
Vous allez dans certaines petites villes de Pennsylvanie où, comme dans beaucoup de petites villes du Middle West, les emplois ont disparu depuis maintenant 25 ans et n’ont été remplacés par rien d’autre (…) Et il n’est pas surprenant qu’ils deviennent pleins d’amertume, qu’ils s’accrochent aux armes à feu ou à la religion, ou à leur antipathie pour ceux qui ne sont pas comme eux, ou encore à un sentiment d’hostilité envers les immigrants. Barack Obama
Nous qui vivons dans les régions côtières des villes bleues, nous lisons plus de livres et nous allons plus souvent au théâtre que ceux qui vivent au fin fond du pays. Nous sommes à la fois plus sophistiqués et plus cosmopolites – parlez-nous de nos voyages scolaires en Chine et en Provence ou, par exemple, de notre intérêt pour le bouddhisme. Mais par pitié, ne nous demandez pas à quoi ressemble la vie dans l’Amérique rouge. Nous n’en savons rien. Nous ne savons pas qui sont Tim LaHaye et Jerry B. Jenkins. […] Nous ne savons pas ce que peut bien dire James Dobson dans son émission de radio écoutée par des millions d’auditeurs. Nous ne savons rien de Reba et Travis. […] Nous sommes très peu nombreux à savoir ce qu’il se passe à Branson dans le Missouri, même si cette ville reçoit quelque sept millions de touristes par an; pas plus que nous ne pouvons nommer ne serait-ce que cinq pilotes de stock-car. […] Nous ne savons pas tirer au fusil ni même en nettoyer un, ni reconnaître le grade d’un officier rien qu’à son insigne. Quant à savoir à quoi ressemble une graine de soja poussée dans un champ… David Brooks
La croissance économique de la France ralentit, le chômage augmente, la Grèce menace toujours de faire faillite, et l’euro, déstabilisé par la crise mais un peu plus rassurant ces derniers temps, n’est toujours pas sorti de sa crise existentielle. Malgré cette liste de graves problèmes qui inquiètent les électeurs français à l’approche de la présidentielle, le Président en campagne Nicolas Sarkozy a déclaré cette semaine que le premier sujet de préoccupation des Français, c’est la viande halal. Ha bon? (…) Peu importent les sondages qui montrent que les problèmes économiques et le chômage sont bien plus importants aux yeux de l’opinion dans le choix du prochain dirigeant, Sarkozy a même déclaré mardi soir que le vrai problème de la France est que “nous avons trop d’étrangers”. Son père, immigré hongrois, est prévenu. […] Beaucoup de commentateurs interprètent ce rapprochement avec les positions de l’extrême-droite comme une tentative cynique et désespérée d’attirer de nouveaux partisans dans sa difficile campagne. Mais si cette stratégie a peut-être été vitale à sa victoire de 2007, elle ne semble pas suffire à retourner une situation mal embarquée en 2012. Bruce Crumley (“La xénophobie de Sarkozy: le Président français flatte l’extrême droite”, Time, 08.03.12)
Nicolas Sarkozy, qui aime se faire appeler Sarko l’Américain, flatte de dangereuses passions anti-immigrées pour son gain politique à court terme. The NYT
Nous nous demandons si monsieur Sarkozy comprend que faire étalage de manière aussi transparente de son cynisme comme ici est ce qui l’a conduit dans la situation difficile où il est actuellement. The WSJ
Si les Français décrètent que, en temps de crise, l’aptitude au commandement prime le reste, ils serreront les dents et rééliront Nicolas Sarkozy. Roger Cohen (the NYT)
En France, les présidents sont censés être grands, dignes, réfléchis, raffinés, distingués. Ce sont des esthètes admirés pour leur intellect. En général, ils ne sont pas petits, agressifs, vulgaires, peu cultivés, impulsifs. Ils n’aiment pas sans vergogne l’argent et ceux qui en ont, ou n’épousent pas d’ex-mannequins – deux mois après avoir quitté la dernière, trois mois avant de rencontrer la nouvelle – qui comptent parmi leurs anciennes conquêtes les musiciens Eric Clapton ou Mick Jagger. The Guardian
J’aimerais vraiment voter écolo. La protection de l’environnement devrait être au cœur de nos préoccupations. Mais je sais qu’Eva Joly fera 6% au final. Comme je n’ai aucune envie de me retrouver avec Marine Le Pen au second tour, je vais voter François Hollande. (…) Je le sens pas ce mec. Aucun charisme. Mais je n’en peux plus de Sarko. Raphaël (monteur de documentaires pour la télé)
Robert Putnam a découvert que plus la diversité dans une communauté est grande, moins les gens votent et moins ils donnent à des associations caritatives et travaillent à des projets communautaires. (…) Dans une étude récente, Glaeser et son collègue Alberto Alesina ont démontré qu’à peu près la moitié de la différence dans les dépenses sociales entre les Etats-Unis et l’Europe — l’Europe dépense bien plus — peut être attribuée à la diversité ethnique plus grande de la population américaine. Michael Jonas
Pour le chercheur en sciences politiques de l’Université du Michigan, Scoot Page, dans les lieux de travail de haut niveau, les différentes manières de penser parmi des personnes de différentes cultures peuvent être un avantage. “puisqu’elles voient et appréhendent le monde différemment que vous, c’est provocant. Mais la fréquentation de personnes différentes peut stimuler la créativité de tous. Les équipes diverses tendent à être plus productives.” (…) Autrement dit, les membres de communautés plus diverses peuvent faire plus de bowling seuls, mais les tensions créatrices lâchées par ces différences dans le lieu de travail peuvent propulser ces mêmes endroits à la pointe de l’économie et de la culture créatrice. (…) Page appelle ça le “paradoxe de diversité.” Il pense que les effets à la fois positifs et négatifs de la diversité peuvent coexister dans les communautés, mais qu’il doit y avoir une limite.” Si l’investissement civique tombe trop bas, il est facile d’imaginer que les effets positifs de la diversité puissent tout aussi bien commencer à s’affaiblir. Michael Jonas
Les Suisses n’ont pas voté pour l’interdiction des mosquées, ni pour l’interdiction de l’islam. Ils ont uniquement voté pour la “discrétion” de l’islam. (…)[ils] n’ont pas raisonné en islamologues mais ils ont obéi au bon sens et exprimé ce qu’ils ressentaient. (…) ce qui est refusé, c’est une manifestation trop visible, trop triomphaliste de l’islam. En fait, ce vote traduit, de leur part, le refus de tout signe qui tend à rompre l’uniformité qu’ils jugent être de bon goût, surtout si ce signe appartient à une culture qui n’est pas la leur. Anne-Marie Delcambre
C’est sur le modèle du centre islamique de Genève que se sont construits, à partir des années 1960, les centres islamiques de Milan, de Londres, de Rome et de nombreuses autres villes européennes, souvent financés par l’Arabie saoudite. Ces centres ont servi à la fois de bases avancées pour la da’wa – la propagande et le prosélytisme politico-religieux des Frères musulmans – mais aussi, comme cela a été révélé au lendemain du 11 septembre, de centres de recrutement des terroristes d’Al-Qaida et de leurs soutiens logistiques et financiers. Car il ne faut pas oublier que c’est en Europe, comme le rappelle le chercheur Lorenzo Vidino, qu’ont été minutieusement préparés les attentats du 11 septembre. (…) Dans ces circonstances, le résultat du référendum sur les minarets prend un sens symbolique important. Il ne s’agissait pas – comme voudraient le faire croire plusieurs commentateurs engagés au service de l’islamisation de l’Europe (camouflée derrière l’expression de “dialogue interculturel” euroméditerranéen), comme Caroline Fourest – de limiter la liberté de culte des Musulmans de Suisse, qui sont sans doute dans leur majorité des citoyens pacifiques. Il s’agissait de porter un coup d’arrêt à la vague d’islamisation de l’Europe, qui a commencé en Suisse dans les années 1960. Paul Landau
L’invasion d’un million, 1,5 million de réfugiés en Italie, comme l’a estimé Frontex, mettrait à genoux n’importe quel Etat. C’est pour cela que nous demandons la solidarité de tous les pays européens, à la fois pour les contrôles et pour l’hébergement. Roberto Maroni (ministre italien de l’Intérieur)
Notre problème, ce n’est pas les étrangers, c’est qu’il y a overdose. C’est peut-être vrai qu’il n’y a pas plus d’étrangers qu’avant la guerre, mais ce n’est pas les mêmes et ça fait une différence. Il est certain que d’avoir des Espagnols, des Polonais et des Portugais travaillant chez nous, ça pose moins de problèmes que d’avoir des musulmans et des Noirs […] Comment voulez-vous que le travailleur français qui habite à la Goutte-d’or où je me promenais avec Alain Juppé il y a trois ou quatre jours, qui travaille avec sa femme et qui, ensemble, gagnent environ 15 000 francs, et qui voit sur le palier à côté de son HLM, entassée, une famille avec un père de famille, trois ou quatre épouses, et une vingtaine de gosses, et qui gagne 50 000 francs de prestations sociales, sans naturellement travailler ! [applaudissements nourris] Si vous ajoutez à cela le bruit et l’odeur [rires nourris], eh bien le travailleur français sur le palier devient fou. Et il faut le comprendre, si vous y étiez, vous auriez la même réaction. Et ce n’est pas être raciste que de dire cela. Nous n’avons plus les moyens d’honorer le regroupement familial, et il faut enfin ouvrir le grand débat qui s’impose dans notre pays, qui est un vrai débat moral, pour savoir s’il est naturel que les étrangers puissent bénéficier, au même titre que les Français, d’une solidarité nationale à laquelle ils ne participent pas puisqu’ils ne paient pas d’impôt ! […] Il faut que ceux qui nous gouvernent prennent conscience qu’il y a un problème de l’immigration, et que si l’on ne le traite pas et, les socialistes étant ce qu’ils sont, ils ne le traiteront que sous la pression de l’opinion publique, les choses empireront au profit de ceux qui sont les plus extrémistes. […] [Au sujet des épiciers de proximité] La plupart de ces gens-là sont des gens qui travaillent, des braves gens ; on est bien content de les avoir. Si on n’avait pas l’épicier kabyle au coin de la rue, ouvert de 7 heures du matin à minuit, combien de fois on n’aurait rien à bouffer le soir ? Chirac (dîner-débat RPR, 19 juin 1991)
Si je n’étais pas féministe et partisan de la parité au Parlement, je me serais dit que c’est exactement le genre de fille qu’on a envie de sauter entre deux portes en espérant qu’elle vous demande de lui donner des baffes avant de jouir pour pouvoir se mettre un instant dans la peau d’un sans-papiers macho et irascible. Libération
On ne va pas s’allier avec le FN, c’est un parti de primates. Il est hors de question de discuter avec des primates. Claude Goasguen (UMP, Paris)
Je pense qu’on n’aborde pas les vraies questions et qu’on donne le sentiment qu’on esquive un certain nombre de questions importantes. Je pense que la question de la maîtrise des flux migratoires est une question qui reste importante, qui taraude la société française et que le sentiment qu’il y ait une sorte d’invasion rampante ; et donc, tant qu’on n’abordera pas frontalement cette question-là en montrant qu’on est capable de maîtriser, de réguler, d’organiser ces flux migratoires, la question de la ghettoïsation ou plus exactement la ghettoïsation ethnique de la société française n’ait pas abordé…(…) Mais je pense que beaucoup de dirigeants ont peur d’ouvrir ces débats-là avec le fait que ça fasse le lit du Front National ; et moi je pense qu’une société qui cache, qui refuse les débats, c’est une société qui me donne le sentiment qu’elle a peur. Et donc à partir de là, ceux qui exploitent ces peurs sont en situation favorable. (…) Il y a deux solutions. – Soit on dit : ça n’existe pas tout ça ; et à ce moment-là, on se rassure et on pense que l’anti-Sarkozysme va nous faire gagner les élections présidentielles. – Soit on dit : ça existe mais à partir de là, on apporte nos réponses. Moi je n’apporte pas les réponses de Marine Le Pen. Vous ne m’avez pas entendu dire qu’il fallait rejeter les Immigrés. Je dis, au contraire, que la question qui est posée :- c’est comment on redonne un sens à ces phénomènes migratoires qui sont de toute manière des phénomènes inscrits dans l’avenir de l’Humanité.- Donc, comment on évite qu’ils soient parqués dans des ghettos et qu’ils aient le sentiment qu’ils sont toujours rejetés. Comment on évite, par exemple, qu’ils soient systématiquement stigmatisés. (…) le vrai débat n’est pas sur l’islam. Le vrai débat, il est sur la laïcité ; et là, tous les partis politiques doivent en discuter. Et donc, le problème, ce n’est pas d’aller discuter d’une religion et donc de donner le sentiment qu’on la stigmatise. Le problème c’est de redéfinir des règles communes, y compris sur les pratiques religieuses qui interpellent aujourd’hui dans notre pays. Julien Dray
J’ai connu Riposte Laïque lors de ma démission du NPA. J’ai quitté ce parti peu de temps après les élections régionales, avec le 3/4 du comité de Thionville. Nous étions tous littéralement sidérés de voir que le parti acceptait une candidate voilée, sans même prendre l’avis des ses adhérents lors d’un congrès national. Nous considérons que le voile est un symbole de soumission de la femme, totalement à l’opposé du principe de l’égalité des hommes et des femmes, contraire à notre modèle civilisationnel et à nos valeurs progressistes. (…) Nous nous sommes aussi rendu compte que toute critique de l’islam était immédiatement taxée de racisme ou d’islamophobie, alors même que les critiques à l’encontre du catholicisme ou d’autres religions étaient les bienvenues. Quelle drôle de conception de la laïcité ! (…) Cela tient tout d’abord à l’arrivée de Marine Le Pen. Elle a su dédiaboliser le FN, qui, je pense, a souvent été victime de caricatures par les bien-pensants. Actuellement, elle est la seule à défendre véritablement la loi de 1905, à dénoncer la banalisation du halal et les prières illégales sur la voie publique. Elle apporte des solutions contre la mondialisation, et donc contre les délocalisations, elle propose aussi de lutter contre la concurrence imposée de la main d’œuvre étrangère avec la main d’œuvre « locale » dans le but avoué de faire baisser les salaires quitte à jeter au chômage des Français. Marine Le Pen lutte aussi contre l’Europe de Bruxelles qui nous appauvrit de jour en jour et, bien sûr, elle songe aussi à un éventuel retour au franc, car si un risque d’effondrement de l’euro existe, nous avons tout intérêt à nous doter d’un plan de sortie anticipée. De plus, je pense qu’elle a raison de défendre la préférence nationale et de rappeler que nous ne devons avoir honte ni de notre culture, ni de nos couleurs. Chaque pays a sa propre histoire et certains acquis qui lui sont propres. Je suis donc plutôt favorable à une Europe des nations. (…) Le problème avec Jean Luc Mélenchon (…) c’est l’immigration. J’avoue qu’avec le bénéfice des ans, j’ai un peu évolué sur ce sujet : avec 5 millions de chômeurs en France, nous ne pouvons plus accepter autant d’immigrés. Bien sûr on est toujours touché par le parcours de certains clandestins issus de pays pauvres ; pour empêcher ces déracinements, les peuples de ces pays devraient s’inspirer de la révolution Tunisienne (l’Egypte est en pleine effervescence), afin d’instaurer chez eux une véritable démocratie laïque et non islamique, et veiller à ce que les richesses de leur pays, qui sont souvent immenses, ne soient pas détournées par les élites. Aussi lorsque Jean-Luc Mélenchon dit vouloir régulariser tous les sans-papiers, je ne suis pas d’accord : nous n’avons ni l’obligation morale ni la possibilité d’accueillir toute la misère du monde, comme le disaient le socialiste Michel Rocard ou le communiste Georges Marchais, lequel, dans les années 80, réclamait l’arrêt de l’immigration. Prenons donc exemple sur la Suisse et ses votations citoyennes et demandons aux Français, lors d’un référendum, leur avis sur l’immigration. Nos chères élites seraient bien surprises du résultat. Quant aux zones de non-droit de nos quartiers et aux agressions aux personnes, elles constituent désormais un autre problème majeur et pourrissent la vie de bon nombre de nos concitoyens, surtout, mais pas seulement, dans les milieux modestes. Je ne pense pas que les solutions angéliques de Jean-Luc Mélenchon soient capables de régler le problème que pose cette violence, qui est d’abord une violence gratuite. Fabien Engelmann
Ce n’est (…) pas parce que « Claude Guéant parle comme Marine Le Pen » (dixit Jean-Louis Borloo) que cette dernière progresse dans l’opinion et perce dans les urnes d’une élection qui jusqu’alors fermait à son parti les portes du second tour. C’est parce que ceux qui, en 2007, avaient quitté Jean-Marie Le Pen pour Nicolas Sarkozy en espérant voir réaliser certains de leurs vœux estiment qu’ils n’ont pas été entendus. (…) Peut-on, après cela, parler sans rire, comme dimanche soir, sur la plupart des plateaux télé, de “réaction des électeurs contre la droitisation de l’UMP” ? La vérité est que, depuis les années 1990, la droite n’a cessé de se dédroitiser et, par voie de conséquence, de libérer un espace croissant au Front national dont les propositions d’aujourd’hui sont parfois en deçà de celles du RPR et de l’UDF d’alors (lire les propositions des états généraux de l’opposition, animés, voici vingt ans, par Nicolas Sarkozy et Alain Madelin)… Valeurs actuelles
Toutes les enquêtes, notamment celle publiée chaque année (le 21 mars) dans le rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, montrent qu’il y a un double mouvement : d’une part l’ouverture de la société française à la différence et, d’autre part, la stigmatisation, pour une partie de l’opinion publique, de l’immigration en provenance des pays musulmans et de l’Islam en général. Lorsqu’on pose aux Français la question de savoir quelle est l’image qu’ils ont des différents groupes vivant sur le territoire national et des différentes religions, une frange de la population exprime désormais ouvertement le fait que l’Islam est intrinsèquement un problème car possédant des bases et un contenu supposé incompatible avec le projet civilisationnel français et européen. L’attitude des Français face à l’intégration change également. Il y a encore une dizaine d’années, on considérait que les problèmes d’intégration des étrangers étaient dus davantage à la société d’accueil. Désormais, un grand nombre de Français pensent que la responsabilité de la non-intégration provient des étrangers eux-mêmes. Ce phénomène existe aussi au niveau européen : en Europe du Nord (Scandinavie, Pays-Bas), en Italie avec le succès de la Ligue du Nord, en Autriche dans une moindre mesure. L’un des changements fondamentaux est que l’extrême-droite a muté idéologiquement. Elle est devenue aujourd’hui différente du néofascisme traditionnel. Les références à la Seconde guerre mondiale et aux régimes autoritaires qui les ont précédés s’estompent mais il apparaît une nouvelle forme d’extrémisme qui s’appuie sur le retournement d’un certain nombre de valeurs considérées jusqu’à aujourd’hui comme faisant partie du logiciel idéologique progressiste. Pourquoi l’Islam est aujourd’hui critiqué ? En raison de son attitude vis-à-vis des femmes, voire au nom du féminisme ; en raison de son attitude envers les minorités donc au nom du principe d’égalité et de liberté religieuse. On voit également comment Pim Fortuyn dans un premier temps et d’autres par la suite ont expliqué qu’en tant qu’homosexuels, ils se sentaient agressés par un Islam qui ne tolère pas les différences sexuelles. In fine, l’Islam est attaqué non pas en tant que religion mais culture. (…) à l’intérieur de la droite de gouvernement, un certain nombre de responsables, y compris le président de la République, se sont eux-mêmes emparés de la question. Ils l’ont fait en nous expliquant que ce qui se passait de l’autre côté de la Méditerranée était positif mais en agitant le spectre de l’invasion des immigrants illégaux et en liant les évènements à la question de l’Islam. Ce n’est pas un hasard si, au moment précis où la France modifiait son attitude vis-à-vis du monde arabe pour prendre le parti des peuples qui se révoltent, le président de la République relançait dans le même temps le débat sur l’identité nationale. (…) La présentation des Musulmans comme étant potentiellement susceptibles de déferler sur nos côtes et étant par ailleurs adeptes d’une religion qui poserait problème dans son implantation sur le sol national concourent effectivement à attiser les peurs. Jean-Yves Camus
Le FN apparaît, plus que jamais, comme un vecteur de manifestation des préoccupations populaires. Le « vote utile » des électeurs frontistes exprime un message de mécontentement profond où se mêlent questions sociétales (insécurité, immigration) et socio-économiques (rejet du libre-échange et de la mondialisation). Le nouveau discours de Marine Le Pen parvient à conjuguer ces deux thématiques et à rentrer ainsi en résonance avec l’opinion d’une large fraction de la population. (…) L’argument moral jeté à la face de ces divers électeurs, ou encore les démonstrations idéologiques, ont peu de chance d’être efficaces. Seules des réponses apportées à leurs préoccupations concrètes par les partis républicains pourront convaincre cette France en crise qu’elle a mieux à faire que de crier sa colère en votant à l’extrême droite. Eric Dupin
Le mépris dans lequel les tient la classe dirigeante a quelque chose de sidérant. Nos élites sont mues par une invraisemblable prolophobie dont elles n’ont parfois même pas conscience. (…) Les impensés de la gauche sur la sécurité et l’immigration témoignent d’un déni persévérant de celle-ci face à l’expression de certaines souffrances sociales. (…) Avant d’être une posture politique, le front républicain est d’abord un réflexe de classe et de caste. Patrick Buisson
Ce concept de “droitisation” est le plus sûr indice de la confusion mentale qui s’est emparée de certains esprits. Si la “droitisation” consiste à prendre en compte la souffrance sociale des Français les plus exposés et les plus vulnérables, c’est que les anciennes catégories politiques n’ont plus guère de sens… et que le PS est devenu – ce qui me paraît une évidence – l’expression des nouvelles classes dominantes. (…) Est-ce Nicolas Sarkozy qui se “droitise” en plaçant la maîtrise des flux migratoires au cœur de la question sociale ou la gauche qui se renie en substituant à la question sociale le combat sociétal en faveur d’un communautarisme multiculturel ? L’impensé du candidat socialiste sur l’immigration est tout sauf accidentel : il témoigne d’une contradiction à ce jour non résolue. L’idéologie du “transfrontiérisme” n’est pas celle des Français. Près de deux Français sur trois et près d’un sympathisant de gauche sur deux approuvent la proposition de Nicolas Sarkozy de réduire de moitié l’immigration légale. Le projet que porte Nicolas Sarkozy s’adresse à tout l’électorat populaire. Il est clairement le candidat d’une Europe des frontières. C’est en cela qu’il est le candidat du peuple qui souffre de l’absence de frontières et de ses conséquences en chaîne : libre-échangisme sans limites, concurrence déloyale, dumping social, délocalisation de l’emploi, déferlante migratoire. Les frontières, c’est la préoccupation des Français les plus vulnérables. Les frontières, c’est ce qui protège les plus pauvres. Les privilégiés, eux, ne comptent pas sur l’Etat pour construire des frontières. Ils n’ont eu besoin de personne pour se les acheter. Frontières spatiales et sécuritaires : ils habitent les beaux quartiers. Frontières scolaires : leurs enfants fréquentent les meilleurs établissements. Frontières sociales : leur position les met à l’abri de tous les désordres de la mondialisation et en situation d’en recueillir tous les bénéfices. Patrick Buisson
Misère (entraînant et expliquant la révolte et la violence) ? faux ! D’après l’Insee, la Seine-Saint-Denis est le quinzième département le plus riche de France – compte non tenu, par définition, de l’économie souterraine qui l’irrigue. En y ajoutant les milliards de la drogue, le “9-3” est sans doute en réalité parmi les cinq départements les plus riches de France. Quels sont à l’inverse les plus pauvres ? L’Ariège (91e), le Cantal (92e) et la Creuse (96e). Ajoutons un taux de pauvreté de 19 % dans un tiers des départements ruraux de France métropolitaine – c’est-à-dire plus élevé que dans le “9-3”. Plus largement, souligne lumineusement le géographe Christophe Guilluy, « 85 % des ménages pauvres ne vivent pas dans les quartiers sensibles et… la majorité des chômeurs de longue durée se répartit sur l’ensemble du territoire ». Or, où brûlent les voitures ? Où tire-t-on à la kalachnikov sur les policiers ? Dans la Creuse ou en Seine-Saint-Denis ? Les pauvres “assignés à résidence”, dans de lointains territoires de relégation ? Archifaux, là encore ! À l’échelle du Bassin parisien dans son entier, la Seine-Saint-Denis est dans une position confortablement centrale, non dans une lointaine bordure – et dans les “zones urbaines sensibles” (Zus) de ce département, comme dans celles des autres de la région parisienne, la mobilité de la population est la plus élevée de France (taux de mobilité de 61 %, selon l’Observatoire national des Zus). Les quartiers sensibles représentent la jeunesse, la France rurale n’étant plus peuplée que de paysans âgés ? Faux ! Ces quartiers et cités ne rassemblent que 9 % de la jeunesse (l’Insee, toujours), la France périphérique au contraire (grande banlieue et villes-satellites des métropoles) abritant un jeune sur trois de 18-24 ans – et ce, avec un taux de criminalité fort bas. Ajoutons que l’espace rural (18 % de la population métropolitaine, 11 millions d’habitants) compte désormais 32 % d’ouvriers, 27 % d’employés – et seulement 7 % d’agriculteurs… sans que nulle déprédation ou exaction ne s’y commette, ou presque. Industrielle ou rurale, cette France périurbaine est celle des précaires, agriculteurs percevant les minima sociaux, ouvriers pauvres, travailleurs à temps partiel. Cette “France des plans sociaux” abrite les nouvelles classes populaires évincées des grandes métropoles (centre-ville et première couronne) – désormais fiefs de la bourgeoisie-bohème (“bobo”) et des immigrés récents. Or quoique victime de la recomposition sociale du territoire, cette France périphérique est calme. Malgré une pauvreté invisible, la délinquance y est rare et la criminalité, plutôt exceptionnelle. Avec une insondable morgue, les journalistes “tendance bobo” dénigrent cependant cette France périphérique et sa “logique de repli”. Alors que, pour ces populations victimes de la mondialisation et de la prédation financière, il s’agit, tout au contraire, d’une demande de protection. (…) on ne peut édifier de politique efficace sur des concepts erronés. Pourtant, c’est ce que l’on fait depuis trente ans sous le nom – déjà absurde – de “politique de la ville”. Comme de l’eau dans un trou, cette “politique” déverse des milliards d’euros dans des programmes immobiliers opaques et dans d’incontrôlables subventions : 550 millions d’euros en 2012 pour la politique de la ville ; 390 millions pour la “cohésion sociale et l’égalité des chances”, nom fort noble pour ce qui ressemble souvent à du racket ou du chantage à l’émeute. À la lumière des réalités que je viens d’énoncer, c’est cette politique-là, d’abord, qu’il faut revoir de fond en comble. Administré à partir d’un faux diagnostic, un médicament n’a aucune chance, jamais, de faire le moindre effet ! Xavier Raufer
On brode beaucoup sur la non intégration des jeunes de banlieue. En réalité, ils sont totalement intégrés culturellement. Leur culture, comme le rap, sert de référence à toute la jeunesse. Ils sont bien sûr confrontés à de nombreux problèmes mais sont dans une logique d’intégration culturelle à la société monde. Les jeunes ruraux, dont les loisirs se résument souvent à la bagnole, le foot et l’alcool, vivent dans une marginalité culturelle. En feignant de croire que l’immigration ne participe pas à la déstructuration des plus modestes (Français ou immigrés), la gauche accentue la fracture qui la sépare des catégories populaires. Fracture d’autant plus forte qu’une partie de la gauche continue d’associer cette France précarisée qui demande à être protégée de la mondialisation et de l’immigration à la « France raciste ». Dans le même temps, presque malgré elle, la gauche est de plus en plus plébiscitée par une « autre France », celle des grands centres urbains les plus actifs, les plus riches et les mieux intégrés à l’économie-monde ; sur ces territoires où se retrouvent les extrêmes de l’éventail social (du bobo à l’immigré), la mondialisation est une bénédiction. Christophe Guilluy
J’avais l’impression qu’il [Nicolas Sarkozy] avait déjà cette géographie sociale bien en tête. Comme s’il savait que cette France populaire, qui l’avait élu en 2007, allait être une nouvelle fois l’enjeu de cette présidentielle.
Je ne pense pas que le qualificatif de droitisation soit pertinent. Pour cette France-là, on est arrivé à la fin de la bipolarisation droite-gauche. Par exemple, en matière d’immigration, tout le monde pense grosso modo la même chose, à gauche comme à droite. Quand on regarde comment se comportent les Français – là où ils vont vivre, là où ils souhaitent scolariser leurs enfants -, on s’aperçoit que tout le monde évolue dans une même logique. Ce qui change, c’est le discours de justification de ses actes… Par ailleurs, cette France populaire reste très attachée à l’Etat providence, aux services publics, à la laïcité, aux thématiques traditionnelles de la gauche. (…) Ce qui définit cette classe qui se sent menacée de déclassement, c’est son incapacité à ériger des frontières symboliques avec un monde qu’elle juge menaçant. Le bobo de Belleville, qui habite en plein cœur d’un quartier très métissé, peut résider dans un immeuble de lofts, socialement homogène, et contourner la carte scolaire. Les prolétaires de la Picardie, eux, n’ont pas les moyens d’ériger ce type de frontière invisible. C’est pour ça que cette classe populaire exprime aujourd’hui une demande d’Etat fort et de protectionnisme. La question sociale est centrale pour elle, à la condition qu’elle se combine avec une question d’ordre culturel. (…) Sur ces questions culturelles et identitaires, la gauche tient un discours peu clair. Car elle a la trouille de dire les choses. Je pense qu’on vit désormais dans une société multiculturelle sans oser le dire. Pour la première fois dans notre histoire, dans certains espaces, se pose la question d’appartenir à une majorité ou à une minorité relative. C’est ce que révèle l’épisode sur la viande halal : au-delà la question de l’étiquetage, le sentiment diffus de pouvoir devenir, sans le savoir, minoritaire, est très présent.
C’est compliqué pour [François Hollande] car il ne faut pas désespérer «Boboland», c’est-à-dire ces classes intellectuelles et supérieures qui vivent en centre-ville, profitent des bienfaits de la mondialisation et votent en majorité pour la gauche. Je dis cela sans mépris. C’est une réalité sociologique importante pour la gauche. Il est difficile de tenir un discours pour cette France des centres-ville et celle rejetée à la périphérie. Un exemple : le protectionnisme européen. François Hollande avait la possibilité de reprendre à son compte les thèses qu’Arnaud Montebourg avait développées pendant la primaire. Mais aujourd’hui depuis le discours de Villepinte de Nicolas Sarkozy, je pense que c’est trop tard. Christophe Guilluy
Hollande est intéressé par nos analyses, mais ce n’est pas son logiciel de formation. Il y a encore chez lui beaucoup de tabous, notamment sur les questions identitaires. Or, il n’y a pas 36 solutions : on gagnera avec les ouvriers et employés ou alors on perdra cette élection. Laurent Bouvet (université de Versailles)
Attention: un déni peut en cacher un autre!
A l’heure où, après l’avoir encensé, la presse anglo-saxonne a, sauf exceptions, déjà enterré Nicolas Sarkozy…
Et où le prestigieux Economist a beau jeu de pointer le déni, à droite comme à gauche, de la réalité économique de la France …
Mais où , entre la remontée du président sortant et la percée du candidat du Front de gauche, l’avance de François Hollande semble fondre comme neige au soleil …
Sur fond, au lendemain de la tuerie jihadiste de Toulouse, de procès, d‘incidents graves, d’interpellations et saisies d’armes de guerre tous liés (cherchez l’erreur!) à l’islamisme …
Retour sur le déni autrement plus risqué pour la gauche …
Que celui de cette France majoritaire et populaire (près de 60% de la population) et marginalisée par la flambée immobilière et les délocalisations et fermetures d’usines…
Qui, comme le montre bien le dernier livre du géographe Christophe Guilluy avait déjà fait défaut à Ségolène Royal en 2007
Et que, pour conserver ses soutiens du côté des classes intellectuelles et supérieures des centre-villes qui eux profitent de la mondialisation, son ex-compagnon et successeur risque bel et bien, après quand même trois défaites consécutives (1995, 2002 et 2007), de perdre à nouveau …
Le livre de gauche qui inspire la droite
Récit
Avec «Fractures françaises», Christophe Guilluy place les nouvelles classes populaires de la grande périphérie au cœur de la campagne.
Grégoire Biseau
Libération
C’est l’histoire d’un livre propulsé comme l’ouvrage clé de cette campagne, et d’un auteur totalement inconnu du grand public. Celui dont s’inspire ouvertement Nicolas Sarkozy, et qui a circulé dans beaucoup de mains au Parti socialiste, jusqu’à celles de François Hollande.
Christophe Guilluy est un géographe de formation, en rupture avec le milieu universitaire, qui se revendique à gauche tendance chevènementiste depuis toujours. Fin 2010, il publie Fractures françaises, qui fait apparaître une nouvelle géographie sociale où les classes populaires sont reléguées non pas en banlieue, mais dans une France périurbaine, délaissée et oubliée (lire notre entretien avec Christophe Guilluy).
En juin, Jean-Baptiste de Froment, le conseiller éducation de Nicolas Sarkozy, tête chercheuse du programme, découvre le livre. Convaincu de tenir là une grille de lecture originale et pertinente de la société française, il fait une note de quatre pages au chef de l’Etat. Et organise dans la foulée un tête-à-tête.
Guilluy hésite mais s’y rend. L’entretien dure une quarantaine de minutes. Dans une excellente ambiance. «J’avais l’impression qu’il avait déjà cette géographie sociale bien en tête, raconte aujourd’hui le chercheur. Comme s’il savait que cette France populaire, qui l’avait élu en 2007, allait être une nouvelle fois l’enjeu de cette présidentielle.»
«Stimulant». Un mois plus tard, il est de nouveau invité à déjeuner à l’Elysée, pour parler banlieue, notamment avec Gilles Kepel. Entre-temps la note de Froment circule dans la Sarkozie. Pierre Giacometti et Patrick Buisson, les deux conseillers du chef de l’Etat, lisent l’ouvrage. Bruno Le Maire, en charge du programme pour l’UMP, aussi. «C’est un livre stimulant, contre la pensée dominante, qui offre un diagnostic de l’état de la société qui nous est apparu très pertinent, dit-on dans l’entourage de Sarkozy. Même si l’analyse est parfois un peu schématique, elle était exploitable politiquement très facilement.»
Aujourd’hui, au QG du candidat, on reconnaît volontiers que la stratégie de campagne s’est largement inspirée de ce petit livre de 195 pages. Notamment dans la tonalité (martiale et protectrice) et les thèmes (souverainistes et droitiers) des discours. Les appels incessants à la majorité silencieuse, le dénigrement des élites, la dénonciation du communautariste, la condamnation de l’Europe «passoire» : tout est censé «parler» à cette France populaire, invisible et fragilisée par la mondialisation, que décrit Christophe Guilluy dans son livre. Précisément celle qui avait cru en 2007 au «travailler plus pour gagner plus».
Pour la reconquérir, le candidat UMP laboure la France des pavillons individuels, reléguée loin des centres-ville. Des trous pas tout à fait perdus, mais déjà un peu déconnectés. Par exemple, après sa visite chez Lejaby, Sarkozy est obligé de passer par La Chapelle-d’Aurec (Haute-Loire), à 15 km de Saint-Etienne, où vivaient 300 habitants il y a dix ans, contre 1 500 aujourd’hui. «L’illustration exemplaire des thèses du livre», décrypte Laurent Wauquiez, le ministre de l’Enseignement supérieur et député de la Haute-Loire, qui a lui aussi surligné les pages d’un livre, avec lequel il se dit «en totale osmose».«Quand on organise des déplacements, on se demande forcément quelle France on veut visiter, décrypte l’entourage de Sarkozy. Et le travail de Guilluy nous a donné une vraie grille de lecture.» D’où ces longs trajets en car pour les journalistes suivant le candidat UMP.
«Attention, tout cela n’en fait pas pour autant le Petit Livre rouge de Sarkozy», tempère Laurent Wauquiez. Et Christophe Guilluy n’est pas l’Emmanuel Todd du Jacques Chirac de la fracture sociale de 1995. Si la droite sarkozyste partage son diagnostic, elle prend ses distances avec ses leçons politiques. «En matière économique, il a une approche redistributive, d’inspiration marxiste, alors que nous cherchons des solutions libérales», décrypte un conseiller du chef de l’Etat.
Fronde. Car, parallèlement à cette carrière à droite, le livre de Guilluy a fait son chemin au PS. Mais cette fois, plutôt à la marge. En juillet, la publication de la note de Terra Nova, qui assure que le PS a définitivement perdu le vote des classes populaires et recommande de se concentrer sur les classes moyennes, provoque la fronde. En réponse, six intellectuels (dont Guilluy), emmenés par les deux socialistes Laurent Baumel et François Kalfon, publient Plaidoyer pour une gauche populaire. Ils rencontrent une première fois Hollande dans son bureau de l’Assemblée. Puis organisent un séminaire début décembre. Leur message : contrairement à ce que recommande Terra Nova, le PS doit partir à la conquête de cette France populaire. Pour des raisons identitaires mais aussi stratégiques. Car, disent-ils, elle est majoritaire, a fait l’élection de Sarkozy en 2007, et risque d’être encore décisive en 2012. «C’est sur la base notamment des travaux de Guilluy qu’on a plaidé auprès de Hollande pour la réaffirmation des réflexes républicains, pour ne pas donner le sentiment que l’on encourage le communautarisme», explique Laurent Baumel, secrétaire national aux affaires européennes. Ce dernier est convaincu d’avoir été parfaitement entendu par le candidat socialiste. «Je suis satisfait de la façon dont il a intégré nos analyses, notamment dans son discours du Bourget», poursuit Baumel.
Ce n’est pourtant l’avis ni de Christophe Guilluy ni de Laurent Bouvet, prof de sciences politiques à l’université de Versailles, qui a, lui aussi, participé à ce Plaidoyer.«Hollande est intéressé par nos analyses, mais ce n’est pas son logiciel de formation. Il y a encore chez lui beaucoup de tabous, notamment sur les questions identitaires, affirme Laurent Bouvet. Or, il n’y a pas 36 solutions : on gagnera avec les ouvriers et employés ou alors on perdra cette élection.» Un dilemme que ne renierait pas Sarkozy.
Voir aussi:
«Hollande parle peu à cette classe populaire»
Interview
Christophe Guilluy, géographe, évoque une France périurbaine, fidèle aux thèmes sociaux et identitaires :
Grégoire Biseau
Géographe, auteur de Fractures françaises, Christophe Guilluy revient sur cette nouvelle géographie sociale française et son influence sur la campagne.
Libération
30.03.12
Votre livre démontre qu’une France majoritaire et populaire est devenue périphérique, et donc invisible. Pourquoi ?
Pendant la révolution industrielle, les classes populaires habitaient là où se créait la richesse : au cœur de la ville, ou dans sa proche banlieue. Ce qui a fondamentalement changé depuis trente ans, c’est qu’elles ont été chassées des centres-ville vers la grande périphérie. D’abord, parce que les prix du foncier se sont envolés et, ensuite, parce que beaucoup d’usines ont quitté l’agglomération des grandes villes pour ces zones périurbaines, rurales et industrielles. Attirées par le rêve de la maison individuelle, ces classes sont parties habiter ces espaces. Cette France populaire, socialement fragile, est aussi celle des délocalisations et des fermetures d’usines. C’est sur ces territoires que l’on enregistre la critique la plus forte de la mondialisation, et celle du non au référendum européen. Cette France-là représente près de 60% de la population. Et c’est pour ça qu’elle intéresse autant Sarkozy. Il a gagné en 2007 en partie grâce à elle. Aujourd’hui, il recommence.
Cette France populaire invisible s’est-elle droitisée ?
Je ne pense pas que le qualificatif de droitisation soit pertinent. Pour cette France-là, on est arrivé à la fin de la bipolarisation droite-gauche. Par exemple, en matière d’immigration, tout le monde pense grosso modo la même chose, à gauche comme à droite. Quand on regarde comment se comportent les Français – là où ils vont vivre, là où ils souhaitent scolariser leurs enfants -, on s’aperçoit que tout le monde évolue dans une même logique. Ce qui change, c’est le discours de justification de ses actes… Par ailleurs, cette France populaire reste très attachée à l’Etat providence, aux services publics, à la laïcité, aux thématiques traditionnelles de la gauche.
Diriez-vous, tel Patrick Buisson, le conseiller de Sarkozy, que cette France populaire exprime un besoin de frontières ?
Ce qui définit cette classe qui se sent menacée de déclassement, c’est son incapacité à ériger des frontières symboliques avec un monde qu’elle juge menaçant. Le bobo de Belleville, qui habite en plein cœur d’un quartier très métissé, peut résider dans un immeuble de lofts, socialement homogène, et contourner la carte scolaire. Les prolétaires de la Picardie, eux, n’ont pas les moyens d’ériger ce type de frontière invisible. C’est pour ça que cette classe populaire exprime aujourd’hui une demande d’Etat fort et de protectionnisme. La question sociale est centrale pour elle, à la condition qu’elle se combine avec une question d’ordre culturel.
Vous défendez l’idée d’une gauche populaire… Ça veut dire quoi ?
Sur ces questions culturelles et identitaires, la gauche tient un discours peu clair. Car elle a la trouille de dire les choses. Je pense qu’on vit désormais dans une société multiculturelle sans oser le dire. Pour la première fois dans notre histoire, dans certains espaces, se pose la question d’appartenir à une majorité ou à une minorité relative. C’est ce que révèle l’épisode sur la viande halal : au-delà la question de l’étiquetage, le sentiment diffus de pouvoir devenir, sans le savoir, minoritaire, est très présent.
La campagne de François Hollande s’adresse-t-elle à cette France-là ?
Pas franchement. C’est compliqué pour lui car il ne faut pas désespérer «Boboland», c’est-à-dire ces classes intellectuelles et supérieures qui vivent en centre-ville, profitent des bienfaits de la mondialisation et votent en majorité pour la gauche. Je dis cela sans mépris. C’est une réalité sociologique importante pour la gauche. Il est difficile de tenir un discours pour cette France des centres-ville et celle rejetée à la périphérie. Un exemple : le protectionnisme européen. François Hollande avait la possibilité de reprendre à son compte les thèses qu’Arnaud Montebourg avait développées pendant la primaire. Mais aujourd’hui depuis le discours de Villepinte de Nicolas Sarkozy, je pense que c’est trop tard.
Voir également:
A Paris (Xe), Hollande, roi de « Boboland »
Ava Djamshidi
03.02.2012
Ça caille. Sévère. Désagréable? Eux, ils trouvent ça « énorme ». Le long du canal Saint-Martin, à Paris (Xe), le bobo est roi. Pas au sens strict. La monarchie, c’est trop has been. Comme dans un clip, les bourgeois bohèmes déambulent, mannequins de bitume, parka sur le dos (c’est pratique), fourrée de lapin ou de renard (c’est chic).
Bravant le vent polaire qui souffle sur leurs chapkas, quelques spécimens s’agglutinent Chez Prune, le bar branchouille du coin. Ambiance bistrot, tarif trader. Et si l’homme moyen se plaint de la température glaciale, l’autochtone se félicite presque de ce sursaut d’orgueil d’un climat déréglé par la folie humaine. Dans leur verre, un quartier de pomme Granny flotte sur un doigt de jus de fruit. Bio, évidemment.
A moins de trois mois du premier tour de l’élection présidentielle, le souci du « bien-être de la planète » habite les pensées de Raphaël, monteur de documentaires pour la télé : « J’aimerais vraiment voter écolo. La protection de l’environnement devrait être au cœur de nos préoccupations. Mais je sais qu’Eva Joly fera 6% au final. Comme je n’ai aucune envie de me retrouver avec Marine Le Pen au second tour, je vais voter François Hollande. » Pourtant, le candidat socialiste ne branche pas spécialement ce quadra aux allures de trentenaire. « Je le sens pas ce mec. Aucun charisme. Mais je n’en peux plus de Sarko », lance-t-il, accoudé au comptoir, en sirotant un café. « Au fond, ils me fatiguent tous les deux, à se balancer des piques en permanence. On dirait des mômes dans une cour de récré », conclut-il, avant d’aller chercher ses petits à l’école.
Sur la contre-allée du canal passe un vélo. Derrière la cycliste, posé sur le siège bébé, un citronnier. Les agrumes se trémoussent gracieusement dans l’air givré. En face du troquet, un pot de fleur rose reçoit les mégots. Marc, 46 ans, y éteint sa cigarette. Ce fonctionnaire suit « tous les débats et les émissions » consacrés à la présidentielle, même si son choix est déjà arrêté. « Je suis encore traumatisé », explique ce fils d’immigrés espagnols. En travers de sa gorge, « l’affaire Jospin ». « En 2002, pour donner un nouveau souffle à la gauche, j’avais voté Olivier Besancenot », confesse-t-il plein de remords.
Cette fois, pas question de donner sa voix au champion du Nouveau Parti anticapitaliste, Philippe Poutou, ni même à celui du Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon, qui lui a pourtant tapé dans l’œil. « C’est le seul qui évoque le sort des ouvriers, argumente Marc. Sa proposition de relever le smic à 1700 € me semble juste. Et en tant qu’eurodéputé, il a un peu de poids au sein de l’Union européenne. » Malgré ce « profil séduisant », Marc optera pour Hollande. « C’est le seul vote utile. Et je le trouve compétent. Il me surprend dans le bon sens, contrairement à Ségolène Royal, pour qui je m’étais senti obligé de voter, il y a cinq ans. »
Tous de gauche, les bobos? Derrière les grosses Ray-Ban qui lui dévorent le visage, Julien chipote. « C’est péjoratif ce mot, et réducteur. Il y a une vraie vie de quartier, avec des ouvriers aussi », défend l’ancien publicitaire en « voie de reconversion dans la restauration ». « Ici, c’est beau-beau », taquine le serveur, en posant ses yeux sur la chemise sombre à pois blancs de ce client, « ni bobo ni de gauche ». En mai, le bulletin que Julien posera dans l’urne portera le nom du candidat de l’UMP. « Toutes les réformes structurelles, comme les retraites, ont été menées par la droite. Alors, même si je n’aime pas Sarkozy, c’est lui que je choisis », lâche-t-il, en se réfugiant dans le bistrot. Ça caille. Sévère. Et la chaleur, ça a du bon.
Nombre d’habitants : 96733 (au 1er janvier 2009).
Election présidentielle 2007.
Premier tour : Ségolène Royal, 41,99%; Nicolas Sarkozy, 25,03%; François Bayrou, 20,35%, Jean-Marie Le Pen, 3,85%. Abstentions : 13,13%.
Second tour : Ségolène Royal, 62,99%; Nicolas Sarkozy, 37,01%. Abstentions : 14,43%.
Voir enfin:
L’affaire Mohamed Merah aidant, voici les “quartiers chauds” revenus au centre des débats de l’élection présidentielle. Sont-ils des pépinières à djihadistes ? Des couveuses pour bandits ? Alimentés par cent poncifs et idées reçues, les commentaires coulent à flots, issus de la culture de l’excuse, et véhiculés par nombre de journalistes et politiciens.
Or, confronté aux faits et chiffres, ce catéchisme lacrymal a pour caractéristique majeure d’être entièrement et matériellement faux.
Rappel de la ritournelle des Diafoirus-sociologues : dans des “quartiers pauvres” et “territoires de relégation”, croupirait toute une “jeunesse abandonnée et méprisée”… “moins dangereuse qu’en danger”, des damnés de la terre condamnés à “une vie de galère” et ne recherchant finalement qu’“un peu d’attention et de reconnaissance”.
Observons d’abord que cette doctrine misérabiliste n’a absolument rien de marxiste, Karl Marx lui-même qualifiant férocement ce Lumpenproletariat (“prolétariat en haillons”) de “racailles”. On est là à mi-chemin entre le pire mélodrame hugolien et l’abbé Pierre du crépuscule – le tout dans un total mépris de réalités manifestes et établies. Qu’on en juge.
– Misère (entraînant et expliquant la révolte et la violence) ? faux ! D’après l’Insee, la Seine-Saint-Denis est le quinzième département le plus riche de France – compte non tenu, par définition, de l’économie souterraine qui l’irrigue. En y ajoutant les milliards de la drogue, le “9-3” est sans doute en réalité parmi les cinq départements les plus riches de France.
– Quels sont à l’inverse les plus pauvres ? L’Ariège (91e), le Cantal (92e) et la Creuse (96e). Ajoutons un taux de pauvreté de 19 % dans un tiers des départements ruraux de France métropolitaine – c’est-à-dire plus élevé que dans le “9-3”. Plus largement, souligne lumineusement le géographe Christophe Guilluy, « 85 % des ménages pauvres ne vivent pas dans les quartiers sensibles et… la majorité des chômeurs de longue durée se répartit sur l’ensemble du territoire ». Or, où brûlent les voitures ? Où tire-t-on à la kalachnikov sur les policiers ? Dans la Creuse ou en Seine-Saint-Denis ?
– Les pauvres “assignés à résidence”, dans de lointains territoires de relégation ? Archifaux, là encore ! À l’échelle du Bassin parisien dans son entier, la Seine-Saint-Denis est dans une position confortablement centrale, non dans une lointaine bordure – et dans les “zones urbaines sensibles” (Zus) de ce département, comme dans celles des autres de la région parisienne, la mobilité de la population est la plus élevée de France (taux de mobilité de 61 %, selon l’Observatoire national des Zus).
– Les quartiers sensibles représentent la jeunesse, la France rurale n’étant plus peuplée que de paysans âgés ? Faux ! Ces quartiers et cités ne rassemblent que 9 % de la jeunesse (l’Insee, toujours), la France périphérique au contraire (grande banlieue et villes-satellites des métropoles) abritant un jeune sur trois de 18-24 ans – et ce, avec un taux de criminalité fort bas.
Ajoutons que l’espace rural (18 % de la population métropolitaine, 11 millions d’habitants) compte désormais 32 % d’ouvriers, 27 % d’employés – et seulement 7 % d’agriculteurs… sans que nulle déprédation ou exaction ne s’y commette, ou presque.
Industrielle ou rurale, cette France périurbaine est celle des précaires, agriculteurs percevant les minima sociaux, ouvriers pauvres, travailleurs à temps partiel. Cette “France des plans sociaux” abrite les nouvelles classes populaires évincées des grandes métropoles (centre-ville et première couronne) – désormais fiefs de la bourgeoisie-bohème (“bobo”) et des immigrés récents. Or quoique victime de la recomposition sociale du territoire, cette France périphérique est calme. Malgré une pauvreté invisible, la délinquance y est rare et la criminalité, plutôt exceptionnelle.
Avec une insondable morgue, les journalistes “tendance bobo” dénigrent cependant cette France périphérique et sa “logique de repli”. Alors que, pour ces populations victimes de la mondialisation et de la prédation financière, il s’agit, tout au contraire, d’une demande de protection.
Or il est crucial de poser justement ce diagnostic, sans se laisser emporter par des lubies idéologiques ou par un sentimentalisme niais. Car, de même qu’on ne raisonne pas juste sur des figures fausses, on ne peut édifier de politique efficace sur des concepts erronés. Pourtant, c’est ce que l’on fait depuis trente ans sous le nom – déjà absurde – de “politique de la ville”.
Comme de l’eau dans un trou, cette “politique” déverse des milliards d’euros dans des programmes immobiliers opaques et dans d’incontrôlables subventions : 550 millions d’euros en 2012 pour la politique de la ville ; 390 millions pour la “cohésion sociale et l’égalité des chances”, nom fort noble pour ce qui ressemble souvent à du racket ou du chantage à l’émeute. À la lumière des réalités que je viens d’énoncer, c’est cette politique-là, d’abord, qu’il faut revoir de fond en comble. Administré à partir d’un faux diagnostic, un médicament n’a aucune chance, jamais, de faire le moindre effet !