. Ce capital, les enfants des « Anywhere » tricolores sont en train de l’acquérir à marche forcée pour ressembler à leurs alter ego d’outre-Manche et d’outre-Atlantique avec qui ils ont vocation à être en compétition dans un marché du travail des cadres supérieurs qui s’internationalise de plus en plus.
UN NOUVEAU CLIVAGE LINGUISTIQUE
Cette marginalisation linguistique vient renforcer un clivage mis en lumière dans un livre d’Erkki Maillard et de Salomé Berlioux publié en 2019, Les Invisibles de la République1. S’inscrivant dans la continuité des travaux pionniers de Christophe Guilluy2, les auteurs se penchent dans ce livre qui a rencontré un large écho sur un angle mort des politiques publiques et du débat national : le sort de la jeunesse de la France périphérique. Si les « millennials » d’un côté et la jeunesse des banlieues de l’autre bénéficient d’un fort intérêt médiatique, la jeunesse qui grandit dans les campagnes ou les villes petites et moyennes souffrait d’invi-sibilité. En s’appuyant sur leur expérience du terrain, Erkki Maillard et Salomé Berlioux ont notamment mis en lumière le déficit d’accès à l’information en matière d’orientation scolaire et universitaire, la plus faible présence de figures inspirantes (membres de la famille, de l’entourage) dans ces territoires qu’en milieu urbain ou bien encore les difficultés matérielles et financières à envisager la poursuite d’études supérieures dans une région autre que la sienne. Tous ces handicaps contextuels, matériels, culturels et financiers se combinent et aboutissent à nourrir des freins psychologiques plus prégnants parmi les jeunes de cette France périphérique. De manière consciente ou non, ces derniers sont ainsi nombreux à développer une forme d’autocensure. Alors qu’ils ne sont qu’à l’orée de leur vie d’adulte, le champ des possibles, tel qu’ils l’envisagent, apparaît plus borné et restreint que pour les jeunes qui ont grandi dans les grandes villes. L’enquête réalisée par l’Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès et l’association Chemins d’avenir1 a permis d’objectiver, chiffres à l’appui, le diagnostic posé par Salomé Berlioux et Erkki Maillard. Si 68 % des jeunes vivant dans l’agglomération parisienne ont le sentiment d’avoir eu ou d’avoir toutes les informations nécessaires pour bien s’orienter, ils ne sont que 58 % dans ce cas parmi les jeunes ruraux et des villes de moins de 20 000 habitants. De la même manière, seuls 28 % des jeunes ruraux déclarent disposer dans leur entourage d’un ou de modèles qui les ont inspirés dans leur choix de formation ou de carrière. Cette proportion s’établit à 42 % parmi les jeunes résidant dans le centre d’une grande agglomération. Ayant grandi dans des écosystèmes différents n’offrant pas le même degré d’ouverture culturelle et d’opportunités d’orientation, ces jeunesses de France ne s’autorisent pas les mêmes projets d’orientation. Ainsi, seul un jeune sur deux de la France rurale et des petites villes définit son choix d’études supérieures comme ambitieux contre 60 % de ceux qui vivent dans des agglomérations de plus de 20 000 habitants et 67 % des jeunes Franciliens. On mesure dans ces 17 points d’écart entre les réponses de la France périphérique et celle de la jeunesse francilienne le poids d’une autocensure condensant des handicaps culturels, un déficit d’information et une moindre exposition à diverses opportunités.
Erkki Maillard et Salomé Berlioux ont un double mérite, celui d’avoir mis en lumière ces inégalités de destin et celui de se mobiliser sur le terrain pour réduire ce déterminisme sociogéographique. Mais alors qu’ils ont contribué à un début de prise de conscience collective tardive et salutaire, on constate que la compétition scolaire prend des formes renouvelées, plus détournées, dont la maîtrise précoce de l’anglais est un parfait symptôme.
Voir aussi:
MY TAILOR IS RICH ! (Quand la start up nation prépare à la ville monde ses futurs expatriés)
Le candidat LREM à la mairie de Paris a mis en place un Conseil de l’éducation qui sera présidé par Carole Diamant, professeure de philosophie en zone sensible et déléguée générale de la Fondation égalité des chances.
Paris XVe, ce mercredi. Benjamin Griveaux, candidat LREM à la mairie de Paris, et Carole Diamant, professeure de philosophie, dévoilent leurs propositions pour l’éducation des petits Parisiens.
Christine Henry
Le Parisien
28 août 2019
A l’approche de la rentrée scolaire, Benjamin Griveaux, candidat LREM à la mairie de Paris, présente ses propositions en matière d’éducation. Au programme : l’apprentissage de l’anglais dès le plus jeune âge, la lutte contre la pollution dans les écoles ou bien encore la place des élèves en situation de handicap… Et la création d’un Conseil de l’éducation qui sera présidé par Carole Diamant, enseignante en philosophie et fervente partisane de l’égalité des chances.
Le Parisien : Comment abordez-vous cette rentrée ?
Benjamin Griveaux : J’ai souhaité entamer cette rentrée politique par l’éducation car c’est la pierre angulaire qui permet à l’enfant de construire sa vie. C’est la clé de l’émancipation et de la liberté. J’ai demandé à Carole Diamant de présider un Conseil de l’éducation composé de spécialistes, de Parisiens et de jeunes qui pourront nous éclairer sur les choix à faire. J’ai un projet qui me tient particulièrement à cœur : permettre aux enfants de devenir parfaitement bilingues en Anglais à la fin du collège.
Comment comptez-vous vous y prendre ?
Tous les linguistes disent que l’apprentissage doit se faire avant 11 ans, notamment pour l’oral. Notre idée est de proposer une immersion dans les crèches et dans les écoles sur le temps périscolaire en s’appuyant sur des ressortissants étrangers ou des professeurs d’anglais. Pour que le bilinguisme ne soit réservé pas aux plus prestigieuses institutions parisiennes.
Cet objectif est-il réaliste ?
Carole Diamant : Les jeunes enfants apprennent très vite et très bien les langues étrangères. Benjamin Griveaux m’a chargée de piloter ce Conseil de l’éducation composé d’une dizaine de spécialistes et de gens de bonne volonté qui seront chargés de faire émerger des propositions, la première concernant l’apprentissage de l’anglais. Ce conseil réfléchira aussi à la façon de sensibiliser les enfants dès le plus jeune âge aux questions d’environnement, aux dépenses énergétiques ou au recyclage des déchets et du papier qui sont les enjeux de demain.
Il y a eu un pic de pollution ces derniers jours. Que préconisez-vous pour maintenir les enfants en bonne santé ?
Benjamin Griveaux : L’amélioration de la qualité de l’air à Paris passe par des mobilités plus propres évidemment. Mais on peut agir demain très concrètement dans les salles de classe où nos enfants passent cinq à six heures par jour. Changer les systèmes de ventilation, les fameuses VMC, dans les 8 000 salles de classe parisiennes représentera 10 M€ par an pendant six ans. Pour une ville qui investit 1,5 milliard par an, consacrer 10 millions à la santé des élèves parisiens cela semble raisonnable et possible et je m’étonne que cela n’ait pas encore été fait. Enfin, je propose qu’il y ait trois examens respiratoires : l’un à l’entrée en maternelle à 3 ans, l’autre à l’entrée en CP à 6 ans et le dernier à l’entrée en collège à 11 ans.
Ces propositions ont été raillées par les écologistes… Sont-elles suffisantes ?
Il y a ceux qui promettent la révolution et qui ne tiennent pas leurs promesses. Moi je préfère le petit matin au grand soir. C’est en additionnant les petits pas qu’on y arrivera.
Une classe pour les enfants autistes va ouvrir dans une école maternelle du IXe à la rentrée. Que proposez-vous pour les handicapés ?
Les enfants en situation de handicap ne doivent plus être à part mais intégrés au sein de la communauté éducative comme au Canada ou en Belgique. Il faut commencer par rendre accessibles les écoles et les stations de métro les desservant.
Benjamin Griveaux : «Je souhaite que les enfants soient bilingues en anglais à la sortie du collège» Le candidat LREM à la mairie de Paris a mis en place un Conseil de l’éducation qui sera …
Les groupes n’aiment guère ceux qui vendent la mèche, surtout peut-être lorsque la transgression ou la trahison peut se réclamer de leurs valeurs les plus hautes. (…) L’apprenti sorcier qui prend le risque de s’intéresser à la sorcellerie indigène et à ses fétiches, au lieu d’aller chercher sous de lointains tropiques les charmes rassurants d’une magie exotique, doit s’attendre à voir se retourner contre lui la violence qu’il a déchaînée. Pierre Bourdieu
C’est une chose que Weber dit en passant dans son livre sur le judaïsme antique : on n’oublie toujours que le prophète sort du rang des prêtres ; le Grand Hérésiarque est un prophète qui va dire dans la rue ce qui se dit normalement dans l’univers des docteurs. Pierre Bourdieu
L’essentiel est d’être bon aux gens avec qui l’on vit. (…) Défiez-vous de ces cosmopolites qui vont chercher au loin dans leurs livres des devoirs qu’ils dédaignent de remplir autour d’eux. Tel philosophe aime les Tartares, pour être dispensé d’aimer ses voisins. Jean-Jacques Rousseau (L’Emile, 1762)
Le démocrate, comme le savant, manque le singulier: l’individu n’est pour lui qu’une somme de traits universels. Il s’ensuit que sa défense du Juif sauve le juif en tant qu’homme et l’anéantit en tant que Juif…. ‘Il n’y a pas de Juif, dit-il, il n’y a pas de question juive.’ Cela signifie qu’il souhaite séparer le Juif de sa religion, de sa famille, de sa communauté ethnique, pour l’enfourner dans le creuset démocratique, d’où il ressortira seul et nu, particule individuelle et solitaire, semblable à toutes les autres particules. C’est ce qu’on nommait, aux Etats-Unis, la politique d’assimilation. Jean-Paul Sartre (Réflexion sur la question juive, 1946)
Les socialistes entendent reconnaître aux immigrés le droit à leur identité culturelle. La transmission de la connaissance et de la culture nationale à leurs enfants sera favorisée par tous les moyens. Car il n’est pas question de rompre avec leur pays d’origine. (…) Il faut préparer les nations les plus riches, dont la France, à envisager leur avenir en termes communautaires. Projet socialiste (années 80)
L’expression [d’assimilation] est regrettable, puisqu’elle semble impliquer que les étrangers perdent leurs caractéristiques d’origine pour devenir seulement des Français. Marceau Long (Haut-Conseil à l’intégration, 1988)
Le mot assimilation semble signifier une réduction à l’identique (…). Finalement le mot le moins mal approprié est celui d’ ‘intégration’, car il accepte les différences mais dans le cadre républicain. Jean-Pierre Chevènement
Il ne s’agira jamais d’interdire aux étrangers d’être eux-mêmes, mais de les aider à être eux-mêmes dans notre société. Rapport Tuoten (2013)
C’est le combat de notre époque. Les forces de la liberté, de l’ouverture d’esprit et de la collaboration internationale contre les forces de l’autoritarisme, de l’isolationnisme et du nationalisme. Les forces du flux d’information, de l’échange et de l’immigration contre ceux qui leur font obstacle. Mark Zuckerberg
La Silicon Valley avait beaucoup d’intérêts en jeu dans cette présidentielle, notamment du fait de sa très forte dépendance vis-à-vis des travailleurs immigrants et par rapport au travail déporté dans des pays à faibles salaires. Cette seule situation est intolérable pour la « middle class » américaine, très touchée par le chômage, surtout les seniors, qui sont marginalisés et débarqués dans cette économie numérique basée sur un jeunisme brutal, qui exclut les plus âgés et qui se répand rapidement. Avec près de cinquante ans de stagnation de leurs revenus et de difficultés économiques, les prolétaires ruminaient en silence leur colère en espérant qu’Obama allait faire des miracles. Au final, ils se sentent les victimes du progrès numérique. Ils voulaient leur revanche de façon vraiment tranchée et à n’importe quel prix… Leur raisonnement : ces entreprises de la high-tech éliminent des emplois, en créent en dehors, génèrent d’énormes richesses, dont une très grosse partie hors des Etats-Unis, ne paient pas d’impôts sur ces richesses, qui ne profitent donc pas à la « middle class ». On estime à 58 % la part du chiffre d’affaires de la Silicon Valley en dehors des Etats-Unis, l’an dernier. La « Valley » ne se gêne pas pour faire un lobbying substantiel auprès des politiciens de Washington afin de servir ses intérêts. Et elle est donneuse de leçons. « Changer le monde » pour en faire un monde meilleur, mais pour qui ? Pour les centres de la high-tech et du showbiz de Californie, et c’est une bonne partie du 1 % de la population américaine le plus riche qui profite des progrès. Les thèmes qui ont occupé la Silicon Valley n’ont pas résonné avec le prolétariat. (…) la précarisation des emplois par les nouvelles plates-formes numériques, comme Uber, a provoqué des débats amers. L’avènement de l’intelligence artificielle a davantage crispé les esprits du fait de sa capacité à supprimer beaucoup d’emplois sans perspective d’en créer au moins autant de nouveaux. La high-tech de l’ère Obama n’a fait qu’inquiéter ou marginaliser le prolétariat américain. On voit qu’elle ne peut et ne pourra pas être « la » voie unique de salut pour les économies et les sociétés en difficulté. Georges Nahon
Cette naturalisation de l’immigration est le produit d’une idéologie dont je propose la généalogie. L’immigration est un phénomène social et politique qui dépend de la volonté des hommes: volonté d’émigrer, volonté d’accueillir les immigrés. Pour les sociétés européennes ce phénomène a toujours été l’exception et non la règle. L’idéologie migratoire renverse les choses, l’homme est présenté comme un animal migrant et non plus comme un animal social et politique, appartenant toujours déjà à une famille et une cité. Il s’agit ainsi de banaliser un phénomène, l’immigration, auquel il faudrait s’adapter comme on s’adapte à un phénomène naturel. Le propre de l’idéologie a toujours été de naturaliser ce qui est d’origine sociale et politique pour le rendre acceptable. (…) L’idéologie migratoire repose sur trois verrous qui viennent cadenasser son dispositif. Le premier est ce que j’appelle le verrou affectif de la honte. Hannah Arendt définissait l’idéologie comme la «logique d’une idée» et je pense qu’il faut compléter cette définition. L’idéologie repose aussi sur une «logique d’affects». En ce qui concerne l’idéologie migratoire, l’affect fondamental sur lequel elle repose est celui de la honte de la nation. On a déjà noté cette maladie de la repentance qui empêche les Européens de chercher à assimiler les étrangers. Mais on ne va pas assez loin dans sa généalogie. Dans le cas français, c’est à l’effondrement de 1940 qu’il faut remonter. L’idéologie migratoire va venir s’ancrer sur cet affect de honte de la nation consécutif à la défaite et à la collaboration, elle va l’alimenter et le renforcer, «verrouillant» ainsi la manière dont les Français se rapportent à leur nation. Seule la prise en compte de l’ancienneté et de la profondeur de cet ancrage affectif peut faire comprendre la difficulté de sortir aujourd’hui de l’idéologie migratoire. (…) Une vulgate se répand aujourd’hui pour attribuer aux penseurs de la «déconstruction» l’origine de l’idéologie migratoire. Il est vrai que la thématique de l’«hospitalité inconditionnelle», développée par Derrida dans plusieurs ouvrages, qui tend à sacraliser l’étranger et à absolutiser le devoir moral de l’accueil, inspire les militants actuels de l’idéologie migratoire. Mais Derrida, tout comme Foucault d’ailleurs, ont dit leur dette à Sartre en matière d’engagement politique. Celui-ci a eu une influence déterminante dans la réorientation «moralisatrice» et culpabilisatrice de la gauche intellectuelle française. Pour la question qui nous occupe, je montre que c’est dans Réflexions sur la question juive, publié en 1946, que vient se nouer le triple verrouillage sur lequel repose l’idéologie migratoire: la honte de la nation et de sa tradition assimilatrice, la promotion de l’ «identité» des victimes de l’assimilation, l’engagement politico-médiatique en faveur de leur «reconnaissance». Sartre est le fondateur de ce que j’appelle le «programme de la honte». À partir de la honte du sort fait aux juifs sous l’occupation, Sartre engage une critique de la démocratie assimilationniste. C’est en effet tout le programme assimilationniste porté par la révolution française que Sartre vient inverser. On se souvient de la phrase de Clermont Tonnerre: «Il faut tout refuser aux juifs comme nation, et accorder tout aux juifs comme individus». Cela signifie que la France reconnaît les juifs en tant que citoyens, ayant les mêmes droits et devoirs que les autres citoyens. La France reconnaît des Français juifs et non des Juifs français. Sartre vient faire peser le soupçon d’antisémitisme et de racisme sur ce programme assimilationniste qu’il voudrait inverser. Pour lui, la reconnaissance de l’«identité» doit primer sur l’appartenance citoyenne à la nation, c’est ce qu’il appelle le «libéralisme concret» dont je montre qu’il est en réalité une ébauche de programme multiculturel. Ce qui est «concret» pour Sartre, c’est l’identité définie par la religion, la race ou le sexe, ce qui est abstrait et aliénant, ce qui vient détruire et menacer cette identité concrète, c’est l’assimilation à la démocratie nationale. Selon Sartre, le démocrate «souhaite séparer le juif de sa religion, de sa famille, de sa communauté ethnique, pour l’enfourner dans le creuset démocratique, d’où il ressortira seul et nu, particule individuelle et solitaire, semblable à toutes les autres particules. C’est ce qu’on nommait aux États-Unis, la politique d’assimilation. Les lois sur l’immigration ont enregistré la faillite de cette politique et, en somme, celle du point de vue démocratique». Ce texte condense toute l’opération de l’idéologie migratoire: l’amalgame entre l’assimilation nationale et le sort abominable fait aux juifs. Bien avant qu’Erdogan ne s’empare de ce thème, comparant à Cologne, en 2008, l’assimilation à un crime contre l’humanité, Sartre compare celle-ci aux pires exactions commises contre les juifs. Le modèle de l’assimilation va être abandonné sous Mitterrand, cet abandon étant masqué par un nouveau concept, l’ « intégration », et un nouveau slogan : le « vivre-ensemble ». (…) La honte de l’assimilation cultivée par Sartre va cheminer au sein de la gauche et plus particulièrement du parti socialiste. Le modèle de l’assimilation, timidement poursuivi par Pompidou et Giscard, va être abandonné sous Mitterrand, cet abandon étant masqué par un nouveau concept, l’ «intégration», et un nouveau slogan: le «vivre-ensemble». Avant même l’invention de SOS Racisme par le parti socialiste, ce dernier s’était converti au droit à la différence et à une conception de plus en plus multiculturelle de la société. Dans le Projet socialiste pour la France des années 80 on pouvait déjà lire: «Les socialistes entendent reconnaître aux immigrés le droit à leur identité culturelle. La transmission de la connaissance et de la culture nationale à leurs enfants sera favorisée par tous les moyens. Car il n’est pas question de rompre avec leur pays d’origine. (…) Il faut préparer les nations les plus riches, dont la France, à envisager leur avenir en termes communautaires.». «Identité», le mot était donc lâché dès 1980. Alors que la politique d’assimilation mettait au second plan l’ «identité» des immigrés, la politique d’intégration faisait de celle-ci une richesse devant laquelle il fallait s’incliner. Le président du Haut-Conseil à l’intégration, Marceau Long, avait été bien choisi par Michel Rocard puisque il avait exprimé, dès son rapport de 1988: Être Français aujourd’hui et demain, sa défiance pour le terme d’assimilation, au nom de la nécessaire reconnaissance de l’identité de l’immigré: «L’expression est regrettable, puisqu’elle semble impliquer que les étrangers perdent leurs caractéristiques d’origine pour devenir seulement des Français.». On appréciera le «seulement des Français» qui montre à quel point le «travail de taupe» de la honte de la nation instauré par Sartre avait fait des dégâts dans les élites françaises. Même chez Chevènement, le plus assimilationniste des socialistes, on retrouve cette méfiance à l’égard de l’assimilation: «Le mot assimilation semble signifier une réduction à l’identique (…). Finalement le mot le moins mal approprié est celui d’ «intégration», car il accepte les différences mais dans le cadre républicain.». Certes, pour Chevènement, c’est la distinction entre la sphère privée et la sphère publique qui viendra limiter cette reconnaissance de la différence de l’étranger: celui-ci devra se monter semblable dans la sphère publique mais pourra cultiver sa différence dans la sphère privée. Mitterrand sera l’arbitre entre ces deux tendances chez les socialistes: la tendance intégrationniste chevènementiste et la tendance plus franchement inclusive et multiculturelle représentée par SOS Racisme. Son arbitrage penchera en faveur de SOS Racisme pour des raisons sans doute plus politiciennes qu’idéologiques: il prenait ainsi la droite en tenaille entre SOS Racisme et le FN. Lorsque les socialistes reviendront au pouvoir avec Hollande en 2012, le pôle multiculturel donna des signes de l’avoir emporté. La bienveillance à l’égard de la «différence» de l’étranger ayant fait un pas supplémentaire dans le projet de refonte de la politique d’intégration commandé par le premier ministre J.M Ayrault en 2013. Ce projet donna lieu au fameux rapport Tuot: La Grande Nation: pour une société inclusive, dans lequel on pouvait lire: «Il ne s’agira jamais d’interdire aux étrangers d’être eux-mêmes, mais de les aider à être eux-mêmes dans notre société.». Certes, le projet fut retiré devant les réactions, mais qu’il ait pu être commandé à ce niveau du pouvoir était le symptôme de la victoire de l’idéologie migratoire dans les rangs socialistes.L’assimilation seule peut produire cette « amitié politique » que nous aurions tant besoin de retrouver aujourd’hui. (…) À travers l’intégration nos «républicains» ont prôné un idéal louable: il s’agissait de demander à l’immigré de s’intégrer à la sphère de la citoyenneté et de la «République» tout en lui permettant de conserver son identité culturelle et sa différence dans la sphère privée. Les républicains cherchaient ainsi à se tenir à égale distance de l’assimilationnisme réputé «nationaliste» et de l’idéal inclusif réputé «multiculturel». On reprochait à l’assimilation de réduire l’autre au même et à l’inclusion de nier le même au profit de l’autre. La séparation entre la sphère privée et la sphère publique fut présentée comme le sésame de cette intégration réussie. L’État, parallèlement à sa neutralité religieuse, se devait d’être neutre en matière de mœurs. L’État ne demandait pas que l’étranger soit semblable par les mœurs mais qu’il soit semblable par la loi à laquelle il participe et à laquelle il obéit. Cette séparation entre le privé et le public, entre les mœurs et la loi, entre la morale et la politique, est le point aveugle de la conception «républicaine» de l’intégration. La politique entendue en un sens architectonique, en un sens grec, ne repose pas sur la séparation du privé et du public mais sur leur articulation. L’assimilation n’est pas une politique parmi d’autres. Elle est la politique même. À condition de la repenser comme je fais, dans les pas du grand sociologue Gabriel Tarde, comme «assimilation imitative», comme effort libre pour se rendre similaire. En ce sens, elle traverse la sphère des mœurs comme celle de la loi et s’impose tout autant au national qu’à l’étranger. Elle seule peut produire cette «amitié politique» que nous aurions tant besoin de retrouver aujourd’hui. Vincent Coussedière
Dans la mythologie grecque, Prométhée est le titan qui donne le feu aux hommes. Il incarne désormais la civilisation industrielle si décriée par l’écologie politique. Je tente de restituer son bilan en lui offrant un procès équitable. Il ne s’agit pas seulement de rappeler que la société industrielle nous a délivrés de la famine, de l’ignorance, de la maladie, des effets ravageurs des aléas naturels et de la pénibilité. Il convient aussi de liquider le mythe du paradis perdu qui prétend que notre environnement n’a jamais été aussi toxique qu’aujourd’hui. On doit cette fable aux penchants rousseauistes de l’idéologie écologiste : ils reprochent au progrès industriel de souiller notre monde. (…) Ce récit décliniste suggère que les sociétés prémodernes entretenaient avec leur environnement une relation plus harmonieuse. Mais cette nostalgie n’a aucun fondement. Les hommes des cavernes et les villes préindustrielles étaient exposés à des nuisances environnementales bien plus ravageuses que les citadins des métropoles modernes. La pollution et les catastrophes naturelles font plus de victimes dans les pays faiblement industrialisés que dans les nations développées. Enfin, les secondes sont mieux armées que les premières pour affronter le changement climatique. Il serait immoral et contreproductif de renoncer à l’expansion de l’industrialisme. On trahirait les peuples enfermés dans les fléaux écologiques prémodernes en éloignant l’humanité des solutions aux nouveaux défis. (…) La technologie provient toujours de ce que le philosophe Jacques Ellul appelait avec dédain la «passion de l’efficacité». Elle a pour objet d’augmenter notre puissance. La question est de savoir si cette quête de puissance est bienveillante ou non. L’écologie politique l’envisage avec pessimisme. Hans Jonas écrivait que la véritable menace que porte la technologie «ne réside pas tant dans ses moyens de destruction que dans son paisible usage quotidien». On accuse la technique d’augmenter les penchants destructeurs de l’homme. Les tragédies du XXe siècle et l’attention accordée aux nouveaux risques ont renforcé le prestige de cette lecture, quitte encore à sombrer dans la fable du bon sauvage. Pourtant, les travaux de Lawrence Keeley montrent que les guerres préhistoriques étaient plus fréquentes et meurtrières que les conflits modernes. Les Hutus n’ont guère eu besoin de la haute technologie pour décimer les Tutsis. Si l’on revient à l’environnement, les outils rudimentaires des chasseurs-cueilleurs ont suffi à conduire une partie de la mégafaune du Pléistocène à l’extinction tandis que leur mode de vie exigeait des infanticides et des géronticides réguliers. Bien sûr, il ne faut pas tomber dans l’excès inverse, qui voit dans le progrès technique la condition suffisante du progrès moral, en oubliant la variable culturelle. Mais en l’occurrence, et en dépit des nouveaux risques, le bilan sécuritaire de la modernité est positif, comme en témoigne notre succès évolutif. Il n’appartient qu’à nous de faire en sorte qu’il le demeure en usant de notre puissance pour servir notre espèce et non l’asservir. (…) Déjà au XVIIe siècle, l’humaniste Hugo Grotius constatait que le fondement du commerce mondial résidait dans l’inégale répartition géographique des ressources et des terres fertiles ainsi que l’incapacité des nations à subvenir seules à leurs besoins. En s’inscrivant à contre-courant de la mondialisation, localisme et décroissance constituent un profond désintérêt pour le sort de l’humanité. Des études suggèrent que seul un tiers de l’humanité pourrait se nourrir dans un monde localiste. Faut-il tuer les autres ? Lorsque les écologistes pourfendent le productivisme, veulent diminuer les rendements agricoles, préfèrent les sources d’énergie intermittentes aux énergies abondantes, on peut se demander si l’hécatombe humanitaire n’est pas délibérément recherchée. D’autant que les vertus écologiques de ces propositions sont surestimées. Toutes choses égales par ailleurs, une agriculture aux rendements faibles, c’est plus de déforestation. Le localisme néglige le fait que le transport contribue, en proportion, peu aux pollutions, contrairement à la phase de production. C’est pourquoi il est parfois moins polluant de se procurer une marchandise produite par un industriel étranger qui, pour des raisons géographiques, climatiques, techniques, logistiques ou par le jeu des économies d’échelle, parvient à utiliser moins de ressources pour produire une unité de richesses qu’un producteur local aux méthodes inefficientes. Si chaque ville française produisait sa nourriture localement, le gaspillage exploserait. Enfin, un effondrement du commerce mondial appauvrirait l’humanité, ainsi qu’on l’a vu avec la Covid, ce qui amputerait ses capacités à investir dans des technologies propres, mais coûteuses. Pour verdir notre monde sans renoncer à améliorer le sort de l’humanité, il serait plus vertueux que les pays riches investissent dans la modernisation de leur appareil productif ainsi que dans celui des pays du Sud. (…) L’écologie profonde personnifie la nature sauvage en la plaçant au-dessus de l’homme tandis que l’écologie intégrale, selon les termes du Manifeste de la nouvelle droite publié en 2000, «en appelle au dépassement de l’anthropocentrisme moderne». Certes, elle «ne gomme pas la spécificité de l’homme», mais elle lui dénie tout de même «la place exclusive que lui avaient donnée le christianisme et l’humanisme classique». Ces deux écoles ont en commun de se méfier de la souveraineté que l’homme exerce sur la nature. Cette méfiance est désormais partagée par le Pape. Preuve en est qu’il préfère dénoncer la «démesure anthropocentrique» qui définirait notre époque que souligner les atteintes aux droits de l’homme qui ralentissent le développement des pays du Sud. Le souverain pontife propose d’ailleurs de ralentir le développement, voire d’y renoncer. Ce qui montre que l’humanisme n’est plus sa grille de lecture. Comment ne pas déceler des bribes de paganisme dans un discours qui compte parmi les pauvres notre «Terre opprimée», accuse les hommes de «piller» la nature comme si seule Gaïa était propriétaire des ressources et que nous ne serions plus légitimes à en disposer (comme le font tous les autres êtres vivants à leur humble échelle) ? Je ne parle même pas de l’image figée de la biosphère héritée de l’ère pré-darwinienne qui assimile toute transformation des écosystèmes à une destruction. François taxe enfin d’extrémisme ceux qui, dans le sillage des Lumières, placent leur confiance dans le progrès pour résoudre nos problèmes actuels ! Je vois dans cette inflexion du discours catholique le signe de l’hégémonie d’une écologie misanthrope à qui il faut donner des gages : elle ne définit plus la protection de la nature comme la sauvegarde d’un milieu hospitalier pour l’homme, mais comme la «sanctuarisation» d’un milieu dont il faut l’exclure. Pourtant, les écologistes insistent – à raison – sur le fait que l’homme appartient à la nature ! Sapiens doit visiblement se chercher d’autres alliés. (…) Depuis Platon, la philosophie politique occidentale admet que le but des sociétés réside dans l’allégement de la peine que l’homme s’inflige pour assouvir ses besoins. C’est pourquoi on préfère la Cité à l’ermitage. La réduction du labeur est une aspiration naturelle et universelle. Elle n’a pas attendu l’émergence de la question ouvrière au XIXe siècle pour se manifester. En 1516, le penseur humaniste Thomas More imaginait un monde utopique où 6 heures de travail par jour suffisent pour bien vivre. Et tandis que l’ouvrier occidental moyen devait besogner plus de 3000 heures par an pour s’acheter le niveau de vie du XIXe siècle, il peut désormais travailler 1500 heures par an, soit 4 heures par jour, pour obtenir le confort du XXIe siècle. Le progrès de l’industrie et l’ouverture du commerce permettent de faire mieux que l’utopie de More. Le libéral que je suis ne considère pas le travail comme une fin en soi. Ce n’est que le vulgaire prix à payer pour vivre, assouvir ses besoins et servir ses semblables. Le but du progrès est de réduire ce prix pour tendre vers la perfection (même si nous ne l’atteindrons jamais) que décrivait l’économiste Frédéric Bastiat en son temps : un effort nul pour un gain infini. Ces idéaux ont longtemps été consensuels. Mais le comble est de voir désormais la gauche radicale, naguère favorable au «droit à la paresse», plaider pour assigner l’humanité à la malédiction de Sisyphe : un effort infini pour un gain nul. C’est ainsi qu’il faut interpréter les propositions d’un Nicolas Hulot ou d’un Dominique Bourg. Ce dernier veut reconduire un tiers de la population dans les champs, avec pour seule aide «l’énergie musculaire et animale». Ces délires réactionnaires seraient amusants s’ils n’influençaient pas les responsables «modérés» : nous avons déjà entendu un ministre français plaider pour le retour aux pratiques agricoles de nos grands-parents. (…) Malthus craignait le scénario d’une production de richesses incapable de suivre une croissance démographique exponentielle. En dépit de ses erreurs, l’épouvantail de la surpopulation continue d’être agité par les écologistes, comme en témoignent les cas de Paul Ehrlich, qui envisageait la stérilisation forcée, ou de Pablo Servigne, qui suggère dans son best-seller que nous devons dès maintenant choisir qui doit naître pour ne pas avoir à choisir qui devra mourir demain. Rappelons qu’au temps de Malthus, nous étions un milliard et la misère était la norme. Aujourd’hui, nous sommes 8 milliards et la misère devient l’exception, ce qui infirme les scénarios apocalyptiques que l’on pouvait lire dans les années 70 à travers le rapport au Club de Rome. Ces progrès humanitaires s’expliquent par le fait que les hommes, loin de n’être que des ventres sur pattes, sont d’abord des ouvriers, des ingénieurs et des innovateurs. Ils créent plus qu’ils ne détruisent. Jean Bodin avait raison de souligner dès le XVIe siècle qu’il ne faut jamais craindre qu’il y ait trop de citoyens dans la mesure où il n’y a de richesse que d’hommes. Désormais, le néo-malthusianisme prétend qu’une «surpopulation» d’êtres opulents menace de rendre notre planète toxique. Le raisonnement semble a priori logique. On peut en effet se dire que, toutes choses égales par ailleurs, plus on est, plus on consomme, plus on pollue. Sauf que la variable technologique fait que les choses ne sont jamais égales par ailleurs ! Par exemple, Paris comptait 200 000 âmes en 1328, soit 10 fois moins qu’aujourd’hui. Pourtant, la pollution tuait une proportion de Parisiens plus forte au Moyen Âge qu’au XXIe siècle : une métropole équipée de l’électricité et du traitement des eaux usées bénéficie d’un environnement de meilleure qualité qu’une petite bourgade dépourvue de ces technologies. (…) Le raisonnement vaut pour le changement climatique. Entre 1979 et 2019, grâce au nucléaire et à l’efficacité énergétique, les émissions territoriales françaises de CO2 ont baissé tandis que la population française a gagné 11 millions d’habitants sur la même période et que notre production industrielle est plus élevée en 2019 qu’en 1979 en valeur absolue. Les émissions importées suivront la même trajectoire à mesure que nos partenaires commerciaux obtiendront nos technologies. Or, ainsi que le rappelait l’économiste Julian Simon, une large démographie favorise l’innovation, car elle permet une abondance de bras et de cerveaux brillants. Enfin, le jeu des économies d’échelle fait que les grandes communautés obtiennent plus aisément les technologies propres qui, parce que coûteuses, seraient inaccessibles aux petites communautés. C’est la raison pour laquelle les villes sont mieux équipées que les campagnes en infrastructures essentielles à un environnement sain, comme les réseaux d’égout ou les stations d’épuration. Pour sauver notre habitat, mieux vaut des familles nombreuses composées d’ingénieurs que des zadistes célibataires. D’ailleurs, si l’on regarde les trajectoires démographiques actuelles, la menace qui plane sur nous est plutôt le vieillissement et le déclin démographique de notre espèce. (…) Je dénonce une récurrence étrange chez les écologistes. Les mesures qu’ils proposent contreviennent toujours à la résolution des problèmes qu’ils soulignent, voire les aggravent. On ne peut pas comprendre cette dissonance si on ne la met pas en lien avec les arrière-pensées anticapitalistes de ce mouvement. Je cite dans mon ouvrage d’éminents auteurs écologistes qui redoutent le scénario d’une humanité qui parvient à se doter d’une énergie abondante, fut-elle propre, et qui présentent la pauvreté comme l’horizon souhaitable de notre espèce. Ce qui suffit à prouver leur insincérité. Si le but est de lutter contre le changement climatique en assurant à l’humanité le niveau de vie le plus élevé possible, alors, outre l’efficacité énergétique, il faut que celle-ci cesse de fermer des centrales nucléaires et se convertisse massivement à l’énergie atomique, soit la source d’énergie la plus décarbonée, fiable et efficace à grande échelle. Les centaines de milliards que les pouvoirs publics et le secteur privé des pays développés dilapident dans l’éolien et le solaire doivent être immédiatement réaffectés vers l’atome. Sans cela, toute tentative de décarboner l’électricité mondiale, d’électrifier nos usages, de synthétiser des carburants ou des engrais propres ou d’investir dans la capture du CO₂ sera inefficiente. Plutôt que de culpabiliser les pays émergents, nous devrions porter l’idéal d’une filière nucléaire ambitieuse, capable de frapper à la porte de tous les pays soucieux de se délivrer de la misère et des énergies fossiles. Il ne faut pas non plus oublier l’impératif de l’adaptation, qui montre là encore l’inanité de la post-croissance : la résistance des sociétés face aux aléas naturels augmente avec la richesse. Un Israélien ou un Néerlandais qui peut se procurer des stations pour dessaler l’eau de mer ou un système de protection côtière ultra-sophistiqué contre la montée des eaux est moins vulnérable à la sécheresse et aux inondations qu’un Malgache ou qu’un Bangladais. Une des réponses au changement climatique consiste à nous assurer que ces gains en résilience devancent l’émergence des nouveaux risques. Ce ne sont là que des premières pistes qui méritent d’être approfondies par des entrepreneurs, ingénieurs et scientifiques assez humanistes pour refuser le discours qui feint de s’inquiéter des maux du changement climatique pour assigner les hommes aux fléaux de la misère. Ferghane AzihariDans la mythologie grecque, Prométhée est le titan qui donne le feu aux hommes. Il incarne désormais la civilisation industrielle si décriée par l’écologie politique. Je tente de restituer son bilan en lui offrant un procès équitable. Il ne s’agit pas seulement de rappeler que la société industrielle nous a délivrés de la famine, de l’ignorance, de la maladie, des effets ravageurs des aléas naturels et de la pénibilité. Il convient aussi de liquider le mythe du paradis perdu qui prétend que notre environnement n’a jamais été aussi toxique qu’aujourd’hui. On doit cette fable aux penchants rousseauistes de l’idéologie écologiste : ils reprochent au progrès industriel de souiller notre monde. (…) Ce récit décliniste suggère que les sociétés prémodernes entretenaient avec leur environnement une relation plus harmonieuse. Mais cette nostalgie n’a aucun fondement. Les hommes des cavernes et les villes préindustrielles étaient exposés à des nuisances environnementales bien plus ravageuses que les citadins des métropoles modernes. La pollution et les catastrophes naturelles font plus de victimes dans les pays faiblement industrialisés que dans les nations développées. Enfin, les secondes sont mieux armées que les premières pour affronter le changement climatique. Il serait immoral et contreproductif de renoncer à l’expansion de l’industrialisme. On trahirait les peuples enfermés dans les fléaux écologiques prémodernes en éloignant l’humanité des solutions aux nouveaux défis. (…) La technologie provient toujours de ce que le philosophe Jacques Ellul appelait avec dédain la «passion de l’efficacité». Elle a pour objet d’augmenter notre puissance. La question est de savoir si cette quête de puissance est bienveillante ou non. L’écologie politique l’envisage avec pessimisme. Hans Jonas écrivait que la véritable menace que porte la technologie «ne réside pas tant dans ses moyens de destruction que dans son paisible usage quotidien». On accuse la technique d’augmenter les penchants destructeurs de l’homme. Les tragédies du XXe siècle et l’attention accordée aux nouveaux risques ont renforcé le prestige de cette lecture, quitte encore à sombrer dans la fable du bon sauvage. Pourtant, les travaux de Lawrence Keeley montrent que les guerres préhistoriques étaient plus fréquentes et meurtrières que les conflits modernes. Les Hutus n’ont guère eu besoin de la haute technologie pour décimer les Tutsis. Si l’on revient à l’environnement, les outils rudimentaires des chasseurs-cueilleurs ont suffi à conduire une partie de la mégafaune du Pléistocène à l’extinction tandis que leur mode de vie exigeait des infanticides et des géronticides réguliers. Bien sûr, il ne faut pas tomber dans l’excès inverse, qui voit dans le progrès technique la condition suffisante du progrès moral, en oubliant la variable culturelle. Mais en l’occurrence, et en dépit des nouveaux risques, le bilan sécuritaire de la modernité est positif, comme en témoigne notre succès évolutif. Il n’appartient qu’à nous de faire en sorte qu’il le demeure en usant de notre puissance pour servir notre espèce et non l’asservir. (…) Déjà au XVIIe siècle, l’humaniste Hugo Grotius constatait que le fondement du commerce mondial résidait dans l’inégale répartition géographique des ressources et des terres fertiles ainsi que l’incapacité des nations à subvenir seules à leurs besoins. En s’inscrivant à contre-courant de la mondialisation, localisme et décroissance constituent un profond désintérêt pour le sort de l’humanité. Des études suggèrent que seul un tiers de l’humanité pourrait se nourrir dans un monde localiste. Faut-il tuer les autres ? Lorsque les écologistes pourfendent le productivisme, veulent diminuer les rendements agricoles, préfèrent les sources d’énergie intermittentes aux énergies abondantes, on peut se demander si l’hécatombe humanitaire n’est pas délibérément recherchée. D’autant que les vertus écologiques de ces propositions sont surestimées. Toutes choses égales par ailleurs, une agriculture aux rendements faibles, c’est plus de déforestation. Le localisme néglige le fait que le transport contribue, en proportion, peu aux pollutions, contrairement à la phase de production. C’est pourquoi il est parfois moins polluant de se procurer une marchandise produite par un industriel étranger qui, pour des raisons géographiques, climatiques, techniques, logistiques ou par le jeu des économies d’échelle, parvient à utiliser moins de ressources pour produire une unité de richesses qu’un producteur local aux méthodes inefficientes. Si chaque ville française produisait sa nourriture localement, le gaspillage exploserait. Enfin, un effondrement du commerce mondial appauvrirait l’humanité, ainsi qu’on l’a vu avec la Covid, ce qui amputerait ses capacités à investir dans des technologies propres, mais coûteuses. Pour verdir notre monde sans renoncer à améliorer le sort de l’humanité, il serait plus vertueux que les pays riches investissent dans la modernisation de leur appareil productif ainsi que dans celui des pays du Sud. (…) L’écologie profonde personnifie la nature sauvage en la plaçant au-dessus de l’homme tandis que l’écologie intégrale, selon les termes du Manifeste de la nouvelle droite publié en 2000, «en appelle au dépassement de l’anthropocentrisme moderne». Certes, elle «ne gomme pas la spécificité de l’homme», mais elle lui dénie tout de même «la place exclusive que lui avaient donnée le christianisme et l’humanisme classique». Ces deux écoles ont en commun de se méfier de la souveraineté que l’homme exerce sur la nature. Cette méfiance est désormais partagée par le Pape. Preuve en est qu’il préfère dénoncer la «démesure anthropocentrique» qui définirait notre époque que souligner les atteintes aux droits de l’homme qui ralentissent le développement des pays du Sud. Le souverain pontife propose d’ailleurs de ralentir le développement, voire d’y renoncer. Ce qui montre que l’humanisme n’est plus sa grille de lecture. Comment ne pas déceler des bribes de paganisme dans un discours qui compte parmi les pauvres notre «Terre opprimée», accuse les hommes de «piller» la nature comme si seule Gaïa était propriétaire des ressources et que nous ne serions plus légitimes à en disposer (comme le font tous les autres êtres vivants à leur humble échelle) ? Je ne parle même pas de l’image figée de la biosphère héritée de l’ère pré-darwinienne qui assimile toute transformation des écosystèmes à une destruction. François taxe enfin d’extrémisme ceux qui, dans le sillage des Lumières, placent leur confiance dans le progrès pour résoudre nos problèmes actuels ! Je vois dans cette inflexion du discours catholique le signe de l’hégémonie d’une écologie misanthrope à qui il faut donner des gages : elle ne définit plus la protection de la nature comme la sauvegarde d’un milieu hospitalier pour l’homme, mais comme la «sanctuarisation» d’un milieu dont il faut l’exclure. Pourtant, les écologistes insistent – à raison – sur le fait que l’homme appartient à la nature ! Sapiens doit visiblement se chercher d’autres alliés. (…) Depuis Platon, la philosophie politique occidentale admet que le but des sociétés réside dans l’allégement de la peine que l’homme s’inflige pour assouvir ses besoins. C’est pourquoi on préfère la Cité à l’ermitage. La réduction du labeur est une aspiration naturelle et universelle. Elle n’a pas attendu l’émergence de la question ouvrière au XIXe siècle pour se manifester. En 1516, le penseur humaniste Thomas More imaginait un monde utopique où 6 heures de travail par jour suffisent pour bien vivre. Et tandis que l’ouvrier occidental moyen devait besogner plus de 3000 heures par an pour s’acheter le niveau de vie du XIXe siècle, il peut désormais travailler 1500 heures par an, soit 4 heures par jour, pour obtenir le confort du XXIe siècle. Le progrès de l’industrie et l’ouverture du commerce permettent de faire mieux que l’utopie de More. Le libéral que je suis ne considère pas le travail comme une fin en soi. Ce n’est que le vulgaire prix à payer pour vivre, assouvir ses besoins et servir ses semblables. Le but du progrès est de réduire ce prix pour tendre vers la perfection (même si nous ne l’atteindrons jamais) que décrivait l’économiste Frédéric Bastiat en son temps : un effort nul pour un gain infini. Ces idéaux ont longtemps été consensuels. Mais le comble est de voir désormais la gauche radicale, naguère favorable au «droit à la paresse», plaider pour assigner l’humanité à la malédiction de Sisyphe : un effort infini pour un gain nul. C’est ainsi qu’il faut interpréter les propositions d’un Nicolas Hulot ou d’un Dominique Bourg. Ce dernier veut reconduire un tiers de la population dans les champs, avec pour seule aide «l’énergie musculaire et animale». Ces délires réactionnaires seraient amusants s’ils n’influençaient pas les responsables «modérés» : nous avons déjà entendu un ministre français plaider pour le retour aux pratiques agricoles de nos grands-parents. (…) Malthus craignait le scénario d’une production de richesses incapable de suivre une croissance démographique exponentielle. En dépit de ses erreurs, l’épouvantail de la surpopulation continue d’être agité par les écologistes, comme en témoignent les cas de Paul Ehrlich, qui envisageait la stérilisation forcée, ou de Pablo Servigne, qui suggère dans son best-seller que nous devons dès maintenant choisir qui doit naître pour ne pas avoir à choisir qui devra mourir demain. Rappelons qu’au temps de Malthus, nous étions un milliard et la misère était la norme. Aujourd’hui, nous sommes 8 milliards et la misère devient l’exception, ce qui infirme les scénarios apocalyptiques que l’on pouvait lire dans les années 70 à travers le rapport au Club de Rome. Ces progrès humanitaires s’expliquent par le fait que les hommes, loin de n’être que des ventres sur pattes, sont d’abord des ouvriers, des ingénieurs et des innovateurs. Ils créent plus qu’ils ne détruisent. Jean Bodin avait raison de souligner dès le XVIe siècle qu’il ne faut jamais craindre qu’il y ait trop de citoyens dans la mesure où il n’y a de richesse que d’hommes. Désormais, le néo-malthusianisme prétend qu’une «surpopulation» d’êtres opulents menace de rendre notre planète toxique. Le raisonnement semble a priori logique. On peut en effet se dire que, toutes choses égales par ailleurs, plus on est, plus on consomme, plus on pollue. Sauf que la variable technologique fait que les choses ne sont jamais égales par ailleurs ! Par exemple, Paris comptait 200 000 âmes en 1328, soit 10 fois moins qu’aujourd’hui. Pourtant, la pollution tuait une proportion de Parisiens plus forte au Moyen Âge qu’au XXIe siècle : une métropole équipée de l’électricité et du traitement des eaux usées bénéficie d’un environnement de meilleure qualité qu’une petite bourgade dépourvue de ces technologies. (…) Le raisonnement vaut pour le changement climatique. Entre 1979 et 2019, grâce au nucléaire et à l’efficacité énergétique, les émissions territoriales françaises de CO2 ont baissé tandis que la population française a gagné 11 millions d’habitants sur la même période et que notre production industrielle est plus élevée en 2019 qu’en 1979 en valeur absolue. Les émissions importées suivront la même trajectoire à mesure que nos partenaires commerciaux obtiendront nos technologies. Or, ainsi que le rappelait l’économiste Julian Simon, une large démographie favorise l’innovation, car elle permet une abondance de bras et de cerveaux brillants. Enfin, le jeu des économies d’échelle fait que les grandes communautés obtiennent plus aisément les technologies propres qui, parce que coûteuses, seraient inaccessibles aux petites communautés. C’est la raison pour laquelle les villes sont mieux équipées que les campagnes en infrastructures essentielles à un environnement sain, comme les réseaux d’égout ou les stations d’épuration. Pour sauver notre habitat, mieux vaut des familles nombreuses composées d’ingénieurs que des zadistes célibataires. D’ailleurs, si l’on regarde les trajectoires démographiques actuelles, la menace qui plane sur nous est plutôt le vieillissement et le déclin démographique de notre espèce. (…) Je dénonce une récurrence étrange chez les écologistes. Les mesures qu’ils proposent contreviennent toujours à la résolution des problèmes qu’ils soulignent, voire les aggravent. On ne peut pas comprendre cette dissonance si on ne la met pas en lien avec les arrière-pensées anticapitalistes de ce mouvement. Je cite dans mon ouvrage d’éminents auteurs écologistes qui redoutent le scénario d’une humanité qui parvient à se doter d’une énergie abondante, fut-elle propre, et qui présentent la pauvreté comme l’horizon souhaitable de notre espèce. Ce qui suffit à prouver leur insincérité. Si le but est de lutter contre le changement climatique en assurant à l’humanité le niveau de vie le plus élevé possible, alors, outre l’efficacité énergétique, il faut que celle-ci cesse de fermer des centrales nucléaires et se convertisse massivement à l’énergie atomique, soit la source d’énergie la plus décarbonée, fiable et efficace à grande échelle. Les centaines de milliards que les pouvoirs publics et le secteur privé des pays développés dilapident dans l’éolien et le solaire doivent être immédiatement réaffectés vers l’atome. Sans cela, toute tentative de décarboner l’électricité mondiale, d’électrifier nos usages, de synthétiser des carburants ou des engrais propres ou d’investir dans la capture du CO₂ sera inefficiente. Plutôt que de culpabiliser les pays émergents, nous devrions porter l’idéal d’une filière nucléaire ambitieuse, capable de frapper à la porte de tous les pays soucieux de se délivrer de la misère et des énergies fossiles. Il ne faut pas non plus oublier l’impératif de l’adaptation, qui montre là encore l’inanité de la post-croissance : la résistance des sociétés face aux aléas naturels augmente avec la richesse. Un Israélien ou un Néerlandais qui peut se procurer des stations pour dessaler l’eau de mer ou un système de protection côtière ultra-sophistiqué contre la montée des eaux est moins vulnérable à la sécheresse et aux inondations qu’un Malgache ou qu’un Bangladais. Une des réponses au changement climatique consiste à nous assurer que ces gains en résilience devancent l’émergence des nouveaux risques. Ce ne sont là que des premières pistes qui méritent d’être approfondies par des entrepreneurs, ingénieurs et scientifiques assez humanistes pour refuser le discours qui feint de s’inquiéter des maux du changement climatique pour assigner les hommes aux fléaux de la misère. Ferghane AzihariDans la mythologie grecque, Prométhée est le titan qui donne le feu aux hommes. Il incarne désormais la civilisation industrielle si décriée par l’écologie politique. Je tente de restituer son bilan en lui offrant un procès équitable. Il ne s’agit pas seulement de rappeler que la société industrielle nous a délivrés de la famine, de l’ignorance, de la maladie, des effets ravageurs des aléas naturels et de la pénibilité. Il convient aussi de liquider le mythe du paradis perdu qui prétend que notre environnement n’a jamais été aussi toxique qu’aujourd’hui. On doit cette fable aux penchants rousseauistes de l’idéologie écologiste : ils reprochent au progrès industriel de souiller notre monde. (…) Ce récit décliniste suggère que les sociétés prémodernes entretenaient avec leur environnement une relation plus harmonieuse. Mais cette nostalgie n’a aucun fondement. Les hommes des cavernes et les villes préindustrielles étaient exposés à des nuisances environnementales bien plus ravageuses que les citadins des métropoles modernes. La pollution et les catastrophes naturelles font plus de victimes dans les pays faiblement industrialisés que dans les nations développées. Enfin, les secondes sont mieux armées que les premières pour affronter le changement climatique. Il serait immoral et contreproductif de renoncer à l’expansion de l’industrialisme. On trahirait les peuples enfermés dans les fléaux écologiques prémodernes en éloignant l’humanité des solutions aux nouveaux défis. (…) La technologie provient toujours de ce que le philosophe Jacques Ellul appelait avec dédain la «passion de l’efficacité». Elle a pour objet d’augmenter notre puissance. La question est de savoir si cette quête de puissance est bienveillante ou non. L’écologie politique l’envisage avec pessimisme. Hans Jonas écrivait que la véritable menace que porte la technologie «ne réside pas tant dans ses moyens de destruction que dans son paisible usage quotidien». On accuse la technique d’augmenter les penchants destructeurs de l’homme. Les tragédies du XXe siècle et l’attention accordée aux nouveaux risques ont renforcé le prestige de cette lecture, quitte encore à sombrer dans la fable du bon sauvage. Pourtant, les travaux de Lawrence Keeley montrent que les guerres préhistoriques étaient plus fréquentes et meurtrières que les conflits modernes. Les Hutus n’ont guère eu besoin de la haute technologie pour décimer les Tutsis. Si l’on revient à l’environnement, les outils rudimentaires des chasseurs-cueilleurs ont suffi à conduire une partie de la mégafaune du Pléistocène à l’extinction tandis que leur mode de vie exigeait des infanticides et des géronticides réguliers. Bien sûr, il ne faut pas tomber dans l’excès inverse, qui voit dans le progrès technique la condition suffisante du progrès moral, en oubliant la variable culturelle. Mais en l’occurrence, et en dépit des nouveaux risques, le bilan sécuritaire de la modernité est positif, comme en témoigne notre succès évolutif. Il n’appartient qu’à nous de faire en sorte qu’il le demeure en usant de notre puissance pour servir notre espèce et non l’asservir. (…) Déjà au XVIIe siècle, l’humaniste Hugo Grotius constatait que le fondement du commerce mondial résidait dans l’inégale répartition géographique des ressources et des terres fertiles ainsi que l’incapacité des nations à subvenir seules à leurs besoins. En s’inscrivant à contre-courant de la mondialisation, localisme et décroissance constituent un profond désintérêt pour le sort de l’humanité. Des études suggèrent que seul un tiers de l’humanité pourrait se nourrir dans un monde localiste. Faut-il tuer les autres ? Lorsque les écologistes pourfendent le productivisme, veulent diminuer les rendements agricoles, préfèrent les sources d’énergie intermittentes aux énergies abondantes, on peut se demander si l’hécatombe humanitaire n’est pas délibérément recherchée. D’autant que les vertus écologiques de ces propositions sont surestimées. Toutes choses égales par ailleurs, une agriculture aux rendements faibles, c’est plus de déforestation. Le localisme néglige le fait que le transport contribue, en proportion, peu aux pollutions, contrairement à la phase de production. C’est pourquoi il est parfois moins polluant de se procurer une marchandise produite par un industriel étranger qui, pour des raisons géographiques, climatiques, techniques, logistiques ou par le jeu des économies d’échelle, parvient à utiliser moins de ressources pour produire une unité de richesses qu’un producteur local aux méthodes inefficientes. Si chaque ville française produisait sa nourriture localement, le gaspillage exploserait. Enfin, un effondrement du commerce mondial appauvrirait l’humanité, ainsi qu’on l’a vu avec la Covid, ce qui amputerait ses capacités à investir dans des technologies propres, mais coûteuses. Pour verdir notre monde sans renoncer à améliorer le sort de l’humanité, il serait plus vertueux que les pays riches investissent dans la modernisation de leur appareil productif ainsi que dans celui des pays du Sud. (…) L’écologie profonde personnifie la nature sauvage en la plaçant au-dessus de l’homme tandis que l’écologie intégrale, selon les termes du Manifeste de la nouvelle droite publié en 2000, «en appelle au dépassement de l’anthropocentrisme moderne». Certes, elle «ne gomme pas la spécificité de l’homme», mais elle lui dénie tout de même «la place exclusive que lui avaient donnée le christianisme et l’humanisme classique». Ces deux écoles ont en commun de se méfier de la souveraineté que l’homme exerce sur la nature. Cette méfiance est désormais partagée par le Pape. Preuve en est qu’il préfère dénoncer la «démesure anthropocentrique» qui définirait notre époque que souligner les atteintes aux droits de l’homme qui ralentissent le développement des pays du Sud. Le souverain pontife propose d’ailleurs de ralentir le développement, voire d’y renoncer. Ce qui montre que l’humanisme n’est plus sa grille de lecture. Comment ne pas déceler des bribes de paganisme dans un discours qui compte parmi les pauvres notre «Terre opprimée», accuse les hommes de «piller» la nature comme si seule Gaïa était propriétaire des ressources et que nous ne serions plus légitimes à en disposer (comme le font tous les autres êtres vivants à leur humble échelle) ? Je ne parle même pas de l’image figée de la biosphère héritée de l’ère pré-darwinienne qui assimile toute transformation des écosystèmes à une destruction. François taxe enfin d’extrémisme ceux qui, dans le sillage des Lumières, placent leur confiance dans le progrès pour résoudre nos problèmes actuels ! Je vois dans cette inflexion du discours catholique le signe de l’hégémonie d’une écologie misanthrope à qui il faut donner des gages : elle ne définit plus la protection de la nature comme la sauvegarde d’un milieu hospitalier pour l’homme, mais comme la «sanctuarisation» d’un milieu dont il faut l’exclure. Pourtant, les écologistes insistent – à raison – sur le fait que l’homme appartient à la nature ! Sapiens doit visiblement se chercher d’autres alliés. (…) Depuis Platon, la philosophie politique occidentale admet que le but des sociétés réside dans l’allégement de la peine que l’homme s’inflige pour assouvir ses besoins. C’est pourquoi on préfère la Cité à l’ermitage. La réduction du labeur est une aspiration naturelle et universelle. Elle n’a pas attendu l’émergence de la question ouvrière au XIXe siècle pour se manifester. En 1516, le penseur humaniste Thomas More imaginait un monde utopique où 6 heures de travail par jour suffisent pour bien vivre. Et tandis que l’ouvrier occidental moyen devait besogner plus de 3000 heures par an pour s’acheter le niveau de vie du XIXe siècle, il peut désormais travailler 1500 heures par an, soit 4 heures par jour, pour obtenir le confort du XXIe siècle. Le progrès de l’industrie et l’ouverture du commerce permettent de faire mieux que l’utopie de More. Le libéral que je suis ne considère pas le travail comme une fin en soi. Ce n’est que le vulgaire prix à payer pour vivre, assouvir ses besoins et servir ses semblables. Le but du progrès est de réduire ce prix pour tendre vers la perfection (même si nous ne l’atteindrons jamais) que décrivait l’économiste Frédéric Bastiat en son temps : un effort nul pour un gain infini. Ces idéaux ont longtemps été consensuels. Mais le comble est de voir désormais la gauche radicale, naguère favorable au «droit à la paresse», plaider pour assigner l’humanité à la malédiction de Sisyphe : un effort infini pour un gain nul. C’est ainsi qu’il faut interpréter les propositions d’un Nicolas Hulot ou d’un Dominique Bourg. Ce dernier veut reconduire un tiers de la population dans les champs, avec pour seule aide «l’énergie musculaire et animale». Ces délires réactionnaires seraient amusants s’ils n’influençaient pas les responsables «modérés» : nous avons déjà entendu un ministre français plaider pour le retour aux pratiques agricoles de nos grands-parents. (…) Malthus craignait le scénario d’une production de richesses incapable de suivre une croissance démographique exponentielle. En dépit de ses erreurs, l’épouvantail de la surpopulation continue d’être agité par les écologistes, comme en témoignent les cas de Paul Ehrlich, qui envisageait la stérilisation forcée, ou de Pablo Servigne, qui suggère dans son best-seller que nous devons dès maintenant choisir qui doit naître pour ne pas avoir à choisir qui devra mourir demain. Rappelons qu’au temps de Malthus, nous étions un milliard et la misère était la norme. Aujourd’hui, nous sommes 8 milliards et la misère devient l’exception, ce qui infirme les scénarios apocalyptiques que l’on pouvait lire dans les années 70 à travers le rapport au Club de Rome. Ces progrès humanitaires s’expliquent par le fait que les hommes, loin de n’être que des ventres sur pattes, sont d’abord des ouvriers, des ingénieurs et des innovateurs. Ils créent plus qu’ils ne détruisent. Jean Bodin avait raison de souligner dès le XVIe siècle qu’il ne faut jamais craindre qu’il y ait trop de citoyens dans la mesure où il n’y a de richesse que d’hommes. Désormais, le néo-malthusianisme prétend qu’une «surpopulation» d’êtres opulents menace de rendre notre planète toxique. Le raisonnement semble a priori logique. On peut en effet se dire que, toutes choses égales par ailleurs, plus on est, plus on consomme, plus on pollue. Sauf que la variable technologique fait que les choses ne sont jamais égales par ailleurs ! Par exemple, Paris comptait 200 000 âmes en 1328, soit 10 fois moins qu’aujourd’hui. Pourtant, la pollution tuait une proportion de Parisiens plus forte au Moyen Âge qu’au XXIe siècle : une métropole équipée de l’électricité et du traitement des eaux usées bénéficie d’un environnement de meilleure qualité qu’une petite bourgade dépourvue de ces technologies. (…) Le raisonnement vaut pour le changement climatique. Entre 1979 et 2019, grâce au nucléaire et à l’efficacité énergétique, les émissions territoriales françaises de CO2 ont baissé tandis que la population française a gagné 11 millions d’habitants sur la même période et que notre production industrielle est plus élevée en 2019 qu’en 1979 en valeur absolue. Les émissions importées suivront la même trajectoire à mesure que nos partenaires commerciaux obtiendront nos technologies. Or, ainsi que le rappelait l’économiste Julian Simon, une large démographie favorise l’innovation, car elle permet une abondance de bras et de cerveaux brillants. Enfin, le jeu des économies d’échelle fait que les grandes communautés obtiennent plus aisément les technologies propres qui, parce que coûteuses, seraient inaccessibles aux petites communautés. C’est la raison pour laquelle les villes sont mieux équipées que les campagnes en infrastructures essentielles à un environnement sain, comme les réseaux d’égout ou les stations d’épuration. Pour sauver notre habitat, mieux vaut des familles nombreuses composées d’ingénieurs que des zadistes célibataires. D’ailleurs, si l’on regarde les trajectoires démographiques actuelles, la menace qui plane sur nous est plutôt le vieillissement et le déclin démographique de notre espèce. (…) Je dénonce une récurrence étrange chez les écologistes. Les mesures qu’ils proposent contreviennent toujours à la résolution des problèmes qu’ils soulignent, voire les aggravent. On ne peut pas comprendre cette dissonance si on ne la met pas en lien avec les arrière-pensées anticapitalistes de ce mouvement. Je cite dans mon ouvrage d’éminents auteurs écologistes qui redoutent le scénario d’une humanité qui parvient à se doter d’une énergie abondante, fut-elle propre, et qui présentent la pauvreté comme l’horizon souhaitable de notre espèce. Ce qui suffit à prouver leur insincérité. Si le but est de lutter contre le changement climatique en assurant à l’humanité le niveau de vie le plus élevé possible, alors, outre l’efficacité énergétique, il faut que celle-ci cesse de fermer des centrales nucléaires et se convertisse massivement à l’énergie atomique, soit la source d’énergie la plus décarbonée, fiable et efficace à grande échelle. Les centaines de milliards que les pouvoirs publics et le secteur privé des pays développés dilapident dans l’éolien et le solaire doivent être immédiatement réaffectés vers l’atome. Sans cela, toute tentative de décarboner l’électricité mondiale, d’électrifier nos usages, de synthétiser des carburants ou des engrais propres ou d’investir dans la capture du CO₂ sera inefficiente. Plutôt que de culpabiliser les pays émergents, nous devrions porter l’idéal d’une filière nucléaire ambitieuse, capable de frapper à la porte de tous les pays soucieux de se délivrer de la misère et des énergies fossiles. Il ne faut pas non plus oublier l’impératif de l’adaptation, qui montre là encore l’inanité de la post-croissance : la résistance des sociétés face aux aléas naturels augmente avec la richesse. Un Israélien ou un Néerlandais qui peut se procurer des stations pour dessaler l’eau de mer ou un système de protection côtière ultra-sophistiqué contre la montée des eaux est moins vulnérable à la sécheresse et aux inondations qu’un Malgache ou qu’un Bangladais. Une des réponses au changement climatique consiste à nous assurer que ces gains en résilience devancent l’émergence des nouveaux risques. Ce ne sont là que des premières pistes qui méritent d’être approfondies par des entrepreneurs, ingénieurs et scientifiques assez humanistes pour refuser le discours qui feint de s’inquiéter des maux du changement climatique pour assigner les hommes aux fléaux de la misère. Ferghane AzihariDans la mythologie grecque, Prométhée est le titan qui donne le feu aux hommes. Il incarne désormais la civilisation industrielle si décriée par l’écologie politique. Je tente de restituer son bilan en lui offrant un procès équitable. Il ne s’agit pas seulement de rappeler que la société industrielle nous a délivrés de la famine, de l’ignorance, de la maladie, des effets ravageurs des aléas naturels et de la pénibilité. Il convient aussi de liquider le mythe du paradis perdu qui prétend que notre environnement n’a jamais été aussi toxique qu’aujourd’hui. On doit cette fable aux penchants rousseauistes de l’idéologie écologiste : ils reprochent au progrès industriel de souiller notre monde. (…) Ce récit décliniste suggère que les sociétés prémodernes entretenaient avec leur environnement une relation plus harmonieuse. Mais cette nostalgie n’a aucun fondement. Les hommes des cavernes et les villes préindustrielles étaient exposés à des nuisances environnementales bien plus ravageuses que les citadins des métropoles modernes. La pollution et les catastrophes naturelles font plus de victimes dans les pays faiblement industrialisés que dans les nations développées. Enfin, les secondes sont mieux armées que les premières pour affronter le changement climatique. Il serait immoral et contreproductif de renoncer à l’expansion de l’industrialisme. On trahirait les peuples enfermés dans les fléaux écologiques prémodernes en éloignant l’humanité des solutions aux nouveaux défis. (…) La technologie provient toujours de ce que le philosophe Jacques Ellul appelait avec dédain la «passion de l’efficacité». Elle a pour objet d’augmenter notre puissance. La question est de savoir si cette quête de puissance est bienveillante ou non. L’écologie politique l’envisage avec pessimisme. Hans Jonas écrivait que la véritable menace que porte la technologie «ne réside pas tant dans ses moyens de destruction que dans son paisible usage quotidien». On accuse la technique d’augmenter les penchants destructeurs de l’homme. Les tragédies du XXe siècle et l’attention accordée aux nouveaux risques ont renforcé le prestige de cette lecture, quitte encore à sombrer dans la fable du bon sauvage. Pourtant, les travaux de Lawrence Keeley montrent que les guerres préhistoriques étaient plus fréquentes et meurtrières que les conflits modernes. Les Hutus n’ont guère eu besoin de la haute technologie pour décimer les Tutsis. Si l’on revient à l’environnement, les outils rudimentaires des chasseurs-cueilleurs ont suffi à conduire une partie de la mégafaune du Pléistocène à l’extinction tandis que leur mode de vie exigeait des infanticides et des géronticides réguliers. Bien sûr, il ne faut pas tomber dans l’excès inverse, qui voit dans le progrès technique la condition suffisante du progrès moral, en oubliant la variable culturelle. Mais en l’occurrence, et en dépit des nouveaux risques, le bilan sécuritaire de la modernité est positif, comme en témoigne notre succès évolutif. Il n’appartient qu’à nous de faire en sorte qu’il le demeure en usant de notre puissance pour servir notre espèce et non l’asservir. (…) Déjà au XVIIe siècle, l’humaniste Hugo Grotius constatait que le fondement du commerce mondial résidait dans l’inégale répartition géographique des ressources et des terres fertiles ainsi que l’incapacité des nations à subvenir seules à leurs besoins. En s’inscrivant à contre-courant de la mondialisation, localisme et décroissance constituent un profond désintérêt pour le sort de l’humanité. Des études suggèrent que seul un tiers de l’humanité pourrait se nourrir dans un monde localiste. Faut-il tuer les autres ? Lorsque les écologistes pourfendent le productivisme, veulent diminuer les rendements agricoles, préfèrent les sources d’énergie intermittentes aux énergies abondantes, on peut se demander si l’hécatombe humanitaire n’est pas délibérément recherchée. D’autant que les vertus écologiques de ces propositions sont surestimées. Toutes choses égales par ailleurs, une agriculture aux rendements faibles, c’est plus de déforestation. Le localisme néglige le fait que le transport contribue, en proportion, peu aux pollutions, contrairement à la phase de production. C’est pourquoi il est parfois moins polluant de se procurer une marchandise produite par un industriel étranger qui, pour des raisons géographiques, climatiques, techniques, logistiques ou par le jeu des économies d’échelle, parvient à utiliser moins de ressources pour produire une unité de richesses qu’un producteur local aux méthodes inefficientes. Si chaque ville française produisait sa nourriture localement, le gaspillage exploserait. Enfin, un effondrement du commerce mondial appauvrirait l’humanité, ainsi qu’on l’a vu avec la Covid, ce qui amputerait ses capacités à investir dans des technologies propres, mais coûteuses. Pour verdir notre monde sans renoncer à améliorer le sort de l’humanité, il serait plus vertueux que les pays riches investissent dans la modernisation de leur appareil productif ainsi que dans celui des pays du Sud. (…) L’écologie profonde personnifie la nature sauvage en la plaçant au-dessus de l’homme tandis que l’écologie intégrale, selon les termes du Manifeste de la nouvelle droite publié en 2000, «en appelle au dépassement de l’anthropocentrisme moderne». Certes, elle «ne gomme pas la spécificité de l’homme», mais elle lui dénie tout de même «la place exclusive que lui avaient donnée le christianisme et l’humanisme classique». Ces deux écoles ont en commun de se méfier de la souveraineté que l’homme exerce sur la nature. Cette méfiance est désormais partagée par le Pape. Preuve en est qu’il préfère dénoncer la «démesure anthropocentrique» qui définirait notre époque que souligner les atteintes aux droits de l’homme qui ralentissent le développement des pays du Sud. Le souverain pontife propose d’ailleurs de ralentir le développement, voire d’y renoncer. Ce qui montre que l’humanisme n’est plus sa grille de lecture. Comment ne pas déceler des bribes de paganisme dans un discours qui compte parmi les pauvres notre «Terre opprimée», accuse les hommes de «piller» la nature comme si seule Gaïa était propriétaire des ressources et que nous ne serions plus légitimes à en disposer (comme le font tous les autres êtres vivants à leur humble échelle) ? Je ne parle même pas de l’image figée de la biosphère héritée de l’ère pré-darwinienne qui assimile toute transformation des écosystèmes à une destruction. François taxe enfin d’extrémisme ceux qui, dans le sillage des Lumières, placent leur confiance dans le progrès pour résoudre nos problèmes actuels ! Je vois dans cette inflexion du discours catholique le signe de l’hégémonie d’une écologie misanthrope à qui il faut donner des gages : elle ne définit plus la protection de la nature comme la sauvegarde d’un milieu hospitalier pour l’homme, mais comme la «sanctuarisation» d’un milieu dont il faut l’exclure. Pourtant, les écologistes insistent – à raison – sur le fait que l’homme appartient à la nature ! Sapiens doit visiblement se chercher d’autres alliés. (…) Depuis Platon, la philosophie politique occidentale admet que le but des sociétés réside dans l’allégement de la peine que l’homme s’inflige pour assouvir ses besoins. C’est pourquoi on préfère la Cité à l’ermitage. La réduction du labeur est une aspiration naturelle et universelle. Elle n’a pas attendu l’émergence de la question ouvrière au XIXe siècle pour se manifester. En 1516, le penseur humaniste Thomas More imaginait un monde utopique où 6 heures de travail par jour suffisent pour bien vivre. Et tandis que l’ouvrier occidental moyen devait besogner plus de 3000 heures par an pour s’acheter le niveau de vie du XIXe siècle, il peut désormais travailler 1500 heures par an, soit 4 heures par jour, pour obtenir le confort du XXIe siècle. Le progrès de l’industrie et l’ouverture du commerce permettent de faire mieux que l’utopie de More. Le libéral que je suis ne considère pas le travail comme une fin en soi. Ce n’est que le vulgaire prix à payer pour vivre, assouvir ses besoins et servir ses semblables. Le but du progrès est de réduire ce prix pour tendre vers la perfection (même si nous ne l’atteindrons jamais) que décrivait l’économiste Frédéric Bastiat en son temps : un effort nul pour un gain infini. Ces idéaux ont longtemps été consensuels. Mais le comble est de voir désormais la gauche radicale, naguère favorable au «droit à la paresse», plaider pour assigner l’humanité à la malédiction de Sisyphe : un effort infini pour un gain nul. C’est ainsi qu’il faut interpréter les propositions d’un Nicolas Hulot ou d’un Dominique Bourg. Ce dernier veut reconduire un tiers de la population dans les champs, avec pour seule aide «l’énergie musculaire et animale». Ces délires réactionnaires seraient amusants s’ils n’influençaient pas les responsables «modérés» : nous avons déjà entendu un ministre français plaider pour le retour aux pratiques agricoles de nos grands-parents. (…) Malthus craignait le scénario d’une production de richesses incapable de suivre une croissance démographique exponentielle. En dépit de ses erreurs, l’épouvantail de la surpopulation continue d’être agité par les écologistes, comme en témoignent les cas de Paul Ehrlich, qui envisageait la stérilisation forcée, ou de Pablo Servigne, qui suggère dans son best-seller que nous devons dès maintenant choisir qui doit naître pour ne pas avoir à choisir qui devra mourir demain. Rappelons qu’au temps de Malthus, nous étions un milliard et la misère était la norme. Aujourd’hui, nous sommes 8 milliards et la misère devient l’exception, ce qui infirme les scénarios apocalyptiques que l’on pouvait lire dans les années 70 à travers le rapport au Club de Rome. Ces progrès humanitaires s’expliquent par le fait que les hommes, loin de n’être que des ventres sur pattes, sont d’abord des ouvriers, des ingénieurs et des innovateurs. Ils créent plus qu’ils ne détruisent. Jean Bodin avait raison de souligner dès le XVIe siècle qu’il ne faut jamais craindre qu’il y ait trop de citoyens dans la mesure où il n’y a de richesse que d’hommes. Désormais, le néo-malthusianisme prétend qu’une «surpopulation» d’êtres opulents menace de rendre notre planète toxique. Le raisonnement semble a priori logique. On peut en effet se dire que, toutes choses égales par ailleurs, plus on est, plus on consomme, plus on pollue. Sauf que la variable technologique fait que les choses ne sont jamais égales par ailleurs ! Par exemple, Paris comptait 200 000 âmes en 1328, soit 10 fois moins qu’aujourd’hui. Pourtant, la pollution tuait une proportion de Parisiens plus forte au Moyen Âge qu’au XXIe siècle : une métropole équipée de l’électricité et du traitement des eaux usées bénéficie d’un environnement de meilleure qualité qu’une petite bourgade dépourvue de ces technologies. (…) Le raisonnement vaut pour le changement climatique. Entre 1979 et 2019, grâce au nucléaire et à l’efficacité énergétique, les émissions territoriales françaises de CO2 ont baissé tandis que la population française a gagné 11 millions d’habitants sur la même période et que notre production industrielle est plus élevée en 2019 qu’en 1979 en valeur absolue. Les émissions importées suivront la même trajectoire à mesure que nos partenaires commerciaux obtiendront nos technologies. Or, ainsi que le rappelait l’économiste Julian Simon, une large démographie favorise l’innovation, car elle permet une abondance de bras et de cerveaux brillants. Enfin, le jeu des économies d’échelle fait que les grandes communautés obtiennent plus aisément les technologies propres qui, parce que coûteuses, seraient inaccessibles aux petites communautés. C’est la raison pour laquelle les villes sont mieux équipées que les campagnes en infrastructures essentielles à un environnement sain, comme les réseaux d’égout ou les stations d’épuration. Pour sauver notre habitat, mieux vaut des familles nombreuses composées d’ingénieurs que des zadistes célibataires. D’ailleurs, si l’on regarde les trajectoires démographiques actuelles, la menace qui plane sur nous est plutôt le vieillissement et le déclin démographique de notre espèce. (…) Je dénonce une récurrence étrange chez les écologistes. Les mesures qu’ils proposent contreviennent toujours à la résolution des problèmes qu’ils soulignent, voire les aggravent. On ne peut pas comprendre cette dissonance si on ne la met pas en lien avec les arrière-pensées anticapitalistes de ce mouvement. Je cite dans mon ouvrage d’éminents auteurs écologistes qui redoutent le scénario d’une humanité qui parvient à se doter d’une énergie abondante, fut-elle propre, et qui présentent la pauvreté comme l’horizon souhaitable de notre espèce. Ce qui suffit à prouver leur insincérité. Si le but est de lutter contre le changement climatique en assurant à l’humanité le niveau de vie le plus élevé possible, alors, outre l’efficacité énergétique, il faut que celle-ci cesse de fermer des centrales nucléaires et se convertisse massivement à l’énergie atomique, soit la source d’énergie la plus décarbonée, fiable et efficace à grande échelle. Les centaines de milliards que les pouvoirs publics et le secteur privé des pays développés dilapident dans l’éolien et le solaire doivent être immédiatement réaffectés vers l’atome. Sans cela, toute tentative de décarboner l’électricité mondiale, d’électrifier nos usages, de synthétiser des carburants ou des engrais propres ou d’investir dans la capture du CO₂ sera inefficiente. Plutôt que de culpabiliser les pays émergents, nous devrions porter l’idéal d’une filière nucléaire ambitieuse, capable de frapper à la porte de tous les pays soucieux de se délivrer de la misère et des énergies fossiles. Il ne faut pas non plus oublier l’impératif de l’adaptation, qui montre là encore l’inanité de la post-croissance : la résistance des sociétés face aux aléas naturels augmente avec la richesse. Un Israélien ou un Néerlandais qui peut se procurer des stations pour dessaler l’eau de mer ou un système de protection côtière ultra-sophistiqué contre la montée des eaux est moins vulnérable à la sécheresse et aux inondations qu’un Malgache ou qu’un Bangladais. Une des réponses au changement climatique consiste à nous assurer que ces gains en résilience devancent l’émergence des nouveaux risques. Ce ne sont là que des premières pistes qui méritent d’être approfondies par des entrepreneurs, ingénieurs et scientifiques assez humanistes pour refuser le discours qui feint de s’inquiéter des maux du changement climatique pour assigner les hommes aux fléaux de la misère. Ferghane Azihari
Bien sûr, nous sommes résolument cosmopolites. Bien sûr, tout ce qui est terroir, béret, bourrées, binious, bref franchouillard ou cocardier, nous est étranger, voire odieux. Bernard-Henri Lévy (profession de foi du premier numéro du journal Globe, 1985)
Faurisson et d’autres, sans l’avoir voulu, nous ont rendu service. Ils ont soulevé des questions qui ont pour effet d’engager dans de nouvelles recherches. Ils ont obligé à rassembler davantage d’informations, à réexaminer les documents et à aller plus loin dans la compréhension de ce qui s’est passé. Raul Hillberg
Je crois que la loi Gayssot, qui est cette loi qui interdit de nier l’extermination des Juifs, la solution finale, est une erreur, parce qu’on a l’air de vouloir cacher des choses. On n’a rien à cacher, l’Histoire est flagrante, elle est ce qu’elle est. Il ne faut pas empêcher les historiens de travailler. Je suis prête à faire un débat avec n’importe qui là-dessus, peu importe. Simone Veil
Nous sommes entrés dans un mouvement qui est de l’ordre du religieux. Entrés dans la mécanique du sacrilège : la victime, dans nos sociétés, est entourée de l’aura du sacré. Du coup, l’écriture de l’histoire, la recherche universitaire, se retrouvent soumises à l’appréciation du législateur et du juge comme, autrefois, à celle de la Sorbonne ecclésiastique. Françoise Chandernagor
Is Joe Biden failing? Less than nine months into his presidency, rising numbers of Americans and not a few foreign allies appear to think so. Polls last week by Gallup and Rasmussen put his national approval rating at minus 10 points. His overall poll average is minus 4. That compares with a positive approval rating of 19 points in January when he took office.These figures suggest one of the steepest ever early falls in presidential popularity is under way. Jolting, too, is a new Harvard-Harris survey giving Donald Trump a 48% favourability rating to Biden’s 46%. Among independent voters and in battleground states, the outlook for Democrats appears grim. In Iowa, 62% disapprove of Biden’s performance while 70% say the country is “on the wrong track”. Michigan and Virginia tell similar stories. Numerous factors are contributing to what is starting to look like a presidential meltdown. At home, Biden’s didactic handling of the pandemic attracted growing criticism during a summer Covid surge. Continuing mistreatment of migrants on the Mexico border, which he promised to end, is a lose-lose issue for him. A Biden-backed police reform bill, prompted by the death of George Floyd, was killed off in Congress last week. Abroad, Biden’s reputation for foreign policy competence was shattered by the Afghan withdrawal debacle and the loss of American and Afghan lives. Normally loyal foreign allies complained noisily about chaotic mismanagement – and voters listened. The row with France over a US-UK-Australia defence pact (Aukus) has deepened disillusion over his commitment to multilateralism. The Guardian
Je fais 30 salons par an depuis des décennies, mais c’est la première fois que je vois ça. Gérard Bardy
Ce n’est pas seulement pour Zemmour, ça peut valoir pour Edouard Philippe par exemple. On est encore un peu maître de notre propre destin. Aurélien Pradié (secrétaire général du parti républicain)
Quelqu’un a fait ça au XXe siècle, le maréchal Mobutu, avec une loi pour interdire les prénoms qui n’étaient pas des prénoms africains. Lui-même, son prénom c’était Joseph avant de se faire appeler Mobutu Sese Seko. Il a fait une grande déclaration pour dire: il n’est pas possible qu’un Africain porte un prénom juif. (…) Je n’ai pas envie que la loi de Mobutu devienne, d’une manière ou d’une autre, une loi ou une proposition pour la France.François Bayrou
Les musulmans sont, de loin, ceux qui expriment le plus faible sentiment national. Plus la foi de ces jeunes est affirmée, plus leur adhésion à l’Etat est faible (…) seulement 30,7% des collégiens musulmans disent se sentir français, alors que leurs camarades catholiques répondent oui à 76,8%. L’Express
Il faut préciser que nous avons tout fait pour cela. Nous avons cassé tous les lieux où s’opérait le mixage social. Le rapport parle du service militaire, qui n’était d’ailleurs plus depuis longtemps le principal lieu de brassage : tous les jeunes des classes supérieures partaient en coopération et ne moisissaient plus dans les casernes. Mais plus encore : sous prétexte de principe de précaution, on a rendu le scoutisme carrément impraticable – or c’était un lieu suprême pour le brassage social. Il en va de même pour les écoles libres : en leur imposant cette limite non-écrite mais réelle des 20%, on en fait des écoles d’élite, alors que si elles pouvaient se développer elles seraient davantage des lieux d’éducation pour ceux qui en manquent. Car le problème aigu, c’est la place qu’a pris l’éducation dans la vie sociale. Ce qui importe est moins à présent de savoir que de savoir-être. On va embaucher un jeune moins en raison de son diplôme que parce qu’il sera arrivé à l’heure au rendez-vous et sans chewing-gum dans la bouche. Et cela ne s’apprend que dans la famille, ou bien dans une troupe scoute, ou bien dans certaines écoles plus attentives que d’autres… Il faut bien convenir que nos gouvernements ont tout fait pour déconsidérer tous ces lieux éducatifs et jeter sur eux la dérision. Evidemment E.Macron est le représentant typique de cette classe supérieure désormais détachée du peuple. Pour être élu il lui a fallu déborder largement cette couche sociale, qui demeure très restreinte. Mais il en demeure le prisonnier typique : apparemment il ignore que les autres classes existent, et ne les a jamais rencontrées. C’est inquiétant. Le « séparatisme social » qui s’est développé en France dans les catégories les plus favorisées a progressivement engendré un recul du sentiment d’appartenance à la communauté nationale. Et si le populisme pouvait être un outil qui, dosé avec une juste mesure, permettrait de renouer ce lien social perdu ? N’est-ce pas, dans un certaine mesure, ce qu’essaye de faire Emmanuel Macron avec le service civil pour renforcer la cohésion nationale ? Chantal Delsol
L’importance des réactions suscitées par le rapport Kepel révèle en filigrane le malaise de la société française face au surgissement d’une société multiculturelle encore impensée. Il faut dire que, en la matière, nous nous sommes beaucoup menti. Convaincus de la supériorité du modèle républicain, en comparaison du modèle communautariste anglo-saxon, nous nous sommes longtemps bercés d’illusions sur la capacité de la République à poursuivre, comme c’était le cas par le passé, « l’assimilation républicaine ». La réalité est que, depuis la fin des années 1970, ce modèle assimilationniste a été abandonné quand l’immigration a changé de nature en devenant familiale et extra-européenne (pour beaucoup originaire de pays musulmans). Alors que l’on continuait à s’enorgueillir du niveau des mariages mixtes, les pratiques d’évitement explosaient. Aujourd’hui, le séparatisme culturel est la norme. Il ne s’agit pas seulement d’un séparatisme social mais d’abord d’un séparatisme culturel. Pire, il frappe au coeur des classes populaires. Désormais, les classes populaires d’origine étrangère et d’origine française et d’immigration ancienne ne vivent plus sur les mêmes territoires. Les stratégies résidentielles ou scolaires concernent une majorité de Français, tous cherchent à ériger des frontières culturelles invisibles. Dans ce contexte, la fable des mariages mixtes ne convainc plus grand monde et ce d’autant plus que les chiffres les plus récents indiquent un renforcement de l’endogamie et singulièrement de l’homogamie religieuse. La promesse républicaine qui voulait que « l’autre », avec le temps, se fondît dans un même ensemble culturel, a vécu. Dans une société multiculturelle, « l’autre » reste « l’autre ». Cela ne veut pas dire « l’ennemi » ou « l’étranger », cela signifie que sur un territoire donné l’environnement culturel des gens peut changer et que l’on peut devenir culturellement minoritaire. C’est ce constat, pour partie occulté, qui explique la montée des partis populistes dans l’ensemble des pays européens. Si le rapport Kepel est « dérangeant », c’est d’abord parce qu’il nous parle d’un malaise identitaire qui touche désormais une majorité de Français. A ce titre, il faut relever l’importance de cette question pour l’ensemble des classes populaires d’origine française ou étrangère. C’est dans ce contexte qu’il faut lire la montée de l’abstention et de la défiance pour les grands partis aussi bien en banlieue que dans les espaces périurbains, ruraux et industriels. Si un islam identitaire travaille les banlieues, l’adhésion pour les thèses frontistes d’une part majoritaire des classes populaires de la France périphérique souligne que la question sociale est désormais inséparable de la question culturelle.Christophe Guilluy
Pour comprendre les raisons d’un réveil des classes populaires, il faut remonter aux années 1980. Christopher Lasch, qui alertait sur la « sécession des élites », avait vu juste. Ce qu’il n’avait pas vu en revanche, c’est que ce phénomène s’étendrait au-delà des élites et toucherait l’ensemble des catégories supérieures. Elles aussi ont fait sécession. Ce n’est pas par stratégie ou volonté cynique, simplement, le modèle qui s’est imposé de fait ne permettait plus l’intégration économique du plus grand nombre. Ce modèle, c’est celui d’une mondialisation, synonyme à ses débuts d’une rationalité progressiste qui nous laissait croire, dans sa logique optimiste, que l’ouvrier d’ici allait être, pour son plus grand avantage, remplacé par l’ouvrier chinois. (…) ceux qui doutaient étaient perçus comme des vieux ronchons, ce qui fut le cas de Jean-Pierre Chevènement par exemple. Pour le reste, le monde intellectuel, culturel, médiatique et les catégories supérieures allaient clairement dans le sens de ce qui semblait constituer à l’époque un progrès sympathique. Sauf que personne n’avait mesuré les effets sociaux qui allaient s’en suivre : la classe ouvrière s’est effondrée. Beaucoup pensaient à l’époque que ce phénomène se limiterait à la classe ouvrière et à la vieille industrie, au monde d’avant… Sauf que le phénomène a progressivement gagné le monde paysan, puis les petits employés d’une partie du secteur tertiaire, que l’on croyait pourtant préservé. C’est ce que j’ai appelé la désaffiliation économique des classes moyennes intégrées, qui hier étaient majoritaires. Ce modèle très inégalitaire a engendré une concentration des richesses et laissé de côté des pans entiers – finalement majoritaires – de la population occidentale. Cette réorganisation sociale s’est accompagnée d’une réorganisation géographique silencieuse très visible sur le territoire, avec l’hyper concentration des richesses dans les métropoles mondialisées. (…) C’est un modèle économique très pertinent, qui fonctionne tant que l’on garde les yeux rivés sur le PIB. Sur ces 40 dernières années, le PIB n’a cessé en moyenne d’augmenter. De manière globale, ce système fonctionne, mais n’intègre plus les classes populaires, ni économiquement ni culturellement. Nous sommes arrivés – et nous le constatons tous les jours – à un moment où les classes populaires ne se reconnaissent plus du tout dans la narration produite par la classe politique et la classe médiatique, nous sommes entrés dans l’ère de la défiance et d’autonomisation culturelle des catégories moyennes et populaires. (…) Les partis de droite et de gauche traditionnels ont été conçus pour représenter une classe moyenne majoritaire et intégrée. Ils ne conçoivent pas que cette classe moyenne et populaire majoritaire se soit désintégrée et continuent à s’adresser à une classe moyenne majoritaire qui n’existe plus. Le monde d’en bas ne se reconnaît pas plus dans le monde politique qu’il ne s’intéresse au cinéma français subventionné… Dans leurs stratégies électorales, les partis ne s’adressent plus qu’aux catégories supérieures et aux retraités. Cela pose un vrai problème, car leurs représentations de la société n’ont pas changé, ce sont toujours celles des populations intégrées. (…) Cette autonomisation culturelle et économique des catégories populaires ne s’est pas faite en un jour, c’est un processus, imperceptible au début, qui s’étale sur une quarantaine d’années, mais qui finit par devenir massif. Le concept de « France périphérique » a posé problème au monde académique, car je l’ai énoncé comme étant un « phénomène majoritaire », qui allait bouleverser la société tout entière. À partir du moment où il existe un bloc majoritaire, mais non représenté, il devient logique qu’il y ait une réaction. C’est ce qui s’est produit à l’occasion d’événements comme le Brexit en Grande-Bretagne par exemple. (…) Les gens ordinaires utilisent des marionnettes populistes pour dire « nous existons ». Sauf que cette nouvelle organisation modifie la nature du conflit. Les mouvements sociaux prennent des airs de « mouvements existentiels ». C’était le cas des Gilets jaunes où l’on a vu sortir les catégories fragilisées et se constituer en bloc. Le message était « nous sommes encore la société, nous ne voulons pas mourir et nous cherchons une offre politique pour répondre à nos demandes ». (…) Pour l’heure, aucun parti ne les représente, c’est ce qui explique l’importance de l’abstention dans ces catégories. Quand elles votent, elles choisissent souvent les partis dit populistes de gauche ou de droite. Par exemple, une fraction des classes populaires choisit le Front national pour mettre sur la table la question que les autres partis ne veulent pas traiter, qui est la question de l’immigration. Le RN existera tant que ce thème ne sera pas traité, mais en dehors de ce thème, c’est un parti qui n’existe pas, qui n’a pas de militants, pas d’ancrage… J’en viens de plus en plus à considérer l’élection comme un « sondage grandeur nature » dans lequel les catégories populaires nous disent « il y a un petit problème avec l’immigration et la société multiculturelle », ce que nous refusons d’entendre… (…) Il existe presque autant de versions du RN que d’élections… Il faut se rappeler que le FN de Jean-Marie Le Pen était un parti d’extrême droite classique, qui s’adressait aux petits indépendants et à une partie de la bourgeoisie. Le FN est devenu ouvriériste lorsque la classe ouvrière a commencé à voter pour lui. Puis le FN a commencé à s’adresser à la France rurale quand le monde paysan a commencé à voter pour lui… Le problème des élites aujourd’hui, c’est qu’elles ont un tel mépris pour les classes populaires qu’à aucun moment elles ne s’imaginent que c’est l’absence de choix qui fabrique le choix par défaut. (…) Je crois qu’il y a un sujet sur les représentations… La classe politique, tout comme la classe médiatique, est biberonnée à une vision totalement fictionnelle du monde, qui passe par une lecture panélisée des sociétés occidentales. C’est cette vision qui pousse les politiques à ne parler qu’à des segments de la société. Cette pratique de la politique par segments instaure une vision totalement néo-libérale de notre société. Il n’y a pas plus segmenté que la population des métropoles où l’on trouve des commerces hyper ciblés, correspondant à des catégories socioculturelles spécifiques. C’est la netflixisation de la société et des esprits ! De Sarkozy à Macron, ça pense en « mode Netflix », car dans le monde de Netflix il n’y a que des segments, que des tribus. À titre personnel, je pense que ce morcellement infini en tribus ne correspond pas encore à ce qu’est la société. (…) [il y via des sujets transversaux capables de constituer des majorités] Chaque campagne électorale nous le démontre ! Sur bien des thématiques, il y a des consensus majoritaires, que ce soit sur le travail, l’État providence, les modes de vie, l’immigration, l’organisation du territoire ou la sécurité… Sur toutes ces thématiques, une immense majorité de la population pense la même chose : les gens veulent vivre de leur travail, considèrent que l’on doit préserver les services publics, que l’on ne devrait pas bénéficier de droits sociaux sans travailler… Sur l’immigration, le débat existe encore dans les médias, mais il est clos dans l’opinion depuis 15 ans. Les deux tiers de l’opinion, voire davantage, pensent qu’il faut stopper l’immigration. C’est la même chose partout en Europe, aux États-Unis, au Brésil ou au Sénégal ! C’est anthropologiquement la même chose dans le monde entier. Préserver son mode de vie n’a rien de scandaleux, et lorsque je parle de mode de vie, je n’y inclus aucune lecture ethnique ou religieuse. Cette thématique du mode de vie est abordée de manière très consensuelle au Danemark par un gouvernement social-démocrate de gauche dirigé par une femme de gauche… (…) Il y a en France des thèmes ultra majoritaires que n’importe quel parti politique normalement constitué ne devrait pas éluder. Sauf qu’on laisse de côté ces thèmes, pour cibler des segments électoraux qui, additionnés, permettent d’atteindre les 20 % nécessaires à une qualification au second tour. Cela signifie que celui qui gagne les élections est élu sur un programme ultra-minoritaire. Et c’est pourquoi depuis 15 ans, ceux qui sont élus à la tête du pays sont immédiatement minoritaires dans l’opinion. La défiance politique que l’on a pu voir dans l’anti-sarkozysme, l’anti-hollandisme, ou l’anti-macronisme atteint des niveaux extrêmes et inquiétants. Quand je parle du temps des gens ordinaires, c’est une invitation à s’inscrire dans une logique démocratique, donc majoritaire. Ce qui rend possible la cancel culture par exemple, c’est l’inexistence d’une majorité. Sans majorité culturelle, la nature ayant horreur du vide, toutes les minorités deviennent légitimes à faire exister leur vision culturelle du monde… (…) Depuis 40 ans, alors même qu’on leur dit qu’elles se plantent, les classes populaires ont fait le bon diagnostic sur l’économie, sur les territoires, sur l’immigration. Quand je dis classes populaires, certains pensent « petits blancs »… je précise donc que cette vision n’est pas ethnique, car la question de la sécurité culturelle est posée à tout le monde. Si nous voulons apaiser les choses, le seul levier républicain est l’arrêt des flux migratoires, notamment dans les « quartiers » – je déteste ce mot – où l’objectif devrait être de mieux faire « vieillir » la population pour apaiser les tensions. C’est que c’est un moyen rationnel, efficace et peu coûteux d’apaiser les choses. Je suis frappé aujourd’hui par la manière dont on présente les problèmes. L’exemple du salafisme est parlant. C’est un problème totalement mondialisé sur lequel aucune politique publique ne peut avoir de prise… raison pour laquelle il ne se passera rien. Jouer les gros durs devant les caméras sur ces sujets ne permet en rien d’apaiser les choses. (…) Soit la majorité existe, soit elle n’existe pas. Je vous renvoie aux travaux de Robert Putnam, l’historien américain qui avait démontré que plus une ville américaine était multi-culturelle, plus la défiance augmentait et plus le bien commun était réduit, car chacun était alors tenté de défendre le bien de sa communauté. Quel que soit le modèle, républicain-français, communautariste anglo-saxon, ou lié à l’État providence comme en Suède, on aboutit aux mêmes tensions. Le religieux monte partout et la question ethnique se généralise… Ce processus est d’autant plus rapide que l’on nie l’existence d’un mode de vie majoritaire et qu’on légitime toutes les revendications minoritaires. (…) Nous avons un « monde d’en haut » qui est dans une bulle de représentation fictionnelle, j’y inclus Hollywood, Netflix, mais aussi l’Université. Il est fascinant de voir comment des universitaires adhèrent complètement à la représentation américaine de la société tout en prétendant combattre le capitalisme qui a précisément permis cette représentation… Il est compliqué de plaquer des analyses de l’Amérique des années 1950 sur la réalité française. Le racisme est une réalité en France, mais ce n’est pas celle du Mississippi des années 1960 du film Mississippi Burning. Le seul moyen d’apaiser les choses, c’est de renouer avec les attentes de la majorité qui ne demande qu’à vivre de son travail, préserver l’État providence, disposer de services publics, conserver son mode de vie, bénéficier d’un modèle qui permet de « vivre au pays »… Christophe Guilluy
Quelle démocratie contre le peuple ?
Alors que nos médias comme nos politiques …
Font feu de tout bois pour abattre celui qui ose défier le déni général sur les questions qui fâchent …
Et qu’après leur propre dévoiement de leur présidentielle…
Et avant le désastre annoncé de leur élections de mi-mandat …
Les Etats-Unis voient eux aussi le naufrage prévisible de l’Administration Biden …
Qui entendra finalement le besoin du peuple depuis 15 ans majoritaire …
Comme le rappelle le géographe Christophe Guilluy …
ENTRETIEN. Pour Christophe Guilluy, inventeur du concept de « France périphérique », l’approche politique « par tribus » ne fonctionne plus.
Clément Pétreault
Le Point
Géographe, souvent attaqué par le monde académique, Christophe Guilluy est aujourd’hui un « intellectuel désaffilié », qui refuse catégoriquement de se rattacher à une école de pensée. Là n’est pas le moindre de ses défauts. Cet observateur clinique des transformations du pays produit des travaux qui ont rencontré un certain écho depuis quelques années.
Il n’en fallait pas tant pour que le géographe – venu de la gauche – devienne celui qu’il fallait consensuellement détester dans sa famille politique d’origine, alors pourtant qu’il redonnait son lustre à des grilles de lecture on ne peut plus marxistes de nos sociétés… Christophe Guilluy décortique le malaise qui alimente les populismes. Interview.
Le Point : Vous écrivez que « pour la première fois depuis les années 1980, la classe dominante fait face à une véritable opposition. Les gens ordinaires sont sortis du ghetto culturel dans lequel ils étaient assignés, ils ont fait irruption au salon ». Pour vous, le réveil des classes populaires est un mouvement inéluctable ?
Christophe Guilluy : Pour comprendre les raisons d’un réveil des classes populaires, il faut remonter aux années 1980. Christopher Lasch, qui alertait sur la « sécession des élites », avait vu juste. Ce qu’il n’avait pas vu en revanche, c’est que ce phénomène s’étendrait au-delà des élites et toucherait l’ensemble des catégories supérieures. Elles aussi ont fait sécession. Ce n’est pas par stratégie ou volonté cynique, simplement, le modèle qui s’est imposé de fait ne permettait plus l’intégration économique du plus grand nombre. Ce modèle, c’est celui d’une mondialisation, synonyme à ses débuts d’une rationalité progressiste qui nous laissait croire, dans sa logique optimiste, que l’ouvrier d’ici allait être, pour son plus grand avantage, remplacé par l’ouvrier chinois.
Il y a toujours eu des voix discordantes, à droite comme à gauche, pour refuser ce modèle…
Oui, mais sans succès, car ceux qui doutaient étaient perçus comme des vieux ronchons, ce qui fut le cas de Jean-Pierre Chevènement par exemple. Pour le reste, le monde intellectuel, culturel, médiatique et les catégories supérieures allaient clairement dans le sens de ce qui semblait constituer à l’époque un progrès sympathique. Sauf que personne n’avait mesuré les effets sociaux qui allaient s’en suivre : la classe ouvrière s’est effondrée. Beaucoup pensaient à l’époque que ce phénomène se limiterait à la classe ouvrière et à la vieille industrie, au monde d’avant… Sauf que le phénomène a progressivement gagné le monde paysan, puis les petits employés d’une partie du secteur tertiaire, que l’on croyait pourtant préservé. C’est ce que j’ai appelé la désaffiliation économique des classes moyennes intégrées, qui hier étaient majoritaires. Ce modèle très inégalitaire a engendré une concentration des richesses et laissé de côté des pans entiers – finalement majoritaires – de la population occidentale. Cette réorganisation sociale s’est accompagnée d’une réorganisation géographique silencieuse très visible sur le territoire, avec l’hyper concentration des richesses dans les métropoles mondialisées.
Le PIB n’a jamais cessé de progresser en France depuis les années 1980…
C’est un modèle économique très pertinent, qui fonctionne tant que l’on garde les yeux rivés sur le PIB. Sur ces 40 dernières années, le PIB n’a cessé en moyenne d’augmenter. De manière globale, ce système fonctionne, mais n’intègre plus les classes populaires, ni économiquement ni culturellement. Nous sommes arrivés – et nous le constatons tous les jours – à un moment où les classes populaires ne se reconnaissent plus du tout dans la narration produite par la classe politique et la classe médiatique, nous sommes entrés dans l’ère de la défiance et d’autonomisation culturelle des catégories moyennes et populaires.
Dans leurs stratégies électorales, les partis ne s’adressent plus qu’aux catégories supérieures et aux retraités.
Comment expliquez-vous que les partis politiques ne soient plus capables de limiter cette défiance ?
Les partis de droite et de gauche traditionnels ont été conçus pour représenter une classe moyenne majoritaire et intégrée. Ils ne conçoivent pas que cette classe moyenne et populaire majoritaire se soit désintégrée et continuent à s’adresser à une classe moyenne majoritaire qui n’existe plus. Le monde d’en bas ne se reconnaît pas plus dans le monde politique qu’il ne s’intéresse au cinéma français subventionné… Dans leurs stratégies électorales, les partis ne s’adressent plus qu’aux catégories supérieures et aux retraités. Cela pose un vrai problème, car leurs représentations de la société n’ont pas changé, ce sont toujours celles des populations intégrées.
Donc d’après vous, c’est ce décalage brutal entre la réalité et les représentations qui fait naître la défiance ?
Cette autonomisation culturelle et économique des catégories populaires ne s’est pas faite en un jour, c’est un processus, imperceptible au début, qui s’étale sur une quarantaine d’années, mais qui finit par devenir massif. Le concept de « France périphérique » a posé problème au monde académique, car je l’ai énoncé comme étant un « phénomène majoritaire », qui allait bouleverser la société tout entière. À partir du moment où il existe un bloc majoritaire, mais non représenté, il devient logique qu’il y ait une réaction. C’est ce qui s’est produit à l’occasion d’événements comme le Brexit en Grande-Bretagne par exemple.
Est-ce une manière de dire que l’on confond les causes et les effets ? Que l’irruption de figures populistes ne serait que la conséquence d’un vide politique et non un horizon espéré par les classes populaires ?
Les gens ordinaires utilisent des marionnettes populistes pour dire « nous existons ». Sauf que cette nouvelle organisation modifie la nature du conflit. Les mouvements sociaux prennent des airs de « mouvements existentiels ». C’était le cas des Gilets jaunes où l’on a vu sortir les catégories fragilisées et se constituer en bloc. Le message était « nous sommes encore la société, nous ne voulons pas mourir et nous cherchons une offre politique pour répondre à nos demandes ».
À quoi ressemblerait un parti politique qui défend réellement les classes populaires ?
Pour l’heure, aucun parti ne les représente, c’est ce qui explique l’importance de l’abstention dans ces catégories. Quand elles votent, elles choisissent souvent les partis dit populistes de gauche ou de droite. Par exemple, une fraction des classes populaires choisit le Front national pour mettre sur la table la question que les autres partis ne veulent pas traiter, qui est la question de l’immigration. Le RN existera tant que ce thème ne sera pas traité, mais en dehors de ce thème, c’est un parti qui n’existe pas, qui n’a pas de militants, pas d’ancrage… J’en viens de plus en plus à considérer l’élection comme un « sondage grandeur nature » dans lequel les catégories populaires nous disent « il y a un petit problème avec l’immigration et la société multiculturelle », ce que nous refusons d’entendre…
Ce n’est donc pas la stratégie du RN qui serait « gagnante », mais celles des autres partis qui serait perdante ?
Il existe presque autant de versions du RN que d’élections… Il faut se rappeler que le FN de Jean-Marie Le Pen était un parti d’extrême droite classique, qui s’adressait aux petits indépendants et à une partie de la bourgeoisie. Le FN est devenu ouvriériste lorsque la classe ouvrière a commencé à voter pour lui. Puis le FN a commencé à s’adresser à la France rurale quand le monde paysan a commencé à voter pour lui… Le problème des élites aujourd’hui, c’est qu’elles ont un tel mépris pour les classes populaires qu’à aucun moment elles ne s’imaginent que c’est l’absence de choix qui fabrique le choix par défaut.
Pourquoi les politiques ne parviennent-ils pas à leur parler ?
Je crois qu’il y a un sujet sur les représentations… La classe politique, tout comme la classe médiatique, est biberonnée à une vision totalement fictionnelle du monde, qui passe par une lecture panélisée des sociétés occidentales. C’est cette vision qui pousse les politiques à ne parler qu’à des segments de la société. Cette pratique de la politique par segments instaure une vision totalement néo-libérale de notre société. Il n’y a pas plus segmenté que la population des métropoles où l’on trouve des commerces hyper ciblés, correspondant à des catégories socioculturelles spécifiques. C’est la netflixisation de la société et des esprits ! De Sarkozy à Macron, ça pense en « mode Netflix », car dans le monde de Netflix il n’y a que des segments, que des tribus. À titre personnel, je pense que ce morcellement infini en tribus ne correspond pas encore à ce qu’est la société.
Il existe quand même des sujets transversaux capables de constituer des majorités…
Chaque campagne électorale nous le démontre ! Sur bien des thématiques, il y a des consensus majoritaires, que ce soit sur le travail, l’État providence, les modes de vie, l’immigration, l’organisation du territoire ou la sécurité… Sur toutes ces thématiques, une immense majorité de la population pense la même chose : les gens veulent vivre de leur travail, considèrent que l’on doit préserver les services publics, que l’on ne devrait pas bénéficier de droits sociaux sans travailler… Sur l’immigration, le débat existe encore dans les médias, mais il est clos dans l’opinion depuis 15 ans. Les deux tiers de l’opinion, voire davantage, pensent qu’il faut stopper l’immigration. C’est la même chose partout en Europe, aux États-Unis, au Brésil ou au Sénégal ! C’est anthropologiquement la même chose dans le monde entier. Préserver son mode de vie n’a rien de scandaleux, et lorsque je parle de mode de vie, je n’y inclus aucune lecture ethnique ou religieuse. Cette thématique du mode de vie est abordée de manière très consensuelle au Danemark par un gouvernement social-démocrate de gauche dirigé par une femme de gauche…
Donc pour vous, tous les partis devraient se ranger à l’opinion majoritaire sur l’immigration ?
Il y a en France des thèmes ultra majoritaires que n’importe quel parti politique normalement constitué ne devrait pas éluder. Sauf qu’on laisse de côté ces thèmes, pour cibler des segments électoraux qui, additionnés, permettent d’atteindre les 20 % nécessaires à une qualification au second tour. Cela signifie que celui qui gagne les élections est élu sur un programme ultra-minoritaire. Et c’est pourquoi depuis 15 ans, ceux qui sont élus à la tête du pays sont immédiatement minoritaires dans l’opinion. La défiance politique que l’on a pu voir dans l’anti-sarkozysme, l’anti-hollandisme, ou l’anti-macronisme atteint des niveaux extrêmes et inquiétants. Quand je parle du temps des gens ordinaires, c’est une invitation à s’inscrire dans une logique démocratique, donc majoritaire. Ce qui rend possible la cancel culture par exemple, c’est l’inexistence d’une majorité. Sans majorité culturelle, la nature ayant horreur du vide, toutes les minorités deviennent légitimes à faire exister leur vision culturelle du monde…
Ne craignez-vous pas d’accentuer les fractures avec des discours de ce type sur l’immigration ?
Depuis 40 ans, alors même qu’on leur dit qu’elles se plantent, les classes populaires ont fait le bon diagnostic sur l’économie, sur les territoires, sur l’immigration. Quand je dis classes populaires, certains pensent « petits blancs »… je précise donc que cette vision n’est pas ethnique, car la question de la sécurité culturelle est posée à tout le monde. Si nous voulons apaiser les choses, le seul levier républicain est l’arrêt des flux migratoires, notamment dans les « quartiers » – je déteste ce mot – où l’objectif devrait être de mieux faire « vieillir » la population pour apaiser les tensions. C’est que c’est un moyen rationnel, efficace et peu coûteux d’apaiser les choses. Je suis frappé aujourd’hui par la manière dont on présente les problèmes. L’exemple du salafisme est parlant. C’est un problème totalement mondialisé sur lequel aucune politique publique ne peut avoir de prise… raison pour laquelle il ne se passera rien. Jouer les gros durs devant les caméras sur ces sujets ne permet en rien d’apaiser les choses.
Sous le mandat d’Emmanuel Macron, les obsessions identitaires ont littéralement explosé, de manière plus rapide et plus puissante que les pays voisins européens. Comment expliquez-vous ce phénomène, et accessoirement, comment le résoudre ?
Soit la majorité existe, soit elle n’existe pas. Je vous renvoie aux travaux de Robert Putnam, l’historien américain qui avait démontré que plus une ville américaine était multi-culturelle, plus la défiance augmentait et plus le bien commun était réduit, car chacun était alors tenté de défendre le bien de sa communauté. Quel que soit le modèle, républicain-français, communautariste anglo-saxon, ou lié à l’État providence comme en Suède, on aboutit aux mêmes tensions. Le religieux monte partout et la question ethnique se généralise… Ce processus est d’autant plus rapide que l’on nie l’existence d’un mode de vie majoritaire et qu’on légitime toutes les revendications minoritaires.
Vous suggérez de changer les représentations pour changer le monde. Comme les révolutionnaires…Nous avons un « monde d’en haut » qui est dans une bulle de représentation fictionnelle, j’y inclus Hollywood, Netflix, mais aussi l’Université. Il est fascinant de voir comment des universitaires adhèrent complètement à la représentation américaine de la société tout en prétendant combattre le capitalisme qui a précisément permis cette représentation… Il est compliqué de plaquer des analyses de l’Amérique des années 1950 sur la réalité française. Le racisme est une réalité en France, mais ce n’est pas celle du Mississippi des années 1960 du film Mississippi Burning. Le seul moyen d’apaiser les choses, c’est de renouer avec les attentes de la majorité qui ne demande qu’à vivre de son travail, préserver l’État providence, disposer de services publics, conserver son mode de vie, bénéficier d’un modèle qui permet de « vivre au pays »…
Dernier ouvrage paru, « Le Temps des gens ordinaires » (Flammarion)
Dégringolade dans les sondages, bras de fer avec le Congrès, crise migratoire et errements de politique étrangère… Huit mois après son entrée en fonctions, l’image du locataire de la Maison-Blanche est écornée.
Joe Biden est-il en train d’échouer ? “Moins de neuf mois après le début de sa présidence, de plus en plus d’Américains et d’alliés étrangers semblent le penser”, assène le chroniqueur Simon Tisdall dans le Guardian.
Aux États-Unis, les sondages montrent en effet une “dégringolade continue de sa cote de popularité”, explique le quotidien. La dernière enquête d’opinion Harvard-Harris pointe même une inversion préocuppante : la cote d’approbation de Joe Biden (46 %) y est dépassée par celle de Donald Trump (48 %).
Un président “âgé et pressé”
Pour le chroniqueur du New York Times Ross Douthat, ce qui a mal tourné pour Joe Biden est “un savant mélange de malchance, de mauvais choix et de faiblesses inhérentes”. Malchance parce que le variant Delta est venu bouleverser sa stratégie de lutte contre la pandémie de Covid-19. Mauvais choix, comme en atteste le retrait d’Afghanistan qui s’est révélé aussi chaotique que sa gestion de la crise migratoire à la frontière sud du pays. Faiblesse inhérente, enfin, “car Joe Biden est un vieil homme”, rappelle le chroniqueur.
Même son de cloche du côté du Guardian, qui souligne que l’actuel locataire de la Maison-Blanche “qui fêtera ses 79 ans en novembre”, est un homme “aussi âgé que pressé” qui aurait grand besoin d’une victoire législative majeure dans les prochains jours pour enrayer sa dégringolade actuelle.
Notamment en ce qui concerne “son projet massif d’investissements dans les infrastructures de 1200 milliards de dollars” qui devrait faire l’objet d’un vote à la Chambre des représentants cette semaine, “ainsi que sur son grand plan de réformes sociales d’un montant colossal de 3500 milliards de dollars”.
Joe Biden aurait également besoin que “le Congrès adopte un accord budgétaire avant la fin de la semaine pour éviter un nouveau ‘shutdown’”, soit la paralysie des services fédéraux américains.
Scénario pessimiste
En l’absence de telles victoires, si la tendance actuelle dans les sondages devait se maintenir, elle pourrait “déboucher sur une victoire des républicains aux élections de mi-mandat de novembre prochain, à l’issue desquelles ils pourraient reprendre le contrôle des deux chambres du Congrès”, souligne le Guardian, ainsi que “sur l’abandon d’une grande partie du programme de Biden et, in fine, sur une présidence ratée qui n’aura duré que le temps d’un seul mandat de quatre ans”.
Bérangère Cagnat
Voir enfin:
Vincent Coussedière: « L’assimilation n’est pas une politique parmi d’autres, elle est la politique même » Eugénie Bastié
le Figaro
21/03/2021FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN – Dans son livre Éloge de l’assimilation, l’essayiste critique une «idéologie migratoire» qui repose selon lui sur le verrou affectif de la honte et fait primer la reconnaissance de l’«identité» sur l’appartenance citoyenne. Il raconte comment cette idéologie, de Jean-Paul Sartre à François Mitterrand s’est progressivement imposée.
Vincent Coussedière est professeur agrégé de philosophie et essayiste. Il est l’auteur de plusieurs essais qui renouvellent l’approche de la question du populisme. Il intervient régulièrement sur les questions politiques dans plusieurs médias. Il a également enseigné à l’IEP de Strasbourg dans le cadre de la préparation au concours de l’ENA. Il publie Éloge de l’assimilation, critique de l’idéologie migratoire aux éditions du Rocher.
LE FIGARO.- Vous décrivez dans votre livre: «un gigantesque effort de naturalisation du phénomène de l’immigration depuis 60 ans». Qu’entendez-vous par là?
Vincent COUSSEDIÈRE. –Cette naturalisation de l’immigration est le produit d’une idéologie dont je propose la généalogie. L’immigration est un phénomène social et politique qui dépend de la volonté des hommes: volonté d’émigrer, volonté d’accueillir les immigrés. Pour les sociétés européennes ce phénomène a toujours été l’exception et non la règle. L’idéologie migratoire renverse les choses, l’homme est présenté comme un animal migrant et non plus comme un animal social et politique, appartenant toujours déjà à une famille et une cité. Il s’agit ainsi de banaliser un phénomène, l’immigration, auquel il faudrait s’adapter comme on s’adapte à un phénomène naturel. Le propre de l’idéologie a toujours été de naturaliser ce qui est d’origine sociale et politique pour le rendre acceptable.
Vous dites que l’ «idéologie migratoire» repose sur un «verrou affectif». Qu’est-ce à dire?
L’idéologie migratoire repose sur trois verrous qui viennent cadenasser son dispositif. Le premier est ce que j’appelle le verrou affectif de la honte. Hannah Arendt définissait l’idéologie comme la «logique d’une idée» et je pense qu’il faut compléter cette définition. L’idéologie repose aussi sur une «logique d’affects». En ce qui concerne l’idéologie migratoire, l’affect fondamental sur lequel elle repose est celui de la honte de la nation. On a déjà noté cette maladie de la repentance qui empêche les Européens de chercher à assimiler les étrangers. Mais on ne va pas assez loin dans sa généalogie. Dans le cas français, c’est à l’effondrement de 1940 qu’il faut remonter. L’idéologie migratoire va venir s’ancrer sur cet affect de honte de la nation consécutif à la défaite et à la collaboration, elle va l’alimenter et le renforcer, «verrouillant» ainsi la manière dont les Français se rapportent à leur nation. Seule la prise en compte de l’ancienneté et de la profondeur de cet ancrage affectif peut faire comprendre la difficulté de sortir aujourd’hui de l’idéologie migratoire.
Vous insistez sur le rôle idéologique du philosophe Jean-Paul Sartre dans l’abandon de l’assimilation. En quoi son influence a-t-elle été déterminante? Ne surestimez-vous pas son influence?
Une vulgate se répand aujourd’hui pour attribuer aux penseurs de la «déconstruction» l’origine de l’idéologie migratoire. Il est vrai que la thématique de l’«hospitalité inconditionnelle», développée par Derrida dans plusieurs ouvrages, qui tend à sacraliser l’étranger et à absolutiser le devoir moral de l’accueil, inspire les militants actuels de l’idéologie migratoire. Mais Derrida, tout comme Foucault d’ailleurs, ont dit leur dette à Sartre en matière d’engagement politique. Celui-ci a eu une influence déterminante dans la réorientation «moralisatrice» et culpabilisatrice de la gauche intellectuelle française. Pour la question qui nous occupe, je montre que c’est dans Réflexions sur la question juive, publié en 1946, que vient se nouer le triple verrouillage sur lequel repose l’idéologie migratoire: la honte de la nation et de sa tradition assimilatrice, la promotion de l’ «identité» des victimes de l’assimilation, l’engagement politico-médiatique en faveur de leur «reconnaissance». Sartre est le fondateur de ce que j’appelle le «programme de la honte». À partir de la honte du sort fait aux juifs sous l’occupation, Sartre engage une critique de la démocratie assimilationniste. C’est en effet tout le programme assimilationniste porté par la révolution française que Sartre vient inverser. On se souvient de la phrase de Clermont Tonnerre: «Il faut tout refuser aux juifs comme nation, et accorder tout aux juifs comme individus». Cela signifie que la France reconnaît les juifs en tant que citoyens, ayant les mêmes droits et devoirs que les autres citoyens. La France reconnaît des Français juifs et non des Juifs français. Sartre vient faire peser le soupçon d’antisémitisme et de racisme sur ce programme assimilationniste qu’il voudrait inverser. Pour lui la reconnaissance de l’«identité» doit primer sur l’appartenance citoyenne à la nation, c’est ce qu’il appelle le «libéralisme concret» dont je montre qu’il est en réalité une ébauche de programme multiculturel. Ce qui est «concret» pour Sartre c’est l’identité définie par la religion, la race ou le sexe, ce qui est abstrait et aliénant, ce qui vient détruire et menacer cette identité concrète, c’est l’assimilation à la démocratie nationale. Selon Sartre, le démocrate «souhaite séparer le juif de sa religion, de sa famille, de sa communauté ethnique, pour l’enfourner dans le creuset démocratique, d’où il ressortira seul et nu, particule individuelle et solitaire, semblable à toutes les autres particules. C’est ce qu’on nommait aux États-Unis, la politique d’assimilation. Les lois sur l’immigration ont enregistré la faillite de cette politique et, en somme, celle du point de vue démocratique». Ce texte condense toute l’opération de l’idéologie migratoire: l’amalgame entre l’assimilation nationale et le sort abominable fait aux juifs. Bien avant qu’Erdogan ne s’empare de ce thème, comparant à Cologne, en 2008, l’assimilation à un crime contre l’humanité, Sartre compare celle-ci aux pires exactions commises contre les juifs.
La présidence de François Mitterrand a-t-elle été décisive pour l’accession au pouvoir de ce que vous appelez l’ «idéologie migratoire»?
La honte de l’assimilation cultivée par Sartre va cheminer au sein de la gauche et plus particulièrement du parti socialiste. Le modèle de l’assimilation, timidement poursuivi par Pompidou et Giscard, va être abandonné sous Mitterrand, cet abandon étant masqué par un nouveau concept, l’ «intégration», et un nouveau slogan: le «vivre-ensemble». Avant même l’invention de SOS Racisme par le parti socialiste, ce dernier s’était converti au droit à la différence et à une conception de plus en plus multiculturelle de la société. Dans le Projet socialiste pour la France des années 80 on pouvait déjà lire: «Les socialistes entendent reconnaître aux immigrés le droit à leur identité culturelle. La transmission de la connaissance et de la culture nationale à leurs enfants sera favorisée par tous les moyens. Car il n’est pas question de rompre avec leur pays d’origine. (…) Il faut préparer les nations les plus riches, dont la France, à envisager leur avenir en termes communautaires.».
«Identité», le mot était donc lâché dès 1980. Alors que la politique d’assimilation mettait au second plan l’ «identité» des immigrés, la politique d’intégration faisait de celle-ci une richesse devant laquelle il fallait s’incliner. Le président du Haut-Conseil à l’intégration, Marceau Long, avait été bien choisi par Michel Rocard puisque il avait exprimé, dès son rapport de 1988: Être Français aujourd’hui et demain, sa défiance pour le terme d’assimilation, au nom de la nécessaire reconnaissance de l’identité de l’immigré: «L’expression est regrettable, puisqu’elle semble impliquer que les étrangers perdent leurs caractéristiques d’origine pour devenir seulement des Français.». On appréciera le «seulement des Français» qui montre à quel point le «travail de taupe» de la honte de la nation instauré par Sartre avait fait des dégâts dans les élites françaises.
Même chez Chevènement, le plus assimilationniste des socialistes, on retrouve cette méfiance à l’égard de l’assimilation: «Le mot assimilation semble signifier une réduction à l’identique (…). Finalement le mot le moins mal approprié est celui d’ «intégration», car il accepte les différences mais dans le cadre républicain.». Certes, pour Chevènement, c’est la distinction entre la sphère privée et la sphère publique qui viendra limiter cette reconnaissance de la différence de l’étranger: celui-ci devra se monter semblable dans la sphère publique mais pourra cultiver sa différence dans la sphère privée. Mitterrand sera l’arbitre entre ces deux tendances chez les socialistes: la tendance intégrationniste chevènementiste et la tendance plus franchement inclusive et multiculturelle représentée par SOS Racisme. Son arbitrage penchera en faveur de SOS Racisme pour des raisons sans doute plus politiciennes qu’idéologiques: il prenait ainsi la droite en tenaille entre SOS Racisme et le FN.
Lorsque les socialistes reviendront au pouvoir avec Hollande en 2012, le pôle multiculturel donna des signes de l’avoir emporté. La bienveillance à l’égard de la «différence» de l’étranger ayant fait un pas supplémentaire dans le projet de refonte de la politique d’intégration commandé par le premier ministre J.M Ayrault en 2013. Ce projet donna lieu au fameux rapport Tuot: La Grande Nation: pour une société inclusive, dans lequel on pouvait lire: «Il ne s’agira jamais d’interdire aux étrangers d’être eux-mêmes, mais de les aider à être eux-mêmes dans notre société.». Certes, le projet fut retiré devant les réactions, mais qu’il ait pu être commandé à ce niveau du pouvoir était le symptôme de la victoire de l’idéologie migratoire dans les rangs socialistes.
En quoi l’assimilation se distingue-t-elle de l’intégration ou de l’inclusion prônées aujourd’hui? Comment la relégitimer ainsi que vous le souhaitez?
À travers l’intégration nos «républicains» ont prôné un idéal louable: il s’agissait de demander à l’immigré de s’intégrer à la sphère de la citoyenneté et de la «République» tout en lui permettant de conserver son identité culturelle et sa différence dans la sphère privée. Les républicains cherchaient ainsi à se tenir à égale distance de l’assimilationnisme réputé «nationaliste» et de l’idéal inclusif réputé «multiculturel». On reprochait à l’assimilation de réduire l’autre au même et à l’inclusion de nier le même au profit de l’autre. La séparation entre la sphère privée et la sphère publique fut présentée comme le sésame de cette intégration réussie. L’État, parallèlement à sa neutralité religieuse, se devait d’être neutre en matière de mœurs. L’État ne demandait pas que l’étranger soit semblable par les mœurs mais qu’il soit semblable par la loi à laquelle il participe et à laquelle il obéit. Cette séparation entre le privé et le public, entre les mœurs et la loi, entre la morale et la politique, est le point aveugle de la conception «républicaine» de l’intégration. La politique entendue en un sens architectonique, en un sens grec, ne repose pas sur la séparation du privé et du public mais sur leur articulation. L’assimilation n’est pas une politique parmi d’autres. Elle est la politique même. À condition de la repenser comme je fais, dans les pas du grand sociologue Gabriel Tarde, comme «assimilation imitative», comme effort libre pour se rendre similaire. En ce sens, elle traverse la sphère des mœurs comme celle de la loi et s’impose tout autant au national qu’à l’étranger. Elle seule peut produire cette «amitié politique» que nous aurions tant besoin de retrouver aujourd’hui.
Puisqu’on l’opprime dans sa race et à cause d’elle, c’est d’abord de sa race qu’il lui faut prendre conscience. Ceux qui, durant des siècles, ont vainement tenté, parce qu’il était nègre, de le réduire à l’état de bête, il faut qu’il les oblige à le reconnaître pour un homme. Or il n’est pas ici d’échappatoire, ni de tricherie, ni de « passage de ligne » qu’il puisse envisager : un Juif, blanc parmi les blancs, peut nier qu’il soit juif, se déclarer un homme parmi les hommes. Le nègre ne peut nier qu’il soit nègre ni réclamer pour lui cette abstraite humanité incolore : il est noir. Ainsi est-il acculé à l’authenticité : insulté, asservi, il se redresse, il ramasse le mot de « nègre » qu’on lui a jeté comme une pierre, il se revendique comme noir, en face du blanc, dans la fierté. L’unité finale qui rapprochera tous les opprimés dans le même combat doit être précédée aux colonies par ce que je nommerai le moment de la séparation ou de la négativité : ce racisme antiraciste est le seul chemin qui puisse mener à l’abolition des différences de race. Jean-Paul Sartre (Orphée noir, 1948)
The greatest miracle Christianity has achieved in America is that the black man in white Christian hands has not grown violent. It is a miracle that 22 million black people have not risen up against their oppressors–in which they would have been justified by all moral criteria, and even by the democratic tradition! It is a miracle that a nation of black people has so fervently continued to believe in a turn-the-other-cheek and heaven-for-you-after-you-die philosophy! It is a miracle that the American Black people have remained a peaceful people, while catching all the centuries of hell that they have caught, here in white man’s heaven! The miracle is that the white man’s puppet Negro ‘leaders,’ his preachers and the educated Negroes laden with degrees, and others who have been allowed to wax fat off their black poor brothers, have been able to hold the black masses quiet until now. Malcom X (épigraphe du film Do the right thing)
Ils sont toujours à la recherche de leur golden boy blanc. Spike Lee
Je suis allé voir le ministre Farrakhan pour avoir leur bénédiction, sa bénédiction. Spike Lee
Tu as brûlé ma photo dans Do the Right Thing! Frank Sinatra
Parce que l’impatience est immense de retrouver enfin le décor cannois : le bord de mer, les palmiers et l’écran noir qui accueillera en page blanche les films de la Sélection officielle, parce que ce regard curieux qu’il va poser sur le travail de ses collègues cinéastes qui viennent apporter des nouvelles du monde, de leur monde et forcément un peu du nôtre, parce que ce regard personnel qu’il nous offre depuis son tout premier film : tourné dans la chaleur de l’été 1985 en noir et blanc – déjà –, il bousculait le cinéma – déjà – en imposant un style précurseur, pétri de culture urbaine et populaire, parce que ce regard tendre qu’il incarne en Mars Blackmon, le B-Boy de Nola Darling n’en fait qu’à sa tête, stéréotype de représentation de la communauté afro-américaine que le film dynamite, parce que ce regard malicieux qui, malgré questionnements renouvelés et révoltes incessantes depuis près de quatre décennies, ne néglige jamais le divertissement, … Spike Lee, citoyen de la « People’s Republic of Brooklyn, New York », est sur l’affiche de cette édition collector… forcément ! Who else ? Depuis la « People’s Republic of the World of Cinéma, Cannes. L’équipe du Festival de Cannes
Sal, how come you ain’t got no brothers up on the wall here? (…) you own this, but rarely do I see any Italian Americans eating in here. All I’ve ever seen is black folks. So since we spend much money here, we do have some say. (…) Put some brothers up on this Wall of Fame. We want Malcolm X, Angela Davis, Michael Jordan tomorrow. (…) Boycott Sal’s. Boycott Sal’s.Buggin out (personnage de Do the right thing)
What did I tell ya ’bout dat noise? (…) What da fuck! Are you deaf? (…) Turn that JUNGLE MUSIC off. We ain’t in Africa. (…) It’s about turning that shit off and getting the fuck outta my pizzeria. (…) What ever happened to nice music with words you can understand? Sal (propriétaire de la pizzeria dans Do the right thing)
Mon frère a été à l’avant-garde de nos batailles encore et toujours. Depuis très longtemps jusqu’à cette révolution actuelle dans laquelle se trouve le monde, Rev. [Al Sharpton] a parlé de Black Lives Matter dès le début, également à une époque où ce n’était pas la chose la plus populaire ou la plus branchée. Spike Lee
Tout d’un coup une maladie surgit de nulle part et pour laquelle personne n’a de remède, et elle cible spécifiquement les gays et les minorités (les latinos et les noirs). La maladie mystérieuse, ouais, à peu près aussi mystérieuse que le génocide. […] Je suis convaincu que le sida est une maladie conçue par le gouvernement. Spike Lee (Rolling Stone, 1992)
Je voulais sérieusement prendre une arme et tirer sur des blancs. La seule façon de résoudre les problèmes est un bain de sang. Spike Lee (après un voyage en Afrique du sud)
Abattez-le avec un calibre .44 Bulldog. Spike Lee (au sujet de Charlton Heston, alors acteur et président de la NRA)
Je ne vois jamais d’hommes noirs avec de belles femmes blanches. Ils sont laids, moches, des chiens. Et vous voyez toujours des hommes blancs avec de belles femmes noires. Chaque fois que vous voyez un couple interracial, les gens les regardent fixement. (…) Je n’ai pas besoin d’ennuis. Comme je n’y vais pas, je n’aime pas cette merde. Je ne trouve pas les femmes blanches attirantes, c’est tout. Et il y a beaucoup trop de belles femmes noires. (…) Les noirs ne peuvent pas être racistes. Spike Lee (1991)
I give interracial couples a look. Daggers. They get uncomfortable when they see me on the street. Hand in hand and arm in arm. I just hope they’re on in it for the sex mythology.Spike Lee
It’s not too far-fetched. I don’t put anything past the United States government. I don’t find it too far-fetched that they tried to displace all the black people out of New Orleans. Spike Lee
My first experience [with doing nude scenes] was Do the Right Thing. And I had a big problem with it, mainly because I was afraid of what my family would think — that’s what was really bothering me. It wasn’t really about taking off my clothes. But I also didn’t feel good about it because the atmosphere wasn’t correct. And when Spike Lee puts ice cubes on my nipples, the reason you don’t see my head is because I’m crying. I was like, I don’t want to do this. Rosie Perez
[Spike Lee] n’a pas été suivi, je n’ai vu personne d’autre monter au créneau, et ce sont plutôt des libéraux blancs qui reprochent au film de n’être pas très correct. J’utilise le mot nigga parce que je n’ai qu’une idée en tête: être au plus près de la vérité des personnages d’Elmore Leonard, c’est ainsi qu’ils s’expriment : “Comment ça va, nigga ?” J’ai grandi dans un environnement où on parlait comme ça. Je ne vois pas pourquoi je n’écrirais pas les choses telles qu’elles sont. Je devrais prendre des pincettes pour écrire un personnage noir ? Je suis bien placé pour écrire des personnages de jeune femme ou de vieux gangster mais pas des personnages noirs ? C’est délirant. Quentin Tarantino (1998)
Je ne pense pas que le mot est insultant placé dans le contexte du film. Les artistes noirs pensent qu’ils sont les seuls autorisés à utiliser ce mot. Jackie Brown est un superbe film rendant hommage aux films de la Blaxploitation. C’est un bon film, chose que Spike n’a pas fait depuis quelques années. (…) Y avait-il un autre mot pour appeler les personnes noires dans le langage courant à cette époque ? Si vous devez faire un film d’époque, alors vous devez utiliser le langage qui était présent. Et c’était ce langage qui était présent à cette époque. J’ai grandi dans le Sud, j’ai entendu Nigger toute ma vie. Je ne suis pas perturbé par ça. Samuel L. Jackson
Je ne peux pas en parler, parce que je n’irai pas le voir. Je ne veux pas le voir. […] Je pense que ça serait manquer de respect à mes ancêtres. C’est tout ce que j’ai à dire. Je ne peux pas manquer de respect à mes ancêtres. L’esclavage américain n’était pas un western spaghetti de Sergio Leone. C’était un holocauste. Mes ancêtres étaient esclaves. Je leur ferai honneur. Spike Lee
Clint Eastwood a fait deux films sur Iwo Jima qui dépassaient les quatre heures au total et pas un acteur noir n’est vu à l’écran. (…) Dans sa version d’Iwo Jima, les soldats noirs n’existaient pas. Si vous, les journalistes, en aviez, vous lui demanderiez pourquoi. Il n’y a aucun moyen que je sache pourquoi il a fait ça… Mais je sais que ça lui a été signalé et qu’il aurait pu le changer. Ce n’est pas comme s’il ne savait pas. Spike Lee
Est-ce qu’il déjà étudié l’histoire ? (…) Il s’est plaint quand j’ai fait Bird [le biopic de 1988 de Charlie Parker]. Pourquoi un Blanc ferait-il ça ? J’étais le seul gars qui l’a fait, c’est pour ça. Il aurait pu aller de l’avant et y arriver. Au lieu de cela, il faisait autre chose. Quant à Flags of Our Fathers, oui, il y avait un petit détachement de troupes noires sur Iwo Jima dans le cadre d’une compagnie de munitions, mais ils n’ont pas hissé le drapeau. L’histoire est Flags of Nos pères, la célèbre photo de lever de drapeau, et ils n’ont pas fait ça. Si je mettais un acteur afro-américain là-dedans, les gens diraient : « Ce type a perdu la tête. » Je veux dire, ce n’est pas exact. (…) Qu’est-ce que tu vas faire, tu vas raconter une putain d’histoire à ce sujet ? Faire ressembler ça à une publicité pour un joueur de l’égalité des chances ? Je ne suis pas dans ce jeu. Je « Je le joue comme je l’ai lu historiquement, et c’est comme ça. Quand je fais une image et qu’elle est à 90% noire, comme Bird, j’utilise 90% de noirs. (…) Je ne vais pas faire de Nelson Mandela un Blanc. Clint Eastwood
EVERYBODY REPOST THIS George W. Zimmerman 159 Edgewater Circle Sanford, Florida 32773 — MARCUS D.HIGGINS (@MACCAPONE) Spike Lee (March 23, 2012)
Pas ma tasse de thé. Un tel point de vue sur les Noirs n’est vraiment pas tolérable. Spike Lee (au sujet de Green book)
I grew up here in Fort Greene. I grew up here in New York. It’s changed. And why does it take an influx of white New Yorkers in the south Bronx, in Harlem, in Bed Stuy, in Crown Heights for the facilities to get better? The garbage wasn’t picked up every motherfuckin’ day when I was living in 165 Washington Park. P.S 20 was not good. P.S 11. Rothschild 294. The police weren’t around. When you see white mothers pushing their babies in strollers, three o’clock in the morning on 125th Street, that must tell you something. (…) Then comes the motherfuckin’ Christopher Columbus Syndrome. You can’t discover this! We been here. You just can’t come and bogart. There were brothers playing motherfuckin’ African drums in Mount Morris Park for 40 years and now they can’t do it anymore because the new inhabitants said the drums are loud. My father’s a great jazz musician. He bought a house in nineteen-motherfuckin’-sixty-eight, and the motherfuckin’ people moved in last year and called the cops on my father. He’s not — he doesn’t even play electric bass! It’s acoustic! We bought the motherfuckin’ house in nineteen-sixty-motherfuckin’-eight and now you call the cops? In 2013? Get the fuck outta here! Nah. You can’t do that. You can’t just come in the neighborhood and start bogarting and say, like you’re motherfuckin’ Columbus and kill off the Native Americans. Or what they do in Brazil, what they did to the indigenous people. You have to come with respect. There’s a code. There’s people. You can’t just – here’s another thing: When Michael Jackson died they wanted to have a party for him in motherfuckin’ Fort Greene Park and all of a sudden the white people in Fort Greene said, « Wait a minute! We can’t have black people having a party for Michael Jackson to celebrate his life. Who’s coming to the neighborhood? They’re gonna leave lots of garbage. » Garbage? Have you seen Fort Greene Park in the morning? It’s like the motherfuckin’ Westminster Dog Show. There’s 20,000 dogs running around. Whoa. So we had to move it to Prospect Park! I mean, they just move in the neighborhood. You just can’t come in the neighborhood. I’m for democracy and letting everybody live but you gotta have some respect. You can’t just come in when people have a culture that’s been laid down for generations and you come in and now shit gotta change because you’re here? Get the fuck outta here. Can’t do that! (…) And then! So you’re talking about the people’s property change? But what about the people who are renting? They can’t afford it anymore! You can’t afford it. People want live in Fort Greene. People wanna live in Clinton Hill. The Lower East Side, they move to Williamsburg, they can’t even afford fuckin’, motherfuckin’ Williamsburg now because of motherfuckin’ hipsters. What do they call Bushwick now? What’s the word? (…) That’s another thing: Motherfuckin’… These real estate motherfuckers are changing names! Stuyvestant Heights? 110th to 125th, there’s another name for Harlem. What is it? What? What is it? No, no, not Morningside Heights. There’s a new one. (…) What the fuck is that? How you changin’ names? And we had the crystal ball, motherfuckin’ Do the Right Thing with John Savage’s character, when he rolled his bike over Buggin’ Out’s sneaker. I wrote that script in 1988. He was the first one. How you walking around Brooklyn with a Larry Bird jersey on? You can’t do that. Not in Bed Stuy. So, look, you might say, « Well, there’s more police protection. The public schools are better. » Why are the public schools better? First of all, everybody can’t afford — even if you have money it’s still hard to get your kids into private school. Everybody wants to go to Saint Ann’s — you can’t get into Saint Ann’s. You can’t get into Friends. What’s the other one? In Brooklyn Heights. Packer. If you can’t get your child into there … It’s crazy. There’s a business now where people — you pay — people don’t even have kids yet and they’re taking this course about how to get your kid into private school. I’m not lying! So if you can’t get your kid into private school and you’re white here, and you can’t afford it, what’s the next best thing? All right, now we’re gonna go to public schools. So, why did it take this great influx of white people to get the schools better? Why’s there more police protection in Bed Stuy and Harlem now? Why’s the garbage getting picked up more regularly? We been here! (…) My one sole point though is wealth creation in the African-American community, something that we’ve traditionally been locked out – you bought a house in the ghetto and in three generations the house was worth nothing in the ghetto. So, for those homeowners that did stick in in Bed Stuy – my parents moved in it was an all Jewish neighbourhood there, so I’ve seen it through everything – so for those people that did stick in, now we have an opportunity for wealth creation that we’ve been locked out of. So now while it may not help the renters, and everything you said was absolutely true, what about that one aspect of wealth creation for people that have paid those taxes, that have fought to keep the crime down on their blocks, and all the other things they did to maintain… because the white folks are not moving back because it’s the ghetto, they’re moving back because they are beautiful blocks full of beautiful brownstones that have been well maintained by people of colour.] (…) The people you talked about are not a great number. Number one, a lot of these people have not kept their taxes so they can’t afford to keep the house. Number two, when these real estate guys come around and open a suitcase with a bunch of money they’re gonna sell it. I mean these people you’re talking about are elderly. And they get the money, their money goes a lot further down south. Black people by droves in New York City, it’s called reverse migration. They’re moving to Atlanta, they’re moving to North Carolina. They got a house, they got a lawn, they got a backyard, they have less taxes… New York City’s a hard place and so if you’ve worked all your life and you’re retired, they’re selling their houses and I don’t blame them. I can’t say to them, ‘you can’t sell your house’. They’re like, ‘Fuck you, Spike’. You have to do some research, and look at the numbers. The black American population of New York City is going down. There’s reverse migration. (…) what we need, we need affordable housing for everybody. People can’t afford, I mean, here’s the thing… the further away from Manhattan. Brooklyn Heights is the most expensive neighbourhood. Then you got Park Slopes, Fort Greene, Cobble Hill, Clinton Hill and then, you know, it works like this… the rents get cheaper the further away you go from Brooklyn. And the reality is, after the sand on Coney Island, it’s the motherfucking Atlantic ocean. So, where you gonna go? Where you gonna go? Puerto Ricans say the same thing. A lot of people said ‘well, we’re gonna move to Bucks County. Or move back to Puerto Rico’. People can’t afford to live here anymore. And if people can’t afford to live then it’s going to be the [words unclear] like you. There used to be a time you could… when $2 and $1, you could get by. You can’t do it anymore. So, if New York City is not affordable then the great art that we have is not going to be here, because people can’t afford it. So, I know what you’re saying, but I don’t see a lot of good coming from gentrification for the people living in those neighbourhoods. We got a new neighbourhood in the South Bronx now, what do we call it? What? SoBro. It’s a scam! It’s shenanigans, trickery, people being bamboozled, leather string, run a-muck. What they call Bushwick now? Spike Lee
Ce monde est dirigé par des gangsters. ‘Agent Orange’ [Trump], le gars au Brésil [Bolsanoro] et Poutine sont des gangsters. Ils font absolument tout ce qu’ils veulent, ils n’ont ni morale, ni scrupule. C’est ça le monde dans lequel nous vivons. Nous devons nous dresser contre des gangsters comme eux. (…) Quand on voit le frère Eric Gardner, le roi George Floyd, tué, lynché, je pense à Radio Raheem [personnage noir de Do the right thing tué par la police]. On pourrait croire et espérer que plus de 30 putains d’années après, les noirs ne soient plus chassées comme des animaux. Alors je suis content d’être ici. Spike Lee (président du festival de Cannes)
[Spike Lee qui appelle au boycott des Oscars et à des quotas] « Non, je trouve ça, c’est dans l’autre sens raciste, raciste pour les blancs. (…) On peut jamais savoir si c’est vraiment le cas, mais peut-être les acteurs noirs méritaient pas d’être dans la dernière ligne droite (…) Pourquoi classer les gens? On vit dans des pays où maintenant, quand même, on est plus ou moins accepté. Mais il y aura toujours des problématiques un petit peu: lui, il est moins beau, lui, il est est trop noir, lui, il est trop blanc… Il y aura toujours, toujours, quelqu’un qu’on va dire: ‘Oh, vous êtes trop’… Alors, on va classer tout ça pour faire des milliers de petites minorités partout? ». Charlotte Rampling (23.01.2016)
Je regrette que mes propos aient été mal interprétés cette semaine dna sl’interview avec Europe 1. Je voulais simplement dire que dans un monde idéal, on donnerait les mêmes chances de considération à toutes les prestations. Charlotte Rampling
La diversité est, dans notre industrie, un enjeu important auquel il faut trouver des réponses. Charlotte Rampling
There are particular individuals who are especially outraged by the lack of African-American Oscar nominees this year, such as director Spike Lee, who promises to boycott the supposedly racist ceremony. Actor Will Smith will too, insisting that his own failure to be nominated did not contribute to his pique — although his pique is symbolic of the crisis in the black community, while apparently black-on-black crime, illegitimacy, and gun violence are not so much. Yet by Spike Lee’s own standards and his own past, he should find nothing wrong with racial bias. Lee should boycott his own films for his long record of racist and reprehensible public statements designed to inflame and divide. It was the demagogic Lee, after all, who disclosed — inaccurately, as it turned out — the home address of the Zimmerman family in a sick effort to stir up violence during the Trayvon Martin debacle. And it was Lee who offered a number of incoherent but clearly racist comments about the supposed gentrification of his neighborhood (“You can’t just come in the neighborhood and start bogarting and say, like, you’re [expletive] Columbus and kill off the Native Americans”). Lee’s solution to apartheid in South Africa was direct and murderous. After visiting the country in the Nineties, he said: “I seriously wanted to pick up a gun and shoot whites. The only way to resolve matters is by bloodshed.” He has ridiculed interracial marriages in the tradition of Bull Connor’s old South. Announced Oscar host Chris Rock was said at one time also to be considering boycotting the awards. But why should Rock mind racialization? He too has a history of sloppy racist outbursts that contradict his comic persona. He claimed that police never shoot “white kids” — although the number of unarmed suspects shot annually by police roughly reflects the racial percentages of those who are arrested or detained by police. On the Fourth of July, Rock announced: “Happy white people’s independence day.” The logical corollary is to suggest that commemoration of Martin Luther King’s birthday should be confined to the black community. Speaking of the field of Oscar nominees this year, Rock, in an accidentally self-revealing comment, described the ceremony as “The White BET Awards. Victor Davis Hanson
Le nouveau film de Spike Lee, Chiraq, suscite la polémique à Chicago, où le tournage vient de débuter. En cause: le titre. Cette expression, contraction de «Chicago» et d’«Iraq», a été inventée par des rappeurs locaux en référence à une zone du sud de la ville où la violence par armes à feu prolifère. Plusieurs hommes politiques ont déjà dénoncé ce titre qui risque, selon eux, d’offrir une vision négative de la ville des vents. Le maire de Chicago Rahm Emanuel (Parti démocrate) a contesté le mois dernier le titre, indiquant que la ville devrait avoir son mot à dire après la réduction fiscale de 3 millions de dollars accordée au long métrage. Les Chicagoans, confrontés chaque jour à la violence, voient eux aussi d’un mauvais œil le tournage, rapporte le New York Times. Janelle Rush, une étudiante de 24 ans citée par le quotidien américain, n’apprécie pas le titre, mais pense «qu’il serait judicieux de montrer les quartiers de la ville que les médias ne montrent pas». Elle espère cependant «que [ce film] pourra renverser la tendance et présenter [Chicago] sous un aspect positif. Pour révéler qu’il y a autre chose que la violence par armes à feu». Le Figaro
Le monde est dirigé par des gangsters. ‘Agent Orange’ [Trump], son gars au Brésil [Bolsanoro] et Poutine sont des gangsters. Ils font absolument tout ce qu’ils veulent, ils n’ont ni morale, ni scrupule. C’est ça le monde dans lequel nous vivons. Nous devons nous dresser contre des gangsters comme eux. (…) Quand vous voyez le frère Eric Gardner, quand vous voyez le roi George Floyd, assassiné, lynché, je pense à Radio Raheem. On pourrait penser et espérer qu’une trentaine d’années plus tard, les Noirs cesseraient d’être pourchassés comme des animaux. Alors je suis content d’être ici. Spike Lee
This year’s poster features jury president Spike Lee looking out ironically through his large black glasses, framed by two palm trees. It’s not only the first time a black filmmaker presides over the jury, it’s also the first time a jury head appears on the official festival poster. Jury member Mati Diop also made history in 2019 when she became the first woman of color to have a film in competition at the festival with her feature Atlantics. This year’s jury, which awards the the festival’s highest honor the Palm D’or, also includes more women than men. At the opening day press conference, Diop and her fellow jurors emphasized the importance of greater equity and inclusion in legacy institutions like Cannes. When asked about her fellow jurors, American actor Maggie Gyllenhaal said, « I’m so curious to see what happens with this new formulation. » Cannes President Lescure says Spike Lee’s presence over the festivities in such a moment — amidst a pandemic and worldwide calls for racial justice — is particularly meaningful. « Because of his filmography, because of his talent because of his political and social actions, because of who he is, » says Lescure. « It seemed to us he was the right man, in the right place, at the right moment. » NPR
Imaginez un cinéaste blanc qui admirerait un leader raciste du Ku Klux Klan, critiquerait ses confrères pour avoir embauché trop d’acteurs de couleur et traiterait les noirs de « négros ». Imaginez le scandale, la presse en furie, les condamnations unanimes. Imaginez un peu. Mais voilà, Spike Lee a le bon goût d’être de gauche, afro-américain et militant « antiraciste ». A peine avait-il posé ses bagages sur la Croisette que le président du jury du 74e Festival de Cannes n’a pu s’empêcher de prêcher sa propagande progressiste face aux caméras. « Le monde est dirigé par des gangsters. ‘Agent Orange’, son gars au Brésil et Poutine sont des gangsters, a-t-il ainsi déclaré en conférence de presse, au premier jour de l’événement, ce mardi 6 juillet. Ils font absolument tout ce qu’ils veulent, ils n’ont ni morale, ni scrupule. C’est ça le monde dans lequel nous vivons. Nous devons nous dresser contre des gangsters comme eux. » Evidemment, le couplet sur les violences policières n’a pas manqué. « Quand vous voyez le roi George Floyd, tué, lynché, vous pourriez croire et espérer que plus de 30 putains d’années après, les personnes noires ne soient plus chassées comme des animaux », a poursuivi le premier réalisateur noir à présider le jury cannois, comme si le délinquant multirécidiviste, drogué et violent, étouffé au cours de son arrestation, était un modèle de vertu pour l’humanité. « Spike Lee a placé d’emblée le Festival sous le signe de la lutte, dénonçant les discriminations raciales et de genre », résume l’AFP, reprise par les médias français énamourés. Libération encense aussi sa « stature de guérillero ». C’est un « infatigable militant », renchérit Le Monde. Un militant haineux, serait-on tenté de préciser. Car le talentueux cinéaste de 64 ans a beau porter des lunettes (et un costume) roses sur le tapis rouge, il voit toujours le monde en noir et blanc. Jugez plutôt : dans son film Get on the Bus (1996), où le méchant de l’histoire est un chauffeur juif, Spike Lee célèbre la Million Man March, une manifestation afro-américaine organisée un an auparavant à Washington par Louis Farrakhan, le leader raciste, antisémite, négationniste, homophobe et complotiste de la Nation de l’islam (NOI), une organisation suprémaciste, noire et musulmane. Prêcheur de haine influent, Farrakhan a traité les blancs de « diables aux yeux bleus », Hitler de « très grand homme » et les juifs de « sangsues », accusés d’avoir fomenté le trafic d’esclaves et de diriger le gouvernement, l’économie, Hollywood et les médias. En 2014, celui qui considère le judaïsme comme un « mensonge trompeur » fustige encore ces « juifs sataniques qui contrôlent tout ». Un joli palmarès qui n’a pas refréné Spike Lee de l’étreindre tout sourire à l’avant-première de son film Chi-Raq, à Chicago, l’année suivante. « Je suis allé voir le ministre Farrakhan pour avoir leur bénédiction, sa bénédiction », déclarait aussi dans une interview au Los Angeles Times, en 1992, le réalisateur, au sujet de la Nation de l’islam et de son film Malcolm X (1992), biopic à la gloire du célèbre prédicateur antisémite (les juifs sont des « youpins », « les juifs dirigent le pays ») et raciste virulent (« l’homme blanc est le diable »), délinquant repenti et converti à l’islam en prison, ex-porte-parole de la NOI et mentor de… Louis Farrakhan. Le cinéaste a même fait appel aux miliciens de l’organisation haineuse, adeptes de la violence et de l’intimidation, pour sécuriser les plateaux de ses films, parmi lesquels Do The Right Thing (1989), Jungle Fever (1991) et Malcolm X (1992). « Ils sont plus efficaces que la police », a-t-il expliqué. « La police et les noirs ne se sont jamais entendus, et la communauté a simplement un grand respect pour la Nation de l’islam. » Dans son brûlot Do The Right Thing apparaît aussi sur un mur de briques la phrase « Tawana a dit la vérité », référence directe et engagée à Tawana Brawley, une adolescente noire de 15 ans qui dit avoir été enlevée, violée et sodomisée par six hommes blancs, deux ans plus tôt. La jeune fille, retrouvée dans un sac poubelle, ses vêtements brûlés et déchirés, le corps recouvert d’excréments et d’insultes (« KKK », « négresse », « salope »), est défendue par le pasteur noir Al Sharpton, qui monte des manifestations, dénonce un crime raciste et calomnie sans preuves les suspects, y compris policiers. Sauf que tout est faux. L’agression a été inventée. Un an plus tard, à l’issue d’une enquête accablante, un grand jury conclut au canular. (…) A propos de son « ami » Al Sharpton, le réalisateur n’a d’ailleurs pas de mots assez forts pour vanter son action radicale. « Mon frère a été à l’avant-garde de nos batailles encore et toujours. Depuis très longtemps jusqu’à cette révolution actuelle dans laquelle se trouve le monde, Rev. a parlé de Black Lives Matter dès le début, également à une époque où ce n’était pas la chose la plus populaire ou la plus branchée, louange-t-il, en 2020. J’ai hâte, debout à ses côtés, de voir, d’être témoin de cette nouvelle énergie, de ce jour nouveau sur le point d’advenir dans ces États-Unis d’Amérique. » Pape « antiraciste » adoubé par l’ancien président Barack Obama et désormais par Joe Biden dont il est aussi un conseiller officieux, le Parti démocrate et la gauche institutionnelle, Al Sharpton est pourtant un prêcheur haineux, racialiste et antisémite, qui fut à l’origine d’un des plus graves incidents antisémites dans toute l’histoire des Etats-Unis. En 1991, après qu’un conducteur hassidique d’une ambulance tue par accident un garçon noir de 7 ans, le pompier pyromane encourage de violentes émeutes dans le quartier des Crown Heights, à Brooklyn. Les juifs sont des « marchands de diamants » avec « du sang de bébés innocents sur les mains », tempête-t-il. « Mort aux juifs ! », scandent aussi des factieux noirs, qui brûlent un drapeau israélien. Un étudiant rabbinique est même tué par une bande qui le poignarde et lui fracture le crâne. « Si les Juifs veulent le faire, dites-leur d’épingler leurs kippa et de venir chez moi », provoque Al Sharpton. Bilan : 152 policiers et 43 civils blessés. Menaces, chantage, extorsion… L’escroc multiplie depuis les fausses accusations de racisme. Lui aussi était à Washington en 1995 à la marche de son « ami » Farrakhan, exaltée par Spike Lee, dont les films Mo’s Better Blues (1990) et Bamboozled (2000) figurent des juifs racistes et manipulateurs. A l’époque, le réalisateur relaie également une théorie conspirationniste délirante, populaire au sein de la communauté noire et propagée par ses pires militants extrémistes, selon laquelle le gouvernement américain a créé le virus du sida. (…) Plus violent encore, il lâche au Guardian après avoir visité l’Afrique du Sud sous l’Apartheid : « Je voulais sérieusement prendre une arme et tirer sur des blancs. La seule façon de résoudre les problèmes est un bain de sang. » Des années plus tard, il appellera même au meurtre de Charlton Heston, alors patron de la NRA, exhortant quelqu’un à « tirer avec un calibre .44 Bulldog » sur l’acteur oscarisé, un mois après la tuerie sanglante de Columbine, en mai 1999. (…) Fidèle à la pensée racialiste, exprimée par des intellectuels noirs radicaux depuis les années 60, Spike Lee sombre carrément dans le séparatisme en avouant son mépris pour les couples mixtes. (…) Lui-même a juré de ne jamais entretenir de relation avec des femmes blanches (…) Dans le même entretien à Playboy, il ajoutait : « Les noirs ne peuvent pas être racistes. » Ironie de l’histoire, son père, le musicien de jazz Bill Lee, a épousé une femme blanche et juive… Ajoutons à son CV gratiné que le réalisateur de BlacKkKlansman (2018) a pris la défense de criminels noirs, diffusé une fausse adresse de George Zimmerman, accusé (puis acquitté) du meurtre de Trayvon Martin en 2012 – alors que le New Black Panther Party, une organisation noire extrémiste, offrait une rançon pour sa capture « mort ou vif » – obligeant un couple âgé à fuir son domicile pour se réfugier à l’hôtel, mais aussi dénigré des noirs conservateurs « qui pensent comme des blancs » ou comparé « l’enculé » et « suprémaciste blanc » Donald Trump et ses électeurs républicains à Adolf Hitler et aux nazis. C’est donc en toute logique que le militant d’extrême gauche et pro-Obama apportait son soutien au candidat démocrate et « socialiste » auto-proclamé Bernie Sanders à la présidentielle de 2016. Depuis lors, Spike Lee le multimillionnaire continue à condamner le « racisme systémique » des Etats-Unis depuis son luxueux manoir new-yorkais du quartier huppé et très blanc de l’Upper East Side, à Manhattan. Amaury Brelet
Vous avez dit Blacklivesmatterisation ?
En ces temps étranges …
Où après des mois d’émeutes et de pillage au nom de l’antiracisme …
Pendant qu’enhardis par le pro-palestinisme et le pro-iranisme renouvelés de la nouvelle administration américaine, reprennent dans nos rues les bons vieux pogroms du passé …
Comme à la fois premier président noir du jury et première tête d’affiche …
Du « citoyen de la People’s Republic of Brooklyn, New York » …
Et accessoirement…
Entre deux films appelant à l’émeute et au pillage …
Pour imposer par la violence au monde blanc, via un pauvre restaurateur italo-américain comme dans son plus célèbre film Do the right thing, à la fois les décibels de sa musique …
Et, sur le mur de photos de héros italo-américains de celui-ci (comme DiMaggio, Marciano, Como, Sinatra, Pavarotti, Minnelli, Cuomo, Pacino ou Stallone), les photos de ses propres héros improbablement réunis comme MLK et Malcom X …
Imaginez un cinéaste blanc qui admirerait un leader raciste du Ku Klux Klan, critiquerait ses confrères pour avoir embauché trop d’acteurs de couleur et traiterait les noirs de « négros ». Imaginez le scandale, la presse en furie, les condamnations unanimes. Imaginez un peu. Mais voilà, Spike Lee a le bon goût d’être de gauche, afro-américain et militant « antiraciste ». A peine avait-il posé ses bagages sur la Croisette que le président du jury du 74e Festival de Cannes n’a pu s’empêcher de prêcher sa propagande progressiste face aux caméras. « Le monde est dirigé par des gangsters. ‘Agent Orange’, son gars au Brésil et Poutine sont des gangsters, a-t-il ainsi déclaré en conférence de presse, au premier jour de l’événement, ce mardi 6 juillet. Ils font absolument tout ce qu’ils veulent, ils n’ont ni morale, ni scrupule. C’est ça le monde dans lequel nous vivons. Nous devons nous dresser contre des gangsters comme eux. »
Evidemment, le couplet sur les violences policières n’a pas manqué. « Quand vous voyez le roi George Floyd, tué, lynché, vous pourriez croire et espérer que plus de 30 putains d’années après, les personnes noires ne soient plus chassées comme des animaux », a poursuivi le premier réalisateur noir à présider le jury cannois, comme si le délinquant multirécidiviste, drogué et violent, étouffé au cours de son arrestation, était un modèle de vertu pour l’humanité. « Spike Lee a placé d’emblée le Festival sous le signe de la lutte, dénonçant les discriminations raciales et de genre », résume l’AFP, reprise par les médias français énamourés. Libération encense aussi sa « stature de guérillero ». C’est un « infatigable militant », renchérit Le Monde. Un militant haineux, serait-on tenté de préciser. Car le talentueux cinéaste de 64 ans a beau porter des lunettes (et un costume) roses sur le tapis rouge, il voit toujours le monde en noir et blanc.
Un admirateur du « Hitler noir » Farrakhan
Jugez plutôt : dans son film Get on the Bus (1996), où le méchant de l’histoire est un chauffeur juif, Spike Lee célèbre la Million Man March, une manifestation afro-américaine organisée un an auparavant à Washington par Louis Farrakhan, le leader raciste, antisémite, négationniste, homophobe et complotiste de la Nation de l’islam (NOI), une organisation suprémaciste, noire et musulmane. Prêcheur de haine influent, Farrakhan a traité les blancs de « diables aux yeux bleus », Hitler de « très grand homme » et les juifs de « sangsues », accusés d’avoir fomenté le trafic d’esclaves et de diriger le gouvernement, l’économie, Hollywood et les médias. En 2014, celui qui considère le judaïsme comme un « mensonge trompeur » fustige encore ces « juifs sataniques qui contrôlent tout ». Un joli palmarès qui n’a pas refréné Spike Lee de l’étreindre tout sourire à l’avant-première de son film Chi-Raq, à Chicago, l’année suivante.
« Je suis allé voir le ministre Farrakhan pour avoir leur bénédiction, sa bénédiction », déclarait aussi dans une interview au Los Angeles Times, en 1992, le réalisateur, au sujet de la Nation de l’islam et de son film Malcolm X (1992), biopic à la gloire du célèbre prédicateur antisémite (les juifs sont des « youpins », « les juifs dirigent le pays ») et raciste virulent (« l’homme blanc est le diable »), délinquant repenti et converti à l’islam en prison, ex-porte-parole de la NOI et mentor de… Louis Farrakhan. Le cinéaste a même fait appel aux miliciens de l’organisation haineuse, adeptes de la violence et de l’intimidation, pour sécuriser les plateaux de ses films, parmi lesquels Do The Right Thing (1989), Jungle Fever (1991) et Malcolm X (1992). « Ils sont plus efficaces que la police », a-t-il expliqué. « La police et les noirs ne se sont jamais entendus, et la communauté a simplement un grand respect pour la Nation de l’islam. »
Spike Lee, Al Sharpton et les juifs
Dans son brûlot Do The Right Thing apparaît aussi sur un mur de briques la phrase « Tawana a dit la vérité », référence directe et engagée à Tawana Brawley, une adolescente noire de 15 ans qui dit avoir été enlevée, violée et sodomisée par six hommes blancs, deux ans plus tôt. La jeune fille, retrouvée dans un sac poubelle, ses vêtements brûlés et déchirés, le corps recouvert d’excréments et d’insultes (« KKK », « négresse », « salope »), est défendue par le pasteur noir Al Sharpton, qui monte des manifestations, dénonce un crime raciste et calomnie sans preuves les suspects, y compris policiers. Sauf que tout est faux. L’agression a été inventée. Un an plus tard, à l’issue d’une enquête accablante, un grand jury conclut au canular. Quand le film Sex, Lies and Videotape de Steven Soderbergh bat le sien pour la Palme d’Or en 1989, Spike Lee se victimise et blâme… le racisme : « Ils sont toujours à la recherche de leur golden boy blanc. »
A propos de son « ami » Al Sharpton, le réalisateur n’a d’ailleurs pas de mots assez forts pour vanter son action radicale. « Mon frère a été à l’avant-garde de nos batailles encore et toujours. Depuis très longtemps jusqu’à cette révolution actuelle dans laquelle se trouve le monde, Rev. a parlé de Black Lives Matter dès le début, également à une époque où ce n’était pas la chose la plus populaire ou la plus branchée, louange-t-il, en 2020. J’ai hâte, debout à ses côtés, de voir, d’être témoin de cette nouvelle énergie, de ce jour nouveau sur le point d’advenir dans ces États-Unis d’Amérique. » Pape « antiraciste » adoubé par l’ancien président Barack Obama et désormais par Joe Biden dont il est aussi un conseiller officieux, le Parti démocrate et la gauche institutionnelle, Al Sharpton est pourtant un prêcheur haineux, racialiste et antisémite, qui fut à l’origine d’un des plus graves incidents antisémites dans toute l’histoire des Etats-Unis.
En 1991, après qu’un conducteur hassidique d’une ambulance tue par accident un garçon noir de 7 ans, le pompier pyromane encourage de violentes émeutes dans le quartier des Crown Heights, à Brooklyn. Les juifs sont des « marchands de diamants » avec « du sang de bébés innocents sur les mains », tempête-t-il. « Mort aux juifs ! », scandent aussi des factieux noirs, qui brûlent un drapeau israélien. Un étudiant rabbinique est même tué par une bande qui le poignarde et lui fracture le crâne. « Si les Juifs veulent le faire, dites-leur d’épingler leurs kippa et de venir chez moi », provoque Al Sharpton. Bilan : 152 policiers et 43 civils blessés. Menaces, chantage, extorsion… L’escroc multiplie depuis les fausses accusations de racisme. Lui aussi était à Washington en 1995 à la marche de son « ami » Farrakhan, exaltée par Spike Lee, dont les films Mo’s Better Blues (1990) et Bamboozled (2000) figurent des juifs racistes et manipulateurs.
« Les nègres d’Hollywood »
A l’époque, le réalisateur relaie également une théorie conspirationniste délirante, populaire au sein de la communauté noire et propagée par ses pires militants extrémistes, selon laquelle le gouvernement américain a créé le virus du sida. « Tout d’un coup une maladie surgit de nulle part et pour laquelle personne n’a de remède, et elle cible spécifiquement les gays et les minorités (les latinos et les noirs). La maladie mystérieuse, ouais, à peu près aussi mystérieuse que le génocide. […] Je suis convaincu que le sida est une maladie conçue par le gouvernement », assure-t-il ainsi dans une interview au magazine Rolling Stone, en 1992. Plus violent encore, il lâche au Guardian après avoir visité l’Afrique du Sud sous l’Apartheid : « Je voulais sérieusement prendre une arme et tirer sur des blancs. La seule façon de résoudre les problèmes est un bain de sang. » Des années plus tard, il appellera même au meurtre de Charlton Heston, alors patron de la NRA, exhortant quelqu’un à « tirer avec un calibre .44 Bulldog » sur l’acteur oscarisé, un mois après la tuerie sanglante de Columbine, en mai 1999.
En donneur de leçons obnubilé, le militant « antiraciste » n’hésite pas non plus à dénoncer publiquement ses confrères de cinéma, comme l’actrice noire Whoopi Goldberg qui ose porter des lentilles de contact bleues (!), « les nègres d’Hollywood » traîtres à la cause comme Eddie Murphy et Cuba Gooding Jr., ou les réalisateurs Woody Allen et Clint Eastwood et leurs films un peu trop blancs (« Ce type devrait la fermer », a répondu l’interprète de l’inspecteur Harry). En 1991, déjà, il confiait avoir en horreur Le Lys des champs, un classique des années 60 illustrant la relation entre un homme à tout faire noir nommé Homer Smith, incarné par le comédien Sidney Poitier, et un couvent de religieuses blanches allemandes. « J’ai détesté ce film », expliquait-il. « J’avais envie de lancer une pierre dans l’écran de télé. […] Mais nous devons beaucoup à Sidney Poitier, car pour en arriver là où nous en sommes aujourd’hui, il a fallu faire ces films. Et Sidney devait faire ce qu’il avait à faire. Il était le nègre parfait » (sic).
Aux frontières du séparatisme
Fidèle à la pensée racialiste, exprimée par des intellectuels noirs radicaux depuis les années 60, Spike Lee sombre carrément dans le séparatisme en avouant son mépris pour les couples mixtes. « Je ne vois jamais d’hommes noirs avec de belles femmes blanches. Ils sont laids, moches, des chiens. Et vous voyez toujours des hommes blancs avec de belles femmes noires. Chaque fois que vous voyez un couple interracial, les gens les regardent fixement », disait-il en 1991. Lui-même a juré de ne jamais entretenir de relation avec des femmes blanches : « Je n’ai pas besoin d’ennuis. Comme je n’y vais pas, je n’aime pas cette merde. Je ne trouve pas les femmes blanches attirantes, c’est tout. Et il y a beaucoup trop de belles femmes noires. » Dans le même entretien à Playboy, il ajoutait : « Les noirs ne peuvent pas être racistes. » Ironie de l’histoire, son père, le musicien de jazz Bill Lee, a épousé une femme blanche et juive…
Ajoutons à son CV gratiné que le réalisateur de BlacKkKlansman (2018) a pris la défense de criminels noirs, diffusé une fausse adresse de George Zimmerman, accusé (puis acquitté) du meurtre de Trayvon Martin en 2012 – alors que le New Black Panther Party, une organisation noire extrémiste, offrait une rançon pour sa capture « mort ou vif » – obligeant un couple âgé à fuir son domicile pour se réfugier à l’hôtel, mais aussi dénigré des noirs conservateurs « qui pensent comme des blancs » ou comparé « l’enculé » et « suprémaciste blanc » Donald Trump et ses électeurs républicains à Adolf Hitler et aux nazis. C’est donc en toute logique que le militant d’extrême gauche et pro-Obama apportait son soutien au candidat démocrate et « socialiste » auto-proclamé Bernie Sanders à la présidentielle de 2016. Depuis lors, Spike Lee le multimillionnaire continue à condamner le « racisme systémique » des Etats-Unis depuis son luxueux manoir new-yorkais du quartier huppé et très blanc de l’Upper East Side, à Manhattan.
Spike Lee was inspired to write Do the Right Thing by what is now known as the Howard Beach incident. On December 20, 1986, a mob of twelve angry white men chased down and beat three black men who had just left a pizzeria in the predominantly Italian-American community. During the pursuit, the mob forced one of their victims, Michael Griffith, to run onto the Belt Parkway, where he was hit by a car and killed. In the behind-the-scenes footage of Do the Right Thing on this edition, Lee recalls the protest led by Reverend Al Sharpton and the call for all African-Americans to boycott white-owned pizzerias, an act that inspired the scene in which Buggin Out instigates a boycott of Sal’s.
Michael Griffith
2.
Lee had originally envisioned Robert De Niro for the role of Sal, which ended up going to Danny Aiello. Lee and De Niro had met the night after the Howard Beach incident. They discussed racism and how the animosity between black and Italian communities had escalated. Lee liked the idea of what it would mean for Italian-Americans to see the iconic De Niro in a role that was sympathetic to black people. In the end, De Niro turned it down, feeling that he’d performed roles like Sal and didn’t want to repeat them.
3.
For a few shots in the film, cinematographer Ernest Dickerson created the look of the hottest day of the summer by lighting a can of Sterno and holding it underneath the camera lens. The heat waves drifted up and acted as a filter between the lens and the action.
4.
Ruth E. Carter, the costume designer on Do the Right Thing and several other Spike Lee films, said that when it came to the wardrobe for Sal’s son, Pino, John Turturro “was very much involved in choosing it.” The actor told Carter that he wanted to have an experience with his mom and go shopping with her for his character. To add to Pino’s story, he came up with the idea of having the character arrive at the pizzeria in a decidedly Italian-American-style outfit of black shirt and black pants, a costume choice that contrasts with what he wears while making pizzas and indicates his outsider status in the neighborhood.
5.
Roger Guenveur Smith was not initially cast in the film, but every day during production he’d ask Lee to find a place for him in the story. Lee told him to come up with some ideas and he’d try to work him into the film, so Guenveur Smith created the character of Smiley, a young man with a stutter who sells pictures of Martin Luther King Jr. and Malcolm X. According to Lee, it was the actor’s idea to put a photo of the two civil rights heroes on the wall at Sal’s in the scene where the pizzeria burns.
6.
Spike Lee tapped the Nation of Islam’s paramilitary wing, the Fruit of Islam, to function as facilitators and crew protection during the shoot in Bedford-Stuyvesant. He also refused to work with New York City unions such as the Teamsters—a required hire for films shot in the city at the time—unless they agreed to employ more people of color, which they ended up doing.
The Fruit of Islam, depicted in St. Clair Bourne’s Making “Do the Right Thing”
7.
“Fight the Power” was not the first song Public Enemy submitted as the anthem for Do the Right Thing. Spike Lee wanted a riff on the gospel classic “Lift Every Voice and Sing.” The group sent in a song that Lee ended up rejecting. Then they came up with “Fight the Power,” which shares its title with an Isley Brothers hit. Though that tune was written in 1975, Public Enemy front man Chuck D says its lyrics, including the phrase “All the bullshit going down,” inspired their own song.
8.
On July 17, 2014, in Staten Island, Eric Garner was killed by a policeman who used a chokehold to subdue him. After news of the incident spread, Lee posted a video in which he intercut Radio Raheem’s death in Do the Right Thing with Garner’s. The use of the chokehold in the film’s climax had actually been inspired by another case of police brutality, in which Brooklyn resident and graffiti artist Michael Stewart was killed by cops in 1983. In the scene where Raheem is murdered, you can hear someone in the crowd saying, “They did it again. Just like Michael Stewart.”
Michael Stewart
9.
Singer Frank Sinatra was not happy that his picture was included on the wall of Sal’s pizzeria. Lee claims that years later, when he wanted to use a piece of Sinatra’s music in Jungle Fever, the singer said, “Hell no! You burned my picture in Do the Right Thing!” But ultimately they worked it out.
10.
The word fuck can be heard in various forms throughout the film a total of 255 times—apparently the highest number of fucks in any movie from the 1980s.
Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme; car tous vous êtes un en Jésus Christ.Paul (Lettre aux Galates 3: 28)
Puis je vis monter de la terre une autre bête, qui avait deux cornes semblables à celles d’un agneau, et qui parlait comme un dragon. Elle exerçait toute l’autorité de la première bête en sa présence, et elle faisait que la terre et ses habitants adoraient la première bête, dont la blessure mortelle avait été guérie. Elle opérait de grands prodiges, même jusqu’à faire descendre du feu du ciel sur la terre, à la vue des hommes. Et elle séduisait les habitants de la terre par les prodiges qu’il lui était donné d’opérer en présence de la bête, disant aux habitants de la terre de faire une image à la bête qui avait la blessure de l’épée et qui vivait. Et il lui fut donné d’animer l’image de la bête, afin que l’image de la bête parlât, et qu’elle fît que tous ceux qui n’adoreraient pas l’image de la bête fussent tués. Et elle fit que tous, petits et grands, riches et pauvres, libres et esclaves, reçussent une marque sur leur main droite ou sur leur front, et que personne ne pût acheter ni vendre, sans avoir la marque, le nom de la bête ou le nombre de son nom. C’est ici la sagesse. Que celui qui a de l’intelligence calcule le nombre de la bête. Car c’est un nombre d’homme, et son nombre est six cent soixante-six. Jean (Apocalypse 13: 11-18)
L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête. Pascal (1670)
La loi naturelle n’est pas un système de valeurs possible parmi beaucoup d’autres. C’est la seule source de tous les jugements de valeur. Si on la rejette, on rejette toute valeur. Si on conserve une seule valeur, on la conserve tout entier. (. . .) La rébellion des nouvelles idéologies contre la loi naturelle est une rébellion des branches contre l’arbre : si les rebelles réussissaient, ils découvriraient qu’ils se sont détruits eux-mêmes. L’intelligence humaine n’a pas davantage le pouvoir d’inventer une nouvelle valeur qu’il n’en a d’imaginer une nouvelle couleur primaire ou de créer un nouveau soleil avec un nouveau firmament pour qu’il s’y déplace. (…) Tout nouveau pouvoir conquis par l’homme est aussi un pouvoir sur l’homme. Tout progrès le laisse à la fois plus faible et plus fort. Dans chaque victoire, il est à la fois le général qui triomphe et le prisonnier qui suit le char triomphal . (…) Le processus qui, si on ne l’arrête pas, abolira l’homme, va aussi vite dans les pays communistes que chez les démocrates et les fascistes. Les méthodes peuvent (au premier abord) différer dans leur brutalité. Mais il y a parmi nous plus d’un savant au regard inoffensif derrière son pince-nez, plus d’un dramaturge populaire, plus d’un philosophe amateur qui poursuivent en fin de compte les mêmes buts que les dirigeants de l’Allemagne nazie. Il s’agit toujours de discréditer totalement les valeurs traditionnelles et de donner à l’humanité une forme nouvelle conformément à la volonté (qui ne peut être qu’arbitraire) de quelques membres ″chanceux″ d’une génération ″chanceuse″ qui a appris comment s’y prendre.C.S. Lewis (L’abolition de l’homme, 1943)
Le monde moderne n’est pas mauvais : à certains égards, il est bien trop bon. Il est rempli de vertus féroces et gâchées. Lorsqu’un dispositif religieux est brisé (comme le fut le christianisme pendant la Réforme), ce ne sont pas seulement les vices qui sont libérés. Les vices sont en effet libérés, et ils errent de par le monde en faisant des ravages ; mais les vertus le sont aussi, et elles errent plus férocement encore en faisant des ravages plus terribles. Le monde moderne est saturé des vieilles vertus chrétiennes virant à la folie.G.K. Chesterton (1908)
L’inauguration majestueuse de l’ère « post-chrétienne » est une plaisanterie. Nous sommes dans un ultra-christianisme caricatural qui essaie d’échapper à l’orbite judéo-chrétienne en « radicalisant » le souci des victimes dans un sens antichrétien. (…) Jusqu’au nazisme, le judaïsme était la victime préférentielle de ce système de bouc émissaire. Le christianisme ne venait qu’en second lieu. Depuis l’Holocauste, en revanche, on n’ose plus s’en prendre au judaïsme, et le christianisme est promu au rang de bouc émissaire numéro un. (…) Le mouvement antichrétien le plus puissant est celui qui réassume et « radicalise » le souci des victimes pour le paganiser. (…) Comme les Eglises chrétiennes ont pris conscience tardivement de leurs manquements à la charité, de leur connivence avec l’ordre établi, dans le monde d’hier et d’aujourd’hui, elles sont particulièrement vulnérables au chantage permanent auquel le néopaganisme contemporain les soumet.René Girard
Je rêve que mes quatre petits enfants vivront un jour dans un pays où on ne les jugera pas à la couleur de leur peau mais à la nature de leur caractère.Martin Luther King (1963)
C’est ça, l’Ouest, monsieur le sénateur: quand la légende devient réalité, c’est la légende qu’il faut publier. Maxwell Scott (journaliste dans ‘L’Homme qui tua Liberty Valance’, John Ford, 1962)
Il faut se rappeler que les chefs militaires allemands jouaient un jeu désespéré. Néanmoins, ce fut avec un sentiment d’effroi qu’ils tournèrent contre la Russie la plus affreuse de toutes les armes. Ils firent transporter Lénine, de Suisse en Russie, comme un bacille de la peste, dans un wagon plombé. Winston Churchill
Puisqu’on l’opprime dans sa race et à cause d’elle, c’est d’abord de sa race qu’il lui faut prendre conscience. Ceux qui, durant des siècles, ont vainement tenté, parce qu’il était nègre, de le réduire à l’état de bête, il faut qu’il les oblige à le reconnaître pour un homme. Or il n’est pas ici d’échappatoire, ni de tricherie, ni de « passage de ligne » qu’il puisse envisager : un Juif, blanc parmi les blancs, peut nier qu’il soit juif, se déclarer un homme parmi les hommes. Le nègre ne peut nier qu’il soit nègre ni réclamer pour lui cette abstraite humanité incolore : il est noir. Ainsi est-il acculé à l’authenticité : insulté, asservi, il se redresse, il ramasse le mot de « nègre » qu’on lui a jeté comme une pierre, il se revendique comme noir, en face du blanc, dans la fierté. L’unité finale qui rapprochera tous les opprimés dans le même combat doit être précédée aux colonies par ce que je nommerai le moment de la séparation ou de la négativité : ce racisme antiraciste est le seul chemin qui puisse mener à l’abolition des différences de race. Jean-Paul Sartre (Orphée noir, 1948)
Quand Freud est arrivé aux États-Unis, en voyant New York il a dit: « Je leur apporte la peste. » Il avait tort. Les Américains n’ont eu aucun mal à digérer une psychanalyse vite américanisée. Mais en 1966, nous avons vraiment apporté la peste avec Lacan et la déconstruction… du moins dans les universités! Au point que je me suis senti soudain aussi étranger à Johns Hopkins qu’à Avignon au milieu de mes amis post-surréalistes. Un an plus tard, la déconstruction était déjà à la mode. Cela me mettait mal à l’aise. C’est la raison pour laquelle je suis parti pour Buffalo en 1968. René Girard
Nous sommes entrés dans un mouvement qui est de l’ordre du religieux. Entrés dans la mécanique du sacrilège: la victime, dans nos sociétés, est entourée de l’aura du sacré. Du coup, l’écriture de l’histoire, la recherche universitaire, se retrouvent soumises à l’appréciation du législateur et du juge comme, autrefois, à celle de la Sorbonne ecclésiastique.Françoise Chandernagor
Nous sommes une société qui, tous les cinquante ans ou presque, est prise d’une sorte de paroxysme de vertu – une orgie d’auto-purification à travers laquelle le mal d’une forme ou d’une autre doit être chassé. De la chasse aux sorcières de Salem aux chasses aux communistes de l’ère McCarthy à la violente fixation actuelle sur la maltraitance des enfants, on retrouve le même fil conducteur d’hystérie morale. Après la période du maccarthisme, les gens demandaient : mais comment cela a-t-il pu arriver ? Comment la présomption d’innocence a-t-elle pu être abandonnée aussi systématiquement ? Comment de grandes et puissantes institutions ont-elles pu accepté que des enquêteurs du Congrès aient fait si peu de cas des libertés civiles – tout cela au nom d’une guerre contre les communistes ? Comment était-il possible de croire que des subversifs se cachaient derrière chaque porte de bibliothèque, dans chaque station de radio, que chaque acteur de troisième zone qui avait appartenu à la mauvaise organisation politique constituait une menace pour la sécurité de la nation ? Dans quelques décennies peut-être les gens ne manqueront pas de se poser les mêmes questions sur notre époque actuelle; une époque où les accusations de sévices les plus improbables trouvent des oreilles bienveillantes; une époque où il suffit d’être accusé par des sources anonymes pour être jeté en pâture à la justice; une époque où la chasse à ceux qui maltraitent les enfants est devenu une pathologie nationale.Dorothy Rabinowitz
La glorification d’une race et le dénigrement corollaire d’une autre ou d’autres a toujours été et sera une recette de meurtre. Ceci est une loi absolue. Si on laisse quelqu’un subir un traitement particulièrement défavorable à un groupe quelconque d’individus en raison de leur race ou de leur couleur de peau, on ne saurait fixer de limites aux mauvais traitements dont ils seront l’objet et puisque la race entière a été condamnée pour des raisons mystérieuses il n’y a aucune raison pour ne pas essayer de la détruire dans son intégralité. C’est précisément ce que les nazis auraient voulu accomplir (…) J’ai beaucoup à cœur de voir les noirs conquérir leur liberté aux Etats Unis. Mais leur dignité et leur santé spirituelle me tiennent également à cœur et je me dois de m’opposer à toutes tentatives des noirs de faire à d’autres ce qu’on leur a fait. James Baldwin
You cannot understand the Left if you do not understand that leftism is a religion. It is not God-based (some left-wing Christians’ and Jews’ claims notwithstanding), but otherwise it has every characteristic of a religion. The most blatant of those characteristics is dogma. People who believe in leftism have as many dogmas as the most fundamentalist Christian. One of them is material equality as the preeminent moral goal. Another is the villainy of corporations. The bigger the corporation, the greater the villainy. Thus, instead of the devil, the Left has Big Pharma, Big Tobacco, Big Oil, the “military-industrial complex,” and the like. Meanwhile, Big Labor, Big Trial Lawyers, and — of course — Big Government are left-wing angels. And why is that? Why, to be specific, does the Left fear big corporations but not big government? The answer is dogma — a belief system that transcends reason. No rational person can deny that big governments have caused almost all the great evils of the last century, arguably the bloodiest in history. Who killed the 20 to 30 million Soviet citizens in the Gulag Archipelago — big government or big business? Hint: There were no private businesses in the Soviet Union. Who deliberately caused 75 million Chinese to starve to death — big government or big business? Hint: See previous hint. Did Coca-Cola kill 5 million Ukrainians? Did Big Oil slaughter a quarter of the Cambodian population? Would there have been a Holocaust without the huge Nazi state? Whatever bad things big corporations have done is dwarfed by the monstrous crimes — the mass enslavement of people, the deprivation of the most basic human rights, not to mention the mass murder and torture and genocide — committed by big governments. (…) Religious Christians and Jews also have some irrational beliefs, but their irrationality is overwhelmingly confined to theological matters; and these theological irrationalities have no deleterious impact on religious Jews’ and Christians’ ability to see the world rationally and morally. Few religious Jews or Christians believe that big corporations are in any way analogous to big government in terms of evil done. And the few who do are leftists. That the Left demonizes Big Pharma, for instance, is an example of this dogmatism. America’s pharmaceutical companies have saved millions of lives, including millions of leftists’ lives. And I do not doubt that in order to increase profits they have not always played by the rules. But to demonize big pharmaceutical companies while lionizing big government, big labor unions, and big tort-law firms is to stand morality on its head. There is yet another reason to fear big government far more than big corporations. ExxonMobil has no police force, no IRS, no ability to arrest you, no ability to shut you up, and certainly no ability to kill you. ExxonMobil can’t knock on your door in the middle of the night and legally take you away. Apple Computer cannot take your money away without your consent, and it runs no prisons. The government does all of these things. Of course, the Left will respond that government also does good and that corporations and capitalists are, by their very nature, “greedy.” To which the rational response is that, of course, government also does good. But so do the vast majority of corporations, private citizens, church groups, and myriad voluntary associations. On the other hand, only big government can do anything approaching the monstrous evils of the last century. As for greed: Between hunger for money and hunger for power, the latter is incomparably more frightening. It is noteworthy that none of the twentieth century’s monsters — Lenin, Hitler, Stalin, Mao — were preoccupied with material gain. They loved power much more than money. And that is why the Left is much more frightening than the Right. It craves power. Dennis Prager
Quand j’ai écrit mon livre, je suis retourné à Max Weber et à Alexis de Tocqueville, car tous deux avaient identifié l’importance fondamentale de l’anxiété spirituelle que nous éprouvons tous. Il me semble qu’à la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle, nous avons oublié la centralité de cette anxiété, de ces démons ou anges spirituels qui nous habitent. Ils nous gouvernent de manière profondément dangereuse. Norman Mailer a dit un jour que toute la sociologie américaine avait été un effort désespéré pour essayer de dire quelque chose sur l’Amérique que Tocqueville n’avait pas dit! C’est vrai! Tocqueville avait saisi l’importance du fait religieux et de la panoplie des Églises protestantes qui ont défini la nation américaine. Il a montré que malgré leur nombre innombrable et leurs querelles, elles étaient parvenues à s’unir pour être ce qu’il appelait joliment «le courant central des manières et de la morale». Quelles que soient les empoignades entre anglicans épiscopaliens et congrégationalistes, entre congrégationalistes et presbytériens, entre presbytériens et baptistes, les protestants se sont combinés pour donner une forme à nos vies: celle des mariages, des baptêmes et des funérailles ; des familles, et même de la politique, en cela même que le protestantisme ne cesse d’affirmer qu’il y a quelque chose de plus important que la politique. Ce modèle a perduré jusqu’au milieu des années 1960. (…) Pour moi, c’est avant tout le mouvement de l’Évangile social qui a gagné les Églises protestantes, qui est à la racine de l’effondrement. Dans mon livre, je consacre deux chapitres à Walter Rauschenbusch, la figure clé. Mais il faut comprendre que le déclin des Églises européennes a aussi joué. L’une des sources d’autorité des Églises américaines venait de l’influence de théologiens européens éminents comme Wolfhart Pannenberg ou l’ancien premier ministre néerlandais Abraham Kuyper, esprit d’une grande profondeur qui venait souvent à Princeton donner des conférences devant des milliers de participants! Mais ils n’ont pas été remplacés. Le résultat de tout cela, c’est que l’Église protestante américaine a connu un déclin catastrophique. En 1965, 50 % des Américains appartenaient à l’une des 8 Églises protestantes dominantes. Aujourd’hui, ce chiffre s’établit à 4 %! Cet effondrement est le changement sociologique le plus fondamental des 50 dernières années, mais personne n’en parle. Une partie de ces protestants ont migré vers les Églises chrétiennes évangéliques, qui dans les années 1970, sous Jimmy Carter, ont émergé comme force politique. On a vu également un nombre surprenant de conversions au catholicisme, surtout chez les intellectuels. Mais la majorité sont devenus ce que j’appelle dans mon livre des «post-protestants», ce qui nous amène au décryptage des événements d’aujourd’hui. Ces post-protestants se sont approprié une série de thèmes empruntés à l’Évangile social de Walter Rauschenbusch. Quand vous reprenez les péchés sociaux qu’il faut selon lui rejeter pour accéder à une forme de rédemption – l’intolérance, le pouvoir, le militarisme, l’oppression de classe… vous retrouvez exactement les thèmes que brandissent les gens qui mettent aujourd’hui le feu à Portland et d’autres villes. Ce sont les post-protestants. Ils se sont juste débarrassés de Dieu! Quand je dis à mes étudiants qu’ils sont les héritiers de leurs grands-parents protestants, ils sont offensés. Mais ils ont exactement la même approche moralisatrice et le même sens exacerbé de leur importance, la même condescendance et le même sentiment de supériorité exaspérante et ridicule, que les protestants exprimaient notamment vis-à-vis des catholiques. (…) Mais ils ne le savent pas. En fait, l’état de l’Amérique a été toujours lié à l’état de la religion protestante. Les catholiques se sont fait une place mais le protestantisme a été le Mississippi qui a arrosé le pays. Et c’est toujours le cas! C’est juste que nous avons maintenant une Église du Christ sans le Christ. Cela veut dire qu’il n’y a pas de pardon possible. Dans la religion chrétienne, le péché originel est l’idée que vous êtes né coupable, que l’humanité hérite d’une tache qui corrompt nos désirs et nos actions. Mais le Christ paie les dettes du péché originel, nous en libérant. Si vous enlevez le Christ du tableau en revanche, vous obtenez… la culpabilité blanche et le racisme systémique. Bien sûr, les jeunes radicaux n’utilisent pas le mot «péché originel». Mais ils utilisent exactement les termes qui s’y appliquent. (…) Ils parlent d’«une tache reçue en héritage» qui «infecte votre esprit». C’est une idée très dangereuse, que les Églises canalisaient autrefois. Mais aujourd’hui que cette idée s’est échappée de l’Église, elle a gagné la rue et vous avez des meutes de post-protestants qui parcourent Washington DC, en s’en prenant à des gens dans des restaurants pour exiger d’eux qu’ils lèvent le poing. Leur conviction que l’Amérique est intrinsèquement corrompue par l’esclavage et n’a réalisé que le Mal, n’est pas enracinée dans des faits que l’on pourrait discuter, elle relève de la croyance religieuse. On exclut ceux qui ne se soumettent pas. On dérive vers une vision apocalyptique du monde qui n’est plus équilibrée par rien d’autre. Cela peut donner la pire forme d’environnementalisme, par exemple, parce que toutes les autres dimensions sont disqualifiées au nom de «la fin du monde». C’est l’idée chrétienne de l’apocalypse, mais dégagée du christianisme. Il y a des douzaines d’exemples de religiosité visibles dans le comportement des protestataires: ils s’allongent par terre face au sol et gémissent, comme des prêtres que l’on consacre dans l’Église catholique. Ils ont organisé une cérémonie à Portland durant laquelle ils ont lavé les pieds de personnes noires pour montrer leur repentir pour la culpabilité blanche. Ils s’agenouillent. Tout cela sans savoir que c’est religieux! C’est religieux parce que l’humanité est religieuse. Il y a une faim spirituelle à l’intérieur de nous, qui se manifeste de différentes manières, y compris la violence! Ces gens veulent un monde qui ait un sens, et ils ne l’ont pas. (…) Le marxisme est une religion par analogie. Certes, il porte cette idée d’une nouvelle naissance. Certaines personnes voulaient des certitudes et ne les trouvant plus dans leurs Églises, ils sont allés vers le marxisme. Mais en Amérique, c’est différent, car tout est centré sur le protestantisme. Dans L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Max Weber, avec génie et insolence, prend Marx et le met cul par-dessus tête. Marx avait dit que le protestantisme avait émergé à la faveur de changements économiques. Weber dit l’inverse. Ce n’est pas l’économie qui a transformé la religion, c’est la religion qui a transformé l’économie. Le protestantisme nous a donné le capitalisme, pas l’inverse! Parce que les puritains devaient épargner de l’argent pour assurer leur salut. Le ressort principal n’était pas l’économie mais la faim spirituelle, ce sentiment beaucoup plus profond, selon Weber. Une faim spirituelle a mené les gens vers le marxisme, et c’est la même faim spirituelle qui fait qu’ils sont dans les rues d’Amérique aujourd’hui. (…) Mais je vois potentiellement une guerre civile à feu doux éclater si Trump gagne cette élection! Car les parties sont polarisées sur le plan spirituel. Si Trump gagne, pour les gens qui sont dans la rue, ce ne sera pas le triomphe des républicains, mais celui du mal. Rauschenbusch, dans son Évangile, dit que nous devons accomplir la rédemption de notre personnalité. Ces gens-là veulent être sûrs d’être de «bonnes personnes». Ils savent qu’ils sont de bonnes personnes s’ils sont opposés au racisme. Ils pensent être de bonnes personnes parce qu’ils sont opposés à la destruction de l’environnement. Ils veulent avoir la bonne «attitude», c’est la raison pour laquelle ceux qui n’ont pas la bonne attitude sont expulsés de leurs universités ou de leur travail pour des raisons dérisoires. Avant, on était exclu de l’Église, aujourd’hui, on est exclu de la vie publique… C’est pour cela que les gens qui soutiennent Trump, sont vus comme des «déplorables», comme disait Hillary Clinton, c’est-à-dire des gens qui ne peuvent être rachetés. Ils ont leur bible et leur fusil et ne suivent pas les commandements de la justice sociale. (…) Avant même que Trump ne surgisse, avec Sarah Palin, et même sous Reagan, on a vu émerger à droite le sentiment que tout ce que faisaient les républicains pour l’Amérique traditionnelle, c’était ralentir sa disparition. Il y avait une immense exaspération car toute cette Amérique avait le sentiment que son mode de vie était fondamentalement menacé par les démocrates. Reagan est arrivé et a dit: «Je vais m’y opposer». Et voilà que Trump arrive et dit à son tour qu’il va dire non à tout ça. Je déteste le fait que Trump occupe cet espace, parce qu’il est vulgaire et insupportable. Mais il est vrai que tous ceux qui s’étaient sentis marginalisés ont voté pour Trump parce qu’il s’est mis en travers de la route. C’est d’ailleurs ce que leur dit Trump: «Ils n’en ont pas après moi, mais après vous.» Il faut comprendre que l’idéologie «woke» de la justice sociale a pénétré les institutions américaines à un point incroyable. Je n’imagine pas qu’un professeur ayant une chaire à la Sorbonne soit forcé d’assister à des classes obligatoires organisées pour le corps professoral sur leur «culpabilité blanche», et enseignées par des gens qui viennent à peine de finir le collège. Mais c’est la réalité des universités américaines. Un sondage récent a montré que la majorité des professeurs d’université ne disent rien. Ils abandonnent plutôt toute mention de tout sujet controversé. Pourtant, des études ont montré que la foule des vigies de Twitter qui obtient la tête des professeurs excommuniés, remplirait à peine la moitié d’un terrain de football universitaire! Il y a un manque de courage. (…) La France a fait beaucoup de choses bonnes et glorieuses pour faire avancer la civilisation, mais elle a fait du mal. Si on croit au projet historique français, on peut démêler le bien du mal. Mais mes étudiants, et tous ces post-protestants dont je vous parle, sont absolument convaincus que tous les gens qui ont précédé, étaient stupides et sans doute maléfiques. Ils ne croient plus au projet historique américain. Ils sont contre les «affinités électives» qui, selon Weber, nous ont donné la modernité: la science, le capitalisme, l’État-nation. Si la théorie de la physique de Newton, Principia, est un manuel de viol, comme l’a dit une universitaire féministe, si sa physique est l’invention d’un moyen de violer le monde, cela veut dire que la science est mauvaise. Si vous êtes soupçonneux de la science, du capitalisme, du protestantisme, si vous rejetez tous les moteurs de la modernité la seule chose qui reste, ce sont les péchés qui nous ont menés là où nous sommes. Pour sûr, nous en avons commis. Mais si on ne voit pas que ça, il n’y a plus d’échappatoire, plus de projet. Ce qui passe aujourd’hui est différent de 1968 en France, quand la remise en cause a finalement été absorbée dans quelque chose de plus large. Le mouvement actuel ne peut être absorbé car il vise à défaire les États-Unis dans ses fondements: l’État-nation, le capitalisme et la religion protestante. Mais comme les États-Unis n’ont pas d’histoire prémoderne, nous ne pouvons absorber un mouvement vraiment antimoderne. (…) Il y a une phrase de Heidegger qui dit que «seulement un Dieu pourrait nous sauver»! On a le sentiment qu’on est aux prémices d’une apocalypse, d’une guerre civile, d’une grande destruction de la modernité. Est-ce à cause de la trahison des clercs? Pour moi, l’incapacité des vieux libéraux à faire rempart contre les jeunes radicaux, est aujourd’hui le grand danger. Quand j’ai vu que de jeunes journalistes du New York Times avaient menacé de partir, parce qu’un responsable éditorial avait publié une tribune d’un sénateur américain qui leur déplaisait, j’ai été stupéfait. Je suis assez vieux pour savoir que dans le passé, la direction aurait immédiatement dit à ces jeunes journalistes de prendre la porte s’ils n’étaient pas contents. Mais ce qui s’est passé, c’est que le rédacteur en chef a été limogé. Joseph Bottum
One high-level takeaway is that the 2020 electorate had a very similar partisan composition to the 2016 electorate. When the polls turned out to be wrong — and Trump turned out to be much stronger than they predicted — a lot of people concluded that turnout models must have been off: Trump must have inspired higher Republican turnout than expected. But that looks wrong. It really seems like the electorate was slightly more Democratic than it had been in 2016, largely due to demographic change (because there’s such a large partisan gap between younger and older voters, every four years the electorate gets something like 0.4 percent more Democratic just through generational churn). So Trump didn’t exceed expectations by inspiring higher-than-anticipated Republican turnout. He exceeded them mostly through persuasion. A lot of voters changed their minds between 2016 and 2020. At the subgroup level, Democrats gained somewhere between half a percent to one percent among non-college whites and roughly 7 percent among white college graduates (which is kind of crazy). Our support among African Americans declined by something like one to 2 percent. And then Hispanic support dropped by 8 to 9 percent. The jury is still out on Asian Americans. We’re waiting on data from California before we say anything. But there’s evidence that there was something like a 5 percent decline in Asian American support for Democrats, likely with a lot of variance among subgroups. There were really big declines in Vietnamese areas, for example. Anyway, one implication of these shifts is that education polarization went up and racial polarization went down. (…) White voters as a whole trended toward the Democratic Party, and nonwhite voters trended away from us. So we’re now somewhere between 2004 and 2008 in terms of racial polarization. Which is interesting. I don’t think a lot of people expected Donald Trump’s GOP to have a much more diverse support base than Mitt Romney’s did in 2012. But that’s what happened. (…) One important thing to know about the decline in Hispanic support for Democrats is that it was pretty broad. This isn’t just about Cubans in South Florida. It happened in New York and California and Arizona and Texas. Really, we saw large drops all over the country. But it was notably larger in some places than others. In the precinct-level data, one of the things that jumps out is that places where a lot of voters have Venezuelan or Colombian ancestry saw much larger swings to the GOP than basically anywhere else in the country. The Colombian and Venezuelan shifts were huge. One of my favorite examples is Doral, which is a predominantly Venezuelan and Colombian neighborhood in South Florida. One precinct in that neighborhood went for Hillary Clinton by 40 points in 2016 and for Trump by ten points in 2020. One thing that makes Colombia and Venezuela different from much of Latin America is that socialism as a brand has a very specific, very high salience meaning in those countries. It’s associated with FARC paramilitaries in Colombia and the experience with President Maduro in Venezuela. So I think one natural inference is that the increased salience of socialism in 2020 — with the rise of AOC and the prominence of anti-socialist messaging from the GOP — had something to do with the shift among those groups. As for the story with Hispanics overall, one thing that really comes out very clearly in survey data that we’ve done is that it really comes down to ideology. So when you look at self-reported ideology — just asking people, “Do you identify as liberal, moderate, or conservative” — you find that there aren’t very big racial divides. Roughly the same proportion of African American, Hispanic, and white voters identify as conservative. But white voters are polarized on ideology, while nonwhite voters haven’t been. Something like 80 percent of white conservatives vote for Republicans. But historically, Democrats have won nonwhite conservatives, often by very large margins. What happened in 2020 is that nonwhite conservatives voted for Republicans at higher rates; they started voting more like white conservatives. (…) What we found is that Clinton voters with conservative views on crime, policing, and public safety were far more likely to switch to Trump than voters with less conservative views on those issues. And having conservative views on those issues was more predictive of switching from Clinton to Trump than having conservative views on any other issue-set was. This lines up pretty well with trends we saw during the campaign. In the summer, following the emergence of “defund the police” as a nationally salient issue, support for Biden among Hispanic voters declined. So I think you can tell this microstory: We raised the salience of an ideologically charged issue that millions of nonwhite voters disagreed with us on. And then, as a result, these conservative Hispanic voters who’d been voting for us despite their ideological inclinations started voting more like conservative whites. (…) The decline that we saw was very large. Nine percent or so nationwide, up to 14 or 15 percent in Florida. Roughly one in ten Hispanic voters switched their vote from Clinton to Trump. That is beyond the margin of what can plausibly be changed by investing more in Spanish media. (…) Over the last four years, white liberals have become a larger and larger share of the Democratic Party. (…) Highly educated people tend to have more ideologically coherent and extreme views than working-class ones. We see this in issue polling and ideological self-identification. College-educated voters are way less likely to identify as moderate. So as Democrats have traded non-college-educated voters for college-educated ones, white liberals’ share of voice and clout in the Democratic Party has gone up. And since white voters are sorting on ideology more than nonwhite voters, we’ve ended up in a situation where white liberals are more left wing than black and Hispanic Democrats on pretty much every issue: taxes, health care, policing, and even on racial issues or various measures of “racial resentment.” So as white liberals increasingly define the party’s image and messaging, that’s going to turn off nonwhite conservative Democrats and push them against us. (…) In liberal circles, racism has been defined in highly ideological terms. And this theoretical perspective on what racism means and the nature of racial inequality have become a big part of the group identity of college-educated Democrats, white and nonwhite. But it’s not necessarily how most nonwhite, working-class people understand racism. (…) if you look at the concrete questions, white liberals are to the left of Hispanic Democrats, but also of black Democrats, on defunding the police and those ideological questions about the source of racial inequity. Regardless, even if a majority of nonwhite people agreed with liberals on all of these issues, the fundamental problem is that Democrats have been relying on the support of roughly 90 percent of black voters and 70 percent of Hispanic voters. So if Democrats elevate issues or theories that a large minority of nonwhite voters reject, it’s going to be hard to keep those margins. Because these issues are strongly correlated with ideology. And black conservatives and Hispanic conservatives don’t actually buy into a lot of these intellectual theories of racism. They often have a very different conception of how to help the black or Hispanic community than liberals do. And I don’t think we can buy our way out of this trade-off. Most voters are not liberals. If we polarize the electorate on ideology — or if nationally prominent Democrats raise the salience of issues that polarize the electorate on ideology — we’re going to lose a lot of votes. (…) I (…) think liberals sometimes take the ambiguities of ideology too far. A lot of progressives insist that ideological self-identification means nothing. And we know that isn’t true. One of the big patterns of the last 40 years is that ideological self-description has become increasingly correlated with partisanship and increasingly correlated to views on issues. But there is still a large universe of policy questions — mostly economic but not exclusively — where a large majority of the public agrees with us. A $15 minimum wage polls above 60 percent; that couldn’t happen without a lot of “moderates” and “conservatives” supporting the policy. What I take from that is: Ideological polarization is a dead end. If we divide the electorate on self-described ideology, we lose — both because there are more conservatives than liberals and because conservatives are structurally overrepresented in the House, Senate, and Electoral College. So the way we get around that is by talking a lot about progressive goals that are not ideologically polarizing, goals that we share with self-described conservatives and moderates. Even among nonwhite voters, those tend to be economic issues. In test after test that we’ve done with Hispanic voters, talking about immigration commonly sparks backlash: Asking voters whether they lean toward Biden and Trump, and then emphasizing the Democratic position on immigration, often caused Biden’s share of support among Latino respondents to decline. Meanwhile, Democratic messaging about investing in schools and jobs tended to move Latino voters away from Trump. (…) I think (…) the extent to which Hispanic voters have liberal views on immigration is exaggerated. If you look at, for example, decriminalizing border crossings, that’s not something that a majority of Hispanic voters support. Pew’s done a lot of polling on immigration reform, and if you ask things like, “Should we deport the undocumented population, should we give them a path to permanent residency, or should we give them a path to citizenship?” citizenship only gets a little over 50 percent support among Hispanic voters. So I think liberals really essentialize Hispanic voters and project views about immigration onto them that the data just doesn’t support. (…) As a baseline, midterms are usually very bad for the party in power. In the past 70 years, the incumbent party has gained seats in the House and Senate maybe once or twice. The last one was in 2002. The regularity of how bad midterm environments are for the president’s party is one of the most striking findings in political science. Generally speaking, over the last 30 to 40 years, the party that controls the presidency gets about 47 percent of the vote nationwide. Add in the fact that the House already has a fairly substantial pro-Republican bias — the median House seat is something like three points to the right of the country overall — it means that in the base scenario, Democrats are headed for near-certain doom. (…) The good news is that there’s a strong case for thinking this time might be different. I’m not a macroeconomist, but it seems like Joe Biden might preside over a post-corona economic boom. Already, Biden’s approval rating is very strong. The best predictor of how a midterm is going to shake out is how popular the president is. So, for now, everything looks about as good as you could hope for. But we have no margin for error. If we conduct ourselves the way we did after 2008, we’re definitely going to lose. And due to the way that our electoral system works, we really could be locked out of power for a very long time, just like we were after 2010. So that means the need for messaging discipline is stronger than ever. But keeping the national conversation focused around popular economic issues probably won’t be enough. Since the maps in the House of Representatives are so biased against us, if we don’t pass a redistricting reform, our chance of keeping the House is very low. And then the Senate is even more biased against us than the House. So, it’s also very important that we add as many states as we can. Currently, even if we have an exceptionally good midterm, the most likely outcome is that we lose one or two Senate seats. And then, going into 2024, we have something like seven or eight Democrats who are in states that are more Republican than the country overall. Basically, we have this small window right now to pass redistricting reform and create states. And if we don’t use this window, we will almost certainly lose control of the federal government and not be in a position to pass laws again potentially for a decade. In terms of putting numbers on things, I think that if we implemented D.C. and Puerto Rican statehood and passed redistricting reform, that would roughly triple our chance of holding the House in 2022 and roughly the same in the Senate. The fact that it’s possible to triple those odds is a testament to how bleak the baseline case is. So we need to pass those reforms and we need Biden to remain popular. If his approval rating is below 50 by the end of the year, we’re probably fucked. (…) I can’t claim to know exactly what the electoral effects would be of doing these things. But all of the polling I’ve seen suggests that things like HR 1 and adding states are above water. They’re not as popular as a lot of economic issues, but they’re above 50 percent. Electoral backlash doesn’t typically come from doing things that poll at 53 or 54 percent. It comes from doing things that poll at 30 or 40 percent. And so I think that the downside of this stuff is low. I think the level of voter interest in procedural issues is low. If we lived in a world where voters punished politicians for playing procedural hardball, we would have a lot fewer Republicans in office. And actually, in some ways, pursuing procedural reforms that don’t concern voters much — but which do get the other party all worked up — could be electorally beneficial. If you can get the other party to talk about something that voters don’t care about, that’s good. People don’t always think about media attention as a fixed quantity. But it is. To the extent that the coronavirus impacted the 2020 election, I think one positive political effect it had for Democrats was that whenever the media was talking about the coronavirus, they weren’t talking about Hunter Biden or immigration. And I think that kind of blocked Republicans from creating and inserting wedge issues. If Republicans decide to make 2022 into a referendum on independent redistricting, that will eat up space that could have otherwise gone to effective attacks. We should dare them to do it. (…) In 2016, non-college-educated whites swung roughly 10 percent against the Democratic Party. And then, in 2018, roughly 30 percent of those Obama-Trump voters ended up supporting Democrats down ballot. In 2020, only 10 percent of Obama-Trump voters came home for Biden. So I think what this shows: There is a long-term trend of increasing education polarization here and in every other country in the West. But the fact that education polarization declined significantly in 2018 — when Trump wasn’t on the ballot — and picked up again in 2020 suggests that Trump is personally responsible for a significant portion of America’s education polarization. I think that there’s a really strong case that this transition was specifically about Donald Trump. A lot of people theorized that we first alienated Obama-Trump voters during the fight over comprehensive immigration reform and that their rightward movement was already apparent in 2014. But if you actually look at panel data, it seems really clear that these people didn’t start identifying as Republicans until Trump won the GOP nomination. I think there’s a very strong empirical argument that Donald Trump was the main driver of the polarization we’ve seen since 2016. He just personally embodies this large cultural divide between cosmopolitan college-educated voters and a large portion of non-college-educated voters. Those divides take a lot of different forms: attitudes toward race, attitudes toward gender, opinions on what kinds of things you’re allowed to say, or how you should conduct yourself. And you know, as Trump became the nominee, and as the media made politics the Donald Trump Show for the last four years, that led to increasing political polarization on attitudes toward Donald Trump specifically. I think the reason why we saw less education-based voting in 2018 is that Trump was a smaller part of the media environment than he had been in 2016 or would be in 2020. Looking ahead to 2022, and just thinking about the next four years, the big question is how much is Donald Trump going to shape media coverage of the Republican Party or the Republican Party’s own branding? And I don’t know the answer to that question. If Trump fades out of the spotlight, I’d expect some level of education depolarization, particularly if Democrats show ideological discipline. (…) in 2016, Hillary Clinton got 51.1 percent of the two-party vote. Obama got 52 percent in 2012. In just about any other country, retaining 51.1 percent support would have been enough to keep power. But in this country, between 2012 and 2016, the Electoral College bias changed from being one percent biased toward Democrats to 3 percent biased toward Republicans, mainly because of education polarization. So Donald Trump is unpopular. And he does pay a penalty for that relative to a generic Republican. But the voters he’s popular with happen to be extremely efficiently distributed in political-geography terms. (…) So I think the Trump era has been very good for the Republican Party, even if they now, momentarily, have to accept this very, very, very thin Democratic trifecta. Because if these coalition changes are durable, the GOP has very rosy long-term prospects for dominating America’s federal institutions. The question is: Can they get all of the good parts of Trumpism without the bad parts? And I don’t know the answer to that question. But when I look at the 2020 election, I see that we ran against the most unpopular Republican ever to run for president — and we ran literally the most popular figure in our party whose last name is not Obama — and we only narrowly won the Electoral College. If Biden had done 0.3 percent worse, then Donald Trump would have won reelection with just 48 percent of the two-party vote. We can’t control what Trump or Republicans do. But we can add states, we can ban partisan redistricting, and we can elevate issues that appeal to both college-educated liberals and a lot of working-class “conservatives.” If we don’t, things could get very bleak, very fast.David Shor (stratège démocrate)
On s’attendait à ce qu’avec le gouvernement du président Biden, il y ait un meilleur traitement des migrants. Et cela a poussé les migrants d’Amérique centrale, et aussi de notre pays, à vouloir traverser la frontière en pensant que c’était plus facile de le faire. Andrés Manuel López Obrador (président mexicain)
S’il y a une reprise aux États-Unis, il est plus facile d’y aller et de trouver du travail. Beaucoup avaient peur de Trump et la plupart ne voulaient pas essayer de traverser la frontière. Mais maintenant, nombreux sont ceux qui envisagent d’émigrer aux États-Unis. Adrián Cahun
Je suppose que je devrais être flatté que les gens viennent parce que je suis un mec sympa; c’est la raison pour laquelle cela arrive – que je suis un homme honnête ou quelle que soit sa formulation. C’est – vous savez, c’est pourquoi ils viennent, parce qu’ils savent que Biden est un bon gars. La vérité est que rien n’a changé. Comme beaucoup de gens sont venus – 28 pour cent d’augmentation du nombre d’enfants à la frontière dans mon administration; 31% au cours de la dernière année de – en 2019, avant la pandémie, dans l’administration Trump. Chaque année, il y a une augmentation importante des arrivées à la frontière pendant les mois d’hiver de janvier, février et mars. Cela arrive chaque année. En plus de cela, il y a un – et personne – et, au fait, est-ce que quelqu’un suggère qu’il y a eu une augmentation de 31% sous Trump parce qu’il était un gars sympa et qu’il faisait de bonnes choses à la frontière? Ce n’est pas la raison pour laquelle ils viennent. La raison pour laquelle ils viennent est que c’est le moment où ils ont le moins de chances de mourir de chaleur dans le désert. Joe Biden
C’est juste un monde différent. C’est triste de les voir ainsi lui servir les questions. C’est des questions faciles. Et son entourage prêt à lui arracher le micro si quelqu’un commençait à se montrer un peu désobligeant. Tout ça est ridicule.[Sur la capitale américaine après le 6 janvier devenue une forteresse avec barbelés] Je pense que c’est honteux – il semble que le monde regarde – absolument, c’est une manœuvre politique qu’ils font. Il y avait zéro menace depuis le début , il n’y avait aucune menace. Ecoutez – ils sont entrés, ils n’auraient pas dû le faire. Certains d’entre eux sont entrés et ils embrassent la police et les gardes. Ils avaient une excellente relation. Et pour beaucoup d’entre eux, on les a laissé rentrer sans problème et puis ils sont entrés et ils sont sortis. Ils persécutent beaucoup de ces gens. Et certains d’entre eux devraient être punis, mais quand je regarde les antifas à Washington même, ce qu’ils ont fait à Washington et ce qu’ils ont fait dans d’autres endroits et la destruction et franchement les meurtres et le passage à tabac des gens … pourquoi ils ne s’en prennent pas aux antifas ? (…) [sur HR1] Ils essaient d’obtenir quelque chose sans pièce d’identité pour voter, pas de vérification de signature, on envoie tous les bulletins de vote qu’on peut. Vous n’aurez plus jamais une élection équitable dans ce pays. Comme pour les dernières élections, c’était honteux. C’était une élection du tiers-monde. (…) Il y a beaucoup de choses qui se sont passées que les législatures n’ont pas approuvé. Notre Cour suprême devrait avoir honte. En vertu de la Constitution, tout ce qu’ils ont fait aurait dû être approuvé par les législatures. Donald Trump
Les Américains ont eu un mérite dès l’été 2020, ils ont dit : « On met le paquet et on y va. » Et donc ils ont plus. Ils ont eu plus d’ambition que nous. Et le quoi qu’il en coûte qu’on a appliqué pour les mesures d’accompagnement, eux l’ont appliqué pour les vaccins et la recherche. Nous, on n’a pas été assez vite, assez fort là-dessus. C’est tout à fait vrai et on a pensé que le vaccin mettrait du temps à décoller. (…) Et donc on a sans doute moins rêvé aux étoiles que certains autres. Et je pense que ça doit être une leçon pour nous-mêmes. On a eu tort de manquer d’ambition, j’allais dire de folie, de dire : « C’est possible et on y va. » On est trop rationnel peut-être. Emmanuel Macron
Écoutez, vous avez un ancien président Trump, qui est raciste, sexiste, homophobe, xénophobe, menteur pathologique, autoritaire, quelqu’un qui ne croit pas à l’état de droit. Il est vraiment dangereux. Mais si vous me demandez si je me sens particulièrement à l’aise que le président, à ce moment-là, des États-Unis, ne puisse exprimer son point de vue sur Twitter ? Je ne me sens pas à l’aise à ce sujet. Maintenant, je n’ai pas la réponse. Vous voulez que les discours de haine et les théories du complot circulent dans tout le pays ? Non. Vous voulez qu’Internet soit utilisé à des fins autoritaires et insurrectionnelles, si vous voulez? Non, bien sûr. Alors, comment trouver le bon équilibre ? Je ne sais pas, mais c’est une question à laquelle nous devons réfléchir. Parce que s’il y a quelqu’un qu pense qu’hier, c’est Donald Trump qui a été interdit, demain, ça pourrait être quelqu’un d’autre qui a un point de vue très différent et je n’aime donc pas donner autant de pouvoir à une poignée de personnes de la high tech, mais le diable est évidemment dans les détails et c’est quelque chose sur laquelle nous allons devoir réfléchir longuement, et c’est ainsi que vous préservez les droits du premier amendement sans faire basculer ce pays dans une mentalité de mensonge et les théories du complot. Bernie Sanders
Les Américains méritent la vérité sur ce qui se passe à la frontière et ils méritent également une évaluation lucide de l’administration Biden sur la façon dont ils vont gérer cela à l’avenir. Mais les événements d’aujourd’hui ont confirmé que l’équipe Biden ne nous dira jamais la vérité sur la frontière et que le flux humain massif entrant dans notre pays ne s’arrêtera pas tant que les Républicains n’auront pas battu les Démocrates à plate couture en 2022. Juste parce que le pauvre Joe Biden perd le fil de ses pensées, ne pensez pas une seconde que les gens qui tirent ses ficelles ne savent pas ce qu’ils font, ils le savent. Ils ont l’intention d’inonder ce pays d’autant de travailleurs à bas salaires et de futurs électeurs démocrates qu’ils le peuvent, et aussi vite que possible. Les Démocrates, tout comme les cartels, exploitent les migrants pour l’argent et le pouvoir. Quant au reste d’entre nous, nous sommes simplement censés nous réjouir du fait que notre pays soit complètement déstabilisé. Laura Ingraham
The president so far has surprised some of his former colleagues and allies with a largely gaffe-free White House debut after a lifetime of verbal stumbles. Politico
It’s early, but not too early to give Politico the scoop-of-the-year award for this: “The president so far has surprised some of his former colleagues and allies with a largely gaffe-free White House debut after a lifetime of verbal stumbles.” The hoops you have to jump through — and with your eyes closed! — to reach a sweeping conclusion like that is what makes it award-winning. First, you must, at least temporarily, steel your mind to reject any contrary facts, including that President Biden has not held a press conference, meaning the chance for gaffes and inanities is basically zero because he always gets to read from a TelePrompter. You also have to overlook the fact that he is only slightly more willing to agree to interview requests, which also reduces his chances to screw up. Finally, you have to pretend that he didn’t commit the many gaffes he committed when he did venture to talk with the media. Other than that, good job. That’s how you win the big prizes in Washington. Only later, in an on-the-other-hand sequence, do the Politico writers admit the contradictions that obliterate their opening. The most notable is that they point out that after Biden’s lone interview since taking office, with CBS, the White House “had to clarify his comments on whether Trump would receive intelligence briefings, the fate of the $15 minimum wage, and what Iran needed to do in negotiations surrounding the country’s nuclear program.” No wonder he’s hiding — three major “clarifications” after one interview is a good reason not to do another. But hey, no gaffes, no worries. The story is in some ways typical of the big picture that shows, now that Donald Trump is gone, the media are free to return to trivial pursuits to protect their chosen president. For four years, we were assured that journalism was about saving American democracy. Now journalism is about … nothing. That might be reasonable if there were nothing to cover. But the willful blindness illustrates how most of the Washington press corps has put aside the brass knuckles it used on Trump and taken out the pom-poms to cheerlead for another Democrat in the White House. If they were serious about covering Biden seriously, the media would examine the elephant in the room instead of just mentioning it. Why exactly isn’t the president of the United States available for questions? After all, he just signed one of the largest stimulus bills in history, a $1.9 trillion monster that throws money around like a tooth fairy on a drunken binge. It did not get a single GOP vote in either house despite Biden’s claims he wants bipartisanship. (…) Ten Republican senators got the brushoff when they offered to work with him, and then were insulted by the White House. Does he regret that? (…) The stimulus supporters are making wild claims for what it will achieve, saying it will reduce poverty by a third this year and ultimately cut child poverty in half. Can Biden explain and defend those claims, which seem preposterous on their face? Then there’s the border crisis, which is causing Biden’s team to do mental gymnastics to avoid admitting it’s a crisis. Trump had faced similar problems, but a series of measures, including agreements with Mexico and other nations, finally helped stem the tide of caravans. Biden intentionally broke those agreements and effectively invited all of Central America to come on in. A fair and functioning media would demand to hear the president himself discuss the disaster he created, which has put thousands of unaccompanied children in overcrowded custody facilities. Naturally, the press doesn’t bewail the lockdowns as “kids in cages” as they did with Trump. How about the Mideast — what are Biden’s plans? He wants a new deal with Iran and as a sweetener, removed the terrorist designation Trump slapped on the Houthis, an Iranian proxy group attacking Saudi Arabia from Yemen. The Houthis responded with even more sophisticated missile attacks on Saudi oil installations. And who knows what happened to the Hunter Biden story? This is, after all, the president’s son and the FBI has admitted he is a subject in an ongoing criminal tax case, and maybe more. [or] whether there is any reason to be concerned about Biden’s mental acuity. The fact that he’s been largely invisible tells me there is. To deny that is to glibly assume that everything is fine with a 78-year-old man who is obviously not as sharp as he was just a few years ago and who is being hidden from the public in ways that are unprecedented, especially at the start of a new administration. With its timid acquiescence, the media has participated by treating the president’s absence as no big deal. It is a big deal. A very big deal. Michael Goodwin
Three big things stood out in President Biden’s first press conference. 1. The leader of the free world is often lost at sea and says many things that are blatantly false. 2. The media is in the tank and cannot be trusted to hold him accountable. 3. Because of Nos. 1 and 2, America is headed for serious trouble. For this sickening spectacle we had to wait 64 days? Still, the event was meaningful in one distressing way. Now we know beyond all doubt there is no way to deny the terrifying truth. This was Biden’s coming out party, and the nation faces a mess that will only grow worse with time. The man who campaigned on unity is hell-bent on permanent polarization, meaning cancel culture and the supercharged racial climate are here to stay. Biden gave license to the worst instincts on the left with his repeated sneering references to all Republicans and especially Donald Trump. At one point, he actually accused Trump of letting immigrant children “starve to death on the other side” of the Mexican border. He said it in a room full of 30 supposed journalists and not a single one challenged him or even asked whether he meant it literally. In fact, not a single one challenged him on any of his falsehoods. Nor did anyone ask him why he read from prepared talking points during answers to three questions on foreign policy. No recent president has felt the need to do that. There also were moments when he talked himself into dead ends, yet there were no questions about when he would release the health reports he’s been hiding. Regarding his agenda, a report that Biden sees himself as the new FDR gives credence to the idea that he’s all in for every big, crazy idea left-wing Dems can cook up. The Green New Deal, open borders, removing voting safeguards, endless tax hikes, statehood for DC — they’re all on track and bound for glory. The only obstacle is the Senate filibuster, which requires 60 votes to pass legislation, but Biden left no doubt he would be willing to do away with it. (…) The facts of illegal immigration are fairly simple. Trump campaigned on the issue and after false starts and despite unified Democratic opposition, eventually stitched together a series of policies and actions that stemmed the tide. He built large sections of wall, deported criminal aliens and struck an agreement with Mexico that those making asylum claims would have to wait in Mexico. It is also a fact that Biden blew up each of those pillars, yet now claims he inherited a mess. Strangely, he also insisted that the numbers surging now “happens every single, solitary year. Nothing has changed.” He’s either misinformed or lying. Record numbers of arrivals are being reported daily, and NBC recently called the crossings the highest in 20 years. Again, Biden was not challenged. The final proof that the press has abdicated its role was clinched when the president refused to say when he would allow more media access to the border detention facilities. He said it would have to wait until his team got its new programs working. If Trump had said that, the sky would have fallen and democracy would be declared dead. But when Biden says it, the media rolls over. So add transparency to the list of things that don’t matter anymore. Michael Goodwin
HR1 regroupe dans un projet de loi de 791 pages toutes les mauvaises idées en matière d’organisation des élections qui ont fait de l’élection de 2020 un tel désastre, et inclut tous les plus ‘grands succès’ de 2020: l’envoi massif de bulletins de vote par correspondance, l’acceptation de bulletins de vote par correspondance reçus sans cachet de la poste, l’acceptation de bulletins de vote arrivant tardivement, la possibilité de voter dans des circonscriptions où vous ne vivez pas. Il contient tellement de mauvaises idées qu’aucune publication ne dispose d’un espace satisfaisant pour les couvrir toutes. Le projet de loi d’accompagnement du Sénat, S.1, pourrait être encore pire. Ces projets de loi réorganisent les relations entre les États et le gouvernement fédéral. La Constitution suppose que les États réglementent leurs propres élections, mais la Constitution ajoute un gros «mais» dans ce qu’on appelle la clause électorale. La Constitution dit, « mais le Congrès peut à tout moment par la loi établir ou modifier de tels règlements. » Pendant plus de 200 ans, le Congrès a rarement utilisé ce pouvoir. Après tout, le pouvoir a été mis dans la Constitution uniquement pour empêcher les États d’étouffer le gouvernement fédéral en ne tenant jamais d’élections fédérales. Ne présumez pas que les projets de loi vont s’enliser toutes seules au cours du processus. On les a nommés H.R.1 et S.1 pour une raison. Les projets de loi sont la priorité absolue des Démocrates nouvellement habilités au Congrès. Insatisfait de l’efficacité du dernier mandat fédéral – la loi sur les électeurs automobiles de 1993 – H.R.1 fait fi de l’idée qu’un Américain devrait explicitement s’inscrire pour voter. En 2020, des États tels que le Nevada et le New Jersey ont envoyé des bulletins de vote par courrier à toute personne inscrite sur leurs listes d’inscription malgré des listes électorales pleines d’erreurs. La Public Interest Legal Foundation a documenté des milliers d’inscriptions non éligibles dans le seul Nevada qui ont reçu des bulletins de vote par correspondance. Certains ont été envoyés dans des terrains vagues, des mines abandonnées, des casinos et même des magasins d’alcools. Les États seraient également bloqués par H.R.1 des procédures de vérification de signature. H.R.1 truque le système pour toute action en justice contestant la constitutionnalité de la loi. Toutes les poursuites ne pourraient être déposées que devant un seul tribunal – le tribunal fédéral du district de Columbia. Et toute opposition devraiit être regroupée en un seul mémoire, un seul avocat étant en mesure d’en faire valoir le bien-fondé. Il accorde également une intervention automatique à tout législateur qui souhaite se joindre à la lutte contre la seule opposition. Il interdit aux États de procéder à la mise à jour des listes sur les listes électorales. Cela signifie que le bois mort et les enregistrements obsolètes s’empileraient. (…) L’enregistrement automatique universel des électeurs est, depuis des années, une priorité absolue de la gauche institutionnelle. En fait, H.R.1 supprimerait l’inscription réelle des électeurs et ferait plutôt des listes électorales simplement une copie de toute personne déjà inscrite sur une liste gouvernementale – comme les bénéficiaires de l’aide sociale et d’autres bénéficiaires des services sociaux. Les projets de loi s’étendraient bien au-delà des entités fédérales telles que l’Administration de la sécurité sociale, le ministère de la Défense, des douanes et de l’immigration et des éléments de la santé et des services sociaux. Naturellement, une base de données fédérale géante servirait de foyer à cette liste de personnes qui devraient être automatiquement inscrites pour voter, qu’elles le sachent ou non. Imaginez le nombre de bases de données gouvernementales dans lesquelles vos informations sont contenues. Vos noms et adresses correspondent-ils tous? La sécurité sociale sait-elle que vous avez quitté votre état de naissance? Vos noms de mariée et de jeune fille sont-ils différents? Avez-vous obtenu un permis de conduire avant d’obtenir la citoyenneté américaine? Vous pouvez voir les pièges. Une personne serait «inscrite» pour voter plusieurs fois, avec une légère variation dans les noms, et peut-être une plus grande variation dans les adresses de résidence. Faciliter l’inscription électorale grâce à l’inscription automatique à partir de listes gouvernementales peut sembler attrayant, jusqu’à ce que vous envisagiez le désastre du vote automatique universel comme nous l’avons vu en 2020. HR1 et S.1 obligeraient les États à systémtiser les bulletins de vote dans le courrier. Cela créerait du mou dans le système électoral. Les élections décentralisées par courrier introduisent une erreur en raison de listes remplies d’erreurs. Les bulletins de vote par la poste retardent les résultats, créent de l’incertitude et repoussent les élections dans les cuisines et les chambres à coucher où les responsables électoraux ne peuvent observer le processus de vote et ne peuvent protéger l’électeur de la coercition. H.R.1 prend les pires changements de règles d’urgence absolus de 2020 et les consacre en tant que loi fédérale. Finies les exigences relatives aux témoins d’État et aux notaires lors du processus de demande de vote par correspondance. Les États ne peuvent pas non plus édicter d’exigences d’identification de «quelque forme que ce soit» pour ceux qui demandent un bulletin. Cela signifie qu’il n’y a plus d’identification des électeurs en vertu de la loi fédérale. Pire encore, le projet de loi de 791 pages criminalise également (…) quiconque utilise les lois de contestation des États pour remettre en question l’éligibilité des inscrits. La peine peut aller jusqu’à un an de prison par exemple. Il interdit aux États de procéder à la mise à jour des listes électorales. Cela signifie que le bois mort et les enregistrements obsolètes vont s’empiler. (…) Et au cas où il n’était pas clair que HR1 prétendait démanteler le pouvoir de chaque État de tenir ses propres élections, le projet de loi indique clairement: (…) les lois de l’État qui ont le pouvoir constitutionnel de déterminer l’éligibilité au vote de ses résidents, seront soumis à une norme uniforme fédérale. Ce n’est pas tout. Dans tout le pays, les États devront accepter les bulletins de vote par correspondance plus de 10 jours après le jour du scrutin. Les États seront autorisés à ajouter du temps supplémentaire. Plus de jour d’élection. Ce sera la saison des élections, avec un mois de vote anticipé et des semaines de bulletins de vote arrivant et dépouillés. Et bien sûr, la collecte illimitée des bulletins de vote – l’aide d’un tiers pour remplir et rassembler les bulletins de vote, puis les déposer dans un bureau de vote ou un autre bureau désigné – est garantie. La désinformation, les manifestations, les émeutes et même la violence ont tous été des symptômes du traumatisme de 2020. Les groupes d’activistes et les responsables complices en 2020 ont transformé les tribunaux en armes pour transformer les lois de l’État en procédures électorales favorables à un parti en particulier. H.R.1 finirait le travail et fédéraliserait les politiques et les procédures électorales qui ont fait de 2020 un tel gâchis. (…) Il y a un mandat fédéral, adopté au 19e siècle, pour avoir un seul jour d’élection. Les bureaucrates de Washington chargés de faire appliquer cette loi ignorent cette loi. Les mandats fédéraux sont un cliquet politique à sens unique. Ils aident toujours un seul parti politique. La nation a déjà vu cette ligne de pensée. Comme Obamacare avant lui, H.R.1 fait passer notre République fédéraliste à un autre nouveau meilleur des systèmes qui prétend corriger des générations de torts structurels, tout en renforçant en même temps d’autres torts. Unifier les expériences américaines telles que se rassembler pour voter lors d’un seul jour d’élection, régi par des règles adoptées par les législateurs des États, eh bien, aux auteurs de H.R.1, c’est tout simplement démodé. J. Christian Adams
Joe Biden (…) descendant de migrants irlandais catholiques [et Kamala Harris] fille d’un père jamaïcain et d’une mère indienne (…) ont incarné le camp des minorités américaines, marquant une rupture nette avec le mandat de Donald Trump, accusé par certains démocrates d’être le président des suprémacistes blancs. Le plan a fonctionné, Joe Biden et Kamala Harris ont été élus à la Maison-Blanche. Les Noirs américains ont voté pour eux à près de 90 %, les latinos à plus de 65 % et les Asiatiques à 63 %. Ils ont su s’en souvenir au moment de nommer leurs conseillers et les membres du gouvernement. Le Sénat, qui doit confirmer un à un les membres de la future équipe du président, n’aura jamais vu passer autant de candidats issus de minorités. Une ministre de l’Intérieur amérindienne, un ministre de la Défense noir, un patron de la Sécurité intérieure d’origine cubaine, un ministre des Transports homosexuel, une sous-secrétaire à la Santé transgenre… Chaque minorité à son représentant dans cette administration arc-en-ciel, symbole du creuset américain, de sa diversité et de sa richesse. Mais à vouloir servir tout le monde, on en oublie forcément quelques-uns. À tort ou à raison, les AAPI se sentent lésés. Derrière ce sigle sont regroupés les Américains ayant des origines asiatiques ou venant des îles du Pacifique (Asian Americans/Pacific Islanders). (…) Victimes de préjugés raciaux, les Asio-Américains estiment qu’ils sont mal représentés dans les sphères du pouvoir, en particulier dans le gouvernement Biden. C’est la sénatrice de l’Illinois Tammy Duckworth, d’origine thaïlandaise, qui porte leur combat à Washington, bientôt rejointe par sa collègue de Hawaï, Mazie Hirono. Elles ont signifié à l’establishment démocrate leur refus de voter en faveur de tout nouveau prétendant qui ne serait pas asiatique. De quoi bloquer le processus de nomination au Sénat, puisque la chambre haute du Congrès est plus divisée que jamais depuis les élections de novembre 2020. Elle compte 50 élus démocrates et 50 républicains. Le camp Biden a besoin de faire le plein à chaque fois qu’il veut faire passer une loi ou qu’il souhaite faire valider la nomination d’un officiel. Quand la Maison-Blanche fait valoir aux deux sénatrices que la vice-présidente Kamala Harris est d’origine indienne par sa mère, leur réponse est cinglante. « C’est insultant ! Diraient-ils aux Afro-Américains que Kamala Harris est noire et qu’il n’y a pas besoin d’autres Afro-Américains au sein de l’administration ? » Elles tiennent bon et leur chantage va fonctionner. (…) Sur les 23 membres désignés du cabinet Biden – tous ne sont pas encore confirmés – un seul est d’origine asiatique à ce jour : Katherine Tai, représentante au Commerce, qui a grandi à Taïwan et dont les deux parents sont chinois. Un sur 23, soit environ 4,5 % du cabinet, un nombre assez proche des 5,5 % que les Asiatiques pèsent au sein de la population américaine. Insuffisant pour les leaders d’AAPI. Mais en nommant un nouveau membre d’origine asiatique, le président américain fera passer cette proportion à 18 %… Quelle autre minorité montera alors au créneau en s’estimant sous-représentée ? S’ils permettent de conforter chaque groupe, ces arrangements font peser un soupçon sur l’équipe Biden. Serait-elle davantage un casting politiquement correct qu’une équipe recrutée pour ses compétences ? Ironie de l’histoire, les Asio-Américains comptaient encore récemment sur une porte-drapeau dans l’équipe Biden. Neera Tanden, née de parents indiens, avait été désignée pour occuper la fonction importante de ministre du Budget. Mais d’anciens tweets polémiques retrouvés par la presse ont eu raison de sa candidature. Preuve qu’outre les origines ethniques, les opinions politiques comptent encore en Amérique. Julien Peyron
20 janvier 2021. Joe Biden prête serment et devient 46ème président des États-Unis. La scène est quasiment dépourvue de toute présence humaine. Les rues de Washington DC sont vides. Les habitants de la ville avaient été exhortés à rester chez eux et ceux du reste du pays s’étaient vus demander de ne pas venir. La ville est placée sous la protection de 25.000 membres de la Garde nationale, lourdement armés. De hautes barrières surmontées de barbelés entourent la zone du Capitole. Dans les rues que doit emprunter le défilé inaugural, des barrières séparent les trottoirs de la chaussée. Les seules personnes visibles le long des rues sont des hommes en uniforme portant des fusils. Un jour qui est en général un jour de fête aux États-Unis est, cette année, étrange et triste. L’explication donnée par les responsables de la ville et le FBI est qu’il y avait un risque de perturbation grave. Des inaugurations précédentes ont connu des risques de perturbation, mais la ville n’avait pas été mise en état de siège. Le 20 janvier 2017, lors de l’inauguration du président Donald J.Trump, des manifestants hostiles étaient venus à Washington DC, et avaient brûlé des voitures et brisé des vitres. La police avait protégé la cérémonie, sans barbelés ni soldats. Des centaines de milliers de personnes avaient pu venir applaudir le nouveau président. Le 6 janvier, répondant aux appels du président Trump, une foule immense s’était rassemblée à l’emplacement appelé l’Ellipse, près de la Maison Blanche. Ceux venus écouter le discours de Trump l’avaient fait, puis étaient rentrés chez eux. Pendant que Trump parlait, des milliers de personnes étaient devant le Capitole, à 30 minutes à pied de ceux venus écouter Trump, et un groupe de gens bien organisés a brisé des fenêtres du bâtiment et y est entré. Il n’y a eu aucun saccage, et juste le vol de quelques objets. Une femme non armée a été tuée d’une balle dans la tête par un policier. Deux manifestants sont morts de crises cardiaques. Une personne est tombée au sol et a été piétinée. Un membre de la police du Capitole est décédé le lendemain, apparemment victime d’un accident vasculaire cérébral. Bien que l’incident ait été grave, il n’a ressemblé en rien aux scènes de pillage, aux incendies criminels et aux violences extrêmes qui ont eu lieu dans de nombreuses grandes villes du pays pendant l’été. La différence a été que ce qui s’est passé a touché de près la classe politique. L’incident a été unanimement condamné, y compris par Trump. Ceux qui étaient venus écouter Trump et ceux qui ont perpétré l’incident n’étaient pas les mêmes. Les premiers avaient exercé leurs droits constitutionnels de libre réunion; les seconds avaient commis des actes criminels. La police aurait pu procéder à des arrestations et la justice aurait pu être rendue. La page aurait été tournée. Ce n’est pas ce qui s’est passé. Des incursions dans le Capitole ont eu lieu plusieurs fois dans le passé: le 1er mars 1954, des Américains d’origine portoricaine avaient tiré à l’arme à feu au sein du bâtiment, et blessé cinq membres du Congrès; le 1er mars 1971, des membres du mouvement radical Weather Underground y avaient placé une bombe ; le 7 novembre 1983, les membres d’un groupe se faisant appeler « l’unité de résistance armée » avaient également placé une bombe dans le bâtiment; le 6 octobre 2018, des personnes étaient venues protester contre le vote de confirmation du juge à la Cour suprême Brett Kavanaugh. Semblant ignorer tout cela, le 7 janvier, Joe Biden a décrit ce qui s’était passé la veille comme une « attaque » très grave et sans précédent: « Ce dont nous avons été témoins hier n’était pas un acte de désaccord. Ce n’était pas un acte de désordre. Ce n’était pas un acte de protestation. C’était un acte de chaos. Ceux qui étaient là n’étaient pas des manifestants. Ne les appelez pas manifestants. C’était une émeute. Une insurrection. Un acte de terrorisme intérieur. C’est fondamental, c’est aussi simple que cela. » Les grands médias américains ont parlé d’une attaque contre la « citadelle de la démocratie » et du signal d’une « volonté de renverser la république ». Les partisans de Trump – dans leur ensemble – ont été décrits comme des personnes dangereuses. La contestation du résultat des élections du 3 novembre par Trump était déjà présentée depuis des semaines comme une tentative d’inverser le résultat d’une élection parfaitement valide et comme relevant du « grand mensonge ». L’incident a été décrit comme la « transformation des Etats-Unis en une zone de guerre ». Le 8 janvier, la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, après avoir demandé au Président Trump de quitter « immédiatement et volontairement » ses fonctions avant l’investiture du président élu Biden, a lancé une procédure de destitution à son encontre. Insinuant que Trump était mentalement inapte, elle a annoncé qu’elle avait parlé au chef d’état-major interarmées, le général Mark Milley, « pour discuter des mesures de précaution disponibles permettant d’empêcher un président instable de déclencher des hostilités militaires ou d’accéder aux codes d’utilisation des armes nucléaires ». Sa demande, qui a enfreint la chaîne de commandement, a été décrite comme séditieuse. Le 13 janvier, violant toute procédure régulière, la Chambre des représentants a voté à la hâte un article de destitution accusant le président Trump d ‘ »incitation à l’insurrection ». Lors de son investiture le 20 janvier, tout en parlant d ‘ »unité », Joe Biden a fait écho aux propos qu’il avait employé le 7 janvier, et a parlé d' »une montée de l’extrémisme politique, de la suprématie blanche, du terrorisme intérieur que nous devons affronter, et que nous vaincrons. « . Depuis, l’administration Biden mène un combat contre ceux que Joe Biden a désignés comme tels. « Le président Biden », a dit très vite un communiqué de la Maison Blanche, « utilisera le Conseil de sécurité nationale pour traquer et combattre l’extrémisme politique et le terrorisme intérieur ». Le secrétaire à la Défense, Lloyd Austin, a donné un ordre de pause à l’ensemble de l’armée américaine pour que les officiers s’attaquent à « l’extrémisme » au sein des troupes. « Le suprémacisme blanc », a annoncé John Kirby, principal porte-parole du Pentagone, « pose un problème particulier » à l’armée américaine. Au Sénat, la procédure de destitution contre Trump s’est poursuivie. Les responsables officiels de la mise en accusation ont décrit les événements du 6 janvier comme une « insurrection armée » qui a menacé la vie de représentants du peuple. Ils ont décrit de prétendus « crimes et délits graves » – sans preuves et témoins, bien sûr – et ont déclaré que c’était là le résultat direct du discours de Trump le 6 janvier, et le résultat aussi de sa contestation du résultat de l’élection – qu’ils ont présentée comme une « incitation à la violence ». Ils ont ainsi laissé de coté le fait que les résultats des élections présidentielles sont contestés depuis des décennies sans que cela semble inadmissible. Ils ont également affirmé que les événements du 6 janvier avaient fait cinq morts, et n’ont pas dit qu’un seul décès – celui d’Ashli Babbitt, une manifestante abattue par un policier – pouvait être directement lié à l’événement. Les avocats de Trump n’ont eu aucun mal à réfuter les accusations énoncées. Ils ont rappelé que Trump avait demandé aux gens venus l’écouter le 6 janvier de se rassembler « pacifiquement et patriotiquement » et que le discours qu’il avait prononcé était pleinement protégé par le premier amendement. Ils ont présenté des preuves montrant que ceux qui avaient initié l’irruption dans le Capitole avaient préparé leur action pendant des semaines et avaient agi pendant que Trump parlait encore. Ils ont montré qu’ il n’existait aucune relation de cause à effet entre le discours de Trump du 6 janvier et ce qui s’est passé au Capitole. Ils ont souligné que la procédure de destitution avait été menée en violation de la Constitution, et que le juge en chef de la Cour suprême, John Roberts, avait refusé de superviser la procédure. Ils ont dit que Trump ayant quitté ses fonctions, il n’était plus au moment de la procédure le président Trump, mais seulement le citoyen Trump, et ils ont demandé si les États-Unis voulaient vraiment commencer à « destituer » leurs citoyens. Ils ont souligné que les éléments de « preuve » présentés étaient une fois de plus (comme dans l’affaire de la « pseudo collusion avec la Russie ») des éléments falsifiés. Ils ont affirmé que ce qui s’était passé n’était pas une insurrection – action définie comme une action violente et organisée visant à renverser le pouvoir établi, et rappelé qu’aucun de ceux qui ont pénétré dans le Capitole n’était armé. Sans surprise, Trump a été acquitté. L’atmosphère aux États-Unis reste toxique. Certains sont porteurs de la volonté d’inciter la population à adhérer à un faux récit selon lequel non seulement Trump est censé être une « menace pour la démocratie », mais les 74 millions d’Américains qui ont voté pour lui sont une menace eux aussi. D’autres disent que la véritable menace pour la démocratie réside dans les mensonges incessants, dans les violations de la Constitution, et dans les falsifications de l’information et des faits. (…) Les appels à des purges politiques se poursuivent. L’organisation de gauche MoveOn.org a lancé une campagne contre ce qu’elle appelle le « Caucus de la trahison » et demande que des sénateurs, qu’elle décrit comme « complices de l’insurrection meurtrière lancée par Trump », soient expulsés du Congrès. La présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi – tentant apparemment de créer une équivalence entre le 11 septembre 2001, la pire attaque terroriste subie par les États-Unis et les événements du 6 janvier, et tentant aussi, semble-t-il, d’inciter à supprimer la liberté d’expression – a annoncé que le Congrès allait créer une commission du type de celle créée concernant l’attaque du 11 septembre. Un membre du Comité national démocrate, David. O. Atkins, a demandé, « comment serait-il possible de déprogrammer 75 millions de personnes? Par où commencer? » et « Nous devons commencer à penser à ce qui a été fait en Allemagne ou au Japon après la guerre. » « Les suprémacistes blancs », a déclaré le président Biden, « sont la plus grande menace terroriste intérieure aux États-Unis. Le problème est complexe, il est vaste et il est réel. » Le journaliste Kyle Daly, dans un article intitulé « Comment déprogrammer les extrémistes américains », décrit une mesure qui, à ses yeux, « pourrait faire la différence: empêcher les extrémistes d’entrer dans les institutions où ils pourraient faire le plus de dégâts – l’armée, les services de police et les législatures… Les États-Unis ont besoin d’un plan Marshall contre l’extrémisme intérieur. » Le journaliste Kevin Roose, du New York Times, dans un article appelé « Comment l’administration Biden peut contribuer à résoudre la crise dans laquelle nous sommes », a proposé ce qui ressemble à la création du « Ministère de la vérité » décrit dans le 1984 de George Orwell: « Plusieurs experts avec lesquels j’ai parlé ont recommandé que l’administration Biden mette sur pied un groupe de travail interinstitutions pour lutter contre la désinformation et l’extrémisme intérieur, qui serait dirigé par une sorte de ‘tsar de la réalité ‘. » Exprimer des doutes sur les élections du 3 novembre est désormais presque impossible. Des rapports très étayés montrent pourtant que celles-ci n’ont pas été impeccables. (…) Dans un long article publié par Time Magazine, « L’histoire secrète de la campagne fantôme qui a sauvé l’élection de 2020″, Molly Ball, correspondante politique nationale de la publication, démontre en détail qu’une coterie très bien financée, composée de gens puissants, venus de secteurs et de courants d’idées différents, travaillant ensemble dans les coulisses pour influencer les perceptions, changer les règles et les lois, orienter la couverture médiatique et contrôler le flux d’informations » a agi, et elle ajoute que l’action de cette coterie « a touché tous les aspects de l’élection « , y compris les lois électorales, et a constitué une coalition juridique qui est parvenue à modifier les lois et les systèmes électoraux « . Ball, également auteur d’une biographie extrêmement élogieuse de Nancy Pelosi – qu’elle décrit comme une « icône de la résistance » à Trump – a affirmé que le but de la coterie n’était pas de truquer l’élection, mais de la « fortifier « . Les organisations qui ont ravagé les grandes villes américaines pendant l’été, ajoute-t-elle, ont été utilisées par la coterie: « la gauche contrôlait en réalité les activités de groupes tels Antifa, Black Lives Matter ». Dans un autre article, elle a écrit que ce qui a été fait consistait à « sauver la démocratie » et elle dit, donc, que l’utilisation de moyens non démocratiques pour fausser une élection démocratique « sauve » la démocratie. (…) Des opérations ont été menées pour détruire et nier la légitimité de la présidence de Trump et ont été enclenchées avant même qu’il soit élu, ainsi l’opération « Crossfire Hurricane », et les abus du recours à la loi FISA [Foreign Intelligence Surveillance Act]. Dix-neuf minutes après son investiture, le Washington Post a publié un article intitulé « La campagne pour destituer le président Trump a commencé ». Pendant plus de trois ans, Trump a été accusé, sans aucune preuve, sinon un faux « dossier », d’être un agent russe. Les accusations se sont avérées sans fondement, mais pas avant que 32 millions de dollars de l’argent des contribuables américains aient été dépensés pour mener ce que les procureurs savaient depuis le début être une opération frelatée. Les procureurs en question ont agi pour piéger, incriminer et envoyer des innocents en prison. Ce qu’ils ont fait a été une tentative de coup d’État. Trump a été ensuite accusé de « mettre en danger la sécurité du pays », sur la base d’une conversation téléphonique anodine avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Pour que l’accusation paraisse plausible, l’un de ses accusateurs a dû réinventer la conversation. La première tentative de destitution qui a suivi a été décrite, à juste titre, comme une « parodie de justice » et comme « l’équivalent des procès-spectacle menés sous Staline ». Tout au long de son mandat, Trump a été confronté à des menaces, des abus de pouvoir et des attaques incessantes. Quand bien même il n’est plus président, la guerre menée contre lui continue. Une large partie des grands médias américains ont cessé d’être des médias d’information et sont devenus des organes militants anti-Trump. La diffusion de fausses nouvelles a valu au New York Times et au Washington Post de recevoir le prix Pulitzer. Quand, pendant l’été 2020, des émeutes destructrices ont eu lieu, et que Trump a évoqué le recours à l’armée pour rétablir l’ordre et protéger les biens et les personnes, ses opposants politiques l’ont comparé à Hitler et à Goebbels, se sont indignés et ont défendu les émeutiers en disant qu’ils étaient essentiellement des « manifestants pacifiques » agissant au nom des griefs légitimes. Ces gens ont apparemment oublié que la loi sur l’insurrection invoquée par Trump avait été invoquée dejà par d’autres présidents, ainsi George H.W. Bush en 1992, qui avait répondu à la demande d’aide du gouverneur de Californie Pete Wilson confronté aux émeutes de Los Angeles. Plusieurs mois avant les élections de 2020, les opposants politiques de Trump ont étrangement anticipé sa défaite et l’ont accusé – par avance, et là encore sans aucune preuve – de se préparer à enfreindre la loi. Nancy Pelosi, suggérant que Trump ne quitterait pas la Maison Blanche, a laissé entendre qu’il serait nécessaire de recourir à une « fumigation ». Joe Biden a prédit que l’armée interviendrait. « Je suis », a-t-il dit, « absolument convaincu qu’ils l’escorteront avec diligence hors de la Maison Blanche « . Les racines de ce qui se passe présentement sont, en fait, plus anciennes. (…) Ce courant s’est inspiré aussi des écrits des principaux penseurs de ce qu’on appelle aux Etats-Unis la « théorie française »: Jacques Derrida et Michel Foucault. Derrida parlait de « déconstruction », et en particulier de la déconstruction de l’idée de vérité. Foucault a défini les structures de pouvoir existantes comme des formes d’oppression, à abolir. (…) Avant son élection, le président Trump avait promis de « drainer le marécage » – qui avait effectivement besoin d’être drainé. Les habitants du marécage l’ont vu comme une menace pour leurs projets. Faire tomber Trump à tout prix et reprendre le pouvoir est devenu un impératif pour eux. Ils ont utilisé tous les moyens à leur disposition – et ils ont atteint leur objectif. Dans les premières semaines de sa présidence, Biden a signé une série de décrets, dont certains violent la Constitution et la Déclaration des droits, et qui ont réduit des milliers de gens au chômage, et aidé la Russie et la Chine. La Chambre des représentants et le Sénat n’ont pas été consultés. 74 millions d’Américains respectueux des lois sont décrits comme des terroristes et des racistes qui ont besoin d’être « rééduqués », et la tolérance pour des idées différentes est clairement en train de disparaître. Des appels sont lancés que soient fermées des chaines de télévision qui offrent une version différente de « la vérité ». La première proposition de loi présentée à la Chambre des représentants pour 2021, HR1, ou la loi « pour le peuple », a été adoptée par la Chambre le 5 mars. (…) Si le projet de loi H.R.1 devient la loi du pays, les pratiques qui ont fait de l’élection de 2020 un désastre seront légalisées: entre autres, le déversement massif de millions de bulletins de vote non sollicités dans plusieurs Etats, la non-vérification des signatures sur les registres, l’absence de traçabilité des bulletins, l’inscription des électeurs sur les listes électorales le jour même de l’élection et la collecte des bulletins de vote par correspondance au domicile des électeurs , et nombre de ces pratiques sont très propices à la fraude. (…) Si le projet de loi H.R.1 est adopté, des moyens de nuire a l’intégrité des élections seront gravés dans le marbre. Le président Biden a présenté un projet de loi de réforme de l’immigration. Ce projet a été décrit comme un moyen de laisser entrer des étrangers traversant illégalement la frontière américaine, de légaliser leur présence et de les faire accéder à la nationalité, et comme un instrument destiné à tenter de créer une majorité permanente unipartite. (…) L’une des premières décisions de Biden a été de dissoudre la Commission de 1776, qui avait été créée pour « revenir aux idées fondatrices énoncées dans la Déclaration d’indépendance ». Le projet 1619, qui décrit les États-Unis comme fondés sur l’esclavage, « structurellement racistes », et donc illégitimes, a été critiqué par d’éminents historiens pour son manque total de respect des faits fondamentaux. Bien qu’il soit une distorsion de l’histoire, et ignore totalement ce que l’Amérique a fait de positif, il est désormais enseigné aux enfants dans les écoles publiques et leur apprend dès lors à haïr leur pays. Guy Millière
Notre région, ils veulent la mettre en rang, en uniforme, un serre-tête sur les cheveux. Que reste-t-il de leurs valeurs lorsque, sans cesse, sans cesse, ils font cette insupportable danse du ventre aux électeurs du FN à grands coups de ‘race blanche? Cette droite n’a plus grand chose de républicain. Claude Bartolone (candidat PS aux régionales d’Ile de France, 2015)
Cette charte, pourquoi on a fait cette charte ? Parce qu’elle est engageante. L’idée, ce n’est pas de mettre sa signature, c’est de dire comment on s’engage pour l’égalité femme-homme, pour la lutte contre l’homophobie. Est-ce que ça veut dire que dans les prêches, on considérera que deux hommes ont le droit de s’aimer, de se marier, que deux femmes ont le droit de s’aimer, de se marier, comme le disent les lois de la République française? C’est cela que dit cette Charte. Marlène Schiappa
Il y a une explosion des actes antisémites, mais aussi homophobes. Ce sont deux catégories de la population soupçonnées d’être riches. (…) Il y a une alliance entre les gens d’extrême droite et les islamistes, qui s’unissent de fait dans ce combat. Il y a des slogans de La Manif pour tous qui sont lancés dans les banlieues. (…) Les slogans et l’agressivité de la “manif pour tous” ont nourri la recrudescence de violences homophobes : + 64 % l’année dernière. L’homophobie se nourrit des messages de haine proférés par La Manif pour tous. Marlène Schiappa
Il y a tout un pan de cette loi qui vise à protéger la liberté de conscience et lutter contre les dérives sectaires. Par exemple, les certificats de virginité, il y a de plus en plus de famille qui sont influencées par les courants évangélistes venant des Etats-Unis, qui demandent, comme aux Etats-Unis, des certificats de virginité.Marlène Schiappa (France 3)
Nous avons rappelé le principe d’égalité entre tous les êtres humains (…) et nous avons clairement dit que cela impliquait le refus de toute discrimination liée à l’homosexualité. Cette charte est notre affaire et je dénie à un ministre la capacité de dicter les prêches des imams. Que resterait-il de la liberté de religion ? Que resterait-il de la laïcité ? Et puis, il y a une grande différence entre refuser toute discrimination notamment pour un motif d’orientation sexuelle et adhérer au mariage homosexuel. Comme les autres religions monothéistes, l’islam ne reconnaît le mariage qu’entre les personnes de sexe différent. Aucune autorité publique ou politique ne peut dicter une doctrine religieuse. Chems-eddine Hafiz (recteur de la mosquée de Paris)
Le chemin est long en tant que femme noire, le chemin est long en tant que femme grosse, en tant que femme oubliée de la société, oubliée de la culture.Le chemin est long et sinueux, mais on va y arriver. Ça mettra dix ans, ça mettra quinze ans, on ne veut pas nous laisser prendre l’ascenseur, il n’y a pas de souci, on est endurant, on va prendre les escaliers. C’était important de faire cette victoire avec vous, d’être avec des personnes qui me ressemblent, qui sont comme moi, qui m’entendent et qui me comprennent, qui comprennent ma colère. Ma colère qui est légitime, notre colère est légitime, et j’aimerais que ce soir toute la France l’entende.Yseult Onguinet
Nous, les personnes faisant partie des minorités, des personnes racisées, on est dans un délire de devoir quelque chose à la France, mais qu’est-ce que l’on doit en fait ? On leur a pris la dignité, le respect, l’empathie. On est des êtres humains, on a un cœur, je suis une citoyenne à part entière. Ca me casse les couilles de devoir en permanence être redevable, d’être moi-même dans l’empathie de personnes non-racisées alors que ça devrait être le contraire. Qu’on arrête de nous chier dessus. Yseult
Au moment de recevoir sa récompense de révélation féminine de l’année samedi 13 février, lors de la 36ème cérémonie des Victoires de la musique, la chanteuse Yseult se lance, sans surprise, dans un discours engagé. La jeune artiste se vit en effet comme l’un des porte-étendard de la lutte contre les discriminations. (…) Épaulée par ses « sœurs » Adèle Haenel, Assa Traoré et Aïssa Maïga, la chanteuse reprend à son compte le vocabulaire et les notions utilisés par le mouvement intersectionnel. Yseult est « woke », éveillée aux enjeux d’une société qui opprimerait systématiquement ses minorités. Si on pardonnera volontiers cette candeur à une chanteuse dont le débat d’idées n’est pas le métier, la sortie d’Yseult aux Victoires de la musique, même pour un spectateur n’ignorant rien de la réalité des phénomènes racistes, sexistes et discriminants, mérite tout de même qu’on s’y attarde. Notamment compte tenu de ses états de service : ancienne finaliste de la Nouvelle Star signée chez Universal, fondatrice de son propre label après le four de son premier album, compositrice pour Jenifer et Chimène Badi, première partie d’Angèle et, finalement, lauréate à 26 ans d’une première Victoire de la musique. On a vu pire chemin de croix. Si bien que, sans minimiser les difficultés qu’elle a pu rencontrer, il n’est pas interdit de demander d’où parle la camarade Yseult. Ni de souligner que son militantisme dans l’ère du temps, communautaire et fondé sur la sacro-sainte subjectivité, tolère des angles morts assez fâcheux eu égard aux principes de la « déconstruction ». Force est de constater qu’il existe une disjonction entre le discours victimaire qui jalonne la carrière d’Yseult d’une part, et son succès au sein de l’industrie musicale d’autre part. Industrie à ce point oppressive et raciste qu’elle a nommé – peut-être pour se donner bonne conscience – trois femmes noires aux Victoires de la musique : Aya Nakamura, Lous and the Yakuza et Yseult. On nous rétorquera que Nakamura et Lous sont les exceptions, qu’Yseult a raison de s’engager en faveur de ceux que le racisme et le sexisme priveraient de carrière. Certes, mais à l’heure où le récit de soi et la mise en scène de sa singularité sont devenus des dimensions incontournables de la communication d’un artiste, c’est bien de sa personne dont parle constamment Yseult. Dès 2015, cette dernière imputait sa défaite en finale du télé-crochet Nouvelle Star à la société, plutôt qu’au talent de son adversaire ou à ses propres défauts : « On n’accepte pas encore les différences des gens. Malheureusement, je suis noire, malheureusement, je suis très forte corporellement », expliquait-elle. (…) Mais est-ce encore la société qui impose ce regard sur elle-même à Yseult, ou est-ce Yseult qui se présente au monde à travers ce prisme ? (…) Que la chanteuse ait souffert du regard des autres, comme tant et tant d’adolescents, est une première chose. Qu’Yseult ait subi le racisme, la grossophobie et le sexisme, c’en est une deuxième. C’est à elle de le dire, de la manière la plus circonstanciée possible, étant donnée la gravité des faits. Il y a toutefois une troisième dimension dans ses propos, directement déduite des deux précédentes : l’idée, pourtant démentie par l’expérience, selon laquelle « on ne v[oudrait] pas nous laisser prendre l’ascenseur » – comprendre : parce que « nous » sommes femmes, noires ou grosses. C’est ainsi que le décalage entre le parcours d’Yseult et le discours « woke » qu’elle porte maladroitement se révèle cruellement : alors qu’il n’y a de vérité que celle du « je » aux yeux de certains militants, la jeune femme, bien qu’elle se décrive en « oubliée de la culture », n’a pas vraiment de quoi se plaindre personnellement en terme d’intégration sociale. (…) « Je pense qu’il faut aussi reconnaître ses privilèges, et au-delà de ses privilèges, faut aussi aider ceux qui n’ont pas les mêmes privilèges », concluait Yseult, reprenant à son compte une notion selon laquelle ceux qui bénéficient d’une situation normale dans un Etat de droit – ne pas subir de discrimination en raison de son sexe ou de sa couleur de peau – jouiraient d’un avantage indu. On pourrait toutefois inviter la chanteuse à faire son propre examen de conscience, en la renvoyant au point aveugle de l’immense majorité de ses prises de parole publique : les inégalités économiques. Eh oui, revoilà la lutte des classes. Et Yseult se classe indéniablement du côté des dominés. Fille d’un cadre supérieur chez Land Rover, Yseult a passé sa scolarité dans le privé, à Agen. « Matériellement, je n’ai pas à me plaindre, mon père gagnait beaucoup d’argent. On changeait de voiture tous les deux jours, on me conduisait à la maternelle en Mercedes. Ma mère s’achetait des sacs griffés », racontait-elle en 2015 dans un entretien au magazine suisse Femina. Une enfance plus que confortable, marqué par des voyages en Jamaïque, aux Etats-Unis, en Indonésie, ou encore à Cuba. Louis Nadau
Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années, écrivait Corneille. Pourtant, Yseult aura étrangement patienté sept longues années, depuis sa participation au télécrochet Nouvelle Star avant d’être opportunément (re)découverte par l’industrie musicale qui vient de la sacrer « révélation féminine » aux victoires de la musique. Pour enfin percer dans le monde de la musique, Yseult a fait de la victimisation son cheval de bataille. Éternelle victime, Yseult est le parfait exemple de ceux qui se vautrent dans la complainte victimaire permanente dans laquelle l’autre est la source exclusive de tous leurs problèmes. Finaliste malheureuse de la Nouvelle Star 2014, Yseult se plaignait (déjà) de l’impossibilité de s’épanouir face à un public qui ne l’acceptait pas. Quand un artiste ne reçoit pas les hommages d’un public, il dispose de deux options : chercher son public ailleurs ou se remettre en question. Mais Yseult a choisi, comme tant d’autres, la carte racialiste et victimaire pour expliquer sa défaite en finale : « On n’accepte pas encore les différences des gens. Malheureusement, je suis noire, malheureusement, je suis très forte corporellement ». Ce qu’elle présentait comme un regret et un handicap en 2014 devient soudain une force et une fierté en 2021. Yseult avait trouvé son crédo : la chanson servirait d’alibi à son militantisme, et son militantisme servirait de faire-valoir à ses chansons. Pourtant, elle avait déjà tout faux. Etre une femme noire n’a jamais empêché le talent de Whitney Houston d’être reconnu, ni Dee Dee Bridgewater, Billie Holiday ou Nina Simone de briller en pleine ségrégation raciale aux Etats-Unis. Etre une femme noire et obèse n’a jamais interdit à Ella Fitzgerald, Ruby Wilson ou Ruth Brown, la Queen du R&B, d’être aimé par un large public. Valeurs actuelles
Si c’est un groupe de travail consacré aux discriminations dont sont l’objet les personnes noires ou métisses (…) Moi, je ne dis pas qu’il faille que ça soit interdit. Mais si il se trouve que vient à cet atelier une femme blanche, un homme blanc, etc, etc, j’aurais tendance à dire qu’il n’est pas question de le ou la jeter dehors. En revanche, on peut lui demander de se taire, d’être spectatrice ou spectateur silencieux. Audrey Pulvar (adjointe à la mairie de Paris, candidate aux élections régionales d’Ile de France)
Une tuerie s’est déroulée mi-mars 2021 dans un supermarché à Boulder dans le Colorado (États-unis),10 personnes ont trouvé la mort dans cette tragédie. Les médias de grand chemin se jettent-ils sur l’occasion pour informer en fonction des faits ? Ou pour les déformer ? Sur les premières images, le tueur interpellé est blanc. Le massacre de 10 civils se transforme instantanément en un procès de l’homme blanc armé d’un fusil AR-15. Plusieurs personnalités politiques s’en donnent à cœur joie pour faire de la récupération. Et puis… Dans un premier temps, le meurtrier est blessé à la jambe puis interpellé par la police qui l’emmène. Toutes les caméras ne retiennent alors plus qu’une seule chose : le tueur est blanc. C’est l’information principale que décident de relayer plusieurs grands médias tels que RTL, 20 Minutes ou le Huffington Post et d’autres encore. Dès lors, Twitter va se déchaîner. Avalanche de tweets haineux pour dénoncer la violence de l’homme blanc. Meena Harris, la nièce de Kamala Harris (vice-présidente des États-Unis) tweetait « Violent white men are the greatest terrorist threat to our country » (les hommes blancs violents sont la plus grande menace terroriste pour notre pays). Elle a par la suite rapidement supprimé son tweet. Un journaliste de l’AFP du service « vérification des faits » avait également tweeté « He was only apprehended and not chocked or shot to death because he was not brown, black or muslim” (il a été appréhendé et non tué parce qu’il n’était pas brun, noir ou musulman). Beaucoup d’autres tweets ont relayé que le tueur était un homme blanc et que s’il n’a pas été immédiatement abattu par la police c’était en vertu de sa couleur de peau. Quelques jours plus tôt, en Géorgie, avait eu lieu une autre tuerie où un meurtrier blanc avait pris pour cible des femmes asiatiques dans leur salon de massage. Toute la presse avait crié au racisme mais le coupable, manifestement dérangé, déclarait qu’il souffrait « d’addiction sexuelle » et qu’il voyait ces salons de massage comme une tentation à éliminer. Certains médias surfent sur cette vague pour relancer la machine avec ce nouvel évènement macabre. Problème : le tueur est en réalité un Syrien musulman âgé de 21ans, anti-Trump, Ahmad Al Aliwi Alissa. L’information est tombée comme un coup de tonnerre et a forcé quelques personnalités à réagir par rapport à ce qu’elles avaient d’abord dénoncé. À titre d’exemple, la militante et écrivain américaine (Amy Siskind — sur Twitter) qui avait participé à la première vague de désinformation a déclaré, en apprenant le nom et la religion du tueur, qu’il ne fallait pas répandre cette nouvelle, ne pas lui faire de publicité. La publicité n’est en effet autorisée que si elle va dans le bon sens. Beaucoup d’autres ont simplement arrêté de tweeter à ce sujet lorsqu’ils ne se sont pas simplement enfoncés dans le mensonge. (…) Le président des États-Unis, Joe Biden, s’est exprimé en appelant le congrès à agir « maintenant » pour limiter la circulation des armes à feu dans le pays. Biden sait bien qu’il n’a pas de majorité pour changer quoi que ce soit à ce sujet, il est douteux qu’il fasse mieux que ses prédécesseurs, mais il est de bon ton de dénoncer le peuple qui pourrait oser prendre la responsabilité de sa propre défense. In fine, une information passe à la trappe au milieu de ce pugilat médiatique : les dix victimes de cet odieux carnage sont tous des blancs. Observatoire du journalisme
None of them mentioned that he killed two white people as well — a weird thing for a white supremacist to do — and injured a Latino. None pointed out that the connection between the spas was that the killer had visited them. None explained why, if he were associating Asian people with Covid19, he would nonetheless expose himself to the virus by having sex with them, or regard these spas as “safer” than other ways to have quick sex. They didn’t because, in their worldview, they didn’t need to. What you see here is social justice ideology insisting, as Dean Baquet temporarily explained, that intent doesn’t matter. What matters is impact. The individual killer is in some ways irrelevant. His intentions are not material. He is merely a vehicle for the structural oppressive forces critical theorists believe in. And this “story” is what the media elites decided to concentrate on: the thing that, so far as we know, didn’t happen. We don’t know all the nuances of this case. Again, we shouldn’t take a killer’s confession at face value. Or his roommates’ memories. We may yet be surprised by some other factor — including perhaps anti-Asian bias that has so far been missing. (One rumor aired in Korean media, but unconfirmed anywhere else, is that the killer conveniently cried “I want to kill all Asians!” before the murder spree.) But notice how CRT operates. The only evidence it needs it already has. Check out the identity of the victim or victims, check out the identity of the culprit, and it’s all you need to know. If the victims are white, they don’t really count. Everything in America is driven by white supremacist hate of some sort or other. You can jam any fact, any phenomenon, into this rubric in order to explain it. The only complexity the CRT crowd will admit is multiple, “intersectional” forms of oppression: so this case is about misogyny and white supremacy. The one thing they cannot see are unique individual human beings, driven by a vast range of human emotions, committing crimes with distinctive psychological profiles, from a variety of motives, including prejudices, but far, far more complicated than that. There’s a reason for this shift. Treating the individual as unique, granting him or her rights, defending the presumption of innocence, relying on provable, objective evidence: these core liberal principles are precisely what critical theory aims to deconstruct. And the elite media is in the vanguard of this war on liberalism. This isn’t in any way to deny increasing bias against Asian-Americans. It’s real and it’s awful. Asians are targeted by elite leftists, who actively discriminate against them in higher education, and attempt to dismantle the merit-based schools where Asian-American students succeed — precisely and only because too many Asians are attending. And Asian-Americans are also often targeted by envious or opportunistic criminal non-whites in their neighborhoods. The more Asian-Americans succeed, the deeper the envy and hostility that can be directed toward them. The National Crime Victimization Survey notes that “the rate of violent crime committed against Asians increased from 8.2 to 16.2 per 1000 persons age 12 or older from 2015 to 2018.” Hate crimes? “Hate crime incidents against Asian Americans had an annual rate of increase of approximately 12% from 2012 to 2014. Although there was a temporary decrease from 2014 to 2015, anti-Asian bias crimes had increased again from 2015 to 2018.” Asians are different from other groups in this respect. “Comparing with Black and Hispanic victims, Asian Americans have relatively higher chance to be victimized by non-White offenders (25.5% vs. 1.0% for African Americans and 18.9% for Hispanics). … Asian Americans have higher risk to be persecuted by strangers … are less likely to be offended in their residence … and are more likely to be targeted at school/college.” Of those committing violence against Asians, you discover that 24 percent such attacks are committed by whites; 24 percent are committed by fellow Asians; 7 percent by Hispanics; and 27.5 percent by African-Americans. Do the Kendi math, and you can see why Kendi’s “White Supremacist domestic terror” is not that useful a term for describing anti-Asian violence. But what about hate crimes specifically? In general, the group disproportionately most likely to commit hate crimes in the US are African-Americans. At 13 percent of the population, African Americans commit 23.9 percent of hate crimes. But hate specifically against Asian-Americans in the era of Trump and Covid? Solid numbers are not yet available for 2020, which is the year that matters here. There’s data, from 1994 to 2014, that finds little racial skew among those committing anti-Asian hate crimes. Hostility comes from every other community pretty equally. The best data I’ve found for 2020, the salient period for this discussion, are provisional data on complaints and arrests for hate crimes against Asians in New York City, one of two cities which seem to have been most affected. They record 20 such arrests in 2020. Of those 20 offenders, 11 were African-American, two Black-Hispanic, two white, and five white Hispanics. Of the black offenders, a majority were women. The bulk happened last March, and they petered out soon after. If you drill down on some recent incidents in the news in California, and get past the media gloss to the actual mugshots, you also find as many black as white offenders. This doesn’t prove much either, of course. Anti-Asian bias, like all biases, can infect anyone of any race, and the sample size is small and in one place. But it sure complicates the “white supremacy” case that the mainstream media simply assert as fact. And, given the headlines, the other thing missing is a little perspective. Here’s a word cloud of the victims of hate crimes in NYC in 2020. You can see that anti-Asian hate crimes are dwarfed by those against Jews, and many other minorities. And when you hear about a 150 percent rise in one year, it’s worth noting that this means a total of 122 such incidents in a country of 330 million, of which 19 million are Asian. Even if we bring this number up to more than 3,000 incidents from unreported and far less grave cases, including “shunning”, it’s small in an aggregate sense. A 50 percent increase in San Francisco from 2019 – 2020, for example, means the number of actual crimes went from 6 to 9. Is it worse than ever? No. 2020 saw 122 such hate incidents. In 1996, the number was 350. Many incidents go unreported, of course, and hideous comments, slurs and abuse don’t count as hate “crimes” as such. But the theory behind hate crimes law is that these crimes matter more because they terrify so many beyond the actual victim. And so it seems to me that the media’s primary role in cases like these is providing some data and perspective on what’s actually happening, to allay irrational fear. Instead they contribute to the distortion by breathlessly hyping one incident without a single provable link to any go this — and scare the bejeezus out of people unnecessarily. The media is supposed to subject easy, convenient rush-to-judgment narratives to ruthless empirical testing. Now, for purely ideological reasons, they are rushing to promote ready-made narratives, which actually point away from the empirical facts. To run sixteen separate pieces on anti-Asian white supremacist misogynist hate based on one possibly completely unrelated incident is not journalism. It’s fanning irrational fear in the cause of ideological indoctrination. And it appears to be where all elite media is headed. » Andrew Sullivan
La croyance en un monde meilleur motive les luttes et les programmes des partis, révolutions et régimes politiques depuis trois siècles. (…) Au stade actuel du « politiquement correct » à l’américaine, les éveillés du mouvement Woke ne s’en doutent pas, mais leur combat s’inscrit dans ce que les spécialistes appellent augustinisme politique (saint Augustin doit se retourner dans sa tombe) : on observe en effet le même genre de comportement, vertueux et vindicatif, chaque fois que des croyants entreprennent d’instaurer ici-bas, sinon la cité de Dieu augustinienne, tout au moins une cité purifiée du mal radical qui affecte la cité des hommes vouée au démon (l’homme blanc, en l’occurrence). (…) Ladite croyance a motivé les « luttes » et les « programmes » des partis, révolutions et régimes politiques qui se sont succédé depuis lors en Occident et dans le reste du monde – étant entendu que le « bien » ou le « juste » visé par l’un ou l’autre ne sont pas les mêmes (ceux des démocraties libérales ne sont pas ceux des régimes totalitaires). Exacerbé par la passion et le ressentiment contre le pécheur originel (blanc), et viralisée par les réseaux sociaux, le mouvement Woke serait comme une caricature finale de ce mouvement général (…) Un monde meilleur, « changer la vie », engendrer un « homme nouveau … ces choses-là sont plutôt, en effet, affaire de religion, fût-ce dans un monde moderne qui se croit affranchi de la religion, sécularisé, laïque… alors qu’il est encore tout imprégné d’une religiosité qui motive encore et toujours le projet d’instaurer le Bien, fût-ce par la guerre, la conquête et la violence quand les prêches et le catéchisme ne suffisent pas… (…) L’Empire du Bien est en réalité l’Empire WASP (White, Anglo-saxon, Protestant), une espèce de théocratie en Amérique, au terme d’un itinéraire de Jérusalem à Washington via Genève. Et de nos jours, c’est le cœur même de cet Empire qui ressemble à la Genève de Calvin, une Genève globale, devenue folle où les éveillés s’activent sur les campus et les réseaux sociaux… Si bien que les États-Unis désunis expérimentent sur leur propre territoire les déboires rencontrés au Moyen-Orient et ailleurs dans leurs projets d’évangélisation (« démocratisation ») des pays de la région : au lieu de la démocratie libérale espérée sous protectorat du « libérateur », la guerre de tous contre tous !Paul Soriano
Mensonges sur l’origine d’un bilan vaccinal lancé en fait par son prédécesseur, mensonges sur l’origine de la crise migratoire actuelle à la frontière mexicaine (plus de 42% d’appréhensions par rapport à 2019) , antisèches, nombre de journalistes – pandémie oblige – limité à 25, liste et photos de journalistes à interroger, nombre de questions limité à 20, refus de répondre aux dernières questions, projets liberticides de supprimer le vote qualifié au Sénat et d’entériner la levée de tous les garde-fous qui apermis …
Au lendemain d’une première et longuement attendue conférence de presse du nouveau président américain …
Qui a vu malgré les antisèches apparentes, les mensonges éhontés et les pénibles bafouillages …
Nos journalistes si pointilleux sur ces quatre dernières années …
Rivaliser de complaisance pour saluer les « premiers pas réussis » …
Et contre toutes les statistiques qui montrent la sur-représentation des noirs dans les crimes de haine en général et contre les Asiatiques en particulier …
L’auteur d’une fusillade qui tue non seulement deux blancs et un latino, mais s’avère être un client régulier des spas asiatiques pour un « sexe plus sûr » est présenté comme un suprémaciste blanc anti-asiatique …
« L’Empire du Bien est en réalité l’Empire WASP (White, Anglo-saxon, Protestant), une espèce de théocratie en Amérique, au terme d’un itinéraire de Jérusalem à Washington via Genève. Et de nos jours, c’est le cœur même de cet Empire qui ressemble à la Genève de Calvin, une Genève globale, devenue folle où les éveillés s’activent sur les campus et les réseaux sociaux… » explique, par la médiologie, Paul Soriano.
La croyance en un monde meilleur motive les luttes et les programmes des partis, révolutions et régimes politiques depuis trois siècles. Au vu du bilan, l’état du monde suggère d’en finir avec l’empire du Bien pour en revenir au seul bien des nations : la vertu civique, tendue vers la paix civile. Une Realpolitik, intégralement « laïque », à l’égard des croyances religieuses avouées ou clandestines (les idéologies).
Au stade actuel du « politiquement correct » à l’américaine, les éveillés du mouvement Woke ne s’en doutent pas, mais leur combat s’inscrit dans ce que les spécialistes appellent augustinisme politique (saint Augustin doit se retourner dans sa tombe) : on observe en effet le même genre de comportement, vertueux et vindicatif, chaque fois que des croyants entreprennent d’instaurer ici-bas, sinon la cité de Dieu augustinienne, tout au moins une cité purifiée du mal radical qui affecte la cité des hommes vouée au démon (l’homme blanc, en l’occurrence). Ce fut le cas au XVIe siècle dans la Genève de Calvin et en Allemagne, pendant la Guerre des paysans, ou un peu plus tard, en Amérique. Entre autres…
Au XVIIIe siècle, c’est dans toute l’Europe que des hommes éclairés se sont mis à croire en un monde meilleur gouverné par la Raison et tendu vers le Progrès, et ont assigné cet objectif au politique ; car ce siècle de la Raison est aussi le siècle de la Morale : comme dans la philosophie de Kant, la raison « pratique » (morale) suit de près la raison pure. Auparavant on entendait plus modestement gouverner par le sens commun, tendu vers le bien commun, raisonnablement plutôt que rationnellement.
Lutte contre le péché l’originel
Ladite croyance a motivé les « luttes » et les « programmes » des partis, révolutions et régimes politiques qui se sont succédé depuis lors en Occident et dans le reste du monde – étant entendu que le « bien » ou le « juste » visé par l’un ou l’autre ne sont pas les mêmes (ceux des démocraties libérales ne sont pas ceux des régimes totalitaires). Exacerbé par la passion et le ressentiment contre le pécheur originel (blanc), et viralisée par les réseaux sociaux, le mouvement Woke serait comme une caricature finale de ce mouvement général : il a le mérite de nous éclairer sur nous-mêmes et sur le bilan de trois siècles de « progrès », deux guerres mondiales, des « crimes contre l’humanité », et des tyrannies comme on n’en avait jamais connu…
Les premiers penseurs de la politique la définissent pour leur part comme une activité destinée à assurer la pérennité de la cité et, à cette fin, la paix civile, face aux divisions qui résultent de la diversité des opinions et des intérêts ; ils ne se préoccupent nullement d’instaurer le règne de la vertu, sinon de la seule vertu civique, requise par ladite paix civile. Cette définition n’est pas amorale, mais elle vise le bien commun plutôt que le Bien (majuscule), et s’inspire du sens commun plutôt que de la Raison (majuscule… L’idée saugrenue de convertir le reste du monde lui est étrangère.
C’est le christianisme qui va tout changer, au risque de subordonner la politique à la morale, le pouvoir temporel au pouvoir spirituel, inventant du même coup la « théocratie », absente de la liste des régimes politiques recensés par Aristote.
Un monde meilleur, « changer la vie », engendrer un « homme nouveau … ces choses-là sont plutôt, en effet, affaire de religion, fût-ce dans un monde moderne qui se croit affranchi de la religion, sécularisé, laïque… alors qu’il est encore tout imprégné d’une religiosité qui motive encore et toujours le projet d’instaurer le Bien, fût-ce par la guerre, la conquête et la violence quand les prêches et le catéchisme ne suffisent pas…
L’Empire du Bien
En d’autres termes, alors que la politique selon les Anciens est « laïque » par définition (et n’a donc pas besoin de mot pour le dire), nos libres penseurs fanatisés (radicalisés ?) vont devoir inventer une « laïcité » sur mesure qui ne guette que les signes extérieurs (la croix, le voile, etc.) et ne voit donc pas mais cette religion intériorisée qui vous possède inconsciemment, en dépit des exorcismes critiques ou psychanalytiques ; d’où les difficultés d’application, notamment dans nos vertueuses républiques.
L’Empire du Bien est en réalité l’Empire WASP (White, Anglo-saxon, Protestant), une espèce de théocratie en Amérique, au terme d’un itinéraire de Jérusalem à Washington via Genève. Et de nos jours, c’est le cœur même de cet Empire qui ressemble à la Genève de Calvin, une Genève globale, devenue folle où les éveillés s’activent sur les campus et les réseaux sociaux… Si bien que les États-Unis désunis expérimentent sur leur propre territoire les déboires rencontrés au Moyen-Orient et ailleurs dans leurs projets d’évangélisation (« démocratisation ») des pays de la région : au lieu de la démocratie libérale espérée sous protectorat du « libérateur », la guerre de tous contre tous !
La bonne nouvelle, peut-être, c’est que la décomposition accélérée du théologico-politique, la fin de la « fin l’histoire » entendue comme conversion définitive du monde aux « valeurs occidentales », pourrait annoncer un retour de la politique à l’ancienne, la politique tout court, dans un monde multipolaire, où la notion même d’Occident n’aurait plus cours, un monde toujours conflictuel mais assurément moins « fanatique ».
Après la funeste mondialisation, l’inter-national sera enfin le genre humain !