Polémique Soler: La Bible, c’est tout le contraire de L’Odyssée (The Bible is just the opposite of the Odyssey)

18 juillet, 2012
On dit que les Psaumes de la Bible sont violents, mais qui s’exprime dans les psaumes, sinon les victimes des violences des mythes : “Les taureaux de Balaam m’encerclent et vont me lyncher”? Les Psaumes sont comme une fourrure magnifique de l’extérieur, mais qui, une fois retournée, laisse découvrir une peau sanglante. Ils sont typiques de la violence qui pèse sur l’homme et du recours que celui-ci trouve dans son Dieu. René Girard
De nombreux commentateurs veulent aujourd’hui montrer que, loin d’être non violente, la Bible est vraiment pleine de violence. En un sens, ils ont raison. La représentation de la violence dans la Bible est énorme et plus vive, plus évocatrice, que dans la mythologie même grecque. (…) Il est une chose que j’apprécie dans le refus contemporain de cautionner la violence biblique, quelque chose de rafraîchissant et de stimulant, une capacité d’indignation qui, à quelques exceptions près, manque dans la recherche et l’exégèse religieuse classiques. (…) Une fois que nous nous rendons compte que nous avons à faire au même phénomène social dans la Bible que la mythologie, à savoir la foule hystérique qui ne se calmera pas tant qu’elle n’aura pas lynché une victime, nous ne pouvons manquer de prendre conscience du fait de la grande singularité biblique, même de son caractère unique. (…) Dans la mythologie, la violence collective est toujours représentée à partir du point de vue de l’agresseur et donc on n’entend jamais les victimes elles-mêmes. On ne les entend jamais se lamenter sur leur triste sort et maudire leurs persécuteurs comme ils le font dans les Psaumes. Tout est raconté du point de vue des bourreaux. (…) Pas étonnant que les mythes grecs, les épopées grecques et les tragédies grecques sont toutes sereines, harmonieuses et non perturbées. (…) Pour moi, les Psaumes racontent la même histoire de base que les mythes mais retournée, pour ainsi dire. (…) Les Psaumes d’exécration ou de malédiction sont les premiers textes dans l’histoire qui permettent aux victimes, à jamais réduites au silence dans la mythologie, d’avoir une voix qui leur soit propre. (…) Ces victimes ressentent exactement la même chose que Job. Il faut décrire le livre de Job, je crois, comme un psaume considérablement élargi de malédiction. Si Job était un mythe, nous aurions seulement le point de vue des amis. (…) La critique actuelle de la violence dans la Bible ne soupçonne pas que la violence représentée dans la Bible peut être aussi dans les évènements derrière la mythologie, bien qu’invisible parce qu’elle est non représentée. La Bible est le premier texte à représenter la victimisation du point de vue de la victime, et c’est cette représentation qui est responsable, en fin de compte, de notre propre sensibilité supérieure à la violence. Ce n’est pas le fait de notre intelligence supérieure ou de notre sensibilité. Le fait qu’aujourd’hui nous pouvons passer jugement sur ces textes pour leur violence est un mystère. Personne d’autre n’a jamais fait cela dans le passé. C’est pour des raisons bibliques, paradoxalement, que nous critiquons la Bible. (…) Alors que dans le mythe, nous apprenons le lynchage de la bouche des persécuteurs qui soutiennent qu’ils ont bien fait de lyncher leurs victimes, dans la Bible nous entendons la voix des victimes elles-mêmes qui ne voient nullement le lynchage comme une chose agréable et nous disent en des mots extrêmement violents, des mots qui reflètent une réalité violente qui est aussi à l’origine de la mythologie, mais qui restant invisible, déforme notre compréhension générale de la littérature païenne et de la mythologie. René Girard
Dès les premiers siècles de son existence, le christianisme a suscité des adversaires, Celse par exemple, qui attiraient l’attention sur les données que je viens de mentionner. Il y a dans les Évangiles une suite de phénomènes qui rappelle la séquence de nombreux cultes antérieurs. Celse utilisait déjà ces ressemblances pour contester la revendication chrétienne de singularité. Après s’être interrompu au Moyen Âge, le petit jeu des comparaisons a recommencé dans le monde moderne et il a même suscité un intérêt tel que les universitaires ont fait de lui une discipline autonome, l’étude comparée du religieux, qui ne s’est jamais intéressé, au fond, qu’à démontrer la banalité des Évangiles dans le contexte du religieux universel.(…) Ce que la théorie mimétique montre, c’est que la singularité du christianisme est littéralement démontrable mais sur une base paradoxale qui est l’acceptation de toutes les ressemblances si bien observées par les adversaires, au fond naïfs, de cette religion. Si on examine les récits de mort de Jésus à la lumière de la théorie mimétique, on s’aperçoit que le mimétisme joue un très grand rôle aussi bien chez les témoins passifs que chez ceux qui participent activement à cette violence essentiellement collective qu’est la crucifixion.(…) Ce que je dis là va dans le même sens, semble-t-il, que les efforts de ceux qui insistent sur les ressemblances entre lui et les mythes dans le but de nier la singularité du christianisme. La théorie mimétique couronne ces efforts, semble-t-il, en mettant le doigt sur la cause desdites ressemblances, le mimétisme violent.(…) Si le bouc émissaire est déjà important lorsqu’il reste dissimulé, il doit être plus important encore lorsqu’il se manifeste au grand jour, lorsqu’il attire l’attention sur lui-même. Dans les récits de la passion, au lieu de se cacher, il s’étale, il domine tout. Cette conclusion paraît inévitable, mais en réalité elle ne l’est pas, elle est même complètement fausse. C’est la conclusion inverse qui s’impose. Pour une raison très simple : le bouc émissaire ne peut pas apparaître en tant que bouc émissaire, comme il le fait dans les Évangiles, sans perdre toute crédibilité. Pour nous en rendre compte, regardons de plus près cette expression que j’utilise tout le temps depuis le début de ces conférences, bouc émissaire, comme si elle était toute simple. Ce n’est pas un concept comme les autres mais quelque chose de paradoxal en ceci que c’est un principe d’illusion dont l’efficacité exige une ignorance complète à son égard. Avoir un bouc émissaire c’est ne pas savoir qu’on l’a. Dès que le bouc émissaire se révèle et se nomme en tant que tel, il perd toute efficacité. Révéler sa nature purement mimétique, comme le font les Évangiles, c’est comprendre qu’il n’y a rien d’intellectuellement ou de spirituellement digne de foi dans le phénomène du bouc émissaire, c’est s’apercevoir que les persécuteurs de n’importe quel autre bouc émissaire, et pas seulement de Jésus, haïssent celui-ci sans raison, en vertu d’une illusion qui se propage irrésistiblement au sein des foules de persécuteurs mais qui n’en est pas moins déraisonnable. Il s’agit d’une pure illusion collective, impressionnante certes mais mensongère On ne peut pas comprendre que les Évangiles démystifient cette illusion, sans s’apercevoir très vite que les mythes, eux, ne la démystifient pas, et cette impuissance à démystifier ses propres boucs émissaires définit pleinement le religieux archaïque. Les mythes présentent toujours comme véridiques les accusations visiblement absurdes dont un Œdipe et mille héros mythiques font l’objet. Qu’Œdipe soit coupable de parricide, je le veux bien ; qu’il soit coupable d’inceste, passe encore, mais qu’il soit coupable de ces deux crimes à la fois, c’est par trop invraisemblable et pourtant c’est bien ce que le mythe affirme, avec le plus grand sérieux. Tous les mythes tiennent leur victime unique, leur bouc émissaire, pour réellement coupable ; les mythes entérinent l’accusation qui justifie le lynchage et si la victime, plus tard, est divinisée, elle reste avant tout le coupable de la phase précédente. Toute la « personnalité » d’Œdipe se ramène à son parricide et à son inceste. Les mythes reflètent à jamais l’emballement mimétique non démystifié. C’est là l’unique « pensée » de la foule à laquelle s’ajoute, plus tard, la reconnaissance des lyncheurs apaisés par leur propre lynchage. Ils attribuent cet apaisement à la victime et la divinisent mais sans jamais découvrir « l’erreur judiciaire » dont ils sont coupables. La divinisation vaut au héros l’indulgence du jury et des « circonstances atténuantes », mais rien de plus, et le mythe demeure essentiellement une justification mensongère de la violence collective. Œdipe reste défini par son double crime, et de nos jours plus que jamais. En faisant de ce héros le symbole de la condition humaine, Freud ne fait jamais au fond que rajeunir et universaliser l’éternel mensonge de la mythologie. Le récit de la crucifixion, au lieu de représenter la violence unanime du point de vue de la foule mystifiée, la représente telle qu’elle est en réalité. Il fait apparaître la contagion mimétique et l’inanité de l’accusation. C’est ce qui ressort de notre lecture de la crucifixion. Tous ces drames sont le fruit de l’aveuglement des lyncheurs qui s’influencent les uns les autres contre leur victime. Les récits bibliques sont la représentation vraie de ce qui n’apparaît dans les mythes que sous une forme mensongère dominée par l’illusion des lyncheurs. Historiquement, le surgissement de cette vérité commence bien avant les Évangiles, dans la bible hébraïque qui réhabilite déjà un bon nombre de boucs émissaires injustement persécutés et expulsés, sinon toujours massacrés. Joseph est le premier grand exemple, Job en est un autre. Les narrateurs des psaumes sont souvent aussi des boucs émissaires en attente de lynchage et, tout comme Job, ils expriment leur angoisse devant la foule qui se referme lentement sur eux dans le but de les lyncher. La voilà la vraie différence entre le mythique et le biblique. Le mythique reste jusqu’au bout la dupe des phénomènes de bouc émissaire. Le biblique révèle leur mensonge en révélant l’innocence des victimes. Si on ne repère pas le gouffre qui sépare le biblique du mythique c’est parce que, sous l’influence du vieux positivisme, on s’imagine que, pour différer vraiment, les textes doivent parler de choses différentes. En réalité, le mythique et le biblique diffèrent radicalement parce que le biblique rompt pour la première fois avec le mensonge culturel par excellence, jamais encore dévoilé, les phénomènes de bouc émissaire sur lesquels la culture humaine est fondée. L’événement raconté est essentiel puisqu’il est l’injustice sociale par excellence, mais la manière de le représenter est plus essentielle encore. Si l’esprit moderne marche sur cet abîme sans même le remarquer, c’est parce qu’il est retombé volontairement dans le mensonge. Il ne faut pas en conclure que cet abîme n’est pas là. Dans les mythes, il n’y a qu’une seule perspective sur le bouc émissaire, celle de la foule tout entière mobilisée contre sa victime et qui parle d’une seule voix. La victime, je le redis, semble condamnée à juste titre. Œdipe mérite son expulsion. Dans les Évangiles, cette perspective reste présente, mais elle est discréditée. C’est toujours la perspective de la foule, la perspective du plus grand nombre, mais elle n’est plus unanime. Elle est victorieusement niée par une petite minorité dissidente qui, après avoir presque succombé à la contagion collective, réhabilite le bouc émissaire. Si précaire et chétive que soit cette petite minorité, elle est la voix authentique du christianisme qui sera réprimée, étouffée mais jamais entièrement éliminée. L’avenir lui appartient et elle va bientôt discréditer à jamais toute mythologie. La petite minorité évangélique va enseigner aux hommes non seulement l’innocence absolue de la victime exceptionnelle qu’est Jésus mais l’innocence relative, la non-pertinence de tous les boucs émissaires de l’histoire humaine. Cette voix, même mal comprise, même déformée, a détruit à jamais la crédibilité des religions mythiques et déclenché la plus grande révolution culturelle de l’histoire humaine. Partout où les Évangiles s’implantent, les sacrifices s’affaiblissent et disparaissent, aucune religion archaïque nouvelle ne peut surgir. Pour comprendre la différence du mythique et de l’évangélique, il faut d’abord accepter et assimiler les ressemblances qui non seulement ne rendent pas les deux types de textes équivalents, comme on le prétend encore aujourd’hui, mais qui sont la condition sine qua non de leur divergence essentielle. C’est toujours un phénomène de bouc émissaire que racontent les grands textes religieux. Mais les religions mythiques le racontent comme s’il était vrai alors que la religion biblique reconnaît sa fausseté, en dépit des obstacles extraordinaires qui s’opposent à cette reconnaissance. Ces obstacles viennent évidemment du fait que tous les spectateurs et acteurs de la violence sont convaincus de sa légitimité. Il n’y a que des faux témoins. Ou bien le phénomène mimétique se produit mais il est indécelable car unanime, ou bien il n’est pas unanime et il ne se produit pas. Rien de plus mystérieux donc que l’existence de textes qui introduisent la vérité dans un monde où en principe elle ne peut pas pénétrer. Cette vérité a une dimension religieuse, mais en un sens tout autre que celui des mythes. La divinité de Jésus est tout autre que celle des héros mythiques, mais c’est aussi une vérité anthropologique, proprement scientifique que nous apportent ces textes, un déchiffrement rigoureux de l’énigme mythologique indéchiffrable partout ailleurs, déchiffrée dans les récits de la crucifixion. Les mythes sont les comptes rendus nullement falsifiés mais néanmoins trompeurs d’emballements mimétiques dont le rôle générateur, une fois perçu, se vérifie à de nombreux indices indirects ; le fait par exemple que la victime unique passe partout et toujours pour plus violente, plus dangereuse que la foule qui en réalité est seule violente… le fait que la victime soit souvent dotée de signes victimaires qui font d’elle une cible préférentielle pour les persécuteurs et les prédateurs souvent attirés par certaines marques physiques qui distinguent leurs possesseurs au sein d’une foule indifférenciée. Un mythe fondateur est un phénomène de bouc émissaire déformé de façon spécifique et toujours reconnaissable parce que ce sont les lyncheurs eux-mêmes qui le racontent, autrement dit les bénéficiaires jamais détrompés de la réconciliation qui résulte du lynchage unanime et de rien d’autre. Les grands drames bibliques et les Évangiles sont aussi des phénomènes de bouc émissaire mais racontés cette fois par des minorités qui se détachent de la foule pour dénoncer l’emballement mimétique et réhabiliter les victimes faussement accusées. C’est bien la même séquence phénoménale dans les deux cas, le même emballement mimétique, le même phénomène de bouc émissaire mais, dans les mythes, il structure l’ensemble du texte parce qu’il structure la vision de ses auteurs, les lyncheurs eux-mêmes. Dans les Évangiles, il ne structure plus rien, il est décrit avec un luxe de détails impressionnant mais il est devenu un thème inerte du texte. Il ne peut plus tromper personne. Le rassemblement contre la victime unique relève d’une puissance de structuration qui ne peut pas s’exercer jusqu’au bout sans se dissimuler aux yeux de ceux dont il structure la vision. C’est une puissance d’illusion à laquelle les sociétés archaïques succombent, et par conséquent elles ne savent rien à son sujet. Elles lui doivent leurs institutions religieuses mais elles ignorent son existence. Les mythes restent solidaires de l’illusion mimétique qui rassemble les foules contre leurs victimes et c’est bien pourquoi ils représentent la violence unanime comme le juste châtiment d’un coupable. Et c’est pourquoi, également, les mythes sont associés à des systèmes sacrificiels dont le bouc émissaire initial passe pour le fondateur. Au lieu de nous montrer, ainsi que le font les mythes, une victime unique toujours coupable, massacrée par une foule toujours innocente, les textes bibliques et les récits de la crucifixion remettent à l’endroit la vérité toujours déjà inversée par les mythes, la vérité qui, avant la révélation biblique, n’est chez elle nulle part dans la cité des hommes. C’est la raison pour laquelle les Évangiles définissent le monde humain comme le royaume de Satan, l’accusateur, celui qui fait condamner des victimes innocentes. Si les grands textes religieux ne parlaient pas tous du même phénomène, du même mécanisme de bouc émissaire, s’ils parlaient de choses et d’autres, ils différeraient, certes, mais leurs différences n’auraient aucun intérêt ni religieux ni anthropologique. Ce serait la différence indifférente et fastidieuse du différencialisme contemporain, la différence sans identité du néo-saussurisme idéologique et autres balivernes que le nihilisme contemporain embrasse pour escamoter tous les problèmes réels, toutes les questions vraiment intéressantes. Le judaïsme et le christianisme sont radicalement autres que les mythes parce qu’ils sont seuls à révéler un phénomène dont les mythes ne soupçonnent même pas l’existence, non pas parce qu’ils lui sont étrangers mais parce qu’ils ne font qu’un avec lui. Le biblique et l’évangélique privent lentement l’humanité de ses dernières béquilles sacrificielles ; ils nous confrontent à notre propre violence. Les modernes qui voient dans les Évangiles « un mythe de mort et de résurrection comme les autres » aboutissent à cette conclusion sur la foi d’analogies réelles, réellement observées, mais qui ne suffisent pas, loin de là, à abolir toute différence entre le mythique et le chrétien. Pour vraiment appréhender ce rapport, il faut commencer par admettre les ressemblances en question, par comprendre que les Évangiles, tout comme les mythes, nous rapportent un phénomène de bouc émissaire mais, à la différence des mythes qui reflètent le mécanisme d’unanimité sans l’entendre jamais, les Évangiles révèlent ce même mécanisme et, à mesure que cette révélation est assimilée, le rendent incapable de fonctionner. C’est bien pourquoi, partout où les Évangiles s’implantent, les sacrifices sanglants disparaissent à jamais et la plus grande révolution culturelle de l’humanité se déclenche. René Girard
Il est utile de dissiper une opinion répandue, si souvent invoquée par les musulmans réformateurs comme par bon nombre d’intellectuels occidentaux : la Bible contiendrait encore plus de violence que le Coran, dans la mesure où elle contiendrait encore plus de passages où Dieu se montre cruel que le Livre saint de l’islam. C’est l’exemple type de l’incompréhension qui règne entre l’Occident et l’Orient, idée fixe que l’on retrouve tant dans le discours interreligieux que dans la doxa nihiliste. (…) la Bible relate l’histoire du peuple hébreu, narration parfois fastidieuse de mille pérégrinations effectuées sous le regard de Dieu. Que le texte comporte des scènes de massacre collectif, des meurtres, des viols, des supplices et des bains de sang est choquant à l’aune de l’universalisme contemporain tout en étant rigoureusement conforme à la tristesse du champ historique concerné. Christian Makarian
Ce qui apparait comme une faiblesse est peut-être la clé de son succès. La Bible donne à chaque génération une liberté essentielle d’appropriation et de relecture. (…) La Bible, c’est tout le contraire de « L’Odyssée ». Son imperfection formelle est la preuve de sa véracité. Dieu ne peut être un poète, les poètes mentent, Dieu, Lui, dit le vrai … Jean-Christophe Attias

A lire dans Le Point de cette semaine …

Contre les demi-vérités de nos « laïcistes pressés » …

Et pendant que la saison irlandaise des marches et contre-marches ne devrait pas manquer de donner à nouveau à nos athées pressés l’occasion de tout mettre sur le dos de la religion …

Le très intéressant entretien du l’historien Jean-Christophe Attias

… »Il n’y a pas une Bible mais des Bibles« 

Dans « Les juifs et la Bible » (Fayard), l’historien des idées et spécialiste de la pensée juive Jean-Christophe Attias entend dissiper l’illusion quivoudrait que la Bible soit le livrefondateur du judaïsme.

Propos recuillis par Catherine Golliau

Le Point

12-juillet 2012

Le Point: « Les juifs et la Bible» ? cette relation n’est-elle pas une évidence?

Jean-Christophe Attias: Mais non, justement. Nous devonsnous déprendre de l’illusion selon laquelle la Bible serait le «livre fondateur» du judaïsme. Certes, la Bible porte une histoire, celle du « peuple élu », et un enseignement, celuide Moïse, dont les juifs se réclament. Elle occupe une placecentrale dans leur culture. Mais les liens qu’ils ont tissésavec elle se révèlent instables et ambigus. Le judaïsme s’est bien développé « tout contre » la Bible. Mais aussi, parfois, contre elle…

On pourrait donc enlever la Bible aux juifs?

Les chrétiens en ont rêvé. Dès les premiers temps de l’Église, ils ont surtout essayé d’enfermer les juifs dans le rôle de transmetteurs d’un Ancien Testament dont le sens profondleur resterait caché. La réponse juive à ce défi a été de mettre l’accent sur un autre corpus que la Bible, le Talmud, où ont été rassemblés, jusqu’à la fin du V“ siècle, les débats de plu- sieurs générations de rabbins, maîtres de la tradition orale.On peut donc dire que si l’on enlevait la Bible aux juifs, ils ne seraient sans doute plus juifs, mais si vous ne leur laissez qu’elle, il n’est pas sûr qu’ils le seraient encore…

Mais, de ces deux corpus, lequel prime?

Ils sont indissociables. La tradition orale, le Talmud bénéficient toutefois d’un net avantage. A cet égard, vouloir reve- nir au judaïsme en passant par la Bible, c’est risquer de se fourvoyer. Quand les marranes, ces descendants de juifs convertis de force au christianisme en Espagne médiévale, ont tenté ce retour, au XVI° et au XVII° siècle, ils n’eurentsouvent qu’une Bible entre les mains. Mais, une fois installés à Amsterdam ou à Salonique, il leur a fallu découvrir — etpour certains ce fut un choc — que les enseignements du ju-daïsme étaient loin d’être tout entiers contenus dans la let-tre de l’Ecriture.

Pourquoi alors les rouleaux de la Torah où est transcrit le Pentateuque sont-ils entourés d’une telle dévotion ?

La Torah, c’est la loi de Moïse, c’est la parole de Dieu. Maisc’est aussi un objet, presque une personne, avec qui l’on en-tretient une relation forte, physique même. A la synagogue,le grand moment de l’office du samedi matin est moins lalecture publique de quelques chapitres du Pentateuque [lescinq premiers livres de la Bible] que la sortie de son archedu rouleau de parchemin qui va être lu, son transport de l’arche à l’estrade, sa présentation solennelle aux fidèles.Cette Bible-objet, on la vénère, on la voit, on la touche, on l’embrasse. On va bien sûr l’entendre, mais sans forcémentla comprendre, la lecture se faisant en hébreu. Si le judaïsme a survécu à tant de tribulations, cela tient autant à ces rituels accessibles à tous qu’a l’intellectualisme de ses savants.

Mais pourquoi écrivez-vous alors que la Bible est un «livre introuvable »?

Parce qu’il n’y a pas une Bible mais des Bibles. La Bible est un recueil de livres, une bibliothèque, que chaque tradition religieuse — juive, catholique, protestante, etc. — ordonne à songré. La Bible au singulier, le << livre par excellence » qui nousfascine, est une invention surtout chrétienne et médiévale.Pour les juifs, le processus d’unification ne s’est jamais vraiment achevé. «La» Bible est ainsi souvent désignée, en hébreu, comme… «les vingt-quatre livres »

Qui n’ont d’ailleurs pas la même valeur…

Effectivement. Si le Pentateuque est investi par les juifs d’une autorité absolue, les deux autres sous-ensembles de la Bible — Prophètes et Hagiographes — ne peuvent prétendre à un statut comparable. Certains livres, le Cantique des cantiques ou Esther, sont entrés tardivement dans le canon et non sansdébats. Prenez Esther: Dieu n’y est pas même mentionné lQuant au Cantique, seule une lecture allégorique a pu lesauver, celle d’un Rabbi Akiba, au IÜ-Ile siècle, qui a vu der-rière l’évocation d’amours d’allure bien profane celle desrelations entre Dieu et son peuple…

Mais comment expliquer l’impact inoui’de ce corpus? A vous lire, ce n’est pas un grand livre: obscurités, incohérences, contradictions…

Ce qui apparaît comme une faiblesse est peut-être la clé de son succès. La Bible donne a chaque génération une liberté essentielle d’appropriation et de relecture. Certes, onl’exalte souvent comme un monument littéraire. Et pour beaucoupde non-croyants, c’est un moyen de s’y rattacher encore. Maisne nous leurrons pas. Pour les rabbins, la Bible, c’est tout lecontraire de « L’odyssée ». Son imperfection formelle est lapreuve de sa véracité. Dieu ne peut être un poète, les poètesmentent, Dieu, Lui, dit le vrai…

D’après la Bible, Dieu a donné Canaan aux Hébreux. Beaucoup aujourd’hui y voient la justification non seulement de la création de I’Etat d’lsraël, mais aussi du développement des colonies…

Le sionisme, qui naît à la fin du XIX‘ siècle, a fait de la Bibleun manifeste national, un titre de propriété. Il a cru y re-trouver des valeurs que les juifs de l’exil auraient perdues:sentiment national, attachement à un territoire, idéal virilet guerrier que la tradition rabbinique avait neutralisé. Cettelecture est sélective et sert un projet- qu’on peut tenir pourlégitime — auquel la Bible ne peut être réduite. Elle donne de plus des arguments aux pourfendeurs de la Bible, tentésde prendre prétexte du « chauvinisme » et de la violence quis’y exprimeraient, pour en tirer des conclusions hâtives surles juifs et sur le judaïsme.

C’est un point commun avec le Coran…

Oui, et les critiques brutales que nos laïcistes pressés adressent à ces deux livres sont aussi peu légitimes que les usages politiques qu’en font les radicaux de tout poil, religieux ou non. Tous sont des intégristes du sens premier et font fi de ces siècles d’interprétations qui font la richesse des traditions religieuses. Le judaïsme n’a pas cessé de renouveler sa lecture de la Bible, face aux défis lancés par le christianisme,la philosophie, les sciences arabes, la modernité. Et il l’a fait souvent — signe d’ouverture — en adoptant les armes de l’autre.

Est-ce pour cela que les rapports du judaïsme avec la Bible n’ont pas été les mêmes en terre chrétienne et en islam ?

La situation y était en effet différente. Les musulmans, contrai-rement aux chrétiens, ne revendiquant pas de droits parti-culiers sur la Bible, les juifs vivant parmi eux purent l’ins-taller au cœur de leur dispositif d’autovalorisation. Les musulmans avaient le Coran et l’arabe. Face à eux, les juifs avaient la Bible et Phébreu.

Mais est-ce que l’on parle là toujours du même Dieu ?

Le dieu de la Bible est un dieu aux multiples visages. Dieu decompassion, souvent, dieu vindicatif et cruel, aussi, parfois.Une chose est sûre: rien ne laisse penser que ce dieu puisseêtre autre chose qu’un père. Mais le dieu de la Bible n’est pastout le dieu du judaïsme. La tradition rabbinique a su faireplace à une autre face de la divinité, la Shekhinah, la « pré-sence »: féminine, partageant les souffrances de son peuple,le suivant sur les chemins de l’exil. Dieu est un être andro- gyne donc, mais en qui le féminin reste tout de même subor- donné au masculin…

Un livre machiste, la Bible?

D’authentiques croyant(e)s peuvent avoir aujourd’hui quelque peine à s’y reconnaître. Les portes de l’interprétation sont pourtant toujours ouvertes. Et bien des femmes atta-chées au judaïsme, notamment en Amérique du Nord, lesont franchies, en recherchant dans la Bible d’éventuelles« contre-traditions >> qui permettent de subvertir le biaispatriarcal du texte… Sur ce terrain, le judaïsme français, d’0rigine majoritairement méditerranéenne, a été moins touché que d’autres par les courants réformateurs qui ontbalayé le monde juif contemporain. Mais ça bouge, fort heureusement, et l’on en perçoit plus d’un signe u « Les juifs et la Bible w, de jean-Christophe Attias (Fayard, 362 p., 20,90 e). Le Point 2078 I l2 juillet 2012 I 77


Polémique Soler: Comment la violence biblique affichée déconstruit la fausse sérénité mythique (How the overtly vengeful psalms uncover the myths’ hidden blood on the tracks)

8 juillet, 2012
bacchantes
Une femme oublie-t-elle son nourrisson? De montrer sa tendresse au fils de son ventre? Même si celles-là oubliaient, moi je ne t’oublierai pas. Esaïe 49: 15
Samarie sera punie, parce qu’elle s’est révoltée contre son Dieu. Ils tomberont par l’épée; Leurs petits enfants seront écrasés, Et l’on fendra le ventre de leurs femmes enceintes. Osée 13: 16
Oracle sur Babylone, révélé à Ésaïe, fils d’Amots (…) Voici, le jour de l’Éternel arrive, Jour cruel, jour de colère et d’ardente fureur, Qui réduira la terre en solitude, Et en exterminera les pécheurs. (…) Leurs enfants seront écrasés sous leurs yeux, Leurs maisons seront pillées, et leurs femmes violées. Esaïe 13: 1-16
Es-tu meilleure que No Amon, Qui était assise au milieu des fleuves, Entourée par les eaux, Ayant la mer pour rempart, La mer pour murailles? L’Éthiopie et les Égyptiens innombrables faisaient sa force, Puth et les Libyens étaient ses auxiliaires. Et cependant elle est partie pour l’exil, elle s’en est allée captive; Ses enfants ont été écrasés au coin de toutes les rues. Nahum 3: 8-10
Fille de Babylone, la dévastée, Heureux qui te rend la pareille, Le mal que tu nous as fait! Heureux qui saisit tes enfants, Et les écrase sur le roc! Psaumes 137
O Dieu, brise-leur les dents dans la bouche! Éternel, arrache les mâchoires des lionceaux Qu’ils se dissipent comme des eaux qui s’écoulent! Qu’ils ne lancent que des traits émoussés! Qu’ils périssent en se fondant, comme un limaçon; Sans voir le soleil, comme l’avorton d’une femme! Avant que vos chaudières sentent l’épine, Verte ou enflammée, le tourbillon l’emportera. Le juste sera dans la joie, à la vue de la vengeance; Il baignera ses pieds dans le sang des méchants. Et les hommes diront: Oui, il est une récompense pour le juste; Oui, il est un Dieu qui juge sur la terre. Psaumes 58: 7-11
Mon Dieu! mon Dieu! pourquoi m’as-tu abandonné, Et t’éloignes-tu sans me secourir, sans écouter mes plaintes? (…) De nombreux taureaux sont autour de moi, Des taureaux de Basan m’environnent. Ils ouvrent contre moi leur gueule, Semblables au lion qui déchire et rugit. Psaumes 22: 2-13
Les images horribles des bébés écrasés contre les arbres, je ne les ai pas reconnus au début. Mais il n’y a aucun gain à les garder, et ils pourraient se venger de vous. Kaing Guek Eav (alias Duch)
Dans certains des Psaumes l’esprit de haine nous frappe au visage comme la chaleur d’une fournaise. Dans d’autres cas, le même esprit cesse d’être effrayant mais c’est pour devenir (aux yeux de l’homme moderne) presque comique par sa naïveté. (…) Si nous excusons les poètes des Psaumes sous prétexte qu’ils n’étaient pas chrétiens, nous devrions pouvoir montrer que les auteurs païens expriment le même genre de choses et pire encore (….) Je peux trouver en eux de la lascivité, une bonne dose d’insensibilité brutale, une froide cruauté qui va de soi pour eux, mais certainement pas cette fureur ou cette profusion de haine…. La première impression que l’on en retire est que les Juifs étaient bien plus vindicatifs et acerbes que les païens. C.S. Lewis 
The final verse is omitted in this metricization, because its seemingly outrageous curse is better dealt with in preaching or group conversation. It should not be forgotten, especially by those who have never known exile, dispossession or the rape of people and land. John L. Bell
Ah, but Bacchus refuses to rock (did I mention the score was by Philip Glass?), preferring instead to cackle at his own jokes, supervillain-style. His devotees, the mad, enchanted Bacchants, are similarly unfun, anti-sensual, and non-ecstatic. They sport weird Kahlo unibrows and, in their lumpen orange jumpers, evoke the Balinese cast of Mamma Mia! These huffing, puffing, occasionally power-walking Maenads work tirelessly to infuse the show with a dread it assiduously resists, and they occasionally succeed, against all odds. But boy, can you feel them working. They’re reputed to tear animals limb from limb, but their « Bacchic dances » feel no more ominous than a lengthy jazzercise class—everyone seems to be counting beats or calories. Mackie sweats almost as hard, but he’s on a treadmill: Manly Pentheus sees the power of Dionysus demonstrated time and again, but can’t bring himself to acknowledge this androgynous god. Yet Mackie and Akalaitis never quite connect that stubbornness with a gripping interior psychology—the king’s all-too-obvious repression is played for easy laughs—and we hurtle toward tragedy without much at stake. Horror arrives on schedule, Dionysus collects his blood debt, and a mother, after murdering her son, holds his severed head aloft and wails, « I was mad, and now he is dead. » This should crush the audience, but it comes off as a summing-up. I received the information matter-of-factly, like a Google alert. After an hour and a half of strenuously literal choreography and two-dimensional line readings, can you blame me? This Bacchae has a way of staring the incomprehensible in the face … and falling gently asleep, as if nodding off watching the news or in the middle of halfhearted midweek sex. It’s proof that sometimes, when you look long into the abyss, the abyss yawns. Scott Brown
Il est utile de dissiper une opinion répandue, si souvent invoquée par les musulmans réformateurs comme par bon nombre d’intellectuels occidentaux : la Bible contiendrait encore plus de violence que le Coran, dans la mesure où elle contiendrait encore plus de passages où Dieu se montre cruel que le Livre saint de l’islam. C’est l’exemple type de l’incompréhension qui règne entre l’Occident et l’Orient, idée fixe que l’on retrouve tant dans le discours interreligieux que dans la doxa nihiliste. (…) la Bible relate l’histoire du peuple hébreu, narration parfois fastidieuse de mille pérégrinations effectuées sous le regard de Dieu. Que le texte comporte des scènes de massacre collectif, des meurtres, des viols, des supplices et des bains de sang est choquant à l’aune de l’universalisme contemporain tout en étant rigoureusement conforme à la tristesse du champ historique concerné. Christian Makarian
Il y a une quantité incroyable de violence dans des pièces telles que Médée ou les Bacchantes, dans la tradition dionysiaque dans son ensemble qui est centrée sur le lynchage. L’Iliade n’est rien d’autre qu’une chaîne d’actes de vengeance ; mais ce que C. S. Lewis et Nietzsche disent sur cette question est sans doute vrai si le problème est défini de la façon qu’ils le définissent, à savoir en termes non pas de pure quantité de violence exposée mais de l’intensité de la rancoeur ou du ressentiment. (…) Même si les Bacchantes d’Euripide ne sont pas loin de prendre la défense de la victime, en fin de compte elles ne le font pas. Le lynchage du roi Penthée de la propre main de sa mère et de ses sœurs est horrible certes, mais pas mauvais; il est justifié. Le  roi Penthée est coupable de s’immiscer dans les rituels religieux des Bacchantes, coupable de s’opposer au dieu Dionysos lui-même. René Girard
On dit que les Psaumes de la Bible sont violents, mais qui s’exprime dans les psaumes, sinon les victimes des violences des mythes : “Les taureaux de Balaam m’encerclent et vont me lyncher”? Les Psaumes sont comme une fourrure magnifique de l’extérieur, mais qui, une fois retournée, laisse découvrir une peau sanglante. Ils sont typiques de la violence qui pèse sur l’homme et du recours que celui-ci trouve dans son Dieu. René Girard
De nombreux commentateurs veulent aujourd’hui montrer que, loin d’être non violente, la Bible est vraiment pleine de violence. En un sens, ils ont raison. La représentation de la violence dans la Bible est énorme et plus vive, plus évocatrice, que dans la mythologie même grecque. (…) Il est une chose que j’apprécie dans le refus contemporain de cautionner la violence biblique, quelque chose de rafraîchissant et de stimulant, une capacité d’indignation qui, à quelques exceptions près, manque dans la recherche et l’exégèse religieuse classiques. (…) Un bon exemple d’un livre qui semble scandaleusement violent est celui des Psaumes. Beaucoup de psaumes sont non seulement violents mais pleins de haine et de ressentiment. Le narrateur se plaint qu’il a de nombreux ennemis injustes qui non seulement détruisent sa réputation mais menacent sa vie et l’agressent même physiquement. Dans certains des Psaumes, le narrateur est entouré par ces ennemis qui sont sur le point de le lyncher. Il les maudit, il les insulte; surtout il demande à Dieu de faire descendre le feu  et la destruction sur ces ennemis. L’intensité du ressentiment dans ces Psaumes est peut être bien la raison principale pourquoi Nietzsche voit dans la tradition judéo-chrétienne un ressentiment qui n’existe pas dans le monde païen. Ce sont les Psaumes dits de malédiction ou d’exécration. De nos jours afin de minimiser leur violence plusieurs Bibles les appellent « pénitentiels ». Ils ne sont pas du tout pénitentiels mais vengeurs. De nombreux commentateurs traditionnels et savants ont minimisé la violence de ces textes qu’ils considéraient comme une expression stéréotypée de la colère, une collection de clichés dépourvus de toute référence au monde réel. L’actuelle privation complète du référent  est le résultat d’un long processus au cours duquel tous les anciens textes et la réalité ont été de plus en plus désactivés. C’est une façon de se débarrasser complètement du problème ou de le transformer en un problème psychologique ou psychanalytique. Mais certains esprits libres parmi les croyants ont toujours souligné la violence dans ces prières. Il y a d’autres textes de la Bible qui interdisent aux êtres humains de prier Dieu pour la destruction de leurs ennemis, et c’est précisément ce que font ces Psaumes.  C. S. Lewis dans sa réflexions sur les Psaumes les trouve choquants et n’hésite pas à dire: Dans certains des Psaumes l’esprit de haine nous frappe au visage comme la chaleur d’une fournaise. Dans d’autres cas, le même esprit cesse d’être effrayant mais c’est pour devenir (aux yeux de l’homme moderne) presque comique par sa naïveté. Lewis trouve ces textes particulièrement problématiques étant donné que l’on ne retrouve pas cette intensité de haine dans l’écriture païenne : Si nous excusons les poètes des Psaumes sous prétexte qu’ils n’étaient pas chrétiens, nous devrions pouvoir montrer que les auteurs païens expriment le même genre de choses et pire encore (….) Je peux trouver en eux de la lascivité, une bonne dose d’insensibilité brutale, une froide cruauté qui va de soi pour eux, mais certainement pas cette fureur ou cette profusion de haine…. La première impression que l’on en retire est que les Juifs étaient bien plus vindicatifs et acerbes que les païens. Cette observation est très proche de ce que Nietzsche a dit de la Bible en ce qui concerne le paganisme mais C. S. Lewis ne semble pas percevoir la similitude. On pourrait bien sûr contester le jugement de C. S. Lewis. Il y a une quantité incroyable de violence dans des pièces telles que Médée ou les Bacchantes, dans la tradition dionysiaque dans son ensemble qui est centrée sur le lynchage. L’Iliade n’est rien d’autre qu’une chaîne d’actes de vengeance ; mais ce que C. S. Lewis et Nietzsche disent sur cette question est sans doute vrai si le problème est défini de la façon qu’ils le définissent il, à savoir en termes non pas de pure quantité de violence exposée mais de l’intensité de la rancoeur ou du ressentiment. Mais que signifie vraiment tout cela? C. S. Lewis se pose la question et en tire quelques remarques très pertinentes que, malheureusement, il ne développe pas suffisamment. Sa principale remarque est que le ressentiment envers les textes bibliques peut être motivé par de  réelles injustices  que les narrateurs de ces Psaumes devaient subir: « ces haines sont le genre de choses que produisent,  par une sorte de loi naturelle, la cruauté et l’injustice. » Lewis ne rejette pas automatiquement comme irréelle toute la violence et l’injustice dont se plaignent les narrateurs dans les Psaumes. Je suis très d’accord que cette violence doit être réelle. Mais alors si c’est vrai dans les Psaumes, il n’y a aucune raison de penser que la violence similaire dans la mythologie n’est pas réelle. De plus, la question demeure : si ces violences sont réelles dans les deux types de textes, comment se fait-il que dans les textes bibliques les victimes de ces violences expriment  pleinement  le profond ressentiment qu’ils ressentent, la haine que leurs bourreaux suscitent en eux ? (…) Beaucoup de lecteurs modernes sont choqués par la langue violente des narrateurs mais pas par la violence qui leur est infligée. Ils ne la prennent pas au sérieux. Ils voient la réaction violente mais purement verbale de la victime impuissante mais ils rejettent comme irréelle la violence des bourreaux, qu’ils considèrent tout simplement comme une langue classique et stéréotypée. En fait, certains savants allemands soutiennent qu’il doit s’agir là d’hallucinations. Pour obtenir un autre point de vue sur ce qui se passe dans les Psaumes, il ne faut pas hésiter à comparer cette violence avec celle que l’on retrouve dans la mythologie, dans la tradition dionysiaque, par exemple et aussi dans les mythes archaïques du monde entier. (…) Une fois que nous nous rendons compte que nous avons à faire au même phénomène social dans la Bible que la mythologie, à savoir la foule hystérique qui ne se calmera pas tant qu’elle n’aura pas lynché une victime, nous ne pouvons manquer de prendre conscience du fait de la grande singularité biblique, même de son caractère unique. (…) Dans la mythologie, la violence collective est toujours représentée à partir du point de vue de l’agresseur et donc on n’entend jamais les victimes elles-mêmes. On ne les entend jamais se lamenter sur leur triste sort et maudire leurs persécuteurs comme ils le font dans les Psaumes. Tout est raconté du point de vue des bourreaux. (…) Pas étonnant que les mythes grecs, les épopées grecques et les tragédies grecques sont toutes sereines, harmonieuses et non perturbées. (…) Pour moi, les Psaumes racontent la même histoire de base que les mythes mais retournée, pour ainsi dire. (…) Les Psaumes d’exécration ou de malédiction sont les premiers textes dans l’histoire qui permettent aux victimes, à jamais réduites au silence dans la mythologie, d’avoir une voix qui leur soit propre. (…) Ces victimes ressentent exactement la même chose que Job. Il faut décrire le livre de Job, je crois, comme un psaume considérablement élargi de malédiction. Si Job était un mythe, nous aurions seulement le point de vue des amis. (…) La critique actuelle de la violence dans la Bible ne soupçonne pas que la violence représentée dans la Bible peut être aussi dans les évènements derrière la mythologie, bien qu’invisible parce qu’elle est non représentée. La Bible est le premier texte à représenter la victimisation du point de vue de la victime, et c’est cette représentation qui est responsable, en fin de compte, de notre propre sensibilité supérieure à la violence. Ce n’est pas le fait de notre intelligence supérieure ou de notre sensibilité. Le fait qu’aujourd’hui nous pouvons passer jugement sur ces textes pour leur violence est un mystère. Personne d’autre n’a jamais fait cela dans le passé. C’est pour des raisons bibliques, paradoxalement, que nous critiquons la Bible. (…) Alors que dans le mythe, nous apprenons le lynchage de la bouche des persécuteurs qui soutiennent qu’ils ont bien fait de lyncher leurs victimes, dans la Bible nous entendons la voix des victimes elles-mêmes qui ne voient nullement le lynchage comme une chose agréable et nous disent en des mots extrêmement violents, des mots qui reflètent une réalité violente qui est aussi à l’origine de la mythologie, mais qui restant invisible, déforme notre compréhension générale de la littérature païenne et de la mythologie. René Girard

Et si entre les violents psaumes et les gentils mythes, c’était la sérénité mythique qui opprimait et la violence biblique qui affranchissait? 

Suite à notre dernier billet sur la polémique Soler  …

Et en cette journée du jeûne de Tammouz où nos amis juifs demandent pardon pour la faute du Veau d’or commise lors du don même de la Loi …

Pendant que, notamment dans leur position envers Israël, nos églises chrétiennes n’en ont apparemment toujours pas fini de la confusion mentale où elles semblent s’être durablement installées  …

Mais que progresse, jusque sur le terrain sportif à la veille des Olympiades de Londres, le contre-universalisme du voile …

Retour, avec René Girard, sur cette étrange catégorie de textes bibliques appelés Psaumes et notamment les psaumes dits « de malédiction et d’exécration ».

Traces quasi-fossiles apparemment de véritables rituels (peut-être, originairement, à caractère ordalique?) du Temple où, selon la pratique des villes-refuges, les victimes acculées par la rumeur ou la cabale publique venaient, en dernier recours et toute une nuit durant, chercher le soulagement que les tribunaux normaux n’avaient pu leur accorder …

Plaidant et criant tour à tour devant les prêtres, à l’instar d’un Job qui en serait la forme la plus élaborée ou d’un Jésus agonisant qui les reprendra partiellement, leur cause, leur innocence mais aussi leurs imprécations (non dénuées peut-être de connotations magiques à une époque où la parole était perçue comme directement agissante) face à leurs accusateurs, avant le matin venu, leur joie de la délivrance …

Ces fameux psaumes vengeurs donc mais qualifiés pudiquement aujourd’hui,  quand ils ne sont pas ravalés à de pures « hallucinations », de « pénitentiels » par nombre de chercheurs  et exégètes de la religion …

Passant de ce fait à côté, eux aussi, de ce qui fait la supériorité et même le caractère unique de ces textes par rapport à leurs inspirateurs ou contemporains babyloniens ou grecs.

A savoir, derrière la fourrure magnifique des mythes et la peau sanglante des psaumes, le fait que ce que la mythologie gagne en (apparente) sérénité, elle le paie en fait en plus grand mensonge et violence cachée …

Alors que ce que la pensée biblique perd en plus grande violence (apparente) ou en tout cas en ressentiment (affiché), elle le gagne en fait en vérité anthropologique et éthique …

La violence dans le récit biblique

traduit au babelfish

René Girard

Philosophy and Literature

Vol. 22, no 2

octobre 1999

De nombreux commentateurs veulent aujourd’hui montrer que, loin d’être non violente, la Bible est vraiment pleine de violence. En un sens, ils ont raison. La représentation de la violence dans la Bible est énorme et plus vive, plus évocatrice, que dans la mythologie même grecque. Si on compare les textes judaïques aux textes païens, nous trouvons que le montant de la violence représentée est plus grand dans le premier que dans le second. Certains défenseurs de la Bible disent que la critique actuelle de sa violence manque de perspective historique parce qu’elle ne tient aucun compte du fait que, dans notre monde, beaucoup de gens qui écrivent sur la Bible sont devenus extrêmement sensibles à la violence, beaucoup plus sensibles qu’à tout autre moment du passé. En fait, nous devrions veiller à ne pas projeter les valeurs et attitudes modernes sur des textes archaïques.

Bien sûr, il y a beaucoup de vérité dans cette opinion, mais c’est une mauvaise défense de la Bible du point de vue des croyants. Si nous avons à dire que la Bible est pleine de violence parce que c’est le produit d’une culture de violence, comment pouvons nous attribuons à la Bible un rôle positif dans la lutte contre la violence ? Comment peut-on dire que la lecture de la Bible nous rend meilleurs, ce que croient les juifs et les chrétiens. Il y a quelque chose que j’apprécie dans le refus contemporain de cautionner la violence biblique, quelque chose de rafraîchissant et de stimulant, une capacité d’indignation qui, à quelques exceptions près, manque dans la recherche et l’exégèse religieuse classiques. Les croyants se doivent de proposer une meilleure réponse qu’une réponse sociologique au risque d’arriver au résultat opposé à ce qu’ils recherchent. Pour moi, il y a une meilleure réponse qu’une lecture purement socioculturelle ou socio-historique de la Bible et, en un sens, mon propre travail est une tentative de trouver cette réponse.

Un bon exemple d’un livre qui semble scandaleusement violent est celui des Psaumes. Beaucoup de psaumes sont non seulement violents mais pleins de haine et de ressentiment. Le narrateur se plaint qu’il a de nombreux ennemis injustes qui non seulement détruisent sa réputation mais menacent sa vie et l’agressent même physiquement. Dans certains des Psaumes, le narrateur est entouré par ces ennemis qui sont sur le point de le lyncher. Il les maudit, il les insulte; surtout il demande à Dieu de faire descendre le feu  et la destruction sur ces ennemis.

L’intensité du ressentiment dans ces Psaumes est peut être bien la raison principale pourquoi Nietzsche voit dans la tradition judéo-chrétienne un ressentiment qui n’existe pas dans le monde païen. Ce sont les Psaumes dits de malédiction ou d’exécration. De nos jours afin de minimiser leur violence plusieurs Bibles les appellent « pénitentiels ». Ils ne sont pas du tout pénitentiels mais vengeurs.

De nombreux commentateurs traditionnels et savants ont minimisé la violence de ces textes qu’ils considéraient comme une expression stéréotypée de la colère, une collection de clichés dépourvus de toute référence au monde réel. L’actuelle privation complète du référent  est le résultat d’un long processus au cours duquel tous les anciens textes et la réalité ont été de plus en plus désactivés. C’est une façon de se débarrasser complètement du problème ou de le transformer en un problème psychologique ou psychanalytique. Mais certains esprits libres parmi les croyants ont toujours souligné la violence dans ces prières. Il y a d’autres textes de la Bible qui interdisent aux êtres humains de prier Dieu pour la destruction de leurs ennemis, et c’est précisément ce que font ces Psaumes.  C. S. Lewis dans sa réflexions sur les Psaumes les trouve choquants et n’hésite pas à dire: Dans certains des Psaumes l’esprit de haine nous frappe au visage comme la chaleur d’une fournaise. Dans d’autres cas, le même esprit cesse d’être effrayant mais c’est pour devenir (aux yeux de l’homme moderne) presque comique par sa naïveté.1 Lewis trouve ces textes particulièrement problématiques étant donné que l’on ne retrouve pas cette intensité de haine dans l’écriture païenne :

 Si nous excusons les poètes des Psaumes sous prétexte qu’ils n’étaient pas chrétiens, nous devrions pouvoir montrer que les auteurs païens expriment le même genre de choses et pire encore (….) Je peux trouver en eux de la lascivité, une bonne dose d’insensibilité brutale, une froide cruauté qui va de soi pour eux, mais certainement pas cette fureur ou cette profusion de haine…. La première impression que l’on en retire est que les Juifs étaient bien plus vindicatifs et acerbes que les païens.2

Cette observation est très proche de ce que Nietzsche a dit de la Bible en ce qui concerne le paganisme mais C. S. Lewis ne semble pas percevoir la similitude.

On pourrait bien sûr contester le jugement de C. S. Lewis. Il y a une quantité incroyable de violence dans des pièces telles que Médée ou les Bacchantes, dans la tradition dionysiaque dans son ensemble qui est centrée sur le lynchage. L’Iliade n’est rien d’autre qu’une chaîne d’actes de vengeance ; mais ce que C. S. Lewis et Nietzsche disent sur cette question est sans doute vrai si le problème est défini de la façon qu’ils le définissent il, à savoir en termes non pas de pure quantité de violence exposée mais de l’intensité de la rancoeur ou du ressentiment.

Mais que signifie vraiment tout cela? C. S. Lewis se pose la question et en tire quelques remarques très pertinentes que, malheureusement, il ne développe pas suffisamment. Sa principale remarque est que le ressentiment envers les textes bibliques peut être motivé par de  réelles injustices  que les narrateurs de ces Psaumes devaient subir: « ces haines sont le genre de choses que produisent,  par une sorte de loi naturelle, la cruauté et l’injustice.»3

Lewis ne rejette pas automatiquement comme irréelle toute la violence et l’injustice dont se plaignent les narrateurs dans les Psaumes. Je suis très d’accord que cette violence doit être réelle. Mais alors si c’est vrai dans les Psaumes, il n’y a aucune raison de penser que la violence similaire dans la mythologie n’est pas réelle. De plus, la question demeure : si ces violences sont réelles dans les deux types de textes, comment se fait-il que dans les textes bibliques les victimes de ces violences expriment  pleinement  le profond ressentiment qu’ils ressentent, la haine que leurs bourreaux suscitent en eux ?

Si nous examinons les Psaumes dans lequel se produisent les expressions les plus violentes de la haine, nous allons trouver, je soupçonne, que le narrateur est abandonné de tous et entouré de nombreux ennemis puissants qui non seulement détruisent sa réputation, mais essaient de le détruire physiquement, même de le lyncher. La haine dans ces Psaumes est en réponse au désespoir vécu par un homme qui est devenu, pour une raison quelconque, la victime de l’ensemble de sa communauté, ce que nous appelons le bouc émissaire de cette communauté.

Beaucoup de lecteurs modernes sont choqués par la langue violente des narrateurs mais pas par la violence qui leur est infligée. Ils ne la prennent pas au sérieux. Ils voient la réaction violente mais purement verbale de la victime impuissante mais ils rejettent comme irréelle la violence des bourreaux, qu’ils considèrent tout simplement comme une langue classique et stéréotypée. En fait, certains savants allemands soutiennent qu’il doit s’agir là d’hallucinations.

Pour obtenir un autre point de vue sur ce qui se passe dans les Psaumes, il ne faut pas hésiter à comparer cette violence avec celle que l’on retrouve dans la mythologie, dans la tradition dionysiaque, par exemple et aussi dans les mythes archaïques du monde entier. Tous les épisodes de la tradition dionysiaque sans une seule exception sont centrés sur une foule qui est très turbulente, très agitée, et qui tue une victime  à l’unanimité. La preuve que le mot de « lynchage » n’ est pas une exagération  se trouve, je crois, dans la tragédie que je considère comme la plus importante du point de vue de la violence, la grande tragédie de lynchage, les Bacchantes d’Euripide.

Si l’on met ensemble les Bacchantes et les Psaumes de malédiction, l’on prend conscience qu’ils décrivent le même type de drame collectif : une seule victime arbitraire, un bouc émissaire unique devient la cible d’une foule entière déchainée, une foule qui est furieuse pour des motifs évidemment étrangers à ceux qu’elle invoque pour expulser violemment ou  tuer la victime, le parricide et l’inceste par exemple, ou la fornication bestiale, ou quelque autre crime caractéristique des foules déchainées.

La violence collective n’est pas le monopole de la mythologie grecque ou du monde biblique. Si l’on prend la peine d’examiner les mythes qui prennent naissance dans les sociétés archaïques du monde entier, on reconnaît que la plupart des mythes de fondation et des histoires d’origine se trouvent aussi ancrés dans des phénomènes de foule, de troubles sociaux. Les phénomènes de foule sont plus fréquents, je crois, dans les sociétés archaïques que les anthropologues et les autres spécialistes le réalisent. Ils semblent se produire dans les mythes du monde entier.

Le lynchage du héros est le plus fréquent dans la mythologie, et il est souvent transfiguré ou attribué aux animaux que nous trouvons dans les métaphores des Psaumes : la meute de chiens, les taureaux qui chargent, les lions et même les abeilles qui bourdonnent autour de tête de la victime et le piquent de tous côtés. Tous les animaux qui vivent en meute et qui chassent ou chargent collectivement sont utilisés partout dans le monde comme des métaphores de la foule du lynchage–les bisons en Amérique du Nord, les kangourous en Australie, les loups, les vautours, etc. dans d’autres parties du monde.

 Une fois que nous nous rendons compte que nous avons affaire au même phénomène social dans la Bible comme dans la mythologie, à savoir la foule hystérique qui ne se calmera pas tant qu’elle n’aura pas lynché une victime, nous ne pouvons manquer de prendre conscience du fait de la grande singularité biblique, même de son caractère uniqueDans les mythes, les victimes uniques peuvent finalement être transformées en des sortes de divinités ou en figures transcendantales. Mais, d’abord et avant tout, elles sont considérées comme coupables. Elles sont toujours condamnées à juste titre et leur lynchage est justifié.

Même si les Bacchantes d’Euripide ne sont pas loin de prendre la défense de la victime, en fin de compte elles ne le font pas. Le lynchage du roi Penthée de la propre main de sa mère et de ses sœurs est horrible certes, mais pas mauvais ; il est justifié. Le  roi Penthée est coupable de s’immiscer dans les rituels religieux des Bacchantes, coupable de s’opposer au dieu Dionysos lui-même.

 Dans la mythologie, la violence collective est toujours représentée à partir du point de vue de l’agresseur et donc on n’entend jamais les victimes elles-mêmes. On ne les entend jamais se lamenter sur leur triste sort et maudire leurs persécuteurs comme ils le font dans les Psaumes. Tout est raconté du point de vue des bourreaux.

Pas étonnant que les mythes grecs, les épopées grecques et les tragédies grecques sont toutes sereines, harmonieuses et non perturbées. Dans les cultures païennes, les persécuteurs sont en charge. Nous n’entendons jamais les victimes. Nous n’entendons que les persécuteurs qui ont toujours le dernier mot, et qui ne sont pas au courant de leur propre violence arbitraire.

Les Psaumes, à mon avis, racontent la même histoire de base que les mythes mais retournée, pour ainsi dire.  Ils sont comme un manteau de fourrure superbe. Si vous retournez le vêtement intérieur vers l’extérieur, vous verrez peut-être encore des traces de sang et vous prendrez conscience qu’à un moment donné dans le passé, le vêtement faisait partie d’une créature vivante et que celle-ci devait être tuée pour produire le beau manteau à venir.

Voilà comment je vois la relation entre la mythologie et de nombreux textes bibliques. Ces derniers insistent sur les aspects désagréables et violents de ce qui se passe dans une société afin d’arriver au genre d’ordre que symbolise la mythologie. Les critiques contemporains assimilent la violence d’un texte à sa représentation. À mon avis, c’est une théorie naïve. L’expression manifeste de la violence et du ressentiment dans la Bible ne démontre pas que la violence de la Bible est supérieure à la violence de la mythologie. La vérité est tout le contraire.
Les Psaumes d’exécration ou de malédiction sont les premiers textes dans l’histoire qui permettent aux victimes, à jamais réduites au silence dans la mythologie, d’avoir une voix qui leur soit propre. Naturellement ces boucs émissaires spontanés se sentent horriblement trahis par leurs amis, leurs voisins, même les membres de leur famille. Et ceci n’est pas étonnant. Ils sont victimes de tout le monde sans exception à l’intérieur de leur propre communauté.
Ce n’est pas un ennemi qui m’outrage,
je le supporterais;
Ce n’est pas mon adversaire qui s’élève contre moi,
Je me cacherais devant lui.
C’est toi, que j’estimais mon égal,
Toi, mon confident et mon ami!
(Psaume 55: 12-13)
Ces victimes ressentent exactement la même chose que Job. Il faut décrire le livre de Job, je crois, comme un psaume considérablement élargi de malédiction. Si Job était un mythe, nous aurions seulement le point de vue des amis.
La critique actuelle de la violence dans la Bible ne soupçonne pas que la violence représentée dans la Bible peut-être aussi dans les évènements derrière la mythologie, bien qu’invisible parce qu’elle est non représentée. La Bible est le premier texte à représenter la victimisation du point de vue de la victime, et c’est cette représentation qui est responsable, en fin de compte, de notre propre sensibilité supérieure à la violence. Ce n’est pas le fait de notre intelligence supérieure ou de notre sensibilité. Le fait qu’aujourd’hui nous pouvons passer jugement sur ces textes pour leur violence est un mystère. Personne d’autre n’a jamais fait cela dans le passé. C’est pour des raisons bibliques, paradoxalement, que nous critiquons la Bible.
Laissez-moi résumer tout ça en une seule  phrase. Alors que dans le mythe, nous apprenons le lynchage de la bouche des persécuteurs qui soutiennent qu’ils ont bien fait de lyncher leurs victimes, dans la Bible nous entendons la voix des victimes elles-mêmes qui ne voient nullement le lynchage comme une chose agréable et nous disent en des mots extrêmement violents, des mots qui reflètent une réalité violente qui est aussi à l’origine de la mythologie, mais qui restant invisible, déforme notre compréhension générale de la littérature païenne et de la mythologie.
Voir aussi en anglais:

And if between the violent Psalms and the the nice myths, it was the mythical serenity which oppressed and the biblical violence which liberated?

Following our last post on the Soler controversy …

And on this day of the 17th of Tammuz fast when our Jewish friends ask forgiveness for the sin of the golden calf made in the gift of their Law…

While, notably intheir position on Israel, our Christian churches are apparently not through with the mental confusion where they seem to have durably settled …

Let’s look back, with René Girard, on this strange category of biblical texts called Psalms and especially the « cursing and execration » Psalms.

Quasi-fossile traces of apparently true Temple rituals (perhaps, originally, ordeal-like?) where, according to the practice of sanctuary/asylum cities, the cornered and anguished victims of public rumour or cabal came, as a last resort and overnight, seek the relief that the normal courts couldn’t give them…

Pleading and shouting in turn before the priests, like Job whose book would be the most elaborate form or a dying Jesus who would partially repeat their words, their cause, their innocence but also their imprecations (with their perhaps orignially magical overtones at a time when words were seen as directly active) to their accusers, before the coming of the morning and their joy of delivrance…

These famous venging Psalms but coyly qualified today, when they’re not relegated as pure « hallucinations », of « penitential » by a number of researchers and scholars of religion…

Thus blinding them, too, to what makes the superiority and the unique nature of these texts on their Babylonian or Greek inspirators or contemporaries.

Namely, behind the myths’ magnificent fur and the Psalms’ bloody skin, the fact that what mythology wins in (apparent) serenity, it pays more in mendacious and hidden violence…

While what biblical thought loses in (apparently) larger violence, it wins in fact anthropological and ethical truth…

Violence in Biblical Narrative

René Girard

Philosophy and Literature

23.2 1999

The Johns Hopkins University Press

Many commentators today want to show that far from being nonviolent, the Bible is really full of violence. In a sense, they are right. The representation of violence in the Bible is enormous and more vivid, more evocative, than in mythology and even Greek tragedy. If we compare Judaic texts to pagan ones, we find that the amount of represented violence is greater in the first than in the second. Some defenders of the Bible say that current criticism of its violence lacks historical perspective because it makes no allowance for the fact that in our world many people who write about the Bible have become extremely sensitive to violence, much more sensitive than at any time in the past. We should, in fact, be careful not to project modern values and attitudes back upon archaic texts.

There is a lot of truth in this view, of course, but it is a poor defense of the Bible from the standpoint of religious believers. If we have to say that the Bible is full of violence because it is the product of a violent culture, how can we attribute to the Bible a positive role in the battle against violence? How can we say that reading the Bible makes us better, which is what Jews and Christians believe. There is something I like in the contemporary refusal to condone biblical violence, something refreshing and challenging, a capacity for indignation that, with a few exceptions, is lacking in standard scholarship and religious exegesis. Believers must come up with a better answer than a sociological one or they will defeat their own purpose. I think there is a better answer than reading the Bible from within the contemporary cultural milieu and, in a sense, my own work is an attempt to find that answer.

A good example of a book that seems scandalously violent is the Book of Psalms. Many psalms are not only violent but full of hatred and resentment. The narrator complains that he has many unjust enemies who not only destroy his reputation but threaten his life and even physically assault him. In some of the psalms the narrator is surrounded by these enemies who are about to lynch him. He curses them, he insults them; above all he asks God to rain fire and destruction on these enemies.

The intensity of resentment in these psalms may well be the main reason why Nietzsche sees in the Judeo-Christian tradition a resentment which does not exist in the pagan world. These are the so-called psalms of malediction or execration. Nowadays in order to minimize their violence many Bibles call them « penitential. » They are not penitential at all but vengeful.

Many traditional and scholarly commentators minimized the violence of these texts which they regarded as a stereotyped expression of anger, a collection of clichés devoid of any referent in the real world. The complete denial of the referent right now is the end product of a long process during which the reality behind all ancient texts has been more and more de-emphasized. This is a way of getting rid of the problem entirely or of turning it into a psychological or psychoanalytical problem. But some free spirits among the believers have always underlined the violence in these prayers. There are other texts in the Bible that forbid human beings to pray to God for the destruction of their enemies, and this is precisely what these psalms do. C. S. Lewis in his Reflections on the Psalms finds them shocking and does not hesitate to say so: « In some of the Psalms the spirit of hatred which strikes us in the face is like the heat from a furnace mouth. In others the same spirit ceases to be frightful only by becoming (to a modern mind) almost comic in its naïveté. »1 Lewis finds these texts especially problematic in view of the fact that this intensity of hatred is not found in pagan writing:

If we are to excuse the poets of the Psalms on the grounds that they were not Christians, we ought to be able to point to the same sort of thing, and worse, in pagan authors. . . . I can find in them lasciviousness, much brutal insensibility, cold cruelties taken for granted, but not this fury or luxury of hatred. . . . One’s first impression is that the Jews were much more vindictive and vitriolic than the pagans.2

This observation is very close to what Nietzsche says about the Bible in relation to paganism but C. S. Lewis does not seem to be aware of the similarity. One could argue, of course, with C. S. Lewis’s judgment. There is an unbelievable amount of violence in such plays as Medea or The Bacchae, in the Dionysiac tradition as a whole which is centered on lynching. The Iliad is nothing but a chain of acts of revenge; yet what C. S. Lewis and Nietzsche say on this question is undoubtedly true if the problem is defined in the manner they define it, namely in terms not of the sheer amount of violence exhibited but of the intensity of resentment, or ressentiment.

But what does all this really mean? C. S. Lewis asks himself this question and makes some very good points which, unfortunately, he does not develop sufficiently. His main point is that the resentment in biblical texts may be motivated by real injustices that the narrators of these psalms had to suffer: « Such hatreds are the kind of things that cruelty and injustice, by a sort of natural law, produce. »3

Lewis does not automatically dismiss as unreal all the violence and injustice that the narrators in the psalms complain about. I agree very much that this violence must be real. But then if it is real in the psalms, there is no reason to think that similar violence in mythology is unreal. Moreover, the question remains: if these violences are real in both types of texts, why is it only in the biblical texts that the victims of these violences fully express the deep resentment they feel, the hatred that their victimizers arouse in them?

If we look at the psalms in which the most violent expressions of hatred occur, we will find, I suspect, that the narrator is abandoned by all and surrounded by many powerful enemies who not only destroy his reputation but try to destroy him physically, even to lynch him. The hatred in these psalms is in response to the despair experienced by a man who has become, for whatever reason, the victim of his entire community, what we would call the scapegoat of this community.

Many modern readers are shocked by the violent language of the narrators but not by the violence inflicted upon them. They do not take it seriously. They see the violent but purely verbal response of the impotent victim but they dismiss as unreal the violence of the victimizers, which they regard simply as conventional, stereotyped language. As a matter of fact, some German scholars maintain that it must be hallucination.

In order to get another perspective on what is going on in the psalms, it is a good idea to compare this violence with the violence one finds in mythology, in the Dionysiac tradition, for instance, and also in archaic myths all over the world. All episodes of the Dionysiac tradition without a single exception are centered upon a crowd that is very unruly, very agitated, and which unanimously murders some victim. Proof that the word « lynching » is no exaggeration is available, I believe, in the tragedy which I regard as the most important from the standpoint of violence, the great tragedy of lynching, The Bacchae of Euripides.

If we bring together The Bacchae and the psalms of malediction, we become aware that they describe the same type of collective drama: a single arbitrary victim, a single scapegoat becomes the target of an entire mob on the rampage, a mob that is infuriated for reasons obvi-ously alien to the one the mob invokes for violently expelling or killing the victim–parricide and incest for instance, or bestial fornication, or some other crime characteristic of crowds on the rampage.

Collective violence is not a monopoly of Greek mythology or the biblical world. If we look around and examine the myths that originate in archaic societies all over the world, we will recognize that most foundation myths and stories of origin must also be rooted in mob phenomena, in social disorders. Mob phenomena are more common, I believe, in archaic societies than anthropologists and other scholars realize. They seem to occur in myths all over the world.

The lynching of the hero is the most common occurrence in mythology and it is often transfigured or attributed to animals which we find in the metaphors of the psalms: the pack of dogs, the charging bulls, the lions and even the bees buzzing around the victim’s head and stinging him on all sides. All animals who live in large packs and who hunt or charge collectively are used all over the world as metaphors of the lynching mob–buffalo in North America, kangaroos in Australia, wolves, vultures, etc. in other parts of the world.

Once we realize that we must be dealing with the same social phenomenon in the Bible and in mythology, namely the hysterical mob that will not calm down until it has lynched a victim, we cannot fail to become aware of the fact of a great biblical singularity, even a uniqueness. In myths, single victims may ultimately be turned into some kind of divinity or transcendental figures. But, first and foremost, they are regarded as guilty. They are always justly condemned and their lynching is justified.

Even though Euripides’ The Bacchae comes close to taking the side of the victim, in the end it does not. The lynching of King Pentheus at the [End Page 390] hands of his mother and sisters is certainly horrible but not wrong; it is justified. King Pentheus is guilty of interfering with the religious rituals of the Bacchae, guilty of opposing the god Dionysus himself. In mythology, the collective violence is always represented from the standpoint of the victimizers and therefore the victims themselves are never heard. We never hear them bemoaning their sad fate and cursing their persecutors as they do in the psalms. Everything is recounted from the standpoint of the persecutors.

No wonder the Greek myths, the Greek epics and the Greek tragedies are all serene, harmonious, and undisturbed. In pagan cultures, the persecutors are in charge. We never hear the victims. We only hear the persecutors who always have the last word, and who are unaware of their own arbitrary violence.

The psalms, in my view, tell the same basic story as many myths but turned inside out, so to speak. They are like a beautiful fur coat. If you turn the garment inside out, you will perhaps still see traces of blood and you will become aware that, at some point in the past, the garment was part of a living creature that first had to be killed for the beautiful coat to come into being.

This is how I see the relationship between mythology and many biblical texts. The latter dwell on the unpleasant, violent aspects of what is going on in a society in order to have the kind of order mythology symbolizes. Contemporary critics equate the violence of a text with its representation. In my view this is theoretically naive. The overt expression of violence and resentment in the Bible does not demonstrate that the violence of the Bible is greater than the violence of mythology. The truth is just the reverse.

The psalms of execration or malediction are the first texts in history that enable victims, forever silenced in mythology, to have a voice of their own. These spontaneous scapegoats understandably feel horribly betrayed by their friends, their neighbors, even their relatives. And no wonder. They are victimized by everybody without exception inside their own community.

It is not an enemy who taunts me–

then I could bear it;

it is not an adversary who deals insolently with me–

then I could hide from him.

But it is you, my equal,

my companion, my familiar friend.

(Ps. 55. 12-13)

These victims feel exactly the way Job does. The Book of Job must be defined, I believe, as an enormously enlarged psalm of malediction. If Job were a myth, we would only have the viewpoint of the friends.

The current critique of violence in the Bible does not suspect that the violence represented in the Bible might also be there in the events behind mythology, although invisible because it is unrepresented. The Bible is the first text to represent victimization from the standpoint of the victim and it is this representation which is responsible, ultimately, for our own superior sensibility to violence. It is not our superior intelligence or sensitivity. The fact that today we can sit in judgment over these texts for their violence is a mystery. No one else has ever done that in the past. It is for biblical reasons, paradoxically, that we criticize the Bible.

Let me sum up in one sentence. Whereas in myth, we learn about lynching from the persecutors who maintain that they did the right thing in lynching their victims, in the Bible we hear from the victims themselves who do not see lynching as a nice thing and tell us so in extremely violent words, words that reflect a violent reality also responsible for mythology but which, remaining invisible, thereby distorts our understanding of mythology and pagan literature generally.

Stanford University

Notes

1. C. S. Lewis, Reflections on the Psalms (New York: Harcourt, Brace & World, 1958), p.

142.

2. Ibid., p. 145.

3. Ibid., p. 144.

Rene Girard – Violence in Biblical Narrative – Philosophy and Li… http://ida.lib.uidaho.edu:2162/journals/philosophy_and_literatur&#8230;

Voir également:

The God Must Be Crazy

Director Joanne Akalaitis returns to the Delacorte with a turgid Bacchae.

Scott Brown

NY Mag

Aug 27, 2009

Something is very wrong in the city of Thebes. You can sense it the second Dionysus (Jonathan Groff) changes his pants. In the split-second you catch sight of those three-for-five-dollar boxer-briefs, all is revealed—a great and terrible truth writ in flame: The god shops at Old Navy! Okay, I’m taking a cheap shot, but that image—nylon, anodyne, almost absurdly nonerotic—is the one that sticks with me, attached as it is to my dawning revelation that no one and nothing even remotely godlike will be making an appearance at the Delacorte Theater this August. The Bacchae, director Joanne Akalaitis’s return to the Public after a twenty-year exile, is, I’m sorry to say, a tyranny of tedium. Plodding, schematized, gravid with drowsy, earthbound literalism, this production repeatedly, almost autistically insists on the demented, the ineffable, the unsanitary, and the crazed, while evincing none of these things. A kind of trance state does eventually set in, but while Euripides almost certainly didn’t intend to furnish us with a traditional catharsis, he probably wasn’t aiming for catatonia either: Set your watch to Philip Glass’s score (a particularly phoned-in version of his familiar plate-spinning act, plus a couple of abortive arena-rock departures) and you’ll still swear you’ve been there much longer than 90-some minutes.

First, and in fairness, it should be noted that there’s no shortage of bad Bacchae interpretations, and no wonder: The play’s a tough chew. The meatiest role goes to a god—an oddity in Greek drama—and his presence at stage center disrupts the ecology of tragedy in all sorts of fascinating, apocalyptic, and dramatically frustrating ways. The human leads—priggish, practical King Pentheus (Anthony Mackie), his grandfather, the fading Theban founder Cadmus (George Bartenieff), and his mother, Agave (Joan Macintosh)—are wrong-footed and overmatched from the moment Dionysus arrives in Thebes, place of his cataclysmic birth, to wreak revenge. He’s the son of Zeus by Cadmus’ daughter Semele, for whom the union proved fatal: A smoking scar on the stage marks her grave. Dionysus himself was spirited away by his immortal baby daddy, sewn into Zeus’ thigh, and thus carried to term. But Pentheus, Agave, and the Theban elite don’t believe in this « upstart god, » whom the young king brands « a pervert. » And Dionysus is an ambiguous figure, of uncertain gender, parentage, and divinity. Groff and Akalaitis re-create him as an insecure hipster-metrosexual who’s a little bit Joker, a little bit Jonas Brother. He certainly suffers from an acute case of short-god syndrome. But when he boasts that he « came to this city of Greeks when I had set all Asia dancing, » and swings his mike stand Spring Awakening–style, we’re ready to lift our lighters, or our thyrses, whichever’s closest. All right! Rock us, Bacchus!

Ah, but Bacchus refuses to rock (did I mention the score was by Philip Glass?), preferring instead to cackle at his own jokes, supervillain-style. His devotees, the mad, enchanted Bacchants, are similarly unfun, anti-sensual, and non-ecstatic. They sport weird Kahlo unibrows and, in their lumpen orange jumpers, evoke the Balinese cast of Mamma Mia! These huffing, puffing, occasionally power-walking Maenads work tirelessly to infuse the show with a dread it assiduously resists, and they occasionally succeed, against all odds. But boy, can you feel them working. They’re reputed to tear animals limb from limb, but their « Bacchic dances » feel no more ominous than a lengthy jazzercise class—everyone seems to be counting beats or calories. Mackie sweats almost as hard, but he’s on a treadmill: Manly Pentheus sees the power of Dionysus demonstrated time and again, but can’t bring himself to acknowledge this androgynous god. Yet Mackie and Akalaitis never quite connect that stubbornness with a gripping interior psychology—the king’s all-too-obvious repression is played for easy laughs—and we hurtle toward tragedy without much at stake. Horror arrives on schedule, Dionysus collects his blood debt, and a mother, after murdering her son, holds his severed head aloft and wails, « I was mad, and now he is dead. » This should crush the audience, but it comes off as a summing-up. I received the information matter-of-factly, like a Google alert. After an hour and a half of strenuously literal choreography and two-dimensional line readings, can you blame me? This Bacchae has a way of staring the incomprehensible in the face … and falling gently asleep, as if nodding off watching the news or in the middle of halfhearted midweek sex. It’s proof that sometimes, when you look long into the abyss, the abyss yawns.

Voir enfin:

REFUGE (villes de)

1.

Emplacement et noms.

D’après Jos 20:7-9 six villes de Palestine ont été consacrées comme cités de refuge, trois à l’Ouest du Jourdain et trois à l’Est Elles n’ont pas été «…mises à-part», au hasard: il y en a deux au Nord, deux au Sud et deux au centre; d’aucune partie du pays on n’avait à faire plus de 50 kilomètres pour atteindre l’une ou l’autre. Puis ce n’étaient pas des villes quelconques, mais bien des endroits ayant une antique réputation de sainteté, antérieure même à la conquête. Les trois villes de refuge de l’Ouest étaient:

Kédès, dans la montagne de Nephthali; comme son nom l’indique(=la Sainte), c’était un ancien sanctuaire cananéen. Sichem, au pied du mont Garizim; son caractère sacré est prouvé par plus d’un passage biblique: d’après Ge 12:6, il y avait près de Sichem un bocage où l’on venait consulter les devins (Chênes de Moré); Abraham y éleva un autel (Ge 12:7) et Josué y dressa un menhir (Jos 24:26). Hébron, dans les monts de Juda, d’après No 13:22 l’une des plus anciennes villes de Palestine; avant qu’Abraham y dressât un autel, sous les chênes de Mamré (Ge 13:18), les Cananéens et les Héthiens (Hittites) y avaient longtemps adoré leurs dieux.

Les villes de refuge de l’Est sont moins connues. Golan était dans le territoire accordé à la demi-tribu de Manassé. Ramoth en Galaad se trouvait dans le pays attribué à Gad. Béther, dans la région donnée originairement à la tribu de Ruben. Les ennemis d’Israël ne cessèrent de lui disputer ces trois localités.

2.

Caractère et raison d’être.

La nécessité d’avoir en Israël des villes possédant un droit officiel d’asile est due à l’institution du gôël (voir Vengeur du sang).

Pour tout Israélite se trouvant dans l’embarras, son plus proche parent du côté masculin (père, oncle, cousin), appelé son gôël, devait venir à son secours: racheter un champ que dans un moment de détresse il avait dû abandonner à un créancier, le racheter lui-même si, pour non-paiement d’une dette, il était devenu esclave. En cas de mort violente de son parent, il était tenu de mettre lui-même à mort le meurtrier; il devenait alors le «vengeur du sang». En effet, la loi israélite ne connaissait pas de bourreaux chargés d’exécuter les gens coupables de meurtre. Le gôël, en accomplissant cet acte, faisait oeuvre de justice, tenue pour oeuvre sainte (No 35:33).

Cependant la mort pouvait être due à quelque accident: il avait pu y avoir homicide par imprudence; cela ne diminuait pas le devoir du gôël de poursuivre le meurtrier, mais la loi accordait à ce dernier une chance d’échapper à sa fureur.

(a) D’après la législation la plus ancienne, celle du Code de l’Alliance (Ex 21:1-23:19), l’homicide par imprudence pouvait chercher un refuge auprès d’un autel élevé à la divinité (Ex 21:13 et suivant). Chaque sanctuaire possédait le droit d’asile. Mais s’il s’agissait vraiment d’un meurtre commis avec préméditation, ou par suite d’un accès de haine, le coupable, sur décision du prêtre du sanctuaire, était arraché de l’autel et remis entre les mains du gôël. Nous avons deux exemples bibliques de cet usage de l’asile sacré: 1Ro 1:50 2:28.

(b) Il est à présumer que, dès les jours de Salomon, le roi ou les juges avaient «mis à part» comme lieux de refuge certains endroits: Hébron, Sichem, Kédès, etc. Quand le roi Josias eut opéré, en 621, sa réforme religieuse, tous les sanctuaires établis ici et là dans le pays durent disparaître, mais on ne songea pas à réserver le droit d’asile au seul temple de Jérusalem. Au contraire, on maintint l’institution des villes de refuge avec la réglementation qui avait été établie au sujet de l’exercice du droit d’asile. Ce sont ces règlements que nous trouvons dans De 19:1-13,Jos 20:4,6. Ils montrent le meurtrier qui, après avoir couru le long d’une route constamment maintenue en bon état (De 19:3), arrive à la porte de la ville de refuge. C’est là que l’occasion lui est donnée d’exposer son cas aux anciens.

Ceux-ci, s’ils acceptent sa défense, lui assignent une demeure. Quant à la question de ses moyens d’existence, dans une ville où il est étranger, le texte n’en dit rien.

Dans le cas d’un meurtrier volontaire, les choses se passaient autrement. Si les anciens de sa ville le réclamaient, les autorités de la ville de refuge devaient l’envoyer sous bonne garde dans son lieu d’origine; et les juges de cet endroit, après avoir éclairci la question et prononcé leur sentence, le livraient au vengeur du sang pour être exécuté.

(c) Le Code sacerdotal (P) compléta les dispositions du Code deutéronomique: voir No 35:9,34. Dans ce texte, pour la première fois, les villes susmentionnées sont officiellement appelées «villes de refuge» (verset 11). Ce Code précise l’attitude que doit prendre le meurtrier involontaire. Il stipule qu’il doit rester dans la cité de refuge jusqu’à la mort du grand-prêtre. Au décès de ce dernier, une amnistie générale suspend les droits et devoirs de tout gôël sur les réfugiés non coupables, mais il leur est bien recommandé de ne pas tenter de sortir avant un tel évènement de la banlieue de la ville où ils se sont réfugiés, car le gôël avait le droit de les mettre à mort.

Un autre article rappelle (No 35:30, cf. De 19:15) qu’il faut au minimum deux témoins pour établir la culpabilité d’un meurtrier, et que la déposition d’un seul témoin ne compte pas.

Il semble, d’après No 35:24, que désormais c’étaient les juges du lieu d’origine et non les anciens de la ville de refuge qui devaient décider si le meurtre pouvait être considéré comme involontaire. Dans ce cas ils renvoyaient l’inculpé dans la ville où il s’était réfugié.

Le Code sacerdotal défend très expressément tout arrangement financier entre le gôël et le réfugié: l’argent ne saurait racheter le sang versé! (No 35:32)

On remarquera que le caractère spécial des villes de refuge ne porta nulle atteinte à leur prestige, et c’est pourquoi elles peuvent être inscrites au nombre des villes lévitiques, prévues par Jos 20:3 et suivants, No 35:1 et suivants: celles qui, avec leur banlieue, devaient être attribuées par les diverses tribus aux membres de celle de Lévi. Cette dernière ordonnance paraît peu compatible avec les données de No 26:62 et avec le principe même sur lequel le Code sacerdotal a établi toute l’histoire des institutions théocratiques d’Israël: principe d’après lequel les descendants de Lévi devaient être exclus de tout droit de propriété en Israël. Aussi se demande-t-on dans quelle mesure la théorie des villes lévitiques et celle des villes de refuge ont pu être effectivement réalisées: jamais Israël ne posséda la totalité des territoires visés par ces lois.

Pour refuge, voir aussi Asile. Ch. B.

ASILE

Chez un grand nombre de peuples de l’antiquité comme encore aujourd’hui chez certaines peuplades d’Asie, d’Afrique, d’Amérique et d’Océanie, il existait des lieux de refuge où un homme poursuivi par ses ennemis ou ses justiciers pouvait, â certaines conditions, trouver la sécurité : en cet asile personne n’avait le droit de porter la main sur lui. Cette institution paraît avoir été particulièrement fréquente et avoir pris une importance spéciale dans les pays où régnait le droit de vengeance personnelle ou familiale (voir le mot : vengeance). L’asile était généralement un sanctuaire.

Les plus anciennes lois d’Israël font allusion au droit d’asile. En principe, un meurtrier doit toujours subir la peine capitale. Si l’homicide est prémédité, aucune considération ne sauvera l’assassin du châtiment qu’il aura mérité : on l’arrachera même à l’autel auprès duquel il aura pu chercher asile et on l’exécutera ; mais si l’homicide est accidentel, son auteur sera protégé par le sanctuaire où il se sera réfugié (Ex 21 : 12-14). L’histoire des premiers rois d’Israël renferme deux traits relatifs à cette institution. Lorsque Salomon monta sur le trône, Adonija, son frère aîné, qui aspirait à la royauté, eut peur du nouveau roi et « il saisit les cornes de l’autel » (voyez le mot : autel). Salomon lui ayant promis la vie sauve à condition qu’il se montrât honnête homme, le fugitif quitta le sanctuaire sans être molesté (1Ro 1 : 5-53). Mais on sait qu’il fut, plus tard, exécuté sur l’ordre de Salomon parce qu’il avait demandé à épouser Abishag, la Sunamite. A sa mère, qui lui présentait cette requête, le roi avait répondu : « Qu’attends-tu pour réclamer aussi la royauté pour ton protégé ? » Joab, chef des armées de David, qui avait suivi le parti d’Adonija, prit peur à son tour, « se réfugia vers la tente de Yahvé et saisit les cornes de l’autel ». Salomon ne lui fit pas grâce, mais ordonna qu’il fût tué dans le sanctuaire même (1Ro 2 13-35).

A l’époque où le culte fut centralisé à Jérusalem (sous le roi Josias, en 621), les lieux d’asile disparurent avec les sanctuaires provinciaux. On les remplaça par des « cités de refuge » (De 4 : 41-43 ; 19 : 1-13). Le principe du « refuge » est très nettement exprimé dans ces passages. « Un homme va couper du bois dans la forêt avec un autre homme ; la hache en main, il s’élance pour abattre un arbre ; le fer échappe du manche, atteint le compagnon de cet homme et lui donne la mort. Alors il s’enfuira dans l’une de ces villes pour sauver sa vie, de peur que le vengeur du sang, échauffé par la colère et poursuivant le meurtrier, ne finisse par l’atteindre s’il y avait à faire beaucoup de chemin, et ne frappe mortellement celui qui ne mérite pas la mort, puisqu’il n’était pas auparavant l’ennemi de son prochain… Mais si un homme s’enfuit dans une de ces villes après avoir dressé des embûches à son prochain par inimitié contre lui, après l’avoir attaqué et frappé de manière à causer sa mort, les anciens de sa ville l’enverront saisir et le livreront entre les mains du vengeur du sang, afin qu’il meure » (De 19 : 5-6, 11-12). Le « vengeur du sang », auquel fait allusion ce passage, est , le plus proche parent de l’homme qui a été tué. La coutume voulait qu’il poursuivit le meurtrier et le fit périr, quelles que fussent les circonstances de l’homicide. Mais de bonne heure, comme on le voit, le législateur intervint pour adoucir l’usage ancien et protéger le meurtrier par accident.

Plus tard encore, après l’exil, la loi maintint les cités de refuge, mais établit deux dispositions nouvelles. En premier lieu, le meurtrier qui aura atteint l’asile comparaîtra devant l’ « Assemblée », c’est-à-dire devant le tribunal des « anciens » : s’il est innocent, il restera dans la cité de refuge; s’il est coupable, il sera livré au vengeur du sang. S’il quitte la cité de refuge et tombe entre les mains du vengeur, la justice n’aura plus à intervenir et le vengeur ne sera point poursuivi pour avoir tué le meurtrier. On voit que les lois les plus récentes contenues dans l’Ancien Testament limitent dans une certaine mesure l’usage primitif de la vengeance, mais ne le suppriment pas. Une seconde disposition de cette loi post-exilique établit que le meurtrier, admis à séjourner dans la ville de refuge, pourra la quitter et retourner chez lui, sans craindre vengeance, à la mort du grand-prêtre; l’asile peut donc être considéré comme une sorte d’exil qui cesse par une mesure d’amnistie lors de l’accession à sa charge d’un nouveau grand-prêtre (No 35 9-34 ; Josué 20 : 2-6).


Polémique Soler: Comment les juifs ont inventé le génocide (Why the Jews were much more vindictive and vitriolic than the pagans)

4 juillet, 2012
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Une femme oublie-t-elle son nourrisson? De montrer sa tendresse au fils de son ventre? Même si celles-là oubliaient, moi je ne t’oublierai pas. Esaïe 49: 15
Sur les bords des fleuves de Babylone, Nous étions assis et nous pleurions, en nous souvenant de Sion. Aux saules de la contrée Nous avions suspendu nos harpes. Là, nos vainqueurs nous demandaient des chants, Et nos oppresseurs de la joie: Chantez-vous quelques-uns des cantiques de Sion! (…) Fille de Babylone, la dévastée, Heureux qui te rend la pareille, Le mal que tu nous as fait! Heureux qui saisit tes enfants, Et les écrase sur le roc! Psaumes 137
Mon Dieu! mon Dieu! pourquoi m’as-tu abandonné, Et t’éloignes-tu sans me secourir, sans écouter mes plaintes? (…) De nombreux taureaux sont autour de moi, Des taureaux de Basan m’environnent. Ils ouvrent contre moi leur gueule, Semblables au lion qui déchire et rugit. Psaumes 22: 2-13
De nouveaux concepts nécessitent de nouveaux mots. Par génocide, nous entendons la destruction d’une nation ou d’un groupe ethnique. Raphael Lemkin (juriste polono-américain d’origine juive, 1944)
Dans l’Église catholique, depuis le concile Vatican II, les trois derniers versets du psaume ont été retirés des livres liturgiques en raison de leur cruauté difficilement compatible avec le message évangélique.Wikipedia
Dans certains des Psaumes l’esprit de haine nous frappe au visage comme la chaleur d’une fournaise. Dans d’autres cas, le même esprit cesse d’être effrayant mais c’est pour devenir (aux yeux de l’homme moderne) presque comique par sa naïveté. (…) Si nous excusons les poètes des Psaumes sous prétexte qu’ils n’étaient pas chrétiens, nous devrions pouvoir montrer que les auteurs païens expriment le même genre de choses et pire encore (….) Je peux trouver en eux de la lascivité, une bonne dose d’insensibilité brutale, une froide cruauté qui va de soi pour eux, mais certainement pas cette fureur ou cette profusion de haine…. La première impression que l’on en retire est que les Juifs étaient bien plus vindicatifs et acerbes que les païens. CS Lewis
De nombreux commentateurs veulent aujourd’hui montrer que, loin d’être non violente, la Bible est vraiment pleine de violence. En un sens, ils ont raison. La représentation de la violence dans la Bible est énorme et plus vive, plus évocatrice, que dans la mythologie même grecque. (…) Il est une chose que j’apprécie dans le refus contemporain de cautionner la violence biblique, quelque chose de rafraîchissant et de stimulant, une capacité d’indignation qui, à quelques exceptions près, manque dans la recherche et l’exégèse religieuse classiques. (…) Un bon exemple d’un livre qui semble scandaleusement violent est celui des Psaumes. Beaucoup de psaumes sont non seulement violents mais pleins de haine et de ressentiment. Le narrateur se plaint qu’il a de nombreux ennemis injustes qui non seulement détruisent sa réputation mais menacent sa vie et l’agressent même physiquement. Dans certains des Psaumes, le narrateur est entouré par ces ennemis qui sont sur le point de le lyncher. Il les maudit, il les insulte; surtout il demande à Dieu de faire descendre le feu  et la destruction sur ces ennemis. L’intensité du ressentiment dans ces Psaumes est peut être bien la raison principale pourquoi Nietzsche voit dans la tradition judéo-chrétienne un ressentiment qui n’existe pas dans le monde païen. Ce sont les Psaumes dits de malédiction ou d’exécration. De nos jours afin de minimiser leur violence plusieurs Bibles les appellent « pénitentiels ». Ils ne sont pas du tout pénitentiels mais vengeurs. De nombreux commentateurs traditionnels et savants ont minimisé la violence de ces textes qu’ils considéraient comme une expression stéréotypée de la colère, une collection de clichés dépourvus de toute référence au monde réel. L’actuelle privation complète du référent  est le résultat d’un long processus au cours duquel tous les anciens textes et la réalité ont été de plus en plus désactivés. C’est une façon de se débarrasser complètement du problème ou de le transformer en un problème psychologique ou psychanalytique. Mais certains esprits libres parmi les croyants ont toujours souligné la violence dans ces prières. Il y a d’autres textes de la Bible qui interdisent aux êtres humains de prier Dieu pour la destruction de leurs ennemis, et c’est précisément ce que font ces Psaumes.  C. S. Lewis dans sa réflexions sur les Psaumes les trouve choquants et n’hésite pas à dire: Dans certains des Psaumes l’esprit de haine nous frappe au visage comme la chaleur d’une fournaise. Dans d’autres cas, le même esprit cesse d’être effrayant mais c’est pour devenir (aux yeux de l’homme moderne) presque comique par sa naïveté. Lewis trouve ces textes particulièrement problématiques étant donné que l’on ne retrouve pas cette intensité de haine dans l’écriture païenne : Si nous excusons les poètes des Psaumes sous prétexte qu’ils n’étaient pas chrétiens, nous devrions pouvoir montrer que les auteurs païens expriment le même genre de choses et pire encore (….) Je peux trouver en eux de la lascivité, une bonne dose d’insensibilité brutale, une froide cruauté qui va de soi pour eux, mais certainement pas cette fureur ou cette profusion de haine…. La première impression que l’on en retire est que les Juifs étaient bien plus vindicatifs et acerbes que les païens. Cette observation est très proche de ce que Nietzsche a dit de la Bible en ce qui concerne le paganisme mais C. S. Lewis ne semble pas percevoir la similitude. On pourrait bien sûr contester le jugement de C. S. Lewis. Il y a une quantité incroyable de violence dans des pièces telles que Médée ou les Bacchantes, dans la tradition dionysiaque dans son ensemble qui est centrée sur le lynchage. L’Iliade n’est rien d’autre qu’une chaîne d’actes de vengeance ; mais ce que C. S. Lewis et Nietzsche disent sur cette question est sans doute vrai si le problème est défini de la façon qu’ils le définissent il, à savoir en termes non pas de pure quantité de violence exposée mais de l’intensité de la rancoeur ou du ressentiment. Mais que signifie vraiment tout cela? C. S. Lewis se pose la question et en tire quelques remarques très pertinentes que, malheureusement, il ne développe pas suffisamment. Sa principale remarque est que le ressentiment envers les textes bibliques peut être motivé par de  réelles injustices  que les narrateurs de ces Psaumes devaient subir: « ces haines sont le genre de choses que produisent,  par une sorte de loi naturelle, la cruauté et l’injustice. » Lewis ne rejette pas automatiquement comme irréelle toute la violence et l’injustice dont se plaignent les narrateurs dans les Psaumes. Je suis très d’accord que cette violence doit être réelle. Mais alors si c’est vrai dans les Psaumes, il n’y a aucune raison de penser que la violence similaire dans la mythologie n’est pas réelle. De plus, la question demeure : si ces violences sont réelles dans les deux types de textes, comment se fait-il que dans les textes bibliques les victimes de ces violences expriment  pleinement  le profond ressentiment qu’ils ressentent, la haine que leurs bourreaux suscitent en eux ? (…) Beaucoup de lecteurs modernes sont choqués par la langue violente des narrateurs mais pas par la violence qui leur est infligée. Ils ne la prennent pas au sérieux. Ils voient la réaction violente mais purement verbale de la victime impuissante mais ils rejettent comme irréelle la violence des bourreaux, qu’ils considèrent tout simplement comme une langue classique et stéréotypée. En fait, certains savants allemands soutiennent qu’il doit s’agir là d’hallucinations. Pour obtenir un autre point de vue sur ce qui se passe dans les Psaumes, il ne faut pas hésiter à comparer cette violence avec celle que l’on retrouve dans la mythologie, dans la tradition dionysiaque, par exemple et aussi dans les mythes archaïques du monde entier. (…) Une fois que nous nous rendons compte que nous avons à faire au même phénomène social dans la Bible que la mythologie, à savoir la foule hystérique qui ne se calmera pas tant qu’elle n’aura pas lynché une victime, nous ne pouvons manquer de prendre conscience du fait de la grande singularité biblique, même de son caractère unique. (…) Dans la mythologie, la violence collective est toujours représentée à partir du point de vue de l’agresseur et donc on n’entend jamais les victimes elles-mêmes. On ne les entend jamais se lamenter sur leur triste sort et maudire leurs persécuteurs comme ils le font dans les Psaumes. Tout est raconté du point de vue des bourreaux. (…) Pas étonnant que les mythes grecs, les épopées grecques et les tragédies grecques sont toutes sereines, harmonieuses et non perturbées. (…) Pour moi, les Psaumes racontent la même histoire de base que les mythes mais retournée, pour ainsi dire. (…) Les Psaumes d’exécration ou de malédiction sont les premiers textes dans l’histoire qui permettent aux victimes, à jamais réduites au silence dans la mythologie, d’avoir une voix qui leur soit propre. (…) Ces victimes ressentent exactement la même chose que Job. Il faut décrire le livre de Job, je crois, comme un psaume considérablement élargi de malédiction. Si Job était un mythe, nous aurions seulement le point de vue des amis. (…) La critique actuelle de la violence dans la Bible ne soupçonne pas que la violence représentée dans la Bible peut être aussi dans les évènements derrière la mythologie, bien qu’invisible parce qu’elle est non représentée. La Bible est le premier texte à représenter la victimisation du point de vue de la victime, et c’est cette représentation qui est responsable, en fin de compte, de notre propre sensibilité supérieure à la violence. Ce n’est pas le fait de notre intelligence supérieure ou de notre sensibilité. Le fait qu’aujourd’hui nous pouvons passer jugement sur ces textes pour leur violence est un mystère. Personne d’autre n’a jamais fait cela dans le passé. C’est pour des raisons bibliques, paradoxalement, que nous critiquons la Bible. (…) Alors que dans le mythe, nous apprenons le lynchage de la bouche des persécuteurs qui soutiennent qu’ils ont bien fait de lyncher leurs victimes, dans la Bible nous entendons la voix des victimes elles-mêmes qui ne voient nullement le lynchage comme une chose agréable et nous disent en des mots extrêmement violents, des mots qui reflètent une réalité violente qui est aussi à l’origine de la mythologie, mais qui restant invisible, déforme notre compréhension générale de la littérature païenne et de la mythologieRené Girard (Violence in Biblical Narrative, Philosophy, Vol. 22, No. 2, October 1999)
On dit que les Psaumes de la Bible sont violents, mais qui s’exprime dans les psaumes, sinon les victimes des violences des mythes : « Les taureaux de Balaam m’encerclent et vont me lyncher »? Les Psaumes sont comme une fourrure magnifique de l’extérieur, mais qui, une fois retournée, laisse découvrir une peau sanglante. Ils sont typiques de la violence qui pèse sur l’homme et du recours que celui-ci trouve dans son Dieu. René Girard
Le monothéisme devient une arme de guerre forgée tardivement pour permettre au peuple juif d’être et de durer, fût-ce au détriment des autres peuples. Il suppose une violence intrinsèque exterminatrice, intolérante, qui dure jusqu’aujourd’hui (…) les juifs inventent le génocide – le premier en date dans la littérature mondiale. Jean Soler
Le schéma judéo-chrétien s’impose, même à ceux qui se disent indemnes de cette religion. Jean Soler pense même le communisme et le nazisme dans la perspective schématique de ce modèle de pensée. Ainsi, chez Marx, le prolétariat joue le rôle du peuple élu, le monde y est vu en termes d’oppositions entre bien et mal, amis et ennemis, l’apocalypse (la guerre civile) annonce le millénarisme (la société sans classes). (…) Toujours selon Jean Soler, le monothéisme devient une arme de guerre forgée tardivement pour permettre au peuple juif d’être et de durer, fût-ce au détriment des autres peuples. Il suppose une violence intrinsèque exterminatrice, intolérante, qui dure jusqu’aujourd’hui. La vérité du judaïsme se trouve dans le christianisme qui universalise un discours d’abord nationaliste. (…)  Bien sûr, il ne souhaite pas revenir au polythéisme antique, mais il propose que nous nous mettions enfin à l’école de la Grèce après plus de mille ans de domination judéo-chrétienne. Une Grèce qui ignore l’intolérance, la banalisation de la peine de mort, les guerres de destruction massive entre les cités ; une Grèce qui célèbre le culte des femmes ; une Grèce qui ignore le péché, la faute, la culpabilité ; une Grèce qui n’a pas souhaité l’extermination massive de ses adversaires ; une Grèce qui, à Athènes, où arrive saint Paul, avait édifié un autel au dieu inconnu comme preuve de sa générosité et de son hospitalité – cet autel fut décrété par Paul de Tarse l’autel de son dieu unique, le seul, le vrai. Constantin devait donner à Paul les moyens de son rêve. Michel Onfray

Les Juifs ont même inventé le génocide!

En cette première journée de la diffusion sur la chaîne publique France 2 des deux premiers épisodes d’une fiction médiévale sur l’Inquisition (« Inquisitio ») qui va, comme d’habitude si l’on en croit le site Hérodote, conforter les pires idées reçues et « valoriser les pires superstitions pour mieux noircir la religion chrétienne » …

Pendant qu’attisé par les Jihad TV et pétrodollars de nos amis qataris et saoudiens, le bien réel monothéisme « vengeur, jaloux, guerrier, belliqueux, cruel et  misogyne » est lui en train de concocter, sous nos yeux et à nos portes de l’autre côté de la Méditerranée, un véritable « Afghanistan de proximité » …

Retour sur la polémique qui déchire depuis quelques semaines le landerneau littéraire suite à la publication du pamphlet anti-monothéiste de l’historien Jean Soler (Qui est Dieu?) et au soutien appuyé de notre athéologue autoproclamé national Michel Onfray …

Qui, tout à leur (re)découverte de la réelle surviolence  de l’écriture sainte juive et de son effectivement lente et progressive accession au monothéisme et à l’universalisme (mais au prix d’une lecture littéraliste des textes qui ferait le bonheur du plus fondamentaliste des croyants), ne peuvent hélas que retomber dans les pires dérives de l’apologie d’une société grecque primitive qui en aurait prétendument été exempte …

Sans voir, à l’instar d’ailleurs de leurs critiques, que ladite surviolence du texte biblique est justement, comme l’a montré René Girard, ce qui en fait la supériorité et même le caractère unique par rapport à ses contemporains ou ses sources …

A savoir son parti pris, contre la mythologie qui paie précisément son apparente sérénité de la réduction au silence de ses victimes, de donner la voix à ces dernières y compris, dans une sorte de rituel de sanctuaire plus ou moins ordalique et peut-être pas dénué de connotations magiques dont les Psaumes seraient les traces, pour maudire leurs agresseurs …

Rendant ainsi possible, à travers cette première représentation de la victimisation du point de vue de la victime, notre actuelle sensibilité supérieure et souvent étrangement disproportionnée à la violence et donc au génocide …

Et ce, sans parler de la nation actuelle d’Israël, y compris dans la Bible elle-même …

Onfray, Soler… dérapage en roue libre dans Le Point

Didier Long

13 juin 2012

Sous prétexte de démystification de pseudo « idées reçues » (les siennes ?), l’article de Michel Onfray paru dans le Point du 07 juin 2012 « Jean Soler, l’homme qui a déclaré la guerre aux monothéismes » (voir ici), sous couvert de défendre un livre, développe des arguments supposés historiques (les siens) qui sont pour la plupart inexacts… quant il ne s’agit pas de grossières erreurs.

S’ensuit un combat de clochmerle de généralités pour défendre les vertus d’Athènes face une Jérusalem dont la morale aurait étouffé l’occident. Mais où veut-il en venir ?… se demande le lecteur. Le meilleur est gardé pour la fin : « les juifs inventent le génocide, cet acte généalogique “est révélateur de la propension des Hébreux à ce que nous nommons aujourd’hui l’extrémisme”», « la Shoah ne saurait être ce qui est couramment dit : un événement absolument unique… » mais « la preuve définitive de l’inexistence de Dieu». Auquel d’ailleurs Moïse ne croyait pas nous prévient l’intertitre de la version papier du Point. Enfin, au cas où le lecteur n’aurait pas compris après avoir lu le panneau « grosse provoc’ », une saine exégèse de Mein Kampf est déployée « le nazisme selon Mein Kampf (1924) est le modèle hébraïque auquel il ne manque même pas Dieu », « Hitler est le guide de son peuple, comme Moïse »… Enorme! mais moins que l’argument définitif, une essentialisation du peuple juif violent contre les autres peuples à travers toute l’histoire : « le monothéisme devient une arme de guerre forgée tardivement pour permettre au peuple juif d’être et de durer, fût-ce au détriment des autres peuples. Il suppose une violence intrinsèque exterminatrice, intolérante, qui dure jusqu’aujourd’hui ». L’histoire est donc convoquée pour cette actualisation : « jusqu’aujourd’hui ». Josué, Moïse, Hitler, et l’Etat d’Israël dans les territoires aujourd’hui ? même combat! Sauf que c’est faux.

Les « idées reçues » démystifiées…

Dans un laborieux effort Onfray citant Soler (derrière qui il s’abrite pour proposer sa vision radicale) commence par démystifier ce qu’il suppose des « idées reçues ». Où ? Par qui ? Nulle ne le sait … et se prend les pieds dans le tapis de l’histoire au nom d’un amateurisme éclairé et de deux livres assimilés à l’œuvre d’un « philosophe érudit et méconnu », « résultat d’années de travaux solitaires et de recherches loin du bruit et de la fureur »,« l’œuvre d’une vie » (commencée en 2002…) que « l’université, qui manque de ces talents-là, ne reconnaît pas » (on croit rêver, il ne suffit pas d’ignorer la recherche pour la disqualifier…)… assortie de recommandations prestigieuses, etc… heureusement, Michel Onfray et Le Point étaient là pour rétablir la vérité et faire avancer la science. Qu’en est-il de ces « idées reçues » sur lesquelles l’auteur pense pouvoir nous éclairer ?

– Première idée reçue : la Bible dépasse en ancienneté les anciens textes fondateurs. Faux : les philosophes ne s’inspirent pas de l’Ancien Testament, car “la Bible est contemporaine, pour l’essentiel, de l’enseignement de Socrate et des oeuvres de Platon. Remaniée et complétée plus tard, elle est même, en grande partie, une oeuvre de l’époque hellénistique”.

Cette affirmation est inexacte. Selon l’état actuel de la recherche, un certain nombre de codes et de récits noyaux du deutéronome ont précédé la période de l’Exil et datent du début du VIIe siècle, voire du Xème siècle avant notre ère. Les récits à propos des rois Saül, David (dont l’existence est vérifiée historiquement) Salomon font référence à des évènements de la fin du second millénaire et au tournant du premier millénaire. Personne ne conteste leur écriture sous forme de saga merveilleuse parmi les chercheurs. Cependant, celle-ci s’appuie sur des faits historiques : La « maison de David » (c’est-à-dire sa dynastie) est mentionnée sur la stèle de Tel Dan, l’archéologie ne met pas en doute l’existence d’un royaume de Salomon avec Jérusalem comme capitale. La mise au point du texte définitif de la Torah ou Pentateuque s’est sans doute poursuivie pendant plus d’un siècle après le retour d’exil (- 538) avec une clôture vers 400. L’élaboration de la Bible comme texte sacré du peuple juif est donc largement antérieure au siècle de Périclès et de Platon, né à Athènes en – 428-427 av. et mort en 348-347 av. l’ère commune. Le texte biblique est une lente élaboration de traditions orales fixées peu à peu par écrit entre le Xème siècle avant notre ère et la fin de l’exil. Il ne s’agit en aucun cas d’un texte « contemporain de Platon » comme l’affirme Onfray pour en dénoncer l’aspect tardif. C’est du moins ce que reconstitue la recherche.

synthèse de la situation actuelle de la recherche sur la rédaction du Pentateuque ou Torah (source : Olivier Artus, Cahier Evangile 106)

NB : Exil à Babylone 586-538 avant l’ère commune

– On est bien évidemment en monde oriental, Perse, babylonien, mésopotamien qui parle hébreu… et non pas dans la culture hellénistique de langue grecque. Le dialogue avec la culture grecque (pas celle d’Onfray!) est beaucoup plus tardif. C’est de la période hellénistique et hasmonéenne (-300, -140) que datent les récits de sagesse, trois livres : les Proverbes, le livre de Job, le Qohelet (ou Ecclésiaste) sur les 24 que comporte la Bible hébraïque… tous en hébreu et non en grec et non pas « en grande partie, une œuvre de l’époque hellénistique ».

– Deuxième idée reçue : la Bible a fait connaître à l’humanité le dieu unique. Faux : ce livre enseigne le polythéisme et le dieu juif est l’un d’entre les dieux du panthéon, dieu national qui annonce qu’il sera fidèle à son peuple seulement si son peuple lui est fidèle. La religion juive n’est pas monothéiste mais monolâtrique : elle enseigne la préférence d’un dieu parmi d’autres. Le monothéisme juif est une construction qui date du Ve siècle avant l’ère commune.

En réalité, la Bible est composée non pas d’un livre mais de plusieurs reflétant de multiples théologies. Le récit biblique passe son temps à se démarquer de l’adoration des dieux environnants et c’est cela qu’on a appelé monothéisme. Le Dieu de la Bible n’est pas un dieu parmi d’autres mais la négation même de la divinisation de la nature : les arbres, les catastrophes naturelles, la fécondité… etc. C’est ainsi que les prophètes bibliques à longueur d’invectives se défient des cultes de fertilité et des hiérogamies (comme le culte d’Ashera associée au dieu phénicien Baal “épouse de Yhwh” ainsi que le montre l’archéologie et que fustigent Osée ou Amos). Le Monothéisme émerge donc comme une réaction à la vision ambiante polythéiste commune à tout le monde méditerranéen. Ainsi le roi Josias, vers -630, « ordonna […] de retirer du sanctuaire de Yahvé tous les objets de culte qui avaient été faits pour Baal, pour Ashera et pour toute l’armée du ciel […]. Il supprima les faux prêtres que les rois de Juda avaient installés et qui sacrifiaient […] à Baal, au soleil, à la lune, aux constellations et à toute l’armée du ciel. […] Il démolit la demeure des prostituées sacrées, qui était dans le temple de Yahvé » (Deuxième livre des Rois, 23,4 et sv.).

Le Dieu juif dés le début de la Bible, dans le récit de la Genèse n’apparait pas comme le dieu d’une nation mais comme celui qui crée le monde et l’homme… tous les hommes, tout le monde. Contrairement à ce que croit Onfray le projet biblique est une forme d’athéisme de tous les dieux locaux, ces idoles dans lequel l’homme se projette : les conventions sociales qui excluent les pauvres, les immigrés ; les peurs naturelles (ex : les dieux baal de la foudre) ; la fécondité divinisée (cultes sexuels cananéen), la patrie ( la terra patria) grecque divinisée… Le Dieu d’Israël choisit l’innocent (Abel), le pauvre, la stérile, le cadet, etc… à rebours de toutes les habitudes naturelles dont les paganismes ambiants sont la quintessence religieuse et dont la Bible dénonce le néant.

Le monolâtrisme (ou monolâtrie) est le fait de vénérer un dieu parmi d’autres, d’en choisir un au détriment des autres. La Bible passe son temps à répéter que les dieux nés de la projection humaine sont des idoles c’est à dire des vanités et que son Dieu ne fait pas nombre avec les autres dieux placés sur un pied d’égalité. Il ne s’agit donc pas de monolâtrie mais de monothéisme. Cette attitude largement répandue chez les prophètes du VIème siècle avant l’ère commune parcourt tous les livres de la Bible. Elle nait donc entre le Xème et le VIème siècle avant notre ère. Ce n’est qu’avec le stoïcisme (vers – 300 avant l’ère commune) que naitra une forme de monothéisme grec mais très minoritaire dont on trouve des traces dans l’Hymne à Zeus de Cléanthe et qui se démocratisera en Asie Mineure au IIIème siècle de notre ère (comme je l’explique dans “L’Invention du christianisme”).

Onfray fait une confusion classique: il croit que le monothéisme est le fait d’opposer un seul dieu à tous les autres de manière numérique. Hors l’enjeu n’est pas numérique. L’enjeu est que le Dieu d’Israël s’oppose aux autres dieux non pas parce qu’il serait tout seul et supérieur aux autres qui lui sont semblables et seraient plusieurs mais parce qu’il est d’une autre nature que les projections humaines. C’est pourquoi il est aniconique. On ne peut le représenter (c’est un commandement!), au contraire des idoles “faites de main humaine”, qui ont “une bouche et ne parlent pas, des yeux et ne voient pas […] ils sont comme elles ceux qui les font” résume un psaume. Il y a donc une différence métaphysique. Cette absence du dieu de la Bible ne ce monde est symbolisé par le Saint des saints du Temple, vide, alors que les temples païens contiennent un statue du dieu qu’on adore et à qui on offre des libations et sacrifices.

Ce que reconstitue actuellement la recherche :

– Les patriarches (XIXe-XVIIe siècle avant l’ère commune) étaient probablement polythéistes, adorant concurremment un dieu El local et des dieux claniques. Ce culte, dont on trouve encore des traces VIIIe siècle avant l’ère commune est celui d’un sanctuaire à ciel ouvert, d’un arbre sacré, d’une stèle et d’un autel.

– Le yahwisme madianite, aniconique et monolâtre date du XIIIème siècle avant notre ère (Moïse)…

– Un lent mouvement conduit à l’émergence du monothéisme et de l’aniconisme sous Ezéchias (VIIIème-VIIème siècle avec l’ère commune); les cultes yahvistes locaux sont remplacés par le Temple, les arbres sacrés et les stèles sont abandonnés.

– Il y a émergence du monothéisme à partir du Xème siècle avant notre ère, approfondissement de celui -ci sous le choc des évènements que sont la chute du Royaume du Nord en 722 sous les coups de l’Assyrie et de celui du Sud en 586 sous l’assaut des babyloniens.

– La généralisation d’un strict monothéisme date de l’Exil ( 586-538 avant l’ère commune). Ce dont témoigne le second Isaïe (Is 43, 10-11; 49, 6-8).

Le pro-monothéimse d’Israël apparait donc autour du Xème siècle avant l’ère commune au début de la rédaction de la Bible et non au Vème siècle comme le dit Onfray.

Onfray feint de croire que l’émergence du monothéisme, qui fait effectivement partie de la particularité juive, chrétienne et musulmane aujourd’hui encore, n’a pas existé, pour renvoyer ces religions aujourd’hui à la période patriarcale (XIXe-XVIIIe siècle avant l’ère commune) et par un tour de passe-passe affirme que rien n’a changé. Un « coup de gomme » qui l’arrange.

– Troisième idée reçue : la Bible a donné le premier exemple d’une morale universelle. Faux : ses prescriptions ne regardent pas l’universel et l’humanité, mais la tribu, le local, dont il faut assurer l’être, la durée et la cohésion. L’amour du prochain ne concerne que le semblable, l’Hébreu, pour les autres, la mise à mort est même conseillée.

« L’amour du prochain ne concerne que le semblable, l’Hébreu, pour les autres, la mise à mort est même conseillée » : une affabulation onfrayenne… énorme!!! Cette phrase n’apparait nulle part dans le Bible. Le code Lévitique ordonne « tu aimeras l’étranger (le guer qui séjourne en erets Israël) comme toi-même », une injonction qui apparait trois fois dans la Bible : Lv 19, 34 ; Nb 15, 15-16 et en 1 R 8,41. Dans ce dernier récit il est bien dit que ce guer vient de loin et ne fait pas partie du peuple d’Israël mais que Dieu accueille sa prière. Une chose impossible en Grèce. Un métèque ne peut pas s’adresser aux dieux tutélaires de la famille. Le local divinisé est la marque de tous les peuples antiques… en premier lieu de la cité grecque, dont les dieux liés au culte des ancêtres divinisés sont liés à une terre et une famille. La religion civique est donc structurante du monde gréco-romain. La bipartition du monde entre esclaves et hommes libres fait des esclaves qui vivent dans la cité des choses sur lesquelles le maître a droit de vie et de mort. Dans la Bible ils sont libérés tous les sept ans (année sabbatique), à cause de Dieu. Contrairement à ce qu’affirme Onfray, la morale biblique comme nous le verrons est à la fois ethnique (mosaisme) et universelle (noachisme, de Noé), le “tu ne commettras pas de meurtre” ne concerne pas uniquement les autres juifs!.

Le plus étonnant est qu’un tout petit peuple ballotté entre ses puissants voisins: égyptien, assyrien, babylonien ait inventé cet universalisme au tournant du VIème siècle. L’universalisme hébraïque s’accélère lors de la montée en puissance de Cyrus (que la Bible nomme “messie”), le roi de Perse, annonçant la fin de l’Exil à Babylone, alors que Dieu est considéré comme celui de toutes les nations. (second Isaïe vers 550-539 avant notre ère). Le Temple n’est plus vu seulement comme celui du culte d’Israël mais celui où toutes les nations monteront à la fin des temps, car Dieu est le Père de tous les humains. Coté grec le cosmopolitisme stoïcien apparait deux siècles plus tard… et encore ne concerne-t-il que quelques philosophes épars et leurs disciples (voir Paul Veyne).

– Quatrième idée reçue : les prophètes ont promu la forme spiritualisée du culte hébraïque. Faux : pour les hommes de la Bible, il n’y a pas de vie après la mort. L’idée de résurrection est empruntée aux Perses, elle apparaît au IIe siècle avant J.-C. Celle de l’immortalité de l’âme, absente de la Bible hébraïque, est empruntée aux Grecs.

C’est faux. Il y a indiscutablement chez les prophètes une spiritualisation du culte hébraïque qui n’a rien a voir ni avec la résurrection des corps ni avec celle de la chair mais avec le fait que le culte du Temple est vain sans un culte du coeur. La résurrection de morts apparaît non pas au second mais sixième siècle avant l’ère commune… Le récit des ossements desséchés d’Ezéchiel [1] (Ez 37, 1-14) raconte que Dieu peut insuffler la vie dans les ossements desséchés. Celui de Job (19, 1.23-27a) , post-exilique et inspiré par le Prophète Jérémie[2], ce qui permet sa datation, parle clairement de résurrection des morts. Une idée qui date au moins du sixième siècle avant notre ère donc. « L’immortalité de l’âme » est un concept grec étranger à la Bible et à l’anthropologie hébraïque (l’homme est néfesh : chair et ruah’ : souffle) qui ne connait pas l’âme mais le souffle (ruah’), rien de neuf à cela et aucune idée reçue.

– Cinquième idée reçue : le Cantique des cantiques célèbre l’amour réciproque de Dieu et du peuple juif. Faux : ce texte est tout simplement un poème d’amour. S’il devait être allégorique, ce serait le seul livre crypté de la Bible.

Idée intéressante : La Bible doit être lue de manière fondamentaliste ! Tout est vrai. Les chiffres, les noms, les faits… L’idée qu’un texte possède plusieurs niveaux de signification date de l’exégèse rabbinique et a été reprise par Origène au second siècle et est applicable à la plupart des textes poétiques et spirituels. On peut donc lire le Cantique comme on veut… n’en déplaise à Onfray.

Enfin, on a hâte d’être éclairé sur les « livres cryptés » dont parle l’auteur… de nouvelles révélations sur Qoumrân peut-être ?

– Sixième idée reçue : Dieu a confié aux juifs une mission au service de l’humanité. Faux : Dieu a célébré la pureté de ce peuple et interdit les mélanges, d’où les interdits alimentaires, les lois et les règles, l’interdiction des mélanges de sang, donc des mariages mixtes. Ce dieu a voulu la ségrégation, il a interdit la possibilité de la conversion, l’idée de traité avec les nations étrangères, et il ne vise pas autre chose que la constitution identitaire d’un peuple. Ce dieu est ethnique, national, identitaire.

Il s’agit d’un contresens. Tout le concept d’élection, « vous serez un peuple de prêtres », « Vous serez saint comme moi je suis saint », etc… concerne la particularisation d’Israël. Etre élu, « saint » c’est être particulier, pas supérieur ni meilleur mais signifiant. Par la Torah (révélation) Israël devient un peuple au service de toute l’humanité, signifiant de l’amour que Dieu porte à tout homme, à toute sa création, non pas à Israël seulement mais à toute l’humanité. Dieu ne crée pas les juifs dans la Genèse mais Adam, Noé, tout homme. La Rédemption attendue concerne non seulement Israël mais tout homme juste (comme Noé). On se sache pas que Abraham, Noé ou Adam fussent juifs…

La Bible, tout le Talmud, répètent cette obligation d’Israël au service de toute l’humanité et aussi son péché par rapport à cette mission à longueur de pages. La « pureté » n’a donc rien de connotations racistes mais il s’agit d’interdits signifiants dont certains ne concernent qu’Israël. Les interdits fondamentaux comme celui du meurtre contrairement à ce que dit Onfray ne sont pas ethniques, ils concernent toute l’humanité « noachide ». Enfin dernier point… tous les dieux tutélaires de l’antiquité grecque, cananéenne et mésopotamienne sont “ethniques, nationaux et identitaires”. Faut-il dès lors appeler la LICRA dans une bien pensance anachronique ou se remettre en contexte ?

On voit donc qu’avec ces “idées reçues” on est un peu au café du commerce d’Argentan à parler d’archéologie mésopotamienne et cananéenne. Ce n’est certes pas inutile mais est-ce que ça vaut vraiment un article dans le Point ? L’objectif est de faire émerger le “polythéisme solaire” dont Onfray semble d’ailleurs le seul représentant sur terre et d’utiliser l’histoire et Soler (solaire?) pour cela. De la pseudo histoire on passe vite à la plus pure idéologie. Le monothéimse mortifère des juifs est comparé au polythéisme solaire des grecs (ou plutôt ce qu’en a retenu Onfray).

Athènes contre Jérusalem

– « Le dieu unique devient vengeur, jaloux, guerrier, belliqueux, cruel, misogyne. Jean Soler associe le polythéisme à la tolérance et le monothéisme à la violence : lorsqu’il existe une multiplicité de dieux, la cohabitation rend possible l’ajout d’un autre dieu, venu d’ailleurs ; quand il n’y a qu’un dieu, il est le vrai, l’unique, les autres sont faux. Dès lors, au nom du dieu un, il faut lutter contre les autres dieux, car le monothéisme affirme : “Tous les dieux sauf un sont inexistants. »… « le monothéisme devient une arme de guerre forgée tardivement pour permettre au peuple juif d’être et de durer, fût-ce au détriment des autres peuples. Il suppose une violence intrinsèque exterminatrice, intolérante, qui dure jusqu’aujourd’hui »

Le Dieu juif, un Dieu strictement nationaliste ?… Onfray devrait lire la Bible ! L’universalisme date au plus tard de l’exil à Babylone, vers 562 avant l’ère commune. Ainsi, la prière attribuée à Salomon dans le Livre des Rois ; 1R 8, 41-44 (Livre attribué à « l’histoire deutéronomiste ») affirme justement que l’étranger qui vient de loin est bienvenu dans la Temple du Dieu vivant (le premier Temple[3])… c’est-à-dire dix siècles avant notre ère. Le parvis immense du second Temple (-515 à 70) était destiné aux peuples païens. A Soukkot au premier siècle on offrait 70 bêtes pour les 70 nations de la terre (c’est-à-dire toutes !). Le Dieu juif est juste l’inverse des dieux grecs qui eux sont liés à une lignée et un territoire (la terra patria/ la patrie). C’est ainsi, par regroupement que naquirent les dieux des cités, comme Athéna à Athènes. Le polythéisme grec provient d’abord de cette absolutisation de la cité antique, c’est un culte civique. La guerre des cités antiques est celle de leurs dieux…

Les juifs nationalistes ? Le métèque était interdit d’acheter une terre à Athènes ou de prendre femme (il n’avait pas les dieux de la cité) ? Ce lien entre la cité grecque et ses dieux a été montré par Fustel de Coulanges dans la Cité Antique… en 1864…

La conception raciste du monothéisme d’Israël « qui dure jusqu’aujourd’hui » ne tient pas devant l’analyse des textes et des coutumes. Il y a bien eu, il y a « jusqu’aujourd’hui » un universalisme juif dont témoigne la Bible et toute la Tradition philosophique et religieuse d’Israël.

– “le Livre de Josué précise qu’une trentaine de cités ont été détruites, ce qui lui permet d’affirmer que les juifs inventent le génocide – “le premier en date dans la littérature mondiale”. « La Grèce, forte de cent trente cités, n’a jamais vu l’une d’entre elles avoir le désir d’exterminer les autres »…Une Grèce qui ignore l’intolérance, la banalisation de la peine de mort, les guerres de destruction massive entre les cités.”

Une lecture fondamentaliste du texte (encore!). Onfray fait une lecture historique du texte complètement dépassée. Les chiffres de la Bible sont symboliques. Comme l’explique Jacques Briend (ici son cv) “Plus que tout autre livre de la Bible, le livre de Josué a pu fonder une lecture historique qui n’est plus de mise aujourd’hui. En effet, considérer ce livre comme offrant une vision de la conquête du pays de Canaan par les tribus d’Israël aboutit à une impasse.” ça tombe bien ! Jacques Briend, L’Autorité sur le sujet, dont la thèse a été consacrée à l’étude des douze premiers chapitres du livre de Josué, qui a fouillé Tell el Farah, à Jérusalem, a été directeur des fouilles de Tell Keisan et a également supervisé la publication des rapports de fouilles durant plusieurs années, il a été recteur de l’Institut Ratisbonne à Jérusalem de 1999 à 2002 et je l’ai eu comme professeur… Jacques Briend explique en détail le texte (à lire ici) pourquoi le texte du Livre de Josué sur la prise de Canaan est une “épopée de fiction”, une « prose de fiction historicisée », et explique son rapport à l’archéologie, etc… Il affirme : “En aucun cas Jos 1-12 ne peut être considéré par l’historien comme le récit de LA conquête du pays par les tribus d’Israël sous la conduite de Josué. Autrement, on aboutit à une vision caricaturale comme on le voit chez I. Finkelstein. Dès lors on peut se risquer à faire l’hypothèse qu’avant la rédaction deutéronomique qui renforce la rhétorique de la conquête et donc de la guerre, le texte de Jos 10-11 a d’abord été composé pour servir de revendication territoriale alors que le royaume d’Israël avait disparu comme tel en 722 et que le royaume de Juda était envahi par les Assyriens”. On est loin de la lecture fondamentaliste d’Onfray (et de Soler : il ne suffit pas de lire Finkelstein… mais il faut aussi fouiller un peu… pour trouver des choses nouvelles à inventer… au risque de conclusions un peu hâtives). Une lecture fondamentaliste (littéraliste) du texte qui permet à Onfray d’affirmer “l’invention du génocide”… et pourquoi pas la préfiguration d’Hiroshima…

Coté grec ? L’autodestruction guerrière des cités grecques aux Vème et IVème siècles a conduit à leur sortie de l’histoire au profit de la Macédoine (Alexandre le Grand) puis de l’empire romain, un empire esclavagiste et impérialiste qui en fera son modèle. Sparte ça ne vous rappelle rien ???

La Grèce pas impérialiste ni meurtrière ? Alexandre le Grand le plus grand empire du monde, des morts par millions de la Macédoine à l’Indus, ça ne vous dis rien, messieurs ? en -334 Alexandre le Grand détruit la ville de Thèbes, en -332 il fait massacrer les hommes et vend femmes et enfants comme esclaves et réduit la population en esclavage à Tyr et Gaza, etc… l’habitude gréco romaine est le massacre systématique, la déportation et l’esclavage. Le massacre des ennemis est l’usage de l’époque… aussi en Grèce.

– “Dans Contre Apion, l’historien juif Flavius Josèphe établit au Ier siècle de notre ère une longue liste des raisons qui justifient la peine de mort : adultère, viol, homosexualité, zoophilie, rébellion contre les parents, mensonge sur sa virginité, travail le jour du sabbat, etc.”

Les juifs meurtriers au premier siècle ? Excellent ! (Flavius Josèphe est en 95 à Rome quand il écrit cela)… faut-il rappeler que les juifs de Palestine et d’Egypte ont été exterminé en 70, 135, 115 en Egypte ? Jérusalem rasée et exterminée, le sang des femmes et des enfants versé, les vieillards et les anciens comme à Alexandrie torturés, des pogroms d’une barbarie au-delà de toute imagination que décrit Philon dans son Contre Flaccus. Faut-il rappeler que toute peine de mort était bien sûr aux mains du pouvoir civil romain… polythéiste?

– « une Grèce qui célèbre le culte des femmes »

La liberté de la femme grecque ? L’enfermement dans le gynécée, une « chose » en droit.

La principale occupation des homoioï (les égaux libres) à Sparte, c’est la guerre. La femme est le repos de ce guerrier toujours en guerre…. « le repos du guerrier ».

La liberté de la Cité grecque : une société composée d’hommes libres et d’esclaves considérés comme des biens mobiliers sur qui les hommes libres ont droit de vie et de mort. Le culte de la femme oui… enfermée dans son gynécée.

– « le polythéisme à la tolérance et le monothéisme à la violence : lorsqu’il existe une multiplicité de dieux, la cohabitation rend possible l’ajout d’un autre dieu, venu d’ailleurs »

La joie bucolique et le pacifisme du polythéisme antique ? Onfray semble ignorer complètement la violence qui parcours la tragédie grecque, la guerre de Troie, etc… Les femmes et les enfants vaincus réduits en esclavage (car ils n’avaient pas les mêmes dieux… donc des sous-races…. en Grèce et à Rome). Le polythéisme admirable en Canaan ? La prostitution sacrée en Canaan est institutionnalisée, on y sacrifie des enfants au Dieu Molok, ce dont les prophètes bibliques se scandalisent. L’idolâtrie meurtrière et l’ivresse du pouvoir qui conduit à la divinisation des empereurs à partir d’Alexandre et à la divinisation de leur vivant à partir de Caligula, l’empereur fou, qui, s’il n’avait pas été assassiné aurait effectivement mis sa statue dorée dans le Temple… En réalité des sacrifices d’enfants au Dieu Molok voilà où mène le polythéisme, à l’adoration de soi, aux religions polythéistes et meurtrières … il suffit d’ouvrir la Bible. Socrate a été condamné faute de : ne pas reconnaître les dieux de la cité, d’introduire de nouvelles divinités, de pervertir la jeunesse… magnifique liberté du paganisme grec !!! Celui de l’enfermement dans la cité, ses droits et ses dieux. C’est justement de cela que veut sortir la Bible.

Mais le troisième mouvement reste à venir, le CQFD de tout l’article. Patience on y arrive… on ne peut quand même pas affirmer que « le nazisme selon Mein Kampf (1924) est le modèle hébraïque auquel il ne manque même pas Dieu » sans un minimum de précautions oratoires. Il y a quand même la Shoah, la LICRA, BHL et son bloc note au Point …

Les juifs inventeurs du génocide

« Les juifs inventent le génocide », cet acte généalogique “est révélateur de la propension des Hébreux à ce que nous nommons aujourd’hui l’extrémisme”, « la Shoah ne saurait être ce qui est couramment dit : “Un événement absolument unique… » mais « la preuve définitive de l’inexistence de Dieu», « le nazisme selon Mein Kampf (1924) est le modèle hébraïque auquel il ne manque même pas Dieu », « Hitler est le guide de son peuple, comme Moïse ».

Hitler juif, chrétien, Nouveau Moïse ?… faut-il rappeler que le nazisme a bâti son règne sur le pangermanisme païen ? Effectivement la vie d’Hitler est bâtie sur des délires mystiques… que l’auteur de l’article prend au premier degré… La Shoah était pour Hitler une des façons pour lui d’atteindre sa mission : purifier l’humanité des sous hommes qui “abaissaient” le niveau de la pureté des humains, la svastika aryenne, les mythes pangermanistes allemands, les sociétés secrètes…. Etc… un délire païen qui a conduit à six millions de morts. Le marxisme, le nazisme ? des haines du judéo-christianisme dont l’auteur accuse… le judéo-christianisme. Le raisonnement est simplement pervers.

« Jean Soler cite Hitler, qui écrit : “Je crois agir selon l’esprit du Tout-Puissant, notre créateur, car, en me défendant contre le juif, je combats pour défendre l’oeuvre du Seigneur.” Les soldats du Reich allemand ne portaient pas par hasard un ceinturon sur la boucle duquel on pouvait lire : “Dieu avec nous”… ».

Dans un joyeux amalgame et une confusion des guerres Onfray laisse entendre que le régime national socialiste usait du « Gott mit uns »… (une perversion gerrière du Immanou-El/ Emmanuel/ d’Isaïe “Dieu avec nous”) et feint d’ignorer que cette devise forgée par Byzance à l’origine a été reprise par l’empire germanique depuis 1871 et sur les casques des soldats de l’armée allemande lors de la première guerre mondiale… et qu’elle fut celle de la Wermacht et non des SS qui se piquaient eux de Meine Ehre heißt Treue (« Mon honneur s’appelle fidélité )… Quant au « Seigneur Tout-Puissant » et « créateur » dont parle Hitler dans son délire… il ne s’agit bien évidement pas du Dieu biblique. Le nazisme avait sa bible (Mein Kampf), son dieu unique et tout puissant (Hitler), ses pratiques religieuses (serments de fidélité, défilés, ‘liturgie’ de Nuremberg…) et … ses croyants (les Allemands aryens)… la faute aux juifs ???

Quant à la Shoah, il suffit de lire Raul Hilberg, Saul Friedlander, où de rencontrer les témoins encore vivants des camps… sans parler de la réflexion d’Emil Fackenheim… pour comprendre sa barbarie. Une barbarie païenne et meurtrière dont l’Europe ne s’est d’ailleurs pas encore remise.

Bien sûr Onfray feint de reconnait que « L’accusation d’antisémitisme, bien sûr, est celle qui accueille le plus souvent ses recherches (celles de Jean Soler). Elle est l’insulte la plus efficace pour discréditer le travail d’une vie, et l’être même d’un homme. »… mais il ne se demande pas un seul moment si elle pourrait concerner ce qu’il écrit lui. L’article invente des questions, des pseudos réponses, des ennemis supposés, avant de disqualifier tout débat… Laissons donc Onfray (et Soler ?) construire leur petit royaume païen dans leur coin s’ils le veulent. Avec hédonisme solaire et tout et tout…

En dehors de l’affablation d’Onfray sur la Bible, son discours sur le monothéisme juif supposé destructeur auquel il nous avait habitué… et pourquoi pas ? l’article laisse émerger un nouveau discours plus inquiétant, celui du : « monothéisme (qui) devient une arme de guerre forgée tardivement pour permettre au peuple juif d’être et de durer, fût-ce au détriment des autres peuples. Il suppose une violence intrinsèque exterminatrice, intolérante, qui dure jusqu’aujourd’hui ». On dirait du Dieudonné.

Lecture fondamentaliste et manipulée de la Bible, contresens, instrumentalisation de la Shoah, attribution aux hébreux dès l’origine de la pulsion génocidaire qui ferait partie de l’ADN exterminateur et intolérant, extrémisme, du judaïsme, citation de Mein Kempf… Sous couvert d’une histoire « qui dure jusqu’aujourd’hui ». Des accusations hallucinantes dont on comprend bien la portée dans le contexte qui suit les meurtres d’enfants juifs à Toulouse et au lendemain du tabassages au marteau de juifs en kippot. Un discours qui s’inscrit parfaitement dans la banalisation de l’antisémitisme, un mouvement « qui dure jusqu’aujourd’hui » effectivement. L’article dérive tranquillement vers un banal antisémitisme de plume. 76 réactions sur le forum et 586 « j’aime » sur Facebook y répondent. Le Point aussi a l’air d’aimer… Qu’en pense BHL ?

Comme l’écrit Gérard Haddad : « L’un des phénomènes les plus étonnants de l’Histoire est sans doute la persistance d’un groupe humain qu’on appelle le peuple juif, peuple éparpillé aux quatre coins du bassin méditerranéen et du Proche Orient, puis, à l’ère moderne, sur toute la planète, ceci malgré l’absence d’organisation centrale et de langue parlée commune. ». C’est ce fait de la persistance du monothéisme d’origine juive qu’Onfray, livre après livre, après le Traité d’athéologie et le déboulonnage de Freud (encore un juif), ne semble pas supporter. La référence permanente au nazisme et à la Shoah sur tous sujets (La Bible, Freud…) aussi pose question. Cet article, gageons qu’il dépasse la pensée d’Onfray, dérape donc en roue libre. Tout n’est pas possible pour faire parler de soi. La tradition biblique et l’encyclo-paideia grecque ont plus apporté à ce que nous sommes que ce discours rance.

Quoi qu’il en soit de ce monologue, le rappel de cet ‘air connu’ devient de plus en plus banal. Nous devons nous demander : au fond, de quoi est-il le nom ?

[1] Le livre d’Ezéchiel fut écrit au VIème siècle et plus exactement entre 592-570 A-C. Il raconte l’histoire des juifs déporté (2ème déportation) par Nébucadnetsar (Nabuchodonosor, roi de Babylone) à Babylone à partir de 597 A-C (2Rois 24.10-16). Les dates citées dans le livre vont de « la 5ème année à la 27ème année de la captivité.

[2]Le ministère de Jérémie couvre toute la période de la fin de Jérusalem, de 627 (treizième année de Josias) à 587 (seconde déportation de Jérusalem). Jérémie est donc le dernier prophète pré-exilique et en même temps le premier prophète exilique.

[3] Le premier Temple date du Xe siècle av. l’ère commune à sa destruction par les Babyloniens en -586

Voir aussi:

Michel Onfray : Jean Soler, l’homme qui a déclaré la guerre aux monothéismes

Polémique. Dans « Qui est Dieu ? » (éditions de Fallois), Jean Soler, philosophe érudit et méconnu, s’attaque aux trois religions monothéistes. Un livre décapant qui va faire débat.

Le Point

07/06/2012

« Qui est Dieu ? » de Jean Soler (aux éditions de Fallois).

La France est riche d’une école exégétique biblique vieille de quatre siècles : de Richard Simon, son inventeur, un contemporain de Bossuet, jusqu’à Jean Soler, un savant bientôt octogénaire auquel notre époque a scandaleusement tourné le dos, en passant par le curé Meslier, le baron d’Holbach, l’anarchiste Proudhon, le laïc Charles Guignebert, Paul-Louis Couchoud ou Prosper Alfaric, qui nie l’existence historique de Jésus, il existe une école française remarquable de lecture des textes dits sacrés comme des textes historiques, ce que, bien sûr, ils sont. Le silence qui accompagne cette ligne de force scientifique s’explique dans un monde imprégné de judéo-christianisme.

Qui est Jean Soler ? Un diplomate érudit, un homme qui a passé sa vie à lire, traduire, analyser et éplucher dans leurs langues originales les textes fondateurs du monothéisme. Diplomate, il le fut huit années en Israël, où il a été conseiller culturel et scientifique à l’ambassade de France. Il a également travaillé en Algérie, en Pologne, en Iran et en Belgique. Depuis 1993, ce défenseur des langues régionales vit en pays catalan et travaille dans un petit bureau-bibliothèque lumineux comme une cellule monacale, entre mer et montagne, France et Espagne.

L’homme ne se répand pas, il va à l’essentiel. Son oeuvre dense concentre le résultat d’années de travaux solitaires et de recherches loin du bruit et de la fureur. Voilà pourquoi le fruit de ses études se trouve ramassé dans Aux origines du Dieu unique, un essai en trois volumes : L’invention du monothéisme (2002), La loi de Moïse (2003) et Vie et mort dans la Bible (2004). En 2009, il ajoute un opus intitulé La violence monothéiste.

Dynamiteur

Cet agrégé de lettres classiques déconstruit les mythes et les légendes juifs, chrétiens et musulmans avec la patience de l’horloger et l’efficacité d’un dynamiteur de montagne. Il excelle dans la patience du concept, il fournit ses preuves, il renvoie avec précision aux textes, il analyse minutieusement. Il a toutes les qualités de l’universitaire, au sens noble du terme ; voilà pourquoi l’université, qui manque de ces talents-là, ne le reconnaît pas.

Cette patience de l’horloger qui ne convainc pas l’université se double donc de l’efficacité du dynamiteur qui pourrait plaire aux journalistes. Mais, si l’université ne doit pas aimer chez lui l’usage des bâtons de dynamite, les journalistes, eux, n’apprécient probablement pas sa méticulosité conceptuelle. Voilà pourquoi cet homme est seul, et sa pensée révolutionnaire, méconnue.

Certes, il a pour lui la caution d’un certain nombre de pointures intellectuelles du XXe siècle : Claude Lévi-Strauss, Jean-Pierre Vernant, Marcel Detienne, Maurice Godelier, Ilya Prigogine, mais aussi Edgar Morin, Claude Simon, René Schérer, Paul Veyne lui ont dit tout le bien qu’ils pensaient de son travail. Mais rien n’y fait, le nom de Jean Soler ne déborde pas le cercle étroit d’une poignée d’aficionados – même si ses livres, tous édités aux éditions de Fallois, se vendent bien.

Jean Soler vient donc d’avoir la bonne idée de faire paraître Qui est Dieu ?. Le résultat est un texte bref qui synthétise la totalité de son travail, pourtant déjà quintessencié, un petit livre vif, rapide, dense, qui propose un feu d’artifice avec le restant de dynamite inutilisé… C’est peu dire qu’il s’y fera des ennemis, tant le propos dérange les affidés des trois religions monothéistes.

Six idées reçues

Jean Soler démonte six idées reçues. Première idée reçue : la Bible dépasse en ancienneté les anciens textes fondateurs. Faux : les philosophes ne s’inspirent pas de l’Ancien Testament, car « la Bible est contemporaine, pour l’essentiel, de l’enseignement de Socrate et des oeuvres de Platon. Remaniée et complétée plus tard, elle est même, en grande partie, une oeuvre de l’époque hellénistique ».

Deuxième idée reçue : la Bible a fait connaître à l’humanité le dieu unique. Faux : ce livre enseigne le polythéisme et le dieu juif est l’un d’entre les dieux du panthéon, dieu national qui annonce qu’il sera fidèle à son peuple seulement si son peuple lui est fidèle. La religion juive n’est pas monothéiste mais monolâtrique : elle enseigne la préférence d’un dieu parmi d’autres. Le monothéisme juif est une construction qui date du Ve siècle avant l’ère commune.

Troisième idée reçue : la Bible a donné le premier exemple d’une morale universelle. Faux : ses prescriptions ne regardent pas l’universel et l’humanité, mais la tribu, le local, dont il faut assurer l’être, la durée et la cohésion. L’amour du prochain ne concerne que le semblable, l’Hébreu, pour les autres, la mise à mort est même conseillée.

Quatrième idée reçue : les prophètes ont promu la forme spiritualisée du culte hébraïque. Faux : pour les hommes de la Bible, il n’y a pas de vie après la mort. L’idée de résurrection est empruntée aux Perses, elle apparaît au IIe siècle avant J.-C. Celle de l’immortalité de l’âme, absente de la Bible hébraïque, est empruntée aux Grecs.

Cinquième idée reçue : le Cantique des cantiques célèbre l’amour réciproque de Dieu et du peuple juif. Faux : ce texte est tout simplement un poème d’amour. S’il devait être allégorique, ce serait le seul livre crypté de la Bible.

Sixième idée reçue : Dieu a confié aux juifs une mission au service de l’humanité. Faux : Dieu a célébré la pureté de ce peuple et interdit les mélanges, d’où les interdits alimentaires, les lois et les règles, l’interdiction des mélanges de sang, donc des mariages mixtes. Ce dieu a voulu la ségrégation, il a interdit la possibilité de la conversion, l’idée de traité avec les nations étrangères, et il ne vise pas autre chose que la constitution identitaire d’un peuple. Ce dieu est ethnique, national, identitaire.

Le dieu unique : un guerrier

Fort de ce premier déblayage radical, Jean Soler propose l’archéologie du monothéisme. À l’origine, les Hébreux croient à des dieux qui naissent, vivent et meurent. Leurs divinités sont diverses et multiples. Yahvé a même une femme, Ashera, reine du ciel, à laquelle on sacrifie des offrandes – libations, gâteaux, encens. Pour ramasser cette idée dans une formule-choc, Jean Soler écrit : « Moïse ne croyait pas en Dieu. » Le même Moïse, bien que scribe de la Torah, ne savait pas écrire : les Hébreux n’écrivent leur langue qu’à partir du IXe ou du VIIIe siècle. Si Yahvé avait écrit les Dix Commandements de sa main, le texte n’aurait pas pu être déchiffré avant plusieurs siècles.

Le dieu unique naît dès qu’il faut expliquer que ce dieu national et protecteur ne protège plus son peuple. Il y eut un temps bénit, celui de la sortie d’Égypte, de la conquête de Canaan, de la constitution d’un royaume ; mais il y eut également un temps maudit : celui de la sécession lors de la création de la Samarie, un État indépendant, celui de son annexion par les Assyriens, à la fin du VIIIe siècle, et de la déportation du peuple, celui de la destruction de Jérusalem par le roi babylonien Nabuchodonosor au début du VIe siècle.

Le monothéisme s’impose dans la seconde moitié du IVe siècle. Le dieu des Perses, qui leur est favorable, devient le dieu des juifs, qui souhaitent eux aussi obtenir ses faveurs. Ce même dieu favorise l’un ou l’autre peuple selon ses mérites. On cesse de nommer Yahvé, pour l’appeler Dieu ou Seigneur. Les juifs réécrivent alors le premier chapitre de la Genèse.

Menacé de disparition physique, le peuple juif cherche son salut dans l’écrit. Il invente Moïse, un prophète scribe qui consigne la parole de Yahvé. Il se donne une existence littéraire et se réfugie dans les livres dont le contenu est arrêté par des rabbins vers l’an 100 de notre ère. Les juifs deviennent alors le peuple du Livre et du dieu unique.

Le dieu unique devient vengeur, jaloux, guerrier, belliqueux, cruel, misogyne. Jean Soler associe le polythéisme à la tolérance et le monothéisme à la violence : lorsqu’il existe une multiplicité de dieux, la cohabitation rend possible l’ajout d’un autre dieu, venu d’ailleurs ; quand il n’y a qu’un dieu, il est le vrai, l’unique, les autres sont faux. Dès lors, au nom du dieu un, il faut lutter contre les autres dieux, car le monothéisme affirme : « Tous les dieux sauf un sont inexistants. »

Invention du génocide

« Tu ne tueras point » est un commandement tribal, il concerne le peuple juif, et non l’humanité dans sa totalité. La preuve, Yahvé commande de tuer, et lisons Exode, 32. 26-28, trois mille personnes périssent sur son ordre. Dans Contre Apion, l’historien juif Flavius Josèphe établit au Ier siècle de notre ère une longue liste des raisons qui justifient la peine de mort : adultère, viol, homosexualité, zoophilie, rébellion contre les parents, mensonge sur sa virginité, travail le jour du sabbat, etc.

Jean Soler aborde l’extermination des Cananéens par les juifs et parle à ce propos d' »une politique de purification ethnique à l’encontre des nations de Canaan ». Puis il signale que le Livre de Josué précise qu’une trentaine de cités ont été détruites, ce qui lui permet d’affirmer que les juifs inventent le génocide – « le premier en date dans la littérature mondiale »… Jean Soler poursuit en écrivant que cet acte généalogique « est révélateur de la propension des Hébreux à ce que nous nommons aujourd’hui l’extrémisme ». Toujours soucieux d’opposer Athènes à Jérusalem, Jean Soler note que la Grèce, forte de cent trente cités, n’a jamais vu l’une d’entre elles avoir le désir d’exterminer les autres.

En avançant dans le temps, Jean Soler, on le voit, ouvre des dossiers sensibles. La lecture des textes dits sacrés relève effectivement de la politique. Il interroge donc la postérité du modèle hébraïque dans l’histoire et avance des hypothèses qui ne manqueront pas de choquer.

Le judaïsme, écrit-il, a été en crise cinq fois en mille ans. Il l’est aux alentours de l’an 0 de notre ère. D’où son attente d’un messie capable de le sauver et de lui redonner sa splendeur. Il y a pléthore de prétendants, Jésus est l’un d’entre eux. Ce sectateur juif renonce au nationalisme de sa tribu au profit de l’universalisme. Dès lors, il n’y a qu’un dieu, et il est le dieu de tous. Plus besoin, donc, des interdits qui cimentaient la communauté tribale appelée à régner sur le monde une fois régénérée.

Si Jésus séparait bien les affaires religieuses et celles de l’État, s’il récusait l’usage de la violence et prêchait un pacifisme radical, il n’en va pas de même pour l’empereur Constantin, qui, en son nom, associe religion et politique dans son projet impérial théocratique. Sous son règne, les violences, la guerre, la persécution se trouvent légitimées – d’où les croisades, l’Inquisition, le colonialisme du Nouveau Monde. Pendant ce temps, les juifs disparaissent de Palestine et constituent une diaspora planétaire. L’islam conquiert sans discontinuer et la première croisade, précisons-le, se trouve fomentée par les musulmans contre les chrétiens.

Le schéma judéo-chrétien s’impose, même à ceux qui se disent indemnes de cette religion. Jean Soler pense même le communisme et le nazisme dans la perspective schématique de ce modèle de pensée. Ainsi, chez Marx, le prolétariat joue le rôle du peuple élu, le monde y est vu en termes d’oppositions entre bien et mal, amis et ennemis, l’apocalypse (la guerre civile) annonce le millénarisme (la société sans classes).

Une oeuvre qui gêne

De même chez Hitler, dont Jean Soler montre qu’il n’a jamais été athée mais que, catholique d’éducation, il n’a jamais perdu la foi. Pour Jean Soler, « le nazisme selon Mein Kampf (1924) est le modèle hébraïque auquel il ne manque même pas Dieu » : Hitler est le guide de son peuple, comme Moïse ; le peuple élu n’est pas le peuple juif, mais le peuple allemand ; tout est bon pour assurer la suprématie de cette élection ; la pureté assure de l’excellence du peuple élu, dès lors, il faut interdire le mélange des sangs.

Pour l’auteur de Qui est Dieu ?, le nazisme détruit la position concurrente la plus dangereuse. Jean Soler cite Hitler, qui écrit : « Je crois agir selon l’esprit du Tout-Puissant, notre créateur, car, en me défendant contre le juif, je combats pour défendre l’oeuvre du Seigneur. » Les soldats du Reich allemand ne portaient pas par hasard un ceinturon sur la boucle duquel on pouvait lire : « Dieu avec nous »…

On le voit bien, Jean Soler préfère la vérité qui dérange à l’illusion qui sécurise. Son oeuvre gêne les juifs, les chrétiens, les communistes, les musulmans. Ajoutons : les universitaires, les journalistes, sinon les néonazis. Ce qui, convenons-en, constitue un formidable bataillon ! Faut-il, dès lors, s’étonner qu’il n’ait pas l’audience que son travail mérite ?

Accusation

L’accusation d’antisémitisme, bien sûr, est celle qui accueille le plus souvent ses recherches. Elle est l’insulte la plus efficace pour discréditer le travail d’une vie, et l’être même d’un homme. En effet, Jean Soler détruit des mythes juifs : leur dieu fut un parmi beaucoup d’autres, puis il ne devint unique que sous la pression opportuniste ethnique et tribale, nationaliste. Toujours selon Jean Soler, le monothéisme devient une arme de guerre forgée tardivement pour permettre au peuple juif d’être et de durer, fût-ce au détriment des autres peuples. Il suppose une violence intrinsèque exterminatrice, intolérante, qui dure jusqu’aujourd’hui. La vérité du judaïsme se trouve dans le christianisme qui universalise un discours d’abord nationaliste. Autant de thèses iconoclastes !

À quoi Jean Soler ajoute que la Shoah ne saurait être ce qui est couramment dit : « Un événement absolument unique, qui excéderait les limites de l’entendement humain. Effort désespéré pour accréditer à tout prix, jusque dans le pire malheur, l’élection par Dieu du peuple juif ! En réalité, l’existence de la Shoah est la preuve irréfutable de la non-existence de Dieu. » Soler inscrit la Shoah dans l’histoire, et non dans le mythe. Il lui reconnaît un rôle majeur, mais inédit dans la série des lectures de cet événement terrible : non pas événement inédit, mais preuve définitive de l’inexistence de Dieu – quel esprit assez libre pourra entendre cette lecture philosophique et historique ?

Renaissance grecque

Jean Soler, on le voit, a déclaré une guerre totale aux monothéismes. Bien sûr, il ne souhaite pas revenir au polythéisme antique, mais il propose que nous nous mettions enfin à l’école de la Grèce après plus de mille ans de domination judéo-chrétienne. Une Grèce qui ignore l’intolérance, la banalisation de la peine de mort, les guerres de destruction massive entre les cités ; une Grèce qui célèbre le culte des femmes ; une Grèce qui ignore le péché, la faute, la culpabilité ; une Grèce qui n’a pas souhaité l’extermination massive de ses adversaires ; une Grèce qui, à Athènes, où arrive saint Paul, avait édifié un autel au dieu inconnu comme preuve de sa générosité et de son hospitalité – cet autel fut décrété par Paul de Tarse l’autel de son dieu unique, le seul, le vrai. Constantin devait donner à Paul les moyens de son rêve.

Nous vivons encore sous le régime de Jérusalem. Jean Soler, solitaire et décidé, campe debout, droit devant deux mille ans d’histoire, et propose une Renaissance grecque. Le déni étant l’une des signatures du nihilisme contemporain, on peut décliner l’invitation. Mais pourra-t-on refuser plus longtemps de débattre de l’avenir de notre civilisation ? Avons-nous les moyens de continuer à refuser le tragique de l’histoire pour lui préférer la comédie des mythes et des légendes ? Nietzsche aurait aimé ce disciple qui va fêter ses 80 ans. Et nous ?

Qui est Dieu ?, de Jean Soler (éditions de Fallois).

Repères

1933 Naissance à Arles- sur-Tech.

1959 Agrégation de lettres classiques.

1973  » Sémiotique de la nourriture dans la Bible  » (revue  » Annales « ).

2002  » Aux origines du Dieu unique « , t. I :  » L’invention du monothéisme  » (Ed. de Fallois), salué par Edgar Morin et Claude Simon. Réédité dans la collection  » Pluriel  » (Hachette).

2009  » La violence monothéiste  » (Ed. de Fallois). 2012  » Qui est Dieu ?  » (Ed. de Fallois).

Voir également:

Michel Onfray accusé d’antisémitisme… et d’amateurisme

David Caviglioli

BibliObs

28-06-2012

Le 7 juin dernier, le philosophe publiait un article présentant le judaïsme comme un dogme génocidaire. Il est depuis la cible de critiques virulentes.

Michel Onfray a publié dans «le Point» du 7 juin dernier un article présenté comme un «plaidoyer» en faveur de l’historien Jean Soler, texte qui lui vaut depuis d’être la cible de critiques virulentes.

Jean Soler, ancien diplomate, plusieurs fois nommé à la tête d’institutions culturelles, est l’auteur de nombreux ouvrages consacrés, sur un mode hostile, à l’histoire et à la philosophie du monothéisme. Il vient de publier «Qui est Dieu ?» (éditions De Fallois). Michel Onfray, en «athéologien» militant, a tenu à saluer la parution de l’ouvrage. Il présente Jean Soler comme un érudit solitaire et minutieux, méprisé par les institutions, bien qu’il excelle «dans la patience du concept».

« Il a toutes les qualités de l’universitaire, au sens noble du terme ; voilà pourquoi l’université, qui manque de ces talents-là, ne le reconnaît pas », tranche Onfray, offrant une démonstration éclatante à l’adage qui veut qu’on utilise souvent les autres pour dire ce qu’on pense de soi.

«Les juifs inventent le génocide»

Premier problème: sur les plans théologique comme historique, l’article de Michel Onfray est truffé d’approximations, de contresens et de confusions: on renverra ceux que ça intéresse à cette critique très complète de Didier Long, qui reprend les erreurs d’Onfray une par une, ou à la réponse du rabbin Yeshaya Dalsace dans «le Point» de ce jeudi.

Mais ces errements ne sont pas la source de la polémique. L’idée centrale de ce «plaidoyer» est que le monothéisme juif, avec sa «violence intrinsèque exterminatrice» a inauguré les plaies de l’Histoire que sont les massacres ethniques et les génocides.

Pour Onfray commentant Soler, les prescriptions bibliques, loin d’avoir offert une première existence à l’idée d’une morale universelle (comme le croient les naïfs), «ne regardent pas l’universel et l’humanité, mais la tribu, le local (…). L’amour du prochain ne concerne que le semblable, l’Hébreu, pour les autres, la mise à mort est même conseillée.»

On apprend aussi que le dieu des juifs «a voulu la ségrégation» en interdisant les mariages mixtes et en instaurant des interdits alimentaires. En clair: «ce dieu est ethnique, national, identitaire». Yahvé, un mec du Rassemblement Bleu Marine ? Peut-être pire encore…

Car Onfray poursuit, tout à son idylle intellectuelle avec Soler: il évoque «l’extermination des Cananéens par les juifs» et reprend, sans apporter la moindre contradiction, l’expression de «purification ethnique». «Les juifs inventent le génocide», fait-il enfin dire à l’historien.

Hitler-Moïse : même combat?

Tout ceci pose évidemment problème. D’abord en termes purement factuels. Il est prouvé que la conquête destructrice de Canaan, racontée dans le livre de Josué, est une épopée à peu près fictive, comme on en trouve dans les récits fondateurs de tous les peuples.

Par ailleurs, sa dénonciation de l’«ethnicisme» juif exige de taire certains faits: Adam, Abraham, Noé et consorts n’étaient évidemment pas juifs; le code lévitique affirme: «Tu aimeras l’étranger comme toi-même»; l’interdiction d’assassiner (et non de tuer) dans le deutéronome concerne l’humanité entière (contrairement à ce qu’Onfray affirme); l’élection du peuple d’Israël, concept fréquemment mal compris, ne lui procure à aucun bénéfice, hormis celui d’être soumis à des lois plus sévères. On trouve dans la Bible des versets comme: «Car Ma maison sera appelée maison de prière pour tous les peuples.» On a certainement fait plus humaniste que l’Ancien testament. Mais c’est un texte nébuleux, parfois contradictoire, dans lequel il vaut mieux pénétrer prudemment.

Au-delà de ces contresens, on ne peut qu’être frappé par l’anachronisme du raisonnement de Michel Onfray. Utiliser des concepts modernes pour juger une peuplade du XIIe siècle avant J.C. est une démarche pour le moins hasardeuse. C’est ainsi: la Charte des Nations unies de 1948 n’était pas souvent appliquée sous l’Antiquité. Les royaumes, juifs ou pas, du deuxième millénaire avant notre ère étaient rarement aux mains de monarques cosmopolites et post-identitaires. Les archéologues retrouvent très peu de pins «Touche pas à mon pote» lorsqu’ils fouillent le sol mésopotamien. Les divinités obtuses qui régnaient en ce temps rechignaient à se donner la main pour former une grande chaîne de la tolérance autour de la terre.

Cette amère vérité n’arrête pas Onfray et Soler. Le philosophe cite l’historien, dans ce qui constitue le passage le plus problématique de son article: «Le nazisme selon “Mein Kampf” (1924) est le modèle hébraïque auquel il ne manque même pas Dieu.» Puis Onfray acquiesce: «Hitler est le guide de son peuple, comme Moïse.» Le judaïsme, fondement de la pulsion génocidaire? Modèle de l’hitlérisme?

Onfray accrédite même une théorie selon laquelle les nazis auraient exterminé les juifs pour «détrui[re] la position concurrente la plus dangereuse» – rappelons à toutes fins utiles que les juifs n’ont jamais exterminé qui que ce soit. Mais Onfray tient à sa démonstration: il insinue que la formule «Dieu avec nous» utilisée par le Reich hitlérien était reprise du prophète Isaïe. C’est là une torsion de la vérité historique: cette devise avait été empruntée par l’Empire germanique dès 1871, non à Isaïe, mais aux byzantins.

«Goût exquis»

Cette volonté de «judéiser» le nazisme a valu au philosophe des critiques sévères. Haïm Korsia a fait part dans «l’Express» de sa «révulsion». Michaël de Saint-Chéron, sur le site de «la Règle du jeu» (organe il est vrai traditionnellement hostile à Onfray) lui reproche de laisser libre cours à sa «détestation des juifs». Dans «le Point» de ce jeudi, Yeshaya Dalsace, Aldo Naouri et Antoine Spire, en plus de montrer les errements de son argumentation, ironisent sur le «goût exquis» de sa comparaison entre nazisme et judaïsme.

Dans le même journal, Marek Halter émet l’hypothèse que «les juifs le gênent» et lui reproche ses accents communs avec Ernst Nolte, «historien allemand qui essaie de nous faire croire que les nazis ont tout appris chez les bolchéviques, et les bolchéviques chez les juifs. Ainsi la boucle est bouclée: les juifs sont responsables de leur propre mort.»

Michel Onfray a répondu, d’une manière qu’on qualifiera poliment d’étrange, toujours dans «le Point»: il s’est contenté de reproduire un texte datant de janvier dernier, dans lequel il se proclamait sioniste. Pas un mot sur les contrevérités qu’il a relayées, ni sur les thèses de Jean Soler, dont il semble pourtant apprécier la lecture. Pas même une phrase indiquant que son opposition, tout à fait honorable, au sectarisme monothéiste a pu le pousser à contresigner des choses qu’il ne pensait pas. Ca arrive, parfois, d’écrire trop vite.

Voir encore:

Jean Soler ou les démons de Michel Onfray

le grand rabbin Haïm Korsia

L’Express

26/06/2012

Le rabbin Korsia répond à l’article de Michel Onfray dans Le Point sur Jean Soler.

Grasset

Le grand rabbin Haïm Korsia répond ici à un texte du philosophe, paru dans Le Point. Le héraut de l’athéisme y citait un auteur sulfureux, Jean Soler, qui fait de dangereux rapprochements entre le judaïsme et le nazisme. Michel Onfray n’a pas souhaité réagir.

Par nature et fonction, je porte les principes de laïcité républicaine et fais la part des choses. Mais j’ai lu avec révulsion les amalgames dont se repaît le Sage de l’Université populaire de Caen.

Endossez-vous, monsieur Onfray, cette fulgurance de Soler: « Le nazisme selon Mein Kampf est le modèle hébraïque auquel il ne manque même pas Dieu »? Même pas Dieu? Même pas peur, nous dit M. Onfray! Sérieusement, le nazisme et le « modèle hébraïque » seraient fusionnels, monsieur Onfray? Selon Mein Kampf? Selon Soler? Selon vous? C’est selon? Vous enseignez? Comme on saigne, peut-être?

N’êtes-vous pas le logo de cette nouvelle Histoire mêlant rétroactivement toutes les utopies contrefactuelles, machine à démonter les temps? Mais voyons-y de plus près.

Le Dieu de la Bible, nationaliste? La prière de Salomon dans le livre des Rois souhaite à l’étranger la bienvenue dans le Temple, dont l’immense parvis était destiné à tous les peuples pour qui les prêtres offraient 70 bêtes comme les 70 nations connues. Et dois-je rappeler le sublime verset d’Isaïe: « Car Ma maison sera appelée maison de prière pour tous les peuples »?

Contrairement à ce qu’affirme Onfray, l’amour du prochain concerne tous les hommes dans la Bible, où il est répété tant de fois: « Tu aimeras l’étranger comme toi-même », car « il n’y a qu’un seul peuple sur terre », et aucun ne peut se dire supérieur à un autre. Chacun a une spécificité, un génie propre, une mission. Si l’élection d’Israël est une responsabilité particulière, chaque humain aura part au monde futur sans nécessité de passer par le judaïsme. Et même en étant un athée qui, au moins, espère en l’Homme.

Athènes, le contre-exemple parfait de la Jérusalem honteuse, ségrégationniste et violente? La Grèce, forte de 130 cités, n’a-t-elle jamais vu l’une d’entre elles exterminer les autres? Sparte et le modèle esclavagiste ne vous rappellent donc rien? Ni la femme grecque libre enfermée dans le gynécée libre? Aristote a été condamné parce qu’il refusait de reconnaître les dieux de la cité et qu’il risquait d’y introduire de nouvelles divinités. Il n’a pas pu se lancer dans la politique car il était un « métèque », un étranger, et ce même statut lui interdisait d’acheter le terrain de son Lycée. Et ceci, Onfray ne peut l’ignorer.

Non, monsieur Onfray, le Nietzsche que vous invoquez ne vous adouberait pas. A vos lecteurs, l’anti-philistin de la culture, dont je ne suis pourtant pas un adepte, dit: « Les génies savent mieux que les talents dissimuler l’orgue de Barbarie, au moyen de leur drapé plus ample; mais au fond, tout ce qu’ils peuvent aussi est de jouer et rejouer toujours leur demi-douzaine de vieilles rengaines » (Oeuvres philosophiques complètes, XIII).

Tout y est, monsieur Onfray, et vous tout entier: votre « génie » sans talent, le drapé de vos postures, la Barbarie de vos grandes orgues, les rengaines que vous remettez au goût du jour. Ce que vous dites à mots à peine cachés est terrible de responsabilité envers les esprits faibles qui risqueraient de vous croire : « [Le judaïsme] suppose une violence intrinsèque exterminatrice, intolérante, qui dure jusqu’aujourd’hui. » Malheureusement, c’est l’antisémitisme « qui dure jusqu’aujourd’hui », et celui des intellectuels n’est pas moins violent que celui des nervis de telle ou telle mouvance.

Ne sortez pas les démons de la bouteille avec de tels appels à la haine, car les nuages sont de retour sur notre vieille Europe et l’horreur récente de Toulouse est là pour nous le rappeler.

Voir par ailleurs:

Onfray : rien de nouveau

Yeshaya Dalsace

Primo

18-06-2012

Michel Onfray a gratifié le grand public d’un long article de trois pages dans Le Point du 7 juin 2012 à propos du dernier ouvrage de Jean Soler « Qui est Dieu ? ».

Il se trouve que j’apprécie les travaux de Michel Onfray et ses conférences. Son goût pour un certain épicurisme et les philosophes délaissés n’est pas fait pour me déplaire.

Par ailleurs, j’ai lu et suivi de longue date les différents ouvrages de Jean Soler sur la Bible, dont on peut en effet apprécier l’érudition classique malgré son fiel.

Michel Onfray fait grand cas du travail de Jean Soler, présenté comme une immense figure intellectuelle, un héros de l’esprit menant courageusement une guerre salvatrice contre l’hégémonie monothéiste au profit de la réhabilitation du bien précieux perdu par l’occident : la culture polythéiste, autrement supérieure.

L’acteur principal de cette mise sous le boisseau du meilleur de la culture humaine, Athènes, au profit d’une ville honnie, Jérusalem, est bien entendu le juif (avec un petit j, c’est-à-dire l’adepte de cette doctrine à combattre)… C’est simple, limpide…

Sur trois pages, Onfray se lâche en affirmant un tas de contrevérités, d’imprécisions, d’affirmations caricaturales tout en faisant croire au lecteur qu’on vient de découvrir enfin, grâce à l’héroïque Soler, comparé au grand Nietzsche, une vérité qu’on voulait si longtemps nous cacher sur la véritable identité de l’affreux et sanguinaire despote de notre culture : le Dieu du monothéisme, dont le Juif (que j’écris avec une majuscule car identité et religion sont ici indissociables), à la fois son esclave et son agent, ne vaudrait pas mieux que la caricature divine dont il se croit l’élu…

Cependant, contrairement à ce qu’affirme dans son article Michel Onfray, Jean Soler ne fait nullement dans la nouveauté. Je dirais même qu’il ressort de vieilles lunes avec un dogmatisme de premier de la classe qui récite une leçon bien apprise.

Jean Soler viendrait casser six idées reçues, ce que nul avant lui n’aurait osé faire.

Ce héros intellectuel déboulonnerait une bonne fois pour toutes l’immonde et sanguinaire Dieu d’Israël, responsable de 2000 ans de malheurs et de guerres sans fin.

Le monde intellectuel, l’Université au premier chef, par conventionnalisme, bouderait Soler, on l’accuserait même d’antisémitisme, ultime arme des censeurs à court d’argument, ce héros digne d’un autre briseur d’idoles mal reconnu, Onfray lui-même.

Examinons les six points de Soler, présentés par Onfray comme révolutionnaires :

1. Contrairement à ce qu’on croit, la Bible n’est pas si ancienne et n’aurait pas la primauté car contemporaine des grandes oeuvres philosophiques grecques. C’est juste.

Mais Michel Onfray semble ignorer que toute personne, quelque peu érudite en matière biblique, connaît ce fait. De nombreuses recherches dans ce domaine ont été publiées et si quelqu’un s’intéresse à ce genre de sujet, je lui conseillerais plutôt la lecture de Thomas Römer qui est un bibliste sérieux que celle de Jean Soler…

En fait de nouveautés, Michel Onfray, en fin connaisseur des textes philosophiques qu’il est, devrait savoir que le grand Spinoza avait déjà affirmé cela dès le 17e siècle…

Thèse largement reprise, argumentée et divulguée depuis par les divers chercheurs dont bon nombre d’universitaires israéliens, dont certains portent la kipa… Qui ignore aujourd’hui que les textes antiques ont une histoire rédactionnelle complexe ?

2. « La religion juive n’est pas monothéiste mais monolâtrique » affirme Michel Onfray. Le Dieu des Juifs serait une idole qui a bien réussi… Le problème dans cette affirmation est la confusion entre la préhistoire du judaïsme, qui puise en effet dans un fonds culturel polythéiste et « la religion juive » qui a traversé toutes sortes de phases et n’a pas fini de le faire. Là encore, rien de neuf sur l’histoire et nombre de savants travaillent à ces sujets depuis 150 ans…

Mais de quels « Juifs » parle-t-on et de quelle époque ?

Onfray qui sait, tout comme Soler, la valeur du langage se permet d’affirmer une généralité éternelle « La religion juive n’est pas monothéiste »…

Donc, en toute logique, les synagogues sont des lieux d’idolâtrie où l’on affirmerait la supériorité d’une divinité sanglante sur ses concurrentes…

Lamentable raccourci et simplification historique.

Si Michel Onfray était meilleur lecteur de la Bible, il saurait que celle-ci présente effectivement les hébreux comme idolâtres et les fustige pour cela, mais que le terme « Juifs » n’apparait que dans le livre d’Esther, fort tardif, à une époque où le véritable monothéisme est un acquis et le stade de la monolâtrie, un lointain souvenir.

Il saurait surtout que la Bible ne tient pas de discours théologique uniforme (d’où son intérêt et sa longueur d’ailleurs) et qu’au bout du compte l’enseignement du monothéisme s’y trouve bien, contrairement à ses allégations simplificatrices.

Pour moi, « la religion juive » est celle que je pratique, bien loin des idées reçues et des assertions de Michel Onfray et elle puise dans un réservoir de 3000 ans de textes les plus divers, y compris les textes universitaires les plus critiques.

3. Pour Onfray, la Bible ne connaît pas l’universel et incite les Juifs à écraser les autres… Un peu court, comme affirmation ! (sans parler de relents nauséabonds de conspirationnisme).

Au contraire, le plus étonnant dans la Bible, c’est qu’un petit peuple montagnard isolationniste en soit arrivé à une vision universaliste, affirmée à de nombreuses reprises.

On la trouve dans l’idée d’ancêtre unique à toute l’humanité présentée comme une grande famille égalitaire ; dans l’idée de la possibilité de construire une paix fraternelle universelle exprimée chez plusieurs prophètes, notamment Isaïe ; dans l’ordre de respecter l’étranger « car tu as été toi-même étranger », « tu aimeras l’étranger comme toi-même » (Lévitique 19,34) qui est répété à de nombreuses reprises, ainsi que dans bien d’autres passages qui abondent en ce sens.

Il est vrai que les Juifs ont toujours agacé par leur particularisme qui peut parfois être sujet à critique, le vilain Haman du Livre d’Esther ne s’en gêne pas… Mais on sait ce que cet agacement peut engendrer dans l’Histoire humaine et combien de Juifs en ont payé le prix.

Ce qui devrait inciter Onfray et Soler à un semblant de décence au moment d’avancer ce genre d’allégations et au moins les argumenter avec finesse.

Certes la Bible, livre d’une grande complexité, n’a pas le monopole de la morale et de l’universel, mais elle énonce bien une morale universelle que la lecture révisionniste de Soler ne peut évacuer d’un revers de main, en la réduisant à ses seuls aspects particularistes ou ritualistes.

4. Paradoxalement, Onfray reproche à la Bible de ne pas avoir affirmé clairement l’immortalité de l’âme et la résurrection. C’est vrai, et réjouissons-nous de cette liberté dogmatique digne des présocratiques !

Les rabbins du Talmud en étaient d’ailleurs gênés et cherchèrent à prouver assez maladroitement que leur idée de résurrection s’inscrivait bien dans le texte biblique. Ce point de doctrine était même une des polémiques entre Juifs pharisiens et Juifs sadducéens au 1er siècle avant JC.

Là encore, donc, comme innovation, on fait mieux : Soler a 2000 ans de retard !

Mais cela veut-il dire qu’il n’y avait pas de spiritualité chez les prophètes, ou même les sadducéens, comme l’affirme Michel Onfray ? Il semble avoir une idée bien étroite et dogmatique de la spiritualité, qui ne passerait que par la résurrection ou l’éternité de l’âme et contredit donc ici son propre discours philosophique…

5. Onfray nous dévoile une vérité soigneusement cachée : le Cantique des Cantiques parle de l’amour charnel, c’est un texte érotique ! Voilà l’incroyable découverte de Jean Soler ! On se roule de rire… (Quoi, Salomon, vous êtes Juif !) Mais il faudrait être vraiment aveugle pour ne pas le voir : « Tes seins, ta bouche, tes cuisses, le levier de la porte, la serrure,… non tu ne rentreras pas ! »

Gainsbourg n’a rien inventé et personne ne s’y est jamais trompé, même si une lecture symbolique et mystique fut mise en avant chez les religieux.

Onfray prend les lecteurs du Point pour des enfants de choeur ! N’eut-il pas été plus digne de la pensée de l’auteur de s’interroger sur ce choix délibéré d’un texte érotique par les mystiques et les chefs du puritain monothéisme ?

6. Onfray assène : le Dieu d’Israël est exclusivement ethnique et séparatiste… la preuve : les lois alimentaires et de pureté pratiquées par les Juifs…

Comment un philosophe, forcément retiré régulièrement dans son pré carré bien gardé pour pouvoir écrire son oeuvre universelle peut-il écrire des choses aussi terre à terre et caricaturales ?

Ne connaît-il pas ce genre de lois sur la pureté chez ses chers Grecs ? Ne sait-il pas la vertu d’une discipline intérieure ?

Quelle contradiction entre ces règles et les principes de l’Universel ? Voilà bien une affirmation simpliste. Mais là encore, rien de neuf, c’est la reprise d’un vieux thème antijudaïque, celui d’une époque où l’on jetait volontiers les Juifs dans les puits ou sur les bûchers pour leur apprendre les vertus de l’universalisme chrétien…

Le reste de l’article ne présente rien de bien nouveau non plus, Onfray, à la suite de Jean Soler, croit devoir prendre une pose héroïque quand il ne fait qu’enfoncer des portes ouvertes…

S’il lisait un peu plus les biblistes et les historiens des religions, il se rendrait vite compte que le très savant et génial Jean Soler compile, vulgarise, avec un certain talent, mais ne dit rien au fond de bien original.

Ensuite, Onfray nous offre une révision du commandement « tu ne tueras point » qui, selon lui, ne concernerait que les membres de la tribu juive : les autres, on pourrait les massacrer comme bon nous semble… Là encore, en parlant d’un texte ancien, le mot « juif » est bien mal venu et plein d’ambigüité.

Mais surtout, « tu ne tueras point » est une traduction discutable qu’il faudrait plutôt comprendre « tu ne commettras point de meurtre » ou « tu n’assassineras point », même sans savoir l’hébreu, il est facile de comprendre la différence entre « assassiner » et « tuer ».

On peut pratiquer la peine de mort, sans pour autant assassiner… nuance à la portée d’un philosophe.

Certes, la Bible parle de condamnation à mort et décrit nombre de massacres, avant tout dans un but édifiant typique de son époque, mais cela ne veut nullement dire que c’est une question de Juifs ou pas (voir la fin du livre des Juges où l’on se massacre entre « frères », ou même l’épisode du veau d’or ou de Coré dans le Pentateuque).

Le judaïsme a certes développé une législation à deux vitesses entre citoyen et étranger, que l’on peut critiquer, mais comme tous les systèmes de l’époque, y compris grec, et qui inspire notre système de citoyenneté actuel.

L’accusation de restreindre l’interdit du meurtre aux seuls Juifs est grave et digne cette fois des pires rumeurs médiévales reprises au siècle dernier avec les conséquences que l’on sait : les Juifs solidaires entre eux empoisonnent les autres par haine du genre humain, et sont donc empoisonnables…

Puis Onfray nous fait verser une larme sur les Cananéens exterminés par « les juifs » (sic), grands massacreurs devant l’Eternel, contrairement aux très pacifiques Grecs…

Ici on touche au fond de l’absurde et de l’inexactitude, mais surtout à l’indécence pour ne pas dire l’abject.

Tout d’abord, en bon adepte de la critique biblique et de la rationalité, Onfray devrait savoir que le massacre des Cananéens n’est qu’une pure légende contredite par l’archéologie et le texte biblique lui-même.

Il devrait savoir également, grâce à la même critique universitaire qu’il invoquait pour démolir l’ancienneté biblique, que les Hébreux sont eux-mêmes des Cananéens, même langue, mêmes divinités, dont le fameux El, sévère Dieu supérieur les conduisant à la monolâtrie, avant l’étape suivante…

Que les terribles passages de massacres du livre de Josué ou ailleurs dans la Bible, choquent notre sensibilité humaniste, rien de plus normal et de plus légitime.

Mais que cela fasse du judaïsme et du monothéisme en général le terreau obligatoire de l’extrémisme et l’inventeur du génocide, c’est vraiment tenir un raisonnement très superficiel et étaler ses préjugés au grand jour.

Jean Soler oppose les Grecs épris de paix aux Juifs belliqueux… Faut-il rouvrir les classiques helléniques pour se remémorer les guerres entre cités, enlèvements, massacres et viols ?

Faut-il rappeler les interminables luttes entre Sparte et Athènes et la politique hégémonique de cette dernière dont la cruauté envers les vaincus frappa Aristophane ou Xénophon ? Onfray ne sait-il pas la vantardise sanguinaire des Anciens, qui agissaient d’ailleurs moins qu’ils n’écrivaient, alors que les modernes font l’inverse…

Cette vantardise et ce goût pour le sang versé sont communs à toute la littérature antique et aux bas reliefs, de la lointaine Mésopotamie jusqu’aux Romains, en passant par les Egyptiens, les Grecs, les Hébreux et bien d’autres.

Mais l’athéisme occidental, dont Onfray se veut le porte drapeau, après ses dizaines de millions de victimes au nom d’une rationalité nationale parfaitement athée, massacrées comme jamais on ne le vit auparavant dans l’histoire humaine, n’est pas si bien placé que cela pour donner des leçons au reste du monde ou dresser un doigt accusateur contre le monothéisme.

Il est un fait que la Bible relève et cherche à résoudre dès ses premières lignes : l’être humain tue son prochain et a beaucoup de mal à s’arracher à ce rôle de Caïn et au cercle vicieux de la violence.

L’accusation biblique, contrairement à ce que pense Onfray, est universelle et n’épargne personne, ni les Juifs, ni les Grecs, ni les hommes, ni les femmes… car s’il est un sujet de prédilection dans la Bible, ce n’est pas Dieu, mais bien l’humain dans son humanité la plus prosaïque, avec tous ses défauts exposés au grand jour et sous toutes les facettes possibles.

Aucune figure biblique n’échappe à la critique.

Dans l’article d’Onfray, vient ensuite un parallèle doctrinal entre nazisme et judaïsme… On laisse à l’auteur la responsabilité de ses comparaisons d’un goût exquis. On ne relèvera que l’erreur historique : « les soldats du Reich allemand ne portaient pas par hasard un ceinturon sur la boucle duquel on pouvait lire : Dieu avec nous ».

Or Onfray devrait savoir que ce ceinturon est très antérieur au régime nazi. Si c’est là la seule preuve de la ferveur monothéiste d’Hitler… avec quelques autres déclarations du Führer sur le « Tout-puissant », c’est un peu court.

On pourrait opposer à ce grand admirateur de la culture polythéiste qu’est Michel Onfray, que s’il y a peut-être une ferveur religieuse dans le nazisme, ce serait plutôt sous la forme d’un retour aux bonnes vieilles valeurs du paganisme germanique, le culte du corps et des forces de la terre.

Tout ce que le judaïsme déteste… Impossible me direz-vous, un païen, d’après Onfray, est forcément un homme de tolérance et un pacifiste, il suffit de regarder l’histoire glorieuse des empires de l’Antiquité pour s’en convaincre. Jean Soler, que l’on ne saurait bien sûr soupçonner d’antisémitisme, (impensable chez un esprit de cette trempe !), aime certainement beaucoup les Juifs (il fut diplomate en Israël, il doit en garder quelques nostalgies et mêmes des amis) mais déteste profondément le judaïsme, la culture juive et tous les monothéismes.

Il n’aime pas non plus la « singularité » de la Shoa, « efforts désespérés à tout prix, jusque dans le pire malheur, pour accréditer l’élection par Dieu du peuple juif ». Si je comprends bien, les Juifs exploiteraient cyniquement la Shoa pour remettre en selle leur élection divine !

Faisons plaisir à Soler et Onfray.

Admettons que la Shoa ne soit qu’un massacre parmi d’autres, rien que le juste retour de bâton après le précédent de Josué.

Admettons qu’il n’y ait rien de singulier à aller chercher aux quatre coins de l’Europe, des vieillards, des femmes et des enfants dans le seul but de les éliminer.

Admettons que tout cela soit un malheur normal et qu’il n’y ait pas lieu de faire de ce détail de l’Histoire, une singularité.

Admettons également que l’Histoire juive – ses 2500 ans de diaspora, sa renaissance étatique et linguistique dans l’Etat d’Israël moderne – soit des plus banales.

Admettons que la Bible soit un bien mauvais bouquin. Concluons une bonne fois pour toutes que ces gens-là nous ont assez cassé les pieds et qu’il est temps pour l’Occident d’en sortir !

Alors allons au bout de la logique d’Onfray : brûlons la Bible, Freud et quelques autres pour revenir exclusivement à Platon et Epicure !… Culture quand tu nous tiens !

Je ne connais pas les comptes que Jean Soler a à régler à travers ses «découvertes » » et ses « combats héroïques » contre l’infâme.

Je ne sais pas quels comptes Michel Onfray cherche à régler en montant au créneau pour promouvoir Soler l’incompris. Je sais seulement qu’en écoutant les conférences d’Onfray sur Freud, passé l’intérêt premier, j’ai ressenti un malaise dans ce besoin de tirer systématiquement sur le vieux docteur et « son goût immodéré pour l’argent »…

En lisant l’article sur Soler, je ressens le même malaise, avec ici un indicateur troublant (lapsus de notre philosophe anti-freudien ?) : l’emploi quasi systématique dans cet article du terme « juif » alors qu’il est historiquement inapproprié et que les Juifs ne sont pas les seuls monothéistes, loin s’en faut (si en plus ils en sont toujours à la monolâtrie, qu’on les laisse alors tranquilles ces primitifs).

Mais je ressens un plus grand malaise encore de voir un journal aussi sérieux que Le Point laisser passer des allégations aussi médiocres et mal à propos, au point de se demander si on lit du Onfray ou un avatar d’une médiocre littérature antijuive qu’on croyait dépassée, le tout dans un climat français où assassiner un Juif à bout portant ou le tabasser est devenu chose possible.

Je n’ai absolument rien contre la critique des excès religieux, au contraire ! En bon disciple de Moïse, je trouve salutaire de casser les tables sacrées et les idoles…

En bon Juif, je n’ai pas peur de l’autodérision.

Comme chacun, je suis effrayé par l’éveil d’une religiosité extrémiste et bornée, y compris chez certains Juifs, qu’il est salutaire de critiquer et d’analyser.

Mais il s’agit dans cet article du Point d’un lamentable et malsain jeu de massacre qui manque sa cible et discrédite profondément son auteur.

Yeshaya Dalsace, rabbin de la communauté DorVador, Paris 20e

Voir de même:

CULTURE

Du ressentiment à l’effondrement de la pensée : le symptôme Onfray

Gérard Bensussan, Alain David, Michel Deguy  et Jean-Luc Nancy  Philosophes

Libération

3 juillet 2012

Le texte ci-dessous et la réponse de Michel Onfray font référence à une polémique dont le point de départ est un article de Michel Onfray paru dans le Point du 7 juin dernier sur Qui est Dieu?, un livre de Jean Soler (éd. de Fallois). Le 28 juin, le Point a publié sur le même sujet un dossier dans lequel on trouve, notamment, des articles du rabbin Yeshaya Dalsace, de Marek Halter, et, à nouveau, de Michel Onfray.

L’article publié par Michel Onfray dans un récent numéro du Point (le 7 juin) pose un problème très grave. Prétendant rendre compte d’une étude de Jean Soler sur la Bible, il donne à l’esprit de vengeance sa plus redoutable expression en l’appliquant à ce qui focalise le ressentiment contemporain, le judaïsme, autant qu’à l’ensemble monothéiste qui en est issu.

Laissons à d’autres le soin de discuter (s’il peut être discutable) le livre de Jean Soler et ne retenons ici que ce qu’en présente Onfray, qui est atterrant : le judaïsme, loin de supprimer le polythéisme, est «monolâtrique». Loin d’avoir inventé une morale universelle, il ne sert que des intérêts tribaux et égoïstes d’un peuple qui autrefois comme aujourd’hui se donne pour seule ambition de dominer les autres. Il faut citer cette phrase stupéfiante : «Le monothéisme devient une arme de guerre forgée tardivement pour permettre au peuple juif d’être et de durer, fût-ce au détriment des autres peuples. Il suppose une violence intrinsèque exterminatrice, intolérante, qui dure jusqu’aujourd’hui.» Et pour faire bon poids, Onfray ajoute que les Juifs sont le premier peuple à avoir perpétré des génocides (le génocide hitlérien étant lui-même d’ailleurs d’inspiration et de facture juives) et que la Shoah n’a pas l’importance exceptionnelle qu’on lui attribue habituellement.

Michel Onfray se réclame, depuis qu’il publie, de Nietzsche. Or il pratique en permanence l’esprit de vengeance, il est le prototype de ce que l’auteur du Zarathoustra identifiait comme «l’homme de ressentiment». Il fait profession de dénoncer l’establishment, et en particulier les gloires philosophiques, les religions ou Freud, mais cette dénonciation n’est que la constante et obstinée dénégation de la pensée. Baptisant hédonisme ce qui n’est qu’une complaisance démagogique pour la bassesse, quêtant auprès de l’opinion une reconnaissance que ses pairs en philosophie lui ont globalement refusée, il s’est acquis, ces dernières années, une notoriété exceptionnelle fondée tout ensemble sur l’intimidation et sur cette vague fascination que les sociétés entretiennent pour les démarches vulgaires.

On aurait pu en rester là, au malentendu, en haussant les épaules et rangeant par profits et pertes les bénéfices liés à l’imposture, mais Onfray, selon une trajectoire qui, après-coup, ne surprend pas franchit aujourd’hui un certain Rubicon.

Inutile de s’étendre sur les propos écoeurants contenus dans son texte du Point. Il n’y a guère de sens, jusqu’à nouvel ordre, à argumenter contre une idéologie qui désigne les Juifs comme les éternels porteurs d’une pulsion de mort dont notre époque continuerait à être victime. La vraie question est celle de la nature de l’audience d’une idéologie qui plaît à notre temps. En atteste, hélas, au-delà de l’article que nous évoquons, le dossier qui est paru dans la dernière livraison du Point (le numéro paru le 28 juin). Sous le titre «La polémique Michel Onfray-Jean Soler», cet hebdomadaire a construit un «débat» dans lequel Onfray, occupant en surplomb la place du philosophe non conformiste et politiquement incorrect, ferraille dédaigneusement en répondant à quelques objecteurs qui ont pourtant en commun de lui avoir concédé ce qui est pour cet homme si avide de revanche l’essentiel, sa légitimité de philosophe. Or ce n’est que par une imposture dont il faudrait prendre le temps de décrypter la portée qu’Onfray a pu s’acquérir la réputation d’être philosophe. Faire l’hypothèse de sa non-légitimité (ce qui nous paraît le minimum) serait rendre vain tout débat et transformer le Point, de journal courageux qu’il se voudrait, ayant accepté le risque de l’anticonformisme, en un support médiatique réductible à n’importe quel tabloïd soucieux d’audience, hors d’état de séparer le bon grain de la pensée de l’ivraie de la niaiserie idéologique ; qui plus est, dans le cas présent, se faisant le complice de propos dangereusement irresponsables.

En d’autres termes, il ne s’agit pas, par-delà cet article du Point, de débattre avec Onfray, ou contre lui, mais de s’interroger sur les raisons de la notoriété dont il jouit. Pourquoi cette audience, de quoi est-elle le symptôme ? Faut-il évoquer l’antisémitisme ?

On ne pourra éviter en tout état de cause de faire ici l’hypothèse d’une étrange maladie, qui n’a peut-être pas encore de nom, mélange de fascination obsessionnelle pour le judaïsme, d’incompréhension et de ressentiment pour l’histoire et le destin que ce dernier signifie pour l’humanité. Certains des plus grands penseurs du XXe siècle ont donné à entendre cela, Levinas, Derrida, Blanchot, d’autres encore, lesquels ont vu dans le judaïsme non la religion particulière d’une communauté (ce qu’il est évidemment aussi) mais une catégorie universelle de la pensée.

La position d’Onfray correspond à un certain effondrement de la pensée, à cette équivoque contemporaine qui voudrait que le judaïsme soit à la fois porteur d’une signification historiale et objet d’une récurrente dénégation et rivalité mimétique. Cette équivoque est plus lourde de conséquences que le personnage inconsistant qui s’en est fait aujourd’hui le héraut. Néanmoins la position de philosophe médiatique que par son talent très particulier il s’est acquise, aussi bien que l’incroyable violence des propos qu’il tient, propos de nature à légitimer une autre violence, celle qui règne sur des scènes qui ne sont pas qu’intellectuelles, nous incitent, comme philosophes, à réagir, à inviter la communauté des philosophes à réagir également, à demander enfin quelle sorte de place occupe aujourd’hui Michel Onfray parmi les voix de la philosophie.

Car si lui-même n’est pas le philosophe qu’il dit, qu’est-il et de quoi est-il le symptôme ? N’est-ce pas à dresser des barrières contre la force proprement philosophique du «judaïsme» que s’emploie Michel Onfray dans son article, et n’est-ce pas cette dernière version du ressentiment, confronté à la signification historiale de l’extermination et de la «question juive», qui explique l’étonnante faveur qui entoure ses écrits ?

Voir aussi:

Sale temps pour la pensée debout !

Michel Onfray Philosophe

Libération

3 juillet 2012

Ce texte de Michel Onfray est une réponse à celui-ci, publié le 4 juillet dans Libération par quatre philosophes. Le point de départ de la polémique est un article de Michel Onfray dans le Point du 7 juin sur Qui est Dieu ?, un livre de Jean Soler.

Je trouve vraiment très drôle, de la part de ceux qui font de moi un «malade» ( à quoi bon, sinon, le «symptôme»…), un démagogue, un être vulgaire, bas, un imposteur, un personnage inconsistant, une personne avide de revanche, un individu ayant seulement la réputation d’être un philosophe, un amateur de niaiserie philosophique, un signe de l’effondrement de la pensée, un compagnon de route de l’antisémitisme, sinon, un antisémite, de passer pour un homme du ressentiment ! C’est l’hôpital institutionnel qui se moque de la Charité… Je ne descendrai pas, pour ma part, aussi bas que ceux qui parlent au nom de «la communauté philosophique» – une tribu dont je me moque autant que de ma première tétine… L’attaque ad hominem n’honore pas ceux qui la pratiquent à défaut de vouloir (sinon de pouvoir…) débattre vraiment sur les idées.

Le problème est ailleurs. A-t-on le droit, en France, aujourd’hui, de lire les textes, qu’on nous présente comme sacrés, avec l’œil du philosophe ? Peut-on, quand on aborde le Talmud, mais aussi la Bible et le Coran, penser encore debout ? Ou faut-il d’abord se mettre à genoux ? Ceux qui sont obligés de se mettre à quatre pour insulter en croyant qu’ils pensent, défendent l’agenouillement – voilà l’enjeu véritable. Libre à eux. Nous n’avons effectivement pas les mêmes valeurs. On peut faire comme si la philosophie des Lumières n’avait pas eu lieu. Pour ma part, je n’ai pas envie de revenir en deçà du XVIIIe siècle, à la période scolastique où l’Inquisiteur tient toute la place ! La génuflexion devant le papier-bible des légendes monothéistes ou celui des œuvres complètes de Levinas, Derrida, Blanchot transformés en Père, Fils et Saint-Esprit de la philosophie n’y fera rien.

Où est mon crime ? Avoir invité à lire Jean Soler, un auteur qui, depuis un demi-siècle, effectue une lecture des monothéismes en homme debout ! De la même manière qu’avec le chevalier de La Barre à qui le pouvoir a coupé le poing et la langue, qu’on a torturé et décapité, puis brûlé en 1765 avec un exemplaire du Dictionnaire philosophique de Voltaire parce qu’il n’avait pas ôté son chapeau au passage d’une procession, la communauté philosophique autoproclamée envoie aujourd’hui au bûcher celui qui n’ôte pas son chapeau devant les processions monothéistes (précisons : processions juives, chrétiennes et musulmanes, qu’on lise mon Traité d’athéologie publié en 2005, plutôt que le compte-rendu d’un livre dans un hebdomadaire).

Quel meilleur bûcher, aujourd’hui, que l’insinuation d’antisémitisme ? Je dis bien insinuation, car ces philosophes autoproclamés emblématiques de la communauté écrivent sous la dictée d’avocats pour éviter le procès en diffamation. On laisse entendre que… On suppute… On suppose… On appuie le clin d’œil… De la part de gens qui font carrière dans l’obscurantisme de la pensée et dans la confusion du style, la contorsion rhétorique est une seconde nature. Ce vice ajouté à la plume du procédurier fait merveille dans l’art du corbeau… Voir ou revoir Clouzot !

Faut-il préciser à cette communauté philosophique réduite à quatre, que, toute à sa haine, elle oublie que j’effectue un travail tout simple : celui du philosophe laïc ? Autrement dit : je revendique le droit de lire les textes fondateurs du monothéisme comme je lis l’Edda, la Bhagavad-Gîta ou les Lois de Manou : en philosophe laïc et athée, et non en croyant dévot.

Lire aujourd’hui le Talmud avec un souci herméneutique athée et laïc vaut d’être traité d’antisémite ; aborder la Bible avec les outils exégétiques qui furent ceux de Spinoza (excommunié par les rabbins…), de Richard Simon (persécuté par les jansénistes, les bénédictins, Bossuet, le pouvoir royal), de Jean Meslier (puni par la hiérarchie catholique) ou de Prosper Alfaric (excommunié par le Vatican), déclenche l’insulte «blasphémateur» ; étudier le Coran avec une méthode historique fait du lecteur laïc un «islamophobe»… Sale temps pour la pensée debout !

Je rappelle, pour information, que l’invitation à se relever pour penser debout date, en France, de 1637, date de parution du Discours de la méthode de Descartes. J’ajoute que Heidegger, dans son séminaire de l’été 1933, sous régime nazi donc, faisait de l’enseignement du philosophe français à l’université un signe de décadence intellectuelle… Je précise enfin que la carte de Heidegger au parti nazi avait pour numéro : 312 589.

Qu’on me permette, pour ma part, de me réclamer de Descartes, sinon de Voltaire, et non de Heidegger – mais est-ce encore possible dans ce siècle où le nihilisme n’est pas où l’on croit ? Je crains que non.

Voir de plus:

Une épopée de fiction : Josué 2. 6-12

Jacques Briend

Bibliste et archéologue

Professeur honoraire à l’Institut Catholique de Paris

Ancien membre de la Commission Biblique Pontificale.

Plus que tout autre livre de la Bible le livre de Josué a pu fonder une lecture historique qui n’est plus de mise aujourd’hui. En effet, considérer ce livre comme offrant une vision de la conquête du pays de Canaan par les tribus d’Israël aboutit à une impasse. À la suite d’une longue fréquentation du livre de Josué, en particulier dans sa première partie (Jos 1-12) on peut proposer une autre lecture. Tout d’abord la lecture de ces chapitres exige de prendre en compte les données de l’archéologie. Certes, il ne peut être question de faire du texte biblique une simple lecture archéologique, mais il est nécessaire dans un premier temps d’entendre ce que cette discipline peut dire sur les villes citées en Jos 6-12. En affirmant cela, il n’est pas question de faire de l’archéologie une clé de lecture, car elle ne pourra jamais répondre à la question la plus importante : quel est le sens du texte ? Pourtant je ne suis pas certain qu’il faille « enlever le livre de Josué aux archéologues » pour le confier aux seuls littéraires. En effet livrés à eux-mêmes les littéraires, sur la base du seul texte, ne peuvent comprendre le caractère spécifique de Jos 6-12. L’archéologie a au moins l’intérêt de rappeler que le rapport du texte à l’histoire n’est pas aussi simple qu’on l’a cru pendant longtemps. En fait, l’archéologie a pour rôle de tirer le signal d’alarme pour éviter une lecture trop historicisante.

Au-delà de l’apport de l’archéologie la question que pose le livre de Josué est de savoir si l’on peut se contenter d’une lecture qui fait la part belle à l’histoire. Le rejet du livre de Josué par beaucoup exige d’apporter une réponse à la question décisive : quel est le sens du texte ? Lire Jos 1-12 comme une épopée de fiction est une option de lecture qui peut étonner, mais qui s’appuie sur une réflexion qui doit beaucoup à Paul Ricœur, mais aussi à D. Cohn pour qui le terme « fiction » désigne « un texte littéraire non référentiel et narratif. »

Rappelons enfin que Robert Alter soutient que « la meilleure caractérisation générale du récit biblique est celle de « prose de fiction », adoptant aussi celle de « prose de fiction historicisée » » et il donne comme exemple les récits relatifs aux patriarches, mais la lecture de l’ouvrage montre que le qualificatif « fiction » s’applique à d’autres récits qui se trouvent dans le livre des Juges ou les livres des Rois. À partir de là, il est possible de lire les textes bibliques sans leur appliquer trop rapidement l’étiquette de « récits historiques. »

Jéricho (Jos 6)

Avant d’entreprendre la lecture de Jos 6, un texte qui a connu de nombreuses relectures au cours du temps, il est nécessaire d’aborder en premier lieu l’histoire de la recherche archéologique à Tell es-Sultan, le site de la Jéricho de l’Ancien Testament. À la limite, cette première approche n’est pas indispensable pour la lecture du texte biblique, mais elle l’est dans la mesure où l’on a fait du texte un récit historique racontant la prise de Jéricho.

Le témoignage de l’archéologie

Pour fonder la validité historique du récit de Jos 6, on a dès le XIXe s. tenté de le faire en recourant à l’archéologie. Ainsi dès 1867 le capitaine Charles Warren entreprit de creuser des puits à Tell es-Sultan, mais ne découvrit rien d’intéressant. À cela rien d’étonnant puisqu’on découvrit un de ces puits en 1954 et que l’on s’aperçut que le puits en question s’enfonçait dans le rempart de la ville du Bronze Ancien (3300 2400 av. J.C.). Retenons de cet épisode qu’après avoir implanté de tels puits à Jérusalem, le fait que Charles Warren ait choisi de le faire sur le site de Jéricho en dit long sur le désir de fonder par l’archéologie l’historicité du texte biblique.

La fouille austro-allemande qui eut lieu sur le site de 1907 à 1909 sous la direction de E. Sellin et C. Watzinger ne parvint pas à fournir une chronologie précise des strates mises au jour.

Une nouvelle série de campagnes archéologiques fut entreprise entre 1930 et 1936 sous la direction d’un Anglais, John Garstang, premier directeur des Antiquités pour la Palestine, mais ce dernier ne parvint pas à dater les différents remparts entourant le site de Tell es-Sultan sans susciter une polémique. Entre 1952 et 1958, Kathleen Kenyon qui avait une véritable expérience d’archéologue entreprit une nouvelle série de campagnes en appliquant une méthode rigoureuse afin d’établir une séquence stratigraphique. Si elle put reconnaître le tracé des remparts du Bronze Ancien (3300-2400 av. J. C.) et du Bronze Moyen (2300-1500 av. J. C.), rien de tel ne fut découvert qui puisse dater du Bronze Récent (1500-1200 av. J.C.). Seule une modeste occupation datable du XIVe s. av. J. C. put être mise au jour et pour la même époque la réutilisation de quelques tombes du Bronze Moyen. Ainsi la recherche archéologique ne peut témoigner ni d’une occupation ni d’un rempart pour la fin du Bronze Récent.

On peut estimer sur la base de ce qui a été mis au jour qu’il n’y avait pas d’occupation à Jéricho vers 1300 av. J. C. Face à ce résultat jugé décevant, on peut toujours supposer qu’une occupation de Jéricho au Bronze Récent a existé, mais que l’on n’en a gardé aucune trace. Toutefois, rien ne permet d’affirmer l’existence d’une occupation humaine entre 1300 et 1200 av. J. C. à Jéricho.

Le texte de Jos 6

La nature du récit conservé en Jos 6,1-21 ne fait pas l’unanimité. D’une part on ne peut pas affirmer que le texte raconte un haut fait militaire, à savoir la prise de la ville de Jéricho. Certes la cité est soumise à un siège, si l’on s’en tient au v. 1 : « Jéricho était fermée et enfermée à cause des fils d’Israël ; nul ne sortait et nul n’entrait. » Au v. 2 Dieu assure Josué de la prise de la ville : « Vois, je t’ai livré Jéricho et son roi », mais cette formulation est étonnante. Son meilleur parallèle se trouve en Dt 2,24 : « Vois, j’ai livré entre tes mains Sihôn l’Amorite, roi de Hesbôn, et son pays. » Ainsi l’évocation du roi de la cité en Jos 6,2 étonne, car on ne la retrouve qu’en Jos 12,9 en tête d’une liste récapitulative des rois vaincus. En fait, le roi de Jéricho ne joue aucun rôle dans la suite du texte (mais cf. Jos 10,1). D’ailleurs rien ne nous est dit de la mort de ce roi, ce qui constitue une différence avec les récits qui suivent Jos 2 et où la mort des rois vaincus est mentionnée. La seule autre mention du roi de Jéricho se trouve en Jos 2,2-3 et c’est sans doute dans ce récit qu’un des rédacteurs de Jos 6 l’a trouvée.

À partir de Jos 6,3 ss. Dieu donne des ordres qui n’annoncent pas une opération militaire, mais une circumambulation autour de la ville qui doit durer sept jours et qui prend l’allure d’une liturgie aboutissant à l’écroulement du rempart (v. 20). Il n’est donc pas question de la prise d’une ville sur le mode guerrier. Le récit de Jos 6 ne peut donc être considéré comme celui de la conquête d’une ville par une armée. Il est donc absurde d’ironiser comme le fait W. G. Dever en déclarant : « Josué n’en a pas moins accompli un grand exploit : il détruisit un site qui n’existait pas. » Le récit aurait donc été inventé de toutes pièces. On assiste ici aux limites de la recherche archéologique.

Le texte de Jos 6 ne tombe pas du ciel. Récit fictif, il reste enraciné dans une certaine réalité. Tout d’abord, il faut rappeler que le livre de Josué s’ouvre sur la traversée du Jourdain (Jos 3-4) et l’entrée dans le pays promis. Or la première ville que l’on rencontre en venant de l’est n’est autre que la ville de Jéricho qui est alors en ruine, sa ligne de rempart étant probablement encore visible. Pour un peuple qui craignait d’avoir à vaincre des forteresses (cf. Nb 13,28), une Jéricho détruite est un signe de la providence divine.

De plus, après la traversée du Jourdain le peuple vient camper à Guilgal, près de Jéricho, dont le nom signifie « Cercle » (Jos 4,19). Les pierres qui ont été prises dans le lit du Jourdain sont dressées, selon une tradition, à Guilgal afin que le peuple se souvienne de la traversée du Jourdain (Jos 4,20-24). Dans ce contexte il est possible, à titre d’hypothèse, qu’à Guilgal ait eu lieu une circumambulation autour du Cercle de pierres, une liturgie qui aurait inspiré le rédacteur ancien de Jos 6.

Concluons cette lecture en affirmant que l’archéologie à elle seule ne peut pas se prononcer sur la nature du texte biblique qui est le résultat d’une tradition complexe.

Si nous proposons la lecture de Jos 2 après celle de Jos 6, cela tient d’abord à ce que le récit « Rahab et les espions » ne trouve son épilogue qu’en Jos 6,22-25, en particulier avec le v. 25 où Josué accorde la vie sauve à Rahab et à sa famille. C’est aussi parce que le lecteur découvre, après avoir lu le récit de Jos 6 où le rempart s’écroule sur place (v. 20), que la mission des espions n’a plus de raison d’être.

Le récit de Jos 2 est d’abord un récit d’espionnage avec l’envoi par Josué de deux espions qui échappent au roi de Jéricho (v. 2, cf. Jos 6,2) grâce à l’habile discours de Rahab. Ce récit n’a pas de rapport direct avec celui de Jos 6, sauf la mention d’un roi à Jéricho et l’indication selon laquelle la maison de Rahab était adossée au rempart et permettait donc de faire sortir les deux hommes de la ville (Jos 2,15). Le narrateur de Jos 2 comme celui de Jos 6 considère Jéricho comme une ville remparée.

Jos 2 est un récit qui obéit à une structure narrative bien connue et F. Langlamet en a donné les articulations principales : initiative de Josué – envoi de deux hommes, consignes données aux explorateurs – exécution de la mission reçue – retour et rapport des explorateurs. Ce récit que l’on peut et que l’on doit rapprocher des traditions bibliques sur la conquête du pays trouve sa pointe au v. 9 lorsque la femme déclare aux espions : « Je sais que le Seigneur vous a donné le pays », déclaration que l’on retrouve en Jos 2,24 où les envoyés déclarent à Josué : « Vraiment le Seigneur a livré tout le pays entre nos mains » (Jos 2,24). En réalité la parole de Rahab recevra au cours du temps un développement qui montre bien que l’on est au cœur du récit. Dans le récit une place importante est accordée au dialogue entre la femme et les espions (Jos 2, 9-21). Rahab obtient alors d’avoir la vie sauve, elle et sa famille. Le récit a donc une portée étiologique en offrant la raison pour laquelle Rahab et son clan ont eu la vie sauve. Cette portée étiologique est bien manifestée par l’épilogue narratif : « Josué laissa la vie sauve à Rahab, la prostituée, à sa famille et à tout ce qui était à elle, elle a habité au milieu d’Israël jusqu’à ce jour, car elle avait caché les messagers que Josué avait envoyés pour espionner Jéricho » (Jos 6,25). La présence d’un clan de Rahab dans la région de Jéricho a dû poser aux Judéens un problème analogue à celui des Gabaonites (Jos 9) comme nous le verrons un peu plus loin.

Rappelons pour terminer que Rahab est normalement une désignation masculine et qu’il faut découvrir derrière ce nom celui d’un clan venu de l’est et installé dans la région de Jéricho.

Il faut enfin reconnaître qu’il existe un certain décalage entre Jos 2 et Jos 6, mais ce décalage, sensible pour nous, devait l’être beaucoup moins pour les anciens qui n’opposent pas action humaine et action divine.

La ville d’Aï (Jos 7-8)

Dans le livre de Josué les chapitres 7 et 8 réservent une nouvelle surprise. En effet, le site où l’on place la ville d’Aï ne possède pas d’occupation à l’époque du Bronze Récent (1500-1200 av. J. C.). Dès lors, on ne voit pas comment les Israélites auraient pu en faire la conquête. Une fois de plus, il convient de faire le bilan des recherches archéologiques, puis d’interroger le texte biblique pour tenter d’y voir clair.

La recherche archéologique

Jos 7,2 déclare que « depuis Jéricho Josué envoya des hommes à Aï qui est près de Béthel. » Malgré l’apparente précision de ce verset, la localisation d’Aï, site qui doit se trouver au nord-ouest de Jéricho dans la montagne, a été depuis longtemps objet de vives discussions. La Bible de Jérusalem offre une note qui localise Aï, nom qui signifie « la Ruine », en un site connu aujourd’hui sous le nom de et-Tell qui en arabe a le même sens que Aï. Pendant longtemps, cette localisation a été mise en doute pour des raisons archéologiques.

Toutes les données archéologiques proviennent de fouilles qui ont été réalisées sur le site de et-Tell par deux équipes, l’une française, l’autre américaine.

La fouille française a été entreprise entre 1933 et 1935 par Mme Judith Marquet-Krause. L’archéologue avait alors reconnu l’existence d’une ville du Bronze Ancien qui perdura de 3100 à 2000 av. J. C. Cette ville de 10 hectares était pourvue d’un rempart qui connut trois tracés, signe d’une longue occupation pendant plus de mille ans. Au-dessus de cette ville avait été établi un village du Fer 1 (1200-1050 av. J. C.). La mort de l’archéologue ne permit pas la publication d’un rapport définitif, mais en 1949 son mari publia le matériel mis au jour sans proposer de synthèse. Cela ne suffit pas à convaincre la communauté scientifique qui estimait la fouille trop brève pour en accepter les conclusions.

Entre 1964 et 1970 un Américain, James Callaway, reprit la fouille de et-Tell et proposa la séquence suivante quant à l’occupation du site :

– un village du Bronze Ancien (3100-3000 av. J. C.),

– une ville du Bronze Ancien comportant quatre phases entre 3100 et 2400 av. J. C.,

– enfin un village du Fer 1 non fortifié (1200-1050 av. J. C.) d’une superficie assez modeste.

À quelques détails près, les deux archéologues, J. Marquet-Krause et J. A. Callaway, s’accordaient sur la durée de l’occupation du site. Il n’y avait donc d’occupation ni au Bronze Moyen, ni au Bronze Récent.

Face à un résultat indiscutable, on a donc proposé de chercher ailleurs un site qui convienne mieux à la localisation d’Aï. J. A. Callaway lui-même prospecta la région autour de et-Tell pour trouver un site occupé au Bronze Récent et au Fer, mais il ne rencontra que des sites d’époque romaine ou byzantine. Dans ces conditions et en dépit des difficultés d’une telle solution par rapport au texte biblique, on admet le plus souvent l’identification d’Aï avec et-Tell, du moins pour certains, mais pas pour tous.

Le texte de Jos 7-8 et sa cohérence

Ces deux chapitres du livre de Josué forment un tout et on ne peut les dissocier que de manière arbitraire, du moins à première vue. Depuis Jéricho Josué décide d’attaquer Aï et, à la suite du rapport des espions, d’y envoyer une petite troupe qui se fait battre. De cet échec Josué se plaint à Dieu qui dévoile que l’échec militaire a pour motif un péché commis par Israël. Après tirage au sort, un coupable est désigné : Akân, chef de clan de la tribu de Juda, qui avoue avoir pris dans le butin une cape de Shinéar, deux cents sicles d’argent et un lingot d’or (Jos 7,21). Après le jugement du coupable, Josué reprend la conquête d’Aï et, pour vaincre la résistance de la cité, il utilise un stratagème militaire avec envoi d’une embuscade, attaque de la ville, fuite simulée, l’embuscade mettant le feu à la ville. La cité est conquise et elle est vouée à l’anathème.

Ce long récit pose de multiples questions : pourquoi attaquer cette ville qui n’existe pas ? Pourquoi Akân peut-il s’emparer d’une part de butin alors que la ville n’est pas encore conquise ? En outre, la description du butin, par son importance, ne manque pas de surprendre. Autre question, où situer la vallée d’Akor dont le nom rappelle celui d’Akân ? Bref, a-t-on affaire à un récit historique ou à un récit de fiction ? La cohérence de l’ensemble littéraire reste fragile, même si on ne tient pas compte de l’enquête archéologique.

Première remarque, Aï, tout comme Jéricho, appartient au territoire de la tribu de Benjamin (cf. Jos 18,17-18). Quant à la vallée d’Akor (v. 24), elle doit se trouver dans le territoire de la tribu de Juda (cf. Jos 15,7) puisque Akân et son clan appartiennent à cette tribu (Jos 7, 16-18).

L’épisode relatif à Akân (Jos 7,16-26), préparé par Jos 7,6-15, donne une dimension religieuse au récit de la conquête d’Aï, mais peut représenter une insertion secondaire antijudéenne. Certes il s’agit d’une hypothèse, mais on peut lire Jos 7,2-5, puis Jos 8,1-29 en faisant abstraction de l’épisode « Akân. »

Deuxième remarque, le récit de la conquête d’Aï (Jos 7,2-5 ; 8,1-29) se présente comme une entreprise guerrière qui se déroule en deux temps. On a d’abord l’envoi d’une troupe de trois mille hommes (Jos 7,4-5), puis un combat qui engage tout le peuple (Jos 8,3). Deux observations importantes sont à faire à propos de ce texte ; d’une part on doit être attentif aux notations topographiques locales : Shevarim (Jos 7,5), lieu-dit que l’on peut traduire par « Carrières » ou « Ravins », la Descente (v. 5) qui doit désigner le chemin menant à la dépression du Jourdain (cf. 8,24 G), le lieu de l’embuscade (8,4.12) que l’on doit situer à l’ouest d’Aï (8,9), le camp (8,11) où se tient Josué et toute la troupe et qui doit se trouver à l’est comme la Descente, enfin le désert mentionné plusieurs fois (8, 15.20.24) et qui doit désigner la pente orientale des collines qui dominent l’Arabah. La présence de ces multiples désignations dans le récit suppose un souci de localiser le lieu de la bataille. De ce souci on peut conclure que le rédacteur entend baliser un territoire qui appartient à la tribu de Benjamin.

De plus, la structure narrative de Jos 8 est très proche de celle de Jg 20,14-18 qui raconte le châtiment subi par la tribu de Benjamin à la suite du crime de Guibéa, une observation qui a souvent été faite. Les deux textes ont en commun plusieurs éléments : au cours d’une première phase on a un échec militaire et une lamentation ; dans une seconde phase ils ont en commun une ruse de guerre avec embuscade (Jg 20,29) et fuite simulée (Jg 20,32), puis incendie de la cité (Jg 20,40). Tout permet de penser que le scénario de Jos 8 décalque celui de Jg 20 où la tribu de Benjamin est victime du stratagème. Mais en Jos 8 la tribu de Benjamin réaffirme ses droits sur la région d’Aï, peut-être pour faire face à la volonté de la tribu voisine d’Éphraïm de s’emparer de ce territoire.

En conclusion, le récit guerrier en Jos 8 est un récit fictif qui obéit toutefois à une motivation historique.

Les Gabaonites (Jos 9)

En abordant Jos 9 on quitte la région située entre Jéricho et Aï qui domine la vallée du Jourdain pour aller à Gabaon, ville localisée à neuf kilomètres au nord de Jérusalem selon une localisation admise depuis 1838 et confirmée par l’archéologie.

Dans un premier temps nous nous intéresserons à la ville de Gabaon (en arabe el-Djib) dont parle Jos 9 sans nous livrer à une enquête archéologique. La lecture du texte biblique fait apparaître un plan en trois parties :

Tout d’abord une introduction générale, Jos 9,1-2, sert d’introduction à Jos 10-11, chapitres qui retiendront notre attention un peu plus loin.

Quant au texte de Jos 9, 3-27, il se compose de deux séquences,

l’une racontant la ruse des Gabaonites qui obtiennent un pacte de la part des Israélites (Jos 9,3-15),

l’autre gravitant autour du statut juridique accordé aux Gabaonites alors qu’ils sont un peuple étranger (Jos 9,16-27).

Dans la première séquence les Gabaonites obtiennent d’Israël un pacte. Leur interlocuteur est tantôt Josué (vv. 3.6a.8.15a), tantôt un collectif « l’homme d’Israël », ce dernier étant sans doute primitif. En effet tout donne à penser que c’est l’insertion de ce récit dans un ensemble littéraire où Josué a le rôle principal qui a amené la mention de Josué dans le récit de la ruse. Il faut encore souligner que les Gabaonites sont des Hivvites (v. 7, cf. Jos 11,19), donc des étrangers au milieu d’Israël. Ce groupe d’étrangers vient trouver les chefs des Israélites et affirme venir d’un pays lointain pour conclure : « Et maintenant concluez un pacte avec nous » (v. 6). Une telle demande s’attire une interrogation : « Peut-être habitez-vous au milieu de nous ? Comment pourrions-nous conclure un pacte avec vous ? » (v. 7). À cette question, les Gabaonites répondent qu’ils viennent d’un pays lointain (vv. 11-13). Au bout du compte le v. 14 déclare de manière laconique : « Les Israélites prirent de leurs provisions, mais ils ne consultèrent pas le Seigneur. » Le v. l5a double le v. 14 et affirme que « Josué fit la paix avec eux et conclut avec eux un pacte. »

Un tel récit n’est pas un récit historique comme cela est largement reconnu. Le scénario de la ruse sert à justifier le pacte conclu avec les Gabaonites alors que ceux-ci sont voisins des Israélites. Le récit de la ruse est donc un récit fictif qui a pour fonction de justifier comment les Gabaonites ont obtenu un pacte de la part des responsables israélites. Un tel récit suppose l’existence d’un pacte, ce que les historiens de l’Israël ancien ne contestent pas. À cet égard, il est intéressant d’observer que les Gabaonites ne se sont pas tournés vers les Cananéens. La structure sociale de leur groupe est proche de celle des Israélites : ils ont à leur tête un groupe d’anciens (Jos 9,11) ; jamais il n’est dit qu’un roi gouvernait à Gabaon. Bref, les Gabaonites apparaissent comme un groupe isolé, étranger par rapport à Israël.

Sans chercher à faire une analyse détaillée du texte de Jos 9 , il reste à s’interroger sur la raison pour laquelle le récit de la ruse a été inventé. En réalité, le récit tente d’expliquer pourquoi l’interdit de conclure un pacte avec l’étranger a été transgressé, un interdit que l’on peut reconstituer ainsi sur la base des textes bibliques : « Tu ne concluras pas de pacte avec l’habitant du pays » (Ex 34,12, cf. Ex 23,32 ; Dt 7,2 ; Jg 2,2-3). Le récit de la ruse n’est pas compréhensible sans l’existence de cet interdit. En outre, l’existence du pacte avec les Gabaonites est nécessairement antérieure à l’époque de Saül puisque celui-ci a cherché à exterminer le groupe des Gabaonites (cf. 2 S 21,1-9).

Pour conclure, il convient d’apporter une note archéologique. Le site de Gabaon a été fouillé par J. B. Pritchard entre 1956 et 1960. De l’époque du Bronze Récent (l500-1200 av. J. C.), il n’a été mis au jour que quelques tombes avec un abondant matériel, mais sans aucun niveau d’occupation. Peu après 1200 un village prospère a existé durant le Fer 1 (1200-1000 av. J. C.), mais on en connaît mal les contours.

La conquête du Sud judéen (Jos 10)

Pour aller à l’essentiel on peut dire que Jos 10 évoque une coalition de rois à laquelle Josué va s’opposer et qui va lui permettre de conquérir le Sud judéen.

Cette coalition est d’abord celle de rois amorites qui s’en prennent à Gabaon, puis ces rois seront au nombre de cinq avant d’être identifiés comme rois de Jérusalem, d’Hébron, de Yarmouth, de Lakish et d’Églôn. Le prétexte de cette coalition est la paix conclue entre Josué et les Gabaonites (cf. Jos 9). Josué vient donc au secours des Gabaonites et inflige une défaite aux coalisés en les poursuivant jusqu’à Azéqa (Jos 10,8-10 ).

Dans un second temps voici qu’on avertit Josué que cinq rois sont cachés dans une grotte à Maqqéda (Jos 10, 16-27), une ville qui se trouve à vingt kilomètres à l’ouest d’Hébron . Josué met à mort ces cinq rois. Cet épisode va amener à parler de « cinq rois amorites » avant d’attribuer à chacun une ville (Jos 10,5), voire un nom (Jos 10,3), précisions qui ont été introduites dans le texte lors de la dernière rédaction.

Dernière séquence de ce chapitre, Josué s’empare des villes du Sud judéen : d’abord Maqqéda, puis Livna, Lakish, Églôn, Hébron et Devir (Jos 10,28-39). On observe que cette dernière liste ne correspond pas tout à fait à la liste des coalisés que l’on a en Jos 10,3. En effet le rédacteur final du texte ne peut faire de Jérusalem une ville conquise par Josué, car il sait que David est le conquérant de cette ville selon la tradition (2 S 5,6-9). Le rédacteur de la séquence en tient compte alors qu’il semble ignorer la tradition où Caleb s’empare d’Hébron et Otniel de Devir (Jos 15, 13-17), mais cette tradition est incorporée dans la seconde partie du livre de Josué.

Par rapport à Jos 9 où le rôle de Josué est secondaire, il est frappant qu’en Jos 10 Josué fasse échec à la coalition des rois amorites et se voie attribuer la conquête de tout le Sud judéen. À cet égard, on peut mettre en doute que Josué soit venu au secours de Gabaon.

Bien que l’historicité de ce secours soit admise par certains historiens, on peut être sceptique, car le rédacteur transforme le pacte de Jos 9 en un accord politique et militaire entre Gabaon et Israël, mais d’un tel accord nous n’avons aucune preuve.

Le fait que le combat contre les rois amorites ait lieu en rase campagne n’est pas un argument suffisant pour justifier le caractère vraisemblable de la bataille de Gabaon. La rédaction des chapitres 10 et 11 du livre de Josué place les combats sous l’autorité de Josué. À y regarder de près, c’est à partir de Jos 10 que Josué devient un chef d’armée et un conquérant.

La conquête du Nord (Jos 11,1-11)

Quoique sous une forme abrégée, Jos 11 offre bien des ressemblances avec le chapitre 10. En effet le texte évoque une coalition contre Israël, coalition qui a à sa tête Yabîn, roi de Haçor, et qui rassemble, outre le roi de Madôn, les rois qui sont au nord (Jos 11,2). Il s’agit là encore d’un récit de guerre sacrale où Dieu donne la victoire à son peuple. Une fois encore, c’est Josué qui exécute fidèlement les ordres de Dieu (vv. 4-9).

Ce récit est en quelque sorte complété par la prise de la ville de Haçor qui est incendiée (vv. 10-11).

La conclusion se trouve, du moins pour l’ensemble formé par Jos 10-11, en Jos 11,16-17 : « Josué prit tout ce pays… depuis le mont Halaq qui s’élève à Séïr jusqu’à Baal-Gad dans la vallée du Liban au pied du mont Hermon ; il s’empara de tous leurs rois, les frappa et les mit à mort. »

À propos de la destruction de Haçor et du rôle joué par Josué, on a cru bon d’invoquer le témoignage de l’archéologie. Y. Yadin, archéologue israélien qui a fouillé Haçor de 1955 à 1958, puis en 1968 , estimait que la strate XII qui succède à la destruction de la ville par un incendie était israélite. Avec précaution il pensait que cet incendie pouvait être attribué à Josué. Les fouilles ont repris à Haçor depuis 1990 sous la direction de A. Ben-Tor qui voudrait pouvoir répondre à ces deux questions : qui a détruit la ville ? et à quelle date ? De telles questions légitimes ne sont pourtant pas du ressort de l’archéologie seule.

Conclusion

Au terme de cette lecture de Jos 2-11, il apparaît avec force que dans une première partie, Jos 2-9, on se trouve en présence de récits fictifs qui du point de vue géographique concernent le territoire de la seule tribu de Benjamin avec comme noms de lieu Guilgal, Jéricho, Aï et Gabaon. Par contre en Jos 10-11 on a affaire à des récits qui de manière schématique évoquent la conquête du pays sous la conduite de Josué, d’abord celle du Sud judéen, puis celle du Nord d’Israël. Ainsi seuls les chapitres 10 et 11 décrivent une conquête militaire dont le schématisme est évident et dont la valeur historique est inexistante.

En aucun cas Jos 1-12 ne peut être considéré par l’historien comme le récit de LA conquête du pays par les tribus d’Israël sous la conduite de Josué. Autrement, on aboutit à une vision caricaturale comme on le voit chez I. Finkelstein. Dès lors on peut se risquer à faire l’hypothèse qu’avant la rédaction deutéronomique qui renforce la rhétorique de la conquête et donc de la guerre, le texte de Jos 10-11 a d’abord été composé pour servir de revendication territoriale alors que le royaume d’Israël avait disparu comme tel en 722 et que le royaume de Juda était envahi par les Assyriens. Nous sommes à l’époque du roi Ézékias (716- 687), en tout cas après 701 et le siège de Jérusalem par Sennakérib, roi d’Assyrie. Après cela, une relecture deutéronomique ne fera qu’accentuer la revendication territoriale.

Voir enfin:

Faut-il prier au complet le psaume 136 (137)?

Marc Girard

Spiritualité 2000

Depuis le dernier concile, l’Église a occulté, dans les livres officiels, les versets 7 à 9 du Psaume 136 (137), jugés trop intolé­rants pour ne pas dire anti-chrétiens. L’auteur nous propose une « réconciliation » avec ce psaume, dans son intégralité.

Les pleurs du souvenir (v. 1-4)

En exil loin du pays natal, la population de Jérusalem pleure à chaudes larmes. Plongé dans la noirceur complète, le passé devient un rêve, on l’idéalise. Les « harpes » suspendues aux branches des « saules » révèlent que le peuple a perdu le goût du chant, du culte et de la fête. Jésus a pleuré sur Jérusalem: il sentait la fin proche, et pour lui-même et pour la ville. Comment ne pas être pris de nostal­gie, à songer aux pierres gigantesques du Temple, à la splen­deur du palais royal, aux foules grouillantes, aux pèlerina­ges somptueux, aux milliers de bêtes qui parfu­maient les rues et les plon­geaient dans le tintamarre? Bien des croyants, chez nous, pleurent les heures de gloire révolues de l’Église. On regrette les églises remplies à craquer, les cérémonies grandioses, l’unanimité aux plans de la doctrine et des pratiques, la collaboration étroite entre les pouvoirs politique, social et religieux…

Le scandale de l’oubli (v. 5-6)

Si l’on en croit le psalmiste, le dessèchement de la mémoire entraîne le dessèchement des mains (v. 5) et de la langue (v. 6). Pour les Israélites, oublier Jérusalem signifie abandonner l’idée de la rebâtir un jour et de chanter à nouveau sa gloire et ses louanges. De nos jours, une masse assez considérable de baptisés semblent vouer à l’oubli leur mère Église, nouvelle Jérusalem. Cette amnésie paralyse chez eux toute volonté de collabo­rer à sa restaura­tion, à sa reconstruction, à son rajeu­nisse­ment.

Chicane de famille (v. 7)

Les Israélites, éprouvés par l’exil, gardent une dent contre les Édomites. Les deux peuples sont des frères de sang: le premier descend d’Israël l’ancêtre (autre nom de Jacob), le second a pour ancêtre Édom (surnom d’Ésaü frère de Jacob). Or, durant le siège de Jérusalem qui a précédé l’exil, les Édomites ont collaboré avec les Babyloniens pour mettre la ville à feu et à sang. En Israël, on en garde une rancœur indéracinable!

Drame éternel, s’il en est! Jésus lui-même n’a-t-il pas été trahi, rejeté, mis à mort par la conspiration de ses frères juifs? Et que dire de nos familles à nous? Entre frères et sœurs, il n’est pas rare qu’on se donne des coups de couteau dans le dos… Dans l’Église également, des groupes et mouvements qui devraient se voir comme des partenaires s’érigent en rivaux, au risque de fragiliser l’unité. Pour un poète de l’antiquité, c’était déjà beau de se contenter de cette supplique: «Souviens-toi, Seigneur, des fils d’Édom!»

Empêchement de famille (v. 8)

Mais l’auteur dépasse les bornes quand il s’en prend au peuple envahisseur. Il lui souhaite doublement malheur: être un jour envahi comme il a lui-même envahi Jérusalem; et voir ses bébés naissants écrasés sans pitié contre le rocher! Le psaume se termine donc sur une image macabre et dégoûtante de feu et de sang. Un «empêchement de famille» radical!

Comment Jésus a-t-il pu, le cas échéant, mettre sur ses lèvres de telles paroles? Et nous, comment prier ce psaume de vengeance? Le précepte évangélique de l’amour des ennemis nous interdit d’utiliser de pareilles formules de vengeance contre des personnes. Mais pourquoi ne pas continuer à en faire une arme de combat spirituel contre tous les pouvoirs oppressifs de la planète? Il suffirait de réviser nos traductions de manière à viser davantage les phénomènes. Tous les systèmes injustes — politiques, sociaux, économiques — ont un taux de fécondité élevé et se reproduisent sur le dos du petit peuple et des pauvres. Il importe de développer des techniques de «contraception» efficaces contre le Mal. Pourquoi ne pas exprimer notre espérance qu’un jour toutes les dictatures et tous les impéria­lismes disparaî­tront grâce à l’intervention de Dieu? De toute urgence, le Mal doit cesser de se répandre sans que personne n’intervienne! N’avons-nous pas en main, pour le mettre en échec, le pouvoir mystérieux de la Parole de Dieu? Les impréca­tions du psautier peuvent aider en ce sens.

Autour de Babel (v. 1-2)

Les habitants de Jérusalem en exil sont relégués dans les campagnes, «au bord des fleuves», à proximité des canaux d’irrigation où l’on détour­ne l’eau du Tigre et de l’Euphrate de manière à faire verdir des terrains. Aux rigoles fertilisantes se mêle… un flot de larmes! Jésus, priant ce psaume, a pu anticiper, l’angoisse de sa propre déportation «au bord des fleuves» symboliques de la mort. Les communautés chrétiennes délogées ou simplement les personnes et les groupes humains déraci­nés pourront aussi se reconnaître dans l’état d’âme triste et pesant exprimé au début du psaume.

Au tour de Babel ! (v. 8)

Dans la Genèse (11, 1-9), Babylone s’était rendue célèbre avec sa tour inachevée: dans leur orgueil­leux projet, les habitants s’étaient fait jouer… un tour! Il en va de même dans notre psaume: on s’en est pris à la ville sainte Jérusalem et on pense avoir réussi à la «raser jusqu’aux assises» (v. 7). Mais le peuple de Dieu peut se conso­ler: très bientôt ce sera le tour… de Babylone!

Il ne s’agit pas du tout de profiter du dernier verset de ce psaume pour dégorger notre haine ou nos frustrations personnelles ou collectives! Il convient de lire et de prier le texte plutôt comme une constata­tion d’expérience et de sagesse. On ne souhaite aucun malheur à personne, certes. Mais on prend conscience et on affermit sa conviction que le Mal sous toutes ses formes n’a aucune espèce d’avenir durable: tyrannie politi­que, exploitation économique, domina­tion sociale… C’est l’effet boomerang: on peut bien projeter au loin l’instrument de mort, il aura tôt fait de revenir au point de départ pour extermi­ner son utilisateur! L’histoire récente a vu des dictateurs inhumains de cruauté finir leurs jours déchus ou assassi­nés comme des bêtes…


Phénomènes orageux extrêmes: La France aussi!

1 juillet, 2012
J’ai connu deux guerres, et pourtant je n’ai jamais vu une chose pareille. On aurait cru ta fin du monde : qu’est-ce qu’on peut dire d’autre quand voua voyez des voitures voler par-dessus les toits, des maison}: entières se soulever du sol et aller s’abîmer dans un étang, des poutrelles métalliques prendre l’air comme des fétus de paille, au milieu d’un fracas et de sifflements d’apocalypse ? Non, jamais je n’oublierai cette vision de cauchemar. Habitant de Pommereuil (après la trombe du 24 juin 1967, L’Aurore, 26 juin 1967).
Des ouvriers furent lancés au-dehors par-dessus des haies et des clôtures… Sur d’autres points, les bâtiments furent comme pulvérisés et la place absolument nettoyée. Des solives, des planches… furent soulevées et emportées jusqu’à 25 et 38 kilomètres de là ! Jusque près de Dieppe. Flammarion (1872)
L’un de ces arbres a été emporté beaucoup plus loin, lancé comme une flèche. Pouillet (1845) 
17 maisons ont été entièrement démolies, des automobiles ont été soulevées et projetées par-dessus les maisons des morceaux de bois ont été enfoncés dans des troncs d’arbres, des tombes ont été ouvertes, etc. Jean Dessens
Des autos étaient soulevées et s’envolaient dans les airs comme des jouets, les toits étaient emportés et les habitations soufflées. La Dépêche du Midi (26 janvier 1971)
J’ai vu soudain monter des tuiles, de la paille, des bouts de bois dans le ciel. C’était comme un champignon de plus en plus noir qui se déplaçait, avec un bruit d’hélicoptère. L’Est Républicain, 3 juin 1982)
Un derecho est un type de phénomène météorologique rare de convection profonde extratropicale qui se déplace rapidement et qui produit de très fortes rafales descendantes causant d’importants dommages généralisés (…). Le derecho dure plusieurs heures, même au-delà de 10 heures, et parcourt donc une très grande distance, pouvant dépasser les 1 000 km. La ligne orageuse s’étend également sur au moins 300 km de longueur, donne des vents en rafales d’au moins 120 km/h (..). La trajectoire d’un tel système est en ligne droite, d’où son appellation empruntée à l’espagnol signifiant « tout droit ». Wikipedia
La tempête est localement considérée comme un “derecho” –  une tempête violente et rectiligne associée à une bande en évolution rapide d’orages violents. Economie le monde

Attention: une allée des tornades peut en cacher une autre!

Au lendemain d’une des pires tempêtes ayant touché la région de Washington (dizaine de morts, millions de foyers privés d’électricité) …

Retour sur une réalité souvent oubliée en France.

A savoir l’existence, non nécessairement plus fréquente mais aujourd’hui mieux détectée, de phénomènes orageux extrêmes telles que les tornades, microrafales ou macrorafales.

Ou même, comme à Washington, les derechos, ces lignes d’orages aussi soudaines que dévatatrices qui, sur une trajectoire en ligne droite et une dizaine d’heures,  peuvent couvrir jusqu’à un millier de kilomètres …

Dévastant tout sur leur passage et pouvant causer, comme il y a exactement 224 ans, une véritable Révolution …

LES TROMBES EN FRANCE

Jean Dessens

Laboratoire d’Aérologie, Université Paul Sabatier, Campistrous, 65300 Lannemezan France

John T. Snow

Department of Earth and Atmospheric Sciences, Purdue University, West Lafayette Indiana, États-Unis (Manuscrit reçu le 11 juin 1988, et sous forme définitive le 30 mars 1989)

RÉSUME

Dans la période 1680-1988. on a recensé en France 107 « grandes » trombes de classes F2 à F5 dans l’échelle de Fujita. 49 de ces trombes se sont produites dans la période de 1680 à 1959, et 58 dans la période de 1960 à 1988. L’étude des répartitions dans le temps et dans l’espace de ces trombes conduit aux observations suivantes :

1) Juin et août sont les mois à plus forte fréquence :

2) Le maximum de probabilité se situe entre 16h et 17h TU, avec un second maximum entre 18h et 19h TU ;

3) La région à plus fort risque se situe dans le quart nord-ouest de la France. Un deuxième secteur plus restreint

où l’on observe un nombre assez important de trombes se situe dans le sud du pays. près de la côte méditerranéenne ;

4) II y a en moyenne en France deux grandes trombes chaque année :

5) La superficie affectée par une telle trombe est en moyenne de 4 km2 ;

6) La probabilité moyenne de risque de trombe en un point du territoire français est de l’ordre de

1,5 x 10′ par an. valeur environ 15 fois plus faible que dans les grandes plaines des États-Unis.

Les trombes sont surtout observées dans les zones côtières pendant la saison froide de novembre à mars, et dans l’intérieur du pays pendant la saison chaude d’avril à octobre.

L’examen des situations météorologiques associées à 21 cas de trombes suggère qu’il existe un type synoptique de temps propre à chacune des deux saisons. Les trombes surviennent en général lorsque de l’air maritime atlantique à moyenne altitude recouvre une couche de surface d’origine méditerranéenne. L’instabilité dans la couche de surface se développe pendant le passage de l’air au-dessus du sud de la France. De telles situations se caractérisent par de fortes instabilités conditionnelles entre le sol et les niveaux moyens dans la troposphère, comme l’indique le gradient élevé de température potentielle humide. Cependant, des études de cas suggèrent que les trombes ne se forment que si l’instabilité dans la couche de surface est encore augmentée par un réchauffement et une humidification localisés. La formation d’une dépression secondaire sur ou à proximité d’un front froid en provenance de l’ouest constitue une condition favorable supplémentaire au déclenchement d’orales à trombe.

1. Introduction

J’ai connu deux guerres, et pourtant je n’ai jamais vu une chose pareille. On aurait cru ta fin du monde : qu’est-ce qu’on peut dire d’autre quand voua voyez des voitures voler par-dessus les toits, des maison}: entières se soulever du sol et aller s’abîmer dans un étang, des poutrelles métalliques prendre l’air comme des fétus de paille, au milieu d’un fracas et de sifflements d’apocalypse ? Non, jamais je n’oublierai cette vision de cauchemar (témoignage d’un habitant de Pommereuil après la trombe du 24 juin 1967, rapporté dans le journal L’Aurore du 26 juin 1967).

Une analyse de comptes-rendus portant sur une période de plus de 300 ans prouve que quelques kilomètres carrés du territoire français sont frappés chaque année par des trombes. Si les conséquences de ces accidents ne constituent pas vraiment une calamité nationale, il arrive cependant qu’à diverses occasions, de nombreuses personnes soient tuées ou blessées, et que les dommages soient importants. Ceci explique en partie l’intérêt manifesté dans le passé pour ce phénomène par des physiciens français tel . que Peltier (1840) et Flammarion (1872). L’augmentation du risque résultant du développement des zones urbanisées et des constructions dans les zones rurales stimule de nos jours cet intérêt.

Depuis 1680, 107 trombes «fortes» ou «violentes » (selon la terminologie de Kelly et ai, 1978) ont été scientifiquement documentées : cette banque de données suffit à établir une climatologie sommaire des trombes françaises et contribue à une meilleure connaissance des trombes en Europe. Wegener (1917) a été le premier à répertorier les trombes en France dans le cadre d’une étude de ce phénomène en Europe occidentale. Parmi des travaux plus récents, on note ceux de Piaget (1976) pour la Suisse, Palmieri et Pulcini (1979) pour l’Italie, Meaden (1985) pour l’Angleterre, et Snitkovsky (1987) pour l’Union Soviétique. Pour une introduction générale sur la physique des trombes, le lecteur pourra se reporter à Snow (1984).

2. Aperçu général sur les trombes en France, avec liste de 107 cas

En France, on a connu des trombes dans chacune des six catégories de la classification proposée par Fujita (1978). Celte classification fixe une valeur d’échelle de FO à F5 pour caractériser l’intensité d’une trombe : elle est basée sur l’estimation de la vitesse maximale du vent d’après l’analyse des dommages aux bâtiments et aux arbres. Par suite de l’incertitude dans la détermination du vent maximal, chaque échelle représente une plage de vitesses. Ce schéma de classification est communément appelé « échelle de Fujita ».

1 Échelle de Fujita : Les trombes « faibles » sont classées FO (17-32 m s ‘) et FI (33-49 m s ‘) : les trombes « fortes » F2 (50-69 m s 1) et F3 (70-92 m s ‘) ; les trombes < violentes> F4 (93-116 m s’) et F5 (117-142 m s’) [ D’après Fujita (197S) : terminologie descriptive d’après Kelly et ni. (1978)

Plusieurs trombes « faibles » FO et FI surviennent chaque année en France, mais elles sont difficiles à recenser systématiquement car elles ne sont pas très dévastatrices, elles blessent ou tuent rarement, et risquent facilement d’être confondues avec des coups de vent de grain. Un exemple en est donné par la tempête du 23 juillet 1927 à Montélimar (Drôme) qui a pu être soit une trombe soit un coup de vent de grain, ou môme les deux à la fois (Rougetet, 1929). Comme il est rare qu’une personne soit blessée ou tuée par une trombe FO ou FI. la documentation sur ces événements de faible intensité est souvent médiocre. Sans un réseau dense d’observateurs volontaires comme celui du « Tornade and Storm Research Organisation » en Angleterre (Meaden, 1985). une climatologie basée sur les trombes FO et FI ne serait pas très valable. Pour cette raison, les comptes-rendus de trombes faibles ne sont pas inclus dans cette étude.

Les trombes fortes F2 et F3 surviennent occasionnellement en France : on en a dénombré 94 dans cette étude. Les trombes d’intensité F4 sont rares, avec seulement 11 cas pour les deux derniers siècles. Enfin, il semble que l’on puisse classer en F5 deux trombes survenues dans la période de 309 ans, l’une en « 1845 en Normandie, et la seconde en 1967 dans le nord de la France.

Les informations sur ces 107 « grandes » trombes (Haies, 1988) sont résumées dans les appendices. L’appendice A fournit des données extraites de la littérature et l’appendice B présente un résumé sur le nombre des événements dans chaque classe d’intensité F pour la période avant 1960 et pour la période plus récente de 1960 à 1988.

Les informations sur les cas antérieurs à 1960 proviennent de la littérature scientifique française, essentiellement des revues suivantes : Comptes Rendus à l’Académie des Sciences, Annuaire de la Société Météorologique de France, et La Météorologie. Pour les cas survenus dans la période 1960-1988. on a complété les rapports de presse par des comptes-rendus oraux ou écrits de témoins oculaires, par des rapports détaillés établis par les mairies, et enfin par des visites sur les sites de 16 trombes. Une attention particulière a été portée sur l’identification exacte du phénomène afin d’éviter des confusions avec d’autres vents dévastateurs, en particulier avec les coups de vent de grain (Dessous et Blin, 1988).

Pour chaque événement listé en appendice A, on a estimé l’intensité de la trombe d’après les spécifications de l’échelle de Fujita : une comparaison attentive des descriptions des dommages propres à chaque événement a été faite avec les descriptions rapportées dans le tableau 1.3 et avec les photographies de la figure 1.3 de Fujita (1978). Cependant, il existe une incertitude dans cette estimation faite en France sur des spécifications de dommages aux États-Unis ; en effet, les méthodes de construction, et en conséquence la résistance au vent des bâtiments, sont différentes dans les deux pays. De plus, les méthodes de construction ont évolué de façon significative au cours des trois siècles d’observation.

Doswell et Burgess (1988) ont indiqué que l’échelle de Fujita est davantage une échelle de dommage qu’une échelle d’intensité. Pour éviter ce qu’ils nomment le dilemme de l’échelle de Fujita, ils proposent plusieurs solutions, la plus pratique consistant à identifier la façon dont on attribue une classe à une trombe. Ceci a été fait dans l’appendice A par une lettre-code dans la colonne « Échelle F ».

La longueur de la trajectoire donnée dans le tableau est la distance sur laquelle la trombe est restée en contact continu avec le sol, à l’exception éventuelle de quelques courts rebonds. La largeur de la zone touchée est souvent variable le long de la trajectoire, en général plus faible au début et à la fin, et elle est probablement influencée par la topographie ou la rugosité du sol (Dessens, 1972). C’est la plus grande largeur observée le long de la trajectoire qui est reportée dans le tableau.

Afin de définir au mieux le type de temps associé à une trombe, on a noté dans l’appendice A (à l’aide d’un code numérique dans la colonne « type de temps ») l’occurrence (ou la non-occurrence) de tonnerre, ainsi que l’occurrence de grêle. Bien que ces observations soient discutables (par exemple, l’observateur peut ne pas avoir entendu de tonnerre à cause du bruit du vent), elles fournissent quelques informations sur les situations génératrices de trombes.

La topographie et la nature de la surface du sol de la zone où se produit la trombe sont des caractéristiques environnantes importantes. En France, elles peuvent changer fortement d’une région à l’autre, souvent même sur de faibles distances. Une indication sur ces caractéristiques est reportée dans la colonne « type de paysage » à l’aide d’une lettre de code. Un « pays plat » se rapporte à un terrain sans ondulation importante. Ce type de terrain est semblable à celui rencontré dans le nord de illinons ou le nord de l’Indiana. Par opposition, une région « vallonnée » comporte des ondulations marquées, les comptes-rendus indiquant par exemple que la trombe « gravit une colline », ou « descend dans une vallée » ; un terrain de ce type s’apparente à celui rencontré à l’ouest de la Pennsylvanie. Pour les deux trombes n26 et 68, le terrain était montagneux, similaire à celui des Montagnes Rocheuses.

La table ne donne pas d’indication de paysage lorsque le paysage est varié, ou inconnu à l’époque de l’événement (la couverture forestière a pu changer au cours des 100 dernières années). Les trombes en provenance de la mer sont également signalées dans la même colonne.

3. Sélection de bibliographie pour les trombes F4 et F5

En règle générale, plus une trombe est violente et mieux elle est documentée. Par suite du nombre de personnes tuées et de la gravité des dommages, les trombes violentes sont portées à la connaissance des autorités et des médias. De nos jours, le personnel de la Météorologie Nationale procède à des études de cas en vue d’améliorer les performances de la prévision, ces événements constituant des risques d’autant plus importants qu’ils sont rares. Les 11 trombes F4 et les deux trombes F5 sont dans cette situation. Le tableau 1 donne les références propres à ces 13 cas.

Les trombes 17 et 65 sont probablement de classe F5. Pour la trombe 17, on arrive à cette conclusion d’après les observations rapportées dans la littérature de l’époque : « Des ouvriers furent lancés au-dehors par-dessus des haies et des clôtures… Sur d’autres points, les bâtiments furent comme pulvérisés et la place absolument nettoyée. Des solives, des planches… furent soulevées et emportées jusqu’à 25 et 38 kilomètres de là ! Jusque près de Dieppe » (Flammarion, 1872) ; « L’un de ces arbres a été emporté beaucoup plus loin, lancé comme une flèche » (Pouillet, 1845). Pour la trombe 65, la classification en F5 résulte de notre propre examen des dommages : 17 maisons ont été entièrement démolies, des automobiles ont été soulevées et projetées par-dessus les maisons (fig. 1), des morceaux de bois ont été enfoncés dans des troncs d’arbres, des tombes ont été ouvertes, etc.

Il n’existe pas de documentation publiée sur les deux plus récentes trombes F4. La trombe 74 est apparue sous forme d’une trombe marine dans le port de La Palliée, puis s’est déplacée vers l’est en direction de La Rochelle. Le long de son trajet, entre le port et le centre de la ville, une personne a été tuée après avoir été soulevée dans les airs sur plusieurs mètres, et douze autres personnes ont été blessées. On a observé que la trombe s’était dissipée en atteignant la zone à forte densité en bâtiments. Des dommages de type F4 ont été décrits par un témoin : « Des autos étaient soulevées et s’envolaient dans les airs comme des jouets, les toits étaient emportés et les habitations soufflées » (témoignage rapporté dans le journal La Dépêche du Midi, 26 janvier 1971).

La trombe 93 a touché le sol à l’est de la petite ville de Levié; cinq maisons, une ferme et une scierie ont été complètement détruites. On a estimé les dommages à 20 millions de francs. La ville est au milieu d’une plaine découverte, mais la trombe provenait d’une région boisée. La photographie de la figure 2 a été prise au moment où la trombe se déconnectait du sol. Les comptes-rendus des observateurs sont classiques « J’ai vu soudain monter des tuiles, de la paille, des bouts de bois dans le ciel. C’était comme un champignon de plus en plus noir qui se déplaçait, avec un bruit d’hélicoptère » (témoignage rapporté dans le journal L’Est Républicain, 3 juin 1982).

4. Climatologie des trombes en France

a.Localisation géographique

La figure 3 présente la localisation géographique des 107 trombes répertoriées dans l’appendice A. La figure 4 donne des indications d’intensité de ces trombes. Pour aider à l’interprétation de ces cartes, la figure 5 présente une carte de France avec les caractères principaux de la topographie, tandis que la figure 6 donne des indications sur la densité en population (nombre d’habitants par kilomètre carré). Dans l’ensemble, les figures 3 et 4 présentent de nombreuses similitudes avec les données rapportées par Grazulis et Abbey (1983) pour les États-Unis.

Tableau 1. Références bibliographiques sur les 11 trombes F4 et les deux trombes présumées F5.

Comme le montre la figure 3, les trombes en France sont concentrées dans le nord-ouest du pays, suivant un axe La Rochelle-Paris-Bruxelles. On observe un second maximum de concentration vers le sud, dans la vallée de l’Aude et sur le littoral méditerranéen [ par opposition, le maximum de fréquence d’orages en France se situe dans le sud-ouest et dans le centre-est du pays (Météorologie Nationale, 1969) ]. Bien que cette distribution comporte un biais lié à la population (8 événements rapportés en région parisienne). de nombreux cas sont observés dans des zones à densité de population comprise entre 10 à 50 habitants par km ou moins (comparer les figures 3 et 6). Le classement des 107 cas par période ne suggère pas de changement en concentration dans le nord-ouest. La concentration dans le sud, déjà visible dans la première période, a augmenté dans la deuxième période, probablement à cause de l’augmentation récente des activités de cette région.

La concentration des trombes dans le nord-ouest reflète la climatologie synoptique de cette région côtière. de nombreux cas s’étant produits dans des situations où une zone frontale à faible vitesse de déplacement avance de l’ouest pour interagir avec une couche de surface conditionnellement instable s’écoulant vers le nord à travers la France. Quelques détails de cette interaction seront fournis au paragraphe 5.

La concentration dans le sud se situe dans la vallée de l’Aude, le long d’une ligne allant de Carcassonne à Narbonne. La vallée de l’Aude sépare les Pyrénées-Orientales (Corbières) du Massif Central (Montagne Noire). Cette disposition topographique augmente la convergence de l’air qui s’écoule entre l’Atlantique et la Méditerranée : dans cette région, il peut se produire de la vorticité par interaction du vent avec le relief. Les trombes observées dans le Jura (26. 43, 68 et 93) et dans le Massif Central (33. 47 et 94) peuvent également avoir été engendrées par des effets géographiques locaux.

Le nombre très faible de trombes observées dans le Massif Central peut sans doute être attribué à la fois à la faible densité moyenne en population et à la forte topographie de cette région. Ce résultat est en accord avec ceux de Tecson et ai. (1982) pour une région similaire des Monts O/.ark dans le centre des États-Unis.

La trombe suisse F4 du 26 août 1971 dans le canton de Vaud (décrite par Piaget, 1976) a exactement suivi la portion suisse de la trajectoire de la trombe 26 du 19 août 1890. La similitude entre les deux événements est telle que des vortex secondaires ont été observés dans les deux trombes sur la portion de leur trajectoire commune qui traverse le sol plat et dégagé de la vallée de Joux entre les zones boisées de Bois d’Amont et Le Brassus. Une trombe F3 ou F4 est également survenue dans la même vallée le 12 juin 1926, légèrement décalée au nord (décrite également dans Piaget, 1976). Ces observations suggèrent l’existence dune « allée à trombe » du type décrit par Gallimore et Lettau (1970).

b. Distributions diurne et saisonnière.

La figure 7 présente la répartition temporelle des 107 trombes. Chaque événement est pointé sur le diagramme selon le jour et l’heure indiqués en appendice. Les histogrammes placés suivant les abscisses et les ordonnées sont obtenus par sommation appropriée des données. L’histogramme suivant les ordonnées donne la fréquence mensuelle des trombes, et l’histogramme suivant les abscisses donne la fréquence suivant l’heure.

A titre de référence, les courbes donnant les heures des levers et couchers de soleil et du midi solaire en fonction de la période de l’année sont également portées sur le diagramme. Comme la France est un petit pays (à peu près comme l’étal du Texas), il n’est pas nécessaire de normaliser les heures par les heures solaires locales comme ont dû le l’aire Kelly et aï. (1978) pour leur climatologie des trombes aux États-Unis. Les heures du lever et du coucher de soleil et du midi solaire à Paris sont raisonnablement valables pour l’ensemble du pays. En hiver (octobre a mars). l’heure locale est en avance d’une heure sur le temps universel (TU) ; en été (avril à septembre), elle est en avance de deux heures.

La figure 7 montre que les mois de juin et d’août présentent le maximum de fréquence en grandes trombes. La probabilité de trombe est maximale entre 16h et 17h TU, et on observe un second maximum entre 18h et 19h TU. Cependant, un examen attentif de la figure 7 montre que de grandes trombes ont été observées en France à chaque saison et pratiquement à toutes les heures de la journée. En dehors du maximum estival (juin-août, avec 48 événements), les trombes sont distribuées assez uniformément : 24 en automne (septembre-novembre), 15 en hiver (décembre-février) et 20 au printemps (mars-mai).

Une relation nette entre l’occurrence de trombe et l’insolation est visible sur la figure 7. Les trombes sont principalement observées vers midi pendant la période froide de novembre à mars. Pendant la période chaude d’avril à octobre, elles se produisent plus tard dans la journée, avec le maximum d’événements entre le milieu et la fin de l’après-midi. Cependant, 20 grandes trombes ont eu lieu dans la nuit et la matinée, ce qui suggère que certaines trombes françaises ne sont pas directement liées à l’insolation.

Figure 8. Localisation des trombes avec indication du mois (1 = janvier, 2 = février, 3 = mars, etc.). Les lignes solides délimitent approximativement les principales zones climatiques de la France ; pour une carte climatique plus détaillée, se reporter à la figure 1 de l’Atlas de la Météorologie Nationale (1969). Pendant la saison froide (novembre à mars), les trombes se produisent principalement sur les deux zones côtières. Pendant la saison chaude (avril à octobre), elles se produisent principalement à l’intérieur des terres.

On peut également remarquer sur la figure 7 les minimums relatifs de la fréquence des trombes en juillet et entre 17 et 18h TU. Comme il n’y a pas d’explication évidente à ces minimums, on peut penser qu’ils sont simplement le reflet de la petite taille de l’échantillon.

La figure 8 présente le même type de distribution géographique que les figures 3 et 4, mais avec chaque événement repéré par le numéro du mois correspondant. Pendant la saison froide (novembre à mars), les trombes surviennent principalement dans le centre-ouest de la France (19 trombes sur 28 à l’ouest de la ligne tracée de Bordeaux à l’embouchure de la Seine). Il se produit également quelques trombes hivernales sur la côte méditerranéenne (4 sur 18 au sud de la ligne tracée des Pyrénées centrales à la frontière franco-italienne). Toujours pendant la saison froide, les trombes sont très rares dans le reste de la France (seulement 2 sur un total de 61). La plupart des trombes qui se produisent à l’intérieur du pays ont lieu dans la saison chaude de juin à septembre. Le tableau 2 présente les caractéristiques moyennes des trombes suivant la saison. Les trombes de la saison froide semblent moins violentes que les trombes estivales, avec ²des trajectoires moins longues et plus étroites.

Les lignes tracées sur la figure 8 délimitent grossièrement les principales zones climatiques de la France (pour plus de précision, se reporter à la figure 1 de l’atlas de la Météorologie Nationale, 1969). Les régions du centre-ouest et du nord-ouest de la France ont un climat à dominante maritime. La zone côtière du sud-est bénéficie d’un climat subtropical (ou « méditerranéen ») contrôlé par la proximité de la Méditerranée. L’intérieur du pays subit un climat océanique plus ou moins altéré par des influences continentales, et par un climat de montagne dans les Pyrénées, les Alpes et le Massif Central.

Tableau 2. Valeurs moyennes de l’échelle F. de la longueur L de la trajectoire et de sa largeur maximale W selon la saison (nombre de cas indiqué entre parenthèses).

c. Trombes en série

A trois reprises, un même mésocyclone a produit deux trombes (situation similaire à celle décrite par Burgess et al., 1982) : 1″ août 1963, trombes 54 et 55, distantes de 143 min (80 km) ; 24 juin 1967, trombes 64 et 66, distantes de 80 min (83 km) ; et 20 septembre 1973, trombes 80 et 81, distantes de 120 min (90 km). Dans quelques autres cas, le mésocyclone générateur d’une trombe en France s’est déplacé vers un pays voisin et y a engendré une ou plusieurs trombes supplémentaires : le mésocyclone de la trombe 67 s’est déplacé vers la Belgique et les Pays-Bas, produisant des trombes à Oostmalle, Chaam et Trecht (Wessels, 1968) ; celui de la trombe 69 a continué en Allemagne avec une trombe à Pforzheim (Nestlé, 1969) ; et celui de la trombe 96 a continué en Belgique, avec une trombe à Léglise (Caniaux, 1984).

d. Variations dans le temps

L’appendice B met en évidence une différence marquée entre le nombre de cas de la première période (49 trombes en 280 ans) et celui de la deuxième période (58 en 29 ans). Il n’y a pourtant pas de raison de supposer que le nombre annuel de trombes en France a changé significativement sur les 309 années de la période étudiée. On peut plutôt attribuer cette différence à une meilleure collecte des informations dans la deuxième période. Pour cette raison, on ne considérera que les données de la période moderne pour les calculs de la probabilité du risque et de la période de retour présentés au paragraphe 4e.

e. Dimension des trajectoires et probabilité du risque

Le tableau 3 présente les valeurs moyennes de la longueur L de la trajectoire, de sa plus grande largeur W, et de sa superficie A (= LW) pour les trombes de différentes intensités. On y indique également le nombre d’événements pour lesquels ces données sont disponibles. La superficie de la trajectoire a été calculée avec les 78 cas pour lesquels L et W sont disponibles simultanément. Afin de comparer ces données statistiques à celles des États-Unis, on a utilisé le schéma de classification FPP proposé par Fujita et Pearson (1973), et pointé la longueur moyenne en fonction de la plus grande largeur, le résultat est présenté sur la figure 9. Sur cette figure, on présente également les gammes de longueur et de plus grande largeur des trajectoires observées aux États-Unis pour les classes d’intensité F2, F3 et F4 (d’après le tableau 1 de Fujita et Pearson, 1973).

Tableau 3. Valeurs moyennes de la longueur L de la trajectoire, de sa largeur maximale W et de sa superficie A selon l’échelle F (nombre de cas indiqué entre parenthèses).

Figure 9. Diagramme de la longueur moyenne L de la trajectoire en fonction de sa largeur maximale moyenne W selon l’intensité. Les trois croix entourées d’un cercle représentent les paires de L et W du tableau 3. Les zones délimitées par des carrés représentent les plages des valeurs de ces paramètres pour les trombes américaines (d’après le tableau l de Fujita et Pearson, 1973).

Il apparaît sur la figure 9 que les trombes françaises ont une trajectoire moyenne plus courte que les trombes américaines de même intensité. La différence augmente avec l’intensité de la trombe. On pourrait expliquer le décalage observé par une surestimation systématique des intensités des trombes françaises dans l’échelle F. Cependant, une révision de nos procédures d’estimation rend cette hypothèse peu probable. Une explication différente qui conviendrait plus particulièrement aux trombes violentes pourrait être une surestimation de la longueur moyenne des trajectoires de ces trombes aux États-Unis ; il s’avère en effet comme probable que certaines trombes à « très longue trajectoire » sont en réalité des trombes différentes produites en série par le même mésocyclone (Doswell et Burgess, 1988). La densité de population de la majeure partie du territoire français, même dans la première période, permet une bonne estimation des longueurs de trajectoire. On peut également noter qu’on n’a pas observé en France de trombes à longue trajectoire, alors que plusieurs cas de trombes en série ont été répertoriés.

Lorsqu’on compare les largeurs de trajectoire, on trouve que les valeurs moyennes des trombes françaises F2 et F3 sont à la limite supérieure des valeurs des trombes américaines de même classe. Ceci s’explique par le fait qu’on a considéré la plus grande largeur de la trajectoire et non pas la largeur moyenne de chaque événement. A l’opposé, la plus grande largeur des 11 trombes F4 et F5 se trouve à la limite inférieure des largeurs des trombes américaines comparables.

Figure 10. Photographie de la trombe 52 à Évreux le 4 mai 1961. L’intensité de cette trombe a été estimée F3. On remarque la présence de deux grands vortex secondaires dans celle trombe a vortex multiples. Voir Delpech (1962a) pour informations détaillées (T’Photographie P. Pélassy).

Par suite de la compensation des différences entre longueurs et largeurs maximales des trajectoires, les superficies affectées par les trombes françaises F2 et F3 et par les trombes américaines correspondantes ne sont pas notablement différentes. Mais pour les trombes F4 et F5, les superficies atteintes sont plus faibles en France qu’aux États-Unis par suite de la plus petite longueur des trajectoires. Nous n’avons pas d’explication à cette différence de caractéristiques comparées entre trombes F2 et F3 d’une part. et trombes F4 et F5 d’autre part. mais il est possible qu’elle résulte à la fois du faible échantillon disponible et de l’absence de trombes à longue trajectoire en France.

La superficie moyenne atteinte par une trombe (4 km) permet d’estimer la probabilité de risque en France. Pour la deuxième période, un a enregistré 58 trombes d’intensité F2 ou plus (2 par an). En conséquence, sur un plan national, la superficie moyenne exposée aux trombes importantes est d’environ 8 km2 par an. A partir du rapport de cette superficie par celle de la France, la probabilité pour qu’un point donné soit touché par une trombe importante s’établit à 1,5 x 10 » par an, et la période de retour est d’environ 70 000 ans. Cette probabilité est à peu près égale à 7% de la probabilité correspondante dans les Grandes Plaines des États-Unis (Abbey. 1976). Il convient de remarquer que celle estimation se rapporte à l’ensemble du pays : si l’on considère la répartition géographique présentée sur les figures 3 et 4, on peut observer que le niveau de risque est fortement plus élevé dans certaines régions de France.

Les conséquences des grandes trombes en France pendant la deuxième période peuvent être appréciées en notant que 20 personnes ont été tuées (0,7 par an) et 327 ont été blessées (11.3 par an). Environ 360 maisons et 320 caravanes (remorques à 2 roues utilisées pour le camping) ont été détruites,’et plus de 1000 maisons ont subi des dommages importants (essentiellement des toitures enlevées).

f. Types de paysage

Le tableau 4 présente les caractéristiques moyennes des trombes selon les conditions géographiques locales. Ces caractéristiques montrent que si les trombes terrestres en provenance de la mer sont peu nombreuses, elles ont tendance a être plus violentes tout en ayant une trajectoire courte. Cette observation suggère qu’il y a rupture du vortex à son passage dans les terres, peut-être dû à un changement de rugosité du sol.

Tableau 4. Valeurs moyennes de l’échelle F. de le longueur L de la trajectoire et de sa largeur maximale W selon le type de paysage (nombre de cas indiqué entre parenthèses).

Les données de ce même tableau suggèrent également que les trombes en régions vallonnées sont presque aussi nombreuses que les trombes en pays plat, et qu’elles ont tendance à être plus violentes. Les augmentations simultanées de la longueur moyenne des trajectoires et de leur plus grande largeur sont logiques, puisque ces paramètres sont l’un et l’autre en relation directe avec l’échelle F (Fujita, 1978).

Les données statistiques du tableau 4 montrent que les trombes en régions boisées sont un peu plus violentes que les autres trombes. De plus, la longueur moyenne de leur trajectoire est plus de deux fois supérieure à celle des autres trombes, et la plus grande largeur est environ quatre fois supérieure. Pour les trombes survenant en pays boisé, les dommages bien visibles aux arbres peuvent conduire à une surestimation de l’intensité, mais permettent une estimation exacte des dimensions de la trajectoire. A l’opposé, la largeur de la trajectoire d’une bande se déplaçant au-dessus d’une région plate et dégagée risque d’être sous-estimée par suite de l’absence de trace laissée au sol.

On peut noter que le fait de trouver des trajectoires plus larges pour les trombes évoluant en régions boisées, donc au-dessus de surfaces rugueuses, est conforme aux simulations en laboratoire (Dessens, 1972 ;Wilkinsf7f ai., 1975) et aux modèles numériques (Harlow et Stein, 1974 : Bode et ai., 1975). Ces simulations et modèles ont montré qu’on doit s’attendre à une augmentation du diamètre d’une trombe lorsque la rugosité du sol augmente. Baker et al. (1982) ont également montré qu’une trombe devient plus dévastatrice peu de temps après son passage sur un îlot boisé. Le fait que les trombes aient une trajectoire plus longue lorsqu’elles évoluent en région forestière est probablement une conséquence de l’augmentation de leur diamètre, une large trombe étant plus stable qu’une petite trombe.

On-note diverses observations rapportant un effet de la rugosité de surface sur la morphologie de la trombe. Les trombes 26 et 80 ont été l’une et l’autre observées au moment de leur passage d’une forêt à une zone dégagée. Dans les deux cas, le vortex s’est réorganisé, et on a observé le développement de vortex secondaires. Des vortex secondaires ont été observés dans les trombes 3, 4, 21, 24 et 52 (voir par exemple la figure 10 ; voir également la planche 8.18 dans Ludlam, 1980) au moment de leur passage sur des sols de rugosité variable, mais on n’a pas noté la relation entre la morphologie de la trombe et la nature du sol. On peut rapprocher ces observations de celles de Blechman (1975) selon lesquelles les transitions de vortex multiple à vortex simple sont bien corrélées avec les augmentations brutales de la rugosité de surface.

g. Type de temps Le tableau 5 présente les caractéristiques moyennes des trombes selon le type de temps qui leur est associé. Le rôle primordial de la convection dans la formation des trombes est suggéré par le maximum de fréquence en été et l’après-midi (fig. 7). il est confirmé par l’association des trombes aux orages et à la grêle.

Tableau 5. Valeurs moyennes de l’échelle F, de la longueur L de la trajectoire et de sa largeur maximale W selon le type de temps (nombre de cas indiqué entre parenthèses).

II est également intéressant de noter que les 13 trombes pour lesquelles les observateurs ont précisé qu’il n’y a pas eu de tonnerre ont été notablement moins violentes que les 26 trombes avec tonnerre, et la longueur ainsi que la plus grande largeur de leur trajectoire ont été plus faibles. Bien qu^il puisse y avoir des erreurs d’observation, nous pensons que la plupart des cas avec tonnerre se sont produits à proximité ou au-dessous de l’orage, et que les cas sans tonnerre sont relatifs à des trombes formées au-dessous d’une ligne de nuage située à distance du foyer orageux principal. Quelques-uns de ces cas sont semblables aux « landspouts » ou « gustnadoes » récemment observés aux États-Unis (cf. Bluestein, 1985 : Brady et Szoke. 1988). II est également probable que quelques autres de ces cas sont de même nature que les vortex observés dans les mésocyclones de petites dimensions, mais intenses, qu’on rencontre sur les côtes de la Manche (Forbes, 1985).

Bien qu’en France la répartition géographique des trombes soit différente de celle des chutes de grêle, on a observé à diverses reprises une forte grêle avec la trombe. Par exemple, il y a 14 cas (13% du total) associées a des chutes de grêlons de taille supérieure à 30 mm : trombes 7. 14; 24. 26. 43. 44. 45, 46, 58 (>100 mm). 65 (100 mm), 68, 84. 90 et 106 (100 mm).

h. Sens de déplacement et de rotation

Le sens de déplacement d’une trombe ainsi que son sens de rotation sont déterminés par l’environnement météorologique. Sur les 89 trombes pour lesquelles le sens de déplacement a été noté. 46 se sont déplacées vers le nord-est, et 79 dans une direction comprise entre le nord et l’est. Les vitesses de déplacement sont connues pour 14 trombes elles s’échelonnent entre 3 et 19 m/s, avec une moyenne de 10.6 m/s (valeur médiane : 11.2 m/s).

On a noté un sens de rotation cyclonique dans 13 cas (trombes 17. 26. 31. 33. 34. 35, 39, 52. 56. 65. 96, 98 et 106). et anticyclonique dans 4 cas (trombes 28, 43. 66 et 83). Ces chiffres ne représentent sans doute pas les pourcentages réels de chaque sens de rotation, mais ils se rapportent simplement à un nombre de cas particuliers.

5. Conditions météorologiques

Les données utilisées pour l’examen des conditions synoptiques qui conduisent à des orages à trombe en France sont extraites du Bulletin Européen Météorologique (publié depuis 1976) et du Bulletin Quotidien d’Études, ce dernier bulletin fournissant des données au sol détaillées pour la France. On va également inclure ici les résumés de deux situations qui ont été étudiées en détail par les services météorologiques français.

Carlson et Ludlam (1967) ont décrit les situations synoptiques qui engendrent les orages violents sur le Royaume Uni et l’Europe de l’ouest, et ils les ont comparées aux situations à orages violents aux États-Unis. Ludlam (1980 ; voir en particulier pp. 244-246, 288-289 et 297-298) a résumé et développé cette discussion.

a. Conditions synoptiques générales

Comme l’on déjà fait Maddox et ai (1980b) aux États-Unis, on a classé, à partir des champs au niveau 500 hPa, les situations synoptiques de 22 journées de la période 1978-1988 au cours desquelles se sont produites au total 24 trombes. Sur les 22 journées, 12 peuvent être immédiatement reconnues comme se reportant exactement à une situation type d’été (5 journées, 5 trombes) ou d’hiver (7 journées, 8 trombes). Sept autres journées (8 trombes) peuvent être assimilées assez facilement à l’une de ces situations (5 pour l’hiver, avec 5 trombes, et 2 pour l’été, avec 3 trombes). Enfin, les situations synoptiques des 3 dernières journées (trombes 89, mai ; 90, février ; 93, juin) diffèrent radicalement de ces deux types de situation, et elles ne peuvent donc pas être assimilées à un écoulement type au niveau 500 hPa.

Pour les situations typiques de l’été (approximativement de juin à août), le champ au niveau 500 hPa présente une profonde dépression soit sur le Golfe de Gascogne, soit plus loin sur l’Atlantique, et des hautes pressions sur le Sahara. Entre les deux zones, on observe en conséquence un écoulement de sud-ouest de l’ordre de 20 m/s au-dessus de la France. Ce type d’écoulement est schématisé sur la figure 11a. Le champ de pression au sol présente un léger creux au-dessus de la France (appelé parfois marais barométrique). Un système frontal faible à déplacement lent est parfois observé immédiatement à l’ouest de la région de la trombe. Les vents au sol sont en général faibles. Ce champ en surface est présenté schématiquement sur la figure 11b. Les trombes 91, 94, 100, 102 et 106 font partie de ce groupe.

Pour les situations typiques de l’hiver (approximativement d’octobre à mars), le champ au niveau 500 hPa présente un écoulement d’ouest rapide (avec des vitesses de vent de 20 à 40 m/s) au-dessus de la France. Comme le montre schématiquement la figure 12, cet écoulement est associé à un creux profond avec dépression principale au nord-ouest des îles Britanniques. En surface, on observe une forte dépression dans la même zone, avec un front froid bien marqué à l’ouest de la région de la trombe. Les vents d’ouest sont forts jusqu’au sol, de sorte qu’il n’y pas de cisaillement appréciable de la direction du vent dans la basse troposphère. Ce champ en surface est illustré schématiquement sur la figure 12b. Les trombes 84 à 86 (3 trombes sur 2 journées consécutives), 88, 98, 99, 103 et 104 font partie de ce groupe « d’hiver ».

Pour les 7 cas intermédiaires, on observe un centre dépressionnaire à l’ouest de la France, entre les positions d’hiver et d’été. Dans ce groupe, les situations relatives aux trombes 95 et 96 (même jour ; voir chapitre 5.b.2) et 97 (toutes en septembre) s’apparentent plutôt à la situation type de l’été. Les situations relatives aux trombes 87 (février), 92 (mars), 101 (avril), 105 (mars), et 107 (février) s’apparentent davantage à la situation type de l’hiver.

Les trajectoires des masses d’air sur des surfaces à température potentielle constante (surfaces isentropiques) ont été établies par la Météorologie Nationale à l’aide des données du Centre Européen de Reading pour deux situations d’été (trombe 100,18 juillet 1983; et 106, 17 août 1986) et pour une situation apparentée (trombes 95 et 96, 20 septembre 1982) ; voir Albergel (1988) pour les détails de la méthode de calcul. Ces trajectoires montrent que l’écoulement à moyen niveau est très lent, qu’il pénètre par le sud de la France, et qu’il s’agit d’air d’origine méditerranéenne. Les trajectoires au niveau supérieur révèlent un écoulement beaucoup plus rapide en provenance .de l’Atlantique arrivant par le sud-ouest de la péninsule Ibérique et atteignant le nord-est de la France.

b Exemples de situations

1) 24/25 JUIN 1967 (TROMBES 64 à 67, ET TROMBES EN BELGIQUE ET AUX PAYS-BAS)

Cette situation à trombe est la plus violente de la période moderne en Europe de l’Ouest. En plus des quatre trombes importantes observées en France (avec 8 personnes tuées et 80 blessées), trois trombes ont touché la Belgique et les Pays-Bas, tuant 5 personnes (Wessels, 1968).

Le 24 juin 1967, une couche d’air en surface conditionnellement instable s’étend sur le Golfe de Gascogne, le sud des îles Britanniques, et la France. La situation synoptique générale en surface à 18h TU sur la côte ouest de l’Europe est présentée sur la figure 13 (carte extraite du Bulletin Quotidien d’Études, 24 juin 1967). A ce moment, le centre dépressionnaire principal est centré sur l’Irlande, à 50°N ,13°0. Une zone frontale à déplacement lent se situe approximativement sur le méridien 6°0 ; la présence d’une ondulation sur ce front au sud-ouest de l’Angleterre est suggérée par l’analyste (il s’agit de la dépression secondaire notée II sur la figure 14). L’écoulement au niveau supérieur et le champ en surface permettent de classer ce cas dans le modèle « d’été » discuté au chapitre 5a.

Dans son étude détaillée. Bordes (1968) a trouvé que les orages à trombe de cette situation se sont produits au passage de deux petites dépressions secondaires à travers la France. L’arrivée de ces dépressions sur le nord-est à l’avant d’une zone frontale est illustrée par la carte à 700 hPa présentée sur la figure 14, où les creux apparaissent comme des dépressions à moyenne échelle. Chacune de ces deux petites dépressions est associée à une convergence renforcée dans la couche de surface, et à une poussée d’air froid océanique à moyen niveau. La première de ces dépressions secondaires, notée 1 sur la figure 14 se forme dans le golfe de Gascogne dans la soirée du 23 juin, puis se déplace rapidement le 24 vers le nord à travers la France et jusqu’en Belgique. Les orages violents générateurs des trombes 64, 65 et 66 se développent dans cette dépression, en se déplaçant à peu près à sa vitesse. La figure 15 présente une analyse en surface détaillée pour le nord de la France et la Belgique à 20h TU, heure à laquelle la trombe 66 touche le sol.

Le 25 juin, la couche inférieure de l’atmosphère est toujours conditionnellement instable sur la France alors que le front froid atteint l’Angleterre. Une deuxième dépression secondaire, marquée II sur la figure 14, est décelée sur la trace au sol du front dans la matinée du 25 juin, au sud de Caen. Cette dépression se déplace ensuite vers le nord-est à peu près parallèlement aux côtes de la Manche. La trombe 67 et les trombes de la Belgique et de la Hollande se forment immédiatement à l’avant de cette dépression secondaire.

Figure 14. Carte au niveau 700 hPa pour le 24 juin 1967 à 12hTU. Les lignes en trait continu représentent les contours d’altitude géopotentielle, et les lignes en pointillés représentent les isothermes en degrés centigrades. « D » figure une dépression ou un centre de basse pression, « A » figure un anticyclone ou un centre de haute pression. On observe un centre principal de basse pression au sud-ouest de l’Irlande. Les trois petites dépressions secondaires qui se déplacent vers le nord-est à travers le nord-est de ta France et vers les Pays-Bas sont représentées par ties chiffres romains I, II et III ; 1 et II ont produit des phénomènes météorologiques violents en France les 24 et 25 juin 1967. D’après la figure 17 de Bordes (1968).

La coupe temporelle de la température potentielle du thermomètre mouillé présentée sur la figure 16 met en évidence le passage des dépressions secondaires au-dessus de Trappes (près de Paris). Avec le fort contraste de température potentielle entre l’air près du sol et l’air à moyen niveau, contraste encore amplifié l’après-midi par l’insolation, la déstabilisation de la couche en surface conduit à une convection profonde au nord et à l’est des dépressions. Une telle séquence d’événements n’est pas unique, ainsi que le suggère la forte similitude entre la situation représentée sur la figure 14 et celle du 4 mai 1961 (trombes 51 et 52) décrite par Delpech (1962a, b). 2) 20 SEPTEMBRE 1982 (TROMBES 95 et 96, ET TROMBE EN BELGIQUE) Trois trombes violentes et de fortes chutes de grêle ont ravagé les Ardennes françaises et belges dans l’après-midi du 20 septembre 1982. Le sinistre le plus important s’est produit à Léglise, Belgique, avec la moitié du village détruite et 5 personnes blessées. Il est dû à une deuxième trombe produite par le système orageux déjà à l’origine de la trombe 96.

Figure 15. Analyse détaillée en surface le 24 juin 1967 à 20h TU pour le nord de la France et la Belgique ‘ D’après la figure 10 de Bordes (196S) ].

Figure 16. Évolution temporelle de la température pseudo-adiabatique potentielle du thermomètre mouillé à la verticale de Trappes. France (25 km à l’ouest-sud-ouest du centre de Paris) montrant le passage des trois dépressions secondaires. Les régions d’advection d’air froid (essentiellement d’air maritime à moyen niveau) sont représentées par un signe moins (-), et celles d’advection d’air à température positive (essentiellement d’air conditionnellement instable en surface) par un signe plus (+). Sur celte figure, le temps avance de la droite vers la gauche [d’après la figure 16 de Bordes (196S) ].

Figure 17. Séquence de cartes au niveau 700 hPa : (a) 20 septembre 1982. 12h TU ; (b) 20 septembre 1982,12h TU : (c) 21 septembre 1982, Oh TU. Altitudes en mètres (lignes en irait continu), températures en degrés centigrades (lignes en pointillés). L’ondulation faible dans la /.one frontale qui avance à travers la France pendant cette période est mieux visible sur le champ des températures ; on observe une distorsion dans le champ des températures à travers le sud-ouest de la France le 20 septembre à Oh TU. D’après les figures 6, 7 et 8 de Caniaux (1984).

La situation synoptique générale relative à cet épisode présente une dépression en surface d’intensité modérée à l’ouest de la Norvège, avec un système frontal se déplaçant vers le sud. L’extrémité sud de ce front aborde la France par la Bretagne dans la soirée du 19 septembre. Dans les premières heures du 20 septembre, une ondulation faible se forme sur ce front au large du sud-ouest de la France, et avance rapidement vers le nord-est pendant que le front se déplace lentement vers l’est. Le déplacement de cette ondulation au-dessus de la France est illustré par les cartes au niveau 700 hPa présentées sur la figure 17. Comme on l’a déjà indiqué, nous classons cette journée dans la situation transitoire entre les modèles d’été et d’hiver.

L’analyse détaillée de Caniaux (1984) montre que les orages générateurs des trombes du 20 septembre se sont développés à partir d’une couche en surface conditionnellement instable qui recouvre toute la France depuis plusieurs jours. De nombreux orages se sont déjà produits dans les après-midi et les soirées des trois jours précédents. Le 20 septembre, la convection se développe sur tout le secteur chaud à l’avant de l’ondulation frontale et elle est particulièrement violente au nord de la France par suite d’une forte convergence près du sol et d’une divergence vers les niveaux 200-300 hPa.

Dans les Ardennes françaises, les premiers orages ont lieu en milieu de matinée et les seconds, plus violents, en fin d’après-midi alors que la dépression atteint cette région. L’ascendance sur les Ardennes constitue un élément favorable au déclenchement des orages. Un réchauffement par le soleil de la couche en surface pendant une brève période de ciel clair entre les deux groupes d’orages intensifie la convection. Ce réchauffement provoque également une humidification des basses couches de l’atmosphère par évaporation de l’humidité au sol apportée par les précipitations du premier groupe d’orages. Caniaux (1984) a trouvé que par suite de ces effets locaux, le champ de la température potentielle du thermomètre mouillé à Trappes à 12h TU le 20 septembre présentait une différence de 4°C entre le sol (1010 hPa) et le niveau 820 hPa (de nombreuses caractéristiques de ce cas ressemblent à celles décrites par Maddox et al. 1980a, dans un modèle conceptuel de champs en surface propices à la formation d’orages violents à lavant des zones frontales).

c. Conditions météorologique favorables

A partir d’études de cas et d’analyses telles que celles décrites ci-dessus, on peut suggérer que les trombes françaises les plus caractéristiques se produisent dans une situation marquée par l’invasion dans les basses couches d’air méditerranéen, et par une circulation à moyen niveau amenant de l’air froid atlantique. Un facteur important est constitué par les propriétés thermodynamiques de la couche de surface dues au réchauffement et à l’humidification de l’air pendant sa traversée de la France. Ainsi que l’indique Ludlam (1980 ; p. 245), la Méditerranée est entourée de terres au-dessus desquelles la couche adiabatique atteint une température potentielle plus élevée, de sorte qu’en général il n’y a pas convection ordinaire sur la mer, qui agit comme un puits de chaleur plutôt que comme une source. Ainsi, l’air qui arrive de la Méditerranée sur la France n’a pas normalement un degré élevé d’instabilité conditionnelle. L’instabilité se développe plutôt dans une région située au nord des Pyrénées, lorsque l’air s’écoule lentement de la Méditerranée vers cette région. Carison et Ludlam (1967) suggèrent que le sud-ouest de la France, et notamment la région au sud de Bordeaux, est particulièrement bien situé pour le développement d’une forte instabilité conditionnelle de l’air. Dans cette région du sud de la France, la convection est limitée à la couche de surface par de l’air à moyen niveau possédant une température potentielle élevée. Cette couche de blocage a son origine au sud des Pyrénées, sur la plateau espagnol (une situation analogue se rencontre au Texas, où la convection est bloquée en surface par une couche d’air chaud et sec en provenance des régions centrales élevées du Mexique). La couche inférieure est chauffée et humidifiée par l’ensoleillement du sol humide de cette région.

Lorsqu’une forte perturbation arrive par l’ouest (hiver), ou qu’une dépression se forme dans le golfe de Gascogne (été), cet air de la couche inférieure est transporté vers le nord, éventuellement en dehors de la zone de blocage. Les analyses de Carison et Ludlam (1967) indiquent que cet écoulement en surface n’est pas continu, mais se produit par bulles successives ou poussées d’air chaud et instable.

Le transport de ces bulles vers le nord provoque des conditions localement favorables au développement d’orages violents dans le centre et le nord de la France, mais ne suffit pas forcément au déclenchement de trombes. Les études de cas suggèrent que l’instabilité des couches inférieures doit être amplifiée par des effets locaux, et qu’il doit y avoir un cisaillement suffisant du vent pour que la convection s’organise. Des interactions entre la couche de surface et une masse d’air maritime en provenance de l’Atlantique peuvent fournir les conditions nécessaires au déclenchement des trombes.

Pour chaque type saisonnier d’écoulement synoptique identifié ci-dessus, deux situations à trombes peuvent se produire. La première (et la plus dangereuse, bien que semble-t-il la moins commune) survient lorsque la couche instable de surface se déplace vers le nord ou le nord-est du pays dans le même temps qu’une profonde dépression située sur les îles britanniques et se déplaçant rapidement vers l’est provoque un écoulement d’air maritime froid sur la Manche et le golfe de Gascogne. Une zone frontale barocline très marquée orientée nord-sud sépare les deux masses d’air. Une dépression secondaire se creuse sur la trace du front au sol, ou immédiatement à l’avant ; le développement de cette dépression se produit généralement sur le golfe de Gascogne. La dépression se renforce rapidement et file vers le nord le long ou parallèlement au front en se transformant en occlusion. Selon la vitesse de déplacement vers l’est de la limite frontale, la trajectoire de la dépression secondaire peut soit rester au-dessus de la Manche (comme dans le cas décrit par Forbes, 1985), soit pénétrer en France par la Bretagne et aller vers le centre de la Belgique. Cette dépression à méso-échelle conduit à un développement local du gradient thermique, et génère de la convergence dans la couche de surface : le cisaillement de vent lié au front produit la vorticité favorable à l’organisation de la convection (on peut également* supposer que des processus baroclines locaux permettent la génération de vorticité dans les orages se formant le long d’un tel système frontal). L’expérience suggère que, si la couche de surface contient de l’humidité en quantité suffisante, et si la divergence troposphérique supérieure est forte, les orages s’organisent en un système qui se déplace avec la perturbation secondaire. Ces orages peuvent produire des trombes F2 ou F3. Si la divergence au niveau supérieur est faible, il ne se produit que des nuages précipitants peu épais. Des vortex peuvent se concentrer sous certains de ces nuages, mais ils ne dépassent pas en intensité les classes FO à F2 (comme dans le cas décrit par Forbes).

La seconde situation à trombe (qui est la plus courante) se rattache à des orages qui se forment nettement à l’avant du front froid, souvent juste à l’arrière d’un front chaud qui avance vers le nord et vers l’est. Dans ce cas, le front froid ralentit ou s’arrête en abordant l’ouest de la France. Les orages s’organisent généralement en lignes parallèles au front chaud. 11 semblerait qu’une perturbation à niveau moyen ou supérieur se couple à des effets locaux au sol pour produire de violents orages. Comme Ludlam (1980) l’a bien mis en évidence, les effets locaux contribuent à produire le degré voulu d’instabilité ; l’existence d’une bande d’averses suivie d’une période de ciel clair avant les orages à trombe du 20 septembre 1982 en est une bonne illustration.

Divers aspects de ces situations sont semblables à ceux décrits par Maddox et cil. (1980a) pour le centre des États-Unis. Dans cette région, la convection éclate dans une masse d’air située à l’avant d’un front lent ou immobile apparu le long de discontinuités thermiques internes, tel qu’il en existe entre une région de ciel clair, et donc chauffée par le soleil, et une région voisine nuageuse et relativement froide. L’analyse des situations survenues aux États-Unis suggère que la formation de telles discontinuités internes conduit fréquemment à une circulation thermique directe. A son tour, cette circulation provoque une convergence qui déclenche la convection profonde le long de la limite entre les régions dégagées et nuageuses. De telles situations aboutissent à des trombes violentes, en général de courte trajectoire, avec peu de trombes pour chaque situation, bien à la manière des trombes qui se produisent dans le nord-ouest de la France.

Les différences dans la modification de la couche de surface en provenance du sud rendent compte pour l’essentiel des variations saisonnières reflétées par la répartition géographique de la figure 8. Les régions côtières de l’ouest et du nord-ouest bénéficient d’un climat plus doux et plus humide que la plupart des régions de l’intérieur. Les températures diurnes au sol à l’intérieur du pays sont typiquement plus élevées en été, et plus basses en hiver, que celles des régions côtières de l’ouest et du nord-ouest. En été, les conditions à l’intérieur du pays favorisent le réchauffement par le bas de la couche de surface qui s’écoule vers le nord, et donc sa déstabilisation. Ceci ne se produit pas aussi bien dans les régions côtières parce que le contraste entre les températures du sol et de l’air est moins fort. En hiver, la modification initiale de la couche de surface au nord des Pyrénées se fait plus lentement. Pendant le transfert de cette couche vers le nord, l’air peut être plus chaud que le sol dans l’intérieur du pays, de sorte qu’il est refroidi par le bas et stabilisé. Dans les régions côtières, les températures au sol peuvent excéder celles de l’air d’advection, ce qui amplifie l’instabilité.

6. Conclusions

La présente étude résume les données disponibles sur 107 trombes françaises des classes F2 à F5 de l’échelle de Fujita. L’étude montre que la France connaît à peu près deux de ces « grandes » trombes par an, chacune affectant en moyenne une superficie d’environ 4 km3. En un lieu donné, la probabilité de risque d’une trombe est de l’ordre de 1,5 x 10′ par an. Cependant, le risque est bien supérieur dans certaines régions du pays, principalement au nord-ouest d’une ligne allant du golfe de Gascogne au centre de la Belgique, et sur une étroite ceinture de la côte méditerranéenne. Les régions montagneuses sont en général à l’abri des trombes, sauf une vallée du Jura.

Bien qu’il puisse y avoir quelques différences dans la détermination de la classe d’intensité entre les trombes-françaises et américaines, il semble que la plupart des trombes françaises de chacune des classes F2 et F3 laissent une trace au sol plus large mais plus courte que les trombes américaines de même catégorie. Quant aux trombes françaises de la catégorie F4, il se pourrait que leurs traces au sol soient à la fois plus étroites et plus courtes que celles des trombes américaines correspondantes, mais l’échantillon est réduit.

Il apparaît que les caractéristiques des trombes sont davantage influencées par la couverture du sol que par le relief : les trombes en terrain plat et en régions vallonnées présentent des caractéristiques assez semblables (échelle d’intensité, longueur et largeur maximale) alors que les trombes au-dessus des forêts ont une largeur maximale environ quatre fois supérieure aux autres. Plusieurs comptes-rendus font état de la formation de vortex secondaires lorsqu’une trombe venant d’une région à forte rugosité (forêt) arrive au-dessus d’un sol dégagé.

L’analyse des champs de pression au sol et en altitude de 21 situations à trombe dans la période 1978-1988 montre qu’il existe un type de temps caractéristique favorable à la formation de trombes en été, et un autre en hiver. Les rétrotrajectoires isentropiques de masses d’air calculées pour trois de ces situations, et l’examen de notes techniques de la Météorologie Nationale portant sur quelques événements spécifiques, suggèrent qu’une caractéristique commune aux situations à trombe est l’interaction d’une couche d’air instable en surface s’écoulant vers le nord avec de l’air maritime en provenance de l’Atlantique et s’écoulant vers l’est.

L’air de la couche en surface provient de la Méditerranée, et il s’est réchauffé et humidifié au-dessus du sud de la France. La convection dans le sud de la France est empêchée par une couche de blocage constituée d’air sec et chaud à moyen niveau en provenance d’Espagne. Par advection vers le nord, la couche en surface qui était au-dessous de la couche d’inversion se retrouve au-dessous de l’air froid d’origine atlantique, et il en résulte une forte instabilité conditionnelle entre le sol et l’atmosphère moyenne. Les orages à trombe se forment soit à l’avant d’une dépression secondaire qui avance vers le nord ou le nord-est le long d’un front en surface, soit dans la masse d’air chaud qui recouvre la France ; dans ce dernier cas, des effets locaux contribuent à renforcer l’instabilité conditionnelle près du sol.

Remerciements. Nous souhaitons remercier les maires des villes et villages, ainsi que tous les témoins qui ont fourni des rapports circonstanciés sur les trombes et leurs conséquences. Nous remercions également Mmes Régine Réchal et Helen Henry pour la mise en forme du manuscrit, et M. Serge Ribet pour la préparation des figures. Les commentaires des trois lecteurs qui ont examiné cet article avant sa publication ont permis d’apporter de nombreuses améliorations au manuscrit, et nous les en remercions. Nos recherches ont été financées par le Commissariat à l’Etude et à la Prévention des Risques Majeurs, contrat 83-J-0068, et par la National Science Foundation, contrat ATM-8703846.

APPENDICE A Chronologie de 107 trombes F2-F5 en France (1680-1988)

1 Commune principale et nombre d’autres communes sinistrées par la même trombe. 2 Classe d’intensité dans l’échelle de Fujita estimée d’après L, littérature scientifique ; N, journaux ; R, rapports de mairie : T, nouvelle télévisées ; V, visite sur le site. 3 0 : pas de tonnerre entendu, 1 : orage, 2 : orage à grêle. 4 F : pays plat, H : région vallonnée ou montagneuse, S : trombe venant de la mer, W : région boisée. 5 Par suite d’un manque d’informations détaillées, il subsiste quelques doutes sur la nature exacte des cas 45 et 46. On les considère en général comme des trombes, mais il a pu s’agir de violents coups de vent de grain ; voir Dessens (1984) pour plus ample information.

APPENDICE B Résumé

lien: http://www.climat-energie-environnement.org

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Voir aussi:

L’orage de grêle du 13 juillet 1788 dans le sud de l’Ile de France

Débuté par thib91

09 mars 2006

Pour replacer le témoignage dans son contexte un petit rappel de ce que fut cette ligne d’orage à l’echelle de la France.

La ligne d’orage de grêle était divisée en deux bandes; celle de l’Ouest (4 lieues de large soit environ 16km) premier témoignage à 6heure du matin elle commença en Touraine? Près de Loches à 6h30 passa par Chartres à 7heuresRambouillet à 8h00, Pontoise à 8h30, Clermont (Oise) à 9h00; Douai à 11h00; entra en Belgique passa sur Coutrai à 12h30 et finit au delà de Flessingues à 12h30!

La bande de l’Est commença ( 2 lieues de large soit environ 8km) à Orléans à 7h30 passa sur Arthenay et Adonville, atteignit Paris au fbrg St Antoine vers 8h30 Crépy-en Valois à 9h30; Cantea-Cambrésis à 11h00 et Ultrecht en Hollande à 14h30.

L’intervalle compris etre les 2 bandes était de seulement de 5 lieues (20km en gros) dans cet interval que de la pluie.

Je vous poste donc un témoignage trés rigoureux de l’abbé Tessier d’Andonville, prés d’Angerville au sud de l’Essonne actuel.

Responsable des bergeries royales, il était aussi correspondant de la Société Royale de Medecine; c’est donc un homme cultvé qui fit la lecture d’un rapport sur l’orage le 28 juillet 1788 devant l’assemblé de la société.

Pour éviter d’avoir un gros pavé à lire je vous divise le témoignage en plusieurs petits chapitres . Ce témoignage est d’une grande valeure scientifique puisqu’il apporte une description trés précise des grelons leurs tailles leurs formes!

L’approche de l’orage

Il paraît que partout où on l’a éprouvé l’orage a occasionné à son approche une grande obscurité. A Andonville, elle a été telle qu’il fallait de la lumière pour lire. La nuée était dans une région basse de l’atmosphère et d’un noir sombre excepté dans quelques parties où l’on distinguait une couleur jaune-bleue particulière à toute les nuées à grêle.

Elle s’avançait avec une grande rapidité précédée d’un coup de vent en tourbillon et faisant un bruit considérable que je puis mieux comparer qu’à celui de plusieurs carrosses qui roulent sur le pavé. Ce bruit se remarque dans les orages à grêle, et ce n’est autre chose que celui que la grêle fait en tombant. Homme et animaux, tout fut effrayé dans ce moment. L’influence de l’orage a été sensible sur l’etat de quelques malades; les bestiaux étaient agités et roublés et couraient sans savoir où ils allaient.

Sous l’orage

Il était 8heure ou 8h15 du matin; un eclair et un coup de tonnerre furent pour ainsi dire le signal. La grêle tomba presque aussitôt. J’ai toujours remarqué que dans les grands orages à grêle, il tombe toujours quelques gouttes d’eau trés larges; j’en ai vu au commencement de celui du 13 qui étaient d’une largeur analogue à celle des grains de grêle.

En cinq à six minutes, la terre fut fut recouverte de glaçons; dans quelques endroits, il y en avait plus de quatrespouces (10cm) d’épaisseur. Plusieurs en tombant cassaient les vitres et entraient jusqu’au fond des appartements; on ne pouvait plus approcher des fenêtres, à cause d’une poussière de verre que le vent faisiat jaillir.

On était obligé de se placer entre les trumeaux des croisées, pour la sûreté. Les personnes qui étaient dans des lits en face du jour n’évitaient les glaçons et le verre qu’en fermant leurs rideaux.

les grêlons

On a beaucoup varié sur la grosseur de la grêle, ou plutôt la grêle a été plus ou moins grosse, selon des pays. Le temps éclaircira les doutes que l’on peut avoir sur certaines assertions, qui ont annoncé de la grêle d’une grosseur prodigieuse. Il me suffira de dire à la Société ce que j’ai observé moi même.

Il y avait des grains de grêle de trois sortes; les uns parfaitement sphériques, d’un blanc opaque comme de la neige, d’environ 12 à 14 lignes (environ 3 cm) de diamètre;

les autres irréguliers, transparents, en cristaux groupés et anguleux d’un pouce et demi (4cm) d’épaisseur en différent sens; c’étaient les plus nombreux.

Les autres enfin sous forme de stalactites plus ou moins branchues: il y en avait moins de ce dernier que les autres. J’en ai mesuré un qui quoiqu’il fût déjà en parti fondu avait encore deux pouces et demi (6 à 7cm) de longueur sur une épaisseur inégale de 6 à 8 lignes (1cm environ) de diametre.

M. Robert, de l’académie de peinture, qui au moment de l’orage était à Mereville (sud 91 en Beauce), à une lieue d’Andonville, a dessiné sur le champ deux grains de grêle, ou plutôt 2 glaçons lancés au fond de l’appartement qu’il occupait. L’un avait 2 pouces 9 lignes sur 2 puces et demi (7.5*7cm) et l’autre 4 pouces et une ligne sur 2 pouces (10*5cm). De quelques formes que fussent les glaçons, j’ai distingué dans leur partie la plus épaisse une marque blanche et opaque qui paraissait en être le noyau; elle ressemblait aux petits grelons qui tombent dans les giboulés de mars.

D’énormes dégats

La plupart des carreaux de vitre qui étaient au midi et un peu au couchant, tous les verres de châssis et toutes les cloches de jardin ont été non seulement cassés mais pulvérisés. Les tuiles des bâtiments ont été écornées et les ardoises percées, quoiqu’il y en eu deux l’un l’autre. Les fruits ont été abattus tellement meurtrisqu’ils tomberont avant l’époque de maturité. Des lièvres perdrix, des faisons, des pigeons et autres oiseaux ont été tués en grand nombre. Le berger à perdu un mouton qui n’ayant pu, comme le reste du troupeau se sauver dans un bois a été massacré par la grêle, un chien a rçu sur la tête un coup qui l’a étourdi et étendu par terre sans le tuer.

Des personnes, quoiqu’elles se soinet ouvert la figure, ont eu de fortes contusions. J’ai vu une fille qui avait la levre fendue d’un coup de grêle; d’autres ont eu les mains meurtries et des ecchymoses à plusieurs endroits. Des chevaux attelés à des voitures sur la route d’Orléans ont manqué de périr en se précipitant dans des fossées et ont exposé la vie des voyageurs.

Ces malheurs du moment de l’orage étaient l’annonce du desastre de ces campagnes. Seigl, pois, froments, orges, avoines, lentilles, lin, etc. tout a été broyé couché, égrainé en proportion de la maturité.

Dans la plupart des champs, on eut vruque les troupeaux de moutons nombreux et trés serrés avaient passé avaient foulé sous leurs pieds….il ne restait trace de plantes.

Le vent n’a pas eu la même violence a tous les endroits où il a grêlé car Andonville il n’a découvert aucun vent, il n’a renversé ni arbres, ni maisons; mais en parcourant une partie de la Beauce j’ai vu les dégâts affreux que le vent a fait. Indépendamment des champs…des toits ont été emportéq, des murs décrépis ou jetés a terre, ainsi que des maisons, des cloches, des eglises, moulins…

Les pertes humaines consécutives aux orages sont difficiles à évaluer Il semble que le nombre de victimes ait été limité: par chance le 13 juillet était un dimanche et pau de monde était au champs. Les décès indirects liés a cet orages furent par contre sans doute plus nombreux; notmant de nombreuses personnes intoxiquées par les eaux polluées des puits.

Voilà pour le témoigneges ont peu supposer sans doute a de puissant front de rafales voir a quelques tornades isolés maisle fait le plus marquant fut bien évidement la grêle. Je me demande bien quel type de situation synops a donné ces lignes d’orages surpuissantes et plutôt coutumières des Etats Unis!

Voir encore:

La grêle du 13 juillet 1788

Le 13 juillet 1788, à 6 h 30 du matin (toutes les heures sont données au soleil), alors qu’il fait grand jour depuis longtemps, les habitants de Loches (Indre-et-Loire) s’étonnent de voir le ciel s’obscurcir totalement. Un bruissement considérable se fait soudainement entendre. En un instant, il devient impossible de lire près de la fenêtre et un mitraillage de grêlons sphériques ou agrémentés de pointes, qui atteignent 250 g, s’abat sur les bâtiments et sur les champs.

Né vers La Teste (Gironde), bien formé déjà sur les côtes d’Aunis, l’orage se renforce fortement en atteignant la Loire et se dirige vers le Nord-Est. En quelques heures il parcourt 450 km, de la Loire jusqu’à la Hollande, semant la désolation, bien qu’il ne dure, en un lieu donné, que sept à huit minutes. D’innombrables témoignages recueillis le situent à Amboise à 7 h, à Chartres à 7h30, à Rambouillet à 8 h, à Pontoise à 8 h 30, à Clermont-en-Beauvaisis à 9 h, à Douai à 11 h, à Courtrai (Flandre autrichienne) à 12 h 30. Il passe en Hollande pour aller se perdre en mer du Nord.

En fait, cet orage est double et décrit d’un bout à l’autre de sa trajectoire, deux bandes à peu près parallèles où la grêle seule est présente. La bande ouest, qu’on vient de décrire, mesure 13 à 22 km de largeur, alors que la bande est, plus étroite (7 à 13 km). Cette seconde zone, à la grêle aussi violente, est née sur le pays d’Albret puis, par Coutras (Gironde) et Angoulême. Elle rejoint la Loire à Blois où son activité se renforce. A 7 h 30 la grêle est sur Orléans, à Andonville (Loiret) et en Beauce à 8 h. Elle atteint le faubourg Saint-Antoine à Paris à 8h30, Crépy-en-Valois (Oise) à 9 h 30, Le Cateau (Nord) à 11 h, Utrecht (Hollande) à 14h 30. Entre ces deux zones de grêle qui ne se rejoignent jamais, une bande 13 à 34 km de largeur ne reçoit que de la pluie, qui tombe sur les marges extérieures des deux bandes de grêle. De la Loire à la frontière belge actuelle, 450 km sont touchés, l’orage se déplaçant à une vitesse de 75 km/h.

Quand les habitants peuvent enfin sortir, ils trouvent des amoncellements de glace qui atteignent 80 cm de hauteur dans les angles des murs et qui mettent trois jours à fondre, les grêlons, énormes, s’étant soudés par la chaleur. En plaine, les hommes, peu nombreux, car nous sommes un dimanche, jour obligatoirement chômé, ne souffrent que de blessures et de contusions au visage et aux mains. Pas de morts connus. Mais le petit gibier a beaucoup souffert: on retrouve par milliers lièvres, lapins, perdrix, faisans tués ou estropiés. On ne compte pas les murs abattus, les toitures crevées, les maisons renversées (même l’église de Gallardon, Eure-et-Loir), les carreaux cassés. Dans le château et les dépendances du domaine de Rambouillet, racheté en 1778 par Louis XVI au duc de Penthièvre, les experts comptent 11 750 carreaux cassés, 1 000 arbres abattus, rompus, ou tortillés «comme des harts (liens) de fagots »,des milliers d’autres couverts de plaies. Dans la plaine, les blés qui ne sont pas encore moissonnés sont hachés, les vignes souffrent au point qu’il n’y a pas de bois pour la taille de l’année suivante.

Les autorités, impuissantes, ne peuvent que constater les dégâts. Il est conseillé de labourer aussitôt les terres ravagées et de semer des raves, de la moutarde, de la vesce, des choux, des navets ou de la chicorée sauvage, mais la graine manque souvent.

Les agents de l’administration essaient d’évaluer les dommages mais, comme il n’y a pas de système d’assurance, il faut se contenter d’une modération d’impôts dans les paroisses les plus touchées. Au total, il y en a près de mille de sinistrées. C’est la généralité d’Orléans qui a le plus souffert (Loiret, Loir-et-Cher, Eure-et-Loir), suivie de près par ile-de-France et par les généralités de Soissons et d’Amiens. Rien que pour les récoltes détruites, la perte est évaluée à quelque 25 millions de francs or. A une époque où les rendements atteignent 10 à 12 q/ha, cela représente 1 200 000 quintaux de blés envolés et plus de 100 000 ha de terres qui ne seront pas moissonnés.

Voir enfin:

ETATS-UNIS. De violents orages font 11 morts près de Washington

Le Nouvel Observateur avec AFP

Des intempéries ont fait au moins une dizaine de morts sur la côté est des Etats-Unis.

Les violents orages qui ont frappé la région de Washington et l’est des Etats-Unis tard vendredi 29 juin ont fait au moins une dizaine de morts et privé d’électricité des millions de personnes, rapportaient samedi des médias américains.

Une personne est morte dans la capitale américaine après avoir touché un câble électrique et quatre autres ont été tuées par des chutes de branches ou d’arbres dans les Etats environnant la capitale (Maryland, Virginie), selon le journal « The Washington Post ».

Samedi matin, la tempête passée, les habitants de Washington ont découvert les rues de la ville jonchées de branchages, de poubelles et panneaux renversés par les puissantes rafales de vent. Déracinés par le vent, certains arbres barraient complètement la chaussée.

En Virginie, placée en état d’urgence, la tempête a fait au moins six morts, selon « le Richmond Times-Dispatch ». Samedi après-midi, plus de 661.250 personnes étaient toujours sans électricité dans cet Etat, selon la compagnie Dominion Virginia Power.

A Washington et dans certaines parties de l’Etat voisin du Maryland, les orages ont provoqué plus de 443.000 coupures d’électricité, selon la compagnie Pepco. L’entreprise a prévenu que le « rétablissement de l’électricité pourrait prendre plusieurs jours », et concernait d’abord les structures d’urgence, comme les hôpitaux, les casernes de pompiers ou commissariats.

Le président Barack Obama a décrété l’état d’urgence dans l’Etat de Virginie occidentale, où 688.000 personnes étaient privées d’électricité, selon le bureau du gouverneur, Earl Ray Tomblin, qui a appelé la population à faire preuve de bon sens.

Retour à la normale dans une semaine

« Nos équipes de secours ont impérativement besoin de pouvoir accéder aux personnes en difficulté », a-t-il déclaré. « Je prie tous les habitants de Virginie occidentale de ne pas circuler sur les routes, sauf en cas d’urgence absolue ».

L’agence américaine de gestion des crises (Fema) travaille activement avec les autorités locales des zones touchées par la tempête (Indiana, Kentucky, Ohio, Virginie occidentale, Virginie, Maryland, Pennsylvanie et Washington), a indiqué le département à la Sécurité intérieure dans un communiqué.

« Nous exhortons les personnes concernées à continuer à surveiller les conditions météorologiques (…) et à prendre les précautions adéquates », a indiqué le directeur de la Fema, Craig Fugate, cité dans le communiqué.

Dans l’Ohio, 500.000 personnes étaient sans électricité, selon la compagnie AEP, qui prévient que le retour à la normale pourrait prendre de 5 à 7 jours.

Les orages qui ont frappé l’est américain avaient été précédés d’une journée caniculaire record vendredi. Le scénario pourrait se reproduire samedi en fin de journée avec des températures dépassant les 38 degrés et de nouveaux orages.

En raison des intempéries, le troisième tour du Tournoi national, épreuve du circuit PGA de golf, a été retardé, ont annoncé les organisateurs de l’US PGA Tour. Des vents d’environ 120 km/h ont été enregistrés et ont fait tomber des arbres et fait s’envoler des tentes sur le circuit de Bethesda, ont-ils ajouté.


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