Allah est notre objectif; le Prophète est notre leader; le Coran est notre loi; le Jihad est notre voie; mourir sur la voie d’Allah est notre plus cher espoir. Devise des frères musulmans
La liberté d’expression est dans tous les pays occidentaux d’ores et déjà limitée (…) en 2005, l’Eglise catholique de France a obtenu le retrait d’une publicité utilisant la Cène, mais remplaçant les apôtres par des femmes court vêtues. Cela relève exactement de la même démarche qu’entreprennent les associations musulmanes aujourd’hui. (…) Aucun grand journal ne publierait des caricatures se moquant des aveugles, des nains, des homosexuels ou des Tziganes, plus par peur du mauvais goût que de poursuites judiciaires. Mais le mauvais goût passe pour l’islam, parce que l’opinion publique est plus perméable à l’islamophobie (qui très souvent recouvre en fait un rejet de l’immigration). Olivier Roy
On manifeste avant tout pour la dignité, pour le « respect » : ce slogan est parti de l’Algérie à la fin des années 1990. Les valeurs dont on se réclame sont universelles. Mais la démocratie qu’on demande aujourd’hui n’est plus un produit d’importation : c’est toute la différence avec la promotion de la démocratie faite par l’administration Bush en 2003, qui n’était pas recevable car elle n’avait aucune légitimité politique et était associée à une intervention militaire. Paradoxalement l’affaiblissement des Etats-unis au Moyen-Orient, et le pragmatisme de l’administration Obama, aujourd’hui permettent à une demande autochtone de démocratie de s’exprimer en toute légitimité. Olivier Roy
Quoi que l’on pense de l’intervention militaire américaine, il faut bien admettre qu’elle a modifié la dynamique de la région. Les forces d’opposition intérieures, tout en se distançant des États-Unis, ont été remarquablement enhardies au Liban, en Égypte, en Arabie saoudite et ailleurs. Nous sommes tous à la recherche des premiers signes d’ouverture chez nos voisins. Je sais que certains balbutiements démocratiques ont été écrasés par le passé : à Budapest en 1956, à Prague en 1968 et sur la place Tienanmen en 1989. Pourtant, ces derniers mois possèdent un certain parfum de nouveauté irréversible. Il y a trop de gens qui dans plusieurs endroits défient leurs oppresseurs et prennent des risques pour gagner leur liberté. Pour un vieux de la vieille, le climat actuel fleure bon le printemps. Saad Eddin Ibrahim (2005)
C’est une illusion. Ils cherchent à faire croire que l’élection sera véritablement disputée mais posent des conditions qui empêchent toute candidature. C’est une présidentielle à la tunisienne : le parti au pouvoir organise la compétition, présente ses propres candidats, planifie leur défaite et proclame les élections justes et pluralistes. J’ai joué un rôle modeste dans cette évolution en annonçant en octobre que je me présentais. C’était un véritable défi adressé à Hosni Moubarak. Trois ou quatre personnes ont suivi mon exemple. Hosni Moubarak nous a rejoints à mi-chemin en initiant ce processus tout en s’assurant que nous en serions exclus. Un candidat indépendant doit obtenir le parrainage de 250 élus locaux et nationaux. Avec un parti au pouvoir, le PND, qui contrôle 90 % des mandats, c’est virtuellement impossible. Mais c’est un début d’ouverture qui crée une dynamique. (…) Le régime égyptien (…) montre des signes de faiblesse. Le mur du silence a cédé. Les gens n’hésitent plus à critiquer publiquement Moubarak, à dénoncer la corruption du régime. Rien de tout cela n’existait il y a trois ans. (…) J’accepte le soutien de quiconque défend la démocratie, que ce soit l’Amérique, la Russie, le Japon ou même la France. Ça m’est égal. Nous avons lutté seuls trop longtemps pour refuser une aide. Les Européens appuient aussi notre centre en raison de son action pour la démocratie. Lorsque j’ai été jugé pour avoir reçu des fonds de l’étranger et notamment de l’Union européenne, tous les ambassadeurs des Quinze sont venus me soutenir à mon procès et me voir en prison, à l’exception de celui de la France. (…) Il y a des signes qui ne trompent pas. Que va-t-il éclore de tout cela ? Je l’ignore. Les Palestiniens ont voté en janvier, malgré les barrages israéliens et les appels au boycott du Hamas. Les Irakiens se sont rendus aux urnes en dépit de l’occupation et des attentats. Les Libanais ont manifesté par centaines de milliers pour demander le départ des troupes syriennes. Tout cela existe bel et bien. La participation des Saoudiens aux municipales, aussi limitée et modeste soit-elle, est elle aussi réelle, tout comme les manifestations que nous avons organisées au Caire. Kefaya (« assez », en arabe, qui sert de nom à l’un des principaux mouvements de l’opposition égyptienne, ndlr) est devenu le cri de ralliement de toute la région. Qu’il s’applique aux tueries perpétrées en Irak, à l’occupation syrienne ou israélienne, ce simple mot traduit un rejet commun du statu quo. Saad Eddine Ibrahim
The president wasted two and a half years cozying up to dictators and abandoning dissidents. Partly to distance himself from Bush, democracy promotion became a kind of bad phrase for him. By putting the democracy file on hold, on the back burner, he did not accomplish peace nor did he serve democracy. Dislikable as [President Bush] may have been to many liberals, including my own wife, we have to give him credit. He started a process of some conditionality with American aid and American foreign policy which opened some doors and ultimately was one of the building blocks for what’s happening now. (…) The White house should publicly endorse every democratic movement in the Middle East and offer help. The least the administration can do is withhold « aid and trade and diplomatic endorsement. Because now the people can do the job. America doesn’t have to send armies and navies to change the regimes. Let the people do their change. Saad Eddin Ibrahim
Et, tout en ayant l’honnêteté de reconnaitre la part du président Bush dans l’avènement actuel du « printemps arabe », ne mâche pas ses mots sur
Une Administration Obama qui, avec son approche d’apaisement des dictateurs et d’abandon des dissidents, a perdu deux précieuses années et demie …
A Democrat’s Triumphal Return to Cairo
Saad Eddin Ibrahim, the former prisoner of the Mubarak regime, on the Muslim Brotherhood and Egypt’s political future..
Bari Weiss
The WSJ
February 26, 2011.
For 18 days, the people of Cairo massed in Tahrir Square to bring down their pharaoh. Many carried signs: « Mubarak: shift + delete, » « Forgive me God, for I was scared and kept quiet, » or simply « Go Away. » Barbara Ibrahim, a veteran professor at the American University in Cairo, wore large photographs of her husband—Egypt’s most famous democratic dissident—as a makeshift sandwich board.
Her husband, Saad Eddin Ibrahim, couldn’t be there. After being imprisoned and tortured by the Mubarak regime from 2000 to 2003, he went into a sort of exile, living and teaching abroad. But the day Hosni Mubarak gave up power, Feb. 11, Mr. Ibrahim hopped a plane from JFK International. Landing in his native Cairo, he went directly to the square.
« It was just like, how do you say, the day of judgment, » Mr. Ibrahim says. « The way the day of judgment is described in our scripture, in the Quran, is where you have all of humanity in one place. And nobody recognizes anybody else, just faces, faces. »
And what faces they were: bearded, shorn, framed by hijabs, young, old—and at one point even a bride and groom. « The spirit in the square was just unbelievable, » says Mr. Ibrahim, whose children and grandchildren were among the masses. « These people, these young people, are so empowered. They will never be cowed again by any ruler—at least for a generation. »
For the 72-year-old sociologist, the revolution against Hosni Mubarak has been many years in the making. His struggle began 10 years ago with a word: jumlukiya. A combination of the Arabic words for republic (jumhuriya) and monarchy (malikiya), the term was coined by Mr. Ibrahim to characterize the family dynasties of the Mubaraks of Egypt and the Assads of Syria.
He first described jumlukiya on television during the June 2000 funeral of Syrian dictator Hafez al-Assad. Then he wrote about it in a magazine article that « challenged all the autocrats of the region to open up and have a competitive election. »
The magazine appeared on the morning of June 30, 2000. But it vanished from Egyptian newsstands by midday. By midnight, Mr. Ibrahim was arrested at his home. « Then began my confrontation with the Mubarak regime—the trials, and three year imprisonment, and the defamation, all of that. That was the beginning. »
Not a month before, he had written a speech about women’s rights for Mr. Mubarak’s wife Suzanne—Mr. Ibrahim had been her thesis adviser in the 1970s at the American University in Cairo, when her husband was vice president to Anwar Sadat. None of it mattered. In the end, some 30 people connected to Mr. Ibrahim’s Ibn Khaldun Center—the Muslim world’s leading think tank for the study of democracy and civil society—were rounded up.
Most were ultimately released. But Mr. Ibrahim was tried in a cage within a courtroom, sentenced for « defaming » Egypt (criticizing Mr. Mubarak) and « embezzlement » (for accepting a grant to conduct election monitoring through his center). His stints in prison—always in solitary confinement and, for a period, enduring sleep deprivation and water torture—left him with a serious limp. The former runner now relies on a cane.
Yet he believes that his case helped create the atmosphere for this year’s uprising. « It started as a series of challenges with individuals. With me, with [liberal opposition leader] Ayman Nour . . . What you saw is the accumulation of all these incremental steps that have taken place in the past 10 years, » he says.
. »But to give credit where it is due, » Mr. Ibrahim adds, « the younger generation was more innovative and far more clever than we were by using the technology at their disposal. These guys discovered the tools that could not be combated by the government. » He notes that many of them, like Wael Ghonim from Google, operated from outside of Egypt. « That’s something new. »
With elections set for September, the most urgent question facing Egypt is how to structure the democratic process—and how dominant the Islamist Muslim Brotherhood may become. In a 2005 election, the Brotherhood won 20% of the seats in parliament. According to the Ibn Khaldun Center’s research, the group could earn about 30% in an upcoming vote.
Mr. Ibrahim thinks that holding elections six months from now is « not wise. » If he had his druthers, it would be put off for several years to allow alternative groups to mature. Still, he insists that the Brothers—some of whom he knows well from prison, including senior leader Essam el-Erian—are changing.
« They did not start this movement, nor were they the principal actors, nor were they the majority, » he says. When they showed up in Tahrir Square on the fourth day of the protests, most were members of the group’s young guard. Mr. Ibrahim points out that they didn’t use any Islamist slogans. « Their famous slogan is ‘Islam is the solution.’ They use that usually in elections and marches. But they did not. » This time, they chose « Religion is for God, country is for all. » That slogan dates to 1919 and Egypt’s secular nationalist movement.
What’s more, some Brothers carried signs depicting the crescent and the cross together. « One of the great scenes was of young Copts [Christians], boys and girls, bringing water for the Muslim brothers to do their ablution, and also making a big circle—a temporary worship space—for them. And then come Sunday, the Muslims reciprocated by allowing space for the Copts to have their service. That of course was very moving. »
Maybe so. But this week Muslim Brotherhood member Mohsen Radi declared that the group finds it « unsuitable » for a Copt or a woman to hold a high post like the presidency. Then there’s the Brotherhood’s motto: « ‘Allah is our objective; the Prophet is our leader; the Quran is our law; Jihad is our way; dying in the way of Allah is our highest hope. » Looking around Egypt’s neighborhood, it’s not hard to guess what life would be like for Coptic Christians, let alone women, under a state guided by Quranic Shariah law.
« That’s still their creed and their motto, » Mr. Ibrahim says. « What they have done is to lower that profile. Not to give it up, but to lower it. » He adds that the Brothers have promised not to run a candidate for the presidency for the next two election cycles.
To skeptics like me, such gestures seem like opportunism—superficial ploys aimed at winning votes, not a genuine transformation. I press Mr. Ibrahim and he insists that the younger guard is evolving, and that they are « fairly tolerant and enlightened. » Enlightened seems a stretch, but nevertheless, what other option is there? Banning the Brotherhood, as the Mubarak regime did, is a nonstarter.
If Mr. Ibrahim is a fundamentalist about anything, it’s democracy. And his hope is that participating in the democratic process will liberalize the Muslim Brothers over the long term. They « have survived for 80 years, and one mechanism for survival is adaptation, » he says. « If the pressure continues, by women and by the middle class, they will continue to evolve. Far from taking their word, we should keep demanding that they prove that they really are pluralistic, that they are not going to turn against democracy, that they are not going to make it one man, one vote, one time. »
He compares the Brothers to the Christian Democrats in Western Europe after World War II. « They started with more Christianity than democracy 100 years ago. Now they are more democracy than Christianity. » True, but the Christian Democrats never embraced violent radicalism in the way the Muslim Brotherhood has.
Turkey’s Justice and Development Party (AKP)—formerly the Virtue Party—is a more recent model. « The Muslim Brothers seem to be moving in the same direction, » he says.
That would probably be a best case, but it too is problematic. The AKP—and, by extension, contemporary Turkey—is democratic but hardly liberal. Over the past decade, it has dramatically limited press freedom, stoked anti-Semitism, supported Hamas, and defended murderous figures like Sudan’s Omar al-Bashir.
Still, the Turkish scenario is far better than the Iranian one—the hijacking of Egypt’s revolution by radical clerics like Yusuf al-Qaradawi, who returned from Qatar to Cairo last week. For his part, Mr. Ibrahim doesn’t think that Mr. Qaradawi—a rock-star televangelist with an Al Jazeera viewership of some 60 million—is positioned to dominate the new Egypt as Ayatollah Khomeini dominated post-1979 Iran.
Mr. Qaradawi had messages of Muslim-Christian unity for the hundreds of thousands who heard him preach in the square. But about Jews, he has said that Hitler « managed to put them in their place. This was divine punishment for them. Allah willing, the next time will be at the hands of the believers [Muslims]. »
When I asked Mr. Ibrahim about the scourge of anti-Semitism in the Middle East generally, he’s dismissive. « Have you seen any pogroms in Morocco or Tunisia or Egypt? » he asks rhetorically. As I point out, though, the Arab Middle East has had a negligible Jewish population since 1948, when roughly 800,000 Jews were expelled. It’s hard to carry out a pogrom when Jews aren’t around.
So what if the Brothers prove increasingly radical, not moderate? « I would struggle against them. . . . As a democrat and as a human rights activist I would fight, just as I fought Mubarak, like I fought Nasser. All my life I’ve been fighting people who do not abide by human rights and basic freedoms. »
Might he run for political office when his professorship at New Jersey’s Drew University ends in May? « I’m 72 years old. And I’d really like to see a younger generation. » But, he adds, « in politics you never say no. »
« I am more interested in having the kind of presidential campaign similar to what you have here or in Western Europe. . . . That’s part of creating or socializing our people into pluralism—to see it at work, to have debates, to have a free media, » he says.
One political role he’s already playing is as an informal adviser to Obama administration officials, his friends Michael McFaul and Samantha Power, scholars who serve on the National Security Council staff. But he doesn’t mince words about Mr. Obama’s record so far. The president « wasted two and a half years » cozying up to dictators and abandoning dissidents, he says. « Partly to distance himself from Bush, democracy promotion became a kind of bad phrase for him. » He also made the Israeli-Palestinian conflict his top priority, at the expense of pushing for freedom. « By putting the democracy file on hold, on the back burner, he did not accomplish peace nor did he serve democracy, » says Mr. Ibrahim.
‘Dislikable as [President Bush] may have been to many liberals, including my own wife, we have to give him credit, » says Mr. Ibrahim. « He started a process of some conditionality with American aid and American foreign policy which opened some doors and ultimately was one of the building blocks for what’s happening now. » That conditionality extended to Mr. Ibrahim: In 2002, the Bush administration successfully threatened to withhold $130 million in aid from Egypt if Mr. Mubarak didn’t release him.
So what should the White House do? « Publicly endorse every democratic movement in the Middle East and offer help, » he says. The least the administration can do is withhold « aid and trade and diplomatic endorsement. Because now the people can do the job. America doesn’t have to send armies and navies to change the regimes. Let the people do their change. »
Ms. Weiss is an assistant editorial features editor at the Journal.
Voir aussi:
Le Printemps démocratique du Moyen-Orient
Saad Eddin Ibrahim
19-05-2005
Partout au Moyen-Orient, les résultats des élections marquent une nouvelle tendance : Les partis politiques islamistes, ceux qui déterminent leur plate-forme politique selon la loi islamique, sont très populaires. Partout où des élections sont organisées, les islamistes obtiennent de bons résultats : le Hamas chez les Palestiniens de la Bande de Gaza et de Cisjordanie, la coalition chiite d’orientation religieuse en Irak, la faction parlementaire au Maroc et, de manière plus significative, le Parti pour la justice et le développement (AKP) en Turquie.
Les mouvements démocratiques du Liban, d’Égypte et d’ailleurs, dans cette région, doivent faire face au défi de la participation des partis islamistes aux systèmes démocratiques. Peut-on alors faire confiance aux islamistes ? S’ils arrivent au pouvoir, respecteront-ils le droit des minorités et des femmes et quitteront-ils le pouvoir quand ils ne seront pas réélus ? Accepteront-ils l’opposition ? Ou bien ces élections seront-elles fondées sur le principe du « un homme, une voix, une seule fois » ?
J’étudie ces questions dans ma pratique de sociologue depuis 30 ans. J’ai été emprisonné en Égypte, où j’ai discuté de ces questions avec mes camarades prisonniers qui étaient pour la plupart emprisonnés pour avoir soutenu le mouvement islamiste égyptien. Mes conclusions ? Les partis islamistes ont évolué.
Ces partis comprennent les transformations sociales en cours au Moyen-Orient qui mènent vers la démocratie, et ils veulent y jouer leur rôle. De mon point de vue, nous assistons peut-être à l’émergence de partis musulmans démocrates, tout comme ce fut le cas de la démocratie chrétienne en Europe après la Seconde guerre mondiale.
La popularité des islamistes n’est pas difficile à comprendre. Les régimes autocratiques du Moyen-Orient n’ayant jamais accordé d’espace d’expression libre, les mosquées ont émergé comme les seuls lieux associatifs libres. Les groupes religieux ont réagi face à cette opportunité, émergent comme les premiers bureaux d’aide sociale, puis évoluant vers l’équivalent des hommes politiques locaux. Dans ce processus, ils ont gagné en crédibilité comme défenseurs du peuple dignes de confiance : c’est ce qui les distingue radicalement des gouvernements répressifs et corrompus.
En principe, il serait hypocrite de défendre la démocratie et d’exclure en même temps les islamistes de toute participation politique pacifique. Les pratiques de politique électorales offrent de bonnes raisons d’être optimiste. Selon mes estimations, les deux-tiers des musulmans du monde entier, dont la population s’élève au total à 1,4 milliard, vivent sous des gouvernements issus d’élections auxquelles les partis islamistes ont participé.
Quand les partis islamistes se voient refuser l’accès aux élections politiques, leur cause prend une ampleur mythique. Leurs principes n’ont encore jamais été testés et n’ont jamais eu à affronter la réalité pratique de la gouvernance. Feu le roi Hussein avait relevé ce défi en 1989, après les émeutes du pain dans la ville méridionale de Ma’an en Jordanie. Le roi rassembla toutes les forces politiques pour préparer une charte nationale sur la participation politique. Les islamistes l’ont signée, s’engageant à respecter les règles du jeu.
Dans les années qui se sont écoulées depuis cette date, ils ont participé à quatre élections jordaniennes. La première fois, ils ont obtenu une majorité de gouvernement, ont mis leurs slogans en œuvre et n’ont pas réussi à conserver l’appui du peuple. Dans les quatre ministères dont ils avaient la charge, les ministres ont imposé certaines restrictions au personnel féminin, ce qui a déclenché des protestations généralisées qui, finalement, les ont poussés à la démission. Dans les élections qui suivirent, ils ont perdu un grand nombre de voix.
D’autre par, il est faux de croire que la force peut éliminer les mouvements islamistes. Il vaut mieux, plutôt, les faire participer aux réformes politiques, sous certaines conditions :
•le respect de la constitution nationale, de la primauté du droit et de l’indépendance du pouvoir judiciaire,
•l’acceptation de la rotation du pouvoir sur la base d’élections libres, équitables et sous suivi international,
•la garantie de droits équitables et de la participation politique sans restriction pour les minorités non musulmanes,
•la participation totale et égalitaire des femmes dans la vie politique.
Le rôle des acteurs externes dans la promotion de la démocratie au Moyen-Orient est également très important. On a beaucoup parlé de la « croisade » menée par le président américain George W. Bush pour mettre en place la démocratie dans le monde musulman. Les guerres d’Afghanistan et d’Irak furent expliquées en partie sur la base de la dissémination de la liberté, de même que l’Initiative de partenariat au Moyen-Orient est censée placer la démocratie au centre de l’aide américaine dans la région.
Il est important de se rappeler, cependant, que la démocratie faisait partie des préoccupations internationales avant que les États-Unis ne soient attaqués le 11 septembre 2001. Selon l’Accord de Barcelone en 1995, l’Union européenne offrait son aide et ouvrait ses échanges à plusieurs pays arabes en contre-partie de réformes visant à faire progresser la démocratie. L’amélioration des échanges commerciaux s’est bien produite, mais les réformes intérieures se font encore attendre dans les pays arabes. Dans les années 1970, les accords d’Helsinki permirent de faire tomber l’empire soviétique. Il nous faut une formule semblable pour le Moyen-Orient.
Quoi que l’on pense de l’intervention militaire américaine, il faut bien admettre qu’elle a modifié la dynamique de la région. Les forces d’opposition intérieures, tout en se distançant des États-Unis, ont été remarquablement enhardies au Liban, en Égypte, en Arabie saoudite et ailleurs. Nous sommes tous à la recherche des premiers signes d’ouverture chez nos voisins.
Je sais que certains balbutiements démocratiques ont été écrasés par le passé : à Budapest en 1956, à Prague en 1968 et sur la place Tienanmen en 1989. Pourtant, ces derniers mois possèdent un certain parfum de nouveauté irréversible. Il y a trop de gens qui dans plusieurs endroits défient leurs oppresseurs et prennent des risques pour gagner leur liberté. Pour un vieux de la vieille, le climat actuel fleure bon le printemps.
Saad Eddin Ibrahim, militant pacifiste et pro-démocrate, enseigne à l’université américaine du Caire et dirige le centre Ibn Khaldun. Il écrit actuellement ses mémoires de prison.
Voir enfin:
Olivier Roy
Le Monde
12.02.11
L’opinion européenne interprète les soulèvements populaires en Afrique du Nord et en Egypte à travers une grille vieille de plus de trente ans : la révolution islamique d’Iran. Elle s’attend donc à voir les mouvements islamistes, en l’occurrence les Frères musulmans et leurs équivalents locaux, être soit à la tête du mouvement, soit en embuscade, prêt à prendre le pouvoir. Mais la discrétion et le pragmatisme des Frères musulmans étonnent et inquiètent : où sont passés les islamistes ?
Mais si l’on regarde ceux qui ont lancé le mouvement, il est évident qu’il s’agit d’une génération post-islamiste. Les grands mouvements révolutionnaires des années 1970 et 1980, pour eux c’est de l’histoire ancienne, celles de leurs parents. Cette nouvelle génération ne s’intéresse pas à l’idéologie : les slogans sont tous pragmatiques et concrets (« dégage », « erhal ») ; il ne font pas appel à l’islam comme leurs prédécesseurs le faisaient en Algérie à la fin des années 1980. Ils expriment avant tout un rejet des dictatures corrompues et une demande de démocratie. Cela ne veut évidemment pas dire que les manifestants sont laïcs, mais simplement qu’ils ne voient pas dans l’islam une idéologie politique à même de créer un ordre meilleur : ils sont bien dans un espace politique séculier. Et il en va de même pour les autres idéologies : ils sont nationalistes (voir les drapeaux agités) mais ne prônent pas le nationalisme. Plus originale est la mise en sourdine des théories du complot : les Etats-Unis et Israël (ou la France en Tunisie, qui a pourtant soutenu Ben Ali jusqu’au bout) ne sont pas désignés comme la cause des malheur du monde arabe. Même le pan-arabisme a disparu comme slogan, alors même que l’effet de mimétisme qui jette les Egyptiens et les Yéménites dans la rue à la suite des événements de Tunis montre qu’il y a bien une réalité politique du monde arabe.
Cette génération est pluraliste, sans doute parce qu’elle est aussi plus individualiste. Les études sociologiques montrent que cette génération est plus éduquée que la précédente, vit plus dans le cadre de familles nucléaires, a moins d’enfants, mais en même temps, elle est au chômage ou bien vit dans le déclassement social. Elle est plus informée, et a souvent accès aux moyens de communications modernes qui permettent de se connecter en réseau d’individu à individu sans passer par la médiation de partis politiques (de toute façon interdits). Les jeunes savent que les régimes islamistes sont devenus des dictatures : ils ne sont fascinés ni par l’Iran ni par l’Arabie saoudite. Ceux qui manifestent en Egypte sont précisément ceux qui manifestaient en Iran contre Ahmedinejad (pour des raisons de propagande le régime de Téhéran fait semblant de soutenir le mouvement en Egypte, mais c’est un règlement de comptes avec Moubarak). Ils sont peut-être croyants, mais séparent cela de leur revendications politiques : en ce sens le mouvement est « séculier », car il sépare religion et politique. La pratique religieuse s’est individualisée.
On manifeste avant tout pour la dignité, pour le « respect » : ce slogan est parti de l’Algérie à la fin des années 1990. Les valeurs dont on se réclame sont universelles. Mais la démocratie qu’on demande aujourd’hui n’est plus un produit d’importation : c’est toute la différence avec la promotion de la démocratie faite par l’administration Bush en 2003, qui n’était pas recevable car elle n’avait aucune légitimité politique et était associée à une intervention militaire. Paradoxalement l’affaiblissement des Etats-unis au Moyen-Orient, et le pragmatisme de l’administration Obama, aujourd’hui permettent à une demande autochtone de démocratie de s’exprimer en toute légitimité.
Ceci dit une révolte ne fait pas une révolution. Le mouvement n’a pas de leaders, pas de partis politiques et pas d’encadrement, ce qui est cohérent avec sa nature mais pose le problème de l’institutionnalisation de la démocratie. Il est peu probable que la disparition d’une dictature entraîne automatiquement la mise en place d’une démocratie libérale, comme Washington l’espérait pour l’Irak. Il y a dans chaque pays arabe, comme ailleurs, un paysage politique d’autant plus complexe qu’il a été occulté par la dictature. Or en fait, à part les Islamistes et, très souvent, les syndicats (même affaiblis), il n’y a pas grand chose.
LES ISLAMISTES N’ONT PAS DISPARU MAIS ONT CHANGÉ
Nous appelons islamistes ceux qui voient dans l’islam une idéologie politique à même de résoudre tous les problèmes de la société. Les plus radicaux ont quitté la scène pour le jihad international et ne sont plus là : ils sont dans le désert avec Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), au Pakistan ou dans la banlieue de Londres. Ils n’ont pas de base sociale ou politique. Le jihad global est complètement déconnecté des mouvements sociaux et des luttes nationales. Bien sûr la propagande d’Al-Qaida essaie de présenter le mouvement comme l’avant-garde de toute la communauté musulmane contre l’oppression occidentale, mais cela ne marche pas. Al-Qaida recrute de jeunes jihadistes dé-territorialisés, sans base sociale, qui ont tous coupé avec leur voisinage et leur famille. Al-Qaida reste enfermé dans sa logique de « propagande par le fait » et ne s’est jamais préoccupé de construire une structure politique au sein des sociétés musulmanes. Comme de plus l’action d’Al-Qaida se déroule surtout en Occident ou vise des cibles définies comme occidentales, son impact dans les sociétés réelles est nul.
Une autre illusion d’optique est de lier la réislamisation massive qu’ont semblé connaître les sociétés du monde arabe au cours des trente dernières années avec une radicalisation politique. Si les sociétés arabes sont plus visiblement islamiques qu’il y a trente ou quarante ans, comment expliquer l’absence de slogans islamiques dans les manifestations actuelles ? C’est le paradoxe de l’islamisation : elle a largement dépolitisé l’islam. La réislamisation sociale et culturelle (le port du voile, le nombre de mosquées, la multiplication des prêcheurs, des chaînes de télévision religieuses) s’est faite en dehors des militants islamistes, elle a aussi ouvert un « marché religieux » dont plus personne n’a le monopole ; elle est aussi en phase avec la nouvelle quête du religieux chez les jeunes, qui est individualiste mais aussi changeante. Bref les islamistes ont perdu le monopole de la parole religieuse dans l’espace public, qu’ils avaient dans les années 1980.
D’une part les dictatures ont souvent (mais pas en Tunisie) favorisé un islam conservateur, visible mais peu politique, obsédé par le contrôle des moeurs. Le port du voile s’est banalisé. Ce conservatisme de l’Etat s’est trouvé en phase avec la mouvance dite « salafiste » qui met l’accent sur la réislamisation des individus et non sur les mouvements sociaux. Bref, aussi paradoxal que cela puisse paraître, la réislamisation a entraîné une banalisation et une dépolitisation du marqueur religieux : quand tout est religieux, plus rien n’est religieux. Ce qui, vu de l’Occident, a été perçu comme une grande vague verte de réislamisation ne correspond finalement qu’à une banalisation : tout devient islamique, du fast-food à la mode féminine. Mais les formes de piété se sont aussi individualisées : on se construit sa foi, on cherche le prêcheur qui parle de la réalisation de soi, comme l’Egyptien Amr Khaled, et on ne s’intéresse plus à l’utopie de l’Etat islamique. Les « salafis » se concentrent sur la défense des signes et valeurs religieuses mais n’ont pas de programme politique : ils sont absents de la contestation où l’on ne voit pas de femmes en burqa (alors qu’il y a beaucoup de femmes parmi les manifestants, même en Egypte). Et puis d’autres courants religieux qu’on croyait en retrait, comme le soufisme, fleurissent à nouveau. Cette diversification du religieux sort aussi du cadre de l’islam, comme on le voit en Algérie ou en Iran, avec une vague de conversions au christianisme.
Une autre erreur est de concevoir les dictatures comme défendant le sécularisme contre le fanatisme religieux. Les régimes autoritaires n’ont pas sécularisé les sociétés, au contraire, sauf en Tunisie, ils se sont accommodés d’une réislamisation de type néo fondamentaliste, où l’on parle de mettre en œuvre la charia sans se poser la question de la nature de l’Etat. Partout les oulamas et les institutions religieuses officielles ont été domestiqués par l’Etat, tout en se repliant sur un conservatisme théologique frileux. Si bien que les clercs traditionnels, formés à Al-Azhar, ne sont plus dans le coup, ni sur la question politique, ni même sur les grands enjeux de la société. Ils n’ont rien à offrir aux nouvelles générations qui cherchent de nouveaux modèles pour vivre leur foi dans un monde plus ouvert. Mais du coup les conservateurs religieux ne sont plus du côté de la contestation populaire.
UNE CLÉ DU CHANGEMENT
Mohammed Badie, le guide suprême depuis janvier 2010 des Frères musulmans égyptiens, lors d’une conférence de presse le 30 mai 2010.AFP/-
Cette évolution touche aussi les mouvements politiques islamistes, qui s’incarnent dans la mouvance des Frères musulmans et de leurs épigones, comme le parti Nahda en Tunisie. Les Frères musulmans ont bien changé. Le premier point c’est bien sûr l’expérience de l’échec, aussi bien dans l’apparent succès (la révolution islamique d’Iran), que dans la défaite (la répression partout menée contre eux). La nouvelle génération militante en a tiré les leçons, ainsi que des anciens comme Rachid Ghannouchi en Tunisie. Ils ont compris que vouloir prendre le pouvoir à la suite d’une révolution conduisait soit à la guerre civile, soit à la dictature ; dans leur lutte contre la répression ils se sont rapprochés des autres forces politiques. Bons connaisseurs de leur propre société, ils savent aussi le peu de poids de l’idéologie. Ils ont aussi tiré les leçons du modèle turc : Erdogan et le parti AK ont pu concilier démocratie, victoire électorale, développement économique, indépendance nationale et promotion de valeurs sinon islamiques, du moins « d’authenticité ».
Mais surtout les Frères musulmans ne sont plus porteurs d’un autre modèle économique ou social. Ils sont devenus conservateurs quant aux mœurs, et libéraux quant à l’économie. Et c’est sans doute l’évolution la plus notable : dans les années 1980, les islamistes (mais surtout les chi’ites) prétendaient défendre les intérêts des classes opprimées et prônaient une étatisation de l’économie, et une redistribution de la richesse. Aujourd’hui les Frères musulmans égyptiens ont approuvé la contre-réforme agraire menée par Moubarak, laquelle consiste à redonner aux propriétaires terriens le droit d’augmenter les baux et de renvoyer leurs fermiers. Si bien que les islamistes ne sont plus présents dans les mouvements sociaux qui agitent le delta du Nil, où l’on observe désormais un retour de la « gauche », c’est dire de militants syndicalistes.
Mais l’embourgeoisement des islamistes est aussi un atout pour la démocratie : faute de jouer sur la carte de la révolution islamique, il les pousse à la conciliation, au compromis et à l’alliance avec d’autres forces politiques. La question aujourd’hui n’est plus de savoir si les dictatures sont le meilleur rempart contre l’islamisme ou non. Les islamistes sont devenus des acteurs du jeu démocratique. Ils vont bien sûr peser dans le sens d’un plus grand contrôle des mœurs, mais faute de s’appuyer sur un appareil de répression comme en Iran, ou sur une police religieuse comme en Arabie saoudite, ils vont devoir composer avec une demande de liberté qui ne s’arrête pas seulement au droit d’élire un parlement. Bref ou bien les islamistes vont s’identifier au courant salafiste et conservateur traditionnels, perdant ainsi leur prétention de penser l’islam dans la modernité, ou bien ils vont devoir faire un effort de repenser leur conception des rapports entre la religion et la politique.
Les Frères musulmans seront d’autant plus une clé du changement que la génération en révolte ne cherche guère à se structurer politiquement. On reste dans la révolte de protestation, pas dans l’annonce d’un nouveau type de régime. D’autre part, les sociétés arabes restent plutôt conservatrices ; les classes moyennes qui se sont développées à la suite des libéralisations économiques veulent de la stabilité politique : elles protestent avant tout contre la nature prédatrice des dictatures, qui confine à la kleptomanie dans le régime tunisien. La comparaison entre la Tunisie et l’Egypte est éclairante. En Tunisie le clan Ben Ali avait affaibli tous ses alliés potentiels, par refus de partager non seulement le pouvoir mais surtout la richesse : la classe des hommes d’affaires a été littéralement escroquée en permanente par la famille, et l’armée a été laissée non seulement hors-jeu sur le plan politique, mais surtout en dehors de la distribution des richesses : l’armée tunisienne était pauvre ; elle a même un intérêt corporatiste à avoir un régime démocratique qui lui assurera sans doute un budget plus élevé.
Par contre en Egypte le régime avait une base sociale plus large, l’armée est associée non seulement au pouvoir mais aussi à la gestion de l’économie et à ses bénéfices. La demande démocratique butera donc partout dans le monde arabe sur l’enracinement social des réseaux de clientélisme de chaque régime. Il y a ici une dimension anthropologique intéressante : la demande de démocratie est-elle capable de dépasser les réseaux complexes d’allégeances et d’appartenances à des corps sociaux intermédiaires (qu’il s’agisse de l’armée, de tribus, de clientèles politiques, etc.). Quelle est la capacité des régimes à jouer sur les allégeances traditionnelles (les Bédouins en Jordanie, les tribus au Yémen) ? Comment ces groupes sociaux peuvent-ils ou non se brancher sur cette demande de démocratie et en devenir des acteurs ? Comment la référence religieuse va se diversifier et s’adapter à des nouvelles situations ? Le processus va être long et chaotique, mais une chose est certaine : nous ne sommes plus dans l’exceptionnalisme arabo-musulman. Les événements actuels reflètent un changement en profondeur des sociétés du monde arabe. Ces changements sont en cours depuis longtemps, mais ils étaient occultés par les clichés tenaces que l’Occident accrochaient sur le Moyen-Orient.
Il y a vingt ans, je publiais L’Echec de l’islam politique. Qu’il ait été lu ou non n’a pas d’importance, mais ce qui se passe aujourd’hui montre que les acteurs locaux ont tiré eux-mêmes les leçons de leur propre histoire. Nous n’en avons pas fini avec l’islam, certes, et la démocratie libérale n’est pas la « fin de l’histoire », mais il faut désormais penser l’islam dans le cadre de son autonomisation par rapport à une culture dite « arabo-musulmane » qui pas plus aujourd’hui qu’hier n’a été fermée sur elle-même.
Retour, avec le WSJ, sur le célèbre dissident égyptien Saad Eddin Ibrahim qui, après plusieurs années en prison puis, après intervention du Président Bush, en exil aux Etats-Unis, vient de rentrer au pays.
Qui, au-delà d’une certaine naïveté apparemment sur les capacités de réforme et de modération des Frères musulmans, a le mérite de pointer l’imprudence d’une élection trop précoce avant la maturation de groupes alternatifs aux islamistes.
Et, tout en ayant l’honnêteté de reconnaitre la part du président Bush dans l’avènement actuel du « printemps arabe », ne mâche pas ses mots sur
Une Administration Obama qui, avec son approche d’apaisement des dictateurs et d’abandon des dissidents, a perdu deux précieuses années et demie …
Olivier Roy, professeur et directeur du programme méditerranéen de l’Institut universitaire européen de Florence (Italie)
For 18 days, the people of Cairo massed in Tahrir Square to bring down their pharaoh. Many carried signs: « Mubarak: shift + delete, » « Forgive me God, for I was scared and kept quiet, » or simply « Go Away. » Barbara Ibrahim, a veteran professor at the American University in Cairo, wore large photographs of her husband—Egypt’s most famous democratic dissident—as a makeshift sandwich board.
Her husband, Saad Eddin Ibrahim, couldn’t be there. After being imprisoned and tortured by the Mubarak regime from 2000 to 2003, he went into a sort of exile, living and teaching abroad. But the day Hosni Mubarak gave up power, Feb. 11, Mr. Ibrahim hopped a plane from JFK International. Landing in his native Cairo, he went directly to the square.
« It was just like, how do you say, the day of judgment, » Mr. Ibrahim says. « The way the day of judgment is described in our scripture, in the Quran, is where you have all of humanity in one place. And nobody recognizes anybody else, just faces, faces. »
And what faces they were: bearded, shorn, framed by hijabs, young, old—and at one point even a bride and groom. « The spirit in the square was just unbelievable, » says Mr. Ibrahim, whose children and grandchildren were among the masses. « These people, these young people, are so empowered. They will never be cowed again by any ruler—at least for a generation. »
For the 72-year-old sociologist, the revolution against Hosni Mubarak has been many years in the making. His struggle began 10 years ago with a word: jumlukiya. A combination of the Arabic words for republic (jumhuriya) and monarchy (malikiya), the term was coined by Mr. Ibrahim to characterize the family dynasties of the Mubaraks of Egypt and the Assads of Syria.
He first described jumlukiya on television during the June 2000 funeral of Syrian dictator Hafez al-Assad. Then he wrote about it in a magazine article that « challenged all the autocrats of the region to open up and have a competitive election. »
The magazine appeared on the morning of June 30, 2000. But it vanished from Egyptian newsstands by midday. By midnight, Mr. Ibrahim was arrested at his home. « Then began my confrontation with the Mubarak regime—the trials, and three year imprisonment, and the defamation, all of that. That was the beginning. »
Not a month before, he had written a speech about women’s rights for Mr. Mubarak’s wife Suzanne—Mr. Ibrahim had been her thesis adviser in the 1970s at the American University in Cairo, when her husband was vice president to Anwar Sadat. None of it mattered. In the end, some 30 people connected to Mr. Ibrahim’s Ibn Khaldun Center—the Muslim world’s leading think tank for the study of democracy and civil society—were rounded up.
Most were ultimately released. But Mr. Ibrahim was tried in a cage within a courtroom, sentenced for « defaming » Egypt (criticizing Mr. Mubarak) and « embezzlement » (for accepting a grant to conduct election monitoring through his center). His stints in prison—always in solitary confinement and, for a period, enduring sleep deprivation and water torture—left him with a serious limp. The former runner now relies on a cane.
Yet he believes that his case helped create the atmosphere for this year’s uprising. « It started as a series of challenges with individuals. With me, with [liberal opposition leader] Ayman Nour . . . What you saw is the accumulation of all these incremental steps that have taken place in the past 10 years, » he says.
. »But to give credit where it is due, » Mr. Ibrahim adds, « the younger generation was more innovative and far more clever than we were by using the technology at their disposal. These guys discovered the tools that could not be combated by the government. » He notes that many of them, like Wael Ghonim from Google, operated from outside of Egypt. « That’s something new. »
With elections set for September, the most urgent question facing Egypt is how to structure the democratic process—and how dominant the Islamist Muslim Brotherhood may become. In a 2005 election, the Brotherhood won 20% of the seats in parliament. According to the Ibn Khaldun Center’s research, the group could earn about 30% in an upcoming vote.
Mr. Ibrahim thinks that holding elections six months from now is « not wise. » If he had his druthers, it would be put off for several years to allow alternative groups to mature. Still, he insists that the Brothers—some of whom he knows well from prison, including senior leader Essam el-Erian—are changing.
« They did not start this movement, nor were they the principal actors, nor were they the majority, » he says. When they showed up in Tahrir Square on the fourth day of the protests, most were members of the group’s young guard. Mr. Ibrahim points out that they didn’t use any Islamist slogans. « Their famous slogan is ‘Islam is the solution.’ They use that usually in elections and marches. But they did not. » This time, they chose « Religion is for God, country is for all. » That slogan dates to 1919 and Egypt’s secular nationalist movement.
What’s more, some Brothers carried signs depicting the crescent and the cross together. « One of the great scenes was of young Copts [Christians], boys and girls, bringing water for the Muslim brothers to do their ablution, and also making a big circle—a temporary worship space—for them. And then come Sunday, the Muslims reciprocated by allowing space for the Copts to have their service. That of course was very moving. »
Maybe so. But this week Muslim Brotherhood member Mohsen Radi declared that the group finds it « unsuitable » for a Copt or a woman to hold a high post like the presidency. Then there’s the Brotherhood’s motto: « ‘Allah is our objective; the Prophet is our leader; the Quran is our law; Jihad is our way; dying in the way of Allah is our highest hope. » Looking around Egypt’s neighborhood, it’s not hard to guess what life would be like for Coptic Christians, let alone women, under a state guided by Quranic Shariah law.
« That’s still their creed and their motto, » Mr. Ibrahim says. « What they have done is to lower that profile. Not to give it up, but to lower it. » He adds that the Brothers have promised not to run a candidate for the presidency for the next two election cycles.
To skeptics like me, such gestures seem like opportunism—superficial ploys aimed at winning votes, not a genuine transformation. I press Mr. Ibrahim and he insists that the younger guard is evolving, and that they are « fairly tolerant and enlightened. » Enlightened seems a stretch, but nevertheless, what other option is there? Banning the Brotherhood, as the Mubarak regime did, is a nonstarter.
If Mr. Ibrahim is a fundamentalist about anything, it’s democracy. And his hope is that participating in the democratic process will liberalize the Muslim Brothers over the long term. They « have survived for 80 years, and one mechanism for survival is adaptation, » he says. « If the pressure continues, by women and by the middle class, they will continue to evolve. Far from taking their word, we should keep demanding that they prove that they really are pluralistic, that they are not going to turn against democracy, that they are not going to make it one man, one vote, one time. »
He compares the Brothers to the Christian Democrats in Western Europe after World War II. « They started with more Christianity than democracy 100 years ago. Now they are more democracy than Christianity. » True, but the Christian Democrats never embraced violent radicalism in the way the Muslim Brotherhood has.
Turkey’s Justice and Development Party (AKP)—formerly the Virtue Party—is a more recent model. « The Muslim Brothers seem to be moving in the same direction, » he says.
That would probably be a best case, but it too is problematic. The AKP—and, by extension, contemporary Turkey—is democratic but hardly liberal. Over the past decade, it has dramatically limited press freedom, stoked anti-Semitism, supported Hamas, and defended murderous figures like Sudan’s Omar al-Bashir.
Still, the Turkish scenario is far better than the Iranian one—the hijacking of Egypt’s revolution by radical clerics like Yusuf al-Qaradawi, who returned from Qatar to Cairo last week. For his part, Mr. Ibrahim doesn’t think that Mr. Qaradawi—a rock-star televangelist with an Al Jazeera viewership of some 60 million—is positioned to dominate the new Egypt as Ayatollah Khomeini dominated post-1979 Iran.
Mr. Qaradawi had messages of Muslim-Christian unity for the hundreds of thousands who heard him preach in the square. But about Jews, he has said that Hitler « managed to put them in their place. This was divine punishment for them. Allah willing, the next time will be at the hands of the believers [Muslims]. »
When I asked Mr. Ibrahim about the scourge of anti-Semitism in the Middle East generally, he’s dismissive. « Have you seen any pogroms in Morocco or Tunisia or Egypt? » he asks rhetorically. As I point out, though, the Arab Middle East has had a negligible Jewish population since 1948, when roughly 800,000 Jews were expelled. It’s hard to carry out a pogrom when Jews aren’t around.
So what if the Brothers prove increasingly radical, not moderate? « I would struggle against them. . . . As a democrat and as a human rights activist I would fight, just as I fought Mubarak, like I fought Nasser. All my life I’ve been fighting people who do not abide by human rights and basic freedoms. »
Might he run for political office when his professorship at New Jersey’s Drew University ends in May? « I’m 72 years old. And I’d really like to see a younger generation. » But, he adds, « in politics you never say no. »
« I am more interested in having the kind of presidential campaign similar to what you have here or in Western Europe. . . . That’s part of creating or socializing our people into pluralism—to see it at work, to have debates, to have a free media, » he says.
One political role he’s already playing is as an informal adviser to Obama administration officials, his friends Michael McFaul and Samantha Power, scholars who serve on the National Security Council staff. But he doesn’t mince words about Mr. Obama’s record so far. The president « wasted two and a half years » cozying up to dictators and abandoning dissidents, he says. « Partly to distance himself from Bush, democracy promotion became a kind of bad phrase for him. » He also made the Israeli-Palestinian conflict his top priority, at the expense of pushing for freedom. « By putting the democracy file on hold, on the back burner, he did not accomplish peace nor did he serve democracy, » says Mr. Ibrahim.
‘Dislikable as [President Bush] may have been to many liberals, including my own wife, we have to give him credit, » says Mr. Ibrahim. « He started a process of some conditionality with American aid and American foreign policy which opened some doors and ultimately was one of the building blocks for what’s happening now. » That conditionality extended to Mr. Ibrahim: In 2002, the Bush administration successfully threatened to withhold $130 million in aid from Egypt if Mr. Mubarak didn’t release him.
So what should the White House do? « Publicly endorse every democratic movement in the Middle East and offer help, » he says. The least the administration can do is withhold « aid and trade and diplomatic endorsement. Because now the people can do the job. America doesn’t have to send armies and navies to change the regimes. Let the people do their change. »
Ms. Weiss is an assistant editorial features editor at the Journal.
Voir enfin:
Le Printemps démocratique du Moyen-Orient
Saad Eddin Ibrahim
19-05-2005
Partout au Moyen-Orient, les résultats des élections marquent une nouvelle tendance : Les partis politiques islamistes, ceux qui déterminent leur plate-forme politique selon la loi islamique, sont très populaires. Partout où des élections sont organisées, les islamistes obtiennent de bons résultats : le Hamas chez les Palestiniens de la Bande de Gaza et de Cisjordanie, la coalition chiite d’orientation religieuse en Irak, la faction parlementaire au Maroc et, de manière plus significative, le Parti pour la justice et le développement (AKP) en Turquie.
Les mouvements démocratiques du Liban, d’Égypte et d’ailleurs, dans cette région, doivent faire face au défi de la participation des partis islamistes aux systèmes démocratiques. Peut-on alors faire confiance aux islamistes ? S’ils arrivent au pouvoir, respecteront-ils le droit des minorités et des femmes et quitteront-ils le pouvoir quand ils ne seront pas réélus ? Accepteront-ils l’opposition ? Ou bien ces élections seront-elles fondées sur le principe du « un homme, une voix, une seule fois » ?
J’étudie ces questions dans ma pratique de sociologue depuis 30 ans. J’ai été emprisonné en Égypte, où j’ai discuté de ces questions avec mes camarades prisonniers qui étaient pour la plupart emprisonnés pour avoir soutenu le mouvement islamiste égyptien. Mes conclusions ? Les partis islamistes ont évolué.
Ces partis comprennent les transformations sociales en cours au Moyen-Orient qui mènent vers la démocratie, et ils veulent y jouer leur rôle. De mon point de vue, nous assistons peut-être à l’émergence de partis musulmans démocrates, tout comme ce fut le cas de la démocratie chrétienne en Europe après la Seconde guerre mondiale.
La popularité des islamistes n’est pas difficile à comprendre. Les régimes autocratiques du Moyen-Orient n’ayant jamais accordé d’espace d’expression libre, les mosquées ont émergé comme les seuls lieux associatifs libres. Les groupes religieux ont réagi face à cette opportunité, émergent comme les premiers bureaux d’aide sociale, puis évoluant vers l’équivalent des hommes politiques locaux. Dans ce processus, ils ont gagné en crédibilité comme défenseurs du peuple dignes de confiance : c’est ce qui les distingue radicalement des gouvernements répressifs et corrompus.
En principe, il serait hypocrite de défendre la démocratie et d’exclure en même temps les islamistes de toute participation politique pacifique. Les pratiques de politique électorales offrent de bonnes raisons d’être optimiste. Selon mes estimations, les deux-tiers des musulmans du monde entier, dont la population s’élève au total à 1,4 milliard, vivent sous des gouvernements issus d’élections auxquelles les partis islamistes ont participé.
Quand les partis islamistes se voient refuser l’accès aux élections politiques, leur cause prend une ampleur mythique. Leurs principes n’ont encore jamais été testés et n’ont jamais eu à affronter la réalité pratique de la gouvernance. Feu le roi Hussein avait relevé ce défi en 1989, après les émeutes du pain dans la ville méridionale de Ma’an en Jordanie. Le roi rassembla toutes les forces politiques pour préparer une charte nationale sur la participation politique. Les islamistes l’ont signée, s’engageant à respecter les règles du jeu.
Dans les années qui se sont écoulées depuis cette date, ils ont participé à quatre élections jordaniennes. La première fois, ils ont obtenu une majorité de gouvernement, ont mis leurs slogans en œuvre et n’ont pas réussi à conserver l’appui du peuple. Dans les quatre ministères dont ils avaient la charge, les ministres ont imposé certaines restrictions au personnel féminin, ce qui a déclenché des protestations généralisées qui, finalement, les ont poussés à la démission. Dans les élections qui suivirent, ils ont perdu un grand nombre de voix.
D’autre par, il est faux de croire que la force peut éliminer les mouvements islamistes. Il vaut mieux, plutôt, les faire participer aux réformes politiques, sous certaines conditions :
•le respect de la constitution nationale, de la primauté du droit et de l’indépendance du pouvoir judiciaire,
•l’acceptation de la rotation du pouvoir sur la base d’élections libres, équitables et sous suivi international,
•la garantie de droits équitables et de la participation politique sans restriction pour les minorités non musulmanes,
•la participation totale et égalitaire des femmes dans la vie politique.
Le rôle des acteurs externes dans la promotion de la démocratie au Moyen-Orient est également très important. On a beaucoup parlé de la « croisade » menée par le président américain George W. Bush pour mettre en place la démocratie dans le monde musulman. Les guerres d’Afghanistan et d’Irak furent expliquées en partie sur la base de la dissémination de la liberté, de même que l’Initiative de partenariat au Moyen-Orient est censée placer la démocratie au centre de l’aide américaine dans la région.
Il est important de se rappeler, cependant, que la démocratie faisait partie des préoccupations internationales avant que les États-Unis ne soient attaqués le 11 septembre 2001. Selon l’Accord de Barcelone en 1995, l’Union européenne offrait son aide et ouvrait ses échanges à plusieurs pays arabes en contre-partie de réformes visant à faire progresser la démocratie. L’amélioration des échanges commerciaux s’est bien produite, mais les réformes intérieures se font encore attendre dans les pays arabes. Dans les années 1970, les accords d’Helsinki permirent de faire tomber l’empire soviétique. Il nous faut une formule semblable pour le Moyen-Orient.
Quoi que l’on pense de l’intervention militaire américaine, il faut bien admettre qu’elle a modifié la dynamique de la région. Les forces d’opposition intérieures, tout en se distançant des États-Unis, ont été remarquablement enhardies au Liban, en Égypte, en Arabie saoudite et ailleurs. Nous sommes tous à la recherche des premiers signes d’ouverture chez nos voisins.
Je sais que certains balbutiements démocratiques ont été écrasés par le passé : à Budapest en 1956, à Prague en 1968 et sur la place Tienanmen en 1989. Pourtant, ces derniers mois possèdent un certain parfum de nouveauté irréversible. Il y a trop de gens qui dans plusieurs endroits défient leurs oppresseurs et prennent des risques pour gagner leur liberté. Pour un vieux de la vieille, le climat actuel fleure bon le printemps.
Saad Eddin Ibrahim, militant pacifiste et pro-démocrate, enseigne à l’université américaine du Caire et dirige le centre Ibn Khaldun. Il écrit actuellement ses mémoires de prison.