Ce projet a causé la désertion de 80 à 100 000 personnes de toutes conditions, qui ont emporté avec elles plus de trente millions de livres ; la mise à mal de nos arts et de nos manufactures. (…) Sire, la conversion des cœurs n’appartient qu’à Dieu … Vauban (1689)
Si vous voyez un banquier suisse sauter d’une fenêtre, sautez derrière lui, il y a sûrement de l’argent à gagner. Voltaire
Neutres dans les grandes révolutions des Etats qui les environnaient, les Suisses s’enrichirent des malheurs d’autrui et fondèrent une banque sur les calamités humaines. Chateaubriand
Qu’ils s’en aillent! Car nous sommes en France et non en Allemagne!” … Notre République est menacée d’une invasion de protestants car on choisit volontiers des ministres parmi eux., … qui défrancise le pays et risque de le transformer en une grande Suisse, qui, avant dix ans, serait morte d’hypocrisie et d’ennui. Zola (1881)
Dès que nous avons connu l’étendue du déficit, dès que nous avons vu que nous serions dans l’obligation de demander des sacrifices à toutes les catégories de la nation… nous avons pensé qu’il faudrait obtenir la répression de la fraude fiscale. Louis Germain-Martin (ministre des Finances)
Le peuple ne comprendrait pas que l’on n’épargnât qui que ce fût au moment où, en effet, il va falloir demander des sacrifices aux uns et aux autres. Edouard Herriot
Il y a des fraudeurs parce que les taxes sont trop lourdes. Charles Maurras
Monsieur Albertin’s modern-day counterpart is Gerard Ryle, an Irish-Australian journalist whose International Consortium of Investigative Journalists has been flogging information from a purloined hard-drive containing details of the mostly Caribbean accounts of 130,000 depositors from 170 countries. Among Mr. Ryle’s collaborators is the Guardian newspaper, last seen decrying invasions of privacy in Britain’s phone hacking scandal. Another collaborator is the Washington Post, which insisted on Sunday: « Among the 4,000 U.S. individuals listed in the records, at least 30 are American citizens accused in lawsuits or criminal cases of fraud, money laundering or other serious financial misconduct. » That’s a ratio of 0.75%. One wonders what percentage of account holders in domestic banks would have to be accused of something in a lawsuit to justify all account holders having their records ransacked by the media. Holman W. Jenkins Jr.
C’est la grande différence avec les États-Unis, où, au contraire, on parle beaucoup d’argent et où il n’est pas inhabituel qu’on vous demande dans la conversation combien vous gagnez. (…) Il y a trois raisons principales. La première tient à la culture paysanne. À une, deux, ou trois générations, nous sommes tous issus du monde paysan, où l’argent n’était pas à la banque, mais restait caché à la maison. On ne devait pas en parler, pour ne pas se le faire voler et ne pas attiser les convoitises. La seconde raison est la prégnance de la culture catholique, dans laquelle l’Église doit être tournée vers les pauvres. L’argent et la richesse ne doivent en aucun cas être la préoccupation première. Et puis, il existe une empreinte du marxisme sur toute une frange de la population de gauche. Il est resté, dans l’esprit des gens, l’idée que le profit, « ce n’est pas bien ». (…) Aux États-Unis, par exemple, il y a une obsession de l’argent beaucoup plus forte que chez nous, dans la mesure où les Américains doivent se préoccuper en permanence d’en trouver, non seulement pour vivre, mais aussi pour se soigner ou pour assurer les études de leurs enfants. Toutes choses qui sont accessibles gratuitement chez nous. (…) L’hypothèse qu’on peut devenir riche en travaillant beaucoup est rarement avancée. Janine Mossuz-Lavau
Quand il monte à la tribune de l’Assemblée nationale, ce 10 novembre 1932, le député socialiste Fabien Albertin ne sait pas qu’il va devenir l’un des maillons de la longue chaîne qui fera de la Suisse l’un des principaux paradis bancaires et fiscaux du monde. Son intervention, qui dénonce les bénéficiaires d’un vaste réseau d’évasion fiscale organisé par une banque helvétique, va en effet contribuer à la rédaction d’une nouvelle loi bancaire suisse, en 1934. Une loi qui donnera naissance à l’un des instruments essentiels à l’évasion fiscale et à la circulation de l’argent sale dans le monde: le secret bancaire. L’affaire commence à 16 h 10, le 26 octobre 1932 … Alternatives économiques
En révoquant (l’Edit de Nantes) en 1685, Louis XIV a provoqué la fuite de nombreux huguenots français (près de 300.000), affaiblissant ainsi l’économie française au profit de pays protestants qui les ont accueillis comme l’Angleterre, l’Allemagne, les Pays-Bas et bien évidemment la Suisse, pays neutre depuis 1516 suite à la défaite des troupes de la Confédération helvétique lors de la bataille de Marignan. Quasiment dès leur arrivée, les huguenots français exilés ont donné à nouvel élan à Genève en acceptant de financer la monarchie française malgré les persécutions qu’ils avaient subies. Ce comportement quasi schizophrène s’explique par une réciprocité d’intérêts, apparemment contradictoires. D’une part, la monarchie française avait un besoin insatiable de financement, alors même qu’elle venait de perdre une part importante de ses richesses en raison la fuite des huguenots. D’autre part, ces mêmes huguenots ne pouvaient rêver de placement plus sûr que la monarchie française aux capacités d’emprunt et de remboursement quasiment illimitées. Sébastien Vannerot
Il est à remarquer que c’est l’espionnage intensif exercé sur les avoirs juifs qui a forcé la Suisse, en 1934, à définir plus rigoureusement le secret bancaire […] et à rendre toute violation passible de sanctions pénales, et ce afin de protéger les persécutés. Sans exagérer, on peut affirmer que la détermination avec laquelle le secret bancaire a été défendu a sauvé la vie et la fortune de milliers de personnes. Bulletin du crédit suisse
À l’époque, le régime nazi avait décrété que tout citoyen allemand en possession d’avoirs financiers à l’étranger devait les déclarer. S’ils ne le faisaient pas, ils étaient passibles de la peine de mort. Les banquiers suisses seraient-ils de Bons Samaritains, ayant voté le secret bancaire pour protéger les juifs persécutés ? Pas si sûr, puisqu’ils ont utilisé ce même secret bancaire pour justifier la réticence qu’ils avaient à restituer aux survivants de l’Holocauste et à leurs héritiers les avoirs qu’ils détenaient dans leurs coffres depuis la guerre … Cyril Bernard
La Suisse est prête à avancer s’il y a un standard global ; si ce standard est appliqué par tous les pays, surtout les grands centres financiers internationaux comme Londres, New York, Dubaï ou Singapour et les centres offshore anglo-saxons (Jersey, Guernesey, îles Vierges britanniques… NDLR); et enfin si les bénéficiaires des trusts et autres véhicules financiers sont identifiés. (Mais) Nous n’avançons aucune date. Mario Tuor (porte-parole du secrétariat d’État suisse aux questions financières internationales)
De même que par un seul député socialiste français, le secret bancaire suisse est entré dans le monde …
Alors qu’avec l’Affaire du député et ministre socialiste Jérome Cahuzac un secret bancaire suisse déjà bien mal en point suite aux pressions du fisc américain pourrait bien ne pas voir ses 80 printemps …
Comment ne pas repenser à ses origines il y a à peine 79 ans lorsque le député socialiste Fabien Albertin brandissait du haut de la tribune une liste de noms de sénateurs, anciens ministres, généraux, magistrats ou évêques ?
Et ce même si, de la révocation de l’Édit de Nantes à la Révolution française ou du Congrès de Vienne à la première guerre mondiale ou de la crise de 1929 à la Grande Dépression, il en a vu bien d’autres et remonte à bien plus loin …
Lui qui né de la haine si française de l’argent de la fille aînée de l’Eglise, fit de si nombreux petits et n’hésita pas, suite à la 2e guerre mondiale, à revendiquer la protection des avoirs juifs… des mains mêmes de leurs survivants !
Banquiers suisses : un secret pas si bien gardé
Cyril Berard
Europa
02.05.2011
Le secret bancaire fait partie des «mythes» suisses présents dans l’inconscient collectif. Au début du XXe siècle, il donne naissance et inspiration aux paradis fiscaux. Un secret controversé, que le pays défend corps et âme, même s’il a fallu inventer une légende pour s’en légitimer.
Si vous voyez un banquier suisse sauter d’une fenêtre, sautez derrière lui, il y a sûrement de l’argent à gagner.» Voilà toute l’estime qu’avait Voltaire pour les banquiers suisses du temps de la Révolution française. Déjà, en cette fin de XVIIIe, les banquiers suisses offraient la possibilité aux aristocrates français d’effectuer des transactions confidentielles.
Ce n’est qu’un siècle plus tard que les comptes anonymes sont mis en place en Suisse. Un secret bancaire qui se base sur le devoir de discrétion entre contractants, couvert par le droit des obligations, et la protection de la sphère privée, couverte par le droit civil.Après la Première Guerre mondiale, l’économie européenne devient instable. Les impôts augmentent dans les grands pays européens et les contrôles de mouvement de capitaux s’intensifient. C’est dans ce contexte que la Suisse, pays stable et neutre, va devenir le refuge des grands capitaux français, allemands, italiens et autrichiens.
Consciente de sa position stratégique, la Suisse va alors opérer une stratégie de séduction pour attirer à elle les grands capitaux européens, et se spécialiser dans le «sauvetage» de capitaux en quête de refuge fiscal. Alain Vernay, journaliste au Figaro et auteur d’un ouvrage sur les paradis fiscaux, ironise de cette situation et compare les banquiers suisses à la Croix-Rouge : «La Suisse est l’infirmerie de l’argent malade : il vient y trouver les soins et le repos qui hâteront sa convalescence avant un nouveau départ»1.
Fraudeurs
Le secret bancaire est alors garanti par le droit civil, c’est-à-dire que les banquiers suisses devaient être discrets quant aux informations qu’ils possédaient sur leurs clients, car sur plainte de la partie lésée, ils pouvaient être poursuivis civilement, et contraints à payer des dommages et intérêts. Plusieurs affaires, au début des années 1930, vont faire prendre conscience à la Suisse du danger qu’elle encourt à ne pas bien protéger ses clients.
En 1932, le commissaire français Barthelet, sur bénéfice d’une dénonciation, démantèle un vaste réseau d’évasion fiscale. 2 000 noms sont mis à nu : ceux des fraudeurs français qui ouvrent des comptes en Suisse pour ne pas payer la taxe de 20% sur les revenus des placements à l’étranger. Et comme les comptes sont généralement ouverts de manière jointe, avec les noms de femmes et enfants, cela permet également d’échapper à l’impôt sur les successions. Le député socialiste Fabien Albertin estime alors à 4 milliards de francs le manque à gagner de l’État français (2,25 milliards d’euros actuels). Les noms de fraudeurs sont cités par le député devant l’Assemblée nationale. Des sénateurs, des anciens ministres, des généraux, magistrats, évêques, etc2.
La presse française donne une ampleur magistrale à l’évènement, des députés demandent qu’on organise des extraditions fiscales. L’affaire fait tâche d’huile dans toute l’Europe. Affolés, certains clients étrangers retirent leurs fonds des banques suisses. La presse helvétique s’inquiète alors de ces retraits massifs. L’affaire Albertin et les procès qui s’en suivent ne sont pas esseulés en Europe, des enquêteurs des finances et du fisc français et allemands commencent à empiéter sur le territoire helvétique.
Le président du Conseil français, Edouard Herriot, se lance dans une politique drastique de réduction des coûts budgétaires, et ne voit pas d’un bon œil la politique des banques suisses qui favorisent l’évasion fiscale. Ainsi, des perquisitions ont lieu dans des succursales de trois banques suisses à Paris, la banque commerciale de Bâle est contrainte à rembourser de grosses sommes, et la banque d’escompte de Genève doit mettre la clef sous la porte.
Et le secret bancaire fut
L’économie bancaire est en danger, il faut la protéger. C’est ainsi que naît l’idée d’un projet de loi sur le secret bancaire. Comme le dit le député français Albertin : « les capitaux de l’évasion fiscale sont à l’époque le profit principal, voire exclusif, des banques suisses. » Mais les banquiers suisses vont réagir : « Suite à des jugements spectaculaires, des voix se sont fait entendre revendiquant le renforcement et la protection pénale du secret bancaire. »
C’est ainsi que le 8 novembre 1934, la «loi fédérale sur les banques et les caisses d’épargne» est adoptée. L’article 47 marque un tournant dans l’histoire du secret bancaire puisqu’il le place sous la protection du droit pénal. C’est-à-dire qu’un employé de banque suisse qui livrerait des informations sur un de ses clients, y compris à son propre gouvernement, serait poursuivi pour «acte criminel». La sanction encourue alors ne serait plus un simple dommage et intérêt, mais une peine de prison et une lourde amende3. Cette loi, qui a ensuite inspiré d’autres territoires devenus des paradis fiscaux, est la première du genre de la période contemporaine. Elle offre une protection juridique complète, y compris contre le gouvernement suisse, aux étrangers qui viennent déposer leurs avoirs dans les banques helvétiques. Le secret bancaire est né.
L’article 47 constitue évidemment un attrait commercial redoutable. Selon l’historien Peter Hug, les fortunes gérées par les banques suisses auraient augmenté de 28% en trois ans suite à l’adoption de cette loi4. Oui mais voilà, les autres pays européens ne l’entendent pas tous de la même oreille. En effet, les capitaux qui fuient en Suisse ne sont plus assujettis aux impôts nationaux, ce qui constitue un manque à gagner considérable pour les États. L’Espagne va jusqu’à condamner à la prison tout ressortissant propriétaire d’une société en Suisse5. Les Etats-Unis exercent alors une grande pression sur l’État helvétique, mais sans succès. Plus tard, le Liechtenstein, les Bahamas, Montevideo et d’autres, copieront les fondements de cette loi, qui signa l’acte de naissance des paradis fiscaux6.
Pour la légende
Mais le secret bancaire, élaboré à des fins commerciales, est lourdement remis en cause dans les années 1960 par le Congrès américain, qui tient des auditions régulières sur l’évasion fiscale et le crime organisé. Pour justifier la législation sur le secret bancaire et redorer le blason suisse, un auteur anonyme publie, en 1966, un article dans le Bulletin du crédit suisse, intitulé À propos du secret bancaire suisse.
Il évoque le vote de la loi de 1934 en ces termes : « Il est à remarquer que c’est l’espionnage intensif exercé sur les avoirs juifs qui a forcé la Suisse, en 1934, à définir plus rigoureusement le secret bancaire […] et à rendre toute violation passible de sanctions pénales, et ce afin de protéger les persécutés. Sans exagérer, on peut affirmer que la détermination avec laquelle le secret bancaire a été défendu a sauvé la vie et la fortune de milliers de personnes. »7
À l’époque, le régime nazi avait décrété que tout citoyen allemand en possession d’avoirs financiers à l’étranger devait les déclarer. S’ils ne le faisaient pas, ils étaient passibles de la peine de mort. Les banquiers suisses seraient-ils de Bons Samaritains, ayant voté le secret bancaire pour protéger les juifs persécutés ? Pas si sûr, puisqu’ils ont utilisé ce même secret bancaire pour justifier la réticence qu’ils avaient à restituer aux survivants de l’Holocauste et à leurs héritiers les avoirs qu’ils détenaient dans leurs coffres depuis la guerre (8)…
Que fait l’Europe ?
Légitimée ou pas, l’évasion fiscale existe, et l’Union européenne entend bien lutter contre. Ainsi, en octobre 2008, la France et l’Allemagne ont invité 15 pays occidentaux à réfléchir ensemble sur les moyens de renforcer l’offensive contre les paradis fiscaux. Cette réunion a fait suite à une charge diplomatique du ministre allemand des Finances, Peer Steinbrück, qui avait, quelques semaines auparavant, sonné le clairon : « La Suisse mérite de figurer sur la liste noire des paradis fiscaux de l’OCDE, car elle propose des conditions de placement qui incitent certains contribuables allemands à pratiquer l’évasion fiscale. » Le Premier ministre français, François Fillon, prenait alors un ton plus diplomate en déclarant, lors d’une visite à Lucens, que « la Suisse n’est pas un paradis fiscal, elle n’est pas considérée comme telle par l’OCDE, elle n’est pas considérée comme telle par la France »9, voulant par là couper court à tout malentendu entre Berne et Paris.
Pour limiter la fraude et l’évasion fiscales sur le continent européen, l’UE a promulgué, en 2003, une directive sur la fiscalité de l’épargne (10). Cette directive, entrée en vigueur le 1er juillet 2005, instaure un échange automatique d’informations entre les administrations fiscales des vingt-sept sur les revenus de l’épargne perçus par des non-résidents. Elle ambitionne à terme la levée du secret bancaire. Mais les États membres qui l’ont longtemps pratiqué, comme le Luxembourg, la Belgique et l’Autriche, ont obtenu une dérogation. Ils se sont engagés, en contrepartie, à taxer les revenus des non-résidents, à hauteur de 15 % jusqu’en juin 2008 (puis de 20% de 2008 à 2010 et de 35% après 2010), et à reverser 75% de ces montants aux pays concernés. Les pays aux portes de l’UE offrant les mêmes services bancaires – Suisse, San-Marin, Monaco, Andorre et Liechtenstein – ont finalement accepté d’appliquer la même retenue dans des accords bilatéraux passés avec l’Union. Le secret bancaire existe, mais désormais il s’achète.
1. Alain Vernay, Les paradis fiscaux, Seuil, 1968.
2. Secret bancaire : une légende helvétique, par Christian Chavagneux, Alternatives économiques n°188, janvier 2001.
3. Art. 47 de la loi fédérale sur les banques et les caisses d’épargne. 50 000 francs suisses d’amende et 6 mois d’emprisonnement pour incitation volontaire, 30 000 francs sans emprisonnement si la personne a agi par négligence.
4. Les vraies origines du secret bancaire, Peter Hug, Le Temps, 27 avril 2000.
5. Les banques suisses, Fehrenbach, Seuil, 1966.
6. Rapport d’information, déposé en application de l’article 145 du Règlement par la mission d’information commune sur les obstacles au contrôle et à la repression de la délinquance financière et du blanchiment d’argent en Europe. Assemblée Nationale n°2311, 21 février 2001 .
7. Les paradis fiscaux, Christian Chavagneux, La Découverte, 2007.
8. La Suisse lave plus blanc, Jean Ziegler, Seuil, 1990.
9. Paradis fiscaux: la Suisse mérite d’être sur la «liste noire» selon Steinbrück .
10. Fiscalité de l’épargne: la Commission européenne propose des modifications pour mettre fin à l’évasion fiscale , 13 novembre 2008.
Fraude ou évasion ? ———————————————————————-
Toute la subtilité de la loi suisse sur le secret bancaire réside dans le flou juridique qui entoure l’évasion fiscale, qui se rapproche souvent de la fraude fiscale. Mais alors, quelle différence ? L’évasion fiscale consiste à éluder ou réduire l’impôt en déplaçant un patrimoine ou des capitaux d’un pays à un autre, et en ne déclarant pas les revenus qu’ils génèrent, utilisant légalement les failles d’un système fiscal ; la fraude réside en un détournement illégal d’un système fiscal pour ne pas contribuer aux charges publiques. Subtile nuance, qui prend tout son sens quand on sait que la Suisse ne considère pas la simple évasion fiscale comme un délit méritant la levée du secret bancaire.
La Suisse est-elle un paradis fiscal ? ———————————————————————-
Un rapport de l’OCDE de 1987 relatif à la fiscalité internationale précisait dès son introduction qu’« il n’existe pas de critère unique, clair et objectif permettant d’identifier un pays comme étant un paradis fiscal ». Pourtant plusieurs critères, à géométrie variable, nous permettent de définir les grandes caractéristiques des paradis fiscaux.
Selon Christian Chavagneux, auteur d’un ouvrage sur les paradis fiscaux7, il y aurait une dizaine de critères permettant de les définir :
1/ une taxation faible ou nulle pour les non-résidents,
2/ un secret bancaire renforcé,
3/ un secret professionnel étendu à différentes professions (avocats, comptables, employés, etc.),
4/ une procédure d’enregistrement relâchée (grande souplesse quant aux informations fournies à la banque par les contractants),
5/ une liberté totale des mouvements de capitaux internationaux,
6/ une rapidité d’exécution,
7/ le support d’un grand centre financier,
8/ une stabilité économique et politique,
9/ une bonne image de marque,
10/ un réseau d’accords bilatéraux.
La Suisse est «positive» à ces critères, pourtant, elle n’est pas reconnue par l’OCDE comme paradis fiscal, car c’est un territoire «coopératif», en ce sens qu’il fait preuve d’une relative transparence et de dialogue avec les instances internationales. Ainsi l’OCDE juge qu’«en ce qui concerne les échanges de renseignements en matière fiscale, [elle] invite les pays à adopter un système d’échanges de renseignements “à la demande”. Il s’agit du cas où les autorités compétentes d’un pays demandent à celles d’un autre pays des informations concernant une vérification fiscale spécifique, en général en application d’un accord bilatéral d’échange de renseignements entre les deux pays. L’un des éléments essentiels de ces échanges de renseignements est la mise en œuvre de garanties appropriées pour assurer une protection suffisante des droits des contribuables et de la confidentialité de leur situation fiscale ». Officiellement donc la Suisse n’est pas un paradis fiscal, même si elle en présente les principales caractéristiques.
Voir aussi:
Dans les banques suisses, le silence est d’or
Sacralisé en 1934, le secret bancaire a fait de la fédération helvétique un gigantesque coffre-fort (quasiment) inviolé depuis. Par ici les valises…
Olivier Milot
Télérama
Le 11/08/2012
Tout commence par une descente de police, le 27 octobre 1932, dans un appartement loué, Hôtel de la Trémoille, par l’une des plus grandes banques suisses de l’époque, la Banque commerciale de Bâle (BCB). Les inspecteurs sont loin de se douter alors des répercussions de leur perquisition. Rien de moins qu’un scandale national, une crispation des relations diplomatiques franco-suisses et le vote d’une loi bétonnant pour des décennies ce monument national helvète qu’est le secret bancaire.
Excusez du peu. Ce jour-là, les inspecteurs tombent, il est vrai, sur une mine : des listes contenant les numéros de compte et les noms d’un bon millier de Français qui ont placé une part de leur fortune de l’autre côté des Alpes, en omettant de le signaler au fisc. Fatale négligence.
Gotha mondain
Comme un air de déjà-vu, la France est alors confrontée à de sérieuses difficultés économiques. Contraint à une cure d’austérité, le gouvernement de centre gauche du radical Edouard Herriot tolère mal l’évasion fiscale et cherche un dérivatif au mécontentement de l’opinion publique : la chasse aux fraudeurs fera l’affaire.
La descente de nos pandores n’est donc pas tout à fait le fruit du hasard, même si la saisie des listes de la BCB relève, elle, de la pêche miraculeuse. « L’ampleur de la fraude était gigantesque, raconte l’historien suisse Sébastien Guex, environ 2 milliards d’actuels francs suisses [1,7 milliard d’euros, NDLR]. » Et, surtout, ces listes réunissent « le gotha mondain de l’époque. »
Un inventaire à la Prévert de la classe dirigeante : d’anciens ministres, trois sénateurs, un député, une douzaine de généraux, des patrons de journaux, de prestigieux capitaines d’industrie et même… deux évêques. Rapidement l’affaire s’ébruite. Le 10 novembre, à l’Assemblée nationale, le député socialiste Fabien Albertin révèle une dizaine de noms soigneusement sélectionnés.
Effet garanti. La presse s’enflamme. Le gouvernement, lui, s’active. Il gèle les avoirs de la BCB en France, place deux de ses dirigeants en détention, exige l’envoi d’inspecteurs au siège de la banque à Bâle et présente une demande d’entraide judiciaire au Conseil fédéral suisse. De l’autre côté des Alpes, la réplique est contrastée. Sans équivoque du côté des autorités, qui rejettent la demande d’entraide. Plus hésitante à la BCB, qui envisage un temps de satisfaire aux exigences des Français en échange du déblocage de ses avoirs et de la libération de ses dirigeants. L’épisode fait frémir l’establishment financier helvète et provoque une fuite des capitaux dans l’autre sens.
Quoi, l’accueillante Suisse, refuge discret des fortunes d’Europe, ne serait pas aussi sûre qu’imaginé ? Les épais murs des banques de Genève ou de Berne pas suffisants pour protéger les précieux dépôts de l’inquisition d’un gouvernement étranger ? Insupportable. La valeur du secret bancaire tient à son étanchéité, une seule fuite et c’est toute la confiance qui s’évapore.
Histoire du secret bancaire
Le gouvernement suisse se charge lui-même d’écrire l’épilogue de l’histoire. Le 8 novembre 1934, il fait adopter une loi sur les banques, dont l’article 47 verrouille à double tour le secret bancaire. Il est désormais pénalement interdit à une banque suisse de divulguer la moindre information concernant l’un de ses clients sous peine d’amende ou d’emprisonnement. Plus fort encore, en cas d’infraction, les poursuites sont automatiques, même si la partie lésée n’a pas porté plainte. Le message à la riche clientèle étrangère est clair : à l’avenir, le secret bancaire helvète sera aussi inviolable que ses coffres.
Si l’ancrage légal du secret bancaire et son bétonnage remontent à 1934, son existence est, elle, plus ancienne. Certains auteurs (1) la font même remonter au XVIIIe siècle. Il serait une conséquence directe de la révocation de l’édit de Nantes, en 1685. Par cet acte, Louis XIV provoque la fuite des protestants, dont une partie trouve refuge à Genève. Persécutés mais pragmatiques, les huguenots exilés acceptent de continuer à financer la dispendieuse monarchie française. Un comportement un rien schizophrène qui s’explique par une réciprocité d’intérêts.
D’un côté, le roi a d’insatiables besoins financiers, de l’autre, les huguenots fortunés peuvent difficilement imaginer client plus solvable du fait de sa capacité à honorer ses dettes. Mais pour être parfaite, cette communauté d’intérêts ne pouvait qu’être discrète. Il ne saurait être dit que le roi de France emprunte avec intérêt à d’hérétiques protestants qu’il a lui-même chassés. Cette discrétion aurait été formalisée par le Grand Conseil genevois en 1713 dans un texte qui stipule que les créanciers doivent « tenir un registre de leur clientèle et de leurs opérations, mais il leur est interdit de divulguer ces informations à quiconque autre que le client concerné, sauf accord exprès du conseil de la ville ».
Secret des affaires
Sébastien Guex, qui écrit actuellement une histoire du secret bancaire suisse, livre, lui, une tout autre genèse. « On ne peut pas exactement dater la création du secret bancaire. L’expression elle-même n’apparaît qu’à la toute fin du XIXe siècle, explique ce professeur d’histoire à l’université de Lausanne. Le secret bancaire est en fait une pratique non codifiée qui se développe en Europe avec la révolution industrielle au cours de la seconde moitié du XIXe siècle. A cette époque, les banques commencent à jouer un rôle important dans le financement des entreprises, dont elles connaissent souvent les moindres rouages pour s’assurer de leur solvabilité. Du fait de cette position dans la division du travail, secret des affaires et secret bancaire deviennent vite inséparables.
A cette dimension économique va bientôt s’en ajouter une autre : la dimension fiscale. Elle naît au tournant du XXe siècle quand les Etats européens commencent à imposer les couches aisées de la population sur leurs revenus et les successions. Parallèlement, ils se dotent de services fiscaux modernes pour s’assurer de la bonne rentrée de l’impôt. La question des rapports entre banques et fisc devient alors centrale car l’accès aux données bancaires s’impose comme le principal moyen de lutte contre la fraude fiscale. C’est ce qui va donner toute son explosivité au secret bancaire. »
D’autant que si, au début du XXe siècle, les taux d’imposition sont faibles, ils augmentent crescendo partout en Europe au lendemain de la Première Guerre mondiale. En France, le taux marginal d’imposition sur le revenu passe ainsi de 4 % en 1914 à 94 % en 1924 sous le gouvernement Poincaré.
A l’époque, la Suisse comprend vite tout le bénéfice qu’elle peut tirer de cette hausse de la fiscalité en Europe en attirant les capitaux étrangers cherchant à fuir un fisc très gourmand. Elle a pour elle de nombreux atouts : sa stabilité politique, sa neutralité, une fiscalité faible et, surtout, une pratique du secret bancaire déjà bien ancrée dans ses usages. Alors ses banques ne se gênent pas et draguent sans relâche la clientèle fortunée. Avec succès. Les capitaux étrangers affluent et la petite Suisse devient entre les deux guerres une place financière internationale de premier plan. Avec cette conséquence : plus le pays s’enrichit de la fraude fiscale, plus la défense du secret bancaire devient vitale. La loi de 1934 s’inscrit dans cette évolution.
Réputation ternie
L’infaillibilité du secret bancaire suisse aurait pu devenir aussi éternelle que celle du pape pour les catholiques sans les soubresauts de l’Histoire. En entraînant le monde dans une deuxième guerre mondiale et en exterminant 6 millions de Juifs, Hitler en décida autrement.
A la sortie de la guerre, la Suisse est plus riche que jamais mais comme elle a trop ostensiblement collaboré sur le plan économique avec l’Allemagne nazie, sa réputation internationale est ternie. Elle se retrouve sous la double pression des Américains, qui ont gelé ses avoirs aux Etats-Unis, et de l’ensemble des Alliés, qui exigent la livraison sans contrepartie des avoirs allemands détenus sur son territoire.
Inconfortable. D’autres auraient joué profil bas, pas elle. Sébastien Guex raconte qu’à peine débarqué aux Etats-Unis, en mars 1946, le chef de la délégation suisse chargée de négocier un accord global déclara sans rire : « C’est maintenant que nous entrons réellement en guerre. » On mène les combats qu’on peut… Ironie de l’Histoire, les Suisses vont pourtant réussir à gagner cette guerre en cédant sur l’accessoire pour mieux préserver l’essentiel : leur secret bancaire. Ils convainquent les Américains de débloquer leurs avoirs en échange de la rétrocession d’une partie des avoirs allemands déposés dans leurs banques. Surtout, ils obtiennent d’identifier eux-mêmes ces avoirs et de ne livrer aucun nom.
Dans une lettre annexée à cet accord, la Suisse s’engage également à examiner « avec sympathie » la question des comptes en déshérence des victimes juives des nazis que les héritiers tentent de récupérer. Une « sympathie » très limitée tant les banquiers suisses traînent des pieds pour retrouver ces fonds, certains n’hésitant pas, semble-t-il, à exiger desdits héritiers un impossible certificat de décès du titulaire du compte, mort à Auschwitz ou à Treblinka.
Cyniques ou inconscients (ou les deux), ils ne pensent qu’à gagner du temps dans l’espoir de ne pas perdre un argent qui ne leur appartient pas. On atteindra l’abject quand dans les années 1950 commence à se répandre l’idée que le secret bancaire n’a été instauré avant guerre que pour mieux protéger les Juifs de l’inquisition nazie. « Cette thèse est totalement erronée. C’est une réécriture de l’Histoire parfois encore utilisée aujourd’hui, tant elle est utile au milieu bancaire », explique Sébastien Guex.
Peu d’entorses au règlement
La bombe à retardement des comptes en déshérence finira par exploser en 1995, lors du 50e anniversaire de la Shoah. Sous la pression des organisations juives, les Suisses devront renoncer par deux fois à leur précieux secret bancaire. Une première afin de permettre à une commission internationale (la commission Volcker) d’auditer une soixantaine de banques pour faire enfin toute la lumière sur ces comptes. Une seconde pour permettre à une commission d’historiens de clarifier le rôle de la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale, en ayant accès à toutes les archives bancaires.
Publié en 1999, le rapport Volcker révélera que le nombre de comptes en déshérence s’élève à 53 886 pour un montant de l’ordre de 271 millions à 411 millions de francs suisses. En échange de l’abandon de toutes poursuites, les banques helvétiques acceptent de payer 1,25 milliard de dollars pour solde de tout compte aux ayants droit. Le passif est épuré mais le passé fait toujours tache.
Sans l’arrogance de quelques banquiers, le secret bancaire aurait pu passer le XXe siècle sans encombre. Les banques suisses ont en effet longtemps profité de la passivité des gouvernements étrangers. Durant les décennies d’après-guerre, la forte croissance rendait la lutte contre la fraude fiscale moins nécessaire, sans compter que l’évasion fiscale était une pratique assez largement répandue dans les plus hautes sphères économiques et politiques.
Cette apathie n’empêche pas certains Etats de mener des attaques ponctuelles, mais elles restent isolées, en ordre dispersé et donc sans portée réelle. La crise financière de 2008 change radicalement la donne. De nombreux pays ont englouti des sommes astronomiques pour sauver leur système financier. Pour renflouer leurs caisses, les gouvernements décident de se lancer dans une chasse sans merci aux fraudeurs.
Face aux pressions conjuguées des Etats-Unis et des Etats membres de l’OCDE, la Suisse doit accepter d’importantes concessions qui reviennent à assouplir son secret bancaire sans toutefois le remettre en cause. Pourrait-il disparaître un jour ? Pas sûr, même si à l’intérieur du pays, la question n’est plus taboue. Et puis, la fin du secret bancaire serait-elle à ce point un drame pour la riche Suisse ? Un ancien parlementaire socialiste, l’économiste Rudolf Strahm, a estimé que sa disparition coûterait 1 à 2 % du produit intérieur brut (PIB) (2) . Serait-ce si insupportable pour un pays dont les banques gèrent, selon Sébastien Guex, « près de 30 % de la fortune privée mondiale, soit un pactole de l’ordre de 2 500 milliards d’euros qui privent les Etats d’où sont issus ces fonds de quelque 40 à 50 milliards de ressources fiscales ? »
Et en France ?
En France, le secret bancaire est relatif et s’apparente plutôt au secret professionnel. Pas question que votre banquier clame le montant de vos comptes à tous les vents, vous pourriez l’attaquer en justice. En revanche, il est tenu de lever ce « secret » à la demande de certaines administrations (le fisc, les douanes, la Banque de France…) ou de la justice dans le cadre d’une procédure pénale. Ces limitations sont justifiées par la lutte contre la fraude fiscale et le blanchiment de l’argent sale.
A lire
(1) Un article de Sébastien Vannerot « Les origines du secret bancaire suisse », sur le site du Cercle Alexis de Tocqueville.
(2) Dans « L’agonie du secret bancaire suisse », L’Economie politique, 2010/2, nº 46.
Voir également:
LES ORIGINES DU SECRET BANCAIRE SUISSE
Sébastien Vannerot (Vice – Président du Cercle Alexis de Tocqueville)
Cercle Alexis de Tocqueville
Jul. 24, 2009
La crise économique et financière actuelle a récemment mis en lumière, sans en expliquer ni l’histoire ni les fondements, la notion de secret bancaire, particulièrement le secret bancaire suisse. Le présent article tente d’en dresser sommairement l’histoire. Comme souvent, l’histoire se répète et nous verrons que ce sont justement ces mêmes crises financières et internationales qui ont conduit à ériger et à forger le secret bancaire suisse, tant contesté aujourd’hui.
La confédération helvétique est depuis fort longtemps – tant en raison de sa situation géographique que de son histoire – une place financière internationale reconnue pour sa compétence mais aussi pour sa discrétion. De toutes les influences, c’est l’histoire de France qui a le plus fortement contribué à la genèse du secret bancaire suisse, fruit de coïncidences de l’histoire.
Parallèlement à la montée en puissance des Lombards et des Templiers, le XVIème siècle voit naître la Réforme au cours de laquelle Jean Calvin légitime notamment l’esprit d’entreprise et le prêt à intérêts, ce dernier étant interdit par l’église catholique et le droit canon conformément à l’adage latin « Pecunia pecuniam non parit (1). Le droit canon et le Vatican n’ont définitivement reconnu l’usage et la licéité du prêt à intérêts respectivement qu’en 1830 et 1917…
A cette époque, Lyon était la première place financière européenne grâce notamment au privilège des « Quatre Foires Annuelles » (2), au transfert du comptoir des Médicis de Genève à Lyon ou encore au privilège royal du tissage des draps d’or et de soie.
La révocation de l’Édit de Nantes va tout bouleverser.
En révoquant celui-ci en 1685, Louis XIV a provoqué la fuite de nombreux huguenots français (près de 300.000), affaiblissant ainsi l’économie française au profit de pays protestants qui les ont accueillis comme l’Angleterre, l’Allemagne, les Pays-Bas et bien évidemment la Suisse, pays neutre depuis 1516 suite à la défaite des troupes de la Confédération helvétique lors de la bataille de Marignan.
Quasiment dès leur arrivée, les huguenots français exilés ont donné à nouvel élan à Genève en acceptant de financer la monarchie française malgré les persécutions qu’ils avaient subies. Ce comportement quasi schizophrène s’explique par une réciprocité d’intérêts, apparemment contradictoires.
D’une part, la monarchie française avait un besoin insatiable de financement, alors même qu’elle venait de perdre une part importante de ses richesses en raison la fuite des huguenots. D’autre part, ces mêmes huguenots ne pouvaient rêver de placement plus sûr que la monarchie française aux capacités d’emprunt et de remboursement quasiment illimitées.
Cette discrétion de fait a été formalisée en 1713 par l’adoption par le Grand Conseil Genevois du premier texte connu concernant le secret bancaire
La pérennité d’un tel arrangement entre le Roi de France et les huguenots n’était possible que sous le sceau impérieux d’une discrétion absolue. Ii était impossible au Roi de France de reconnaître qu’il empruntait avec intérêts à des hérétiques protestants qu’il venait de chasser hors de France et aux protestants de dévoiler un tel arrangement sans risquer de tout perdre.
Cette discrétion de fait a été formalisée en 1713 par l’adoption par le Grand Conseil Genevois du premier texte connu concernant le secret bancaire, lequel stipule que les banquiers doivent « tenir un registre un leur clientèle et de leur opérations, mais il leur est interdit de divulguer ces informations à quiconque autre que le client concerné, sauf accords exprès du Conseil de la Ville ».
Par la suite, les agitations politiques de la fin du XVIIIème siècle transformèrent définitivement la Suisse, et Genève en particulier, en un asile politique et financier pour ceux qui, notamment, fuyaient les conséquences de la Révolution Française. Il se dit même que Napoléon 1er fut un client assidu des banques suisses.
Le devoir de discrétion qui fut d’abord imposé pour la survie même de la place financière de Genève est très rapidement rentré dans les mœurs et est devenu, au fil des années, une marque de fabrique attirant de nombreux capitaux et ce, plus encore depuis la (nouvelle) neutralité perpétuelle imposée à la Suisse le 20 mars 1815 au Congrès de Vienne.
Jusqu’en 1934, le secret bancaire relevait de la sphère civile et était régi par le Code Civil suisse de 1907 pour la protection de la sphère privée et le Code des Obligations de 1911 pour le devoir de discrétion entre cocontractants.
Ces derniers offraient des garanties civiles qui, alors, étaient considérées comme suffisantes car interprétées de manière très extensive, et permettaient d’attribuer des dommages-intérêts aux victimes de banquiers fautifs.
La jurisprudence suisse a confirmé à plusieurs reprises la base légale du secret bancaire, d’abord en 1930 en indiquant que « la discrétion du banquier constitue une obligation contractuelle implicite », puis de manière plus précise en 1932 à l’occasion de l’affaire Charpiot v. Caisse d’Épargne de Bassecourt : « le secret de banque n’est pas autre chose que le droit que possède chaque client d’une banque d’exiger de la part de cette dernière la plus stricte discrétion sur les affaires qui lui sont confiées ; c’est également et inversement, le devoir qu’a la banque de garder le silence le plus complet sur ces affaires. Et pour le banquier en particulier, cette obligation est indépendante du rapport de droit existant entre lui et son client. Si aucun contrat n’est intervenu, la violation du secret constitue un acte illicite dans le sens des articles 41 et suivants du Code des Obligations ».
La sacralisation et la pénalisation de la violation du secret bancaire n’interviendra qu’en 1934 avec l’adoption le 8 novembre de la « Loi fédérale sur les banques et les caisses d’épargne ».
Ce renforcement du cadre légal du secret bancaire trouve son origine dans les nombreuses crises économiques et politiques qui ont secoué l’Europe au cours de la première partie du XXème siècle.
Tout d’abord, l’augmentation des assiettes et taux d’imposition dans un certain nombre de pays européens (dont notamment la France en 1901 avec l’augmentation de l’impôt sur les successions puis sur les hauts revenus) puis ensuite la première guerre mondiale ont provoqué un afflux massif de capitaux en Suisse, attirés par la stabilité économique, la neutralité politique, la stabilité de la monnaie et naturellement le secret bancaire qu’offrait la Suisse.
le secret de banque n’est pas autre chose que le droit que possède chaque client d’une banque d’exiger de la part de cette dernière la plus stricte discrétion sur les affaires qui lui sont confiées
Les pays concernés ne virent évidemment pas d’un bon œil cette évasion de leurs capitaux nationaux. Pour la France et la Belgique, ces capitaux manquaient à la reconstruction de la France, que ce soit sous forme d’investissements directs ou de manque à gagner en matière fiscale. Pire encore concernant les capitaux allemands que la France et la Belgique considéraient comme l’inexécution de l’obligation de réparation des dommages de guerre imposés à l’Allemagne par le traité de Versailles.
Puis virent la crise de 1929 et la Grande Dépression qui ont notamment engendré en 1931 la plus grande crise bancaire que la Suisse n’ait jamais connu et, dans le reste de l’Europe, la montée des fronts populaires d’un côté et du fascisme de l’autre, aboutissant dans les deux cas à une augmentation du besoin de financement des États et donc de la pression fiscale.
Les années trente ont également été le théâtre de faits divers marquants impliquant directement ou indirectement le secret bancaire suisse : la perquisition en 1932 des locaux parisiens de la Banque Commerciale de Bâle ou encore de la Banque d’Escompte Suisse et le scandale qui s’en est suivi, la condamnation à mort en 1934 de trois allemands en raison de l’interdiction faite aux ressortissants allemands de détenir des capitaux hors d’Allemagne, l’espionnage bancaire nazi en vue d’identifier et de rapatrier des actifs allemands déposés en Suisse.
D’autres facteurs endogènes ont également participé à l’adoption de la loi du 8 novembre 1934 en premier lieu desquels figurent un renversement de jurisprudence du Tribunal Fédéral sur un des cas de levée du secret bancaire en 1930 et la poussée des socialistes en Suisse dans les années 30, lesquels étaient favorables à la levée du secret bancaire notamment pour des raisons fiscales internes à la Confédération.
C’est donc la conjonction de facteurs exogènes (pressions française et allemande) mais aussi endogènes (conséquences de la crise bancaire de 1931 et risque de changement intempestif de législation en cas de changement de majorité politique) qui a poussé la Suisse a adopter le 8 novembre 1934 la « Loi fédérale sur les banques et les caisses d’épargne » qui organise le secteur bancaire en Suisse et qui, dans son article 47, consacre l’inviolabilité du secret bancaire, le faisant basculer de la sphère civile vers la sphère pénale, de l’intérêt privé vers l’intérêt public.
Contrairement à une idée largement répandue après-guerre, le secret bancaire suisse n’a pas été créé en vue de protéger les actifs juifs de la menace fasciste ou nazie (même si ce même texte a pu tout aussi bien servir que desservir des milliers de juifs qui ont déposés leurs avoirs en Suisse dans les années 30 et 40) mais pour défendre l’avenir du secteur financier suisse qui représentait la majorité du PIB du pays.
La législation suisse en vigueur concernant le secret bancaire est demeurée quasiment inchangée depuis cette date, hormis une aggravation des peines encourues.
Le dispositif pénal en vigueur aujourd’hui est complet et cohérent avec l’histoire.
L’article 273 du Code Pénal suisse dispose que « Celui qui aura cherché à découvrir un secret de fabrication ou d’affaires pour le rendre accessible à un organisme officiel ou privé étranger, ou à une entreprise privée étrangère, ou à leurs agents, celui qui aura rendu accessible un secret de fabrication ou d’affaires à un organisme officiel ou privé étranger, ou à une entreprise privée étrangère, ou à leurs agents, sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire ou, dans les cas graves, d’une peine privative de liberté d’un an au moins. En cas de peine privative de liberté, une peine pécuniaire peut également être prononcée. »
Dans le cadre du dispositif législatif suisse, cela signifie que même si le client autorise la banque à donner des informations, cette dernière ne peut – par la loi même – divulguer aucune information sur son client. Cette disposition a pour objectif de prévenir toute pression ou chantage comme celle de l’enlèvement Berthold Jacob en 1935.
Contrairement à une idée largement répandue après-guerre, le secret bancaire suisse n’a pas été créé en vue de protéger les actifs juifs de la menace fasciste ou nazie
Cette disposition a été introduite dans le Code Pénal suisse en 1937 suite à cette affaire.
L’article 271 du Code Pénal suisse dispose que « Celui qui, sans y être autorisé, aura procédé sur le territoire suisse pour un État étranger à des actes qui relèvent des pouvoirs publics, celui qui aura procédé à de tels actes pour un parti étranger ou une autre organisation de l’étranger , celui qui aura favorisé de tels actes, sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire et, dans les cas graves, d’une peine privative de liberté d’un an au moins. Celui qui, en usant de violence, ruse ou menace, aura entraîné une personne à l’étranger pour la livrer à une autorité, à un parti ou à une autre organisation de l’étranger, ou pour mettre sa vie ou son intégrité corporelle en danger, sera puni d’une peine privative de liberté d’un an au moins. Celui qui aura préparé un tel enlèvement sera puni d’une peine privative de liberté ou d’une peine pécuniaire. »
Il est intéressant de noter que ces articles du Code Pénal suisse qui trouvent application concernant notamment le secret bancaire se situent dans le titre 13 du Code Pénal concernant les « Crimes ou délits contre l’état et la défense nationale ».
Enfin, l’article 47 de la loi fédérale sur les banques et les caisses d’épargne dispose ce qui suit : « Est puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire celui qui, intentionnellement: en sa qualité d’organe, d’employé, de mandataire ou de liquidateur d’une banque, ou encore d’organe ou d’employé d’une société d’audit, révèle un secret à lui confié ou dont il a eu connaissance en raison de sa charge ou de son emploi; incite autrui à violer le secret professionnel. Si l’auteur agit par négligence, il est puni d’une amende de 250 000 francs au plus. En cas de récidive dans les cinq ans suivant une condamnation entrée en force, la peine pécuniaire est de 45 jours-amende au moins. La violation du secret professionnel demeure punissable alors même que la charge, l’emploi ou l’exercice de la profession a pris fin. Les dispositions de la législation fédérale et cantonale sur l’obligation de renseigner l’autorité et de témoigner en justice sont réservées. La poursuite et le jugement des infractions réprimées par la présente disposition incombent aux cantons. Les dispositions générales du code pénal sont applicables. »
Pour aller plus loin, je vous suggère de lire les excellents travaux de Sébastien Guex, disponibles notamment sur le site Persée.fr.
(1) Traduit en français par : « L’argent ne fait pas l’argent ».
(2) Au XVe siècle Lyon dispose par privilège royal, de la possibilité d’organiser quatre (4) foires franches annuelles. Les foires de Lyon ont été créées en 1419 par le Dauphin, futur Charles VII. Elles sont au nombre de deux (2) et durent six (6) jours. Elles sont portées au nombre de trois (3) en 1443 et à quatre (4) en 1463.
Voir encore:
Un scandale suisse à Paris en 1932
Joëlle Kuntz
Le Temps
14 mars 2009
Premier épisode d’une série sur l’histoire du secret bancaire, avec le professeur Sébastien Guex
Le secret bancaire suisse a provoqué des protestations étrangères dès sa généralisation dans les pratiques financières helvétiques au début du XXe siècle, au fur et à mesure que se développait dans les pays européens le principe de la redistribution par l’impôt sur le revenu et les successions. Les attaques américaines actuelles contre UBS ont plusieurs précédents. Le plus ressemblant est celui de la Banque commerciale de Bâle, prise en flagrant délit d’incitation à la fraude fiscale en 1932 à Paris. Sébastien Guex, professeur d’histoire à l’Université de Lausanne, en a retracé les épisodes dans un article de la revue Alternatives économiques (2007, No 33). La France était alors dans le rôle des Etats-d’Unis d’aujourd’ hui, en position de faire sauter le secret bancaire. Au final, elle ne l’a pas voulu. Elle a préféré faire sauter le gouvernement Herriot qui y avait touché. Une leçon pour Obama? Pour Sarkozy? Pour la banque suisse? Suivons le guide Guex dans l’affaire.
Le 27 octobre 1932, le Ministère des finances ordonne la perquisition des locaux discrets qu’occupe la Banque commerciale de Bâle (BCB) dans un hôtel parisien. Les trois occupants, deux directeurs et un employé, sont interrogés. Des documents sont saisis. Ils permettent d’identifier un millier de titulaires de comptes appartenant à la haute bourgeoisie française: des parlementaires, des évêques, des industriels, des propriétaires de journaux… Ils permettent surtout de dévoiler le mécanisme d’une fraude qui a commencé des années plus tôt: les banquiers suisses sont à Paris pour payer directement à leurs clients les intérêts et dividendes de leurs titres déposés à Bâle. La fortune qui échappe ainsi au fisc se situe entre 1 et 2 milliards de francs français de l’époque.
L’affaire est révélée en novembre par une interpellation à l’Assemblée du député socialiste Fabien Albertin. Des noms sont cités. Scandale. La Chambre demande alors «la vérité complète» au gouvernement présidé par le radical socialiste Edouard Herriot. Celui-ci réclame l’ouverture des registres bâlois aux inspecteurs du fisc français. Le 23 novembre, le Parquet livre à la presse une liste des 130 premiers inculpés dont les noms sont publiés dans plusieurs quotidiens.
L’indignation est générale mais contradictoire. Elle s’exprime selon le clivage classique sur ce thème: la gauche est indignée par la fraude, qui contrevient au principe d’égalité devant l’impôt. La droite est indignée par les méthodes «inquisitoriales» de l’Etat, elle justifie la fraude par le caractère «confiscatoire» de l’impôt. «Il y a des fraudeurs parce que les taxes sont trop lourdes», s’écrie Charles Maurras. Le vrai voleur, c’est donc l’Etat. On se croirait en 2009.
En amont de l’affaire: la crise économique. Herriot a été reconduit à la présidence du Conseil suite à la victoire de son parti aux élections de mai 1932. Il préconise le rééquilibrage du budget par la diminution des dépenses publiques. Les salariés, les agriculteurs, les petits commerçants, les anciens combattants protestent. En juillet, sa popularité est très entamée. Son parti lui-même est divisé. Il sait à l’automne son cabinet menacé par son projet de budget 1933 qui sera combattu par les socialistes et nombre de députés du centre. Ce pourquoi, affirme Sébastien Guex, il lance le député socialiste Albertin à l’assaut des fraudeurs. Il en escompte un milliard de francs pour le Trésor.
«Dès que nous avons connu l’étendue du déficit, explique le ministre des Finances devant la Chambre, dès que nous avons vu que nous serions dans l’obligation de demander des sacrifices à toutes les catégories de la nation… nous avons pensé qu’il faudrait obtenir la répression de la fraude fiscale.» Et Herriot d’ajouter: «Le peuple ne comprendrait pas que l’on n’épargnât qui que ce fût au moment où, en effet, il va falloir demander des sacrifices aux uns et aux autres.»
L’attaque contre la Banque commerciale de Bâle ne sauve pas le cabinet Herriot. Peut-être même, suggère l’historien, la précipite-t-elle en ajoutant le mécontentement de la droite à celui de la gauche.
Le gouvernement suivant enterre en tout cas l’affaire. Il a le souci de ne pas se priver du concours des banques et du marché financier suisses. Le pouvoir judiciaire s’adapte. La procédure est infirmée pour vice de forme. Seuls un petit nombre de fraudeurs seront condamnés à des amendes, entre 1935 et 1944. En 1948, les directeurs de la BCB-Paris se verront infliger des peines de prison avec sursis, puis amnistiés.
Voir aussi:
Histoire des Paradis Fiscaux
Paradis fiscal
Les Paradis Fiscaux sont indissociables du fonctionnement de l’économie mondiale. Comment sont-ils parvenus à occuper une place aussi importante ? Leur origine et leur développement s’effectueront durant deux grandes périodes de mondialisation économique, celle du XIX siècle et celle de la fin du XX siècle.
C’est au XIXe siècle que la séparation nette du monde en Etats-nations s’impose. Chaque pays crée ses propres lois et nous assistons au développement d’une mondialisation économique marquée par une forte mobilité des capitaux internationaux. La question qui se pose alors est de savoir comment les Etats vont affirmer leur souveraineté nationale au moment où des acteurs économiques privés se mettent à sauter allègrement les frontières ? Deux principes s’imposent alors : la souveraineté exclusive de chaque Etat sur son territoire et le soutien des pays industrialisés à leurs entreprises phares et à leur internationalisation.
La notion de gouvernance mondiale naît alors pour permettre de répondre au double objectif de soutenir la construction des Etats-nations et l’expansion internationale du capitalisme. Quatre solutions naissent alors progressivement :
Développer le droit national traitant des affaires économiques extérieures ainsi qu’un droit public international portant sur la façon de traiter les contrats signés dans des territoires étrangers hors de leur juridiction d’origine.
Prolifération des traités commerciaux bilatéraux dans le but d’harmoniser les législations traitant des investissements étrangers. Citons l’exemplaire traité franco-britannique dit Cobden-Chevalier signé en 1860.
Laisser les entreprises privées régler entre elles les problèmes pouvant surgir des implantations internationales des unes et des autres permettant la croissance de la lex mercatoria (loi des marchands).
La création d’une économie offshore, espace dans lequel les lois ne s’appliquent pas, évitant ainsi les conflits entre les lois nationales et les échanges de capitaux internationaux. La réconciliation entre la souveraineté de droit des Etats et de l’internationalisation du capital passe par la remise en cause de l’unité juridique Etat-nation.
L’émergence de l’offshore se développe dans le temps et passe par trois étapes :
Fin du XIXè siècle : les états américains comme le Delaware pour attirer des entreprises uniquement pour des motifs fiscaux en réponse à leurs contraintes budgétaires, ont bâti le premier pilier des paradis fiscaux.
Le Royaume-Uni dans les années 20 donne naissance au principe d’un enregistrement fictif des entreprises pour des raisons fiscales au niveau internationale et par le biais des juges britanniques.
La Suisse après la première mondiale attire massivement les capitaux français, allemands, italiens, et autrichiens et devient un place financière spécialisée dans le sauvetage des capitaux en quête de refuge fiscal. Les banquiers suisses proposant déjà l’anonymat des comptes bancaires sont conscient des avantages que représente leur place financière dans un contexte économique européen instable. La loi bancaire de 1934 dans son article 47 place le secret bancaire sous la protection du droit pénal. Ainsi, un employé d’une banque suisse livrant des informations concernant l’identité de ses client y compris à son propre gouvernement commet un acte criminel. Ainsi, une fois les frontières passée, les capitaux entraient dans un sanctuaire inviolable.
Pourquoi les autorités suisses ont ainsi renforcé le secret bancaire grâce à la loi bancaire de 1934 ?
Les banquiers suisses entretiennent le mythe selon lequel cette loi fut créée pour protéger les avoirs des juifs et des autres minorités persécutées par l’Allemagne nazie. Il en est finalement tout autrement et la France y joue un rôle déterminant…
La crise de 29 n’épargne pas le système financier helvétique qui connaît sa plus grave crise. Sur les huit « grandes banques », une a fait faillite, une a survécu grâce à une aide massive de l’Etat fédéral et d’autres ont du être réorganisées. Les autorités politiques suisses décident alors en janvier 1933 d’élaborer une nouvelle loi bancaire visant à un renforcement du contrôle des activités des établissements financiers.
Les banquiers du monde entier en général et suisses en particulier craignent alors deux choses : 1/ l’accroissement du pouvoir donné aux représentants publiques et 2/ la divulgation des informations de leurs clients aux autorités fiscales suisses ou étrangères. C’est pourquoi l’article 47 de la future loi bancaire se trouve dans le projet de loi de février 1933.
En France, Edouard Herriot arrive au pouvoir en 1932 et décide de s’attaquer aux déficits budgétaires, la fraude fiscale devient un enjeu national et le rôle de la suisse pour la faciliter inacceptable. L’affaire Albertin éclate…
Résumé de l’affaire Albertin : suite à une dénonciation et enquête menée par le commissaire Barthelet dans les locaux de la banque commerciale de Bâle à Paris, une liste de 2 000 noms est découverte : ceux de fraudeurs qui ont recours à la banque pour échapper au paiement de la taxe de 20% sur les plus-value de placement à l’étranger.
La presse s’empare de l’affaire mais le ministre de l’intérieur de l’époque, Camille Chautemps, refuse de la divulguer. Quant au ministre des finances, Louis Germain-Martin, celui-ci jure qu’il ne les connaît pas. Le député socialiste Fabien Albertin, ancien avocat de la cour d’appel de Paris, dispose d’une copie de cette fameuse liste et la rend publique : sénateurs, généraux, magistrats, évêques, propriétaires de grands journaux et des industriels y figurent. La banque d’escompte suisse et une banque genevoise sont également confondues et entraînées dans la tourmente.
Dans le cadre de cette enquête sans précédent, des poursuites judiciaires sont entamées et les avoirs des trois banques suisses bloqués. Les autorités françaises convoquent deux administrateurs de la banque commerciale de Bâle et leur demandent l’accès aux comptes de leurs clients au siège. Suite à leur refus, les deux administrateurs sont emprisonnés et feront deux mois de détention. La France demande alors aux autorités suisses l’entraide judiciaire qui est refusée par le gouvernement fédéral.
Les clients étrangers de ces trois banques suisses paniquent et demandent le remboursement de leurs avoirs. La banque d’escompte de Genève n’y survivra pas.
Les milieux financiers suisses savent que d’autres scandales sont possibles et cette affaire a eu pour conséquence de mettre en évidence un danger important : celui de la perte de confiance des clients étrangers à l’égard des institutions financières suisses qui peuvent donner accès à leurs registres face à des pressions d’un gouvernement étranger puissant. En faisant de la violation du secret bancaire un délit poursuivi d’office, en principe, par les autorités suisses, la loi de 1934 atténuait ce danger.
Plusieurs territoires comme Beyrouth, Tanger, les Bahamas, le Liechtenstein et Montevideo copient la loi suisse, devenue la référence. Dans le cadre des auditions du Congrès américain sur l’évasion fiscale et le crime organisé, le secret bancaire des banques helvétiques revient souvent et les banquiers suisses inventent en 1966 la légende de la protection des avoirs juifs. Ironie de l’histoire, les banques suisses ont longtemps utilisé le secret bancaire pour justifier la lenteur de la procédure de restitution des fonds aux survivants de l’holocauste et à leurs héritiers.
Après le moins-disant fiscal des avocats de New-York et la résidence fictive pour raison fiscale inventée involontairement par les juges londoniens, la loi bancaire suisse de 1934 rendant inviolable, sous peine de poursuites pénales, le secret bancaire, apporte la dernière pierre à l’édifice dans la construction des paradis fiscaux.
Voir de plus:
Secret bancaire, 1934 – 2015?
Yves Genier
L’Hebdo
05.05.13
L’agonie du secret bancaire ancienne formule, créé en 1934, a toutes les chances de s’achever en 2015. Dans moins de deux ans. Le délai donné par le Luxembourg il y a un mois a donc toutes ses chances de se réaliser en Suisse aussi, quoiqu’en disent les principales associations de banquiers.
C’est en tout cas ce qu’a laissé entendre la ministre des Finances Eveline Widmer-Schlumpf samedi lors du congrès de son parti, le minuscule BDP, répétant ce qu’elle avait esquissé en décembre dernier. Mais c’est aussi vers quoi convergent tous les indicateurs.
Il paraît certain que l’UE déterminera son mandat de négociation avec la Suisse le 23 mai prochain lors du prochain Sommet des ministres des Finances. De son côté, la ministre suisse des Finances se dit prête. La voie des discussions est donc dégagée et leur base sera claire: la reprise du modèle européen, sans autres discussions côté helvétique.
La principale objection suisse à une instauration de l’échange automatique, les paradis fiscaux offshore sous souveraineté britannique, est tombée. Jeudi, le chancelier de l’Echiquier britannique, George Osborne, a indiqué qu’une demi-douzaine de territoires britanniques d’Outre-mer (îles Caïmans, BVI, Jersey, etc.) étaient prêts à échanger des informations précises avec cinq grands pays européens. A noter, au passage, que les autres en sont exclu. Et que rien n’est fait pour améliorer l’application de l’obligation internationale sur l’identification de l’ayant-droit économique ultime des avoirs dans les banques, si mal appliquée en maints territoires à “common law” et aux Etats-Unis. Bonjour la transparence! Mais c’est un pas important.
Enfin, les grandes banques se sont converties à l’échange automatique, qu’elles appliquent, se préparent à appliquer ou réclament de leurs voeux pour garantir l’accès de leurs produits financiers au grand marché européen. UBS, Credit Suisse, Julius Bär, Pictet et Lombard Odier se débarrassent de leurs clients à problèmes dans le but d’en être débarrassés dans deux ans.
Bien sûr, les associations bancaires, ASB et banquiers privés, restent opposés à l’échange automatique et plaident encore pour le système “Rubik”. Leurs petits membres voient encore la fin du secret bancaire comme une menace et non pas comme une opportunité et s’accrochent encore aux branches du passé. tout ce qu’elles réussissent à faire, c’est de prolonger la belle confusion dont les banquiers ont abreuvé le public depuis quatre ans et qui a acculé la Suisse dans une impasse.
Voir de même:
La Suisse prête à lever le secret bancaire en 2015
Anne Cheyvialle
Le Figaro
23/04/2013
Berne accepte, sous conditions, d’appliquer l’échange automatique d’informations prôné par l’OCDE et le G20.
Un nouveau séisme se prépare sur les bords du lac Léman. À la suite du coup de force du week-end dernier au G20 de Washington, la Suisse serait prête à accepter le principe de l’échange automatique d’informations, à partir de 2015, d’après le quotidien suisse Le Temps, ce qui signerait l’arrêt de mort du secret bancaire pour les comptes de résidents étrangers en Suisse.
Une fois encore, c’est la pression internationale qui fait plier la Confédération. Berne est pris en étau entre les États-Unis, qui imposent l’échange automatique d’informations avec la Suisse depuis le 1er janvier 2013, et la récente volte-face du Luxembourg, prêt à lever le secret bancaire en 2015 dans le cadre de la directive épargne européenne. La volonté unanime, affichée au G20, à Washington, de faire de l’échange automatique d’informations fiscales un nouveau standard international, élaboré par l’OCDE, achève le tableau.
Fini, donc, le transfert laborieux et parcellaire des données bancaires sur demande dans le cadre des traités fiscaux actuels. Qui dit échange automatique d’informations dit règle de transparence comme c’est déjà le cas dans l’Union européenne, Autriche et Luxembourg mis à part.
La Suisse cherche toutefois à gagner du temps. Elle refuse d’être acculée, comme elle le fut en 2009, lorsqu’elle dut ouvrir une première brèche sur le secret bancaire après avoir été placée, pour la première fois de son histoire, sur une «liste noire» de paradis fiscaux.
Trusts anglo-saxons
Cette fois, Berne veut imposer des conditions à sa reddition. «La Suisse est prête à avancer s’il y a un standard global ; si ce standard est appliqué par tous les pays, surtout les grands centres financiers internationaux comme Londres, New York, Dubaï ou Singapour et les centres offshore anglo-saxons (Jersey, Guernesey, îles Vierges britanniques… NDLR); et enfin si les bénéficiaires des trusts et autres véhicules financiers sont identifiés », explique au Figaro Mario Tuor, porte-parole du secrétariat d’État suisse aux questions financières internationales. Mais Berne refuse de confirmer la date de 2015, avancée par la presse suisse. «Nous n’avançons aucune date», assure le porte-parole suisse.
Ce terme semble néanmoins crédible aux experts. «En 2015, tout le monde peut être au rendez-vous», estime Daniel Lebègue, président de Transparency International. «Le grand changement cette année, c’est la volonté unanime du G20, notamment de la Chine qui ne cherche plus à épargner Hongkong et Singapour: cette fois, la digue a vraiment cédé, le calendrier est en marche», assure-t-il.
Prochain rendez-vous, en juin, au sommet du G8, sous présidence du Royaume-Uni. Faisant fi des intérêts de la City, le premier ministre David Cameron a fixé comme priorité la lutte contre l’évasion fiscale. Puis ce sera le G20, en septembre, à Saint-Pétersbourg, en Russie. L’OCDE, cheville ouvrière de l’échange automatique d’informations, mettra sur la table un nouveau standard international.
Afin d’accélérer le processus, l’Organisation internationale travaille à la mise en place d’une convention multilatérale. Les pays pourraient y adhérer directement sans passer par des renégociations bilatérales des traités. Ce qui pourrait se faire d’ici à 2015.
Bruxelles met la pression sur Berne dans la lutte contre l’évasion fiscale
L’Union européenne attend de la Suisse une réelle coopération pour lutter contre l’évasion fiscale, qui passe par un échange automatique «ambitieux», a précisé ce mardi le commissaire en charge de la fiscalité Algirdas Semeta. La première étape dans cette bataille est d’obtenir au prochain sommet européen, en mai, un mandat pour entamer les négociations avec les partenaires que sont la Suisse, Andorre, Monaco et le Liechtenstein. La partie est loin d’être gagnée car il faut l’unanimité. Le Luxembourg et surtout l’Autriche, qui reste arc-boutée contre l’échange automatique d’information, pourraient faire capoter l’initiative. «L’objectif, a complété Algirdas Semeta, est de parvenir à des accords ambitieux de partage d’informations couvrant de nombreux aspects.» Il s’agit notamment de s’attaquer aux sociétés écrans qui dissimulent le réel bénéficiaire. Et la coopération avec la Suisse doit couvrir les comptes «omnibus» ouverts par des ressortissants suisses pour des étrangers, en référence au compte caché de Jérôme Cahuzac à la banque Reyl.
Pour faire plier la Suisse, Bruxelles brandit la menace d’un accès plus restreint au marché européen. «La Suisse est au cœur de l’Europe et profite largement de son accès au marché unique. Il est évident qu’elle doit donner le même traitement aux pays européens que celui accordé aux autres pays, dont les États-Unis», argumente le commissaire à la fiscalité. L’accord (Fatca) entre la Suisse et les États-Unis est très exigeant.» Alors que Washington a repoussé l’échéance à janvier 2014 pour la mise en place de ces accords, le calendrier a été avancé à début 2013 pour la Suisse et le Luxembourg.
Voir enfin:
An Oldie—The ‘Offshore’ Witch Hunt
What public interest is served by invading the financial privacy of innocent citizens?
Holman W. Jenkins Jr.
The WSJ
April 9, 2013
Anyone collecting similarities between our times and the 1930s might pin a photo of Fabien Albertin to his bulletin board.
Monsieur Albertin, a French deputy, appeared on the floor of the National Assembly claiming to have received details of secret Swiss bank accounts held by French politicians, celebrities and industrialists. Not long after, the Swiss made a point of enacting a law to impose criminal penalties on bankers who betray client secrets. As Europe descended into chaos and war, the Swiss knew a business opportunity when they saw one.
Monsieur Albertin’s modern-day counterpart is Gerard Ryle, an Irish-Australian journalist whose International Consortium of Investigative Journalists has been flogging information from a purloined hard-drive containing details of the mostly Caribbean accounts of 130,000 depositors from 170 countries.
Among Mr. Ryle’s collaborators is the Guardian newspaper, last seen decrying invasions of privacy in Britain’s phone hacking scandal.
Another collaborator is the Washington Post, which insisted on Sunday: « Among the 4,000 U.S. individuals listed in the records, at least 30 are American citizens accused in lawsuits or criminal cases of fraud, money laundering or other serious financial misconduct. »
That’s a ratio of 0.75%. One wonders what percentage of account holders in domestic banks would have to be accused of something in a lawsuit to justify all account holders having their records ransacked by the media.
Mr. Ryle has said he’s still deciding whether to release his data generally. Let’s presume journalists are not interested in invading the financial privacy of innocent citizens. Oh wait. The Post describes the Cook Islands holdings of a Baltimore real-estate family, « a transfer they disclosed to the IRS. » Why is the family’s data fair game? Apparently only because they were once victimized by a swindler.
The Post’s logic: If you were ever mugged in an alley, the paper can publish your stolen bank records.
The implicit tone of all such reporting, of course, is that anyone who uses offshore accounts must be a criminal. But this cannot be sustained as an intellectual matter. « There’s nothing illegal per se about owning an entity in a tax haven, » Mr. Ryle himself has said.
« Many people use the offshore world for legitimate purposes, » the Post acknowledges.
One who appears cheerfully to have answered questions is author and Gulf Oil heir James Mellon, who tells Mr. Ryle he once used a « whole bunch » of offshore accounts for tax and liability reasons.
Another rationale also lurks behind the lines of stories based on the stolen records appearing in the media from Germany and Ireland to the Far East: Governments everywhere are hard-up for money. This gets causation nearly backwards. The paranoid rich are assumed to be too cheap and greedy to pay the taxes they are assumed to be dodging. In fact, many are obviously prepared to incur considerable cost to keep a pot of money somewhere they hope it will be safe. These fearful rich are in search of jurisdictional diversification, and willing to pay for it.
Why? Maybe because populist attacks on the wealthy, predatory government and sleazy lawsuits are not unknown in our world. It’s true criminals often use offshore accounts to hide their loot. Criminals also use onshore accounts and brown paper bags to hide their loot. But notice that the « investigative » method used by reporters here apparently consisted of Googling the names of account holders to see if they were linked to questionable activities. That is, those whom the media found an excuse to name could be named precisely because the existence of an overseas account hadn’t stopped them being prosecuted for crimes at home.
And what is the solution? To ban transactions across borders would be to restore the world to medieval poverty. To require all governments to adopt identical tax laws would be to lose an important incentive for governments to tax responsibly.
What should really disturb readers is the number of politicians and civil servants named in the secret files. One is the campaign finance chief of French President François Hollande, last seen canvassing for populist votes by promising confiscatory taxes on millionaires.
What should disturb readers is the number of governments now not trying to protect the rights of violated account holders, but trying to get their hands on Mr. Ryle’s data for tax-fishing purposes.
Mr. Ryle has said he obtained the secret cache in connection with his exposure of the Firepower fraud in Australia, involving investors and politicians who were bamboozled by promises of a magic pill to increase fuel mileage.
The scamster allegedly stashed some of his loot offshore. Surely, though, the larger lesson is that everyone in Australia should move their money offshore to get it away from politicians and regulators who can’t see through a scam as shopworn as the magic fuel-mileage pill.
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